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THEAHARRISON

LACHRONIQUEDESANCIENS–6

Lafureurd’Aryal

Traduitdel’anglais(États-Unis)parLaurenceMurphy

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TheaHarrison

Lafureurd’Aryal

LachroniquedesAnciens6

Collection:CrepusculeMaisond’édition:J’ailu

Traduitdel’anglais(États-Unis)parLaurenceMurphy     

©TeddyHarrison,2013Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015Dépôtlégal:mai2015

ISBNnumérique:9782290113820ISBNdupdfweb:9782290113844

Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290108260

CompositionnumériqueréaliséeparFacompo

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Présentationdel’éditeur:Entempsnormal,Aryal,l’unedessentinellesdeDragos,saitplutôtbiengérersessentiments.Lahaine,parexemple.Pourtant,faceàQuentinCaeravorn,grandgagnantdesJeuxnouvellementrecrutéparleseigneurwyr,Aryalnepeutréprimersacolère.Créaturehybrided’unetrèsgrandeforce,àlafoiswyr,elfe,etfaenoire,Quentinestaussiunprofessionnelducrime.Persuadéequecedernierestcoupabledequelquechose,Aryalsejuredelefairetôtoutardfaillir...etdel’étriper.Cedernierluirendd’ailleurstrèsbiensonanimosité.Alors,pourmettrefinàleurconflit,DragoslesbannitdeNewYorketlesenvoieenmission…

Biographiedel’auteur:DesonvrainomTeddyHarrison,elleaégalementécritsouslenomd’AmandaCarpenter.Elleestl’auteurd’unedizainedelivres.LachroniquedesAncienssignesonretoursurlascènedelaromanceparanormale.

Illustrationd’après©Peopleimages,RogerWrightet©PeterEssick/GettyImageset©DimitrijeDencic

©TeddyHarrison,2013

Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2015

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TheaHarrison

ClasséeentêtedelistedesmeilleuresventesduNewYorkTimesetdeUSAToday,elleestl’auteurd’unedizainedelivres.Récompenséeàplusieursreprisespoursesécrits,elleaconnulesuccèsavecsasérieLachroniquedesAnciens,quil’afaitconnaîtredugrandpublic.Lepremiertome,Lebaiserdudragon,aétépriméparlecélèbreRITAAward2012delameilleureromanceparanormale.Elleaégalementpubliésouslepseudonymed’AmandaCarpenter.

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DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

LACHRONIQUEDESANCIENS

1–LebaiserdudragonN°10145

2–Uncœurdepierre

N°10142

3–L’étreinteduserpentN°10615

3.5–SansfardNumérique

4–L’héritièredel’Oracle

N°10780

4.5–LemalabsoluNumérique

4.6–LePortailduDiable

Numérique

4.7–ChassegardéeNumérique

5–Lachuteduseigneur

N°10929

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Celui-ciestpourAmy.

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Cen’estpasdrôletantquequelqu’unneperdpasaumoinsunœil.

Aryal,harpie

Cen’estpascequeditleproverbe,andouille.

Quentin,irrité

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Sommaire

Couverture

TitreCopyright

Biographiedel’auteur

TheaHarrison

DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

Chapitre1

Chapitre2

Chapitre3

Chapitre4

Chapitre5

Chapitre6

Chapitre7

Chapitre8

Chapitre9

Chapitre10

Chapitre11

Chapitre12

Chapitre13

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Chapitre14

Chapitre15

Chapitre16

Chapitre17

Chapitre18

Chapitre19

Chapitre20

Chapitre21

Chapitre22

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1

Aryalplanaitettournoyaitaucœurdelanuitsauvage.Contrairement à un certain nombre deWyrs, vivre àNewYork ne la gênait pas. Cette ville était

singulièreetindomptable,cequiluiplaisait.Maisceroyaumesolitairesuspendutoutlà-hautau-dessusdumonde– c’était sonvéritable refuge.C’était làqu’ellevenait penser, ruminerouévacuer sa fureurdansl’espace.

Ellevola tellementhautque l’airse raréfiapresque troppoursespoumonspourtantpuissants.Lesnuages flottaient au-dessous d’elle, comme des châteaux aériens d’un ivoire ombreux, tandis que lesétoiles tourbillonnaient dans la danse de leurs constellations, leurs lumières narrant de très ancienneslégendesquiévoquaientdeslieuxsituésàdesdistancesinimaginables.Àcettealtitude,lesastresétaienttellementbrillantsqu’elleavaitpresquelesentimentdepouvoirabandonnerpourtoujoursleschaînesdelagravitéderrièreelleetdepouvoirlesrejoindre.

Presque.Lemomentfatidiquearrivaittoujoursoùelleatteignaitl’apogéedesonvol.Alors,durantcetinstant

fugaceoùellese retrouvaitenétatd’apesanteuretn’avaitplusbesoindefaired’effortspours’élever,elleexistaitsimplementdansunéquilibreparfait.

PuislagravitéreprenaitsesdroitsetlatiraitverslaTerre,maiselleconservaittoujoursavecellelesouvenirdecesmomentsinestimablesqu’elleeffleurait.

Cesoir,ellenevolaitpaspourleplaisir.Ellevolaitpourruminerentoutesolitude.Elleportaitenelledeuxhaines.Unequ’ellechoyaitetcultivaitavecpassion.Uneautrequ’elleavait

besoindelibérer.LapremièreétaitQuentinCaeravorn.Dèsqu’elletrouveraitlemoyendelefaireimpunément,ellelejuraitparlesdieux,elleallaitletuer.Elleauraitpréféréletueràpetitsfeux,maisàcestade,elleseraitcontentedesautersurlapremière

occasionquis’offriraitàelle.C’était déjà suffisamment rageant que l’amie et ancienne employée deQuentin, Pia, se soit unie à

DragosCuelebre, leseigneurdesWyrs,et l’aitépousé.Audépart,Pian’étaitqu’unevoleusequiavaitdérobéquelquechoseauWyrleplusPuissantdumonde.Maintenant,elleétaitsafemmeetlamèredesonfils.

DepuisquePias’étaitinstalléedanslatourCuelebre,lesgriffonsétaienttotalementfousd’elle;ilspensaienttousqu’ellechiaitdesarcs-en-cielchatoyants,maparole.Bordel,siçasetrouvait,ellechiaitréellementdesarcs-en-cielchatoyants.

LesWyrs en général avaient une réaction plus réservée à la présence de Pia, surtout vu qu’elles’obstinaitàrefuserderévélersaformewyr,cequi,d’aprèsAryal,n’étaitpasseulementunedécision

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irréfléchie et capricieuse, mais passablement nulle. Comment pouvait-on demander aux Wyrs del’accepter ou de la suivre alors qu’ils ne savaient même pas ce qu’elle était ? Son existence mêmehérissaitAryalauplushautpoint.

En dehors du domaine wyr, toutefois, la popularité de Pia avait grimpé en flèche. Son courrierquotidienétaitpassédequelqueslettresetcartesàuneavalanchequinécessitaitunbureauséparéetunpetitgrouped’assistants.

PiaavaitmêmeprislenomdeDragos,unecoutumedémodéequiavaitfaitleverlesyeuxaucielàAryal.ElleétaitdésormaisPiaCuelebre.

Les noms de famille… ils étaient de véritables parasites. Ils s’attachaient aux gens de manièresétranges, franchissaient les frontières politiques et culturelles, parcouraient lemonde et se fixaient surd’autresindividusselonleurfantaisie.

Pourquoi est-ce que personne d’autre ne remarquait à quel point les noms de famille étaientflippants?Ilsétiquetaientlesindividusenmarquantleuroriginesocialeougéographiqueoureliaientleuridentité à une autre personne, comme si l’identité de quelqu’un ne valait rien en soi à moins d’êtreaccrochéeàuneautre.Aryalrefusaitdesuivrel’exempledenombreuxWyrsimmortelsditspremiersetdechoisirunpatronyme,etellen’adopteraitjamaislenomdequelqu’und’autre.

SasecondehaineétaitPia.Plus tôt dans la journée, Aryal s’était résignée à abandonner son aversion pour Pia. Il le fallait.

C’étaitunepiluleparticulièrementdureàavaler,maisquipassaitgrâceà l’arme laplusmeurtrièredel’arsenaldePia:l’extraordinairedouceurquiselisaitsurlestraitsdesonnouveau-né.

Après leur mariage, Pia et Dragos étaient partis en voyage de noces et elle avait inopinémentaccouché. La veille, ils avaient abrégé leur séjour au nord de l’État de New York pour revenir àManhattan.Lorsqu’ilsétaientrentrés,toutlemondeavaitvouluvoir,toucher,tenirlebébéetroucoulerenl’admirant.

Les autres sentinelles se comportaient comme si Dragos avait conquis l’Asie en une nuit, tandisqueDragosirradiaitunefiertéféroce.Danssaformehumaine,ilfaisaitplusdedeuxmètresetilavaituncorpsmassifetmusclé,etunvisagebrutalementbeau.Samanièred’êtreseraittoujourstranchante,maisAryaldevaitreconnaîtrequ’ellenel’avaitjamaisvusi…heureux.

En ce qui la concernait, elle avait refusé de s’approcher dePia et du lardon.Elle ne voulait rienavoiràfaireaveceux.

Malheureusement,sarésolutionn’avaitpasdurélongtemps.Moinsdevingt-quatreheurespourêtreprécise.Plustôtdanslajournée,alorsqu’elleprenaitaupasdecourseletournantdanslehallquidébouchait

surlesbureauxdeDragos,elleavaitfaillirenverserPiaquipoussaituneespècedechariotambulatoirecompliquédanslequellebébéendormiétaitniché.

Piaavaitl’airfatigué.Sonjolivisagetriangulaireétaitpluspâlequed’ordinaireetsasempiternellequeue-de-cheval blonde était légèrement de travers, avec des cheveux qui s’en échappaient surles tempes. L’un de ses nouveaux gardes du corps l’accompagnait. La grande gueule, Eva. Elles’interposaimmédiatemententrePiaetAryal,sestraitshardisetsesyeuxnoirsinsolentsd’hostilité.Elleétaitaussigrandequ’Aryal,unbonmètrequatre-vingtsenbottesplates,etdesmusclesbiendécouplésondulaientsoussapeaubrune.

—Tureprésentesundangerpublicrienqu’enpassantdansuncouloir,fitremarquerEva.Çat’arrivedeteconduirenormalementsansrisquerdeblesserquelqu’un?

—Toietmoi,ditAryal,onvaendécoudreundecesjours.

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— Et pourquoi pas aujourd’hui ? répliqua Eva. On peut se rendre directement à la salled’entraînement.Avecousansarmes.Tuchoisis.

—Parlezmoinsfort,ditPiad’untonirrité.Sivousréveillezlebébé,c’estmoiquivaisvouscollerunetrempe.

L’expressiond’Eva s’adoucit en regardant l’occupantduchariot.Avantdepouvoir s’enempêcher,Aryalbaissaelleaussilesyeux.

Etseretrouvairrémédiablementhappée.Elle était stupéfaite de constater combien le bébé étaitminuscule. Son visage tout entier, presque

toutesatêteenfait,étaitpluspetitquelapaumedesamain.Ilétaitenveloppédansuneétoffesoyeuse.Cela avait l’air d’entraver ses mouvements et ne semblait pas très confortable, mais elle ne savaitabsolumentriendesbébés,etilneseplaignaitpas.

Aryalfitunpasdeplusdanssadirection,latêtepenchéeenleregardantfixement.Evaesquissaungeste comme si elle voulait la bloquer, mais Pia posa unemain sur le bras de sa garde du corps etl’arrêta.

LebébéendormiportaitunrugissementdeForcedanssoncorpsdouxetdélicat.Aryalsecoualatêteavec émerveillement. Elle ne l’avait pas perçu auparavant.Comment Pia avait-elle pu dissimuler unetelleForcependantsagrossesse?

L’enfantouvrit lesyeux. Ilavait l’air infinimentvivantet innocentetaussipaisiblequ’unbouddhaminiature.Ilavaitlesyeuxvioletfoncédesamère.Lacouleurétaitsiprofondeetsipurequ’onauraitditqu’ellecontenaittoutelasauvagerieetlemystèreducielnocturne.

Unorganevitalseserradanslapoitrined’Aryal.Elletenditunemainversluietlalaissasuspendueenl’airquandellevitducoindel’œilPiatressaillir.

Ellecompritpourquoi,etcelaluifitl’effetd’undirectaumenton.Tant qu’Aryal s’accrocherait à son ressentiment et ferait preuve d’hostilité à son égard, Pia ne la

laisseraitpas s’approcherde sonbébé.Ellen’expliqueraitpasàAryalcomment le tenir et ellene luiconfieraitcertainementpasl’enfant.Personneàsaplaceneleferait,cequiétaitmonstrueusementinjuste,carAryalpréféreraitsetrancherlesmainsquedefairedumalàunenfant,quelsquesoientsesparents.

Comme elle se débattait avec cette prise de conscience, le bébé réussit à sortir un bras de sacamisoledeforceetfourrasonpoingdanssonœil.Surpriseetconfusionfirenttremblersonminusculeminois.Auprixd’uneffortherculéen,ilréussitàenfoncersonpoingdanssaboucheetsemitàlesucerbruyamment.

Cetorganevitaldanslapoitrined’Aryalcessaalorsdeluiappartenir.Cettepetitecréaturevenaitdeluiravirsoncœur.

—OK,fit-elled’unevoixrauque.—Qu’est-cequiest«OK»exactement,Aryal?demandaPia.Laharpielaregarda.UneémotioncontenuedansaitdanslesyeuxdePia.Dutriomphepeut-êtreoude

l’amusement.Peuluiimportait,detoutefaçon.Elleditsansbeaucoupd’espoir:—Jesupposequetun’envisagerasmêmepasdecouperaumoinslaqueue-de-chevaldepom-pom

girl?—J’yréfléchirai,réponditPiad’untongrave.Pastrèssérieusement,maisj’yréfléchirai.Aryalplongeasonregarddanslesien.Sansdétournisimagrées,elledemanda:—Est-cequejepourrailuirendrevisite?Pial’étudiaunmoment.—Oui.

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Aryalbaissadenouveaulesyeuxsurlebébéetuncoindesabouchesereleva.—Merci.— Je t’en prie. (Le bébé commença à émettre des sons plaintifs.) Je crois qu’il a déjà faim de

nouveau.Jeferaisbiendeleremonter.Ellepoussaledrôledevéhiculeverslabatteried’ascenseursquil’emmèneraitaupenthousetouten

hautdelatour.EvasuivitPiaàreculonspournepasperdreAryaldesyeux.—T’enfaispas,macocotte,prévintlagardeducorpsd’untonsuave.Jeteflanqueraitadérouillée

undecesjours.Aryal adopta une pose provocatrice et lui fit signe d’approcher des deuxmains.Quand tu veux,

chérie.ElleritquandEvagrimaçaavantdeseretourneretdesuivrePiaetlepetitprincedansl’ascenseur.

PuisAryalrepartitverslesbureauxdeDragosets’immobilisa.Ellenesavaitpluspourquoiellevoulaitlevoir.

Elleentenditclairementderrièreellelesmurmuresdesdeuxautresfemmesavantquelesportesdel’ascenseursereferment.

—VoisunpeulaForcedelacrevette.Samassecorporelleestpeut-êtrefaible,maissoninfluenceestdéjàpuissante.Ladernièrerésistancedanslatourvientofficiellementdecapitulerdevantlui.

—Situledis.Evaavaitl’airsceptique,maisPiaavaitvujuste.Aryalétaittombéeamoureusedecettemystérieuse

nouvellepersonne.Pour lui, alors qu’elle planait désormais au-dessus des nuages, Aryal abandonna dans la nuit la

dernièreparcelledesonressentiment.Pia n’avait dérobé quelque chose qu’une seule fois, après tout. Si Aryal avait fait preuve d’une

suspicionplusobstinéequetout lemonde,mêmeelleavaitdûfinalementreconnaîtrequePianesavaitriendesactivitésdeCaeravorn,onnepouvaitdoncpasl’accuserd’êtreunecriminelleendurcie.

Certes,levolcommisparPiaétaitgrave,maisDragosnel’avaitpasseulementpardonnée,ils’étaituniàelle.Etiln’étaitpasvraimentconnupoursamansuétude.

Siundragonpouvaitlefaire,uneharpieaussi,non?RenonceràsahainepourPiaparégardpourlebébéétaitpénible,maispasimpossible.QuentinCaeravorn,quantàlui,représentaitunecalamitéd’unetoutautresorte.Aryal reporta son attention sur sa haine première, celle qu’elle gardait tout contre son cœur et

cultivaitavecpassion.Caeravorn était un professionnel du crime. Il était également une « triplemenace », une créature

hybriderareetPuissantequiétaitenpartiewyr,enpartieelfe,etenpartiefaenoire.Aryalneconnaissaitpas lesdétailsdesagénéalogie,mais l’undesesparentsdevaitêtre totalementwyr tandisque l’autreétaithybride,étantdonnéquesesattributswyrsétaientsuffisammentmarquéspourqu’ilsoitenmesuredeprendresaformeanimale.Celaluipermettaitdebénéficierauseindudomainedustatutetdesdroitsd’unpurWyr.

Grâceàcesdroitsetparcequ’iln’avaitétéinculpéd’aucuncrime,ilavaitpuparticiperauxJeuxdessentinellesquis’étaientrécemmentdéroulés.Ilavaitbattutoussesadversaires,cequifaisaitdeluil’unedes sept sentinelles de Dragos. Les sentinelles constituaient le noyau de la puissance dirigeante deDragosdansledomainewyr.

Et il avait aussi réalisé cet exploit parce qu’en dépit de presque deux années d’enquêtes et deplusieursmoisderecherchesassiduesavantlecommencementdesJeux,Aryaln’avaitriendécouvertdecompromettantsurlui.

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Or,ellesavaitqu’ilétaitcoupabledequelquechose.Ellelesavait.Sespistesn’avaientaboutiàrienetsessourcess’étaienttaries.Lorsqu’elletraquaitquelqu’un,elle

finissait par apprendre que la personne avait quitté le domaine wyr ou avait succombé de manièreaccidentelle(etinutiledesoulignerquelescirconstancesdel’accidentétaientsoigneusementétudiées).Oubienlapersonneenquestionn’étaitpasdirectementimpliquéedansdesactivitésillégalesassociéesàCaeravorn, elle avait juste entendu des trucs – des rumeurs, des bruits qui se dissipaient chaque foisqu’Aryalessayaitdelesrelieràdespreuvesconcrètes.

Caeravornétaitunmagicien,entouréd’unlabyrinthedefuméeetdemiroirs,etilsetenaitaumilieu,sanstache.

Coupable.Il avait gagné l’accès au cœur du domaine desWyrs et tout cela parce qu’Aryal n’arrivait pas à

l’épingler.Sonhumeurs’assombrit.Ense remémorant lesévénementsdumoisde janvier,deuxmoisplus tôt,

elle s’élevaplushaut,puisplongea, simplementpourentendre leventhurlerdans sesoreilles.Le sonfaisaitéchoauxhurlementsd’indignationdanssatête.

PendantlesJeux,elleavaitobservéchacundescombatsdeCaeravorn,analysantlemoindredétail.Ilétait d’une élégance et d’une rapidité extraordinaires, et hautement, superbement, entraîné. Les civilsordinaires ne s’entraînaient pas au combat à ce point. Pourquoi personne d’autre ne s’en étonnait-il,bordel?

Ilavaitchoisiplusieursfoisdesebattresoussaformewyr,uneénormepanthèrenoireauxyeuxbleuélectriquequiétincelaient sous les lumièrescrues.Soussa formehumaine, il était redoutable.Soussaformeanimale,ilétaitonduleux,trèsmuscléetvifcommel’éclair.Ilétaitmaîtredechaquecentimètredel’arènedecombatetavaitfascinéprèsdevingtmillespectateurs.

Àl’issuedesJeux,Dragosavaitprésentésesnouvellessentinellesaudomainewyr.Caeravornétaitentré en héros conquérant dans le grand hall de la tourCuelebre en compagnie des autres sentinelles.Quentinmisàpart, ilyavait lescinqquiavaient regagné leurposition– laharpieAryal, lesgriffonsBayne,ConstantineetGraydon,lagargouilleGrym–etl’autrenouvellerecrue,lechevalailéAlexanderElysias.

Dragossavaitorganiserdes fêtes !Celle-làavaitété l’équivalentdecentansde réveillonsenuneseulenuit.L’alcoolavaitcouléàflotsetdesgroupesdemusiquerenommésavaienttoutdonné,desplatsfinsavaientétéservis,ilavaitpludesconfettisettoutlemondes’étaitpresséautourdesfestivités,maissurtoutautourdesvainqueurs,quiempestaientlatestostéroneetroulaientdesmécaniques.

Lanuitavaitétéuntriomphepourchaquesentinelle–Aryalcomprise,etelleavaitégalementeusonlot de propositions –, mais elle n’arrivait pas à abandonner sa fureur et à s’amuser, car la soiréesymbolisaitaussisonéchec.

Ellesetenaitàl’écart,l’amertumepesantlourdementdanssonestomacenobservantCaeravornrirependantquequelqu’unretournaitunebouteilledechampagnesursatête.Ilfaisaitunmètrequatre-vingt-cinq,ilétaitminceetélancéaveclagrâcelégèred’unchat,destraitsharmonieuxetdescheveuxblondcendréqu’ilportaitpluslongsauparavant.IllesavaitfaitcoupertrèscourtpourlesJeuxetcestyleplussévèresoulignaitleslignesépuréesdesatête.

Alors qu’elle se tenait ainsi, immobile, les bras croisés, Grym l’avait rejointe. Sous sa formehumaine,ilavaitdescheveuxfoncésetdestraitsréguliers.Soussaformewyr,ilétaitcauchemardesqueavec d’immenses ailes de chauve-souris, une face démoniaque et une peau grise aussi dure que de lapierre.

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Il avait son petit cortège de groupies, comme toutes les autres sentinelles,mais il n’était pas trèscausantetcelaavaittendanceàdécouragerlesfemmes,aprèslapremièreoudeuxièmenuitentoutcas.C’étaitl’unedesraresentitésdontAryaltrouvaitlacompagniepaisible,agréable,etilavaitplusd’unefoistirépartidecefaitpourdésamorcersoncaractèrevolatil.

Elle avait souvent souhaité qu’il puisse y avoir une étincelle sexuelle entre eux, mais ce n’étaitmalheureusement pas le cas. Ils étaientmême sortis ensemble des années auparavant, mais ni l’un nil’autre n’avait eu envie d’aller plus loin. Ils s’étaient installés depuis longtemps dans une amitié nonconventionnelle,maistoutàfaitconfortable.

Grayétaitsuffisammentprèsd’ellepourqueleursépauless’effleurent.—Tunel’aspascoincé,dit-il.Çaarriveparfois.Fautquetulaissestomber.—Jen’enaipasl’intention.Ellelefusilladuregard.Grymsefrottalanuque.—Aryal,vulenombred’heuresquetuaspasséesàchercheretàfouillerlaviedeQuentin,situn’as

toujourspastrouvédepreuvestangibles,ilesttrèsvraisemblablequetun’entrouveraspas.Ellesecoualatête.—Çaneveutpasdirequejedoisabandonner,justequejenelesaipasencoretrouvées.Ilsetournapourluifaireface,leslèvrespincées.—Est-cequetuasenvisagéunjourqu’ilpuisseêtreinnocent?Elleserralesmâchoires.—Ilnel’estpas.—Ehbien,sic’est lecas, ilvase trahirun jourou l’autre.Enattendant, tuasgagnécettenuitde

détente,toiaussi.Nelelaissepaslagâcher.EllefitunegrimacecommeGrymluidonnaituneclaquedansledosetdisparaissaitdanslafouleen

directiondubarleplusproche.Caeravornluigâchaiteneffet lasoirée.Sasimpleprésenceluinouaitl’estomac.Leregarders’amuserétaitaussiagréablequedeprendreunbaind’acide.

Ilexsudait la testostéroneavectous lesautres,enbonmâledominateurprodigieusementsûrdesesaptitudes.Etpourquoineleserait-ilpas,d’ailleurs?Ilvenaitdesehisserausommetdudomainewyretdegagnersaplaceparmil’élite.

Elle le regarda en étrécissant les yeux.C’était un très bel homme, elle le reconnaissait. Il était lepropriétaired’unbardequartierbranchéquis’appelaitleElfie’s,oùilportaitengénéraldesvêtementspluschics,maiscettefois-ci,ils’étaithabilléavecsimplicitécommelesautressentinelles:jean,bottesetuntee-shirtbleumarinequirehaussaitl’éclatdesesyeuxbleus.

Iln’aurait jamaisaucunproblèmeàavoirdes fillesdansson lit.Etceseraitencoreplus facilecesoir.Ilpourraitcoucheravecautantdepersonnesqu’illevoudrait.

L’unedesfemmesquitournaientautourdeluicesoirétaituneavocatedeCuelebreEnterprises,uneWyrlionnequiétaitpresquelaparfaiteantithèsed’Aryal.Elleétudial’autrefemme,lajaugeantcommes’ils’agissaitd’unadversaire.Àcôtédumètrequatre-vingt-deuxd’Aryal,lalionnedevaitfaireunmètresoixante-septàtoutcasser.Leshommesraffolaientdesfemmesdecegabarit.Lafilleavaitunepoitrinegénéreuse,descourbes,alorsqu’Aryalavaitunemorphologied’athlètecaractériséepardelongsmusclesdéliés.

Lalionneétaitbronzéeavecdestonsfauvesetsestraitspétillantsétaienthabilementmaquillésafinde souligner ses yeux en amande et sa bouche charnue. Elle portait des talons de dix centimètres dehauteuretseslongscheveuxcascadaientlelongdesondos,éclaircispardesmèchesdoréesfastueuses.

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Aryalavaitdesyeuxgrisetdestraitsanguleux,etlaseulefoisoùelleavaitmisdumaquillage,c’étaitlorsd’unesoiréebienarroséeencompagniedesonamieNiniane,quiavait réussi, ellenesavait tropcomment,àluiappliquerdurougeàlèvresrose.L’expérienceavaitdurécinqminutes.Aryalnerisquaitpasdeporterdes talons,hautsounon, sauf s’ilsdissimulaientune lameactivéeparun ressort, et elleoubliait régulièrement de brosser ses cheveux sombres et épais qui lui arrivaient aux épaules, ce quiexpliquaitqu’ilssoientsisouventemmêlés,surtoutaprèsunvol.

Lalionnesetenaitsurlapointedespiedsets’appuyaitcontrelebrasdeCaeravornenluiglissantquelque chose à l’oreille, pressant délibérément son sein contre son bras. Puis elle lança un regardd’avertissementauxautres femmesquise trouvaientdans lesparages touten léchant lechampagnequicoulaitsurlementondeQuentinquisouritetposalamainsursonpostérieur.Manifestement,sicettenanajouaitbiensescartes,elleseraitsaseulepartenairepourlanuit.

Aryalretroussaunelèvre.Commec’estmignon…DeuxWyrsfélinsenchaleur.Iln’yavaitmêmepasdesuspense.

CaeravornsetournapourdécocherunsourirelangoureuxàlalionneetsonregardtombasurAryal.Ses yeux bleus étirés s’étrécirent et son expression se glaça. Il dit quelque chose à la femme en sedétachantd’elle.Elleluiadressaunsourireboudeurautantqu’allumeuretfitminedelesuivre,maisensuivantsatrajectoire,elleaperçutAryalets’arrêtanet.

Oui,elleétaitagaçante,maispasidiote.CaeravornsedirigeaversAryalensefrayantuncheminàtraverslafoule.Sesyeuxétincelaient.Il

était large d’épaules, avec des hanches minces et de longues jambes, et une démarche souple, d’uneextraordinairefluidité.Leregardd’Aryalseposasursonvisageduretsoncorpstoutaussidur.Soussesbrascroisés,sesserressortirent,silencieusesetdiscrètescommedescouteauxàcrand’arrêtbienhuilés.Ellelesfitcliquetertandisqu’ils’approchait.

Tellementcoupable.Ilétaitunhors-la-loidéguisé.Sesyeuxs’arrêtèrentsurlerenflementdanssonjean.Était-ilaussiun

hors-la-loisexuellement?LessingeriesdeMinoul’avocateavaientdûluiplaireparcequelorsqu’ilseplantajustedevantelle,

ellehumauneodeurdemâlevigoureux,dechampagne,etdesensualité.Ilsentaitmerveilleusementbon,etAryallehaïtencoreunpeupluspourcela.

—Tu es la créature la plus désagréable et la plus obstinée que j’aie jamais eu lamalchance derencontrer, déclara-t-il. (Toutes les sentinelles se tutoyaient. Elle pencha la tête et contempla sa bellebouchedure.)Reconnais-le,beauté:tuasperdu.

Ellesourit,sincèrementamusée.Ellesepenchaenavantaupointdeluifrôlerlevisageetmurmura:—Jesaisquelquechosequetuignores.Sesdentsétaientd’uneblancheurétincelantecommeillançaitd’untoncassant:—T’aimerais,hein.—Non,jesaisvraimentquelquechose,Caeravorn.Tuasquelâge?Centsoixante,centsoixante-dix

ans?Ilbalayalaquestiond’unreversdemaindédaigneux.—Qu’est-cequeçachange,l’âgequej’ai?—Vous êtes tous lesmêmes, vous, les jeunesWyrs. Peut-être que ton côté panthère imposera un

termeàtavieoupeut-êtrequetonsangelfiqueet tonsangdeFaenoire laprolongeront,maisdetoutefaçon,vousnecomprenezpasvraimentcequecelasignified’êtreimmortel.Lepasséestpresqueaussiillimitéquelefutur.

—Viens-enaufait,gronda-t-il.

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Ellebaissalavoixpourn’êtreentenduequedelui.—Jedoisl’avouer,tuasétéméticuleux,vraiment.Tuasbienbrouillélespistes.Maispersonnen’est

parfaitencemonde.Çaveutdireque tuasmerdéd’unemanièreoud’uneautre,àunmomentouàunautre.Voilàcequejesais.J’aitoutmontempspourtrouvercequetuasfait,toutmontemps,ettusaiscequeçaveutdire?Çaveutdirequetuesfoutu.Cen’estqu’unequestiondepatience,c’esttout.

Ellecontemplalarageobscurcirsestraitsetaffectersaposture.Ellenel’avaitpeut-êtrepasencorecoincé,maiselle l’avaitbeletbienpousséàboutet ilexplosadecolère.Ilse jetasurelle,droità lagorge.

—Tun’espasuneharpie,cracha-t-il.Tuesunputaindepit-bullenragé.Elle renversa la têteenarrièreetéclatade rirecommesesmainspuissantesencerclaient soncou.

Serrantlesdoigts,ilbloquasonapportd’oxygène.Elleluifituncroche-piedetprojetasurluitoutsonpoids,lefaisanttomberenarrière.

Ilss’écroulèrentensemble.Desgenscrièrentetsedispersèrenttandisqued’autresbondissaientverseux.Onauraitditquetoutlegrabugesepassaitailleurs.Là,c’étaitjusteCaeravornetelle,dansuneluttesilencieusequin’appartenaitqu’àeux.

Sesmains se desserrèrent aumoment où il percuta le sol. Quand elle atterrit sur son long corpspuissant, elle se tordit afin de le frapper sous lementon avec son coude.Le coup l’atteignit et lui fitrejeter la têteenarrière.Pendantunmomentpalpitantdetension,soncorpsmuscléseretrouvasouslesiendanslapostured’unsuppliant,lecouofferttandisqu’ellel’enfourchait.

C’étaitsublime.Puis un train de marchandises heurta Aryal de plein fouet, la projetant à quelques dizaines de

centimètresdeCaeravornqui se retournad’uncoupengrondant et se retrouvaàquatrepattes.La têtebaissée,montrantlesdents,sonregardsefixasurelleetilsepréparaàbondir.

Oh,là,là,ilétaitvraimenthorsdelui.Elleavaitdûdirequelquechosequil’avaitvexé.Ducoindel’œil, elle vit Bayne, Constantine et Alexander tomber sur lui, leurs poids combinés l’aplatissant denouveauausol.

Sontraindemarchandisess’avéraêtrelenouveaupremierlieutenantdeDragos,Graydon.Ilétaitlaplusimposantedetouteslessentinelles.Soussaformehumaine,ilfaisaitpresquedeuxmètresetilpesaitbienquinzekilosdeplusquelesautresgriffons.

Ettoutcepoidsn’étaitquedumusclequiluiécrasaitactuellementlapoitrine.Ilclouaitsesbrasausolenlatenantparlespoignets.Sestraitsrudesaffichaientgénéralementuneexpressiontranquilleetbonenfant,maiscertainementpasencetinstant.

N’essayantmêmepasdesedébattre,ellelevalesyeuxversGraydonenhaussantlessourcils.—Quoi?Sesyeuxgrisfoncélançaientdeséclairs.—Toutlemondeenabavécemois-ci,etpasqu’unpeu.Onestentrésenguerre,puisons’esttous

missurlagueulependantlesJeux.Onatousbesoind’unpeudedétenteettun’espasfichuederestertranquillependantquelquesheures,letempsd’unefête?

Relevant le menton, elle dégusta les mots qu’elle s’apprêtait à prononcer car c’étaient de rarestrésors,puisditaveclapluspieuseetparfaitecandeur:

—C’estluiqu’acommencé.

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2

Onétaitmaintenantenmars.Deuxmoiss’étaientécoulésdepuis lafêteet lespropresmotsqu’elleavaitprononcéssegaussaientd’elle.Sontriomphed’alorsn’avaitétéquedecourtedurée.

Le vent glacial était assorti à son humeur. La morsure de l’air hivernal rafraîchissait son sangbouillonnantalorsquelafrustrationlaharcelaitdetoutessesgriffes.Ellelaissalescourantstumultueuxlaballotteretlabousculer.

Elle avait peut-être tout le temps possible et imaginable pour percer à jour Caeravorn,mais ellen’avaitpastoutelapatiencepossibleetimaginable.Pasalorsqu’ilétaitunenuisancequotidiennedansson existence. C’était une chose de l’avoir toujours en tête en tant que suspect à démasquer, maismaintenant,ellerisquaitdelecroiseràtoutmomentdanslatour.

Elle savait qu’elle le verrait chaque fois queDragos convoquait les sentinelles.Elle commença àévitercesréunionschaquefoisqu’elleleputjusqu’àcequeDragosmetteuntermeàsonpetitmanègeenluiordonnantd’assisteràchacuned’elles.

Caeravorn était un séducteur. Où qu’il aille, les femmes trottaient derrière lui comme des chiotshypnotisés.Ilétaitd’humeurégaleetcharmantavectout lemonde–tout lemonde,saufAryal,celavasansdire.

Ilsneserendaientpasjustedinguesl’unet l’autre.Àeuxdeux,ilsrendaienttoutlemondedingue.Leséchosdeleurdiscordeavaientdesrépercussionssurlesautressentinelles.Lesespritss’échauffèrentjusqu’au jouroùmêmeAlexander,qui était de loin leplusposéde tous, les rembarravertement.PuisGrymetConstantines’ymirent,euxaussi,sedéchirantverbalementcommedeuxchiensenragés.

Ce n’était un secret pour personne :Aryal adorait le combat.Les dissensions, c’était du petit-laitpourelle,maiscequ’ilsepassaitlàallaitplusloin–etréunissaittouslesingrédientsnécessairesàlacréationd’unvéritableschisme,etilfallaitymettreunterme.

Commeelleenprenaitconscience,quelquechosed’autreluivintentête.Ilyavaitaussi lebébéàprendre en considération désormais, parce que Pia avait de l’affection pour son amiCaeravorn et luifaisaitconfiance.Elleauraitpuavoirdes réticencesà laisserAryal s’approcherdeson fils,maisellen’auraitaucuneréticenceàluilaisserlibreaccès…etcela,auxyeuxd’Aryal,lerendaitplusdangereuxquejamais.

Aussi,dèsqu’elleauraittrouvélemoyendelefaire,elleletuerait.Cettedécisionfutunsoulagement.Ellefournissaitunexutoireviableàsafrustration.Etpuistoutle

mondes’enporteraitmieux.C’étaitunesolutionpréférableàcellechoisieparDragos,qui laissait leschoses suivre leur cours. Ce qui impliquait de donner accès à Caeravorn à des informationsconfidentielles et à lui permettre par là de causer beaucoup de préjudices avant qu’il puisse êtreneutralisé.

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La longue virée dans les airs lui avait enfin éclairci les idées. Elle inclina ses ailes de façon àpouvoirsortirducourantaérienetdescenditenvrilleverslavilletentaculairequis’étendaitsouselle.Unenuitnuageuseenveloppaitd’unecapemornelavastebatteriedelumièresdelaville.Latempératureétaitàpeinemoinsfroideplusprèsdusol.L’airétaitmordantethumideetuneneigeglacéenappaitlesarbres,lesruesetlestoits.

Elle n’avait pas l’intention de se métamorphoser avant de pouvoir rapidement se retrouver àl’intérieur, car elle sentirait davantage le froid sous sa forme humaine. Elle décida donc plutôt decamouflersaprésenceetdeparcourirenvolantlescorridorscréésparlesruesetlesgratte-ciel,jusqu’àce qu’elle se retrouve devant le Elfie’s, le bar de Caeravorn. À presque 4 heures du matin,l’établissementétaitferméettoutlerez-de-chausséeplongédansl’obscurité.

Unraidelumièrefiltraitd’unefenêtreaudeuxièmeétagedel’immeubledebriques.Elles’approchaenplanant, sesailesdéployéespourgarder soncap.Caeravornétaitpropriétairedubâtimentetvivaitdansunappartementsituéau-dessusdubar.En tantquesentinelle, ilavaitdésormaisun logementà latour,maisilyséjournaitrarement.

Touteslesfenêtresdel’immeubleétaientrecouvertesdemincesbarreauxdesécuritéenmétalnoir,mêmecellesdesétagessupérieurs.Ellesourit.Caeravornseméfiaitaussidecequipouvaitarriverparlescieux.Onsedemandaitbienpourquoi.

Elles’approchadelafenêtreéclairée,saisitlesbarreauxetbattitdesailesjusqu’àcequelespointesdesserresredoutablesqu’elleavaitauxpiedss’accrochentàlafaçadedel’immeuble.Sesserresétaientsuffisammentacéréespourpénétrerl’acier.Lesenfoncerdanslemortierentrelesbriquesfutrelativementaisé.

Elle tira sur les barreaux afin d’en éprouver la résistance. Ils étaient solidement vissés. Tout sonpoidsreposaitsuruncentimètreàpeineàlapointedesesserres,etlesbarreauxàlafenêtreétaientdesurcroîtrecouvertsd’unepelliculedeglace.Leperchoirétaitaussiinconfortablequeprécaire,maisellepouvaittenirpourl’instant.

La fenêtre était entrouverte et les rideaux n’étaient pas complètement tirés. Chaleur et lumière sedéversaientparl’ouvertureainsiqu’unemusiquetribale,sanspartitionvocale,aurythmehypnotique.Lesons’immisçadanssesveinesetbattitàsagorgeetsestempes.Ellejetauncoupd’œilàl’intérieur.

Elleenrestamédusée.Caeravornetunefemmenuese trouvaientdans lachambre. Ilportaitunpantalonensoiebleunuit

dontlataillebasselaissaitvoirseshanchesminces.Ilétaittorsenu.Lafemmeétaitassiseauborddulit.Ce n’était pas la lionne. C’était une jolie brune, jeune, avec de petits seins fermes et des mamelonssombresetérigés.

Aprèsluiavoir jetéuncoupd’œilrapide,AryalrivalesyeuxsurCaeravorn.Ellen’arrivaitpasàdétourner le regard. Son corps était tout simplement fantastique. Ses épaules et sa poitrine puissantesétaientpluslargesqu’iln’yparaissaitquandilétaithabillé.Sataillefaisaitoubliersacarrure.Ilavaitl’airaustère,détachépresque.Leslignesfièresdesonvisagedemeuraientimpénétrables.

Cen’étaitdoncpasunescèneromantique.Ilsetorditpouratteindrequelquechoseposésurunecommodeetlesmusclesdesondosondulèrent

souslapeaudoréeclaire.Fascinée,Aryalsuivitlacourbedesondosjusqu’àsesfessesminces.Ellecommençaitàavoirmal

auxmainsaupointderessentirunebrûlureàforcedesecramponnerauxbarreauxglissants,couvertsdeglace,maislachaleurquedégageaitsoncorpsfaisaitfondrelegivreetelleessayad’oublierladouleurcommeellelepouvait.

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Ilseretournaverslafemme,unpetitobjetcourtencuiràlamain.Illetenditverslabouchedelafemme.

—Mords.(Ellelevalesyeuxverslui,ouvritlabouche,etsaisitlecuirentresesdents.)Surlelit.Àgenoux,ordonna-t-il.

Elleobéit.C’estalorsqu’Aryalserenditcomptequ’elleportaitdesmenottesdoubléesdesoiedotéesd’une sortede laisse courtequi lui retombaitdans ledosetqu’elle avaitdes escarpinsnoirs à talonsaiguillesauxpieds.Ellegrimpasurlelit,tournantledosàCaeravorn.

Ildescenditprestementsonpantalondesoie.Sonpénisérigé,longetépais,sedressaitau-dessusdesestesticuleslissesetgonflés.Aryaln’arrivapasàdétournerlesyeuxquandilsesaisitdesonmembre.Sarespirations’accéléraetelleeutlasensationquesoncorpsétaitenfeu.

Puiselleregardasonvisageetvitsonexpressionfermée.Ilavaitl’airdes’ennuyer,d’êtretotalementseul.

—Penche-toi,dit-ilàlafemme.Elleobéit,appuyantsonbustecontrelelit,lesgenouxécartésafindetendresacroupeverslehaut.Aryal feula ; la douleur dans sesmains devenait insupportable.CommeCaeravorn se positionnait

derrière la fille, elledut lâcherprise et laisser lagravité l’entraîner.Elle se rétablit endéployant sesailesafind’amortirsadescente.Ellelabouraensuitel’airdetoutessesforcespours’éleverdanslanuitglacialeetnuageuse, terriblement impatientede fuirquelquepart,n’importeoù,dumomentquec’étaitloindelà.

Après avoir possédé la fille, Quentin remonta son pantalon et appela un taxi pendant qu’elle serajustait. Puis il la paya et l’escorta jusqu’au rez-de-chaussée. Tout se passa demanière parfaitementcordiale.

C’estalorsqu’ellecommitl’erreur.Ellerecourutàlaflatterie.—Onapasséunsupermomentensemble,hein,monchou?dit-elleensepressantpresquecontrelui.Elleappelaitprobablementtoutlemonde«monchou»,pensaQuentin.C’étaitbeaucoupplusfacileà

retenirquedesnoms.Illadépassaetregardaparlaportevitréepourvoirsiletaxiarrivait.Larueétaitdéserte.

Lafemmerevintàlachargeetposalesmainssursapoitrine.—Quandest-cequ’onpeutserevoir,monchou?Convenonsd’unedate,bientôt.Ceweek-end?Etvoilà,elleremettaitcela.Monchou.Ilretirasesmains.Ilauraitpudire«j’aifaillim’endormir,

maisj’aifinalementjoui»,maisilréussitàretenirlesmots.— Je ne sais pas pourquoi tu as fait tellement d’efforts pour prétendre que tu jouissais.Nous ne

sommespasensemble.Onnevajamaisserevoir.Ellefitunemoue.MonDieu,ilauraitpréférémettresatêtedansunfourplutôtquededevoirdiscuter

avecuneminettesexyetboudeusedeplus.—Jecroyaisquet’aimaislestrucsspéciauxquejepouvaisfairepourtoi,monchou.Tuneveuxpas

recommencer?Desgriffesinvisiblescrissèrentsuruntableaunoirmentaldanssatête.—Tun’asrienfaitdespécial.Tuasfaitcequ’ontedemandaitdefaire.(Pourl’amourduciel,ilne

l’avaitmêmepasfessée.Ah,enfin,letaxiarrivait,roulanttrèsdoucementsurlachausséeverglacée.Ilouvritlaporteetaccueillitavecsoulagementlabisehivernalequilegiflaaussitôt.)Aurevoir.NeremetspaslespiedsauElfie’s.

Ellepritenfinunairoffensé.—Jenereviendraipasicimêmesitumepayais,siffla-t-elle.

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Biensûrqu’ellereviendrait.—Oui,oui,c’estfini,çaaussi.Ilavaiteul’intentiondepayerpoursontrajetentaxienplusdesontarifetdugénéreuxpourboire

qu’illuiavaitdéjàdonnés,maisellel’énervaittellementqu’ilrefermaetverrouillalaportedèsqu’elleeneutfranchileseuil.

—Vatefairefoutre,espècedebrutedesentinelle,s’écria-t-elle.Il jeta un coup d’œil dehors. Elle se dirigeait vers le taxi à reculons en lui faisant deux doigts

d’honneur.Ilnel’avaitmêmepasfessée.Bordel,lesmenottesn’étaientmêmepasdevraiesmenottes.Justeun

jouet,legenrequis’ouvresiontiresuffisammentfortdessus.Laséanceavaitétéuneversionédulcoréede sadomasochisme – ils n’avaient même pas eu besoin de décider d’un mot de sécurité. Il s’étaitvraimentpresqueendormi.

Lestrucsspéciauxqu’elleavaitfaitspourlui.Ilbaissalatêteetéclataderire.Unriredénuédegaieté.Cesdoigts invisibles sur le tableaunoir avaient laisséderrière euxunmalde têtequi s’intensifia

commeilmontaitl’escalierquimenaitàsonappartement.LeElfie’soccupaittoutlerez-de-chausséedubâtiment.Lepremierétageluiservaitderéservepourlebar.

Son appartement occupait le deuxième étage. Il était aménagé en un vaste espace ouvert avec unecuisine,uncoinsalleàmangeretunsalon.Leparquetenchênepatinécontrastait avec l’ameublementmoderne aux lignes épurées.Deux grandes chambres plus classiques, chacune avec sa salle de bains,complétaientl’ensemble.

Ilavait toujourseu l’intentionde transformer le toiten jardin,maisunarchitecte luiavaitditqu’ilfaudraitd’abordrenforcertoutelasurface.Leprojetimpliqueraitdestravauxtellementimportantsqu’iln’avaitpasencoreputrouverletempsdelemeneràbien.Maintenantqu’ilétaitunesentinelle,leprojetétaitencorepluscompromis.

Ilentradanssachambre.Ledisqueétaitfinietlapièceétaitsilencieuse.Ils’assitauboutdugrandlitetmitlatêtedanssesmains.

Bonsang…Lesmotsqu’Aryalluiavaitglissésdeuxmoisplustôtrefirentsurfacesurl’océandesamigraine.«Personnen’estparfaitencemonde.Çaveutdirequetuasmerdéd’unemanièreoud’uneautre,àun

momentouàunautre.Voilàcequejesais.J’aitoutmontempspourtrouvercequetuasfait, toutmontemps,ettusaiscequeçaveutdire?Çaveutdirequetuesfoutu.»

Ces mots avaient la sale habitude de le tourmenter depuis qu’elle les avait prononcés à la fêteorganiséeaprès laconclusiondesJeux. Ilétaithantéparquelqu’unquin’étaitmêmepasmort.Etbienqu’ildétestâtlereconnaître,mêmeensonforintérieur,elleavaitraison.

Ilavaitmerdé,gravement.Ilavaittellementmerdéleprintempsprécédentqu’ilavaitportépréjudiceàquelqu’unquiluiétaitcher.IlavaitfailliprovoquerlamortdePia.

Aumoisdemaiprécédent,quandPiaavaitvoléquelquechosequiappartenaitàDragosetavaitdûfuir, Caeravorn avait œuvré en coulisses, confortablement ancré dans son antipathie du puissant etarrogantseigneurdesWyrs.

DragosavaitviolédestraitésetétaitentrédansledomaineelfiqueàlapoursuitedePia.Celle-ci,àl’aidedunuméroqueQuentinluiavaitdonné,avaitappelélesElfespourleurdemanderdel’aide.MenéparFerion,l’hommequiétaitdevenudepuislenouveauseigneursuprêmedesElfesetquiétaitunparentdeQuentinparalliance,ungrouped’ElfesavaitaffrontéDragosnonloindeCharleston.Ils luiavaient

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décochéuneflèchemagiqueempoisonnéedontlasubstanceavaitfondudanssonsang,limitantsaForceetsonaptitudeàsemétamorphoser.Puisilsluiavaientdonnédouzeheurespourquitterleurdomaine.

L’incidentavaitprisplaceàlavillaqueQuentinpossédaitauborddelamer,etFerionl’avaitdoncensuiteappelépourluiexpliquercequ’ils’étaitpassé.

PourQuentin,contacterl’undesennemislesplusPuissantsdeDragosavaitsembléêtreunesolutiontellement simple. Et même élégante. Il avait offert l’information à Urien, le roi des Faes noires, enéchangedelapromessequecedernierlaisseraitPiatranquille.UrienpoursuivraitDragos–etpeut-êtrequ’iltueraitleseigneurdesWyrs,ounon–,maisl’important,c’étaitquecemarchédonneraitàPiaunechancedes’échapper.

Dansl’intervalle,Pias’étaitunieàDragos.Elleétaittombéeenceinte.Etd’aprèslerécitdelajeunefemme,Urien ne l’avait absolument pas laissée libre. Bien au contraire ! Les agents du roi l’avaientbattue, la forçantàs’enfuiravecDragos jusqu’àcequ’ilsaffrontentUrienetsonarméedans laplained’uneAutreContréeoùDragosavaittuétoutlemonde,àl’exceptiond’Urienetdequelques-unsdesescavaliersailés.Enfindecompte,riend’élégantdanscetteidéehasardeusedeQuentin.

IlavaitnonseulementfaillicauserlamortdePia,maiségalementcelledesonfilsencoreànaître.Savie avait pris un tournant décisif lorsqu’il avait compris ce qu’il avait commis – ce qu’il avait faillientraîner.L’événementl’avaitpropulsésurunevoieoùilétaitpassédel’hommequ’ilétaitalorsàceluiqu’ilétaitdésormais.

Oudumoinsàl’hommequ’ilessayaitdedevenir,etilnesavaitfoutrementpasdequiils’agissait,vuqu’ilpassaitsontempsàlutterpourapprivoisercequivivaitenlui.

Il faisait beaucoup trop chaud dans sa chambre.Elle sentait le sexe et le parfumde la fille, qu’iln’avaitpasaimédès ledépartetquimaintenantétait terriblementécœurant.Pourquoi fallait-ilque lesfemmes s’aspergent à tout prixdeproduits debeauté et deparfumsnauséabonds ?Nepouvaient-ellespasapprécierlesvisagesetlescorpsoctroyésparlanature?

Ilnepouvaitpassupportercettetouffeurunesecondedeplus.Ilallaitdevoiraéreroudormirdanslachambred’amis.Ilsedirigeaverslafenêtre,tiralesrideauxetl’ouvritengrand.Puisilappuyalesdeuxmainssurlerebordetsortitlatêtedansl’airvifetglacé.

Àlapremièreboufféed’air,ilsentitl’odeurdelaharpie.Bordelde…Lastupéfactionlefigea.Ilmontralesdents,prituneautreboufféed’airetl’odeurd’Aryal,unique,lui

montaaunez.…MERDE!Laragedéferlatelunraz-de-marée.Ilsepenchadavantageavecincrédulitéetpassalatêteentreles

barreauxdesécurité.Ilbaissalesyeux,mêmes’ilsavaitcequ’ilallaitvoir.Puisilsetorditenlevantlatêteetregardaau-dessusdelui.

Iln’yavaitpasdecornicheendessous.Iln’yavaitrienau-dessus,àpartlagouttièreauborddutoit,etellenesupporteraitpasunpoidspluslourdqueceluid’unécureuil.Pourqu’Aryalaitlaissésonodeur,elleavaitdûtoucherquelquechose.Lesangsemitàbattreviolemmentdanssesveinescommeilétudiaitlafaçadeavecattention.

La rue était bien éclairée lanuit.Pourtant, s’il n’avait pas scruté laparoide savueperçante à larecherched’unequelconqueanomalie,iln’auraitpasdistinguélessériesdetrousplongésdansl’ombrecreusésdanslemortieràenvironunmètresouslereborddelafenêtre.

Il porta sonattention sur lesbarreauxde sécuritéposés sur la fenêtre. Ils étaient recouvertsd’unepelliculedeglaceuniforme–àl’exceptiondedeuxzonesquienétaienttotalementdépourvues.Ilposa

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lesmainsdessusetagrippalesbarreaux.Sespaumesétaientpluslargesquelesespacesoùlaglaceavaitfondu,maisilsétaientàpeuprèsdelatailledesmainsd’Aryal.

Ilpoussafortcontrelesbarreaux,maisilstinrentbon.Ilsavaitqueceseraitlecas.Quandillesavaitfaitinstaller,ils’étaitassuréqu’ilsétaientsolidementboulonnés.Illeval’unedesesmainshumidesetlarenifla.L’odeurn’étaitpasforte,maisc’étaitbiencelled’Aryal.Lorsque lesoleilse lèverait, il feraitcomplètementfondrelaglaceeteffaceraittoutetracedelaharpie.

Elle était venue ici, tout récemment, après la chute de neige qui avait cessé une heure auparavantenviron.

Est-cequ’ellel’avaitobservésefairelapute?Pendantqu’ilpossédaitunefemmedontilsefichaitéperdument, lesyeuxferméset l’espritailleurs,alorsqu’ilavaiteudumalàconserversonérectionetqu’ilsedemandaitcequ’ilfoutaitdesavie?

Ileutunhaut-le-cœur.Iln’arrivaitplusàfaireentrersuffisammentd’airdanssespoumons.Elles’étaitserviedesesserrespoursetenirenéquilibredevantlafenêtre.Celavoulaitdirequ’elle

était sous sa forme wyr. Quand elle était sous sa forme humaine, elle était absolument électrisante,grande,athlétiqueetpuissante.Etsientière,siintransigeante.ElleportaitenellecetteénergiepropreauxWyrs immortels lesplusanciens,uneénergiequicrépitaitdans l’airautourd’elle.Soussa formewyr,elleétaitunsuperbecauchemar,avecsestraitsanguleuxétirés,accentués,etsesimmensesailesallantdugrisaunoir.

Commentavait-ilpunepasremarquersaprésence?En pensant àAryal, dehors dans l’obscurité, l’observant avec ses yeux gris perçants, son sexe se

raidit.Oh,non.Ilrepoussal’imagementaleavecunsursaut,commeunchatsurlequelonvientdejeterde

l’eaubouillante.Oh,bordel,non.L’élandeviolencecourutlelongdesessynapsesjusqu’àdevenirunecascadetroppuissantepourêtreignorée.

Deuxansplustôt,iltraversaitlaviecontentdelui,desesaffaires,satisfaitdusuccèsdesesactivitéslégalesaussibienqu’illégales,lorsqu’ils’étaitrenducomptepeuàpeuqu’onenquêtaitsurlui.Ilavaitfaitquelquesrecherchesdesoncôtéetdécouvert l’identitédelapersonnequimenaituneinvestigationsurlui.

Aryalavaitlaréputationd’êtreuneenquêteusecréativeetimplacable,maisilnes’étaitpasinquiété.Ilsavaitprécisémentcommentilavaitattirél’attentiondelasentinelleharpie–parlebouche-à-oreilleetpar association. Elle n’allait rien trouver de concret parce qu’il avait toujours très bien brouillé lespistes.Ilavaitunvraitalentpourcela.

Maisaumoisdemaiprécédent,ilavaitfaillicauserlamortdesonamieetilavaitconnuuneespèced’épiphanie.Ilavaitchangédecapdanssavieets’étaitmisàfaireleschosesdanslesrègles.

Enquelquesorte.Il avait décidé qu’il voulait avoir une influence dans le domaine wyr et investir du temps et de

l’énergieoùilvivait.Aussilorsquel’occasions’étaitprésentéedes’inscrireauxJeuxdessentinelles,iln’avaitpashésité.

Aryalsemontraitdéjàobstinéeavantcela,maiselleavaitalorsredoubléd’acharnementpourfouillerdanssavie.Ilnesavaitpasexactementcommentelles’yprenait,maiselleétaittoujourslà.EllevenaitauElfie’suneoudeuxfoisparsemaine,parlaitàsesemployés,avaitordonnéuncontrôlefiscaletpassésescomptesaupeignefin,interrogésesvoisins.Ilavaitenoutreplusieursfoiscaptésonodeurdanslaruellederrièrelebar.

Ils’étaitmoquéd’elle.L’avaitignorée.Puisavaitfeintdel’ignorer.Etavaitmêmecessédefeindre.Ilavaitfeintdenepasperdrepatience.Etfinalementcessédefeindre,làaussi.

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Ilavaitcommencéàriposter.Deplusenplusviolemment.Dansl’intervalle,ellen’avaitjamaisrenoncé,pasuneseuleseconde.«J’aitoutmontemps.»«Toutmontemps.»Avait-ilvraimentpenséquelasituationallaitchangerquandildeviendraitsentinelle?Sic’était le

cas,ilnes’ensouvenaitplus.Elleavaitpulvérisécetespoir.Évidemment.Dragossavaitexactementcommentutiliseraumieux les talentset lapersonnalitéd’Aryal lorsqu’il

l’avait chargéedes enquêtes.Quand les deuxnouvelles sentinelles,Quentin etAlexander, avaient prisleurs fonctions, des questions s’étaient posées concernant la répartition des rôles et d’éventuelsremaniements au sein de l’équipe. Mais personne n’avait songé un instant à remettre en cause lesattributionsquirevenaientàAryal.Elleremplissaitsamissionàlaperfection.Elleétaituneharpie,nomdeDieu.

Lalégendedisaitquelescieuxs’étaientdéchiréslejouroùlesharpiesavaientfaitleurapparitionenpoussantleurshurlements.

Cettefois-ci–CETTEFOIS-CI–elleétaitalléetroploin,bordel.Cettefois-ci,iln’allaitpassecontenterdel’étranglergentiment.Illejurait,ilallaitlatuer.Ilpritunedouchebrûlanteetfrottaénergiquementtoutetracedel’odeurdelafemmesursoncorps.

Puis il enfila des vêtements propres avec rage : jean, bottes, et tee-shirt. La tenue des sentinelles,résistante, susceptiblede tenir lecoupdansuncombatet facileà jeterensuite.Étantdonnéqu’ilavaitgagnéledroitd’entrerarmédanslatourdésormais,ils’équipaenconséquence,uncouteaudansunétuifixéàlacuisseetunGlockdansunholsterd’épaule.

Leverglasquirecouvraitlesruesleforçaàrejoindrelatourenconduisantdoucement.Lalenteurdutrajetnecalmanullementsafureurquisemuasimplementenunerésolutionfroidedeprédateur.Quandilentraenfindans la tourd’unpasrapide, ilcommençaitàyavoirplusdecirculation, tandisque l’aubeéclaircissaitlecieletquelavilleseréveillaitpeuàpeu.

Véritable débauche d’opulence jusque dans ses moindres détails, la tour Cuelebre s’élevait surquatre-vingtsétages.Aucunindividusaind’espritn’empruntaitlesescaliers.Iln’étaitpassaind’espritaumomentprésent.Ilnevoulaitparleràpersonne.

Ilmonta lesescaliersquatreàquatre,cequine lecalmapasdavantage.L’ascensionassouplit soncorpstoutefois,leréchauffant,détendantsesmusclesetlepréparantàendécoudre.

Saufqu’iln’arrivaitpasàlatrouver.L’unedespremièreschosesqu’ilavaitapprisesàproposdelatour,c’étaitl’endroitoùAryaldormait

lanuit.Ilserenditdoncàsonappartementettambourinaàlaporte.Personneneréponditetiln’entenditaucunsonvenantdel’intérieur.

Ilfitvolte-faceetsedirigeaàgrandspasverslacafétéria.Ellevenaitjusted’ouvrirpourservirlepetit déjeuner et les gens commençaient à s’y attabler. À la vue de ses traits tendus et de ses gestesnerveuxethargneux,toutlemondes’écartadesonchemin.Sonprochainarrêtseraitl’immensesalledesport et zoned’entraînement, il en fit le tour et allamêmevérifier qu’elle ne se trouvait pas dans lesvestiaires.

Bonsang,non.Il allait devoir faire une pause et réfléchir. Il ne le voulait pas. Ses mains se souvenaient de la

sensation de se serrer autour de son cou et elles voulaient le faire de nouveau. Fléchissant ses longsdoigts,ilsortitdelasalledesport…

Aufondducouloir,lesportesdel’undesascenseurss’ouvrirentetAryaletGrymapparurent.

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Lavuedelaharpieluioccasionnacommetoujoursunedéchargeélectriquequifitvibrertoutessesterminaisonsnerveuses.Nourriparunaffluxd’adrénaline, saconscience s’en trouvacommedécuplée.Celadevaitcorrespondreàcequeleshumainsressentaientquandilsprenaientdesamphétamines.

Ilseruaaussitôtverselle,remarquantchaquepetitdétaildesaphysionomiealorsqu’ilgagnaitdelavitesse.Elleportaitcommetoujoursunetenuedecombatencuir,etsescheveuxnoirsquiluiarrivaientauxépaulesétaientemmêlés.Mêmes’ilsavaitquecelavoulaitdirequ’elleétaitrécemmentsortiepourvoler,elleavaitl’airaussidéfaitquesiellevenaitdeselever.Sapeauhabituellementpâleétaitrosée.

Onauraitditqu’ellerayonnaitd’unfeuinterne.Sestraitsavaientbeauêtreanormalementtirésparlafatigue,elleétaitpourtantplusvivanteque toutes lespersonnesqu’ilavaitpu rencontrer,dix foisplusvibrantequetouteslesfemmesqu’ilavaitjamaisvues.

Elleétait…magnifique.Unpoignardd’amertumeletransperça.Grandsdieux,s’ilpouvaitunjourrencontrerunefemmeaussi

bellequ’ilnehaïraitpasautantqu’ilhaïssaitcelle-ci,ilpourraitenfinlaisserdanslapoussièrecefouetdenervositéquileharcelaitetlepoussaitsanscesseenavant.Ilpourraitjouirdelaviesansrienfaireetêtresimplementheureux.C’étaitmonstrueusementinjusted’avoirunetellerévélationenregardantcetteexécrableharpie.

Ellel’avaitvuvenir.BienquelesintentionsdeQuentinsoientclaires,leregardd’Aryals’illumina.Parce qu’elle était ainsi faite. En se tournant vers lui, elle projeta l’un de ses bras en arrière, avecforce,etellefrappaGrymsur lapoitrine,sibienqu’il reculaen trébuchantdans l’ascenseur.Puiselleavança,prêteàendécoudre.

Elle ne fit pasmême une pause pour dire quelque chose ou demander àQuentin « Pourquoi ? ».Ilssavaienttousdeuxquelesraisonsétaientinnombrables.

Ilbonditverselleetellesebaissa,sibienqu’ilatterrittroploin,maisilbranditunemainetsaisituneglorieusepoignéedesescheveuxemmêlés,l’entraînantaveclui.

Ilss’écroulèrentensembleengrondant,membresenchevêtrés.Ilcaptasonodeuretc’étaitcelled’unefemmeéclatantedesantéquisentaitl’airfroidetlesexe.

Lesbruitsquicouraientàproposd’elleetdeGrymdevaientdoncêtrevrais.IlappréciaitGrym,maisl’idée d’eux deux s’accouplant lui était tellement insupportable qu’il poussa un nouveau grondementencoreplusguttural.

Ellelerenversasurledos.Ilinversaaussitôtleurpositionenhaletantetcouvritsoncorpsdusien.Commeilclouaitenplacesonbustefermeettendu,leurshanchess’alignèrent.Ilsentitunefrictionrudeauniveaudesonbas-ventreethumasonodeursauvage.

C’étaitincroyablementprimal.Sonsexeseraiditdenouveau.Bordel.Ilvitlesyeuxd’Aryallancerdeséclairsàtraverssescheveuxemmêlés.Unincendiesedéchaînale

longde sondoscommeelle legriffaitde ses serres.Plusvitequ’unbattementdecils, il la frappaenpleinvisageenahanant.Pendantuncentièmedeseconde,ileutl’impressionqu’elleavaitl’airsurprisetpensif.Puisellesetorditsousluietluienvoyauncoupdegenoudanslesparties.L’incendiesepropageaàcettezonedesoncorpsetdevintunbrasier.

Il l’empoignait toujours par les cheveux. Il tira sa tête en arrière en poussant un rugissement etplongeaverselle,résoluàplantersesdentsdanssagorgeofferte.

Iln’atteignitpassacible.Alorsqu’ilsétaientunisenuneétreintebrutaleetviolente,ilseretrouvasoudainàquelquesmètres

d’elle,affalécontrelemur,totalementdéconnectédelaréalité.Ilavaitl’impressiond’avoirétépercutéparunemontagne.

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Et d’une certaine manière, c’était le cas. Il commença à saisir ce qu’il s’était passé.Malgré lesprotestationsdesescôtescassées,ilfituneffortsurhumainpoursemettreàquatrepattesetilregardaendirectiondesascenseurs.

Dragos se tenait à l’endroit où ils venaientde sebattre, laharpie étendueà sespieds.Grymétaitimmobile à l’entrée de l’ascenseur contre lequelAryal l’avait envoyévaldinguer, lesmains ballantes,toutesonattentionfixéesurleseigneurdesWyrs.

Ilremarquad’autreschosespetitàpetit.Dragosportaitunjeanetunpullfinensoieetl’unedesesbottesétaitplantéeaumilieududosd’Aryal.Ilavaitl’airabsolumentfurieux,sestraitsrudesfigésenunmasquedebrutalité.

Il tenaitégalementsonfilsendormiblotticontresonépaule.Quentinpensaitdéjàque lebébéétaitpetitquandil l’avaitvuauparavant–il faisaitàpeinetroiskilosàsanaissance,Pia le luiavaitdit–,mais lovécontre l’extraordinairemusculaturede lapoitrinede sonpère, il avait l’air aussiminusculequ’unepoupée.

Quentinétaitsouslechoc.Ilétaitpersuadé jusque-làdene jamais s’être faitd’illusionsàproposdeDragos. Il savaitque la

seulechosesusceptibledeterrasserledragonétaitunearméeentièredirigéepardeschefsinspirésetdesmagiciens expérimentés.Mais s’il avait un jour entretenu l’espoir secret quequelqu’unpuisse venir àboutdeDragosdansuncombataucorps-à-corpslorsqu’ilétaitsoussaformehumaine,cefantasmevenaitdevolerenéclats.

NonseulementDragosvenaitdeneutraliserdeuxdesmeilleursetdesplusredoutablescombattantswyrsdumonde,maisill’avaitfaitensedéplaçantplusvitequeQuentinnepouvaitleconcevoir.

Etilavaitfaittoutcelasansbousculerlebébéquines’étaitmêmepasréveillé.Dragos jeta un regard courroucé à tous les curieux qui s’étaient massés, attirés par les bruits du

combat.—Dégagez,murmura-t-il.(Lesgenssedispersèrentimmédiatement.IlpoussaAryaldupieddesorte

qu’elle se retrouve sur ledos, lesyeux levésvers lui. Il parlait si doucementque lebébénebronchamêmepas:)Jet’ailaisséplusdelibertéqu’àn’importequiettuviensd’enutiliserladernièreparcelle.

Leregardd’orincandescentdudragonseposasurQuentin.—Quantàtoi,tun’asgagnéaucuneliberté.Jemontecouchermonfilsdanssonberceau.Vousallez

tous lesdeuxvous rendredansmonbureau sur-le-champetm’yattendre.Vousneparlerez àpersonned’autre.Vousnevousadresserezpaslaparoleetvousnevousbattrezpas.(Iljetauncoupd’œilàGrym.)Sil’und’euxmedésobéitenneprononçantneserait-cequ’unseulmot,tire.

—Oui,monseigneur,ditGrymendégainantsonpistolet.

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3

Quentinsetenaitlecôtéenboitant,évaluantlesdommagescausésparlecombatetcecoupdepiedmonstrueusementpuissant.Ilpensaitqu’ilavait troiscôtescassées,pluspeut-être.Quelsquesoientlesdégâts,ilscorrespondaientàlatailledelabottedeDragos.Songenougaucheluifaisaithorriblementmalet il n’arrivait pas à le plier. La rotule ne fonctionnait pas normalement, on aurait dit qu’elle étaitdisloquée.

Ilavaitégalementvécuuneexpériencequiétaitpourluirarissime:quandilavaitétéprojetécontrelemur,ils’étaitvraimentretrouvéculpar-dessustête,c’est-à-direabsolumentincapabledecontrôlersachute.D’habitude,larapiditédesesréflexesluiévitaitcegenredepépin,maispascettefois-ci.

Quandilajoutaàlalistelescontusionsreçuesauniveaudel’ainequil’élançaientterriblementetlesgriffuressursondos,ils’aperçutqu’ilétaitplusamochéqu’ilnel’avaitétépendanttouteladuréedesJeuxdessentinelles,maispourunWyrdesaconstitution,toutefois,cen’étaitpasbiengrave.Ilseferaitpeut-être bander le thorax pourmaintenir ses côtes immobilisées une fois queDragos aurait piqué sacriseetlesauraitpeut-êtrevirés,maisilrécupéreraitrapidement.

Iljetauncoupd’œilsurlecôté.GrymmarchaitentreAryaletlui,sonGlocknonchalammentpointéverslesol.

Aryalavaitunedémarcheraide,uneexpressionmaussadeetlabouchepincée.Uncôtédesonvisageétaitdéjàviolacé.Iln’yétaitpasallédemainmorte.CommeQuentinl’observait,elleluilançaunregarddebiaisquiétaitabsolumenthaineux.PuiselleconsidéralepistoletdeGrymetserenfrognaencoreplus.

—Bravopourtoncontrôle,luiditGrymd’untontranquilleetencourageant.Jesaisquellequestiontuveuxposer,alorsjevaisyrépondremaintenantettesauverdelatentationdeparler.Dragosm’aordonnédevoustirerdessussivousprononciezunseulmot,alorsoui,jeluiobéirai.Iln’apaspréciséoùtirer,celadit.

Aryallevalesmainsdansungested’interrogationsilencieuse.—Jetetireraisprobablementdanslepied,ditGrym.Ellefitunemoue,puissecoualatêteetindiquadudoigtsonavant-brastandisqueQuentinsegrattait

la nuque en les dévisageant. Ils discutaient avec le plus grand sérieux de la zone du corps queGrymchoisirait?Nonmais,ilrêvait.

—Bon, pas le pied, rectifiaGrym. Jeviserais tonbras.Satisfaite ?D’ailleurs, tu ne l’aurais pasvolé.Vousnel’auriezpasvolé,touslesdeux.Vousluiavezvraimentfaitpéterlesplombs.Vousavezdubolqu’iln’aitpaspulvérisévoscolonnesvertébralesetnevousaitpasexpédiésaupieu,en traction,pendantunmois.

Quentin prit une profonde inspiration. Aryal et Grym se tournèrent tous deux vers lui. Un espoirperverss’étaitglissédanslesyeuxdelaharpiealorsqueGrymsecontentaitd’attendre.Quentinsoupira

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silencieusementetladéceptionselutsurlestraitsdesonennemie.—Sic’étaitcenséêtreunequestion,repritGrym,sachequenon,ceneseraitpaslapremièrefoisque

desgensseretrouvententractionaprèsunedérouilléedeDragos.Quentinn’avait jamaisentenduGrymparlerautant.Ilstraversèrentdesbureauxenespaceouvertet

pénétrèrentdansl’immensebureaudeDragosquioccupaittoutuncoindelatour.IlétaitentréseulementunefoisdanslebureauduseigneurdesWyrsetilfitunemouedédaigneuseen

balayantlapiècedesyeux.Comparéauluxeostentatoirequel’onretrouvaitpartoutdanslatour,lelieuétaitpresqueaustère.Il

étaitquasimentvide.Ilyavaitunénormemeubledebureauetunfauteuil,etdeuxautressiègespourlesvisiteurs,unetableenacajoutoutesimpledansuncoin,desœuvresd’artdefactureoriginaleornaientlesdeuxmurs intérieurs.Quant auxdeuxmurs d’angle, c’était en fait des baies vitrées qui encadraient lalignedegratte-ciellapluschèredumonde.Desportes-fenêtresdonnaientsurunimmensebalcon.

Quentins’avança,s’adossaàl’undesmursintérieursetcroisalesbras.IlobservaGrymrefermerlaporteetAryals’approcherdubureaudeDragosenboitantpours’yreposer.

GrympritnotedelapositiondeQuentinenhaussantsessourcilsnoirs,puissedirigeaversAryal.Iln’avaittoujourspasrangésonpistoletdanssonétui.

La harpie avait la tête baissée et contemplait le sol d’un air furieux. Grym aplatit une main surlebureau,àlahauteurdelahanched’Aryal,etsepenchapourlaregarderenface.

—Turendslesgensdingues,luidit-ilgentiment.Tut’enrendscompte,n’est-cepas?Aryalfitlamoue,puisgrimaçadedouleuretpalpal’énormebleuqu’elleavaitsurlajoue.—Tasauvagerieestd’ailleurs l’unedes raisonspour lesquelles lesgens t’aimentbienmalgré les

mauxdetêtequetuleurdonnes.PourquoiDragost’aimebeaucoup,mêmes’ilnel’ajamaisdit.CertainsWyrs sont plus apprivoisés qued’autres,mais nous reconnaissons tousquelque chosedenotre propresauvagerieentoi.Est-cequetusavaiscelaaussi?

Le regard de Quentin s’étrécit et il fronça les sourcils en écoutant Grym. La gargouille parlaitdoucement, le tondesavoixmanifestementdestinéàexclureQuentin.Mais l’autresentinelleauraitpuaussis’adresseràellepartélépathie,cequisignifiaitqu’ilvoulaitqueQuentinsoittémoin,maisqu’ilneparticipepas.

AryallevalesyeuxversGrym,desquestionsétincelantaufonddesesprunelles.Happéparuneimpulsionincontrôlable,iltricha.—Net’enfaispas, luidit-ilpar télépathie, turestesquandmême insupportableetunpaquetde

gensnepeuventpastesentir.Unregaindefureurs’inscrivitsurses traitsetelleseredressa,maisGrymplaquabrutalementune

mainsursonépauleetlamaintintenplace.PuisiljetaunregardsoupçonneuxendirectiondeQuentinetpointasonGlockverslui.

Quentinricanamalgrélui.Sescôtesl’élançaientetladouleursepropageaitjusquedanssapoitrine.Il était stupéfait qu’Aryal ne lui réponde pas vertement par lemêmemode de communication. Il étaitpossiblequ’ellenesefassepasconfianceetredoutedenepaspouvoirs’arrêterunefoislancée.Lui,entoutcas,neluifaisaitpasconfiance,c’étaitcertain.Danssesmeilleursjours,elleétaitMissBarjot,alorsquandelleétaitencolère!

Il détestait aussi l’apparence d’intimité que Grym avait créée et l’affection visiblement profondequ’Aryal et lui avaient l’unpour l’autre.Nonseulementcela révélaitde longuesannéesdecomplicitéentreeux,maiscelasoulignaitchezAryaldesqualitésqueQuentinrefusaitdeluireconnaître.

IlvoulaitrestersourdàlavoixdeGrym,maisiln’yarrivaitpas.L’autresentinelleseretournaitdéjàversAryal:

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—J’aiun truc importantà tedire. IlyauneraisonquiexpliquequeDragos t’ait toujoursplusoumoinslaisséelibred’agircommetul’entendais.Vousêtestrèssemblables,touslesdeux,desâmessœursenquelquesorte.Toutcommetoi,ilauncaractèreinfernaletilcréeautantdeproblèmesqu’ilenrésout.Ilsaitquetul’aimesaussietquetuinvestistoutetapassiondanstonengagementpourledomainewyr.Alors siDragosdéclareque tuasabusédecette liberté,Aryal, tu feraisbiende l’écouterparcequ’ilexprimaitvraimentlefonddesapenséedanslehall.Etjecroissincèrementqueçapourraitêtrelafindetesfonctionsdesentinelle.Alorstiens-toibienquandilreviendra.D’accord?

Uneexpressionmortifiéeselutsurlestraitsanguleuxdelaharpie.Elleopina.GrymseredressaetsetournaafindefairefaceàQuentin.Sonregardétaitfroid.—Encequi te concerne,Dragos avraiment exprimé sapensée aussi.Tun’aspas encore fait tes

preuves. Plein de gens t’apprécient et ils sont probablement plus nombreux que ceux qui apprécientAryal.Laplupartdessentinellest’aimentbien,jet’aimebien.Noussavonstousaussiqu’elleenquêtesurtoidepuislongtemps.Dragoslesait,parcequ’ellen’ariencaché.Alors,qu’est-cequetufous,Quentin?Pourquoiterend-elledingueàcepointetqu’est-cequenoussommescensésendéduirequandtupètesunplombetpersistesàluisauterdessus?

Toute tracede l’humoursardoniquedeQuentins’évapora.LesmotsdeGrymle frappèrentcommeautantdecoups.Peut-êtrequ’ilsn’auraientpasdûlemarqueràcepoint.Ilsavaitqu’uncertainnombredepersonnesseméfiaientdelui toutsimplementparcequ’ilétait lesujetd’uneenquête.Ils’yétaitmêmeattendu,àvraidire.Maisparsesmotsouparletonqu’ilavaitemployé,Grymluiprésentaitunmiroirdanslequelseregarder,etlereflet,étaitcruellementdénuédetoutecomplaisance.

«Qu’est-cequetufous,Quentin?»C’étaitlaquestion.Laquestionquirésumaittout.Laportedubureaus’ouvritàlavolée.UnvolcanquiavaitlaformeduseigneurdesWyrsfitirruption

danslapièce.Lesmursseresserrèrentetlebureausemblasoudainbeaucouppluspetit.Manifestement, lesdixminutesdepauseques’était imposéesDragosn’avaientguèreamélioréson

humeur.Il regarda Grym et lui indiqua la porte du menton. Grym n’ajouta pas un mot. Inclinant

respectueusement la tête, il remitsonpistoletdanssonétui,puis jetauncoupd’œilàAryaletQuentintout en sedirigeantvers laporte. Il la refermadoucementderrière lui en sortant.Aryal sedétachadubureausurlequelelles’adossaitetouvritlabouche.

—Jenet’aipasdonnél’autorisationdeparler,ditDragosavantqu’ellepuissearticulerunmot.Vousalleztouslesdeuxgarderlesilence.Jemefichedecequ’ilafait.(Desyeuxd’orétincelantsdefureurharponnèrentQuentin.)Jemefichedecequ’elleafait.Je.N’en.Ai.Rien.À.Foutre.

Quentinsentitsacolèresemettreàbouilliretilfaillitnepasarriveràlacontenir.LamanièredontDragosCuelebreaffirmaitsadominancel’avaittoujourshérissé.Lesdeuxinconvénientsmajeursattachésaupostedesentinellesetrouvaientenfacedeluidanscettepièce,etilétaitcrispécommeunpoingserré,tremblantdudésirdeleurcracherauvisageetdesortirenclaquantlaporte.

Quefaisait-ilici?Lesmainssurleshanches,ledragonl’étudiaetattendit.Quentinluiretournasonregardavecamertumeetsecoualatête.Non,tun’yarriveraspas,espècede

salaudpleindemorgue,pensa-t-il.Tunemeferaspaspartiraussifacilement.J’aigagnémonentréedanstatourenmepliantàtespropresrègles.Sijem’envais,ceseraparcequejedécidedelefairedemonproprechef,pasparcequetum’auraspousséàlefaireenmemanipulant.

Quelquechosed’étrangepassasurlestraitsdeDragos.SiQuentinavaitdûdécrirecequ’ilavaitvu,ilauraitditqueledragonavaitquasimentsouri.

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L’expressionfugaces’évanouitpresqueimmédiatement.Dragossepostaderrièresonbureau,puissetournapourleurfaireface.

—Vous savez ce que je faisais cematin ? Je promenaisLiampour qu’il se rendorme et que Piapuisse se reposer un peu plus longtemps.C’est là que je suis tombé sur deux rigolos, vous deux, quis’empoignaient et se foutaient sur la gueule. Je devrais préciser : qui s’empoignaient dans l’un descouloirs principaux des étages supérieurs de la tour.Vous n’aviez aucune idée que j’étais là, n’est-cepas ? Vous n’étiez concentrés que sur une chose : votre putain de vendetta. Que serait-il arrivé siquelqu’und’autres’occupaitalorsdeLiametlepromenait–Talia,parexemple?

TaliaAguilarétaitune«selkie»,uneWyr-phoque,etlanouvelledirectricedesrelationspubliquespour Cuelebre Enterprises. Soignée et délicatement ronde avec de grands yeux expressifs, c’était unamourdefemmeetelleétaitabsolumentincapabledefairepreuved’agressivité.

Quentin sentit de la bile remuer dans son estomac. Étant donné la violence de leur bagarre, ilsauraientpufacilementpercuterquelqu’uncommeTaliaetleblessergrièvement,voireletuer.Iljetauncoupd’œilàAryaletsonexpressiontendueluiindiquaqu’elleenprenaitconscience,elleaussi.

—JevousbannistouslesdeuxdeNewYork,annonçaDragos.Quentinsursautatandisquelechocs’inscrivaitsurlestraitsd’Aryal.Dragoscontinuaitàlesincendier,lesmotsfusantparrafales.Illuifallutunmomentpourensaisirle

sens…—…Etvousallezréglervosdifférendsàlanoixailleurs,loind’ici.Jeneveuxpasavoiraffaireà

vousentre-temps,etjevousgarantisquepersonned’autrenelesouhaitenonplus.Jevaisvousconfierunemission.Vousallezdevoir l’accomplirensembleoubienvousperdrez tous lesdeuxvospostesdesentinelle.Vousn’avezpas ledroitde reveniravantquedeuxsemainessesoientécoulées.Etvousnepouvezpasresterabsentsplusd’unmois.C’estvotrecalendrier.LorsquevousreviendrezàNewYork,vous aurez fait la paix d’une manière ou d’une autre ou vous perdrez tous les deux vos postes desentinelle.DepuislesJeux,nousavonsunelistedétailléedecandidatsquisontarrivésseconds.Sinousdevonsfairecettetransition,ceneserapasdifficile.

Ilmarquaunepausepourétudierlevisagelivided’AryaletlapostureraidedeQuentin.—Vousn’avezpascessédestressertoutlemonde,alorsquelessentinellesauraientbieneubesoin

d’un répit. Aussi, si vous revenez en ayant réussi votremission et que vous arrivez à conserver vospostes, vous travaillerez deux fois plus jusqu’à ce que toutes les autres sentinelles aient pris desvacances.C’estainsiquevousallezvousracheter.Pourl’heure,vousallezfairevosbagagesetvoyagerléger.Réglezlestrucsquevousavezàrégler.Soignezvosblessures.Revenezicià17heures.Peut-êtrequejeseraialorsenmesuredetolérerlesondevosvoix.Pourlemoment,tirez-vous.

Bouillantdecolère,Quentin réussit àdétourner sonvisagecrispécomme il sedirigeait enboitantverslaporte,Aryalsursestalons.

Pasmoinsdedeuxsemaines.Pasplusd’unmois.Banni.Avec la harpie infernale. Peut-être qu’il ferait mieux de se pendre et d’en finir, sauf qu’il ne

donneraitpascegenredesatisfactionàlagarce.Jevaisgagnercejeu,pensa-t-il.Delamêmemanièreque j’aigagné tous les jeuxauxquels j’ai

participédansmavie.Etpuis,avecunpeudechance,lamissionseradangereuse;elleseferatueretépargneradesemmerdementsàtoutlemonde.

Puisilhaussalessourcilsetpenchalatête.Bien entendu, si cela se produisait, il faudrait que ce soit évident pour tout lemondeque lamort

d’Aryalétaitaccidentelleouquequelqu’und’autrel’avaittuée.

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Ilyavaitlàmatièreàréflexion.—Oh,unechoseencore,ajoutaDragos.Ilss’immobilisèrentsur-le-champetpivotèrentpourluifaireface.UnesalvedeForceetdechaleurlesprojetacontrelemuretledragonrugit:—NEVOUSBATTEZPASUNENOUVELLEFOISAUJOURD’HUIOUVOUSPERDREZTOUS

LESDEUXVOSPOSTESDESENTINELLE!

Certainsjours,absolumentrienneva.DèsqueCaeravornetelleseretrouvèrentdanslecouloir,ilspartirentdansdesdirectionsopposées.

C’étaitàquis’éloigneraitleplusvitepossibledel’autre.Bannissement.AvecCaeravorn.Chargésd’uneespècedemission.Avecunpeudechance,ceseraitunemissionvraimentaffreuseetdangereuse.Commec’étaithorrible.Commec’étaitpaaaaarfait.Ellebrûlaitd’impatiencede savoirquel sort terribleDragos leur réservait,parcequ’uneoccasion

pareille,quandpourrait-ellelaretrouver?CeneseraitpasfaciledetuercesalauddeCaeravorn,maiselleétaitparticulièrementdouéepourl’improvisation.

Il fallait simplement qu’elle veille à ce que sa mort se produise d’une manière qui lui permetted’affirmerentoutesincéritéqu’ellen’yétaitpourrien,carlorsqu’ellereviendraitàNewYork,soitavecsoncadavre(préférablementdéchiqueté),soitseule,ceuxquiavaientlesensdelavéritélaharcèleraientdequestions.

Pouah,elleavaitmalpartout.Dragosavaitplantéexprèssabotteavecbrutalitéaumilieudesondosetchaquerespirationluicoûtait.Uncôtédesonvisageétaittellementtuméfiéqu’ellevoyaitsajoueducoindel’œil.Ellenepouvaitpassepermettredepartirenmissiondéjàblessée,aussi,dèsquepossible,elleiraittrouverunguérisseur.

Maiselledevaitd’abordfairequelquechosed’autre.EllesemitenquêtedeGraydon.IlétaitdanslacafétériaentraindeprendresonpetitdéjeunerencompagniedeSebastianOrtiz, le

Wyr-loupquiavaitgérélesJeux.Ortizavaitprissaretraitedel’armée,maisétaittoujoursactifdanslaviecivileetildirigeaitlasécuritépourleparkingquisetrouvaitsouslatour.

Il y avait désormais beaucoup demonde dans la cafétéria car c’était l’heure d’affluence du petitdéjeuner.L’undesnombreuxavantagesréservésauxsentinellesétaitunlaissez-passerautomatiquepourse retrouver en tête de queue, vu que leurs tâches étaient souvent urgentes et leurs repas souventinterrompus.

Aryal était affamée,mais elle contourna les files d’attente pour la nourriture et se contenta de seservirunetassedecafé.Quandelles’approchadelatabled’OrtizetdeGraydon,Ortizluifitunsignedetête courtois, dit rapidement au revoir àGraydon et se leva.Aryal s’assit sur le siègequ’il venait delibérer.

Graydonsecarradanssachaiseetrepoussasonassietteàmoitiépleine.Ilobserval’hématomesursajoue,uneexpressionferméeetpeuamènesursestraitstaillésàlaserpe.

Ellesemorditlalèvre,puisdit:—Jesuisdésolée.Ilcroisalesbrasetrestasilencieux.Ellesentitsonestomacsenoueretsesépauless’affaissèrent.Il

nelaregardaitjamaisdecettefaçonavant.—OK,jesuisprofondémentdésolée,ajouta-t-elledoucement.(Ellesemitàfairetournersatassede

café.)Est-cequeGrymt’aditcequis’étaitpassé?

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—Ilm’aditcequ’ilavaitvu,réponditGraydond’untonmonocorde.VousvousétiezretrouvéssurletoitetvousalliezprendrevotrepetitdéjeunerquandQuentinestapparuets’estruésurtoicommeunefurie.Pasunmot,pasd’escaladedeviolence.Boum.Onsaittouslesdeuxqu’ilyaforcémentuneraisonàcela.Tuasfaitquelquechosequiluiafaitpéterlesplombs.C’estsûr.

Ellenesedonnapaslapeinedenier.EllenesavaitpasprécisémentcequiavaitmisCaeravornhorsdelui,maiselleyétaitpourquelquechose,c’étaitcertain.Elleavaitbeaulehaïr,elledevaitreconnaîtrequ’iln’avaitpasl’habituded’attaquersansraisonlesgensqu’iln’aimaitpas.

—Jesuisdésoléepourlestresssupplémentairequecettehostilitéacauséàtoutlemondeetjevaisyremédier. Je le jure,Gray. Ilvayavoirune rotationdecongéset toutes les sentinellesvontavoirdesvacances.(Ellepritsoncourageàdeuxmains.)Maisd’abord,Dragosnousenvoieenmission,Caeravornet moi, et nous n’avons pas le droit de revenir à New York tant que nous n’avons pas réglé nosproblèmes.

D’unemanièreoud’uneautre,entoutcas.Grimaçantintérieurement,elleattendituneexplosiondejuronsouaumoinsuneexpressiondedégoût.

Riennesepassa.Graydonn’eutmêmepasl’airétonné.—Tulesavaisdéjà?demanda-t-elleenhaussantlessourcils.—C’estmoiqui l’aisuggéré.Aprèsavoircouchélebébé,Dragosm’aappelépourdiscuterdece

qu’ilvoulaitfaire.Sesidéesimpliquaientencoreplusdefracturesetdesang.Avecmaproposition,aumoins,leconflitvaêtrerésolu:vousallezvousdébrouillerpourvousentendreouvousserezvirés.Nousnepouvonspastolérerquelessentinellessoientenguerrelesunescontrelesautres,Aryal.

Elle laissa échapper ungrand soupir.Cequ’il lui disait était un échopresqueparfait auxpenséesqu’elleentretenaitplustôt.

—Non,dit-elle.Jesais.L’attitudefroidedeGraydonseréchauffaenfin.Ilsepenchaenavantetcroisalesbrassurlatable.—Jesuisheureuxquetusoisvenuemeparler,confia-t-ilpartélépathie.Est-cequeDragosvient

justed’enfiniravecvous?Ellepassalesmainsdanssescheveux.—Oui.Graydonluisourit.—Ettuesdirectementvenuemetrouver.Ellehaussauneépauleetopina.Ilposal’unedesesimmensesmainssursonavant-brasetleserragentiment.—Ilfautquetuapprennesàdépasserl’antipathiequevouséprouvezl’unpourl’autre.Vousêtes

touslesdeuxdessentinellesetvousdeveztravaillerensemble.Vousledevez,Aryal.Personneneveutteperdre.

—C’estbonàsavoir,marmonna-t-elle.— Ils ont juste besoin que la vendetta cesse.Mets un termeà ton enquête qui nemèneà rien.

(Graydonsepenchaunpeuplusenavantpourmieuxlaregarderdanslesyeux.Sesiris,delacouleurduvieilétain,étaientd’ungrisplusfoncéqueceuxd’Aryal,etsonexpressionétaitdure,leplidesaboucheimpitoyable.)Oubienprouvesaculpabilitéunebonnefoispourtoutes.JesaiscequeDragosvousadit. Il vous a ordonné de trouver une solution, un modus vivendi en somme, et peu lui importe lamanièredontvousallezyparvenir, iln’enasincèrementrienàcirer. Ilasuffisammentdechosesàgérerencemomentavecsonnouveaurôledepère.C’estmoiquiparle, là– tuasencoreunmois.Ramènedespreuvesconcrètesetellesnousservirontàassener lecoupdegrâceàQuentin.Mais ilfautquetupassesàautrechose,d’unemanièreoud’uneautre.

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—Jesais.Jevaislefaire.Aprèscetteconversation,lerestedelajournéesemblapresquebanal.Surlalistedechosesàfaire,

le moment était venu de consulter un guérisseur. Il calma la douleur dans sa poitrine et amenuisa laraideur et le gonflement de son visage. Elle se rendit ensuite dans son bureau afin de déléguer desaffaires,passerenrevuesescourrielslesplusurgentsetvaguementtenterd’organiserlespapierssursonbureauaucasoùquelqu’unauraitbesoindetrouverquelquechosependantsonabsence.

Dèsqu’elleeutfaittoutcela,elleretournaàsonappartement,pritunedoucheetselavalescheveux,puisfitsonsac.Celaneluipritqu’unquartd’heure,ellefourradanssonsacàdosdesarmes,descartesde crédit, quelques changes de vêtements et des affaires de toilette, sans oublier plusieurs barreschocolatéesetsaliseuseélectronique.

Ellemangeaensuiteunsandwich,puiss’écroulasursonlitoùelledormittoutl’après-midi.Iln’étaitpas question qu’elle parte pour une obscure mission dans des lieux inconnus avec Caeravorn alorsqu’elle était épuisée. Si la prise de risques ne la rebutait pas, être accablée de fatigue en partant luisemblaitlesummumdelabêtise.

À16h55,sonsacàdossurl’épaule,vêtued’unjean,d’uncolroulénoir,d’unevesteencuirnoireetde bottes lacées, elle entrait dans les bureaux de Dragos qui bourdonnaient d’activité. CuelebreEnterprisesnefermaitjamaisà17heures.ElleadressaunpetitsalutàKristoff,l’assistantdeDragos,quifitdemêmedepuissonpostedetravail.

La porte du bureau deDragos était fermée.Aucun signe de Caeravorn. Elle attendit, sans grandepatience,entapantlégèrementdupied.C’étaitprobablementillusoired’espérerqueCaeravorn,prenantconsciencedeseségarements,aitdémissionné.

Le filmde leurbagarredumatin repassasoudaindanssa tête.Quand il l’avaitclouéeausol, elleavaitpuéprouvertoutelafermetédesoncorpsetdesesmusclesd’acier.Ilétaittrèsbeaumêmelorsquesonvisageétaitdéforméparlarage.

Etquand leursbassins s’étaient alignés l’un contre l’autre, elle avait senti son sexe se raidir.Sonmembremagnifique,indéniablementdur,s’étaitpressécontreelle.Elleenconnaissaitl’aspect,laforme.

Ellesentitsonpoulss’accéléreretunesalvededésirl’irradia.—Tu viens de dire au revoir à ton petit ami ? lui demandaCaeravorn derrière elle. (Il avait un

tonplusinsolentquejamais.)Tuauraisdûprendreunpeuplusdetempspourluifairetesadieux.D’aprèscequejeperçois,tun’aspasétévraiment…satisfaite.

Ilavaitdécelésondésir.Ellen’arrivaplusàpenser.MonDieu.Ellevoulaitse ruersur lui toutesgriffesdehors.EllepivotapourluifairefaceaumomentoùlaportedeDragoss’ouvrait.

Ilsse toisèrent.Sesyeuxbleusétaientétréciscommeceuxd’unchat. Il s’étaithabillé toutennoir.Jeannoir,tee-shirtnoir,etunblousond’aviateurdecuirnoirusé.Ilportaitluiaussiunsacàdos.

—Entrez,ditDragos.Aryal réussit, elle ne sut trop comment, à animer son propre corps comme s’il s’agissait d’une

marionnette.ChacunedesesterminaisonsnerveusesavaitconscienceduglissementfluidedeCaeravornentrantdanslapièceàsasuite.

Unefoisqu’ilsfurentàl’intérieur,Dragosfermalaporte.Ilsetournaverseuxetleurditsanspréambule:—JevousenvoieàNumenlaur.

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4

Numenlaur.Lenom résonna jusquedans lamoelle deQuentin.Ses émotions sedéchaînèrent quand il entendit

Dragosprononcerlemot.Toutesonâmes’insurgea.NumenlaurétaitlepremieretleplusancienterritoiredesElfes,lelieudenaissancelégendaired’où

touslesautresétaientvenus.L’AutreContréeétaitferméeaurestedumondedepuisdesmillénaires.Àuneépoque, ilauraitétépleindecuriositéetd’émerveillementà l’idéedevoirNumenlauret il

auraittoutdonnépours’yrendre.Ilressentaitencorequelquesvestigesdesonexcitationpassée,saufquela perspective d’une telle découverte s’accompagnait désormais d’effroi et de chagrin carNumenlaurétaitdevenuunecontréeabandonnée,vidéedesElfesquiyavaientvécu.

Commesilesmotsluiparvenaientdetrèsloin,ilentenditAryaldemander:—Pourquoiveux-tuquenousyallions?L’expressiondeDragossefermacommeilquittait laharpiedesyeuxpourregarderQuentin. Il les

jaugeatouslesdeuxdesonregarddorésombreetcalculateur.—DepuislabatailleàlaForêtdeLirithriel,dit-il,Piaestrestéeencontactétroitavecsesamisdu

domainedesElfes.Ilscontinuentàêtretotalementdépassésparcequiestarrivé.Quentin ne savait absolument pas ce que sa propre expression était susceptible de révéler. Il se

retournaabruptement,tournantledosauxdeuxautresenessayantdecontrôlersesémotions.«Dépassés» était un sacré euphémisme.Deuxmois après la bataille qui avait pris placedans la

Forêt de Lirithriel, le domaine elfique en Caroline du Sud était toujours dévasté. L’un des anciensGardiens de Numenlaur, Amras Gaeleval, avait apparemment perdu la raison et réduit tous lesNumenlauriens enesclavageen leur jetantunPuissant envoûtement. Il leur avait ordonnéd’attaquer ledomaineelfiquequisetrouvaitàlasortiedeCharleston.

Gaeleval avait rusé pour s’introduire dansLirithriel, puis avait essayé d’ensorceler également lesElfesquis’y trouvaientpour lessoumettreàsavolonté. Iln’avaitpas réussiàasservir tout lemonde,mais il avait poussé les Elfes qu’il avait charmés à assaillir leurs congénères. Des amis s’étaiententretuésetdesfamillesentièresavaientétédécimées.GaelevalavaitmislefeuàlaForêtdeLirithrielettuésonâmeententantd’attirerCalondir,leseigneursuprême,ettouslesElfesqu’iln’avaitpasréussiàavoir sous son emprise jusqu’au point de passage menant à leur Autre Contrée et de le leur fairetraverser.Ilsauraientalorsétéanéantisparl’arméedeGaelevalsiDragos,PiaetlesWyrsn’étaientpasintervenus.

Pourlapremièrefoisdepuisdesdizainesd’années,DragosenpersonneavaitmobilisélesWyrsenvuedelaguerre.Aucoursd’unaffrontementdansl’AutreContréeelfique,DragosavaittuéGaelevalet

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rompu l’envoûtement. Pendant la bataille, Calondir, le seigneur suprême du domaine des Elfes àCharleston,avaitégalementperdulavie.Etaveclui,aumoinsuntiersdesNumenlauriens.

Un nombre important des survivants se trouvaient toujours dans un état catatonique. D’autres nes’étaient pas remis. Ils étaient léthargiques, distants et n’avaient pas d’appétit ; nombre d’entre euxsouffraientdemalnutritionetd’unemultitudedeproblèmescausésparlesprivationsetl’absenced’abriapproprié.

LesElfesdeLirithriel capturésparGaeleval et qui avaient survécu s’en étaientmieux sortis dansl’ensembleque lesNumenlauriens.Leurensorcellementn’avaitduréquepeude tempset ilsétaientenmeilleuresantéetplusrésistants.Toutefois,ilsétaientnombreuxàpeinerpoursereconnecteraveclavie.Quelques-uns,incapablesdefairefaceàlapertedetantd’amisetdeproches,s’étaientsuicidés.

Quentinavaitluiaussiperdudesamisetdesproches.Calondir,leseigneursuprêmelui-même,étaitson oncle par alliance. Le tribunal des Anciens avait déployé à Lirithriel une présence chargée demaintenir la paix, installant une véritable petite cité de baraquements faisant office d’hôpitaux decampagne,etl’assistancecontinuaitàaffluerdansledomainedesElfes.Ilsavaientdevanteuxunelonguerouteardueverslasurvie.

Dragosavaitcontinuéàparler.—D’aprèscequejesais,Numenlauresttoujoursàl’abandon.Ilm’estvenuàl’espritqued’autres

personnesétaientsusceptiblesd’enavoirconnaissanceets’intéressaientpeut-êtreàcequ’ilspourraientytrouver.Jeveuxquevousyallieztouslesdeuxetfassiezlepointsurlasituation.

Quentinsepassaunemainsurlevisageenregardantparlafenêtre.Ilduts’éclaircirlavoixavantdepouvoirparler.

—Sic’estuneespèced’ordrevoilédeselivreraupillage,fit-ilàvoixbasseetd’untonsauvage,jen’yprendraipaspart.

Sur le verre de la baie vitrée, il observa le reflet flou de Dragos se tourner vers lui. Après unmoment,Dragosrepritd’untonmesuré:

—S’ilme venait l’envie de piller des trésors elfiques, je n’enverrais pas des tiers s’en charger,j’iraismoi-même.Cequejeveux,c’estempêcherd’autrespersonnesdeselivreraupillage.Inspectezleterritoire.Neutraliseztouteslesmenaceséventuelles.Siquelqu’uns’estintroduitsanspermission,virez-le.D’aprèscequej’aipucomprendre,Numenlaurcompteseulementunpointdepassageet ilmèneenEurope centrale. Sécurisez-le si nécessaire. Si vous ne vous êtes pas entretués une fois ces objectifsremplis,revenezmefairevotrerapport.

ParmitouteslesmissionsqueDragosauraitpuchoisir,c’enétaitunedontQuentinvoulaitréellementsecharger.

—Est-cequevousavezcontactéFerionàcesujet?demanda-t-ild’untonlégèrementpluscalme.— Non, je ne l’ai pas fait. (Une pointe d’agacement s’était glissée dans sa voix.) Numenlaur

n’appartientpasàFerion.Etpuisilestdépasséencemoment.Quentinétaitassezd’accord,àvraidire.SoncousinFerionétaitunhommedequalitéetseraitunjour

un seigneur suprêmecompétent,mais tropde choses s’étaient passées et lespertes et lesdégâts subisétaientcatastrophiques.

—Desquestions?demandaDragosaprèsunmomentdesilence.Quentinseretournapourluifairefaceainsiqu’àAryal,maisgardalesilence.Laharpieavaitl’air

renfrogné,maisellen’ajoutariennonplus,secontentantdesecouerlatête.—Krisavosbilletsd’avion,repritDragos.VousdécollezdeJFKetvotrevolpartbientôt.Vousavez

intérêtàvoustrouverdansl’avion.(Ilmarquaunepause.)Fermezlaporteensortant.

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Le regard deQuentin percuta celui d’Aryal. Ses yeuxgris ombrageux lui promettaient tout sauf lapaix.Ehbien,qu’ilensoitainsi.Illuirenvoyacettepromesseenluidécochantunsourirepincé.

Ilpourraits’avérerplusdifficiledemanigancerunaccidentmorteldansunlieuquiétaitdevenuunterritoirequasimentfantôme,maiscelan’étaitpasimpossiblepourautant.

Etilétaitunspécialistedansl’artdebrouillerlespistes.Quelesjeuxcommencent.

Kris,l’assistantdeDragos,lesattendaitdevantlaportedubureau,lesbilletsd’avionàlamain.Le

jeune homme aux cheveux bruns tendit une enveloppe àAryal et l’autre àQuentin. Aryal en sortit lecontenud’ungestebrusqueetbalayalesdocumentsduregard.Elleécarquillalesyeux.

—Tuasréservéenclasseéconomique?Krishaussalesépaules.—C’étaientlesseulesplacesdisponiblespourPragueavecsipeudepréavis.Dragosm’ademandé

deréserverdanslepremiervolpossibleetc’estcequej’aifait.Pendantcetemps,lejetdel’entrepriserestegarédanslehangar.Vousn’avezvraimentpaslacote.(Il leurjetaunregardenbiais.)Heu,justepourvousdire,jesuiscensévérifierquevousembarquezbientouslesdeux.Unevoiturevousattendenbas.

— Bordel, non. (Les épaules d’Aryal se contractèrent comme elle dévisageait une dernière foisQuentin.)Personnen’apréciséquenousdevionsnousrendreàl’aéroportensemble.Jevousyretrouve.

Quentinlaregardapartir,puissetournaversKris,quis’étaitremisdevantsonordinateur.—Çat’arrivedeprendredesvacances?demanda-t-ilàl’autrehomme.Krishaussalesépaules,lesyeuxrivéssurl’écran.—C’estça,mesvacances.Quentinsecoualatête.Fallaitcroirequ’ilyavaittoutessortesdecinglés.Ilvérifialecontenudeson

enveloppe.MisàpartlesdocumentsdontilauraitbesoinenarrivantenRépubliquetchèque,ilyavaitlacopied’unbilletd’avionélectronique. Ilvit l’heureduvolet soupira.Pasétonnantqu’unevoiture lesattendeenbas.Ilavaiteutellementàfairetoutelajournée,d’abordens’occupantdesesobligationsdesentinelle,puisenserendantchezunguérisseuretenfinenréglantquelquestrucsauElfie’s,qu’iln’avaitpaseule tempsdepasservoirPiaet lebébéaupenthouse.Ilavaitespéré luiparleravantsondépart,maisilétaittroptard.

IlfitunsignedetêteàKris,sortitetpritl’ascenseurpourserendredanslehall.IlappelaPiasursonmobile,maistombadirectementsursamessagerie,cequivoulaitdirequ’elleavaitéteintsontéléphone.Était-ceunecoïncidenceouétait-cedélibéré?

Aprèsavoirentendul’annoncepréenregistrée,ildit:—Jesuissûrquetudoissavoircequis’estpassécematin.Jevoulaisvousvoiravantdepartir,toi

etLiam,maisjen’aiplusletemps.Pia,écoute,je…jesuisdésolé.(Désolépourtout.Plusdésoléquetunepeux l’imaginer. Il ravala lesmots, la culpabilitépesant lourdementdans soncœur.) Jevoulaisjustetedirequeçanesereproduirajamaisplus.Jetelepromets.

Aprèsavoirraccroché,ilessayad’appelerFerion,maislàencore,l’appelbasculadirectementsurlamessagerie.Lenouveauseigneursuprême,submergédetravail,nerépondaitplusjamaisautéléphone.

Cettefois-ci,aulieudelaisserunmessagevocal,QuentinraccrochaetluienvoyaunSMS,sesdoigtspianotantrapidementsurlepetitécran.

M’envolepourPraguecetaprès-midi.Appelleraiàmonarrivée.Ilhésitauninstant,surlepointd’ajouterautrechose.MaisNumenlaurétaitunsujettropdouloureux

pourêtreabordéparSMS.Ilappuyasurlatouche«envoyer»,éteignitsoniPhoneetlefourradanssa

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poche.Quandlesportesdel’ascenseurs’ouvrirent,iltraversarapidementlehallaniméetsortit.Lajournéeavaitétéglacialedèslematinetellefinissaitgriseetmaussade,maislamorsuredufroid

luifitdubien.UneCadillac Escalade noire tournait au ralenti devant la tour. Fendant la foule de piétons qui se

pressaientsurletrottoiràcetteheuredepointe,ilouvritlaportièrecôtépassager.LesQuatreSaisonsdeVivaldis’échappèrentdel’intérieur.Ilregardadanslavoiture.

AlexanderElysiasétaitauvolantet seprélassait sur sonsiège.En tantquechevalailé, ilavait laparticularitéd’êtreleseulherbivoreparmilesseptsentinelles.Touteslesautresétaientdesprédateurs.Ladifférences’enressentaitdanssapersonnalité.Ilétaitdeloinlepluségald’humeuretlepluspatientdetoutlegroupe.

UnWyrprédateurtendaitsouventàéprouveruncertaindédainpourlesWyrsherbivores.Toutefois,ce travers n’était pas à déplorer parmi les sentinelles.Elles avaient non seulement toutes constaté lescompétencesd’Alexenmatièredecombat,maiségalementcomprisquesontempéramentfacileallaitdepairavecunepersonnalitéaffirmée,constante,uneviveintelligenceetunesortededignitéinnéequiavaitledondecalmerlespluscaractériellesetlespluscaustiquesdessentinelles.

L’expressionsur lebeauvisageacajousombred’Alexétaitpensive.Elle semuaenunchaleureuxsouriredèsqu’ilaperçutQuentin.Cederniersentitlenœuddetensionentresesépaulescommenceràserelâcher et il rendit à son comparse un sourire vaguement amusé comme il se glissait sur le siège dupassager.

Participer ensemble aux Jeux des sentinelles les avait rapprochés en quelque sorte. Parmi touslesrésidentsdelatour,Quentinn’avaitquedeuxamis:PiaetAlex.

—Salut,dit-il.Tueslapremièrechosepositivedecettemauditejournée.— J’imagine. Pour l’instant, j’ai entendu une cinquantaine de versions différentes de ce qui s’est

passécematin.(Iltournalatêteetsepenchapouressayerderegarder,au-delàdeQuentin,letrottoiroùsepressaientlespiétons.)OùestAryal?

—Elleadécidéd’alleràl’aéroportparsespropresmoyens.(Quentinclaqualaportière,posasonsacentresespieds,mitsaceinturedesécuritéetsecarradanssonsiège.)Elledoitvoler,c’estsûr.

—S’ilfaisaitunpeumoinsfroid,jet’auraisbienproposédememétamorphoseretdet’yconduiremoiaussiparlavoiedesairs,ditAlex.C’estsouventunbonmoyend’éviterlesembouteillages,maisparcetemps,tutegèleraislesroubignoles.

UnsourirerelevalescoinsdelabouchedeQuentin.—C’esttouchantquetutesouciesdemesroubignoles.Vraiment.Alexéclataderiretoutendémarrant.—Enréalité,jevoulaissurtoutéviterquetumehurlesdanslesoreillescommeunefillettependant

toutlevoyage.(Iljetauncoupd’œilàQuentin.Lesyeuxfoncésd’Alexétaientintelligentsetcalmes.)Tuveuxenparler?

Quentinpoussaunsoupirensefrottantlanuque,puisilreconnutlavérité.—Dragosnousabannisetnousl’avonsmérité.Noussommescensésréglernosdifférendsailleurs.Il

nousenvoieàNumenlaur.Toutetraced’humours’effaçadestraitsd’Alex.—Numenlaur.Purée,çavapasêtreunesinécure.—M’enparlepas.(Ils’entenditajouter:)Malgrétout,jesuis…contentqu’ilaiteul’idéed’envoyer

quelqu’unvoirunpeudequoiilretourne.—Attention, camarade. Encore un peu et tu risquerais de reconnaître queDragos n’est pas aussi

affreuxquetulepensais.

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—Jen’iraispasaussiloin,répliquatoutdesuiteQuentin.Unsouriresedessinadenouveausurlestraitsd’Alex.—Biensûrquenon.Quentinjetaunregardnoiràlacirculationintense,lesvoituresétaientpare-chocscontrepare-chocs.—Jenel’aimeraijamais.C’estunfait.Ilestarrogant,exigeant,ilauncaractèredechienetjesuis

persuadéquec’estpourluiqu’onainventéleterme«calculateur».—Allez,dis-moicequetupensesvraimentdelui,ditAlex.Netecensurepassurtout.Quentinrefusadesourire.—Encequimeconcerne,ilfaitseulementdeuxchosescorrectement.IlrendPiaheureuseetilaime

Liam.Bon,troischosespeut-être.J’ailongtempscruquelesystèmeféodaldelahiérarchiewyr,c’étaitdupipeau,mais…çamarche.

Alexconduisaitviteetbien,sefaufilantentrelesvéhiculespluslents.—Etn’oubliepasque tuétais égalementcontentqu’ilbatte le rappelpourque lesWyrsaillent à

Lirithriel.—Oui,d’accord,maisjemetsendoutesesintentions,grondaQuentin.Ilapufairecequ’ilfallait,

maispaspourlesbonnesraisons.—Tun’ensaisrien,ripostaAlex.Moi,jesuisplutôtdugenreàjugersurlesactes.Dragosafaitce

quiétaitjuste.Pointbarre.C’estcequicompte.Tupeuxavoirtouteslesraisonsvalablesdumonde,ellesneveulentriendire,monami,sicequetufaiscausedumal.

Alexnesavaitriendel’implicationdeQuentindanslesévénementsdel’annéepassée.Lechevalailés’étaitexpriméavecsasérénitéhabituelle,maislesmotsfirentàQuentinl’effetd’uncoupdepoingenpleinventre.

—Certes,répliqua-t-ilsombrement.Ils arrivèrent assez vite à l’aéroport en dépit de la circulation. Si Quentin avait été un passager

«normal»,ilauraittoutefoiseudumalàattrapersonvol.Maissapositiondesentinelleluipermettaitdepasserlasécuritésansdevoirattendre.

Alexs’arrêtalelongdutrottoiroùlespassagerspouvaientêtredéposésetluidonnauneclaquesurl’épaule.

—Bonvoyage.Etmêmesielleterenddingue,nevousentretuezpas.Vousn’êtespasdessentinellespourrien,tusais,etonabesoindevous.

Quentinserrabrièvementl’épauledesoncompagnon.—Nousnenousconnaissonsquedepuisquelquesmois,maisjetedoisdéjàpasmaldecoupspour

touteslesfoisoùtum’ascalmé.Alex haussa les sourcils avec le sourire enchanteur qui avait déjà charmé tellement de femmes et

devenaitcélèbredansledomainewyr.—Çatombebienquetusoislepropriétaired’unbar,hein?Ilrit.—Fautcroire.Àplus.Unehôtessedel’airrefermalaportederrièreluiunefoisqu’ileutembarqué.Levisaged’uneautre

s’éclairaenlevoyant.—Jevaisvousescorterjusqu’àvotresiège,ronronna-t-elle.Oh, pour l’amour du ciel, non, pas encore uneminette sexy.À une époque, il aurait tiré parti de

l’invitationcontenuedanssavoix,maisdesminettesavenantesquiaimaientfaireducharme, iln’avaitqu’àtournerlatêtepourenvoir,ellesétaientpartoutetellesavaienttoutestellementdebesoinsaffectifs.

—Celaira,merci,luidit-il.Vousêtesoccupée.

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Ladéceptionselutsurlestraitsdelajeunefemmecommeilluitournaitledos,maisc’étaitmieuxainsi.Ellenel’intéressaitpasetiln’avaitrienàluioffrir.Ensedirigeantverssonsiège,ilcherchaAryaldesyeux.LevoldeJFKjusqu’àPragueduraitneufheures.Avecunpeudechance,ilsseraientinstallésàl’opposél’undel’autre.

Mais sa fichuechance l’avait fui toute la journée. Il flairaAryalavantmêmede lavoir.Elleétaitaffaléesursonsiège,àmâcherunchewing-gumenfeuilletantunmagazine.Onvoyaitqu’elleétaitvenueen volant. Ses cheveux étaient emmêlés, bien sûr, et un ton vif brûlait de nouveau sous son teintnormalementpâle.Onauraitditqu’uneflammel’éclairaitdel’intérieur.Sonodeurféminineportaitunefraîcheurpropreettonifiantecommesielleavaitemportéunpeudeceventsauvagedemarsavecelle.

Lesiègeàcôtéd’elleétaitinoccupé.C’étaitceluideQuentin.Commedebienentendu.Il balaya du regard la carlingue qui était bondée. Lamajorité des passagers étaient des humains,

mêmes’ilvitdespersonnesappartenantàplusieursespècesd’Ancienséparpilléesunpeupartout.Aucunsigned’autresWyrstoutefois.Iln’yavaitpasunsiègedelibreenvue.

Commedebienentendu.Il baissa les yeux sur la personne assise dans le siège côté couloir. Un adolescent de treize ans

environétaitpenchésurunjeuvidéo.—Salut,luiditQuentin.Legarçongrommelaquelquechosesansleverlatête.—Jetedonnecentdollarssijepeuxavoirlecouloir,ajoutaQuentin.Laproposition lui fit relever la tête. Ilouvrit laboucheaumomentoùunefemmeassisede l’autre

côtéducouloirs’exclamaitd’untonsec:—Certainementpas.Robert,ignorecethomme.N’acceptejamaisd’argentd’uninconnu.—Maismaman,objectal’adolescentenlevantlesyeuxsurQuentin.C’estcentdollarsetc’estjuste

uncouloir.—Viensici!Changedeplaceavecmoi.Quentinsepinçal’arêtedunezenregardantlegarçonselever.Avecrésignation,ilmitsonsacdans

l’undesespacesderangementsituésau-dessusdessièges,retirasonblousonet leglissasouslesiègedevantlui,puisseglissaàsaplace,aumilieu,bouclasaceinturedesécurité,etcroisalesbras.

Il faisaitprèsd’unmètrequatre-vingt-cinq.Aryal faisait seulementquelquescentimètresdemoins.L’unàcôtédel’autre,ilsétaientserréscommedessardines.Leursbras,leurshanches,etleurscuissessetouchaient. La chaleur et l’énergie de la harpie l’inondèrent, intenses comme une vodka sortie ducongélateuretbrûlantescommeunwhiskychaudetépicé.

—Avantquetumedisesunmot,ferme-la,marmonna-t-elle.Sijedoisteregarder,jevaistebalanceruncoupdepoing.

Iln’attendaitqueça.L’adrénalinesaturasonsystème.Ilétaitprêtetimpatientdesebattreavecelle,maiscen’étaitpasvraimentlelieuappropriépourcela.S’ilscommençaientàendécoudreici,ilsétaientcapablesdepulvériseruncôtéde l’avionetdeprécipiter tout le restedespassagersaveceuxdans levide.

Sursadroite,lamèredel’adolescents’assitensoufflantetlefusilladuregard.—Cen’étaitquecentdollars.Pourlesiègecôtécouloir.—N’adressezplusjamaislaparoleàmongarçon,luiditmaman.DouxJésus.Illaissasatêtelourdementretombercontrelesiège.Ilallaitdevoirpasserneufheures

ainsi,bordeldemerde.Cefichuzincétaitunevéritablecocotte-minute.

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Quelquechoseallaitexplosertôtoutard.S’iln’yavaitpasbientôtderépit,ilavaitlesentimentquecelapourraitbienêtrelui.

Les hôtesses et les stewards firent leur petit topo sur les consignes de sécurité tandis que l’avionroulait vers la piste de décollage, puis accélérait et s’arrachait du sol en poussant un rugissementmécanique.LamamanacariâtresursadroiteétaitabsorbéedansunSudoku.Sursagauche,Aryal finitde feuilleter sonmagazine et le laissa retomber sur ses genoux. Il y jeta un regard en coin.Elle avaittrouvéletempsd’acheterlederniernumérodeRollingStone.

Elleadoptalamêmepositionquelui,croisantlesbrasetcollantlescoudesàsoncorps,toutensepenchantafindes’éloignerlepluspossibledelui.Ellesepressacontrelaparoidel’avionenobservantparlehublotd’unairfuribond.

Elleleuravaitfaitgagnerquelquescentimètresd’espace,certes,maissonpetitmanègeirritaQuentinencoredavantage.Bonsang,ellemanquaitvraiment,maisvraimentdetact.Sonlangagecorporelhurlaitqu’elleseraitcapabledefairetoutetn’importequoipours’éloignerdelui–enfinn’importequoi,saufdébarquer.

De toute façon, elle pouvait se presser contre le hublot autant qu’elle voulait, les sièges étaienttellementminusculesqueleurscuissescontinuaientàsetoucher.Ilbaissalesyeuxsurleslonguesjambesdelajeunefemme.Elleavaitunemorphologieetunemusculatureplusdéliéesquelessiennes,plusfines,indéniablementfémininestoutenétantpuissantesetathlétiques.

Ill’avaitobservéecombattreaucoursdesJeux.Évidemment.Commelaplupartdesconcurrents,ilavaitenregistréchaquemancheafindelesrevoiretd’analyserlespointsfortsetlespointsfaiblesdetouslesparticipants.Ilavaitvisionnéetscrutélescombatsd’Aryaldemultiplesfois.Ilétaittoutsimplementavisé,futémême,d’étudiersonennemienvuededécouvrirsesfaiblesses.

Pendant les Jeux, les concurrents avaient leur propre box. Une fois qu’ils avaient suffisammentavancé dans la compétition et que le nombre d’adversaires encore en lice s’était réduit, les nouveauxprétendantss’étaientmêlésauxcinqsentinelles,sejaugeant,échangeantdesregardsappuyés,etaussidessouriresamicaux.Lorsqu’iln’étaitpasdansl’arène,Quentinn’avaitpasquittésonbox.

Aryal s’était battue avec puissance et assurance. Quand elle frappait, elle était vive comme unserpent,etlaseulefoisoùelleavaitchoisideprendresaformewyr,elles’étaitjoyeusementdéchaînéecommeuneminitornade.

C’était une vision si magnifique que Quentin s’était involontairement levé avec le reste desspectateurs.Elle riait encombattant,uneexpression sauvage sur la face, ses serresétincelantdans leslumièrescrues,elleatteignitsonacmé.

Ellen’avaitpasperduuneseulefoislecontrôledupositionnementdesesimmensesailesquiétaientuneétudedegrisallantjusqu’aunoir.Etlorsquesonadversaire,unourspolairemassifdeplusdecinqcentskilos,avaitplongéversellepourlapercuter,elleavaitbondieteffectuéunerouedanslesairs.Aumomentoùelleétaitpasséeau-dessusdelui,elles’étaitbaisséedemanièrepresquenonchalante,l’unedesesserrestendues,etl’avaitgriffétoutlelongdesondosmuscléparjeu.

C’était un geste ouvertement gratuit, mais exécuté avec une telle précision, et le sourire d’Aryalirradiait une telle gaieté féroce que Quentin s’était retrouvé à l’acclamer avec tous les autres. À cetinstant, toute l’acrimonie et le ressentiment qu’il éprouvait à son égard s’étaient temporairementsuspendusdevantcetteperformancesublimeaccomplieavecautantderelâchement.Ducommencementàlafin,elleavaitdominélecombat.

Quandelleavaitmisautapissonadversairepourladernièrefois,Grym,quiétaitappuyécontrelabalustradeduboxquijouxtaitceluideQuentin,s’étaitredresséenlevantlepoingetenrugissant:

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— T’es la meilleure ! La jubilation de la sentinelle avait rompu le charme pour Quentin. S’ensouvenant,ilserenfrogna,puistentadechangerdepositionleplusdiscrètementpossibledansl’espoird’êtreplusàl’aise.Ilsentitlecorpsd’Aryalseraidir.Quandillaregarda,ilconstataqu’ellel’observaitducoindel’œil.

Sans qu’il le veuille, les mots d’Alex s’insinuèrent dans ses pensées. « Vous n’êtes pas dessentinellespourrien,tusais,onabesoindevous.»

Mauditsoitcechevalailé.Quentin était né tueur. Il avait les instincts d’un prédateur. Pourtant, il n’avait jamais tué sans

discernement. Son impulsion d’étranglerAryal était une chose,mais sa volonté calme et réfléchie del’assassinerenétaituneautre.C’étaittropbarré,mêmepoursamoraleplutôtdouteuse.

«Tupeuxavoirtouteslesraisonsvalablesdumonde,ellesneveulentriendire,monami,sicequetufaiscausedumal.»

Il se déplaça de nouveau tandis que sa conscience capricieuse le tourmentait. Il pensait avoir desraisonsvalablesl’annéeprécédenteetiln’avaitfaitquedumalenfindecompte.Cettefois-ci,punaise,iln’avaitmêmepasderaisonsvalables.Ellelerendaitdingue,c’étaittout.

Ellemaugréaàvoixtellementbassequ’ilfutleseulàpouvoirl’entendre:—Arrêtederemuer.Dansungestevif,ils’emparadumagazinequ’elleavaitsurlesgenouxavantqu’ellepuisseréagir.

Un mouvement convulsif saisit son corps lorsqu’elle hésita à le lui arracher des mains, avant definalementseretenir.Illefeuilletasansvraimentleliretandisqu’ellelefusillaitduregard.Sursadroite,mamanrangeasonlivretdeSudoku,sortitd’unsacentoileunoreillercirculaireenmoussedestinéauxtrajetsenavionetleglissaautourdesoncou,puissecarradanssonsiègepourpiquerunpetitroupillon.

Ilétaitsaturéparl’odeurd’Aryal,noyédanssaprésence,etiln’yavaitaucuneéchappatoirepossiblependantencorehuitheuresetdemie.Dieumerci,sonvolavaitdissipéceteffluved’excitationsexuellequil’irritaittant.Sincèrement,ilnevoyaitpascequ’elleetGrymsetrouvaient.Ilsn’étaientpasdutoutassortis.

—Celavaêtreunmoisdrôlementlongpourtoi,n’est-cepas?marmonna-t-il.—Ohqueoui,s’exclama-t-elled’unairtotalementsincère.Toutenellel’agaçait.Incapabledeseretenir,ildit:—Jecomprendspas,pourtoietGrym.Vousn’alleztellementpasensemble.Ilal’airtellementsain

d’esprit,normalquoi.Pendantunmoment,unpetitsourireamuséflottasurseslèvres.—C’estparcequetuesunnigaud.Ilcontemplasabouche.Lacolèrequicouvaitdepuislematindevaitsortird’unemanièreoud’une

autre.Ilpoursuivitpartélépathie:—Alors,qu’est-cequetuasvucematin,quandtum’asespionnéàlafenêtredemachambre?Ellehaussavivementlessourcils,etsonamusementsevolatilisa.—C’estcequit’amishorsdetoicematin,c’estça?Ilsetournapourlaregarderdroitdanslesyeux,sonexpressionbrûlantdecolère.—Qu’est-cequetuasvu?Quelquechosedecomplexepassa sur ses traitsanguleux.Cequi l’étonna. Ilne laconsidéraitpas

commequelqu’undecomplexe.Etpuisillesentitdenouveau,ceteffluved’excitationsexuelleémanantd’elle. Il l’enveloppait, remplissant ses poumons alors queQuentin inspirait profondémentmalgré lui.Indésirable.Etpourtantdélicieux.Unmusclesecontractadanslamâchoireétroitedelaharpieetelleeutl’airfurieux.

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Ilcompritsoudainetritensourdine,aveccolère.—Cen’estpastoietGrymdutout,c’estça?Cesontlesmeufsquetukiffes?Une fois qu’il eut prononcé ces paroles, il n’arrivaplus à oublier la visionqui lui vint aussitôt à

l’esprit.Aryal,penchée suruneautre femme,menuepeut-être comme laprostituéebrune, l’unede seslonguesmainsfinesenveloppantunseinpendantqu’elless’embrassaient.

La fureurque son imaginationdébridéeéveilla en luibatailla avec sa réactionphysiologique.Sonmembreindisciplinécommençaàdurcir.

Leregardd’Aryallançadeséclairs.—Jemesuisfaitquelquesnanas,icietlà,dit-elledoucemententresesdents.Ellessontdélicieuses.

Ellesmefontpenseràdeshors-d’œuvrerosesetmoelleux.Çateposeunproblème,connard?MERDE.Lechocdesesmotsluifitl’effetd’uncoupdepoingdansl’estomacetunenouvelleimage

s’imprimadanssatête.Aryal,accroupieentrelescuissesd’unefemme,satêtebrunelovéeàl’oréedesonintimité.

Sonsexeenémoiseraidit.Toutsoncorpssecrispa,serebellantcontrelaréactionphysiquetandisquesapropreodeuremplissaitl’air.Leridiculedelasituationneluiéchappaitpas.Ilsétaientassis,là,dangereusementpiégés,etsetrahissaientparl’odeurdeleursdésirstandisquelespassagersautourd’euxfaisaientlasiestesanssedouterderien.

C’estalorsquelacravacheinternequil’aiguillonnaitconstammentlepoussaàchuchoter:—Toietmoi.NousallonsnousexpliquerquandnousseronsàPrague.Aryalluidécochaunsourirequin’auguraitriendebon.—Tupeuxcompterlà-dessus.

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5

Aryal n’arrivait pas à dormir,mais faisait semblant, recroquevillée dans son coin, aussi loin quepossibledeQuentin,lesyeuxfermésetlevisagetournéverslehublotdontlestoreétaitbaissé.

Leuréchangel’avaitprofondémenttroublée.Pasleuréchangeverbal,non.Maisceluidephéromones.Qu’est-cequiavaitbienpuentraîner ladilatationdesprunellesbleuélectriquedeQuentinetcette

montéededésirquiavaitsoudainimprégnél’air?Était-cel’idéededeuxfillesensemble?Sic’étaitlecas,ilrejoignaitdesmillionsd’autresmecssurlaplanète.

Maisilavaitparucrispécontrelaréactiondesonproprecorps,commes’ilprotestaitdetoutessesforces. Il s’en voulait d’avoir été excité, etAryal n’avait pas l’impression qu’il était du genre à êtrecontrariéparlapenséededeuxfemmesfaisantl’amour.

Était-ilénervéparcequesoncorps–extraordinaire–avaittrahisondésir?Oui,celal’avaitpeut-êtremisenpétard.Celalamettaitenpétardelle-même,alors…Etilsnepouvaientallernullepartpours’éloignerl’undel’autre,àl’exceptiondestoilettes.

Aprèsleuréchange,Quentins’étaitlevéetavaitdisparu.Elleseditd’abordqu’ilavaitdûs’yrendre.Peut-êtrequ’ilavaitdécidédesoulager,c’étaitlecasde

le dire, sa tension.Elle l’imagina dans laminuscule cabine, se regardant dans lemiroir au-dessus dulavabo, son jeandéboutonné, tenant sonsexedressédanssamaincomme il l’avait fait lematinmêmedanssachambre.Ellesentitsoncorpssecontractertoutentier.

Bordel.Maissonimaginationnes’arrêtapaslà.Ohquenon.Elledutsemettredanslascène,elleaussi.Deboutjustederrièrelui,défaisantsonjean.Yplongeantlamainpourensortirsaqueue.Lapeauqui

enveloppaitsonmembreduretengorgéseraitdouceetchaudecommedelasoie,songlandhumide.Ilétaitmagnifique.Inutiledelenier.Oùseraientsesmainspendantqu’elleletoucheraitainsi?Queferait-il?Ellepensaauxmenottesglisséesauxpoignetsdelabruneetàlacourroiedecuirqu’illuiavaitdonné

à mordre. Il voudrait contrôler la situation. C’était ce genre de type. Mais pas question, c’était sonfantasmeàelle.Ellecontrôlaitleschoses.AussilesmainsdeQuentinétaient-ellestiréesau-dessusdesatêteetilétaitmenotté,attachéàunquelconquetuyau.

Il était furieux après elle parce qu’il était toujours furieux après elle et qu’elle n’arrivait pas àl’imaginerautrement.Etsavirilitéétaitaussidurequedubois.

Ellepouvaitluifairetoutcequ’ellevoulait.Ellemassalalourdeetépaisseœuvred’artdanssesmains,l’observantdanslemiroirpar-dessusson

épauletandisqueleslongsmusclesdesonabdomensecontractaient.S’ilavaitungoûtaussibonqu’il

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étaitbeau,ellepourraitserepaîtredeluipendantdesjours.Elle sentit sa respiration s’accélérer et serra les poings. Une partie d’elle était horrifiée par ce

qu’elleimaginait.Oh,paslapartiequicréaitlesfantasmessexuels.Non,lapartieQuentin.Ellechassacetableaudesespenséesets’employaàseconcentrersurautrechose,n’importequoi.

Quelquechosedemonstrueusementennuyeux.Ellesongeaàtoutelapaperasseriequis’empilaitsursonbureau.Elleavaitdéjàduretardetpartirpendantdeuxsemaines,voireunmois,n’allaitqu’empirer lasituation.Personnen’allaitrédigercescomptesrendusàsaplace.Ilsl’attendraienttousàsonretour.

Ellesedemandasiellepouvaitamadouerouforcerquelqu’un,faireduchantagemême,pourqu’ilssoientécritspendantsonabsence.Ellenetrouvapersonne.Quentinetellepartis,aucunedessentinellesquirestaientàNewYorkn’auraitletempsoul’enviedel’aider,surtoutaprèsleurpetitnumérodumatin.Cescomptesrendus,c’étaitledestinquilapunissait.

Sonouïefinecaptadesriresétouffésenprovenancedel’espacecuisineàl’arrièredel’appareil,nonloindelà.Deuxdecesriresétaientféminins,l’autreappartenaitindéniablementàQuentin.Ilnefaisaitriend’intéressantdanslestoilettes.Ilflirtaitavecleshôtessesdel’air.

Lesdernières tracesdesonexcitationsemuèrenten irritation.Ellehaussauneépaule,plusagacéeaprèselle-mêmequ’autrechose.Plus longtemps il leurferaitducharme,plus longtemps ilseraitparti.Qu’elleslegardent.

Quentin finit par revenir et se rassit.Aryal demeura immobile, les yeux fermés. Elle devina qu’ill’observait.Ellepouvaitpresquesentirsonregardposésurelle,etlapeaulelongdesajouelapicota.

Ilfitunmouvement,ellediscernaunlégercraquementdebottesencuiretl’effleurementdujean.Ellesavaitsansavoirbesoind’ouvrirlesyeuxqu’ilsepenchaitplusprèsd’elle.Ellepercevaitlachaleurdesoncorps.Sesmusclessecontractèrenttantelleavaitenviedeluimettresonpoingdanslafigure.

Recule.Recule.—Jesaisquetunedorspas,murmura-t-il.Sonsouffletièdeethumideléchasajoueenunecaresseinvisible.C’étaitintimeetsensuel.C’était

bon.Lecorpsd’Aryalétaitunpistoletetledésirdeviolencevibraitcommeundoigtsurlagâchette.Un

seulcoup.Unseulcoupbienplacédetoutessesforcesamocheraitvilainementsonvisagetraîtreetsexy.Maisceneseraitpasseulementuncoupbienplacé.Ceseraituneallumettejetéesurduboissecetil

yavaittropdepersonnesinnocentesetvulnérablesautourd’euxdansunespacebeaucouptropconfiné.Elleallaitdevoirattendre.

Ellesetintimmobilesansrespirer.Ilhésita,puiss’enfonçadanssonsiège.Lesheuress’écoulèrentensuitelentement,filantàjamaisdanslepassépar-dessuslesailesdel’avion,etilsn’échangèrentplusunmotpendanttoutlerestedecevolinterminable.

À8heuresdumatin,Pragueétait aussi sinistrequeNewYorkaumomentoù ils étaientpartis.Latempérature avoisinait zéro. Le ciel couvert était d’un gris morne strié d’une lumière pâle, et quandl’appareilentamasadescenteetsepréparaàatterrir,Aryalconstataqu’uneneigelégèrerecouvraitlestoitscouleurdeterrecuiteetleschampsentourésdehaiesépaissesetdemursdepierre.

Quitterl’avionfutunexercicepénible.Ilsétaientàbordd’unBoeing757etAryalestimalenombredepassagersàplusdedeuxcentcinquante.QuandletourdeQuentinarriva,ilseglissadanslecouloiretluifitsignedeleprécéder.

Ilsavaientbeauêtretoujoursentourésd’autresgens,elleneputserésoudreàluiprésentersondos.—C’estbon,dit-elle.Sors,jeterejoinsdansuneminute.

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L’observant d’un air quelque peuméfiant, il opina et s’avança dès que la file le lui permit. Elleattenditqu’ilyaitunedizainedepersonnesentreeuxavantdeseleveràsontour.

Ilssetinrentàdistancel’undel’autrepourpasserladouane.EntrersurleterritoiredelaRépubliquetchèqueétaitunprocessuspluslongetpluscompliquéquenel’avaitétéceluidequitterlesÉtats-Unis.Outre leurs passeports, ils durent fournir des documents attestant de leur statut de sentinelle, déclarerleursarmesetindiquerlaraisondeleurvoyage,soumettreleurssacsàuneinspectionméticuleuse,puisattendrequelesagentsdesdouanestchèquespassentdescoupsdefilafindevérifierindépendammentlemotifdeleurprésence.

Quandilseurentfini,Aryaln’étaitpasàprendreavecdespincettes.Elleétaitfatiguée,surlesnerfsetmourait de faim, et son poing droit continuait à la chatouiller, impatient de délivrer ce coup qu’iln’avaitpasencorepuassener.Ilnecessaitdeluidemander,cepoing:Quand?Quand?Ellenesavaitpas,sicen’étaitqu’ilfallaitquecesoithorsdel’aéroportetdepréférenceendehorsdePrague.

Si elle avait été en vacances, elle aurait apprécié de jouer les touristes, de visiter le château dePragueetlavieillevilleetdeboiredeschopesdebièretchèque,maisPraguen’étaitqu’uneétapedeleurvoyage.LepointdepassagequilesmèneraitàNumenlaursetrouvaitàdeuxheuresenvironenvoituredelaville,aucœurdeladenseForêtdeBohème.

Toute seule,Aryal aurait pu semétamorphoser et voler,mais elle n’était pas enmesure de porterquelqu’und’aussi grand et lourd queQuentin sur une longuedistance.Lesmains sur les hanches, elleétudiasonennemi.Ilavaitl’airaussifourbuetirritablequ’elle.

— Nous avons besoin d’un repas chaud et il faut louer une voiture, dit-elle brusquement. Nousdevrionsnousprocurerdesprovisionsetdumatérielaucasoùnousnepourrionspaschasserfacilement.Etàcetinstant,jesupporteàpeinedetevoir.

Quentinlatoisad’unairpeuamène.—Valouerunevoitureetmangerunmorceau.Jem’occupedesprovisionsetdumatériel.Jeconnais

unbonmagasindecampingetilyadessupermarchésunpeupartoutdansPrague.Noussommestouslesdeuxdesprédateurs, alors je saisque tuas, toi aussi,besoindebeaucoupdeprotéines.Retrouve-moidansdeuxheuresausud-ouestd’ici,aucroisementdesautoroutesE48etE50.IlfaudraprendrelaE50pendantlapremièremoitiédutrajetjusqu’àlaForêt.

Ellepenchalatête.—Tuesdéjàvenuici.—J’aifaitdutourismedanstoutel’Europe,dit-ilsanss’étendre.—Bien,répliqua-t-elle,soulagéequ’ilaittrouvéunesolutionquiluipermettraitdenepasl’avoirsur

ledospendantunmoment.(Aprèstout, travaillerenpartenariatnevoulaitpasdirequ’ilsdevaientêtresansarrêtcollésl’unàl’autre.)Deuxheures.

Ilpointaundoigtverselle.—Ensuite,ondiscute.Ohqueoui.Sonpoingétaitprêtpourcetteconversation.Elleluidécochaunpetitsourire,luifitun

brasd’honneurets’éloignaàgrandspas.Aprèsavoirjetéuncoupd’œilàl’aéroport,ellechangeadesdollars pour des couronnes tchèques, lamonnaie nationale, vu que le pays n’était pas encore passé àl’euro. Elle loua ensuite une Peugeot 207Affaire chezEuropcar. Elle acheta une carte au passage et,après l’avoirconsultée,montadans lavoitureetnaviguadans lesétroites rueseuropéennes jusqu’àcequ’elleaittrouvélecarrefourdontavaitparléQuentin.

Elle resta dans les petites rues de la ville et flâna un moment afin d’étudier le coin. Une zoneindustrielle s’étendait près du croisement des autoroutes. Nombre d’entrepôts étaient condamnés et

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manifestementnégligésdepuis longtemps.La journéegriseet laneigeàmoitié fonduen’aidaientpasàembellirlepaysage.Toutelascèneparaissaitlugubreetdésolée,ettotalementdéserte.

Plongéedanssespensées,ellesemitenquêted’unrestaurant.Ilétaitalorspresque11heuresdumatin,heurelocale.Elledécouvritunvieuxpubunpeulouchedont

les tableset lesbancsétaientenboissombreetusé.L’établissementvenaitd’ouvrirpour la journéeetelle commanda un énorme repas composé d’une double portion de porc, de pommes de terre et deboulettes de pain, et de chou bouilli. Elle fit descendre le tout avec une bière locale. En tant queprédatriceetgrandWyroiseau,elleavaitbesoindebeaucoupdecaloriesetellemangeacommequinze.Lesplatschaudslaremontèrentetaiguisèrentsaréflexion.

Ellecommandaensuitetroispâtisseriesappeléeskolácequirappelaientdesbeignets,sousleregardfascinédelaserveusetaciturne.Quandelleeutfinidemanger,ellepritunesecondebièreetlasirotaenla tenant entre ses mains, regardant par une fenêtre sale tout en réfléchissant à la « conversation »imminenteavecQuentin.

Commentétait-ellecensées’entendreaveclui,nomd’unchien?Ellen’enavaitpaslamoindreidée.S’ilsessayaientdecreverl’abcès,ilsrisquaientdefinirparsetrucider.Sielleencaissaitetessayaitdefairesemblant–oui,bon,elleétaitnullelorsqu’ils’agissaitdefairesemblantetdedissimulercequ’elleressentait.Mieuxvalaitsimplementessayerdecreverl’abcès.

Cequimenaitaufaitdetuer.Enelle-même,l’idéeneluiposaitaucunproblème,saufqu’ellen’avaitprécisément pas le droit de tuer Quentin. Il fallait qu’elle trouve un moyen de maquiller sa mort enmalheureuxaccident.Repoussantsabièresurlecôté,ellesefrappalatêtesurlatable.Argh,Dragos!Commenttoutcelaavait-ilpudevenirsicompliqué?

Enréalité,sonplanauraitpuluidonnerdesremords,saufqu’ellesavaitqueQuentinétaituncriminelendurci, un typedangereux enqui onne pouvait pas avoir confiance.Se débarrasser de lui serait unebonnechosepourtoutlemonde.

Unevoixdouces’adressaàelle.—Mademoiselle,vousavoirtropmangé?Vousavoirpeut-êtrebesoind’unpeudefloc floc,pcht,

pcht?Elle leva la tête et cligna les yeux pour regarder sa serveuse bien attentionnée, une femme d’âge

moyendontlevisageavenantfaisaitpenseràunepomme.—Çava,jesuisexaspérée,c’esttout.—Oh,pardon,ditlafemmed’unaircontrit.Pascomprendre«aichsaspairai».Àl’instardelaplupartdesanciensWyrs,Aryalconnaissaitplusieurslangues,maispasletchèque.

Ellemontrasesassiettesvidesdudoigt.—Bondéjeuner.Lafemmesouritetfitunsignedetête.—Bon!Une fois qu’Aryal eut payé pour son repas, elle consulta son iPhone rapidement. Les frais

d’itinérance de données à partir de l’Europe étaient astronomiques, jusqu’à deux euros parminute ouplus,maisacheterdestéléphonessurplacedansl’éventualitéoùquelqu’undeNewYorkauraitbesoindelescontactern’étaitpasrentable.Etpuis,detoutefaçon,ilssedirigeraientbientôtversunezoneoùlestéléphonesmobilesnemarcheraientpas.

Elle trouva lenumérodeQuentinet lui envoyaunSMS luidonnant l’adressedupub.Puis elle secarradanssonsiège,regardaparlafenêtresaleetattendit.

Dixminutesplustard,untaxis’arrêtaitdevantlepub.Quentinendescendit,mouvantsonlongcorpssoupleaveccettegrâcequin’appartenaitqu’à lui.Même lesgriffons,avec leurcorpsde lion lourdet

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musclé mêlé à celui d’un aigle, n’avaient pas une démarche aussi élégante. Quentin avait une alluresoupleetracée.IlfaisaitpenseràuneFerrariauxlignesprofiléesquiseraitentouréede4×4massifs.

Lalumièreâpreetgrisesoulignait l’ossaturedesonvisageetsonexpressiondureetfermée.Deuxarcs saillants sculptaient ses pommettes. Ses cheveux courts blond cendré et ses yeux bleu d’aciertranchaientavecledécorincolore.

Lecœurd’Aryalsemitàbattreàgrandscoups.Elleselevaetsortitdupub.Le regardmaussadedeQuentinet le sien s’entrechoquèrentet elleenéprouva laviolenceauplus

profond d’elle-même.Elle indiqua la voiture de location dumenton et il fit un petit signe de tête. Lechauffeurdetaxis’étaitgarélelongdutrottoiretétaitsortipourouvrirlecoffredesonvéhicule.AryaldéverrouillaceluidelaPeugeotetsemitenretraitpendantquelesdeuxhommeschargeaientlavoiture.

Commeill’avaitpromis,Quentinsavaitprécisémentoùfairesescourses,carilavaitnonseulementachetédelanourriture,maisaussidumatérieldecampingdebase.Despaquetscontenantdeuxpetitestentesendôme,desbâchesetdessacsdecouchage,etd’autresaccessoiresfurentplacéssurlessiègesarrière.Ellecrutvoirlegoulotd’unebouteilled’alcooldépasserdel’undessacs.Ilavaitétérapideetefficace.

Aprèsavoirpayélechauffeur,QuentinseretournaversAryalettenditlamain.—Jeconnaislechemin.Jevaisconduire.Voilà,çarecommençait,samaniedevouloirtoutcontrôler.—Tupeuxpas,luirépondit-elled’untoninnocent.Tun’espassurlecontratdelocation.Jeconduis.Commesilesclausesducontratluiimportaient!Maisellepritsonpiedàluirefuserquelquechose.

Oui,elleétaitmesquineàcepoint.Sonvisagesefermaunpeuplus,maisilnedaignamêmepasprotester.Ilsecontentadefairevolte-

faceetdesedirigerverslavoitured’unpasvifpourseglissersurlesiègepassager.Ellefittinterlesclésavecsatisfactionets’installaauvolant.

Bon Dieu, c’était presque aussi exigu que dans l’avion. L’espace restreint et confiné retenait lachaleurdeleurscorps.L’odeurmasculinedeQuentinl’inonda,enivrante,intoxicantemême.Soncorpslatrahitune foisdeplus et réagit, puis sonhumeur incertainevacilla aubordd’uneespècedeprécipiceavantdefinirpartomber.

Elleembrayaetfitronflerlemoteur.Ilsdescendirentlarueàfondlacaisse.Quentinmarmonnaun juronense retenantau tableaudebordet tiraviolemmentsursaceinturede

sécurité.—Tuesunvraidangerpublic.— Je sais, répliqua-t-elle d’un ton presque joyeux en se dirigeant vers la zone des entrepôts. La

jouissanceanticipéedelabagarrechatouillaitsonpoing.Ilsdépassèrentlabretelled’accèsdel’autoroute.Quentinsetorditsursonsiègepourladévisager.—Tuasratél’entrée,dit-illentement.Elle ne se donna pas la peine de répondre et appuya un peu plus sur le champignon. Ils fusèrent

littéralementdanslazonedésertéequ’elleavaitdécouverteplustôt.EllepercevaitquelecorpslongetpuissantdeQuentins’était tenducommes’il se trouvaitenpleincombat. Ilattendait seulementqu’ellearrêtelavoiture,sesréflexesdefélinprêtsàagir.

Ellelefrappadoncavantd’arrêterlavoiture.Sonpoingdroitletouchadirectementàlamâchoire.Lecoupprojetasatêtesurlecôtéetleprécipita

contrelaportière.Aryalappuyasurlapédaledefreinavecviolence.Lavoituredérapasurlecôté,lespneuscrissèrentsur lachausséeglissanteetmouillée.Ellesemitaupointmort,ouvritsaportièreà lavoléeetenjaillitavantmêmequelavoitureaitmêmecessédepatiner.

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Si rapide qu’elle fût, Quentin le fut tout autant, sinon davantage. Comme la voiture s’arrêtait enhurlant,ilplongeapar-dessusletoitetbonditverselle,soncorpssedéplaçantavecunepuissancefluideetsestraits,libérésdescontraintescivilisés,transformésparlarage.

Aryalfeintaetl’esquivaadroitementalorsqu’ils’apprêtaitàlasaisir.Illamanquadetrèspeuetluieffleuralevisageetl’épauleduboutdesdoigts,commeunamant.Unfrissonlaparcourutàcecontact,chauddansl’airglacéetmouillé.Devait-ellesemétamorphoseretprendresonenvol?Non,pasencore.C’étaittropjouissifdeseroulerparterreavecluipourendécoudre.

Tellementjouissif.Ellepivotasurelle-même,sepliaauniveaude la tailleetenvoyauncoupdepiedenarrière.Ses

jambesétaientdesarmespuissantes,faitespourbondirhautdanslesairsdesortequ’ellepuisseprendresonenvolenpartantdusol.Sielleavaitputoucherunepartiedesoncorps,elleauraitbrisédesos.

Maiselleneréussitqu’àfrapperdanslevide.Unepoigned’aciersaisitaussitôtsacheville.Quentinahanaetelleseretrouvadanslesairsenfindecompte.Illafittournoyercommeunebattedebase-ball.Aryalsentitleventsouffleràsesoreilles.

Quand il la lâcha,ellevoltigeadans la tôleonduléede laported’unentrepôt.Le«boum»creuxrésonnasurlesbâtimentsenvironnantsalorsqu’elleatterrissaitviolemment.Uneétoilededouleurfulguraquandelleheurta lebétonmouillé.Aprèsune telle cabriole,n’importequid’autre aurait eu le soufflecoupé,maissacagethoraciqueetsespoumonsétaientaussipuissantsquesesjambes.

Elletoussaetfitunerouladeenavantpours’esquiver,poussantfort,fort,parceque,bonsang,ilétaitrapide.MaislabottedeQuentinlafrappadanslescôtesavantqu’ellepuisseserelever.Lecoupdepiedfuttellementviolentqu’illasoulevadanslesairsetqu’ellepercutadenouveaulaporteenmétal.

Elleheurtaunesecondefoislesol,saufquecettefois-ci,elleatterritsurlesmainsetlesgenouxetquesesserresjaillirentàlavitessedel’éclair.Celacommençaitenfinàêtreintéressant.

Ellenesefitpasd’illusions:illalaissadélibérémentserelever.Ilsebalançaitlégèrementd’unpiedsurl’autre,adoptantlapostured’unboxeur,lespoingslevés.Elleseredressalentementenobservantsesyeuxavecattention.Ilsétaientdursetfroidsetnelaissaientriendevinerdesesintentions.

Illuilançaundirectauvisage.Ellen’essayapasdeparerlecoupoudefrapper.Ellechoisitplutôtdefaireunpasdecôtétouten

saisissantsonpoignet,puissetorditauniveaudelatailleentirantviolemment.Ilavaitjetésonpoidsenavantendécochantlecoupetelleutilisasonélancontreluipourlefairetourneretleplaquercontrelaporteenmétal.Quandsondosheurtalatôleavecfracas,ilsetendaitdéjàpourbondir,maiselleauraitpuluidiredes’épargnerl’effort.

Ilétaittroptard.Elleletenait.Elleécrasasonpoignetcontrelaporte,sescinqserresdéployées.Ellesétaientsuffisammentacérées

pourpercerlemétaletc’estprécisémentcequ’ilsepassa.Ellelesenfonçaetleurfittraverserlaportejusqu’à ce qu’elle ait littéralement cloué le poignet de Quentin, utilisant sa propre main comme unemenotte.Aumomentoùillevaitinstinctivementsonautremainpourlafrapper,elleensaisitlepoignetetplanta ses serres dans la porte, resserrant les doigts des deuxmains.Les doigts d’Aryal n’étaient pasaussidursquesesserres,etlemétaldéchiquetéentamasachair.

Celaenvalaitlapeine.UneincrédulitétotaletorditlevisagedeQuentinquandilcompritcequ’ilsepassait.Illuihurlade

rage auvisage tout en essayant de se dégager.Ses efforts exercèrent unepression sur la prise qu’elleavaitàtraverslemétaldelaporte.Ilétaitextrêmementfortetilauraitpeut-êtreréussiàselibérers’ils’était trouvédanspresquen’importequelleautreposition,mais lesbras tournésainsi endehorset lecorpsd’Aryalpressécontrelesien,ilnepouvaitpasbénéficierd’uneffetdelevier.

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—Ça n’aurait jamaismarché, dit-elle d’une voix rauque, si tu avais été une des sentinelles plusanciennes.Aucuned’entreellesn’auraitjamaisessayédemecoincercontrecetypedeporte.C’estl’unedeschosesquetuapprendras.Situvissuffisammentlongtemps.

Ilpoussaungrondementdefureursilencieux,sonlongcorpspuissantarc-boutécontrelesien.C’étaittoutaussimagnifiquequelorsqu’elles’étaitretrouvéeétenduesurluilorsdelafêteorganiséeaprèslesJeux.Etmêmeplusencore.Ilsecambra,poussantfortcontrelaportesibienquedusangfraiss’épanouitsurlesmainsraidiesdelaharpie,puisilessayadeluidonneruncoupdegenouauniveaudesespartiesgénitales.

Ellen’étaitpasaussivulnérablequ’unhommeàcetendroit,etdeplusilnepouvaitobtenirassezdereculpourluifairelâcherprise.D’unetorsionagiledeshanches,elleouvritlesjambesetenfourchasacuissedure tandisqu’ilpoussaitviolemmentvers lehaut. Il rencontra sonsexe,pasassez fortpour lameurtrir,maisassezpourlasouleverdusol.

Ellelaissaéchapperungrognementétoufféetrefermasesjambessursacuisse.Ilmontralesdentsetpoussadenouveauvers lehaut.Le frottementétaitplaisant,mêmeà travers labarrièredesvêtements.Elle n’avait besoin de personne pour lui dire à quel point tout cela était tordu.Mais il était là, tropproche,tropintimementpressécontreelle,sesmusclesondulantetsetendantsouslessiens.Lesonqu’ilémitétaitpurementanimal.Ilétaitpiégé,totalementàsamerci.

Ils étaient tous les deux pantelants. Elle laissa ses yeuxmi-clos dériver et s’attarder sur la lignepuissante de son cou bronzé et imagina le lécher tandis qu’il avait la tête rejetée en arrière dans uneposture de supplication. Une chaleur sensuelle la traversa, plus troublante que jamais. Elle resserrainstinctivementsescuissessurlasienne.Cemouvementaugmentalefrottementetunesalvedesensationsintenseslatransperçasibienqu’elleinspiraavecforce.

Quentinne laquittaitpasdesyeux, l’airsauvage.Quelquechosede longetdurseformacontresahanche.Elle se figeacomme l’odeurdélicieuseet intoxicantede sondésir l’enveloppait, aussi chaudequ’une couverture soyeuse et aussi inéluctable que les anneaux d’un python sur le point d’étouffer saproie.

Laprisedeconscience lui fit l’effetd’uncoupdebambousur la tête.Elleeut le sentimentque lephénomèneessayaitd’attirersonattentiondepuisunbonmoment.

Ilcombattaitlamêmeattiranceinopportunepourellequ’ellepourlui.Elleéclataderire.Tuparlesd’untrucpervers.Ilsétaientlà,entremêlés,serrésl’uncontrel’autre.—Tusaisquoi,onferaitmieuxdebaiser,histoiredepouvoirpasseràautrechose,murmura-t-elle.Sielleavaittrouvéquesesyeuxbrillaientavantsaremarque,ilsétaientmaintenantincandescents.L’érectionquipressaitcontresahanchesefitplusinsistante.L’airétaittellementélectriqueentreeux

qu’ilsauraientpuilluminerplusieursquartiersdelavillequis’étendaitautourd’eux.Sesterminaisonsnerveuseslapicotèrentetellesentitlespoilssedressersursanuque.

Personnen’avaitjamaisaccuséAryald’êtretropraisonnableetsained’esprit.Etelleappuyaexprèsses hanches contre sa queue dure, entraînant un frottement mutuel. Ils poussèrent tous les deux unfeulement.

Quentinpenchalatêtetoutprèsdelasienne,montrantlesdents.Elleavaitbeaul’avoiremprisonné,ilétaitencoretrèsdangereux.Ellel’observaavecméfiance.Ellesavaitqu’ilconnaissaitlamagieetelleseraidit,s’attendantàuneespècedesortd’attaque.

Maisilnefitappelàaucunartifice.Ilsecontentadegronder:—Tum’immobilisespeut-êtrepourlemoment,maistuespiégéeaussi.Tunepeuxrienfaireavectes

mainsdanscetteposition.Ellehaussalesépaules.EllepouvaitsentirlesangseruerdanslesveinesdeQuentin.

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—Jetegarantisqueçavautlecoup.Ilrespiraitprofondément,lesyeuxrivéssursabouchecommeunrayonlaser.—Jeflairetonsang.—Lejeuenvautlachandelleaussi,murmura-t-elle.Sesmainss’engourdissaient.Siçacontinuait,elleallaitdevoirlesdesserrer.—QU’EST-CEQU’ILVAFALLOIRPOURQUETUMEFOUTESLAPAIX!rugit-il.Sonsoufflefitvolerdesmèchesdesescheveuxemmêlés,dégageantsonvisage.Ellereculalatête

avecprécautionpouréviterqu’ilnepuisseplantersesdentsdanssagorge,puiselleritdenouveau.—J’saispas,desaveuxpeut-être.—Desaveux.(Sonregardparcouraitlalignedesagorgedemanièreobsessionnellecommes’ilne

pouvaits’enempêcher,maissavoixétaitatoneetincrédule.Puisquelquechosesemblacéderenlui.)Tuveuxdes aveux? répéta-t-il avechargne.Trèsbien. J’ai enfreint la loi.Plusd’une fois. Je l’aimêmeenfreinteunnombreincalculabledefois.Etj’adoraisça.T’escontentemaintenant,putaindemerde?

Elle ouvrit la bouche, stupéfaite. Tout ce qu’il venait de dire était la pure vérité. Elle referma laboucheavecunclaquement.

—Bordel,jelesavais,dit-elledoucement.Qu’est-cequetufais,delacontrebande?—Jenefaispasdelacontrebande.J’enfaisais.Parlepassé.J’aitoutarrêtél’annéedernière.Tune

trouverasaucunepreuveparcequ’iln’yenaaucune.Jesuisbonàcepoint.Toutestgravédansmatête.Les bordereauxd’expédition.Les dates, les heures. Je n’ai jamais rien écrit. J’utilisais un système endoubleaveugle.Personneneconnaissaitlesautresprotagonistes.Laplupartdesgensnesavaientmêmepasqu’ilsfaisaientdelacontrebande.

Elleanalysachacundesesmotsensollicitantsonsensdelavérité.Elleétrécitlesyeuxetdemandad’untonsoupçonneux:

—Pourquoituasarrêté?Sapoitrines’affaissacommeillâchaitunimmensesoupir.—Une tuile est arrivée. J’ai essayéde fairequelque chose. Jevoulais aiderun ami et j’avaisde

bonnes intentions, mais j’ai failli causer la mort de deux personnes. Ensuite, j’ai cessé toutes mesactivités,sauflebar.

—C’estdonctout–c’estvraimenttout?C’esttoutcequetuasfait?Tout,àl’exceptionduquelquechosequ’ilavaitessayédefaire,entoutcas.—Pasd’espionnage?demanda-t-elleavecespoir.—Non,fit-ilenreniflantdemépris.—Pasdemeurtressurgages?Pasdetravaildetaupe?—Désolédebrisertesespoirs,dit-ild’untoncinglant.J’aigagnépleindefric,c’esttout.MonDieu,ildisaitlavérité.Elleessayadenepasycroire,maissansgrandeconviction.C’était…

décevant.Elleinsista:—Tufaisaisdutraficdequoi?Dedrogue?D’êtreshumains?D’armes?Illafusilladuregardavecexaspération.—Arrêtedetefairedesfilms.Biensûrquenon.J’aipassédel’alcoolencontrebandepourlebar,

del’oretdesdiamants,desœuvresd’art.Destrucshautdegamme.J’aitrempédanslarevented’articlesdemagiedetempsàautre.

Ellefronçalessourcils.Aupire,ilavaitprivéledomainewyrderevenussurcertainsproduitsetilluiavaitsurtoutcoûtébeaucoupdetemps.

—Sic’esttoutcequetuasfait,pourquoitunel’aspasditplustôt,bordel?—Tutepaiesmatronche,là?

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Elle l’étudia, la bouche tordue par la frustration. Après tout ce temps, c’était tout. Il s’étaitsuffisammentmis en colère pour cracher la vérité et elle n’en avait absolument rien à cirer en fin decompte.

—Tuasvraimentrenoncéàtout?demanda-t-elleenledévisageantavecattention.Tun’enfreinsplusdutoutlaloi?

—Non.(Toutdanssavoixdureetsursonvisageirradiaitlavérité.)Pasdepuisquej’aidécidédemeprésenterauxJeuxetquejemesuisengagéàdevenirunesentinelle.

—Pouah,fit-elled’untondégoûté.C’estvraimentpathétique.Toutecetteobsession,toutcetravail.Pourquoi?Elleserésignaàouvrirsesdoigtsraidisetlesagitapourlesextrairedestrousquesesserresavaient

percésdanslaporte.LâchantlespoignetsdeQuentin,ellerecula,puissecouasesmainsdouloureusesetinspecta les coupures sur ses doigts. Elles la brûlaient,mais elles n’étaient pas trop profondes. Ellescicatriseraientvite.

Quentin se détacha immédiatement de la porte en métal et ne s’arrêta pas avant de se trouver àplusieursmètresd’elle.Etillefitsanscesserdelaguetterenplissantlesyeux.

—C’esttout?dit-ilenfin.C’estça,taréaction:«c’estvraimentpathétique»?Ellefitungesteimpatient.—Jemefousdetoutça.Lesmainssurleshanches,ilpenchalatête,l’imagemêmedel’hommequ’onapoussétroploin.—Tu.T’en.Fous,répéta-t-ild’untontrèscalme.Est-cequec’étaitquelquechosequ’elleavaitdit?Elleluifitunepetitegrimace.—Oui,jem’enfous.Alors,ilexplosa.

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6

La ragedeQuentin le fit sortir de son corps jusqu’à cequ’il ait l’impressiondeplaner, un espritinvisibleobservantlesdeuxpersonnesquisetrouvaientsouslui.

—Qu’est-cequetuveuxdire,bordel,par«jem’enfous»?Qu’est-cequesignifientlesdeuxannéesinfernalesquiviennentdes’écouler,SITUT’ENFOUS?

Aryalledévisageacommes’ilavaitperdularaison.—Ehbien,jenesavaispascequetuavaisfait,vraioufaux?Tuesunhommedangereux.Tul’as

prouvé quand tu es devenu une sentinelle,mais je ne savais pas que tu avais seulement fait ça. (Elleprojetasesmainsenavantenparlant,commesiellejetaitquelquechoseàlapoubelle.)Jen’arrivepasàcroirequej’aipugaspillertoutcetempsàenquêtersurunvoleuràlapetitesemaine.

Ilétaitdanslesairsavantqu’elleaitfinisaphrase.Enunbondgéant,ilfutsurelle,lesmainsserréesautourdesoncoupourladeuxièmefois.Leplaquagelarenversasurledossurlaneige.Ils’affalasurelle,sedéplaçantinstinctivementafindelabloqueraveclepoidsdesoncorps.

Iln’avait jamais rien ressentidepareilauparavant,àproposdequelquechoseoudequelqu’un. Ilentendit un grondement. Il se rendit compte tardivement que cela provenait de lui. Il cogna sa tête àplusieursreprisescontrelepavé.

—Pendant.Tout.Ce.Temps.Tout.Ce.Temps.Ils’aperçutvaguementqu’ellel’avaitattrapéparlagorge,elleaussi,lespointesdesesserresposées

sursajugulaire.Ilauraitsansdoutedûs’eninquiéter.—Aveclerecul,dit-elled’unevoixétranglée,nousaurionsdûdiscuterdetoutcelapendantquejete

tenaisimmobilisécontrelaporte.—Tutransformeraisunsaintenmeurtrierfoufurieux,haleta-t-il.Elleéclataderire.Ill’étranglait.Etelleriait.L’incrédulitésefrayaunchemindanssoncerveauembruméparlarage.Ilbaissalesyeuxsurelle.Sonvisageanguleuxavaitrosietsesyeuxgrisorageuxdansaient.Sescheveuxnoirssedéployaient

commeunéventailsulfureuxetcontrastaientaveclaneigeblanche.Ellenesesouciaitpasplusdel’étauquilaprivaitd’airqu’ilnesesouciaitdesserresprêtesàluiarracherlagorge.

Ilseconcentrasursabouche.Elledégageaitunesortedeféminitépuissantequiétaitàmillelieuesdel’artificeetdescouleursvoyantesauxquelsavaientrecourstellementdefemmesmodernes.Pasdefard,pasdebijoux,pasdemèchesoudetrucscompliqués,pasdefrous-frous.Ellenecorrespondaitenrienauxcanonsdelabeautéclassique,conventionnelle,maissaboucheétaitourléedemanièreexquise, leslignesduresdeseslèvresadouciesparungonflementsensuel.

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«Nous reconnaissons tousquelquechosedenotrepropresauvagerieen toi.»Quiavaitditcela?Grym.Sonamant.

—Iln’estpaspossiblequeGrymet toi soyezensemble,gronda-t-il.Quelqu’unauraitdit quelquechosesic’étaitlecas.

Elleauraitétébeaucoupplusstresséeàl’idéed’êtrebanniedeNewYorkpendantunmois.LesWyrsquiétaientunissupportaientmald’êtreséparés.

Elleritplusfort,sic’étaitpossible.—Tuestoujoursunidiot.Ilfallaitqu’ilfassequelquechosepourlafairetaireouilallaitréellementlatuer.Laflammepureet

brûlantedesafureursetransformalégèrement.L’intensitédecesdernièresminutesl’avaitvidé.Ilavaitl’impressionqu’untroubéants’étaitouvertenluietqu’unmaelströmd’agressivitésexuelleydéferlaitenhurlant.Sesmusclesluiparaissaientaussifinsquedupapier,àpeinecapablesdecontenirlesémotionsquil’agitaient.

Déplaçant les mains afin d’empoigner ses épais cheveux soyeux sur sa nuque, il plongea pourconquérirsaboucheeffrontée.

Ilsentitlasurprisesecouersoncorpsaumomentoùilplaquaitseslèvressurlessiennes.Elleétaitallongéesouslui,làoùétaitsaplace,etilnecajolaitpas,netaquinaitpasounecharmaitpascommeill’auraitfaitavecuneautrefemme.Ilprenait.Lesoufflecourt,ilforçasabouchedesalanguedurcieetplongeaprofondément.Soncorps,sonespritétaientenfeu.Faiblement,unepetitepartiedelui,lapartierationnelle qui n’était pas totalement régie par son fouet interne, se posa des questions quant à sonmanquedecontrôle.

Aryalgronda,unsonsauvage,rauque,quifrémitsursapeauetéveillaaussitôtsonmembre,etellel’embrassaavecsauvagerie.Ilssedévorèrentcommes’ilscontinuaientàsebattre.

Lecadren’auraitguèrepuêtrepire. Il faisait froidethumideet ilsétaientaffaléssur lepavédur,exposés.N’importequipouvaitpasseretlesvoir.

Celan’avait aucune importance.Des imagesdéfilèrentdans sa têtecommedescouléesde laveenfusion.Ilvoulait laretourner, lacravaterpourqu’ellenepuissepasbouger, luiarrachersonjeanet lasodomiser.

Sanspitié,sansretenue,sanssimagréesdecourtoisieetsansmotcodé,unrutanimalpuretdur. Ilvoulait la dominer, l’écraser même, et la faire hurler quand elle s’abandonnerait totalement à sonorgasme.

Elledéplaçalamainqu’elletenaitjusteau-dessusdesagorgeettentadelesaisirparlanuque.Ilrepoussasamainetgrondacontreseslèvres.—Nemetouchepas.Lesyeuxd’Aryallancèrentdeséclairs.Ellemorditsalèvreavecforceetilrejetalatêteenarrière.

Unfiletchaudluichatouillalapeau.Ellel’avaitfaitsaigner.—Quelestleproblèmesijetetouche?(Sonregarddevintdéfiant.)T’aimestropça?Elleétaittropperspicace.Cettefemmeétaitunvéritabledémon.—Labaisequicogne,dit-il.Ilnereconnutpaslesondesaproprevoix.L’évacuerdesonsystème.L’exorciserdesonespritetdesoncorps.Ohoui.—Tuenmeursd’envie,dit-elle.

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Ilpritconsciencedecequ’ilsfaisaient.Elleavaitenveloppéseslonguesjambesautourdesataillesibien que leurs bassins s’alignaient à travers les couches de leurs vêtements. Elle avait enveloppéégalementsaForceautourdeluietelleétaitchaudeethaletante,commeunventd’été.Ilssebalançaientensemble,suivantunrythmepaïenquifaisaitéchoàlacoursedesonsang.Ilavaitsaisil’undesesseins,tenantlerenflementdiscret,maisfier,àtraverssonpull.

Sesyeuxs’étrécirent.—Toiaussi.Sonexpressionseritdelui.—Nelaissepasçatemonteràlatête.Jusqu’àtaqueue,çasuffira.Il faillit rire,mais le duel verbal l’avait en quelque sorte recentré, et il se souvint de sa rage. Il

s’écartad’elleenmarmonnantunjuron.Elledesserrasescuissesautourdesatailleetilsereleva.Aryalseremitdeboutaussi,secouantlaneigequicouvraitsondosetfrappantlesoldesesbottes.Il

lasuivitdesyeux.Ellesedirigeaversuneparcelledeneigepropreetenpritunpeuencoupeentresesmains. Elle serra les dents en nettoyant le sang qui maculait ses doigts. Les coupures s’étaient déjàrefermées,maisellesétaientrougesetenflamméesetelleremuaitsesmainscommesiellesouffrait.

Bienfaitpourelle.Enfoncer sesserresdansuneporteenmétal? Ilsecoua la têteet refusad’êtreimpressionné tandisqu’ilépoussetaitsesgenoux, faisantàson tour tomber laneige.Elleavait fonduàcertainsendroitsetdeuxtachesmouillaientsonjean,c’étaitfroidetdésagréable.Ledosd’Aryaldevaitêtremouillépartout.

Puis il posa fermement ses mains sur ses hanches. Au lieu de l’assassiner, il avait décidé desincèrement essayerde régler les choses avec elleunebonne foispour toutes,maisbonDieu, ellenefacilitaitpasleschoses.

—J’enreviensàmaquestioninitiale,gronda-t-il.—Vraiment?(Leregardqu’elleluilançaétaittotalementindifférent.)Commecedoitêtrefrustrant.—Pourquoi tout ce bordel ? Sérieusement, réponds-moi simplement.Tume dois bien ça. Tume

harcèlesdepuisdeslustres.Quandjefinisparcapitulerenmedisant«etmerde»etquejetedistoutcequetucherchaisàsavoir,laseulechosequetutrouvesàdire,c’est«rienàcirer».Toutçaaprèsavoirclamésur tousles toitsquej’étaisunprofessionnelducrime.Crois-moi, j’ai l’habitudedetesdélires,maislà,taréactionestcomplètementbarrée.Mêmetoi,tudoist’enrendrecompte.

—Pasdutout.(Ellefinitdeselaverlesmains,secoualaneige,puissetournapourluifaireface,adoptantlamêmepositionquelui.Letruc,c’étaitquelorsqu’illaregardaitdanslesyeux,lacingléedeharpieavait l’air toutà fait lucide.Pour lemoment,elle semblaitdenouveauamusée.)Que tu soisuncriminel–c’étaitimportantparcequec’étaitdecettemanièrequej’allaistecoincer.Franchement,peum’importequetuaiesenfreintlaloi,Quentin.Enréalité,jemesoucieassezpeudelaloi.

Illevalessourcilsd’unairsceptique.—Tuasunedrôledemanièredelemontrer.Ellecontractalesmusclesdesesépaulescommesiellecherchaitàchasserunemouche.—Cequim’importe, c’est si tuas fait courirundangeraudomainewyr.Fairede lacontrebande

d’articles de luxe ?Bon, nous avons touchéunpeumoins de taxes, tu parles, jem’en tape.Si tu t’enprends à Dragos, en revanche – si tu fais quoi que ce soit pour activement essayer de nuire à despersonnesquimesontchères–,alorsjemelanceraiàtapoursuiteetjen’arrêteraipasavantdet’avoirfaittrèsmaloudet’avoirtué,oupeut-êtrelesdeux.C’esttout.Cen’estpascompliqué,enfait.

Il se détourna vivement d’elle pour contempler la zone abandonnée sans vraiment la voir, sa rageexplosiveretombantpourneplusêtrequ’unfrémissement.D’unemanièreoud’uneautre,onenrevenait

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toujoursàDragos.Savoircequ’ilavaitfaitl’annéeprécédentelamettraithorsd’elle.Horsdequestiondeluiconfiercela.

—PourquoiDragos?murmura-t-ilpresquepourlui-même.Dragosetledomainewyr,cesontdeuxchosesdifférentes.Dragospourraitmourir,ledomainesurvivrait.(Illaregardapar-dessussonépaule.)Jem’exprimethéoriquement.

—Ledomainesurvivraitdansunecertainemesure.(Ellesecoualatête.)Ceneseraitpluslamêmechose.Etilneseraitplusaussipuissant.Jen’oublieraijamaiscequeDragosafaitlorsqu’ilaunifiélesWyrs.Personned’autrequeluin’auraitpul’accomplir.Jesais trèsbienquetunel’aimespas,mais tupeuxdirecequetuveux,personned’autrenepeutfairecequ’ilfait.Ilalaforce,l’ambitionetladureté,etilalesensdel’argent.Opiniâtretéetrichesse.C’estunecombinaisonexplosive.Bonsang,tuétaislàcematin.Noussommesdeuxdesmeilleurscombattantswyrsdumondeet ilnousaflanquéunesacréedérouillée.

Ellepouvaitledire.Ilsavaient réussi, ilnesavait tropcomment,à s’éloignerde la folie furieuse,de laviolenceetdu

sexe,etilsdiscutaientdemanièrepresquerationnelle.Quentinnesavaittropquoienpenser,sinonqu’iln’était pas prêt à se fier à cette apparence de normalité, pas plus qu’à elle, d’ailleurs. Il frotta samâchoiredouloureuseoùellel’avaitfrappéetritsouscape.

Ildevait lereconnaître,elle luiavaitsortiquelquesbottessecrètesqu’iln’avaitvraimentpasvuesvenir.Ilnerisquaitpasdelasous-estimerdenouveau.Ilpenchalatêteenseretournantencoreunefoisetilluidécochaunpetitsourirefélin.

—Écoute-nous.Siquelqu’unnousentendaitetnenousconnaissaitpas, ilpourraitpresquesedirequenousétionssurlepointdeconclureunetrêve.

Unelueurmauvaisepassadanssonregardétréci.—Unetrêve?Parcequ’ons’estmissur lagueule,qu’ons’estunpeufrottés l’uncontre l’autreet

qu’onaéchangéplusdetroismots?Bordel,non.Cefouetinternequilerégissait?Detempsàautre,ilfaisaitdubien.—J’aimemieuxça,ronronna-t-il.

Elles’obstinaàrefuserde le laisserconduire,mêmes’ilsavaitqu’ellesefichait royalementde la

policed’assurancedelasociétédelocation.Iln’yariendeplusenrageantqu’unepersonnequiprétendêtreàchevalsurdesprincipesalorsqu’elles’enmoqueéperdument.

Elle retourna à l’entréede l’autoroute et ils filèrent bientôtvers laForêt deBohème, soit au sud-ouest.Ilavaitcommisuneerreurunefois.Ilnelacommitpasunesecondefois.Iln’allaitcertainementpasvoyagersansceinturedesécuritétantqu’elleétaitauvolant.

Pragueetsabanlieueétaientdensémentpeuplées,maispasséuncertainpoint,ilsseretrouvèrentauseind’unpaysageàlabeautépresquedésolée,lacampagnelavéedetoutessescouleursencettejournéefroide.C’étaitcommesiunemaininvisiblegéanteavaitrécoltétoutlebrouillarddepollutiondelazoneindustrialiséepourenbarbouillerlepaysage.

Quentin savait que ce n’était qu’une impression. Il avait voyagé en République tchèque par beautempsetilsesouvenaitducielbleu,deschampsverdoyantsetdeslacsauxsomptueusescouleurs.

Ilsroulèrentensilencependantunbonmoment.Ilsn’essayèrentnil’unnil’autred’allumerlaradio.Lachaleur suscitéepar leuremportementpassionnésubsistait, commedes tisonscouvantdansunâtre.Desimagesdecequ’ils’étaitpassénecessaientdesurgirdanssonesprit.Lamanièredontellel’avait

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piégéetclouécontrelaporteenmétal,soncorpsmincepressécontrelesien.Lamanièredontill’avaitplaquéeparterreetimmobilisée,lesmainsautourdesagorge.

Samainsursonsein.Sescuissesserrantlasienne.Soncorpsondulantsouslesien.Cesréminiscencesledérangeaient,maispasàcausedeleurviolence.Parcequ’ilvoulaitrépéterl’expérience.Il avait le sentiment que quelque chose de fondamentalement ténébreux, quelque chose qu’il avait

bridétoutesavie,s’étaitlibéréetn’obéissaitplusàrien.Luiquiprenaitlecontrôlechaquefoisqu’illepouvait n’avait plus du tout l’impression de semaîtriser. Il se tortilla sur son siège.Lorsqu’il jeta unregardàAryal,elleparaissaitsoucieuseetplongéedanssespensées.

C’estellequirompitlesilence.—D’aprèsDragos,Numenlaurnecomptequ’unpassage,àsaconnaissancedumoins,celuiquimène

à laTerreetqui aétécondamné ilya si longtemps.Mais l’arméedeNumenlauriens se trouvaitdansl’Autre Contrée des Elfes de Lirithriel lorsque nous l’avons affrontée, alors est-ce qu’il n’existeréellement qu’un seul passage partant de Numenlaur ou est-ce qu’il est relié également à cette AutreContrée?

Aumoment de la formation de la Terre, le temps et l’espace s’étaient gondolés, créant d’AutresContrées reliées à la Terre et parfois les unes aux autres par des passages dimensionnels. Ces lieuxétaientempreintsdemagieetlestechnologiescombustiblesn’yfonctionnaientpas.Deplus,letempsnepassait pas aumême rythmeque sur le« continent», commedisaitQuentinpourdésigner laTerreoùvivaientleshumainsetlesAnciens.

Parfois,lesAutresContréesétaientimmenses,c’étaitlecasdelacontréedesFaesnoires,Adriyel,où plusieurs passages menaient vers d’autres lieux. Parfois, il ne s’agissait que de simples pochesd’espacequinemenaientnullepart.

LanuitblancheetlelongvolavaientséchélesyeuxdeQuentinetillesfrottaendisant:—Dragosaraison.Numenlaurn’aqu’unseulpassage.—Commentpeux-tuenêtrecertain?demanda-t-elleenfronçantlessourcils.—J’aiappeléFerionquandjesuisalléacheterlematériel,expliqua-t-il.(Commeelletournaitlatête

pour le dévisager, il ajouta d’un ton irrité :)Ne te fous pas en rogne à cause de ça et regarde plutôtla route. Je ne vendais pas des secrets d’État. Dragos n’a jamais dit que notremission devait resterconfidentielle.

On aurait dit qu’il venait de lui fourrer une tranche de citron dans la bouche,mais elle finit pargrommeler:

—Admettons.Jenesavaispasquetuavaisdeslienspersonnelsaveclenouveauseigneursuprême.—Cenesontpasdesliensétroits.Noussommesparentsparalliance.—C’estsuffisammentétroitpourquetusoisenmesuredeluitéléphoner,souligna-t-elle.Il pressa son pouce et son index contre ses paupières baissées jusqu’à ce qu’il voie des étoiles

rougesdanser.—Quandj’étaisplusjeune,nousavonspassédutempsensemble.Noussommespartisenvacanceset

sommesallésàlachasse,cegenredetrucs.Maintenantqu’ilestleseigneursuprême,jecroisquecelavaêtredeplusenplusdifficiledel’avoirautéléphone.

Elleréfléchitàcequ’ilvenaitdedire.—J’aientendudirequeFerionétait lefilsduseigneursuprêmequiestmortrécemment,Calondir,

maisest-ilégalementlefilsdeBeluviel?Ilfautêtredeuxpourfaireunbébé,etlafemmetientlerôleleplusimportantdansleprocessusàunmoment,etdeloin,maisBeluvielfinittoujourspardisparaîtredelaconversation.

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—Ferionn’estpaslefilsdeBeluviel.Ilestnéilyalongtemps.Jeneconnaispastoutel’histoire,sinonqueBeluvieletCalondirnesesontpastoujoursentendus.IlsétaientséparésquandFerionestné.Par la suite, ils se sont remis ensemble lorsque le domaine des Elfes a été formé dans ce qui devaitdevenirlesÉtats-Unisetilssontrestéssoudésdepuis,aumoinsenpublicetsurleplanpolitique.Jenepeuxpasdirecequ’ilenétaitdansleursviesprivées.

Aryalpinçaleslèvres.—ÉtantdonnéqueBeluvielétaitlaconjointedeCalondir,pourquoin’est-ellepasdevenuelaDame

suprêmeoun’a-t-elleeujenesaisquelautretitre?Ilhaussalesépaules.—Commejeledisais,jenesuispasdanslesecretdesdieux,maisd’aprèscequej’aientendudire,

BeluvielnevoulaitpasdevenirlaDamedesElfesdeLirithriel.—Dommage.Jen’airiencontreFerion,maisj’aitoujoursbienaiméBeluviel.(Elleluijetauncoup

d’œil.)Qu’est-cequ’iladitquandtuluiasparlé?—Dragosaraison,Ferionestdébordé.IlaréfléchiauproblèmequeposaitNumenlaur,maisn’apas

eu l’occasionde faire quoi que ce soit, à part envoyerunpetit grouped’Elfes garder le passage. Il aégalement dépêché quelques pisteurs pour qu’ils se rendent dans l’AutreContrée deLirithriel afin deremonterlaroutesuivieparl’arméedeNumenlauriens.

—Pourquoi?—IlvoulaitêtresûrqueGaelevaln’avaitpasabandonnédesElfesensorcelésquiauraientpuêtre

tropaffaiblisparlamaladieoublesséspourpouvoirsuivrelaprogressiondel’armée.Aryalfitunegrimace.—Tusaiss’ilsonttrouvédesgens?—Aucunquisoitvivant,répondit-ilsombrement.Elleétouffaunjuron.Quentininspiraprofondément.—Entoutcas,Numenlaurn’estpasleseulpassagedanslaForêtdeBohème.Ilyenaunautrequi

mèneàl’AutreContréedeLirithriel.Aryalfronçalessourcils.—Jesupposequeçanemesurprendpastrop.Ilyapeut-êtremêmeplusdedeuxpassages.LaForêt

deBohèmeestunlieutrèsancienettrèspropiceàlamagie.PasdouéedesensationscommelaForêtdeLirithrielavantqu’ellesoitbrûlée,non,justepropiceàlamagie.

Quentincomprenaitcequ’ellevoulaitdireparlà.LaForêtdeBohèmequelesTchèquesappelaientŠumava était en fait une chaîne demontagnes peu élevées qui s’étendait de la République tchèque àl’Autricheetl’Allemagneetlarégionabritaitl’unedesplusanciennesforêtsdumonde.

Quentin y avait fait de la randonnée quand il était plus jeune. Au début, il y était allé chercherl’endroitoùl’ondisaitquesetrouvait lepassagedevenulégendairedesNumenlauriens,maislamagieutiliséepourcondamnerleditpassageledissimulaitauregardetiln’avaitjamaisétésûrd’avoirlocalisésonentrée.

— Eh bien, Gaeleval a profité de la proximité des deux passages. Il a fait sortir son armée deNumenlaurparlaforêtetdelàl’aconduitedansl’AutreContréedeLirithrielenleurfaisanttraverserlesecondpassage.Personnen’arienremarquésurTerre.

—SiFerionapostédesgardeselfesdevant lepassagedesNumenlauriens,notremissionn’apasgrandintérêt,déclaraAryal.(Ellelaissaéchapperunsoupir.)Enfinsi,elleaunintérêt:Dragosnousasurtoutenvoyésicipoursedébarrasserdenous.

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Quentincrispalesmâchoires.Ilnepouvaitpasdirelecontraire.Iljetaunregardsurlecôtéaumêmemomentqu’Aryal.Ilfutimmensémentsurprislorsqu’ilséclatèrentderireàl’unisson.

C’étaitétrange,agréablepresque,departagerunmomentdecamaraderie.Sonrires’évanouitetilserenfrognaenypensant.

—Nousnefaisonspeut-êtreriendetoutçapourFerion,maisilestcontentquenousnousrendionsjusqu’aupassagepourvoirunpeudequoiilretourne.Ilm’ademandédeluidonnerdesinformationsànotreretour.Iln’yapasderéseaupourlesportablesdanslaforêtetiln’apaseudenouvellesdesgardesdepuisqu’ilsysontentrés.

—C’étaitilyacombiendetemps?demanda-t-elleavecétonnement.—Ilnem’apasdonnédedateprécise,maisd’aprèsnotreconversation,jepensequec’étaitilyaau

moinstroissemaines.Quentintentad’étirersesjambeslepluspossible.L’étroitessedelavoiturelesfaisaitprotester.—Etiln’aaucunenouvelled’euxdepuis?(Ellesecouala tête.)Passérieux.Depuisle temps, ils

auraientdûenvoyerquelqu’unfaireuncompterendu.Ilsoupira.—Oui,uncompterenduauraitétéappréciable,maistunepeuxpassavoirs’ilsontéténégligents.Il

est possible qu’ils aient eu besoin de se rendre àNumenlaur pour une quelconque raison et donc detraverserlepassage.Etsic’estlecas,tudoistenircomptedudécalagetemporelavecl’AutreContrée.Ferionn’avaitpasl’airspécialementinquiet.Ilseracontent,simplement,desavoircommentçasepasse.

Ilsretombèrentensuitedanslesilence,commesis’entreteniraveccivilitéétaittropardupourqu’ilspuissent soutenirplus longtemps l’effortquecela impliquait.Alorsqu’ils roulaientdepuisunpeuplusd’une heure, au sud de Plzen, ils empruntèrent une autre autoroute afin de suivre un itinéraire qui lesemmenaitplusau sudet lesconduirait à la limitenordde laForêt.Aprèsavoir traverséunenouvellezoneurbaine,ilsseretrouvèrentdenouveaurapidementdanslacampagne.

LaForêtétaitunedestinationdevacancesdeplusenpluscourueetilspassèrentàcôtédeplusieursterrainsdecampingetdestationsdeski.Ilsseraientenmesuredecouvrirunebonnedistanceavantdedevoirsegareretcontinueràpied.

Aryal dut toutefois ralentir, car les routes devenaient étroites et sinueuses. La circulation devintpresqueinexistante.Mêmesidesplaquesblanchesémaillaientlesmontagnesenvironnantespeuélevées,lesstationsdeskiaussibienquelesterrainsdecampingétaientquasimentdéserts.Ilfaisaittropchaudpourquelespistesdeskisoientsuffisammentenneigées,maistropfroidethumidepourlescampeurs,àl’exceptiondesplusendurcis.

Aryalrompitlelongsilence.— Si j’étais toute seule, j’aurais pris mon envol et j’aurais cherché les points de passage en

éprouvantlamagiedeslieux.Quentinsefrottalevisage.—Ceserapeut-êtrequandmêmeutilequetulefasseslorsquenousseronsplusprès.(Illaregarda

par-dessussamain.)Jeviensseulementdeprendreconsciencequetuesassezâgéepourtesouvenirdel’époquequiaprécédélemomentoùNumenlaurs’estisoléedurestedumonde.

Ilétaitparfois faciled’oublieràquelpoint lesautressentinellesétaientplusâgéesqueQuentin,ycomprisAlex qui avaitmentionné les guerres de l’antiquité grecque comme s’il les avait vécues – etvisiblement,c’étaitlecas.LesWyrsavaienttendanceàvivrevraimentdansleprésent,plusquepresquetoutes les autres espèces d’Anciens. Quentin s’était fait la réflexion que ce trait de caractère devaitdériverdeleursnaturesanimales.

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—Biensûrquejesuisassezvieille.MaislemondeestvasteetcequefaisaientalorslesElfesnem’intéressaitabsolumentpas.Jenemesuisjamaistrouvéeàproximitédecespointsdepassage.

Ilfaillitluidemandercequil’intéressaitalorsavantdeserappelerqu’ilpouvaitàpeinesupporterlesondesavoixetdeseraviser.

—Ferionaconfirmé,dit-ilàlaplace,quelepointdepassagedeNumenlaursetrouvaittoutprèsdel’endroitoùleslégendeslesituent.Celaveutdirequejesuisdéjàpassédanscetterégion.Ilfaudranousgarersurl’undesterrainsdecamping,puismarcher.

—D’accord.(Ellemarquaunepause.)Jesupposequenousavonsdépassélepointoùnousaurionspufaireunehaltedansunefermeetlouerdeschambres.

—Oui.Nousavonsdeuxoptionspourcesoir.Nousarrivonsbientôtàunembranchementmenantàunestationdeski.Elleestpeut-êtreouvertesituveuxtenterlecouplà-bas.Oubienonfaitçaàlarude.

Unelueurd’amusementdansaaufonddesesprunelles,affûtéecommeunelame.—J’aimebienquandc’estrude.Bang, la sexualité étouffée qui couvait entre eux remonta en rugissant. Elle remplit l’habitacle. Il

écoutalesonlégerdesarespiration,lafrictionténuedel’airalorsqu’ellebougeaitsursonsiège.Ellesetortillait.Ilsavaitexactementcequ’ilauraitfaits’ilsnes’étaientpastrouvésdansunvéhiculequiroulait.Ilse

seraitavancéverselle,l’auraitpousséecontrequelquechose,n’importequoi,puisilluiauraitsaisilementon,renversélatêteenarrièreetmordulagorge.

Ilnesavaitsimplementpass’ill’auraitfaitavantouaprèsl’avoirembrassée.—Dusexequifaitmal,feula-t-il.Ellelevavivementlesyeuxverslui.Elleparaissaitfurieuseoutourmentée,auchoix.Ilpassalesmainsdanssescheveuxcourtsets’étira,cambrantexprèsledos.Elleserralevolantau

pointdefaireblanchirsesphalanges.Il rit doucement.C’était elle qui avait commencé.Bordel, c’était bon de savoir qu’il l’exaspérait

autantqu’ellel’exaspérait.Ellesavaitchoquersonmonde,ildevaitlereconnaître.Lesmotsquisortaientdesaboucheétaient

parfoisaussipercutantsqueledirectqu’elleluiavaitbalancéplustôt.Peut-êtrequel’idéecommençaitàluiplairemaintenantqu’ilypensaitdepuisquelquesheures.S’il

necédaitpasà la tentationde la tuer, ilpourraitaumoins labaiser jusqu’àcequ’ils soient tousdeuxépuisés.

Ilpourraitalorspeut-êtresedébarrasserdupoisonqu’elleavaitinjectédanssonorganisme.Il serra les poings en se remémorant la sensationde ce corps tendu, puissant, le clouant contre la

portedel’entrepôt.Personnenel’avaitjamaismaîtriséainsi,puisexcité,avantdefinalementluirireaunez.Ilallaitluirendrelamonnaiedesapièce.Etelles’ensouviendrait.

Lavied’Aryalétaitundéchaînementconstant.Lemomentétaitpeut-êtrevenud’inverserlavapeuretdelaharceleraussiimpitoyablementqu’elleharcelaitlemondeentier.

Etlemomentétaitpeut-êtreégalementvenuderemettrecetteharpieàsaplaceetdeluimontrerquiétaitlepatron.

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7

QuandAryal gara finalement la voiture sur le parking de gravier d’un terrain de camping désert,l’après-miditouchaitàsafinetdesnuagesobscurcissaientlessommetsdesmontagnesavoisinantes.Despointescaptivantesdemagieavaientcommencéàluichatouillerlessensaucoursdeladernièredemi-heuredu trajet.Elle aspirait àprendre sonenvol et à localiser la sensation insaisissable, àmonter enflècheau-dessusdelachaînedemontagnesetàfendrelesépaisnuages.

Lajournées’étaitsuffisammentréchaufféepourfairefondrelaneigeenbassealtitude,maislesoleilsecouchait tôtaumoisdemarsenRépubliquetchèqueet la températurecommençaitdéjààbaisserdenouveau.Quandelleouvritlaportièredelavoiture,l’airhumideetfraisluifitl’effetd’ungantdetoilettefroid et mouillé la giflant en pleine face. L’air pur embaumait et était agréable et vivifiant, mais ilnesuffisaitpasàatténuerlachaleurquiémanaitdesoncorps.

Heureusedeneplusêtreconfinéedansl’espaceréduit,elleétirasondosdouloureux.Etl’imagedeQuentins’étirantplus tôtdans lavoiture luivint immédiatementà l’esprit.Onauraitditunmagnifiquechatparesseux,lebleudesesyeuxressortantsursonvisagebronzé.IlsentaitlavirilitéetleWyrfélin.L’odeur luienvahit lesnarineset lui tourna la tête.Sanaturewyrvoulait se jetersur lui, toutesserresdehors.Bonsang,sanaturehumainelevoulaitaussi.

MonDieu,levoyagesemblaitdéjàlongetcen’étaitquelapremièrejournée.Etelleavaitperdusonseulréconfort,laconvictionquetoutlemondeseporteraitmieuxsiellecommettaitdiscrètementuntoutpetitmeurtre.

AryalfonctionnaitparinstinctettoussesinstinctsluihurlaientdepuissilongtempsqueQuentinétaitunhommedangereux.Etilétaitdangereux.Lescréaturesenmesuredelaplaquerausolenserrantleursmainsautourdesoncoun’étaientpasnombreuses.

Avait-elle laissé cette réalité déformer son opinion ? Était-ce pourquoi elle l’avait traqué aussiimplacablement?Unhommedangereux,aprèstout,feraituncriminelparticulièrementdangereux.

Maisilluiavaitditlavéritéetelleaussi–peuluiimportaientsesactivitéspasséesdecontrebande.Sielles’obstinaitetcontinuaitàgaspillersontempsàfouillerlepassédeQuentin,elleseraitpeut-êtreenmesuredelefairevirerdesonpostedesentinelle,maisqu’est-cequecelaluicoûterait,àelle?

Ilétaitdéjàbeaucoupappréciéetilétaitl’amispécialdePia.EtAryalavaitnonseulementprisnotedesmotsdeDragos,maisaussideceuxdeGrym,sansoublierlamanièrefroideetsévèredontGraydonl’avaitregardéelorsqu’elleétaitalléeluiparlerdanslacafétéria.ElleavaitdéjàépuisétoutesamargedemanœuvrenonseulementavecDragos,maisavecpresquetoutlemonde.L’indiced’agacementsurleradardesonentourageétaitdanslerougeetceluidetolérancedangereusementbas.Personnen’allaitsemontrerindulgentavecelle.

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Elle passa donc tout le trajet à faire quelque chose qu’elle ne faisait que très rarement, à savoirréfléchirauxconséquencespossiblesdesesactes.L’exerciceluidonnamalàlatêteetheurtasanature.Elleenvintàlaconclusionquesedonnerunmaldechienetcauserunremue-ménagemonstrueuxafindel’épinglerpourdescrimesdontellesefichaitéperdumentn’envalaitpaslapeine.Pfff,siseulementilavait été un espion ou impliqué dans une sorte de complot hypersecret visant à assassinerDragos ouquelqu’und’autrequ’elleaimait!

Aumoins,ellen’avaitpasàrenonceràlahainequ’elleressentaitpourQuentin.Ilfallaitjustequ’ellerenonce à son plan consistant à faire croire à « un accident extraordinaire pour l’écraser commeuncloportedesortequ’ellepuisseramenerinnocemmentsoncorpsbroyéetsansvieàDragos».

Elledevaitavouerquecelaluisimplifiaitgrandementlavie.Etpuis,renoncerauplanétaitunechose.Ellepouvaittoujoursletourmenteretluifairetrèsmals’il

luidonnaitlamoindreraisondelefaire.L’idéelafitjubiler.Ils allaient devoir laisser la voiture pendant peut-être assez longtemps, elle la gara donc dans un

endroitrelativementdiscretsousdesarbressusceptiblesdelaprotégeruntantsoitpeudeséléments.Elleregarda autour d’eux et remarqua que le terrain de camping était doté de barbecues destinés auxrandonneursetleurpermettantdefairecuiredelanourriture.Depetitsanimauxavaientprobablementfaitdesnidsdanslamoitiéd’entreeux.Ellepréféraitmontersonproprefeudecamp.

Il était encore un peu tôt pour s’arrêter pour la nuit,mais il n’y avait pas non plus de raison des’épuiseràlatâche.Cetterégionétaitmagnifique,maislesconditionsneseraientpasclémentesàlami-marsetilsnepouvaientpasexactementforcerl’allure,remplirleurmissionetrentreràNewYorkplustôtqueprévu.Dragosavaitspécifiéqu’ilsnepouvaientpasreveniravantdeuxsemainesaumoins.

IlsavaientdéjàpasséunenuitblanchependantleurvoltranscontinentaletAryaln’avaitmangéqu’unrepasdepuis laveille.Certes, il avait étépantagruélique,mais sonorganisme lui indiquait qu’il avaitbesoindecarburant.

Quentinétaitluiaussisortidelavoiture.Ilétudiaitlascène,unbrasposésurletoitduvéhicule.Illevalatêteethumalabriselégère.

—Ilyadesloupsdanscesmontagnes,dit-il.Sentinelleoupas,unemeutedeprédateurspouvait leurrégler leurcompte.Lesloups, toutefois,ne

représentaientpasdemenaceréellepourelleouQuentin.N’importequellouppercevraitqu’ilsétaientdes prédateurs plus dangereux et ne s’approcherait pas. Pour les attaquer, il faudrait qu’une meutesauvageaituneraisonvraimentimpérieuse.

Ellepouvaitégalementse transformerenharpieetvoler, laissantainsi lamêléederrièreelle,etsiQuentinneparvenaitpasàlessemer,ilpouvaitseréfugierenhauteur,engrimpantàunarbreparexempleetenattendantqu’ilsrenoncentàlepoursuivre.Ilnefaisaitpasencoreassezfroidpourqu’unemeutesoitaffaméeaupointdel’assiégerpendantplusieursjoursjusqu’àcequecesoitluiquideviennedésespéréetprêtàtoutpourlesaffronter.

Maislesloupspouvaientdevenirunenuisance,enparticulierlorsqu’ilsferaientcuireleursrepas,ilfaudraitdoncqu’ilsrestentvigilants.

—Nousdevrionsmonterlestentes,dit-elled’untonbrusque.Ilpenchalatêted’uncôté,puisdel’autre,étirantlesmusclesdesoncou.—D’accord.J’aifaitleplusgrosdutravailcematin,alorsjevaisexplorerunpeuleslieuxetvoirsi

jepeuxchasserdugibierpourledîner.Tupeuxmonterlecampement.—Hé,ho!s’exclama-t-elle.Chasserétaitlatâcheamusante.

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Ilnerestapaspourargumenter,maissemétamorphosasur-le-champenunepuissantepanthèrenoireet, après lui avoir lancéun regardéloquent, il s’éloigna sansbruit.Elle fit lagrimace, regardaautourd’elleetconstataquelecrépusculeallaitbientôtlaisserplaceàlanuit,puissemitautravail.

Ellehésitaàmonteruneseuletenteetàsel’approprier,maiss’ilrevenaitavecdelaviandefraîche,elleenvoudrait;elleinstalladoncuncampementadéquatentendantunebâcheentredeuxarbresaucasoùilsemettraitàpleuvoirouàneiger,puismontalesdeuxtentesendômesurd’autresbâchesdepartetd’autredufeudecamp.Lesmatériauxmodernesfacilitaientvraimentlatâche.Lestentesétaientlégères,portativesetellelesdressaencinqminutes.

Quentinavaitnonseulementachetédessacsdecouchage,mais ilavaitégalementprisdesmatelasd’isolationquilesprotégeraientdufroidglacédusol.Ilsn’étaientpasaussiconfortablesquedesmatelaspneumatiques,maisilsétaientmoinslourdsetmoinsencombrants.Toutcequ’ilavaitachetéétaithautdegammeetléger,conçupourleslonguesrandonnées.

Latâchequipritleplusdetempsfutlacollectedepetitboispourlefeu.Elles’enoccuparapidementet,aprèsavoirramasséleboismortqu’elletrouvaautourd’elle,elleparcourutentrottantleterraindecampingquicouvraitunezonebeaucoupplusvastepourvoirsiquelqu’unavaitlaisséduboisàlasaisonprécédente.

Elleeutdelachanceettrouvadeuxbonnesbrasséesdebranches.Ellelesramenaàl’emplacementdeleurcampement,allumalefeuetouvritlabouteilledescotchdevingt-sixansd’âgequ’elleavaittrouvéedansl’undessacsdanslavoiture.Commeelleprenaitsapremièrelampée,unepanthèrenoiresurgitdelapénombre,deuxlièvresdanslagueule.

Lerefletdesflammestrembladanslesétrangesyeuxbleusdelapanthèreetfitchatoyersafourrurenoire.C’étaitétrangequesoussaformewyr,ilsoitd’unnoirsiintense,alorsquesoussaformehumaine,ses cheveux étaient d’un blond cendré. Le phénomène s’expliquait certainement par ses originesmétissées. Il s’approcha d’elle et l’éclat de la lumière joua sur lesmuscles gracieux et puissants quiroulaientsoussapeau.

Ellesentitlespoilssehérissersursanuque.C’étaitlaraisonpourlaquelleelleavaitlaconvictionsiancréequ’ilétaitdangereux.Siellefondaitsurluisoussaformedeharpie,ilavaitlavitesse,laforce,etlataillenécessairespourlahapperenl’air.

Ellerefusadelaissertransparaîtresaréaction,secontentadefairelamoue,pritunenouvellelampéeetditàlapanthère:

—C’esttoiquivoulaischasser.Tuasintérêtànepasm’amenerceslièvrespourquejelesnettoie.Le feuva être prêt dans quelquesminutes.Mets-toi au boulot, et sans traîner. (Lapanthère regarda labouteilledescotch,puislatoisad’unairimpassible.Ellelachassadelamain.)Allez,allez,espècedechatpuant.

Lapanthèrelaissatomberleslièvres,puissemétamorphosaenunhommeaccroupiquiétaittoutaussidangereuxquel’animal.

—Cen’estpastonscotch,fit-ilremarquer.Jusqu’à ce moment, elle avait eu l’intention de partager la bouteille avec lui. Après tout, c’était

normaldepartagerlesressourcesentrecamaradesdecamping,maiselleseravisadevantsonattitude.—Bienentenduquec’estmonscotch.Jel’aitrouvé,non?(Elleavalaunenouvellelampée,remitle

bouchonsurlabouteilleetlacoinçasoussonbras.)J’aimontétatente,souligna-t-elle.Jen’avaispasàlefaire.

Ilbalayadesyeuxlecampqu’elleavaitinstallé.—Celanevalaitpasunebouteilledescotchdevingt-sixansd’âge,déclara-t-il.

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Ilramassatoutefoisleslièvresets’éloigna,revenantbientôtaveclescarcassesqu’ilavaitdépiautéesetnettoyées.

Lesflammescrépitaientdésormaisavecrégularité.Elleavaitassembléuntournebrocheàl’aidededeuxbranchesfourchuesetd’unetroisièmeplacéesurlefeu.Enunriendetemps,leslièvresrôtissaient.

Avec l’arrivée de la nuit, le vent était devenu âpre, mais le camp diffusait lumière et chaleur etl’alcoolétaitunfeudeveloursquiglissaitdanssagorgecommede la lavedorée.Aryalsavaitque laperspectivedepasserlanuitdehorsdansdetellesconditionsclimatiquesferaitfrémirdesWyrscitadins,mais la civilisation les avait tellement domptés qu’ils s’étaient amollis et dépendaient trop de latechnologieetdesconfortsmodernes.

Ellenelescomprenaitpas.Ilsavaientperduunepartiedeleurâmeoul’avaienttroquéecontreleursécransplats, leurs spas, l’électricité et la réfrigération, et les verrousqui empêchaient l’accès à leurspossessions,maislesenfermaientavanttout.

Elleadoraitlanuit.Quandleurdînercommençaàcuire,Quentinsemitdebout,seretournaetluilançaunregardnoir.—Passe-la-moi.Ilavait l’airdemauvaisehumeuretexaspéré.Maisàvraidire, ilavait toujours l’airdemauvaise

humeur et exaspéré quand elle était dans les parages. Elle était surprise chaque fois qu’il souriait àquelqu’un.Surprisequ’ilensoitmêmecapable,etsurprisequeçalerendesiséduisant.

Pourquoi ressentait-elle toujours le besoin de l’agacer ? Sincèrement, elle n’était pas désagréabletoutletemps,justeavecceuxquiluitapaientengénéralsurlesnerfs.Ellesecoualatête.

—Trouver,c’esttrouver.Reprendre,c’estvoler.Etdetoutefaçon,jeneveuxpas.—Jetehaispassionnément,ditQuentin.Ellesecoualatêteetfitunpetitbruitdédaigneux.—Vous,lesjeunesWyrs,ressenteztropfortementleschoses…Cettefois-ci,ilnesejetapassurelle.Non,ilavançaversellelentement,l’airrésolu.Ellesouriten

retirantlebouchonetenportantlabouteilleàseslèvres.Iltenditbrusquementlamainetsaisitlefonddelabouteilleentresesdoigts,l’empêchantdeboire.

Elletiraettiraencoreetleliquideambrémenaçadeserépandre.—Jemeposeunequestion,repritQuentin.Est-cequetouteslesharpiessontcommetoi?Ellerassemblasesforcesettiraencoreplusfortsurlabouteille.Ellen’arrivaitpasàlefairelâcher

etunpeudewhiskyfutrenversé.—Noussommesplutôtrares,dit-elleavecgaieté.J’ailaréputationd’êtrel’unedesplussociables.

Laplupartdesharpiesnesupportentpasbiendevivreencommunauté.Côtoyerdumondeatendanceàlesrendrecingléesetagressives.

—Sociable.Illaissaéchapperunriresonoreets’avançaencoredavantagejusqu’àcequelabouteilleseretrouve

ensandwichentreleurstorses.Ilensaisitlegoulot,sesmainsenveloppantlessiennes.Ellelevalatêteetlejaugea.Ilsefourraitledoigtdansl’œils’ilpensaitqu’elleallaitsimplement

battre en retraite juste parce qu’il décidait demontrer les dents et d’envahir son espace personnel. Ildiffusaitdesvaguesdechaleur.Plusdélicieusesencorequecellesdufeu.

—Qu’est-cequetufais,Quentin?demanda-t-elledoucement.—Sincèrement,répondit-ilsurlemêmeton.Qu’est-cequeGrympeutbientetrouver,enfait?Elleexplosa.—Tuvasremettreçasurletapiscombiendefois?Nousnecouchonspasensemble!Grymetmoi

sommesamis.Voilàunscooppourtoi:J’ai.Des.Amis.Peut-êtrequec’estunconceptquetuasdumalà

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saisir.Ilposaunemainsursabouche.Legesteapportasonodeursoussesnarines.Sapaumeétaitdureetcalleusecontreseslèvres.Elle

faillitlalécherpourvoirsisapeauétaitsalée.—C’estundesgesteslesplusdébilesquej’aiejamaisvus,fit-elletélépathiquement.—Maisc’esttellementjoliàregarder,gronda-t-il.Ellesesouvintdelafemmequ’elleavaitvueaveclui,douceetféminine,menottéeetsoumise.Ce

seraitcommentdes’abandonneràsoncontrôle?Desentirsoncorpspuissantsurlesien,enelle,pendantqu’illuiferaittoutcedontilavaitenvie?Absolumenttout.

Danssoncas,ilsauteraitprobablementsurl’occasionpourl’étrangler.Ceseraitcomments’ils’abandonnaitàelle?Ellesentitsapeaulapicoter,unesensationbrûlanteetélectrisante.Elleécartaviolemmentlabouchedesamainets’entenditdire:—J’allaistetuer.Bon,ellen’avaitpaseuexactementl’intentiond’admettreunechosepareille.Elleregardad’unair

méfiant son visage mince comme il se mettait à rire, un gloussement étouffé qui vibra à travers labouteillequisetrouvaitentreeux.

Ilavaitl’airinsouciantsoudain.—J’allaistetuer,moiaussi.Ellehaussalessourcils.—Ouplutôtt’auraisessayé.En fait, il aurait bien pu y parvenir, tout comme elle aurait pu y parvenir.Que des sentinelles se

battent l’unecontre l’autreétaitunepremière.Ellesavaient toutesdes talentshautement individualisés.Même ceux des griffons différaient entre eux.Mais elles se valaient toutes aux plans de la force, del’agilitéetdelaruse.

Iltiradenouveausurlabouteille,maiscettefois-ci,sedésintéressantdelalutte,ellelalâcha.Ilpritunelonguelampée.Elleobservalesmusclesdesagorgependantqu’ilbuvait.

—J’essaieraipeut-êtredenouveau,lâcha-t-ilquandileutfini.Lesourired’Aryalsefitmoqueur.Est-cequec’étaitleuridéed’unetrêve?Iln’enparleraitpass’il

avaitvraimentl’intentiond’essayer.Nil’unnil’autren’enparleraient.Ilsnes’avoueraientjamaisunteldessein.

—Tudisçapourflirter,railla-t-elle.Delagraissedecuissontombasurlefeuengrésillant.Ilrelevauncoindesabouchesexytoutense

détournantd’ellesanssepresser.Elle faillit le saisir par son blouson et le forcer à lui faire de nouveau face, mais elle contrôla

l’impulsiondeprédateuretleregardas’accroupirettournerleslièvressurlabrocheimprovisée.Ilversaunpeud’alcoolsurlaviande.Lesflammesredoublèrentetgrillèrentlaviande.

Elleaimaitlevoiragenouillé.Elleapprécieraitencorepluslespectacles’ilavaitlatêterenverséedansuneposturedesupplication.Lemâlealpha,soumisdevantelle.

Ellenesavaitpaspourquoielleeutsoudainl’enviedeprendresaformewyr,maisellelefitetvintsetenir justederrière lui.Ellen’avait fait aucunbruit,mais sondos se raidit. Ilpercevait chacunde sesmouvements.

Elletenditlamainpoursuivrelecontourdesonoreilleavecl’unedesesserres.—Tuaimesdominerlesjoliesfillesdouces,murmura-t-elle.Degentilsagneaux.Çaflattetonegode

macho,n’est-cepas?Çatedonnel’impressiond’êtregrandetfort.(Iltournalatêtepourlaregarder,la

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lumière du feu fit jouer des reflets d’or dans ses cheveux. Elle caressa tout doucement les volutessensiblesdel’intérieurdesonoreilleetsouritenobservantlefrissonquiparcourutsoncorps.)Tuaimeste livrer à tes petits jeux.Une courroie de cuir, de faussesmenottes. Rien de tout cela n’est vrai. Tun’oseraisjamaisabandonnertoutcontrôle,n’est-cepas?Tun’enaspaslecran.

Illaissasonregarddériversursesailes,soncorps.Sonvisagebrûlaitavecquelquechosedepluschaudencorequelefeu.Ilsemitdebout,lentement,etplongeadanssesyeux.

—Tunesaisabsolumentpascequejepourraisfaireoucequejepourraisoser.Ses ailes se gonflèrent légèrement. Elle posa la pointe tranchante de l’une de ses serres contre

la courbe de sa lèvre inférieure. Appuya très doucement jusqu’à ce qu’une goutte de sang rubisapparaisse.

Iln’esquissapasungeste.Toutesonossaturesaillait,lesombresaccentuéesparlaforcedecequ’iléprouvait.

Laharpiesepenchaetléchalagouttedesang.Ilétaitricheetcapiteuxetseslèvresavaientlegoûtduwhisky.

Ellesourit,contenantavecpeineledésirforcenédes’élancerdanslesairs.—Jetedéfiedetelivreràmoncontrôle,dit-elle.— C’est la deuxième fois que tu fais couler mon sang, grinça-t-il entre ses dents. Je m’en

souviendrai.Ellenepouvaitpassavoircequ’ilressentait,simplementquec’étaitquelquechosedesuffisamment

puissantpouraccélérersa respirationcommes’ilvenaitdecourir longtemps. Il léchasapropre lèvre,touchantdelalanguel’endroitoùlasiennen’étaitdéjàplus.

Etilsentaitdenouveaulesexe,chaud,suffocantetplusenivrantquetouslesalcoolsdumonde.—Jetedéfiedelefaire.LesyeuxdeQuentinétincelèrentetillasaisitparlementon.Ilavaitsortisesgriffes.—Jerelèvecedéfi,gronda-t-il.Dèsquetuteseraslivréeàmoncontrôle.Son rire résonnadans la clairière.Elledégageabrutalement sonmenton.Puis elle s’abandonnaau

désirdes’élancerdanslanuit.Elles’éloignaàtire-d’ailesansregarderenarrière.Personnenecontrôlaitlaharpie.Personne.

Quentindévoralesdeuxlièvres.Tantpispourelle.SiAryaldécidaitdenepasrester,elleperdait

toutdroitaudînerqu’ilavaitchassé,attrapéetfaitcuire.Puisils’assit,latêtedanslesmains.Detempsàautre,ilremettaitduboisdanslefeuetprenaitdes

lampéesdescotch.Unventcapricieuxsoufflaitenrafalesdanslesarbresau-dessusdelui.Ilneplutpasnineneigea,maisàcetteépoquedel’année,letempsdanslaForêtdeBohêmeétaittrèsimprévisibleetilpouvaitchangerd’uneminuteàl’autre.

Lui,abandonnertoutcontrôle.SelivreràAryal.C’étaitl’idéelaplusautodestructriceetlaplusfarfeluequ’ilaitjamaisentendue.Etpourtant,lorsqu’ilavaitfaitfaceàlaharpie,laréactionqu’ilavaiteueàsonendroitavaitétéplus

incontrôléequejamais.Ilnes’était jamais trouvéaussiproched’elle lorsqu’elleétait soussa formewyr.Lavue luiavait

coupé le souffle. On reconnaissait toujours Aryal, mais ses traits étaient plus anguleux encore, plusprofilés,plusaccentués.Sesyeuxperçantsseraientenmesuredelocaliseruneproieàdeskilomètresdedistance.Etpuis,grandsdieux,cesailes.Ellessedéployaientderrièreelleenunimmenseéventail.Desplumes courtes gris foncé, duveteuses, couvraient les ailes au niveau des humérus puissants qui les

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maintenaientdans les airs.Elles s’assombrissaientvers leur extrémité et les rémigesprimaires étaientlonguesetdunoirlepluspur.

Commesonvisage, sa silhouette fuselée et lamusculaturede soncorpsnuétaient soulignées.Despetitsmamelonscouronnaientsesseinsmenusetfermeset,àpartirdelataille,seshanchesetsesjambesétaientcouvertesdepetitesplumesgrisesquisemblaientdouces.Ilsedemandaitquelleseraitsaréactions’ilpassaitunemainlelongdesacuisse.

Siseulementellen’étaitpasaussidiablementmagnifique.Elleluiavaitparusisauvage,toutdroitsortied’unautreunivers,puiselles’étaitélancéedansles

airs,défiantlagravité.C’estàcemoment-làqu’ilavaitpigé,qu’ilavaitvraimentcompriscequeGrymavait voulu dire parce qu’il ne l’avait pas simplement appréhendé avec son intellect. Non, il l’avaitressentiviscéralement.

Ellenecorrespondaitpasàl’archétypedelafemmemoderne,etunhommedesontemps,unmâlesûrde lui comme il l’était, la trouvait d’autant plus agaçante.Elle ne se rangeait pas à son opinion et nemasquaitpassaproprepersonnalitéombrageusepourcollerauxmœursdecetteépoque,parcequ’ellen’appartenaitpasàcetteépoque.Elleétaitréellementl’unedescréatureslesplusanciennesetlesplussauvagesdumonde.

Elleavaitmêmesansdoutedéjàdûsebrideretsedisciplinerpourpouvoirs’intégreràlaviedelatour autant qu’elle l’avait fait. Ses attaques, ses coups de griffes restaient essentiellement verbaux etsesinstinctsdeprédateurseconcentraientsursesenquêtes.Lerestedesapersonneétaittoutbonnementdésagréable.

Ilricanasansjoie.Ilnepouvaitmêmepasdirequ’ilvenaitjustededévelopperuneobsessionpourelle, vu qu’elle l’obsédait depuis unmoment déjà.Maismaintenant que cette obsession était devenuesexuelle, il n’arrivait plus à l’ignorer. Ou peut-être qu’elle avait toujours été sexuelle et qu’il venaitseulementd’enprendreconscience.

Elleavaitraison.Ilnes’étaitjamaislivréaulitaucontrôledequiquecesoit.Ceseraitcommentdeselivreràelle,cettecréaturepureetsauvage?Celan’arriveraitjamais,alorsilnelesauraitjamais.

Ilsentitlespoilssedressersursanuqueetl’instinctluifitrejeterlatêteenarrièreetscruterlecielnocturnenuageux.Là-haut,unmagnifiquecauchemartourbillonnait,lesailestotalementdéployéestandisqu’ellepenchaitlatêteetleregardait.

Cela faisait combien de temps qu’elle était là-haut, en train de tournoyer au-dessus de lui et del’observer?

Ilseraidit.Lapanthèrequil’habitaitvoulaitbondirverselleetlafaireredescendresurterreentresesgriffes.L’hommevoulaitlarecouvrirdesoncorpsetlaforceràluidonnertoutecettepuretéetcettesauvagerie.

Elledescenditetseposanonloindesarbres,repliasesailesetrepritsaformehumaine.Puisellerevintverslecampenmarchantrapidement.Elleavaitdûvolerhautcarsescheveuxnoirsétincelaientd’humidité.

Elle semblait calme, revigorée.Pour elle, voler devait s’apparenter à ce que courir dans les boissoussaformedepanthèrereprésentaitpourlui.C’estalorsqu’ileutunerévélation.

Unfouetlapoussaitelleaussi,toutcommelui.Elle s’accroupit devant le feu sans rien dire. Ils restèrent ainsi silencieux pendant quelque temps.

Curieusement,c’étaitpresqueunmomentdecamaraderie.Quentinregardalewhisky.Ilnerestaitplusbeaucoupd’alcooldanslabouteille.Allez.Illuioffritet,

aprèsavoirhésitéuninstant,ellelaprit.—Quandtum’asespionnédansmachambre,dit-il.Çat’aplu.

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Elle pencha la tête, réfléchit quelques secondes, puis haussa les épaules. Elle but une gorgée descotchetluirepassalabouteille.

—J’aiadorétaqueue.Lafemmeetlesjouetsm’ontgonflée.Iléclataderireetunpetitsourireflottasurleslèvresdelaharpie.—Jedoisreconnaître,dit-il,quelafilleetlesjouetsm’ontgonflé,moiaussi.—Alorspourquoilefaire?demandaAryalenluijetantunregarddecôté.Ilinspiraprofondémentetseredressa.C’étaitunebonnequestion.Pourquoilefaisait-il?Ilauraitpurépondreplusieurschoses, toutesplusoumoinsprochesdelavérité.Il lefaisaitparce

qu’iln’étaitpasexactementlesolitairequ’ilvoulaitêtre.Parcequesalibidoétaitforteetqu’ilcherchaitquelquechose.Quoi,ilnelesavaitpasvraiment,maisilnel’avaitpasencoretrouvé,entoutcas.

Parcequecesjeuxnelesatisfaisaientpas,maisilsouvraientversunevoiequil’attirait.Parcequecesjeuxluioffraientunexutoire,unmoyendesecanaliserafinqu’ilnefassepasdemalàquelqu’undeplusvulnérablequelui.

Ilbutàlabouteille,puisdéclara:—C’estcompliqué.—Non,çanel’estpas.Tuesdépravécommemoi.Il laregardaavecattention.Ellen’essayaitpasdelemettreencolère.Elleénonçaitsimplement la

véritécommeellelapercevait.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Tupeuxmasquer ta nature sous cesbelles fringuesque tuportes aubar et sous tonnumérode

charme,maisretire lesvêtementset lecharme,etcequ’il resteestbrutaletsombre. (Lavoixd’Aryalétait calme, dénuéed’affect.)Tune vas jamais réussir à te trouver vraiment de lamanière dont tu t’yprends.Tuserastoujourstourmentéetpeusatisfaitjusqu’àcequetucomprennesquelesjeuxauxquelstut’adonnesnenourrissentpasl’animalquivitentoi.

—Tudisn’importequoi,répliqua-t-ilsèchement.Lesmots qu’elle venait de prononcer lemordaient au plus profond de son âme. Il essaya de les

repousser en semoquantd’elle tandisque lapartiede sonêtrequi s’était libéréeplus tôt se rebellaitencoreplus.

—Vraiment?Elleselevaets’étiraavecabandon,libreetsauvagesoussaformehumainecommeellel’étaitsous

saformewyr.Ellebaissalesyeuxsurluietuneexpressionétrangeselutdanssonregard,quelquechosequ’iln’avaitjamaisvuenelleauparavant.

—Lesténèbresn’ontriendemaléfique,tusais,dit-ellepresquegentiment.C’estaussibeauquetoutlereste.

Ilnelaquittapasdesyeuxcommeelles’approchaitdel’unedestentes,tiraitlafermetureÉclairdurabatpourl’ouvriretrampaitàl’intérieur.Ilsentitunmuscletressauterdanssamâchoire.Ilsefrottalajouepourlefairecesser,puisfinitlescotch.Iln’yavaitaucuneraisondenepaslefaire.

Puis,parcequ’iln’yavaitpersonneavecquisebattre, il rampaà l’intérieurdesapropre tente. Ilretirasesbottes,maisgardasesvêtementsenseglissantdanslesacdecouchage.Auboutdequelquesminutes,lachaleurdesonproprecorpsavaitréchauffélesacetilsesentaitbien,physiquementdumoins.

Mentalement, c’étaituneautrehistoire. Il contempla leplafondde sa tenteplongédans l’obscuritéjusqu’àcequelefeumeuredehors.Puisilfermalesyeuxetfitsemblantdedormirpendantquelesilencerugissaitdanssatête.

Làoùtoutétaitsisombre.

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8

Lematinapportalesoleiletdestempératuresplusclémentes.Quentinavaitdémontésatente,pliélesbâches et piétiné les dernières braises du feu de camp lorsque Aryal émergea de la sienne. Ellecontemplalecerclevidemarquantl’emplacementdufeu,levisagegonflédesommeil.Illaregardaavecaigreur.Pendantqu’ilavaitpassélanuitlesyeuxrivésauplafonddesatente,elleavaitdormicommeunbébé.

—J’allaisfaireducafé.—Dommage,répliqua-t-ilsèchement.Ilfautqu’onavance.—Alorsc’estcommeçaquevasepasserlajournée?Ellefitungesteexaspérésignifiant«j’abandonne»,lefusilladuregardetdémontasatente.Pendant qu’il l’attendait, il ouvrit deux boîtes de saucisses aux haricots et mangea la nourriture

froide.Ellefitdemêmequelquesminutesplustardetgrimaçaenavalantsonpetitdéjeuner.Ilsremplirentleurssacsàdosdetoutcequ’ilspouvaientporter,lematériellégerdecampingattachésouslessacs.

—Enroute,dit-ildèsqu’Aryaleutfinideréglerlescourroiesdesonsac.Elleluijetaunregardnoir.—Jenevaispasmarchertoutelajournéeavectoialorsquetuesdecettehumeur.Elleparlaitd’humeur.Illevalesyeuxaucieletposalesmainssurseshanches.—Tuvasessayerdevoleravectoutçasurledos?QuandlesWyrssemétamorphosaient,unemagieinhérenteauchangement lui-mêmetransformaitce

qu’ilsportaientenmêmetemps.La théorieétaitque lephénomèneétait liéà lamanièredont lesWyrsdéfinissaient leurespacepersonnel,mais lamétamorphosenemarchaitpaspour leschargesspéciales,tellesqu’unsacàdosparexemple.

Ellehaussalesépaules.—Jepeuxleporter.Nousnousdirigeonsverslesud-ouest,c’estça?—Oui,répondit-ild’untonsec.(Ilsavaitqu’ilsecomportaitcommeuncrétin,maisiln’arrivaitpas

às’enempêcher.)Tuvoislacrêteenhautdecescollines?Suis-la,elleépouselescourbesdelachaîne.LepassageversNumenlaurdevraitsetrouveràproximitédel’endroitoùfinitcettecrête.

—Çamarche.Ellen’ajoutarien,semétamorphosaetsesailessedéployèrentdechaquecôtédescourroiesdusac

àdos.—Aryal.Ellemarquaunepausepourleregarder,unsourcilnoirrelevé.— Ne va pas jusqu’à atterrir à l’endroit du point de passage sans moi. Les Elfes que Ferion a

envoyés pour le garder sont stressés et isolés. Ils ont perdu des amis et des proches et cela fait des

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semainesmaintenantqu’ilsn’ontaucunenouvelledeLirithriel.Attends-moiavantde fairequoiquecesoit.(Ils’arrêta,serralesdentsetajouta:)S’ilteplaît.

—Compris.Elleseretournaetpritsonenvol.Quentinlaregardaprendredel’altitude.Elleétaitvraimentdanssonélémentdanslesairs,touteen

grâceetenpuissance.Ilavaitdumalàcroirequ’elleavaitchoisidepartirplutôtqued’argumenteraveclui.Celaneluiressemblaitpas.

Il se frotta levisage, luttantavecdesémotionscontradictoires.Àvif comme il l’était cematin, laprésenced’Aryalnepouvaitquejeterduselsurlaplaie.Maisilétaitcontrariémalgrétoutqu’elleaitpupartiraussifacilement.Ilavaitenviedesedisputeravecelle.Elleavaitdébitéuncertainnombredetrucsfichtrementprésomptueuxlaveilleausoiretilétaitoffensé.

Lesilenceétaitpaisibletoutefois.S’il avait étéhumain, lamarche jusqu’aupassage lui auraitpris aumoinsdeux jours, etbeaucoup

plussiunetempêtedeneigedéferlait.Ilnepouvaitpasarriveraubutaussivitequ’Aryalquiprenaitlavoiedesairs,maisilpouvaitcouvrirladistanceplusvitequedeshumains.

Il partit tranquillement au petit trot, avalant les kilomètres. Au bout d’une demi-heure, il avaittellementchaudqu’ilduts’arrêterpourretirersonpulletsonblouson.Illespliaets’enservitpourfairetamponetéviterquelefrottementdescourroiesdusacàdosn’irritesesépaules.Puisilrepritsacourse.

Cejour-là,lesnuagesquiflottaientdanslecielbleumétalliquen’étaientguèreplusquedesbandesvaporeuses, transparentes comme de la soie blanche. Le soleil de l’hiver tardif était d’un or pâleétincelantsurlesvertsetlesbrunsmatsdelaforêt.Lesarbresàfeuillescaduquesétaientdépouillésetluipermettaientdevoirplus loindans les zonesdenses,mais les arbres à feuillespersistantes étaienttouffusetd’unvertéclatant.

Ilpourraitaccélérerlacadencedanslesprairiesvallonnéesenrisquantmoinsdetrébucheroudesetordre un pied.Dans la forêt, la neige fondue et lamousse humide rendaient les sentiers inégaux tropglissants.Là,ilnepouvaitadopterqu’unrythmeprudentetrégulierdepetittrot.Ilfinitpararriveràunpointoùlescheminss’arrêtaientetildutsedébrouillertoutseul.

Ilruminatoutelamatinée.ContrairementàcequeluiavaitditAryallaveilleausoir,iln’étaitpascommeelle.Pasdutout.Elleavaitprésuméqu’ilrefusaitd’affronteruneespècedevéritéleconcernant,etcen’étaitpaslecas.

Il ne pensait pas que les ténèbres qui vivaient en son sein étaient mauvaises ou maléfiques. Iln’essayaitpasdedénieroudecachercequivivaitenlui.

Ilessayaitd’enprotégerlesautres.Ilconnaissaitsaforceetilsavaitqu’ilavaitdedangereuxattributs.Etsonpèrelesavait,luiaussi,lui

quil’avaitfaitformerdèssonplusjeuneâgeàlamagieetauxartsmartiaux.L’objectifdesonpèreétaitde l’empêcher dedevenir une tête brûléedotéed’aptitudes trop développées,mais d’une technique etd’une habileté insuffisantes. Quentin avait poursuivi l’entraînement quand il avait atteint l’âge adulteparcequesanatureagressiverépondaitbienàl’effortetàlapression.

Lerésultatétaitqu’ilpouvaittuerenportantunseulcoup.Casserquelquesosétaitencoreplusfacile,surtoutsisonpartenairesexuelétaitunêtrehumain.

MaissiAryalétaittombéeàcôtédelaplaqueavecsesdéclarations,pourquoisesentait-ilsiagitéetsifrustré?

Ilatteignitlacrêteversmidi.Ilensuivitl’arêtejusqu’àcequ’ilarriveàunlacoùildécidadefairehalte. Il avait brûlé les calories de son petit déjeuner depuis un longmoment déjà. Il but longuement

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l’eauglaciale.Lelacétaitd’unbleusiprofondqu’onauraitditqu’unénormesaphirétaitsertidanssesprofondeurs.

Ensuite,au lieudeprendre le tempsd’allumerunfeuetde fairecuirequelquechose, ildécidadefairecequ’ilavaitfaitlematinetouvritdoncdesboîtesdeconservedontildévoralecontenufroid.Cen’étaitpasfameux,maisc’étaitducarburant.Ilavaithâtedesavourerunrepaschaudlesoir,toutefois.

Ils’assitsurletroncd’unarbreabattupourmanger.Soncorpsserefroiditpetitàpetit,maislabriselégèresursapeauensueur lui faisaitdubien. Ildevait fairedans lescinqdegrés,mais iln’avaitpasl’intentiondes’arrêtersuffisammentlongtempspourvouloirremettresonpull.

Uneombreseprofilaau-dessusdelui.Illevalesyeux.Aryaldescendaitenselaissantporterparuncourantaérien.Elleviraetatterrit,puisellesemétamorphosaets’approchadelui.Elleavaitbonnemineet paraissait plus vivante que tout le paysage environnant, une véritable concentration d’énergie et deprésencephysique.

Elleavaittrouvéunendroitoùcachersonsacàdos,carelleneleportaitplus.Sonregards’attardasursontorsenu.Ilsetournaetavalalesdernièresbouchéesdesonrepassansvraimentmâcher.

Elles’assitàcôtédelui,relevalesjambesetpassalesbrasautourdesesgenoux.—Tuavancesvite,dit-elle.Ilyaunecabanedechasseursplusloin.Jepensequetupeuxl’atteindre

avantlatombéedelanuit,situforcesunpeu.Celaferaitunbonabriavecquatremurs,unplafondetprobablementunecheminée.Lescabanesde

chasseursétaientrarementspacieusesetluxueuses.Ilsauraientdelachances’ilyavaitplusd’unepièce.Cela signifiait partager de nouveau un espace confiné avec elle. Il laissa échapper un soupir quiressemblaitàungrondement.

—Onverra.Ellelevaleboutdesesbottesetlesexamina.—J’aitrouvéunpassage.Irrité par son repas, nourrissant mais peu goûteux, il fourrageait dans son sac à la recherche de

quelquechosedesucré,d’unebarrevitaminée.Illaregardaenfronçantlessourcils.—Tuastrouvéunpassage?Ellefitunegrimaceethaussalesépaules.—Çasembleêtreaubonendroit,maisj’aiécoutécequetum’avaisditetjenemesuispasposée.Je

nesaispass’ils’agitdupassagedeNumenlaur.(Ellelui jetaunregardenbiais.)Letruc,c’estquejen’aipasvud’Elfesdanslesparages.Jen’ensuisdoncpassûre.

Ilréfléchitàcequ’ellevenaitdedireendéchirantl’emballagedesabarreetenmordantdedans.—Tuasvuuncampement?Ellesecoualatête.—Rien.Çanepourraitpasêtrelesecondpassage?Celuiquimèneàl’AutreContréedeLirithriel?Ilmâchapensivement.Ilnel’imaginaitpasdévierautantdesatrajectoire,maisjusteaucasoù,illui

demanda:—Tupeuxdessinerl’endroitoùtul’asrepéré?Elledescenditdutronc,saisitunepetitebrancheetsemitàtracerdeslignesdanslabouequibordait

lelac.—J’aisuivitesinstructions.Ici,c’estlacrête,ellelongecettemontagneunpeuécartéeetvaguement

enformedepoucequidépassedurestedelachaîne.Illevalessourcils.Elleavaituneperspectiveuniquedepuislesairs,c’étaitincontestable.—OK.

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—Lacrêteaboutitlà,dansungrandravinprofond.(Elletailladalaboue.)Enfait,c’estplusgrandqu’unravin,uncanyonplutôt.C’estlàquesetrouvelepassage.

— Ça semble exact, dit-il. N’oublie pas que je n’ai moi-même jamais vu le passage, mais çacorrespondàcequeFerionm’adécrit.L’autrepassageestàvingt-cinqoutrentekilomètresausuddecepoint.

—Oùsontlesgardes,alors?dit-elleenlevantlesyeuxverslui.—LesElfessaventtrèsbiensefondredansledécor,avança-t-ilenfinissantsabarrevitaminée.Ilrinçalesboîtesvides,lesécrasasoussontalonetrangealemétalaplatidanssonsac.Aryalseredressaentapantdoucementdupied.—Jelesais.(Ellefronçalessourcils.)Bon,jen’aipasposélepiedàterre,c’estvrai,maisj’aivolé

vraimentbas,justeau-dessusdesarbresetentreeuxparfois.Jenecroispasquelesgardessoientlà-bas,Quentin.

Il la considéra longuement. Il ne perdit pas de temps à souligner lamanière carrée qu’elle avaitdepenser,maisseconcentrasursonrécit.Ilnepritpaslapeinenonplusdeluidemandersielleavaitremarqué les tracesd’uncampement.Lorsque lesElfes levaient lecamp, ilséliminaient tout indicedeleurpassage.S’ilsétaientvenuspuisrepartis,ilsn’avaientrienlaisséderrièreeux.

—Donc,soitj’aitrouvéunautrepassage…commença-t-elle.Iljetadenouveauuncoupd’œilsurlacartetracéedanslaboue.—Non,tun’aspastrouvédenouveaupassage.—Soitpouruneraisonouuneautre, lesElfesontéprouvélebesoindetraverserpourserendreà

Numenlaur,conclut-elle.—Jesupposequec’estpossible. Jemedemandecequiauraitpu lespousserà traverser.Et s’ils

l’ontfait,pourquoin’ont-ilspaslaisséquelqu’unmonterlagardeàl’entréedupassagecommeonleleuraordonné?(Sesépaulesn’étaientpasraviesàl’idéed’êtredenouveauchargéesdusac.Ilmarquaunepauseavantdelesaisir.)Ilyaunetroisièmepossibilité.Ilsnesontpeut-êtrejamaisarrivés.

— Quelles que soient les possibilités, elles soulèvent seulement deux questions. Où se trouventactuellementlesElfesetpourquoinesont-ilspaslà?(Elleseconcentrasurlui.)Arrête.Retiretonsac.

—Pourquoi?demanda-t-ild’untonsoupçonneux.—Jevaisleprendre.(Elletenditlamain.)Tuirasplusvitesanslui.Situpeuxtemétamorphoser,tu

arriverasàlacabaneavantlanuit,c’estsûr.Lepassageestjusteàdeuxheuresdemarcheensuite.Nouspourrionsyêtreenmilieudematinée.

Ilmarquaunepausetandisqu’ilréfléchissaitàsasuggestionenétudiantsestraits.S’illuidonnaitlesac,Aryalseretrouveraitavectoutlematérielettouteslesprovisions,sansoublierlesclésdelavoiture.

Mêmesielledécidaitdeluifaireunevacherie,parexempledisparaîtreenemportanttout,lelarcinnel’affecteraitpas,illuicompliqueraitjusteunpeulavie.Ilsavaitquesestechniquesdesurvieétaientsuffisammentaffûtéespourqu’ils’ensorte,etpuisilgarderaitsesarmes.

Ilavaithésitéunmomentdetrop.Aryalétrécitlesyeuxavecdégoûtouimpatience.—Nesoispasidiot.Jecroyaisqu’onavaitaumoinsdépassécestade.—Bon.Attendsuneseconde.Outrelespistoletsetlescouteaux,ilsavaienttousdeuxapportédesépéescourtes,quipouvaienttenir

verticalement à l’intérieur de leurs sacs. Ils auraient pu, légalement, apporter des longues épées,maisellesavaienttendanceàêtreplusencombrantesqu’autrechosependantleslongsvolsenavion.

Ilavaitlecouteausurlui.Ilouvritsonsacetensortitl’épéeetlepistolet,puisilleluitendit.Elleleglissaenlâchantungrognementàpeineaudible,puiselleenajustalepoids.—Oùsetrouvelacabane?

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Elle lui indiqua le chemin, semétamorphosa et rassembla visiblement ses forces. Elle avait déjàvoyagéplus loinque lui et certes, elle avait des ailesqui lui permettaient de couvrir uneplusgrandedistance rapidement, mais elle avait également inspecté le terrain environnant avec manifestementbeaucoupdesoin.IlnepensaitpasquecesoitaisépourunWyrdegrandetailledevolersiprèsdusolaupointdepouvoirpasserentrelesarbres.Elledevaitêtrefatiguée.

Lemotqu’ilvoulaitdirefaillitrestercoincédanssagorge.—Merci.Ellefitlamoue.—Jeveuxsimplementarriveraupassageleplusvitepossible,alorsoublie.—C’estfait.Ilsereculaetlaregardas’élancerdanslesairs.Bonsang,elleavaitledondel’exaspérerparfois,maisildevaitreconnaîtreunechose:quandelle

prenaitsonenvol,lespectacleétaitàcouperlesouffle.Il semétamorphosa à son tour et la panthère semit à courir après la harpie, suivant la direction

qu’elleavaitprise.

Aryalatterritàlacabanedechasseursenéprouvantunsentimentdesoulagementetdèsqu’elleleput,ellesedéchargeadusacàdosdeQuentin.Entantqueharpie,ellepouvaitvolerpendantdesjourssiellele souhaitait, enfin si elle restait dans son état naturel et qu’elle n’essayait pas de porter de chargesupplémentaire. Entre les armes, les boîtes de conserve et les mets déshydratés, les vêtements et lematérieldecamping,sonsacetceluideQuentin,celareprésentaitunpoidsimportantàremorquerdanslesairs.

La cabane était nichée dans un creux de terrain et cernée d’arbres qui offriraient une certaineprotectioncontrelesconditionsclimatiqueslesplusrudes.C’étaitunestructureassezgrossière,àpeineplusqu’unepièceavecunecheminéeenmoellonsetdeslitssuperposés,maisilyavaitdéjàpleindeboisentreposédansl’appentisattenant.Uncoursd’eaupassaitàcôtéetleurpermettraitdeserafraîchir.Enfin,ilyavaitunpostedenettoyagepourlegibieretlepoisson.

Elle jeta le sac deQuentin dans un coin et fit un feu.Alors que la chaleur commençait à envahirl’espace,ellesecouasonsacdecouchage, ledisposasurlacouchettedubas,puissejetadessusavecdélice.Ellesupposaitqu’ildevaitêtreenviron17h30.ÀNewYork,iln’étaitpasloindeminuitdonc.Ici, l’obscuritécommençaitàplonger ses tentaculesdans les recoinsdu territoire,couvrant lespochessecrètesoùsecachaientlescréaturestimides.Ilallaitfairefroidcettenuit.Ilneigeraitpeut-être.

Ellefermalesyeuxetlaissasonespritvagabonder.ToutessespenséestournaientautourdeQuentin.Tombersurluialorsqu’ildéjeunaittorsenuavaitétésaisissant.Celaauraitpeut-êtreétédifférenten

pleinété,maisellenes’étaitpasattendueàvoirseslargesépaulesnuesdansunpaysagehivernaletelleavaittournoyéquelquesminutesau-dessusdeluiafindepouvoirtoutsimplementl’admirer.

Lanuitdernière,sonvisages’étaitferméquandelleavaitditcequ’ellepensaitêtrevrai,etlematin,ilavaitétéd’unehumeursimassacrantequ’elleétaitpartieleplusvitepossible.Ellenesavaitpascequiavaitpuletoucherautantdanscequ’elleavaitdit,maisavaitpenséques’ilsn’allaientpass’entretuerenfindecompte, lemieuxpoureuxdeuxseraitdepasserunpeude temps loinde l’autre,histoirede seressaisir.

Passer la journéeseule,environnéepar lanatureetnonpar lebétonet l’asphalte,avaiteuuneffetmiraculeux sur sa propre humeur, et quand elle lui avait parlé au milieu de la journée, cela l’avaitmanifestementaidéluiaussi.S’iln’étaitpasparticulièrementenjoué,ilétaitpluscalme.

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Etàmoitiénu.Quedupositif,ensomme.Elles’étira,lesmusclesdesesépauleslatiraillantagréablement,etretirasesbottesenlespoussant

despieds.Puis elle s’assit, sedéshabilla et se transformadenouveauenharpie.Elle sortit ensuite setremper dans le ruisseau. La harpie adorait cela, mais l’eau glacée charriait de la neige fondue enprovenancedesmontagnes et était beaucoup trop froidepourqu’ellepuisse l’apprécier sous sa formehumaine.Lacabanen’avaitpas l’eaucouranteet iln’yavaitaucunmoyendefairechaufferdegrossesquantitésd’eau,aussicettepetitetrempetteseraitcequiallaitleplusserapprocherd’unbaincesoir.

Quandelleeutterminésatoilette,ellerentradanslacabanechaudeetrepritsaformehumaine.Elleenfila des sous-vêtements propres, puis remit la tenue qu’elle portait, savourant la tranquillité et lesilenced’avoirlacabaneàelleseuletoutenessayantdedécidersielleallaitséduireQuentinounon.

Unepartie de jambes en l’air bienviolente continuait à avoir beaucoupd’attrait.Lemordre alorsqu’ilsrouleraientparterreetbaiseraientcommedessingesenrut…Ellepourraitprendresonmagnifiqueenginenelle,nouer les jambesautourdeseshanches, fairechauffersa fusée jusqu’àcequ’ils foncenttousdeuxverslalune.Miam.

Maisilsavaientdéjàquasimentfranchicestadeetsetrouvaientdansunautrelieuétrange.Unlieuencorepleindecolèrequimêlaitlesexeetlaviolencecommeilssedéfiaientdefairedeschosesqu’ilsn’envisageraientjamaisdefaire.

Saufque.Ce serait vraiment splendide de le faire s’agenouiller, lui, Quentin Caeravorn, d’harnacher cet

hommesexyetde l’avoir soussacoupependantunpetitmoment. Iln’étaitpasdu typesoumisetcelarendraitlaséanceencoreplusdélectable.Lasimplepenséedelascènesuffisaitpresqueàlapousseràreleverledéfi.Unmomentoùilsesoumettraitets’abandonneraitàsoncontrôle,etelleluidonneraitlamêmechoseenretour.

Leproblème,c’étaitqu’ilsn’avaientnil’unnil’autredestempéramentssoumis.Ilsavaienttouslesdeuxdespersonnalitésdominantes.

Bonsang.Aryaln’étaitmêmepasfaitepour lesadomasochismetraditionnel.Elleavaitbrièvementfréquentélesclubs,parcuriosité,maiscestyledevieétaitbeaucouptropcomplexeetcodifiépourelle.Ellen’avaitnilamotivationnilapatienced’apprendretouteslesrèglesdeconduite.EllesedemandaitsiQuentinlesavait.

S’abandonner totalement au contrôle de quelqu’un d’autre demandait une confiance extrême etunimmensecontrôledesoi,oubienunecertainesortedefoliesuicidaire.

Ellen’avaitpasconfianceenQuentinetelleétaitcertainequ’iln’avaitpasconfianceenelle.Celanelaissaitquel’autreoption.Ellesejetadenouveausursacouchette,étiralesbrasau-dessus

desatête,etéclataderire.Laportedelacabanes’ouvrit.Quentinentra,apportantavecluilesodeursdelaforêt.Del’airpuret

froids’engouffradanslapièce.Ilbalayal’espacedesyeuxetenregistratoutrapidement.C’estseulementensuitequ’illaregarda,les

yeuxplissés.Ilrefermalaportederrièrelui.Desineptiestraversèrentlatêted’Aryal.«Ah,tevoilà.C’estpastroptôt.»«Çateditderetirerdenouveautachemise?»—Qu’est-cequetuvasnousprépareràdîner?demanda-t-ellefinalement.Illafusilladuregard,sonhumeurétaitdoncapparemmentredevenuenormale.—Jel’aipréparéhierettun’espasrestéepourlemanger.

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—C’étaithier.(Ellebâilla.)C’estaujourd’hui.—Tuauraispupréparerquelquechosetoi-même,depuisletemps,souligna-t-il.—Non,jenepouvaispas.J’aifaitpleindechosesaujourd’huietjeviensjustedemelaveretdeme

changer.(Ellepassalesbrassoussatêteetleregardalesyeuxmi-clostandisqu’ilsoulevaitsonsacetleposaitsurlaseuletabledelacabane.)Lasalledebainsestàtoi.

Ilrelevalatêteetbalayaunenouvellefoislapiècedesyeux,puisrevintàelle,interloqué.Ellesouritetindiqualaporte,etilrit.

Unsonencoreplussaisissantquelavuedesapoitrinenue.Nonmais écoutez-nous, pensa-t-elle. Je blague, il rit. Nous sommes à peu près polis l’un avec

l’autre.Ceconceptétaittellementétrangequ’elleavaitl’impressionqu’ilsétaiententraindedérégleruneloi

relevantdelaphysique.Aprèsavoirfouillédanssonsac,ilposadesbarquettesetdesboîtesdenourrituresurlatable.Illeur

restaitquelquesboîtesderagoûtdebœuf,desbarresvitaminéesetquelquesrepasdéshydratésqu’Aryalnetoucheraitquesiellesetrouvaitauxportesdelamort,etencore.Aprèsavoircontemplélasélection,ilsecoualatête.

—Etflûte.Çaleferapourcesoir.Jechasseraidemain.Ellepoussaungrognementenselevant.—Jevaisfairechaufferquelquesboîtesderagoût.Ellepritdeuxdesesboîtesetdeuxdanssonpropresac.Pendantqu’ildisparaissaitdehors,elleles

ouvrit et les posa près du feu. Il revint quelques minutes plus tard, les cheveux humides et sa peaubronzéerougieparsesablutions.Ill’observaremuerleragoûtetfairetournerlesboîtesenseservantdelamanchedesonpullpourqu’elleschauffentdetouslescôtés.

Le silencedevint pesant.D’autresmots vinrent en tête àAryal, des trucsqu’elle imaginait qu’uneautrefemmepourraitdire.

«Àproposd’hiersoir,j’espèrequejenet’aipasheurté.Sic’estlecas,jesuisdésolée.Est-cequeçava?»

Maiselleneregrettaitpascequ’elleavaitdit.Cen’étaitquesonavissincère.EtellenepensaitpasavoirlepouvoirdeheurterQuentin.Pourcela,ilfaudraitqu’ilaitunecertaineestimepourelleetquesonopinionluiimporte.Ellel’avaitirritéetrendufurieux,voilàtout.

Pourcequiétaitdeluidemandercommentilallait…Elleluilançaunregarddecôtéetscrutasonexpressionindéchiffrable.Àlalueurdufeu,sestraitsétaientencoreplusmarqués.Laminusculecoupurequ’elleluiavaitfaitesursalèvreinférieureavaitdepuislongtempscicatrisé.Ilparaissaitrepliésurlui-mêmeetlointain,commesouvent,unecitadelledontleportailétaitmarteléd’oretprotégéparunverroucomplexeetmagique.

Qu’est-cequipourrait déverrouiller ceportail ?Une incantation écrite dansune languequ’elleneconnaissaitpas.

Elle ressentit le même élan de l’asticoter qu’elle ressentait toujours quand elle voyait cetteexpression.Elleseretintpourunefois,secontentantd’apporterdeuxpardeuxlesboîtesréchaufféessurlatable.

—Merci,marmonna-t-il.Ellemangeasonrepaspensivementsansrépondre.Undeuxièmemercienunjour.Ilallaitpeut-être

plutôt bien, mais avait un comportement encore un peu étrange. Si elle se retirait de l’équation, querestait-il?

—Est-cequetuconnaislesElfesqueFerionaenvoyésgarderlepassage?demanda-t-elle.

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—Oui.(Ilraclalefonddeladernièreboîtederagoût.)Ilssontquatre,ycomprisunejeuneElfequis’appelleLinweetquiestlaniècedeFerion,ducôtédesamère.

Lacommunautéelfique,déjàsoudéeauparavant,l’étaitd’autantplusdepuislatragédierécente.Aryalsavaitcequ’elleressentiraitsil’undesesamismanquaitàl’appel.Ellesefrottalevisageetdit:

—Tusais,onn’estpasobligésdepasserlanuitici.Situveux,onpeutcontinueretforcerl’allurejusqu’àcequ’onarriveaupassage.

Ilrelevalatête.—Forcerl’allure?—Oui.(Sonregardétonnéladécontenança.)Tutefaisdusoucipoureux,non?— Je suis inquiet, oui. (Il repoussa les boîtes vides.)Mais nous devons garder en tête qu’ils ne

savent pas quenous arrivons. Ils ne pouvaient pas se douter quenous allions nous interroger sur leurabsence.Etaucund’entreeuxnedésobéiraitàdesordresavecdésinvolture,surtoutdanslecadred’unetellemission.Soittut’estrompéeetilssontvraimentcampésàl’entréedupassage…

—Jenemesuispastrompée.Iln’essayapasd’argumenter.—Soitilsdoiventavoiruneraisonimpérieusedenepasêtrelà.Nousallonslestrouverdel’autre

côtédanscecas-là,c’estcertain.—OK.C’estlogique.Maisonpeutsedépêchers’illefaut.UnpetitsouriresoulevauncoindelabouchedeQuentin.—Est-cequetuviensdemeproposerdefairequelquechosedegentil?Gentil.Ellenerelevapaslaremarqueetfitlamoue.—J’ainon seulementdesamis,mais je sais cequec’estquede se fairedu soucipoureux, et je

souhaitefairequelquechosepourlesaidersijelepeux.Ilsecarradanssachaise,tendantlesjambesverslefeudecheminée.—TuesamieavecNinianeLorelle,n’est-cepas?Tul’asaccompagnéeàAdriyellorsqu’elleyest

retournéepoursoncouronnement,non?—Oui,j’ysuisalléeavecRune.Illaregardaaveccuriosité.—C’étaitcomment?—Levoyage?Onacampé,enquêtésurunmeurtre,coincédesgenscoupablesdetrahisonetonest

allésàpleindefêtes.C’étaitbien.(Ellebâilla.)SaufquandNinianeaétékidnappéeetqueTiagoafaillimourir.

Savoixprituntonamusé:— Si fascinant que soit ton compte rendu de ce voyage, ce n’est pas ce que je voulais savoir.

CommentétaitAdriyelentantquecontrée?—Magnifique.(Ellel’étudiaenfermantàmoitiélesyeux.)Tun’étaispasencorenéquandUriena

fermélafrontière,n’est-cepas?—Non,c’étaitavantmanaissance,eneffet.Monpèreestmoitiéfaenoire,moitiéelfe,maisilaété

élevéparsamèrequiétaituneElfeetn’apasentretenudeliensétroitsaveclabranchefaenoiredenotrearbregénéalogique.IlvitàPalmBeachdésormais.

C’étaitdoncsamèrequiétaitwyr.Leconceptd’avoirdesparentsfascinaitAryal.Ellesedisaitque,sielleenavaiteu,ilsl’auraientrenduefolle.Ouellelesauraitrendusdingues.

—Ettamère?Ilsecoualatête.—Elleestmorteilyalongtemps.

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—Est-cequetuasessayéd’entrerencontactavectafamillefaenoiredepuisqueNinianearouvertlesfrontières?

Unsouriretristesedessinasurseslèvres.—Ilssontmortségalement.Cettebranchedelafamilleapariésurlemauvaischevaletilsontété

pendus.— Pas possible. (Elle se redressa.) Est-ce qu’ils étaient impliqués dans le complot qui a tué la

familledeNiniane?—Apparemment,répliqua-t-ilenhaussantlesépaules.Rappelle-toiquejen’enaijamaisrencontré

aucun.Ilsétaientjustedesnomspourmoi.Monpèreétaitfuraxquandilaapprislanouvelle–pasaprèslareine,maisaprèsnotrefamillepouravoirétéimpliquéedansl’assassinatdelafamilleroyale.

—Intéressant,murmura-t-elle.Ilnes’étaitpasraséetunepoussièred’orpâleombraitsamâchoire.Sabarbeétaitd’untonplusclair

quelamassesoyeusedesescheveux.Detempsàautre,quandilrejetaitlatêteenarrière,lalueurdufeulesaisissaitjusteaumomentopportunetfaisaitbrillerdeminusculesétincellesdelumièresursapeau.Cela la…déconcentrait.Ellevoulait léchersamâchoire,découvrirsisabarbeétaitdouceourêcheetmordrecespetitséclairslumineux.

—D’accord,oui,dit-elle.C’étaitpresquetropsubtilpourlecapter,maisellel’observaitavecattentionetconstataqu’ils’était

raidi.Ilseretournaetladévisagea,leregardemplidebarrièresetdesecrets.—D’accord,oui…quoi?—Jerelèvetondéfi,dit-elleavecunsourirequifrôlaitl’expressionsuicidaire.Siturelèveslemien.

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9

Lesmotsleprirentaudépourvu.Ellelevitdansladilatationrapidedesesyeuxvifs.Puisiléclataderire.Lesonétaitplusguttural,plusâprequelorsqu’ilavaitriplustôt.

—Jenetecroispas.—Tudevrais.Elleselevatranquillementetilsuivitsonexemple,bondissantaveclarapiditéd’unchatquiluifitse

demanders’ilavaitétévraimentdétenduous’ilavaittrompésonmonde.Tromper.Elleaimaitbienceverbepourledécrire.Illuicorrespondait.Àlasurface,ilétaitsuave

etcharmeuravectoutlemondeàlatour,dissimulantlalamequivivait,ellelesavait,àl’intérieurdelui.Réellementcurieuse,elledemanda:—Commentvousvousentendez,Kittyl’Avocateettoi?—Qui?Illaregardaitsanscomprendre.—Lameufqui était avec toi le soir de la fêtepour les sentinelles.Wyr-lionne, avocate.Vernis à

ongles,talonsaiguillesetpossessive.Kittyl’Avocateavaitelleaussiléchésonmenton.Lesourired’Aryalmourutsurseslèvres.Elleavait

oubliécedétailjusqu’àmaintenant.Ilfitlegestedetrancherquelquechose.—Cen’estpas lesujetdujour,beauté.Lesujetque tuasmissur le tapis,permets-moid’ajouter.

Saufsitulancesn’importequoipourvoirsitupeuxmefaireréagir.Ellesedemandaeffectivementsiellefaisaitréagirsonsexe.Miam.C’étaitunprogrammeattrayant.

Ellechassacettevisionalléchanteets’efforçadeseconcentrersurleurdiscussion.—Cequej’aidit,jelepensais.—Maintenant,tutefousdemagueule.Tusaistrèsbienquetunepourraispaslefaire.Ils’approchad’elleencontournantlatable.Son instinct de prédateur s’étaitmis en route.Ouh, là, là, elle aurait probablement dû afficher un

grandtroubleetavoirl’aird’êtredanstoussesétats.Ellesecontentadeleregarderavecintensité.—Pasplusquetoi?Ilsemitàtournerautourd’ellecommes’ilévaluaitsesattributsphysiques.—Onadéjàparlédetoutça.—Ahbon?Ilétaitderrièreelleetils’arrêta,gardantlesilence.Ilessayaitdeladéstabiliser.Celanemarchait

pas. Elle resta immobile, les bras croisés, faisant semblant d’être totalement détendue alors quel’adrénalinesemettaitàcourirdanssesveines.OK,bon,peut-êtrequecelamarchaitunpeu.

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—Jeproposequ’onenreparleenchangeantunpeuladirectiondelaconversation,reprit-elle.Maisbienentendu,situn’espasintéressé,onpeutclorelesujettoutdesuiteetallersepieuter.

Il était intéressé.Elle le sentait jaillir de lui. Il tourna autourd’ellepour lui faire face, tout à faitdécontracté en apparence, sauf qu’elle savait qu’il n’en était rien. Elle voyait son pouls battrefurieusementauniveaudesacarotide.

—J’écoute,dit-ild’unevoixtraînante.Elleprituneprofondeinspiration.— Faisons une expérience et fixons une limite de temps. Nous avons quinze minutes chacun de

contrôletotalsurl’autre.Tucroisquetupourraislegérer?Depuis qu’elle avait eu cette idée, elle ne pouvait s’en détacher. Quinzeminutes, c’était faisable

quandmême.Ellepouvaitpresquetoutfairependantcelapsdetemps,ycomprisretenirsarespiration.Celavaudraittotalementlapeinedel’avoiràsamercipendantquinzeminutes.

Quentinavaitl’airméfiant.Aprèsavoirréfléchiunmoment,ildit:—D’accord.Àunecondition.C’estmoiquicommence.—Danstesrêves,oui,fit-elleavecunreniflementdemépris.Ondécideàpileouface.— Non. C’est toi qui as mis ça sur la table. Ce sont tes conditions. Tu te soumets en premier.

(L’empressementetl’impatienceselisaientdanssonsouriresoudainfélin.)Etpuis,tum’asfaitsaignerdeuxfois.Tum’esredevable.

—Jenetedoisriendutout.Tum’asfrappélatêtecontrelachausséeettum’asétranglée.Deuxfois.— Tu m’as cloué contre une porte en métal avec tes foutues serres, pour l’amour du ciel. (Il

s’approchatellementprèsqu’illuitouchapresquelevisage.Ilsétaientpresquecollésl’unàl’autreetseregardaientdanslesyeux.)Tum’asfrappé.

—Tum’asfrappéeenpremier,souligna-t-elle.Celaavaitétéunsacrécoupenplus,arrivébeaucoupplusvitequ’ellenes’yétaitattendue.Elleavait

admirél’attaque–ets’étaitjurédenejamaisl’oublier.—Est-cequ’onvacontinuercommeçaadvitamaeternamouest-cequetuvasaccepterlemarché

quetuasproposé?(Illuidécochaunsouriredur,posaundoigtsoussonmentonetrelevaàpeinesatête.Puisilapprochasabouchedelasienneetrestasuspendu,leurspeauxsetouchantàpeine.Ilmurmura:)Cède,Aryal.

Elle respirait par à-coups et il devait le savoir car le seulmoyenpour lui d’être plus près d’elleauraitétéd’avoirsalanguedanssabouche.Ilseremitàrire,maiscettefois-ci,ilavaitl’airencolère.Ilpensaitvraimentqu’ellesepayaitsatête.

—Marchéconclu,dit-elle.Ilsefigea.Cefutautourd’Aryalderire.Elleavaittoujoursadorélesentimentdefaireexploserlesbarrières,

quellequesoitlamanièredelefaire.Sauterd’unefalaise,entreprendreunepoursuite,abandonnertousles doutes et les questions, et les analyses. Elle était l’incarnation de lamarqueNike.Elle était dansl’action.Oui,justdoingit.

Elleneluifaisaitpeut-êtrepasconfiance,maisellesefiaitàsesinstincts.Ilnelatueraitpas.IlnepouvaitabsolumentpaslefaireoùilssetrouvaientetespérerfairecroireàDragosqu’ils’agissaitd’unaccident, et puis, il lui avait dit la vérité là-dessus tout à l’heure. Tout comme elle, il en avait eul’impulsionetyavaitrenoncé.

S’illuifaisaitvraimentmal,ilallaitdevoirlalibéreràunmoment,etceseraitalorssontour.Ets’ilessayaitdenepasrespectersonmarché,alors…L’Enferneconnaîtpasdefureurplusdéchaînéequecelled’uneharpiequiaététrompée1.

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—Quinze minutes, lui dit-elle. Règle l’alarme de ton iPhone quand tu es prêt à commencer. Onnevoudraitpasperdrelanotiond’untempsaussicourt.

Intérieurement,lecœurd’Aryalbattaitlachamade.Sielleavaitpusautersurluipourl’arrêter,ellel’aurait fait. À quel point allait-elle haïr ce qui allait se passer ? Elle avait besoin de penser à larécompense:sonmomentaveclui,lebonheurdeletourmenteràloisir.

Incrédule,ilfouilladanssonsacàlarecherchedesontéléphone,l’allumaetleprogramma.Unpouceflottantau-dessusdel’écran,illevalatête.L’anticipationavaitaffûtésestraitsanguleuxetilavaitl’airplusférocequejamais.

—Dernièrechancedereculer.Étonnéequ’illeproposemême,elleémitungrognementmoqueur.—Onparledequinzeminutesseulement.Tun’espassieffrayantqueça.Fais-le.Ilappuyasurlatouchedutéléphoneetleluiprésentaenlelevant.Lecompteàrebourscommençaità

défilersurl’écran.Ilposadélicatementl’appareilsurlatable.Puis ilbonditsurelleetmêmesielles’étaitattendueàquelquechose,ellen’étaitmalgré toutpas

prête tant il fut rapide. Il la poussa jusqu’à ce qu’elle touche lemur. Ils haletaient déjà tous les deuxcommes’ilssebattaientdepuislongtemps.

Ilpressason longcorpsdurcontreelleetsaisit sonmentondansunemain tandisquede l’autre iltenaitundoigtraidisoussonnez.

—Ferme-la, ordonna-t-il.Nedis pas unmot à haute voix ou télépathiquement.Nous allons avoirquinzeminutesdesilence.Jesaisqueçavaterendredingueetl’idéemeravit,alorsfais-le,putain.Etnemetouchepas.Ah,etest-cequejel’aidit?Ferme-la!

Elleexplosaderireparlenez.Elleouvritlabouche.Illafusilladuregard.—Unmot,beauté,ettuperdstesquinzeminutes.Aïe. Elle avait desmots, tellement demots à lui balancer qu’ils se percutaient les uns les autres

commeuncarambolagesurl’autoroute.Elleémitunsondefrustrationethaletalégèrementenluttantpourlesretenir.

Ilcaressasescheveux.Ellesuivitduregardlemouvementdesamain.Ilavaituneexpressionintense,électrique.Ilavaitl’airfascinéparcequ’ilvoyaitdanssonexpressionàelle.

—Tuenescapable?Elleouvritlesyeuxengrandethaussalesépaules.Ellenelesavaitpas,sincèrement.Parmitoutes

leschosesàquoielles’étaitpréparée,celle-cinefiguraitpassurlaliste.Entantqu’adversaire,ilétaitdiabolique. En tant que partenaire sexuel potentiel, le côté diabolique se développait de manièreexponentielle.

Ilricanaetlesonrauqueétaitpleindetriompheetderésolution.Puisilsepenchaetl’embrassa.L’embrassa vraiment. Profondément, complètement, sa langue envahissant sa bouche, ses lèvres

durciesetaffaméestoutensepressantcontresoncorps.L’embrassantetl’embrassantencore.Ellelevalesmains.Ill’avertittélépathiquement:—Non,non.Elleleslaissaflotter.Lespoingsserrés.Pendantcetemps,lecarambolagedemotssepoursuivaitdanssatête.C’étaitunchocépouvantable.

L’effortderetenir touscesmots toutens’empêchantde le toucher tandisqu’ilcontinuaitàexplorersabouchetranquillement,soigneusement,sensuellement,lafaisaittremblerdetoussesmembres.

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Iln’avaitjamaispréciséqu’ellenedevaitpasluirendresonbaiser.Alorsellelefit,avecagressivité,tout en grondant, alors que le souffle chaud et saccadé deQuentin balayait sa joue. Il lui bloquait leshanchesaveclessiennesetlalongueurdure,massivedesonmembrepressaitcontresonventre.

Elleeutl’impulsiondelesaisirparleshanchesetdel’attirerencorepluscontreelle–etseretintjusteàtempsavantquesesmainsletouchent.Bonsang!Pourquoinelaligotait-ilpaspoursimplifierleschoses?

Ilpercevaitsoncombat intérieur,bienentendu,etritméchammentcontreses lèvres.Lesonrauquevibrajusquedanssapoitrine.Ilposalesmainssursataille,lesglissasoussonpulletlafinechemisedecotonqu’elleportaitdessous,puis les remonta le longde son torseétroit jusqu’àcequ’il atteigne sesseinsfermesetmenus.

Elle neportait jamais de soutien-gorge.Elle les avait enhorreur et n’en avait pasbesoin. Il posalesmainssurlapeaunueetsensibleetilsprirentunegouléed’airenmêmetemps.Ellejetalesbrasenarrièreetsespoingspercutèrentlemur.

Quentin.Caeravorn.Est.Entrain.Deme.Toucher.Elle aimait qu’on lui caresse les seins. Ce n’était pas une nouvelle sensation. C’était le fait que

Quentinsoitentraindelefairequiluifaisaittournerlatête.Iltiralesdeuxvêtementsjusqu’enhautetcontemplasapoitrinenueenfrottantsespoucesrugueuxsur

la pointe sombre de ses mamelons érigés. La sensation l’électrisa et lui fit l’effet d’éclairs violentsfrappantsonsexehumide.

Désirantabsolumentsaisirquelquechoseafindes’empêcherdeletoucher,sesserresjaillirent.Elleles planta dans les murs et s’agrippa. Il avait une expression tendue, sa peau bronzée assombrie. Ilmarmonnaquelquechose.Elleétaittropétourdiepourcomprendrecequ’ilavaitdit.Celaressemblaitàunjuron.

Puis,continuantàtitillerunmamelonavecl’ongledesonpouce,ilpenchalatêteenavant,tiral’autredanssabouche,etlemordit.

La douleur s’unit à des éclairs de plaisir, chaque sensation exacerbée par l’autre, l’amenant à unparoxysmepresqueinsupportable.Elleavaittoujoursaimélemélangededouleuretdeplaisir,celuiquis’apparentaitaufeubrûlantdubrandyassociéàladouceursucréeduchocolat.Ellepoussauncrimuet,secambrapourmieuxluioffrirsesseinsetpassaunejambeautourdesataillepourlepresserencorepluscontreelle,frottantlecœurdesachairpalpitantecontresonérection.Lachaleurémanantdeleurscorpslesenveloppadansunbrasiervelouté.

Fais-le.Mords-moidenouveau.Ellefaillits’étranglersursaproprelangue.Salaud.Aprèslamorsure,ilaspiraavecforce,chaquesuccionaussidévastatricequ’uncoup.Ellepoussade

nouveauuncriaigusouslabrûlureintolérablequienvahissaitsoncorps.Lesseulsbruitsdanslacabaneétaientsexuelsetcréaientuneimpressiond’urgence.Lefrottementdu

tissu,lesoufflesaccadé,lessonsqu’ilémettait,ceuxd’Aryal.Jusqu’àcequ’unbruitétrangers’imposesoudain.Unbipinsistant.Des pensées et des impulsions éparses escaladèrent le chaos dans sa tête et tentèrent de trouver

unecohérence.Bordel…quequelqu’unfrappecemachin…qu’onarrêtecebruit.Etellecomprit.C’étaitl’alarmedutéléphonedeQuentin.Ilrelevalatête.Ilsseregardèrent.Sesyeuxétaientvitreuxetilcontinuaitàétreindresonbuste.Quefaire.Ellevoulait,elleavaitbesoinqu’ilcontinue.Ellefaillitlesaisiretl’embrasserdenouveau.Ellefut

d’ailleursétonnéeelle-mêmedenepas le faire.Uneseulechose l’arrêta, la seulechosequiétaitplus

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impérieusequelafaimdéchaînéequ’elleressentaitdanstoutlecorps.Ellearrachasesserrestoujoursancréesdanslemuretlesrentra,puisellelefrappaauniveaudes

épaules avec ses paumes, suffisamment fort pour le faire reculer de quelques pas en chancelant. Puis,avecunsourireradieux,elleannonça:

—C’estmontour.

Quentinétaitenfeu.Soncorpschaufféàblanc,sespenséesbrouilléesparunefumée.Cette petite tranche de pouvoir qu’Aryal lui avait donnée était la chose la plus grisante qu’il ait

jamais éprouvée. Elle ravageait ses sens comme du napalm, s’agrippant à tout en lui et chamboulanttoutessescertitudes.Elle,normalementsiindomptable,étaitàsamerci.

Ilcontemplasonvisagesingulier, torduparletourmentdudésir.Lestendonsdesesbrassaillaientcommeelleenfonçaitsesserresdanslemuretluttaitpourluiobéiretfairecequiluiavaitétédemandé.Elles’étaitarc-boutée,éloignantlégèrementsontorsedelaparoipourmieuxs’offriràlui.Lemouvementavaitcreusésonventresousl’arcgracieuxdesacagethoracique.Plushaut,lacourbedesespetitsseinss’épanouissait.Lemamelonqu’ilavaitmorduetsucéétaitaussirougequ’unecerisemûre.

Toutenelleétaitfin,profiléetfaitpourlavitesse.L’aviditél’engloutissait.Illasaisitdesdeuxmains,sesdoigtslaissantdesmarquessurlatoiledesa

chair,etilpensa:«Tuesàmoiaumomentprésent.»BIPBIPBIPBIPBIPBIPBIPQuoi?Ilsecouasatêteembruméeparlapassion.Ellerelevalasienne,sesyeuxsombressauvagementanimésd’unetempêteintérieure.Quelquechose

lefrappa,lefaisantreculerdequelquespas.Uncentièmedesecondeplustard,ilserenditcomptequec’étaitelle.

—C’estmontour.Non,NON.Iln’étaitpasprêtàarrêter,àrenonceràelle.—J’aibesoindeplusdetemps,articula-t-il.Ilnereconnutpaslesondesavoix.—C’estunautremarché.Elle tiraviolemmentsursachemiseetsonpullpoursecouvriret indiqua le téléphoned’unemain

tremblante.—Éteinscetrucoujevaislefaire.DouxJésus.Ilseruaversla tableetpressaledoigtsurl’appareilavecinsistance, interrompantla

sonnerieinsupportable.Puisils’appuyadesdeuxmainssurledessusdelatableets’efforçaderetrouverunerespirationplusapaisée.L’odeurdudésird’Aryalétaitunaphrodisiaqued’unetellepuissancequ’ilavaitl’impressiond’avoirreçuuncoupdepoingdansleventre.

—Jevaismettrel’alarmepourquinzeminutes.Ilsemitàtapotersurletéléphone.Elles’approchaets’arrêtaderrièrelui,collantsoncorpsélancélelongdelacourbedesesfesses

toutenposantlajouecontresanuque.—Etsij’attendais?murmura-t-ellecontresapeau.Ilsefigea,ayantdumalàcroirecequ’ilvenaitd’entendre.—Tunepourraispas,gronda-t-il.Ellenepourraitpasattendre.Ellen’avaitpascettemaîtrise.Bonsang,ilnel’avaitpasnonplus.

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Elle passa les bras autour de lui et fit courir sesmains le long de sa poitrine. Il baissa les yeux,fasciné, lesobservantparcourirsoncorps.Sonsexeétaiten feu,comme tout le restedesonêtre,et ilfrémitquandsesdoigtss’enapprochèrent.

—Est-cequ’ont’adéjàprispar-derrière?murmura-t-elle.Ilrejetalatêteenarrière,sidéréparsaréactionaffoléeàtoutcequ’ellefaisaitoudisait.—C’estpasmontruc,leshommes,dit-ild’untonâpre.Lapressiondesmainsd’Aryalfutmoinsprononcéequandellearrivaàlaceinturedesonjean.Elle

lespassapar-dessus la bossedouloureusede son entrejambe en lui prodiguant une caressedestinée àl’exciterencoreunpeuplus.

—Est-cequetuasdéjàétéprisparunefemmeportantungodeceinture?Baisépar-derrièrejusqu’àexplosersursesmains?J’endoute.Tuesprobablementtropdominateur,n’est-cepas?

Les images qu’elles invoquaient s’imprimaient dans sa tête, et sa propre réaction le stupéfia. Iln’envisageraitjamaisunetellesituation,neselivreraitjamaisàquelqu’undecettefaçon.

Sauf.IlimaginaAryalondulantdeshanchesderrièrelui,remuantenluitandisqu’ellelemasturberait.Le

conceptétaittellementsurprenantetétrangequ’ilfaillitjouirdanssonjeansur-le-champ.Cen’étaitpascommes’iln’avaitjamaisentenduparlerdegodemichéceinture,c’étaitl’idéed’Aryal

enutilisantun.Surlui.Toutcequ’ellefaisaitétaittellementsexyquecelacassaittouteslesrèglesqu’ilpensaitavoirentête.

—Jeprogrammel’alarmeounon?siffla-t-il.Elleplialesdoigts.Ilécoutasarespirationhaletante,lasentantcontresondos.Ellelevoulaitavec

passion.Illesentaitdanslaraideurdesoncorps,leflairaitdansl’odeurcapiteuseémanantdesapeau.Letrucbizarre,c’étaitqu’ilcommençaitluiaussiàlevouloiravecpassion.Même si cela ne lui ressemblait pas et qu’il n’abandonnait jamais le contrôle. La fougue et

l’intrépidité avec lesquelles elle se jetait dans toutes les situations anéantissaient jusqu’au dernierlambeauderaisonqu’ilauraitpuavoir.

—Enclenchel’alarme,dit-elle.Ilappuyasurlatoucheetfixal’écranalorsquelecompteàrebourscommençait.Ilportaituneceintureavecson jeanpourpouvoiryfixer l’étuidesoncouteauet leholsterdeson

pistolet. Il la regardaavancer lesmainsvers laceintureet ladéboucler.Elle la retiraviolemmentdespassants.

—Enlèvetonpull.Ilseredressa,arrachasonpulletlejetasurlecôté.L’airfitdubienàsapeausurchauffée.—Tourne-toi.Ilobtempérapour lui faire face, sonennemiede longuedate et sapartenaire inattenduedanscette

explorationquidevenaitrapidementplusintimequetousleséchangesqu’ilavaitpuavoirauparavant.L’expressiond’Aryaln’indiquaitriend’autrequecettefaimquiletenaillaitluiaussi.Iljetauncoup

d’œilàlaceinturequ’elletenaittoujours,puislevalatêteverselle.Ellecroisasonregard.—Allonge-toisurlatable.Il batailla avec ses instincts qui le poussaient à s’emparer de la ceinture, l’enrouler autour du

coud’Aryaletlatirerversluipourunautredecesbaisersdontl’incandescencelemarquaitauferrougeauplusprofonddelui,làoùpersonnen’avaitaccès.

Maiselleavaitaussiluttépourrespectersapartdumarché,etlavoirlivrercecombatetteniravaitparticipéauplaisirqu’ilavaitressenti.

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Elle le regardait sansciller, tranquillement.S’iln’honoraitpas leurcontrat, iln’auraitpasd’autrechanceavecelle,pasdepossibilitéd’explorerdavantageceàquoiilvenaitjustedegoûter.

Ilposal’iPhonesurunechaise,s’assitauborddelatableets’allongea.Sontorsecouvraittoutelatable, de la tête aux fesses, ses jambes dépassaient et touchaient par terre. Elle prit ses jambes et lepoussa sur lecôté jusqu’àcequesa tête se retrouvesuruncoin, lecoinopposése finissantentre sescuissesetlesforçantàs’écarterlégèrement.

—Jevaisfaireensortequecesoitplusfacilepourtoiqueçanel’aétépourmoi,dit-elle.(Savoixétaitrâpeuse.)Mainsau-dessusdelatête.

Il posa de nouveau les yeux sur la ceinture.Voilà pourquoi elle l’avait toujours à lamain.Ce neseraitpasfacile,maisunesangledecuir,sirésistantequ’ellepuisseêtre,nepourraitpaslemaîtrisers’ilsesentaitendangerous’ilétaitsuffisammentenragépourlarompre.Ilduttoutefoismuselersesinstinctspourleverlesmains.Illefitenl’observantdeprès.

Ellecontournalatabled’unpasrapideetglissauneboucledelaceintureautourdesesmains,puisl’attachaàunpiedde la table.Ellerevintensuitevers lui,déboutonnasonjeanet ledescenditsursescuissesd’ungestebrusque.Avantqu’ilaitletempsdedire«ouf»,justecommeça,ilseretrouvanuetexposécommeunfestindevantsesyeux.

Les instincts conflictuels de Quentin devinrent encore plus chaotiques et son corps se crispa. Ildétestaitlesentimentdevulnérabilité.Iln’étaitpascenséêtreceluiquiétaitsurlatable.Ilétaitcenséseteniràl’endroitoùelleétait.

Elle le détaillait de la tête aux pieds, les pupilles tellement dilatées qu’elles étaient presquecomplètementnoires.Ilressentaitsonregardcommeuncontactphysiquetandisqu’elles’attardaitsurlesmusclessaillantsdesesbras,l’angledesapoitrinequiserétrécissaitauniveaudesonabdomen,etenfinjusqu’àsonérection,lourdeetépaisse,reposantsursonventre.

Elle lui écarta brutalement les jambes et un grondement jaillit de sa gorge. Avant de pouvoir seretenir,iltiraviolemmentsurlasanglequiclouaitsesbrasenplace.Lecuirnecédapasetilréussitàsecontrôleravantdelerompre.Seplaçantentresesjambesenlespoussant,ellelesmaintintécartéesavecseshanchesetlevaunindexd’oùsortaituneseuleserre.

—J’aimefairecoulertonsang,luidit-elledoucement.Ellelaissaglisserlagriffelelongdupliintérieurdesonaine.Unesecondeplustard,unelignedefeu

couraitlelongdelacoupuresuperficielle.Bordel,ellel’avaitmarqué.Legrondementquisortitdeluiétaitfiévreuxetsauvage.Onauraitditqu’ilpourraitlabrutaliserau

pointdelatuer.Ileutpresquel’impressiond’enêtrecapable.—Putain,Aryal.—Unpetitsouvenirpourtoi,murmura-t-elle.Celavavitecicatriser,maisenattendant,chaquefois

quetubougerasoutedéplaceras,tutesouviendrasdecemoment.Illuirevaudraitcela.Illui…Elle sepenchaentre sescuisses, s’appuyasuruncoude, soulevasonsexeduret le fourradanssa

bouche.ToutdanslatêtedeQuentinvolaenéclats.Pasdepréludeamoureuxséducteur,pasdetitillementou

delanguequitaquine,pasderegardlascif.Elleouvrittoutsimplementsagorgeetlepritjusqu’aufond.Puiselleremontalelongdesahampeetsuçaleglandépais,large,sensible.Auboutd’unmoment,ellereplongealatête.

Elle ferma les yeux en se concentrant sur lui. Sa bouche et sa gorge étaient tellement chaudes,mouillées,étroites,etsûresd’elles.Elleavaitsucequ’ellevoulaitdèsquel’alarmeavaitétéenclenchée

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etellel’avaitprissanshésiter,avecunminimumd’effortsetunegrandeéconomiedemots.Ellelebaisaavecsabouche,unpistoneffréné.Illabaisaavecsaqueue,poussantetpoussantversle

haut pendant que la brûlure de la coupure s’unissait au feu qui coulait dans ses veines. Il croisa lesjambesderrièresesreinspourmieuxlamaintenirenplace.Ellepritsestesticulesgonfléset lesserra,pétrissantlachairfineetsensible.Puiselledescenditlamainlelongdesonproprecorps.

Illuifallutunpetitmomentpourcomprendrecequ’ellefaisait.Ellesemasturbaittoutenlesuçant.MonDieu, ilsentait levolcangronderdeplusenplus.L’éruptionétait imminenteetelleavaitmis

tellementlongtempsàremonter.Desannées,certainement.Peut-êtretoutesavie.BIPBIPBIPBIPBIPBIPBIPIlssefigèrenttouslesdeux.Ellerelevalatêtepourleregarder.Etillevitsursestraits,cetabîme,cebasculementàpartirduqueltoutpouvaitarriver,absolument

tout.Elleétaitunvortextiranttouteslespossibilitésenelle.—SITUARRÊTES,JETETUE!rugit-il.Lerireselutsursonvisageetils’accompagnaitd’unechaleurnouvelle.Tandisque l’alarmeélectronique retentissait, elle sepenchaet le repritdans sabouche, serrant le

membredistendudeseslèvresetellenecessapasavantquelefeujaillissedeluienjetsconvulsifsdelave.

Elleavalatoutesasemenceavecunedélectationsimanifestequ’ilfutsaisidenouveauxspasmes.Ilse vida totalement en elle jusqu’à ce qu’il n’ait plus rien à déverser, plus de fouet interne, plus denoirceurcachée,etilsesentitdélivréetapaisé.

Iln’avaitplusrienenluiquandellelelâchaenfin.Elleavaitl’airivre,unpeuhébété.Ellenedéfitpassesliens.Elleseredressaetsetourna,puisdisparutabruptementdesavuecommeelles’asseyaitparterre.Unmomentplustard,soniPhonevoladanslesairsetcessaenfindesonnerquandilpercutalemur.Ilvoulaitrire,lasaisirparlescheveuxetlasecouer,etpuisl’embrasser.

Maisilsoulevasimplementlesjambesettiraavecsesbraspourroulerenarrièreetdescendredelatable.Ilneperditpasdetempspourdesserrerlaceinturedesespoignets.

Quandillefit,ils’arrêtaetexaminasesbras.Laceintureavaitmarquésespoignetsquandilavaittirédessus,laissantdespapulesrougies.Ilfrottasapeau.Lesmarquesneresteraientpaslongtemps,pasplusquel’estafiladeauniveaudesonaine.

Lademi-heurequivenaitdes’écoulerétaitlapluslonguedesavie,etlapluscourte.Etilregrettaitdéjàqu’ellesoitfinie.

1.Référenceàunecitationcélèbred’unetragédiedeWilliamCongreve,TheMourningBride:«Hellhathnofurylikeawomanscorned.»(N.d.T.)

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10

Nil’unnil’autreneparlèrentguèreaprès«l’expérience».Quentins’habillarapidement,puisilssedéplacèrent avecprudencedans la cabane, sedonnant beaucoupd’espacependant qu’ils rangeaient lapièceavantdesecoucher.Ilsortitpoursesoulageretrincerlesboîtesdeconserveavantdelesécraser.Puisilfitletourdelacabanesanstrouverriend’alarmant.

Il profita surtout d’être dehors et d’échapper à la chaleur et au confinement de la cabane. Il allaitneigerpendantlanuit.Illehumaitdansl’airfroidetmouillé.Unefoisqu’ileutterminésapatrouille,ilcontempla les montagnes plongées dans l’obscurité et enveloppées de nuages. Il se sentait toujoursdélivré,commevidé.C’étaitremarquablementpaisible,presquedérangeant.

Commeilallaitetvenait,lacoupuresuperficielledesonaineletiraillaitconstamment,mêmesielleavaitdéjàcicatrisé.Chaquefoisqu’ilbougeait, il lasentait.Cequiluirappelait lesmotsqu’elleavaitprononcés.

«Chaquefoisquetubougerasoutedéplaceras,tutesouviendrasdecemoment.»Lui,nuetexposésurlatable.Elle,deboutentresesjambesécartées.Sa queue en était encore toute perturbée. Elle se raidit de nouveau, lui imposant une douleur

insistante.Il ne voulait pas être obsédé par ce qui venait de se passer, il ne le serait donc pas. Il était

simplement surpris par Aryal et son sex-appeal. Elle n’était pas son genre, pas du tout. Il avaitl’impressiond’êtreun touristedu sexequi expérimentedes trucs totalementcontre sanature.Mais lesvacancesseraientbientôtfiniesetilsreprendraientleursvraiesvies.

Enattendant,ilétaitici,enpleinesaisontouristique,durdenouveauetaffaméetcomplotantdéjàlesdétailsdecequ’ilallaitoffrirpourleurprochainmarché.S’ilnes’étaitpasinquiétéàproposdesgardescensés protéger le passage, il serait volontiers entré de nouveau dans la cabane pour lui offrir denouvellesconditionssur-le-champ.Maisilétaitinquietetilsn’avaientpasletempsdesecalfeutrerdanslacabanependantunjouroudeuxpours’amuser.

Aprèstoutefois.Dragosleuravaitdonnéunmoisetbeaucoupdechosespouvaientsepasserpendantcelapsdetemps.

Quandilrentradanslacabane,elleavaitdéjàmissonsacdecouchagesurlacouchettesupérieureets’y était glissée, tournée face aumur.À la lueurmourante du feu, il se tint immobile et contempla sasilhouetteabandonnée.Encoreunexempledesasingularité.Ilsavaientfricoté,maisiln’yavaitpaseudecâlins,pasdemotsdoux,pasdedemandesdegarantiepourlasuite.Diantre,elleétaitprobablementdéjàendormie.

Ilsourit,seglissasurlacouchettedubasets’endormitpresqueimmédiatementluiaussi.

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Lelendemainmatin,ilsprirentunpetitdéjeunerrapideetpartirenttôt.Ilavaitneigé,aumoinshuitcentimètres.Laneigenelesralentiraitquelégèrement.Leterrainétaitmouilléetglissant,maislepaysageétaitjoliavectouscesarbrespeintsenblanc.

Cettefois-ci,Aryalnepritpaslesairs.Ellechoisitdechemineravecluietilnequestionnapassadécision.Elles’étaitvaguementcoifféeenpassantlesdoigtsdanssamassedecheveuxetsonexpressionétaitdistanteetpensive.Ilsedemandaitàquoiellepensait.

Il répugna à rompre le silence au début de leur marche et se contenta de savourer le paysagemagnifiqueetlemouvementanimaldesoncorps.Puissonmutismecommençaàlecontrarier.

Auboutd’unedemi-heure,l’irritationcauséeparsacoupures’estompaetfinitpardisparaître.Misàpartsontéléphonecassé,iln’yavaitplusaucunetracedecequ’ilsavaientfait.

Etsonfouetinternesemanifestadenouveau,lepoussantencoreettoujours.Étantdonnéqu’elleavaitreconnuleterrainlaveille,Aryalouvraitlamarche.Ilaccéléralepaspour

la rattraper et la saisit par le bras.Elle s’arrêta et se tournapour lui faire face, le regardant d’un airinterrogateur.

Peudetempsauparavantencore,elleauraitfaitvolte-face,prêteaucombat,s’ilavaitosélatoucher.Il s’approchapourse retrouver justeenfaced’elle, leplusprèspossibleafindepouvoirsentir la

chaleurdesoncorpslécherlasurfacedesapeau.Sonvisageétaitferméetnerévélaitrien.Ellelevaunemainpourrepousserunemèchedecheveux

quiluitombaitdevantlesyeux.Lavuedesonpoignetminceetdeseslongsdoigtshabilesfitclaquerlefouetqu’ilavaitenlui.

—Unedemi-heure,dit-il.Ellelevalentementlessourcilsetsonexpressionindiquaqu’ellelejaugeait.Elleétaitsurprise?Iln’ycroyaitpasuneseconde.—Oh,allons,tunepeuxpasmedirequetunepensespasàlamêmechose.—C’estunedoublenégation,répliqua-t-elle.Mêmes’ilsavaitqu’ellelefaisaitexprèspourl’asticoter,celalerendaitdinguequandellefaisaitla

sainte-nitouche. S’il y avait bien quelqu’un qui n’avait absolument aucun droit d’afficher une telleattitude,c’étaitelle.

Ilposaunemainsursanuqueenungestedélibérémentpossessifetlatiraencoreplusprèsdelui.Illefitpourl’asticoteràsontour,maisellelelaissafaire.Voyezunpeulecheminparcouruensipeudetemps.

Passuffisant.Ilsavaientencoretellementdecheminàparcourir,ladestinationperdueàunedistancemystérieuseetgrisante.

—Reconnais-le,beauté,gronda-t-il.Tuveuxconclureunautremarché,toiaussi.Ellebâillaetsegrattal’oreille.Est-cequequelquechosepouvaitêtresimpleavecelle?Etilavaitbeausavoirqu’elletentaitdele

mettreenboule,celan’avaitpasd’importance.Parcequecelamarchait.Il se concentra sur sa bouche fabuleuse. L’image de cette bouche le suçant flamboya dans sa tête,

aussiéblouissantequ’unflashdefeu.Ceslèvresautourdesonmembreépais,sagorgesegonflantpourleprendreauplusprofond.

Tout lecorpsdeQuentinpalpitaitd’urgence.Il la tiracontre luietplaquasabouchesur lasienne,succombantaudésirfrénétiqued’outrageretdeprendre.

Elleallaàsarencontreetilss’embrassèrentavecfrénésie.Elleagrippaseshanchesetilfrottasonérectionmassivecontreelletoutenenveloppantsoncoudansl’unedesesmains.Onauraitditqu’elle

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avait de la fièvre tant elle brûlait. Comme il levait la tête pour parcourir son corps du regard, untremblementviolentlasecoua.

Iln’arrivaitpasàdécollerseslèvresdesapeau.Illesfitcourirsursajoue,stupéfaitparsadouceur,etpritdanssabouchelelobefragiledesonoreillepourlesucer.

—Jeveuxtepasseruncollierautourducou,luidit-ilpartélépathie.Un collier de cuir, avec une boucle. Il contrasterait avec sa peau claire. Et lesmains enchaînées

derrière le dos. Elle ne serait pas en mesure de se métamorphoser dans cette position. Ses ailesn’auraient pas la place de sematérialiser. Toute cette sauvagerie, cette liberté farouche réduites à samerci.

Rienqu’àmoi.Saréponsefutungrondementtélépathique.—Tupeuxtoujoursrêver,espèced’enfoiré.—Oùestpassétonsensdelanégociation,beauté?Il n’avaitmême pas eu le temps d’éprouver lamoiteur de son intimité la veille au soir. Ce qu’il

regrettaitbeaucoup.Ilabandonnasagorgeetdescenditsamainpourlapasserentresescuisses.Ellefeulaetsecambra,sefrottantcontresapaume.—Jenesaismêmepascequ’il faudraitque tudonnespourquecelaarrive.Peut-être tonâme

pourl’éternité.Ilritetlesonclaquadansl’airmatinal.—Jeneplaisantaispas,reprit-elle.Savoixtélépathiquen’étaitplusaussiégale.Ilsavaientbeaucoupàfaire,maiscequ’ilsepassaitmaintenantn’étaitabsolumentpassurlaliste.Sa

mainremontajusqu’àlafermeturedesonjean.Ilnesavaitpaspourquoielleavaitchoisid’enporterunpourlevoyageaulieudesatenuehabituelledecombatencuir,maisilnepritpasletempsdeluiposerlaquestion.

Elleémitungrondementpourl’avertir,maisilcommençaitàenlirelesnuancesetvoyaitqu’ellen’ymettaitpasbeaucoupdezèle.

Ildéboutonnalejean,baissalafermetureÉclair,puisluiglissaàl’oreille:—Enlèvetonsacàdos.Elle secoua la tête avec brusquerie. Ils haletaient tous les deux comme s’ils venaient de courir

pendantlongtemps.—Nousdevrionsavancer.Avancer,avanceretavancer,toujoursplusvitelelongdecetteroutesombreetinconnue.Maiscen’étaitpascequ’elleavaitvouludire.—Onnevapass’arrêterlongtemps.Enlève-le.(Illéchasonoreille.Elleavaitlegoûtdetoutesles

drogues les plus addictives jamais créées.) Considère ceci comme une petite avance sur le prochainmarché.

—Nousn’avonspasconcludemarché.Maiselleobtempéraetdébouclalasangleautourdesatailleensetortillantpoursedébarrasserdu

sacquitombasurlesolenneigé.Ilpressasabouchesursacarotide.Soncœurbattaitvite.Ellelesentit,elleaussi,c’étaituntempo

trépidant,fou.Puisilseredressa,lafitseretourneretcollaledosd’Aryalcontrelui.Legestefutsirapidequ’elle

poussa un cri et leva lesmains au-dessus de sa tête.Elle essaya de l’agripper en le saisissant par la

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nuque,maisilécartaviolemmentlatêtesurlecôtéetellen’attrapaquelecoldesonblouson.Elles’yaccrochaaupointdefairesaillirlestendonsdesonpoignet.

Iltiraseshanchesenarrièresibienquesonsexeseretrouvanichéentresesfesses.Puisilrepoussasescheveuxsurlecôtéet lamorditsurlanuque.Ilsrestèrentfigésdanscettepositionpendantunlongmoment.

Ilglissal’unedesesmainsdanssonjeanouvert, laplongeantàl’intérieur,passantsouslaculotte,trouvantleniddepoilschaudsethumides.

—Tusaiscequej’aiimaginélapremièrefoisquej’aivraimentpenséàtoidemanièresexuelle?luidemanda-t-iltélépathiquement.

Illamaintenaitenplaceavecunbraspasséautourd’elleetsesdentssursoncou.Larespirationhaletanted’Aryalsciaitl’air.—Quoi?—J’aipenséàtesodomiser.Àteclouerenplaceetàteposséder.Manifestement,noussommes

surlamêmelongueurd’ondedanscedomaine.—C’estuntrucdedominant,murmura-t-elle.—C’estuntrucsexy.Il fouilla plus avant, s’introduisant dans le passage étroit, et ses doigts plongèrent dans la chair

mouilléeetsoyeuse.Bonsang.Ilsgémirenttouslesdeux.Illacaressa,unglissementassuréetadroitlelongdesonboutondeplaisir,toutenlamordantfort.

Ellefrissonnaetpoussaunsecondcri.Soncorpspuissantetélancéétaitdésormaisarc-boutécontrelesien.Ilposalatêtesursonépaule,la

caressantavecinsistanceetenadoptantunrythmerégulier.—Macoupureacicatrisé,souffla-t-ildanssoncou.J’aidétestélemomentoùtum’asmarqué.J’étais

tellementfurieuxaprèstoiquej’aifaillitelancermonpieddanslafigure.Maintenant,c’estcurieux.Jen’arrêtepasdepenseraufaitquecettemarquen’existeplus.Unedemi-heurechacun,beauté.Tunepeuxpasavoirdéjàfaitletourdelaquestion.Reconnaisquetuleveuxaussi.Accepte.Dis-le.

—Oui,bordel!Il la caressa avec force et elle plaqua lesmains sur la sienne pourmaintenir la pression tout en

cherchant sa respiration. Il sentit le frémissement de la chair douce de son intimité. Elle cambra sonbassinencadencetoutencherchantàaccentuerlapressiondesesdoigts.

Enfin,ill’obtenait,sonorgasme,celuiqu’ilauraitdûluifaireavoirlaveille.Ce n’était pas assez. Il avait besoin de jouir de nouveau. Il voulait et avait besoin d’être enfoncé

profondémentenellequandiljouirait.Maisc’étaitassezpourlemoment.Quandellerepritsesesprits,elledesserralesdoigts.Ilretirasamainetlalâcha.Ellechancela,mais

retrouvasonéquilibreavantdetomber.Ils’éloignasansregarderenarrière.Illéchasesdoigtsenmarchant.Ilsavaientsongoût:chaud,mouilléetsauvage.

Quentinétaitunsalaud,maiselle lesavaitdéjà.Honnêtement,c’étaitmêmel’unedesraisonspourlesquellesellecommençaitàl’apprécier,malgréelle.

Les muscles de ses cuisses tremblaient et elle pouvait à peine se tenir debout. Elle le regardas’éloigner.Est-cequ’illéchaitsesdoigts?Ellevenaitdejouir,maislapenséefitpalpitersonsexe.

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Elleavaitvule jouraucommencementdumonde.Ellen’étaitpeut-êtrepas l’unedescréatures lesplus rationnelles à une époque – comme la plupart desWyrs vraiment anciens, les premières harpiesavaientvécuaussi instinctivementquedesanimaux,etavaientappris le langageet laculturebienplustard–maiselleavaitlesouvenirdecetteaubeéblouissante.

Elle était sur Terre depuis très longtemps. Elle avait fait l’amour dans toutes les positionsimaginables etde toutes lesmanières concevables.Elle avaitde l’expérienceet elle savait cequ’elleaimait.Cequ’elleaimaitbeaucoup.Etêtredominéen’enfaisaitpaspartie.

Alorspourquoitrouvait-ellelesmanièresetlelangagecrudecesalaudtellementsexy?Ilavaitvraimentvouludecemarchéd’unedemi-heure.Ellesourit.Ellelevoulaitelle-même.Elle

anticipaitcetteséanceavecdélice.Unedemi-heurepourleposséder,legoûter,letitilleretlefairejouir.L’idéeluidonnaitlittéralementletournis.

Maispourl’heure,ilsavaientbesoindeseconcentrersurd’autreschoses.Elleremontalafermeturedesonjean,leboutonna,attrapasonsacetsedépêchadelerejoindre.Quandellefutsuffisammentprèsdelui,elleluijetasonsacdansledos.

Ilfitvolte-face.—Quoi,bordel?—C’estpourm’avoirplantéecommeça.J’aiportéletienhier.Tuporteslemien.Ilétrécitlesyeux.—Pourquoi?—Jevaisfaireunereconnaissance.Onapproche.Ilsepenchapourramasserlesac.—Bon,maisnet’éloignepastropetn’abordepaslesgardesseulesitulesvois,d’accord?—Oui,jelesais,dit-elleavecimpatience.Jereviensdansquelquesminutes.Ellesemétamorphosa,plialesgenouxetsepréparaàbondir–pourquoisouriait-il?Est-cequ’illui

souriait?Non,cen’étaitpaspossible.Illuijetaitdesregardsrenfrognés,ilneluisouriaitpas.Aprèsunepauseminuscule,elles’élançadanslesairs.

Lescontrefortsvallonnésétreignaientlacrêtequ’ilssuivaientetlepaysageavaituntoutautreaspectsouslafinecouchedeneige.Elles’orientaselonlesrepèresqu’elleavaitmentalementmarquéslaveilleetneselaissapasinduireenerreurparlelégermanteaudeneige.

Étantdonnéqu’ilsétaientàproximitédupassage,ellen’allapastrophaut.Elleétudialatopographieavecsoin,sonregardacérénotantdeminusculesdétails.

L’avantagedeschutesdeneige,c’étaitqu’ellessimplifiaientgrandementlesuividetracesdepasetlalocalisationdesentiersrécemmentutilisés.

Iln’yavaitaucunetracedepas,pasdesentiers.Paslemoindreindicedefuméedeboisdansl’airvifet clair.Aucun signe demouvement, sauf de temps en temps la vision fugitive d’un animal affolé quipercevaitlaproximitéd’unprédateurdangereuxetfilaitsecacher.

Convaincue, elle fit demi-tour et retourna versQuentin. De loin, son ascendance elfique semblaitprononcée dans son allure gracieuse et élancée. Ce n’était qu’en s’approchant davantage que lesparticularitésdesesoriginesmétissées,seslargesépaulesetsontorseparticulièrementmusclé,sautaientauxyeux.

Il laguettait et s’arrêtaquandelle semit àdescendre.Elle atterrit devant lui et envoyant sonairinterrogateur,ellesecoualatête.

—Ilsnesontpaslà,dit-elleposément.J’ensuispersuadée.Ilprituneprofondeinspirationetsefrottalevisage,réfléchissant.Iln’avaitpasprisletempsdese

raseravantdepartiret lespoilsd’orclair sevoyaientdavantagesur ses jouesminces. Ilsavaientété

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douxetl’avaientchatouilléequandillapressaitcontreelle.Lesouvenirlafitfrissonnerets’accompagnad’unenouvellepulsationdedésir.

Il croisa son regard. Le bleu de ses yeux était particulièrement saisissant et se détachait encoredavantageaumilieudupaysageenneigé.

—J’ai un service à te demander, déclara-t-il soudain. Je viensdepenser qu’ils ont pu emprunterl’autrepointdepassage.Jenesaispascequiauraitpu lespousserà le faire,mais jepensequenousdevrions en avoir le cœur net avant de traverser pour nous rendre à Numenlaur et essayer de lesretrouver.Est-cequetupeuxt’yrendreenvolantettenterdeleslocaliserpendantquej’inspectelecoin?

Elleopina.—C’estraisonnable.Sinoussommesméthodiquesmaintenant,nousn’auronspasbesoinderevenir

surnospasplustard.Àplus.Elle s’élança de nouveau et cette fois-ci elle grimpa très haut. La journée se réchauffait et les

températures en hausse faisaient fondre la neige, ce qui enveloppait la vue d’une brume qui étincelaitlégèrement lorsque les rayons du soleil la frappaient directement. Le spectacle était superbe et ellesavouraitlepaysageviergedetoutehabitationendépitdelagravitédesamission.

L’essentieldesonattention,toutefois,étaitconcentrésursatâche.Ellevolavite,pleinsud,etauboutde troiskilomètresenviron, lamagiedupremierpassagecessade submerger ses sens, sibienqu’ellecommençaàsentirlepremierchatouillementlégerdusecond.

Ajustantsoncapenconséquence,ellevoladanscettedirection toutenétudiant le terrainàmesurequ’elleprogressait.D’accord,lesElfessefondaientdanslepaysageetsedéplaçaientd’unpasléger,bla,bla, bla, et s’ils essayaient vraiment de se cacher, ils pouvaient rendre la traque plus difficile.MaiscommeQuentinl’avaitdéjàsouligné,cegroupenesavaitpasqu’ilsarrivaientetn’avaitdetoutefaçonaucuneraisondesecacher.

Aucuneraisonquiluivienneàl’esprit,entoutcas.Sa vitesse de vol normale était presque deux fois plus rapide que celle d’un aigle. Elle pouvait

atteindre cent cinquante kilomètres à l’heure si elle forçait, et elle forçait cette fois-ci. Elle atteignitrapidementlesecondpassageetlesurvolaplusieursfois,endécrivantdescerclesdeplusenpluslargesàchaquepassage.

OùsetrouvaientcessatanésElfes?Ellenelesvoyaitnullepart.Ellesecouafinalementlatêteetfonçaverslenordàtire-d’aile.Quentinétaitfacileàtrouver.Iln’essayaitpasdesecacher,detoutefaçon.Ilavaitdissimulélessacs

quelquepart,s’étaitmétamorphoséenpanthèrenoireetbondissaitàlalisièred’untrèsgrandpréquisetrouvaitàenvirontroiscentsmètresdupassagedeNumenlaur.Ilcouraitavecsouplesseetsesmusclesfluidesondulaientsouslepelagenoiretbrillant.Elleplongeapourtournerautourdesatête.

Lapanthèrelevalesyeuxverselle.Quentinluiditpartélépathie:—T’astrouvéquelquechose?—Non,répondit-elleàhautevoix.LapanthèrechangeadedirectionetsedirigeaverslepassagedeNumenlaur.—J’aicouvertchaquecentimètredeterraintoutautour.Jen’aidéceléaucuneodeursusceptible

deleurappartenir.Ce qui ne l’étonnait guère. Ils n’étaient pas passés par là récemment et la neige fondante aurait

éliminétoutetraced’odeurquiauraitpuflotterencoredansl’air.Quandils’arrêtaprèsd’ungrandpinpourreprendresaformehumaine,elleatterritetfitdemême.

Ellel’observaseglissersouslesbranchesbassesdel’arbre.Ilréapparutunmomentplustardavecson

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blousonetlessacs.Illuitenditlesienetilslesenfilèrentenmêmetemps.Ilarboraitunairdur,résolu,maisellepensaitqu’ellecommençaità leconnaîtreassezbienetelle

savaitqu’ilétaitbeaucoupplusinquiet.—Est-cequetuasremarquéquoiquecesoitd’insolitedeprès?demanda-t-elle.—Non.Aucunsignedeviolence,pasdemagiequisedissipait,rien,expliqua-t-ild’unevoixmorne.

Ettoi?—Toutavaitl’airnormal.—OK.Prête?Ellefitunsigned’assentiment.Ilsavaientdéjàfaitletourdelaquestion.Ilnerestaitrienàajouter.Ilssetournèrentensembleetsedirigèrentverslepassage.LepassagedesElfesdelaForêtdeLirithrielenCarolineduSudétaitfinementsculptésurtoutesa

longueur. Ce passage-ci avait l’air entièrement naturel, l’entrée du canyon semblait faire partie dupaysage.Maislamagiequis’endégageaitracontaittoutautrechose.C’étaitunpointdepassagetrèsfortetlaseuleentréequimenaitàunecontréelégendaire.

Aryaln’étaitpasheureusequelesElfesmanquentà l’appel,maiselledevaitadmettrequ’elleétaitraviequ’ilsleurdonnentuneraisonàQuentinetàelledefairecevoyage.

Côteàcôteetsilencieusement,ilss’avancèrentversNumenlaur.

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11

Commeilsmarchaientlelongdupassagerocheuxetinégal,elletenditlecou,essayantderegarderpartoutàlafois.Elleconstataducoindel’œilqueQuentinfaisaitlamêmechose.

Leshautesparoisducanyonbloquaientlavuedupaysageenvironnant,maisaumilieudupassage,laneigedisparutainsiquelecielhivernaldontlavoûtepâledominaitlaForêtdeBohème.Latempératureaugmentaconsidérablementaupointqu’ilsdurents’arrêterpourretirerleursvestesetleurspullsavantdereprendre leurmarche.Le ciel au-dessus d’euxdevint d’un bleu profond étincelant couronné du jauned’orintensed’unsoleilestival.

Lessenteursarrivèrentensuitedanslecouloirforméparlecanyon,pousséesparlabrise,attirantesetrichesde lapromessed’unevégétationabondante, épicéespar leparfumde fleursétranges.Parmi lesanciennes légendes sur Numenlaur que connaissait Aryal, il y avait des récits évoquant des fruitstellementfinsetexquisqueleursaveurpouvaitvousfairemonterleslarmesauxyeux.

Ces récits rapportaient que Numenlaur était une terre riche et fertile avec des oliviers et deseucalyptus,unecontréequed’autresAnciensdécrivaientcommeregorgeantdelaitetdemiel,unparadisperduquiabritaitdespalais,despalmeraiesetdestemplesplusimmémoriauxencorequeceuxtrouvésenÉgypteetenGrèce.Onracontaitquel’und’eux,appeléleTempledesDieux,hautdeplusieursétagesetsoutenupardelourdescolonnesdemarbreblanc,servaitdesanctuaireàdesstatuesdesseptdieuxdesAnciens.

Entoutcas,l’endroitallaitavoirdumalàêtreàlahauteurdesaréputation.Ilsarrivèrentàunpointoù lesolducanyonse rétrécissait.Lepassageétait tellementétroitqu’ils

durent marcher l’un derrière l’autre. Elle fit signe à Quentin de la précéder. Il n’avait pas affichébeaucoupd’émotionsdepuisleurentréedanslepassage,sicen’étaitunéclairfugacedequelquechosequiressemblaitàunevéritablecuriositéimpatienteavantdeparveniràprendreuneexpressionneutre.Ilsedevaitd’êtrelepremieràvoircequiétaitunepartietrèsimportantedesonhéritageculturel.

Héritageculturel–encoreunconceptquilafascinait.Ilsabordèrentunvirage.Lepassages’ouvritetlepointdevueégalement.Lecanyonseterminaitdansuneverdureabondante.ElleseremitàcôtédeQuentinpourmarcher.Il

lapoussaducoudeetindiquaquelquechosedudoigt,etc’estalorsqu’elleposalesyeuxsurlesparoisdu canyon. Deux colonnes massives, anciennes, étaient sculptées dans le soubassement rocheux etflanquaientsonouverture.Ellessedressaientsurquatreoucinqétagesdehauteur.

— Elles sont tournées vers l’intérieur, fit remarquer Quentin. Elles n’étaient pas destinées auxhabitantsdelaTerre.EllesétaientpourlesNumenlauriens.

Nonpas placées à une entrée, érigées pour impressionner le nouveauvenu,mais à la sortie de lacontrée.

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—C’étaitimportantpoureuxdesortiretdedécouvrirlerestedumonde.Lafermeturedupassageadûêtredifficile.

—Quandj’aivoyagédanscetterégionilyaunetrentained’années, jen’aipassentiqu’ilyavaitquelquechose ici.C’étaitcommesi lepassagen’avait jamaisexisté. Ils l’avaientdissimulé jenesaiscomment. Jeneconnais aucun sort enmesured’accomplirune telle chose,mais en tout cas, cela adûnécessiteruneForceextraordinaire.SiAmrasGaelevalétaitalorsleGardien,est-cequ’ilavouluquelepassage reste dissimulé, invisible donc, pour que personne ne puisse entrer ?Ou bien a-t-il gardé lepassagepourempêcherlesgensdepartir?Peut-êtrelesdeux.

Unmalaisel’envahit.—Voilàunepenséequidonnelachairdepoule.Uneexpressioncyniques’inscrivitsurlestraitsdeQuentin.—C’estl’undemestalents,cegenredepensées.Ils sortirent dupassage et se retrouvèrent dans un chaudmatin ou soir d’été.Les rayonsdu soleil

filtraientdebiaisàtraverslesarbresquilesentouraient.Elleétudialesbuissonsetleslonguesherbesautourdel’entréeducanyon.Lefeuillageétaittropfournipourunclimatdésertiqueetiln’yavaitaucunsignederoséesurlesfeuilles.C’étaitdonclesoir.

Quentins’accroupitetpassadoucementlamainau-dessusdesherbestoutenétudiantlesol.—SilesquatreElfessontpassésparici,ilsl’ontfaitilyadéjàunbonmoment.Jenedistinguepas

detracesdepasetjenerelèveaucuneodeur.Elleposalesmainssurleshanchesenregardantautourd’eux.—Qu’est-cequefaisaitGaeleval?Ilvivaitdanslesarbrescommeunhommesauvage?Iln’yarien

ici,àpartdescolonnestailléesdanslesfalaises.CequiestlogiquevuquecelieuétaitcondamnépourlesNumenlauriensdepuis…enfindepuislongtemps.

Dans les Autres Contrées, les régions ne correspondaient pas nécessairement à la géographieentourant les passages qui ymenaient. Le soleil brillait d’un éclat différent et le temps avançait à unrythmedifférent.Onappelaitcephénomèneleglissementtemporel.

Desmillénairesavaientpassé sur laTerredepuisqueNumenlaur s’était ferméau restedumonde.Celanevoulaitpasdireque lemêmenombred’annéess’étaientécouléesàNumenlaur.Lepassagedutempsavaitdûêtretrèsimportant,toutefois,vuquel’événementremontaitàsilongtemps.

La durée avait été suffisamment importante en tout cas pour que la nature ait repris ses droits àl’entréeducanyon,envahieparleshautesherbesetlavégétation.S’ilyavaiteuunerouteouuncheminàuneépoque,elleouilavaitdisparudepuislongtemps.

Ellesemitàtournerenrondeninspectantdeplusprèslazoneet,parcequ’elleétaitcequ’elleétait,ellelevalesyeux.

Unelonguecornicheménagéedanslafalaisesemblaitpartiràcôtéd’unecolonne.C’étaitdifficiledebien voir depuis le sol,mais la ligne semblait trop régulière pour constituer une cassure naturelle dugranit.Elletapasurl’épauledeQuentinetquandilseredressadetoutesataille,elleindiqualacornichedudoigt.

—Là. Et je crois que cette ligne qui coupe sur la gauche est peut-être un sentier étroit. Tu voiscommentildescendpetitàpetit?

—OK.(Illaregarda.)Jesupposequetunepeuxpassoulevermonpoidsdanslesairs.Ellesemitàfrapperdoucementlesoldupiedenessayantdedéciderquoiluirépondre.Àquelpoint

se sentait-elle bien disposée et coopérative avec lui aujourd’hui ? Elle ne faisait pas partie de cesfemmesquidevenaient toutexpansivesetaffectueusesparcequ’elless’étaientamuséesavecun typeet

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qu’illesavaitfaitjouir.Surtoutsiletypeenquestionétaitquelqu’unqu’elleétaitrésolueàtruciderilyavaitpeudetempsdeça.

Ellefinitparadmettrelavérité.—Sinousallionsseulementd’iciàlà-bas,jepourraispeut-êtreyarriver.Tuveuxqu’onessaieou

est-cequetuveuxsuivrelafalaiseetvoirsitupeuxtrouverlesentierenquestion?S’il l’agaçait au cours de l’ascension, elle pourrait toujours le laisser retomber. Cette pensée la

rasséréna.— Tu n’as pas besoin de fournir un tel effort pour quelque chose qui n’est pas important. Je te

retrouveenhaut.Ils’éloignaencourant,latêtelevéeverslafalaise.Elle semétamorphosaetvola jusqu’à lacorniche.Une foisqu’elleeutatterri, elle reprit sa forme

humaineetregardaautourd’elleavecsatisfaction.Lacornicheétaitbeaucoupplusvastequ’ellen’auraitpu le deviner d’en bas. Elle était large et taillée dans la falaise elle-même. Elle longeait une façadeouvragéedotéed’uneporteetdefenêtresauxvoletsclos.Lalignequ’elleavaitremarquéeétaiteneffetunsentierétroitquisuivaitlaparoidelafalaise.

Elleretirasonsac,lelaissatomberparterreetjetasavesteetsonpullpar-dessus.Elleétaittentéed’allerexplorersansattendreQuentin,maiscommeelletournaitlatêtepourregardercequiétaitvisiblepar-dessuslacimedesarbres,elleseravisaets’absorbadanslacontemplationdecequ’elleavaitsouslesyeux.

Lepaysagesedéployaitensuivantunepente inclinéedepuis lazoneoùsesituait lepassageetungrand lac ouunemer étincelait au loin d’unbleu argenté.Labordure du terrain effectuait unméandrejusqu’àunpromontoireoùunlongbâtimentauxcolonnadesblanchesdominaitlascène.

Ses proportions étaient parfaites. C’était un monument d’une simplicité pleine de grâce. Elle mitsamainenvisièrepourmieuxvoir.Savisiond’aigleétaitparticulièrementadaptéeauxlonguesdistancesetelledistinguaclairementdessilhouettesdehautetailleentrelescolonnes.

D’autres bâtiments de marbre et de calcaire émaillaient la côte, de hautes structures magnifiquesd’unearchitectureclassique,pasexactementgrecqueou romaine–cesbâtimentsavaientétéconstruitsbienavant–maisquiévoquaientcesdeuxcivilisations.

Le longde lapartievisiblede la rive,degracieuxnavireselfiquesd’une facture séculaireétaientamarrésàdesappontements.LesnaviresdecetypeavaientquasimentdisparudelaTerreoùlesElfes,commetoutlemonde,avaientadoptédesnaviresdotésd’unetechnologieetd’uneconceptionmodernes.Lescontoursbleusombred’une terresedistinguaientà l’horizonde l’eaubleuargenté.Elleplissa lesyeux,essayantdediscernerdesdétails,maisellen’arrivaitpasàdéterminersilaterreenquestionétaituneîleouunautrepromontoire.Ilétaitpossiblequ’ilssetrouventdanslacuvetted’uneimmensebaie.

Quentinarrivaitlelongdel’étroitsentierd’unpassûretavecsagrâcehabituelleetlarejoignitpouradmireràsontourlepaysage.S’ilnes’étaitpaspostéjusteàcôtéd’elle,ellen’auraitpasremarquésonhoquetdesurprise.

— Oui, dit-elle. C’est magnifique. Quand les Elfes se sont coupés du reste du monde, ils l’ontvraimentfaitdemanièrestylée.

Auboutd’unlongmoment,ilsetournapourobserverlaparoidelafalaise.Ilindiqualaporte.—Tun’aspasjetéuncoupd’œilàl’intérieur?—J’aiétédistraiteparça.Elleindiqualetempledelamain.— Oui, c’est une sacrée distraction. (Il contempla encore un moment le paysage grandiose.) Je

pourraispasserlajournéeiciàregarder.

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Ellesetournaetsedirigeaverslaporte.Elleétaitdotéed’unepoignéeenmétalouvragée.Ellegardalamainau-dessusdelapoignée,cherchantàcapterdelamagie.Iln’yenavaitpas.Ellelatournaetlaportes’ouvritfacilement.

Uneboufféed’airplus fraisvenuede l’intérieur l’effleura.Ellecharriaituneodeurde renferméetd’exotismequi lui évoquait une épice elfique.La curiosité la poussait à entrer,mais elle s’efforçaderesterprofessionnelleetpragmatique.

—Personnen’estvenuicidepuistrèslongtemps.Quentinavançaàsontouretrestaàcôtéd’elle,inspirantprofondément.—IlyaunsoupçondeForceancienne,dit-ilauboutd’unmoment,maisc’esttrèsténu,commedela

magieentraindesedissiperetçanesembleabsolumentpasactif.Explorercelieupeutattendre.Nousdevrionsnousdirigerverslacôte.

Ellesavaitqu’ilavaitétéforméàl’artdelamagiedanslepassé,aussinefut-ellepassurpriseparsonanalyse.Lescréatureshybridesquiexcellaientdanstous lesdomainesétaientrelativementraresetconcentraientsouventbeaucoupdeForce.

—J’aivraimenttrèsenviedeprendrelesairs,dit-ellelentement,etdesurvolerlarégion,parpurecuriosité,maisjecroisquejenedevraispaslefairetoutdesuite.

Illuijetauncoupd’œil.—Qu’est-cequitefaitdireça?—Si lesElfesont abandonné leurposteet sontvenus ici, ils avaientune raison impérieusede le

faire.Cette raison impérieuse n’est peut-être pas très…amicale.Nousne voulons pas nécessairementclaironnernotrearrivéeetannoncernotreprésencesur-le-champ.

—Est-cequetupeuxtedissimuler?—Oui, de la plupart des créatures. (Elle le regarda droit dans les yeux.) Est-ce que tu pourrais

percevoirmaprésence?—Probablement,reconnut-il.Maisjesuisassezsensibleàlamagie.Ellesecoualatête.—Nousnesavonspascequis’estpassé.Maisilsn’ontlaissépersonneàleurposte.—Cequi signifie,dit-il lentement,que s’ils sontvenus ici, ilsont euaffaire àquelquechosequi

requéraittousleurseffortsconjugués.Ellehaussauneépaule.—Jepensejustequetantquenousnesavonsrien,nousferionsbiendefairepreuvedeprudence.—Bienvu.(Ilregardadenouveauendirectiondelacôte.)Voyonsjusqu’oùnouspouvonsalleravant

lecoucherdusoleil.Parcequec’étaitnécessaired’évoquercetteéventualité,elleluiconfiadoucement:—Tusaisqu’ilssontpeut-êtremorts,n’est-cepas?Jeveuxdire,iln’yaaucunsignerécentd’euxoù

nousnousattendionsàentrouver.Soncorpsetsamâchoiresecrispèrent.Ilnelaregardapas.—Toutestpossible.Ycomprisça.Aprèsunmoment,ellesoupira.—Bon,espéronsquenousdécouvrironsuneexplicationbeaucoupmoinssinistre.Prêt?Il opina. Elle prit quelquesminutes pour ranger ses affaires et il suivit son exemple. Pistolets et

munitionsallèrentdanslapochelatéralespécialementconçuepoureux.Lestechnologiescombustiblesnemarchaient pas dans lesAutresContrées et les pistolets étaient pires qu’inutiles. Ils étaient carrémentdangereux.

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Ils fixèrent de courtes épées au niveau de leurs hanches, fourrèrent leurs pulls dans les sacs etnouèrentlesblousonssurl’extérieur.Dèsqu’ilsfurentprêts,ellelesuivitlelongdusentierquiserpentaitetaboutissaitplusloinaupieddelafalaise.

Toutprès,unautre sentier s’enfonçaitdans la forêt.Le sol avait l’aird’avoir étébien foulé,maisunevégétationtouffuededélicatesfeuillesl’avaitrecouvert.Aprèsavoirenvisagédeleprendre,ilsseregardèrent.

Quentinsecoualatête.C’étaitunevoietropprévisible,tropexposée.Elleétaitd’accord.Ilsoptèrentpourunpointd’entréedanslaforêtàunevingtainedemètresdusentierettraversèrentles

sous-bois sans faire de bruit. Ils furent longtemps entourés par un silence rendu pesant par la chaleurpersistantedelajournée.

Lesoleildéclinaaveclanuitquiapprochait,allongeantlesombressurlesoldelaforêt.L’ouïefined’Aryalcaptaitdesbruissementsau loin,mais riennebougeaitprèsd’eux.Lescréaturessauvagesquivivaientlàsentaientleurprésence.

—Jeveuxchasser,dit-elleàQuentinpartélépathie.Ilhésita.—Delaviandefraîcheseraitappréciable.Iln’avaitpasbesoind’expliquersonhésitation.Allumerunfeupourfairecuireunrepasannoncerait

leurprésenceplusclairementquedemarcher le longducheminenvahipar lavégétation.Ellepouvaitmangerdelaviandecrue,maisn’enavaitpluslegoûtdepuisdenombreusesgénérations.C’était l’unedeschosesquelacivilisationluiavaitfaitperdre.

Ellesoupira.—Demain,peut-être.—Demain, pour sûr, affirma-t-il.Ça ou bien nous devrons dénicher de la nourriture dans les

habitationsquenouscroiseronssurnotreroute.Nousavonsmangépresquetoutesnosprovisions.Lamanièredontilsobtiendraientdelanourrituredépendraitsansdoutedecequ’ilsallaienttrouver.

Il était logique que leur approche initiale soit d’entrer discrètement et sans perdre de temps dansNumenlaur,maiss’ilsnedécouvraientriendesuspect,iln’yauraitaucuneraisondedemeurersilencieux.Ilspourraientalorschasser,fairecuirelaviandeetpréleverdelanourriturecommeilslevoulaient.

—OK.Ilsn’échangèrentensuiteplusunmotpendantunmoment.Ilsavancèrentjusqu’àcequ’elleaperçoive

laluneàtraverslesbranchages.Silatempératureserafraîchitaveclanuitnoire,labriseconstantequisoupirait au-dessusd’euxdans les arbres atteignait rarement le sol de la forêt où l’air restait lourd etchaud.

Ils arrivèrent à un ruisseau dont le lit était beaucoup plus large que le cours d’eau qui coulaitactuellementensonmilieu.Lefeuillagetouffuindiquaitdespluiesabondantes,larégionn’étaitdoncpasenproieàlasécheresse.Leruisseaudevaitprobablementgrossirauprintempsaveclafontedesneigesvenuesdeshauteurs,puischarrierbeaucoupmoinsd’eaupendantlesmoisd’été.

Levastelitfaisaitcommeuneclairière.Surleurgauche,lecheminqu’ilssuivaientmenaitàunlongpontdepierrequienjambaitlecoursd’eausurtoutesalargeur.

Quand ils émergèrent des arbres, l’air était beaucoup plus frais. Ils allèrent tous les deux sedésaltérer longuement.L’eauétait pure et délicieuse.Après avoir bu,Aryal se rafraîchit le cou.L’eaufroidesursapeauensueurfutunchocautantqu’unsoulagement.Elles’essuyalaboucheets’assitsursestalonspourregarderlecielnocturne.

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Lesétoilesétaientsinettesetsibrillantesqu’elleavaitl’impressionqu’ellepourraitlescueillirsielle s’envolait etmontait aussi haut que possible.La lune, qui semblait trois fois plus grande que surlaTerre,étaitpartiellementmasquéeparlefaîtedesarbres.

—Onferaittoutaussibiendefaireunepause,marmonnaQuentin.—Çameva.Aryaltrouvaunendroitsecetherbeuxàlalisièredelaforêt.Elledéposasesaffairesets’étendità

côté,desserrantl’épéefixéeàsahanche.Quentinlarejoignit,posantsonsacprèsdusien.Elleremarquapourlaénièmefoisàquelpointilse

déplaçait silencieusementmalgré sa taille. Il s’installa par terre avec sa grâce féline habituelle. Il netrébuchaitquasimentjamais,etquandcelaluiarrivait,ilserattrapaitplusvitequequiconque.

Soncorpsetsonvisageétaientplongésdansl’obscurité,maiselleconnaissaitmieuxquejamaissonapparence.Nonseulementsonapparence,maissongoûtleplusintime.

Lesouvenirdelui,attachéetexposédevantellecommeunfestin,luitraversal’espritetelleréagitdemanièrephysique,ledésirs’éveillantdenouveauetsemanifestantparunepulsationaiguë,urgente.MonDieu,ilétaitparfaitdanslesmoindresdétails:unepeaudoréeetbronzée,uncorpsauxmusclesdéliés,etuneauradedangeraussienivrantequedel’herbeàchats.Celaneluiavaitvraimentpaspluqu’ellel’attache. Elle l’avait vu à la crispation de sesmâchoires.Mais il s’était soumis et cela avait été unmomentglorieux.

Etquandelleavaitpriscemagnifiqueetsucculentpénisdanssabouche,ilavaitfeuléentresesdentsethappéunegouléed’air.Cesursautavaitcontractésesmusclesabdominauxetlesavaitfaitroulersoussapeau.

Elle semit à respirer profondément et demanière égale. Elle n’avait pas besoin de le voir poursavoirquesonlongcorpss’étaittendu.Ellelesentaitcommelecrépitementdel’électricitédansl’air.Ilroulasurlecôté,appuyalatêtesurunemainetgrondatoutdoucement:

—Nousallonsbientôtconcrétisercemarché.Ensonforintérieur,ellesavaitàquelpointlascèneétaitromantique.Lanuitétoilée,lapleinelune

surdimensionnée,etcelongpontdepierreàarchesfaisaientunetoiledefondpourlasilhouettesombredel’undeshommeslesplusséduisantsqu’elleaitjamaisvus.

Ellen’étaitpasromantiquepourunsouetriendetoutcelanelatouchait.Enfin,peudechoses.Bon,oui,lecielpeut-être.Ellen’avaitjamaispurésisteràlabeautéd’unciel,surtoutsiellepouvaits’envolerle retrouver. Et la scène était suffisamment esthétique. Le gaillard était sexy, pas de doute là-dessus,particulièrementlorsqu’ilétaitattachéàunpieddetable.

Riendetoutcelanes’apparentaitàuneidylle.Ellefronçalessourcilsetluidit:—Notre marché est nul et non avenu pour le moment. Pas d’électricité, pas de pendules, aucun

moyendechronométrerunedemi-heure.Etjenetefaispasconfiancesinousn’avonspasuninstrumentindépendantdemesuredutemps.

Ilritsouscape.Unsongrave,ensorcelantetdiabolique.Ilsefaufiladanssatêtecommelefrôlementd’unchatnoirlelongdesapeaunueetl’encourageaàfairedeschosesqu’ellen’envisageraitjamaisdefaireautrement,setournerverslui,letirerprèsd’elleetl’embrasserparexemple.

Ellefaillitlefaire,maisseretintauderniermoment.—Nouspouvonsmodifierlemarché.Jepariequenouspourrionstrouverunsablierdansunecuisine

quelquepartlorsquenouschercheronsdesprovisions.—J’ignoraisquetut’intéressaisautantàmoi,railla-t-elle.

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—L’intérêtquej’aipourtoiestpurementpornographique.(Iltenditlamainpourpasserundoigtlelongdesabouche.)Talangueesttrèsdouéequandtucessesdet’enservirpourparler.

Le riremenaça de la secouer. Elle le réprima. Elle ne voulait pas qu’il pense qu’elle le trouvaitdrôle.Etiln’étaitpascharmantlemoinsdumonde,ça,c’étaitsûr.

—Oh, comme c’est adorable, riposta-t-elle. Ce n’est pas la gentillesse qui t’étouffe décidément.Peut-êtrequejepourraisutilisermademi-heureàça:tecontraindreàm’adresserdescompliments.

Sonsourireétinceladansl’obscurité.—Tupensesquejenepourraispastefairedecomplimentsàmoinsd’yêtrecontraint?—Jemefichedescompliments.Jeveuxjustetevoirenbaver.Ilglissasonindexentreseslèvresetl’enfonçaprofondémentdanssabouche.Nonseulementellele

laissafaire,maisellesemitàlesucer.LarespirationdeQuentins’accéléra.—Ilfaudraquetutrouvesunautremoyendefaireçaalors,murmura-t-il.Jet’aihaïeettum’asmis

encolèreplusquen’importequi.Tuesaussil’undesmeilleurscombattantsquej’aiejamaisvus.Jet’aiobservéechaquefoisque tuétaisdans l’arènependant lesJeux.Et j’étais trop furieuxpour l’admettrealors,maiscequetuasfaitàPraguequandtum’asclouécontrelaporteenmétal,c’étaitcarrémentgéant.Et puis bien sûr, il y a ta bouche. Ta bouchemouillée, chaude, extrêmement habile, étroite. (Il retiralentementsondoigtjusqu’àcequeseulleboutreposeentreseslèvres.Puisill’enfonçadenouveau,labaisantd’unemanièrepresquenonchalante.)Tuvoiscommetoutvamieuxquandtulafermes?

Elle avait su que le sexe rageur serait formidablement bon avec lui. C’était encore mieux aveccette…ententeàlaquelleilsétaientparvenus,cetteententequin’étaitplus-tout-à-fait-de-la-haine-mais-quelque-chose-d’autre.

—Situtrouvesunsablier,jel’envisagerai.Maislaprochainefois,c’estmoiquicommence.—Etsi jeneveuxpasque tucommences?murmura-t-ilenfaisantglissersondoigt le longdesa

langueenunecaresselenteetintime.Etsijeveuxpasserunautremarché?

Derrièrelui,quelquechosebougeasurlepont.C’étaituneespècedetraînéefugacenoirede…quelquechose.Elle se releva vivement, dégainant son épée dans la foulée. Dans unmouvement fluide et rapide

comme l’éclair,Quentinbonditetdégaina la sienne. Il se retournaet secolladosàelleet c’estalorsseulementqu’ildemandapartélépathie:

—Qu’est-cequisepasse?Quelle que soit l’opinion qu’elle avait de lui, ses instincts de partenaire de combat étaient

impeccables.Elleapprouvait.—J’aivuquelquechosebougersurlepont.—Quoi?Ellelesentaitàtraversletissufindesontee-shirt.Lachaleurdesoncorpsirradiaitcontresapeauet

lehautdesondoseffleuraitlesien.—Jenesaispas.Ilsobservèrentetécoutèrent.Riennebougeait, sauf le feuillagebercépar levent.Lesseulsbruits

qu’ellecaptaitétaientdessonsnocturnesordinaires,etparcequ’elleétaitcequ’elleétait,ellelevalesyeux.Aucunintrusdansleciel.

Quentinrestacolléàelletoutletemps,aussichaudquedelabraiseetaussistablequelaterresoussespieds.Toutcedangerramassédansmondos,songea-t-elle,etpourunefois,ilestdemoncôté.

Cettepenséeengendraunsentimentétrange,réconfortant,vivifiantmême.Ilnesedétenditpas,maisdemandaauboutdequelquesminutes:

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—Tuessûre?—Oui, je suis sûre d’avoir vu quelque chose. Non, je ne sais pas quoi. C’était une sorte de

traînée, un truc noir. Ça ne semblait pas connecté à quoi que ce soit et ça se déplaçaitindépendammentdetoutlereste.C’étaitpresquecomme…

Ellelevadenouveaulatêteverslecielnocturne.Toutsemblaitparfaitementnormal.Ellenes’yfiaitpas. Elle riva les yeux sur le pont et en étudia les deux points d’entrée où il disparaissait dans lesténèbressouslesarbres.Rien.

—C’étaitpresquecommequoi?demandaQuentinàvoixhaute.—C’étaitpresquecommeuneombre,saufqueriendephysiquen’yétaitattaché,expliqua-t-elle.Ou

disonsquecen’étaitattachéàriend’autre.Elleattrapasonsacparunesangleetsedirigeaverslepont.Laisserdesaffairesderrièresoiétait

unefautedebleu.Quentinluiemboîtalepasetilsbondirentaumilieudelastructure.Jetantleursaffairesaumêmeendroit,ilssedirigèrentchacunversl’unedesentrées.

Aryals’arrêtaàl’extrémitédupont,justeàl’oréedesarbres.Elleavaittoujourssonépéeàlamain.Ellesepenchaetreniflalapierre,passantdoucementlesdoigtsdessus.Lasurfaceétaitsècheetencoretiède du soleil de l’après-midi. Elle ne saisit aucune odeur de créature passée récemment, juste unsoupçondeterre,depluierécenteetdemoisissure.

Elle se redressa et recula pour récupérer les sacs sans tourner le dos à la forêt plongée dansl’obscuritéetellenes’arrêtapasavantd’avoirrejointQuentin.

Le clair de lune tombait sur eux. Presque aussi lumineux que le jour. Il soulignait les pommettesciseléesdeQuentinetsamâchoirevolontaire.Ilrangeasonépéedanssonfourreauetsetintimmobile,lesmainssurleshanches.

—Aucunrésidudemagie,dit-ilàvoixbasse.Ellerengainaelleaussisonépéeetluidit:—Situsous-entendsquetunemecroispas,jevaistefrapper.—Çanemeviendraitpasàl’esprit.N’oubliepasquejet’aivueàl’œuvre.Tuesl’unedescréatures

lesplusanciennesquej’aiejamaisconnues.Tueségalementl’unedespluscombatives,etpourtanttuestoujoursenvie.J’attribueçaàtesinstinctsettaréactivitéparcequelenombretotaldepersonnesetdecréaturesquiontdûessayerdetetueraufildutempsdoitêtrehallucinant.

Elleétrécitlesyeuxetpenchalatête.—Jecroisquejevaisprendreçaaussicommeuncompliment.Unsourirefugacefenditsonvisageavantdes’évanouir.—Quellesurprise.Bon,nousavonsdoncaffaireàquelquechosedetrèssombreetderapidequise

déplacesanslaisserdetrace,d’odeurouderésidudemagie.—Oui,t’astoutcompris.Ils’approchadeleurssacsetluitenditlesien.—Çaressembleàquelquechosequetuasdéjàrencontré?Elleenfilasonsac.—Non.—Donc,ils’agitd’uneanomalie.—Ondiraitbien,mêmesic’estseulementuneanomaliepournous,souligna-t-elle.C’estpeut-êtreun

trucparfaitementnormaldecetenvironnement.—J’aimepaslesanomalies,ditQuentinlatêtebaisséeaprèsavoirbouclélasangledesonsacau

niveaudesataille.

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—Moinonplus.(Elleregardalaforêtobscuredevanteux.)D’aprèsmonexpérience,ilyapresquetoujoursuneexplication.Etelleestrarementplaisante.

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12

Quentinsefrottalevisage.Ilavaitl’impressionquesavieétaitremplied’unnombrebeaucouptropimportant de fichues anomalies.Et trop d’entre elles se centraient sur la femme sexy qui arrivait à lemettredanstoussesétatsetquisetenaitàcôtédelui.

Samentalitémoderneneparvenaitpasàcernerl’identitédelaharpie.Ilétaitpersuadéqu’elleétaitmasculine,mais lorsqu’il laregardait, la regardaitvraiment, ilcomprenaitqu’elleétait féminined’unemanièrequiétaittoutenouvellepourlui–forte,sûred’elleettotalementdénuéedesmaniérismesetdescaractéristiquesquelaculturepopulairedéfinissaitcommelemodèledelaféminité.

Ellenecraignaitpasdedéfier lesconventions.D’aprèscequ’ilavaitvu,ellenecraignait riendutout,et toutessesémotionsétaientbrutes,nettes.Parmoments,celasemblaitprimitif,voireexaspérant,maisc’étaittoujoursgrisant.

Quand elle aimerait quelqu’un, ce serait de manière absolue et passionnée, sans réserves, sanschantageémotionnelquifixeraitdesconditions.Pasde«jet’aimeraisseulementsitufaisciouça,situdevienscommecioucommeça».

Ceseraitcommentd’êtreaiméaveccettesortede…pureté?Il la regarda et éprouva un sentiment de liberté, une émotion qu’il n’arrivait pas à nommer ou

identifierauparavant.Quelquechoseenluis’étaitlibéré,lapartiesauvageetdangereusequ’ilcontrôlaitd’habitudesifarouchement.Ilavaitl’impressionqu’elleétaitsansentravedésormais.

Engénéral, ilnesesentaitainsique lorsqu’il s’était transforméenpanthèreet se rendaitdansunezoneinhabitéeafindepouvoirs’ébattresansavoiràs’inquiéterdetombersurdeshumainsoud’autrescréatures.Oùallaitcettepartiesauvagedeluietcequ’elleallaitfairequandelleyparviendrait,ilnelesavaitpas.

Ilsesecouaalorsdesesvainesrêveriesetseconcentrasurcequilesattendaitdansl’immédiat.—Bon,dit-il.Jecroisquenousdevrionscontinueràavancer.Nousn’avonspasd’abriicietilya

tropd’endroitssombresoùdesanomaliespourraientsecacher.—Entendu.Poursuivonsjusqu’àcequenoustrouvionsuncoinsûroùnousreposer,quenoussortions

delaforêtouquelejourselève.Sansdiscuterdavantage,ils’éloignadupontetducheminetpénétradenouveaudanslestaillis.Àsa

grande surprise, elle le laissa ouvrir la marche sans argumenter. Ils avancèrent dans les sous-boissansfairedebruit.Ilsavaientbeaunepasavoirétévictimesd’uneattaque,toussessensétaientenéveil.Iln’aimaitpaslenombredequestionssansréponsequ’ilsavaientaccumulées.

Il estima que la côte qu’ils avaient admirée plus tôt était à trente-cinq ou quarante kilomètres aumoinsdelademeuresurlafalaise.Avançantprécautionneusementdanslanuitcommeilslefaisaient,ilsn’yparviendraientpasavant lematin. Ilcommençaitàêtrefatigué,cequivoulaitdirequ’Aryaldevait

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elle aussi commencer à l’être. Son instinct le guidait désormais et il ne pensait pas que ce serait unebonneidéed’entrerdanslavillesanss’êtred’abordreposé.

Ils’enouvritàAryaltélépathiquement.—Logique,dit-ellesimplement.Il attendit,mais elle n’ajouta rien.C’était encore une autre des anomalies qu’il avait commencé à

recenser.Ilsnesedisputaientplusdutoutautantqu’ilsl’auraientdû.Vuqu’elleétaitenmesuredelancerunedisputeàpartirdetoutetn’importequoi,celavoulaitprobablementdirequ’ellemanigançaitquelquechose,maissesantennesnedécelaientaucuncoupfourréenvueetildoutaitdesespropresconclusions.

CôtoyerAryaldansuncontexteoùelleétaitunatoutetnonuneplaieétaitintéressant.Ilreconnaissaitdéjàauparavantquesestalentsetsescompétenceslarendaientutiledanslecadredesenquêtesqu’ellemenait, mais c’était une observation d’ordre purement intellectuel. Désormais, il faisait réellementl’expériencedecequecelasignifiaitdetravailleravecelleenpartenariatetelleétaitaussidouéequen’importequellesentinelle:rapide,vive,pertinente,etperspicace.

Il aimait ce qu’il voyait d’Aryal en tant que coéquipière. Il respectait cela et la respectait, elle.Encoreuneautreanomalie.

Jusqu’àmaintenant,ilétaitvraiqu’ilsn’avaientpasproprementdûinteragiravecd’autrespersonnes.Etilsenavaientdéjàméchammentdécousuensemble.Ilsourit.

Letempssemitàs’égrenerindifféremmentauseindelanuit.Quentinseréfugiadanssaconscienceanimale, sentant les muscles de son corps fonctionner tandis qu’il notait les détails du décor quil’environnait.Ilauraitétéimprudentdefairepreuvederelâchement.Ilobservaitlesombresplusintensesàlarecherchedequelquechosequisembleraitparticulièrementobscuretquibougeraitautrementquelavégétationoulesbranchesquelabrisefaisaitosciller.

Quandilparvintfinalementàlalimitedesarbres,lechangementfutsibrutalqu’illesurprit.Ilstoppanetavantdesortirdusous-boisetAryaleffleurasondosavantdes’arrêterégalement.

Ils étaient arrivés à la lisière d’une prairie dont les longues herbes grossières semblaientsuffisammenthautespourleurarriveràlapoitrine.Cetteétenduepourraitlesdissimulerauxregards.Iljetauncoupd’œilverslecielquicommençaitàs’éclaircirdansunedirection.Bon,ilallaitdirequecelaindiquaitl’est.L’auben’étaitplustrèsloin.Ilfaisaitencoretropsombrepourdistinguerquelquechoseau-delàdesenvirons immédiats,mais ilestimaitqu’ilsdevaientavoiratteint la limitede la forêtetsetrouvaientdésormaisàquelqueskilomètresseulementdelacôte.

—Jenepensepasqu’onva trouverunendroitplus favorablepour faireunehalteavantd’arriverprèsdelacôte,dit-il,etjeneveuxpasyarriversansm’êtreunpeureposé.

—Ondevraitcampericietmonterlagardechacunnotretour.Onpourradormirunpeucommeça.—Çameva.Aryal perdit à pile ou face, ce qui voulait dire que Quentin se reposerait en premier. Il avala

rapidement une barre vitaminée pour apaiser la faim qui lui tiraillait l’estomac. Ce n’était pas assezcopieuxpourlesatisfaire,surtoutavecladépensed’énergiedesdeuxderniersjours,maiscelasuffiraitpourluipermettredefaireunesieste.

Ils’étenditsousunarbrepourbénéficierd’unminimumd’ombreaprèsleleverdusoleiletsonsacluiservitd’oreiller.Aryalsetenaitdebout,nonloindelui,appuyéecontreunautrearbre,lesbrascroisésetunejambebottéeposéesurletronc.Ellenefaisaitfaceniàlaprairieniàlaforêt,maissepositionnadebiaisafindepouvoirfacilementvoirlesdeux.

Elleparaissaitàl’aise,compétenteetsuffisammentvigilantepourmonterlagardetoutelajournée.Il l’observa subrepticement par-dessous ses paupières pendant qu’elle déchirait l’emballaged’une

barreprotéinéeetmordaitdedans.Elleavaitnouésescheveuxàl’aided’unliendecuir,maisquelques

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mèches retombaientsursonfront.Le tee-shirtqu’elleportait soussonpullétaitundébardeurencotonblanc tout simple. Il épousait son torsemince, soulignant ses seins fermes et les deux pointes de sesmamelons.

Il sentit soncorps se tendrededésir. Il se remémora la sensationde ses seins entre sesmains, ladouceurdelapeau,legoûtdesontétondanssabouche.

Sanscriergare,cequ’elleluiavaitditlaveilleluitraversadenouveaul’esprit.«Situfaisquoiquecesoitpouractivementessayerdenuireàdespersonnesquimesontchères–

alorsjemelanceraiàtapoursuiteetjen’arrêteraipasavantdet’avoirfaittrèsmaloudet’avoirtué,oupeut-êtrelesdeux.C’esttout.Cen’estpascompliqué.»

C’étaitmêmeplutôtsimple.D’aprèscequ’ilavaitentendudire,lesharpiesdonnaientrarementunesecondechanceàquelqu’un.

Devenir leur bête noire, c’était l’être en général jusqu’à la fin des temps. Il était tout à fait possiblequ’ellen’aitcuredesonpassédecontrebandier,maisilserendaitégalementcomptedel’ampleurdelaconcessionfaitequandelleavaitabandonnésonenquête.Iln’yauraitplusd’autreschancesensuite.

Sielledécouvraitunjourcequ’ilavaitfaitàDragosetàPial’annéepassée,iln’avaitaucundoutequantàlatournuredesévénements.Leshostilitésseraientdenouveauouvertes,etcettefois-ci,ellesnecesseraientpastantquel’und’euxneseraitpasmort.

Cefutlapenséequibridafinalementsapartiesauvageetsansentrave.Iltournalatêtepournepluslaregarder.C’estseulementalorsqu’ilfutenmesuredes’endormir.

Elleleréveillaauboutdedeuxheuresetilséchangèrentleurspostesensilence.L’aubeavaitsuccédé

àlanuitetapportéavecelleunechaleurhumide.Iltranspiraitetsesentaitsale,etilauraitaiméqu’ilssoientdenouveauàproximitéd’uncoursd’eau.

Aryalsecouchaenchiendefusil,jetasavestesursonvisage,etnebougeaplus.Quentinfouilladanssonsacà la recherchedenourriture. Il lui restaituneboîtede ragoûtdebœufqu’ilavaithâtedevoirdisparaîtreettroisbarresprotéinées.Ilmangeatout,àl’exceptiond’unebarre.Ilvoulaitlamangeraussi,maisillaremitdanslesac.Lapromessed’autresalimentsdifférentsétaitproche,maisilsnelesavaientpasencore.

Lesoleilmontaplushautdanslecieletlachaleuraugmenta.Iln’yavaitpasdebruitautourd’eux,sicen’étaitlebourdonnementoccasionneld’insectesetlestrillesdesoiseaux.Pasd’ombresinexpliquées,pasd’anomalies,entoutcaspasvisibles.

Iln’avaitguèreeuletempsdepenserauxquatreElfesmanquantàl’appel–tropdechosesàrégler,etpuisAryalavaitmobiliséunegrandepartiedesonattention–mais ilysongeaitmaintenantavecunpressentimentfuneste.DeuxdesnomsqueFerionluiavaitcommuniquésluiétaientinconnus:CemallaetAralorn,unefemmeetunhomme.

Ilconnaissaitlesdeuxautres,LinweetCaerreth.Linweétaitunebouled’énergie,unejeuneElfequiavaitrécemmentteintenbleulespointesdesescheveuxhérissés.Elleavaitdesyeuxbrunspétillantsdegaietéetadoraittaquinersonmonde–dumoinsavantlatragédiedelaForêtdeLirithrielentoutcas.

Quentinavaitbeaucoupd’affectionpourelle.Ilsn’étaientpasliésparlesangouparalliance,maisillaconsidéraitcommefaisantpartiedesafamilleélargie.CaerrethétaitunjeuneElfetimide,studieuxetremarquablementinsensibleaucadredanslequelilpouvaitsetrouver.Quentinl’avaitdéjàrencontrélorsdesesvisitesàLirithriel.

Tous lesquatre, lui avait égalementditFerion, étaient jeunes et peu expérimentés. Ils étaient ceuxdont Ferion pouvait se passer à Lirithriel. Quentin secoua la tête. Plus leur absence inexpliquée se

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prolongeait,plussoninquiétudeaugmentait.Ilétaitimpatientd’arriverjusqu’àlacôteetdecommencersonenquêteafindevoirs’ilsarrivaientàytrouverdestracesdesElfes.

Ilestimaitl’heureparlapositiondusoleildansleciel.Quandiljugeaquedeuxheuresavaientpassé,ilditàAryal:

—Ilesttempsdeseréveiller,beauté.Savoixérailléeparlesommeils’éleva.—Ilfautquetuarrêtesdem’appelerainsi.Jenecroisvraimentpascorrespondreàdescritèresde

beauté.—J’aimebienl’ironie.Elle s’assit, ses cheveux en désordre lui couvrant le visage, et passa les mains dedans pour les

peigner commeelle pouvait, puis tâtonna autour d’elle pour trouver le liende cuir qui s’était détachépendantqu’elledormait.

—Pourquoitunetecoupespaslescheveuxpluscourts’ilst’ennuient?demanda-t-ilaveccuriosité.Il étouffa l’étrange et absurde tiraillement de regret que sesmots éveillèrent en lui. La chevelure

d’Aryal était encore quelque chose chez elle de tout simplementmagnifique avec ses longuesmèchesnoiresépaissesetbrillantes,maisellesemblaitsouventl’agacer.

Cela avait été merveilleux de plonger les mains dans cette masse soyeuse, de l’emprisonner enfermant un poing dessus, et de lui tirer la tête en arrière pour l’embrasser. Il repoussa cette pensée.Commeunmoucheronirritant,ellerefusaittoutefoisd’êtreécartéeetrôdaitàlalisièredesaconscience.

—Sefairecouperlescheveuxprenddutemps,déclara-t-elle.(Elleouvritsonsacetavalasonpetitdéjeuner. Il remarqua, avecunepointed’amusement,qu’ellenemettait aucunebarreprotéinéedecôtépourplustard,maismangeaittoutcequiluirestait.Puiselleregardaautourd’elled’unairmaussade.)Notreprioritéestdetrouverdelanourritured’unemanièreoud’uneautre.

— La côte ne devrait plus être qu’à six ou sept kilomètresmaintenant. Nous allons certainementcommenceràvoirdeshabitationsbientôt.Nousdevrionsêtreenmesuredetrouveraumoinsdupaindesvoyageurs.

Endehorsdescommunautéselfiques,leurpaindesvoyageursétaitunalimentrareetrecherché,maisc’étaitunalimentdebasepourlesElfesetchaquefoyeroupresqueenavaitenréserve.Finetparfuméaumiel, le pain était renommé pour son goût exquis, ses propriétés curatives, et la longue durée de saconservation.

Aryalnesemblatoutefoispasimpressionnéeetfitunegrimace.—Jesupposequecesontdescaloriesetçaferal’affaireàdéfautd’autrechose.—Jenesaispaspourquoijem’enétonneencore,maistuobjectesabsolumentàtout.(Quandellese

leva, indiquant qu’elle avait fini demanger, il enfila son sac.) Tout lemonde adore ce pain. Tout lemonde,sauftoi.

Elleluifitunbrasd’honneur,legesteétaitdésinvolte,presqueamical,toutenenfilantsonsacetengrommelant:

— Je suis gourmande. Il n’est pas mauvais. Mais j’ai besoin de beaucoup de calories, et jecommenceàavoirvraimentfaimdeviandefraîche.

Ilparcourutduregardsasilhouetteminceetélancée.Ellevolaitviteetdemanièrepuissanteetcelaprenaiténormémentd’énergie.Ilressentaitlebesoindeviandefraîche,luiaussi.

—Nous allons en trouver aujourd’hui, quoi qu’il arrive. (Il reporta son attention à leurmarche àtravers les herbes de la prairie.) Je n’ai pas tellement envie deme frayer un chemin dans ces hautesherbes.Jepensequenousdevrionslaissertomberl’approchefurtiveetsuivrelesentier.Nouslaissons

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destracesd’odeurdetoutefaçonetsitonanomaliedelanuitdernièreestdouéederaison,quelquechosesaitquenoussommeslà.

—L’approchedirecte.(Ellehaussalesépaules.)Çameva.(Ilssuivirentlalisièredelaforêtjusqu’àcequ’ilsretrouventlesentier.Ilétaitpluslargeentraversantlaprairiecommesicetronçonavaitconnuplusdecirculation.)Bon,allez,qu’onarriveenfinquelquepart,bonsang.

Elleavaitun ton impatient commesi l’interdictiondevolqu’elle s’était imposéecommençait à lalasseretelles’engageasurlesentieraupetittrot.Quentinsouritenlasuivantlelongducouloircrééparleshautesherbes.Lesoleilfrappaitleurstêtesetleventfaisaitondulerl’étendueverteenlonguesvaguesquiévoquaientlasurfaced’unocéan.

Maintenant qu’il faisait jour, ils voyaient plus loin devant eux, jusqu’à une nappe d’eau lointainecouronnéedeblanc.Ilaperçutcetteterreoucetteîlebleueetsedemandacequ’ilyavaitlà-bas.

Aprèsavoircourupendanttroiskilomètresenviron,ilsarrivèrentaupiedd’unepentelégère.Enlagravissant, ils abandonnèrent derrière eux la prairie ; lorsqu’ils arrivèrent en haut, la côte s’étendaitdevanteux,plusprochequejamais.

Lesentierdescendaitunecollineescarpéeenzigzags.Quelquesmaisonsagrémentéesdejardinsenterrasse sedressaient à flancde coteau.Plusieursbâtiments étaientblottis aupiedde la collineoùunchemindeterrepartaitendiagonaleverslacitéauborddelamer.Chaquelignedelacitéqu’ilsvoyaientsedécouperdeplusenplusnettementétaitgracieuseetélégante.Cespectacleletouchaitauplusprofonddelui.

Pourlapremièrefoisdepuisqu’ilsavaientquittélaforêt,ilseretournapourregarderderrièreeux.Lesfalaisesquiflanquaientlepassages’élevaientplushautjusqu’àunechaînedemontagnesquicouvraitl’horizon.

—Qu’est-ilarrivéà leurschevaux?dit-il soudain.Gaelevalaenvoûté lesNumenlauriens. Ilsonttraversépourarriveràl’autrepassagedanslaForêtdeBohème.PuisilsonttraversécetteAutreContréepourrejoindrel’entréedelaForêtdeLirithrieletilsétaienttousàpied.Iln’yavaitpasunseulchevaldanscettearméeetlesElfesontunepassionpourleurschevaux.Alorsoùétaient-ils?Oùsont-ils?

Aryalluijetauncoupd’œil,puissonexpressions’assombrit.Elleneditrien.Ilsetournaabruptement,frottasanuqueetregardaparterretandisqu’unnœudduretdouloureuxse

formaitdanssapoitrine.Ellen’avaitpasbesoindedirequoiquecesoit.Ilconnaissaitlaréponseaussibienqu’elle.

LesElfesenvoûtésétaientdevraiszombies,dénuésdeconscienceetdevolonté.Ilsétaientdansunétat pitoyable, pauvrement vêtus et souvent sans chaussures. Ils n’étaient pas enmesure de s’occuperd’eux-mêmesetencoremoinsd’autrescréatures.Sileurschevauxavaientétémisaupâturageaumomentoù les Elfes avaient été envoûtés, les animaux auraient pu avoir de bonnes chances de survie. S’ilsavaientétémisàl’écurie,ilsseraientmortsdefaim.

Lacitéqu’ilcontemplaitdeleursituationhautperchéeétaitplusbellequebiendesvillesdelaTerre,maiselleétaitaussidénuéedeviequ’aprèsunholocauste.

Ilrefoulasessentimentsetadoptauntonprofessionnel:—Piam’aditqu’elleavaitparléàGaelevaldansunrêve,lanuitavantqueDragosletue.—Ahoui?(Aryalsemblaitpensive.)Est-cequ’ellearapportécequ’ilss’étaientdit?Ilregardadansladirectiondecettecôteidyllique,sansvraimentlavoir.—Est-cequetusaisqu’ilseservaitdequelquechoseappeléMachinedesdieux?C’estainsiqu’ila

envoûtédesinombreuxElfesetcausélesdommagesqu’onsait.CetteMachineaamplifiésaForce.—Jesais.

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Ellesemblaitcirconspecte,commesilesMachinesdesdieuxétaientuneespècedesujettabou,maisQuentinavaitentendud’anciensrécitselfiquesetavaitdéjàconnaissancedesdeusMachinae.

—Dans son rêve, Pia demandait àGaeleval comment il avait obtenu laMachine.Camthalion, leseigneur numenlaurien, possédait cette Machine depuis très longtemps, depuis que Numenlaur s’étaitretranché du reste du monde. Elle l’a rendu fou apparemment. Il a convoqué Gaeleval au palais oùGaeleval a affirmé qu’il avait trouvé tout le monde mort. Les gardiens du palais, les enfants deCamthalionetleurmère.Ilsétaientagenouillésdanslasalledutrône,lagorgetranchée.Camthalionavaitversédel’huilesursatêteets’étaitimmolé.

—C’estcomplètementdingue,dit-elledoucement.Illuilançaunregardaigu.— Peut-être que les choses se sont passées commeGaeleval l’a dit, peut-être pas. Peut-être que

Gaeleval est celui qui les a tués.Quelle que soit la vérité, je crois que nous allons trouver des trucshorribleslà-bas.

Elleinspiraprofondément.—Jecomprends.Ilsseturent.Auboutd’unmoment,elleluitapasurl’épaule.—Hé,dit-elle.Viens.J’ailabouchetellementsèchequ’ellemebrûle.Ilfautqu’ontrouvedel’eau.

Descendonsjusqu’àcesmaisonspourvoirs’ilyaquelquechoseàmangeretàboire.Ilhochalatêteetseretourna.Le sentier était très pentu et le descendre en courant aurait été peu avisé, ils ralentirent donc. La

premièremaisonqu’ilsrencontrèrentlessurprit.Elleétaitconstruitesurlecontrefortdelacollineetilsnelavirentqu’aumomentoùlecheminviraitetlesamenaitjusteàcôtéd’elle.Lafaçadepeinteenblancregardaitlamer,etdesmassifsdefleursornaientledevant.

Laporteétaitentrouverte.Quentindégainasonépéesansmêmeyréfléchir.Aryaltiralasiennepluslentement.—Elleestpeut-êtreouvertedepuistoutcetemps,murmura-t-elle.—Etpeut-êtrepas.Ilsallaientprélevercedontilsavaientbesoindanslesmaisonsqu’ilstrouveraient,maisilsallaient

prendreseulementcequileurétaitnécessaireet traiterlapropriétéavecrespect.L’idéequequelqu’und’autreaitpuveniretpillerlesbiensd’unevictimenumenlaurienneembrasasacolère.

Ilsedirigeaverslaporteàgrandspasetl’ouvritenlapoussantduplatdelamainpendantquesonregardvifnotait chaquedétail etqu’ildéployait son sensdemagie. Iln’yavait euaucunedépensedeForcerécente.

L’intérieurdel’habitationétaitfraisetplongédansl’obscurité.Ilentrapendantqu’Aryalouvraitlespersiennespourlaisserentrerlalumière.Lesmeublesconfortablesavaientdeslignesépuréesetl’âtredelacheminéecontenaitdesbûchesàmoitiébrûlées.Ilvoulaitvérifierquelescendresétaientfroides,maisildevaitd’abords’assurerquelespiècesétaientvides.

Iltrouvauncadavreétendudansl’embrasuredelaported’unechambre.C’étaitunElfe,facecontreterre,seslongscheveuxdénouésendésordreautourdesatêteetdesesépaules.Ilétaitmortdepuisuncertaintempsdéjà.

Quentinneledéterminaitpasenfonctiondeladécompositioncommeilleferaitavecunêtrehumainou un corps mortel. Un phénomène d’alchimie caractéristique à leur espèce faisait que les Elfesconservaientdanslamortl’aspectnaturelqu’ilsavaientdeleurvivant,etcelapendantdesannées.Quandilscommençaientfinalementàsedécomposer,c’estcequ’ilavaitentendudireentoutcas,ilsdégageaientuneodeursucréeévoquantdesfleursécrasées.

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Ilvoyaitquel’hommeétaitmortdepuisuncertaintempsparcequelecorpsavaitétépartiellementdévoré.Desanimauxétaiententrésdanslamaison.Lamoitiéd’unejambemanquaittotalement.

Il retourna le corps avec précaution et des insectes se dispersèrent. L’Elfe portait des vêtementslarges et douillets, comme un pyjama. On lui avait porté plusieurs coups de couteau et des plaiesdéfensivesmarquaientsesbras.

Quentin regarda par-dessus le corps dans la chambre. Les couvertures étaient rejetées sur le lit.L’Elfeavaitétédérangéalorsqu’ilsereposait.

Aryal l’avait rejoint.Elle resta immobileun longmoment, lesyeux rivés sur lecadavre.Puisellel’enjambaetentradanslachambreplongéedanslapénombre.

—Ilyalespreuvesqu’ilavaitunepartenaire,dit-elle.Vêtementsféminins,bijoux,etc.J’airegardédanslesautrespièces.Iln’yapasd’autrescorps.

Il prit une couverture sur le lit et en drapa soigneusement le corps, puis il se leva, claquant denouveaulaportesursesémotions.

—ÀLirithriel,lorsqueGaelevalaenvoûtélesElfes,ill’afaitlanuitalorsqu’ilsdormaientpresquetous.Ceuxqu’ilaensorcelésontattaquélesautres.Ondiraitquelamêmechoses’estproduiteici.

Aumilieudelachambre,ellesetournapourleregarder.—Celavaêtreunretouraupayssinistrepour lesElfesdeNumenlaurquiseremettentassezpour

êtreenmesurederevenirchezeux.—Je sais. (Il s’essuya le front avecunbras.)Nousdevrionsvoir s’ily ade lanourriture encore

comestible.—Eneffet.Aryalsortitdelapièceetillasuivit.L’habitationétaitrustiqueetlacuisinesetrouvaitàl’arrière,

enfoncée dans la colline. Il entendit le son de l’eau qui coule en entrant dans la pièce qui était dansl’obscuritélapluscomplètejusqu’àcequ’Aryalcraqueuneallumette.Laminusculeflammejauneéclairasuffisammentpourluipermettrederepérerunelampeposéesurunetable.Ellel’allumaetrecula.Unâtrepermettantdefairecuiredesalimentsétaitencastrédansunmur.Pourquelafuméepuisses’évacuer,ilfallait que la cheminée traverse la terrede la colline.Contreun autremur, une fontaine fournissait del’eaufraîcheprovenantd’unesourcesouterraine.

Même si Numenlaur était retranché du reste dumonde depuis longtemps, lamaison semblait êtred’une conception résolument moderne dans la mesure où les éléments naturels étaient utilisés à leuravantage.Elledevaitêtrefacileàchaufferl’hiveretrestaitfraîchel’été.

Tandis qu’il admirait l’architecture du lieu, Aryal furetait dans la cuisine. Elle entra dans unrenfoncementquidevaitêtreuneespècedegarde-manger.Puiselleenressortit.

—Lesétagèressontvides,annonça-t-elle.Quelqu’unestpasséavantnous.Labrutalitédesmotslefrappadepleinfouet.—Tuessûrequecen’étaientpasdesanimauxsauvages.Cen’étaitpasvraimentunequestion,maiselleréponditnéanmoins.—Desanimauxsontentrés.C’estendésordreetdestrucssonttombésparterreetsesontrenversés.

Maisiln’yapasdepaindesvoyageursetriendanslesbocauxsusceptibledepouvoirêtreemporté.Lepaindesvoyageursseconservaitenveloppédansdesfeuillesquiconstituaientunrépulsifnaturel.

Ellesmasquaientl’odeurdupainetleurmauvaisgoûtrepoussaitlesanimauxetlesinsectes.—Bien.Nousfaisionsinstinctivementpreuvedeméfiance.Maintenant,noussommesfixés.Ellehaussa lesépaulesetsedirigeavers la fontainepoursedésaltéreretsedébarbouiller.Quand

elleeutfini,ilfitdemême.L’eauclaireetpureétaitdélicieuseetmerveilleusementrafraîchissante.—CepourraitêtrelesElfesquiontdisparu,fitremarquerAryal.

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— Possible. (Il pencha la tête pour se mouiller les cheveux. Le froid sur sa nuque le revigoraaussitôt.)Mais je n’en crois rien. Je ne connais pas deux de ces Elfes et je n’ai fait que croiser letroisième, jenepeuxdoncpasparler en leurnom,mais j’aidumalà imaginerqueLinwepuisseêtretombéesurlecorpsetl’avoirlaisséainsi.Jepensequ’ellel’auraitrecouvertcommejel’aifait.Etelleauraitfermélaportepourempêcherd’autrescharognardsderentrer.

—C’était donc quelqu’un d’autre. (Elle s’appuya contre la table, un pied posé sur l’autre.) Et sic’étaitlaraisonpourlaquellelesElfesontdisparu?Peut-êtrequ’ilssontentrésàNumenlauràlasuitedequelqu’unoudeplusieurspersonnesquilesauraientprécédés.(Ellesecoualatête.)Attends,est-cequeçaadusens?SilesElfesavaienttrouvédespreuvesquequelqu’unétaitentrédansNumenlaur,pourquoinousn’enn’avonspastrouvé,nous?

—Toutcelapourraits’êtrepasséilyadessemaines,luirappela-t-il.Lespreuvesauraientpuêtreéliminéesparlesélémentsdepuisletemps.

Elleseredressa.—Quellesquesoientlesréponses,nousn’allonspasenapprendredavantageici.Partons.Ilsoufflasurlalampepourl’éteindreetilrefermasoigneusementlaportedelamaisonsilencieuse

derrière eux. Au moins, si l’Elfe décédé avait des amis ou des proches qui lui avaient survécu, ilsauraientunedépouilleàenterrerenrevenantchezeux.

Ilscontinuèrentàdescendrelacollineetfirentdeshaltesdansplusieursmaisonsrencontréessurlechemin.Iln’yavaitpasdecorpsdanslademeuresuivante,maisiln’yavaitpasnonplusdenourriture.Pasdemortsnonplusdanslatroisièmemaison,maiscettefois-ciilstrouvèrentquelquesmichesdepaindesvoyageursqu’ilss’empressèrentdedévorer.

Celane représentaitpas assezdenourriture,maisQuentin se sentit toutde suitemoins fatigué.Ens’essuyantlabouched’unreversdemain,ildit:

—Lesindividusquifouillaientlesmaisonsàlarecherchedenourritureonttrouvécequ’ilsvoulaientaprèsavoirregardédansseulementquelquesgarde-mangeretilssesontarrêtésdanslesmêmesmaisons,surlechemindupassage,c’estdoncunpetitgroupequenouscherchons.Unepersonne,deuxpeut-être.

Aryalréfléchit,puisopina.—Bon,voicicequejetepropose:onvisiteencoredansdeuxoutroisbaraquesetonvoitsionpeut

dégoterdesprovisions,etpuisonentredanslacité.Lamaisonsurlaquelleilstombèrentensuiteétaitvasteetappartenaitmanifestementàquelqu’unde

riche.Elleavaituneécurieetungrandpré.Quentinfitunepausesurlesentierquimenaitàlaporteetobservaleterrain.Ilnevoyaitpastoutlepré.

Aryals’arrêtaelleaussietregardadanslamêmedirection.Ellefronçalessourcils,maisdit:—Vainspecterleprésituveux,jepeuxchercherdelanourriture.—OK.Il lui tenditsonsacetsedirigeavers lepâturage.Posantunemainsur labarrièreenbois, ilsauta

par-dessus.Iltrottajusqu’àcequ’ilpuissepasserunbosquetetvoirjusqu’auboutduchamp.S’ilyavaiteudeschevauxlà,ilsavaientfranchil’enclosilyavaitdéjàlongtempsetilnesedonneraitpaslapeinedevérifierl’écurie.Ilfitdemi-touretrevintverslademeureencourant.

C’est alorsqu’Aryal jaillit littéralementde laported’entrée.Déjà sur lequi-vive, son sangne fitqu’untour.Illavitcourirsurquelquesmètres,s’arrêterettournersurelle-même,unemainpresséesursonventreplat,l’autresursesyeux.Cequ’ilapercevaitdesonvisageexprimaitunedétressemanifeste.Était-elleblessée?

Ilavaitsonépéeenmainavantdes’enrendrecompte.Ilseruavers labarrièreet lafranchitsansmêmelatoucher.Ellesepliaendeuxetilsemitàcourirencoreplusvite.Quandilarrivaàsahauteur,

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elleémettaitunsonténucommesiellecherchaitàrespirerdansunsanglot.Commesielle–Aryal–sanglotait.Sonuniversbasculadansl’angoisse.Ilposaunemainsursondosetelletressaillit.Ellenes’étaitpas

renducomptequ’ilapprochait?Iljetaunregardnoirverslaporteouvertedelamaison.Elleavaitposéleurssacsjustedevant.

—Tuesblessée?luidemanda-t-ild’untonâpre.Ellesecoualatêteetseredressa.Elleavaitl’aircrispéetsesyeuxétaientremplisd’horreur.Putain,maisqu’était-ilarrivé?—Qu’est-cequis’estpassé?demanda-t-ilplusdoucement.Mêmesielleavaitindiquéqu’ellen’étaitpasblessée,ilparcourutsoncorpsduregard,cherchantune

blessure.Lamanièredontelleavaitpressélamaincontresonventre,commesielleavaitreçuuncoupdecouteau.

Elledéglutitetsabouchesetordit.— Les chevaux ne sont pas les seules créatures dont les Elfes envoûtés ont cessé de s’occuper,

Quentin.

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13

AryalvoyaitqueQuentinn’avaitpasencorecompriscequ’ellevoulaitdire.Ilavaitl’airconcentré,farouche,prêtàsebattre,étreignantsonépéed’unemainetluifrottantledosdel’autre.Ellenepensaitpasqu’ilavaitconsciencedesongeste.

Ilsetournaverslamaisonetellelesaisitparlebras.—Çanesertàrienquetuyailles.Illuijetaunregardsombre,sedégageaetsehâtaverslaported’entrée.Elleposaunemainsursesyeuxensoupirant.Ilfallaittoujoursquecertainschoisissentladifficulté.

Puis,parcequ’ellesavaitcequil’attendaitdanscettedemeuresilencieuse,ellelesuivitpluslentement.Ilalladepièceenpièce,sedéplaçantaveccolèreetagressivité.Arrivésurleseuild’unechambre,il

s’arrêtabrutalementcommesiquelqu’unluiavaitdonnéuncoupdepoing.Lesyeuxd’Aryals’emplirentdenouveaudelarmes.Bonsang,elledétestaitpleurer.Elles’approcha

deluietcettefois-ci,c’estellequiposaunemainsursondos.C’étaitunepiècemagnifique,lebijoudetoutelamaisonàl’évidence.Chaquedétailavaitétépensé

avecunamouretunsoininfinis,depuislessplendidestapisseriesauxcouleurséclatantessuspenduesauxmursjusqu’auxjouetsfaitsàlamain,auxlivres,etauxtroisanimauxenoretpierresprécieusesposéssuruneétagère.

Le trésor le plus précieux reposait dans le berceaumagnifiquement travaillé, son corpsminusculevêtu de soie brodée. Sa peau ivoire et son teint de pêche rayonnaient. Depuis sa bouche délicate enboutonderosejusqu’àsestoutespetitesoreillespointues,ilétaittoutsimplementparfait.CommetouslesElfesmorts,onauraitditqu’ilvenaitdes’endormir.

Quentinserralesdents.—La porte était fermée, lâcha-t-elle d’une voix rauque. Pas celle de lamaison,mais celle de la

chambre.Jepensequec’estpourçaqu’ilestencoresiparfait.Lesanimauxn’ontpaspuentrerici.Iltournalatêteetlaregarda.Sesyeuxétaientrouges.—Tous?Touslesbébéssontmorts.Sabouchetremblaetdeuxlarmescoulèrent.Bonsang.—Lesenfantsquiétaienttropjeunespourpouvoirêtreenvoûtésontétéabandonnés,celaveutdire

touslesenfantstropjeunespoursedébrouillertoutseuls.Elleavaitvudeschoseshorriblesdanssavie,maiscelle-ciétaitl’unedesplusépouvantablesetdes

plusdéchirantes.LesenfantsétaientraresparmilesAnciens,commesilanaturecompensaitpourleurslongues durées de vie, et ils étaient particulièrement rares chez les Elfes. Ils espéraient parfois desenfantspendantdesmilliersd’annéesetilsaccueillaientlanaissancedechaquebébéavecjoie.

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Lamort d’un bébé ou d’un enfant, quelle que soit son espèce, était une tragédie terrible. LamortdetouslesbébésetdetouslesjeunesenfantsdeNumenlaurétaittoutsimplementinnommable.

LapoitrinedeQuentinsesouleva,unmouvementrapide,involontaire.—Etdirequejelescroyaisterrasséspartoutcequileurétaitarrivé.Maisça,çaleurauraarrachéle

cœur.Pasétonnantqu’ilssoienttellementnombreuxàsesuicider.Quandelleavaitouvertlaporte,ellen’étaitabsolumentpaspréparéeàcequisetrouvaitàl’intérieur

delapièceetlespectaclel’avaitfrappéeavecunetelleviolencequ’elleavaitessayédefuirladouleurencourant.Ellefitexactementlecontrairemaintenant.Elleentradanscettechambremagnifiqueets’assitsur le tabouretàcôtéduberceaupourcontempler levisagedubébé.Quelquechose lachatouillait surlesien.Ellepassalamaindessusetdécouvritquesesjouesétaientmouillées.

—Jenesaispascommentlelaisser,dit-elle.(Ellesaisitl’undesanimauxenor,unegrenouilleauxyeuxd’émeraude,etletournaetleretournaentresesmains.C’étaitpetitetd’unpoidscertainetquelquechoseluidisaitquel’objetétaitlourddesignification,maisellenesavaitpascequecelapouvaitêtre.)Çamefaitmaldelelaisserainsisansprotection.Queva-t-ilsepassersiquelquechosearriveàentrer?Etnousnepouvonspasl’enterrer.Ceseraitlevolerunesecondefoisàsesparents,sil’und’entreeuxasurvécu.Ilsnepeuventpasreveniretnepasretrouverleurenfant.(Savoixsebrisa.)Bordel.

Comme il l’avait fait lorsqu’ils avaient parlé des chevaux des Elfes, Quentin fit volte-face pourtournerledosàlapièce,maiscettefois-ci,ilrevintcommes’ilnepouvaits’enempêcher.Ils’approchad’elle.Toutdanssadémarcheetsesgestestrahissaitsaréticence.

Elles’essuyadenouveaulesyeux.—Cen’estpasquejen’aipasvudeshorreursavant.Deschampsdebatailleavecdesmilliersde

mortsetdesmilliersdeblessésoud’agonisants.(Ellelaissaéchapperunrirelugubre.)MonDieu,j’enaivu,deshorreurs.Jen’aisimplementpasvucettesorted’horreuravant.

Ils’agenouillaàcôtéd’elleetregardal’enfantdansleberceau.Sonvisageétaitcrispé,illuttaitavecsesémotions.D’unevoixàpeineaudible,ildit:

—Jeveuxqu’AmrasGaelevalsoitdenouveauvivantpourpouvoirluifairemal.Trèsmal.Elleposaunemainsursonépauleetserrafort.Sesmusclesétaienttendus.—Maintenant,tuparlescommemoi.Illaregardafugacement,lechagrinemplissantsesyeux.Puis,dansungestequisemblaitaussinaturel

quederespirer,ilsaisitsamainetappuyasonfrontcontreelle.Avait-ellevraimenttenduunemainversluietl’avait-ilvraimentacceptée?Décidément,lesraisonsdes’émerveillernecessaientpas.Elle contempla sa tête baissée et ses épaules voûtées. Cette souffrance n’était pas la souffrance

excitante. C’était la mauvaise sorte de souffrance et elle ne s’apparentait nullement au brandy et auchocolat.Non,c’étaitplutôtl’équivalentderecevoiruncoupdecouteaudansleventreetdeseviderdesonsang.

Quelque chose gonfla en elle. Elle supposait que c’était de la compassion. Ou peut-être del’empathie.Ellenesavaitpastrop,maisentoutcas,celalapoussaàposerlagrenouilleparterreetàtendresamainlibrepourcaresserlescheveuxd’orsoyeuxdeQuentin.

Il la contempla par-dessus leurs mains nouées, un regard direct, franc. Quand leurs yeux serencontrèrent,laconnexionquis’établitentreeuxébranlaenellequelquechosed’important.

Puisilserrasesdoigtsetlalâcha.—Jepeuxscellerlaporte,dit-il.Maissiquelqu’unaunsensdemagiedanslesenvirons,celalui

révéleranotreprésence.

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—Sicelapermetdeleprotéger,tantpis.Etpuis,jesaisbienquenousessayonsdefairepreuvedeprudenceetdediscrétion,maisjenesuispastrèsdouéequandils’agitdemedéplacerencatimini.

L’ombred’unsouriresedessinasurlesbelleslèvresourléesdeQuentin.—Jesuisheureuxquetumeledises,jen’auraisjamaispuledeviner.Luidonneruncoupdepoingdanscette chambre semblaitdéplacé, ellene fitdoncque lepousser

légèrement,suffisammentpourlefairebasculerenarrière,maispasassezpourlefairetomber.Elleseleva.

—Faiscequetudoisfaire.Tuasbesoindecombiendetemps?—Cinqminutes.Ilsaisitlagrenouilleenoretlareposasoigneusementsurl’étagèreàcôtédesdeuxautresfigurines,

puisilselevaàsontour.Ellesétaientvraimentravissantes,divinementfaçonnéesetdétaillées jusqu’auxplisdesyeuxde la

grenouille. Si le jeu était conservé, il vaudrait une fortune sur la Terre, surtout vu le cours de l’oractuellement.

Elles’arrêtaetpenchalatête.—Nousavonsdoncune,peut-êtredeuxpersonnesquisontvenuesàNumenlaur,dit-elledoucement.

Etellesnesontpasmotivéesparlepillage.Quentinpivotapourluifaireface.Sonregardétaitperçant.—Parcequelesfigurinessonttoujoursici.—Ainsiquelesbijouxdanslespremièresmaisonsoùnoussommesentrés.Jenelesaipasregardés

deprès,maisjemerappelleavoirvudespierresquin’avaientpasl’airentoc.—Cequiamènelaquestioninévitable,ajouta-t-il.Pourquoisont-ellesvenuesici?—Allez. (Elle le frappa sur l’épaule.) Fais ton truc qu’on puissemettre les voiles. Il est temps

d’entrerdanslacité.Ilhochalatêteetellelelaissapourchercherdesprovisionsdanslegarde-manger.Ilsavaienttouché

lejackpotaveccettemaison.Ilyavaitplusieursmichesdepaindesvoyageurs,delaviandefumée,delaviandeséchée,desnoix,etdesfruitssecs.Elleprittoutcequ’ilspouvaientporteret,mâchantunmorceaudepemmican,elles’agenouilladehorspourrangerlanourrituredansleurssacspendantquelaForcedusort queQuentin posait semettait lentement à flamboyer avant de claquer et de disparaître comme unélastiquequireprendsaformeinitialeaprèsavoirététiré.

Ellelevalatêteetregardaautourd’elle,inspectantlepaysageenvironnantquisemblaitsitranquille,commesiQuentinetelleétaientvraimentlesseulespersonnesprésentesdanslevoisinage.

Peut-être que l’un des Elfes qui manquait à l’appel était un utilisateur de magie en mesure depercevoir ce que Quentin venait de faire. S’ils étaient encore vivants. Ou peut-être qu’ils venaientd’attirerl’attentiond’intrusetquecesintrusn’étaientpasparticulièrementsympathiques.

Ehbien,qu’ils sepointent.Aprèsavoirdécouvert la tragédiedans lamaison,versédes larmesetéprouvédesserrementsdecœur,elleétaitd’humeuràexercerunpeudeviolencegratuite.

Ilsmarchèrentjusqu’àlacôteenmangeantdelaviandeséchée.Iln’yavaitpasunnuagedanslecieletlesoleilcognait.L’après-mididevenaitétouffant.Puisunebrisevenuedelacôteselevaetapportaunrépitbienvenu.

AryalnevoulaitpasregarderQuentinetelleétaitheureusequ’ilnesoitpasd’humeurloquace.Ellen’avaitpasbesoindeleregarderpoursavoircommentilmarchait,commentsonlongcorpsmuscléàlagrâcefluideetéléganteavalaitleskilomètres,évoquantunePorscheauxlignespuresfilantsuruneroute.

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Àvraidire,celal’auraitarrangéedenepaslevoirpendantdeuxmois,maispourlemoment,cen’étaitpasuneoption.

Sesdoigtsnecessaientdeserappelerleglissementsoyeuxdesescheveuxcourtsalorsqu’ellelescaressait, la sensationdeson frontpressécontre ledosdesamainqu’il agrippait.Lamanièredont ilavaitcouruversellelorsqu’elleavaitjaillidelamaison,l’inquiétudeinscritesursestraits.Samainluifrottantledos.L’émotionpoignantesursonvisagequandilavaitcontempléleminusculeoccupantdeceberceaudivinementtravaillé.

Elleétaitdanslapanade,pasdedoute.Elle courait le danger imminent de croire queQuentinCaeravorn était unhommedécent en fin de

compte.Ouentoutcasunepartiedelui,lapartieessentielle,celleàlaquelleonpouvaitsefierdanslesmomentscritiques.

Arrgh.Ellepréféraitmourirqued’admettreunechosepareilleunefoisderetouràNewYork.Celaficheraittotalementenl’airsaréputation.Auprèsdetoutlemonde.Elleétaitàpeuprèssûreaumomentprésentquecertainsd’entreeuxnes’attendaientpasàlesrevoirtouslesdeuxenunseulmorceau.

Enfin,ilsn’étaientencorequ’audébutdeleurmission.Laroutesinueuselongeaitlamer,justedel’autrecôtéd’unerangéededunes.Elleneputcontenirsa

curiosité et franchit les dunes en courant pour aller goûter l’eau, qui était salée. De la côte, elledistinguait plus de détails de la terre bleue au loin. Cela ressemblait à une île. Une ligne d’un brungrisâtre au niveau de l’eau évoquait du sable et elle apercevait des arbres verts sur une pente trèsescarpée.Ellediscernaitquelquechosequiressemblaitàunbâtimentàtraverslesarbres.

Ellesepromitd’allerexplorerl’endroitlelendemainoudeprendreaumoinsletempsdelesurvolerrapidement.Elleétait sur la terre fermedepuis trop longtemps et elle commençait à sentir commeunedémangeaisondanssesos.

Enarrivantsurlacôte,letemplequisurmontaitlepromontoiredevintluiaussiplusgrandetplusnet.Lessilhouettes,ainsiquelescolonnesquilesséparaientlesunesdesautres,faisaientfacilementquinzemètresdehauteuretdominaientlepaysage.Ils’agissaitdestatuesalignéeslelongdutemple.Troisleurfaisaientface,etdepuisleborddemer,ellevoyaitleprofild’uneautretournéeverslerivage.C’étaitunpersonnagemasculin.Était-celedieuTaliesinetl’autremoitiédelastatueserait-elleféminine?Lemotifauraitdusenss’ilyavaitégalementtroisstatuesdel’autrecôtédutemple.UnestatuepourchacundesseptdieuxdesAnciens.

Quentinl’avaitrejointeauborddel’eau.—L’eau est salée, fit-elle remarquer. (Elle indiqua le temple dumenton.)Est-ce que tu sais si le

palaisfaitpartiedutemple?—Non.Maisjediraisquecen’estpaslecas.Jepensequelepalaisestlà-bas.Il indiqua quelque chose du doigt et elle suivit la ligne de son bras jusqu’au long bâtiment qui

couronnaitlesommetdelacollineoùlepromontoiretouchaitlecontinent.Construitencalcaireavecquatrecolonnesenmarbrepoursoutenirlafaçade,l’édificerayonnaitd’or

et de blanc contre le feuillage vert et la ligne d’horizon bleue. Un escalier infiniment long bordé derochesétaittaillédanslacolline.

Elles’absorbadanssespenséesetfitunepetitemoue.—Ouais,çafaitpalais,c’estsûr.Ilsouritetsonvisageminceseplissa.—Viens,pasletempsdefolâtreretdebarboter.Elle lesuivitpar-dessus lesdunes,observantsoncorpspuissantetses longues jambesgravirsans

problèmelamassedesableglissante.Prised’uneimpulsionencontradictionavecsonétatd’espritréel,

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elledit:—Tusais,cen’estpasparcequ’ons’estamusésdeuxfoisetqu’onapartagéunmomentunpeudur

là-basquecelaveutdirequejet’aimebien.Ilseretournaverselle,poussaunlongsoupiretlevalesyeuxauciel.—Ouf,çam’évitededevoirtedemanderdemelâcherlagrappe.Pendantunmoment,tucommençais

àêtreunpeucollante.La pression interne augmenta. Elle essaya de la refouler. Puis leurs regards se croisèrent et ils

éclatèrentderireaumêmemoment.Cela ressemblait beaucoup à la camaraderie qu’elle avait établie au fil du temps avec les autres

sentinelles,enunpeudifférenttoutefois,maisc’étaitbon.Ilétaitparticulièrementséduisantavecsapeaubronzée et ses yeux bleus, inondé par le soleil. Il incarnait le type d’homme qui pouvait demandern’importequoiauxfemmesqu’ilavaitpurencontrer.

Ilpouvaitavoirquiilvoulait,quandillevoulait.Ilétaitsexy,dominateur,sûrdeluietonl’adoraitpourtoutescesraisons.Ils’amusaitavecelleuniquementparcequ’iln’yavaitpersonned’autre,ets’ilsvoulaient reprendre leurs fonctionsde sentinelle, ils étaientobligésde se supporterpendant encoreaumoinsdixjours.

Bonsang,c’étaitbienlaseuleraisonpourlaquelleelles’amusaitaveclui,non?Ellel’avaitpeut-êtretrouvé…disons,troublantsexuellementparlant…àNewYork,maisellen’auraitjamaisprisaucuneinitiative,surtoutalorsqu’elleseméfiaittellementdelui.

Les sentiments qu’elle éprouvait la laissaient perplexe. Elle détestait quand ils lui faisaient cela,presque autant qu’elle détestait pleurer. Les sentiments complexes et déroutants lui donnaientl’impressiond’avoirunefouled’étrangersdanslatêtequicriaienttouspourattirersonattentiondansunelanguequ’ellenecomprenaitpas.

Ellecessaabruptementderireetleregardad’unairrenfrogné.Celanefitqueredoublersonhilarité,etbienentendu,cetteréactionluidonnaenviederecouriràlaviolence.

Cequilarasséréna.MonDieu,elleétaitcomplètementàl’ouestparfois.Elle agita une main dans les airs et s’éloigna d’un pas rageur. Les cinq minutes qui venaient de

s’écoulerétaientdevenuescompliquéesdemanièreincompréhensible.Pourfairebonnemesure,elleluifitunbrasd’honneuretfutrécompenséeparungroséclatderire.Oh,etpuismerde.

Elle avait beau essayer de le nier, quelque chose s’était passé dans cette magnifique et terriblechambred’enfant.Quelquechosed’indéfinissable,maisdecrucials’étaitébranléentreeux.Elleauraitsimplementsouhaitésavoircequec’était.

Ilsatteignirentalorslecentredelacitéetellepensaàautrechose.Selon les critères modernes sur la Terre, elle n’était pas très grande. On pouvait facilement la

traverserenmarchant.Lesvastesbâtimentssemblaientêtrepourlaplupartdegrandesdemeures,tandisqueleresteétaitpeut-êtredesédificesgouvernementaux,etd’autresencoredesboutiques.Vulatailledel’arméenumenlauriennequ’Aryalavaitvue,celavoulaitdirequedenombreuxElfesdevaientavoirvécuéparpillésdanstoutelacontrée.

Pourlesenvoûtertous–oudumoinslamajoritéd’entreeux–Gaelevalavaitdûpasserlacampagneaupeigne finoubien jeter le sortd’envoûtementàunmomentoù lesElfes s’étaient rassemblés ici enmasse, à l’occasion d’un jour férié ou d’une cérémonie quelconque. Étant donné les endroits où ilsavaientdécouvertdescorps,GaelevalavaitdûparcourirNumenlaurdelongenlarge,cueillantdesgenspartoutdanslacontréecommes’ils’agissaitdefleurssauvages.

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Ilsquadrillèrentlesruesenlevantlesyeuxpourobserverlesbâtimentseteninspectantlesvenelles.Cettezoneétaitlaplusdéveloppéequ’ilsrencontraientdepuisleurtraverséedupassage,cependantlesédifices s’accordaient harmonieusement avec la campagne environnante et les rues et les cheminssuivaientlacourburenaturelleduterrain.Desmaisonsétaientnichéesdansdesbosquetsetdesjardinsfleuriss’épanouissaientpartout,envahisparlesmauvaisesherbesdésormais.

Dessquelettesjonchaientlesrues.Lescharognardsn’avaientpastraînépourserepaîtredescadavresabandonnésauxéléments.Àunmomentdonné,Quentinsepenchapourretirerdoucementuneépéedelamaind’unsquelette.C’étaitunelonguearmemeurtrièred’unegrandebeauté.Lesépéeselfiquesétaientunvéritable plaisir àmanier, finesmais puissantes, parfaitement équilibrées et au fil tellement tranchantqu’ilpouvaitcouperuncheveu.

Elle le regarda l’essuyer soigneusement et en inspecter la longueur. Puis il effectua desmoulinetsavechabiletéavantdetournoyersurlui-mêmeetdeprétendreporterunebotteafind’éprouversaqualité.Onauraitditqu’ilflottait,unFredAstairedelamort.Ilavait largementfait lapreuvedesontalentaucombat aux Jeux des Sentinelles, mais les Jeux se disputaient sans armes et ce qu’elle voyait étaittotalementdifférent.Enquelquesgestesadroits,ilfitunedémonstrationfascinantedelafinelamequ’ilétait.

ElledétachasonregarddeQuentinets’approchadusquelette.Ilétreignaittoujourslefourreauvide.L’Elfe avait dû juste avoir le temps de sortir son épée avant demourir. Elle retira l’objet des doigtsosseuxentirantdoucementdessusetl’inspecta.C’étaitsimpleetélégant,réaliséavecunsensartistiquecertain.

Ellel’essuyaetletenditàQuentin.—Tudevraisleprendre.Ondiraitquel’épéeaétéfaitepourtamain.Ilhésita,puisrangeal’épéedanssonfourreauetlafixaautourdeseshanchesminces.—Nousdevrionsessayerd’enrécupérerunepourtoiaussi.Etjevoudraisungrandarcsinousen

trouvonsun.Peudegensétaientenmesuredemanierungrandarcd’Elfecarilsfaisaientprèsd’unmètrequatre-

vingtsdelongueur.Unearmeredoutableàlongueportée.Elleselevaennotant:—J’avouequejenecracheraispassuruneépéepluslongue.—Ouvregrandlesyeux,luidit-il.(Àladifférencedesaréactionémuedanslachambred’enfant,son

ton était égal, analytique. Il avait manifestement trouvé le moyen de contenir ses émotions.) Leurspropriétairesnepeuventpluss’enservir.

Ilneleurfallutpaslongtempspourtrouveruneautreépéepourelle.Unefoisqu’ilsl’eurentnettoyée,ilscontinuèrent leur inspectionde lacité.Le jourcommençaitàdécliner, lesoleilentamantsachuteàl’horizon.Lesombress’allongèrentsurlesruespavées.

Lecalmeabsoluassociéaux rueset auxbâtimentsbienentretenusétait terriblementangoissant,unpeucommeuneversiondesAnciensde la sérieTheWalkingDead.Quand ilsneseparlaientpas, lesseulsbruitsqu’elleentendaitétaientceuxde leurspas, lecri sporadiquedesmouetteset la rumeurduressac.Rienàvoiravecl’explorationderuines.Lesruinesdistillaientuneimpressionapaisantedepassélointainquireculaitledésastreetlatragédiedansuneépoquedistante.

Cette cité fantôme, intacte, lui donnait en revanche l’impression que quelqu’un allait surgir aucoin d’une rue d’un moment à l’autre, sauf que ce n’était pas le cas. Ou encore que quelqu’un lesobservaitdepuislesfenêtresd’unbâtimentvoisin.Saufquenon.

Àmoinsque…Elleparcourutunvastecercle,étudiantlesfenêtresauxpersiennesbaissées,lesanglesdesbâtiments,

lesendroitsoùl’onpouvaitsecacherdanslesmassifs.Etellenevitrien.

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Elleressentaitpourtantunpicotementsur lanuque.Sonsixièmesensluisoufflaitquequelqu’unouquelquechoselesobservait.

Quentin remarqua son changement d’attitude et il redoubla de vigilance, elle le vit dans sesmouvements.Elleaimaitqu’ilnelaharcèlepasdequestionsvainesetsusceptiblesdeladéconcentrer,maisqu’iladaptesimplementsoncomportementausien.Ilsapprenaientàsecoordonnerinstinctivementcommeuneunitédecombatsedoitdelefaire.

—Jeveuxmonterjusqu’aupalais,dit-elle.Ellevoulaitétudierlasituationd’unpointdevueplusélevé.Siquelqu’un–ouquelquechose–se

trouvaitaveceuxdanslaville,ilsallaientsetrahirtôtoutard.—Allons-y,répondit-il.Ilsavaientsuiviunepetite rue latéralequimenaitàplusieursmaisonsbâtiesà flancdecoteau.La

collineétaitenterrassesetmagnifiquementdessinéeavecuneprofusiond’arbresetdebuissonsenfleursquiparfumaientl’air.Denombreusesfleursétaientinconnuesd’Aryal,cequiaccentuaitencoredavantageledépaysement.

Pourarriveraupalais,ilsdurentretrouverlarueprincipaleetdoncrevenirsurleurspas.Aumomentoùellesetournait,elleaperçutducoindel’œilquelquechosedenoirpasserfugacement.

Quelque chose qui était trop noir pour faire partie des ombres qui s’allongeaient en ce début desoirée.Quelquechosequibougeaitindépendammentdetoutsouffledevent.

Ellepivotaverslachose,auxaguets.Etellenevitrien.Elleregardaendirectionducieletdestoitsdesbâtiments.Riennebougea.Sortantl’épéequ’ellevenaitdetrouver,elles’approchadel’endroitoùelle avait vu l’ombre, au coin d’unmuret en calcaire qui lui arrivait à la taille et bordait l’une desmaisons.

Elle regarda des deux côtés du muret. Il n’y avait pas de trace noire vive comme l’éclair. Pasd’odeur.Riennesemblaitsortirdel’ordinaire,saufquemaintenant,ellen’ycroyaitpas.

—Jecommenceàavoirl’impressiond’êtredaltonienousourd,ditQuentin.Ilavaitl’airamusé,maisquandelleluijetauncoupd’œil,elleconstataquesoncorpsétaittenduet

quesesyeuxbougeaientsansarrêt.Ilavaittirésonépée,luiaussi,etsilapointeenétaittranquillementbaissée,ilétaitmanifestementpasséenétatd’alertemaximale.

—Qu’est-cequetuasvu?luidemanda-t-ilpartélépathie.—Lamêmechosequ’hiersoir.Elle se balançait légèrement, prête à agir vite s’il le fallait. Elle étira lesmuscles de son cou et

secoualesbraspourévacuerlatensionquis’étaitaccumuléedanssesépaules.Quentinmarchad’unpasrapideverslepassagevoûtéouvertdanslemuret.Unedizainedemètresdevantlui,quelquechosedenoirsefaufilaentredeuxbâtiments.Iltournoya

danssadirectionavantqu’Aryalaitletempsdecrierunavertissement.—Jel’aivu,celui-là,dit-il.Maisjenesaispascequej’aivu.—Moinonplus,dit-elleensedirigeantrapidementverslazonequiséparaitlesdeuxbâtiments.(Les

pavésétaientuséset le sol inégal.C’était l’entréed’unevenelleparallèleà la routeprincipaleetellemenaitàuneautrerueperpendiculaire.)Jenepensepasquecesoitphysique.Iln’yapasd’odeur.Pasdetracessurlesol.

Illarejoignit,scrutantlechemin.—Sicen’estpasphysique,qu’est-cequec’est?demanda-t-ilàvoixbasse.Uneespècedefantôme

oud’esprit?—J’ensaisrien.

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Les pavés étaient constitués de pierres de différentes couleurs et les ombres qui s’allongeaientfonçaientlebrundoréchauddesbâtiments.Lesoleilbrillaittoujoursdemanièredirectedansl’autrerueperpendiculaireàl’autreboutdelavenelle,couronnéedublancetdubleud’uncielnuageux.

Uneombretraversaencourantl’unedesentréesdelavenelle,delagaucheversladroite.AryaletQuentincoururentverselle.Ilsdébouchèrentdanslarue,regardantdansladirectionoùla

choseétaitallée.Elleavaitdisparudelaruebaignéedesoleil.Aryal essuya son frontbrûlant en se tournantpour regarder autourd’eux.Cettepetite ruemenait à

unparcavecdesbancsdepierreetdesarbresd’ombrageentourantunbassinpeuprofond.Ellejetauncoupd’œilàQuentinqui segrattait lanuque. Il avait l’air renfrognéet aussi frustréqu’elle.Puiselletournadenouveauleregardverslavenellequ’ilsvenaientdequitter.

Deuxformesnoiress’ytrouvaientetellessedirigeaientverseux.EllefrappalebrasdeQuentindudosdelamain.Ilseretournaensursautant.Les formes étaient longues et devaient leur arriver à la taille, et elles se déplaçaient comme des

ombres, certes, sauf qu’elles n’étaient pas reliées à une entité physique. Son cerveau insistait qu’ilcomprendrait ce que représentaient ces formes si elle les regardait suffisamment longtemps. Elleentraperçutdespattes,unmuseauétroit.

—Jelesperçoismaintenant,ditQuentin.Légèremententoutcas.—Ellesressemblentàunesorted’animal.(Lesombresserapprochèrentunpeuplus,noiresdansla

venellequis’assombrissaitaveclatombéedelanuit.Ellepenchalatête.)Est-cequ’ellesnoustraquent?—Ondirait,oui.(Quentinétrécit lesyeux.)Jemedemandecequ’ellespeuventfairesiellesnous

attrapent.Aryalcaptaunmouvementfurtifducoindel’œil.Elleregardaendirectionduparc.D’autresombres

s’approchaient,envahissantlarue,résolues.Ellelesidentifiasoudain.—Ellesressemblentàdesloups,dit-elle.Detrèsgrosloups.CertainsWyrs-loupspeuventatteindre

cettetaille.—Aryal,ditQuentin.Quandelleleregarda,ilindiqualadirectionopposée.D’autresombresapprochaient.Douzeentout,

et elles se déplaçaient de manière coordonnée, comme si elles formaient une vraie meute. Et ellesencerclaientdésormaisQuentinetAryal.

Ellefitvolte-facepourqueQuentinetelleseretrouventdosàdos.—Nousnesavonspassiellespeuvent fairequoiquecesoit, souligna-t-elle.Desdrôlesde trucs

arrivent parfois dans la magie d’Autres Contrées. Il se peut qu’elles soient vraiment des fantômesd’animaux.

—Essayonsderompreleurcercleetdecourirjusqu’àlarueprincipale,ditQuentin.Elle n’essaya pas d’argumenter, essentiellement parce qu’elle était curieuse de voir ce que les

ombresallaientfaire.Ilssetournèrentenmêmetempsetseprécipitèrentverslesombres-loupsquileurbloquaientl’accès

àlarueprincipale.Lesloupsattaquèrent.

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14

TroisloupsassaillirentQuentin.Ilrassemblasesforcesalorsquel’und’euxbondissaitversluietilbranditsonépéepourluiporteruncoup.Lalametraversal’ombrecommesic’étaitdel’air.Ilaperçutdescrocsnoirsetsonavant-brass’enflammatandisquedesentaillesapparaissaientsursapeau.

—Ilspeuventmordre!s’écria-t-il.Ilretirasonsacetlelaissatomber.Aryalpoussaitdesjurons.LachevillegauchedeQuentinsemblait

prisedansunétauetlatoiledesonjeansedéchira.L’unedesombress’accrochaitàsabotte.Ilessayadesedégagerensecouantlepied,maisiln’yavaitpasdecorps,pasdematièrephysiquesusceptibled’êtredélogé. Il réussit à éviter de justesse deux ombres qui se jetaient sur lui.Bon sang, elles étaient tropnombreusesetilsnepouvaientpaslesfrapper,puisqu’ellesn’avaientpasd’enveloppecorporelle.

LaForced’Aryaldéferla.Ilparvintàluijeteruncoupd’œil.Elleavaitarrachésonsacelleaussietlaissétombersonépée.

Deuxombres s’étaient accrochéesà elle, l’uneà sonbras, l’autre à sa cuisse, et le déferlement de saForcelesprojetaenarrière.Lesdeuxblessuressaignaientabondammentetelleavaitl’airfurieux.

Ellecria:—Tuasdéjàcombattuundjinnavant?Commeça.Sesmots n’eurent d’abord aucun sens pour lui. Ces choses ne pouvaient pas être des djinns ? Il

n’avait jamais eu l’occasion d’en combattre, mais il en avait rencontré quelques-uns dans sa vie.C’étaientdescréaturesdel’airetdufeu,desêtresconstituésd’espritpuret leurForceétait toutàfaitunique.Ceschosesn’avaientriendecequicaractérisaitlesdjinns,mais…

Aryal tournoyaetdécochauncrochetà l’undesombres-loupsquise jetait surelle,concentrantsaForcesursonbras.Sonpoingtraversal’ombre,maislafitdévier.Lelouptombaetsetapit.

C’est alors que Quentin comprit. Ces créatures n’étaient peut-être pas des djinns, mais ellessemblaient toutefoisêtredesespritsenmesured’affecter lemondephysique.LaForceutiliséecommeunearmeoffensivepouvaitlesaffecter.Iltenditunemainenavantetmurmuraunsortquirepoussal’undesesattaquants.

Mais trois autres bondirent sur lui au même moment. Il en esquiva un, en refoula un autre et letroisièmemorditprofondémentsonbiceps.Ladouleurétaitatroce.Ilsentaitlesangcoulerabondammentdelablessure.

Unebrûlurefulguradanssacuissedroite,justeau-dessusdugenou.Derrièrel’ombrequivenaitdelemordre,uneautrerôdait.Ceuxqu’ilsavaientrepoussésserassemblaient.Ilsétaienttropnombreux.Aryalet lui étaient vraiment dans le pétrin – enfin surtout lui. Elle pouvait toujours se métamorphoser ets’envoler.

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IlconcentrasaForceafind’invoquerlesortrépulsiflepluspuissantàsadisposition.Siseulementilarrivaitàlessonnertous,ilseraitpeut-êtreenmesuredecourirsuffisammentpourleuréchapper.

Ducoinde l’œil, ilvitqu’Aryals’étaitchangéeenharpie.SaForcedéferladenouveauetelle fitreculerdeuxombres.

—Ramènetesfessessituveuxquejetedéposequelquepart,s’écria-t-elle.Essayonsderejoindreletoitd’unbâtimentetonavisera.

Iln’eutpasletempsdesourire.IllibéralaplusimportantechargedeForcequ’ilfutenmesurederassembleretenvoyavaldinguerceuxquiétaientleplusprèsdelui,maisilsétaienttropnombreuxentreluietAryal.

—T’enfaispas,jevienstechercher.Elle se tapit afin de pouvoir bondir au moment où un autre ombre-loup surgissait de la venelle

derrière elle. Il était plus imposant que tous les autres et se déplaçait plus vite et avec davantage depuissance.Quentincriaunavertissementalorsqu’ilprenaitsonélan.

Troptard.D’énormescrocsnoirsseplantèrenthautsurl’articulationducarpedel’unedesesailes.L’ossecassanetdansuncraquementsinistre.Aryalpoussaunhurlementaigudedouleuretderage.Elleessayadetournoyer,defairelâcherl’ombre-loupenlesecouant,maisiltintbon.Lesangsemitàjaillircomme ilarrachait leschairs.Deuxautresombresattaquèrent, l’uneplantasescrocsdansson talonetl’autredéchiralemuscledesacuisse.Ellechancelaets’écroula.

Quentinrugitetplongeaverselle,jetantunsortrépulsifàl’ombre-loupquin’avaitpaslâchésonaile.Ilfutprojetéenarrièreenmêmetempsqu’Aryalseretrouvaitàquatrepattes.Latêtebaissée,elleessayadeselever,sonailemeurtriependaitenformantunangleétrange.Sajambeblesséeneparvenaitpasàlasoutenir.

Des ombres-loups affluèrent dans l’espace qui les séparait avant qu’il n’arrive jusqu’à elle, ilsétaienttropnombreuxpourqu’ilspuissentlesrepousser.Unedouleurcuisanteexplosadansl’undesesmolletslorsqu’unloupyplongealescrocs.Ilsetorditpourluijeterunsortrépulsif.

Lorsqu’ilputseretourner,lesombres-loupsavaientdéchirélasecondeailed’Aryaletleplusgrosdetouslamaintenaitclouéeàterre,lescrocsplantésdanssanuque.

Une femme vêtue d’un jean et d’un débardeur sortit de la venelle. Elle était humaine, de taillemoyenne,avaitdesseinspleinsetdeshanchesarrondiesetdevaitavoirdanslestrente-cinqans,unpeuplus peut-être. Ses cheveux et ses yeux étaient noirs et elle avait des traits slaves aux pommettessaillantes.

ElledégageaitégalementplusdeForcequeQuentinn’enavait jamaisperçuchezunêtrehumainetplusquechezlaplupartdesutilisateursdemagiequ’ilavaitrencontrésparmilesAnciens.

Ellefitungestedelamain.Touslesombres-loupsstoppèrentleurattaque,àl’exceptiondeceluiquiimmobilisaitAryal.

—C’estlemomentoujamaisdevousrendre,déclaralafemmeavecunaccent.Ils étaient surpassés en nombre et il savait qu’au plan de la magie elle l’éclipsait, mais Quentin

rassemblacependantsaForce.Ilnepouvaitpasjeterdesortrépulsifàl’ombre-loupquitenaitAryalcarsescrocsrisquaientdeluibriserlecou,maisilpouvaitattaquerl’humaine.

Elleleregarda.—Sivousjetezunautresortsurmoiousurmesloups,voustuezvotrepartenaire.Lâchezlaprise

quevousavezsurvotreForce.Etvoilàqu’ilyétait,surlepointd’obtenirtoutcequ’ilavaitpensévouloirunjour.Etilnefaudraitriendeplusqu’underniersortetAryalmourraitdelamaindequelqu’und’autre.Unsentimentbrûlant,furieuxletraversa.

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Non.NON.Illâchaprise.—Rappelezvotrecréature.—Pasencore.Jedoisd’abordprendreunedécision. (Lafemmecroisa lesbrasetpoussaun long

soupir.)Jesaisquielleest.Etjepeuxdevinerquivousêtes.Vousmeposezungrosproblème.Jen’airiencontrelesWyrsd’Amérique–pourl’instant.

—Jesaisquivousêtes,moiaussi,murmuraAryald’unevoixrauque.(Sescheveuxluitombaientsurle visage et elle avait planté ses serres dans les fentes entre les pavés.)GalyaAndreyev.Sauf que jepensaisquevousnequittiezjamaislaRussie.

Lafemmefronçalessourcilsetdit:—C’estvraimentregrettablequevousm’ayezreconnue.Vousaggravezmonproblèmeetcen’estpas

unebonnechosedutout.Lafemmefit legestede jeterquelquechoseet lançaune toilesombreremplied’étoiles.L’instinct

pritledessusetQuentinplongeasurlecôtédansl’effortdésespérédel’éviter.Maissirapidequ’ilfût,ilnepouvaitsedéplacerassezviteparcequelatoilen’étaitpasplusconcrètequelesombres-loups.Elles’abattitsursatêteetlerecouvritcomplètement.Ilessayaderejeterlesort,maisils’enfouitsoussapeauavantqu’ilaitletempsdelecontrer.

Ilcrutapercevoirlecielnocturneaumomentoùilbasculaitdanslesténèbres.

Quelquechosegouttait.Ce son le rendait fou. Il fallait qu’il se lève et ferme le robinet. Il se retourna sur le lit froid et

notablementdur,etseréveilla.Ilétaitseuletilétaitallongésurlesold’unecelluledeprison.Pasd’armes.Pasdesacàdos.Lacelluleétaitsècheettrèssimple,justeunplafondetlesol, troismursdepierreetunquatrième

murconstituédebarreauxenmétalquidiffusaientuneespècedemagieentêtante.Dansuncoin,uncreuxpeuprofonddanslesolavecuntrouformaitunelatrineprimitive.Unelueurténuevenaitdequelquepart,jetant de longuesombres,mais savisionde félin s’adaptait très biendans la pénombre etmêmedansl’obscuritécomplète.Soninstinctluidisaitqu’iln’avaitpasperduconnaissancetrèslongtemps.Ilseditquelalumièreétaitpeut-êtrelesderniersinstantsdesoleildelajournée.

Ilregardaàtraverslesbarreaux.Ilvoyaitdeuxautrescellulesenfacedelui.L’uneétaitvideetlaseconderenfermaitunelonguesilhouetteinertedontlesailesauxtonsdegrisquiallaientjusqu’aunoirétaient étalées sur le sol. Aryal. Il y avait aussi du rouge, beaucoup de rouge, et il humait l’odeurlégèrementcuivréedusangdelaharpieetdusien.

Del’eaucontinuaitàgoutterquelquepart,nonloindelui,etilentendaitdesvoix.—C’étaituneharpie,ditunElfe.Etjenesaispascequ’étaitl’homme,maisiln’étaitpashumain.—C’étaitQuentin,fitunevoixféminineetflûtéeàl’accentelfique.(LesoulagementinondaQuentin

quireconnutlavoixdeLinwe.)Enfin,jecrois.Iladusangelfique.Etsic’étaitQuentin,jepariequelaharpieétaitlasentinelleAryal.Elleavaitl’airmalenpoint.

—Jemedemandequandilsvontreprendreconnaissance,ajoutauntroisièmeElfe,unhomme.C’étaitCaerreth,celuiquiaimaitleslivresetl’étude.

—Jesuisréveillé,articulaQuentind’unevoixrauque.(Ilsemitsurleventreavecpeineets’assit.)Linwe?

—Oui,c’estmoi.Oh,Dieumerci.Jeveuxdire,pasquetusoisenferméiciavecnous,maisquecesoittoietquetusoisréveillé.Celafaitdubiend’entendretavoix.Çava?

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Ils’examina.Lesblessureslesplussérieusesétaientlesmorsuressursonbicepsetsacuisse,etenlessondant,ilserenditcomptequ’ellesnes’étaientpasencorerefermées.Ilfronçalessourcils.Vusesaptitudeswyrs,ellesauraientdéjàdûcicatriser.

—Jecrois,oui.J’aiquelquesplaies,maisellesnesontpastropgraves.Ettoi?—Çavaàpeuprès–noussommestroisetnousallonsàpeuprèsbien.Maisnousavonstrèsfaim.—Vousétiezquatre,dit-il.(Ilretirasontee-shirtetledéchirapourenfairedesbandesdecoton.Puis

ilutilisalesbandespourpansersacuisseenserrantbienet,avecbeaucoupmoinsd’habileté,ilenroulaunebandeautourdesonbras.)Qu’est-ilarrivéàlaquatrièmepersonne?

Saquestionfutsuivied’uncourtsilence.PuisLinwedéclarasombrement:—Ellen’apassurvécu.Linwe avait dit « elle », il s’agissait donc de Cemalla. Mince. Il ferma les yeux. Il était las

d’apprendrelamortd’Elfes.—Jesuisdésolé.Vousêtesicidepuiscombiendetemps–etest-cequevoussavezoùsetrouvece

«ici»?L’undesElfesluirépondit.—Nous sommesdans la prisonqui se situe sous le palais deNumenlaur.Nousy sommesdepuis

presquedeuxsemaines.LesElfes pouvaient survivre longtemps sans nourriture et presque aussi longtemps sans eau,mais

s’ilsn’avaientrieneudepuisleurcapture,ilsnedevaientpassesentirvaillants.—Celafaitcombiendetempsquevousavezmangéoubuquelquechose?—Lasorcièrequinousaemprisonnésnousapportetouslestroisjoursdupaindesvoyageursetde

l’eau,expliquaLinwe.Maisladernièrefoisremonteàtroisjoursjustementetellen’apaslaisséd’eaunidenourriturequandellevousaamenés.Elleapeut-êtredécidédecesserdenousnourrir.

—J’airencontrélasorcière,gronda-t-il.—Bienentendu.(Elleavaitl’airabattuetsansénergie.)Jen’aipaslesidéesclaires.—Netepréoccupepasdeça,Linwe.Àtaplace,jen’auraispaslesidéesclairesnonplus.Recevoir de l’eau et de la nourriture tous les trois jours était à peine tenable. Les imaginer

emprisonnésdepuisaumoinsdeuxsemaines,deplusenplusaffamésetassoiffésalorsqu’ilsentendaientcetteeaugoutter,l’enragea.

Ilselevaets’approchadesbarreaux.Ilneconnaissaitpaslesortexactdontlemétalétaitimprégné,maisceseraitquelquechosevisantàdétenirlesprisonniersdangereuxsusceptiblesd’êtreversésdanslamagie.TouteslesgeôlesdesAnciensétaientdotéesd’undispositifdecegenre.

Ilessayade toucher lemétalet lamagiequ’ilpouvait renfermer resta inerte. Ilagrippadoncdeuxbarreauxetregardalaformeaffaléeparterredansl’unedescellulesenface.Aryaln’avaitpasencorebougéalorsqu’elleavaitétéfrappéedumêmesortquelui;elleauraitdûavoirreprisconnaissance.

— Hé, lui dit-il doucement. (La vue de ses ailes fracassées le rendait fou. Il se souvenait ducraquementdel’osquisecassait.)C’estl’heuredeteréveiller,beauté.

Ellenebougeapasetneparutpasl’avoirentendu.Sagorgeseserra.Elleétaitpeut-êtresimplementévanouie.Lasorcièrenel’auraitpasenferméesielleétaitmorte.

Oudumoins,ellen’étaitpasmorteaumomentoùelleavaitétéenfermée.Sisespropresblessuresétaienttoujoursouvertes,lessiennesaussi.Ellesaignaitsilencieusementdepuistoutcetemps.Est-cequelamagiecontenuedanslesbarreauxetquivisaitàaffaiblirlesaptitudesmagiquesinterféraitavecleuraptitudeàguérir,quiétaitl’undesattributsdesWyrs?

—Disquelquechose,Aryal.Bonsang.Allez.

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—Jeneguérispas,souffla-t-elled’unevoixbrisée,àpeineaudible.Puiselleneditrienpendanttrèslongtemps.—Moinonplus.Elleneréponditpas.Ilsemitàfairelescentpas.Lesmouvementsamplifièrentladouleurdelablessurequ’ilavaitàla

cuisse,maisiln’yprêtapasattention.Depuissacellule,unpeuplusloindanslecorridor,Linwedit:—C’estcommeçaqueCemallaestmorte.Elleaétégrièvementblesséequandlesombres-loupsde

la sorcièrenousont attaqués.Le sangde sesplaiesne coagulait pas.Elle estmorted’unehémorragiedeuxjoursaprèsnotrearrivéeici.

Caerreth,l’Elfeintellectuel,déclara:—J’auraispulasauversimamagieavaiteudel’effet.—Tuesunguérisseur?demandaQuentin,adoptantletutoiementvulajeunessedupersonnage.—Jenesuispasencoretrèsexpérimenté,précisa-t-il.Maisaucundenousn’asouffertdeblessures

quiauraientnécessitédessortsdeguérisonoudesinterventionschirurgicalescomplexes.Quentinn’étaitpasunguérisseur,maisilavaitlesentimentquelesailesd’Aryalauraientbesoinde

soinsoud’interventionscomplexes. Il réprimasa forteenviededonneruncoupdepoingdans lemur,étantdonnéquetoutdommagequ’ilpourraitcauseràsonpoingrisquaitdenepasguérir.

—Ilfautquenousnouséloignionsdecesfichusbarreaux,marmonna-t-il.Caerrethdéclarad’untonquelquepeupédant:—Oui,illefaut,maispourcequiestdessoins,nousavonseudutempspourréfléchiràtoutcelaet

nousnepensonspasquelamagiequiimprègnelesbarreauxdecescellulesaitjouéunrôledansledécèsdeCemalla.Aprèstout,guérirestunprocessusphysiquenaturel,pasmagique.Nouspensonsquecelaestassociéauxombres-loupseux-mêmes.

Ce qu’il disait avait du sens. Ils avaient apparemment utilisé leur temps en prison à essayerd’analyseretdecomprendrelasituation.

—Est-cequetuasdéjàvudescréaturespareillesavant?demandaQuentin.—Non, nous ne sommes donc sûrs de rien. (À l’instar deLinwe,Caerreth semblait très fatigué.)

Nousn’avonsquedeshypothèses.Vousavezdéjàvudescréaturespareilles,vous?—Non.Tucroisqueleursmorsuressontempoisonnées?Quentinn’avaitpasl’impressiond’êtreempoisonné,ilressentaitjustedeladouleur.Ilsemitàaller

etvenir.—Lesblessuresnesecomportentpascommesiellesétaientempoisonnées,repritCaerreth.Jecrois

quecelaadavantageàvoiraveclanaturedecescréatures.—J’aicruquec’étaientdesespritsoudesfantômes,ditQuentin.Ilcomplétaletourdesacelluleetseretourna.QuellequantitédesangAryalavait-elleperdu?Était-

ellesurlepointdemourir?—Sic’estlecas,repritCaerreth,etqu’ilscontinuentàêtreenmesured’affecterlemondephysique,

lesblessuresqu’ilsinfligentnepourraient-ellespasêtredenaturespirituelle?Quentin réfléchit à ce que l’Elfe venait de dire tout en arpentant sa cage. Spirituel, au sens où

Caerreth l’entendait, ne relevait pas de sentiments ou d’émotions ni d’une quelconque expériencereligieuse.Ilparlaitdel’âme,del’incorporelparoppositionàcequiestphysique.Lamagieopéraitlamême distinction, elle était de nature spirituelle – incorporelle –, mais avait quand même la Forced’influersurlemondephysique.

—Situasvujuste,dit-il,alorsdessoinsmagiquespourraientmarcher.—Cequenousnepouvonspasprodiguerici,déploraCaerreth.

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Ilparlaitd’unevoixaussiabattuequecelledeLinwequelquesminutesauparavant.Quentinn’étaitniabattunidénuéd’énergie.Ilbrûlaitderageetdedétermination.—C’estbienpourquoiilfautabsolumentquenoussortionsd’ici.Maisbon,ça,onlesavaitdéjà.Surcesmots,ildirigeatoutesaconcentrationversunseuletuniquebut:s’enfuir.Pourtesterlesortdestinéàaffaiblirlamagiedesprisonnierscontenuedanslesbarreaux,iljetaune

sériedesortsd’entraînementquis’apparentaientauxgammesd’unmusicien.Lamagiequiimprégnaitlesbarreauxs’activaetillasentitréagirenvuedecontrerlasienne.C’étaitunenchantementbeaucoupplussophistiquéquetousceuxqu’ilavaitrencontrésauparavant.Ilenjetaunpluspuissantetsentitlamagiedesbarreauxs’adapterenconséquence,offrantunerésistanceégaleàsapropremagie.

L’uniquesortdecetypequ’ilconnaissaitétaitàlafoisplussimpleetplusradical:unerésistanceemplissantl’airdelacellulecommeunpoidsmort,interdisantàquiconqued’invoquerlaForcedejeterunsort.

Maiscegenredecharmenécessitaitd’êtrerenouvelérégulièrementparcequ’ildépensaitdelaForcedemanièrecontinue.Lesortquiavaitétéjetésurcesbarreauxétaitpluscomplexe,maisduraitbienpluslongtemps, indéfiniment peut-êtremême, car il ne devenait actif que lorsque cela s’avérait nécessairepourbloquertoutemanifestationdeForce.

Ilétudialaconstructiondesacellule.Ilnefutpassurprisdeconstaterqu’elleétaitaussihabilementconçue que la mesure pour prévenir l’utilisation de la magie. S’il avait eu un outil tranchant à sadispositionetdesannéesdevantlui,ilauraitpeut-êtreréussiàcreuserdessillonsentrelespierres.Maismêmealors,iln’auraitguèreobtenuquedeuxoutroisbrèchesprofondesdanslesmursépais.

Bon,lemomentétaitvenudesortirsonatout.Retenantsonsouffle,iltentalamétamorphoseminimalequiferaitsortirsesgriffesrétractilesdepanthère.

Aufildutemps,ilavaitentendubeaucoupdediscussionssurlanaturedel’aptitudedesWyrsàsetransformer.Certainsladisaientmagique,d’autreslaconsidéraientcommeunattributnaturel.Envérité,cette aptitude était à la fois magique et naturelle, mais il s’agissait toutefois d’une magiefondamentalement différente des autres. Il arrivait que des sorts jetés pour contrer d’autres magiesn’affectentnullementl’aptitudedesWyrsàsemétamorphoser.

Parfois…lachanceluisouriait.Lesgriffesdesamaindroiteapparurent,pluslentementqu’àl’ordinaire,maisellesétaientbienlà.Il

seconcentrasurlamaingaucheetcinqgriffesrétractilesdeplussematérialisèrent.Ilétiralesdoigtsdesdeuxmainsetlesregardad’unairsatisfait.

C’était comme si la nature voulait qu’il ait ces appendices pour crocheter les verrous quil’ennuyaient.EtQuentinavaitsuivitoutessortesd’entraînementspourapprendreàexploiteraumieuxsesdonsnaturels.

Ils’approchadesbarreauxetsemitautravail,passantlesbrasautraversetrepliantlespoignetsafindepouvoiratteindrelaserruredepuisl’intérieurdesacellule.

Lesverrousmagiquesexigeaientparfoislaclémagiquecorrespondantepours’ouvrir.Ilespéraitquece n’était pas le cas pour ces cellules. Après tout, le sort antimagie couplé à la solidité du cachotconstituaientdesbarrièressuffisantessileprisonnieravaitétédépouillédetoutoutilpossible.Ilretintsonsouffleetpriapourquelesarchitectesdelaprisonaientélaboréleurverrouaveclamêmelogiquedont ils avaient fait preuve pour tout le reste, tout en utilisant les griffes incurvées de ses index poursonder lesgorgesdissimuléesà l’intérieurde laserrure.Dèsqu’ilsentit la légèrerésistance indiquantqu’illesavaitengagées,iltournaavecprécaution.

Leverrous’ouvritavecun«clic».Ilpoussalaportedelacelluleetsortit.

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Lequartierdedétentionétaitsimple.Ilétaitenformede«U»avecuneporteenchênerenforcéedeferàl’entrée.LesElfesétaientenfermésdansdescellulesjusteaprèsl’angledelaporte,del’autrecôtédel’endroitoùAryaletluiétaientemprisonnés.Ilsdiscutaientàvoixbassed’untonlasetnesemblèrentpasremarquerlegrincementdiscretdesaporte lorsqu’il l’ouvrit. Ilaperçutdescorpsimmobilesdanscertainesdescellulesjouxtantlasienneetcelled’Aryal,maisilnes’yarrêtapas.Iln’yavaitplusrienàfairepourcesmalheureux.

Àl’affûtdumoindrebruitàl’extérieurdesgeôles,ilsedirigearapidementverslacelluled’Aryal,crochetaleverrouetouvritlaporte.Ilseprécipitaverssasilhouetteétendueets’agenouillaàlahauteurdesatête.

Ellegisaitsurleventreetneréagitabsolumentpasàsaprésencesoudaine.Ilrepoussasescheveuxsurlecôtépourdégagersonvisageetcherchasonpouls.Lesoulagementl’envahitquandilletrouva.Ilétaitténuettroprapide,maisilétaitbienlà.

—Hé,beauté,dit-ildoucement.Tueslà?Tegênepaspourrâleretm’envoyerbalader.Elleneditrien.Elleétaitpeut-êtreévanouie.Bonsang,elleétaitdansuntristeétat.Ilétaiteffaré.Sesailesmagnifiquesétaientétaléesdepartet

d’autredesoncorps,déchiréesetbrisées.L’ombre-loupquil’avaitattaquéeenderniersavaitexactementcequ’ilfaisait.Ilavaittrèsclairementvoulul’empêcherdevoleretilyétaitparvenu.

Siellen’avaitpashésitéàprendrelesairs,elleauraitpeut-êtrepus’échapper.Ellel’avaitattendu,etlorsqu’iln’avaitpasétéenmesuredelarejoindre,elleavaitditqu’elleallaitvenirlechercher.

Unnœudbrûlants’immisçadanssapoitrine,similaireàl’émotionquil’avaitsaisidanslachambreoù reposait le bébé mort, sauf que cette fois-ci la sensation était encore plus oppressante, plusdouloureuse.LesWyrsailésnesurvivaientengénéralpasbiens’ilsperdaientleuraptitudeàvoler.

Ilétaithorsdequestionquecetteattaquel’estropieàjamais.Maischaquechoseensontemps,ilfallaitd’abordqu’ilssesortentdeceguêpier.Illadéplaçadoucement.Iln’essayapasdelamettresurledoscarcelaauraittropdéplacésesailes.

Illasoulevajusqu’àcequ’ilpuisselatenir,calantsatêtesursonépaule.Ellereposaitcontresontorsecommeunpoidsmort.

Ilpenchalatêtesurlecôtéetregardalevisagefarouchedelaharpie.Sesyeuxétaiententrouverts.Est-cequecelaindiquaitqu’elleétaitconsciente?

— Je vais être très franc, beauté, lui murmura-t-il à l’oreille. Tu as vraiment une sale tête. Nosblessuresneserefermentpas.Ilfautquenoussortionsdecetteprisonetnouséloignionsdecesortquiaffaiblitlamagie.Nouspourronspeut-êtrealorsvoiràobtenirdessoinsmagiques.Maispourça,ilfautsoitquetumarches,soitquetupuissesêtreportée,etpourlemomentlesdeuxoptionssontimpossibles.

Illaregardadenouveau.Est-cequec’étaituntressaillementdansl’unedesespaupières?—Ilfautquetutemétamorphoses.Lechangementpourraitralentirtessaignements,vu–vuquetes

blessureslesplusnombreusessontsurtesailes.Etsitun’arrivespasàmarcher,aumoinsjepourraiteporter.

—Mesailessontamochées,murmura-t-elle.LabrûluredanslapoitrinedeQuentins’intensifia.Ilsecuirassacontrelasensation.—Oui.Tesailessontamochées.Tuaurasprobablementbesoind’êtreopérée.Peut-êtremêmedeux

fois.Plus vite on sera rentrés à lamaison, plus vite nouspourronsnousoccuper de ça et plus vite tupourrasvolerdenouveau.Maisilfautquetubougesd’abord.

Iln’yavaitaucunapitoiementsursoi-mêmesurcebeauvisagesauvage.Iln’yavaitaucuneémotion.—Letruc,Quentin,énonça-t-elled’untonparfaitementcalme,c’estquejenecroispasquejepuisse

faireça.

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Si elle était tropgrièvementblesséepour semétamorphoser, si elle avait perdu tropde sang, elleétaitpeut-êtreréellemententraindemourir.

—Non.(Ilsecoualatête.)Non,jenel’acceptepas.—Quelesdieuxnousgardentsijamaisquelquechosesepassaitsanstonaccord,dit-elled’unton

pince-sans-rire.Ellefermalesyeux.—Arrête!(Illasecouasanssesoucierquecelaluifassemaloupas.Bordel,sicelaluifaisaitmal,

ceseraitpeut-êtrelechocdontelleavaitbesoin.Ellerouvritlesyeuxetsonregardétaitfurieux.C’étaitbon,lacolère.C’étaitgéant.Illuisourit.)Jevaistepincerjusqu’àcequetutemétamorphoses.

Uncoindelabouched’Aryalsereleva.—Tuesvraimentunsalaud,hein?—Tulediscommesic’étaitnouveau.Ouencoreuntrucnégatif.Iltrouvaunendroitsoussonbrasoùellen’étaitpasblesséeetillapinçafort.Uneétincelleéclairasonregardéteint.—Aïe.—Allons,beauté,gronda-t-il.Jeneparspassanstoietjen’aipastoutelajournéedevantmoi.Et

s’il faut que je te traîne par un pied, tu vas le sentir passer encore plus que maintenant. Alorsmétamorphose-toi!

Larespirationd’Aryals’accéléraetsestraitssetordirent.Ilpercevaitlaluttequ’elledisputaitdanssoncorpsenfournissantl’efforténormequ’illuidemandait.Ilsentitsoncœursemettreàbattreàtouteallure.Ungémissementgutturalettremblants’échappadeslèvresdelaharpie.

—ENCOREUNEFFORT,BONSANG!Elle montra les dents et lui hurla au visage, un cri de harpie en fureur. Et ses ailes disparurent

lentement.Sestraitssauvagesselissèrentetdevinrentplushumains.Elleétait troppâleetcouvertedesueuretdeprofondscernessombrescreusaientsesyeux.

Le soulagement le rendit presque euphorique.Qui aurait pu jamais deviner qu’il en viendrait à sesoucierdusortdecetteemmerdeusedepremièrequ’iltenaitdanssesbras?

—Tevoilà,dit-il.(Illaserracontrelui.)Bonboulot.Ellelefusilladuregardetlepinçaàsontour,durement.—T’esnul.Il aboya un petit rire, la serra encore plus fort et pressa un baiser sur sa tempe pour faire bonne

mesure.Ellepassaunbrasautourdesatailleetl’étreignitàsontour.LavoixdeLinwes’éleva:—Est-cequetoutvabien?demanda-t-elled’untoninquiet.—Toutvabien,répliquaQuentinavecfermeté.(Ilcroisaleregardamerd’Aryalets’ilrépondità

Linwe,c’estàAryalqu’ils’adressaitdirectement.)Ouentoutcas,toutirabien.Ilfallaitquecelaaille.Ill’avaitdécidé.

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15

SiAryalsemettaitàpenserauxdommagessubisparsesailes,ellepaniquait,elleessayaitdoncdenepasypenser.

Cen’étaitpassifacilequecela.Aucoursdesalonguevie,elleavaiteuletempsdeseposerdenombreusesfoislaquestion:sielle

nepouvaitplusvoler,ellenesavaitpassiellepouvaitvivre.Volerétaitinscritdanssesgènes.C’étaitcepourquoisoncorpsétaitfait.Celaallaitplusloinquelesensdesapropreidentité,c’étaitsonessence.

Aprèsavoir repris sa formehumaine, sesailes semblaientavoirdisparu.Maiscen’étaitpasvrai.Ellesétaienttoujourslà,enelle,etellecontinuaitàressentirlasouffrancecauséeparlesoscassésetlesmorsures.

Elle se rappelait encore la prise horriblement douloureusede l’ombre-loup aumoment où il avaitbrisél’articulationcrucialeducarpeetellesavaitàcemomentprécisqueleloupl’avaitpeut-êtredéjàtuéeetquetoutcequiallaitsuivreneseraitqu’unsursisavantsonderniersoupir.

La métamorphose avait été tellement difficile qu’elle s’était mise ensuite à trembler comme untoxicomaneenétatdemanque.Quentinl’avaitagrippéeavecforce.Ils’étaitassissursestalonspendantqu’illatenait.Ellen’arrivaitmêmepasàleverlatêtedesonépaule.

Elle se rendit compte tardivement qu’elle était appuyée contre sa peau nue et chaude. Elle seconcentra sur le battement de cœur régulier et puissant contre sa joue.Se focaliser sur quelque chosed’extérieurl’aidaàrepousserlapanique.

Ilposa la jouecontre sa tempeet le contactdespoils le longde samâchoire lui fit dubien.Elleaimait rarement les barbes des hommes, car elles piquaient souvent,mais celle deQuentin était aussisoyeusequesescheveux. Ilavait trèspeudepoilsen revanchesursapoitrinebronzée, justeunduvetdoré.

Unecuriositéléthargiques’éveillaenelle.Savoixavaituntimbrerouilléquandelledit:—Tun’asplusdetee-shirt.—Jem’ensuisservipourbandermajambeetmonbras.(Ilrelâchasaprise.)Àpropos,ilfautque

nousfassionslamêmechosepourtesblessures.Tuasdéjàperdutropdesang.Ellesereculaetl’aidaàdéchirerdeslambeauxdesondébardeurauniveaudelataille.Ils’enservit

pourpansersesblessuresvisibles.Celan’arrêteraitpaslesangdecouler,maisleralentirait.Commeellel’observaitnouerlesextrémitésducotonautourdesacuisse,elledemanda:

—Commenttuasfaitpourcrocheterleverrou?Ileutunpetitsourirenarquois.—Jesuisdouéavecmesgriffes.

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En dépit de ses répliques enjouées, son regard était vif et concentré pendant qu’il examinait sasilhouette ensanglantée. Elle baissa les yeux pour se regarder elle aussi. Ils avaient gardé assez dudébardeurpourcouvrirsesseins.Sonjeanétaitdéchiré,crasseux,etcouvertdesang.

—Tufaisunesacréepépéepostapocalyptique,là,jepeuxtel’assurer.Siseulementtupouvaisavoirunsoutien-gorgerembourrépourgonflerunpeutoutça.

—Gardetesvannespourtoi,d’accord?Jetelesferaipayerundecesjours.Aide-moiàmemettredebout.

Ilpassaunbrasautourdesatailleetlasouleva.Elleavaitunepostureraide,incapabledefairequoiquecesoitpoursoulagerladouleurdeblessuresqu’onnepouvaitpasvoir.Quandil la lâcha, il lefitavecprécaution.

Enréponseàsaquestionmuette,elleindiquadumentonlaporteouvertedelacelluleetdit:—Va,vaaiderlesautres.Jevaismedébrouiller.Elleallaitessayerdedescendrelecouloiretellenevoulaitpasqu’illavoiepeiner.Ilhésitaetses

yeux s’étrécirent,mais elle agita ensuite unemain dans sa direction avec agacement et il se tourna etsortit.

Elles’avançadanslecouloirenboitantlentement.Sacuissesupportaitsonpoids,maisdejustesse.Elleavaitl’impressionquesondosétaitenfeu.Inspirerprofondémentluifaisaitmal.

LesElfesaccueillirentQuentinenpoussantdesexclamationsquifurentrapidementétouffées.Ellelelaissaaveceux.Ilyavaitunefenêtremuniedebarreauxauboutdupetitcouloiroùsetrouvaitlaportedubloccellulaire.Ellesedirigeaverselleentraînantlajambe.

Lafenêtren’étaitpasassezgrandepourpermettreàunadultedes’yfaufileretelleconstituaitlaseulesourced’airfraispourtoutelaprison.Quandelleregardaparlafenêtre,elleconstataqu’elledonnaitsurl’eau,cequisignifiaitquelaprisondevaitavoirétécreuséedanslafalaise.

Uneboufféed’airs’engouffra,lafrappantauvisage.Elleétaitfraîcheethumide.Elleposaunemainsur le rebord afin de s’appuyer dessus tandis qu’elle respirait à pleins poumons et regardait auxalentours.L’îleétaittoutjustevisibleetellesentitleresserrementdanssapoitrinesedétendreunpetitpeu.Lejourdéclinaitrapidementetl’eauétaitd’unbleusombre.Lecrépusculeseraitbientôtlà.

Elleseconcentrasurl’île.Elleavaitvoululasurvoler,brièvementaumoins.Des crocs tranchants comme des rasoirs se plantant dans ses ailes. Son articulation du carpe

broyée.Lesmusclesdéchirés.L’angoisse l’envahitetellerespiraavecpeineenessayantderefoulerunenausée. Il fallaitqu’elle

trouveunobjectifàcourttermeoulapaniqueallaitlarendrefolle.GalyaAndreyevn’avaitpeut-êtreriencontrelesWyrsd’Amérique,maisAryalavaitdésormaisune

sacréedentcontrelagarcerusse.—Jetelerevaudrai,murmura-t-elle.Etjepaietoujoursmesdettes.La sorcière allait connaître sa douleur. Se concentrer sur sa revanche était un objectif qui

conviendraitpourlemoment.Lesautresdiscutaientderrièreelle.—Aryaletmoiavonsbesoindesoinset il fautquenousquittions laprison leplusvitepossible,

expliquaQuentin.Maisnousdevonsfairepreuvedejugeote.Est-cequevoussavezsilasorcièrepostedesombres-loupspourmonterlagardeàl’extérieurdecebloc?

—Non,ditLinwe.Nousnelesavonspasvusdepuisqu’ellenousaenfermés.—Ellen’avaitpasbesoind’euxquandelleestvenueici,ajoutal’undesautresElfes.Nousavions

déjàétécapturés.Etpuis,s’ilssontmagiques,ilsnepourraientpasrentrer,detoutefaçon.

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—Tiens, tiens, intéressant,notaQuentindu tonqu’ilprenaitquandquelquechosepiquaitvraimentsonattention.Vouspensezqu’ellelesacréésparlebiaisd’unsortilège?

Aryalluirépondit:—Jepensequ’ilssontcommandésparunsortoupardelamagied’unemanièreoud’uneautre,dit-

ellepar-dessussonépaule,maisilsnesontpasleproduitd’unsort–pastotalemententoutcas.Jecroisquecesontdesentitésindividuelles.

—Pourquoi?— Leur comportement était trop sophistiqué pour pouvoir être orchestré par une seule personne.

C’étaitceluid’unemeuteet ilsnousontattirésoù ils levoulaientavantd’attaquer.Et lesdouze loupsnousontdistraitsdesorteque le treizième– l’alpha–puissemeprendreparsurprise. (Elleparvintàdéglutir,cequiétaitdifficiletantsagorgeétaitsèche.)Toutcelaaétéexécutéàlaperfection.

Unsilencebrefsuivitsesmots.—Çasetient,eneffet,approuvaQuentin.—Jevaistedireautrechosequisetient,continuaAryal.Cepremierombre-loupquej’aiaperçusur

lepontquandonétaitencoredans la forêt– jepensequec’étaitunesentinelle.Lorsquenoussommesentrés dansNumenlaur après avoir traversé le passage, il a dû nous pister unmoment avant de partiralerterlesautres.C’estentoutcasl’impressionquej’ai.

—Ilsontfaitquelquechosedetrèssimilaireavecnous,ditl’undesElfes.Nousavonsdécouvertlestracesdelasorcièreetvuqu’ellesmenaientàNumenlaur.Ilyavaitbeaucoupdeneigesurlesoletsestracesétaient caractéristiques.Nosordres étaientd’empêcher tout intrusde s’adonner aupillage,nousavonsdonctraversépourtenterdelalocaliser.Nousn’avonspasprislapeinedelaisserquelqu’unpourmonterlagarde–aprèstout, lestracescorrespondaientàcellesd’uneseulepersonneetnouspensionsquenousserionsvitederetourdanslaForêtdeBohème.

—Est-cequevousêtesrentrésdansdesmaisons?demandaQuentind’unevoixneutre.Aryal sedemandas’ilposait laquestionàcausedubébémortqu’ilsavaient trouvé.Sice triode

jeunesElfesn’avaitpasencorecomprisquetouslesbébésdeNumenlaurétaientmorts,ellenevoulaitcertainementpasêtrecellequileurannonceraitlanouvelle.

— Non, répondit Linwe d’un ton gêné, mais nous pensons que la sorcière l’a fait. Ses tracessemblaientmener à l’intérieur de quelques-unes des premièresmaisons,mais elles suivaient aussi lecheminquidescendait lacolline.Nousallionsvite, carnousessayionsde la rattraperafindepouvoirretournersanstarderdanslaForêtdeBohème.Onamerdé.NousvoulionstousvoiràquoiressemblaitNumenlaur.C’estpourquoipersonnen’estrestéenarrière.Etpuislesombres-loupsnousontpiégésetlasorcièreajetéuneespècedesortquinousaendormis,etnousnoussommesréveillésici.

— Les ombres-loups sont donc unemeute, ils sont intelligents et communiquent les uns avec lesautres, résumaQuentin. Et ils agissent indépendamment de la sorcière. Franchement, ils font vraimentpenseràdesWyrs-loups.

— Et ils sont affectés par la magie, ajouta Aryal. Ne l’oublie pas. La Force les affecte et ilsembleraitquelesortquiannulelamagiedanscetteprisonlesaffecteaussi.

Sacuisse l’élançait, le feu invisiblequibrûlait sondos la tourmentaitdeplusenpluset lastationdeboutcommençaitàluidonnerlevertige.Aumomentoùelleallaitsetourneretquitterlafenêtre,elleaperçut une lueur tremblotante sur l’île. Elle s’arrêta et se soutint sur sa jambe valide, agrippant lesbarreauxdesdeuxmains,lesyeuxplissés.Ellenel’avaitpasimaginée,si?

Non. Elle la voyait de nouveau, une lueur ténue, comme une torche ou une lanterne. La distancedonnaitl’illusionqu’elleétaitaussiminusculequeleclignotementd’uneluciole.

—Est-cequequelqu’unsaitcequ’ilyasurl’île?demanda-t-elle.

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Il y eut un blanc, tout lemonde s’ajustant au changement apparent dans la conversation, puis elleentenditdesbruitsdepasderrièreelle.Ellejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.Quentin,Linwe,quiparaissaitpâleetaffaiblie,etdeuxautresElfessedirigeaientverselle.ParcomparaisonaveclechocdevoirunQuentintorsenus’approcherd’elleavecsalargepoitrinebronzée,seshanchesmincesetseslonguesjambes,lesElfesavaientl’airfrêleetinachevéenquelquesorte.

Quentinfronçaitlessourcils.—Tuessaiesdeteviderdetonsang?Qu’est-cequetufaisdebout?—J’observeunelueursurl’île,luidit-elle.Ilyaquelqu’unlà-bas.Elle chancela. Il s’avançavivement et passaunbras autourd’elle.Elle contractaune épaule avec

colère,maisn’essayapasdelerepousser.Elleacceptamêmel’aidequ’illuioffraitets’appuyasurlui.Ilregardaparlafenêtreàsontour.

—Jecroisquel’universitésetrouvelà-bas,ditLinwederrièreeux.Aryallevalessourcils.LorsqueQuentinluijetauncoupd’œilinterrogateur,ellehaussalesépaules.

Ellenesavaitmêmepasqu’ilyavaituneuniversité.—Quandnousnous sommes réveillés lapremière foisaprèsnotrecapture,poursuivitLinwe,elle

nousaposépleindequestions.Ellenepillepaspourprendredestrucsdevaleur.Ellecherchequelquechosedeprécis.Ellen’apasditcequec’était,maisd’aprèscequ’ellealaisséentendre,jepensequec’est soit un objet deForce, soit un sort.La bibliothèquede l’université qui se trouve ici est célèbreparmilesElfes,unpeucommelabibliothèqueperdued’Alexandriedel’Égypteancienne.

AryalcroisadenouveauleregarddeQuentin.—Elledoitfarouchementvouloircetobjetoucesort,dit-elle.Parcequejen’aijamaisentendudire

qu’elleavaitquittélaRussieavantetelleestprêteàrisquerdesefaireunennemideDragos.—SiDragosl’attrape,souligna-t-il,lesombressursonvisageaccentuantsonexpressionsardonique.

Pourl’attraper,ilfaudraitqu’ilsachecequis’estpasséicietpourça,ilfaudraitqu’ilyaitdestémoins.Ellen’étaitpasraviequandtul’asappeléeparsonnom,beauté.

—Etellenesemblepasêtrelegenredepersonneànégligerlesdétailsouàcommettredeserreurspar négligence, ajouta Linwe d’une petite voix. Je ne crois pas qu’elle ait oublié de nous nourriraujourd’hui. Je crois qu’elle a choisi délibérément de ne pas le faire. Nous avons toujours été despersonnesdontonpouvaitsepasseretquandvousavezfaitvotreapparition,ehbien,jepensequ’elleadécidédesepasserdenous.

Quentinn’avaitpasquittéAryaldesyeux,lepoidsdesonregardintenseétaitpalpablemêmedanslasemi-pénombre.

—Tul’asappeléeparsonnom.Galyaquelquechose.Tusaisquielleest?—Andreyev,ditAryal.GalyaAndreyev,delastepperusse.Nelaissepassonapparenceteleurrer.

J’aioubliésonâge,maispourunehumaine,elleesttrèsvieille.D’unemanièrequin’estpasnaturelle,jeveuxdire,dugenreplusdetroiscentsans,etellenes’estpastransforméeenvampirepouratteindrecetâge.Ellel’aaccomplipard’autresmoyens.Etnon,jenesaispaslesquels.

—Comment tu as entenduparler d’elle si ellenequitte jamais laRussie, oudumoinsne l’apasquittéejusqu’àmaintenant?demandaQuentin.

— Dragos la connaît. Ou en tout cas, il est au courant de son existence. Il soutient que GalyaAndreyevestl’unedessorcièreslesplusPuissantesdumonde.TuterappellesquandUrienaexercéunchantagesurPiapourlacontraindreàutiliseruncharmedelocalisation?Àl’époque,Dragosavaitditqu’iln’avaitentenduparlerquedetroispersonnescapablesdemaîtrisercecharme–Urien,lacompagnedeRune,Carling,etGalyaAndreyev.

Quentinlâchaunjuron.

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—J’aisudèsquejel’aivuequej’étaiséclipséauplandelamagie.Elleallaitdireautrechose,maisperditlefildesapenséecarlemondedevenaitflouautourd’elleet

Quentinlaserradavantagejusqu’àcequ’ellesoitcaléecontresoncorps.—Ilfautquenoussortionsd’ici,dit-il.—Etlesombres-loups?demandal’undesElfes.Un de ces jours, Aryal allait arriver à savoir qui était qui. Pour le moment, elle s’en balançait

totalementétantdonnéqu’elleserappelaitàpeinesonproprenom.—S’ilssontàl’extérieur,ilfaudraqu’ongère,voilàtout,réponditQuentind’untondur.Cesloups

ontpunousinfliger toutescesblessuresparcequ’ilsnousonteusparsurprise.Jepariequ’ilss’ysontprisdelamêmemanièreavecvous.MaislaForcelesaffecteetj’aieuletempsderéfléchiràcequecelaimpliquait.J’aiquelquessortsd’attaquequijepenseserontefficaces.(IlsetournaversLinwe.)Tonrôleestd’aiderAryal.Caerreth,dèsquenousnesommesplussousl’emprisedelamagiedelaprison,tuluiprodiguesdessoins.Aralorn,toietmoisommeslesgardes.Dèsquenousavonsl’impressiondeneplusêtresoumisàl’influencedusortd’affaiblissementdemagie,nousnousarrêtonsetnousnenouséloignonspasdavantage.L’effetdecesortaforcémentunelimitegéographique.Nousavonstoutintérêtàentirerprofit.Silasorcièrearrive,nousrepassonscettelimite.PeuimportesaPuissance,samagieseraannuléeelleaussi.Pigé?

Aryaln’arrivaitpasà focaliser sonattention,mais ilsavaientdû tousopinerparcequeQuentin laconfiadoucementàLinwe.L’Elfeétaitbeaucouppluspetitequ’elleetelleseglissafacilementsousl’undesbrasd’Aryalpourlasoutenir.

—Appuie-toisurmoi,luiditLinwegentiment.—Jenecroispasquej’aielechoix.L’undeshommessepostadel’autrecôté.—JesuisCaerreth,dit-il.Vouspouvezvousappuyeraussisurmoi.Siellen’arrivaitpasbienàdistinguersestraitsdanslapénombre,ellelereconnaîtraitparsonodeur.

IlétaitbeaucoupplusgrandqueLinwe,etAryalglissadoncunbrasautourdesataille.—Merci,marmonna-t-elle.—Jevousenprie,ditCaerreth.Quentinetvousêtesvenusànotrerecherchequandvousvousêtes

rendu compte que nous avions disparu. Sans vous, nous serions toujours enfermés. Vous aider est lamoindredeschoses.

Quentins’étaitdépêchéd’allerjusqu’àlaportedubloccellulaire.Pendantqu’ilcrochetaitleverrou,Aryaletlesautressuivaientpluslentement.

—Lesortdeneutralisationestégalementposésurcetteporte,ditQuentinàvoixbasse.Aryalsaisitlesondiscretmaiscaractéristiqueduverrouquisedésengageait.Quelattributpratiquequed’avoirsesproprescrochetsauboutdesdoigts.Elleluienviait.Sesserres

àelleétaienttropépaissesettropdurespourpouvoirêtreintroduitesdansuneserrure.Etelleétaitàpeuprèssûred’avoirdesfacultésderéflexionbeaucoupplusvivesd’habitude,maiselleavaitperdutropdesangetlatêteluitournaittellementqu’elleétaitétonnéedenepasencoreavoirperduconnaissance,alorsenchaînerdespenséesdemanièreàpeuprèscohérente…

Quelqu’un la poussa légèrement et elle se ressaisit dans un sursaut. Elle avait décroché pendantquelquessecondes.Laportede laprisonétaitouverte.QuentinetAralorn la franchirent,disparaissantdansl’obscuritéquiétaitencoreplusopaqueau-delàdelaporte.

Quentinréapparutpresqueaussitôt.—Ilyaunescalier,dit-il.Lesortdeneutralisationsembleneplusavoird’effetdèsquel’onarrive

enhaut.Nousnousarrêteronslà.Venez.

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Caerreth et Linwe durent essentiellement porter Aryal dans l’escalier. Elle ne put retenir ungrognement de douleur. Devant eux, plus haut sur les marches, elle vit la silhouette de Quentin seretourner pour la regarder.Mais il ne dit rien et quelquesminutes plus tard, ils arrivaient en haut del’escalieroùsetenaitAralornquiattendaitavecanxiété.

Ils se trouvaientdansuncorridorqui s’étiraitdechaquecôté. Il étaitplongédans l’obscurité. Ilyfaisaitfraisetonn’entendaitaucunbruit.Iln’yavaitpassignedeloupspourlemoment.Cefuttoutcequ’AryaleutletempsdevoiravantqueLinweetCaerrethl’allongentparterre.

—Ilfautqu’ellesoitsurleventre,leurditQuentin.Ilslaretournèrentavecprécautionsurlesoldalléetellelesaidacommeelleput.Saproprefaiblesse

laremplissaitderage,ellequiétaitnormalementsiforte.Quelqu’uns’agenouillaàcôtédesatête.C’étaitQuentin.Ilposaunemainrassurantesursanuque.

Elleétaitchaudeeténergique.Ellefermalesyeux,savourantlasensation.— Il faut que tu te transformes de nouveau, lui dit-il doucement. Fais-le sans bruit cette fois, tu

m’entends?Ellehochalatête,rassemblasesforcesetinvoqualamétamorphose.C’étaitunprocessustellementsimpled’habitude,unesecondenature.Maisavecsesblessures,c’était

uneépreuveaffreusementdouloureusequi épuisait sesmaigres ressources.Elle ravalaunhurlement etbandasesmuscles.Lechangementétaitviolentetelleétaitauborddenepasarriveràlesaisir,maiselleréussitenfinàreprendresaformedeharpiedansungrognementdedouleur.

Sesailesbriséess’étalèrentparterre.Lesilencesefit,interrompuseulementparlesondesarespirationhachée.Quentinluicaressalatête.—Elleabesoind’unhôpital,murmuraCaerreth.—Oui,bon,yapasd’hôpital,fitQuentinavechargne.(Sontonétaitsauvage.)Alorsagiscommeun

grandgarçonetsoigne-la.—J’aibesoindelumière.LejeuneElfeeutàpeineletempsdefinirsaphrasequ’unepetitebouledelumièresurgissait.Aryal

réussitàregarderpar-dessussonépaule.LalueurflottaitjusteàcôtédesatêteetlamagiequienémanaitportaitlasignaturedelaForcedeQuentin.Ellelaissaéchapperunrirefragileentoussant.

—OK,ditCaerreth.(Ilavaitl’aird’avoirunpeupeur.)Merci.PuisilsemitautravailetAryals’affaissadesoulagementquandlapremièrevaguefraîchedemagie

glissasurelle,bloquantladouleur.Ilsoignaadroitementlesdifférentesblessuresqu’elleavaitsurtoutlecorps,maishésitaquandilarrivaauxailes.

—Heu,Aryal,dit-ildoucement.Jepeuxréduirelesfracturesetlesaideràseressouder,maisjenepeuxpasréparercettearticulationbroyée,etsijejettesurvosailesunsortdeguérisongénérale,ellesnevontpasseremettrecommeilfaut.Vousneserezpasenmesuredeplierl’articulation.

Descrocstranchantscommedesrasoirsseplantantdanssachair…broyée.Déchirée.Ellesemitàtrembler.Oui,tum’astuée,salegarce.Ellenepouvaitpassupporterderegarderdenouveausesailesetelleposalajouecontrelesdalles

froidesenmurmurant:—Fais-le.PuisQuentinapparutdanssonchampdevision.Sonvisageétaitàl’envers.Elleclignarapidement,

essayantdevoirdemanièrenette.Il s’était allongé sur le sol lui aussi, sur le ventre, la tête tournée vers elle. Ses larges épaules

semblaientparticulièrementnuescontre lesoldallé. Ilétaitsale, laminedéfaite,maissonregardétaitplusbleuquejamais.

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Bleucommeleciel,calmeetclair,etinfini.—Tudevraismonterlagarde,murmura-t-elle.—Aralornfaitleguet.(Savoixétaitaussicalmequesesyeux.)Etj’aidesréflexesrapides.Etpuis

silesombres-loupsétaientlà,ilsseseraientmanifestés.Jepensequ’ilssontaveclasorcière.CaerrethmarmonnadesinstructionsàLinwequil’immobilisaauniveaudesépaulesetellesentitdes

tiraillementsviolentssursesailestandisqueCaerrethréduisaitlesfractures.Levisaged’Aryalsetorditetellegriffalesol.EllevoulaitfrapperlesElfes,leurfairelâcherprise

pourqu’ilsnelatouchentplus.Quentinluisaisitlamain,laserrantfort.—Noussavionsquetuallaisdevoirêtreopérée.Cen’estpasnouveau.—Laisse-moi,siffla-t-elle.—Commetum’aslaissécesdeuxdernièresannées?(Sonexpressionétaitimplacableetilresserra

sapriseaupointdeluifairemal.)Commetum’aslaisséquandlesloupsontattaqué?Jenecroispas,beauté.

Caerrethjetalesortdeguérison.Ellelesentitplongerenelle,fusionnantleschairsdéchiréesetlesosbrisés.Soudant l’articulation.Aumilieude l’opération,elle tordit lesdoigtsetétreignit lamaindeQuentin.

Morte,morte…Elleserenditcomptequ’ellelemurmurait:—…Morte.Garce,tuesmorte.—Oui,ditQuentind’unevoixgrave.Nousallonsl’abattre.Elleestmorte.Elleauraitpudemanderle

foututrucqu’ellecherche.Elleauraitpul’emprunter.Ellen’étaitpasobligéedelesenfermer.Ellen’étaitpasobligéedetefaireça.Elleafaitdeschoix.

Lesortdeguérisons’estompa.Caerrethenavaitfini,avecelledumoins.—Bon,Quentin,dit-il.(Ilavaitl’airsecoué.)C’estvotretourmaintenant.Aryal réussit, elle ne sut trop comment, à se métamorphoser de nouveau. Le fait que ses plaies

s’étaient refermées fut salutaire. Elles continuaient à la faire souffrir, et ses ailes aussi, mais elleconstatait que les soins de guérison avaient pris racine en elle, dissipant l’ensorcellement qui avaitempêchéenpremierlieulesblessuresdeserefermer.

Elle parvint tant bien quemal à semettre à quatre pattes.Linwe accourut et passa unbras autourd’elle pour l’aider à semettre debout. Aryal regarda par terre. Quentin s’était retourné sur le dos ets’étaitassis.Caerreths’occupaitdéjàdelui.

Aryal leva les yeux vers Aralorn, puis Linwe. Elle pouvait à peine se tenir debout et les Elfesn’avaientpasl’airtellementmieux.QuantàCaerrethquis’occupaitdelessoigner,cequireprésentaituneénormedépensed’énergie,ilétaittoutaussiépuiséetaffaibliquelesautres.

— Nous avons tous besoin de nourriture, dit-elle d’une voix éraillée. Il doit y avoir plein deprovisionsdanslescuisinesdupalais.Etl’endroitleplussûroùsereposerestdanslescellules.

Quentinlevalatête.Aralornsetournapourlaregarder.Ellelevauneépaule.—Réfléchissezdeuxminutes.Si lagarceessaied’entrerdans laprison, les loupsnepeuventpas

l’accompagneretellenepeutpasutilisersamagie.J’espèresincèrementqu’ellevas’yrisquerparcequeçavoudradirequ’onlatiendra.Etj’aivraimentbesoindelatenir.

—Aryalaraison,notaQuentin.Lepluspérilleuxseradechercherlescuisinesdupalaispourtrouverdel’eauetdelanourriture.Jem’enoccupe.

—Jeviensavectoi,ditLinwe.

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—Tuessûre?demandaQuentin.Ilseleva,Caerrethvenantdetermineraveclui.—Jesuislaseulequin’aitpasétéblessée,ditLinwe.Etjepeuxcourirvite.—D’accord.IlsobservèrentCaerrethsoignerlesblessuresd’Aralorn.Àcestade,leguérisseurn’avaitvraiment

pasl’airvaillant.—Jesuisàsecmaintenant,vidé,ditCaerrethquandileutfini.LejeuneElfebaissa lesyeuxetseregarda,etc’estalorsqu’Aryalserenditcomptequ’ilavait lui

aussidespansementsetdesblessuresdéfensivessurlesdeuxbras.Quentins’approchadeluietsaisitsesbras.

— Enmatière de sorts de guérison, je n’ai qu’une corde àmon arc, dit Quentin. Est-ce que cesblessuressontsuffisammentsimplespourça?

CaerrethopinaetQuentinsoignasesbrasenlançantunsort.IlregardaensuiteAryal.—Vousferieztoutaussibienderedescendre.Linweetmoivousrejoindronsdèsquepossible.Elleacquiesçaaveclassitude.—Àbientôt.Elle avaitun terriblemalde tête et soncœurbattait la chamade, saboucheétait sèche.Elle avait

franchi les limitesdesa résistancedepuis longtempsmaintenant.Ellen’attenditpasdevoirQuentinetLinwes’éloignerdans lecorridor,elledescenditavecprécaution lesmarchesqui la ramèneraientà laprison,seretenantcontrelemurd’unemain.

AralornetCaerrethluiemboîtèrentlepas.—Ilfautvraimentquejemefasseviolencepourretournerenbas,marmonnaAralorn.SiQuentina

unpépinetquelasorcièrenouspiège,nousseronsdenouveauàsamercietjenedonnepascherdenotrepeau.

—Jesais,ditCaerrethd’unevoixfatiguée.Maisçapourraitencoreplusmal tournerpournoussil’on nous surprenait en haut de l’escalier. Je crois que notre seul choix, c’est d’avoir confiance enQuentinetLinwe.Ilsvontfaireattentionetreveniravecdesprovisions.

Aryallesentendait,maisnesesentaitpasconcernée.Toutcequiluiimportait,c’étaitdes’allongerleplusvitepossible.Lorsqu’ilspénétrèrentdenouveaudanslaprison,elleentradanslacelluledeQuentinparcequelasienneétaitsouilléedesonsang.

Un bruit indistinct lui emplissait les oreilles, comme la rumeur d’un océan. C’était étrange parcequ’elleauraitjuréquel’océansetrouvaitàl’extérieurdelafenêtredelaprison.Elleseforçaàplierungenouàlafoiset,oubliantdeserattraper,elles’affalaàterre.

Cefutladernièrechosedontelleeutconsciencependantuntrèslongmoment.

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16

Parcourir en catimini les pièces silencieuses et plongées dans l’obscurité des entrailles du palaiss’apparentaitàunjeuvidéoquiauraitmaltourné.Quentinavaitdésormaislesentimentqued’uneminuteàl’autreilsallaienttomberdansunbassinremplidepiranhastandisquedegrosrondinssebalanceraientau-dessusdeleurstêtesetquedesombres-loupssurgiraientdetouslesrecoinspourlesattaquer.

Ilsefrottalevisageets’efforçadebannircetteimagedesonesprit.Iln’étaitpasaussiaffaibliquelesautres,maisilavaitbesoindesereposer,etsanstroptarder.

—Veilleàmémoriserlecheminaucasoùtudevraislerefaireseule,dit-ilàLinwe.—MonDieu,selamenta-t-elle.J’espèrebienquejen’enauraipasbesoin.Iln’avaitaucunemémoiredesdatesoudesanniversaires,maisilpensaitqueLinwedevaitavoirune

trentaine d’années, ce qui était très jeune pour un Elfe adulte. Tenter d’établir une équivalencequelconque entre l’âge auquel les Anciens devenaient adultes et les critères d’âge des espèces quivivaientbeaucoupmoinslongtemps,tellesqueleshumains,n’avaitpasgrandsenspuisqueLinwevivaitdéjàenadulteresponsabledepuisplusieursannéestoutenconservantlavivacitédelajeunesse.

Ilsesouvenaitd’ellepetitefilleavecsongrandsourireespiègleetsesyeuxpétillantsdemalice.Elleétait adorable et adoréeet avaitmenéunevie très libredans laForêtdeLirithrielpendant lesquinzepremièresannéesdesavie. Iln’étaitpassouventvenuàLirithriel,mais il se rappelait la foisoùelleavaitcouruversluienriantauxéclats.Elledevaitavoircinqans.Quandelleétaitarrivéejusqu’àlui,ill’avaitsoulevéeetfaittournoyerdanslesairsavantdel’installersursonépaule.

Unéchodeladouleurbrûlantes’éveilladanssoncœur.Ilnefallaitpasqu’ilarrivequelquechoseàLinwe.Pasàelle.LesElfesavaientdéjàsouffertdespertesbientropdéchirantes.Illasaisitparlebras,l’attira à lui et la serra farouchement.Après le premier tressaillementde surprise, elle passa lesbrasautourdesataille,leserrantàsontourtellementfortquesoncorpsmenusemitàtrembler.

Ilsepenchaetluiglissaàl’oreille:—Tut’enfuirasencourantsijeteledemande.Tum’entends,jeunefille?—Quentin,cen’estpasmontravailde…commença-t-elle.—Linwe, lui intima-t-ilavec toute la fermetédont ilétaitcapable.Tun’aspas l’aptitudemagique

pourcegenredecombat.Ettu.T’enfuiras.En.Courant.—D’accord!Ildéposaunbaisersursonfront.Ilsavaitqu’ilsemontraitautoritaireetils’enfichaitcomplètement.

Chacunavaitsamanièrederéagiraustress.Ehbien,ça,c’étaitlasienne.Illarelâchaetilsreprirentleurexploration.Après avoir gravi plusieurs escaliers et passé encore une quinzaine de minutes à chercher, ils

trouvèrentlescuisinesquiétaientaussigrandesqueQuentins’yétaitattendu.Linwecourutverslapompe

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àeauquidominaitunegrandecuveet tira suffisammentd’eaupourpouvoiryplonger la tête.Pendantqu’elle buvait et s’aspergeait, il trouva le garde-manger. Il vérifia qu’il ne se trouvait pas près defenêtres, puis il usa de sa magie pour créer une petite boule de lumière et se mit à rassembler desprovisions.

Legarde-mangercontenaitd’énormesquantitésde toutcequ’ilpouvaitespérer trouver :painsdesvoyageurs, noix, fruits secs, pemmican, viandes et poissons séchés, roues de fromage, pommes,miel,bocauxdegeléesetdeconfitures,olives,légumesmacérésdansduvinaigre,anguillesalée,sansoublierdespommesdeterreetd’autrestubercules,desépices,del’huileetdetrèsgrossacsdecéréales.

Uncellier contenait des tonneauxdevin,debièred’orge etdesbouteillesd’alcool, ainsiquedesoutresàvin.Vulesdimensionsdupalais,ildevaitprobablementyavoird’autresréservesrempliesdevinetdedenréespouvantêtreconservéeslongtemps,maislecontenudecelles-cisuffiraitàlesnourrirtouslescinqpendantplusieursmois.

Ils n’allaient pas rester ici aussi longtemps, de toute façon. Il pensa fugacement au temps quis’écoulaitàunrythmedifférentsurlaTerre,puisilchassacettepenséedesonesprit.C’étaituneréalitéàlaquelleilsferaientfaceultérieurement.Celan’avaitaucunepertinencedansleursituationimmédiate.

Ilretiralebouchond’uneoutre,lalevaetversaduvindanssaboucheouverte,puisillareboucha.Gaspiller du vin produit par desElfes était criminel dans presque tous les contextes, sauf celui-ci. Iltenditl’outreàLinweetenajoutacinqautres.

—Videcesoutresetremplis-lesd’eaupendantquej’emballedesprovisions.Ellelespritetretournaàlapompe.Ilsemitàjeterunpeudetoutdansquatregrandssacsdetoile.

Ce qu’il réunissait devrait théoriquement suffire à tous les nourrir pendant une semaine, sauf qu’il nesavaitpasquellequantitédenourriturelesElfesauraientbesoindemangerpourrecouvrerleursforces.Ilsavaitqu’Aryaletluiallaientbeaucoupmanger,surtoutdesprotéines.Ilfourradel’eau-de-viedepommedanslesacqu’ilcomptaitgarderpourlui.

Lanourritureet l’eauétaient indispensables,mais ilvoulaitvraimentquelquesarmeset iln’auraitpas refuséune couvertureoudeux. Il commençait également à s’inquiéter du lapsde tempsqui s’étaitécoulédepuisqueLinweetluiavaientquittélesautresetiléliminalalumière,attenditquelquesinstantspourquesesyeuxs’accoutumentàl’obscurité,puissemitàlarecherchedecouteauxetdenappesenlin.

Lesnappesqu’ildénichaétaientlonguesetrichementbrodées,cequiaugmentaitleurépaisseur.Ellesferaientdescouverturesunpeubizarres,maisefficaces.IlempilaensuitetoutessestrouvaillessurunetableetattenditqueLinwelerejoigne.

Enarrivant,ellesemblaétudiertoutcequ’ilavaitrassemblé.— Je devrais établir une limite sur ta carte de crédit, dit-elle avec une trace de son enjouement

habituel.Illuiébouriffalescheveux.—Jesaisquecelanouscharge,maisçacouvreleprincipal.—Jenemeplainspas. Jedoismeretenirpournepasdévorersur-le-champ toutcequise trouve

danscessacs.Ilyplongealamainet lui tenditunepomme.Ellelacroquarapidementtoutenl’aidantàemporter

leurs provisions et à redescendre à la prison. Il demeura vigilant au moindre signe de la présenced’ombres-loups,maisleurretours’effectuatranquillement.

Dèsqu’ilsouvrirentlaportedubloccellulaire,Linweannonçadoucement:—C’estnous.Onestderetour.AralornetCaerrethlesretrouvèrentàlaporte.Quentingardauneoutred’eau,lesacdetoileavecla

plusgrossequantitédeviandeetl’eau-de-vie,deuxdesnappesetpresquetouslescouteaux,laissantles

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autrestrierlereste.Ilpassauninstantàcrocheterlaserrure,cettefois-cienvuedeverrouillerlaporte,puisilditauxautres:

—Montezlagarde.Ilpartitensuiteàlarecherched’Aryal.Illatrouvadanslacelluleoùilavaitétéenfermé,couchéeenbouleparterre,etlenœuddetension

qui le serrait si fort dans le ventre se relâcha. Si faible soit-elle, toutefois, elle pouvait encore êtredangereusesielleétaitréveilléeensursautalorsqu’elledormaitprofondément.

Pourl’avertirdesaprésence,ildit:—Coucouchérie,jesuisderetouràlamaison.Elle ne bougea pas,mais il savait qu’une part de sa nature animale l’avait entendu. Il s’approcha

d’elle,s’assitetposalescouteauxprèsdelui.—Jevaisposerunemainsurtonépaulemaintenant.Nememordspas.Ilsavaitqu’elleavait froidcar ilvoyaitqu’elleavait lachairdepoule. Il lasecouadoucementen

disant:—J’aidel’eau,del’eau-de-viedepomme,etdelaviande.Qu’est-cequetuveux?Elles’étiradoucement,remuantcommesitoutsoncorpsluifaisaitmal.—Eau-de-vie,marmonna-t-elle.—D’accord,maistupeuxseulementenavoirlamoitié.Ilnementaitpasvraiment, ilnedonnaitpas toutes les informations. Il avaitune secondebouteille

danslesac.Ildébouchalapremièreetlamitdanssamainquis’étaittenduepourlasaisir.Puisilplaçal’unedesnappespliéessursesgenouxetsortitdifférentsaliments,lesdisposantdevant

eux. Ilchoisitungrosmorceaudeviandeséchéeetyplanta lesdentscommeunhommedescavernes,avalantdel’eauentrechaquebouchée.Ilsesentaitépuiséauplusprofonddelui.Ilremarquatoutefoisqu’Aryalbuvaitl’eau-de-vie,maisnetouchaitpasàlanourriture.

Plusieursréactionsseprésentèrentàlui.Illesenvisageatoutesetlesrepoussa.—Situveuxtraquerlagarce,fautquetumangescorrectementettereposesencore,finit-ilpardire,

parceque tupeuxàpeine te tenir assisedroite,beauté. Jenevaispas teprendreavecmoiou t’avoircommepartenairedecombatsitudoisêtreunboulet.

Lesilencedanslacelluleétaittendu.Ellefinitpartendrelamainetl’abattitdemanièrealéatoiresurl’unedespilesdenourriture.

—Oh,bonsang,tuasencoreapportédupaindesvoyageurs.—Toutcequetusaisfaire,c’estrâleretgémir?s’exclama-t-ilavecirritation.Jen’aipasapporté

queça.Ilyadelaviandesurtout.Elletenditlamainplusloin,palpantcequ’elletrouvait.Ellesaisitunbocaletlesecoua.—Qu’est-cequec’est?—Del’anguillemarinéedansduvinaigre.Situn’aimespasça,jelamangerai.—De l’anguillemarinée et de l’eau-de-vie de pomme, dit-elle d’une voix lasse et sans énergie.

Pouah.Ilneputs’empêcherderireenl’entendant.—Présentéainsi,çasemblepassablementimmonde.Il s’arrêta demanger et tendit lamainvers la bouteille.Elle résista pour la forme,mais le laissa

faire. Il but et l’alcool de feu qui glissa dans sa gorge fut l’unedes rares choses agréables dont il fitl’expérienceaucoursdecettejournéemaudite.

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Dansl’autrepartiedubloc,lesElfesdiscutaientsansparlertropfort.Leurtimbredevoixétaitdéjàplusanimé.L’espoiretlesglucidesformaientunduopuissant.

Quandileutapaisésafaim,ilditàvoixbasse:—Après avoirmangé et dormi un peu, je veux renvoyer les autres. Ils ne sont pas enmesure de

traquerlasorcière.IlspeuventretournerdanslaForêtdeBohèmeetmonter lagardecommeilsenontreçul’ordreaudépartetpeut-êtreenvoyerquelqu’unprévenirFerionetDragos.

Aryalrestasilencieuseunmoment.—SiGalyaparvientaupassage,tuleurprometsuneconfrontationdifficile.— Ils n’ont pas besoin d’engager le combat. Ils peuvent la laisser partir et elle peut être traquée

jusqu’enRussie.(Selassantdelaviandeséchée,illareposaetpritunerouedefromageetunpetitbocald’olivesferméparunsceauencired’abeille.)Etpuis,ajouta-t-il,nousn’allonspaslalaisserarriveraupassage.

Ilcoupaunmorceaudefromageetleluitendit,puisilencoupaunmorceaupourluietcassalesceaupourouvrirlebocald’olives.

—Jeveuxl’unedecesbarres,ditAryalenmâchant.Ilnecomprenaitpascequ’ellevoulait.Iln’avaitpasrapportéd’alimentsquiseprésentaientsousla

formedebarres.—Quoi?Leclairdeluneindirectfiltrantdel’uniquefenêtreétaitsiténuquepourdenombreusesespèces,la

celluleseraitplongéedansl’obscuritélapluscomplète,maisilvoyaitparticulièrementbienlanuit.Ilvitdoncqu’elleindiquaitlaportedelacellulequiétaitgrandeouverte.

—Cesbarres.J’enveuxuneimprégnéedusortdeneutralisationafindepouvoirlaluiplanterdanslecorps.

Illevalessourcilsenréfléchissant.— Tu parles d’un barreau. C’est une idée sublime en fait. Malheureusement, les cellules sont

tellementbienconstruitesquejenecroispasquecesoitfaisable.Ilnousfaudraitunforgeron,etquandilauraitréussiàdescellerl’undesbarreaux,lesortseraitprobablementrompu.

—On peut rêver, tu sais. (Elle avait l’airmal en point avant et elle avaitmaintenant l’air d’êtrevraimentauboutdurouleau.)Repasse-moicettebouteille.

Illaluitendit.—Bon,alors,quiest-cequetuaimes?Ellebutaugoulot,puiss’essuyalabouche.—Pardon?—Nommequelqu’unquetuaimes.—Pourquoi?Ellesemblaittotalementdéconcertée.Ilétaitpousséparuneimpulsionqu’ilnevoulaitmêmepaschercheràs’expliquer.—Parceque,c’esttout.TuesamieavecNiniane.Est-cequetul’aimes?—Heu,oui,fit-elleprudemment.—SupposequeNinianesoitdanslepétrinetquecesoitgrave.(Ellelepoussaaveclabouteilleet,

étonné qu’elle propose, il la prit et but.) Suppose, continua-t-il, que quelqu’un de Puissant que tu neconnaispasl’aitmenacée.

—Est-cequetuesentraindemedirequetuesaucourantd’uncomplotcontreNiniane?demanda-t-elled’untonsoupçonneux.Ettuabordeslesujetseulementmaintenant?

—Non!J’imagineunscénario,untruchypothétique.

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—J’enreviensàmon«pourquoi».(Ellepassalanappeautourdesesépaulesets’allongea.)Maiscontinue.

Ilsesentaitcrasseuxetlefélinenluienétaitoffusqué,maisilnepouvaitrienyfairepourlemoment.Ilposaparterrelanappepliéequ’ilavaitprisepourluiafindes’enservirpourprotégersondosnu.Puisils’étenditàcôtéd’Aryaletfixaleplafond.

—Suppose,murmura-t-il,quetuaiesessayédevenirenaideàtonamieenpiégeantlapersonnequilamenaçait. Et suppose que ton plan ait connu un raté et que tu finisses par causer dumal aux deuxpersonnes.Qu’est-cequetuferais?

Ellelaissaéchapperunpetitrire.—Jemesentiraiscoupable.Est-cequec’estàproposdequelquechosequis’estpasséquandtuas

décidéderentrerdansledroitcheminetquetuasrenoncéàfairedelacontrebande?Le sol enpierre faisaitun lit affreux.Sa situationn’auraitpaspuêtreplus inconfortable, sauf s’il

avaitcontinuéàsaigner.—Oui.ÀpartlessonspaisiblesdesElfesquisepréparaientàdormir,lesilencepesaitsureux.—Qu’est-cequetuasfait,Quentin?murmuraAryal.Ilfermalesyeux.—QuandDragosestpartiàlapoursuitedePial’annéedernièreetquelesElfesl’ontfrappéd’une

flècheempoisonnée,est-cequetusavaisquePiaétaitréfugiéedansmamaisondeFollyBeach?(Elleresta coite.Onaurait pucroirequ’ellene respirait pas. Il reprit son récit.) J’aidonné l’informationàUrienenéchangedesapromessedelaisserPiapartir.Urienn’apasrespectélemarché.

Auboutd’unmoment,elledit:—Bordel, pourquoi faut-il que tumeconfiesun trucpareilmaintenant alorsque je suis tellement

crevéequejepeuxàpeinerespirer?Au-delàdel’exaspération,elleavaitréellementl’airperplexe.—Jemesuisditquec’était lemomentopportun,marmonna-t-il.Moinsdechancesquetupètesun

plombavantquetuaiesletempsderéfléchir.Unsilencepassa.—Espècedesalaudmanipulateur,murmura-t-elle.Pourquoitumeracontescettehistoire?Tun’étais

pasobligédelefaire.Personnenesesoucieplusdeposerdesquestionslà-dessus.Lapageesttournée.—Personned’autreneconnaissaitl’histoire.Çaneveutpasdirequelapageesttournée.Ilposaunbrassursesyeux.Ellesetournasurlecôtépourluifaireface.—Çateturlupinedepuistoutcetemps?—Unpeu.Ellelefrappasurl’épauledudosdelamainetilsursauta.—Bordel,Quentin!grinça-t-elle.Est-cequejenet’aipasditl’autrejourquejeteflanqueraisune

dérouillée si tu causais du tort à quelqu’un qui compte pourmoi ? Est-ce que tu as vraiment pris lameilleuredécisionpossibleaprèsavoirentenduquelqu’untedireuntrucpareil?

Ilneputsereteniretesquissaunsourire.—Qu’est-cequetuvasyfaire?Ellelefrappadenouveau.—Jene saispas. Jen’arrivepas à croireque tumemettes enpétard après avoir été tellement–

tellementgentilavecmoiaujourd’hui.C’estquoi,tonproblème?

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—Ah,c’estlaquestionàcentmilleballes.Etjesuissérieux.Tuarrivesàdécouvrirquelestmonproblèmeetjetedonnecentmilleballes.(Ilsetournapourlaregarder.Elleserrarageusementlanappeautourdesesépaulesenmarmonnant.Illuicaressalescheveuxetellesefigea.L’obscuritéluifacilitaitl’aveu :) çame rendmalade de penser que j’ai causé du tort à Pia comme je l’ai fait.Et je ne portetoujourspasDragosdansmoncœur,maisjecommenceàlerespecter.Jeregrettecequej’aifait.

Ellelevalebraspourretirersamaindesescheveux,puisellenelalâchapas.—Tunem’astoujourspasexpliquépourquoitumel’asdit.—J’ensaisstrictementrien,reconnut-il.Ellelevalatête.—Tumens,l’accusa-t-elle.—Tucrois?—Arrêtedetergiverser!Elleparaissaitplusindignéequelorsqu’illuiavaitditcequ’ilavaitfait.—Jen’oseraispas.— T’es nul ! (Elle lui pinça le bras avec force.) Réponds-moi sincèrement ou je te jure que je

trouverail’énergiedeteflanquerunedérouillée.—Aïe!(Ilrepoussasamainetsepenchaaupointdepresqueluitoucherlenez.)Peut-être,murmura-

t-il,quebosseravectoicommenceàressembleràunpartenariat,etpeut-êtrequejesuischoquédemerendrecompteàquelpointc’estbon.Enfin,c’est toi,pourl’amourduciel.Tuesladernièrepersonnesurlaplanètepourquijepensaispouvoirressentirça.Danslatour,ilyasixjours,nousessayionsdenoustuer.

—MonDieu,c’étaitilyasixjoursseulement?J’ail’impressionqueçafaituneéternité.Ildécidadenepasreleverlaremarque.—Alorspeut-êtrequejet’aiditlavéritéparcequejenemefiepasàcequejeressens.Etpeut-être

quejetel’aiditeparcequec’estcequefontlesvéritablespartenaires–dumoinsàcequej’aicompris.Peut-êtrequelesvéritablespartenairessaventcommentsedire:«Oui,tuasmerdéetmaintenantçava,tupeuxtournerlapage»,etpeut-êtrequej’aimeraisbienquequelqu’unmediseçajusteunefoisdansmavie.Alorsmaintenant,laballeestdanstoncamp,beauté.Méditetavengeance,sic’estvraimentcequetuveux.Maisn’oubliepasque tuasbesoindemoipourvaincrecettesorcière.Tumedirascequivientensuite.

Siagressifsquesoientcesmots,lesprononcerlelaissamalgrétoutàvifetvulnérable.Bonsang,ilavaituntalentinnépourl’autodestruction.Illuitournaledosetfrottasapoitrineàl’endroitoùladouleurbrûlantes’étaitinstallée.

Aryalditquelquechosed’untonextrêmementcontrarié:—Tuesuneespècedecopinesuperchianteetexigeante.Jesuisentraindevivrel’undespiresjours

demon existence. Bordel, je suis peut-être estropiée. Je ne pourrai peut-être jamais plus voler. Çadépassemoncauchemarleplushorrible.Jenesaispassijepourrailesupporter,etpourtant,jenesaispastropcomment,onneparleplusquedetapetitepersonne.Etmesbesoins,alors?

—Dequoias-tubesoin?murmura-t-il.—Uncâlinseraitappréciable,dit-elleaveclassitude.Etiln’yapersonned’autrequetoidansles

paragesquipuissem’enfaireun.Alors,qu’est-cequet’attends?Ilfutabsolumentstupéfaitqu’ellepuisseêtresuffisammentdirecteetfranchepourlereconnaître.Etil

futencoreplusstupéfaitdedécouvrirqueluiaussiavaitbienbesoind’uncâlin.Ilseretournaettenditlesbrasverselle,etelles’yblottitenl’étreignant.

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— Je suis désolé d’avoir choisi unmoment pareil, chuchota-t-il. Çame semblait une bonne idéequandjel’aidit.

—Tais-toi.Jesuistellementfurieuseaprèstoiquej’arriveàpeineàpenser.—Biensûrquetul’es.(Ilsoupira.Mêmeleursconversationsétaienttordues.)Tun’espasestropiée.

Tun’espasencoreguérie,c’esttout.Lapoitrined’Aryalsecontractasilencieusement. Ilne l’auraitpassus’ilne la tenaitpasdansses

bras.—L’articulationestbroyée.Jelesens.— Tu voleras de nouveau. (Il mit toute sa conviction dans ses mots.) Tu voleras, Aryal. Les

guérisseurspeuventfairedesmiraclesdenosjourspourréparerlesarticulations.Sicelaéchoue,ilyalesprothèses.Tuvasvolerdenouveau.Jelejure.

Il savait qu’il se trompait peut-être,mais elle n’avait pas besoin d’une honnêteté pareille pour lemoment.Elleavaitbesoind’optimismeetdefoietilmittoutesaferveurdanssesparoles.

Sapoitrineseserradenouveau.Ill’embrassasurlatempe.Ellenepleuraitpasfacilementetrefusaitdecraquer.Ilavaitlesentimentqueleslarmesluiétaientarrachéesetqu’elleluttaitdetoutessesforcespournepasleslaissercouler.

—Çavaaller,dit-il.Çavaaller.Curieuxcommeladouleurdanssapoitrines’apaisaitalorsqu’illaréconfortait.—Jen’arrivepasàcroiretoutlecinémaquetunousasfait,luidit-elle.—Moi?Ilétaitvraimentébahi.— Tu as commis une bourde. Sûr, c’était une grosse bourde, mais personne n’est mort, sauf les

méchants.Qu’est-cequetuvasfaire,pleurnicher«mea-culpa»etteflagellerpendantdixans?Toutlemondeestpasséàautrechose,sauftoi.Jenedispasçaparcequetuvoulaisquequelqu’unledise.Jeledisparcequec’estlavérité.Tournelapage,putain.

Sesmotsétaientdurs,maissincères.Labrûluresetransformaenunsentimentdelégèreté.Celadutluimonterunpeuàlatête,carillafitbasculersurledosetseplaçaau-dessusd’ellepourl’embrasser.

Ellefitunbruitétouffécontreseslèvres.Elleavait l’airvraimentronchon.Puiselleluirenditsonbaiser.

Ilsétaient tous lesdeuxcrasseux,couvertsdesang,et lesolfroid lerendaitfou.Maisriendetoutcela n’avait d’importance. Ce n’était pas une question de passion sexuelle.Ou peut-être que si,maisc’étaitquelquechosed’autreaussi,quelquechosedeplusimportant.

Celalerendaitméfiantducoup.Ilnesavaitpascommentappelercettechoseimportanteetinconnue,maisentoutcaselleluifaisaitl’effetd’êtrenécessaireetjuste.Iltitillaseslèvresetellelelécha.Puisilapprofonditlebaiserjusqu’àcequeleurslanguessetouchentetsecaressent.Ellefleuraitbonl’eau-de-viedepomme.C’étaitunparfumgrisantetléger.

La sensation luimonta à la tête. Il s’appuya un peu plus contre elle, une jambe glissée entre lessiennes. Le frottement de la toile de leurs jeans faisait un son discret, ponctué par leurs souffles quis’accéléraient.Ellepassalesmainslelongdesondos.Lecontactdesesdoigtssursapeaunueluicausaunlongfrisson.

Iln’arrivaitpasàcroirequ’iln’avaitpasencoreétéenelle.Ilavaitbesoindeconnaîtresaréponseàcette union primitive, primale. Le long corps élancé d’Aryal correspondait bien au sien. C’étaitextraordinaire de s’étirer ainsi sur elle et de se délecter de sa forme féminine, comme si elledéverrouillaitquelquechoseenluiqu’iln’avaitencorejamaisexploré.

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Lapartsauvageetdangereusedesonâmequ’ilréfrénaitavectantdevigueurselibéradeseschaînesetfonçaunenouvellefoissansentrave.Ileutjusteassezdeprésenced’espritpoursedemanderoùellepouvaitbienalleretpourquoisurtoutelleavaitbesoind’yalleravecautantdeprécipitation.

Ilsn’étaientnil’unnil’autreenmesuredeconsommerquoiquecesoitetpourtantilss’embrassaientets’embrassaientencore.Ilpassalesdoigtssursapoitrine,lesglissantsoussondébardeurenlambeaux,etcaressalacourbegracieused’unsein.Iljouaaveclemamelondouxquisedressaittandisqu’elleleprenaitparlanuqueetprolongeaitleurbaiser.

Ilsereculaenfinsuffisammentpourembrasserlecoindeseslèvresetilappuyasonfrontcontrelesien.Elleluicaressalescheveuxetileutl’impressiond’unmiracle.

Ilsoupira.—OK,quandtunemerendspasdingue,jesupposequejet’aimebien,aprèstout.Maissituledisà

quelqu’un,jevaisdevoirdenouveaut’étrangler.Ellepouffaetexpulsal’airparlesnarines.—Uneheure,dit-elle.—Quoi,uneheure?Ilenroulaautourdesondoigtunemèchedesescheveuxsoyeux.— Je veux renégocier notremarché, afin de l’honorer plus tard, quand nous ne serons ni l’un ni

l’autrehorsjeupourcausedepassageàtabac.(Sesmotsétaientempreintsd’unetraced’humour.)Saufsicelaarrivedansuncontextepurementrécréatif,bienentendu.

Il marqua une pause pour écouter intérieurement sa propre réaction. Celle qui dominait était lesoulagementetlerespect.Aprèsavoiradmisàquelpointelleétaitaffectée,nonseulementelleavaitpufairepreuved’humouretexprimédesémotionssincères,maiselleavaitmaintenantfait lepremierpaspourétablirdesplansquiallaientau-delàdelavengeancequ’ellevoulaitexercersurlasorcière.

Sous toutes ces réactions, cependant, battait une pulsation rouge sang, une faim s’apparentant àunerivièresouterraineaucourantaffoléquicoulaitdanssesartèresetattisaitsondésir.

Une heure, ce n’était qu’un battement de cils. Il avait gaspillé plus de temps que cela lorsqu’ildébattaitdel’endroitoùilvoulaitallerdînerunjourd’ennui.Uneheure,c’étaitterriblementinsuffisantpourtoutcequ’ilvoulaitluifaireetfaireavecelle.

Pourtoutcequ’elleluiferait.Aprèsavoirredoutélaperspectived’êtrelivréàsamerci,ilenétaitmaintenantvenuàs’interrogersurcequ’elleluiferaitsubir.

Àledésirer.— Pas d’heure, dit-il. Une nuit, du crépuscule à l’aube. Tu en as une et j’en ai une. Pas de

chronomètres,pasd’alarmes,pasdesabliers.(Lecourantaffolésetransformaenrapidesetsavoixprituntimbreplusgrave.)Pasderègles.

Ellefutparcourued’untremblementetlasensationletransporta.—Tuleferais?Renonceràtoutcontrôlependantaussilongtemps.—Totalement, si tu le faisais. (Il posa sa bouche sur la sienne pour sentir son haleine chaude et

humide.)Tuoses?Elle se mit à rire presque silencieusement. Les souffles inégaux d’air contre ses lèvres faisaient

penseràdesbullesdechampagne.Illesinspiraetlessentitsemêleràsonsangetsemettreàcouriravecsondésir.

—Tusais,demanderàuneharpiesielleosefairequelquechose,c’estagiterunchiffonrougedevantuntaureau.

—C’estbiencequej’espérais,reconnut-il.Iln’avaitpasencoreprononcélederniermotqu’elledisait:

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—Oui.Unsentimentdetriompherugitenluietils’accompagnad’unerévélation.Cette chose avec Aryal n’était pas une aberration. Ces choses qu’il portait en lui et qu’elle lui

montrait n’étaient pas aberrantes. Elles constituaient une partie de lui dont il ne connaissait pasl’existence jusqu’à ce qu’Aryal les mette en lumière. Ce qu’il se passait, ce n’était pas du tourismesexuel.C’étaitdeladécouvertesexuelle.

Ilentenditàpeinecequ’elleditensuitetantsaprisedeconscienceintérieurelemédusait.—Tusaislesautres–touslesautres–penseraientquenousavonsperdularaison.Il comprenait exactement ce qu’elle voulait dire. Bon sang, ils ne pratiquaient même pas le

sadomasochismedemanièreclassiqueet ilsnesuivaientaucunenormeniaucunedesrèglessuggérées,c’étaitsûr.Ilnepensaitpasqu’ilexistâtdesgroupesdesubculturessusceptiblesd’approuverlemépristotalqu’Aryaletluiaccordaientauxnotionsdesécuritédanscedomaine.

Ilnevoulaitpasdecodedesécuritéetellen’endemandaitpas.Ilsétaientdominantstouslesdeuxetilsavaitquepourrienaumondeilnerenonceraitàsonrôlepourendosserceluidusoumis,exceptépourelle.Etilétaitpresquecertainqueceseraitpareildesoncôté.

Ellecalmaitcefouetinternequilerégissaitparcequ’elledevenaitlefouetetquesonâmeétaitaussitranchantequ’uncouteau.

Il pourrait se couper sur elle, l’envelopper dans ses bras et devenir sa soupape.Laguérir d’elle-même,semeurtrirsurelle.

Lalaisserleguérir.Lalaisserêtresonexutoire.Ilsétaienttellementdécomplexés,tellementbaroques.—Noussommesparfaits,dit-il.

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17

Lesilencetombaentreeuxcommes’ilsavaientexplorésuffisammentdesujetspouruneconversation.Ce qui venait de se passer entraînait des conséquences à tous les niveaux, etAryal ne voulait en

envisageraucune,pasplusqu’ellenesouhaitaitdéchiffrer lesémotionssingulièreset inconnuesquisedéchaînaient en elle.Cette fouled’étrangers, hurlantdansune langue incompréhensible, était de retourdanssatête.

Saufquel’undecesétrangersétaitparfaitementcompréhensiblecarilbrandissaitundoigtgéantdeBDetindiquaitunepancartequidisait«Ticketgagnant».

Elle envisagea de replonger dans le désespoir parce qu’au moins, cette émotion-là, elle lacomprenait:elleétaittoujoursàplanerautourdetouteslesautres,prêteàfondresurlaplusfaibledelabande.

MaisAryaln’étaitplusaussichancelanteetvidéequ’avantlasieste,lanourritureetlecâlin,etellen’arrivaitpasàs’yabandonner.

Parfois,êtretêtuecommeunemuleavaitdubon.Elledécomposadonclasituationenmotsd’uneoudeuxsyllabes,vuquec’étaitapparemmenttoutce

qu’ellepouvaitgérerpourl’instant.Etmerde.Tuelagarce,baiseunboncoup,rentrecheztoi.Ellecomptaàl’envers.Oui,desmotsd’uneoudeuxsyllabes.Celaleferait.Pendantqu’elledéconstruisaitsavie,Quentinsesoulevaetseremitsurledos.D’unemanièreoud’uneautre,quelquechoseavaitchangésansqu’elles’enrendecompte.Sapartie

félineneladérangeaitmêmeplus.Elleenappréciaittoutsimplementlagrâceanimale.Ilpassaunemainderrièresatêteensoupirant.—Tuvasvenirversmoi,ouiounon?Elledécidaquecelasemblaituneexcellente idéeetellese rapprochadoncpours’installercontre

lui, posant la tête sur son épaule nue et une jambe sur la sienne. Se caler contre son corps était unesensationincroyable.Ellesecouasacouverturedefortunesureuxdeuxetdrapasonbrassursapoitrine.Ilpassaunbrasautourd’elleetdéposaunbaisersursonfront.Ilsemblaitplusdémonstratifqu’ellenel’était.Celalafaisaitsortirdesazonedeconfort,maiselle…aimaitcela.

Lesommeillaharcelait,maisellelecombattitassezpourréussiràmarmonner:—Jepariequetuesromantiqueavectouteslesfillesaveclesquellestuaspusortir.Ilmitlongtempsàrépondreetc’étaitplusungrognementqu’unmot:—Oui.

Nonpasqu’ilssortentensemble,mais…

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—Moi,tumedisdeshorreurs.Ilpoussaunautregrognement.—Tupeuxpassavoirlesoulagementquec’est.Caléentredespochesdegentillesseetuneconscience,ilrestaitunsalaud.Uncoindesabouchesesouleva,esquissantunsourire,puisellelaissalesommeill’emporter.

Lalueurpâledel’aubel’éveilla.Descrocstranchantscommedesrasoirs.Broyée.L’adrénaline fusadans sesveines, apportantavecelleunaffluxd’énergienerveuse.Elleavaitmal

partout.Caerrethavaitrefermésesblessuresetlesavaitsoignées,maisellesn’étaientpasencoreguéries.Ilfallaitqu’ellesereposedavantage.Elleavaitbesoindevraireposetderécupérer,maisellen’arrivaitpasàsedétendresuffisammentpourlaisserlesommeillareprendre.

Ellesedétachadel’épauledeQuentinetleregarda.Ildormaitàpoingsfermés,samâchoiremincerecouverted’unebarbed’orpâleunpeuplusfourniequelaveille.Sonvisageportait lesmarquesdesderniersjours.Mêmeendormi,celaluidonnaitunaircrispéetplusdangereuxencorequ’àNewYork.

Ilavaitalorsl’aird’unprédateurbiennourrietsoignéévoluantparmiunefouledeminettesquinesedoutaientderien.Sonallureétaitdésormaisbeaucoupplusprochedecequ’ilétaitenréalité:unhommeprêtàtoutpoursurvivre.

Unhommequiessayaitd’êtreunebellepersonnemalgré lui,maisquiétaitsuffisammentrouépourqu’elleleveuilleàsescôtéslorsd’uncombatdifficile.

Elleneluiavaitpasditqu’ellel’aimaitbien,elleaussi,lorsqu’ilnelarendaitpasdingue.Celaneleregardaitpascequ’elleressentaitpourlui.

Maisdanslesilencedel’aubenaissante,dansl’intimitédesapropreconscience,elleadmettaitunevérité.Peut-êtrequ’ellel’aimaitunpeuplusquecela.

Lafouledanssatêteseréveillaetessayadesedéchaînerdenouveau.Ellelevalesyeuxaucielets’écartadeQuentinavecdouceurenessayantdenepasledéranger.Iln’avaitpasétéaussigrièvementblesséqu’elle,maisluiaussiavaitbesoindedavantagedereposetilnebougeapasquandelles’assit.

Ellelerecouvritdelanappe,rampajusqu’àlanourriturequ’ilsavaientlaisséeéparpilléeparterreetdévoraunpetitdéjeunerbizarre,maiscopieux.Finalement,l’anguillemarinéeetl’eau-de-viedepommen’allaientpassimalensemblequecela.Puisellealladans«sa»celluleoùlesangavaitséché,utilisalalatrine rudimentaire et se nettoya les mains avec un peu d’eau de l’outre. Une vraie toilette etdesvêtementspropresétaiententêtedelalistedeschosesdontelleavaitbesoin.

Justeaprèslarecherched’armesetd’unearmureelfique.Quandellesedirigeaverslafenêtrepourjeteruncoupd’œildehors,Linwemontaitlagardedevant

laportedelaprison.EllefitunsignedetêteàlajeuneElfeetregardadehors.Iln’yavaitpasunnuagedanslecieletlavasteétendued’eauétaitcalme.Lajournéeallaitêtredenouveautorride.

Elle se rendit de l’autre côté des geôles en faisant signe à Linwe de la suivre. La jeune Elfeobtempéra,sonfinvisagepétillantdecuriosité.

—Réveillonslesdeuxautres,luiditAryalàvoixbasse.Ilfautquenousdressionsdesplansetlesmettionsenaction.

—D’accord.EllessecouèrentAralornetCaerrethpourlesréveiller.Lesdeuxhommess’assirentassezfacilement,

frottantleursvisagesfatigués.Lanuitn’avaitpasétélongue,maisilsavaientl’airbeaucoupmieuxquelaveille.

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Aryals’accroupit,testantlablessurequ’elleavaitàlacuisse.Elleneserouvritpas.LestroisElfesl’observaientavecattention.

—Voicileplan,dit-elle.Vouspartezaussivitequevouslepouvez,touslestrois.—Attendez,quoi?demandaLinwe.Lesdeuxhommessemblaientnepascomprendre.—Il fautquevouspreniezsuffisammentdenourriturepour tenirpendant lesdeux joursoù ilvous

faudracourir,prenezdel’eauenrouteetquittezNumenlaur.Unefoisdel’autrecôté,l’undevousdevrasortirdelaforêtafind’informerFerionetdevras’assurerqueFeriontransmetlesinformationsàDragos.Les deux autresmonteront la garde.Ne laissez personne entrer dansNumenlaur. Si la sorcière et sesloupssontlespremiersàsortir,celavoudradirequelesnouvellesnousconcernantnesontpasbonnes.Sic’estlecas,nefaitesrien.Cachez-vousetlaissez-lapasser.MaisniQuentinnimoin’avonsl’intentionquecescénarioseconcrétise.(Elleconsidéraleursexpressionsgraves.)Quiauneaptitudeàlamagie,àpartCaerreth?

—Nousenavonstouslestrois,ditLinwe.Caerrethestceluiquienaleplus,maisAralorndétientdavantagedeForceoffensive.Jeconnaisquelquestrucsdebasecommeproduireunelumière,maismespointsfortssontdavantagephysiques.

—Elleestunasavecunarc,soulignaAralornavecunpetitsourire.UnpeucommeŒil-de-FaucondansAvengers.

MonDieu,ilparlaitdesuperhérosdebandesdessinées.Ilsétaienttellementjeunes.Aryalfrottasesyeuxfatigués.—Bien,dit-elle.Sij’étaisGalya,j’auraisenvoyéunombre-louprejoindrelepassagepourymonter

lagarde,nousdevonsdoncnousattendreàentrouverunlà-bas.Jenepensepasquelacréatureessaierade vous suivre et de traverser le passage parce que, s’il y en a un là-bas, je pense que son rôle estd’avertir que quelqu’un est passé de l’autre côté. De plus, ces loups ne peuvent peut-être pas trops’éloignerdeGalya.Quelquechoselarelieauxloupsetilestpossiblequeceliensoitmagique.S’ilyaunloup,donc,ilnevousattaquerapasnécessairement.Maisonnepeutpasenêtresûr,vousdevezdoncêtre préparés. Si vous ne savez pas encore comment jeter un simple sort répulsif, Quentin va vousl’apprendrequandilseréveillera.Vousallezdevoirfaireviteparcequejeveuxquevoussoyezpartisd’icilemilieudelamatinée.

LestroisElfessemirentàprotesteretàargumenter.Ilsavaientducran,elledevaitlereconnaître.—Maisvousavezbesoindenous,insistaAralorn.Elleappuyalescoudessursesgenouxetleregardadroitdanslesyeux.—Non, dit-elle. (Elle n’avait jamais mâché ses mots et ce n’était pas aujourd’hui qu’elle allait

commencer simplement pour épargner la fierté de ce jeune homme.) Nous avons besoin des uns desautres.Nous n’avons pas besoin de vous.Vous devezpartir, c’est impératif, pour ne pas devenir desdommages collatéraux. Deux communautés d’Elfes ont suffisamment essuyé de pertes. Votre peuple abesoindevousetvousnepouvezpasl’oublier.

Quelquechoseseproduisitalors,unmouvementdeleursyeux,unchangementdansl’air.Ellen’avaitrienentendu,maiselleregardapourtantpar-dessussonépaule.

Quentinsetenaitderrièreelle,lesbrascroisés,uneépauleappuyéecontrelechambranledelaportedelacellule,etellefutunenouvellefoisfrappéeparlesdifférencesentreluietlesautres.Ilavaitl’airmûr,muscléetfarouche,etsonregardcroisalesien.

Elleneconnaissaitpas lesmotscapablesdedécriresonexpression.Toutcequ’ellesavait,c’étaitquesonregardétait tellementintensequ’unechaleurl’envahitpartout.Il luifitunsignedetête,puisilregardalestroisautres.

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—Quiabesoind’uneleçondemagie?demanda-t-il.Caerrethlevalamain.—Jeconnaislesort,ditAralorn.—Pourêtrefranche,ditLinwe,jenepourraipasl’apprendreassezvite.Jeseraiplusutileenaidant

avecautrechose.—OK,Caerreth,ditQuentin.C’esttoietmoi,vieux.Allonsdansmonbureau.IlguidalejeuneElfedel’autrecôtédelaprison.Aryalluicria:—Déverrouillelaportesurlechemin,tuveuxbien?Justeavantdedisparaître, il levalamainpourindiquerqu’ilavaitentendu.Ellesetournaversles

deuxautres.EllejetaunregarddecôtéàLinwe.—Tuneportaispasunearmuredebatailleenjanvier?Oùest-elle?Linweregardaparterre.—Àlamaison.— Ah, dit Aryal. (Comme Linwe s’empourprait, elle ajouta avec un sourire tordu :) Je porte

normalementunetenuedecombatencuir,maistusaisquoi?Lecuiratendanceàcrisserdanslefroid,alorspourcettemission,j’aidécidédeporterunjean.Quiauraitpudeviner?Est-cequevouspourriezretourneraupassageenportantunearmureelfiquecomplète?

LinweetAralornavaientl’airconcentréetattentif.—Jepeux,ditLinwe.Aralornopina.—Alorsvoilàceque jepense, expliquaAryal.Si lesarmureselfiques résistentà lamagie, elles

serontsansdoutebigrementefficacespourprotégercontrelesmorsuresdecesombres-loups.Ilfautquenousdénichionsunecasernemilitaireetundépôtd’armesoùnouspourronstrouvercinqarmuresetdesarmes.Çadoitforcémentsetrouverpasloindupalais.Jevaisvousdirecequejepensed’autre.Vousvoussouvenezdecerythmedetroisjourspourvousnourrirdonttuasparlé,Linwe?

—Oui.—Elleétaitcenséevousdonneràmangerhier,etellenel’apasfait,n’est-cepas?—Non,eneffet.—JecroisqueGalyaquittel’îletouslestroisjourspourvousapporteràmanger.Nouscapturerle

jouroùellefaisaitjustementlevoyagedepuisl’îleluiapermisdefaired’unepierredeuxcoups.(Aryalsefrottalanuque.)EtjecroisqueQuentinaraison–ellen’apasspécialementdécidédecesserdevousnourrirjusqu’àcequenousnouspointionsetquejelareconnaisse.Bref,lefaitestquesisarechercheseconcentre sur l’île, je pense qu’elle y est toujours. Et à l’exception d’une sentinelle qu’elle aprobablementenvoyéegarderlepassage,jepensequelesombres-loupssontavecelles,sinonilsvousauraientattaquéslanuitpasséelorsqueQuentinettoiêtesalléschercherdelanourriture.(Ellemarquaunepausepourréfléchiràsaproprelogique.)Partiràlarecherched’unecasernen’enrestepasmoinsunrisque,mais un risque calculé, et la balancepencheplutôt denotre côté.Vous êtes prêts à venir avecmoi?

—Ohqueoui,ditAralorn.Pourtouteréponse,Linwebonditsursespieds.Aryal sourit.GalyaAndreyevdevaitvraiment,vraimentvouloirquelquechose si elleétaitprêteà

assumerlaresponsabilitédelamortdesixpersonnespourl’obtenir.Etsielleétaitprêteàtuerautantdegens,cequ’ellevoulaitétaitquelquechosequ’ellen’étaitassurémentpascenséeavoir.

Celafaisaitdubiendeprendredesinitiativespourl’arrêter.Elleselevaàsontour.

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—Enroute.Ellesedirigeaversl’autrecôtédelaprisonoùQuentinapprenaitàCaerrethlesétapespermettantde

jeterunsortrépulsif.Caerrethneseraitpasenmesuredes’entraîneravantd’avoirquittél’enceintedelaprison,maisilsauraitaumoinscommentprocéder.

—Il fautque tu t’entraînes chaque foisque tu faisunepausepourmanger et te reposer, luidisaitQuentin.Silesombres-loupsattaquent,çaarriveratrèsviteettrèssoudainement.Tun’auraspasletempsd’hésiter.

Lejeuneguérisseuravaitl’aird’avoirencorepluspeurquelaveilleausoir.—Imaginequec’estuneblessurequiatouchéuneartère,intervintAryal.Tudoisagiravantqueton

patientsevidecomplètementdesonsang.C’est lamêmechose,saufque tupourraisdevenirceluiquiperdlesang.

Caerrethpâlit.—Jecroisquejevoiscequevousvoulezdire.—Tun’aidespasvraiment,là,beauté.Elleleregardad’unairstupéfait.—Est-ce que c’est quelque chose que j’ai dit ? (Elle l’observa avec un bonheur furtif retenir un

sourire.)Jeprendslesdeuxgaminsetnousallonsfairelesgrandsmagasins,chéri,luidit-elle.Tusais,chercherdesarmes,desarmures,cegenredetrucs.Onferaaussivitequepossible.

—Soisprudenteauvolant,fit-ild’unregardsoudainpénétrant.Elleleregardad’unairinnocent.—Oh,tumeconnais.Jen’arrivejamaisàgarerlemonospacecommeilfaut.Iléclataderire.—Voilàuneimagecauchemardesque.Elleluifitunegrimaceettournalestalons.—Soisrapide.Nem’obligepasàvenirtechercher,luilança-t-il.LinweetAralornl’attendaientdevantlaportedelaprison.Aralornavaitl’airunpeuméfiantaprès

avoirentenduleurbadinage,maisunelueurdegaietéanimaitlesyeuxdeLinwe.

QuandAryallesrejoignit,elleditd’unevoixforte:—Quevoulez-vous.Quandvotrepèreaatteintl’âgemûr,ils’estmisàsefairedelabilepourtoutet

rien.(Puis,moinsfort,elleajouta:)Enroute.Trouverlacaserneétaitavanttoutunexercicedelogique.Ilfallaitdéjàqu’ilsremontentjusqu’aux

cuisineset,pourlapremièrepartiedeleurexcursion,Linweouvritdonclamarche.Ellessetrouvaientaurez-de-chausséeetn’étaientpasàproprementparlercreuséesdanslafalaise.

LescuisinesétaientparailleurssituéessurlecôtédupalaisquifaisaitfaceàlaterreettournaitledosauTempledesDieuxetàlamer,etdenombreusesfenêtreslaissaiententrerl’airfraisetlalumièredujour.

L’aube avait fait son apparition depuis longtemps et la matinée était radieuse avec un ciel sansnuages.Lachaleurcommençaitàs’accumuler.LesElfesallaientdevoireffectuerunecourseéprouvantelorsqu’ilsporteraientleursarmures.Aryalarpentalavastecuisine,regardantparlesfenêtres,étudiantleplacementdesbâtimentsavoisinants.

—Là-bas,dit-elleenindiquantquelquechosedudoigt.Celongbâtimentbas.C’estlacaserne.Ilyauraundépôtd’armesquelquepartdanslepalais,avecdestrucsspéciaux,d’apparatentreautres,queCamthalionetseshéritiersontdûporter,maisjeneveuxpasperdredutempsàlechercher.Jepréfèrequ’onailledénicherlesarmuresdebatailleordinaires.

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—Commentsais-tuquec’estça?demandaLinwealorsqu’Aralornlesrejoignaitdevantlafenêtre.Ellehaussalesépaules.—Jen’enmettraipasmamainaufeu,maislogiquement,c’estça.Lebâtimentestordinaire.Etpuis

regardezaussisaposition.Ilbloquepresquetotalementl’accèsdepuislecontinent,àl’exceptiondecetteroute.C’estunebarrièreefficace.Vousvoudriezdessoldatsdanscebâtimentencasd’attaque.

Linweluisourit.—Jecommenceàavoirlebéguinpourtoi.Aryalluidécochaunsourireamusé.Iln’yavaitencorepassilongtemps,elleauraitsaisilaperche

queLinweluitendaitetseseraitmiseàflirter,maisellen’enavaitplusdutoutenvie.—Tuessupermignonne,toiaussi.Allez,enroute.Elleouvritlamarchecommeilssedirigeaientverslaporteencourant.Lebâtimentsetrouvaitàunesoixantainedemètresetilsyparvinrentenunriendetemps.Quandils

eurent trouvéunaccès, ils entrèrent et constatèrentqu’Aryal avait vu juste.Des rangéesde couchettesremplissaientunlargeespaceouvert.Unarsenaljouxtaituncôtédubâtimentetcontenaitdesarmuresetunevastegammed’armes:grandsarcsetflèches,épéescourtes,épéeslongues,massues,haches,lances,étoiles métalliques, et couteaux. Malgré son désir de faire vite, Aryal dut s’arrêter un moment pourcontemplerletrésoravecunejoyeuseconvoitise.

Dansunplacardspécial,ilstrouvèrentdelapotionelfiquedeguérison.Chaqueflaconbrillaitcommedesétoiles.

Ils firent vite et réunirent tout cedont ils avaient besoin, des armurespour eux tous, unepanoplied’armesetdesréservesdelaprécieusepotiondeguérison.Aryalsutrésisteràlatentationetsecontentad’épées longues pour Quentin et elle, ainsi que de grands arcs et des flèches. Les ombres-loups neseraient pasmaîtrisés et vaincus par des armes concrètes et elle doutait queGalya puisse l’être. Lesvéritablestrouvaillesprécieusesétaientlesarmuresetlapotiondeguérison.

Linwe et Aralorn avaient aussitôt revêtu une armure, ce qui était avisé – cela leur procuraituneprotectionimmédiateetfacilitaitletransportdetoutlereste.Aryalsuivitleurexemple.

Commeellefinissaitdefixerleplastronenplace,Linwelarejoignit.—JesuisvraimentheureusepourtoietQuentin,dit-ellepartélépathie.Quoi?Aryal levala tête.Safouleintérieuredenouvellesémotionscommençadenouveauàs’agiter.Elle

fixaLinweduregard.—Qu’est-cequetuveuxdire?Lesourireamicaldelajeunefemmefaiblit.—ToietQuentin.Vousêtesensemble,n’est-cepas?Jeveuxdire,vousavezpassélanuittousles

deuxetpuislamanièredontvousvousregardez…etiltesuitdesyeuxavecuneexpressionquejen’aijamaisvueavant.Jepensaisjuste…jeveuxdire…çasemblaitévident…

Aryalpassalesdoigtsdanssescheveuxetessayadefaireentrerdanssoncerveaufatiguéunepenséeàpeuprèsrationnelleensemassantlecuirchevelu.

—Ilmesuitdesyeux?Linwefitunemouegênée.—Jemesuistrompée,c’estça?— Je ne sais pas, reconnut-elle. (Et voilà que le gros doigt de BD était de retour, indiquant la

pancarte : «Ticketgagnant».Elle essayade sourire àLinwe,mais elle eut l’impressionde faireunegrimace.)C’estencoretôt.Noustâtonnons.

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«Noussommesparfaits»,avait-ildit.Etlorsqu’ilavaitprononcécesmots,toutàl’intérieurd’elleavaitvibréenprenantconsciencedelajustessedupropos.

—Jenesaispas,répéta-t-elle.Ellesesentitvacillerpendantunmoment.Commesadéterminations’écroulait,ellesesentitperdue,

désorientéemême,etlapeurselevaetl’assaillitdesescrocsnoirstranchantscommedesrasoirs.Rienneluisemblaitfamilier,ni lecadreoùellesetrouvait,ni lepaysagedesesémotions,etsonavenirneparaissait pas lui réserver beaucoupde chances de survie. Se demander si elle était ou non « avec »quelqu’unétaitaberrant.Ellefermalesyeux,assaillieparledésespoir.

— Tiens, offrit gentiment Linwe, repoussant ses doigts sans force, laisse-moi finir de boucler çapourtoi.

Aryal laissa la jeune femme fixer les attaches et regardapar la porte de la casernequ’ils avaientlaisséeouverteenlacalant.Laportefaisaitfaceaupalaisetau-delààlamerétincelante.Aupointleplushautdupromontoire,l’îleétaitplusvisiblequejamais.

Unvoilierfendaitlesflots,laissantunetraînéed’argentdansl’eauderrièreluienserapprochantducontinent.

Aryaltenditbrusquementlamainetagrippal’épauledeLinweavecunetelleforcequelajeuneElfelevadesyeuxécarquillésdesurprise.

—Quicourtleplusvitedevousdeux?demanda-t-elle.Linwe et Aralorn répondirent ensemble. Aralorn était en train de rassembler une armure pour

Caerreth.Illevalatêteendisant:—Elle.—Moi,ditLinwe.Pourquoi?Aryal la tiraenarrièreet la fit tourner, indiquant lebateaududoigt.Linweaspirabruyammentde

l’air,maisavantdepouvoirprononcerunmot,Aryallapoussaverslaporte.—RamèneCaerrethici,maintenant.Fonce.Linwefusacommeuneflècheverslepalais.Aralornlarejoignitàl’entrée.Nevoulantpasprendred’autresrisquesdesefairevoir,elleletiraen

arrière pour qu’ils soient dissimulés dans l’ombre de la porte. Ils regardèrent en direction de lamer.Jusque-là,l’Elfeavaitaffichéuncomportementstable,maiscommeils’essuyaitlabouchedudosdelamain,Aryalconstataqu’iltremblait.

—Qu’est-cequ’onvafaire?demanda-t-il.—Toiet lesdeuxautresallezpartir exactementcommenous l’avonsprévu.Vousallezprendre la

routequipassedevantlacaserne.Peuimporteoùellemène,dumomentqu’ellevouspermetdenepasêtre vus des appontements.Dès que vous serez hors de vue, faites tout ce que vous devez faire pourrejoindrelepassageaussivitequepossible.

S’ilavaitl’airapeuréauparavant,ilavaitmaintenantl’airproprementterrifié.—Bien.Lesminutes s’étirèrenten longueur.Elleobserva levoilier se rapprocher.Elleestimaqu’ildevait

êtreàdixminutesduquai.Allez,Caerreth.C’estalorsqueLinwe,CaerrethetQuentin jaillirentde laportede lacuisineencourantverseux.

EllenotaavecsatisfactionqueLinweavaiteulaprésenced’espritdeprendrel’undessacsdenourriture.Quentinscrutalazonejusqu’àcequesonregardcroiselesien.Aryallevaunemain.Stop.Il tendit lesmainsdepartetd’autreetsaisit lesdeuxElfes, lesforçantàs’arrêter. Ilnequittapas

Aryalduregard.

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Elleregardalevoilier,puislesregardaeux,calculantlesanglesetlalignedemire.S’ilspouvaientvoirlebateau,théoriquement,quelqu’unàbordpouvaitlesvoiraussi.D’aprèsleurtrajectoireactuelle,onpouvaitpeut-êtrelesrepérerdepuislebateaupendantunevingtainedemètres.

Lasorcièreneregardaitprobablementpasdanscettedirection,maisAryalnevoulaitpasprendrederisque.EllefitsigneàQuentin,indiquantdudoigtsagaucheetleurdroite.Ilfallaitqu’ilsdécriventunlargearcdecercledefaçonàmettrelamajeurepartiedupalaisentreeux.

—Réfléchis,murmura-t-elle.Situnepeuxpasvoirlebateau,ellenepeutpastevoir.Ilsemblacomprendre.IlfitunsignedetêtedanssadirectionetindiquaàCaerrethetàLinwed’aller

versladroite.—Viens,ditAryalàAralorn.Nousallonssortirparuneautreissue.Ellel’aidaàrassemblerleursarmesetl’armuredeCaerreth.Puisilstraversèrentlelongbâtimenten

directiondel’arsenal,quiavaitsapropreentrée.Cettefois-ci,l’angleétaitplusfavorableetAralornetellecoururentau-devantdesautres.

—Elledébarqueradansseptouhuitminutes,dit-elle.Elle jeta l’armure deQuentin vers lui, laissa tomber les armes à ses pieds et rejoignitAralorn et

Linwequis’affairaientfrénétiquementàaiderCaerrethàmettresonarmure.Dèsquecefutfait,elleluidonnauneclaquedansledosetrecula.

—Partez,ordonna-t-elle.Serrantleursarmes,lespotionsdeguérisonetlanourriture,lestroisElfesavaientlesyeuxrivéssur

Quentin et elle tout en reculant avec hésitation de plusieurs pas. L’expression de chacun d’entre euxindiquaitqu’ilsluttaientintérieurementavecdeschosesquin’avaientpasétéditesetdesélanscontraires.Aryalindiqualaroutedudoigtavecfureur.

—Partez!Ilsdétalèrentetdisparurentbientôt.Ellejetauncoupd’œilàQuentin.Ilavaitpresquefinid’attachersonarmure.Ellefitvolte-faceetretraversal’arsenaletledortoirpourregarderparlaporte.Quentinlasuivit.Le

voilieravaitpresqueatteintl’undesappontements.Lasorcièrearrivait.Aryalavaitfaitdubontravail.Elleavaitréfléchiaveclogiqueetpenséavanttoutauxautres,maisà

cemomentprécis,mesdamesetmessieurs,touteraisonabandonnalenavire.

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Ses serres sortirent et elle commençaà s’éloignerd’unpasdécidé.Elledevait allerquelquepart,elleavaitquelqu’unàtuer,etellen’étaitjamaisenretardpourunengagement.

Quentinlasaisitparlebrasetlaforçaàseretourner.—Qu’est-cequetufais?—Lâche-moi!(Ellesedégagea.)Jedoislatuer.Plusvifqu’unéclair, il lasaisitdenouveauet laplaquacontre laporteouverte.Elleessayade le

frapper,maisilesquivalecoup.Puisilsejetasurelle,l’immobilisantdesoncorps.—Arrête!Tunepeuxpasfaireça,pasmaintenant.Ellenereconnutpaslesondesaproprevoix.—Ellem’aempêchéedepouvoirvoler.Ellem’aestropiée.Peut-êtrequejevoleraidenouveauun

jour,maisPEUT-ÊTREPAS.Elleessayade le repousser,mais ilavaitassurésapriseenreculantunpiedet il labloquaitavec

force,lescoudesplantéssurlaportedepartetd’autredesonvisage.Lapositionexposaitsesflancs.S’iln’avaitpasportél’armure–s’ilétaitl’ennemi–elleauraitpuluiasseneruncoupauventreetl’éviscéreravantqu’ilaitletempsdedire«ouf».

Saufqu’ilsn’enétaientplusàtenterdesedétruire,ilsétaientbienau-delà,dansunterritoirequ’elleneconnaissaitpas.Elleserralespoingsetlebourradecoups.Celanefitrienpourchangersapositionnil’expressionrésoluequidurcissaitsestraits.

—Écoute-moi,bordel,gronda-t-il.Nousallonsluifairelapeau,Aryal.Jetelepromets.Maisnousne pouvons pas le faire pour le moment. Si elle découvre que nous nous sommes enfuis, elle risqued’envoyer une partie de sameute à la poursuite des autres. Ils pourraient à la rigueur tenir tête à unombre-louppourpouvoirretournersurlaTerre,maisilsnepeuventpasenaffronterplusieursàlafois.Ilfautquenousleurdonnionsleplusdetempspossible.

Ellecessadesedébattreenl’écoutant.Illaregardadanslesyeuxetcequ’ilvitsemblalesatisfaire,carilrelâchaunpeusapression.

—Etpuiscertainesvéritésnesontpasbonnesàentendre,beauté,dit-ilenparlantà toutevitesse.Nous–toietmoi–nesommespasprêtsàl’affronter.Nosblessuresnesontquepartiellementguériesetnous ne sommes pas suffisamment reposés, et puis il n’y a que nous deux. En face, nous avons nonseulementl’unedesutilisatricesdemagielesplusdangereusesaumonde,maiselleasameutedeloupspourl’épauler.Nousallonslacoincer,maisnousdevonsmaîtrisertotalementlamanièredontnousallonslefaireetlemoment,etilfautquenoussoyonsaumieuxdenotreforme.Tum’entends?Pourl’instant,ilfautquenousretournionsdanslaprison.

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Haletante,elleréussitàopiner.Illuidécochaundemi-sourire,reculaetilrefermalaportequandellesefutéloignée.Puis ils traversèrent lacaserneencourant,sortirentpar laportequin’étaitpasvisibledepuis lequai, retournèrent aupalais et redescendirentdans lesgeôles.Une fois à l’intérieur,Quentinréengagealeverrou,puisilss’appuyèrentcontrelemurenseregardant.

— Elle a peut-être changé d’avis, avança Aryal. Elle revient peut-être pour nous apporter de lanourriture.

— J’espère bien, bordel de merde, répliqua Quentin en souriant. Mais j’en doute. Elle est déjàresponsabled’unemort,d’aprèscequ’onsait,ettul’asdémasquée.Nousnesavonspascequ’ellefaitnicequ’ellecherche.Ilestpossiblequ’ellesoitjusterevenuepoursuivreunepiste.

—Peut-êtrequ’elleatrouvécequ’ellecherchaitetqu’ellequitteNumenlaur,dit-elledurement.Ilréfléchit.—Mêmesic’estlecas,jedoutequ’ellepuissevoyageraussivitequecestroisElfesépouvantés.Ils

arriverontavantelleaupassage,detoutefaçon,dumomentquesameutenepartpasàleurpoursuite.(Iltenditlamainverslasienneetlaserra.Sesserresavaientdisparulorsqu’ill’avaitconvaincuedenepasagirsur-le-champetilfrottal’extrémitédel’undesesdoigtsaveclapartiecharnuedesonpouce.)EtsiellequitteNumenlaur,nouslapoursuivrons.Nousallonsluiréglersoncompte,Aryal.Jelejure.

Ellesedétendit,s’imprégnantdesesmotspleinsdeferveur.Ellelecroyaitetcelaaidaitàcalmerladouleurquirugissaitenelle.Elleentrelaçasesdoigtsaveclessiens.

—Merci.Ilappuyalatêtecontrelemuretunsourireseformalentementsurseslèvres,unsourirecapablede

rallumerlefeuquicouvaitenpermanenceentreeux.—Jet’enprie.Tupourrasmepayeravecdusexe.Justecommecela,d’unesecondeàl’autre,illafitbasculerdelarageaurire.—Coucheravectoiestsurmalistedetrucsàfaire.Sonsourires’élargit.Illuiserralesdoigts.—Oui,maisnotremarchénecomptepas.Tumedevrasautrechose.Sachequejefacturedesintérêts

horairespourlesdettesqu’onmedoit.Elle lui sourit à son tour.Oui, il allait toujours être un salaud.C’était réconfortant de savoir que

certaineschosesétaientimmuables.

Ilsobservèrentcequ’ilsepassaitparlafenêtre.Lasorcièren’apportarienàmanger.L’absenced’actionétaitaussiunchoixdélibérédelapartdeGalyaAndreyev.Quentinneressentait

queduméprispourelle.Ilauraitétépréférabledelestuerdirectementplutôtquedelesenfermerdansdescellulesetdeleslaissermourirdefaim.Elleétaitunemeurtrièredelapireengeance.

Àunmoment,ilpritletempsdetraversertoutelaprisonpourobserverchacundescadavresracornisquise trouvaient là.Quellemanièresolitairedemourir.SiCamthalionavaitperdu laraisoncommelerapportaientlesrécits,ilétaitpossiblequecesprisonniersaientétédesêtresdevaleur,desgensbien.Danstouslescas,ilsn’avaientpasméritéuntrépasdecegenre.Personneneleméritait.

Deuxou troisheuress’écoulèrent. Ilsmangèrentchacuncopieusementetserelayèrentpourdormir.Auboutd’unmoment,ilsallaientdevoirprendreladécisiondepartirsiriennesepassait.Aumoins,ilss’eniraientnourris,reposésetremis.IlsavaientréussiàfaireéchapperlesElfesetilsavaientdesarmes,de la potion de guérison et des armures qui résistaient à la magie. L’activité matinale était peut-êtrefrustrante,maispourlemomentelleengrangeaitdesrésultatspositifs.

Puis,justeaprèsmidi,commeilallaitetvenaitdelafenêtreàlaportedelaprison,iljetauncoupd’œildehors–etunvoilierétaitdenouveauenroutepourl’île.

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Lasurprise le fouetta. Il sedirigea rapidementvers« leur»celluleoùAryal était allongée sur leventre, la têteposée sur sesbras croisés.Elle avait découvert la secondebouteilled’alcool, qui étaitposéeprèsdesoncoude.

Enlavoyantainsivêtuedesonélégantearmureelfique,élancée,meurtrière,ilfutému.Lesvéritablesarmures elfiquesne ressemblaientpas à cellesque l’onvoit dans les films,dumoinspas les armuresnormalesqueportaientlessoldats.Toutcequiétaitbrillantattiraitinutilementleregard,carlapersonnedevenait une cible parfaite. L’armure des Elfes était au contraire d’une couleur tout à fait neutre. Sabeautérésidaitdansl’élégancedeseslignes.Personneneleschérissaitdavantagequelesguerriersquileurconfiaientleurvie.

Aryalparaissaittotalementabattue.Ilsentaitquesapoitrinevoulaitdenouveaulebrûler,maisill’enempêcha.Ils’approchad’elleetlapoussadupied.

—Allez,lève-toi,mabelle.Elleretournesurl’île.Elleseretournaavecvivacitéetselevaprestement.—Ah,enfindunouveau.Ilsourit.—Etàl’heurequ’ilest,lesautrescourentdepuisunbonmoment.Ilsserontàmi-chemincesoir.Ellejetauncoupd’œildégoûtéautourd’elle.Ilressentaitlamêmechose.—Tirons-nous.Ilrassemblasonarclong,soncarquoisremplideflèchesetsonépéependantqu’ellefaisaitdemême.

Puisilallacrocheterleverroupourladernièrefois.Ilconnaissaitdésormaisvraimentbienlemécanismeetilouvritlaporteenquelquessecondes.Ilsgravirentl’escalieravecprudence,maisaucundesombres-loupsn’étaitvisible.Pourlapremièrefoisdepuisquelasorcièrel’avaitcapturé,ilinspiraprofondémentetsesentitvraimentlibre.

IlsetournaversAryaletdit:—Sipossible,ilfaudraitqu’onsefaufilejusqu’àellepourlaprendreparsurprise.Ellepenchalatête,l’airconcentré,etl’engageaàpoursuivred’ungesteimpatient:—Continue.Jenemesenstoujourspastroprationnelleouenmesuredepenserpourlemoment.—Est-ceque tonaptitudeà tecacherest suffisammentpuissantepourcamouflerunpetitvoilier?

demanda-t-iltoutenl’étudiant.Elleréfléchitavantderépondre.—Jecrois,oui.Ettoi?TuasétéenmesurededissimulertanaturedeWyr,c’estuneaptitudetrès

Puissante.—Leproblème,c’estquejenesaispasàquelledistancedemonproprecorps jepeuxjetercette

illusion.Nousallonsdevoirprésumerbeaucoupdechoses.Ellen’estpasunehumainenormale,ellenedortpeut-êtrepasbeaucoup,voirepasdu tout,mais ilyadeschancesqu’ellese reposeàunmomentdonnélanuitetc’estlàqu’elleseralemoinsenmesuredecapterunemagievoisine.

Elleétrécitlesyeuxenleregardant:—Tuesdisposéàtraverserdansl’obscuritédeseauxinconnues?Ilhaussalesépaules.—Jesaisnager.Ettoi?—Oui,marmonna-t-elle.Jepariequ’ellesesertdesloupscommesentinelles.—Jem’occupedesloups.Encoreunefois,onnesaitpasassezdechosessurelle,c’estdoncune

supposition, mais à mon avis, la distance d’ici à l’île est trop importante pour que la majorité deshumainspuisselacouvriràlanage.Sielleestoriginairedelastepperusse,ellenefaitprobablementpaspartiedesrareshumainsenmesuredelefaire.

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—Jesuisd’accord.Nousallonsdoncaborder furtivement lanuitetmettresonbateauhorsd’état.(Ellemarquaunepauseetluijetauncoupd’œildecôté.)Etlenôtreégalement?Commenttutesensàl’idéedereveniràlanage?

—Ceneserapasunepartiedeplaisir,maisc’estfaisable.Ettoi?—Pareil.(Ladéterminationrevintsursestraitsanguleux.)Nouspartonsdoncaucoucherdusoleil.— Ça me va. (Il étira son dos raide.) Entre-temps, nous avons des heures devant nous et j’ai

l’intentiondefairelasiestedanslelitd’unseigneurelfique.Viens.Ilsserendirentdanslapartieprincipaledupalaisenpassantparlescuisines,etpendantunmoment

ilsflânèrentensilence,admirantl’oretleslapis-lazuliprécieuxincrustésdansleshautsmursetlessolsdemarbreetobservèrentpar les fenêtres lacitéabandonnéequi s’étendait le longde lacôte.Puis ilsarrivèrentdanslasalledutrône.

Uncadavrebrûléétaitavachisurunfauteuilrichementdécoréposésurundaisroussiparlefeu.Ilyavaitd’autrescorpsquigisaientenundemi-cercle,lagorgetranchée.Desoiseauxcharognardsavaientdéfigurélesvisages,maislescorpsrestaientintacts,laissantentrevoirunebeautésaccagée.

Aprèsunlongmoment,Aryalsedétourna.—Ilssontmorts,dit-ellesimplement,etc’estaffreux,etjen’enpeuxplus.Jesature.Jen’arrivepas

àressentirquoiquecesoitpoureux.Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetl’entraînahorsdelapièce.Ils gravirent un autre large escalier qui s’élevait en tournant et explorèrent des corridors.Quentin

ouvritlesgrandesportesàdoublebattantquisetrouvaientauboutd’uncouloiretentradansunechambredelatailledesonappartementàlatour.Unlitgigantesquedominaitlapièce.Lecouvre-litetlescoussinsétaientbrodésdefilsoretécarlate.

Delargesfenêtresdelahauteurdelapiècedonnaientsurlacité.LapluséloignéedesportesfaisaitfaceauTempledesDieux.L’édificeblancàcolonnesseprofilaitaveclamerbleu-vertentoiledefond.

Quentinétaitcertaindesavoirdequellechambreàcoucherils’agissait.Ildéambuladanslapièce.Une porte ouvrait sur une immense salle de bains dotée de marches carrelées qui menaient à unebaignoiredeplain-pieddécoréed’unemosaïqueauxmotifscomplexes.Elleétaittellementgrandequ’untroll aurait pu s’y baigner. Une autre porte ouvrait sur une penderie remplie de vêtements somptueuxdestinésàunhomme.

Attiréparlavuespectaculaire,ils’approchadelafenêtrelapluséloignée.Letempleétaitsimpleetouvertàtouslesvents.Faceaupalais,desmarchesmontaientjusqu’ausanctuaireausoldemarbre.Lesgigantesques statuesdesdieux, séparéespardescolonnes, soutenaient le linteaudu toit.Sur lecôté lepluséloignédutemple,undieuuniquefaisaitfaceàlamer.

Même si Quentin ne pouvait voir que le dos de cette statue, il était sûr qu’il s’agissait du dieuTaliesin,dieudetouslesautresdieux,celuiquiavaitcréél’univers.

Lachambreétaitdelamêmehauteurquelesénormesprofilsdesdeuxstatueslesplusproches,uneeffigiemasculine et une effigie féminine, dont les visages nobles et sévères contemplaient l’infini. Lastatue masculine était tournée vers la cité et tenait un livre sous son bras. Cela ne pouvait êtrequ’Hypérion, le dieu de laLoi.La statue féminine n’était pas aussi facile à identifier,mais il pensaitqu’ellepouvaitêtreCamael,déesseduFoyer,del’ÂgeetdelaSagesse.

Aryallerejoignitàlafenêtre.—Camthalions’estplacéaumêmeniveauque lesdieux.Tu imaginescontemplercette scène jour

aprèsjour,pendantdesmillénaires,toutenpossédantlaMachinedeTaliesin?Aprèstoutcetemps,jemedemandes’ilrestaitquelquechosedel’hommeinitial.

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Illuijetauncoupd’œil.Siextraordinairequesoitletemple,elleneleregardaitpas.Elleavaitlevisage tenduvers l’immensitépureducieletsonexpression indiquaitun teldésirempreintdechagrinqu’ellefitcraquerquelquechoseaufonddelui.

Ilsétaientparfaits.Parfaits,cequiétaitdudéliretotal.Aprèsl’avoirhaïeavecunetellevéhémence,éprouveruntelretournementémotionnelétaitassezviolentpourluifairel’effetducoupdulapin.Rienque cela aurait été plus que suffisant à gérer pendant, disons, cinq ou six ans,mais en plus, il savaitégalementcequ’ilsepassaitdanssatêteirascibleetpassionnée.

Elleétaitsurlepointdepartirenguerresansavoirsuffisammentderaisonsdevivre.BonDieu, ilnevoulaitpasdireleschosesqu’ilétaitsurlepointdeluidire.Ilvoulait laboucler,

prendreunbainetdormir.Lesconversationsintimes,àcœurouvert,luidonnaientdel’urticaire.Ilétaitprêtàfairequasimentn’importequoipourleséviter.Entendrelesmots«ilfautquenousparlionsdenosémotions » était lemoyen le plus sûr de lui faire prendre ses jambes à son cou, et il n’avait jamaisregardéenarrièreauparavant,jamaisjusqu’àmaintenant,aveccettefemme.

Ilpouvaitsortirdecettepièceettrouveruneautrechambre,saufquecelasignifieraitqu’illalaissaitseuleaveccetteexpressionpoignantesurlevisage.Etilpréféraitmourirplutôtquedefairecela,cequivoulaitdirequ’ilvenaitd’atterrirenpleinmilieudelazone«grossouci»,iln’yavaitpaslemoindredoutelà-dessus.

L’idéequ’ilétaitsurlepointdeprendrel’initiatived’unmoment«ilfautquenousparlionsdenosémotions»étaitrisible.Maissonfouetinterneétaitderetouretleforçaitàallerdel’avant.Ilrefermalesportesàdoublebattantenpoussantunsoupir,lesverrouilla,puisallas’asseoirauborddulitd’apparat.Ilentrepritderetirersonarmure.

—Jecroisquejesuissurlepointdem’uniràtoi,dit-ild’untonimpassibledanslesilenceinondéde soleil. (Il se pencha pour détacher les jambières.) Crois-moi, j’ai parfaitement conscience desimplicationsdecequejetedis.Tupeuxriresitulesouhaites.

Il perçut le moment où elle se détourna de la fenêtre, mais il ne leva pas les yeux. Il retiraitmaintenantlasecondejambière.

Dumêmetonneutreetimpassible,ilreprit:—Tunecorrespondsenrienàcequejecroyaisdésirerchezunefemme.Etpourtant,tupourraisbien

êtretoutcedontj’aibesoin.C’estencoretroptôtpourêtrecertain.Nousn’avonspasséqu’unesemaineensemble.Unesemaine.Bon,unesemainesuperstressanteoùnousavonsététoutletempsensemble,etjesais que ce genre de truc peut arriver vite, beauté,mais nous n’avonsmême pas encore vraiment faitl’amour.Toutcequenousavons fait,c’estnousamuserunpeu. Jesuis sûrque tupeuxcomprendre laprofondeurdemaperplexitéàmeretrouverdanscettesituation.

—Est-cequetuvasencoretedébrouillerpourquecettejournéetourneautourdetoi?Ilpenchalatêteverselle.Elleétaitàcontre-jouretilnepouvaitpasliresonexpression.—Bienentendu,répondit-il.Il reprit sa tâche. Les armures elfiques étaient merveilleusement légères tout en étant efficaces.

Toutefois, en porter une par-dessus un jean un jour torride comme aujourd’hui était une expérienceaffreusementpénible et la retirer,unvrai soulagement.Aprèsavoirprisunbain, il allait faireun raiddanslapenderiepourytrouverquelquechosedepluslégeràporterdessous.

Elles’approchaets’assitàcôtédeluisurlelit.Ilcrutl’entendremarmonner:—C’estdonccequelafouledansmatêtemecrie.Ilétaitentrainderetirer leplastronetdelepasserpar-dessussatête, ilnedevaitdoncpasavoir

bienentendu.—Pardon?

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—Rien.(Aprèsavoirsembléhésiterunmoment,ellecommençaàretirersaproprearmure.)Sic’esttroptôt,demanda-t-elleàvoixbasseenbaissantlatête,pourquoiaborderlesujetmaintenant?

Ilétaitenfindébarrassédel’armureetneportaitplusquesonjeancrasseuxetsesbottes.Ilsetournapours’agenouillerdevantelleetsemitàdéfairelesattachesdesesjambières.

—Tusaiscommentçasepasse.«Chérie,jeparsàlaguerreetj’aiquelquechoseàtedire.»Ilappuyalescoudessursesgenouxetlevalesyeuxverselle.Ellearrêtacequ’elle faisait et le regardad’unairvaguement inquiet,vulnérable. Il faillit sourire.

Elle gérait sa propre vulnérabilité comme on manipule de la dynamite, avec les yeux légèrementécarquillésdequelqu’unquis’attendàcequequelquechoseluiexploseauvisage.

— Je voudrais être sûr que tu as les idées claires lorsque nous nous rendrons sur l’île ce soir,expliqua-t-ildoucement.Jesaisque tu tedébatsavecunepeur terrible.Tu t’en tiresbien,mais je l’aiobservéetesubmergerdeuxoutroisfois,etçam’inquiète.

—Jeneferairienquirisquedetecoûterlavie,répliqua-t-ellesèchement.Ellearrachapresquelesattachesdesonpropreplastronetleretira.—Cen’estpaslaquestion.(Illuipritlevisageentresesmainsetinsistapourqu’elleleregarde.)Je

neveuxpasquetufassesquoiquecesoitquipourraittecoûterlavie.Tusaisaussibienquemoiqu’unguerrierenproieaudésespoirestundangerpourlui-même.Jeneveuxpasquetutelancesdansquelquechosecesoirsansavoirenvisagétout–jedisbientout–cequ’ilfallaitenvisager,etoui,jesuisinclusdansl’équation.

Elleperditsacontenanceetl’angoissesurgit.Elleagrippasespoignets.—J’aitellementpeur.— Je sais, dit-il. Je ne peux pas imaginer devoir faire face au type d’incertitude auquel tu es

confrontée.C’estpourquoijevaistedemanderdesortirdessentiersbattus.Elleleregardad’unairtellementsurprisqu’ilneputs’empêcherderire.Ilselevapourl’embrasser.

Ellepassalesbrasautourdesoncoupourleserreravecunetelleférocitéqu’illapritdanssesbrasàsontour.Ilsrestèrentsoudésl’unàl’autre.

—Certainsdiraientquejesorsdéjàdessentiersbattusdemanièregénérale.—Jeneparlepasden’importequelssentiersbattus,jeveuxquetusortesdetessentiersbattus.Ellesereculapourpouvoirleregarder.—Jenecomprendspas.—Ilfautquetutesouviennesdetouteslesraisonsquetuasdevivreparcequesiquelqu’uns’engage

dansuncombatàmortsansavoircesraisonsfermementancréesdanssonesprit,souventlapersonnen’ensortpasvivante.Tun’espascondamnéeàvolerouàmourir.(Illevaundoigt.)Voilàlapremièrechoseàgarderentête.Tuespeut-êtreguérie.

Levisaged’Aryals’assombrit.—Jenevoispascomment.Je–l’osaétébroyé,Quentin.Jel’aisenti.Illuidonnaunechiquenaudesurlenez,sansfairepreuvededouceur,sibienqu’ellerejetalatêteen

arrièreetclignalesyeux.—Tun’espasuneguérisseuse.Tunepeuxpastediagnostiquertoi-mêmeettunesaispascequipeut

sepasser.Dis-le.—Vatefairefoutre,répliqua-t-elle.Maisletonn’étaitpasagressifetilvoyaitqu’ellel’écoutaitaumoins.— Deuxièmement. (Il leva deux doigts devant son visage.) Tu ne récupéreras peut-être pas

complètement,maistupourraisrécupérerenpartie.Bon,ça,c’estprobable.Celasignifierapeut-êtrequetueffectuerasdesvolsmoins longsque tun’enas l’habitudeouque tu sauterasenparachuteetque tu

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apprendrasàplaner.Peut-êtrequ’ilnousfaudraconstruireunappareilorthopédiquepourl’aileatteinte.Maintenant,neteméprendspassurcequejedis,jesaisqueceseraitterribleetqueçaferaitvraimentchieretquetuauraistouteslesraisonsdumonded’êtrefurieuse.Maistuseraisdanslesairs.

—Sauterenparachute?Ilvoyaitquelapenséenel’avaitjamaiseffleurée.Riendesurprenantàcela.Ellen’avaitjamaiseu

aucuneraisondel’envisagerauparavant.Ilhaussauneépaule.—Avecuneespècedeparapente.Tupeuxplanersurdescourantsaériens.Ilfaudraquetuatterrisses

àunmoment,maiscelaatoujoursétélecas.Jesaisquecen’estpaslamêmechoseetquecen’estpasaussi grisant. Mais ce qui compte, c’est qu’il existe des moyens qui nous permettront de rendresupportablecequit’aétéfait.Ilfautsimplementquetulecroies.

Elleagrippasespoignetsavecunetelleforcequ’ilsentitsesdoigtss’engourdir.—Jepeuxplanersurdescourantsaériens.—Tupeuxautantquetuenasbesoin,dit-ilgentiment.(Dieumerci,ellel’écoutait.)Tupeuxfairede

lachute libreetdes sautspérilleuxdans lesairs.Toutceque tuveux. J’irai avec toi. J’aime faireduparachute.

—Vraiment?Ilopina.— Troisièmement. Tu dois penser à ton travail. Tu aimes tellement être une sentinelle que tu as

endurédefairecettemissionavecmoiaulieud’envoyerpaîtreDragos.—C’estvrai,dit-elled’unevoixàpeineaudible.Maissijenepeuxpasvraimentvoler–sijepeux

seulementplanersurdescourantsascendantsetsauterenparachute,jeneseraipluslamêmedansmontravail.

—Ilfaudraqueturepensestonapprocheduboulotetquetudéterminesquelssonttespointsforts,maisc’estfaisable,çaaussi.Jesuislapremièresentinelleànepasavoirl’aptitudedevoler,maisjesuisunesentinelle.J’aigagnémonposteetjelemérite.Lamêmechoses’appliqueàtoi.Cenesontpastesailesquiontfaitdetoiunesentinelle.C’esttoi.(Ilmarquaunepausepourêtresûrqu’elleprenaittoutelamesuredesesparoles.)Quatrièmement.Ilyadesgensquit’aiment.NinianeetGrym.Bordel,peut-êtrequeGryma raisonetqueDragos t’aime, lui aussi.Graydonest enpétardaprès toi,mais tu saisqu’ilt’aime.(Ilinspiraprofondément.Lemomentétaitvenudesejeteràl’eau.)Moi.

Lesirisd’Aryalsedilatèrentaupointdedevenirpresquenoirs.—Toi?—Oui,n’ypensepastrop.Voilà,ilavaitfinimaintenant.Ilessayadesereculerafindepouvoirsemettredeboutets’éloigner.Ellesejetasurluietl’attrapaparlesépaules.—Ohquenon !Tunepeuxpas balancer unebombe lacrymogènede ce style dans la chambre et

partiraumomentoùelleexplose.—Jenevoispaspourquoi,marmonna-t-il.Il essayade lui tourner ledos,mais sonvisage resplendissait de tantd’émotionqu’il resta surun

genouafindepouvoirsimplementlacontempleretabsorbercequ’ilvoyait.—S’ilyavaitbienquelqu’unpourdirequejenepouvaispasêtreaimée,j’auraispenséquec’était

toi,murmura-t-elle.Iln’eutsoudainplusdutoutenviedefuir,unriresilencieuxtransformantsestraits.— C’est ce que je pensais aussi. Puis j’ai découvert que même si tu restais la créature la plus

enrageantequej’aiejamaisrencontrée,tuesaussiquelqu’unquel’onaenvied’aimer.Ellepenchalatêteenglissantunemainsursanuque.

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—Etmêmesituesabsolumentledangereuxsalaudquej’aitoujoursvuentoi,dit-elledoucement,tuesquelqu’undevraimentdignedeconfiance.

Cesmots lestupéfièrent. Ilsétaientd’autantplus fortsqu’il savaitcombienellesesouciaitpeuderetournerdespolitesses,deprononcerdesplatitudesoudesjoliesformulesvidesdesens.

—Jesuiscontentquetulepenses,dit-ilfaiblement.Ses longs doigts semirent à luimasser la nuque. Elle se redressa comme si elle rassemblait ses

forces.—Àproposdel’histoiredel’union.Ilhaussavivementlessourcils.—Oh,c’estencoreunsujetd’actualité,ça?Ellefutsurlepointd’éclaterderire,maisgardasonsérieux.Aussibrusqueetdirectequ’ellel’était

toujours,elledit:—Jen’aipasencoretrouvélesmotspourdécrirecequisepasseàl’intérieurdemoi,maisilest

possiblequejesoissurlepointdem’uniràtoi,moiaussi.Jen’aijamaisfaitl’expériencedecetypede– d’engagement absolu, auparavant. Tu n’as pas besoin de trucs que je n’ai pas envie de donner. Tum’affrontes et tu ne capitules pas. Tu peux te battre avec moi sur le terrain de bataille sur un pland’égalité.Tuessuffisammentfortpourtenirtêteettuescapabledecompromis.

Quandelles’arrêta,semblantcherchersesmots,ilsoutintsonregardtandisqu’uncoindesabouchesesoulevait.

—Etjet’excitegrave.Elleéclataderire.—Çaaussi.Letruc,c’estquenousavonslechoixpourlemoment.Nousnesommespasalléstrop

loinetnouspouvonsfairemarchearrièresituveux.Maisavantquetuprennesdesdécisions,jeveuxtedirequelquechose.Ilyatrèslongtemps,j’aifaitunepromesseàtoutcompagnonsusceptibled’entreroudenepasentrerunjourdansmavie.

Ilnes’étaitcertainementpasattenduàcequelaconversationprennecettetournureaumomentdeselancer.

—Qu’est-cequetuaspromis?murmura-t-il.Elleluieffleuralamâchoire.—Jenetrahiraijamaismoncompagnonetjenemettraijamaissavieendangerparmonimprudence

oumonimpétuosité.Jemebattraipouretaveclui,etjeseraitoujoursprésentechaquefoisqu’ilpourraitavoir besoin demoi. Je ne le quitterai pas et je ne lui mentirai pas, et s’il accepte d’être patient etindulgent,j’apprendraiàpardonner,moiaussi,parcequ’ilseralachoselaplusimportantepourmoiaumonde, toujours.Je luidonnerai toutceque j’aiet toutceque jepeuxêtres’ilpeutseulementfaire lamêmechosepourmoi.

Elleformulacevœusoigneusement.Cesmotsluiétaientdestinés.Cespromesses,ellelesluifaisait.—Pourquoimedis-tuçamaintenant?demanda-t-ilàvoixbasse.—Parceque, comme tu l’asdit, tuentresenguerre, toi aussi, et tu asbesoinde savoirqui est ta

partenaire de combat, dit-elle sans préambule.Tu dois être enmesure de savoir que tu peuxme faireconfiance.J’aientenduceque tuasdit.J’aientendu toutceque tuasdit,etmêmesi jecontinueàmedébattreavectouscesmots,jeveuxquetusachesquetoutvabienaller,d’unemanièreoud’uneautre.(Sesyeuxseremplirentdelarmesetelledutfaireuneffortpoursereprendre.)Jenesaispeut-êtrepasencorecomment jevais survivreà tout cela,mais je saisque jevais survivreparceque jenemettraijamaisendangerquelqu’unquipuisseêtreuncompagnonpossibleenfichantenl’airmaproprevie.

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Cettepartiesauvageetdangereusequ’ilportaitenlui.Ilsavaitdésormaisoùellecouraitetversqui.Lapanthèresebaissaetappuyalatêtesurlesgenouxdelaharpie.Ilétaitunmâledominanttropfieretinconstant,etildéposaitletoutàsespieds.

Iln’avait jamais imaginétrouverquelqu’undesuffisammentfortpouraccepter toutcequ’ilétaitetdisposéà l’assumer totalement. Iln’aurait jamaispusavoirque l’endroitoù il trouverait lapaixseraitdanslecœurdelacréaturelaplussauvageetlaplusdangereusedetoutes.

Commelapanthèretrouvaitsapaix,laharpiecaressasescheveuxetdécouvritlatendresse.Puistoutcequiétait torduentreeuxdevint limpide : ils avaientatteint lecœurdu labyrinthequ’ils exploraientensemble.

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19

Aryalrestafigée.EllenesutpasquoifairequandQuentinposasa têtesursesgenoux.C’étaituneexpérience tellement extraordinaire, tellement surprenante et belle. Le poids de sa poitrine contre sesjambesluidonnaitunsentimentdeplénitude.Levoiràgenouxn’étaitpasdutoutcequ’elleavaitimaginédanslafureurdesacolèreetdesondésir,etpourtantc’étaitparfait.

Ilsétaientparfaits.Ellepassa lesmains le longde ses largesépaulesnuesetde sondosbronzéaussi loinqu’elle le

pouvait.Cecontact fit frémirsesmusclespuissantssoussapeau,mystèresousuneenveloppedesoie.Elles’abandonnaauplaisirdecaressersoncorpssiharmonieux.Ellegrattadoucementsabarbecourteetvitunfrissonletraverser.

—Discuteravectoin’estpasunecorvée,dit-elleavecsurprise.Illevalatêtepourlaregarder,ungrandsourirefendantsonvisage.—Incroyable,n’est-cepas?(Lasaisissantparlepoignet,ilselevaetlatirapourqu’elleselèveà

sontour.)Viens,ilyaunebaignoiredelatailled’unepetitepiscinedansl’autrepièceetl’idéedemelaverestdevenueuneobsession.

Elle baissa les yeux sur sa tenue. Elle s’était rincé le visage et lesmains avec un peu d’eau desoutres,maisellel’avaitfaitavecparcimonieetavaitessentiellementétalélasaleté.Quantàsonjeanetcequirestaitd’undébardeurquiavaitétéblanc,ilsétaientcouvertsdesangetdecrasse.

Avecsoulagementetsansaucunecérémonie,ellesedéshabilla.—Ilvafalloirbrûlercesfringues,maparole.Il se tendit. Son immobilité soudaine attira l’attention d’Aryal qui lui jeta un coup d’œil. Il

contemplait son corps nu, partant des petits seins fermes, suivant le torse étroit et les hanchesmincesavantdes’attardersurleslonguesjambesfuselées.Latouffedepoilssoyeuxentresescuissesétaittrèsnoire contre sa peau pâle.Les cicatrices rougies de l’attaque récente des loups lamarquaient encore,maiselless’estompaientrapidement.

Ses bras et ses épaules, tout en étant proportionnés à son corps, étaient musclés. Elle avaitnaturellementbeaucoupdepuissancedanslapartiesupérieuredesoncorpsetelle l’amplifiaitpardesentraînementsréguliersavectoutessortesd’armes,développantconstammentforceetendurance.L’undesaspectslesplusdangereuxdescombatsàl’épée,detoutcombatenfait,étaitleurbrutalité.

Si ellenepensaitpas êtrebelle, ellen’avait absolument aucuncomplexeet elle aimait soncorps.Ellen’avaitjamaissouhaiténepasavoirl’undesesattributsphysiquesetavait toujoursétépersuadéeque tous ses défauts étaient ceux que l’on ne voyait pas. C’était la raison pour laquelle affronter unmomentdeflottementcommecelui-ciétaitpourelleunchoc.Elleavaitl’impressiond’avoirpercutéunmurinvisible.

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Oui, l’attirance galopante qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre était hors norme,mais à cet instantprécis,ellen’arrivaitpasàliresonexpression.

Etellevoulaitluiplaire.—Jenet’avaisjamaisvuejusqu’àmaintenant,dit-ild’unevoixdontletimbreétaitrauque.Elleseregardaenfronçantlessourcilseteffleural’undesesseins,puisditd’untonironique:—Situaimeslesgrosnichons,t’aspasdebol.Latensionsexuellebouillonnaitdansl’airchauddel’après-midi.Ellelasentaitjaillirdelui.— Tu es sublime. Tes seins sont des bouchées parfaites et tes jambes pourraient figurer sur un

podium.J’ail’impressionquejeviensderecevoirunsecondcoupdepoing.Ils’approchad’elle,soncorpsmusclétenduetfluide.Sapoitrineétaitlargeetsapeau,plusfoncée

que la sienne. Le bronzage lui donnait un ton brun épicé. Il avait déboutonné son jean et l’ouverturerévélait les plaquettes de chocolat de son abdomen.Le blond cendré de ses cheveux évoquait de l’orétincelantetlebleudesesyeuxluisemblaituntelrefugequelesyeuxd’Aryalsemouillèrentdemanièreaussiinopportunequ’inattendue.

Pourneutraliser l’émotion,elle fitappelà l’espièglerieetpinçasonpropre téton, le faisant roulerentresesdoigtsdemanièreaguichante.

Iltenditlamainetfrappalasiennepourqu’ellecesse.—Arrête.C’estmontéton.Ungrandsourirefenditsestraits.—C’estunedeschoseslesplusridiculesquetuaiesjamaissorties.Ellesemitàtitillersesdeuxtétonsenluifaisantunclind’œil.Illasaisitparlespoignetsetlesbloquaderrièresondos.—Qu’est-cequetuveuxquejedise.Jesuishonteusementpossessif.—Et autoritaire. Et dominant. (Et joueur et sexy, et tellement roué qu’elle le voulait de tout son

corps.Elleressentaitunepulsationaucreuxdesonintimitéetsonmielsourdaitaupointquelehautdesescuissesétaithumide.)Jen’arrivepasàcroirequejenet’aipasencoreprisenmoi,murmura-t-elle.

—Oh,maistum’aseuentoi,gronda-t-il.Tum’aseudanstaboucheetjenel’oublieraijamais.Cemomentvahantermesrêvesérotiquespendantdesdécennies.

Illuitenaitlespoignetsderrièreledos,cequicambraitsontorsecontrelui.C’étaitlapremièrefoisqu’ilsétaientpeaucontrepeauàcepointetlasensationétaitenivrante.LecorpsdeQuentinétaitchaudetmoiteetsaForcegrésillaitenl’enveloppant.

Etilétaitpluscanaillequejamais.—J’aiadorét’avoirdevantmoiécartelésurcettetablecommeunfestin,dit-ellecontreseslèvres.

Tupeuxt’attendreàuneséancedumêmegenrequandj’auraimanuit.Attends-toiàcequejeprenneuntemps infini avec toi. Tu ne jouiras pas nécessairement quand tu le voudras. Tu jouiras quand je levoudrai.

—Promis?feula-t-il.—Promis.Ellefittraînerchaquesyllabeafindeprolongerleglissementdeseslèvressurlessiennes.—Tun’espasassezmouillée,murmura-t-il.Illuifallutunmomentpourquesoncerveauembrumédedésircomprennecequ’ildisait.—Jemouillepourtantpasmal,réussit-elleàarticuler.Illevalatêteetl’associationgrisantedepassionetderireanimantsestraitsréapparut.—Tunepeuxpassavoircommejesuisheureuxdetel’entendredire,beauté,ronronna-t-il.(Illâcha

l’un de ses poignets pour tracer la longue ligne courbe de sa colonne vertébrale.) Mais je faisais

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référenceàlabaignoiredelatailled’unepiscinequinousattendàcôté.Jetefrotterailedossitufrotteslemien.

L’idée de glisser dans l’eau contre son corps nu et dur intensifia la faim qui la tenaillait en latourmentantdeplusenplus.

—Tuproposestoujourslesmeilleursmarchés.Illalâchaavecuneréticencemanifesteetelleleprécédadanslaluxueusesalledebains.Dessavons

et des flacons de sels et de lotions bordaient la baignoire et des piles de linge destiné à se sécherremplissaientunplacardenchênejolimentsculptédisposécontreunmur.Unparaventdécorédissimulaitdestoilettesdansuncoinetunmiroirenpiedenargentpoliétaitdisposédansunautrecoin.Uncomptoirdemarbrecreuséd’unevasquepourlesablutionsetunautremiroirenargent,pluspetit,étaitaccrochéàunautremur,ainsiqu’unlongbancauboutduquelsetrouvaientdesfiolesd’huilesetdeparfums,etquidevaitsansdouteêtreutilisépourdesmassages.Leseigneurelfiqueappréciaitleluxe.

Elles’agenouillapourexaminer les leviersde l’énormebaignoireetdécouvritqu’ellepouvaitêtreremplie d’eau salée ou d’eau douce. Elle opta pour de l’eau douce et ouvrit la valve en grand pourqu’elle s’écoule vite. L’eau devait probablement chauffer au soleil dans un réservoir, car elle était àbonnetempérature.Idéalpourbiendélasser.

Ellecaptaunmouvementsurlecôté.ElletournalatêtepourvoirunQuentinnuentrerdanslapièce.Son splendidepénis se dressait àmoitié, dessinant un arc épais au-dessusde ses testicules gonflés ettendus.

Sagrâcepureetfélineassociéeàseslargesépaulesetsapoitrinemuscléeconstituaientunmélanged’enfer.

Ellenesesouvenaitquetropbiendesoncorpsnu,etpourtantelleenfutsouffléeunenouvellefois.Illui lança un regard brûlant comme elle s’agenouillait au bord de la baignoire. Puis il descendit lesmarches.L’eauavaitcoulé tellementvitequ’elle luiarrivaitdéjàà la taille.Enpassantprèsd’elle, illevabrusquementlamain,lasaisitparlebrasetlaprécipitadansl’eau.

Ellesemitàrireenmêmetempsqu’elletombait,seprojetantenavantdesortequec’estdel’épaulequ’elle frappa l’eau en premier. Elle aperçut le visage ciselé de Quentin et le sourire radieux qu’ilarborait, puis elle se retrouva submergée. Après la chaleur et la saleté accumulée, la sensation futmerveilleuseetellenesortitpas la têtede l’eau toutdesuite.Elleétiraaucontraire toutsoncorpsettournalangoureusementsurelle-même,savourantlesentimentd’apesanteur.

Desmains fermes la saisirent par les épaules et la soulevèrent.L’eau dégoulina sur son visage etelleclignapour lachasserdesesyeux,c’estalorsqu’elledécouvritqueQuentin la regardaitd’unairintense,enflamméparledésir.Sonexpressionétaittellementbrute,tellementnue,qu’ellelefixaetquesoncœursemitàbattrelentementetlourdement.Illarendaiteuphoriqueetlaterrifiait.

Elleenvisageauncourtinstantdes’éloignerdeluietdes’enaller.Commeellel’avaitdit,ilsavaientdésormaislechoixquantàcequiallaitleurarriver.C’étaitàeuxdedéciders’ilsallaientdel’avantounon afin de voir ce que leur union en tant que possibles compagnons de vie était susceptible de leurapporter.

Maisellen’avaitjamaisreculédevantquoiquecesoitparpeur,etQuentinl’attiraitcommelechantd’unesirène.Ilavaituneextraordinaireaptitudeàlaviolenceetàlatendresse,etunesensualitésifortequ’ellelatranchaitaucœurdesonêtre.

Cela ne pouvait pas être équilibré de sa part de lui confier qu’elle vivrait pour lui,même si, aumomentprésent,ellenevoyaitpascomment.Ellenotalapenséecommeelleluipassaitparlatêteetelleréagitparunhaussementd’épaulesmental.L’équilibren’étaitpascequilacaractérisait.Danslavie,elles’investissaittotalementdanstout,etcettehistoireavecQuentinnefaisaitpasexception.

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Elleselevaetpassalesbrasautourdesoncouetillaserrafortcontrelui.Etcollésl’unàl’autre,ilss’accordaientparfaitement,peaucontrepeau,âmecontreâme.

Puisilrelâchasaprisepoursaisirunpotsurleborddelabaignoire.Versantunliquideparfumédanssapaume,ilsefrottalesmainsetentrepritdeluilaverlescheveux.Quandsesdoigtsfrottèrentsoncuirchevelu, la sensation se propagea partout dans son corps. Encore fatiguée, stressée et partiellementguérie,elleeutl’impressionqu’ill’avaitlibérée.Lesmusclesdesescuissessemirentàtrembleretelledutfaireuneffortpourquesesgenouxnesedérobentpassouselle.

—Jenepensepasquejevaispouvoirsupporterçabeaucouppluslongtemps,dit-elled’untonmalassuré.

Quelquepartaufondd’elle,quelquechosedefierluijetaunregardnoir.Ellen’yprêtapasattention,sefocalisanttotalementsurlasensationexquisedesesgrandesmainsglissantsursapeau.

—Cen’estpasvrai,murmura-t-il.Tupeuxsupportertoutcequejepeuxtedonner.Tueslafemmelaplusfortequej’aiejamaisrencontréeettupeuxsupportercelaaussi.

Ill’encouragead’ungesteàavancerjusqu’àcequ’elleposelatêtesursonépaule.Puisillalava,sesmainscalleusespassantdoucementsursondosetsesépaulesdouloureuses,àl’endroitprécisoù,soussaformedeharpie,sesailess’attachaientàsoncorps.Elleperdittoutsensdelapesanteuretflottacontrelui,sachantqu’illasoutiendrait.Etillefit.

—Çavaaller,chuchota-t-elle.Elleyveillerait,d’unemanièreoud’uneautre.—J’aiconfianceentoi,moiaussi.(Ill’embrassasurlatempe.)Situmedisqueçavaaller,alorsça

vaaller.Il n’était pas plus équilibré qu’elle ne l’était parce qu’aucunWyr sain d’esprit ne s’unirait avec

quelqu’unquicouraitledangerd’avoiruncomportementsuicidaireoudesefairetuer.Etpourtant,ilétaitlà,sanslamoindrehésitation.

—Tuesfou,fitelleenlevantlatêteetenprenantsonvisageentresesmains.Ilsecoualégèrementlatête.—Non,luidit-ilavecuneprofondeconvictionetunregardferme.Jesuisentraindedevenirsain

d’esprit.Oupeut-êtrequejemeréalisepleinemententantqu’individu,aprèstoutcetemps.—Baisse-toi,demanda-t-elle,impatientedeletoucheràsontour.Ilfitcequ’illuidemandaitenmettantlatêtesousl’eau,puisenseredressant.Sescheveuxmouillés

plaquéscontresoncuirchevelusoulignèrentsestraitssaillants.Elleversaunpeudusavonparfumésursesmains et semit à le laver.Chaque lignede son corps lui donnait l’impressiond’une révélation etl’intensitédesaréactionàluiétaitaveuglante.

Ilfrissonnadetoutsoncorpsetaspiraunegouléed’aircommes’ilcouraitvite,couraitàenperdrehaleine,detoutessesforces,afind’atteindreunedestinationessentielle.Delamoussedesavonglissasursoncouetsapoitrineetellelasuivitdesdoigts,s’attardantsurlereliefdesesmuscles.Ilyavaitunpeud’huiledansleliquide,rendantsapeauencoreplussoyeuse.Elleavaitl’impressiondetracersurluiunmessageinvisible.

«Coursjusqu’ici.Trouve-moi.Aime-moi.»«Reste.»Ilréponditcommes’ilavaitluchaquemot,lapoussantenavantetarrivantsurelleavecunevague.

L’eauserefermaau-dessusdeleurstêtesetillaserracontreluitandisqueseslèvresdurciestrouvaientlessiennes.Ilstournoyèrent,flottantensembleens’embrassant,seperçantdeleurslanguesavecvoracitéparce que s’ils allaient se battre à corps perdu pour demain, demain n’existerait peut-être pas, et lemomentprésentétaittoutcequ’ilsavaient.

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Etc’étaitcommevoler.C’étaitcommerentrerchezsoi.C’était comme tout ce qu’elle s’était peut-être avoué vouloir, les nuits solitaires quand personne

d’autrenepouvaitentendre.Ellemurmuraquelquechoseetl’eauavalasesmotstandisqu’elleenveloppaitsesjambesautourde

satailleetsecramponnaitàluidetoutessesforces.L’agrippantaveclamêmeardeur,ilcherchalefonddelabaignoiredesespiedsetseleva.

L’eaucoulad’euxàlamanièred’unecascadequandilgravitlesmarchesenlaportant.Quandelledétachasesjambesets’apprêtaàsemettredebout,illafitremonterbrutalement.

—Nepensemêmepasàmelâcher,marmonna-t-il.L’eaun’étantpluslàpours’immiscerentreeux,ilavaitl’impressiondeseconsumer,etlalongueur

gonfléedesonsexepressaitcontrelesfessesdesonamante.Obéissant,elleresserralesjambesetacceptalacontradictionquivivaitenelle.Siellen’accepterait

quasimentjamaisqu’unhommelaporte,unepartieprimitivedesonêtresedélectaitdufaitqu’ilpuisselefairesanseffort.

Ils’avançarapidementverslelitimmensesansjamaislaquitterdesyeux.Commec’étaitétrangequecethommepuisselaregarderavecuntelbesoin,unteldésiralorsqu’ilnepouvaitlaregarderqu’avechainequelquesjoursseulementauparavant.Ilressentait leschosesetfaisait toutavecunetellepassionqu’ellesavaitqu’ilcommettraitd’autreserreursaufildutemps.Ilsencommettraienttouslesdeux.

Mais comme ses cheveux blond cendré, il était de l’or étincelant dans l’ombre. Il valait tous leseffortsqu’illuifaudraitfairepourapprendreàluipardonner,illesvalaittousetplusencore.

Ilsarrivèrentaulitetiltombasurelle,songrandcorpspuissantdécrivantunarcau-dessusd’elle.Ilposasabouchetremblantesursagorge,sursesseins,ensuçantunavecforce,puisl’autrerapidement,commes’ilétaittellementaffaméqu’ilnepouvaitpasattendreetdevaitlesavoirtouslesdeuxenmêmetemps.

Lesoleilécrasantdel’après-midiquirentraitparlesfenêtresaveuglaitAryal.Elleplissalesyeux,haletante,sesentanttranspercéedepartout,danslesyeux,danssoncorpstourmentéparlevide,etdanssesémotions,alorsquetouteslesbarrièresqu’elleavaitdresséescontrecethommes’écroulaient.

Il leva la tête, silhouette noire à contre-jour, et s’arrêta. Elle ne voyait pas son visage et savaitpourtantqu’il laregardait.Puisils’écartaensepenchantpoursaisiruncoussinetelleputdenouveaudistinguersestraits.Sonexpressionétaitdevenuecoquineettendreenmêmetemps.

—Ilfautquenousempêchionslesoleildet’aveugler,dit-ild’unevoixrâpeusetandisqu’ilsemettaitde nouveau à ronronner – à ronronner littéralement. (Elle l’observa déchirer une bande de tissu ducoussin.Ilsetournaverselleetsonregardétaitempreintd’uneespièglerieveloutée.)Çavatedonnerunpeud’ombre.

Ellecompritsoudainets’assit.Ilvoulaitluibanderlesyeux?Endépitdesincertitudesetdudangerquilesattendaient,ellesourit,plusheureusequ’ellenel’avait

jamaisété.—Jeveuxbien,situlefaistoiaussi,dit-elleavecbeaucoupdedouceur.Ilhésita,maiscettefois-cielleperçutqu’ilneluttaitpasintérieurement.Ilajustasimplementcequ’il

pensait.—Absolument.Àson tour,elledéchiraunebandeducoussinet ilssebandèrent lesyeux.Lederniernœudétaità

peineenplacequ’illatiraitcontresapoitrine,emprisonnaitsatêteentresesmainsetl’embrassait.Ildutparcourirlapeaudesajouepourtrouversabouche.L’explorationétaitincroyablementérotique.

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Ellepassalesmainssurtoutsoncorpsavecaviditépendantqu’ilplongeaitenelleavecsalangue.Ellesaisitfinalementsonmembreérigéetilsémirenttouslesdeuxunsonrauqueetchargédesouffrance.Ilsemitàrespirerdemanièreâpreetinégaleet,passantunemainentresescuisses,ilenfouitlesdoigtsdansseschairshumidesethypersensibles.

—Jenepeuxpasattendrepluslongtemps,souffla-t-ilcontreseslèvres.—Tantmieux.Viensici.Elles’étenditdenouveausurlelitetill’accompagna,plaquantsoncorpscontrelesien.Ensemble,à

tâtons,ilsguidèrentsonsexeàl’entréedesagrotte.Leglandétaitlargeetilmarquaunenouvellepausepoursefrottercontresonmielets’assurerqu’elleétaitprêteàlerecevoir.

Maiselleavaitperdutoutepatience.—Entre!siffla-t-ellecontresabouche.Ilréponditcommesiellel’avaitcravaché,secambraetplongeaenelleendonnantunlongcoupde

reinsvigoureux.Aumomentoùill’empalait,elleretrouvalasensationqu’elleattendaitimpatiemment,ladélicieusedouleurpanachéedeplaisir.Brandyetchocolat.

Succombantàuneimpulsion,elletrichaetsoulevasonbandeau.Lesoleill’éblouitetelledutplisserlesyeux.

Il était appuyésur sescoudesposésdepart etd’autrede sonvisage, ses largesépaulesarrondieset la tête rejetéeenarrière.Cequ’ellearrivaitàvoirdeses traitsàmoitiécouverts semblait le refletd’une sorte de cataclysme sexuel. Il secoua la tête, gronda quelque chose qu’elle n’arriva pas àcomprendre,etsemitàalleretvenir.

MonDieu, ilétait lachoselaplusbellequ’elleait jamaisvue.Ellelevait leshancheschaquefoisqu’ils’enfonçaitenelle,etsonsexeduretépaisglissantdanssonfourreauétroitétaittoutcedontelleavaitbesoin,tout.Elleposadoucementunemainsursajoueenlegriffantlelongdudos,égratignantlapeaupourmarquerqu’illuiappartenait.

Sestraitssetordirent.Ildénudalesdents,levalamainpourarrachersonbandeau.Ilssefigèrentuneseconde,seregardant,levoleursurprenantlatricheuse.

UnsourirefenditlevisagedeQuentin,plusradieuxquelesoleil,tandisqu’ilallaitetvenaitenelle.—J’ajouteçaàtadette.Lamontéeduplaisirétaittellementintensequ’ellearrivaàpeineàhaleterquelquesmots.—Jesuisd’accord.Sonsourires’estompaetils’aplatitsurelleenpassantunbrasautourdesoncouetl’autresousses

hanches,latenantavecunetelleforcequ’elleauraitdesbleus.Elleadoraitcela,ellel’adorait.Elletenditlaboucheverslasienne,l’encourageantàallerplusvite

encore,plusprofondémentjusqu’àcequ’ill’entraînedeplusenplushautversunsommetinvisible.Elleétiratoutsonêtreverscepic,lesbrasau-dessusdelatête,arc-boutéecontrelui.Etilfutlà,cemomentsingulieroùellepouvaitpresqueabandonnerleschaînesdelagravitéderrière

elle.Presque.Elle atteignit le pic et, pendant un instant, elle exista en apesanteur, ne faisant plus d’effort pour

s’élever.Puisl’orgasmel’absorbacomplètement.Quelqu’uncria.Ellenesavaitpassic’étaitelleoului.Ilse

ploya au-dessus d’elle, parcouru de frissons, et alors qu’elle sentait les pulsations de sa proprejouissances’estomper,ellesentitQuentinsemettreàpalpiterenelle.

C’étaittropbon,tropmagnifique.Lebesoinlasaisit.—Jen’aipasfini,gémit-elle.

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—Moinonplus,gronda-t-ilenlaregardant.Elle le fit rouler sur le dos et se redressa, assise sur lui tout en le gardant en elle. Continuant à

l’agripperparleshanches,illaforçaàsebaisserversluietmorditsoncou.Ill’immobilisaenplace,labaisantpendantqu’ellelechevauchait.Terrasséeparl’urgence,ellehurladanslesdrapsenjouissantunedeuxièmefois.

Etiljouitaussi,projetantsonbassinverselleetpoussantdesjurons.Ellesecramponnaàluienlegriffant,au-delàdesmots.Illuidonnatoutcedontelleavaitbesoin,toutcequ’elleluidemandait,etplusqu’ellen’avaitjamais

pensépouvoirrecevoir.Etelleluidonnatoutcequ’elleavait,chaqueparcellechaotiqueetpassionnée.Assortis.Unis.Parfaits.

Ilsnes’épuisèrentpastotalement.Celaprendraitplusieursjoursdelapérioded’union.Conscientsdu

tempsquipassait,ilsparvinrentsimplementàunendroitoùilsréussirentàs’arrêter.Le besoin et le désir continuaient à vrombir comme une voiture de course dans ses veines,mais

lorsqueQuentinremarquaquel’angledusoleilavaitchangé,ilditcontreseslèvres:—Ilfautqu’onpenseàcesoir.Ellesereculaenhaletantetunfragmentderationalitéapparutdanssonregardtempétueux.—Onremetçaàuneautrefois,murmura-t-elle.—Etcomment,beauté.(Parcequ’ilneputs’enempêcher,ilpassaunedernièrefoisunemainsurson

sein.)Leplustôtpossible.Drapsetcouverturess’avérantsuperflusdanslachaleurdel’après-midiavancé, ilsétaientvautrés

ensemble,membresenchevêtrés.Malgrélebesoinurgentdes’unirquiletourmentait,ils’endormitaussiviteetaussiprofondémentqu’unepierrejetéedansunétangsombreetpaisible.

Toutaussifacilement,ils’éveillaquelquesheuresplustard.Aryalétaitétenduesurleventre,sescheveuxnoirscouvrantsonvisage.LatêtedeQuentinreposait

au creux de ses reins. Il avait enroulé un bras autour de sa cuisse en dormant. Son odeur l’emplit desouvenirscharnels.Ellesentaitlesavonparfuméetlesexe.

Quandillevalatêteetlaregarda,ilvitdesbleusauniveaudeseshanchesoùill’avaitagrippée.Ilsauraientdisparudansuneheureoudeux.Ilcontintlebesoindelalécherpartoutetdetoutrecommencer.Pouréviterdedonnerlesignalàquelquechosequ’ilsavaitqu’ilneseraitpasenmesured’arrêter,ilsesoulevaprécautionneusementdesasilhouetteendormie.

Depuis la fenêtre la plus proche, il voyait les rayons rasants du soleil cribler la cité abandonnéecommedes lances invraisemblablement longues jetéespar lesdieux.Onneverraitbientôtplusquelescontoursdesédificesetlestonsrougeoyantsducrépusculeentoiledefond.Endépitdesonobsessiongrandissantepourlafemmequiétaitétendueàsescôtés,ilduts’arrêteretadmirer.Lanaturelesenvoyaitaucombatavecstyle.

Aryalavaitroulélesdrapsenboulepours’enfaireunoreiller.—C’estl’heuredeselever?grommela-t-elle.—Oui.Puisilneputseretenirenfindecompteetilsepenchapourl’embrassersurl’épaule,observantavec

convoitiseunfrissonparcourirsapeau.Ilserésignaàdire:—Onferaitbiendesebougersionveuttrouverunbateauquiconvienneavantlanuit.Elleselevaavecfluiditéetsonexpressiondevintcelled’uneharpieàlaconcentrationinébranlable.

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Ils se lavèrent rapidement. Quentin consacra quelques minutes à raser sa nouvelle barbe quil’ennuyaitàl’aidedurasoirplatduseigneurelfiquependantqu’Aryalfouillaitdansl’énormependerie.Elletrouvadestuniquesensoiesansmanchesetdespantalonsquiétaientunpeulargessurelleetquiserraient un peu Quentin au niveau des épaules, mais le tissu léger respirerait tout en offrant uneprotectioncontrel’armure,c’étaitdoncparfaitpourl’usagequ’ilsvoulaientenfaire.

Lesarmesvinrentendernier:delonguesépéesfixéesàlaceinture,decourtesépéesattachéesauxcuisses, et degrands arcs auxcordesdétenduesharnachés sur leursdos avecdes carquois remplisdeflèches.AryalutilisalebandeaudeQuentinpournouersescheveux.Quandellevitqu’ill’observait,ellemarmonna:

—Ensouvenir.Il pencha la tête, infiniment charmé par ce spectacle. Puis elle se leva, l’air plus meurtrier que

jamais,et…—Est-cequetuviensderougir?demanda-t-il.Ellefitunegrimaceetsedirigeaverslaported’unpasrapideendisantpar-dessussonépaule:—Jenevoisvraimentpascequetuveuxdire.—Etmaintenant,tufuis.Illasuivit.Ilsesentaitremplid’unelégèretéaérienne.—Nedispasn’importequoi.Bienentenduquejen’aipasrougi.Etjenem’enfuispas.Ellesedébattaitaveclaporteverrouillée.—Si.Tuasrougiettufuis.(Iltenditunbrasverslaporteetlaluifitlâcher.Illadéverrouillaalors

touten fourrant son nez dans son cou.Elle sentait le propre et la sauvagerie.L’odeur se communiquabienentenduimmédiatementàsonsexe.)C’étaitformidable.

Ellesecoualatête,semblantàboutdesouffleendisant:—Parcequec’esttoujoursàproposdetoi,c’estça?—Etcomment.Il la mordit gentiment et glissa un bras autour de sa taille tandis qu’elle s’appuyait contre lui et

passaitunbraspar-dessussonépaulepourluicaresserlescheveux.Ellesetorditetl’embrassaetillaserracontrelui,l’embrassantàsontouravecfougue.Qu’unetelle

émotion puisse jaillir de rien était quelque chose qu’il n’arrivait pas à comprendre, mais il ne serassasieraitjamaisd’elle,jamais.

L’adrénaline, quand il pensait à ce qui les attendait, avait déjà commencé à faire battre un rythmetribaldanssesveines.Lafaimqu’ilavaitd’ellenefitque l’intensifier. Il laployasursonbrasetsonbaiserdevintsauvage.Ilstremblaienttouslesdeuxquandilss’arrachèrentl’unàl’autre,toutegaietéetenvie de plaisanter disparues. Elle lui caressa la joue et le regarda droit dans les yeux, son visageanguleuxarborantunairsérieux.Desabouche,ileffleuralesdoigtsd’Aryal.

Puis,ayantdéjàdittoutcequ’ilsavaientbesoindesedire,ilspartirent.Ilregardaunedernièrefoispar-dessussonépaule,parlafenêtre,lesgigantesqueseffigiesdepierre

desdieux.Hypérionfaisait faceausoleilcouchant.La lumièreobliquepercutait lesyeuxnormalementvidesdudieuetenleurdonnantdesrefletsd’or.

Quentinn’avaitjamaisétéunadeptedelaprière,maiscettefois-ci,ildécidadefaireuneexception.— Veille simplement à ce que nous la trouvions, dit-il silencieusement au dieu. Nous nous

occuperonsdureste.Ilssortirentdupalaisparlescuisinesets’arrêtèrentbrièvementpourprendredelanourriturefacileà

porter et des outres remplies d’eau – sans oublier deux bouteilles d’eau-de-vie parce qu’on ne sait

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jamais–,puisilsrépartirentletoutdansdeuxsacs,aveclesflaconsdepotiondeguérisontrouvésdanslacaserne.

Le jour déclinait très vite maintenant et ils coururent vers la côte, puis se hâtèrent le long desappontements, cherchant un voilier de petite taille qui conviendrait à une ou deux personnes. Ils entrouvèrentunrapidementetAryalmontadedanssans tarderpourhisser lesvoilespendantqueQuentindénouaitlesamarresquileretenaient.Illepoussaetsautadedans.Ladernièrelueurdujoursebrisaitsurlacrêtedesvaguessombresenridantl’eaucommeilsdérivaientendirectiondelapleinemer.

Le voile invisible d’Aryal se posa sur le petit bateau dans un chatoiement. Ils durent définir parapproximations successives le sens de la marée et la manière d’avancer dans la bonne direction enutilisant l’angleduvent.Ilsfinirentparadopterunparcoursenzigzag.L’énormelunes’étaitdésormaislevéeetellebrillaitendiffusantunelueurargentéed’unetelle intensitéque,pour lavisiondefélindeQuentin,lascènedevintpresqueaussiéclairéequ’enpleinjour.

Ilsserelayèrentpourserestaurerpendantquel’autrerestaitconcentréàlabarre.Observantl’îleserapprocher,ilmangealégèrement,justesuffisammentdecarburantpourcequiallaitvenir,maispasassezpourleralentir.Ilavalaitsadernièrebouchéedepainquandunelueurtremblanteapparut.

Ellevenaitdel’édificequisetrouvaitenhautdelacollineescarpée,nichéparmilesarbres.—Onlatient,dit-ildoucement.(Ilpercevaitqu’Aryals’étaittendueetrestaitparfaitementimmobile.

Ilremarquaquelquechosed’autre.Plusieursbateauxétaientamarrésàdeuxappontementssituésauboutdelaplage.)Ilyatropdebateaux.Nousnedevrionspasperdredetempsàlessabotertous.

—Qu’est-cequetuproposes?demandaAryal.Ilsetournaverselle.—Jeparsenéclaireur,dit-il.Quandnousseronsassezprèsdelacôte,jerejoindrailariveàlanage.

La sorcière est futée.Elle aura posté des ombres-loups sur la plagepour jouer le rôle de sentinelles.Nousnesavonspascomment,maisilssontliésàelle,j’attireraidoncsonattention.Pendantcetemps,tusuislecourantetabordesquelquepartdel’autrecôtédel’île,puisturevienssurtespasdefaçonàlaprendreàrevers.

Elleétudiasonvisage.—Tuvasfocalisersonattentionsurtoi?Ilfitungesteimpatientdelamain.—Oui, ça va fairemal.Cela signifie juste qu’il faudra que tu interviennes vite. J’essaierai aussi

d’attendreunpeuavantd’engagerlecombat,histoiredelimiterledécalage.Est-ce qu’ellemarquait une pause pour réfléchir à l’occasion que cela aurait pu lui fournir de se

débarrasserdelui,commeill’avaitfaitunefoisenpensantàelle?Riennes’affichasursestraitstendus.—J’aimepasceplan.—Tantpis.(Ilseretournapourregarderl’île.)Jesuislemieuxéquipépourcombattrelesombres-

loups.—Mais tu devras affronter les deux en attendant que je te rejoigne. Et si les armures elfiques

résistentàlamagie,ellesnebloquentpastout.Unefoisqueleurrésistanceaétécompromise,ellesnevalentpasmieuxqu’unesimplearmureencuir.

— C’est préférable à un assaut frontal simple, insista-t-il. Ses loups pourraient nous occupersimplementpourcouvrirsaretraiteetnousaurionsgaspillénotreénergieetl’effetdesurprisepourrien.Decettemanière–ellenesaitpasquetuassurvécuàlapremièreattaque,beauté.Elleseposerapeut-êtrelaquestion,maisellenesaurapasquetuarrives.

Ellerestasilencieuseunmoment.—Merde.

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—C’estsensé,dit-ilgentiment.—Bon,OK!explosa-t-elle.Maismerde!Il ne dit rien. S’il était à sa place, il détesterait ce plan autant qu’elle et il ne pouvait pas être

amélioré. Il étudia la côte qui se rapprochait rapidement et commença à rouler des épaules pour lesdétendre et préparer les muscles en vue de nager et de combattre. Était-ce une ombre qu’il voyait,arpentantlaplage?

Ilsarrivèrentdanslazoneoùelleallaitdevoirdéviersatrajectoirepouréviterd’aborder.Ilpassasonsacdeprovisionsetuneoutred’eauautourdesoncouetd’uneépaule.Puisilserrasesflèchesdansunemain, lesmaintenant dans le carquois et posa le pied sur le rebord du voilier pour se préparer àsauter.

—Quentin,dit-elle.Sontonétaitsiurgentqu’ilmarquaunepauseetlaregarda.Elle avait une expression tendue et ses yeux brûlaient de détermination. Sa bouche essayait

d’articulerquelquechose.Puiselledit:—Jevaisfairevite.Il luidécochaunsourireradieuxet résolu.Puis ilenjambale reborddubateauetse laissaglisser

dans l’eau,s’arrêtant justepourobserverAryalet levoilierobliquer.Lecourantquiétait fort le tiraitdansladirectiondubateau,ilnepouvaitdoncpass’arrêterlongtemps.Ilbaissalatêteetsemitànager,adoptant une cadence puissante et assurée. L’armure, les armes et le sac de provisions gênaient sesmouvementsetilavaitdumalàtrouverunbonrythme.

Maisiln’eutpasbesoindenagerlongtemps.Auboutdequelquesminutes,ilarrivaàlahauteurdubateauquisetrouvaitlepluséloignédel’extrémitédupremierappontementetilsaisitlachaînedesonancrepourfairedusurplace.Ilfitdoucementglisserlesac,l’outreetlegrandarcainsiquelesflèchespar-dessus leborddubateautoutenétudiant laplagequise trouvait toutprès.Unsentiergravissait lacolline en zigzag. Elle était si escarpée qu’on y avait taillé desmarches par endroits. Un bosquet lacoiffait.Ildistinguaitjustelacimedesarbresenhaut.

Plus loin sur la plage, deux taches noires planaient sur le sable, trahissant les allées et venuesd’ombres-loups. Ils semblaient agités. Il reprit son souffle pendant qu’il les étudiait.Maintenant qu’ilsavaitàquois’attendre,ilpercevaittrèsbienleurprésence.Commel’avaitsuggéréAryal,ilsn’étaientpeut-êtrepas leproduitd’unsortilège,mais iln’étaitpasconvaincu.Lesdeux loupsportaientquelquechosedelamêmesignaturemagique.C’était tropsingulier,onauraitditqu’ilsétaientenquelquesorte«estampillés»avecunecertainepersonnalité.

Sepouvait-ilquelasorcièresoitassezPuissantepourjeterunsortquiagissecommetreizeentitésindépendantes – et puisse ensuite non seulement le maintenir indéfiniment, mais sur de grandesdistances?Ilserefusaitàycroire.

Est-cequeceuxquise trouvaientsur laplagesavaientdéjàqu’ilétait là?Pouvaient-ils l’attaqueralorsqu’ilétaitencoredansl’eau,etsic’étaitlecas,pourquoiattendrealors?

IlinvoquasapropreForceetlagardaprête.Lessortsd’attaqueétaientépineuxàjeteraucoursd’uncombat parce qu’il fallait du temps pour les créer et que tout arrivait vite quand on se battait. C’estpourquoi lessorts lesplusefficacesétaientaussi lesplussimples.Ilétaitfaciledes’ensouvenirdansl’urgenceetonpouvaitleslancerrapidementetentraînerdugrabuge.

Etl’undessortslesplusefficacesdetousétaitceluiquineutralisaitd’autresmagiesdangereuses.L’une des ombres s’immobilisa. Elle semblait tournée vers lui. Elle ne fit rien, se contentant

d’attendre.

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Iln’allaitpasavoirbesoindel’arcetdesflèchespourcecombat.Ils’écartadubateauetselaissadériververslerivage,observantlesdeuxombresavecattention.L’undesombres-loupsnebougeapas.L’autrenecessapassonva-et-vient.

Ilatteignitunendroitoùilpouvaittoucherlefondduboutdupiedetc’estalorsqu’unevoixmentaleentradanssatête,parlantavecunfortaccent.

—Aide-nous.—Tupeuxt’exprimerpartélépathie?Qu’est-cequec’étaitquecettehistoire?Ilcontemplaleloupdevantlui,pastantsurprisqu’ilpuisse

luiparler,maisqu’ilchoisissedelefaire.—Attention.Situmetsunpiedsurlaplage,noussommestenusdet’attaquer.Quentin fitdusurplaceen réfléchissantà touteallure.Lacréaturesemblait sophistiquée,commesi

elleétaitvraimentdouéederéflexion.—Qu’est-cequevousêtes?—Nous sommes wyrs, nous aussi. Ou dumoins, nous l’étions. Notre alpha s’est uni à Galya.

Quand il a étégrièvementblesséaucoursd’uncombat, elleapris sonâmeeta essayéde le fairereveniràlavie.Soncorpsestmort,maisilestrestéliéàelle.Trouverunmoyendeleressusciter,etnousdanslafoulée,estdevenuchezelleuneobsession.Unparun,nousavonsdonnénotreviepourprolongerlasiennedansl’espoirqu’ellefiniraitparparveniràsesfins.Maisellenenousavaitpasditquenousserionsesclavesdesavolonté,etcelafaittellementlongtemps.

Elleavaitprolongésavieparlesacrificedelaleur?Lechocetl’horreurlefigèrentnetetfaillirentlecouler.Ilbattitdesjambesetsemaintintlatêtehorsdel’eau.

Ressusciterlesmortsétaitinterditdanstouteslesculturesqu’ilconnaissaitetilavaittoujoursestiméque c’était pour une raison extrêmement valide. Cela altérait un événement naturel essentiel et lesconséquences,d’aprèscequ’ilavaitentendudire,étaientinvariablementtragiques.

—Aide-moiàm’assurerquejetecomprendsbien.Ellechercheunmoyendevousressusciter?—Quelquechoseestmentionnédansunelégendetrèsancienne:leChaudronduPhénix,murmura

leloup.OnracontequecettereliqueétaitsiPuissantequ’ellepouvaitramenerlesmortsàlavie.Elleaétéperdueilyalongtempsquandcettecontréeaétéferméeaurestedumonde.Ellelacherchenuitetjour.Maisjesuistellementfatigué.Elleneveutpasmelibérer,pourtant.

Elle sacrifiaitdesWyrspourprolonger savieet s’appropriait leursâmescontre leurgré.La ragetalonnaitdeprèstouteslesautresémotionsdeQuentin.

Aryal avait dû aborder. Il était plus que temps de se manifester avec fracas et de liquider cettesorcière.

Ilserapprochadelaplageàlanage.Commeilarrivaittoutprèsdubord,leloupmurmura:—Certains ne te combattront pas avec ardeur, mais ne te fie pas à Pyotr, l’alpha. Il lui est

totalementdévoué.—Compris.Ilsedressahorsdel’eauetl’autreombrefitvolte-face.Elleletraqua.Le loup qui lui avait parlé se tapit, puis bondit. Quentin projeta une main en avant pour jeter

silencieusementlesortqu’ilavaitpréparé.Ilmittoutelaforcequ’ilputdansl’action.::Dissipation::C’était un sort destiné à neutraliser des magies dangereuses et il marcha mieux qu’il n’aurait pu

l’espérer.Ilfrappaleloupquis’élançaitdanslesairs.L’ombrenoiresetorditcommesiellesouffraitlemartyre.PuiselledisparutdansunclaquementbrefetuncriquirésonnadanslatêtedeQuentin.

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Auloin,horsdevueausommetdelafalaise,unefemmehurlasonchocetsafureur.Ilavaitattirél’attentiondelasorcière,bien.Quentin baissa le menton en souriant de manière sinistre et foula la plage. Alors que le second

ombre-loupseprécipitaitverslui,ilrassemblasaForceetfrappal’aird’unautresort.Àl’instardel’autreloup,lorsquelesortfrappa,l’ombresetorditetdisparutdansunclaquement.Il

secoualatête.Mêmes’ilsétaientdéjà–presque–morts,ilavaitmalgrétoutl’impressiondelesavoirtués.

Puisunsixièmesenslechatouilla.Ilregardaendirectiondusentier.Dixombresdévalaientlapenteescarpéedelafalaise.Puisladernièreapparutetcelle-làétaitlaplus

grandeetlaplusPuissantedetoutes.Bon, ces chances de l’emporter n’étaient pas formidables si Quentin devait jeter chaque sort de

dissipationunparun.Unefemmeapparutausommetde lafalaise.Galya.Leclairde luneargentécreusaitsesorbiteset

donnaitàsonvisageunepâleursépulcrale.Allez,Aryal.Bouge-toilesfesses,beauté.Lameuted’ombresatteignitlaplageetseruasurlui.IlrassemblasaForceetsepréparaàlabataille.

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20

Quandl’eauentraînalevoilier,l’éloignantdelasilhouettesombreetenpartiesubmergéedeQuentin,Aryalfaillitsauterpar-dessusbordpourlerejoindreàlanage.

Peu importaitquesonplansoit senséouqu’elleaitditqu’elleétaitd’accord. Ilallaitattirer toutel’attentionsur luietcelasignifiaitqu’ilallaitenpâtir.Celasignifiaitégalementqu’ilprenaitunrisquegraveetelleabhorraitl’idéededevoirlelaisser.

L’abhorrait.Lecourantétaitfortetl’eauétaittrèsprofondecommeellecontournaitlapointedel’île.Ellebaissa

les yeuxpour regarder du côté de la terre ferme.Bordel, l’eau formait des tourbillons d’écume en sefracassantcontrelesrocherslelongdelacôte.Iln’yavaitaucunendroitoùaborder.

Puis,parcequ’elleétaitcequ’elleétait,ellelevalesyeux.Lesrochersétaientprolongésparlafaceàpicd’unefalaise.

Etriendetoutcelanedevraitavoirlamoindreimportance.Elleauraitdûpouvoirsetransformerenharpieetsurvolerchaquecentimètredecettecôtemaudite.

Ellehurlasonoutrageetsadouleur,silencieusement,lesmainsplaquéessurlabouche.Puis elle détacha le lien souvenir de ses cheveux et attacha soigneusement ses flèches dans leur

carquois. Puis, son grand arc et le carquois fixés sur son dos, elle sauta du bateau et fendit l’eau ennageantavecforceendirectiondelaterreferme.

Les vagues l’aidèrent en la soulevant et en la projetant contre les brisants. Elle atterrit contre unrocherpartiellementsubmergéavecuneforcequiluicoupalesouffleetellesetorditetsemétamorphosaen unmêmemouvement désespéré, griffant le granite pour trouver une prise avant que les tourbillonstraîtresnel’entraînentdenouveaudanslamer.

S’agenouillantauprixd’ungroseffortsurlarocheglissante,ellesejetasurlaparoidelafalaiseets’ycolla,plantant ses serresdans lapierre friable tout en luttantpour reprendre son souffle.Tout sonflanc droit avait absorbé l’impact. Les os étaient contusionnés et l’élançaient atrocement. Elle seraitcouvertedebleuslelendemain.

Levisagelevéverssonbut,ellesemitàgrimper.Siellenetrouvaitpasdefissuredanslarochepoury glisser ses serres, elle en créait une en creusant de sesmains et de ses pieds pour former un trousuffisammentprofondpoursupportersonpoids.L’escaladeétaituneffortéreintant,épuisant,etsesailesmeurtriespendaientdesondoscommeunparachuteenlambeauxetlaralentissaient.

Elleavaitnégocié lamoitiéde la falaisequanduneForce flamboyaetqu’elleentendit la sorcièrepousser un hurlement au loin. Dans d’autres circonstances, elle aurait pu savourer ce son, mais pourl’heure, la peur la saisit. Elle n’était pas encore assez haut, pas encore suffisamment proche pour

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combattre.Elle redoublad’efforts, lecœurbattant lachamade,et c’estalorsqu’elle sentitunnouveausursautdeForce.EllereconnutlasignaturedeQuentin.

PuisuneForceflamboyaetcelle-ciavaitunesignaturedifférente.Lasorcièrel’avaitrepéréetavaitengagélecombat.Lapaniquelapoussatoutlerestedel’ascensionetellenefitpasdepauseenarrivantenhaut.Ellese

métamorphosapoursedébarrasserdufardeaudesesailesetcourutàl’aveuglettelelongd’uneénormebâtisse ancienne en pierre.Elle tourna en arrivant à un angle et fonça par-dessus ce qui avait dû êtreautrefoisunepelouseimpeccable,maisquel’abandonavaitenvahidemauvaisesherbes.

Elletrouvaunsentieretleprittoutenlevantlamainpoursaisirlegrandarcàlacordedétendue.UnéclairdeForceflamboyadevantelleendirectiondelaplage.Ilfoudroyalesoldevantellecommesilefeudel’enferjaillissaitd’unefissuredanslaterre.

Quelques secondes précieuses s’évanouirent quand elle s’arrêta pour soutenir l’arc sur un pied etrassemblasesforcespourfaireployerleboisséchéetrésistantdefaçonàpouvoirattacherlacorde.Puiselledévala lesentier jusqu’aubordd’unpromontoireetvitunescènequiauraitpuêtre le fruitdesescauchemarslesplusépouvantables.

QuentinetGalyasetenaientàquelquesmètresl’undel’autre.Lasorcièresemblaitindemne.LalueurvenaitdeQuentin.Uneespècedesortquibrillaitcommeunfanaldans lanuit faisaitétincelerunezone le longdesa

large poitrine, d’une épaule, de son cou et d’un côté de son visage. Ce qu’elle pouvait voir de sonexpressionindiquaitunedouleuratroceetsaForceflamboyaitdemanièreintermittentetandisqu’illuttaitpourneutraliserlesortd’attaque.Dessilhouettessombressecontorsionnaientdanstouslessenslelongdesesjambesetdesesbrascommelesombres-loupslesaisissaientdeleurscrocsnoirs.

Oh,monDieu.ElleregardalasorcièrequiobservaitQuentinbrûler,lesmainssurleshanches,etellen’avaitjamais

haïquelqu’unautantquecettefemme.Lesortdelasorcièreavaitbeaucontinueràavoirdel’effetsurQuentin,laForcedecelui-cidéferla.

L’explosion fit voltiger les ombres-loups. Il projeta unemain vers la sorcière, transperçant l’air d’unmissiledeForcemeurtrier.Le sort aussimortel qu’élégant fusavers la sorcièrequi le fit dévier sanseffortd’unreversdupoignet.

Aryal sortit vivement une flèche du carquois trempé et l’encocha, puis elle banda l’arc en visantsoigneusementafind’obtenirletirparfait.Puisellelalâcha.Endépitdesavitesse,savisiondeharpiepouvaitsuivrelatrajectoiredelaflèche.

Ilyeutunnouveauflamboiementdemagieet la flèches’écartade lasorcière.Galya regardapar-dessus sonépaule, lesyeuxd’abord levésvers lehautde la falaise,puisdirectementversAryal.Sonexpressionseremplitdesurprise,puisdemépris.

Endeçàdelasorcière,embrasédelumièreetd’obscurité,Quentintombaàgenoux.LegrosdoigtdeBDdanslatêted’Aryalindiquaunenouvellepancarte.«Ticketperdant».Elle alla dans un endroit à l’intérieur d’elle-même où elle n’était encore jamais allée, un endroit

qu’elle-mêmereconnaissaitêtredément.Pasdesouci.Elle hocha la tête. Puis la secoua.Avant de finalement la hocher de nouveau. Elle se retourna et

s’éloignaencourant.Quandelleparvintàlalimitedesarbres,ellesortitsonépéecourte,seretournadenouveauetcourut

verslepromontoire,poussantaussifortqu’ellelepouvaitpouratteindresavitessemaximale.Enarrivant

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aubord,ellesejetadanslesairs,semétamorphosaetdéployasesailesabîmées,àmoitiéguéries.Unedouleurterribleladéchira.Ellenepouvaitpasvoleretellenepouvaitpasplaner,maisellepouvaitdirigersadescente.Etc’est

exactementcequ’ellefit.Pasdesouci,garce.Repoussedoncça.Galyas’était retournéeversQuentinpendantunmomentcrucial.Laharpiesouritenplongeantvers

elle,soncorpss’inclinantdetravers.Endéfinitive,savieserésumaitpeut-êtreàcela:elleétait justeassezamochéepourtomberexactementdelabonnemanière.

Quandlasorcièrelavit,ellen’eutpasletempsdejeterunautresort.Ilyeutunmomentdoux-amerquandlastupéfactionet ledébutdelapeurs’inscrivirentsur les traitsdeGalya.Elleouvrit labouchepourhurler.

Aryallapercuta,lafaisanttomberdanslesable.Ellesatterrirentlourdementdansunenchevêtrementdemembres.

Destrucsclaquèrentenelle,etdenouvellesexplosionsdedouleurfulgurèrentàtraverslesruinesdesoncorps.Elleémituneplaintestridentelorsqu’elleessayadereprendresonsouffle.

L’obscurité l’enveloppacomme lesombres-loupsattaquaient.Unnouvelassautdedouleur labrûlaaumomentoùlepremierplantaitsescrocsdanssonépaule.Ellehurlaetsemétamorphosaensetordant,reprenantsaformehumainequiportaitl’armureelfiquejusteavantl’arrivéedesautres.Certainsétaientaccrochés à l’armure par leurs crocs. Quelques-uns fouillaient entre les plaques qui composaientl’armure,cherchantàenromprelesattachesenlesmordillant.

Riendetoutcelan’avaitd’importance:sonattentionsefocalisasurl’accomplissementd’uneseulechose.Leseulmoyend’arrêterlasorcièreétaitdelatuer.

Galya gémit en essayant faiblement de se dégager du corps d’Aryal qui l’écrasait. Elle étaitclairementblessée,maispasassezgrièvement,carelleconjurasaForcepourjeterunautresort.

Aryal lafrappaauvisage.LaForcequelasorcièreétaitentrainderassemblersedispersa.Unoscraqua,satêtefutprojetéeenarrièreetdusangjaillitdesaboucheetdesonnez.Celaluiparuttellementnécessaire qu’Aryal lui donna un autre coup de poing. Elle se rendit vaguement compte que laMissBarjotquil’habitaitdominaitlecombat.

Les deux coups de poing avaient peut-être tué l’humaine, mais les ombres-loups continuaient àtournerautourd’elle,etMissBarjotétaitrésolueànepasfaireleschosesàmoitié.Elleavisasonépéeplantéedanslesableàdeuxmètresenvironetsonarcabandonné.Ellerampajusqu’àl’épéeetlasaisit.Quelque chose n’allait pas avec samain. Elle n’arrivait pas à la refermer correctement autour de lapoignée. Ilétaitpresque tropdifficilederevenirenrampantprèsducorpsétendude lasorcière,maiselleyparvint.

Leplusgranddesloupssejetadésespérémentsursonbrascommeellelevaitl’épée,maisl’armureelfiquelaprotégeadescrocs.

ElleplongeasonépéedanslapoitrinedeGalya.Denombreuxcrisrésonnèrentdanssatête.Touslesombres-loupsdisparurentdansunclaquement.MissBarjotressortitl’épéeetlaplongeaunenouvellefois.—Ça,c’estpourl’Elfedontj’aioubliélenomquiestmorteenprisonparcequetul’yasenfermée,

dit-elled’unevoixrauque.Etellefrappaencore.—Ça,c’estpourQuentinquiaintérêtànepasêtremort.

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Et elle continua, plongeant et replongeant l’épée dans le corps inerte, sa respiration sifflante etinégale. Elle leva enfin l’épée, l’orienta perpendiculairement, et dans un grand coup qui déchira dedouleursondoséreinté,elledécapitaGalya.Puisellesaisitlatêteparlescheveuxetlajetadansl’eau.

—Ça,c’estpourmoietchacunedemesailes,espècedegarcepsychotiqueetcrevéedepartenpart.Quelquepartnonloind’elle,quelqu’untoussa,unsoncaverneuxetsec.— Rappelle-moi de ne jamais te mettre trop en pétard, dit Quentin d’une voix enrouée et

méconnaissable.Il sembla faire une pause pour réfléchir à ce qu’il venait de dire. Ou peut-être qu’il rassemblait

simplementsesforcesafindepouvoirarticulerdeuxautresmots.—Unefoisdeplus.

Quentinétaitétendusurledos.Ilnesavaitpasquesoncorpsétaitenmesuredeproduireautantde

souffrance.Ilavaitl’impressiond’êtreencoreenfeu,partoutsursapoitrine,sonépaule,etuncôtédesonvisage.

Mêmesespoumonssemblaientbrûlésetilnevoyaitpasd’unœil.Audemeurant,ilétaitplutôtcontent.Ilnepensaitpasqu’ilallaitsurvivre.Unmouvementattirasonattention.IltournalatêteetplissasonœilcommeAryalrampaitversluien

avançantde travers.Unedeses jambes traînait inutilementderrièreelleetelleétait couvertede sang.Elles’écroulaàcôtédelui.

Iltoussadenouveau.Desétoilesrougessurgissaientderrièresesyeuxetilressentaitchaquefoisunedouleurinsoutenable.

—Est-cequetoutcesangestletien?—Non.Pasbeaucoupentoutcas.Maisjesuisbousilléedepartout.—Allez,onremetça,râleretgémir.Tuvassurvivre,beauté.Etilremerciaitlesdieuxpourça.Lorsqu’ill’avaitvuesejeterdelafalaise,ilavaiteul’impression

quesoncerveauallaitéclateretluisortirparlesoreilles.Ilfitpéniblementglissersamainsurlesableverslasienne.Ellerefermalesdoigtssurlessiens.

—Ettoi?demanda-t-elled’untonanxieux.Tun’aspasl’airbienenpoint,maisaumoinstuneluisplusdanslanuit.C’estunebonnechose,n’est-cepas?Dis-moiquec’estunebonnechose.

Galyaavaitjetéunsortcorrosif.Ilavaitpulebloqueraudébut,maisilavaitdissousl’armureetsesdéfensesavantqu’ilpuisseleneutraliser.Prisdevertige,ilessayadetousserdenouveauetmurmura:

—Yauntrucquiclocheavecmespoumons.Lapeurétranglalavoixd’Aryal.— J’ai dû sauter par-dessus bord et nager, moi aussi, et j’ai oublié d’attraper le sac avec la

nourritureetlespotions.Oùestletien?—Ledernierbateau,premierappontement.Sadouleurs’estompait,etsaconscienceavec.Ilsedemandas’ilallaits’éveillerdenouveau.Entout

cas,ilétaitcontentd’avoireuletempsdecélébrerunpeulavictoireavantdesombrer.Mêmes’ilauraitpréféréuneréservationchezSardiavecAryalàsonbras–OK,àsescôtés–etde

l’alcool.Beaucoup,beaucoupd’alcool.Peut-êtreque,s’ilsurvivait,ilpourraitlaconvaincredeporteruneminijupesielleajoutaitàlatenue

uncouteauàcrand’arrêtetdesbottesdecombat.Uncoindesaboucheessayadeselever.Çavaudraitlecoupdeseprendrelatêteavecellerienquepourmatersesjambessublimesetsonsourirerebelle.Bonsang,quellenana.

Illuiserralesdoigtsetplongeadanslesténèbres.

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Del’orliquidecoulaitdoucementdanssagorgebrûléeetàvif.Ilavalainstinctivementunefois,deuxfois,puisfutprisd’unequintedetouxetcelaluifittellementmalqu’ilrepritconscience.

—Bordel,ditquelqu’und’untonmisérable.C’estdenouveauàproposdetoi,c’estça?Réveille-toietavaleçaimmédiatement,tum’entends?J’aitellementmalpartoutetjesuistellementfatiguéeettoutcequejeveux,c’estquetumefassesunautrecâlin,ETTUNEPEUXPASMOURIR,QUENTIN,PARCEQUEÇASERAITLAGOUTTEQUIFERAITDÉBORDERLEPUTAINDEVASE!J’AIBOUSILLÉMESAILES ENCORE UN PEU PLUS POUR TE SAUVER LA VIE, ESPÈCE DE SALOPARD ! LEPARAPENTE EST UNE IDÉE DÉBILE, ET JE JETTE L’ÉPONGE, TU M’ENTENDS, JE JETTEL’ÉPONGEGRAVESITUMEURS!

C’étaitvraimentuneexpériencequed’avoiruneharpiepiquerunecriseàquelquescentimètresdevotrevisage.Àpeuprèsdequoiréveillerunmort.Ilavaitl’impressionquesavoixdestentorplantaitdespointesdeferdanssatêteetnondesmots.C’étaitcommelapiredesgueulesdebois,enmillefoispire.

—Jesaisquejet’aidéjàachetée,maisest-cequetuesvendueavecunboutond’arrêtmomentané,parhasard?murmura-t-il.

—Tais-toi,pleurnicha-t-elle.T’esnul.Finisça.Sarespirationirrégulièrerésonnadanssonoreillequandellesoulevasatêted’unemaintremblanteet

forçalebordd’unefioleentreseslèvres.Bienqu’àmoitiéconscient,ilserappelacombiencettefioleétaitprécieuseetilrefermaavecfermeté

leslèvresautourdugoulotpournepasperdreunegoutteduliquide.Elleinclinalapetitebouteilleetillabutd’untrait.

LaForceserépanditenluiavecunechaleurardente.Aryalluienfitavalerlecontenud’uneautre,puisd’unetroisième,etilbutletoutleplusvitepossiblejusteavantqueladouleurnelesubmerge.

Cette Force des potions de guérison s’infiltrant dans son organisme pour réparer des lésionsgravissimes luidonna l’impressiondepasser sousun rouleaucompresseur.Elle lui sauverait lavie sielleneletuaitpasavant.Sespoumonssemblaientsoudaingonflésdenapalmetils’arc-boutaenluttantpour respirer.Pendantdes années, des cauchemarsdenoyade et de suffocation allaient le réveiller ensursaut.

Aryalétaitpenchéesurlui,lesoutenantd’unbrasdumieuxqu’ellepouvait,unejoueappuyéecontrecellequin’étaitpasbrûlée,etmurmurait:

—Çava,çava.Nerésistepassiviolemment,çavapasser.Çavaaller.Saisidefrissons,ilseconcentrasurlesondesavoixjusqu’àcequeladouleurcommenceàlâcher

priseetils’affaissasurelle.Sespoumonslefaisaienttoujourshorriblementsouffrir,maisiln’avaitplusl’impressiond’étouffer.

Ilcommençaàretrouverlavuedesonœilblessé,etquandillevalatêteverselle,illavitpresquenettement.Elleavaitretirésonplastronetilétaitappuyécontresapoitrine.Sonregardétaitcreuséparladouleuretelleavaitl’aird’êtreau-delàdel’épuisement.Satuniquesansmanchesétaitdéchiréeetelleétaitsale,pleinedesableettoujourscouvertedesang.Auniveaudesonépaule,souslesang,s’étalaitunénormehématomeviolet.

—Hé,bellissima,dit-il.Ellelevalessourcilsenluilançantunregardquipouvaitdifficilementafficherunscepticismeplus

marqué.—Tuasbesoindedavantagedepotion,déclara-t-elle.Elleprituneautrefioleetlaportaàseslèvrespourenretirerlebouchonenlemordant.Illasaisitparlepoignet.

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—Attends,çafaitcombienmaintenant?Onenavaitseulementcinqchacun.— J’en ai bu une. Un des ombres-loups m’a épinglée et je perdais beaucoup de sang. (Elle

commençaitàavoirdumalàarticulerclairement.)J’aidûd’abordréduirelafracturedemajambe.Jenepouvaisrienfairepourlesailes.Ellessonttellementbousillées.Enfinbref.

Ledésespoir épuiséde sesmots lui fendit le cœur.Soncorps avait été tellementmartyriséque lapotionavaitdûtoutjusteatténuerladouleuretrelancerleprocessusdeguérisonsurlablessurecauséeparlamorsure.

—Tuasbesoindecelle-làaussi.—Non.(Ellerecrachalebouchon.)Tuenasbesoinparcequetuesletypequiaunecordeàsonarc

enmatièredeguérison,n’est-cepas?Alorstuteremets,etensuitetupourrasm’aider.Cequ’elledisaitrelevaitdubonsens.Dèsqu’ilauraitretrouvédesforces,ilpourraitl’aiderenlui

prodiguantaumoinsdessoinsdebase.Illâchasonpoignetavecréticence.—Soit.Elleportaunenouvellefoislafioleàseslèvresetilbut.Unedouleurterriblel’assaillitdenouveau

comme la Force contenue dans la potion forçait ses blessures à guérir. Toutefois, ces potions avaientleurs limites.La rémission complète dépendait des ressources de l’organisme,mais elles permettaientparfoisdefaireladifférenceentrelavieetlamort.

—Donctuesvivantmaintenant,marmonnaAryal.Bien.Ilsentitsonbrassedétacherdeluietilserattrapasuruncoudeaumomentoùillasentitglisser.Ilse

retournaetdécouvritqu’ellegisaitsurlesable.Soncœursurmenés’affola.Iltenditlamainpourvérifiersonpouls.Ilbattaittropvite,maisilbattait

avecvigueur.Lesoulagementluidonnapresquelevertige.Cettemissionl’avaitfaitvieillird’aumoinsvingtans.

Illaregarda,étenduesansconnaissancesurlesable,puisilregardaautourd’eux.Elles’étaittraînéejusqu’àl’appontementetavait trouvésongrandarcetsonsacdeprovisions,etelleavaitconfectionnéuneattellepoursajambecasséeavecleboisdeleursarcs,lesattachantàl’aidedescordes.Lapiècedeboisétaitbeaucouptroplonguepoursajambeetlestraceschaotiquesqu’elleavaitlaisséesdanslesableindiquaientàquelpointelleavaitpeinépourretournerauprèsdelui.

La passion et la volonté que cela avait dû exiger d’elle lui firentmonter les larmes aux yeux. Iln’avaitpaslesmotspourdécrirecequ’ilvoyait.

Pasdemots,sauf:—Jecroisquetupourraisbienêtreàlafoismonsuicideetmonsalut.(Etilavaitbesoind’ellepour

lesdeux.)Jet’aimecommeunecrisecardiaque,femme.Ellene réponditpas.Elleavaitperduconnaissance. Il se tourna sur soncôté indemneet seblottit

contreelle, sang,crasse, sable,et tout le reste,puisquelqu’undut éteindre ses lumièresparceque lesténèbresl’entraînèrentdenouveaudansleurgouffre.

Lalumièredujourleréveilla.Ilnelevoulaitpas.Ilcouvritsatêted’unbrasetsomnolaunmoment,maislesoleilsemitàtapertropfort.Ilfinitpars’asseoirpourregarderautourdelui.

Lecorpsmutiléetcrevédelagarcegisait toujoursdanslesableoùAryal l’avait laissé.Quelquesmètresplusloin,satêteballottaitauborddurivage.Unéclatderirequirésonnacommeunaboiementjaillitdeluiàlavueduspectaclemacabre.Celaluifittellementmalqu’ilarrêtanet.Cen’étaitpasdrôle,detoutefaçon.

IlsepenchasurAryaletrepoussadoucementsescheveuxmaculésdesangpourdégagersonvisage.Son pouls ne battait plus à un rythme aussi alarmant et continuait à être régulier. Le soleil avait déjà

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commencéàfairerosirsapeaupâle.Son tourétaitvenudeprendre la situationenmain. Il réussit à semettreàgenoux,puisdebout. Il

avaituneenviefrénétiquedesedébarrasserdesonarmure,maisenbaissantlesyeuxsurlemagmamoitiéfonducolléàsapoitrine,ilsutquelegesteallaitluifaireatrocementmal.Ilfallaitpareraupluspressé.

Sonsacdeprovisionsétaitposéàcôtéd’elle,ainsiquetouteslesfiolesvidesdisperséesquiavaientcontenu lapotiondeguérison.Bon, ilyavaitde lanourrituredans lesacetavecunpeudechance labouteilled’eau-de-vienes’étaitpascassée.Lajournées’annonçaitunpeumieux.Ilsedirigeaenboitantvers le bateau amarré au bout de l’appontement pour y chercher l’outre d’eau. Maintenant, un abri.Ilcherchadanslesbateauxetfinitpartrouverunevoileentoilerepliée.Puisilretournaauprèsd’Aryalentraînantlavoilederrièrelui.

Enfonçantlespointesdeleursépéesdanslesabledepartetd’autred’elle,ilsaisituneextrémitédelavoileetl’accrochaauxpommeauxdesortequelamoitiésupérieureducorpsd’Aryalsoitàl’ombre.

—Jesuisunsacrégénie,luidit-il.Lecridesmouettesluirépondit.Aprèsavoiravalédeuxgorgéesd’eau, il s’agenouillaet souleva la têted’Aryalpourmouiller ses

lèvres. Puis il reboucha l’outre et s’étendit à côté d’elle, partiellement à l’ombre. Il s’occuperait deretirerl’armureaprèsunbrefrepos.Ilfallaitjustequ’ilfermelesyeuxpendantquelquesminutes.

Iltrouval’unedesesmainsetentrelaçalesdoigtsaveclessiens.Cettefois-ci,quandlesténèbresl’engloutirent,unecertainepaixs’étaitglisséeeneux.Ilrêvaqu’ilsetrouvaitdansunsauna.LatêtetranchéedeGalyaétaitposéesurlebancetleregardait

engrimaçant.Elleessayaitdeleconvaincrequ’ilvoulaitdevenirsonombre-panthèreetilluidonnauncoup de pied, l’envoyant valdinguer dans un coin, ce qui allait à l’encontre du règlement du sauna.Quelqu’un semit à frapper la porte pour protester, et cela l’irrita à un tel point qu’il se réveilla ensursaut.

Au-dessusdelui,unebriseconstantevenantdelamerfaisaitclaquerleborddelavoile.Lesoleilavaitentamésondéclindansleciel.Ilsavaientdormitoutelajournée.

Inquiet, il se dépêcha de s’asseoir, choisissant d’ignorer les tiraillements de protestation de sesmuscles endoloris et des gigantesques croûtes qui couvraient sa poitrine, son épaule, son cou, et sonvisage.Iln’avaitpaseul’intentiondedormirsilongtemps.

Son œil blessé était collé, mais quand il l’ouvrit à l’aide de son pouce et de son index, il futprofondément soulagé de constater que sa vision était presque revenue à la normale.Avec un peu dechance,ill’auraittotalementrécupéréedansunjouroudeux.

Se tournant, ilsepenchasur lasilhouette inerted’Aryal.Dormait-elle–ouétait-elleévanouie?Ilétaitplusque tempsqu’ellereçoivedessoinsàsontour. Ilpalpadoucementsoncorps.Fracturede lajambe,côtesfêlées,poignetméchammentfouléettellementenfléqu’ilnepouvaitenfaireletouravecsesdoigts.Ilsoulevalebasdesatuniqueetfuthorrifiédedécouvrirquelacontusionnoireauniveaudesonépaules’étendaitsurtoutelalongueurdesontorse.Vulataillequ’elleatteignaitàlaceinture,elledevaitprobablementrecouvrirégalementsajambe.

Quediable luiétait-ilarrivé?Celaprovenait-il totalementdesachutede la falaise?Etpuis ilyavaitsesailesàfaireentrerdansl’équation.Elleavaitaccumuléleslésionsetlesblessures.

«Jesuiscomplètementbousillée»,avait-elledit.Ilsefrottalanuque.Enmatièredeguérison,iln’avaitqu’unecordeàsonarc,c’étaitunfait,etilne

connaissaitpassuffisammentlesartsdelamédecinepoursavoirs’ilferaitempirerleschosespoursesailes qu’il ne voyait pas en tentant de les soigner. Caerreth avait raison. Quand une blessure était

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suffisamment grave, et c’était le cas avec elle et son articulation du carpe broyée, parfois, un sortélémentairedeguérisonnefaisaitquesouderlesdommages.

Maisilfallaitbienqu’ilcommencequelquepart.Toutdevaitresterlocalisésimplement.Ils’occupad’aborddesajambe,répandantlesortdeguérisonsurlefémurpourquelafractureseressoude.Puisilsepenchasursonpoignet.TandisquesaForcedésenflaitleschairs,ildéchiraunebandedelavoileafinde pouvoir le bander. L’articulation allait avoir besoin d’être soutenue pendant qu’elle finissait de sesoigner.

Iltournaensuitesonattentionsursescôtesfêlées,posantunemainlelongdelacourbedesontorse.Ilvenaitàpeinedecommencerquandellesaisitsonpoignet.

—Arrête,grogna-t-elled’unevoixrauque.Lesangavaitséchépartoutsursoncorpsetelleétaitàpeinereconnaissable.—Non,dit-ild’untonmécontent.—C’esttrop.Tun’aspasencoresuffisammentrécupéré.—Si.Jepeuxcontinuerencoreunpetitpeu.—Ilfauttoujoursquetoutsetransformeendisputeavectoi,grommela-t-elle.Ilhaussaun sourcil avec incrédulité en la regardant,maisne sedonnapas lapeinedegratifier la

remarque d’une réponse. Au contraire, percevant à quel point son organisme stressé et ses blessuresabsorbaientlessoinscommeuneéponge,ilaugmentaencoreunpeulevolumedeForceavantdedevoirconcéderqu’ilétaitvidéetd’arrêter.

Elles’efforçades’asseoiretilpassasonbrasvalidesoussesaissellespourl’aider.Ellepassalesbrasautourdesatailleetilsseretrouvèrenttoutnaturellementappuyésl’uncontrel’autre.Illovasatêtedanssoncouetlatintavecprécaution.

Auboutd’unmoment,elletenditlamainversl’outred’eauetquandelleeutbuàvolonté, ilfitdemême.L’outreétaitpresquevidequandileutfini.Illarebouchaetlasecoua.

—Vafalloirgérercettequestionbientôt.—Ilyaurade l’eau fraîcheau sommetde la falaise. (Elle regardaavec lassitudeendirectiondu

sentierquiymenait.)Ilfaudrajustequ’onarriveenhaut.—Chaquechoseensontemps.Ilfouilladanslesacetensortitdupaindesvoyageurs.Labouteilled’eau-de-vien’étaitpascassée.

Yes.Ilsmangèrentlentementetprirentdesgorgéesd’alcoolencontemplantlecoucherdusoleil.— Si je ne vois pas un autre morceau de pain des Elfes pendant cent ans au moins, ça ne me

dérangerapas.Elleopinaenregardantautourd’euxetilfitlamêmechose.LecourantavaitrejetélatêtedeGalya

surlaplageàcôtédel’appontementquisetrouvaitleplusprèsd’eux.—J’aimebienlavoirpourrir,dit-elleauboutdequelquesminutestoutenmâchant.Elleavaituntontellementpaisible.Illâchaunpetitrirequineluifitpasaussimalqu’avant.Illui

racontasonrêveetelle lui lançaunregardsombrequiaufondétaitpresquerieur.Celasignifiaitbienentenduqu’il devait aussi lui confier ce que l’ombre-loup lui avait dit et elle pâlit sous la couchedecrassequidissimulaitenpartiesestraits.

—Ilsétaientwyrsenfindecompte,murmura-t-elle.—Oui. J’espère qu’ils ont trouvé la paixmaintenant. Est-ce que tu as déjà entendu parler de ce

ChaudronduPhénixqueleloupamentionné?Ellesecoualatêteethaussalesépaules.—Jemedemandes’ils’agitdel’unedesseptMachinesdesdieux.Saufquetouslesrécitsrapportent

queNumenlaurn’enavaitqu’une.

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Ildécidadepenseràautrechosequ’àcemystère,finitsonmorceaudepainetdéclara:—Leparapenten’estpasuntrucdébile.Elleleregardasanscomprendre.—Lacrisequetuaspiquéeplustôt,expliqua-t-il.Tuasdit–hurlé–queleparapenteétaituneidée

débile,etcen’estpasvrai.Cen’estpasvrai,beauté.Ellebaissalatêteetmarmonnaquelquechosetellementbasqu’ilfaillitnepasl’entendre.—Çal’estsitun’espaslàpourenfaireavecmoi.Sagorgeseserra.—Çan’arriverajamais.Ellesetournaetleregarda,ettoutétaitlàaufonddesesyeux:lapeur,lavulnérabilité,etunamour

interloqué,farouche.L’incertitude,aussi.Ilécrasacequ’ilvoyaitendernierdetoutelaforcedesapersonnalité.—Tum’aspromisquetuallaist’ensortir,àtoutprix,gronda-t-il.Ettuvast’ensortir.Tunemettras

pasendangertoncompagnondevie.Il soutint son regard jusqu’à cequ’elle fasseun signed’assentiment, clignant rapidement lesyeux,

puiselledétournalatêteavantderevenirverslui.—Tuasvraimentmauvaisemine,luidit-elled’unevoixmalassurée.Pourquoiest-cequetun’aspas

encoreretirécettearmure?Tudoiscuireparcettechaleur.Iltouchalacroûtesursajoueenluidisant:—Jeretardelemoment.Jecroisquelatuniquedessousestcolléeàmapoitrine.Lesyeuxd’Aryals’agrandirentd’horreur.—Tul’aslaisséecolléeàtoi?MonDieu,donne-moiuncouteau.—Tunepeuxpaslacouper!s’exclama-t-ilavecahurissement.Jepensequ’ilfautqueçatrempe.Elleagitaunemainavecimpatienceenregardantautourd’eux.Ellefinitparchoisirl’unedesépées

courtesets’agenouillaàcôtédelui,sajambecasséeétenduecommeelleleputsurlecôté.Delapointede la lame, ilscoupèrentprécautionneusement lesattachesqui retenaient lesplaquesde l’armureentreelles.Sonséjourdans l’eausalée lesavait faitgonfler.Puis ils retirèrentchaquepièceuneparune. Ilpoussa un profond soupir de soulagement quand la dernière pièce, le plastron endommagé, se détachasansproblème.

Ilsbaissèrentlesyeuxsursapoitrineoùlatuniqueétaiteneffetcolléeàuneénormecroûte.Lamainvalided’Aryalsurgitetellearrachalevêtementd’uncoupsec.Ileutl’impressionqu’unecouléedelaveenfusiondévalaitsursapoitrine.—AAAAARGH!rugit-ilavecfureurenserrantlespoings.Pourquoias-tufaituntrucpareil?!—Est-cequecen’estpasmieux? (Sadémoniaquecompagne levait lesdeuxmainsdansungeste

d’apaisement.)Tuvois,c’estfaitcommeça.C’estdel’histoireanciennemaintenant.—T’asjamaisentenduparlerdeUN-DEUX-TROIS!hurla-t-il.— C’est surfait comme technique. Je ne la recommande jamais. L’effet de surprise est toujours

préférable. (Samoue satisfaite s’estompa lorsqu’elle examina la plaie sanguinolente et à vif.)Heu, tupeuxfaireuntrucpourça,làmaintenant?Tupeuxjeterunsortdeguérisonsurtoi,n’est-cepas?

Ilavaitretrouvédel’énergieaprèsavoirbuetmangé,maisiln’étaitpasd’humeuràleluirévéleràl’instantprésent.

— J’ai utilisé tout ce que j’avais pour te soigner, imbécile, répliqua-t-il d’un ton hargneux, et tul’auraissusitum’avaisparléavantd’intervenir.

Elleécarquillalesyeuxavecconsternation.—MonDieu,vraiment?

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Intérieurement,sonsenssardoniquedel’humourcommençaitàriredoucement.—Nousn’avonsrienpournettoyercetteplaie,luidit-illamentablement,etrienquipuisseservirde

pansement.Jesupposequ’onpourraitdéchireruncoindelavoileets’enservirs’illefautvraiment.Laconsternationd’Aryalsetransformaenindignation.— Certainement pas ! Cette voile ne peut être que crasseuse et puis c’est de la toile grossière

épaisse.Autantprendredespoignéesdesableetlesjetersurtoi!—Qu’est-cequejesuiscenséfaire,metournerlespoucesetsaigner?Ellefitunegrimaceetregardaavecappréhensionlesentierescarpéquibalafraitlafalaise.—Il fautqu’onarrive là-haut,d’unemanièreoud’uneautre.Onaurabientôtbesoind’eau fraîche

etnousdevrionsbientrouverlà-basdequoifaireunpan…Il jeta un léger sort de guérison sur lui-même. Le saignement ralentit, puis cessa comme la plaie

cicatrisait.Ellerefermalaboucheetpinçaleslèvres.—Tul’asfaitexprès,accusa-t-elle.—Tucrois ? (Il regarda endirectionde l’eau et sesmâchoires se crispèrent.) Jenepeuxplus le

supporter. Il faut que je sois propre.Oumoins sale aumoins. Et si tu crois que j’ai une sale tête, tudevraisteregarderdansunmiroir.

—Pasutile.Cequejepeuxvoirestsuffisammentcatastrophique.(Elleregardal’eauavecenvieelleaussi.)Est-cequetuestropencolèrepourm’aideràmelever?

—Biensûrquenon,bêtasse.Ilseleva,tenditlesmainsverselleetlatirapourqu’ellepuissesemettredebout.Sajambeblessée,

toujoursmaintenueparl’attelletroplongue,lafaisaitaffreusementboiter.—J’enairasleboldecettehorribleattelle,dit-elleexcédée.Jeferaistoutaussibiendelacouperet

qu’onn’enparleplus.—Pasencore.Garde-laencoreunenuitparprudence.Etmêmedemain,tunedevraispast’appuyer

surcettejambetoutdesuite.Ilpassaunbrasautourdesatailleetl’aidaàsauteràcloche-piedjusqu’àlamer.Puisilsplongèrent

touthabillésetsefrottèrentl’unl’autrepouressayerdesenettoyerlemieuxpossible.Aryalramassadespoignéesdesablepourtenterdegratterleplusgrosdusangséchéquimaculaitsapeauetsescheveux.

Ilsnes’attardèrentpasdans l’eau. Ilnevoulaitpas risquerdedécollerdenouveausescroûtesenrestanttroplongtemps,etpuisiln’étaitpasprudentpoureuxderesterlongtempsdebout.S’ilsavaientétéàNewYork,ilsseraientàl’hôpital.

Ilss’aidèrentensuitemutuellementàréintégrerleur«tente».Quentinétaitsiépuiséqu’ilpouvaitàpeinesetenirdeboutetilvoyaitàlapâleuretl’expressiondesacompagnequ’ellen’étaitpasmieux.Vul’étatdesesailesblessées,elleétaitprobablementbienplusmalenpoint.

—Jesouffretellementetjesuistellementfatiguée,ettoutcequejeveux,c’estunautrecâlin.Il déglutit en caressant ses cheveuxmouillés, puis il l’embrassa sur le front. Elle sautilla pour se

retournerets’appuyasursonépaulevalidetandisqu’illatenaitdanssesbras.—Jedevraisessayerdetrouverduboispourfaireunfeu,murmura-t-il.—Netedonnepascettepeine,marmonna-t-elle.Ilfaitassezchaudetl’airnousséchera.Cequeje

neveuxpas,c’estm’allongerencoreunefoissurlesabledanscesvêtementsmouillés.Iltirasurlavoileàmoitiépliéedesortequ’ellerecouvrelesable.—Voiciunlit.—C’estmieuxquelacellule.

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—Peut-être, mais pas beaucoup plus. (Il l’aida à s’allonger dessus et la rejoignit, veillant à cequ’ellesetrouveducôtéoùiln’avaitpasmal.Ils’étenditenpoussantungrognement,puistenditsonbrasvalide.)Vienslà.

Elleserapprochaavecprécautionetselovacontrelui,puisillaserraetsentitsonuniversretrouverl’équilibre.Aryalpoussaunlongsoupirquiébranlasoncorps.Elleposaunbaisersursonépaulenueetenroulasonbrasautourdesataille.

—Ondevraitpouvoirprendreunbateaudemainmatin,marmonna-t-elle.Peut-êtreévitertotalementlesentierdelafalaise.Tunecroispas.

—Si.Maisilsn’avaientpasbesoindepenseràcelapourlemoment.Lesoleils’étaitcouchéetlachaleurs’étaitdissipée.Unebrisecontinuaitàsoufflerdelameretson

pantalon,froidethumide,luicollaitaucorpstandisquesesbrûlureslecuisaientdouloureusement.Souslui, le sable était dur et formait de petites bosses, et il avait rarement été installé aussi peuconfortablement.

Etiln’avaitjamaisétéaussiheureux.Endépitdesassurancesd’Aryal,toutefois,ilsefaisaitdusoucipourelle.Plusletempspassait,plus

sesailesrisquaientdesouffrirdesdommagespermanents. Ilétaitprêtàrentreret impatientdevoircequelamédecinepouvaitfairepourelle.Maisc’étaitunetâcheréservéeaulendemain.Pourlemoment,commelecorpsdesacompagnesedétendaitcontrelesienetquesarespirationsefaisaitégale,ilétaittout simplement reconnaissantqu’ilsaient survécuun jourdeplus. Il tirauncoinde lavoile sur leursjambespourlesprotégerdusouffledelabriseetsombradansunsommeildeplomb.

Quelquechosel’éveilla.Unsonouungrandmouvementdanslesairs.Ilclignalesyeux,essayaentoutcas,etfinitparenouvrirunàmoitiécarceluiquiguérissaitétaitdenouveaucollé.

L’aubeimminenteavaitpâlileciel.Unegrandesilhouetteailéedescenditenbiaisetatterrit,puisuneautre.Etuneautreencore.DesWyrslesentourèrentetreprirentleursformeshumaines.Ilsportaienttousdessacsàdosetétaientlourdementarmés.

QuentinpoussadoucementAryal sur l’épaule.Elle se réveilla et leva la têtepour regarder autourd’eux.

Presque toutes les sentinelles étaient là.Alex,Bayne,Constantine,Grym.PasGraydon. Il avaitdûtirerlacourtepailleetresterenfactionàNewYork.

Dragosétait là, luiaussi,ainsiquePiaetEva.PiaportaitLiamdansunharnaispourbébé.Linweaccompagnaitlegroupe.

Quentinn’avaitjamaisvuDragosavoirl’airaussiabasourdi.Endépitdesnombreusesdifférencesdetempérament et de personnalité au sein du groupe, chacun affichait la même expression d’incrédulitétotaleenserapprochantetencontemplantlecoupleenlacésurlaplage.

Quentininspiraprofondément.Oui,bon.Yavaitça.Aryaloffritd’untonencourageant:—Iladesproblèmesavecdestrucs.—Tais-toi,grommelaQuentin.Unecurieuseexpression se lut sur les traitsdePiaet il tirauncoinde lavoilepar-dessus la tête

d’Aryaletlasienne.

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21

Aprèsavoir contemplé le chaosqui jonchait laplage, tout lemonde semit au travail.LecorpsetlatêtedeGalyadisparurent.Unjour,Aryalleurdemanderaitcequ’ilsenavaientfait,mêmes’ilsavaientprobablementchoisiletrucprévisibleetbanaldel’enterrerquelquepart.

D’autresrassemblèrentlesacdeprovisionsdeQuentin,lesarmeselfiquesqu’ilsavaientempruntées,les fioles vides de potion et la bouteille d’eau-de-vie, puis replièrent la voile qui avait servi à lesprotéger pendant que Pia et Alex, qui était le technicienmédical le plus expérimenté des sentinelles,examinaientQuentinetessayaientd’examinerAryal.

—Nemetouchezpas,fit-elled’unevoixrauque.Ilshésitèrenttouslesdeux,manifestementpeudisposésàl’écouteralorsqu’elleétaitblesséeaussi

grièvement.—Faitescequ’ellevousdit,leurintimasèchementQuentin.Elleabesoindevoirunspécialistedès

quepossible,pasd’uneautreséancedesoinsapproximatifs.SontonétaitsidurquePiaetAlexeurentunmouvementderecul.L’expressiondePiaétaittendueet

fermée par une émotion qu’elle refoulait quand elle confiaLiam àEva.Aryal l’observa distraitements’entreteniravecQuentinàvoixbasse.Puisilss’éloignèrentencontinuantàdiscuter.

Lorsqu’ilsrevinrentquelquesminutesplustard,Quentinétaitremis.Complètement.Lors de la bataille deux mois plus tôt, en janvier, Dragos avait été gravement blessé – plus

grièvementqu’Aryalnel’auraitjamaiscrupossible–,pourtant,aprèsquePias’étaitoccupéedelui,ils’étaitlevé,apparemmentindemne.

Piaavaitdoncfaitappelàlamagiemystérieusequ’ellesavaitinvoquerpourguérirQuentin.Aryalenétaitheureuse.C’étaitunsoucidemoins.

Quentinn’étaitpasintact,toutefois.Ilavaitdescicatricessurlapoitrine,l’épaule,lecou,lelongdel’arêtede sapommetteet sur l’arcade sourcilière.Elle sedemandait si cela s’expliquaitpar lanaturemagiquedesesplaiesouparcequedutempsavaitpasséetqu’ilétaitdéjàpartiellementsoignéquandPiaavait pu intervenir.Au bout du compte, la raison n’avait pas d’importance. Il allaitmieux et le nœudd’inquiétudequil’oppressaitserelâchaunpeu.

Dès que Quentin avait prononcé le mot « spécialiste », Dragos s’était rapidement avancé auprèsd’Aryalquiétaitrecroquevilléeetavaitpassélesbrasautourdesongenouvalide.Elleavaitcoupélalongueattelle,maisnevoulaitpasfatiguersajambequ’ellegardaittendue.

Dragosposaunemainsursonépauleetluiposalaquestionduregard.Ellen’arrivapasàprononcerlesmotsàvoixhaute.—Mesailessontbousillées,luidit-elletélépathiquement.

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L’inquiétudeélargitlesyeuxd’ordeDragos.SaForcelatransperçaafind’effectuerunescanographierapide,quoiqueexhaustive,desonorganisme.Puisilsemétamorphosaendragontellementabruptementquetoutlemondeduts’égaillerpourluidonnerdelaplace.

—Nouspartonsimmédiatement,dit-ilàPia.IlfautamenerAryalàl’hôpitalauplusvite.Quentinaraison, elle a besoin d’être opérée. Les os brisés de ses ailes n’ont pas été remis correctement et ilscommencent déjà à se ressouder. Un sort de guérison maintenant risque d’entraîner des dommagespermanents.(Ilsetournaverslesautres.)Nerestezqueletempsdenettoyeretderatisserlecoinpourvoirs’ilrestedespillards,puisrentrezàNewYork.

Pia, Liam, Eva et Quentin grimpèrent sur le dos du dragon. Aryal ne pouvait pas s’asseoir àcalifourchon à cause de sa jambe cassée et elle s’assit donc de côté etQuentin passa les bras autourd’elleen la tenant solidement.Dragos lesenveloppadesaForcepour lesprotégerdesvents froidsetmordantsetilvolaàunetellevitessequ’ellevitlaroutequeQuentinetelleavaientsuiviejusqu’àlacôtedéfilerenarrièrecommeunfilmqu’onrembobine.

Ellevitlavenelleoùlesombres-loupsl’avaientmutilée.Lagrandedemeureaveclachambred’enfantsilencieuse.Lalongueprairie,ondulantcommeuneautremer,etlaforêtetunbrefaperçudulitdelarivièrequi

n’étaitpaspluslargequ’unruisseau,etenfinlamaisonduGardienbâtiehautsurlafalaise,nonloindupassage.

C’étaitpresquecommesielleobservaitlesévénementsrécentsdesaviesedéfaire,saufquecequ’ils’étaitpasséàNumenlaur,pourlemeilleuroupourlepire,l’avaitmarquéedefaçonindélébile.

Dragosneralentitpasenarrivantaupassage.Ilaccéléraaucontraire.Lepoulsd’Aryals’affolaensesouvenant de la manière dont le canyon se rétrécissait au niveau du sol, mais au dernier moment, ledragonrepliacomplètementsesailesetprofitadesonélanpourfonceràtraversl’ouverture.Ilyavaitsipeudemargequ’elleauraitputendrelamainettoucherlesparoisducanyon.

Dèsqu’ilseurentfranchilegouletd’étranglement,ildéployadenouveausesailesetilsjaillirentdupassagesansavoirjamaistouchéterre.

Del’autrecôté,laForêtdeBohèmesemblaitpâleetfroideaprèslachaleurestivalequ’ilsvenaientdequitter.Elleaperçutuncampementhâtivementdresséprévupourungroupebeaucoupplusimportantque quatre Elfes inexpérimentés. Le nouveau seigneur Ferion avait appris une dure leçon.Malheureusement,elleavaitcoûtéuneviedeplusauxElfes.

—Combiendetempss’estécoulédececôtédupassage?demandaQuentin.—Presquedeuxsemaines,réponditPia.Letempsavaitpasséplusvitequ’àNumenlaur.—Plzenestlavillelaplusprochequiauraunhôpital,ditDragos.(Lavoixgravedudragonvibra

danstoutsoncorps.)C’estlàquenousallons.—Non, coupaAryal. (Tout lemonde se retourna pour la regarder. Elle secoua la tête.) Je veux

rentreràlamaisonetconsulterdesmédecinswyrs.Personnen’essayadediscuter.Ellesavaitques’ilsétaientàsaplace,ilsvoudraienteuxaussirentrer

àNewYork.—Dans ce cas, je vaismarchander avec l’undesdjinnspournous faire transporter àNewYork,

proposaDragos.—Paslapeine,dit-elleaveclassitude.J’appréciel’effort,maisçanevautpasledangerpotentiel

d’unmarchéconcluavecundjinn.Mesblessuresontdéjàtellementguéridepuislapremièreattaquedontnousavonsétévictimesquedeslésionssesontdéjàsolidifiées.

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Ildéployasesailesetplanaunmomentenréfléchissant.Sonlangagecorporelindiquaitclairementsaréticence.Toutlemondegardalesilenceenattendantsadécision,tandisqueQuentinlaserraittellementfortqu’illuifaisaitpresquemal.

PuisDragossedirigeaversl’aéroportdePlzenoùl’aviondel’entreprisesetenaitprêtàdécoller.Ilsembarquèrentrapidementetsanscomplications.Quelquesinstantsplustard,l’avionroulaitsurlapisteetdécollait.Quandledirigeantdel’undesdomainesdesAncienslesplusimportantsdumondegéraituneurgence,ilpouvaitradicalementréduirelesformalitésbureaucratiques.

Dèsquel’avioneutprisassezd’altitude,DragosetQuentincommencèrentàpasserdescoupsdefil.Aryal était étendue sur l’un des canapés, les yeux fermés pour lutter contre un violentmal de tête, etcaptaitdesbribesdeleursconversations.

«…Informerl’hôpitaldenotrearrivée.Nousyseronsdanshuitheuresetdemiemax…»«…AppelezDrShawetdemandez-luid’assembleruneéquipechirurgicale…»«…Réserverunesalled’opérationetlatenirprête…»—Jemefichequelessallesd’opérationsoientlimitées,ditDragosavechargne.Ils’agitd’unede

messentinelles.Nousarriveronsdèsquenouslepourronsetvousgarderezcettesalleprêteetdisponibleoujedémoliraivotrehôpital.C’estcompris?

VenantdeDragos,cen’étaitpasunemenacevaine.Apparemment,l’administrateurquisetrouvaitàl’autreboutdufilcompritlemessageparcequecefutlafindecetéchange.

Aryaldormitplusoumoinspendantleresteduvol.Quandelles’éveillait,Quentinl’encourageaitàboireleplusd’eaupossible,etellefaisaitcequ’illuidisait.Detempsàautre,elleapercevaitPia,tenantLiam, les yeux rivés sur elle.Curieusement, le bébé semblait la regarder lui aussi avec attention.SestraitsdeBouddhaminiatureparaissaientpensifs.

Maiscen’étaitpaspossible.Ladouleuret lafatiguedevaient lafairehalluciner.Liamn’avaitquequelquessemaines.Ellenepensaitpasqu’ilétaitdéjàenmesuredesuivrequoiquecesoitdesyeux.

Enmoins de deux jours, d’après son horloge biologique en tout cas, Aryal passa d’une plage deNumenlauràuneinterventionchirurgicaleàManhattan.

Sonarrivéeàl’hôpitalsedérouladansunbrouillard.Soussaformewyr,soncorpsetsonenvergureétaient beaucoup trop grands et insolites pour pouvoir passer une IRM. Des infirmières firent desradiographiesdesarticulationsdesesailesparsections.

Puis elle rencontra la chirurgienne qui était unWyr-faucon aux yeux vifs. Elle s’appelaitKathrynShaw et avait d’épais cheveux châtains, des yeux brun doré et dans son corps nerveux et mince unflamboiementdeForceaussiacéréquesonscalpel.

KathrynétaitsouscontratavecDragospourtraiterlepersonneldehautniveauquandillefallaitetAryallaconnaissait.Aufildutemps,Kathrynavaitopérétouteslessentinellespourdesblessuressubiesdans le cadrede leursmissions.Le faitde la connaître etqu’enpluselle soitune femmeetuneWyr-oiseauréconfortaiténormémentAryal.Ilétaitpossiblequesesailesnepuissentpasêtreréparées,maisaumoinsellesavaitquecettechirurgienneressentiraitinstinctivementtoutéchecauplusprofonddesonêtre.

Laconsultationpréopératoirefutbrèveetdirecte.—Hé,Aryal,ditlachirurgienne.Ilparaîtquevotrevoyageaétéunpeumouvementé.—Onpeutdireçacommeça,dit-elleenserrantlesdents.La praticienne était manifestement trop intelligente pour offrir une poignée de main à une harpie

stresséeettoutesserresdehors.Kathrynfitunelonguescanographiedesailesd’Aryalenfaisantappelàsamagie.Sonexpressiondemeurad’uneimpassibilitéabsoluependanttoutl’examen.

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Quentinnequittapasunesecondelechevetd’Aryal.Pendantquelachirurgiennel’auscultait,ilsaisitsespoignetsetluiparlapartélépathietandisqu’ellecrispaitlesmainsetsouffraitl’invasiondelaForcedequelqu’und’autrecourantdanssoncorps.Laharpiedétestaitcelaetdevaitseretenird’attaquer.

—Jeneveuxpasêtreendormie,annonçaAryal.(ElleregardaQuentinfixement.)Jenepeuxpas.— Vous savez très bien que ce n’est pas une bonne idée, dit Kathryn. Je vous le déconseille

fortement.Ce sera plus sûr pour vous et pour tout lemonde si je vousmets sous anesthésie générale.Sinonvousallezvousdébattreavecvosinstinctspendanttouteladuréedel’intervention.

—Non,gronda laharpie. (L’idéedebasculerdansun trounoirpendantquequelqu’unouvraitsoncorps à l’aide d’un scalpel donnait envie à Miss Barjot de revenir s’amuser.) Vous utiliserez uneanesthésielocale.

KathrynetQuentinéchangèrentunregard.—Est-cequevouspouvezlacontrôler?demandalachirurgienne.—Biensûrquejepeuxlacontrôler,répliquaQuentinavecexaspération.Chaquefoisqu’elleleveut

bien.Kathrynaccueillitlaréprimandeparunsilence.Elleposadenouveausonregarddefauconperçantet

calmesurlaharpie.—Jen’envisageraid’opérerquesivousêtessoussédationlourde.Sivousmemettezendanger,moi

oumon équipe, je cesserai immédiatement d’opérer et je ne reviendrai pas au bloc.Vous devez vousmaîtriser.Compris?

Laharpiedénudalesdentsetsiffla:—Compris.—Jevousverraiensalled’opération.(Kathryns’éloignaenmarmonnant.)Quelesdieuxaientpitié

demoi,jevaisopéreruneharpiealorsqu’elleestréveillée.Jemériteunemédaille.—Lâche,glapitfurieusementlaharpie.— Je crois qu’elle est tout sauf lâche, lui ditQuentin. Et j’essaierais deme détendre à ta place.

TuressemblesunpeuàFreddyKruegerpourlemoment,monchou.Laprisequ’ilavaitsursespoignetsétaitsiserréequ’Aryalsentitsesmainss’engourdir.C’estalors

qu’elles’aperçutqu’elleluirésistaitettentaitdeluifairelâcherprise.Elles’efforçadesecalmer.Ellene pouvait pas supporter de regarder par-dessus son épaule ses ailes étalées sans vie sur la tabled’examen,sinonellerisquaitdesedébattredenouveau.

Puisilsattendirent,etattendirent.Aryalenfouitsesmainsdanssescheveuxsursanuque,tintsatêteetfermalesyeuxpendantqueQuentinfaisaitlescentpasdanslasalled’examen.Elleentendaitdesgensparler dans le couloir. On aurait dit qu’ils se disputaient, même si elle ne comprenait pas ce qu’ilsdisaient.Ellereconnaissaitlesvoix,toutefois.L’uneétaitcelledeDragos.L’autreétaitcelledePia.

TellementdechosestournaientautourdePia.Puisune troisièmevoixse joignitauxdeuxautres,Kathryn.Le regardde laharpieseposasur les

cicatricesquimarquaientlevisagedeQuentin.Sesmusclesétaienttendus,maiselleparvinttantbienquemalàresterimmobileetàattendre.

Uneinfirmièrevintenfinleurdirequelemomentétaitvenuetlesguidaversleblocopératoire.Aryals’yrenditenboitant,luttantaveclapaniquequil’envahissait.

Quentin la suivait. Ils avaient tous les deux pris une douche à l’hôpital. La harpie avait refuséd’enfilerunetenuedepatiente,maisluiportaituneblouseetunpantalonstériles.IlavaitperduquelqueskilosàNumenlauret ilavait l’airplusélégantquejamais, lanoblessedesonvisagesoulignéepar leslumièresimpitoyablesdeslieux.

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IlsavaientàpeineatterriàNewYorkque lesgens ledévisageaientdéjà,étonnéset fascinés.Desfemmespourlaplupart.

Les cicatrices sur sa pommette et son arcade sourcilière donnaient l’illusion que lamoitié de sonvisageétaitmasquée.Lehasardfaisaitparfoisremarquablementbienleschoses.

Auxyeuxd’Aryal, ilavait toujourseu l’airdangereux.Désormais, l’abruti leplusobtuspouvait levoiraussi.

—Tuvasvouloirdelachirurgieesthétique?demanda-t-elle.Illaregardasanscomprendre.—Pourquoi?—Lescicatricessurtonvisage.Ilhaussalesépaules,detouteévidencel’idéelelaissaitindifférent.—Pourtouttedire,sijedevaisprendreletempsdefairequelquechose,jem’occuperaisd’installer

unjardinsurletoitau-dessusdemonappartement.Uncoindelabouched’Aryalsesoulevaparcequ’elleadoraitlescicatrices.—Tantmieux.Puis ils arrivèrent.L’infirmière poussa les portes pour eux et ils pénétrèrent dans un lieu étranger

remplidematérielmédical,d’unetabled’opérationetdeplusieurspersonnesportantdesmasques.Deuxd’entreellesétaientPiaetDragos.

Laharpies’arrêtaetserenfrognaenlesvoyant.—Qu’est-cequevousfaitesici?demanda-t-elle.Ledragonlaregardadesesyeuxdoréshypnotiques.—Fais-nousconfiance,murmuraDragosdanssatête.Oublietapanique.Toutvabienaller,Aryal.

Tun’aspasbesoindecombattrequiquecesoitici.Ah, ce serait donc ça, la sédation. Elle s’était posé la question, car l’adrénaline l’aurait aidée à

rejetertoutmédicamentavantqu’ilsaientpuavoirletempsdeterminerl’interventionchirurgicale.Elles’abandonnavolontiersàl’enchantementdudragonetmontasurlatablepours’allongersurle

ventre,appuyantlefrontsurlerepose-têtecommeonleluidemandait.Ilspoussèrentdestablesroulantesdechaquecôtéd’ellepourdéployersesailes.

Quentins’assitentailleurparterreafindepouvoirlaregarder.Illuipritdenouveaulesmainsetlesserracommedansunétau.

—Accroche-toiàmoi,dit-il.Nelâchepas.—OK.Elleluttapournepashyperventiler.LapièceseremplitdeplusieursForcesetellenesentitplusrienàpartirducou.Laharpiepoussaun

cri,unepaniqueanimaleetaveugleessayantdel’investirdenouveau,etledragonmurmura:—Aieconfiance.Pasbesoindelutter.Toutvabienaller.Ellesentitvaguementdestiraillements.L’odeurdesonsangemplitl’air.Ilsavaientouvertsoncorps.

Puiselleentenditd’autressonsquifaisaientpenserautapotementd’unburinoud’unpetitmarteau.—Jevaisdevoirdenouveaucasserça,ditlachirurgienned’unevoixcalmeettranquille.Crocstranchantscommedesrasoirs.Sonarticulationducarpebroyée.Lesmusclesdéchirés.Elleétaitperduedansuncauchemar,perdue…—Aryal,ditlecompagnondelaharpiepartélépathie.Regarde-moi.Regarde.Moi.Sesmotspénétrèrentàlafoislapaniquedelaharpieetl’ensorcellementdudragon.Illuicaressale

visagetandisqu’elleleregardaitetellesutqu’ilferaittoutpourassurerleursurvie.—Redis-moilespromessesquetum’asfaitesàNumenlaur.

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Seslèvrestremblèrent.—Tuasbesoind’êtrerassurémaintenant?Tuesvraimentunenquiquineurdepremière,hein?—Tu sais bien que tout est toujours à propos de moi, dit-il, la lueur inquiète au fond de ses

prunellesdémentantleurtentativedebadinage.S’ilteplaît,redis-les-moi.Cette promesse était faite de tant de mots, et puis autour d’elle, les gens étaient bruyants et lui

faisaient des trucs, et elle faillit lui hurler d’aller se faire voir. Tout cela tourbillonnait dans sa têtecommeunetornadequiauraitvoulusurgirdesoncorps.

Puiselleeutundéclicetfutenmesuredeseconcentrersurlui.—Jet’aifaitunepromesseavanttonentréedansmavie,dit-elle.—Jesais.(Ilyavaittellementd’amourdanssesyeux.Tellement.)Etj’ensuissireconnaissant.—Jene te trahirai jamais. Jenemettrai jamais ta vie endangerparmon imprudenceoumon

impétuosité.Jemebattraipouretavectoi,etjeserai–jeserai–Derrièreelle,quelqu’unmitenmarcheuneminusculescieetsestraitssetordirent.Quentinseredressasurlesgenoux.L’intensitédesonregardbleusegravadanslesien,repoussant

toutlereste.Illuiditavecferveur:—Jeseraitoujoursprésentchaquefoisquetupourraisavoirbesoindemoi.Ilavaitmémoriséchacundesesmots.C’estàcemomentprécisqu’elletrouvasonéquilibre.—Je ne te quitterai pas et je ne tementirai pas, et si tu acceptes d’être patient et indulgent,

j’apprendrai à pardonner, moi aussi, murmura-t-elle. Parce que tu es devenu la chose la plusimportantepourmoiaumonde.Jetedonneraitoutcequej’aiet toutcequejepeuxêtresi tupeuxseulementfairelamêmechosepourmoi.

—Etn’oubliepas,ajoutaQuentin,ilyaautrechose.Parcequed’unemanièreoud’uneautre,celavabienaller.

Ellesedétenditdanslaconvictionqu’ellelisaitdanssesyeux.Puiselleajouta:—Parcequejenevoudraijamaismettreendangermoncompagnonenfichantenl’airmapropre

vie.Illuisourit.Ellenecomprenaitpaspourquoiilavaitl’airsifier,vuqu’ellesesentaittoujoursaussi

déchaînéeetprêteàattaquer.—Etleparapenten’estpasuntrucdébile.(Ilpenchalatêteenarrièreetembrassaleslèvresdela

harpie.)Dumomentquenousenfaisonsensemble.—C’estunmarché,murmura-t-elle.Lemeilleurmarchédetous.Ilétaitunmagicien,iln’yavaitpasdedoute.Parsesseulsmots,ilavait

réussiàbannirlerestedesapanique.C’estalorsquequelquechosedevraimentétrangesepassa.S’adressantàsonéquipechirurgicale,

Kathryn leur ordonna brusquement de quitter la salle. Ils sortirent tous en murmurant, manifestementstupéfaits.Quandladernièrepersonneeutquittéleslieux,l’odeurdusangdequelqu’un–lesangdePia–flottadansl’air.

—Qu’est-cequevousfichezderrièremoi,bordel?demandaAryalàvoixhaute.—Tenezbonencorequelquesminutes,Aryal,ditKathrynd’un ton légèrementessoufflé.Vousêtes

formidable.Nousavonspresquefini.UnenouvelleForcecommençaàs’insinuerdanslecorpsd’Aryaletlasensationétaittoutsimplement

enchanteresse,fraîchecommeleclairdeluneetmerveilleusementclaireetlimpidecommelecristalle

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plus fin. Elle la remplit totalement, éliminant la douleur, absolument toute la douleur, et baignant sonespritdedouceurenluiinsufflantl’espoirleplusdélicat.

—MonDieu,s’exclamaKathryn.Regardez.Aryalentendaitlesmots,maisleursignificationluiéchappaitetn’avaitpasd’importance.Elleétait

plongéedanslaplénitudeetunesensationdeflottementquis’apparentaitàlaliberté.ElleavaitlesyeuxrivéssurQuentinpendanttoutcetempsetilsemblaittrèsému.

Elle prit vaguement consciencequeDragos reprenait la parole.Cette fois-ci, contrairement au tonqu’ilavaitadoptépourl’ensorcellement,savoixétaitdureetautoritaire.

— Personne ne parle de ce qui vient de se passer dans cette salle. À personne, est-ce que vouscomprenez?

LeregarddeQuentinpassaduvisaged’Aryalauxpersonnesquisetenaientderrièreelle.Ellevitsonexpressiondevenirprudente.Ilhochalatête.

—Jesuisliéeparlaconfidentialitéentremédecinetpatientet jevousaidéjàfaitcettepromesse,assuraKathryn.Jenedirairien.

—Veillezàlarespecter,avertitDragos.Iln’eutpasbesoindedire«oubien».AryaltournalatêteetvitDragosetPiasortir.PuisKathrynposaunemainsurlanuqued’Aryalets’accroupitpourlaregarderdroitdanslesyeux.

Lachirurgiennebaissasonmasque.Sonregardbrundorébrillaitdelarmesetellerayonnait.—C’estfini,ditKathryn.Toutseprésentebienmieuxquejenepouvaisl’espérer.Aryalsemitàfrissonnerparà-coups.—C’estencourageant?—C’estplusqu’encourageant,c’estextraordinaire.(Kathrynmaintenaitunepressionfermeetégale

sursanuque.)Maisavantdevousautoriseràvouslever,jevaisvousdirequelquechoseetilfautquevousm’écoutiezattentivement,d’accord?

—D’accord.— Ce qui vient de se passer est un miracle et je n’utilise pas ce mot à la légère. Du gâchis

épouvantablequej’aitoutd’abordvuàcequejeperçoismaintenant–iln’yapasdecomparaison.(Lachirurgienne prit une expression grave.) Alors écoutez-moi bien : ne prenez aucun risque avec cettechance qui vous est donnée. Vos ailes étaient tellement abîmées que j’étais convaincue que vous nepourriezplus jamaisvoler.Maintenant,vousavezunevraiechancedepouvoiryarriver,maisvousnepouvezpastenterdelefaireavantdeuxsemaines.

—Deuxsemaines?murmura-t-elle.Ellen’arrivaitplusàpenser.Aucoursdetoutesalonguevie,ellen’étaitjamaisrestéedeuxsemaines

sansvoler.LeregarddeKathrynsefitsévère.—Vous êtes une grande fille.Votre destin est entre vosmains et je ne donne pas d’ordres àmes

patients.Àvousdevoirsivoussuivezmonconseilounon.Maisvousavezgravementblessévosailesàdeuxreprises.Sivousnelaissezpasàvotreorganismeletempsderécupérerpourdebon,vousrisquezderéduireànéantlemagnifiquecadeauqu’onvientdevousfaire.Vousn’êtespasautoriséeàretravailler.Pasdecrises,pasd’excuses,pasd’exceptions.(Lemédecin laissapénétrer lesmots.)Est-cequevouscomprenezcequejeviensdevousdire?

—Oui,murmura-t-elle.—Bien. (Kathryn lui tapota l’épaule.) Je vaismaintenant neutraliser le sort d’engourdissement et

vouslaisservousasseoir.Jeveuxquevousrepreniezvotreformehumaineetlagardiezpendantquatorze

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jours.AryaletQuentinseregardèrent.—Ellevalefaire,ditQuentin.Ilfaudraitattendrequatorzejoursavantdesavoiraveccertitudesilemiracleavaitprisounon.Avantdesavoirsiellerevoleraitunjour.Quatorzejours.L’attenteallaitlatuer.

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22

QuandAryalrepritsaformehumaineets’assitauborddelatabled’opération,Quentinluiprésentaune tenuestérilepropre. Il l’aidaà la revêtir.Puis il luicaressa lescheveux tandisqu’elle s’appuyaitcontresapoitrine.

DragosetPiaavaientdéjàdisparu,etlachirurgienneégalement.Laportes’ouvritetuneinfirmières’approchaenpoussantunfauteuilroulant.

—Jeviensvousemmenerdansvotrechambre.Aryalrelevabrusquementlatête.Ellecontemplalefauteuild’unairdégoûté.—L’hôpital,c’estpourlesgensmalades,ditQuentin,etnousrentronscheznous.Lestraitsdel’infirmièresefigèrent.—OK,dit-elled’un tonhésitant.Attendez justequelquesminutespendantque jevaischercher les

formulairesdesortiequevousdevezsigner.Jerevienstoutdesuite.Ilsn’attendirentpas.Ilsremontèrentlecouloirdoucement,enlacés.—Cheztoiouchezmoi?demandaQuentin.—Ilyaunservicegénialdelivraisonsàdomiciledanslatour,dit-elle,articulantchaquemotavec

lesoindeceuxquisontextrêmementfatigués.Pasbesoindefairelacuisine.—Ilyaunservicedelivraisonspassablementgénialégalementau-dessusdubar.—Peum’importealors.—Allonschezmoi.Pendant qu’il attendait qu’Aryal ait fini de passer les radios, Quentin avait téléphoné à Kris,

l’assistantdeDragos,quiétaitarrivépeudetempsaprèsavecunnouveliPhonepourchacun,avectousleurscontactstransférés,etdeuxportefeuillesplatsavecdescartesdecréditetduliquide.

Il sortit son téléphone de sa poche revolver. L’écran indiquait qu’il était 20 h 32. Il déverrouillal’appareilavecsonpouce,puiscomposalenumérodeRupertaubar.

—Hé,patron,grommelal’hybridetroll.Contentquevoussoyezderetour.Vousn’êtespasunpeuenavance?

Quentinmit quelques secondes à comprendre.Rupert faisait allusion à leur bannissement deNewYorkdedeuxsemaines.

—Oublie,changementdeprogramme.Jerentreà lamaison, là.Vaà l’épicerieducoinacheterdequoiremplirmonfrigo,tuveuxbien?

—Pasdeproblème,répliquaRupert.—Merci.—Pendantquejevousaienligne,vouspouvezrépondreàquelquesquestionsconcernantlebar?—Non.

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Ilraccrocha.Unemployéde l’hôpital les rattrapaavantqu’ilspuissent s’éclipseretAryalduten findecompte

signerdesformulaires.Quand leur taxi s’arrêta devant leElfie’s, il était 22 heures passées.Après la chaleur estivale de

Numenlaur, la soirée d’avril était agréablement vivifiante. Le bar était animé, ce qui était une bonnechose, vu qu’il venait de se rappeler qu’il n’avait pas ses clés. Ils pouvaientmonter discrètement enutilisantl’entréequipassaitparlebar,saufque…

Ilregardales traitsanguleuxetpâlesd’Aryal tandisqu’elleobservait lafoulequisepressaitdansl’établissement. Il n’avait absolument pas l’énergie pour donner ce genre d’explications. Pas avantdemain.Oupeut-êtrelasemaineprochaine.

—Çanetedérangepasd’attendresurleseuilpendantquejerentreetnousfaismonter?—OK,réponditAryal.Elleavaitl’airdeplaner,commesielleétaitdéfoncée.—Çava?demanda-t-ild’untonsoupçonneux.—Oui.Jemesensplutôtbienenfait,étantdonnélescirconstances.Il la laissa et traversa le bar. Les gens le hélèrent et tout lemonde s’arrêta, scrutant ses traits et

regardantsatenuestérileavecétonnement.Ilfitdessignesdelamainetignoralechœurderemarquesetdequestionsincrédules,sedirigearapidementverslaréservequ’iltraversa,ouvritlaportequimenaitàsonescalierprivéetdécouvritAryalassisedehors,appuyéecontrelecoind’unmur.

Ilouvritlaporteetsepenchasurelle–etconstataqu’elledormaitprofondément.Illapritdoucementdanssesbras,laportajusqu’àl’appartementetlamitaulitavantdelarejoindre

aussitôt.Sonespritépuiséettropsollicitépassaenrevuelalistedesurviedemanièreobsessionnelle.Nourriture,eau,abri,vêtements.Amour.Ilattiralasilhouetteendormied’Aryalcontrelui,blottitsatêteaucreuxdesonépaule,enfouitson

visagedanssescheveuxpropresetsoyeux,etdormit.Ilsseréveillèrenttouslesdeuxaumilieudelanuit.Leurshorlogesbiologiquesétaientcomplètement

déréglées.Ilsfirentl’amourdansuneurgencesilencieuseetserendormirentensuite,Quentinencoreenelle.

Etceschémarythmalesjourssuivants.Réveil, sexe.Manger, sexe. Dormir. Le tout avait un rythme décousu, un peu comme naviguer en

zigzagdansunvoilier,pousséparunventdetravers.Ilseperditdanslasensualitédesacompagne,sonodeur,sapeau,sesmusclesdéliésetmeurtriers,la

douceur surprenante de ses seins et la chair incroyablement luxuriante de son sanctuaire quand elleaccueillait sonmembre.Et il lapénétra et lapénétra encore, allant etvenant enelle jusqu’àcequ’ilssuffoquentetfrissonnent touslesdeuxd’extase.Cettepartiesauvage,dangereuseenluiquiavaitcouruavec tellementdeviolencesavaitqu’elleavait trouvécequ’ellecherchaitetétait finalementarrivéeàdestination.

Quandilsdiscutaient,laconversationn’avaitnicommencementnifin.Commesiellesepoursuivaitdepuistoujours.Ilsemitàsedemandersicen’étaitpasunpeuceàquoiAryalavaitfaitallusionlorsdelasoiréeorganiséepourfêterlessentinelles,quandelleavaitparléd’immortalité.

LepèredeQuentinavaittoujoursjuréquesiQuentinpouvaitsetransformerenWyr,sonénergieétaitcependantelfique.Ilavaitlesentimentqu’ilallaitdécouvriravecAryalcequ’étaitl’immortalité.

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—Qu’est-cequePiapeutbienêtre ?demandaAryal.Est-cequ’elle a saignéaussiquandelle t’asoigné?

—Oui.(Ilsétaientallongés,enchevêtrés,etelletenaitdélicatementsatêtecontresonseinpendantqu’ilsuçaittranquillementl’undesestétons.Sanshâte.Ilsavaientdéjàjoui.)Jenepeuxpenserqu’àunecréature. (Il le dit lentement, parce que l’idée était tellement extravagante.)Mais je croyais qu’ellesétaientunmythe.

—Unmythecommelesdragonsoulesharpies?railla-t-elle.Sielleenestune,jecomprendsalorspourquoiellen’apasrévélésaformewyraupublic.Elleseratraquéepourlerestantdesesjourssiellelefait,etqu’ensera-t-ilalorsdubébé?Non,attends.Noussavonsdéjàquesaformewyrestcelled’undragon.C’estpourquoiilspensaientquelapériodedegestationseraitbeaucouppluslonguejusqu’àcequ’ilarriveàsetransformerenbébéhumainjusteavantl’accouchement.

—Sielleenestune,dit-ilsombrement,peuimportequelleestlaformewyrdubébé.Ilseratraquéluiaussi.

—JecroisquejepeuxcomprendrepourquoiPiaaaccompagnéDragosàNumenlaur,ditAryald’untonensommeillé.MaisjenecomprendspaspourquoiilsontemmenéLiamaveceux.

Quentinsecoualatête.—Enfait,tuprendsleschosesàl’envers.Cettefois-ci,DragosaaccompagnéPiaenfait.Ellemel’a

ditquandellem’aguéri.Audépart, ilcomptaitn’envoyerquelesautressentinelles,maisPiaa insistépour venir parce qu’elle craignait que nous ne soyons blessés.Dragos n’a pas voulu rester seul, bienentendu.Vuqu’iln’allaitpaslivrerbataille,Pian’apashésitéàemmenerLiam.Ellevoulaitgarderlebébéavecelleparcequ’ilsavaientpeurqueledécalagetemporelnesoitimportant.

Aryalpouffa.—Elleavraimentinsisté?Bienjouédesapart.Jemedemandaisquandjelesaivustousarriver.

Jeveuxdire,Galyaétaitcoriace,maisbon,quandmême.Àdeux,onl’aéliminée.Quentinsourit.—Ça,tupeuxledire.Ils commencèrent à récupérer leurs forces et leur endurance. Non que l’urgence et la frénésie de

s’unirralentissent,non,loindelà–ilétaitencorebeaucouptroptôtpourcela–,maisilscommencèrentàavoirletempsdepenseràautrechose.

Quentinécouta sesmessagesvocauxetconsulta sesSMS,et ildécouvritquePiaavait retourné lecoupdefilqu’illuiavaitpasséavantsondépartpourNewYork,etelleluiavaitlaisséunmessage.

—Salut,Quentin,disait-elle.Mercid’avoirappeléetjesaisqueturegrettescequis’estpassé.Nousavonstouslesdeuxcommisdegrosseserreurs,et jeveuxbienneplusenparler.Nerecommencepas,c’esttout,etnouspourronstournerlapage.D’accord?

Enécoutant,ilnesesouvintd’abordpasdesexcusesqu’ilavaitfaitesaprèssabagarreavecAryaldanslecouloir.Pendantuninstant,ilcrutqu’ellefaisaitallusionàcequ’ilavaitfaitl’annéed’avantetilsesentitrégénéréenquelquesorteetcommenettoyé.Puislecontextedumessageluirevintetilneputs’empêcherdesourire,mêmesic’étaitducoindeslèvres.

Unepointedecesentimentderégénérationdemeuramalgrétoutetilpritsonmessageàcœur,mettanttoutderrièreluipourseconcentrersurleprésent,etlefutur.

Ferion avait lui aussi laissé unmessage, rempli de gratitude sincère et chaleureuse pour ce qu’ilsavaientaccomplitouslesdeux.QuentinleditàAryalenenvoyantauseigneurdesElfesunSMS.

Derien.As-tudéjàentenduparlerdequelquechosequ’onappelleraitleChaudronduPhénix?Ferionréponditpresqueimmédiatement.Non.Qu’est-cequec’est?

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LetrucquelasorcièrecherchaitàNumenlaur.Puis,parcequelaquestionletaraudait,ilhaussalesépaulesetenvoyaunSMSàDragos.Galyaétaitàlarecherched’unobjetappeléleChaudronduPhénix.Tusaiscequec’est?Lesilencedurajusteassezlongtempspourqu’ilseposedesquestions.Ilavaitdéjàapprisdesautres

sentinellesqueDragosn’aimaitpascoucherparécritdesinformationssensibles.Sontéléphonesonna.Ilrépondit.—SiGalyacherchaitunobjet,ditDragossanspréambule,cen’estpasétonnantqu’ellen’ait rien

trouvé.Lenominduitenerreur–ils’agitenfaitd’unsortderésurrection,pasd’unobjet.Leseffetsensontmonstrueux.Touteslesarchivesconcernantlamanièredelejetersontcenséesavoirétédétruitesilyatrèslongtemps.Maistusaiscommentçasepasse.Entrecequelesgenssonttenusdefaireetcequ’ilsfontréellement,ilyasouventunemarge.(Ilmarquaunepause.)Commentallez-vous,touslesdeux?

—Bien,ditQuentin.Nousallonsbien.—VousavezfaitdubontravailàNumenlaur.Quentinneserappelaitquetropbienl’expressiondeDragosencontemplantlecorpsdelasorcière

surlaplage.Ilavaiteul’airstupéfait,puisapprobateur.Iln’avaitmanifestementpaspenséqu’AryaletQuentinseraientenmesured’éliminerGalya.

Nonquel’opiniondeDragosluiimportât,maisbon,quandmême.—Merci,dit-ilensouriant.Lesdeuxhommesraccrochèrentsanssedireaurevoir.Aryal récupéra, elle aussi,mais elle ne respirait pas la santé. Son appétit était capricieux et elle

maigrissait.Illasurprenaitentrainderegarderendirectionduciel,àlafenêtre,etcelaàdesmomentsbizarres.Une fois,aumilieude lanuit, il la trouvaéveillée, lesyeuxdans levide.Elledevintagitée,distraite.

Iln’allaitpaslaisserfaire.Ilcommençaàlahouspilleràl’instard’unsergent-chef,lapoussantnuitetjour.L’exhortantàmanger.

Latançantquandelleétaittroprêveuse.Lequatrièmejour,illaharcelapourqu’ellel’accompagneàlasalled’entraînementdanslatour.Les

gens les regardèrent avec étonnement, lui surtout. Soit ils observaient ses cicatrices, soit ils sedemandaients’iln’avaitpasperdularaison.

Qu’ilsaillentaudiable.Ilsfaisaientprobablementlesdeux.Ilneleurprêtapasattention.—Allez,combattons,dit-ilàAryal.Qu’est-cequecesera:épée,nunchakuoumainsnues?Ellejetauncoupd’œilauxtapisd’entraînementetsecoualatête.—Çam’intéressepas.LecœurdeQuentinsemitàbattreàgrandscoups.Est-cequ’ellepouvaitvraimentdépérirmalgréles

promessesqu’elleavaitfaites?—Pasquestiondeça.(Ils’avançaverselleaupointdelafrôler.)Tuvaschoisirquelquechoseouje

vaischoisirpourtoi.Ellehaussalesépaulesetunepointedemaussaderies’inscrivitsursestraits.—Choisis,alors.Illuifituncroche-piedetluienvoyauncoupdecoude,lafaisanttomberàlarenverse.Elleprit son tempspour semettre àquatrepattes.Quand il la regardadans lesyeux,undébutde

colèrecommençaitàétinceler.Illaprécipitadenouveauàterre,aussiviolemmentqu’illeput.Elleserelevaplusvite.

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Lemédecinavaitditqu’Aryalnepouvaitpasseservirdesesailes.Maisn’avaitpasinterditlereste.Etilserenditcomptequ’ilétaitencolèreaprèsellepourluiavoirfaitpeurquandelles’étaitjetéeduhautdecettemauditefalaise,etaussipournepasluirendresoncoup.Pournepasmangeroubiendormir.Pournepasfaireassezd’efforts.

Ilsejetadenouveausurelle.Cettefois-ci,ellelebloqua.Ilssetinrentfaceàface,tendusl’uncontrel’autre.Ellelefusilladuregard.—T’esnul!Ilsourit.—Terevoilà,beauté,ronronna-t-il.Tum’asmanqué.Ils luttèrentdepiedfermejusqu’àcequ’ilsseretrouvent touslesdeuxautapis.Puiselleseglissa

versluitoutenrestantparterrepourpassersesbrasautourdesoncouetelleleserraavecforce.—Désolée,murmura-t-elle.Jeferaimieux.Ilenfouitlevisagedanssoncouetl’étreignit.Quand il relâchaenfin sapriseetqu’ilsvoulurent se relever,GraydonetGrymétaient là, lamain

tendue. Les sentinelles affichaient des expressions graves. Une foule de gens s’était rassemblée pourregarder le combat, les yeux écarquillés.Maintenant que le feu d’artifice était terminé, tout lemondecommençaitàsedisperser.

GraydonaidaAryalàseleverenlatirant,puislaserradetoutessesforcesdanssesbras.—C’estbondetevoirémerger,luidit-il.J’aifaillivenirdémolirlaportedeQuentin.—Moiaussi,renchéritGrymendécochantàQuentinunsourireaussitranchantques’ilavaittiréune

épée.—Jen’aiqu’unechoseàdireàproposdetoietAryal,ajouta-t-ilpartélépathie.—Vas-y,tegênepas,fitQuentinavecunsouriretoutaussitranchant.IlsecoualesmusclesdesonbrasetsetintprêtaucasoùlemessagedeGrymdeviendraitphysique.—Situlatrahis,prévintGrym,jenepourraipeut-êtrepastetuerparcequeçalatuerait.Maisje

teferaivraimenttrèsmal.Etdemanièrerépétée.Jelepromets.Quentinsedétenditetsonsouriredevintsincère.—Jen’enattendaispasmoinsdetoi,dit-ilàvoixhaute.Grympassalesdoigtsdanssescheveuxnoirs,souffla,puissedétenditprogressivement.Cequ’AryaletGraydonsedirentdemeuraprivé.Graydonsetournaensuiteversluietluidonnaune

claqueamicalesurl’épaule.—Contentdetevoir.Jesuisheureuxquevoussoyezrentrés.Quentin étudia les traits taillés à la serpe du premier lieutenant. Graydon avait parlé en toute

sincérité.—C’estbond’êtrederetour.Lesjourscontinuèrentàs’égrenerlentement.AlexlesembrassaetleuroffritlesDVDdescinquante

filmslesplusprimésauxOscars.BayneetConstantineapportèrentunsoirunecargaisondepizzasetdebièreetrestèrenttroplongtemps.

Aryal fit visiter à Quentin son appartement dans la tour. Il considéra longuement le désordreindescriptiblequiyrégnait.Puisildit:

—Jecroisquec’estunebonnechosequenousayonschacunnotrepropreappartpour l’instant, tutrouvespas?

Elleeutungrandsourire.

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—Oui.Aprèsleurcombatdanslasalledesport,ellemangeamieux,maiscontinuaàavoirdumalàdormir.

Quandsonvisagesecrispaitetquelatensions’ylisait,illuifaisaitl’amouravecunepassionferventejusqu’àcequ’ilsoublienttout.

Poursedéstresser,ilsallaientcourirdesheuresd’affilée,parfoisjusqu’àdégoulinerdesueur,réglantsur leur niveau d’intensité le plus élevé deux tapis de jogging dans la salle d’entraînement. Ils eurentraisondesmoteursdedeuxpairesdetapis.Personneneprotesta.

Unsoir,vêtued’unjeandeQuentinetd’unvieuxsweat-shirt,elledisparutunmoment.Ilneditrienquandellequittal’appartement.Illuiavaitfaitfaireunecléetilnepouvaitpaslasurveillervingt-quatreheuressurvingt-quatreetsept jourssursept, franchement. Ilétaitd’accordaveclachirurgiennesurcepoint.Elleétaitunegrandefille.Àelledeprendredesdécisionsavisées.

Il regretta presque immédiatement cette pensée et se mit à arpenter frénétiquement l’appartementparcequ’ilavaitdéveloppétoutel’obsessionnécessairepourlasurveillervingt-quatreheuressurvingt-quatre,septjourssursept,siseulementellepouvaitrevenirpourqu’ilpuissemettretoutcelaenœuvre.

Quaranteminutesplustard,uneclétournaitdanslaserrure.Ilétaitentrainderegarderparlafenêtredusalond’unairabsentetilfitvolte-face.

—Hé,beauté,dit-ild’untonléger.Quelmenteurilfaisait.—Salut.Ellerefermalaporteetlaverrouilla.Ilramassaunromanqu’ilessayaitdelireetlefeuilleta.—Tuesalléeoù?—Uneboutiquequejeconnais.(Elleprituneprofondeinspirationunpeuhésitante,puiscefutson

tourd’alleretvenirdanslavastepièce.Elleétaitdenouveauagitée.Elleleregardait,puisdétournaitlesyeux.) Je ne l’ai pas encore dit et il est grand temps de le dire : je t’aime. Et je te suis vraimentreconnaissantepourtoutcequetufaiscesderniersjours.(Elletenditlecoupourl’étirer.Ilconstataavecsouciquesesmainstremblaient.)J’aiencoreunserviceàtedemander.

—Pourl’amourduciel,crachelemorceau.Elle fouilla le sac, en sortit unecravacheet la lui jeta. Il la regarda sans faireminede l’attraper.

L’objetfrappasapoitrineettombaparterreavecbruit.Ils’étaitpréparéàuncertainnombredechoses,maispasàcela.

—Aryal,dit-il.Elleneluiavaitjamaisdemandéunechosepareilleauparavant.Celabouleversaitleuréquilibre.Cen’étaitpascequ’ilsétaientensemble.Ilss’adonnaientàdesjeuxdedominationetmarchandaient

dutempsl’unavecl’autreetc’étaitl’undestrucslesplusformidablesqu’ilsfaisaientensemble,l’effortdedonneretlasuavitédeprendre,letoutépicéparunsoupçond’interdit.

Ellearrachasonsweat-shirt.Elleneportaitriendessous.—J’aibesoinquetulefasses.J’ail’impressionquejevaisexplosersijenefaispasquelquechose.

Je suis comme un toxico. C’est… (Elle regarda le ciel par la fenêtre, une expression austère sur levisage.) C’est ma nourriture, mon eau, mon oxygène. C’est tout ça et nous ne faisons même pas duparapente.

Ils avaient évoqué le parapente et décidé d’attendre que les deux semaines soient écoulées. Ellecraignaitdenepaspouvoirs’empêcherdesemétamorphoserunefoisqu’ilsseraientdanslesairs.

—Jecomprends,dit-il,etc’étaitvrai.

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Ladouleurd’Aryalglissadanssamoelleépinière.L’attenteetl’incertitudeétaientuncocktailcruel.S’ilssavaientseulementcequiallaitarriver,ilspourraientprendredesinitiativespourgérerlasituation.

Sestraitssecrispèrent.Elleretiraseschaussures,arrachasonjeanetsemitdevantlui.—Ilfautquej’évacuecesentiment,dit-ellelesdentsserrées.Aide-moiàlechasserdemoncorps.Ilramassalentementlacravacheetseretournaenregardantl’objet.Cefouetqu’elleavaitenelle,il

étaittellementsemblableausien–etilnecesseraitpasdelaharcelertantqu’ellen’obtiendraitpasdesoulagement.

—Jet’aimeaussi,dit-il.Ilseretournaetlafrappa,uncouprapide,contrôlésurunecuisse.Ellesecontractaetrefoulaunsonétranglé.—Encore.Il semitderrièreelleet la frappa sur les fesses,puisobservaunezébrure rougemarquer sapeau

pâle.S’ilavaitdéjàfaitl’expériencedeséancesdefouet,ilyavaittoujourseuuncôtéludique.Rien de ludique dans ce qu’il se passait maintenant. C’était quelque chose de brut. Il se sentait

tellementbizarre,lourdetsaisiparladouleurquelabrûluredanssapoitrinerevintletourmenter.Toutcequ’il voulait, c’était que la souffrance intérieure d’Aryal s’atténue pour qu’elle puisse trouver la paixpendantunpetitmoment.

—Allez,dit-elle.(Ellesemblaitprisedunez.)Fais-le.La cravache se leva et retomba sur son dos, ce dos splendide aux muscles puissants et pourtant

tellementféminin.—S’ilteplaît,dis-moisiçaaide,lâcha-t-ild’unevoixétranglée.Ellehochalatête,fébrile.—Je–jecrois.Illevalebrasetl’abaissa.Leva,baissa.Chaque fois qu’il la voyait tressauter sous un coup, il avait l’impression de sortir de son propre

corps. Il la frappa encore une fois et la cravache faillit glisser de ses doigts inertes. Il ne savaitsincèrementpascequ’ilpouvaitencoreendurer.

Puis il semitdevantelle.Elleavait lesyeux ferméset sonvisageétaitpaisible.Ses traits étaientcomplètement détendus. Dès qu’il le constata, sa propre tension s’estompa jusqu’à ce qu’il se senteétourdi.

—Tuasbesoinquejecontinue?demanda-t-ildoucement.Elleeffleuralamarquegonfléesursacuisse.—Non,murmura-t-elle.Ladouleurestcomplètementpartie.(Ellelevavivementlesyeuxetscruta

lessiens.)Est-cequ’onestalléstroploin?Ilsecoualatête.—Iln’yapasd’endroitoùjen’iraispasavectoi.Lavérité,exposéeentreeux.Enveloppéedansunedoublenégation.Parfaits.Baroques.Elleesquissaunsourireironiqueets’avançaverslui.Ellel’embrassaavectendresse,caressantses

lèvresdessiennes.—Iln’yapasd’endroitoùjen’iraispasavectoi,moinonplus.—Tum’esredevablemaintenant,dit-ilIlléchaseslèvresencaressantsesseinsetsonsexesedurcit.

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Ellen’essayamêmepasdeprotesterpourlaforme.—Oui,jelesuis,hein?Qu’est-cequejetedois?—Uncollierdechienautourducouettespoignetsmenottés,murmura-t-il.Ellerelevalatêteetleregardadecôté.—Nousavonsdéjàeucetteconversation.—Ouietnousnel’avonspasterminée.Rappelle-toi,j’aidit:«Qu’est-cequeçamecoûterait?»Tu

asrépondu:«Monâmepourl’éternité.»(Sonsensdel’humourrefitsurface.Débordantd’espiègleriesensuelle, il pencha la tête et tendit lesmains.) J’ai honorémapart dumarché. Je pensais que c’étaitimportantpourquelqu’uncommetoi,quiessiàchevalsurlesprincipes.

Ellesemitàrire,levisageplisséparunamusementsincère.—Tum’aseue.Espècede…Ilposaunemainsursabouche.—Arrêtedeparler.Ilyadebienmeilleuresutilisationspourtabouche.—Jesuisd’accord,luidit-ellepartélépathie.Ellepassalesmainslelongdesoncorpsens’agenouillant,puisellebaissalafermetureÉclairde

son jean. Il lui caressa les cheveux, la regardant sans ciller pendant qu’elle sortait son sexe et enembrassait legland.Puiselle lepritdanssaboucheet le suça jusqu’àcequ’il semetteàhaleteretàdonnerdelégerscoupsdereinsenelle.

Elle leva unemain. Il entrelaça ses doigts avec les siens et les serra jusqu’à l’explosion de sonorgasme.Ilémitungémissementâpreetbouleverséaumomentoùilgiclaitdanssabouche.

—Montour,murmura-t-ilensuite.Il la poussa doucement vers le canapé afin de pouvoir lui écarter largement les cuisses. Son sexe

canneléétaittellementbeau,tellementinondédemiel,ilpenchalatêteetlalapaavecdélicesjusqu’àcequ’ellesecambreetsetordedeplaisirsouslui.Ellejouitenpoussantuncriaigu,parcouruedefrissons.

Illafitjouirdenouveau,etdenouveaujusqu’àcequ’ellesedétendetotalementetdérive,lesyeuxmi-clos.Ilneputalorsresterunesecondedeplusàl’extérieurd’elle.Illapénétraavecbonheur,allantetvenantdoucementdanslesanctuairechaudetétroitqu’elleluioffrait.Elleenveloppasesjambesautourdeseshanches,enfouissantsonvisagedanssoncoupendantqu’illafouillait.

Ilpensaitquecettefois-cileurunionétaitsouslesceaudelatendresse,maisquelquechosesepassasoudain, un interrupteur fut activé entre eux. Elle gronda ou était-ce lui ? Son rythme s’accéléra.Bonsang,ilvoulaitallerauplusprofondenelle.Quandilsjouirenttouslesdeux,onauraitditquetouteleursauvagerieettouteleurpassionflambaientdanslebrasierquilesconsumaittouslesdeux.

Elle lui caressa ensuite la nuque et il contempla leurs corps entremêlés, il savait que l’une desraisons les plus importantes de leur harmonie était leur volonté de se pousser l’un l’autre dans leursretranchementsjusqu’àcequ’ilsatteignentlapaix.

Quentinn’allaitcertainementrienlaisserauhasard.Ildiscuta tarddans lanuit avecelleet fitdespréparatifsenprévisionde l’échéancedesquatorze

jours.IlsavaitquecelaaideraitAryaldepouvoirs’accrocheràquelquechosedeconcret,etcefuteneffetlecas.

Elletenteraitunvolbrefàl’aube.Sil’entreprises’avéraitimpossible,ilsserendraientsur-le-champàl’aéroportrégionalleplusprocheoùilluidonneraitsapremièreleçondeparapente.D’unemanièreoud’uneautre,elleseraitdanslesairscejour-là.Toutelajournéeaubesoin.

Etcetteperspectivelarassura.Saconfusionémotionnellecessaetellefutenmesuredesecalmeretdeseconcentrer.

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IlsdemandèrentàDragosetàPiadesejoindreàeuxsurletoitdelatour.—Jenecroispasquejepourraisupporterungrandnombredespectateurs,ditAryal.Maisjeveux

qu’ilsysoient.Dragosseralàaucasoù…enfin,aucasoù.Etjeneseraismêmepasenmesured’essayers’iln’yavaitpaseuPia.

—Jesuisd’accord,approuvaQuentin.C’estunplanparfait.DragosetPiaacceptèrentvolontiersetdéclarèrentqu’ilsseraientheureuxd’êtreprésents.QuentinetAryalpassèrentunenuitblanchesurletoit,enveloppésdansdescouverturesàcontempler

lecielpiquéd’étoilesquibrillaientd’uneclartéfabuleuse.Alorsquel’aubeselevaitsurl’eau,laportequidonnaitsurletoits’ouvritetDragosetPiaapparurent.Dragosportaitunpantaloncargoetuntee-shirtnoirsetPiaquelquechosededuveteuxquiavait l’airdouxetconfortable.IlsavaientlaisséLiamavecunenourrice.

—Vousvoilà,s’exclamaAryal.Elleselevavivement,lespommettesrougiesparl’animationetl’impatience.Quentin se levapresqueaussivite.Quand il eut finidedéplier songrandgabarit, elle s’étaitdéjà

métamorphoséeenharpie.Ellegardaitsesailesrepliéeslelongdesondos.Sonvisagesauvageetsespoingsserréstémoignaientdesanervosité.

—Bonjour,ditPia.EllesouritàAryal.Quentin n’en pouvait plus. Les deux semaines d’attente avaient été un tel calvaire pour Aryal

qu’échangerdesbanalitésenrevenaitàfrotterduselsurlaplaie.IlfitunsignedetêteàDragosetditàAryal:

—Allez.Vas-y.Elleopinaavecraideur.Ilss’approchèrentensembleduborddubâtimentetellesautasurlerebord.

Puisellese tournaafinde lui faireface.La tension irradiaitd’elleenvaguespalpablesetellen’avaittoujourspascommencéàdéployersesailes.

LaharpieregardaDragosquisepostaluiaussidevantlerebord.Illatoisacalmement.—S’illefaut,jeterattraperai,dit-il,sesyeuxd’oraussiimmuablesquelaTerre.Quentinn’apprécieraitpeut-êtrejamaisbeaucoupledragon,maisàcemomentprécis,enraisondela

promessesolennelledeDragosàsacompagnedéboussolée,ill’aima.Aryaljetauncoupd’œilàQuentin.Ellesemblaitparalysée.Ellepréféraitl’effetdesurprise,non?Ilsecoualatête,unebourrasquedeventlegiflantenpleineface,puisillafrappasurlapoitrinedu

platdelamain.Lecoupfutsiviolentqu’elletombadanslevide.Commeellebasculaitenarrière,ildit:—Ilesttempsd’arracherlepansement.Quelquechosedansleventavaitdûirritersonœilrécemmentguériparcequesavisionsetroubla

lorsqu’illavitculbuterdanslesairs.Puissesailess’ouvrirent.Elletenditlesdeuxmainsversleciel.Laharpiemonta à l’assautde l’azur enpoussantunhurlementde joie tellementprimalqu’il fit se

dresserlespoilssursanuqueetfaillitbienarrachersoncœurdesapoitrine.Ellemontaenflèche,sesailesbattantavecvigueur, et il retourna son rugissementà sacompagnecomme ilvolait avecelleparl’esprit.

Il entenditdesacclamationsetdeshourrasau loin.Lanouvelleavaitdû se répandreparcequ’unefoules’étaitrassembléesurletrottoiraupieddelatour.Unbrefcoupd’œilenbasrévélaquetoutesles

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autressentinellesétaientprésentes,leursvisagestournésverslecielpourvoirlevoldelaharpie.L’expressiondeDragosétaitrayonnante.Pias’essuyaitlesyeuxsursamanche.Aryals’éleva,plongea,etremontaenfaisantunlooping.Ellefinitparredescendredoucementpour

atterrirsurungenoudevantPia.ElledemeuradanscettepositionetQuentincompritqu’elle luioffraitsonallégeance.

Pia remua les lèvres. Elle paraissait profondément émue et terriblement mal à l’aise et ellecommençaàsecouerlatête.

—J’aifinalementsaisicequetuétais,ditlaharpie.(EllelevalesyeuxversPiaenluidécochantunsouriredecôté.)Tuchiesvraimentdesarcs-en-cielchatoyants.

Piahaussavivementlessourcils.Ellefitunclind’œil.Dragoscroisalesbras.Ilavaitl’airexaspérécommec’étaitsisouventlecasavecAryal.—Qu’est-cequeçaveutdire,çaencore?Aryalétirasesailesquelescicatricesnerendaientqueplusbelles.Ellecroisaleregardsouriantde

Quentin.—Est-cequec’estquelquechosequej’aidit?demanda-t-elled’untoninnocent.