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La conférence « Belles-lettres et Ethique » de Natsume Sôseki (août 1911)serait-elle un manifeste à caractère « personnaliste » ?
Ce n’est un secret pour personne, Natsume Sôseki jouit d’une grande réputation au
Japon, ainsi qu’à l’étranger où ses oeuvres ont été traduites, tels les pays anglo-saxons, la
France, l’Espagne ou la Russie, réputation assise principalement sur quelques « oeuvres
phare » : Botchan, Je suis un chat, Kokoro (Le pauvre coeur d’un homme), L’Oreiller
d’herbe, Sanshiro, Et après, Clair-Obscur, L’homme qui va, Le Portail , le récit Les 10
nuits... D’autres oeuvres sont moins connues, même au Japon, et donc moins lues, tels
son journal de voyage effectué en Manchourie et en Corée en 1909 (Haltes en
Mandchourie et en Corée)(1), ses réflexions historiques, philosophiques et politiques ayant
pris pour prétexte une visite touristique à la Tour de Londres (La Tour de Londres)(2),
ses critiques littéraires ou artistiques ou, plus particulièrement encore, les remarquables
conférences qu’il prononça devant des auditoires choisis et dans lesquelles il exposa ses
points de vue littéraires, « sociétaux », philosophiques, politiques... et toujours
humanistes, empreints d’une liberté de pensée et de paroles, où se mêlent franc-parler,
ironie, persiflages, critiques, indépendance d’esprit, pertinence de l’argumentation,
profondeur des idées et amplitudes de la vision... qui ne cessent pas d’étonner par leur
La conférence «Belles-Lettres et Ethique»de Natsume Sôseki (août 1911) serait-elleun manifeste à caractère «personnaliste» ?
〔要 旨〕1911年8月 桂太郎内閣が弾圧政治を行っていた時代に,夏目漱石は関西で
4つの講演を行った。それは今日まで色あせることのない捕われた人間の個人としての
自立と保護を訴える鋭いヒューマニズムを表明するものであった。
本論文では大阪で行われた4番目の講演「文芸と道徳」について考察する。
最初に当時の社会において漱石が個人の価値を認めるに至った経緯を説明し,急激に変
化する社会を示す概念,表現,「鍵」となる漱石の言葉に焦点を当てる。そして夏目漱
石文学におけるこの講演会の重要性,特に自己の存在への不安と危機が生じた約10年の
間に起こった漱石自身の大きな変化を述べ,社会政治的性格を有したメッセージの重要
性を説く。
〔キーワード〕 :文芸,道徳,ロマン主義,自然主義,個人主義
Olivier JAMET
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modernité un siècle après. En matière de popularité, il conviendrait peut-être de mettre à
part deux conférences qui resteraient aujourd’hui encore les plus connues du grand public,
ce qui ne veut pas forcément dire qu’elles soient très lues, contrairement à Botchan ou
L’Oreiller d’Herbes, « roman-haiku », à savoir Ma conception de l’Individualisme, donnée
à l’auditoire choisi de l’Institut Gakushûin le 25 novembre 1914, et La civilisation
japonaise moderne prononcée à Wakayama le 15 août 1911, deux très beaux textes allant
droit au coeur. Mais d’autres textes méritent absolument d’être déterrés et redécouverts.
Nous-même, après avoir analysé précédemment la plupart des oeuvres de l’auteur dites
de fiction, nous nous intéressons maintenant tout particulièrement à ces conférences, car,
de notre point de vue, par leur caractère de non-fiction et de prise directe sur la réalité,
de témoignage à fleur de peau, elles nous permettent de saisir en profondeur les idées et
la conception du monde de Natsume Sôseki, mieux peut-être que ses oeuvres littéraires
moins faciles à décrypter. Elles nous semblent également un splendide révélateur de la
personnalité si riche de Natsume Sôseki, sa culture dualiste, asiatique et européenne, sa
sensibilité d’« écorché vif », son humour, sarcastique, grinçant, son auto-critique et,
embrassant le tout, un humanisme délibéré et encourageant.
Après nous être précédemment penché sur Les Fondements philosophiques des Belles-
Lettres (1907)(3), La civilisation japonaise moderne (1911)(4) et Ma conception de
l’Individualisme (1914)(5), nous aborderons dans le présent article une quatrième
conférence qui, comme « La civilisation japonaise moderne », fait également partie de
cette fameuse tournée de conférences données dans le « Kansai » (Ouest du Japon :
région d’Osaka et Kobe) en août 1911. Il s’agit de la conférence intitulée Belles-Lettres et
Ethique, donnée à Osaka le 18 août 1911, dernière conférence de la tournée.
Le titre est sans ambiguïté : Natsume Sôseki pose la question cruciale des relations
entre oeuvre littéraire et conceptions éthiques (nous emploierons alternativement en
fonction du contexte les termes d’ « éthique », de « morale » ou de « principes moraux »).
Mais, alors que le titre apparemment n’en dit rien, se pose en filigrane la présence de
l’individu, sa place dans la société et le monde, son acception en tant que valeur humaine
essentielle. Et c’est la raison pour laquelle nous posons ici une problématique que nous
tenterons de résoudre dans cet article, le plaidoyer que fait Natsume Soseki en faveur de
l’individu en tant clé de voûte d’une morale nouvelle, « moderne », équilibrée,
déboucherait-il sur une forme de « personnalisme » avant la lettre, propre à l’auteur(6)?
Pour tenter de répondre à cette question, nous replacerons tout d’abord cette conférence
dans son contexte historique et social, nous intéressant aux raisons qui firent que cette
tournée fut organisée par le Journal Asahi, puis au climat politique de l’époque, empreint
de tensions, marqué par le deuxième Gouvernement Katsura qui suscitait de fortes
oppositions. Nous analyserons ensuite la structure oratoire de la conférence, la succession
des points développés par l’orateur, quelques mots, expressions ou concepts clés servant
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de « pierre de touche », utilisés par l’auteur qui témoignent de ce changement crucial
d’époque et le contenu des idées. Plus particulièrement, nous retracerons les grands
moments de cette conférence : « mise en route », présentation des deux types de morale,
s’inscrivant l’une dans le passé, l’autre dans le présent, présentation des deux types de
littérature, romantique et naturaliste, et « passerelles » établies entre morale « ancienne »
et littérature romantique, d’une part, et morale « nouvelle » et littérature naturaliste,
d’autre part, enfin les mélanges qui s’opèrent. Nous verrons ainsi l’importance que
Natsume Sôseki donne à cette émergence dans cette nouvelle société de l’an 44 de Meiji
d’un individu reconnu comme tel, comme le laissent transparaître à la fois cette nouvelle
éthique et les oeuvres de l’école naturaliste. Nous comprendrons aussi pourquoi il faut
laisser au romantisme cette conception si fondamentale d’Idéal. Nous soulignerons
l’importance de cette conférence dans l’oeuvre de Natsume Sôseki et tout
particulièrement celle des messages à caractère socio-politique qui sont si révélateurs des
profondes mutations intervenues en quelques dizaines d’années, productrices de malaise
et de crises d’identité. Nous verrons que Natsume Sôseki, tout comme Socrate qui tire de
l’esclave Ménon la connaissance mathématique, tire cette connaissance, cette certitude,
sur l’affirmation du Moi, cette réalité de l’individualisme, de la situation contemporaine
telle que la vivaient quotidiennement les citoyens de l’ère Meiji en l’an 44 (1911). Il
procède par constat d’un véritable phénomène de société : cet individualisme, cette
priorité accordée à l’individu, est le mode de comportement observable à Tokyo ; c’est
dans l’air du temps, même si cela ne plaît pas aux plus hautes Autorités de l’Etat. Son
raisonnement est ainsi très habile : c’est la tendance du moment et nous devons nous y
conformer. Il insiste également sur le fait que la société, c’est-à-dire, nous-mêmes, nous
avons besoin de morale, mais d’une morale réconciliée avec l’individu et nous avons
besoin d’Idéal, un idéal réduit, adapté aux dimensions vraiment humaines. Il faut nous
méfier d’une apologie déraisonnable de la liberté qui ne serait qu’un simple leurre.
Pour mieux percevoir le message contenu dans cette conférence, nous nous intéresserons
à une forme particulière d’humour et d’ironie et d’autodérison qu’il y développe, qui ne
pouvait que plaire à la population d’Osaka habituée à ce type d’humour, venant prêter
main forte à une analyse psychosociale poussée dans l’application originale qu’il en fait
avec le pet qu’un conférencier émettrait en train de discourir fièrement sur des sujets
élevés et son approche comparatiste qu’en ferait un auditoire japonais qui rirait et un
auditoire ocidental qui serait moralement choqué. Humour, ironie au service du
développement d’idées humanistes, voilà bien un Natsume Sôseki, malgré la fragilité de
son état de santé, au mieux de son talent créateur, concepteur, rhétorique et éloquent. Et
c’est là que nous tenterons de donner une réponse à la problématique que nous avons
posée : faut-il voir dans cette approche spécifique globalisante, poussant à la synthèse
d’éléments apparemment contradictoires, une forme de « personnalisme », préfigurant ici
des conceptions qui seront développées plus tard au cours du vingtième siècle ?
La conférence «Belles-Lettres et Ethique» de Natsume Sôseki (août
1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
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Resituons tout d’abord cette conférence ! En août 1911 eut lieu dans la région du Kansai
un grand événement médiatique et littéraire aux résonnances socio-politiques. Il s’agit,
comme nous l’avons déjà mentionné, d’une tournée de 4 conférences que fit Natsume
Sôseki à la demande expresse du Journal Asahi, initiateur et organisateur de cette
entreprise à une époque où le deuxième Gouvernement du Président du Conseil Katsura
Tarô, que certains n’hésitèrent pas à qualifier de réactionnaire et de répressif, dirigeait
les affaires de l’Etat.
Tout d’abord, Natsume Sôseki se montra réticent à l’idée de se lancer dans cette aventure.
Mais comme l’année précédente, le 24 août 1910, il avait eu une très grave hémorragie
stomacale ayant pour origines des ulcères qui lui fut presque fatale et qui l’obligea à
rester alité pendant de longs mois, il se sentait obligé vis à vis de la direction du journal,
dont il était le salarié, de se montrer à nouveau professionnellement actif. Il accepta la
proposition de faire cette tournée de conférence dans la région du Kansai et y prononça
ces quatre conférences qui conservent jusqu’à aujourd’hui une grande valeur autant sur
le plan de la forme que celui des idées, professant ce profond humanisme, défendant
l’autonomie et l’intégrité de l’être humain saisi en tant qu’individu, qui lui était
spécifique. Il faut dire que cette période était marquée par une politique de répression et
ce climat de coercition incitait certainement Natsume Sôseki à prendre la parole.
Cette année 1911 avait commencé par l’exécution au mois de janvier de 12 personnes
accusées d’avoir voulu assassiner l’Empereur, sur les 24 qui avaient été condamnés à
mort, les 12 autres ayant bénéficié de la grâce impériale et ayant vu leur peine
transformée en prison à la perpétuité. C’était la conclusion d’une répression des milieux
de gauche qui avait commencée le premier juin 1910. Au mois de février, Natsume Sôseki,
qui venait à peine de se rétablir, refusa la dignité de Docteur ès Lettres que lui avait
conférée le Ministère de l’Education en raison du fait qu’on ne l’avait pas consulté à ce
propos. Au mois de mai, il publia une critique en trois parties de la ligne politique du
Gouvernement en matière de littérature, qu’il désapprouvait, car elle faisait la part trop
belle aux idées conservatrices.
Dans une telle ambiance, Natsume Sôseki se plia donc sans trop maugréer à la
proposition du journal Asahi en dispensant quelques persiflages habituels ; ces
conférences signifiaient donc pour lui, comme nous l’avons déjà mentionné, une sorte de
rentrée littéraire et la belle et courageuse occasion de lancer un message aux plus hautes
Autorités de la Nation en cette sombre année 1911, préfigurant ici le grand courage qu’il
eut à l’Institut Gakushûin en 1914 en prononçant « Ma conception de l’Individualisme ».
Natsume Sôseki quitta ainsi Tokyo le vendredi matin 11 août et fut accueilli à la gare
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par des collègues de l’édition d’Osaka du journal Asahi. Les 7 jours suivants furent très
occupés. Natsume Sôseki passait en troisième, après d’autres conférenciers qui
intervenaient sur des sujets à caractère géopolitique tels que « La situation en Annam
française », « Le problème mandchourien », « Les intérêts des grandes puissances en
Chine »... A Akashi, il prononça le 13 août la conférence Divertissements et activité
professionnelle (Dôraku to shokugyô) , à Wakayama, le 15 août, il donna la très célèbre
conférence La civilisation moderne japonaise (Gendai Nihon no Kaika)(4), à Sakai, le 17
août, il prononça Matière et forme (Nakami to Keishiki) et enfin, le lendemain 18 août, à
Osaka, il donna Belles-lettres et Ethique (Bungei to dôtoku) que nous avons choisie
d’étudier dans ce présent article. Il est important de mentionner que ces conférences
attirèrent beaucoup de monde malgré de mauvaises conditions météorologiques. 1 700
personnes étaient présentes à Wakayama pour écouter La civilisation moderne japonaise
et Belles-lettres et Ethique eut un énorme succès, attirant 4 750 participants, pour être
exact 4 700 hommes et 50 femmes qui avaient pris des places séparées.
Le journal Asahi avait demandé à des sténographes de prendre en note le moindre mot
des conférenciers et c’est la raison pour laquelle on dispose d’une transcription aussi
fidèle des propos prononcés. Un livre également, rassemblant les conférences données par
Natsume Sôseki, fut publié en 1913(7).
Ce qui est totalement imperceptible à la simple lecture de la conférence, avant de la faire,
Natsume Sôseki se sentait déjà mal et après sa prestation devant une salle si nombreuse,
à l’hôtel, il vomit du sang et dut être hospitalisé. Il ne put revenir à Tokyo qu’à la mi-
septembre, un mois après.
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Cette quatrième conférence donnée à Osaka Belles-Lettres et Ethique (Bungei to dôtoku)
oppose deux types de morales, la morale ancienne, basée sur les principes de la fidélité
filiale, de la loyauté au Maître, et de la fidélité vertueuse de l’épouse, et une morale
moderne, apparue au début de l’ère Meiji, où le respect de l’individu fait une percée,
correspondant aux grandes mutations intervenues dans la société à l’époque. Natsume
Sôseki y opère un rapprochement avec la littérature en opposant deux types de
littérature, la littérature romantique et la littérature naturaliste. Il développe à ce propos
une thèse personnelle, que d’aucuns auraient qualifié d’iconoclaste, en établissant des
ponts entre les deux formes de morales et entre les deux genres de littérature. Et au vu
des résultats de son analyse, il considère que, malgré les apparences, des convergences
peuvent être faites entre les deux écoles et les deux morales. Il marque très nettement
l’apparition de l’individualisme en tant que nouvelle valeur morale de ce début du
vingtième siècle et de sa mise en exergue dans les oeuvres de la littérature naturaliste
qui, contrairement à ce que fit Natsume Sôseki dans d’autres oeuvres, telle sa conférence
Les fondements philosophiques des Belles-Lettres (1907), où il critiqua nommément Guy
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1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
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de Maupassant et Emile Zola(8), ne subit pas de critiques désobligeantes mais qui fait au
contraire l’objet d’éloges pour sa valorisation de l’individu, de la franchise et de la Vérité
vraie.
La version écrite de cette conférence représente 20 pages dans l’édition que nous utilisons :
oeuvres complètes de Natsume Soseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume. Elle
n’avait jamais été traduite précédemment. Nous l’avons traduite en son entier et la
traduction sera prochainement publiée. Les extraits que nous citerons en sont tirés. Les
références des citations seront tirées directement de l’original japonais.
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Pour notre étude, nous nous proposons d’analyser succinctement la progression de la
conférence, d’en signaler les phases les plus importantes, de suivre le fil de son
argumentation et de la commenter.
Dans la partie introductive, Natsume Sôseki prend contact avec les (très) nombreux
participants, en les informant que c’est la première fois qu’il fait une conférence à Osaka :
« C’est la première fois que je fais une conférence à Osaka. Egalement, c’est la première
fois que je me tiens debout devant un si grand nombre de personnes. »(9)Il ajoute qu’il
fera de son mieux malgré le nombre : « Par conséquent, bien que ce soit la première fois,
compte tenu de la bienveillance de vous tous, Mesdames, Messieurs, qui vous êtes réunis,
pour vous satisfaire, j’ai vraiment envie de rentrer chez moi après avoir fait une
conférence qui ait éveillé suffisamment d’intérêt en vous. Toutefois, comme il y a trop de
gens rassemblés ici, n’ayant moi nullement l’intention, malgré cela, de prononcer une
conférence médiocre, sans réel intérêt, il devrait en résulter quelque chose d’assez
intéressant, bien que ce soit, en définitive, passablement court et, de cette façon, en
suppléant ainsi au manque de matière, je pense que je pourrai d’abord me débrouiller
avec le nombre de personnes assemblées ici sans trop de problèmes. »(10)Il en rappelle le
titre « Belles Lettres et Ethique », se présente en soulignant qu’il est lui-même un
homme passionné par la littérature et que le thème lui semble important, même si
l’auditoire n’en était pas convaincu : « Conformément à ce que vous voyez inscrit là-bas,
le sujet de la conférence est bien « Belles-lettres et éthique ». Comme vous le savez bien,
je m’occupe de ce qui touche grosso modo à la littérature, que j’écrive des romans ou que
je fasse des critiques littéraires, et j’ai un penchant immodéré à vous entretenir de
littérature. En venant à Osaka, j’ignore si j’aurai à débattre de sujets concernant les
belles-lettres. Si une discussion profitable venait à s’instaurer entre nous, je pense que ce
thème serait éminemment souhaitable. »(11)
En entrée en matière, il établit une distinction entre morale du temps passé et morale du
temps présent. Il s’efforce de mettre d’abord en lumière cette morale du passé qui régnait
sans partage au temps des shoguns avant la reprise en main énergique de l’Etat par
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l’Empereur Meiji. Il insiste sur le fait qu’elle est fondée sur l’édification d’un modèle idéal
parfait, exaltant des modèles de perfection absolue, tels la loyauté au seigneur et maître,
la piété filiale et la fidélité vertueuse de l’épouse. Pour y parvenir, il faut exercer
vivement l’éducation morale : « En matière d’éthique du passé, puisqu’il s’agit, comme
de bien entendu, du Japon, si l’on parle d’éthique du passé, on sous-entend le code moral
en vigueur avant la restauration de Meiji, autrement dit, cela désigne les règles morales
qui avaient cours à l’époque des Tokugawa et, si l’on s’interroge sur ce que pouvait bien
être cette éthique du passé, elle prend pour point de départ l’édification d’un type de
modèle idéal parfait et que ce modèle, saisi en tant norme, puisse être réalisé par le biais
de nos forces humaines. En conséquence, en poussant en avant des modèles de perfection
absolue, tels que la loyauté, la piété filiale, la chasteté vertueuse, en trouvant déplorable
toute idée imparfaite que nous pourrions concevoir, grâce aux fruits de tous nos efforts,
en nous fondant sur l’idée de la possibilité de la réalisation de ce modèle, on procède à
l’édification d’un système moral et à l’enseignement de la faisabilité de la réalisation d’un
tel modèle. »(12)En une saisissante synthèse, l’écrivain avec beaucoup de concision dresse
le portrait d’un système pyramidal, inspiré du confucianisme, avec l’exigence des
« relations correctes », qui sont la piété filiale, la loyauté envers l’Etat, la fidélité
conjugale que l’on retrouve dans le rescrit impérial sur le sujet de l’éducation (1890) :
« Que nos sujets fassent preuve de piété filiale à l’égard de leur père et de leur mère, et
d’affection à l’égard de leurs frères et soeurs ; que l’harmonie règne entre mari et femme,
et la confiance entre compagnons ; qu’ils soient respectueux et modestes, qu’ils
manifestent amour et estime à tous (...), qu’ils parachèvent leur talent et leur vertu, et
par là qu’ils augmentent le bien commun et concourent au progrès des choses d’ici-bas ;
que toujours ils honorent la constitution et obéissent aux lois, et que si les circonstances
l’exigent, ils se sacrifient à l’Etat avec loyauté et courage ; qu’ainsi, ils servent la
prospérité de notre Trône, qui est éternel comme le Ciel et la Terre. »(13)
L’incidence d’une telle morale sur les individus est très forte. Il leur faut réaliser
absolument ce modèle en procédant par imitation et tout écart, tout manquement est
puni avec la plus grande sévérité, recourant sans hésiter à la peine capitale dissimulée
par le suicide forcé sous la forme du hara-kiri : « (...) si l’on se place sur le plan de la
société de façon générale, comme déjà l’on a érigé en emblême la loyauté, la piété filiale
et la fidélité de l’épouse, formant des modèles qui ne peuvent aucunement prêter à la
critique et dont on reconnaît globalement l’existence, pour les individus, cette exigence
commune relève d’une rationalité beaucoup trop cruelle. De plus, on adopte un mode de
comportement extrêmement puritain à l’encontre des fautes commises par les individus.
La moindre faute, même légère, n’est tolérée et a des conséquences immédiates sur
l’existence même de l’individu. Oui ! Ce que je dis, c’est l’exacte vérité ! Les gens qui
vivaient jadis se trouvaient dans l’obligation de s’ouvrir le ventre en frémissant. Cela,
Mesdames et Messieurs, vous le savez très bien. A notre époque, on ne se coupe pas aussi
facilement le ventre. Si l’on décide de ne pas se couper le ventre, eh bien, on ne se le
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coupe pas. Et dans le passé, également, il n’y avait personne qui voulût se couper le
ventre, je suppose. Il n’empêche qu’il lui fallait se le couper. En effet, les contraintes
coercitives imposées par la société étaient extrêmement cruelles, comme le prouve la
dénomination de « suicide forcé ». Et parce qu’on avait honte de se montrer devant les
autres (demeurer en vie), on renonçait facilement à la vie, sans que cela ne soit justifié
aucunement. »(14)Ces propos de Natsume Sôseki manifestent une puissance telle qu’ils
n’ont pas besoin de commentaires particuliers. La critique de la part de l’écrivain est
frontale et son plaidoyer humaniste parfaitement transparent.
En fait, le but est vain et ne pourra jamais être réalisé. L’existence de l’homme idéal
n’est pas prouvée et ce dernier pourrait bien être une idole. Natsume Sôseki explique
qu’une telle situation provenait de l’absence d’esprit critique chez l’homme du passé, la
croyance dans le modèle de reproduction sociale, dus au manque de développement des
sciences et également à l’incommodité des transports (palanquin) compliquant à l’excès
les déplacements : « Autrement dit, l’homme du passé serait dépourvu d’esprit critique.
Ce que l’on nomme « piété filiale » ou « fidélité de l’épouse », qui nous sont transmises du
passé, a pour cause fondamentale la ferme conviction qu’il soit possible de reproduire la
même forme et cela montre (bien) le manque d’esprit critique devant la contemplation de
ces modèles de piété filiale ou de fidélité de l’épouse. En un mot, cela signifie que les
sciences étaient à peine développées. En outre, les transports à cette époque étaient
extrêmement malcommodes... »(15)Le discours de l’écrivain est empreint de confiance dans
les Lumières, dans les progrès de la science et de la civilisation, tel que le scientisme,
pris dans un sens positif, accordant l’autorité à la science, l’école positiviste d’Auguste
Comte, s’appuyant sur la thèse que seule la connaissance des faits est féconde, l’ont
préconisé. Nous pensons à ce propos à la devise d’Emmanuel Kant : « Ose te servir de
ton propre entendement ! », qui figure dans son article publié en 1784, intitulé « Les
Lumières ». L’individu doit sortir de son état de minorité et doit accèder à la majorité. La
Raison doit l’emporter. L’esprit doit commander. Il faut faire preuve de critique vis à vis
des pouvoirs établis.
Natsume Sôseki pointe aussi l’existence d’un système de classes rigide engendrant une
très grande distance entre les gens, en faisant allusion à ce propos qu’aujourd’hui encore
de tels cas existent, comme le fait que Natsume Sôseki lui-même n’a toujours pas été
reçu par l’Empereur. Il fait ici allusion au système hiérarchique se référant au système
confucéen de classification des individus par rapport à leurs origines sociales et leurs
métiers (mibun seido), apparu au Japon à la période Edo, système moral. La hiérarchie
se résume à quatre caractères chinois représentant chacun un étage de la hiérarchie en
partant du sommet jusqu’à la base : shi (comprenant les shoguns, les samouraïs et leurs
entourages), no (« qui cultivent », comprenant une minorité de grands propriétaires
terriens et une majorité de paysans), ko (« qui créent », les artisans) et sho (les
marchands). En marge de ces quatre classes sociales, il en existait deux autres, les
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« parias » (eta) et les « intouchables » (hinin). Le sujet est délicat. La critique de l’écivain
n’en est pas moins directe, ironique et courageuse. Une telle différence entre les gens lui
fait se demander s’il n’y aurait pas différentes espèces humaines ! : « Comme on le voit,
il régnait à cette époque un système social où existait une très grande différence entre
les gens, que l’on constatait entre le genre de vie que menaient les autres et celui que
l’on menait soi-même, à tel point qu’il n’y avait plus lieu d’entretenir la même illusion
sur le fait que, dès l’instant où les classes étaient différentes, cela signifiait que les
espèces humaines étaient différentes... »(16)Il relève aussi la forme morale censée à imiter
le modèle, et la violence qui s’exerce sur l’individu obligé de se soumettre.
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Toutefois, derrière « l’homme du passé », va se profiler « l’homme d’aujourd’hui ». En effet,
un affaiblissement de la contrainte est apparu, engendré par une forme d’idolatrie pour
cet idéal qui s’est vitrifié. On s’est mis à accepter l’idée que l’homme pouvait être
imparfait, impur, et l’évolution conduisant à un autre système de morale s’est produite,
générant d’autres règles. On s’est mis à vouloir apercevoir derrière les valeurs vénérées,
la loyauté, la piété filiale ou la fidélité vertueuse de l’épouse, l’existence dans la société
de leur contraire, la félonie, l’ingratitude ou l’infidélité.. : « Autrement dit,
concuremment à la loyauté, à la piété filiale et à la fidélité de l’épouse, coexisteront
également la félonie, l’ingratitude envers ses parents et l’infidélité de l’épouse à l’égard
de son mari. Ce qui se dévoile en de tels termes est extrêmement fâcheux. Cependant,
quelques soient les hommes, bien que comportant des vertus parfaites, ils offrent aussi
quelque part en eux de mauvais côtés. »(17)
Le revirement est extrêmement important. Au lieu de rechercher absolument l’idéal, on a
voulu regarder la vérité des choses et l’on s’est mis à déceler des comportements non plus
héroïques mais hypocrites. L’idéal absolu s’est trouvé relativisé. Derrière l’homme de bien
est apparu chez le même homme l’homme malfaisant. Le Mal a surgi derrière le Bien :
« Je pense que nous sommes arrivés à former une certaine catégorie d’individus, jouant le
rôle d’êtres humains chez lesquels le Bien et le Mal apparaîtraient plus ou moins
mélangés en un état semblable à celui où l’on ignorerait s’il y avait vraiment de l’or ou
non, tant de sable y serait collé, tant de boue y adhérerait, tant de crasse il y aurait. »(18)
La société est devenue indulgente, moins intolérante, plus permissive. Elle accepte que
les gens se voient tels qu’ils sont, mélange de bien et de mal. Il s’est institué une morale
construite sur la façon dont vivent les gens et non plus sur un modèle absolu. La
démarche s’est inversée. La société est devenue plus libérale, le monde plus facile à vivre.
Il reste bien sûr encore des séquelles du passé, comme dans le domaine des salutations.
Natsume Sôseki introduit ici le concept de « changement du taux d’appréciation » (Hyôka
ritsu no henka)(19). Le regard sur les choses s’est modifié, sur les autres et sur soi-même.
L’introduction d’un tel concept nous paraît très intéressante. On peut parler de ses
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défauts, montrer ses défauts, même en public, sans que cela conduise à la honte, au
déshonneur et au suicide forcé comme auparavant.
Deux exemples de ce changement de comportement sont donnés : celui d’un jeune qui
écrira ses sentiments éprouvés lors de sa visite à l’écrivain sous la forme d’une petite
lettre et d’un chanteur qui avouera avoir eu le trac et expliquera qu’il a mal chanté parce
que ses jambes tremblaient. On a cessé de mentir. La franchise, la sincérité, la vérité, la
confession ont émergé et ont triomphé.
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Puis Natsume Sôseki quitte le terrain de la différence entre la morale du passé et la
morale du présent et s’engage sur celui des belles-lettres en revenant sur les relations
qu’elles entretiennent avec la morale. Il traite de cette mode au début du vingtième siècle
pour deux genres de littératures portant des noms étrangers, la littérature romantique et
la littérature naturaliste, à l’intérieur desquelles se réalisera une synthèse des morales
du passé et du présent. Il en donne d’abord les traits caractéristiques. Pour la littérature
romantique, ce sera chez le héros un coeur sincère et sensible produisant tout
logiquement chez le lecteur « une stimulation à progresser sur la voie qui mène au
Bien »(20). La littérature naturaliste, elle, décrira un être ordinaire, sans ne rien déguiser,
sans ne rien cacher de ses actions, mêmes les plus viles et méprisables, condamnables
sur le plan moral : « Comme on décrit un être ordinaire en présentant uniquement sa
forme sans ne rien déguiser, on ne peut pas éviter que des actes ou des taches
déshonorantes qui touchent à la morale viennent se mélanger. »(21)
Approfondissant son argumentation dans laquelle il cherche à démontrer que la
littérature a bien des relations avec la morale, il avance la thèse d’après laquelle, face au
même événement, certains s’amuseront, riront de bon coeur, et ne verront aucune
conséquence morale, d’autres seront choqués, s’indigneront et réagiront en considérant
que la morale a été offensée. Il s’agira d’un petit récit à caractère allégorique où un
conférencier, en train de faire sa conférence d’un ton savant et hautain, tout d’un coup
lâche un gros pet : « Par exemple, aujourd’hui, je me tiens ici debout et, arborant un air
sévère, je serais en train de vous parler, Mesdames, Messieurs, vous regardant tous de
haut. Et à une certaine occasion (pardonnez-moi de vous raconter quelque chose de
vulgaire !), je lâcherais un énorme pet. Si je le faisais, Mesdames, Messieurs, peut-être
ririez-vous, peut-être vous indigneriez-vous ? Cette affaire-là serait un problème. C’est
que j’aurais vraiment l’air de me moquer des gens ! »(22)
Quelle sera la réaction de l’auditoire ? Il imagine deux scénarios : que l’auditoire soit
composé de Japonais et alors l’aspect comique de la situation l’emporterait sur l’offense
faite aux convenances et le public éclaterait de rire devant l’incongruité de la situation
avant même de penser à se fâcher. Un auditoire occidental, quant à lui, serait choqué,
60 天理大学学報 第62巻第2号
considérerait qu’on s’est moqué de lui, trouverait cet acte vil, méprisable, et aurait une
réaction d’indignation. Un même événement donc suscitera des réactions différentes,
voire opposées en fonctions des types d’auditoire donnés : « Si l’on veut parler des
raisons qui produisent une telle différence au niveau des conséquences entraînées, il est
indispensable de dire que cela provient d’une différence dans la manière d’apprécier le
même acte. »(23)Voilà l’exemplification que nous apporte Natsume Sôseki de ce concept de
« taux d’appréciation » et des grands changements intervenus dans l’appréciation des
choses. Les uns s’indigneront. Les autres éclateront de rire dans un processus de comique
de situation, magistralement analysé par Henri Bergson dans son ouvrage Le rire, essai
sur la signification du comique, écrit en 1900 : « Pourquoi rit-on d’un orateur qui
éternue au moment le plus pathétique de son discours ? D’où vient le comique de cette
phrase d’oraison funèbre citée par un philosophe allemand : « Il était vertueux et tout
rond » ? De ce que notre attention est brutalement ramenée de l’âme sur le corps. »(24)
Natsume Sôseki également va analyser judicieusement pour quelle raison les Japonais
dans une telle situation n’adopteraient pas de comportement à caractère moral et
moralisateur : « Dans ce court intervalle de temps où l’on rit, comme une idée éthique
n’a pas pu encore dénicher de place pour relever la tête, même s’il se serait agi d’une
affaire où viendraient se mélanger des composantes de morale, c’est une démonstration
par l’exemple de quelque chose que, en ne l’interprétant pas sur le plan moral, on
pourrait voir aussi uniquement sous son aspect comique sans y établir de lien quelconque
avec la morale. »(25)
L’écrivain en déduit, ce qu’il voulait nous démontrer, c’est que, même si auparavant la
littérature et la morale pouvaient coexister de manière séparée, aujourd’hui, elles se
trouvent inextricablement mélangées. Le but principal n’est pas d’exciter le sens moral
des lecteurs. Il n’empêche que des histoires à caractère moral émaillent les récits et donc
les relations sont étroitement entremêlées entre littérature et morale.
6
L’auteur se penche maintenant sur les relations entre le mouvement romantique et le
mouvement naturaliste avec la morale : « En agissant ainsi, à mon avis, non seulement
les relations entre les belles-lettres et la morale apparaissent avec davantage de lumière,
mais aussi les relations entre les deux catégories de littérature deviennent encore plus
claires. »(26)
En ce qui concerne l’école romantique, sa façon de traiter les grandes valeurs telles que
la loyauté, la piété filiale ou la fidélité vertueuse de l’épouse, ou de mettre en situation
les héros en aiguillonnant la perception morale du lecteur et en émouvant le lecteur sur
le plan artistique, elle procède à la fois de nature morale et de nature artistique, ayant
une finalité pour reproduire un événement, pour émouvoir ou pour provoquer une
excitation et ayant placé l’homme à la base. Le mouvement naturaliste, quant à lui, imite
La conférence «Belles-Lettres et Ethique» de Natsume Sôseki (août
1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
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sans ne rien déguiser et, en matière de morale, dépeint les choses avec franchise. Les
deux courants littéraires entretiennent donc d’étroites relations avec la morale. La
morale dont parle ici Natsume Sôseki est ce que nous qualifierions de « morale
sociologique », consistant à relever et à codifier les moeurs de l’époque, sans émettre de
jugement de valeur, comme le fait par exemple Emile Zola. Il s’agit de décrire la réalité
telle qu’elle est, cette description ayant une valeur dissuasive, voire thérapeutique. A
propos de ce type de littérature, on pourrait parler de littérature d« ’hygiène mentale ».
Le lecteur et le public, de façon générale, devant le spectacle affligeant de l’alcoolisme ou
de la corruption, auraient, dans une telle démarche, une saine réaction : « ... le
mouvement naturaliste, sans nullement tenir compte de son contenu en matière de
littérature, entretient vraiment une relation interne avec la morale, c’est-à-dire en
dépeignant l’état des choses avec franchise sans se mettre en avant, parce que l’on
emploiera des mots que l’on peut qualifier de « chargés de rectitude » pour désigner des
phénomènes identiques, on comprendra que se joignent de manière très étroite belles-
lettres et morale. »(27)En outre, d’après l’auteur, les deux mouvements entretiennent des
relations entre eux.
En les comparant sur le plan affectif, le mouvement romantique connaitrait une grande
abondance en éléments affectifs. Toutefois, il semblerait difficile de relier entre eux des
éléments éparpillés pour constituer un idéal ; et cet idéal ne serait réalisable que dans
un moyen terme. Il reste toujours difficile d’exprimer et de décrire dans ce cadre ce que
l’on ressent ou ce qui qui touche au quotidien. Mais dans le cadre de la littérature
naturaliste, on décrit facilement ses points faibles qui seront aussi les points faibles des
lecteurs et des écrivains. Ce n’est pas éloigné de nous. Cela nous permet de nous
identifier facilement aux héros. Ce type de littérature nous pousse à la modestie et nous
mène vers un but sain : « Si, malgré tout, les oeuvres naturalistes ne pouvaient pas
atteindre ce but sain, je devrais dire que c’est parce que les oeuvres seraient mauvaises.
Ce que j’entends par « oeuvres mauvaises », c’est qu’elles seraient mal faites. Si j’utilise
les mots que j’ai expliqués précédemment, j’en reviens à ce qu’il y aurait quelque part
dans les oeuvres des éléments immoraux, autrement dit il y aurait des passages peu
artistiques, autrement dit on aurait écrit des faussetés. »(28)La vertu de l’écrivain consiste
pour lui de décrire ce qui a un caractère de pure authenticité et d’écrire une oeuvre
naturelle et artistique.
7
Après avoir défini les deux morales romantiques et naturalistes, Natsume Sôseki va se
pencher maintenant sur les nouvelles tendances de la morale au Japon au début de l’ère
Meiji. Comme les connaissances humaines ont progressé, la vérité vraie, résultant de
l’observation scientifique, devient visible. La morale romantique qui contraignait les
individus n’aurait donc plus raison d’être. L’éducation permet d’acquérir son autonomie.
Chacun s’est engagé dans sa vie professionnelle et sa vie familiale. Après la fin de la
62 天理大学学報 第62巻第2号
guerre Russo-Japonaise, la période est devenue plus favorable pour que chacun puisse
satisfaire ses désirs naturels et l’individualisme se développe. Par rapport à la situation
précédente où il était demandé à l’individu de se sacrifier pour la collectivité, les lois
morales s’appuient maintenant sur l’individualité et ce développement de l’individualisme
produit un véritable « choc » dans la société : « Et donc comme l’observation scientifique
réfléchie progresse au même moment que l’on se rend compte de la duperie, de
l’impossibilité de l’existence de lois empreintes de dignité, cela provoque inévitablement
le changement du système social, l’individualisme progresse sans hésitation et, tout ceci
étant posé, il est manifeste que le choc produit est d’autant plus grand. »(29)
Face à cette évolution, l’écrivain va préconiser un véritable retour à l’idéal : un idéal
raisonnable, un idéal quotidien, un idéal à visage humain : « La pensée affirmant que
l’on n’a pas besoin d’idéal, que celui-ci ne sert à rien, est complètement inconcevable. Je
suis convaincu que, dans chaque société, il est inimaginable qu’une société donnée puisse
vivre en l’absence d’idéal. Ayons un idéal qui soit quotidien ! Qu’il soit de peu
d’importance ou plein d’humilité, de toute façon, il n’y a aucun empêchement qu’un
certain idéal dessine dans notre tête ses contours, que nous fassions tous nos efforts pour
le réaliser demain et qu’en outre, en le réalisant, nous puissions continuer à vivre. »(30)
Et Natsume Sôseki, va se situer sur un plan qui déborde du cadre purement moral en
empiétant dans ce qui nous apparaîtrait le domaine politique en prononçant le mot
symbolique de « réforme » (que l’on aurait pu aussi traduire par reconstruction,
réorganisation(31)) : « Ayant engagé une réforme dans le but de satisfaire demain les
désappointements d’aujourd’hui, adoucissant le surlendemain les mécontentement du
lendemain, l’histoire des êtres humains se poursuit jusqu’à aujourd’hui et donc, en un
certain sens, la seule voie possible passe, sans que l’on ait le moindre doute là-dessus,
par l’émergence de cet idéal. »(32). Voila un idéal au service d’une profonde réorganisation
de la société !
A propos de Belles-Lettres et d’art, les pensées et les interprétations sont très variées, il
dénonce tous les mensonges qui y ont cours, il dit également que la liberté (excessive) est
un leurre et que nous ne pouvons rien attendre de la société. On ne peut lui faire
confiance : « Il est évident que ce que l’on appelle la société, en tant que principe unique,
n’est jamais là pour nous satisfaire. »(33)C’est à nous de faire évoluer la société dans le
sens où nous l’entendons.
Il rappelle qu’il reste toujours une nostalgie pour le romantisme et qu’il conviendrait de
cadrer cette liberté. En contrecoup, la morale romantique devrait se réveiller, mais la
morale naturaliste a, selon l’auteur, de beaux jours devant elle.
Et pour conclure ses propos en la matière, Natsume Sôseki va nous donner une définition
des compétences(34)qui siéraient à l’homme japonais pour affronter, dans les meilleures
La conférence «Belles-Lettres et Ethique» de Natsume Sôseki (août
1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
63
conditions possibles, les années futures : « Si l’on récapitule ce qu’il a été dit ci-dessus,
quand on juge quelles compétences conviendraient le mieux désormais aux Japonais,
recéler dans son coeur l’idéal le plus réalisable possible, désirer pour cela obtenir dans
l’avenir la concorde avec ses voisins et ses compatriotes, maintenir en outre notre
sympathie pour pardonner les points faibles comme nous l’avons vu précédemment avec,
pour objectif, d’unir par fusion les contacts tissés à l’intention des individus vivant en
cette période contemporaine, voilà ce qui sera très important, je pense. »(35)
Dans ces paroles, conçues comme un récapitulatif des grandes orientations déjà évoquées
pour se lancer dans la marche à suivre pour parvenir à mieux humaniser la société et la
vie de chaque jour, il y a ici tout un beau programme à la fois politique, sociétal et moral :
choisir un idéal pragmatique, s’assurer la paix avec le voisinage, la Nation et les pays
voisins et apprendre à pardonner aux autres. Cette invitation au pardon nous semble
extrêmement intéressante. Nous y verrions une forme d’imprégnation d’une pensée à
laquelle adhèrent les Chrétiens comme élément du dogme, mais dont ils n’ont pas le
monopole : Lorsqu’ils se pardonnent, les hommes se traitent avec Amour et n’ont pas de
mauvais sentiments à l’égard de ceux qui les ont offensés (Mt 5 : 43―45 ; 6 : 12―15 ; Lu
17:3―4). Dans la bouche de Natsume Sôseki, cette formule « pardonner les points faibles »
nous semble extrêmement intéressante et prémonitoire de tout un itinéraire de réflexion
qui le conduira aux conceptions qu’il développera le 25 novembre 1914 à l’Institut
Gakushûin dans sa conférence « Ma conception de l’individualisme » que l’on peut
considérer comme un point d’apogée de sa pensée exprimée.
Et dans sa recherche de l’idéal, Natsume Sôseki va inviter une morale romantique
rajeunie à les rejoindre en insufflant un idéal qui viendrait combler un vide, une carence,
que laisserait la morale naturaliste, affligeante par son vide d’idéal sur le plan moral :
« Bien que ce soit la même école romantique, une nouvelle forme doit apparaître
renfermant un nouveau sens qui viendrait combler le manque de notre vie quotidienne
actuelle. »(36)Ce terme de « manque »(37)nous interpelle par sa modernité et ses
implications à caractère psycho-sociologique et philosophique. L’écrivain reprend ici une
de ses grandes idées qu’il a développé largement dans la conférence Les fondements
philosophiques des Belles-Lettres qu’il a prononcée en 1907 et dans laquelle il a préconisé
comme idéal littéraire que l’homme de lettres se devrait d’atteindre un équilibre
harmonieux entre quatre types d’idéaux, le Beau, le Vrai, le Bien et le Sublime,
correspondant chacun aux quatres facultés mentales principales. Et il y mène tout
particulièrement l’offensive contre l’école naturaliste qui, selon lui, privilégie
abusivement l’idéal du Vrai au détriment des autres idéaux et, surtout, celui du Bien,
dénonçant déjà, dans le titre des 4 chapitres qu’il consacre à ce sujet, cette
« prépondérance » accordée à l’idéal du Vrai : « Lorsque l’on privilégie le Vrai, il en
découle que, dès l’instant où l’on parvient au Vrai, ce que l’on écrit importe peu. Si
montrer avec ostentation le Vrai a pour conséquence de considérer que la Beauté, le Bien
64 天理大学学報 第62巻第2号
et l’idée du Sublime sont des quantités négligeables, passe encore ; mais si l’on fait un
pas de trop, alors, pour favoriser le Vrai, on altérera le Beau, on nuira au Bien, on
écrasera sous ses pieds l’idée du Sublime. »(38)
Maupassant et Zola décrivent admirablement des situations authentiques où des êtres
humains sont humiliés et souffrent ; mais ces deux écrivains de l’école naturaliste
française se bornent seulement à cette description brillante et parfaite. Ils ne proposent
aucun idéal moral pour que l’être humain puisse sortir de cette situation insupportable
de souffrance ou de déshonneur. Ce sujet de cette « voie salvatrice », de cet idéal moral
grâce auquel l’Humanité pourrait atteindre des jours meilleurs, une forme de « bonheur
quotidien », ne les intéresse manifestement pas. Et, pour appuyer sa thèse critique à
l’égard de l’école naturaliste, Natsume Sôseki cite La parure (1884) et Le Vagabond
(1887) de Guy de Maupassant, ainsi qu’une autre oeuvre d’Emile Zola, dont le titre n’est
pas mentionné, dans lesquelles aucune issue ne vient s’ouvrir devant les protagonistes, le
vagabond qui assouvit ses pulsions charnelles, la coquette parisienne qui a ruiné son
ménage pour avoir perdu un collier de diamants emprunté et qui s’est révélé être un faux,
ou bien un vieillard se laissant abuser et tromper par son médecin et sa jolie jeune
femme.(39)L’idéal du Bien se trouve à chaque fois dans l’épilogue, bafoué, foulé aux pieds,
et l’oeuvre s’achève, sans autre forme de procès, sans aucune proposition de quelque sorte
que ce soit, illustrant ainsi ce « manque », ce vide effarant d’idéal moral quotidien et
raisonnable : « Le monde ordinaire se déprave et, plus la conscience morale se dilue, plus
l’idéal moral devient vulgaire. En somme, comme le sens moral des gens ordinaires
s’émousse, l’idéal des écrivains et des critiques se dirige simultanément vers d’autres
idéaux que l’idéal moral et les idéaux élevés disparaissent. En fin de compte, on peut se
demander s’il ne s’est pas instauré un état d’esprit où le Bien, par exemple, importerait
peu et il faudrait faire apparaître le Vrai avant toute chose. »(40)Et ici, Natsume Sôseki
nous met en garde contre des importations hâtives d’idées toutes faites d’Occident, sans
qu’elles ne correspondent à quelque chose de réel au Japon, point de vue qui sera
développé quelques années plus tard dans la conférence Ma Conception de
l’Individualisme, prononcée en novembre 1914, où l’écrivain considère qu’au lieu d’imiter
la civilisation occidentale, il est primordial d’affermir, avant toute chose, le point
d’ancrage de notre moi.
On voit donc très bien la complémentarité parfaite qui se tisse entre les deux morales,
l’une apportant l’Idéal, l’autre la sincérité, l’authenticité, la Vérité, la modestie, en un
mot ce que nous pourrions appeler l’équilibre parfait. Natsume Sôseki balaye tout « hyper
-individualisme », un lien étroit se tissera entre l’individu et le monde ; une perspective,
sous la forme d’un idéal raisonnable et réalisable, sera tracée devant lui.
8
En s’approchant de sa conclusion, Natsume Sôseki va, en tout premier lieu, établir des
La conférence «Belles-Lettres et Ethique» de Natsume Sôseki (août
1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
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liens de nécessité réciproque entre société et morale, et société et art, chacun ayant
besoin de l’autre : « En ce qui concerne la morale, ce petit contrecoup qui se produit sous
nos yeux sous la forme d’une vague déferlant désormais soit sur le plan général, soit
dans une zone circonscrite, possède la qualité dont on a parlé et si l’on admet, comme j’en
ai parlé dans mon exposé, qu’il y ait des relations très étroites entre l’art et la morale, il
nous faut également développer aujourd’hui dans la même direction et avec la même
signification un processus selon lequel la société a besoin de l’art... Si des belles-lettres
qui s’opposeraient à ce que la société ait besoin de la morale existent (...), ces belles-
lettres doivent s’altérer complètement. (...) La société donne-t-elle naissance aux belles-
lettres ? Au contraire, la société serait-elle engendrée par les belles-lettres ? »(41)Voilà
quelques phrases très précieuses pour notre compréhension, mettant en lumière ces
allers et retours, cette interdépendance réciproque et parallèle. Et la conclusion apportée
à ces propos est encore plus instructive sur le point de vue de l’auteur : « En admettant
qu’après avoir établi un lien, que l’on coupe ou non la morale de la société, il n’y a
vraiment aucune raison que les belles-lettres, auxquelles nous prenons une part active de
façon éthique, brillent en s’étant dissociées de la morale à laquelle, nous tous, nous
aspirons dans notre fort intérieur. »(42). Que le lien existe ou non entre société et morale,
Natsume Sôseki revendiquerait ici une indissociabilité entre littérature et morale, dès
l’instant où, selon lui, nous ressentirions en tant qu’êtres humains, une forme
d’aspiration instinctive à la morale, en harmonie parfaite avec la soif d’idéal, même
quotidien, même raisonnable, que l’écrivain évoquait plus haut. Et cette aspiration, ce
besoin d’élévation, cette dimension « cosmique », nous en reparlerons bientôt, est une des
composantes essentielles du personnalisme. Tout lecteur de littérature, caché en nous, ne
peut donc que rechercher cet élément dans ses lectures.
Passons maintenant à la conclusion de cette conférence. Natsume Sôski nous explique
qu’il a fait ses applications des mots romantique et naturaliste à la morale en tant
qu’épithète, précisément pour que nous ne soyons pas coupés, détachés d’elle.
En récapitulatif final, il voit deux défis qu’il faut impérativement relever dans l’avenir et
qu’il détermine en même temps comme étant les deux points capitaux de sa conférence :
« ... Dire que la morale qu’expriment ces mots dont il est fait ainsi application
(romantique et naturaliste) projette une influence intéressante concernant les époques
écoulée et présente du Japon, prévoir de quelle façon à partir de maintenant cette
influence s’étendra dans l’avenir, de prime abord, ce sont là les deux points capitaux de
ma conférence. »(43)Il considère donc, en premier lieu, que le substrat sémantique et
conceptuel (idéel), représenté par ce que l’on peut désigner sous le nom de « morale
romantique » et « morale naturaliste », serait d’excellentes clés, permettant de décrypter
le Japon passé, dans ses racines profondes, et le Japon contemporain, et de les relier
entre eux par une relation quasiment ombilicale. En second lieu, il lui semble
indispensable de faire une prévision sur la potentialité de développement, de propagation,
66 天理大学学報 第62巻第2号
de diffusion et d’imprégnation de ces deux formes de morales, soudées selon lui dans la
complémentarité, comme nous l’avons vu précédemment. En matière morale, diachronie
se conjuguerait donc intimement avec prospective.
Avant de mettre un point final, tentons maintenant de répondre à cette problématique
que nous avions posée au début : pourrait-on dire que cette conférence soit un manifeste
à caractère « personnaliste » ? Nous prenons l’adjectif « personnaliste » et son substantif
dans le sens défini par Emmanuel Mounier lui-même dans « le Vocabulaire technique et
critique de la philosophie », précisant d’abord que le personnalisme était une « doctrine
morale et sociale fondée sur la valeur absolue de la personne et ajoutant que « le
personnalisme se distingue rigoureusement de l’individualisme, et souligne l’insertion
collective et cosmique de la personne »(6).
Nous avons pensé à dresser un tel parallèle compte tenu de la critique faite par Natsume
Sôseki de ce que nous avions qualifié d’ « hyper-individualisme », c’est-à-dire d’un
individualisme fermé sur l’ego, la jouissance, l’hédonisme... Revenons à la conférence.
Natsume Sôseki ébauche une explication du mode d’apparition de cet « individu naturel »
comme il l’appelle, provenant d’une certaine stabilisation de la situation politique,
économique et sociale, après l’achèvement de la guerre Russo-Japonaise : « La Guerre
Russo-Japonaise s’est achevée sans incident notable. Le Japon également a obtenu pour
l’instant en résultat l’instauration d’une situation de paix, la Nation n’est pas plongée
non plus dans la désolation et nous sommes entrés dans une période où, profitant de
cette opportunité, il n’y a plus d’obstacles à ce que nous réfléchissions à la tactique qui
nous permettrait de satisfaire nos inclinations personnelles. Sous l’influence de ceci et de
cela, nous tous, nous nous sommes mis à promener nos regards sur ce bas monde, de jour
en jour, de mois en mois, sous l’angle de l’individualisme. Par conséquent, nos principes
eux aussi se sont agencés sur la base d’un individu naturel. Autrement dit, on s’est mis à
vouloir tenter de déduire des lois morales à partir de l’individualité. »(44)Et aussitôt,
Natsume Sôseki perçoit le danger d’une dérive libertaire et matérialiste d’un Moi
cherchant à assouvir seulement ses pulsions et ses jouissances. Ecoutons sa mise en
garde : « En suivant ce qui a été dit, peut-être devriez-vous adopter une sorte
d’opportunisme, consistant à vous réjouir du temps présent. Toutefois, si un malentendu
apparaissait, j’en concevrais des remords, éprouverais en tant qu’homme moderne une
grande peine. La pensée affirmant que l’on n’a pas besoin d’idéal, que celui-ci ne sert à
rien, est complètement inconcevable. »(45)En un tel moment, nous ne pouvons nous
contenter de cette manière « matérialiste ». L’homme également appartient à une
collectivité et ne peut s’épanouir qu’en liaison et en harmonie avec ses voisins, comme
nous l’avons vu précédemment.
Voilà donc réunis les trois composantes du personnalisme :
. Distinction de l’individualisme (égoïste )
La conférence «Belles-Lettres et Ethique» de Natsume Sôseki (août
1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
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. Insertion collective de l’individu (lien à la société dans des relations du quotidien, de
profession, de voisinage et d’harmonie)
. Insertion cosmique (aspiration à l’idéal, désir d’élévation)
Pour parler de personnalisme, dont le terme a été inventé par Charles Renouvier dans
une optique kantienne en 1903, on a l’habitude de remonter à Emmanuel Kant, que nous
avons déjà cité précédemment et qui pourrait donc passer pour le vrai fondateur du
personnalisme. En effet, Kant, en répudiant toute « ontologie », toute transcendance, en
refusant au cosmos toute finalité, met en pleine lumière la personne humaine dépositaire
de l’exigence morale.
Dans le personnalisme qui apparut en France pendant les années 1930, l’individu est
montré du doigt, car il apparaîtrait comme un produit des tendances aliénantes du
monde moderne. C’est celui qui aurait sacrifié sa dimension spirituelle et son potentiel
d’énergies créatrices et de liberté, au profit d’une conception de la vie qui ne viserait
qu’au bien-être. Pour Emmanuel Mounier, « l’individu, c’est la dissolution de la personne
dans la matière. (...) Dispersion, avarice, voilà les deux marques de l’individualité. »
Aussi, la personne ne peut croître « qu’en se purifiant de l’individu qui est en elle »(46).
Au Japon, le professeur Abe Jirô (1883―1959), philosophe, esthéticien et écrivain, ayant
voué un grand respect pour son maître Natsume Sôseki lorqu’il était étudiant à
l’Université de Tokyo, a commencé à se pencher sur Kant et le personnalisme pendant
son séjour d’études en Europe (1922―1923).
Sans vouloir effectuer de trop rapides raccourcis ni des placages hâtifs, il nous a donc
semblé, à la lecture de la conférence de Sôseki et des écrits personnalistes, qu’il y aurait
entre l’école de pensée sôsekienne et l’école personnaliste, sinon des passerelles, tout au
moins une proximité humaniste dans leur conception de l’individu en relation avec la
société et le monde.
Notes :
(1) in « Haltes en Mandchouries et en Corée, précédé de Textes Londoniens », La Quinzaine
Littéraire•Louis Vuitton, Paris, 1997, pp. 139―278 (traduction O. Jamet).
(2) in « Haltes en Mandchouries et en Corée, précédé de Textes Londoniens », La Quinzaine
Littéraire•Louis Vuitton, Paris, 1997, pp. 59―89 (traduction O. Jamet).
(3) « Les fondements philosophiques des Belles-Lettres », traduction annotée 1, 2, 3, 4,
Tenri Daigaku Gakuhô, 186, septembre 1997, Tenri Daigaku Gakuhô, 187, février 1998,
Tenri Daigaku Gakuhô, 189, septembre 1998, Tenri Daigaku Gakuhô, 190, février 1999.
(4) « « La civilisation japonaise moderne » de Natsume Sôseki : Modernisation et nature »,
Tenri Daigaku Gakuhô, 181, mars 1996.
(5) « Ma conception de l’individualisme », traduction annotée 1, 2, Tenri Daigaku Gakuhô,
68 天理大学学報 第62巻第2号
181, mars 1996, Tenri Daigaku Gakuhô, 183, septembre 1996 ; « « Ma conception de
l’individualisme » de Natsume Sôseki : discours d’apprentissage et testament », Tenri
Daigaku Gakuhô, 187, février 1998.
(6) Nous prenons le terme de « personnalisme » dans le sens défini par Emmanuel Mounier
lui-même dans Le Vocabulaire technique et critique de la philosophie, André Lalande,
Presses Universitaire de France, dix-huitième édition 1996, reprise dans l’édition Quadrige
/ PUF, juin 2006 : « Doctrine morale et sociale fondée sur la valeur absolue de la
personne (...). « Le personnalisme se distingue rigoureusement de l’individualisme, et
souligne l’insertion collective et cosmique de la personne ».
(7) Les 4 conférences de 1911, auxquelles s’ajoutèrent Les Fondements philosophiques des
belles-lettres (Bungei no tetsugakuteki kiso) et Le comportement du createur (Sosakuka no
taido), furent publiées en 1913 dans un recueil intitulé Société et soi-même (Shakai to
Jibun).
(8) « Les fondements philosophiques des Belles-Lettres », traduction annotée 3, Tenri
Daigaku Gakuhô, 187, février 1998, pp. 154, 157 et 158.
(9) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
73, l. 1 et 2.
(10) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
73, l. 8 à 16.
(11) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
73, l. 29 à p. 74, l. 4.
(12) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
74, l. 24 à l. 34.
(13) Rescrit impérial sur le sujet de l’éducation (Kyôiku Chokugo) (1890), 30 octobre de la 23e
année de Meiji. Sources : Ôkubo Toshiaki, Kindaishi Shiryô, Yoshikawa Kôbunkan,
Tokyo, 1965, p. 425,, traduit par Jacques Mutel in Le Japon la fin du shôgunat et le Japon
de Meiji 1853―1912 », Hatier Université, Paris, 1970, p. 118.
(14) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
75, l. 19 à l. 29.
(15) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
76, l. 11 à l. 18.
(16) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
77, l. 13 à l. 16.
(17) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
78, l. 9 à l. 14.
(18) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
78, l. 17 à p. l. 24.
(19) Changement de taux d’évaluation (Hyôka ritsu no henka) 評価率の変化 (Oeuvres
complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p. 79, l. 10).
(20) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
82, l. 25.
(21) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
82, l. 34 à p. 83, l. 2.
La conférence «Belles-Lettres et Ethique» de Natsume Sôseki (août
1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
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(22) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
83, l. 15 à 20.
(23) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
83, l. 25 à 27.
(24) Henri Bergson, Le rire, essai sur la signification du comique (1900), édition critique sous
la direction de Frédéric Worms, Quadrige/PUF, Paris, octobre 2007.
(25) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
84, l. 3 à 8.
(26) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
84, l. 28 à 30.
(27) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
86, l. 6 à 9.
(28) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
87, l. 31 à p. 88, l. 3.
(29) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
90, l. 2 à 5.
(30) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
90, l. 9 à 16.
(31) Kaizô(改造)modification, refonte, reconstruction, réorganisation.
(32) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
90, l. 16 à 20.
(33) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
91, l. 22 à 23.
(34) Nous avons traduit ici par compétences le mot Shikaku(資格)qui signifie aussi qualité,
aptitude, capacité, qualification, condition, position, dignité, rang, titre.
(35) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
91, l. 9 à 15.
(36) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
92, l. 1 à 3.
(37) « Manque »(kanketsu,陥欠). Ce caractère composé pourrait se traduire également par :
défaut, déficit, insuffisance.
(38) Les fondements philosophiques des Belles-Lettres de Natsume Sôseki (3), traduction
annotée, Tenri Daigaku, Gakuhô, No. 189, septembre 1998, p. 152.
(39) Les fondements philosophiques des Belles-Lettres de Natsume Sôseki (3), traduction
annotée, Tenri Daigaku, Gakuhô, No. 189, septembre 1998, p. 154, 155, 156 et 157.
(40) Les fondements philosophiques des Belles-Lettres de Natsume Soseki (3), traduction
annotee, Tenri Daigaku, Gakuhô, No. 189, septembre 1998, p. 154 et 155.
(41) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
92, l. 4 à 16.
(42) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
92, l. 16 à 19.
(43) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
92, l. 27 à 34.
70 天理大学学報 第62巻第2号
(44) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
89, l. 11 à 19.
(45) Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume, p.
90, l. 7 à 10.
(46) Cité par Jean-Marie Domenach, Emmanuel Mounier, Paris, Éd. du Seuil, Coll. Écrivains
de toujours, 1972, p. 81.
Bibliographie succincte :
Oeuvres complètes de Natsume Sôseki, Editions Iwanami Shoten, 1957, 23e volume
Ara Masahito, Sôseki kenkyuu nennpyô, ed. Odagiri Hideo, Zôho kaitei,Shûeisha, 1984
Eto Jun, Sôseki to sono jidai, 2 vol., Shinchôsha, 1970
Jansen M. B., Changing Japanese Attitude toward Modernization, Princeton University Press,
1985
Komiya Toyotaka, Natsume Sôseki, 3 vol ., Iwanami Shoten, 1953
Mutel Jacques, Le Japon la fin du shôgunat et le Japon de Meiji 1853―1912, Hatier Université,
Paris, 1970
Oka Yoshitaka, Nichirô sensô go ni okeru atarashii seidai no seichô, première partie, Shisô, 1967
La conférence «Belles-Lettres et Ethique» de Natsume Sôseki (août
1911) serait-elle un manifeste à caractère «personnaliste» ?
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