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JEROME K. JEROME

TROIS HOMMESDANS UN BATEAU(sans parler du chien !)

Traductionpar

Déodat SERVALrévisée par André TOPIA

Introduction, notes et chronologiepar

André TOPIA

Bibliographie mise à jour (2015)par

Lionel MENASCHÉ

GF Flammarion

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© Flammarion, Paris, 1990.ISBN: 978-2-0813-6670-1

www.centrenationaldulivre.fr

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INTRODUCTION

Les relations entre Trois hommes dans un bateau et lepublic britannique furent dès l'origine sous le signe dumalentendu. Alors que les lecteurs français croienttrouver outre-Manche la même unanimité pour accla-mer ce chef-d'œuvre, les choses sont loin d'y être aussisimples. Si le livre continue à avoir un succès sansfaille auprès du grand public, les critiques et leslecteurs dits cultivés ont souvent une réaction assezcrispée et condescendante devant ce qui passe partoutailleurs qu'en Angleterre pour la quintessence del'humour anglais. Et on peut sentir chez eux unagacement certain à se voir constamment renvoyés àcette image bien peu glorieuse de trois petits employésde bureau en goguette sur la Tamise. On s'imaginemal, en effet, l'exaspération d'un Britannique qui,arrivant en France, en Allemagne ou en Russie, necesse de rencontrer des gens persuadés, pour avoir luavec délices dans leur enfance Trois hommes dans unbateau, que la vie anglaise n'a plus de secrets pour eux.Ce qui ne veut pas dire que le canotage sur la Tamise,les promenades dans les parcs à labyrinthe et laconsultation désabusée des baromètres ne sont pas desactivités hautement britanniques. Mais y voir l'arché-type de ce que l'Angleterre a de plus universel susciteoutre-Manche une méfiance compréhensible. Car si latranche de vie anglaise que nous présente Jérôme n'est

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8 TROIS HOMMES DANS UN BATEAU

pas replacée dans son contexte historique, social etlinguistique, elle peut devenir simple carte postale.Or, c'est en grande partie cette image « exportée » quia fait le succès international du livre, une image toutaussi artificielle, mais tout aussi tenace que les mous-taches et le parapluie du Major Thompson en Franceou les clichés des country houses anglaises exportées auxEtats-Unis par les romans de P. G. Wodehouse ettendant à faire croire que les Anglais passent leurtemps à aller à la chasse au renard et à tailler leursrosiers. Faire une lecture de Trois hommes dans unbateau, c'est donc à la fois débusquer ces clichés etessayer de retrouver, malgré tout, ce que ce texteextraordinaire a de profondément anglais, envers etcontre tout. Pour cela, un détour par l'histoire estnécessaire.

Le succès des ouvrages de Jérôme s'explique dès ledébut par le goût du public londonien pour lejournalisme littéraire. Lorsque paraît Trois hommesdans un bateau, J. K. Jérôme n'est déjà plus uninconnu. Il a publié en 1885 une série d'essaisracontant son expérience de théâtre amateur, On théStage and Off — thé Brief Career of a Wouldbe Actor(Sur Scène et Hors Scène — la Brève Carrière d'unprétendu acteur) d'abord en feuilleton dans le magazineThe Play, puis en volume séparé. A sa grande surprisel'ouvrage a eu un certain succès. Mais c'est surtout lerecueil suivant, Idle Thoughts of an Idle Fellow (Pen-sées oisives d'un oisif), d'abord publié en feuilleton dansle magazine Home Chimes, qui le fait connaître en1886. Cette réussite est due en partie au fait queJérôme avait trouvé le format et le style convenantidéalement aux attentes d'un public de commuters quifaisaient le va-et-vient entre Londres et la banlieue etétaient des habitués des librairies de gare. Ce typed'essai « léger » offrait le juste mélange d'humour etde réflexion à des lecteurs qui voulaient se procurer unmoment de détente tout en cherchant autre chose que

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les penny novels (romans de quatre sous) qui fleuris-saient à l'époque.

L'anglais, langue où les mots ont souvent uneconnotation sociale, fait en littérature une distinctiontranchée, aux implications aussi bien sociales qu'intel-lectuelles, entre le lowbrow (« front bas », sans préten-tions intellectuelles) et à l'autre extrême le highbrow(« front haut », d'une haute tenue intellectuelle).Cette distinction qui se cristallisa au début du xxe

siècle trouve son origine dans les clivages qu'entraînale développement de la lecture pendant la secondemoitié du xixe siècle. L'époque victorienne vit undéveloppement prodigieux du roman populaire, enparticulier des mélodrames romanesques comme ceuxde Marie Corelli, Ouida ou Hall Gaine, qui atteigni-rent des tirages inégalés. Au point que dans un articledu Saturday Review de 1896 H. G. Wells en rendaitresponsable le Education Act de 1870 qui, en instau-rant l'instruction élémentaire pour tous, avait selon luidonné aux illettrés l'accès à la lecture sans prévoirqu'une fois qu'ils sauraient lire ils se précipiteraientnon pas sur les chefs-d'œuvre de la littérature anglaise,mais sur les romans de bas étage qui peuplaient leskiosques à journaux des gares.

Mais entre les deux extrêmes, entre les distractionsdu peuple inculte et le raffinement de l'élite, sedéveloppa ce qu'on désignerait plus tard par le termeun peu condescendant de middlebrow (« frontmoyen »), une littérature intermédiaire qui cherchait àconquérir un public plus vaste sans tomber dans lesclichés du vulgaire. Les frontières en sont fluctuanteset controversées, mais on pourrait y inclure desauteurs aussi divers que John Galsworthy, H. G.Wells et Somerset Maugham. Ce genre d'ouvragess'adressait tout particulièrement à une classe quis'était considérablement développée au cours du xixe

siècle, les employés de bureau de la City et plusgénéralement toute une population de petits bourgeoislondoniens qui, tout en n'ayant pas véritablementaccès à la culture dans un pays où les universités

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étaient encore la chasse gardée des classes aisées,cherchaient à marquer leur distance par rapport à lamasse ignorante, et cela d'autant plus qu'ils étaientissus du peuple et n'en étaient parfois pas encore trèséloignés. On trouve un admirable portrait de cettegentility (prétention à la distinction et à la respectabi-lité) avec le héros de The Diary ofa Nobody (Le Journald'un rien du tout) (1892) de George et WeedonGrossmith, Mr. Pooter, l'employé du bureau quiquitte sa banlieue tous les matins en autobus pour allertravailler dans sa compagnie d'assurances de la City.Mr. Pooter tient un journal dans lequel revient avecune fréquence obsessionnelle une prétention à ladistinction et un désir de se rapprocher des classessupérieures qui lui tiennent lieu d'identité sociale.Vingt ans plus tard, un autre personnage de roman,tragique celui-là, illustrera cette relation complexe à laculture de la classe dominante : c'est Léonard Bast, lepetit employé de bureau qui dans Howards End (1910)de E. M. Forster cherche vainement à se hisser à lavéritable culture, celle des riches, et en mourra.

Jérôme incarne tout à fait cette position médianeinconfortable, à la fois socialement et culturellement.Et les critiques, comme on le verra plus loin, le luiferont payer. On sent, en effet, dans Trois hommes dansun bateau un désir de se démarquer du monde desromans-feuilletons, que ce soit en parodiant les clichésde « l'héroïne de roman moderne » à la taille « divine-ment élancée » (Chap. 18) ou en se moquant duLondon Journal (Chap. 12), magazine qui par seschroniques mondaines cherchait à donner au grandpublic l'impression qu'il avait accès à l'univers del'aristocratie. En revanche, et cela est révélateur, onverra que sa distance et son humour l'abandonnenttout à fait quand il est en face des genres « nobles » etque c'est une des faiblesses de son livre. Il étaitcapable de se moquer d'une littérature vulgaire àlaquelle il se sentait supérieur, mais n'avait pas lesmoyens de regarder avec détachement une culture àlaquelle il savait qu'il n'aurait jamais vraiment accès.

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PRÉFACE 11

L'origine de Trois hommes dans un bateau est dansun voyage en canot sur la Tamise entrepris auprintemps 1889 par J. K. Jérôme peu de temps aprèsson mariage. Il fit ce voyage en célibataire, accompa-gné seulement de ses deux compères habituels, GeorgeWingrave, un gérant de banque, et Cari Hentschel, unphotographe. Tous trois avaient pris depuis un certaintemps l'habitude de partir le dimanche de Kingstonpour passer la journée à canoter sur la Tamise. Ildécida tout de même de prendre quelques notespendant le voyage, se disant qu'il y avait peut-être làmatière à un ouvrage. Mais, comme il le dira plus tarddans son autobiographie, son intention premièren'était nullement d'écrire un livre humoristique : « Jen'avais pas l'intention d'écrire un livre comique. Je nesavais pas que j'étais un humoriste. Je ne suis toujourspas sûr d'en être un. » Le récit devait paraître enfeuilleton sous le titre « L'Histoire de la Tamise » etêtre avant tout une célébration de la rivière, mêlantdescription de paysage et chronique historique. Afinde rendre l'ensemble plus attrayant, il avait prévu despassages de « humorous relief», intermèdes humoristi-ques pour la détente du lecteur.

Mais une fois qu'il fut rentré à Londres, lorsqu'il semit à rédiger, une chose étrange — mais qui rétrospec-tivement n'a rien de surprenant — se produisit : iln'eut aucun mal à écrire les intermèdes comiques,alors qu'au contraire l'histoire de la Tamise avait unegestation difficile. Il décida donc d'écrire d'abordtoutes les scènes humoristiques et de rajouter lesmorceaux sérieux à la fin. On sait comment tout celase termina : la structure finale est en fait l'inverse dece qui avait été projeté, et l'évocation historique de laTamise n'apparaît plus que sous la forme d'inter-mèdes, pas toujours réussis et pas toujours bienintégrés dans le récit, alors qu'au contraire ce sont lesaventures comiques du trio qui fournissent l'unité del'ouvrage et lui donnent sa continuité. Ce renverse-

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ment fut encore accentué par le fait que l'éditeur dumagazine Home Chimes, où le livre parut d'abord enfeuilleton, s'apercevant que c'était la veine comiquequi plaisait et faisait augmenter le tirage, supprimasans hésiter la plupart des passages descriptifs ethistoriques et changea même en cours de route le titreL'Histoire de la Tamise en Trois hommes dans un bateau.

Voyant que le feuilleton était un succès, Jérômedécida alors, comme cela se faisait souvent à l'époquevictorienne, de le publier ensuite en volume. Il choisitpour cela l'éditeur Arrowsmith. Ce furent eux quipublièrent deux ans plus tard un autre énorme succèsde la littérature victorienne, The Diary of a Nobodydéjà mentionné, qui allait être avec le livre de Jérômel'autre pilier de la maison. Le succès de Trois hommesdans un bateau ne se démentit pas, au point quel'éditeur fut amené à faire plusieurs impressions et sedemanda même un jour ce que devenaient tous lesexemplaires qu'il publiait : « Je crois que le publicdoit les manger. »

Pourtant les critiques firent la fine bouche. Et ce futle début d'un malentendu qui allait poursuivre Jérômependant toute sa carrière littéraire. Le critique duSaturday Review jugea que le style était gâché par« l'anglais familier qui est celui des employés ». Ildécréta le livre incompréhensible pour qui n'était paslondonien et n'y vit qu'un intérêt de document pourceux qui étudieraient plus tard « l'argot de la fin del'époque victorienne ». Quant à l'humour et auxpersonnages, il les condamna sans appel comme« pauvres, limités et décidément vulgaires ». "L'Obser-ver exprima aussi des réserves, trouvant l'humour deJérôme trop coloré de sentimentalisme. Quant aumagazine Punch, il ne vit là lui aussi qu'argot vulgaireet condamna l'ouvrage comme un exemple du « newhumour », terme alors infamant et qui allait pourlongtemps s'attacher à Jérôme. L'humoriste MaxBeerbohm, arbitre en matière d'esprit, déclara plustard dans une critique assassine d'une pièce deJérôme : « Cet auteur de dixième ordre nous inonde

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depuis dix ans de ses produits de dixième ordre. » Cepoint de vue n'est pas loin d'être partagé par J. B.Priestley1 qui dans son ouvrage sur l'humour anglaisexécute tout aussi sommairement Trois hommes dans unbateau ainsi que par George Sampson2 qui dans sonhistoire de la littérature anglaise définit Jérômecomme le représentant du « genre d'humour propreaux bars et au music-hall typique des employéscockney de son époque ».

On notera l 'é t iquet te condescendante de« cockney » (qui désigne le langage populaire londo-nien) constamment appliquée à Jérôme. Qu'il s'agissede Jane Austen, des sœurs Brontë, de George Eliot,Meredith ou Thomas Hardy, le lieu privilégié desgrands romans anglais du xixe siècle n'est pas Londresmais la province où les vraies valeurs de l'Angleterresemblent enracinées loin des influences dangereusesde la capitale. En cela Dickens est une exception etpendant longtemps fut considéré par l'establishmentlittéraire comme un romancier « populaire ». En fait,ce qui est sous-entendu par le terme de « cockney »,c'est tout simplement que Jérôme n'est pas vraimentun gentleman, accusation qui avait déjà été lancéecontre Dickens et qui signifie une exclusion sans appeldu monde « respectable ». Jérôme avait d'ailleurs uneimmense admiration pour Dickens avec qui il a despoints communs. Il déclara avoir beaucoup pensé àDickens en écrivant ce qui est probablement son seulvrai roman, Paul Kelver. Comme lui, il a un goûtprononcé pour le théâtre, le music-hall et le mélo-drame. Comme lui, on le verra, il a une écriture trèsdramatique et bâtit ses scènes comme des composi-tions théâtrales. Et comme Dickens, il a un sens trèsaigu des idiomes de la langue parlée. Mais il luimanque quelque chose d'essentiel : là où Dickensplonge dans tout un univers populaire foisonnant qui

1. Voir Bibliographie.2. George Sampson, The Concise Cambridge History of English

Literature, Cambridge University Press, 1959.

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l'a fait comparer à Shakespeare, Jérôme est incapablede faire vivre d'autres êtres que des petits bourgeois.Dès qu'il quitte son monde d'employés, de petitsboutiquiers et d'aubergistes, il sombre dans l'artifice.Le peuple et l'aristocratie sont renvoyés dans la fictiondes vignettes historiques ou des « morceaux litté-raires ».

En fait, les critiques étaient prodigieusement agacésde voir ce qui n'était pour eux que plaisanteries de pubet petits employés en goguette élevé au rang de succèslittéraire. De plus, Jérôme avait commis le crime devouloir pratiquer l'humour, genre réservé aux classescultivées, sans avoir le bagage culturel requis et sanspouvoir revendiquer une appartenance à un quelcon-que establishment. Et de fait, à l'époque où il écrivaitses premiers essais, il n'était encore qu'un petit clercde notaire subvenant péniblement à ses besoins entravaillant dans un bureau chaque jour de dix heures àdix-huit heures. Il raconte dans son autobiographiecomment il rentrait chez lui le soir, s'achetait unecôtelette qu'il faisait frire sur la poêle que lui prêtait salogeuse, puis nettoyait la table et se mettait à écrire.La blessure restera vivace et dans son autobiographieil se souviendra avec amertume que le Morning Postavait parlé de son œuvre comme « un exemple destristes conséquences à attendre de l'excès d'éducationparmi les classes inférieures ».

Mais, pendant ce temps, le public adorait et enredemandait. Trois hommes dans un bateau devenait lelivre à la mode et on s'en lisait des passages à hautevoix dans les dîners. L'ouvrage fut rapidement publiédans une multitude de langues et fut même utilisécomme livre de lecture dans les écoles allemandes.Edmund Wilson raconte avoir vu reproduit dans unmanuel soviétique publié en 1959 à l'usage d'étudiantsl'épisode de la gare de Waterloo (Chap. 5) comme unexemple illustrant l'inefficacité des chemins de fercapitalistes comparés à ceux de l'Union soviétique.Cette gloire internationale n'eut pas pour Jérômetoutes les retombées financières qu'il aurait pu en

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attendre. Il ne toucha pas un sou pour le milliond'exemplaires pirates publiés aux Etats-Unis. Et ce futencore pire en Russie où le livre eut un énormesuccès : non seulement les éditions pirates ne rappor-tèrent rien à l'auteur, mais les traductions furenttellement fantaisistes que Jérôme écrivit une lettreindignée au Times à ce sujet en 1902.

Bien que l'orientation générale du livre ait changépar rapport au projet originel, le personnage principaldu récit reste peut-être la Tamise. C'est elle l'héroïnedont Jérôme ne cesse de chanter les beautés dans destirades d'un lyrisme parfois un peu naïf. La Tamiseavec ses écluses, ses petites villes résidentielles un peuendormies, ses vastes demeures dont les parcs descen-dent jusqu'au bord de l'eau, ses auberges accueil-lantes, son calme parfois troublé par le ronflement desbateaux à moteur, les notes discordantes d'un banjomal accordé ou les chansons d'une troupe de fêtards.

Cet amour de la rivière qui ne le quittera jamaiss'explique d'abord par des raisons biographiques.Jérôme est né et a passé les premières années de sonenfance à Walsall, banlieue industrielle de Bir-mingham située au cœur même du Black Country(Pays noir), le bassin houiller de l'ouest des Midlands,où son père, avant d'être ruiné, était propriétaire depetites mines de charbon. Il garda un souvenir assezsombre de cette région qu'il décrivit ainsi dans sonautobiographie : « des rivières noires coulent entredes berges noires, des arbres noirs rabougris poussentdans des champs noirs ». La famille habita ensuitedans un quartier assez sinistre de l'East End àLondres, près de Limehouse et là encore, toujoursselon l'autobiographie, le décor semble avoir été assezlugubre : « l'effrayant silence des rues fatiguées. Lesvisages cendreux aux yeux sans vie qui surgissent desténèbres et disparaissent ». C'est d'ailleurs là qu'ildécouvrit la Tamise toute proche, mais sous sonaspect le plus sale. Ensuite, lorsqu'il mena la vie

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difficile de petit employé à Londres, d'abord auservice des billets de la gare Euston pour dix shillingspar semaine, puis successivement comme secrétaired'un agent de change et comme clerc de notaire, ilconnut les chambres meublées exiguës et les fins desemaine difficiles.

On comprend mieux alors que la haute valléeverdoyante de la Tamise lui soit apparue comme unvéritable paradis, une enclave pastorale du passééchappant encore à la laideur urbaine envahissante.Pourtant là aussi le rêve pastoral est plus ou moinsconsciemment coloré de connotations sociales. Ainsison goût prononcé pour les écluses dont il célèbre lapoésie dans des pages lyriques :

Pour ma part, j'aime beaucoup les écluses. Ellesrompent favorablement la monotonie du souquage. Jeme plais, assis dans le canot, à m'élever lentement deshumides profondeurs du sas vers un nouveau bief et unnouveau paysage, ou à m'enfoncer pour ainsi dire horsdu monde, puis à y attendre que les sombres portesgrincent et que, dans leur entrebâillement, le minceliséré de jour s'élargisse peu à peu jusqu'à vousdécouvrir enfin tout le fleuve riant; et vous poussezvotre petit bateau délivré, hors de sa brève prison, unefois de plus sur les eaux familières. (Chap. 18.)

Il est tentant de voir dans cet attachement auxécluses, et en particulier à leur lent mouvement detransition entre deux espaces, la métaphore d'unecirculation sociale sans à-coups. L'écluse est, en effet,l'image de ce qu'on pourrait appeler le changementdans la continuité. Elle permet des transitions douces,sans heurts, d'un espace à un autre. Elle incarne assezbien le monde social selon Jérôme, fait à la fois d'unconservatisme foncier ennemi de toute mutation bru-tale et d'un désir de s'élever au-dessus de sa conditionde petit employé. Elle est le sas d'où le petit bour-geois, dans son ascension lente mais sûre, aperçoit le« nouveau bief » qui lui donnera accès à un autremonde. Elle représente une voie médiane entre deuxtendances extrêmes que Jérôme rejette toutes deux :

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les pancartes posées le long de la rivière par lespropriétaires riverains qui veulent en clôturer lesberges, signe d'une barrière sociale qui lui est insup-portable et pour laquelle il n'a pas de mots assez durs,et, d'autre part, l'absence de toute écluse qui signifie-rait une véritable déterritorialisation de la Tamise et lafin de ces multiples distinctions sociales qui font laspécificité de la vie anglaise. Et il est significatif que ladisparition de l'écluse de Wallingford, vainementcherchée par le narrateur et sa compagne à la fin duchapitre 10, prenne tant d'importance et finisse par lesplonger dans un tel désespoir : une Tamise sansécluses est une Angleterre d'où auraient disparu lespoints de passage d'une classe à l'autre et où il n'yaurait plus de place pour cette catégorie désespéré-ment en quête de gentility que sont les employés debureau londoniens.

Sa fureur contre les pancartes des riverains reprendaussi un thème qui court à travers toute la littératureanglaise du xixe siècle : l'obsession du rétrécissementde l'espace anglais qui n'a cessé de se clôturer depuisla disparition progressive des commons (champscommunaux partagés par tout le village) et le dévelop-pement des enclosures, ces clôtures qui morcèlentl'espace et réduisent peu à peu la vieille Angleterrerurale à des enclaves de plus en plus étroites. Ontrouverait ce leitmotiv chez des écrivains aussi diffé-rents que D. H. Lawrence, E. M. Forster et GeorgeOrwell. On sent poindre là la peur d'un espace saturé,d'une Tamise qui finirait par être aussi surpeuplée queles plages populaires de Ramsgate ou Margate.

Bien sûr, cet espace libre dont rêve Jérôme n'a rienà voir avec une sauvagerie primitive à la Lawrence.C'est un espace civilisé, policé, une Tamise de prome-neur du dimanche qui rentre sagement par le derniertrain pour Londres. Le héros typique de Jérôme, c'estGeorge qui « va dormir dans une banque tous les joursde dix à quatre, excepté le samedi, où on le réveillepour le mettre dehors à deux heures » (Chap. 2). Pources petits bourgeois londoniens qui n'ont pas de

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country house et ne peuvent passer les week-endsélégants décrits plus tard par Evelyn Waugh et P. G.Wodehouse, la Tamise est l'enclave de verdure quipermet de venir se replonger dans la nature tout enayant l'impression de participer à une vie élégantequ'ils ne connaissent que par les magazines.

Certes, Jérôme se laisse volontiers aller à de grandesenvolées panthéistes, comme lorsqu'il reproche auxmoines cisterciens de l'abbaye de Medmenham des'enfermer dans une religion stérile et de n'avoir passu entendre « les voix de la nature qui les entourait —le doux murmure du fleuve, le bruissement desroseaux, l'harmonie du vent dans les ramures »(Chap. 13). Mais il reste un être essentiellementurbain, totalement imperméable à la magie de lanature sauvage. Le chant du « bohémien enfant de lanature » qui se rit des intempéries le laisse absolumentfroid lorsqu'il est sous une pluie battante (Chap. 19).Et dans un passage très révélateur, après s'être extasiésur le calme qui règne dans le parc de Hampton Court,il laisse vite percer l'angoisse que lui inspirerait lasolitude dans une nature déserte : « Nous aimons lalumière et la vie. C'est pourquoi nous nous entassonsdans les villes et les cités et c'est pourquoi la campagnedevient chaque année plus déserte [...] Oh! oui,rassemblons-nous tous dans les grandes villes, allu-mons les grands feux de joie d'un million de becs degaz, et crions et chantons ensemble pour nous sentirrassurés » (Chap. 6). Il est prêt à se battre poursauvegarder la beauté intacte de la Tamise éternelle,mais à condition de n'être jamais trop éloigné d'unpub, ce lieu essentiel de la sociabilité anglaise. Et lemoins qu'on puisse dire, c'est que les pubs et aubergessont très présents dans son récit.

De fait il n'est pas le seul à apprécier la Tamise.Trois hommes dans un bateau paraît à la fin de cettepériode des années 1880 qui vit un développementextraordinairement rapide des activités de loisir et enparticulier du canotage sur les rivières. Proche deLondres, la Tamise représentait un lieu d'évasion

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idéal pour l'immense population urbaine de la capi-tale. En 1888, on comptait déjà 8000 bateaux enregis-trés sur la Tamise1. En 1889, ils étaient 12000. Lorsdes courses d'Ascot en 1888, on compta que800 bateaux franchirent l'écluse de Boulter et, lamême année, le jour des Régates royales, 8 000 per-sonnes se rendirent en train à Henley. La rivière sedémocratisait du fait des billets de chemin de fer à basprix et le canotage était désormais une distractionaccessible à toute une population de petits employéslondoniens.

La rivière devenant à la mode, elle était le lieu detoute une vie sociale avec ses codes et ses conventions,comme en témoigne la description de l'écluse deMoulsey un dimanche, « un des plus joyeux spectaclesque je connaisse aux environs de cette morne ville deLondres » (Chap. 7). On venait y montrer les der-nières toilettes et on s'y faisait prendre en photo(Chap. 18). Jérôme n'est qu'à demi ironique lorsqu'ilconstate : « La Tamise fournit une bonne occasion defaire toilette. Grâce à elle, une fois en passant, il nousest permis aussi, à nous les hommes, de déployer notregoût en matière de couleurs, et je crois, en vérité, quenous nous en tirons fort coquettement » (Chap. 7).Les hommes portaient parfois des blazers un peuvoyants, comme Harris, et les demoiselles avaienttendance à venir avec des toilettes convenant davan-tage à une garden-party (Chap. 7), mais c'était là larançon de l'élégance nautique. En 1884, le Gentle-man9 s Magazine ofFashion prescrivait ainsi la tenue duparfait gentleman sur l'eau : « Tout homme ayant unbrin de respectabilité sur la rivière met des pantalonsblancs avec une chemise de flanelle blanche, uncanotier et une veste de flanelle à rayures. » On noterale mot de « respectabilité » : le décor pastoral ne fait

1. On trouve ces renseignements ainsi que de nombreux autressur la Tamise à l'époque victorienne dans l'édition anglaise de ThreeMen in a Boat annotée par Christopher Matthew et Benny Green,Londres, Pavilion Books, 1982.

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20 TROIS HOMMES DANS UN BATEAU

pas oublier le code social et il n'est pas question d'unretour à la nature. Quant aux dames, leur tenue esttout aussi codée. Voici ce que recommande le ThamesTimes and Fashionable Gazette pour cacher les bras nusquand il fait chaud : « Lorsqu'on porte des manchescourtes, rien ne vaut le confort de longs gantsmousquetaire de cuir suède qui montent jusqu'à lamanche. »

Toute cette population sur la rivière finissait parinquiéter Jérôme et on sent parfois poindre chez luiune certaine nostalgie de la Tamise du passé. D'oùsa hargne contre les bateaux à vapeur qui représententnon seulement l'intrusion de la machine dans l'élé-gance pastorale de la rivière, mais aussi une distrac-tion de masse autorisant tous les débordements duvulgaire. Ainsi Charles Dickens Junior, dans sonDictionnaire de la Tamise1 (1888), décrit avec desaccents dramatiques le malin plaisir que prennent cesvoyous à effrayer les vrais plaisanciers : « S'il y a desdames à bord en difficulté leur terreur augmenteencore l'amusement de ces rustres sur leurs bateaux àvapeur. »

Car ce paradis respectable attire des intrus. On sentà plusieurs reprises dans le livre une condescendanceamusée à l'égard des « 'Arrys and 'Arriets », ainsiappelés parce qu'ils ne prononcent pas les h aspirés,signe certain d'infériorité sociale dans un pays où lalangue parlée est une marque infaillible de reconnais-sance. (Symptomatiquement d'ailleurs, c'est unetroupe de « 'Arrys and 'Arriets » qui révèle au héros ladisparition de l'écluse à la fin du chapitre 9.) LaTamise est menacée par ces hordes sans manières etsans éducation qui viennent troubler l'univers élégantd'une petite bourgeoisie d'autant plus portée à lesrejeter que, ce faisant, elle croit se rapprocher d'unmonde aristocratique qui la fascine. En 1889, le Lockto Lock Times (le Times des Ecluses) se moque de ces

1. Charles Dickens Junior, Dictionary of thé Thames, Londres,Macmillan, 1888 (cité par Matthew et Green).

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intrus qui vont en train à Hampton Court en lre classeavec un billet de 3e, ont des cravates trop voyantes etdes pantalons à rayures qui ressemblent à des pyja-mas, s'enivrent et fument des cigares bon marché.Mais l'ironie de Jérôme envers les rustres des quartierspopulaires trahit en fait le désir profond d'apparte-nance de quelqu'un qui savait son statut social assezfragile et qui eut des raisons d'en souffrir. Le maga-zine Punch, citadelle d'un humour retranché sur leshauteurs d'un establishment définitivement fermé àJérôme, prenait un malin plaisir, chaque fois qu'ilfaisait allusion à Jérôme K. Jérôme dans un de sesarticles, de le surnommer « 'Arry K. 'Arry ». On esttoujours le rustre de quelqu'un d'autre.

La réussite de Trois hommes dans un bateau tientd'abord au fait que le récit est soutenu par unremarquable sens du théâtre et de la compositiondramatique. Les grandes scènes comiques ne leseraient peut-être pas autant si elles n'étaient pasconstruites comme de véritables scènes théâtrales. Ilne faut pas oublier, en effet, que la carrière de Jérômecommença sous le signe du théâtre. Après la mort desa mère, alors qu'il n'était encore qu'un adolescent, ils'engagea dans de petites troupes de théâtre amateuret parcourut l'Angleterre, subissant toutes les vicissi-tudes et les privations matérielles qui sont celles dumétier de comédien ambulant. Cette expérience luidonna une connaissance de première main de toutesles ficelles du mélodrame victorien et le familiarisaavec tous les rôles : « J'ai joué tous les rôles dansHamlet sauf Ophélie » dira-t-il plus tard. Même aprèsavoir abandonné le théâtre amateur il garda desrelations suivies avec le monde de la scène. Sespremiers recueils d'articles, On thé Stage and Off —The Brief Career of a Wouldbe Actor (Sur Scène et HorsScène — la Brève carrière d'un prétendu acteur) puisStageland (Le Monde de la scène) furent publiés dansdes revues de théâtre et s'inspirent de ses souvenirs de

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comédien. Alors qu'il était encore employé de bureau,il devint membre d'un club de discussion sur lethéâtre, The Old Vagabond Club, qui invitait desacteurs célèbres comme Sarah Bernhardt et sir HenryIrving. Et une de ses premières tentatives littérairesfut un drame historique inspiré du Luthier de Crémonede François Coppée et qui essayait de rivaliser avecRoméo et Juliette. Il ne cessa jusqu'à sa mort d'écrire etde faire jouer des pièces de théâtre, et l'une d'elles, LePensionnaire du troisième étage sur cour (1910), uneallégorie morale située dans une pension de famille àBloomsbury, eut un succès durable.

Cette connaissance du monde du théâtre, qui estdavantage celle d'un professionnel que celle d'unsimple spectateur, lui donne une remarquable maî-trise, de l'intérieur en quelque sorte, de tous lesclichés du répertoire et on en trouve constamment latrace dans Trois hommes dans un bateau. Bien despersonnages du livre sont, en effet, le développementde figures du répertoire théâtral qu'il avait déjàébauchées sous forme de croquis rapides dans Stage-land, où chaque essai porte sur un personnage-type :le Héros, le Méchant, la Soubrette, l'Irlandais, etc.Ces clichés reflètent en fait le triste état du théâtreanglais à une période où triomphait le mélodrame, unpeu avant le renouveau qu'allaient apporter Wilde etShaw. Pourtant, plus tard, dans son autobiographie,Jérôme regrettera ces figures de répertoire dont ils'était lui-même moqué et verra dans leur disparitionla fin d'une époque qui était la sienne : « Ils valaientmieux — étaient plus humains, plus compréhensibles— que bien des nouvelles marionnettes qui ont prisleur place. » En tout cas, c'est sa maîtrise des conven-tions comiques les plus classiques qui lui permet demaintenir cet équilibre entre réalisme et schématisme,entre le détail concret et la typologie burlesque qui estla marque des grands comiques.

Certaines scènes de Trois hommes dans un bateausont d'ailleurs directement écrites sous forme théâtralecomme l'épisode où Harris chante en public (Chap. 8)

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ou le dialogue entre Montmorency et le Chat(Chap. 13). Parfois aussi la narration devient uneespèce de tableau vivant fait d'indications scéniquesauxquelles ne manque plus qu'un metteur en scène,comme la procession des garçons de courses portantles victuailles (Chap. 13). Mais même lorsque la formedu récit est conservée, on sent qu'il suffirait de peu dechoses pour que certaines scènes deviennent théâ-trales. Des morceaux célèbres comme l'oncle Podgerfixant un tableau (Chap. 3), la scène dans le comparti-ment de train avec les fromages (Chap. 4), la déambu-lation dans le labyrinthe de Hampton Court (Chap. 6),le départ avec les bagages devant les garçons decourses goguenards (Chap. 5), l'épisode du professeurallemand (Chap. 8) ou la scène de la truite dansl'auberge (Chap. 17) semblent être faites pour unemise en scène théâtrale ou cinématographique. Deplus, la présentation par un observateur faussementnaïf produit un peu l'effet d'un metteur en scène quimanipulerait les choses tout en restant dans lescoulisses, ou d'une caméra qui, sous des apparencesde neutralité distante, filmerait des plans dévasta-teurs. La progression même des scènes obéit souvent àun modèle dramatique soigneusement construit, avecsuspense, péripéties et point d'orgue final opérant unrenversement ironique.

Jérôme utilise aussi un autre procédé théâtraltraditionnel qui consiste à opposer l'action d'un hérosprincipal à un groupe de protagonistes qui en sont lestémoins, victimes impuissantes ou commentateursironiques. Tout un contrepoint très théâtral s'établitainsi entre l'oncle Podger et sa famille rassembléeautour de lui, entre Harris et les malheureux qui lesuivent dans le labyrinthe, entre les trois compèresencombrés de leurs bagages et les commentairesironiques des garçons de courses, entre le chant duprofesseur allemand et son accompagnement burles-que à la fois par les étudiants et par les rires desauditeurs, entre les fanfaronnades des pêcheurs et leurponctuation faussement naïve par le trio. On imagine-

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rait facilement chacune de ces scènes comme uneopérette burlesque dans laquelle un chœur accompa-gnerait les airs principaux.

On sent là l'influence du mélodrame musical, del'opérette et du music-hall, genres fort prisés àl'époque victorienne et que Jérôme connaissait bien.Dans la scène où Harris se ridiculise en voulantchanter en public on a d'ailleurs un hommage appuyéà ces deux piliers de l'opérette victorienne que furentGilbert et Sullivan. Harris mélange les airs de deux deleurs plus célèbres opérettes, l'air du juge dans Courd'assises (1875) et l'air de l'amiral dans Le Pinafore(1878), confusion peu significative pour un lecteurfrançais, mais qui ne pouvait qu'apparaître hilaranteaux lecteurs britanniques. Et ce n'est pas un hasard si,une fois de retour à Londres, nos trois héros n'ont riende plus pressé que de se précipiter à PAlhambra,fameux music-hall de Leicester Square. En général,on chante volontiers dans ce roman, que ce soit desairs de music-hall victorien célèbres comme « He's GotThem On » que chantent les joyeux fêtards sur larivière (Chap. 9), « Two Lovely Black Eyes » auxaccents duquel George fait pleurer ses deux compa-gnons (Chap. 19), le lied tragique du professeurallemand (Chap. 8), la chanson du bohémien sur lanature sauvage (Chap. 19) ou le « Chœur des soldats »de Faust qu'entonnent le héros et sa compagne, tout àla joie d'avoir retrouvé leur chemin (Chap. 9).

La familiarité avec les types classiques du répertoirethéâtral apparaît aussi dans le côté à la fois très typé ettrès original de toute la galerie de personnages quidéfilent tout au long du récit. Ils rappellent un peu lagrande tradition des humours du théâtre élisabéthain etjacobéen, ces figures régies par une tendance caracté-rielle dominante qui les met parfois à la limite de lamonomanie. Nous rencontrons ainsi successivementle malade imaginaire (Chap. 1), le maître d'hôtel rusé(Chap. 1), le matamore qui se vante de n'avoir jamaisle mal de mer (Chap. 1), le maladroit qui se prendpour un grand bricoleur (Chap. 3), le domestique

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fripon en la personne du garçon de courses de chezBiggs (Chap. 5), le fâcheux insupportable qu'est legardien de cimetière (Chap. 7), les coquettes(Chap. 7), le fier-à-bras qui menace les plaisanciersdes pires représailles puis disparaît dès qu'on luirésiste (Chap. 8), le fat qui se prend pour un chanteur(Chap. 8), le hâbleur en la personne du rameurfanfaron (Chap. 15), les vantards qui exagèrent leurshistoires de pêche (Chap. 17), et l'on pourrait facile-ment continuer la liste. Ces personnages peuvent danscertaines circonstances devenir de dangereux mono-maniaques qui vivent dans leur univers de folie sans sepréoccuper des conséquences catastrophiques que leuridée fixe ne manque pas d'avoir sur leur entourage. Lecomique se nourrit ainsi d'une véritable pathologie.

Le génie de Jérôme est, en effet, d'avoir su allierindissociablement folie et vraisemblance réaliste.D'une part, nous voyons défiler tout un petit mondede « métiers » solidement ancrés dans la réalité victo-rienne et que le lecteur de l'époque peut immédiate-ment rattacher à son expérience quotidienne : méde-cin, maître d'hôtel, garçons d'épicier, employés dechemins de fer, boutiquiers, guides de monumentshistoriques, tenanciers de pub, gardiens de cimetière,logeuses, gardiens d'écluses, loueurs de canots. Mais,en même temps, la plupart de ces individus ont unebizarrerie de caractère ou de conduite qui vientdétraquer leur profession affichée et aboutit parfois àen faire des cranks, ces excentriques dont est si riche lalittérature anglo-saxonne. Ainsi le médecin rédige sanssourciller une ordonnance qui s'apparente davantage àune liste d'achats chez un épicier. Le maître d'hôtelsur le bateau gagne sa vie en ne faisant pas manger sonclient. Les garçons de courses semblent davantageoccupés à reluquer et brocarder les clients qu'à lesservir. Les employés de chemin de fer ignorent toutdes trains qui partent de leur gare. Le guide se perddans son labyrinthe dès qu'il y entre. Le gardien decimetière exaspère tellement le visiteur qu'il le poussepresque à une rage meurtrière. L'éclusier boit l'eau de

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la Tamise et, si l'on en juge d'après son apparence,cela ne lui réussit pas vraiment. Et le loueur de canotsa donné un nom ronflant à un débris flottant quiressemble à un sarcophage antique.

Tous ces êtres bizarres sont parfaitement à l'aisedans leur monde renversé et prêts à prendre pour fouquiconque met en question la normalité de leurconduite. Ainsi les employés de la gare de Waterloosemblent se demander quelle aberration pousse lestrois jeunes gens à chercher à savoir à quelle heure etvers quelle destination partent les trains. Le gardiendu cimetière essaie vainement de comprendre pour-quoi son client refuse si obstinément de visiter lestombes et n'est pas loin de le croire un peu dérangé.L'éclusier est sincèrement surpris de voir Georgehésiter à boire l'eau de la Tamise. Quant au loueur debateaux il est indigné qu'on puisse trouver à redire à saglorieuse épave. On n'est parfois pas très loin dunonsense de Lewis Carroll, et le mécanicien de la garede Waterloo fait preuve d'une logique qui le mettraitparfaitement à sa place parmi les étranges créaturesque rencontre Alice dans le Pays des Merveilles : « Entout cas, si son train n'était pas le 11 h 05 pourKingston, il espérait bien que c'était le 9 h 32 pourVirginia Water, ou l'express de 10 heures pour l'île deWight, ou quelque part dans cette direction, et que,bref, nous le verrions bien quand nous y serions »(Chap. 5). Après tout, Alice au pays des Merveilles(1865) et A travers le Miroir (1872) ne sont pas siéloignés dans le temps de Trois hommes dans un bateau,et Carroll et Jérôme, bien qu'appartenant à desunivers absolument différents, ont en commun d'avoirsu faire, chacun à sa manière, une anatomie du mondevictorien.

Les effets de monde renversé dans Trois hommesdans un bateau ont parfois des implications inquié-tantes, comme par exemple le renversement du rap-port logique entre le tourmenteur et la victime. Adeux reprises nous voyons un personnage soumis à desbrimades cruelles non pas parce qu'il est l'ennemi,

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mais au contraire l'ami de son bourreau. Ainsi Harrismanque être noyé par un inconnu qui s'excuse ensuiteen lui disant qu'il l'avait pris pour un de ses amis(Chap. 15). Et le narrateur nous montre un groupe deses amis abreuvant de quolibets et d'injures unplaisancier maladroit tout simplement parce qu'ilsl'ont pris pour lui (Chap. 15). Tout se passe ainsicomme si l'amitié était la justification logique des piresavanies. Bien sûr ce renversement devient parfaite-ment explicable lorsqu'on le replace dans le contextede l'éducation des garçons en Angleterre et en particu-lier de la tradition du bullying (brimades de bizutage).Mais ce qui compte, c'est que le rire joue son rôle derévélateur et que la gêne demeure.

De fait, le non-sens est étroitement lié chez Jérômeà la question, centrale chez les victoriens, de laconformité et de l'intégration sociale. Ainsi, dès lespremières pages, nous voyons le narrateur plongé dansune angoisse profonde non pas parce qu'il se découvreune maladie, mais parce qu'il s'aperçoit soudain qu'ilexiste une maladie qu'il n'a pas. Derrière cette inver-sion logique typique du nonsense transparaît la peurd'être une exception. Il est beaucoup plus graved'avoir presque toutes les maladies sauf une que d'enavoir une, si grave soit-elle. Car l'inquiétude devantune maladie est une inquiétude purement médicale.En revanche, s'il ne vous en manque qu'une dans lerépertoire total des maladies, l'inquiétude devientsociale : le danger est alors de se singulariser etd'apparaître comme un scandale de la nature. La listedu dictionnaire de médecine fait alors fonction de loinormative à laquelle il s'agit de se conformer souspeine d'être une brebis galeuse exclue de la commu-nauté. Ainsi, avoir une maladie, c'est être médicale-ment malsain mais socialement normal. Mais qu'ilvous en manque seulement une dans la liste et lasituation se retourne : la totalité devient norme et lafaille de ce manque minuscule devient scandale.

Les implications sociales du non-sens sont toutaussi présentes dans l'épisode où Harris se lève trop

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tôt (Chap. 11). Nous y voyons le monde bien réglé del'employé de bureau victorien basculer soudain dansl'incompréhensible simplement parce que sa montres'est arrêtée. Il se retrouve d'un seul coup dans unLondres où il a perdu tous ses repères, où rien nesemble n'avoir changé et en même temps où tout estdifférent — situation de non-sens typique — simple-ment parce qu'il croit partir à son bureau commed'habitude à 8 h 30 alors qu'il est 3 heures du matin. Ilsuffit ainsi d'un décalage de quelques heures pour quela routine bien réglée du bon citoyen apparaissecomme infraction et véritable provocation à l'anar-chie. La norme à 8 heures du matin devient folie à 3heures du matin. Et pourtant les gestes sont lesmêmes. Mais la police veille et ne s'y laisse pasprendre.

Le non-sens peut aussi jouer non pas sur uneinversion mais au contraire sur une espèce de logiqueperverse qui pousse l'ordre et les conventions jusquedans leurs conséquences ultimes, quitte à aboutir à unvéritable détournement. Ainsi le mensonge et l'exagé-ration pratiqué par le pêcheur vantard n'apparaissentplus comme des infractions à partir du moment où ilssont codifiés selon une règle mathématique rigou-reuse : « si par hasard il prenait réellement un pois-son, il le comptait vingt; au-delà, deux poissonsvalaient trente; trois, quarante, etc. » (Chap. 17).Mais cette règle individuelle est à son tour adoptée parune institution qui la fait dériver vers un maximalismedélirant : « l'Association des pêcheurs à la ligne de laTamise a prôné son adoption, mais quelques-uns deses plus vieux membres s'y opposèrent. Le procédé,disent-ils, n'aurait d'intérêt que si les nombres étaientdoublés et chaque poisson compté pour vingt ». Leprocessus est révélateur du système de valeurs victo-rien : toute transgression a quelque chose de tellementscandaleux qu'il lui faut susciter un code qui lalégitime, lequel code s'enferme à son tour dans unelogique folle, une espèce de jeu infini entre norme etanomalie. Le non-sens est alors l'anomalie devenue

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norme triomphante. Il importe peu que l'écart soitdevenu immense entre la norme et ses effets dans leréel. Ce qui compte, c'est que le code institutionnelcontinue à fonctionner.

On retrouverait la même dérive logique à propos dela violence et de la loi (Chap. 8). Harris ayant menacénon seulement de tuer tous les riverains qui veulentclôturer la Tamise, mais aussi de massacrer leurfamille entière, leurs amis et connaissances, de mettrele feu à leur maison et de chanter des chansonscomiques sur les ruines, le narrateur s'insurge contreune vengeance qu'il trouve excessive et obtient queHarris s'en tienne à la stricte justice : les amis etconnaissances seront épargnés et Harris ne chanterapas de chansons comiques sur les ruines. L'excès estainsi récupéré dans une codification quasi juridiquequi, sous prétexte de préoccupations humanitaires, nefait que mettre davantage en évidence la violence,mais une violence devenue désormais parfaitementrespectable. On retrouverait chez Swift ou chezDickens, par exemple dans Bleak House, une ironiedébusquant la même logique perverse.

On aura compris que le ressort central du comiquede Trois hommes dans un bateau est un décalage entre,d'une part, un ordre social très contraignant, qu'il estexclu de remettre en question et, d'autre part, lesmultiples catastrophes qui ne cessent de se produire àl'intérieur même de cette enveloppe de conventions.Les codes sociaux jouent ainsi un double rôle : tout enétant l'origine des désastres qui émaillent le récit, ilssont en même temps le moyen d'en désamorcer lesconséquences et d'en faire simplement des avatarsinévitables de la vie quotidienne. Ainsi ces désastresfinissent par apparaître comme partie intégrante de lavie anglaise, acceptés par tous comme allant de soi caron sait à l'avance qu'ils ne peuvent en aucun casdéboucher sur une subversion de l'ordre social. Etplus leurs conséquences apparaissent pénibles etmême cruelles, plus l'enveloppe tient bon et plus lecode victorien joue efficacement son rôle d'étouffoir.

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Le comique vient alors de ce que toutes ces tribula-tions, qui pousseraient n'importe quel individu nonbritannique à des actes de folie meurtrière ou derévolte anarchiste, sont récupérées par le code sociallui-même et détournées vers des conventions delangage et de conduite qui permettent de survivre aumilieu des désastres et qu'on appelle 1' « humouranglais ».

Ainsi on retrouve une analogie de structure dans desscènes fort diverses : une situation de départ caractéri-sée par un code dominant, un développement catas-trophique de cette situation dont sont victimes ceuxqui s'y trouvent impliqués, une conclusion qui secontente de faire le bilan affligeant du désastre sansremettre à aucun moment en question le code qui en aété l'origine.

Le voyageur en croisière (Chap. 1) se retrouve ainsiproprement ligoté par la règle à laquelle il s'est plié audépart (prendre le repas au forfait). C'est toutel'organisation de la compagnie, dont le maître d'hôtelest l'interprète hautement respectable, qui a contribuéà lui faire croire que la règle était avantageuse. Or ilquitte le bateau au bout d'une semaine en ayant payé,mais sans avoir pratiquement rien mangé. Pourtant,les formes très codées des rapports entre lui et lemaître d'hôtel ne sont jamais remises en question et lerécit adopte un respect pointilleux du rituel del'échange social qui continue pendant tout le voyage,même si en pratique il ne correspond plus à aucuneréalité. La victime ne peut à la fin que faire le bilan dudésastre dans un style qui reprend le discours mêmede la norme qui le gruge. Tout le fameux understate-ment de l'humour britannique n'est rien d'autre quecette impossibilité sociale de mettre le discours enaccord avec le réel.

On retrouve le même décalage dans l'épisode del'oncle Podger (Chap. 2). Cette fois la situation-codede départ est la domination patriarcale exercée par lechef de famille victorien sur sa famille et ses domesti-ques, qui sont tous rabaissés au même niveau de

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CHRONOLOGIE 289

Literary Supplément publie un compte rendu très élogieuxet J.K.J. se voit enfin reconnu par la critique qui Pavaitjusque-là boudé.

1907 : The Passing of thé Third Floor Back (Le Pensionnairedu troisième étage), allégorie morale, sera son plus grandsuccès au théâtre et sera joué pendant sept ans d'affilée enAngleterre et aux Etats-Unis.

1911 : The Master of Mrs. Chilvers (Le Maître de Mrs.Chilvers), pièce sur la question du vote des femmes.

1914-1918 : Au début de la guerre il se dissocie de lacampagne d'écrivains comme Rudyard Kipling et H. G.Wells contre les atrocités allemandes, et devient lui-mêmela cible d'une campagne de presse. Malgré cela il estenvoyé aux Etats-Unis par le gouvernement anglais pourpousser les Américains à participer à l'effort de guerrebritannique. A son retour, il veut s'engager mais on lerefuse à cause de son âge. Il rejoint alors la Croix-Rougefrançaise et sert en France comme ambulancier.

1920 : Première adaptation cinématographique de Troishommes dans un bateau avec Lionel Howard, Johnny Buttet H. Manning Haynes.

1926 : Publication de son autobiographie My Life and Times(Ma vie et mon époque), dans laquelle on trouve dessouvenirs émouvants de la pauvreté qui entoura sonenfance à Londres.

1927 : Alors qu'il voyage en Angleterre, il est frappé par unehémorragie cérébrale et meurt le 14 juin à l'hôpital deNorthampton. Il est enterré dans le village de Ewelm dansl'Oxfordshire.

1933 : Deuxième adaptation cinématographique de Troishommes dans un bateau avec William Austin, EdmondBreon et Billy Milton.

1956 : Troisième adaptation cinématographique de Troishommes dans un bateau avec Laurence Harvey, JimmyEdwards et David Tomlinson.

1975 : Adaptation télévisée de Trois hommes dans un bateaupour la BBC par l'auteur dramatique Tom Stoppard, avecTim Curry, Stephen Moore et Michael Palin.

1981 : Adaptation théâtrale de Trois hommes dans un bateauprésentée sous la forme d'un one man show par JeremyNicholas au Mayfair Théâtre à Londres.

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TABLE

Introduction.

TROIS HOMMESDANS UN BATEAU

Notes 273Bibliographie 282Chronologie de l'œuvre 284Chronologie 286

GF Flammarion

201321-X-2015 - Impression MAURY IMPRIMEUR, 45330 Malesherbes.N° d'édition L.01EHPN000740.N001 - Octobre 2015 - Printed in France.