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Thea HARRISON LA CHRONIQUE DES ANCIENS - 1 Le baiser du dragon Depuis la nuit des temps, les Anciens cohabitent avec les humains. A New-York, Pia Giovanni, mi-humaine, mi-dragonne, a été choisie pour une mission ultra dangereuse : dérober un élément du trésor de Dragos Cuelebre, le dragon le plus redoutable au monde. Simple pion dans la guerre qui oppose le roi Faë à Dragos, Pia va bientôt subir la colère de la ténébreuse créature… Car Dragos est à ses trousses, et il la retrouve en territoire elfique. Mais aucun des deux ne s’attendait à ce qu’une telle alchimie se révèle entre eux…

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TheaHARRISON

LACHRONIQUEDESANCIENS-1

LebaiserdudragonDepuislanuitdestemps,lesAncienscohabitentavecleshumains.A New-York, Pia Giovanni, mi-humaine, mi-dragonne, a été choisie pour une mission ultra

dangereuse : dérober un élément du trésor de Dragos Cuelebre, le dragon le plus redoutable aumonde.SimplepiondanslaguerrequiopposeleroiFaëàDragos,Piavabientôtsubirlacolèredelaténébreusecréature…CarDragosestàsestrousses,etillaretrouveenterritoireelfique.Maisaucundesdeuxnes’attendaitàcequ’unetellealchimieserévèleentreeux…

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Traduitdel'anglais(États-Unis)parLaurenceMurphyVoussouhaitezêtreinforméenavant-premièredenosprogrammes,noscoupsdecœurouencore

del'actualitédenotresiteJ'ailupourelle?Abonnez-vousànotreNewsletterenvousconnectantsurwww.jailu.com

Retrouvez-nouségalementsurFacebookpouravoirdesinformationsexclusives.TitreoriginalDRAGONBOUND

ÉditeuroriginalTheBerkleyPublishingGroup,adivisionofPenguinGroup(USA)Inc.©TeddyHarrison,2011.

Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ'ailu,2013

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RemerciementsJ'aitellementderaisonsd'éprouverdelareconnaissanceettellementdepersonnesàmentionner.

Toutaulongduvoyagequej'aifaitaveccelivreetquiaaboutiàsapublication,j'aieulachancederencontreretdetravailleravecdesgensformidables.

J'aimerais toutd'abordremerciermonfabuleuxagent,AmyBoggsde laDonaldMaassLiteraryAgency,pouravoircruenmoietence livred'unemanièreabsolument indéfectible.Jen'aipas lesmots pour remercier avec suffisamment d'éloquence mon éditrice, Cindy Hwang, pour sonextraordinaire enthousiasme et son expertise, son assistante, Leis Pederson, pour ses réponsespromptesetamicales,ettoutel'équipedeBerkleypourleursensationneltravail.

J'aimerais aussi particulièrement remercier Ann Aguirre, Nalini Singh, Shannon Butcher, J. R.Ward,ChristineFeehan,AngelaKnight,etAnyaBast.Cesontdesfemmesétonnantesetdesécrivainsaccomplis,etjesuishonoréed'avoirleursoutien.

Etpuisjedoisacclamermessuper-héroïnes:mespremièreslectrices.MerciàAnne,Shawn,FranB.,Suzi,FranH.etAmandapourleurimplicationetleurparticipation.Etjenesaispascequej'auraisfaitcesdernièresannéessans lesencouragementset l'amitiédeSteven,Pamela,etAnne ; ilsm'ontaidéeàrestersained'espritàdesmomentsdifficiles.

J'aimerais aussi adresser mes remerciements les plus sincères à Lorene et Carol pour leurformidable soutien. Elles savent ce qu'elles ont fait et que cela relève du miracle. Enfin, maiscertainementpasendernier,merci àMattpour son travailgénéreux sur le siteWeb,et àErin,quim'aime,mêmesijesuisunedrôledefille.

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Traiteravecundragon.Voilàuneexpérienceféroce.AttribuéàDonaldTrump.

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1Pia avait été victime d'un chantage qui l'avait forcée à commettre un acte suicidaire, et elle ne

pouvaits'enprendrequ'àelle-même.Et en être consciente ne facilitait en rien les choses. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle ait pu

manqueràcepointdediscernement,dejugeote.Quellemouchel'avaitpiquée?Elleavaitvuuntypemignonetoubliétoutcequesamèreluiavait

apprisenmatièredesurvie.C'étaittellementnulqu'elleferaittoutaussibiendesetireruneballedansla tête.Saufqu'ellen'avaitpasde revolveretque lesarmes, çan'avait jamaisété son truc.Etpuis,appuyersurladétente,c'étaitquandmêmeunesolution,disons,finale.

UnKlaxondetaxihurla.RiendeplusbanalàNewYorketpersonnen'yprêtaattention,maisellesursautaetjetauncoupd'œilpar-dessussonépaule.

C'étaitlabérézina.Elledevraitsecachertoutesaviedésormaisàcausedesoninconscienceetdeson abruti d'ex, qui l'avait baisée, enfin dupée, tellement royalement qu'elle avait désormaisl'impressionqu'onluilabouraitsansarrêtleventreavecuncouteau.

Elleseretrouvadansunerueétroitejonchéed'orduresàcôtéd'unrestaurantcoréen.Elledévissalebouchond'unebouteilled'eauet enavala lamoitié,unemainposée sur lemurenciment tandisqu'elle observait les passants. La vapeur qui s'échappait de la cuisine du restaurant l'enveloppaitd'arômesdepimentrougeetdesoja,etmasquaitlapuanteurdesorduresdébordantd'unebenneetdespotsd'échappement.

Lesgensdans larueavaient tous lamêmeallure, l'oreillevisséeà leur téléphone ;onauraitditqu'ilsétaientpropulséspardesforcesinternes,chargeantdroitdevanteux.D'autresmarmonnaientenfouillantdanslespoubellesavecunregardvide.Toutsemblaitnormal,ensomme.

À l'issue d'une semaine cauchemardesque, elle avait commis le crime. Elle avait volé quelquechoseàl'unedescréatureslesplusdangereusesdelaterre,unecréaturetellementeffrayantequelesimple faitd'ypenservéhiculaitenelleunedéchargede terreur.Elleavaitpresquefinimaintenant.Encoredeuxoutroistrucsàrégler,undernierrendez-vousavecl'abruti,puisellepourraitréfléchiràunendroitoùsecacher.

C'estaveccettepenséeentêtequ'elledescenditlaruejusqu'àcequ'ellearriveauxabordsduMagicDistrict.Situéàl'estduGarmentDistrictetaunorddeKoreatown,leMagicDistrictdeNewYorkétaitparfoisappeléleChaudron.Ilétaitconstituédeplusieurspâtésdemaisonsquibruissaientd'énergie.

LeChaudronfaisaitétalagedesamagiecommeunboxeurprofessionnelparadedanssonpeignoiren satin.La zone regorgeait d'immeubles qui proposaient sur plusieurs étages des échoppes et deskiosquesoùl'onpouvaitsefairetirerletarotetprédirel'avenir,consulterdesmédiums,dénicherdesfétichesetdessortilèges.

EllearrivadevantuneboutiquesituéeàlapériphérieduChaudron.Lafaçadeétaitpeinteenvertd'eauetlesmouluresautourdelavitrineetdelaporte,enjaunepâle.Ellereculad'unpasetlevalesyeux. DIVINUS était inscrit au fronton dans un lettrage simple de métal brossé. Des annéesauparavant,samèreavaitdetempsàautreachetédessortsàlasorcièrequipossédaitcetteboutique.

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Le patron de Pia, Quentin, avait lui aussi mentionné la propriétaire du magasin en notant qu'ellepossédait une des énergies magiques les plus puissantes qu'il ait jamais rencontrées chez unehumaine.

Sonrefletflousurlavitreluirenvoyal'imaged'unejeunefemmefatiguée,longueetélancéeauxtraitstendus,dontlescheveuxblondpâleétaientnouésenqueue-de-cheval.Oubliantsonapparence,ellescrutal'intérieurplongédanslapénombre.

Contrairement au voisinage peu reluisant, la boutique donnait une impression de calme et desérénité. Elle reconnut des sorts de protection posés ici et là. Près de la porte, protégés par unevitrine,unedispositionattrayantedecristaux,améthyste,péridot,quartzrose,topazebleueetcélestite,diffusait des énergies harmonieuses. Les pierres saisissaient les rayons obliques du soleil etprojetaient d’étincelantes facettes irisées de lumière au plafond. Son regard tomba sur l'uniqueoccupante,unefemmetrèsgrandeàl'allurealtière,peut-êtrehispanique,dontleregardseplantadanslesiendansuncrépitementdeForce.

C'estalorsquelescrisfusèrent.—N'entrezpas!s'écriaunhomme.Puisunefemmerenchéritens'exclamantsuruntonstrident:—Arrêtezavantqu'ilsoittroptard!Piasursauta,regardaderrièreelle.Ungrouped'unevingtainedepersonnessetenaitsurletrottoir

d'en face et brandissait des pancartes. On pouvait lire sur l'une d'elles :MAGIE = AUTOROUTEPOURL'ENFER.Suruneautre :DIEUNOUSSAUVERA.Unetroisièmedéclarait :LESANCIENS-UNCANULARÉLITISTE.

Son sentiment d'irréalité s'accentua, provoqué par le stress, lemanque de sommeil et une peurconstante.C'étaitàellequ'ilss'adressaient.

Un certain nombre d'humains s'obstinaient à ne pas croire aux Anciens en dépit du fait que,plusieursgénérationsauparavant,leslégendesavaientlaisséplaceauxpreuvesaufuretàmesuredudéveloppementdelaméthodescientifique.LesAnciensetleshumainsvivaientenbonneintelligencedepuisl'époqueélisabéthaine.CesgensetleurrévisionnismeétaientàmettredanslemêmepanierqueceuxquiaffirmaientquelesJuifsn'avaientpasétépersécutéspendantlaSecondeGuerremondiale.

Untintementramenasonattentionsurlaboutique.Lafemmeauregardmagnétiquetenaitlaporteouverte.

— Les ordonnances de la ville ne sont pas à sens unique, fit-elle d'un ton méprisant. Si lesboutiquesdemagiesonttenuesderesterdansleslimitesd'uncertaindistrict,ceuxquiprotestentnedoiventpass'approcheràmoinsdequinzemètresdesditesboutiques.Ilsn'ontpasledroitdetraverserla rue, ils ne peuvent pas entrer dans le Magic District et ils ne peuvent rien faire, si ce n'estapostropherdeloinlesclientspotentielsettenterdelesfairefuir.Est-cequevousvoulezentrer?

Sonsourcil impeccablelevéenundéfiimpérieuxsuggéraitquelefaitdemettreunpieddanslaboutiqueétaitunvéritableactedebravoure.

Pialaregardad'unairimpassible.Aprèscequ'elleavaitvécu,ledéfidecettefemmen'avaitpasdesens.Elleentrasanshésiter.

Laporteserefermaderrièreelleetlecarillontintaunesecondefois.Lafemmeseplantadevantelleensouriant.

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—JesuisAdela,lapropriétairedeDivinus.Quepuis-jefairepourvous,machère?L'expressiondelacommerçanteétaitintriguéetandisqu'elletoisaitPia.Ellemurmura,separlant

presqueàelle-même:—Qu'est-cequec'est?...Ilyaquelquechosechezvous...Mince,ellen'avaitpaspenséàça.Cettesorcièreserappelaitpeut-êtresamère.—Oui,jeressembleàGretaGarbo,l'interrompitPia.Lafemmerelevalesyeux,légèrementinterloquée.—Toutesmesexcuses,dit-elled'untonsuave,indiquantlamarchandised'ungestedelamain.J'ai

desproduitsdemaquillageàbasedeplantes,dessoinsdebeauté,desteintures,dessortsdeguérison...Piabalayalaboutiqueduregard,remarquantuneodeurépicée.C'étaitunarômetellementexquis

qu'elle inspira profondément sans réfléchir.Malgré elle, les muscles tendus de son cou et de sesépaulessedénouèrent.Leparfumcontenaitunsortléger,manifestementdestinéàdétendrelesclientsinquiets.

Silesortétaitinoffensifetn'engourditnullementsessens,sanaturemanipulatriceéveillachezelleunélanderépulsion.Combiendegens,ressentantunesensationdedétente,avaientdépenséplusqu'ilsne l'escomptaient?Elleserra lespoingsenrepoussant lamagie.Lesortcollaàsapeauencoreunmoment, avant de se dissiper. Elle garda cependant l'impression que des toiles d'araignéesrecouvraient son corps, et lutta contre une envie irrésistible de se frotter les bras et les jambes.Agacée,ellesetournaverslafemme.

—Vousm'avezétérecommandéepardessourcesdignesdeconfiance,déclara-t-elled'untonsec.J'aibesoind'acheterunsortd'engagement,destinéàempêcherqu'unepromessenesoitpasrompue.

Lamineaffabled'Adelas'évanouit.—Jevois.Sivousavezentenduparlerdemoi,voussavezquejenesuispasbonmarché.—Vousn'êtespasbonmarchéparcequevousêtescenséeêtrel'unedesmeilleuressorcièresdela

ville,répliquaPiaens'approchantd'uncomptoirenverre.Ellefitglisserlesacàdosdesonépauleendolorieetleposasurlecomptoir,dégageantsaqueue-

de-chevalcoincéesousunebride.—Gracias,réponditlasorcièred'untonneutre.Piabaissalesyeuxsurlescristauxamasséssousla

plaquedeverre.Ilsétaientmagnifiquesetétincelants,remplisdemagie,delumière,decouleurs.Ellesedemandacequ'elleressentiraitenentenantundanssamain,ensentantsonpoids,safraîcheur.Enposséderunluiapporteraitquellesensation?Elleseretourna.

—Jesenslessortsquevousportezainsiqueceuxquisontdanslaboutique,ycomprislessortsd'attirancesurcescristauxainsiqueceluicensédétendrevosclients.Jeconstatequevousavezunecertainecompétence.J'aibesoind'unsortquipermettedescellerunserment,etj'enaibesoinsur-le-champ.

—Cen'estpassisimple,fitlasorcière.Jenesuispasunemarchandederestaurationrapide.—L'engagementn'apasbesoind'êtresophistiqué,réponditPia.Écoutez,noussavonsl'unecomme

l'autrequevousallezmeprendrepluscherparcequej'enaibesointoutdesuite.J'aiencorebeaucoupàfaire,alorsest-cequ'onpourraitpasserà l'étapesuivantesans tournerautourdupot?Parceque,sansvouloirêtredésagréable,lajournéeaétérude.Jesuisfatiguéeetpasd'humeuràdiscutailler.

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Lasorcièrepinçaleslèvres.—Certainement.Mêmesijenepeuxpasfairel'impossible,jeferaicequejepeux.Maissivous

cherchezunengagementnoir,vousn'êtespasaubonendroit.Jenefaispasdemagienoire.Piasecoualatête,soulagéeparl'attitudeprofessionnelledelafemme.— Rien de trop noir, je pense, dit-elle d'une voix rauque. Mais quelque chose entraînant des

conséquencesgravesmalgrétout.Ilfautquecelaimpressionne.Unelueursardoniquebrillaaufonddesyeuxsombresdelasorcière.—Vousvoulezdire,dugenre:«Jejurequejeferaiciouça,oubienjeseraiprécipitédansles

flammesdel'enferjusqu'àlafindestemps»?Piaopina,sabouchesetordit.—Oui,untruccommeça.— Si quelqu'un prête serment de son plein gré, l'engagement tombe dans le domaine de

l'obligationetdelajusticecontractuelle.Jepeuxlefaire.Etjel'aidéjàfait,d'ailleurs.Ellesedirigeaversl'arrière-boutique.—Suivez-moi.LaconsciencedePia tiqua.Contrairementauxmagiesblancheetnoirequiétaientpolarisées, la

magiegriseétaitcenséeêtreneutre.Mais,souslecouvertdelaneutralité,onpouvaitfairebeaucoupdemal.

Désabusée,ellesecoualatêteetemboîtalepasàlasorcière.Aleajactaest.Elles conclurent l'affaire en moins d'une heure. Sur la proposition d'Adela, elle s'éclipsa par

l'arrièredelaboutiqueafind'éviterdesefaireapostropherparlesmanifestantsensortant.Sonsacàdosavaitétédélestéd'uneénormesommed'argent,maiselleseditquedansunesituationdevieoudemort,c'étaitdel'argentjudicieusementdépensé.

— Encore une chose, fit la sorcière, appuyée demanière languide contre le chambranle de laporte.

Pias'arrêta.Lasorcièresoutintsonregard.—Sivousêtespersonnellementimpliquéeavecl'hommeàquilesortestdestiné,cetypen'envaut

sûrementpaslapeine.Pialaissaéchapperunpetitriretoutenremontantsonsacsursonépaule.—Siseulementc'étaitleseulproblèmequej'avais.Quelquechoseaffleuraà lasurfacedesmagnifiquesyeuxsombresdelafemme.Lechangement

donnaitl'impressiond'uncalcul,maisc'étaitpeut-êtreuneillusiondelalumièredecettefind'après-midi.L'instantsuivant,sonbeauvisageavaitreprisuneexpressionindifférente.

—Bonnechance,alors,chica.Sivousavezbesoind'autrechose,revenezquandvousvoulez.Piadéglutitetréussitàarticuler:—Merci.LasorcièrefermalaporteetPiagagnarapidementleboutdelarue,puissemêlaauxpiétons.Ellen'avaitpasdonnésonnom.Aprèslapremièrerebuffade,lasorcièren'avaitpasinsisté.Ellese

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demandaitsielleavaitlemot«problème»tatouésurlefront.Ouc'étaitpeut-êtredanssasueur.Ledésespoirauneodeursingulière.

Elle effleura la pochede son jeandans laquelle elle avait glissé le sortilège enveloppédansunmouchoirblanc.Unepuissantemagieémanaitdelatoileuséeetluidonnaitdespicotementsdanslamain.Peut-êtrequ'aprèsavoirvu l'abrutietconclu leurmarché,ellepourraitenfin respirerunpeumieux.

C'estalorsquePiaentenditlebruitleplusterribledesavie.Cefutd'abordunevibration,tellementprofondequ'ellelaressentitjusquedanssesos.Elleralentit,puiss'arrêta,suivantl'exempledesautrespiétons. Les gensmirent lesmains devant leurs yeux, puis regardèrent autour d'eux tandis que lavibrationsetransformaitenunrugissementquis'engouffradanslesruesetébranlalesimmeubles.

C'était la puissancede cent trains demarchandises, de cent tornades, lemontOlympe explosantsousunepluiedefeu.

Pia tomba à genoux et recouvrit sa tête de ses bras. D'autres suivirent son exemple en hurlant.D'autresencoreprirentunairhébétéenessayantderepérerl'endroitoùavaitfrappéledésastre.Lescarrefours étaient la scène de nombreux accidents de voitures, des conducteurs affolés perdant lecontrôleetpercutantd'autresvéhicules.

Puis le rugissement s'estompa. Les immeubles se figèrent. Le ciel sans nuages demeura serein,maisNewYorkétaitloindel'être.

Bon.Elle se redressa et essuya la sueur qui coulait sur son visage, indifférente au chaos qui

l'environnait.Ellesavaitcequiavaitémiscesoninfernal,etpourquoi.Etcetteprisedeconscienceluidonnamal

auventre.Sielleétaitengagéedansunecoursepourlavie,cerugissementétaitlecoupdefeududépart.Ilétaitnéenmêmetempsquelesystèmesolaire.Aquelquesmomentsprès.Ilsesouvenaitd'unelumièretranscendanteetd'unventinouï.Lasciencemodernel'appelait«vent

solaire».Ilseremémoraitlasensationd'unvolinfini,d'unbainéterneldanslalumièreetunemagietellementéclatante,jeuneetpurequ'elleretentissaitcommelestrompettesdemilliersd'anges.

Sacarcassemassiveavaitdûêtreforméeenmêmetempsquelesplanètes.Ildevintliéàlaterre.Ileutfaimetappritàchasserpoursenourrir.Lafaimluiappritdesnotionstellesqueavantetaprès,ledangeretlasouffrance,leplaisiraussi.

Il commençaàavoirdesopinions. Il aimait le flotdusang luiemplissant labouchequand il segorgeaitdechair.Ilaimaitsomnolersurunrocherchaufféparlesoleil.Iladoraitselancerdanslesairs, prendre son envol et se laisser porter par les courants thermiques loin au-dessus de la terre,retrouvercetteextasedupremiervol.

Aprèslafaim,ildécouvritlacuriosité.Denouvellesespècesnaissaient.IlyavaitlesWyrkind,lesElfes,lesFaes,leslumineusesoublanchesetlesnoires,desêtresdehautetailleauxyeuxbrillantsetdescréaturestrapuescouleurdechampignon,descauchemarsailésetdeschosestimidesvirevoltantdanslesarbresetsecachantdèsqu'ilapprochait.Ceuxquidevinrentconnussouslenomd'Anciensavaientl'habitudedeserassemblerautourdepochesdimensionnellesd'AutresContréesrempliesdemagie,oùletempsetl'espaces'étaientgondolésaumomentdelaformationdelaterreetoùlesoleilbrillaitd'unautreéclat.

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Lamagieavait legoûtdusang, saufquec'étaitunesaveurdoréeetchaudecomme lesoleil.Laconsommerenmêmetempsquelachairrougeétaitundélice.

Il apprit les languesenécoutant secrètement lesAnciens. Il s'exerçaà lesparlerquand ilvolait,retournantchaquemotetsasignificationdanssatête.

LesAnciensavaientplusieursmotspourledésigner.Wyrm.Monstre.Mal.LaBête.Dragua.

Il ne remarqua pas tout de suite que les premiersHomo sapiens commençaient à proliférer enAfrique.Parmitouteslesespèces,iln'auraitpaspenséqu'ilssemultiplieraientainsi.Ilsétaientfaibles,nevivaientpaslongtemps,n'avaientpasd'armurenaturelle,etilétaitfaciledelestuer.

Ilgardaunœilsureuxetappritleurslangues.Al'instard'autresWyrs,ildéveloppal'aptitudedechangerdeforme,desemétamorphoserafindepouvoirévoluerparmileshumains.Ilsextrayaientdelaterreleschosesqu'ilaimait,l'oretl'argent,descristauxétincelantsetdespierresprécieusesqu'ilsfaçonnaientettransformaientenbeauxobjets.Ilaimaitposséder,deparsanature,etilamassaitcequiluiplaisait.

Il ménagea des repaires secrets dans des grottes souterraines où il réunit ses biens. Son butincomprenaitdesœuvresdesElfes,desFaesetdesWyrs,ainsiquedescréationshumaines,tellesquedesassiettes,descoupes,desobjetsreligieux.L'argent,voilàunconceptquil'intriguait.Tellementdenotionsyétaientattachées:lecommerce,lapolitique,laguerre.IlaugmentaencoresonbutinavecdesécritsdesAnciensetdeshumains,carleslivresétaientuneinventionqu'ilestimaitplusprécieusequelesautres.

Outresapassionpour l'histoire, lesmathématiques, laphilosophie, l'astronomie, l'alchimieet lamagie,ilfutcaptivéparlasciencemoderne.AuXIXesiècle,ilserenditenAngleterreafindediscuterdesoriginesavecunsavantrenommé.Ilss'étaientenivrésensembleetavaientpassélanuitàparlerjusqu'àcequelabrumenocturneaitététransforméeenvapeurparlesoleil.

Il se rappelaitavoirconfiéausavantéméchéque lacivilisationhumainepartageaitbeaucoupdechosesaveclui.Ladifférence,c'étaitquesonexpérienceetappréhensiondumondeétaitcontenueenune entité unique, une série de réminiscences.Cela signifiait d'une certainemanière qu'il incarnaittouteslesétapesdel'évolutionàluiseul:bêteetprédateur,magicienetaristocrate,violenceetraison.Iln'étaitpascertaind'avoiracquisdesémotionshumaines.Iln'avaitentoutcaspasacquisleursensmoral.

Les humains, selon leur culture, lui donnaient plusieurs noms. Ryū, Wyvern, Nâga. Pour lesAztèques,ilétaitQuetzalcóatl,leserpentàplumes,qu'ilsappelaientDieu.Dragos.Quandildécouvritlevol,DragosCuelebremontaàl'assautducielavecdelonguespousséesde

sesimmensesailes.Sonenvergureapprochaitcelled'unCessnaàhuitplaces.La viemoderne était devenue compliquée. Il avait l'habitude de concentrer sa Force de façon à

éviter lesavions lorsqu'ilvolait,ouplussimplementdedéposerunplandevolauprèsducontrôleaérien local. Vu son invraisemblable fortune et sa position en tant que l'un des plus anciens etpuissantsdesWyrs,lavies'organisaitautourdeluicommeill'entendait.

Cette fois-ci, il ne fit pas preuve d'une telle politesse. C'était un vol du genre « Écartez-vous,laissez-moilavoielibre!».Laragel'aveuglait,etelleétaitmâtinéed'incrédulité.Delalavecoulait

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danssesvénérablesveinesetsespoumonss'activaientcommedessoufflets.Commeilapprochaitlezénithdesonascension,salonguetêteoscillad'avantenarrièreetilpoussaunnouveaurugissement.Lesondéchiral'airtandisquesesgriffesacéréesmettaientenpiècesunennemiimaginaire.

Toutes ses griffes, à l'exception de celles d'un de ses pieds avant. Celles-ci étreignaient unminusculemorceaudepapier.Celambeauluisemblaittotalementsaugrenu.Etl'odeurindéfinissablequi se dégageait du papier émoustillait ses sens, évoquant quelque chose de tellement ancien qu'iln'arrivaitpasàserappelerexactementcequec'était...

Soncerveauchaufféàblancs'échappadesesamarresdansletemps.Littéralementcoloniséparlacolère,ilvolaetvolajusqu'àcequ'ilretrouvesoncalmeetpuissedenouveauréfléchir.

C'estalorsqueRuneluimurmuraenesprit:

—Seigneur?Est-cequeçava?Dragospenchalatête,prenantconsciencedufaitquesonpremierlieutenantvolaitderrièrelui,à

une distance respectable. Qu'il ne l'ait pas remarqué en disait long sur sa rage. En temps normal,Dragosserendaitcomptedetoutcequisepassaitautourdelui.

Les raisons qui avaient pousséDragos à faire deRune le premier lieutenant de sa cour étaientnombreuses.EtellesexpliquaientqueRunesoitàsonservicedepuistellementlongtemps.C'étaitunmâlequiavaitdel'expérience,mûretsuffisammentdominantpourassurersonautoritéauseind'unesociétédeWyrsquipouvaitsemontrerindisciplinée.

Etsurtout,Runeavaitlesensdeladiplomatie,unequalitéqueDragosn'avaitjamaismaîtrisée.Cetalentserévélaitutilelorsqu'ils'agissaitdetraiteraveclesautrescoursd'Anciens.

Dragoscrispasesmâchoiresetserrases redoutablesdents faitespourdéchirern'importequelleproieavecsauvagerie.Aprèsunpetitmoment,ilrépondit:

—Jevaisbien.—Enquoipuis-jeteservir?demandasonpremierlieutenant.Dragos crut qu'il allait de nouveau être aveuglé par la colère, abasourdi par ce qu'il avait

découvert.Illançad'untonhargneux:

—Ilyaeuunvol.Unepause.PuisRunerepritlaparole.—Seigneur?Pourunefois,lemâle,d'unsang-froidd'ordinaireimmuable,semblaitébranlé.—Un VOLEUR, Rune. (Il souligna chaque mot.)Un voleur s'est introduit dans la grotte où je

conservemestrésorsetm'adérobéquelquechose.Runes'accordaunmomentpourabsorberl'information.Jamaisunetellechosenes'étaitproduite.Quelqu'unavaitréussiàlocalisersontrésor,cequiétait

déjàunexploitensoi.Souslessous-solsdelatourCuelebreétaitinstalléunsystèmefacticeéquipédunec plus ultra enmatière de sécurité,mais personne ne connaissait l'endroit exact du trésor deDragos,sauflui-même.

Letrésorétaitparailleursprotégépardepuissantssortsquiledissimulaientetfaisaientofficederepoussoir. Ces sortilèges étaient plus anciens que les tombeaux des pharaons d'Egypte, et aussiraffinés et imperceptibles qu'un poison dénué de goût. Toutefois, après avoir localisé son repaire

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secret,levoleuravaitréussiàsefaufilerdanslelieuenpassantoutretouslesverrousphysiquesetmagiquesdeDragos.Pireencore,l'individuavaitréussiàquitterleslieuxdelamêmefaçon.

Leseulavertissementqu'avait reçuDragosavait étéunsentimentdiffus, tenaceet indéfinissablequi l'avait obsédé tout l'après-midi. L'impression désagréable que quelque chose n'allait pas s'étaitintensifiéeaupointqu'ilavaitfinalementdécidéd'allerinspectersesbiens.

Ilavaitsuquesonrepaireavaitétéinfiltrédèsqu'ilavaitposélepiedàproximitédel'entréedelacavernesouterraine.Iln'avait,malgrétout,paspuycroire,mêmelorsqu'ilavaitfoncéàl'intérieuretdécouvert la preuve irréfutable du vol, accompagnée de quelque chose qui défiait toute logique. Ilbaissalesyeuxsursonpieddroitcrispé.

Ilbifurquabrusquementafindesuivreunetrajectoirederetourverslaville.Runelesuivitetsepositionnaderrièreluidansunmouvementfluide.

—Ilfautqueturetrouvescevoleur.Metstoutenœuvre.Tout,tum'entends?Utilisetouslesmoyenspossibles,magiques et nonmagiques. Rien d'autre n'existe. Aucune autre tâche.Délègue toutes teschargesactuellesàAryalouàGrym.—Jecomprends,seigneur.Dragosperçutd'autres conversationsdans l'air,mêmesipersonnen'osaentrer encontactdirect

aveclui.Sonbrasdroitavaitdéjàcommencéàdonnerdesordres.

—N'oubliepasunechose,Rune,ajouta-t-il.Jeneveuxpasquecevoleursoitblessé,maltraitéoutué.Ilfautquetuaiesuneconfianceaveugleenceuxquetuvasdépêcheràsapoursuite.—Tupeuxcomptersurmoi.

—Siquelquechosetournemal,ceserataresponsabilité.Iln'auraitpassuexpliquerpourquoi ilenfonçaitainsi leclouaveccettecréaturequi,depuisdes

siècles, était aussi fiable et fidèlequ'unmétronome. Il resserra encoredavantage sesgriffes sur lapreuve.—Compris?

—Compris,monseigneur,répliquaRuned'untoncalme.—Bien,grondaDragos.Ilconstataqu'ilssurvolaientdenouveaulaville,cariln'yavaitpluslemoindretraficaérienautour

d'eux.Ilvolaau-dessusdelavasteplateformed'atterrissagequicouronnaitlatourCuelebre;dèsqu'ilseposa,ilrepritsaformehumaine,unhommecolossaldedeuxmètresauxcheveuxdejais,àlapeaubronzefoncéetauxyeuxdorésd'unrapace.

DragosseretournaetregardaRuneatterrir.Lesmajestueusesailesdugriffonchatoyaientdanslesoleil sur son déclin, jusqu'à ce qu'il reprenne lui aussi forme humaine, celle d'un homme auxcheveuxfauves,d'unestaturepresqueaussiimpressionnantequeDragos.

Runebaissalatêteensignederespectavantdebondirverslesportesd'accèsautoit.Unefoisqu'ilfutparti,Dragosdesserralepoingdroitdanslequeliltenaitlemorceaudepapierfroissé.

Pourquoin'enavait-ilpastouchéunmotàRune?Iln'ensavaitrien.Ilobéissaitsimplementàunesorted'instinctsecret.

Ilporta lepapieràsonnezet inspiraprofondément.Uneodeurs'étaitcolléeaupapierquiavaitabsorbél'huiledelapeauduvoleur.C'étaituneodeurfémininequiévoquaitlasauvageriedusoleil.

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Ilresta immobile, lesyeuxfermés.Cesoleilsauvageetfémininluirappelaitquelquechosed'unlointainpassé.Siseulement ilarrivaitàmettre ledoigtdessus. Ilvivaitdepuis tellement longtempsquesamémoireétaitunvasteterritoirealambiqué.Dessemainespourraients'écouleravantqu'ilneparvienneàlocaliserlesouvenir.

Il seconcentrapour reveniràcetteépoque insaisissable,àcesoleil juvénile,uneforêtd'unvertprofondetunparfumcélestequil'incitaàfoncerdanslessous-bois...

Lefildelaréminiscenceserompit.Ungrondementdefrustrationgonflasapoitrine.Ilouvritlesyeuxetseforçaànepasdéchirerlepapierqu'iltenait.

IlserenditcomptequeRuneavaitoubliédeluidemandercequelevoleuravaitdérobé.Son repaire souterrain était immense et des grottes regorgeant d'inconcevables trésors se

succédaient. Les parois rugueuses étaient tapissées de merveilles. Des articles de magie, desminiatures, des boucles d'oreilles en cristal qui laissaient fuser des arcs-en-ciel de lumière. Desœuvres de maîtres étaient soigneusement emballées afin de les protéger contre l'humidité. Desmonceauxderubis,d'émeraudes,dediamantsdelatailled'œufsetderangsdeperles.Desscarabéeségyptiens,descartouchesetdespendentifs.Del'orgrec,desstatuessyriennes,despierresprécieusesvenuesdePerse,dujadechinois,destrésorsespagnolsrécupéréssurdesépaves.Ilavaitmêmeunecollectiondepiècesmodernesqu'ilavaitdémarréequelquesannéesauparavantetqu'ilaugmentaitaupetitbonheurquandilypensait.

Son attention aumoindre détail, unemémoire prodigieuse de chacun des objets constituant sonextravagant trésor, les effluves d'un soleil sauvage et l'instinct avaient conduit Dragos à l'endroitmêmedularcin.Ilavaitdécouvertlevold'unepièceencuivred'unpennyfrappéeen1962auxÉtats-Unis,subtiliséedansunbocalremplidepiècesqu'iln'avaitpasencoreprisletempsderangerdansunalbum.

La voleuse lui avait laissé quelque chose en échange. Elle l'avait soigneusement posé sur lecouvercledubocal.C'étaitunmessagerédigéd'unemainhésitantesurunboutdepapier,devéritablespattesdemouche.Etilenveloppaituneoffrande.

Jesuisdésolée,disaitlemessage.Le larcinétaituneviolationde savieprivée.C'étaitunacted'une impudenceetd'unmanquede

respecthallucinants.C'étaitégalement...déconcertant.Luiquiétaitplusancienquelepéchén'arrivaitpasàsesouvenirquandilavaitétéfurieuxàcepointpourladernièrefois.

Ilrelutlemessage.Jesuisdésolée.J'aidûprendrevotrepièce.Envoiciuneautrepourlaremplacer.Sabouchesecrispa.Et,àsagrandesurprise,iléclataderire.

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2Pia passa l'heure suivante à déambuler.Elle constata lamanière dont la ville s'était transformée

aprèscesoninfernal;onauraitditqu'unartistel'avaitpeintedecouleurssombres.Lestressmarquaitlesphysionomiesdespassants.Lesnerfsétaientàfleurdepeau,desaltercationséclataienticietlà,etdes groupes de policiers en uniforme apparurent. Les boutiques et les kiosques affichèrent leurspancartesFerméetbaissèrentleursrideauxdefer.

Entempsnormal,elleauraitprislemétro,maisvul'atmosphèreagressivedanslarue,ellen'avaitpasdutoutenviedeseretrouverpiégéesousterre.Enfin,ellearrivadevantlaportedel'abruti.

L'immeubleoùilvivaitétaitdélabré.Elleinspiraparlaboucheetignoralepréservatifusagéjetésurunedesmarchesdel'escalier.Unefoisqu'elleauraitfaitcettedernièrechoseetseraitpasséeauboulotpourdireaurevoiràQuentin,ellemettraitlesvoiles.

Laportes'ouvritbrutalement.Ellelevalepoingavantmêmed'avoirposélesyeuxsurlui.Ilsepliaendeuxquandelleluiassenauncoupdansleventre.

Iltoussaets'écria,pantelant:—Putain,garce!—Aïe!Ellesecoualamain.Lepouceàl'extérieur,idiote,pasàl'intérieur!Ilseredressaetluijetaunregardfuribondensefrottantl'abdomen.Puisilsourit.—Tul'asfait,c'estça?Tul'asvraimentfait.—Commesitum'avaisdonnélechoix,répliqua-t-ellesèchement.Ellelepoussapouravoirlaplacedeseglisserdansl'appartement,puiselleclaqualaporte.Son

souriresetransformaenunriresonore.—Génial!Pia le regarda d'un air amer. L'abruti, qui s'appelait Keith Hollins, était beau gosse avec des

cheveuxblondsendésordreetuncorpsdesurfeur.Sonsourireeffrontéattirait lesfillescommelemielattirelesmouches.

Elleavait été l'unedecesmouches, àuneépoque.Puis le tempsde ladésillusion s'était installé.Quandilavaitusédesoncharme,elle l'avait trouvégentil.Elleavaitprissesmanièrescaressantespouruneaffectionsincère,quandilétaitenfaitd'unincommensurableégoïsme.Etilétaitaccroaujeu.

Elle avait rompu quelquesmois plus tôt. Puis, la semaine passée, sa trahison l'avait frappée depleinfouet.

Pia avait été tellement seule depuis lamort de samère six ans auparavant. Personne d'autre nesavaitcequ'elleétait.Samèrel'aimaittellementqu'elleavaitconsacrésavieàassurerlebien-êtreetlasécuritédePia.Elleavaitélevésafilledansl'obsessiondusecret,avectouslessortsdeprotectionqu'elleavaitpurassembler.

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EtPiaavaitjetéauxquatreventstoutcequesamèreluiavaitenseignépourunsourirecharmeuretunepromessed'affection.Jesuistellementdésolée,maman,sedit-elle.Jejurequejevaismieuxfaireàpartirdemaintenant.ElletoisaKeithquiétaitoccupéàsautersurplacepourexprimersajoie.Illuifitungrandsourire.

—Jesavaisbienqueçaallaitêtremafête.Jeleméritais.Jenet'enveuxpas,pasdesoucis,monchou.

—Parlepourtoi.(LetondePiaétaitglacial.)Dessoucis,encequimeconcerne,c'estpascequimanque.

Elle laissa tomber son sac à dos par terre et balaya la pièce du regard. Des emballages desandwichs jonchaient la table basse. Un tee-shirt sale était drapé sur le sofa. Certaines choses nechangeaientjamais.

—Oh,allez,P.,pasbesoindeleprendrecommeça.Écoute,jesaisquet'esenpétard,maisfautquetucomprennesquelquechose,monchou.Jel'aifaitpournous.

Ilessayadelaprendreparlesépaules,maisellereculaàlahâtepouréviterquesesdoigtsnelatouchent.LesouriredeKeithsevoila,maisilpoursuivitsurlemêmetonenjôleur:

—P.,t'aspasl'airdecomprendre.Onvaêtrerichesmaintenant.Pétésdepognon.Tuvaspouvoiravoirtoutcequetuveux,bordel.Çavateplairenon,chérie?

C'était lui qui ne pigeait rien. L'abruti ne se rendait pas compte qu'il allait faire partie desdommages collatéraux. Il avait élaboré cet univers de bande dessinée dans lequel il avait un rôletandisquesesdettesdejeus'accumulaientetqu'il tombaitdeplusenplussouslacoupedesessoi-disantassociés.

Ces«associés»étaientdesrelationslouchesvaguementliéesaubookmakerdeKeith.Elleselesreprésentaitcommeunehordedehyènesmasséesautourdeleurproie.Keithétaitledéjeuner,maisilsavaientdécidédes'amuseravecleurcasse-croûteavantdeluidonnerlecoupdegrâce.

Ellenesavaitpasquiétaientcesgensetellen'avaitpasenviedel'apprendre.C'étaitsuffisammentaffreuxdesavoirqu'uneForceréelledominaitcettechaînealimentaire.Humain,elfique,wyroufae,peu importait.Quelque chose demaléfique s'intéressait à eux.Et cette entité avait suffisamment demagieetdepuissancepourdéciderdesemesureràl'unedesForceslesplusinfluentesdumonde.

—J'ail'impressiond'entendrelesrépliquesd'unmauvaisfilm,luifit-elleremarquer.Keithlaissatomberlecharmeetlafusilladuregard.—Ahoui?Vatefairefoutre.— Et voilà, on remet ça, soupira-t-elle. Écoute, finissons-en avec tout ça. Tes maîtres-chiens

voulaientquejevolequelquechosedeCuelebre...—J'aipariéavecmesassociésquejepouvaism'emparerden'importequoin'importeoù,corrigea

Keithd'untonméprisant.EtilsontsuggéréquelquechosedeCuelebre.Cette journée était la dernière d'une longue semaine éprouvante. La semaine en question avait

commencéaumomentoùKeithluiavaitglissédanslamainunobjetimprégnédeForceetluiavaitdit qu'elle allait trouver le repaire de Cuelebre grâce à lui. Le choc éprouvé lorsque la pulsationd'intensemagieluiavaitbrûlélamainluirevintenmémoire.

Àcechocs'ajoutaitlaterreurpourlapersonneoulachosequiavaiteuleculotdecréercetypedecharmeetdeledonneràKeith.

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Inutile de préciser que découvrir que Keith l'avait trahie avait été un moment particulièrementmémorable. Elle s'était rendu compte qu'entre Cuelebre et la horde de hyènes, elle était prise entenaille.SiellevolaitquelquechosedeCuelebre,elleétaitcuite.Siellenelefaisaitpas,Keithlediraitauxhyènesetelleétaittoutaussicuite.

Avoirlecharmeaucreuxdesapaumerevenaitàtenirunebombeàretardement.Laconceptionducharmeavaitétéplussimplequ'ellen'yparaissaitàpremièrevue.Onauraitdituncharmedepistagedoté d'une activation unique, mais il avait eu le pouvoir de traverser toutes les protections deCuelebre.

Sagorgeseserraensesouvenantdelamarchetellementpéniblequ'elleavaitfaitequelquesheuresplus tôt, la traversée d'un parc baigné de soleil où des adultes, un gobelet de café à la main,surveillaientdesenfantsquiriaientauxéclats.

LesbruitsdelacirculationetlesaboiementsdechiensavaientponctuéladouleurcuisantedanssamaintandisquelaForceducharme,quiavaitétéactivée,redoublaitd'intensitéetdoncdechaleurenl'entraînantlelongd'uncheminfleurijusqu'àuneportedeserviceenmétalrouillétotalementbanale,découpée dans un viaduc du parc. Le charme traçait un chemin étroit et scintillant qui l'avait faitpasseràtraversunebrumed'invisibilitéetdesortsd'aversion,luidonnantlesentimentd'êtreperdue,maudite, piégée dans son cauchemar le plus effrayant, courant un danger mortel, damnée pourl'éternitéentière...

LefragilecontrôlequePias'efforçaitdegardersebrisa.EllefrappaKeithdesdeuxmainssurlapoitrine,lefaisantreculerdequelquespas.

—Tum'asfaitduchantagepourquejevolequelquechoseàundragon,espècedesalaud!hurla-t-elle.Jet'aiconfiémessecrets,jet'aifaitconfiance.

Pastoussessecrets,gracieusesForcesmerci,pastous.Elleavait,elleignoraitparquelmiracle,conservéquelquesbribesd'intelligence.

—J'aicruàunmomentquenousnousaimions,enchaîna-t-elle.Quelleblaguesinistre.Jepourraisrampersousunrocheretmourirdehonte,saufquetu.N'en.Vaux.Pas.La.Peine.

Ladernièrepousséequ'elleluidonnal'acculacontrelemur.SonexpressionauraitétécomiquesiPiaavaitconservéunpeud'humour.

La stupéfactiondeKeith se transformaenhargne. Il réagitplusvitequ'ellene s'y attendait et lapoussasiviolemmentqu'elletrébuchaetfaillittomber.

—J'aidûexcelleràfairesemblant,alors,cracha-t-il.Parcequetuesleplusmauvaiscoupquej'aiejamaistiré.

Jusqu'à ce moment précis, Pia n'avait jamais pris conscience qu'elle était capable de tuer. Ellereplialesdoigtspourenfairedesgriffes.

— Me rencontrer est ce qui t'est arrivé de mieux, pauvre connard d'éjaculateur précoce.Simplement,tun'avaispasl'élégancedelereconnaître.Ettusaisquoi?Jenesaismêmepaspourquoijesuisrestéeavectoitoutcetemps.J'aiprisdavantagemonpiedsousladouche,enmeservantdemamain.

Keithdevintvert.Illevalebraspourlafrapper.—Tufaisçaettun'aurasjamaiscequetuveuxquejetedonne.Enplus,tuperdrasunemain.De froid, son ton était devenu glacial. Il se figea. L'étrangère impitoyable qui avait investi son

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corpsapprochasonvisagedusienaupointdepresqueletoucher.—Vas-y,ajouta-t-elletranquillement.Uneamputationserapeut-êtrethérapeutique,d'ailleurs.Elleletoisajusqu'àcequ'illaisseretombersamainetreculed'undemi-pas.Cen'étaitpasgrand-

chose,maispoursafiertémalmenée,c'étaitbeaucoup.Elleavaitremportélebrasdefer.—Finissons-en,dit-ilsèchement.—Pastroptôt.(Ellefouilladanssonjeanetluitenditunmorceaudepapierpliéendeux.)Tuauras

cequej'aivoléunefoisquetuaurasluàvoixhautecequiestinscritsurcepapier.—Quoi?Illaregardasanscomprendre.Étanthumainetdoncdénuédepouvoirsmagiques,iln'étaitpasen

mesuredecapterlaForcequiémanaitdupapieretdusortd'engagement.Il ledéplia et leparcourut rapidement.Sonvisage se torditde fureur. Il laissa tomber la feuille

commes'ilavaittouchédufeu.—Ohnon,non,garce.Çanevacertainementpassepassercommeça.Tuvasmedonnercequetu

asprisettuvasmeledonnerimmédiatement!Ilplongeasursonsacàdos.Ellereculadequelquespas,lelaissantfouiller.Portefeuille,baskets,

labouteilled'eauàmoitiévideetsoniPodatterrirentsurleplancher.Il produisit un son étranglé et se retourna vers elle. Elle recula d'un pas dansant et resta sur la

pointedespieds,levantsesdeuxmainsenluidécochantunsouriremoqueur.—Oùc'est,bordel!éructa-t-il.Qu'est-cequetuaspris?Oùtul'ascaché?Merde!

—Tuasdécrétéqueçan'avaitpasd'importance,répliqua-t-elle.(Aufuretàmesurequ'ilavançaitverselle,ellereculait,ménageanttoujoursquelquesmètresentreeux.)Tuasdécrétéquetesmaîtres-chiens...

—Associés!rugit-ilenserrantlespoings.—...sefichaientdecequejeprenais,dumomentquecelavenaitdeCuelebre,vuqu'ilsavaientles

moyensdevérifiercequiseraitdérobé.Jeprésumequ'ilspeuventyattacherunsortleurpermettantdeprouverquecelavientvraimentdelui.

Ellesentit sonmolletentrerencontactavec la tablebasseet, tendantsesmuscles,ellebonditenarrièreaumomentoùKeithsejetaitsurelle.Elleatterritsurlatableenpositionaccroupietandisqu'ilsecognaitcontreuncoindumeuble.

—Ettusaisquoi?lança-t-elle.Jem'enfichetotalement,àl'exceptiond'unechose.Pia marqua une pause et se redressa. Elle dansa sur place pendant que Keith retrouvait son

équilibre.Sestraitsséduisantss'étaienttransformésenunmasquedehaine.Ellesedemandas'ilallaits'interrogersurlahauteuretlapuissancedubondqu'ellevenaitdefaire

en arrière et qu'une humaine n'aurait jamais pu accomplir, mais tout cela n'avait plus tellementd'importance.

—Lechantagenecessejamaisaprèsunpaiement.Entoutcas,c'esttoujourscequ'onditdanslesfeuilletons télévisés. (Le cœur luimanqua en voyant une lueur sournoise passer dans le regard deKeith.) Tu croyais que je ne devinerais pas que tu avais l'intention de te servir encore de moi ?Pourquoiteserais-tuarrêtéàunvol,aprèstout?Çaauraittoujoursété:

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«Eh,Pia,jenedirairiensurtoisitufaisencoreunepetitechosepourmoi.»C'estça,hein?Salèvresupérieureseretroussa.

—Onauraitpuformerunvraipartenariat.Ilavaitleculotdeprendreuntonamer.Incroyable.—Soittuauraiscontinuéàmefaireduchantage,soit,tôtoutard,sicen'estpasdéjàfait,tuaurais

parlédemoiàtespatrons.Ou,autrescénario:tuleurdonnescequej'aivolé,cequileurprouveraquetuenasunpeuplusquecequ'ilspensaient.Etilsteprennentausérieux.

—Ilsmeprennentdéjàausérieux,connasse.—Benvoyons.Ilsontprobablementpromisd'oubliertoutestesdettesdejeu.Peut-êtrequ'ilst'ont

promisunebelleliassedebilletsenplus.Tuespèressauvertapeaudeminableetqu'ils t'accordentenfinl'attentionquetucroismériter.Maisest-cequetuasréfléchideuxminutes?Ilsvontfortements'intéresseràlamanièredonttuaspuréussirl'exploitdepiqueruntrucàCuelebre.Etilsvontvouloirteposerbeaucoupdequestions.

Lacolères'effaçaduvisagedeKeithtandisqu'ilabsorbaitcetteréalitéquiapparemmentluiavaitéchappé.

—Çanevapassepassercommeça,fit-il.Jeleuraiàpeineparlédetoi.Alléluia,onauraitditqu'ilsemettaitàréfléchir!Enfin,toutétaitrelatif.Elles'assitsurlesofa.—Jetecroissurcedétail.Entoutcas,jepensequetulecrois.Maisavoiràpeineparlédemoi,

c'étaitdéjàtrop.Ellevoyaitlesrouagestournerdanssatête.Ilauraitgardétoutlepouvoir.Ill'auraittranquillement

menéeenbateausouslecouvertd'unsoi-disantpartenariatdontilauraittirétouteslesficelles.—Bon,fit-elle,rassemblantlepeud'énergiequiluirestait.Tuavaisjuréquetunesouffleraismot

àpersonnedecequejet'avaisconfié.Tum'asfaitchanter,àmontourdetefairechanter,parcequequelquesoitlescénariosusceptibledesedévelopperparmiceuxquejeviensdedépeindre,jeseraicuite.

Ilsecoualatête.—Non,P.Toutcequetuasàfaire,c'estt'entendreavecmoi.Pourquoitupeuxpaslevoir,bordel?—Parcequejenesuispascommetoi,Keith,répliqua-t-ellesèchement.Etsauverlesmeublesest

maseulechanced'échapperàcecauchemar.—J'arrivepasàcroirequetupuissesjustejeterl'éponge.Ilavaitl'airsurlepointdefaireuncaprice.—J'aijetél'épongeilyadessemainesdéjà,luirappela-t-elle.Saufquetunepouvaispaslâcherle

morceau.Maintenant,prendscemorceaudepapieretprononceàhautevoixlesermentd'engagement,ou bien je m'en vais et tu n'auras jamais ce que j'ai volé. Ce qui signifie que tu devras négocierd'autresmodalitésdepaiementavectes«associés».C'estclair?

Keithlaregardad'unairdépité.—Çaauraitpuêtrebien,tusais.—Danstesrêves,cow-boy,rétorqua-t-elleensecouantlatête.Il s'approchaet ramassa lepapier à contrecœur.Elle resta coite tandisqu'ilmarquaitunepause.

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Ellevoyaitqu'ilessayaitdetrouverunmoyendenepaslirecequiétaitinscrit.Maisiln'avaitpaslechoix.

Illelutrapidementd'untoncourroucé.—Moi,KeithHollins,jureicidenejamaisparlerdePiaoudesessecretsd'aucunefaçonquece

soit, directement, par inférence ou silence, ou je perdrai l'usage de la parole et souffriraiphysiquementtoutlerestedemavie.

Ilpoussauncriaumomentoùlamagies'activa.Lepapiers'enflamma.Avecunsoupir,Piaselevaetrangeadanssonsacsesaffaireséparpilléesparterre.—OK,j'aifaitcequetuvoulais,reprit-il.Maintenant,onvacherchercequetuasvolé.C'estquoi

?Unepierreprécieuse,unbijou?Çanepeutêtrequ'untrucquetupouvaisemporter.(Laconvoitisebrilladanssesyeux.)Tul'ascachéoù?

—Nullepart,répondit-elleenhaussantlesépaules.—Quoi?Tul'avaissurtoitoutcetemps?s'exclama-t-ilenmontrantlesdentscommeunchien.Elle sortit un mouchoir en coton plié de la poche de son jean et le lui tendit. Il l'ouvrit en le

déchirant presque tandis qu'elle mettait son sac à dos. Elle sortait de la pièce quand les juronscommencèrentàfuser.

—Putain,c'estpasvrai.Tuasvoléunputaindepenny!—Bye,chéri.Elles'éloigna.Lecorridors'embruma.Elleserralesdentsjusqu'às'enfairemal.Ellen'allaitpas

verserunelarmedepluspourcemufle.—Qu'est-cequefoutundragonavecunpennydanssontrésor?cria-t-il.Commentjepeuxsavoir

quecettepièceestbienàlui?Elleenvisageade luirappelerqueses«associés»étaientenmesured'envérifier l'origine.Elle

envisageade lui dire qu'elle savait qu'un faux aurait signé son arrêt demort,mais l'abruti était detoutefaçoncuit.

SoitCuelebreallait leretrouveret lui réglersoncompte,soitKeithsemettraitàdos tôtou tardl'undeses«associés».Ilsvoudraientsavoircommentilavaitpumettrelamainsurquelquechosequi appartenait àCuelebre.Et, grâce au sort,Keith ne serait pas enmesure de le leur dire.Cequiseraitunesituationpassablementinconfortable.

Elleenvisageaensuitedeluidireàquelpointelleavaitétéelle-mêmeidiote,vuqu'ilneluiétaitpasvenuàl'espritd'essayerdeluirefilerunfaux.Piaavaitbeauavoirquelquestalentssinguliers,ellen'avaitpasunegouttedemalhonnêtetéenelle.Elleétaitincapabledetromperlesgens.

Etpuis,ellen'avaitpasosérenonceràlatâchedemandéeunefoisqu'elleavaitprisconsciencedufaitqu'unevraieForcelaguettaitàsoninsu.Quelquechosesetramait.Quelquechosed'énorme,defuneste,évoquantunassassinatouuneguerre.Ellevoulaits'enéloigneraussivitequepossible.

—Tuleregretteras!cria-t-il.Tunerencontrerasjamaispersonned'autreprêtàsupportertoutestesconneries!

Elleluifitunbrasd'honneuretdisparut.

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Unepaniquesourdecontinuaità l'inciteràprendresesjambesàsoncou.Aprèsavoir tergiverséquelquesminutesensemordantleslèvres,ellepritladécisiondenepasretourneràsonappartement.Ladifficultédeladécisionlasurprit.Ellenetenaitpasàgrand-chose.Sesmeubles,c'étaitjustedesmeubles.Elleavaittoutefoisquelquessouvenirsdesamèreetelleétaitattachéeàquelquesvêtements.Indépendamment de ses possessions, le véritable arrachement, c'était de quitter son chez-soi, deromprelastabilitéqu'elleyavaittrouvée.

—Net'attachepasauxgens,auxlieux,ouauxchoses,luiavaitrépétésamère.Ilfautquetusoisenmesuredetoutquittersansregarderenarrière.Soisprêteàfuirsanslemoindrepréavis.

LamèredePiaavaitcachéd'importantessommesd'argentetdifférentesidentitéspourellesdeuxdansunedemi-douzained'endroitsunpeupartoutenville.Piaavaitmémorisédèssonplusjeuneâgeles combinaisons de verrous et de coffres-forts de tous les endroits concernés. Elles avaientrégulièrement effectué des exercices dits de fuite de New York, durant lesquels elle suivait lesitinérairesetaccédaitauxdocumentsetau liquidependantquesamère lasuivaitet l'observait.LesphotosdesfauxdocumentsétaientchangéesaufuretàmesurequePiagrandissait.

Mais si Pia avait hoché la tête et affirmé qu'elle comprenait, les événements de la semaine quivenaitdes'écoulerindiquaientàquelpointellen'avaitpasvraimentintégréleschoses.Samèreétaitmortealorsqu'elleavaitdix-neufans.Âgéemaintenantdevingt-cinqans,ellecommençaitàserendrecomptedel'insouciancedontelleavaitfaitpreuve.

Passeulementdesonaveuglementetdesasottised'avoirfaitconfianceàKeith.Elleavaitcontinuéàs'entraîneretàsuivredescoursd'autodéfenseetd'artsmartiaux,maisavaitnégligédelesprendreausérieux.Elle lesavaitconsidéréscommel'occasionde fairedusportetdesedistraire.Mais lesleçonsdesamèreluirevenaientetlahantaient.

Elle emprunta un chemin compliqué pour rejoindre le bar Elfie's situé au sud deChelsea. Elleréussitàvideruncoffreavantlafermeturedesbanques,puisuneautrecachette,moinsclassique,danslacourderécréationdesonécoleprimaire.Elleavaitdésormaistroisnouvellesidentitésetcentmilledollarsenpetitescoupuresdanssonsacàdos.

Quandellepoussaenfinlaported'Elfie's,elleavaitl'impressiondeporterlamoitiédelasaletédela ville sur elle.Elle était littéralement vidée émotionnellement, et la faim la tenaillait.Cela faisaitplusieursjoursquelestressluinouaitlagorge,etellen'avaitpaspuavalergrand-chose.Elfie'sétaitouvertdans la journéeafindeserviràdéjeunerentreonzeheuresetquinzeheures.Lesoir, lebars'animaitvraimentetQuentin,lepropriétaire,auraitpuenfairel'undesclubslespluscourusdeNewYorks'ill'avaitvoulu.Ilavaitsuffisammentdecharmeetdestylepourça.

Mais il préférait ne pas trop se développer. Elfie's avait la réputation d'être un agréable clubbénéficiantd'uneclientèlefidèle,quiincarnaitleslaissés-pour-comptedessociétés,ceuxquin'étaientpas totalementwyrs, faes, elfiques ouhumains et qui n'avaient donc leur place nulle part.Certainsaffichaient leurnaturesanscomplexe, leurmétissage,maisnombreuxétaientceuxqui,à l'instardePia,cachaientcequ'ilsétaientréellement.

Elle travaillait à Elfie's depuis qu'elle avait vingt et un ans. C'était le seul endroit qu'elle avaittrouvéaprèslamortdesamèreoùellesesentaitchezelle.

Elle se dirigea vers l'extrémité du bar où se groupaient les serveurs et s'affala plus ou moinscontre.Lebarmandeservice,Rupert,cessaunesecondedemanipulersesbouteillespourluijeterunregardsurpris.Illevalementon,luiproposantsilencieusementunverre.

EllesecoualatêteetluidemandaoùsetrouvaitQuentin.

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Ilhaussalesépaules.Elleopinaetluifitunpetitsignedelamain,etilrepritsontravail.Laclimatisationléchasapeausurchauffée.Ellesentitleslarmesluimonterauxyeuxenobservant

lecadrefamilier.Elleaimaits'occuperdubar.ElleaimaittravaillerpourQuentin.Laclientèledesbureauxsepressaitdanslevasteespace,ettroisrangéesdegensétaientmasséesau

baretattendaientleursboissons.Del'autrecôté,d'immensesécransplatsdiffusaientdesémissionsdesport.Laplupartdesgens,toutefois,avaientlesyeuxrivéssurlegrandécranfixéaumur.Ellelevaleregard.

—...pourlesnouvelleslocales,lestémoignagescontinuentd'affluerquantàl'étenduedesdégâtscauséscetaprès-midiparl'événementmystérieux,tandisquelesspéculationsvontbontrainpourenexpliquerlacause.

Unefemmeblonde,l'unedesjournalisteshabituelles,affichaitunsourireradieuxendirectiondela caméra. Elle se tenait devant un trottoir où des équipes d'agents municipaux balayaient desmontagnesdeverrebrisé.

LepilierdebistroquisetrouvaitàcôtédePialuilançad'unevoixrocailleuse:—Salutlabelle.Tun'étaispasenvacancespourunesemaine?Qu'est-cequetufaisici?Ellejetauncoupd'œilaudemi-trolltrapuperchésuruntabouretenacier.Debout,ilmesuraitprès

dedeuxmètrescinquante,sapeauétaitgrispâleetilavaitunetignassenoirequirefusaitdeselaisserpeigner.

—SalutPreston, répondit-elle.Oui, je suis toujoursencongé. Il faut justeque jediseun trucàQuentin.

Prestonétait l'undeshabituésdubar. Informaticienfree-lancedesonétat, ilpassaitses journéeschezluidevantsonécranetréchauffaitletabouretdubartouslessoirs.Ilbuvaitcommeuntrouetfaisaitàl'occasionlevideurquandilyavaitdugrabuge.

—Tusaisquecen'estpasbonsignedenepaspouvoiroublierleboulot,mignonne.—C'estunemalédiction,reconnut-elle.Tiréeparunfilinvisible,ellelevadenouveaulesyeuxsurl'écran.Elleregardaavecfascinationet

horreur.—Quentinest sorti ilyaunevingtainedeminutes,ajouta le troll. Il aditqu'il revenait toutde

suite.Ellefitunsignedetêtetandisquelajournalistepoursuivait:—Pendantcetemps,lesautoritésconfirmentquelasourcedel'incidentsetrouvaitnonloindela

tour Cuelebre sur la CinquièmeAvenue, dans un parc situé à deux pas de Penn Station. CuelebreEnterprisesapubliéuncommuniquédepresseassumantlaresponsabilitéduregrettable«accidentderechercheetdéveloppement».NousnoustournonsmaintenantversThistlePeriwinkle,directricedesrelationspubliquespourCuelebreEnterprisesetl'unedesporte-parolelespluscélèbresdesAnciens.

LacamérasedéplaçapourseposersurunepersonnedepetitetaillequisetenaitdevantlechromepolietlemarbredelatourCuelebreetétaitentouréedereporters.

Lafoulemasséedanslebarsemitàsiffler,àtrépigneretàapplaudir.—Ouiiii!FéeBarbie,ouiiiiiiiiiiiii!Madouce!Lapetite femmeportaitun tailleur rosepâlequisoulignait sasilhouettede rêveet sa taille fine.

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Avec son mètre soixante-quinze, Pia avait toujours eu l'impression d'être une grande perchelorsqu'ellevoyaitlaféeàlatélé.Lescheveuxlavandedelacélèbreporte-paroledeCuelebreétaientcoupés au carré avec chic.Elle fronça sonnez retroussé en souriant d'un air affable tandis qu'unedizainedemicrosl'assaillaient.Prestonpoussaunlongsoupir.

—Elleestcanon,bordel.Qu'est-cequejenedonneraispaspourmelafaire!Piajetaunrapidecoupd'œilaucolossehirsute.Elleavaittoujourstrouvéquec'étaitunedécision

trèscalculatriced'avoirchoisilamignonnettepetiteféecommedirectricedesrelationspubliquesdeCuelebreEnterprises.«Voyezcommenoussommesgentils,avenantsetinoffensifs.»Tuparles.

La fée leva une petite main délicate. Elle prit la parole dès que les exclamations et les criscessèrent.

—Jenevaisfairequ'unedéclarationbrèveaujourd'hui.Nousreviendronsversvousunpeuplustard avec davantage de détails une fois que nous comprendrons mieux la situation. CuelebreEnterprises regrette lesdésagrémentsquecet incident a causésànoschersNew-Yorkais etprometunerésolutionrapidedetouteslesdemandesd'indemnisation,s'ilyena,pourlesdégâts.

L'expressionmutinedelafées'effaça.Ellefocalisasonregardsurl'objectifdelacamérad'unairsombreetnonplusjoyeux.

—Soyez sûrs queCuelebre amis enœuvre toutes les ressources à sa disposition pour qu'uneenquête exhaustive soit menée. Il vous garantit personnellement que la cause de l'incidentd'aujourd'huiserarésoluedemanièrerapideetferme.Cecineseproduiraplus.

Oubliées les minauderies... La foule de reporters se figea. Dans le bar, le brouhaha généralisés'éteignit.MêmeRupertcessadeserviràboire.

— Nom d'un petit bonhomme. Est-ce que cette minuscule bonne femme vient de montrer lesdents?

Surl'écrandetélévision,lascèneredevintchaotiqueavantquel'imagereviennedanslesstudiosdelachaîneoùlajournalisteblondedéclarad'untonurgent:

—Voilà,c'étaitladéclarationofficielledeCuelebreetelleafaitl'effetd'uncoupdetonnerre.L'émissioncontinuaendiffusantunreportagebiographiquecourtsurCuelebre.Onnesavaitpas

beaucoupdechosessurlemilliardairequivivaitcommeunermite.Ilétaituniversellementreconnucomme l'une des Forces les plus immémoriales des Anciens, et reconnu comme le dirigeant à lapoigne de fer du domaine des Wyrs de New York. Il était aussi un acteur important, quoiquemystérieux,delascènepolitiquedeWashington.

Lesgrosplansetlesséquencesfilméesdeluiétaienttoujoursfloutés.C'étaitseulementdeloinquedesphotosavaientpuêtreprisesdemanièreunpeuplusnette.Lachaînemontraquelquesclichésd'ungroupedemâlespuissantsetàl'airdur.Aumilieu,sedressaitunpersonnageimmensesaisienpleinmouvement,latêtetournée.

Cuelebre n'avait jamais publiquement dit ce qu'il était, mais les journalistes commentaientlonguement le fait que son prénom, Dragos, signifiait « dragon » et que, d'après la mythologie,Cuelebreétaitunserpentailégéant.

MêmelesplusmarginalisésdeshybridesconnaissaientlanaturedeCuelebre.Chacund'entreeuxavait ressenti dans samoelle le rugissement de dragon qui avait fait trembler les fondations de laville.

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PiatenditlamainverslescotchdePrestonsansquitterl'écrandesyeux.Letrollluitenditleverre,etelleavalaunegorgée.Leliquideglissadanssagorgedesséchéeetexplosadanssonestomac,luidonnantl'impressiond'avoiravaléunebouledefeu.Ellehoquetaetluirenditleverre.

—Jesais,dit-il.Ilsontpassédestrucscommeçatoutl'après-midi.Apparemment,«l'incident»acassédesfenêtresjusqu'àplusd'unkilomètreetafissurélesfondationsd'unhôtelparticulier.Jel'aientendumoi-mêmeetjen'aipashonted'avouerquelesonm'arétrécilesnoisettes.

La panique s'empara de nouveau d'elle. Elle cacha sesmains sous le bar afin demasquer leurtremblementets'éclaircitlagorge.

—Oui,jel'aientendu,moiaussi.—Maisquiabienpulemettreencolèreàcepoint?Jen'ensaisrien,maisl'Apocalypse,àcôté,ça

ferafiguredepromenadedanslacampagne.—T'asvraimentunesaletête,murmuraalorsquelqu'unàsonoreille.Piasursautaviolemment,puisellepressasespaumescontresespaupièresjusqu'àvoirdesétoiles

avantdeseretournerpourfairefaceàQuentin.—C'estmonpatron,dit-elleendirectiondePreston.Toujourslemotpourplaire.Letrollpouffa.Quentinétaitappuyécontrelemurquijouxtaitlesportesàtambourquimenaientàl'arrièredubar.

Il la dévisageait en fronçant les sourcils. C'était un homme d'unmètre quatre-vingt-sept, élancé etpuissant,avecdestraitsbiendessinés.Sescheveuxblondfoncéétaientlongsetdépassaientseslargesépaules, mais il les portait normalement en catogan. Le style sévère accentuait l'ossature de sonvisageetsesyeuxbleusperçants.

Piasentitsagorgeseserrer.—Ilfautquejeteparle,dit-elle.—J'aibiencompris.Ilsetournaafindepousserl'unedesportes.PiafitunpetitsignedelamainàPrestonetsedirigeaversl'arrièredubar,Quentinsursestalons.

Laportesereferma,étouffantlebruit.Elle traversalaréserveetentradanslespacieuxbureaudeQuentin.Elles'arrêtaaumilieudela

pièce,laissatombersonsacetrestaimmobile,l'espritvide.Unetrèsbellemains'approchaetluipritlementon.Ellelelaissalatournerverslui,maisellene

put soutenir son regard intensequ'unmomentavantde fixerunpointau-delàdesonépauledroite.Ellesesentaitoppressée.

—Jem'envais,annonça-t-elle,lesyeuxtoujoursrivéssurlepointau-delàdesonépaule.Jesuisvenuetedireaurevoir.

Lesilences'étiraetdevintpesant.PuisQuentinposaunemainsursonfrontetenveloppasoncoudel'autre.Ellecroisasonregard,et l'inquiétudequ'elley lut faillitavoirraisondupeudecontrôlequ'elles'efforçaitdegarder.

—Tuasmalàlatête,fit-ilremarquer.Unechaleurdoréesemitàcoulerdesesmainsetàse répandredanssa tête,puisdans toutson

corps,effaçantladouleur.

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—Oh,jenesavaispasquetupouvaisfaireuntrucpareil,soupira-t-elle.Çafaituntelbien.Quandsesgenouxfléchirent,ill'attiradanssesbrasetlaserracontrelui.—Jecrainsdenepouvoirfairequoiquecesoitpourlespeinesdecœur.LabouchedePiatrembla.Ilavaitdevinésonchagrin.Elleposalatêtesursonépaule.—Est-cequetun'espascensémepasserunsavonpournepastedonnerdeuxsemainesdepréavis

?—Etsionsecontentaitdedirequejel'aifait,hein?Çamarche?Ellereniflaetopina,entourasatailledesesbras.L'âgedeQuentinétaitimpossibleàdéterminer.Ilpouvaitavoirentretrente-cinqetcenttrente-cinq

ans. Il y avait quelque chose chez lui de sérieux et sans âge, et son aura véhiculait un soupçon deviolentssecrets,sibienquePiaavaittoujourspariéqu'ilétaitassezâgé.Celafaisaitdesannéesqu'elleavait un béguin pour lui. En général, cela l'amusait et lui plaisait. C'était une petite faiblesseconfortable,d'autantplusqu'ellenelaluidévoileraitjamais.

Quelquechoses'étaitpassé,unereconnaissance,lapremièrefoisqu'ilsavaientéchangéunregard.Un légerbourdonnementdeForceémanaitdeQuentin, etPia l'avaitperçuauplusprofondde sonêtre.Elleavaitreconnucequ'ilétait.Ilyavaitunmagnétismeattachéàluiquil'aidaitàpasserpourunhumain,similaireausienetàceluidesautreshybridesquisecachaientparmilapopulation.Ellenesavaitpascequ'ilétaitprécisément,maisellesupposaitqu'ilétaitelfique,aumoinsenpartie.

Iln'avaitpaslamoindreidéedesanatureàelleet,parcequ'ilneposaitpasdequestions,elleavaittolérélesregardsscrutateursqu'illuijetaitaudébutdeleurrencontre.

Ilentrepritdedémêlersaqueue-de-cheval,passantseslongsdoigtsdanslesmèches.—Est-cequeKeithjoueunrôledanstoutça?Tunel'aspasrevudepuisquevousavezrompu,

n'est-cepas?CelaluifaisaitdubienqueQuentincaressesescheveux.Liquéfiée,elleenfouitsonvisagedanssa

chemise. Elle huma son odeur virile, chaude, qui lui faisait penser à de la chlorophylle. C'était siagréabled'êtredanslesbrasd'unhommefortetsolide.

Elles'écartadelui.—Si, je l'aivu.Keithest responsabledecequisepasse,enpartieen toutcas,avoua-t-elle,peu

désireuse dementir, non seulement parce qu'elle était attachée àQuentin,mais aussi parce qu'ellen'avaitjamaisétécapablededéterminerdansquellemesureilpouvaitdétecterlesmensonges.Maisc'estcompliqué.

Quentinsedirigeaverslaportedesonbureauetlaferma.Ils'appuyacontreelle,lesbrascroisés.—Bon,ehbien,jevaisdécompliquerl'affaire.Dis-moijusteoùilhabite.Lapaniquelasaisit.—Non!Tudoismepromettrequetulelaisserastranquille.Quentinpenchalatête,latoisantavecbeaucouptropdeclairvoyanceàsongoût.—Pourquoi?Tun'asplusdesentimentspourlui,n'est-cepas?—MonDieu,non!s'exclama-t-elle.(Ellesefrottalevisage.)Cen'estpasçadutout.Écoute,tune

comprendspasparcequetunesaisrien,etjenepeuxpast'expliquercequisepasse.Jen'auraismême

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pasdûvenirtedireaurevoir.C'estunegrosseerreur.Elle lui fit signe de s'écarter. Il ne bougea pas. C'est alors qu'elle se rendit compte qu'il s'était

délibérémentmis devant la porte. Elle poussa une exclamation de dépit, plus en colère après ellequ'aprèslui.Ilfallaitqu'ellefassepreuvededavantagedejugeotesiellevoulaitresterenvie.

Quentincherchasonregard.—Dis-moijustedansquelpétrintues,déclara-t-ilposément.Etjem'enoccuperai.Jeneposerai

pasdequestionsauxquellestunepeuxpasouneveuxpasrépondre.Toutcequetudoisfaire,c'estmedirecequinevapas.

Lesmotsréveillèrentinstantanémentsapanique,maiscettefois-ci,elleavaitpeurpourlui.Ellefitunbondenavantetlesaisitparlesépaules.

—Ilfautquetum'écoutes.Untrucgrave,énormes'estproduitetjenevaispast'enparler.Jem'envais,pointbarre.

Sanslaquitterdesyeux,ilretirasesmainsdesesépaules,lesenveloppadanslessiennesetlestintcontresontorsemusclé.

—Pia,onseconnaîtdepuisquatreansetnousavonsrespectédemanièreexemplairelavieprivéedel'autrejusqu'àmaintenant.Sijenesaispasexactementcequetues,jesaisquetuesfutée...

—Tudisçad'unairsérieuxalorsquejesuistombéeenpâmoisondevantKeith?Quelleblague!Elleessayadedégagersesmains,maisilneleslâchapas.—Tu as fait une bêtise. Ça ne fait pas de toi une idiote, dit-il en broyant sesmains contre sa

poitrineaupointdeluifairepresquemal.Jet'aivueobserverlamarchedeschosesici.Tucroisquejen'aipasdecontactsoud'influence?Laisse-moit'aider.Ellecessadesedébattre.

—Jesaisquetuasdel'influence.Ildoityavoirunemyriadederaisonsexpliquantqu'Elfie'saitunesigrosseclientèle,fidèleenplus,etpourquoitut'entretiensavecunsigrandnombredeclientsdans ton bureau.Et je suis sûre qu'il y a des conversations passionnantes le lundi soir pendant lespartiesdepoker.Etpuis,sij'enjugepard'autresvisitesquej'airemarquéesetcertaineslivraisons,jesuiségalementàpeuprèscertainequetuasdescontactsavecledomainedesElfesetDieusaitquid'autre.

Ilsemblaserendrecomptequ'illuifaisaitmaletrelâchasaprise.—Alorstudoissavoirquejepeuxt'aider.Ilsuffitdemelaisserfaire.Ellelevalesyeuxauciel.Ellesavaitqu'ilétaittêtu,maislàc'étaitabsurde.

—Tunem'écoutespas,reprit-elle.Tu.Ne.Peux.Pas.M'aider.Nousn'allonspasenparler,maisréfléchisuneseconde,tuveuxbien?Dragon?Ru-gis-se-ment?Mondépart?

Ilblêmit.—Qu'est-cequetuasfait?Ellesecoualatête.Aumoins,illaprenaitenfinausérieux.— Tout ce que tu as besoin de savoir, c'est que mon problème dépasse tout ce que tu peux

imaginer. Ne fais rien.Mieux encore : ne pense même pas à faire quelque chose. Et je t'en prie,Quentin,net'enprendspasàKeith.IlyaquelquechosederéellementmaléfiqueetterrifiantquipensepouvoirchercherànuireàCuelebresanssouci.(Ellesepenchaetposalefrontcontresapoitrine.)Écoute-moi.Tucomptesbeaucouppourmoietjeneveuxpasapprendrequetuasétéblesséoutué.

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Surtoutalorsquetunepeuxrienfaire,detoutefaçon.Il l'enveloppadenouveaudanssesbraset la serrasi fortqu'elleeneut lesoufflecoupé.Puis il

posaseslèvrescontresonoreille.—Jenevaispastelaisserfuiretêtreauxaboissanst'aider.Alors,fais-toiàcetteidée.Ellegrognaettentadelepousserpourselibérer,maisiltintbon.—Qu'est-cequiteprend,espèced'idiot?Tuasenviedemourir?—Jeveillesurlesmiens,voilàtout.Illalâchaetsedirigeaverssonbureaud'unpasrapide.Surprise,ellechancela,puisseretourna

pour l'observer. La tension se lisait sur le visage deQuentin, et elle vit l'ombre de quelque chosed'effrayantpassersursonvisage.Illuijetaunregardempreintd'ironie:

—Mêmesitufaisdestrucsidiotsetcouinescommeunepetitefille.—Vatefairefoutre.Tunemecommandespas.Plusmaintenant,marmonna-t-elle.Elle le regarda ouvrir son coffre-fort eh deux temps troismouvements. Il sortit une enveloppe

qu'illuitendit.—Tuvasallerlà-bas.T'installerdansunepetitemaisonquej'ai.Son attitude autoritaire ranima la flamme de sa colère, mais elle commençait à ne plus avoir

l'énergied'argumenter.Elleouvritl'enveloppeetensortitdeuxclefsenfiléessurunsimpleanneauenmétal.

—Demande-moioùc'est.Dis:«Quentin,c'estoù?»insista-t-il.Allez.—Quentin,c'estoù?répéta-t-elled'unevoixatoneens'apprêtantàjeterlesclefssursonbureau.—Oh,mercidedemander,Pia.C'estàlasortiedeCharleston.Ellesuspenditsongeste.—CharlestonenCarolineduSud?CharlestonoùsiègelacourdesElfes,enpleinmilieudeleur

domaine?—Làmême,répondit-ilensouriant.CuelebrenepeutpasyentrersanslapermissionduSeigneur

suprême des Elfes, à moins de violer toutes sortes de traités et de se mettre dans un pétrininvraisemblable.(Sonsourires'évanouit,etillascruta.)Jenesaispascequisepasseraunefoisquetuseraslà-basoucequetudoisfaireensuite.Peut-êtrequecetteinitiativeneserviraqu'àtepermettredesoufflerunpetitmoment.Mais,bon,c'estundébut.

—Oui,admit-elle,lesyeuxrivéssurlesclefs.EllelesfourradanssapocheetserraQuentincontreelle.Ilpressaunautretrousseaudeclefsdanssapaumeetl'accompagnajusqu'aupetitparkingjouxtant

l'arrièredubar.Ils'arrêtadevantuneHondaCivicbleuetoutàfaitordinairedatantde2003.—Prends-la,dit-il.—C'esttropgénéreux,articula-t-elled'untonétranglé.Ettuesdéjàsuffisammentimpliqué.—J'enaiaumoinscinqdanslegenre.Cen'estpasgrand-chose.Tais-toietmonte.—Tuvasmemanquer,fit-elle.Ill'embrassa.—Cen'estpasunadieu.

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—Bienentenduqueçanel'estpas.—Sérieusement,Pia.Trouveunmoyendemecontacterpourmedirequetuvasbien,oujeme

lanceàtapoursuite.Elle espérait de tout son cœur que cela n'arriverait pas. Il fallait qu'il reste en dehors de ce

cauchemar. Elle ne supporterait pas l'idée d'être responsable de la mort de son patron et ami,simplementparcequ'ellen'avaitpasétécapabledes'enallersansluidireaurevoir.

Ilpressaseslèvrescontresonfrontetrecula.—Allez,file.Ellepoussalatouchededéverrouillagedesportes,jetasonsacàdossurlesiègedupassageret

s'installa auvolant.Quandelle arrivaàun stopauboutde la rue, elle regardadans le rétroviseur.Quentinsetenaitdeboutàlasortieduparking.Illuifitunsignedelamain.

Lavoieétaitlibre,elles'engageasurl'avenue.QuentinluiavaitditquelevoyageentreNewYorketCharlestonprendraitenvirondouzeheures,

en suivant l'autoroute 1-95 la plupart du temps. Elle voulait s'éloigner le plus vite possible dudomainedesWyrsdeNewYork.Auboutdequaranteminutes,elles'arrêtaàunStarbucksetachetaunsandwich au tofu et un grand café tellement fort qu'il aurait pu récurer sa baignoire. Puis elleconduisitjusqu'àcequ'ellen'aitpluslesyeuxenfacedestrous.

LesdomainesdesAnciens étaient en surimpression sur la carte géographiquedeshumains.LesÉtats-Uniscomptaientseptdomainesd'Anciens,ycomprisledomainewyr,établiàNewYork,etlacourdesElfesdontlecentresetrouvaitàCharleston.

Chaquedomaine avait sonpropre seigneurou sapropredamequi faisait respecter ses lois.Uncertain nombre des dirigeants anciens préféraient vivre à une certaine distance des humains. Ilsavaientleurscoursdansd'autresespacesoùseulsceuxquipossédaientdespouvoirsmagiquesétaientenmesurededistingueretdetraverserlesfrontièresdimensionnelles.D'autres,Dragosparexemple,vivaientparmileshumains.

Ellene savaitpasoù se trouvait exactement la frontièrewyr-elfique, et elle conduisit jusqu'à cequ'elle soit sûre de l'avoir franchie. Que ce soit justifié ou non, elle sentit l'étau de la peur sedesserrer.Verstroisheuresdumatin,l'épuisementeutraisond'elle,etellepritunechambredansunmotelenutilisantunedesesfaussespiècesd'identité.Elleverrouillalaporte,mitlachaîne,posasonsacets'écroulasurlelit.Lachambresemitàtanguertandisqu'elleretiraitunechaussure,puisl'autreavecunpied.

Jepourraisdormirunmoisentier,pensa-t-ellealorsqu'elleétaitentraînéedansuntourbillondeténèbres.

Ellen'eutpascettechance.DragossetenaitsurlebalcondesonpenthouseausommetdelatourCuelebre.Ilcontemplaitsa

ville tandis que le soleil s'approchait de l'horizon. À cette heure du jour, la lumière de l'astre setransformait enune lourdemassed'or qui avait la richesse et la complexité d'unvieuxbourgogneblanc.Ilavaitlesmainscroiséesderrièreledosetlespiedssolidementplantésàunebonnedistancel'undel'autre.

Le balcon était l'un de ses endroits de méditation préférés. Il était dépourvu de rambarde. Il

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consistait enune largecornichecourant tout autourde l'immensebâtimentquioccupaitunpâtédemaisons.C'étaitunendroitpluspratiqueetplusdiscretpourprendresonenvolouseposer,quandiln'avait pas envie d'aller sur le toit qui était utilisé par ses sentinelles et certains autres membresprivilégiésdesacour.

D'innombrables sociétés se trouvaient sous l'égide de Cuelebre Enterprises. Casinos, hôtels etstationsbalnéairesetdeski,opérationssuractions,expéditions,banques.Ilemployaitdesmilliersdefées,d'Elfes,deWyrsetd'humainspartoutdanslemonde,mêmesi l'essentieldelapopulationwyrpréférait vivre dans l'État de New York de façon à pouvoir dépendre de ses lois et être sous saprotection.

Ces Wyrs qui se rassemblaient à la cour de Dragos et occupaient des positions clés dans sesentreprisesétaientdesprédateursd'unemanièreoud'uneautre,mêmes'ilexistaitquelquesexceptionsnotoires,tellelaféechargéedesrelationspubliques,ThistlePeriwinkle,Trickspoursesamis.

A l'instar deRune, son premier lieutenant, ses sept sentinelles étaient des créatures immortellesinvestiesd'unedoseimportantedeForce.Ilyavaitlesquatregriffons,Rune,Constantine,GraydonetBayne, chacun chargé de faire régner la paix dans l'un des quatre secteurs de son domaine. Lagargouille Grym s'occupait de la sécurité de Cuelebre Enterprises. Tiago, l'un des trois oiseaux-tonnerredontonconnaissaitl'existence,étaitàlatêtedel'arméeprivéedeDragos.

Enfin, la harpieAryal était chargée des enquêtes. Elle n'avait pas apprécié de devoir passer lesrênesdel'enquêtesurcevolàRune.Ellen'étaitpasconnuepourlasérénitédesontempérament,cequiexpliquaitd'ailleurssonascensionàlacour.

Il fouilladanssapocheetensortit leboutdepapier laissépar lavoleuse.Lemessageavaitétégriffonnéaudosdureçud'unepetitechaîned'épiceries.Lepapierfincommençaitàêtrecornéàforced'êtremanipulé.Ill'ouvritetregardalesachatsduvoleur:unpaquetderéglisseetungrandCocaàlacerise.—Rune,appela-t-ildemanièretélépathique.Sonpremierlieutenantréponditimmédiatement.

—Seigneur.—Rends-toiau7-Elevendela42eetrécupèreleursséquencesdesurveillancepourlesdernières

vingt-quatreheures.Ilyadeschancesquenotremalfaiteursoitdessus.

—J'yvais.Jeseraideretourdansuneheure.—Oh,Rune?RamèneunpaquetderéglisseetunCocaàlacerise.Ilvoulaitsavoiràquoiressemblaientcestrucs.

—D'accord,réponditRune,clairementdécontenancé.Dragos?—Quoi?—Tusaisquelletailledeboissontuveux,parhasard?Lavoixmentaledesonpremierlieutenantavaituncurieuxtimbre.—Tuconnaissuffisammentmesgoûts.Çameplaira?Dragosayantretrouvésoncalme,Runerepritletondeleurséchangesquotidiens,dénuésdetout

cérémonial.—Ben,jenepensepas,camarade.Jenet'aijamaisvumangerouboiredessaletésdecegenre.

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—Unpetit,alors.Dragos leva le reçu, le renifla, et fronça les sourcils. Même pour son odorat développé, il

commençaitàperdresondélicatparfumféminin.Ilquitta lebalconet rentradans lepenthouse.L'appartementoccupait tout ledernierétagede la

tour.Sesbureaux,sessallesderéunion,unesalleàmangerréservéeauxcadres,unesalledesportetd'autres lieuxpublics se trouvaient à l'étageau-dessous.Unétageplusbas encore se trouvaient leslogementsdesessentinellesetd'autreshautsreprésentantsdelacouretdumondedesaffaires.Touteslespiècesétaientimmenses.

Dragospartitàlarecherchedelacuisinecommuneoùl'onpréparaitlesrepasservisdanslasalleà manger. Il la trouva à l'étage au-dessous. Il franchit les portes à double battant, et cinq ou sixpersonnes attachées au service de la cuisine s'immobilisèrent. Dans le coin, un lutin émit unglapissementdesaisissementetsefitinvisible.

Lacuisinièreenchefseprécipitaversluiensetordantlesmains.Danssaformewyr,elleétaitunaffreuxloup,maisellegardaitsaformehumaine,celled'unegrandefemmed'âgemûrauxcheveuxgris,pendantlesheuresdetravail.

—C'estunhonneurinattendu,monseigneur,balbutia-t-elle.Quepouvons-nousfairepourvous?—CessachetsenplastiquemunisdepetitesfermeturesÉclair...jelesaivusdansdespublicités,lui

ditDragos.Onmetdelanourriturededans.—DessachetsZiploc?demanda-t-elletimidement.—Oui,c'estça.J'enveuxun.Elle se retournaet s'adressaàsonpersonneld'un tonhargneux.Une féebonditversunplacard,

puissautillaverseux.Elles'inclinabasdevantDragos,têtebaisséeetregardrivéausol,toutenluitendantuneboîteencarton.Ilsortitunsachet,glissalereçudedansetlerefermahermétiquement.

—Parfait,dit-ilenrangeantlesachetdanssapochedechemise.Ilsortit,sansprêterattentionaubrouhahaquisélevaitderrièrelui.EnattendantleretourdeRune,ilsedirigeaverssesbureaux.Sesquatreassistants,tousdesWyrs

sélectionnés pour leur intelligence et la force de leur caractère, occupaient les pièces extérieuresornéesd'œuvresdepeintresexpressionnistesabstraits,telsqueJacksonPollocketArshileGorky,etdesculpturesdeHerbertFerber.

Situédansuncoindel'immeuble,sonbureautoutenboisetenpierreétaitdécorédansdestonsnaturels.À l'instar du penthouse, la façade était constituée de panneaux de verre encastrés dans uncadre en fer forgé, de façon à former des portes-fenêtres qui s'ouvraient sur une corniche faisantofficedebalconprivé.Lesmursétaientornésdedeuxtoilesqu'ilavaitcommandéesàl'artisteJaneFrank.L'undestableauxreprésentaitunpaysagelejour,l'autrelanuit.

Aumoment où il s'assit à son bureau, son assistant,Kristoff, passa sa tête hirsute par la porte.Dragosserralesdents.

—Approche-toiavecprécaution,prévint-ilengardantlatêtepenchéesurlescontratsétalésdevantlui.

La nature d'ours duWyr masquait un docteur en économie diplômé de Harvard, spirituel et àl'intelligence vive. Futé comme il l'était, Kristoff prononça les deux mots susceptibles d'éveillerl'attentiondeDragos.

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—UrienLorelle.Il leva la tête.Urien Lorelle, le roi des Faes noires, était l'un des sept chefs desAnciens ; son

domaineétaitétabliàChicagoetils'avéraitêtrelabêtenoiredeDragos.Ilsecarradanssonfauteuiletfléchitlesdoigts.

—Crachelemorceau.Lesbraschargés,Kristoffbonditetdéversaunebrasséededocumentssursonsous-main.—Jel'ai- lelienquenouscherchionsentreLorelleetledéveloppementdesarmes.Cesontdes

copiespapierdetoutcequej'aipuexhumer.LadéclarationauprèsdelaSECdelaTranscontinentalPowerandLight,lacirculaired'information,lerapportannuel.J'aimarquélespagesimportantesetj'aitapéuncompterendu.

Forméeàlafinduxixe siècle, laTranscontinentalPowerandLightétait l'unedesentreprisesdeservicepublicappartenantau secteurprivé lesplus importantesdupays.Le roidesFaesnoiresenétaitleprincipalactionnaireindividuel.

Dragossaisitlerapportannueletlefeuilleta.LedocumentémanantdelacommissiondesvaleursmobilièresdesÉtats-Unisétaitépais,remplidestatistiquesetdetableaux.

Urien Lorelle et lui avaient tellement de divergences d'opinions. L'entreprise de Lorelle étaitfavorableàl'extractionducharbonàcielouvert.Dragospréféraitquelessommetsdesmontagnesnebougentpas.L'armadadecentralesthermiquesaucharbonvieillissantesd'Urienrejetaitannuellementplus de centmillions de tonnes de dioxyde de carbone dans l'atmosphère.Quand il volait,Dragosaimaitrespirerunairpur.

—Résume,dit-ilàKristoff.—TranscontinentalaétabliunpartenariatappeléRYVN,quiadéposéunedemandedesubvention

auprès du département de l'Énergie destinée à nettoyer un site vieillissant dans le Midwest quiproduisait dans les années cinquante du combustible nucléaire et des applications pour laDéfense.RYVN prétend vouloir explorer la possibilité de construire une nouvelle centrale nucléaireélectrogènesurlesite,ainsiqu'établirdenouveauxcontratsavecledépartementdelaDéfense.

LesyeuxdeDragosvirèrentaurougedelalaveliquide.—ApplicationspourlaDéfense,feula-t-il.Kristoffopina,unéclairdansleregard.—Armement.Lesdocumentsqu'ilavaitentrelesmainssentaientl'encreetlepapier,maisDragoshumaitl'odeur

dusangd'uneproie.—Mets la main sur notre contact DOE, ordonna-t-il. Assure-toi qu'il soit averti de rejeter les

demandesdesubventionémanantdeRYVNetexplique-luipourquoi.Unefoisquetuaurasfaitça,jeveux que tu détruises le partenariat RYVN. Ensuite, occupe-toi des partenaires individuels etdémantèle-leslesunsaprèslesautres.Etoccupe-toipersonnellementduprojet.

—Çamarche.—Pasdepitié,Kris.Unefoisquenousenauronsfiniaveceux,pluspersonnen'oseraétablirde

partenariatdecegenreavecUrien.—Budget?—Illimité.

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LeWyrsedirigeaverslaporteetDragosajouta:—Kris?Assure-toiqu'ilssachentquilesafaittomber.SurtoutUrien.Kristoffluidécochaunsourireradieux.—Commesic'étaitfait.Rune apparut soudain dans l'encadrement, vêtu d'un jean déchiré, de rangers et d'un tee-shirt

GratefulDead.Leventavaitsoulevésachevelurefauve.Ilportaitdeuxgobelets,unsacenplastique,et avait glissé sous un bras une épaisse enveloppe en papier kraft. Des paquets de réglisses'éparpillèrentsurlebureau.

Dragosendéchiraun.Runeenfonçadespaillesdanslecouvercledesgobelets.—J'ailessegments,dit-ilenindiquantl'enveloppe.Tusaiscequ'oncherche?— Fais des tirages de toutes les personnes achetant de la réglisse et des Coca à la cerise, et

apporte-les-moi.Ceseraunefemme,maisellepourraitêtredéguisée.Dragosmorditdanslebonbon.Avecunemouedégoûtée,illejetadanslapoubelle.Ilsaisitensuite

songobeletetmitlapailledanssaboucheenhésitant.Runeéclataderireenvoyantsonexpression.—Jet'avaisditqueçaneteplairaitpas.—Eneffet.Il fitsubiraugobelet lemêmesortqu'à la réglisse.Runeramassaquelques-unsdesrouleauxde

réglisseenfaisantunclind'œilàDragos.—Puisquetunelesaimespas,fit-il,etilsortit.Dragosretournaàsesdossiers,maisiln'arrivaitpasàseconcentrer.Ilavaitdanssonbureautrois

écrans plats diffusant les nouvelles sur trois chaînes différentes.Le téléscripteur d'une des chaînesl'interpellasoudainet ilaugmenta levolume.L'estimationdesdommagesqu'ilavaitcausés l'après-midis'élevaitdéjààdesdizainesdemillionsdedollars.

Lesreportersinterviewaientdespiétons.Unefemmeenlarmess'adressaàlacaméra:—Lesdégâts,d'accord,maislesonatrocequej'aientenduaujourd'huivameprécipiterchezun

psypourlerestantdemavie.JeveuxsavoirsiCuelebrevapayerpourçaaussi!Ilmitlevolumeensourdine.Cefichupennycommençaitàluirevenircher.Derrière les portes vitrées, la nuit engloutissait le crépuscule. Rune réapparut, des papiers à la

main.—Jel'ai!s'exclama-t-il.Untasdegensontachetéuntasdesaletés,maisuneseulefemmeaacheté

desrouleauxderéglisseetunCoca.Dragos s'appuya contre son dossier.Une impatience ombrageuse l'envahit comme il prenait les

feuilles.Runeavaitimpriméplusieursclichésprissuccessivement.Tandisqu'ilfixaitlesphotosennoiret

blanc,Dragosarrivaitpresqueàimaginerlafemmeenmouvement.Ilavaithâtedevoirlefilmetdepouvoirl'observeralorsqu'ellesedéplaçaitpourdevrai.

On la voyait ouvrir la porte, puis se diriger vers la gauche et disparaître de l'image pourréapparaître,unpaquetderéglisseetungobeletentresesmainsfines.Ellepayait,souriaitaucaissier.

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Ladernièrephotolamontraitpoussantlaporteaumomentdesortirdumagasin.Ilsepenchapourlesexaminerplusattentivementencore.L'angledesprisesdevuenefacilitaitpasleschoses,maisellesemblaitêtredetaillenormalepour

une humaine.Elle étaitmince et élancée, et ses formes étaient gracieuses.La caméra avait saisi lecreuxdesesépaules.Sescheveuxépaisétaientattachésenqueue-de-chevaletsemblaientquelquepeuendésordre.Ilsétaientd'unecouleurtrèsclaire.

Ilfronçalessourcils.Elleavaitl'airfatigué,préoccupé.Non,c'étaitplusquecela,elleavaitl'air...hanté. Le sourire qu'elle adressait au caissier était courtois, doux même, mais triste. Elle neressemblaitpasdutoutàl'idéequ'ils'étaitfaitedelavoleuse.

Ilpassaundoigtsursasilhouette,priseaumomentoùellesortait.C'étaitlaseulephotosouscetangle.Ilfrappaleclichéduplatdelamain.

—Jetetiens,maintenant.— J'ai juste une question, intervintRune en le regardant avec curiosité.Comment as-tu su qu'il

fallaitquej'aillelà-basetcequejedevaisychercher?Dragoslevalesyeux.—Peuimporte.Onl'atrouvéeettonrôlesetermine.Tupeuxretourneràtestâcheshabituelles.—Etelle?demandaRuneenindiquantlesphotosd'ungeste.—Jem'occuped'elle.Jelachasseraiseul.Il congédia Rune, monta dans sa chambre et ouvrit les portes-fenêtres. Un souffle printanier

s'insinuadanslapièce.Il levalatêteethumalecomplexemélanged'odeursdelavilleportéparlabrise.

Lepouvoir,qu'ilsoitmagiqueounon,aseshabitudes.Ilserendaitcomptequ'ilétaittombédansune espèce de paresse intellectuelle. Soit la vie se conformait à ses exigences, soit il la pliait à savolonté.Ilnedemandaitpas,ilprenait.Ils'étaitinstallédansuneléthargiefacile.

Il invoquasaForceet semitàmurmurerdes incantationsdans lanuit. Ilprojetait l'imagede lavoleuse dans son esprit. Les fils magiques se déroulèrent comme des muscles qui n'ont pas étésollicitésdepuislongtempspeuventsetendre,puisilssemirentàsedéployeretàselaisserporterparlabrise.Lalocalisationdeleurciblen'étaitqu'unequestiondetemps.

Jetetiens,désormais.

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3Piarêvaitd'unevoixténébreusequiluichuchotaitquelquechose.Elleseretourna,essayantdene

pasyprêterattention.Toutcequ'ellevoulait,c'étaitdormir.Mais lavoixs'insinuadanssa têteetyplongeasesgriffesdevelours.

Elle ouvrit les yeux et constata qu'elle se tenait debout sur la corniche d'un vaste balcon quisurplombaitNewYork.

Lespectaclenocturneétaitéblouissant.Deslumièresdetoutes lescouleurspeignaient lesgratte-cielquiseprofilaientsurunfondvioletpresquenoir.Ellebaissalesyeux.Elleétaitpiedsnus.

Etiln'yavaitpasderambarde.Ellereculaenchancelant,etseretrouvasursonséant.Elleserelevaprécipitamment.C'estalors

qu'elle remarqua ses longues jambes nues dépassant d'un simple déshabillé blanc. Le vêtementsoulignaitsasilhouettedecoureuse,légèreetathlétique,etsesmusclesdéliés.

Undéshabillé?Ellepalpaletissusatiné.Ellen'avaitpasdedéshabillé.Si?Elleauraitjuréqu'ellenel'avaitpasmisavantdesecoucher.Aufait,oùs'était-ellecouchée?

Uneluminescencedouceetlaiteuseéclairaitlesdalles.Unedécharged'adrénalinelaparcourut.Mince,elleluisait.Cen'étaitpasbon,ça.Ellerepoussasescheveux.Lalueurluidonnaitl'impressiond'êtreplusnue

quesielles'étaitretrouvéecomplètementdénudée.Ellen'avaitpasperdusoncontrôlesurlesortquiluipermettaitd'estompersaluminescencedepuisqu'elleétaitpetitefille.

Elle s'efforça de redonner à sa peau une apparence humaine. C'était dangereux pour elle d'êtreexposéeainsi.

—Tevoilà,fitunevoixbasse.Jet'attendais.Cettevoix.Whiskeyetsoie,sansâge,masculine.Elle se déversa sur elle et incendia ses sens. L'air luimanqua. Ses lèvres s'entrouvrirent et elle

laissaéchapperunhalètementmuet.Elle se tourna vers les élégantes portes-fenêtres en fer forgé. Des rideaux blancs, vaporeux,

flottaient.Usdissimulaientautantqu'ilsrévélaient.—Rentremaintenant,veux-tu.Cettevoixsublimeetincomparableéveillaenelleundésirfoudroyant.Ellefitunpas.Unrecoindesonespritserebellait.Euh,coucou?luidisait-il.Tutesouviensdecequis'estpassé

ladernièrefoisquetuassuccombéaudésir?Tut'esretrouvéedanslelitd'unabrutiquit'afaitduchantage.

La scène commença à clignoter et à s'estomper. Le murmure mystérieux s'intensifia au pointqu'ellen'entenditplusriend'autreetneputpluspenseràriend'autre.Ellesesentait tellementseulequ'elleenavaitmal.Malphysiquement.Elleappuyaunemainentresesseinsetregardaautourd'elled'unairconfus.

—Rentre,maintenant,ordonnalavoixhypnotique.

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Soudain, toute sa résistance s'évanouit. Elle s'approcha des rideaux et les souleva en scrutantl'intérieurd'uneimmensechambreàcoucherplongéedansl'obscurité.Elledistinguaunecheminéeetdesmeublesmassifs.

Un mâle était étendu sur les draps de couleur claire d'un énorme lit au cadre sombre. Il étaitcolossal,sesmusclespuissantssaillantsurseslongsmembres, lapeaunuedesontorsecontrastantaveclapâleurdelaliterie.Lescheveuxquiretombaientsursonfrontétaientencoreplusfoncés.Unebouchesensuelledessinaitunsourirecynique.Seulssesyeux luisaientdans l'obscurité,d'une lueurdiffuse,ensorcelanteetcalculatrice.

Unfrissonluiparcourutl'échiné.Cesyeuxluirappelaientquelquechosed'important.Siseulementellearrivaitàserappelerquoi...

UneForcequiévoquaitleChampagneemplitlapiècejusqu'àcequ'elleaitl'impressiondenagerdedans.C'étaitlapremièrefoisqu'ellesetrouvaitenprésenced'unemagied'unetelleintensité.Ellesepressaitcontresapeau,étourdissanteetterrifiante,enivrante.Etsurtoutelletransformaitlefeuquelavoixavaitalluméenelleenundésirliquide.Elleémitungrondementanimal.

L'hommedépliaunbrasettenditlamainverselle.Sarésistances'évaporatotalement.Elleseruasurlui.

Elleavaitàpeineatteintlelitqu'ilbondissait.Illuisaisitlesbras,laplaquacontresoncorps,puislajetasurlematelastoutensepositionnantsurelle.

L'immobilisant de son corps massif, il enveloppa ses poignets dans ses mains et les tirabrutalementau-dessusdesatête.

LamagieetledésirétouffaientPia.Sarespirationdevintsaccadéefaceàcetteviolencemaîtrisée.Unechaleurinondasonventretandisqu'ellesentaitsonsexes'ouvriretsescuissessemouiller.

Ungrondementrouladanslagorgedel'homme.Lebruitsauvagefittremblerlelit.Safacedureétaitplongéedansl'ombre.Sescheveuxnoirsendésordreluirappelaientquelquechose.

— Regarde-moi, dit-il en approchant son visage tellement près que leurs nez se touchèrentpresque.Regarde-moi.

Son regard lançait des éclairs d'or à l'instar d'un faucon. Des yeux de prédateur. Des yeux desorcier.

Quelquechoseémanantd'unerégionéloignéedesoncerveaucriaunavertissement,maisilétaittroptard.Elleavaitrejetélatêteenarrièrepourmieuxlevoiretplongésonregarddanslesien.Etc'estainsiqu'elleseretrouvapriseaupiège,commeuninsectedanslatoiled'unearaignée.Ilpouvaitfairecequ'ilvoulaitd'elledésormais,absolumenttout.

Etellen'arrivaitpasàs'eninquiéter.Ellevoulaitêtreprisedanssatoile.Ellesefrottacontresoncorps vigoureux et sexy.C'était tellement bon d'êtremaintenue ainsi par lui, un plaisir qui allait àl'encontredetoutcequ'onluiavaitappris.

Ellesetendit,lecoubandécommeunarctandisqu'elleessayaitdepositionnerseshanchesoùellelesouhaitait.Lazoneentresescuissespalpitaitavecdeplusenplusd'intensité,aupointd'endevenirdouloureuse.

—Qu'est-cequevousattendez?gronda-t-elle.Ils'immobilisa,surpris.Puisunchangements'opéraentreeux.Ellenesavaitpasquoi,maiselle

sentitlemomentoùilseproduisit.L'airs'électrisaencoredavantage.Puisilsedéplaçaaveclenteur

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pour peser sur elle de tout son poids. Ses yeux étincelaient avec sauvagerie et voracité. Sa têtedescenditsurelleaveclaforceduvolenplongéed'unrapace.

Des lèvres dures capturèrent les siennes. Il plongea dans sa bouche et la pénétra d'une languechaudetoutenfrottantseshanchescontresonbassin.Ellesentitquelquechosedefermeetdelourdpesersursonventre.Elleserenditcompteavecunecertainestupeurquec'étaitunemassiveérection.

Ses lèvres tremblèrent contre les siennes tandis qu'elle gémissait. Elle s'arc-bouta, essayant defrotterseshanchescontresonmembre.

Il lâchaun juron étranglé. Il la cloua aumatelas avec sesbras, ses jambes et sonpoids.Elle secambra de toutes ses forces, se sentant euphorique, ce qui lui apporta un sentiment paradoxal delibération.Leurssoufflessemêlèrentdanslafrénésiesensuelle,ilmenottaitsespoignetsdesesmainsenplongeantetreplongeantsalangue,baisantsaboucheavecfureur.

Ceva-et-vientremontantàlanuitdestempslachauffaàblanc.Elleavaitbesoindedavantage.Ellelouvoyasousluietilpositionnasesépaissescuissesmuscléesdechaquecôtédessiennes,cequiluipermitdeparfaitementalignerseshanchessursonbassinenfeu.

Et lemouvementplaquasonsexegonflécontresonclitoris. Ilbougeacommeunfélinsauvage,frottantlecœurdesonintimité.Leplaisirlagriffaitdetoutepart.Ellepoussaunhurlementdanssaboucheetsoulevalebassinpourrencontrerseshanches.

Ellesavaitvaguementquequelquechosen'allaitpas.Ellen'étaitpaselle-même,rêveoupasrêve.Sondéchaînementétaitliéàuneviedesolitudeetàlasensualitéélectrisantequisortaitpartouslesporesdecemâle,àsonappeldesorcieretàsonmagnétisme.Elleessayadesaisirsespensées,maiscelles-ciluifilèrententrelesdoigts.

Ildétachasabouchedelasienne,tournalatêteetbalbutiadesmotsétrangers,brûlantsdeForce.C'étaitl'intonationdemalédictions.Ilrelâchasespoignets,plaquaunemainsursesreinsetforçaseshanchesàbuter contre les siennes, toujoursplusprès,plus fort, tout enprenantunde ses seins aucreuxd'unepaume.Puisseslèvresvoyageusesplongèrentsursagorge.

Illamordit,gestesauvageetarchaïquequifitàPial'effetd'untremblementdeterre.Ellecriaetenfonçasesonglesdanssondosenenveloppantsesjambesautourdeseshanchespourletireràelle.

Usyétaientpresque.Presque.Ilroulaavecelle,jusqu'àcequ'ellesoitlittéralementvautréesurlui.Ellerectifiasaposition,sabouchecherchantlasienne.Unepoignedeferemprisonnasescheveuxetsatêtecontresapoitrinevelue.Elleavaitbesoinqu'illapénètrecommeellen'avaitjamaiseubesoindequelquechose.Elleglissaunemainentreeuxpoursaisirsonglandvelouté.Ilétaithumide.

C'estalorsque,haletant,ilguidasatêteenarrièredesortequeleurslèvress'effleurent.Continuantà fairealleretvenir seshanchescontre les siennesdansun rythme lent,mais soutenu, frottant sonmembreépaiscontresapaume,ilmurmura:

—Dis-moitonNom.Oh,attention.Elleavaitbesoindeserappelerquelquechose.Elleluttapourarriveràréfléchir,à

dépasserledésirincandescent.—Dis-moi,chuchota-t-il,lesmotsl'enveloppantetlaserrantunpeuplusdanslatoile.Attends uneminute, se dit-elle. Le souffle lui manqua. Les noms ont de la Force. De la Force

semblableàlaForcequimodulelavoixdecethomme...Ellecherchadésespérémentàinventerunnom,maiselles'entenditarticuler:

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—P...PiaGiovanni.Ellesefrottacontresoncorps,enquêtedurythmequ'ilavaitlancé.Elleavaittellementbesoinde

jouirqu'elleenauraithurlé.—Pia.Joli.Sonsoufflechaudflottaautourd'elleàl'instardevolutesdefuméecrééesparunfeuinfernal.MonDieu, c'était incroyable cettemanière qu'il avait de la caresser partout avec la seuleForce

danssavoix.Illéchasapeaubrûlanteetmurmuraencore:—Maisc'esttonnomhumain,n'est-cepas,mabelle?Tuasquelquechosedewyr.Ilfautqueje

sachetonvraiNom.Puis,commes'ilnepouvaitpass'enempêcher, ilenveloppasesfessesdanssamainet lapoussa

avecunetellevigueurqueseshanchessedécollèrentdulit.Maisattends,attends.LuidonnersonNom,sonvrainomallaitluidonnertoutpouvoirsurelle.Lavoixdesamèretouchasespenséesrenduesfollesparledésiravecuneluciditétranquille:

—NerévèlejamaistonNomàquiquecesoit.Samèreluiavaitrépétécemessagemaintesfois.Ellel'avaitditavecsaForcepersonnelledansla

voix,afinquelesmotss'imprimentdansl'espritdePia.— Si tu confies ton Nom à quelqu'un, tu donnes à cette personne tout pouvoir sur toi, pour

l'éternité.TonNomesttontrésorleplusprécieux.Garde-leaussisûrementquetugardestavie,cartonNomestlaclefdetonâme.

Lerêveensorcelésebrisa.—Non,murmura-t-elle.Aquidisait-ellenon?À luiouà samère?Elleessayade s'agripperà lui,denepas le laisser

partir,saisissantsescheveuxnoirsdesesdoigtsfébriles.Ilrugit.Ilsemblaitsouffrirautantqu'elle.Ill'entouradesesbras,tentantdel'étreindre,maiselle

s'évanouissaitdéjà.Lasoiedesachevelurefonditentresesdoigts.Elletenditlesmainsverslui.Ellesentitsesdoigtsfrôlerfugacementlessiens.Puisils'évapora.Ellese réveillabrutalementets'assit.Soncœurbattaità tout rompre.Sesvêtementssalesétaient

trempésdesueur,lacouverturedumotelenboulesouselle.Laclimatisationcrachotaitunairrancedanslachambre.Lesdernièrestracesdemagie,ainsiqu'unChampagnequiatourné,avaientcessédepétiller.

Soncorpsaffaméhurlaitsasouffrance.Elleappuyalamaincontresonsexe,maislegestenefitqu'exacerberdouloureusementsondésir.

Ellen'avaitjamaisressentiunetellefrénésie,unteldéchaînementdessens.Elleserecroquevilla,avide de retrouver cet amant de rêve et terrifiée enmême temps. Quelque chose d'enfoui au plusprofond de son être semit à chuchoter son nom. Puis la panique le fit taire. Elle ne devait pas ypenser,nedevaitpasselaisserdéstabiliserparcequivenaitdesepasser.

Ellesursautasoudain,prenantconsciencedufaitqu'elleluisaittoujours.Lelégersortquicachaitlapelliculenacréedesapeausenourrissaitdesapropreforcedevie.Ilétaitcensénejamaiscesserd'êtreactif,mêmelorsqu'elledormait.Ellen'avaitjamaisperdusoncontrôleauparavant.

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Ellerenouvelalesortetfitdisparaîtrelaluminescencepourreprendreuneapparencetotalementhumaine.

Elleétaitdansunsacrépétrin.Dragosbondithorsdesonlit,lestraitsdéformés,tenantd'unemainsonmembredouloureusement

tendu.Sestesticuleslefaisaienttellementsouffrirqu'ilduts'agripperaurebordd'unecommode.Ilsepliaendeux,saisidefrissons.

L'envoûtement qu'il avait envoyé était censé séduire sa voleuse en lui faisant imaginer sonfantasme le plus enfoui, son désir le plus ardent. Il s'était attendu à tout, sauf à cela. Il avait penséqu'elle aurait un rêve de richesses et de pouvoir, de succès, voire de célébrité, mais du sexe ?Toujours opportuniste, il s'était empressé de répondre à l'attente de la jeune femme en l'entraînantplusloindanslepiègequ'ilavaitpréparé.

C'estalorsqu'elleétaitentréedanssachambreetquelemonde,telqu'illeconnaissait,avaitcessédetourner.

Quiétait-elle?Aucoursdesâges,ilavaitaccumulédesconnaissancesquasimentencyclopédiquessur lesAnciens. Il cherchaundétail, quelque chose, sur ce typede créature.Tout ce qui lui vint àl'espritétaitdenouveaucelointainsouvenir.

Ilselerappelaitmaintenant.Dessièclesauparavant,ilavaitplongédanslesboisdel'Ombrie,avaitpourchassé un parfum sauvage insaisissable, le rattrapant pour le perdre encore une fois, certaind'avoirentendulebruissementdufeuillageaumomentoùunemystérieusecréatures'étaitenfuiesoussesyeux.

Dans le rêve, il avait concentré son intelligence sur la femme, avide de comprendre ce qui sepassaitafindelerangeràlabonneplacedanssonabyssalemémoire.Etilavaitéchouédemanièregrandiose.Lamagiequi faisaitpartied'elleétaitdélicate,en filigrane,mâtinéedecomplexitéetdebeauté.Elleétaitsauvageetmystérieuse,fraîchecommeleclairdelunequicouraitsoussapeau.Ilavait senti tout son corps se raidir de stupeur en la regardant marcher vers lui d'une gracieusedémarchelégèrementchaloupée,seslèvresentrouvertesetsonregardlumineuxdesensualité.

Lumineuxdedésirpourlui,laBête.Cuelebre.Wyrm.Ilnes'étaitpasreconnulorsquelevolcanquicouvaitenluiavaitfaitéruption.LaBêteavaitbondi

etl'avaitpriseavecviolence.Etelleavaitététransportée.Une soif aveugle l'avait alors envahi. Il avait cédé à cette soif. Et l'envoûteur avait été envoûté.

L'ondulationdecescourbesfémininessoussonpoidsluiavaitfaitl'effetd'unerévélation.Lecontactdesabouchel'avaitgalvanisé.Ilnepouvaitpluspenserqu'àunechose:plongersonsexeenelle.

Ilavaitréussiàsecontenirensefocalisantsurlesortqu'ilavaitjeté,reconnaissantdansuncoindesonespritque,aussidélicieuxcerêvesoit-il,ilétaitdestinéàexacerberunefaim,pasàl'assouvir.Etilavaitréussiàutiliserlespointsfaiblesdesaproiedefaçonàl'assujettir.Lerêven'allaitsatisfairenil'unnil'autre,iln'allaitqu'aiguiserleurfaim.

Maisaumomentoùilavaitcondensélesortetl'avaitpresséepourlaredditionultime,elles'étaitdérobée.

Savoleuseluiavaitditnon.

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Ilpoussaungrondementetdétruisitlacommodeenacajou.Puisilsoulevalelitetlejetaàtraversla pièce, avant de pivoter et de frapper le mur de ses poings. Il avait dû toucher une poutre, carquelquechosegrondaets'affaissa.

Laportedesachambres'ouvritàlavolée.Ilseretourna,vifcommel'éclair,dénudantsescrocs.RuneetAryalsurgirent, leurscorpsàmoitiénus faisantpenseràdesarmesvivantes.Sonpremierlieutenantbrandissaituneépéetandisqu'Aryalavaitunsemi-automatiqueentrelesmains.Runepritàgaucheet laharpiededeuxmètresplongeasurladroite,avantqu'ilsneserendentcomptetouslesdeuxqu'ilnecouraitaucundanger.Uss'immobilisèrent.

Ilfallaitdonnerunbonpointàsessentinelles,ildevaitlereconnaître,pournepasprendreleursjambesàleurcouenseretrouvantfaceàleurseigneurenragé,toutnudesurcroît.Dragosréussitàs'accrocheràcettepenséepoursedominerets'empêcherdeleurarracherlatête.

—Cauchemar?s'enquitRuneenseredressantetenlaissantlapointedesonépéetoucherlesol.—J'ai sonnomhumain.PiaGiovanni.Renseignez-voussurelle,vite.Trouvez toutcequevous

pouvezetamenez-moilasorcière,j'aibesoind'unsortdepistage.Les sourcils impeccables de la harpieAryal se levèrent comme elle jetait un coup d'œil sur la

chambredévastée.—Bougez-vous,bordel!Sonrugissementfittremblerlesoldupenthouse.Usseprécipitèrentverslaporte.Bon,ilsétaient

courageuxetfutés,c'étaitdéjàça.Lesdernièrestracesdel'envoûtements'agrippaientàlui.Ilenfiladesvêtementsetseprécipitasur

lebalcon.Lepenthouseétaituneprison.Mêmelevastepanoramasurlavillequis'étendaitàpertedevueluidonnaitl'impressiond'êtredansunecage.Ilvoulaitselancerdanslesairs.Ilavaitterriblementenviedetuerquelquechose,maisilétaitpiégéetnepouvaitpasprendresonenvolavantl'arrivéedelasorcière.

Le dragon se tint immobile sur le bord de la corniche, les poings serrés et les yeux plissés,observantlacoursedesminusculeshumainsquatre-vingtsétagesplusbas.

PuisRuneluiadressapartélépathieunmessage.—Seigneur,lasorcièreestlà.

—Monbureau,répondit-il.Il longea lebalcon jusqu'àse retrouver justeau-dessusde lapièce,puis il sautaetatterrit sur la

cornichesituéedessous.Runeetlasorcièreétaientdéjàlà.L'apparitionsoudainedeDragosn'émutpaslegriffon,maisla

sorcièrerivalesyeuxsurluiquandilseredressadetoutesataille.Unefemmehispaniquedegrandetailleetàlabeautéimpérieuse,quisehâtadebaisserlesyeuxlorsqu'ilouvritlaporte-fenêtreetentra.

CelafaisaitplusieursannéesqueCuelebreEnterprisestraitaitaveclameilleuresorcièredelaville.Dragosnes'étaitjamaissouciédeconnaîtresonnom,maisillareconnut.Elleavaitpeurdelui,maisiln'yaccordaaucuneattention.Tousleshumainsavaientpeurdelui.Ajustetitre.

—J'aibesoind'unsortdepistagepourunefemme,gronda-t-il.Elleinclinalatête.—Certainement,mon seigneur.Bienentendu,vous savezqueplus jepeuxavoird'informations

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surunecible,pluspuissantseralesort.—Elles'appellePiaGiovanni.Illuitenditlaliassedephotosissuesdelavidéodu7-Eleven.Lasorcièresefigea.Sonexpressionrestaimpénétrable,maisunchangementquasiimperceptible

dans sa posture ou sa respiration interpella le prédateur qu'il était. D'un mouvement fluide, il serapprochad'elle.Illabalayad'unfaisceaudesensdelavérité.

—Vousconnaissezcettefemme?Leregardsombredelasorcièreplongeadanslesien.—Jel'aivuedansleMagicDistrict.Ellenem'apasditsonnom.Elledisaitlavérité.Leprédateurenluisedétendit.Ilindiqualesphotosd'ungeste.—Est-cequesonnometlesphotosvoussuffisent?—Jepeuxjeterunsortavecceséléments,maisilseraitpluspuissantetdureraitpluslongtempssi

vousaviezquelquechosevenantd'ellequejepourraisutilisercommeancre.Unsortdepistageestpluscompliquéqu'unsortdelocalisation.Ildoitchangeraufuretàmesurequelesujetsedéplace.

Ilmit lamainà lapochedesachemiseetsortit lesachetferméhermétiquementquicontenait lereçufroissé.

—Ilsetrouvequej'aiexactementcequ'ilvousfaut.

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4Piaselevaetentradanslasalledebainsenchancelantafindeprendreunedouche.Ellen'avaitpas

d'objetsde toilettedanssonsacàdos,misàpartde lacrèmepour lesmainsetunbaumepour leslèvres,etelledutsecontenterdupetitsavonfourniparlemotel.Laverseslongscheveuxs'avéraunexercicelaborieux,maisaumoinsl'eauétaitchaudeetlapressionbonne.Ellenotaensefrottantquelapeaudesoncouétaitsensible.

Ellemarquaunepauseettâtalazone.Qu'est-cequec'était?Elleserinçarapidement,puisenveloppasescheveuxdansuneserviette,saisituneautreserviette

poursesécher,etenfinessuyalemiroircouvertdecondensationafindevoirpourquoielleavaitmal.Unemorsure.Elleportaitlamarqued'unemorsure.Ellenesaignaitpas,maiselleavaitunenette

impressiondedentsetunsuçonseformaitdéjà.—Lesalaudm'afiléunsuçon?murmura-t-elle.Dansunrêve?Elleeneutlachairdepoule.Ellesefrottalesbrasetévitades'attardersursonvisageblêmeetses

cernesprofonds.Ellenesavaitpascomment,maiscethorriblerêven'enavaitpasétéun.LamagiedeDragosl'avait

trouvée.Ilconnaissaitsaphysionomiedésormais.Elleluiavaitconfiésonnom.Pars.Sur-le-champ.Heureusementqu'elleavait troisautresnomset lespiècesd'identitéquiallaientavec,parcequ'il

fallaitqu'elle renonceàceluiquiavaitété lesien toutesavie.AdieuPiaAlessandraGiovanni.Soncœur se serra. Samère avait choisi ce nomen souvenir desmoments heureuxqu'elle avait passésdanslaFlorencemédiévale...

Quand elle fit démarrer la Honda, le tableau de bord indiquait six heures et demie : elle avaitdormimoinsdedeuxheures.

Elle s'arrêta devant un restaurant drive-in et acheta un jus de fruits, du café et des tranches depommedontellen'arrivaàavalerquequelquesbouchées.Ellecontinuaverslesudtandisqueleciels'éclaircissait de plus en plus. Plus elle avançait, plus la température augmentait, et elle ouvrit lesfenêtresetletoit.

Si elle avait fait le voyage pour d'autres raisons, elle aurait apprécié le trajet.Le ciel était sansnuagesetlepaysagedelaCarolineduSud,différentdecequ'elleconnaissait.Lesarbresavaientplusdefeuillesqu'àNewYork.Ellepassadevantdespropriétésàlavégétationluxurianteoùlescamélias,les roses et les azalées abondaient. De lamousse argentée drapait les branches de vieux chênes àl'instar d'étoles gracieusement posées sur les épaules de jolies femmes. La grâce et la beauté deCharlestonetsesenvironscontrastaientaveclecadreurbainnerveuxqu'ellevenaitdequitter.

Elle n'avait pas pu s'empêcher de rire lorsqueQuentin lui avait précisé la route jusqu'à sa villasituée à Folie Plage. Folie. Voilà un nom de circonstance. C'était à une vingtaine de minutes deCharleston.Laplupartdesmaisonsétaientdeslocationsdevacances,luiavait-ilexpliqué.Ilpossédaitcelle-ci depuis plus de trente ans, elle étaitmeublée et elle y trouverait du linge demaison et unecuisineéquipée.

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Quandellefutpresquearrivée,elles'arrêtadansunsupermarchéetachetaquelquesvêtements,del'aspirine,desaffairesdetoilette,untéléphoneportableprépayéetdelanourriture.Enpassantprèsdurayonalcools,ellenerésistapasàlatentationetpritunebouteilledescotch.Sielleneméritaitpasunverreaprèslasemainecauchemardesquequ'ellevenaitd'endurer,ellenesavaitpasquienméritait...

Elle rangea ses achats dans le coffre de la voiture et, quelques minutes plus tard, elle roulaitdoucement le long d'une petite route côtière. Elle distinguait l'océan Atlantique entre les villas.L'odeurdelamers'engouffradanslaHonda.

Lalumièreétaitdifférenteici,plusclaire,plusfine,etelleperçutlesvibrationsd'unlieuprochebaignédemagie.IlyavaitunpassagedimensionnelàproximitéquimenaitauxAutresContrées.Celane l'étonna pas, étant donné que le siège de la cour des Elfes était situé dans Charleston ou sesenvirons.

LamaisondeQuentinsedressaitauboutdelaroute,ducôtédelaplage.Elleétaitplusgrandequelesautresvillasetavaitsaproprealléeetsongarage.Ellesegaraetentradanslamaison,lesbraschargésdesacs.Lelieudonnaituneimpressiondevide,mêmesileservicedenettoyagequipassaitchaquemoisl'avaitlaisséfraisetpropre.

Il y avait trois chambres. Elle rangea les provisions, puis choisit la plus grande pièce avec sapropresalledebains.Elletrouvadesserviettesetdesdraps,etfitlelitenprenantsontemps.Ensuite,elleretirasonjean,s'allongeasouslacouetteetétreignitunoreiller.

Elleréfléchiraitbientôtauxprochainesétapes.MêmesiCuelebrenepouvaitpass'introduiresiloindansledomainedesElfes,ilavaitplusd'argentqueDieului-mêmeetprobablementplusd'employés.Ellenedevraitpasresteraumêmeendroittroplongtemps.

Elleallaitjustefermerlesyeuxunpetitmoment.Elleseréveillaensursautquelquesheuresplustard.Ellefutdésorientéeetconfuse,sedemandant

oùellesetrouvait.Puislamémoireluirevintetelles'affalacontrelesoreillers.OK.Lavieétaitpourrie.Mais,aumoins,ellen'avaitpaseud'autrerêvesexuelflippantdanslequel

ellesefaisaitmordre.Lachambreétaitmoite,étouffante.Lesrideauxétaient tirés,maisellepouvait jugerpar la lueur

diffusequelesoleilétaitbeaucoupplusbasquelorsqu'elles'étaitallongée.Elleselevaetenfiladesvêtementsneufsetpropres,unpantaloncorsairetaillebasse,dessandalesetundébardeurrouge.Elleavaitdesseinsfermes,plutôtpetits,etelledécidadenepasmettredesoutien-gorge.

Ellejetaunœildehors.L'après-miditouchaitàsafin,ildevaitêtreenvirondix-septheures.Elleallas'asperger levisaged'eau froide.Aprèsavoir tentédedomptersescheveux,elle lesattachaenqueue-de-cheval, puis elle se rendit dans la cuisine qui faisait salle àmanger, les deux coins étantséparés par un comptoir et des tabourets de bar. Le coin salle à manger avait des portes vitréescoulissantesquidonnaientsurunevastevérandadotéedequelquesmeublesdejardin.Unevoléedemarchesmenaitàlaplage.

Elle descendit les marches et s'attarda quelques minutes sur le sable chaud en inspirantprofondément et en contemplant l'horizon. Elle écouta le murmure tranquille du ressac, puis elleretirasessandalesets'approchadubordde l'eaupour laisser l'écumebaignersespieds.L'eauétaittrèsfroide.Latensionquis'étaitinstalléedanssesépaulescommençaàlâcherprise.Elleobservaunemouetteplanerau-dessusdelamer,puisellemarchalelongdelaplage.

Le soir tombant, il y avait peu de promeneurs. Une femme et deux enfants ramassaient des

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coquillagesetdesgaletsàunecinquantainedemètresdevantelle,maisquelqu'unleshélad'unevillaetilsrentrèrent.

Elle soupira et essaya de passer en revue le parcours d'obstacles qui encombrait sa tête. Ellerebonditd'idéeenidéecommeunebilledansunflipper.Aumoins,sasiestel'avaitaidéeàyvoirplusclair.

Ellesedemandait siKeithétaitencoreenvie.Elle futétonnéede ressentirde la tristesseàcetteidée.ElleseposadesquestionssurlaForceindéfiniequiavaitétéenmesurededéjouerlessortilègesd'aversiondeCuelebre.

Puis elle pensa à Quentin et son désir féroce de la protéger, son entêtement pour l'aider et lamanièredontill'avaitétreinte.Sesyeuxsemouillèrent.

Bon.Nepensepasàçanonplus.Ellen'avaitplusKeith.Ellen'avaitplusQuentin.Ellen'avaitplusdevie.

Ellefitunegrimaceetsefrottalesyeux.Quesavait-elleenfait?Cuelebreconnaissaitsonnom.Elleavaitparéauproblème.Ilconnaissaitsonapparence.Ilconnaissaitpeut-êtremêmesonodeuretsi elle pouvait se transformer, teindre ses cheveux, les couper court par exemple, elle devrait enrevanchefairepreuvedebeaucoupdejugeotepourmasquerlapistedesonodeur.

Je ne peux pas rester ici et il faut que je me débarrasse de la Honda. Je dois me procurer unnouveau moyen de locomotion, peut-être changer rapidement de véhicule deux ou trois fois. Çapourrait le ralentir. Il faut que jeme déplace demanière aléatoire etme déconnecte totalement deQuentinetdemonpassé.Etilfautquejetrouvelemoyend'empêchercesalauddes'introduiredansmesrêves.

Pource faire,elleauraitbesoind'uneexpertisemagiqueplus importanteque lasienne.Samèreauraitétéenmesurededemeurerinvisible,ouentoutcasdepasserinaperçue,psychiquementaussibienquephysiquement,maissonsangnecoulaitpasavecautantdepuissanceenPia.

LederniercadeaudeQuentinavaitétéunnumérodetéléphonequ'illuiavaitfaitmémoriser.—JeconnaisdumondeàCharleston.Situasbesoind'aide,appelle-les.Allait-elle oser le faire ?Qui étaient ces gens ?Elle fit demi-tour et repartit en direction de la

maison.Ellejetauncoupd'œilverslecielets'immobilisa.Auloin,au-dessusdel'eau,unmorceaud'azur

ondulait.Onauraitdit lemiroitementliquidedesondesdechaleursurl'asphalted'uneautorouteunjourd'été.Maislasoiréedemaifraîchissait,lecielcommençaitàs'assombriretiln'yavaitaucunetracedebitumeàproximitédecetteondulation.

Oh,oh.Cettetached'airmiroitantenegrossissaitpas,elleserapprochait.Merde.L'intellect de Pia se fragmenta et elle ne fut plus qu'instinct. Elle courut à perdre haleine. Elle

n'avait peut-être pas hérité de toutes les aptitudes de sa mère, mais s'il y avait une chose qu'ellepouvaitfaireavecuntalenttoutàfaitextraordinaire,c'étaitcourir.Sespiedsnusfoulèrentlesableetelles'envolapresque.

Maiss'envolerpresquen'estpasvoler.Elleeutbeaudonnertoutcequ'elleavait,ellesavaitqu'ellenepourraitsemercequifonçaitsurelle.

Uneombrel'avalapar-derrière.Elleaperçutsurlesablejustedevantelleuneimmenseformeailée

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dotéed'uncoudeserpentetd'unelongueetterribletête.Puisl'ombreseramassasurelle-mêmeet,unesecondeplustard,unemontagnelafrappaitdansledos.

Elles'écrouladanslesable.Lechocavaitététellementfortqu'illuicoupalesouffle.Lamontagnesetransformaenunmâlepuissantetmassif.Desbrasmusculeuxseplaquèrentdechaquecôtéd'elleetd'énormesmainssaisirentsespoignetstandisqu'unecuissepesaitsursesjambes.

Ellehoquetaetessayadedilatersacagethoraciquemalmenéepourfaireentrerdel'airdanssespoumons. Elle riva les yeux sur les mains qui l'emprisonnaient. Comme les bras, elles étaientpuissantesetd'unbronzefoncéquicontrastaitviolemmentaveclapâleurdesapeau.

Ellegémitintérieurement.Elleétaitfichue.Lemâleplongea lenezdanssescheveuxet inspiraprofondément.Unfrisson laparcourut. Il la

reniflait.Ellesentitsonnezcontresanuque.Ilfrottasonvisagedanssescheveux.Uneplaintenaquitetmourutaufonddesagorge.

—Excellentechasse,gronda-t-il.Elletoussaetfitvolerlesabledevantelle.—Pasassezlongue.Le poids libéra son dos et il la retourna avec une vivacité invraisemblable. Elle se retrouva de

nouveau plaquée sur le sable, les bras écartés tandis qu'il la maintenait encore une fois par lespoignets.

Ildénudasescrocsensouriantavecférocité.—Onpeuttoujourslarefaire.Elle l'imagina la laissant partir, puis lui sauter dessus, jouer avec elle commeun chat avec une

souris,etellefrissonna.—Vousn'êtespascenséêtreici,murmura-t-elle.La force du choc qui l'avait terrassée lui avait rempli les yeux de larmes. Elle tenta de se

concentrersurlevisagefarouchepenchésurelle.Cuelebreétaitépoustouflant.IldégageaitÉnergieetForcedetouslesporesdesapeau,ilirradiait

àl'instard'unsoleilnoir.Ilpossédaitunebeautébrutale,destraitssculptésaubiseau,ciselés.Sapeauétaitd'unbrunfoncémâtinédebronze,etsesétincelantsyeuxdedragonétaientdelacouleurdel'oren fusion. Dans sa forme humaine, il faisait plus de deux mètres, cent trente-cinq kilos de mâledominantdel'espècedominantedesdragons,etilétaitvautrésurelle.Ellesesentaittrèsfrêleàcôté.

Ses cheveux étaient noirs. Exactement comme dans le rêve. Ils avaient glissé entre ses doigtscommedelasoie.

Ilfaisaitdenouveaupesersacuissesurellepourl'immobiliseret ilavait lesyeuxrivéssursoncou.Elleserenditcomptequ'ilregardait lamorsurequ'il luiavait infligéeetquequelquechosededuretdeplusenpluslongpressaitsahanche.

— C'est votre longue queue de reptilien couverte d'écailles, ou est-ce que vous êtes toutsimplementcontentdemevoir?

Non,ellenevenaitpasdedireunechosepareille!Si?Ellefitunegrimace,fermalesyeuxetattenditdesefairedépecer.

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Rien ne se produisit. Rien pour le moment. Peut-être que si elle n'ouvrait pas les yeux, rienn'arriverait.

—Jenevoulaispasdireça,balbutia-t-elleentremblant.Lesilenceseprolongea,etelleouvritprudemmentunœil.Ill'étudiait,sonregarddelavecurieux

etintéressé.—Est-cequevousêtespossédée?demanda-t-il.Elledutseraclerdeuxfoislagorgeavantd'êtreenmesurederépondre.— On pourrait le croire, n'est-ce pas, vu les âneries que je fais depuis quelque temps. Cette

étrangèresembleavoirprispossessiondemabouche.Désolée.Jepariequevousvoulezrécupérervotrepenny,c'estça?

Ilsedéplaça légèrementavecfluidité, lâchantsesmainspours'agenouillerau-dessusd'elle.Sonregarddeprédateurs'étrécit.

—Avotreavis?Ellelevalesmainset,d'ungestenerveux,arrangealecoldesachemisedesesdoigtstremblants.

Contrelacolonnemassivedesoncou,lesdoigtsdePiafaisaientpenseràdedélicatesbrindilles.Dragosrivalesyeuxsursesmains.Elleleslaissaretombersursapoitrine.—Jepense,fit-elleàmi-voix,quevousseriezprêtàtoutpourrécupérervotrebien.Peuimportent

savaleur,sanature,leseffortsquecelademanderait.—Personneneprendcequim'appartient.Songrondementserépercutadanslesol.Ildénudasescrocsetsepenchajusqu'àcequeleursnez

setouchent.—Personne.MonDieu,ilétaitterrifiantetmagnifique.Elleopina.—Jesais.Je...Jesupposequecelan'apasbeaucoupd'importancepourvousetjenem'attendspas

àcequeçachangequelquechose,maisjesuisdésolée.Dragospenchalatêtesurlecôté,sonintérêtpiqué.—C'esteneffetcequedisaitvotremessage.Des voix se rapprochèrent.Elle se tordit le cou et vit un couple avancer vers euxmain dans la

main.Dragosplaquaunemainsursabouche.Enobservantlecouplepasseràmoinsdedeuxmètresd'eux, elle se rendit compte qu'il devait la cacher.C'était la seule chose à faire.Quelqu'un risquaitsinond'appelerlesflicsenvoyantunhommeattaquerunefemmesurlaplage.Etalors,ilyauraitunmassacre.

Quandlecouplesefutéloigné,Dragosfitcourirundoigtlelongdesajoue,suivitlalignedesamâchoireets'attardasursoncou.Ilobservalecheminquedessinaitsondoigttandisqu'il traçait lacourbedélicatedesonépauleetarrivaitàlacouturedesondébardeur.

Sondoigtétaitchaudetabrasifcontreladouceurdesapeau.Elleétouffaungémissement.Waouh,ellen'avaitencorejamaisprisconsciencedudéséquilibredesasexualité.ElleétaitclouéeausoletmenacéeparlePrédateuravecunPmajuscule.Ilétaitleseulauthentiquedragonconnu-unelégendevivanteensomme.Danscertainesculturesanciennes,ilavaitétéundieu.

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Ilallait luienfairevoirdesvertesetdespasmûresavantdel'expédierdel'autrecôté,et toutcequ'elleavait en tête, c'était l'incandescencede sonbaiserdans le rêveet ladélicatessede sondoigttraçantlescontoursdesoncorps.Ellebaissalesyeuxsurcettemainquilacaressait.Sarespirationsefitpluscourteetsoncœurs'emballa.

Dragos saisit une mèche de ses cheveux et la frotta entre ses doigts, puis il la leva afin del'examineràcontre-jour.Illatournaetretourna,examinantlesfibres.Ilnefitrienpourlamaintenirimmobile.Lapossibilitéqu'ellepuisses'enfuirétaitàcepointinconcevableàsesyeux.L'intensitédesonregardétaittellequ'elletrembladetoussesmembres.Unaffluxdechaleurconsumatoutepenséecohérente.Ellesentitsonmielsourdredesonsexe.

Elle ne s'était jamais sentie aussi gênée, honteuse ou nue. Doté d'un sens olfactif ultrasensible,comme tous les Wyrs, il était bien entendu en mesure de humer le plus infime changementphysiologique. Il ne pouvait que se rendre compte de la montée de son désir, de la dose dephéromones qu'elle dégageait. Son regard était tellement impénétrable, son expression tellementsévère,ellen'avaitaucuneidéedecequ'ilpouvaitpenser-sicen'est...

Piabaissa lesyeuxet regardacecorpsstupéfiant : le long torse, lesépaules larges, leshanchesminces. Il était habillé simplement, un jean et une chemise Armani en soie blanche dont il avaitremontélesmanches.

Ellemordit sa lèvre inférieure, les yeux rivés sur le renflement indiscutable à la hauteur de sabraguette.Ehbien.Pourcequiétaitdesdimensions, lesdétailsdeson rêven'avaientpas relevédufantasme.

Ellesedemandas'ilcontinueraitàêtreexcitélorsqu'illuiarracheraitlatête.Ilétaitundragon,unmonstrewyr, l'un des plus anciens représentants desAnciens, et il avait la réputation d'être cruel,fourbeetimpitoyable.

—C'estvraimentmachance,marmonna-t-elle.—Chut,fitDragos.Ellerougit,etattenditpendantqu'ilexaminaitlesmèchesdesescheveux.Elleavaittoujourstrouvéquesescheveuxmanquaientderaffinement;ilsétaienttellementépaiset

d'un blond pâle presque blanc. Les extrémités prenaient des reflets d'or au soleil. Quand elle lesdétachait,ilsluiarrivaientaumilieududos.

Dragosenpritunepoignéeetl'approchadesonnezpourleshumer.Oui,songea-t-il,c'étaitbienlà,lemystèrequ'ilnesavaitpasélucider.L'odeurluiavaitfaitpenseràunsoleilsauvage,maisc'étaitlorsqu'iln'enavaitqu'uneinsignifiantetracesurunboutdepapier.

Sansqu'ilpuissel'expliquer,l'odeurféminineetdélicatequ'elleexsudaitnecapturaitpasseulementl'essencedesrayonsdusoleil.Non,elleletransportaitplusloinqu'ilnepouvaitaller,jusqu'aumatinde tout alors qu'il baignait dans la lumière et lamagie transcendantes. Ce temps ancien, tellementintense,jeuneetpur.

Il revint au présent et examina encore une fois ses cheveux tout en les faisant glisser entre sesdoigts. On aurait dit de la soie de Chine, et les reflets avaient la même couleur que des dépôtsalluviauxd'orqu'ilavaitadmirésunjour.Ilpossédaitunestatuettepéruviennedatantduxiiiesièclequiétaitdecettecouleur.Illâchalescheveuxetsemitàobserverlerestedecettefemellemystérieuseetimprévisible.

—Jenepensaispasquevous seriez si jeune, remarqua-t-il.Vousavezdusangwyr.Etdu sang

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humain.Ilexaminalesmusclesgracieuxdesoncoutandisqu'elledéglutissait.—J'aivingt-cinqans,dit-elled'unevoixrauque.Leprédateuren luiremarquaqu'ellenementionnaitpassonsangwyr.Maisellerayonnaitd'une

Forcecontenue,etilsesouvintquedanslerêveelleavaiteulaluminescencedelalune.QuelWyrouquelleFaepouvaitbienluireainsi?LesElfesportaientunelumièreeneux,maiscen'étaitpascellequ'ilavaitvue.

Ils'assitsursestalonsetselevatoutenlatirantpourlamettredebout.—Nousallonsnousrendreàl'endroitoùtuséjournes.Ellechancela,puisrepritsonéquilibreetleregardaaveclaméfianced'unecréaturesauvageprête

àfuir.—Pourquoi?fit-elle,sesyeuxbleufoncélançantdeséclairs.Vousallezmetuerdetoutefaçon.

Alorspourquoifairetraînerleschoses?—Tunesaisabsolumentpascequejevaisfaire,rétorqua-t-il.Ilnelesavaitpaslui-même.Ilétaitenvahid'émotionsetd'impulsionscontradictoires.—Dis-moicequejeveuxsavoiretjetelaisseraipartir.—Vraiment?s'enquit-elleenledévisageant.—Non,répliqua-t-ilenlaissantéchapperunpetitrire.LafureurassombritlevisagedePia,avantdes'estomperrapidement.—Trèsbien,dit-elled'untonneutre.Ellefitvolte-faceetsedirigead'unpasrapideverslamaison.Dragoslasuivitenfronçantlessourcils.Iln'aimaitpascettevoixsanstimbreetcetteexpression

ferméequiéteignaitlestonschaudsdesapeau.Lapeuretlestressamenuisaientleseffluvesdesondésir,l'impétuositéjuvénileduparfumqu'elledégageaitnormalement.

Cesursautdecolèreavaitétébienplusintéressant.Lacolèreetlafureurexhalaientellesaussiuneodeur,évoquantlecrépitementd'unincendie.

Elleramassaunepairedesandalesd'ungestevif,etiladmirasonjolipetitderrièreetsescuissesfuseléespendantqu'ellemontaitunescalierdeboisquimenaitàunbalconetqu'elleentraitdansunevillaparlaporte-fenêtre.Ellelaissatombersessandalesàl'entrée.Illuiemboîtalepas,puisrefermaetverrouillalaportederrièrelui.

Ellesedirigeaversl'évierdelacuisineetseconcentrasurlespaumesdesesmains,déterminéeàretirerlesablequicollaitàlapeauéraflée.Lamaisonétaitfraîche,lesdallesdusolétaientfroidessoussespieds.

Ellefinitpardemanderdelamêmevoixéteinte:—Vousavezfaim?Ilhésita,prisaudépourvu.Ils'appuyacontreunmur.—Etsic'étaitlecas?Elleluijetauncoupd'œil,levisagetendu.

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—Sic'estlecas,jevaisdevoirpasserunecommandeautéléphone.Jesuisvégétarienneetvousnel'êtespasexactement,d'aprèscequ'onprétend.Ensupposantque jenesuispassur lemenu, jen'airienàvousoffrirsusceptibledevousplaire.

Elleavaitl'intentiondeluiserviràdîner?Ilseposaitunefouledequestionssurcettefemelle.Ilavaitundésirdevengeanceàsatisfaire,mais

ildevaitd'abordétablirlesgrandeslignesdeceterritoireinconnusurlequelils'étaitaventuré.Ilpritconsciencedequelquechose.Pourlapremièrefoisdepuistrèslongtemps,peut-êtremême

depuis des siècles, il ne s'ennuyait pas. Depuis qu'il avait trouvé le bout de papier laissé par savoleuse,ellen'avaitcessédelesurprendre.

Dragossefrottalamâchoire.—Commandequelquechose,dit-il.Elleouvritunannuairede téléphoneposé sur le comptoirde la cuisineet semit à le feuilleter,

cherchant la section des commerces tenus par des Anciens. Ellemarmonna quelque chose, la têtebaissée.

Ilsepencha.—Quoi?Ellelevalesyeux,surprise.—Quoi,quoi?—Tuasmurmuré.Commandequelquechose,s'ilteplaît.Le doigt de la jeune femme descendit le long de la page. Elle composa un numéro d'unemain

tremblante.Unevoixjuvénileetmusicalerépondit.Elfique,certainement.Conscienteduregarddorérivésurelle,elles'adressaàsoninterlocuteur:—J'appelled'unevillasurFoliePlage.Est-cequevouslivrezjusqu'ici?—Bienentendu,fitlavoix.—Nousvoudrionsunedizainede faux-filets. (Elle tourna lesyeuxversson ravisseur.)Dragos,

vouslesvoulezcrusoucuits?—Justesaisis,répliqua-t-il.L'interlocuteurdePiaeutunhoquet.—Nousvouslivreronsdèsquepossible.Ilnousfaudrapeut-êtreuneheureenviron.—Dèsquepossible,trèsbien.Elleéteignitletéléphoneetleposasurlecomptoir.Elleavaitl'impressionqueDragosnel'avait

pasquittéedesyeuxdepuisqu'ilsétaiententrésdanslamaison.Uneheure,sedit-elle.Uneéternité.Ellepoussaunsoupir.—Enattendant,qu'est-cequ'onfait?Ilsedétachadumurauquelilétaitappuyé.—Enattendant,tuvasmedirepourquoitum'asdérobéquelquechose.Etcomment.Nousallons

surtoutdiscuterducomment.

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5Piagardalesyeuxbaissés.Elletouchaunedesespaumesmeurtriesdudoigt.—Monex-petitamim'afaitduchantagepourquejelefasse.—KeithHollins.Ellerelevabrusquementlatête.—Vousconnaissezsonnom?Illevasessourcilsnoirs.—Jeconnaisbeaucoupdechoses.Sessentinellesn'avaientpastraînéavantsondépartdeNewYork.Tandisquelasorcièrejetaitle

sortdepistage,AryaletquelquesautresavaientfaitdesrecherchessurlepassédePiaGiovanni.Ilsavaientprocédéparéliminationjusqu'àcequ'ilstrouventlapersonnequilesintéressait.Unefoislesortenplace,Dragoss'étaitenvoléets'étaitdirigéverslesudenquêtedesaproie.

—Tonpetitamiestmort,annonça-t-il.Cefutlagouttequifitdéborderlevase.LavisiondePias'obscurcitetlemondebascula.Ilbondit,sesbrasmusclésl'enveloppèrentavantqu'ellenes'effondre.Ill'assitsuruntabouretde

baretpoussasatêteverslebas.Saqueue-de-chevalétaitàmoitiédéfaiteettoutemmêlée,nota-t-il.IlgardaunemainsurlanuquedePiaet,del'autre,retiralechouchouquiretenaitsescheveuxafindeleslibérer.Ilglissal'accessoiredanssapoche.

—Vousl'aveztué?demanda-t-elled'unevoixassourdie.—Non.Mesgensl'ontdécouvertcematin.Salemort.Elleenfouitsonvisagedanssesmains.—Mauditsoitcetenfoiré.J'aiessayédeleprévenir.Lajalousielepiqua.Elleétaitsavoleuseàluietàpersonned'autre.—Tul'aimais?—Non,répliqua-t-elled'untonaffligé.Oui.Jenesaispas.J'aicrul'aimer,maisiln'étaitpascelui

quejepensais.Aprèsnotrerupture,lesalaudm'afaitduchantage.Jesavaispertinemmentqu'ilallaitylaissersapeau.J'aiessayédeleprévenir,envain.Ilaeucequ'ilméritait,maisc'estquandmêmedurd'apprendreunetellenouvelle.(Elleserralespoings.)Laissez-moimelever,jenevaispastournerdel'œil.

Ilrelâchalapressionqu'ilexerçaitsursanuque.Elleseredressa.Sonteintétaitcrayeux.Ilpouvaitvoirsursesbrasetsesépaulesnusqu'elleavaitlachairdepoule.

—Tuasfroid,dit-il.C'estunsignedechoc.Onvayremédier.Ilavisalabouteilledescotchsurlecomptoir,s'enemparaetsortitunmugduplacard.Ilversale

liquideambréetluifourralatassedanslesmains.—Boisçapendantquejechercheunecouverture.Elleleregardad'unairsoupçonneuxenserrant

lemug.

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—Oui,jesais!s'exclama-t-ilavecimpatience.Jevaistedéchiqueterettedépecer.Undecesjours.Quandçamebottera.Pour l'instant, tuvas teréchaufferet tuvascesserdestresser. (Sesnarinessepincèrent.)Jen'aimepasl'odeurdetonangoisse.

Sajoliebouches'ouvritdestupeur.—Vousn'aimez...pas...Ungloussement se formaau fondde sagorgeet se transformaenun rire sonoreet franc.Elle

oscillasurletabouret,sonmugpenchantdangereusement.Ilpressaundoigtsurseslèvres.—Arrête.—Sûr.(Ellehoquetaderire.)Àvosordres.Ilétaitloin,trèsloind'êtreunexpertenémotions,encoremoinsenémotionsféminines.Iltapota

leslèvresdePiad'unairréprobateur.— Je vais être joyeuse jusqu'à ce que vous décidiez deme dépecer vivante.Ça vous ira,Votre

Majesté?—J'étaissarcastique,laissa-t-iltomber.—Cequiesttoutàfaitrassurantvenantd'undragonenpétard.C'estunpeul'histoirede«dis-moi

cequejeveuxsavoiretjetelaisseraipartir».Çaasoncharme,indiscutablement.Jepariequetousvosautresprisonniersontadoréentendrecesremarques.

Pia continuait à trembler, elle n'avait plus le moindre self-control. Il ne tirerait rien d'elle tantqu'elleseraitdanscetétatdenervosité.Dragospritsonmentonencoupedanssapaumeetplongeasonregarddanslesien.Ilavaitl'intentiondel'envoûteretdeluiinstillerunsentimentdecalme.Maisilseheurtaàunebarrièrementale.Intrigué,ill'inspectaetenexaminaleslimites.

La barrière semblait être naturelle et voulue à la fois. L'écho d'une autre Force féminine, uneprésence subtile, très similaire à cellede la jeune femme tout enenétantdistincte, s'ymêlait.Celadonnait une magnifique construction, une citadelle élégante qui protégeait l'essence même de lafemelle.

Celaexpliquaitqu'elleaitétéenmesurederomprel'envoûtementdanslerêve.Ilpouvaitabattrelemurs'illevoulait,maiscelareviendraitàbriseruneopaleàl'aided'unemasse.Ilneresteraitensuiteriendecohérentchezelle.

—Arrêtez, murmura-t-elle. (Elle s'était raidie et cabrée, tentant d'échapper à la pression de samain.)Sortezdematête.

Ilnebougeapas.—Tais-toi,femelle,souffla-t-il.Tais-toi.Savoixgraveétaitunmurmure.Desvolutessonoressedéployèrentets'enroulèrentautourd'elle.

C'étaitdouxetrassurant.ElleétaitfascinéeparlesyeuxdorésdeDragos.Cesflaquesétincelantesavaientdesprofondeurs

insondables.Elleauraitpubasculerdanssonregardetnejamaisenressortir.—LeValiumpeut s'aligner,marmonna-t-elle.Faitesdes comprimés avec ça et vousdécuplerez

votrefortune.—Tuespluscalme,désormais,remarqua-t-il.

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—Oui.Merci,ajouta-t-elleenseforçantquelquepeu,fixantsonmug.Illâchasonmentonetrecula.—Bois.Ellelevalesyeuxalorsqu'ilsortaitdelapièce.Puiselleportalemugàseslèvresetbutleliquide

d'untrait.Lescotchembrasasesveines,lafrappantavecd'autantplusdeforcequ'elleavaitpeumangélasemaineprécédente.

Ellereposa la tassesur lecomptoiret inspectasesmains,palpasamâchoire.Elleavaitprisunedérouillée quand il l'avait plaquée à terre, mais il la traitait avec ménagement depuis. Curieux,vraiment.Qu'est-cequecelavoulaitdire?

Il revintdans lacuisine, lesweat-shirtbleuqu'elleavaitachetéquelquesheuresplus tôtrouléenbouledansunemain.Illaissatomberlevêtementsursesgenoux.Perchéesurletabouretcommeellel'était,illadominaitencoredavantagequesielleavaitétédebout.

—Onvareprendreaucommencement,annonça-t-il.Ellegardalesyeuxrivéssursesbrascroisés.L'écartentresespectorauxétaitspectaculaire.Surun

autre homme, l'effet n'aurait pas été heureux. Sur lui, les muscles puissants s'harmonisaient et luipermettaientdesemouvoiravecgrâce.

— Keith m'a fait du chantage pour que je vous vole quelque chose, reprit-elle. Peu importaitl'objet.Ildevaitbeaucoupd'argent.

—Desdettesdejeu,acquiesça-t-il.Ellelevalatête.—Voussavezdéjàtoutça?—Onaretrouvésonbookmaker.Mortluiaussi.Desdoigtsglacésglissèrentlelongdel'échinédePia.Elleserralesweatcontreelle.— J'ai eu une liaison avec Keith, quelquesmois. Pendant un bref laps de temps, j'ai cru... Peu

importecequej'aicru.—Tuascruquoi?s'enquit-ilenpenchantlatête.—Cen'estpasçaquivousintéresse.Lerougeluimontaauxjoues.—N'émetspasd'hypothèsessurcequiestsusceptibledem'intéresserounon,surcequejepense

oucequejevaisfaire.Tun'ensaisabsolumentrien.C'estclair?Elleopinaenrougissantdeplusbelle.—Nousavonsdéjàétabliquej'étaisuneimbécile,persifla-t-elle.Keithestentrédansmavieàune

époque où j'étais déprimée et j'ai succombé à son charme. J'ai été... imprudente. J'aurais dû fairepreuvededavantagedejugementetj'aimerdé.

Sagorgesenoua.—Tuasditquevousaviezrompu,intervint-il,l'incitantàcontinuersonrécit.—Oui,jel'avaisfait,ilyaunmomentdéjà.Etpuislasemainedernière,ilestvenumevoir.Ilétait

toutexcitéàproposd'unplanquiallaitluipermettrederemboursersesdettesetdefairefortune.Biensûr,jenevoulaispasenentendreparler.Etpuis,il...m'aforcée.

—Duchantage,finit-il,àproposdetonimprudence.

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Ils'exprimaitd'untonneutre.Ilavaitlevélepiedsurl'agressivité.Ellesecouvritlagorged'unemaintandisqu'ildisséquaitlittéralementsonexpression.

—Est-cequ'onpourraitnepasparlerdeça?(Elleessayad'affermirsavoix.)S'ilvousplaît?Ilbaissalespaupières,dissimulantsonregard.—Continuetonrécit.—Keithn'arrêtaitpasdeparlerdeses«associés».Desgensqu'ilavaitrencontrésparlebiaisde

sonbookmaker.Jepensequ'ilsesentaitacculé,qu'ilsevantaitaussietsurtoutqu'ilétait totalementmanipulé. Il s'était mis à promettre à ces gens tout ce qui lui passait par la tête. Il fallait qu'ilremboursecequ'ildevait.(Elledéglutit.)Etilsontlancé:«Etsi tuvolaisquelquechosevenantdeCuelebre?»Ilsluiontdonnéuncharmepourlocaliservotretrésor,etKeithestensuitevenumevoir.

—Tiens,tiens,ilsontfaitça.Ils'étaitraidi,etcequiémanaitdeluil'affolaitetluifaisaitbattrelecœur.Ellepassalalanguesur

seslèvresparcheminées.—JecroisqueKeithleuraditquelquechosesurmoi,maissansentrerdanslesdétails.Ilvoulait

joueraucaïdetilpensaitqu'ilpouvaitexerceruncontrôlesurmoi.Ilespéraitimpressionnersessoi-disant associés.Mais je pense que quelqu'un de trèsmaléfique et de très puissant lemanipulait etmaintenant,àcausedemoi,ilsontenleurpossessionquelquechosequivousappartient.

—Eneffet.(Ileutsonsourireféroce.)Ilfaudraquejeteremercieplustardpourça.—Le charmem'a terrorisée, chuchota-t-elle. Si je ne faisais pas ce qu'il voulait, je savais que

Keithallaitsemettreàtableettoutdire.Ilm'auraittrahiesanshésiter,s'ils'agissaitdesauversapeau.Etilss'enprendraientalorsàmoi.

—Oùestlecharme?Sesprunellesétaientdel'orliquide.—Ils'estdésintégrétoutdesuiteaprès.Dragosétrécitlesyeux.—J'auraissentimessortséchouers'illesavaitneutralisés,maisilsétaientencoreenplacequand

jemesuisrendudansmonrepaire.Ellesefrottalecou,ungestededéfenseetdestressentraînéparlesouvenirdeladouleurressentie

aumomentoùelleavaitutilisélecharme.Ilserapprochatandisquesonregarddedragonscrutaitsestraits.

—Le charme n'a rien annulé,murmura-t-elle. Entre lui et vos sorts, j'avais l'impression d'êtreécartelée.

—Tulesaspourtanttraversés.Ellenesedonnapaslapeinederépondre,secontentantdeleregarderavecintensité.—Uncharmeaussipuissantestenmesuredetrouverabsolumentn'importequoi,n'est-cepas?—Celadépenddel'utilisateur,maisenprincipeoui.N'importequellechosecachée.Ilexistaitdeschosesdanslemondequ'ilnefallaitjamaistrouver,

des choses dangereuses ou fragiles, et des créatures précieuses, rares, dont la vie dépendaitprécisémentdusecret.UncharmedelocalisationcommeceluiquePiaavaitutiliséétaitenmesuredetranchertouteslesdéfenseslevéesparquelqu'un.Ellefrissonna.Endépitdesescraintesetdusouciqu'elleavaitpoursapropresécurité,cen'étaitpasellequiimportaitdanstoutecettehistoire.

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Dragosfronçalessourcilsenréfléchissantauterrainminéqu'elleavaitdûfranchirpourparvenirjusqu'àsontrésor,lecharmeinconnuagissantcontresessorts.Leconflitdesmagiesopposéesauraittuéquelqu'und'autre.C'était certainement l'élégante citadelle qui se dressait dans son esprit qui luiavaitsauvélavie.Elleétaitdésemparée,angoissée,maisiln'étaitpascertainqu'ellemesurelagravitédudangerqu'elleavaitencouru.

Ilsedemandasic'étaitsaconsciencequilamettaitdansuntelétat.Leconceptmêmedeconsciencele fascinait. Il laissa tomberune lourdemainsursonépaule.Piabougeademanière imperceptible,esquivantsonétreinte.

Ilramenalaconversationaudébut.—Hollinst'apeut-êtretrahieavantqu'ilsletuent.—Non,soupira-t-elle.Iln'ariendit,c'estpeut-êtred'ailleurspourçaqu'ilsl'onttué.—Qu'ensais-tu?—Ilm'afaitduchantageetjeluienaifaitàmontour,expliqua-t-elle.Jeluidonnaiscequej'avais

voléàlaconditionqu'illiseàhautevoixlesortd'engagementquej'avaisacheté.S'ilavaitessayédecommuniquerdestrucssurmoi,ilseraitdevenumuet.

En imaginant ce qu'ils avaient dû faire à Keith, l'estomac de Pia se noua. Une salemort, avaitdéclaréDragos,etcelui-cin'étaitpasexactementunepetitenature.Était-elleresponsabledelamortdeKeith,danslamesureoùc'étaitluiquiavaitmisenbranlelamachineinfernale?Ouavait-ellemisenbranleladitemachineenparlanttrop?

—Commentas-tufaitpourpasseroutremesverrousetmessortsdeprotection?Ellefermalesyeuxetsecouvritlevisagedesmains.Quelleimportancecelaavait-il,désormais?—Jesuisunehybride.Jen'aipasbeaucoupdesangwyrnidenombreusesaptitudes.Jenepeuxpas

metransformerenWyretj'aipeudeForce,Jen'airiend'intéressant.Ellebaissalesmainsetleregarda.Ilnelaquittaitpasdesyeux.—Quoi,j'aiunesecondetêtequiapoussé?—Tupensesquetun'asriend'intéressant?répéta-t-il.OuquetudétienspeudeForce?Elleleregardad'unairabsentethaussalesépaules.—À l'exception, je suppose, d'un truc que je peux faire et que j'ai été suffisamment idiote de

divulguer.J'enaifaitladémonstrationàKeithunsoiroùonavaittropbu.—Qu'est-cequec'était?—C'estplusfacileàmontrerqu'àexpliquer.Ellesedirigeavers laporte-fenêtre, ladéverrouillaetsortit sur la terrasse,puiselle referma la

porte.Dehors,lecrépusculepointait.Lesyeuxrivéssurelle,ilseprécipitaetposaunpoingcontreleverrecommes'ilallaitlebriser.

—Allez,verrouillez-ladenouveau,luidit-elle.Sestraitss'assombrirent.—Oh,allez,voussavezbienquevousmerattraperiezsij'essayaisdem'enfuir.Sanslaquitterdesyeux,ilfitcequ'elleluidemandait.Elleouvritlaporteetrentradanslamaison.—Voyez?

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Ilregardalaporte.—Refais-le.Elles'exécuta.—Jen'aipassentiquetujetaisunsort.—C'estparcequejen'enaipasjeté.Çafaitpartiedemoi.Lesverrous,lessortsdeprotectionn'avaientaucuneffetsurelle.Riennepouvaitl'emprisonner,la

retenir.Rien,sicen'étaituntrucquidégringolaitducielets'asseyaitsurelle.Ellepressaunepaumecontresatempe.Unmaldetêtecommençaitàlatortureretellepoussaunsoupir.

—C'esttoutcequejesais.Etjesuisdésolée,jelerépète.Jesupposequevousallezvouloirpasseraudépeçagedemapersonne,maintenant.

Elleétaittellementprochedeluiqu'ellesentaitlachaleurdesoncorpssursapeau.Ellesesentaitpetite,froide,pâleàcôté.Endépitdudangercolossalquecettecréaturereprésentait,elleressentaitunirrésistibledésirdeseloverdanssachaleur.

Il luiprit la têteentresesmains.Ses largespaumesetses longsdoigtsenveloppèrentsoncrâne.Ellen'avaitcurieusementpaspeuretellenerésistapasquandilluifitreleverlatête.

—Tuascommisuncrime.Ettudoismepayer.Dis-le,fit-ilensepenchantsurelle.Qu'est-cequeçasignifiaitexactement?Ellen'arrivaitpasàliresonexpression.Elleesquissaune

petitemoue.—Etsijeneveuxpasledire?—Tuvasmerembourser,déclaraleseigneurdesWyrs.Tuvasmeservirjusqu'àcequejejuge

queladetteesteffacée.C'estclair?—Pasdedéchiquetage?Ellesoutintsonregard.Est-cequ'ellepouvaitlecroireous'agissait-ild'uneplaisanteriecruelle?Il

secoualatêteetlissasescheveux.—Pasdedéchiquetage.Tum'asditlavérité.J'aipulesentir.Tuascommisuncrime,maistues

aussiunevictime.Ilpencha la tête jusqu'àceque sonnez toucheàpeine le sien.Savoixétaitplusdouce lorsqu'il

ajouta:—Maisquandjem'occuperaideceuxquiontorchestrécevol,j'exerceraimavengeance.Ellefrissonna,etlesoulagementlafitpresquechanceler.Elleeffleurasapoitrinemusclée.Ellese

sentaitenglobéeenquelquesorteparluiet,àl'encontredetoutelogique,ensécurité.—Jen'aimepasceverbe,«servir».Qu'est-cequevousvoulezquejefasse?—Jetetrouveraiuneutilité.—Etsijerefusedelefaire?Jenevoleraipasdenouveau,avertit-elle.Alorssic'estcequevous

voulez,vouspouvezaussibienmedépecertoutdesuite.Qu'est-cequ'elleracontait?—Tunepeuxrienvolerquejenepuisseobtenirdemillefaçons.Jenet'exposeraiàaucundanger.Ilpassaunbrasautourdesesépaulesetmurmura:—Jen'exposepasmestrésorsaudanger.

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Qu'est-cequ'ilvoulaitdireparlà?Elleétaitfascinéeparlamanièredontillatenait,etcelan'avaitrienàvoiravecunsentimentd'envoûtement.

—Ilvafalloirquej'yréfléchisse,marmonna-t-elle.Maisçanesemblaitpastropcatastrophique.Mieuxqued'êtremiseenpièces,de toute façon.Etelle lui avaitvoléquelquechose.Elle lui en

avaitaussiditbeaucouptropsurelle.Ellesemorditlalèvre.Ets'ildécidaitdeluifaireduchantage,luiaussi?

— J'ignorais que je t'avais laissé le moindre choix, fit-il remarquer. (Percevait-elle une noted'amusementdanssonton?)Tuvissurmondomaine,tuobéisàmeslois.Réfléchisàtoutçapendantletrajetjusqu'àNewYork.

UnKlaxonretentit.Ellesursautaetsedégagea.—MonDieu,c'est...c'estlalivraison.Jevaislachercher.Jereviens.Elleseruaverslaported'entrée,maisillaretintparlepoignet.—J'yvais.—Maisnon,voyons.(Soncœurbattaitlachamade.)Jevousaiditquejevousinvitaisàdîner.C'est

lemoinsquejepuissefaire.—Non.Ilsedirigeaàgrandesenjambéesverslaporte.Mince.Elleréussitàlesaisirparlebrasjusteavant

qu'iln'ouvre.—Jevousenprie,Dragos.Laissez-moiyaller.Ilposalesmainssursesépaulesetlarepoussadoucement.—Ilyaquelquechosequicloche,jelesens.Nesorspas.Ils'étaittransforméenuntueurimplacable.SaForcevrombissaitlittéralement.Commentleschosesavaient-ellesputournerainsi?Ellesetorditlesmains.Ilfranchitleseuilen

flottantplusqu'enmarchant,soncorpsmagnifiquedevenantunevéritablearmedecombat.Unbruitdéchira l'air. Ilvoltigeaenarrière,ses jambessedérobantsous lui.Elleseprécipita. Il

s'était écroulé sur l'allée. Une dizaine d'Elfes de haute taille émergèrent de diverses cachettes, del'arrièredesaHonda,delaFordgaréelelongdutrottoir,desbroussailles.Usbraquaientdesarmessurlafigureétendue.Degrandsarcs.

ElleseruaversDragosquigisaitsurledos.Unetachesombreapparutsursonépaule,contrastantavecleblancdesachemise,etcommençaàs'étendre.Elletombaàgenouxàsoncôté.

—Vousl'aveztouché!s'écria-t-elle,regardantlesElfesquilesencerclaient.Voussavezquic'est?L'und'eux fit unpas en avant.C'était unmâle auxcheveuxd'argent, beau comme tous lesElfes

peuventl'être.Malgrésasilhouettefine,iln'avaitpasseulementl'airpuissant:ildégageaituneForceplusimportantequecelledetouslesautresêtresrassemblésdevantlamaison,Dragosmisàpart.

—Noussavonsdequiils'agit,fitl'ElfequifixaDragos,sonbeauvisageglacial.Wyrm.EllebaissadenouveaulesyeuxsurDragos.Ilavaitbeauêtreblessé,ilnemanifestaitaucunsigne

depeur,sonregardderapacesedétachantdesElfespourseposersurelle.Elledéchirasachemiseetexaminaletrousanglantjusteau-dessusdupectoralgauche.

—Jenecomprendspas.Aucundevousn'ad'armeàfeu.Oùestlaflèche?

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Elleretirasonsweat-shirtetlepressacontrelablessure.—Magieelfique,réponditDragosenserrantlesdents.—Aucuneflèchenepourraitlemarquer,repritl'Elfe.Maiscelle-ciadéjàfondudanssoncorps.

Ellevacontinueràlibérerdupoisondanssonsangpendantplusieursjours.—Qu'est-cequevousavezfait?s'écria-t-elle,levisagetorduparl'angoisse.Elleserralespoingsetvoulutserelever.Dragoslasaisitparlepoignet.—Pia.Ilenfautbienpluspourmetuer.—Nousl'avonsneutralisé,précisal'Elfe.—Vousnecomprenezpas,dit-elleàDragos.Jelesaiappelés.C'estdemafaute...—Tuesentrésurnotre territoiresansautorisation,déclara l'Elfe.Destraitésontétéviolés.Ily

auradesconséquences.Pour l'heure, lepoisonva t'empêcherdeprendre la formede laBête.Étantdonnéquenousavonsrognétesailes,noust'octroyonsdouzeheurespourfranchirnotrefrontière.Situnel'aspasfaitd'icilà,nousreviendrons,etnousneseronspasseulementdix.

—J'aienfreintseslois,intervintPia.Ilvenaitmedemanderdescomptes.— Ses lois ne sont pas nos lois, répliqua l'Elfe. Et il a enfreint les nôtres.Wyrm, abandonne

l'emprisequetuassurcettefemelle.—Elleestàmoi.Dragos dénuda ses crocs et ses yeux d'or se firent lave en fusion. Elle sentit son grondement

ébranlerlaterreetseslongsdoigtssecrispèrentsursonpoignet.Iltentadeserelever.LesautresElfesbraquèrentleursarcssurlui.—Tuvaslalibérersur-le-champouperdrelagrâcededouzeheures,annonçaleurchef.PiatenditlamainverslesElfes.—Arrêtez!Elle se pencha surDragos, ce qui était peut-être l'acte le plus courageux de sa vie. Un instinct

qu'ellen'auraitsuexpliqueravecdesmotsluifitadopteruntonempreintdedouceur.—Dragos,murmura-t-ellecommeelleauraitparléàunanimalblessé,etsemettantàletutoyer

commesic'était lachose laplusnaturelledumonde.Est-ceque tupeuxmeregarder, s'il teplaît?Écoute-moi,moi,paseux.

Le regard de lave se posa sur elle, brûlant, étranger. S'il ne pouvait pas se métamorphoserphysiquement,c'étaittoutefoisledragonquiétaitbienlà.

—Merci,souffla-t-elle.Ellesemitàcaressersescheveuxnoirs.Dragossuivitsongestedesyeux,puisregardasonvisage.— Je sais que tu es très en colère, mais je t'assure que cela ne vaut pas la peine de te battre,

chuchota-t-elle.Tum'aspromisilyaquelquesminutesquetunem'exposeraisàaucundanger.Tut'ensouviens?

—Tuesàmoi,répéta-t-il,sonexpressionférocesecrispant.Pendantunmomentterrifiant,ellenesutquoirépondre.Puisellesereprit.—Lâchermonpoignetn'ychangerarien,dit-elle,passantundoigtlelongdesonvisageavantde

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poserunemainsursajoue.S'ilteplaît.Ildesserralesdoigts.Elleserelevatantbienquemal,lesjambesflageolantes,puissetournaafindefairefaceauchef

desElfesquis'inclinalégèrementdevantelle.—Est-cequejevousconnais?s'enquit-il.Desalarmesinternessemirentàretentir,maiselleavaitretrouvésonsang-froidetelleréponditen

secouantlatête:—Non,nousnenousconnaissonspas.—Jesuissûrdevousavoirdéjàvue.Vousressemblezà...(Lesirisazurdel'Elfes'écarquillèrent.)

Vousêtesleportraitde...DragosenveloppalachevilledePiad'unemain.—Oui,oui,c'estça,jesuisleportraitcrachédeGretaGarbo,interrompit-elled'unevoixforte.L'angoissel'envahitetsonfrontsecouvritdesueur.Tais-toi,Elfe,implora-t-ellesilencieusement.— Demoiselle, je suis honoré de faire votre connaissance, poursuivit le chef, son visage

resplendissantdebonheur.Vousnepouvezpassavoiràquelpointnousavonspriépourqu'unetracedevotremèredemeuredanscemonde.

LesautresElfesladévisagèrentaveccuriosité.Elleregardaleurchefd'unaircourroucé.—Jenesaisabsolumentpasdequoivousparlez.Iltressaillit,puisretrouvasonaplomb.Sajoienesemontrapasautant,maisellelasentaitpalpiter

enlui.Illuisourit.—Biensûr,pardonnez-moi.Jemesuistrompé.PuissavoixtélépathiquerésonnadanslatêtedePia,évoquantuncarillonqueleventauraitfaitchanter.—Jem'appelleFerion. J'ai connuune femmequi vous ressemblaitbeaucoup.Sa rencontreaété

l'undesplusbeauxcadeauxquelaviem'aitfaits.

— Je suis honorée que vous partagiez ceci avecmoi, fit-elle.Mais en parler me fait courir undangeretjenesuispascettefemme.Enfait,jen'arrivepasàlachevilledecettefemme.—Pasàmesyeux,continua-t-il.Permettez-moidevousoffrirasileetprotection.Jesaisquenotre

Seigneur et notre Dame vous accueilleraient avec la même joie que moi. Nous chéririons votreprésenceparminous.

Ellehésitaet,pendantuninstant,ellefuttentée.Lapenséed'untelaccueiltorditsoncœursolitaire.MaisladéférencedeFerionlagênait.Ellenepensaitpaspouvoirvivreentouréed'untelrespect.Pasalorsqu'elleétaitsipeudechose.Elleluisait,lesverrousn'existaientpaspourelleetelleparlaittrop- un point c'est tout. Vivre en compagnie des Elfes serait vivre une existence fausse, vieillir pourmourir au bout du compte alors qu'eux ne changeraient pas. Ce serait tout simplement une autrevariantedelasolitudeetdel'isolement.

Lamainquiluitenaitlachevilleresserrasaprise.EllebaissalesyeuxsurDragosquil'observaitenplissantlesyeux.—Jevousremerciedevotreoffre.Peut-êtrequ'unjourjereviendraiversvouspourl'accepter,dit-

elleàFerion.Entre-temps,j'aiunedetteàpayer.

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Ferionrepritlaparole,àhautevoixcettefois-ci.—Demoiselle,jevousenconjure,venezavecnous.NerestezpasaveclaBête.Elle s'accroupit à côtédeDragoset, se faisantviolence, souleva le sweat-shirtqui recouvrait la

plaie. Celle-ci ne saignait plus. Elle nettoya les traces de sang qui maculaient son épaule aussidoucementqu'elleput,essuyasesmainssurlevêtementetreplialapartietrempéedesang.

—Cedésastreestcomplètementdemafaute.Jedoisfairecequejepeuxpourarrangerleschoses.Laprisesursajambeserelâcha,etellesentitlesdoigtsdeDragosglisserlégèrementlelongde

sonmollet.Legestel'agaçatellementqu'elleadoptauntonsec:—Maisquellesquesoientlesâneriesquetupuissesdébiter,jenet'appartienspas.Tuneseraispas

làsijen'yétaispas,alorsjet'accompagneraijusqu'àlafrontièreelfique.Jesaisquetuavaisperdulabouleetquemeretrouverétaitdevenuuneidéefixe,quetuétaisfouderageettoutça,maisbon,toutcequej'aiprisc'étaitunmisérablepenny.Etenplusjet'enaidonnéunautre.

Uncoindesabouchecruelleetsexysesoulevapourformerunpetitsourire.LesElfes refusèrent de le toucher, et elle dut l'aider de sonmieux.Quand il réussit à semettre

deboutetqu'ellefutparvenueàpassersonbrasvalidepardessussonépaule,lesElfesavaientdisparu.Ellesavaitpertinemmentqu'ilsnedevaientpasêtreloin.

—Tuasvoléunpennyfrappéen1962,grommelaDragosenserrantlesdents.Tum'aslaisséàlaplaceunpennyde1975.Cen'estpaslamêmechose.

Elleletoisa.—MonDieu,c'esteffrayantquetuaiesremarquéça.—Jesaisexactementcequej'aietoùtoutsetrouve.Jusqu'àl'objetleplusminuscule.—Tudevraispeut-êtreconsulterunmédecin,voirsitunesouffrespasd'untroubleobsessionnel.LapoitrinedeDragossesoulevaenunriremuet.Elle se concentra sur le faitdemettreunpieddevant l'autre. Il s'appuyait sur elle aussipeuque

possible - ils se seraient tous deux écroulés, sinon - mais elle avait quandmême l'impression desouteniruneVolkswagen.

Ilsrentrèrentdanslamaison.Ils'effondrasurlecanapé,posaunbrassursesyeuxetétenditunejambe.Sachemiseétaitfichue.Ellecontemplasontorsepuissantetsonventreplat.

M'enfin.Letypeétaitblesséetellelemataitcommeunobsédédansuneboutiqueporno!—Jenesuispasbiendansmatête,grommela-t-elle.—Jemerappelleraicetteremarqueplustard,dit-il.—Jevaistechercherdel'eau.—Duscotch.—D'accord.Etdel'eau.Ellerevintdelacuisineaveclabouteilledescotch,unecarafed'eauetuntorchon.Illuiarrachala

bouteilledesmainsetenavalalamoitiéd'unetraite.Elleattenditqu'ilreprennesonsouffle.Puiselles'assitsurlatablebasseetseservitdutorchonpournettoyerlesangsursapoitrine.Lepointd'entréedelaflèchen'étaitdéjàplusqu'unecicatriceblanche.

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—Est-cequeçafaitmal?demanda-t-elle.—Oui.—Jesuisnavrée.—Tuparlestropfort.Tais-toi,ordonna-t-il.Ellesemorditleslèvresenfinissantdelenettoyer.Ilsoupiraetsedéplaçalégèrement.S'iln'avait

rienperdudesagrâceanimale,ilétaitclairqu'ilsouffrait.—Continueàfaireçaaveclelinge.Çafaitdubien.(Ilmarquaunepause.)S'ilteplaît.—Jevaisenchercherunpropre,finit-ellepardire,lasurprisepassée.Elle laissa tomber le torchonensanglantédans levier,ensortitunautreetsehâtaderetournerà

son chevet. Il n'avait pas bougé. Elle passa le linge sur sa poitrine et ses épaules. S'il était chaudauparavant, ilétaitdésormaisbrûlant.Ellesouleva lebrasqu'ilavaitposésursonventre, releva lamancheetlemouilla,puisellelereposaetpritlebrasquicouvraitsesyeux.Illalaissafaire,lesyeuxbrillantssoussespaupièresmi-baissées.

—C'est le coup de fil, avoua-t-elle. Pour commander les steaks. Je n'ai pas appelé un numérotrouvé dans l'annuaire. J'avais mémorisé le numéro d'une ligne d'aide que quelqu'un m'avaitcommuniqué.

—J'aicompris,dit-ilsèchement.Ellefitunsignedetête,puistrempaletorchonchauddansl'eaudelacarafepourlerefroidir,et

repritsessoins.Ellenepouvaitpasendiguerleflotdemots.—J'avaispeurquandjelesaiappelés.Jepensaisquetuallaismetuer.—J'aicomprisçaaussi.—Jesuisdésolée!s'écria-t-elle.Elleluiarrachalabouteilledescotchdesmainsetenavalaunerasade.Enreposantlabouteille,

elleconstataqu'ilsouriait.—Tantmieux,fit-il.Tudevraisêtreprofondémentdésolée.Endeuxjours,tum'ascoûtéunemain-

d'œuvreinvraisemblable,desdizainesdemillionsdedollarsdedégâts...—Ho,hé,remettonslespendulesàl'heure.Cen'estpasmoiquiaipiquéunecriseetpoussédes

hurlementsàréveillerlesmorts,interjeta-t-elleenseredressantetenlefusillantduregard.LesouriredeDragoss'élargit.—Tum'aspousséàviolerjenesaiscombiendetraitéspassésaveclacommunautéelfique,etje

suismaladecommeunchien.—Tuasviolécestraités,rétorqua-t-elleenlemontrantdudoigt.Tun'étaispascensévenirici.Si

cen'estpascinglé,ça!(Unepause.Elleleregardad'unairpenaud.)Tuesvraimentmaladecommeunchien?

—Plusoumoins.Monorganismeluttecontrelepoison.Jemesensunpeumoinsmal.Jepourraibientôtmedéplacertoutseul.

Elles'assitparterreenlaissantéchapperunpetitgrognement.Elles'adossacontrelecanapéenluitournantledos,replialesjambes,posalescoudesdessusetappuyalespaumesdesesmainscontresesyeux.Sonmaldetêtes'intensifiait.

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—JenesaispasoùfinitexactementleterritoiredesElfes,maiscelanenousprendrapastellementlongtempspourletraverser.Deuxoutroisheures.Onaunpeudetemps.

Ilenfouitsesdoigtsdanssachevelureetsoulevadesmèches.—Jeveuxquetumedonnesdescheveux.—Quoi?—Donne-moiuneboucleetjetepardonneraid'êtreentréedansmonrepairepareffraction.—Bon,d'accord.(Elleleregarda.)Alorsjetedonneunemèchedemescheveux,teconduisau-

delàdelafrontièreelfiqueetbye-bye?—Jen'aijamaisditquejetelaisseraipartir,précisa-t-ilenriant,justequejetepardonnerai.—Jesavaisquec'étaittropfacile,marmonna-t-elle.Ilpassaitetrepassaitlesdoigtsdanssescheveux.—Est-cequetuenasdonnéàtonpetitami?LesyeuxdePiasefermaient.—Ex,corrigea-t-elle.—Ex.—Non.Elleluttacontreleplaisirqueluiprocuraitcetassoupissementettentaderepoussersamainsans

beaucoupdeconviction.—Arrête.Jen'arrivepasàgarderlesyeuxouvertsquandtufaisça.—Ehbien,ferme-les.Il lissa soncuircheveluavecsapaume. Il aimait ladouceurde savoixprisepar le sommeil. Il

aimaitqu'ellenesentepluslapeur,quesonodeurdégageunvaguedésir.—Dors,murmura-t-il.—Onnepeutpasdépasserl'heure.Ilfautmettreunealarme.Elleessayadeserelever.Commeelledépliaitlesgenoux,illasaisitparlatailleetlafitbasculer

surlui.Ellepoussauneexclamationettentades'écarter,maisill'enveloppadesesbras.—Allonge-toi,ordonna-t-il.Jeveilleraiàcequ'onparteàl'heure.Dors.Elles'effondrasurluicommeunchâteaudecartes.Ilcalasatêteaucreuxdesonépaulevalide.—Arrêtedemedonnerdesordres,dit-elleenbâillant.(Sousleprétexted'ajustersaposition,elle

frottasajouecontresapoitrine,savourantlasensationdechaleuretdepuissanceémanantdelui.)Tun'espasmonpatron.

—Dors,répéta-t-il.Et elle sombra instantanément dans le sommeil. Personne n'était là pour l'observer lorsqu'il fit

l'expériencedepresserseslèvrescontresonfront.Ildécidaquecelaluiplaisait.

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6Lelitsedéplaçasouselle.Piabâillaetsefrottalenez.Pourquoilematelasétait-iltellementcreusé

et chaud ?Elle ouvrit les yeux.La pièce était plongée dans l'obscurité. Elle ne distinguait que desombres.

ElleétaitvautréesurDragos,leursjambesentremêlées.Elleseraiditetvoulutseredresser,maislesbraspuissantsquil'enserraientrefusèrentdelalâcher.Etsatêteétaitimmobilisée.Elletiraunpeu.Ilavaitenroulésescheveuxautourdesonpoignet.

Elleavaitl'impressiond'avoirdugravierdanslagorge.—Tucroyaisquej'essaieraisdem'échapperpendantquetudormais?dit-elled'unevoixenrouée.

Jenet'abandonneraispasalorsquetuesblessé.Ildéroulasescheveuxetleslaissaglisserenleslissant.—Jen'aipasdormi.Cette fois, lorsqu'elle s'appuya sur les coudes, il la laissa faire, acceptantqu'un seulde sesbras

l'enveloppâtautourdelataille.Nepaspenseràcettesieste.Nepaspenseraufaitd'avoirdormidanssesbras,niquecesoitsiincroyablementagréable.Oh,oh,ellevenaitd'ypenser.

—Commentas-tufaitpournepasdormir?demanda-t-elle.Tuavaistropmal?—Jepeuxresterplusieursjourssansdormirnimanger,sinécessaire.Jen'ainullementl'intention

dedormirsurleterritoireelfique.Etpuis,j'avaisjustebesoindemereposer.—Commenttutesens,maintenant?Tropengourdiepourgarderlatêtelevée,ellelareposasursespectoraux.Mmm.Dusatinsurde

l'acier.—Mieux.J'ail'impressionquemonépauleestprisedanslaglace,maisjen'aiplusaussimal.Je

vaispouvoirmelever,maisjenepensepasquejeseraienmesuredemetransformeravantplusieursheures.Lamagiedeleurpoisonaétébienélaborée.

Elleeffleurasonépauleblessée.Lazoneétaitbrûlante,bienpluschaudequelerestedesoncorps,pasglacée.

—Çanefaitpasmal?—Non.Il s'empara de samain et la porta à ses lèvres. Elle se raidit quand il glissa son index dans sa

boucheetsemitàlesucer.Ledésirintensequil'avaitenflamméedanslerêvel'assaillit.Ilsedéplaçalégèrementdesorteque

leursbassinssetouchent.Lamanifestationdesondésiràluitendaitlatoiledesonjeanetsepressaitcontre leventredePia telleunecordeépaisse.Ellegrognaetessayadesedégagerense tortillant.Elleneréussitqu'àfrotterleurscorps.

—Arrête,s'étrangla-t-elle.Ilpritsontempspoursucersondoigt.Savoixmystérieuselacaressa.

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—Pourquoi?Tumevoulais,danslerêve.Jetevoulais.Jesenstondésirdepuis.Quelquesheuresseulementsesontécoulées.Nousavonsdutempsavantdedevoirpartir.

Illéchasapaumeetlasensationl'électrisa.—Cequis'estpasséétaitenrêve!réussit-elleàarticuler.—Etalors?Seslèvresremontèrentjusqu'àlapeaudélicatedesonpoignet.Contresabouche,lepoulsdePia

battaitfollement.Iltraçalaveinedesalangue.Ellen'étaitpasjustechoquée,maisperplexe.Ilétaitunmâletellementbrutal,maiscettesensualitérévélaitunedouceurqu'ellenesavaitcommentinterpréter.Elledutfaireuneffortpourretrouversontonindigné.

—Lerêveétaitunsortilège!Cen'étaitpaslaréalité.—C'étaitlavérité,répliqua-t-il.L'envoûtementt'aapportécequetudésiraisleplus.Ses longs doigts s'aventurèrent sous sa chemise afin d'effleurer le bas de son dos, une zone

particulièrementsensible.Elleeut le sentimentqu'elleétouffait, sapeau lapicota.Elle luttapourse libérer,etcette fois-ci

avecdétermination.Dragosresserraunmomentsesbrasautourd'ellecommes'ilallaitrefuserdelalaisserpartir.Puisilrelâchasaprise.

Ellesemitdeboutenhâte,seheurtaàlatablebasseetrenversaquelquechose.Lamoquettesoussespiedsnusfutsoudaintrempée.Elleavaitfaittomberlacarafed'eau.

Elletenditlebrasetavançajusqu'àcequ'elleatteignelemur.Sesdoigtsglissèrentlelongduplâtrelisse,puisrencontrèrentuninterrupteur.Elleallumaetrestalesmainsappuyéessurlemur,lesyeuxfermés,éblouieparlalumière.

Elleavaitl'impressionquesonvisageétaitenfeu.Keithetlesterribleserreurscommises.Nepasavoirécoutélesconseilsdesamère,seconfier,partager,toutcelaparcequ'ellevoulaitunamantetuncompagnon,unvéritablefoyer,unsentimentdesécuritéetpeut-êtremêmeunenfant.

Ellefrottasajouemouilléecontresonépaule.Lesressortsducanapéprotestèrent.Ellelesentitplusqu'ellenel'entenditsedresserderrièreelle.

Uneénergieincandescentebouillonnaitlelongdesesnerfshypersensibles.Dragossepressacontresondos.Ilposasesmainspuissantescontrelessiennes,siféminines,si

petites.Ilinclinalatêtepourplacersajouecontreelle.Parmoments,sacourpouvaitêtretumultueuse.Certainsétaientunis.D'autresvivaientseuls.Tous

les Wyrs vivaient une sexualité très directe et les passions se transformaient trop facilement enviolence.

Il prenait une femelle de temps à autre, mais ses accouplements étaient toujours simples. Desétreintesrapides,sanscomplications.Ilavaitétéletémointoutefoisd'autresliaisonspluscomplexes.Ilavaitvulesvexations,lesmalentendus,lesjalousies,lescœursbrisés,lesinfidélités.

Cettefemelleétaitcomplexe.Iln'avaitpasaffaireiciàdusexequel'onmonnaye.Ilréfléchitàcequ'ilpouvaitfaire,àdessituationsqu'ilavaitobservées.

—Jenecomprendspas.Est-cequetupeuxm'expliquer,s'ilteplaît?finit-ilpardemanderàvoixbasse.

Ellesecoualatête.

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Ilsoupira.—Jevisdepuis très longtemps, jepeux souvent être cruel et calculateur, et il est dangereuxde

resterdansmonvoisinagelorsquejesuisenrage.Jenecherchepasàexcusercequejesuis.Jesuisunprédateuretjediriged'autresprédateurs.Maisjenevoulaispastemettredansuntelétat.

Ellesecalmaenl'écoutant.Ill'entouraitdesoncorpsetsonénergiel'engloutissait.Il ne comprenait pas. Il croyait que le rêve n'était que sexuel, un déchaînement des sens. Si

seulementleschosespouvaientêtreaussisimples!Elleappuyalatêtecontrelui,àl'endroitoùsoncourencontraitsonépaule.

—Le rêveétaitmanipulateur,expliqua-t-elle. Iln'appartenaitpasà la réalité.Onpeutchoisirdefaireenrêvedeschosesquel'onnechoisiraitpasdefaireéveillé.

—Maisc'étaitvrai?C'étaitdéroutant,cetteincertitudequi l'habitait.Luiquiportait l'arroganceavecunetelleaisance.

Pourquoi n'arrivait-elle pas à s'empêcher de trouver ce paradoxe charmant ? Elle était vraimenttordue.

—Ilyavaitunepartdevéritédanslerêve,reconnut-elle.Maiscen'étaitpasseulementunehistoiredesexe.

—Ilyavaitautrechose,c'estvrai.Elleentendaitlesouriredanssavoix.Ilavaitl'air...content.—Çateplaît?releva-t-elle,incapablederetenirunsourireàsontour.—Tuescompliquéeetjenem'ennuiepas.—Jesuisheureusedepouvoirtedivertir,Majesté.Ill'enveloppadesesbras.—Bon,quelleestcetteréalitéquin'estpasaussisimple,d'aprèstoi,quel'étreintequenousavonsvécueenrêve?Dansquellemesureest-elleliéeaudésirquej'aisentivenantdetoi?Ellesavouralasensationd'êtredansdesbrasaussipuissants.—Tuescompliquétoiaussi,etj'aieuplusieursfoisterriblementpeurdetoiaujourd'hui.Etpour

moi, l'attirance physique est une chose, mais faire 1'... (Elle inspira profondément.)Mais le sexe,corrigea-t-elle,c'enestuneautre.Jedoisdévelopperuncertainniveaudeconfianceavantdepouvoirm'abandonneràcepoint.

—TuavaisconfianceenKeith,fit-ilremarquer.Elleneputs'empêcherdetressaillir.—Oui,c'estvrai.Etilm'atrahie.Çafaitencoremal.—L'envoûtementdurêves'estestompé,ajouta-t-il.Cequeturessensestvrai,etcequetudécides

defaireesttadécisionett'appartienttotalement.Il écarta ses cheveux afin de découvrir lamarque de samorsure et posa les lèvres dessus. Son

cœur s'emballa, elle semit à respirer plusvite. Il la serradavantage, puis la lâcha et fit unpas enarrière. Elle se retourna, le regard hésitant. Ses gracieux pieds nus brillaient presque contre lamoquettebeige, lesonglesdesesorteilsétaientcouvertsd'unvernisrougevif.Ilsentitsonsexeseraidir.

Iln'yprêtapasattention.—Ilfautyaller.

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Elleopinaententantdeserecoiffervaguementavecsesdoigts.—Oui,biensûr.Nousnoussommesreposéscombiendetemps?—Deuxheuresenviron,répondit-ilensedétournantafindemasquersonérection.—J'ailetempsdemechanger,alors.Siçanetedérangepas,jevaisprendreunedouche.Cene

serapaslong.Dragoslaregardas'éloigner.Unjour,tumeferasconfiance,songea-t-il.Ettumedirasalorscequ'ilyavaitd'autreaveclerêve

etpourquoituétaistellementsecouée.Tun'auraspaspeurdemoiettumeconfierastoustessecrets.Etensuite,tuserasmienne.

Ilsourit.Elleneserendaitpascomptequ'ilavaitencorel'instinctduchasseur.Tantmieux.Danslachambre,Piasortitladeuxièmetenuequ'elleavaitachetéeainsiquedessous-vêtements,un

pantalon corsaire en jean et un tee-shirt jaune citron moulant avec des manches courtes et uneencolureàfestons.Ilneluirestaitplusqu'unetenuepropre.Àcerythme,elleallaitdevoirlaverdulingeous'acheterd'autrestrucs.

Ellefermalaportedelasalledebains,sesentantunpeugourdeenlaverrouillant.Commesicelapouvaitl'empêcherd'entrers'illevoulait.Ellesedévêtitetentradanslabaignoire.

L'eauchaudejaillit,détendanttoutesleszonesmeurtriesetfourbues.Ellepoussaunfeulementdedouleur quand le jet frappa ses genoux à vif. Elle se lava les cheveux avec un shampooing et undémêlantenfindignedecenom,etpoussaunsoupird'aiseensentantlamasseépaissedesescheveuxcommenceràreprendresonsoyeux.Ellesesavonnaensuite,puisserinça,seséchaets'habilla.Ellebrossa sescheveux, les ramenaenarrière,glissaunchouchou jauneafinde formerunequeue-de-chevaletsortitdelasalledebains.

Dragosétaitétendusurlelitdéfait.Ducoup,lachambreparaissaitpluspetite,legrandlitsemblaitétroit.Ilétaitallongésurledos,lesyeuxfermés,unemainderrièrelatête,l'autresursonventreplat.

Ilavaitretirésachemisesouilléedesangetneportaitplusquesonjeanetsesbottes.Lamarquedesablessureétait toujoursaussiblanchecontresapeaubronze.Sacagethoraciqueondulaitsoussespectorauxetl'airfraisavaitfaitsaillirsesmamelonsbruns.Ils'étaitlavéluiaussietsescheveuxnoirsétaientencorehumides.

Elle frissonna et fouilla dans ses affaires en quête de sa dernière chemise propre à mancheslongues.Ellearrachalesétiquettesetl'enfila,décidantdes'enservirdeveste,puisquesonsweat-shirtétaithorsd'usage.

LaprésencedeDragosétaitécrasante.Ellen'arrivaitpasàsedécideràs'asseoirauborddulit.Elles'accroupitdoncpourenfilerdessocquettesetsestennis.Ellecontemplasonsacàdosquicontenaitlesdocumentspourtroisnouvellesidentitésainsiquecentmilledollarsoupresque.Puiselleposadenouveauleregardsurlemâleallongé.

—Tuesprêt?s'enquit-elle.Onauraitditqu'ellevenaitdecourirunmarathon.Ellearpentalachambreetramassasesaffaires,

lesfourrantdansunsacenplastique.,—Oui,dit-il.Ilinspiraprofondémentetsoupira.C'étaitunspectaclefabuleux.Elles'humectaleslèvresetessaya

depenseràautrechose.

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— Tu n'as pas besoin de ces autres identités, souligna-t-il. J'aime le nom de Pia AlessandraGiovanni.Iltevabien.

Merde.Troisidentitéshorsdeprixetmagnifiquementforgéesquipassaientàlatrappe.—Cesontmesaffaires!explosa-t-elle.Tun'aspasledroitdelesfouiller.—Biensûrquesi,rétorqua-t-il.Comment faisait-il pour sortir une telle énormité ? Elle jeta le sac dans sa direction. Il devait

l'observerà traverssesyeuxmi-closcar,dansungestenonchalantetpourtantvif, il l'attrapad'unemain.

—Jepariequetuascomptél'argent!s'exclama-t-elle.Ilaffichaunlargesourire.—Biensûr.Lesfemmesmettentvraimentlongtempsàsepréparer.J'aiégalementregardédansle

frigo,me suis servi de ton téléphone portable pour appelerNewYork et j'ai empoché tes clés devoiture.Ilestimpossiblequetuaiesuniotadeprédateurwyrentoi,vuquetun'espasvégétarienne,maisvégétalienne.Pasétonnantquetusoissimaigrichonne.

Il n'y avait que lui pour qualifier de maigrichonne une femme d'un mètre soixante-quinze quipesaitsoixante-cinqkilos.Elleluijetaunautresacàlatête.Ill'attrapaauvol,maisneputempêcherlesbouteillesdeshampooingetdedémêlantdeserépandresurlui.

—Rends-moimesclésdevoiture!—Pasquestion.Elleseruasurluietlefrappasurlapoitrine.—Espècede salaud !Tun'avais pas le droit de fouiller dansmes affaires oude... de volerma

voiture!Il se mit à rire - non, il éclata littéralement de rire. Puis, dans un mouvement qui rappela

terriblement le rêve, il lui saisit les bras, la fit rouler par-dessus son corps et la plaqua contre lematelas.Elle émit unpetit bruit étranglé. Il se dressa au-dessusd'elle, voilant la lumière.Ses yeuxdorésétincelaient.

—Iln'existepasuneseuleentitéaumondequioseraitagirdecettemanièreavecmoi.Elles'immobilisaetdevintblême.L'expressiondeDragoschangea.—Non.Cen'étaitpasunemenace.—Qu'est-cequetuveuxdire,alors?balbutia-t-elled'unevoixchevrotante.Ilposaunemainsursajoue.—Tum'appartiens,tuesàmoi.Tupeuxlenier,protester,trépigner,essayerdet'enfuir.Mais.Tu.

Es.À.Moi.Ça.Ne.Changera.Rien.—C'est insensé. Je ne sais pas du tout ce que cela signifie. Je n'appartiens pas plus à toi qu'à

quelqu'und'autre.—Si, insista-t-il, passant sonpouce sur les lèvres de la jeune femme.Tu es àmoi et je vais te

garder.Jeneteferaipasdemal,jeteprotégerai.—Jenesuispasunobjet,bordel!

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—Maistum'appartiens.—Jecroisquetuescinglé.—Vuquetul'esaussi,cen'estpastellementunproblème.Ilesquissaunsourire,puisbaissalentementlatêteenl'observant.Elleseraiditetilmurmura:—Tunecoursaucundanger.Jeveuxsimplementtegoûter.Riendeplus.Ilattendit,frôlantseslèvres.Toutcelaétait tellement tordu.Elle s'absorbadans lacontemplationde sabouche.Et soncorps,

succombantàlalâcheté,selaissaaller.Dragos sentit la résistance de Pia s'évanouir. Il couvrit sa bouche de la sienne. Ses lèvres

touchèrentlessiennes,légèrescommeuneplume,découvrantleurgrain,leurforme.Ilsétaientàcentlieuesdelaviolencedurêve.Cebaiserétaitlent,sûrdelui,tranquille,sensuel.

Leplaisirenvahitlajeunefemme.Ellemurmuraquelquechoseeteffleurasamâchoire.Il lécha etmordilla ses lèvres, son souffle se faisant plus court.Comme sesdoigts quittaient sa

mâchoire pour s'enfouir dans sa chevelure, il ouvrit la bouche et enfonça sa langue. Le plaisirs'intensifia.

Il insinua sacuisseentre ses jambeset exerçaunepoussée.Elleémitunautre sonétoufféet luiretournasonbaiseravecfougue. Ilgrondaetpoussadavantageavecsacuisse,enfonçantsa langueplusprofondément.Iltouchal'endroitsensible.Ellehoqueta,secambra.Elleavaitmaintenantlesbrasautourdesoncou.Ilenveloppasesfessesdanssapaume,passaunbrassoussanuqueafindelatenirpressée contre lui. Il adoptaun rythmeétourdissant avec sabouche et sa cuissequi ôta àPia toutecapacité de raisonnement, si bien que chauffée à blanc, elle se mit à l'embrasser avec la mêmefrénésiequedanslerêve.

Illadévoraitgoulûment.LetorsedeDragoslarecouvraitetsonmembreépaisetdurpressaitsursacuisse.Ellevoulaitqu'iln'aitplusdevêtements.Ellelevoulaitenelle.

Oh,monDieu.Elledécollasabouchedelasienneethaleta:—Arrête.C'esttrop.Ilrejetalatêteenarrièreetémitunfeulement,lecorpstenducommeunarc.Onauraitditquesesirischarriaientdelalaveenfusion,sesyeuxdorésbrûlaient.Elletournala

têteetenfouitsonvisagecontresonbicepsd'acier,puismurmura:—Jenesuispasencoreprête.—Lepetitami,commenta-t-ild'untonhargneux.—Ex-petitami.Etjenepenseabsolumentplusàlui.Elleluijetaunregardprudent.Ilavaitlesyeuxrivéssurelle.—Tuasditquetuavaisencoremal.Elleposalesdoigtssursaboucheetentraçalescontours,fascinéeparsaformeetsatexture.—J'aimalparcequej'aichoisidefaireconfianceàquelqu'unetquej'aiététrahie.Jen'aiplusmal

àcausede lui,et je ne voudrais nullement le voir ou lui parlermême s'il était toujours en vie. Jepourraisjusteêtretentéedeluiflanquerdenouveauunedérouillée.

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Dragoscommençaàsedétendre.Ellesentitsabouches'incurverenunsouriresoussesdoigts.—Tul'astabassé?Elleluiretournasonsourire,lesyeuxpétillants.—Euh,non,reconnut-elle.Maisj'aiéprouvéunecertainesatisfactionàlepousseraupointdelui

fairepercuterlemur.Il l'étudia. Ses yeux qui évoquaient la couleur du crépuscule étincelaient en le regardant. Elle

pouvaitdirecequ'ellevoulait,soncorpsétaitdétenduetconfiant,lovécontrelesien.L'odeurdesondésirsexuelétaitdélicieuse.Touslestonsnacrésdesapeauchatoyaient.

—Tuesabsolumentsplendide,souffla-t-il.Elledétournaleregardenrougissant.Ellenesavaitpasquoidire.Impulsivement,elleleserrafort

contreelle.Legestelesurpritluiaussicarilsefigea,puislaserrafortàsontour,l'écrasantcontreluiavantdelalâcheretdeglisserprestementhorsdulit.

—Ilfautqu'onparte.Elleselevaavecbeaucoupmoinsdegrâce,carsesjambesétaientencoton.Ill'aidaàramasserses

affairesetinsistapourlesporterainsiquesonsacàdos.Ayantlesentimentd'avoirperdulecontrôledesonexistence,elleluiemboîtalepas.

Avantdesortir,ellealladans lacuisinechercherson téléphoneetquelquechoseàmanger.Ellelaissadecôté lescruditéset jetadansunsacunsachetd'amandes,unyaourtausojaetunecuillèrequ'ellechipadansuntiroir;elleattrapaenfinlesbouteillesd'eauqu'elleavaitachetées.

Leséchoirmarchaitdanslapetitebuanderie.Dragosl'arrêtaetsortitsachemisedéchirée.Ilavaitrincé le sang comme il l'avait pu, mais elle avait perdu sa blancheur éclatante. Il l'enfila sans sesoucierdeboutonnerlesraresboutonsquirestaient.Ellefutcontentequ'ilsecouvreunminimum.Lavuedesapoitrinenueluifaisaitperdretoussesmoyens.

Ils sortirent enfin. Comme Dragos fermait la porte d'entrée, elle nota mentalement d'appelerQuentin pour le prévenir qu'ils n'avaient pas laissé la maison aussi propre et bien rangée qu'ellel'auraitsouhaité.

Ill'escortajusqu'àlaportièredupassagerenregardantautourd'eux.Letueurimplacableétaitderetour.Ilouvritlaporte,larefermaquandellefutinstallée.Ilmitlessacsàl'arrière,puiss'installaauvolant.

—Tut'attendsàdesproblèmes?demanda-t-elle.Unpeuplusloin,quelqu'unavaitorganiséunefêteettoutesleslumièresétaientalluméesdansla

villa.—PassilesElfestiennentparole,répondit-il.Iltrouvalelevierservantàréglerlesiègeetlereculaaumaximum.—Pourquoinelatiendraient-ilspas?Jen'aijamaisrienentendudenégatifquantàleurintégrité.— Tu es beaucoup plus jeune que moi, lui rappela-t-il. Chaque espèce n'a pas connu que des

momentsdegloire.Oh,bonsang,cettebagnolevametuer!—Quoi?Pourquoi?—J'attendstoujoursqu'elleprennedelavitesse,répliqua-t-il.Etpasdanstroisplombes.Qu'est-ce

quec'est?

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—C'estuneHondaCivic,etc'estunebonnevoiture.Elleconsommepeu.—Onsaitpourquoi,c'estsûr!Endépitdesaremarque, ilneroulapas trèsvite tantqu'ilsn'eurentpasquitté leborddemeret

rejointl'autoroute.Etlorsqu'ilaccéléra,ilrespectalalimitationdevitesse.—Qu'est-cequetuascommevoiture?Ellesortitsonyaourt.Ellemouraitdefaim.—MapréféréeestlaBugatti.Benvoyons.Elleauraitdûsedouterqu'ilavaitunevoiturequivalaitplusd'unmilliondedollars.

Elleentamaleyaourt.—Combiendevoiturestuas,àpartlaBugatti?—Unetrentainepeut-êtreentout.Jenesaispasexactement.JeconduislaBugattiouleHummer.

ParfoislaRolls.Mesgensconduisentlesautres.Sesgens.Ellesecoualatête.Unerichesseaussiextravaganteétaitinimaginable.Illuijetauncoup

d'œildecôté,lalèvreretroussée.—Qu'est-cequetumanges?—Duyaourtausoja,dit-elleens'essuyantlecoindelabouche.—C'estdelanourriture,ça?J'aigoûtéàcequetuavaisachetél'autrejour,laréglisseetleCoca.

J'airecrachéletoutillico.Elleéclataderire.—Oh,n'exagèrepas,çanepouvaitpasêtresiterrible.—Si,jet'assure,fit-ilavecleplusgrandsérieux.C'étaitterrible.—Commentas-tusu...(Ellecompritsoudain.)Oh,lanotequejet'ailaissée.Jel'aiécriteaudos

d'unreçu.C'estcommeçaquetuaspumeretrouver.—Onaobtenulesfilmsdesécuritépourladatedureçu.Entreçaettonnomhumainquetum'as

confiédanslerêve,ontetenait.Ellepoussaunsoupir,finitsonyaourtetouvritlesachetd'amandes.Despharessurgirentderrièreeuxetrestèrentàunedistancerespectable.Elleremarquaqu'ilavait

lesyeuxsurlerétroviseuretellesetorditsursonsiègepourregarderderrièreeux.—Qu'est-cequec'est?—Nousavonsuneescortejusqu'àlafrontièreelfique.Quellepolitesse.Tuveuxparierqu'ilsnous

offrirontdel'aidesioncrèveunpneu?—Oh,tupeuxtemettreàleurplace,souligna-t-elle.Tuasenfreintleurslois.—Toi,tum'asvoléquelquechose.Etregardecommenousnousentendonsbien.La remarque la décontenança. Elle se remémora la journée chargée qu'ils avaient eue. Ils

s'entendaient extraordinairement bien.Elle soupçonnait qu'elle aurait dû trouver tout ça flippant.Avraidire,quelquepart,oui,elletrouvaitçaflippant...

—Maintenant que tu le mentionnes, murmura-t-elle, tu semblés en effet ne pas répondre à lanorme.

Illevaundoigt.

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— Primo, tu es la seule personne qui ait jamais réussi à me voler quelque chose. (Il leva undeuxièmedoigt.)Secundo, jenesuispasunecréaturequipardonneaisément. (Untroisièmedoigt.)Tertio,j'aimelavengeance.J'aihâtedemettreenpièceslapersonnequit'adonnécecharmeetquiestdésormaisenpossessiondemonpenny.

—Évidemment,expliquécommeça,jedevraisprendremesjambesàmoncouenhurlant.—Tutesouviensquej'aiditquejenem'ennuyaispas?Elleopinaentripotantuncoindesachemise.—Rétrospectivement, jepensequecelafaitmaintenantdessièclesquejem'ennuie.Çafait long.

Lesgensseprécipitentpourmedonnertoutcequejeveux.Etsinon,jepeuxtoujoursl'acheter.Maistuesdifférente.Depuislecommencement,tun'ascessédemesurprendre.Jen'avaisjamaisétéaussifurieux, et puis ta note m'a fait rire aux éclats. Le rêve ? Grosse surprise. Les âneries que tu asdébitées,tonodeur,lesrayonsdusoleildanstescheveuxauclairdelune.

Illuilançaunlongregardappuyé:—Jenem'ennuievraimentpas.Etjemerendscomptequecelameplaîtetmedonnel'occasion

d'apprendreàfaired'autreschoses.Elle se tourna vers la fenêtre. Formidable, elle pouvait se détendre du moment qu'elle le

divertissait?Etqu'allait-il sepasserquand ilenauraitassezd'elle?Est-cequ'iloublieraitqu'il luiavait«pardonné»?Ellesemorditlalèvre.

Heureusement qu'il y avait encore trois caches à New York, avec trois autres identités et del'argent. Il faudrait juste qu'elle joue le jeu en attendant de trouver un moyen de lui faussercompagnie.

Ilposaunemainsursongenou.Ellesursautaetseretournaverslui.—Pia.Jeveuxquetum'écoutes.N'essaiepasdet'enfuirunefoisquenousseronsderetouràNew

York.—Qu'est-cequeturacontes?fit-elleenécarquillantlesyeux.—Oh, il ne faut pas êtregrand clerc, répliqua-t-il sèchement.Tu te souviensque je t'ai dit que

j'avaistéléphoné?J'aiparléavecmonpremierlieutenant,ungriffondunomdeRune.Nouspensonssavoirquipourraitavoirorchestrétouscesévénements,lamanipulationetlemeurtredeKeithetdesonbookmaker.

—J'aicommel'impressionquejenevaispasaimercequetuessurlepointdemedire.L'amande qu'elle venait d'avaler semblait coincée dans sa gorge. Elle referma le sachet et le

rangea,puisavalaunegrandegorgéed'eau.—J'aicommel'impressionque tuasraison.Mais il fautque tu lesaches.SiKeithaditquelque

chosesurtoi,n'importequoi, tun'espasensécurité.Est-cequetupeuxgarantirqu'ilnel'apasfaitavantquetul'obligesàprêterserment?

Ellesetortillasursonsiège,lapeurl'étreignantdenouveau.—Ilareconnuqu'illeurenavaittouchéunmotoudeux,maisn'avaitpasditgrand-chose.Etce

seraitlogiquequ'ilnel'aitpasfait.Ilauravouluessayeraumaximumdecontrôlerledéroulementdeschoses.

—Certes,mais réfléchis un peu à ça. Il aura également dû faire preuve d'un sacré pouvoir de

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persuasion pour arriver à convaincre quelqu'un de lui donner ce charme. Tu sais combien depersonnes sont enmesurede créer un trucpareil, quelque chose ayant la forcedeneutralisermessortslespluspuissants?

—Jeprésumequ'ellesnesontpastrèsnombreuses,marmonnaPia.—Sansréfléchir,j'envoistrois.Ilresserrasaprisesursajambeetfrottasacuisse.Instinctivement,ellesaisitsamain.Illalaissala

posersursesgenoux.—Qui?—UnetrèsvieillesorcièreenRussie.LareinevampireàSanFranciscoestunesorcière.Etleroi

desFaesnoires.—Merde.— J'ai ordonné des recherches pour voir s'il existait une autre créature susceptible de créer un

charmesuffisammentpuissantpourlocalisermesbiens.Pourlemoment,iln'yapersonned'autre.Lasorcièreestplutôtindifférenteàtoutcequisepasseendehorsdesonvoisinage.Etlareinevampireestplusoumoinsuneamie,entoutcasunealliée,maisleroidesFaesnoires...(Dragossecoualatêteen esquissant un sourire sans joie.) Urien me hait de tout son être. Il se trouve que j'ai en mapossession,depuisdeuxcentsans,quelquechosequ'ilveutabsolument.Iln'hésiteraitpasàdétruirelecontinents'ilpensaitpouvoirm'éliminerparlamêmeoccasion.Tuneseraisqu'unpetitcaillousursaroute.

D'après ce qu'elle savait des Faes, il y avait deux cours, celle des Faes noires et celle des Faeslumineuses,etlaplupartdutemps,elless'affrontaientàproposd'undifférendquelconque.LesFaeslumineusesétaientgouvernéesparunereine.UrienrégnaitsurlesFaesnoires.

Elle se concentra sur la main qu'elle tenait sur ses genoux. C'était une main tellement grande,tellementforte.Elleserenditcomptequ'elles'étaitmiseàlacaresser.

—Lespersonnes àmon service sont excellentes.Si tuparvenais àme fausser compagnie, je teretrouverais.Maistuseraisendangerentre-temps...Alors,cettepromesse?Tumelafais?

—OK,céda-t-elle.—Bon,onyarrive,tuvois.Ilpressasamain,puislaretira.Ilsrestèrentsilencieux.Unpeuplustard,alorsquel'aubepointait,lavoiturequilessuivaitfitun

appeldephares,puisdisparut.Elleseditqu'ilsdevaientêtresortisduterritoiredesElfes.Ses paupières se firent lourdes. Elle ne pensait pas arriver à s'endormir, mais grappiller deux

heuresdesommeilpar-cietunepetitesiestepar-lànereprésentaitpassuffisammentderepos.Ellesefrottalestempes.—Undecesjours,jevaismangerunvrairepasetdormirunevraienuit.—J'aidemandéàRunedetrouverquelqu'unquisachepréparerletyped'alimentsquetumanges.Elleneputs'empêcherdesourire.Levégétalismesemblaittellementétrangerquandilenparlait,

unpeucommes'ilparlaitdecuisinerdelanourriturepourchiens.—Merci,c'estgentil.

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Elleluttafugacemententrel'amour-propreet ledésir,etc'est ledésirquil'emporta.Elleposalatêtecontresonbras.

C'étaituneerreur.Ellenedevraitpastireruntelconfortdecettechaleur.Etsurtout,ellenedevaitpascommenceràcompterdessus.

Ilenveloppasatêted'unemain,puisseconcentrasurlaroute.Ellesomnola.Plustard,ellefutsaisied'uneespèced'angoisse.Lesentiments'intensifiaalorsqu'elleseredressait

et regardait autour d'elle. L'aurore s'était installée, même si le soleil n'avait pas encore fait sonapparition.Ellejetauncoupd'oeilaucompteur.Ilsroulaientàprèsde160kilomètresl'heure.

Elle regardaDragos. Ilavaituneattitudedétendueet ilconduisaitavecsûretéetassurance,maissonvisagebrunétaitfarouche.

—Qu'est-cequisepasse?—Onnouspiste.Jenesaispassionpeutlessemer,maisjetentelecoup.Conscientedel'inutilitédugeste,elleregardaautourd'eux.Elledéployaégalementtoussessens,

s'efforçantdesaisircequ'ellepercevait.Sanssuccès.—Qu'est-cequinevapas?s'enquit-il.—Jenecomprendspascequejeressens.—Essaiedeledécrire.—C'estjustementleproblème.Jenesaispas.Ce...Cen'estpasunsentimentagréable.Uneespèce

d'angoisse,l'impressionquequelquechosedemaléfiqueesttoutprès.Tunelesenspas?—Non.—Oùsommes-nous?— La prochaine ville importante est Fayetteville. Si nous y arrivons, nous allons prendre un

itinérairedifférent.Sinousyarrivons.Elles'agrippaàsaceinturedesécurité.Cequi sepassaensuite fut rapidecomme l'éclair.Enarrivantdansunviragedépourvude toute

visibilité, un gros véhicule vrombissant se précipita vers eux. Dragos donna un violent coup devolant,maîtrisantlavoiture.C'estalorsqu'unsecondvéhiculeapparutdevanteuxsurladroite.

Dragostentadel'éviter.Lespneushurlèrenttandisquelavoiturepartaitenvrille.Touttournoya.Puislevéhiculequifonçaitsureuxfutsurlepointdepercuterlecôtéconducteur.Ilsejetasurelle,larecouvrantdesontorsepuissant.

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7C'est la douleur qui la réveilla. Son corps était tordu selon un angle douloureux. Elle était

enveloppéedemétaletcoincéesousunechargelourde.Ellegrogna.— Chut, murmura Dragos. Ça va aller. Ça va aller. Elle essaya d'inspirer profondément. Sans

succès.—Jenepeuxpasrespirer,gémit-elle.Jenepeuxplusbougerlesjambes.—Onaeuunaccidentdevoiture,Pia.Tuescoincée,maisjevaistedégager.Pourl'instant,ilfaut

quetum'écoutes.Nebougepas.Est-cequetupeuxnepasbouger,justeunpetitmoment?Savoixseglissaenelleetbalayalapanique.Ill'ensorcelaitpourlacalmer.Undecesjours,elle

lui dirait deux mots sur cette façon qu'il avait de s'introduire dans sa tête. Mais ça n'était pas lemoment.Elleacquiesça.

—C'est bien, c'est bien, fit-il d'une voix lénifiante. Le poids sur sa poitrine se retira. Lemétalgeignit.

C'étaitunbruithorrible.Unedouleursaisitsesjambesetsondos.Ellepoussauncri,ettoutdevintnoir.

Dragos poussa une série de jurons comme Pia s'évanouissait de nouveau. Le choc avait ététellement violent que la voiture n'était plus qu'un amas de métal tordu. Aucune créature n'auraitnormalement pu survivre à un accident pareil. S'il n'avait pas été ce qu'il était et n'avait passuffisammentrécupéréaprèsl'empoisonnementdesElfes,s'ilnes'étaitpasjetésurPiaetn'avaitpaslittéralementrepoussélechocdel'accidentavecsaForceafindelesprotégertouslesdeux,elleauraitétébroyée.

Desombresentouraientlacarcassedelavoiture.Ildéchiral'airbagquis'étaitdéployé,puisdéfitlaceinturedesécuritédePia.Illançaunregardhargneuxauxcréaturesquis'approchaient.Ildénudasescrocs et gronda un avertissement, et les silhouettes s'arrêtèrent. Par-dessus l'odeur de caoutchoucbrûléetd'essence,lapuanteurdesorquesfitfrémirsesnarines.Lescréaturesimmondesnetardèrentpas à reprendre leurprogressionvers levéhicule, leurs traits grossiers commençant à sedétacherdanslapâlelueurdel'aube.

Ilspensaientqu'ilétaitbloqué.Etilsavaientmalheureusementraison.Ilavaitétéblesséluiaussi,maisriendetrèsgrave,coupures,contusions.Seul,ilseseraitextirpé

duvéhicule endeux temps troismouvements et aurait réglé leur compte auxmisérables créatures.Mais s'il le faisait, il risquait de causer de terribles blessures à Pia, la tuer même. Il lui faudraitprendredegrandesprécautionspourl'extrairedel'épave.Elleétaittellementfragile.

Les orques s'enhardirent.C'étaient des êtres difformes à la peau grise, d'une grande brutalité etdotésd'uneforcesurhumaine.ParmilesAnciens,ilsfaisaientpartiedesrarescréaturesquin'étaientpascapablesdeprendreuneformeuntantsoitpeuattrayantepourleurpermettredecohabiteravecleshumains.Aussi, ilspassaientl'essentieldeleurtempsdanslesAutresContréesoùlamagieétaitpluspuissante, leshumainsextrêmement raresetoùcertaines technologies, tellesque lesappareils

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électriquesetlesarmesmodernes,nefonctionnaientpas.Ildéployasessensetdécouvritunpassagepeuéloignéquimenaitàlapoched'uneAutreContrée.

Quellesurprise,tiens.IlseconcentradenouveausurPia.Ilétaittorduauniveaudelatailleetlarecouvraitdesontorse.

LesiègedePias'étaitcasséetelleétaitpartiellementétenduesurcequiavaitétélabanquettearrière,tandisquel'avantdelavoitures'étaiteffondrésursesjambes.

Il réussit à dégager son bras gauche et passa unemain derrière lui afin de saisir lamanette decommandequiétaitpresséecontresonreingauche.Prenantappuiavecsonbrasdroit,ilpoussa.

Doucement.Lemétalgrognaetlamanettesedéplaçadequelquescentimètres.Ilneperçutpasderisqued'affaissement supplémentaire.Bon. Il fit lesmêmesgestes avec lemétal froissé du toit quipesaitsursondosetgagnaunpetitpeuplusdeplacepourmanœuvrer.

Lesorquessemirentàs'interpellerdansleurlanguegutturale.L'und'euxintroduisituneépéeavecdesdentsdescieàtraversletroudanslafenêtreensouriantdemanièreignoble.

Dragossaisitl'armeetlançasonautrebrashorsdutrou.Ilattrapalemonstreàlagorgeetserradetoutessesforcespendantquelacréatures'étouffaitettressautait.Illalâcha.L'orques'écroula,battantl'airdesesgriffes,avantd'expirer.Lesautresleregardèrentagonisersansesquisserlemoindregestepourluivenirenaide.

Charmant,vraiment.Neprêtantpasattentionàsesdoigtsensang,iltiral'épéedanslavoiture.Lesautresorquesgrondèrent,maisrestèrenthorsdeportée.

Ilcalal'épéeprèsdesamainetsepenchasurPiasansprêterattentionaumouvementsoudainetbrusqueduvéhicule.Lesorquessoulevèrentlavoitureetladéposèrentsurleplateaud'uncamion.

Aumoins,songeaDragos,ellerespiraitmieux.Sonvisageétaitcouvertdebleusetdecoupures.Lachemisequ'elleavaitportéeenguisedevesteétaitdéchiréeethumidedesangparendroits.Souslapeaufinedesatempe,ilpouvaitvoirunentrelacsdefinesveinesbleues.

Lecamionsemitenrouteettraversalacampagne.Desorquescouvertsd'armurescouraientàcôtéetderrièrelevéhicule,lesencerclant.Ilssedirigèrentverslepassagequimenaitàl'AutreContrée.

DragosbalayalecorpsdePiaavecsaForceenaccordantuneattentionparticulièreàsacolonnevertébraleetàsesjambes.Ilpoussaunsoupirdesoulagementenconstatantqu'ellesétaientindemnes.Il vérifia ensuite où elle saignait. Il trouva unmorceau demétal planté dans sonmollet droit. Pasétonnantqu'ellesesoitévanouie.Ilbaissalatêteetseservitdesesépaulespourpoussercontreletoitenaccordéondelavoiture,gagnantquelquescentimètresdeplus.

IlexaminalamanièredontlesjambesdePiaétaientcoincées,jusqu'àcequ'ilaittrouvélemoyend'élargir la zone sans la blesser davantage. Il agrippa les deux endroits les plus appropriés et lesécarta. Le métal protesta, mais céda jusqu'à ce qu'il ait pu libérer ses jambes. Le sang jaillit aumomentoùlemorceaudemétaltordusortitdesonmollet.Ilplaquasamainsurlaplaie.

IlenvoyauneimpulsiontrèsdoucedeForcepourfermerlablessureetendiguerlessaignements.Ilfitplanerl'impulsionau-dessusducorpsdelajeunefemme,refermantd'autrespetitesplaies.Elleauraitmaletnesesentiraitpasbienenseréveillant,maisellevivrait.C'étaittoutcequiimportait.

Ilseredressaautantquepossibleetplaçaunepaumesouslementondelablessée.—Pia,dit-ild'unevoixdouce.Lemomentestvenudeteréveiller.Jeveuxquetuouvreslesyeux.Ellerepoussasesdoigts.

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—Tupeuxparlermoinsfort?marmonna-t-elle.—Pia,regarde-moi.—Jeveuxdormir,rétorqua-t-elled'untonirrité.Pourquoifallait-ilquecettevoixsoitaussimélodieuse?—Jesais,maistunelepeuxpas.Allez,uneffort,monchou.Elle soupira,mais leva lesyeuxvers lui. Il lui souriait, sonexpressiongraveéclairéeparautre

chose.Chezquelqu'und'autre,elleauraitditquec'étaitdusoulagement.Ils'appuyasuruncoudeensepenchantau-dessusd'elle.Toutuncôtédesonvisagen'étaitplusqu'unhématomevioletfoncé.

Ellenecomprenaitpascequiavaitpuluicauserunbleupareil,maisellenes'attardapassurcetteénigme et tenta de comprendre les autres bizarreries qui l'environnaient, tout cemétal tordu et cemouvement cahotantde la chosedans laquelle ils se trouvaient etqu'ellene reconnaissaitpas.Elleleva la tête pour regarder dehors et le regretta tout de suite.Desmonstres couraient à côté d'eux.L'angoisse qui l'avait saisie plus tôt la frappa de plein fouet. Le paysage luisait de magie quiaugmentaitenpuissance.

—Onnouskidnappe,expliqua-t-ilaveccalme.Accidentdevoiture.Tutesouviens?Jesuisàpeuprèssûrqu'ilsnoustransportentdansuneAutreContrée.(Illuicaressalescheveux.)Tuvasbien.Tuesblessée,maispasgrièvement.

Ellebaissalesyeuxsursoncorpsmeurtri.—MonDieu,jesaigne,balbutia-t-elle.Ellesemitàsefrotterlesbrasetlevisage.—Hé,hé!s'exclama-t-il,saisissantsesmains.Arrêtedepaniquer.J'aiditquetuallaisbien.—Stoppelesang.Ilnefautpasquejesaigne.Ellesedébattit.—Neparlepassifort.L'und'entreeuxcomprendpeut-êtrel'anglais.Merde,jeviensderefermer

tesplaies.Situnefaispasattention,ellesvontserouvrir.—Dragos,ilnefautpasquejesaigne,fit-elled'unevoixétouffée.Tucomprendscequejedis?Il

nefautpasquejesaigne!(Elleleregardaavecaffolement.)Est-cequetupeuxlebrûler?Illadévisagea,sonregarddoréimmuable.—Pia.Tuasétécoupéepartout.—Çan'apasd'importance,haleta-t-elle.Ilfautsedébarrasserdusang.Aprèsavoirjetéunregardmeurtrierauxorquesàl'extérieur,ilditentrelesdents:—Merde.Bon,nebougepas.Ellesefigea,repoussant lapanique.Sansperdredetemps, ildéchirasonpantalonau-dessusdes

genouxetarrachaletissuensanglanté.Ils'enservitpouressuyersesjambesetlapointedemétalquil'avaitblessée,puisilenfituneboule.Ellesetortillapourretirersachemise,maisl'espaceétaittrèsexigu.Ill'aida.Lemorceaudetissurejoignitensuiteceluiqu'iltenaitdéjàenbouledansunpoing.

Ilyeutunéclair,crééparunesalvedemagie.Lecamiontoussaetcala.Desorquesseprécipitèrentpourdétacherleplateausurlequelilssetrouvaient.Uss'interpellèrentlesunslesautresenglissantdeschaînesdessous.Unedizained'entreeuxlesaisirentetsemirentàletraîner.

—Onestpassésdel'autrecôté,notaDragos.Elle n'avait jamais été dans uneAutreContrée. Samère refusait de l'y emmener, soutenant que

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pournepasêtredécouvertes,leurplusgrandechanceétaitdevivreparmileshumains.Malgrélagravitédelasituation,lepaysagelastupéfiaetl'émerveilla.Demajestueuxarbrescentenairesdrapésdelierrelesdominaient.Lasymétriequicaractérisaitle

paysagerechargeaitsonespritfatigué.Ellesuivitdesyeuxletroncd'unarbrequiévoquaitunetresseépaissejusqu'àcequelesbranches,trèshaut,sedéploientaveclagrâcedelavoûted'unecathédrale.Tout semblait vénérable et ancien et baignait dans la magie, tout était plus riche, plus vert, et lalumièrematinaleplusdoréeetpluschatoyante.

Ladouleurlaforçaàserallonger.—C'estbeau,murmura-t-elle.—Jepensequeçaneserapaslamêmechoseoùilsnousconduisent.Ils regardèrent tous les deux le tee-shirt à manches courtes jaune citron qu'elle portait sous la

chemise.L'épauledroiteétaitrouge,trempéedesang,ainsiqu'unezoneauniveauduventre.—Arrache-le,ordonna-t-elle.Ellerepoussaunsentimentdevulnérabilité.Elleespéraitquesonsoutien-gorgeétaitimpeccable.Iltournasonregard,quisefitlaveenfusion,verslesorquesquilesencerclaient.—Certainementpas,lança-t-ilavechargne.Ellejetauncoupd'œilsousletee-shirtetsoupiradesoulagement.Iln'yavaitpasdesangsurson

soutien-gorge.Ilarrachaseulementlesmorceauxdutee-shirtsouillés,ôtasaproprechemisequiétaitconstellée

detachesdesang,etfitunpaquetdesvêtementsqu'illevaàhauteurdelafenêtredémolie.Sesyeuxs’étrécirent.Lalavequifusionnaitaufonddesesirisrougit.Letissus'enflamma.

—Merci,souffla-t-elle.—Nousparleronsdetoutçaquandonserarentrés,jetelepromets.Elleselovacontresapoitrine,lesyeuxrivéssurlabouledefeuqu'iltenaitdanssonpoing.Elle

sentitlachaleursursapeau,maisilnefutpasaffectéparlesflammes.Il jetauncoupd'œildehors,puis il lança lemorceaude tissuen flammesavecsuffisammentde

forcepourqu'ilfrappeunorqueenpleinetête.—D'unepierre,deuxcoups.L'orquesemità tournersur lui-mêmeavecaffolementenfrappantsonvisageenflammeseten

hurlant.Lefeunes'éteignitpas.NourriparsaForce,lamagiedel'AutreContréeetlesangdePia,ilsepropageaàl'armuredecuir.Elledétournalesyeuxdel'horriblespectacle,sebouchalesoreillesetenfouit sonvisagedans sapoitrine. Il enveloppasa têtede samainet regarda l'orque s'écrouleretmourir.

Lavengeanceétaitl'unedesestrèsbonnesamies,etilsavaientencorefortàfairetouslesdeux.Ilrestaitunevingtained'orques,etilsfurentbientôtrejointsparunedizained'autres.Lesnouveaux

venusprirentlaplacedeceuxquitraînaientleplateauducamion.AprèsqueDragoseutredressécommeillepouvaitlavoituredisloquéeàdifférentsendroits,ils

eurentunpeuplusdeplace.Ilseconcentraalorssurcequisepassaitdehors.Elle l'avait observé bouche bée pendant qu'il tordait les morceaux de métal. Il avait une force

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absolument hallucinante. Elle tâtonna autour de ses pieds à la recherche du contenu de son sac ettrouvaunebouteilled'eauquin'avaitpasétépercéedansl'accident.Ilsenpartagèrentlamoitié,puisellemitlerestedecôté.

EllesavaitavecunecertitudeabsoluequeDragosluiavaitsauvélaviedemultiplesmanières.Elleétaitheureusequ'ilaitpustopperl'hémorragieenrefermantsesplaies.Illuiavaitditquec'étaituneformedecautérisation,saufqu'ilétaitenmesured'atténuerladouleur.Heureusement,carelleavaitmalpartout.

Elle regarda le paysage défiler avec émerveillement. Il rappelait la planète Terre tout en s'endistinguant. Elle était fascinée par la douceur de la ligne des vallons, les feuillages d'un bleu-verttendre,lesgicléesétincelantesqueprovoquaientlesrayonsdusoleilenfrappantlesveinesdecristalquicouraientdans les rochesdegranit.Cedécor recelaitunevérité tellementprofondeetpalpablequ'elleauraitjurépouvoirpresqueyplongerlesmains.Unvastepandesonâmelongtempsrefoulésedéploya,exprimantsonbesoindesedésaltéreràcettesource.

Était-celamagiedel'AutreContréequil'appelait?Était-cel'anciennesauvageriedelaforêtquiluirappelait l'essencemêmedesonêtre, lacréaturesauvagequivivaitenfermée,emprisonnéedans lacagetroppetitedesachaird'hybride?

Toutes lesémotionscontradictoiresetcomplexesqui l'habitaientétaientcomposéeselles-mêmesdedifférentesstrates.Lechocdel'accident,lapeurquilatenaitauventre,etl'appréhensiondecequiallaitsepassersemêlaientàl'excitationd'êtredansuneAutreContrée.

EtDragosoccupaitlecentredetoutcela.Ilétaitsonpointd'amarre.Leteintbronzedesapeausemblaitplusintense,sachevelurenoireplusbrillanteetl'ordesesyeux

plusscintillantqu'auparavant.Elleétudiasonvisagefarouchetandisqu'ilobservaitcequisepassaitdehors.Ilavaitunregardcalculateuretilpressaitcontreluil'épéesoustraiteàl'orque.

Elle évalua leurs chances. D'un côté, environ trente ou quarante orques armés. De l'autre, undragonvraimentfurieux.Ellerepensaàsaforceherculéennelorsqu'ilavaittordulemétal.Ellen'étaitpeut-êtrepastrèsobjective,maisselonellecesorquesétaientcuits.

L'inconnuedel'équationétaitlamanièredontilcomptaitles«cuire»,àquellesauce,etsurtoutlemomentoùilpourraitlefaire.

—Leproblème,c'estmoi,dit-elleàvoixbasse.—Qu'est-cequeturacontes?fit-ildoucement.—ExactementcommelorsquelesElfest'ontencerclé.Tunelesaspascombattusparcequej'étais

là.Jesuissûrequetuauraisputedégagerdelavoiturebienavantquenoussoyonspassésdel'autrecôté.

—Cetypedespéculationsestinutile,répliqua-t-ilenfronçantlessourcils.—Tuauraispusortirdelavoitureavantquelesorqueslamettentsurleplateauducamion,non?

insista-t-elle.Maistunel'aspasfait,àcausedemoi.Jetegêne,jesuisunfardeau.—Soyonsclairs,gronda-t-il.Jenesaispascequetues.Ajoutonscefaitàlalistedeplusenplus

longuedessujetsdontnousdevronsdiscuterquandnoussortironsd'ici.Maisunechoseestsûre:tun'espasunproblème.Disonsquetuesunfacteurtactique.

—Facteurtactique,répéta-t-elled'untonvaguementagacé.Qu'est-cequeçaveutdire?—Celaveut dire que tu jouesun rôle quant auxdécisionsque je dois prendre.Ondirait qu'on

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arriveàdestination.Elles'appuyasur lescoudesetregardadehors.Letrajetavaitduré longtemps.Ellenesavaitpas

exactementcombiende temps,carelleavaitentendudireque le tempsn'étaitpas lemêmedans lesAutresContrées.Lesoleilavaitdéclinéetonauraitpuêtreenfind'après-midiouendébutdesoirée,maiselleavaitlesentimentd'êtrerestéepiégéedanscethorribleespaceconfinépendantunejournéeentière.

Le paysage était devenu plus sauvage et plus rocailleux. Devant eux, adossée à une falaise, sedressaitunestructuresévèreenpierre...Uneforteresse?Wouah,ellen'avaitjamaisvudeforteresseauparavant.Deuxoutroisorquesprirentlesdevantsencourant.

Dragosposaunemainsursonépaule.—Écoute-moibien,murmura-t-il.Tuvasfairetoutcequejetedis,tum'entends?Cen'estpasle

momentdediscuteroudemedésobéir.Jesuisl'expertici.Compris?Elleopina.—Voilàcequetunevaspasfaire,pourcommencer,chuchota-t-ilenplongeantsonregarddansle

sien. Fais-toi remarquer lemoins possible. Ne leur donne pas une raison de croire que tu as unequelconqueimportance.Nelesregardepasdanslesyeux.C'estunsigned'agressionpourunorque.Neleuradressepaslaparole.Netedébatspas.Est-cequetucomprends?

—Jecrois,oui.Soncœurbattaitdenouveaulachamade.Aurythmeoùallaientleschosesdepuisunesemaine,le

stressluiavaitcoûtéaumoinsdixansdesavie.—Voilà ce qui va se passer, àmon avis.Us vont nous séparer. Il est possible que tu passes un

mauvaisquartd'heure.(Ilresserrasaprise.)Usnetetuerontpas.Usontvuquejem'occupaisdetoietilsvontdoncvouloirseservirdetoipourfairepressionsurmoi.Lesfemmeshumainesn'intéressentpasdutoutlesorques.Usneteviolerontpas.

Ellefutsaisiedetremblements,puisilscessèrentetelleretrouvasoncalme.—Çava,dit-elle.Çava.Jetesuisreconnaissantedem'avertir.—Voilàlafillequejeconnaisetquiaducran.Illâchasonépauleetluicaressalajoue.—Etvoilàuntoncondescendant,rétorqua-t-elle,refusantdes'avouerquesonidiotdecœurs'était

dilatéenentendantcesmots.—Oui,etalors?fit-ild'untonimpatient.Ellesoupira.—C'estencoreàcausedupenny,c'estça?—Oui, c'est encore à cause de ce foutu penny. Je crois qu'il a été utilisé pour jeter un sort de

pistage surmoi. Jeneperçoispas laprésenced'uneForce réelle ici,mais jepariequeceluiqui aorchestrécesévénementsestenroute.Etc'estunedesraisonspourlesquellesilestessentielque tun'attirespasl'attentionsurtoi.

—D'accord.—S'ilspensentcequej'espèrequ'ilspensent,ilsnesaventpasquej'auraispum'extirperdecette

voiture.Ilscroientcertainementquetoutcequej'essayaisdefaire,c'étaitdemelibérer.J'espèrequ'ilsm'ontbeletbiensous-estiméàcepoint.

Uneautrevagued'adrénalinelafrappa.Elleavaitlesnerfstellementàvifqu'elleplanaitpresque.

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—Jeviendraitechercher,conclut-il.Ilsralentirent.Elleneputserésoudreàregarderdehors.—Quandest-cequetucroisquetuaurastotalementéliminélepoisondetonsystème?Elles'étaitforcéeàénoncerlaquestion,lesmusclesdesagorgeétantnoués.—Unjour,peut-êtredeux.Lefaitquenoussoyonspassésde l'autrecôtéestunavantage,car la

contréebaignedanslamagie.Unjouroudeux.Pastrèslongtempsd'uncôté.D'unautre,uneéternité.Toutcelaétaitde sa faute.Elleavaitvolé lepenny, il l'avaitpourchasséeet c'était àcaused'elle

qu'ilavaitreçuuneflècheempoisonnée.Ilétaitrestédanslavoitureaccidentéeafindel'aider.L'émotionquil'envahitàcespenséesétaitindescriptible.—Jecroisquetuesmonhéros,fit-elle,neplaisantantqu'àmoitié.Illadévisagead'unairsidéré.—Laplupartdesgenspensentquejesuisunhommetrèsmaléfique.Elle le scruta pour essayer de voir si cela l'affectait particulièrement. Mais il ne semblait pas

troublé.Ilsemblaitsurtoutinterloqué.—Euh,dit-elleenfin,peut-êtrequetuesuntrèsbondragon.Ilss'arrêtèrent.Ellese fitaussipetitequepossible touten jetantuncoupd'œildehors.Unorque

émergead'uneporteenmétalnoir.Elleavaitdéjàvudesdessins représentantdesorques,mais lescroquisn'avaientpasréussiàrendreleurrobustesse.Enchairetenos,ilsétaientnonseulementd'unelaideur repoussante, mais extrêmement vigoureux. Leur langue était hachée, gutturale. Comme ilss'approchaient,elleserenditcomptedeleurpuanteurépouvantable.

L'orquequivenaitdesortir,toutefois,étaitdifférent,ildégageaitunecertaineautorité.Iltenaitdeschaînesnoiresdotéesdefers.Ils'approchad'eux,maiss'arrêtaàunedistanceprudente.Ilempestaitluiaussi.

Ilsétaientréellementrépugnantsetelleétaitcenséeleslaisserposerlesmainssurelle?Unfrissonde dégoût la parcourut. Sans que les orques puissent voir le geste,Dragos posa unemain sur songenou.Ellelarecouvritdelasienne.

—Unpeudecran,murmura-t-elle.Nefaispaslamauviette.La main de Dragos se crispa et ses épaules tremblèrent. Elle espérait qu'elle le ferait rire de

nouveauunjour.L'orquequis'étaitapprochés'adressaàeux.Tac,tac,tac.Dragosluiréponditdanslamêmelangue

affreuse.Tac,tac,tac.Ilsdiscutèrentunmoment.Puis l'orque jeta les fersà leurspieds.Dragos s'en saisit et les tiraà

l'intérieurdelavoiture.L'angoisse qu'elle ressentait était désormais tellement forte qu'elle en avait mal au cœur. Les

chaînesn'aidaientpas:ilémanaitd'ellesunehorriblemagie.Dragossepenchaetrefermal'undesferssurunedeseschevilles.—Arrête,qu'est-cequetufais?Nemetspascestrucs!siffla-t-elle.

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—Tais-toi,lacoupa-t-il.Etilrefermaunautrefersurl'autrecheville.Ellelesaisitparlebras.—Dragos,ilyauneespècedemagielà-dedans!Ilseretournavivementverselleetgronda.Sesyeuxlançaientdeséclairs.Ellesursautaetrecula.Ilfixalesautresfersàsespoignetsetlesmontraàl'orque.Cedernierfitunsignedetête,puiscria

quelquechoseàsescongénèresquiseprécipitèrentversl'épavedelavoiture.Quandilssemirentàarracherlesportièresdisloquées,elleserecroquevillaetfermalesyeux.

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8Cequisuivitfuttrèsmoche.Ilslatirèrentdel’épaveenpremier.Ellegardalesyeuxrivéssurlesol,maisl'undesorqueslui

donnauncoupdepoingdans leventre.Quandelle resta étendue, recroquevillée sur elle-mêmeenessayantde reprendresonsouffle, ils luidonnèrentdescoupsdepiedouplutôtdescoupsde leursbottesauxboutsrenforcés,impitoyablement,toutenriantauxéclatsetennarguantDragos.

Elle aperçut celui-ci, debout entre deux orques aussi gigantesques que lui, son visage dur etfaroucheabsolumentimpénétrable,sesyeuxd'ordénuésd'émotion.

Uneéternitéplustard,plusieursorques,épéesaupoing,firententrerDragosdanslaforteresse.Unautre la saisit par les cheveux et leur emboîta le pas. L'arrière-garde était constituée d'un dernierorquequicontinuaàluidonnerdescoupsdepied,maissansgrandeconviction.

LepremiergroupeemmenaDragosdansunegeôle.Sesorquesàellepassèrentdevantlacelluleet,lorsquelecorridorsescindaendeux,prirentàdroite.Unefoisqu'ilsnefurentplusdanslalignedemiredeDragos,leursmanièresdevinrentneutresetdésintéressées.

Ilslatraînèrentdansuneautrecellule,puislajetèrentsuruntasdepaillemoisie.L'undesorquesditquelquechose.Tac,tac.L'autrerit. Ilssortirentetelleentendit legrincement

d'uneclef,puislesbruitss'estompèrent.Ellerestaétenduesurlapaillerépugnantependantunlongmoment.Puisellerampasurquelques

mètresavantdes'écroulersurlesdallesfroidesetsales.Quandelleretrouvavaguementsesesprits,lapremièrechosequ'ellevitfutunscarabéebleu-noirquisedéplaçaitsurlesol.

Ellelesuivitduregard.Lecoléoptèretombadansunefissureetseretrouvabloqué.Ellesetraînajusqu'à lui et l'observa. Il réussit à se retourner, si bien que sa petite tête émergea. Ses antennesfrémirentetsespattesavants'agitèrent,maisiln'arrivaitpasàtrouversuffisammentdeprisepoursedégager.

Elle tendit lamainà la recherched'unpeudepaille.Elleen saisitunepoignéeet introduisit lesbrinsdanslafissure,puisellelessouleva.Lescarabée,agrippé,sortitetrepritsaroute.

Quandileutdisparudesavue,ellesoupiraetroulasurledos.Soncerveauseremitenmarche.Faisunechoseàlafois.Étapeparétape.Ellerampajusqu'aumur.Premièreétape.Elleramenaunpied,puisl'autre.Deuxièmeétape.Ellerelevalatête.Quandellefutsûred'avoirretrouvél'équilibre,elleouvritlaportequiavaitété

verrouilléeetsortit.Ledragonétaitétendu,brasetjambesécartés,oùilsl'avaientattaché.Ilétaitimmobilisépardeux

sériesdechaînes;cellesaveclesfersnoirsimprégnésdemagie,auxquelless'ajoutaientdeschaînesfixées au sol sur quatre points. Il contemplait le plafond, ses pensées vagabondant. Il tirait sur seschaînesàintervallesréguliers,nesesouciantpasdeseschevillesnidesespoignetsensanglantés.Ilsentaitunefaiblessepoindredanslachaînequiluitenaitlebrasgaucheetseconcentraitdessus.

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Laportede lacellules'ouvrit. Il tourna la tête, lecheminementsinueuxdesespenséesdevenantmeurtrier.

UnePiameurtrieetcrasseuseeutunmouvementderetrait,etDragosretrouvasesesprits.Ill'observafaireleguetàlaporteentrouvertependantunmoment,puisellelarefermaetsetourna

verslui.Enlevoyant,sesépauless'affaissèrent.—Oh,quandmême!s'exclama-t-elleen levant lesyeuxauciel.Deux jeuxdefers?Jesuppose

qu'ilvanousfalloirdeuxjeuxdeclefs.C'estlebouquet,tiens.—Viensici,ordonna-t-il.Elletraversalacelluleenboitantets'écroulaàgenouxàcôtédelui.—Ilst'ontbattu,toiaussi.Elleeffleurasescôtesd'unemainlégère.Dragossemitàtrembler.Ilavaitétéfaciledeluiparleravantquelesorquesnelesemmènent.Il

luiavaitexpliquéavecsaduretéhabituelleetsalogiqueimplacablecequiallaitsepasser.Elleavaitsembléprendreleschosesaussibienquepossible.

Puisunorqueluiavaitdonnéuncoupdepoingdansleventreetilavaitperdularaison.Chaquecoupqu'elleavaitreçuluiavaitfaitl'effetd'unacidedanslesveines.Ilavaitvouluhurlerderage.Ledragonenluiavaitvoululeurarracherlecœur.

IlavaitréussiàsedominerdejustesseenprenantconsciencequelesortdePiaseraitpireencores'ilréagissait,puisquelefaireréagirétaitlebutrecherchéparlesmonstres.

Usluiavaientfaitmal.Usluiavaientfaitmaletilavaiteumalàl'intérieurdelui,quelquepartoùiln'avait jamaiseumalauparavant. Il avait souffertphysiquementdenombreuses fois.Celan'avaitjamaiseud'importance.Maiscettesouffrancenouvellelechoquait.

Il l'étudiaavecavidité.Lasaletéavait terni la lumièredesescheveux.Sontee-shirten lambeauxétait devenu gris, et le pantalon corsaire avait perdu sa couleur. Sa peau pâle était couverted'hématomesviolacés.

—Viensici,murmura-t-il.Elle se pencha et posa sa joue contre la sienne. Il tourna la tête vers elle et ses longs cheveux

tombèrentsurlui.Ellechuchotaitàsonoreilletoutenluicaressantlajoue.Ilseconcentrasurlesmots:— Je suis désolée. Tout est dema faute. Je ne sais pas comment exprimer à quel point je suis

navrée.—Quoi?fit-il.Qu'est-cequetudis?Arrêtedeparlerainsi.Il effleura sa peau de ses lèvres, respirant sa présence. Sous la saleté, il retrouva son parfum

délicat.Etquelquechosedanssonâmeflétriesedéployadenouveau.—Jet'aimontrélesdentsetj'aigrondé.Jenelevoulaispas.Ellecaressasescheveuxetl'embrassasurlajoue.—Nesoispasridicule.—Tuaseuunmouvementderecul.N'aieplusjamaisdemouvementdereculainsi.

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—Dragos,dit-ellecommesielles'adressaitàunenfant.Situmemontreslesdentsengrondantcommeunanimalsauvagealorsquejenem'yattendspas,ilyadeschancesquej'aiedenouveauunmouvementderecul.

—Jenelereferaipas,murmura-t-il.Ilseconcentrasursesdoigtsquiparcouraientsonvisage,légerscommeuneplume.Ellepoussa

unsoupir.—Les trucs verrouillés ne peuvent pasm'emprisonner,mais cela ne veut pas dire que je peux

ouvrir ces fichus fers. Comment vais-je pouvoir me procurer deux trousseaux de clefs avec desorquesquitraînentpartout?

—Tunevaspasenavoirbesoin.Ellelevalatêteetleregardad'unaircourroucé.—Qu'est-cequ'onvafairealors?demanda-t-elle.Onnevapasattendrel'arrivéeduroidesFaes

noires,duJokeroudejenesaisqui,nomd'unepipe!—Voici ce qui se passe, reprit-il. J'ai un sens de l'ouïe extrêmement développé.La plupart des

orques sont allés manger leur repas du soir. Il reste quelques gardes postés à des endroitsstratégiques.J'entendsoùilssont.

—C'estpratique,ça,fit-elleremarqueravecsoulagement.—Et voici ce que nous allons faire. Tu te souviens que le corridor bifurque et qu'ils t'ont fait

prendresurladroite,n'est-cepas?Elleopina.—Si tucontinues toutdroitau lieudebifurqueràdroite, tu trouverasuneespècedesallequ'ils

utilisenttoutletemps.Jecroisquec'estlasalledesgardes.Ilyavaitdesbruitsdemétal,descliquetis,c'estdoncunlieuoùilsseréunissent.Iln'yapersonnemaintenant.Jeveuxquetuaillesychercherdes clefs susceptibles d'ouvrir ces chaînes, ou au moins un morceau de métal fin et pointu quipourraitservirdecrochetpour lesouvrir.Si tune trouvesni l'unni l'autre,essaiededénicherunehache.Faisvite.

—Dragos,intervint-elleenleregardantd'unairdubitatif.Jenesaispascrocheteruneserrure.Jen'aijamaiseubesoind'apprendre,pourlesraisonsévidentesquetuconnais.

—Tun'auraspasbesoindelefaire.Il avait appris à crocheter serrures et verrous dès qu'ils avaient été inventés. Les gens aimaient

mettre sous clef toutes sortes de jolis objets qu'il voulait souvent. Il fit s'entrechoquer les fers quienserraientsonpoignetgauche.

—L'undesmaillonsdecettechaînemontredessignesdefaiblesse,jevaislerompre.Elleregardasonbrasetsonfrontseplissa.—Tonpoignetestsalementamoché,dit-elled'untonsoucieux.—Oh,nefaisdoncpastantdechichis.Allez,tuferaisbiendetedépêcher.Onnesaitpascombien

detempsona.Unéchode ladouleur etde la ragequ'il avait ressentiesplus tôt semanifestaquand il lavit se

remettre debout avecpeine. Il avait photographié dans sa tête les orques qui l'avaientmaltraitée. Ilallaityavoirbeaucoupdecadavresquandilenauraitfiniaveccelieu.

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Pourl'heure,ilconcentratoutesonattentionsurlachaînequiprésentaitdessignesdefaiblesseettiraviolemment.

Pia ressortit dans le corridor, rassurée de ne pas courir le danger imminent de tomber sur unorque.Elletrouvasansproblèmelapiècedontilavaitparlé,vuquelaporteétaitouverte.Ellejetauncoupd'œilàl'intérieureteutunmouvementderecul.

—Beurk,marmonna-t-elle. Immondescréatures.Elle sursautaenentendantDragosmurmureràsonoreille:

—Çava?—Ahoui,c'estvrai,tupeuxm'entendre,dit-elle.Oui,çava.C'estjustequ'ilyadesreliefsmoisis

denourrituresurlatableetqueçaempeste.Ilssontrépugnants.—Ilsn'ontpasbongoûtnonplus,ajouta-t-il.—Tuasmangédesorques!s'exclama-t-elle.

—Non.J'enaimordu.Savoixétaitunpeucrispée.Ellesemorditlalèvre.Elleespéraitqu'iln'abîmaitpastropsonbras.Concentre-toi,Pia.Concentre-toi.Ellesesecouaetinspectalapièceaussivitequepossible.Est-ce

quec'étaitdel'urine,làdanslecoin?Pouah!Elleessayalepluspossibled'éviterdetoucherquoiquecesoit.

Ellefutdéçuedenepastrouverdeclefs,maiselledénichauncouteauàcrand'arrêtquitenaitdanssapocheetunedagueàlalameparticulièrementfineetpointue.

Elle attrapa lemanched'unehachede combat rangée surun râtelier.Elle était trop lourdepourelle,etelledutlatraînerjusqu'àlacellule.Lebruitdumétalraclantlesolducorridorl'inquiéta.C'esten sueur et percluse de douleurs qu'elle ouvrit enfin la porte de la cellule en la poussant avec lahanche.Elleravalaungrognemententirantlahacheàl'intérieur.

Dragosregardalahache,puislaregardatandisqu'elles'appuyaitcontrelechambranledelaporteen haletant. Il leva le bras gauche auquel pendait ce qui restait de la chaîne brisée. Ellemontra ladague.

Ilsourit.Quelafêtecommence.Aprèsluiavoir tendulalameeffilée,elles'adossaàuneparoietse laissaglisserà terreafinde

s'asseoir.Ilrecourbalapointedeladagueenlaglissantentredeuxdallesetentirantsurlapoignée.Ildutse

tordreauniveaudelatailleetfaireunréeleffortpouratteindreleferdelachaînefixéeausolquiretenaitsonpoignetdroit.

Elleadmiralaforceetlagrâcedesoncorpstandisqu'ils'activait.Pourtenirsaposition,ildevaitcrispersesextraordinairesabdominauxquiondulaientetsetendaienttandisqu'ilrespiraitcalmementparà-coups.Son jeanétaitaussicrasseuxque le sien,mais la fesseet la jambequ'ilgainaitétaientexquisesàregarder.

En fait, enchaîné ainsi au sol, il était vraiment sexy.Surtout si la scène avait pris placedansunchâteau.Sonchâteauàelle.Elleenverraitalorssesserviteurslebaigner,puisdescendraitletrouveretletitilleraitenl'enfourchantetensefrottantcontresontorsebrûlant...

Saufqu'il n'y avait pasde château.Ellen'avait pasde serviteurs.Pour couronner le tout, le lieu

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empestait.Oh,undétailencore:leursviesétaientendanger.— Je ne suis pas bien dansma tête,marmonna-t-elle. Il lui décocha un sourire par-dessus son

épaule.—Tum'expliquerascequetuveuxdirequandtudisça,ettrèsbientôt.Ellesentitlerougeluimonterauxjoues.—Çam'étonnerait.Il retira le fer, s'assit et s'étira,puis il seglissaenavantet s'attaquaaux fersquienserraient ses

chevilles.Elleseredressaetapplauditavecentrain.LesouriredeDragoss'élargit.Ileutbientôtlibéréseschevilles,puisilpassaunpeudetempsàcrocheterlaserrureduferfixéàsonbrasgaucheavantdelejeterdansuncoin.

Ilssepenchèrentensuitesurlesautreschaînesenmétalnoir imprégnéesdel'immondemagie.Ils'agissaitenfaitd'entravestoutesbêtes,l'unereliantsesbras,l'autreseschevilles.

—Jecroisqueçanevapasêtreaussisimpleaveccelles-ci.Ilavaitraison.Ileutbeauessayer,iln'arrivaitpasàveniràboutdesquatreserrures.—Jecroisquecesfersnes'ouvrirontpassanslaclefcorrespondante.Jepariequecelafaitpartie

deleurmagie.L'excitationdePiaretombacommeunsoufflé.—Qu'est-cequetucroisqu'ilsfont,àpartavoiruneapparenceimmonde?—IlsembleraitquecestrucsaientlesmêmeseffetsquelepoisondesElfes,àsavoirentraverma

forceetm'empêcherdemetransformer.Sinon,leschaînesquejeviensderetirern'auraientjamaispumeretenirprisonnier.

—Qu'est-cequ'onfaitalors?Elleeutungestededécouragement.Ellesentaitunefissureà l'intérieurd'ellequis'élargissaitet

danslaquelle,àl'instarduscarabéepiégé,elleallaittomber,saufqu'ellen'étaitpassûredepouvoirressortirdugouffre.

—Tu vas retourner dans ta cellule. (Il plaqua unemain sur sa bouche quand elle l'ouvrit pourprotester.)Tuaspromisdenepasargumenter.

—Vatefairefoutre.Tunemecommandespas,marmonna-t-ellecontresapaume.—Voyons si j'ai bien compris, fit-il, ses yeux d'or étincelant. Tu as promis de ne pas discuter

quandtuneveuxpasdiscuter,c'estça?Était-ilamusé?Encolère?Ellen'arrivaitpasàlesavoir.—Bienentendu,répliqua-t-elle.Ileutunpetitrirebref, lapritsouslesbraset lareleva.Il latint jusqu'àcequ'elleaitreprisson

équilibre.—Bien, chichiteuse.Tuvasdans la cellule et jevais refermer à clef laportederrière toi.C'est

l'endroit le plus sûr pour toi. Si pour une raisonouune autre, ils sont de retour avantmoi, ils nepenserontjamaisquetuessortie.Ilscroirontquec'estmoiquiaiefaittoutça,ajouta-t-ilenmontrantsacellule.

—Jeneveuxpasqu'onsesépare.

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—Tantpis.Jeparsàlachasseetjeneveuxpasquetuassistesaucarnage.Ilsoulevalahached'unemaincommesielleétaitaussilégèrequ'uneplumeetposal'autrecontre

le dos de Pia. En dépit de son ton quelque peu brutal, c'est avec délicatesse qu'il la guida dans lecorridor.Entrelesblessuresdelajeunefemmeetlesfersquil'entravaient,leurprogressionfutlente.

Ellerentraenfindanssacelluleetseretourna,s'absorbantdanslacontemplationdusol,leslèvrestremblantes.

—Ets'ilsreviennent?Unsilencepesants'installa.Puisilpassaseslongsdoigtssoussonmentonetlaforçagentimentàreleverlatête.Ellesemordit

leslèvresenplongeantsonregarddanslesienquiétaitdevenugrave.—Jenevaispastelaisserlongtemps.Jeseraideretourleplusvitepossible.

Unegrosse larmes'écrasa sur samain, et il la regardacommes'ilvenaitd'êtrebrûlé. Il jura inpetto.Puisilpenchalatêteeteffleurasabouchedelasienne.

—Jetejure,Pia,qu'ilsneteferontplusjamaisdemal.Ilfautquetumecroies.Ellehochalatêteetsedétournaavecbrusquerieens'essuyantlevisagedureversdelamain.—Pars.Illacontemplaencoreunmoment,puiss'éclipsa.Toute la vitalité qui l'avait entourée et soutenue s'effrita dès qu'il ne fut plus là. Elle balaya du

regard l'épouvantable cellule et se sentit tellement seule qu'elle aurait pu s'étendre par terre et selaissermourir.

Elles'assit,sefaisantaussipetitequepossible.Commentavait-ellefaitlorsqu'elleavaitréussiànepluspenseràrienquandlesorquess'étaientemparésd'elle?Ellen'avaitmêmepasessayé.Celaavaitdûêtreunmécanismededéfense,sedissocierainsi,maisellenesavaitpascomment retrouvercetétat.Elledut faireunénormeeffortdevolontépournepas succomberà lapaniqueet sortirde lacellule.

Elle se souvenait du trajet suivi, de chaque bifurcation. Elle savait qu'elle pourrait retrouver laporte donnant sur l'extérieur. Qui était sans le moindre doute gardée par une poignée de cesabominationsàfacedechauve-souris.Elleétouffaungrognementetserecroquevillaencoreunpeuplus.

Commentjemesuisretrouvéeici,déjà?C'estcommesij'avaisunelistedetoutesleschosesquejenedevraispasfaireetquej'avaiscochétoutcequiyétaitinscrit.

—Vis sans te faire remarquer, lui avait dit sa mère. Laisse tout derrière toi sur-le-champ. Net'attachepastropauxgens.Etnedévoileriensurtavéritablenatureàquiconque.

Uneclefs'introduisitdanslaserrure.Soncorpsprotestaquandelleselevapéniblementetseplaquacontrelemur.Ellesortitlecouteau

àcrand'arrêtdesapocheetfitjaillirlalame.Elleladissimulalelongdesacuisse,lesyeuxrivéssurlaportequis'ouvrait,labouchesèche.

Dragos se glissa dans la cellule, son corps immense se déplaçant avec une grâce fluide et unedémarchedevelours. Il avaitun sacdecuir à l'épaule.Les fers enmétalnoir avaientdisparu.Descourroies de cuir étaient croisées sur sa poitrine à la manière d'un harnais. La hache et ce qui

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ressemblaitàuneépéeétaientfixéssursondos.Descouteauxfichésdansdesgainesornaientsesbraset le fourreau d'une épée courte était glissé à sa ceinture et attaché à sa cuisse. Ses traits ciselésaffichaientungrandcalme.Nomd'unpetitbonhomme,àcôtédelui,ConanleBarbarefaisaitfiguredefemmelette!

Le soulagement la fit presque tomber à genoux. Elle vit des étoiles danser devant ses yeux.Instantanément,ilfutdevantelle,lesbrassursesépaules.

—Ondiraitquetuessurlepointdetomberdanslespommes.—Euh,jenesavaispasquec'étaittoi,imagine-toi.Ellemontra le couteau qu'elle avait dissimulé contre sa cuisse. Son visage grave s'éclaira d'un

sourire.—Surprisenuméro104etdespoussières.Ellepoussa la lamecontre sacuisseet elle se refermad'uncoup sec,puis elle remit le couteau

danssapoche.—Tusaisteservirdeça?demanda-t-il.—Suffisamment.Jenesaispasvraimentmebattre,cependant.—Non,tuesd'unenaturetroptendrepourça,dit-ilenluicaressantlescheveuxetenl'attirantvers

luiavecdouceur.Elles'appuyacontrelui,retrouvantunsemblantd'équilibremental.LachaleurducorpsdeDragos

laréchauffainstantanément.Ellemitlesbrasautourdesatailleetleserrafort.Elleinspiraprofondémentjusqu'àcequesonvertigepassecomplètement.—Donne-moijustel'occasiondecreverl'undecescafardssurdeuxjambesetnet'enfaispas,je

répondraiàl'appel.Ill’étreignitfugacement,puisrecula.—Ilfaudrad'abordqu'ilsefrotteàmoi.—Tuasétéplusrapidequejenel'espérais.(Elleexaminasonnouvelarsenal.)Ondiraitquela

chasseaétébonne.— J'ai trouvé la clef des fers,mais je n'ai pas trouvé le capitaine des orques.En revanche, j'ai

trouvésesquartiers.Lesalaudavaitunbutinincroyable.Etiln'enutilisaitpaslamoitié.Ilserapprochadelaporte,prêtal'oreille,puisl'ouvrit.—Ilfautqu'onsedépêche.J'entendsdavantagedeva-et-vient.Ilsontdûfinirdedîner.Ilouvritlamarcheet,cettefois-ci,marchabeaucoupplusrapidement.Elles'efforçadesuivrele

rythmemaisfutlégèrementdistancée.Ilralentitenarrivantauderniercoudequefaisaitlecorridoretquimenaitàlasortie.Ils'avançaavecprécaution,puissaisitlahacheetdégainal'épéecourteenungestefluide.

Le souffle lui manqua en voyant la vivacité et l'efficacité de ses gestes. Il était un guerriermagnifique,splendideet terrifiant.Ajoutezàcelasapuissancemagiqueet ildevenaitàluiseulunearmée.

Elleserapprochaunpeu toutenveillantà laissersuffisammentdeplaceentreeux. Il lui jetauncoupd'œilalorsqu'elles'appuyaitcontrelemur,etfitunsignedetêtepourluiindiquerqu'ellefaisait

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bien.Ilpointal'épéeverselleetarticulaensilence:

—Nebougepas.Elleacquiesça.Ellen'avaitaucuneenviedeluidésobéir,pourlecoup.Ils'avançaetse torditenpositionnantsonpieddefaçonàpouvoir tourner lecoinen lançantsa

hachecommeunFrisbee.Puis,continuantsursalancée,iljetal'épéedetoutessesforcesavecautantdefacilitéques'ils'étaitagid'unedague.Sanss'arrêter,ildégainalalongueépéeetl'undescouteaux,puissejetaenavantetdisparutdelavuedePia.

Ellecroisalesbras,tressaillantenentendantlesbruitsducombat.Enfin,«combat»étaitungrandmot,car l'échauffouréeduraquelquessecondesseulement.Puis

Dragosréapparutetluifitsigned'avancer.—Aucundecesandouillesn'avaitdeclef,dit-il.C'estàtontourd'interveniretdefairetontruc.

C'estpasbeau,l'avertit-il.—Jem'endoute.Elletournalecoin.Ellenecompritd'abordpascequ'ellevoyait.Puisellesouhaitanepasl'avoir

compris.Ilyavaitquatreorquesmortsauboutducorridor.Entoutcas,ellecomptaquatretêtesquin'étaient pas toutes attachées à leurs corps.Et les corpsn'avaient pas tous leursmembres.Du sangnoiravaitgiclésurlesmursdepierreetlesolétaitconstellédeflaquesdesang.

Elleeutunhaut-le-cœur,sonestomacvidesetordit.Dragoss'approcha.—Situessurlepointdevomir,faisvite,luidit-iltranquillement.Il arracha la hache plantée dans l'un des cadavres. L'arme l'avait quasiment fendu en deux et il

l'essuyasurlepantalondel'orque.Ilramassaensuitelesautresarmesprestement,nettoyantleslamesaufuretàmesureetlesrangeantdansleursfourreaux.

Elleseconcentrasur lamassiveporteenmétal.Elleévita lesflaquesdesang,maisduts'arrêterdevantuneflaqueparticulièrementlarge.Onauraitditquedel'huiles'étaitrépandueentredeuxcorpsgisantàterre.Siellen'avaitpasétéblessée,elleauraitsautél'obstaclesansproblème.SondilemmefutrésoluquandDragoslapritparlescoudesetlaportadoucementdel'autrecôté.

Laporteavaitétébarricadée,mais ilavaitdéjàdéplacé l'épaissepoutredebois.Elleagrippaungroslevierdesdeuxmainsetletiraverslebas.Lalourdeportes'ouvritsilencieusement.

Ilssortirentalorsquelanuittombait.L'airsemblaitparfumé,aprèslapuanteurdelaforteressedesorques. Le plateau du camion avec la Honda dessus était aumême endroit. Elle secoua la tête envoyantl'amasdeferraille.Qu'elleaitsurvécuàl'accidentrelevaitdumiracle.

—Maintenant,ilfautseremuerletrain,fitDragos.Elleregardaautourd'elle.Lepaysageétaitétranger,sauvage,ettoutàcoup,ellesesentitbasculer

dansungouffre.—Çayest,dit-elled'unevoixàpeineaudible.J'abandonne.Iltournavivementlatête.—Quoi?—J'aiditquej'abandonne.(Ellechancelaetclignadesyeux.)Je...Jen'aipasbienmangénibien

dormidepuisplusd'unesemaine.Etilyaeul'accident,lesorques.Jesuisvidée.Jen'aiplusdeforces.

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Ilvafalloirquetupartessansmoi.—Tuesunefemmestupide,marmonna-t-il,puislemondebasculaalorsqu'illasoulevaitdansses

bras.Jenesuispasvidé.Laserrantfortcontrelui,ilsemitàcourir.Ellecoinçalatêtesoussonmentonetglissadansuneespècedesemi-inconscience.Ellenedevait

pas se rappeler grand-chose de cette course ensuite. Elle se souvint qu'elle avait duré des heures.Dragosne faiblit pas une seule fois, ne ralentit pas.Son corps se couvrit d'unepellicule de sueur,maissonsouffledemeuraprofondetrégulier.

Elleluimurmuraunequestionquandelleserenditcomptequ'ilsn'empruntaientpaslecheminquelesorquesavaientprispourlesconduireàlaforteresse.

—Chut,dit-il.Jet'expliqueraiplustard.Pourl'instant,fais-moiconfiance.Cettenotiondeconfiancesemblaitavoirbeaucoupd'importanceàsesyeux.Elleenfouitsonvisage

danssoncou.—OK.Enfin,ilcommençaàralentir.Ellesortitdesasomnolenceetrelevalatêtepourregarderautour

d'eux.Ilsavaientquittélepaysagearideetrocailleux,etsetrouvaientdansuneclairière.La lune brillait plus intensément que jamais. Elle semblait suspendue au-dessus d'arbres

chuchoteurs dans toute sa rondeur épanouie et sonmystère. Les abords argentés de la clairière semirent à trembler sous l'impulsion d'une brise changeante et les contours semblèrent s'animer,commes'ilsétaientobservéspardesêtresdissimulésdanslaverdure.

Onentendaitlemurmuredel'eauetDragoss'agenouillapourladéposeràcôtédel'onde.C'étaitunpetitruisseau.Illasoutintpendantqu'elles'asseyaittantbienquemal.

—L'eauestsansdanger.Boisautantquetuveux.Tudoisêtredéshydratée.Il s'approcha lui-mêmedubord, unpeuplus bas, semit sur le ventre et plongea la tête dans le

courantfrais.Piatombaenavant,assoiffée.Ellebutavidement,recueillantl'eaufroidedanssesmainsencoupe.

Quandelleeutapaisésasoif,elles'aspergea lesbraset levisage, impatientedefairedisparaître lapuanteurdesorques.

Dragosrelevaenfinlatêtepourrespirer,rejetantlatêteenarrièredansunenvoldegouttesd'eauquiétincelèrentsousleclairdelune.

—Jecroisquejen'aijamaissavouréquelquechosed'aussibon,fitPia.L'eauétaitpureetpresquevivante,plusricheetdésaltérantequetoutcequ'elleavaitjamaisbu.Elle

sentaitsonâmemeurtrieinondéed'unsentimentdepaix.Ilsourit.—C'estlefaitd'êtreici,dansl'AutreContrée.Toutestimprégnédemagieetdoncplusintense.Si

tuappréciescetteeaufraîche,attendsdevoircequej'aid'autrepourtoi.Elles'appuyasursesgenouxets'assit.—Qu'est-cequec'est?—J'ai trouvédelanourriturequetupeuxmanger.J'aid'autreschosesaussi,mais l'alimentation

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vientenpremier.Il ouvrit le sacde cuir et sortit unpaquetplat enveloppédansdes feuilles.Elle leprit avecune

réticencemanifeste.—Dragos,jenepensepasêtreenmesured'avalerquelquechosequetuauraistrouvédanscecul-

de-basse-fosse.—Netirepassivitedesconclusions.Allez,vas-y,ouvre.Elleécarta les feuilles,etunarômeextraordinaires'échappa. Ilcassaunmorceaude l'espècede

painqu'elletenaitàlamainetl'introduisitentreseslèvres.Quandlemorceautouchasalangue,ilsemitàfondre.Ellelemâchaetl'avalaavecunsoupirdecontentement.C'étaitabsolumentdivin.

—LepaindesElfespourlesvoyageurs,souffla-t-elle.(Végétarien,nourrissantaussibienl'âmeque le corps, l'aliment était imprégné de vertus curatives.) J'en avais entendu parler, bien entendu.C'estlégendaire.Maisjen'aijamaiseul'occasiondelegoûter.

Ilrompitunautremorceauetleluimitdanslabouche,l'observantfermerlesyeux.—Mangetoutlepain.Celateferadubien.J'enaitrouvéunedizaine.Onadesréserves.Elleledévisagea.Unedizainedecespainsreprésentaitunefortunesurlemarchénoir.Laplupart

desgensnepouvaientpasenobtenir.—Tul'astrouvédanslesquartiersducapitainedesorques?—Parmid'autreschoses,oui.(Ilfronçalessourcils.)Pourquoitunemangesplus?—Oh,jevaislefaire,lerassura-t-elle.C'esttropprécieuxpourlegaspilleretj'enaibesoin.C'est

justequec'estdurdesavourerlemalheurdequelqu'und'autre.Ilsouritettouchalecoindesabouche.—Siçasetrouve,onavolélesacd'unElfe,cequiluiacauséunpetitdésagrémentmaisiladéjà

oubliél'histoire.Mangeetsavourechaquebouchée.C'étaitvrai.L'Elfeinconnun'avaitpaséténécessairementtuénimêmeblessé.—Tun'enmangespas?—C'estpasmontruc.J'iraichassersij'enressenslebesoin.Evidemment.Carnivore.Ellepritunautremorceau.Ils'étenditsurlecôtéenappuyantlatêtesurunemainetl'observaserégaler.Ilattenditqu'elleait

terminé, puis il semit à sortir d'autres choses du sac et à les déposer sur ses genoux.Une légèrecouvertureen laine faitepardesElfes,une tuniqueetdes leggings,un savon -du savon ! - etunebrosseàcheveux.

—Jesaisàquelpointc'étaitpéniblepourtoilà-bas.—Oh,monDieu.Jecroisquec'estunedeschoseslesplusmerveilleusesqu'onait jamaisfaites

pourmoi.Misàpartlefaitquetum'aiessauvélaviejenesaiscombiendefois.—Tum'assauvé,toiaussi.Sontonétaitpensif.—Ilfautquejemelave.— Pia, tu ne peuxmême pas encore temettre debout. Attends d'avoir dormi un peu. On va se

reposerici,jevaismonterlagarde.

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—Tunecomprendspas.Jenepeuxpassupporteruneminutedeplusdesentirmauvais.Çamerévulse,dit-elle,lesmainstremblantes.

—Bon,bon.L'eauvaêtrefroide.Jevaischercherdupetitboispendantquetutebaignespourfaireunfeu.

—Lefeunerisque-t-ilpasdetrahirnotreprésence?Ilsecoualatêteetseleva.— J'entendrai quelqu'un arriver bien avant qu'il soit suffisamment proche pour nous poser

problème.Elleluitournaledosets'agenouillaaubordduruisseau.Unsentimentdepudeurvintl'importuner

quandelleretirasontee-shirtenloquesetsonsoutien-gorgecrasseux,maisellel'écarta.Aumoins,ilnefaisaitpaspleinjour.Ilavaitprobablementvudesmilliersdefemmesnues.

LesavonétaitluiaussiunproduitdesElfes.Divin.Ilmoussatrèsbien,n'irritapassescoupuresetsonparfumdélicatlafitsoupirerdeplaisir.

Elle lava et rinça son torse, puis enfila la tunique propre. Elle retira ensuite son pantalon, sessocquettesetsestennis.Lessocquettesétaientparticulièrementpeuragoûtantescarelleavaitsaignédansunedeschaussures.Lesangséchéavaitraidiletissu.

Ellemitlacouverturesursesépaulesafindes'enservirpoursedissimulerpendantqu'ellelavaitlesautrespartiesdesoncorps.Elletremblaitdefroidquandelleenfilaenfinlesleggings,maisrienn'auraitpuladissuaderdeplongerlatêtedansl'eauetdelaversescheveuxpoisseux.

L'eau glacée lui coupa le souffle. Elle était penchée, essayant de fairemousser le savon de sesmainstremblantes,quandDragosposalesmainssurlessiennes.

—Laisse-moifaire,murmura-t-il.Elle s'appuya sur lesmainset s'abandonnaà lui.Ses longsdoigtsmassèrent soncuir cheveluet

firentpatiemmentmousser lesavon.Elleclaquaitdesdents lorsqu'il finitde rincer lamassedesescheveux.

Enfin,ill'aidaàserelever.Elleramassasesvêtementssales.—Ici,dit-il.Ilavaitentassédesbranchesquiattendaientd'êtreallumées.Dèsqu'ileutjetélesvêtementsdePia

surlapile,ilclaquadesdoigtsendirectiondel'amasetlefeus'alluma.—Pasmal,commetourdepasse-passe.—C'estpratique,parfois.Il l'enveloppa dans la couverture, la fit asseoir dos contre lui et commença à lui brosser les

cheveux.Avec le feudevant elle, lovéedans la couverture etbénéficiantde la chaleurdeDragos, elle se

réchauffarapidement.—Jesuisentraindem'écrouler,l'avertit-elle.—Jesuisétonnéquetuaiestenuaussilongtemps,répliqua-t-ilenreposantlabrosse.Ill'attirasursesgenoux,l'entouradesesbrasetguidasatêtesursonépaule.Elle sentit ses paupières s'alourdir. Elle n'arrivait pas à les garder ouvertes. Une myriade de

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questions,dedoutesetdepenséess'étaientaccumulés,maisétaienttenusàdistanceparlesommeilquidéferlaitsurelle.

Auprixd'unénormeeffort,elleouvritlesyeuxunedernièrefoispourleregarder.Àcemomentprécis,devantcefeu,ilavaitl'airplusserein.

Ilétaitredoutable,lacréaturelaplusterrifiantequ'elleaitjamaisrencontrée,maisentresesbras,ellesesentaitensécurité.Soncorpsétaitpuissantetsolidecommelaterre.Ellefermalesyeux.

—Tuasraison,jesuisuneidiote,marmonna-t-elle.Jenetecomprendspas.—Peut-êtrequetumecomprendrasunjour,dit-ilalorsqu'ilsentaitqu'elleavaitdéjàsombrédans

lesbrasdeMorphée.Il traça du doigt la ligne élégante de son front, suivit l'arc délicat de son oreille. Ses cheveux

humidestombaientsursonbras,cascadeextravagantedeclairdelunedoré.—Peut-êtrequetumecomprendrasunjour,aumêmemomentquejemecomprendraimoi-même.Ledragonserraunpeupluslabelleendormie.Ilposalajouecontresatêteetregardaautourde

luiavecstupéfaction,commesilascènepaisiblepouvaitluirévélerquiilétait.

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9Piacouraitparpurplaisir.Leventjouaitdanssescheveux.Lalunel'observaitdepuissontrônedanslecielviolet.Lanuitétait

merveilleusementchatoyante ;unecapedeveloursconstelléed'étoilesaussi étincelantesque l'éclatdesdiamants,d'oùparvenaitunemélopéechantantlesvoyagesetl'enchantementdesautresroyaumes.Lamagiedelacontréeranimaitdespartiesd'ellemutiléesetmoribondes.Ellesesentaitplusforte,pluslibreetplussauvagequejamais.Elles'élançaetbonditafindechatouillerlalunequiréponditenriantdejoie.

Ellesetrouvaitdansunchampimmenseetelleavait toutelaplacequ'ellesouhaitaitpourcourirtoutsonsoûl.Auloin,desarbresindiquaientlalisièred'uneforêt.Unhommebrundegrandetailleauxcheveuxnoirsetauxyeuxd'orsedressaitparmilesarbresetl'observait.

Peuluiimportait.Ilnepouvaitpasl'attraper.Riennelepouvait,pasmêmelevent.—Pia.Elleconnaissaitcettevoix.Ellese retournaetvitsamèrecourirverselle.Danssavraie forme,

elleétaitd'unebeautéincomparableetilémanaitd'elleunelumièreplusradieuseencorequecelledelalune.

—Maman?Ellesserejoignirent.Ellesejetaaucoudesamère.—Madoucepetitefille.—Tumemanquestellement,luiditPia.Reviens,jet'enprie.Samèrefitunpasenarrièreetlaregardadesesgrandsyeuxliquides.—Jenepeuxpas.Jemesuiseffacéedetonmonde.Jeneluiappartiensplus.—Alorslaisse-moiveniravectoi.Emmène-moi.Unrugissementsecoualesarbresetserépercuta

àlaterrequitremblasousleurspieds.Piaregardal'hommequiavaitgrondésonrefus,mêmesisamèrenesemblapasremarquerlasilhouettequisedécoupaitcontrelesarbres.

■—Tu ne peux pasme rejoindre,ma chérie. Ta place est avec les vivants. Pardonne-moi d'êtrepartie.Jenevoulaispast'abandonner.

Lechagrinl'étranglait.—Jesaisquetun'avaispaslechoix.—Jesuisvenuet'avertir,repritsamère.Pia,tunedoispasresterdanscelieu.Ilyatropdemagie.

C'estpourquoijen'aijamaisosét'emmenerdansuneAutreContrée.Piaregardaautourd'elle.—Maisj'aimecetendroit.Jem'ysenssibien.—Tuserasvulnérableicietl'ontetraquera.Pars.

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Lalueurdesétoilescommençaàbrilleràtraverslasilhouettedesamère.—Pars,mêle-toiauxhumains.—Non,net'envapastoutdesuite!Maissamèresétaitdéjàestompée,laissantunderniermessagesurlevent:

—Soisprudente.Sachequetuesaimée.Elletenditlamainverssamère.Ellepouvaitpresquevoiroùelleavaitdisparu,pouvaitpresquela

suivre,saufquelabrisemurmurantes'enroulaitautourd'elleetl'ancraitàlaterre.Lechuchotementtournoyaitautourd'elle,l'exhortant:

—Reste,Pia.Ce n'était pas son vrai Nom, mais la Force qui régissait le murmure la fit hésiter. Le vent se

transformaenundragontournantautourd'elle,frôlantsapeautelunchat.

—Reste.Vis.Elle effleura la peau brûlante de la magnifique créature sauvage. D'immenses yeux de lave en

fusion,aupouvoirhypnotique,plongèrentdanslessiens.Elles'éveilla.Elle était étendue sur le sol, enveloppée dans la couverture, à côté des tisons rouges du feu de

campmourant. Dragos était penché au-dessus d'elle, sesmains sur sa tête. Il murmurait dans unelanguequ'elleneconnaissaitpas,maisquiexerçaitunréelmagnétismesurelle.

—Qu'est-cequ'ilya?fit-elled'unevoixensommeillée.Ellebaissalesyeux.Elleluisaitd'unelégèreluminescencenacrée.Elleseréveillapourdebon.— Nom d'un petit bonhomme, j'ai perdu ma prise sur le sort qui me permet de masquer ma

luminescencedanscerêvequenousavonseu.Jen'aijamaisperdulecontrôleainsiparlepassé.Ilnefautpasqueçacontinue!

Ilinspiraprofondément.Soncorpsétaitcrispé.Unlégertremblementparcouraitsesmuscles.Ellenel'avaitjamaisvuaussipâleetsesyeuxétaientdilatés.

—Qu'est-cequisepasse?insista-t-elle,posantunemaind'ivoirelumineusesursajoue.Qu'est-ilarrivé?

—Jet'aidéposéesurlesol.Jesuisallémelaverdansleruisseau.Jenesuispaspartilongtemps...J’étaistoutprès.

—Net'inquiètepas.Toutvabienmaintenant.Ilétaitbouleversé,ellenel'avaitjamaisvudansuntelétat.C'étaitunevéritableépreuvedevoirun

êtresiformidablesecouéàcepoint.Elleluicaressalevisage.Ilplongealespoingsdanssescheveuxcommes'ilvoulaits'assurerqu'ellenes'éloigneraitpas.—Jemesuisretourné,dit-illesdentsserrées,etjepouvaisvoirlefeuàtraverstoncorps.Tuétais

transparente,Pia,ettut'estompais.—C'estimpossible,répliqua-t-elle.L'était-ce,enfait?Ellerepensaàsonrêve.Sielleavaitcommencéàs'estomper...Était-ilpossible

quesamèreluiaitréellementrenduvisite?Seslèvresformèrentunsourireunpeutriste.

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—Ahnon, ce n'est vraiment pas lemoment de sourire, lança-t-il en serrant les poings.Tu t'espresque volatilisée. Je t'ai traversée avec les mains. Si je nem'étais pasmis à t'appeler, tu auraisdisparupourdebon.

—Peut-être,maisjenepensepas,répondit-elled'untonabsentenpassantdistraitementlesdoigtsdanssescheveux.Jenecroispasquej'auraispualleroùjevoulaislasuivre.Ellem'aditquecen'étaitpasunendroitpourmoi.

—Qu'est-cequeturacontes?Ilétrécitlesyeux,maissedétenditlégèrement.—J'airêvédemamère.Quandelleestpartie,j'aiessayédelasuivre.—Tunedoisjamaisrefaireunechosepareille,gronda-t-il.Tucomprends?—Dragos, dit-elle doucement parce qu'il était encore très énervé. Il faut que tu arrêtes deme

donnerdesordres.—Va te faire foutre ! s'exclama-t-il d'un ton coupant. (Il approcha son visage du sien dans un

mouvementbrusque.)Tuesàmoi.Ettu.Nepeuxpas.M'échapper.—Holà, holà. Je ne sais plus quoi te dire. On dirait une espèce de brute qui aurait avalé des

stéroïdes. Tu es au courant, n'est-ce pas, que tu ne peux plus avoir d'esclaves ? L'abolition del'esclavage,çateditquelquechose?

—L'histoirehumaine,desmotshumains,rétorqua-t-ild'untonhargneux.Usn'ontaucunsenspourmoi.

Ellesavaitdéjàqu'ilnefallaitpasluiattribuerd'émotionshumaines.C'étaitunepiqûrederappel.Ledragonaffleuraitàlasurface.Toutesleslégendesqu'elleavaitpuentendresurlanaturepossessivedesdragonsluirevinrentenmémoire.

Elledéglutit,maiscen'étaitpasdepeur.—OK,fit-elledoucement.Qu'est-cequetuvoulaisdire,alors?—Jenesaispas.(Uneexpressiondesurpriseselisaitsurlevisagefaroucheetfier.)Toutcequeje

sais,c'estquetuesmienneetquejedoistegarderetteprotéger.Tunepeuxpasdisparaîtreettunepeuxpasmourir.Jenelepermettraipas.

Ellesongeaquecen'étaitpaslemomentdesoulignerqu'elleallaitmourirunjour.Elleavaittropdesanghumainenelle.

—Bon,alors jesuisà toi.Pourcombiendetemps?demanda-t-elle,curieusemaintenantqu'elleavaitdécidédes'aventurersurceterrain.Jusqu'àcequetutelassesdemoiouquetucommencesdenouveauàt'ennuyer?

—Jenesaispas.Jen'aipasencoretrouvélaréponse.Uneboufféedetendressel'envahit,àsongrandétonnement.Ilnefaisaitpassemblant,saperplexité

étaitréelle.Ilnejouaitpas.—Bon,ehbien,onseradeux,alors.LapenséedupaindesElfes,delabrosse,dusavon,desasollicitudeluirevint.Ellelevalamainet

passaundoigtlelongdesagorge.—Sijesuisàtoicommetudis,situsouhaitesmeprotéger,ilmesemblequetuveuxque...jeme

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sentebien?Quejem'épanouisse?—Bienentendu.IlbaissalesyeuxsurlamaindePiaquitraçaitdescerclessursapoitrine.—Dragos,murmura-t-elle.Jenem'épanouispasquandquelqu'unaboiedesordrestoutletemps.Ilfronçalessourcils.—C'estcommeçaquejeparleauxgens.—C'estcommeçaquetuparlesàtesemployésettesserviteurs,tuveuxdire?Sonexpressionperplexes'accentua.Ellesemorditleslèvrespourréprimerunsourire.Comment

était-ilpossiblequ'unetellebruteprimitivelacharmeàcepoint?—Vois-tu,jevaist'expliquer.(Ellepritunevoixdoucetoutensemettantàluifrotterlapoitrine.)Quelqu'unquimecrieaprèsmedonnelesentimentquejesuisprisonnière.Jecomprendsquece

soitunehabitudecheztoi,maispeut-êtrepourrais-tuéviterdemedonnerdesordresdetempsàautre?Enfin,jusqu'àcequeturecommencesàt'ennuyeretquetumelaissespartir.

LespaupièresdeDragosétaientdevenueslourdestandisqu'ellelecaressait,maisenentendantcesderniersmots,ilrouvritgrandlesyeux.

—Etsijenem'ennuiepas?Sijenetelaissepaspartir?Unsentimentdenostalgiel'envahitsoudain.Elledétournaleregard.—Nousnesavonsmêmepasdequoinousparlons,dit-elle.Ils'appuyasuruncoudeetpritsamainluminescentedanslasienne.Ill'examina.—Tues remarquable.Non,non,ne faispas ça ! s'exclama-t-il commeelle se souvenait qu'elle

luisaitetsemettaitàfairebaisserlaluminescence.Laisse-moitevoircommetuesvraiment,pendantquelquesminutesentoutcas.Regardecommetuguérisvite.

Elle baissa les yeux. Les vilains hématomes bleuâtres qui marquaient sa peau avaient presquecomplètementdisparu.

—Jemesensbien,avoua-t-elle.Mieuxqueçaencore.JesuisSuperwoman,maparole!— Cela arrive parfois avec les hybrides quand ils pénètrent dans une Autre Contrée.

L'exacerbation de la magie peut les aider à accéder à des pouvoirs qui seraient autrement restéslatents.

Elleessayademaîtriserl'espoirquesesmotsfirentjaillirenelle,maisdesquestionscontinuaientàs'insinuerdanssespensées.Était-celàquerésidaitl'explicationdetoutcequ'elleressentaitdepuisqu'elleavaittraversélafrontièreentrelesdeuxunivers?Sicequ'ildisaits'appliquaitàelle,serait-elle en mesure de se transformer ? Pouvait-elle mettre un terme à cette vie incomplète, cette vied'hybride,dedemi-sang,neplussesentirécarteléeentredeuxidentités,deuxnatures,l'unehumainel'autrewyr?

—Jenesavaisabsolumentpas.Mamèreatoujoursrefusédem'emmenerdansuneAutreContrée.Et je n'ai jamais eu suffisamment de Force pour traverser moi-même. J'en ai à peine pourcommuniquerpartélépathie.

Dans le rêve, samère l'avait avertie qu'il était dangereuxpour elle de rester ici.Elle balaya duregard laclairière faiblementéclairéepar les tisons.Celavoulaitdirequ'il fallaitqu'ilss'enaillent

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sanstarder.Elleneressentaitpasdesentimentd'urgence,toutefois.—Ahoui,tamère,répliqua-t-ild'untondistraiteninspectantsesdoigtsfinsetlacourbegracile

desonpoignet.Nousallonstrèsbientôtdevoiraborderlesujet,quielleétaitetpourquoicetenfoiréd'Elfe l'appréciait tant.Nousallonségalementdiscuterdufaitquetuaiesdéclaréquetun'allaispasbiendanstatête.Etpuis,jeveuxsavoirsituasd'autresidentitésoupilesd'argentcachées.

Ellearrachasamainetlefrappasurlebras.—Riendetoutcelaneteregarde!Etlefaitqu'ilm'appréciaitetnet'appréciaitpasnesignifiepas

qu'ilestunenfoiréd'Elfe!Illuidécochaunsourireparesseuxetprédateurensedressantau-dessusd'elle,leurspoitrinesse

touchantpresque.—Tun'asabsolumentpluspeurdemoi,n'est-cepas?Elleretrouvasoncalme.Elleétaitpeut-êtrecinglée,maisc'étaitvrai.—Etsic'étaitlecas?marmonna-t-elle.Sabellebouchecruelles'étiraenunsourire.—Sic'estlecas,c'estuneexcellentechose.Ilfitunmouvementetavantqu'elleaitpuserendrecomptedesesintentions,illuiavaitplaquéles

mainsau-dessusdelatête.—Celamedonnetoutessortesdepermissionsdetefairedeschoses,ajouta-t-il.Avectoi.Surtoi.

Entoi.Ellesursautaetsoncœurs'emballa.Illaregarda,abandonnéesouslui,etglissaunedeseslourdes

cuissesentrelessiennes.Puisilpoussaavecsajambetoutenmordantsoncouàl'endroitexactoùill'avaitmordueenrêve.Ilsedélectadesonexclamationdesurpriseetlamaintintfacilementenplacetandisqu'elleessayaitdedégagersesmains.Enfin,essayaitsansgrandeconviction.

L'excitationenvahit lecorpsdePia.Elle s'étira simplementpour leplaisirdeglissercontre sontorsenu,etleregardbrillantdeDragossuivitchacundesesmouvements.

Ellepassasalanguesurseslèvres.—Dragos,jenepensepasque...—Tunepensespasquoi?—Jenepensepasêtreaussiraisonnablequejelecroyais,murmura-t-elle.—Voilàcequej'aimeentendre.Il poussa un peu plus, lui écartant davantage les jambes, puis s'installa entre elles et lança un

véritableassautsensuel,lamordillantetlaléchant.Iltirasalèvreinférieureentresesdentsetsemitàlasucer,puisilplongeaprofondémentsalanguedanssabouche.

Ilsgrognèrenttouslesdeux.Ilfouillasaboucheavecdeplusenplusd'ardeur.Ellepenchalatêtepour l'accueillir. Il prit ses poignets dans une main afin de pouvoir introduire l'autre sous sa

tunique,seslongsdoigtscherchantledouxmonticuledesonsein.Illesaisitavecavidité,trouvalemamelonet semit à le rouler entre lepouce et l'index. Il tiradoucement la chair sensible, puis lapinçalégèrement.

Leplaisir laparcourut à lamanièred'unedéchargeélectrique.Elle semit àhaleter.Elle tentaà

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nouveaudedégagersesmains,maisilrefusadeleslâcher.Ellesedéplaçasousluiafinquesalongueetlourdeérectionreposecontresonbassin.

Ilpoussaunfeulement,lestraitstendusparledésir,etseredressapoursaisirsatunique.—Non!s'écria-t-elleenseraidissant.Ilsefigea.MonDieu,cedragonnerespiraitmêmepas.—Jen'airiend'autreàmettre,expliqua-t-elle.Lâchant ses poignets, il se redressa, lui permettant de s'asseoir et de retirer le vêtement.Elle le

laissatomberàterre.Ilposalesmainssursesflancsetlesremontadefaçonàprendresesseinsencoupe.

—Nomde...fit-il.Regardeça.Ellebaissalesyeux.Leslignesdesontorseetdesesseinssemblaienttrèsfémininesàcôtédeses

mainsetdesesbrasmusclés.SaluminositéetletonplussombredelapeaudeDragossemblaientsefondrelittéralement.Lapâleurdelapeaudelajeunefemmeétaitsoudainpluslaiteuse,lapointedesesseinsplusrose.

Elleposalesmainssursontorseetlesfitremonterlelongdesapoitrine.Sesmusclesondulèrentsoussespaumesquandilhoquetadeplaisir.Ellelaissacourirsesonglessursestétons.Ellen'arrivaitpasàcroireàcequisepassait.Jeletouche.Ilmetouche.

Ilpoussaunfeulementetsaisitsesdoigts,puissedressadenouveauau-dessusd'elleenl'incitantàserallonger.Ilplaqualesmainssursatailleet,comprenantcequ'ilvoulait,ellesoulevaleshanchesafindepouvoirenlever ses leggings. Il retiraquantà lui son jean.Puis il se repositionnasurelle,lourd,duretnu,leurspeauxencontactdirectl'uneavecl'autre.

Si elle avait eu l'impression qu'il était brûlant auparavant, il était maintenant volcanique. Ellesentaitsoncœurbattrecontrelesien.Elles'abandonnaàl'extasedesefrottercontrelui,passantlesmainssursondospuissant.

Ilcommençal'explorationdesoncorps,posantsaboucheouvertesursoncou,saclavicule,avantde se repaître de ses seins. Il suça etmordit la chair succulente, saisissant lesmamelons entre sesdents avec de petits coups de langue, jusqu'à la faire se cambrer et crier des choses incohérentesdictéesparl'intensitédesonplaisir.

Puisilglissaplusbas,parcourantl'arrondidesatailleenlapantetmordillantsapeau.Ilpritsesgenouxetlesécarta,lamaintenantouvertependantqu'ilsavouraitlachairtendredel'intérieurdesescuisses.Ellesetordit,soulevantseshanchesverslui.

Ilmarquaunepauseetcontemplalespectacledivinquis'offraitàlui.L'élégantestructureosseuse,le teint laiteux, le rose foncé, et l'extravagant oreiller de cheveux d'or pâle. Il pouvait suivrel'explorationqu'ilvenaitdefairedesoncorpsparlessuçonsquis'épanouissaientsoussesseinsetàl'intérieurdesescuisses.Sesimmensesyeuxbleufoncéétincelaientdedésir,commedanslerêve.

Dudésirpourlui,lemonstre,laBête.Mais ce n'était plus un rêve et il était tellement dur et gonflé qu'il en ressentait une souffrance

exquise.Ilregardasesgrandeslèvresourléesetroses,couronnéesdebouclesd'orblanc.Ilconstataqu'elleétaitmouillée,littéralementinondéedemiel,etsonmembretendusedressadevantlapreuveéclatantedesondésir.Ilmurmura:

— Je vais te dévorer jusqu'à ce que tu hurles. Elle replia ses pieds fins et émit un grondement

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profond.Ilbaissalatêteetrepritsonassautavecvoracité,léchant,mordant,suçant.Ilintroduisitsonboutoncouvertderoséedanssaboucheetletétatandisqu'elles'arc-boutaitentremblantsouslaforcedutourbillonquil'entraînait.

Piasesoulevasurlescoudes,haletante,etregardacequ'illuifaisait.Cettetêtenoireetceslargesépauleslovéesentresescuisses,cevisageciseléluisantdesève,desasèvetandisqu'ilserepaissaitd'elle, était un spectacle tellement érotique qu'il la précipita dans l'orgasme. Elle rejeta la tête enarrièreethurlacommeellejouissaitavecuneintensitéqu'ellen'avaitjamaisconnue.

Ilnes'arrêtapas.Ilcontinuaàlaper,àsucer,saboucheabsorbantlesspasmesquicascadaientenelle.Ilposaunemainàplatsursonpubisalorsqu'ellecontractaitlecœurdesonintimité,désireuxd'éprouverlerythmedesajouissance.

Lasensibilitédelazoneatteignitsonparoxysmeetelleenfouitlesdoigtsdanssescheveux,essayadeluifairereleverlatête.

—Arrête...jen'enpeux...jenepeux...Il émit un son guttural, son regard brûlant d'or en fusion lança des éclairs en se posant sur le

visageensueurdePia,etiltétaencoreplusfort.Ilplongeadeuxdoigtsenelleetlafitremonteraufirmament, cette fois-ciplus longtempsetdemanièreencoreplus intense. Il engloutit littéralementl'orgasmeet,sanss'arrêter,laprécipitadansuntroisième.

LetorsedePiasesoulevadusolaumomentoùunhurlementessouffléjaillissaitd'elle.Elleétaitabsolumentpossédéeparcequ'illuifaisait.Etlecielnocturneétincelantd'étoilesdisparutcommesesyeuxseremplissaientdelarmes.

Ilabandonnaenfinsonsexeetremontalelongdesoncorps.Elleleregardait,incapabledetrouverlesmots.Ilétaitunmâletellementresplendissant,impérieux,lesmusclespuissantsdesapoitrineetdeses biceps frémissaient, et son énorme pénis se dressait fièrement de toute sa vigueur entre descuissesdurescommedumarbre.Elleplongeasonregarddanslesienenplaçantsamainautourduglandmassifetlecaressa.

Cegeste lui fitperdre la raison. Ilse jetasurelle,avalantdegrandesgouléesd'air. Ilplaquaunbras sous seshanchespour la soulever et faciliter sonentréedans le sanctuaire.Elle leguidaet ilplongeaauplusprofond.

Ellepoussauncri,enfonçantsesonglesdanssondos. Iln'étaitpasunamantdélicatet timide.Ilétaitextraordinaire,untsunamiquidétruisaitsonancienneidentitéetrestructuraittoutesonexistence.

Ill'enveloppadesonautrebras,laserrantcontreluiparlecouetleshanchestandisqu'ilsemettaità aller et venir en un rythme étourdissant, chaque coup de butoir un peu plus puissant que leprécédent. Il grognait à son oreille chaque fois qu'il replongeait en elle tandis qu'ils copulaientcommelesanimauxqu'ilsétaient.Ellesecambraetgémit,perduedanslerythmeinexorable,etjouitencoreunefois.

Il rejeta la tête en arrière, les traits torduspar la sauvagerie et la stupéfaction. Il eut underniersursaut,laissaéchapperunsonétoufféetlarejoignitdansl'extase.Ellelesentitbattreprofondémenten elle et se contracta autour de sonmembre, agrippée à la sensation, à lui. Il se balança en elle,haletant,lesyeuxclos,l'inondantdesasemence.

Il trouva sa bouche et l'embrassa en la serrant si fort que pendant unmoment ils ne firent plusqu'un,commes'ilsavaientfusionnéetn'étaientqu'uneseulecréature,légèreetsombre,yinetyang.

C'estalorsquesaconscienceexploséeretrouvacequ'illuiavaitgrondédansl'oreillealorsqu'illa

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possédait.—Àmoi,avait-ilrépété.Tuesàmoi.Amoi.Elle laissa ses pensées vagabonder, contemplant sa tête qui se dessinait contre le ciel tout en

frottantsa jouecontre lasienne,sonpoidspesantsurelle.C'était trop intense.Ellen'arrivaitplusàréfléchir.

Ilsemitàbougerdenouveau leshanches,allantetvenant,etsarespirationsefitpluscourte. Ilétaittoujoursaussiénormeetdur.Pashumain.Elleémitunbruitdesurprise,s'agrippantàlui.C'étaitmagnifique.Ellepoussaavecsonbassin,adoptantsonrythme.

Cette fois-ci, un gémissement déchira la poitrine de Dragos qui semit à trembler comme unefeuille au moment où il allait éjaculer. Elle contracta ses muscles internes et le guida jusqu'àl'orgasme,toutenluimurmurantàl'oreille.Ilenfouitsonvisagedanssoncou.

Ilseretira,lestraitstendus.Ellepoussauneexclamationdesurprisecommeillaretournaitsurleventre et relevait brutalement ses hanches pour qu'elle se retrouve à quatre pattes. Ses cheveuxemmêlésretombèrentdevantsesyeux.

—Pasassezprofond,gronda-t-il.Ilfautquej'ailleplusloinencore.Elleécarta lesgenouxsans se faireprier et secambrapour luioffrir sacroupe.Elleplaçaune

mainentresescuissesafindeleguidertandisqu'illaprenaitpar-derrière.Salonguequeuechaudeetsoyeuseluisemblaencoreplusgrosse.Ellel'encouragead'unevoixrauquecommeilplongeaitsondard. Elle était transportée non seulement par cette sexualité intense, mais aussi par cette étrangecréature qui vivait à l'intérieur de son corps et qui paraissait plus sensuelle, plus femelle, et plusdésiréequ'ellenel'avaitjamaisété.

Il la couvrit, unbras autourde sa taille afinde s'assurerunemeilleureprisepour ses coupsdebutoir déchaînés.Cette fois-ci, le va-et-vient de ses hanches était presqueviolent.Levisage enfouidans son cou, son souffle frémissant sur sa peau, il ne ralentissait ni le rythmeni la force de sonassaut.Lapressionremonta,maisellenesavaitpassiellepourraitlasupporter.Unsanglotluimontaàlagorgeetelletentadesestabiliserens'agrippantàlaterre.Del'herbes'accrochaàsesongles.

IlplantalesdentsdanssanuquetandisquesaForces'enroulaitautourd'elle.—Jouisavecmoi.Il se déplaça afin de pouvoir fourrer sa main entre ses cuisses et pincer son clitoris, puis il

s'enfonçaunedernièrefoisetseraidit.SaForcedéferlasurelle,àtraverselletandisqu'iljouissait.Chaufféeàblanc,elleexplosa.Dragos déversa en elle tout ce qu'il avait. L'orgasme partit de la base de sa colonne vertébrale

alors qu'il figeait sonmembre dans l'étui étroit de son vagin. Ce qui se passait, ce n'était pas unrapport sexuel. Des rapports sexuels, il en avait eu d'innombrables fois. Généralement, une demi-heureaprès,ilavaitdéjàoubliélenomdelafemelle.

Non, cet échange était différent. C'était quelque chose de bien plus élémentaire que le sexe. Serepaîtred'ellenesatisfaisaitpassafaim,maisnourrissaitsonbesoin.Lapénétrern'étaitpassuffisant.Elle absorbait tout ce qu'il lui faisait et le rendait en le démultipliant.Elle endevenait encore plusmagnifique,enivrante.Ilvoulaits'enfoncerenelletellementloinqu'iln'enreviendraitpas.

Ilrepritconsciencedeschoses.Illacouvraittoujoursetétaittoujoursenelle,samainposéesurl'arc gracieux de son bassin. Son corps était parcouru de tremblements. Ses cuisses fuselées

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frémissaient.Elletentaitderespirerentredeuxsanglotssilencieux.Qu'avait-il fait? Ilpressases lèvrescontresoncouet traça lacourbedesonépaule. Ilécarta la

massedecheveuxquiluicouvraitlevisage.—Toutdoux,chuchota-t-il.Toutdoux.Pia était trop faiblepourpouvoir rester à quatre pattes sans son soutien.Elle s'affala à terre au

momentoùsonpénissortaitd'elledansunmouvementfluide.Elleposalatêtesursesbras.Il s'étendit à côté d'elle, une cuisse drapée sur son dos. Il lissa ses cheveux, frotta son dos

tremblant.Sonvisagesemblaitmouillé.Est-cequ'ellepleurait?Luiavait-il faitmal?Ilaurait juréqu'ilsétaientpourtantàl'unisson.

Il lui fit lever la tête en la prenant doucement par le menton. Son visage était défait et sesmerveilleuxyeuxécarquillés.Elleavaitl'airaussibelleetfragilequ'unesculptureencristal.Ilsentitsonestomacsenouer.

—J'aiperdulatête,murmura-t-il.L'inquiétudequiassombrissaitsesyeuxlafitreveniràelle.Est-cequ'ilessayaitdes'excuser?

—Moiaussi,chuchota-t-elle.—Jen'aijamaisfaitçaavant.—Moinonplus,avoua-t-elle.Unsourireéclairasestraits.Iltraçal'ourletdeseslèvresavecsesdoigts.—Est-ceque...çava?Elleétait complètementchamboulée.Euphorique.Elleavait littéralementdéraillé sur leplandes

émotions. Elle avait besoin de se réfugier quelque part dans une pièce noire et tranquille, etd'appréhendercequivenaitdesepasser...

Maisd'abord,ilfallaitqu'elledissipel'incertitudequ'ellelisaitsursonvisage.Sonsourires'élargitetelleluiditlavérité.—Non.Tum'asanéantie.Jen'avaispaslamoindreidéequequelqu'unpuissefairecequetuasfait.

Etjeveuxsavoirquandest-cequ'onpourrarecommencer.Soninquiétudesevolatilisaetunsouriresensueléclairasonregard.Ilcontemplasabouche.—Jeveuxbeaucoupdechoses.—Cequetupeuxfaireavectalangueestrépréhensible,letaquina-t-elle.—Êtreunmauvaisgarçoncomportecertainsavantages.—Parexemple?Ils'assitetl'attirasursesgenoux,laretournantdesortequ'ellepuisseluifaireface,torsecontre

torse,pubiscontrepubis,sesjambesfinesdechaquecôtédelui.C'étaitunepositiondontleurnuditérehaussaitl'intimité,unepositionparfaitepourfairel'amour.Ill'entouradesesbrasetellenoualessiensautourdesoncou.

Mêmeassisesursesgenoux, ilétait tellementgrandqu'ildut incliner la têtepoursemettreàsahauteur.

—Uneabsencecommodedeconscience,expliqua-t-il.Lebonheurdedormird'unetraitechaque

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nuit. Le désir simple de découvrir tous les plaisirs de la chair possibles et imaginables avec unefemmesuperbe.

Les yeux de Pia pétillèrent devant le compliment. Il lui sourit à son tour et l'embrassa ; uneexplorationlongueetsereinequiluidonnadesfrissons.

— Eh bien, je crois que tu gardes un secret très bien caché, dit-elle quand elle eut repris sonsouffle.

Illevaunsourcil.Ellefrappasapoitrined'undoigt.—Enfouieprofondémentlà-dedanssetrouveunecréatureplutôtcharmante.Tudevraislalaisser

sortirplussouvent.Il éclata de rire, puis son regard se fit calculateur. Elle rit aussi en se rendant compte qu'elle

trouvaitmêmeçacharmant.Elleétaitvraimentfoutue.Elleaffectauntonsévère:—Nemefaispasregretterdet'avoirditça.—J'essaieraidenepastropenprofiter.—Oh,mercibeaucoup.Elle leva les yeux au ciel. Cela voulait probablement dire qu'il allait essayer d'en profiter au

maximum.Sonventreémitungargouillement.—Jemeursdefaim.Ilss'assirentetilattrapalesac.Illuitenditunpainenveloppédansunefeuille.Ellemangeatandis

qu'ilessayaitdepasserlesdoigtsdanssescheveux.—Onavraimentmalmenétachevelure,dit-il.IlenvoyaunelégèreimpulsiondeForce,etlescheveuxdePiasedémêlèrentetretrouvèrentleur

aspectsoyeux.Elleavalaunebouchéedudélicieuxaliment.—Situtelassesunjourdurôled'hommed'affaires,tupourraisfairefortuneenouvrantunsalon

decoiffure.— Je ne l'oublierai pas. (Il balaya la clairière du regard.) Nous nous sommes attardés trop

longtempsici.Nousdevrionspartir.—Oui,tuasraison.Etpourquoisommes-nousvenusparcecheminaulieudeprendrelemême

trajetqu'àl'aller?—Tun'esjamaisalléedansuneAutreContréeauparavant,n'est-cepas?(Elleopina.)Letempset

l'espacesesontgondolés,c'est-à-direqu'ilsontsubiunedéformation,aumomentdelaformationdela Terre. Cette déformation a entraîné la création de poches dimensionnelles où la magie s'estaccumulée.Imagine-lescommedeslacsoudetrèsgrandesétenduesd'eau,aussivastesquelesocéansetreliéesensemblepardesfleuves.(Ilindiqualesalentoursd'ungesteample.)Jepeuxcapterquececiestunezonereliéeàd'autreszones.

—Commenttufais?Ilfronçalessourcils.—J'aiposémamainsurlaterreetj'ailâchémonesprit.C'estunexercicequinedemandepasune

salveimportantedeForce.C'estplusuneespècedeconnexion.

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Elleessayad'imaginerlasensation.—Ilyadoncdifférentesentréesetsortiesdecetendroit.—Oui.Nousavionsplusdechancesdenousenfuirenprenantunedirectionimprévisibleplutôt

quede faire lecheminensens inverse.Nousallonspeut-êtremêmepouvoiravancer suffisammentverslenordpourarriveràNewYork,ouentoutcasnousenrapprocherbeaucoup.

—Pourquoilatechnologienemarche-t-ellepasdanslesAutresContrées?—Ce n'est pas tout à fait ça.Un certain nombre de technologiesmarchent si elles utilisent des

forcesnaturellesdéjàprésentes,tellesquel'eauquicoule,etsiellesn'impliquentpasdesphénomènesde combustion plus complexes qu'un poêle à bois ou une chaudière. Il est également possibled'apporterdeschosescommedesfenêtresavecdesverresfabriquésdansdesusines,desœuvresd'art,uncertainnombred'appareilsélectroménagersetmêmedestoilettesàcompostage,dumomentquecelan'apasbesoind'électricitépourfonctionner.

—Tuenconnaisunrayon,commenta-t-elleenriant.—J'aiunemaisontoutàfaitconfortabledansuneAutreContréereliéeaunorddel'ÉtatdeNew

York.Elleestconçuepourexploiterlesoleilaumaximumenchauffantdel'eaupourunsystèmesituésous le plancher qui permet de chauffer la maison. C'est très romain. Sinon, pourquoi certainestechnologiesnemarchentpas?(Ilhaussalesépaulesenpassantlesdoigtsdanssescheveux.)Ilyaquelquesthéoriesquicirculent,maisenfaitpersonnen'enconnaîtlaraisonexacte.

Ellerelevalatêteetlapenchaenarrière,savourantlacaresse.—Unrevolveràsimpleactionn'estpasunearmetellementcomplexeetunfusilàpierrenonplus,

maisj'aientendudirequemêmedespistoletssimplessonttropdangereuxàutiliser.—C'est vrai. Et ce qui est intéressant, c'est que plus l'arme est ancienne, plus longtemps il est

possibledel'utiliserdansuneAutreContrée.Lesarmesautomatiques,dèsqu'ellesentrentdansunedecespochesdimensionnelles,s'enrayentouontdesratés.

—C'estunbonmoyendeperdrelavueouunemain,fit-elleremarquerd'unairpréoccupé.— Ou la vie. Une explication possible réside dans la théorie de la Terre vivante. À savoir,

l'hypothèse que la Terre soit un organisme gigantesque. On pourrait envisager que les AutresContréessontplusessentiellesausystèmegénéraldecetorganismequelesautreslieux,qu'ellesenconstituentunorganevital.Etsilamagie,quiesttellementpuissanteicietempêchelefonctionnementdecertainestechnologies,étaitlemécanismededéfensedelaTerre?

—Unpeucommelesleucocytes?—Oui.IlyaégalementunethéoriemodifiéedelaTerrevivantequiseconcentreplutôtsurdes

pochesindividuellesdesAutresContrées,lesappréhendantentantqu'«esprits»collectifsengendrésparleterritoireimbibédemagieetlafaunerégionale.Danslecadredecettethéorie,leconceptdelamagiefaisantofficedemécanismededéfenseetsabotantlatechnologieesttoujourslemême.

Ellesourit,intriguéeetravieparcesnouvellesinformations.—Tuasvraimentlesensetlegoûtdelascience,disdonc.Illevalessourcils.— J'aime chercher une signification au monde. Je lis beaucoup d'articles dans des journaux

scientifiques.

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Elle finit son repas et se lécha les doigts. Il posa les yeux sur sa bouche et elle le sentit durcircontresacuisse.Sarespirationdevintlaborieuse.

Maisilladéposasurlesol,selevaetluioffritunemainpourl'aideràsemettredebout.Elleétaittrop fourbue et sensible à certains endroits de son anatomie pour être déçue, en fait. Et elle se lerépéta deux ou trois fois en ramassant sa tunique froissée, ses leggings et la couverture. Elle sedirigeaversleruisseaupourrincerlapreuvedeleur...enfin,deleur...

Quelétaitlemotpourdécrirecequ'ilsavaientfait?Fairel'amourétaittropjoli.Rapportsexuel,trop simple. Union donnait l'impression que cela pourrait être permanent. Elle semordit la lèvrecommel'angoissemenaçaitdelaterrasser.

Ilm'avraimentdémolie.Jenesaisplusquijesuis.Elleécartacespensées,etactivalesortquiluipermettaitd'estompersaluminescence.Ellesoupira

avecrésignationentournantlesmainsetenlesregardant.L'aubepointait,laclairièreprenaitdestonsgrisetsesmainsétaientjustedesmainsnormales,desmainsd'humaine.

Unvrairepaschaud,unlit,unemploidutempsrégulier.Secoucherlesoir.Seleverlematin.Ah,ceschosesquisemblentsiévidentesjusqu'àcequ'onnelesaitplus...

Elleenfilalatuniqueetlesleggings,ets'assitpourmettresestennis.Elleravalaunegrimaceenconstatantleurétatcrasseux.Troisidentitésgâchées.Pasdevoiture.Pasdechaussettes.Pasdeculottenidesoutien-gorge.

Etqu'est-cequ'elleavaitfait?Elleavaitcouchéaveclacausedetoussesproblèmes.Elleattachaseslacetsrageusementens'admonestant;puiselleregardal'objetdesonobsession.Ils'étaitluiaussilavédansleruisseauetavaitenfilésonjeanetsesbottes.Ilétaitpenchésurlefeu

mourant. Il posa la main sur les tisons rouges, et ils devinrent noirs instantanément. Elle aspiraviolemment.OK,c'étaitunmecquifaisaitoublierquionétaitettoutlereste.

Il leva soudain la tête, et soncorps se raidit. Il se tournapour regarderendirectiond'unebriselégèresoufflantsurlesarbresquidélimitaientlaclairière.

Elleinspiraprofondément,humantlabrise.Elleperçutunevaguepuanteur.Ilbondit.—Fonce,dit-il.

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10Elleattrapalacouvertureetlabrosseavecdesmainstremblantes,commençaàlesfourrerdansle

sac.Plusd'orques,parpitié.Jeseraisageetmangeraitousmespetitspois.—Oublieça.Fonce.Tout en elle se mit en mode alarme. L'adrénaline la fit bondir. Sa vision s'affina, son odorat

s'intensifia et son ouïe devint plus sensible. Elle détermina le meilleur chemin à prendre tout entendantl'oreillepourtenterdepercevoirlebruitd'unepoursuite.

Iln'yavaitrien,aucunbruit.Justeleventdansantdanslesarbresetlesondesaproprerespirationquel'effroiavaitrenduehaletante,ainsiqueDragoscourantderrièreelle.Maisellecaptauneboufféedelapuanteurdesorques.Lecœurluimanqua.

—Aussivitequetupeux,Pia,luiditDragosd'unevoixcalme.Oui,oui.Ellerentralementon,cherchaettrouvasafoulée.Dragos courait derrière elle alors que l'aube naissante éclaircissait le ciel. Pia semblait en état

d'apesanteur. Elle courait comme une gazelle. Plus vite encore, peut-être. Elle volait presque par-dessus les obstacles, troncs d'arbres tombés et roches, ses sauts semblaient effectués sans effortcommesiellechoisissaitsimplementdeleverlespiedsetdeplaner.Etileutuneénièmesurpriseendécouvrantqu'ellecouraitplusvitequelui.

Quelle fille, songea-t-il.Sielleavaitautantd'endurancequede rapidité, ils s'ensortiraientpeut-être.

Pia fit le vide dans sa tête. Rien n'existait, si ce n'est le rythme de son souffle et le jeu de sesmuscles. Ils avaient plongé au cœur de la forêt, si bien que la voûte céleste était obscurcie par lefeuillage,maislalueurmatinaleserenforçaetlatempératures'élevajusqu'àcequ'ellesoittrempéedesueur.

La forêt était silencieuse, les séculaires troncs d'arbres étaient emprisonnés par des plantesgrimpantes.ElleserenditcomptequedepuisleurarrivéedanscetteContréelaveille,ellen'avaitpasentenduuneseuleautrecréature,pasunbruissement,pasunpépiement,pasungazouillis.Peut-êtreparcequ'elleétaitaccompagnéeduprédateurleplusredoutablequisoit.

C'est alors que, telle une brume froide s'élevant du sol, la sensation d'une Force glacialecommençaàl'envahir.Elleglissaitlelongdesapeaubrûlanteetseresserraitautourdesoncorps,telunboaenveloppesaproie.

Unepaniquemêléederépulsionmenaçadel'étouffer.Elles'arrêta,portantlesmainsàsagorge.Dragos pivota. Au moment où Pia regardait pardessus son épaule, il poussa un rugissement.

Comparéàcequis'étaitpasséàNewYork,lesonétaitmillefoispluspuissant.Elle sentit sescheveuxsedresser sur sa tête.Elleeut l'impressionqu'unedéchargede terreur la

traversait.Uneterreurquiprenaitsasourcedanslestréfondsdesonêtre.Le sonmit enpièces l'étranglementqui l'avait saisie.Elleputdenouveau respirer et elle aspira

goulûment.

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—Onestfixésdésormais,gronda-t-il.Urienestarrivéetilessaiedenousralentir.Cours.Ellereculadequelquespas,lesyeuxrivéssurlui.Ilétrécitsonregardchatoyant,maisétranger,et

inclinalatêteenungested'exaspérationtypiquementmasculin.Bon,d'accord.Ellelevalesmainsl'airdedire«çava,j'aicompris»,puispritsonélanetcourutàperdrehaleine.

Peuaprès,ellefranchissaitlalisièredelaforêtetralentissaitendécouvrantdevantelleunelargeplaine.Iln'yavaitaucunrefugepossible.Ellejetauncoupd'œilenarrière,incertaine,alorsqu'illarattrapait.

Il avait fixé sur son dos la hache et l'épée. La rage qui s'était inscrite sur son visage s'étaitestompée,maissesyeuxétaienttoujoursaussiflamboyants.

—Est-cequetupeuxtetransformer?s'enquit-elle.—Pasencore.J'aiessayédanslaforêt.Allons-y.Ellerepritsacourse.Pournepasgaspillersonsouffle,elles'adressaàluipartélépathie.

—Jenelesentendstoujourspas.Ettoi?—Non,jepensequ'Urienlesaenveloppésdansunesortedevoile.Jelesauraisentendusbienplus

tôt,sinon.Ilsn'auraientpaspus'approcherautant.Ça,etlefaitqu'ilsesoitlaissédistraireparsasensualité.Mauditsoit-il.Ilsavaitqu'ilss'étaienttrop

attardés,mais il l'avait faitmalgré tout.C'étaitde sa faute.Elle étaitunenouvelle fois endanger àcausedelui.Elleluimettaitlatêteàl'envers.—Ilsnouspourchassenttoutenpensantquetupeuxtetransformerendragon?—Amoinsqu'ilssachentquejenepeuxpaslefaire,souligna-t-il.C'estpeut-êtrepourcelaqu'ils

sonttellementagressifs.Ilssaventpeut-êtrequej'aiétéempoisonnéparlesElfesetqueleseffetsdupoisondevraients'estomperbientôt.

Elletrébuchaetfaillittomber.Ilbonditetluisaisitlebras.Elletournadesyeuxhorrifiésverslui.—MaiscelavoudraitdirequelesElfes-Ferion-savaientquenousallionsêtreattaqués!—Cela signifieauminimum,en tout cas,que l'undesElfesa transmis l'information,convint-il,

l'incitantàreprendresacourse.EtFerionpensepeut-êtrequetuasfaitcequetuavaisdit:tum'asfaittraverserlafrontièreelfique,puistum'aslaissé.

—Peum'importe, répliqua-t-elle d'un ton cassant.Si je revois cet Elfe, il va passer unmauvaisquartd'heure.

Ilneputs'empêcherdesourire.

—Jeveuxêtreprésent.Iln'arrêtaitpasderegarderderrièreeux,etilvitbientôtunehorded'orquessurgirdelaforêten

courant.Etaveceuxungroupedecavaliersarmés.Piasuivitsonregard.

—Lesorquesnemontentpasàcheval.Mêmemoi,jelesais.Leschevauxnelestolèrentpas.—Cesontleursalliés,lesFaesnoires,nota-t-il.Pourlapremièrefoisdepuisqu'ilscouraient,levisagedePiaétaitcrispé.—Ilsontdesarbalètes.

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Illuiadressaunsourireradieux.—Courage,chichiteuse.L'actioncommenceàpeine.Ilaccéléraetellesoutintlerythme,samassedecheveuxblondsvolantderrièreelleetseslongues

jambesdegazellefendantl'air.Ilétaitfierd'elle.Lepaysage changeadevant eux et une falaise se dressa à l'horizon. Ils avaient parcouruunpeu

moinsd'unkilomètrequandunedizainedeFaesnoires,descavaliers,apparurentausommet.Maisilsnemontaientpasdeschevaux.Ilsétaientjuchéssurledosdecréaturesquiressemblaientà

des libellulesgéantes.Leurs immensesailes transparentesveinéesdenoirmiroitaientavecdes tonsirisés.

Pias'arrêta.Dragosfitdemême.Ilsétaientprisaupiège.Elles'assitparterreetposalatêtesursesmains.Ils'agenouillaàsoncôtéetpassaunbrasautour

desesépaules.Ilneditrien,etellenonplus.Iln'yavaitrienàdire.Une fois qu'ils eurent cessé de courir, leurs poursuivants ralentirent et approchèrent avec

davantagedeprudence.Lesorquessedéployèrentendemi-cercle,lescavalierssemêlèrentàeux.LesFaesnoiresausommetdelafalaisenebougèrentpas,toujoursjuchéessurleurscréaturesvolantes.

Pia lesobserva.Le troisièmeenpartantde lagauche irradiait uneForceglacialeque les autresn'avaientpas.Elledéglutit,essayantdesoulagersagorgeparcheminée.

—Là-bas,dit-elle.LeroidesFaesestsurlafalaise,n'est-cepas?Dragoss'assitderrièreelleetl'attiracontresapoitrine.—Oui.Ilattenddevoirsionaurabesoindelui.—Toujourspasdetransformationpossible.Cen'étaitpasunequestion.—J'aibesoind'encoreunpeudetemps,répondit-ilensecouantlatête.Ilavaitbesoindetempsqu'ilsn'avaientpas.Elletournalevisageverslui.Sarespirationétaitdouce

etrégulière.Cecalmel'émerveillait.Ellen'étaitpascalme.Sonespritétaitentumulteetsoncœursautaitdanssapoitrine.Ellerepensa

auxcoupsquelesorquesluiavaientdonnés.EllepensaàKeithetàsonbookmaker,morts touslesdeux.Ellepensaaucouteauàcrand'arrêtglissédanslapochedesesleggings.

Dragos la lâcha, semit à genoux et retira l'espèce de harnais qui retenait ses armes. Il posa lahacheetl'épée.Puisilretiralacourteépéequ'ilportaitàlaceintureetlaposasurlesolégalement.Ilrivalesyeuxsûrleursennemis,etluidit:

—Peut-êtrequesijen'opposeaucunerésistance,jepeuxnégocieraveceuxtaliberté.—Tunepeuxpasterendre,protesta-t-elle.Ilstetueront!—Probablementpassur-le-champ.(Sonexpressionétaitfarouche.)Sijepeuxobtenirquetut'en

ailles,tuessayerasderetournerchezmoiàNewYorketturaconterasàmessentinellescequis'estpassé.Ilsteprotégeront.

Ilvoulaitdirequ'ilsneletueraientpeut-êtrepasimmédiatementparcequ'ilsletortureraient.Ellesentitlabileremonterdanssabouche.

ElleétudialeroidesFaesnoires.Ellen'avaitjamaisautanthaïquelqu'un.C'était l'unedesautresForces suprêmesdumonde, l'undesplusanciensparmi lesAnciens.Ses

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connaissances et sa mémoire des coutumes et de l'histoire de la planète devaient être immenses.CommeDragosl'avaitsouligné,ilétaitimpossibledesavoirceque

Keithavaitpuraconteravantqu'elleachètelesortd'engagement.—Ça nemarchera pas, de toute façon, ajouta-t-elle d'une voix neutre. Ils neme laisseront pas

partir.—Onsebat,alors,dit-ilsansessayerd'argumenter.—Jeneseraipascapturée.Ellefouilladanssapocheetsortitlecouteau.Elleappuyasurlelevieretlalamejaillit.Plusrapidequ'unéclair,illuisaisitlepoignet,lesyeuxétincelants.

—Qu'est-cequetufous,bordel?Tuneveuxpasêtrecapturée?Ehbien,onsebat.Onnerenoncepas.

Elle jetauncoupd'œilendirectiondesorquesetdesFaes. Ilsétaient tellementnombreuxqu'onauraitditunevéritablepetitearmée.Ilsétaientdésormaispresqueàportéed'arc.

Elleposaunemainsurlasienne.—Dragos,cettefois-ci,vas-tumefaireconfiance?Vas-tumelaissertenterunechosesansposer

dequestions?Samainetsonvisageétaientdemarbre,soncorpsseraidit.Elleluttacontrelapaniqueetgardaunevoixdouce.—Jet'enprie.Onapeudetemps.Ildétendit lesdoigts, lalaissafaire.Ellesemitàgenouxet luifitface.Ilnebougeapasetnela

quittapasdesyeuxpendantqu'elleplaçaitlapointeducouteaucontrelacicatriceblanchequ'ilavaitàl'épaule.Elleseconcentrasurlebronzeintensedesapeaunue.Ellesemordit lalèvreetessayadefairebougersamain,maiselleneréussitqu'àsemettreàtrembler.

—Merde,articula-t-elle.Jenepeuxpastecouper.LamaindeDragosrecouvritlasienne.Puisilseredressavivementet la lames'enfonçadanssapeau, justeau-dessusdelacicatrice.Dusangchaud,brillant,semitàcouler.Ellepritunegouléed'airetluifitunsignedetête.Illalâcha.

Le second passage de couteau fut plus aisé. Elle se servit de la lame pour entailler sa proprepaume.Laplaieétaitassezprofonde.Ladouleurs'épanouitetsonsangsemitàcoulerlelongdesonpoignet.

L'arméeenmarcheserapprochaitdeplusenplus,aupointqu'ellepouvaitdésormaisentendrelesorquesrireets'interpeller.

—OK,c'estleva-tout,marmonna-t-elle.Elleplongealesyeuxdanssesyeuxdefauconetplaquasonpoignetcontresaplaie,mêlantleurs

sangs.Pendantquelquessecondes,riennesepassa.Puisquelquechosebrillad'unviféclatetsortitd'elle

entraversantsapaume,seglissantenlui.LatêtedeDragosserejetaenarrière.Ileutunsursautetsuffoquaensebalançantsursesgenoux.SaForcerugit.

Ellechancelaaussi,prisedevertige.Puisilsemitàbriller,àchatoyer,etsedéployasirapidementqu'elletombasurledos.

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Ellesedressasurlescoudesetregarda,bouchebée,l'énormedragonquisetenaitau-dessusd'elle.Oh.Mon.Dieu.Elleavaitimaginéàquoiildevaitressembler.Elleavaitaperçusonombrevoler

au-dessusdelaplagealorsqu'ilétaitsurlepointdefondresurelle.Maisrienn'auraitpulaprépareràcechoc.Ildevaitpresquefairelatailled'unjetprivé.

Ilétaitdeplusieursnuancesdebronzeetlesoleil lefaisaitchatoyer,rendantsapeauiridescente.Ellefitalleretvenirsatêtecommeelleregardaitleslonguespattesplantéesdechaquecôtéd'elle.Auniveaudupied,lacouleurbronzedevenaitnoire.Ilavaitdesserresrecourbéesaussilonguesquesonavant-bras.Soncorpssouples'affinait,puisseterminaitavecunarrière-trainpuissantetunelonguequeue.

Desombresmajestueusess'élevèrentdusol.Ilavaitouvertsesailesquil'enveloppèrentcommeunmanteau.

Elleréussitenfinàbougeretreculaprécipitammentàquatrepattes,unpeucommeuncrabe.Ilployasonlongcouserpentinetbaissaunetêtetriangulairecornueafindepouvoirlaregarder

avecdesyeuxquiévoquaientunefoisencoredesflaquesdelaveenfusion.Puis,avecunsifflement,lefouetdesaqueuefenditl'air.—Ceciestmalonguequeuereptiliennecouverted'écailles.Etelleestplusgrossequen'importe

quelleautre,fitDragosd'unevoixplusample,plusbasse,maisreconnaissable.Uneimmensepaupièresebaissa,luifaisantmanifestementunclind'œil.Piafutprised'unfourire.—Netelèvepas,dit-il.Ilbaissalatêteensetournantverslafalaisedansunmouvementfluide,dénudasescrocsetlança

sondéfiavecviolence.—Jet'attends,salaud.Uneparune,lesFaesnoiress'élevèrentdanslesairssurleursdestriers-libelluleset,sedétournant,

prirentlafuite.Ellesentitleprédateurenlui,vibrantdel'instinctdepartiràleurpoursuite.Ilseretinttoutefois,et

ellesavaitpourquoi. Ilnevoulaitpas la laissersansprotectionalorsque l'arméedesorquesetdesFaessetrouvaitsiprès.

Elle se souleva sur un coude pour regarder en direction de leurs poursuivants. Ils battaient enretraite.

Uneespècederaclementluifittournerlatêteversledragon.Ilavaitplantésesserresdanslaterreetgrondaitdansleurdirectionenmontrantlesdents.

—Dragos,l'appela-t-elle.(Elleindiqualesfuyardsd'unmouvementdumenton.)Vas-y.Il ne se le fit pas dire deux fois. Il se ramassa sur lui-même, puis s'élança dans les airs. Un

rugissementfenditleciel,évoquantunassourdissantcoupdetonnerre.Lesorquessemirentàhurler.Ce ne fut pas tant une bataille qu'un massacre, une véritable extermination. Après le premier

plongeonspectaculairedeDragos,suivid'unevoltigequiluipermitderaserleurstêtesetdecracherdufeu,ellen'eutplus l'estomacpourregarder.Elles'allongeasur leventre,enfouit la têtedanssesbrasetattenditqu'ilaitfini.

La puanteur des orques était couverte par l'odeur de fumée huileuse. Le silence retomba vite.Aucundeleursennemisn'avaitquittélaplaineenvie.

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Elleenfouitsonvisagedavantageencoredansleshautesherbesodorantes.Lesoleilapprochantdesonzénithluichauffaitledosetlesépaules.Unbruissementserapprochaetuneombresurgitdevantelle.Quelquechosedetrèslégerluichatouillalesbras,effleurasescheveux.

—TuastuélesmonturesdesFaes?—Jenedevaispas?demandaDragosd'untonvaguementinquiet.—C'estjustequecen'étaitpasdeleurfaute,dit-elleenhaussantlesépaules.—Siçapeutaider,j'avaisfaimetj'enaimangéune.Elleneputs'empêcherdepoufferderire.—Jesupposequeçaaideunpeu.Elle se mit sur le dos. Il s'était étendu à côté d'elle. Ses ailes, repliées, faisaient penser à un

extraordinairedrapédecouleurbronzequinoircissaitàsesextrémités.Soncuirluisaitausoleil.Ellelevalatêteetregardaducôtéducarnage,oùquelquesvolutesdefuméeétaientencorevisibles.LatêtetriangulairedeDragosluibloqualavue,sesyeuxd'orlafixaientavecintensité.

—Neregardepasparlà,dit-ild'unevoixdouce.Elles'assitets'appuyacontresesnaseaux.Elleposalajouecontrelui.Deprès,elledistinguaitun

motifsursoncuir,commedesécailles.Ellecaressal'arrondid'unenarine.Elleavaitl'impressionquec'étaitunezoneplustendrequelerestedesoncorps.Ilnebougeapasetsarespirationlégèresefitpluscourte.

—Est-cequec'estagréable?—Oui,très.(Ilsoupiraetonauraitcruunebourrasque.)Mercidem'avoirsauvéencoreunefois

lavie,PiaAlessandraGiovanni.

—C'estmoiquivousremercie,mister.Aprèsunmoment,ilrecula,luidonnantlaplacedes'étireretd'allongerlesjambes.Ellelevales

yeuxetcontemplasalonguesilhouettetriangulairequisedécoupaitencontre-jour.—Tuas,reprit-il,deuxchoix.—C'estbien,leschoix.(Elleseleva,sesentantsoudainfourbue.)Leschoixsontpréférablesaux

ordres.—Tupeuxmontersurmondos,oujepeuxteporter.—Temonter?Waouh.(Elleseprotégealesyeuxdelamain.)C'estunpeutropd'excitationpour

aujourd'hui.Jenevoispasdeceinturedesécuritélà-haut.—Atonservice.Il l'enveloppadans les longuesgriffesd'undesespiedsavecunetelleprécisionqu'ellenesentit

absolument rien, ni égratignure ni pincement.Quand il leva le pied, elle découvrit qu'elle pouvaits'asseoirconfortablementdansuncreux.Illasoulevaafindepouvoirlaregarder.

—Çava?—JemesensunpeucommelapetiteblondedansKingKong,maisàpartça,c'estsuper.Tusais,si

tun'étaispasunmultimilliardaire,tupourraisgagnertavieenfaisantl'ascenseur.Illaissaéchapperunriresonore,puisilpritsonenvol.Ellepoussauncri.

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Cenefutpasunvolsansheurts,maisilétaitrythméparlebattementdesesailes.Ellepensaitaussiqu'elleallait segeler.Maiselleeut encoreune surpriseen se rendantcomptequ'il avait enveloppéautour d'elle une couverture de velours en invoquant sa Force. Elle était ainsi protégée du froidrencontréenaltitude,etsurtoutduvent.

Ellepercevait,aufuretàmesurequ'ilss'enrapprochaient,larecrudescencedemagiequimarquaitunpassagepermettantderejoindreladimensiondeshumains.Guidéparunsensdel'orientationquiluiétaitétranger,ildéployacomplètementsesailesetilsplanèrentjusqu'àunpetitcanyon.

—Tuarrivesàouvrirlesyeux,oupasencore?luidemanda-t-iltélépathiquement.—Jeregarde,répliqua-t-elle.

—DenombreuxpassagesverslesAutresContréessontsimilairesàcelui-ci.Ilssontposéssuruneespècedefailledanslepaysagephysique.Sinousvolionsneserait-cequetroisouquatremètresplushaut,nousneserionspasdanslepassage.

Àunmoment,lesoleilchangeaetdevintpluspâle.Lecanyonserétrécitaupointdeneplusêtrequ'unravinenvahiparlesbroussailles.Laqualitédel'airsemodifiaégalement.Ilsétaientpassésdel'autrecôté.—Est-cequetusaisoùonest?questionna-t-elle.

—Aunorddel'endroitoùnousnoustrouvions.Jeconnaismieuxlepaysagedelacôte.J'auraiunemeilleure idée quand nous survolerons l'Atlantique. Ce qui m'intéresse davantage en fait, c'est desavoirqueljournoussommesetcombiendetempss'estécoulépendantquenousétionsdansl'AutreContrée.

Elleavaitcomplètementoubliécettehistoiredetemps.Elleobservalepaysagechangerlorsqu'ilbifurquaversl'est.Unedemi-heureplustard,lalignebleuedel'océanapparutdevanteux.Ilmitlecapsurlenordetlongealacôte,atteignantunealtitudeélevée-ellelesentitàlararéfactiondel'air.Lesvillesetlesvillagesqu'ilssurvolaientavaientl'airdejouets.

—Là-bas,dit-il.C'estVirginiaBeach.Ilnousrestedeuxbonnesheuresdevol.Après un moment, observer les côtes devint tellement banal qu'elle s'ennuya. Elle inspecta la

coupure de sa paume qui s'était cicatrisée. La croûte avait l'air de dater d'une semaine. Elle lagrattouilla distraitement, puis s'absorba dans la contemplation des longues serres recourbées quil'encerclaient.Elleenfrottaune,latapotaavecunongle.Ellebrillaitcommedel'obsidienneetétaitcertainementplusdurequ'undiamant.

Elle soupira. Après toutes ces péripéties, voilà qu'elle revenait à New York, dans les griffes,littéralementparlant,delacréaturequ'elleavaitvoulufuir.

Etaveclaquelleelleavait,soitditenpassant,étéauseptièmecieletplushautencore.Cette histoire était hallucinante. Elle regarda furtivement Dragos. Les souvenirs de leurs ébats

étaienttellementintensesqu'elleenperdaitlesouffle.Ilssemblaientirréelsenmêmetemps,commesicequis'étaitpasséétaitarrivéàquelqu'und'autre.Etelleavaitdumalàassocierl'hommequiavaitétésonamantaveccettecréatureexotiquequilaportaitavectantdesollicitude.

Elleappuyalescoudessuruneserreetenfouitsonvisagedanssesmains.Desimagesdesderniersjoursdéfilèrentdevantsesyeux.L'affrontementaveclesElfes,Dragosblessé.L'accidentdevoiture.Laforteressedesorques,lescoups.Lerêvemagnifiqueoùelleavaitvusamère.Labatailledanslaplaine.

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Ellenesavaitpasquoipenserdetoutcela.Elleauraitvouluseréfugierquelquepartetyréfléchirtranquillement.Ettoutcomprendre.Dugenre,dansdixans.

Etcen'étaitvraimentpasbonqu'elleaitattirél'attentionduroidesFaes.Iln'étaitpaspossiblequ'ilsachetoutcequis'étaitpasséentreelleetDragos,maisc'estensemblequ'ilsavaientfui.LeroidevaitsedemandersielleavaitjouéunrôleimportantdanslatransformationdeDragos.

Ah,pouréviterd'éveillerlacuriosité,elleavaitfaitfort!Quellenouille!S'ilavaitpeut-êtresuquelquechoseavant, il seposaitdésormaisdesquestionssurelle.Siçase

trouve, ils allaient afficherdesphotosd'elledans lespostes, les commissariats, et les envoyer auxservicessecrets.

Ellepourraittoujourssefairerefairelevisageetdisparaîtreaufinfondd'unvillagemexicain.Sielle était enmesure de collecter ce qu'elle pouvait dans ses trois planques restantes et quitter unenouvellefoislaville.MaisDragosl'avaitavertiequ'illaretrouveraitsielleessayaitdes'enfuir.

Qu'est-ce que cela faisait d'elle ? Elle n'en savait rien. Serait-elle sa prisonnière quand ilsarriveraient?Était-ilsérieuxquandildisaitqu'elleluiappartenait?Ilavaitparfoisundrôledesensdel'humour.

Dis-moijustecequejeveuxsavoiretjetelaisseraipartir.Ah,labonneblague.Ellen'arrivaitpasàcroirequ'elleavaitpugoberuntrucpareil.

Ellepensaitqu'il luiavaitvraimentpardonnépour le larcin.C'étaitunmiracleensoi,vuqu'elleavait imaginé qu'il lamettrait en pièces pour la punir. Et elle lui avait promis de ne pas tenter des'échapper.Elleavaitétésincèreàcemoment-là.

Ellesedemandaitsielleallaittenircettepromesse.Lavieétaitdevenuetellementimprévisible.Toutcequ'ellesavait,c'étaitquesonavenirétaittoujoursaussiincertainetdangereux.Etqu'elleétait...denouveauseule.Encoreplusseulequ'avant.

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11Ellesombradansundemi-sommeilagité,latêteappuyéesurunbrasetblottiecontreunegriffe.

C'étaitunpeucommefairelasiestedansunavion,enfait.Lechangementd'altitudelaréveilla.Elleseredressaengrimaçantetregardaautourd'elle.NewYorkl'environnait.Lecrépuscules'étaitinstalléettoutesleslumièresdelavilleluisautèrentauxyeux.

Dragoseffectuaunvirageetsemitàtracerunvastecercle.Ilssedirigeaientversl'undesgratte-ciellesplusélevés.IlsseposèrentsurlapisteménagéesurletoitdelatourCuelebre.

Ellebalaya le lieudu regard, étourdie, et essayade se lever sans chancelerquandDragos la fitdescendre.Letoitétaitimmense.

Un groupe de personnes les attendait, posté à côté de portes à double battant. Devant eux, unhomme à la chevelure fauve se tenait droit comme un I. Une superbe femme à l'air sauvage leflanquait,mains sur les hanches. Un homme au type amérindien se tenait légèrement en retrait. Ilportaitunjeannoiretungiletdecuirnoirégalement.Sescheveuxnoirsétaientcoupéscourt.

Ilsavaienttousdesminespatibulaires.L'air derrière elle vibrait de Force. Elle regarda par-dessus son épaule : Dragos s'était

métamorphosé. Par une espèce de tour de passe-passe, il portait toujours lemême jean déchiré etcrasseux,sesbottes,etriend'autre.Elleposalesyeuxsursapoitrinenue,remontajusqu'àsonvisagetailléàlaserpeetsesyeuxderapace,etsesentitdéfaillirpourlaénièmefois.

Il lapritpar lebraset sedirigea rapidementvers legroupe.Ellesentit le rouge luimonterauxjouestandisquedesregardsintriguésetpeuavenantsseposaientsurelle.

—C'estpas trop tôt, fit l'hommeà lachevelure fauve,qui indiquadumenton l'Amérindien. J'aidemandédurenfortenAmériqueduSud,Tiagoetlerestedelacavalerie.Çava?

—Oui,toutvabien,ditDragos.Deuxdeshommesouvrirentlesportes.Dragosn'accordaaucuneattentionauxportesouvertesde

l'ascenseurets'engageadansl'escalier.Lesautressuivirent.—Conférencedansdixminutes.Lachambreestprête?Quelle chambre ? Sa chambre ? Pia le regarda comme ils arrivaient à l'étage où se trouvait le

penthouse.—Toutestprêt,notal'hommeàlachevelurefauvejustederrièreelle.Quelquesautreslesavaientquittés.Ilslongèrentunvastecouloir,bifurquèrentetenempruntèrent

un second.Le sol était demarbre, luxueux.Desœuvres d'art originales étaient disposées dans desnichesménagéesdanslesmurs.Elletorditlecou.Attends...c'étaitunChagall,non?

Dragos s'arrêta devant une porte en bois blond. Il la poussa et s'effaça pour la laisser entrer.L'hommeàlachevelurefauveetdeuxautresrestèrentdanslecouloir.

Piabalayalapièceduregard.Elleeut lavagueimpressiond'unepièceplusgrandequ'unepetitemaison. Ses tennis crasseuses s'enfoncèrent dans lamoquette blanche épaisse.Une cheminée et uncoin séjourmeublédecanapésetde fauteuils encuir clair se trouvaientdans l'undesanglesde la

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pièce. Un lit en fer forgé de la taille d'un bateau trônait de l'autre côté, débordant de coussins etd'édredons.Unvasteécranplatétait accrochésurunmur,etunminibar logédansunealcôve. Ilyavait aussi une immense baie vitrée dotée de portes-fenêtres à verre poli. Des portes ouvertesmenaientàdespenderiesetunesalledebains.

Illafittournerfaceàluietluisoulevalementon.Elleleregardaavecdegrandsyeux.—Jesaisàquelpointtuesfatiguée,dit-ilàvoixbasse.Jeveuxqueturestesici,quetuprennesun

bainchaudetquetutereposes.Tutrouverastoutcedonttuasbesoin,vêtements,boissons,etjevaistefairemonterunrepaschaud.D'accord?

Ce cadre lui semblait d'une certainemanière plus étranger que l'Autre Contrée. L'agitation quil'habitait s'en trouva encore augmentée. Elle avait àmoitié peur de lui à nouveau,mais enmêmetemps ne voulait pas le voir partir. Elle semordit les lèvres, serra les poings pour s'empêcher detendrelesmainsversluietdepasserpouruneemmerdeuse.Elleluifitunsignedetêterapide.

Ilposaunemainsursanuque,chaudeetpesante.—J'aidiscutéavecRunependantnotreapproche.Celafaitunesemainequenoussommespartis.Il

fautquejelesbriefesurtoutcequis'estpassé,expliqua-t-il.—Tudoisavoirunmilliondechosesàfaire.Ellesedégagea,croisalesbrasautourd'elleets'écartadelui.Ilrestaimmobile,l'airperplexe.Ellejetauncoupd'œilendirectionducouloiretvitlemâleàla

chevelurefauvequidevaitêtreRune,etdeuxautrescolosses.IlsavaienttouslestroislesyeuxrivéssurDragoscommes'ilsnelereconnaissaientpas.

Iltournalestalonsetsortitdelachambre.—Bayne,Constantine,restezici,ordonna-t-il.Donnez-luitoutcequ'elledemande.—Trèsbien,fitl'undeshommes.DragosdisparutavecRune,lalaissantseuledansl'immensepièceavecdeuxhommespostésàsa

porte.Desgardesarmés.Aumoins,elleavaitlaréponseàunequestion.Elleétaitprisonnière.L'undesdeuxsaisitlapoignéedelaporteetluifitunsignedetête,sonvisagehâlédénuédetoute

expression.—Nous frapperons quand votre repas arrivera, dit-il. Est-ce que vous avez besoin de quelque

chose?—Non,merci,répliqua-t-elle,lagorgesèche.Jen'aibesoinderien.Legardefermalaporteetlalaissaseule.Elleparcourutlapièceduregard.Lachambrevideétaitdrapéed'ombresquis'allongeaientavec

l'installationducrépuscule.L'étrangeluxedupenthousesemblaitplusfroidetplusdésincarnésanslaprésencedeDragos.Ellesefrottalesbrasetfrissonna.

Elleretiraseschaussuressalesetlesposasurlecarrelagedelasalledebains,quiétaitplusgrandequel'appartementqu'elleavaitoccupé.Puisellesedirigeaversl'alcôvequidissimulaitleminibar.

S'ilétaitpetit,ilcontenaitunvasteassortimentd'alcools,tousdequalitésupérieure,bienentendu.Ilyavaitunemachineàcafésur lecomptoiretunévier.Elleavisaunréfrigérateureten inspecta lecontenu.Desbouteillesd'eaud'EvianetdePerrier,delabière,plusieurssortesdejusdefruits,duvin

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blancetduChampagne.Elle sortit deux bouteilles d'eau et avala une petite Evian. Puis, sa soif étanchée en partie, elle

ouvritunebouteilledePerrieretlabutpluslentement.Desbûchesétaientempiléesdansl'âtredelacheminée:iln'yavaitplusqu'àallumerlefeu.Une

boîted'allumettesétaitposéeàcôtédelatélécommandepourlatélévisionsurlatablebassedevantlescanapés.Ellecédaàlatentationetallumaunfeu.

Elle s'approcha ensuite d'unedespenderies.Uncôté était rempli devêtements d'homme.L'autrecontenaitsesvêtements.

Lesvêtementsqu'elleavaitdanssonappartement.Ellepoussa les cintres etouvrit les tiroirsde la commode.Ses sous-vêtements, chaussettes, tee-

shirtsetshortsétaientrangés,touspropres,repassésetplies.Elle leva une culotte blanche pour la contempler. Un étranger avait lavé son linge... et l'avait

repassé?C'était également le cas pour les vêtements sur les cintres. Ses chaussures étaient cirées et

soigneusementdisposées.Sapetiteboîteàbijouxencèdreétaitplacéesurl'unedescommodes.Ellel'ouvrit, et les larmes lui montèrent aux yeux en découvrant le collier ancien de sa mère. Elle lecaressa,puisrefermadoucementlaboîteets'appuyaaumeuble.

C'étaitàlafoisflippantet...pleindedélicatesse.Retrouverdesobjetsfamiliersétaitréconfortant,maiscelalaterrorisaitaussiàmoitié.

Quandavait-ildonnél'ordred'allercherchersesaffaires?Àlaplagelorsqu'ils'étaitservidesontéléphonepourappelerRune?

Elleattrapauntee-shirt,unsoutien-gorgedesport,uneculotteetunshortenpilou,puisserenditdanslasalledebains.Labaignoireavaitlatailled'unepetitepiscine,etdesmarchesetdesbancspours'asseoir;ilyavaitaussidesflaconsneufsdebainmoussantparfuméChanel.Sesaffairesdetoiletteet sonmaquillageétaientposéssur lecomptoirdemarbrequi jouxtait le lavabo.Desbouteillesdeshampooingetdedémêlantdelamarquequ'elleaimaitétaientdansladouche.

Quelqu'unavait apparemmentpenséà tout, aumoindrepetitdétail, saufàceluide luidemandersonavis.Unecagedorée.

Elle ferma laporteavantde sedéshabiller.Ladoucheétait très largeavecplusieurspommesetmêmeun banc.Une fois qu'elle eut compris comment s'en servir, elle resta sous les jets, les yeuxfermés,jusqu'àcequelachaleurachèvedesapersonénergieetqu'elledoives'asseoir.Elleselavalescheveux,sefrottalecorps.Elleenroulauneservietteautourdesatêteaprèss'êtrerincée,puissesécha et s'habilla.Que ce soit rationnel ounon, elle se sentit immédiatementmieuxdès qu'elle eutenfilédesvêtementspropres.

Quandelleressortitdelasalledebains,elledécouvritqu'unchariotetunepetitetableainsiqu'unechaiseavaientétéinstallésdevantlesfenêtres.Latableétaitrecouverted'uneépaissenappeblancheenlinetdecouvertssimplesmaisélégants.Descouverclesd'argentétaientposéssurlesplats.Unepetitebouteilledevinblancétaitaufraisdansunseauàglace.Affamée,ellesoulevatouslescouvercles.

Elledécouvritunrisottoaucitronetauxaspergesgarnid'amandesémondées,unesaladeverte,despoirescoupéesetdesairellesséchées,dupainfrais,dessachetsdemargarineausojaetuncrumbleauxmyrtillespourledessert.Ellesejetasurlanourritureetn'enlaissapasunemiette.

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Unefoisrassasiée,ellen'eutplusdeplacepours'inquiéter:ellen'arrivaitmêmeplusàgarderlesyeux ouverts. Elle eut l'énergie de se brosser les dents, avant de se glisser entre les draps du litimmense. Une prison comme ça, on n'en trouvait pas partout. Elle bâilla, renonça à réfléchir ets'endormit.

Unétageau-dessous,Dragosentrad'unpasdécidédans la salledeconférences, suiviparRune.

Située à côté de ses bureaux, c'était unegrandepièce équipéede sièges en cuir noir, d'une longuetableenchêneetdematérieldevidéoconférencederniercri.

Toutessessentinellesétaientprésentes,àl'exceptiondesdeuxgriffonsBayneetConstantinepostésdevant la porte de Pia. Rune s'assit à côté du quatrième griffon, Graydon, et inclina sa chaise enarrière.Tiagos'adossaaumurdufond,présencesombreetvaguementmenaçante.Aryalétaitaffaléesursachaiseetpianotaitsurlatable.Ellen'arrivaitjamaisàêtreparfaitementimmobile,saufsiellechassait.LagargouilleGrymorientasachaisedefaçonàpouvoirobserverAryal.

Tricks, la féeconnuesous lenomdeThistlePeriwinkle,directricedes relationspubliquespourCuelebre,étaitassiseàl'autreboutdelatable,brasetjambescroisés.Sescheveuxlavandevaporeuxétaientendésordre.Elleagitaitnerveusementunpiedminusculetoutenfumantcigarettesurcigarette.

Dragos, à l'instar deTiago, ne s'assit pas. Il alla s'appuyer contre unmeuble, passa unpied surl'autre,croisalesbras,rentralementonets'absorbad'unairsombredanslacontemplationdusol.

Iln'aimaitpaslamanièredontilsesentait.Ilétaitnerveuxetinquietd'avoirlaisséPiatouteseule.Lesentiments'étaitintensifiéavecchaquepasquil'éloignaitd'elle.Elleavaiteul'airperduedeboutaumilieudecetteimmensechambre.

Iln'aimaitpasnonpluslamanièredontellel'avaitregardé.Commes'ilétaituneénigmequ'elleneparvenaitpasàélucider.Ouunebombesusceptibledeluiexploserauvisage.

Elles'étaitreculée,écartéedeluijusteavantqu'ilquittelapièce.C'étaitinacceptable.Maisavantqu'ilpuisselarejoindreettenterdesavoircequ'elleavaitdansla

tête,ilfallaitd'abordqu'ilfassecedébriefing.Ilregardalesautrespersonnesprésentes.Ilsavaienttouslesyeuxrivéssurluietattendaient.—Aufait,Tricks,dit-ilensetournantverslafée,tononcleUrientepasselebonjour.Tricks lâcha une litanie de jurons, les traits déformés. Elle écrasa rageusement une cigarette à

moitiéfuméedansuncendrier.—Qu'est-cequecesalaudaencorefait?Runeintervint.—Toutlemondesaitcequis'estpasséjusqu'aumomentoùtuasappelédepuislaCarolineduSud.

Nous gérons encore les conséquences de ton entrée clandestine chez les Elfes. Ils ont lancé unembargocommercialetindustrielpourtoutcequitouchedeprèsoudeloinàCuelebreEnterprises,ainsique toutes lessociétéswyrsconnues. Ils jurentaussiqu'ilsvousontescortés, toiet la femme,jusqu'àleurfrontière.Ilsinsistentpoursavoircequiluiestarrivé.

—Tuveuxdire,àpartabritercettecriminelledansunpenthousedeluxe?Oui,c'estunchâtimentcruel,sanslemoindredoute,murmuraAryalàGrymd'untonrailleur.

L'ouïefinedeDragoscaptalecommentaire,maisildécidadenepaslereleverpourl'instant.—Ilsnousontescortésjusqu'àlafrontière.C'estvrai.

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Il leur raconta la suite, omettant ce qui s'était passé entre lui et Pia, et il glissa sur tout ce quitouchaitauxsecretsdelajeunefemme.Piaétaitsonmystèreàlui.Ilavaitl'intentiondelerésoudreseul.

Les tempéraments s'échauffèrent quand il décrivit l'affrontement dans la plaine. Lorsqu'il eutterminéson récit,Tiagocommençaàs'agiter.Soussa formed'oiseau-tonnerre, il étaitaussigrandquelesgriffons.

—C'estlaguerre,alors.Pastroptôt.Sesyeuxd'obsidienneétincelaientdesatisfaction.—C'est la guerre, acquiesçaDragos. Nous n'arrêterons pas tant qu'Urien ne sera pasmort. (Il

tournalesyeuxversTricks.)CelasignifiequetuserasenfinlareinedesFaesnoires.—Grandsdieux,non,grognalafée.JenepeuxpassupporterlacourdesFaesnoires.—Ehbien,prendssurtoi.Celafaitsuffisammentlongtempsquetufuistoutça.Etcettefois,Urien

estallétroploin.Plus de deux cents ans auparavant, selon le temps humain, Urien avait pris le pouvoir et la

couronneaprèsuncoupd'Étatsanglant.Ilavaitassassinésonfrère,leroi,l'épouseduroiettouteslespersonnesquipouvaienthériterdutrône.Iln'avaittoutefoispasréussiàexterminertoutlemondeetTricks,lafilleaînéedessouverains,avaitpuéchapperaumassacre.

Âgée de dix-sept ans, Tricks s'était réfugiée auprès de Dragos, la seule entité qu'elle savait enmesuredetenirtêteàsononcle.Ellenel'avaitpasquittédepuis.

—Ons'estbienamusésàluifairedesbrasd'honneurpendanttoutcetemps,hein?Maistusavaisqueçafiniraitunjour,luidit-il.

Ellehochalatêted'unairaccablé.—Bon,voilàcequ'onvafaire.Tiago,envoieunepartieducontingentquetuasamenéavectoi

nettoyercetteforteresseorque.—Çamarche,réponditTiagoensouriant.—Aryal,poursuivitDragos,enquêtesurcetteconnexionelfique.Jeveuxsavoirquiestsusceptible

d'avoirdivulguénotreprésenceàUrien.Laharpiefitunsigned'assentiment.Ilsetournaverslagargouille.—Grym,jeveuxquetutravaillesavecTricksafind'étudierleplandupalaisdesFaesnoiresetde

leursterresenvuedetrouverdesanglesd'attaque.Tricks,j'aimeraisquetutrouvesquelqu'unpourteremplacer avant ton départ. Nous allons avoir besoin d'un nouveau responsable des relationspubliques.

—Bienentendu,réponditlafée.—Çane seraplus jamaispareil, fitGraydond'un tonempreintdenostalgie.Voir sonadorable

petitminoisquandellepasseàlatélévisionensachantqu'Uriendoitgrincerdesdents.Toutlemondeéclataderire.MêmeTricksréussitàsourire.*RuneetGraydonavaientlesyeuxrivéssurDragos.—Jusqu'ànouvelordre,vousdeux,plusBayneetConstantine,êtesenmissionspéciale.Vousallez

tous les quatregarderPia chaque fois que je ne suis pas avec elle.Deuxdegarde, deuxde repos,vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Elle ne doit jamais être laissée seule.

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Compris?Runeseredressadanssonfauteuiletsonbeauvisageprituneexpressionattentive.Graydon,quant

àlui,avaitl'airtotalementincrédule.L'incrédulité,àvraidire,selisaitsurtouslesvisages.—Tuassignesquatredetesguerrierslespluspuissantsaubaby-sittingd'unevoleuse?demanda

Aryal.Dansuncontextepareil?Dragoslaregardaparendessous.Grymposaunemainsurlebrasdelaharpie,puiss'adressaàlui

:—Saufs'ilyaautrechose,nousallonsnousmettretoutdesuiteautravail,seigneur.Jecroisque

nousavonstousbeaucoupàfaire.Dragosobservalaharpieencoreunmoment,ledragonsurlepointdeseréveiller.Aryalbaissa

lesyeuxetinclinalatêteavecsoumission.—Autravail,ordonna-t-il.Ilsselevèrentetsedispersèrent.RuneetGraydonluiemboîtèrentlepas.Ilserenditàl'étageau-

dessusetlongealecouloird'unpasvif,plongédanssespensées.IlarrivaàlaportedePiaoùBayneetConstantine,appuyéscontrelemur,étaiententraindediscuter.Ilsseredressèrentenlevoyant.

—Briefe-les,ordonna-t-ilàRunequifitunsigned'assentiment.Ledragontoujoursenalerte,illesdévisageatous.Lesgriffonsl'observèrentd'unaircalme.—Jevaisêtretrèsclairpourqu'iln'yaitpasd'embrouille.Noustravaillonsbienensembledepuis

presque mille ans. Vous comptez tous beaucoup pour moi. Votre service m'est précieux et votreloyautéestquelquechoseque jeplaceau-dessusde tout. (Il regardaRune.) Je teconsidèrecommemonmeilleurami.

Ilindiqualaportedudoigt.—Voleuse ou non, elle est àmoi et je la garde. Si l'on touche à un seul cheveu de cette jeune

femme,ilvaudramieuxpourvousquatrequevousayezdéjàétémassacrésquandjevousretrouverai.LeregarddirectdeRuneplongeadanslesien.—Tun'aspasdesouciàtefaire,seigneur.Nouslagarderonsavecnosvies,jelejure.Malgréleconfortdulitetsonépuisement,Piasetournaetseretourna,n'arrivantpasàsombrer

dans un sommeil profond. Elle rêvait qu'elle était pourchassée. Les scènes changeaient sans arrêt.D'abordellerampaitdanslespassagessecretsd'uneimmensemaisonàlarecherched'unendroitoùsecacher.Ensuiteellesefaufilaitentre lespassantsdansunevillequ'elleneconnaissaitpas,suivieparquelqu'undemenaçant.Ellen'arrivaitjamaisàvoirclairementlestraitsdesonpoursuivant,maisillaterrorisait.

Puisquelqu'unsoulevalesdraps,etungrandmâlehumideetnuseglissadanslelitàcôtéd'elle.Elleseréveillaensursaut.

—Chut,c'estmoi,murmuraDragos.Jenevoulaispasteréveiller.—Pasgrave,chuchota-t-elle.J'aimaispasmonrêve,detoutefaçon.Cen'étaitpasunebonneidéequ'ilsoitdanssonlit,songea-t-elle.Oubien,était-elledanslesien?

Ellen'étaitpassuffisammentréveilléepourcomprendreexactementcequisepassait.Elleétaitjusteassezéveilléetoutefoispouréprouverunevaguedeplaisiretdesoulagement.

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Ill'entouradesesbras.Ellesepelotonnacontrelui.Sachaleuretsonénergiel'enveloppèrent.Elleappuya sa joue sur son épaule, contre la peau humide qui sentait le propre et qui recouvrait desmusclespuissantscommeunegainedesoie.

—Est-cequetonrepast'aplu?—Délicieux.—Tantmieux.(Ill'embrassasurlefront.)Retirelesort.—Sommeil,grommela-t-elle.—S'il teplaît,dit-ilenluicaressantlescheveux.Ellemarmonna,s'yrepritàdeuxoutroisfois,

maisfinitparsaisirlesortquiluipermettaitdecachersaluminescenceetledéverrouilla.—C'estmieux,approuva-t-ilenpoussantunlongsoupir.Il immobilisa ses jambes avec une de ses lourdes cuisses. Elle jeta un regard ensommeillé sur

leurscorpsentrelacés.LalueurpâledesasilhouettesemblaitsertiedanslebronzefoncédelapeaudeDragos.C'était une étreinte jalouse et étouffante. Elle aurait dû vouloir s'en dégager. Elle soupira.Quelquechoseselovaconfortablementauplusprofondd'elle-mêmeetellefermalesyeux,paisible.

Cettefois-ci,sonsommeilfutsansrêve.Desheuresplustard,quelquechoselatiradesonsommeilprofond.Unegrandemaincaressaitsa

poitrine.Desdoigtsglissaientdesonventreplatjusqu'àsescôtes,puistraçaientuncercleautourd'unsein,del'autre.

Ellesoupirad'aiseets'étira.Elleroulasurledos,secambra.Deslèvreseffleurèrentsonépaule,frôlèrentlacourbegracieusedesoncou.Desdentsmordillèrentlelobedesonoreille.

Elleouvritlesyeux.Elleeutunchocenconstatantqu'elleétaitaulitaveclui,toutenue.Ellefrottaun pied contre sa jambe, les poils lui chatouillant les orteils. L'aube pointait dehors, plongeant lachambredansunesymphoniedegris.Dragosétaitappuyésurunbrasetpenchéau-dessusd'elle.Sonvisagesévèreétaitintense.Saboucheétaitincurvéeenunsourireparesseuxetsensuel.

IlétaittellementmagnifiquequePiasentittoutsoncorpspalpiter.LesnarinesdélicatementourléesdeDragoss'ouvrirentlégèrement,etellesutqu'ilpercevaitsonémoi.

Ellepassasalanguesurseslèvres.Ilobservalemouvement.—Jesuisàpeuprèscertainedem'êtrecouchéeavecdesvêtements,fit-elleremarquer.—Oui,etalors?répliqua-t-ild'untonlangoureux.Iltraçadudoigtl'aréoled'unsein.Ellelevit

déglutirquandilremarquaquesonmamelonsedressait.—Ilsmegênaient,ajouta-t-il.—Tum'asdéshabillée?Jedevaisdormirvraimentprofondément.— Je t'ai peut-être aidée un peu. (Elle le regarda d'un air interrogateur.) C'était juste un petit

charme.Tuavaisbesoindetereposer.—Sansmesvêtements.Voilàqu'ilrecommençaitàluifaireperdrelatête.Ilsallaientdevoirdiscuterdufaitqu'ellen'était

pasunepoupéeBarbiequ'ilpouvaithabilleroudéshabilleràsaguise.—J'avaisbesoindemereposer,moiaussi,dit-il.Etilsdérangeaient.Elleneputretenirunrire.

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Ilcommençaensuiteà tracerses lèvresd'undoigt.Ellepritsondoigtdanssaboucheet lesuça,l'enflammantinstantanément.

Ilretiraledoigt.Desyeuxd'orétincelèrent,véritableincendie.Ilbaissabrusquementlatêteetlaforçaàs'enfoncerdansl'oreillertandisqu'ilplongeaitunelanguedureetimpatientedanssabouche,plaquantunemainentresescuissesetpalpantsonsexehumide,avantd'immiscerdeuxdoigtsdanssafente.

Ellegrognaetagrippasonbras.Sesgestesagressifséveillèrentchezelleuneréponseincontrôlée.Ellesesentitgonfler,mouiller,etelletrempasesdoigts.Ilgronda.Piapressaseshanchescontresamain.

Elleretirasabouchedelasienneethaleta:—Attends...jeneveuxpas...Ilétaitjusteau-dessusd'elle,unrapaceprêtàfondresursaproietandisquesonpoucetrouvaitet

frottaitsonclitoris.Ellegémitetappuyasursamainpouraccentuerlapression.—Tuneveuxpas?murmura-t-ilenluisouriantavecmalice.Elletrouvasonpénisetlesaisit.Ilémitunfeulement,frémissantcontresapaume.—Jeveuxt'explorermoiaussiavantquetumefassesperdretousmesmoyens.Elleleregardaavecunpeud'incertitude.Ilétaittellementdominateur.Ellen'avaitpaslamoindre

idéedecequipourraitluiplaire.—Tuaimeraisça?demanda-t-elle.Ilmarquaunepauseetellel'observasedébattreavecdesinstinctscontradictoires.Puisilretirala

maindePiaetlaplaquaau-dessusdesatête.—J'adoreraisça,luimurmura-t-ilàl'oreille.Aprèst'avoirfaitjouirunpetitpeu.Ilfouillasonsexeavecseslongsdoigtsagilesetfrottasapaumecontreelle,trouvantlazonela

plusérogène.Ellesecambraettentad'échapperàsapression.—Viensenmoi,l'encouragea-t-elle.—Non,ronronna-t-ilàsonoreille.Pasencore.Tujouisd'abord.Ilétaitdiabolique.Lapressions'accentuaet lescaressesintimesdesesdoigtsétaientdélicieuses.

Mais elle levoulait enelle, saqueueépaisseetdureenfouieauplusprofondde sagrotte.Elle luimorditl'épaule.

Illaissaéchapperunriresensuel,sexy.Ilsepenchapouraspireruntéton,lesuçantgoulûmenttoutendonnantdescoupsdelangueautour.

L'orgasme s'épanouissait telle une allumette qui s'enflamme.Elle s'arc-bouta et poussa de petitscrisdeplaisir.Ilabandonnasontétonpourpassersabouchesurlasiennependantqu'ellegémissaitetquelesmusclesdesonsexesecontractaientautourdesesdoigts.

—Voilà,c'estça,murmura-t-ilcontreseslèvres.Magnifique.Ilsrestèrentimmobilesunmoment,leurssoufflesàl'unisson.Puisellesetournalégèrementetluisouritavecespièglerie.—Tuvoulaissavoirpourquoij'aiditquejen'étaispasbiendansmatête?

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—Oui,eneffet,répondit-ilensouriant.Ellepassalesdoigtssursapoitrine.—Jen'arrêtaispasd'avoirdesfantasmessexuelsavectoiàdesmomentstotalementincongrus.—Ahoui,etquand?demanda-t-ilenluicaressantlacuisse,passantlesdoigtsavecdouceurdans

latoisondebouclesblondclair.Ellesoupirad'aise.—Quandtuestombéducielett'esassissurmoi.OnauraitditlacolèredeDieuetj'étaisàmoitié

mortedepeur.Maisensuite,jen'arrivaisplusàpenseràautrechosequ'àcefichurêveetaufaitquetuétaisincroyablementsexy.Cen'estpasnetd'avoirpeurainsitoutenétantexcitée.

Ilsoulevasamainetembrassalacicatricequimarquaitsapaume.—C'esttoutcequejepouvaispenser,moiaussi.J'avaisvoulutepiégeraveccerêveetjemesuis

piégémoi-même.— Et puis, murmura-t-elle, les yeux étincelants, tu te souviens quand tu étais enchaîné dans la

forteressedesorques?—Jenerisquepasdel'oublieravantlongtemps.—C'étaithorrible.J'étaisaffolée,lacelluleétaitsaleetj'avaispeur.Ettuétaisenchaînéetexposé

commeunepiècedeviande.Malgrétout,entevoyant,j'aieuenviedetoi.Sonintérêts'électrisalittéralement.—Ilfaudraquejemesouvienned'ajouterdeschaînesetdesfersdanstoutesleschambres.Ellepouffaetseblottitunpeupluscontrelui.—C'étaitjusteunfantasme.Lascèneétaitextrêmementflippante.—Ehbien,nousferonssemblant.Ilsemitsurledosetsaisitlesmontantsdulitau-dessusdesatête.Lapostureétiralesmusclesde

sesbrasetdesapoitrine,révélantsacagethoraciqueetcreusantsonventre.Elle l'observa, lecorpsparcourudedélicieuxpicotements.Sonregarddébordaitdesensualitéet

ellen'avaitjamaiscontempléunspectacleplusgrandiose.Qu'ilaitchoisicetteposturesoumisedevantellelerendaitencoreplusdésirable.

Elleseglissasurluijusqu'àcequeleurstorsess'épousent,lesseinsdePiapressantsespectoraux.Ellebaissalatêteetfitcourirseslèvresouverteslelongdessiennes.Ellelécha,embrassa,mordilla.Ilsemitàrespirerplusvite.Iltentadecapturersabouche,maiselles'écartapourexplorersoncorps.

Elle fouilla les creux, s'attarda sur les saillies, frotta le nez contre les poils rêches qui luicouvraientletorseets'arrêtaientaupubis.Ilsuivaitleparcoursdesalangue,s'étirantcommeunchatsouselle.Ellejouaunmomentavecsesmamelonsplatsetsombresaupointdelesfairedurcir.

Elles'excitaitautantqu'ellel'excitait.Elleseredressalégèrementetsaisitsonpénisàpleinemain.Ilsiffla,haussaleshanchesàsarencontre.Ellebaissalesyeuxsursamainpâleetluminescentequiletenait.Sonmembreétaitmagnifique, épaiset long, lapeauveloutéeet leglanddouxcommede lasoie.Sestesticulesgonflésdesèvesemblaientl'appeler.Ellemassalesglobeslourdsetvoluptueux.

Illevalatêteafindelaregarderluidonnerduplaisir,lesyeuxbrillants.Ilétaittenducommeunarc.Lesmusclesdesesbrastremblaient.

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—C'estmontour,maintenant.Retiens-toi,l'avertit-elle.Ellesoutintsonregardfaroucheenglissantlelongdesoncorps.S'ilsn'avaientpasencorerésolu

plusieursquestionsentreeux,lorsqu'ilsseretrouvaientphysiquement,c'étaitunevéritablefusionquis'opérait,unphénomènedecombustion.

Elles'agenouillaau-dessusdelui,soulevasonmembreetpritl'extrémitédanssabouche,puisellesuça. Ilpoussauncribrefet rejetaviolemment la têteenarrière, frappant l'oreiller, tandisqueseshanchesquittaientlematelasettentaientdepoussersonsexeplusloin.

Elleagrippalepénisd'unemain,plaçal'autreautourdesestesticules,etelleserégala.Legoûtetla texture de son sexe l'enivraient. Elle ronronna de plaisir et l'aspira de plus en plus, la bouchelargementouverte.Elletiraitdoucementsursaqueueenlaserrantbiendeseslèvres,puislefaisaitreveniraufonddesagorge.Elledevintvorace,sauvage,chaufféeàblanc.

Leurjeuoublié,ilsaisitsescheveuxdansunpoingetfitalleretveniràtoutealluresonpénisdanssabouche.Ilcaressaitdesonautremainlesplisdesonsexemouillé.

Puisilluitiralescheveux,laforçantàlâchersonmembre.Elleémitunpetitbruitdeprotestationquandilseretira.Ill'attirabrutalementversluietl'embrassaàpleinebouche.Iltremblaitdetoutsoncorps.Illapositionnasurluietelleécartalescuissespourl'enfourcher,frottantsonsexecontresonérectionalorsqu'illatenaittoujoursparlescheveux.

Étourdieparledésir,ellesesoulevadesortequelatêteépaissedesonmembreseplaquecontresafente entrouverte. Puis il reprit le contrôle, l'attrapa par les hanches et plongea tout au fond de sagrotte.Ilbandasoncorpsdansuncri.

Ellegémissait elle aussi,modulant le ton, frissonnantd'extasecomme lesmusclesde sonvagins'étiraient, se distendaient pour accepter cette invasion délicieuse. Il adopta un rythme effréné et lalimaavecfrénésie,sesdoigtss'enfonçantdanssapeaublancheetdouce.

Elleessayadegarderl'équilibrecommeelleput,lescoudesplantéssursapoitrine.Ilavaitrelevéla tête, si bienque leursvisages se touchaientpresque, sesyeuxmordorés étincelant. Il dénuda lescrocs.

SabeautésauvageexacerbaledésirdePiaquisesentitlittéralementfondredeplaisir.Elleétiralesbrasets'appuyacontrelesoreillers,entraînéedansuntourbillonvoluptueuxjusqu'àcequel'orgasmeatteignesonparoxysmealorsqu'ill'empalait.

Illarejoignitdansungrondementgutturaletpoussaavecvigueurtandisquesasemencejaillissaitenelle.Ilsrestèrentimmobilesunlongmoment,haletants.Elleessayaderespirerungrandcoup.Sescheveuxétaientdevantsesyeuxetellelesécarta,tentantdevoirlestraitsdeDragos.Ilavaitl'airauxabois,horsdecontrôle.

Ilsecoualatêteenmarmonnant:—Pasassez.Maintenantseshanchescontresonsexetoujoursbandé,illaretournadesortequ'elleseretrouve

surlematelas.Etilrecommençaàalleretvenirdansl'écringorgédemiel.—Oh,tuvasmetuer,grogna-t-elle.Ils'arrêtaetcherchasesyeux.Ellenoualesbrasautourdesoncouenmurmurant:—Tuasintérêtànepast'arrêteravantd'avoirfini.N'oubliepasquejepeuxsuivren'importequel

rythme,mister.

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LevisagedeDragoss'éclairad'unsourireféroce.Puissonsourires'effaça,iloubliatoutpourselaisseralleràlapassionfurieuse,etilnecessapasavantd'avoirtoutdonné.

Démolie.Ill'avaitencoreunefoisdémolie.Ill'emmenaittellementloinqu'ellerevenaitchangée,transforméeàdesniveauxfondamentauxdesonêtrequ'ellenecomprenaitpas.Ellefaisaitdeschosesavec lui qu'elle n'avait jamais faites auparavant, qu'elle n'avait jamaismême imaginé faire.Elle nes'était encore jamais rendu compte que l'acte sexuel pouvait être un abandon absolu de toutcomportementcivilisé.Illaplaçaitfaceàl'animalquivivaitenelle.Ellenepouvaitpluss'accrocheràriendesonpassé.Iln'yavaitquelui,ledestructeurdesonunivers,etelles'accrochaitàluidetoutesonessence.

Ilsrestèrentallongés,enchevêtrésl'unàl'autre,latêtedeDragossursonépauletandisquelalueurde l'aube avançait sur le plafond.Elle dormit peut-être un peu. Il déposa un baiser sur son sein etdéclara:

—Jet'aidenouveaumarquée.Ellebâillaetessayad'analysersonton.Complexe:savoixétaitempliederegretetdesatisfaction.—Tuasquelquesgriffuresetquelquesmorsuresquetun'avaispasnonplusavant,mister.Ilsourit.Leregretdisparut.—Eneffet.Onfrappaàlaporte,quis'ouvritdevantuneféepoussantunchariotchargédenourriture.—Bonjour,lança-t-elled'unevoixenjouée.Plus rapide que l'éclair,Dragos saisit le drap et se jeta devant elle pour la cacher. Il rugit par-

dessussonépaule:—Qu'est-cequevousfaites?Piajetalesortquiluipermettaitdecachersaluminescenceaussivitequ'elleleput.Dragosavaitun

airmeurtrier.Elleposaunemainsursajoue,l'embrassaetregardaau-dessusdesonépaule.Lapauvreféeétaitdevenuepâlecommeunlingeetsemblaitsurlepointdes'évanouir.—Je...Toujours...Celan'avaitjamaisd'importance...bégaya-t-elle.—Cequ'ilvoulaitdire,c'est«Mercibeaucouppourlepetitdéjeuner».Etvousn'avezrienfaitde

mal.Iln'estpasencolère,ilajusteétésurpris,fitPiagentiment.(Ellelepinçafortsouslesdraps.Illuiattrapalamain,maisneprotestapas.)Lasituationestunpeudifférenteàpartird'aujourd'hui,etceserapeut-êtreunebonne idée laprochaine foisde frapper et d'attendreque l'undenousvousdised'entrer.

Laféesemitàfairequelquescourbettespaniquées.—Biensûr,biensûr!Merci,gentedame.Jevais...Elleindiqualaportedudoigtetdétala.Laporteserefermaderrièreelle.PiaregardaDragosavec

stupéfaction.—Ellem'aappelée«gentedame»,dit-elled'unevoixplaintive.Jenesuispasunedame.La fureur qui avait marqué les traits de Dragos se dissipa et son regard étincela. Il regarda

furtivementsousledrap.—Non,eneffet,jepeuxl'attester.

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—Hé,hé!s'exclama-t-elleenlefrappantsurl'épaule.Ilsseregardèrentetéclatèrentderire.Il empila les oreillers, se carra sur eux et l'attira contre lui. Elle posa la tête sur son épaule et

essaya de retrouver le sentiment de paix et de sérénité qu'elle avait éprouvé plus tôt, mais ils'estompaitdéjà.

Ilpassalesdoigtsdanssescheveux.—Tumedoisunemèchedecheveux,déclara-t-il.Ellefermalesyeuxetessayadenepaspenserauximplicationsdetoutcequivenaitdesepasser.—Tuenveuxcombien?—Plein, dit-il en en soulevant quelques-uns afin de les faire scintiller dans la lumière, puis il

fronçalessourcils.Pastrop.Elleébauchaunsourire.—Décide-toi.Jepeuxlescoupercourtettelesdonner,situveux.—Nefaisjamaisuntrucpareil.J'enveuxjusteassez.—Etc'estcensémedonneruneidéedecequetuveux,uneréponsepareille?Ellelevalatêteetleregarda.Ilaffichaitunairrenfrogné.Ellesoupira.—Attends.Elle descendit du lit et se dirigea vers la penderie, où elle décrocha son peignoir rose qui lui

arrivaitàmi-cuisses.Ellel'enfilaetnoualaceinture.Puisellefouilladanslestiroirsdelacommodeoùétaientrangéessesaffaires.Elleensortitsonnécessaireàcouture,avantderetournerverslelit.Elles'assitentailleurfaceàDragos.Ilcroisalesmainsderrièresatête,l'observantavecintérêt.

Elle sortit les ciseaux, isola des cheveux à l'arrière de sa tête, tout près du cuir chevelu afin demasquerl'endroit,etcoupaunelonguemèche.Ellelaluimontrapourqu'ilpuissel'examiner.C'étaitunemècheépaissecommesonpetitdoigt.

—Parfait,dit-il,lesyeuxbrillants.—Dettepayée?—Dettepayée.—Qu'est-cequetuvasenfaire?demanda-t-elle.Ilfronçadenouveaulessourcils.—Jenesaispas.—Donne,jevaislatresser,sinonlescheveuxvontserépandrepartout.Il l'observa, fasciné, comme elle coupait deux fils dorés presque de la même couleur que ses

cheveux.Presque,maispastoutàfait.C'étaitletonleplusprochequ'elletrouvadanssonnécessaireàcoutureetdeloinonneverraitpasladifférence,maislefiln'avaitpaslelustreetlesoyeuxdesescheveux.

Ellepritunmorceaudefilentresesdents,puisenroulaplusieursfoisl'autremorceauautourd'unedes extrémités de lamèche et le noua. Elle utilisa ensuite une épingle à nourrice pour fixer cetteextrémitésurunoreiller,avantdetresserprestementethabilementlamèche.

—Tunevaspasfaireuntrucdemagienoireavecça,n'est-cepas?jeta-t-elleentresesdents.

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—Non,répliqua-t-ilavecsérieux,lesyeuxrivéssursesdoigts.J'aimelacouleur,c'esttout.Elle réprima un sourire, heureuse et en même temps un peu troublée par leur relation. C'était

tellementnaturel,tellementsimple,évident.Etilyavaittellementderaisonspourquecelanelesoitpas.Ellesaisitlasecondelongueurdefilafindenouerl'extrémitédelanatte.

—Jepeuxlanouerautourdetonpoignet,situveux,dit-ellesansréfléchir.Elleattenditqu'ils'exclamequeceseraitridicule.Mais,àsagrandesurprise,illevalessourcilset

répondit:—Çameplairaitbeaucoup.Iltenditsonpoignetdroit.Elleenroulalamècheautour.Sonpoignetétaitépais,maislanatteétait

suffisammentlonguepourenfairepresquedeuxfoisletour.Ellecoupaencoreunelongueurdefilets'affairaàcoudrelanatte.Unefoisqu'ellefutbienfixée,ellecoupalesextrémitésdefilsuperflu.

Illevalepoignetetadmiralapâlelueurdorée.Lebronzefoncédesapeausemblaitfairechatoyerdavantageencorelacouleurdescheveux.

—Dragos,est-cequejesuisprisonnière?demanda-t-elleàbrûle-pourpoint.Sesyeuxn'étaientplusquedeuxfentesquandillevalatêtepourlaregarder.Elleseconcentrasur

latâchederangerlesélémentsdesonnécessaireàcouture,enfaisantungroseffortpourempêchersesdoigtsdetrembler.

—Non,dit-ilaprèsavoirsoupesésaréponse.Pourquoituposeslaquestion?Lesoulagementluipermitdeluiadresserunsourireunpeupâle.—Lesgardes,lanuitdernière.—Lesgardessontlàpourassurertasécurité.Quandjeneseraipasavectoi,ilsleseront.Elleouvritlabouchepourprotesteretilajouta:—Iln'yapasdediscussion,cen'estpasnégociable.—Mais...Sonregardsedurcit.—Ne discute pas, Pia. Je suis en guerre, maintenant. Tant que je n'aurai pas enterré Urien, il

représenteraunréeldanger.Peuimportecequ'ilsavaitounesavaitpassur toiavant.Aprèscequis'estpassésurlaplaine,tuesdevenuel'unedesesciblesprincipales.

—Maisdesgardesmêmeici?—Deuxmillepersonnes environ travaillent ici chaque jour etnous avonsplusieursmilliersde

visiteurs. Ily ades zones interdites,mais aucunendroitn'est sûr à centpour cent,pasquandde laForce est impliquée dans l'équation. Tu te souviens comment je me suis immiscé dans ton rêve :imaginequ'uneattaquemagiquesurvienne.Tuaurasdesgardesjusqu'àcequetoutsoitterminé.Pointbarre.

Elle pinça les lèvres. Sa logique était irréfutable, et son attitude impérieuse parfaitementintolérable.Quandellefutcertained'avoircontrôlélacolèrequimontaitenelle,elleluifitunsignede tête.Ellen'étaitpasnécessairementendésaccordavec lui, ellevoulait justeavoirunmotàdirequantàl'agencementdesavie.

Ils'adossaauxoreillersetcroisadenouveaulesmainsderrièresa tête. Il luiadressaunsourire

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détendu.—Bon,maintenantqu'onaabordélesujetetquenouspouvonsenfinavoircetteconversation,situ

meracontaistoutsurtamèreetm'expliquaiscommenttuaspumesoigner?

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12Aprèsunmomentdesuspens,ellesejetalittéralementhorsdulit,saisitsonnécessaireàcoutureet

sedirigeaavecrageverslapenderie.—Jenepeuxpascroirequetumeposesunequestionpareille.Illasuivitetappuyauneépaulecontrelechambranle.Ilavaitenfiléunpantalonensoienoire.— Il est clair que tu m'as guéri avec ton sang. C'est pourquoi tu étais tellement acharnée à le

détruire.Tunepouvaispasenlaisserderrièretoi.Elle le regarda fugacement puis détourna les yeux. Oui, il était vraiment trop sexy. Il était

égalementinsupportable.—Jesupposeque lorsque tum'aspromisdenepasmeposerdequestions là-dessus, tuvoulais

direquetuneposeraispasdequestionstantquetun'auraispasenvied'enposer,lança-t-elled'untonmaussade.

Ellerangeasonnécessaireàcoutureetressortitdelapenderie.—Biensûr,répliqua-t-ilenluiemboîtantlepas.J'aiapprisçadequelqu'unquejeconnais.Tusais,

cellequiapromisdenepasargumenteruniquementquandellen'enapasenvie.Jemedemandequicelapeutbienêtre...

Elleseplantadevantluiavecindignationenagitantundoigtsoussonnez.—C'étaitdifférent.—Ahoui,commentça?—Nousétionsalorsendanger.Jemeréserveledroitdesavoirparfoismieuxquetoicequ'ilfaut

faire dans une situation donnée. Alors j'argumenterai chaque fois que j'aurai envie d'argumenter,mister.

Ilcroisalesbrasenplissantlabouche.—Commetuasfaitquandnousétionsdanslavoitureetquelesorquesnousencerclaient?Elleserenfrogna.— C'était une erreur de ma part. Je l'ai déjà dit et je me suis excusée. J'aimerais également

souligner que si j'avais été une petite fille docile et si j'avais suivi à la lettre tout ce que tum'asordonnédefaire,jeseraisencoredansmageôle.Moninitiativeasauvétapeau.

—Je l'ai reconnuégalement. (Il s'approchade façonque leursvisages se touchentpresque.)Tuessaiesdechangerdesujet.Tuneveuxvraimentpasenparler,hein?

Ellerecula,lesyeuxronds.—Qu'est-cequipeutbientedonneruneidéepareille?semoqua-t-elle.Illasuivit,sedéplaçantavecelleavecgrâce.— Bon alors, voyons, qu'est-ce que je sais ? Les verrous n'ont pas d'effet sur toi, tu es

végétalienne,tudoisconjurerunsortpourmasquertaluminescenceetavoiruneapparencehumaine,

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ettamèreétaitvénéréeparlesElfes.—Arrête,murmura-t-elle.Sonregarddeprédateurétaitsanspitié.—Tusais,j'aisentilaForcedanstonsangquandjet'ainettoyéedanslavoiture.Puissurlaplaine,

lorsquetuasposélamainsurmoi.J'aicruquetuallaismefairetomberparterre.Maistun'étaispassûrequeçamarche.C'estparcequetueshybride,c'estça?Toutescesaptitudesviennentdetonsangwyr.Unhéritagedetamère.

Ellesedétournaetbalaya lachambreduregard.Celle-cisemblaitsoudainmoinsvastequ'avant.Ellesedirigeaverslesportes-fenêtres,lesouvritetseprécipitadehors,avided'airfrais.

Ce fut juste avant de constater l'absence de rambarde ; le balcon était juste une large cornicheouverte.Desbourrasquesdeventsoulevèrentsescheveuxensifflant.Toutsemitàtourner.

Desbrasmuscléslasaisirentetlastabilisèrent.—Mince!s'exclama-t-elleentremblant.Iln'yapasderambarde.—Tuétaistellementàl'aisependantlevolquej'aicruquetun'avaispaslevertige.Illatiraàl'intérieurdelachambre,gardantunbrasautourdesataillependantqu'ilrefermaitles

portes-fenêtres.Illaregardaenfronçantlessourcils.—Tuesblanchecommeunlinge.—Jen'aipas levertige -quand ilyaune rambarde !Ouunmurouunebarrièrequelconque !

(Ellepointaundoigtverslesbaiesvitrées.)C'estunprécipicedequatre-vingtsétages.Pourquelqu'unquin'aniparachuteniailes,cen'estpasrien.

Illuifrottalebrasavecdouceur.—Pia,lerebordestàaumoinssixmètres.—Est-cequej'aiditquej'étaisrationnelle?Onfrappaàlaporte,etRuneetGraydonentrèrent.—Jamaisonattendqu'onvousdised'entrer,ici?s'écria-t-elleavecexaspération.Lesdeuxhommessefigèrent.IlsregardèrentPia,sachevelureblondedécoifféeetsonexpression

furieuse, son peignoir rose qui lui arrivait àmi-cuisses et les jambes fuselées qui en dépassaient,jusqu'aux orteils recouverts d'un vernis rouge. Puis ils tournèrent les yeux versDragos, torse nu,justevêtud'unpantalondesoienoireetquiavaitunetressedecheveuxblondsautourdupoignet.

Dragoslasuivitcommeelleserendaitd'unpasvifverslasalledebains.Elleluiclaqualaporteaunez.Ilposalesmainssurseshanchesethaussalavoix:

—Lesujetn'estpasclos.Laportedelasalledebainss'ouvritàlavolée.—Cequiconcernemamèreneteregardepas!trancha-t-elleavantdeclaquerdenouveaulaporte.Dragosseretournaverslesdeuxhommes.Graydon,legriffonleplusmusclé,secouaitlatêteet

s'apprêtaitàressortir.Runesecontentaitd'observerlascène.—Quoi?s'enquitDragos.—Quiêtes-vous?fitRune.Etqu'avez-vousfaitdeDragos?

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Illeurdécochasonsourirecarnassier.—Onvas'enalleretonreviendraplustard,ajoutaGraydon.—Non,paslapeine.Dragos se dirigea vers le chariot chargé de nourriture et commença à inspecter les plats en

soulevantlescouverclesd'argent.L'unedesassiettesétaitrempliedeporridge,denoixetdepommes.Il reposavivement lecouvercle.L'autrecontenaitunemontagnedebaconfritetaumoinssixœufsbrouillés.Ilpritunefourchetteetattaquasonpetitdéjeuner.

—Fais-nousducafé,dit-ilàGraydon.(Ilmarquaunepauseeteutl'airpensif.)S'ilteplaît.GraydontournalatêteversRuneenécarquillantlesyeux,puisilrépondit:—Oui,monseigneur.Dragoss'installasurundescanapés,s'emparade la télécommandeetallumala télésurCNN, la

chaîned'informations.Ilmangearapidement.Runes'affalasurunautrecanapé.Graydonapportatroistassesdecafé.

—Plusquestiondefaireirruptiondansmachambre,notaDragos,lesyeuxrivéssurlesnouvellesdujour.

—Jamaisplus,soulignaGraydon.Nousferonspasserlemessage.—Laféedupetitdéjeuners'enestdéjàchargée,j'ensuissûr.Quelestl'ordredujour?Dragos finit son repas tout en les écoutant. Ils passèrent en revue toute une liste de questions,

d'ordre domestique, administratif, commercial etmilitaire. Il répondit avec son esprit de décisionhabituel. Les deux griffons commencèrent à transmettre ses ordres par télépathie aux personnesappropriées.

Laportedelasalledebainss'ouvrit,etdeseffluvesdeChanelflottèrentdanslapièce.Leshommesseturent.Piasortit,vêtuedesoncourtpeignoir.Elleentradansledressingetrefermalaporte.

—Trouvezquelqu'unpouracheterdesvêtements àPia.Veillezà cequ'ily aitunpeignoirpluslongsurlaliste,fitDragosd'unairagacé.

Graydonaffichaituneexpressiontorturée.—Bien.—Est-cequelesouvriersontfinideréparerl'autrechambre?—Presque,ditRune.Ilyaeudesdégâtsauniveaudelastructurequandtuas,euh...donnéuncoup

depoingdanslemur.Ilss'efforcentdefairelemoinsdebruitpossible.Vuquelapièceestdel'autrecôtédubâtiment,lebruitnedevraitpasêtretropfort.

Dragostournalesyeuxverslesportes-fenêtresetsefrottalementon.—Quand ils auront fini, demandez-leur d'élever unmuret sur le balcon.Dites-leur de faire la

moitiédutourdubâtimentetd'installerdesbarrièresavecdesportesàchaqueextrémité.Celalaisserasuffisammentdecornichesouvertes.

Pia réapparut, vêtue d'un jean taille basse et d'un tee-shirt bleu àmanches longuesmoulant quilaissait voir son nombril. Elle avait un petit sac de toile sous le bras. Elle s'arrêta, incertaine, sonregardallantdestroishommesauchariotdenourritureetaulitdéfait.Elleavaitl'airbeaucouppluscalme.

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Dragosselevaets'approchaduchariot.—Viensprendretonpetitdéjeuneravecnous.(Ilposasonassiettevideetpritleboldecéréaleset

unecuiller.)Tuveuxducafé?Elleopinaetlesuivit.Graydons'apprêtaàselever.Dragosposaleboletlacuillersurunepetite

tablejouxtantlecanapéoùilsétaientassis.—Jevaistechercherunetassedecafé,dit-il.Graydonserassit.EllejetaunregardméfiantàDragos.—Tufayotes?—Biensûr.Ilsepenchaetluidonnaunbaiserrapide.Ellesentitleroseluimonterauxjoues.Ellelançaunregarddecôtéauxdeuxautreshommes.Ilsétaientenjeanettee-shirt.Desblousons

decuirétaientjetéssurlecanapé,etchacund'euxportaitunholsteretunpistolet.Graydonavaituneexpressioncatastrophée.Rune,uneexpressionindéfinissable.Elleselovadans

un coin du canapé, remerciaDragos pour le café et se concentra sur son petit déjeuner, veillant àgarder la tête baissée pendant que les hommes s'entretenaient entre eux. Elle avait de nouveautellementfaimqu'elleengloutitsonporridgeetsesfruits.

Ellesortitdesonsacunflacondedissolvant,desboulesdecotonetunflacondevernisàonglesrose foncé. Elle nettoya le vernis rouge,mit des boules de coton entre ses fins orteils et semit àappliquerlevernis.

D'aprèscequeDragosavaitdécrit,latourCuelebreétaitunevéritablepetiteville.Rienqu'enlesécoutant vaguement discuter, elle prit la mesure de l'importance et de la complexité de CuelebreEnterprises.C'étaitunecorporationmondiale.

Il y eut une pause dans la conversation. Elle leva les yeux.Dragos s'était tourné vers elle, unejambeposéesur lescoussinsetunbrasdrapésur ledossier.Ellefixasesorteilsàmoitiévernisetrougit.

—Jevaisallerdanslasalledebains,dit-elle.—Non.Jeveuxquetusoisàl'aiseici.Ellesoupiraetmarmonna:—Tunepeuxpasdictercegenredechoses.—Jepeuxdictertoutcequejeveux,répliqua-t-il.Ellelevalesyeuxauciel,etrepritsatâche.—Autrechose?demanda-t-ilauxgriffons.—Unedernière,fitRune.LeseigneursuprêmedesElfesexigeunetéléconférenceetunepreuve

quePiavabien.Elleestdevenueunesortedeproblème.Leregardimpénétrabledugriffonseposabrièvementsurelle,puisildétournalesyeux.LamoutardemontaaunezdePia.—Jenesuispasunproblème.Jesuisuneconsidérationtactique.Dragoslaissatombersamainsursonépauleetlapressa.Illuisourit.—MademoiselleGiovanni, repritRune.Pardonnez-moi.Jenevoulaispasdirequevousêtesun

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problème.JevoulaisdirequelesElfesfontdevousunproblème.Lementonreposantsurundesesgenoux,Piatoisalegriffon.Lesexcusesavaientétéfaitestrop

facilement,sonbeauvisageétaittroplisse.Maiscen'étaitpaslemomentdeprovoquerunnouvelaffrontement.—S'ilsfontdemoiunproblème,pourquoinepaslerésoudre?(EllesetournaversDragos.)Tu

pourraistenirlatéléconférenceetjeseraisprésente.—Jen'aiabsolumentpasl'intentiondemeplierauxexigencesdececlown.Elleposaunemainsurlasienne.—Est-cequeceneseraitpasmieuxquelesElfeslafermentetdisparaissent?Cen'estpascomme

situavaisboufféleurstulipesoucreusédestrousdansleurspelouses.Tun'aspaspissécontredesarbresquandjeneregardaispas,j'espère?

Legrosnuageorageuxquivoilaitsestraitssedissipa.Iléclataderire.—Jel'auraisfaitsij'yavaispensé.Rune afficha un large sourire, tandis queGraydon pouffait enmasquant sa bouche d'unemain

aussigrandequ'uneassiette.Elle retira les boules de coton qu'elle avait glissées entre ses orteils. Ce n'était pas encore de

l'acceptation,maisc'étaitdéjàquelquechose...PendantqueDragosprenaitunedoucheets'habillait,Piaaccomplit latâchequil'obsédaitdepuis

queRuneetGraydonétaiententrésdans lachambreet retapaprestement le lit.Ellesesentitmieuxensuite,moinsexposée,mêmes'ilétaitévidentqueDragosetelleavaientpartagéleditlit.Elleévitaderegarderlesgriffonsquil'observaientavecattentionpendantqueCNNétaittoujoursdiffusée.

Dragosréapparut,vêtud'unpantalontreillis,debottesetd'unechemisenoirequimoulaitsontorsemusclé.Lesymbolismedesatenuen'échappapasàPia.Ilétaitd'humeurcombative.Elleallachercherunepairedesandales.Elleenchoisitdesnoiresàtalonsplatsauxbridesornéesdesequinsd'argent.

Dragos ouvrit lamarche pour descendre. Pia dut trotter pour ne pas se faire distancer.Rune etGraydonformaient l'arrière-garde.Elleregardaautourd'elle.Ellesesentaitunpeuperdue.Elleneconnaissaitpasl'agencementdupenthouseetl'itinérairequ'ilsprirentneluipermitpasdesaisirceluide l'étage. Ils passèrent devant une énorme salle de sport équipée de toutes sortes demachines etd'haltères,ainsiqu'unezoned'entraînementauxarmes.ElleregardaparlesbaiesvitréesquatreWyrsquis'exerçaientà l'épéeet faillit rentrerdansunmur.Dragos tenditvivement lamainet rectifia satrajectoire.

La présence du dragon leur ouvrait le passage. Les gens s'écartaient quand ils approchaient, lesaluantavectoutessortesdesignesdetêteetdecourbettes.Ellefitcommesielleneremarquaitpasspécialementlesregardscurieuxdecesinconnus.

Ilsarrivèrentenfindansunesalledeconférencesaussisomptueuseet immenseque le reste. Ilyavait déjà quelques personnes dans la pièce.La fée chargée des relations publiques pourCuelebreEnterprises,ThistlePeriwinkle,étaitdeboutetsetenaitdansuneattitudedéférente,lesmainscroiséesdevant elle. Elle portait un tailleur pantalon en soie bleu ciel et des sandales de style gladiateur.Mesuranttoutjusteunmètrecinquante,elleavaitl'airencorepluspetitequandelleétaitentouréedeWyrs surdimensionnés. La fée faisait face à un mur et parlait elfique. La téléconférence avaitcommencé.

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DragospritPiaparlamainets'avança.Regardantlajeunefemmeaveccuriosité, lafées'écarta.Dragoss'arrêtafaceaugrandécranplataccrochéaumur.RuneetGraydonsepostèrentjustederrièreeux,commel'exigeaitleprotocole.

TroisElfesdegrandetailleoccupaientl'écran.Ilsétaientdansunbureaubaignédesoleil.Ferionse tenait sur ladroite.Unegracieuse femmeà la longuechevelurenoireetau regardétoile, sur lagauche.L'Elfe dumilieu avait lamêmebeauté intemporelle que les autres,mais laForcedans sesprunellesétaitpalpable,mêmedesiloin.

Ils arborèrent une expression froide en observant Dragos. Le regard du seigneur suprême desElfes étincela. Dragos ne parut pas troublé. Ses traits avaient pris un air menaçant et son regardglacialétaitimpénétrable.

Bon,cen'étaitpeut-êtrepasuneidéelumineusequ'elleavaiteue,enfindecompte...LeseigneursuprêmedesElfesposalesyeuxsurelle,etleprintempssemblainondersonvisage

élégantmarquéuninstantauparavantparlafroideurdel'hiver.—NousconstatonsqueFerionn'apasexagéré,dit-ild'unevoixgraveetmélodieuse.(Illasalua.)

Dame. C'est notre très grand plaisir de faire votre connaissance. Je suis Calondir, et voici maconjointe,dameBeluviel.

Ellesentituntremblements'insinuersoussapeau.Lesentimentdevulnérabilitéétaitderetouret,cette fois-ci, insupportable. Dans la série des mauvaises idées, faire cette téléconférence devanttémoinsn'étaitpasloind'êtrel'apothéose.

Dragosluiserralamainaupointdeluifairemal.Elleinspiraprofondément.Ellenepouvaitplusreculer.

—Jesuishonoréedefairevotreconnaissance,répondit-elle.Veuillezmepardonner.Jen'aipaseudeformationofficiellequantàl'étiquettedelacour.

Lafemmeelfeluisourit.—Enprésenced'uncœurnoble,detelleschosesn'ontaucuneimportance.—Vousvouliezvoirsielleallaitbien.Ellevabien.Pointfinal,déclaraDragos.—Attendez.Noussouhaitons l'entendre ledire, rétorquaCalondird'un tonglacial.Dame,allez-

vousbien?Ellejetauncoupd'œilendirectionduprofildemarbredeDragos,puistournalesyeuxversles

Elfes.—Jesuistraitéedemanièreextraordinairementcourtoiseetbienveillante,seigneur,dit-elleavec

élan.Sijenel'aipasvoulu,j'aitoutefoiscommisuncrime.Dragosaentendulescirconstancesdecequis'estpasséetcequim'aentraînéeàcommettrecedélit.Ilachoisidemepardonner.Jesouhaitevous demander respectueusement de faire lamême chose pour lui. Ses actions ne vous ont causéaucun préjudice, je ne peux pas dire la même chose des miennes à son égard, et je le regretteprofondément.

Quelquechosevibradanslasalledeconférences,unmouvementimperceptible.Dragossetournapourlaregarder.Leseigneursuprêmel'observaunlongmoment.

—Nousallonsréfléchiràcequevousvenezdedire,déclara-t-ilenfin.SilaBêteestcapabledefaire preuve de courtoisie et d'élégance, peut-être que nous pouvons nous distinguer de la mêmemanière.

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Sesentantunpeuridicule,elles'inclinadevantlui.—Merci,jevousensuisreconnaissante.— Nous aimerions profiter de cette occasion pour vous convier à nous rendre visite, ajouta

Beluvielavecchaleur.Votreprésencenouscombleraitdebonheur.Nouspourrionsparleravecvousde...ehbien,dupassé.

PiacompritqueBeluvielavaitconnuetaimésamère.Ellesentitsonregards'embuer.Dragoss'avançaet la tiraderrière lui.Legesteétait terriblementpossessif.Et si ellenepouvait

plusvoirgrand-chosesurl'écranmaintenantqu'ilsedressaitdevantlui,elleputtoutefoisobserverleraidissementdesElfes.

—Arrête,qu'est-cequiteprend?luimurmura-t-elle.Il allait tout gâcher. Elle tira sur son bras. Elle eut l'impression qu'elle essayait de bouger un

rocher.Ilsetorditetlafusilladuregard.EllesepenchasurlecôtéafindepouvoirêtrevuedesElfesetleurdit:

—Jevaisluiparler.Le seigneur suprême leva les sourcils. Ferion avait l'air terriblement offensé.Quant àBeluviel,

ellesemblaitstupéfaite.Elleébauchaitunsourirequandl'écrans'éteignit.Dragosfitvolte-face,furieux.—Tun'iraspasrendrevisiteauxElfes.—Est-cequej'aiditquej'allaisrendrevisiteauxElfes?rétorqua-t-elled'untoncoupant.Jefaisais

preuvedepolitesse!Tupourraispeut-êtrelireladéfinitiondumotdansledictionnaire!Ilbalayalapièced'unregardcourroucé.

—Sortez.La salle se vida. Thistle regarda Pia en affichant un sourire radieux, les yeux pétillants, puis

disparutaveclesautres.Piapoussaunsoupiretplaçaunemaindevantsesyeuxenbaissantlatête.—Commentensuis-jearrivéelàetqu'est-cequejefousici?marmonna-t-elle.Dragossoufflabruyamment.Ellesentaitl'airautourdeluibrûlerdeForce.Ilétaittrèsencolère

aprèselle,peut-êtrepourlapremièrefoisdepuislaplage.Ilsemitàfairelescentpasautourd'elle.—LesElfesensaventplussurtoiquemoi,jeta-t-ilavechargne.Inacceptable.Ilssaventquiétaitta

mère.Inacceptableégalement.Ilsveulentquetuviennesvivreaveceux.Ilssontmesennemis.C'enétaittrop.—Toutcequejevoulais,c'étaitessayerdet'aider!lâcha-t-elle,puiselleenfouitsatêtedansses

mainsetfonditenlarmes.Ilsemitàjurer.Ilposalesmainssursesépaules,ellesedégageaviolemmentetluitournaledos.

Ill'enveloppadesesbraspar-derrière,l'attiracontrelui.—Chhh,fit-ild'untontoujourscourroucé.Arrête.Calme-toi.Ellesanglotaencoreplusfortetsevoûta.Ilseraidit.—Pia,s'ilteplaît,nemerejettepas.

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Savoixlasseattirasonattention,etellelelaissalatourner.Ils'appuyacontrelatabledelasalle,luifitbaisserlesbrasetlaserracontrelui.Elleselaissaaller,posantlatêtesursonépaule.

—Jen'étaispascenséedirequoiquecesoitsurmoi,expliqua-t-elle,leslarmescoulanttoujours.J'étais censée vivrema vie en secret.Mais je ne voulais pas être seule. Tout ce que j'ai fait, c'estconfierunfoutusecretetcette indiscrétionafaitbouledeneige,et labouleestdevenuedeplusenplusgrosse.Keith,d'abord,puis toi,puis lesElfes, lesorques, leroidesFaes,puisencored'autresElfes,ettouslesgensdanscettepiècelesyeuxrivéssurmoi.Ettucontinuesàmeharceler.

Ilplaçasajouecontrelasienneetluifrottaledos.—Jesuisaffligéd'unecuriosité insatiable. Jesuis jaloux,égoïste,exclusifetpossessif. J'ai très

mauvaiscaractèreetjesaisquejepeuxêtreunsalaudcruel.(Ilpenchalatête.)Jemangeaislesgens,tusais.

S'il avait l'intention de sécher ses larmes en la choquant, ce fut réussi. Elle laissa échapper uneespècedehoquetderire.

—C'estaffreux,dit-elle.Jesuissérieuse,c'estaffreux.Cen'estpasdrôle.Jenesuispasentrainderire...

—C'étaitilyalongtemps,soupira-t-il.Desmilliersd'années.JefuslaBêtedontparlentlesElfes.Ellefermalesyeuxetinspiraprofondément.—Qu'est-cequit'afaitarrêter?— J'ai discuté avec quelqu'un. C'est alors que j'ai décidé de ne plusmanger quelque chose qui

parle.—C'estunpeutamanièred'êtredevenuvégétarien,non?Ils'esclaffa.—Peut-êtrebien.Bref,toutcela,cesontdescirconvolutionspourtedirequejesuisdésolé.Jene

saisispastoujourstouteslesémotionsd'unesituationetjenevoulaispastefairepleurer.—C'esttout,cen'estpasjustetoi.Elletournalatêteetl'enfouitdanssoncou.Ill'étreignit.—Jeveuxquetuaiesplusconfianceenmoiquetun'enaseupourtonabrutidepetitami.—Quandest-cequetuvasarrêterdeparlerdelui?Ex-petitami.Etpuisilestmort,detoutefaçon.—Jeveuxquetumedisesquitues,nonparcequejeveuxlesavoirmaisparcequetuveuxmele

dire.—Pourquoi?murmura-t-elle.—Parcequetuesàmoi.—Jenesuispasjusteunepossession,jenesuispasunelampe!Elle se dégagea et le fixa d'unœil noir. Il lui rendit son regard, le visage dur, sansmontrer le

moindresignederegret.—Jesupposequec'esttapartiepossessive,c'estça?soupira-t-elle.Tusais,jen'aipasenviedeme

disputeravectoi.Commetoutprédateurquiserespecte,ilpercevaitlesfaiblessesetilenprofita.

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—Netedisputepas,alors.(Illuidécochaunsouriremalicieux).Donne-moijustecequejeveux.Ellegrognaetregardalesol.Ilfallaitquandmêmereconnaîtrequ'ilcommandaitlerespect.Ilétait

francetdirect,assumaitcequ'ilétaitetcequ'ilvoulait,sanslamoindrehonte.Pascommeelle.—Ilfautquejeréfléchisseàpleindechoses,dit-elle.Ilfronçalessourcils.Cen'étaitpascequ'ilvoulaitentendre.Ilappuyasamainsursanuquepour

lui faire relever la tête et pouvoir la regarder dans les yeux. Ils étaient encore plus grands et plusbeaux que d'habitude, immenses nappes bleu foncé tirant sur le violet. Elle le regarda, guettant saréaction.Cen'étaitpascequ'ilvoulaitnonplus.

Voilàqu'elleétaitdenouveaupensiveet,plusquejamais,unmystère.Celalerendaitfou.Sansserendrecomptequ'ilfaisaitunpasdegéantdansleurrelation,ildemanda:

—Qu'est-cequetuveux?Lasurpriseéclaira levisagedePia.Oserait-elle fairepreuved'autantdecourageque luietdire

touthautcequ'ellevoulait?—Jecroisque jeveuxcequebeaucoupdegensveulent. Jeveuxmesentirensécurité. Jeveux

déciderdemavie.Jeveuxêtreaimée.Jeneveuxpasvivrecetteviebâtarde,n'êtrenihumaineniwyr.Jevoudraisêtreentière,pashybride.Jeveuxapparteniràquelquechose.

Il l'écoutait, une expression indéfinissablemais attentive sur le visage. Son regard était clair etbienveillant,réceptif.

—Jenesaispascequeveutdirel'amour,dit-il.Maistuappartiensàquelquechose.Tuappartiensàcelieu,avecmoi.Tuserasensécurité.Etjecroisquetuespluswyrquetunelepenses.

—Commentça?s'étonna-t-elle.—Tuesplusfortedepuisquenoussommesrevenusdel'AutreContrée.Jelesenscheztoi.Tune

l'aspasremarqué?—Eh bien,maintenant que tu le dis... (Elle eut un petit rire.) J'ai été un peu trop occupée pour

digérertoutcequis'estpassé,maisjecontinueàmesentircommejemesuissentielà-bas-jenesaispas,plusvivante.Monouïe,mavision,tout,toutest...plus.

—Tu tesouviens, je t'aiditqueparfois, lorsquedeshybridessontplongésdans lamagied'uneAutre

Contrée,ilssontenmesurederéaliserpleinementleurnaturewyr.Elleempoignasontee-shirt.Cequ'ildisaitpouvait-ilêtrevrai?Ilrecouvritsesmainsdessiennes.—Quandest-cequetuasessayédechangerdeformeladernièrefois?—Ilyadesannées,chuchota-t-elle,sonregardsefaisantlointain.Aprèslapuberté.C'étaitavantla

mortdemamère.Jecroisquej'avaisseizeans.Onaessayétouslessixmoisenviron.Unefoisquejefusadulte,onadécidéquecen'étaitpluslapeinedenousimposercetteépreuve.Celaneladérangeaitpas, ellem'aimait inconditionnellement.Mais je ne cessais de ressentir une profonde déception enconstatantquejen'arrivaispasàmetransformer.

Illuitouchalenez.—Seizeans,c'estjeunepourrenoncer.LaplupartdesWyrsviventbeaucouppluslongtempsque

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leshumains,mêmelesWyrsquisontmortels,etilsatteignentleurmaturitéplustard.Elleosaitàpeinerespirer.—Jenesaispasquoipenser.—Jeneveuxpastefairedepromesses,maisaufildutemps,j'aiaidébeaucoupdeWyrsàgérer

unpremierchangementdifficile.Situveuxessayerdenouveauetquetumefaisconfiance,jeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourt'aider.

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13Elle se jetaà soncouet le serra fort contreelle.Puis elle semit à arpenter lapièce, l'esprit en

tumulte.Elle se ruade nouveauvers lui pour le serrer encore contre elle. Il rit et l'attrapapar leshanches.

—Est-cequetum'asentenduquandj'aiditquejenepouvaisrienpromettre?—Biensûrquejet'aientendu,répondit-elled'untondistrait.Elleseconcentrasurlui,levisagegrave.Sicelamarchait,elleseraittraquéejusqu'àlafindesa

vie.Maiselleallaitdetoutefaçonêtretraquéeetpourchassée.—Trèsbien,alors.(Ilmarquaunepause.)Réfléchis-y.Tumedirascequetudécides.Elle opina. Il l'embrassa et lui caressa la joue. Puis il se dirigea vers la porte et l'ouvrit. Des

groupesdegensdiscutantentreeuxsemirentpresqueaugarde-à-vous.—Quiabesoind'êtrelà?lança-t-il.Lapluparts'égaillèrentcommedesmoineaux.Quelques-unesdesessentinelles,ycomprisRuneet

Graydon,restèrent.Pias'essuyalevisagesursamanchedansl'espoirdeserendreplusprésentable.LaresponsabledesrelationspubliquesdeCuelebreEnterprisescontournaDragosetrentradansla

salletandisqu'ils'entretenaitaveclesautres.ElleseprécipitasurPiaavecunairradieux.—Bonjour!Qu'est-cequejesuisheureusedefairevotreconnaissance!Interloquée,Piasaisitlamainminusculequelaféeluifourraitsouslenez.—Bonjour,merci.VousêtesThistlePeriwinkle,n'est-cepas?—Oh, je vous en prie, grogna la fée.C'estmon nom ridicule pour la télévision.Appelez-moi

Trickscommetoutlemonde,etd'ailleurstutoyons-nous,d'accord?—OK...Tricks.Jem'appellePia.—Écoute,jesaisquenousn'avonspasbeaucoupdetemps,enchaînaTricksenagitantlesmains.

Maisj'aipleindetrucsàtedire.—D'accord,fitPia.Vas-y.—D'abord, jesuisdésoléedecequemononcleUrien t'a fait. Je lehais, ila tuémesparentset

nousallonsluicouperlatête,puisilfaudraquejesoisreine,maisavantquetoutcelaarrive,onvadéjeunerensemble,d'accord?

Piaavait l'impressionque laféevenaitdesautersursa têteetdesemettreàfairedesclaquettesdessus.

—Tuessérieuse?—Autantqu'unecrisecardiaque,répliquaTricks.Etpuisjevoulaistedirequetuasétésuperavec

M.etMmeJ'ai-avalé-un-parapluie.Vraimentsuper.Piaéclataderire.

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—TuparlesdesElfes?Tricksfitunclind'œiletfronçasonpetitnezcouvertdetachesderousseur.—Bienentendu.Tuveuxunjob?—Quoi?—J'aibesoind'embaucherquelqu'unpourmeremplacer.Oui,quoi,avecl'exécutionàprépareret

lareprisedutrôneettout.Etjepensequetuseraisgéniale.Oh,écoute,onn'apasletempsdeparlerdetoutçamaintenant.Onendiscuteraendéjeunant.

La fée regardapar-dessus son épaule et fit unVavec l'index et lemajeur de sesdeuxmains, àl'instardeNixon.

—Deuxchosesencore,rapidement.D'abord,toutlemonden'estpasraviquetusoisici.Pleindegens sont formidables,mais ilyenaaussiqui, àmonavis, sontde tristes siresdangereux. Jen'aipersonne de précis en tête, remarque... mais il y a beaucoup de prédateurs qui travaillent dans lebâtiment. Et cela veut dire qu'il y a quelques caractériels et parfois ça explose sans tropd'avertissement,alorsprendssoindetoietfaisattention,voilà.

— Prédateurs, caractériels, répéta Pia en regardant la fée avec fascination. Oui. Je pense quej'aimeraisdéjeuneravectoi.

—Biensûrqueoui!s'exclamaTricks,quibaissalavoix.EtpuisilyaDragos.Oh,monDieu,ilestfoudetoi.(Ellegloussa.)CelafaitdeuxcentsansquejevisàlacourdesWyrsetjenel'aijamaisvudanscetétat.Toutlemondeflippeparcequepersonnenel'ajamaisvudanscetétat.Bon,tusaisquec'estunhommeetundragonettoutça,etdonciladesproblèmespourexprimersessentiments,pourcommuniquer,maisouhlàlà,machérie,ilesttellementsexyetséduisant,situvoiscequejeveux dire... alors, bravo ! (Elle pouffa de nouveau et tendit la main pour frapper celle de Pia.)Déjeuneraujourd'hui,uneheure,çamarche?

—Çamarche,réponditPiad'unevoixhébétéeenfrappantlapetitemaintendueverselle.Dragos, foud'elle?Vraimentfoud'elle?Pas justeunepassade?uncaprice?Ellesemordit la

lèvre.—Fautquejemesauve.Tricks lui fit un clin d'œil et sortit en sautillant juste aumoment oùDragos, Rune et Graydon

rentraient.LaféedonnaunetapeàRunesurlebras:—VeilleàcequePiasoitdansmonbureauàuneheure.—Est-cequej'ailatêted'unesecrétairequis'occupedesrendez-vous?demandaRune.Trickétrécitlesyeux.—Est-cequej'ailatêtedequelqu'unquis'enpréoccupe?J'aiunmilliondetrucsàfaireavantmon

départ,alorsnem'enquiquinepas.Runes'esclaffaetlaserracontreluienl'enlaçantd'unbras.—Pardon,pipelette.Jesaisquetun'aspaseuunesemainefacile.Trickss'éloigna,sesminusculestalonscliquetantlelongducouloir.—Tuas l'airpassablementétourdie, fitDragosenembrassantPia.Tricksaengénéralcegenre

d'effetsurlesgens.

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—Jesuppose,dit-elleensourianttimidement.—Quandelleestenphasemaniaque,c'estunpeucommeprendreducrackpourlapremièrefois,

ajoutaRune.—Bien, fitDragos d'un ton pressé. J'ai des choses à faire, il faut que je parle à Tiago, que je

planifieunedécapitation.(IllevalesyeuxsurPia.)Çava?Elleluisouritavecmoinsd'hésitation.—Oui.—Parfait.(Ilmarquaunepause.)Mercipourcequetuasfaitpendantlatéléconférence.—Derien.IlregardaRuneetGraydon.—Ellefaitcequ'elleveut,compris?Graydons'absorbadans lacontemplationdeseschaussuresavecuneexpressiondemartyret se

frottalanuque.—Dragos,celarisqued'entraîner,euh...beaucoupdeconsidérationstactiques,remarquaRune.Tu

necroispasqu'ilseraitplussimpledelimitersesmouvements?— Pourquoi parlent-ils d'elle à la troisième personne quand elle est debout à côté d'eux ?

marmonna-t-elleavecagacement.Desyeuxd'orenfusioncroisèrentlessiens.Était-cesonimagination,ouseslèvress'étaient-elles

pincéessousl'effetd'uneémotioncontenue?DragossetournaensuiteversRuneetluidécochasonsourirecarnassier:

—Vatefairevoir.Jenesuispassonmaître-chien.Ilsortit.Lasalledeconférences,privéedesaprésenceécrasante,semblas'assombrirets'agrandir

soudain.Piatoisasesdeuxgardesauvisagedemarbre.Ouhlàlà.—MademoiselleGiovanni, fitRune d'une voix suave, les yeux rivés sur un point quelque part

derrièreelle.Pourvotrecommoditéetvotreplaisir,Dragosafaitvenirquelqu'unpourvousassisterdansvosachatsaujourd'hui.Lapersonnedevraitarriverd'uneminuteàl'autre.

Piadévisagealegriffon.Elleseretourna,tiralefauteuilquisetrouvaitàl'extrémitédelatableets'affaladedans.Elleposalesmainsàplatsurlasurfacepolie.

—Est-cequevouspouveztouslesdeuxvousasseoir?demanda-t-elle.Aprèsunmoment,Runes'assitàsadroiteetétenditseslonguesjambes.Graydonpritlefauteuilà

sagauche.Lesdeuxhommeséchangèrentunregardcirconspect.—Bon,dit-elledoucement,absorbéedanslacontemplationdesesmains.Cesdixderniersjours,

onm'afaitduchantage,j'aiététraquée,menacée,j'aieuunterribleaccidentdevoiturequim'auraittransformée en chair à pâté si votre patronn'avait pas été là, j'ai été kidnappée, rouée de coups etpourchassée une nouvelle fois. J'ai dû affronter une armée d'orques, le roi des Faes et trente ouquarantedesesacolytes,ettoutcequitouchaitàmonexistenceaétédétruit.

ElleentenditRuneaspirerunegouléed'air.—Jen'aipasfini,beaugosse.Jedoissupporterl'attitudemachoetautocratiquedeDragos,vuqu'il

fonctionne ainsi. Juste pour que vous compreniez ce que je veux dire quand je déclare que ma

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patienceestpassablementémoussée.J'aibiencomprisquevousn'avezaucuneenviedefairelesbaby-sitters.Vousavezétéonnepeutplusclairs.Jen'aimoi-mêmeaucuneenvied'avoirdesbaby-sitters,mais c'est ainsi.Alors est-ce qu'on peut gérer la situation simplement ou est-ce qu'il faut qu'on secompliquelavie?

Ellelesregarda.Graydonavaitposélescoudessurlatableet l'observait.Elleremarquapourlapremièrefoisqu'ilavaitdetrèsjolisyeuxgrisardoise.

Runeavaitcroisélesbrassursapoitrineetrivaitlesyeuxsurelle.—Beaugosse,répétaGraydon.Ellet'apasraté,mec.—Vatefairefoutre,répliquaRune.—Enfait,histoiredevousteniraucourant,ditGraydonàPia,ilestlediplomatedelabande.Runesepenchaverslui.—Ferme-la.Ellesemorditlalèvrepours'empêcherdesourire.Runelevalesyeuxverselle.—OK,mademoiselleGiovanni,essayonsdereprendreàzéroetonverracommentçasepasse.—Appelez-moiPia,ettutoyons-nous.Ilfitunsigned'assentiment.—Justeunechose,sachequesitufaisquoiquecesoitpourtrahirDragos,jetetuerai.—Waouh,beaugosse,çafaitpratiquementdenousdessupercopains,non?Graydonexplosaderire.Aprèsunmoment,Runeaffichaluiaussiunlargesourire.—D'accord,Pia.Qu'est-cequetuvasfaireaujourd'hui?— Nous savons déjà que je retrouve Tricks pour déjeuner. Qu'est-ce que vous pensez que je

devraisfaire?C'étaitmanifestementlachoseàdire,carlesdeuxhommessedétendirent.—Leplussûrseraitquetunebougespasdupenthouse.Ellepoussaunsoupir.Runepoursuivit:—Maisjepeuxcomprendrequeçanetediserien.Lemieux,alors,seraitderesterdanslatour.

Noust'escorteronsdehorssitulesouhaitesvraiment,maisjenecroispasquecesoitunebonneidéepourl'instantet,sijepeuxmepermettred'êtredirect,jecroisqueDragospenselamêmechose.

Ellepritunairpensif.Ellen'avaitdoncpasimaginélemomentfugacedelutteintérieurequiavaitagitéDragos.Ilavaitmisunfreinàsesimpulsionspourlalaisserchoisirelle-même.

— Autre chose : j'aimerais que nous allions à la salle de sport et que nous voyions avec toiquelquesmesuresdesécurité.

Elleopina.—D'accord,j'aiprisdescours,doncçadevraitaider.Jevousproposedemefairevisiterlatour,

c'est possible ? Et puis il faut que je m'achète de nouvelles tennis. Les miennes sont foutues. J'aienvironmilledeuxcentsdollarssurmoncompted'épargne,sijepeuxyaccéder.Ensuite,aprèsavoirdéjeunéavecTricks,onpourraitalleràlasalledesport.

Runefouilladanssapocheetenressortitunecarteenplastique.Illaposasurlatableetlapoussaversellesansunmot.

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UnecarteAmericanExpressPlatine.Avecsonnomgravédessus.Unemyriaded'émotionslasaisit,àcommencerparlavexation.Est-cequ'ilessayaitdepayerpour

elle,commesielleétaituneprostituée?Est-cequec'étaitpourqu'ellepuissesedistrairependantqu'ilétaitoccupé,jusqu'àcequ'ilselassed'elleetdécidedel'éliminer?Ellejoignitsesmainstremblantesetinspiraplusieursfois.

Aufuretàmesurequ'ellesecalmait,ellesesouvintdeTricksparlantdeDragosetsoulignantqu'ilétait un homme et un dragon, ce qui voulait dire qu'il n'était pas un expert dans l'art de lacommunication.

Aussi,l'amusementfutfinalementl'émotionquil'emportaenelle.Dragosnelatraitaitpascommeuneputain.Ilessayaitdeluifaireplaisir.

Lesgriffonsl'observaientd'unairimpassible.— Cette carte, ça ne va pas, je ne veux même pas en parler. (Elle posa un doigt dessus et la

repoussaversRune.)Écoutez, tout ceque jeveux, c'estdeuxou trois centsdollarsdemonpropreargent,uncaféfrappéetdeschaussuresneuves.D'accord?

Le visage de Rune s'éclaira de son premier « vrai » sourire tandis que lui et Graydon sedétendaientencoreunpeuplus.

—Etsijeteprêtaisunpeud'argentenattendantquetuentirestoi-mêmedetoncomptebancaire?IlyaunStarbucksaurez-de-chausséeetquelquesboutiques,unepharmacie,etunrestaurantpotable.

—D'accord,merci.C'est à ce moment-là qu'un homme mince aux cheveux noirs fit irruption dans la salle de

conférences.C'étaitlapersonnechargéedel'aiderdanssesachats,unWyrquirépondaitaunomdeStanford.

—Hello,miss,ravidefairevotreconnaissance.Regardezcequejevousaitrouvé.UnpeignoirensatinnoirdechezDolce&Gabbana.Ohlàlà,avecvoscheveuxetvotreteintdepeau,vousallezêtresublimededans!

IlposauneboîtedevantellequiportaitlelogodeSaksFifthAvenue,l'ouvritd'ungestethéâtral,sortitlevêtementetleluiprésenta.

—Allez,machérie,touchez-le,voyezcommec'estdivin.Pia regarda le peignoir. Pressant les doigts juste au-dessus de son arcade sourcilière droite où

pointaitunmaldetête,ellerépliqua:—Bonjour,raviedefairevotreconnaissanceégalement,Stanford.Combienacoûtélepeignoir?L'hommelaregardacommesidescornesvenaientdeluipousser.—Coûté?—Etpourquoil'avez-vousacheté?J'aidéjàunpeignoirquimeconvientparfaitement.Graydon s’éclaircit la gorge. Il lui donna une petite tape sur le bras. Elle se pencha, et il lui

murmura:— Je crois que le patron veut que tu aies quelque chose d'autre qu'un bout de tissu rose qui te

couvreàpeinelederrière.Maintenant,neteméprendspas,tuasuntrèsjoliderrière.—Pardon?fit-elleenseredressantvivement.

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Lecolosserougitjusqu'auxoreilles.Illevaundoigt.—Nonpas que j'aie eu l'intention de sortir un truc pareil ni de remarquer ledit derrière ni de.

Merde.Jeveuxdire,jepigepourlacarte,maisàtaplace,jelaisseraislepatront'offrirunpeignoir.Jenecroispasqu'ilapprécietropquenoustevoyionsenveloppéedanstonmignonpetitmouchoirrose.

Elleserralesdents,laissapasserunmoment,puiss'adressaàStanford.—Mercipourlepeignoir,ilestravissant.LeWyraffichaunsourireradieux.—Voilàquiestmieux.Bon,alorsoccupons-nousmaintenantdefairedushoppingsérieux.Vouset

moi,machérie.Jevaisvousaideràavoirl'aird'unereine!—Stanford,dit-elleenregardantlepetithomme.Est-cequevoustouchezdescommissionsouest-

cequevousêtespayéàl'heure?Ilpinçalesnarinesetsecoualatête.—Oh,jenesuispassurcommissions,machérie.Non,non.—Est-cequetuasunpeudeliquideàmeprêter?s'enquit-elleensetournantversRune.Ilsortitsonportefeuilleetluitenditunbilletdecentdollars.—Est-cequejepeuxavoirlacarteaussi?Il levaun sourcil,mais lui tendit la carte de crédit.Elle se retournaversStanford, lui donna le

billetetlacarte.—Jeveuxdeux choses, s'il vousplaît.D'abord, je veuxquevous alliezm'acheter unepaire de

basketsNewBalance,taille37,etquevousmelarameniezaveclamonnaie.Ensuite,jeveuxquevouspreniezlacarteetquevousfassiezundonàtouteslesbanquesalimentairesdeNewYork.

Lepetithommepâlit.—Touteslesbanquesalimentaires?Delavilleoudel'État?Elleeutl'airinterloqué.— Je n'avais pas pensé à ça. Disons, toutes celles de l'État. Quand est-ce que vous pouvezme

procurerleschaussures?—Vouslesaurezcetaprès-midi,répliquaStanfordd'unairdéconfit.—Merci.(ElleregardaRuneavecmalice.)Iladitquejepouvaisavoirtoutcequejevoulais.—Pasdedoutelà-dessus,ill'abiendit,réponditlegriffonensouriant.Stanford s'éclipsa, et les deux griffons lui firent visiter la tour comme promis. Ils étaient

désormaissuffisammentdétenduspourdiscuter,cequirendit lavisitebeaucoupplusagréable.Elleeutrapidementunebonneidéedel'agencementdeslieux.

L'étageoùsetrouvaitlepenthouseétaitl'étagedesappartementsprivésdeDragos.LetableauquiavaitattirésonattentionlaveilleétaiteneffetunChagall,etilétaitaccrochéenfaced'unKandinsky.Jouxtant la chambre qu'ils avaient occupée la nuit précédente, se trouvaient deux autres chambresimmenses,l'unedrapéedansdesbâchesenplastiquecaronétaitentraind'yfairedestravaux,souslasurveillanceétroitedegardesattachésàlasécurité.Lacuisinedupenthousesemblaittoutdroitsortied'unmagazineculinaireprofessionnel.Ellesetrouvaitjusteàcôtéd'unesalleàmangerquipouvaitaccueilliraumoinsdouzeWyrs.Ontrouvaitégalementàl'étageunegrandebibliothèquemeubléede

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fauteuilsetcanapés,richedeplusdevingtmilleouvragesportantsurunemyriadedesujets.Lelieucomportaitégalementunevitrinepouraccueillirleslivresplusanciensetfragiles.

La salle de séjour était similaire à leur chambre avec des baies vitrées.Deux écrans plasma setrouvaientàchaqueextrémité.Seulslessentinellesetdupersonnelchoisidelacuisine,delasécuritéetchargédestâchesménagères,avaientaccèsàcetétage.

L'étage en dessous abritait plusieurs vastes pièces : la salle à manger des cadres, la salle deconférences,lasalledesport,lesbureauxpersonnelsdeDragosetenfinunegrandesallederéunion.En dessous se trouvaient les quartiers des sentinelles et les appartements de certains cadres del'entreprise, ainsi que des dignitaires de la cour et des invités. Deux étages étaient réservés auxbureaux des avocats et de leur personnel. Un cabinet entier d'avocats travaillait pour CuelebreEnterprises.

Larichesse,l'extravagancedelatouravecsessolsenmarbreturcveinéd'or,seslampesenverredépolietsesappareillagesélectriquesencuivre,proclamaientl'étenduedupouvoiretdelafortunedeCuelebre.Pas toutà fait aussihautque l'EmpireStateBuilding, lebâtimentn'enétaitpasmoinsunpalais.

Au centre du hall d'entrée du rez-de-chaussée se dressait une sculpture datant du IIIe siècle quidominait les visiteurs. Sœur intacte de la Victoire de Samothrace qui se trouvait au Louvre, lasculpturereprésentaitunesuperbedéesseàl'expressiongrave.Elleétaitdrapéedansunerobeample,sesailesmajestueusesdéployéesderrièreelle.Elletenaituneépéedansunemainetsonautremainétaitàhauteurdesabouchecarelleappelait,semblait-il,destroupesinvisiblesàlancerunassaut.LastatuevenaitdelaGrèceancienne,maisl'inscriptionsurlepiédestalétaitenlatin:REGNARE.Régner.Unefoisaurez-de-chaussée,ellen'enpouvaitplusetc'estavecjoiequ'ellecommandasonfrappé.

Elleavaitbesoindesadosedecaféine.Graydonpritungrandcafé,etRuneuncaféglacénoir,ainsiqu'unedizainedeviennoiseriesetplusieurssandwichs.Ilschoisirentunetabledansuncoin,etsileurattitudeétaitdétendueettranquille,ilsorientèrentleurschaisesdefaçonàpouvoirgarderunœilsurleresteduStarbucks.Ilspouvaientdeplusobserver lesva-et-vientdurez-de-chausséeàtravers lesfenêtres.

Piabalançaunpiedenbuvantsaboisson.Elleessayadenepasfixerlamontagnedenourriturequidisparaissaitrapidement.

—Les gens parlent « d'empire », remarqua-t-elle,mais c'est impossible à comprendre tant quevousn'avezpasvutoutceladevospropresyeux.

—C'estDragosquiabâtitoutça,fitRuneenengloutissantunmorceaudegâteauauxcarottes.Ilya mille cinq cents ans environ, il s'est rendu compte que lesWyrs devaient s'unir et former leurpropresociété.C'était leseulmoyendeprotégernotre identitéetnosintérêtsalorsquelessociétéshumainesetcellesdesautresAncienssedéveloppaient.

—Ouais,cedragonestredoutable,pouffaGraydon.Jenecroispasquequelqu'und'autreauraitpule faire. Il a rapproché les immortels et lesmortels, nous a imposé ses lois et nous a botté le culsuffisammentlongtempspourqu'onsemettetous,nouslesprédateurs,àrentrerdanslerangetàluiobéir.C'étaitçaoumourir.Ilyaeudesépoquessanglantesaudébut.

—Çasembleterriblementféodalcommesystème,commenta-t-elle.

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—Çanelesemblepasseulement,ajoutaRune.C'estféodal.UngrandnombredeWyrssontdescréaturespacifiques,Stanfordenestunbonexemple,quin'ontpasdeproblèmeàsefondredanslasociétéhumaine.Maisunplusgrandnombreencoredoiventsavoirqu'ilspasserontuntrèsmauvaisquartd'heures'ilsnerespectentpaslesrègles.

—C'estcequevousfaites tous lesdeux,n'est-cepas?Leur faire respecter les règles?Jeveuxdire,quandvousnefaitespasdubaby-sitting...

—Chacundesquatregriffonscommandelesforceswyrssurunquadrantdudomaine,expliquaGraydon.Onestdesespècesdeshérifs.Maisdetempsàautre,onnousfaitfairedubaby-sitting.(Illapoussagentimentdel'épaule.)Tun'espassispécialequecela,beauté.

Ellesourit.—Merci,jemesensbeaucoupmieux.C'estalorsquelamontredeRuneémitunsignalsonore.Ilpoussasurunboutonpourl'arrêter.—C'estl'heuredetondéjeuner.LemomentestvenudenousrendredanslebureaudeTricks,dit-il

enselevant.Dans l'ascenseur, lesdeuxhommesdiscutèrentensemblecommepeuvent le fairedeuxamis.Pia

resta coite tandis qu'elle réfléchissait au déjeuner. Elle se tourna pour faire face au miroir quicouvrait l'unedesparoisde l'ascenseur.Commesonpeignoir, son jeanvenait d'un supermarchéetelleavaitelle-mêmecoupésescheveux.

Le tailleur en soie deTricks avait été dessinépar ungrand couturier et ses sandales avaient dûcoûteraussicherqu'unevoiture.C'étaittotalementdémentderetrouverlaféepourdiscuterd'unjobderelationspubliques!Mêmesionluioffraitleposte,ellenepourraitpasl'accepter.

Elle pivota vers la porte comme ils atteignaient le soixante-dix-neuvième étage. Les portess'ouvrirentsurTricksquicouraitverseux,sespetitspoingsserrésetsonadorablevisageminusculetordudefureur.Laféesetournaets'appuyacontrelemur,l'attentionmanifestementaccaparéeparlehallquisetrouvaitderrièreelle.

PiajetaunregardhésitantendirectiondeRuneetdeGraydon.Lesdeuxgriffonséchangèrentuncoupd'œil.Dansunmouvementquidonnait l'apparencedela tranquillité,Runeluisaisit lebras, laguidant en silence vers un coin de l'ascenseur, pendant qu'il appuyait sur le bouton permettant degarderlesportesouvertes.Graydonposaunemainsursonarme.

SurlestalonsdelaféesurgitlegigantesqueAmérindienquePiaavaitremarquéparmilegroupedesentinellesquiavaitaccueilliDragosàsonretour.Faisantprèsdedeuxmètresetpesantplusdecentkilosavecdestatouagesreprésentantdesfilsdeferbarbelésencerclantdesbicepstrèsmusclésetdescheveuxnoirs trèscourtsoù le rasoiravait tracéunmotifdevolutes, leWyrn'étaitpasmoinseffrayantenplein jourqu'ilne l'était lanuit.Onauraitditquesonvisageavaitété façonnéà l'aided'unemachette.

Letonnerreroulaauloin.Graydonlevalessourcils.Nelesremarquantpasousemoquantdeleurprésence,lemâlebifurqua.Trickssurgitderrièreluietfrappal'arrièredesatêteduplatdelamain.

L'Amérindienfitvolte-faceàlavitessed'unéclair.IlsaisitTricksparlesépaulesetlasoulevadesortequ'elleseretrouvenezànezaveclui.

Pia émit un son involontaire. Son instinct prit le dessus et elle voulut intervenir, faire quelquechosepouraiderladélicatefée.Runeresserrasamainsursonbras,l'immobilisant.

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—Pasquandilyadel'oragedansl'air,luiglissa-t-il.Qu'est-cequecelapouvaitbienvouloirdire?Trickssemitàtonitruer:—J'enairaslessourcilsdetoncaractèredecochon,Tiago!J'aimeraisquetutesouviennesqueje

nem'appellepas«BordelTricks»ni«VaaudiableTricks».Dorénavant,d'ailleurs,cesexpressionssontillégales-laprochainefoisquetuouvreslabouchepourmecrierdessus,tuasintérêtàcequecesoit:«Allezaudiable,madame!»

Ilssemesurèrentduregardpendantunmomenttendu,puislaragequiassombrissaitlestraitsdeTiagosemblasefragmenter.

—Dorénavant?répéta-t-il,avantdepouffer.Tuplaisantes,n'est-cepas?Elleluidonnauncoupdepieddanslemollet.—Nepensemêmepasàtemoquerdemoi!Ilsemitàrireàgorgedéployée,etl'assassinimpitoyableauvisagetailléàlaserpesetransforma

enunhommevraimentbeau.—Mais tu es tellement mignonne quand tu es en colère. Regarde-toi. Le bout de tes oreilles

devientrose.Comme la colère du mâle wyr se dissipait, la fée sembla se comprimer, vibrant d'une fureur

encoreplusgrande.—Pasletrucàdire,abruti,trancha-t-elle.Etelleluienvoyasonpoingdansl'œil.LeriredeTiagosetransformaenhoquet.—Aïe.(Ilmitunemainsursonœil.)Tupeuxfairetouslescapricesquetuveux,tunequitteraspas

NewYorksansdétachementdesécurité.Ilyeutunsignequ'ellenecaptapas,maisRuneetGraydonsedétendirent.Runelalâcha.Ellele

fusilladuregardetsefrottalebras,mêmes'ilavaitmanifestementveilléànepasluifairemal.Ellesuivitlesgriffonsquandilssortirentdel'ascenseur.

—Tiago, disaitTricks d'un ton qui trahissait son exaspération.D'abord,Urien n'est pas encoremort.

—Jeluidonneunesemaine,répliquaTiago.—Deuxièmement,continualafée,unefoisqu'ilseramort,Dragosetmoiavonsdécidéqu'iln'y

aura pas deWyr autorisé àme suivre quand jem'en irai. Les Faes noires n'accepteront jamais laprésenced'uneforcewyr,etsil'undesautresdomainessoupçonneseulementquelesWyrsessaientdecontrôlerlasuccessiondesFaesnoires,ceseralabérézina.

—C'estsuicidaire,fitTiagoencroisantlesbras,sesmusclessaillant.Etc'estimpossible.—Troisièmement,continuaTricks,jevaisêtrereine.Lareinel'emportetoujourssurunchefde

guerrewyr,connard.Jesaisquetueshabituéàcommandertaproprearmée,maisçanesepassepascommeçaàNewYorketçanesepassepascommeçaavecmoi.Alorsfais-toiàl'idéeourentrecheztoi.Situasunchez-toi.Situvismêmedansunemaison.

—Jevisdansunemaisonquandj'ailetemps,rétorquaTiagoenprenantunairrenfrogné.Runes'avança.—Quandest-cequeDragosettoiavezdécidéquetuquitteraisNewYorksansgardesducorps?

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demanda-t-il.Laféeluijetaunregardgêné.—Onenadiscutécematin.Graydonlesrejoignit.—Jecroisquenousdevonsrevoircettedécision,monchou.Quandtuvasrévélerpubliquementta

véritableidentité,çavafairedesacrésremous.Laplupartdesgenscroientquetoutetafamille,toiycompris,estmorte.Et ilvayavoirdesFaesnoiresquivontsesentirméchammentspoliéesquandellesvontdécouvrirquetueslalégitimehéritièredeleurtrône.

Trickssebouchalesoreilles.—Onneparlepasdeça.Jeneparlepasdeça.Toujoursdansl'ascenseur,Piaobservaitlequatuoravecfascination.Ellenecomprenaitpastoutce

quivenaitdesepasser,maisilétaitclairquelesquatreindividusétaientenpleinedisputefamiliale.Elle regardaautourd'elle,malà l'aise, sesentantune intruse.Elle reconnutoù ils se trouvaient.

Deuxmassivesportes en chêne àdoublebattant se trouvaient à l'autre bout duhall, et elles étaientouvertes.EllesdonnaientsurlesbureauxdeDragos.

Piquéepar la curiosité, elle franchit le hall en catimini et jeta un coupd'œil dans le sanctuaire,découvrantunendroitencoreplusluxueuxquelereste.Elleeneutlesoufflecoupé.Elleétaitàpeuprèscertainequ'elleavaitunJacksonPollockdevantlesyeux.

Dragos était là, absorbé dans une conversation avec un grand jeune homme aux cheveux endésordrequiarrivaitàavoirl'airdébrailléalorsqu'ilportaituncostumecoûteux.Dragosl'aperçutetluisourit.Lachaleurdusourirefitbattresoncœuretelleluisouritàsontour.

Unesecondeplus tard,uneexpressionde rageassombrissait ses traits,et la transformationétaittellementinexplicableetinattenduequ'ellerecula.Ils'avançaverselleet,lasaisissant,l'attiraverslui.

—Ellen'estpasseule,onestlà.Onnelaquittepasdesyeux,fitGraydonenapparaissantderrièreelle.

Elle se retourna commeDragos jetait un regard noir dans le hall. Rune s'était planté quelquesmètresplusloin.

Dragossedétenditetsonexpressions'adoucit.C'estàcemoment-làquePiacompritcequivenaitdesepasser:saragen'avaitpasététournéeverselle,maisverssesgardesducorps.

—Sijetemetsautantencolèreunefois,dit-elle,tumedonnerasunechancedem'expliquer,n'est-cepas?

Ill'embrassaprestement.—Tunememettras jamaisautantencolère.Elleavaitpleinementconscienceduregardfasciné

quelejeunemâleposaitsurelle.Ellesentitlerougeluimonterauxjoues.ElletapotaaffectueusementlebrasdeDragosetmurmura:

—Dumomentquetulecrois,mister.Ilsetourna.—Pia,jeteprésentel'undemesassistants,Kristoff.EllerencontraleregarddujeuneWyrquibrillaitd'admiration.Illuisourittimidement.—Bonjour.

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—Raviedefairevotreconnaissance,dit-elle.—Prendsdixminutes,fitDragosàKristoff.IlescortaPiadanssonbureau.Lesstoresétaienttirésetlavastepièceétaitbaignéedesoleil.Elle

clignadesyeux,éblouie.Elleindiqualaportedelamain.—Jenevoulaispas tedéranger. Ilsétaient tousen traindediscuterdehorset jemesuisditque

j'allaisjustejeteruncoupd'œil...—Cesonteuxquimedérangeaient.Ilsfontassezdebruitpourréveillerlesmorts.Ilpoussaunboutonsurlemur.Lesstoresverticauxsefermèrentdansunronronnementpresque

inaudible,restantàmoitiéouverts,mais tamisantsuffisamment la lumièrepourqu'ellenefassepasmalauxyeux.

—Tonarrivéeaététoutàfaitbienvenue,ajouta-t-il.Ellereportasonattentionverslesfenêtresetlecielbleusansnuages.—Onaentenduletonnerre.—La formewyr deTiago, expliqua-t-il en soupirant, est l'oiseau-tonnerre.Quand il semet en

colère,ilyadeséclairsetdutonnerre.C'estquelquechoseàvoirpendantunebataille.Normalement,ilsecontrôlebeaucoupmieux,maistoutlemondeestàcranencemoment.

Piaavisasoudainlesdeuxpaysagesaccrochésauxmurs.—Oh,ilssontmagnifiques!s'exclama-t-elle.Elles'approcha.L'effetaériendupaysageavaitétécréégrâceàl'utilisationdeplusieurséléments:

peinture,tissu,paillettesetperles.Unfleuvecoupaitlatoiledupaysagedejour.Lepaysagedenuit,quant à lui, donnait l'impression de villes constellant un patchwork campagnard. Elles luicorrespondaientbien.Ellel'imaginaitassisàsonbureauetlescontemplantenayantl'impressiondevolerdanslesairs.Ellesetournapourluisourire,ravie.Sonexpressions'éclairadesurpriseetdeplaisir.

—Oui,répondit-ilsimplement.Unlégercoupfrappéàlaportelesfitseretourner.Trickssetenaitdansl'embrasure,unsourire

contritsurleslèvres.—Jesuisdésoléequetuaiesdûassisteràlascènedanslehall,dit-elleàPia.—Vaaudiable,madame,fitDragosd'untonamusé.Laféerougit.—Quoi,tun'asjamaisrienditd'idiotdansunaccèsdecolère?—Jamais.IlsaisitlepoignetdePiaetl'attiraversluiens'appuyantcontresonbureau.Ilsemitàtracerdes

cercleslégerssursondos.—Dragos,ilfautquetufassesquelquechose,repritlafée.Tiagomerendfolle.—Apparemment,répliqua-t-il.Tricksfronçalessourcils.— Je suis super amie avec toutes les autres sentinelles, expliqua-t-elle à Pia,mais je connais à

peinece type. Ilest toujoursquelqueparten traindecombattredes trucs.Cesdeuxcentsdernières

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années,onaeupeut-êtreunedizainedeconversationschaquefoisqu'ilaétérappeléàNewYork.Etsoudain,ilbouillonnedecolèreetesthargneux,etpensequ'ilpeutmedictercequejedoisfaire.Non,maisjerêve!C'estunchiengaleux,Dragos.Ilnedevraitpasêtreautoriséàmettreunpieddanslamaison.Est-cequetupeuxlerenvoyerenAmériqueduSud,s'ilteplaît?

—LecontratenAmériqueduSudestsansimportance.Jel'aiannuléilyaunedemi-heure.Nousrappelonslestroupes.

LesépaulesmincesdeTrickss'affaissèrent.ElledécochaàPiaunsouriretriste.—Etsioncommandaitdel'alcoolavecledéjeuner?—Bonneidée,fitPia.

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14PiaetTricksdirentaurevoiràDragosetsortirentdesesbureaux.Danslehall,GraydonetRune

s'entretenaienttoujoursavecTiago.Tricksneprêtaaucuneattentionautrio.Tiagoluijetaunregardnoir. L'homme hilare et séduisant que Pia avait aperçu fugacement avait été une nouvelle foisremplacéparl'assassinauxtraitstaillésàlaserpe.Elleréglasonpassurlespetitesfouléesdelaféeengardantuneexpressionneutre.

Tricksl'emmenaàManhattanCat,lerestaurantsituéaurez-de-chaussée.—C'estunerenardewyrquienestpropriétaire,expliqua-t-ellecommeellestraversaientlegrand

hallanimé.LyssaRenardestunegarceunpeusnob,maiselles'yconnaîtencuisine.— J'ai entendu parler du restaurant, fit Pia qui constata que Rune et Graydon la suivaient à

quelquespas.Ilareçuquelquesbonnescritiques.Trickspoussalaportedurestaurant.—Tuesvégétarienne,n'est-cepas?Ilyabiensûrbeaucoupd'animauxetdepoissonsmortssurle

menu,maisilyaaussiquelquesbonnessaladesetquelquesplatsàbasedetofu.Etpuissurtout,ilsontcepetitvinquej'adore.Tuaimeslevinblanc?

—Absolument.Tricks se tournavers l'hôtesse,une jeunechattewyrélancéeetauxyeuxbridésqui s'approchait

d'ellesensouriant,desmenusàlamain.—Bonjour,Élise,désoléeduretard.—Pasdeproblème,Tricks.Ledécordurestaurantétaitsobreetélégantavecbeaucoupdeboissombre,desnappesdelinblanc

etdesfleursfraîchescoupées.Toutes les tablesétaientprisesetsiuneoudeuxpersonnessaluèrentTricks,laplupartdesclientsneleuraccordèrentaucuneattention.Lebrouhahadesconversationsetlebruitdescouverts lesaccompagnèrent tandisquel'hôtesselesguidait jusqu'àunepetitesalleprivéesituéeaufonddurestaurant.

Lasallecomptaittroistables.S'effaçantdevantPia,Trickss'arrêtasurleseuil.—Nousallonsprendredeuxtofussautésauxlégumes,unebouteilledemuscadet,etpasd'hommes

autorisés,dit-elleàÉlise.Celle-cifitunsignedetêteensouriantets'éclipsa.—Oh,allez,Tricks,grommelaGraydon.—Non, répliqua la fée.Vousconnaissezcette salle.Voussavezqu'iln'yaqu'uneentréeetdonc

qu'unesortie.Etvoussavezqu'elleestavecmoi.Alors,débrouillez-vous.Tricksleurclaqualaporteaunez.Piaéclataderire.—Ilsn'ontaucunendroitoùs'asseoirdevantlaporte,dit-elle.—Jesais. Je suisencoreencolèrecontreeux.Cesmurs sont insonorisés.Nousallonspouvoir

papotertranquillement.

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Ledéjeunerarrivavite.Leserveurlaissalaporteouverte,letempsdedéposerlesplatsetlevindevantelles.Dehors,Runelesobservad'unairsoupçonneuxjusqu'àcequelaportesereferme.

—Ilssontinquietspourtoi,déclaraPiaspontanément.Ilestclairquetuvasleurmanquer.—Ilsvontmemanqueraussi,admitTricksd'unairtriste.Pias'assit.—Jesuisdésolée.C'étaituneremarquetrèspersonnelle.— Ce n'est pas grave, répondit Tricks en s'installant à côté d'elle. Ce sont des types tellement

formidables,Pia.MêmecettetêtedemuledeTiago.Toussansexceptionseferaienttuerpourtoi.—Oh,ditPiagentiment,ilsseferaienttuerpourtoi.—Pourtoiaussi,parcequeDragosveutquetusoisprotégée.Mince.Latristessedelaféecommençaitàluifairemonterleslarmesauxyeuxàelleaussi.—Jecroisquejesaiscequeturessens,fitPia.Pasl'histoired'êtrereinedemanièreimminente,ça

c'estcomplètementendehorsdemastratosphère.Maislereste.—Tuveuxdire,lafindelaviequetuastoujoursconnue?—Oui,c'estça.Trickssemitsoudainàrire.—Commentavons-nousfaitnotrecomptepourplomberainsil'atmosphère?Nousn'avonsmême

pasfininotrepremierverredevin.(Ellepritsonverre.)Àtasanté,nouvellecopine!—Alatienne,ditPiaentouchantsonverre.Tricksavalasonvind'untrait.— Bon, maintenant, passons aux choses sérieuses. Les potins ! Il faut que tu saches qui ment,

triche,esthypocrite,veutsevengerdequelquechose.Jesuisicipourtedonnerlafeuillederoutequetoutefilledevraitavoiravantdecommenceràbosserdanscetasiledefous.

Affamée,Piaattaquasonrepas.—Ilfaudraitunorganigramme.—Génial,approuvalafée.Unstylo.Pialaregardapalperlespochesdesontailleur,puistrottinerverslaporteetl'ouvrirpourattraper

uneserveuse.Ellerevintl'airtriomphant,arméed'unstylo,etsemitàécriresurlanappeblanchesanscesser de jacasser, traçant des cercles et des flèches reliant des noms entre eux.Elles finirent leurdéjeuner.Leserveurapparutetrepartitavecleursassiettes.Lesverresseremplirentdenouveau.

Unpeuplustard,Piasefrottalenez.Elleregardasonverredevinvide,puislesbouteillesvidesposéessurunetable.Sanouvelleamieétaitassisedetraverssursachaise.

—Commenttut'appelles,déjà?demandaPia.—Çadoitêtreécritquelquepartsurcetableau,fitlaféeenrigolant.Piabaissalesyeuxsurlesgribouillisnoirsquicouvraientlanappe.—Onallaitparlerd'untruc,non?—Biensûr.Tuvasreprendremonboulot.—OK.

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Elleopina.C'étaitunesolutionparfaite.Biensûrqueçal'était.Maisattends.Ilyavaitquelquechosequ'elledevaitserappeleràcepropos.Desdoutes,d'autres

facteurs, des raisons absolument évidentes qui dictaient qu'elle ne devait pas accepter. Il y avaitquelquechose...

Quelquechosequiscintillaitautourd'elle,uneForcefémininesilégère,délicateeteffervescentequ'ellelaremarquaitseulementmaintenant,desheuresaprèsavoirétésaturéedesaprésence.

Sonamieécrivaitquelquechose.T.R.I.C.K.S.Laféedessinadescœursetdesfleursautourdesonnomtoutenfredonnant.

—Tricks,fitPia.Trickslevalesyeuxdesondessin,lalanguepointantentresesdents.Piaposauncoudesurlatable,lementondanslamain.—Est-cequetaForceestassociéeparhasardaucharmeouaucharisme?—Etsic'étaitlecas?réponditTricksensegrattantl'oreille.—Jenecroispasquecesoitunebonneidéequejediseouiàcequetumedemandesalorsque

nousnoustrouvonsdanslamêmepièceetquejesuisivre,c'esttout.L'une des paupières de Tricks se baissa, lui donnant un air malicieux. Puis elle eut un sourire

radieux,etlesoleiletlajoieinondèrentlapièce.—Pffff,fit-elle.L'après-midi se transformaendébutde soirée.Dragos,Kristoff etTiago regardèrent le journal

télévisé.Kristoffsetenaitdebout,unemaincouvrantsanuque.Tiagosetenaitdroit,brascroisés.Sesbicepssecontractaientetfaisaientondulersestatouages.

Dragos était installé à son bureau. Il tapotait sa bouche de ses doigts en regardant le reportagediffusé sur une grande chaîne nationale qui était en train de violemment critiquer CuelebreEnterprises.

Deuxêtresd'unegrandebeautéétaientàl'écran.L'unétaitunereporterhumaine,l'autreleroidesFaesnoires.

Pourlapremièrefoisdepuisdesdizainesd'années,Dragosvoyaitlevisagedesonennemi.UrienavaitleteintetlescaractéristiquesphysiquesdesFaesnoires,detrèsgrandsyeuxgris,despommettessaillantes, une peau blanche et des cheveux noirs qui lui arrivaient aux épaules. Sa chevelure encatoganrévélaitd'élégantesoreillespointues.

—...Bienentendu,annulerleprojetestuncoupfinancierpourcettecommunautéetpourl'Étatdel'Illinois,déclaraitUrienavecunsourirequiarrivaitàexprimerleregrettoutenrestantcharmeur.Etpasseulementpourlesemploispotentielsqu'ilreprésentait.Nousavonsperduunesourceprécieused'énergiepropre et économiquequi aurait étéproduiteparunenouvelle centralenucléaire etnouspouvonsremercierCuelebreEnterprisespourça.Commevouslesavez,lanationdoitreleverledéfide réduire les émissions de carbone. Le seulmoyen d'atteindre cet objectif est de développer destechnologiespropres, tellesque leséolienneset lapuissancesolaire.L'énergienucléairesedoitdefairepartiedecettegamme...

Dragosappuyasurlatouchesilence.IlregardaTiagoetsonassistantmorose.

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—Urienabonneminepourunhommemort,fitremarquerTiago.—Bientropbonne,grondaDragos.—Jen'arrivepasàcroirequ'ilpuisseêtrehypocriteàcepoint,ajoutaKristoffamèrement.Ilparle

d'énergiepropreetderéductiondesémissionsdecarbonealorsqu'ilcontinueà faireexploserdesmontagnesetqu'ildirigel'unedesentrepriseslespluspolluantesdelaplanète.Voussavezquenotrecontact,PeterHines,arejeté,commenousl'avionspriédelefaire,lademandedesubvention.Ilaétéviréaujourd'hui.Etl'attaquemédiatiqued'Urienestintervenueplustôtdansl'après-midi.Lesactionssontenbaissedanssixdenosentreprises.

—Cellesdontlesiègeestdansl'Illinois,précisaDragos.—Oui.—Oh, arrête un peu,Kris ! s'exclamaTiago d'un ton impatient. Est-ce que tu pensais qu'Urien

allaitaccepterdeperdresonprojetchérisansmoufter?Biensûrqu'ilallaitattaquer.Aumoins,tuaslasatisfactiondesavoirquetul'asvraimentmisenpétard.Engénéral,iln'intervientjamaissurlesmédiashumains.

Krismâchouillaundesesongles.—Jesaiscequivasepassermaintenant:RYVNvaredéposerunedemandedesubventionauprès

duremplaçantdeHines.Ensuite,ilsaurontl'opinionpubliquepoureux.—Tantquejesuisenvie,cettesubvention,ilsnelaverrontpas,décrétaDragos.Jeveuxquevous

fassiezcequ'ilfautpourdémantelerlepartenariatRYVN.Ilselevaetposabruyammentlesmainssursonbureau.TiagogardalesilencependantqueKris

s'absorbait dans la contemplation de ses pieds, attendant que Dragos contrôle sa rage. Il reprit laparoleaprèsunmoment,légèrementcalmé.

—TrouvezHines,offrez-luiunboulot.C'estunbureaucrate - ildevrait êtreenmesurede fairequelquechosequinousconvienne.

—Peut-êtrequ'ilpourraitrejoindrenotreéquipedelobbyistesàWashington,fitKris.—Occupe-t'en,sur-le-champ.Krissortitprécipitamment.DragostournalesyeuxversTiago:—Etnomd'unchien,vametrouvercetteordurequejepuisseladéchiqueter.—J'ytravaille,réponditTiago.Onvamettrelamainsurlui.Dragossuivitd'unregardcourroucésasentinellequitournalestalons.TrouverUrienprenaittrop

detemps.Ilgronda,puisseforçaàsedominer.Ilfautquej'arrêtededétruirelesmeubles.Ilyatropàfaireetpasletempspourdesréparations...

Ses pensées bifurquèrent vers Pia. Il jeta un coup d'œil par la fenêtre et fronça les sourcils envoyant que la nuit tombait. Il sortit de son bureau et descendit un étage. Le penthouse étaitparfaitementsilencieux.Ilparcourutlespièces.Personne.

Çaneluiplaisaitpas.Maisàquois'était-ilattendu?Avait-ilpenséquePial'attendraitdocilement?Commeuneemployée?—Rune,appela-t-iltélépathiquement.

—Encoreentraindedéjeuner,répliquaRune.

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Encoreen traindedéjeuner?Dragos sedirigeavers l'ascenseur.Quelquesminutesplus tard, ilfranchissaitleseuilduManhattanCatettraversaitlerestaurant.

Rune et Graydon étaient postés de chaque côté de la porte close de la salle réservée aux VIP.Graydon piétinait sur place et Rune était adossé aumur, bras et chevilles croisés. Dragosmit lesmainssurseshanchesetl'interrogeaduregard.

—Platdetofuservià13h30.Quatrebouteillesdevin.Leserveuraapportéunplateaudedessertsauchocolatetunebouteilledecognacilyaenvirontroisquartsd'heure.Ladernièrefoisquelaportes'estouverte,elleschantaientIWillSurvive,énuméraRune.

—Qu'est-cequec'est?Graydonrigola.— Un tube des années 1970. Je crois qu'elles le chantaient pour exprimer une espèce de «

communionféminineaprèsuneruptureavecunpetitaminuletcommentons'enremet».Dragosrelevavivementlatêtecommes'ilavaitreçuunedéchargeélectrique.Ilvenaitd'avoirl'une

despenséeslesplussurprenantesetlesplusdésagréablesdusiècle.Est-cequejesuisunpetitami?Ilgrondaetouvritlaporteàlavolée.PiaetTricksétaientàquatrepattes,riantethoquetant.Lestablesetleschaisesétaientrepoussées

contrelemur.Piaétaitoccupéeàplierunenappeblanchecouvertedegribouillis.—Attendsuneminute,disaitPia.Jet'assurequejel'aivu.Situpliesl'organigrammedelabonne

façon-regarde,lesnomss'alignentlesunssurlesautres.Toutescespersonnesontcouchéensembleégalement.

Trickspouffa.—Commentt'asremarqué?Maparole,c'estuntructoutdroitsortiduDaVinciCode.Ilfautqu'on

mette des lunettes steampunk avec des verres spéciaux et tout, et peut-être qu'on remarquera autrechose.Attends.Çavient.

Ellelaissaéchapperunlongrot.Piasemitàcompterpendanttouteladuréedel'échappementd'air.—...deux,trois,quatre...Oh,tuasgagné.(Elleregardalapetiteféeavecémerveillement.)Oùest-

cequetuaspuemmagasinertoutcetair?—C'estundon,réponditTricks.LamauvaisehumeurdeDragoscrevacommeunebulled'airetsonvisagesefenditd'unsourire.

Laqueue-de-chevalblondedePias'étaitpresquedéfaiteetavaitglissésurunedesesoreilles.Tricksavait retiré ses sandales et roulé son pantalon de soie jusqu'aux genoux. Il s'appuya contre lechambranleetattenditdevoircellequileremarqueraitenpremier.

CefutPia.Elles'accroupittandisquesurpriseetravissementéclairaientsonvisage.—Coucou.Surpriseetravissement,uncadeaupourlui,rienquepourlui.Illuisourit.—Tuesrondecommeunebarrique.Trickslevitelleaussi.Ellepoussaunhurlementetécartalesbrasafindecacherlanappe.—Personnenepeutvoirça!RunecontournaDragosetpenchalatêteaveccuriositépouressayerdelirecequiétaitécrit.

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—Pourquoi,cesontdessecretsd'État?—Presque!Trickscommençaàmettreletissuenboule.Runes'emparad'uncoinettira.Ellesejetadessus.—Noooooooooon!Dragosneleuraccordaaucuneattention.Ils'accroupitdevantPiaetrepoussaavecdouceurunede

sesmèchesderrièresonoreille.Elleétaittouterougeetleregardaitendodelinantlégèrementdelatête.

—Tuvasêtremaladecommeunchien,demainmatin.—Onpensaitjuste...fit-elle,incapabledefinirlaphrase.(Elleleregardaavecémerveillement.)Tu

esleplusbelhommequej'aiejamaisvuetjetelediraisaussisijen'avaispasbu.La fureur et la frustration qui avaient envahi plus tôt Dragos s'évanouirent totalement, une

véritable transmutation alchimique. Il passa lesmains sous ses coudes en riant avec bonheur et lasoulevapourlaremettredebout.

—Qu'est-cequetupeuxencorem'avouer?Ellesepenchaetchancelaenluimurmurantàl'oreille:—Tueslemecleplussexyquej'aiejamaisvuaussi.Tusais,talonguequeuedereptile,couverte

d'écailles,estplusgrosseque toutes lesautres.Nonpasque j'aie fréquentébeaucoupd'hommesouque je fasse des comparaisons, hein. (Elle eut un hoquet et le regarda d'un air inquiet comme ils'esclaffait.)Est-cequejeviensdefranchirunelimitedanslaconversation?

—Oui,onpeutdireça.Illasoutintet,contournantRuneetTricksentraindelutterpourlanappe,l'escortaverslaporte.—Tuasfréquentécombiend'hommes,déjà?Ellelevadeuxdoigtsetlesregardaenfermantunœil.—Un ne compte plus, il estmort. (Elle enfonça ses doigts dans sa joue.) Je ne sens plusmon

visage.Comments'estpasséetajournée?—Bien.Ilpritsamain,repliaundoigtetdéposaunbaisersurl'indexquirestaittendu,puisilssortirentdu

restaurant.Lelendemainaprès-midi,Piaenfiladesvêtementsdesportetsesnouvelleschaussures.Ellenoua

sescheveuxenunequeue-de-chevalserrée.Sessouvenirsde lanuitprécédenteétaient flous.Ellese rappelaitavoirbeaucoupparléet flirté,

s'être sentie intelligente, belle et spirituelle tandis queDragos la taquinait et riait avec elle.Elle sesouvenaitd'être littéralement tombéedans le litenpoussantdescriseten luidonnantdescoupsdepiedpendantqu'illachatouillaitsanspitié.Elles'étaitendormie,lovéecontrelui.Ilavaitenroulélacascadedesachevelureautourdesesmains.

Elle était seule dans le lit quand les effets de ses excès l'avaient enfin rattrapée, tard dans lamatinée. Poussant un grognement, elle avait découvert un petit flacon sur l'oreiller de Dragos. Ilpalpitaitdemagie.Unmorceaudepapierattachéaugoulotdisait:Bois-moi.

Lapotionluiavaitsauvélavie.Elleespéraitquequelqu'unavaiteulabontéd'endonneràTricks

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également.Mêmeavec lebreuvage,elleavaitdûattendreunmomentavantdepouvoiravalerquoique ce soit.Maintenant, après un déjeuner léger, elle était prête à aller s'entraîner dans la salle desport.

Elleouvritlaporte.Lesdeuxgriffonsinterrompirentleurconversation.Leursexpressionsétaientbientropimpassibles.

—Est-cequejaiditoufaitquelquechosehiersoirquiméritequejevousfassedesexcuses?lança-t-elle.

—Pastoi,mignonne,réponditGraydon.Maisapparemment,pleindegensdanslatourdevraientenfaire.

—Ohnon...Vousavezmislamainsurlanappe?—Avantquelapetiteteignememorde,acquiesçaRuneensouriant.Ilsdescendirent.Unevingtainedepersonnessuaientetsoufflaientdanslasalledesport.Certains

étaientsur lesmachines,d'autress'entraînaientavecdespartenaires.L'unedeszonesd'entraînementavaitunparquetusémaisbienentretenu,etl'autreétaitrecouvertedetapis.

Graydonallaauvestiairesechanger,puisRunes'yrenditàsontour.Quandilrevint,ilfitsigneàPiaetàGraydondeseplaceraumilieudestapis.Lesdeuxhommesportaientundébardeurmoulantetunpantalondecotonnoir.

Descurieuxs'attardaientauborddelazoneetlesobservaient.Piainspiraprofondémentetessayadedissiperlespapillonsqu'ellesentaitdanssonventre,malàl'aise.Elleétiralesmusclesdesoncou.

—Bon,onvapasserenrevuequelques techniquesd'autodéfensedebase,expliquaRune.Pia, laleçonprincipale,c'estquelesexperts,c'estnous.Tufaiscequ'onteditquandonteledit.Sijetedisdetebaisser,tuasintérêtàtebaisserillico.SiGrayteditdet'aplatiràterre,tulefais.Leplusdifficileàgérer,c'estqu'uneattaqueintervientengénéralsansavertissement,alorsilestabsolumentessentieldesuivrelesordressanshésitationetsansdiscussion.

—D'accord,dit-elle.—Gray,mets-toiderrièrePia.Tuvasfairel'attaquant.Pia,Grayvatesurprendrepar-derrièreen

faisantminedet'entraîneraveclui.Jeveuxquetuteconcentressurlamanièredontilvatesaisiretlapositiondevosdeuxcorps.Nousallonstravaillersurl'étudedesmoyenssusceptiblesdetepermettredetedégager,çamarche?

—Çamarche.Graydonseplaçaderrièreelle.Pourunhommedecettetaille,ilnefaisaitaucunbruit.Ellerespira

profondémentenseremémorantl'entraînementqu'elleavaitreçu.Resteferme,maissouple.Ancrée,maisflexible.ElleconcentrasaforcementaleetlafocalisasurGraydon.Ellel'entendaitrespirer,percevaitses

mouvements.Sessens,l'ouïe,lavue,toussessensn'avaientjamaisétéaussiaffûtés.Ilbonditàunevitesseinhumainementrapide.Coulecommel'eau.Ellefitunpasdecôtéensepliantauniveaudelatailleetsentitsamaineffleurersonbras.Elle

effectuaunmouvementdetorsionetsemitenéquilibresurunpied,lesentitsedétendreettrouvasapuissancedelevier.

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Graydonatterritsurledos,etlesoltremblasousl'impact.Lesilencetombasurlasalledesporttandisquelesmachinesralentissaientets'arrêtaient.Lesgriffonslaregardaienttouslesdeux.

Graydonlâchaunjuron.—Qu'est-cequet'asfait,putain?Rune,lesmainssurlataille,éclataderire.—Ellet'afichuautapis,c'esttout.—Jesuisdésolée,est-cequej'aifaituntrucqu'ilnefallaitpas?demanda-t-elleavecanxiététandis

qu'ilscontinuaientàlafixer.Est-cequej'étaiscenséelelaissermesaisir?—Non,non,jecroisquetuasfaitexactementcequ'ilfallait,ditRune.IltenditunemainàGraydonetl'aidaàselever.Cedernierlafusilladuregard.—Bon,çava,jeroupillais.Mafaute.Tuasditquetuavaisprisdescoursetonauraitdût'écouter.

Maisonvarecommencer,mignonne,etcettefois-citunebénéficierasplusdel'effetdesurprise.—OK.Ils reprirent leurs positions initiales et elle se dressa sur ses demi-pointes, la tête penchée,

concentrée sur le sol. Cette fois-ci, intriguée par l'acuité de ses sens, elle concentra sa puissancementale surGraydon et Rune. Leur Force et leur énergie physique lui facilitaient la tâche, et ellearrivaitfacilementàassureruneprisementalesureux.

Graydonattaqua,soncorpsentraînépardessièclesdecombat.Elleselaissacouleretluiéchappa.Cettefois-ci,illasuivitdanssonmouvementetprojetaunbrasenavantpourlaceinturer.

Maisellen'étaitpluslà.Ellesedéplaçaoùilnel'attendaitpas,captantl'énergiequ'ilmettaitdanssonbrasetcelleaveclaquelle ilprojetaitsoncorpsenavant,ets'enservantdelevier.Lesol tonnaquandilpercutaletapis.

Illefrappadupoing.—Putaindemerde!Runes'esclaffa.Graydonse relevad'unbondavecune force,uneagilité etunevélocité absolument stupéfiantes

pourunhommedecettetaille,etellereculad'unpas.—Tupeuxtemarrer,connard,lança-t-ilàRuneavecénervement.C'estàtontourd'essayer.—Oh,arrêtedepleurnicher,fitRunequisetournaversPia.T'esprête?Ellehaussalesépaules,maisc'étaitungesterapideettendu.—Donne-moicequetuas,beaugosse.Ilsejetasurelle,utilisantsavélocitéetsaruse,etelleperçutqu'ilneseretenaitpasdutout.Elle

reculaentraçantunecourbeéléganteaumomentoùill'atteignait,etelleexploitalapuissancedesonélan.Ellefrappaletapiset,reculant,seservitdesespiedsetd'unedesesmainspourleprojeterpar-dessussatête.Ilseretrouvadanslesairspendantuneseconde,puispercutaviolemmentletapistandisqu'ellecomplétaitsaculbuteetatterrissaitavecgrâceetlégèreté.

Rune toussa, son expression figée. Quelqu'un murmura et cria quelque chose. Distraite, elleregardaendirectiondubruit.Leurpublicapplaudissait.

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—C'étaitsupergracieuxetclasse!rugitGraydon.Il lui donna une tape amicale sur l'épaule qui la fit vaciller. Elle grogna en chancelant, et il la

rattrapa.—Oh,pardon,mignonne.Jenevoulaispastefairemal.Çava?Ilavaitl'airtellementinquietqu'ellen'eutpaslecœurdeseplaindre.Ellefrottalazoneendolorie.—C'estbon,dit-elle.Çava.Runeseremitdebout.—VachercherBayneetConstantine,lança-t-ilàl'undesspectateursquipartitencourant.Ils'approchadePia,lesyeuxétrécis.—Qu'est-cequetuasétudiéexactement?—Wingchun,jiu-jitsu,lemaniementdequelquesarmes.Destrucsdebase,l'épéeetlecouteau.Je

peuxchargerettirerunpistoletouunearbalète.Jenesuispastrèsbonneavecunarc.Ill'observa.—Dragosnousavaitditquetun'étaispasuneguerrière.—Maisjenelesuispas.Pascommevous.Jen'aipasl'instinctdetueretjen'aimepaslesarmes.—Tupourraistuersituledevais?—Sijen'avaispasd'autrechoix.Maissinon,toutl'entraînementquej'aireçuestconcentrésurla

fuite.—Excellent,onpeutbosseravecça.Quelledisciplinepréfères-tuparmicellesquetuasétudiées?Elleréfléchit.—Jediraisquec'estlewingchun.J'enapprécielesprincipesd'efficacité,l'applicationpratiqueet

l'économiedemouvements,sansoublierl'évaluationdel'énergiedel'adversaire.C'estélégant.J'aieuunprofesseurquim'aditunefoisquelemeilleurcombats'apparentaitàunhaïku,sobre,simple,etbref.Lewingchunaquelquechosedecettephilosophie.

Ilopina.—Quelesttonpointfort,d'aprèstoi?—Lavitesse,jepense.Fautêtreréaliste.Sivousaviezvouluvraimentmeréglermoncompteet

aviezmislamainsurmoi,j'étaiscuite.—Trèsbien.Ettonpointfaible?Ellebaissalatête,frottasanuqueetavoua:—Suivre des ordres. Je ne l'ai jamais fait avant. Je vaism'appliquer,mais si l'un de vous crie

«baisse-toi»,jepourraisêtrel'andouillequirelèvelatête.Lesdeuxautresgriffons,BayneetConstantine,lesavaientrejoints,sibienquePiaétaitencerclée

parunénormemurdemusclesetavaitl'attentiondetouscesmâles.Runelesregarda.—Fautquevousvoyiezça,lesgars.Pia,tupeuxcontinuer?—Comment ça, je peux continuer ? (Elle fit un petit bruit avec sa bouche pour exprimer son

dédain.)Jen'aipasencoretranspiré,beaugosse.

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—Ah,voilàlesmotsd'unecombattante,mignonne,fitGraydond'untonravi.BayneetConstantineessayèrentchacunleurtourdelamettreautapis.Chaquegriffonseretrouva

àterre.Ilseurentunpeuplusdepoidsquandilss'ymirentàdeux.LasueurmouillaledébardeurdePia.Ilsétaientnonseulementdeformidablesguerriersavecdescentainesd'annéesd'expérience, ilsétaientmotivésetapprenaientvite.Elledutaccentuersesefforts.

Elle passa à la vitesse supérieure, sachant qu'elle devait en apprendre encore plus d'eux que cequ'ils apprenaient d'elle. Elle était totalement focalisée sur les quatreWyrs. S'ils rigolaient tous etplaisantaient,ellesavaitquec'étaitplusqu'unesimpleséanced'entraînement,maisbeletbiencequipourraitdevenirunequestiondevieoudemort.

DragosavaitpasséunesoiréeabsolumentcaptivanteavecPia.Lematin,ill'avaittenueendormie

danssesbrasetavaitregardélesoleilselever.Ilavaitalorsfait ladécouverted'unetoutenouvelleexpérience,unsentimentdeplénitudetotale,depaix.

Maisc'étaitcematin.Depuis,sonhumeuravaittournéauvinaigre.La forteressedesorquesavait étéabandonnée. Iln'avaitpasétépossibled'interrogerquiquece

soit.Lecirquemédiatiqued'Urienavaitétéenregistréàl'avance.Quandilsavaientenquêtésurlelieude l'interview, il avait décampé depuis longtemps et personne n'était en mesure de dire où il seplanquait.Ceuxquisuivaientlapistedel'ex-petitamidePiaetdesonbookmakerétaientarrivésdansuneimpasse.Etlesactionsdesentreprisesdel'Illinoiscontinuaientàchuter.

Etpuisilyavaitlesouci,quin'étaitpaslemoindre,desontrésor.SileroidesFaesavaitétéenmesuredefabriquerunsortpourlocaliserlelieuoùilgardaitsesrichesses,l'endroitétaitdésormaiscompromis.Peuimportaitquelesortilègen'aitmarchéqu'unefois,etquePiasoitlaseuleàconnaîtrel'emplacementdutrésor.Urienpouvaittrèsbiencréerunautresortilège.

Impossibleaussidesavoircequ'unsortilègedecettepuissanceétaitenmesuredefairesurautrechose.Ilenvisagead'alerterlesalliésqu'ilcomptaitparmilesAnciens,maiss'illefaisait,ildevraitreconnaîtresaproprevulnérabilité.

Pourcouronnerletout,lemairedeNewYorkexigeaitdeluiparler.Sesélecteursvoulaientàtoutprixqu'ilsparviennentàunaccordrelatifaucontrôledesnuisancessonoresdesortequel'incidentdelasemainepasséenesereproduiseplusjamais.

Le gouverneur de l'Illinois l'avait appelé en personne pour se plaindre de la persécution à sonégardconcernantlepartenariatRYVN.

LetribunaldesAnciensluiavaitadresséunesommationenvued'évoquerson«acted'agression»dans le domaine des Elfes et certaines allégations quant à un massacre de Faes dans une AutreContrée.

UncourrierspécialémanantduseigneursuprêmedesElfesétaitarrivéavecuneinvitationdestinéeàPiapourqu'elleleurrendevisiteaumomentdusolsticed'été.Piauniquement,personned'autre.Leseigneursuprêmeseraitravideleverl'embargocommercialimposésurlesWyrsdèsqu'ilrecevrait,parécrit,l'acceptationdePia.

En général, il aimait beaucoup travailler avec les sociétés internationales qui traitaient avecCuelebreEnterprises.C'étaitunpeucommedisputerplusieurspartiesd'échecsenmêmetemps.Maisaujourd'hui,ilavaitl'impressiondeporterdesvêtementstropserréssurunepeauàvif.Ilvoulaitlesarracheretgrifferlesmurs.

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Ilsemitàarpenterlapièce.IlnefaisaitquepenseràPia.Elleétaitlà,partout,etiln'arrivaitpasàse concentrer sur autre chose. Il ne voulait pas s'occuper de tous ces problèmes. Qui se souciaitfranchementquelesactionsdansl'Illinoisplongent?

Etpourquoinepouvait-onpastoutsimplementluienvoyerencolisexpresslatêted'Urien?Il posa les mains sur la fenêtre et s'appuya dessus en contemplant sa ville. Quand il lui avait

demandé la nuit dernière si le poste de Tricks l'intéressait, l'étincelle qui animait sonmagnifiqueregardavaitétéremplacéepardelacirconspection.

—Ilfautquej'yréfléchisse,avait-elledit.Ilfautquejeréfléchisseàpleindechoses.Maisàquoidevait-elleréfléchir,bordel?Sesmagnifiquesyeuxbleunuitleregardaientavecdésir.Ilauraitjuréqu'ellel'étreignaitavecune

affectionsincère.Elleétaitgénéreuseetspontanée.Ilétaitprêtàperdrela têtedèsqu'ilpensaità lasensationressentiequandilétaitenelle,sabeautéquandellejouissait.Ilsentitsonmembreseraidirenserappelantlessonsqu'ellelaissaitéchapperlorsqu'ilsfaisaientl'amour.

Ilétaitstupéfaitdeconstateràquelpointilétaitfaciledeluiparler,combienilvoulaitluiparler,etsedisputeravecellepimentaitsesjournées.

Elleétaitsienne.Pourquoinepouvait-ellepaslereconnaître?Chaquefoisqu'ilpensaitqu'illatenait,ilressentaitcequis'étaitpasséquandilluiavaitenvoyéle

rêvedestinéàl'envoûter:ellesetransformaitenfuméeetsedissipaitentresesdoigts.Cessortsdeprotectionqu'elleavaitdanslatête.C'étaitlàqu'elledisparaissait.Elleseretiraitdans

cettecitadelleélégante.Ilnepouvaitpasl'atteindre,àmoinsdedémolir labarrièreetdebrisersonesprit.

Ilfronçalessourcils.Iltrouveraitunmoyend'investirlacitadelle.Ilenfaisaitleserment.Déterminéàévacuersafrustrationetàseconcentrersurquelquechosed'utile,ilouvritlaporteet

sortitdesonbureauafindevoirsiKrisavaitdeschosesàluidire.Iln'yavaitpersonnedanslesbureauxavoisinants.C'estalorsqu'ilentenditletumulte.Ilaccélérale

pasenlongeantlecouloir.Iltournauncoin.Unepetitefouleétaitmasséedanslehalldevantlasalledesport.Ilsétaienttouscollésauxvitres.

Uncris'élevaalorsqu'ils'approchait,etàl'intérieur,lesgenssemirentàapplaudiretàs'exclamer.Il se fraya un chemin et entra dans la salle, où il vitGraydon etBayne debout devant les tapis

d'entraînement.Ilsobservaientquelquechose,lesbrascroisés,ets'esclaffaient.Graydonl'aperçut.—Eh,patron,mercipourlenouveaujouet,lança-t-ilensouriant.—Qu'est-cequeturacontes?fitDragos.—Onjoueàunnouveaujeu:clouerl'herbivore.Aucundenousn'arriveàcomprendrecequ'elle

peutbienêtre,maisputain,elleestrapide!Pourl'instant,lescoreestde10à2,etcenesontpaslesgriffonsquigagnent.

Ilarrivaauborddelazonedestapis.Constantineétaitaccroupi,lesbrastendus,concentrésurlaluttequisedéroulaitdevantlui.

—Vas-y,attaque-la!

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RuneetPiaétaientsurletapis,membresenchevêtrés.LecorpspuissantdeRuneétaittenducommeil s'efforçait de recouvrir celui de la jeune femme. La silhouette plus menue de Pia se tordait etglissait sous lui.Elleétait toute rougeet sonexpressionétait farouche. Ilshaletaient tous lesdeux,couverts de sueur. Elle évitait la prise qu'il essayait d'avoir sur elle, et sesmembres pâles et finscontrastaientaveclessiens.LegriffonlâchaunjuronensedéplaçantavecelleetenlesplaçantdansunepositionquirappelaitcellequeDragosavaitutiliséelaveillequandill'avaitprisepar-derrière.

Ledragonexplosa.

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15L'attaquesurvintsansavertissement.ElleétaitplongéedanssonmatchcontreRune,concentréesurlastratégieàsuivrepourexploiter

saforce.Ill'avaitmiseautapis.Pasbon.Celavoulaitdirequ'illacloueraitbientôtausol,ets'illuiplaquait lesépaulescontre le tapis, ilgagnait. Il fallaitqu'ellesedégage,etvite.Sinon,entre luietConstantine,elleétaitcuite.

C'estalorsquelepoidsdisparut.Déséquilibrée,elleroulasurledos,hoquetapourreprendresonsouffleetessayadecomprendre

cequisepassait.Constantineétaitétenduaupiedd'unmur. Ilcrachadusang, roulaet réussitàposerungenouà

terre,essayantdeserelever.Baynepoussalepublicverslaporte.—Dehors,toutlemondedehors!Graydons'agenouillaetaidaPiaàs'asseoir.Ilétaitlivide.—Çava,mignonne?—Qu'est-cequis'estpassé?Ilnel'écoutaitpas.Ellesuivitladirectiondesonregard.DragosavaitplaquéRunecontrelemuretletenaitàlagorged'unemain.Runenebougeaitpas,

bras ballants, mains ouvertes. Son regard vif était rivé sur Dragos tandis que son visages'empourprait.

Constantinetoussa.—Ilestentraindeletuer,dit-il.Piaréussitàselever,évitaGraydonquiessayaitdelareteniretbondit.Le comportement de Dragos n'avait rien de rationnel. C'était le dragon qui agissait. Il s'était

partiellementmétamorphosé.Leslignesdesoncorpsetdesonvisageétaientmonstrueuses,torduesetdisloquées.DesserresétaientplantéesdanslecoudeRune.Dusangcoulaitdesblessures.

Ellenes'arrêtapas,neréfléchitpas.Elles'approchadeDragosetletouchasurl'épauleafindeluisignaler sa présence. Elle lui caressa le bras en passant dessous, plaçant son corps entre les deuxhommes.Elleposalesmainssurcevisageétranger,meurtrier,etencaressalesjoues.

LaForce deDragos était un véritable brasier infernal.Elle essaya quelque chose qu'elle n'avaitjamaistentéauparavantetfrottasapropreénergie,plusfroide,plusdouce,contrelasienne.

— Hé, fit-elle. Dragos, je veux que tu me regardes, s'il te plaît. J'ai oublié de te parler ducommencementdemajournéed'hier.J'aienvoyélapersonnechargéedem'aideràfairedescoursesaiderlesbanquesalimentaires.Onvanourrirtoutl'État.Alorstuvasrecevoirbientôtunetrèsgrossenoted'épicerie.Désolée-enfinnon,àvraidire,jenesuispasdésolée.

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Ledragonclignalesyeux.Illaregarda.Ellen'avaitjamaisrienvud'aussimagnifique.Elleluisouritetcaressasescheveuxnoirs,toutencontinuantàparler:—Oh,etmonpeignoirestsplendideaufait. Ilestensatinnoir,soyeux,élégant.Je l'aiportéce

matinetj'aipenséàtoienprenantmadouche.Elleposaunemainsurlesmusclesrigidesdesonbrasens'appuyantcontresapoitrine.—Lâche ton ami,maintenant.Tu l'aimesbeaucoup.Tuvas t'en souvenir très bientôt et tu seras

bouleversé si tu lui fais du mal. Et puis, je voudrais que tu m'embrasses, pour que je puisse teremerciercommeilfautpourlepeignoiretaussipourlapotionquetuaslaisséesurtonoreiller.Cescadeauxétaientvraimentunejolieattentiondetapart.

Les yeux du dragon s'étrécirent. Sa Force se transforma afin de l'envelopper dans un voileinvisibledechaleur.

Elleintroduisitleboutdesondoigtentreseslèvresetfrottasacuisselelongdesajambe.

—Allez,mister,tusaisbienquetuenasenvie...Ilpassaunbrasautourd'elle,saisitsonmentondeseslonguesserressanglantesetlevasatêteavec

unedouceurexquise.Ellesemitsurlapointedespieds,fermalesyeuxettenditseslèvresentouteconfiance.Sabouchefermeeffleuralasienne.

Elle perçut unmouvement rapide dans son dos aumoment oùGraydon tirait Rune. Le griffons'étranglaet toussa.Puis lerestedumondesevolatilisacommeDragosl'embrassait.Elleglissalesbrasautourdesoncou.Ellesentitsoncorpssetransformeretredevenirfamilier.

Ilfrôlasajouedeseslèvres,descenditjusqu'àsaclavicule,puisenfouitsonvisagedanssoncou.Ellejetaunregardsurlecôté.BayneétaitadossécontreunmuràcôtédeConstantine,assislui-

mêmeparterreavecunebouteilled'eau.Runeétaitplusloin,prèsdeshaltères.Ilessuyaitlesangquicoulaitdesoncouàl'aided'uneserviette.Lesplaiescicatrisaientdéjà.

Graydonsetenaitdeboutàmoinsd'unmètred'eux,lesbrascroisés,laregardantd'unairanxieux.Elleluifitsignedes'éloignerenremuantlesdoigts.

Ilsecoualatête.Ils'éclaircitlavoix:— Patron, tu sais qu'on ne lui ferait jamais de mal. On revoyait juste des mouvements

d'autodéfense.Elles'estavéréetellementbonnequ'onacommencéàs'amuser,c'esttout.Dragoslevalatête.IlposaunemainsurlanuquedePiaetl'attiraencoreplusprès,toutentournant

ledosauxgriffonsafindeseplacerentreeuxetelle.Ellecomprittoutàcoup.Cen'étaitpasuninstinctprotecteurquil'avaitenflammé.Ilavaitfaillituer

sonpremierlieutenantparcequ'ilétaitjaloux.Elleplantalesmainssursapoitrineetlerepoussaviolemment.Ilrelâchasaprise.Elleluijetaun

regard furieux, mais en voyant la tension sur ses traits, son accès de colère s'évanouit. Peut-êtrequ'ellenecomprenaitpascequisepassait.Peut-êtrequ'ellenelecomprendraitjamais.

—Est-cequejepeuxfairequelquechose?demanda-t-elle.—Ilfautquejeparleàmeshommes.Ellebaissalatêteenopinant.Puisellebalayalasalledesportdésertéeduregard.—OK,j'aimeraisprendreunedouche.

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—Nousallonstousmonter,dit-il.Ellesedirigeaverslaportependantqu'ilparlaitàseslieutenants.Unefemmepuissante,dehautetaille,setenaitdanslehalletlesobservait.Arméeetvêtuedecuir,

elle était d'une beauté étrange, mince et musclée, la chevelure noire en désordre, les yeux grisombrageux.IlfallutunmomentàPiaavantdelareconnaître.C'étaitunedessentinellesquilesavaientaccueillissurletoit.Aryal,laharpie.

Lafemmesedétourna,maispasavantquePianeremarquesonregardglacial.Pia,Dragosetlesquatregriffonsrejoignirentlepenthouse.PiapritlaboîteestampilléeSakssurle

litetdisparutdanslasalledebainssansunmot.Quelquesminutesplustard,ladouchesemettaitenmarche.

Les griffons écumèrent le bar à la recherche de bouteilles de bière. Dragos ouvrit les portes-fenêtres. Ilse tintdans l'embrasure tandisqu'unebrisefroides'engouffraitdans lapièce.L'air fraisétaitlénifiant.

Runelerejoignitetrestaàcôtédelui,détenduettranquille,lesmainssurleshanches,lesyeuxluiaussirivéssurlavillequis'étendaitsouseux.

—Jetedoisdesexcuses,fitDragosd'unevoixbasse.Legriffonscrutasonexpression.—Cen'estpasgrave,monseigneur.Jepeuxcomprendrecequelascèneévoquait.Vousnousaviez

avertisdeprendredesprécautionsavecelle.—Non.C'estgrave.Ilestclairquejenememaîtriseplus.Jesuisparfaitementconscientdufait

quejen'agis,pasplusquejenepense,normalementoumêmerationnellement.LeregarddeRuneétaitperçant.—Dragos,onatousvudesWyrsagirainsi,tulesais.C'estjustequ'onnet'avaitjamaisvu,toi,

agirainsi.—Qu'est-cequetuveuxdire?s'enquitDragosenpenchantlatête.—Allons, réfléchis, reprit legriffon,unsourire fendantsonvisagebronzé.Quandas-tuvudes

Wyrsagirdemanièreaussijalouse,possessive,obsessionnelle?—J'aitoujourseuunsalecaractère.—Oui,certes,tupeuxêtreunevraietêtedenœud,surtoutsiquelquechosenesepassepascomme

tuleveux.Maisquandtupiquesunecolère,tuasuneraison.Etilyauneraisonpourtoutçaaussi.Ilréfléchit.IlpensaauxscènesquipouvaientavoirlieuquandunWyrétaitprisparsesémotions,

parlapassion.—Tucroisquejesuisentraindemunir?—Lapossibilitém'atraversél'esprit,réponditRuneenhaussantlesépaules.Ilyaaussibeaucoup

de choses qui se passent en cemoment. Tu es particulièrement stressé.C'est rare que tu coures ledangerd'êtretué.

Dragosinspiraprofondémentethochalatête.S'unir.Ilétaitunecréaturesolitaireparnature.Ilavaitdesinteractionsavecautrui,biensûr,maisenson

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forintérieurilavaittoujoursétéseul.Aulieudetrouverunsoulagementàl'absencedePiaaujourd'huiquandill'avaitlaisséeendormie

danssonlit,ilavaitressenticetteabsencecommeuneperte.Elleluiavait...manqué.—Hmm,ilfautcroirequej'aivraimentbeaucoupdechosesàméditer.(Ilsefrottalementonetse

mitàarpenterlapièce.)Simplement,qu'aucundevousnelatouchepourlemoment.Pastantquejen'aipasanalysétoutça.

Runeallarejoindrelesautressurlescanapésdisposésautourdelacheminée.IlacceptalabouteilledebièrequeBayneluiproposait.

—C'estcompris.Saufsisavieendépend,bienentendu.Dragosfitunsigned'assentiment.Ilchangeadesujet.—On ne sait toujours pas où se trouveUrien. Les orques susceptibles d'avoir survécu se sont

dispersésauxquatrevents.Lemaireseplaint, legouverneurdel'Illinoismeharcèle, lesElfessontmanipulateurset...(Ils'arrêtaetsecoualatête.)Ellen'apasditqu'ellenourrissaittoutl'État,hein?

Graydonsefrottalevisage,couvritsabouchedelamainetréponditd'unevoixétouffée:—Si.Rune et les autres ne se montrèrent pas aussi circonspects et hurlèrent de rire en voyant son

expression.—Elleademandéautypecensél'assisterdanssesachatsderemplirlesplacardsetlesfrigidaires

detouteslesbanquesalimentaires.Avraidire,jecroisquelacartedecréditl'afaitflipper.Elleestplusdugenreboîtedechocolatsetfleurs.

Dragosserenfrogna.—Elleaaimélepeignoir,entoutcas.Elleaditqu'ilétaittrèsjoli,ajoutaGraydon.—Peuimporte,fitDragosavecungestedelamain.Jecroisquetoutlemondeacomprisqueje

n'aipasenvied'êtreavecpleindegenspourlemoment,oualorsjerisqued'égorgerquelqu'un.—Ceseraitpeut-êtreunebonneidéed'alleràCarthagependantquelquessemaines,fitConstantine

d'untonprudent.Carthageétaitl'immensedomainequeDragospossédaitaunorddel'État.—Partiràlacampagnen'estpasunemauvaiseidée,admitDragos.Maisjeveuxm'occuperd'un

certain nombre de choses avant. À part le fait qu'Urien doit mourir, je veux simplifier ma vie etéliminercequejepeuxduchaos.Etpendantqu'onyest,jevoudraisquevousm'aidiezàvoircequ'onpourraitfairedetouteslessaloperiesquej'aiaccumuléessouslemétro.

Souslaprotectiondeladouche,Pias'assitsurlebancetpritsatêteentresesmains.Lecontrecoup

de lapeuretde l'adrénaline la frappa,et ellepleura jusqu'àcequesagorge labrûle.Lesderniersjoursavaientété tellement remplisd'extrêmesqu'elleavait l'impressiondesouffrird'uneespècedecoup du lapin, mais mental. Tout était étrange, ponctué de moments de joie intense auxquelssuccédaient des accès d'angoisse et un sentiment d'isolement. La réalité s'était transformée en unkaléidoscopeettoutsonuniversnecessaitdesedisloquer,puisdesereformer.

Pendant unmoment, lorsque la situation avait été vraiment critique,Dragos avait été son point

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d'ancrage.C'étaitcurieux,maiselleavaitpugérerledanger,l'incertitude.Parfois,toutluisemblaitclaircommedel'eauderoche,ellesesentaitliéeàluid'unemanièrequi

leurétait à tousdeux incompréhensible.Elle avait alors l'impressionde le connaîtreencoremieuxqu'ilneseconnaissaitlui-même.

Puiscettecertitudes'estompaitetelleavaitl'impressiondebrasserdel'air,d'essayerdes'accrocheràquelquechosed'insaisissable.Etquandcelaseproduisait,ellesesentaitfracturéeàl'intérieur.Peut-êtrequec'étaitelle,lekaléidoscope.

Il était plus que splendide etmagnifique. Il lui coupait le souffle et lui faisait battre le cœur. Ilaiguisaitsonsensdel'humouretfaisaitdanserdejoiesasexualité.

Ilvoulaitqu'elleluifasseconfiance,maiscommentfaireconfianceàquelqu'unqu'onnecomprendpas?

Commentpouvait-elleaimerquelqu'unquireconnaissaitnepasmêmesavoircequ'était l'amour,quidéclaraitqu'elleétaitsonbien,etquiétaitcapabledepresquetuersonplusancienetfidèleami?

Minute.Est-cequ'ellevenaitdepenserunechosepareille?Ehbien,cen'étaitpasvrai.Elle souffraitd'unsyndromedeStockholmgigantesque.Ellevoulait

bienreconnaîtrequ'il larendaitfollededésir,maisellen'allaitpasavouerquelemotcommençantparAétaitentrédanssoncœur,non.

MonDieu.Ellevoulaitrentrerchezelle,maisellen'avaitpasdechez-elle.Sonappartementn'étaitpluslesien.

Ilavaitpeut-êtreétédéjàlouéàquelqu'und'autre.Etmêmes'ilnel'étaitpas,ellecraignaitqu'ilneluisembleminusculeetétranger.

Laportede ladouche s'ouvrit.Elle sursauta et recula en se couvrant les seinsdansungestedeprotectioninstinctif.Dragosentratouthabillé.

Ils'agenouilladevantelleetsaisitlebancdechaquecôtédesescuisses.Leslignessévèresdesonvisage ruisselèrent bientôt d'eau et l'or de ses yeux s'assombrit légèrement. Elle se mit à tripoterl'encoluredesontee-shirttrempéetsoupira.

—Qu'est-cequetufaisexactement?—Tuaspleuré.Pourquoi?Ellelaissaéchapperunpetitrirecreux.—Durejournée,jesuppose.—N'éludepasmaquestion.Dis-moipourquoi.—Etsijen'enaipasenvie?répliqua-t-elled'untonsec.—M'enfiche.(Ill'attiradanssesbras.)Ilfautquetumeledisespourquejepuisseapprendreàne

pasfairecequej'aifait.Mauditsoit-il.Commentpouvait-ildireexactementcequ'ilfallaitquandelleenavaitleplusbesoin

?—Quiaditquec'étaittoi?Jetel'aidéjàexpliqué,toutm'affecte.Elleenfouitlevisagedanssoncou,lecaressantdunez,savourantlecontactdesapeauchaudeet

mouillée.

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—Tucontinuesàéluder.Iltenditlamainpoursaisirlabouteilledesavonliquideparfumé,enversaunpeuaucreuxdesa

mainetsemitàluimasserlecouetlesépaules.—Tut'amusaisbienaveclesgriffons.C'estdemafaute.—Onnes'amusaitpastoutletemps,grommela-t-elle,ravalantungémissementdeplaisircomme

ilmalaxaitsesmusclesfatigués.Envuedelesamadouer,j'aidûfaireappelàmonimmensecharmeunnombreincalculabledefois,cesderniersjours.

Ilsourit.Sesdoigtsfrôlèrentsondospâle,laissantunetraméedesavon.—Tuasunénormebleusurl'épaule,dit-ild'untonoùsourdaitlacolère.— Ne commence pas. Après tous mes efforts, nous nous sommes finalement bien entendus

aujourd'hui.Jem'éclataisàleurfairemordrelapoussière,quandtuesarrivépourjouerletrouble-fête.

Ilreculaetserelevaafinderetirersesvêtementstrempés.Illesjetadansuncoin.Ellecontemplason corps magnifique et son cœur se mit à battre la chamade. Elle n'était pas capable de gérerl'intensitédesaréactionàsonégard.Elledétournalesyeux.

Ils'assitsurlebancetlasouleva.Elleessayadesedégager.—Dragos,non,jenepeuxpas.—Chut,fais-moiconfiance.Illamitsursesgenouxetlatournaafindelaplacerenfacedelui.Puisils'adossacontrelaparoi,

l'enveloppadesesbras,posalatêtesursonépauleetlaberçatoutsimplement.—Retire-le,dit-il.—Quelemmerdeurtupeuxêtre.Ellesoupiraetretiralesortquiluipermettaitdemasquersaluminescence.Ilposaleslèvressursa

clavicule.—Jesais.Sonsexetenduétaitpressécontreeux,maisilnefitaucungesteéquivoque.Ellereniflaetselaissa

envahirparlachaleuretleconfort.—Etjesuisunemauviette.—Ça,delabouchedela jeunedemoisellequi,d'aprèsRune,abalancéquatredemesmeilleurs

guerrierscommes'ilsétaientdevulgairescoussins?(Ilenduisitsescheveuxdeshampooingetlefitmousser.)Jet'aifaitpeur,c'estça?

—Non.Oui.Oh,jenesaispas.(Elleseredressaetleregarda.)Commentas-tupuluifaireça?Ilesttonbrasdroit.Vousvousconnaissezdepuis...depuispluslongtempsquejenepeuxl'appréhender.Situpeuxluifaireça,àquid'autrepourrais-tulefaire?

—Actuellement,jepourraislefaireàn'importequi,saufàtoi.Il la fit descendre et se leva. Il se savonna, lavant ses parties intimes et maniant son pénis en

érection avec habileté, concentré sur sa toilette.Elle dut détourner encore une fois les yeux tant ill'électrisait.Ellefinitdeselaverlescheveuxpendantqu'ilserinçaitàgrandeeau.

Elleenveloppasescheveuxdansuneservietteetseséchaavecuneautre.Dragosseséchaluiaussi.

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Lanormalitédelascène,sonintimitétranquilleétaitétrangeetcaptivanteàlafois.Elleluttacontrel'envie de s'abandonner à un sentiment d'appartenance, d'évidence. C'était une illusion. Elle mit lepeignoirnoiretlutunelueurd'approbationdanssonregard.

—Pourquoitoutlemonde,saufmoi?s'enquit-elle.Pourquoisuis-jelaseuleensécurité?Puis-jetefaireconfiance?avait-ellesurtoutenviedeluidemander.Maisilsemblaitplusdétendu

etellenevoulaitpastroublerlapaixfragilequisemblaits'êtreinstallée.Elleretiralaserviettequ'elleportaitenturbanets'absorbadanslatâchededémêlersescheveux.

Il se tenait debout derrière elle, une serviette autour des hanches. Il lui prit la brosse, semit àbrosser ses cheveux tandis qu'elle l'observait dans le miroir. La natte mouillée qui ceignait sonpoignetétaitdumêmetonmielfoncé.

Aprèsquelquesminutes,ildit:—Tunesaispasgrand-chosedelaviedanslasociétéwyr,n'est-cepas?Ellesecoualatête.Ill'embrassadanslecou.—Tulecomprendrasprogressivement,jetelepromets.Essaiesimplementdemecroirequandje

tedisquenonseulementjeneteferaijamaisdemal,maisjeteprotégeraidetousceuxsusceptiblesdelefaire.Ellelecroyait.

—D'accord,dit-elle.Maiscomments'assurerquetunefassespasdemalauxautres,alors?Ilstesonttellementdévoués,Dragos.

—Jesaisqu'ilslesont.Cesontdeshommesdequalité.Sachequ'ilscomprennentcequis'estpassé,mieuxquemoipeut-être.Nousavonstousfaitpreuved'imprudenceaujourd'hui.Çanesereproduiraplus.

—Est-cequetupeuxêtreencoreunpeuplusénigmatique?semoqua-t-elle,agacée.Qu'est-cequinesereproduiraplus?

—Tuasfaim?s'enquit-ilensouriant.Ledînerdoitêtreservidanslasalleàmanger.Quand il prononça lemot, elle remarqua à quel point elle était affamée. Elle se sentit soudain

flageolante.—Jemeursdefaim.J'aijustemangéunesaladeaudéjeuner.Ilfronçalessourcilsensedirigeantàgrandesenjambéesverslapenderie.—Tudevraismangerplusqueça.Ildoitfalloirunesacréequantitédecarottesetdesaladeverte

pourarriveràconserverunpoidsàpeuprèsnormal.—Trèsdrôle.—Jenesavaispasquejefaisaisuneblague,répliqua-t-ilenpenchantlatête.Elle le suivit et choisit un débardeur rouge et une jupe blanche assortie avec un imprimé de

poinsettiasrouges.Elleenfilauneculotteendentelle,maisnesepréoccupapasdemettreunsoutien-gorgeoudeschaussures.Dragoslaregardaavecapprobation.

Ils'étaitluiaussihabillésimplement.IlavaitenfiléunpantalonnoiretunechemiseArmaniensoieblanchedontilavaitretroussélesmanches.

Ilsserendirentdanslasalleàmanger.Sonestomacgargouillaensentantl'arômeappétissantdelavianderôtie,dupainfraisetdel'ail.

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Odeurappétissante...Vianderôtie...Quoi?Unevaguedenauséel'assaillit.Elles'arrêta,posaunemaincontrelemuretl'autrecontre

sonventre.Dragosseretournavivement.Ilpassaunbrasautourdesataille.—Qu'est-cequinevapas?Ellelevaunemain.Lavaguedenauséepassa.Elleseredressa.—Çava.—Tuvasretournerdanslachambre.Jevaisfairevenirnotremédecinwyr.—Non.Elletentadesedégager,maisilnelâchapasprise.—Dragos,s'ilteplaît.Arrête.Çava.Jen'aipasbeaucoupmangéaujourd'huietj'aijustefaim.Ilacquiesçaetlalaissaalleràcontrecœur.Deux couverts avaient été posés sur la grande table en acajou devant les portes-fenêtres, et

plusieursplatslesentouraient.Desbougiesblanchesétaientalluméesetunbouquetderosesblanchess'épanouissaitdansunvaseencristal.Lasilhouettedesgratte-cielleurservaitdetoiledefond.

—Commec'estjoli!J'adorelesroses.—Tantmieux,jel'espérais,dit-ilensouriant.Iltirasachaisepourelle,puiss'assitàsontour.Une

assiettedevianderôtieétaitposéeàcôtédeDragos,accompagnéedepommesdeterresautéesetdesauce.Lavueduplat la répugna et la troubla, elle détourna les yeux.Àcôté d'elle se trouvait uneassiette de pâtes aux poivrons et aux brocolis dans une sauce à l'ail. Le « fromage » râpé étaitvégétalien.Ilyavaitégalementunesaladed’épinardscouronnéedetranchesdemangueetdenoixdepécan.Unecorbeilledepainblancetdepetitspainsauxcéréalesétaitplacéeentreeux.Unebouteilledébouchéedepinotnoircomplétaitlerepas.

Unenouvellevaguedenauséel'assaillit,maiselleavaittellementfaimqu'elleseforçamalgrétoutàprendreunebouchéedepâtes.Etlemalaises'estompaimmédiatement.

—C'estdélicieux.— Si tu es gourmande, garde un peu de place pour le dessert : des fraises trempées dans du

chocolatnoir.—Jesuismorteetauparadis,soupira-t-elle.Lesilencesefitcommeilsseconcentraientsurleurrepas.Ellefutunenouvellefoisfrappéepar

l'étrangetédecettesimplescènedomestique,decedînerpartagé.Prisedansl'étaud'unefaimvorace,elledévoralittéralementsanourriture.

Ensuiteelleluidemanda,unpeutimidement,comments'étaitpasséesajournée,etfutsurpriseetflattée quand il répondit sans hésiter et avec franchise. Il lui parla de la disparition d'Urien, desproblèmesdansl'entreprise,dumaire,desElfes.

—Cettehistoirenevapasêtrerésolueviteoufacilement,n'est-cepas?Ilpritunegorgéedevinenlaregardant,paupièresmi-closes.—Ondiraitquenon.Ceseraitpeut-êtreunebonneidéequenouspassionsquelquesjoursdansma

propriétéaunord.C'estplustranquille.

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Nous.Elleavaitsesvêtementsdanssachambreàlui,elledormaitdanssonlitàlui.Ellerepensaàl'affrontementavecleroidesFaessurlaplaineetàlamanièredontDragosavaitrefoulésoninstinctdelepoursuivrepourpouvoirlaprotéger.

—Dragos,qu'est-cequisepasse?—Commentça?Ellereposasafourchette.—J'aimeraisteposerunesériedequestions,sijelepeux.Ilplaçalescoudessurlatable,lesmainscroisées,lesdoigtssurlabouche.—Jet'écoute.Ellesemitàaplatirlereborddesaservietteenlin.—Est-cequetuiraisàlapoursuited'Urientoi-mêmesijen'étaispaslà?—Oui,répliqua-t-ilsanshésiter.Elleeutlesoufflecoupépendantunmomentfugace.Lespenséessebousculèrentdanssatête.Elle

lesrepoussaetseconcentrasuruneautrequestion.—Qu'est-cequiestarrivéàmonappartement?—Jesupposequ'ilestcommetul'aslaissé.Pourquoi?Tuveuxychercherquelquechose?Ellesecrispa.—Etsijevoulaism'enaller?Sijevoulaisretournerlà-bas?—Tuaspromisquetuneleferaispas.Sontonétaitégal,dur.Ellerecommençaàtripotersaserviette.—C'estvrai.Maissijevoulaismaproprechambre?Silence.Elleseforçaàpoursuivre.—Etsijevoulaisallervoirmesamis?Etsijevoulaisreprendremonancientravail?Silence. Elle leva les yeux et rencontra ceux du dragon. Il n'avait pas bougé, mais ses mains

s'étaientcrispées.Sesdoigtss'étaientallongésetdesserrestranchantesleshérissaient.Ellen'arrivapas à analyser l'émotionqui l'assaillit à cettevue. Il étaitbeaucoup tropdangereux

pouréveillerlapitié.Elletenditlamainversluietditavecdouceur:

—Cesontjustedesquestions,mister.Ilcontemplasamainposéesurlatable.Fugacement,ellecraignitqu'ilnerépondepasàsongeste.

Puisleslongsdoigtshérissésdeserresenveloppèrentsamainavecuneinfiniedélicatesse.—Qu'est-cequetuveux?demanda-t-ilsansafficherlamoindreexpression.Ellechoisitsesmotsavecuneprécautioninfinie.—Jenesaispasexactement, sicen'est savoirquemessouhaitscomptent. Jeneveuxpasqu'on

parle demoi à la troisièmepersonne alors que je suis là, commeunepotiche, ouquemavie soitagencéesansmonconsentement.J'aimeraismieuxsaisircequenousfaisonstoietmoi.

—Celanousaideraittouslesdeux,nota-t-il.Deuxplismarquaientsabouche.Ellel'étudia.

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—Ilyacinqjoursenviron,mavieétaitendangeretjetefuyais.Aujourd'hui,mesaffairessontdanstachambre,nouspartageonstonlitetjemedemandequelleestmaplaceici.Indépendammentdetout le reste, d'Urien, des orques et des relations avec les Elfes. J'ai l'impression que mon passén'existeplus.Jen'aipasd'amisici.Tricksnecomptepas,puisqu'ellevapartir.Lefuturestflouetj'ailesentimentquetoutcequenousfaisonsestdénuédefondations.

—C'estvrai,tonpassén'existeplus.Tuteferasdesamisicisituytiens.Pourcequiestdufuturoudesfondations,ilvafalloirquetuprennesdesdécisions.Jepensequetuferaisbiendelesprendrerapidement.

Ilparlaitavecletonpénétrantqu'ilavaiteuquandilluiavaitexpliquécommentgérerlesdangersde leur capture par les orques.Au lieud être démoraliséepar son comportement, ungrand calmes'installaenelle.Elleluipressalamain.

—Bon,quellesdécisionspenses-tuquejedoiveprendre?—Runecroitquejesuisentraindemuniràtoi,dit-il,etc'étaittoujoursledragonquilaregardait.

Ilpourraitbienavoirraison.S'uniràelle?Elleeutl'impressiond'étouffer.Elleneconnaissaitpastouteslescomplexitésdelasociétéwyr,maisellesavaitquelesWyrsne

s'unissaientpastoujours.Quandilslefaisaient,c'étaitpourlavie.C'étaitarrivéàsamèrequis'étaitunieàunmortel.Aprèssamort,elles'étaitaccrochéeàlaviepourleurfille,maisunefoisquePian'avaitplusautantdépendud'elle,elleavaitperdusavolontédevivreets'étaitéteinte.

—Tunepeuxpast'uniràmoi,jesuisunehybridemortelle.Tuenmourras.—Cen'estpasunfacteurpertinent,semble-t-il.(Ilnes'étaitpasdépartidesoncalme,maisillui

serralamaintellementfortqu'ellenesentitplussesdoigts.)Etpuis,cequetuessemblemaldéfini.Est-cequetamèreétaitmortelle?

—Non,pasavantsonunionavecmonpère.(Ellesefrottalefront.)Ilestmortavantquejesoisassezgrandepourmesouvenirdelui.Engrandissant,quandj'aipum'occuperdemoi,jesentaismamères'absenterdumonde.Lavienel'intéressaitplus.C'étaitterriblementdouloureuxàobserver.

—Situparviensàpleinementembrassertesaptitudeswyrs,tuserascequetamèreétait.—Etsijen'yparvienspas?murmura-t-elleenleregardantaveceffroi.—C'est la vie, Pia. (Aucune peur ne se lisait dans son regard.) Tout a une fin.Mêmemoi, je

disparaîtrai,d'unemanièreoud'uneautre.Pourl'heure,cen'estpaslaquestion.Situveuxsortirdemachambreoudemavie,tuferaisbiendetedécidermaintenant.Jem'efforceraidetelaisserpartir.Si c'est ce dont tu as vraiment besoin. Je ne peux rien garantir. Cela va à l'encontre de tousmesinstincts,parcequetuesàmoi.

Songrondementfittremblerlesol.Et la fit trembler aussi.Elle tira pour récupérer samain, et il finit par la lâcher.Le silencequi

s'installaentreeuxdevintlourd,pénible.Lerythmerapidedetalonsdebottesrésonna.Graydonsurgitdanslasalleàmanger,vêtud'unjean

etd'unblousondecuir.—Patron,j'aitrouvécequetuvoulais!Ils'arrêtaetpassadel'expressiondésemparéedePiaàlaminesombredeDragos.

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—Jereviendrai...—Non.(Dragosseleva.)Donne-le-luietresteavecelle.Jevaisallerfaireuntour.Volermefera

dubien.Voler,àuneheurepareille?Ellelevalesyeux.—Dragos,non,dit-elle.Ils'arrêtanetetlaregarda.—LeroidesFaes,ajouta-t-elle.Ilpeutretrouvertatrace.C'estdangereux.Ellevoyaitbienquecen'étaitpascequ'ilvoulaitentendre.Sonvisages'assombritdenouveau.—Jesuisbienmoinsendangerquandjesuisseul,déclara-t-ilsèchement.Elletressaillitetdétournalesyeux.—Jeseraijoignabletélépathiquement,dit-ilàGraydon.Etilsortit.—Qu'est-cequeçaveutdire,entreparenthèses?s'enquit-elle.Télépathiquement.Tousceuxqueje

connaisetquiontcetteaptitudenepeuventseparlerques'ilssetrouventàquelquesmètreslesunsdesautres.

—Dragosauneportéed'aumoinscentcinquantekilomètres,notaGraydon.Ellerepoussasonassietteetmitsatêtedanssesmains.Graydonpoussaunsoupiretallas'asseoiràcôtéd'elle.—Jesuisdésolée,dit-elle.Jesaisquetun'asaucuneenvied'êtrelà.—Chut. Ça neme dérange pas d'être là. Je pense simplement que ce serait mieux que ce soit

Dragosquisoitlà.Elle regarda le griffon à travers ses doigts. Il avait pris la bouteille de vin et regardait ce qu'il

restaitdedansd'unairsongeur.Labouteilleétaitautierspleine.Ilrenversalatêteetlafinitd'untrait.—Tutesensmieux?demanda-t-elle.—Non.Ilfaudraitunebouteilledescotch.Oudeux.C'estunjourcommeça,situvoiscequeje

veuxdire.Elleacquiesça.Ohoui,ellevoyaitcequ'ilvoulaitdire.Ilglissalamaindansunepochedesonblousonetenressortitunpaquetenveloppédepapierdoré.

Illeposadevantelleenfaisantunegrimace.—Jesuisàpeuprèssûrquecen'étaitpascensésepassercommeça,maisbon,c'estdelapartdu

patron.Ellecontemplalecadeau.—Est-cequeçavamesauterauvisagecommelereste?—J'ensaisrien.C'estpossible,étantdonnélatêtequevousaviezquandjesuisentré.(Graydonse

leva.)Jereviens.Elle prit le paquet et déchira le papier. Le boîtier noir portait l'inscription du célèbre bijoutier

Tiffany.Lesentimentdebizarreriequilapoursuivaitsemanifestadenouveautandisqu'ellesoulevait

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lecouvercle.Uncollier reposait surduvelours ivoire. Il était composéde cabochonsd'opale sertis d'or.Les

opales étaient plusgrossesque l'onglede sespouces et scintillaient d'une extraordinairepalettedetons. Elle n'en avait jamais vu d'aussi belles. Sentant les larmes lui monter aux yeux, elle reposal'écrinetsoulevalebijou.Ilcoulaentresesdoigts,lespierresétincelantàlalueurdesbougies.

Graydonrevintavecunebouteilledescotchsousunbrasetuneautrebouteilleouverteàlamain.Ils'installadenouveauàcôtéd'elleetglissa labouteilleouverteverselle.JohnnyWalkerBlue.Bon,d'accord.Ellepritunelampée.

—Undragonvientdem'offriruncollier,murmura-t-elle,prenantunenouvellegorgéeavantdetendrelabouteilleàGraydon.Est-cequejeviensd'êtreajoutéeàsontrésor?

Ilsecoualatêteetavalaunerasadeàsontour.—Non,mignonne.Jesuisàpeuprèssûrquetul'asremplacé.

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16—Qu'est-cequetuveuxdire?s'enquit-elleentoisantlegriffon.—Iladécidédevendredesentreprisesetsoitilestentraindeplanifierunevasteréductiondeson

trésor et son déménagement, soit il va peut-être tout bonnement s'en débarrasser. Il dit qu'il veutéliminertoutcequiconstituedu«bruitblanc»,dutumulte.(Graydonsefrottalefront.)Peut-êtrequede temps à autre, les poules ont des dents.On dirait que ça ne tourne pas rond dans sa tête, tu netrouvespas?

LesyeuxdePiabrillaientdelarmes.Iltenditlebrasettapotasamain.—Jesaisbienqu'iln'estpasromantique.Jeveuxdire,medemanderdetedonnercecadeauettout

ça.Mêmemoi,jesaisquec'estsupermaladroit,maisjecroisqu'ilfaitdesefforts.Ilyamêmedesfleurssurlatable...

Illuiproposalabouteille.Elleressentitunenouvellevaguedenauséeinexplicable.Ellesecoualatête,repliasaservietteetmurmura:

—J'aibesoindepouvoirparleràunami.Lavoixbourruedugriffonsefitdouce.—Ben, je compte pour du beurre ou quoi ?Tum'as filé une sacrée dérouillée cet après-midi.

Alorsmaintenantonestcopains,jepeuxteledire.Ellerepritlecollieretfitjouerlesrefletsdesbougiessurlespierres.—Jenet'aipasfilédedérouillée.—Tul'auraispu,répliquaGraydon.Maintenant,Runefouillelavilleàlarecherched'unexperten

wingchunquipuissenousentraîner.Tucroisqu'onaural'airaussigracieuxquetoi?—Impossible,dit-elleensouriant.Graydonluirenditsonsourire.—C'estcequejeleuraidit.Connor,toutefois,estpersuadéqu'ilserairrésistible,maisbon,ilsele

dittoutletemps.Letypepasseuneheuretouslesmatinsàchiadersacoiffure.Ellepouffa.Unsilencecomplices'installaentreeux.Ellejouaaveclesopalesducollierpendant

qu'ilbuvaitsonscotch,affalésurlachaise.—Bon,finitpardirelegriffon.RacontetoutàtontonGray.Dragost'avexéeouuntruccomme

ça?—Siseulementc'étaitsisimple.Non,ilpensequ'ilestpeut-êtreentraindes'uniràmoi.—Oh,fitGraydon.Ça.—Oui,ça.Onseconnaîtdepuisquelquesjoursseulementetilainvestitoutemavie.Ilexigeque

jeluifasseconfiance,revendiquequejeluiappartiens,commesij'étaisunbien.Ilnesaitmêmepascequejesuisetçamerendfolle.

Graydonpritunenouvellelampéedewhiskey.—Aucun de nous ne le sait,mignonne.On n'arrive pas à te cerner et tu n'es pas disposée à te

livrer.

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Ellefrissonna.—J'aimesraisons.Et jesuisunehybride.Si jenepeuxpaseffectuerunemétamorphose totale,

celaletuera.—Alors,vousenparleztouslesdeuxetilsetire.C'estunpeubizarre.—Non,pasexactement.Ilm'aditqu'ilfallaitquejeprenneunedécisionetvite,pourqu'ilpuisse

essayerderenonceràmoi.Ensuite iladitqu'iln'étaitpassûrde lepouvoir.Puis ilestparti. IlyaaussileproblèmeduroidesFaesàrégler,etpuistoutça,fit-elleenindiquantlapièced'ungeste,esttellement étrange. Je ne connais quasiment personne ici et on dirait que j'ai déjà fait naître de larancœur.Toutcequemamèrem'aappris,c'étaitdefuiretdemecacher.C'estdudélire.

—Oh,oh,net'énervepas.Essayonsunpeudedémêlertoutça.IlfautréglerleproblèmeUrien,c'estunfait,etilestunproblèmedetaille,maisiln'estpaslevraiproblème,si?

Ellesecoualatêteauboutd'unmoment.— Bon, enchaîna-t-il. Maintenant, qui te déteste ? Aucun de nous. Tu changes les données de

l'équation,c'est sûr,et je reconnaisqueçanousaprisparsurprise.Onn'étaitpas ravisaudébutetquelquessentinellescontinuentàrenâcler.Maisons'yfera.Celaneveutpasdirequed'autresverrontd'unbonœiltonunionavecDragos.Ilesttrèspuissant,financièrement,politiquementetauplandelamagie,etjevaisêtrefrancavectoi:lacourestunvraipanierdecrabes.Ilfautquetusachesoùtumetslespieds.

Elleleregardaenétrécissantlesyeux,sesouvenantdelafemmequilesobservaitlorsdel'incidentdanslasalled'entraînement.ElleladécrivitàGraydon.

—C'estunedessentinelles,n'est-cepas?Ondiraitqu'ellenepeutpasmesupporter.Ilpianotasurlabouteilleenfronçantlessourcils.—C'estAryal.Ellenetehaitpas,cen'estpasça.Simplement,lamansuétuden'estpaslaqualitéqui

étouffelesharpies.Laisse-luidutemps.Ellefitunsigned'assentiment.—Tricksamentionnéquelquesprédateursausang,euh...vif.— Oui, répondit-il en rigolant. Il y a une meute agressive de lions dans la division du droit

d'entreprise. Ils redéfinissent sans équivoque le terme « teigneux », mais ils ont leur place. Siquelqu'untecherchenoise,parle-m'en,etjem'enoccuperai.

—Merci.—C'estpeut-êtrecompliqué,maisenmêmetempsc'estsimple,ajoutaGraydon.Est-cequetuveux

Dragos ou pas ?Est-ce que tu le veux suffisamment pour transcender ce que tamère t'a appris etbaissertagarde,tolérerlacourdesWyrsetaffronterl'avenirendécidantdegérerleschoses?Ouest-cequetuveuxfuiretlaissertoutça?C'esttoutcequ'iltefautdécider.Pourlereste,letempsferasonœuvre.

Elleessayad'imaginerderecommencerailleurs.Elleseraitseule.EllesavaitquesielledisaitaurevoiràDragos,iln'yauraitpasdesecondechance.

—Toutarrivesivite,marmonna-t-elle.—C'estsouventlecasquandleliend'unionsemanifestechezunWyr.J'aiconnudesexemplesoù

lelienseformaitaumomentoùdeuxWyrssevoyaientpourlapremièrefois.

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—Est-cequetuasconnul'exempled'unliend'unionquinaîtraitchezl'unetpaschezl'autre?Illaissaéchapperunsifflement.—C'estépineux,uncaspareil.C'estbeaucouppluscompliquésiunWyrs'unitàunnon-Wyr,un

humainparexemple,étantdonnéquelesnon-Wyrsnetraversentpaslesmêmesexpériencesquenous.PourcequiestdesWyrs,jemesouviensd'uncasilyacentansoùquelquechosen'apasmarché.Elles'esttuéelorsqu'iladécidédenepasconsommerleurlien.

—C'esthorrible!s'exclama-t-elleenplissantlefront.—Jesais.—Etsijerestemortelle?— Dragos n'a pas l'air de vouloir décamper à cause de ça. Est-ce que tu te priverais d'un

compagnonetd'unbonheurpossiblesimplementparcequetumourrasunjour?—Cen'estpaslamêmechose.Jevaismourird'unemanièreoud'uneautresijeneparvienspasà

memétamorphoser.ÇasembleaffreuxdepenserqueDragosmourraitàcausedemoi,c'esttout.Ilbaissalatêteetcontemplasesmains.— Il n'y a pas de garanties dans la vie.Cen'est pas parce quenous sommesnombreux à vivre

particulièrementlongtempsetàsedire«immortels»quenousnepouvonspasêtretués.Jesauteraissur l'occasion d'avoir une compagne, mortelle ou non. Nous n'avions jamais envisagé que celapourraitarriveràDragos,maisjemettraismamainaufeuquetous,sansexception,sedisentqu'ilaunbolincroyable.

Lesilenceretomba.Puiselleglissalamainpourtoucherledosdelasienne.—Merci,Gray.Tusaisécouterettuessage.Ilpritsamainetlapressacontreseslèvres.—Chut,fit-ilavecunregardrieur.Neledisàpersonne.EndépitdesprotestationsdeGraydon,elledébarrassalatable,mit lesrestesaufrigidaire,rinça

lesassiettesetlescouvertsavantdelesrangerdanslelave-vaisselle.Elledécidaensuited'attendreleretour deDragos dans la bibliothèque.Rune l'y rejoignit alors qu'elle examinait les livres sur lesrayonnages.

Elle lui dit bonsoir, puis choisit un ouvrage sur l'histoire desWyrs et se lova dans un grandfauteuilaucuirsoupleetlisse,imprégnéd'uneodeurdemâlediscrète.ElleimaginaitDragos,installédedansetplongédans la lecturederevuesscientifiques.RuneetGraydonrespectèrentsondésirdetranquillitéets'attablèrentàunepetitetablepourjouerauxéchecs.

Aprèsunmoment,ellelaissalelivrereposersursapoitrineetfermalesyeux.Unemainsursonépaulelaréveilla.Runeétaitaccroupiàcôtédufauteuil.Elleseredressaunpeu

etbâilla.—Quelleheureest-il?—Plusdedeuxheures.Tudevraistecoucher.Mieuxencore,Dragosaditqu'ilresteraitàportée

detransmissiontélépathique.Tupeuxlerappelersituveux.Ellesecoualatête.—Non,jeneveuxpasledéranger.Ilavaitbesoind'êtreseul.Etjeneveuxpasmecouchersans

lui.Saufsivousvoulezvouscoucher?

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—Onrestedeboutjusqu'àsonretour,dit-ilensouriant.Net'inquiètepaspournous,çava.Elleopinaetsentitunechaleurdoucel'enveloppertandisqu'ilposaitunplaidencachemireautour

d'elle.Il retournaà sapartied'échecs.Elle fermadenouveau lesyeux.Bientôt, ellemarchaitdansune

forêt très ancienne et respirait sa merveilleuse odeur de terre et de feuilles. Un petit dragonluminescent,nacré,étaitdrapéautourdesesépaulesàl'instard'uneétole.Ellecaressaunepattequiondulait gracieusement, et le dragon leva la tête et la regardade sesmagnifiques yeuxbleu-violetfoncé.Ellefutsaisied'émotionlorsqu'elleplongeadansleregardinnocent.—Jet'aime,fitlepetitdragon.Elledéposaunbaisersursesnaseauxdélicats.—Jet'aimeaussi,crevette.Elle se réveilla en sursaut, s'assit et regarda autour d'elle. Elle se sentit totalement désorientée

pendantuninstant.GraydonetRunel'observaientdepuisl'autrecôtédelapièce.—Qu'est-cequ'ilya?s'enquitlepremier.—Rien,justeunrêve,dit-elleensecouantlatête.Ilslevèrenttousdeuxlesyeuxversleplafond.—Dragosestderetour,fitGraydon.Ilvaêtrelàdansuneminute.—OK,dit-elle,blesséequeDragosn'aitpastentédelajoindretélépathiquement,maisrésolueàne

pass'enoffusquer.Cen'étaitpaslemomentdefairepreuvedesusceptibilité.Dragosentraetl'atmosphèredanslapièces'électrisa.Ilavaitl'airrevigoré.Illançauncoupd'œil

auxgriffonsetfitungestedumentonpourindiquerlaporte,etilss'éclipsèrent.Puisils'approchaets'accroupitdevantlefauteuil.Ellesourittimidementtandisqu'ils'accoudaitsurlesbrasdufauteuiletlaregardait.Ilavaitl'airdemauvaisehumeur.

—Ilestpresquequatreheuresdumatin,commença-t-il.Situvoulaisévitermonlitàcepoint,tuauraisdûtecoucherdansuneautrechambre.

LesouriredePiadisparut.Ellesetortillaafindeseredresserdetoutesahauteuretsortitlaboîteaveclebijoudel'endroitoùellel'avaitrangée,àsavoirsoussonlivre.Ellelaluijetaàlatête.Ilétaitimpossiblederatersacibledesiprèsetellelefrappaenpleinepoitrine.

—J'attendaispourteremercierdetoncadeau,répliqua-t-elled'untoncassant.Quetun'aspasjugébondemedonnertoi-même.Écarte-toi!

Ilrestadevantelle,lesyeuxétrécis.Elleapprochasonvisagedusienenleregardantavecfureuretmontralesdents.

—J'aidit:«Écarte-toi.»Il la saisit et la plaqua contre sa poitrine, pressant sa bouche contre la sienne. Elle se débattit,

parvintàlibérerunbrasetlefrappasurl'épaule.Ill'attrapaparlanuqueafindel'immobiliseretladévoralittéralement.Ellerenâcla,lefrappadenouveau,moinsfort.Illaforçaàentrouvrirlaboucheetplongeasalangue.

Mauditsoit-il!Elleentourasoncoudesonbraslibrepourluirendresonbaiseravecrage.

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Il lâchadu lest après unmoment, semontra plus doux.Elle aspira sa lèvre inférieure entre sesdentsetmorditfort.

Ilsereculaavecunsursaut,lafusillantduregard.Iltouchasalèvre,regardasesdoigtstachésdesang,etéclataderire.

—Monbaisert'aplu.Ellen'essayapasdelenier.—Oui,bon, ilyabienplusquecelaquise jouepour lemoment.Est-ceque tues revenupour

chercher la bagarre ? Comment veux-tu que je te fasse confiance quand tu te conduis comme unporc?

Piquéauvif,illuijetaunregardfurieux.Saisieparlaférocitédesonexpression,elleletoisa.Sic'était la première fois qu'elle le rencontrait et qu'il la regardait de cette façon, elle prendrait sesjambesàsoncou.

Il relâcha sa prise sur elle.Elle se redressa et inspecta le livre ouvert qui s'était retrouvé aplatientreeux.Quelquespagesétaientfroissées.Elleleslissaetposalelivresurunepetitetable.

—Jesuisdésolé,dit-il.Mouais.Sacolèren'allaitpasmiraculeusementsedissiperparcequ'ilavaitapprisàdire«jesuis

désolé ».Mais elle ne voulait pasmettre de l'huile sur le feu, et elle se contenta de faire un signed'assentiment.Elleévitasonregardenrepliantleplaidetenledrapantsurl'accoudoir.

—Pia.Ellelevalesyeux.Iltendaitl'écrin.—J'aiuncadeaupourtoi.Ellesesentitfondre.Mauditsoit-il.—Ahoui?Il ouvrit la boîte et souleva le collier. Des étincelles irisées brillèrent entre ses doigts et se

reflétèrentdanssesyeux.—Jevoulaisvoirlesopalescontretapeau.—C'estuntrèsjolicadeau.Merci.—J'aimeraistelemettre.Ellerassemblasescheveuxetdégageasoncouensetournant.Ellesentitsesdoigtssursanuque.

Puis le poids du collier, bien plus lourd que les chaînes fines auxquelles elle était habituée. Ilretombaitàlanaissancedesesseins.Ellebaissalesyeuxeteffleural'unedespierres.

Ilcaressalecreuxdesoncou.—Ravissant,murmura-t-il.Ilsepenchaetposaleslèvressursagorge.Ellecaressasescheveuxnoirs,lesyeuxmi-clos.Ilse

recula.Latensioncrispaitdenouveausestraits.—Est-cequetuveuxresterounon?—Jevaisêtresincère.Ilestdifficiledevouloirresterquandtuesintenable.Maisjen'aipasenvie

departir.Unelueurpassadanssonregard-dutriomphe,dusoulagement,peut-êtrelesdeux.Ill'attiradans

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sesbras.Elleposalesmainssursapoitrine.—Attends.Jen'aipasfini.Nousdevonsréglerunedernièrechose.—Quoidonc?—Il fautque je sachequi et ceque je suis. Il fautquenous le sachions tous lesdeux.Tucrois

vouloirquejereste,maissituchangeaisd'avis?(Elleposalesdoigtssursabouchequandill'ouvritpourparler.)Jenepourraipascroireennoustantquejenesuispascertainequetusaisquijesuis.Jeveuxquetum'aidesàessayerdememétamorphoser.S'ilteplaît.

Ilsaisitsamainetlaretiradesabouche.—Jepeuxparler,maintenant?Ilavaitl'airencolère.Ellehumectaseslèvressèches.—Oui,répondit-elle.—Trèsbien.Tuveuxfaireça,onlefaitmaintenant,sur-le-champ.Ilselevaetlatirapourlamettredebout.—Maintenant?Ilestquatreetdemiedumatin.—Qu'est-cequeçapeutbienfaire?Jenevaispastedonnerletempsdecommenceràréfléchir,

analyser,cogiterettedéfiler.Tuasdormiunpeu,non?Illasaisitparlepoignetetsedirigeaverslaporte.Elletrottapourarriveràlesuivre.—Nomdenom,encoreunechose,tiens.Ilfautquetucessesdemetraînercommesij'étaisunsac

depommesdeterre.Ilentrelaçasesdoigtsauxsiens.—C'estmieux?—Peut-être,grommela-t-elle.Illaconduisitdanslachambre.—Tuvasenfilerunjeanetdeschaussures,prendreunpullouuneveste.Ilyaunepocheabritant

uneAutreContréeàquinzeminutesàvoldedragonàl'ouestdelaville.Jel'aidéjàutiliséepourcegenredechose.Cen'estpastrèsgrand,maislamagieyestpuissanteetstable.

—D'accord.Elleentradansledressingets'arrêta.Ellesentitsonestomacsenouer.Allait-ellefaireçasansavoirletempsderéfléchir?Oui.Parcequ'ilavaitraison:elleseraittentée

sinondesedéfiler.C'étaitdéjàsuffisammentdifficiled'avoiressayétouteseuleetd'avoiréchoué.Lesenjeuxsemblaienttellementélevés,cettefois-ci.

Sansselaisserletempsdetergiverser,elleretirasajupe,enfilaunjean,puiss'assitparterrepourmettredeschaussettesetsanouvellepairedechaussures.Enfin,elleattrapaunsweat-shirtnoir.Elleretiralecollieretleposasoigneusementsurlacommodeàcôtédesonpetitcoffretàbijoux.Ellesedirigeaverslasalledebainsoùellesebrossalescheveuxetlesréunitenqueue-de-cheval.

Dragosapparutdansl'embrasure.Ilavaitgardésonjean,maistroquésachemiseArmanipouruntee-shirtnoirquimoulaitsontorsemusclé.Ilportaitdesbottesnoires.Unpistoletétaitglissédansunholsteràsaceintureetuneépéefixéesursondos.

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Elles'arrêtanetenlevoyant.—C'estunesimpleprécaution,Pia.Nousquittonslaville.Nousn'allonspasloin,lesgriffonsnous

accompagnentetnousnesortonspasdemondomaine,maisilfautquetut'habitues.Sortirarméestdevenulanorme.

—Biensûr.C'estjusteencoreunechoseàlaquellemefaire.(Elleregardaleholster.)Unpistolet?—Au cas où on rencontrerait un problèmede ce côté du passage. Ils ne sont pas spécialement

dangereuxsitunelesutilisespasdel'autrecôté.—Jesupposequejem'yferai,marmonna-t-elleavecunegrimace.—Tufaisbienplusquecela,jesuisfierdetoi.Elleluisourit,touchée.Elleseditquec'étaitunenouvellepreuvedesonpouvoirdeséductionsi

ellepouvaitêtreaffectéeàcepointparsescompliments.—Prête?—Oui.Bayne,Constantine,GraydonetRuneétaientarmésetlesattendaientsurletoit.Ilsétaientdétendus

etnesemblaientpastroublés lemoinsdumonded'avoirétéconvoquésà l'aube.Graydonluifitunclind'œil,etelleluiadressaunsourireunpeutimide.

Ellen'avaitpasanticipéd'avoiruntelpubliclorsqu'elleessaieraitdesetransformer.Elles'efforçadenepasselaisserdéstabiliser,maislesentimentdevulnérabilitéqu'elleavaitressentiplustôtdanslajournéerevintettransformasonappréhensionenpeur.

Dragoss'avançajusqu'aucentredutoit.Unsignalpassaentreleshommesqu'elleneputdéchiffrer.Les quatre sentinelles se changèrent en griffons. Elle oublia sa peur pendant qu'elle les regardait,émerveillée. Ils avaient le corps d'un lion et la tête et les ailes d'un aigle. Aucune illustration degriffonqu'elleavaitpuvoirn'avait réussiàcapter leurétrangemajestéet leurfarouchedignité. IlsétaientpluspetitsqueDragoslorsqu'ilavaitsaformededragon,maisétaientimmensesmalgrétout.

LaForcedeDragoschatoyadanssondos.Elleseretournaetlevalesyeuxsurledragonnoiretbronze.Ilbaissasonénormetêtetriangulaireverselle.Elleposalesmainssursesnaseaux,lesyeuxbrillants.

Illapoussatrèslégèrementetsouffladoucement.Elledéposaunbaisersurlecuirchaudsoussesdoigts.Puisillasouleva,seramassasursespuissantespattesets'élançadelatour.

Comme il l'avait promis, le vol fut court. Elle garda les yeux fermés afin de ne pas avoir àregarder la ligne des gratte-ciel défilant sous eux. Elle respira par la bouche afin d'essayer decontrôlerlanauséequil'accablait.

Aprèsquelquesminutes,sonmalaisesecalmaetellesentitqu'elles'habituaitauvol.Usétaientdéjàpassés au-dessus de l'Hudson et survolaient le New Jersey, les griffons formant autour d'eux unebarrière protectrice. Unmoment plus tard, ils effectuèrent un virage et se laissèrent descendre enplanant.

Elleessayadecomprendrecequ'ellevoyait.Unemassesombresedressadevanteuxcontrelecielnocturne.

—Qu'est-cequec'est?demanda-t-elle.—FirstWatchungMountain,réponditDragos.C'estunpassageétroitetcourtlelongd'unravin.

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Cramponne-toi.L'atmosphère de magie de la Contrée surgit. Les griffons se placèrent derrière eux comme il

entamaitsadescenteetplanaittrèsbas.Ilspassèrententredesarbresquicouronnaientlesbordsd'unravin.Elleauraitjuréquel'extrémitédesailesdeDragosfrôlaitlesrochers.

Les lumières au loin vacillèrent, puis s'évanouirent, et elle sut qu'ils étaient passés dans l'AutreContrée.Dragosrepritdel'altitude,maispendantquelquesminutesseulement.Ilsseposèrentbientôtdansunevasteclairière.

ElleretrouvasesjambescommeDragosladéposaitparterre.Elleregardaautourd'elle,savourantlabriseetlecalme.Lecielnocturnedececôtéétaitparsemédenuageslégers.Lechatoiementdelamagieétaitplusfortqu'ellenel'avaitjamaiséprouvéauparavant.Ill'appelaitsurunevaguedeluneargentée, éveillant la créature prisonnière qui vivait en elle au point de la faire gémir et de laprécipitercontrelesparoisdesoncorps,impatientedesortir.Ellecontemplalasilhouettedesarbresqui se balançaient doucement dans le vent, se demandant à quoi ressemblerait cet endroit en pleinjour.

Dragossemétamorphosa,maispas lesgriffons. Ils sepostèrentauxquatrecoinsde laclairièrepourmonterlagarde.Dragoslarejoignitpar-derrièreetl'entouradesesbras,laserrantcontrelui.Elleinspiraprofondément,croisalesbraspar-dessuslessiensetappuyalatêtecontresapoitrine.Sonsangcouraittropvitedanssesveines.

—J'ai l'impressiond'êtrechezmoietenexilenmêmetemps,dit-elle.J'aimeraismesentirchezmoienfin.

—Ona le temps.Nousn'allonspasprécipiter leschoses.Siçanemarchepas lapremière fois,nousessaieronsdenouveauaveccequenousauronsappris. (Il l'embrassasur la tempe.)Jevais tedirequelquestrucs,maintenant.Deschosesquejesaisetdeschosesquejepensesimplement.Jeveuxque tu m'écoutes. Si tu souhaites rebrousser chemin immédiatement et revenir à New York sansessayer,c'estcequenousferons.D'accord?

Jet'aime,faillit-elledire.Elleretintlesmotsauderniermomentetsecontentadefaireunsignedetête.

—TuasplusdechancesdetemétamorphosersitumeconfiestonvraiNom.(LesbrasdeDragosseraidirent,bienqu'ellen'aitpasbougé.)JenetedemandepasdemediretonNom.Nouspouvonsessayersansquetulefasses.Jedissimplementquejepourraimieuxt'aidersijeleconnais.Parfois,leshybridesrestentbloquésaumilieudeleurtransition.Sicelaseproduit,jet'aideraiàaccomplirtonchangementent'appelantpartonNom.

—D'accord,fit-elle,unpeuhaletante.Quoid'autre?—Je saisque tamère aplacé sur toi des sortsdeprotection. J'ai pu les sentir quand j'ai voulu

t'envoûterlapremièrefois.Tulesasdepuiscombiendetemps?Elle leva la têtepour le regarder.La sienneétait plongéedans l'obscurité,mais elleparvenait à

distinguerlestraitsdesonvisageetl'éclatdesesyeux.—Depuisaussiloinquejemesouvienne.Mamancraignaittoujoursquequelquechosem'arrive

avantquejesoisassezgrande.Elles'inquiétaitaussiquejesoishybride,vuquejen'étaispasaussipuissantequ'elle.Jecroisqu'ellesesentaitcoupabledem'avoirmiseaumonde.

Samainencerclasagorgeetill'embrassasurlabouche.—Ilestclairqu'ellet'aimaiténormémentetquetoutcequ'ellevoulait,c'estquetusoisensécurité.

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—C'estvrai.—Ilestpossiblequecessortsdeprotectionentraventtonchangement.Ilssontétroitementtissés

autour de ton noyau. A mon avis, tu as donc deux ou trois solutions. Tu peux essayer de temétamorphosersansrienchanger,etsiçasetrouve,tuyparviendras.Maissituveuxmettretoutesleschancesde toncôté, jepenseque tudevraisaumoins retirer lessortsdeprotectionpendantque tuessaiesdetetransformer.ConfiertonNomestunetoutautrechose.C'estuneinitiativeassezextrême.Maisjevoulaisquetusachesquec'estunepossibilitéaussi.

La panique tenta de la submerger. Elle lutta contre un irrésistible désir de déguerpir. Qu'est-cequ'ellefaisait,nomdenom?Cequiétaitentraindesepasserallaitradicalementàl'encontredetoutcequ'onluiavaitappris.

—Attendsuneminute,dit-elle,lesdentsserrées.—Prendstontemps,répliqua-t-ild'unevoixcalme,sereine,luifrottantlesbras.Était-ilpossiblequesamèrel'aitbloquéeaveclessortsquiétaientcensésassurersasécurité?Ilssetenaientdansunlieuouvert,etpourtantellesentaitlacageenelle.Elleavaittoujourseule

sentiment de ne pas être assez forte, de ne pas avoir suffisamment de valeur. À côté de la beautélumineusedesamère,elles'étaitsentieterne,gauche.

Elle savait que samère aurait été consternéede savoirqu'elle avait éveillé en elle ce sentiment.Maiselleavaittoujourseutellementpeurpourelle...

—Jeneveuxpluscontinueràvivredecettefaçon,souffla-t-elle,setournantafindefairefaceàDragos.Jenepeuxpasretirerlessortsdeprotection.Jenesaispascommentfaire.Est-cequetulepeux?

—Passanstefairemal.Etjem'yrefuse.—EtsijetedismonNom?demanda-t-ellesansêtrecapabledeprononcerlesmotsàhautevoix.—Alorsoui,jelepourrais.EllelevalesyeuxverslecieletluiditsonNom.Ileutlesoufflecoupé.Ilfrissonnaetl'étreignit,

baissantlatête,l'enveloppant.—Tuneleregretterasjamais,murmura-t-il.Jamais.Jelejuresurmavie.Elleposaunemainsursajoue.Ilportasamainàseslèvresetsemitàmurmurer.Lesmurmuress'enroulèrentautourd'elle,lacaressèrent,l'incitèrentàsedétendre,às'ouvriràlui.

Elle leva les yeux et examina son visage de bronze, son regard hypnotique. Il s'infiltra en elle àl'instard'unvoleurdanslanuit.

Ledragon l'investit totalement, jusqu'auplusprofondde sonêtre, lova soncorpsdebronze,deserpentautourd'elle,murmurantetmurmurantencore.Lacomplexecitadelledesortslovéeenelles'effondra.

Puisilentrepritdeseretirer,avecuneextraordinairehabileté.Elleintégracequ'illuiavaitmontré,comment puiser profondément en elle pour atteindre sa Force quand elle souhaitait semétamorphoser.Puissoudain,elleseretrouvaseuledanssatête.Illatintdanssesbrasetchuchota:

—Çava?

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—Oui.Maisjemesenssiétrange.Ellesesentaitnue,toussessensàfleurdepeau.Leventsoufflaetelleeutlachairdepoule,puisle

mondenefutplusquemagie.—Tuesprête?s'enquit-ilensouriant.—Autantquejepuissel'être,jecrois.Illalâchaetfitunpasenarrière.EllesentaitsaForce;ilgardaituncontactsubtilavecelle.Elle

balayalaclairièredesyeux.Lesgriffonsétaientplongésdansl'obscurité,sentinellesimmobiles.Ellepuisaenelle,cherchantsapropreForce.Celle-civintàellesanshésiter,avecuneplénitude

jamais atteinte. Elle l'inonda d'un jaillissement de lumière. Elle s'étira vers la créature sauvage etemprisonnée qui reposait en elle, cette partie insaisissable qu'elle n'avait encore jamais réussi àtoucher...

Etlemondebascula.

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17Saformehumaineétincelaetdisparut.Unecréatureexquisebrillantd'uneluminescencenacréela

remplaça.Elleétaitdelatailled'unpetitponey,maistrèsdifférented'unponey.Soncorpsmenuétaitfinetélancé.Dessabotsdélicatsfinissaientdelonguesjambesminces.Elleavaituncouàlacambruregracieuseetunetêteracéed'oùsurgissaitunecornelisseauxlignespures.

—Incroyable,murmuraDragos.Lapossibilitéluiavaittraversél'espritcarlesindicesn'avaientpasmanqué,sansqu'iloseycroire

vraiment. Iln'avait jamaisposé lesyeuxsurune licorneaucoursdesa longuevie. Ilavaitentendudirequecescréaturesrarissimesavaientdisparudel'univers,tellementellesavaientétéchassées.

Leurcornepouvaitdétruireetdissipern'importequelpoison.Leursangavaitdesvertuscuratives.Ellesnepouvaientêtrecapturéesquepardesmoyensfourbes.Riennepouvaitlestenirprisonnières.Lesacrificedeleurviepouvaitconférerl'immortalité.

Pasétonnantquesamèreaitpassésavieàluiapprendreàfuiretsecacher.Sesgrandsyeuxbleu-violetfoncéétaientceuxdePia.Ilsétaientaffolés.Des prédateurs, songeait-elle. Elle était entourée de prédateurs. Elle se cabra et fit demi-tour,

cherchantunevoieparlaquelles'échapper.L'hommedehautetailleàlapeausombrecommençaàluiroucoulerquelquechose.Ellefrappale

sold'unsabotetbraquasacorneverslui.—Toutdoux,machérie,tun'espasendanger.Calme-toi.Tun'espasendanger.Il fitunpasverselle.Elle secabra, trébuchaetbaissa lesyeux, confuse.Elleavait tellementde

jambes.Elleregardaderrièreelle.Unequeue.Lesgrandsprédateursàlalisièredelaclairièreserapprochaient,lesyeuxécarquillés.L'homme

grondadansleurdirectionetilssefigèrent,puissetransformèrentenhommeseuxaussi.Ellesemitàgaloperentournantenrondetpoussauncridedétresse.

C'estalorsquel'hommebrunmurmurasonNom.Elles'arrêtanetetdérapa,puisleregarda.—Rappelle-toiquitues.EllepercevaitsaForce.Piasecoualatêteetpiaffa.Ellelevaunpiedetregardasonsabot.Oh.Elles'étaitmétamorphosée.Elleétaitwyr.Dragoss'agenouilla.L'appréhension l'habitait.Après toutcequ'ilsavaient traversé,aprèsqu'elle

eutsautélepasetluieutfaitconfianceaupointdeluiconfiersonNom,elleavaitl'airauborddelapanique.C'étaitsanaturewyr.L'animalavaitpristropdecontrôle.

— Viens, chérie, l'encouragea-t-il, tendant les mains. Il n'y a pas de raison de paniquer. Tu tesouviensdenous.Denoustous.MonDieu,tueslacréaturelaplusbellequej'aiejamaisvue.

Elleinclinalecou.Était-cedelacompréhensiondanssonregard?—Fais-moisigne,mignonne.Doucement.Indique-moiquetueslà.

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Elle regarda l'étendue éclairée par la lune, puis elle reposa son regard sur lui. Un galop étaittentant.Maisilétaitlàaveccevisagelumineux,radieux.

Elle fit quelques pas vers lui. Lorsqu'il était à genoux, ils étaient au même niveau pour secontempler.Ilrespiraitàpeine.Elleavançajusqu'àluietposasatêteétincelantecontresonépaule.

Il caressa ses naseaux veloutés. Elle mouilla ses doigts avec ses lèvres. Les yeux de Dragosbrillaient. Il s'assit en tailleur et l'attira sur sesgenoux.Elle replia ses jambes souselle commeunchat.Ill'enveloppadesesbrasetpressasajouesurledessusdesatête.Ilsécoutèrentlebruissementduventdanslesarbres.

—Merci,murmura-t-il.Merci.Elle eutdumal à se transformerdenouveauet faillit paniquer. Il dut laguiderpendant toute la

duréedelatransition.Illatintdanssesbrasetluiparlajusqu'àcequ'elleretrouvesaformehumaine.—Pourquoiest-cequej'aieutantdemalàrevenir?haleta-t-elleens'agrippantàsesmains.—Ceneserapastoujourslecas.Ilparaîtquec'estcommeapprendreàmonteràchevaloufaire

du vélo.Une fois que tu aurasmaîtrisé le changement, ce sera tout simple. Tu pourrais le refairemaintenant, mais je ne te le conseille pas. La première fois, surtout pour une hybride, sape toutel'énergie.

—M'enparlepas.Sontonétaitmaussade,maissesyeuxétincelaient.Il l'aidaàse releveralorsque lesgriffonss'approchaient. Ils la regardaient tous lesquatreavec

émerveillement.Graydonluisourit.—Ehbien,situn'espasunevisionderêve!s'exclama-t-il.Jepensaisquetuallaistetransformer

enunpetitanimalrapideetétrange,unouistitiouuntruccommeça.Spontanément,ellesedirigeaversluietluisautaaucou.—Mercid'êtreunsiboncamarade.IlsefigeaetregardaDragospar-dessusl'épauledePia.Celui-ciserembrunit,maisfinitparfaire

unsignedetêteaugriffon.Graydonluirenditsonaccolade.Sesyeuxgrispétillaientdejoie.—Toutleplaisirestpourmoi,mignonne.Dragosposaunemainsurlebrasdelajeunefemmeetl'écarta.—Nousdevrionsrentrer,maintenant.Ils se transformèrent tous, sauf elle. Elle observa avec attention l'aisance et la fluidité qui

caractérisaient leur métamorphose. Elle voulait essayer de nouveau, toute seule, mais il faudraitqu'elle attende de s'être reposée. Elle avait l'impression que toutes ses terminaisons nerveusesvibraient.

Elles'endormitpendant levolqui lesramenaitàNewYork.ElleneseréveillamêmepasquandDragossemétamorphosa.Ilgardalesdeuxpiedsavantsouselle.SesmembressechangèrentenbrashumainssouslesgenouxetlesépaulesdePia,puisilsedressa,ayantretrouvésaformehumaine,lajeunefemmelovéecontresapoitrine.

Lesgriffonsserassemblèrentautourd'eux,lacontemplant.Ellecontinuaitàluire.

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Runeavaitpassélespoucesdanssaceinture.—Tuterendscomptequesicelas'apprend,ellevaêtretraquéetoutesavie?—Ellelesaitdéjàetmoiaussi.(Dragosavaitunairsombre.)Alors,pasunmot.Àpersonne.Pas

mêmeauxautressentinelles,pourl'instant.Celaresteentrenous.Elleaeuunesemainedélirantepourunefoulederaisons.Jeveuxqu'ellefasseunepauseetsedétende.Ellepourraensuitedéciderquipeutsavoirounon.

ElleseréveillaàmoitiélorsqueDragosretiradoucementsesvêtementsetlamitaulit,maisjusteletempsderouleretd'enfouirsatêtedansunoreiller,unejamberepliée.Ilsedéshabilla,seglissasouslesdrapsetsecollaàelle,passantunejambesouslasienne,unbrasl'entourant.

Piadormitprofondément,puisrêvaqu'ellecourait.Elleseréveillaensursautquandelleserenditcomptequ'ellecouraitsurquatrejambes,etlesouvenirdecequis'étaitpassél'envahitdebonheur.Lesoleilmatinalavaitinondélachambre.

ElleregardaDragos,tournéverselle,unbrassursataille.Sestraitsciselésétaientapaisésdanslesommeil.Lescouverturesavaientglisséetellecontemplasapoitrineetsesbrasmusclés.Sessourcilsnoirscontrastaientaveclebronzedesesjoues,sescheveuxétaientendésordre.Sonérectionmatinalepressaitcontresacuisse.

Ilneseraitjamaisunhommedoux.Sacapacitédeviolenceétaitsous-jacente,àfleurdepeau.Maisilavaitfaitpreuveparmomentsd'uneextraordinairetendresseàsonégard.

Je t'aime, faillit-elle dire. Mais il avait avoué ne pas savoir ce qu'était l'amour. Elle serra lespoings.

Peut-être qu'il ne le saurait jamais. Peut-être que ce qu'elle avaitmaintenant était tout ce qu'ellepourraitavoir.Sielledevaitchoisirentrelasolitudeavecluietlasolitudesanslui,ellepréféraitdeloinlapremièresolution.

Elleenveloppasonsexeépaisetpressaseslèvrescontrelessiennes.Illaissaéchapperunsonquijaillitduplusprofonddesapoitrine,etluirenditsonbaiserenvenantàlarencontredesacaresse.Ilpoussasongenoupourluiécarterlescuisses,roulasurelleetlapénétradoucement.Ilssoupirèrentàl'unissonquandilsnefirentplusqu'un.

—C'estça,murmura-t-ilenmordillantsonoreille.C'estça.Elleserrasesjambesautourdesatailleetcaressasondospuissant.Il semit à aller etvenir,ondulant au-dessusd'elle, enelle.C'était tellementbon. Il la fitmonter

lentementetsanseffortjusqu'àl'orgasme.Ellejouitavecbonheur,aupointd'enavoirleslarmesauxyeux.Ill'embrassait,sesmainsformantuncercleautourdesonvisage,lorsqu'iléjacula.

Elle le sentit palpiter en elle comme il s'appuyait sur les coudes et se penchait au-dessus d'elle,haletant.Sestraitsétaienttellementbeauxqu'elleneputs'empêcherdesouffler:

—Tuesàmoi.Ilouvritlesyeuxetlesplongeadanslessiens,alorsqu'iltremblaitencore.—Jesuisàtoi.Ilsserendormirent,luitoujourslovéenelle,caressésparlesrayonsdusoleil.Unpeuplustard,

elleremuaetprotestaquandilseretiraetqu'ellesentitsonpoidslaquitter.—J'aideschosesàfaire,dit-ildoucement.Resteaulitetrepose-toi.

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Elle fit lamoue, embruméede sommeil. Il l'embrassa sur le front.Elle se pelotonna à sa placechaude,étreignitsonoreilleretsomnola.

C'était un petit dragon blanc tellement mignon. Sa tête était trop grande pour son corps. Il laregardait avec un amour pur, absolu, tandis qu'il avançait vers elle d'une démarchemaladroite. Iln'arrivaitpasàcoordonnersespattesarrièreavecsespattesavantets'étaladetoutsonlong.

Ilnefallaitpasqu'ellerie,celalevexerait.—Eh,amourdebébé,lança-t-elle.

—Maman,dit-ilenavançantàquatrepattes.Maman.Elleseredressavivement,soncœurbattantlachamade.Qu'est-ceque...?Lelitsemitàtanguer.Lanauséel'assaillit,incontrôlable.Ellesejetahorsdulit,maisneréussit

pas à atteindre les toilettes à temps. Elle parvint toutefois dans la salle de bains et vomit dans lelavabo.Plusieursfois,alorsqu'ellepensaitenavoirfini,ellefutsaisiedehaut-le-cœurquiluifirentmonterleslarmesauxyeux.

Ohnon,non,non,cen'étaitpaspossible.Pasça,pasçaenplus...L'un des avantages d'être wyr, que ce soit pour les mâles ou les femelles, était l'aptitude à la

contraceptionnaturelle.Ellen'avaitjamaistrèsbiencompriscommentcelamarchait.Quelquechosecommel'établissementd'unebarrièrementalepourprévenirunegrossesse.

Étantmoitiéhumaine,ellen'avaitjamaiseucetteaptitude:elleavaitdoncdûavoirrecoursàdesméthodesdecontraceptionhumaines.Celafaisaitmaintenantplusd'unanqu'elleavaitunstérilet. Ilétaitcenséêtreefficacependantencoredixansaumoins.

Saufquedésormais,Dragosétaitdanssavie,déversantenellesaForceetsasemence,jouraprèsjour.

Lechoclafitlittéralementtituber,etellefaillitnepassesouvenirdevérifiersilesfilstransparentsdustériletétaienttoujoursenplace.Ilsl'étaient.Mais...Elledéployasessensnouvellementdéveloppésetlesfitentrerdanssoncorps.Là.L'étincelled'uneminusculevieétaitnichéeenelle.

Lesentimentdetrahisonfutuncoupdepoignard.Lesalaud.Elle prit une douche et s'habilla : tee-shirt, bermuda kaki, baskets. Trente-cinq dollars qui lui

restaientsurlescentempruntésàRunepouracheterleschaussures.Ellesortitdelachambre.Cettefois-ci,c'étaientBayneetAryalquimontaientlagardedanslehall.Pias'arrêtanetenavisant

lafemmedehautetaille,toutedecuirvêtueetàlachevelurenoireendésordre.Uneétrangebeauté,etdesyeuxgrisombrageuxetdursquijugeaient.

Bayne l'accueillit avec un grand sourire. La harpie la dévisagea calmement, ses traits anguleuxfroids.

—OùestConnor?demandaPia.—Ilavaitquelquechoseàfaire,expliquaBayne.Aryalleremplacepourl'après-midi.— Ça vous pose un problème ? demanda Aryal en levant un sourcil et en la regardant avec

insolence.Piapinçaleslèvres.Elleneréponditpasetindiqual'entréedupenthouse.—Rentrezetvoyezcequ'ilyaàlatélé.Est-cequevouspouvezpréparerducafé,s'ilvousplaît?

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Touteunecafetièresivousenvoulezaussi.Jevaischercherquelquechoseàmanger.Jereviens.—Çamarche,fitBayneensouriant.Faiscommesiderienn'était.Traverselehall,passedevantlacuisineetlasalleàmanger.Elle jeta un coup d'œil par-dessus son épaule quand elle arriva au coin.Bayne etAryal avaient

disparu dans la suite. Elle courut jusqu'à l'ascenseur. Celui-ci fonctionnait aumoyen d'une clef auniveaudupenthouse.Laportequimenaitàl'escalierétaitferméeàclef.

Pasdeproblème.Illuisuffisaitdesefaufiler.Elle aplatit ses mains tremblantes sur le panneau et appuya. Mais elle respirait trop vite. Une

terribleenviedecourirlasaisit.Elleluttacontrelapanique,lasouffranceetlesentimentdetrahison,afind'essayerderéfléchirdemanièrerationnelle.

Iln'étaitpascertainqu'elleparvienneàsortirdelatour.Ilyavaitdenombreuxétagesàdescendreavantd'arriverenbas.Elleavaitpeut-êtrecinqminutespoursortirdubâtiment.

Etqu'affronterait-ellesiellearrivaitàsortir?LedangerquereprésentaientUrienetsonarméenes'était pas évaporé simplement parce que la journée commençait mal et qu'elle avait besoin derespireretdesortirdecefichuendroit.

Une vague de nausée l'assaillit de nouveau. Elle ferma les yeux, serra les poings et s'évertua àreprendrelecontrôle.

—Pia,est-cequetoutvabien?lançaBaynederrièreelle.Elleinspiraprofondément,seressaisitetluifitface.—Dragosaditquejepouvaisalleroùjevoulais.J'aibesoindesortir.Dieusaitl'expressionqu'elledevaitavoir.Sûrementpasrassurante,carlegriffonlaregardad'un

airinquiet.—Est-cequetupeuxmedirecedonttuasbesoin?demanda-t-il.Jeseraisravid'allerchercher

toutcequetuveux...Leself-controlqu'elles'efforçaitdemaîtriserluiéchappa.Etellecraqua.Ellepivotaetdonnaun

violentcoupdepieddanslaporte.Lesoncreuxetmétalliquefitpenseràunebombe.—Jedoissortir!hurla-t-elle,poussantlaporteferméeavecsespoings.Jenevaispasbien.(Coup

depied.)J'aibesoindenepasenparler.J'aibesoinqueDragosmefoutelapaix.(Coupdepied.)J'aibesoinquetucessesdemeposerdesquestionsetm'emmènesoùjeveux.Est-cequetupeuxfaireçapourmoi,ouiounon?

Aryalapparutsoudain.Lesdeuxsentinellessepostèrentdechaquecôtéd'elle,concentrées.Ellessedéplaçaient comme des soldats, sans bruit, leurs corps athlétiques se mouvant avec fluidité. LanonchalancedétenduedeBaynes'étaitévanouie.Ill'enveloppaitd'uneénergiemâleprotectrice,etilposaunemainsursondos.

—Biensûrquenouspouvonslefaire.Nousallonsteconduireoùtuveux.—Bayne,fitAryal.—Cesontlesordres.Laharpiesemorditlalèvre,maisdemeuracoite.Piasouffla.Elleseretournaversl'ascenseuret

Baynelaguidaà l'intérieur.Ellefixad'unregardvideunpointentre lesépaulesd'Aryal tandisque

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l'ascenseurdescendaitlesquatre-vingtsétagesquilesséparaientdurez-de-chaussée.Les portes s'ouvrirent et ils sortirent. Aryal resta devant eux tandis que Bayne se rapprochait

tellement d'elle que ses épaules effleurèrent les siennes comme il balayait du regard le vaste hallanimé.Puisilspoussèrentlesportesàtambouretseretrouvèrentdehorssousunsoleiléblouissant.

Ellemarquaunepause,lamainpresséesurleventre.Elleavaitdumalàycroire.Usavaienttenuparoleetl'avaientsortiedelatour.

Bayne l'incita silencieusement à avancer vers une Porsche noire qui était apparue comme parmagieetattendaitdevant legratte-ciel.Aryal regardaautourd'euxd'un regardd'aigle, sescheveuxvolantauventcommeelleseglissaitàlaplaceduconducteur.BayneouvritlaportièrearrièrepourPia.Ellemontaetsetorditafindel'empêcherdes'installeràcôtéd'elle.Leursregardssecroisèrent,et la gentillesse et l'inquiétude qu'elle lut dans ses yeux la transpercèrent. Puis il recula, ferma laportièreets'assitdevant.

—Bien,Pia,fitBayne.Oùonva?—Brooklyn,répondit-elle.LamaindeBaynesedirigeaversleGPSetelleajouta:—Jevousindiquerailecheminquandillefaudra.Lesdeuxsentinelleséchangèrentunregard.—D'accord,ditAryal.LaPorschedémarra.Piaserecroquevillasurlabanquetteetregardaparlafenêtre.—Pia,qu'est-cequetufais?fitsoudainDragosdanssatête.Ellefermalesyeux.

—Nemeparlepas,répondit-elle.—Tuessortiedelatour.Tuavaispromisquetuneleferaispas.Savoixmentaleétaittellementcalmeetcontrôléequ'ellesentitunfrissonluiparcourirl'échiné.

—J'aidit«nemeparlepas»,répliqua-t-elleavechargne,espècedesalaud.Unbattementdecœur,puisildemanda:

—Qu'est-cequis'estpassé?—Tais-toi.Sorsdematête.—Pia...Elleneréponditpasetilhurla:—Qu'est-cequej'aiencorefait,bordel?Lecritélépathiquerésonnadanssoncrâne.Elleposalamainsursonfront.—Nehurlepascommeça,jen'arrivepasàpenser.Elle se sentait comme anesthésiée. Comment pouvait-il poser une question pareille ? Comment

pouvait-ilnepasserendrecomptequ'ellesaurait,maintenantqu'elles'étaitmétamorphoséeenWyr?

—Jesuisdésoléd'avoirhausséleton.(Iltentaitlapersuasion.)BayneetAryaln'expliquentrien,justequetuescontrariéeetqu'ilsteconduisentoùtudoisterendre.Grayestinquiet.Onpeutdiscuterdetoutcequicloche,n'est-cepas?Pia,jet'enprie.Tumetues.

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Onpouvaitdirecequ'onvoulaitsurlui, ilavaitunesagessemalignequipouvaits'insinuerchezquelqu'unàl'instard'unstylet.Elleessuyaseslarmes.—Tunesais...rien...àproposdecequisepasse?Saréponsefutimmédiateetrésolue.

—Jetejurequenon.Quelquesoitleproblème,onpeutl'affronterensemble,yremédierensemble.Lepouvaient-ilsvraiment?

—Dragos,donne-moijustel'après-midi.J'aibesoindemecalmeretderéfléchiravantdepouvoirteparler.

Lesilencepalpita.Puis,tranquillementetd'unevoixsuave,ildéclara:—JepourraismeservirdetonNompourtefairerevenir.Ellereniflaenregardantparlafenêtre.—Lesmenacesnesontpasunebonneidée.Lessecondess'égrenèrent.Puisilrepritlaparole.—Tuasl'après-midi.Ensuite,jevienstechercher.Toutunaprès-mididelibre?Waouh.Quellegénérosité,fitlapartied'ellequicachaitsapeinesous

lesarcasme.Elleréussitàravalerlesmotsetgardalesilence.Puisilrestaluiaussisilencieuxetellefutseule.Sanslui.RuneetGraydonétaientdanslebureaudeDragos,lamêmeexpressionrenfrognéesurlevisage.—Aumoins,elleestprotégée,fitGraydon.ElleestavecAryaletBayne.Iln'avaitpourtantpasl'airspécialementrassuré.—Est-cequ'elleaditoùelleavaitbesoind'alleroucequin'allaitpas?demandaRune.—Non.(Dragosfaisaitlescentpas.)Elleajusteditqu'elleavaitbesoind'unpeudetemps.Jeluiai

ditquejeluidonnaisl'après-midi.—Tuvasvraimentluidonnertoutl'après-midi?s'étonnaRune.—Biensûrquenon.Ilouvrit lesportes-fenêtresavecune telleviolenceque leverresebrisa.Leventvifdumoisde

mais'engouffradanslapièce.—Lasorcièrenerépondpasautéléphone.Trouvezquelqu'unpourmettreunsortdepistagesur

elle,etfaites-levite.—Jem'enoccupe,réponditGraydon.Ilplongeaparlafenêtreetsetransformaenpleinciel.Dragos et Rune se regardèrent. Bayne et la harpie étaient d'excellents guerriers. Parmi les

meilleurs.Maisunaprès-midipouvaitêtretrèslongàNewYork,avecleroidesFaesenlibertéetdéterminé

àfairedessiennes.

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PiaindiqualecheminàAryal.UsarrivèrentbientôtdevantlagrandecliniquewyrdeBrooklynoùelleétaitsuiviedepuisquelquesannées.Lacliniquesetrouvaitdansunbâtimentcarrétoutsimple,unblocdebéton,dansunquartierpopulaire.Unsentimentd'abandonplanaitsurlesrues,quelquechosede désespéré tapi dans les recoins sombres, attendant de montrer ses dents à la nuit tombée. Laclinique elle-même toutefois était ouverte dans la journée et son personnel était professionnel etattentif.Lamajoritédespatientsétaientdeshybrides,etl'endroitfourmillaitdemonde.

Aryalgaralavoiturelelongdutrottoiretcoupalecontact.Piasentitsonestomacsenouer.—Restezici,dit-elle.—Désolé,Pia,répliquaBayne.Legriffonétaitdescendudelavoitureavantqu'elleaiteule tempsd'ouvrir laportière.Aryal le

rejoignit.Elle retint l'impulsionde leurcrier sa frustrationen sortantduvéhicule.Elle les regarda tourà

tour.Aryal avaituneexpressiondure.Baynequant à lui était impassible.Elle sedemandacequ'ilspensaientdeleurdestination,etquelleconversationtélépathiquepouvaitbienêtreéchangéederrièrecesvisagesdetueurs.

—Bon,laissez-moivousexpliqueruntruc,fit-elleenindiquantlebâtiment.Personnelà-dedansnesait quenous sommes là. Il est hors de questionquevous entriez avecmoi et terrifiiez les gens àl'intérieur,alorsvousgardezlesentrées.Pointbarre.

Bayneplissalabouche.Elleétrécitlesyeux.—J'auraispupartirsansvous,j'aifaillilefaire,Bayne.Alorsnemefaispasregretterdem'être

pliéeàvosrègles.—Poste-toiderrièrelebâtiment,lançasoudainAryal.Alaportedeservice.—Bien,répondit-ild'untonagacé.Iltournalestalonsets'éloignaàgrandspas.Pian'attenditpasplus longtempsetseprécipitavers l'entrée.ElleyétaitpresquequandAryal la

saisitparsachemiseetlaplaquacontrelebâtiment.—Enfin,çavapas!hoqueta-t-elle.Aryallamaintintclouéeaumuravecaisanceenappuyantsonavant-brascontresagorge.—Taisez-vous,dit-elled'untoncassant.Jenevousfaispasmal.Vousetmoiallonsparler.—Lâchez-moi!Piaessayaderepousserviolemmentlebrasd'Aryalpoursedégager.Laharpieattrapasonpoignet.

Desdoigtsd'aciermordirentsapeau.— Vous avez causé plus de problèmes ces deux dernières semaines qu'un gang de rats wyrs

déchaînés.Jeveuxsavoircequevousmanigancezmaintenant.—Çanevousregardepas.—ÇameregardesivosactionsfontdenouveaucourirundangeràDragos.—Jenecausedepréjudiceàpersonne.Toutcequevousavezàsavoir,c'estqueDragosm'adonné

l'après-midi.

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—Etvousl'avezcru?(Aryalricana.)Elleestbonne,celle-là.Ilavaitmenti?Elleregardalaharpied'unairconsterné.—Lâchez-moi,dit-elleenserrantlesdents.Aryallalibératellementvitequ'ellefaillittrébucher.Laharpielatouchaitpresque,cependant.Elle

portaitunblousondecuirqui s'ouvritquandellemit lesmainssurseshanches,etPiaaperçut sonholster.

—Voussavezquoi?Jepourraisarriveràoublierlaqueue-de-chevaldepom-pomgirl,fitAryalenluidécochantunsourireglacial. Ilmefaudraitdutemps,mais jepourraisyarriver.Jepourraisaussinepasmefocalisersurlefaitquelesgriffonsperdentlabouleautourdevousetvousmangentdanslamain.Maiscequejenepeuxpasoublier,c'estquevousavezviolélaloi.VousavezmisendangerlavieduseigneurdesWyrs,etvousn'avezpasétépunie.Çamemetvraimentenpétard.

—Vousnesavezpasdequoivousparlez,répliquaPia.Ellefrottasesyeuxbrûlants.Ellesesentaitdéstabilisée,totalementàladérive.—Cequejenesaispas,repritAryal,c'estsivousêtesounonlacompagnedeDragos.Ehbien,

mignonne,voilàunproblèmeinsolubleetlaraisonquifaitquejenepeuxpasvoustuer.Piaserralespoings.—Non,vousnelepouvezpas,c'estunechoseacquise.Elleabattitsonpoingavecunetellevélocitéqu'ellesurpritlaharpie.Lecoupl'atteignitàl'épaule

avecunetelleforcequ'ellechancelaenarrière.—Vousn'êtespasobligéedem'apprécieroud'approuvermesactions,repritPia.Vousn'êtespas

obligée d'être d'accord avec les décisions de Dragos. Vous êtes obligée de faire ce qu'on vousdemande.Est-cequ'ilvousademandédemerameneràlatour?

Aryallafusilladuregard,maisrestacoite.—C'est bien ce que je pensais. Alors, vousme foutez la paix. Vous n'avez pas le droit deme

questionneroudem'intimider.Etc'estGraydonquipeutm'appeler«mignonne»,pasvous.Vousn'enavezpasgagnéledroit.

Pian'attenditpasdavantage.Ellepivotaetpoussalesportesdelaclinique.Cinq ou six personnes étaient assises dans la salle d'attente. Quelques-unes regardaient la

télévision.Uneinfirmièreluisouritpoliment.—Bonjour.Qu'est-cequejepeuxfairepourvous?—Jem'appellePiaGiovanni.Ilfautquejevoieunmédecin,dit-elleàvoixbasse.Lesmusclesdesonvisageetdesoncouluifaisaientmal,tantelleétaitcrispée.Ellesetorditles

mains.—JesuisunepatienteduDrMedina.Jesuisdésolée,maisjen'aipasprisrendez-vous.Je...(Ses

yeuxs'embuèrent.)J'aipeurquecesoituneurgence.—Oh,monpetit,fitl'infirmièreaveccompassion.ElletenditunKleenexàPiaetlafitentrerdansleservicedesoins,oùellelaguidadansunepetite

pièced'examensdotéed'unévier,d'unechaiseetd'unpèse-personne.—Bon,qu'est-cequinevapas?Vousêtessûrequevousnedevriezpasplutôtvousrendreaux

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urgences?—Jenesaispas.Jesuisunehybridewyretjeportedoncunstérilet.Voussavez,lemodèlequia

unélémentencuivre,pasceluiavec leshormones,parceque jenesuispas totalementhumaine.JesuisdansunenouvellerelationavecunpurWyr,etj'airéussiàmemétamorphoserlanuitdernière...

—Félicitations!s'exclamal'infirmièreavecungrandsourire.Elles'appelaitRachel,d'aprèssonbadge.—Merci.Maisjesuismaladedepuisdeuxjoursetc'étaitvraimentterriblecematin.Jesuisàpeu

prèssûrequejesuisenceinte.Jelesens,maintenantquej'aieffectuémamétamorphose.Etlestériletest toujoursenplace.Jesuissouslechoc.Jen'arrivepasàréfléchir,maisjesaisunechose: jeneveuxpasperdrecebébé.

L'infirmièreposalamainsurleventredePiaetseconcentra,semblantrentreràl'intérieurd'elle-même.Piasentitlepicotementdelamagiependantquelafemmel'examinait.

—Ohoui,oui,vousavezraison,vousêtesenceinte,fitl'infirmièreavecexcitation.—Est-cequemamétamorphosedelanuitdernièreluiafaitdumal?—Non!Non!Semétamorphoserestlachoselaplusnaturelledumonde.L'intensitédevosmaux

decœurestunpeuinhabituelle,toutefois.Etvuquevousavezunstérilet,vousavezbienfaitdevenir.Nous allons vous faire examiner par un médecin. Installez-vous ici, je vais aller chercher votredossier.Enfait,jevaisvoirsijepeuxattraper...

Separlantàelle-même,l'infirmièresortitd'unpasrapide.Pias'affalasurlachaise,latêtedanslesmains.Heureusement queDragos avait cessé de rugir, car elle avait l'impression qu'elle aurait étéavaléedansuntourbillonetseseraitévaporée.Elleseditquesonsilencen'auguraitriendebon,maispeuluiimportait.

Ellesesentaitflageolante,auborddelanausée.Elleposalamainsursonventre.Restelà,crevette.Lachanceluisourit,carleDrMedinas'apprêtaitàpartirenvacancesetvenaitdevoirledernierde

sespatients.Piasesentaitàl'aiseavecelle.C'étaituneWyrcanineauxcheveuxblancs,vive,directe.AprèsunexamenrapideetunepulsationdeForce,elleretiralestérilet.—Bonnesnouvelles.Vousêtesenexcellentesantéetvotregrossessen'estpasectopique,cequiest

undesrisquesmajeurslorsqu'unegrossessesurvientmalgréunstérilet.Cebébéestexactementoùilest censé être, lové dans votre utérus. Je suis contente que vous n'ayez pas traîné pour venir,cependant.Parlez-moiunpeudecesnausées.

Soulagée,Piadécrivitlesderniersjours.—Jen'aijamaisététentéedemettreunmorceaudeviandedansmabouche,expliqua-t-elle.Mais

çasentaittellementbon.Etc'esttellementdéplacé...Lemédecinlaregardapar-dessusseslunettes.—Est-cequevousêtesavecunprédateur,parhasard?—Oui.Lemédecinseredressaetluisourit.— Les unions prédateur-herbivore sont bien plus rares que les unions homogènes, mais elles

existent,bienentendu.Jenevaispasvousmentir:lagrossessenevapasêtrefacile,etparmomentsvousaurezl'impressionquevosinstinctssonttotalementdétraqués.

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—Est-cequeceseraunegrossesseàrisques?— Je ne dirais pas ça. Pensez protéines et calcium. Si vous n'arrivez pas à vous forcer à être

omnivore pendant la durée de la grossesse, il faut que vous consommiez beaucoup de boissonsprotéinées. Le soja, c'est bien. Le lait, c'est mieux. Et puis, des vitamines prénatales. Je vais vousprescrire un charme antiémétique qui devrait aider. Il ne bloquera pas la douleur, toutefois. Ladouleurestunmessagertropimportant.Maisilvousaideraànepasrendrevosrepas.

Lemédecingriffonnasursonbloc,puisluitenditl'ordonnance.—Merciinfiniment,ditPiaavecferveur.Unedernièrequestion,sivousvoulezbien.—Oui,biensûr.Ellehésita,nesachantcommentaborderlesujet.—Cette grossesse est un choc. J'avais le stérilet, je veux dire. Je pensais qu'il préviendrait les

choses,vouscomprenez?Mon...partenaireetmoin'avonsmêmepasabordélesujet.Jecommençaisàavoirmalaucœuravantmamétamorphose,jedevaisdéjàêtreenceinte.C'estdonclepèrequi...afaitquelquechose?

Lemédecinlaregardaavecdesyeuxintelligentsetdoux.—Aucunmoyendecontraceptionn'estfiableàcentpourcent,quecesoitpour lesWyrsoules

humains.Certes,lestériletestuneméthodetrèsefficace,engénéral.Etoui,lesWyrssontenmesurede contrôler leur cycle de reproduction. En général. Mais j'ai connu des Wyrs qui perdaient lecontrôle aucoursdespremiers joursde la frénésiequi accompagneune relationavecunnouveaupartenaire.Vousseuleêtesenmesurededires'ilestjustevotreamantouvotrepartenairedevie.Est-cequemaréponsevousaide?Elleréussitàdéglutir.

—Oui,ellem'aidebeaucoup,docteurMedina.Merci,mercibeaucoup.—Jevousenprie.J'adorelesbébés.J'auraisdûêtreobstétricienne.(Ellerefermaledossieretse

leva.)Aufait,vousnem'avezpasditenquoivousvousétiezchangée?Nes'attendantpasàlaquestion,Piabredouilla:—Oh,euh...enouistiti.—Étrange,murmuralemédecinenlaregardantavecétonnement.Jen'auraispasimaginécela.Et

votrepartenaire?—Ilne...n'enestpasun.Lemédecinplissalesyeux.—Vousmeledirez,n'est-cepas,sil'informationdevientpertinenteetimportanteauplanmédical

?—Oui,biensûr.Jevouslepromets.—Prenezvosvitamines,conclutlemédecinprèsdelaporte.Jevousverrailemoisprochain.Pia se rhabilla, étourdiepar le soulagement et la faim.Elle aurait pudévoreruncheval, si cela

n'avaitpasétéducannibalisme!Ellesepenchaetnouaseslacets.Enceinte.Compagnondevie.Jevaisavoirunbébédragon.Elle se redressa et des étoiles noires dansèrent devant ses yeux. Tellement de choses se

bousculaientenelle, tellementdepenséesetd'émotions jaillissaientqu'elleavait l'impressiond'êtreunfeud'artifice.

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Lapaniquedeperdre lebébéavait été remplacéepar lapaniquedese savoirenceinte.Elleétaitsoulagée, non seulement que la grossesse soit viable, mais aussi à l'idée que Dragos ne l'ait pasintentionnellementpiégée.Elleluidevaitdesexcuses.

Maisellen'avaitaucuneidéedelamanièredontilréagiraitàl'annoncedecettegrossesse.Elleappuyalamainsursonventre.Oh,crevette,j'aitoujourseulesecretespoird'avoirunenfant

unjour,maisilfautquejetedise:lemomentn'estpasidéal...Ellerencontraunproblèmeinattendualorsqu'elles'apprêtaitàquitterlaclinique.L'infirmièrelui

demanda:—Toujourslamêmeassuranceetlemêmemontantpourleticketmodérateur?Mêmeassurance?Celled'Elfie's,sonprécédentemployeur.Etellequiavaittrente-troisdollarsen

pocheetpasdechéquier!Ellesepinçal'arêtedunez.—Oui,merci.Elletenditlesvingt-cinqdollarsqu'elledevait,déclinalapropositiond'unreçuetessayadenepas

avoirl'airfaux.Elletraversalehallverslaported'entrée.Elles'arrêtajustedevant.Ellenepensaitpasavoirassez

deForcepourjoindreDragostélépathiquement,maiselledécidadetenterlecoup.

—Dragos?Ilréponditimmédiatementet,Dieumerci,calmement.—Oui.

—J'aifini.Jerentreàlamaison.J'aidesnouvellesetjetedoisdesexcuses.—Onenparleraplustard.Oùes-tu?Jevaisvenirtechercher.—Tunelesaispas?ElleavaitpenséqueBayneouAryalluiauraitsûrementdit.Ellepoussalaportedeverreetcligna

lesyeuxenretrouvantlalumièredusoleil.Oùétaitlaharpie?Ellemitsamainenvisièreetregardaautourd'elle.—Jesuisalléevoirmonmédecin...Ellemarchasurquelquechoseetdéplaçalepiedenbaissantlesyeux.Elleavaitmarchésur...Est-ce

quec'étaitunefléchette?Une douleur vive lui perça le cou. Elle posa la main sur la zone douloureuse et vit une autre

fléchettetombersurletrottoir.Ellesentitsoncorpss'engourdiràunevitesseincroyable.Lemondepenchaetelleheurtaletrottoir.

Bayne.Aryal.Elleessayadelesappeler,maisellen'arrivaitpasàformerlesmots.Quelqu'unluicriaitquelquechosedansuneautrepartiedesatête,maisellen'arrivaitpasàétablir

deconnexionniàcomprendrecequiétaitdit.Troispersonness'approchèrent.DeuxétaientdesFaesnoiresmâlesavecdelongsyeuxétirés,des

pommettessaillantes,desoreillespointuesetdescheveuxnoirs.Latroisièmeétaitunefemmedetypehispaniqueàlabeautémajestueuse,dontleregardpalpitade

Forcequandilcroisalesien.LasorcièreAdela,duChaudron.

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—Oh,c'estencorevous.(Adelafitlamoueetsoupira.)Jelecraignais.Espèce de stupide garce, essaya-t-elle de dire. Je vais te faire passer un sale quart d'heure. Si

Dragosnemetpaslamainsurtoienpremier...Touts'estompa.

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18Unevoixméphistophéliquetonnadanssatête.Ellel'appelaitparsonNom.—UtilisetaForce,bordel.Jesensquetueslà.Essaie,exigeait lavoiximpérieuse.Réveille-toi,

merde!Touttournoyaitautourd'elle.Uneodeurd'essenceetdegazd'échappement.Elleétaitallongéesur

quelquechosededurquivibrait,lajouepresséecontreuntapisrugueux.Ellerespiraàpetitscoups.Quelqu'unpoussaitungémissementplaintif.Oh,c'étaitelle.Tais-toi,idiote.Elle lutta pour faire ce que la voix lui demandait et puisa au plus profond d'elle-même. Son

professeur d'artsmartiaux lui aurait dit d'aller chercher son chi, son flux d'énergie, le point d'oùpartaitsonsouffle.

Pendantunmomentaffreux,elle futdésorientée, totalementà ladérivedans lenoir.Puiselleseconnecta.SaForcejaillitdelabasedesacolonnevertébraleetinondasoncorps.Ellenedissipapastousleseffetsdeladrogue,maisl'aidaàretrouverunpeusesesprits.

Elle était ligotée, les bras derrière elle, bâillonnée, dans le coffre d'une voiture roulant à viveallure.Ellesesentitaccablée.C'étaitvraimentlebouquet.

—Réponds-moiimmédiatement,ordonnaDragos.—J'aieuunesemainededingue,réussit-elleàarticuler.Savoixmentaleétaitétoufféeetmanquaitdecontrôle,maisill'entendit.

—Ah,jereconnaismadouce.(Letonnerreavaitétéremplacéparunsoulagementanxieux.)Tuesblessée?—Non,droguée.Ligotée,danslecoffred'unevoiture.Onvavite.—Bien.Restecalme,fitDragos.

—BayneetAryal?—Onlesaretrouvésdevantlaclinique.Ilsavaientétédroguéseuxaussi.Ilsvontbien;leseffets

sedissipent.(Dragosavaitl'airdenouveauposé.)Nousavonsfinalementréussiàtrouverquelqu'unpourjeterunsortdepistage.Jevaisêtreenmesuredetesuivredanspeudetemps.Commentes-tuattachée?Tupeuxtelibérer?

Lanauséelamenaçaitdenouveau,ellelarefoula.Ellenepouvaitpassepermettredevomiralorsqu'elleétaitbâillonnée.Ellesecambraafindetouchersesmolletsavecdesmainsquilapicotaientetcommençaientàs'engourdir.—J'aidesespècesdemenottesenplastique.Pasdeverrous.Jenepeuxpaslesretirer.—D'accord.Net'enpréoccupepas.Elleavaitdeschosesimportantesàluidire.Qu'est-cequec'était,déjà?Pendantcombiendetemps

pourrait-il luiparler?Graydonavaitditquelquechoseàproposdesaportée télépathique,plusdecentcinquantekilomètres.Ellen'avaitpaslamoindreidéedutempsquis'étaitécoulédepuisqu'elle

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avaitperduconnaissance,nideladistancequilesséparait.—J'aideschosesàtedire,aucasoùonperdraitcontact.

—Nousn'allonspasperdrecontact,répondit-ild'untonsec.J'aiunsortdepistagesur ta tresse.J'arrive.

Elleseforçaàrespirerprofondément,régulièrement,mêmesil'odeurdesgazd'échappementluisoulevaitlecœur.Elleessayaderéfléchir.Était-celamagied'uneAutreContréequ'ellepercevaitauloin?

—Est-cequelesortmarcheraencoresinouspassonsdansuneAutreContrée?—Jenevaispastelaisserpartirsiloin.Ilneluiavaitpasditsilesortfonctionneraittoujours.Elleavaitlesentimentquelaréponseaurait

éténégative.

—CesontdeuxFaesnoires.IlssontavecunesorcièreduMagicDistrict.—Décris-la.

—Elleadescheveuxnoirs,elleesthumaine,Adelaestsonprénom.ElleestlapropriétairedelaboutiqueDivinus.Jen'arrivepasàmesouvenirdesonnomdefamille.—Cen'estpasimportant.Est-cequetupeuxmedécrirelesFaesnoires?Elle essaya du mieux qu'elle put, mais elle ne les avait vues que fugacement avant de perdre

connaissance.

—Jesuisdésolée.Sontonredevintdoux.—Riendetoutcelan'ad'importancepourlemoment.L'impressiondeserapprocherd'unecontréemagiques'amplifia.Oh,oh...—Ilfautquejetedisequelquechose.Jesuisenceinte.Sonrugissementluiemplitlatête.—QUOI?Ellesemitàparleràtouteallure.

—Jen'aijamaiseudecontrôlesurmafertilitéetjem'étaisdoncfaitposerunstérilet.Quandjemesuis renducomptede cequi arrivait cematin, j'ai eu tellementpeurde faireune fausse couche, jen'arrivaispasàpenseràautrechosequ'àallervoirlemédecinleplusvitepossibleetmefaireretirerlestérilet.Etj'étaisfurieuseaprèstoi.Jecroyaisquetul'avaisfaitexprès.—Pia,monDieu...

— J'ai rêvé de lui ce matin. C'était un dragon blanc, le plus beau petit garçon que tu puissesimaginer.(Ilsprirentunvirage,puisralentirent.)Nousquittonsl'autorouteetralentissons.Jesenslamagied'uneContréetoutprès.—Vite,dit-il.Lecoffreaunverrou.Essaiedeleleveretdis-moicequetuvois.Sisesmainsavaientétélibresoudevantelleaumoins,elleauraitpuouvrirlecoffredel'intérieur.

Elleessayadesemettreàgenouxetdepousseravecl'épaule.Leloquetsedésengageaaumomentoù

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lavoitures'arrêtait.Ellerepoussalaporteducoffreafind'avoirlaplacedes'enextraireettombasurlarouteavecun

sinistrebruitmat.Ellelevalesyeuxcommeunpick-upDodgefonçaitdroitsurelle.Lepick-upfreinaàmortetstoppaàquelquescentimètresdesonvisage.Lavoituredanslaquelleelleavaitétéenferméeredémarraettournaàgauche.

—Hé!hurlaunhommeauvolantdupick-up.Tais-toi,abruti,tais-toi.Elleentendituneporteclaquer.Elles'assitalorsqu'unhommed'âgemûr

surgissaitdevantelle.Ils'agenouillaàsoncôté.—Qu'est-cequec'estqueça?Oh,douxJésus,vousavezétékidnappée?Atonavis?Elle vit les feux d'arrêt d'une voiture à quelques mètres. Elle essaya de crier quelque chose à

l'hommeàtraverslebâillon.—Tenezbon,monchou.Çavaallermaintenant.Ilessayaitdeluiretirerlebâillon.— Je suis sortie du coffre à un stop. Ils l'ont remarqué. Ils sont dans une Lexus grise et Us

reviennent.Jevoisdespancartesquiindiquent...autoroute17et...AverillAvenue,StateRoad32.Ilyaunpanneauqui indiqueunparc.Jen'arrivepasà lire lenom.Cesont lesdeuxmêmes types.Pastracedelasorcière.

—Jesaisoùtues,dit-ild'untonsatisfait.Bienjoué.L'hommeretiralebâillonaumomentoùlaLexusarrivaitàleurhauteur.Ellehurla.—Fuyez!LesdeuxFaessortirent,l'airfurieux.Ellesavaientdespistoletsaupoing.—Non,cen'estpasbienjoué.J'aicommisunegraveerreur.Oh,monDieu.MonDieu.MonDieu.Dragosessayaitdeluiparler,maisellenepouvaitfairequoiquecesoit,sinonregarderl'homme

avechorreuralorsqu'ilsedressaitetfaisaitvolte-face.UnedesFaeslevasonarmeettira;l'hommes'effondra.

—Jecroisquejeviensdeprovoquerlamortdequelqu'un,sanglota-t-elle.Puisl'autreFaelevasonpistoletverselleettiraàsontour.Ellebaissalesyeuxàl'endroitoùelle

sentitladouleurdanssapoitrine.Uneautrefléchettes'étaitfichéedanssontee-shirt.Ettoutdevintnoir.Ledragonrugitderageetdedésespoirenvolantàtouteallureendirectiondunord.Ilétaitsuivi

partoutessessentinellesàl'exceptiond'uneseule,laisséederrièrepours'occuperdelasorcière.Ilétaittroploin,troploin,etelleavaitdenouveaudisparu.Sesennemisavaientprissacompagnedevie.Sonenfant.Ilfallaitqu'ellesoitvivante.Touteautrepossibilitéétaitinconcevable.

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Une Force d'une glaceur brûlante la réveilla brutalement. Elle toussa et roula sur le flanc. Ellen'avaitplusdebâillonetn'étaitplusattachée.Desfourmillementsparcouraientsesbrasetsesjambes.

Elleétaitétendueparterre.Elletouchaleparquetciré.Àl'intérieur,donc.—Voilànotrevoleuse,fitunevoixcultivéeetmâleau-dessusdesatête.Lemomentestvenudese

réveiller.Elle savait de qui il s'agissait. Dommage que sa tête soit toujours fixée à son corps. Elle avait

espéréfairesaconnaissancequandilnel'auraitplus.—Jedors,puisjemeréveille.Puisjedorsdenouveauetmaintenantjemeréveille,dit-elled'une

voixrauque.Vousnepouvezpasvousdéciderunefoispourtoutes?— Je dois reconnaître qu'on ne s'ennuie pas avec vous, répliqua-t-il en riant. Vous avez été

drôlementdureàattraper.Etapparemment,Cuelebreadumalàvousretenir.Oui, bon, mieux valait ne pas aborder ce sujet. Elle contempla les bottes noires cirées qui se

trouvaientjusteàcôtédesatêteetd'oùpartaientdesjambesquiallaientplushautqu'ellen'arrivaitàvoirpourlemoment.

—Est-cequejepeuxavoirdel'eau?—Biensûr.Illuijetadel'eaufroideàlafigure.Elleétaittropépuiséepourréagirautrementqueparunhoquet

desurprise.—Bon,reprit-elleaprèsunmoment.Est-cequejepeuxavoirdel'eauàboiremaintenant,s'ilvous

plaît,Majesté?Ilritdenouveau.

—Étonnanteetpasbête.C'estautrementmieuxquevotrepetitami,quim'ennuyaitetétaitabruti.Franchement,jenevoispascequevousfaisiezaveclui.

—Ex.Ex-petitami,corrigea-t-elle.Sesmembres semblaient enfin en état de fonctionner.Elle se redressa et s'assit.Elle se trouvait

dans une vaste pièce à l'atmosphère médiévale. Il y avait une grande cheminée en pierre et desfauteuils, une longue table en bois avec des bancs, des appliques qui donnaient à la scène uneilluminationtremblantequ'elletrouvaitétrangeetangoissante,etunhautplafondàchevrons.

Il y avait aussi desgardes faespostésdevantdes fenêtres solidementverrouillées.Lesdeuxquil'avaientkidnappéeétaientstationnésdevantlesportesàdoublebattant.

Elle ne savait pas combien de temps elle était restée sans connaissance. Elle espérait que lesdroguesn'avaientpasfaitdemalàlacrevette.Elleposadiscrètementunemainsursonventreetseconcentra pour vérifier. Elle poussa un soupir de soulagement en situant la minuscule vie quiétincelaitenelle.

LeroidesFaess'accroupitàsoncôté.Illuitenditunecoupe.Ellepritunegorgéeavecméfiance.Del'eaufraîche,pure,limpide.Ellel'avalad'unetraite.

PuiselleposalesyeuxsurlemeurtrierdeKeith.Quelquessemainesplustôt,elleignoraitqu'ilyavait tellementdepersonnesàhaïrdans lemonde.Urien.La sorcièreAdela.LesdeuxFaesnoiresdevantlaportequiavaientabattuunhumaininnocentsanshésiter.

Les quelques Faes qu'elle avait rencontrées avaient l'apparence demalicieux lutins, à l'instar de

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Tricks,ouuneétrangebeautésévère,àl'instard'Urien.Dommagequ'ilsoituntelmonstre.Avecsonélégancesouple,sespommettessaillantes,sapeaublancheetsescheveuxdejais,ilétaitmagnifique.

—Noussommesdansunedemespropriétésàlacampagne,expliqua-t-il.Pasdecour,justemeshommesetmoi.Etvous,maintenant.(Ilindiqualacoupedelamain.)Encore?

—Oui,merci.Illaprit,selevaetallalarempliràunpichetd'argentposésurlatable.Elleavaladenouveaul'eau

d'unetraite.—Buvezautantquevousvoulez.Lesédatifdonnetrèssoif,m'a-t-ondit,etvousavezreçudeux

doses.Meshommesétaientétonnés,d'ailleurs,carunedoseauraitdûsuffirepourletrajet.—J'aitoujourseuunmétabolismetrèsrapide,répliqua-t-elle.Ellebutuneautrecoupe.Sonvertigesedissipa.Leroisedirigeavers l'unedeschaisesàhautdossierdevant lacheminéeet s'assit. Il indiqua la

chaiseenfacedeluiensouriant.—Asseyez-vous,jevousenprie.Nousavonsbeaucoupdechosesàdiscuter,vousetmoi.La pire attitude face à un prédateur, c'était de montrer sa peur et tenter de fuir. Elle avait le

sentiment que c'était la même chose avec le roi des Faes. Elle s'assit donc, s'adossa et croisa lesjambes.

Urien l'observapar-dessus sesdoigts qu'il avait croisésdevant sabouche, puis il tendit lamainversleverredevinposésurunepetitetableàcôtédesonsiègeetpritunegorgée.

—Quellesurpriseetquelmystèrevousêtes,mademoiselleGiovanni.—Cen'estpasvoulu.Illuiadressaunsourirequin'atteignitpassesyeuxnoirs.—Ilyaquelquechoseenvous...Ellesepinçal'arêtedunezetsoupira.—Oui,jeressembleàGretaGarbo,onmeleditsouvent.—Vraiment?EtquiestcetteGretaGarbo?—Unestard'Hollywooddesannées1940.— Je ne m'intéresse pas à ces passe-temps modernes prisés par les humains, dit-il d'un ton

dédaigneux.CeminabledeKeithn'arrêtaitpasd'importunermeshommes,alorsquand j'aientenduses déclarations grotesques à propos de sa petite amie, je me suis dit : jetons un charme delocalisationetvoyonscequisepasse.Histoired'essayerleprototypedequelquechosesurlequeljetravaille.Imaginezmasurprisequandtoutcequ'ilclamaits'estavéré.Etimaginezencoremasurprisequandiln'apassouffléunmotsurvous.(Ilsepencha.)Pasaprèsavoirétéchâtré,pasaprèsavoirétééviscéré,pasaprèsavoirétéaveuglé.Jenepensaispasquecegarçonpouvaitfairepreuved'unetelleloyauté.

Ellesecouvritlabouche,luttantpournepasmontrersonémotion.Auboutd'unmoment,elleavaitretrouvésuffisammentdesang-froidpourdire:

—Ilnepouvaitrienvousdire.Jel'avaisforcéàprêterunsermentd'engagement.Urienfitclaquersesdoigts.—Ah, voilà qui explique tout. Une énigme éclaircie. Dites-moi à quoi ressemble le trésor du

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dragon.Est-cequ'ilestaussimagnifiquequeledisentleslégendes?Ilavaituneexpressioncupide.—Sincèrement, j'avais trop peur pour regarder autour demoi. Je ne savais pas s'il n'allait pas

surgird'uneminuteàl'autre.Jesuisentrée,j'aivuunbocaldepiécettesàl'entrée,j'aiprislepennyetj'ai décampé. J'aurais pu prendre autre chose,mais j'étais tellement furieuse aprèsKeith que je nevoulaispas luidonner lasatisfactionderapporterquelquechosedevaleur.Etpuis, j'espéraisqu'enprenant simplement le penny, j'avais peut-être une chance que Cuelebre ne me tue pas s'il meretrouvaitunjour.

Ilpenchalatête,l'étudiantcommes'ilregardaituninsecteàtraversuneloupe.—Cequinousamèneàl'énigmesuivante.Pourquoinevousa-t-ilpastuée?Ellecroisalesmainssursonventre.Tiensbon,crevette.—Ilfaudraquevousleluidemandiez,répondit-elle.Parcequecelam'étonnemoi-même.Ilétrécitlesyeux.EllesentitsaForceglacialefrôlersapeau.—Commentavez-vousfaitpouréchapperauxorques?—Encoreunefois,ilfaudraleluidemander.J'étaisenferméedansmacellulequandilestvenume

libérer. Prendre simplement un penny n'a aidé en rien. Il était dans une rage folle quand il m'aretrouvée. Il voulait à tout prixme juger, lui, pas quelqu'un d'autre. (Elle pensa soudain à quelquechose.)Iln'auraitpasnonplusvouluquejem'échappe,vuquejesavaisoùsetrouvaitsontrésor.

—Trèsvrai,notaleroienlevantlessourcils.—Enfin,çan'aplusd'importance,ajouta-t-elle..—Commentça?—Undemesgardesm'aditqueCuelebreavaitdécidédechangersontrésordeplace,révéla-t-elle

enhaussantlesépaules.Jeprésumequemaintenantquelelieuaétécompromis...Ellelaissalaphraseensuspens.—Jesupposequ'ilfallaits'yattendre.Dommage.J'auraisaiméluivolerdavantage.Peut-êtreque

jevousenverraivolerquelquechoseaunouvelendroit.(Ilagitaunelonguemainblanche.)Maisnousdiscuteronsdecelauneautre fois.Ceque jeveuxsavoir,c'estcommentvousêtesparvenueàvousintroduiredanssonantre.

SaForcel'enveloppaenlaserrant,àl'instard'unboaselovantautourdesaproie.Elleeutlachairdepouleetsemorditleslèvrespours'empêcherdeclaquerdesdents.Ellesemitàréfléchiràtouteallure.

—Voussavezquelesouistitissontpetitsetvifs?—Lesouistitis,répéta-t-il.—Est-cequeKeithouquelqu'und'autrenevousapasditquej'étaishybride,moitiéwyr?—Quelqu'unl'amentionnéeneffet,répondit-illentement.—Ehbien, je suispetiteetvive.Et j'aiundon : lesverrousn'ontpasde secretpourmoi.C'est

commeçaquej'avaisl'intentiondem'échapperdelatour.LesgardesdeCuelebrenesaventpasquej'aicetteaptitude.J'allaislesduper,attirerleurattentionpourqu'ilstournentlatêteetpuism'éclipserdel'endroitoùj'étaisenfermée.

Illuiadressaunsourirecharmeuretrelâchaunpeulapressionglacialequ'ilexerçaitsurelle.

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— Impressionnant. Donc, ma chère, vous n'avez pas seulement humilié Cuelebre en lui volantquelque chose, mais vous avez en plus l'aptitude à vous échapper de sa tour. Je savais que celavaudraitlapeinedevoustraquer.

Quellechancepournous,crevette.—Cecim'amèneànotredernièreénigme,fitUrien.Ques'est-ilpasséentrevousetCuelebresur

cetteplaine?Vousaviezl'airplutôtcomplices.Etquelquechoses'estproduit,ilyaeuuneespècedesurtensiondeForceetilaétéenmesuredesemétamorphoser.Onnousavaitassuréqu'ilneseraitpasenmesuredelefairesivite.

Unfiletdesueurglacialeglissaentresesseins.Ilvenaitdeconfirmerqu'ilavaituncomplicechezlesElfes.Ellefermalesyeuxetfrottasestempes.

—Est-cequevoussavezquelesorquesm'ontviolemmentbattue?IlsessayaientdefaireréagirCuelebre, ce qui n'a pas réussi, bien entendu, parce qu'il a observé la scène avec un regard dur ettotalementimpassible.

Tiens,ellenesavaitpasqu'elleétaitencorecontrariéeparcetincident;c'étaitirrationnel,non?Illuiavaitsansdoutesauvélavieengardantunvisagedemarbre.

LeroidesFaesbutunegorgéedevinsanslaquitterdesyeux.—Ehbien, reprit-elle,nousavionsen facedenousunevéritablehordedeces ignoblesorques.

J'auraisfaitn'importequoipourleuréchapper.Ilyavaitunetraceblanchesursonépaule,làoùlesElfesl'avaienttouchéavecleurfichuemagie.(Elleindiqual'endroitsurelle.)Alorsjel'aiconvaincudemelaisserouvrir lablessure.Et,commevousvenezdeledire,vousavezsentisasurtensiondeForce.Ilatuétoutlemondesurlaplaine,saufmoi.

Le silencepesadans lapièce.Elle scruta le visaged'Urien, dénuéde toute expression.Tu croisqu'ilagobémasalade,crevette?Jenesaispas.Peut-être,peut-êtrepas.Nejouejamaisaupokeraveccetype.

Maiscequis'étaitréellementpassén'était-ilpasencoreplusextravagant?Elle se sentit désorientée, comme toujours lorsqu'elle et Dragos étaient séparés pendant un

moment. Ilesten traindevenirmechercher, songea-t-elle farouchement. Il adit qu'il l'était.Noussommesdescompagnonsdevie,peut-être.D'aprèsGraydon,jesuissontrésor.Entoutcas,jeportesonfils.Celadoitcompterpourlui,n'est-cepas?

—Jevois,finitparénoncerUrienquiterminasonvinetreposaleverre.Onpeutdirequevousenavezvudetouteslescouleurscesderniersjours,n'est-cepas?

—Écoutez,dit-elle.Est-cequejesuisuneinvitéeouuneprisonnière?Est-cequevousallezmetorturerpouruneraison incompréhensible?Parceque,aucasoùvousn'enavezpas l'intention, jeveuxquevoussachiezquejen'airienavalédepuishieretquejenemesenspastrèsbien.LeroidesFaesfitlamoue.

—Cuelebrenes'estabsolumentpasoccupédevous,n'est-cepas?Machère,pourquoiaurais-jelamoindreraisondevoustorturer?

—Jenesaispas.Lesdeuxdernièressemainesontétéfolles.Etjenecomprendspaslamoitiédecequim'estarrivé,enparticulierpourquoivossbiresm'ontdroguéeaulieudem'accosterdanslarueetdeseprésenter.

—Cequevousditeslà,notaleroi,esttoutàfaitjuste.Disonssimplementquenousnesavionspas

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comment vous réagiriez et nous n'avions pas envie que vous nous glissiez entre les doigts. Étantdonné, d'après les comptes rendus, que vous avez été étonnamment protectrice envers le dragonlorsquevousvousêtesentretenueaveclesElfesenCarolineduSud.

Ellesefigea.Ellen'avaitpasanticipécettequestion.Qu'avait-onpuluidire?Commentdevait-ellerépondre?

— Si cet affrontement s'était envenimé davantage, réussit-elle à articuler, deux domaines desAnciens seraientenguerreaujourd'hui, et lespertes seraient lourdes.Certes, je luiaivoléquelquechose,mais jene suispasunemeurtrière.Sivousavez reçuuncompte rendudecetaffrontement,vous savez aussi que je devais l'accompagner jusqu'à la frontière elfique puism'en aller,mais enroutedesorquesnousontpoursuivisetnousavonseuunaccident.Etcetévénementnousramèneàvous,n'est-cepas?

Illuisouritd'unairrusé.— Un de ces jours, je parviendrai enfin à tuer Cuelebre. Vous avez compliqué les choses.

Regrettable, mais c'est du passé désormais. (Il agita une main.) Je crois que nous devrions vousconsidérer plus comme une employée qu'une invitée ou une prisonnière. Vous pourriez servir àbeaucoupdechoses.Tellementdegensonttellementdechosesquejeveux.

—Jenesavaispasquec'étaitunentretiend'embauché.J'auraismisuntailleur,sinon.Lafureurlarendaitimprudente.Houlà,contrôle-toi,pouliche.Ilrejetalatêteenarrièreenriant.—Vousmeplaisez,Pia.C'est trèssimple:vousfaitescequ'onvousdemande.Sivousacceptez,

vousaurezunevierelativementagréable.Etsivousnelefaitespas?Oh,jenevousrecommandepascetteoption.Vraimentpas.(Ilseleva.)L'entretienestterminé.Piran,Elulas,accompagnez-ladanssachambreetassurez-vousqu'ellen'enbougepas.N'oubliezpasdelafouillerpourvérifierqu'ellen'arien sur elle susceptible de crocheter un verrou. Oh, et donnez-lui quelque chose à manger. Lamalheureusesembleauborddel'évanouissement.

Ses kidnappeurs s'approchèrent. Sa chose personnelle Un et sa chose Deux. Elle se leva et lessuivit.Quepouvait-ellefaired'autre?

Ils la laissèrent utiliser les toilettes au rez-de-chaussée. Elle constata avec soulagement que la

demeure n'était pas tropmédiévale.Aumoins, il y avait l'eau courante et une chasse d'eau. Ils luifirentensuitemonterunescalieretlongeruncouloirjusqu'àunechambrenue.Ilyavaitjusteunlitétroit,deuxcouverturespliéesetunefenêtreavecdesbarreaux.

ChoseUnlafouillasoigneusementpendantquechoseDeuxobservait.LaFaepalpalescouturesdesesvêtements, remonta lesmains le longde ses jambes et palpa son entrejambe, vérifia qu'elle nedissimulaitrienentreousouslesseins,etluidemandaderetirerseschaussurespourlesinspecter.

Lesdentsserrées,elleenduralaséance.Ellefutenmesuredecontenirsarage,simplementparcequel'expressionamorpheetmaussadedesongardeluiindiquaquelafouillen'avaitriendesexuel.

Ilsl'enfermèrentàclef.Elledépliaunecouvertureetlaposasurlematelasnu,écoutantlesdeuxFaesdiscuter entreellesdans leur langueauxconsonancesceltes.Elleentenditdespas s'éloigner :elleespéraitquec'étaitpourallerluichercherquelquechoseàmanger.Elleallaitdevoirseforceràavalercequ'ilsluidonneraient,afindereprendredesforces.Elleespéraitjustequeceneseraitpasdelaviande.

Lesoirétait tombé,semblait-il, lecielétaitplombé, lachambreplongéedans lapénombre.Elle

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s'allongeaetcontemplalesmurs.

—Dragos?tenta-t-elle.Tueslà?Rienquelesilence.Qu'est-cequecelavoulaitdire?Elledéployasaconscienceprudemment.Elle

nepercevaitrien,pasdepulsationsdemagie,pasd'autresFaes,rienquelalourdechapeglacéedelaForced'Urien.Etait-ilenmesuredeneutraliserlamagiequisetrouvaitdanssonvoisinage?

Ellelevalessourcilsenbaissantlesyeuxsursesmainsetsesbras.Ellen'étaitpasluminescente.Ildevaitêtreenmesuredeneutraliserlamagie,eneffet,maispasdebriserlessortsdéjàenplace.

Sonrécitnetiendraitpaslongtemps.Elleignorait,parexemple,cequ'Adelasavaitexactementsurelle,etl'étenduedesonimplicationaveclesFaesnoires.

Etqu'enétait-ildecetteconnexionelfique?Ferionconnaissaitlavéritésursalignée,avaitparléauseigneurelfiquesuprêmeetàladame,etavaitétéprésentàlatéléconférence.Pouvait-elleespérerquelecontactd'UrienchezlesElfesnesoitpasFerion?Ill'avaittraitéeavectellementdechaleur.

Ilétaitpossiblequ'Urienl'aitmanipuléeouluiaitmenti.Aussi,laseulechosequ'elleosaitespérer,c'étaitqu'elles'étaitachetéunpeudetemps.

Elleentenditdespass'approcherets'assitaumomentoùlaclefjouaitdanslaserrure.ChoseDeuxentraetdéposaunplateauparterre.Ilressortitetverrouillalaporte.Elleinspectalerepas.

Lamoitiéd'unpainnoir,despommes,etdel'eau.Gagné.Elle se jeta sur la nourriture. Le pain était légèrement rassis, mais il avait encore une texture

savoureuseetétaittrèsbon.Lespommesétaientdélicieuses.Elledévoratout,butlamoitiédel'eauetsentitimmédiatementunregaind'énergie.Formidable.

Maintenant,quoi?Ilyavaitdeuxpossibilitésdesortirdelapièce.Ellerepoussaleplateaucontrelemurafind'éviterderenverserlerested'eau,etallainspecterlafenêtre.

Les barreaux se trouvaient de l'autre côté du panneau de verre. Ils consistaient en deux simplesgrillesverticalesenmétaldotéesdebarrestransversalesenhautetenbas.Ellesétaientposéessurdesgondsdechaquecôtédelafenêtreetfixéesparuncadenasetunechaîneenmétalentortilléeautourdesbarreaux.

Elle ouvrit doucement la fenêtre, puis marqua une pause pour écouter. Ses deux gardespoursuivaientleurconversation.

Elleposalamainsurlecadenasettira.Ils'ouvrit.Elleleretiraetdéroulalachaîne.Celle-ciétaitsolideetfaisaitplusd'unmètredelongueur.Elle

l'enrouladeuxfoisautourdesonpoingetfitlegestedelalancerafind'enapprécierlepoids.Cen'étaitpasunemauvaisearme,pourquelqu'unquin'avaitpasbeaucoupd'options.Elle laissa

tomberlecadenassurlelit,terminal'eauetbaissalagrilledemétaldecinqcentimètresenessayantdescruterlesolquientouraitlademeure.

Urien avait été suffisamment futé pour s'assurer qu'aucun arbuste n'entoure la maison.L'aménagementpaysagern'offraitégalementaucunepossibilitédesecacher.Ellereculaalorsqu'ungardedébouchaitd'undescoinsdubâtimentetpassaitsoussafenêtre.

Elleobservaunmomentetfitlecomptedesgardes.Lecinquièmegardeétaitenfaitlepremier,cequisignifiaitqu'ilsétaientquatre,unpourchaquecôtédelamaison.Ilseffectuaientleurpatrouilleencercle.Quatre,pluschoseUneetchoseDeux,lesgardesquisetrouvaientàl'intérieur,postésdevantles fenêtresdans la sallede réunion, et aussi ceuxqu'ellen'avaitpasvus.Urienavaitpeut-êtreune

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vingtained'hommesavecluiautotal.Deux choix s'offraient à elle : elle pouvait remettre le cadenas en place, s'asseoir sur le lit et

attendre, cequi était risqué.Ouelle pouvait sauter par la fenêtre, régler son compte àungarde etdétalercommesielleavaitlediableauxtrousses.Trèsrisqué.

Si elle restait, elle serait à lamerci du roi. Elle ne voulait pas penser à ce qui se passerait s'ildécouvraitqu'elleattendaitl'enfantdeDragos.

Ellen'avaitdoncenfaitpaslechoix.Elleétudialesgardesquicontinuaientdedéfiler.Lequelavaitl'airleplusendormi,lepluslent,le

plusincompétent?Bonsang,ilsavaienttousl'airefficaces.—Accroche-toi,crevette,murmura-t-elleenposantunpiedsurlereborddelafenêtre.Aumoment où le garde suivant passait, elle poussa la grillemétallique et bondit. Le bruitmat

qu'ellefitentouchantlesolalertal'homme,quilevaitdéjàsonarbalètequandilseretourna.Ilétaitrapide.Ellefutplusrapideencore.Ellepivotaenfaisantvoltigerlachaîne.Ellesutqu'ellel'avaittuésurlecoupenvoyantqu'ilavait

étéfrappéàlatempe.Elleneressentitrien,nipitiéniremords,tandisqu'ils'écroulait.Hum.C'étaitdonccela,l'instinct

detueur.Bon.Elles'emparadel'arbalèteetl'examinad'uncoupd'œilrapide.Elleétaitchargée.C'étaitunarcà

pouliesmoderne, léger et élégant, dotéd'unemire télescopique et d'un carquoismonté sur le brasprincipaletquicontenaitcinqcarreaux.Elleconnaissaitcettearme.

Ouf.Le cœur battant, elle se précipita en courant aussi vite que possible en direction du coin de la

demeured'oùallaitdéboucherlegardesuivant.Elles'aplatitcontrelemur,inspiraprofondémentetattendit,l'armelevée.

Elleseretrouvafaceaugardeaumomentoùiltournaitlecoin.Ilécarquillalesyeux.Elletiralecarreauàboutportantetjetauncoupd'œilversl'endroitd'oùilvenait.

Cettesectiondelamaisonluisemblapluslongueetelleavaitaperçuunautrebâtiment.Peut-êtreuneécurie?Oùgardaient-ilsleursdrôlesdelibellules?

Ellerecula,rechargeal'arbalèteetsemitàcompter.Quatre,trois,deux...Ellenel'entendaitpas,maislegardedevaitêtrelà.Elletournalecoin,l'abattitd'uncarreaupuis

tirasoncorps,lehissantpar-dessusl'autregarde.Ellerechargeaetcomptadenouveau.Ellen'en revintpasquand lederniergardes'écroula.Ellecontemplasoncadavre.Ellevenaitde

tuerquatrepersonnesenmoinsdecinqminutes.Lemomentétaitvenudefaireensortequecesmortsn'aientpasserviàrien.Elle laissa tomber sonarmeet s'emparade l'arbalèteduderniergardeetde soncarquoisplein.

Puisellesemitàcourir.

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19Celafaisaitunedemi-heurequeDragosavaitperdulaconnexionavecPiaparlebiaisdusortde

pistage.Sessentinellesetluiarrivèrentàl'intersectiondel'Ai7etd'AverillAvenue.Ilstombèrentsurdes voitures de police, une ambulance et une voiture de pompiers qui entouraient un pick-up noirDodge.IlenvoyaTiago,RuneetGrymsurvolerleHarrimanStateParkausud-estafind'ychercheruneLexusgrise.

D'unesuperficiequiapprochaitlesvingtmillehectares,leparcétaitl'undesplusvastesdel'ÉtatdeNewYork.Ilcomptaitplusdetrentelacsettroiscentskilomètresenvirondesentiersderandonnée.Ilcomportaitégalementunpassagemenantàunepocheimportanted'uneAutreContrée.

Sedissimulantauxyeuxdeshumains,Dragosseposa,suiviparGraydon,BayneetConstantine.Dèsqu'ilssefurentmétamorphosés,ilcourutverslesvéhiculesd'urgence,flanquéparlesgriffons.

Graydons'approchad'unefemmeagentdepoliceetseprésenta.—Qu'est-cequis'estpassé?—Ilyaeuunefusillade,réponditlafemmeenregardantDragosetsessentinellesd'unairsurpris.

Lavictimeestuntyped’âgemûrquiaétéabattu.Desgaminsl'onttrouvé...Dragosn'écoutapas la suite. Il passa rapidement à côtédupick-up. Il vit une flaquede sang, et

Bayne s'arrêta pour l'inspecter. Les portières de l'ambulance étaient ouvertes. Dragos regarda àl'intérieur.Deuxinfirmiersprodiguaientlespremierssoinsàunhomme.

—Ilestconscient?demanda-t-ilàl'und'eux.—Vousnepouvezpasêtrelà,fitl'hommesansleverlesyeux.Dragoslesaisitetlesortitdel'ambulance,puiss'adressaàl'autre.—Cethommeest-ilconscient?Ilopina,lesyeuxrondscommedessoucoupes.—Nousessayonsdelestabiliser.Ilfautqu'onleconduiseàl'hôpital.Dragos monta dans le véhicule et s'accroupit à côté du brancard. La victime avait un regard

vitreux.Dragosbaissalemasqueàoxygène.—Elleétaitvivantequandilsl'ontemmenée?questionna-t-il.L'hommetentadedirequelquechose.Ilhaletait.Dragossepenchaplusprès.—Lafemmequiaétékidnappée.Était-ellevivantequandilsl'ontemmenée?—Oui...jecrois...réussitàénoncerlemalheureux.Luionttirédessus...tirédessus...L'infirmierposaunemainsurcelledeDragosafinderemettrelemasqueàoxygène.—Jevousenprie.Soncœurs'estdéjàarrêtéunefois.Constantine lâcha l'infirmier qu'il avait sorti de l'ambulance quand il en descendit. Dragos se

redressa,livide,lespoingsserrés.

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—Ilpensequ'elleétaitvivante.Iladitqu'ilsluiavaienttirédessus.—Merde,fitGraydonenpâlissant.ConstantinesaisitlebrasdeDragos.—N'oublie pas qu'ils l'ont droguée et kidnappée la première fois - ils ne l'ont pas tuée. Ils la

veulentvivante.— Tu as raison. (Il les regarda, les yeux injectés de sang.) Elle est enceinte. Urien tient ma

compagnedevie,etelleestenceinte.Lesgriffonsleregardèrentd'unairàlafoishorrifiéetstupéfait.C'estalorsqueTiagodit:—NousavonstrouvélaLexus.Ilssontpassésdel'autrecôtéiciprécisément.Galvanisés,ilss'éloignèrentencourantafindepouvoirs'envolersansêtrevus.Iln'yavaitaucune

tracedesangdanslaLexus.Ilrespiramieux.Ils localisèrent lepassageetseretrouvèrentdans l'AutreContrée.Lesortdepistageposésursa

tresseavaitétérompu.Ilsseraientobligésdelapisterenétudiantleterrain.C'était heureux qu'ils aient avec eux l'un des meilleurs pisteurs de toutes les espèces. Tiago se

déplaçaiteneffectuantdelargesarcs,étudiantlesol,puisilsemitàcourirdansunedirection.RuneetGraydonpartirentreconnaîtreleterrainplusloin,pendantquelesautresaccompagnaientTiago.

Dragosrestadanslesairs,dissimulantsaprésenceeneffectuantdescercles,devançantTiagomaissuivantlamêmetrajectoire.

Lamortétaitunautredesescompagnonsetvolaitsursestraces.Pian'avaitaucuneidéedel'endroitoùellesetrouvait,pasplusqu'ellenesavaitoùelleallait.Elle

avaitunbut :s'éloigner lepluspossibled'Urien, leplusvitepossible.Elleespéraitqu'iln'avaitpasunedecesdrôlesdelibellulesaveclui.

Lepaysagevallonnéétaitparseméd'épaisbouquetsd'arbresetdezonesouvertes tapisséesd'uneprofusiondefleursdeschamps.Ellemarquaunepauseàlalisièred'unboisetbalayarapidementduregardlascènederrièreelle.Paslemoindresignedepoursuite.

Le champ vert émeraude qu'elle venait de traverser était constellé de taches dorées, violettes etécarlates. Elle remarqua soudain une magnifique fleur violette aux pétales cannelés comme dumuguet,aumomentoùcelle-cicrachaitàlavitessedel'éclairunlongpédonculeduveteuxquiattrapauninsectebourdonnantsursonextrémitécollante,puisserétractadanslafleuravecsaproie.

Piajetal'arbalètesursonépauleetplongeadanslazoneboisée.Elleévitatoutcequiressemblaitdeprèsoudeloinàunsentier.Siellearrivaitàs'éloignersuffisamment,elleréfléchiraitmieuxauxmoyensdedissimulersestraces,maispourl'instantellen'enavaitpasletemps.

Unepluie fine commença à crépiter sur la cimedes arbres et une goutte l'atteignait de temps àautre.Elleauraitpeut-êtrelachancequ'ilsemetteàpleuvoirdescordes.Unegrossepluieaideraitàdissipersonodeur.

LaWyrnouvellementlibéréequivivaitenelleétaitimpatientededégourdirsesjambesetdepartiraugalop,maisl'esprithumaindePianepouvaits'empêcherderessentirdelafrustration.Elleauraitpuutiliser lesrusesquesamèreavaitessayéde lui inculquerpourbrouillersapiste.Maisen l'étatactuel des choses, elle n'osait pas puiser dans sa Force, craignant de commettre une erreur et derévélersaposition.

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Elleeutpeut-êtreunequinzainedeminutesdepaixetdesilence.PuisUriensiffladanssatête:—Vousvenezdecommettreunetrèsgraveerreur,PiaGiovanni.Cequej'aifaitàvotrepetitami

n'estrien,comparéàcequejevaisvousfairequandjeremettrailamainsurvous.Lacingléequihabitaitparfoissoncorpss'adressaauroidesFaes.—Jepeuxcourirplusvitequelevent,connard.Attrapez-moisivouslepouvez.Bon, ce n'était pas la chose la plus futée qu'elle ait dite. Mais elle en avait soupe des gens

désagréables,aujourd'hui.Lapluieredoublaetellecourutplusviteencore.Elle se concentra sur ce qui l'entourait, repérant les obstacles, planifiant sa course à travers les

arbres et veillant à garder l'équilibre sur un terrain qui devenait de plus en plus glissant. Elle futbientôttrempéejusqu'auxos.Laforêtdevintplusdense.

Puis elle vit une ouverture dans les arbres devant elle. Elle réussit à s'arrêter de justesse endérapant,évitantdedégringolerunepente.

Oh,oh,pascool.Uneprairievallonnées'étendaitdevantelle.Ellen'étaitpasaussigrandequelaplaineoùDragosetelles'étaientretrouvéspiégés,maiselleétaittoutefoisbientropvasteàsongoût.

Elle se mordit la lèvre et essaya de réfléchir. Elle ne pouvait pas rebrousser chemin. Elle nepouvait pas bifurquer vers la gauche ou la droite. Urien avait certainement déployé ses hommes.Mince.Pasd'autresolutionqued'allerdel'avant.

Elledévalalapente,arrivaenbasetsemitàcouriraussivitequ'elleleput.—Pia,fitDragos.Ellemitlepieddansuneespècedeterrierettomba.Unedouleurfoudroyantedéchirasajambe.—Dragos!Bonsang.

—Oùes-tu?— Je n'en sais rien, imagine-toi, répondit-elle sèchement. J'ai été encore une fois droguée et

transportéejusqu'àl'unedesdemeuresd'Urien.Puisjemesuiséchappéeetmaintenantilmepoursuit,etjeviensdemeprendrelepieddansuntrou,uneespècedeterrier.Mince,mince,etmincedemince...

—Est-cequetut'escasséquelquechose?—Jenesaispas!Elletentades'appuyersursacheville.

—Décrisoùtutetrouves,commanda-t-il.Elle repoussa ses cheveux, regarda autour d'elle et lui décrivit ce qu'elle voyait. Sa cheville

protesta,maissupportalepoids.Elleseremitàcourirenboitant,maisellenepouvaitplusallervite.

—Tunepeuxpassavoircommejesuiscontentequetusoisvenuetàquelpointcelafaitdubiend'entendretavoix.

Elle essaya d'accélérer. Impossible. Chaque pas se traduisait par une douleur foudroyante. Ellen'allaitpasyarriver.

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Elleposalesmainssurseshanches,repritsonsouffleetmarcha.Lapluiefaisaitdubien,fraîcheetagréable. Elle avait traversé lamoitié de la prairie à peu près, quand la sensation d'une présencemaléfiquelafitseretourner.Elleregardaendirectiondelalignedesarbresd'oùellevenait.

Urienetseshommes,montéssurdeschevaux,avaientlesyeuxrivéssurelle.Celafaisaitunbonmomentqu'ellen'avaitplusrienàperdre.Reculantenboitant,ellefitunbras

d'honneurauroidesFaes.Leschevauxdévalèrentlacolline.Puisseshommesetluis'approchèrentautrot.Ellesaisitsonarbalète.Dèsqu'ilsseraientdanssalignedemire,elleseraitdanslaleuraussi.Dans

lapénombre,elledevaitsedétachercommeunphare.Ellearrachasontee-shirtblancetlejetasurlecôté.

Jesuistellementdésolée,crevette.EllelocalisaUriendanslalunettedel'arbalète.Lesalaudarboraitunsourirevenimeux.Ilpassaau

petitgalop.Elletiraaumomentoùuncoupl'atteignait.Etlaterrassait.Ellerestaétenduesurledos,clignantlesyeuxverslapluiequifaisaittantdebien;ellefutdonc

peut-êtrelaseulepersonneàterreàvoirledragonplongerenhurlant.Lespattesantérieures tendues, lesserresdéployées,DragosarrachaUriendesoncheval.Puis il

battitdesailesafindemonterau-dessusdesarbres;là,ilrejetalatêteenarrièreetrugitenmettantleroidesFaesenpièces.

—Levoilà,monvoyou,chuchota-t-elle.Danslaprairie,onauraitditunescènedecauchemar.DesgriffonsattaquaientdesFaestandisque

les chevaux hurlaient et se cabraient de terreur. Elle eut l'impression de voir une créature ailée àl'aspectdémoniaquedéchirer lagorged'uneFae. Ily avait aussiunénormeoiseaunoirqui faisaitéclaterletonnerreaveclebattementdesesailes.Deséclairsfusaientdesesyeux.Maispeut-êtreavait-ellecommencéàhalluciner...Graydonsepenchasurelle.

—Oh,merde,non,murmura-t-il.Ils'emparadutee-shirt,lemitenbouleetlepressaautourducarreaudel'arbalètequisortaitdesa

poitrine.—Tiensbon,mignonne.Elletouchasamain.Çava,essaya-t-ellededire.Toutvaaller,maintenant.Ilessuyasajouesursonépauleetcria:—Dragos!PuisDragostombaàgenouxàcôtéd'elleetlaterreseremitàtournernormalement.Ilétaitlivide,

leregardgrave.Ilpressadavantageletissusurlablessureetposaunemaincontresajoue.—Pia.Nepensemêmepasàmequitter,jetel'interdis.Jejurequejetesuivraiauxenferss'ille

fautetquejeteramèneraientetraînantparlescheveux.Elleposalamainsursajoue.—Tudisdestrucsaffreux,souffla-t-elle.Elleétaitfatiguéeetellefermalesyeux.

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Ellesesouvintparlasuited'uneséried'images,unpeucommedesperlesenfiléessurunfil.ElleouvritlesyeuxpourconstaterqueGraydonlatenaitserréecontrelui,unbrasautourdeses

épaules,l'autreautourdesataille.IlsétaientassisdansunecageforméeparlesserresdesdeuxpiedsantérieursdeDragos.Runesetenaitau-dessusd'euxetregardaitàtraverslesserres.

—Tiens-laexactementcommeça,dit-ild'unairgrave.Nelalaissepasêtresecouée.—Jelatiensbien,réponditGraydon.Partons.Ils étaient tous tellementdramatiques, commes'il s'agissaitd'unehistoiredevieoudemort.Tu

parlesdeguerriersredoutables.Ilsétaientpiresqu'ungroupedecollégiennes.ElleperditconnaissanceaumomentoùDragosprenaitsonenvol.Ensuite,elleserappelaêtredanslesbrasdeDragos.Elleauraitpuavoirunverrepleinàrasbord

entrelesmains,ellen'enauraitpasrenverséunegouttealorsqu'ilmontaitl'escalierquatreàquatre.—Jem'enfous!rugissait-il.Trouvez-moin'importequeltoubibaussivitequepossible.Jeveux

quel'undevousailleàNewYorketramènenotreguérisseurwyr!Elleessayad'ajustersonregardtrouble.Est-cequec'étaitlamaisond'Urien,denouveau?Jesuis

réveillée,jedors,jedors,jesuisréveillée.Jesuisdanslamaison,jesuisdehors.Maintenantj'ysuisdenouveau.Çadevientridicule,toutça.

Etelles'évanouit.C'estalorsquetoutdevintvraimentétrange.ElleétaitplongéedanslaForcedudragon.Ill'avaitabsorbée.Ilsoufflaitdanssespoumons.Son

cœurfaiblit.L'extraordinairemoteurdusienvintleseconder.PiasentitsaForces'estomper,maisilavait sonNom. Il exigea qu'elle reste dans son enveloppe corporelle.Elle se laissa dériver en lui,inextricablementtenueparsaforcedevie.

Ellecrutentendresamèredire:—Ilnepeutpastetenirpourl'éternité.Tupeuxvenirmerejoindre,situveux.Mais il y avait quelqu'un d'autre avec eux, uneminuscule étincelle éclatante et têtue. Il était une

toutenouvellecréation,maisilavaitdéjàsoncaractère.Dragostenaitsaviecontresoncorps,maislaForcedesonfilspalpitaitenelle.

Ilessayaitdelasoigner.Elletressaillit.Ohnon,amourdebébé.Tuestroppetitencore.Lacrevetten'étaitpasdecetavis.Unrougeoiementchaudd'énergieinondasoncorps,tellementsemblableàlaForcedeguérisonde

samère,tellementsemblableàlasienne.Pendantunmomentfugace,toutbrilla,toutfutharmonieuxetserein.

Précieuxpetitgarçon.LesdoigtsdePiaavancèrentd'uncentimètresur ledrap.Ilsétaient tenusparunemainbienplus

grandeetpluspuissante,quinelalâchapastandisqu'elles'endormait.

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20Quandelleseréveillapourdebon,elleétaitdansleurlitdanslatour.Ellecontemplaleplafondun

longmomentetobserva la lumièrechanger. Iln'yavaitpasdebruit.Elleétait auchaud,propreetsèche,etn'avaitplusmal.

Dragosétaitétenduàcôtéd'elle,unbrasautourdesataille.Elleregardasonvisageendormietyvitquelquechosedenouveau.Ilavait l'airépuiséetusé,commes'ilétaitalléauboutde lui-même.Ellefronçalessourcils.Avait-ilétéblesséaucoursdelabataille?

Elleessayadeleverlebraspourluicaresserlevisage,maisn'yparvintpas.Elletira,etDragossedressasoudainsuruncoude.Ilposalamainsursonbras.

—Amour,nefaispasça.—Ma main est prise dans quelque chose, marmonna-t-elle. (Elle le regarda avec inquiétude.)

Qu'est-cequinevapas?Tuasl'airsitriste.Tuesblessé?Illuisourit,sesyeuxd'orbrillaientetl'expressiond'épuisementdisparut.—Jen'aipasétéblessé,sicen'estdansmoncœur.Elleessayadeleverlamainentirantpourladégager.—Pia,arrête.Regardetonbras.Tuasuneperfusion.Tun'arrêtespasd'essayerdetirerdessusen

dormant,alorsont'aattachélamain.Nousnevoulionspasquetutefassesdumal.—Oh.Sesentantbête,ellesecalma.Elleseretournaverslui.—Quelqu'unt'ablesséaucœur?Ill'embrassasurlenez.—Oui.Toi,métaphoriquementparlant.Tumourais,espècedesaleté.Toncœuracessédebattre.

J'ai dû prendre le relais un moment. Ensuite, notre fils a décidé d'aider et a failli brûler en teguérissant.J'aiperdudessièclesdevie,tellementj'aieupeur.

Ellefrottasajouecontrelasienne.—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.(Unelarmeglissad'uncoindesonœiletmouillasescheveux,

suivied'uneautre.)Jesuistellementdésoléepourtout.Ilpritsonvisageencoupeentresesmainsetessuyaleslarmes.—Arrête.Cen'estpasde ta faute.J'aiappelé leDrMedinaet j'aieuunediscussion intéressante

avec elle. Premièrement, j'ai appris ce qu'était un stérilet et comment il aurait pu vous mettre endanger,toietlebébé.Jecomprendspourquoituaspaniquéetpourquoituascraintquejen'aieforcécettegrossesse.

—J'auraisdûsavoirquetunel'auraispasfait.—Comment lepouvais-tu?Celafaisaitmoinsd'unesemainequenousétionsensemble,etdans

descirconstances loind'être idéales.Maisbiensûrque jen'aipasvoulu teféconder. (Ilcaressases

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cheveux.)Jen'avaispaslamoindreidéed'avoirperdulecontrôleàcepoint.Ellenelequittapasdesyeuxtandisqu'elleposaitsamainlibresursonventre,dansungestede

protection qui devenait déjà une habitude.Quelque chose de timide et fragile dans son expressioncaptal'attentiondeDragos.Ilcouvritsamain,entrelaçantsesdoigtsauxsiens.

—Cettegrossesseestunesurprisetotale,dit-il.Meconnecterànotrefilsquandilt'asoignée-ilestl'unedesplusbellescréaturesquej'aiejamaisvues.Jenepeuxpasarriveràdécriremaréactionenfacedelui.Jen'aijamaisressenticesémotionsauparavant.

—C'estunebonnemanièrededécrireleschoses,murmura-t-elle.Moinonplus.Jesuisterrorisée.Ill'embrassa,seslèvressepromenantdoucementtandisqu'illasavourait.—Jenesaisabsolumentpascommentmecomporterdevantunpetitêtre.Maisjesuiscontent.Elleluisourit,lesyeuxbrillants.Puissonregards'assombrit.—J'aituécinqpersonnes.—Commentça?—C'estdemafautesil'hommedupick-upaététué.—Iln'estpasmort.Ilvas'ensortir,d'aprèslesmédecins.—Dieumerci,soupira-t-elle.— Il y avait, toutefois, quatre cadavres de gardes autour de la demeure d'Urien, et on se pose

beaucoupdequestionslà-dessus.C'étaittoi?Ellefitunegrimaceetopina.Ilsourit.—Jesuistellementfierdetoi.Tuasfaitcequ'ilfallaitquandillefallait,ettuasput'enfuir.—Pourtouttedire,précisa-t-elle,jemesentaiscoupabledenepasmesentircoupable.Saufpour

letypedupick-up.—C'estidiotetalambiquécommeraisonnement.Tuvasarrêtertoutdesuite.Elleémitunfantômederire.—Et voilà, tu recommences à donner des ordres. SaMajesté se sentmieux... Oh, à propos de

majesté.Urienpensaitsérieusementqu'ilallaitmecommander.—Cequiestunedeschosesquil'afinalementtué.Incroyable,non?Elledormitunmomentdusommeilprofonddesconvalescents.Elleseréveillaunefoispourdire

d'untonfrôlantlapanique:—Net'envapas,surtout.Ilétaitétendusurlacouette,enbermuda,adossécontreunepiled'oreillers,etlisaitdesdossiers.Il

lesmitsurlecôtéetlaregardaaveccalme.—Jenequittepastonchevet,Pia.Jenevaisnullepart.Sonvisageadoréétaitaussiinébranlablequ'unemontagne.Ellefitunsignedetêteetsedétendit.Il

nerepritpassesdossiersavantqu'ellesoitprofondémentendormie.Avoirfaillimourirestuneépreuvepourl'organisme.L'éclatdeForceémanantdelacrevetteavait

assurél'essentiel,maisilfallaitqu'ellefasselerestetouteseule.

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Elleétaitrestéeinconscientedeuxjours.Dragosavaituncadeaupourelle,uncharmeantiémétiquesertidansundiamantdedeuxcaratsqu'ellepouvaitmettreautourducou.Lejoursuivantsonréveil,lemédecinretirasaperfusion.

Ellen'étaitpasenmesuredeseconcentrersurautrechosequedesrevuesetdessériestélévisées,etelles'endormaitsouvent.

Dragosluifitlerécitdeleurpoursuite,jusqu'aumomentfinalquandtouteslessentinellesavaientpris leurenvolàlarecherchedelaprairiequ'elleavaitdécrite.Avecsonregardaiguiséderapace,Bayneavaitsaisilemouvementd'Urienetseshommesplongeantverselle.Ilsavaientfoncéaussivitequ'ilslepouvaient.

Chaque parcelle de l'extraordinaire puissance de Dragos s'était concentrée sur l'éliminationd'UrienavantqueleroidesFaespuissepuiserdanssaForceetriposter.Iln'avaitpasvuquePiaavaitététouchée,maisilavaitvulecarreauqu'elleavaittiréfrapperUrienàl'épaule.Cen'étaitpasuncoupmeurtrier, mais suffisant pour distraire le Roi durant les quelques secondes qui avaient permis àDragosetauxsentinellesdelancerleurattaque.

Ils l'avaient tous vue faire un bras d'honneur àUrien. Et les sentinelles en faisaient des gorgeschaudes,étaléessurlescanapés,lespiedssurlesmeubles,dévorantdespizzasetbuvantdelabièreenregardantdessériestélé.

—J'aimebiencettejumellemaléfique,fitGraydonenpointantl'écranplatàl'aidedesabouteille.L'autreesttropgentille.Personnen'estcommeça.

— Merde, bien sûr que non, répliqua Constantine. Mais tu dois reconnaître que l'actrice estvraimentcanon.

Pialesregardapar-dessussonexemplairedeCosmopolitan,maiss'empêchadefaire lemoindrecommentaire.Elleseditquecelaauraitpuêtrepire.

Elle était pelotonnée sur le canapé, sous une légère couverture en soie. Une fois qu'elle avaitcommencéàreprendredesforces,elleavaitpuconvaincreDragosdes'occuperdetoutsontravailenretard,maiscelasignifiaitque lessentinellesse relayaientconstammentpourêtreavecelle,etellen'avaitpaseuunmomentàelle.

Quandelles'enplaignitàGraydon,illuidit:—C'estjusteuneprécaution,mignonne.NoustraquonsencorequelquesFaesd'Urien.—Detoutefaçon,jesuisdanslepenthousedelatour.CetendroitestplussécuriséqueFortKnox.

Personnenemetraqueplus.Etjenerisquepasdebougerpourlemoment.—Certes,mais il fautque tugardesen tête, fit legriffonen luidonnantunechiquenaudesur le

nez,quetuasépouvantélepatron.Iln'estpashabituéàavoirpeur.Situnelelaissespastecouver,jecrainsqu'ilnepèteunplomb.Ettunousasfichulatrouilleànousaussi,entreparenthèses.Etpuis,tuesunmembredelafamilledésormais,etons'amusebien.C'estcommedesvacances.

Illuifitunclind'œil.Famille.Waouh.—OK,marmonna-t-elle.UneTricksdépriméevintlaremercierpourlerôlequ'elleavaitjouédansl'éliminationd'Urienet

pour lui dire au revoir.La fée s'en allait en vue d'être couronnée reine desFaes noires.Elle avaitretirélateinturelavandedesescheveuxetavaitadoptéunecoiffureplussobre.Ilsétaientredevenusnoirdejais,leurcouleurnaturelle.Piafutétonnéedeconstateràquelpointcelachangeaitl'apparence

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delaféeetluidonnaitunairsérieux.—MonDieu,viensme rendrevisitebientôt, fitTricks.Nem'abandonnepasà la courdesFaes

noires.Ondéjeuneradenouveauensemble.—D'accord.Maislaprochainefois,onlaissetomberlevinblancetlecognac.—Onverra,réponditTricksenluiadressantunpetitsourireencoin.—Tuvasmemanquer,ajoutaPia.—Tuvasmemanquertoiaussi,renchéritlaféeenfaisantungesteampledesbras.DéjeuneraveclareinedesFaesnoires.InvitationàrendrevisiteauseigneursuprêmedesElfesetà

sadame.Oui,savieétaitdécidémentdevenueétrange.—Est-cequetuastrouvéquelqu'unpourteremplacer?demanda-t-elle.—Non.Jen'aipaseuletemps.Pourquoi?Tuveuxtoujourslejob?Pialevauneépaule.—Jevaispeut-êtreenparleràDragos.—Quelleque soit tadécision, tiensbiencedragonpar leboutdesnaseaux, conseilla la fée en

pouffant.C'estsonkarmad'êtrelecentredel'universici.Celaluiferaleplusgrandbien.Elleeutuneautrevisiteuseunaprès-midi.Pialevalesyeuxalorsqu'Aryals'affalaitsuruncanapéà

côtédusien.Lescheveuxnoirsdelaharpieétaientcommed'habitudeendésordre.Elleportaitunjeantaillebasse,ungiletsansmanchesencuiretlesarmeshabituellesdessentinelles.

L'étrangebeauté âpre de la harpie n'avait rien à voir avecun régime, car si elle était grande etmaigre, elle était aussi extrêmementmusclée.Pia regarda sesbras et sonventreplat sur lequel onauraitpucasserunœuf,pensantàl'entraînementquecelasupposait.Oui,bon,paspourelle.Pasdanscettevie.

Aryal lança un regard peu amène sur la série télé qu'elle était en train de regarder et balançanerveusementlepied.EllesaisitunexemplairedeHarper'sBazaar,lefeuilleta,puisl'abandonna.Piacrutl'entendremarmonner:

—Jen'yconnaisrienàcestrucsdefilles...Pialevalessourcilsetsedemandasielleétaitcenséedirequelquechose.Aryalregardaitlatélé,

puiselledit:— Vous pouvez croire un truc pareil ? D'abord la sorcière Adela vous vend un serment

d'engagement,lelendemainelleposeunsortdepistagesurvouspourDragos,etensuiteelleconclutuncontrataveclesFaesnoirespourvousretrouver.Vousavezvraimentétéunevacheàlaitpourelle.

—J'aitoujoursétémalàl'aiseensaprésence.—On a retrouvé son cadavre dans le fleuve Hudson, poursuivit la harpie. La gorge tranchée.

Apparemment,elleavendusesservicesunefoisdetrop.Lecompterendudumédecinlégisteestpeuconcluant,mais onpense qu'elle a été tuée par lesFaes noires.L'estimationde l'heure dudécès leplacepeuaprèsvotreenlèvement.

—Jevois,fitPiad'untonneutre.Lesilences'installa.Puislesétrangesyeuxgristourmentésd'Aryalcroisèrentlessiens.— Bayne et moi sommes vraiment consternés par le kidnapping. Mais je ne ressens aucune

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culpabilitépourlereste.— Je ne demande pas de culpabilité. Vous avez le droit d'avoir vos opinions, et vous vous

efforciezdeprotégerDragosàvotremanière.Jerespecteça,etjen'airienàajouter.Unsourirefenditlevisaged'Aryal.—Euh,ditesdonc,quandvousvoussentirezmieux,j'aimeraisbienquel'ondisputeunmatchou

deuxsurlestapis.Pendantunmoment,lesgriffonsneparlaientderiend'autre.—Pourquoipas,répliquaPia.Étantdonnélasituation,jeferaisbienderesterenforme.—OK.Aryalposalesmainssursesgenouxets'apprêtaàselever.—Justeunechose,repritPia.Laharpiemarquaunepauseetlaregarda.Piaplantaunregardfroiddanslesien.—Essayezdemeplaquerunesecondefoiscontreunmuretjevousfaismordrelapoussière.Lesourired'Aryalsetransformaengrimace.Aprèsunmoment,elleopina.Pialuifitunsignedetêteetretournaàsonmagazine.Legesteéloquentlacongédiait.Laharpiele

comprittrèsbienetquittalapièce.PiaeutégalementletempsdepasseruncoupdefilàQuentin.Ellesortitsurlebalconunaprès-

midi ensoleillé et referma les portes-fenêtres pour être tranquille. Puis elle s'appuya au nouveaumuretetcontemplalavillependantqu'ilsparlaient.

ElleracontaàQuentintoutcequis'étaitpassédepuissonbrefséjourdanssavilla,ycomprislefaitqu'elleétaitapparemmentlacompagnedeviedeDragosetqu'elleportaitsonenfant.

Lorsqu'elleeutterminésonrécit,unlongsilencesuivit.Elleobservalacirculationendonnantdespetitscoupsdepiednerveuxdansl'unedesdalles.

—Ilvamefalloirdutempspourdigérertoutça,finitpardireQuentind'unevoixscrupuleusementneutre.

—M'enparlepas.—Comment...est-il?—TuvoisRexHarrisondansMyFairLady?—Leprofesseurbougonetsuper-chiant?—Ouais,ehbien,Dragosestpire.Laremarqueentraînaunelonguediatribequidisaitengros:il-a-intérêt-à-bien-te-traiter-ou-je-le-

tuerai-de-mes-propres-mains.Elleappuya le frontsur lemuretetendura lediscoursavecpatience,faisantdesbruitsdetempsàautrepourprétendrequ'elleécoutait.

—Jeveux tevoir enchair et enos, finit-ilpardire. Jeveuxm'assurerquece salaudne t'apasenvoûtée.

—Ilnel'apasfait.Maisj'iraibientôttevoiràElfie's.—T'asintérêt,réponditQuentind'untonmaussade.Oualors,aussiallergiquequejesoisàlatour,

jedébarqueetjet'embarque.—Disàtoutlemondequevousmemanquez.

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—Oui.Abientôt.Ilinsistasurlemot.—Oui,jetelepromets.Elleraccrocha.Elleétaitépuisée.Commencerunenouvellevieétaitfranchementduboulot.EllevoyaitmoinsDragos.Ilseplongeadanslastabilisationdeplusieursentreprisesdansl'Illinois.

Ildevaitlefaireavantdelesvendre,etilluitouchaunmotdesonprojetderacheteruneentreprisedeservicepublicappartenantausecteurprivé.

Elle se demandait si la distance qui s'était installée entre eux serait la norme, désormais. Il larejoignaitau litchaquesoiret laprenaitdanssesbras,etcetteproximité luiapportaitbeaucoupderéconfort.Maisilsnefaisaientpasl'amour,ne...s'unissaientpas.

Lefaitdepouvoirsemétamorphoseretd'êtredevenuecomplètementwyrrehaussasonaptitudeàguérir.Aprèstroisjoursdeconvalescence,ellenetenaitplusenplace.EnfinleDrMedina,quipassaitlavoirchaquejour,l'autorisaàutiliserletapisdejogging,maisavecmodération.

—Super!—Pasquestiondecouriràfondavantlasemaineprochaine,l'avertitlemédecin.Cetteblessureà

lapoitrineasecouévotresystèmerespiratoire.—Compris.Merci.Ellesaisitunetenuedesportetl'enfila.—Derien.(Lemédecinsourit.)Jen'aipasbesoinqu'onm'escorte.Pias'assitauborddulitpourmettresesbaskets-unenouvellepaire,encoreunefois-tandisquele

médecinquittait lapièce.Aprèsquesanouvellepairedechaussureseutrendul'âmesuiteàsafuiteeffrénéedanslaforêtdétrempée,Dragosluienavaitachetésixpaires.

Laportes'ouvrit.Ellelevalesyeux,prêteàdireauxgriffonsqu'ilspouvaientallerdanslasalledesport.Dragosentra.Commed'habitude,saprésenceenvahitlapièce.

Illaregardalonguement,puisrefermalaporte.Ilportaitunjeannoiretunechemisedesoienoirequisoulignaitleslignesathlétiquesdesoncorps,etnefitaucuneffortpouratténuerlagravitéquiselisaitsursonvisage.

Mêmesoussaformehumaine,ilavaitl'aircapabledemettreleroidesFaesenpiècesdesesmainsnues.Était-ilnormalqu'elletrouveçatellementsexy?Ellesegrattalatête.Elleseposaitvraimentdesquestionsquantàsasantémentale.

—Hé,lança-t-elle.Jenem'attendaispasàtevoir.—Apparemment,tun'attendspasgrand-chosedemoi,répliqua-t-il.—Pardon?fit-elle,interloquée.Ilsemitàarpenterlentementlapièce.C'étaitsadémarchedeprédateur,delongsmembresmusclés

ondulantsouslasoieetlatoile.Ellesetorditpourl'observer.—La toubib t'a autorisée à fairede l'exercice, déclara-t-il.Celaveutdoncdireque tu as repris

suffisammentdeforcespourfairefaceàd'autreschoses.—Euh...oui.—Tupeuxdirequejesuisobsessionnel,maisj'aiunpetitcompteàrégleravectoi,oudisonsun

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trucàdiscuter.Ilavaitunairsombre.Elleplissalefront.—Qu'est-cequinevapas?Qu'est-cequej'aiencorefait?Ilsetournapourluifaireface,lesmainssurseshanches.—Tutesouviensquandtut'estordulachevilledansleterrier?—Jenerisquepasdel'oublier.Sesyeuxs'étrécirentpourneplusformerquedeuxfentesd'orliquide.—Tutesouviensdecequetuasdit?Ellehaussalesépaules,nevoyantpasdutoutcequ'ilvoulaitdire.Ils'approcha,posalesmainssursesépaulesetlapoussa.Elletombasurlematelas.—Hé,ho!Puisilrampasurlelitjusqu'àseretrouveràgenouxau-dessusd'elle.Illafusilladuregard.Tout

enluirespiraitlemâlewyrencolère.—Tuasdit:«Tunepeuxpassavoircommejesuiscontentequetusoisvenuetàquelpointcela

faitdubiend'entendretavoix.»—Oui,etalors?Ellelefrappasurlesépaulesduplatdelamain.Bienentendu,ilnebougeapasd'uncentimètre.—Arrêteunpeuaveclediscoursprimitif,yenamarre.—Tuaspeut-êtreremarquéquej'étaisunmecplutôtprimitif.(Ilmontralesdentsetapprochason

visagedusien.)Touscessièclesdecivilisation?Pfff,unvernis.—Oh,pourl'amourduciel.Est-cequeturuminescequej'aiditdepuistoutcetemps?Ilpenchalatête,sonregardétaitdelalaveenfusion.—Tu as dit ça comme si j'étais une espèce de visiteur.Ou comme si tu n'étais pas sûre que je

viendraisalorsque tuavaisétékidnappée.Alorsque tuvenaisdem'annoncerque tuattendaismonenfant.Jenesaispascequetupensesquejesuis,bordel,sicen'estunmonstresanguinaire.

—Dragos!(Elleleregardaaveceffarementettouchasonvisage.)Jeplaisantaisquandj'aiditça.—Etalors?Jesuisunmonstresanguinaireettuesmacompagnedevie.(Aucunedouceurnese

lisaitsursonvisage.)Etjesuisàtoi.Qu'est-cequ'ilvafalloirpourquetul'acceptes?Elleluicaressalajoue.— Je l'accepte, je t'assure, je l'accepte.Quelque part entre l'horrible forteresse des orques et le

momentoùtut'esmétamorphosédanslaplaine,jesuistombéeéperdumentamoureusedetoi.Maisjeviensd'ununivershumain.L'amour,êtreamoureux,fairel'amour-toutcelaadusenspourmoi.Celafaitpartiedemonidentité.Ettuasadmisquetunesavaispascequ'étaitl'amour.Alorsjen'aitoujourspas les repères que je recherche. Même si nous sommes ensemble, je ne sais pas comment mecomporter,nicequecelaveutdire.

Sonexpressions'étaitadoucieaufuretàmesurequ'ill'écoutait.Ilembrassasapaume.—Celaveutdire,bêtasse,quej'apprendsmoiaussi.Maintenant,écoute-moi:jenecessedepenser

àtoi.Tuesavecmoipartoutoùjevais,maistumemanquesquandnoussommesséparés.J'aidéjà

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prouvéquejetueraispourtoi.Jemourraisaussipourtoi.Tumefaisrire.Tumerendsheureux.Tuesmonmiracleetmonfoyer.Situnefaismêmequefrémiroutressaillir,j'aiuneérection.Jeviendraitoujourstechercher,jetevoudraitoujours,etj'auraitoujoursbesoindetoi.C'estclair?

Ellerayonnait.—Çaressembledrôlementàl'amour.—Jetrouveaussi,fitledragon.Puis,avecunerapiditéextraordinaire,illuisaisitlesmainsetlesplaquaau-dessusdesatête.Elle

sursauta,maissedétenditbientôt.Sonregardfarouchebrilladanslalumière.Ilsebaissajusqu'àcequeleursnezsetouchent.

—Alorsdis-le,siffla-t-il.Elleluiadressaunsourireradieuxpleindetendresse.—Jesuisàtoi,murmura-t-elle.—C'estpastroptôt,gronda-t-il.Ilseredressaetl'attiraàlui.Puisilsaisitsondébardeuretlemitenpièces.—Dis-leencore.Elleéclataderire.Elleavaitl'impressiond'êtreivre.Elletenditlesmainsverssachemiseetessaya

dedéfairelesboutonsavecdesdoigtsmaladroits,enluirépétant:—Jesuisàtoi.Il lafitpivoterjusqu'àcequ'elleluitourneledos.Laviolencecontenuedesesgestescalmason

rire.Sesgenouxtremblèrent.Ilarrachalerestedesesvêtementset lapoussasurle lit, lamettantàgenoux, puis il lui écarta les cuisses jusqu'à ce qu'elle s'offre totalement à lui. Le sentiment devulnérabilitéétaitpresqueinsupportable,etellefrissonna.

Elleentenditunfroissementderrièreelle.Elleessayaderegarderpar-dessussonépaulepourvoircequ'ilfaisait.

Ilposases lèvresbrûlantessursonsexeet lécha lesplisdélicats. Ilchatouilla sonclitorisdesalangueetarticula,labouchecolléeàsavulve:

—Dis-leencore.Ledésirdéferlaenelle.Elles'affalacontrelematelas,sajouehumidesurlesdraps,haletante.Lemouvementl'exposaencoredavantage.Illécha,mordillaetsuça,guidantsonplaisiravecdes

gestesdouxethabiles,puissefaisantexigeant,brutal,lasaisissantparleshanchespourlamaintenirenplacependantqu'illasavouraitavecunesensualitéanimalequilapropulsaaunirvana.

Etilcontinuaàinsisterpourqu'elleadmetteêtreàlui.Elleobtempérachaquefois.Ellelegémit,lesoupira,lesanglota,jusqu'àseretrouverétenduesurledos,pantelante,lesnerfsàfleurdepeau.

Quand il seplaça enfin sur elle etpositionna sonmembreà l'entréemouilléede sagrotte, puisl'enfonça,iln'yavaitpasuneparcelledesapeauqu'iln'avaitpaspossédée.Ellecaressasondostandisqu'illapénétrait,ivredeplaisir.Seslarmessemirentàcouler.

Ilencadrasonvisagedesesgrandesmainsaumomentoùsonsexedisparaissaittotalementenelle.Il avait enfin brûlé sa propre férocité, et tout ce qui resta alors sur son visage sévère fut de latendresse.

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—J'aiappristellementdechosesaucoursdessiècles,murmura-t-ilenallantetvenantenelle.J'aiobtenudes tributsde souverainset j'ai assistéà l'effondrementd'empires.Mais tuesmonmeilleurprofesseur.

—Jet'aime,dit-elleencaressantsajoue.—Jesais,répliqua-t-ilensouriant,sesyeuxd'oréclairésparunsimpleémerveillement.Puisilseconcentratandisqu'ilaccentuaitsescoupsdeboutoir.Ellesecambraalorsqu'iltouchait

le point le plus sensible, et son corps vigoureux et puissant trembla aumoment où il éjacula.Ellel'enlaça, le serra, enfouit son visage dans son cou. Puis elle lui caressa les cheveux comme ils selaissaientdérivertranquillement.

Ilserelevajustesuffisammentpourseretirerd'elleet,basculantsurledos,ill'attiracontrelui.—Bon,unebonnechosederéglée,dit-ilavecsatisfaction.Illaissacourirsesdoigtsdanssachevelure,puislesdémêlaenenvoyantunesalvedeForce.Elle

passaundoigtsursabouche.—Quoi,quenoussommescompagnonsdevie?Ilbaisasondoigt.—Oui.Vuqu'onsemarie.—Onse...(Ellesemorditlalèvre.)C'esttaproposition?Commeça:onsemarie.—Oh.Il tendit lamain vers sa chemise tombée par terre, fouilla dans une poche et déposa une bague

sertied'unénormediamantsursesseins.—Tiens.Ellelevalesyeuxauciel.—Écoute,Dragos,c'estunechosedeconvenirquenoussommescompagnonsdevie,maispour

le mariage, je ne sais pas. Je lisCosmopolitan, tu manges des gens. Je crois que le tribunal desdivorcesappelleraitcela«desdifférencesinconciliables».

Ilroulasurlecôté.Ledrapglissatandisqu'ils'appuyaitsuruncoudeetlaregardait,lesyeuxmi-clos. C'était son regard ombrageux, têtu. Elle adorait cette expression. Elle pouvait voir lesengrenagestournerdanssatête.

Aprèsunmoment,ildit:—S'ilteplaît.—C'estmieux,mister.Ellehochalatêteetglissalabagueàsondoigt.