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Centre de documentation historique sur l’Algérie Club Kabylie 1 LES JEUX EN KABYLIE (1935-1945) ET AUTRES COUTUMES POPULAIRES Rédacteur : Dominique C. Ottavi Une partie du contenu de cet article est inspiré d’éléments de mon ouvrage « Les couleurs de l’Atlas » Table des matières La toupie ................................................................................................................. 2 Le jeu de billes ....................................................................................................... 3 Le jeu de saute-mouton .......................................................................................... 4 Le cerceau .............................................................................................................. 5 La petite auto .......................................................................................................... 5 Les osselets ........................................................................................................... 6 La “crosse“ ............................................................................................................. 6 Arbalète .................................................................................................................. 6 Tire-boulettes ......................................................................................................... 7 Pétoire .................................................................................................................... 8 Pièges .................................................................................................................... 8 Allume-feu .............................................................................................................. 9 Le bâton ................................................................................................................. 9

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  • Centre de documentation historique sur l’Algérie Club Kabylie

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    LES JEUX EN KABYLIE (1935-1945) ET AUTRES COUTUMES POPULAIRES

    Rédacteur : Dominique C. Ottavi Une partie du contenu de cet article est inspiré d’éléments de mon ouvrage

    « Les couleurs de l’Atlas »

    Table des matières La toupie ................................................................................................................. 2  Le jeu de billes ....................................................................................................... 3  Le jeu de saute-mouton .......................................................................................... 4  Le cerceau .............................................................................................................. 5  La petite auto .......................................................................................................... 5  Les osselets ........................................................................................................... 6  La “crosse“ ............................................................................................................. 6  Arbalète .................................................................................................................. 6  Tire-boulettes ......................................................................................................... 7  Pétoire .................................................................................................................... 8  Pièges .................................................................................................................... 8  Allume-feu .............................................................................................................. 9  Le bâton ................................................................................................................. 9  

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    La toupie Débouchant de la route empierrée, Arezki courut vers ses amis accroupis sous les

    arbres autour d’un jeu de billes : — Attendez, attendez ! Maintenant c’est le temps de la toupie ! Comme souvent, pour chacun, se posait la question de savoir comment une telle

    directive avait été émise, et par qui. — C’est comme ça, je viens d’en bas, et ils jouent tous à la toupie. Généralement, ce qui venait de la partie basse du plateau, semblait devoir être

    admis et respecté. En bas, c’était l’endroit de la grande source, l’Aïn Sultan, qui ne tarissait même pas aux plus fortes canicules. Là, habitaient les propriétaires les plus riches, qui bénéficiaient de la largesse de la nature pour arroser leurs champs l’année durant. C’était aussi le lieu de l’école coranique, dirigée par un maître chenu et implacable, comme l’était son long bâton capable d’atteindre jusqu’aux derniers, tout au fond de la petite classe.

    C’est pourquoi les décisions du village d’en-bas portaient le sceau de l’autorité. La toupie que montrait Arezki était une pauvre chose qui avait beaucoup souffert.

    Bardée de cicatrices, elle était certainement passée de mains en mains depuis plus d’une génération. Brûlée en partie, elle arborait une pointe longue et pointue, faite d’un gros clou forgé, inséré en force.

    Il faut dire qu’ici, on ne se contentait pas de lancer doucement la toupie pour le plaisir de la voir tenir sur sa pointe, dans le miracle chaque fois renouvelé des lois de la gyroscopie. La pointe, agressive comme l’ergot d’un coq de combat, était destinée à éventrer les toupies des adversaires qui avaient, au cours des lancers précédents, perdu leur statut et se retrouvaient immobilisées et emprisonnées, selon “la loi“, dans un cercle tracé sur le sol.

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    Les autres devaient lancer avec force leur toupie sur les prisonnières, avec l’intention non cachée de les démolir. Le cordonnet, provenant de chez l’épicier, était en réalité un galon de coton blanc comme celui que les femmes cousaient sur l’ourlet des gandouras ou des burnous. Il se terminait par un bâtonnet de la taille d’une allumette, que l’on coinçait au-dessus des doigts, en laissant passer le cordonnet entre l’index et le majeur. Le premier toron avait été très serré sur la pointe, au ras du bois, et les autres tours se plaçaient en spirale au-dessus, jusqu’à ce que toute la longueur du cordonnet soit utilisée, et que la toupie se trouve collée contre la paume. Tout en la tenant la pointe en l’air, il fallait la jeter sèchement vers le sol en retenant brusquement le cordonnet. Elle se redressait miraculeusement et ronflait de longues secondes, même après avoir touché sa cible, généralement éjectée du cercle.

    Tous les concurrents ne possédaient pas la bonne arme dans ce jeu, où le savoir des anciens, qui avait permis la personnalisation de l’engin, jouait un rôle important…

    Le jeu de billes Les garçons interrompirent leur jeu de billes pour soupeser les joies que leur

    apporterait bientôt celui de la toupie, et envisager leur future participation au challenge qui leur serait proposé. C’est vrai que le jeu de billes commençait à perdre de son attrait.

    Il avait été pourtant leur drogue pendant quelques semaines, au cours desquelles plusieurs aires avaient été essayées. Elles devaient être parfaitement planes, débarrassées des cailloux roulants et aussi de ceux qui, prisonniers du sol damé par les passages, rompaient la régularité de la surface. Les billes devaient pouvoir rouler facilement sur un sol bien lisse.

    Les jeux, tels qu’on les pratiquait en Kabylie, ne correspondaient jamais à ceux

    dont on parlait dans les livres d'enfants édités en Métropole.

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    Ici, une ligne gravée sur le sol indiquait le lieu à ne pas dépasser pour les lancers ou les tirs. Un mètre plus loin, un trou hémisphérique de la taille d’une petite pomme était creusé. Juste à côté, l’empreinte creuse d’une bille servirait à poser la bille gagée, que les adversaires convoitaient. Comme au golf, le trou était le but. On avait le loisir de s’en approcher en plusieurs coups, mais les autres pouvaient, comme à la pétanque, faire un carreau et chasser les billes trop proches.

    Le tir, violent, se faisait après avoir logé la bille dans le creux de l’index replié, en déclenchant le pouce avec force, coincé jusque là derrière le majeur. Pour s’approcher du trou, le même geste était pratiqué, mais tout en douceur.

    Il fallait, pour atteindre une certaine précision, et aussi parce que c’était la règle, appuyer le dos de la main sur le sol pour lancer ou tirer. Ce qui se traduisait, à la fin de la “saison des billes“ par de vilains cals sur les articulations des doigts, qui allaient mettre quelques semaines à disparaître.

    Les billes utilisées étaient de pauvres petites sphères brillantes d’usage, faites de ciment, dépareillées, rescapées des années précédentes, et souvent héritées du grand frère. Chaque enfant en possédait 3 ou 4, et n’en perdait ni n’en gagnait. La victoire serait une satisfaction toute morale, la défaite, une contrariété vite oubliée.

    Le jeu de saute-mouton Ce jeu ne pouvait se pratiquer en saison sèche, comme nous allons le voir. C’était

    en gros, un concours du saut le plus long. De chaque côté de celui qui jouait le rôle du “mouton“, étaient tracés au sol une série de traits de plus en plus éloignés, et symétriques, qui allaient servir à définir la longueur imposée du saut.

    On commence par arracher deux touffes d’herbe qui viennent avec les racines et un bloc de terre humide. D’où l’impossibilité de pratiquer ce jeu en saison sèche ! Ces amas d’herbes et de terre serviront à signaler les traits-repères. On commence par les disposer, de part et d’autre, sur le trait le plus proche du “mouton“. Les enfants réalisent le saut, en respectant les touffes d’herbe collées sur les traits. Lorsque tout le monde a sauté, on déplace les mottes sur les traits un peu plus éloignés, et ainsi de suite.

    Arrive le moment où le pied d’appel ou celui de la réception écrase la motte, ou la franchit. On devine que le coupable de cette maladresse va devenir de facto le nouveau “mouton“, sentence acceptée sans discussion, mais considérée comme une sévère punition.

    Contrairement à son apparente simplicité, ce jeu déclenche sa dose d’adrénaline, car les sauts les plus longs, réussis ou non, constituent chaque fois un petit exploit sportif. Ne parlons pas de la traîtrise éventuelle du “mouton“ vicieux qui ose se dérober, ou faire mine de trébucher au moment crucial, envoyant le sauteur embrasser le sol boueux.

    C’est alors l’occasion de changer de jeu pour adopter provisoirement la boxe ou la lutte, sans attendre le dictat du village d’en-bas…

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    Le cerceau Les cerceaux étaient le plus souvent constitués de bondes de tonneaux, qu’il fallait

    choisir prés du milieu de celui-ci, afin qu’elles ne soient pas trop coniques. Mon cerceau, trouvé sans doute à l'atelier, d’origine inconnue, était un cercle de fer très lourd, à la circonférence fendue en un endroit. Pas plus grand qu’une assiette, il résonnait comme une clochette en rebondissant sur les cailloux du chemin. Nous disposions d’une tige de fer terminée en U, pour pousser le cerceau en l'appuyant au-dessous de son plus grand diamètre. Les virages se prenaient en inclinant le U. Les courses dans la cour ou sur les chemins “monotraces” étaient très disputées. Je considérais comme un énorme avantage de disposer de cette efficace tige métallique, véritable barre de direction par rapport au bâtonnet des petits marins des illustrations, avec lequel ils tapotaient le haut de leur élégant cercle de bois... Je me souviens que les sentiers comportaient toujours une étroite piste bien lisse, d'où les petits cailloux avaient été chassés par le trottinement des ânes, qui ont l'habitude de ne presque pas soulever leurs sabots. Ces merveilleuses pistes plates convenaient parfaitement à cette activité dynamique.

    La petite auto Les petits kabyles avaient aussi créé une sorte d’automobile-jouet à un seul train de

    roues, prolongée par une tige de roseau qui servait à la pousser sans se baisser, et permettait même de courir tout en la dirigeant. Elle disposait en effet d’un aménagement remarquable : le roseau comportait à son extrémité la plus basse deux trous opposés, allongés, dans lesquels passait l’axe des roues. Grâce à la forme oblongue de ces ouvertures, il suffisait de faire tourner le roseau dans sa main pour que l’essieu tourne franchement, comme forcé, dans la même direction. Parfois, certains enfants rajoutaient à l’extrémité de la tige un cercle de fil de fer représentant le volant afin que tout cela se rapproche le plus possible de la conduite d'une vraie automobile. Le reste de la voiture n’existait généralement pas, mais on pouvait accrocher à l'axe avant, un cadre de fil de fer ou une petite boite, munis de roues arrière, pour compléter l'illusion.

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    Ce jouet, qui ne coûtait rien, apportait beaucoup de joie, tellement il était passionnant de sentir que l’on pouvait vraiment choisir sa route, en pilotant "pour de vrai", et en passant entre les obstacles les plus serrés !

    Pour fabriquer les roues, il fallait rechercher longtemps, dans les fossés ou les décharges, une semelle de caoutchouc noir, reste habituel d’espadrilles dont la toile trop fragile avait disparu avant l’usure totale de la semelle. La roue était découpée avec l’aide du cercle d’une boîte de conserve et le tour était joué. Il était facile de se passionner pour la conduite de cet engin, et de faire des kilomètres et des kilomètres, en courant derrière cet essieu si obéissant.

    Les osselets Je ne sais pourquoi, à Mechtras, un jeu se rapprochant de celui des osselets ne se

    pratiquait qu’avec de petits cailloux. Pourtant la matière première ne devait pas être difficile à trouver, ni cher à acheter. Des osselets de mouton, quoi de plus banal ? Bref, ici, on jouait aux “5 cailloux“.

    Il fallait trouver 5 cailloux de la taille d’une cerise, les plus réguliers, les plus proches de la sphère ou d’un cube aux angles arrondis. Ces petites pierres venaient parfois d’une cachette personnelle, et leur aspect luisant montrait qu’elles avaient déjà bien servi à la saison précédente.

    Le jeu consistait à lancer une des pierres vers le haut et pendant sa course, ramasser les autres une à une, par 2, par une et 3 ou les 4 à la fois dans un geste rapide de ratissage, puis de recueillir dans la même main la pierre qui retombait.

    Un “jeu de filles“, qui, sans doute, se pratiquait à l’abri par temps de froidure, ou peut-être à l’ombre d’un figuier pendant la canicule…

    La “crosse“ A l’opposé, ce jeu dont je ne connais pas le nom, et duquel je n’ai été que

    spectateur, était plutôt du genre viril. Il était d’ailleurs réservé aux plus grands. Dans ces parties acharnées et violentes de cette espèce de cricket, le palet était fait

    d’une courte portion de branche taillée en fuseau, ce qui la faisait ressembler à une navette, ou à un petit ballon de rugby. Les joueurs, munis de forts bâtons tapaient sur l'une des pointes, ce qui faisait s'élever au-dessus du sol ce palet qui était alors frappé horizontalement avant qu'il ne retombe. Je ne connais pas du tout les règles de ce sport inspiré des jeux anglais. Sans doute existait-il des buts, ou plutôt des “goals“…

    Les dégâts collatéraux étaient fréquents, et avaient rendu ce jeu hors-la-loi dans notre entourage, car il se terminait souvent par des blessures. C’était bien un jeu de “grands“.

    Arbalète Les petits kabyles avaient aussi réinventé l’arbalète. Celle-ci rappelait le principe

    plus tardif du fusil-harpon. Une grosse tige de roseau, deux lanières de caoutchouc

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    provenant d'une chambre à air, une gâchette taillée dans l'Y d'une petite fourche sur laquelle venaient s'accrocher les élastiques tendus.

    Une flèche munie d'un empennage en plumes pouvait ainsi être propulsée à une bonne distance. Les parents n'aimaient pas beaucoup cette arme ingénieuse, qu'ils jugeaient trop dangereuse.

    Tire-boulettes Il y avait une période où nous fabriquions des lance-pierres. Il fallait une fourche

    provenant d’un rameau fourchu d’olivier, que l'on avait pris soin d'attacher dans la position nécessaire pour qu’elle prenne la forme d’un diapason, ceci plusieurs semaines avant de la séparer de l’arbre.

    Puis, des lanières de caoutchouc découpées dans une vielle chambre à air en latex. Ce caoutchouc naturel, de couleur claire était doté d’une remarquable élasticité, à l'inverse de la matière noire utilisée aujourd'hui. La poche pour la pierre était faite de cuir fin. L’efficacité de ces engins était étonnante et certains enfants s’en servaient régulièrement pour tuer de petits oiseaux, qu’ils allaient manger.

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    Pétoire Quand la végétation s'y prêtait et que les jeunes tiges de sureau le permettaient,

    nous fabriquions une sorte de pétoire. La moelle ôtée, le morceau de tige se transformait en tuyau à l’épaisse paroi. Parallèlement, un autre segment de la même branche se

    voyait muni d’une tige rentrée en force, du diamètre se rapprochant de celui du canal médullaire, pour faire le piston. Un tampon d'herbe mâchonnée était inséré dans le tuyau, et pouvait être propulsé par le piston dont l’extrémité était martelée pour qu’elle augmente de volume et forme une sorte de joint étanche, un peu comme dans un pistolet à air comprimé. Je me souviens que le fonctionnement de cette sarbacane à piston était particulièrement aléatoire, tant la difficulté était grande d'en parfaire l'étanchéité.

    Pièges Il est possible considérer que les pièges à oiseaux constituaient un jeu, tant la

    notion de jeu est associée généralement à la pratique de la chasse, quelle qu’en soit la forme.

    Les Kabyles utilisaient parfois des pièges à bascule, faits d’une pierre plate ou d’une raquette de cactus en équilibre au-dessus d’un trou contenant de la nourriture. Les oiseaux, en picorant et en grattant le sol pour découvrir les graines, pouvaient faire tomber sur eux le couvercle de la trappe.

    Un autre procédé était constitué d’une sorte de lacet, qui lui aussi laissait la prise vivante, donc prête à être égorgée selon la coutume du pays.

    Pour cela, il fallait une tige souple d’olivier d’environ un mètre de long. À son extrémité était attaché un fil solide terminé par un nœud coulant. Un petit bâtonnet pas plus long qu’une allumette était solidaire de cette boucle. La tige, profondément enfoncée dans le sol, était maintenue courbée par le nœud coulant ouvert autour d’une série de petits bâtonnets piqués en cercle dans le sol. Une belle olive, debout, était coincée par le petit morceau de bois de la boucle, de telle manière que si le fruit était déplacé, le fil glissait sur les petits piquets et, l’élasticité de la branche aidant, le nœud coulant se refermait autour de la gorge du sansonnet gourmand.

    Cela fonctionnait parfaitement. Mon premier essai fut couronné de succès, et je revois encore le magnifique étourneau au plumage doré, voler en cercles autour du bâton alors que je revenais en courant.

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    Allume-feu Amusante, cette façon de faire du feu… Ce n’était pas un jeu d’enfant, mais cela

    nous intéressait vivement. Dans le contexte local de l’époque, il faut comprendre que les habitants étaient à la

    recherche de la plus petite économie, et avaient connaissance de procédés que l’on rangerait aujourd’hui dans la catégorie “survie en terre hostile“.

    À côté des hommes qui chiquaient le tabac conçu spécialement pour cet usage, et vendu dans des boîtes brillantes décorées d’une abeille repoussée, il y avait les fumeurs. Certains se passaient d’allumettes en utilisant un procédé peu commun.

    Prenez un gros bouton en fer, comme ceux que l’on trouvait à l’époque, peints en noir, sur les vêtements de travail. Dans 2 trous diamétralement opposés, faites passer un gros fil. Donnez-lui une longueur qui permette de faire une boucle qui dépasse de part et d’autre d’environ 15 centimètres. Si vous tendez la boucle entre vos pouces, le bouton pourra aller et venir sur les fils. Disposez-le vers le milieu et torsadez les doubles brins de part et d’autre du bouton, de façon à ce qu’en écartant les pouces, les torons se déroulent, et fassent tourner le bouton. Si vous gardez cette position écartée, les fils se retrouvent tendus comme au début, et le bouton s’immobilise.

    Mais si, lorsque les fils se déroulent vous laissez le bouton tourner sur son élan, en rapprochant vos pouces, les fils vont se torsader par eux-mêmes dans l’autre sens, grâce à l’élan du bouton. Lorsque bouton est près de s’arrêter tirez très vivement, le bouton reprend sa rotation, et recommencez.

    Ainsi, en rapprochant et en écartant les pouces, le bouton va tourner très vite dans un sens puis dans l’autre, pendant le temps que vous voudrez. Il vous faut trouver le bon rythme et entretenir la vrombissante rotation.

    Il suffira d’approcher le bouton en rotation d’une petite pierre de silex pour qu’il fasse des étincelles, tant sa vitesse est grande. Faites que ces étincelles tombent sur du tissu partiellement brûlé : les cendres de tissu se transforment en braises et permettent d’allumer une cigarette.

    Même les Kabyles n’avaient pas trois mains. Aussi, si vous voulez faire des économies d’allumettes, sachez qu’une des extrémités de la boucle de fils doit être tenue entre les dents, une main faisant le mouvement de va-et-vient pour entretenir la rotation. La main devenue libre tient le silex, calé contre la paroi d’une petite boite contenant les débris calcinés de tissu, jusqu’à ce qu’ils deviennent braises.

    Le bâton Les hommes se séparaient rarement de leur bâton. Aide à la marche, arme

    défensive ? On ne saura jamais quelle était la part de chacune de ses fonctions. Une chose est sûre : elles étaient toutes deux envisagées et légitimes.

    En effet, si l’on n’avait voulu bénéficier seulement que de la première, il était inutile de chercher à rendre cet accessoire particulièrement efficace pour frapper. Car c’était bien le cas.

    Chez nous, lorsque nous taillons un bâton pour aider notre marche, lorsque nous choisissons une canne, nous aimons que son diamètre aille s’amincissant vers le bas.

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    Je ne saurais trouver la raison de cette préférence que seul un historien, un sociologue ou un psychologue, pourraient expliquer. Peut-être, tout simplement, est-ce parce que l’extrémité la plus lourde est moins pénible à manipuler lorsqu’elle est du côté de la poignée.

    La vision de toutes les cannes que nous avons aperçues au cours de notre vie, fait sans doute que nous sommes habitués à ce critère de perfection : une canne doit être conçue de cette façon!

    Mais, en dehors de toute coutume, de toute mode, celui qui veut un bâton de défense ou de combat voudra plutôt qu’il ressemble à une massue, et c’est bien le cas chez les Kabyles. Ils choisissent un drageon d’olivier, et le laissent grossir pendant des mois, en modifiant les rejets qui apparaissent sur sa tige près du sol : ils les taillent au bon moment et s’arrangent pour créer des cicatrices protubérantes. Avec de la patience et du savoir, le résultat sera conforme à l’usage prévu : pas tout à fait une massue, mais une canne avec une extrémité assez lourde et assez irrégulière pour faire mal.

    Parfois, à la bonne hauteur, une branche adjacente est attachée recourbée vers le bas pour réaliser une poignée classique de canne. Celle-ci sera facile à accrocher à l’épaule lorsqu’on a besoin de ses deux mains. Parfois enjolivée par quelque gravure près de la poignée, cette lourde canne de bois durci et patiné avec le temps, qui se termine par une méchante masse plus grosse qu’une poire, n’est pas seulement un bâton de pèlerin…

    Regardez comme il est fier le marcheur, qui balance son chef-d’œuvre au rythme de son pas. Il se sent fort, ne craint ni les chiens méchants, ni les hommes agressifs. Il est tranquille. D’ailleurs, ne voyez-vous pas comme il se détend maintenant, dans une marche sereine, le bâton sur les épaules et les coudes mollement pendus par-dessus…