théa harrison - l'héritière de l'oracle - chronique des...
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TheaHARRISONLACHRONIQUEDESANCIENS–4
L'héritièredel'Oracle lamort de sa sœur aînée,Gracehérite de l'Oracle deLouisville.Cedon très précieux,
seules certaines femmesde la familleAndréas ont le privilègede le posséder, ainsi qu'uneForceuniquesetransmettantdegénérationengénération.Maisenplusdecettelourdetâchequi lui incombe désormais, Grace a la responsabilité de Max et Chloé, ses petits neveux.Aussi,quanduncertainKhalildébarquesanscriergarepours'installerchezeux,Graceestsursesgardes.Cedjinnàlapuissanceinégalablen'est-ilpasdesplusdangereux?Pourtant,lemalpeutprendrebiendesformes,etKhalilsembleêtreleseulàpouvoirlesenprotéger...
Thea Harrison De son vrai nom Teddy Harrison, elle a également écrit sous le nomd'AmandaCarpenter.Elleestl'auteurd'unedizainedelivres.LachroniquedesAncienssignesonretoursurlascènedelaromanceparanormale.
DumêmeauteurauxÉditionsJ'ailuLACHRONIQUEDESANCIENS1-Lebaiserdudragon№101452-Uncœurdepierre№101423-L'étreinteduserpent№10615
Traduitdel'anglais(États-Unis)parLaurenceMurphy
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TitreoriginalORACLE'SMOONÉditeuroriginalBerkleySensationBooks,publishedbyTheBerkleyPublishingGroup,a
divisionofPenguinGroup(USA),Inc.,NewYork©TeddyHarrison,2012
Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ'ailu,2014
1Attirerl'attentiond'undjinnestrarementunebonneidée,Grace.LesmotsprononcéssuruntonacideparJanice,lababy-sitter,rebondissaientdanslatête
deGracecommeunballonégarésurunterrainderugby.Ceballonétaitàdixmètresde lazone d'en-but et deux équipes de rugbymen baraqués de plus de cent kilos chacun sebousculaient pour le récupérer. Et ce ballon, s'il avait pu parler à cemoment précis, vousl'auriezentendugémir:«ouh,là,là,çavafairemal».Cesentimentd'unecatastropheimminenteetinévitable,c'étaitplusoumoinsl'impression
quelajournéelaissaitàGrace.LesermondeJanicen'allaitrienychanger.Cen'étaitpascommesiGraceavaiteuvoixau
chapitre. Le djinn avait déboulé dans sa vie en compagnie de deux autres personnes en seprésentant devant sa porte à trois heures et demie dumatin parce qu'ils ne pouvaient pasattendreuneheuremoinsinduepourluiparler.Elleferaitprobablementbiend'arrêterdel'appeler«ledjinn».Ilavaitunnomaprèstout:
Khalilquelquechose.D'aprèsl'undesescompagnons,ilétaitKhalilQuelqu'und'Important.Graceavaitsurtoutlesentimentqu'ils'appelaitKhalillaCalamitéAmbulante,maisellene
tenaitpasàluidire...heu,disonsenface,quandildécidaitd'avoiruneface...parcequ'ellenevoulait pas le provoquer plus qu'elle ne l'avait déjà fait et qu'elle espérait vraiment, maisvraiment,qu'ilallaitfinirpars'ennuyerets'enallermaintenantquetoutelafièvre,enfinlechaos,s'étaitapaisée.Parcequec'enétaitfinidel'excitationetduchaosmaintenant,n'est-cepas?Latuerie.Ellen'avaitjamaisvupersonnesefairetueravantcematin-là.Ellerepoussa lesouvenir.Pour l'heure,elledevaits'occuperdesanièceetdesonneveu,
bonsang.Ellen'avaitpasletempsderéagirdavantageàcequ'ils'étaitpassé.IlfaudraitquecelaattendequeChloéetMaxsoientcouchés.Peut-être que le djinn serait parti quand elle rentrerait des courses avec les enfants.
L'espoir faisait vivre après tout. Et il la faisait vivre à plus d'un titre. D'ailleurs, si lesupermarché pouvait distribuer gratuitement des steaks aujourd'hui... Ben voyons, et lespoulesavaientdesdentsaussi?Enfait,ellesoupçonnaitmêmeledjinndelesavoirsuivisjusqu'ausupermarché.Ellenele
voyait pas, mais elle percevait sa présence brumeuse depuis qu'elle avait installé Max etChloé dans la voiture pour s'y rendre. Son odeur psychique acre luimettait les nerfs à vifcommelorsquelesvoituresdepompiersdévalaientunerueenfaisanthurlerleurssirènes.Peuimportaitquel'onnepuissepasvoirl'incendie,onsavaitquequelquechosedegrave
sepassait.Elle réussit à trouver une place où se garer à côté d'une station où étaient rangés des
chariots.Lamoiteurdel'après-mididejuinlafrappaquandellesortitdelavoiture.Ildevaitbienfairetrente-cinq.Sontee-shirt luicollaaudosenl'espacedequelquessecondesetellen'eut qu'une envie : déchirer son pantalon en pilou au-dessus des genoux, sauf qu'elle neportaitplusdeshorts,pasmêmedanslamaison,carellenepouvaitpassupporterlavuedescicatricessursesjambesabîméeslorsdel'accidentdevoiture.Gracepritunchariotetseretournaverslavoitureoùl'attendaientlesenfants.Ellesaisit
sonproprerefletdanslafenêtreduvéhicule.Elleétaitdegrandeurmoyenneavecunetailleetdesjambesminces,etdesseinsetdeshanchesquisoulignaientsaféminité.Sil'onpouvaitse fier à la génétique, il faudrait qu'elle fasse attention en vieillissant car ses formesdeviendraienttropgénéreuses.Sescheveuxcourtsblondcendrésedressaientsursatêtecarellen'arrêtaitpasdepasser
les doigts dedans. Lemanque de sommeil avait terni ses yeux brun-vert et lui donnait unteintblême.Elletouchasonrefletennotantlescernessoussesyeux.J'étais jolie avant, se dit-elle. Puis elle s'en voulut d'y accorder une quelconque
importance.Audiablelabeauté, jepréfèreêtreforte.Labeautés'estompeaufildutemps.Laforcete
permetd'affronterlesépreuves.Etc'estcequicompte,vuqueparfois,desépreuves,ilyenaunemontagne.EllesoulevaChloéet lamitdanslechariot.PuiselletransféraMaxdanssonporte-bébé.
Lapetite fille, âgéedequatre ans, s'assit dans le chariot enployant sonpetit corpsdélicat.Elle chantait doucement pour sa poupée miniature Lala Souci, enfin Lala quelque chose,Graceneserappelaitjamaislenomexact,etlafaisaitdansersurlerebordduchariot.LescheveuxblondpâledeChloéétaientfinsetsoyeux.GraceetsasœurPetraavaientdes
cheveux de cette couleur quand elles étaient petites, mais ils avaient foncé quand ellesavaient grandi. Plus tard, Chloé aurait probablement des cheveux blond cendré, elle aussi,alors que Max avait hérité du type méditerranéen de son père avec sa peau mate et sescheveuxfoncés.Les boucles de Chloé flottaient autour de sa tête, à l'exception, remarqua Grace avec
embarras,d'unnœudàl'arrière.Elleavaitoubliédeluibrosserlescheveuxavantdesortir.Àvraidire, elle avaitoubliédebrosser sespropres cheveuxaussi.Oui,bon, c'était cequ'il sepassaitquandonessayaitdevaqueràsestâchesquotidiennesdansunétatsemi-comateux.Elle essaya de coiffer la petite fille tant bien quemal en se servant de ses doigts,mais lerésultatnefutguèreprobant.Max,quiétaitâgédeneufmois,dormaitprofondément.Lebébéavaitlaboucheouverteet
ronflait.Ilavaitétémaladetoutelanuitetlepauvrepetitbonhommeétaitépuisé.Ellesemitàpousserlechariotetentradanslesupermarchéenboitant.Lemagasinétait
uneenseignediscount,où lesproduitsétaiententassésdans lesrayons,dans leurscartons,mais il y avait une section réfrigérée etmêmeunepour les surgelés, et puis l'endroit étaitclimatisé.Gracesoupirad'aisequandl'airfroidléchasapeau,mêmesilechangementbrutaldetempératureluidonnalevertigetantelleétaitépuisée.Elle serra les dents. Tout ce qu'il fallait qu'elle fasse, c'était de ramener les courses à la
maison et de ranger les trucs qu'il fallait réfrigérer. Elle pourrait ranger le reste plus tard.Peut-êtrequ'ellepourraitarriveràencouragerChloéàregarderleDVDdeDoral'exploratriceetenprofiterpours'étendresurlecanapéetfaireunepetitesieste.Ilfallaitaussiqu'ellevoiequellesfacturesurgentesellepouvaitpayer,maiscelapouvaitattendrequ'elleaitlesidéesunpeuplusclaires.Ellefronçalessourcilsenexaminantlespilesdecartonsdevantelle.Est-cequ'elleachetait
deuxboîtesoutroisboîtesdethon?Ilneleurrestaitplusbeaucoupdecouponsalimentairespourtenirjusqu'àlafindumoisetchaquepetitedécisioncomptait.IlyavaiteuuntempsoùniGraceniaucunmembredesafamillen'auraientpuimaginer
recevoir des coupons alimentaires. Sa lignée était très ancienne et fière, et ses racinesremontaient à la Grèce antique. La famille Andréas avait une Force unique parmi lessorcièreshumaines,laForcedel'Oraclequisetransmettaitdefemmeenfemmedepuisdes
générations.Àl'origine,l'OraclesetrouvaitdansuntemplesacréàDelphes.Roisetreines,sénateurset
empereurs romains, humains et toutes sortes de créatures appartenant aux domaines desAnciens venaient solliciter des consultations pour entendre les prophéties de l'Oracle. Enéchange,ilsdéposaientunefortuneenoretbijouxàsespieds.Cettecoutumeparticipaitd'uncontratsocialquiremontaitàlanuitdestempsetquepresquepluspersonnenesesouvenaitd'honorer.L'Oracle s'exprimait pour les gens et les gens se devaient de lui apporter leur soutien.
Aussi, les personnes qui venaient la consulter devaient lui faire des offrandes. L'Oracle nepouvaitpasdemanderouexigerde l'argent.Si elle l'avait fait, celaaurait vouludirequ'ellefaisaitpayerpoursesservices,or,d'aprèsla légende,elleperdraitalorsimmédiatementsonPouvoirdeprophétie.D'autres membres de sa famille pouvaient s'exprimer au nom de l'Oracle, mais
malheureusement,depuisplusieursgénérations,lafamilleconnaissaitundéclinfinancieretunesuccessiondeproblèmesdesanté.Lachanceneleuravaitpassouri,toutbonnement.LesparentsdeGraceétaientmortsquandelleétaittoutepetite.Sagrand-mèrelesavaitélevées,Petraetelle,etleuravaitenseignélestraditionsanciennes.Leurgrand-mèreétaitmorted'uncancercinqansplustôt;Graceavaitdix-huitansetPetra,quivenaitdesemarier,vingt-cinq.Lorsque la Force avait été transmise à Petra,Niko s'était fait le championde sa femme. Iln'avaitaucuncomplexelorsqu'ils'agissaitderappelerleursobligationsauxpersonnesvenuesconsulter l'Oracle.Etpuis,quelquesmoisplustôt,Petraetsonépouxavaientété tuéset laForceavaitététransmiseàGrace.Maintenant, iln'yavaitplusqu'elleet lesenfants,etellen'avaitquevingt-troisans.Elle
devaitaffronterquelquechosequ'ellen'auraitjamaisdûaffronterseuleetelleavaitsanièceet sonneveu à nourrir, deux jeunes enfants pour qui elle était prête à tout.Alors oui, elleavait fait la demande de coupons alimentaires. Dès qu'elle avait été enmesure de quitterl'hôpital,elleavaitsollicitétouteslesaidesqu'ilsétaientsusceptiblesderecevoir.Pour ce qui était du don de prophétie et du maintien des traditions de l'Oracle, cette
décision était encore fluctuante. Lorsqu'elle était en convalescence à l'hôpital,Grace s'étaitpromisdenepasprendrededécisionsoud'engagementsàlongtermepourquoiquecesoitouquiquecesoit,àl'exceptiondeChloéetdeMax.Pour l'heure, c'était un pied devant l'autre, un jour à la fois. Elle toucha doucement les
cheveuxemmêlésetbrillantsdeChloé.Lapetitefillelevalesyeuxetluisourit.—Gracie,est-cequ'onaeudesvisiteurspendantquejedormais?—Oui,madouce.—Pourquoitunem'aspasréveillée?J'aimequandonadesvisiteurs.Est-cequejeleurai
manqué?—Jesuissûrequeouis'ilst'avaientconnue.Maisc'étaitdesvisiteursquivenaientvoirles
adultes.Cen'étaitpasdesvisiteursquivenaientvoirChloé.—Jesuisunegrandefille,protestaChloé.Jesuistrèsgrandemaintenant.—Jesais. (Gracechoisitdeuxboîtesde thonet lesposadans lechariotàcôtédespieds
minuscules de la petite fille.) Je n'arrive pas à croire à quel point tu as grandi. Bientôt, tupourraspousser lechariotet jem'installeraidedans.(Chloépouffaderire.)Maisc'étaitdesvisiteursquivenaientpourconsulterl'Oracle,cen'étaitpasdesvisiteursquivenaientvoirlagrandefillequ'estChloé.C'estpourçaqueJaniceestvenuevousgarderetvousdonnervotrepetitdéjeunerenattendantmonretour.DèsqueGraceprononçalemot«Oracle»,lesyeuxdelapetitefilles'assombrirentetson
regard devint grave.Mais ce n'était peut-être que l'épuisement deGrace qui lui jouait destours. En tout cas, Chloé se contenta de faire un signe de tête, puis baissa les yeux sur sapoupéeetrestacoitependantunmoment.Graceajoutadanslechariotunegrossebriquedelaitetunedouzained'œufs.Unpeuplus
loin,elleattrapadeuxboîtesdelaitmaternisépourMax.Iladoraitaussilesbananesetellesedirigea vers le rayon des fruits et légumes. Le supermarché n'avait pas une très bonnesélection de produits frais, mais les bananes avaient plutôt bonne mine et elle en pritquelques-unes.—Est-cequ'onpeutgarderletoutou?demandasoudainChloé.Grace eut un peu de mal à comprendre les mots étant donné qu'ils étaient totalement
inattendusetdéconnectésdetoutcequ'ilsepassait.Maisc'étaitlepropredesconversationsavecunenfantdequatreansetellereportavitesonattentionsurlapetitefille.—Queltoutou?—Ilditqueparfoisilpeutêtreunchats'ilenaenvie.—Tuveuxgarderuntoutouquiestunchat?fitGraceensouriant.—Mmhmmh. (Chloé hocha vigoureusement la tête et ses boucles blondes volèrent.) Il
m'aimebeaucoup.— Bien entendu que le toutou-chat t'aime beaucoup. (Grace contourna le chariot pour
déposer un baiser sur le front de la petite fille. Chloé avait l'air d'attendre quelque chose,aussiGraceluidit:)Tuesmerveilleuseetonaenviedet'aimeretmêmedet'adorer,ettuesunetrèstrèsgrandefille.—Oui,hein?fitChloéenouvrantdegrandsyeux.—Oui,absolument.Etsinousarrivonsunjouràtrouveruntoutou-chatquiparle,jeserais
raviedelegarder.Maispourl'instant,sioninvitaitJoeyetRachelpourjouer?Jeferaidesglacesaujusdepomme.Çateplairait?—Mmhmmh.—OK,chérie.Elles'arrêtapourchercherunmorceaudepapierdanssonsacetgriffonnaquelquechose.
JoeyetRachelétaientlesenfantsdeKatherine,uneamiedePetra.DepuislamortdePetraetNiko, Katherine avait énormément aidé Grace avec les enfants, les invitant très souvent àjouer.Graceluidevaitbiensixmoisd'invitations,maiselleoublieraitdepasserlecoupdefilsiellenelenotaitpas.Sajambeluifaisaithorriblementmaletelleboitaitvraimentbeaucoupquand,unefoisles
coursesfaites,ellesedirigeaverssavieillevoitureaveclesenfants.Au lieu d'utiliser l'argent de l'assurance touché après l'accident pour en acheter une
nouvelle,Grace avait décidéde réparer sapropreHondaAccord, lemodèledatantde 1999,afin qu'elle soit plus fiable. Puis elle avait consacré le reste de l'argent à la réparation duchauffe-eauquifuyait.Lapropriétéétaitungouffrefinancier.Lamaisonnetombaitpasenruine, certes, mais elle avait été construite il y avait plus de cent cinquante ans et sonentretienétaitterriblementonéreux.PetraetNikoavaientheureusementremplacélavieilleriequiservaitdechaudièreparun
appareilplusperformant,maisletoitétaitdansuntelétatqueGracecraignaitqu'ilnetiennepasencoreunhiver,etfranchementellenesavaitpascequ'ellepouvaityfaire.Le retour à lamaison se fit dans un brouillard d'épuisement. Elle rentra les enfants en
premier,déposantdoucementMaxdanssonporte-bébéparterreàcôtéducanapé.PuisellemitquelquesbretzelsdansunbolenplastiquepourChloé,ajoutaunverredelait,etlaissalapetitefilledevantlatélévision.ElleétaitauxangesdepouvoirsuivrelesaventuresdeDoral'exploratricepourladixmillièmefois.Gracesedéplaçadanslamaisonentraînantlajambe.
Elleallad'abords'assurerquelabarrièredesécuritéétaitcorrectementverrouilléeaupieddel'escalieretqued'autresportesétaientferméesaurez-de-chaussée.EllelaissaouvertelaportedelachambredeChloéetdeMaxpourquelapetitefillepuisse
chercherdes jouets sielleenavaitenvie.Puisellealluma leventilateurdeplafonddans lesalon.Celarevenaitmoinscherdefairemarcherleventilateurquel'undestroisappareilsdeclimatisationdelamaison.Enfin,ellerentralescourses.Ilyavaitquatremarchespouraccéderàlavéranda.Ellepensaàtouteslesfoisoùelleavait
dévalé ces marches avec insouciance, son corps jeune et vigoureux se déplaçant avectellement de légèreté et d'aisance que tout se faisait sans effort. Elle ne considérerait plusjamaiscegenredechosescommeallantdesoi.Elleavaitdéjàgravilesmarchesunefoisaveclesenfants.Sielleposaitlessacsdecourses
dans lavéranda,ellen'auraitpasbesoinde lesmonterànouveau.Ellecessaderéfléchiretlaissasonespritflottersurunemerdedouleur.Elleenavaittropfaitaujourd'hui.Elleauraitaiméprendreunlongbain,maislabaignoire
étaitaupremierétage.L'idéedesehisseraveclesenfantsaupremier,chargéedelabarrièredesécurité,luisemblaitaussidifficilequel'ascensiondumontEverest.Ellepouvaitattendrede les avoir couchés, puis prendre l'interphone avec elle afin de les entendre,mais elle nepensaitpasqu'elletiendraitjusque-là.Elleavaitlesentimentquedèsquelesenfantsseraientcouchés, elle tomberait immédiatement dans les bras deMorphée. Dieumerci, ils étaientsuffisammentpetitspourqu'ellepuisse lesbaignercesoirdans legrandévierde lacuisinesansdevoirsepencherous'agenouiller.Elleferaitelleaussisatoiletteenbas.Sur l'écrande télévision,Dora était partie à la recherche de son ours en peluche qu'elle
avait perdu. Chloé mangeait des bretzels, faisait semblant de nourrir sa poupée etchantonnait. L'atmosphère paranormale autour de la propriété semblait agitée et remplied'esprits. Quelque chose qui avait à voir avec la présence de l'Oracle ou la propriété lesattirait.Lamaisonétaitpeupléedefantômes.Depuisdeuxoutroissemaines,sansraisonparticulière,ungroupedefemmesâgéesétait
réunidanslacuisine.Gracenelesreconnaissaitpasetellen'arrivaitpasàsaisircequ'ellesdisaient.Soitcesspectresn'étaientpassuffisammentpuissants,soitilsn'avaientpasquelquechose qui leur tenait particulièrement à cœur à transmettre à Grace et ce qu'ils disaientn'étaitdoncpasclair.Ellesoupçonnaitqu'ilsaimaienttoutsimplementlesenfantsainsiquel'atmosphèrede lavieille cuisine.Quelleque soit la raisonde leurprésence, elleappréciaitleur compagnie. Ils semblaient usés, rassurants et délavés comme une vieille couverturechaude.Seconcentrersureuxl'aidaitàoubliersongenoudouloureux.Parfois,lesfantômesquivenaientn'étaientpasuneprésenceagréable,maisseulementdes
âmes tourmentées, débordantes de malveillance et de ressentiment ou hantées par lestraumatismesqu'ellesavaientvécus.Parfois,onnepouvaitrienfaired'autrequedechasserlesmauvaisespritsdelapropriété.
Ellen'étaitpasJenniferLoveHewittetonn'étaitpasdansGhostWhispereroùdesfantômesen pétard se transformaient en gentilles personnes dès qu'ils avaient eu l'occasion derésoudreleursdisputesoudeviderleursac,desortequ'àlafindel'épisode,ilsrepartaient,contents,vivreuneexistencelumineuseetbéatedansl'au-delà.Lesmauvaisespritsavaienttendance à être en colère parce qu'ils s'accrochaient aux choses. Et s'ils en avaient lapossibilité, ils avaient également tendance à s'éterniser en disséminant leur rancœur danstoutelapropriété,ylaissanttraînercommeunmalaise.LaForcedel'OracleétaitlePouvoirdelaprophétie.Laprophétieneconsistaitpasàdirela
bonneaventureniàrévélerunequelconqueparoledivine,non,cetteForceimpliquaitundon
de clairvoyance ou la capacité de voir au-delà des cinq sens. Si la personne qui venaitconsulterl'Oraclel'interrogeaitàproposdepersonnesmortes,celle-cipouvaitalors,detempsàautre,canaliserlesespritsdesdéfunts.LePouvoirsetransmettaittoujoursàunefemmedelafamilleAndréas,maistouteslesfemmesn'étaientpasforcémentéligibles.LesaptitudesdecellesquiavaientlepotentieldedeveniruneOraclesemanifestaientsouventparundondedivinationprononcéouuneconnexionaveclesesprits.GraceetPetraavaienttouteslesdeuxettrèstôtmontrédetelssignesetleurgrand-mère
leuravaitenseignélesavoir-faireetlestraditionsdontellesauraientbesoinsilaForceleurétaittransmise.GracepressentaitcetalentchezChloé.Ladifficultédedétectercetteaptituderésidait dans le fait que tous les jeunes enfants avaient une imagination débordante ets'adressaientsouventàdescompagnons invisibles.Unpotentielétait toutefois identifié,engénéral,unefoisquelacandidateatteignaitl'âgedecinqans,carilétaitalorspossibled'avoiruneconversationcohérenteavecunenfantdecetâgeetdeconfirmerlaprésenced'undon.QuellequesoitladestinéedeGrace,qu'ellevivelongtempsoumeurejeune,Max,lebébé,
nedeviendraitjamaisl'Oracle.LaForcen'étaitjamaistransféréeauxmâlesAndreasetilsnemontraient jamais aucune des aptitudes. Ils pouvaient cependant engendrer des fillessusceptibles d'être des Oracles, et certains des hommes de la famille étaient devenus dePuissantssorciers.Aujourd'hui,GraceenviaitMaxpourdenombreusesraisons.Elle rangea les courses, puis resta debout quelques minutes devant le réfrigérateur en
laissantlaporteouverte,savourantl'airfroid.Elleseservitunverred'eauglacée,avaladeuxcachets d'Aspirine et se dirigea vers le salon en boitant. Après avoir verrouillé la portemoustiquaire,ellelaissalaporteouvertedansl'espoirdefaireentrerunehypothétiquebrise,quiseraitbienvenue.Puis elle s'approcha du porte-bébé. Le petit bonhomme dormait toujours comme une
bûche, son poing pressé sur l'un de ses yeux. C'était une méga sieste. Elle le souleva, ilsemblaittoujourspluslourdquandilétaitendormi,l'emmenadanslachambred'enfantsetlecouchadanssonberceau.Ilnebougeamêmepas.Touteslestâcheslesplusurgentesfaites,ellesetraînadenouveaujusqu'ausalonets'assit
surlecanapéenpoussantungrognement.Sonregardtombasurlapiledemanuelsscolairesposéssurlatablebasse.Ellenes'étaitpassentieprêteàallertoutdesuiteàl'universitéaprèslebac.Pendantun
an,elleavaitprisletempsdevivre,étaitsortieavecquelquestypes,puisavaittraversélepaysenvoitureavecsonamieJacqui,histoiredetrempersesdoigtsdepieddansl'océanPacifique.Puis elles étaient rentrées et Grace avait bossé dans des restaurants et économisé un peud'argent.Elle avait commencé l'université avecunande retard etn'avait doncpas fini soncursus.Leprintempsdernierauraitdûêtresonderniersemestre.Petra,NikoetGraceétaientravis
d'alleraurestaurantencevendredisoirpluvieux.LesvacancesdeprintempsvenaientjustedecommenceretNikovenaitd'apprendrequ'ilallaitêtreaugmenté.Il avait suffi qu'un camionneur s'endorme au volant, franchisse la ligne médiane et se
retrouvefaceauxvéhiculesvenantensensinverse.L'accidentavaittuéPetraetNikoetavaitfaillituerGrace.SiChloéetMaxs'étaienttrouvésdanslavoiturecommecelaavaitétéprévuinitialement, les derniers représentants de la famille Andreas auraient très bien pudisparaître ce soir-là.Or, à la dernièreminute, Petra avait décidéqu'elle préférait sortir aurestaurantsanslesenfantsetavaitappeléunebaby-sitter.Gracen'avaitaucunsouvenirde lacollision.Elleenétaitsoulagée.Ellenevoulaitpasse
souvenir.
Quand elle s'était réveillée à l'hôpital, elle était désorientée et assommée par lesmédicaments. Pourtant, elle l'avait immédiatement sentie, cette ancienneForce enfouie auplusprofondd'elle,etc'était l'unedeceschosesquel'onnepeutpasdésapprendreunefoisqu'onlaconnaît.Ellesutaussitôtquesasœurétaitmorteetqueplusrienneseraitcommeavant.Elle avait encore cinqmatières à valider. Heureusement, ses professeurs semontraient
extrêmement compréhensifs. Mais en attendant, elle n'avait toujours pas de diplôme enpoche,etlesremboursementsdesonprêtétudiantallaientbientôtluitombersurlecoindela figure.Elle avait accumuléunepilemonstrueusede facturesmédicales car elle avait dûsubir plusieurs opérations du genou, sans parler du séjour à l'hôpital ; elle avait aussi unmonceau de papiers pour les polices d'assurance-voiture et d'assurance-vie, mais pas decouverture médicale et elle n'avait rien touché du camionneur mort, vu que sa policed'assurance était périmée. Quelle que soit la manière dont elle tournait et retournait leschiffres,l'argentqu'elleavaitnepourraitpascouvrirtouteslesfactures.Il fallaitqu'elleparvienneàcréeruneviepourelleet lesenfants. Il fallaitqu'elle finisse
ses études, obtienne son diplôme et trouve un emploi qui lui permette de couvrir sesdépenses et celles des enfants.Etmême si cette idée lui répugnait, il devenait clair qu'elleallaitdevoirsedéclarerensurendettement.Peut-êtrequ'ellebénéficieraitd'uneexonérationetn'auraitpasàpayerlesfraisjudiciaires.—Tuastoutcequ'iltefaut,madouce?—Mmhmmh,fitChloé,lesyeuxrivésàlatélévision.Pardon, Petra etNiko,pensa-t-elle, je sais que vous n'aimiez pas utiliser la télé comme
baby-sitteretj'essaiedenepaslefaire,j'essaievraiment.Maisjenepeuxplusgarderlesyeuxouverts.Elles'allongeaetsombraaussitôt.
2Grace rêvait qu'elle courait sur une route goudronnée plongée dans l'obscurité. La nuit
étaitpeupléed'ombres,lanouvelleluneinvisibleàl'œilnu.Lapleinelune,àsonzénith,étaitunelunedesorcière,lemomentpropicepourlesincantationsetlaForce.Lanouvellelune,enrevanche,étaitlalunedel'Oracle,unmomentoùlevoileentretouslesmondesettoutesles époques devenait plus fin. Une brillante traînée d'étoiles évoquant les yeux d'un djinntraversalecielvioletfoncéetleventsusurradessecretsauxarbressebalançantaugrédelabrise.Seschaussuresdecoursefrappaientlesolencadence.Ellesmarquaientletempoduchant
païen qui se ruait dans son sang. Elle adorait cette sensation, la force et la fluidité de soncorps,alorsqu'ellecouraitsurlaroutegoudronnée.Parfaite.Ellesesentaitparfaite.Une gigantesque panthère noire courait à ses côtés. Son épaule était aussi haute que la
sienneetson longcorpspuissantavalaitsanseffort ladistanceavecunegrâcetoute féline.DèsqueGraceremarquasaprésence,lapanthèretournalatêteetlaregardaavecdesyeuxdediamantaussiperçantsetbrillantsquelesétoiles.Choquée,ellesursautaettrébucha...Etelleglissadansunautrerêve.Cettefois-ci,elleescaladaitlafaced'unefalaiseescarpée.
Il fallaitqu'elle se servede sesmainset labrûluredans sesmuscles lui faisaitdubien.Lesoleil,perchéhautdansleciel,lamartelait,etelleruisselaitdesueur.Un énorme chien noir grimpait à côté d'elle. Il était deux fois plus gros qu'unmastiff,
puissant, tout enmuscles, et pourtant il escaladait les rochers avec une agilité étonnante.Alors qu'elle le regardait, il se tourna pour la contempler avec des yeux étincelants dediamantetellefuttellementsaisiedesurprisequ'elleperditprise.Lagravitélatiraviolemment.Ellechutaetlesolseprécipitaverselle.Elleseréveillaensursaut,lecœurbattantàtoutrompre.Sesvêtementsétaienthumides
de sueur. Le soleil avait déclinéunpeu et elle était seule dans le salon.La télévision étaitéteinte. Il y avait tellement de détails qui clochaient, mais avant qu'elle ait le temps depaniquer,elleentenditMaxetChloérireàgorgedéployéedansleurchambre.—Jeveuxquetusoisuntoutoumaintenant,fitChloé.—Maispourl'instant,jesuisunchat,réponditunevoixmasculine.Grace connaissait cette voix. Elle ne l'avait pas entendue longtemps, mais elle ne
l'oublieraitjamais.C'étaitlavoixdesaCalamitéAmbulante.Elleétaitgraveetclaire,etsontimbreavaitunepuretéquimeurtrissaitlecœuretcontenaitlapuissanced'uncyclone.Elleappartenaitàunecréaturedontl'arrivéetourbillonnantesurleseuildesaporteavait
annoncéunevaguedeviolence.Etdetuerie.Et cette chose était dans la chambre des enfants. Elle se leva et s'y précipita avant de
vraimentsavoircequ'ellefaisait.—Jeveuxmontersurledosdutoutou!s'exclamaChloé.—Jecroisquecequetuveuxseraitalorsappeléuncheval,fitlaCalamitéAmbulante.Maxpoussaunpiaillementdejoietellementaiguqu'ilauraitpubriserduverre.Unedouleurvive traversa sa jambe.Ellearrivaà la chambredesenfantsaumomentoù
ellemenaçaitde sedérober sous elle et, s'agrippant au chambranle, elle regarda cequ'il sepassait.
Maxétaitdeboutdansleberceau.Ilnemarchaitpasencoretoutseul,maispouvaitsetenirdebouts'ils'accrochaitàquelquechose.Lepeudecheveuxqu'ilavaits'agitaitaurythmedesessautillements.Ilavaitlesyeuxrivéssursasœuretarboraitungrandsourire.Chloéétaitassiseparterre,unchatnoirdevantelle.Le chat ne pouvait être que sa Calamité Ambulante. Le djinn. Khalil Quelqu'un
d'Important.Visuellement,onauraitditunchattoutàfaitnormal,plutôtgros,d'unedizainedekilospeut-être,maispoursonœildel'esprit,ildégageaituneimmenseForcemystérieuseetdangereuse.—Pourquelquechosed'aussipetit,tuémetsbeaucoupdebruit,fitlechat.Chloésaisitsaqueueetlatiraviolemment.—Toutou!Toutou!Toutou!—Ceciestmaqueue,notalechat.(Lapetitefilleenfonçal'undesesdoigtspotelésdanssa
fourrure, au niveau de sa tête.) Maintenant tu as découvert un de mes yeux. Oh, tu asdécouvertl’autre.Jecroisquetuasréveillétatante.Jevousavaisditqu'ilnefallaitpasfairedebruit.Letrioseretournapourlaregarder.Elleétaitfigée.Deuxenfantsquiavaientl'airraviset
quelquechosequisemblaitêtreunchatnoirtoutcequ'ilyavaitdeplusnormal,maisétaitenfaitunecréatureétrangère,extrêmementPuissanteetinfinimentdangereuse.— Regarde, Gracie ! s'exclama Chloé. C'est le toutou-chat ! Tu as dit qu'on pouvait le
garder.Lechatétrécitsesyeuxétranges.—Vraiment ?demanda-t-il. (Sa face triangulairen'avait riend'amical et sesmoustaches
étaientdetravers.)Cen'estpascequevousm'avezditplustôt.Gracesejetaenavantpoursaisirlechatetillalaissafaire.Ilrestadocileetdétenduentre
sesmains,exactementcommeunvraichatauraitpulefaire.—Jenesavaispasquetuparlaisdecetoutou-chat-là,Chloé,fit-elled'unevoixrauque.Ça
changetout.—De quel autre toutou-chat aurait-elle pu parler ? Vous n'en avez pas exactement une
pléthoredanslesparages.—Resteici,grondaGraceàChloé.Chloéselevaetpleurnicha:—Maisjeveuxjoueraveclui.—J'aidit:«resteici»,répétaGraceenluijetantunregardsévère.Quelquechosedansl'expressiondeGracedutêtresuffisammentéloquentcarChloédonna
uncoupdepieddanssesjouets.—Tumelaissesjamaisfairedestrucsmarrants.Jeveuxplusvivreici.—Trèsbien,fitGraceentresesdents.Faiscequ'onteditenattendant.Ellesortitdelachambreenboitant.Maxpoussaunhurlement,manifestementdéçuparla
tournuredesévénements.—T'es horrible !C'estMON toutou-chat ! C'estmoi qui l'ai trouvé en premier. T'es pas
juste.Jedétestetoutettoutlemonde!crialapetitefille.—Merci,sifflaGraceauchat.Mercibeaucoup,vraiment.Toutceciestinacceptable.Qu'est-
cequivousprend,bordel?Vousêtestombésurlatête?—Vousêtesaussiimpertinenteetirrespectueusequecematin,fit-ild'unevoixfroide.Le chat grossit alors qu'elle descendait le couloir, si bien qu'elle se retrouva soudain à
porterunpoidsbientroplourdpourelle.Ellelelaissatomberetilcontinuaàs'allongeretàgrandirjusqu'àdevenirl'énormepanthèrenoiredesonrêve.Unfrissonluiglaçalapeau.Ellejetaunregardobliquesurl'invraisemblablemastodontequiavançaitavecsouplesse.Ilavait
latailled'ungrosponeyetdonnaitmalgrétoutl'impressiond'êtrepetitparrapportàcequel'espritdeGracepersistaitàappréhendercommel'immensitédesaprésenceréelle.Ellerefusaitdecéderàcequ'elleressentait.Ellelerefusaitnet.—Arrêtez,fit-elled'untoncassant.—Jenesaisabsolumentpasàquoivousfaitesallusion,réponditl'énormefélin.Iltournalatêteetlaregardaavecdesyeuxétrangesquipétillaientdemalice.IlsarrivèrentausalonetGracel'attaqua.Elleutilisasafureurpourseprojeterenavantet
elle poussa la créature géante. Autant essayer de déplacer unemontagne. Elle poussa plusfort.—Vouscherchezàm'intimider.Ehbien,voussavezquoi,connard?Çanevapasmarcher.
Jesuisicichezmoi.Cesdeuxenfantssontmanièceetmonneveu.Etjenevousaipasdonnéla permission de passer du temps avec eux. Vous êtes entré sans autorisation dans unepropriétéprivéeetcen'estpascooldutout.Lapanthèregéantesemétamorphosaenunhommequisedressadevantelledanstoutesa
colère,etelle se retrouvaenfin faceà faceavec ledjinndontelleavait fait laconnaissancelorsqu'ilavaitfrappéàsaporteavecsesdeuxcompagnons.La forme qu'il avait adoptée cette fois-ci était celle d'un individu très grand, de plus de
deuxmètres probablement.De longs cheveux de jais encadraient un visage pâle aux traitsélégants. Ce visage était similaire à celui d'un humain, il avait deux yeux, un nez, et unebouche.Ilavaitmêmeunemâchoireminceetilétaitbeau,maisonvoyaitquecen'étaitpasun visage humain. Ses yeux étranges étaient toujours lesmêmes, quelle que soit la formequ'iladoptait:deuxpointesdediamants.Ilavaituncorpsélancé,gracieux,enharmonieavecsonvisage,et ilétaitvêtud'unesimpletuniquenoireetd'unpantalonnoirégalement.Et ilarboraitunemouefaroucheethautaine.Cetteformeétaitsavraieformephysique,enfin,sil'onvoulait.C'étaitentoutcaslaforme
qu'ilchoisissaitd'endosserentempsnormal.Intrinsèquement,ilétaitunespritdemagieetde feu. Aucune forme physique ne pouvait le contenir tout entier. Sa Force remplissait lamaison.MonDieu, il est colossal,sedit-elle enplongeant le regarddans ses yeux étincelantsde
colère.Quelle calamité.Debout devant lui, elle se sentit absurdement jeune, très petite, etbêtementfascinéeauplushautpoint.—Jevousoffreuncadeauinestimable,créaturesotte,fit-ilentresesdents,etvousmele
renvoyezauvisage.—Etque croyez-vousm'offrir ? Jeme réveille et je vous trouve avecmes enfants, dans
leurchambre.Etjevaislerépéterencoreunefois:sansmapermission.Est-cequevousvousrendezcompteàquelpointc'estinacceptable?Peut-êtrequenon.Peut-êtrequec'estuntrucquelesdjinnsfonttoutletemps.Ehbien,voussavezquoi,jen'enairienàcirer.Etjenevaismême pas aborder le sujet de toutes les choses déplacées que vous leur enseignez. Oh,attendez,sienfait,jevaislefaire.Vousétiezunchatparlantavecdesenfantsbeaucouptropjeunespourfaireladifférenceentreçaetlaréalité.—Quellessontcessornettesquevousdébitez,humaine?—Qu'est-cequivasepasser,àvotreavis,laprochainefoisqueChloéverraunchatnoir?
Vouscroyezqu'ellevasedire:«oh,attention,cen'estpasledrôledechatnoirquimeparleetmelaisseluitirerlaqueueetluifourrerledoigtdansl'œil»?Non.Voussavezcequ'ellevaessayer de faire ? Elle va essayer de lui parler et de lui tirer la queue, et peut-être de luifourrerundoigtdans l'œil.Etvoussavezcequecechat-làva faire -parcequ'il s'agirad'unvrai chat ? Il va la griffer. Il la mordra peut-être. Les morsures de chat sont des trucsdégoûtants.Engénéral, lesplaiescauséespardesmachinspointus,etlesdentsd'unchatle
sont,sontprofondesets'infectent.Etvoilà,soudainjeseraienroutepourlesurgencesavecunepetitefilledequatreanseffrayéeetenlarmesetjedevraipayertroiscentsdollarspourlavisiteetlesantibiotiques,toutçaàcausedevotrearroganceignorante!Illadévisageaavecdédain.—Est-cequevotreespritfonctionnetoujoursdecettemanière?— Qu'est-ce que vous voulez dire ? (Grace cilla, désarçonnée.) Est-ce que mon esprit
fonctionnecomment?Desalonguemain,ilfitunvaguegested'uneélégancetroublante.—Àtoujoursenvisagerlespiresdésastres,biensûr.Sanslemoindredoute,lamorsuredu
chatserapleinedegermesdévoreursdecerveauoupeut-êtrequ'unehordedesingesenragéss'échapperad'unzooetsedirigeratoutdroitversvotremaison.Elleletoisa.—Vouspensezquej'inventetoutça?Lamorsuredechatdontjeparle, jel'aieuequand
j'étais petite et j'ai les cicatrices pour le prouver. Vous savez ce queChloém'a fait commebêtise,hier?Ellegrimpaitsurlatabledelacuisine.Ellepensaitqu'ellepourraitsauteretsemettre à voler comme Clark Kent parce que nous venions de voir un vieux film avecChristopherReeveetquesiSupermanpouvaitvoler,ellepensaitqu'ellelepouvaitsûrementaussi.Elleneseseraitpeut-êtrepascasséunejambesijenel'avaispasrattrapée,maiselleseseraitprobablementfaitmal.Sabouchedélicateaffichaunplicruel.Ilbalayalesalond'unregardfroidetcritique.—Quel dommage alors pour vos enfants que vous choisissiez de faire la sieste enplein
milieudelajournéeaulieudelessurveillercommevousledevriez.Elle tressaillit comme si elle avait reçu une gifle et regarda autour d'elle. Ses manuels
scolairesétaientempiléssurlatablebasse,lesolétaitjonchédejouets,etunpanierdelingeproprenonpliéétaitposéparterreàcôtédufauteuil.Enselevant,Chloéavaitrenversédesbretzelssurletapis,puisavaitmarchédessus.Ilyavaitdesmiettespartout.Gracepensaaunœuddanslescheveuxdelapetitefillequ'ellen'avaittoujourspasbrossés.
L'embarrasetlafureurl'étranglèrentpresqueetellenetrouvaplussavoix.Elleréussitenfinàmurmurerenserrantlesdents:— Vous ne savez absolument pas de quoi vous parlez. Vous n'avez aucune idée des
difficultésauxquellesmesenfantsetmoidevonsfairefaceetvousnenouscomprenezpas.Etcetteseuleignorancesuffitànousmettreendanger.—Commentosez-vous?(Ilavançasonvisagecourroucéverselle.)Jeneferaisjamaisde
malàunenfant.Jesuisrestépouruneraisonetuneseule:lesprotéger!Sarages'enroulaautourd'elle,prenantlaformed'unefuméenoire.Elleeut l'impression
deplongerleregarddansunbrasier.Ellenereculeraitpas.Ellenereculeraitpas.Ilétaittotalementabsurded'essayerderaisonneraveclui.Ilsétaienttropdifférentsetson
arrogancel'empêchaitd'écoutercequ'elledisait.Ellefitungrandeffort,pritsurelleettrouvalesang-froidnécessairepourdire:— Je veux bien croire que vous ne vouliez pas nous faire demal.Merci d'être resté ce
matin et de vous être assuré que Chloé etMax étaient protégés. Si vous ne souhaitez pasconsulterl'Oracle,jevousdemandedequittermamaison.Il se renfrogna et ouvrit la bouche, comptant manifestement lui répondre de manière
cinglante,maisunepetitevoixtristeledevança:—Arrêtezdevousdisputer.Nesoyezplusencolère,d'accord?fitChloé.Le regarddediamantdeKhalil trembla. Ilbaissa les yeuxenmême tempsqueGraceet
considéra le visage inquiet de la petite fille. Puis Grace fut témoin de quelque chose de
remarquablelorsquesonexpressionprétentieuses'adoucit.Ilsemitsurungenouafindesemettre à la hauteur de Chloé. La petite fille l'observa avec gravité. Quelque chose dans lapoitrinedeGracesetordit.IlétaittellementgigantesqueetChloétellementminuscule.—Jeneseraiplusencolère,fitKhalil.IlfitquelquechosepourcontenirlaForcedanssavoixetparlerdoucement.—Promis?demandaChloé.IlrelevalatêteversGracepourluijeterunregardnoir.Waouh,sedit-elledansunsursaut
d'hystérie,ilneveutvraimentpaslâcherdulestetmettresarancunedecôté.Ilneluiparlaitplus,aussileva-t-ellelessourcilsetfit-elleungesteendirectiondeChloépourindiquerquec'étaitàlapetitefillequ'ildevaitrépondre,pasàelle.Sonregardétrangeethostilereflétaitcommelapromessedenepasenresterlà,maiselle
nesavaitpasdéchiffrer lesmessagesmuetsdedjinn.D'unair résolu,Khalil se tournaversChloé.—Oui,nouspromettonstouslesdeux.Ouhlà,quoi?Graceseredressa.Ellenel'avaitpasautoriséàparlerensonnom.—Nousn'allonsplusnousdisputer,continua-t-il.Celacontrarietroplespetitespersonnes.—Celacontrarieaussilesgrandesfilles,déclaraChloé.—Assurément,fitKhalil.IltenditlamainetChloéposalasiennedessus.Chloéétaittellementpetite,pensaGrace
ensemordantlalèvre.Tellementfragile,tellementprécieuse.Graceétaitsitenduequesesmusclescommençaientdenouveauàluifairemal.Ilportalesdoigtsdelapetitefilleàseslèvresetlesembrassa.Puisillalâcha,seredressa
detoutesatailleetdisparut.Grace regarda Chloé, guettant une réaction après sa disparition soudaine. Mais à part
agiterlesdoigtsqueKhalilavaitembrassésetprendreuneexpressionpensive,lapetitefillene réagit pas. Peut-être qu'elle se concentrait afin d'essayer de disparaître elle aussi etdécouvraitqu'ellenepouvaitpasfairecelanonplus.Maxpoussauncridecolèredepuissachambre.C'étaitunenfantd'untempéramentfacile
etheureux,maisapparemmentilenavaitassezd'êtretoutseul.Gracesoupiraetsedirigeaverslachambrepourchercherlepetitbonhomme.Chloéavait
mangé ses bretzels,mais Grace etMax n'avaient pas déjeuné et il devait être affamé. Ellel'était en tout cas. Elle changea le bébé et le chatouilla jusqu'à ce qu'il retrouve sa bonnehumeur.Puisellel'installasurlahanchequineluifaisaitpasmaletsetournaversChloéquil'avaitsuiviedanslachambre.—Tucroisqu'ilesttempsdeprépareràdîner?Lapetitefilleréfléchitavantderépondre:—Assurément.Gracepréparaungratindepâtes,l'undesplatspréférésdeChloé.Janiceluiavaitditquela
petitefilleavaitàpeinetouchéàsonpetitdéjeuneretellen'avaitpasdéjeuné;lesbretzels,c'étaitbienpeu.Chloé aimait également la compotedepommes, etMax aussi.Allez, soyons fous,pensa
Grace.Changeonsunpeu l'ordredeschoses.Cesoir,nousauronsde lacompoteà laplaced'unlégume.Ellesemità frissonneralorsqu'ellesortaitunbocaldecompoteduréfrigérateur.Elle le
posasurlecomptoirets'assitàlatable,tremblantdetoussesmembrescommesielleavaitdelafièvre.Danslesalon,ChloéchantaitetdansaitenregardantunfilmdeWaltDisney.Gracenese
rappelait plus le titre du film. C'était encore une histoire de princesse pleine d'audaceflanquée de l'acolyte de service. Max était assis au milieu de la cuisine et mâchouillaittranquillement un livre pour bébés en plastique. Elle se frotta le front tout en l'observant.Apparemment,elleallaitavoirsacriseavantquelesenfantssoientaulit,quecelaluiplaiseounon.Latuerie.En ce qui la concernait, les événements qui avaient entraîné l'arrivée du djinn, puis la
tuerie, avaient commencéavec l'otitedeMax.Laveille, il s'étaitmisàêtregrognon, cequiétait un changement suffisamment remarquable, lui qui était normalement toujours debonnehumeur,pourqu'ellelesurveilleavecencoreplusd'attention.C'étaitallédemalenpiset,brûlantdefièvre,ilavaitpleurélamoitiédelanuit,jusqu'àce
qu'untrioétrangeetextrêmementdangereuxfrappeàlaporte.S'ilyavaitvraimenteuunmomentoùellen'avaiteuaucuneenvied'ouvrirlaporte,c'était
bienàtroisheuresetdemiecematin-là.Ellefaisaitalorslescentpasdanslamaison,Maxenpleurs dans les bras, et essayait de ne pas s'arracher les cheveux. Peu habituée à gérer cegenre de crise, elle ne savait pas si elle devait attendre le matin et l'emmener chez sonpédiatreousielledevaitréveillerChloé,installerlesenfantsdanslavoitureetserendreauxurgences.Mais que ce fût pratique ou non, elle devait ouvrir la porte ; sa position nouvellement
héritéed'OracledeLouisvillel'exigeait.Grace,ChloéetMaxvivaientdanslavasteetvieillefermeoùGraceavaitgrandi.Lamaison
appartenait à la familleAndréas depuis son arrivée auxÉtats-Unis. Elle se trouvait sur unterrain d'un peu plus de deux hectares qui bordait le fleuveOhio. En vertu de la loi intra-domaines, la propriété entière était censée représenter un sanctuaire pour tous ceux quivenaient consulter l'Oracle, et l'Oracle avait par ailleurs l'obligation d'accueillir toutes lespersonnesvenueslaconsulter.Maisl'Oracleauraitdûêtrelagrand-mèredeGraceousasœurPetra.Gracen'avaitjamais
vraimentcruqu'ellehériteraitde laForce.Depuis l'accident,elleavaitété tentéedebaisserlesbras,derejetercethéritagefamilialancestralquiavaittraversédesmilliersd'années,maiselleavaitréussijusqu'àmaintenantàréprimercetteenvie.Tantbienquemal.Aussi, lorsque des coups à la porte avaient retenti aumilieu de la nuit, Grace était-elle
allée ouvrir. Elle avait trouvé Carling Severan, Rune Ainissesthai, et Khalil sur le seuil.Carlingétaitl'unedesplusPuissantessorcièresdumonde,unevampire,etelleavaitétéreinedesCréaturesdelaNuit.Ellevenaitégalementdequittersafonctionlaplusrécente,celledeChancelièreauprèsdutribunaldesAnciens.Soncompagnon,Rune,n'étaitpasn'importequelWyr. C'était un griffon et il avait été la première sentinelle du domainewyr,même si, luiaussi,avaitrécemmentquittésesfonctions.Puisilyavaitleurcompagnon,ledjinn,KhalilQuelqu'und'Important.Celafaisaitpresquepenseràuneblague:«Voussavezcequisepassequandunvampire,
unWyretundjinnentrentdansvotremaison... ?»SaufqueGraceavaitdécouvertque lachuten'étaitpasdrôle.Si elle avait essayé avec autant de véhémence de persuader Carling, Rune, et Khalil de
reveniràuneheureplusdécente,c'étaitparcequeMaxn'étaitpasbien.Maisrienn'avaitpulesdissuader.Aumoins,Carlingavaitsoignél'otitedubébéavantdedemanderofficiellementdeconsulterl'Oracle.Heureusement, les demandes pour consulter l'Oracle aumilieu de la nuit étaient rares.
Maisquandellessurvenaient,ellesétaientengénéralurgentes.C'étaitlecaspourCarlinget
Rune.Runeavaitétéblesséetapparemmentleurmissionétaitdesplusimpérieuses;parfois,c'étaitsimplementleboxon,onnepouvaitrienyfaire.Le boxon qui avait pris place à l'aube avait été suffisamment énorme pour faire venir
quelques-unesdescréatureslesplusPuissantesducontinentaméricain.TouslesChanceliersdu tribunal des Anciens, à l'exception d'un, soit six d'entre eux, avaient convergé pourdemander des comptes àCarling etRune.Deplus, deuxdes dirigeants des sept domaines,Dragos Cuelebre, dragon et seigneur des Wyrs de New York, et Julian Regillus, roi desvampires du domaine des Créatures de la Nuit de San Francisco, avaient été égalementprésents.Se retrouver face au dragon qui occupait toute la clairière avant qu'il revête sa forme
humaine,celaavaitétéunsacréchoc.Riendecequ'elleavaitpuvoiràlatélévisionouaucinémaoumêmeimaginern'auraitpu
laprépareràlavuedudragonenchairetenos.Elleavaitdéjàdumalà tenir le coupavant cetteapparition.Ellen'avaitpasdormide la
nuit.PuiselleavaitinvoquélaForcedel'Oracleaucoursd'uneséanceintenseavecCarlingetRunedontellen'avaitpasgardélemoindresouvenir.Etpourcouronnerletout,RuneavaitviolemmentpousséCarlingàlasortiedelacaverne;ilavaitvoulul'écarterd'undanger,maisGraces'étaittrouvéesurlatrajectoire.Carlingl'avaitpercutée,etGraces'étaitretrouvéesurlesfesses,étourdieparl'impact.Les chosesn'avaient alorspas cessédedevenir étranges et inquiétantes, unpeu comme
une course effrénée en voiture complètement hallucinogène. Elle s'était relevée après sachute et s'était tenue légèrement en retrait pour observer le reste de la scène, sans quepersonnenefassevraimentattentionàelle.Ellen'avaitpascompristouslestenantsetaboutissantsdelaconversationdugroupe.Pour
uneraisonqu'ellen'avaitpasfranchementsaisie,Carlingavaitétécondamnéeàmort,maisletribunaldesAnciensavaitfinalementdécidédelamettreenquarantaineàlaplace.SaufqueGrace était à peu près certaine que Carling n'avait rien de contagieux. Le lieu où Carlingdevaitêtreconfinérestaitlesujetd'âpresdiscussions.Gracen'arrivaitpasàcomprendresiletribunalavaitl'intentiondemettreCarlingenprisonoudansunhôpital.Et puis, pour compliquer encore un peu plus les choses, Rune avait pris Carling pour
compagneetrefusaitd'êtreséparéd'elle.IlsnepouvaientpasserendredansledomainedesCréatures de la Nuit -Carling et sa progéniture Julian, le roi, étaient en bisbille - et puispersonnenedébordaitd'enthousiasmeàl'idéequ'ilsaillentdansledomainewyr.Etpendantcetemps,Grace,stupéfaite,voyaitdéfilersoussesyeuxcespersonnagestous
plusahurissantslesunsquelesautres.Le Chancelier du domaine des Elfes, qui était en fait une Chancelière, majestueuse,
radieuse, et sans âge. Purée, cette femme était fascinante. Le djinn Soren, Chancelier desCréaturesdelaNuitetprésidentdutribunaldesAnciens,avecdescheveuxblancsetdesyeuxcommedesétoiles,etdont laForceétaitunetourdeflammessi intensequ'ellebrûlaitsonesprit.Letriodevampires:leroidesCréaturesdelaNuitetsonbeaucompagnon,XavierdelTorro, qui était tellement célèbre quemêmeGrace avait entendu parler de lui, et enfin lajeune femme blonde qui les accompagnait et qui avait tenté de poignarder Carling alorsqu'ilssetrouvaientdans lesanctuaire.Cetacteconfirmait toutcequeGraceavait toujourssu,à savoirque les loisquiprotégeaient l'Oracle, lespersonnesvenues la consulter, et sonterritoire,n'étaienttoutsimplementpassuffisantes.Puisquelquechosed'extrêmementétranges'étaitproduit.Toutcequi l'environnaitavait
soudain sauté une plage. Comme si la réalité était un vieux 45 tours qui passait sur une
platineetquel'aiguilleavaitsauté,oubliantunepartieimportantedelachanson.EtRunes'étaitsoudaintransforméetétaitdevenuquelquechosedemonstrueux.Ilavait
tué la jeune vampire blonde, qui s'était désintégrée en poussière, emportée par la brisematinale.Grace avait déjà trouvé les précédentes délibérations du groupe interminables, mais ce
n'étaitriencomparéàcellesquiavaientsuivicetincident.Elleétaitépuiséeetsouslechoc,mais incapable de bouger parce que la décision que ces individus Puissants, extrêmementdangereuxetimmortelsallaientprendreluiimportaitvraiment,vraimentbeaucoup.Quand le Chancelier des Créatures de la Nuit s'était enfin tourné vers elle et lui avait
demandésonavis,ellenes'étaitpasfaitprierpourleluidonner.Ellesavaitqu'ellen'avaitpasvutoutcequ'ils'étaitpasséetqu'ellen'avaitpasnonplussaisitouslespointsduconflit,maisilyavaitunechosequ'elleavaitclairementvueetsurlaquelleelleavaitunavistrèsarrêté.La femme, la jeune vampire, avait sorti un poignard sur ses terres. Alors, en ce qui la
concernait,cequeRuneavaitfaitensuite,lafemmenel'avaitpasvolé.Gracel'auraittuéedesespropresmainssielleenavaiteulapossibilité.Unefoisqu'elleavaitditcequ'elleavaitàdire,toutavaitététerminé.PourunejeuneOraclehumaineetsansexpérience,cequis'étaitproduitàl'aubeavaitété
extraordinairementdangereux,difficileàcomprendreetterrifiant.Etellen'avaitpasencoreeu l'occasiond'enparleràquelqu'unnidedigérercettematinéemouvementée.Depuis, lesévénementsnecessaientdetourbillonnerdanssatête.Grace n'avait pas eu à se défendre elle-même contre la vampire, mais ce n'était pas la
question.Laviolencequis'étaitdéchaînéen'avaitmêmepasétédirigéecontreelle,maisenavoirététémoinavaittoutchangé.LamaisontranquilleetlapetiteviedeGraceavaientétéirrémédiablementmarquées.Son univers avait déjà été chamboulé ces quatre derniersmois. Elle avait désormais le
sentiment que les enfants et elle vivaient dansunemaisonde verre susceptible d'éclater àtoutmoment, et ellene savaitpas si elle allait être enmesurede supporterd'y rester aveceux.Aumoins, toutes les assemblées du domaine des sorciers et des sorcières se rendaient
comptedelasituationintenabledanslaquelleGracesetrouvaitdepuisl'accident.Ilétaittoutbonnement impossible de remplir les obligations de l'Oracle et demaintenir les traditionstoutenélevantseuledeuxenfants.Sur l'initiatived'IsalynnLeFevre, laprésidentedudomainedes sorciers etdes sorcières,
unelistedesorcières«degarde»pourvenirs'occuperdesenfantsavaitétéétabliepourlesfois où Grace devait assumer son rôle tout neuf d'Oracle et répondre à une demande deconsultation.Lessorcièresoffraient leur tempsdans le cadrede ladîmedeservicequ'ellesdevaient à la communauté. La dîme était exigée de toutes les sorcières (et sorciers) dudomainequipratiquaientactivementleurart,maisparfoisellesapportaientuneaideunpeuréticente.De toute façon, la listedebaby-sittingn'était qu'une solutionde fortune.EllenerésolvaitpaslesproblèmesplusimportantsdeGrace.Ninechangeaitlefaitquequelquechose,ellenesavaittropcomment,devaitévoluer.Illefallaitparcequecontinuercommecelaétaitinconcevable.Leminuteurémitson«ding».Lespâtesétaientprêtes.Graceselevaetfitmangerlesenfants.
3Khalilsematérialisasurletoitdelamaison,pasnécessairementparcequ'ilressentait le
besoinderetrouveruneformephysique,maissurtoutpourdonnerunpointdefocalisationàsonénergiedébordante.Ilcroisalesbrasets'adossaàunelucarne.Letoitétaitenmauvaisétat et il y manquait des tuiles, remarqua-t-il avec désapprobation. Le terrain était aussinégligé que l'intérieur de lamaison avec un gazon trop haut et desmauvaises herbes quipoussaientautourdespoteauxde laclôture.Ellesenvahissaientdesparterresde fleursquiavaient dû être bien entretenus à une époque. Partout où il regardait, il voyait des signesd'abandon,de laisser-aller,alorsquel'humaineparesseuseetquerelleusefaisait lasieste.Iln'approuvait pas la manière dont elle gérait la propriété ni celle dont elle s'occupait desenfants.Ilpianotasursonbicepsetréfléchit.Lesdjinnsfaisaientpartiedespremièrescréaturesapparuesaumomentdelaformationde
laterre.Issusdelamagieetdufeu,ilsétaientdesêtresd'espritpur.Ilssenourrissaientdel'énergiedusoleil,deschosesvivantesde la terreetd'autressourcesdeForce.PourKhalil,choisirdeprendreuneformes'apparentaitàrevêtirdesvêtementsneufs.Iln'avaitpasbesoind'eaunid'aliments.Cecorpsneconnaîtraitjamaislafaim,nevieilliraitjamaisetnemourraitjamais. Facilement endossé et facilement abandonné, il s'évanouirait dès qu'ill'abandonnerait.Il n'était pas le plus ancien, le plus vénérable de son espèce, à savoir de la première
générationdedjinnsnésaumatinétincelantdumonde,maisdeladeuxième,cequifaisaitdeluiunancienparmisescongénères.IlétaituneautoritédanssaMaison,respectéetécoutéparmi les cinqMaisons de djinns. Cette jeune créature humaine n'était rien de plus qu'unsouffledetempsdanssonexistenceéternelleetl'affrontqu'elleluiavaitportéenletraitantd'ignorant,lui,étaittoutsimplementinsupportable.S'il savait pourquoi elle l'exaspérait, il ne savait pas, en revanche, pourquoi elle
l'intéressait.Ses traitsetsa formephysiqueétaientagréables,certes,enfins'il sebasaitsurl'opiniondeshumainsquantàcegenredechoses.Elleétaitpâleetportaitsursonvisagedesombres, des fantômes de souvenirs. Ces ombres étaient fascinantes. Elles racontaient unehistoire,maisdansunelanguequ'ilneconnaissaitpas.Ilsedemandaitcequ'ellesdisaient.Sescheveux.Ah,voilàquelquechosequiétait intéressant.Ilsétaientblondcendré,eton
aurait dit qu'ils avaient capturé des flammes et la lumière du soleil, et ses yeux noisetteétaientmouchetésdevert,debleuetd'unbrunrappelantlacouleurdumiel.Cequ'iltrouvaitle plus intéressant chez elle toutefois, c'était son énergie qui crépitait d'intensité. Sontempérament était aussi impétueux que la couleur de ses cheveux, et son corps mincepalpitaitdeForce,beaucoupdeForce.Ilétaitétrangequ'unecréaturesijeunedétienneuneForce qui lui semblât si ancienne. La propriété elle-même en renfermait des échos. Il sedemandaitcequecelasignifiait.Il avait perçu du mouvement et d'autres flamboiements de Force ancienne dans les
environs.Mêmes'ilavaitétéconcentré,absorbéparlesenfants,etqu'iln'avaitpasquittélamaison,ilavaitperçulegroupequis'étaitréuniplustôtdanslajournéedansl'enceintedelapropriété.Ilsavaitqueplusieursdecesentitéssetrouvaientencoredanslarégion.CarlingetRune, lesChanceliers du tribunal desAnciens, le roi desCréatures de laNuit et le dragon
n'étaient pas loin. Khalil se demandait avec curiosité qui allait partir et si l'un d'entre euxallaitrevenirafindes'entreteniravecl'Oracle.Lesombress'étiraientautourdelamaison.L'airétaitlourdethumide,commegonflépar
unetempêteimminente.Depuissapositionsurletoit,ilvoyaitlefleuveOhio,l'undesplusgrands fleuves du continent nord-américain, qui bordait la partie située à l'ouest de lapropriété.L'eaucapturaitlesrayonsdusoleilaupointqu'ellesemblaitétincelerdesaproprelumière.Ilécoutalesbruitsquivenaientdelamaison.Dessonsdelaviequotidienne,letintement
descouvertscontrelesassiettes, lerirecommunicatifdubébéet lapetitevoixdeChloé.Lafilletteétaitunpetitmoulinàparoleset, lorsqu'elleneparlaitpas,ellechantait.Elleposaitsansarrêtdesquestions.SiGraces'adressaitàluid'untonirrité,ellerépondaittoujoursavecpatienceauxquestionsdeChloé.Ils lui faisaient penser à une nichée d'oiseaux. Khalil sourit en pensant à cela.Cui, cui,
cui.Puisilyeutdesbruitsd'eauetdenombreuxbattementsd'ailes.Legazouillementdevintplusfort.LefredonnementdeChloéetlescrisdejoiedeMaxponctuaientlesrires.Lebruitsedéplaçade lacuisineversuneautrepartiede lamaison.Gracecouchait lesenfants.Elleétait extraordinairement aimante avec cesbébés.S'il n'approuvait guère ses actions etqu'ilétaitàpeuprèscertainqu'ilnel'appréciaitpas,ildevaitquandmêmeluireconnaîtrecela.Ilseremémorauneépoquetrèslointaineoùsaproprefille,Phaedra,exprimaitelleaussi
son bonheur de son rire cristallin. Les enfants étaient rares chez lesAnciens, comme si lanaturecompensaitainsilalongévitéextraordinairedeleurvie.Les enfants de djinns ne naissaient pas comme les humains ou d'autres créatures
«incarnées»,c'est-à-diredotéesd'uneenveloppedechair,maisdetempsàautrelesénergiesde deux djinns se mêlaient, fusionnaient et formaient un jeune djinn. Et les enfants desdjinns ne demandaient pas autant de soins que les créatures nées d'autres espèces. Ilsentraientdans l'existenceavecdespersonnalitésdéjàbiendéfinieset ilshéritaientde leursparentsun savoirdéjà considérable. Ils avaient lapuretéde l'innocence toutefois,neufsaumondequ'ilsétaient,etdébordaientd'unelégèretéd'êtremalicieuse.Lamère de Phaedra, Lethe, avait été encore plus Puissante queKhalil, car elle était un
djinndepremièregénérationquiavaitconnulespremiersbalbutiementsdelaplanèteterre.Aufildutemps,larelationentreLetheetluis'étaitenvenimée,ilsétaientdevenusennemis.Pour lui faire dumal, Lethe avait pris leur enfant et l'avait torturée.Khalil, avec quelquesalliésdechoix,dontCarling,avaitrécupéréPhaedraetmisLetheenpièces.Safillevivait,maiselleneriaitplus,pascommecesjeuneshumainsinnocentsetradieux.
Ilarrivaitqu'undjinnsubissedesdommagesaupointd'enêtredéformé.C'étaitcequ'ils'étaitpasséavecPhaedra;sonessenceavaitétéaltéréeetdénaturée.Ellefuyaitlecontactaveclesautresetsedéchaînaitfacilement,causantdesdommages.Ilnesavaitpascommentl'aider.Iln'avaitjamaissucommentl'aider.GracequittaenfinlachambredeMaxetdeChloé.Il l'entenditretournerdanslacuisine.
Elle fit de nouveau couler de l'eau, il perçut le bruit d'assiettes et de couverts,d'éclaboussures.Puisellepassadansuneautrepièce,cellequise trouvait sur lagaucheaurez-de-chaussée.Celadevaitêtrelecoinbureau.Ellefutsilencieuseunmoment,puiselleserenditdanslesalon.Ilremarqualafaçondontsadémarchechangeaitcurieusement.Ellesemettaitàmarcherdemanièrefluide,puiselleralentissaitrapidementetsespasdevenaientheurtés,sadémarchetrébuchante.C'étaitencoreuneautrebizarreriequ'ilavaitnotée.Elle alluma la télévision et c'est alors qu'il se glissa dans la chambre des enfants par la
fenêtreouverte,aussisilencieusementquelabriseestivale.
Lesjouetsavaientétérangés.Lachambreétaitenordre,riennetraînaitsurlesol.Lapiècen'était pas totalement plongée dans l'obscurité car la porte était ouverte et une lumièreindirectevenuedusalonl'éclairaitlégèrement.Lesdeuxlitssefaisaientface.Despostersauxcouleursvivesornaientlesmurs.Unegrenouilleverteétaitsuspendueau-dessusduberceaudeMax,etuncochonroseaffubléd'uneperruqueblondeetd'uncollierdeperlesau-dessusdupetitlitdeChloé.Khalilajoutalecochonavecsaperruqueblondeàlalistedeplusenpluslonguedeschoses
qu'il ne comprenait pas. Il détestait devoir l'admettre,mais la femelle humaine avait peut-êtreunpeuraison.IlsedéplaçasansbruitetsepenchasurlasilhouetteimmobiledeMax.Lebébésentaitle
propreetdormaitprofondément, ses jouesrondes toutesroses.Khalilprit lamaindupetitgarçonetl'étudiaaveccuriosité.ElleétaitencorepluspetiteetdélicatequecelledeChloéetévoquaituneétoiledechairdouce.Ceshumainsétaientdescréaturestellementinsolites.Quandils'approchaensuitedulitdeChloé,ilconstataqu'elleétaitsurleventreetsuçait
sonpouce.Ellesentaitlepropreelleaussietsesbouclesbrillantesétaientbrossées.Puisilvitl'étincelledanssesyeuxetserenditcomptequ'ellenedormaitpasencoreetl'observaitaussiintensémentqu'ill'observait.Il s'accroupit pour se mettre à sa hauteur. Elle lui sourit sans retirer son pouce de sa
bouche.—Est-cequetusaisquejesuisletoutou-chat?murmura-t-il.Elleopina.—Tuesunepetitefilleintelligente.(Ilréfléchituninstant,essayantdetrouverdesmots
qu'elle comprendrait. Il était étonnamment difficile d'essayer de penser comme un petithumain.)Est-cequetusaisquejenesuispasvraimentuntoutouniunchat?Elleopinadenouveau.Bien.C'étaitbien.Illuitapotaledos.Elleétaitchaudeetdoucesouslacouverturelégère.—Est-cequetusaisquetunedoispastirerlaqueued'unvraichienoucelled'unvraichat
nonplus?Etquetunedoispasleurmettrelesdoigtsclanslesyeux?Elleretirasonpoucedesaboucheetmurmura:—Assurément?Ilfronçalessourcils,soupçonneux.—Est-cequetucomprendscequeveutdirecemot?Ellesecoualatête.Ilsoupira.—Jevoisqu'ilnousrestedeschosesàclarifier.—Est-cequetupeuxaussiêtreuncheval?Ah.Petite,bruyante, et remarquablementopiniâtre. Il apprenaitbeaucoupde choses sur
lesnouveauxhumains.—Jenecroispasquecesoitlemomentdediscuterdecela,murmuraKhalil.Ilauraitvoululaprendredanssesbrasetlaserreraffectueusementcontrelui,maisilse
retint.—Assurément,fit-elled'untonespiègle.Illuitapotaledos.Assurément.Sa Calamité Ambulante s'était évanouie, certes, mais elle n'avait pas quitté la maison.
Gracesentaitsaprésencedansl'air,commelesrestesd'unfeudecamp.Pourquoin’était-ilpasparti?Qu'est-cequipouvaitbienl'attireretcommentpouvait-elle
faireensortequ'ilsedésintéressed'euxets'enaillepourdebon?Grace réfléchit au problème du djinn importun en nettoyant la cuisine pendant que les
fantômesdiscutaiententreellesàvoixbasse.La liste de baby-sitters n'était pas la seule assistance que Grace recevait des sorcières.
Jaydon Guthrie, le président de l'une des plus anciennes assemblées de sorciers et desorcièresdeLouisvilleavaitorganiséunejournéedetravailcommunautairetrimestrielleafinde l'aider dans l'entretien de la propriété. Comme il l'avait dit, les journées de travail nebénéficieraient pas uniquement à Grace. Elles permettraient aux sorciers et aux sorcièresd'offrirleursservicespendantplusieursheuresd'affilée,cequiaideraitceuxquin'avaientpasfinidepayerleurdîmeàsemettreàjourplusrapidement.Graceavaitététropdépasséeparlesévénementspourenvisagerderefuserlaproposition.Lors de la première journée de travail, elle avait profité de leur aide pour organiser
l'agencementdelamaisondesortequelesenfantsetelleutilisentessentiellementlerez-de-chaussée. La cuisine était spacieuse et il y avait un coin repas avec une table, une chaisehauteetquatrechaises.Ilsn'avaientdoncpasbesoindesalleàmanger.QuandPetraetNikoavaientdécidéd'avoirdesenfants, ilsyavaient installéun lave-lingeetunséchoirdesortequePetran'aitpasbesoindedescendresouventausous-soloùcetyped'appareilsménagersétaitgénéralementinstallé.Lerez-de-chausséeavaitégalementdestoilettes.Graceavaitfaittransporterlatabledelasalleàmangeretleschaisesdanslegarage,avait
installélebureaudanslasalleàmangerettransformélebureaupourenfairelachambredeChloéetMax.Elledormaitquantàellesurunfutondanscequiavaitétélasalleàmangeretétaitdoncdevenue lebureau.Ainsi, ellen'avaitpasbesoindemonterà l'étage, si cen'étaitpour se laver ou chercher des vêtements. Le rez-de-chaussée était plus frais l'été, et cetagencement étaitmoinspéniblepour sa jambe.Ses vêtementsdescendaientpetit àpetit etn'étaientpasremontés.Elleavaitcommencéàentasserdesaffairesdansunclasseuràtiroirsquisetrouvaitclansuncoindubureau.Le samedi qui arrivait allaitmarquer la prochaine journéede travail.Elle pourrait peut-
être demander à quelqu'un de descendre une commode. Les petites choses de ce genrepouvaient beaucoup aider à simplifier une situation compliquée. Elle fourra les vêtementsmouillésqu'ellevenaitdepasseràlamachinedansleséchoir.Puisellefitsatoiletteàl'évier,mettantlatêtesouslerobinetpourselaverlescheveux.Elleseservitdushampooingpourbébésqu'elleavaitutilisépourlesenfants.Elleavaitbeauavoirdeuxventilateursenmarche,ilfaisaittropchauddanslamaison.Elle
finit par craquer et se rendit dans le bureau où elle fouilla le classeur qui lui servait decommodeà la recherchedevêtementsplus légers.Elleenfilaundébardeuretunshortquiétait en fait un pantalon de sweat qu'elle avait coupé au-dessus du genou. Elle n'attendaitpersonneaprèstoutetellen'avaitpasbesoindeseregardersiellenelevoulaitpas.Detoutefaçon,ilétaittempsqu'elles'habitueauxchangementsquesoncorpsavaitsubis.
Peut-êtrequ'ellenedevraitpasfermerlesyeuxsursesblessures.Peut-êtrequ'elledevraitseforceràlesregarderafindes'yhabituer.Ellesfiniraientpars'estomperaufildutemps.Pourl'heure,ellesétaientencoretrèsrougesetboursouflées.Aumomentdel'accident,Gracesetrouvaitàl'arrièredelavoiture.Celaluiavaitsauvéla
vie. La collision de plein fouet avait poussé le siège avant dans ses jambes. Elle avait descicatricessurlesdeuxjambes,maisc'étaitsajambedroitequiavaitétéleplusabîmée,carlecartilage de son genou avait été littéralement déchiré. La chirurgienne avait fait ce qu'elleavaitpupourréparer lesdégâts,maisGrace,quifaisaitdelacourseàpiedaulycéeetavaitmêmesongéà s'entraînerpour le semi-marathondeLouisville,ne courraitplus jamais.Lachirurgiennel'avaitégalementavertiequ'ellepourraitavoirbesoind'uneprothèseàl'avenir.Une interventionchirurgicalepourposeruneprothèsedugenoupouvait coûterdans les
trente-cinqmilledollars,sinonplus.Benvoyons...Çanerisquaitpasd'arriverdesitôt.Gracefaisait ses exercices de rééducation avec discipline et quand elle ne pouvait pas faireautrement,elleportaituneattelledegenou.Etsicelanesuffisaitpas,elleutilisaitunecanne.Lachutequ'elleavaitfaitelematinmêmeluifaisaittoujoursmaletellefixadoncl'attelle.Lesoulagementfutimmédiat.Elle s'assitaubureauetalluma l'ordinateurafindeconsulter labasededonnées sur les
Anciens que Niko avait créée en se basant sur les journaux et les livres écrits par deprécédentesOracles.Ah,voilà,ellesavaitqu'ilyavaituneentréesurledjinn.Ellecliquasurlesujet,lapages'ouvritetellelalutrapidement.DansledomainedesCréaturesdelaNuit,lastructuresocialedesdjinnsétaitcomposéede
cinqMaisons : cellesdeShaytan,deGui, d'Ifrit, de Jann, et laplusPuissantede toutes, laMaisondeMarid.CesMaisonsétaient fondéessurdes liensdeparenté, trèssimilairesà lamanièredontleshumainsconcevaientdesclansoudegrandsgroupesconstituésdegensdelamême famille.Lesdécisions importantesquiaffectaient touteuneMaisonétaientprisesparconsensusetledjinnleplusvénérableetleplusPuissantavaitlederniermot.Les djinns étaient des créatures de magie et de feu et leur Force était presque
inimaginable. Ils n'accordaient pas de valeur aux choses physiques ou à l'argent, maiséchangeaient des faveurs. Pourundjinn, unmarché était sacré et se dédire était un crimegrave. Ils n'avaient pas la réputation d'être des créatures magnanimes qui pardonnaientfacilement.Denombreuses légendes rapportaient le comportementmalveillantou crueldedjinnsàl'égarddetoutindividusuffisammentinconscientpourconclureunmarchéavecundjinnetnepasrespectersonengagementensuite.Elle trouva toutes ces informations étonnamment intéressantes, cependant l'article ne
disaitriensurlamanièredesedébarrasserd'undjinnquis'incrustait.Grace aux enseignements de sa grand-mère,Grace savait quoi faire pour se débarrasser
d'un fantôme importun ou d'un mauvais esprit. La majorité des fantômes n'étaient pasbeaucoupplusquelessouvenirsd'unepersonnedéfunteetilsdisparaissaientengénéralsansproblème. Les esprits frappeurs, tels que les poltergeists, étaient des entités trèsrudimentaires. Ils étaient l'énergie résiduelle d'un fantôme malveillant particulièrementpuissant,ets'ilsétaientenmesuredecréerunchaosphysiqueetdecauserdesdommages,illeurrestaittroppeudepersonnalitépourqu'ilssoientenmesurederaisonner.Entantquecréatures vivantes, les djinns étaient quant à eux beaucoupplus sophistiqués et Puissants.Elleéteignitl'ordinateurenpoussantunsoupiretserenditdanslesalon.Elle alluma la télé pour voir la fin des nouvelles locales tout en rangeant la pièce,
ramassantdesjouetsetlepanierdelingepropreetplié.Lesdeuxprésentateurs,unhommeet une femme, s'interrogeaient sur l'apparition soudaine de plusieurs Chanceliers dedomainesdesAnciensàLouisville,mais l'attention seportait surtout surDragosCuelebre,seigneur desWyrs, et sa nouvelle compagne, filmés alors qu'ils entraient dans le luxueuxhôtelBrownducentre-ville.Cuelebre était un mâle imposant aux cheveux de jais qui dépassait de plus d'une tête
presquetouteslespersonnesquil'entouraient.Ilavaitdétournésonvisageauxtraitsciselésde la caméra et avait un bras passé autour des épaules d'une femme élancée aux cheveuxblond pâle. Grace la reconnut ; elle l'avait vue dans la clairière le matinmême lors de laconfrontation.Àl'antenne,elleportaitdeslunettesdesoleilquicouvraientlamoitiédesonvisage triangulaire.La jeune femmesoufflaquelquechoseàCuelebrealorsqu'ils entraientdansl'hôteletilfitunsigned'assentiment.Ilsn'accordèrentaucuneattentionaugroupedejournalistesetdecaméramansquilesentouraient.
Laprésentatricedisait:—Pourl'instant,personnen'afournid'explicationofficiellequantàlaprésenced'autantde
dignitairesdesAnciensàLouisville,àl'exceptiondelasecrétaireduChancelierArcherArrow,TaraHuston,qui s'est adresséeà lapresse cet après-midi.Lisantunedéclarationpréparée,Hustonaditquelarencontreétaitliéeàuneaffaired'ordreprivéetn'avaitrienàvoiraveclesrelationsparfoistenduesentredomaines.Maisquellepeutbienêtrelanaturedecetteaffaireprivée,Todd?Etenquoipeut-elle justifier laprésencedeDragosCuelebre,accompagnédecettemystérieusepersonnequi,d'aprèsunesourceinterne,seraitsanouvellecompagne?Lachevelureblondedelafemmeétaittellementlaquéequelorsqu'ellesetournaversson
collèguepourluipasserlaparole,onauraitditqu'elleportaituncasque,carpasuncheveunebougea.—Bonnequestion, Joanne.Cuelebre est soumis àbeaucoupdepressiondepuisquelque
temps. Comme le reste du marché boursier dans le monde, Cuelebre Enterprises arécemmentessuyéquelquesreversfinancierssérieux,mêmesilacompagniefigureraencoreindubitablementcetteannéedans la listedescinquanteentreprises lesplusrichesdupays.DestensionssesontégalementexacerbéesentrelesWyrsetlesElfes.Parailleurs,dansl'unedes déclarations les plus étonnantes de l'année, nous avons appris que Cuelebre avaitégalement perdu l'une de ses sept sentinelles, Tiago Aigle noir, qui a démissionné de sonpostepoursemettreauservicedelanouvellereinedesFaesnoires,NinianeLorelle.Lesseptsentinelles de Cuelebre sont les piliers du gouvernement wyr, si bien que Cuelebre seretrouvenonseulementconfrontéàunemauvaisepassefinancièreetàunelutted'influencesaveclesElfes,maisilaunesentinelledemoins,cequiaugmenteconsidérablementsachargede travail.Quellequesoit l’«affaireprivée»quiaitpu le faireveniràLouisville, celadoitêtrequelquechosed'urgentpourqu'ilaitquittéNewYorksivite...En lesécoutant,Grace se rendit compteque les journalistesn'avaientaucune idéedece
qu'il s'était passé plus tôt. Ils ne mentionnaient pas les événements du matin et ilsindiquaientqueCuelebreavaitperduunesentinelle,pasdeux.Apparemment, ladémissiondeRunedesonpostedepremier lieutenantn'avaitpasencoreétéannoncéepubliquement.Ce flash d'informations n'était rien de plus que du remplissage verbeux concentré surCuelebreparcequ'ilétaitl'undeschouchousdesmédias.Leurscommentairesne l'intéressaientpasetelleéteignit leposte.Lasueurcoulaitentre
sesseins.Ellesedirigeaenboitantvers leventilateurafindelepositionnerdevantlaportemoustiquairedesortequ'ilpuissebrasserl'airplusfraisdel'extérieur.Elleenprofitapour jeteruncoupd'œildehors ; lecrépuscules'assombrissaitdeplusen
plus.Deux silhouettes de haute taille vêtues de pèlerines remontaient l'allée de graviers qui
menait à sa maison. La plus grande et la plus imposante regarda en direction du soleilcouchantetrepoussasacapuche,révélantdestraitsaquilinsetdescheveuxnoirsgrisonnantaux tempes. C'était Julian Regillus, le roi vampire des Créatures de la Nuit. La secondepersonne repoussa elle aussi sa capuche. L'homme avait des cheveux châtains qui luiarrivaient aux épaules et un visage agréable, mais plutôt quelconque, et il était l'un deschasseurslesplusredoutésdetouslesAnciens:lamaindroitedeJulian,levampireXavierdelTorro.Desvampiresarrivaientdevantchezelle.Elleavaitdéjà rencontrédesvampires.Passouvent,maisquelquefois.Ceuxqu'elleavait
rencontréssemblaientêtredespersonnestoutàfaitsociablesetdebonnecompagnie.Lesdeuxvampiresquis'approchaientdelamaisonn'étaientpasdespersonnesagréables.
C'étaitdeuxdesvampireslesplusPuissantsdumonde.Etlavampirequilesaccompagnaitle
matinétaitcellequiavaitdégainéuneépéedansunlieuquelaloiintra-domainesconsidéraitcommeunsanctuairepourtouteslesespècesettouteslescréatures.Leslois,c'étaitcommedesverrous;ellesn'étaientefficacesquesilesgenslesutilisaient.L'adrénaline rugit dans ses veines comme si un lance-roquettes lui en avait envoyé une
salve.Elledéplaça le ventilateur, ferma laported'entrée et, absurdement, la verrouilla.Unétau invisible comprima ses côtes et elle n'arriva plus à respirer. Bêtement, elle pensa auvieuxfusildeNikoquin'étaitpaschargéetquiétaitrangéenhautdugarde-mangerdanslacuisine.Ellesavaitseservird'unfusil,maisenadmettantqu'elleaitletempsdelechercheret de le charger, la seule chose qu'elle accomplirait en le brandissant serait d'enrager lesvampires.Unfusilnepouvaitpasavoirgrandeffetsureux.Ellebaissalesyeux.Ellen'avaitpaseuletempsdepasserl'aspirateuravantdecoucherles
enfantsetlesolétaitjonchédemiettesdebretzeloùsedevinaitl'empreinted'unechaussuredelatailledupieddeChloé.Desvampiresviennentchezmoi,pensa-t-elle.Etjesuisseuleavecdeuxjeunesenfantset
unepoignéedefantômes.Etundjinnarrogantquiadorelesenfants.Khalilestundesdémonslesplusancienset lesplusredoutables,avaitdéclaréCarlingle
matinmême.S'ilprometdeprotégervosenfants,illesprotégera.—Heu,hello ? fit-elle à lamaison silencieuse et vide. (Sa voix tremblait autantque ses
mains.)Est-cequ'onpeutparlerdeuxminutes?Le«silence»adoptauneattituded'écoute.MaisKhaliln'apparutpas.—Iln'yapasbeaucoupdetempsetjesaisquevousm'entendez,murmura-t-elle.S'ilvous
plaît.Unefuméenoiretraversalesalonenflottantau-dessusdusol.Unevolutes'élevadevant
elle et prit l'apparence du visage de Khalil. La face la regardait avec à peu près autantd'amabilitéetdebienveillancequelechatnoirunpeuplustôtdanslajournée.Elleserralespoings.L'articleneluiavaitpeut-êtrepasapprisgrand-chosesurlesdjinns,
mais il avait souligné qu'ils adoraient passer des marchés. Les choses matérielles leurimportaientpeu.C'étaitdesfaveursqu'ilséchangeaient.—Nousnenousapprécionspeut-êtrepasbeaucoup,fit-elleàvoixbasse,maisnousnous
soucionstouslesdeuxdemanièceetdemonneveu,n'est-cepas?Khalillevaunélégantsourcilnoir.Uncoupfutfrappéàlaporteavecvigueur.Ellesursautaviolemment.Elles'adressaàlui
partélépathieetparlavite:—J'aimeraisvousproposerunmarché.Sivousnousprotégezdesvampires,lesenfantset
moi,jevousdevraiunefaveur.LevisagedefuméedeKhalilsepenchasurlecôtépendantqu'ilréfléchissaitauxmotsde
l'humaine.Elleétaitvraimentunecréatureécervelée.Illuiavaitditqu'illuioffraituncadeauinestimable dont elle n'appréciait pas la valeur. Il se rendait comptemaintenant qu'elle necomprenaitvraimentpascequ'ilavaitvouludire.Illuiavaitdéjàpromisqu'ils'occuperaitdespetits, et cette offre n'était pas limitée dans le temps. Et s'occuper des petits impliquaitégalementdegarantirlasécuritédelapersonnequis'occupaitd'eux,qu'ilsaimaientetdontilsdépendaient.Elle voulait maintenant conclure unmarché pour quelque chose qu'il avait déjà donné
librement ? Il faillit rire. Il remarqua les battements affolés de son cœur et ses pupillesdilatéesetpritconsciencequ'elleétaitvraimentenproieàlapanique.Unecréaturecapabledecompassionauraitpuêtretouchéeparl'effroideGraceetnepas
chercherà enprofiter,mais lesdjinnsn'avaientpas la réputationde savoir fairepreuvede
compassion.Et il n'était certainement pas responsable de ses compétencesmédiocres enmatière de
négociations.Unsecondcoup,plusfort,retentit.—MademoiselleAndréas, ouvrez s'il vousplaît, fit delTorro. (Sa voix était aussi neutre
quesonapparence,plutôtagréable.)Noussavonsquevousêteslà.—Vous et les petits avezma protection contre les vampires, fit Khalil, sa voixmentale
aussidoucequ'uncordondesoieglissantsursoncou.Aumomentquejechoisirai,vousferezcequejevousdemanderaidefaire,ceseraleprixdecettefaveur,d'accord?—D'accord,répliqua-t-elleenfaisantunsigned'assentiment.Khalil décocha à Grace un sourire sulfureux. Il avait l'intention d'adopter une forme
physique complète pour accueillir les vampires et il laissa donc son visage de fumée sedissiperet...Grace se redressa, afficha une expression tendue mais calme, et se tourna afin d'aller
ouvrirlaporte.Khalildutlereconnaître,celalesurprit.Aprèslapaniquequel'humaineavaitmontrée,il
nepensaitpasqu'elleenavaitlecran.Ellesentaitencorelapeur,maissonénergiecrépitaitaussi de colère. Manifestement, elle n'aimait pas du tout la manière dont les vampiresl'avaienteffrayée.Étantdonnéqu'elleavaitégalement l'aptitudedepercevoirsaprésence, ildécidad'attendreavantdesematérialiserafind'observerlafaçondontelleaffronteraitcequil'attendaitsurleseuildesaporte.GracesentitKhalilflotterderrièreelletandisqu'elleregardaitlesdeuxvampiresàtravers
le fin grillage de la portemoustiquaire. Lematin, dans la clairière, il y avait eu une telleconcentration de Force émanant d'un si grand nombre d'entités qu'elle avait eu dumal àpercevoirquelleForceappartenaitàqui.Elles'étaitsentieenvironnéed'unechaleurdiffuse,unpeucommesielleavaitétéengloutieparuneéruptionsolaire.Elle n'avait plus aucun mal maintenant à percevoir la Force intense que les vampires
portaient en eux.Elle affrontait deux désastres et une calamité se dressait derrière elle, etc'étaitplusquesuffisantpourluidessécherlaboucheetluifairecognerlecœur.—Qu'est-cequevousvoulez?demanda-t-elleauroidesCréaturesdelaNuit.Wouah, écoutez-moi ça,pensa-t-elle.Jene suis pas très polie, non? Flanquez-moi d'un
djinnpourjouerlesgrosbrasetj'oublietoutesmesmanières.Le regard ténébreux de Julian Regillus croisa le sien. Elle sentit le magnétisme de ses
yeux,mêmeàtraverslaportemoustiquaire.—Maisjeveuxm'entreteniravecl'Oracle,bienentendu.Lavoixduroiétaitbasseetunpeurauque.Elleévoquaitunelampéedewhiskey.Ilavait
ouvert sa pèlerine, car il faisait chaud, et il portait une chemise et un pantalon noirs toutsimples.Ilétaitimposant,athlétique,avecunventreplatetdesmusclessaillants.Setrouvantsiprèsdelui,elleconstataqu'iln'avaitpasparticulièrementbienvieilliquandilétaitmortel.Ilavaitl'aird'avoireuprèsdecinquanteansaumomentdesatransformation,ildevaitdoncenfaitavoireutrente-cinqansenviron.Ilavaitdestraitsburinésetdefinesridesautourdesyeuxetauxcommissuresde sabouche sévère.S'il gardait ses cheveuxcoupés très court, ildonnaittoutefoisl'impressiond'unlouphirsuteattentifàchacundesesmouvements.Àladifférencedesonroi,letueurquisetenaitàsescôtéssemblaitpresquegracile,lelong
corpsmincededelTorromasquantsansdouteuneredoutableforce.XavierdelTorrodevaitavoirététransforméquandilavaitvingt-cinqansenviron.Ilpouvaitencoredonnerl'illusiond'être jeuneavec sesyeuxquihésitaiententre legris et levert, son teint clair, et ses traitsciselésqui,sansêtredéplaisants,n'étaientnibeauxnidélicats.
Cette transformation avait été un événement célèbre, resté dans l'histoire. Fils puîné denoblesespagnols,ilavaitétéprêtrejusqu'àcequeleTribunalduSaint-Officedel'Inquisitiontorture et détruise une communauté de vampires pacifiques près de sa ville natale deValence.LacommunautédevampiresincluaitlasœuraînéededelTorroetsonmari.Aprèslemassacre, del Torro avait quitté l'Église catholique et était allé trouver Julian qui l'avaittransformé en vampire et envoyé décimer les officiers de l'Inquisition. Les dix années quisuivirentfigurèrentparmilesplussanglantesdel'Histoireespagnole.Théoriquement,Grace n'avait pas d'animosité à l'égard de quelqu'un qui avait combattu
l'Inquisition,maisdelààcautionnerdetellesviolences,toutdemême...GracetournadenouveausonattentionsurJulian.—Vousvoulezvousentretenirdequoi?Del Torro interrompit son examen de la façade de la maison et lui sourit d'un air
tranquille.—Est-cedecettemanièrequevousoffrezsanctuaireauxétrangers?—VousêtesrichesetPuissants,répliqua-t-elle.Vousn'avezpasbesoindesanctuaire.Ce
qu'ilvousfaut,c'estunesuitedansunbelhôtelenville.Etvousavezperduvotredroitd'asilecematinquandvotreamieasortiuneépéedansl'enceintedemapropriété.Derrièreelle, laprésencedeKhalil tressaillitdesurpriseetelleserenditcomptequ'ilne
savaitpascequ'ils'étaitpassé.Ilavaitdûseconcentrertotalementsurlamaison.Ils'enroulaétroitementautourd'elle.Julianeutunmouvementd'humeuretdelTorrocessadesourire.—Nous ne savions pas qu'elle était venue armée ni ce qu'elle avait l'intention de faire,
déclaraJulian.—Celasembleplutôtinsouciantetnégligentdevotrepart,répliquaGrace.Est-cequec'est
censémerassurer?Parcequefranchement,c'estraté.—Nousn'avonspasprotestéquandleWyrl'atuée,repritJulian.Justiceaétéfaite.Était-ce de la sincérité ou de l'opportunisme ? Il y avait quelque chose dans la voix du
vampire,maisquellequefûtcetteémotion,elleétaitpluscomplexeetnuancéequ'aucunmotn'aurait pu le dire. Il vivait depuis des milliers d'années et elle avait vingt-trois ans. Ellen'allaitmêmepastenterdelecomprendre,parcequ'ellesavaitquec'étaitimpossible.—Toujours pas rassurée, reprit Grace. Je neme sens pas la force de faire une seconde
consultation aujourd'hui. Pourquoi ne me demandez-vous pas simplement ce que vousvoulezsavoir?Commeça,jepourraisvousrépondreetvouspourrezrepartir.—JeveuxsavoirdequoivousetCarlingavezparlé,ditJulian.DelTorrobaissalesyeux,ilfitbrusquementunpasdecôtéetgrommela:—MadrédeDios.Ellebaissalesyeuxàsontour.Unefuméenoireflottaitautourd'elleetluiarrivaitdéjààlataille.Elletenditlesdoigtset
l'effleura. Elle tournoyait et tourbillonnait comme de la vraie fumée. Khalil révélait sansdétours sa présence aux vampires. Elle fit aller et venir son index dans lamasse sombre.C'étaittrèscoolenfait,unpeucommesetenirdanslecratèred'unvolcan.Oulagueuledel'enfer.—Jevousprésentemoncompagnon,fit-elle.Iln'estpastrèsaimable.Khalil Quelqu'un d'Important. Ce qui signifiait probablement qu'il était la Calamité
Ambulantedeplusd'unepersonne,etmêmesansdouted'unbonnombredepersonnes.Pourlapremièrefoisdepuisleurrencontre,Gracesesentitpresquejoyeuse.LaprésencedeKhalilsedilataaupointderemplirlapiècederrièreelle.Ellejetauncoup
d'œilpardessussonépaule.Unefuméenoireselevaetformadegigantesquesailesau-dessus
desatête,etdesyeuxcristallinscruelsserivèrentsurlesvampires.Ethop,encoreuncoupdebambousurlatête!—Il y a de jeunes enfants qui dormentdans cettemaison, sifflaKhalil.Et l'Oracle s'est
expriméeclairement.Vousn'êtespaslesbienvenusici.ElleseretournapourfairefaceàJulianquilesfusillaitduregard,lamâchoirecrispée.Ilfit
un pas en avant et approcha son visage du grillage de la porte. La fumée noire devinttransparenteetenveloppaGracecommeunvoile.—Nousnefaisonspasdemalauxenfants,fitJuliand'unevoixglaciale.Gracesefrottalefrontetessayadepenser.Celaneladérangeaitpasoutremesuredene
pasnouerde liensd'amitié avec le roi desCréaturesde laNuit,mais s'en faireun ennemiseraitvraimentpurefolie.—Écoutez, vousne savezpeut-êtrepas cequi sepassequand l'Oracle s'exprime, fit-elle
sansménagements.Mais nous ne contrôlons pas vraiment l'expérience. Parfois nous noussouvenonsdecequiaétédit,d'autresfoisnon.Jenemesouvienspasdecequis'estpasséavecCarling.J'aieuuntrouetquandjesuis«revenue», j'étaisàgenouxet toutétait fini.Vousavezlesensdelavérité.Vousdevezsavoirquejenemenspas.Ceuxquicommevousviventdepuistellementpluslongtempsquemoipeuvent,soi-disant,déterminercegenredechoses.Iln'yadoncpaslieupourvousderevenir,jenepeuxrienvousdire,puisquejenemesouviensderien.Julianladévisageapendantunlongmoment.Ellesentitlepoidsdesapersonnalitéetde
son âge. Tout enveloppée qu'elle était dans le voile de protection de Khalil, elle frissonnapourtant.Puisleroifitdemi-tourets'éloigna.DelTorrones'attardapasnonplusetlesuivit.Graceobservalesdeuxhommesdescendrel'allée,puisdisparaîtredanslesbuissonsetles
arbres qui bordaient l'avant de sa propriété. Le voile de fumée noire s'éloigna d'elle. EllesentitKhalils'élancerderrièrelesdeuxvampires.Elleespéraitquec'étaitjustepours'assurerqu'ilsétaientbienpartis.Laraideurquil'avaitenvahielaquittaetelletremblasifortqu'ellechancelaetseraittombéesiellenes'étaitpasretenueàlaporte.Elleressentitlebesoinurgentd'allervoirChloéetMax.Ellesaisitlacannequ'ellegardait
toujoursàcôtédelaporteetempruntalecouloirquimenaitàleurchambreenessayantdemarcherleplusvitepossible.Lachambreétaitpaisibleetplongéedans l'obscurité.Elle sepenchad'abordsur le litde
Chloé. La petite fille dormait profondément, son pouce àmoitié sorti de sa bouche.Gracesentitsagorgesenouer.Ellearrangealacouverturelégèreautourdel'enfant,puissepenchasurMax.Lespiedscaléscontrelesbarreauxduberceau,ildormaitluiaussiàpoingsfermés.Les larmes luimontèrent aux yeux. Elle détestait ça. Elle serra le poing et l'appuya sur
l'arête de son nez tout en effleurant le duvet du bébé. Ses cheveux n'avaient pas encorevraimentcommencéàpousseretilfaisaitpenseràunCharlieBrownminiature.Peut-êtrequeleroidesCréaturesdelaNuitavaitétésincère.Peut-êtrequ'iln'avaitpassu
ce que fomentait l'autre vampire et ne l'avait pas approuvé. Peut-être que les vampires nefaisaient pas demal aux enfants et queChloé etMax avaient été parfaitement en sécuritétoutletemps.Peut-êtrequ'elleavaiteuuneréactionexcessive.MaisellenepouvaitpassepermettrederisquerlesviesdeChloéetdeMaxsurdespeut-
être.Et ellenepouvait pas sepermettrede risquer sapropre vienonplus, pas alors qu'ilsdépendaienttellementd'elle.Khalilrepritformeàcôtéd'elleetregardaàsontourlebébé.Ellesetournaetluisaisitle
bras.—Merci.Une créature peu connue pour sa compassion souffrait rarement d'élans de conscience.
Mais lorsque Khalil plongea les yeux dans le regard de Grace et vit son expression dereconnaissancesincère,ilressentitpeut-êtreuntiraillementoudeux.Ilreposalesyeuxsur l'enfantendormi.«Merci»,avait-elledit,etcen'étaitpasquelque
chosequ'undjinnentendait souvent.Unmarchééquilibrait les choses. Iln'yavaitpas lieud'exprimerdelagratitudedansunteléchange.Ilfronçalessourcils,cherchadesmotsquiluiétaientétrangers,puislestrouva.—Derien,dit-ilenfin.
4Khalilunefoisparti,toutelatensionaccumuléeabandonnaGrace.Soudain,soncorpslui
fitdeux foisplusmalqu'avant.Elle fitunehaltedans lecabinetde toiletteetsebrossa lesdents, puis elle éteignit les lumières, entra dans la pièce qui lui servait de chambre ets'étendit sur le futon.Ellene sedonnapas la peinede retirer son attelle,même si elle luidonnait chaud et la serrait. Elle avait appris à ses dépens que lorsque son genou la faisaitautant souffrir, le simple fait de bouger en dormant pouvait entraîner une atroce douleurdansl'articulation.Une bourrasque de vent fit bruisser les arbres et souleva les rideaux de dentelle de la
fenêtre à côté d'elle, frôlant sa peaumoite de sueur. Une odeur de verdure, à laquelle semêlaientdevaguessenteursdufleuvetoutproche,flottadanslachambre.Ellecontemplaleplafondenécoutantlespetitsbruitsfamiliersdelamaison.Ellenesavaitpascommentellelesavait,maisellepercevaitquemêmesiKhalilétaitparti,ilavaitgardéuneattacheaveceux.Ellesentaitsaprésencedistante,commeunsoupçondesoufre.Un fantôme déambulait au rez-de-chaussée. Elle lui prêta à peine attention, sinon pour
noter qu'il s'agissait de l'une des vieilles femmes de la cuisine. Le mois qui avait suivil'accident,elleavaitpassésesjournéesàsepréparerpourlapossibilitéterriblequePetraouNikoapparaisse,maisiln'enavaitrienétéetelleavaitfinipascesserdeleschercher.Sesyeuxétaientsecsetelleavaitl'impressionqu'ilsétaientpleinsdesable.Ellelesferma
et s'exhorta à s'endormir. Elle était monstrueusement fatiguée. Elle était toujoursmonstrueusement fatiguée. D'après le médecin, cela passerait aussi, au fur et à mesurequ'elleguérirait,émotionnellementetphysiquement.Lesenfantsrécupéraienteuxaussidelapertedeleursparents.LameilleureamiedePetra,
Katherine,s'étaitoccupéed'euxpendantqueGraceseremettaitdesesblessuresà l'hôpital.Tropjeunespourcomprendrepourquoimamanetpapanereviendraientjamaisàlamaison,ils s'étaient repliés sur eux-mêmes et ne voulaient pas la quitter lorsqu'elle avait pu lesramener chez eux.Maintenant,desmoisplus tard, ils avaient suffisamment récupérépourrireetjouer,maisilsétaienttouslesdeuxpromptsauxcrisesdelarmes,etparfoisChloéserepliaitdenouveausurelle-mêmeetrefusaitdeparler.LavoirdanscetétatbrisaitlecœurdeGrace.Un claquement sec retentit dehors. Grace se redressa et s'assit en toute hâte, puis tira
violemment le rideau sur le côté pour scruter la nuit. Les battements de son cœur affolél'assourdissaient.Uneépéequ'ondégainait...Desvampiresquiremontaientsonallée...Latuerie.LemonstredoréqueRuneétaitdevenuavaitdépecélecorpsdelavampireavec
desgriffesaussilonguesquedescimeterres.Unliquiderougevifavaittoutéclabousséautourd'eux.Puis le corpsde la vampireblondeet son sang s'étaient transformés enpoussière etGraces'étaitretrouvéeentrainderegarderavecstupeurl'espacevideoùlafemmesetenaituninstantplustôt.Dehors, juste devant sa fenêtre, un raton laveur sortit des broussailles en se dandinant,
suivipartroisdesespetits.Ellesoupiraenobservantlesanimauxtraverserlapelouse.Elle
savaitoùilssedirigeaient.Ilsallaientfourragerdanslespoubellesquisetrouvaientdevantlegarage. Avoir une propriété de plus de deux hectares impliquait la présence d'une fauneabondante et têtue. Comme sa famille le faisait depuis des années, Grace gardait lespoubellesferméesavecunloquet,maislesratonslaveursneperdaientjamaisespoir.Ellelâchalerideauetportaunemainàsonfront.Puiselleserralepoing.Ressaisis-toi,nomd'unchien.Prendsletaureauparlescornesetrésous-moiceproblème.Elleseleva,boitajusqu'aubureauetallumal'ordinateur.Puisellerédigealebrouillond'un
e-mail exposant sa situation. À qui devait-elle l'envoyer -Isalynn LeFevre ? En tant queprésidente élue du domaine des sorcières et sénatrice américaine, LeFevre était l'un deslégislateurs les plus puissants des États-Unis. Ou devait-elle l'envoyer au tribunal desAnciens, à l'attentionduChancelierArcherArrow ?Presque tous lesmembres du tribunaldesAnciens étaientprésents lorsque le sanctuaire avait été violé ; ils savaientdéjà tous cequ'ils'étaitpassé.Grace se rassit au fond de sa chaise et contempla l'écran. L'horloge de l'ordinateur
indiquaitminuitdix-sept.Ellenepouvaitpasenvoyerune-mailàquelqu'unaprèsminuit,etcertainement pas à des législateurs puissants et sophistiqués. Elle cliqua lentement sur lemessageafindelesauvegarderdanssondossier«brouillons».Il fallait qu'elle réfléchisse et envisage tous les angles. Elle connaissait ses défauts, ses
pointsfaibles.Elleétaitjeune,inexpérimentée,etelleavaittendanceàsemontrersoupeaulait et impulsive. Si elle avait été catholique, elle aurait probablement dû s'installer demanièrepermanentedansunconfessionnal.Ellen'avaitpasbesoind'étalertoutcelasurunepage,puisdelerendrepublic.Dans tous les cas, qu'espérait-elle gagner ? Ces vénérables et dangereuses créatures qui
composaientletribunaldesAnciensavaientdesexistencesbeaucoupplusviolentesquetoutcequ'elleavait connu.Leursactesétaientgravésdans lapierre, leursvicissitudesexposéessur la scènemondiale : lespolitiques intra-domaines, les traitéset lesalliances, lesvieillesrancœursetlestrahisons,lemaintiendelapaixetlesguerres.Etparfois,lemeurtre.Donc, il y avait eu violation d'un sanctuaire. Un incident isolé. Ce n'était jamais arrivé
depuisquesa famillevivait surcettepropriété, soitplusdecentcinquanteans.Sur leplandesstatistiquescriminelles,unincidentn'avaitvraimentriend'extraordinaire.Elleimaginaitl'undesChanceliersliresonmessageetétoufferunbâillement.Graceavaitbesoinqu'onlaprenneausérieuxlorsqu'elles'exprimait,pasd'êtreécartéeou
marginalisée-ouentoutcaspasmarginaliséeplusquel'Oraclenel'étaitdéjà.Deplus,changerlaloineserviraitàriendutout.Donc, si la loinepouvaitpas fournirde solution satisfaisanteà sonproblème, elleavait
besoindetrouverdessolutionstouteseule.Cequ'ellevoulaitavanttout,c'étaitquelesenfantssoientensécuritéetprotégésquandils
enavaientbesoin.Siseulementelleavaitdel'argent,elleauraitpurecruterungardeducorpsou un service de sécurité, quelqu'un de suffisamment Puissant pour être en mesure dedissuaderdescriminelsrienqueparsaprésence.Elle...pourraitrecruterquelqu'un...Ellepoussaunsoupir,renversalatêteenarrièreetfermalesyeux.Ellepouvaitravalersafierté,surtout,voilàcequ'ellepouvaitfaire.—Hé,vousêtesencorelà?demanda-t-elle.Elleparladoucement,mais lesondesaproprevoix fitvolerenéclats lesilenceprofond
quirégnaitàcetteheuredelanuit.EllenepercevaitpaslaprésencedeKhalildanslamaison,nimêmesur lapropriétécommeunpeuplustôt.Maismaintenantqu'elleavait tournéson
attentionverslui,ellepercevaitunfilténudeconnexionzébrantl'aircommeunetraînéedevapeurlaisséeparunavion.Elle n'obtint pas de réponse toutefois quand elle appela son nom, pasmêmeun frisson
dansl'air.Super.Iln'écoutaitpas.Elleéprouvalebesoindefairelescentpasdanslapièce,maisseretint.Arpenterlespièces
était devenu plus problématique qu'autre chose. À la place, elle se mit à faire tourner sachaisedebureau.Detous lestrucsdébilesqu'elleavaitpuressentirdanssavie,être irritéequeKhalilnerépondepasquandellel'appelait-surtoutaprèsl'insistancedontelleavaitfaitpreuvepourqu'ils'enaille-remportaitpresquelapalmedeladébilité.Ilavaitpeut-êtreunrendez-vousamoureux.Ilavaitpeut-êtreunecompagne.Ilavaitpeut-
êtreplusieurs compagnes. Il regardait peut-être la télé.En fait, pour cequ'elle en savait, iln'avait même pas besoin de poste de télé, il captait les informations directement sur lesondes.Elle se mordilla la lèvre inférieure et continua à tourner sur sa chaise, se donnant le
vertigeàregarderainsilapièceobscuretournoyer.Avoir des affinités avec les choses de l'esprit impliquait parfois de dépasser les
enseignementsqu'elleavaitreçusdanssonenfanceetdesuivrelesintuitionsancréesauplusprofondd'elle-même.Elle tâtonnaauxabordsde laconnexion, s'instruisantenexplorant lefil. Quand elle eut le sentiment d'avoir acquis un sens adéquat de ladite connexion, elleenroulasaconscienceautourdufiletletiraviolemment.Très loin, un immense cyclone obliqua brutalement dans sa direction pour lui accorder
toutesonattention.Ellecessadefairetournerlachaiseets'assitalorsquelecyclonedéferlaitverselleencrachantdefureur.Ilexplosadanslamaison.Labourrasquefits'entortillerlesrideauxsureux-mêmesettous
lespapiersquijonchaientlebureaus'envolèrent.Unefuméenoireenvahitlapièceavantdesetransformerenundjinnulcéré.Ilportaitunetuniqueetunpantalonrougefoncé,etsescheveuxdejaissévèrementtirés
en arrièredégageaient son élégant visage, si différentde celui d'unhumain. Sapeau ivoiresemblaitlumineusecontrelemagnifiquerougeetsesyeuxdediamantbrillaientencoreplusquel'écrandel'ordinateur,obscurcissantencoredavantagelapiècedéjàsombre.Waouh.Ilavaitl'airplusimposantencorequandilétaitencolère.—Commentosez-vous?fit-ild'untonhargneux.Bon, cette expérience commençait bien. Elle leva les yeux et semordilla de nouveau la
lèvre.—Vouspréféreriezmedonnerunnumérodemobilequejepuissevousappeler?Illafusillad'unregardincrédule.—Commentavez-voussufaireça?—Jesupposequejesuisdouée?offrit-elle.Qu'avait-ellefaitexactement?Elletâtonnal'airautourd'elle,trouvalefildeconnexionet
le tira légèrement,histoiredevoir.Unecolère sulfureuse fitbouillir l'airautourd'eux.OK,ellenesavaitpasexactementcequ'elleavaitfait,maisapriori,c'étaitunpeucommetirerlaqueued'unchat.Ildénudasescaninesetfeula.—Arrêtezdefaireça!— Eh bien, on dirait que je ne suis pas seulement douée, mais aussi un peu stupide,
marmonna-t-elle.Peut-êtrequ'ilétait,heu,entraindefairel'amouravecsonrendez-vous.Sacompagne.Ses
compagnes.Sic'étaitlecas,elleavaitvraimentmalchoisisonmoment.Silesdjinnsavaientdesrelationssexuelles.S'ilsn'enavaientpas,celapouvaitexpliquersa
perpétuellemauvaisehumeur.Pousséeparuneobsessionqu'ellen'arrivait pas à contrôler,elledemanda:—Est-cequevousregardezparfoislatélé?Ilfutsoudainpenchésurelle,sesimmensesmainsagrippantlesaccoudoirsdelachaise.—Qu'est-cequevousvoulez,humaine?Ellefronçalessourcils.Lamoutardecommençaitàluimonteraunez.—D'abord,vousfaitesirruptionici,oùvousn'avezrienàfaire.Vousvousintroduisezdans
la maison sans y avoir été invité et vous passez du temps avec mes enfants sans mapermission.Etmaintenant,vousmontezsurvosgrandschevauxetgueulezsimplementparcequejeveuxparleravecvous?Vousn'avezpasl'impressiond'êtreunemmerdeurirascibleetincohérent?Ilinclinalatêtesurlecôté,lesyeuxétrécis,etgronda:—Metourmenterestunpeuplusgravequefairepreuvedestupidité.Ellelevalesmainsavecexaspération.—Jenevoustourmentepas!Jevousaiappelé,maisvousn'avezpasrépondu!Sivousne
vouliezpasêtre interrompu,pourquoiavez-vous laisséce fil ?Jenesavaisabsolumentpasquelesdjinnsétaientaussifragiles.Jen'aipasvouluvousfairedemalquandj'aitirévotrechaîne. (Elle haussa les épaules et prit une mine un peu contrite.) OK, peut-êtrequecettepartierelevaitdutourment.Quelque part dans la maison, l'un des fantômes pouffa de rire. Khalil ne semblait pas
remarquer la présence du fantôme ou la baraque de Grace. Il leva simplement la tête etregardaverslehall.—Est-cequelesenfantsvontbien?s'enquit-il.L'irritationetlebesoindeprovocationdeGracesefondirentenuntourbillond'émotions
disparates. Cette entité impérieuse et étrange se souciait vraiment du bien-être de sesenfants.—Ilsvonttrèsbien,répondit-elleàlahâte.Lesyeuxfarouchesdediamantseposèrentdenouveausurelle.—Vousallezmediremaintenantpourquoivousm'avezconvoqué, fit-ildesavoixbasse,
pure,dépourvuedetoutetracededouceur.Oujevaisvouslefaireregretter.Elle n'arriva plus à respirer. Elle eut l'impression qu'un tigre du Bengale de deux cent
cinquante kilos s'était approché d'elle pour lui gronder au visage. Et c'était le cas, d'unecertainemanière.Ellescrutaprudemmentsestraitsd'ivoire.—Je...jevousaiconvoqué?Jen'aipaseuconsciencedelefaire.LesyeuxpénétrantsdeKhalilfouillèrentlessiens.—Vousn'avezaucuneidéedecequevousavezfait?fit-ild'untonsoupçonneux.Ellelevalesyeuxaucielavecexaspération.— Est-ce que vous êtes en train deme dire que vous n'avez pas de sens de la vérité ?
s'exclama-t-elle.Parcequesic'estlecas,arrêtezdevouspayermatête.—Pourquoivoudrais-jeachetervotretête?demanda-t-ild'unairsurpris.Ellesoupira,ilnecomprenaitdécidémentrienàrien.— C'est une expression humaine, ne faites pas attention. Se payer la tête de quelqu'un,
c'estsemoquerdelui.—Jesaisquevousditeslavérité.Maisj'aidumalàlecroire.Leshumainssontsournoiset
toujoursavidesd'avoiruneForceplusgrande.—Waouh,quelleintolérance,fit-elle,déconcertée.(Iln'avaitpascachésonaversionàson
égard, mais elle n'avait pas pris conscience que c'était après toute l'espèce humaine qu'ilsemblait avoir du ressentiment.) Si vous avez une si piètre opinion de l'espèce humaine,pourquoiavoirpromisdeprotégerlesenfants?
—Ilsn'ontpasencoreétécorrompus,fit-ild'unairrenfrogné.Ilssontinnocents.Grace commençait à avoirmal au cou tant elle penchait la tête en arrière,mais elle ne
voulaitpasdétournerlesyeuxparcraintequeKhaliln'yvoieunsignedetromperie.Ilfallaitqu'elleserappellecequ'elleétaitcenséefaire,àsavoirravalersafierté.—Oui,ilslesont,etjevoussuisreconnaissanted'avoirdéclaréquevouslesprotégeriezet
decequevousavezfaitcematin,etpuiscesoirquandlesvampiressontvenus.Ellenesavaitpastroppourquoi,maiscequ'ellevenaitdedirel'irrita.—Iln'yapaslieudemeremercier.Vousm'avezpayéavecunefaveuretvousmeladevez
toujours.—Oui, répliqua-t-elleense renfrognantà son tour,maiscelaneveutpasdireque jene
suispas reconnaissante aussi, parceque je le suis.Peut-êtreque le roidesCréaturesde laNuit et del Torro n'avaient réellement pas l'intention de me porter préjudice, mais je nepouvaispasprendrederisque.ChloéetMaxsonttellementvulnérables.Penché sur sa chaise comme il l'était, son énergie la cernait de toute part. Elle avait
l'impressiond'êtreassiseaumilieud'unepureflammed'argent.Lasensationétaitgrisanteetlamettaitégalementmalàl'aise.Ellen'ytintpluset,posantunemainsursalargepoitrinetropparfaite,ellelepoussalégèrement.—Çavousdérangeraitdevousreculer?J'aimeraisbienavoirunpeud'espace.Il fronça les sourcils,mais se redressa et s'écarta.Celane l'aidapasbeaucoup.Sa forme
physiquenereprésentaitqu'uneinfimepartiedesonêtre,unpeucommelesommetvisibled'un iceberg. Mais au moins, elle pouvait désormais se rasseoir au fond de sa chaise etsoulagersoncou.Toujoursdécidéeàravalersafierté,elledéclaraavecgravité:—Merci.Illuijetaunregardpeuamène,etelleeutalorsuneillumination.Tiens,tiens.Iln'aimaitpasqu'onleremercie?Ellel'observaattentivementendisant:—J'apprécievraimentbeaucoupcequevousavezfait.Illafusilladuregardetsemitàfairelescentpas;elledutsemordrel'intérieurdesjoues
pours'empêcherdesourire.Iln'aimaitvraimentpasqu'onleremercie.Ildevaityavoiruneraison.Etelleétaitplusqu'unpeustupidesiellepouvait tireruncertainplaisirà taquinerune créature aussi irascible et Puissante. Elle risquait de se retrouver dans la catégorieimpardonnabledesTSPV-tropstupidepourvivre.Laformemassivequ'ilavaitchoisied'endosserengloutissaitl'espaceautourdelui.Ellese
demandas'ilportaitune tuniquerouge foncéparcequ'il enaimait lacouleurous'il yavaitune autre raison. Elle lui allait bien, transformant sa haute silhouette en une tourflamboyanteenharmonieavecsavéritableprésenceinvisible.Ellefrottasoncouendolorietessayadeseconcentrer.—Vousavezbienfaitdenepasprendrederisquesaveclaviedespetits.Ellepoussaunpetitcridesurprise.—Est-cequevoussavezquelquechosequejenesaispas?— Je ne sais rien de plus que vous sur les intentions du roi des Créatures de la Nuit,
bienveillantes ou non, fit-il. (Son regard de braise balayait le chaos qu'il avait créé dans lapièce. Il agita unemain avec impatience. Elle eut unmouvement de recul quand tous lespapierséparpilléss'envolaientetatterrissaientsur lebureau,formantunepilehasardeuse.)Maisvousnepouvezpasprendrederisquesaveclesenfants.—Biensûrquenon,fit-elleenjetantuncoupd'œilàlapiledepapiers.Une factured'électricitéposéeà l'envers la couronnait.Elle sepinça lenezetpoussaun
soupir. Avec tout ce qu'il s'était passé, elle avait oublié de payer des factures avant de se
coucher.Elleferaitbiendes'ymettrelelendemainmatin.— Je vous propose un autremarché, enfin quelque chose comme ça, déclara Khalil en
levantundoigt.Elle sursauta et reporta son attention sur lui. Ses mots faisaient écho aux raisons qui
l'avaientpousséeàl'appeleretellesesentitdéconcertée.—Ahbon?— Oui. Vous allez me poser une question et j'y répondrai. Puis je vous poserai une
questionetvousyrépondrez.Laconversationestéquilibrée.Alafin,noussommesquittesetnousnenousdevonsrien.— Vous voulez jouer au jeu de la vérité ? Mais c'est un jeu idiot auquel on joue à
l'université.Laversionqu'elleavaitvueàdessoiréesétaitunevarianted'ActionouVérité.Engénéral,
ondevaitboiredelabièresionrefusaitderépondreàlaquestion.Khalil déambula dans le bureau. Il s'arrêta pour saisir une boîte en plastique pleine de
disques compacts vierges qui était posée sur lemeuble de rangement et il l'examina aveccuriosité.— Des versions de ce jeu idiot, comme vous dites, étaient jouées aux croisements des
ancienspassagesquimenaient àDamas.Leshommes jouaientpour essayerde gagnerdesrichesses,etilsperdaientleurtêtes'ilsosaientessayerdementir.Ellecillarapidementplusieursfoisets’éclaircitlagorge.—Vousabordezunpointimportant,fit-elled'unevoixétranglée.Quesepassera-t-ilsil'un
denousrefusederépondre?Ilsetournaverselleetmontrasescanines.Cen'étaitpasprécisémentunsourire.—Pourquoi,vouscompteztricher?—Non,non, je... je penseque sinousdécidonsde faire cet échange, il est importantde
déciderparavanced'unepénalité,c'esttout.Est-ce qu'elle envisageait sérieusement de jouer à un jeu de la vérité avec un djinn qui
n'avaitmanifestementaucunesympathiepourelle?Ilfallaitqu'ellesefasseexaminerparunmédecin.Dugenre,là,toutdesuite.Parcequ'elleperdaitlaraison.Lesyeuxdediamantl'étudièrent.Celarevenaitàêtreclouéepardesfaisceauxlaser.—Sil'undenousrefusederépondre,repritKhalil,ildevraunefaveuràl'autre.Ellesepassadistraitementlesdoigtsdanslescheveuxenréfléchissant.Ellevoyaitlaroute
quimenaitàDamasdanssonœildel'esprit.Deuxflèchesétaientinscritessurunpanneau,l'unepointaitdansunedirectionquidisaitROUTEDESSAGESetl'autreflèchepointaitdansladirectionopposéeetdisaitROUTEDESFOUS.Hmm,quelledirectionprendre?Dans son imagination, lepanneausemuaenunepiècedemonnaiequi tournoyaitdans
l'air.Routedessages.Routedestous.Routedessages.Routedesfous.D'aprèsl'expressiondeKhalil, ildevaitpenserqu'elleseraittroptimoréepouraccepterle
marché.Ilavaitpresqueraison.Seraclantdenouveaulagorge,elledit:—Les enfantsontbesoindemoi. Jenepeuxpasaccepterunmarché susceptibledeme
mettreendanger.Etc'estlecaségalementpourl'autrefaveurquejevousdois.Ilbaissasesélégantssourcils.Ellel'avaitmanifestementétonné.—Aucunmarchéquenousconcluronsnemettralesenfantsenpéril,finit-ilpardire.Mais
onnepeuts'arrêterquelorsquenousavonstouslesdeuxposéunequestionetqu'unepartieestalorscomplète.Elletirasursalèvreinférieure,réfléchissant.Ellen'avaitpasvraimentdesecrets.Entant
qu'Oracle,ellen'étaitpasàlatêted'unÉtatoud'uneinstitutionvéritablementPuissantedanslesdomainesdesAnciens.Elleauraitprobablementréponduàtoutessesquestionsdetoute
façon,maisiln'avaitpasbesoindelesavoir.Quandaurait-ellejamaisl'occasiondeposerdesquestionsàundjinn,surl'amour,lesexe,
latélé?Commentpourrait-ellejustifiertoutcelaàquiconqueetsurtoutàelle-même?Ilétaittard,
elle n'avait plus beaucoup de volonté, et il était intéressant. Cette phrase résumaitprobablement toutes les erreurs que toutes les femmes avaient commises au cours del'histoiredesrelations.Ellen'étaitpascatholique,maisellesedemandatoutefoissiellenedevraitpastrouverun
confessionnal et s'y recueillir unmoment, ne serait-ce que pour le geste. Peut-être qu'elledevraitmêmes'yenfermer,puisjeterlaclé.Dansunultimeeffortpourretrouverlaraison,elledemanda:—Pourquoivoulez-vousfaireça?Ilcroisalesbras.— Je veux des informations et je ne veux pas vous en être redevable. Assez de
tergiversations,humaine.Vousacceptezlemarchéouvousnel'acceptezpas.Choisissez.Des informations, c'était une«marchandise»précieuse, surtout pour quelqu'unqui ne
s'intéressaitpasauxbiensmatériels.Routedessages.Routedesfous.Lapiècedemonnaieatterrit.—D'accord,dit-elled'unevoixhésitante.Quicommence?— J'ai proposé le marché, fit-il en remettant la boîte de CD sur le meuble. Je pose la
premièrequestion.Ellehaussalesépaulesetattendit.Sonimbéciledecœursemitàbattrelachamadetandis
qu'il l'étudiait, et le silence s'étiraentreeux.Les fantômesne faisaientaucunbruit commes'ilsobservaientetattendaient.Elleavaitl'impressiond'êtreaumilieud'unearèneetquelepublicregardaitavecattentionafindevoirsidusanggicleraitsurlesable.—Qu'est-cequevoussavezexactementsurlesinvocations?demanda-t-il.Son regard perçant disséquait son expression. Elle ouvrit bêtement la bouche pour la
refermeraussitôt.C'étaitpourtantunequestionprévisible.—J'ai vudes rituelsd'invocationdans les films et j'ai ludes romansqui endécrivaient,
bien sûr,mais ces représentations sont souvent caricaturales, un peu comme lorsque l'ondépeintlessorcièresensatanistesadeptesdessacrificesd'enfants.Ilyaquelquessortilègesque les sorcières peuvent utiliser pour invoquer une salve de Force, mais ils ne font pasapparaîtred'autrescréaturesdansunpentagrammepourlessoumettreàleurobéissance.Oninvoque les cinq éléments : le feu, le bois, l'eau, le métal, et la terre. Il existe aussi unsortilègequ'une sorcièrepeututiliserpour invoquer sapropreForce. J'ai entendudirequec'était comme invoquer une montée d'adrénaline. Le problème, c'est que ces sortilègesdonnent un élan temporaire, mais ils épuisent aussi la sorcière. Ils peuvent donc êtredangereux, surtout si la sorcière ne se trouve pas dans un environnement sûr dans lequelrécupérerensuite.Quandonmedemandeuneconsultation,j'invoquelaForcedel'Oracle.Jesupposequec'estunesorted'invocationaussi.Khalil s'approcha du futon. L'oreiller de Grace était à une extrémité, un drap froissé à
l'autre.Ilenvoya ledrapparterred'unechiquenaude, jeta l'oreillerdessus,puiss'assitavecautantdemajestéqu'unsouverains'installantsursontrône.—Vousparlezdessorcièrescommesiellesétaientdifférentesdevous,fit-ilremarquer.Elleregardaavecirritationsondrapetsonoreillerjetésparterre.— Je n'entends pas de question dans cette déclaration, fit-elle. Et je n'aurais pas à y
répondresicelaenétaitune,n'est-cepas?
—Paspourcetoureneffet.Vousavezfini?—Oui,fit-elled'untoncassant.—Posezvotrequestion,ordonna-t-ilencroisantlesbras.Ilavaitl'airpuissant,exotiqueetétrangementbeau,etsaForceremplissaitdenouveaula
maison.C'étaituneForcetrèsvirileetqueGracesemblaitlaissertotalementindifférent.Parcontraste,ellesesentaitmoite,gaucheet,mêmesielles'étaitlavéequelquesheuresplustôt,sale. N'appréciant pas du tout cette impression, elle fit comme lui et croisa les bras en leregardantd'unairhostile.—Qu'est-cequevoussavezexactementsurlesinvocations?Illevaunsourcilaussialtierquedédaigneux.—Jedoisprésumerquevousnevoulezpasm'entendredisserterpendantunmois.Elle auraitpunégocier l'interdictiondu sarcasmedans lemarché, saufque si elle l'avait
fait,elleseseraittiréuneballedanslepied.Ellefittournersachaisedebureaud'uncoupdepiedetluidit:—Jem'ennuiemaintenant.—Vousdevezavoirlacapacitédeconcentrationd'unmoucheron.Laremarquelasurpritetlafitéclaterderire.Ilparutstupéfaitetaffichaunlargesourire.
L'expression transformaétonnamment ses traitsdurs.Ellehoqueta encoreunpeu etne lequittapasdesyeux,maislesouriredisparut.— Dans le cadre de ce marché, je vais m'efforcer de répondre à votre question d'une
manièreexhaustivetoutenrestantconcis.—Jenesavaisabsolumentpasqu'undjinnpouvaitêtreaussipédant,remarqua-t-elle.Cela
doitvenirdevotreobsessionàconcluredesmarchés.—Vousvoulezquejerépondeoupas?fit-ilentrelesdents.Elleluidécochaunregardrusé.—Si vousne le faitespas, celane signifie-t-ilpasque j'obtiensune faveur?Si vousme
devezunefaveur,est-cequecelaannulecellequejevousdois?Illaissaéchapperunpetitrire,etcefutlesonleplusdangereuxqu'ilaitémisjusqu'alors.— Vous pouvez toujours rêver, humaine. Tentant d'imiter son attitude hautaine et
péremptoire,ellefitungestedelamainquisignifiait«allez,allez,continuez»etilaffichadenouveauunlargesourire.Puisilretrouvasonsérieuxetdéclara:—J'aiétablilaconnexionavecvotremaisonquandj'aidéclaréquejevousprotégerai,vous
et lesenfants.Lesdjinnsd'unâgevénérablequidoiventetàqui sontduesdenombreusesfaveursontdesconnexionspartoutdanslemonde.Vousm'avezsurprisetalarméquandvousaveztirédessus.Invoquerundjinn,c'estréclamerunefaveurqu'ilvousdoitouexigerqu'ils'acquitte d'une obligation qu'il est susceptible d'avoir envers vous. Vous ne forcez pas undjinnàseprésenterquandvousl'invoquez,iln'yapasdecontraintejeveuxdire,maisvous...disons...vousfaitesappelàsonhonneur.Undjinnquirefusederépondreàuneinvocationdoitavoiruneexcuseabsolumentindiscutable,unengagementpréalable,parexemple,qu'ilsedoitderempliravantdevenir,oubienilseraperçucommen'ayantpasd'honneuretaucunautredjinnnevoudraalorslefréquenterous'associeràlui.Undjinnsanshonneurn'apasdeMaisonetdevientunparia.Étantdonnéquevoussemblezsavoirbienpeudechosesurlesdjinns,aupointquecelapourraitêtredangereuxpourvotresanté,jevousoffrececonseil:nefrayez jamais avec un paria. NosMaisons sont fondées sur nos pactes et nos pactes sontfondés sur notre parole. Les parias vont à l'encontre de cette vérité fondamentale. Ils sonttrèsdangereux.Ilssontaussi,etc'estheureux,trèsrares.—Jenesavaispascequejefaisais,fit-elleenfronçantlessourcils.Jesentaislefiletj'ai
tirédessuspourattirervotreattention.
—Oui,bon,répliqua-t-ild'untonsec,vousl'avezattiréeeneffet.Vousaveztiréfort.—Jesuisdésolée,dit-elled'unairsoucieux.Celanevousapasfaitmal,si?— Non, cela ne m'a pas fait mal. C'était plus comme si vous me hurliez soudain dans
l'oreille.Trèsdérangeantettrèsdésagréable.Ilsemblaitsedétendreaufuretàmesuredeleurconversation.Entoutcas,ilétaitmoins
menaçant. Elle le laissait peut-être indifférent, mais il ne la laissait pas indifférente. Elleaurait voulu ne pas apprécier le sentiment d'être plongée dans sa présence si intensémentmasculine,maiselledevait reconnaîtrequec'était lecas.Franchement,elleauraitvouluseroulerdanscettesensationcommeunchatpeutserouleravecdélicesdansdel'herbe.Maisellesecontentadesoupirer,detirersursalèvreetdefairetournerlachaise.—C'estpourcetteraisonquevousétiezM.Soupe-à-la-grimacequandvousêtesapparu.—M.Soupe...(Ilsecoualatêteetémitunreniflementméprisant.)Arrêtezdefaireça.—Quoidonc?Fairetournerlachaise?Dansungestepuéril,elleposaunorteilsurlesoletredonnaencoredel'élanàlachaise.— Arrêtez de vous tirer la lèvre, ordonna-t-il. Le moment est venu de poser d'autres
questions,etc'estàmontourdevousenposerune.Elle soupira et cessade tripoter sa lèvre. Intérieurement, elle était plutôt contentede la
manière dont leur jeu s était déroulé jusqu'à maintenant. Non seulement elle apprenaitquelque chose, mais Khalil était étonnamment divertissant... d'une manière tout à faitimpolieetinsupportable.Cen'étaitpascommesiellel'appréciait.Maisdiscuteravecluiétaitplusplaisantqued'êtreétenduesurunfutonàessayerdetrouverlesommeilensursautantet se donnant des sueurs froides au moindre petit bruit nocturne. Et puis, elle ne savaitmême plus quand elle avait eu une longue conversation avec un adulte. Elle le paierait lematinquandlesenfantsseréveilleraientàl'aube,maiselleauraitpayépoursanuitblanchedetoutefaçon.—Posezvotrequestionalors.Khalil la regardait de manière appuyée. Il mettait tellement longtemps à reprendre la
parole qu'elle immobilisa sa chaise et le dévisagea d'un air sévère. C'est alors qu'elleremarquaqu'ilavaitlesyeuxrivéssursonattelleetquesonexpressionétaitcurieuse.—Pourquoiportez-vouscettechosenoiresurlajambe?Sonestomacseserra.Saquestionétaitaussiingénuequecelled'unenfant,maiselleluifit
toutdemêmemal.Elle semità respirerà travers sesnarinespincées jusqu'à cequ'elle sedétendesuffisammentpourarriveràrépondre.—J'étaisdansl'accidentdevoiturequiatuémasœuretsonmari.Mongenouestabîmé,
alorsjedoisporteruneattelledetempsentemps,expliqua-t-elle.—C'estaussipourquoivousutilisezunecanne?demanda-t-ilenfronçantlessourcils.Ellebaissa les yeux sur sa jambeetopina. Il fut soudainaccroupidevant sa chaise.Elle
faillithurler.—Nefaitespasça!Maisilétaitconcentrésursajambeetfronçaittoujourslessourcils.—Jeveuxquevousmemontriez.Elle faillit se déchaîner contre lui, physiquement aussi bien que verbalement, mais la
fascinationdeKhalilétaittellementétrangère,tellementéloignéedetouteslesconvenanceshumaines,qu'elleinterpellaGrace.Elledéfitlentementlesattachesdel'attelleetlaretira.Sajambeminceétaitnuejusqu'aureborddéchirédesonshort.Khalil la saisit, enveloppant sa cheville d'unemain immense et glissant l'autre sous son
genou,puisiltenditlajambe.Illamanipulaitavecprécautiondesesmainsprodigieusementchaudes,commesisaformephysiquecontenaitunbrasierd'énergie.Tandisqu'ilétudiaitla
masse de cicatrices rouges, elle scrutait ses traits à la lueur indirecte de l'écran de sonordinateur.Sonventreseserradenouveaupendantqu'il sondait songenouavecunevrillelégèredeForce,maisellelelaissaexplorerlablessureensilence.Il n'était pas précisément mû par la compassion ; si cela avait été le cas, elle l'aurait
repoussé.Non,sonattitude impartialeavaitunétrangeeffet surelle.Ellese renditcomptequ'elle se détendait et qu'elle observait son propre genou avec détachement, comme s'ilappartenaitàquelqu'und'autre.C'étaitlapremièrefoisdepuisl'accidentqu'elleétaitcapabledelefaire.—Cegenouaétéouvert,fit-ild'untonchoqué.—J'aidûêtreopéréeplusieursfois.(Lesyeuxdediamantrencontrèrent lessiens,etelle
haussa les épaules.) J'ai de la chance d'être en vie, mais cela ne m'empêche pas de meplaindre.—Votrechairesttellementfragile,murmura-t-il.Etmêmesivousêtesencoreentrainde
guérir,ilesttroptardpourréparervotregenouenusantdeForce.—Mêmedansledomainedessorcières,lesmédecinsquiontcetypedeForcesontrares.
Jen'avaispasd'assurancemédicalenil'argentpourpayercegenredetraitement.Jesupposequeleconceptdedégâtsphysiquespermanentsdoitvoussemblerpassablementétranger.Illevabrièvementlesyeuxverselle.Sessourcilsétaienttoujoursfroncés.—Jecomprendsleconceptdedégâtspermanents.J'aidéjàfrappémesennemis,àlafois
ceuxdechairetd'osetceuxquisontcréaturesdel'air.Lesdjinnspeuventêtreendommagés.Mafillel'est.Unfrissondesurpriselatraversa.—Jesuisdésolée,fit-elle.Au lieuderépondre, il saisit l'attelleet laremitautourdesa jambe.Ellesepenchapour
fixerlesattaches.—C'estàmoideposerunequestion,fit-elled'unevoixunpeurauque.—Oui.Ils'assitsursestalons.Sonexpressionétaitindéchiffrable.CefutalorsletourdeGracedegarderlonguementlesilence.Luiposerdesquestionssur
l'amour, le sexe et la télé lui semblait soudain trop puéril étant donné la tournure de laconversation. Elle le regarda, réfléchissant à des questions, les écartant les unes après lesautres.Chacunepouvaitmettreuntermeaujeuunefoisqu'ellel'auraitposéeetquecetourseraitfini.Ellevoulaitêtresûred'obteniruneréponseaussiutilequepossible.—Vousallezmedemanderquelquechoseoupayerlapénalité?fit-ild'untonirrité.Ellehaussalessourcils.—N'essayezpasdemepresser.Nousn'avonspasnégociéde limitede tempspourposer
nosquestions.—Trèsbien,humaine.(Ilavait l'airsurpriset légèrementamusé.)Vouspourriezdevenir
unenégociatriceefficaceavecunpeud'entraînement.—Plusvousparlezetmedistrayez,plusj'aibesoindetempspourréfléchir,l'avertitGrace.Il se levaenriant.Cerireétait sincèreet traversasonénergieenondoyant,accompagné
d'unemodulationdesavoixgraveetpure.Ellefrissonnaeteutlachairdepoule.Ellen'avaitjamaisimaginéqu'undjinnpuisseêtreaussifascinant.Ellerepoussacettepenséeenfaisanttournersachaise,plusdoucementcettefois.Puisses
yeux se posèrent sur l'écran de l'ordinateur. La notification de sauvegarde était toujoursvisiblesursamessagerie,luirappelantpourquoielleavaitconvoquéKhalilenpremierlieu.Elle se retourna pour lui faire face. Il fallait qu'elle formule ce qu'elle avait à dire avec
précautionpournepasgaspilleruneoccasion.S'assurantqu'elleaffirmaitquelquechoseet
nonqu'elleposaitunequestion,elledit:— Quand les vampires étaient là, nous avons parlé de quelqu'un qui a été tué sur la
propriétécematin.Illaconsidérad'unairpensif.—Oui.J'aiapprislesdétailsdel'incidentdepuis.Elleagrippalesaccoudoirsdesachaiseaupointdefaireblanchirsesphalanges.—Cequ'ils'estpasséestunexcellentexempledelafragilitédelaloidesanctuaire.—Jenepeuxqu'êtred'accordavecvous.Gracepassalalanguesurseslèvres.— La Force de l'Oracle est différente de la Force des autres sorcières et je n'ai pas de
sortilègesd'attaque. J'aimerais... vous recruter, je suppose, àdéfautde trouverunmeilleurterme. Est-ce que j'ai quelque chose qui ait suffisamment de valeur à vos yeux et que jepuissemarchanderavecvouspourquevouscontinuiezd'assurermaprotectionetcelledesenfants?L'expressiondeKhalilseferma.—Oui,fit-il.
5Khalil nota avec intérêt la manière dont la déception s'inscrivit sur les traits de Grace.
D'ordinaire,ilaimaitlirecesentimentsurlesvisagesdeshumains.Ilsedemandapourquoicen'étaitpaslecascettefois-ci.—Jen'aipasformulélaquestioncommeilfallaitetvousm'avezrépondu.Ellesefrottalanuqueets'enfonçadanssonsiège.Pendant un moment, toute la fougue et la pétulance de la jeune humaine semblèrent
s'éteindre.ElleparaissaitsilasseetdécouragéequeKhalilsesentitenclinà...quelquechose.Iln'avaitaucuneenviecependantdeluiindiquerqu'elledemandaitquelquechosequ'illui
avaitdéjàaccordéetnevoyaitaucuneraisonnonplusdel'informerqu'elleavaitdéjàgaspilléune faveur. Non, cela allait à l'encontre de tous ses instincts de djinn. Il fallait qu'elleapprenneàprêterdavantageattention.L'artde lanégociationétaitquelque choseque toutdjinndevaitacquérirdèsleplusjeuneâge,etlemeilleurmoyenpourcelaétaitdes'entraînerenconditionsréelles.Il n'avait peut-être pas reconnu l'expression « se payer ma tête », mais en dépit de la
manièredont il l'avait asticotéeplus tôt, il avait entretenudes relations amicales avec bonnombre d'humains au cours de sa très longue vie et il connaissait certaines expressionsargotiqueset familières. Il lui semblaitbienqu'il yavaituneexpressionappropriéepour lasituationactuelle.C'était:«apprendreàl'écoledelavie».Non,ilsesentaitpousséàautrechose,quelquechosed'étrangequ'ilpalpaaveccuriosité.—Vousêtestropfatiguéepourcontinuercetteconversationcommeilfaut,souligna-t-il.Ellehaussalégèrementlesépaules.— Je suppose que c'est vrai. La journée a été rude, c'est lemoins qu'on puisse dire. Je
n'avaisjamaisvuquelqu'unsefairetueravantaujourd'hui.Cette dernière déclaration le secoua. Était-elle jeune et innocente à ce point ? Elle
poursuivitd'untonbrusque:— Même si c'était justifié, je suis encore ébranlée, bien que je doute qu'une horde de
singesenragéss'échappeduzoopourm'attaquerdanslesheuresquiviennent.Jevaisessayerdetrouverunmarchéquivousintéresselaprochainefois.Khalil essaya de se figurer quel effet ça faisait de voir quelqu'un se faire tuer pour la
premièrefoisetdesavoirquel'onnedétenaitpaslaForcenécessairepourempêcherquecelasereproduise.SapropreForces'éveillaetsetorditàcettepensée.Iln'aimeraitpasvivreunetelle expérience. Pas du tout, même. C'est alors qu'il se rendit compte qu'elle avait étéirritableetagressivetoutelajournéeparcequ'elleavaitétéeffrayée.Peut-être que cette humaine n'était pas si détestable que cela, finalement. Il n'irait pas
jusqu'à reconnaître qu'il l'appréciait. Mais même si les blessures qu'elle avait endurées lafaisaientmanifestementsouffrir,sonabsenced'apitoiementsurelle-mêmeétaitrespectable.Etsoninsolenceétaitétonnammentamusante.Etpuis,ilyavaitlesenfants.Ilcroisalesbrasetsoupira.—Vousmelaisserezrendrevisiteauxenfantsquandjeleveux.Ellelevavivementlesyeuxetcroisasonregard.Elleavaitl'airinterloquéetalerte,etune
étincellevintranimersonénergie.Ah,c'étaitmieux,décidaKhalil.Ildevaitlereconnaître:il
aimaitlefeuquil'habitait.—Non,dit-elle.Illevaunsourcil.— C'est vous qui vouliez conclure unmarché avecmoi, fit-il remarquer. Je ne fais que
présenteruneclausequimesembleacceptable.Elleletoisaavecautantdeméfianceques'ilétaitunserpentvenimeux.—Vouspouvez rendrevisiteàChloéetMaxquandvous le voulez,mais seulement si je
suisprésente.Jeneveuxpasvoirsereproduirecettehistoireabsurdedechatquiparle.—Cen'étaitpasabsurdecommevousdites,fit-ilavecirritation.J'avaisunebonneraison
delefaire.Franchement, il n'était pas si irascible d'ordinaire. Cette femelle avait le don de l'irriter.
Gracehaussasessourcilsfins.—J'oseàpeineposerlaquestion.Il pinça les lèvres. Après tout, il n'y avait aucun mal à justifier rationnellement son
comportement.Celanerevenaitpasdutoutàsemettresurladéfensive.— Je souhaitais simplement développer un rapport avec les enfants afin de ne pas les
effrayersijesurvenaisdevanteux.Despetits creuxapparurentde chaquecôtéde sabouche.Quel était leurnomdéjà?Ah
oui.Desfossettes.— Vous vouliez faire ami-ami avec eux, qu'ils vous aiment bien. Vous les achetiez en
somme.—Jenelesachetaispas.Illafusilladuregard.Sesfossettesdisparurentaussivitequ'ellesétaientapparues.—Cequejedisestvalablepourtoutcequiatraitauxenfants,martela-t-ellesévèrement.
Voussavezpeut-êtrebeaucoupdechoses-etcroyez-leounon,jediscelaavecrespect-maisvousne connaissezpas suffisamment les enfantshumainspour savoir cequi estbonpoureux.Sivousavezdesquestionsoudesdoutes,vouspouvezétablirlecontactpartélépathieouàvoixhautelorsqu'ilsnesontpasàcôtédemoi,desortequenousnenousdisputionspasdenouveaudevant eux et évitions de bouleverserChloé. C'est le seulmarché que j'accepteraiimpliquantlesenfants.Ilréprimaunsourire.Elleétaitpasséedel'abattementàl'autoritéenquelquessecondes.Il
approuvait.Ilapprouvaitaussisoninstinctdeprotectionpourlespetits.—D'accord, fit-il.La connexionest enplace.Vousavezdéjàprouvéquevous saviez très
bien... commentavez-vousdit... tirermachaîne.Vouspouvez invoquermaprésencequandvous le souhaitez si vous vous sentez endangerou vulnérable. Jepasseraidemaindans lajournéecollectercequimerevientdumarché,alorspréparez-vousàlavisitequejevaisfaireauxpetits.Maintenant,allezvouscoucheretdormez.Ils'attardajusteassezpourguettersaréaction.Elleseredressaetrestaassisetrèsdroite;
une expression sarcastique et courroucéepassa sur ses traits.Aumomentoù elle ouvrit labouche,ilritdoucementets'évanouit.Khalilavaitpeut-êtreledond'irriterGrace,maiselledevaitluireconnaîtreunechose:une
foisqu'ileutdisparu,elleavaitétéenmesuredes'étendresurlefutonetdes'endormir.Cettepériodedereposfuthélastropcourte.Quelquechoseluiécrasalenez.ElleouvritlesyeuxetlesplongeadansceuxdeChloé.Lapetitefillelaregardaitàl'envers,
unsourireradieuxsurlevisage.Sescheveuxblondseffleuraientlefutonetauraientévoquépourcertainsl'auréoled'unange.Cequin'étaitpastoutàfaitl'avisdeGrace.
—Çat'amusetoujoursautantd'appuyersurmonboutonderéveil,coquine,fitGraced'unevoixensommeillée.Chloé pouffa de rire et hocha la tête. Elle pressa de nouveau le nez de Grace avec son
index.—Dodofini,Gracie,dodofini.Quandest-cequejevaisavoirunlitdegrandefille?Grace poussa un soupir. Chloé avait un tout petit lit qui n'allait plus lui convenir
longtemps.Elleauraitbientôtbesoind'unlitplusgrand.—Jetel'aidéjàdit,madouce,noust'achèteronsunnouveaulitdèsquenousauronsles
sous.—Oui,oui,maisceseraquand?Jesuistropgrandepourdormirdansunpetitlit.—Jesais,chérie,marmonnaGrace.Lesseulsautreslitsdelamaisonétaientaupremierétage.Graceavaitvécudanslamaison
quand elle allait à l'université et elle avait doncun lit double dans sa chambre, et le lit dePetra et Niko était un très grand lit double. Non seulement ces lits étaient beaucoup tropgrands pour Chloé,mais ils ne tiendraient pas dans la chambre des enfants. Elle pourraitpeut-êtretroquerlepetitlitdebébédeChloépourunlitd'enfant.L'amiedePetra,Katherine,avaitunegarderiechezelleetelleconnaissaitpeut-êtrequelqu'unquiseraitintéressé.Grace passa un bras autour deChloé et la serra contre elle en regardant la fenêtre. Les
rideauxdedentelleétaienttoujoursentortillés,résultatdel'entréefracassanteetfurieusedeKhalilpendantlanuit.Dehors,l'aubeavaitlaisséplaceaumatinetlesoiseauxs'égosillaient.Graceestimaitquelesoiseauxdumatinnechantaientpas,ilsbraillaient.Elleavaitpeut-êtredormicinqheures.Celaallaitêtreencoreunelonguejournée.—Est-cequeMaxestréveillé?—Mmhmmh.Est-cequ'onpeutavoirdescrêpespourlepetitdéjeuner?—Sijefaisdescrêpes,est-cequetumangeraslamoitiédelabananedeMax?C'étaitlacroixetlabannièrepourfairemangerdesfruitsetdeslégumesàChloé.—Lesbananesmedérangent,déclara-t-elle.Graceéclataderire.—Oùas-tuappriscemot?Manifestementcontented'elle,Chloésourit.—Crêpes,unebouchéedebanane,proposa-t-elleavecunevolontédemarchanderdigne
d'undjinn.—Non,Chloé.—Ohd'accord!Peuh!Tumelaissesjamaisavoircequejeveux!Chloéfitvolte-faceetsortitdubureauenfaisantbeaucoupdebruit.—Tuvasavoirdescrêpes,non?luirappelaGrace.—Attendsunpeuquejesoissuffisammentgrandepourpousserlechariotdecourses!(La
petitefilleétaitmaintenantdanslesalon.)Nousn'achèteronsplusjamaisdebananes!Graceritàgorgedéployée.Chloéencolèrevalaitsonpesantdecacahuètes.Maxétaitquantàluitoujoursdebonnehumeur.Graceletrouvaentraindefredonneret
debabillerdanssonberceau.—Eeeeeeeee!s’écria-t-il,ravi,enlavoyant.—Bonjouràtoiaussi,rayondesoleil.Ellelechangea,puislepritdanssesbrasetcouvritdebaiserssafrimousserondeetdouce.
Ilsetorditderireetpassasesbrasautourdesoncou.Elle leserracontreelleunmoment.Parfois, elle avait l'impression d'étouffer tant elle s'inquiétait pour ces enfants et sedemandaitcommentelleallaitpouvoirs'occuperd'eux.Ellesesentaittropjeuneetbientropincompétente,maisDieuqu'ellelesadorait!ElleinstallaMaxdanssachaisehautedanslacuisinependantqueChloégrimpaitsurson
coussin,sapoupéeLalaWhoopsieàlamain.Ellelaposasursesgenouxetpritunairpleind'espoir.Gracepelaunebananeet lesyeuxdeMaxétincelèrent.Ilavaitdésormaisassezdedextérité pour saisir desmorceaux de fruit avec son pouce et son index et elle coupa desrondellesdebananequ'ellemitdanslebolposéenfacedelui.—Miam,fit-ilavecravissementensaisissantunmorceau.Quand elle posa l'autre moitié de la banane devant Chloé, la petite fille prit un air
renfrogné.—Pourquoionnepeutpasavoirlescrêpesenpremier?—Parcequejenelesaipasencorefaites.Etpuistudoismangertabananed'abord.—Tuesméchante,fitChloé.Saniècecommençaitàpousserunpeutroploinlebouchon.— Ça suffit, jeune fille, fit-elle d'un ton sévère. Tu as deux choix. Tu peux manger ta
banane,êtregentilleetavoirdescrêpes,outupeuxchoisirdemangerdescéréalesetd'allerdanstachambreaprèslepetitdéjeuner.Dans la têtedeGrace, la piècedemonnaiede lanuit passée voltigea en l'air.Routedes
sages.Routedesfous.LapauvreChloéallaittenircompagnieàGracedansleconfessionnalsielle continuait sur cettepente.Grace comprenait saniècebienmieuxque la petitene s'endoutait.—Maistuaspromis,chouinaChloé.— Je n'ai jamais promis de faire des crêpes à des petites filles qui essaient de ne pas
mangerdebananecommeellesl'avaientpromisetquimedisentdeschosesdésagréables.ElletournalesyeuxversMax.Ilavaitlabouchepleineetdelabananepleinlescheveux.
Bon.Unautrebainaprèslepetitdéjeunerpourcelui-là.Chloédevinttouterougeetsemitàpleurer toutenmangeantaveccolèresabananeà touteallure.Etungroschagrin,unpourcommencerlajournée.Etiln'étaitmêmepasseptheures.Gracesedirigeaverslacafetièreavecdécouragement.Apparemment,celaallaitêtreunde
cesmatinsaffreux.Marrant comme ils avaient tendanceà tomber systématiquementaprèsunenuittropcourte!Ellemitlacafetièreenmarcheaprèsavoirversédanslefiltresuffisammentdecafépour
réveiller un mort. Depuis quelque temps, la caféine était devenue sa meilleure amie. Lamachineétaitposéesurlecomptoiràcôtédelafenêtredelacuisine.Quandelleappuyasurleboutonpourlamettreenmarche,lapiècequiétaitbaignéedesoleils'assombritsoudain.Ellesepenchapourregarderleciel.Ilétaitbleu,parsemédenuagescotonneux,etjusteau-dessusdelamaisonungrandpan
d'azurondulait.Waouh,c'étaitbizarre.Alors qu'elle regardait ce spectacle, bouche bée, lamasse translucide fondit sur la vaste
pelousenégligéeet,pourlasecondefoisendeuxjours,undragonapparutsursapropriété.Pasundragon.Ledragon.DragosCuelebre,leseuldragonaumonde.Cuelebrefaisaitfacilementlatailled'unjetprivé.Ilétaitd'unbronzeprofondquiétincelait
dans la lumièrematinale.Lebronze fonçait etdevenaitnoirà l'extrémitéde ses immensesailes, de sa queue et de ses longues pattes puissantes. Il tourna sa têtemassive ornée decornes pour balayer la clairière de ses yeux dorés farouches, puis toute sa silhouettemonstrueuse brilla lorsqu'il semétamorphosa. Il prit la forme d'un homme très grand quifaisaitplusdedeuxmètres,àlapeaucouleurdebronze,auxcheveuxdejaisetauxyeuxd'or.Ilfallaitqu'oncessedeluidonnertouscescoupsdebambousurlatête.Ilfallaitquecela
cesse.Elleregardalecaféquipassaitavecautantdepaniquequededésespoir.Puiselleregarda
ChloéetMax.Chloépleurnichaitetmarmonnaitquelquechose,lerestedesabananedansla
main.Maxagitaitsonpetitpieddoduenseléchantlesdoigts.Le regardépouvantédeGrace retournasur la scènequi sedéroulaitdehors.Cuelebrese
dirigeait vers la maison à grandes enjambées. Il était d'une beauté sauvage, brutale. Onl'aurait dit façonné dans du granit ; et pour l'œil de l'esprit de Grace, l'air autour de luibouillaitdelaforcedesaprésence.Laviolenceestinterditeici.Ellel'avaitditàCuelebrelaveillelorsqu'ilétaitvenuréclamer
desexplicationsàRuneetCarlingetautribunaldesAnciens.Sacompagneétaitalorsvenueaveclui,maisilétaitseulcematin.Ilétaitpluseffrayantencorequandilétaitseul.Lesgenspeuventêtreemmenéshorsdecelieu,avaitditDragos.Etonpeutleurinfligerdes
actesviolentsailleurs.Gracesemitàtrembler.EllecherchalefildeconnexionquilareliaitàKhaliletletira.Elle
le sentit sedirigerverselleà touteallure, saForceétincelante formantunarcet évoquantuneétoilefilante,puisilemplitlacuisinedesaprésenceetpritformeàcôtéd'elle.Maxémitunsonsurprisetravi.Chloédit:—Hé,toutou-chat.Tuveuxunmorceaudemabanane?Grace se retourna pour lui faire face. Il avait eu l'air puissant et exotique la nuit
précédente, tout d'ivoire et de rouge sombre, avec ses cheveux de jais brillants. Dans lalumièredumatin,ilsemblaitplusétrangeràcemondequejamais.Cettefois-ci,ilportaitdulinécruet sapeau ivoireétait toute lisse.Sesyeuxdediamant seposèrent surelle,puis ilregardaautourdelui,absorbantcettevivantescènefamiliale.Ilsaisitl'épauledeGracedesamainimmense.—Qu'ya-t-il?Aumêmemoment,onfrappaàlaporte.Labouchesèche,ellemurmura:—Est-cequevouspouvezallervoircequec'est,s'ilvousplaît?Sonvisageduretélégantsetournaversl'avantdelamaison,puisildisparut.Ellelesentit
seruerverslaported'entrée.Graces'appuyacontrelecomptoiretselaissaglisseràterre.Songenoublesséprotestaet
elleétiralajambedevantelle.Elleappuyauncoudesursonautregenouquiétaitpliéetposalatêtesurledosdecettemain.Soncœurbattaitàgrandscoups.Elleensentaitlespulsationsdanssesyeux,àsestempes.Desvoixmasculinesrésonnaient,maissoncœurbattaittropfortpourluipermettred'entendrecequeKhaliletledragonsedisaient.Je ne peux pas faire ça, pensa-t-elle.Oh, Petra, tu es celle qui a toujours voulu être
l'Oracle. Je n'ai jamais voulu de cette fonction. Je n'y étais pas destinée. Je ne suis passuffisammentcapable,suffisammentforte,suffisammentintelligentepourêtrel'Oracle.C'esttroppourmoi.Donc,c'estdit.Jedémissionne.Sij'arrêtedeparlerauxgens,laForcedisparaîtra,non?Ellesentitdespetitsdoigtseffleurersonbras.Gracetournalatête.Chloéétaitagenouillée
àcôtéd'elle,sesyeuxbleusécarquillés.—Pardon,Gracie,fitlapetitefille.Tun'espasméchante.Tuesgentilleetjet'aime.Gracesourit.—Merci,madouce.Jet'aimeaussi.—Tun'espasobligéedefairedescrêpessituneveuxpas.(Chloémontrasonautremain
quiétaitvide.)Regarde,j'aimangémabanane.—Quellegentillepetitefilletues.(Gracesentit les larmesluimonterauxyeux.Elleprit
Chloédanssesbrasetl'embrassa.)Tuesunesigentillepetitefille.Et que se passerait-il si elle rejetait la Force et qu'elle disparaissait, exactement comme
l'avaient toujours dit toutes les légendes familiales ? Que se passerait-il si sa nièce seretrouvaitinvestiedecePouvoirdanslafoulée?Chloéétaitleseulmembredesexeféminin
survivant de la familleAndréas.Grace était déjà à peu près certaine que sa nièce avait étéchoisie.SilaForcenesetransmettaitpasàChloé,était-ilpossiblequ'ellesemetteensommeilet
attende?Gracen'imaginaitpasunesecondequ'ellepuisseunjouravoirdesenfants-ChloéetMax représentaient déjà bien trop de responsabilités -mais ils grandiraient et auraientpeut-êtredesenfantsàleurtour.LaForcepouvait-ellesetransmettreàl'undeleursenfantsavantquecettefillesoitprêteàl'assumer?ElleenfouitsonvisagedanslescheveuxsoyeuxdeChloé.Iln'enétaitpasquestion.Unpeudecran,Gracie.Assumetesresponsabilités.Faistonboulot.Tun'asjamaisacceptécela.Tuasgrandienespérantnejamaisdevoirêtrel'Oracleettuy
résistesdepuis lemoment funeste où tuas suque ta sœuravait succombéà ses blessuresdansl'accidentdevoiture.Aumêmetitrequel'accident,celat'esttombédessus.SitunepeuxpasassumertoutcelapourdesindividustelsqueRuneetCarlingsusceptiblesd'avoirbesoindel'aidedel'Oracle,alorsfais-leaumoinspourlesenfants.Etassure-toidevivreunelongueetfructueuseviependantquetuyes,pourqueChloépuisseavoirlamêmeenfanceheureuseetinsouciantequetoi.ElleresserralesbrasautourducorpsdélicatdeChloé.— Je vais te faire lesmeilleures crêpes dumonde.Mais d'abord, il faut que tu sois une
grandefillependantquelquesminutes.Est-cequetupeuxoccupertonpetitfrèrepourquejepuisseparleraumonsieurquiafrappéàlaporte?TupeuxmontrertapoupéeàMax.—D'accord,fitChloéensouriant.—Merci,chérie.—Derien.Chloésedirigeavers la tableengambadant,attrapasapoupéeet lapoussaversMaxqui
étaitoccupéàtripotersescheveuxpoisseux.IlritettenditlamainpourlasaisirtandisqueChloélafaisaitmaintenantdansersurleplateaudesachaisehaute.Sesentantdeuxfoisplusgauchequed'habitude,Graces'agrippaaucomptoirets'enservit
poursehisserdebout,mettanttoutsonpoidssursajambevalide.Ellesehâtaverslaported'entrée. La tension presque palpable menaçait d'éclater à tout moment. Khalil se tenaitdevant la portemoustiquaire, les bras croisés, une expression impassible sur le visage.Del'autrecôtédelafrêlebarrièresedressaitundragonencolèresoussaformehumaine.—Jevoisqu'onne s'entendpas, fitGraceàboutde souffle enarrivantà côtédeKhalil.
(Elleposaunemainsursonbrasetluiditpartélépathie:)Merci.Illuijetaunregarddégoûté.Ellesentitl'hilaritépoindre.Ahoui,c'estvrai, iln'aimaitpasqu'onleremercie.Oui,bon,
c'étaitsonproblème.EllegardalamainsursonbrasetsetournaversleseigneurdesWyrs.—Bonjour.Quepuis-jefairepourvous?Est-cequejepeuxvousaiderrapidementouest-
ce que vous souhaitiez consulter l'Oracle ? Je suis en train de fairemanger deux enfants,alorssivousvoulezuneconsultation,celadevraattendrelafindupetitdéjeuner.Leregardd'orbrûlantdudragonseposasurelleetelleensentitl'impactauplusprofond
d'elle.— Intéressant, remarqua Cuelebre. Comment avez-vous fait pour qu'un prince de la
MaisondeMaridaccueillepourvouslesvisiteurscommeunserviteur?—Nerépondezpas,fitKhalilentrelesdents.Celaneleregardepas.Grace avait été sur le pointde répondre à la question.Elle garda la boucheouverteune
secondeavantdelarefermer.D'aprèsl'articlequ'elleavaitlu,laMaisondeMaridétaitlaplusPuissantedesMaisonsdes
djinns.Khalil étaitdoncunprince?L'articlenementionnaitpasde royauté,mais signalait
simplementquelesMaisonsfaisaientappelauconsensusquandils'agissaitdeprendredesdécisions. Elle rangea l'observation dans le casier « hors de propos pour lemoment,maissuffisammentintéressantpourêtreexaminéultérieurement.»—Enfantsànourrir,dit-elleàCuelebre.Tic-tac. C'était la seconde fois qu'elle se montrait impolie à l'égard d'un dirigeant d'un
domaineendeuxjours.Manifestement,elleétaittrèsenforme.Ilneluirestaitplusquecinqdirigeants de domaines aux États-Unis. Donnez-lui jusqu'à la fin dumois et elle aurait letemps demettre tout lemonde en rogne. Il vaudraitmieux que le confessionnal qui allaitbientôtdevenirson lieuderésidencesesituedansunpaysétrangeroùellepourraitpasserincognito.Soussesdoigts,ellesentaitunrirefrémirdansl'énergiedeKhalil.Ellelevalesyeuxetfut
stupéfaitededécouvrirquesonexpressionétaittoujoursaussiimpassible.—JeneconsultepaslesOracles,décrétaCuelebre.Elleseconcentradenouveausurlevisagesévèreetimpénétrabledudragon.Lecontraire
m'auraitétonnée,pensa-t-elle.Tunebaisseraisjamaisainsilagardedevantunétranger.—Jesuisvenusavoircequis'estpasséhierentrevous,CarlingSeveranetmonpremier
lieutenant,poursuivitCuelebre.— Décidément, c'est marrant comme cette information semble passionner les foules,
marmonnaGrace.MêmesiRuneavaitclairementannoncésadémissionlaveille,Cuelebrenesemblaitpas
prêtàenparler.— Tu aurais dûme dire ce que tu voulais quand je t'ai demandé pourquoi tu étais ici,
dragon.J'auraisputedirequel'Oraclen'agardéaucunsouvenirdecetteconsultation,déclarafroidementKhalil.Leregardd'ordeCuelebrenequittapasceluideGrace.—C'estvrai?Gracepoussaunsoupir.—Bienquecelanevousregardepas-pasplusqueleroidesCréaturesdelaNuit,d'ailleurs
-oui,c'estvrai.Jenemerappellepascequis'estpassé.Tout commeJulian avait réagi, quelque chosepassa sur les traits deCuelebre, sauf que
cette fois-ci, Grace eut l'impression qu'elle comprenait un peu l'expression deDragos. Elleperçut une trace de lassitude, peut-être, ou de déception. Les larges épaules de Cuelebres'affaissèrentpeut-êtreimperceptiblement.Alorsque le seigneurdesWyrs avait tantdedéfis à relever, il avait choisi deprendre le
tempsdevenir icietde luiposercettequestion.Ellesedemandasisonpremier lieutenantallaitluimanquer.Sansdoute.Oubienelles'imaginaitsimplementtoutcela.Neprêtant aucuneattentionàKhalil,Cuelebre lui fitunbref signede tête et tourna les
talons.Quelquechosefrissonnaenelle,uneprésencefamilière,Puissante.Souslechoc,elleprit
uneprofondeinspirationets'écria:—Attendez!Cuelebre remontait déjà l'allée. Il fit volte-face avec une rapidité surhumaine pour
quelqu'und'aussiimposant.—Restezaveclesenfantspendantquelquesminutes,ditGraceàKhalil.S'ilvousplaît?Saproprevoixluisemblaitétrangère.Lesyeuxdudjinns'étrécirentsurelle,maisilopina.—Trèsbien.Elledéverrouillalaportemoustiquaireetdescenditlesmarchesdelavérandaafind'allerà
larencontredeCuelebre.
Commeelles'approchaitdelui,unevaguevenuedelanuitdestempssemitàgonfler.Elleétait portée par un océan infini qui touchait tout, recouvrait tout.Même si le matin étaitbaignédanslalumièredusoleil,cettevaguevenaitdesténèbresdelafacecachéedelalunedel'Oracle.Graceenrestamédusée.OnluiavaitenseignéquelaForcedel'Oracleétaitquelquechose
detellementprofondqu'ilfallaityaccéderdepuislesentraillesdelaterre.Lestraditionslesplus anciennes qui remontaient à l'époque de Delphes assuraient que l'Oracle devaits'exprimerdepuisuntempledansunecaverne.DesseptdieuxAnciens,Nadirétaitladéessedel'Oracle,ladéessedesprofondeurs.Gracen'avaitjamaisentendudirequelaForcepouvaitsemanifesterenpleinjoursansavoirétéinvoquée.Lavaguelasubmergea,couvritsesyeux,débordadesabouche.Elleentenditdesmotset
sutqu'elleparlait,maisellen'arrivaitpasàseconcentrersurlesensdecequ'elledisaitparcequequelqu'und'autreparlaitdoucement.Cettevoixtranquilles'intensifiaaupointdedevenirunbruiténormes'apparentantaurugissementd'unearméeenmarche.— ... néanmoins, la question reste sans réponse. Est-ce que les étoiles éprouvent de la
douleur?Alorsque le soleil seconsume jusqu'à son trépas, souffre-t-ilatrocement?Nousdevonsprésumerquec'estlecas,puisquelaLumièreestunecréatureaumêmetitrequelesTénèbres...Ilestimpossibleauxvivantsdemecontemplersansévoquerlanaturedumal,carceuxquiappartiennentaumondedesvivantsnesontpasenmesuredesaisirlasignificationvéritable de ce que je suis. Le Seigneur de laMort a lui-même oublié qu'il n'était qu'unefraction d'un tout, car je ne suis pas forme, mais la Forme, unique et indivisible. Tout adébutéaveclefondementdesloisdel'universetduTempslui-même.Lesdieuxsontapparusau moment de la création, en même temps que la Bête, que la Faim, que la NaissanceaccompagnéedelaFinalité,etjesuisCeluiquiapportelafindesjours...Unevisionsurgitsoudain,venuedenullepart,etunescèneprodigieusefrappaGracede
pleinfouet.Ellesentitvaguementsoncorpsbasculerquandelleperditl'équilibre,maisc'étaitcommesilemouvementprenaitplacetrèsloind'elle.Ellevitunesomptueusemyriaded'étoileséparpilléessurdesdistancesinimaginables,des
grappes colossales de galaxies s'élevant en spirales vertigineuses.Quand la voix retentit denouveau,lesétoilesdisparurentuneàune,engloutiesparunesilhouettenoirequinelaissaitquelevidederrièreelle.Unehorreurindescriptibles'emparadeGrace.Elleessayadehurler,mais elle n'avait plus de voix ; elle avait été noyée par cesmots qui décrétaient la fin dumonde.Étoiles.Deux étoiles étincelantes, sans âge, couronnées de cheveux de jais et entourées d'une
ceinture solaire. La Force la plus pure qu'elle ait jamais connue l'environnait, brûlante etfarouche,etalorsenfin,enfin, lavoix funeste, sinistre, implacable, s'éteignit.Elleenauraitsanglotédesoulagement.Sonuniverssetroubla.Ellepritpeuàpeuconsciencequ'elleétaitétendueparterre,latête
tournéeversKhalilquiétaitpenchésurelle.Illatenaitdanssesbrasetbloquaitlesoleilavecsoncorps,exactementcommeilbarrait lavoiedesaprésence.Il lasecouaetprononçasonnom.Elleeutl'impressionqu'ill'appelaitdepuisunlongmoment,répétantetrépétantencoresonnom.Cuelebre était agenouillé de l'autre côté et ne la quittait pas des yeux. Ses traits ciselés
semblaientlivides,sesyeuxd'orenfusion.—Arrêtez,fit-elleàKhalild'unevoixrauque.Jesuislà,jesuisrevenue.Ilcessadelasecouer,l'airégaré.—Qu'est-cequec'étaitquecebordel?fitCuelebre.
Ils'exprimaitd'untoncalmeetabsolumentterrifiant.Gracesecoualatête.—Jen'en ai pas lamoindre idée.Tout ceque je sais, c'est que laForcede l'Oracle s'est
réveilléepourvousetquec'estquelquechosequineseproduittoutbonnementjamaissansqu'il y ait unedemandede consultation, et enplein jour. (Elle frissonna.)Est-ce que vousavezentenduunevoix...vraimenthorrible?EllesentitlesbrasdeKhalilseraidiretlesdeuxhommeséchangèrentunregard.—Nousl'avonsentenduetouslesdeux,fitledragon.— J'étais dans la cuisine avec les enfants, ajouta Khalil. (Sa propre voix n'avait pas un
timbrepuraumomentprésent,maisétaitérailléeettroublée.)Etpourtant,jel'aientendue.Graceinspiraprofondément.—Ilsn'ontpasentendu,n'est-cepas?Khalilsecoualatête.—Non,ilsnefaisaientpasattention.CuelebreregardaKhalil.—Ilfautquej'ailleretrouvermacompagne.Vousrestez?—Oui,réponditKhalil.CuelebrefouilladanssapocheettenditàGraceunecarteblanche.Ellelaretournapourla
regarderdesdeuxcôtés. Iln'yavaitpasdenom, justeunnumérode téléphone impriméetestampéennoir.— C'est mon numéro de mobile personnel. Appelez-moi immédiatement si vous voyez
autrechose.Elleopina,hébétée,etfourralacartedanslapochedesonshort.SouslesyeuxdeGraceetKhalil,Cuelebreselevaets'éloignasansajouterquoiquecesoit.
Quelquesmètresplusloin,ilsetransformaendragondansunchatoiementetpritsonenvol.Gracefrissonnadenouveau.—JenepeuxpaslaissercetteForcesetransmettreàChloé,murmura-t-elle.Ilnefautpas
qu'ellepuisseentendreunjourl'horreurdecettevoix.Khalil eut l'air encore plus égaré. Il la souleva dans ses bras, se leva et la porta dans la
maison.—Trèsbien.Nousallonsprotégerlesenfantsdecettevoix,àtoutprix.—Arrêtez,fit-ellequandilsfurentdanslesalon.Ils'arrêtainstantanément.—Posez-moi,s'ilvousplaît.Ilnebougeapas.—Vousêtestombée,fit-illentement.—Jenemesuispasfaitmal.J'aiperdul'équilibrequandj'aieulavision.Etjeneveuxpas
quelesenfantsmevoientainsietsoienteffrayésenpensantqu'ilm'estarrivéquelquechose.Illaregarda,leslèvrespincées,puis,illaissasesjambesglisseràterretoutengardantles
brasautourd'elle.Quandelleseredressaets'écarta,illalâchaetlasuivitdanslacuisine.Ils trouvèrent Chloé à quatre pattes. Une grosse brique de lait était renversée par terre
dansunegrandeflaqueblanche.Lebouchonavaitétéretiréetlecartonétaitpresquevide.Ilétaitquasimentpleinlaveilleaumomentdudîner.Lesolétaitjonchédeserviettesenpapierdétrempées.Graces'arrêtasibrusquementqueKhalilbutacontreelle.Illasaisitparlesépaulespourla
stabiliser.—Ohnon,Chloé,fitGrace.C'étaitnotreuniquebriquedelait.Chloélevadegrandsyeux.—C'estpasmoi.J'aitrouvéçacommeça.Max,quiétaittoujoursjuchésursachaisehaute,seretourna;ilétaitoccupéàsucerl'un
despiedsdelapoupéedesasœur.Khalilmarmonnaquelquechosedansunelangueétrangère.—Jenelesailaissésquequelquesminutes,fit-ilàhautevoix.—Jevaisnettoyerparterre,chérie,fitGraced'unevoixétranglée.Etpuisjevaistefaireles
crêpesque je t'aipromises, je te le jure.Simplement, je t'enprie, je t'ensupplie, laisse-moid'abordboireunetassedecafé.
6—Non,fitKhalil.Il se surprit lui-même. Iln'avaitpaseu l'intentiondedirequoique ce soit,mais il avait
regardéChloéquiessayaitdenepaspleurer,puisMax.Lebébéavait l'airperduet inquiet.Max savait manifestement que quelque chose n'allait pas. Khalil agrippait toujours lesépaulesdeGrace;ilpouvaitsentirsesmusclestrembler.Ilavaitprononcémalgréluicemot,ce«non»sortidenullepart.Il la lâchaquandellevoulutse tournervers lui. Ils ledévisagèrent tous les trois. Ildità
Gracepartélépathie:— Vous m'aviez demandé de rester avec les enfants et je ne l'ai pas fait. C'est à moi
d'intervenir.Elle le considéra avec gravité. Il remarqua une nouvelle fois lesmouchetures d'azur, de
jade et de miel dans ses yeux et, pour la première fois, il se rendit compte avec surprisequ'elleétaitbelle.Lapeurqu'elleavaitressentiedehorsvoilaitencoreunpeusonregard.Ilajoutaavecplus
dedouceur:—Nous allons discuter de ce qui s'est passé plus tard, quand les enfants ne seront pas
présents.D'accord?—D'accord,fit-elleaprèsunmomentd'hésitation.—Pourlemoment,asseyez-vous.Prenezletempsdevousremettre.Elleneprotestapasetilsongeaquecelaendisaitlongsurlavisionquil'avaitsecouée.Il
tournalesyeuxversChloé.—Installe-toiàtable.Assieds-toiavectatante.Jevaisnettoyertoutçaet...jevaisréaliser
descrêpes.Le joli visage fatigué de Grace frémit d'une expression qui ressemblait fortement à de
l'amusement,mais elle était tellement stressée qu'il décidaque sa première impressionnepouvaitpasêtrelabonne.—Vousallezréaliserdescrêpes?—Jenevoispaspourquoijenelepourraispas.—Est-cequevousenavezdéjàréalisées?demanda-t-elle.Unsoupçondevivacitérevintdanssesyeuxetilspétillèrent.—Cettequestionn'estpaspertinente, fit-ilenscrutantavecméfianceses traits tirés. (Si
Graceavaitétéundjinn,ilauraitpuaffirmersanslemoindredoutequesonvisageexprimaitdelajubilation.)Jevaisréaliserdescrêpessur-le-champ.GracesetournaversChloé.—C'estmoiquiaipromisdefairedescrêpes.Est-cequetuveuxbienquecesoitKhalilqui
lesfasseàmaplace?—Mmhmmh,réponditChloé.Elle se leva d'un bond et se dirigea vers Grace en pataugeant dans le lait renversé. Le
liquidetrempalebasdesachemisedenuit.—Vousireztouslesdeuxprendreunautrebainaprèslepetitdéjeuner,fitGrace.Elle souleva la petite fille et l'installa à table, puis alla se servir une tasse de café en
essayantdenepasmettrelespiedsdanslelait.
—Jen'aijamaisditquej'allaisfairelacuisine,rectifiaKhalil.Deux paires d'yeux féminins consternés se posèrent sur lui. Il n'arrivait pas à savoir
lesquelsexprimaientleplusdedéceptionetildutsemordreleslèvrespournepassourire.Ils'adressaàlaplusjeunedesdeux:—Netirepasdeconclusionshâtives.Tuvasvoir.Tuvasavoirtescrêpes.Jel'aidit.Ilnesavaitpassilapetitefillecomprenaitlesmots«hâtives»ou«conclusions»,mais
elle sembla comprendre en gros ce qu'il voulait dire, car elle sourit. Grace, elle, avait l'airbeaucoup plus sceptique. Khalil l'observa du coin de l'œil pendant qu'elle préparaitrapidementunboldequelquechosedeblancet collantqui ressemblaitàde labouillie.Lebébésemitàs'agitersursachaiseenpoussantdespetitscrisdejoie.Gracepritsatassedecaféetlaposasurlatableaveclebol,puisellesemitàfairemangerMax.Khalil voulait la taquiner encore un peu et voir son visage trop pâle s'animer de colère,
mais il ne pouvait pas se résoudre à faire attendreChloé davantage. Il se concentra sur levaste réseau invisible de connexions qui l'environnait. Pour un djinn, sa fortune étaitconsidérable.DenombreuxdjinnsappartenantauxcinqMaisonsluidevaientdesfaveurs,etdenombreusescréaturesappartenantàd'autresespècesluiendevaientégalement.Il choisit l'une de ses connexions les plus anciennes. Elle menait à Mundir, un djinn
vénérablede laMaisondeGui qui lui devait une faveurdepuisdesmillénaires.Khalil tirapoliment sur le fil. Il perçut le frémissement de surprise du djinn, mais celui-ci arrivaimmédiatement et prit forme devant lui. La forme physique de Mundir était celle d'unadolescent mince aux cheveux blonds et aux yeux étoiles et arrogants qui révélaient soninhumanité.Khalilnel'appréciaitguère.—Es-tuenmesuredepayertadette?UnpliamermarqualabouchedeMundir.L'aversionétaitmutuelle.—Biensûr.Khalilluiadressaunsourirenarquois.Ladetteétaitundésagrémentdelonguedatepour
Mundir, et Khalil trouvait cela très gratifiant. Lemoment était venu de se délecter encoredavantage.—Tuvasnettoyerlesoldecettecuisineavec...(Ilregardasonpetitnidd'oiseauxhumains
qui,bouchebée,dévisageaientlenouvelarrivant.KhalilsetournaversGrace.)Qu'utilise-t-onpournettoyerlesold'unecuisine?EllejetaunregardlasendirectiondeMundir.—Uneserpillièreetunseau?KhalilagitaunemainetfinitdedonnersesinstructionsàMundirsuruntonimpérieux:— Pour ce que tu me dois, tu vas nettoyer le sol de cette cuisine comme le font les
humains, avec une serpillière et un seau et je suppose une sorte de savon et de l'eau. (Ilajoutapar télépathie :)Et tu prendras des précautions en faisant ce travail,Mundir de laMaisondeGui,cardespetitsviventicietilssontvulnérables.L'expressionincréduleetindignéedel'autredjinnvalaitàelleseulesonpesantdefaveurs.
LafureurfittremblerlavoixdeMundirquisiffla:—Cecirembourseratotalementcequejevousdois.—Biensûr,déclaraKhalilenfeignantl'étonnement.IlaperçutGracequisecouaitlentementlatêteenlesregardant,éberluée.Illuidécochaun
sourireradieux.Sonassociationaveccette jeuneOracles'avéraitbénéfiqueàdiversniveaux.Rienquece
matin,ilavaitvertueusementbarrélarouteàlaBête-uneoccasionquineseprésentaitpassouvent - et il avait grandement irrité un autre djinn qu'il détestait depuis d'innombrablesannées.Enfin, il constataitqu'ilavait littéralementrendu l'Oraclesansvoix,cequiétaitun
phénomène d'une extrême rareté. Exception faite de sa vision dérangeante etmystérieuse,sujet qu'il avait l'intention d'aborder dès que les petits ne seraient pas en mesure de lesentendre,cettematinées'avéraittoutàfaitexcellente.Ces réflexions lemirent d'unehumeur simagnanimequ'il décida de faire les choses en
grand.Au diable l'avarice. Il tira sur une autre connexion et un autre djinn ébahi apparut.C'était en fait unedjinn, Ismat, de laMaisondeShaytan.La formequ'elle choisit fut celled'unefemmeàl'embonpointsympathique,àlapeaufoncéeetauxtraitsaquilins.Aprèsavoirvérifiéqu'elleétaitdisponiblepourpayersadette,Khalilluidit:— Tu vas te rendre dans un restaurant de bonne réputation. (Il essaya de penser à un
établissement de qualité. Il ne connaissait pas beaucoup de restaurants.) LeRussian TeaRoomàNewYorkconviendrabien.Turamènerasdescrêpespourceshumains,ainsiqu'unassortimentdemetsadéquatspourunpetitdéjeuner,ettucréeraspoureuxunebelletable.Lapetite filleattendsonpetitdéjeunerdepuisunbonmoment,alors faisvite. (SonregardpensifseposasurunMundirfurieuxquinettoyaitlesoletilajouta:)Ohoui,etramèneuncartondelaitpendantquetuyes.Ismat balaya la cuisinedu regard.Un grand sourire fendit son visage en voyantMundir
occupéàlaverparterre.—Je voisque vous avez finalement commencé à vous faire rembourser lesnombreuses
dettesquivoussontdues,fit-elleàKhalildesesyeuxpétillants.Cequevousmedemandezpaierapourunedesfaveursquejevousdois.—Assurément.Ismatdisparut.Khalil se retourna vers son public installé autour de la table. Excitée par les allées et
venues,Chloé était descenduede son siège et sautillait enpoussant des petits cris de joie.GraceavaitprisMaxsursesgenouxetlecâlinait.Elleavaitl'airabasourdi.—Jecroisquejecommenceàcomprendrecommentonpeutconsidérerdescrêpescomme
uneréalisation.Khalilopina.IlconstataquelatassedecafédeGraceétaitvideetallachercherlacarafede
liquidefoncéetfumantquiétaitposéesouslecurieuxmécanisme.Puisilouvritlesplacardsjusqu'àcequ'iltrouveunesériedemugsetenprenneun.Enfin,ilallas'asseoiràlatabledelacuisineetapprécialesfruitsdesonlabeur.Ilversalecafé,d'aborddanslatassedeGrace,puisdanssonmug,etiladoptauneposturedétendue.—Jevoulaischercher lepetitdéjeunermoi-même, fit-il.Mais j'aidécidédeprendreune
tassedecaféenayantleplaisirdevoirMundirnettoyerlesol.Graceavaitétudiélesenfantsavecattentionenrevenantdanslacuisine.Chloés'envoulait
d'avoirrenversélelait,maissinonilssecomportaientdemanièretoutàfaitnormale.Khalilavaitraison: ilsn'avaientpasentendulavoix.Ellesedétenditunpeu,maisellenepensaitpaspouvoirécarterlavisiond'horreurniêtreenmesured'avalerquoiquecesoit.Puis,Ismatarrivaaveclanourritureetdisposatoutunassortimentdemetsexotiquessur
latable.Des crêpes fourrées aux fraises et nappées de sirop d'érable, unemagnifique quiche au
bacon,poireaux,truffes,pommesdeterreetgruyère.Duyaourtrusseavecdesbaiesfraîchesetdesamandeseffilées.Desviennoiseries.Dusaumonfuméavecdescâpres,dufromagedechèvre,destomatesceriseetunepetitesaladeverte.Debellesserviettesdamassées.Etdulait.Même Chloé demeura pantoise devant un tel étalage de plats tous plus étranges et
appétissantslesunsquelesautres.
Grace, quant à elle, était partagée. Elle n'aurait pas dû autoriser tout cela. C'était aussiirresponsablequelecoupduchatparlant.Ouc'étaitpeut-êtremêmepire?Ellen'arrivaitpasàdécider et ce dilemme lui donnait unpeu trop l'impressionde jouer le rôle deDarrin, lemarigrognondeSamanthadanslasérietéléviséeMasorcièrebien-aimée.Mais lesarômesdesmetsdechoixeurentraisonde lavolontédeGrace.Encoresecouée
parlavision,tropfatiguéeetaffaméeelle-même,ellevitleregardémerveillédeChloé,lajoiedans ses yeux, et, s'emparant d'une grosse cuillère, elle déposa des petites quantités dechacundesplatssurl'assiettedeChloé.Unefoisquel'assiettefutremplie,elleseservit,pritsapremièrebouchéeetfutsaisiede
ravissement.Son plaisir augmenta considérablement quand Mundir eut fini de nettoyer peu après
l'arrivéedelanourritureetdisparutaprèsleuravoirjetéundernierregardméprisant.Ellefutsoulagée de voir le djinnhostile s'en aller. C'était un peudifficile demanger pendant qu'illavaitlesoldesacuisine.Tuparles!Elleauraitmangécefestinmêmeaubeaumilieud'avertissementsannonçant
l'arrivéed'unetornadeoududéclenchementdedétecteursdefumée.Cequiétaitdéjàplusoumoinslecas,puisqu'elleparvenaitàsedétendreetàsegoinfrerenprésencedeKhalil.Oh,monDieu,lesaumonfumé.Elle tendit son biberon àMax et il but tranquillement pendant qu'elle dégustait chaque
bouchéedesmetsdélicieuxetfinementpréparés.Ellen'avaitaccédéàlaForcedel'Oraclequequelquesfoisseulementdepuisqu'elleenavaithérité,maiselleconstataitquelesrécitsdesagrand-mère et de Petra disaient vrai. Après une consultation, elle se sentait flageolante,comme si ellen'était pas solidement ancrée aumondephysique.Manger l'aida à retrouverpleinement possession de son corps. L'intensité de la vision s'estompa et la réalité de sapropre vie reprit le dessus. Elle rangea l'expérience dans un coin de sa tête, décidée àl'examinerplustard.Pourl'heure,elleseconcentrasurlesenfantsetsurlemomentprésent.Khalilseprélassaitsursachaise,majestueuxetimposant,saprésencecrépitantcontresa
consciencedont la sensibilitéétait exacerbée.Elle l'étudiaducoinde l'œil.Sesbrasétaienttrèsmusclés et sa largepoitrinepuissante. Il regardaitChloémanger, ses yeux rayonnantséclairésd'uneexpressionaffable.Ildiscutaitaveclapetitefille,luiposaitdesquestionssursapoupéeetsesamis,etdetempsàautre,ilprenaitunegorgéedecaféoudécidaitdegoûteràl'undesplats.IlregardaitMaxparmomentsavecl'ébauched'unsourire.Y avait-il une pointe de mélancolie dans son sourire ? Elle se remémora ce qu'il avait
brièvementditsursafillequiavaitététraumatiséeoublesséeetapparemmentnes'enétaitpas remise. Pendant un instant fugace, il avait affiché une rage incommensurable et unprofondchagrin.Il aimait manifestement créer le chaos autour de lui et il était d'une arrogance
extraordinaire,maisellenepercevaitaucunemalveillancedanssesactions.Endépitdesesmanièrescaustiquesetautoritaires, il l'avaitglobalementbeaucoupmieuxtraitéequ'ellenes'yétaitattendue.Etpuisilyavaitlesenfants.Ilsétaientsonpointd'arrimage,saterrifianteresponsabilitéet
ils étaient maintenant devenus, elle ne savait trop comment, une passerelle vers cettecréaturePuissante.Sesouvenantdumarchéqu'ilsavaientconclu,elleditd'untonhésitant:—Est-cequevousaimerieztenirMax?UnplaisirsurpriséclairalestraitsdursdeKhalil.—Silepetitmonsieurl'estimeacceptable,oui,biensûr.—Ehbien,voyonscela.Ilestfacileetilaimelesgens.
ElletenditMaxàKhalil,cheveuxpoisseuxdebananeetbiberoninclus.Maxsourit,gigotaetsemitàbabiller.Khalil tint lebébédroitdevantluiet leregarda.Maintenantqu'il tenaitl'enfant,ilsemblaitparalyséetperdu.Gracesecouvritlabouchepourmasquersonsourire.—Mettez-lesurvosgenoux,suggéra-t-elle.Khalil lui jetauncoupd'œil. Il installa lebébé sur sesgenoux.Maxs'appuyacontre son
bras,levasonbiberonetagitaunpieddanslesairscommesiboiresonbiberonencompagnied'undjinnétaitlachoselaplusbanaledumonde.Gracetapotal'épauledupetitgarçon.Ellen'étaitpeut-êtrepastrèsobjective,maiselletrouvaitquesonneveuétaitunpetitbonhommetrèscool.—Vouscroyezqu'ilm'aimebien?s'enquitKhalil.SonincertitudeétaittellementtouchanteetsiinattenduequeGracesemorditlalèvre.Elle
ouvritlabouchepourrépondre,maissaniècefutplusrapide:—Biensûr, fitChloé toutenmordantdansunmorceaudesaucisse.Je t'aimebien,moi
aussi.Maisjet'aimeraisencoremieuxsit'étaisuncheval.KhalilsouritdetoutessesdentsetGracemurmurasuruntond'avertissement:—Chloé!—Quoi?fitChloéavecdegrandsyeuxétonnés.C'étaitpasbien?Grace remarqua que la petite fille ne mangeait pas vraiment la saucisse, mais en
mâchouillaitseulementlebout.—Tuasfinidemanger?—Mmhmmh.—Arrête demâcher ça alors. Il est temps de prendre un bain. (Elle contempla toute la
nourrituresur la table.Celapouvaitattendreunquartd'heure.Elle larangeraitaprèsavoirlavélesenfants.)Mercibeaucouppourlepetitdéjeuner,fit-elleensetournantversKhalil.—Derien,dit-ild'unairrésigné.ElleluidécochaunsourireespiègleenpoussantlégèrementChloé.—Allons,chérie,remercieKhalilpourlescrêpes.Chloésavaitêtrecharmeuse.EllesouritradieusementàKhalil.—Merci!Il soutint le regarddeGraceen souriantà lapetite fille.Un sourire teintéd'amusement
réticentcettefois-ci.—Derien,fit-ilàlapetitefille.Est-cequ'ellesétaientbonnes?—Oui.—Jesuiscontent,alors.GracetenditlesbrasversMax,etKhalilluipassal'enfant.—Bon,dit-elled'untonunpeuemprunté.(Quoimaintenant?Devait-elleluidiredes'en
aller, plus gentiment qu'elle ne l'avait fait avant ?) Je vous remercie vraiment d'être venuquandjevousaiappelé.—Taisez-vous,lâcha-t-ilenluijetantunregardexaspéré.Ellen'avaitpasvoululeprovoquercettefois-cietelleéclatadoncderire.Sereprenantvite,
elleditàChloé:—Cen'estpasbiendedireàquelqu'undese taire.C'estmêmetrès impoli, surtoutsi la
personneessaiesimplementd'êtregentille.Chloélevalesyeuxauciel.—Mêmemoi,jesaisça.TropdecaféineetdesucreavaientdûmonteràlatêtedeGrace.Sesentantenivréeparsa
propreespièglerie,ellefitfaceàKhaliletluidit:—Vousdevriezdoncmeprésenterdesexcuses.
Il écarquilla les yeux. Il regarda Grace, puis Chloé qui avait la tête levée et paraissaitattendrequ'ildisequelquechose,puisGrace,encoreunefois.Elleseditquepourlapremièrefoisdepuisqu'ilsavaientfaitconnaissance,unvéritablerespects'inscrivaitsursestraits.—Jevouspriedem'excuserdevousavoirditdevous taire, fit-ilavecgravité tandisque
sonregardluipromettaitqu'elleseraitpuniepoursonimpudence.Mais il ne lui ferait pas demal, ni à elle ni aux enfants. Il l'avait dit et sa parole, son
honneur étaient ce qui comptait le plus pour lui. Pas étonnant que les djinns tiennent lesinformations pour quelque chose de si précieux qu'ils concluaient des marchés pour enobtenir.Graceleregardad'unairinnocentetunefoisdepluschoisitlaroutedesfous.—Rendez-vousutileetnettoyezlacuisinependantquejebaignelesenfants,vousvoulez
bien?dit-elleauprincedjinndelaMaisondeMarid.Desreprésailles?Qu'ilosedonc!Elleemmenalesenfantsdansleurchambrepourlespréparerpourlebain.Chloépouvait
porter sa propre tenue d'été, un short et un tee-shirt décoré de pâquerettes, ainsi que lacouchepropredeMaxetuntee-shirtquidisait:TERRIBLEMENTCOQUIN.Ilsseraientunefoisdepluslavésdansl'évierdelacuisine.Ellevoulait trouverunmoyendefaciliter l'accèsaupremierétage.Déjà,quandsa jambe
iraitmieux,ceseraitunebonnechose,d'autantplusqueMaxpesaitchaquejourunpeupluslourd. Elle prit une bouteille de shampooing, un gant de toilette et une serviette dans leplacarddeleurchambreoùellerangeaitlelingedemaison.Labarrièredesécuritéenbasdesmarchesavaituncadre fixeetunepartiequis'ouvrait
comme une véritable porte. Quand elle aurait l'argent, elle pourrait acheter une secondebarrièreetl'installerenhautdesmarches.Ellespourraientensuiterestertouteslesdeuxenplaceetellen'auraitpasbesoindepassersontempsàlamonteretlaredescendre.Elleajoutala seconde barrière sur sa liste de vœux ainsi qu'un lit pour Chloé. Mais descendre unecommodedupremierétagesamedifiguraitenpremiersurlaliste.Chloésautillaitdevantelleet tourna le coin qui menait à la cuisine.Max installé sur sa hanche, Grace s'arrêta pourglissersoigneusementlacartedeCuelebredanslecarnetd'adressesqu'ellegardaitdanslesalon,puisellerejoignitlapetite
fille.LacuisineétaitbienentendutoujourssensdessusdessousetKhalilavaitdisparu.Cela étonna Grace. Pas le désordre - elle s'était attendue à ce qu'il ignore sa demande
insolentederangerlacuisine,maiselleauraitjuréqu'ellecontinuaitàcaptersaprésenceetelles'étaitpréparéeàpoursuivreleurpetitejouteoratoire.Lessourcilsfroncés,ellebaignarapidementlesenfants,puisdéposaMaxsurlesolpropre
tandisqueChloéallaitjouerdanslesalon.Elles'attaquaà la tablede lacuisine. Il restaitbeaucoupdenourritureetellepouvaiten
congeler une bonne partie. Elle le fit en se réjouissant d'avoir quelques repas faciles etdélicieuxsurlesquelscompter.Est-cequ'Ismatavaitpayépourtoutecettenourritureouétait-elleentréeentrombedans
le restaurant pour se servir et prendre tout ce qui lui plaisait ? Si les djinns volaient, ilsseraientpoursuiviscommen'importequelvoleur,maisencorefallait-illesattraper.Etest-cequeGraceallaitvraimentfairelafinebouche?Elledécidaquenon,pascettefois-ci.Elle avait également en sa possession plusieurs plats enmétal et leurs couvercles, ainsi
quequatrelourdesserviettesdamassées.Unefoisqu'elleeutlavélesplats,ellelesempilaetlesmit de côté sur le comptoir en attendant de décider ce qu'elle allait en faire. Peut-êtrequ'ellepourrait lesvendreouen fairecadeau. IlsplairaientàKatherine,maisGracen'avaitpasfranchementenvied'expliquercommentilsétaienttombésentresesmains.
Puis elle marqua une pause pour évaluer ce qu'elle venait de faire. Nom d'un petitbonhomme, elle aurait juré sentir la présence deKhalil. Prétendant avoir plus d'assurancequ'ellen'enavait,elleditpartélépathie:—Jesaisquevousêteslà.Est-cequequelqu'unvenaitdesoupireràsonoreille?—Jetienstoujoursàdiscuterdevotrevision,maispasdevantlesenfants,répliquaKhalil.Ellesentitsesépauless'affaisser.Ellenevoulaitpaspenseràcequis'étaitpasséplustôtni
serappeler lavoixdesavision.Ellepréféreraitsechamailleravec luietprétendrequetoutallaitbien.—Revenezquandilsserontendormis,finit-ellepardireàcontrecœur.—Bien,fitKhalil.Saprésences'estompa.Gracedéployasaconscience.Elleneperçutriend'inhabituel,quecesoitdanslamaisonou
sur la propriété, juste les contours flous d'un fantôme ici ou là. Cette fois-ci, elle étaitvraimentseuleaveclesenfants.Cen'étaitplusqu'unematinéed'étéparmitantd'autres.Etelleseditquec'étaitplutôtbien,toutenécoutantlesilence.
7Déciderquellesfacturespayerétaitpassablementabsurde.GracecouchaMaxpoursasiestedumatin,mitenrouteunemachineàlaver,carelleavait
toujoursunepiledelingeenretard,etbâtitun«château»pourChloédanslesalonàl'aided'undraptendusurledossierd'unfauteuiletdel'unedeschaisesapportéesdelacuisine.Pendantque lapetite filles'amusaitdanssonchâteauavecsapoupéeetdesanimauxen
peluche, Grace passa les factures en revue. Deux fois. Elle arriva deux fois à la mêmeconclusion. Payer les factures d'eau, d'électricité et de téléphone. Toutes les facturesmédicalesrejoignirentquantàellesunepiledeplusenplushaute.Elleposa lesnoticesdereport de remboursement de son prêt étudiant sur une autre pile. Chacune lui donnait lesentiment d'être une bombe à retardement qui finirait par lui exploser au visage. Ensuite,l'estomacnoué,elleconsacraunedemi-heureàappelerdesavocatsspécialisésenfaillitesetsurendettement.Charmanteoccupation.Ellepliadulinge,feuilletaladissertationd'histoirequ'ellen'avaitpasfinieetlareposa,fit
déjeuner les enfants et trouva dans son sac la note lui rappelant d'appeler Katherine pourinviterJoeyetRachelàjouer.SesentantcoupablededemanderencoreunefoisàKatherinedegarderlesenfants,GracepritletéléphoneetalladanslacuisinepourqueChloénepuissepas entendre la conversation. Ce n'était pas la peine de lui donner une fausse joie siKatherinenepouvaitpaslesprendre.ElleappuyasurleraccourcicorrespondantaunumérodeKatherine.Celle-ciréponditauboutdetroissonneries.—Vivel'identificationdel'interlocuteur,fit-elle.BonjourGrace,commentvas-tu?Graceentendaitlescrisjoyeuxdesenfantsenbruitdefond.—SalutKatherine,çava.Jesaisquetuesentraindebosser,alorsjevaisfairecourt.Est-
ce que tu pourrais prendre Chloé et Max samedi par hasard ? La journée de travail dudeuxièmetrimestrearriveetladernièrefois, j'aieudumalàm'occuperd'euxquandtoutlemondemeposaitmillequestionspoursavoircequ'ilfallaitfaire.—Biensûr,réponditimmédiatementKatherine.Tusaisàquelpointjesuisattachéeàeux.
Pourquoi ne resteraient-ils pas pour la nuit ? Comme ça, tu pourras tout simplement tecoucherettereposerquandtoutlemondeseraparti.Grace sentit un élan d'affection pour cette femme qui était plus âgée qu'elle. Katherine
avaiteupresqueautantdechagrinqu'elleàlamortdePetra.Elleétaittoujoursprêteàl'aider,alors qu'après l'accident les amis de Grace s'étaient éloignés. Grace essayait de ne pas leprendre de manière trop personnelle. Ses amis étaient aussi jeunes qu'elle, et quand elles'étaitchargéedesenfants,elleavaitétécatapultéedansuneréalitédiamétralementopposéeà la leur.Mais lemanque de connexion avec ses anciens amis la peinait et lui laissait unsentimentd'abandon.—C'esttellementgentildetapart,fitGraced'unevoixémue.(Elleallaitemballerlesplats
et lesdonneràKatherinepour la remercier, et si elledevait expliquerd'où ils venaient, ehbien,elleleferait,voilàtout.)Jevoulaistedemanderautrechose.Jechercheàtroquerlelitde bébé de Chloé pour un lit d'enfant. Est-ce que tu pourrais demander aux parents desenfantsquetugardessicelaintéressequelqu'un?
—J'enseraisravie,fitKatherine.Jesuissûrequenoustrouveronsquelqu'un.—Super,mercimillefois.Est-cequejepeuxamenerlesenfantsàhuitheures?Lajournée
detravailestcenséecommenceràneufheures;commeça,j'aurailetempsdemepréparer.—Pasdeproblème.Grace conclut rapidement le coup de fil et se concentra sur d'autres tâches. Elle fit la
vaisselledudéjeuner.Leurslivresdebibliothèquearrivaientbientôtàéchéance.Ellelesmitdansunsacqu'elleposaprèsdelaportepournepasoublierdelesrendre.Puisellecouchalesenfantspourleursiestedel'après-midi.CequientraînaencoreunecrisedeChloé.Quandlecalmefutenfinrevenu,ellefitsesexercicesdekinésithérapie.PuisellerévisasonCV.Elleenavaitdeuxversions.L'uneindiquaitlescoursqu'elleavaitsuivisàl'université.L'autreétaitunCVoptimistequiincluaitlalicencequ'ellen'avaitpasencoreobtenue.Louisvillesouffraitencore beaucoup de la récession. Il était difficile de trouver du travail et il était impératifqu'elleaitdesCVimpeccables.La chance allait finir par tourner, à un moment donné, d'une manière ou d'une autre.
Statistiquement, c'était forcé. Mais en attendant, Grace avait l'impression d'être enferméedans une cocotte-minute et posée sur un feu réglé aumaximum.Cela n'allait pas être joliquandcettecocotte-minuteexploserait.Épuisée, elle tituba jusqu'au canapé et un trou noir l'engloutit une nouvelle fois. Elle
dormitàpoings fermés,etquandelleseréveilla,unedemi-heureplus tard, lamaisonétaittoujoursplongéedanslesilence.Elleallavoirlesenfants,ilsdormaienttoujours.MonDieu.Sepourrait-ilqu'elleaitunpetitpeudetempspourelle?Ellealladans lacuisineetutilisa le resteducafédumatinpoursepréparerunverrede
caféglacé,puiselles'assitetregardalatablesanslavoir.EllesedemandaitcequesonamiedelycéeJacquifaisaitcetété.Ladernièrefoisqu'elles
s'étaient parlé, Grace venait de rentrer de l'hôpital et Jacqui était passée lui dire bonjour.Ellesétaienttouteslesdeuxmalàl'aise.GraceavaitvuqueJacquiregardaitpartoutdanslesalonsansjamaisposerlesyeuxsurChloéetMaxquijouaientparterre.Sonamieluiavaitexpliquéqu'ellenepouvaitpasresterlongtempsparcequ'elledevaitétudierpourunpartiel,puiselleavaiteul'airaffligé.Ellesavaientensuiteéchangéquelquese-mails.Puisplusrien.Grace se demandait si Jacqui était toujours dans la région ou si elle avait trouvé un jobailleursunefoissondiplômeobtenu.Lesfantômesétaientsilencieux.Riennebougeait,nidanslamaisonnidehors.Lachaleur
del'étéenveloppaittoutets'apparentaitàl'étreinted'unamant.Ellenevoulaitpasavoirdutempspourelle.Ellenevoulaitpaspenseràlaterriblevision,
pas quand elle était toute seule. Elle ferma les yeux, enroula les bras autour d'elle et serecroquevillasursachaise.Cette fois-ci,quandKhalilapparut, il le fitendouceur.Saprésenceflottadans lacuisine
comme une brise légère. Le cœur deGrace bondit dans sa poitrine,mais ce n'était pas decrainte.Elleouvritlesyeuxetsetournaenessayantdenepasmontreràquelpointelleétaitheureusequ'ilsoitlà.Khalil étaitennoiret ses longscheveuxétaient tirésenarrière.Lesoleilde l'après-midi
quientraitdebiaisparlafenêtrecaressasestraitsd'ivoiredesesrayonsd'or.Sonbeauvisageétaitgraveetsongeur.Pendantuninstant,ileutl'apparenced'unestatuetailléeparl'undesmaîtres de la Renaissance, sa silhouette invraisemblablement gracieuse libérée pourl'éternitédumarbreinestimabledeMichel-Ange.Elles’éclaircitlavoix.—Jecroyaisquevousveniezcesoir.Ils'approchad'elle,tiraunechaiseets'assit.
—Vousm'avezditdevenirquandlesenfantsseraientendormis.Ilsdorment.Vousvousêtesreposée,vousaussi.Il remplissait de nouveau toute lamaison de sa présence. Elle inspira profondément et
laissas'échapperlatensionquis'étaitaccumuléetoutelajournéeauniveaudesescervicales.—Commentsavez-vousquejemesuisreposée?—Jesuisvenutoutàl'heure.Vousdormiezsurlecanapé.Sonregarddediamantnelaquittaitpas.Ellefitunsignedetêteetdétournalesyeux,unpeugênée.Ellepouvaitperdredutempsà
s'offusquerqu'ilviennedanslamaisonalorsqu'elledormait,maiscelasemblaituneréactionunpeuexcessiveettardivealorsqu'ilavaitdéjàmontréqu'iln'avaitnidesensibilitéhumainenilesensdesconvenances.Quedevait-ellefaireoudiremaintenant?Ellen'étaitpaslareinedusavoir-vivreetellene
savait pas du tout comment se comporter avec lui quand ils ne se chamaillaient pas. Elleavisasonverredecaféglacéquelachaleurfaisaitsuinteretelleentrepritdeselever.—Jevaisvousdonnerquelquechoseàboire.Qu'est-cequevousaimeriez?Samain enveloppa le bras deGrace.Elle regarda ses longs doigts comme il la faisait se
rasseoir.—Jen'aipasbesoind'unrafraîchissement,fit-il.Nousdevonsdiscuterdecequis'estpassé
cematin.Ellefitunsigned'assentiment.Iln'avaitpasretirésamainetelledécidadeneriendire.Le
contactétaitrassurant.Elleremarquaunenouvellefoisàquelpointilirradiaitdechaleur;saprésenceétaitunfeuquesapeaucontenaitavecpeine.Desamainlibre,elletouchasonverrefroidetruisselantdecondensation,puispritunegorgée.—J'aipeurdemereplongerdanscettevision.—N'ayezpaspeur,ditdoucementKhalil.Vousetlesenfantsn'avezrienàcraindre.Jevous
l'assure.Àcesmots,ellesetournaversluietrencontrasonregardcristallin.Ces yeux sans âge, qui n'étaient pas humains, étaient d'une clarté si perçante que
lorsqu'elle s'y perdit, elle eut le sentiment de basculer dans l'éternité. Elle n'arrivait pas àdétournerleregardetilnelefitpasnonplus.Avectoutesonattentionfocaliséesurlui,ellesentit sa propre énergie s'aligner sur la sienne et cette expérience totalement nouvellesemblait naturelle, réconfortante, bienfaisante. Elle éprouva une sensation de complétudequ'ellen'avaitjamaisconnueavant,samasculinitéetsaféminité,saForcetouchantlaForcedel'Oraclequivivaitenelle,etlaForceindividuelle,unique,desonpropreespritàelle.Ellese sentait enveloppée, réchauffée, presque comme s'il l'avait prise dans ses bras. Uneexpressionétrangepassasursonvisage.Ilfronçalégèrementlessourcilsetpenchalatêteenlacontemplant.Si près de lui, la flamme étincelante de sa propre Force était vive et inépuisable, un
rugissementpur,continuquiétait...C'étaitsexy.Pasjusteunpeusexy.Extraordinairementsexy.Pourlapremièrefoisdepuisdesmois,ellesentitunepalpitationdedésir.Quoi?Choquéeetdésorientée,elles'écarta.Illaissatomberlamainquiétaitposéesursonbras.
Respirantavecpeine,elle s'assitavec raideuret se tintdroite, le regard fixe.Elle sentit sesjouess'empourprer.Saprésencemasculineenvahissaitlamaisoncommelanuitpassée.Etiln'étaitplustotalementindifférentàelle.—Maintenant,vousm'intéressez,murmuraKhalil.—Jenevoisvraimentpasàquoivousfaites...(Elleavaitdumalàexhalersuffisamment
d'airpourprononcerlesmots)...allusion.Il ritdoucement et ce sonvoilé était encoreplusdangereuxque celuiqu'il avait émis la
nuitd'avant.Ce rire frôla les terminaisonsnerveusesdeGrace commes'il avait effleuré sapeaunuedesesdoigts.—Jecroisquecelameplaîtbienquandvousmentez.Monsensdelavéritésesentalors
remarquablementsupérieur.Elle essaya de lui jeter un regard noir,mais craignit d'avoir simplement l'air paniqué et
perdu.Oùsetrouvaitsacapacitéàs'indignerquandelleenavaitbesoin?—Biensûr,lasupériorité,c'esttoutcequicomptepourvous.Sa tentativede raillerie ressembla surtout àun couinement et elle eut soudain enviede
chercherundrapetdes'encouvrirlatête.Elle ne le vit pas bouger. Mais il fut soudain derrière elle. Il se pencha et lui glissa à
l'oreille:— Vous savez, notre jeu de la vérité est toujours en cours et c'est à moi de poser une
question.Elle secoua la tête, puis tout son corps décida de faire pareil et elle fut prise de
tremblements.Ilsétaientcensésparlerdequelquechosed'effrayant,maisilyavaittellementde choses effrayantes dans sa vie en ce moment qu'elle ne les comptait plus. De quoidevaient-ilsdiscuter,déjà?—Nousentamonsunenouvellesériedequestions,souffla-t-elled'unevoixmalassurée.
C'estdoncvotretourseulementsijenemetspasuntermeaujeu.—Vousallezymettreunterme?Deminusculesboufféesd'airchatouillaientsapeauquandilparlait.Elletremblaplusfort.Routedessages.Routedesfous.Oh,Damas.—Je...jenesaispas.Illapritparlesépaules.—Vousavezfroid?Elleleregardapar-dessussonépauled'unairhagard.LesyeuxdeKhalilétincelaientd'une
lueur languide et il paraissait lire en elle comme dans un livre ouvert. Cette fois-ci, ellen'essayamêmepasdemettredesmotssursespensées,maissecontentadesecouerlatête.Elleavaitl'impressiond'avoirperducontactaveclagravitéetdeflotter.Khalilluidécochaunsourirecharmeur.—Qu'est-cequevousavez,alors?Voustremblez.Elleluttapourreprendrepied.—Vous venezdeposer trois questions et j'ai répondu à deuxd'entre elles.Vouspouvez
direcequevousvoulez,c'estmontour.Sonsourires'épanouit.Etsursonvisageauxtraitssiélégants,c'étaitéblouissant.Iln'était
passeulementunprincedesaMaison,ilétaitaussileprincedel'espièglerie.—Jeleconcède,fit-il.C'estassurémentvotretour.—Nemepressezpas,avertit-elle.Cette fois-ci, elle allait s'assurer que sa question compte, même si elle devait s'asseoir
devant sonordinateur et rédigerdesbrouillons jusqu'à cequ'elle ait la formulationqui luiconvenait.—Prenezvotretemps,ronronna-t-il.(Lesonléchasapeau.)Jenesuispaspressé.Oùétaitpasséledjinnirascibleetquerelleur?Ilavaitétéremplacéparunecréaturequi
débordaitdesensualité.Elles'entenditlâcherétourdiment:—Est-cequelesdjinnsaimentfairel'amour,aufait?Oh,non,non,ellenevenaitpasdeluidemanderunechosepareille.Pourquoidevait-elle
toujoursemprunterlaroutedesfous?Ellesetortillaetsesentitrougir,passeulementsurle
visage,mais partout, au point de sentir la chaleur émaner de son corps. Elle aurait donnén'importequoipoursecachersoussondrap.S'il était éblouissant avant, l'expression qui se lisait maintenant sur ses traits était
purementetsimplementélectrisante.—Aveclapersonneadéquate,nousaimonsbeaucoupfairel'amour,commevousdites,fit-
il d'un ton tranquille. Nous aimons prendre notre temps et nous y consacrons alors toutenotreattention.Etnospartenairesensontcomblés.Gracecrutqu'elleallaittournerdel'œil.Ilétaittoujourspenchésurelleetilavaitposéune
mainsurleborddelatable.Lesouvenirdetouslesgarçonsqu'elleavaitembrassésaulycéeetdespetitsamisqu'elleavaiteusàl'universitésedésintégrafaceàl'attentionincendiairedeKhalil,alorsqu'ilnefaisaitqueflirteravecelle.Commentceseraitdel'embrasser?Ellerefrénaaussitôtsespenséesettoussa.Enfin,une
touxquiressemblaitsurtoutàungémissement.—Oui,bon,j'aiencorefoutuenl'airmontour,ondirait.—Oh,jenesaispas,murmura-t-il.Vouscroyezvraiment?J'aitrouvélechoixduthème
toutàfaitintéressant.Ellesecoualatête.—C'est sorti tout seul. (Elle trouvait sa voix bizarre, incohérente presque.) J'allais vous
demanderquelquechosedevraimentintelligentetutile.Iléclataderireetsonhilaritéremplitlapièce.—Nousavonstouslesdeuxpauvrementutilisénotretour.Celafaittrèslongtempsqueje
n'aipasfaitpreuved'autantdenégligence.En réfléchissant à cequi venait de sepasser, elle eut le sentimentd'avoir remportéune
petitevictoireunpeufourbepourl'avoirincité(enjôlé?)àagirdemanièreunpeufolle,parceque,pardon,maisàsonâge,iln'avaitpasd'excusepourseconduireaussilégèrement.Cequinecompensaitpascependantsonproprecomportement;elles'étaitmontréebeaucoupplusfrivolequelui,maisellen'allaitcertainementpassepriverd'unpetittriomphecommecelui-ci.Et puis tout cet échange avait été trop étrange, trop intense. Une retraite stratégique
s'imposait.Ellepivotasursachaiseafindeseretrouverdenouveaufaceàlatable,saisitsoncaféetplongeasonnezdanslatasse.Rianttoujoursdoucement,Khalils'assitàsontour.Latêtepenchée,ellesirotasaboisson
enl'observantducoindel'œil.Ilretrouvasonsérieuxeteutl'airpensif.Auboutdequelquesminutes, elle se dit qu'elle pouvait peut-être reposer son café, mais elle continua à s'yaccrocherobstinément.Unegamineriedeplus.Commesis'abriterderrièreunetassepouvaitsuffireàrepousserundjinns'ilétaitdéterminéàobtenirquelquechose.LeregarddeKhalils'assombrit.—J'aieubeaucoupdeplaisiràvoustaquiner,maisnousdevonsdiscuterdecematin.Toutepenséedemarivaudages'envola.Sesépauless'affaissèrent.—Oui,biensûr.Elle posa les coudes sur la table, le front dans sesmains, et se concentra sur ce qui la
hantaitdepuissavision:lesouvenirdelavoixquianéantissaitlesétoiles.SielleappréciaitqueKhalilaitessayédelarassureràsamanièrequandilluiavaitditde
nepasêtreeffrayée,ellen'avaitpasl'impressionqu'ilcomprenaitàquelpointlavisionavaitététerrifianteetellerechignaitàs'ouvriràlapossibilitéd'uneautrevision.Elle serra les poings en renouant prudemment avec ce souvenir. A son immense
soulagement,ilrestadistant,commedéconnectéd'elle.Ellenes'étaitpasrenducompteàquelpointelleétait tendueavantqueKhalilposeune
mainsursondos.—Parlez,l'encouragea-t-il.— Je ne vois rien d'autre. Ça s'est évaporé. La vision est venue de Cuelebre, c'est
indiscutable.—LavoixamentionnélaBête.—Qu'il leveuilleounon,c'estsaprophétie. (Elleplissa le front.)Mêmesi jepenseque,
quelquesoitlesensdelavision,elleneconcernepasqueCuelebre,loindelà.Ellem'adonnél'impressiond'êtreglobaleoufondamentale,sijepuisdire.J'aieuunevisiondesétoilesquel'onéteignaitdanslecielnocturne.Le souvenir de ce spectacle était si atroce qu'elle fut de nouveau saisie de frissons. Le
regarddeKhalils'aiguisa.—Jen'airienvu.J'aiseulemententendulavoix.Est-cequevousavezreconnulepaysage?—Non,dit-elleensecouantlatête.Non.Ilétaitpeut-êtresymbolique,maisjenesaispas.
Lesvisionsoraculairesviennentdenombreusesmanières.Ellespeuventvenirdupasséoudefuturspossibles, ouencore êtreune séquenced'images s'assimilant àun rêve et ayantunesignificationparticulièrepourlapersonnequiademandéàconsulterl'Oracle.Magrand-mèreetPetrapouvaientvoir ladifférence,mais jen'aipasencoresuffisammentd'expérience.Cen'étaitquelatroisièmefoisquej'accédaisàlaForcedel'Oracle.MadeuxièmefoisétaitavecCarlingetRune.(Elleluiadressaunpetitsourire.)Magrand-mèreetPetradisaientlamêmechose.L'Oraclevoitbeaucoupdetrucssuperbizarres.Ellesdisaientaussiqu'elles...quenousportonsennousuneespècedemécanismededéfenseintégréquinousaideàmaintenirunecertainedistanceaveclesvisionsunefoisquenouslesavonseues.Cesvisionsnesontpaslesnôtres.Nousnepouvonspasnousyaccrocher,ounousperdrionslaraison.Petrapensaitquecelaexpliquaitpeut-êtreaussipourquoil'Oracleperdaitparfoisconnaissance.Jecroisquejecommenceàcomprendrecequ'ellevoulaitdire.—Est-cequec'estnormalqueCuelebreetmoil'ayonsentenduetouslesdeux?—Ouietnon.(Ellegrimaça.)Parfois,l'Oracleestenmesuredecanaliserl'espritd'unmort
pourceuxquisontendeuiletquiontbesoindedireaurevoir;etlorsquenousénonçonsuneprophétie,laForceasaproprevoix.Plusieurspersonnessontsusceptiblesdel'entendre,maisen général, c'est le cas si nous sommes tous réunis au même endroit. Et habituellement,l'Oraclen'énoncedesprophétiesquedepuisunlieudanslesprofondeursdelaterre.—Pourquoicela?—Jepensequec'estenpartieunehistoiredetradition.Leschosesonttoujoursétéfaites
ainsi,alorsnouscontinuonsàfairepareil.EtpuislaForcequiesttransmiseàchaqueOracleest héritée. (Elle fronça les sourcils comme si elle avait du mal à trouver les mots pourexpliquer quelque chose qu'elle connaissait si intimement.) Au même titre que chaqueindividu, nous avons chacun notre propre source de Force, des talents et des affinités.Masœurétaitparticulièrementdouéepouruneespècedeclairvoyancequisecaractérisepar ledondevoir l'avenir,maisen tempsréel.Mon talentestuneaffinitéavec lesesprits.Je l'aitoujours eue. J'ai une prédisposition à percevoir les fantômes et d'autres esprits, et je saisquand vous êtes là même si vous n'êtes pas visible ni sous une forme physique. Je suiségalementenmesuredepercevoirlaconnexionquevousavezcréée.—Oui, fit-il pensivement.C'est tout à fait inhabituel. Jen'ai jamais entenduparlerd'un
autrehumainenmesuredelefaire.—Dans notre famille, nos dons font de nous desOracles potentielles,mais la Force de
l'OracleensoiestuneForcehéritée.(Ellesentitsagorgesenouer.)Jesavaisquemasœurétait morte quand j'ai repris connaissance à l'hôpital, parce que la Force m'avait ététransmise.Jesaisquecelasembleétrange,maisnousnesavonsjamaisquienhéritera.Nous
savonssimplementqu'ellepassetoujoursd'unefemmeàuneautrefemme.Théoriquement,parexemple,lepouvoirauraitpuêtrepasséàChloéquandsamamanestmorte,bienquejen'aie jamais entendu parler d'une Oracle aussi jeune.Mais en tout cas, il n'aurait pas ététransmisàMax.—Vousn'avezdoncpaseulechoix.—Non,répondit-elle.(Elleressentitsoudainunsentimentd'impatienceetl’écarta.)Mais
c'estsansimportance.Jel'aidésormais,etc'estàmoidevoircequejepeuxenfaire.Cequej'essaiededire,c'estquelaplupartdesgensontunesourcedeForce.J'enaideux.Celleaveclaquellejesuisnéeetcelledel'Oracledontj'aihéritéilyaquelquesmois.C'estunetrèstrèsancienneForceetelleestprofonde.—Qu'est-cequevousvoulezdire?fit-ilenlascrutant.—Elle est toujours présente. Je peux la sentir,mais elle est installée à la lisière dema
conscience.(Elleessayadetrier l'amasd'enseignementscollectésaucoursdesavieafindeneluiprésenterquel'essentiel.)Est-cequevoussavezquelessorcièreshumainesprennentsouventundieuouunedéessecommepatron?Ilsecoualatête.— Notre déesse est Nadir, parce qu'elle est la déesse des profondeurs. Une légende
familialeracontequeNadirnousadonnélaForcedel'Oracle.Uneautreditqu'elleestvenuedequelqu'und'autre,unautredieuouunecréaturePuissante.Danstous lescas, le templeinitial à Delphes se trouvait dans une caverne et ici, sur la propriété, nous avons un petitréseaudecavernes.Lorsquequelqu'undemandeàs'entreteniravecl'Oracle,c'estlàquenouslesemmenons.Allerlà-basnousaideàpuiserdanscettepartieenfouieennousetàaccéderàla Force. (Elle passa les doigts dans ses cheveux et marmonna :) Je vous donne tropd'informations.— Ne vous préoccupez pas de cela. (Il fronçait toujours les sourcils.) Donc cette Force
pourraitpasserdevousàChloé?— Pas tant que je suis en vie, fit-elle en secouant la tête d'un air préoccupé. Quand je
mourrai, la Force sera transmise à un autremembrede sexe féminindans la famille.CelapourraitêtreChloé.Elleestlaseuleparenteenviequej'aidésormais.Oupeut-êtrequ'alorsnotrefamilleseseraagrandie,siChloéetMaxontunjourdesenfants.—Etcequis'estpassécematinétaitdifférentdelamanièredontlaForcesemanifesteen
général?—Jenesuispasunespécialiste,maisoui,c'étaitdifférentdetoutcedontj'ai jamaisfait
l'expérienceetdetoutcedontPetraoumagrand-mèreapujamaisparler.Cequis'estpassécematins'estproduitenpleinjour.Onm'aapprisqu'ilfallaitpuiserlaForce,l'appeler,maisce matin, elle a juste jailli. Je ne sais pas si c'est parce que la présence de Cuelebre l'adéclenchéeenquelquesorte, si lavisionétaiturgenteousi celaavaitquelquechoseàvoiravecmoietlamanièredontjemeconnecteàlaForce.JesuisseulementheureusequeChloéetMaxn'aientpassucequisepassait.Ilpressa sapaumecontre sondos,presque commes'ilpouvait infuserdu courageetdu
calmeenelleparlaseuleforcedesavolonté.—Est-cequelavoixaprislecontrôle?Elle leva la tête et le regarda en fronçant les sourcils. Il l'observait attentivement. Elle
cherchasesmots.— C'était plus comme si je m'étais réglée sur une fréquence radio et que la voix me
parvenait par le biais de ce canal. Je ne sais pas l'expliquer autrement. Ça n'a pas pu êtrephysique,sinonlesenfantsl'auraiententendueeuxaussi.Non?Il opina, les sourcils froncés lui aussi, concentré. L'éclat de son regard était atténué et
évoquaitlemiroitementdediamantsdansl'ombre.— Votre analogie avec une fréquence radio est juste. Je l'ai entendue d'une manière
s'apparentantàlatélépathie,maisc'étaitàunniveaudifférentdelatélépathienormale.—Chloéesttélépathique,soulignaGrace,lagorgenouée.Ellen'estpasencoretrèshabile.
Lamajoritédesenfantshumainsdéveloppentcetteaptitudeaprèsavoiracquis lesbasesdulangage. Petra disait toujours que c'était la manière de la nature de protéger les jeunesparents. Imaginez un peu ce que ce serait d'avoir un enfant télépathique de deux ans quihurledansvosoreilleschaquefoisqu'ilfaituncaprice.Ileutunpetitsourirequis'estompapresqueimmédiatement.—Sivoussentezlavenuedequelquechoseressemblantàcettevision,appelez-moisur-le-
champ.Tirezfortsurlaconnexionetjesauraiquec'esturgent.Ellehochalatête.Ellen'avaitpasvraimentlechoix,detoutefaçon.Étantdonnélarapidité
avec laquelle la vision s'était imposée à elle, il était la seule entité qu'elle connaisse enmesured'arriversuffisammentvitepourfaireunedifférence.— Je ne peux pas me permettre de perdre ainsi le contrôle et laisser les enfants sans
surveillance.Vousavezvucequis'estpasséavecChloéetlelait.Sijetirefort,lorsquevousarrivez,occupez-vousdesenfants, vousm'entendez?Assurez-vousqu'ilsne courentaucundanger.L'expressiondeKhalildevintfarouche.—Jevousaipromisquevousetlesenfantsétiezsousmaprotection,etvousl'êtes.Ellesentitsesyeuxs'embuerdelarmes.Elleneleremercieraitpasunenouvellefois.Elle
l'avaitsuffisammentremerciéetpuisiln'aimaitpascela.Ellechoisitdes'appuyercontresamainpourluiexprimersareconnaissance.Ilpenchalatêteenlaregardant.—Vousfaitestoutçaseule,toutenvousoccupantdesenfants?Ellehaussauneépaule.—Pastoutàfait.LameilleureamiedePetra,Katherine,aprislesenfantsjusqu'àcequeje
sorte de l'hôpital et puisse les ramener à la maison. Et vous vous souvenez de Janice, lapersonne qui est venue les garder hier matin quand Carling et Rune ont demandé à meconsulter?Janicefiguresurunelistedesorcièresquisontdegardeetquiviennentchaquefoisquequelqu'undemandeàs'entreteniravecl'Oracle.Elleslefontdanslecadred'unedîmedueàlacommunauté.D'autrespersonnesvontvenirsamedim'aiderpourlajournée,elleslefont une fois par trimestre. Elles désherberont une bonne partie du jardin et tondront lapelouse.Elle se prépara à l'un de ses regards méprisants, l'un de ceux qui étaient déjà vexants
quandellene l'appréciaitpasencore.Peut-êtrequ'elle l'aimaitbien,après tout,maintenantqu'elle le connaissaitmieux. Désormais, son dédain ferait plus que vaguement piquer sonorgueil.Maisledjinnn'enfitrien.Aucontraire,sonvisagesecrispa.—C'estbienquevousayezde l'aide.Etmaintenant,vouset lespetitsm'avez.Maisvous
êtes beaucoup trop seulemalgré tout. Vous devriez être entourée par uneMaison remplied'associés,jeveuxdireparlàdepersonnespouvantvousaider.Elle dut pincer les lèvres et détourner les yeux avant de pouvoir dire au bout d'un
moment:—Personnenes'attendaitàcequeleschosestournentainsi.Leurconversationavaitduréunlongmoment.IlsentendirentChloéquipapotaitdanssa
chambre.Elleparlaitàsesjouets.Maxsemitàbabiller.Grace se retourna vers Khalil. Son visage dur s'était détendu et un sourire indulgent
flottaitsurseslèvres.—Mercipourlaconversation,fit-elle.(Elleplaquaunemainsursaboucheaumomentoù
elleprononçaitlesmots.)Jejurequec'estsorticommeça.Pardon.Aulieud'avoirl'aircourroucéoudégoûté,ilparutamusé.—Jereviendraidemainrendrevisiteauxpetits.Graceselevaàsontour.—Nous serons sortis.C'est le jourdesenfantsà labibliothèque, etpuisnousavonsdes
livresàrendre,et...(Ill'écoutaitavecunetelleattentionqu'ellecommençaàsesentirunpeuridiculeetelleconclutdemanièreempruntée)...enfin,cen'estpastrèsintéressanttoutça.—Quelestvotreemploidutempslesoir?—Nousdînonsàcinqheuresetjelescoucheàhuitheures.Illevalessourcils.—Est-cequejepeuxleurrendrevisiteavantqu'ilssecouchent?Gracefutimpressionnée.Ilavaitdemandéetpasordonné.—Biensûr.Il l'étudia un moment avec une expression indéchiffrable. Puis elle sentit sa présence
glisserlelongdelasienneenunecaressebrûlanteetinvisible.Elleinspiraprofondément,illuifitunsignedetête,puisdisparut.Elle referma la bouche. C'était quoi ça - sa version d'une bise au moment de dire au
revoir?— Même Samantha s'étonnait quand les gens apparaissaient et disparaissaient sans
prévenir,marmonna-t-elle.Etelleétaitunesorcièreelleaussi.JenesuispasDarrin.Jenelesuispas.Personnen'était làpour lacontredireetelle sedirigeadoncvers lachambredesenfants
pourleslever.Aussi divertissantes que puissent être les joutes oratoires avec Khalil, discuter avec lui
étaitplusplaisantencore.Elleessayadenepastropypenser,nilesoirnilelendemain.Lesenfantsunefoiscouchés,ellepritlebabyphoneets'attaquaauxmarchesdel'escalier;
ellevoulaitfouillersonarmoireettrouverd'autresaffaires.Ellesemblaitavoirfranchiuncapdansl'acceptationdescicatricessursesjambes.Ellerécupéraplusieursshorts,maisaussidespantalonscorsairesqu'elleavaitoubliés.Ellesecoualatête,exaspérée.Siellen'avaitpasétésiterrifiéed'examinersagarde-robeestivale,elleauraitpulesporterdepuislongtemps.Le lendemain matin, elle emmena les enfants à la bibliothèque. Le programme
d'apprentissage précoce pour les bébés de l'âge de Max commençait à neuf heures. Il nes'agissaitpasbeaucoupplusquedes'asseoirenrondeetdejoueravecdeslivrescartonnésenchantantdescomptines,maisiladoraitcela.Chloéavaitdéclaréqu'elleétaittropgrandepours'asseoiravec lesbébésetchanteraveceuxet lespersonnesqui lesaccompagnaient,etelleallait en général s'installer confortablement dans un coin avec des coloriages tout enfredonnantleschansons.Surlecheminduretour,ilss'arrêtèrentpourfairequelquescourses.Puiscefutl'heurede
la siestepourMax, le déjeuner, le retour à la bibliothèquepour le programmedestiné auxenfantsdel'âgedeChloé,leretouràlamaison,lasiestedel'après-midipourlesdeuxenfants.Pendantqu'ilsdormaient,Gracefinitdemettreenformel'undesesCVettravaillaàl'autreversion.Un coup hésitant fut soudain frappé à la porte d'entrée. Elle regarda par la fenêtre du
bureau.Uncoupled'âgemûrsetenaitdanslavéranda.Ellerassemblases forceset retintunsoupir.QuanduneOraclemourait, ledomainedes
sorcièresenvoyaitunenotificationaupublicpourdemanderauxgensd'accorder troismoisdetransitionàlanouvelleOracleavantdel'approcheravecunedemandedeconsultation.Lapériodedetransitionétaitdésormaisterminée.Deplusenplusdegensallaientcommenceràvenirlaconsulter.Elleallaouvrirlaporte.Le couple s'avéra être un frère et une sœur, Don et Margie. Leur mère était décédée
quelques années plus tôt et leur père étaitmort d'une crise cardiaque une semaine avant.Souslechocetendeuil,ilsespéraientpouvoirluidireaurevoir.Graceneputqueseradoucir.Elle les invitaàentrer,puisappelaThérèse, lasorcièrequi
était lenomsuivantsur la listedebaby-sitting.Quandellearriva,Graceemmena lecouplejusqu'àlacaverne.—Jeveuxquevouscompreniezquejenepeuxpasgarantirquevotrepèrevavenir, leur
expliqua-t-elle tandis qu'ilsmarchaient le long du chemin broussailleux.Nous ne pouvonsqu'essayer.—Essayer,c'estdéjàbeaucouppournous,ditDon.Ils traversèrent la prairie où se trouvait l'entrée de la caverne. Le fleuveOhio coulait le
long de la limite ouest de la propriété.Des reflets étincelants étaient visibles à travers lesfrondaisons.Audébutdel'été,elleavaitsongéuntempsàvendreunepartieduterrainquilongeaitle
fleuvepourse faireunpeud'argent.LaForcede l'Oracleavaitbronché,mais cen'étaitpaselle qui devait payer les factures chaque mois. Grace l'avait donc fait taire et avait passéquelquescoupsdefil.Leprojetdevintbientôttropcompliquéàpoursuivre.L'agentimmobilierauquelelles'était
adresséeavaitétédirect.Accorderdesdroitsd'accèsàtoutepersonnesusceptibledebâtirlelongdelariveimpliquaitqu'ilspasseraientdevantlamaisonpourserendresurleurterrainetellen'auraitplusaucuneintimité.Deplus,lapropriététraînaitlaréputationd'êtrehantée,ce qui ne risquait pas d'attirer des acheteurs. En résumé, vu la récession que connaissaitl'immobilier, l'agent avait peu de chances de pouvoir trouver preneur pour les parcelles deterrain.Lecheminquimenaitàlacavernetraversaitlaprairieaunord,puisviraitunpeuàl'està
l'endroitoùleterraindevenaitescarpéetformaitunebutterocailleusepiquéed'arbresetdebuissons.L'entréedelacaverneétaitcreuséedanslabutte.QuandGrace était enfant, elle escaladait la butte et pique-niquait sur la roche plate au
sommet.Labutteétaitassezhauteet le terrains'inclinait surunanglesuffisammentraidepourluipermettredevoirpardessuslescimesdesarbresquipoussaientlelongdelariveetderegarderlespénichesetlesbateauxquidescendaientlefleuve.Elle jeta un regard vaguement narquois en direction de la butte. Il était peu probable
qu'elle en voie de nouveau le sommet. Elle pourrait sans doute y arriver en prenant sontempsetengrimpantcommeellemontaitlesmarches,c'est-à-direenseservantdesajambevalide pour se hisser, mais cela semblait une dépense d'énergie vaine quand elle avaittellementd'autreschosesàfaire.ElleguidaDonetMargiejusqu'àlaportequiavaitétéménagéedansleversantdelabutte.
Elleétaitferméeàcléafind'empêcherlesenfantsd'explorerlacaverne,etlacléétaitcachéedansunepetiteboîtedeconserverouilléeposéesurlelinteauenbois.Elledonnaitsuruntunnelquimenaità lacaverne.Graceconnaissaitchaquecentimètre
delapropriété.Elleavaitjouédanslaprairie,avaitdescenduletunnelets'étaitrenduedanslacaverned'innombrablesfois,maisDonetMargieétaientmédusésetobservaienttoutavecfascination.Grace trouva dans un placard des lampes torches et le masque par lequel l'Oracle
s'exprimaitdepuisl'époquedutempledeDelphes.C'estalorsqueMargiefonditenlarmes.—Jenepeuxpasfaireça,ditlafemmeàsonfrère.C'esttropétrange.Jenepeuxpas.Gracenefutpasétonnée.Celaarrivaitparfois.Lesgenspouvaientvenirdumondeentier
pourconsulterl'Oracleetreculeràladernièreminute.—Jevaisattendredehorspendantquevousdécidezcequevousvoulezfaire.N'oubliezpas
quevousn'avezpasbesoindefaireçamaintenant.Votrepèrevientdemourir.Vouspouvezvous donner du temps et revenir quand vous serez prêts. Le tunnel est assez large et lacaverne est exactement comme celles deMammoth Cave National Park ou les réseaux decavernesdusuddel'Indiana.—Nous nous sommes renseignés sur le siteWeb de l'Oracle et nous avons regardé les
photos.(Ilregardasasœuravectristesse.)Jesupposequec'estunpeutropimpressionnantdanslavraievie.NikoavaitcrééunsiteWebsimpleafind'essayerdepréparerlespersonnesquivoulaient
consulter l'Oracle et surtout de les informer. Ce site comprenait une partie concise surl'histoire de l'Oracle et une autre page qui expliquait ce qu'il se passait quand les gensarrivaientdanslacaverne.Ilyavaitégalementunepagequiexpliquaitl'anciencontratsocial,à savoir que si l'Oracle agissait pour rendre service et ne demandait pas de paiement, lesdonations étaient essentielles à l'entretien de la propriété. Il avaitmêmemis en place unboutonPayPal.Lesiterapportaitentredeuxettroiscentsdollarstouslessixmois.—Vousn'êtespasobligésdefaireçamaintenant,répétaGrace.Vouspouvezrevenirquand
vousvoussentirezvraimentprêts.Elle sortit etattenditausoleilpendantqueDonetMargiediscutaient.Elleessayadene
pas écouter, mais elle percevait des bribes de leur conversation. C'était difficile de lesentendre évoquer leur deuil. Leur chagrin lui rappelait trop le sien. Elle croisa les bras etregarda lesherbeshautesd'unair renfrogné.Les fleurs sauvagesconstellaient laprairiedeleurs couleurs vives où dominaient le blanc et le violet, mais aussi le jaune éclatant despissenlits.Serendredanslacaverneétaitétrangepourlesgensquin'yétaientpashabitués.Lesrécits
dupasséparlaientdepersonnesvenuesconsulterl'OracledeDelphesdansdesétatsd'extaseetdesupplication.MaislaForceavaitjailliavecunetellefouguel'autrematinqu'ellenevoyaitpaspourquoi
ellenesemanifesteraitpasainsiunenouvellefois.Elle tâtonnaà la lisièredesaconscienceet la trouva,nichéeau fondd'elle,plusenfouie
encorequel'instinct,unpuitsanciencoulantenellecommeunocéansombreetsouterrain.Était-ce vraiment un don de la déesse des profondeurs ou cela provenait-il d'une autrecréatureétrangeetPuissante?Lesrécits lesplusanciensdesagrand-mèren'étaientqu'unenchevêtrementdesuperstitionsetdemythes.LespremièresOraclesavaientvénérélaForceetcruqu'ellesprononçaientlesmotsdesdieuxenpersonne.Aucoursdesmillénaires,cetteattitudeavaitévolué,maislagrand-mèredeGraceetPetraelle-mêmeavaientparlédeservirlaForcede l'Oracle commesi elles lui étaientassujetties.N'ayantaucune réelleexpérienceelle-même,Graceavaitécoutéetacceptécequ'ellesdisaientsansremettreenquestionquoiquecesoit.Jusqu'à maintenant. Elle longea les bords de la Force avec sa conscience, l'explorant
vraimentpour lapremière foisdepuisqu'elle luiavait été transmise.CetteForceparaissaitindisciplinée, sauvage, indépendante presque, sauf qu'elle n'était pas exactement unepersonne.Gracesavaitreconnaîtreunepersonnalité,notammentgrâceauxfantômesqu'elleavaitrencontrésetauxespritsmaléfiquesqu'elleavaitchassésdelapropriété.S'accoutumerà laprésencedeKhalil avait encoreaffûté sa compréhension.Elle voyait clairementque la
Force de l'Oracle avait beau être vaste, elle était trop incomplète pour constituer unepersonnalitéàpartentière.Elle se demanda comment une Force pouvait exister sans qu'elle ne se rattache
directementàunepersonne?C'était impossible,aumêmetitrequ'iln'yavaitpasdedessinsans dessinateur. Cependant, les familles se transmettaient des aptitudes au fil desgénérations.Gracen'étaitpaslapremièrepersonnedesafamilleàavoiruneaffinitéaveclesesprits.La
différenceentrecetteaffinitéetlaForcedel'Oracle,c'étaitqu'elleétaitnéeaveclapremière,quiétaitindissociabledesoncorps,desonêtre,tandisquelasecondesemblaitremonteràlanuitdestemps.Peut-êtrequ'unjour, longtempsauparavant,cetteForceavaitfaitpartiedequelqu'unqui
étaitmortouavaitété tué,etelles'étaitalorsretrouvéecommesectionnée,séparéedesonhôte.Maiscommeellenepouvaitsubsisterqu'àtraversunepersonne,elles'étaitgrefféesurquelqu'und'autre.Etainsidesuite.Cettethéorieluisemblaitlogique.Filesentitdenouveauunocéandenuitquil'environnait,maisquisemblaitreculerlorsqu'elletentaitdeletoucher.Elle concentra toute son attention et s'efforça de l'atteindre. Il reflua comme s'il se
dérobaitdevantelle.Sonsangnefitqu'untour,commelorsqu'elleavaitentenduKhalilparlerauxenfantsou
quandChloéluiavaitditqu'elleétaitméchante.—Ohnon,n'ypensemêmepas,fit-elleàcequiétaitvenuvivreenelle.J'enaivudetoutes
les couleurs à cause de toi. Tu m'as choisie. Eh bien, tu es à moi par conséquent. Tum'entends?Tuviendrasquandjet'appellerai,parcequetum'appartiensdésormais.Peut-êtrequ'ellenel'auraitpasfaitsielleavaitpris letempsderéfléchir.Maisellenele
prit pas, non, elle puisa plus profondément à l'intérieur d'elle-même et, tout comme ellel'avaitfaitaveclaconnexionavecKhalil,ellesaisitlaForcedel'Oracleettira.Elleseconnecta.Brièvement,laForcesecabradanssaprise,pluspuissante,plusfarouche
queGracene s'y était attendue.Elledéferla à l'instard'une vague rugissante etmenaçadel'engloutir.—Ohnon,jenet'appartienspas.C'esttoiquim'appartiens.Elle enveloppa sa conscience plus étroitement encore autour de la Force et tint bon. La
Forcetentadesedéroberunenouvellefois.Non,ellenelâcheraitpas.Laclairièrebaignéedesoleildisparut.Toutdevintnoir.ElletintbontandisquelaForce,
plusdéchaînéequ'unetempête,rugissaitetsedébattaitcontresonemprise.Graceressentitdenouveauunsentimentaigudeconnectivité,l'océandenuits'insinuantpartout,recouvranttout,mêmelàoùlevoiledutempsetdel'espacedevenaitextrêmementténu.Si elle perdait prise et sombrait maintenant, elle franchirait à jamais un seuil et serait
condamnéeàvivredansunétatconstantderévélation.Elleavaitentenduparlerd'Oraclesquis'étaientperduesdans laForce et avaientpassé le restede leur existence àbredouillerdeschosesquin'avaientpasdesens.Et elle refusait catégoriquement de connaître ce sort. Si un trait de caractère était bien
ancréenelle,c'était l'entêtement.Elleavaitdelavaissellesalequil'attendaitdansl'évier, ilfallaitqu'ellevidangelavoiture.IlfallaitcoucherMaxetChloécesoir.Ilyavaitautrechoseaussiqu'elleavaitditqu'elleferait.Ellen'arrivaitplusàserappelercequec'était,avectoutcebruit,touscesremousdanssatête,maisellesavaitqu'elleavaitpromisdelefaire,alorselleluttaaveclaForcepourlaterrasser.Etcefaisant,elleaperçutunfantôme.Elle le regarda fixement, interloquée, confuse. Elle pouvait « voir » des fantômes, les
vieilles femmes dans la cuisine par exemple. Ils avaient l'apparence de silhouettes
transparentesetflouessuperposéesàlaréalité.Les visions oraculaires étaient une expérience radicalement différente. Elles affluaient
directement de la Force et, comme la vision venue de Cuelebre, submergeaient ses autressens.Mais voir ce fantôme s'apparentait à une vraie vision. C'était une nouvelle anomalie.
D'aprèscequ'elleavaitappris,lesvisionsdel'Oraclevenaientpourd'autrespersonnes,maisau moment présent, personne ne se trouvait avec elle. Rien n'allait-il donc se déroulernormalement?Le fantôme n'était assurément pas le père de Don et Margie non plus. Il était wyr ou
appartenaitaudomainedesdémons,unecréatureétrangedontlevisagerappelaitceluid'unefemme humaine, sauf que ses traits étaient trop âpres et allongés, et puis elle avait unmuseauplutôtqu'unnez.Soncrânes'étiraitderrièreenunesortedecapuchonsemblableàceluid'uncobraavantdeseprolongeretdeformerlecorpsd'unserpentaussiépaisqu'unetailled'homme.Grace eut un sentiment de déjà-vu qui allait au-delà du simple souvenir, au-delà de
l'instinct.IlvenaitdelaForcequil'habitait.—Cefutàtoiunjour,dit-elleaufantôme.CetteForceestvenuedetoi.Le fantôme la dévisagea avec stupéfaction. Puis elle lui décocha un sourire joyeux,
sauvage.—Trèsbien,jeunefille.Très,trèsbien.Elle savait que le fantôme ne parlait pas sa langue maternelle, mais elle comprenait
chaquemot. Le sang bourdonnait aux oreilles deGrace ou peut-être était-ce la rumeur del'océandenuit.Lescontoursdufantômedevinrentplusnets,etGraceeutl'impressiondelevoir dans une caverne. Partagée entre l'ébahissement et un étrange sentiment de trahison,elledit:—Jecroyaisquenousétionshumaines.—Tul'es,réponditlefantôme.Essentiellement.L'unedetesancêtresm'atrouvéeaprèsun
tremblement de terre sur lemont Parnasse.Mon corps avait été écrasé par des tonnes deroches.Elleaessayédemaider,maisc'étaittroptard.—Commentavons-noushéritédecetteForce?Lelargesouriredufantômerévéladelongscrocsacérés.— Je lui ai donné le baiser du serpent pour la remercier. Je voulais lui faire don de
l'immortalité,maisj'aisuccombédurantcebaiser.Àlaplace,jeluiaidoncdonnétoutemaForce.Graceeutuneautrevision.Mêmesi l'imageprovenaitd'unpassé immémorial, elle était
aussi limpide que si elle se déroulait sous ses yeux. Grace observa la créature-serpent seconvulserenagonisantalorsqu'ellemordaitunefemmehumainequihurlait.—NoussommesnéesPARHASARD?demandaGrace.— Ce qui ne vous empêche pas d'être magnifique,murmura le fantôme.Même si ton
ancêtreaquelquepeusombrédanslafolie.—MonDieu.Grace frissonna et faillit perdre contrôle de ce qu'elle tenait si fort. La femme-serpent
s'enroulasurelle-même.—Tesaïeulesontcréél'histoiredesprophétiesetservil'héritagequejeleuraidonné.Tu
devraisêtrefière.—Jen’aipasbesoinquetumedisescequejedoisressentir.(Graceremarqualamanière
dont laForce était irrésistiblement attirée vers le fantôme.)Tun'avais pas prévu que tout
celaarrive,tun'asdoncjamaisvraimentlâchéprise.Lefantômes'approchatoutprèsd'elle.—Tuesforte.TuasfaitsortirlaForceenpleinjourettum'asfaitvenir.Tuestrèsforte
pourunecréatureaussijeune.—Jene t'aipasappelée exprès, réponditGrace. (S'agripperà laForce tout enparlant au
fantômeluiprenaittoutesonénergie.Ellenesavaitpascombiendetempsellepourraittenirsansêtreabsorbéedanscetocéandenuit.)JevoulaisvoirsijepouvaisfairevenirlaForceenplein jour, mais puisque nous avons cette petite conversation, je dois te dire qu'il fautvraimentque tu renoncesà cetteForce.Oualorsque tu la reprennes.Ceque tu choisisdefaire,jen'enairienàcirer,maisfaisquelquechose.Lefantômetournalatêteetsesanneauxfrémirent.—Etsi jenepeuxpas lareprendre?Jenesuisplusenvie, jenepeuxpasmaîtriserma
propreForce.—Libère-la alors, bordel. Ton lien avec elle est encore trop puissant. Je n'arrive pas à
avoiruncontrôletotaltantquetut'accroches.Gracemit toute sa conviction dans lesmots qu'elle venait de prononcer. Elle sentait la
paniquelagagner.Siellen'arrivaitpasàmaîtriserpleinementlaForce,ellenesavaitpassielleseraitenmesuredelarelâchersansdangeràcestade.La femme-serpent ladévisagea.Sonsourire s'était estompé, remplacéparquelquechose
debeaucoupplussinistre.—Etsijeneveuxpaslalibérer?MaForcevitentoi.TantquemaForcevit,quelquechose
demoivitaussi.Gracepritsoudainconsciencedequelquechose.—Tu es la raison pour laquelle la Force ne se lie pas avec n'importe qui, pourquoi elle
passed'uneOracleàuneautreOracle.C'estparcequetuneveuxpaslalâcher.Maistun’espasvivante.Tuesmorte.Tufaissemblant,c'esttout.Tout en parlant, elle essaya de déterminer comment la Force se connectait à elle et au
fantôme à la fois.Maintenant qu'elle savait qu'elle était hantée, elle pouvait essayer de sedébarrasserdufantômeenfaisantappelauxméthodesqu'onluiavaitenseignées,maisellenesavaitpassiellepouvaitlefairetoutenmaintenantsaprisesurlaForce.Ilétaitpossiblequesatéméritél'aitconduiteàsaperte.Quellenouilleellefaisait!—M'accrocherestlaseulechosequimereste,fitlefantôme.Lafureurs'emparadeGrace.—Tun'aspasdonnéde«baiser»àmonancêtre.Tun'aspasvoululuifaireuncadeau.
Tul'astoutsimplementmordue,bordeldemerde.—Jedonnelavieàtousmesenfants!sifflalefantôme.Graces'étaitmiseàtrembler.Elleétaitsurlepointdelâcherprise.—NoussommescenséesêtretesENFANTS?ditGraceenserrantlesdents.Aucunparent
dignedecenomnemettraitjamaissesenfantsendanger.—Jenet'aipasmiseendanger!rugitlefantômeenreculant.Tul'asfaittoi-mêmequand
tuasessayédecontrôlerquelquechosequetun'étaisjamaiscenséecontrôler!—Vraiment?Tuveuxdirelorsquej'aiessayédeprendrecequim'étaittombédessus,ce
quiétaitcensémappartenir?Tuparlesd'uncadeau.(Ellesecalmaetditau fantôme :)Iln'estpastroptard.Jesuisdésoléequetusoismorte,mais tuesmorte.Peut-êtrequetunevoulaispasqueleschosessepassentainsi,maistupeuxencorehonorerlecadeauquetuasessayédefaireàmonancêtre.La femme-serpent cessa d'onduler et une expression mélancolique s'imprima sur son
visagebeauetsauvage.—Queferais-tu,toi,simplemortelle,d'uneForceimmortelle?—Tunecroispasqu'ilesttempsqu'onledécouvre?répliquaGrace.Si elle arrivait à persuader le fantôme de lâcher, elle allait devoir tenter sa chance et
l'exorciser,qu'ellesoitentraind'essayerdegérerlaForceounon.Lamélancoliede la femme-serpents'intensifia.Elle tenditunemaincommesielleallait
caresserlajouedeGrace.—Tun'espasseulementforte,tuesplusimpertinentequetouteslesautres.Gracenesavaitpasquoifaire.Ellevoulaittouràtourpleurer,rireethurler.—Peut-êtrequejevaismassagir.Jesuisencorejeune.Donne-moicettechance.Sijesuis
vraimentcenséeêtreundetesenfants,laisse-moidevenirtonhéritière.Lefantômelaissaretombersamainets'évanouit.GracelesentitabandonnerlaForce.Instinctivement,ellesepréparaàabsorber lechoc,cequi luiévitapeut-êtredeperdre la
raison, voire la vie, car l'océan de nuit se rua sur elle en une vague gigantesque. Elle luiopposatoutcequ'elleavaitenelle,luttantpourmaintenirsaprise,et,dansunrugissementfabuleux,colossaletinforme,toutesafacultédepensées'annihila.Le rugissement se calma progressivement au fur et àmesure que la vague refluait. Les
ténèbres qui obscurcissaient son esprit se dissipèrent et elle vit de nouveau la lumière dusoleil.Elleregardaautourd'elleavecaffolement,s'imprégnantdelavuedelaprairiebaignéede
soleil.Puisellesepliaendeux,tremblante,etpritdegrandesgouléesd'air,aussiépuiséequesielleavaitfaitunsprintdeplusd'unkilomètre.Elleperçutdesvoix.DonetMargiecontinuaientàdiscuterà l'entréedutunnel.Toute la
conversationaveclefantômeetlaluttepourdomestiquerlaForceavaientapparemmentpristrèspeudetemps.Bordel.Elleessuyasonvisageensueurd'unreversdelamain.Ellen'arrivaitpasàsavoirsi
ellesesentaiteuphoriqueousurlepointdevomir.Bordel.—MademoiselleAndréas?fitMargiederrièreelle.Est-cequeçava?—Appelez-moiGrace,fit-elled'unevoixenrouée.(Elleseredressaetseretourna.Margie
etDonparaissaientaussi gênésqu'inquiets.)Oui, oui, ça va. J'ai eu chaud, c'est tout.Vousavezprisunedécision?—Oui,réponditMargie,etjesuisdésoléedevousavoirfaitperdrevotretemps.Jenesuis
pasprête.—Jevousenprie,nevousfaitespasdesouci,fitGraceaussidoucementqu'elleput.Elle les étudia. Don semblait en proie à la déception, tandis que Margie avait
manifestementpleuré.Gracesesouvintqu'elleleuravaitpromisdelesaideretcompritquecelal'avaitaidéeelleaussiàtenir.Entre-temps, tout le chaos dans sa tête semblait s'être calmé et son rythme cardiaque
revenaitàlanormale.Ellepuisaprofondémentenelleavecprécaution,prudemment.Était-ceson imagination ou la Force semblait-elle plus proche ? Non, elle était plus proche,indubitablement.Elleétablitlecontactavecl'océandenuitetallasanshésiteràsarencontre.Là,enpleinjour.Ellevenaitàsarencontre,parcequelaForceétaitàelle.Àelle.Bordel.Cette fois-ci, pas d'ambiguïté, c'était de l'euphorie qu'elle ressentait. Elle contint son
émotionendisant:—Si cen'est pas indiscret, qu'est-ce qui vousmet le plusmal à l'aise ?Est-ce le fait de
parleràvotrepèreoul'idéed'allersousterrepourlefaire?
Margiejetauncoupd'œilàsonfrèreavantderépondre:—Lesdeux,enfait.Je...vousaviezraison,c'esttroptôtpourmoi.Etpuisl'idéededevoir
descendredansunecavernesombremedonnetropl'impressiond'entrerdanssatombe.Gracetressaillitàcetteimageetàlasouffrancequ'ellereflétait.— Je suis désolée, fit-elle.Gardez en tête que vous pouvez toujours revenir quand vous
serezprêts.—Ceseraitbien,intervintDon.Dansquelquessemaines,peut-être.—Envoyez-moisimplementune-mailsivoussouhaitezrevenir.Peut-êtrequecettefois-
ci,nouspourronsessayerd'établiruneconnexionavecvotrepèresansallerdanslacaverne.Dumomentquevouscomprenezquejenepeuxrienpromettre.Jeseraisdisposéeàessayersivousl'êtesaussi.LesyeuxdeMargieseremplirentdelarmes.—Merci.Mercidufondducœur.Gracefitunsignedetête,unpeugênéefaceàtantdegratitude.Tout aussi gêné qu'elle, Don lui tendit une enveloppe. Grace pouvait voir les billets à
travers lepapier.Elle luifitunpetitsourireenpliant l'enveloppeetenlaglissantdansunepochedesonpantalon.Puisilsretournèrentverslamaisonetn'échangèrentquequelquesmots.NiDonniMargie
n'avaientl'aird'avoirenviedeparlerdelapluieetdubeautempsetGraceavaitsuffisammentdechosesàruminer.Ilfallaitqu'elledigèrecequivenaitdesepasser,qu'elleréfléchisseauximplications.Lefantômeavaitdéclaréquelafemmequ'elleavaitmordueétaitdevenuefolle.Tropfolle
pour appréhender ce qu'il s'était vraimentpassé ou l'expliquer à ses enfants ?Combiendetraditions familiales deGrace découlaient-elles seulement de l'incapacité de ses ancêtres àcomprendred'oùvenait laForceetpourquoiellesn'étaientpasenmesurede lacontrôler?Est-cequel'uned'ellesavaitdéjàessayéd'exorciserlefantômeetavaitéchoué?Graceserait-elle en mesure d'appeler la Force de l'Oracle quand elle le voudrait ? Il fallait qu'elles'entraîne, qu'elle évalue le contrôle qu'elle pouvait établir sur elle.Maintenant qu'elle luiappartenait - lui appartenait vraiment -est-ce que cela signifiait qu'elle ne serait pastransmiseàChloéouàuneautreenfant?Est-cequ'ellemourraitavecelle?Quefaisaitunesimplemortelled'uneForceimmortelle?Était-elle...encoremortelle?Lesenjeuxétaientformidables.Ils arrivèrent à l'allée qui menait à la maison. Elle prit congé de Don et Margie et les
regarda monter dans leur pick-up. Quand ils sortirent de la propriété, Grace inspiraprofondémentetseretournaverslamaison.C'estalorsqu'elleperçutlaprésencedeKhalil.Celle-cibouillaitlittéralement.Ilétaitdanslamaison.AvecThérèse.Etilétaittrès,trèsencolère.Ohnon.
8Gracesehâtavers lamaisonetgravit lesmarchesde lavérandaaussivitequ'elle leput.
Commeelletendaitlamainverslaportemoustiquaire,Thérèsel'ouvritàlavolée.Graceeutunsursautderecul.—Ehho,toutdoux!Thérèseétaitunejoliefemmed'unetrentained'annéesetelleavaitengénéralleteintde
Blanche-Neige,enfinc'estainsiqueGraceledéfinissaitenprivé:cheveuxtrèsfoncés,peaupâleetunebouchepulpeusesoulignéepardurougeàlèvres.Pourl'heure,deuxtachesrougevifmarquaientlapeaulaiteusedesesjoues.—Vous avez un djinn dans votremaison ? siffla Thérèse. J'avais entendu dire que l'un
d'entreeuxétaitpassél'autrejour,maisjecroyaisqu'ilétaitparti!Comme toutes les petites communautés étroitement liées, les sorcières cancanaient. Le
pourcentage d'humains nés avec de la Force était faible et l'aptitude était en généraltransmise au seind'une famille. Lenombrede ceuxqui se concentraient sur leurForce etrecevaientunentraînementpourl'utiliserétaitencoreplusfaible,ycomprisauseindeleurpropredomaine.Lorsdudernierrecensement,lespersonnesayantrevendiquéavoirreçuuneformationensorcelleries'élevaientàmoinsdesixmille.Letéléphonearabeauseindudomainedessorcièresétaitnotoire,aussiGracen'aurait-elle
pasdûs'étonnerqueJaniceaitparlédeCarling,Rune,etKhalil,maisletonacidedeThérèsel'énerva.Grace regardaà l'intérieurde lamaison.Khalil étaitplantéaumilieudusalon, lespieds
légèrementécartés, lesbras croisés. Il était toujoursvêtude sa tuniqueetde sonpantalonnoirsetsesyeuxétaientincandescents.Ilavaitl'airgigantesqueetmeurtrier.—C'estunami,répliqua-t-elle.Et jesavaisqu'ildevaitpasser, j'ai justeoubliédevousle
dire.Ellecomptaitaudéparts'excuserdenepasl'avoirprévenue,maisaprèsuntelaccueil,elle
nerisquaitpasdelefaire.Thérèsejetaunregardébahipar-dessussonépauleets'adressaàellepartélépathie.—Etvouslelaissezaveclesenfants?VousêtesCINGLÉE?Khaliln'étaitpasleseulàfairepreuved'intolérance,apparemment.— Arrêtez de parler de lui comme s'il était un chien enragé, répondit Grace d'un ton
cinglant.LesyeuxdeThérèseétincelèrent.—Trèsbien,jepensaisquevousétiezunpeuplussenséequeça,maisfaitescommevous
voulez.Cenesontpasmesgosses.Ladernièreremarqueétaitsiméchantequel'expressiondeGraceseglaça.—Jevousrayedelaliste.Nerevenezpas,fit-elleentresesdents.—Nevousinquiétezpas,rétorquaThérèse.Jenerisquepasderemettrelespiedsici.EllesedirigeaavecemphaseverssavoitureetGraceregardadenouveaudanslamaison.
Max était assis aux pieds deKhalil et tripotait ses chaussures avec curiosité. Il n'avait pasconsciencede la tensionqui régnait entre lesadultes.Chloénonplus : elle étaitoccupéeàfourragerdanslapiledelivresdebibliothèquerangéssurl'étagèredusalon.LeregarddeKhalilétincelaitdefureur.
—J'aisurpriscettefemmeentraindefouillerdansvosaffaires.—Quoi?fitGrace,totalementpriseaudépourvu.—Quandjesuisarrivée,cettefemmefouillaitdanslespapiersposéssurlebureau,répéta
Khalil.Fouillerdanssesaffaires?Qu'est-cequec'étaitquecebordel?Alors qu'il avait à peine fini sa phrase et que Grace essayait encore de digérer ce qu'il
venaitdedire,Chloéavaitdéjàsaisideuxlivres.EllecourutversKhalil.—T'asvucequej'aieuaujourd'hui?Jepeuxlesliresitum'aides.Grace observa une nouvelle fois l'extraordinaire transformation qui prit place. Khalil
baissalesyeux,regardalesenfants,etsonexpressions'adoucit.Sarages'évanouitcommesiellen'avaitjamaisexisté.—Ceseraitunhonneurdet'assister,fit-ilàlapetitefilled'untongrave.Chloéluidécochaunsourireradieux.—Çaveutdirequetuvasm'aider?—Assurément,fitKhalil.Puis il se pencha pour prendre Max dans ses bras. Ses mains gigantesques étaient
merveilleusementprécautionneusesensoulevantlebébé.Unnouvelaccèsdefureuretd'indignationsaisitGraceàlagorge.Derrièreelle,laportière
delavoituredeThérèseclaqua.Fouiller.Danssesaffaires.Au-delàde l'indignation, il y avait la sensationdétestablequ'on avait violé sa vieprivée,
trahisaconfiance.EllevérifiaqueChloénelaregardaitpas,puiselleseretournaetfitunbrasd'honneuren
directiondelavoiture.Vatefairefoutre,Thérèse.Lavoiturepartitsurleschapeauxderoueensoulevantdelapoussière.DumoinsGraceen
eut-ellel'impression.Elle observa les enfants. Elle pensa à eux en train de jouer tranquillement pendant que
Thérèse fourrait son nez partout. Qu'avait-elle fait d'autre ? Grace serra les poings et ellesentitsamâchoiresecrisper.Elle ouvrit la porte et entra dans la maison comme une furie. Puis elle se ressaisit et
s'efforçad'apaiserlaragequibouillonnaitenelle.Maxl'accueillitengazouillant.Elleessayadeluisourire,maisceladevaitplusressembleràunegrimacequ'àautrechose.Khalil lui jetaun coupd'œil depuis le fauteuil où il s'était assis. Il installaMax surune
jambe,puissoulevaChloéavecseslivresetlaposaelleaussisursesgenoux.Lapetitefillesecala, perchée sur son autre jambe aussi naturellement que s'ils avaient lu des histoiresensembledesmilliersdefois.—Elleauraitpuleurfairedumal,ditGraceàKhalil.Elleauraitpufairetoutetn'importe
quoi.—Ellenel'apasfait.Ilsvontbien.Lapetitefilleouvritlepremierlivreavecimpatienceetpointaunendroitsurlapage.—Qu'est-cequeçadit?Khalilbaissalatêteetsemitàlire.Gracelesobservaunmoment.Ilsformaientunspectacleétrangeetmerveilleuxàlafois.
Sielledevaits'excuser,elletrouvaitquec'étaitauprèsdeKhalilpouravoiroubliédel'avertirque Thérèse venait garder les enfants. Mais elle avait découvert l'indiscrétion de Thérèseparcequ'elleavaitoubliédeluidireetqueKhalilétaitarrivéàl'improviste.Leplussurprenantdanstoutecettehistoire,c'étaitsurtoutlesmotivationsdeThérèse.Gracen'avaitpasd'argent,etlasorcièredevaitbienlesavoir.Ellen'avaitpasnonplusde
secretsàcacher.Etpuis,cen'étaitpascommesiThérèseétaituneadolescenteavecunsensfloudeslimitesàrespecter.Avait-elleagiparsimplecuriosité?Ellesedétenditunpeuetsedirigeaverslebureau.Enétudiantlapièce,elles'efforçadesesouvenirexactementdelamanièredonttoutétait
agencé avant sondépart. Lapile depapiers sur sonbureau était un fouillis de factures, dephotocopies d'articles de journaux pour ses projets universitaires inachevés et de diversbrouillonsdesonCV.Onauraitditquelapileavaitétédéplacée,maisellesedisaitcelapeut-êtresimplementparcequ'ellesavaitqueThérèseavaitfouillé?Ellesefrottalanuque.Ilfallaitreconnaîtrequesonbureauétaitloind'êtrenetetordonné
etellen'auraitjamaisrienremarquésiKhaliln'avaitpassurprisThérèse.Sonordinateurétaitallumé,etelleserappelaitclairementl'avoiréteint.Maisbon,siKhaliln'avaitriendit,ellen'yaurait pas vraiment prêté attention, pensant queThérèse avait voulu consulter ses e-mailsparexemple.Peut-êtrequetoutcelanevoulaitriendire.Peut-êtrequeThérèseavaiteneffetconsultésa
messagerie.Peut-êtrequ'elleavaitdérangé lespapiersparcequ'ellecherchaitunstyloetunmorceau
depapier.LavenueinopinéedeKhalilavaitvraimentindignélasorcière.Était-cevraimentdel'intoléranceoudelacolèrepouravoirétéprisesurlefait?Maispriseàfairequoi,aujuste?Grace et Thérèse n'étaient pas amies, elles se connaissaient, voilà tout. Thérèse faisait
partie de l'une des assemblées de sorcières locales et Grace l'avait rencontrée une fois oudeux - assez pour accepter qu'elle figure sur la liste de baby-sitters et ne pas hésiter à luiconfierlesenfants.Gracesesentaittoutefoisencolèreetdéstabilisée,trahieetblessée.Etellen'étaitmêmepassûrequecesoitjustifié.Si ce n'était pour l'insolence de Thérèse. Même si c'était la colère qui avait dicté ses
paroles,detelsproposetsurtoutletonemployéétaientimpardonnablesauxyeuxdeGrace.Elleretournadanslesalonetsedirigeaversl'étagèreoùellerangeaitsonsac.Ellel'ouvritetpassaenrevuesoncontenu:clésdevoiture,carted'identité,chéquier,unpaquetdechewing-gum,unetétine.Elleavaitlamêmesommed'argentdanssonportefeuillequ'unpeuplustôt,àsavoirseizedollarsetcinquante-troiscentimes.Apparemment,Thérèsen'avaitrienpris.Grace se tourna et étudia le salon, les mains sur les hanches. La pièce était aussi
désordonnéequesonbureau.Khalilluijetaencoreuncoupd'œil.—Est-cequ'ilvousmanquequelquechose?s'enquit-il.SonexpressionindiquaitquecelaallaitêtrelafêtedeThérèsesic'étaitlecas.Gracesecoua
latête,leslèvrespincées.— Je ne suis pas enthousiaste quant à cette liste de baby-sitters si d'autres personnes
commeThérèseyfigurent,dit-il.—Moi,nonplus.Vraimentpas.Siellenepouvaitpascomptersur lespersonnesdecette liste,qu'allait-ellebienpouvoir
faire ?Elle se frotta lanuque et ajouta ce souci à la listedeplus enplus longuedes trucsenquiquinantsauxquelselledevaitpenser.Etpensern'allaitpaspréparerledînerdesenfants.Ellesedirigeaverslacuisine.Enpassantdevantlefauteuil,elledemanda:—Vousrestezpourledîner?LavoixpureetgravedeKhalilcessadelirel'histoire.—Trèsbien,fit-il.
Ami,c'estainsiqueGracel'avaitdécrit.Khalilrepritsalecturetoutenretournantlemotdanssatête.Lebébésuçaitsonpouceet
s'appuyaitcontreluiafindepouvoirleverlatêteetleregarder.Chloéétaitaussilégèrequ'unepetite fée blottie contre lui de l'autre côté. La fillette touchait les bords de la page tout enl'écoutant.Sachevelureblondeflottait,aussiaériennequedesaigrettesdepissenlit.Safille,Phaedra,n'avaitjamaisétéaussifragilequecesdeuxenfantshumains,pasmêmeàsonplusjeuneâge.Cesoisillonsétaientchauds,doux,confiants.Tellementconfiants.QuandilavaitsurprisThérèseentraindefouillerdanslespapiersdeGrace,MaxetChloé
étaientdanslesalon.Lepetitgarçonmâchouillaitunanimalenpeluchetoutenregardantsasœurtrifouillerdanssaboîteàjoujoux.Khalilavaitressentiuneragesiprofondeàl'égarddeThérèsequ'elleavaituniquementdûsonsalutàlaprésencedesenfants.Ami.Khaliln'avaitpaschôméaucoursdesdernièresvingt-quatreheures.Et iln'avaitpas fait
toutcequ'ilvoulaitfaire.IltenaitàdiscuterdelavisiondeGraceavecl'undesdjinnsdelapremièregénérationdesaMaison.Ilétaittroptroublépournepass'enoccuper.MêmesilavisionavaitétéunevisiondeCuelebre,ilavaitentendulavoixluiaussi.«Globale»avaitditGrace.Et«fondamentale».Peut-êtrequel'Oracleavaitbesoindesedistancerdesvisionsquivenaientpourd'autrespersonnes,maiscen'étaitpaslecasencequileconcernait.D'autres sujets avaient interféré avec ses objectifs. Il s'était retrouvé à passer la nuit à
discuter avec certains membres de saMaison d'un problème qui s'était développé avec laMaison de Shaytan. LaMaison deMarid s'était réunie le matin même afin de décider dequellemanière répondre à certaines actionsdemembresdeShaytan.Lorsque le peupledel'airserassemblaitenmasse, ils le faisaientau-dessusd'océansoudedéserts,vuque leursénergiesvrillaientendegigantesquestornadesquimettaientendangerlesêtresdechair.LesagissementsdelaMaisondeShaytanl'avaientennuyéetilavaittrouvélesdiscussions
etlesargumentsavancésparsapropreMaisontoutaussiassommants.Pourquoitoutdevait-ilêtretoujourssiéquilibré,jusqu'àl'équationlaplusprécise?Graceavaitraison,ilsétaientdevenus une bande de pédants. Peut-être que laMaison de Shaytan avait voulu causer unaffront,etelleavaitcertainementatteintsonbut,maispersonnen'avaitétéenfaitattaquéoublessé.Quandétaitvenusontourdeprendrelaparole,ilavaitexhortésaMaisonànepasprêter
attention à cet incident sans intérêt et à reprendre leur vie. Les autres djinns avaient parusurprisettroublés.Àcontrecœur,unoudeuxavaientadmisquelaquestionn'étaitpeut-êtrepassiurgentequ'ils l'avaientpenséaudépart.Puis,quelquesautresl'avaientreconnuaussiet, au bout du compte, l'assemblée entière s'était désintégrée en marmonnementsmécontents.Toutecettehistoireavaitétéunepertedetempscolossaleetcen'étaitpasquelquechose
qu'un être immortel, qui avait par définition tout le temps possible et imaginable, sepréoccupaitsouventdesouligner.Ensuite, comme les djinns faisaient partie de la collectivité des démons, Khalil s'était
renduauxbureauxdudomainedesdémons,installésàHouston.Sur un point, les démons s'apparentaient aux Créatures de laNuit : ils étaient les deux
seulsdomainesd'AnciensauxÉtats-Unisàcompterdescréaturesdiversesdansleursrangs,étantdonnéquelesWyrs,endépitdeleurvariété,étaientessentiellementdesêtresdouésdedeuxnatures.Pour les Créatures de laNuit, toutefois, les vampires étaient devenus depuis longtemps
l'espècedominanteetleurdomaineétaitrégiparunmonarquevampire.
Le domaine des démons était unique parmi les autres domaines. A l'instar dugouvernement américain des humains et aussi des djinns, ce domaine était le seul à êtregouverné démocratiquement, par le biais de représentants de chaque espèce de démons :djinns,diables, gorgones,ogres,monstres (les créaturesquinedéveloppaientpasde formewyr,commelesphinxparexemple)etorques,hélas.Les djinns Anciens des cinqMaisons se relayaient pour faire office de représentants au
parlementdesdémons.Khalileffectuaitactuellementsonmandatdedeuxans.Cen'étaitpasunetâcheparticulièrementardue,maiselleprenaitdutemps.QuandilétaitarrivédanssesbureauxàHouston,ilavaitprissaformephysiqueafindepasserl'après-midiàdépouillerdelapaperasseetàrépondreàdese-mails.Ilavaitfaitunepauseaumilieupourtaperimpulsivement«GraceAndréas»et«Oracle»
surGoogle.IlavaitdécouvertlesiteWebdel'Oracleetenavaitlul'intégralité.L'histoiredel'Oracleétaitlongueetriche,mêmepourundjinndontlanotiondutempsétaitrelative.Ami.Sonuniversétaitvasteetcomplexeet fondésurdesassociations.SaMaison.Lesdjinns.
Lesdiversescréaturesquicomposaientlesdémons.Lesalliancesdudomainedesdémonsetles antagonismes avec les humains et les autres domaines. Les faveurs accordées et lesfaveursdues.Khalilseditquebienpeud'êtres,parmisesnombreusesassociations,auraientpudéclarer
qu'ilétaitleurami.Comment Grace avait-elle su aligner son énergie sur la sienne la veille ? Sa surprise
semblaitindiquerqu'ellel'avaitfaitfortuitement.Ilavaitfaitd'ellesipeudecasaudébut.Etil lui restait encore tant à découvrir sur elle. Il se remémora la sensation qu'elle lui avaitdonnée, la présence psychique de la jeune femme reposant contre la sienne, féminine etcomplexe,avecdes stratesdeForce,ancienneset jeunes.Celaavait étédélicieux, exotique,surprenant,attirant.Sexuel.Deseffluvesagréablesdenourritureflottaientdanslamaison.Chloécommençaàgigoter
etdescenditdesesgenouxpourcourirdanslacuisine.—Jesuisfaim!annonça-t-elle.—Bonjourfaim,jesuisGrace.Heureusedefairevotreconnaissance.Maisonditj'aifaim
enfait.ChloépouffaderireetKhalilsourit.IlposalajouesurledessusdelatêtedeMax.Lepetit
garçon dégageait une énergie puissante, légère et une graine de Force qui était commeunboutonderoseattendantleprintempspoursedéployer.Satouffedecheveuxsentaitlebébépropre.CepetithommeplaisaitbeaucoupàKhalil.Vraimentbeaucoup.—Ledînerestprêt,fitGracederrièrelui.Ilfitunsignedetête,posaleslivresdesenfantsetportaMaxdanslacuisine.Il marqua une pause pour tout observer dans la pièce. La table était mise avec trois
couverts. Des tranches de pomme étaient disposées sur chaque assiette. Il y avait un platcentral qui embaumait et si Khalil ne se trompait pas, il s'agissait de brocolis, de riz et defromage.Unpetit verre de lait était à côté de l'assiette deChloé. Les deux autres assiettesavaientdesverresremplisdeglaçonsetd'unliquidebrunclair.Unbolavaitétéplacésurlatable devant la chaise haute deMax. Il était rempli de décoctions de différentes couleurs.Khaliln'avaitaucuneidéedecequepouvaitcontenircebol,ilseditqueceladevaitêtredelanourriture.Il tourna son attention sur Grace. Ses cheveux étaient en désordre et ses joues avaient
plaisammentrosi,cequiétaitmieuxqueleteintcrayeuxqu'elleavaitcesdeuxderniersjours.Il se dit que sa pâleur passée devait trahir son épuisement. Les ombres sur son visage
s'étaient dissipées elles aussi. Elle était pieds nus et portait un débardeur jaune et unpantalon court vert foncé qui couvrait ses genouxmarqués par les cicatrices. Le pantalonsoulignaitseschevillesfinesetsespiedsjolimentcambrés.Elleneportaitpasl'attelle;ellenedevaitdoncpassouffrirautant.Ilenfutheureux.Vraiment,elleétaitharmonieusementforméepartoutavecdepetitsseinsfiers,unetaille
longueetétroite,etunventreplatquevenaientrejoindredeshanchesàlacourbeféminine.Saformephysiqueétaittotalementplaisanteàl'œil.Ilserappelalemodelédesesjambesmincesetmusclées,puislescicatricesviolacées.Ilse
sentit soudain en colère en sonnom.Lesdommagesphysiquesde l'accident seraientpeut-êtrepermanents,mais ilsauraientpuêtreévitéssielleavaiteuaccèsàdessoinsmédicauxPuissants. Elle aurait désormais un handicap, et peut-être des douleurs, le restant de sacourtevie.Puis il se rappela autre chose. Elle avait dit : Je n'avais pas d'assurance médicale ni
l'argent pour payer ce genre de traitement. Il posa un autre regard sur ce qui l'entourait,remarquantlessignesd'usuredel'ameublement.IlsesouvintdelapagesurlesiteWebdel'Oraclequiexpliquait lesdons. Il yavaitmêmeunboutonPayPal.PourquoiGracen'avait-ellepassuffisammentd'argent?Il était venu assez souvent désormais pour s'apercevoir que si la maison était parfois
désordonnée - ce que la présence de petits enfants pleins d'énergie expliquait - elle étaitpropre.Ilavaitdûpasserunpeutropdetempsàobserverleschoses,caruneexpressiondegêne
s'inscrivitsurlejolietfinvisagedeGrace.Ellefitungesteunpeugaucheverslatable.—Jesaisquevousavezexpliquéquevousn'aviezpasbesoindevousnourrir,maisvous
avezeul'airdebienaimergrignoteretboireducaféhier,aupetitdéjeuner, jevousaidoncmisuncouvert.Ellen'étaitpasseulementpauvre,elleétaitgénéreuse.Ilsourit.—Merci.Graceleregarda,ébahie.— Peut-être que ce mot n'est pas si répréhensible que cela, du moment qu'il n'est pas
utilisé avec excès, comme chez certaines personnes pour qui cela fait partie des us etcoutumes.—Jen'arrivepas à croireque je viensd'entendrequelqu'unutiliser«us et coutumes»
dansunephrasesanséclaterderire,murmura-t-elle.—Est-cequevouspouvezmemontrercommentattacherMaxdanssachaisehaute,fit-il
enriantpourdebon.Les yeux de Grace pétillèrent, et elle lui montra comment faire. Il installa le bébé et
s'assura qu'il ne pouvait pas glisser. Chloé s'était hissée sur sa chaise etmangeait déjà unmorceau de pomme. Grace la regarda avec un drôle d'air,mais ne dit rien. Elle saisit unegrossecuillèreetservitlapetitefilleenpremier.ElleoffritunecuilleréeàKhalil,quihochalatête.Ilétaitcurieuxdegoûtercequ'ilsallaientmanger.Graceseservitendernier.Elles'assitàcôtédeMaxetlefitmanger.Khalilpritunebouchée. Ilavaitvu juste.C'étaitunplatdebrocolisetderizau fromage
fondu,simpleettrèsbon.IlprituneautrebouchéeetditpartélépathieàGrace:—Jen'aipassaisil'expressionquiestpasséesurvotrevisageàl'instant,quandvousavez
regardéChloé.Elleleregardad'unairrieur.—Lapetitedemoisellesecomportecommeunange.Vousdevriezêtreflatté.Elleamême
mangésestranchesdepomme.Jerêve,ellevientdemangerunebouchéedebrocoli.Nefaites
pasattentionsijem'évanouis.IlritetregardaChloé.Lapetitefilleétaitassisebiendroiteetmâchaiténergiquementen
sourianteffectivementcommeunange.—J'aimelesbibliothèques,moiaussi,luiditKhalil.La remarque entraîna un flot de paroles et Chloé n'arrêta plus de parler. Il apprit des
choses sur le programme de lecture à haute voix pour les enfants et elle lui parla dequelqu'unquis'appelaitKatherine,puisd'autrespersonnesrépondantauxnomsdeJoeyetRachel, et de quelque chose qu'il ne comprit pas parce qu'il s'agissait d'une personne quin'étaitpasvraimentunepersonneetquisemblaitvivredesaventuresdansunchâteaudanslesalon.Il n'y avait pas de château dans le salon. Ce devait être le fruit de son imagination.
L'étrangepersonnequin'étaitpasunepersonneétaituneLalaloopsy...Graceinterrompitleflotdeparoles:—Attends,tapoupées'appelleuneLalaloopsy?—Mmhmmh,fitChloé.—Jecroyaisquec'étaituneLalaWhoopsie,marmonnaGrace.Bon,ceciexpliquaitcela.Enfin,enpartie.PuisChloé se remit à parler.Elle avait vraimentbesoin et voulait vraimentun grand lit
maintenantetattendreétaitvraimentdur,mêmepour lesgrandespersonnes,etest-cequeKhalilvoudraitbienluilire...heuvoudraitbienl'aideràlireunautrelivreaprèsdîner?—Oui,fit-il.IléchangeaunregardamuséavecGracetandisqueChloéfrétillaitd'impatience.Il fit honneur au cadeau des tranches de pommes sur son assiette et lesmangea. Elles
étaientfermesetlégèrementacides.Puisilbutleliquidebrun.Ildécouvritquec'étaitduthéglacé, très rafraîchissant. Max rigolait et décorait le plateau de sa chaise haute avec sabouillie.GraceregardaitdetempsentempsKhalil.Elle lefaisaitsubrepticement,commesielleessayaitdenemontreraucunintérêtparticulierpourlui.ChaqueregardrappelaitàKhalilàquelpointcelaavaitétécaptivantdeflirteravecelle,de
lataquineretdeselaisseralleraupenchantqu'ilavaitpourl'espièglerieetlaprovocation.Ilsentaitdeseffleurementsdélicats,trèsdoux,chaquefoisqu'ellefaisaitappelàsonpsychismepourpercevoirsaprésence.Ellenesemblaitpasserendrecomptequ'illesentaitchaquefoisqu'elle le faisait, et il était impossible qu'elle puisse savoir à quel point c'était érotique. Ilavait l'impression qu'elle passait ses doigts sur sa peau nue. Émoustillé, il tenta de sereprendreetsentitsamaîtrisedesois'effriterencoreunpeuplus.Etiladoracela.La soirée s'écoula sans qu'il voie le temps passer. À un moment, il baissa les yeux et
découvrit que sa petite portion de dîner avait disparu.Max renversa son bol de nourrituresanslefaireexprès.L'expressionméduséedubébéétaittellementdrôlequ'ilséclatèrenttousderire.Gracenettoyaleplateaudesachaisehaute.Iln'yavaitpasgrand-choseànettoyerenfaitcarlebambinavaitpresquefinisonrepas.Puis la vaisselle fut faite, les enfants baignés, les jouets rangés. Chloé n'oublia pas
l'histoirepromise.Khalils'installadanslefauteuiletluilutlerécitdelajournéetrèstrèsmouvementéed'un
petitgarçonturbulent.LepetitgarçonenquestionplaisaitbienàKhaliletilauraitvouluquel'histoire soit plus longue.Grace s'étendit sur le canapé avecMaxallongé sur elle.Lebébéremuaittranquillementunpiedensuçantsonpouce,lespaupièresdeplusenpluslourdes.Par les fenêtres ouvertes et la portemoustiquaire, les ombresdu soir s'allongèrent et le
jourprituntondorétandisquelefeuillagefonçait.Khalilentendaitdesbruitsdecirculation,
mais ils étaient éloignés et voilés. Tout était tranquille. Sa réaction à ce nouvelenvironnement le stupéfiait. Il avait déjà promis sa protection plusieurs fois, d'abord auxenfants,puisàGrace.Maintenant, il ressentait carrément le besoin de les protéger. Ce foyermodeste, calme,
dépourvudeluxe,étaitplusprécieuxqu'unroyaume.—Vousm'appellerezchaque foisquevousaurezbesoindequelqu'unpours'occuperdes
enfants,est-cequec'estclair?dit-ilàGraced'unevoixunpeurauque.Gracetressaillit.Sapostureavaitétédétendueetsereine,maiselleleregardaitdésormais
avecsurprise.—Jenepeuxpasvousdemanderd'êtredisponiblechaquefoisquej'aibesoind'unebaby-
sitter.—Jeveuxquevousbrûliezcetteliste,dit-ilenserrantlesdents.—Je ne peux pas, soupira-t-elle.Mais il faut que je la revoie, et je pense que je devrais
demanderdesréférences.Jepensaisquetouteslespersonnessurlalisteseraientfiablesetdeconfiance.Ellen'étaitplusdutoutdétendueetparaissaitdenouveauinquiète.—Vérifierlesréférencesneseferapasinstantanément.Entre-temps,jeferaitrèsattention.
Jene ferairienavec lesenfantsquevousnevoudriezpasque je fasse.Et jeveuxquevousm'appeliez.S'ilvousplaît,fit-ilaveccalme.L'expression de Grace s'adoucit, et il vit de nouveau cette lumière sur sa peau, ce
rayonnement,cetrésorplusprécieuxqu'unroyaume.Ellefitunsigned'assentiment,puisdittouthaut:—Aulit.—Non,répliquaChloé.—Madouce,c'est l'heuredesecoucher, fitGraced'unton lasquisemblait indiquerque
cetteconversationavaiteulieuplusd'unefois.Situnetecouchespas,demainn'arriverapas.Chloéserralelivredebibliothèquecontreelle.—Ondoitcontinueràlire.(Elleétaitauborddeslarmes.)Onnepeutpasarrêter.Peut-êtreque l'enfantnevoulaitpas lâchercettechoseprécieusenonplus, seditKhalil.
Chloéavaitdéjàsouffertplusdepertesquelaplupartdesenfants.Ilcaressasondosdélicat.—Est-cequejepeuxrevenirt'aideràlireuneautrefois?Chloésetournaversluietlescrutadesesgrandsyeux.—Tuvasrevenirdemain?Khalil regarda Grace par-dessus la tête de la petite fille. Grace s'était redressée avec
douceur afin de ne pas bougerMax qui dormait presque. Elle croisa son regard,mais sonexpressionétaitprudenteetsonénergiecontenue.Iln'avaitaucuneidéedecequ'ellepouvaitpenser ou ressentir, et ne savait pas si la perspective qu'il revienne si vite ou s'impliqueautantdansleurvieluiplaisait.Maiselleavaitconcluunmarché.LestraitsdeKhalilsedurcirent.Peuimportaitcequ'elle
pensaitdumarché,unefoisqu'ilavaitétéconclu.Elledevaitfaireavecdésormais.IlreportasonattentionsurChloéetluidit:—Jereviendraidemain.Courant vers lui, la petite fille se jeta à son cou. Elle le serra si fort qu'il sentit l'effort
exercéparsonpetitcorps.Ill'entouradesesbrasetlaserraàsontourprécautionneusement,trèsprécautionneusement.Audépart,cen'étaitquepourrassurerChloé.Puislegestedevintautrechose,quelquechosedepluspersonnel,etc'étaitbon,maisdouloureuxaussi.Illâchalapetite fille et découvritGracedebout à côtéde lui,Maxdans les bras.Elle les regardait,Chloéetlui,lessourcilsfroncés.
—Mafillememanque,s'entendit-ilmurmurer.Grace le saisit par l'épaule avec force, son regard se remplissant d'une telle compassion
qu'ildutdétournerlesyeuxtandisqueChloéglissaitdesesgenoux.—Jereviensdanscinqminutes,ditGrace.Il fit un geste de la main. Peu importait qu'elle parte cinq minutes ou de nombreuses
minutes.Elle hésita, puis partit avec les enfants. Il se leva et s'approcha de la porte d'entrée. Se
tenantsurleseuil, ilregardalanuitquitombait.Unefamillederatonslaveurstraversaitlaprairieensedandinant.Iln'avaitaucuneraisonderesterplus longtemps.Ilavait faitcequ'ilavaitvoulu faireet
avaitpassélasoiréeaveclesenfants.Ilallaits'enaller.Ilnes'enallapas.Il se raidit, s'imprégnant le plus possible de ce quelque chose si précieux, de ce trésor
invisible.Gracefinitdedirebonsoirauxenfants.Ilécoutasonpasléger,inégal,tandisqu'elleapprochait.Ilnesetetournapas.Elle s'arrêta juste derrière lui. Il savait qu'elle allait tendre lamain vers lui. Il sentit sa
mainplanerau-dessusdesondos.Avantqu'ellepuisseletoucher,ilseretournaetluiadressaunsouriresuave.—Etsinousjouionsencoreaujeudelavérité?Ellesefigea,surprise, lamainsuspendue.Delalassitudetraversasesyeuxet ladouceur
desonexpressions'estompa.—Pourquoi?Ilsemitàarpenterlapièce.—Pourquoipas?Ellesetournaetl'observa.—Cen'estpasuneréponse.L'énergie deGrace palpitait. Bien. C'était une bonne chose cette palpitation. Très bonne
même.Ilpritl'undeseslivresdecours,regardaletitre,puislereposa.Ilenpritunautre.—Jenevousdoispasderéponse.Nousn'avonspasencorecommencéunenouvellepartie.Ellemitlesmainssurseshanches.—Mauditssoientvotrejeu,vospartiesetvotreforfait.Parlez,nomd'unpetitbonhomme.
Commeunecréaturerationnelle.Sivousavezquelquechoseàdire,dites-lebonsang.— Très bien. (Il reposa le second livre avec violence et se tourna vers elle.) Pourquoi
m'avez-vousappelévotreami?Lesilencetombaentreeux.Ill'observaitavectellementd'attentionqu'illavitclignerdes
yeuxplusieursfois.Sonvisageétaitexpressif,traversépardeladouleuroudel'hilarité,ouunpetitpeudesdeux,ilnesavaitpas.Unesalvedecolère,poursûr.—Parceque,aumomentprésent,vousêtespourmoilachoselaplusproched'unami.—Katherine,répliqua-t-il.—Ellesesouciedenous,c'estvrai.Jenesaispascequejeferaissanselle.Elleadoreles
enfantsetmasœurluimanquepresqueautantqu'àmoi,maiselleétaitlameilleureamiedePetra. Elle n'est pas vraimentmon amie. Elle et moi ne nous parlons pas vraiment, nousn'échangeons pas des secrets. (Grace haussa les épaules et regarda par la fenêtre, les yeuxbrillants.)Jesais,souffla-t-elleavecamertume,vousn'êtespasvraimentmonaminonplus.Nousavonsconcluunmarché.Ilsedissipaetsereformadevantelle.Elletressaillitetreculaalorsqu'illaprenaitparles
épaules.Ilvoulaitlasecoueràcausedesanaïveté.Ilvoulaitlatancerpourlacompassionetlagénérositéridiculesdontellefaisaitpreuve.Ilvoulaitsedéchaînerdanslamaisonetsurlapropriété et démolir cette chose invisible et précieuse qu'il ne comprenait pas. Il voulait
qu'elleluidéplaisedenouveauetilvoulaitsedisputeravecelleet...Elleeutl'airincrédule.Puisellefitquelquechosequilestupéfialittéralement:—Approchez,dit-elle.Ilsefigea,lesyeuxrivéssurelletandisqu'elleposaitlesmainssursanuqueetluifaisait
baisser la tête avec une assurance tellement sidérante qu'il la laissa faire, ne serait-ce quepour voir ce qu'elle ferait ensuite. Il se pencha et l'enlaça, et elle le serra contre elle avecautantdeforcequeChloéjusqu'àcequesesbrastremblenttantelleymettaitdecœur.Etelleneleserrapascontreellephysiquementseulement.Elleleserradetoutsonêtre,
de tout son esprit, sa présence chaude et farouche se lovant contre lui, féminité contremasculinité,ForcecontreForce.—Jenepeuxpasvraimentm'imagineràquelpointvotrefillevousmanque,murmura-t-
elle.Maisjesaisàquelpointmafamillememanque.Etcelafaitmal,trèsmal.Ilavaitpulvérisélespierresàl'entréedutemplefunéraired'unpharaonàSaqqara.Ilavait
provoqué des tremblements de terre, des ouragans, il avait aplani desmontagnes. Il avaitdéclarélaguerreàundjinndepremièregénération,l'undespluspuissantsdesonespèce,etil avait gagné. Il pouvait mettre Grace en pièces. Il avait pensé qu'il était tellement plusvénérable,plussageetpluspuissantqu'elle.Maiscela.Cela.Ill'enlaçaetl'enveloppadesaForce.Satête,commetoutsoncorps,n'étaitqu'uneillusion.
Ilnesavaitpaspourquoielleétaittellementlourde.Pourtant,illaposasurl'épaulegraciledel'humaineetellecaressasanuque.—Vousnepouvezpasreprendrecela,fit-il.Savoixétaitétoufféecontresapeau.—Reprendrequoi?s'enquit-elle.Leurmarché.Les vérités qu'ils avaient échangées. Ses railleries courroucées, drôles. Les
cadeauxdenourriture,deboissons,derire,etdecompassion.Lapermissionderendrevisiteaux enfants. La promesse de l'appeler afin qu'il puisse s'occuper d'eux. La revendicationd'amitié.Ilrelevalatête.—Tout,répondit-il.La peau de Grace était rosie comme celle d'une pêche mûre. Ses lèvres étaient
merveilleusement douces et pulpeuses. Elle ouvrit la bouche pour argumenter, discuter,tergiverseroudirequelquechosedeterriblementintelligent.Ildécidaqu'iln'allaitpaslalaisserfaire,alorsilposalamainsursanuque,luirenversala
têteetl'embrassa.
9Grace n'arrivait pas à se souvenir d'une soirée aussi agréable. Observer Khalil avec les
enfants était une expérience absolument extraordinaire, une successiondepetitsmomentsmiraculeux.Oui, son apparence étrange et sa force non moins étrange soulignaient leur fragilité
humaine, mais leur lumineux bonheur en sa compagnie mettait en valeur sa douceur etl'attentionqu'illeurportait,etilss'épanouissaient.Gracesedisaitqu'ellenelelâchaitpasdesyeux afin de s'assurer que rien d'inapproprié, tel que l'incident du toutou-chat, ne sereproduise.Mais c'était unmensonge tellementpitoyablequ'ellenepouvait pas se leurrer.Ellel'observaitdeprèstoutsimplementparcequec'étaitunpurplaisirdelefaire.Ilapprenaitviteaveclesenfants,etdésormaisilposaitdesquestionss'iln'étaitpassûrde
quelquechose, au lieudeprésumeravecarrogancequ'il connaissait les réponses.Et c'étaitunetellejoieinattenduedepartageravecluiunregardamuséchaquefoisqueMaxouChloéfaisaitquelquechosededrôle.La joie s'accompagnait du souvenir doux-amer des regards amusés que Petra et Niko
échangeaientdevantleursenfants.L'attrait de sa compagnie était pimenté par le sentiment d'immersion dans sa présence
masculine.Elleavaitl'impressionparmomentsdenagerdansunocéandeForce,soutenueetsupportée,ledynamismedesonénergiechassanttoutefatigue.Etpuis,ilavaitmurmurécesmotsàproposdesafille,et ilsvéhiculaientunetellesouffrancequelecœurdeGraceavaitsaignépourlui.Quelque chose qu'elle avait fait, peut-être la témérité dont elle avait fait preuve en le
serrant contre elle, l'avait courroucé. Ou peut-être que sa propre souffrance le mettait encolère.Il était probablement dangereux de croire qu'elle était susceptible de le comprendre.
Dangereuxégalementqu'il la saisissedansunétauet la regardeavecune tellecolère ; ellesavaitqu'ilpouvaitlapulvériser.Etellesavaitaussiqu'ilneleferaitpas.Illaregardapresqueavechaine,lesyeuxétincelants,sonvisagedemarbreimpavide.Etalors.Alors...«Vousnepouvezpasreprendrecela»,avait-ildit.Le génie deMichel-Ange, l'extraordinaire statue, la prit dans ses bras. Sa tête se pencha
vers la sienne avec une vélocité inhumaine, ses traits ciselés s'animant d'une flammesurnaturelle. Elle n'eut pas le temps de réagir que sa bouche dure se plaquait déjà sur lasienne.Il ne tenta aucune exploration hésitante, préliminaire, comme l'avaient fait quasiment
tous leshommesqu'elle avait embrassés.Non, lebaiserdeKhalil futunplongeondans sabouche. Le choc et l'étrangeté de la sensation lui coupèrent le souffle tandis qu'elles'accrochaitàsesépaules.La bouche et le corps du djinn étaient chauds, sa Force brûlante. Elle frissonna et ses
jambes tremblèrent. Elle sentit son énergie farouche glisser le long de la sienne et c'étaitextraordinairementérotique,presqueplus sensuelqu'une caressephysique.Sapeaudevinthypersensible, partout, ses bras et ses tétons, et les globes de ses seins et son intimité,
humide,entresescuisses,quesesvêtementsrecouvraientdemanièrebieninadéquate.Elleenfouit lesdoigtsdanssescheveuxdejaisets'agrippa,sabouchepalpitantcontrela
sienne dans une tentative maladroite de lui rendre son baiser. Des pensées et desimpressionsfracturéesvirevoltaientdanssatête,assaillieparuncyclone.L'énergiedevenuefamilièredeKhalil, lasensationexotiquedesabouche,l'auradedouleuretdesexualitéquiémanaitdeluiavecfureur.Safaimetsonbesoin.Ilpritsatêteaucreuxdesamainetluienlaçalataille.Illaserrajusqu'àcequesespieds
quittentlesol.Elle se sentit toute légère, en apesanteur, comme si elle flottait en lui. Les cheveux de
KhalilétaientretenusenarrièreparunsimplecordondecuirquisedénouasouslesdoigtsdeGrace.Lamassenoireetsoyeusetombasursesépaules.Ilrelevalatêteetlaregardaavecuneexpressiontendue,lointaine.L'éclatcristallindeses
yeuxflamboyaitcommeunpharedanslanuit,annonçantunemerdémontée,balayéeparlesvents. Ses lèvres luisaient de leurs salives mêlées. Elle ne pouvait que le dévisager,impuissante, en tremblant de tous sesmembres, car samagnificence était telle qu'elle enavaitperdulavoix.Illareposadoucementàterre.Ellenesavaitpassiellepourraittenirdebouttouteseule.Maiselleledutbien,puisqu'illalâchaets'évanouitsansdireunmot.LebaiserdeKhalilbrûladans samémoire toute lanuit et toute la journéedemercredi.
Elle se réveilla aubeaumilieude la nuit, languissante, la peaumoite, les draps entortillésautour des jambes. Il l'avait embrassée avec une telle sensualité et une telle expérience. Ilavaitmanifestementdéjàfaitl'amouravecdeshumaines.Cesimpleconstatlabouleversaetenflammasonimagination,luilaissantentrevoirquelgenred'amantildevaitêtre.Detellespensées étaient encore inconcevables un jour ou deux plus tôt, et elles semblaientmaintenantirrésistibles.Dessensationsetdesimagesdéfilèrentdanssatête.Sabouchedureprenantlasienneet
l'impression de force infinie que dégageait son corps gigantesque. Le chatoiement de sescheveux de jais se libérant et encadrant son visage ivoire et ses yeux incandescents. Lachaleur contenue dans sa forme physique et sa présence ardente, si vraie. Sa majesté, sasouffrance,etsacolère.La souffrance et la colère de Khalil ne troublaient pas spécialement Grace. Elle ne
comprenaitquetropbien,hélas,cesdeuxémotions.Maiscequ'ellenecomprenaitpas,c'étaitqu'ilaitsembléencolèrecontreelle.Qu'avait-ellefaitoupasfaitpouréveillersacolère?Laquestionlataraudatoutelajournéesuivante.Sapréoccupationlarenditidiote.Ellerangealasalièreetlapoivrièredansleréfrigérateur,
etquandilssortirentfairedescoursesetqu'elles'arrêtapourprendredel'essence,ellequittala station-service en oubliant de remettre le couvercle sur le réservoir. Heureusement,lorsqu'iltombaenroulantducapotdelavoiture,ilatterritsurleparkingetellen'eutpastropdemalàleretrouverquandellesortitlechercher.Elleeutégalementdumalàseconcentrersurcequ'ils'étaitpassédevantlacaverne,mais
elle s'y attela. Elle s'était mise en danger à cause de son impétuosité naturelle, et elle nepouvait pas se permettre de refaire une chose pareille aussi légèrement. Pendant que lesenfantsdormaient, elle se concentra sur les exercicesmentauxque sagrand-mère lui avaitenseignés.EllefitvenirlaForcedel'Oracleavecprécaution,puis,quandellelalibéra,ellelefitdoucementenneperdantjamaislecontrôle.Quandelleeutfinides'entraîneretdelefaireplusieursfois,elleétaitenmesured'appeler
la Force à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, quel que soit l'endroit où elle se
trouvait.Siellen'allaitjamaisoublieràquelpointcelapouvaitêtredangereux,sonrapportàlaForcen'avaitplusrienàvoiraveclasauvagerieorageusedelapremièrefois.LaForceneluttaitpluspours'éloignerd'elleetnesecabraitpluspouréchapperàsonemprise.Tôtlematin,ellepassaplusd'uneheureàchercheravecsoinunepreuveoudespreuves
que l'étrange fantôme continuait à l'influencer, mais la femme-serpent avait vraimentabandonnésapriseetellenelatrouvanullepart.Elleavaitdisparupourdebon.PlusGracetravaillait avec la Force, plus elle lui répondait rapidement. Si seulement elle pouvaitcomprendrecequetoutcelavoulaitdire,maiselleavaitlesentimentquecelaprendraitpeut-être des années, voire des dizaines d'années. Elle promit silencieusement à Chloé de fairetoutcequ'ellepourraitpourquelaForceresteirrévocablementlasienne.Forceimmortelleounon,elleavaitl'intentiondel'emporteravecelledanslatombe.AinsiChloéettouteslesdescendantesdusexe fémininqueGraceétait susceptibled'avoir seraient réellement libresd'explorerlesdestinéesdeleurchoix.C'étaitladestinéedeGrace.C'étaitlapremièrechosedanssavie,avecl'université,qu'elle
embrassaitsansréserve.QuandKhalilapparut lemercredisoirpour lireàChloé l'histoirepromise,Gracepensait
avoirsaisitoutelaportéedel'incidentdelaveille.Ellepensaitqu'ilétaitparfoispossibled'avoir tropmalpouraccepterduréconfort.Peut-
êtrequ'en luioffrantcegested'affectionde leserrercontreelle,elleavaiteffleuréquelquechosequ'ilnesupportaitpasqu'ontouche.Sic'étaitlecas,ellenesavaitpastropquoifaire.S'excusernesemblaitpasexactementletrucàfaire,enparlernonplus,maisgarderlesilenceétait étrange aussi. Elle se sentait perdue, à la dérive, incapable de prendre une décisionquantàlamanièredegérerlasituation.Khaliln'arrivaqu'aprèsledîner.Etelleétaitdansunétatdetensionindescriptible.Chloé
et elle étaient en trainde ramasser les jouetsetde les rangerdans laboîteà joujoux.Maxétaitdebout,cramponnéà la tablebasse,etmâchouillaitdesclésenplastique. Il faisaitsesdentsetpassaitsontempsàmâcheretsucertoutcequ'ilpouvaitattraper.Khalilapparutensilence,maiselleperçutsonarrivée.Soncœurbonditdanssapoitrine.
Elle se retourna, animée par toute une gamme d'émotions : plaisir, gêne, malaise etconfusion.Waouh.Ilavait l'airencoreplusimposantquandellenel'avaitpasvupendanttouteune
journée.Il avait les bras croisés. Il était tout en noir. Même si elle l'avait vu porter d'autres
couleurs, le noir semblait être sa couleur de prédilection quand il prenait une formephysique.Sescheveuxétaientdenouveautirésenarrièreetsonvisagepâleetélégantétaitfermé.Ilcontrôlaitsonénergieavecraideur.Ilétaitàcouperlesouffle.Inconscientede la tensionqui régnait dans lapièce,Chloé lui dit bonjour avec gaieté et
sautillaversluientendantlesbras.Ilsouritàlapetitefilleetlasouleva.—Avecquellivredois-jet'aideraujourd'hui?—L'histoiredupetitgarçonpassage!—Excellentchoix.J'auraischoisicelui-làégalement.Il emporta Chloé vers l'étagère afin qu'elle puisse prendre le livre, puis ils s'installèrent
danslefauteuil.Maxlâchalatablebasse,tombasursonpostérieurrembourréparlacouche,puisrampaverseuxd'unairravi.Khalilsoulevalebébéetcommençaàlire.Àpartuncoupd'œiletunvaguesalutdelatête,KhalilneprêtaaucuneattentionàGrace.
Elleeutsoudainl'impressionquesoncœurétaitvraimentlourdetsonénergiesetransformaenunnœuddouloureux.Bon,c'étaitainsiqu'ilcomptaitsecomporter,hein?Trèsbien.Qu'ilailleaudiable!
Leurpiledelingesaleprenaitdesalluresdemontagne.Elleétaitdécidéeàsemettreàjourdanssestâchesménagèresavantl'arrivéedessorcièressamedi.Elleserenditdanslacuisinemettreuneautremachineenroute,plierdesvêtementsetdeslanges,puisemporterletoutdanslachambredesenfants.Unefoisqu'elleeutrangé,elleseredressaetfitlespoussières,changealesdraps,puiselles'attaquaaucabinetdetoilettequiétaitsensdessusdessous.Ellenettoyalemiroir,récuralelavaboetlestoilettes,etpassalaserpillièreparterre.Puisilfallutsortirlelingequiavaitfinidetourneretplierencored'autresvêtements.Elle se sentait confinée dans lamaison, et les ventilateurs ne faisaient pas grand-chose
d'autre que brasser l'air chaud et humide. Les fantômes soupiraient et marmonnaient,vaguement agités. Dehors, les criquets et les cigales lancèrent leur symphonie nocturne.Gracesesentaitpoisseuse,toutimprégnéedesueuretdepoussière,deproduitsd'entretienchimiquesetdecolère.Elleétaitplusseulequejamais.Cebaisern'avaitrienvouludirepourlui,etilleregrettait
manifestement.Elleétaitdeboutdevantlatableetfaisaitunepiledeplusenplushautedecouchespropres
etpliées,lorsqueKhalilsemitàparlerdecettevoixgravequiétaitbeaucouptroppurepourêtrehumaine.Cesonlafitfrémirets'insinuadanssaconscience.Sesmainss'immobilisèrentetellefermalesyeux,saisied'untiraillementdouloureuxenl'écoutant.Letimbredesavoixavaitlapuissanceduclairondontlesangesdéchusdevaientseservirpours'exhorterlesunsetlesautresàentrerenguerreavecDieu.Puis elle se rendit compte de la profondeur de sa bêtise. Comment quelqu'un d'aussi
sauvage etmajestueux, d'aussi immortel et pur que lui pourrait-il s'intéresser à quelqu'und'aussi médiocre, insipide et ennuyeux qu'elle ? C'était un prince parmi les djinns, alorsqu'ellenesavaitmêmepascequeletermeprincesignifiaitpoureux.Elleétaitl'antithèseduprénomqu'elleportait,sansgrâce,fruste,discourtoise.Ellepassaundoigtsursesphalangesrougiesetlecœurluimanqua.Ellenel'avaitpasblessé.Ellen'étaitpassuffisammentimportantepourpouvoirleblesser,
luifairemal.Ellesaisittardivementcequ'ilétaitentraindedire...—...etjemesuisditquecelanevousdérangeraitpasquejecoucheChloéetMax.Elle regarda par-dessus son épaule. Khalil avait les enfants dans ses bras.Max dormait
déjààpoingsferméssurl'unedesesépaulesmassivesetChloesefrottaitlesyeuxetbâillait,latêtesursonautreépaule.GracecroisafugacementleregarddeKhalilethochalatête,puisseretournaverssapiledelinge.Ilnevoulaitmanifestementpasdiscuteravecelleetiln'allaitpasrevenirdanslacuisine.
Elle finitdeplier le linge, saisitungantde toilette et s'approchade l'évierpour se laver levisage et le cou. Puis elle rinça ses bras nus. Elle était une fois de plus trop fatiguée pourmonter au premier étage et prendre un bain. Elle voulait le faire le lendemain quand lesenfants feraient leur sieste.Elle se ferait coulerunbainmoussantdans l'énormebaignoireancienneetelles'yprélasseraitjusqu'àleurréveil.Elle avait porté un short en public pour la première fois depuis l'accident et avait
simplementignorélesregardsobliquesquelui jetaient lesgensenvoyantsescicatrices.Legantfraisethumideluifaisaitdubien.Ellen'arrivaitpasàleverlajambesuffisammenthautpour la laver et elle ne pouvait pas non plus s'appuyer dessus de tout son poids et leverl'autre,aussi,lorsqu'elleselavaitlesjambesetlespieds,fallait-ilqu'elles'assoie.Ellerinçaetrepassalegantsousl'eau,s'assitet...L'immensemaindeKhalilcouvritdoucementlasienne.Ellese figea.Ellenecillapas,nerespirapas,etne levapas lesyeux.Ellesecontentade
fixersamainpendantqu'ilprenaitlegantetqu'ellelelaissaitfaire.—Permettez-moi,dit-il.C'étaitunordre,pasunedemande.Allait-elleleluipermettrepourautant?Ilsemitdevantellesurungenou,ungéant immaculéaffichanttoujoursuneexpression
impavide.Elleclignadesyeuxquandilsoulevasajambeblesséeavecprécaution.Ilsemitàpasserlegantsursapeaubrûlante,delacuisseverslemollet,eneffleurantsongenou.—Jevousaivueboitertoutàl'heure,vousauriezdûmettrel'attelle.Des éclairs parcoururent les muscles de Grace en dansant. Le gant de toilette était
rafraîchissanttandisqu'illepassaitlelongdesajambeavecunedélicatessequil'étonna.Elleavaitdumalàtenirenplacesoussescaresses.Elleréussitàarticuler:—J'aichaudetjesuisdemauvaisehumeur,etjen'avaispasenviedelaporter.—Cen'estpasraisonnable.—Çanevousregardepas.—Avez-vouscommencéàpasserenrevuelalistedesbaby-sitters?—Jen'aipaseuletemps,répliqua-t-ellesèchement.Maisqu'est-cequ'ilcroyait?Lesjournéesn'étaientpastoujoursassezlonguesavectoutce
qu'elle avait à faire. Elle se rendit soudain compte qu'elle ne lui avait pas raconté ce qu'ils'était passédans la clairière.Elle s'en étonna, cequi entraînaune autre réflexion : elle seconfiaitbeaucoupàluidepuisquelquetemps.Iln'eutpasl'airtroubléparl'aigreurdesaréponse.Ilsecontentadefaireunsignedetête
en passant le gant autour de sa cheville. Puis ce prince des djinns lui lava le pied, reposadoucementsajambeettenditlamainversl'autrepied.Cettefois,c'enétaittrop.—Arrêtez.Savoixétaitérailléeetaussidisgracieusequelerestedesapersonne.Il s'arrêta et la regarda. Il était agenouillé, et leurs têtes se trouvaient donc à lamême
hauteur.Elleplongeadansl'éternitéensondantsesyeuxdediamants.Il laconsidéraitavecgravité,toujoursaussiraideetmaîtredelui-même,etimpossibleàdéchiffrer.—Nousallonsjoueraujeudelavéritémaintenant,fit-ild'untondélibérémentégal.Juste
unefois.Ahoui?Ellecommençaitàenavoirassezqu'onluidisequoifaire.—Jenevousentendspasmedemandersicelameconvient,grinça-t-elle.Il appuya un coude sur son genou. Il la détailla de son regard cristallin impitoyable,
immuable.—Jepeuxtoujoursm'enaller,fit-il.Ellesentitquesabouchemenaçaitdetrembler.—Pourquoivousvoulezjouer?—Jeferaisensortequecetéchangesoitéquilibré,répliqua-t-illaconiquement.Laremarquela laissaperplexe.Ellenecomprenaitpaspourquoi leconceptd'unéchange
équilibré avait tellement d'importance pour lui. Peut-être que cela avait à voir avec lecontrôle ? Puis elle se souvint de ce qu'il lui avait dit la veille à propos de vouloir desinformationsetdenepasvouloirluiêtreredevable.Gracepinçaleslèvres.Bon,cen'étaitpascommesielleavaitvraimentquelquechoseàperdre.Ellecroisalesbras
etdéclara:—Non.C'estfinilejeudelavérité.Demandez-moicequevousvoulezmedemanderetje
répondraiseulementsij'enaienvie.Jevousdemanderaicequejeveux,etvousrépondrezouvousnerépondrezpas.Pasdeforfait,decontrôle,d'équilibre.Plusdefaveursoudemarchésou d'équilibre à la noix. Nous aurons une vraie conversation, désordonnée, ou bien vouspouvezfoutrelecampdèsmaintenant.
La colère s'alluma en lui. Elle la sentit se glisser dans l'énergie qu'il dégageait, lente etsulfureusecommedelalaveprenantsonélan.Elle aima la sentir. Sa colère la comblait, car elle signifiait qu'elle ne le laissait pas
indifférent.Alors,ellepoussalaprovocationencoreplusloin.—Allez-y,fichezlecamp.Depuisqu'ill'avaitembrassée,Khalilavaitl'impressiond'êtreenveloppédansdeschaînes
invisibles.Il avait accompli les tâchesqui lui incombaient avecmauvaisehumeur, s'adressant avec
hargneàtoutepersonnequiavaitlemalheurdesetrouversursonpassageoudeleregarderd'unairintrigué.Ilassistaàuneséanceducomitélégislatifparcequec'étaitsaresponsabilitéetqu'iln'avaitpaslechoix,mais iln'écoutarienetneparticipapas.Leprésidentducomitédemanda un vote et Khalil regarda autour de lui afin de voir ce que faisaient ceux quipartageaientengénéralsonpointdevue.Illevalamainquandilslalevèrent.Personnenefitaucuneremarque,ilavaitdoncdûvoterdemanièreàpeuprèscohérente.Ilquittasesbureauxetabandonnasa formephysiquedèsqu'il leputetse laissadériver
dans les airs. Abandonner toute enveloppe charnelle ne fut pas aussi apaisant qu'il l'avaitescompté.D'ailleurs,riendecequ'ilfitdetoutelajournéenelefut.Iln'arrivaitpasàmettresuffisammentdedistanceentreluietlespenséesdeGraceetdes
enfants.Ilsedemandaitcequ'ilsfaisaient.Finalement,exaspéré,ildécidadequitterlaterre.Ilsematérialisasurlalune.Iln'yavaitaucunbruit,puisquelalunen'avaitpasd'atmosphère.Iln'yavaitpasdevent,
pasd'air.Lesoleilétaitunrugissementde flammes.La lumièrede l'astresereflétaitsur lasurface de la lune en un éclat blanc argenté. Des yeux humains fragiles et non protégésauraient été aveuglés par un tel rayonnement,mais cela ne gênait pas Khalil lemoins dumonde.Iln'avaitpasbesoinderespirer.Ilcroisalesbrasetcontemplalasphèrepanachéedevert,deblancetdebleuqu'étaitlaterretoutenabsorbantlessalvesd'énergieinépuisablesdusoleil.Laluneétaitladistancemaximalequeledjinnpouvaitatteindreenpartantdelaterresans
devoirtraverserl'undesnombreuxpassagesquimenaientàd'AutresContréesdansd'autresdimensions. Ilexistaitdenombreuses théoriessur lesAutresContrées,maisKhalilpensaitqu'ellesdevaientêtredesprojections,desrefletsoudesplisdelaterreelle-même.Versmidi,ilsedemandacequemangeaientGraceetlesenfantspourledéjeuner.Ceserait
unrepasgai,simpleetsuffisammentappétissantpourinciterunenfantdifficileàmanger.Voilà qu'il recommençait à penser à eux. Émettant un feulement silencieux, il agita les
doigtsaveccolèreendirectionduglobebleuetblanc.Puisilsedématérialisaetserenditsurlafacecachéedelalune.Cecôténefaisaitjamaisfaceàlaterreetconvenaitbeaucoupmieuxà son humeurmaussade. La surface était abîmée et creusée de cratères. La lune était à lamoitiédesoncycle,sibienqu'unepartiedecettefaceétaitplongéedanslesténèbres.Là, lumière et ténèbres évoquaient le tranchant d'un couteau. Il n'y avait pas d'ombres
douces, colorées, de crépuscule chaleureux comme la veille devant la maison de Grace. Ilchoisit les ténèbreset se rematérialisapour s'adosseràun rocheret contempler les étoilesbrillantes.Horsde l'atmosphèrede la terre, elles semblaientplusproches,mais c'était uneillusion.Il se détacha du rocher et arpenta la surface de la lune avec agitation. Les chaînes
invisiblesétaientàl'intérieurdelui.Peuimportaitoùilallait.Sesproprespenséesétaientsacage.Délicieuse.
Lanuitdernière, labouchedeGraceavaitétédélicieuse, succulentedesurpriseetd'unesorted'innocencesucréequin'avaitrienàvoiravec lavirginitéet toutàvoiravec leplaisiressouffléd'unenouvelleexploration.Ledésiravaitfaits'épanouirl'énergiedelajeunefille.Elle n'était pas que douceur et lumière. Elle avait des épines, des aspérités et ce
tempéramentfougueuxqu'iladoraitprovoqueretfaireexploser,maiscequil'avaitprécipitédans la nuit après l'avoir embrassée était la manière dont la profondeur de sa souffranceparlaitàlasienne.S'il n'était pas aussi intolérant qu'il avait prétendu l'être auprès de Grace, il n'avait pas
connuintimementbeaucoupd'humains.Ilavaitrencontréceuxquiétaientcommeillesavaitdécrits:sournoisettropobsédésparlarecherchedeForce.Ilenavaitégalementconnudontilavaitappréciélacompagnieetilavaiteudesaventuresavecdeshumaines.Entantquepartenairessexuelles,ellesavaientétédesjouets,desdiversionsinsignifiantes
lorsqu'ils'étaitennuyéetavaitsouhaitéunchangement.Pourelles,ilavaitrevêtuuneformephysique parce que les humaines que Khalil avait connues n'étaient pas en mesure depercevoirsonaspectcomplet,invisible.Ellesn'avaientpaslaprésencenilaForcedes'alignersurlasienne.Ellesnepouvaientpassavoircequiluiapportaitleplaisirleplusvraietleplusfortetilsedésintéressaittoujourstrèsvited'elles.Mais Grace avait cette aptitude. Elle était différente de tous les humains qu'il avait
rencontrés. Sa Force était, littéralement, unique. Elle pouvait s'harmoniser avec la sienne,s'accorder à sa présence de la façon dont un djinn faisait l'amour avec un autre djinn,fusionnerdansleplaisiretledésir.C'étaitbizarre.C'étaitparfait.Pour la première fois de sa vie, il se demandait sérieusement quels plaisirs les sens
humainsétaientenmesured'offrir.Sa forme physique lui donnait un aperçu limité de ce que les humains éprouvaient,
ressentaientavectousleurssens,liésparlachaircommeilsl'étaient.Iln'éprouvaitjamaislamorsure de la faim ou la souffrance physique. Il ne percevait jamais la finesse ou lesdifférentessaveursdelanourritureetilneconnaissaitpasl'extaseduplaisirsexuelphysique.RevêtiruneformephysiquerequéraitdeseffortsetdelaForce.Pluslaformequeledjinn
endossait était vraie, plus elle lui coûtait. Créer une forme parfaitement humaine, avec lachoselapluscompliquéedetoutes,uncerveau,étaitunacteirréversible.Lesdjinnsappelaientcela«basculerdansuneenveloppecharnelle».Ilyavaitdesétapes
de formation qui étaient réversibles,mais la plupart des djinns se contentaient de formerseulementunefaçade.S'ilcréaituneformepluscomplète,avecdelavraiepeau,ilpourraitéprouverlasensation
de Grace quand il léchait ses lèvres. Il pourrait vraiment savoir pourquoi cette sensationfaisait frémir son énergie et sa Force et décuplait son désir au point de la rendre fébrile.L'effort serait éprouvant et lui coûterait beaucoup de Force, mais du moment qu'il nebasculaitpascomplètementdansl'enveloppecharnelle,ilpouvaitsedébarrasserdelaformequandillevoulait.Etalors,ilsaurait.Il retourna sur terre un peu plus calme et vaqua à ses activités pendant le reste de la
journée.Maintenant, alors qu'il était agenouillé devant Grace, il essaya de lancer un échange
contrôlé,rationnel,équilibré,maisellelerefusa.Pire,elleluiordonnadepartir.D'habitude,celaluiplaisaitquandelledonnaitunordre,maispascettefois-ci.Iltoisason
visagecourroucé.Seslèvresdoucesetpulpeusesétaientpincées.Elleétaitassise,droite,lesbrasenroulésautourdelataille.Elleserralesjambesl'unecontrel'autreetlestournasurle
côté. Aucun de ces gestes n'était prometteur, contrôlé ou rationnel. Et ils n'avaientassurémentriend'équilibré.Il fronça les sourcils et l'étudia plus attentivement. Elle n'avait pas seulement l'air
courroucé.Ellesemblaitblesséeetpleinederessentiment,mais iln'allaitcertainementpaspartirsimplementparcequ'elleleluiordonnait.Ilserralesdents.—Jevousaiembrasséehiersoiralorsquej'étaisencolère.Jen'auraispasdûlefaire.La surprise changea l'expression et la posture de Grace. Elle se détendit et ses lèvres
s'entrouvrirent.—Vousvousexcusez?Ilréfléchit.Lehic,c'étaitqu'ilneregrettaitpaslebaiser.—Jenesaispas,finit-ilpardire.Ellel'observa.Uneétincelledansadanssesyeux.—Vousn'étiezpasseulementencolère.Ilétrécitlesyeuxetneréponditrien.Ellesemitàarticulerclairementcommesielles'adressaitàunsimpled'esprit:—Voilàcepourquoivousdevezvousexcuser:vousêtespartihiersoirsansdireunmot.Et
vousêtesapparucesoirsansm'adresserunmot.Vousnem'avezmêmepasregardée.—Jevousairegardée,marmonna-t-il.Iln'arrivaitpasànepaslaregarderpendantqu'illisaitlelivreàChloé.Malgrésablessure,
Grace se déplaçait avec une grâce athlétique. C'était d'ailleurs à ce moment qu'il avaitremarquéqu'elleboitaitdemanièreplusaccentuée.Unesortedehoquetinterrompitfugacementleflotdemots.—Vousavezétégrossier.Depuisquej'aiditquevousétiezmonami,vousprétendezqueje
ne peux pas reprendre cesmots et revenir surma déclaration. Eh bien, permettez-moi devousdirequelquechose,Khalil,lesamisnesetraitentpasdecettemanière.Il eut l'impression qu'elle lui avait donné un coup de poing en pleine figure. Pas parce
qu'elle l'avait remis à saplace - elle lui faisait la leçondepuisqu'ils s'étaient rencontrés. Ilessayadeseremémorerleurséchanges.Ilétaitpresquesûrquec'étaitlapremièrefoisqu'elleprononçait sonnom.Cela changeaitquelque chose, ilne savaitpas troppourquoi.C'était...plusintime.—Grace,fit-il,histoiredes'entraîner.(Elleavaitunprénomravissant.Ilvitsonexpression
changer,devenirindécise;elleavaitdûremarquerlechangementelleaussi.)J'aidûréfléchiràbeaucoupdechoses.Jesuisdésoléd'êtrepartiaussibrutalementetd'êtrerevenuavecuncomportement si... (Incompréhensible, indécis, incohérent. Il finit par opter pour :)Compliqué.Etjeneveuxpasquenoussoyonsamis.Elletressaillit,puisfitd'untonsarcastique:—Oh,jenepeuxpasreprendreça,maisvous,enrevanche,vouslepouvez?— Je ne veux pas le reprendre, déclara-t-il en appuyant sur le dernier mot. Je veux le
changer.—Quevoulez-vousdire?fit-elleensefigeant.—Hier soir, vousm'avez embrassé vous aussi, souligna-t-il. (Il baissa les paupières.) Je
veuxquevousm'embrassiezdenouveau.Elleeutunsursaut.Sesjouess'empourprèrentsousl'effetdelacolère.—Quoi?P...pourquoi?Ilpenchalatête.—Avotre avis ? Je veux savoir si vous aimeriezm'embrasserdenouveau.Est-ceque je
suistropétrangepourvousplaire?Elledevintcramoisie.Elleparaissaitaussiébahiequetroublée.Touteslescouleursquila
composaientresplendirentd'unéclatplusvif,depuislebleu-vertdesesyeuxjusqu'aublond
cendré de ses cheveux en passant par ce rouge foncé qui soulignait si joliment sespommettes.Puisellebaissalesyeux.— J'ai adoré vous embrasser, fit-elle d'une voix étrangement basse. Vous ne l'avez pas
remarqué?Ilsourit,surprisparleplaisirquesafranchiseluiapportait.—J'étaispréoccupésurlemoment.Jel'aicru,maisjevoulaisenêtrecertain.—Jenesaispassijeveuxvousembrasserdenouveau,celadit.La remarqua le secoua. Il ne l'apprécia pas du tout. Il posa sondeuxième genou au sol,
agrippa sa chaise, lesmainsposéesde chaque côtéde ses jambesminces, et s'approchaaupointdeluifrôlerlenez.—Expliquez-moicela,fit-il.Elle leregardadroitdans lesyeux.Cela luiétaitvisiblementpénibledese justifier,mais
elleparlaavecunaccentabsolumentsincère.—Les temps sont durspourmoi en cemoment. Il y a beaucoupde chosesdont je dois
m'occuper. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir et les enfants doivent passer enpremier.Si j'aibiencompriscequevousêtesen traindemedire, je...Khalil,vousavezditquevousétiezdésoléet j'acceptevosexcuses,maisvousm'avezblesséeetcelaarendumajournée plus difficile. Je ne crois tout simplement pas que je devrais m'embringuer dansquelquechosequimefaitceteffet.Cen'estpasjustepourChloéetMax.Jemesuiscomplupendantunmomentàvoustaquineretàparticiperaujeudelavérité,maisc'esttoutcequeje peuxmepermettre. J'ai agi avec tropd'impétuosité à proposde beaucoupde choses cesderniers temps,et il fautque je fasseplusattention.Jecroisque l'amitiéest toutceque jepeuxvousoffrir.Ildevaitlereconnaître.Elleavaittrèsclairementtracéunelignequ'iln'avaitpasanticipée,
etc'étaitune lignesenséeetresponsable.Ilauraitdûêtresoulagé.Ilauraitpeut-êtredûsesentirvexé.Entoutcas,ilétaitpeiné.Ilavaitpassétoutelajournéeàsedemanders'ilallaitfairel'amouravecelle.Ilneluiétaitpasvenuunesecondeàl'espritqu'ellepourraitdéciderdenepasleprendrepouramant.Ildevaitdoncs'enaller.Ilnes'enallapas.Aulieudequoi,ilpritsesmainsdanslessiennes.Ellesétaientsipetites,sifines,lesdoigts
légèrementrougisparlestravauxménagers.Illesapprochadeseslèvresavecgravitépourlesembrasser,unemaind'abord,puisl'autre.—Jenevaispascompliquerleschosespourvous.J'aiditquejevousprotégeraivousetles
enfants,etjevaislefaire,decettemanièreaussi.Ellefitunsignedetête.Était-cedelarésignationoudeladéceptionquiétaitpasséedans
sonregard?Puis il sepenchaet l'embrassasur labouche.Très légèrementcette fois-ci,et,commela
veille, ses jolies lèvres s'ouvrirent avec surprise. Il les caressa avec les siennes, appréciantleurtexturedouce.Puisilreculaetluiditd'untonferme:—Jevousaientendueetjerespectevosraisons,maisvousnedevriezpasdire«non».Je
mesuisexcuséetvousavezacceptémesexcuses.Celaveutdirequenousdevrionsoubliertoutcelaetregarderdel'avant.Ellebaissalesyeuxsurleursmains.L'indécisionselutsursestraits.—Grace,fit-ilavecunpeuplusdeforce.(Ellerelevalesyeuxverslui.Ilposaunemainsur
sa joue.)Jesuisoccupédemain,mais jeviendraivendredi liredeshistoiresauxenfants.Etvousdevriezdire:«Nousverrons.»—Vousnedevriezpasmedirecequejedoisdire,letança-t-elle.Ilpassalepoucelelongdeseslèvrestoutenlevantlessourcils.—Et?
Ellehésitaunmoment. Il sepréparaàunenouvelledispute.Puisun sourire réticent sedessinasursestraitsetsesfossettesréapparurent.—D'accord.Nousverrons.
10Grace fut particulièrement débordée le jeudi et le vendredi. En plus des activités
quotidiennes liées aux enfants, se préparer à une journée de travail de groupe impliquaitautantdetravailquelajournéeensoi.LematinquisuivitsaconversationavecKhalil,elleseréveillaavantlesenfantsavectout
unpland'actionentête.Ledélaidegrâcedequatre-vingt-dixjourspourunenouvelleOracleétaitunecoutume,pasuneloidephysiqueoudelamagie,niunengagementsacréavecundieu.Cen'étaitmêmepasunmarché,et,aumêmetitrequed'invoquerlaForceenpleinjour,Gracenevoyaitvraimentpaspourquoiellenepouvaitpaslachanger.C'étaitIsalynnLeFevre,entantqueprésidentedessorcières,quiavaitmisenplacelaliste
debaby-sittersquiétaienttoutesdessorcièresbénévoles.Grandeetmagnifiquefemmeafro-américaine à la beauté intemporelle, Isalynn avait l'air d'avoir trente ans, mais Gracesupposait qu'elledevait en fait avoir la cinquantaine, vuqu'ellen'était pas seulement l'unedes sénatrices duKentucky les plus appréciées et celle qui était en exercice depuis le pluslongtemps,elleétaitégalementlaprésidentedudomainedessorcièresdepuisplusdedouzeans.«Aprèstout,avait-elleditàGracelejourdesfunéraillesdePetraetNiko,l'Oraclen'estpas
seulement l'une des ressources et des forces de notre domaine, elle fait partie de notrehéritageetlaresponsabiliténousincombedevoussouteniretdevousaider.»AvantqueGraceaitletempsderéfléchirdavantageetdechangerd'avis,tôtcejeudimatin,
avant le réveil des enfants, elle envoya un e-mail à l'adresse professionnelle d'IsalynnLeFevre:
ChèresénatriceLeFevre,En raison de complications imprévues, je ne serai pas en mesure d'assurer des
consultations en tant qu'Oracle pendant au moins un mois encore et je vous demande depublierunenoticepubliqueàceteffet.Jevaisdemoncôtéafficherunpanneauauboutdel’allée qui mène chez moi. Je suis désolée de la gêne que cette décision est susceptibled'entraînerpourlespersonnessollicitantuneconsultation.
Deplus,sijesuisreconnaissantedelalistedebaby-sittersquevotrebureauaétabliepour moi, je vais exiger, avant de reprendre mon activité d'Oracle, des références pourchaquepersonnefigurantsurlaliste.
Mercidevotresoutienfidèle.Bienàvous,GraceAndréasElle resta ensuite prostrée quelquesminutes, sa conscience verrouillée sur la Force qui
reposait si profondément en elle. Si elle se trompait, elle pouvait encore l'abandonner etchoisirChloé.Jeterevendiqueetjem'accrocheraiàtoi,fit-elleenlaconjurant.Turesterasavecmoi.Tuesàmoi.Comme il l'avait fait auparavant, l'océan de nuit gonfla rapidement et sans hésiter,
toujours immense, toujours dangereux, mais ne se braquant plus devant elle pour luttercontresoncontrôle.OK.Gracesedétendit lentementet laForcese lovaenplace.Bon,unobstacledemoins.
Elletournasonattentionsurlesenfantsetlepetitdéjeuner.Elles'attendaitàuneréponsedel'unedesassistantesdeLeFevre,maisquandletéléphone
sonnaàhuitheuresvingtetqu'elledécrocha,Isalynnenpersonneétaitauboutdufil.— Bonjour, Grace. (La sénatrice avait une voix assurée et chaleureuse.) J'espère que je
n'appellepastroptôt.
—Bonjour,madame,fitGrace.(Laprésidentedudomainedessorcièresn'avaitpasdetitrehonorifique.)Oudois-jedire«sénatrice»?—Jevousenprie,appelez-moiIsalynn.Votree-mailm'ainquiétée.Commentallez-vous,
vousetlesenfants?Grace inspira profondément. Elle ne savait absolument pas ce qu'elle était censée
répondre.—C'estunepériodedifficile,fit-elleavecprudence.—Jem'endoute.Vousavezvraimentbeaucoupdechosesàgérer.Monbureauvapublier
unavispublicpourvousdèsaujourd'hui.—Merci.— Bon, d'autre part, y a-t-il un problème avec la liste de baby-sitters ? J'avais cru
comprendrequelespersonnesétaienttoutesfiables.—Oui,ilyaeuunproblème,réponditfranchementGrace.Ladernièrebaby-sitterafouillé
dans mes papiers et allumé mon ordinateur sans ma permission. Peut-être qu'il y a uneexplication anodine,mais l'incidentme trouble et je ne veux pas qu'elle remette les piedsdanslamaison.Sansdesinformationsplusexhaustives,jenemesenspasprêteàconfierlagardedesenfantsàquelqu'und'autre.—Je vois, fit Isalynn. (La chaleurde sa voix avait été remplacéeparune colère glacée.)
Quel événement regrettable, je m'excuse, Grace, et je vous promets que je vais éclaircirpersonnellementcettehistoire.Quis'estcomportédemanièreaussiinappropriée?Jesuisunegarce,pensaGrace,etjevaisallerenenferpoursavourercemoment.—ThérèseStannard.—Merci. Je vous contacterai denouveaubientôt.Est-ce la raisonpour laquelle vousne
pouvezpasrecevoirdepersonnesvenuesconsulterl'Oracle?—C'est l'une des raisons principales, reconnutGrace. J'ai également fait l'expérience de
changementsdanslaForcedel'Oracleelle-même,etjecroisqu'ilestaviséquejeconsacreunpeuplusdetempsàm'entraîneravecelleavantd'yexposerd'autrespersonnes.— Des changements dans la Force, répéta Isalynn. Intéressant. Saviez-vous que j'ai
consulté l'Oracle plusieurs fois ? J'ai consulté votre grand-mère quand j'ai voulu menercampagnepourêtreéluesénatrice,puisunefoisencorequandjesuisdevenueprésidentedudomainedessorcières.J'aiégalementconsultévotresœurquandelleestdevenuel'Oracleilyacinqans.—Jenesavaispas,fitGrace.(Maxs'étaitmisdeboutens'agrippantàsajambeetellepassa
la main dans les petits cheveux du bébé.) Mais, vous savez que nous sommes censéespréserverlaconfidentialitédesconsultations.—Oui.(Lacolèrequis'étaitinsinuéedanslavoixd'Isalynnavaitdenouveaufaitplaceàun
ton chaleureux.)Votre sœur avait une voix très différentede celle de votre grand-mère. JecroisquechaqueOraclesertlaForced'unemanièredifférente.Vousapporterezvosproprespointsforts,vospropresaptitudesàl'expérience.—C'estl'impressionquej'ai,entoutcas,marmonna-t-elleensegrattantlanuque.Gracen'avait pas eubeaucoupd'interactions avec Isalynn.Elle était beaucoupplus âgée
qu'elle déjà et était une vraie courtière en Force sur la scène internationale, et puis ellesn'évoluaientpasdanslesmêmesmilieux.MaisGracel'appréciaiténormément.— J'ai l'intention de vous demander une consultation, dès que vous le pourrez, reprit
Isalynn.D'ailleurs,puisquevostroismoiss'étaientécoulés,jecomptaissolliciteruneséancelasemaineprochaine.—Jevois,fit-elleensemordantlalèvre.(Etsiellen'acceptaitplusdedemandes?Etsielle
pouvaitdémissionnertoutenconservantlaForce?Queferait-ellealorsdesavie?Ellefaillit
seconfieràIsalynn,maisseretint.)Jesuisdésolée.—Vousn'avezpasbesoindevousexcuser,luiditIsalynn.Gardonslecontactetavertissez-
moiquandvousserezprêteàdesconsultations.Étantdonnéquevousavezfaitl'expériencede changements dans la Force, ce serait peut-être une bonne chose que votre prochaineconsultation soit avec une sorcière qui a de l'expérience et je peux vous apporter cela oudemanderàquelqu'und'autredeletaire,sivouslesouhaitez.—Merci,fitGrace,décontenancée.Jecroisqueceseraitunetrèsbonneidée.—Entre-temps,jevaism'occuperdecettehistoiredebaby-sitteretjereviensversvous.Graceraccrochapensivement.Maxetelleseregardèrent.—Cetteconversationétaitconstructive,luidit-elle.—Ffffffft,fit-il.—Jesuisd'accordavectoi,dit-elleaubébéenlesoulevant.Tuesunjeunehommesage.Ilposalatêtesursonépauleenguised'approbation.Un peu plus tard dans la matinée, elle se décida à passer ses propres vêtements à la
machine et c'est alors qu'elle tomba sur l'enveloppe de Don et Margie. Entre l'arrivée deKhaliletlascèneavecThérèse,ellel'avaitcomplètementoubliée.Elleytrouvacinqbilletsdevingt dollars et semordit la lèvre en contemplant l'argent.Quelle que soit la tournure desévénements,qu'ellecontinueàassumerlafonctiond'Oracleoucessedelefairepourdebon,ilfaudraitqu'ellehonorelapromessequ'elleavaitfaiteaufrèreetàlasœur.Ellereçutunsecondcoupdefildansl'après-midi.Lesenfantsfaisaientleursiestequandle
téléphonesonna.Ellese ruasur l'appareilavantque lasonneriepuisse les réveiller.C'étaitJaydonGuthrie.Ilvoulaitdiscuterdesdétailsdelajournéedetravailprévuelesamedi.ElleavaitrencontréJaydonplusieursfois,mêmesiellen'évoluaitpasdanslemêmecerclesocialque lesGuthrie. Jaydonet sonépouse -MelindaouMelissa - avaient assisté à lamesse ensouvenirdePetraetNiko,avecpresque tous lesdignitairesdudomainedessorcièresetdenombreux dignitaires des domaines des Anciens également. L'essentiel de ce qu'elle savaitsurJaydon,elle l'avaitapprisdePetraqui le connaissaitmieuxparcequ'elleassistaitàdesévénementsofficielsorganisésparledomaine.(Gracen'avaitvraimentpasenvied'assisteràcesréunionsetautrescérémonies.Elleportaitdesvieuxjeans,pasdestailleursoudesrobeshabillées.)De haute taille, mince, les cheveux foncés et la trentaine bien sonnée, Jaydon était un
avocatquiavaithéritéd'unepropriétéestiméeàplusieursmillionsdedollarssituéedanslaMockingbirdValley,unquartiertrèshuppé,oùilvivaitavecsafemme,unesuperbeblondeaux allures de mannequin. Il était aussi le président de l'une des assemblées les plusanciennes et les plus respectées du domaine. Il avait plusieurs fois fait campagne contreIsalynnLeFevrepourêtreéluprésidentdudomainedessorcières,maisIsalynns'avéraitêtreunecandidateimpossibleàbattre.Jaydonétaitissud'unefamillericheetétaitdiplômédeHarvardalorsqu'Isalynnavaitfait
ses études de droit à l'Université du Kentucky. Elle était une sorcière Puissante, qui avaitapprissonartdansunepetitevillepauvredusudduKentucky.C'étaitlàqu'elleétaitnéeetavait grandi. Elle bénéficiait d'un soutien populaire solide et faisait preuve d'un talentjuridique certain, et elle jonglait avec tous les aspects de son double rôle législatif avecbeaucoupd'aisance.Les dernières rumeurs que Grace avait apprises de Petra racontaient que Jaydon avait
renoncépourl'instantàessayerdebattreIsalynndanslesélectionsdudomainedessorcièresetqu'ilallaitpeut-êtrefairecampagnepourlepostedeprocureurdudistrictdanslecomtédeJefferson lors de la prochaine élection, tandis que les partisans d'Isalynn l'exhortaient àplutôtbriguerlepostedegouverneur.
Quelquessemainesaprèsqu'Isalynneutmisenplace la listedebaby-sitterspourGrace,Jaydonavaitlancépourellelajournéetrimestrielledetravail.QuandGracel'avaitappris,elleavaitd'abordpenséquesarivalitédelonguedateavecIsalynnétaittoujoursaussivive.Puiselle s'était sentie gênée parce que la pensée lui semblait plutôt ingrate, alors que les deuxprojets étaientdestinés à l'aider.Et lesGuthrie étaientdeplus connuspour ledynamismedontilsfaisaientpreuvepouraiderlacommunauté.L'épousedeJaydonétaittrèsactivedansla collecte de fonds pour les services sociaux de la région et faisait partie du conseild'administrationdesbibliothèquespourlecomtédeJefferson.Gracenes'attendaittoutefoispasàcequeJaydonlacontactepersonnellement.Ilconfirma
que dix-huit sorciers et sorcières venant de plusieurs assemblées s'étaient inscrits pour lajournée de samedi. Une assemblée complète comptait treize membres, aussi, à l'instard'Isalynn avec sa liste, Jaydon avait-il obtenu le soutien de plusieurs assemblées.Dix-huitpersonnes représentaient un taux de participation formidable pour une journée de travailbénévole.—Je suisdésolé,maisMelissaetmoine seronspasenmesuredevenir, fit-il. Il y aun
autreévénementauquelnoussommestenusd'assister,undéjeunerpourcollecterdesfondspourunebibliothèquedontelles'occupe.Elleafaitvenirtroisauteurspourliredespassagesde leurs livres et signer des exemplaires. Je crains qu'elle n'ait proposé aux écrivains deséjournercheznoussansmedemandermonavis.Quelquepeuinterloquée,Gracebalbutia:— Je comprends. (Elle ne comprenait pas en fait, enfin pas vraiment. Ni Jaydon ni sa
femmen'étaientvenuslapremièrefoisnonplusetGracen'avaitpasétésurprise.Tondrelapelouse, désherber, déplacer desmeubles et réparer des clôtures ne devaient pas être leurtassedethé.)Mercientoutcas.—Brandon sera là. (Brandon était l'un des sorciers de l'assemblée de Jaydon et il avait
superviséladernièrejournéedetravail.)Ilpourraaideràassignerlestâches.—Super.Jepensaisacheterdelacharcuterieetdufromagepourdessandwichesetfaire
unesalade.Etpuis,prévoirdesfruits,undessert.Jeferaiduthéglacéetducafépourtoutlemonde.Maisjepeuxaussipréparerdesspaghettisouuntruccommeça.— Il est censé faire de nouveau trente-cinq ou trente-six samedis. Les gens vont avoir
chaud,transpireretvousallezavoirbeaucoupàfairedevotrecôté.Pasbesoindefairecuirequoiquecesoitoudevousfatiguerenessayantdecuisinerunplatpourtoutlemonde.Dessandwiches,unesaladeetdesboissonsfroides,ceseraparfait.Elleseditqu'ilavaitraison,etpuiselleétaitraviederayerl'unedeschosesàfairesursa
liste.Le vendredi après-midi, quand elle eut enfin fini de toutpréparer en vuedu lendemain,
elle se retrouva dans le cabinet de toilette, fredonnant et occupée à se maquiller. Elle sefustigeamentalementetsedécochaquelquesnomsd'oiseauxbiensentis.Espèced'andouillefigurait en tête de liste. Khalil, après tout, l'avait embrassée alors qu'elle était sale etdébraillée.Deuxfoismême.Ellesuspenditsonapplicationdemascara.C'étaitunebonnechose,non?De toute façon, il faisait tropchaudpoursemaquiller.Elledécidadesemettre justeun
peude rougeaux joues,dubrillantà lèvres coloréetdemettre sesyeuxenvaleuravecdumascara.Puisellearrangeaunpeusescheveux.Enfin,elleenfilaunejupelégèredansunjolicotonimpriméetundébardeurvert.Est-cequelajupeétaitdetrop?Sansdoute,maiselleneputs'empêcherdelachoisir.Aprèstout,«nousverrons»signifiaitenvisagercertaines...possibilités,non?Non.La jupe, c'était trop.Tropoptimiste, pleind'espoir.Ellen'étaitpaspleined'espoir ;
elleétaitprudente.ElleavaitditàKhalilplusdebaisersnide...enfinbref,pourunebonneraison. Elle retira la jupe et enfila rapidement un short. Puis elle se lava le visage.QuandKhalilarriva,lamaisonétaitpropreetrangée,lesenfantsnourrisetbaignés,elleavaitretirésonmaquillageetavaitl'airdemauvaisehumeur.Chloéetelleétaientoccupéesàrangerlesjouets dans la boîte à joujoux, tandis que Max s'agrippait à l'un des bords et regardait àl'intérieuraveccuriosité.La présence de Khalil se glissa dans le salon avant l'apparition de sa forme physique.
Intense,masculine,sensuelle.Ils'enroulaautourd'elleaveclangueur.Ellesentitlespoilslelongdesanuqueetdesesbrassedresser.Elle resta figéeaumilieude lapièce tandisqueChloé,neremarquanttoujoursrien,trottinaitetbabillait.Des bras invisibles enlacèrent Grace. Elle ouvrit la bouche et n'arriva plus à penser
clairement. De grandes mains qu'elle ne pouvait voir caressèrent ses bras, ses épaules etremontèrent le longde sanuque.De longsdoigts puissants s'enfouirentdans ses cheveux.Puis il lui renversa la tête en arrière et ses lèvres chaudes effleurèrent les siennes, et salangue s'introduisit dans sa bouche. Il l'embrassa profondément et son énergie se resserraautourd'elle,brûlantd'undésirlangoureux.Elleregardaleplafondsanslevoir.C'étaitd'unérotismeinterditetcachottierquidépassait
toutcequ'ellepouvaitimaginer.Ellesemitàtrembler.—Pourquoitufaisça,Gracie?demandaChloé.Lentement,sanshâte,lapressionsurseslèvresdisparutainsiquelecontactdesesmains.
Graceréussitàfermerlabouche,ellenesuttropcomment,etinspiraprofondément.—Hein?fitChloé.(DespetitsdoigtspoussaientGrace.Chloéétaitplantéedevantelle,les
yeuxrivéssurleplafond.)Pourquoituregardeslà-hautcommeça?—Sansraison,articulaGracepéniblement.Il avait totalement détruit sa capacité de penser et elle n'arrivait pas à respirer
normalement.Unriregraverésonnadanssatête.—Racheladesnuagesdanssachambre.Est-cequ'onpeutavoirdesnuages,nousaussi?Graceessayade se concentrer. Indépendammentde l'argentquecoûteraitde lapeinture
bleueetblanche,ellenesavaitpaspeindredesnuages.Mêmesielles'entraînaitetapprenaitàendessiner,leprojetprendraitdesheuresetelledevraitêtreperchéesurunescabeau.—Chérie,non,jenecroispas.(Ellevitladéceptions'inscriresurlevisagedelapetitefille
et son cœur se tordit. Il y avait tellementde chosesqu'ellenepouvait pas sepermettredefaire pour eux.Elle pensa soudain à quelque chose.) Tu sais quoi, nous allons acheter desétoiles fluorescentes. J'en ai vu l'autre jour aumagasin de jouets quand je t'ai acheté desalbumsdecoloriage.Çateplairaitderegarderdesétoilesquandtut'endors?—Oui!s'exclamaChloé,ravie.Pendantqu'ellesparlaient,KhalilsematérialisadevantMaxtoujoursagrippéàlaboîtede
jouets.Ilportaitdenouveauunensembleenlinécru.Lacouleurrehaussaitsestraitspâlesetélégantsetlelustredesescheveuxnoirs.IlregardaGracepar-dessussonépauleetsesyeuxpétillaientdemalice.LecœurdeGracesemitàbattrelachamade.Maxroucoula,sapetitebouches'ouvranten
un«o»desurprise,puisilsemitàémettredespetitscrisdejoie.IllâchalaboîteetfitdeuxpaschancelantsversKhalilavantdetombersurlesfesses.Ilse
précipitaensuiteversluiàquatrepattesaussivitequ'illeput.—Oh,non,c'estpaspossible,fitGrace.Oh,là,là!Vousavezvu?Troispairesd'yeuxsetournèrentverselleavecsurprise.Khalils'étaitdéjàagenouillépour
direbonjouràMax.IlfronçalessourcilsenentendantGraceetbalayalapièceduregardàlarecherched'unquelconquedanger.
GracesehâtaverseuxetsoulevaMax.— Quel grand garçon tu es ! s'exclama-t-elle. (Elle fit tournoyer le bébé qui hurla de
plaisir.)Tuestellementfuté!Khalilseleva.Chloéetluiavaienttoujoursl'airaussisurpris.—Ques'est-ilpassé?—Ilamarché!Ilalâchélaboîtedejouetsetafaitsesdeuxpremierspasversvous!UnsourireradieuxfenditlevisagedeKhalil.—Jel'aivu,maisjenesavaispasquec'étaitsespremierspas.Ilestpetitencore?—Ilaneufmoisetdemi,fitGrace.(ElleregardaitMaxavecungrandsourireenletenant
hautdanslesairs.)C'estunpeujeunepourmarcher,c'estvrai,maisnousavonstousmarchétôt-enfin,jenesaispaspourNiko,maisPetra,Chloéetmoiavonsmarchéversneufoudixmois.IlvafalloirunpeudetempsàMaxpourselancervraiment.Toujourspartantepourseréjouir,Chloésemitàsautilleràtraverslapièce.—Youpi,youpi,youpi!Aussi soudainement que l'euphorie l'avait envahie, Grace se sentit submergée par une
vaguedetristesse.Elleserralebébécontreelle,lesyeuxremplisdelarmes.Khalilfutimmédiatementàsescôtés,l'airéperdu.—Qu'ya-t-il?—PetraetNikonesontpaslàpourlevoir,fitGrace.Le regard deKhalil s'emplit de compassion. Il passa un bras autour d'elle etMax et les
attira contre lui. Grace enfouit son visage dans son épaule. Elle se dit qu'elle cachait seslarmesparcequ'ellenevoulaitpastroublerlesenfants,maiselledevaitbienavouerqu'elleseblottissaitaussiunpeucontrelui.IllaserradavantageetoccupaMaxenluiparlantpendantqu'elleretrouvaitcontenance.Manifestement impatiente qu'on s'occupe unpeud'elle, Chloé semit à crier en courant
danslapièce:—C'estl'heuredelire!C'estl'heuredelire!Graceseredressaets'écarta.Khalillaregardaavecattentionavantdelalâcher.IlpritMax
danssesbrasd'ungestefluide.—Vachercherteslivres,dit-ilàChloé.Ellecessadecourir.—Est-cequetupeuxm'aideràlireenétantuncheval?—Non,réponditKhalil.—Alorsenétantuntoutououunchat?—Non,répéta-t-il.LevisagedeChloéseferma.—Jenevoispaspourquoitunepourraispas,fit-elleenprenantuntonbelliqueux.Ouh là, se dit Grace en s'essuyant les yeux. Chloé et Khalil semesurèrent du regard à
l'instar de deux adversaires dans un western. Grace pouvait presque voir la grande ruepoussiéreuseetleclocherblancd'uneégliseàl'arrière-plan.Ah,etlesaloon.LamusiquedufilmLebon, labrute,et le truandsemitàsifflerdanssa tête.Elleaurait juréentendreunchevalhennir.IlyallaitavoirunefusilladeàO.K.Corraletçan'allaitpasêtrejoli.MaisKhalilprouvaqu'ilétaitplusunadversaireredoutable.Iltournasimplementledosà
Chloéenhaussantlesépaules.—Cen'estpasunproblèmesituneveuxpasquejet'aideàlirecesoir.JepeuxlireàMax.L'indignationlaissaChloémomentanémentbouchebée,puislapetitefilledégainaettira.—Non!C'estpasjuste!C'estunbébé!—Commetuveux, réponditKhalilcalmement. (Il s'assitdans le fauteuilet installaMax
surl'undesesgenoux.IllevalessourcilsendirectiondeChloé.)Tuvasamenerteslivresou
pas?Chloéserralespoings.Ellesemblamenerunebataille intérieurequidurapeut-êtretrois
secondes.Etencore.Puisellecraquaetcourutchercherleslivres.C'étaitparfait,seditGrace.IlaeuraisondeChloéavecuneseulesalve.EllefaillitéclaterderireenobservantChloéseblottirsurl'autregenoudeKhalil.Ledjinn
n'ajoutarien.Ilchoisitsimplementunlivresurledessusdelapile,l'ouvritetsemitàlire.Graceserenditdanssonbureauets'assitdevantl'ordinateur.Sonamusements'évanouit.Uneexcitation,unchoc,dudésir.Delasurprise,del'euphorie.Unevaguedechagrin,puis
derire,et toutcelaen l'espacede-ellevérifia l'heuresursonordinateur-quinzeminutes.Pasétonnantqu'ellesesentedéboussolée.Elleavait trouvéquelquesoffresd'emploiaucoursde la semaineet ceseraitunebonne
chosequ'ellepostule.Cliquantsurledossierquicontenaitlesdocumentsquil'intéressaient,elle ouvrit le brouillon d'une lettre de motivation, puis elle essaya d'en poursuivre larédaction, en vain. Elle finit par rester tranquillement assise dans la pièce plongée dansl'obscurité, lesmains sur les genoux, le regard tourné vers le crépuscule, et écouta la voixpuredeKhalil.Puisilsetut.—Lesenfantsdorment,fit-ilpartélépathie.—OK,merci.Elles'apprêtaàselever.—Nebougezpas.Jesuistoutàfaitcapabledelescoucher.Elleentenditlesressortsdufauteuilgrincer,puislebruitdesespascommeilemmenait
lesenfantsdansleurchambre.Elle devrait bouger ou faire quelque chose, mais elle n'arrivait tout simplement pas à
réfléchir.Elle perçut le moment où l'attention de Khalil se tourna vers elle. Cette fois-ci, il ne
pénétrapasdanslapiècecommeuneprésencedénuéedeforme,non,ilremontalecouloir.Elleécoutalebruitdesespas.Puisiltournaetdépassalesalon,etentradanslebureau.Ilfutàcinqmètres,puistrois,
puisun.Ellerepoussasafrange,sesdoigtstremblaient.Saprésencel'enveloppaaumomentmêmeoùiltournaitsachaisepourqu'elleseretrouve
face à lui. Il jetaun coupd'œil par-dessus son épaule à la lettredemotivationouverte surl'écran. Il marqua une pause et fronça les sourcils. Puis son regard se posa sur la pile defacturesmarquéesàl'encrerougesuruncoindubureau.Elleeutenviedelapulvériser.Elleluiavaitdéjàditquec'étaitunepériodedifficileetellen'avaitpashontedecequisetrouvaitsursonbureau.Il s'agenouilla sur un genou devant elle et ils se retrouvèrent face à face. Il appuya un
coudesurl'accoudoirdelachaiseetl'autremainsurlereborddumeuble,puisilplongealesyeuxdanslessiens.Sestraitsd'ivoireetsonregardcristallinétaientempreintsdegravité.—Jeregretteraisprofondément,dit-ildoucement,d'avoircompliquéencoreunefoisvotre
journéeaujourd'hui.La surprise frappa Grace. Pensait-il être responsable de son émotion de tout à l'heure,
quandelleavaitfaillifondreenlarmes?Elleluisourit.— Vous n'avez pas compliquéma journée, Khalil. Vous l'avez facilitée. C'était vraiment
merveilleuxdevoirMaxfairesespremierspas.Etencoreplusformidabledevoiràquelpointilétaitravidevousvoir.Lesenfantssonttellementheureuxquandvousêtes là.C'est justeque...j'auraisvouluquePetraetNiko...Ellen'arrivapasàfinirlaphraseetfitunvaguegestedelamain.
Ill'étudia.Ilétaittoutprès,etcelalatroublait,maisellenevoulaitpasqu'ils'écarte.—LetheétaitlamèredePhaedra-Phaedraestmafille.Letheétaitunedjinndepremière
génération née au moment de la formation du monde. Je suis un djinn de deuxièmegénération, je vis donc depuis très longtemps et je suis Puissant,mais je n'étais pas aussiPuissantqueLethe.NousappartenionstousdeuxàlaMaisondeMarid.J'aidécouvertqu'elleavaitbrisélesermentqu'elleavaitfaitàquelqu'unquin'avaitpaslaForcenécessairepourluitenirtêteetréclamersondû.J'aidénoncésonmanqued'honneuretl'aifaitbannirdenotreMaison, si bien qu'elle devint une sorte de paria. Pour se venger, Lethe captura et torturaPhaedra.Grace se tendit en écoutant le récit. Khalil parlait doucement et simplement. Et cela
soulignaitl'horreurdesonrécit.—Commenta-t-ellepufaireunechosepareille,torturersonenfant?— Je ne sais pas. C'est quelque chose de fou, d'insensé pourmoi.Mais quand un djinn
devientmauvais,ilesttrèstrèsmauvais.—Leshumainsaussi,murmuraGrace.—Jen'étaispassuffisammentfortpourcombattreLetheseul,j'aidoncréunitouslesalliés
Puissants que je pouvais, dont Carling. Tout cela s'est passé il y a très longtemps. Lespharaonsgouvernaientl'Egypte.(Sonregardétaitdistantetgravetandisqu'ilseremémoraitl'ancienne bataille.) J'ai finalement payémadette enversCarling lorsque je l'ai amenée iciavecRunel'autresoir.—C'estpourcetteraisonquevousétiezaveceux?—Oui.— Et vous êtes resté cette nuit-là parce qu'il aurait pu y avoir du danger, reprit-elle en
relianttouslesévénements.Vousêtesrestéàcausedesenfants.—Oui,fit-ilenluifaisantunpetitsourire.Laboule était revenuedans la gorgedeGrace.Ellenepouvaitpas savoir tout cela, bien
entendu,etKhalilavaitétéarrogantetcaustique.Ilétaitvainetidiotderessentirdesregretsenpensantàlamanièredontilss'étaientdisputéscesoir-là.—Ques'est-ilpasséensuite?—NousavonsdéclarélaguerreàLethe.(Uneexpressionsauvages'inscrivitsursestraits.)
Notredernièrebataillepulvérisaunechaînedemontagnesetdétruisitunpassagemenantàune Autre Contrée. La destruction du passage ne fut pas volontaire. C'est la chose que jeregrette.CequivivaitdanscetteAutreContréeestdésormaiscoupédurestedelaterrepourl'éternité.Elleposaunemainsursonbras.Celasemblaitungestebieninutilealorsqu'ilrelataitdes
événements si lointains, probablement aussi inutile que lorsqu'elle l'avait affectueusementserrécontreelle,maiselleneputs'enempêcher.—Vousavezditquevotrefilleavaitsurvécu?IlbaissalatêteetregardalamaindeGracecommes'ils'agissaitd'unphénomèneétrange.
Puisillarecouvritdelasienne.—Oui.NousavonspiégéLetheetl'avonsdétruite,etnousavonslibéréPhaedra,maiselle
étaitabîmée.C'estelledésormaisleparia.EllerefusetoutlienaveclaMaisondesdjinns,etelleattaquesi je - si l'und'entrenous-s'approche trop.Nousn'avonspour l'instant trouvéaucun signe indiquantqu'elle faisaitdumal. (Quand il reprit laparole, ce futd'unevoix sibassequ'elledutsepenchereteutdumalàsaisirsesmots.)J'espèredufondducœurquejenedevraijamaismelanceràsapoursuiteetdevoirladétruireelleaussi.—Jesuistellementdésolée,fitGraceaussigentimentqu'elleput.—Commejel'aidit,toutcelas'estpasséilyatrèslongtemps.Vousêtestellementpleine
devieetd'entrainquej'oublieparfoisquevousavezperdudesêtreschersrécemment.—Nousavonstousperdu.Chloé,Max,PetraetNiko,etmoi.—Oui,ajoutaKhalil.Maisvousdevezassumer le fardeaupourtout lemonde.(Il leva la
maindeGraceetluibaisalesdoigts.)Jereviendraidemain,avecvotreconsentement.Ellesourit.— Ce serait formi... non, attendez, ça n'ira pas. Je n'aurai pas les enfants demain. Vous
voussouvenez,j'aiparlédesamediendisantquec'étaitunejournéedetravail?Katherinelesprend.Ilsvontpasserlanuitchezelle.Illaregardaenfronçantlessourcils.Ilsetutsilongtempsqu'ellegardaelleaussilesilence
etcommençaàsedemandercequ'elleavaitpudiredemal.—Grace...,fitKhalil.Personne n'avait jamais prononcé ainsi son prénom avant, avec une telle pureté. Il lui
conféraitunebeautémystérieuse,envoûtante.L'écouterleprononcerluidonnaitenvied'êtremeilleure,plusdignedeporterunprénomaussimerveilleux.S'il chantaitun jour,pensa-t-elle,lechantseraittellementsublime,ils'élèveraitau-dessusdesflèchesdepierreetd'acier,etperceraitlescœursdeshumainsetdetouteslesautrescréatures,etilpourraitdevenirlemaîtredumonde.S'ilchantaitunjourpourelle,ellelesuivraitn'importeoù,absolumentn'importeoù.Ilavaitmarquéunepause.—Pourquoiavez-vousl'airaussibouleversé?—Peuimporte,murmura-t-elle.Continuez.— Je ne viens plus simplement pour voir les enfants, vous savez.Quand est-ce que ces
personness'enirontdemain?—Je...jenesaispas,versdix-septheures,dix-huitheurespeut-être,balbutia-t-elle.—Vousm'appellerezaprèsleurdépart.Illaregardaitavecattention.La pensée de se retrouver seule avec lui dans la maison fit naître en elle une chaleur
sensuellequisepropageadanstoutsoncorps.Etillesavait,mauditsoit-il,etlesourirequiilluminasestraitsd'ivoireétaittoutaussisensuel,etincroyablementérotique.Elleglissaitdangereusementvitesurunepenteglissante,sielleétaitpasséede«pasde
baiser » et « nous verrons » à sa venue quand les enfants n'étaient pas là. Elle cherchadésespérémentquelquechose,n'importequoipourfreinerceplongeon.—Est-cequelesdjinnssortentensemble?Ilcilla.— Eh bien, je n'ai jamais vraiment réfléchi à la question, dit-il. Peut-être que certains
djinns fréquentent certaines... créatures... parfois. Disons que fréquenter quelqu'un n'ajamaisétédansmeshabitudes.Elleopina,troprapidement,etseforçaàs'arrêter.—Jemedemandais,c'esttout.—Leshumainsaimentsefréquenter,sortirensemble,déclaraKhalilpensivement.(Puisil
adopta un ton plus décidé.) C'est ce que nous allons faire demain. Nous allons sortirensemble.Elleeut soudain l'impressiondemourir.Ellenesavaitpasdequoiexactement : fourire
répriméouembarrasoupeut-êtrelesdeux.Elleréussitàarticuler:—Onn'imposepasunrendez-vouscommeça.—Jenevoispaspourquoiceseraitunproblème,répliquaKhalil,sonénergielacaressant
avecun amusement languide. (Il lui donnaune chiquenaude sur lenez.)Leshumainsontbesoind'air.Respirez.Elleobtempéraetlaissaéchapperunpetitrire.
— Si vous ordonnez qu'un rendez-vous galant ait lieu, alors ce n'en est plus un. Celadevient,jenesaispas,uneréunionouunkidnapping.—Quelleestlaprocédureàsuivre?demanda-t-il.Pourunrendez-vousgalantcommevous
dites.Le timbre de sa voix était sensuel. Il évoquait toutes sortes d'images torrides liées à la
notionderendez-vous.Iljouaitavecelledésormais,pasdedoute.Elleditavecforce:—Sivousavez l'intentiondepasserdu tempsavecquelqu'un,vous leurdemandezde le
faire.Ceschoses-lànesedictentpas.—Est-cequevousvoulezbiensortiravecmoi?demanda-t-ilimmédiatement.Elle voulait le voir et ilne fallaitpasque ce soitquand ils étaient seulsdans lamaison.
Surtoutpas.—Biensûr.Qu'est-cequenousferons?— Je n'en ai pas la moindre idée. C'est vous la spécialiste. Je suis certain que vous
trouverezquelquechose.Elle,unespécialiste?Ellesecoualatête.Cetteconversationétaitsurréaliste.— Ilme viendra bienune idée, lit-elle. (Qu'est-ce que cela allait bien pouvoir être, nom
d'unpetitbonhomme?)Ceneserapassophistiqué.Habillez-vousdemanièredécontractée.Ilopina.—Appelez-moiquandvousserezprête.Ildisparut.Unrendez-vous.Ellecontemplal'endroitoùilsetenaituninstantauparavant.—JenevaisjamaisalleràDamas,n'est-cepas?murmura-t-elle.Pasdanscettevie.Puis sa présence se manifesta de nouveau et il s'enroula autour d'elle de manière
caressante.—J'aioubliédevousdireaurevoir,luisouffla-t-ilàl'oreille.Ellelevalesmainsinstinctivement,lesdoigtspalpantl'air,maisilneréapparutpassoussa
formephysique.Pastoutàfait.À la place, des doigts invisibles caressèrent son visage, sa gorge, longèrent l'encolure de
son tee-shirt. Elle ne le voyait pas, ne pouvait pas le toucher. Elle se sentait affamée,perplexe,etaveugle.Alors, elle tentade l'atteindrede la seulemanièrequ'elle connaissait,psychiquement, et
elle se sentit s'alignerdenouveau sur saprésence.Force contreForce, esprit contre esprit.Féminitécontremasculinité.Stupéfaction et chaleur incandescente jaillirentde lui en rugissant.Elle eut l'impression
qu'undrapdeflammespassaitsurelle.Sestétonssedurcirenttandisqu'undésirviolent laharponnaitentrelescuisses,plusvifetplusfortquetoutcequ'elleavaitjamaisconnu.Ellerenversalatêtecontrelachaisedubureau.L'énergiedeKhalilondulaàlamanièred'unfrisson.—Bonnenuit,siffla-t-il.Puisildisparutpourdebonetellemurmura:—Bordeldemerde.Etelleneputquepenser:ilfautvraimentqu'onsortedelamaisondemainsoir.
11Aprèsun au revoir aussi torride avecKhalil,Grace eutdumal à s'endormir.Lamoiteur
lourde de la nuit d'été se pressait contre sa peau. Elle n'arrêtait pas de revivre l'assaut dechaleur qui avait jailli de lui en rugissant, étincelant, aveuglant même son esprit. Cejaillissement brûlant avait modifié à jamais sa conception du plaisir et du désir. Elle nepensaitpasqu'ellepourraitsecontenterdenouveaud'unesimpleétreintephysique.Aurait-il,à l'imagedeshumains,unorgasmependantqu'ils feraient l'amour?Ellesentit
soncorpspalpiteràcetteidée.Ellerejetalesdraps,serecroquevillaetglissaunemainentresescuisses,pressantl'entréedesonsanctuairequeledésirfaisaitfrémir.Quandellefinitpars'endormir, elle rêva que ses immenses mains invisibles parcouraient son corps, enépousaient tous les contours et repoussaient samain. De longs doigts habiles plongeaientdanssaculotteetcaressaientsafenteetseslèvres,àlalisièredesonclitoris.Sa soif atteignit un paroxysme, oscillant entre le physique et le psychique, qui se
nourrissaientl'unl'autre.Elleavaittellementbesoindejouir.Celafaisaitsilongtempsqu'ellen'avait pas éprouvé de plaisir sensuel, et elle n'avait jamais éprouvé de telles sensationsavant,maiselleavaitégalementbesoindesaformephysique,avaitbesoinqu'ilseglisseenelle,ailleetviennecommesoncorpsledésiraitavectantd'ardeur...Elleseréveillaavantd'avoirpuêtrecombléeetsesentitdésorientée.Pendantunmoment
étourdissant,ellefuttirailléeentrelefolespoirqueKhalilsoitvraimentlàetlacraintequ'ilsoiteffectivementvenulatrouverdanssonsommeilsanssonconsentement,qu'ilaitpoussésonmanquedesensibilitéhumainejusqu'àunetelleextrémité.Elle projeta sa conscience pour le chercher ; il n'était pas là. Lamaison était tranquille,
sereine,etelleétaitseule.Sonrêven'avaitétéqu'unrêveetillaplongeadansunedéceptionprochedudésarroi.Ellenevoulaitpasqu'ilsoitprésent,maisledésirnel'avaitpasquittéeetelleaspiraitàsentirsesmainssurelle.Ellesetournaetseretournajusqu'aulendemain.Quand les enfants se réveillèrent tôt le samedimatin, elledémarraunenouvelle longue
journéed'humeurmaussade.Il faisait déjà trente degrés quand elle conduisit Chloé et Max chez Katherine à huit
heures. Katherine lui donna le numéro de quelqu'un qui avait un lit d'une place et que laproposition de l'échanger contre un lit d'enfant intéressait. Grace apporta également encadeauàsonamietouslesplatsetleurscouverclesquivenaientduRussianTeaRoometlesquatreserviettesdamassées.Katherinefutabsolumentravie.Elle fut également très curieuse quant à leur provenance, et les explications de Grace
prirentunebonnevingtainedeminutes,sibienque lorsqu'ellearrivachezelle, ilétaitdéjàneufheuresmoinslequart.Brandon fut le premier à arriver. C'était un homme trapu aux yeux bleu pâle qui
semblaientévaluerchaquechose.Gracen'appréciaitpasoutremesurelasensationquecelaluidonnait.Elle avait l'impressionqu'il la jugeait etpasdemanièrepositive.Le sentiments'intensifiaaucoursdeleurpremièreconversation.—Douzepersonnesseulementappartenantàunepoignéed'assembléesvontvenir,déclara
Brandon.Pasdix-huit commenous lepensions. Il yaapparemmentdesbruitsqui courentqu'undjinnestvenuplusieursfoisici.(Ill'étudiafroidement.)Iln'estpaslà,n'est-cepas?
Interloquée,Gracemarmonna:— Non pas que cela vous regarde, mais non, il n'est pas là. Je suis stupéfaite que six
personnesaientannuléàcausedeça.Brandonluijetaunregardappuyé.—LesdjinnssontPuissantsetimprévisibles.Celainquiètelesgens.—Lesgensferaientbiendes'yfaire,fit-ellesèchement.—Peut-être.Peut-êtrepas,répliqua-t-ilenhaussantlesépaules.Ellesentitlamoutardeluimonteraunez,maisavantdepouvoirdirequelquechosequ'elle
auraitpuregretter,Brandon luidemandaune listedeprojets.Étantdonnéqu'ilétaitsur lepoint de passer la journée à s'activer sur sa propriété, elle décida qu'il était probablementpréférabledeneriendire.Pourlemoment.C'étaitlemilieudel'étéetl'herbeétaittrèshaute.Gracen'avaitpaseuletempsnil'énergie
d'entretenirlapartiequiétaitclôturée,tantetsibienqu'ellenepouvaitpasyjoueraveclesenfants.Letravailleplusurgent,expliqua-t-elleàBrandon,étaitdetondre(cequin'étaitpasunemince affaire, car une personne utilisant une tondeuse autoportéemettait dix bonnesheuresàfairetoutelapropriété),dedescendreunecommodedanslebureauetdedésherberlejardinpourquelesenfantspuissentyjouer.—Avant,nouspassions la tondeuse sur l'ensemblede lapropriété,maispour l'heure, je
seraisjusteheureusequelazoneautourdelamaison,lecheminprincipalàl'arrièreetl'alléesoientdésherbésettondus.Ilopina.Ilavaittournésonattentionsurlamaison.—Quelques gars viennent avec leurs tondeuses. Nous pourrons faire toute la propriété
cettefois-ci.(Ilindiqualetoit.)Ilvousmanquedestuiles.Cetoitneferapasl'hiver.—Jesais,fit-elleavecaccablement.Illatoisadenouveaud'unairdésapprobateur.—Bon,fitBrandonaprèsunmoment.L'hiverestencoreloin.Puis,desvoiturescommencèrentàarriveretlajournéedetravaildémarra.L'atmosphèreétaithumide,étouffante,fatigante,etparfoistendue.Certainsdessorcierset
des sorcières lui adressèrent à peine la parole. Un ou deux autres la traitèrent avec unecourtoisiemielleusequi luisemblaencorepire.SaForcesehérissacommelorsqu'elleavaitexplorél'éventualitédevendreunepartiedelapropriétéquilongeaitlefleuve,maiscommecen'étaitpasellequipayaitlesfacturesoutondaitlapelouse,ellelarepoussaavecirritation.Pour une raison incompréhensible, les fantômes étaient eux aussi agités, ce qui ajoutaitencoredelatension,mêmesiGraceétaitàpeuprèssûrequ'elleétaitlaseuleàlespercevoir.Ellefutheureusedevoirquelqu'unqu'elleappréciaitvraiment,unesorcièrediscrèted'une
trentained'annéesquis'appelaitOliviaettravaillaitcommedocumentalisteàlabibliothèqueExLibris àLouisville.ExLibris était les archives lesplus importantesdesÉtats-Unispourtous les documents, toutes les informations touchant à la sorcellerie, à la Force et auxsystèmes de magie de l'humanité. La bibliothèque avait par ailleurs l'une des plusimportantes collections mondiales sur les sujets en question. Olivia faisait partie d'uneassembléed'universitaires,deprofesseursetd'autresbibliothécaires.Elle sourit chaleureusement à Grace en arrivant et, au fur et à mesure que la journée
s'écoulait,Gracegravitaautourd'elle.Unefoislestâchesassignées,lesgenssedispersèrentets'activèrent,etlestensionssous-
jacentes sedissipèrentunpeu.Grace était assaillie dequestions.Quelle commode voulait-ellequel'ondescendedupremierétage?Oùvoulait-ellequ'onlamettedanslebureau?Est-ce qu'elle voulait que les vêtements qui se trouvaient dans la commode soient descendusaussi?Voulait-ellequelesrosierssoienttaillésetarrosés?Est-cequ'ellesavaitqu'ilyavait
untroudanslaclôturedujardin?Ilfaudraitlerépareravantqu'ellepuissesortirlesenfants.Est-cequ'ellevoulaitquecesoitfaitaujourd'hui?Puis, en findematinée,alorsqueGraceetOliviadisposaient ledéjeuner sur la table, le
téléphonesonna.Gracedécrochalecombiné.C'étaitBrandonquiappelaitdesonmobile.Ilsetrouvaitdanslagrandeprairieaufondde
la propriété. La réception n'était pas bonne et leur connexion hachée, mais il réussit àdemanderàGracedevenirlerejoindre,luietlesautresquitravaillaientdanslaprairie,afindeleurdonnerdesconseils.— Si ce n'est pas trop demander, ajouta-t-il, nous espérions qu'Olivia et vous pourriez
amenerduthéglacé.— Bien sûr, fit-elle en regardant le lourd pichet et les verres d'un air résigné. (Elle
raccrochaetsetournaversOlivia:)Ilfautquej'ailledanslaprairieauboutdelapropriété.Est-cequevouspourriezm'aideràporterlesboissonspourlespersonnesquitravaillentlà-bas?—Oui,naturellement,ditOliviaenregardant latable.Nousavonsfini icidetoutefaçon.
Lesgenspourrontseservirquandilsaurontfaim.OliviasaisitlegrospichetdethéavantqueGraceaitletempsdelefaire.Elleneditrienet
sechargeadesverres.Lesdeuxfemmessortirentdelamaisonetsedirigèrentversl'arrièredelapropriété.— Je dois reconnaître, fit Grace, que je suis soulagée de m éloigner de tout le monde
pendantquelquesminutes.—Quelgroupecharmant,n'est-cepas?fitOliviaenémettantunreniflementdemépris.Grace la regarda, surprise. Les courts cheveux châtains de la bibliothécaire avaient des
refletsdorésetbrillaientausoleil,etsesyeuxgrispétillaientd'intelligence.OliviaavaituneForce tranquille qui était profondément ancrée. Elle travaillait quotidiennement avec deslivres et des ressources de Force et devait donc être très versée en sorcellerie. Lesbibliothécaires étaient en général des symbologistes qui pouvaient lire, contrôler etimprégnerlesmotsetlesimagesdeForce.—Jenem'attendaispasàcequelesgenssecomportentdecettemanièreaujourd'hui,fit
Graced'untonhésitant.Toutlemonde,saufvous,jeveuxdire.Ilyadesgensappartenantàdifférentesassemblées.Jepensaisqu'ilsseraientplus, jenesaispas,bavardsetheureuxdepasserunpeudetempsensemble,d'apprendreàmieuxseconnaître.Ladernièrefois,c'étaitbeaucoupplusaniméetbruyant.Oliviahaussalessourcils.—J'oublietoujours,vousnefaitespaspartied'uneassemblée,n'est-cepas?—Non.—Lesassembléess'apparententàdesguildesprofessionnellesavecduréseautageetune
formation continue régulière dans plusieurs disciplines magiques, expliqua Olivia. Unesorcièren'apasnécessairementd'amisdanssonassemblée.Lesgensont souventdes liensplusétroitsavec leuréglise, leurspartenairesdetennis, leursgroupesdelectureoulepartipolitiqueauquelilsappartiennent.—Vousmarquezunpoint.J'avouequejen'avaispasvuleschosessouscetangle.Etc'est
valablepourtouslesgensquisontlàaujourd'hui?—Quandjeregardeautourdemoiaujourd'hui,jenevoispasdesgensquinedisentrien
parcequ'ilsneseconnaissentpas.Non,àmonsens,ilsnediscutentpasentreeuxparcequ'ilsseconnaissentjustementtrèsbien.—Quevoulez-vousdire?fitGraceens'arrêtant.—Jene sais pas exactement, répliquaOlivia enhaussant les épaules. J'ai remarquédes
regardséchangés,dessourcilsquiselevaient,commes'ilyavaituneconversationmuettequise déroulait. Je croyais que les gens gardaient leurs distances à cause demoi. J'ai reçu uncoupdefildeBrandontôtcematinmedisantqu'ilsavaientbienassezdegensquivenaientetqu'ils n'avaient pas besoin de moi. J'ai trouvé que ça faisait un peu ado, du genre on tedésinviteàunefête,j'aidoncdécidédevenirquandmême,parcequejevoulaisvoircommentvousalliez.—Çan'apasdesens,fitGracelentement.Jaydonad'abordappeléjeudipourmedireque
dix-huitpersonnesviendraient.PuisBrandonestarrivécematinetm'aannoncé-enfin,àcequej'aicrucomprendre...(Sousleregardattentifd'Olivia,ellelaissasaphraseensuspensetplissa le front en essayant de se souvenir des mots exacts.) OK, peut-être qu'il n'a pasexactementdit ceque jepensais.En tout cas, il adit quedouzepersonnes etnondix-huitdevaientvenir,puisilm'aparlédebruitsquicouraientquantàlaprésenced'undjinn.J'aicruquelesdeuxchosesétaientliéesetquedesgenssedéfilaientàcausedeKhalil.—Vousavezundjinnquivousrendvisite?demandaOliviaavecétonnement.—Oui.(Graceseraidit.)Et?Olivialuifitungrandsourire.— Rien, c'est cool, c'est tout. J'ai rencontré une seule djinn dans ma vie et elle était
totalementgéniale.Graceluilançaunregardoblique.Ellesesentitrougir.—Noussortonsensemblecesoir.—Voussortez,avecundjinn?C'estencorepluscool.(Ellerit.)J'aientendudeshistoires
de...enfinbref,rien.—Jedoisavouerquevotreréactionfaitdubien,marmonnaGrace.Laplupartdesgensà
quij'enaiparlénesontpastellemententhousiastes.—Vousn'avezpasparléauxgensqu'ilfallait.NelaitespasattentionàcequeBrandondit
ouessaiedesous-entendre. Il est l'unedespersonnes lesplus intolérantesque j'aie jamaisrencontrées.Voussavezqu'ilétaitl'undespartisanslesplusacharnésdeJaydonquandcelui-ciafaitcampagnecontreIsalynnLeFevrelorsdesélectionsdedomaine?— Non, je ne le savais pas, fit Grace. (Elle eut un mouvement d'impatience.) Je ne
m'intéressepasvraimentàlapolitique.OliviaseremitàmarcheretGraceluiemboîtalepas.—Isalynnestconservatricesuruncertainnombredesujets,repritOlivia.Celaexpliqueen
partie pourquoi elle est tellement appréciée et depuis si longtemps. Elle défend l'idée demoins d'intervention du gouvernement.Mais elle estmodérée quand il s'agit des relationsaveclesdomainesdesAnciens.Jaydonsoutientl'idéed'ungouvernementfédéralplusfortetd'une souveraineté moins importante pour les sept domaines. Une bonne frange de sonélectoralesttotalementcontrelesAnciens.TouslesAnciens,peuimportel'espèce-vampire,Wyr,djinn,FaenoireouFaelumineuse.LegroupeveutbouterlesAncienshorsduKentuckyethorsdugouvernementfédéral.—MaisnousfaisonspartiedesAnciens,intervintGrace.— Aux yeux de certains, non, répliqua Olivia. Certes, nous sommes des sorcières, mais
noussommeshumaines.Ungrandnombred'entreeuxveutquelesAnciensquinesontpashumains installent leurgouvernementdansuneAutreContréeetsoient traitéscommedesressortissantsétrangers.—Cen'estpasfaisable,fitGrace.Ilsfontautantpartiedenotresociétéquelescinquante
États.Aucundesdomainesnevadéménageretêtredéplacé.Oliviahaussalesépaules.— Ça n'empêche pas les gens d'essayer. Bref, lors des dernières élections, il y a eu des
discussionsanimées,desmanifestations,etdesnomsd'oiseauxontété lancés. Il faut justequevousgardiezçaentêtequandvousavezaffaireàBrandon.Gracesecoualatête.Ellenevoyaittoujourspaslerapportavecelle.Entantqu'Oracle,elle
était censée resterneutreet traiterde lamême façon toutes lespersonnesquivenaient luidemander une consultation. Cela ne voulait pas dire, bien entendu, qu'elle ne pouvait pasavoir d'opinions personnelles. Mais elle ne voyait vraiment pas pourquoi quelqu'un sepréoccuperaitdesesidéespolitiques.— Je sais que le téléphone arabe est très actif chez les sorciers et les sorcières. S'ils se
connaissenttous,peut-êtrequel'attitudedeBrandonainfluencélesautres.—Peut-être.(Olivialuifitunpetitsourire.)Jenesuispassûred'êtrelapersonnelaplusà
même de vous répondre, vu que je n'appartiens pas à une clique et que les ragots nem'intéressentpas.Manifestement,aujourd'hui,jenefaispaspartiedugroupe.Gracepoussaunsoupiretluiditdebutenblanc:—Jevousaimebien.L'autrefemmerit.—Jevousaimebien,moiaussi.Etsurtout,jevousrespecteinfinimentpouravoirrecueilli
lesenfantsetdécidédelesélever.Denombreusesjeunesfemmesdevotreâgenel'auraientpasfait.—Jeledevais,fitGrace.Jelesaime.Elleétaitégalementlaseulepersonnequipuissetransmettreauxenfantscequ'ellesavait
deleurfamilleetdeleurhéritage.—Quandmême,bravo. Si vousn'avezpas lespetits un jour, passez à la bibliothèque et
nouspourronsprendreuncaféensemble.UnplaisirinattendugonflalecœurdeGrace.—Celameplairaitbeaucoup.Merci.Elles étaient arrivées à leur destination. Quatre hommes s'étaient chargés de tondre la
prairie et avaient accompli à peu près la moitié du travail. Brandon utilisait la tondeuseautoportéedeGraceetlestroisautresavaientapportéleursproprestondeusesposéessurdesplateauxetremorquéespardespick-upetdes4x4.Pourl'heure,lesquatretondeusesétaientàl'arrêtetabandonnées.Leshommesdiscutaiententreeuxprèsdelaportedelacavernequiétaitgrandeouverte.LaForcedeGracesehérissaoucefutpeut-êtreGraceelle-même.Ellepassaledosdesa
mainsursonfrontchaudetcouvertdesueurens'approchantdeshommes,escortéed'Olivia.—Cetteporten'étaitpasdéverrouillée et ouvertequandvous êtes arrivés,n'est-cepas ?
demanda-t-elled'untonbrusque.Elleavait été fatiguéeet soucieusequandDonetMargieétaientvenus,mais ellen'avait
paséténégligenteàcepoint,si?—Non,ditBrandontandisqueleshommessepressaientautourd'ellespourremplirleurs
verresde théglacé.Nous l'avonsouverte avec la clé. Je voulais vousattendre etdescendreavecvous,maisj'aifinalementprislesdevantsetinspectéleplafondetlesparoisdutunnelet de la caverne. Tout a l'air d'aller pour l'instant. Mais est-ce que vous avez remarquél'érosionquis'estdéveloppéedececôtéduchemin?Ilfautquevousgardiezunœillà-dessusetquevousvérifiiezl'étatdutunneletdelacavernedececôtéaprèsdegrossespluies.—Jepensequevousdevriezposerdesgrossespierresoudessouchesd'arbre le longdu
chemin, ajouta l'un des autres hommes. Cela le sécurisera lorsque vous l'empruntez dansl'obscurité.Sivousl'empruntezbeaucoupdansl'obscurité,bienentendu.—Non,pasvraiment,fitGrace.Maisdetempsàautre,c'estinévitable,etunaccidentserait
regrettable.
Elleétaitconscientedecetteérosionetensurveillaitl'évolution,mêmes'ilneluiétaitpasvenuàl'espritdesurveillerletunneletlacavernedel'intérieur.Brandonauraitpuattendrederevenirà lamaisonpourluiparlerdetoutcela.Cen'étaitpassuffisammenturgentpourjustifierl'effortqueluiavaitprisletrajetparcettechaleur.Enfait,ilavaitsansdoutevouluqu'Oliviaetelleleurapportentdesrafraîchissementspendantqu'ilstraînaientetdiscutaientdurantunedemi-heure,toutsimplement.Elleeutunéland'irritation,cequiétaittotalementdéplacé,étantdonnéletempsqu'ilsluidonnaient.QuandBrandonproposadetransporterunchargementdepierrespourconsoliderlafissureducheminetenralentirl'élargissement,elleeutencoreplusderemords.Olivia et Grace récupérèrent les verres une fois que les hommes eurent fini le pichet.
Graceregardaunedernièrefoislaporteouverte.—N'oubliezpasdeverrouiller,dit-elleàBrandon.—Non,fitBrandon,sesyeuxbleussurlequi-vive.Maisilétaittoujourssurlequi-vive.Ellesentaitencoresonregarddanssondosquandellesetournapourpartir.Legroupes'acquittadetouteslestâchesetconclutlajournéedetravailjusteaprèsdix-sept
heurestrente.ToutcequeGraceavaitnotésursalisteavaitétéfaitetletroudanslaclôtureréparé.Endépitdestensionsquiavaientplombélajournée,elles'assuraderemercierchaquepersonneindividuellementavantleurdépart.—Vousm'appelezlasemaineprochaine?dit-elleàBrandonaumomentoùilpartait.—Quoi?fit-ild'unairsurpris.—Vousm'avezditquevousapporteriezunchargementdepierres?—Ahoui,c'estvrai.Jevousappellerai,oui.Heu,celan'avaitpasl'airtropprometteur.Ellerefoulaunaccèsd'irritation.Elleavaithorreurquelesgensproposentdestrucs,puis
oublientaussivitedelesfaire.Ladernièreàpartir,Olivial'embrassa.—Passezmevoiretbuvonscecafé,fit-elle.Ouappelez-moiundecesjourssivousvoyez
que vous pouvez vous libérer pour le déjeuner. Il me suffit d'être prévenue deux ou troisheuresavant.— Merci, fit Grace, de nouveau séduite par la gentillesse de l'autre femme. Je n'y
manqueraipas.PuisOlivias'enallaetGraceseretrouvaseuleavecsespensées.Ellen'avaitmêmepasbesoinderangerlacuisine,quelqu'unl'avaitdéjàfaitpourelle.La
maison était propre et silencieuse et les plus grosses tâches accomplies, pour l'instant aumoins.Pourcequiétaitdutoit,elleavaitquelquesmoispourseretourner.Elleregardaparlafenêtre de la porte de la cuisine. Et surtout, le jardin était impeccable et elle pourrait denouveaus'enservir.Elle feraituncrochetpar lemagasinde jouets le lendemainmalinavantd'allerchercher
lesenfantsetutiliseraitcequiluirestaitdescentdollarsqu'elleavaitreçusdeDonetMargiepouracheterunepetitepiscineenplastiqueetdesétoilesfluorescentespourleurchambre.Pourl'instant,ellepouvaitsedétendre.Peut-êtrequ'ellepouvaitprendrecebainmoussant
qu'ellesepromettaitdepuisunesemaine,avantd'appelerKhaliletdesortiraveclui.MonDieu,unrendez-vous.Avecundjinn.Graceétaitpresquesûrequ'elleavaitdûhalluciner.Elleseditqu'au lieudesedétendre,
ellerisquaitsurtoutdesefairedumouron.EllesavaitqueKhalilavaitseulementdécidédesortiravecellesuruncoupdetête,parcequel'idéel'amusait.Alorsqu'encequilaconcernait,elleallaitsoitsepréparerpourLErendez-vousdanslapaniquelaplustotale,soitchoisirlaroutedessagesettoutsimplementannuler.Elle n'aurait pas pu expliquer l'urgence qui la saisit ensuite. Au lieu de se détendre, de
paniquer ou d'annuler le rendez-vous, elle fixa son attelle, sortit de la maison et pour laseconde foisde la journée traversa lapropriétéensedirigeantvers laprairiequibordait lefleuve.Danslesilence,sansladistractiond'uneconversation,elleentendaitleventsoupirerdans
lesarbres.Lanaturesemblaitsomnolerdanslachaleurdudébutdesoirée.Ellehumal'odeurde l'herbe fraîchement coupée. Elle examina la lisière de la clairière, puis les bords duchemin,etétudiaavecsoinlazoneérodée.Ellenesavaitpascequ'ellecherchait.Quelquechose.PourquoiBrandonavait-ilappeléOliviapourluidirequ'iln'avaitpasbesoind'elle?Avait-
ilfaitlamêmechoseaveclesautrespersonnesquin'étaientpasvenues?Etsic'étaitlecas,pourquoi lui avait-il dit d'une manière qui sous-entendait que les personnes en questionavaient annulé au dernier moment ? Cela n'avait pas de sens. La journée serait passéebeaucoupplus vite avec plus de gens.Àmoins qu'il n'essaie de sélectionner desheures debénévolatpoursespotes?Mais celan'avait pasde sensnonplus. Parmi les attributionsdes assemblées figurait le
suivi des heures de service des sorciers et des sorcières. Cela s'apparentait beaucoup auversementdecotisationssyndicales.Vuquelafonctiondel'Oracleétaittotalementorientéesurleserviceauxautres,Graceétaitdésormaisexemptedeladîme,maisladîmeduserviceàlacommunautén'étaitdetoutefaçonpasonéreuse,cinqheuresparmoisseulement,et ilyavaitmillemanièresdes'enacquitter.Maintenant que tout le monde était parti, sa Force avait retrouvé son calme et les
fantômesétaient tranquilles.Danscettepartiede lapropriété,prèsdu fleuve, les fantômesqu'elle percevait étaient amérindiens. De temps à autre, quelqu'un trouvait des pointes deflèches.Ellesupposaitqu'unetribuavaitdûvivreauborddufleuve.Prenant la clé dans la boîte de conserve posée sur le linteau, elle déverrouilla la vieille
porte en bois, rangea la clé dans sa poche et entra dans un espace suffisamment spacieuxpour accommoder deux solides placards de rangement. Elle tâtonna le long de la paroi,poussauncommutateur,etuneampoulenues'allumaau-dessusdesatête.Lesplacards contenaientdes couvertures,des vestes,despaquetsdepiles etdes lampes
torches,ainsiquedesboîtesd'allumettesrangéesdansdessachetsenplastiquezippéspourlesisolerdel'humidité.Ilyavaitautrechoseenveloppédansuntissudeprotection.Gracesortitl'objetdutiroiret
s'appuyacontrel'undesplacards.Unmasquegrecenorapparutquandelledéfit lesplisdutissu. L'objet avait des traits stylisés et des trous pour les yeux et la bouche. La face étaitandrogyne, belle et sans expression. Le style de cemasque était beaucoup, beaucoup plusancienquelecélèbremasqueenfeuillesd'ord'AgamemnonquiavaitétéretrouvéàMycène.Grace le regarda avec ironie.Magnifique, avait dit Carling quand elle l'avait vu. Mais
Carlingne l'avaitpasvudetrèsprèsetseulementà la lueurd'unetorcheélectrique.Siellel'avaitvuàlalumièredujour,elleauraitpeut-êtrechoisiunautrequalificatif.Curieuxquepersonnen'aitjamaisessayédevolerlemasquedel'Oracle.S'ill'avaitété,le
voleurauraitrapidementdécouvertque lemasquen'étaitpasenoretn'étaitpas trèsvieuxnonplus.C'étaitenfaituntrèsjolifaux.LafamilleAndreasavaitvendul'originalenIrlande,àlareinedesFaeslumineuses,quiétaitdepuislongtempsfascinéeparlesaugures.Safamilleavaitutilisélasommed'argentobtenuepourfinancersoninstallationauxÉtats-
Unis,acheterceterrainetybâtirlamaison.LaseulechosequeGraceregrettait,c'étaitdeneplusavoirlemasqued'originepourpouvoirlevendre,parcequemêmesil'économieétaitencrise, elle était certaine que lemasque se vendrait suffisamment cher pour résoudre tousleursproblèmesd'argentpendantdesannées.
Tandisquelaventedufauxmasquenepermettraitprobablementpasderéparerletoit.Encore qu'elle ferait bien de vérifier. Peut-être que quelqu'un serait intéressé et
susceptibledel'acquérirpourleplaisirdeposséderunobjetinsolite.C'étaitunereproductionassezfidèledel'original.Elleenveloppadenouveaulemasque,lemitsoussonbras,pritunedeslampestorcheset
s'engageadans le tunnel en faisant attention où ellemettait les pieds vu l'inégalité du sol.Elle se dirigea vers la caverneplus bas qui était plongéedans l'obscurité la plus totale.Enavançant,ellebraqualalampesurlesparoisetleplafondetelles'avouaenfinlavérité:elleavait été dérangée par l'intrusion de Brandon, qui avait pris la liberté d'inspecter l'état dutunnel etde la caverne sans l'attendre.Ellen'aimaitpasqu'il fouine,mais sa réactionétaitirrationnelle. La cavernen'était pas interdite aux gens, simplement aux enfants, et cepourleursécurité.Ellen'arrivaittoujourspasàs'expliquercequ'ellecherchait.Maisellecherchaitquelquechose.Est-ce que Thérèse était opposée aux Anciens comme Brandon ? Était-ce pourquoi elle
avait si mal réagi en voyant Khalil ? Grace avait pensé que c'était parce qu'elle avait étésurprise en train de fureter. La sorcière fouillait-elle dans ses affaires parce qu'elle avaitentenduqu'undjinnvenaitdanslamaison?EtJanicealors?Est-cequetoutecettehistoireavaitcommencéparceque«attirerl'attentiond'undjinnestrarementunebonneidée»?Tourner et retourner ainsi les choses dans sa tête lui donnait la migraine. Pire, cela la
mettaitencolère.Silesjournéesdetravaildevaientavoircerésultatsurellechaquefois,elleferaitmieuxdeleurdireàtousd'alleraudiable.Maisellenepouvaitpassepasserd'eux,pasencore,nidelalistedebaby-sitters,saufsilasituationchangeait.OnenrevenaittoujoursàlaForcedel'Oracle.Commentellecomptaitl'utiliser.Cequ'elle
allaitenfaire.Etonenrevenaitdoncàelle.Elle arriva dans la spacieuse caverne fraîche. Après l'avoir arpentée et inspectée, elle
éteignit sa lampe torche et laissa sa vue s'ajuster à l'obscurité. Elle avait laissé la porteouverte.Unrayondiffusdelumièreenprovenancedutunnelperçaitlesténèbres.Beaucoupdegensn'aimaientpastroplescavernes,maiscen'étaitpaslecasdeGrace.Elle
s'y sentait bien. La caverne était un très bel endroit.Non seulement elle était propice à laForce qui vivait en elle, mais elle était aussi totalement silencieuse et tranquille. Dansl'obscurité,onsesentaitcommedansunventre,remplidelanaissancepotentielled'infiniespossibilités.Lalunedel'Oracleapprochait,elleseraitlàcesoirpeut-êtreoulelendemain.Ellesentait
sonapproche,surtoutdanslesténèbres.Celadonnaitlesentimentd'uneconvergencedetouslestemps,lepasséettouslesfuturspossiblesserejoignant.Onluiavaitapprisqu'ellenepouvaitaccéderàlaForcequedanslesentraillesdelaterre,
etpourtantelles'étaitmanifestéeenpleinjouretplusd'unefois.On lui avait égalementditque l'Oraclenepouvaitpas consulter laForcepourelle,mais
uniquementpourlesautres.Pourtant,elleavaitinvoquélefantômedelafemme-serpentetavaitparléaveclui.Queluiavait-onenseignéd'autrequiétaiterronéoutoutdumoinsincomplet?Je crois que chaque Oracle sert la Force d'une manière différente, avait déclaré
Isalynn.Vousapporterezvosproprespointsforts,vospropresaptitudesàl'expérience.Et ces points forts consistaient en quoi exactement ? Elle aurait voulu pouvoir le
demanderàsonmoifutur.Elle dévoila le masque et le tint devant elle, prétendant être quelqu'un venu consulter
l'Oracle.Qu'éprouvaientlesgensquandilsfaisaientfaceaumasque?Cettefois-ci,elleeutàpeinebesoindetoucherlaForceavantqu'ellesedéploie,plusimpatientequejamais.La Force lui faisait du bien dans les ténèbres. Elle s'en gorgea jusqu'à plus soif, puis la
sentit se déverser dans la caverne en un océan ensorceleur infini. Elle perçut desmilliersd'étincellesdans l'eauqui évoquaientdedistantsmiroitementsde lune ; toutes étaientdesfantômes.Ellecherchaceuxqu'elleauraitpureconnaître :Petra,sagrand-mère, la femme-serpent,maisellen'envitaucun.Normalement, des visions survenaient quand l'Oracle se servait de la personne venue
consultercommed'unpointdefocalisationtandisqu'elle invoquait laForce.CuelebreavaitétéunvéritablebrasierdeForceetsonénergiefaroucheavaitpeut-êtreétécequiavaitfaitsortirl'Oracle.Lafemme-serpentavaitétéunfantômesingulier,ancréeàlaForcedel'Oracleet àGrace. Pour queGrace ait une vision spécifique aumoment présent, elle avait besoind'un point de focalisation extérieur. Déçue, elle relâcha sa prise sur l'océan de nuit. ElleenveloppalemasquedansletissutandisquelaForcecommençaitàrefluer.C'estalorsquequelquechosed'autre,quelquechosedePuissantdescenditletunneletla
rejoignit.C'étaitundjinn,maisdifférentdetouslesdjinnsqu'elleavaitpurencontrerjusqu'àmaintenant. Cette présence était hérissée de rebords tranchants. Elle irradiait unediscordance qui tiraillait sa conscience. Grace resta parfaitement immobile, les pensées sebousculantdanssatête.Puiselleallumalalampetorche.Lasilhouetted'unefemmedehautetaille,toutennoir,sedressaitdevantelle.Unegrâce
fatale l'habitait.Sestraitsd'ivoireétaientmajestueuxet farouches, laversionféminined'unbeau visage qui était déjà devenu si cher àGrace.Des cheveux cramoisis de la couleur dusangflottaientautourdesesépaulesetsesyeuxétaientdeuxétoilesnoirescristallines.—Bonjour,Phaedra,fit-elledanslesilenceabsoludelacaverne.Cettefois-ci,rienn'allaitinterromprecequeKhalilcomptaitfairecesamedi.Unecuriositésansbornescaractérisait lesdjinns.Elleétaitsouvent leurpire faiblesseet
pouvaitparfoiscauserleurruine.Khalilnefaisaitpasexceptionàlarègle.Siuneporteétaitouverte,il jetaituncoupd'œil
danslapièce.Sielleétait fermée,c'étaitencoreplus jouissif.Etsi laporteétaitverrouillée,alorslà...c'étaitl'escalade.Quelquechoseclochaitetcelaneluiplaisaitpas.Lecontratsocialancienentrel'Oracleet
la personne qui consultait, le lien PayPal sur le siteWeb, la pauvreté générale qui régnaitdanslamaisondeGrace,lesréparationsàfaire.L'impossibilitépourelled'avoiraccèsàdessoinsmédicauxadéquatsquandelleenavaitleplusbesoin,lesfacturesimpayées,unelettredemotivationpourpostulerpourunemploialorsqu'elleavaitdéjàtropàfaire,avaittropderesponsabilités,étaittropseule.Ilutilisa l'unedes innombrables faveursqui lui étaientdues, cette fois-cid'undjinnqui
avait le don d'accéder à des informations par le biais d'Internet. Les informations quiintéressaient Khalil n'étaient pas particulièrement difficiles a trouver. Le solde du comptebancairedeGraceétaitcatastrophiqueetl'argentquerapportaitlesiteWebnégligeable.C'est alors que la colère l'envahit. Il chercha son ancienne alliée Carling et son amant
Rune.Ilsnesecachaientpasetn'étaientdoncpasparticulièrementdifficilesàtrouver.IlsétaientinstallésàKeyLargoenFloride,dansunevillaauborddelamer.Plusprécisément,CarlingSeveranétaitassignéeàrésidenceàKeyLargo.Parassociation,
RuneAinissesthai, le griffonwyr qui avait été le premier lieutenant deDragos,mais avaitquittéledomainewyr,seretrouvaitluiaussienassignationàrésidence,vuqueCarlingetlui
s'étaientunisetqu'ilnevoulaitpaslaquitter.Carling était une sorcière très très ancienne et très Puissante et un vampire en phase
terminaledelamaladie.LetribunaldesAnciensavaitjugéquelesfluctuationsdanssaForcelarendaient tropdangereuseetavaitdécidéqu'elleseraitexécutée.CarlingetRuneavaientavancédesargumentsimparablespourfairesuspendrelejugementenaffirmantavoirtrouvéunmoyend'initiersarémission.Personnenevoulaitprocéderàuneexécutiondemanièreprématurée.Les ramifications
politiqueset sociales seraienténormes.Carlingavait été la reinedesCréaturesde laNuit ;récemmentencore,elleétaitChancelièredutribunaldesAnciens.Deplus,Runesebattraitpour elle jusqu'à lamort. Aussi, le tribunal des Anciens avait décidé demettre Carling enquarantaineetdelaplacersousobservationpendanttroismoisafindevérifierlavéracitédeleurargument.CarlingetRunevenaientdefinirleurpremièresemaine.KhalilserenditdoncàKeyLargo.Lavillaavaituneplageprivée.Deuximmensesfenêtres
sur l'undes côtésdubâtimentprincipaldonnaient surunepiscine installée justeà côtédel'océan.LapropriétéavaitégalementdeuxcottagesoùrésidaientlesChanceliersdutribunaldesAncienschargésd'observeretdesurveillerCarling.Autrementdit, cetteprisonétaitunvraipalace.Enapprochant,KhalilconstataquelavillachatoyaitdeForce.Ill'étudiadepuislesairs.Le
Chancelierdesdémons,Soren,undjinndepremièregénérationquiappartenaitluiaussiàlaMaison deMarid, était l'un des deux gardiens de Carling. L'autre était la Chancelière desElfes, Sidhiel. Des sorts de protection avaient été placés tout autour du périmètre de lapropriété, ostensiblement, présumaKhalil, pour empêcherCarling de sortir,mais pas pourempêcherlesautresderentrer.Mais il était toujours avisé de faire preuve de prudence lorsqu'on ne savait pas à quels
sortsonsefrottait,aussi,malgrésacolère,Khalilralentit-il.IlnefutpassurprisqueSorenremarquesonapprocheenpremier.Le Chancelier fusa vers lui en décrivant un arc. Pour Khalil, la présence de Soren
flamboyait mais n'était pas informe pour autant. Elle reflétait certaines facettes de lapersonnalitédeSoren.Cedernieravaitcessédes'impliquerdanslesaffairesdelaMaisondeMaridlorsqu'ilétaitentréenfonctionautribunal.Khalilnel'avaitpasvudepuislongtemps.Soren,àl'instardeKhalil,étaittrèsviril.Lesdeuxdjinnsrestèrentàunedistanceraisonnablel'unde l'autre.Carlingavait remarquéune foisd'un tonquelquepeuacerbeque lesdjinnsmâles faisaient penser à ces petits poissons combattants thaïlandais qui se mettaient àgonflerlorsqu'ilss'approchaienttropprèslesunsdesautresetsesentaientmenacés.Khalildevaitreconnaîtrequelaremarquedelavampirenemanquaitpasdejustesse.—Chancelier.—MaisondeMarid,répliquaSoren.Qu'est-cequivousamèneici?LaréponsedeKhalilétaitteintéedecolère.—JeveuxparleràCarling,siellealedroitd'avoirdesvisiteurs.—Ellealedroitd'avoirdesvisiteurs,maisellen'apasledroitdequittercelieu.—Cen'estpascequim'intéresse.(KhalilpensaàlavisiondeGrace.)J'aimeraisaussivous
parler,sivousavezletemps.C'estassezimportant.— Bien sûr, dit Soren. (La courtoisie du Chancelier djinn était impeccable.) Je vous
attendraidansmarésidence.—Àtoutàl'heure.(Sorenétaitattachéauxformulesdepolitesse,aussiKhalilprononça-t-
illesaluttraditionnel:)Quelapaixsoitavecvousaujourd'hui.—Etavecvous,renchéritSoren.LeChancelierdisparutetKhalilpiquaverslaterre.
Maintenantquel'undesgardiensluiavaitautorisél'accèsàlapropriété,ilnesepréoccupaguèredefairepreuvedediscrétionoudepolitesse.Ilfonçadansl'immensesalledeséjourdelavillaavecunetelleforcequelesbaiesvitréessemirentàvibreretilcréasaformephysiqueenuntourbillon.Latransformationdéplaçalecanapéetleschaisesàtraverslapièce,etlestableaux accrochés aux murs faillirent se décrocher et se retrouvèrent de guingois. Laviolence de son entrée exprimait assez son profond mécontentement ; c'était le seulavertissementqueCarlingetRuneallaientrecevoir.Rune se précipita dans la pièce en courant, suivi de près par Carling. Ils stoppèrent en
voyantKhalil.Illesétudiafroidement.Cesdeuxêtresformaientuncouplesingulier,pensa-t-il.Carling était déjà d'un âge vénérable à l'époque de l'Empire romain, mais elle avait le
visage et la silhouette d'une humaine de trente ans. Pour l'époque actuelle, elle était unefemmedetaillemoyenned'uneextraordinairebeautéàlapeaucouleurdemieletàlabouchesensuelle.Elle avait euune longue chevelure encore récemment,mais elle avaitdésormaisunecoupetrèscourtequisoulignaitsonlongcouélégant.Sesyeuxfoncésétaientenamandeet ses pommettes saillantes.Vêtue d'un pantalon gris et d'une chemise sansmanches, elleétait,selonsonhabitude,piedsnus.LenouveaucompagnondeCarling,Rune,étaitpiedsnuségalement,ettorsenu.Ilportait
unjeancoupéauxgenoux.RuneétaitunWyrimmortel.Entantquetel,ilétaitinvestid'unfantastiquebrasierd'énergiequi faisaitonduler l'airautourde lui. IImesuraitprèsdedeuxmètres, avait des cheveux dorés par le soleil et le corps d'un épéiste. Sa peau était de lacouleurdubronzeetsesyeuxmordorésdelionsouriaientleplussouvent.Khalilremarquaqu'ilnesouriaitpaspourlemoment.Sonbeauvisageétaitmarquéparunefatiguerécente.Iln'avaitpasétélepremierlieutenantdeDragospourrien.IltoisaKhalil,levisagetendu,
maissontonétaitempreintdecalme.—Tuasatterriunpeuviolemment,Khalil,tupeuxnousexpliquerpourquoi?Khalilne luiprêtaaucuneattention.Discuter avec leWyrne l'intéressaitpas. Il regarda
Carlingetsiffla:—Notreassociationremonteàlanuitdestemps,jen'auraisjamaispensédevoirvousdire
unjourquevousn'aviezpasd'honneur.
12L'expression de Carling s'affûta. Rune n'avait pas bougé, mais sa Force palpita
d'agressivité.CelanetroublaabsolumentpasKhalil.SapropreForcesepréparaaucombat.CarlingtenditunemainetagrippalebrasmusclédeRune.— Doucement, murmura-t-elle. (Puis, d'une voix plus haute, calme, elle s'adressa à
Khalil :) Manifestement, je t'ai offensé sans le vouloir. Je te serais reconnaissante dem'apprendrelanaturedemafautepourquejepuisseréparermestorts,—Cen'est pas àmoi que vousdevez réparation, répliquaKhalil.Et je ne suis pas votre
gardien.Runes'étaitmisàgronderdemanièreàpeineaudible.— Arrête, s'il te plaît, lui chuchota Carling. (Elle tourna les yeux vers Khalil.) La seule
manière dont j'ai pumanquer d'honneur à tes yeux est de n'avoir pas respecté unmarchéconcluavectoi.Khalil, jeveuxquetumécoutes.Runeetmoiavonstraversédesmomentstrèsdifficiles.—Celanemeconcerneenrien,fit-ild'untoncinglant.— Je sais. Les djinns tiennent un relevé très précis des faveurs dues et des faveurs
acquittées.Maistoietmoiavonsentretenuuneassociationmarquéeparl'honneurpendantde nombreux siècles. Nous avons conclu unmarché il y a longtemps et, c'est vrai, tu t'esacquitté des trois faveurs que tu me devais, mais je t'ai aidé au départ dans unemissiontellementdangereusequej'auraispunepasysurvivre.Jetedemandedetelerappeleretdelaissercesouvenircontrebalancertacolère.Sache,jet'enprie,quecesdernièressemaines,jen'aipastoujourspenséclairement.Si jedoisquelquechoseàquelqu'un,c'est le fruitd'uneerreur,etnonduchoixdélibérédevivresanshonneur.Jeveuxm'acquitterdemadette.Il fit un effort pour écouter ce que Carling avait à lui dire. Elle avait raison, il était
absolument fou d'indignation. Pour les djinns, seuls des parias pourraient agir d'une tellefaçon, mais Carling n'était pas un djinn. Et les djinns pouvaient être abîmés, mais ils nepouvaientpasêtremalades.Ilnepouvaitdoncpasévaluerniparfaitementcomprendrel'effetquelamaladieavaitpuavoirsurlaclartédesespensées.Le site de l'Oracle expliquait parfaitement tout. Khalil ne savait pas qui en avait créé le
contenu,maislapageconsacréeauxdonsavaitétérédigéeavecélégance.Unparagraphebrefdécrivait l'histoireducontrat social ancienet les raisonspour lesquelles l'Oraclen'abordaitpasdetelssujetsquandquelqu'unvenaitlaconsulter.Cettetraditionétaittrèssimilaireàcelledecertainesnationsamérindiennes.Lesanciens
communiquaient leur savoir et soignaient leur peuple, transmettaient oralement deshistoiresmillénaires et consacraient souventun lieuoù les cérémoniesprenaientplace.Laresponsabilitéd'assurerleursubsistanceetdeleshonorerincombaitaupeuple.Commepourn'importequelle égliseou service social, offrirunespaceetdu tempspourdes rites sacréscoûtaitdel'argent.Lesloyers,l'eau,legaz,l'électricitédevaientbienêtrepayés.Lespelousesdevaientêtretondues,leboiscoupé,lespropriétésentretenuesetlanourritureachetée.Comme l'expliquait la personne qui avait rédigé le contenu du site, les personnes qui
venaient consulter l'Oracle étaient souvent éplorées ou en tout cas préoccupées par desproblèmes et des obstacles à surmonter dans leur propre vie. L'expérience pouvait être
écrasante,bouleversante.Lapersonnepouvaitavoirlesentimentd'avoireuunerévélation,etilétaitdoncimportantdevenirdéjàprêtàhonorerlecontrat.Si élégamment que soit rédigée la pageWeb, pensa Khalil, lemessage sous-jacent était
clair :n'oubliezpasde fairevotreoffrandeparceque l'Oraclen'aborderapas le sujetd'elle-même.SonrespectpourGraceaugmenta.Ilfallaituneforcedecaractèretoutàfaitremarquable
pourrespectersonengagementdansunmarchésanssavoirsil'autreallaitlefaire.Laplupartdesdjinnsnesepréoccupaientpasdesavoirsilemarchéallaitêtrerespectéplustardounon,ilssevengeaientsiquelqu'unmanquaitàsaparole.Et il n'arrivait pas à calmer sa colère quand il balayait des yeux la villa spacieuse,
extrêmement luxueuse,n'importequienserait convenu,etqu'il la comparaità la situationprécairedeGraceetdesenfants.S'ilyavaitbienquelqu'unquiauraitdûenavoirconscience,c'était Carling. Elle s'y connaissait parfaitement en marchés, paiements, et soldes, nonseulementdanslaculturedesdjinns,maisaussidanslesquestionsdemagie.Ilchoisitdoncd'expliquer,maispasderemisersontoncassant:—Qu'est-cequevouspensezdevoiràl'Oraclepourvotreconsultation?Runetressaillitetsonagressivitéreflua.Uneprisedeconsciencechoquéepassadansles
yeuxallongésdeCarling.—Oh,mince,fit-elle.Rune et elle se regardèrent. Quelque chose passa entre eux, l'ombre troublée d'un
événementrécent.—Nousdevonstoutàl'Oracle,ditRuneàvoixbasse.—Elleestdanslebesoin,leurditKhalil.Vousluipaierezcequevousluidevez.—Bienentendu,ditCarling.Etprésente-luinosexcuseslesplussincères.Mercidenous
l'avoirdit,Khalil.(Elleleregardad'unairintrigué.)Tuestoujoursencontactavecelle?Je...jenem'attendaispasàcequecelasepassebienentrevous.—Elleestmonamie.(Khalilcroisalesbras.)Noussortonsensemblecesoir.Le silence se fit assourdissant dans la villa. Carling etRune semblaient paralysés par la
surprise.Khalilavaitoubliédementionnerundétail.Ilajoutapensivement:—Jedoism'habillerdemanièredécontractée.LapeaubronzéeparlesoleildeRunefonçasubitementetilfutprisd'uneterriblequinte
detoux.—Excusez-moi,murmura-t-il.J'aibesoind'unverred'eau.KhaliletCarlinglesuivirentdesyeuxtandisqu'ilsortaitrapidementdelapièce.Levisage
de Carling était impassible tandis qu'elle observait son amant quitter le séjour, mais sonregardétaittraverséd'uneexpressioncurieuse;c'étaitl'impressiondeKhalilentoutcas.Onauraitditqu'ellesesentaittrahie.ElleseretournaversKhaliletlevalessourcils:—Etdonc,quevas-tuporter?Iln'enavaitpaslamoindreidée.Iln'yavaitpasencoreréfléchi.— Je me suis dit que j'allais regarder sur Google et trouver des images de vêtements
décontractésquel'onporteàLouisville.Carling avait commencé à sedétendre,mais elle se raidit denouveau, ferma les yeux et
secoualatête.—Non,Khalil.—Non ? (Il fronça les sourcils.) Je pourrais alors peut-être porter un vêtement comme
celuiqueporteRune.—Non,répétaCarling.
Unedemi-heureplustard,Khalilsedirigeaitd'unpasrapideverslecottagedeSoren.SonentretienavecCarlingetRunes'étaitbeaucoupmieuxpasséqu'ilnel'avaitanticipé.Ilétaitarrivéensepréparantàunconflit.Quandillesquitta,ilavaitunchèqueaunomde
Graceainsiqu'unepetitelettred'excusesdeCarling,écriteàlamain.Il avait également reçu des conseils impromptus en matière de rendez-vous avec une
femme,etc'étaitRunequilesluiavaitdonnés,cequiétaitfranchementstupéfiant.RuneetKhalil avaient failli devenir ennemis par le passé.Et en ce qui concernaitKhalil, ce risquen'étaitpasfranchementécarté,aussiécouta-t-ilimpassiblementCarlingrappelerRune.—JevaisécrireunmotàGraceetluifaireunchèque,expliqua-t-elleàRune.Ilfautquetu
dises à Khalil comment s'habiller pour un rendez-vous décontracté. Sois précis. (RunedécochaunsourirenonchalantàKhalil.Carlinglefrappasurlapoitrinedudosdelamainenluidisantd'untonsévère:)Etnefaispasl'idiot.(ElledésignaRuneàKhalil.)Écoutebiencequ'ilvatedire.Ilestunspécialisteenlamatière,etcelaluiatoujoursbienréussi.Puisellesortitrapidementdelapièce.KhaliletRuneseregardèrentd'unairlas.Khalilse
souvintdenouveaudelamanièredontlavampireavaitdécritlesdjinnsmâles.Ilseditquelamétaphore s'appliquait également à Rune et lui. Ils étaient deux poissons combattantsgonflantleursnageoiresavecagressivitétoutendiscutantdesortiesavecdesfemmes.C'étaittoutàfaitinsolite.Quandlesilencesefutétirétroplongtemps,Khalilpritlesdevants:—Parle.—Jean,tee-shirt.Desbottesoudesbaskets,dictaRune.Tupaiespourtoutettuouvresles
portespourelle.C'esttrèssimpleunrendez-vousdecetype.Tuécoutescequelledit,tuluiglissesqu'elleestbelle,etelleseracontente.Celan'avaitpasl'airsisimplequecela,sicen'étaitpourunechose.KhalilregardaleWyr
d'unairinterrogateur.—Graceestbelle,fit-il.Cela entraîna l'autre mâle à marquer une pause. Pour la première fois depuis leur
rencontrequelquepeutendue,Runeluiadressaunsourireencoin,maissincère.—Mec,dis-lui çaavecautantde convictionet tu la rendrasheureuse, etpeu importe ce
quevousferez.Vouspouvezalleraucinéma,vousbaladerdansunparc,voustenirlamain,allerdînerau
restaurantoudansunbarpourboireuncoup,vousasseoirsuruneplageetregarderlesoleilselever,oumêmefairelepoirier-cesontjustedesvariationssurlemêmethème.Personnen'avaitjamaisappeléKhalil«mec»auparavantetilétaitàpeuprèscertainque
celaneluiplaisaitpas.Carlingrevintalorsdanslapièce.ElletendituneenveloppeàKhalil.—Nousn'avonspasaccèsàtousnoscomptesencemoment,fit-elle.C'estdonctoutceque
je peux faire pour l'instant. Avertis-moi si elle a besoin de plus, et je lui donneraiultérieurement.L'Oraclenesauraitêtredanslebesoin.—D'accord,ditKhalil.Puis,RuneetCarlingseregardèrentetpartagèrentuneconversationapparemmentprivée
etplutôtobscure:—J'ai ludes informationssur laplongée,déclaraRune.Jecroisque tous les réseauxde
cavernesdelaFloridesontsous-marins.—Ilslesontpourl'instant,répliquaCarling.Çaneveutpasdirequenousnepouvonspas
trouverunecavernequiconvienne,lacloisonneretpompertoutel'eauquis'ytrouve.—Peupratique,fitremarquerRune.Etchronophage.Maispossible.—JemedemandesilaFlorideluiplairait?
Unsentimentdejalousiel'envahit.—Pourquoiparlez-vousd'essayerdefairedéménagerl'OracleenFloride?demandaKhalil.CarlingetRuneleregardèrentd'unmêmeairtranquille.— Nous avons décidé que nous allions peut-être nous amuser à réunir des ressources
inutiliséesenguisedenouveaupasse-temps.C'estassezrigolo,expliquaRune.— Les dons de l'Oracle sont sous-exploités, continua Carling. Il s'agit d'une ressource
extrêmement Puissante qui est devenue quelque peu démodée le siècle dernier. C'estvraimentdommagequeGraceseretrouvesiisolée.—EtMaxal'airadorable,ajoutaRune.Jesuissûrequesasœurl'estaussi.—Qu'est-cequevousmijotez?demandaKhalild'untonsoupçonneux.—Mec,nousn'avonsriendeprécisentête,ditRuneenluifaisantunclind'œil.Cen'est
pas comme si nous avions synchronisé nos agendas électroniques en vue d'un planmachiavélique.Khalildécidaqu'iln'aimaitvraimentpasêtreappelé«mec».Ayantaccomplicequ'ilétait
venuaccomplir, ilestimaquelemomentdepartirétaitvenu.SerappelantcequeGraceluiavaitditàproposdes'enallersansdireunmot,ilditàCarling:—Aurevoir.—Donnedesnouvelles,lit-elle.—Vousaussi.Auboutducompte,Khalilétaitheureuxd'avoiroptépouruncompromisavecelle.Peut-
êtrequeCarlingétait,aprèstout,l'unedesrarescréaturesqu'ilpouvaitappeleramie.PuisilregardaRune.Non.Iln'étaitpasprêtàallerjusque-là.Legriffonhaussalessourcilsetdécochaaudjinnunautredesessouriresnarquois.—Quelmomentspécialnousavonspartagé.—Nem'appellejamaisplus«mec»,déclaraKhalilensedirigeantverslesportes-fenêtres
coulissantesquimenaientdehors.Il trouva Soren en train de lire. La forme physique du Chancelier djinn était celle d'un
hommedehaute taille,avecdes traits taillésà laserpe,descheveuxblancsetdesyeuxquiévoquaientdeuxétoilesperçantes.CommeKhalils'approchaitdelaporteouvertedelapetitemaison,Sorendit:—Entrez.Ilentralentement.Lesalonetlasalleàmangerformaientuneseulegrandepièceremplie
demeubles adaptés à une résidence au bord de lamer.Mis à part des livres, des piles dedossiers et un ordinateur portable haut de gamme posé sur la table, l'endroit semblaitinhabité ; il est vrai que Soren créait ses propres vêtements quand il prenait une formephysiqueetiln'avaitaucunbesoinassociéaucorps.—Asseyez-vous,jevousenprie.J'espèrequevotrevisites'estavéréeproductive.Touslesdjinnsdepremièregénérationavaientuneprésencetellementintensequ'ilfallait
un moment pour s'accoutumer à se trouver à proximité de l'un d'eux. Khalil le fit ens'installantdanslefauteuilquifaisaitfaceàceluideSoren.—J'aiaccomplitoutcequej'avaisl'intentiond'accomplir,répliqua-t-il.— Vraiment. J'ai cru comprendre que vous vous étiez lié d'amitié avec cette ravissante
Oraclehumaineetquevousattendiezavecimpatiencedesortiravecellecesoir.Khaliln'étaitpasétonnéd'apprendrequeSorenavaitécoutélaconversationqu'ilavaiteue
avecCarlingetRune.Lesgeôliersespionnaientsouventleursprisonniers.Ilrestacoi.Sorenposasonlivre.—Sivousétiezplusjeune,jecraindraisquevousnesoyezdevenutropfascinéparl'attrait
deceuxquiontuneenveloppecharnelle.Voirdesmembresdupeuplede l'airsuccomberàcettefascinationmechagrinetoujours.Lamortd'undjinnestquelquechosedetriste.
Sorenfaisaitallusionàladécisionirrévocablequepouvaitprendreundjinndecréeruneforme humaine totale et de basculer dans une enveloppe charnelle. C'était un événementrare. Khalil n'avait jamais eu d'association étroite avec un djinn qui avait pris une telledécision.Lesdjinnspouvaientuniquementchoisirdedevenirmortels. Ilsn'avaientpas lePouvoir
decréer l'unedesautresespècesdesAnciensdotésd'uneenveloppecharnelle.Cela coûtaittropdeForceàundjinndesetransformertotalement.Ilsnepouvaientpasàlafoissecréerune enveloppe charnelle et la rendre immortelle. Khalil s'était toujours demandé ce quipouvaitinciterundjinnàfaireunsacrificeaussiextrême.Iln'arrivaitpasàconcevoirqu'undjinnpuissefairecelaparsimplerejetdecequ'ilétait.Commel'avaitditSoren,ilfallaitqu'ilyaitunattrait,unintérêtsuffisammentfortpourpersuaderledjinnenquestiondefranchirlepas.Spontanément,lesouvenirdedeuxpetitscorpsdouxblottiscontresonépauleetendormis
entouteconfianceluivintàl'esprit.Cesouvenirfutsuivideprèsparunautre,leravissementsurlevisagedeMaxcommeilfaisaitsesdeuxpremierspasversKhalil.Ilpensaàl'étrangesatisfaction d'observer l'esprit curieux de Chloé en pleine formation, et à cette choseprécieuse et ineffable qu'il avait ressentie alors qu'il se tenait sur le porche et contemplaitunetranquillesoiréed'été.Enfin,sonespritsetournaverscequ'ilavaittentéd'évitertoutelajournée,lessouvenirs
lesplusobsédants.LadouceurdeslèvresdeGrace,lamanièredontellel'embrassait,moulantsaboucheetsoncorpsausienaumêmetitrequ'ellemoulaitsaprésenceàlasienne.Quandilypensait,lachaleurquiflamboyaitenluiendevenaitaveuglante.Ils'efforçaderéprimercetteémotion,delacacherauregardtropperspicacedeSoren.Les
djinns comprenaientque le savoir était synonymedepuissance,maisaussidedanger.S'ilsétaientautantattachésàleurjeudelavérité,avecsonéquilibreetsesrègles,c'étaitpouruneraison. La lumière de la révélation était une flamme qui brûlait comme nulle autre. Il nesavaitpastoutcequeGraceetluiallaientpeut-êtrepartagernijusqu'oùilspourraientfoulercette terre inconnue qui s'étendait entre eux. Ilne le savait pas.Et le besoin de savoir letaraudaitau-delàdetout.Ilprendraittoutcequ'elleavaitàluioffrir,etilcomprendraitenfinlemystèredelafusion
dedeuxcorpstoutenpartageantl'indescriptiblepassiondedeuxespritsquisemêlent.Lesilenceétaittombé.L'océanmurmuraitdehors.Desvoixétoufféesd'Elfesprovenaient
desautrescottages.Venantdelavilla,leriredeCarlingrésonnasoudain,—Voussouhaitiezdiscuterdequelquechose,ditenfinSoren.Khalilseressaisitetrassemblasespensées.IlparlaàSorendelavoixqu'ilavaitentendue
pendant que Grace avait eu sa vision. Il prit son temps, soucieux de transmettre chaquedétail,chaqueimpression,etSorennelepressapas.Puis,Khalilsetut.—«Pas forme,mais laForme,uniqueet indivisible»,répétaSoren.(Levénérabledjinn
était attentif, entièrement concentré sur le récit de Khalil.) « Et tout cela a débuté aufondementdetout.»Ils'agitdesPuissancesPrimales.Les Anciens honoraient sept dieux, les Puissances Primales qui étaient les piliers de
l'univers.Taliesin, ledieude laDanse,était lepremierparmi lesPuissancesPrimalesparcequetoutétaitmouvementdansl'univers.PuisilyavaitAzrael,ledieudelaMort,Inanna,ladéessedel'Amour,Nadir,ladéessedesprofondeursdel'Oracle,Will,ledieuduDon,Camael,ladéesseduFoyer,etHyperion,ledieudelaLoi.—Celasemblelogique,notaKhalil.Maisj'aieul'impressionquecettevoixaffirmaitquele
SeigneurdelaMortn'étaitpasunePuissancePrimalemaisunepartiede...decettechose.Etelle parlait aussi de Cuelebre comme s'il était une Puissance Primale. Votre mémoire
remonteaucommencementdumonde.Avez-vousentenduparlerd'unetellechose?Sorenouvritlesmains.—Non.Maisjenemesouvienspasducommencementdumonde.Pourm'ensouvenir,il
auraitfalluquej'existeavantquelemondeexiste.Jenesaispassil'undenous,ceuxquisontdepremièregénérationj'entends,sesouvientdecela.Nousnoussouvenonsseulementd'êtreapparusdansunnouvelunivers.Si laBêteestdefaitunePuissancePrimale,commel'aditvotrevoix,ilserappelleraitlecommencementdel'univers.Cuelebre-undieu?Khalilauraitvolontiersrid'unetelle ineptie,mais... l'idéeétait trop
dérangeante.—Vouscroyezquec'estpossible?L'expressiondeSorenétaitindéchiffrable.— Il serait plus juste de dire que je ne crois pas que cela soit impossible. C'est un
phénomèneétrange,maisplusonavanceenâgeetplusonaccumuledesavoir,plusonprendconsciencedumystèrequ'estl'univers,enfindecompte.— Quelle que soit la réalité, l'entité qui a proféré un tel discours le croit, fit Khalil
sombrement.EtellecroitaussiêtreunePuissancePrimale.—Ilestégalementtoutàfaitpossiblequela«personne»quiparlen'aitplussaraison,fit
remarquer Soren. Avec votre permission, je vais discrètement mentionner cet événementautourdemoiafindevoircequelesautresdjinnsenpensent.—Jevousenprie.GracepensequelavisionvenaitdeCuelebre,maisjel'aientenduemoi
aussi.— En attendant, il s'avère que votre participation active dans la vie de l'Oracle est
finalementl'attitudelaplussageàadopter.Jepensequ'ilestavisédevouslierd'amitiéavecelle et de l'habituer à votre présence. Pardonnez-moi, je n'aurais pas dû exprimer de souciquantàvotreimplicationavecelletantquejen'avaispasentendutoutcequevousdeviezmedire.Khalilgardalesilence.Iln'avaitaucuneenviedeconfieràSorenquoiquecesoitsurson
propre besoin si nouveau et sur sa lutte intérieure. Soren pourrait se sentir obligé d'allertrouver les anciens de leurMaison afin d'exprimer son inquiétude etKhalil ne voulait pasprendreuntelrisque.Undjinnpouvaitêtreemprisonné.LetheavaitemprisonnéPhaedra.Mêmeledjinnleplus
puissantpouvaitêtreretenuencaptivitésiunnombresuffisantdesescongénèress'associaità l'effort. Ce genre de décision ne se prenait pas à la légère, car c'était une choseparticulièrementterribleàfairesubirauxcréaturesdel'air.Il avait déjà entendu parler d'un précédent similaire, un groupe qui avait décidé
d'emprisonnerundjinnquirisquaitdebasculer. Ils l'avaientgardéenfermé jusqu'à lamortdel'objetdesafascination.Khalilnesavaitpascequ'étaitensuitedevenuledjinn.Il se rendit soudaincompteque la soiréeétaitdéjàavancée. Il étaitprèsdevingtetune
heuresetLouisvilleetKevLargopartageaientlemêmefuseauhoraire.Ilfronçalessourcils.IlavaitpenséqueGraceallaitl'appelerbeaucoupplustôt.Ilselevabrusquement.—Jedoism'enaller.Sorenluifitunsignedetêteetavançalamainverssonlivre.—Jesuisheureuxdevousavoirrevu.Quelapaixsoitavecvous,Khalil.—Etavecvous,père.KhalilabandonnasaformephysiqueetpartitcommeuneflècheendirectiondeLouisville.
En s'approchant de la maison, il remarqua que sa voiture était dans l'allée, mais aucune
lumièrenebrillait.Peut-êtrequ'elles'étaitendormie,tropfatiguée.Ilentrasansfairedebruitetvérifiachaquepièce.Toutétaitenordreetsilencieux.Même
les ventilateurs étaient éteints. Il regarda les petits lits vides dans la chambre des enfantsavecmalaise.Iln'aimaitpasl'atmosphèredelamaisonquandelleétaitvide.QuandilarrivadanslebureauetvitlefutondeGrace,sonmalaisedevintdel'agitation.Ilsortitentrombeetexploralapropriété.Ellen'étaitpasdanslaprairie.Niauborddufleuve.Ilnelatrouvaitnullepartet lanuit
tombaitvite.Sonsentimentd'urgencesetransformaenfrénésie.Dansquinze,vingtminutesmaximum,ilferaitnuit.LavuedeGraceétaitlimitéeetsongenoularalentissait.Elleétaittellementfragile.Unehumaine,simplement.C'est alors qu'il vit la porte ménagée sur le versant d'une butte rocailleuse. Elle était
ouverte.Celadevaitêtreletunnelquimenaitàlacaverneoùs'exprimaitl'Oracle.Il plongea. Ilnepritpas le tempsd'endosserune formephysique. Il descendit le tunnel
commeunetornade.
13LadjinnregardaGraceensouriant.Àlalueurcruedelalampetorche,l'expressionenétait
étrange, des ombres allongées remplissant les creux des joues, des tempes, soulignant lesyeuxnoirsétoiles.—Trèsbien,humaine,ditPhaedra.Commentavez-vousdeviné?— Vous avez choisi une forme physique qui a quelque chose de Khalil, fit doucement
Grace.Phaedras'approchaettournaautourdeGraceàlamanièred'unchat.—Maformephysiqueaquelquechosedemesdeuxparents.Jeneveuxrienoublierdece
qu'ilsontfaitpourmoioucontremoi.Gracerestaimmobileetessayadenepasmontrersonmalaiseetsatristesse.Ellepouvait
souhaiterdetoutsoncœurquecenesoitpaslecas,maislesespritsténébreuxetencolèreavaienteffectivementtendanceàêtreténébreuxetencolèreparcequ'ilsnelâchaientrien.—Khalilm'aracontécommentvotremèrevousavaitkidnappéeettorturéeetqu'ilavaitdû
partirenguerrecontreellepourvouslibérer.PhaedralaissaglissersesdoigtslelongdudosetsurlebrasdeGracetoutencontinuantà
tournerautourd'elle.—Est-cequ'ilvousaditqu'illuiafallucinqcentsanspourmelibérer?Khalil était toujours chaudquandGrace le touchait.Par contraste, lesdoigtsdePhaedra
étaientcurieusementfroids.Elleeneutlachairdepoule.—Non,ilnemel'apasdit.Jesuisdésolée.— J'ai passé cinq cents ans enfermée, reprit Phaedra. Cinq cents ans parce qu'il était
trop prudent pour combattre Lethe tout seul. Non, il a fallu qu'il prenne son temps,développe des alliances, crée une armée. Clairement, ce n'était pas une questionparticulièrementurgenteàsesyeux.Graceluttapourconciliercetteinformationaveclatristessepoignantequ'elleavaitperçue
chezKhalilchaquefoisqu'ilmentionnaitsafille.—Jenesaispasquoidire,fit-elledoucement.—J'appréhendais les visitesdeLethe, repritPhaedra.Puis, je les attendaispresque avec
impatienceparcequ'ellesavaientbeauêtre synonymesdesouffrances, toutétaitpréférableau trounoir, vide et sans air dans lequel elleme tenait enfermée.Puis j'ai compris que cen'étaitqu'unephasecelaaussi,àmesurequejedevenaismoi-mêmelesténèbres.Gracenepouvaitpasconcevoircequ'uneprivationsi longue,siprofondeetentrecoupée
de séances de torture était susceptible de faire à un esprit, qu'il soit humain ou non.Quefaudrait-il pour se remettre d'une telle épreuve ? Les djinns n'avaient pas besoin denourriture physique, mais ils se nourrissaient de Force et de sources d'énergie comme lesoleil.Phaedraavait-elleétéaffaméependanttoutcetemps?Restait-ilquelquechosed'ellequipuisseêtresauvé?—Khaliladitqu'ilpensaitqueLetheétaitfolle.— Vraiment ? (Phaedra colla presque son visage contre le sien, les yeux flamboyant de
rage.)Alorspourquoia-t-ilmiscinqcentsans?—Jenesaispas,murmuraGrace.ExactementcommeavecKhalil,ellesesentaitenveloppéeparPhaedra,maiscettefois-ci,
ce n'était pas agréable et chaud comme l'était sa présence masculine. Elle se sentaitenvironnéederasoirsetavaitl'impressionqu'ellepouvaitàtoutmomentêtrecoupéeparl'und'eux.EllesavaitquePhaedraessayaitdel'effrayer.C'étaitévident,cousudefilblanc,unpeucommelestourmentsquiprennentplacedanslescoursderécréation.Et cela marchait. Elle croyait s'être déjà sentie seule, mais ce n'était rien comparé à
maintenant.Ellecherchaàtâtonslefilqui lareliaitàKhalil.Laconnexionétaitsiténue,siimmatérielle,qu'elleluisemblaitàpeineplusqu'unmirage.Gracerestaconcentréesurelle,maisnelatirapas.Phaedrainclinalatête,leregardfixe.Lapuretédesonvisageblancétaitimpitoyable.—Pourquoinepasluidemanderàl'occasion,puisque,apparemment,ilvousparle?—Commentavez-voussuvenirici?demandaGrace.—Vousvoulezdirecommentai-jesuqu'ilvenaitvousvoirvousetvotremignonnepetite
famille?Sesnouveauxjouetshumains?J'enaientenduparler.(Elleouvritgrandlesyeuxetfitminedeluichuchoteruneconfidence:)Jen'aipasd'amis,maisj'aidessources.—Qu'est-cequevousvoulez?—Pourquoidois-jevouloirquelquechosepourêtreici?—Parcequevousneseriezpasicisivousnevouliezrien,répliquaGrace.Elle avait l'estomacnoué comme si son instinct s'attendait à recevoir un coup terrible à
toutmoment.Ellen'avaitpersonneàquidemanderconseilnipersonnepourl'aider.Toutcequ'elleavait,c'étaitl'enseignementdesagrand-mère.Phaedrarelevalatêteetbalayalacaverneduregard.—J'aimebiencetendroit.Ilmerappelledeschoses.Vousnel'aimezpas?—Si.LaréponseramenaleregardnoirétincelantdePhaedrasurelle,uncoupd'œilfugacequi
indiquaàGracequ'elleavaitsurprisladjinn.Phaedraluidécochaunsouriresarcastique.—Vousn'allezpasproposerdem'aider?fit-elled'untonmoqueur.Commetoutlemonde
quiessaiedemetrouveretdemeparler?—Nan.Jen'aipasessayédevoustrouver.Etjenepeuxpasvousaider.ElleavaitdenouveausurprisPhaedra.L'expressiondeladjinndevintméchante.—Jecroyaisquec'étaitvotreboulotd'aiderlesgens.—C'estmonboulot,oui,fitGraceaussidoucement,maisaussifermementquepossible,de
donner aux gens qui le demandent la possibilité de consulter l'Oracle. Mais il faut déjàvouloirs'aidersoi-même.Ilfautvenirjusqu'ici,ilfautdemanderuneconsultation,etc'estàvous de faire quelque chose de positif avec ce que l'Oracle vous donne. Je ne suis pasmédecin. Jene faispasdevisites àdomicile. Jenevaispas essayerd'être votreamieet cen'estpasunethérapie.Jenevaispasprésumersavoircedontvousavezbesoinoun'avezpasbesoin.Celavousregarde.Jesuisdésoléedecequivousestarrivé.Jenepeuxpasconcevoirl'horreur que vous avez traversée. Je ne peux pas concevoir non plus tous les dons et lestalentsquevousavez,l'immortalitéentreautres,cequin'estpaslemoindre,etmonDieu,letempsque vous avez à votre dispositionpour vous remettre desmerdes qui vous tombentdessus. C'est vous qui êtes maîtresse de votre vie. Ce que vous en faites est votreresponsabilité.Phaedraluitournaledosaumilieudumonologueetsetintraidecommeunepique.Grace
finitdeparlerfaceàcettecascadedecheveuxrougesang.Soncœurbattaitlachamade,maisle froid de la caverne commençait à s'insinuer en elle. C'était un effort de rester debout silongtemps.Sesmusclestremblaientdefatigueetsongenouluifaisaithorriblementmal.PuisPhaedraéclatad'unrirepleindecolère.Oui, bon,pensaGrace, lançonsunpetit rappel de la loi du sanctuaire. Juste histoirede
dire.—Etaucasoùcelavous intéresserait, fit-elledoucement.Sivous faitesquoiquecesoit
pourmefairedumal,vousviolerezlaloiintra-domaines.Jenesaispasquiseralancéàvotrepoursuite.JedoutequecesoitKhalil.Donc,vouliez-vousuneconsultationavec l'Oracleouest-cequevousêtesvenuemedirebonjour?Phaedraseretournapourlatoiserenlevantsessourcilsrougesang.Sonexpressionétait
tellement glaciale que Grace frissonna. Elle chancela, son genou abîmé menaçant de sedérobersouselle.Elleseraitpeut-êtretombéesiellen'avaitpasportél'attelle.Outrelapetiteloipassablementinutilequ'ellebrandissaitdevantelle,Gracesepréparaità
jeterunsortprobablementtoutaussiinutile-lesortd'expulsiondontelleseservaitpoursedébarrasser d'unmauvais esprit. Cela n'aurait sans doute pas plus d'effet que de jeter unverred'eausurunfeudeforêt,maisellenepouvaitpasresterplantéelàsansrienfaire.PhaedraobservaitlesjambesdeGraceaveccuriosité.Ellelevaenfinlesyeuxetditavecun
souriremauvais:—Jenesauraisvousêtreredevablepouruneconsultation.Grace cilla. Quelle remarque typique d'un djinn. Phaedra avait-elle encore une once
d'honneur,unsensde l'équité?Peut-êtrequeGracenedevraitpas tropyprêterattention.Peut-êtrequecelanevoulaitriendire.Et elle en avait tellementmarre de se préoccuper des limites qu'elle n'était pas censée
franchirentantqu'Oracle.LaForceétaitencoreauxaguetsdepuisqu'ellel'avaitinvoquéeetelles'yaccrochacommejamaisendisant:—Sic'estlaseulechosequivousarrête,vousn'avezpasbesoindemedevoirquoiquece
soit.Vraiment,vouspouvezenvoyerdel'argent,pasdeproblème.Unbattementdecœur.Puisunautre.Tiens,tiens.L'océandenuitquilaremplissaitnefrémitmêmepasàlamentiondel'argent.
Ilnefitpasminedebattreenretraiteoudel'abandonner.Peut-êtrequel'histoiredel'Oraclen'ayantpasledroitdedemanderdel'argentn'étaitriend'autrequ'unehistoirejustement.Oupeut-êtrequetoutavaitchangémaintenantquelefantômedelafemme-serpentn'était
pluslàpourdicterleschoses.Phaedraéclataderire.—Uneprophétieémanantd'uneOracleestropiée.Çapourraitmeplaire.Jevaisyréfléchir
Peut-êtrequejereviendrai.Grace retint son souffle en la voyant s'approcher. La djinn laissa de nouveau glisser un
doigt sur le bras de Grace. Une seconde plus tard, elle ressentit une douleur violente,brûlante.Ellebaissalesyeux,abasourdie,etconstataqu'ellesaignait.Phaedral'avaitcoupée.—Oh,nevousinquiétezpas,luimurmuraladjinnensouriantaveccruauté.C'estjusteun
petitpaiementpourvotrepetitdiscours.Jenevousaipasvraimentfaitmal.Pastrop.—Espècedegarcecomplètementtimbrée!s'exclamaGrace.Bon sang, elle avait étéunmodèledepatience toute la journée, et tout à coup,pouf, sa
patiences'étaitfaitlamalle.Elleseconcentraetjetalesortd'expulsion.ElleavaitvouluinvoquerlaForcequil'habitait
depuis sa naissance, mais sa colère lui barra le passage. Les deux Forces jaillirent d'ellesimultanémentetellesentitlesortfrapperPhaedradepleinfouet.SapuissancesoulevalaformephysiquedePhaedraetlapropulsaàtraverslacaverne.Elle
percutalemurets'écroulaparterre.—Oh,merde,fitGrace.Oh,merde.(Elles'avançaverslaformeétendueenboitant,aussi
vitequ'elleput.Ladjinnétaitsurleventre,sescheveuxrougesluicouvrantlevisage.)Çava?Phaedrasemitàricaner.
—L'Oracleestropiéesaitsedéfendre.Jen'aipasvulecoupvenir.—Moinonplus,fitGrace.Vousm'avezmiseenpétardetj'aiexplosé.Phaedrarepoussasescheveux.UnliquidedelacouleurduChampagnecoulaitd'uncoinde
sabouche.SouslesyeuxdeGrace,leliquidefutréabsorbédanslapeaudeladjinn.Gracefituneffortpours'agenouillersursajambevalideendisant:—Vousnesaignezpas,n'est-cepas?PhaedraserelevasurlesmainsetlesgenouxetdévisageaGraced'unairmoqueur.—Nemefaitespascroirequecelavouspréoccupe.—Etvous,nefaitespascommesilerestedumondeétaitcommevous,ripostaGrace.Ça
mepréoccupe.C'estvousqueçanepréoccupepas.L'expression narquoise disparut des traits de Phaedra.Grace continua à se tenir sur ses
gardesetàmaintenirsaprisesursesdeuxForcestandisqu'elleetPhaedrasemesuraientduregard.Comme elle se concentrait surPhaedra, quelque chose frémit dans l'océandenuit.Elleretintsonsouffleetseconcentra.—Sivousvoulezunjourconsulterl'Oracle,quelqu'unaimeraitvousvoir.Larageetlacuriosités'affrontèrentsurlevisagedePhaedra.—Qui?—Unfantôme,réponditGrace.Elleobservaladjinnetvitlaragel'emporter.Phaedramontralesdentsetditavechargne:—Mamère?—Non,ditGrace.(Resterenéquilibresursongenouvalides'avéraitplusfatigantencore
quederesterdebout.Lesmusclesdesacuissesemirentàtrembler.)Quelqu'und'autre.LacolèredePhaedras'estompalentementjusqu'àcequ'ilneresteplusquequelquechose
desauvageetdeperplexe.—Jeneconnaispasd'autrefantômesusceptibledevouloirparleravecmoi.—Commevousvoulez.Sachezsimplementquel'offreestlàsivoussouhaitezconsulterun
jour.LadjinnserelevaaveclamêmegrâceinvraisemblablequeKhaliltandisqueGrace,quantà
elle,peinaitàseredresser.Ellen'arrivaitpasàprendreappuisursajambeblessée.Phaedralaregardaitsedémeneravecuneexpressionindéchiffrable.—Allons,latimbrée,fitGraced'untonirrité.Donnez-moidoncuncoupdemain.Ceàquoielles'attendaitlemoins,c'étaitbiendel'aide.Elles'attendaitmêmeplutôtàce
queletonsurlequelellevenaitdes'adresseràPhaedraladécideenfinàmettrelesvoiles,etfranchement,bondébarrasdanscecas.MaisPhaedraluitenditlentementlamain.Graceregardalesdoigtstendusverselleet,toutaussilentement,posasamaindanscelle
de Phaedra. Elle soupçonnait une attaque sournoise.Mais la djinn l'aida bien à se relever.Ellemarmonna:—Merci.LafilledeKhalilsedématérialisaitdéjà.Graceseretrouvaseuledanslacaverne.Elleselevaens'appuyantsursajambevalidetout
en tendant l'oreille pour essayer d'écouler au-delà de sa respiration haletante. Un silencelourdpressasestympans.Saconsciencenecaptaitpasladjinnsurlapropriété.Phaedraétaitvraimentpartie.La tension quitta ses muscles tremblants. Elle se rendit compte que la seule lueur
provenaitduhalodesalampetorche.Lalumièrepâleetdiffusedujournefiltraitplusjusquedans le tunnel. Elle poussa un long soupir, ramassa lemasque, lemit sous son bras et sepréparaàremonterlapentedutunnel.Avancersurunsolinégalétaitpluséprouvantquedegrimperunescalier,etsesmusclesétaientfroidsetraidis.Maisiln'yavaitpastrente-sixsolutionspoursortir.Ellecommençaàavancerenboitant,
unemainserrantlalampetorcheetl'autreluiservantd'appuicontrelaparoirocheuse.Ellesemit àmonter, pesant sur sa jambe valide pour faire un pas en avant, puis ramenant sajambeblesséeàelle.Inélégant,maisçamarchait.Du moins jusqu'au moment où un tourbillon sauvage de Force descendit le tunnel en
rugissant.La Force la percuta, et elle chancela. Elle sentit son équilibre précaire l'abandonner,
s'agrippa d'abord au masque, puis poussa un cri en laissant tomber la lampe. La lumièretressauta en dégringolant vers la caverne. Puis, il n'y eut plus du tout de lueur et elle seretrouvadanslenoirabsolu.Oh,merde,çaallaitêtreunemauvaisechute...Elle entrevit dans un flash toutes les nouvelles opérations douloureuses que son genou
devrait subir, d'autres visites coûteuses chez lesmédecins, etpeut-êtremêmedenouvellesinterventionschirurgicales.L'énergie farouche et brûlante de Khalil l'enveloppa alors que des bras puissants
l'entouraient et l'empêchaient doucement de tomber. Le reste du corps du djinn se formaensuite.—Doucement,jevoustiens,vousn'avezrienàcraindre.Le cœur de Grace battait à se rompre. Elle avait toujours les pieds sur le sol inégal du
tunnel,maiselleletouchaitàpeinecarKhalilsupportaittoutsonpoids.Elles'accrochaàluietbalbutia:—Nomd'unchien,regardezoùvousallezlaprochainefois!—Jesuisdésolé.(Pourlapremièrefoisdepuisleurrencontre,savoixétaitdiscordanteet
éraillée.Illastabilisa.)Ilesttard.Jenevoustrouvaisnullepart.Jemesuisinquiété.—OK.Legestedesetournerversluietdes'appuyercontresapoitrineluisemblaleplusnaturel
dumonde.Unepartiedelajournéeavaitétébonne,maislesmauvaismomentsavaientétéfranchement nuls, et si elle avait réfléchi, peut-être qu'elle n'aurait pas choisi de faire cequ'elleallaitfaire.Maiselleneréfléchissaitpasassez;ellenepesaitjamaissuffisammentlepouret le contre.Ellepassaunbrasautourde sa longue tailleminceet enfouit sonvisagecontrelui.Mmm.Ilsemblaitencoreplusgranddanslenoir.Ilnebougeapas.L'unedesesmainsétaitposéesursanuque.Quelquechosepressait le
sommetdesatête.Sajoue.—Jeperçoisdusang,fit-il.(Savoixétaitdevenuedangereuse.)Vousêtesblessée?Ellesecoualatête,affolée.—C'estjusteunepetitecoupureaubras.—Ques'est-ilpassé?Quedevait-elle luidire?Ellen'arrivaitpasàpenserclairement.Elleétaitencoresous le
coupdelavisitedelatimbrée,etn'avaitpaseuletempsderéfléchirà lamanièredontelledevaitgérercela.—Plustard.J'aifroidetjesuisfatiguée,etjeveuxvraimentsortirdecetrou.Il la souleva dans ses bras et remonta rapidement le tunnel. Son énergie était toujours
agitéeetnerveuse,maisimprégnéeaussidececourantenivrantquiétaitpuissammentviril,etn'appartenaitqu'àlui.UneparcelledeGraceneput s'empêcherde remarquer sadémarche fluideet aisée.Elle
arrivaitengénéralàcontrôlercetteparcelle,maisc'étaitplusdifficilequandelleétaitfatiguéeetdéstabilisée émotionnellement.Elle aurait voulupouvoir appuyer surunboutonet fairetairecettepetitepartied'elle,parcequec'étaitunepartiegeignardeetmesquine.C'étaitune
partied'ellequinecomprenaitpasqu'iln'étaitpashumainetqu'ilnesauraityavoiraucunecomparaisonpossibleentreeuxdeuxetleursaptitudes.Unepartiequineremarquaitqu'unechose:lamanièrepuissanteetégaledesadémarche,etquiluimurmuraitd'untonvenimeux:J'étaiscapabledemarcherainsiàuneépoque.Elleprituntonbelliqueux:—Jenevoulaispasquevousmeportiez.—IIn'yaaucuneraisonquevousfassiezuneffortalorsquejepeuxvoustransporteravec
aisance,répliqua-t-ild'untoncassant.—Quejedoivefairedeseffortsounon,cen'estpaslaquestion,répondit-ellesurlemême
ton.(Elles'étaitraidie.)Cequicompte,c'estquejepeuxetvaislefaire.—C'estl'orgueilquiparle,fit-il.Noussavonstouslesdeuxquevousenêtescapable.Iln'y
aucuneraisondevousdétruirelasantépourleprouver.Était-ce ce qu'elle faisait ? Elle lutta contre ses instincts contradictoires. Il avait dû
marcher plus vite qu'elle ne l'avait pensé, car il émergea soudain du tunnel et ils seretrouvèrentdanslanuitchaude.Après l'atmosphère de la caverne, la chaleur fut un soulagement. A l'ouest, le ciel était
encorelégèrementorangé,mêmesilesoleils'étaitcouché.Lorsquelanuittombait,toutétaitparticulièrement sombre autour de la propriété, car il n'y avait pas de lampadaires ni demaisons aux alentours.D'ici à une demi-heure environ, il ferait trop sombre pour avancersanslampetorche.Lesombressoulignaientlescontoursduvisaged'ivoiredeKhalil.—Arrêtez,ordonna-t-elle.(Commeilneluiprêtaitpasattention,ellerepritd'untonplus
sec:)Khalil,arrêtez!Illuijetaunregardétincelant,lamâchoireserrée,maisils'arrêta.—Dequoiavez-vousbesoin?— Je dois ranger ça, fit-elle en indiquant le masque enveloppé dans son tissu. Et
verrouillerlaporte.Aprèsuninstantd'hésitation,illaramenaversl'entréedelacaverneetlaposaparterre.Il
attendit, les bras croisés, pendant qu'elle rangeait le masque dans l'un des placards,verrouillaitlaporteetremettaitlaclédanslaboîteavantdelaposersurlelinteau.Quand elle se retourna, il tendit les bras pour la soulever. Elle plaqua unemain sur sa
poitrine et raidit le bras. Il lui saisit le poignet avec une vélocité qui était si peu humainequ'elleensursauta.Maiselleneretirapassamain.Illuitintlebrasavecdouceuretfermeté.EllesentitsaForcesondersapeau.—Oùsaignez-vous?demanda-t-il.Son visage était fermé. Levant les yeux vers lui, elle tendit son autre bras. Il passa
doucement les doigts le long de la coupure. Elle sentit un léger afflux de Force et le sangcessa de couler. La douleur lancinante disparut. Elle examina l'endroit où elle avait étécoupéeetécarquillalesyeux,carilfaisaitsombre.Lacoupuresétaitcicatriséeetunecroûteseformaitdéjà.—Merci.—Jenesuispasunguérisseur.C'esttoutcequejesaisfaire.—Cequevousavezfaitestformidable.Il avait dit « désolé » et « inquiet ». Elle n'aurait jamais pu imaginer une semaine
auparavantqu'iladmettraitdetelleschoses,etencoremoinsàelle.L'agitationsauvagedesonénergiesecalmait.Ellecaressasamain,cellequitenaitsonautrepoignet.Ilrelâchasapriseet,commeellefaisaitvolte-facepoursedirigerverslamaison,illuiemboîtalepas.La scène était très similaire, en un sens, au rêve qu'elle avait fait. La nuit était peuplée
d'ombreset levent faisaitsecrètementchuchoter lesarbres.Elle leva lesyeux.Ilrestaitun
quartier minuscule de la lune descendante. La lune de l'Oracle serait certainement lelendemain. Elle marquait un moment particulièrement Puissant pour énoncer desprophéties.Khalil était sous sa formehumaine,mais son corps immense se déplaçait toujours avec
cette grâce incroyable. Il la regardait avec le même regard de diamant que les étoilesnaissantes,maisaulieudeladéstabiliser,elleletrouvaitréconfortant.ElleserappelacommentPetraetNikosefaisaientface,mêmequandilsdevaientaborder
unsujetpénible.—J'aiquelquechosededifficileàvousdire,fit-elle.Khalilluijetaunregardsoucieux.—Difficilepourqui,vousoumoi?—Probablementnousdeux,fit-elleensoupirant.—Trèsbien.Se sentant piégée, elle chercha ses mots. Comment pouvait-elle le lui dire ? Comment
pouvait-elle amortir le choc ? Elle n'était pas douée pour ce genre de truc. Elle s'arrêta demarcheretlâchasansménagement:—Phaedraestvenuemevoir.LaréactiondeKhalilfutélectrisante.Ilrestafigéunmoment,puislasaisitparlesépaules.
Sonvisageétaitsauvageetsesyeuxlançaientdeséclairs.—Vousauriezdûm'appeler,gronda-t-il.Ellebégaya.—Je...jesuisdésolée.Jesaisàquelpointvousvoulezlavoir.C'estjusteque...—Est-ceque jenevousaipasavertieque lespariasétaientdangereux? siffla-t-il. (Il la
secoua.)Qu'est-cequ'elleafait?Elle le dévisagea, trop choquéepourprotester. Il était en colère parce quePhaedra était
dangereuse?—Nousavonsdiscuté.Elleétaitdésagréable.Ilcessadelasecouer.Elleessayadeliresonexpression.Ilyavaitdelaférocité,duchagrin,
etautrechose.Quelquechosedevulnérable.—Qu'est-cequ'ellevoulait?—Jene saispasvraiment.Jenecroispasqu'elle le savait elle-même.Elle... (Lavoixde
Graceseperdit.Essayerdecomprendreundjinnsuffisammentbienpourpouvoirl'expliqueràunautredjinnperturbaitgravementsestalentsdecommunication.)Elleestencolèreaprèsvous, finit-ellepardire.Elleest furieusequecelavousaitpris tellement longtempspour lasecourir.Elleditquecelavousapriscinqcentsans.LapoitrinedeKhalilsesouleva,commes'ilinspiraitprofondément,mêmes'iln'avaitpas
vraimentbesoinderespirer.Ilpassalesdoigtsdanssescheveux,défaisantparinadvertancelelienquilesretenaitetilsencadrèrentsonvisageduretblême.—JenepouvaispasaffronterLetheseul,fit-ild'untonâpre.Ellem'auraitdétruitetiln'y
aurait eu personne pour libérer Phaedra. Le temps que je réunisse suffisamment d'alliés,LetheetPhaedraavaientdisparu.J'aipassél'essentieldecescinqcentsansàleschercher.Jenemesuispasreposé.Jen'aipasarrêté.Pasavantdelesretrouver.Grace,saisieparl'émotion,levalamainettouchasajoue.—Ellenecomprendpasça.Ellel'exprimeparlacolèreetlesarcasme,maisjepensequece
sontdesdéfensesetqu'enfaitellesouffreprofondément.Ilposasamainsurlasienne.—Qu'a-t-elleditd'autre?Commenta-t-ellesuvenirici?—Jeluiaiposélamêmequestion.Elleanotéquel'attentionquevousnousportez,àmoi,
auxenfants,àcelieu,faisaitjaser,etelleaajoutéqu'elleavaitdes«sources»,jenesaispas
cequ'elle voulaitdirepar là,maisbon. (Elle secoua la tête.) Je crois...Khalil, vousdevriezréfléchir à ce que je vais vous dire parce que je ne suis pas une spécialiste en psychologiedjinn,mais je crois qu'elle n'est pas seulement blessée, elle est peut-être jalouse aussi dutempsquevousavezcommencéàpasserici.—Elleneveut rienavoirà faireavecmoi,dit-il amèrement.Commentpourrait-elleêtre
jalouse?—Vouspensez tropen termes rationnels.Elleneveut rienavoirà faireavecvous,mais
ellesurveillevosfaitsetgestes?Jenecroispasquela«rationalité»aitquoiquecesoitàvoiraveccettesituation.Etelleestpeut-être«abîmée»etrefused'entretenirdesliensavecles autres, mais je ne suis pas certaine qu'elle soit exactement un paria. En tout cas, pascommevouslesdécriviez.Jeluiaidemandésielleétaitvenueconsulterl'Oracleetellem'arétorquéqu'ellenevoulaitpasmêtreredevable.D'aprèscequevousm'avezdit, jenecroispas que les parias se soucieraient de cela. Ils profiteraient de la consultation etn'honoreraienttoutsimplementpaslemarché.Il fronça les sourcils. Il ne s'était pas calmé. Sous les doigts deGrace, son énergie était
toujoursaussivolcanique,maisilsecontrôlaitmieux,—Peut-êtrequevousavezraison,peut-êtrepas.—Qu'est-cequinevapasavecelle?demanda-t-elled'untonhésitant.Jeveuxdire,jepeux
percevoiràquelpointelleestdifférentedevousetdesautresdjinnsquej'aieul'occasionderencontrer.Elledonnel'impressiond'être,commentdire,déchiquetée,tranchante,coupante.Jenecomprendspascequecelasignifieexactement.Ilsefrottalanuque.—C'estdifficile à expliquer.Nousavons tousune compréhension innéedenotrepropre
identité.Notre essence, ce qui fait de nous ce que nous sommes, demeure inchangée quoiqu'ilarriveetquellequesoitlaformequenousendossons.—Jecroisquejecomprends.Jesaistoujoursquivousêtes,quellequesoit laformeque
vousprenez.—Lorsquenoussommesblessés,danslesensd'êtremeurtri,abîmé,nousnoussoignons
ennousrappelantquietcequenoussommes,etnous...nousréalignonssurcette identité.C'estparfoisépuisant.Plus lablessureestprofonde,plus ilestdifficiledes'aligneretnousdevons parfois nous reposer très longtemps ensuite. Et parfois, des djinns sont tellementabîmésqu'ilsn'ontpaslaforcedeseréaligneroubienilsnesesouviennentplusdel'identitéqu'ils avaient avant d'être abîmés, et ils ne peuvent pas se soigner. Nous n'avons pas deguérisseurspourcetypedeblessures.—C'estterrible,fitdoucementGrace.Toutletempsquevousavezpourvousremettrede
trucshorribles.Saufquandvousnepouvezpasvousenremettre.(Leremordslatenailla.)Nepeut-onrienfairepourundjinnquiestainsiabîmé?—Non.(Ilavaitl'airaffligé.)Etquecesoitterribleounon,Phaedraestdangereuse,point.
Vousnem'aveztoujourspasditpourquoivousnem'avezpasappelé.Gracesentitsesépauless'affaisser.— Elle semblait hésitante, indécise, sur le point d'exploser. J'avais peur que si vous
arriviez,cenesoitencorepire.Jenevoulaispasquevousl'affrontiez,parcequesilesdjinnsplusavancésenâgesontplusPuissants,jemesuisditquevouspourriezêtreplusfortqu'elleetquevousgagneriez.Maiselleétaitpeut-êtrecapabledevouspoussersuffisammentàboutpourquevoussoyezobligédelatuer.Il pencha la tête. D'après ce qu'elle pouvait voir de son visage dans la pénombre, il la
regardaitaveccuriosité.—Vousmeprotégiez?
Elleluidécochaunsourirecrispé.—J'essayais,entoutcas.J'aifaitcommeilfallait?—Vousavezétéinconsciente,dit-ild'untonbrusque.Le sourire de Grace s'évanouit. Elle était déjà soupe au lait par nature, mais après la
journéequ'elleavaiteue,disonsquelasoupesemitàbouillir.—Ah oui ? Eh bien, allez vous faire foutre, vous aussi. (Elle se tourna et se dirigea de
nouveau vers lamaison.) J'en aima claque de cette journée. J'ai changéd'avis, sortir avecvouscesoir,c'étaittotalementdébilecommeidée.Allez-vous-en.—Gracie,dit-ilentresesdents.Nonmais,ellerêvait, iln'avaitpasosél'appelerainsi.C'étaitsonpetitnom,celuiquelui
donnaitsafamille.Chloéétaitlaseulepersonneàl'appelerainsidésormais.Ellefitvolte-faceens'appuyantsursajambevalide.—Quoi?Ilfutsoudainjustedevantelle.Ilpritsonvisageentresesdeuxmainsetluifitreleverle
menton.QuandellesentitquelesdoigtsdeKhaliltremblaient,elleeutl'impressiondefaireunechutevertigineuse.Sonregardétaitgrave,furieux.—Vouspourriezêtremorte.Vouspourriezneplusexister.Ilsuffiraitd'unmauvaiscoup,
d'unechute,d'uncouteaudanslecœur.D'unaccident.(Ils'arrêtaetlevalesyeuxendirectiondelalunedescendante.Pendantunmoment,ileutl'airdésespéré,enquêtedequelquechose.Quandilbaissadenouveaulesyeuxsurelle,elleeutl'impressiondevoirtomberdesétoiles.)Vousm'avezfaitpeur,dit-ilenfinavecunecandeurdésarmante.Mauditsoit-il.Mauditsoit-il.Khalilcaressasesjouesetluidit:—J'aitrouvécequej'allaisporterquandnoussortirons.Graceouvrit,puisfermalabouche.Aucunmotnesortit.Ellenesavaitpasquoidire.Elle
s'écartabrusquementetrepritladirectiondelamaison.—Ildoitêtretard,fit-ellepar-dessussonépaule.Aumoinsneufheures.Ilneditrien.Iln'avaitpasbesoindeparler.Ellesentaitsaprésencebrûlantederrièreelle.— Je suis fatiguée et je suis sale. Je n'ai pas dîné.Non, je n'ai pas déjeuné. Je n'ai pas
mangédetoutelajournéeetjen'aipasencoreprisdedouche.—J'aiuncadeaupourvous,ronronna-t-il.Elles'arrêtanet.Ilnebutapascontreelle,maissereformadevantelle.Seslongscheveux
noirsencadraientsonvisagetelunrideaudevelours.Ilsouriait.Ellesemorditleslèvresetessayades'empêcherdeparler,maislaquestionfusamalgrétout:—Qu'est-cequec'est?—Vousallezd'abordprendreunedouche.Puisjevousdiraiquevousêtesbelle.—Vousquoi?Elleleregardafixement,éberluée.—Puisnous ironsdînerquelquepart etprendreunverreet faireunepromenadesur la
plage,mais je refuse de faire le poirier, et j'ai oublié le reste.Mais vous n'aurez pas votrecadeauavantnotresortie.—Iln'yapasdeplagesdanslecoin,fit-ellemachinalement.Fairelepoirier?Oùdiableavait-ilentendudestrucspareilsenmatièrederendez-vous?D'unemain,Khalilfitungesteampledignedesplusgrandsprestidigitateurs.—Cen'estqu'unpetitinconvénient,puisquejepeuxnoustransportern'importeoù.Aveccecommentaire,ilouvritdesperspectivesimmensesàGrace.C'étaitétourdissant.—Nousn'ironspasloin,fit-ellepresquerêveusement.(Pasdelieuxcourusparlessorciers
et les sorcières,vu le traitementglacialqui luiavaitété réservé toute la journée.) Ilyaunpub en ville qui attire une clientèle variée, où les Anciens aiment aller. Je mangerai unmorceau et je prendrai peut-être un verre. (Un double whiskey par exemple.) Une sortie
rapide, tranquille.Pasdescène,pasdecomplications,au litàminuit.Etvousmedonnerezmoncadeau.Il luidécocha son sourire espiègle et langoureux, celuiquidébordaitde sensualité etde
libertinage.—Absolument.—Trèsbien,ajouta-t-elle.(Elleregardaautourd'elle.Siellecédait,autantfaireleschoses
engrand.)Vouspouveznoustransportern'importeoù?LesouriredeKhalils'épanouit.— Pourquoi, où est-ce que vous voulez aller ? Est-ce que c'était exagéré de sa part de
demander?Ouétait-ceencoreunefoislemaridansMasorcièrebien-aiméequiparlait?—Danslasalledebains,aupremierétage.Avantqu'ellepuissechangerd'avis,Khalillasaisitetellefutprisedansuntourbillon.Elle
ne sentit plus le sol ni rien de familier, à l'exception de ses bras puissants qui la tenaientcontresapoitrine.Ellepassalesbrasautourdesoncouencriantcommesielletombaitduhautd'unefalaise.Puislemondesereformaautourd'elle.Elleplissalesyeuxetvitseslongscheveuxvoler
autourdesesveuxétoilesetdesonvisageélégant.Ilsouriait.Ilssetenaientsurlepalierdupremierétagedevantlaportedelasalledebains.—Jecroisquejevaisprendreunbain,fit-elled'unevoixrauque.Parcequ'ellen'étaitpassûredepouvoirtenirdebout,entreautres.—Jevousenprie,faitesdonc,ditKhalil.Jevaismechangeretvousattendreenbas.Ilsedématérialisa.Ellen'eutmêmepasletempsdeciller.Levoirdisparaîtreétaitquelque
chosedespectaculaire,ellenes'enlassaitpas.Enquoiallait-ilsechanger?Etquelétaitlecadeau?Ellesoupira,puisentradanslasalledebains.Unbainmoussant.Ceseraitpeut-êtrebref,
maisceseraittropbon.Ellenesesouciapasdecequ'elleallaitmettredanslebain,dumomentquecelafaisaitdes
bulles.Unefoisquel'eaucoula,elleattrapalapremièrebouteillequiluitombasouslamain.C'étaitun«bainmoussantdelaRueSésameàlapastèquesauvage».Çaavaitl'airdivin.Elleenversadanslabaignoire,puisalladanssachambrechercherquelquechoseàsemettre.Ellen'avaitpas le tempsde tergiverser.Ellene sedonneraitpas le tempsde tergiverser.
Les chiffres rouges lumineux de la pendule indiquaient qu'il était neuf heures trente-cinq.Prête à dix heures, au lit à minuit. C'était ce qu'elle s'autoriserait à partir de maintenantquandellesortirait.Elles'imposeraitdeshorairesdraconiensets'ytiendrait.Nonqu'elleaitde nombreuses occasions de sortir, mais c'était une bonne chose d'avoir des règles, de ladiscipline.Se glisser dans le bain fut un délice absolu. Se laver à l'évier de la cuisine n'était tout
simplementpas comparable à une immersion totale dans l'eau.Elle se frotta, se lavadeuxfoislescheveux,serinçaetsesécha,puisenfilalajupequ'elleavaitvoulumettrel'autrejour.L'imprimédefleursorange,rosesetviolettesetdefeuillesvertesétaitéclatant.Lescouleursauraientpunepasallerensemble,maisellesavaientétéchoisiesavecgoûtet
s'harmonisaient très joliment.Elle choisitundébardeur vert clairpour compléter la tenue.Lestonsvifssoulignaientsesproprescouleurs,sapeaudepêche,lestachesmordoréesdesesyeuxbleu-vert,etlesrefletsroux-dorésdesescheveuxblondcendré.Ellepouvaitportersonattelle,personnen'yferaitattention.Enfin,elleenfiladefinessandalesdecuirplates.Ellen'avait pasbeaucoupde tempspour semaquiller, cequi était unebonne chose.Un
peuderouge,dubrillantàlèvresetquelquestouchesdefardsurlesyeux,etbadaboum,elle
étaitprêteàdixheuresmoinstroisetsesentaittoutàfaitrassérénée.Ettantmieux,parcequecettesortieétaitvraimentlachoselaplusridiculequisoit.Plus
viteceseraitfini,plusviteellepourraitdéballersoncadeau,rentrerchezelle,secoucheretpoursuivrelerestedesavie.Parcequ'elleavaitbesoindechaqueoncedeforceetdeconcentrationpourreleverchaque
défi qui se présenterait. Elle n'avait pas de place dans sa vie pour sortir avec quelqu'un nipour son obsession grandissante pour un prince des djinns super sexy, espiègle, taquin,hautainetfoudesenfants.Elleseditqu'aumoinstoutétaitclairlà-dessus.Etécoutalesilence.
14Grace descendit l'escalier avec précaution en tenant la rampe. Son satané genou décida
qu'iln'appréciaitpasl'effortdesupportersonpoidstoutensepliantpourdescendrechaquemarche, et elledutdoncdescendrede travers commeelle l'avait fait dans le tunnel.Khalilavaitalluméquelqueslampesenbas.Soncœurbattaittropfortquandelleouvritlabarrièrequibloquaitl'escalieretqu'elleentradanslesalon.Elleseditqu'elle faisaitpreuvedebêtise.Aprèstout,cen'étaitpascommesiellen'avait
pasvuKhalil...N'avaitpasvuKhalilcentfois...Unhommedehautetaillesetenaitdanslesalon.C'étaitKhalil;ellesavaitquec'étaitlui.
Elle percevait la chaleur familière de sa Force, même si elle était curieusement tempéréepourlemoment,unpeucommesidesnuagesvoilaientlesoleil.Mais cet homme avait l'air complètement différent. Enfin, pas complètement. Il était
toujours très grand et imposant. Il avait toujours la peau pâle, de longs cheveux de jaisretenusparunsimpleliendecuir,etdestraitsmajestueux,élégants.Maisc'étaitlàques'arrêtaitlasimilaritéavecl'ancienKhalil.Cet homme portait un tee-shirt noir qui épousait les muscles de sa poitrine et de ses
biceps,unjeandélavéetdesbottesnoires.Sestraitsetsapeau...sapeauétaithumaineaveclapâleurquicaractérise les Irlandaisbruns,et l'ombred'unebarbecouvrait ses joueset samâchoire.Elleserapprocha, lesyeuxrivéssur lui. Ilyavaitmêmedesridulesd'expressionauxcoinsdesaboucheetdesesyeux.Puisilseretournaetlaregarda,ettouteapparencehumainedisparut.Neparvenantpasà
ledécriremieux,elleessayadedéfinirlacouleurdesesyeuxetdécidadedirequ'ilsétaientgris,maiscen'étaitpasexact,parcequemêmesil'étrangeopalescencedesonregardétaitelleaussi tamisée enquelque sorte, comme le reste de saForce, ils étaient encore étoiles d'unextraordinaireéclat.—Vousêtestellementdifférent,souffla-t-elle.Fascinée,elles'approchaunpeuplus.Avait-ildespupilles?Ellen'arrivaitpasàledéterminer.Sesyeuxsemblaientrefléterenla
multipliantlalumièrequil'environnait.Illaregardaetsouritavecbonheur.—Vousêtesbelle,dit-ilavecunplaisirévident.(Savoixpure,sublime,n'avaitpaschangé.)
Manifestement,lesmaillotsdebainvousvontbien.Elle s'étrangla presque sur le rire inattendu qui remonta soudain dans sa gorge. Khalil
avait encore de sacrés progrès à faire en matière de compliments, mais elle n'allait passoulevercelièvrealorsqu'ils'exprimaitavecautantdesincérité.Elletenditlamainpourtouchersonbras,puishésita,gênée.—Celavousennuie?—Non.Elleposalesdoigtssurlui.Sapeausemblaitnonseulementhumaine,elleenavaitlegrain
et elle était chaude au toucher, moins chaude que d'habitude toutefois. Elle caressadoucementsonbras.Ilémitunsonsurpriseteutl'airchoqué.Elleretiravivementsamain.—Jevousaifaitmal?
— Non, haleta Khalil. (Il posa les yeux sur son bras, puis sur la main de Grace.) Lasensationaétéincroyable.(Savoixsefitplusbasse.)Recommencez.Elleretintsonpropresouffleetletouchaenhésitantunpeu.Cettefois-ci,elleenroulasa
mainautourdesoncoude,puis la laissaglisser le longde l'intérieurdesonbras jusqu'àcequ'ellearriveàsalargepaume.Lecontactlefitfeuleretilfrissonna.Cettesimplecaresseetsaréactionétaientincroyablementérotiques.IlsaisitlepoignetdeGraceetletintserré.—Vousn'avezjamaiseuunetellesensationavant?demanda-t-elled'unevoixblanche.—Pasavecune telle intensité,non, répondit-ild'unevoixmal assurée.Créerune forme
aussiprochede la formehumaineestcompliqué.Plusune formeestcomplexe,plus il fautd'énergie pour la créer et l'entretenir. Je n'ai jamais été suffisamment intéressé par leprocessuspourdescendreaussiprofondémentdanslachair,enfinjusqu'àaujourd'hui.—C'estréelàquelpoint?Ilcontemplasonbrasaveccuriosité,commes'iln'étaitpassûrdelaréponse.— Suffisamment réel pour que j'éprouve du plaisir à sentir vos doigts sur ma peau.
Suffisammentréelpourquejepuisseêtreblessé.Descoupuresoudesbleusferaientmal.(Ilse renfrogna.)Et jene crois pasque je puissenous transporter tant que je suis dans cetteenveloppedechair.Ilparlaitdesoncorpscommes'ils'agissaitd'unecage.L'idéeétaitétrangementtroublante,
mêmesiGracecomprenaitquecetteincarnationpuisseêtreunecagepourlui,unecagequ'ilpouvaittoutefoisquitteràtoutmoment.La conversation avait créé entre eux bien plus d'intimité qu'elle ne l'avait anticipé ou
souhaité.Elleavaitaussibeaucoupd'autresquestionsmaintenantquisepressaientdanssatête.Elles'écarta.—Nousdevronsveilleràcequevousnesoyezpasabîmécesoir,fit-elled'untonléger.Et
jepeuxconduire.—Dansunevoiture,ajouta-t-ilenplissantlefront.L'idéenesemblaitpasletransporterdejoie.Amusée,Graceditenriant:—Oui,Khalil,dansmavoiture.—Trèsbien.Maisjevaispayerpourtoutetouvrirtouteslesportes.Ellelevalesyeuxaucieltoutensedirigeantversl'étagèreoùelleavaitposésonsac.—Ondiraitquevousavezpenséàtout.J'adoreraissavoirquiaétévotresourcepourvous
prépareràsortiravecunefemme.—JesuisalléenFlorideaujourd'hui,ditKhalil.CarlingetRunesontenquarantaineàKey
Largo.—Commentvont-ils?— Bien. Runem'a donné quelques informations concernant les rendez-vous galants. Je
doisavouerquejen'aipascrutoutcequ'iladit,maissasuggestiondem'habillerdemanièredécontractéesembleavoirétéunebonneidée.—C'estparfait,fit-elled'unevoixplusrauquequ'ellenelevoulait.Maisdetoutefaçon,ilauraitpuportern'importequoi,ilauraiteul'aird'un...ehbienoui,
d'unprince !Elledécidaqu'il était grand tempsde sortirde lamaison et sedirigea vers laporte.Il n'était peut-être pas en mesure de se dématérialiser et de reprendre forme
instantanémentcommeavant,maiscenouveauKhalilplushumanisésedéplaçaitavecunevélocitésidérante.Ilseretrouvasoudaindevantelle,soulevaleloquetquipermettaitdetenirferméelaportemoustiquaireetlatintouvertepourelle.Elleallumalalumièredelavéranda,puis se retourna afin de verrouiller la porte. Il observa tout ce qu'elle faisait avec uneattentionextrêmequ'elletrouvalégèrementdéstabilisante.
Ellepassalesmainssursajupepourlalisseretmarmonna:—J'ail'impressionquevousm'étudiezafindeprendredesnotes.—Souscetteforme,toutprendunesignificationplusimportante,expliqua-t-il.Ilestplus
importantd'avoirconsciencedesonenvironnementlorsqu'onestliéparlachair.Illasuivitjusqu'àlavoiture,ouvritlaportièrecôtéconducteuretlarefermaunefoisque
Gracesefutinstalléeauvolant.Ellemitsaceinturedesécurité.Quandilfutassisàsontour,elleattendit.Etilfitdemême.—Jeneconduisjamaisnulleparttantquetoutlemondedansmavoituren'apasattaché
saceinturedesécurité.C'estunemaniequej'ai.Ilsecoua la têteetparutconfus.Ellesoupiraetsepenchaau-dessusde lui,cherchant la
courroiedesaceinturedesécurité.Lemouvementpressasesseinscontreluietellecaptasonodeuraupassage.Ilsentaitbonl'hommepropreetéclatantdesanté.Elleretintsonsouffleetrenversalatêteenarrièrepourleregarder.Ill'observaitavecattention,lesyeuxétincelants.—Pardon,fit-elled'unevoixrauqueenreculant.Il luidécochaunsourireradieuxquiétait toutaussisexyetespièglequeceluiqu'ilavait
soussaformehabituelle.—Nevousexcusezpas.Vraiment.—Tirezcettecourroiedesortequ'ellesoitentraversdevotrepoitrineetencastrezlesdeux
parties,commeça.Elleluimontra,puismitlecontactetremontal'alléeenmarchearrière.ToutesleszonesmétropolitainesdesÉtats-Unisoupresqueavaientaumoinsunbarouun
pubdestinéessentiellementauxAnciens.Louisvilleenavaitdeux.Lesdeuxétablissementsavaientlemêmepropriétaire,bienqu'ilssoientsituésdansdesquartierstrèsdifférentsdelaville.Gracesedirigeaversceluiquiétaitleplusproche.LeDrôledePotion,unpubsituéàunquartd'heurederouteenviron,enbordureduquartierhistoriqueduvieuxLouisville.Le vieux Louisville se trouvait au nord de l'université et au sud du centre.Même si ce
n'était pas exactement la partie la plus ancienne de la ville, le quartier bénéficiait denombreuses rues piétonnes, et presque toute l'architecture était de style victorien. Par lepassé, le quartier avait accueilli les résidents les plus fortunés de la région, mais il avaitsouffertplusieursdéclinsaucoursdescentdernièresannées.Lapopulationyétaitdésormaisplushétérocliteetcomptaitbeaucoupd'étudiantsetdejeunescadres.Certainesruesétaientplusbranchéesqued'autres.LeDrôledePotionétaitunbarque lesAnciens fréquentaientdepuistoujourset iln'étaitpassituédansl'undescoins lesplustendanceduquartier.UneFaelumineuseimmigrantequivenaitdelacourSeelieenIrlandeavaitouvertlepuben1878.Le second bar, Eaux Profondes, était au bord du fleuve, près du Waterfront Park et desbateauxdeplaisance.Celui-làattiraitsurtoutlestouristes.LeDrôle de Potion était plus un rade que fréquentaient les gens du quartier. Il avait
jusque-là vaillamment traversé les nombreux changements que la ville avait connus. Il setrouvaità l'extrémitéd'unbâtimentdebrique tout cequ'il yavaitdeplus fonctionnel.Uneentréedonnaitsurlarueetuneautresurunevenellequimenaitàunparkingremplidenids-de-poule.Entrelesdeuxs'étiraittoutunmicmacdepiècessurdifférentsniveaux,ycomprisunbarausous-sol.Lepubétaitunlieuoùl'onsebousculaitlejourdelaSaintPatrick,lafêtedesIrlandais,mêmesi,pourautantqueGracelesache,ilnes'étaitjamaisenorgueillid'avoireulavisited'unfarfadetenchairetenos.Elle commençait à remettre enquestion toute cette excursionquand elle tourna afinde
descendrelapetiteruequimenaitauparkingbondé.PasserlasoiréedansunbarfréquentépardesAnciensluiavaitsembléunebonneidéeaudépart,maisàvingt-deuxheurestrenteunsamedisoir,ilyavaitdeforteschancesquelepubsoitbruyantetremplid'étudiants.
—Cen'étaitpeut-êtrepasunesibonneidéequecelaaprèstout,marmonna-t-elle.Elleroulaitdoucementà larecherched'uneplaceoùsegarer.Sanssuccès.Ellesortitdu
parkingetcherchas'ilyavaituneplacedanslarue.—Jenevoispaspourquoi, fitKhalilenregardantautourdeluiaveccuriosité.Vousavez
besoindedîneretdevousdésaltérer.Ce lieusemblepopulaire.Lesgensdoiventpriser lesmetsquiysontservis.Elle réprimaunsourire. Ilavait sapropresagesseetunprofondsavoir,mais se trouvait
complètementdéconnectédecertainesréalitésplusprosaïques.Cedécalages'expliquaitsansdouteparsanaturedésincarnée. Ilserait facile,etpotentiellementmortel,sedit-elle,deseméprendresursoncompteetd'interprétercettedifférencepourdelanaïveté.—Jenecroispasquelesgensviennenticipourlanourriture.—Ahbon,pourquoiavez-vousvouluveniralors?demanda-t-ild'untonamusé.Certes...KhalilsavaitcommentJaniceetThérèseavaientréagiensaprésence,maisilne
savaitpascommentlesautressorciersetsorcièress'étaientcomportésdanslajournée.Elleétait lassedes tensionsetdesconversationsdifficiles.Ellesepassaunemainsur le
visage.Elle luiavaitparlédecequi lui importait leplus.Elledécidaqueleresten'étaitpaspertinent,entoutcaspascesoir.Ellesecontentademarmonner:—Vousn'êtesjamaissortiavecunefemme,jevoulaisjustequevousvoussentiezàl'aise.—Vousavez réussi, l'informaKhalil. Je suis toutà fait à l'aise.Etmaintenantquenous
sommesici,autantentrer.Elleavisaunevoiturequis'enallait.Onauraitditunsignedudestin.Etilétaitvraiment
troptardpourallerailleurstoutenessayantderespecterleshorairesqu'elles'étaitfixés.Ellesegara.—Piloter un véhicule est plus compliqué que je ne pensais. Vous semblezmanipuler le
vôtreavecaisance.Elleéclataderire.—Onconduitunevoiture,onnelapilotepas.Onpilotedesbateauxetdesavions.—Ilfautquej'apprenneàconduirealors.(Illuidécochaunsourireespièglesoulignéparla
lueur jaune des lampadaires.) J'ai menti. Je n'ai pas de cadeau pour vous. Toutefois, j'aiquelquechosepourvousdelapartdeCarlingetdeRune.Ilfouilladanslapocherevolverdesonjeanetluitendituneenveloppepliée.—Qu'est-cequec'est?demanda-t-elleenladépliant.— Je leur ai rappelé l'obligation qu'ils avaient à l'égard de l'Oracle. (Son sourire avait
disparuetuneexpressiontendueetdangereuseselisaitsursestraits.)Etqu'ilsavaientfaitpreuvedenégligencequantàleurpartdumarché.—C'est vrai ? (Elle le regarda avec stupéfaction, effarée.) Jen'ai paspenséune seconde
qu'ilsavaientéténégligents.Carlingasoignél'otitedeMaxetnousaévitéunevisitechezlemédecin.—Non,Gracie,fit-ilensecouantlatête.Ellen'apasfaitcelaenguised'offrandeàl'Oracle.
Ellel'afaitparcequ'ilétaitunbébéetqu'ilétaitmalade.Elle ne savait pas ce qui l'émouvait le plus. Le geste de guérison de Carling ou Khalil
agissantensonnom.Ouencorelefaitqu'ill'aitappeléeGracie.—Ouvrez,fit-il.Regardezcequ'ellevousaenvoyé.Elledéchiral'enveloppeetensortitunenoteetunchèque.Elleregardad'abordlechèque.Etsemitàcompterleszéros.Sesmainscommencèrentàtrembler.Non. Ce n'était pas possible. Elle se remit à compter, puis compta une fois encore. Elle
n'arrivait plus à penser et avait l'impression que son esprit bredouillait de manièreincohérente.
—Oh,monDieu.Oh.Mon.Dieu,finit-ellepararticulerd'unevoixétranglée.—Est-cequec'estbien?fit-ilvivement.—Cechèqueestunchèquededeuxcentcinquantemilledollars,dit-elleenleregardant.Il leva la main et passa son pouce sous ses yeux avec douceur. C'est alors qu'elle prit
consciencequedeslarmescoulaientlelongdesesjoues.—C'esttoutcequ'ilspouvaientfairepourl'instant,maisvousdevez,leurdiresivousavez
besoindeplus.Lestaxesfoncières.Untoit.Unemeilleurevoiture.Sesempruntsétudiantsetsesfactures
médicales remboursés. Elle pourrait se concentrer sur les enfants, sa propre guérison etobtenir son diplôme. Si elle faisait très attention, elle n'aurait pas besoin de chercher dutravailpendantplusieursannées.Ellepourraitacheterauxenfantscedontilsavaientbesoinet cequ'elle voulait qu'ils aient.Ellepourrait peut-êtreprendreunebaby-sitterde temps àautreetsortirdelamaison.Ellepourraitpeut-êtrealleraucinémadetempsentemps.—C'estincompréhensible.(Seslèvrestremblaientellesaussi.)Celachangetout.—Pourlemieux,n'est-cepas?—Bordel,oui. (Elleduts'yreprendreàplusieursreprises,maiselleréussitàremettre le
chèquedansl'enveloppe.)Jen'arrivepasàcroirequ'ilsaientdonnéautant.—C'estnaturel,fitKhalil.CarlingetRunesesouviennentdel'époqueoùlesempereurset
les rois déposaient des trésors aux pieds de l'Oracle. Comme l'a souligné Rune, ils vousdoiventtout.J'étaistrèsencolèreaprèseuxquandj'aicomprisqu'ilsn'avaientpashonorélecontrat.Elle se souvint de la scène tendue dans la clairière quand Rune et Carling avaient dû
affronterletribunaldesAnciens.Ellesesentittenuedefaireremarquer:—Ilssebattaientpourleurvie.—Cen'estpasuneexcuse,déclara-t-ilfroidement.—Bon,fit-elledemanièreplutôtmaladroite.Khalilétaitundjinnaprèstout.Elle lut la note écrite d'une main féminine, décidée. C'était un message tout simple.
Carling présentait ses excuses et lui disait qu'elle la contacterait bientôt. De nouveaubouleversée,Graceglissa lanotedans l'enveloppeavecceprécieuxchèquedont lemontantl'étourdissaitetrangealetoutaufonddesonsac.—Jenesaispascommentvousremercier,fit-elle.Jenesaispasquoidire.C'estunedes
choseslesplusimportantesquequelqu'unaitjamaisfaitespourmoi.Pourlesenfants.—Chut,fit-ildoucementdesavoixd'angedéchu,puisilsepenchaetl'embrassa.Pasmême une seconde elle n'hésita ni ne recula ; les choses avaient changé à ce point
entreeux.Ellelepritparlecouetluirenditsonbaiser.Seslèvresétaientchaudesetfermes,maissepressaientcontrelessiennesavecunesensibilitéexquise.Ellesentitdenouveauledésir palpiter,mais cette fois, c'était une éclosion tranquille, un peu comme un jardin quirevientàlavieaprèsleslongsmoisd'unhiverglacial.Il effleura ses lèvres, encore et encore, en étudiant leur douceur et leurs contours, et il
émitungrognementsourd.Ilsemblaitsecoué.Puisilsereculaetcontemplasonvisage.Sesmains tremblaient aussi et ses traits élégants avaient une expression de saisissement etd'émerveillement.C'étaituneexpressionsibellequ'elleeutleréflexederegarderautourd'euxpours'assurer
qu'elleluiétaitdestinée.—C'étaitbien?demanda-t-elle.—Bordel,oui,chuchota-t-il.Unriresonoreàl'extérieurlafitsursauter.Khalilposaunemainsursonépauledansun
gesteprotecteur tout en scrutant les environs.Elle cherchadu regardelleaussi.Six jeunesgens d'une vingtaine d'années se dirigeaient nonchalamment vers eux en discutant et enplaisantant.Khalilétrécitlesyeux.—Jeveuxqu'ilss'enaillent,fit-ilentresesdents.—C'estuneruepublique,dit-elleenriant.Ilsnefontriendemal.—Jem'enfichecomplètement.Elleinspiraavecunpeudedifficulté.Elles'étaitinquiétéedepasserdelasituationd'amis
aux baisers et peut-être à d'autres choses avec Khalil, mais elle avait, elle ne savait tropcomment,basculétêtelapremièredansunpaysageétrangerqu'ellen'avaitpasanticipé.Cettepenteglissanteétaittraîtresse.—Noussommeslà,réussit-elleàdire.Etcommevousledisiez,autantentrer.Illuilançaunregardnoir.—Jemefichedeçaaussi.Leproblème,c'étaitqu'ellen'avaitpasenvienonplusderentrerdanslebar.Cequisignifiaitdonc,pensa-t-elle,qu'ilsferaientvraimentbiend'yrentrer.Lesdjinnsne se soûlaientpas.L'alcooln'avaitaucuneffet sureux.Maisd'autres choses
pouvaient les enivrer, et un véritable bombardement de sensations physiques faisait pourl'heurechancelerKhalil.Lesdjinnsétaientextrêmementsensibles,enparticulierau fluxetaurefluxdeForceetd'énergie,lorsqu'ilsétaientdansleurétatoriginel.La gamme complète de sensations physiques constituait un éventail d'expériences
totalementdifférentdecequ'ilavaitconnujusque-là.Lelégerfrottementdelatoiledujeansursescuisses, lecotondutee-shirttendusurles
musclesdesapoitrine,sursesépaules.Lesouffleténudelabriseestivalecontresajoue.Il était euphorique, troublé. Il se dit que cela devait être ainsi l'ivresse. Il n'était pas
absolumentcertaindel'apprécier.EtpuisGraceavait lentementdescendu l'escalier,et iln'avaitpuque lacontempler.Elle
était une symphonie de couleurs. Sa peau faisait penser au satin et sa tenue évoquait unbouquetdefleurs.Desrefletsdorésfaisaientchatoyersescheveuxcourtsencorehumides,etquand elle s'était approchée de lui, elle avait écarquillé ses yeux multicolores avecémerveillement. Puis, son odeur avait flotté jusqu'à lui, un parfum léger qui devait êtreuniqueaumonde.C'étaitalorsqu'ellel'avaittouché.Cegestetoutsimple,cettecaressesursonbrasl'avaitpétrifié.Sapeautouchantlasienne.
Quandellel'avaitfaitunesecondefois,samaindouceavaitglissélelongdesonbrasjusqu'àsapaume,etill'avaitsentieavecchaquepore.Intensément.Délicieusement.Intimement.Avidement.Illuiavaitemboîtélepasquandelleétaitsortiedelamaisondansunétatd'hébétement,
puis il avait fait l'expérience d'une myriade de nouvelles sensations : la texture duchambranleenboisdelaportemoustiquaire,leseffluvesdelanuitdété,lerythmesaccadédes insectes qui pépiaient. Il était monté dans la voiture. Ses doigts avaient découvert lemétalduretlissedesportièresetlecontactdusiègeusé.Lorsqu'ils'étaittournéversGrace,ilavaitaperçul'éclatdiffusdesonsourire.Verrait-iljamaisunsourireaussimagnifiquequelesien?Etlefacteurdeséductionleplusredoutableétaitqu'ilpouvaitpercevoirleplaisirdeGrace
croître dans son esprit. Il ressentait son sourire aussi bien qu'il le voyait. Et ce sourireilluminaitsapersonnalitésiviveetsiprompteàs'enflammer.
Puis,denouvellesimpressionsl'avaientenvahi.Lesouffledel'airentrantparlesfenêtresouvertesdelavoiture,lasensationdesedéplacerdansl'espace,lapressiondesaceinturedesécuritécontresaclaviculeetsontorse.Quand elle avait pleuré en voyant lemontant du chèquequ'elle avait reçudeCarling et
Rune, il avait éprouvé l'humidité de ses larmes sur le soyeux de sa joue quand il les avaitessuyées.Puisill'avaitembrassée.Etcelaavaitétélepremierbaiser,leseulbaiser.L'uniquebaiseraumonde.Elle l'avait enlacé, et il avait éprouvé la chaleur du bras deGrace glissant le long de sa
nuque.Elleavaitmouléseslèvresauxsiennes,etlebaiserétaitdevenuunedansedélicieuseoùchacuns'accordaitaurythmeetauxcaressesdel'autre.Ilsavaientdésunileurslèvres,etilavaitalorsdécouvertunenouvellepalettedecouleurs:
le rose foncé de ses lèvres et celui plus discret de ses joues. Ses yeux brillaient d'un éclatchatoyantetsonénergieirradiait.Il avait cru qu'il connaissait le désir, en se fondant sur ce qu'il avait pu voir et sur les
partenaires sexuels qu'il avait eus. Le désir, avait-il pensé, était un artifice, un échangeraisonnédeplaisir.La faim déchirante qu'il ressentait désormais le brûlait. Il n'y avait rien de factice là-
dedans.C'étaitunélanpuretdifficilementcontrôlablequileravageait.Ilexistaitdepuistellementlongtempsqu'ilnes'étaitjamaisdonnélapeinedecompterles
années.Leschiffresn'avaientaucunsenspourlui.Maisilsesouvenaitdechaquemoment.Ilmesurait l'étenduedesonexistencepardesévénements,et iln'avait jamaiséprouvéun teldésir,unetellesoifdévorante.Elleleressentaitelleaussi,illesavait.Elleétaitenproieàlamêmefaim.Etlabrûlurede
cettefaimétaitattiséeparlacomplexitédesespenséesetdesesémotions.Etellepréféraitmalgrétoutentrerdanscetétablissement.Il n'y voyait qu'une explication. Elle n'avait manifestement pas trouvé le baiser aussi
irrésistiblequ'ill'avaittrouvé.Celavoulaitdirequ'ildevrait s'appliquerdavantage laprochaine foisqu'il l'embrasserait,
pourqu'ellesoitvraimentconquise.Fronçantlessourcils,ilsortitdelavoitureenmêmetempsqueGrace.Pendantqu'ellela
verrouillait, il jeta un regard acéré aux six jeunes gens bruyants qui approchaient, lesavertissant en silence de garder leurs distances, et il s'assura que plusieurs d'entre euxavaientbeletbiencaptésonregard.L'undesjeunesluisouritdemanièreaffable.Lejeunehommedit:—Hé,mec... (ildécidaqu'ildétestaitdéfinitivementcemot)...oùest-ceque t'asdéniché
ceslentilles?(Lejeunehommes'approcha,scrutantKhalild'unairfasciné,etquelques-unsdesesamisl'imitèrent.)Tesyeuxsonttropcool.—Nem'appelezpas«mec»,fit-ilfroidement.Le groupe était composé d'humains dans sa totalité. Il attribua à ce seul fait leur
inconscience extrême à s'approcher ainsi de lui. N'importe quel jeune djinn aurait saisil'avertissementdèssonpremierregardetauraitdéjàdisparu.— Comme tu veux, m... heu, monsieur, dit le jeune homme. (L'un de ses amis ricana
doucementensecachantderrièreunemain.)Commenttuasfaitcetrucavectesyeux?—Queltruc?demandaKhalilavecimpatience.Dites-moietpartez.—Ondiraitqu'ilsbrillentdanslanuit.T'asdeslentillesspécialesquireflètentlalumière?—Celanevousregardepas.Maintenant,faitescequejevousaidit.Partez.L'undesamisdujeunehommesegrattalementon.
—J'aientendudirequecertainesdroguespeuventfairedesdrôlesdetrucsauxyeux,maisjecroyaisqueçavoulaitjustedirequelespupillesétaientdilatéesouuntruccommeça.L'énervementgagnaKhaliletsaForcefrémit.Derrièrelui,Gracepritlaparole:—Khalil,ilsnefontriendemal.Cesontprobablementjustedesétudiantsquiontunpeu
bu.Il jetauncoupd'œilderrière lui,Gracese trouvaitde l'autrecôtéde lavoiture.Sesyeux
pétillaientetl'amusementselisaitsursonvisage.—Trèsbien,marmonna-t-il.Iln'auraitpasdétestésedéfoulersurunabrutiousurquelquesabrutis.—Jenesuispas ivre,dit l'und'eux.Jen'aibuquequatreoucinqbières.Jenepeuxpas
conduire,c'esttout.—Mec,tudisn'importequoi,fitsonvoisin.Tuenasbuplutôtseptouhuit.Khalilnemanquapasderemarquerl'utilisationdumot«mec»,maiscommeletermene
luiétaitpasdestiné,ildécidadelaisserpasserpourcettefois.—Ben,j'enaibuneufetvousaveztoussuivilerythme,répliquauntroisième.C'estpour
çaqu'aucundenousneprendlevolant.—Qu'est-cequ'onfaitdéjà?demandaunquatrième.—Vousvousécartezdemonchemin,fitKhalil.Illespoussatandisqu'ilssemettaientàparlertousensemble.Puislepremiercommituneerreur.IlposaunemainsurlebrasdeKhalil.—Hé,àproposdeceslentilles...Lasensationphysiqued'êtretouchésanssapermissionétaitmillefoispirequelorsqu'un
autre djinn s'approchait trop. Poussant un feulement, il se retourna brusquement, prêt àbondirsurlejeunequiformaun«0»desurpriseavecsabouche.Gracesefrayasoudainuncheminenlespoussanttousdel'épauleetseplaçaentreeuxet
Khalil.—Allez,lesgars,fit-elled'untonenjouémaisferme.Vousêtesentraindenousmettreen
retardpournotrerencard.—S'cusez-nous,fitl'und'euxenluisouriant.Khalillesobservad'unairmauvaistandisqueceluiquiavaitoséletouchers'écartait.—Jevoulais rien fairedemal,grommela-t-il.Toutceque jevoulais savoir, c'est cequ'il
avait fait avec ses yeux. Je me disais que j'irais peut-être voir son ophta... ophta... C'estophtalmologueouoptométriste?L'undesescompagnonss'exclamaavecimpatience:—Oh,çan'apasd'importance,abruti.Ledocteurdesyeux,quoi.Se disputant et jetant des regardsméfiants à Khalil par-dessus leurs épaules, le groupe
s'éloigna.Khalilnelesquittapasdesyeuxavantqu'ilssoientauboutdelarueetqu'ilsesoitassuréqu'ilsnereviendraientpas.Puis ilsetournaversGrace.Elleavait lesbrascroisésetl'airsévère.L'étincelledeplaisiravaitdisparu.Ilsentitdesnuagesorageuxseconcentrerdanssonénergie.—C'étaitquoi,cettehistoire?—Ilm'atouché,réponditKhalild'unairimpavide.Elleinspiraprofondémentetlesnuagessedissipèrentunpeu.—Khalil,vousdevezfairedesconcessions.Lesgensnepensentpasclairement lorsqu'ils
ontbu.Ilsnefaisaientriendemal.Il n'était pas obligé d'apprécier ni même de tolérer ce genre de comportements pour
autant.Mais ilnotascrupuleusementcequ'elledisaitens'approchantd'ellepour luipassersonbrasautourdesépaules.L'ivressepouvait faire fairedes choses idiotes,même l'ivressedes sens. Il ferait biende
s'ensouvenir.Gracesoupiraetlepritparlataille.Ilstraversèrentlarueetilouvritlaporte.Unesalvede
lumièreetdebruitl'assaillitcommeilsentraientdanslebar.
15Grace était peut-être venue cinqou six fois auDrôledePotiondepuis qu'elle avait l'âge
légal de boire de l'alcool, soit vingt et un ans. L'intérieur du bar était le même dans toutl'établissement : desmurs de brique nus et beaucoup de bois, des comptoirs en bois, desplanchers, des tabourets, des tables, des chaises en bois. Il y avait trois comptoirs en tout.L'unàl'avant,unautreplusaufondetuntroisièmeausous-sol.Lapatinedel'âgeavaitfoncéleursurface.Ilsétaientmarquéspardesannéesd'utilisationetlustrésparlefrottementdestorchons.Ledécorétaitoriginaletattrayantavecdespostersetdesdessinstrèscoloréssuspendus
auxmurs, et réunis,Grace avait entendudire, au fil des anspar le propriétaire lorsde sesvoyages.Ilyavaitaussiunesonotoutcequ'ilyavaitdeplusmoderneetlesRollingStonespassaientpourlemomentàpleintube.Lepubétaitpleinàcraquer,biensûr,ettoutlemondecriaitpoursefaireentendre.Grace
marquaunepausepours'acclimateraubruit.Des étincelles de Force clignotaient un peu partout dans la foule, comme des lucioles.
Plusieurssorciersetsorcièreshumainssetrouvaientdanslasalle.EllelespercevaitgrâceàlasensationdeleurForce,maisellenereconnutpersonne.Unpassagevoûtéenbriquemenaità une autre partie du pub. Grace y vit un couple de Faes noires absorbées dans leurconversation.Unenainequisedirigeaitverslespiècesdufondsefrayaitunpassagedanslafoule sans ménagement. Elle aperçut le visage taillé à la serpe de la créature. Sa barbetombait jusqu'à sa taille en plusieurs tresses sur lesquelles des perles de couleurs vivesavaientétéenfilées.GraceneremarquapasdeFaeslumineuses.Lepropriétaireétaitpeut-êtredansuneautre
salleouàsonautrepubauborddufleuve.Ellenesesouvenaitplusdesonnom,maiselleaurait parié qu'il devait être suffisamment friqué pourne pas avoir besoinde travailler unsamedisoirs'ilnelevoulaitpas.Unpeuplusloin,elleavisaunvampiremâle.Séduisantcommelaplupartdesvampires,il
étaittoutefoispassablementdébraillé.Ils'appuyaitcontrelebaretdeuxhumains,unhommeet une femme, le tenaient par les épaules. Ils avaient tous les trois le feu aux joues etsemblaientsoûls.Graceplissalefront.Soitilssortaienttouslestroisensemble,soitlevampireétaitunboit-
sans-soif.Certainsvampires,ilsétaientpeunombreuxenfait,neparvenaientpasàarrêterdeboire.Lesvampiresneressentaientpasleseffetsdel'alcoolenleconsommantdirectement,maisils lesressentaients'ilsbuvaientàlaveined'humainsivres.Surnomméslesboit-sans-soif, ilsrôdaientdanslesbarsetcherchaientdesparticipantsvolontaires,proposantdeleurpayerdescoupsenéchangedegorgéesdeleursang,uneformedetrocensomme.Ilsn'avaientengénéralaucunmalàtrouverdesparticipants,étantdonnéquelamorsure
d'un vampire exacerbait le sentiment d'euphorie que l'alcool éveillait, c'était en tout cas ceque Grace avait cru comprendre. Du moment que les humains avaient l'âge de boire, latransactionétaittotalementlégale,mêmesiellepouvaits'avérerdangereuse.Continuerdesesoûleralorsqu'onavaitsubiunepertedesangaugmentaitaussileseffetsdel'ivressepourunhumain, et si un vampire buvait suffisamment d'alcool pour se retrouver dans un état
d'ébriété,ilperdaitsonaptitudeàévaluerquandildevaits'arrêterdepréleverlesangdesesvictimesvolontaires.Ellesecoualatêteenvoyantletrio,setournaetcriaàKhalil:—Jeveuxalleraubaretleurdemanders'ilsserventencoreàmanger.—Commevousvoulez.C'est alors qu'elle remarqua à quel point il était raide et tendu. Son expression était de
nouveauimpénétrableetsesyeuxbrillaientd'unsombreéclat.Elle marqua une pause et le dévisagea. Elle n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait
penser.LesdjinnssontPuissantset imprévisibles,avaitditBrandon.Cela inquiète lesgens.Repoussantcettepenséedésagréable,elleluidemanda:—Est-cequeçava?Ilbalayaitlasalledesyeux,l'aircrispé.—Nevouspréoccupezpasdemoi.Commandezvotrenourriture.—Bien. (Elle jeta un regard autour d'eux.) Je n'avais pas réfléchi à quel point ce serait
difficiledetrouverunetableunsamedisoir.—Jevaistrouverunsiège,répliqua-t-il.Ellehésitadenouveau,scrutantsonexpression.—Nouspouvonspartirsil'endroitnevousplaîtpas,finit-ellepardire.Illaregarda.—Celieuest...Ilfautjustequejem'adapte,cen'estrien.Jevousdirais'ilfautquejeparte.—Bon.Ellesoupira.Apparemment,l'idéedeveniricin'étaitpaslumineuse.Maisàquois'était-elle
attendue?Toutecetteidéederendez-vousétaitabsurde.Maiselleavaitvraimentl'estomacdanslestalons.Peut-êtrequ'ellepourraitavalerunsandwichenvitesseetpuisilspourraientpartir.Khalil traversa la foule. Sa taille et son arrogance naturelle étaient telles que les gens
s'effaçaient d'eux-mêmes devant lui. Se sentant beaucoup moins efficace, elle se faufilacommeelleputetréussitàatteindrelebar.Deuxbarmanssedémenaient.Ellefitsigneà l'und'euxquipassaitdevantellechargéde
grosses chopes de bière mousseuse qu'il déposa à une extrémité du bar. Elle lui fit denouveau signe quand il repassa, chargé cette fois-ci d'un plateau de verres vides. Il ne luiprêtaaucuneattentionetelleserenfrogna.Uneautrechansondébuta,dumêmegroupe.CedevaitêtreunesoiréeRollingStones.Les
parolestapageusesluivrillaientlestympans.Quelqu'un arriva derrière elle et la frôla. Elle se raidit, se rendant déjà compte qu'il ne
s'agissaitpasdeKhalil.Unevoixluiglissaàl'oreille:—Salut,chérie.J'tepaieunverre.Elle jeta un regardméfiant par-dessus son épaule. Un homme séduisant lui souriait. Il
avaitunregardvitreux.Pouah.C'étaitleboit-sans-soif.—Jesuisavecquelqu'un,dit-elleassezfortpourqu'ill'entendepar-dessuslamusique.Et
ilrevientdansuneminute.—Jeluipaieraiunverreàluiaussi,réponditlevampire.Onpourrafairelafête.J'paierai
lescoups.(Ilsepenchaetluiditsurletondelaconfidence:)Tusaiscequiestlepluscoolavecmoi?—J'ail'impressionquevousallezmeledire.— Le pied qu'on peut prendre tous les trois, il est totalement réglo, et pour vous, c'est
gratos.Ehouais,c'estmoiquirégale.(Ils'appuyad'unemainsurlebar,lacoinçantavecsoncorpstoutenladéshabillantduregard.)Purée,fitlevampire,savoixpâteusedéformantsonaccent du Sud. (Il oscilla.) Z'êtes sapée comme un jardin. Ça me botterait de cueillir vos
fleurs.Gracebaissalatêteetpoussaungrognementens'appuyantcontrelebarenessayantdese
dégager.—Jen'arrivepasàcroirequevousveniezdemedireuntrucpareil.— Vous sentez bon en plus. (Le vampire enfouit le nez dans ses cheveux et renifla
bruyamment.)Unpeucommedelapastèque,jecrois.Chaispas,çafaitsilongtempsquej'enaipasmangé,j'merappelleplus.Pouah!Elleréussitàsetournerensetordantetlepoussa.Autantessayerdedéplacerun
arbre.—Non,mais j'hallucine.Mon compagnonn'est pas commode.Vous feriezmieux deme
foutrelapaix.Illuisaisitlesmains.—Ont'adéjàditquet'étaissijoliequetupourraisfairegicleruncadavre?Elleletoisaavecindignation.—Qu'est-cequevousvenezdemedire,nomde...?Aumêmemoment,undesbarmanss'écria:—Earl!Nemeforcepasàvenirtebotterlecul.Arrêtetesconneriestoutdesuiteoujete
fousdehors!—Allez, c'était justeunep'titeblague.Tupigespas ? (Avecun sourire lascif, le vampire
recula un peu en traînant les pieds. Il indiqua l'un des haut-parleurs du doigt.) VampiresRollingStones-lafindeStartMeUp?Ellevautrien,unevanne,sifautquet'expliques...Deuxmains énormes s'abattirent sur les épaules dumalotru. Grace se retrouva face au
visage furieux de Khalil. L'ange déchu avait disparu, remplacé par une expression simeurtrière queGrace sut que les choses allaient vraimentmal tourner pour Earl dans unfuturtrèsproche.— Je ne vais pas dîner, tout compte fait, dit-elle au barman qui était intervenu un peu
avant.Ilneréponditpas,probablementparcequ'ilnel'entendaitpas.ilétaittropoccupé,comme
tout le reste du bar, à regarder Khalil saisir le vampire par la nuque et par la ceinture, lesouleverau-dessusdesatête,etlejeteràtraverslepassagevoûté,luifaisanttraverserdeuxsalles. Le vampire percuta le mur de brique dans un craquement sinistre que l'on putentendre même par-dessus les décibels. Il disparut en glissant au sol. Les conversationss'interrompirent.Unefemmefitd'unevoixrauque:—Quelqu'unpeutdonneràcetypeuncostumedesuper-hérosavecdescollantstrèstrès
moulants?Ellearaison,pensaGraceenobservantKhalil.Ilestmagnifique.Etilal'airbeaucoupplus
grandencorequandilestenrage.Etcettesortieétaitsansdoutelasortielaplusfoireusedetoutel'histoire...C'est alors que l'agitation commença.De l'endroit où le vampire était tombé retentit un
grondement,etunevaguedegensrefluaensebousculant.Khalileutunsouriremauvais.Sescheveuxs'étaientdénouésetflottaientautourdesonvisage.Ilavaitl'airtotalementsauvage.Ilavança.Gracetournaledosauchaosetfitdenouveaufaceaubar.—Est-cequ'ilfautquejefassequelquechose?sedemanda-t-elleàhautevoix.Jenecrois
pas.Toutcecin'estpasmonproblème.Elleavisaunbolremplidecacahuètesetdepop-cornetletiraverselle.Siseulementelle
pouvait atteindre cette bouteille de bière posée sur le comptoir. Ce n'était pas ce qu'elle
aimaitboirenormalement,maisonnepeutpasfairelafinebouchedansunetellesituation.Ellesemitsurlapointedespieds,tenditlebrasetréussitàattraperlegoulotdelabouteilleavecsesdeuxdoigtslespluslongs.Ellelatiraverselle.Puisellefouilladanssonsac,trouvaunbilletdedixdollarsetleposasurlecomptoir.Derrièreelle,lechaoss'amplifiait.Quandelleregardapar-dessussonépaule,elleconstata
que lesgenssemblaientdivisésendeuxgroupes,ceuxquiessayaientd'atteindre laporteetceuxquisedirigeaientverslabagarre.Soitlesecondgroupepensaitpouvoirdonneruncoupdemain,soitilvoulaitparticiperàlarixe.Certains,sansaucundoute,devaienttoucherKhalilsanssapermission.Personnen'avaitcompriscequeKhalilétaitvraiment.Sicelaavaitétélecas,ilsseseraienttousruésverslaporte.Graces'assuraqu'elletenaitsonsacetsonprécieuxcontenufermementcontreelle,puis,
sabièreetleboldecacahuètesàlamain,ellesedirigeaverslegroupequisepressaitverslaporte.Elleréussittantbienquemalàsortir,ellerenversaunbontiersdesabièreetlamoitiédes
cacahuètes,mais bon, elle n'allait pas se plaindre.À l'intérieur, lamusique s'était tue.Descris, des insultes et le bruit de bois qui se fend l'avaient remplacée.Dehors, la plupart desgensquiétaientsortisdubarseparlaientouétaientautéléphone.Quelques-unsriaient.Onentendaitdessirènesauloin.Graceavaladeuxgrandesgorgéesdebièreavantdeposerlabouteillesurletrottoir.Puis
ellemangealescacahuètestoutensedirigeantverslavoiture.Cen'étaitpascequ'elleavaitespérémanger,maisaumoinscelacalmasafaim.La voiture fut silencieuse sur le chemin du retour. Pas de djinn sexy, distrayant,
imprévisible, pasdeChloéquibabillaitni de crisde joiedeMax.Pasde coupsdebambouinattendus sur la tête. Lamaison aussi était silencieuse quand elle déverrouilla la porte etentra.Paisible.C'étaitagréabledeseretrouverseuleunmoment.Les enfants luimanquaient,mais ce serait appréciablemalgré tout d'avoir le reste de la
nuitsanseux.Ellepourraitpeut-êtredormirunpeuplustardpourunefois.Elleposasonsacoùellelemettaittoujours,surl'étagèreprèsdelaporte.Elleeutenviede
se faire cuire quelque chose. Un repas chaud la tentait. Mais l'idée de faire la cuisine ladécouragea.Ellesecontentad'unenectarinequirestaitdudéjeuner.Encomptantletrajetenvoiture,lasortieavaitduréunpeumoinsd'uneheure.Elleavait
vécuquelquesrencardsdésastreuxavecdesgarçons,maiscesoirbattaittouslesrecords.Aumoins,ellen'avaitpasàs'inquiéterdel'heurequ'elles'étaitfixéepourrentrer.Ellepouvaitsebrosserlesdentsetêtreaulitdèsonzeheuresetquart.Elleretiradonclejardindefleurs.(Cueillirvosfleurs.Haha!)Elleenfilaunshort,retira
sonmaquillage et sebrossa lesdents.Puis, toute la soirée ayantprisun tour franchementsurréaliste, elle voulut regarder une nouvelle fois le montant du chèque. Ce superbe,incroyable, morceau de papier qui allait changer sa vie. Elle soupira de bonheur en lerangeant. Ses problèmes et les défis qu'elle devait relever n'avaient pas disparu, mais ellecommençaitàvoircomments'ensortir,etlesoulagementluidonnauntelentrainqu'elleserenditcompteàquelpointelleavaitétéaccabléeparunpoidsénormecesderniersmois.C'est le moment que choisit Khalil pour arriver. Il explosa dans la maison dans un
tourbillondefeuetsereformadevantelle.Ilavaitretrouvésaformeinitiale.Toutennoir.Ilavaitlesmainssurleshanches,sesyeuxbrillaientcommedessupernovasetillafusillaitduregard.Formidable.Monsieurn'étaitpascontent.Graceétaitàpeuprèscertainequecen'étaitpas
sonproblèmenonplus.—Jevousaicherchée.Vousnevoustrouviezpasdanslevoisinageimmédiatdubar.
—Non,n'est-cepas?Vousavezpasséunbonmomentpourvotrepremierrendez-vous?—Jenecroispasquecesoitainsiquelesrendez-voussontcenséssepasser,l'informa-t-il.— Vraiment ? (Elle s'assit sur le canapé.) Et comment croyez-vous que les rendez-vous
soientcenséssedérouler?Etqu'est-cequiacloché,selonvous?—Ceconnardamissesmainssurvous,fit-ildemanièrecrispée.Ilvousaoffensée.Ellesecoualatête.—Nan,fit-ellecalmement.Cen'estpascequiacloché.Vousvouleztenterdemedonner
uneautreréponseouest-cequejevousexplique?Ilrestacoi,lesyeuxrivéssurelle.—Bon,onyva.Vousavezeutort.J'aieutortdesortiravecvous.Lerendez-vouslui-même
étaitunemauvaise idée.Nousavonspris ladécisionde sortir et àpartirde là, il ya euuneffet de boule de neige. Bien sûr que la sortie a été désastreuse. C'était inévitable. Noussommesauxantipodes l'unde l'autre,des créaturesdiamétralementopposées je veuxdire.Vousêtesunprincedesdjinns-etjenesaistoujourspascequecelaveutdire...— Cela ne veut rien dire, coupa-t-il. C'est un titre honorifique. Tous les mâles les plus
vénérables des cinqMaisons sont des princes, et les femmes les plus vénérables sont desexcellences.Cesontdestitresderespect,riendeplus.— D'accord, dit-elle sans insister. Bon, ça n'a pas d'importance. Rien de tout ça n'a
d'importance.Jesuismortelle.Vousnel'êtespas.Jesuishumaine.Vousnel'êtespas.Nousvenonsdeculturestrèsdifférentes;nousavonsdesattentes,desaptitudes,desobjectifspournosviesquisontdifférents,et...—Arrêtez,dit-il.Vousnousfaitesperdredutemps.Illastupéfiaunenouvellefois.—Quoi?—Notresortien'estpasfinieetvousnousfaitesperdredutemps.(Iljetauncoupd'œilàla
penduledusalon.)Nousavonsquaranteminutesavantminuit.—Vousn'êtespassérieux,dit-ellefaiblement.—Jesuistotalementsérieux.(11s'approcha,luipritlamainetlatirapourqu'elleselève.)
Vousavezconcluunmarché.Vousallezl'honorer.—Khalil,non.—Si. (Ilavait l'airrésolu, impitoyable.Pire, ilavait l'airaussicalmequ'elle l'étaitencore
quelquesminutesauparavant.)Toutn'apasétédésastreux.Vousvousêtesamusée jusqu'àuncertainpoint.Vousriiez,vousétiezgaie.Jevousobservais.Jecomprendstellementmieuxqu'avant les histoires que raconte votre visage. Je connais l'expression de votre bonheurdésormais.Elle frissonna comme son énergie glissait contre elle et qu'ils s'alignaient une nouvelle
fois.Cettechoseétrangequ'ilsfaisaientensemble,c'étaitplusqu'agréable.C'étaitincroyable.Elleluttapournepasyprêterattentionetmurmura:—Çaneveutpasdirequej'aitort.—Vousaveztort,déclara-t-ild'untonsiassuréqu'elleenfutsecouée.(Vraimentsecouée.)
Lebaisern'étaitpasdésastreux.Ilétaitparfait.Elledéglutitavecpeine.Ellenevoulaitpaspenserà cebaiser,parcequ'il avait raison, il
étaitparfait.Sonémerveillement,sonexplorationtendre,douce.—Je...necroispasquecelacomptelorsqu'onmesuretoutcelaaveclereste.—Bienentenduqueçacompte,fit-il.(Ilcaressasajoue,puissoncou,traçal'échancrurede
son vêtement de son doigt. Il regarda l'endroit où il avait laissé glisser ses doigts et sonexpressiondevintavide. Il luiditd'unevoixrauque :)J'aidûabandonnermonautre formeafindepouvoirme transporter ici.Jen'aipas laForcede la créeruneseconde fois ce soir.Mêmesijeleveux,trèsfort.
LecœurdeGracesemitàtambourinercontresescôtes.—Jen'auraispasdûvouslaisserainsi,murmura-t-elle.—Jen'auraispasdûvouslaisserseuleaubar.Ses doigts effleurèrent ses bras nus, puis ses mains se posèrent fermement sur ses
hanches. Il baissa la tête afin de s'approcher davantage d'elle, lentement, avec un regardintense.—Nousaurionsdûpartirdèsquenousavonsvuàquelpointc'étaitbondé.Sespaupièresétaientsilourdes.Ellessefermèrent.—J'auraisdûvousembrasserunedeuxièmefoisdanslavoiture.Etunetroisièmefois.(Sa
boucheseplaquasurlasienneetill'embrassaprofondément,avecuneaviditéquimontaenspiraleetàlaquelleelleréponditavecsaproprefaimdeplusenplusmordante.Ilgrondaetmarmonnacontreseslèvres.)Cen'estpaslamêmechose.Maisc'estencoresacrementbon.Le désir, jaillissant dans un bouillonnement de chaleur, palpita en elle, délicieusement
insupportable. Ses tétons se dressèrent et la partie intime entre ses cuisses la tourmenta.Khalil feulacontreses lèvreset sonénergie rugitenécho,unvéritablebrasierdesexualitépure.—C'est...moins?demanda-t-elle.—Non.C'estdifférent,c'esttout.Maisjeveuxsavoircequec'estdevousfairel'amouràla
manièredeshumains.Jen'aiencorejamaisfaitl'amouràpersonnedecettefaçon.Jamais?—Fairel'amour?gémit-elle.Illaissaglissersabouchebrûlantesursajoueetlelongdesoncou.—Fairel'amour,affirma-t-ilcontrelapeaudélicateaucreuxdesagorge.(Et,semettantà
latutoyerpourlapremièrefois,ilajouta:)Jeveuxquetum'apprennestoutcequetusais.Jeveuxquenousnousenseignionstout.Jeveuxquetumemontresàquelpointlecontactdedeuxcorpsquis'épousentpeutêtreexquis.Maispourl'instant,Gracie...(Il levalatêteetlaregardaavecgravité.)Laisse-moitemontrercommentjepeuxtefairel'amour.Ellen'envisageapasunesecondedeluidirenon.Il l'avaittropexcitéeparsesmotspour
renoncermaintenant,etilsavaientparcourutellementdechemindéjàdepuisleurpremièrerencontre.Ellesecontentadeplongerdanssesyeuxétoilesensaisissantsescheveuxcouleurdenuit;elleleslibéradeleurlienetdit:—Oui,jet'enprie.Il souritet luicaressa levisage.Puis il l'embrassadenouveau,et toutesa fougueet son
intensitédéferlèrentenrugissanttandisqu'ilplongeaitdanssabouchedouceetaccueillante.Sa sexualitédansait le longde lapeaudeGrace, et la faimqu'elleavaitde lui se fit encoreplusdévorante.Ilgronda,ouétait-ceelle?Lasoiedeseslongscheveuxs'entrelaçadanssesdoigts comme elle les prenait dans ses poings, lui rendant ses baisers demanière presqueaffolée.Puisillasouleva.Pasavecsesmains.Saprésences'intensifiaetGracesesentitdécollerdusol.Illuifallutquelquessecondespourprendreconsciencedecequ'ilsepassait.Ellecessade
l'embrasser,àboutdesouffle,désorientée.—Attends...est-cequetu...?—Attendrequoi?fit-ilenluiprenantlevisagedanssesmainsetenmordillantdoucement
seslèvres.(Sesmainspuissantesseposèrentenmêmetempssursondos.)Est-cequejesuisquoi?Hein?Elledégageasaboucheetregardaautourd'elleavecaffolement.
Elle était suspendue quelques centimètres au-dessus du sol, totalement soutenue. Sespiedsneballottaientpas.Songenoun'étaitpasdouloureux.Khalill'observaitavecunregardlangoureuxetunsourirelascif.Tandis que sesmains - ses deuxmains - se glissaient sous son tee-shirt et se posaient
contresapeau.Etquede longsdoigtsbrûlantsse faufilaientdanssescheveuxcourts,puismassaientsa
nuqueetsoncrâne.Puisdeuxmainsdescendirentjusqu'àsescuisses,touchèrentlapeausensiblederrièreses
genouxetlessaisirent.Elleleregardait,effarée.—Khalil.Sonsourires'élargitetilpritunairespiègleettendre.—Détends-toi,jetetiens,tun'asrienàcraindre,murmura-t-il.(Puisl'incandescencequi
l'habitait fit évaporer sonsourireet tout cequi resta sur sonvisageélégant futuneaviditésauvage.)MonDieu,jetesenspartout.Parcequ'ils étaient alignés,Force contreForce,masculinité contre féminité, saprésence
l'enveloppantetlasoutenant.LeslèvresdeGracetremblèrentetellemurmura:—Tantmieux,fit-ilSesyeuxdediamantlançaientdeséclairs.Ilbaissalatêteetilrepritsabouche,violemment,etelleoubliatout.Safacultédepenser
étaitréduiteencendres.Ses mains étaient partout à la fois. Littéralement. Des doigts habiles soulevèrent son
débardeuretcaressèrentlapeausoussesseins,dessinèrentdescerclesdeplusenpluspetitsjusqu'àcequ'ilsatteignentsestétons.Ilfitroulerlespointessensiblesentresespoucesetsesindex.Pendantquedesdoigtsadroitspassaientlelongdel'ourletdesonshort,traçaientlegalbe
de ses fesses, titillaient la peau sensible de l'intérieur de ses cuisses avant de s'insinuerdoucementsousl'élastiquedesaculotte.Pendantque lesdoigtshabiles qui soutenaient ses genoux l'encourageaient à écarter les
cuisses.Etill'embrassaitetl'embrassait,avidement,tendrement,modifiantlerythme,lacadence,
et laprofondeurcommeilplongeaitsa langue,puis il semità laper lescommissuresdesabouchetremblante.Simultanément,deslèvreschaudesethumidescouraientàl'arrièredesoncoutandisqu'il
léchaitlaveineaffoléequibattaitàsagorge.Elle sentait aussi une bouche le long de son buste pendant qu'il dégrafait son soutien-
gorge.Ilpinçadélicatementsonseintoutenprenantlapointedanssaboucheetenlasuçant.Tandisqu'ilpinçaitetmalaxaitsonautreseinetprenaitcetéton,lesuçaitetlemordillait
délicatement.Oh,monDieu,ilsuçaitsesdeuxseins.Enmêmetemps.Pendantqu'ilarrachaitsonshortetsaculotteetgrondaitdanssaboucheenl'embrassant
etque sa langue s'introduisaitdans sa fente et fouillait son sexe, la léchait etparvenait aupetitboutondurdesonclitoris.Elletenditlesmains,cherchantdésespérémentàs'agripperàquelque chose de lui, et il enferma sesmains dans sa poigne chaude et puissante tout encontinuantàlacaresseretl'embrasserpartout.Etalorsqu'illapropulsaitdansl'étatdefrénésieleplusintensequ'elleaitjamaiséprouvé,
ellelesentitpresseruntendrebaiseraubasdesesreins.
C'étaitau-delàdelaperfection.Ilétaitpartout,partout,affamé,explorantleszoneslesplusintimesdesoncorpsavecune
aviditétendre.Ellerejetalatêteenarrièreetpoussauncri, lesmusclestremblants,bandéspar lapassionqui jaillissaitd'elleetsedéversaiten lui,puisrevenait,plus forte,plusdure,saufquec'étaitsapassionàlui,sereversantenelle.—Ilfautquej'entreentoi,murmura-t-ilcontresabouche.—Alorsvas-y,pourl'amourduciel!hurla-t-elle.Savoixreflétaitl'étatdanslequelellesetrouvait:auborddelafolie.Il pressa l'entrée gonflée et palpitante de son intimité et la sensation fut parfaite ; un
membrerigides'introduisitdanssonsanctuaire,l'investit,etaumêmemoment,iltitillasonclitorisdesalangue,léchasavulve,suçasesseins,luicaressadoucementledosetluitintlesmainscommes'ilétaitsonmeilleurami.Quelqu'unjuraitdemanièreincohérenteetelleseditquec'étaitpeut-êtrebienelle...Etildit:—Grace.Simplement.Mêmeauparoxysmedesondélire,elleentenditlesondesavoixpure.Elleouvritlesyeux.Ilavaitperdusaformephysiqueettouteapparencehumaine.Unefuméenoirevirevoltait
autourd'elle.Ellereposaitaucentreducyclone.Sesyeuxcristallinsétaientjustedevantelle,étincelantdeForceetd'émotion.Ellecrutapercevoirseslongscheveuxnoirspassantdevantsonbeauvisage.L'ultimedélivrancedéferladanstoutsonêtre.Ellefutemportéeau-delàdelapensée,dela
paroleetdetouteperceptionrationnelledesessens.C'estalorsqu'iljouitenelledansuneexplosiondéchaînéed'incandescenceetellesutque
c'étaitsonvraiorgasme.SesdeuxForces,celleaveclaquelleelleétaitnéeetcelledontelleavaithérité,s'élevèrent
pourlefairesien,alorsmêmequ'illarecouvraitdesapropreForceimmortelleetlumineuse.Comme ils s'entremêlaient, plus proches que des amants, elle sentit son propre corpsatteindreunecime.LacomplétudelaplusexquiseduplaisirsetransmitàKhalilaprèsl'avoirtraverséedepartenpart.Ellelesentitfrémiràcedélicieuxéchange.Son assaut se changea peu à peu en étreinte fascinée. Elle percevait chaque nuance
d'émotion qui le parcourait, de l'intense satisfactionmasculine de lui avoir apporté un telplaisiràsonpropreémerveillementébahienfacedeleurunion.Ils ne pouvaient rien se cacher. Elle était nue jusqu'à l'âme, aussi désarmée qu'un
nouveau-né.Elleréintégrasonenveloppecharnelleetserenditcomptequ'elleétaitsecouéede spasmes. Khalil reprit forme humaine devant elle. Il était nu et agenouillé, son sexetoujours en elle. Elle était assise sur ses genoux, les cuisses largement écartées, les brasautourdesoncou.Illatenaitserréetoutcontrelui.—Tum'asanéantie,murmura-t-elleenfrissonnant.Iln'yavaitriendethéâtraldanssesmots;ilsreflétaientsimplementlavérité.Elleétaitde
retourdans soncorps,maisellen'avaitpasencore reprispleinepossessionde sesmoyens.Ellen'étaitpluslamêmepersonne.—Tunecrainsrien,murmura-t-ildanssescheveux.(Illaberça.)Tunecrainsrien.Elleposalatêtesursonépaule.Ellecompritauboutd'unmomentqu'ilmontaitl'escalier.
Elleétaitàpeuprèssûrequ'ilnemarchaitpas.Puisilsfurentdanssachambre.Sonlitquineservaitplusétait simplement fait :desdraps,unecourtepointe. Il ladéposadessus.Elle setournapourseblottirducôtédesajambevalide.Ils'étenditderrièreelleetl'enveloppad'unbras,selovantcontresondos.
Iln'avaitpasbesoinde le faire.Saprésenceétaitpartoutdanssachambre,avecousanssoncorpsphysique.Ildevaitenavoirenvie.Ildevaitsavoirqu'elleenavaitbesoin.Ellesentitseslèvrescontresonépaule,puissonvisagedanssescheveux.Ilsrestèrentsilencieux.Elle,entoutcas,n'avaitrienàdire.Elleavaitapprisencoreunechosequ'ellenepouvaitpasdésapprendre.Sapenteglissante
ne lui avait pas fait dégringoler unemontagne. Elle l'avait précipitée dans une dimensionentièrementdifférente.Ellen'avait jamaisprisausérieuxlesgensquitombaientamoureuxaprès avoir fait l'amour. Elle avait toujours été convaincue qu'ils confondaient l'intensitéd'uneexpérienceavecuneémotionréelle.MaisKhalilavaitpulvérisésaconceptionmêmedurapportcharnel.Elles'était reformée
enquelqu'und'autre,uneétrangèrehumbleàsoi-même.Cetteétrangèresavaitsanslemoindredoutequ'elleétaitentraindetomberamoureusede
lui depuis unmoment. Et elle ne pouvait pas imaginer vouloir un jour faire l'amour avecquelqu'und'autre. Ilavaitpris tout sondésiravecune telleaisancequ'ellenes'étaitmêmepasrenducomptequ'elleluidonnaittoutcequ'elleavait.Ellefermalesyeuxets'endormit.Même dans son sommeil, elle sentit le dernier changement minuscule dans le cycle
lunairequilaissaitplaceàlalunedel'Oracle.
16Grace semit à rêver. Ellemarchait sur la propriété, la nuit. Il faisait tellement sombre
qu'ellenevoyaitpasoùelleallait.Elleavaitperdusalampetorche.Puislesétoilestombaientet l'environnaientde lumière.Ensuite, ellenageaitdansunocéandenuit et les étoilesquil'entouraientétaientlesétincellesd'innombrablesâmes.L'eau l'emportaitvers l'avant,plusviteetavecplusde forcequ'ellenes'yétaitattendue.
Elleétaitprisedansuncontre-courant.Quandelleregardasurlecôté,Petraetsagrand-mèrenageaientavecelle.— Tu vas dans le mauvais sens, lui dit Petra. (Sa sœur avait le même ton qu'elle lui
connaissait,remplid'affectionexaspérée.)Ilfautquetufassesdemi-tour.—Jenesaispascommentfaire,ditGrace.Jenesaispasoùjevais.Jesaisseulementoù
j'aiété.—Tun'aspresqueplusdethonenboîte,luiditsagrand-mère.—Maissi.Jeviensd'enacheterdeuxboîtes.—Nerestepasdanslamaisonlorsquetuferascuiretongratin.Ilferatropchaud.Sagrand-mèreluisourit.—Mamie,pourquoitunevienspasmevoir?demandaGrace.Tuaimeraisbienbavarder
danslacuisineaveclesautresfemmesetj'aimeraisvraimentteparler.Maissagrand-mèreavaitdisparu.PuisPetradisparutaussietlecourantpoussaGracede
plus en plus vite jusqu'à ce qu'elle dévale un tunnel noir. C'était comme naître à rebours,rentrerdans la caverneau lieud'ensortir.Puis l'eau la crachasur le solde la caverne,auxpiedsdequelqu'un.Unefemmedehautetailles'agenouilladevantelle.Elle tenait lemasqued'orde l'Oracle
devantsonvisage.Dèsqu'elleleregarda,Gracesutquecemasquen'étaitpasunereproduction.C'étaitlevrai,
jusqu'auxminusculesérafluressursasurfaceprécieusecauséesparlepassagedutemps.Elleétudia les trous pour les yeux, essayant d'identifier la personne qui se trouvait derrière lemasque.Maisiln'yavaitpasd'yeux.Lestrousétaientnoirs,maisilsn'étaientpasvides.Ilsétaientremplisdequelquechosed'incroyablementvasteetPuissant.—C'estétrange,fit-elle.L'immensefemmelaconsidéra.—Qu'est-cequ'unesimplemortellepeutfaireavecuneForceimmortelle?—Jenesaispas.Riennesepassecommeprévu.Est-cequevousallezm'aider?Leslèvresparfaitesetinhumainesdumasqued'ors'incurvèrentenunsourire.—Oui,jevousaiderai,maispourparvenirjusqu'àmoi,vousdevezallerdanslemauvais
sens.Vousnepouvezmetrouverquesivouspuisezauplusprofond.—VousêtesNadir, fitGrace.Bien sûr.Oùpourrait être ladéessedesprofondeurs, si ce
n'étaitdanslesentraillesdelaterre?Pourparvenirjusqu'àvous,àquelleprofondeurdois-jealler?—Essayezdevousnoyer,répliqualadéesse.(L'océandenuitremplitlenezetlabouche
deGrace,etellesedébattit.)Nevouspréoccupezpasdecela,ajoutaNadir.Vousavezquittévotre corps déjà une fois ce soir. Vous pouvez le faire une seconde fois si vous le voulez
suffisammentfort.—Grace,fitKhalil.Etellel'éprouvaunenouvellefois,cetteconvictionquelorsqu'ill'appelaitdesavoixpure,
éthérée,elleiraitn'importeoùaveclui,absolumentn'importeoù.Personnen'auraitdûêtreenmesuredelasuivre,maisKhalillepouvaitparcequ'iln'avait
pasd'enveloppecharnelle.Unefuméenoirevirevoltadanslacaverneet,aucœurdesvolutes,des yeux de diamant qui faisaient penser à des étoiles étaient rivés sur elle. Il ne prêtaitaucuneattentionàNadir.Ladéesseeutl'airamusé.—Vousavezraison,ditNadir.Iln'estpascommode.DesmainsbrûlantessaisirentGraceetlasortirentdel'océan.Graces'éveillaensursaut.Elleétaitétenduesurledos.Khalilavaitdûallumerlalampede
chevet.Ellediffusaitunelueurtamiséeetdorée.Ilétaitpenchésurelle,lessourcilsfroncés,etlasecouaitparl'épaule.Sescheveuxnoirstombaientsursonvisage.—Qu'ya-t-il?demanda-t-elled'unevoixpâteuseenleregardant.Elle ne l'avait jamais vraiment vu nu avant qu'ils fassent l'amour. Ou peut-être que si,
puisqu'elle l'avait vu sous sa vraie forme. Le corps qu'il avait choisi d'endosser étaitparfaitement formé,depuis lesmuscles saillantsde son torseetde sesépaules jusqu'à sonventre plat, ses hanches minces et ses longues jambes. Son regard s'attarda sur son bas-ventreoùsesattributsvirilsétaientaussiparfaitsquelereste,sonmembreformantunarcgracieuxetreposantsurlesrenflementsjumeauxdesestesticules.Elle passa une main le long de sa poitrine chaude et lisse en se rendant compte qu'à
l'exceptiondelacascadedesescheveuxnoirsetdesessourcils,iln'avaitpasdepoils.Ilétaitcomplètement,inhumainementbeau,sapeaud'ivoiredoréeparlalumièrevenantdelapetitelampe.Parcontraste,soncorpsàelleétaitimparfaitsoustouslesangles.Sestétonsrosefoncése
souvenaientdeslèvresgourmandesquilesavaientsucés.Unbleuseformaitsursahanchelàoùelles'étaitcognéesur lecoindelatabledelacuisineplustôtdansla journée.Elleavaitunelonguecroûtefinesurl'undesesavant-bras,cadeaudelatimbrée.Etoui,biensûr,ilyavait les cicatrices sur ses genoux, bla bla bla, et elle sourit en prenant conscience du peud'importancequ'ellesavaientdésormaispourelle.Le teint de pêche de sa peau humaine contrastait richement avec le teint demarbre de
celledeKhalil.Satoisondouceetemmêléeétaitd'unblonddoréplusfoncéquesescheveux.Àsamanière,sedit-elleavecunepointed'embarras,elleétaitaussibellequelui.Ilsétaientparticulièrementbeauxensemble.Tuesmonamant,pensa-t-elleenleregardantetenclignantdesyeux.Elledéglutit.Mon
amant.Aumoinspourcettenuit.Quelpremierrendez-vousaussicalamiteuxqu'incroyablementspectaculaire.Etcomment
aurait-ellepus'attendreàautrechoseaveclui?Son cœur se serra ou peut-être qu'il se dilata. En tout cas, il ne se comportait pas de
manièrenormale.Elle se sentait étourdie et gaie, vraimentheureusepour la première foisdepuisuneéternité,etabsolumentterrifiée.Ilposasesdoigtssoussonmentonetluifitleverlatête.—Écoute-moi,jeteparle,fit-ild'untonirrité.Maissonexpression,elle,étaitinquiète.—C'estdoncça,lebruitquej'entends,dit-elle.Elle jetauncoupd'œilà lapendulettequi indiquait 1h42.Ellen'avaitmêmepasdormi
une heure et demie. Elle bâilla à s'en décrocher lamâchoire, puis ses yeux se refermèrent
tandisqu'elles'enfonçaitdanssonoreiller.S'ilétaitmerveilleuxdepouvoirs'étirerdanssonlitettotalementfantastiqued'êtreaulitaveclui,lepremierétagedelamaisonétaitétouffantetKhalildégageaitbeaucouptropdechaleur.Hé,elleavaitunchèquedanssonsac.Ellepouvaitsepermettred'utiliserplusd'électricité.
Ellemarmonna:—Je referai l'amouravec toi si tu fermes toutes les fenêtres etmets la climatisationen
marche.Elle essayait demarchander quelque chose pour laquelle elle serait prête à supplier de
toutefaçon.Pourquelqu'unquichoisissaittoujourslaroutedesfous,c'étaitplutôtsage.Elleenfouitlevisagedanssonbrasetpouffa,tandisquesesyeuxpleuraientdeplusbelle.Ciel,qu'avait-il fait.Au-delàde l'impossibilitéphysiquede leursébatsamoureux, il avait
abolileslimitesdesoncorps.Illaissaéchapperunjuron.Ellesursautatandisquetouteslesfenêtressefermaientetque
l'appareildeclimatisationantédiluviendesachambresemettaitenroute.Elleouvritlesyeuxengrandcommeillaprenaitparlesépaulesetlaforçaitàseredresser.—J'aidit:écoute-moi,fit-ild'untoncoupant.Ilparaissaittroubléet,endépitdeleurnudité,pasdutoutémoustilléousensuel.Ellese
sentitsoudaincomplètementréveillée.—Jet'écoute.(Ellefronçalessourcilsquandsonespritseremitàfonctionner.)Jefaisais
unrêvebizarreavantquetumeréveilles.—Jet'airéveillée,fit-ilentresesdents,parcequetutecomportaisdemanièrebizarre.—Commentça?—CetteancienneForcedonttuashérité.Tusaisquetuasexpliquéqu'ellesetrouvaitau
bord de ta conscience, ancrée très profondément ? (Elle hocha la tête.Maintenant qu'ellel'écoutait vraiment, il relâcha la prise qu'il avait sur elle. Il lui caressa les cheveux.) Je laperçois.Etelleestexactementcommetul'asdécrite,trèsprofonde,commesiellereposaitauborddetapensée.Pendantquetudormais,elle...s'estlevée.—Qu'est-cequetuveuxdirepar«elles'estlevée»?—Elle t'a remplie commesi tu étaisunverre vide.Puis elle a jailli de toi et a rempli la
pièce.C'estàcemoment-làquejet'airéveillée.(Sonregarddediamantlascrutait.)Ques'est-ilpassé?Ellesefrottalefront.—Jenesaispas.J'aijusterêvé.—Dequoi?—C'estdifficileàdécrire.C'étaitunrêve,quoi.—Essaie.Laclimatisationétaitàfondetl'appareilsoufflaitunairglacésursapeaunue.Elletirala
courtepointe et le drap en frissonnant et se pelotonna dessous. Après une seconded'hésitation,Khalillarejoignit.Illapritdanssesbrasetelleselovaavecbonheurcontrelui,posantlajouesursapeauchaudeetlisse.Cen'étaitpasseulementquesachaleurfûtsoudainbienvenue.Ilavaitchoisidelaprendre
danssesbras.Peut-êtrequ'illefaisaitpourelle,maisill'avaitfaitsansqu'elleleluidemande,alorsildevaitl'avoirfaitaussipourlui.Saprésencel'enveloppaaussisûrementquesesbrasetiln'essayapasdeluiprendresaforce.Illuioffritlapossibilitédereposercontrelasienne,etc'étaitsibon.Une fois qu'elle se mit à parler, elle ne s'arrêta plus. Elle commença avec le rêve et
remonta en arrière, et elle raconta tout de travers parce que tout sortit de manièreenchevêtrée.
Le rêve.Ladéesse.FrapperPhaedrad'un sortd'expulsionqui l'avait fait voltigerdans lacaverne.Lamanièredonttoutlemondes'étaitcomportédanslajournée,Oliviamiseàpart.Brandon ou Jaydon ou quelqu'un avait menti ou elle avait mal compris ou n'avait pasentendu,mais il était étrange que soudain douze personnes seulement au lieu de dix-huitsoientvenues.Laconversationqu'elleavaiteueavecIsalynn,remettreàplustardsesdevoirsd'Oracle,s'entraîneraveclaForcejusqu'àcequ'ellepuissel'appelerquandellelevoulait,qu'ilfassejourounon,oùqu'ellesetrouve.Luiparlerétaitaussitranscendantquefairel'amouraveclui.C'étaituntelsoulagementde
seconfier.Mêmes'illuidemandaitdetempsàautreuneprécision,ilnelapressapasetnefitpreuved'aucuneimpatience,etiln'essayapasdel'interrompre.Dumoinsjusqu'aumomentoùelleluiparladufantômedelafemme-serpent.Saformephysiquesedissipaet,priseparsurprise,Gracetombaenavant.Sonnezsécrasa
surl'oreillercontrelequelilétaitadossé,etsescheveuxsesoulevèrenttandisqu'uncyclonesedéchaînaitdanssachambre.Elleseredressaprudemmentsuruncoudeetlevalatêtepourregarderautourd'elle.Collectionner des bibelots ne l'avait jamais tellement intéressée, et le matin même, on
avait descendu sa petite boîte à bijoux avec la commode. C'était probablement une bonnechose, vu que sa pendulette ainsi que trois livres de poche assez poussiéreux et sa lampefurent projetés par terre. Le tourbillon entortilla les rideaux ; toutes les portes dupremierétageclaquèrent,serouvrirentviolemment,etlesfenêtrestremblèrent.Parmiracle,l'ampouledelalampenes'étaitpascassée.Lalumièrediffuséedepuislesol
jetaitdesombresdémesuréessurtout.Lachambreparutsoudainétrangeetmenaçante.Etellesentaitqu'ilétaithorsdelui.Était-ilentraindepiquersaversiond'unecrised'hystérie?Elles'adossacontrelesoreillersetposaunbrassursatête.—J'espèrequetusais,dit-elleaucyclone,queturamasserastoutcequiesttombéetque
turemplacerastoutcequiestcassé.Ilpoussaun juron.La lumière tremblotaviolemment tandisque la lampe s'arrachaitdu
soletatterrissaitsurlatabledechevet.—Tumedisquetaraisonettavieontpeut-êtreétéendangeret je l'apprendsdes jours
plustard?Ouais.Crised'hystérie.—Arrêtedehurler.Toujoursdésincarné,ilplongeasurelle.Lecycloneentierbouillonnaderagesurl'espace
dulitdouble.L'airétaitlourd,beaucouptropdense,etlechangementdanslapressionluifitmalauxoreilles.Est-cequec'étaitsonproblème?Oui,celui-là,sansdoute.Elletiralesdrapspar-dessussatête.Illesarrachaaussitôt.—Bordel,Grace,commentas-tupu fairequelquechosed'aussidangereux?Pourquoi tu
nem'aspasappelé?Tuescenséem'appeler!Sonnezlapicotaetunelarmesemitàcouler.Ellel'essuyarageusementdudosdelamain.—Tudramatisesbeaucouptroplasituation.—Commentça?fit-ild'untoncoupant.—Jenesavaispasqueceseraitdangereux,dit-elledoucement.Lespersonnesvenuesme
consulter hésitaient à entrer dans la caverne, et je les ai laissées à l'entrée discuter. J'aisimplement pensé que si la Force était venue une fois en plein jour, j'étais sans doute enmesure de l'invoquer de nouveau. Je ne soupçonnaismême pas l'existence de ce fantômejusqu'àcequ'ellesurgisse.Ilétaitalorstroptardpourfairequoiquecesoit, il fallaitqueje
gèrelasituation.Jen'aiabsolumentpaseuletempsdepenseràt'appeler,toiouquelqu'und'autre,etmêmesijel'avaisfait...—Etsitul'avaisfait?lapressa-t-il.—Mêmesi j'avaispensé t'appeler,celan'aurait riendonnédebon.Parceque tun'aurais
rien pu faire. Personne ne pouvait faire quoi que ce soit. Tout ce qui s'est passé, laconversationavec le fantômecl la lutte, tout s'estdérouléenmoi.Quand j'aipuenfindirequelquechose,c'étaitterminé.Ilpritformederrièreelleetlaretournadesortequ'ellesoitétenduesurledos.Sesgestes
étaientsitendresquelorsqu'elleouvritlesyeux,l'expressiondesévéritéquitransformaitsestraitslapritaudépourvu.—Jedemandeleremboursementdelafaveurquetumedois,fit-ilfroidement.Secouée,ellebalbutia:—Quoi,maintenant?—Est-cequetuesenmesuredepayertadette?—Biensûr.Dumomentquecelan'affectepaslesenfants...Il l'interrompitenposantunemainsursabouche. Il sepenchaplusprèsd'elle, lesyeux
étincelants, si bien qu'elle ne pouvait plus rien voir d'autre que lui, et que la seule chosequ'elleressentaittoutautourd'elleétaitsonénergie.—Tum'appelleras.Pendanttoutlerestedetavie,tum'appelleras.Jemefousquetusois
d'humeuroupas.Jemefichequelaraisonsoitvaine,jemefiched'arrivertroptardouquetupuisses régler le problème toute seule ou que tu aies peur. Tu m'appelleras, Grace. Tum'appelleras.Elleécarquillalesyeux.Ilnemaîtrisaitpastotalementsaformephysique.Elleondulaitou
peut-êtrequesamaintremblaitsimplementdelamêmeémotionquifaisaittremblersavoix.Ses yeux ne lançaient pas juste des éclairs. Ils étaient trop brillants, même pour lui. Elleécoutanonseulementcequ'ilavaitdit,maiscequ'iln'avaitpasdit.Sacolèremasquaituneautreémotion.«Tum'as faitpeur»,avait-ilditplus tôt,et lapeur, iln'yétaitpashabitué. Ilétait trop
arrogantetPuissant,trophabituéàvivredanslecontentementtranquilleetsuffisantdesonexistenceimmortelle.Elleenroulasesdoigtsautourdesonpoignetetécartasamaindesabouche.Ilouvrit la
siennepourdirequelquechose,maislalaissafaire.Leboutdesesdoigtseffleuraseslèvres.—Jet'aimeaussi,fit-elle.(Décidément,sonsensdel'orientationdésastreuxquiluifaisait
empruntersystématiquementlaroutedesfousétaittoutàfaitinfaillible.Ellevitl'impactdesesmots changer son expression, et elle semit àbredouiller.) Je saisque c'est ridicule.Etmoi qui pensais que la différence d'âge entre Hugh Hefner et ses petites amies étaitinsensée...Etpuis,quia letempspourcegenredetruc,hein?Jecroisqueçam'esttombédessusquandtuasprisMaxsurtesgenouxlapremièrefois...Elleneputfinirsaphrase.Khalilpassaunemainderrièresatête.Ilsepenchaverselleet
saboucheseposasurlasienne.Celan'avaitplusaucuneimportancequel'Oraclenesoitpascenséeénoncerdesprophétiespourelle-même,parceque,àcemoment-là,Gracesutqu'ellel'aimeraitinconditionnellementjusqu'àlafindesesjours.Il l'embrassa et l'embrassa encore, comme il l'avait fait avant, doucement, avidement, la
transperçantdesalanguedefeu,etellebrûlaitpartoutoùillatouchait,partoutsursoncorpsetauplusprofonddesonâme.—Tum'appelleras,fit-ilcontreseslèvres.Jure-le,Gracie.Jenepeuxpassupporterl'idée
quetunem'appellespas.—Jelejure,murmura-t-elle.
Ellesentitledésirl'enflammerdenouveau.Ilavaitdéjàmistoutsonêtreànuunefois,etellesentaitquec'étaittroptôt,qu'ellen'étaitpasencoreprêteàéprouverdenouveauuntelépanchement de passion. Et pourtant, elle en avait besoin, elle avait besoin de lui. Elleenfouitlesdoigtsdanssescheveuxetsemitàtrembler.—Chut,doucement, fit-il. (Il l'attrapadélicatementpar lahancheenposantsonfrontau
creuxdesonépaule.Sondésiràluidemeuraégal,contenu.)TaForceestencorestimulée.Jen'aimepasàquelpointcelat'amiseendanger.Lamaîtrisedesoidontilfaisaitpreuvel'aidaàretrouverlasienne.Ellesefrottalevisage
enconsidérantl'inconnuequ'elleétaitdevenue.— Je n'ai pas la sensation qu'elle soit stimulée, fit-elle. Peut-être qu'elle te semble plus
accentuéeparcequ'aujourd'hui,c'estlalunedel'Oracle.LaForcefluctueaveclecyclelunaire.Illevalatêteetlaregardad'unairsoucieux.Ellesentitqu'illasondaitsoigneusement.La
sensation était délicieuse, comme s'il passait lentement lesmains le longde sesmembres.Souslepoidsdesoncorps,elles'étiraetpoussaunsoupir.— Tu as raison, fit-il. Elle est plus forte que la nuit dernière.Mais il n'y a pas que ça.
Quelquechoseachangé.Etjenepensepasquecettedifférencepuisseêtreattribuéeaucyclelunaire.—C'estcommesicetteForceétaitdemoinsenmoinsdistinctedemoi,reconnut-elle.J'ai
l'impressionquenousnoussoudons.Ils'étenditàcôtéd'elleets'appuyasuruncoude.—C'estcequisepasse,fit-il.— C'est comment - enfin, quelle sensation cela donne ? dit-elle en le regardant avec
curiosité.—C'esttrèsbeau,dit-ilmanifestementàcontrecœur.Maistuétaistrèsbelleavantdetoute
façon.C'estuneveinesombremarbranttonénergie.Sicelacontinue,jenevoispascommentcelapourraitêtrepasséàChloéouquelqu'und'autre. (Ilcroisasonregard.)C'estcequetuvoulais,n'est-cepas?—Oui,dit-elleensouriant.C'estexactementcequejevoulais.—Celatechange,ajouta-t-il.(Sonregardétaitvoiléparl'inquiétude.)Tuessûrequecela
neteperturbepas?—Celam'adéjàchangéeaumomentoùlaForceaquittémasœurets'esttransmiseàmoi.
JemesuisbraquéedevantcetteForce,jel'aimaudite,j'ailuttécontreelle,etpuisj'aifiniparl'accepter.Maintenant, je l'ai faitemienne et je veux savoir ce que je peux en faire. Et cequ'ellefaitdemoi.(Ellesemordillaunongle.)Cequisignifiequej'aibesoindecontinueràfaire des expériences. Ce sort d'expulsion que j'ai jeté à Phaedra était censé évacuer desespritsmalfaisantsaudépart.Jeleluiaijetéuniquementparcequejemesuismiseencolèreetque jenesavaisplusquoi faire.Avant,cesortn'aurait jamaiseu la forced'envoyerainsivaldinguerquelqu'un.Elleasaignéunliquideclairquis'estdenouveauabsorbéenelle.Jenesavaispasquetupouvaissaigner.—Nousnesaignonspas,enfinpascommeleshumains.Quandlescorpsquenouscréons
subissent desdommages, la partie denotreForcequi est devenuephysique fuit jusqu'à cequenouspuissionslaréparer.(Lamainqu'ilavaitposéesursahancheseserra.Ilgronda:)Tuneferasplusd'expériencesseule,tum'entends?Oublieça,tuneferaspasd'expériencessansmoi.Danstonrêve,tagrand-mèreettasœurontditquetuallaisdanslemauvaissens.Tuasbesoinquequelqu'und'autresoitprésentpourt'aideraucasoùlasituationdeviendraitincontrôlable.Elleopinaenseblottissantcontrelui.Sesyeuxétaientsecsetelleavait l'impressionque
dusableétaitrentrédedans.Ellelesfermaetenfouitsonvisagedanssapoitrine.Illaserra
doucementcontreluienluitenantlatête.— C'est peut-être ce qu'elles voulaient dire. Je fais les choses d'unemanière tout à fait
différentedecequim'aétéenseigné.— Je vois une autre vérité, reprit Khalil doucement. Tu abandonnes les rituels que ta
familleaperpétuéspendantdesgénérations.Tuasexorcisélefantômeoutul'asentoutcaspersuadéde te laisseret tuasrevendiqué laForce.C'estcommesi lesOraclesqui t'avaientprécédéeavaientbesoindetouscesrituelsetdetoutescesétapesenvued'accéderàlaForceparce qu'elles étaient des substituts, alors que toi, tu es véritablement en train dedevenirl'Oracle.Elleretintsonsouffleenréfléchissantàcequ'ildisait.Avait-ilraison?Ellenesavaitpas.
L'épuisementl'accablaitdenouveau.— Je suis fatiguée de penser à tout ça pour le moment, Khalil, marmonna-t-elle. La
journéeaété longueet j'aibesoindemereposeretdedormirencore.Jedoisrécupérer lesenfantsdemainmatin.— Arrête de penser, alors. (Il l'embrassa sur le front.) Pendant que tu iras chercher les
enfantsdemain,jeferaicequej'auraisdéjàdûfaire.Ellepressaleslèvrescontrelapeauglabredesapoitrine.—Etqu'est-cequetuvasfaire?—JevaisdécouvriroùhabiteThérèse.(Unsoupçondemalveillanceseglissadanssavoix.)
J'aimerais savoir si cela va lui plaire que quelqu'un fouille dans ses affaires. Je suiségalement curieuxde voir ce que je trouverai quand je le ferai.Ensuite, je penseque j'iraitrouverce sorcier,Brandon.Jemeprésenteraipeut-êtreaussiàJaydonGuthrie.Puisnousverronsquellehistoirecettelunedel'Oraclerapporte.Ellelaissaéchapperunpetitgrognement.—J'aiuneautrephrasehumaineàt'apprendre.—Laquelle?Ellesouritetluidit:—Dis-moijustequandjetemetsenrognepourquejepuissem'excuser.L'amusementfitdansersonénergie.—Tumemetstrèsencolèreparfois.Etjen'aipasremarquéquetuavaisparticulièrement
hâtedet'excuserdanscescas-là.—Mmm.Unedistractionstratégiques'imposaitpeut-être.Ellecaressasaprésenceaveclasiennede
manièrelascive.Iltressaillit,puismurmura:—Dors,trèschère.Grace sentit son cœur s'emballer, et le plaisir l'envahit en entendant ce joli mot doux,
étrangementvieillot.Puisellesoupiraetfitexactementcequ'ilvenaitdeluidiredefaire.
17« Je t'aime aussi », avait dit Grace, et c'était une chose beaucoup plus radicale que de
simplementdirequ'ilétaitsonami.Aussi.Commesiellesavaitdéjàquelquechosequ'ilnesavaitpasencore.Khalil se sentait tendu, nerveux, en la regardant dormit. Comment cette jeune femme
humaineavait-ellepu luidevenirsiprécieuseenaussipeudetemps?Celas'étaitpasséenmoinsdedeuxsemaines.Unepoignéedejours.IlavaitétéenguerreavecLethependantpluslongtempsquecertainescivilisationsavaient
existé.Illuiavaitsouventfalludesannéespourdécideroùallerenvacances.QuandilavaitrencontréLéonTolstoïen1906,l'écrivainrussel'avaittellementintriguéqueKhalils'étaitditqu'il allait peut-être lire son romanGuerre etPaix,et il ne s'y était toujours pas attelé. Cen'étaitpasqu'ilétaitindécis,iln'avaittoutsimplementpasbesoindesedépêcherpourquoiquecesoit.Ilnes'étaitjamaisdonnélapeinedecompterletempsauparavant,maisilcommençaàle
faireencomptantchacunedesesrespirations.Ilobservasapoitrinesesouleveretretomberavecunémerveillementterriblementdouloureux.Ellenerespireraitqu'unnombrelimitédefoisdanssavie,puisellecesseraitderespirerpourtoujours.MaxetChloé,cesoisillonsauregardvif,auraienteuxaussiuneviesifugace.Il y avait eu un temps où il avait pensé que leurs vies étaient étroites, insignifiantes,
détachées des préoccupationsmondiales et de celles de la politique et des luttes violentespourladominationetlaForce.Ilcomprenaitdésormaisqueleurrichessetenaitjustementàcettebrièveté ; leurvieétait toutcequicomptait.Les joiesquerecelaitchaquechosequ'ilsdécouvraientensembleétaientplusprécieusesquelestrésorsdesrois,pluspalpitantesquelescoursesdevoitureslesplusspectaculaires,plusbellesquelespaysageslesplusexotiques.Il étudia Grace avec un soinméticuleux. S'il le troublait et l'inquiétait, lemotif de son
énergie farouche et lumineuse entrelacé avec la Force obscure était vraiment magnifique.C'étaitunmotifquisecontractaitetrespirait,quiparticipaitdesaprésencevivante.Ilavaitcraintque lapartde ténèbresn'entache laForceavec laquelleelleétaitnée,ne ternissecetéclatquiluiétaitsiunique,maiscelanesemblaitpasêtrelecas.Enfait,onauraitditquelaForceobscurerenforçaitquelquechosequiavaittoujoursétéprésent.Commentallait-elle la changer?Avait-il raison?Était-elle vraimenten traindedevenir
l'Oracled'unemanièretotalementinédite?Commeilleluiavaitdit,iln'étaitpasunguérisseur,iln'étaitpasnonplusunspécialiste
enphysiologiehumaine,maisilexaminaquandmêmesoncorpsaussisoigneusementqu'illeputafindevoirsi leschangementsde laForcepouvaient luiêtre toxiques.Elle luiapparutresplendissantedesanté;soncorpsdejeunefemmeétaitvigoureuxetpleindevitalité.Sesjouesétaientroses.Ilremarquaquesescilsépaisétaientd'unchâtainfoncééclatant,
plus foncé que ses fins cheveux blond cendré et que ses sourcils. Ses cheveux ne seraientprobablementjamaisdisciplinéscarellepassaittoutletempssesdoigtsdedans.Lecouvre-litnecachaitpascomplètementsapoitrineetexposaitunseinjolimentarrondiàlapointerose.Illaissasonregardcourirlelongdelacourburedesondosquidisparaissaitsousledrap,
notantlamanièredontcedernierépousaitlerenflementdesonpostérieurrondetferme.Il se remémora la saveurde sondésir, la sensationde sonpetit clitorisdélicat contre sa
langue,lespétalesexquisdeslèvresdesonsexe,etcommentelleavaithaletétandisqu'illapossédait, la suçait, la léchait partout, absolument partout, et l'interaction de son plaisirphysiqueavecleplaisirvertigineuxdesonespritavaitététellementmagnifiquequec'enétaitdevenu symphonique, ineffable. Puis, son extraordinairepsychisme s'était ouvert et il étaitentré dans son corps accueillant et avait plongé tellement loin en elle qu'il aurait voulu yresteréternellement.Et il fallait, il fallait qu'il sache,qu'il éprouve la sensation de la prendre, peau humaine
contrepeauhumaine,maisilavaitgaspilléunepartietropimportantedesonénergieplustôtdans la soirée surdes choses idiotes et inutiles, et il ne seraitpas enmesurede s'incarnervéritablementavantdes'êtrereposéetdes'êtrealimenté.Il voulait caresser son corps,mais cela dérangerait son sommeil et elle avait besoin de
dormir. Il garda lamainquelques centimètres au-dessusde la têtedeGrace et imagina, serappelalecontactdesescheveuxsoyeux.Puisilserralepoingetluttapourdominerledésirquirugissaitenlui,parcequec'étaitvraimentsidérantqu'ellepuisselepercevoir,ets'ilnesecontrôlaitpas,ilrisquaitdelaréveiller.Elleétaitlacréaturelaplusvivanteetlaplussensiblequ'ilaitjamaisrencontrée.Ileutbeausedominer,ellecaptaquelquechosemalgrétout.Elleseretournaetmurmura
quelquesmots.Sanss'éveillercomplètement,elletenditunemainpourprendrelasienneetenveloppasonbrasautourd'elle.Ils'allongeaetlapritdanssesbrastoutenl'entourantdesaprésence.«Tum'asanéantie»,avait-elledit.Sic'étaitvrai,ellel'avaitanéantiluiaussi.II vivait depuis trop longtemps pour laisser quelqu'un faire une chose pareille. Il ne
pensaitpasqu'ill'auraitpermis,saufquecesenfantsadorablesl'avaientconquisenpremierlieu.Quandilavaitlaissétombersesdéfensesets'étaitouvertàeux,Graceétaitdevenuelemoteurdesonexistence.Ilenfouitlevisagedanssescheveuxrebelles.«Jet'aimeaussi.»Aime.Aussi.Ilselaissadériver,sereposantjusqu'àcequelesoleilselèveàl'horizon.Puisilsemitàen
absorber l'énergie. Il aurait pu se nourrir plus vite s'il était sorti, mais il se sentait tropparesseuxettropbienpourbouger.Graceseretournaetsoupira,puiselles'éveillapourdebon.—J'auraisdûm'endouter.Excellent. Elle ne dormait plus. Il en profita pour faire ce qu'il voulait faire depuis des
heuresetpassalamainlelongdesondos.—Tedouterdequoi?Jenet'aipasréveillée,n'est-cepas?—Non,murmura-t-elle.(Ellesefrottalesyeux.)Aveclesenfantspartis,jepensaisqueje
nemeréveilleraispasàl'aubepourunefois,maisjecroisqu'ilsm'onttropbienentraînée.Elleétaittellementchaudeetdouce.Ildéposaunbaisersursonépaule.—Tuveuxessayerdeterendormir?Elle secoua la tête et lui caressa les cheveux. Le désir alluma unemèche à combustion
lente.— Tantmieux,marmonna-t-il. Parce que cela fait tellement longtemps que j'attends de
faire ça. (Il prit son sein et pinça doucement la pointe de son téton.) Des heures et desheures.Etdesheures.Elle grogna et se cambra, cherchant à intensifier la pression de ses doigts. Il serra et la
caressatoutenmordillantlazonesensibleaucreuxdesagorgeetellefrissonna.Illasentits'embraser,sonnoyaupalpitantd'unechaleurenfusion.Saprésences'entrelaçaàlasienneetla faimqu'elle avaitde lui était tellement sexyqu'elle incinéra toutes ses intentionsd'allerdoucementetlentement.Ilsedressaau-dessusd'elleenlamettantsurledos.Ellel'enlaça,sestraitsfinsciseléspar
lapassion,etmonDieu,c'étaitquelquechosedetellementfabuleuxqued'avoirunmembreérigéqu'ilpuisseinsérerenelle.Ileutlaprésenced'espritdes'assurerqu'elleétaithumideetprêteàl'accueillir,puisillapénétra.Elleétaitétroiteetilfallait,fallait,fallaitqu'ilsachecequec'étaitquandilavaituneenveloppecharnelle.Maispourl'instant, ilplongeaaussi loinqu'ilputet ilnepouvaitpasprendresontemps.
Parcequ'ilfallaitqu'ilprofitedecequ'ilavaitaumomentprésentetilavaittellementfaimdetout ce qu'elle pouvait lui donner. Il lécha ses tétons et lui tira doucement les cheveux enarrière pour qu'elle lui offre son cou, puis il lamordit tout en suçant avec avidité le petitboutonexquisaucœurdesonplaisiretenplongeantetreplongeantsonsexeenelle.C'est alorsqu'ellehurladenouveau.C'était le son leplusdivinqu'il ait jamais entendu.
L'orgasmequisaisitGracefittordresoncorpsetouvritsapsychéengrand.Ilfonditenellecommeunelance,puissaproprecascadedeplaisirlesubmergea.Pendant unmoment infini, palpitant, il ne vit et n'entendit plus rien.Quand il retrouva
l'usagedesessens,elleaspiraitàpetitscoups,cramponnéeàlui.Elleavaitunregardtroubleetdeslarmescoulaientlelongdesesjoues.Illapritparlescheveuxetl'embrassatoutensefrottantcontrelafleurgorgéedesèvedesoncorpsetellepoussaunlonggémissement,uneexclamationfaibleetsuppliante,puisellejouitunedeuxièmefois.Unplaisirinouïjaillitd'elleetletraversaàsontour,etilleluirenvoyaengrondant.—Encoreunefois,fit-ildanssatête.Ellesemitàtrembler.—Jenepeuxpas...jenepeuxplus...—Tupeux,Gracie,encoreunefois.Ilmorditsoncouetlasuça,puisl'investittotalementdansunsursautdeflammes,etcette
fois-ci,l'orgasmeluifitpousserunsanglot.Il jouit avec elle. Son plaisir épousa parfaitement le sien. Force contre Force, présence
contreprésence.Pendantunmoment,ilsflottèrentensemble,entremêlés.Puiselleréintégrasoncorpsetilretrouvasaforme,s'enveloppaautourd'elle,avecelleetpourtantseul.Elle se blottit contre lui et il la recouvrit. Elle tremblait et il l'accompagna là aussi, ses
propresmusclesfrémissant.Ilserenditcomptequ'ilavaitgardéunemainenfouiedanssescheveux.Ilfaudraitprobablementqu'ilyremédie.Maispourl'heure,ilnebougeapas.—Jecroisquejesuisdevenueaveuglecettefois-ci,murmura-t-elle.Seslèvresétaientgonfléesettremblantes.Ilcouvritsabouchedelasienneenlacaressant
doucement.Ilauraitvoulusavoirluidécrirecequ'ilressentait.J'aicommencéàcompterlesjourspourtoi.Jeveuxchangercequejesuispourtoi.Tuesmienne,Grace.Ildébordaitd'émotions,etiln'yavaitpasassezdemots.—Jenesavaispasquej'avaisbesoindelagrâcejusqu'àmarencontreavectoi.Puis,commeelleleserraitfort,ilsutquecequ'ilvenaitdediresuffisait.
Ils'adossaauxoreillersetl'attiracontreluipourqu'ellepuisseposerlatêtesursonépaule.Ellelevaunejambeetlaposalelongdeseshanches.Ilflottaainsietellesomnolajusqu'auxalentoursdehuitheuresdumatin.—Ilfautquejemebouge,dit-elle.J'aiditàKatherinequej'iraischercherlesenfantsvers
dixheures.—Tuastoutletemps,fit-ild'untonlanguide.Ellegrognaetroulasurledos.—Non.Jeveuxallerfaireunecourseavantdeleschercher.J'aipromisàChloédesétoiles
fluorescentes pour leur plafond, et je veux leur acheter une petite piscine gonflable pourqu'ilspuissentjouerdansl'eauaujourd'hui.Ilsnesontpasassezsortiscesdernierstemps.Ilsoupira,s'étiraetacceptal'inévitable.—Celaprometunebellejournée,luidit-il.Etj'aidesgensàvoiretdeschosesàapprendre.—Jediraisbien:«faisattention»,mais...(Ellesefrottalevisageet lui lançaunregard
oblique.) Peut-être que je devrais plutôt dire : « s'il te plaît, ne provoque pas un incidentintra-domaines».Ilsourit.—C'estbiencequejepensais,fit-elleenlemenaçantdudoigt.Illuisaisitlamainavantqu'ellepuissel'éloigneretembrassasondoigt.Danslasalledebains,l'eausemitàcoulerdanslabaignoire.Gracesursautaetfronçales
sourcils.—Jetefaiscoulerunbain,expliquaKhalil.Elleouvritlabouche,puislareferma.—Merci,fit-ellefaiblement.—Derien.Ne t'occupepasdemoi.Vachercher lesenfantsetprofitede la journée, je te
verraiplustard,sic'estacceptable.Est-cequejepeuxutilisertonordinateurpendantquetuprendstonbain?—Biensûr,fit-elleenluisouriant.(Sesyeuxmulticoloresétincelaientdanslalumièredu
matin. Elle était tellement belle, nue et naturelle. Le drap était entortillé autour de sesjambes,sescheveuxsedressaientenpetitestouffessursatêteetsestraitsétaientmarquéspar lemanquedesommeil,maiscette fois-ci,ellen'étaitpluspâle.Sonsourires'épanouit.)Tusais,jecroisque«merci»t'estcomplètementpassépar-dessuslatêtecettefois-ci;çanet'apastroubléjeveuxdire.Ilpenchalatête,réfléchissant.—Assurément,dit-ilenfin.Il l'embrassa avec vivacité et marqua une pause juste assez longue pour voir le plaisir
rayonnersursonvisage,puisilcréadesvêtementspourlui,unautrejeanetuntee-shirtnoircettefois-ci,etdescendit.Ilneluifallutpaslongtempspourtrouverl'adressedeThérèse.Ilconsultalalistedebaby-sitters,mémorisalenumérodetéléphonedelasorcière,puistrouvasonadresseenutilisantlenuméro.Il éteignit l'ordinateur, puis se dématérialisa et quitta la maison en trombe. Une fois
dehors, le soleil était si radieux et si chaud qu'il s'y prélassa unmoment, absorbant cettenourritureabondante.Quandilsesentitrevigoré, ilpartità larecherched'unehumaineunpeutropcurieuse.Unehumainequiavaitmanquéderespectàsonhumaineennerespectantpaslemarché
concluavecelle.Avecsonamante,saGrace.Ets'ilyavaitunechosequeKhalildétestaitpardessustout,c'étaitquequelqu'unmanqueà
saparoleetnerespectepasunengagement.Thérèsevivaitdansunepetitemaisondotéed'unjardinclôturé,dansunquartierauxrues
bordées d'arbres. Il ne connaissait pas très bien Louisville, mais il reconnut au loin lescélèbresflèchesdel'hippodromedeChurchillDowns.Ilinspectadepuislesairslamaisonetsonvoisinagetoutendescendant.L'alléeétaitvide.Thérèsesemblaitabsente.DesétincellesdeForceclignotaientunpeupartoutautourdel'habitation.Ilétaitimprudentdeseruerdansunendroitremplid'unemagieinconnue.Thérèseétait
unesorcièrecompétenteoubienelleconnaissaitquelqu'unqui l'étaitcartoutes lesentréesdesamaisonétaientprotégéespardessortilèges, laportededevant, laportedeservice, lesfenêtres,etmêmelacheminée.Ilétudiapensivementlessortilèges.Ilsparaissaientêtresuffisammentsensiblespourque
sa présence les active. Il ne pensait pas qu'ils pourraient le blesser, mais plutôt alerterquelqu'uns'illesdéclenchait.Il aurait voulu savoir qui ils étaient susceptibles de prévenir. Et ce qui l'intriguait
davantage encore, c'était que lesdits sortilèges semblaient brillants et éclatants commedespièces demonnaie qui viennent d'être frappées. Pourquoi Thérèse aurait-elle ressenti toutrécemmentlebesoindeposerdessortilègespourprotégersondomicile?Peut-êtrequeKhalilneluiavaitpaslaisséunebonneimpressionlorsdeleurrencontre...Il descendit encore un peu et fit lentement le tour de lamaison sans trop s'approcher.
L'habitationétaitassezancienne,mais lamaisonet legarageétaientbienentretenuset lesfleursetlesplantesdujardinattrayantesetsoignées.Ah, voilà. Un petit évent relié à un sèche-linge dépassait du mur extérieur, à quelques
mètresau-dessusdusol.Ilétaitrecouvertd'unegrilleetd'unrabatenaluminium,maiscesbarrièresn'avaientaucuneffet sur lui.L’éventn'étaitpasprotégéparun sortilège. Il seditquequelqu'undevraitpeut-êtrelefaireremarqueràThérèse.Ilatténuasaprésenceets'introduisitdanslèvent,traversalesèche-lingeetsematérialisa
dansunepetitepiècequiservaitdebuanderie.Iln'yavaitpasdeprésencesvivantesdanslamaison et il sortit donc tranquillement de la pièce pour se retrouver dans une cuisineencombréed'objetsdetoutessortes.Lesmurs étaient couverts de tableaux et de photos encadrées. Il y avait unehorloge en
formedecoqetunecréatureenchiffonsquisouriait,avecdesvêtementsentissu,delapailleenguisedecheveuxetdesboutonspour lesyeux.Entre les tableaux, il yavaitdesdessinshumoristiques de vaches. La table était recouverte d'unenappe en vichy rouge et blanc, etdeux petites poules en céramique étaient posées dessus, une avec la lettre S et l'autre lalettreP.Unpotrosede la formed'uncochonétaitposésur lecomptoir.LemotGÂTEAUXétaitimprimésursonventrerond.Franchement,ilnecomprenaitpascequecemachinenformedecochonpouvaitbienêtre.Lepotavaituncouvercledelaformed'unchapeaublanc.Illesoulevaetregardadedans.Il
était en effet rempli de gâteaux secs. Quelle logique. Il en prit un, le huma, puis morditdedansaprèsunmomentd'hésitation.Legâteauétaitmarron,sucréetlégèrementépicé.Ilfinitdelemangerencontinuantsonexplorationdelamaison.Ilmarquaunepausedans
l'entrée près de la porte et passa le courrier en revue : factures, cartes, catalogues devêtements, et une sollicitation émanant d'un groupe politique appelé le Parti humaniste.Thérèseaimaitapparemmentlesfeuillesdecouleuretlesfleursséchéesquisententmauvaiscar elle les conservaitdansunbolposé surunguéridon.Unordinateur était surune tabledans un coin du salon et une grande télévision à écran plat dans un autre coin. Il allumal'ordinateuretcontinuasesrecherchespendantqu'ilsemettaitenmarche.Thérèse aimait aussi les coussins et elle avait plein de poupées. Elle avait vraiment
beaucoup de poupées. Des poupées sur des étagères, des poupées enfermées dans desvitrines.Despoupéesavecdescheveuxblondsfrisésetdesrobesàvolants,despoupéesde
chiffon, des poupées en plastique, des baigneurs, des poupées de porcelaine, des poupéesneuves et des poupées anciennes. Il arrêta de les compter quand il arriva à cent. Dans sachambre,elleavaitsursonlitvingtcoussinsdediversestailles,formes,couleurs,etmotifs,etplusdetrentepoupéesdisposéesdevant.Uncertainnombred'entreellesétincelaitdemagie.Khalil trouvait que c'était bizarre. Il s'ennuyait presque et voulait vraiment retourner
auprèsdeGraceetregarderlesenfantss'amuserdanslapetitepiscine,maisilétaitcurieux.Iltrouvaunesalledebainsauboutdupetitcouloir(ilyavaitégalementdespoupéesdans lasalledebains,cequ'iltrouvaitabsolumentincompréhensible),etuneporteàmoitiéferméequidonnaitsurunepièceplongéedansl'obscuritéoùétaitconcentrél'essentieldelaForcedelamaison.Ilpoussalaporteetregardaàl'intérieur.Lenombredepoupéesétait invraisemblable.Àcestade, ilnefutmêmeplussurpris.Ily
avaitunétabli etunhaut tabouret,une lampe,etdesélémentsdepoupéeéparpillés sur lasurfaceplane,etpuisdel'argile,desbocauxremplisdepoudresetdeliquides,desbols,etdesinstruments demesure, un pilon et unmortier, des herbes séchées, des bougies et un bolpourmélangeravecquelquechosed'àmoitiébrûlédedans.Ah. Pas étonnant que Thérèse semblât obsédée par les poupées. Elle pratiquait
l'envoûtement et elle fabriquaitdespoupées fétiches.Khalil s'approchade l'établi, étudianttoutsansrientoucher.S'ilétaitloind'êtreunspécialisteenmagiehumaine,ilsemblaitqueThérèsesoit trèsverséedanssonart.Quelqu'unpouvaitcauserbeaucoupdedommagesenfaisantappelàlamagiedel'envoûtement,etbeaucoupdebienaussi.Denombreusescultureshumaines faisaient appel à de lamagie qui utilisait des poupées, de l'Egypte ancienne auxcultesvaudousdeLaNouvelleOrléansenpassantparlesgris-grisdel'Afriqueoccidentale.Est-cequeThérèseavaitprisquelquechosequiappartenaitàGraceouauxenfantsafinde
s'enservirpour fairedespoupéesquandelleavait fouillédans lesaffairesdeGrace?CetteseuleidéedonnaitenvieàKhalilderasersamaison.Ilentenditdespneuscrisser.Ilfonçaverslafenêtrequisetrouvaitlaplusprochedel'allée
justeàtempspourvoirThérèsedescendredesavoiture.Ellesaisitsonsacàmain,puissortitducoffrequelquessacsmanifestementremplisdevivres.Quandellesedirigeaverslaported'entrée,ilsecouladanslacuisine,sematérialisacontreleplandetravailetl'attendit.Ilpritun autre gâteau alors qu'elle déverrouillait la porte d'entrée, puis lemâcha tranquillementtoutenécoutantsestalonsmartelerlesol.Quandelleentradanslacuisine,ellelaissatouttomberethurla.Ilfinitsongâteauetluidit:—Bonjour,Thérèse.Ellepivota, essayantde s'enfuir,mais il apparutdevant elle pour lui bloquer le passage.
Ellehurladenouveauetseruaverslaportedederrière,saufqu'ilsematérialisadenouveaudevant elle, lui coupant toute retraite. Il la toisa froidement, les bras croisés. Un hommegentilseseraitprobablementsenticoupabledelafairepaniquerainsi.MaisKhalilsesouvintdelamanièredontelleavaitfouillélesaffairesdeGrace,etdécidaqu'iln'étaitpasunhommegentilenfindecompte.Thérèsedevintcramoisie,puisblême.Sesmainstremblèrent,etelleregardaautourd'elle
avecaffolement.—Co...commentêtes-vousentré?Dessortilègesprotègenttouteslesissues!Quelqu'undevraitmentionnerlèventdusèche-linge,maisceneseraitpasKhalil.—J'auraisdéjàdûvenirvousvoir,fit-il,maisj'aieubeaucoupàfaire.Vousnepouvezpas
nécessairementledevinerenmevoyant,maisj'aiuntravail.—Vousallezregretterd'êtreentréchezmoipareffraction,crachaThérèse.— Vraiment ? (Il la regarda presque avec intérêt.) Probablement pas avant que vous
regrettiezd'avoirfouillédanslesaffairesdeGrace.Qu'est-cequevouscherchiez?—Rien!—Letrucaveclapanique,fitKhalil,c'estqu'elleréduitl'aptitudeàmentir,surtoutauprès
dequelqu'undotéd'unsensdelavéritéextrêmementdéveloppé.—Bonsang,jecherchaisjusteunstyloetunboutdepapier.Unesecondeplustard,illatenaitparlagorge,clouéeaumur.—Vousnementiriezpas,saufsilaréponseavaitdel'importance,siffla-t-il.—Jecherchaisseulementdesinformations,sanglota-t-elle.C'esttout,jelejure!—Quellesinformations?MaxetChloé-sesbébés-jouaientinnocemmentàcôtéd'elle.—JecherchaisàsavoirsiIsalynnLeFevreavaitcontactéGrace!Il était tellement furieux qu'il aurait facilement pu resserrer sa prise et lui écraser la
trachée.—Pourquoi?—Jenesaispaspourquoi.(QuelquechosedutseliresurlevisagedeKhalilousesdoigts
commencèrent à se resserrer, parce qu'elle hurla.) Je ne sais pas pourquoi ! Lâchez-moi,espècedecinglé!Quelqu'unm'avaitdemandédevérifier!—Qui?—BrandonMiller!Brandon,letypequiavaitorganisélajournéedetravailchezGracelaveille.Voilàlapisteà
suivre,etcen'étaitmêmepasdifficile.Ildesserrasaprise.—Pratique,ilétaitlesuivantsurmaliste.Elle le regarda avec autant de haine que de peur,mais il s'enmoquait pasmal, il avait
obtenucequ'ilvoulait.—J'aimebienvosgâteaux,luidit-ilenlaligotantàunechaisedelacuisine.Ilnesedonnapaslapeinedefairedesnœudscompliquéscariln'avaitpasl'intentiondela
laisserlongtempsseule.Ilsedissipaetsortitparlèvent,puis,dèsqu'ilsefutrematérialisé,iltiralaconnexionquilereliaitàIsmat.La djinn arriva en trombe et se forma devant lui. Elle choisit cette fois la forme d'un
hommetrapuàlapeaufoncéeavecdestraitsd'aigleetuneétincelledanssesyeuxétoiles.—Si tucontinuescesdépenses inconsidérées, fit Ismat, tuvaspersuader tous lesdjinns
plus jeunes que le ciel est en train de tomber. Tout le monde va se ruer pour se faireremboursersesfaveursetnotrevénérablesociétés'effondrera.Khalilnesouritpas.—Je tedemanded'accepterune faveuràdurée indéterminéequiannulera le restedece
quetumedois.J'aiconfianceentoiettuesunedesrarespersonnesquejepeuxappelerunami.J'aibesoindetonaideetjenesaispasexactementcequecelaimplique.Es-tudisposéàpayertadettedecettefaçon?L'expressionenjouéedel'autredjinndisparut.—Biensûr.Quesepasse-t-il?—Jenesaispas.MaiscelaconcerneGraceetlesenfants.(Illuiexpliquarapidement.)J'ai
besoindedécouvriroùvitBrandonet il fautquequelqu'uns'occupedeThérèse.Jenesaispasexactementcomment,questionne-laafindevoirsiellesaitautrechoseouemmène-laaubureaudelapolicedessorciersetdessorcières,saufquejenesuispassûrqu'elleaitenfaitenfreint la loi. J'ai failli la tuer,mais Gracem'a demandé de ne pas provoquer un nouvelincidentintra-domaines.—Jevaism'occuperd'elle,fitIsmatensetournantverslamaison.Khalilcommençaàsedématérialiser,puiss'arrêta.—J'oubliais,entredanslamaisonparl'éventdusèche-linge.Elleaposédessortilègessur
touteslesportesetlesfenêtres.Jenesaispasquiseraitalertés'ilsétaientdéclenchés,maisjepréfèrenepasrévélernosintentions.—Çamarche.Bonnechasse.Celapritplusde tempsàKhalilde trouver l'adressedeBrandonquecelledeThérèse. Il
appelasonassociédjinnquisespécialisaitdanslacollected'informationssurInternetetilfitquelquechosequ'ilne faisaitplusquerarement : ilmarchandaunefaveurpourobtenirunrenseignement.Son contact revint rapidement vers lui. Brandon n'habitait pas en ville. Il possédait une
propriété de dix hectares située à une demi-heure en voiture au sud de l'aéroportinternationaldeLouisville.DèsqueKhalileutlesdétails,ilpartit.Illuifallutunpeudetempspourtrouverlapropriété.Pendantqu'ilcherchait,sonmalaise
augmenta. Grace avait dit qu'Olivia pensait que les autres sorciers et sorcières qui étaientvenusseconnaissaient trèsbien.Si c'était le cas,qu'est-cequecelavoulaitdire?Pourquoitenaient-ilstousàtravaillerensemblesurlapropriétédeGrace?Pourquoiauraient-ilsvouluquepersonned'autrenesejoigneàeux?PourquoiBrandonvoulait-ilsavoirsiIsalynnLeFevreavaitcontactéGrace?Il n'y avait même pas de boîte aux lettres pour signaler la propriété de Brandon, mais
Khalil finitpar la localiser.Une longuealléedegraviers traversaitune forêt touffue.C'étaitmaintenantl'après-midi.Unechaleurhumideetsuffocantepesait lourdementsurleterraincomme un brouillard épais. Il la traversa avec précaution, tous ses sens sur le qui-vive,guettantdesétincellesdeForcesusceptiblesd'êtredespièges.Il en trouva une multitude. Le terrain était couvert de pièges, aussi bien concrets que
magiques. Il y en avait tant qu'il renonça à tenter de passer au travers. Il décida plutôt desurvolerlapropriétédetrèshautjusqu'àcequ'ilrepèreunpetitgroupedebâtimentséloignésdelaroute.Ungrandpotagerbordaitlesbâtisses,ainsiqu'unpoulailler.Ildescenditenflottant,aussilégerqu'unflocondeneige,déployantsaprésenceafindela
rendreaussi finequepossible.Personneoupresquen'auraitétéenmesurede lapercevoir.Personne,saufsaGrace,sonextraordinaireGrace.Ilremarquatroisvéhiculesrouillésprèsdesbâtiments,maisaucunnesemblaitenétatde
marche. Le bâtiment principal était la maison. Il s'approcha furtivement et écouta ; iln'entenditpersonnebouger.Brandonn'étaitpaschezlui.Enfaisantletourdel'habitation,iljeta un coup d'œil par les fenêtres et constata que l'intérieur était désordonné. Plusieurspancartesdecouleursvivesétaientappuyéescontreunmurdansl'unedespiècesetdespilesde posters et de badges étaient posées sur une table ; une image du drapeau américainondulant constituait le fond. Certaines pancartes affichaient le slogan : LE PARTIHUMANISTE.D'autresdisaient:JAYDONGUTHRIECOMMEPRÉSIDENTDESSORCIERSETDESSORCIÈRES.Deuxmolossesdormaientdanslavérandacouverte.Ilveillaànepaslesdérangeraucas
oùquelqu'unqu'il n'aurait pas vu se trouverait dans lamaison.Certains chiens et d'autresanimauxétaientextrêmementsensiblesàlaprésenced'undjinn.Il s'éloignadiscrètementetexplora lesautresbâtiments.L'unétaitunegrange inutilisée
dontletoits'effondrait.Unautreétaitunecabaneremplied'outilsetdemachinesdiverses,avecuneéchelleenaluminiumposéeparterrecontreunmurextérieur.Mêmecebâtimentétaitprotégépardessortilègesquiluisaient.Brandonétaitattachéàsespossessions.Leseulbâtiment libredesortilègesetdépourvud'étincellesdeForceétait lagrangequi tombaitenruine.L'attention de Khalil s'affûta. La grange était vraiment le seul bâtiment où ne palpitait
aucunetracedeForce.Necontenait-elledoncrienqueBrandonsouhaiteprotéger?
Iln'avaitvraimentaucuneraisonderentrerdanslagrangepouryfureter,sicen'étaitsoninsatiablecuriosité.Ilseglissaàtraversunefissuredanslebois.L'intérieurétaittrèssombre.Des toiles d'araignée flottaient dans l'air. La carcasse d'un autre véhicule se profilait. Leslignesmétalliquesdesonchâssisétaientlourdesetarrondies.Iln'avaitpasdemoteur,nideroues,nidesièges.Unepoussièreépaisserecouvraitlevéhiculeetlesolcriblédetrousetdecrottesdesouris.Une échelle en bois avec des barreaux cassésmenait aux combles. Ilmonta en flottant,
décidéàsortirdelagrangeparuntroubéantdutoit.C'estalorsqu'ildécouvritquelescomblesn'étaientnipoussiéreuxnivides.Il se tournaet sedirigeavers elles.Les réparations faitesn'étaientpasvisiblesd'enbas.
Des planches neuves couvraient les planches vermoulues.Un établi tout neuf était poussécontreuneparoienparfaitétatelleaussi.Ilyavaitégalementuntabouretetunelanterneàpiles,maisc'étaitlàques'arrêtaientlessimilitudesavecl'établiqu'ilavaitvuchezThérèse.Cet établi-ci était jonché de tout un assortiment d'outils, d'un chalumeau, de fils et de
diversmorceauxdemétalmartelédeformesbizarres.Aucunemagien'enémanait.Khalilsematérialisadevant.Ilsaisitunmorceaudetuyaufinetsoupleenfronçant lessourcilset letournaetretournaentresesmains.Premièrement, comment l'humain grimpait-il dans ce grenier ? Il ne voyait aucunpoint
d'entréepourunecréature incarnée, saut si elleavaitdesailes.Suruncôtédugrenier, il yavaituneouverturedanslemur,couverteparungrandrabatenbois,maisilétaittoutaussivermouluquelerestedelagrange.Leseulautrepointd'entréeétaitunefenêtrecrasseuse.Ils'enapprochapourregarderdeplusprèsetdécouvritdesérafluresfraîchessurlerebord.
Regardant par la vitre sale, il vit l'extrémité de la remise à outils. Un coin de l'échelle enaluminiumétaitjustevisible.Il revint à l'établi. Dire qu'il n'était pas versé dans la mécanique serait probablement
l'euphémismedel'année.Iln'yconnaissaitstrictementrien.Quelque chose avait été construit, assemblé. Ou peut-être que quelque chose allait être
construit.Maisquoi?Iln'enavaitpaslamoindreidée.Etpourquoitousceseffortspourencacherlafabrication?
18Quand Khalil fut parti, Grace se dirigea vers la salle de bains avec hébétement. Elle se
sentaitcommeunmarinivre.Justeciel,cequ'illuiavaitfait.Toutsoncorpsétaithypersensible,lesmusclesdesescuissestremblaient.Elletouchaune
petitezonerougiesursonsein.Unsuçon.Elleseremémorasescaressesétourdissantesetundésir intense la traversa enpalpitant. Il fut immédiatement suivi d'une émotionpuissante.Ellesecouvritlesyeux.Jenesavaispasquej'avaisbesoindelagrâcejusqu'àmarencontreavectoi.Jesuisen traindedevenirunecréaturehybridebizarre,pensa-t-elle,comme cettenana
cinglée dans le filmLaMutante.Et Khalil,ma Calamité Ambulantem'a confié qu'il avaitbesoin demoi. Les prévisionsmétéo de la journée, ce sont des steaks gratos et des poulesavecdegrandesdents,maparole.Celaveutsûrementdirequelesdjinnspeuventdiredestrucssanstropyréfléchir,comme
leshommes,quoi.Jeferaisbiendenepasmattachertropàcesmots.Maisj'aiapprisqu'ilaimait faire l'amour. Qu'il aimait beaucoup faire l'amour. Nous n'avons pas encore eul'occasiondelefairetranquillement,maisilyaconsacrétoutesonattention.Etj'aidéjàenviederecommenceraveclui.Elle essaya de dompter la partie de son cerveau qui semblait penser que dire n'importe
quoiétaitunebonnechoseavantdeprendreuncaféundimanchematin.Maisellen'eutpasbeaucoupdesuccèsdanssonentreprisecommeelleseglissaitdanslabaignoire,selavaitlescheveuxetsesavonnaitpartout.Toutétaittellementsensible,chaqueparcelledesapeau,chaquepli,chaquesecretdeson
corps.Elilavaitététellementsoucieuxdesongenou,mêmeaumilieudeleurfrénésie,qu'ilneluifaisaitpasdutoutmal.Ellesedittoutefoisqu'elleferaitmieuxdeportersonattelle.Toussesvêtementsd'étéétaientdésormaisenbas.Elles'enveloppadansuneservietteet
descendit dans le bureau. Elle enfila un débardeur et un short en coton. Puis elle allumal'appareil de climatisation qui se trouvait dans une des fenêtres du salon et ferma ensuitetoutes les fenêtres de lamaison. Un autre appareil était dans une des fenêtres du rez-de-chaussée et deux appareils plus petits au premier étage. Si elle faisaitmarcher les trois, lagrandeetvieillemaisonseraitfraîchepourlapremièrefoisdel'été.Youpi.Ellesetournaitpourfermerlafenêtreau-dessusdel'évierdelacuisine,quandellesentit
undjinnentrerdanslacuisine.EllesentitsespoilssehérisseraumomentoùPhaedraprenaitformeaumilieudelapièce.Ohmerde.MêmesiKhalilavait insistépourqu'elle l'appelle,toutes lesraisonsqu'elleavaiteuesde
nepas l'appeler lapremière foisquePhaedraétait venue restaient valables.Mais elle avaitpromis.Il n'avait pas dit quand elle devait l'appeler. C'était couper les cheveux en quatre et
franchement,celas'apparenteraitàuntirageàpileoufacededéterminersisasensibilitédedjinnétaitenmesured'accepterceraisonnementous'ilallaitêtreterriblementfurax.Allez,quiessayait-elledeleurrer,bienentenduqu'ilallaitêtreterriblementfurax.Maiselleallaitquandmêmeleprotégeretilfaudraitbienqu'illuipardonne.Elleprépara
lesortd'expulsionendisant:—Salut,latimbrée.Phaedralatoisa,sesyeuxnoirslançantdeséclairs.—Quiest-ce?Quiestlefantôme?Gracel'étudia,impassible.—OK, finit-elle par dire.Mais pour votre information, si vous revenez chezmoi sans y
avoirétéinvitéeousivousvousapprochezdemesenfantssansmapermission,jevousjurequejevousleferaipayer.Purée,çafaisaitdubiend'avoirunsortd'agressionquimarchaitsurlatimbrée.Phaedrala
dévisageaitpresqueavechaine.—Montrez-moiquic'est.Grace effleura la Force, et elle l'inonda. C'était vraiment comme se noyer, pensa-t-elle,
l'océandenuitlaremplissantàrasbord,puissedéversant.Ellen'essayaplusdelecontenir,parcequecelareviendraitàbridersonpouvoir.—Allons,murmura-t-elleàl'océan.Montre-toidenouveau.Le fantômeentenditet fonçaverselle.Grace tenditunemainet le fantôme la saisit, les
yeuxaussibrillantsquelesétoileslespluspures.Elleréussitàlesortirdel'océanouàletirerdans le présent, comme si Grace représentait un seuil à franchir. Elle croyait qu'elle allaitfaire office de canal, mais en fait, le fantôme la traversa et entra dans la cuisine en laregardantavecreconnaissance.Puis, Phaedra d'un passé lointain se retrouva face à face avec la Phaedra qu'elle était
devenue.LaPhaedraduprésentl'observaavecstupéfaction.Lefantômedecequ'elleavaitétélaregardaitaussi,d'unairpensif.Leursformesétaient
identiques.Ellesavaienttoutesdeuxdestraitsd'ivoiremajestueuxetdescheveuxrougesang,maisellesétaienttrèsdifférentesl'unedel'autre.LaPhaedradupasséétaittransparente,etpourtant son esprit resplendissait et son visage était lumineux. Elle était droite, pleine deforce, radieuse et belle, et Grace sut que c'était Phaedra avant son emprisonnement parLethe,avantqu'ellen'épouselesténèbres.Parcontraste,lesbordsdéchiquetésetlenoyaunoirdelaPhaedraduprésentsemblaient
particulièrement discordants. Le noir n'était pas quelque chose de négatif, se dit Grace enconsidérant l'océandenuitquivivaitenelle.Les ténèbrespouvaientêtrequelquechosedetrèsbeau,etlejournepouvaitpasespérerrivaliseravecl'étreintedeveloursdelanuit.Maislanuitn'avaitabsolumentrienàvoiraveccettechosedénaturée.Les traits de la Phaedra du présent se tordirent. Elle hurla et le son était tellement
imprégnéderageetdesouffrance,tellementremplideverrebriséetderuineeffroyablequ'ilfitpresqueplierGraceendeux.Elleétaithorrifiéeparcequ'elleavaitamorcé.Jesuis tellementdésolée,voulait-elledire.
Maisavantqu'ellepuisseprononcercesmots,lefantômebondit,plusrapidequ'unéclair,ets'enveloppaautourdelaPhaedraduprésent.Quihurlaethurlaau-delàdetoutcequ'unhumainpouvaitproduirecommeson.Lepicde
désespoirqu'exprimaitcehurlementforçaGraceàseplaquerlesmainssurlesoreillestandisquedeslarmescoulaientlelongdesesjoues.Commentunêtrepouvait-ilsurvivreavecunetelle chose à l'intérieur ? C'était intolérable. Aucune créature ne devrait éprouver unesouffrancesusceptibledefairenaîtreunhurlementpareil.Souslehurlement,Gracecommençaàentendrequelquechosed'autre.—Choisis-moi.Choisis-moi.(Enpensée, le fantômerépétaitencoreetencore :)Choisis-
moi.Leshurlementscessèrent,faisantplaceàunsilenceabsolu.
Le fantôme se coula dans Phaedra et son corps frissonna et ondula. Grace la sentit seployer convulsivement. Puis, après une secousse violente qui ébranla toute la maison, saprésenceclaquaetl'énergiedePhaedrafuttransforméedutoutautout.Oh,jevousenprie,faitesquecesoitunebonnechose.Graces'essuyalesyeux.Quandelleputdenouveauvoir,laformedePhaedraétaitàpeine
visible.Laprésencedeladjinnsemblaitfragileetfondamentalementchangée.—Dites-moicequejepeuxfairepourvousaider,fitGrace.—Jedoisme reposer. (PuisPhaedradit lentement :)Appelez-moi quand vous en aurez
besoin,jeviendrai.Jevousdoisunefaveur.Grace sentit quelque chose se mettre en place au moment où la présence de la djinn
s'estompait.C'étaitquelquechosedeminuscule,d'àpeineperceptible.Unfildeconnexion.Ellesetourna,appuyalescoudessurlecomptoiretrestaainsiunmoment,attendantque
lesbattementsaffolésdesoncœursecalment.ElleavaittellementhâtederaconteràKhalilcequ'ils'étaitpassé.Hâteoupeur.Peut-êtrelesdeux.Phaedraavaitsemblésifineetdélicateavantdedisparaître,àpeinecapabledesurvivre.Maisilyavaituneconnexion.Grace voulait l'envelopper dans du coton et l'entourer d'un ruban. Elle pourrait la
contemplertoutelajournée,tournerautour,s'eninquiéter,saufqu'elleavaitdestrucsàfaire.Pendantlalunedel'Oracle,levoileentrelestemporalitésetlesmondesdevenaitplusfin
et les possibilités convergeaient. C'était un moment qui pouvait être terriblementimprévisibleetextraordinaire.Donc c'était bon, là, cette fois ? Parce qu'elle réclamait un arrêt total des événements
dramatiquesen tousgenrespendantaumoinsdeuxsemaines.Oui,bon, tantqu'à réclamerunetrêve,autantlafixeràdixans.Elleallaitinsisterpourqu'iln'yaitplusdesurprises,nidecatastrophes,nidecoupsdethéâtrejusqu'àcequelesenfantsaienttouslesdeuxdix-huitansaumoins. Sauf que Chloé atteindrait la puberté bien avant, et Grace espérait simplementqu'ellebénéficieraitd'uneassurancemaladieàcemoment-là,carelleauraitsûrementbesoind'unpsychothérapeutepouraffrontercettepériode.LaréactiondeKhalildevraitattendre.Ilfallaitqu'elleaillechercherlesenfants.Ellefitducafé,remplitungobeletqu'elleemportadanslavoitureetpartits'occuperdeses
diverses corvées. En premier lieu ? Déposer son chèque au montant astronomique à uneborneavantdefaireuntrucstupide,dustylerenversersongobeletdecafédanssonsac.Ellesemitàrireensaisissantlenumérodesoncomptesurlepetitclavierdelabanque,puiselleattendit que la machine ait avalé son enveloppe de dépôt d'argent. Ouais, elle allaitprobablementrecevoiruncoupdefild'unemployéstupéfaitlelendemain.Puis,ellealladans l'hypermarché leplusprocheoùelledépensa le liquidequi luirestait
pouracheterunepetitepiscinegonflabledetouteslescouleurs,desjouetsenplastiquepourjouer dans l'eau, un seau rouge, deux paquets d'étoiles fluorescentes, et de l'écran solairepourlesenfants.Quand est-ce que Khalil allait passer ? Amoureuse comme la nouille qu'elle était, il lui
manquait farouchement.Elle ledésirait plusque jamais et ellen'avaitpasmangéde repasdignedecenomdepuisplusdevingt-quatreheures,etelleavaitdéjàbesoind'unesieste.Elleétait épuisée, terrifiée, et euphorique, tenant grâce à la caféine et une surabondanced'endorphines abasourdies. Elle savait instinctivement qu'ils n'avaient encore qu'effleurél'universdesensualitéqui s'offraitàeux, toutencomprenantàpeinecequ'ilsavaientdéjàfait.Cequ'illuiavaitfait.Hmm.IlétaitvraimentsaCalamitéAmbulante.Ellenes'étaittoutsimplementpasrendu
comptequecelapouvaitêtrequelquechosededivinementplaisant.Alors qu'elle s'engageait sur l'allée quimenait à lamaisondeKatherine,Chloé sortit en
hurlantdejoie,sescheveuxblondsflottantautourdesatête.Gracedescenditdelavoitureenriant.Lapetitefilleluisouritradieusementenlaserrantautourdelataille.—TuastellementmanquéàMax!—Ahoui?(Gracehissalapetitefillesursahancheetlaserrafort.)Etàtoi?—J'aiétéunegrandefille.(Chloéposalatêtesurl'épauledeGrace.)Maistoutelanuit,ça
faittrèslong.— Ça fait long, c'est vrai. Je n'ai pas été une grande fille. Vous m'avez terriblement
manqué.(Gracedéposaunbisousursajoue.)Jevousaiachetédescadeaux.Chloérelevalatête,électrisée.—C'estquoi,c'estquoi?—Tuverrasquandonseraàlamaison.Gracelareposaparterre.LesenfantsdeKatherine,JoeyetRachel,étaientsortisdehorsen
courant eux aussi. Quand Chloé semit à pousser des cris de joie en dansant en rond, ilsrejoignirentlafarandole.GraceallaparleràKatherineetrécupérerMaxetleursac.Sonamiel'accueillitàlaporte,Maxsurunehanche.Quandlebébévitsatante,ilhurlade
joieetessayadesejeterdanssesbras.KatherineletenditàGraceenriant.—Ilsontétésuper,commetoujours.Chloéaeuunpeudemalàs'endormirhiersoireta
pleuréunmoment,maissinonjecroisqu'ilssesontbienamusés.Comments'estpasséelajournéed'hier?LapartiedesoncerveauquiavaittendanceàjacasserfaillitprendrelecontrôledeGrace,
maiselleréussitàfairetairesonenviedebabillertandisqueMaxluifaisaitunbisoubaveux.Ellen'avaitpas l'énergiedepasser troisheuresà luiraconter toutcequ'ils'étaitpassé.Ellepourraitlefaireplustard.—Trèsproductive,nousavonsfaitpleindechosesdanslamaison.—Tuasbonnemine,maistuasl'aircrevé.Toutvabien?Grace sourit. Elle avait du mal à croire que son amie ne puisse pas entendre les feux
d'artificequifusaientdanssatête.—Tout va superbien. Je tepasseraiun coupde fil dansdeuxou trois jours.Ondevrait
planifierun jouroù jepourraisprendreJoeyetRachel.Johnet toipourriezvouséchapperpendantunweek-end.—Ceseraitformidable,ditKatherine.—Discuteavecluietvoisquellesdatespourraientmarcheretpuistumediras,d'accord?—Biensûr!QuandGracearrivaàlamaisonaveclesenfants,safaimavaitatteintuneintensitéquedu
café ne pouvait plus satisfaire. Elle avait besoin d'un repas chaud,mais ils avaient fini lesrestesduRussianTeaRoomet tout ce qu'elle avait dans le congélateur se réduisait à despommesdeterreencubes,despetitspois,desbrocolis,dumaïsetdujusdefruitsconcentré.Pendant ce temps, Chloé était surexcitée à l'idée d'ouvrir les cadeaux. Grace regarda la
petitefilled'unairamuséetépuiséetseditàelle-même:Ouais,tul'asbiencherchéenluiannonçantçatoutàl'heure.Lavienormalerepritaussitôtsoncours;illuisuffisaitdeposerunpieddevantl'autre,un
pas à la fois. Elle n'avait plus le loisir de s'interroger sur des choses graves ou profondes.Mêmelebabillagese tut.Ellegonfla lapetitepiscine jusqu'àenavoir levertigeet l'installadansuncoindu jardinàcôtéd'unarbrequi faisaitde l'ombre,puiselle tira levieux tuyaud'arrosagepourmettreunpeud'eaudedans.Pasbeaucoup.Justesuffisammentpourquelesenfantspuissents'amuseretaussipourquelesoleilpuisseréchaufferrapidementl'eau.
Elle posa des serviettes et de la crème solaire sur la table et chargea Chloé de retirerl'emballagedes jouetsenplastique,puisde lesmettredans le seaurouge.Lapetite fille semitautravailavecapplication.Graceconcentraalorslepeud'attentionquiluirestaitsurlapréparation du déjeuner. Un repas chaud. Rien de compliqué. Ils n'avaient rien desophistiquédanslamaisondetoutefaçon.Unplatréconfortant.Qu'avait-elle?Elle fouilladansunplacard.Pâtes, soupeauxchampignons, thon.Parfait,
ungratindepâtesauthon.Rapideàfaire,facileàcuireaufour,etpeut-êtrequ'ellearriveraità fairemanger des petits pois à Chloé si elle parvenait à leurrer le dictateur de nourriturequ'elleavaitdanslatête.Ah,là,là,celle-làetleslégumes.Chloé chantonnait.Max rampait par terre en traînant sondoudou.Grace fit bouillir des
pâtes,mélangeaensuitesesingrédientsdansunbol,ajoutaunpeudelait.Toutessespenséesneformaientplusqu'unmicmacdésordonné.Les mains de Khalil. Sa bouche, l'embrassant, la léchant, la suçant avec passion. Sa
présence,partout.Qu'oubliait-elle?Mamie,nageantàcôtéd'elledansl'océandenuit.Tun'aspresqueplusdethon.Maisqu'avaitditMamie,enfait?Thon?Outemps?Sagrand-mèreauraitvraimentaimépasserdutempsaveclesfantômesdelacuisine,mais
ilsétaientagitésaujourd'hui.Chloéfaisaitdubruitelleaussietchantaitdeplusenplusfort.Phaedra,hurlant.Cetteconnexionfragile,rare.Grace remplit le plat à gratin, posa le bol dans l'évier et le remplit d'eau pour le faire
tremperetlelaverplustard.Elleoubliaitquelquechose.Oh,biensûr.Ellen'avaitpasencoreallumé le four.Heureusement que la climatisation était enmarche, car le vieux four allaitterriblementchaufferlamaison.ElleavaitquittésoncorpspendantqueKhalil luifaisait l'amour.Pasaufiguré.Elleavait
vraimentquittésoncorps.C'étaitinsolite.Vous avez quitté votre corps déjà une fois ce soir, lui avait dit la déesse dans son
rêve.Vouspouvezlefaireunesecondefoissivouslevoulezsuffisammentfort.Ilfallaitqu'ellesesouviennedecela.Celavoulaitpeut-êtredirequelquechose.Mince.Lefour.Unbonrepasl'aideraitàyvoirplusclair.Etpuisellesortiraitlesenfants
pour qu'ils puissent jouer dans la petite piscine. Elle alluma le four et tira une chaise,s'asseyant avec soulagement. La prochaine étape serait de manger quelque chose. C'étaitfacile.Nerestepasdanslamaisonlorsquetuferascuiretongratin.Gracesouritensesouvenantd'avoirvuMamie,mêmesicelan'avaitétéqu'enrêve.Cela dit, c'était vrai : cuire un plat au four allait chauffer la maison, même si la
climatisationétaitenmarche.ElleregardaChloéquibouillaitd'impatience.Ellen'arriveraitjamaisàfairemangerlapetitefilles'ilsnesortaientpasd'abord.—Tuveuxjouerdanslapiscinependantqueledéjeunercuit?—Oui!hurlaChloéd'unevoixsuraiguëquifutcommeuneaiguilleperçantlecerveaude
Grace.Lapetitefilles'emparaduseauetcourutdehors.GraceetMaxseregardèrent.—Allez,viensaussi,petithomme.Elle lesouleva,attrapa lesservietteset lacrème,etsuivitChloé.Elledéshabilla lapetite
fille,neluilaissantquesaculotte,puisretirasontee-shirtàMax,negardantquesacoucheetson protège-couche. Elle leur mit de la crème et s'en badigeonna aussi. Les enfantss'installèrentdanslapiscineavecleursjouetsetelles'assitsuruneserviette.
Ellepourraitenfaitsedétendredixminutespendantquelefourpréchauffait.Hourra.L'émerveillement deMax et la joie de Chloé étaient un enchantement.Grace laissa son
esprit vagabonder en les regardant jouer. Elle sursauta en se rendant compte qu'elle avaitfaillis'endormir.Bordel,pasquandlebébéétaitdansl'eau.Ilétaitassisdanstroisouquatrecentimètresd'eauseulement,maisquandmême.Bon,ilétaittempsdemettrelegratindanslefour.MaispassansprendreMaxavecelle.Elleselevaetlesortitdelapiscine.Max,quiétaitd'habitudetellementfacileettoujours
content,seraiditd'indignationetsemitàhurler.—Hého,fit-elle.C'estjustepouruneminute,bonhomme.Ilétaitmalheureusementencoretropjeunepourcomprendre,maisilavaitdéjàatteintle
stade de ce qu'on appelle en psychologie la permanence des objets et il était tombé fouamoureux de cette petite piscine. Il se débattit et continua à hurler. Le son tortura sestympansdéjàmeurtris.—Onrevient,cria-t-elleàChloé.Chloé hocha la tête sans lever les yeux. Grace se dirigea vers lamaison en essayant de
lutter avec unMax hors de lui. Elle ne s'entendait même plus penser. Aussi fut-elle bienincapabledecomprendrepourquoitouslesfantômesdesvieillesdamesseprécipitaientverselle,leursformestransparentesmanifestementsaisiesdedésarroi...Tuvasdanslemauvaissens.Cequiétaitridicule.Celavenaitdesonrêve.Elleallaitrentrerdanslacuisine,riendeplus.Danslemauvaissens.Troublée,indécise,elles'arrêtaetbaissalesyeuxsurlepetitvisagerougedecolèredeMax
enessayantdedissiperlesnuagesdefaimetdefatiguequivoilaientsaréflexion.Mauvais...Unénormepoing invisible lapercuta.Elleperdit saprise surMaxet s'écroulapar terre.
L'arrièredelamaisondisparutdansunebouledefeuquisoufflaunechaleurformidable.Elleeut l'impressionqu'il y eutdubruit aussi,un rugissementgigantesque,maispeut-êtrequec'étaitjustedanssatête.Max.Ciel,elleavaitlâchélebébé.Auprixd'uneffortimmense,ellesemitsurleventreetlechercha.Ilétaitsurleventrelui
aussiet s'était relevé sur sesbras raidis. Il avait l'air totalementpaniqué, labouchegrandeouverte,ethurlaitaupointd'enêtrecramoisi.Ellesemitàquatrepattesetseruavers lui.Unedouleuratroce lui transperça legenou.
Ellesaisit l'enfantet le tâtapartout,puis leserracontreelle,setordantafindes'interposerentreluietl'incendieféroce.Chloé.Gracelacherchadesyeux.Lapiscinesetrouvaitàdixmètresàpeinedelamaison.
Lafilletteétait figéedans l'eauetétreignaitsonseau.Elleavait lesyeuxrivéssur le feu, levisagetorduparl'angoisse.Gracen'entendaitrien,sicen'était lerugissementdesflammes,maisellepouvaitliresurleslèvresdelapetitefille.—Jeveuxmamaman!Jeveuxmamaman!Gracetâtonna.Ildevaityavoiruneconnexionquelquepartdanssatête.Ellelacherchade
toutes ses forces, aveuglément, concentrant toute l'énergie de son esprit sur le fil qu'elletouchaenfin.Puiselletirasurlaconnexionaussifortqu'elleleput.Etc'estalorsqueletremblementdeterrefrappaLouisville.
19Une supernova fusa versGrace. Lepressentimentdudésastre imminent oblitéra tout le
reste.Elletentad'envelopperMaxdesoncorpspourleprotéger.Elleapprendraitplustardquesapropriétéavaitétél'épicentred'untremblementdeterre
d'unemagnitudede5,8surl'échelledeRichter.Ellenelesentitmêmepas.Nonloindechezelle, des lampadaires se gauchirent et se ployèrent comme de simples bâtons de cire, desarbrestombèrent,lacavernes'effondraetsavoiturefutprojetéesurlarouteoùlemacadamsedéforma.Heureusement, la zonequi jouxtait lapropriétéétait trèspeuurbanisée, et lesdégâtsfurentminimes.Untoitetunepartied'unmurdepierress'effondrèrenttoutefoisdansun cimetière près de là.Mais ces dégâts-là n'étaient pas dus au séisme,mais à la furie deKhalilAumilieudecechaos, toutcequeGracesentit, cene futqu'unedouce fuméenoirequi
tourbillonna dans le jardin, l'enveloppant elle et les enfants comme une couverture, lescoupantdelachaleuretdubruit.KhalilbalayasimultanémentlamaisonenflammesdesaForce.Lefeus'éteignitavecunebrusquerieétrange.GracetenaitMaxdansunbrasetregardaitautourd'elleavechébétudeenessayantdese
dirigerversChloéenchancelant,ralentieparsonmauditgenou.Desbraspuissants lessoulevèrent,elleetMax.Elleclignadesyeux tandisqueKhalil se
matérialisaitautourd'eux.Ilavaitl'airaffligéetsecoué.Ellebaissalesyeuxsurseslèvresquibougeaient.Elleréussitàcapterlesmots.—Arrête,jetetiens,tunecrainsrien.—Chloé.Ellenes'entendaitpasparler,et leseulmoyenpourelledecontrôlersonvertigeétaitde
pencherlatête.ElleessayadeprononcerunesecondefoislenomdeChloé.Khalilsetournavivementverslapiscineenlestenanttoujoursdanssesbras.Ilsefigea,lesyeuxrivéssurquelquechose.Une djinn était enveloppée autour d'une Chloé en pleurs, la présence tellement fine et
légèrequ'elleenétaittranslucide.C'étaitPhaedra.QuandGraceavaitappeléKhalil,elleavaitdûtirerparinadvertancesurlesdeuxconnexions.Max était raide et tremblant dans ses bras. Elle tourna son attention vers lui. Il hurlait
toujoursaussifort.Elledécidasur-le-champquehurlerétaitfabuleux.Hurlervoulaitdirequ'onétaitvivant.Si
onavaitlaforcedehurler,onavaitavecunpeudechancelaforcederécupérer.Maisquandmême.—Ilnousfautunmédecin,dit-elleàKhalil.Illaregardadenouveau,lesyeuxétincelantsd'inquiétude,lamâchoirecrispée.Elleproduisaitdes sonsquandelleparlait,non?Ellemitplusd'emphasedans lesmots
suivants.—Unpédiatre.Dis-leurquec'estuneurgence.SaForceflamboya.Unétrangedjinnapparut.Khalilluiditquelquechosed'untonpressé
qu'elleperçutvaguement,commesisesparolesétaientétouffées.Aprèsavoirjetéunregardébahiautourdelui,ledjinnfitunsignedetêteetdisparut.Bien,bien.Celavoulaitdirequ'unmédecinallaitvenir.ElleregardadenouveauMax.Ilne
saignaitpas.C'étaitunebonnechose.Ellenesavaitpasquoifairepourlui.Ilyavaitdescourspourcegenredesituation,commentças'appelaitdéjà?Bref,elledevraitenprendreentoutcas. Sa tête lui faisait horriblement mal, ses oreilles aussi, et sa peau et son genou labrûlaient.PuisKhalils'agenouillaetChloéfutlà,sanglotanttoujours,uneservietteautourd'elle,etil
les enveloppa tous les trois. Grace s'appuya contre lui en étreignant les enfants, et Khalilenfouit son visage dans ses cheveux. Elle eut l'impression que Phaedra et lui se parlaient,maisellen'enétaitpassûreparcequec'étaitunteleffortd'essayerdepenseraumilieudecechaos,alorselleseconcentrasimplementsurcespauvresbébésterrifiés.Des nuages noirs remplirent sa tête ou c'était peut-être l'océan de nuit. Cette fois-ci, la
visionarrivadoucementcommesielleglissaitdansunrêve.Elleétaitentouréedegens.Petratouchasamainetlaregardaavecuneimmensereconnaissance.—Mercidel'occuperd'eux.—Biensûr.Quepourrais-jefaired'autre?Mamiesouriaitavecfiertéetluidisait:—Jesavaisquetucomprendrais.Puisunhommeencolèrequ'elleneconnaissaitpasluidit:—Vérifiezl'assurance,jamaisjenemeseraisendormiauvolant.Graceleregardafixement.Ellelereconnutpourl'avoirvusurdesphotospubliéesdansle
journal.C'étaitlecamionneurquiavaittraversélarouteetprovoquélacollision.—Maisc'estcequ’onm'adit.—C'estunmensonge.L'hommes'estompaetdisparutdansl'océandenuit,etsoudainlemondeseremitenplace
autourdeGrace.Khalilétaitagenouillédevantelle.Illuitenaitlatêteentresesdeuxmains,avec une douceur qui contrastait vivement avec l'émotion violente mais contenue quimarquaitsestraitsélégants.Ellesursautaenserendantcomptequelesenfantsn'étaientplussursesgenoux.Elleluiattrapalespoignets.Il luifit lâcherl'unedesesmainsafindeporterunepetitefioleàsabouche.Elle lutsur
seslèvres:—Bois.Malgrésonhébétude,ellesentaitlamagiequisetrouvaitdanslafiole.C'étaitunepanacée
coûteuse et rare. Quand elle ouvrit la bouche pour demander où étaient les enfants etcommentilavaiteulapotion,ilfitcoulerleprécieuxcontenuentreseslèvresetelleneputqu'avaler.Une lueur dorée intense la remplit et fit reculer l'océan de nuit. La Force de la potion
palpita sous sa peau, dans son genou et dans sa tête. Khalil passa un bras autour de sesépaulesetpoussalegoulotd'uneautrefioleentreseslèvres.—Bois-enuneautre,dit-il.Sonvertigeavaitdéjàdiminué,etelleavaitretrouvél'ouïe.Elleneperditpasdetempsàlui
demandercommentillesavaitobtenuesnicombienellescoûtaient.Ellebut,etcettefoislaForcecontenuedanslapotiondissipatouslesnuagesdanssatête.—Lesenfants.—Justelà.ElleregardaoùKhalilpointaitdudoigt.Le jardinétait remplidegens.Maxétaitallongé
surunbrancard,etunhommeetunefemmeétaientpenchéssurlui.Dumatérield'urgenceétaitposéparterre.Chloéétaitassisesurunautrebrancard,enveloppéedansunecouverture.Unautrehommel'examinait.Quatredjinnslesentouraientetobservaientavecattentiontous
leursgestes.EllesentituneForcetournoyerderrièreelleet jetauncoupd'oeilpar-dessussonépaule.
Deux autres djinns au moins se tenaient dans les décombres noircis de ce qui avait étél'arrière de la maison, mais ils n'avaient pas endossé de forme physique. Comme elle seretournait vers Khalil, elle aperçut un septième djinn qui avait l'apparence d'un hommemuscléàlapeaud'ébène.Illaregardaitfixement.Ellenesavaitpascequecedjinnavaitentête,maiscen'étaitpassonproblème.Elleavait
suffisammentde choses à gérer pour l'instant.Elle se détournade cette énigmepour fairefaceàKhalil.—Lesenfantsvontbien,dit-il.—Tuessûr?Ilserrait lamâchoire,sesyeuxdediamantremplisde larmesétincelantes.Elleposaune
mainsursonvisageetill'attiraàluienlaserrantsifortqu'ellegrogna.—Oui,fit-ild'unevoixrauque.Toutlemondes'enestsorti.Maisbordel,ils'enestfallude
peu.Etbordel,j'aivumafille.J'aiparléàPhaedra.Elleditquetul'asguérie.— Je ne l'ai pas guérie. Je lui ai simplementmontré ce qu'elle avait été. (Elle s'appuya
contrelui,latêtesursapoitrine.)Elleafaitsonchoix,et-jenesaispascommentledéfinir-elles'estréalignée.Jen'aipasvoulul'appelerquandjet'aiappelé.Jenesavaispascequejefaisais.Jenecomprenaisrienàcequisepassaitetjen'arrivaispasàpenser.—L'urgentiste a dit que tu avais une commotion cérébrale, etMax aussi probablement.
(Khalil passa doucement un doigt sur la peau nue de son bras et sa bouche se torditfugacement.)Etdesbrûluresaupremierdegré.Unpédiatreestavecluimaintenant.Graceregardaavecreconnaissancetouteslespersonnesoccupéesàaiderlesenfants.— Phaedra avait l'air tellement fragile après son changement. J'étais vraiment inquiète
pourelle.Ellem'aditqu'ilfallaitqu'elleserepose.Elleestencoreici?—Dèsquel'aideestarrivée,elleestpartie.Elleabesoindetemps,peut-êtredebeaucoup
detemps,etdereprendredesforces,etjenepensepasqu'ellepuisseêtreexactementcommeelleétait.Maissonessenceestdenouveauharmonieuse,etpasdistordue.Elleaétabliuneconnexionavectoietelleyarépondu.(II lafusilladuregard.)Tuétaiscenséem'appelersiellerevenait.—Jesais,dit-elle.J'aieudeschosesàfaire.—Nousenparleronsplustard.Il se pencha au-dessus d'elle. Elle percevait le mælstrom d'émotions incontrôlées qui
l'animait.Il frémissaitdedouleur,d'uneterreurquimettaitdutempsàsedissiper,etaussid'unémerveillementbouleversé.Ilavaitdumalàstabilisersaformephysique.—Est-cequetuterendscomptedumiraclequetues?Tum'astellementfaitpeurcette
fois-ci.Une goutte brillante tomba sur le tee-shirt sale de Grace où elle reposa une seconde,
commeunegemme,avantd'êtreabsorbéeparletissu.—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.(Elletouchalapetitetachehumideavecenchantement.
EllecontenaitencoreuneminusculeétincelledeForcequis'estompa lentement.)Jene l'aipasvoulu.Quelqu'uns'approcha.C'étaitlafemmequiavaitexaminéMax.Elles'agenouillaàcôtéde
Graceensouriant.—JesuisleDrLopez.Vousavezmeilleuremine.—Jemesensmieux,merci.—Jevousai examinéequandvousavezperduconnaissancebrièvement.Le ligamentde
votregenouaétéunpeumalmené,maisjenepensepasqu'ilsoitplusabîméqu'auparavant.
Portez votre attelle unequinzainede jours et reposez votre genou.Compresses chaudes etfroides,etunanti-inflammatoire.Jesuissûrequevoussavezcequ'ilfautfaire.Sivousavezdesproblèmes,surtoutprenezrendez-vousavecvotrechirurgien.— Je le ferai. (Grace se tordit pour regarder les enfants. L'un des secouristes frottait le
ventredeMaxenluiparlantdoucementtandisquelebébésuçaitsonpouce.L'autresouriaitàChloéquiluimontraitsesjouetsdanssonseau.)Commentvont-ils?—Ilsvontvraimentbien,ditleDrLopez.Chloéaétéchoquéeetl'estencore.Jen'aidécelé
aucuneblessureoulésion.Maxaeudespotionscommevousetilestpluscalmeetsesentmieux.Lerosedesapeauadisparuetsessymptômesdecommotionaussi.Jeneperçoispasd'autres blessures quand, je le sonde, pas de gonflement dans sa tête ou sa colonnevertébrale.Sivousvoulez,nouspouvonsl'hospitaliserpourgarderunœilsur luicettenuit,maissincèrement,jenecroispasquecelasoitnécessaire.—Quiêtes-vousetd'oùvenez-vous?demandaGrace.Ellejetauncoupd'œilàKhalil.Ilavaitl'airconcentréetcalmesoudain.Leregarddirectdelafemmemédecinétaitamicaletcompréhensif.—Jetravailleàl'hôpitalpourenfantsdeBoston.— Elle enseigne à la faculté de médecine de Harvard, ajouta Khalil. Nous voulions le
meilleurpersonnelmédical.CommedescrêpesduRussianTeaRoom?GraceagrippalebrasdeKhalil.—Etlesurgentistes?— Ils viennentdumêmehôpital. (LeDrLopezne sourit pas exactementmais on voyait
qu'elleenavaitenvie.)Cen'estpassouventquedesdjinnsapparaissentdansnotreservicedetraumatologiepourdemanderquedessoinssoientprodiguésàdeuxenfantshumains.—Ditesplutôt«jamais»,ditl'undesinfirmiersquivenaitd'arriverjustederrièreelleen
tenantChloéparlamain.—Ilssesontportésvolontairespourvenir,ditleDrLopez.ChloésejetadanslesbrasdeGraceetdeKhalil.—Notremaisonestcassée!s’écria-t-elle.—Jesais,chérie.GracelaserracontreelleetKhalillesétreignittouteslesdeux,pendantqu'elleembrassait
etberçaitlapetitefille.Sifragile,siprécieuse.Gracefrissonna.Mamie, je nemérite pas ta fierté,pensa-t-elle,parce quemême avec le rêve et tous les
fantômescourantversmoiencriant,j'aifaillinepascomprendre.—Tucroisquetupourraism'aidercommeunegrandefille?fit-elledanslescheveuxde
Chloé.—Saispas,fittimidementl'enfant.Peut-êtrequ'ilfaudraitunefilleplusgrandequemoi.Oh,aïe.LagorgedeGracesenoua,etellefutincapabledeparlerpendantuneminute.Elle
sesentaitcoupéeendeux.Khalilposaunemainsursondos.—Jesuislà.Dis-moicedonttuasbesoin.Sesdeuxmorceauxserejoignirentetelleretrouvasoncalme.—Lesenfantsontbesoind'êtreavecquelqu'uncesoiretdesesentirensécurité,maisçane
peutpas êtremoiparceque j'aides chosesà faire.Normalement, jediraisKatherine, saufquejeneveuxpasqu'ilsrestentauKentucky.—Pourquoi?demandaKhalil.Ilavaitl'airattentifet,pourlapremièrefoisdepuisqu'elleavaitfaitsarencontre,vraiment
prédateur.Ellerencontrasonregard.—Parce que le camionneur qui a causé l'accident de voiture au printemps ne s'est pas
endormiauvolant.Les arrangements pour les enfants prirent beaucoupmoins de temps qu'ils ne l'avaient
pensé.DeuxdesdjinnsramenèrentleDrLopezetsesassistantsàBoston.KhalilenenvoyaunautrechezKatherineetJohnaveclamissiondeleurexpliquertoutcequ'ils'étaitpasséetcomment ilspouvaient lesaider.GraceétaitnavréequeKatherineapprenne lanouvelledecettemanière,mais il fallait qu'elle se concentre avant tout sur les enfants. Le quatrièmedjinn fit des réservations afin qu'une suite soit à la disposition de Katherine, John, leursenfants,etChloéetMaxdansungrandhôteldeHouston,auTexas,aucœurdudomainedesdémons.Grace s'interrogea sur le moyen de financer ce voyage pour six. L'argent du chèque de
CarlingetRuneneseraitpasdisponibleavantquelques joursetellen'avaitpasdecartedecrédit. Si elle savait que Katherine et John feraient tout pour aider, elle ne pouvaitcertainementpas leurdemanderdepayerpour l'hôtel.Assisecontreunarbre,Chloéblottiesursesgenoux,elleconfiasonsouciàKhalil.Khalil tenait un Max épuisé contre son épaule. Il marchait doucement pour ne pas le
réveiller.Ilavaitchoisideporterdenouveauunjeanetuntee-shirt.LatenuerappelaàGraceleur sortie, qui lui semblait remonter à si longtemps, sauf que les vêtements paraissaientencoreplusexotiquessursa formephysique inhumaine. Ilcontenaitsonénergie tellementfarouchementqueGraceavaitmalrienqu'enleregardant.Maxn'avaitabsolumentpasconsciencedesatension,ils'étaitmisàronfler.Khalilappuya
lajouecontrelatêtedel'enfanttoutenluifrottantdoucementledos.—Net'inquièteabsolumentpasde l'argentpour levoyage,dit-ilàGraced'untoncalme.
Onvas'enoccuper.Gracesursautacarledjinnàlapeaud’ébèneétaitsoudainapparuetétaitagenouilléàcôté
d'elle,sesyeuxdediamantladévisageantavecintensité.—Jepaieraipourtout,déclaral'étrangedjinn.Sicelapouvaitêtrepossible,Khalilapparutencorepluscalme,maiscettefois-ciladureté
pointaitdansletimbredesavoix.—Cen'estpaslemoment,Ibrahim.— Je comprends, fit doucement l'autre djinn tandis qu'une expression de douleur
s'inscrivait sur ses traits. Sachez simplement que je paierai pour tout. (Il plongea les yeuxdansceuxdeGraceetmurmura:)Toutcedontvouspouvezavoirbesoin.—Merci. (GraceembrassaChloé sur la tempeetpencha la têtepourvoir le visagede la
petite fille. Chloé suçait son pouce, elle était ensommeillée, mais ne dormait pas encore.Graceditaudjinnd'unevoixdouceetsuruntonenjoué:)Ilfautquevousnouslaissiezseulsmaintenant. En fait, si vous voulez vraiment aider, vous pourriez aller chercher quelquechoseàmangerpourlesenfants,vuquenotrecuisineaexplosé.(GracemurmuraàChloé:)Est-cequetuasfaim?(Lapetitefilleopina.)Qu'est-cequetuaimeraismanger?Chloésortitsonpoucedesabouche.—Fromage.IbrahimregardaMax.Khalilditaussitôt:—Du laitmaternisé. Pas en poudre. Des biberons et des tétines. Une boîte de couches
jetablesPampers,unedizainedepetitspotsdeuxièmeâge-choisisunebonnevariétéetsachequ'iladore lacompotedepommes-unepetitecuillère,des lingettesetunsacà langer.Unjouetenpelucheadaptéàunenfantdeneufmoisetunecouvertureencoton.Celadevraitrépondreàsesbesoinsimmédiats.
Graceleregardabouchebée.Siellen'étaitdéjàpasamoureusedelui,elleleseraitdevenueillico.Deuxfois.Ibrahimparutconfus.—Demandeàunevendeuseouunvendeurdet'aideràtouttrouver,fitKhalil.Etdépêche-
toi.L'autredjinnsedématérialisasur-le-champ.—Ilétaitunpeutendu.Quesepasse-t-il?—Sacompagneestabîmée.IlavuPhaedraetnousaentendusdiscuter.Ilespèrequetu
pourras l'aider. Jenem'en souvenaispasquand je luiaidemandédevenir etdepayer sadette.Gracepressalapaumedesamaincontresatempe.—Oh,monDieu.Jenepeuxrienpromettreàpersonne,Khalil.Cequej'aifaitétaitunpur
coup de chance, un hasard extraordinaire. Sincèrement, Phaedra a fait presque tout leboulot.Ils'accroupitdevantelle.Maxavaitl'airtellementpetitnichécontresapoitrine.—Jesais.Etcen’estpaslemomentd'ypenser.Maisquandtoutcelaseraderrièrenous,
est-ceque tuvoudrasbienaumoinsessayer -pour luioud'autres? (Il lui saisit l'épaule.)Quellequesoittaréponse,jesoutiendraitadécision.Etsiellen'étaitpasdéjàamoureusedelui,ellel'auraitétépourlatroisièmefois.—Biensûrquej'essaierai,commentpourrais-jedirenon.Illaregardaavecintensité,luipritlamainetlapressacontreseslèvres.—Assurément.C'est alors que les deux djinns qui exploraient les décombres de lamaison endossèrent
leurs formes physiques et s'approchèrent d'eux. Elles avaient pris l'apparence de deuxfemmesidentiques,grandes,blondesetathlétiques.Gracelesregardaavecsonœildel'esprit.Leurs présences étaient presque des copies carbone : elles étaient vraiment jumelles.L'expressiondeKhalils'assombritenlesvoyant.—Qu'avez-vousdécouvert?demanda-t-il.—Nousavonsfermélegaz,fitl'uned'elles.Iln'yariendemagiquedanslesdécombres.—Etlacause?L'autrejumelletenditlamain;ellemontraunmorceaudemétaltorduposésursapaume.—Nouspensonsquec'étaitcetélémentdufour.Ilfaitpartieduprocessusd'allumageetde
réglage du gaz. C'est un avertisseur d'extinction de flamme et il semblerait qu'il soitdéfectueux.—Nousnoussommesservisdece fourdescentainesde foiset ilmarchaitparfaitement
bien.KhalilregardaGrace.—C'étaitlapremièrefoisquetul'utilisaisdepuislajournéedetravaild'hier,n'est-cepas?—Oui.Elleeutl'impressionderecevoiruncoupdepoing.Lesjumelleséchangèrentunregard.—Est-cequevousavezquittélamaisonàunmomentdonné?Douzepersonnes,Oliviamiseàpart,quiseconnaissaientbien.Ilsl'avaientregardéedans
lesyeux,avaientmangé lanourriturequ'elleavaitpréparéeet tondusapelouse.Est-cequedouzepersonnesavaientfaitça?Elleopinaetchuchota:—Pendanttroisquartsd'heureenviron.LaragedeKhalils'embrasa,etGraceensentitlachaleurcontresessens.Sonregardsefit
sauvage.
—BrandonMiller a des pièces demétal comme celles-ci dans son atelier caché. Et desoutilsluipermettantdelesaltéreretdelesdéformer.Chloésefrottalesyeux.—Est-cequenotredéjeuneracassélamaison?Gracelaserra.Ellesecoualatêteenregardantlesdjinns,lesavertissantsilencieusement
denepaspoursuivrecetteconversation.—Ondirait,oui,madouce.Lesdjinnsrevinrent.Ilss'étaienttousacquittésdeleursdiversesmissions.Lespremiersà
revenir furent ceuxqui étaientallésàBoston.Puis celuiquiavait réservé l'avionet l'hôtel.Ibrahimarrivaensuite,chargédepaquets.IlavaitunsacàlangertoutneufremplidetoutcequeKhalilavaitdemandé,etungrandsacenpapierdébordantdedenrées:troisdifférentessortesdefromage,descrackers,desjusdefruits,desyaourts,desfruits,etdesbiscuits.Graceouvrit les paquets pour que Chloé puisse grignoter et elle mangea aussi, machinalement,parcequ'elleavaitbesoindereprendredesforces.Ledernierdjinnàrevenirétaitenfaitunedjinn,elleavaitpris laformed'unejeunefille
maigrecommeunclouavecdelongscheveuxchâtainfoncé.C'étaitcellequiavaitétéenvoyéechezKatherineetJohn.—Ilsarrivent,fit-elled'unepetitevoixflûtée.Katherinem'aditdevousdirequ'ilsallaient
venir,biensûr.Elleestchoquée,chagrinéeetextrêmementencolère.—Veilleàcequ'ilsarrivententoutesécurité,fitKhalil.—D'accord.Elledisparutdenouveauetdeuxautresdjinnslasuivirent.KhalilétalalanouvellecouvertureencotonàcôtédeGraceetdeChloéetdéposalebébé
dessus.Puisilsedirigeaverslamaisonaveclesautresdjinns.Ilrevintbientôtavecl'attelle,lacannedétestéeetlapoupéedeChloé.—Ellesvontvoircequipeutêtrerécupéréet,sipossible,ellesferontdesréparations,dit-il
àGrace d'une voix particulièrement basse carChloé s'était endormie à son tour. Il posa lapoupéesurlacouvertureets'agenouillapouraiderGraceàfixersonattelle.— Ils doivent t'être extrêmement redevables s'ils continuent à travailler pour toi, fit
remarquerGrace.—Aucundecesdjinnsnemedoitplusrien.Ilstravaillentpourtoidésormais.Elleleregardaavecstupeur.— Pas de pression, hein,marmonna-t-elle. C'est un sacré fardeau, tout cet espoir qu'ils
placentenmoi.— Je leur ai parlé. Je te promets que personne n'attendra plus que ce que tu seras en
mesurededonner.(Ileffleurasonvisageduboutdesdoigts, lesyeuxétincelants.Puis ilsepencha pour l'embrasser avec une passion fermement contrôlée. Sa main caressadélicatementsoncou.)Jecroisquecette fois tum'aspresque faitperdremon immortalité,tantj'aieupeur.—Jesuisdésolée,dit-elleencore.Ilappuyasonfrontcontrelesienetluidittellementdoucementqu'ellel'entenditàpeine:—Grace,tuasfaillimourir.Jeneveuxjamaisconnaîtrecela.Elle n'avait pas besoin de lui dire qu'ellemourrait un jour alors qu'il était, quant à lui,
immortel, parce que cette vérité inéluctable planait au-dessus d'eux comme l'épée deDamoclèssuspendueàunfil.Ellegardalesilenceetcaressasonvisage, lesyeuxfermés,etabsorbaleréconfortbrûlantdesaprésence.Maisparcequelalunedel'Oraclepouvaitparfoisêtretimbréeelleaussi,ellesefichaitpas
malquedesrévélationsàrépétitionpuissentfairebeaucoupàencaisserpouruneseulefille.Cette journée interminable n'en avait pas fini avec Grace, car l'océan de nuit l'entraîna denouveau, lecontre-courantremplidecommencementsetde fins,de futurspotentielsetdupassé.Cellefois-ci,lavisionquil'envahitluiaussicoupantequelefild'unelame,etGracevitque
la véritable épée suspendue au-dessusde leurs têtes n'était pas samortalité,mais quelquechose de totalement différent. Une succession d'images montrant des futurs potentiels labombarda.Elleeutunhaut-le-corpsetlaissaéchapperunpetitcri.Khalillasaisitparlesépaules.Elleréintégraleprésent.Ill'étudiaitavecinquiétude.—Qu'est-cequinevapas?Tueslivide.Elleleregarda,lecœurbattantlachamade,puissonexpressiondevintgrave.— Non, fit-elle. Une chose à la fois. Pour l'instant, on a suffisamment de pain sur la
planche.—Gracie,fit-ilentresesdents.Dieuqu'elleadoraitqu'ill'appelleainsi,decetonpleind'exaspérationettoutaussipleinde
tendresse.Elledécidaderangerpourlemomentlavisiondansuncoindesatêteetleregardaavecdegrandsyeux.—Jen'aipas le souvenirde t'avoirditque je te raconterai tout cequi sepassedansma
tête.Etjemesouviensencoremoinsquetuaiesconcluunmarchéavecmoidanscesens.Ilavaitl'aircourroucé,trèscourroucé,imprévisibleetmêmeunpeuméchant,etvoilàony
était de nouveau : elle tomba éperdument amoureuse de lui pour la quatrième fois de lajournée. Elle se dit qu'elle adorerait passer le temps qu'il lui restait à vivre à tomberéperdument amoureuse de lui chaque fois qu'elle plongerait son regard dans le sien etbasculeraitdansl'éternité.Aimanttoujours,basculanttoujours.— Tume révéleras ce secret tôt ou tard, tu verras, gronda-t-il, toujours doucement, au-
dessusdelatêtedespetitsendormis.— Eh bien dis donc, tu es d'une curiosité maladive, on dirait. Tu vas passer Noël avec
nous?Parcequetetaquineràproposdescadeauxvaêtretropcool.Il lalâcha,plaqualesmainssurletroncd'arbredepartetd'autredesatêteetsepencha
au-dessus d'elle. Il avait l'air sur le point d'exploser, sauf qu'elle captait ses émotions. Sechamailler était devenu un jeu auquel ils adoraient jouer tous les deux. Toute la rage deKhalilétaitbienévidemmentdirigéeautrepart.—Tuesunehumained'uneimpertinenceetd'uneeffronterieéhontée.—Assurément.C'estcequetuascoutumededéclarer(Elleluidécochaungrandsourire.)
Tuvoiscequejeviensdefaire?UncoindelabouchesensuelledeKhalilsereleva.Ilenfouitunpoingdanssescheveuxet
laregardadroitdanslesyeuxavecferveur.Samaisonétaitdétruite,saviechangéeàjamais,et l'épée allait peut-être s'abattre sur eux,mais, à cemoment précis, elle ne s'était jamaissentieaussivivante.Il relâchasapriseet lui caressa lanuqueen tournant la tête.C'estalorsqu'elleentendit
des voix. Katherine, John, leurs enfants et les djinns qui les escortaient venaient d'arriverpouremmenerChloéetMaxàHouston,ensécurité.KhalilsoulevaChloé,etGraceselevaàl'aidedesacanne.Katherine avaitmanifestement pleuré, et John, qui avait été très proche de Petra et de
Niko, semblait luiaussiprofondémentpeinéet révolté. Ils regardèrent lesdécombresde lamaisonavecconsternation.Etquandilsprirentlesenfantsendormisdansleursbras,cefutavecune tendresse touteparticulière.PendantqueJohnetKhalil lesportaient jusqu'à leurminivan,KatherineserralamaindeGraceavectellementdeforcequ'elleluifitmal.
— John a expliqué à son patron qu'il avait une urgence familiale, et c'est la vérité. Net'inquiètepaspourlesenfants,d'accord?—Jenem'inquiéteraipas,fitGraceenluiserrantlamainaussi.—Trouveleurstueurs.Trouve-lestous,fitKatherinelesyeuxbrillants.—Jetelepromets.Elleaccompagnasonamiejusqu'àlavoitureetl'embrassaenlaserrantdanssesbras.Puis
elle restaà côtédeKhalil et les regardapartir, emportant cequi lui restaitde famille, avecquatredjinnscommegardesinvisibles.Etc'estalorsqueKhalilrelâchalaprisedeferqu'ilavaitmaintenuejusque-làsursacolère.
Sarageexplosaenuntourbilloneffréné.Il se tourna vers elle, une expressiondure etmeurtrière sur le visage, et elle sut ce qui
allait se passer s'il laissait résonner sa voix d'ange déchu et lançait un cri de guerre. Ellel'avait vu dans l'une de ses visions, c'était l'un des futurs possibles. Et ce cri ferait tomberl’épéesureux.Il avait tellement de connexions. Son appel serait entendu. Des djinns apparaîtraient,
météoritesflambantesquifrapperaientlesoletsetransformeraientendegrandescréaturesétincelantes. Des dizaines de djinns, des vingtaines, des centaines. Et au sein de leurmultitude, quelques silhouettes rares brillant d'un éclat particulièrement aveuglant sedétacheraient.Elleavaitreconnul'unedecessilhouettes.Soren, Chancelier du tribunal des Anciens pour les démons et djinn de première
génération.Celamarquerait le commencement de la fin pour Khalil et elle. Soren trancherait le fil
fragile auquel était suspendue l'épée, et en tombant, elle les séparerait à jamais. S'ilsvoulaientavoirlapossibilitédepasserdutempsl'unavecl'autre,ilnefallaitpasqueKhalillancececrideralliement.LaForcedeKhalilseconcentra,ilétaitprêt.Ellelesaisitparlebras,—Non!Tunedoispaslefaire.Khalil,jet'enprie,non.Ilbaissalesyeuxsurelled'unairdurtandisqueleventhurlaitautourd'eux.—Donne-moiuneraisondenepaslefaire.Elle projeta dans sa voix toute l'urgence et la conviction qu'elle put, parce qu'elle voyait
qu'ilétaitsurlepointdeneplusl'écouter.—Parcequesitulefais,nousnenousverronspeut-êtreplusjamais.
20Illatoisa.Leshurlementsduventsemblèrentredoubleralorsquesonexpressiondevenait
froideetlointaine.Pendantunmomentatroce,ellecrutqu'ellel'avaitdéjàperdu.Ellesemitàhurlerintérieurementelleaussi.Puis ilmarcha en rond en crachant des jurons avec sauvagerie. Elle l'observa, l'estomac
noué.On eût dit qu'il tendait enquelque sorte le bras pour saisir saForcedéchaînée et lamaintenir tant bien que mal sous son contrôle. Elle dut s'appuyer sur sa canne tant sesmusclestremblaient.—Merci,dit-elleàlatempêtequisecalmait.Ilsetournabrusquementverselle.—C'estcequetuasvutoutàl'heure,dit-il.Elle détourna le regard de ses yeux incandescents et se rendit compte à quel point il
prenaitsurluilorsqu'ellevitquesesbicepssecrispaientnerveusement.Elleessayadeparlersuruntonsusceptibled'apaiserunadulteetpasunjeuneenfant.Cen'étaitpasuntrucpourlequelelleétaittrèsdouée.—C'estunedeschosesquej'aivues,oui.Ilinspira,frissonnaetlemælstromd’énergieréintégrasoncorps.—D'accord,fit-ilens'approchantd'elle.Quepenses-tuquenousdevrionsfaire?Ellevenaitdes'apercevoirquesavoituren'étaitplusdevantlamaison.Ellepenchalatête
etregardaautourd'elle.LaHondaétaitcouchéesurlecôté,prèsdelaroute.Ellesedemandasilevéhiculeseraitenétatdemarches'ilsleredressaient.Elleajoutacettetâcheàlalistedechosesàfaire.— Nous ne pouvons pas créer un incident intra-domaines, expliqua-t-elle. Si lu
appellesdesdjinnspourt'aideràretrouverlesindividusquiontcommiscesactes,c'estcequisepassera.—Laloidusanctuaireestuneloiintra-domaines,répliqua-t-ilsèchement.—Oui,uneloiintra-domaines.Pasuneloidjinn.Sitentantquecelapuisseêtre,n'envoie
pasunearméededjinnsmettreleKentuckysensdessusdessous,parcequeçadéclencheraitunepagaillemonstrueuseet riendebonn'en sortirait. Il fautquenous travaillionsavec ledomainedessorciersetdessorcières.Quenousproposionsdel'aide.Ilfautquejusticesoitfaite,pasvengeance.IlfautquenousparlionsàIsalynnLeFevre.Ensuite...LavoixdeGraces'estompa;desvisionsmenaçaientdel'envahirdenouveauetellesemit
àflotter,perduedansunenchevêtrementdepenséesetdepossibilitéschangeantes.Illasaisitparl'épaule.—Ensuite,quoi?lapressa-t-ilenl'observantavecattention.Lecontactdesamainlafitrevenirunefoisdeplusetl'ancradenouveaudanssoncorps.
Elleluiadressaunsourireteintéd'amertume.—Ensuite,ilfaudravoiroùnousensommes.Ibrahimapparutsoudainàcôtéd'eux.—Laviedel'Oracleestpeut-êtreencoreendanger.Jeviendraiavecvousetvousaideraià
laprotéger.—Jeveilleraiàcequerienneluiarrive,maissituveuxtejoindreàmoi,c'estacceptable,
fitKhalil.
Graceavaitviolemmentsursautéquandledjinnétaitapparu.—Il fautquevousarrêtiezde faireça !s'exclama-t-elle.Faitescommesi j'étaisentourée
d'une bulle de cinq mètres d'épaisseur et que vous ne puissiez vous matérialiserqu'endehorsd'elle.Puisapprochez-vousdemoienmarchant.Ibrahimlacontempla,sonregardbrillantremplidecuriosité.—Commevouslesouhaitez,dit-ilenfin.—Tuesprête?demandaKhalil.—Presque.Elle se tourna vers lamaison.Depuis l'allée, elle semblait normale, paisiblemême.Elle
avait vécu toute sa vie entre ces murs. Elle avait joué aux osselets dans la véranda etembrassé son premier copain à la porte d'entrée. Quand elle était à l'université, elle avaitpenséetrêvéd'avoirsonproprechez-soi.Elleavaitétéexcitéeà l'idéedequitter lamaison,mais l'excitations'accompagnaitde laconvictionquesamaisonserait toujours làetqu'ellepourraityrevenirquandellelevoulait.Khalilsursestalons,elleentra.Lespectacledesdécombrescalcinésàl'arrièredelabâtisse
futunvéritablecrève-cœur.L'explosionavaitdétruitnonseulementlacuisine,maislapartiedupremierétagequisetrouvaitdirectementau-dessus.Celavoulaitdirequelasalledebainsetprobablementlachambredufond,sachambre,avaientétédétruitesaussi.Le salon n'avait pas été épargné. La force de l'explosion avait renversé les
meubles,cassedeslampesetdescadres.Elletrouvasonsacécrasésouslesétagères.Khalillessoulevapourqu'ellepuisseletirer.
Elle chercha le répertoire téléphonique et le trouva coincé entre la table basse et le mur.Certainespagesétaientfroissées,d'autresdéchirées.Sagrand-mèreavaitnotécertainsdecesnuméros. Et Petra aussi. Grace lissa le carnet pour pouvoir le fermer et le rangeasoigneusementdanssonsac.Ellesetournaensuiteverscequiavaitétélacuisineetregardalesrestesdelatable.Elle
futprised'unhaut-le-cœur.Lesenfantset elleauraientdûêtreassis là.À ses côtés,Khalilfaisaitbonnefigure,maissahautesilhouettefrémissaitderage.Uncyclonearrivaaumilieudusalondévasté.Gracereconnutledjinn.C'étaitIsmat,sous
uneformemasculine,lesbrasenveloppésautourdeThérèse,unemainplaquéesurlabouchede la sorcière. Celle-ci regarda toute la destruction qui l'entourait. Elle semblait paralyséed'horreur.IsmatdécochaunsourireféroceàKhalil.—Thérèsefaitpartied'uneassembléesecrètequiappartientàungroupepolitiqueopposé
auxAnciens.—LePartihumaniste,fitKhalil.(Savoixétaitglaciale.)IlssoutiennentJaydonGuthrie.— Oui. L'assemblée est constituée de trois cellules. Thérèse connaît seulement les
identités des sorciers et des sorcières de sa cellule, comme BrandonMiller. Elle ne savaitpeut-êtrepaspourquoiBrandonMillervoulaitsavoirsiIsalynnLeFevreavaitcontactéGrace,mais elle est au courant de suffisamment de choses pour pouvoir en tirer des déductionslogiques.—Àsavoir?demandaGrace.—Lavéritablecibledel'assembléeestIsalynn,expliquaIsmatenlaregardant.Thérèsene
saitpasexactementceque le leaderde l'assembléea l'intentionde faire, si cen'estévincerIsalynn.Gracesemitàtrembler.Ellenesavaitpluscombiendefoiselleavaitperdusonsang-froid
cesdernièresvingt-quatreheuresetvoilàquecelarepartaitpouruntour.—Enquoisommes-nousconcernés?
—Lesprophétiesdel'Oraclesonttropimprévisibles,tropdangereuses.Ilsuffiraitdeposerla bonne question ou d'énoncer une prophétie sur le sujet pour que les objectifs del'assembléesoientdécouverts.(Lesourired'Ismatdisparutetlaissaplaceàuneexpressiondecompassion.) Thérèse sait faire des trucs intéressants en faisant appel à la magie del'envoûtement, ajouta-t-elle. Par exemple, si vous fabriquiez une poupée fétiche à l'effigied'un camionneur et que vous planifiiez les choses à laminute près, vous pourriez être enmesure de contrôler sa conduite, par une nuit pluvieuse, pour radicalement modifier satrajectoire...Quand Ismat prononça lemot de « camionneur », un rugissement informe remplit les
oreillesdeGrace.—Lâchez-la,murmura-t-elle.Ismat s'exécuta immédiatement. Les jumelles qui avaient inspecté la maison se
matérialisèrentdechaquecôtédeThérèse.KhalilsemitderrièreGracependantqu'Ibrahimrejoignait legroupe.Lesdeux femmesse tenaientaumilieud'uncercle composédedjinnsattentifsetdansl'expectative.Le cœur de Grace battait à grands coups. Elle indiqua son genou blessé du doigt et dit
d'unevoixrauque:—Vousavezfaitça?LabeautédeBlanche-NeigedeThérèseavaitdisparu.—Vousallezlescroire?Cesontdesextraterrestres,ilsn'ontmêmepasdecorps.— Votre intolérance et votre étroitesse d'esprit ne sont pas mon problème, répliqua
Grace.Est-cequevousavezfaitça?— Ce n'est pas de l'intolérance ! s'écria Thérèse. (Elle avait l'air terrifié, les lèvres
blanches.)TouslesAnciensoccupentdespostesdepuissanceetdeprestige.Ilsestimentquetoutleurestdû.IlsontplusdeForce,plusd'argent,plusd'influenceaugouvernement,etilsviventtellementlongtempsqu'ilss'enracinentlittéralementdanstoutcequ'ilstouchent!— Jeme tiens dans les décombres dema propremaison, siffla Grace. Votre rhétorique
politiquem'intéressefranchementpeuaumomentprésent.LavoixdeThérèsesefitstridente.—Nous sommesdes citoyensde seconde zonedansnotre proprepays,Grace !Vousne
pouvezpascroireunmotdecequ'ilsracontent...—Est-cequevousaveztuéPetraetNiko?hurlaGrace.LesmotsfirentperdreàThérèselepeudecontenancequ'illuirestait.—Ohqueoui,jel'aifait,etjelereferaiss'illefallait!—Lemomentestpeut-êtrevenudementraîneravecmaForce,ditGraceàKhalilcomme
sarespirationdevenaithaletante.Elletiratoutesarageettoutesadouleur,lesréunit,etjetalesortd'expulsion.Thérèse tressaillit et poussaunhoquet,mais ce fut le seul effet que le sortilège sembla
avoir sur elle. Il percuta en revanche Ismat qui se trouvait juste derrière elle. La djinn futprojetée contre le mur et tomba les quatre fers en l'air, puis releva les yeux vers Grace,ébahie.—Merde,désolée,luiditGracecommeelleserelevaitlentement.Çanedoitmarcherque
surlesdjinns.—Jevaist'apprendredessortilègesdecombat,fitKhalil.—Bien,maispourl'instant,jeconnaisautrechosed'agressif,dit-elleentresesdents.Elle
s'approchadeThérèseetesquivalecoupquelasorcièretentadeluidonner,puisellesejetasurelleetluiassenauncoupdepoingdetoutessesforces.L'impactrejetalatêtedeThérèseen arrière, et elle s'écroula. Grace essuya ses joues mouillées du revers de sa main
douloureuseenregardantlafemmequigisaitàsespieds.Khalillapritparlesépaules.Ellesetournaversluietmurmura:—OK,peut-êtrequ'unpeudevengeanceestacceptable.— Nous allons trouver Isalynn maintenant, fit Khalil. (Il avait un air absolument
impitoyable.)Etnousallonstraqueretpoursuivretousceuxquiontfaitça.—Jevaisemmenercettecréatureaucommissariatdessorciersetdessorcières,annonça
IsmatensepenchantpoursouleverThérèse.—Rejoins-nousensuite,fitKhalil.—Avecplaisir.—Nousallonscontinuerletravailici,déclaral'unedesjumelles.—Merci,leurditGrace.EllesetournaversKhalilet il lapritdanssesbras.Elles'appuyacontreluitandisquele
cyclonel'emportait.Le pressentiment de leur séparation imminente ne faisait que grandir. Elle sentait une
grossebouled'angoisseluinouerlesentrailles.Quefaisaient-ils-ounefaisaient-ilspas-pourêtreainsientraînésverscettedestinée?Khalilvoulait-ildireaurevoiretpartir?Iln'avaitpasréponduplustôtlorsqu'elleluiavait
posé la question. Surtout, elle percevait ses émotions et le désir ardent, profond, qu'ilressentait chaque fois qu'il posait les yeux sur elle.Elle reconnaissait ce sentiment.C'étaitcelui qu'elle éprouvait quand elle le regardait. Elle n'aurait jamais assez de temps pourétancherlasoifqu'elleavaitdelui.Qu'avait-ellenégligédevoir?Pourquoicettefoutueépéedevait-elletomber?Après unmoment suspendu, hors du temps, la réalité reprit forme autour d'elle. Le sol
devint solide. Khalil la tint par les bras pendant qu'elle retrouvait l'équilibre et regardaitautourd'elle.Ibrahimsematérialisaàleurscôtés.Ellesavaitqu'IsalynnvivaitàIndianHills,unquartiercossudeLouisville,maisellen'était
personnellement jamais allée dans sa maison. Ils se trouvaient devant une spacieusedemeure en brique à un étage de style colonial, joliment mise en valeur par le soleil del'après-midi et située sur un terrain soigneusement entretenu. Une Lexus et une Acuraétaient garéesdevant lamaison, tandisqu'une voitureplusmodeste, uneFordFocus, étaitgaréeàcôtédugarage.La demeure ne rayonnait pas de Force, contrairement à la plupart des habitations de
sorcières. Il était possible qu'Isalynn pratique son art en dehors de samaison,maisGracepensaitplutôtquelaprésidentedessorciersetdessorcièresn'étaitsimplementpasdugenreàétalerdessignesdesaForce.Laported'entrées'ouvritaumomentoùilss'approchaientdelamaison.Laprésidenteen
personne se tenait dans l'embrasure de la porte, vêtue de manière simple : pantalon,sandales,simplesbijouxenor,etunechemiserouge.Elleétaitsaisissantemêmedeloinavecson long corps athlétique, ses traits sensuels et sa riche peau couleur de cacao. Ses yeuxbrillaientd'intelligence.Àcôtéd'ellesetenaientunefemmeplusâgéedetypehispaniqueetunadolescentdégingandédontlestraitsetl'expressionindiquaientqu'ilétaitlefilsd'Isalynn.L'expression soucieuse de la maîtresse des lieux s'intensifia quand elle constata
l'apparencepoussiéreusedesdeuxdjinnsetdeGrace.— J'ai perçu votre arrivée, expliqua Isalynn aux djinns. (Elle tourna son attention sur
Grace.)Etjevoisquequelquechoses'estpassé.Entrez,jevousenprie.Grace se retrouva dans une vaste entrée, Khalil et Ibrahim juste derrière elle.Même si
l'intérieur était aussi attrayant et tranquille que l'extérieur, aucun des djinns ne semblarelâchersavigilance.
Isalynnguidalegroupeàtraverslamaisonavecuneattitudecalmeetsereine.—Tuvasdevoirnousexcuser,Malcolm,dit-elleàl'adolescent.Judith,apporte-nousduthé
glacédanslavéranda.Puistupourrasprendrelerestedelajournée.Judithfitunsignedetête,puiselleetMalcolmdisparurent.Ilsarrivèrentàl'arrièredelamaisonetpénétrèrentàl'intérieurd'unevérandaferméequi
faisait la largeur de la maison. Des meubles confortables et des plantes en pot étaientdisposés un peu partout dans la pièce. Un ordinateur portable, des dossiers et un mobileétaientposésauboutd'unetable.Unepetitetableàcôtéd'unfauteuiletd'uneottomaneétaitcouverte de livres et de magazines. La véranda donnait sur un grand jardin fleuri, et onapercevaituncourtdetennisàmoitiédissimulépardesbuissons.—Cetendroitestmonsanctuaire,fitIsalynncommes'ilsluirendaientunesimplevisite.
Je travaille autantque jepeuxdans cettepiècequand je suis à lamaison.Asseyez-vous, jevousenprie.Graceessayadecacherletremblementdesesmainsens'asseyant.Laséparation.Elleétaitpresquelà,presqueirréversible.Était-celamort?Samortàelle?Lasienne?Sonesprits'affola,cherchantquoifaire,commentempêcherl'inéluctable.Ellenedutpas
trèsbiendissimulersonémoicarKhalil laregardaavecinsistanceets'assittoutprèsd'elle.Ibrahimrestadebout.Gracelesavait:ellenepouvaitéviterlaséparationsic'étaitlechoixdeKhalil.—Bien, fit l'un des législateurs les plus Puissants du pays.Maintenant, dites-moi : que
s'est-ilpassé?—Uneassembléesecrèteapiégémamaisonpourlafaireexploser,ditGracesansdétours.
L'assassindemasœuretdesonmariestactuellementdétenuaupostedepolicedessorciersetdessorcières.Etnouspensonsquevousêtesendanger.Etparcesmots,malgrésesefforts,toutel'affairedevintunincidentintra-domaines.Isalynnrestaassise,aussiroidequelemarbre,lestraitsfigés.—Racontez-moitout.Et c'est ce qu'ils firent. Elle ne les interrompit qu'une fois pour prendre son portable,
composerunnuméroetdire:—Thomas, l'Oracle a été attaquée. Envoie un détachement de sécurité chezmoi et une
équiped'enquêteurschezGrace.TuferaisbiendenotifierégalementletribunaldesAnciensetlesautresdomaines.Noussommesenétatd'urgence.Khalilbrûlaitdecolère.Laragequis'étaitaccumulée,lapeurqu'ilavaiteuequandGrace
avait tiré avec autant de force sur leur connexion, tout bouillonnait sous la surface de sapeau.Ilfulminait,luttaitpoursecontenir,pourcontrôlerlapulsiondeseruersurlesorduresquiavaientoséfairedumalàGraceetauxenfants.«Attends,avait-elledit.Justice,pasvengeance.»Pouruneraisonmystérieuse,unevision
qu'elleavaiteueetdontellenevoulaitpasluisoufflermot.C'estalorsqu'ilcompritqu'ilétaitégalementencolèrecontreelle.Elleluifaisaitressentir
desémotionsqu'iln'avaitjamaisressentiesauparavant,undésirtelqu'illuiperçaitlecœur,etunesoif,unbesoin,quil'entravaientcommedeschaînes,luiquin'avaitjamaisétéentravéparquoiquecesoit.Quiquecesoit.Ilneselaisseraitpasentraver.Ilavaitfaitcequ'elleavaitdemandé.Ilétaittempsmaintenantdefairecequ'ilvoulait.—JeveuxBrandonMiller,ditKhalilàIsalynn.— Quelle coïncidence, moi aussi, fit Isalynn avec un sourire incisif. Je veux tous les
membresdecetteassembléesansexception.Jevousenprie,poursuivez-le-dumomentque
vousmeleramenezvivant.Il lui rendit son sourire, le sien aussi tranchant qu'un couteau à cran d'arrêt. Vivant ne
voulaitpasdirecontentouenpleineforme.—Commevousvoulez.IlregardaGraceavecduretéenlaissantsaformesedissiper.Ellenepouvaitriendirequi
puisseleretenircettefois-ci.Graceneditrien.Ellerestaassisesansbouger.Livide,lesyeuxremplisd'unocéandenuit
tandisqu'ellecontemplaitunpaysagechangeantqu'elleseulepouvaitvoir.Ilhésita.—Grace.Elleseconcentradenouveausurlui.—Jerefusequetuteretrouvespiégéàcausedemoi.Pars.Ibrahimle toisait froidement.Pouruneraison incompréhensible, ledjinnétaitencolère
contrelui,maispeuluiimportait.Ibrahimavaitditqu'ilresteraitpourprotégerGrace,etpuisle détachement de sécurité d'Isalynn allait arriver d'un instant à l'autre. Khalil sortit entrombede lamaison et fonça dans les airs, terriblement impatient de traquer le sorcier etplanifiantdéjàcequ'ilallaitfaire.Il brûlerait cettemaudite grange et en éparpillerait les cendres, il déclencherait chaque
piègedelapropriétéafindecauserlesplusgrosdégâtspossibles.QuellequesoitlaForcedeBrandonMiller ou des personnes auxquelles il serait susceptible de faire appel, il n'auraitaucunendroitoùsecachermaintenantqueKhalilétaitàsestrousses.Unefoisqueledjinnluiauraitmislamaindessus,lesorcierréclameraitsonjugementàgrandscris.KhalilétaitarrivéausuddeLouisvillequandils'arrêta.«Jerefusequetuteretrouvespiégéàcausedemoi.»PourquoiGraceavait-elleditça?Ils'enroulaautourdelui-mêmedanslesoleildorédel'après-midietsecreusalatête.Elle
avaitpeut-êtreétéenmesuredepercevoirsesémotionscommeilpercevaitlessiennes,maisellenepouvaitpassavoircequ'ilavaitpensé.Nonquesespenséesaientétérationnelles.Ilavait réagiàsaproprepeurets'étaitmentalementdéchaînécontre tout,Gracecomprise. Iln'avaitjamaiseuaussipeuretilhaïssaitcesentiment.MaisGrace n'avait jamais essayé de le piéger. Au contraire, elle avait plutôt tenté de le
repousser.Aprèscejouroùils'étaitsentienveloppédansdeschaînesinvisibles,elleluiavaitditdepartir.Laveille,aubar,aulieud'essayerdel'arrêteroudelecontrôler,elleavaittoutsimplementchoisides'enaller.Elle n'avait donc pas prononcé ces mots à cause de quelque chose qu'il avait dit ou
ressenti.Ellelesavaitprononcésàcausedecequ'elleavaitvu.Elleleprotégeaitdenouveaudequelquechose.Exactement comme elle l'avait protégé lorsque Phaedra était venue la voir. Deux fois.
Mêmeaprèsluiavoirpromisquelquechosedetotalementdifférent.Soudain,nilajusticenilavengeancen'eurentplusd'importance.Ilfitdemi-tourenjurant
etfonçaversIndianHills.Quandilatteignitlamaisond'Isalynn,ilfonditverslesol.Ibrahimfusaàsarencontre.Khalilvirapourl'éviteretl'autredjinnviraégalement.Ilsse
percutèrentdepleinfouetetlechocfutsiviolentqu'ilfittremblerlaterresouseux.Khalilsetorditpoursedégager.Ibrahims'agrippaàlui.Illuttapourselibérer,rugissantavecfureur.—Qu’est-cequetufais?—Cequej'aimarchandéavecl'Oracle.GraceavaitmarchandéavecIbrahimpourl'éloigner?Saragedécupla.
—Tunepeuxpasl'emportercontremoi,tonnaKhalil.VA-T'EN!— Je dois essayer, répliqua Ibrahim en se cramponnant farouchement.Parce que tu ne
peuxpasl'emportercontretonpère.Soren.Khalilvirevoltaetaiguisasessens.Illitunzoomsurlejardind'IsalynnetvitSorenetGracel'unenfacedel'autre.Ilsétaient
seuls ; Isalynn devait être dans la maison. L'éclat blanc Puissant de la présence de Sorenfaisait presque disparaître l'image de sa forme physique. Par opposition, la silhouette deGrace était fluette et horriblement fragile. Elle paraissait fatiguée et sale et elle se tenaitlégèrementpenchée,appuyéesursacanne.SorenlevalesyeuxetGraceaussi,tousdeuxmanifestementconscientsdelaprésencede
Khalil.—Oracle,vousêtestropjeunepourjoueràça,fitSorenavecbienveillance.—Jenesavaispasquejejouais,fitGrace.—Vousnepouvezpasm'éloignerdemonfils.(PlusSorenparlaitd'unevoixdouce,plusil
devenaitdangereux.)Essayermêmedelefairedépassetoutentendement.—Jesais. (Elle inclina la tête.)Après l'explosion, jen'aipascessédevousvoirdansdes
visionsetjen'arrivaispasàvoussortirdematête.Chaquedécisionquenousprenions.Tousces passages vers des futurs possibles. Ilsmenaient tous vers vous. J'ai essayé en vain detrouver une solution, d'échapper à cette confrontation. Puis jeme suis rendu compte quec'étaitimpossible.Khalilavait l'impressiondedevenirfou.Sorenprésidait letribunaldesAncienset ilétait
l'un des djinns les plus redoutables au monde. Il pouvait détruire Grace en fléchissantsimplementsaForce,ets'ilestimaitquec'étaitnécessaire,illeferaitsanshésiter.—Lâche-moi,siffla-t-il.Toutdesuite!Oujetemettraienpièces.—J'aiunmessagedelapartdeGrace,fitIbrahim.Ellesedoutaitquevousalliezrevenir
vite.C'étaitpeut-êtrelaseulechosequel'autredjinnpouvaitdiresusceptibled'arrêterKhalil.—Explique,etvite,lança-t-ild'untonhargneux.—Ellenousdemandedeluifaireconfiance,quelsquesoientlesmotsqu'ellevaprononcer.
Etelleaditaumomentoùvousêtesarrivéquevousdevriezappelerledjinnmaintenant.Quefaisait-elle?Khalil avait confiance en elle. Certes, elle s'emportait trop facilement, disait des choses
imprudenteset contrôlait trèsmal sespulsions, et il allaitd'ailleurs lui enparlerdèsqu'ilsseraientdenouveau seuls.Mais elle faisaitpreuvedebeaucoupde sagessepourquelqu'und'aussijeune,etelleavaitdelacompassionetunevolontédefer.Etquandelle aimait, elle aimaitde toute la forcede soncœurardent.C'étaitunendroit
chaudetgénéreuxoù il faisaitbonse trouver,enveloppédanssonamour.Etc'était le seulendroitoùilvoulaitêtre.Quandilenpritconscience,toutesleschaînesquipesaientsurluis'évanouirent.—Trèsbien,dit-il.Ibrahimlelâcha.Khalil tirasurdesconnexionsenpiquantvers laterre.IlplongeaversGraceets'enroula
autour d'elle en la serrant si fort qu'il était un voile de protection sombre, dense, qui lacouvrait de la tête aux pieds. Comme il l'enlaçait ainsi, il sentit son épuisement et ladéterminationquiraidissaientsacolonnevertébrale.—Jet'aimeaussi,luidit-il.LajoietraversaGrace,radieusecommeunmatin,etrayonnaverslui.Illaprit,ladoubla,
etlaluirenvoya.
Ibrahimlesrejoignit,prêtàsebattrepoureux.LesautresdjinnsqueKhalilavaitinvoquéscommencèrentàapparaîtreetfinirentparremplirtoutlejardin.Soren regarda longuement et pensivement autour de lui. Puis il se retourna versKhalil,
délaissantGrace.L'expressionduvénérabledjinnétaitchagrinée.— J'ai entendu dire que ton attachement à l'humaine était devenu trop fort, le tutoyant
cettefois-ci.—D'aprèsqui?grondaKhalil.MonattachementàGraceneregardepersonned'autreque
nous.—Ellemourra,Khalil, fitSoren. Ilsmeurent toujours.C'est inévitableetcelaarrive trop
vite. C'est sans doute regrettable, mais nous ne pouvons pas nous permettre de trop lesaimer.—C'estvotredéfinition.Cesontvoslimites,répliquaKhalil.Cenesontpaslesmiennes.—Écoutez-moi,ditGrace.(Ellehaussalavoix.)Voustous,écoutez-moiattentivement.Je
suisladernièreOracle.Iln'yenaurapasd'autre.LaForcenepasserapasàmanièceouàuneautre descendante du sexe féminin quand je mourrai. Quelle que soit la longévité ou labrièvetédemavie,c'estlaréalité.PourlesêtresdevosMaisonsquisontmeurtris,jesuisleseul espoirde guérison. Je suisvotreseul espoir si vous devenez tropmeurtri pour guérirtoutseul.Vouscomprenez?Jenepeuxgarantirlaguérisonàpersonne,maiscequejesais,c'estqu'unefoisquejeseraipartie,vousn'aurezplusaucunepossibilitédepouvoirguérir.—L'Oracleditlavérité,intervintIbrahim.ElleaguériPhaedra,lafilledeKhalil,cematin.Unprofondsilenceremplitlejardin.Lesdjinnsrivèrenttouslesyeuxsurelle.—Pourenreveniràvous,ditGraceàSoren.Jevousproposeunmarché.—Lequel?fitSorend'untoncassant.—Je ferai toutcequiestenmonpouvoirpoursoigner tous lesdjinnsquiviendrontme
trouver.Sansréserve,n'importequand,quellequesoitlagravitéduproblème.Jedonneraiàchaquepersonnetoutcequejesuisenmesurededonner.—Quedemandez-vousenéchange?fitSoren.Ilétaitfigé,unecolonnedeglaceblanche.—Jeveuxlaviedevotrefils,ditGrace.JeveuxKhalil, libre,sansentraves.Jeveuxqu'il
vivedelamanièrequ'ilchoisira,quecesoitavecmoiounon.Qu'ilchoisissedebasculerdansuneenveloppecharnelleetdevivrel'existenced'unmortelounon-oui,j'aivuquec'étaitunepossibilité.J'aivud'autrespossibilitésaussiparcequerienn'est fixédanslefutur.Vousnel'emprisonnerezpas.Vousn'essaierezpasde l'empêcherde faire librement ses choix,parcequesivouslefaites,jenevousaideraijamais.(Ellesetournaetregardatouslesdjinnsquil'entouraient.)Jamais.Jelejuresurmavie.Khalilexultaenentendant lesmotsdeGrace,mais ilgardasonattentionsur lavéritable
menace:sonpère.LaragesurlestraitsdeSorenétaitaveuglante.—Cen'estpasunmarché.C'estduchantage.Khalil s'enroula encore davantage contre Grace, resserrant sa Force au cas où un coup
partirait.—Appelezçacommevousvoulez.—C'estdelamortdemonfilsdontvousparlez!—Jeparledeprotégersondroitàchoisircequ'ilveut.—Nousnesacrifionspasnotrepeuple!Sorenfitunpasenavant,lespoingsserrés.Touslesdjinnsfirenteuxaussiunpasenavant, leurattentionseconcentrantsurSoren.
IbrahimseplaçadevantGraceetKhalil.C'étaitungesteextrêmementcourageuxet,siSorendécidaitdefrapper,totalementsuicidaire.Khalilosadesserrersuffisammentlaprisequ'ilavaitsurGracepours'éleverau-dessusde
latêted'Ibrahimetfairefaceàsonpère.— Il semblerait que personne d'autre ne soit d'accord avec vous. Assez. Vous ne
m'empêcherezpasdefairecequejeveuxdemavie.Acceptez,lemarché.—Khalil,non,luiditSoren.—Acceptez-le.(Malgrél'expressiondansleregarddeSoren,ilnefaiblitpas.Sorenenvahi
parlechagrinétaitplusdangereuxquejamais,maisKhalilsavaitaussiqu'unefoisqu'ilauraitaccepté le marché, le vénérable djinn serait tenu de le respecter. C'était une affaired'honneur.)Etpourl'amourdeDieu,quelapaixresteentrenous.Sorenconsidérasonpeupleavecamertume.—D'accord,dit-il.Puisildisparut.Grace s'affaissa. Plus rapide qu'une pensée, Khalil prit forme, la tira à lui et, alors qu'il
comptaitsesprécieusesrespirations,sutquetouslesautresdjinnsferaientlamêmechoseetlaprotégeraientetl'aideraientautantqu'ilslepourraient.—Tuviensdegagnerunpeupleentierdegardesducorps,denounousetdebaby-sitters,
luimurmura-t-il.Elles'agrippasifortàluiquesesbrastremblèrent.—Personnenegardelesenfantsavantd'avoirluaumoinstroislivressurl'éducation.(Elle
murmura :) Même si tous les futurs potentiels n'arrêtaient pas de changer, je te voyaistoujours dans une sorte de prison, j'essayais de trouver un moyen d'empêcher une tellechose.Elle tremblaitde toussesmembres. Il lui fit lever la têteen laprenantpar lementonet
l'embrassa doucement, savourant la douceur de ses lèvres et admirant sa volonté à touteépreuve,etlamanièredontelleluirendaitsonbaiser.—Jesuistellementfierdetoi,dit-ild'unevoixrauque.Etnecroispaspourautantquej'aie
oubliéquetunem'aspasappeléquandPhaedraestrevenue,alorsquetuavaispromisdelefaire.Jesuisencorefurieuxaprèstoiàproposdeça.—Attendsuneseconde,murmura-t-elle.Jevaispeut-êtreavoirbesoindepousseruncri
d'effroietdemerongerlesongles.—Gracie,fit-ilentresesdents.Elleenfouitsonvisagedanssapoitrine.—Jesaisquetunemelaisserasjamaisl'oublier.—Eneffet.(Ilposalamainsursanuque.)Ilyaunechosequ'ilfautquejetedemande:
est-cequetoutesleslunesdel'Oraclevontêtrecommeça?Ellesedégageapourleregarder.Elleavaitl'airhorrifié.—MonDieu,jen'ensaisrien.J'espèrequenon.
21Après la confrontation avec Soren, Khalil n'avait plus du tout envie de pourchasser
Brandon.Celan'avaitpasd'importancedetoutefaçon.Unefoisquelecomplotdel'assembléefut éventé, ce ne fut plus qu'une chasse aux cafards. Douze d'entre eux, sans compterThérèse, furent appréhendés, et le cafard le plus gros s'avéra être BrandonMiller. JaydonGuthrie,pourquitantdecrimesavaientétécommis,n'étaitaucourantderien.Lelundisoir,touslesconspirateursétaientsouslesverrous.KhalilétaitsoulagépourGracequelesdouzesorciersetsorcièresvenuspourlajournéede
travaillesamedinesoientpastousimpliquésdanslatentatived'assassinatetlesabotagedela maison. S'ils appartenaient tous au Parti humaniste, à l'exception d'Olivia, seulementquatred'entreeuxavaientparticipéàcettemachination.Lesautress'étaientcontentésd'êtredésagréables.—C'estunpeuplus facile à encaisserde savoirqu'ilsn'étaientpas tous impliqués etne
projetaientpastousdenoustuer,lesenfantsetmoi,fitremarquerGraceàKhalil.—Ceuxquil'ontfaitsontdérangés.Àl'instardesparias.Lecomplotunefoisdécouvert,leshuitpersonnesinnocentesainsiqueJaydonGuthrie,et
denombreuxmembresdelacommunautédessorcières,avaienttéléphonéouenvoyédese-mailsàGracepourfairepartdeleurindignationetdeleurchagrinetpours'excuseraunomduPartihumaniste.L'un d'entre eux était Janice, la baby-sitter. Quand Grace reconnut le numéro sur son
téléphone, elle faillit ne pas répondre,mais décida finalement de le faire et discuta en faitavecl'autrefemmependantunbonquartd'heure.— Nous avons tous des convictions, fit Janice d'une voix émue. Nous croyons tous en
quelquechose.Maiscequecetteassembléea faitestmonstrueux,etmêmesi jen'étaisaucourantderien,j'aihonted'avoircôtoyécesgens.—Jesupposequec'estdifficiledecomprendreleterrorisme,quellequesoitlaformequ'il
puisseprendre,fitGrace.Nousdevonsapprendreàallerdel'avantmaintenantetàtournerlapage.Isalynn insista pour que Grace, et Khalil par extension, s'installent chez elle. Un
détachement important de sécurité avait envahi le quartier d'Isalynn et sa demeure étaitvaste et confortable. Grace accepta sa proposition et ce fut la dernière décision qu'elle ouKhalildutprendreledimanchesoir.Aprèsundînerrapide,unedouchechaudeetleconfortdevêtementspropresetfamiliersqu'unedesdjinnsquiavaientinspectélesdécombresdelamaisonapportaàGrace,lajeuneOracleneputgarderlesyeuxouvertsuneminutedeplus.Khalil la rejoignit pour lui tenir compagnie et être avec elle, mais il était suffisammentfatiguéluiaussipoursereposer,flottant,sanspenser,toutelanuit.Unefoisquelesautoritéseurentconfirmé,lelundi,quelesdouzeconjurésétaientsousles
verrous,Graces'empressad'appelerKatherine.Mêmesipersonnenepensaitquelesenfantsétaientencoreendanger,KatherineetJohnacceptèrentderesteraveceuxàHoustonpourlasemaine,afinqueGraceetKhalilpuissents'occuperdegérerlesconséquencesdel'incendiedelamaison.Ilyavaittellementdedétailsàrégler.L'assurancedelamaison.Gracesesouvintausside
cequelefantômeduchauffeurdecamionluiavaitditàproposdel'assurancedel'accident.Uneenquêtefutlancée.Khalil l'avaitdit, ilsnemanquèrentpasd'aide.Cinqdjinnsaumoins étaientdisponibles
quandilslevoulaient.Avecl'aidedequelquesdjinnsrésolus,ilsdécouvrirentd'ailleursquelecamionneurn'avaitpas laissé sonassurance venir à expiration comme la compagnie l'avaitaffirmé.Elles'étaitenfaittrompéelorsqu'elleavaittraitélepaiementduchauffeur.Enfindecompte, elle devait des dommages et intérêts à sa veuve et à Grace. Ce ne serait pas unefortune,maiscelareprésenteraitunapportimportantauxressourcescroissantesdeGrace.Pendant que Chloé et Max étaient à Houston, Khalil prit un congé et Grace et lui
s'attaquèrentàlatâchedetriercequipouvaitêtresauvédanslamaison.Ilsrécupérèrentdessouvenirsdefamille,desphotos,touslesdocumentshistoriquesetlesjournauxvenantdesprécédentes Oracles et qui étaient rangés dans des malles au grenier, les dossiers,l'ordinateur,unepartiedes vêtements etdes jouetsdes enfants, et les vêtementsd'étéqueGracegardaitdanssonbureau.Elledécidadeconserverlerocking-chairoùlesenfantsavaientétébercés,mêmes'ilétait
abîmé.Ellevoulaitessayerde le réparerparcequesagrand-mère l'avaitutilisépourbercerPetraetelle.Khalilvoulaitgarderlevieuxfauteuilencuirdanslequelils'asseyaitpourliredeshistoiresauxenfants.C'était l'undesraresobjetsauxquels il s'étaitattaché. Iln'yavaitriend'autrequivaillelapeined'êtregardé.Lastructureelle-mêmenécessiteraitdetropgrostravaux,plusd'effortsetderessourcesquecelan'envalaitlapeine.Lemercrediaprès-midi,ilss'assirentunmomentsurleperronetécoutèrentleventdans
les arbres.Grace évoquades souvenirs.Khalil posadesquestions, fascinépar cette fenêtreintime qu'elle ouvrait sur son passé. Il la tint dans ses bras pendant qu'elle essuyait seslarmes.—C'estuneespècedesoulagementaussi,avoua-t-elle.Etjemesenstellementcoupablede
ressentirça.Ilcomprenaitenpartiesonémotion,davantageentoutcasqu'iln'auraitpulefaireavant
de la rencontrer. Cette maison était l'endroit où il s'était présenté, avait contemplé lecrépuscule et éprouvé pour la première fois ce quelque chose indéfinissable, magique,précieux.—Tuperdsencoreunénormepandetonpassé.Graceopina.—Aumoins,jen'aiplusbesoinderéparerletoit.Iléclataderire.Ellecachasonvisagedanssesmainsetritetpleuraaveclui.Quand ils inspectèrent le reste de la propriété, ils découvrirent que la caverne s'était
complètementeffondrée.Parcuriositéplusquepourtouteautreraison,Khalilabandonnasaformephysiqueetflottaparmileséboulisdutunnel.Iln'yavaitpasd'espacessuffisammentlargespourpermettre àunhommede se tenir debout, justedes lambeauxdeForce vieillecomme lemonde et des fragments de roches.Quand il ressortit, il rendit àGrace la seulechosedigned'êtreconservée:lemasquedel'Oracle,enveloppédanssontissu.KhalilobservaitGraceetattendait.Lenombrededjinnstropendommagéspourseguérir
eux-mêmes était relativement faible, mais ceux-ci étaient gravement atteints. Khalil lesempêcha d'importuner Grace, leur expliquant qu'elle avait besoin d'un peu de temps pourretrouver sesmarques et organiser le bien-être des enfants avant de pouvoir consacrer dutempsetdel'énergieàtenterdeguérirdesdjinns.C'estenfaitGracequiabordalesujetlejeudi.—Jen'enpeuxplus,dit-elleàKhalil.Ibrahimmerendfolle.Jenecroispasqu'ilaitcessé
detravailleretdes'activerpourmoidepuisqu'iladébarquédimanche.Khalil se frotta la nuque. Ibrahim, trois autres djinns et lui-même étaient en train de
démolirlamaisonetellelesobservait.Khalilfaisaitunepauseetétaitvenularejoindre.—Je vais de nouveau lui parler et lui dire qu'il doit s'en aller et revenir quand tu seras
prête.—Non, réponditGrace. (Il faisaithorriblementchaudetGraceportaitunautreshorten
coton léger commeKhalil les aimait, ainsi qu'un débardeur et des sandales. Le soleil avaithâlésapeau.Avecsescheveuxblondcendréetcebronzagecuivré,onauraitdituneflammeélancéeetpleined'ardeur.)Jenepeuxpluslesupporternonplus,lefaitdenepassavoir,jeveuxdire.IlfautquenoussachionsunebonnefoispourtoutessiPhaedraétaitunpurhasardetsijepeuxounepeuxpasaiderd'autresdjinns.Ilsoupira.— Je suis d'accord. Mais après avoir essayé avec la compagne d'Ibrahim, tu ne verras
personne d'autre pendant aumoins deux semaines. Katherine et John reviennent avec lesenfantsdimancheetnousdevonsencoretrouverunendroitpourtoi-pournous-oùvivre.Graceluijetaunregarddecôté.Lescommissuresdeseslèvresserelevèrentquandildit
«nous»,maisellenefitpasdecommentaire.Ellesecontentademarmonner:—C'estvraimentautoritairedetapart.Il savait désormais très bien lire ses expressions. II nota qu'elle paraissait soulagée, pas
offensée.IlfitsigneàIbrahimquilesrejoignitimmédiatement.—VachercherAtefeh,luiordonnaKhalil.IbrahimdévisageaGraceavecsurprise,puisildisparut.KhalilobservaGracetandisqu'elle
sepréparait.Ilposaunemainsursondosetelleleregardaavecreconnaissance.Puis IbrahimrevintavecAtefeh,sacompagne.Atefehétait tellementmeurtriequ'ellene
pouvait pas se créer de forme physique et elle luttait constamment pour absorbersuffisamment d'énergie. Elle flotta devant Grace, sa présence terne et faussée, toutedistordue.Un par un, les autres djinns arrêtèrent leur travail et les rejoignirent. D'autres firent
silencieusement leurapparition.Grace fusilladuregard lesnouveauxarrivants,maisneditrien,etilsrestèrent.ElletournasonattentionsurAtefeh,etsonexpressionsedétenditalorsqu'ellepuisaitenelle-même.KhalilsentitlaForcedenuitseleverenelle.Lesilencesefit.Atefeh se contracta avec un petit cri et tomba en avant. Pensant que la djinn voulait
attaquer ou engloutir Grace, Khalil se précipita et tira Grace en l'enveloppant dans uneprotection serrée.Mais Atefeh était concentrée sur autre chose, quelque chose que seulesGrace et elle pouvaient voir. La djinn poussa un cri de lamentation, un son aigu plein dedouleur. Son compagnon, Ibrahim, émit un grognement étranglé, le visage empreint dedouleurenlaregardantlutter.—Lâche-moi!fitGraceàKhalil.(EllelepoussaavecsaForceetils'écarta.Elles'approcha
deladjinn.)Nerenoncezpas!N'essayezpasdelasaisir.Nebougezpasetlaissez-lavenirversvous.Essayezdevousouvrir-ilfautqu'elleentreàl'intérieurdevous.Dequiparlait-elle?Khalilnepercevaitpersonned'autrequeGraceetAtefeh.Laprésencedeladjinnfrémitetondula,puisflamboya.Pendantunmoment,unefemmeà
lapeaud’ébènesetintdevanteux, lesyeuxincandescentsdetriomphe.Ellesetournapouradresserunsourireétincelantàsoncompagnon.Ibrahimabandonnasaformephysiquepourdevenirunelumièreblancheirradiantdejoie.Touslesautresdjinnspoussèrentuncridebonheuretlesonrésonnaàtraversl'espace.Puislesourired'Atefehs'estompa.Unmomentplustard,saformephysiquedisparutàson
tour.— Je ne peux pas maintenir cette incarnation plus longtemps, dit faiblement la djinn.
Ilfautquejemerepose.
Lalumièreblanched'Ibrahimsemêlaàcelled'Atefeh.—Merci,dit-ilàGrace.—Derien,fitGracealorsquelesdeuxdjinnss'effaçaient.GracesetournaversKhalilavecungrandsourire.Ilrit,l'attrapaetlafittournoyer.Puisil
selevaetlatintserrécontrelui.Monmiracle,pensa-t-il.MaGrace.Vendredi,Khaliln'enpouvaitplus.— Je tape du poing sur la table, cette fois-ci, déclara-t-il à Grace alors qu'ils étaient
installésàlatabledupetitdéjeunerchezIsalynn.Ilsavaientdéjàpasséplusieursnuitschezelle,mais iln'avait jamaisvupersonne,àpart
Judith, l'employée de maison. Isalynn et son fils Malcolm étaient à Washington, mais lasorcière leur avait clairement dit qu'ils pouvaient rester chez elle aussi longtemps qu'ils levoulaient.Grace avait enfilé un pantalon corsaire et une chemise sansmanches qui se boutonnait
devant.Khalil avait choisi d'endosser un Jean et un tee-shirt. Il commençait à aimer cettetenue.Graceavaitlementondanslesmainsetleregardait.—'laperdupoingsurlatable?lit-elle.—Jepeuxavoirdespoingssiçameplaît.—C'estuneexpressiontrèshumaine,dit-elleenpouffantderire.—Assurément.Ilreplialejournalqu'illisaitetlemitdecôté.—Tutapesdupoingàproposdequoi,cettefois?—Tudonnes l'impressionque jemeconduis endespotequand tudis ça.Finis tonpetit
déjeuner.Elle leva les sourcils avec agacement. Il lui sourit. Il adorait cette humaine vive, drôle,
pétillanted'intelligence,etsoupeaulait.—Jenesavaispasquetuavaisdesidéestellementarrêtéessurlepetitdéjeuner.(Ellefinit
sontoastendeuxbouchées.)Jeprécisequej'aimangéçaparcequej'enavaisenvie.—Jen'endoutepasun instant, répliqua-t-il.Tu t'es épuisée chaque jourde la semaine.
(Chaque soir, il était vrai, elle avait à peine eu la force de se doucher et d'avaler quelquesbouchéesdesondîneravantd'allers'écrouler.Illarejoignaittoujours,parfoisavecsaformephysique,parfoisenveloppéautourd'ellecommeuneétreinteinvisible.)Jetapedupoingsurlatableàproposdecesoir.Nosactivitésde la journéeseront légèresetnousarrêteronsdetravaillertôt.L'étincelled'humourabandonnalestraitsdeGrace.—Lesenfantsreviennentdimanche.Ilsmemanquentetjeveuxlesretrouver,maisilya
encoretellementàfaire.—Lesenfantsmemanquentaussi,dit-il.Maisnousn'avonspasbesoindetoutfairecette
semaine. Les meurtriers ont été arrêtés ; les déclarations de sinistre et les demandesd'indemnisationfaites ;nousavonstrié toutes tesaffaires, lesdocuments,miscequenousavons pu récupérer au garde-meubles, amené ta voiture au garage pour la faire réparer -mêmesi je trouveque tudevrais la vendre.Nousavonsdémoli lamaison, établipourmoiunegarantiedeliberté,ettuassoignédeuxdjinns.Çasuffit,Grace.—Jen'aipasencorecommencéàchercheretvisiterdeslocations,fit-elled'unairsombre.
Ilfautquenousayonsunendroitpourlesenfantsquandilsreviendront.Ilfautacheterdesmeubles,desvêtementsetdesjouets.Etpuisdesappareilsélectroménagers,descasseroles,despoêles,delavaisselle.Unecafetièreélectrique,ducafépourlacafetière,destassespour
lecafé.—Netepréoccupepaslemoinsdumondedetoutça.J'aitoutarrangé.Ellebougeasursachaiseetpenchalatête.Aulieudeposerlementonsurlapaumedeses
mains,elleappuyamaintenantlefrontcontreelles.Lesyeuxrivéssurlatable,elledit:— Khalil, ce n'est pas le genre de choses que les gens arrangent, puis en parlent à
quelqu'unaprès.—Pourmoi, si,dit-il. (Elle leva la têteet sesyeuxmagnifiques lancèrentdeséclairs.S'il
approuvait totalement leséclairs, ilnota lestressqui lesavait faitnaître.)Temporairementau moins. J'ai obtenu un congé de longue durée au parlement des démons. Je pourraisrattraperlerestedemonengagementdedeuxansultérieurement.Nouspartonsenvacances,Grace.Laseulechosequ'ilfautquetudécides,c'estladestination.Lastupeurs'inscrivitsursestraits.Celal'amusa,maislebouleversaaussiunpeu.—Mais...mais...—Pasde«mais».Leshumainssonttoujourstellementpressés.(Il luiprit lesmainset
plongealesyeuxdanssonregardtroublé.)Ilyaplusqu'assezd'argent.Tuasdésormaisunesomme importante sur ton compte bancaire et les djinns ne te laisseront jamais dans lebesoin.J'aide l'argent,moiaussi,beaucoup.Etnousavonsplusqu'assezde temps.Tun'asbesoind'allernullepartettun'asrienàfaireaumomentprésent,saufsituchoisisdelefaire.Lesenfantsettoiêtesensécurité,Grace.Tunecoursplusaucundanger.Leslarmesluimontèrentauxyeux.Elleavaitl'airdévasté.Illuicaressalescheveux.—Tun'avaismêmepasbesoindedécidersivitecequ'ilfallaitfairedetesaffairesoudela
maison. C'est juste que cela semblait t'aider à gérer tout ce qu'il s'était passé. Je suissimplementnavréquetuaiesperdutantdechoses.—Desvacances,fit-ellelentement,commesic'étaitunmotd'uneautrelangue.—Oui.Tuas troischoix.Nouspouvonsrejoindre lesenfantsà l'hôteldeHouston.Nous
pouvonsprendreunesuitedansunhôtel,ici,àLouisville.Jenerecommandepascetteoptionparcequejenepensepasquetutedétendraissiturestaisdanslarégion.—Quelleestlatroisièmeoption?fit-elleens'essuyantlesyeux.—Carling et Rune ont appelé hier soir. Tu dormais profondément et tu n'asmême pas
entendulasonneriedetontéléphone,alorsj'airépondu.Ilsontlouéunevillaauborddelaplage tout prèsdeMiami, et envisagentmêmede l'acheter.Trois chambres, deux salles debains,unesallede jeux,unsalon,un jardinclôturéetungrandbalcon faceà l'océan.C'estmeublé,maisCarlingasoulignéquelesmeublespouvaientêtreenlevéssitupréféraisavoirlestiens.Ilsnousontinvitésàl'utiliseraussilongtempsquenouslevoulions.—Laplage,fit-elled'unairahuri.Ellevenaitdefairel'expériencedebeaucoupdechosesétrangescesdernierstemps,mais
c'estcettepropositiondepartirenvacancesquiluifitperdretoussesmoyens.—Laplage,oui.Situenasenvie,dit-ildoucement.—Tuviendraisavecnous?Ellelescruta.—Jeviendraitoujoursavecvous,dit-ilsimplement.—Oùaimerais-tualler?Est-cequ'ilyaunendroitquetuaimesparticulièrement?Ilsourit.IlaimaitParisaupetitmatinquandl'aubecommenceàrosirlaville,etlaneigeà
Saint-Pétersbourg, une nuit d'hiver. Il aimait les vents chauds des déserts de l'Afrique duNordetlesgrandsespacesduColoradoetdudésertduMohaveoùlesdjinnsallaientdanserdans l'air inondé de soleil. Il adorait suivre le plongeon de l'eau au-dessus des chutes duNiagaraetnagerlelongdufleuveAmazone,etiladoraitcontemplerletoitdumondelelong
dessommetsdelachaînehimalayenne,oùl'airseraréfieetl'infinisedéploieàpertedevue.Maisceneseraitpasunebonneidéedel'étourdirtroptôt.—J'aimelesoleil.—SinousallonsàHouston,turisquesdenepasavoirdevraiesvacancesnonplus,fit-elle
enplissantlefront.—C'estjuste,reconnut-il.Leplines'effaçapas.—J'adoreraispartirenvacances,maisj'aipromisàdeuxpersonnesquejelesaiderais.—Quisont-elles?demanda-t-ilenlevantlessourcils.—Tusais,desgenssontvenusmeconsulterlejouroùThérèsem'atrahie?Ilsn'ontpas
pu avoir leur consultation ce jour-là. Ils n'étaient pas prêts et l'idée de descendre dans lacavernelesatroublés.Jeleuraiditquejeseraisdisponibles'ilsvoulaientrevenir.(Gracesefrottalecou.)Ilfautquejetiennemapromesse.Jeveuxtenirmapromesse.—Cen'estpasunproblème,fitKhalil.Nouslescontacterons.Quandilsserontprêts,nous
prendrons une baby-sitter et je te transporterai chez eux. En supposant que tu n'aies pasbesoindecaverne.—Jepense vraimentque jen'enaipasbesoin. (Elle croisa son regard et sourit.) J'aime
bienl'idéedepouvoirfaireunevisiteàdomicile,s'ilssontd'accord,biensûr.Grace était en effet en mesure de faire des consultations à domicile, comme ils le
découvrirentparlasuite.Elles'étaitentraînéedavantageavecKhalilquandDonetMargieluienvoyèrentune-mailpour luidemander si elle étaitdisponible. Ismat fut lepremierdjinnquigardalesenfants,etKhaliltransportaGracechezMargie,quirésidaitdansl'Indiana.Unefoisarrivés,ilsetutparégardpourleurshôtesetrestadiscrètementderrièreGracependantqu'elle s'entretenait avec le frère et la sœur. Margie les invita à entrer dans sa maisonaccueillanteet ilss'assirentà latablede lacuisineenbuvantducafé jusqu'àcequeDonetMargie se détendent. Quand Grace canalisa enfin le fantôme de leur père, ce fut uneprogressiondouceetnaturelle,etlaséancefuttrèsthérapeutique.Elle était née pour faire cela, pensaKhalil, envahi de fierté en l'observant avec les deux
humains.Elleétaitchaleureuseetpleinedecompassionetellesavaitécouter.Plusquecela,ellemanipulait la Force de l'Oracle avec une assurance qui devait beaucoup réconforter etrassurer les autres. Elle n'avait pas seulement pris possession de la Force de l'Oracle, elleavaitprispossessiondesafonctiond'Oracle.Mais toutcelavintplus tard.Pour l'heure,Khalil ressentaituneprofondesatisfactionen
contemplant saGrace qui connaissait l'importance de tenir sa parole, de s'occuper de ceuxdont elles étaient responsables, et de respecter le marché conclu. Quelles que soient lescirconstances.—Ilsembleraitquenousayonslimiténoschoix.LevisagedeGraces'éclaira.—NousallonsenFloride?—Assurément,c'estcequ'ondirait.(Ilsavaitqu'unefoisqu'ilsseraientenFloride,Carling
et Rune essaieraient de les convaincre de rester, mais cela ne l'intéressait pas du tout. Iln'avaitpasdepréférencegéographiqueetétaitcontentdefairecequeGracesouhaitait.Illuidonnaunepetitechiquenaudesurlenez.)MaisnousnepartironspaspourlaFlorideavantleretourdesenfantsdimanche,aussipouraujourd'huiai-jedécidéquenousallionssortirpournotresecondrendez-vous.L'expressiondeGracesefigea.—Ahbon?—D'ailleurs,jesaisexactementcequenousallonsfaire.
—Vraiment?fit-elleenécarquillantlesyeux.Illacontemplad'unairravi.—Oui,jevaist'emmenerdansunlieuvraimentunique.—Qu'est-cequejedoisfairepourmepréparer?demanda-t-elleprudemment.—Cequetuveux.(Ilmarquaunepause.)Habille-toisimplement.—D'accord...Quandveux-tupartir?Il sentit sa satisfaction le quitter. Elle n'avait vraiment pas l'air aussi enthousiaste qu'il
l'avaitpenséàl'idéedesortiraveclui.—Quandtuveux.Ellebaissalesyeuxsursatenue,puisleregarda.—Peut-êtrequenouspouvonstoutsimplementpartirmaintenant.Commeça,ceserafait.—Trèsbien,dit-ilenserenfrognant.Ilselevaetluitenditlamain.Elleselevaaussi,pluslentement,seblottitdanssesbras,et
ilss'enallèrentdansuntourbillon.LoindeLouisville.LoinduKentucky.Loindel'hémisphèreNord.Loindelaplanèteterre.Khalil avait étudié les besoins de Grace et s'était entraîné jusqu'à ce qu'il soit sûr de
pouvoirl'envelopperdemanièreprotectriceàlabonnetempératureetàlapressionadéquate,deluifournirlefiltreUVquiconvenaitetl'oxygènedontelleavaitbesoinpourrespirer.Il l'emporta sur la lune demanière théâtrale. Du côté le plus proche de la terre, car il
estimaitqu'ilfallaitfaireleschosesenplusieursétapes.Elleseretournadanssesbraspourvoiroùillesavaitemmenés.—Qu...quoi...—Je t'aiditquece seraitdansunendroitunique, fit-ildans labulle invisiblequ'il avait
crééepoureux.Ellehurla.Il sourit avec un brin de suffisance. Oui, la destination de leur deuxième rendez-vous
galantétaitdignedehurlerdejoie.Trèspeud'humainsavaientmarchésurlalune.Ilsavaitàquel point c'était une occasion rare. Cela devrait rattraper lamésaventure de leur premierrendez-vous,non?Gracehurlaittoujours.Ellesetournaets'agrippaàlui.—C'estpaspossible.C'est.Pas.Possible.C'ESTPASPOSSIBLE!Sonsouriredisparut.Ilessayadelateniravecdouceurniaisfermeté.C'étaitplusdifficile
qu'ilnel'avaitpensé.Onauraitditqu'elleavaitsoudainplusieursbrasetplusieursjambes.—Tupeuxarrêterdefairedubruitquandtulesouhaitesmaintenant,l'informa-t-il.Elleétaitcramponnéeàluietétaitpresquemontéesursesépaulesavantqu'ilréussisseà
laprendreparlataille.Illadétachadeluietlaremitsursespieds.Ellesecramponnadeplusbelle.—Est-cequetuescontente?demanda-t-ild'untonsoupçonneux.—Onestsurlalune,bordel!hurla-t-elle.Iln'yarienici!—Jen'aipasl'impressionquetusoiscontente,fit-ilenladévisageant.—Pasd'air!Hsecoualatête.—Réfléchisunpeu.Est-cequetuauraispuprononcercesmotss'iln'yavaitvraimentpas
d'air?Biensûrqu'iln'yapasd'airoud'atmosphèreendehorsdecettebulle...—Biensûrqu'iln'yapasdeputaind'airoudeputaind'atmosphèresurlaputaindeLUNE
espècedePUTAINDECINGLÉDEDJINN...—Grace,rugit-il.IlmittellementdeForcedanssoncriqu'ellecessaenfindehurleretquelesilencetomba.
Sarespirationdevintsaccadéealorsqu'elleledévisageait.—Regarde-moi,dit-il.Ne regardequemoi. Iln'y a aucundanger.Tuesparfaitement en
sécurité. Je te tiens. Je te tiens toujours. Ne crains rien. Tu es mienne. Je ne te lâcheraijamais.Jeteprotégeraitoujours.Tuesmaviedésormais.Est-cequetucomprendsunmotdecequejedis?Elleseremitàhaleter.—Jerespire,murmura-t-elle.Surlalune.—Ne détourne pas les yeux ! ordonna-t-il alors qu'elle commençait à regarder de côté.
(Elle replongea les yeux dans les siens.) Je suis désolé de t'avoir fait peur. Je voulais temontrerunendroituniqueoùj'aimebeaucoupaller.Jecroyaisqueçateplairaitaussi.Est-cequ'ilfautquenousnousenallions?—Je... jenesaispas.Donne-moiuneminute, fit-ellefaiblement.J'aidesgrosproblèmes
d'instinctdesurvieaumomentprésent.TumefaistoujoursjouerlerôledeDarrin,lemarideSamantha,dansMasorcièrebien-année,etjenesuispasDarrin,bordel.—D'accord.(Illuifrottalesbras.)Maisjenecomprendsrienàcequetudis.—Dèsquetuasparlédesortie,derendez-vous, j'aisuquequelquechosedecalamiteux
allaitsepasser.Tunemeferasjamais,jamais-jamais-plusdesurprisesdecegenre,oujetejure que je te jetteraimon sort d'expulsionpendant une semaine. (Halètement.)Et lu t'ensouviendras,Khalil,tum'entends.—Jamaisplus. Je te lepromets, jene ferai jamaisplusun trucpareil.Dis-moi juste s'il
fautquenouspartions.—Attends.Ill'observa,déconcerté,commeelleprenaitplusieursgrandesinspirations,commesielle
allaitplongerenapnée.Puisdoucement, trèsdoucement,ellesetourna.Il l'attiracontresapoitrine,l'enveloppantdanssesbras.Elletremblaitdetoussesmembres.—Bordel de bordel de bordel, je suis sur la lune. (Son ton était presque badin.) Pas de
casque.Pasdecombinaisonspatiale.Pasderéservoird'oxygène.Justetoi.Khalilavaitapprislaprudenced'unemanièrearrière.Illuidemandaavecprécaution:—Est-cequec'estunebonnechose?— C'est... (Elle secoua la tête et prit une nouvelle goulée d'air, s'agrippant à ses bras.
Penchantlatête,elleregardal'immenseetgracieuxglobequ'était laterre.)C'est lachoselaplusincroyablementfolleetspectaculairequej'aiejamaisvue.Espècededjinncinglé.Bon.Ilvenaitdemarquerunpoint,là,non?Ilposalementonsurlesommetdesatêteensoupirant.Décidément,toutesceshistoires
derendez-vousl'épuisaient.Grace ne put rester que quelques minutes de plus sur la lune. Puis, après une telle
émotion,elleeutl'impressiond'avoirreçuungrandcoupsurlatête.Il lui parlait calmement de samagnifique voix pure tout en lui frottant les bras de ses
grandesmainschaudes.—L'autrecôtéestspectaculaireluiaussi.—J'irain'importeoùavectoi,n'importeoù,dit-elle.Maistum'avertisunpeuavanteton
faitleschosespetitàpetit.Maintenant,ilfautquenouspartions.—Commetuveux.Elleselovacontreluietlecyclonel'emporta.Khalil lesrematérialisadanslachambred'amiqu'ilsutilisaientdanslamaisond'Isalynn.
Dèsqu'ellesentitlesolsoussespieds,Graceseretourna,fittroispasentitubantets'écroulasurlelit.—Unvraicoupdebambousurlatête,fit-elledansunoreiller.
LesressortsdulitgrincèrentquandKhalils'assitàcôtéd'elle.Ilfrottal'unedesesjambes.—Jet'aimefollement,murmura-t-il.Elle en eut le souffle presque coupé. Follement. Oui, c'était ainsi qu'elle l'aimait aussi.
Follement, comme lorsqu'ils avaient fait l'amour et qu'elle avait littéralement quitté soncorps.Elletenditlamainderrièreelleetsaisitlasienne.Illaserra.—Ceque tuas faitavecmonpère -c'était splendide,Grace.Peudecréaturesontétéen
mesured'affronterainsiSorenetdegagner.—J'avaisunavantagequandmême,fit-elle,etpuisquaranteoucinquantedjinnspourme
soutenir.Toutledimanche,lesvisionsdefuturspossiblesnel'avaientpasquittée.Puisellesavaient
cesséune fois la lunede l'Oraclepassée, la laissant ancrée où elle sedevait d'être, dans leprésent.Maiselleserappelaitcertainesdecespossibilités,deshorizonsétrangesetbrillantsqu'elleosaitàpeineenvisager.Elle le sentit se pencher au-dessus d'elle, une impression de volume, de puissance.
Quelque chose se passa, une contraction de Force comme lorsqu'il avait tiré toute sa ragepourl'enfermerenlui,saufquecettecontractionétaitplusprofonde,plusdure,undiamantémergeantdel'air.Elle se souleva sur les coudes en fronçant les sourcils et commença à se retourner. Il
déposaunbaisersursonomoplate.Lasensationflottasursapeau.—Promets-moiquelquechose,dit-elle.Iltraçadudoigtlalignedesescheveuxsursanuque.—Cequetuveux.—Nechangepas,fit-elle.Pasdemanièrepermanente,passansm'enparlerd'abord.Sondoigts'immobilisa.Ilrestasilencieux.Cettefois-ci,elleseretournasurledos.Il portait toujours le même jean et le même tee-shirt, mais il portait aussi une peau
humainepourladeuxièmefois.Sonvisageélégantétaitmarquéparunebarbenaissanteetlatracede ridulesd'expressionauxcoinsdesesyeuxetdesabouchequinesouriaitpas.Seslongs cheveux étaient dénoués, toujours brillants et noirs, mais différents d'une manièreindéfinissable. Elle posa une main sur sa poitrine et elle sentit la chaleur de sa Force,profondémentenfouiedanssoncorps,commeuneperleétincelante.Elle leva lamainpour toucher ses extraordinairespetites rides. Il frissonnaet ferma les
yeux,tournantsonvisagecontresapaume.— Promets-le, répéta-t-elle. Khalil, tu as l'aptitude de basculer dans une enveloppe
charnelle,maisunedéessedansunrêvem'aditquejepouvaisquitterdenouveaumoncorpssijelevoulaisvraiment.Ilouvritbrusquementlesyeuxengrand.Illatoisa,soncorpsimmenseraidiparlatension.
Ilposaunemainsursagorge,sonpoucecaressantlalignedesamâchoire.—Queferaitunmorteld'uneForceimmortelle?souffla-t-il.Ellehaussauneépauleetditdemanièreunpeuempruntée:—Heu,c'étaitjusteunrêve.Jenesaispassicelapeutvraimentarriver.Nousavonsbesoin
de temps pour faire l'expérience de tout ça. Tout ce que je sais, c'est que je ne veux pasessayerdedevenirquelquechosededifférentdesenfantstantqu'ilsgrandissent,parcequ'ilsnepourrontjamaischangeretilsméritentlaplusbelleviehumainequejepeuxleurdonner.—Ilsméritentquetusoisvivante,ditKhalil.MonDieu-situpouvaischanger,tuserais
moinsvulnérable,ilseraitplusdifficiledetetuer.(Savoixdevintétranglée.)Vousêtestoustellementfragiles.—Cela participe du fait d'être humain, fit-elle.Nous sommes 1res coriaces aussi, en un
sens.Etpuis...(Ellesourit.)Jesuisparfaitementensécurité,tuterappelles?Tumetiens.Tu
metienstoujours.Jen'airienàcraindre.—Jet'enprie,restetoujoursàmoi.—Toujours.Ellepassalamainsursondosetilsecambraetfrissonna.Ilretirasontee-shirt.Oh,monDieu,ilavaitdespoilssursontorse.Ellepassalamaindessus.Ilsétaientaussi
soyeuxqu'ilsenavaientl'air.IllaregardaavecsurpriseetlasoifenvahitdenouveauGrace,luidonnantl'impressiond'êtrecouverted'undrapdeflammes.—Retiretout,siffla-t-elle.Il s'écarta légèrement pour arracher son jean. Elle avait voulu faire la même chose,
vraiment.MaislavueducorpsnudeKhalillaprivapresquedetoutepenséecohérente.À l'exception de deux. Lesmêmes... différentes... lesmêmes... Ils étaient les deux faces
d'unepiècedemonnaievirevoltantdanslesairs.EllereconnaissaitsonamantdanschacunedeslignesducorpsdeKhalil,maislanouveautédesaformeplushumainefaisaitpresquedeluiunétranger.Despoilsnoirscouraientlelongdesonabdomenjusqu'àsesattributsvirilsetseslonguescuissesmusclées.Uneérectionmassiveavaitfaitremontersestesticules.Ellecontemplalelargeglandetlalongueurdesonmagnifiquemembregorgédesève.Ilsetournaverselleetpoussaungrondementfrustré.—Tuétaiscenséetedéshabilleraussi.Elleluijetaunregardétourdietgeignit:—J'aioublié.Uneexpressionamuséeetpleinedetendresseplissasestraitsavantdesefairesensuelle
etavide.—Net'enfaispas,murmura-t-il.Jevaist'aider.Il étira son long corps à côté du sien et déboutonna sa chemise. Elle ne pouvait pas
s'empêcherdeleboirelittéralementdesyeux.Fascinée,ellesaisitlesexechaudetdurentresesmains.Illaissaéchapperunson,unpetitcriaigu,ets'arc-boutaau-dessusd'ellecommes'ilavait
reçuuncoup.Inquiète,ellecommençaàdesserrersaprise.Illasaisitparlespoignets.—Non, fit-ilenserrant lesdents.Çanem'apasfaitmal.C'est justequec'était tellement
bon.Ellecaressalapeaudoucequirecouvraitsonmembredressé.Leplaisirqu'ilressentitlefit
frissonnerdetoutsoncorpsetellelevoulaitavectellementdeforcequ'ellepouvaitàpeinerespirer.Jet'aime.Elles'abandonnaàlapassionetselivraàlui.Ellesecambraetsetortillasurlelitjusqu'à
cequ'ellepuisseleprendreparlataille.Puisellelefitroulersurledosetpritdanssabouchel'extrémitéépaissede son sexe. Ilpoussaungrognement.Chaque ligneducorpsdeKhalil,toutcequ'ellecaptaitdesaprésence,rugitdesurprise.Sonérectionsursautaentreseslèvres.Ellefermalesyeuxetsentitsesmainsagrippersescheveuxpendantqu'ellelesuçait.Jet'aimefollement.Il poussa ses hanches, grondant pendant qu'elle faisait aller et venir son sexe dans sa
bouche.Elle s'enivrade la sensation,de songoût,de son rythme.Leplaisirqu'il éprouvaitétaitaveuglant.Quand il retira brusquement sa queue, elle le regarda en cillant. Il avait une expression
éperdue.—Pasdecettemanière,marmonna-t-il.Pascettefois-ci.Illaremontasurlelit,elles'assitetilsarrachèrenttouslesdeuxsesvêtementsjusqu'àce
qu'ellesoitcomplètementnue.Ilposaunemainsursanuqueet,enlafaisants'allonger,ilse
dressapourlacouvrirdesoncorps.Elleécartalescuissesetill'aida,sisoucieuxdesongenoualorsqu'ilfrémissaitdetoutson
corpsqu'elleretombaencoreunefoisamoureusedelui.Ledésirlafaisaittellementmouillerqu'elle inonda ses doigts de miel dès les premières caresses. Il la regarda d'un airinterrogateuretellesiffla:—Prends-moi,vite,souffla-t-elle.Il pressa l'entrée de son fourreau, puis il poussa, tremblant toujours. Elle le tint
farouchement,demanièreprotectrice,parcequesiPuissantqu'ilsoitetsiétrangequecelapuisseparaître,c'étaitsapremièrefois.Peauhumainecontrepeauhumaine.Puis il futenelle, jusqu'à lagarde,et leurscorps s'alignèrent.Sesyeuxse remplirentde
larmesenlaregardant.Leravissementquiselisaitsursestraitsétaitextraordinaire.—Grace, fit-il, et ilprononçait toujours sonnomdecette façon, commesi cen'étaitpas
seulementsonprénom,maisl'histoirelaplustendreetlaplusvibrante.Ilfigeasoncorpsau-dessusdusiencommes'ilnesavaitpasquoifaireensuite.—Maintenant,embrasse-moi,murmura-t-elle.S'appuyantsuruncoude, ilenveloppaundesesseinsdanssamainenposantsabouche
sur la sienne. Leurs lèvres se soudèrent et il s'inclina au-dessus d'elle avec autant derévérenceques'il s'étaitagenouillépourprierdansunecathédrale.Ellenese sentit jamaisplusbellequ'aumomentoùilperdittoutcontrôleetjouitenelle.Ellepensaquec'étaittout,etplusquesuffisant,maisillasurpritcommetoujourscar,au
momentoùilexplosait,ilsefrottacontreelle,touchalecœurdesonplaisiretl'entraînaavecluiauseptièmeciel.Toujoursaimer,toujoursbasculer.Follement.Le poids de son corps pesa sur elle, l'épuisement ayant eu raison de lui. Elle se sentit
dériverdansunenuitdetendresse,parcequ'iln'yavaitpasd'urgence,pasd'obligations,pasdedevoir,etc'étaitleluxeleplusextravagantquisoit.Ildutbougeràunmomentouàunautreets'étendreàcôtéd'elleetnonsurelle,maiselle
ne s'éveilla que lorsqu'il la tira contre lui. Elle émit un petit gémissement ensommeillépendantqu'ilguidaitsatêtesursonépauleetl'enveloppaitdanssesbras,puiselledérivadenouveau.Uneétrangesonnerieremplitlachambre.Somnolenteetconfuse,Graceroulasurledoset
levalatêtepourregarderd'oùvenaitlebruit.SonnouveauportableglissaitenvibrantsurlatabledechevetducôtédeKhalil.Khalilgrogna,saisitletéléphone,l'ouvrit,puisfitd'untonsec:—Parlez,puisraccrochez.Ellesecouvritlesyeux.Non,iln'étaitpascommodedutout.—Tuauraispulaisserlamessagerieprendrel'appel.Ilfitunepetitegrimaceetarticulasilencieusement:—Jen'yaipaspensé.Elleritetécouta.Sessourcilsselevèrent.—Bonjour,Cuelebre.Non,vousnepouvezpas luiparler.Elleestoccupée.Qu'est-ceque
vousvoulez?Grace écarquilla les yeux. Tu parles d'une trêve, c'était déjà le retour des événements
imprévisibles.Elletenditlamainversletéléphone,maisKhalill'éloignad'elle.Ellesepenchaau-dessusdeluiettentades'emparerdel'appareil.Khalilluipritlamain,l'embrassaetlatintcontresapoitrine.Le geste permit à Grace d'être suffisamment proche pour entendre la voix grave et
puissantedudragon.LeseigneurdesWyrsdisait:—Ma compagne etmoi avons l'intentiondenous rendredenouveau àLouisville.Nous
aimerionsconsulterl'Oracle.Khalil tendit le téléphone devant lui et le regarda avec étonnement, puis il le plaqua de
nouveaucontresonoreille.—JecroyaisquevousneconsultiezpaslesOracles.—Piam'aconvaincudefaireuneexception.Ilfautquenousenapprenionsdavantagesur
cettevisionqueGraceaeue.—Vousavezpeut-êtreentenduquequelqu'unaessayédetuerGraceet lesenfantsilya
quelques jours et a fait exploser leur maison, dit Khalil au dragon. Rappelez dans deuxsemaines.Graceestenvacances.LavoixdeCuelebreétaittendue.—J'ai entenduparlerde la tentatived'assassinat et je saisaussiqu'ellea reçubeaucoup
d'aide.Jetiensàluiparlerdirectementetpasparvotreintermédiaire.—Ehbien,mec,fitKhalil,parfoisilfautsavoirpatienter.Ilrefermaletéléphone,lejetadel'autrecôtédelapièce,etallongeaGraceafindeluifaire
denouveaul'amour.