johanna h. aurela pourquoi faire...
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faire simple ?
Johanna H. AURELA
25.52 512893
----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique
[Roman (134x204)] NB Pages : 336 pages
- Tranche : 2 mm + nb pages x 0,07 mm) = 25.52 ----------------------------------------------------------------------------
Pourquoi faire simple?
Johanna H. AURELA
Joha
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H.
AU
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LA
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Et voilà, j’entends le grondement de sa Volvo qui
démarre. Je n’ai pas la force de regarder par la
fenêtre, ça ferait la nana désespérée qui regarde son
homme s’en aller. Il est 3 h du matin, je n’ai aucune
idée d’où il va bien pouvoir aller à cette heure. Tout
ce que je sais c’est qu’il ne reviendra pas.
Un crissement de pneus maintenant, il s’éloigne,
c’est fini. Cinq ans de ma vie et quelques minutes
pour tout mettre en pièces. Je ne sais pas pourquoi je
suis encore debout, je ne comprends pas que je ne
sois pas morte sur le coup quand il a claqué la porte.
J’étais en colère il y a encore 5 minutes et
maintenant, je ne ressens plus rien.
A mon sens c’est pire que de ressentir quelque
chose, ne rien ressentir du tout, du vide, un affreux
vide.
Je regarde l’appartement, il semble si différent
maintenant, c’est pourtant le même canapé que nous
avons acheté ensemble à la brocante il y a 5 ans,
150 € un affaire ! Un canapé en cuir brun qui jure
complètement avec le reste de la déco, mais sur lequel
on avait craqué tous les deux.
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« Il me rappelle celui de ma grand-mère ! »
M’avait-il dit. Il vouait une véritable admiration à sa
grand-mère qui le lui rendait bien.
– C’est peut-être le sien, avais-je plaisanté
– Ouais, ce serait possible, nous ne sommes pas
loin de chez elle en plus !
– Je plaisantais, avais-je dit en riant, m’asseyant
dessus je poussais sur les jambes en faisant de petits
rebonds, histoire de tester le confort du canapé. Je
dois admettre qu’il est très confortable !
Il s’était assis près de moi sur le canapé, oubliant
les chalands qui chinaient dans la brocante. Il m’avait
prise dans ses bras et entrepris de m’embrasser
passionnément. Le genre de baiser qui avait le don de
me faire complètement chavirer. Je le repoussais
néanmoins avec pudeur mais aussi à regrets, dans ma
culture on ne s’embrasse pas en publique… ou très
peu.
A ce moment-là ce canapé m’avait conquise moi
aussi, ce moment de complicité publique quoi que
gênant lui avait attiré ma sympathie. Et nous avions
décidé de l’acheter. Notre premier meuble…
Je suis d’origine antillaise, de la Guadeloupe plus
précisément, je suis montée en métropole pour mes
études et je ne suis pas repartie depuis. Si j’ai
complètement perdu mon accent chantant des Antilles,
j’ai gardé ma culture intacte. Lui c’est différent, il est
métis, de père martiniquais et de mère métropolitaine,
son père avait quitté ce monde quand il avait 5 ans et
sa sœur 10 ans. Sa mère ne s’était jamais remariée,
même si elle a eu des histoires d’amour après. Il a donc
été élevé à la française. Il n’était même jamais allé en
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Martinique à part pour l’enterrement de son père et il
ne s’en souvenait pas.
Il disait souvent qu’avec moi il retrouvait ses
racines, il avait même voulu que je lui apprenne le
créole. Sa mère ne savait rien des Antilles, son père
ne l’y avait jamais emmené d’après ce qu’elle en
avait dit. Elle connaissait ses parents, mais après le
décès de son mari elle ne les a plus jamais revus.
Du coup, lui, avait toujours été fasciné par ces îles
dont il était originaire et dont il ne savait rien.
Maintenant, je regarde ce même canapé et il me
fait mal. J’ai le vertige ! Pourquoi je lui ai dit de
partir ? C’est bien moi qui ai prononcé ces mots.
Pourquoi étais-je en colère déjà ?
Une crise de jalousie, la crise de trop. Il était
minuit passé, je travaillais sur une étude de marché
pour la future campagne publicitaire d’un de nos
plus gros clients, c’est mon métier, je suis chargée
d’étude et de communication chez Athéna Média
Com, une agence de publicité à Bordeaux. J’allais
quitter quand MSN s’est déclenché, c’était lui qui
était connecté, il avait sans doute oublié d’éteindre
sa session, une certaine LouisaBelle demandait à lui
parler. Intriguée j’ai voulu en savoir plus… le début
des ennuis !
« Tu ne dors pas à cette heure ?
– Si, si, j’y allais, répondis-je
– Moi, je suis insomniaque comme tu le sais, c’est
pourquoi je suis étonnée de te voir là, tu te couches si
tôt d’habitude… Elle dit rien ta copine ?
Ainsi cette Louisabelle connaissait les habitudes de
mon homme et elle savait qu’il avait une copine, je
continuais.
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– Elle dort, elle ne peut rien dire !
– Moi, je n’ai pas ce problème comme tu le sais.
Mais bon, je te posais la question comme tu m’avais
dit qu’elle était super jalouse lol !
En effet, c’est vrai, je suis jalouse, pas tant que ça
j’imagine, mais suffisamment on dirait pour qu’il en
parle à cette fille.
– Ce n’est pas le bagne non plus ! répons-je
indignée
– « M’enfin quand même, le souk qu’elle t’a fait en
boite l’autre soir, j’invente rien c’est toi même qui me
l’a dit, je n’aurais jamais fait ça moi ! »
Alors comme ça il lui a raconté la dispute de la
semaine dernière !!! Nous étions en boite de nuit avec
des amis, le King Palace, une boite afro-antillaise que
j’aime bien car on y passe que de la musique créole,
ça me plait et lui aussi il adore. J’avais mal aux pieds
et j’étais fatiguée, j’étais assise à notre table mais lui
était sur la piste, il a toujours été débordant d’énergie
et parfois j’avoue, j’ai du mal à le suivre. Une espèce
de blondasse c’était approchée de lui et dansait de
façon équivoque devant lui sur cet air de Vick et
Baines à la mode en ce moment, « Bouges ton
botcho » elle se trémoussait à qui mieux mieux, elle
portait une jupe si courte qu’on aurait dit une
ceinture. Elle avait une poitrine refaite à peine
recouverte d’un décolleté ultra plongeant. Déjà elle
m’énervait ! Mais le bouquet fut quand il se mit à
danser en rythme avec elle, ignorant totalement que
j’étais là derrière à assister à toute la scène.
Ne voulant pas créer un scandale devant nos amis,
j’ai rongé mon frein en le fusillant de mon regard le
plus noir.
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Gêné, il avait quitté la piste en dansant tout en
gratifiant cette pétasse d’un large sourire plein de
dents.
Il était venu s’asseoir près de moi et avait
vainement tenté de me prendre dans ses bras. Folle de
colère, je l’avais repoussé avec rage, il savait que
l’orage n’était pas loin.
Par la suite, je ne lui ai pas adressée la parole de la
soirée, il était de toute façon déjà tard, nous sommes
rentrés assez vite après.
Arrivés à la maison, je ne lui ai pas permis de
dormir dans notre lit, je lui ai fait une scène
mémorable. Mais le lendemain après ma grasse
matinée d’après boite, il m’avait porté au lit un plateau
garni, deux œufs au plat, un café et trois tartines de
Nuttela une rose et un petit mot « Je t’aime » Et il était
ressorti de la chambre sans dire un mot.
Il n’en fallait pas moins pour que j’oublie tout.
Mais je découvrais ce soir qu’il s’en était plaint à
cette LouisaBelle et je n’en tenais plus de rage.
Je me suis mise à écrire à toute vitesse, mes doigts
martelaient le clavier si fort, que j’aurais bien pu le
casser. « Pas de bol pour toi ma belle ! Ce n’est pas
Vincent qui te parle depuis tout à l’heure, c’est sa
copine !!! »
– …
« LouisaBelle est maintenant déconnecté. »
Annonça froidement Messenger.
Folle de rage, je me suis précipitée dans la
chambre et j’ai allumé la lumière. Vincent a grogné
quelque chose et s’est recouvert la tête de la couette.
Je me suis avancée vers lui d’un pas décidé et je lui ai
arraché la couette en hurlant.
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– C’est qui cette LouisaBelle ??
– Hein ?! Dit-il ouvrant un œil et plissant l’autre
– T’es sourd ?? Je te demande qui est cette
Louisabelle ??? C’est français, ça !!!
– Non mais tu vas pas bien de gueuler comme ça ?
Il est quelle heure ?
– On s’en fout de l’heure, je veux savoir qui est
cette LouisaBelle à qui tu racontes notre vie sur
MSN !!!
– Attends, comment tu la connais déjà ? Il était
complètement réveillé maintenant et s’était assis sur
le lit et me fixait.
– Elle m’a topé sur MSN pendant que je bossais,
fallait éteindre ta session mon pauvre, si tu ne voulais
pas que je la voie ! Je me suis fait passer pour toi pour
la faire parler et elle a parlé !
– Non mais t’es complètement dingue ma pauvre !
J’ai bien le droit de discuter avec qui je veux, on n’est
pas mariés que je sache !
La belle excuse ! Il me la ressort à chaque fois
qu’il me trouve trop intrusive.
– Et ça te donne le droit de draguer sur le net ?
C’est ça ta conception du couple ?
– Et toi, me fliquer, m’espionner sans cesse, te
faire passer pour moi et me réveiller en pleine nuit
pour me faire une scène c’est la tienne de conception
du couple ?
– Tu détournes la conversation ! Tu ne m’as
toujours pas répondu c’est QUI cette fille ?
– Tu me chier Béa ! Si t’as rien de mieux à faire
moi je me lève dans exactement 5 h et je n’ai
vraiment pas envie de me prendre la tête avec toi pour
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le moment, tu permets, je me recouche, on en reparle
à mon réveil si tu veux !
Sur ce il avait éteint la lumière à l’aide de
l’interrupteur qu’il avait fait installer de son côté du
lit, m’avait tourné le dos et s’était recouché.
Ivre de colère, je suis allée à la salle de bain, j’ai
rempli un verre à dent à ras bord d’eau froide et je
suis revenue dans la chambre, sans allumer la lumière
cette fois et je lui ai balancé le verre à la figure.
J’avais regretté immédiatement mon geste consciente
d’être allée trop loin, mais son refus de me répondre,
m’avais mise hors de moi. Il s’est levé d’un bond
ralluma du même geste la lumière et se mit à hurler.
« Non mais t’es cinglée ?! Qu’est-ce qui te prend à
la fin ?
– Tu ne m’as pas répondu, je hurlais moi aussi
– Mais qu’est-ce que tu veux que je te réponde ??
Je te connais par cœur, tu ne croirais pas un mot de ce
que je pourrais bien dire de toute façon ! Je suis
cerné, si je te dis que c’est juste une amie, tu ne me
croiras pas et demain à la même heure on y sera
encore et si je confirme tes soupçons, je n’ose à peine
imaginer !!! C’est toujours pareil avec toi !
– Ah ben oui, apparemment, je suis une harpie
hystérique d’après ta copine !
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– La vérité ! Et toi tu ne m’as pas répondu !
– Pff ! J’abandonne ! J’ai pas envie de te répondre,
tu n’as pas été loyale sur ce coup-là, la façon dont tu
as fait la connaissance de Louise ne me plais pas du
tout, en d’autres circonstances je t’aurais répondu !
Qu’est-ce que se sera après, tu vas me coller un
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GPS ? Mettre des micros dans ma voiture, mon
portable sur écoute ?
J’étais au bord des larmes, mais lui s’était levé et
était sorti de la chambre, dirigé vers la salle de bain
pour se sécher. Il avait retiré son tee shirt, était revenu
dans la chambre et avait ouvert l’armoire pour y
trouver un vêtement de rechange.
Je n’en pouvais plus, j’ai continué à hurler et à le
questionner, mais lui, ne me répondait plus, il
m’ignorait, faisant comme si je n’étais pas là, il
continuait à s’affairer dans cette satané armoire.
Cette attitude m’énervait encore plus, j’ai quitté la
chambre pour retourner me calmer dans le salon.
Je me suis assise dans le canapé, relevée et je me
suis dirigée vers la cuisine, j’ai allumé la Senséo et je
me suis fait couler un café, j’ai allumé une cigarette et
je suis restée assise à la table de la cuisine, impossible
de me calmer. J’alternais entre détresse et colère et je
n’avais pas ma réponse.
J’ai entendu ses pas dans le salon, j’étais allé trop
loin, je le savais. Il avait une totale confiance en moi
et me laissait une liberté sans limites, ce que je
prenais pour du désintérêt. Au lieu d’apprécier cette
confiance, j’en souffrais, j’aurais voulu qu’il me fasse
une scène de temps en temps pour me prouver qu’il
était jaloux, mais en 5 ans, il n’en a jamais fait une
seule. Même lorsqu’à nos début son meilleur ami
Pascal me faisait du rentre dedans devant lui.
Il ne m’a pas appelé une seule fois quand je suis
partie 3 mois en Angleterre pour mon stage linguistique
pendant mes études. C’était toujours moi qui appelais,
ça m’avait d’ailleurs explosé mon forfait mobile.
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Je n’ai jamais eu confiance en moi, je n’ai jamais
su pourquoi il s’était intéressé à moi plutôt qu’à ma
copine Marie. Une grande brune joviale, élancée avec
de grands yeux noirs, de superbes longs cils dont
j’étais jalouse. Une longue chevelure noir de jais et un
sourire ravageur, on s’entendait à merveille. C’était la
seule capable de gérer mon sale caractère. Elle avait
un sens de l’humour contagieux et était toujours prête
à faire la fête. Quand nous sortions ensemble, les
garçons allaient directement vers elle, et quand ils
m’adressaient la parole, c’était pour avoir des
informations sur elle.
Moi, j’étais plus effacée, encore intimidée par la
France et son effervescence, je débarquais de ma
cambrousse je me bornais à rester concentrée sur mes
études.
Nous nous sommes rencontrés au restaurant
universitaire R.U.2 du CROUSS à l’université de
Bordeaux 3 là où je suivais une partie de mes études,
les sciences humaines.
Quand nous nous sommes dirigées Marie et moi
vers notre table habituelle, il y était déjà installé, son
lecteur mp3 sur les oreilles, un livre à la main et son
sandwich dans l’autre, il ne nous avait pas vues
arriver.
Marie, elle a craqué littéralement. « Non mais t’as
vu ce mec ?? On dirait un latin lover genre Julio
Iglésias, miam ! Tout à fait mon style ! » S’était-elle
exclamé la bave aux lèvres déjà prête à lui faire son
numéro habituel.
C’est vrai qu’il était beau, la peau dorée comme s’il
revenait de vacances en plein mois de novembre, les
cheveux coupés courts mais pas ras étaient docilement
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disciplinés au gel plaqués sur son crâne, bruns,
brillants faisaient une petite boucle brune savamment
étudiée sur son front. Ses yeux verts juraient avec son
teint mat. Une jolie bouche bien dessinée, des lèvres
fines et charnues à la fois. Il était concentré sur son
bouquin tout en balançant la tête au rythme de la
musique qu’il écoutait.
Marie m’avait pris le bras et m’attirait vers la table
malgré mes réticences. « Viens ! M’avait-elle
ordonné, on va lui parler, un gars comme ça, ne reste
pas longtemps sur le marché ! »
– Qui te dit qu’il y est ? Il a peut-être une copine.
– Et qu’est-ce que j’en ai à foutre ? A la guerre
comme à la guerre. Allons, allons grouilles toi avant
qu’il ne s’en aille !
J’avais donc suivit sans trop de conviction, j’étais
déjà un peu agacée car il me plaisais à moi aussi, mais
j’étais sûre de n’avoir aucune chances avec lui. Et
puis de toute façon j’étais disqualifiée d’avance,
lorsque Marie affichait une telle détermination,
j’avais depuis longtemps appris à ne pas lui faire
concurrence.
Une fois près de sa table, Marie pleine de toupet,
agita sa main devant son visage ce qui eut pour effet
de le tirer de sa lecture. Il retira une de ses oreillettes
et la fixa interloqué.
« Salut, moi c’est Marie, Marie Vidal et toi ?
– Heu… Vincent Ducas, bredouilla-t-il, visiblement
intrigué par cette intrusion dans son espace de détente.
– Elle, c’est Béatrice Leroy ma copine, tu es à
notre table habituelle, ça te dérange pas si on s’assoit
avec toi ? La cafèt est bondée, et on n’a qu’une heure
pour manger.
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– Heu… ouais, pourquoi pas, joignant le geste à la
parole, il s’était décalé pour nous laisser nous asseoir.
– Je t’avais jamais vu, enchaîna Marie en
s’asseyant, tu es à la fac ici ?
– Oui, je suis à Bordeaux 1 en informatique mais
je mange au R.U.1 d’habitude !
– Ah ouais ? Moi à Bordeaux 3 sciences humaines
– C’est cool ça, et ta copine elle ne parle pas ? Ses
études, elle les suit où ?
– Si, je parle avais-je répondu, je suis à Bordeaux 4
mais j’ai quelques cours ici.
– Charmant, ce petit accent, t’es antillaise ?
M’avait-il demandé.
Soudain beaucoup plus intéressée par la
conversation je lui avais répondu :
– Oui, de la Guadeloupe, comment tu as deviné ?
– Je suis antillais moi aussi, mais de la
Martinique… enfin par mon père.
– Et tu y vas des fois ?
– Non, en fait, je n’y suis jamais allé !
– Tu dois avoir de la famille là-bas non ?
– Si, oui, mais je ne les vois jamais. Je ne les
connais même pas à vrai dire, mon père est mort
quand j’avais 5 ans et ma mère a coupé les ponts avec
toute la belle-famille. Elle a repris son nom de jeune
fille et comme on a déménagé depuis. Ils n’ont sans
doute jamais trouvé où nous joindre.
– Oh, je suis désolée !
– T’inquiètes, ça fait longtemps et puis tu ne
pouvais pas savoir.
– Je sais mais quand même, j’ai le chic pour mettre
systématiquement les pieds dans le plat !
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– Je te dis que ce n’est pas grave, et sinon toi ça ne
te manque pas trop les Antilles ?
– Si, j’avoue ma famille me manque beaucoup
surtout, mais j’y retourne à chaque vacance.
– Ah ok, c’est cool, ça ! T’en as du bol !
– Hum, hum, toussota Marie, heu, vous me dites si
je vous dérange, hein ? Je peux aussi m’en aller !
– Mais non Maribou, dis-je, ça va on ne t’oublie
pas.
À la fin du déjeuner, Marie avait insisté pour donner
son numéro de mobile à Vincent et lui, avait l’air de
rien, demandé à ce que je lui donne aussi le mien. Il n’a
jamais appelé Marie, mais en revanche, moi, il m’a
appelé le soir même. C’était un vendredi et il m’avait
invité à un concert Dance hall au King Palace, je n’étais
jamais allée à cette boite, je ne savais même pas qu’il y
avait des boites antillaises à Bordeaux, quand on sortait,
Marie m’entraînait toujours dans des boites de blancs
ou on passait de la techno en boucle. La soirée avec
Vincent avait été magique, il dansait merveilleusement
bien, il était vraiment grand, 1 m 90 à l’aise et le
regarder dans les yeux me donnait le tournis du haut de
mon petit 1 m 65. Mais j’adorais ça !
Lors des zouks il m’entraînait dans ses bras
musclés, me portant presque, il dansait comme
j’aimais, sans frotter ses parties intimes contre moi, ce
que je détestais, mais il était parfaitement en rythme
et me faisait tournoyer à m’en donner le vertige.
A la fin de la soirée, il m’avait raccompagné à ma
chambre de campus.
– Toi qui n’es jamais allé aux Antilles, où as-tu
appris à danser comme ça ?
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– Je ne vais que dans les boites antillaises, avait-il
répondu, à défaut de connaître mes origines, je les
recherches autant que je peux.
– Et tu parles créole ?
– Non, mais tu m’apprendras, m’avait-il répondu
en se penchant vers moi.
Son visage était si près du miens que je pouvais
sentir son souffle sur mon visage, sa seule mèche
bouclée me chatouillait le front, je n’osais plus soutenir
son regard vert, pénétrant. Il resta dans cette position
quelques interminables secondes, faisant aller son
regard de mes yeux à ma poitrine en passant par ma
bouche. J’étais au supplice, j’attendais ce baiser qui
commençait à mettre du temps à arriver, j’avais le
souffle court et je ne pouvais plus dire un mot.
Sentant que le « poisson » était ferré, il se pencha
un peu plus vers moi et sa bouche vorace s’empara de
la mienne fougueusement, il glissa sa langue entre
mes lèvres dociles. Je lui appartenais. Mes jambes
vacillaient, il glissa une main sur ma taille et m’attira
tout contre lui, glissant sa main droite sur ma poitrine,
puis sur mon ventre, mes hanches, remontant sur ma
joue, sa langue fouillant ma bouche encore plus
profondément. Je manquais d’air mais j’aurais préféré
mourir asphyxiée plutôt que d’interrompre ce baiser.
C’est lui qui l’a interrompu, le souffle court, il s’était
écarté, abandonnée, je ne savais plus quelle position
adopter pour garder un peu de contenance.
Il me fit son sourire ravageur en coin s’écarta un
peu plus, me jeta un coup d’œil charmeur et me dit :
« Bonne nuit, beauté des îles ! Je t’appelle demain. Si
tu veux bien !
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– Be… ou… oui… je… je v… veux bien
bafouillais-je »
C’est ainsi que notre histoire avait commencé, ce
soir de novembre, la plus belle soirée de ma vie !
J’ai mis trois semaines à avouer à Marie que je
sortais avec Vincent, même si elle avait remarqué le
changement en moi. Je faisais des efforts
vestimentaires, je me maquillais, un maquillage
discret, faut pas pousser non plus, mais maquillée
quand même. J’avais troqué mes tresses africaines
contre un tissage1 qui m’a coûté 80€ et que j’ai ôté au
bout d’une semaine parce-que Vincent m’avait dit
qu’il me préférait naturelle.
Naturelle, naturelle, j’ai remplacé le tissage par un
défrisage qui faisait tomber mes cheveux sur mes
épaules.
J’étais sur un petit nuage, je ne prêtais même pas
attention quand elle se plaignait que Vincent ne
l’avait pas appelé. Un jour, il est venu m’attendre à la
fin de mon cours d’anglais, Marie venait m’y
rejoindre aussi, je l’ai aperçue quand je suis sortie de
l’amphi mais déjà Vincent m’avait attrapé et m’avait
embrassé à pleine bouche, j’ai eu le temps de voir
Marie stopper net, les yeux écarquillés.
Elle m’a fait la tête pendant une semaine et ensuite
nous nous sommes réconciliées. Sa rencontre avec
David, y était pour beaucoup. Merci David !
1 Tissage : Technique de coiffure afro-antillaise servant à greffer
des lamelles de perruque sur une tresse circulaire à l’aide d’une
aiguille à coudre.
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Vincent était planté devant moi dans la cuisine, je
ne l’avais pas vu arriver, je commençais à décolérer et
sa mine sombre maintenant m’inquiétait.
« Béa, ça ne peut plus durer ! Avait-il commencé,
je t’aime, mais tu m’étouffes !
– Si tu m’aimes tant que ça que fait cette
LouisaBelle dans ta vie ?
– Tu es en boucle Béa là, tu ne vois pas ce qui se
passe ?
– Si… enfin non !
– Dans ce cas c’est encore pire que ce que je
croyais, je ne peux pas faire ma vie avec une femme
qui n’a pas confiance en moi !
– Comment puis-je te faire confiance si tu ne
réponds même pas à une simple question ?
– Je n’y réponds pas parce-que tu as utilisé
l’intrusion et la manipulation pour obtenir ton
information.
– C’était un hasard, j’y peux rien, moi si elle est
tombée sur moi !
– C’est aussi un hasard si tu t’es fait passer pour
moi ? Pour me… piéger ? Sa voix était montée dans
les aigus, mauvais signe.
– Te piéger ? C’est alors que j’avais bien raison
finalement, tu me trompe avec cette fille ?
– Et voilà ! Tu vois, tu utilises ce que je te dis
contre moi ! T’ai-je trompé une seule fois depuis que
nous sommes ensembles ?
– Pas à ma connaissance, mais j’en sais rien, pas
vu pas pris !
– Ok ! Tu sais quoi ? Je me casse ! C’est bon, j’en
ai ma claque ! Ciao ! »
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Il est parti dans la chambre, moi sur ses talons
essayant d’argumenter, il ne m’écoutait plus, et
m’ignorait de nouveau. Il se dirigea vers l’armoire,
attrapa son sac de sport au-dessus, le dépoussiéra un
peu, ouvrit la porte de l’armoire et entreprit de fourrer
furieusement ses affaires dans le sac.
Sans un regard pour moi, il se dirigea ensuite vers
le cagibi, attrapa un autre sac, y fourra toutes ses
paires de chaussures. Il retourna au salon, attrapa le
trousseau de ses clés de voitures sur la table basse, en
retira les clés de l’appartement et les déposa sur la
table basse en les faisant claquer contre le meuble.
Fourra ses clés de voiture dans sa poche, si dirigea
vers la porte d’entrée. Me jeta un dernier regard les
yeux embuées de larme, de tristesse ou de colère, je
n’aurais su le dire à ce moment précis.
« C’est ça, vas-y casses toi ! Avais-je sifflé entre
mes dents » Il fronça les sourcils. Ce regard qu’il me
lançait, je ne le lui connaissais pas, il me traversa de
part en part comme une épée aiguisée. Il me tourna le
dos, ouvrit la porte d’entrée et la referma violemment
derrière lui. Fin de notre histoire d’amour.
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2
4 h 58, je ne sais pas depuis combien de temps je
suis plantée là, à mi-chemin entre la porte d’entrée et
la fenêtre du salon.
Cette pièce où je me trouve me semble lugubre
sinistre, j’ai l’impression d’être dans un lieu hostile.
Qu’est-ce que j’attends figée là ? Qu’il revienne ?
Où est-il allé ? Se fait-il consoler par cette
LouisaBelle de merde qui vient de briser mon
couple ? Je l’imagine dans les bras de cette inconnue,
je l’imagine blonde, je déteste les blondes ! À vrai
dire, elles ne m’ont rien fait, je n’en ai même jamais
fréquenté, c’est Marie, elle les déteste tellement, que
je suis entrée dans la bataille brunes contre blondes
sans aucunes raisons personnelles, c’est ridicule, je
sais, mais bon ! Quoi qu’il en soit pour moi cette
LouisaBelle est forcément blonde !
Ça y est, je recommence, s’il avait raison ? Si elle
avait raison ? Pourquoi n’ai-je jamais eu confiance en
lui ?
Un peu de psychologie, après tout, je n’ai rien de
mieux à faire en ce moment précis. Je suis ma mère !
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Je pique des crises comme elle, je mets la maison à
feu et à sang pour un sourire à une inconnue, une
conversation trop longue, une tape sur l’épaule ou un
regard que j’interprète à ma façon. Quand il est en
retard, je l’imagine au lit avec une autre, même s’il
s’agit de dix minutes de retard. C’est stupide, tel que
je le connais, 10 minutes c’est beaucoup trop court
pour lui. Quand il ne répond pas un de mes appels, ou
quand je tombe sur sa messagerie, je me monte les
films les plus terribles et je lui fais une scène.
Je n’étais pas comme ça avant, en fait, je me suis
transformée en ma mère quand nous avons aménagé
ensembles. Avant cela, j’évitais de penser à lui quand
il n’était pas avec moi. Prise dans le tourbillon de la vie
universitaire, j’avais autre chose à faire. Et il était
prévenant envers moi, il m’appelait au moins 6 fois par
jours, il m’appelait même quand nous venions à peine
de nous séparer pour me dire que je lui manquais déjà.
Le matin au réveil j’avais toujours un sms sur mon
mobile qu’il avait posté au moins une heure avant que
je n’ouvre les yeux. « Tu as bien dormi bébé ? Passe
une bonne journée, je t’aime ! » Je lui répondais : « je
suis levée, je t’aime encore plus » Ce à quoi il
répondait : « Impossible !!! » Là-dessus, je grimpais
sur mon petit nuage et je n’en descendais pas de la
journée jusqu’à ce que je le rejoigne pour déjeuner ou
que je le vois le soir quand il ne travaillait pas. Car
pour payer ses études, il travaillait le soir à la hotline
d’un FAI2, sa voix chaude et suave avait pour effet de
calmer les client les plus énervés hommes comme
femmes, il avait ce pouvoir-là. Marie disait qu’il avait
la « zen attitude » et c’est vrai, il calmait quiconque
2 FAI : fournisseur d’accès internet.