«je suis le taon, celui qui trouble votre quiétude» - socrate · 2006-11-30 · point la...

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La cupidité comme principe organisateur Le néolibéralisme s’est imposé comme le para- digme des années 1990 ; le capitalisme appuyé sur le laisser-faire, un capitalisme idyllique, est en pro- gression. Cela n’empêche pas Joseph E. Stiglitz 1 d’affirmer : «Le fondement intellectuel du laisser-faire a été pulvérisé par les faits 2 . » Nous allons voir à quel point la dernière décennie a démontré que le retour au laisser-faire relève de la pensée magique. Le prix Nobel Stiglitz rappelle combien la réglementation est une nécessité malgré les assauts pour libéraliser de plus en plus le marché. Première évidence, l’éco- nomie de marché elle-même exige une forte inter- vention de l’État, l’application d’un ensemble de lois, notamment celles assurant la propriété privée qui est un pouvoir d’exclure. Au fond, les affairistes récla- ment un État minimal comme dispositif de garantie d’un marché libre non entravé par des mesures de protection, de redistribution et de solidarité entre tra- vailleurs. L’État n’est minimal que dans la redistribu- tion. Une société instrumentalisée à la recherche du profit. Tout terrien un peu informé sait que le marché non entravé produirait d’énormes externalités néga- tives comme la pollution et trop peu d’externalités positives comme la recherche fondamentale. Seul l’État est en mesure de faire respecter les obligations sociales générales. Chaque journée qui passe démontre que le rapport entre nos besoins et le monde est à revoir et ce n’est pas le marché qui s’y attaquera. Il produit de plus en plus des masses de camelotes publicisées tout en refusant de répondre à la demande en biens premiers d’une partie de la population jugée non solvable, donc inexistante. Les néolibéraux sont nostalgiques de la thèse classique voulant qu’en l’état de profonde division des connaissances, du travail et donc de dépen- dance réciproque qui est le nôtre, la recherche de notre satisfaction nous oblige à réaliser celle des autres et finalement l’intérêt général. L’échange, donc le marché, est alors le mode d’accès aux biens. L’égoïsme, l’«amitié» mercantile suffit. Une grande partie des gains réalisés par ce mode d’organisation sociale qui aurait dû aller à la réduction du travail a été détournée par une minorité. Qui profite du droit de propriété ? Il s’apparente à une coquille vide pour les moins nantis, il est tout pour les 359 milliardaires dont le revenu équivaut à celui de 45 % de la popu- lation mondiale ou l’hyperbourgoisie du 1% des fo- yers américains qui possèdent 40% des richesses du pays. Le néolibéralisme comme doctrine d’une minorité possédante décrète toutefois que les dom- mages collatéraux de ce mode de collaboration sociale relève d’une responsabilité individuelle. Un néolibéralisme dissimulé en révisionnisme rend l’ac- cès aux biens premiers de plus en plus incertain pour une partie de la population. Dans le schéma néolibéral, la cupidité peut devenir le principe orga- nisateur de notre société, car elle serait une réalité de la nature humaine contrairement au désir de poursuivre un quelconque intérêt collectif. Inutile d’orienter l’action individuelle pour obtenir un effet collectif, de nous demander ce qui est juste, de réglementer positivement l’activité économique. On peut abolir tout contrat social s’exprimant politique- ment : le système des prix nous informe sur la valeur de nos actions, sur les biens à privilégier. La solida- rité se désagrège avec l’effacement de l’idée de bien commun politiquement soutenable. Le marché est le seul instrument de coordination possible de l’activité de l’humain comme marchandise qui travaille. Les riches sont les gagnants d’une course à laquelle tous pouvaient participer, ils ne doivent rien aux per- dants 3 . Justement, si cette fragmentation des con- naissances et du travail est une structure collective qui assure notre prospérité, son côté pervers est un mal social à assumer collectivement par un recours consenti à l’individu contre l’ensemble 4 . Selon Karl Polanyi, la nouvelle conception qui a placé his- toriquement la cupidité, la possession matérielle au principe de l’organisation des sociétés est le fait d’une petite mais puissante élite 5 . Par exemple, les lois protégeant les pauvres étaient dénoncées comme empêchant la croissance d’une classe ouvrière…Nous en sommes encore là trois siècles plus tard : le syndicalisme, le salaire minimum, les impôts tueraient la croissance, l’emploi, l’investisse- ment ; on nous joue quotidiennement ce vieux «tape». L’autodiscipline du marché : les illusions perdues La classe sociale qui aspire à dominer doit présen- ter ses intérêts comme l’intérêt collectif. On a pontifié ad nauseam sur l’État gaspilleur en exigeant la déré- glementation sinon la privatisation. Or, le libre marché, supposément plus efficace par essence, gaspille à une échelle dont la plupart des États n’oseraient même pas rêver. Sur ce point, Stiglitz analyse notamment les résultats récents de la déré- glementation dans le domaine des télécommunica- tions, des médias. Libérons les tarifs disaient-ils, les nouvelles technologies en concurrence n’allaient pas Janvier 2005 - No 30 - 10 e année «Je suis le taon, celui qui trouble votre quiétude» - Socrate Dans ce numéro... «Les conservateurs à la Bush veillaient à la bonne santé morale de cette dame en l’obligeant à voyager 100 km par jour en autobus pour occuper deux emplois à temps partiel…» ________________________ p.7 «C’est quoi le problème au juste avec les cols bleus? Tabarouette, leur salaire annuel moyen est d’environ 35 000$. Est-ce vraiment exagéré? Naturellement, pour certains politiciens, journalistes, affairistes et économistes, c’est définitivement trop…» __________________________________________ p.11 «Père Noël commença aussi à s’intéresser à une main d’œuvre de lutins qui vivaient pauvrement dans des pays du tiers-monde et qui étaient, à son sens, beaucoup plus souples au niveau des salaires et des conditions de travail.» ____________________________________________________ p.14 www.unites.uqam.ca/cese [email protected] Espérer naïvement que l’égoïsme suffise par Michel Bernard Suite à la page 9

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Page 1: «Je suis le taon, celui qui trouble votre quiétude» - Socrate · 2006-11-30 · point la dernière décennie a démontré que le retour au laisser-faire relève de la pensée magique

La cupidité comme principeorganisateur

Le néolibéralisme s’est imposé comme le para-digme des années 1990 ; le capitalisme appuyé surle laisser-faire, un capitalisme idyllique, est en pro-gression. Cela n’empêche pas Joseph E. Stiglitz1

d’affirmer : «Le fondement intellectuel du laisser-fairea été pulvérisé par les faits2. » Nous allons voir à quelpoint la dernière décennie a démontré que le retourau laisser-faire relève de la pensée magique. Le prixNobel Stiglitz rappelle combien la réglementation estune nécessité malgré les assauts pour libéraliser deplus en plus le marché. Première évidence, l’éco-nomie de marché elle-même exige une forte inter-vention de l’État, l’application d’un ensemble de lois,notamment celles assurant la propriété privée qui estun pouvoir d’exclure. Au fond, les affairistes récla-ment un État minimal comme dispositif de garantied’un marché libre non entravé par des mesures deprotection, de redistribution et de solidarité entre tra-vailleurs. L’État n’est minimal que dans la redistribu-tion. Une société instrumentalisée à la recherche duprofit. Tout terrien un peu informé sait que le marchénon entravé produirait d’énormes externalités néga-tives comme la pollution et trop peu d’externalitéspositives comme la recherche fondamentale. Seull’État est en mesure de faire respecter les obligationssociales générales. Chaque journée qui passedémontre que le rapport entre nos besoins et le

monde est à revoir et ce n’est pas le marché qui s’yattaquera. Il produit de plus en plus des masses decamelotes publicisées tout en refusant de répondreà la demande en biens premiers d’une partie de lapopulation jugée non solvable, donc inexistante.

Les néolibéraux sont nostalgiques de la thèseclassique voulant qu’en l’état de profonde divisiondes connaissances, du travail et donc de dépen-dance réciproque qui est le nôtre, la recherche denotre satisfaction nous oblige à réaliser celle desautres et finalement l’intérêt général. L’échange,donc le marché, est alors le mode d’accès aux biens.L’égoïsme, l’«amitié» mercantile suffit. Une grandepartie des gains réalisés par ce mode d’organisationsociale qui aurait dû aller à la réduction du travail aété détournée par une minorité. Qui profite du droitde propriété ? Il s’apparente à une coquille vide pourles moins nantis, il est tout pour les 359 milliardairesdont le revenu équivaut à celui de 45 % de la popu-lation mondiale ou l’hyperbourgoisie du 1% des fo-yers américains qui possèdent 40% des richessesdu pays. Le néolibéralisme comme doctrine d’uneminorité possédante décrète toutefois que les dom-mages collatéraux de ce mode de collaborationsociale relève d’une responsabilité individuelle. Unnéolibéralisme dissimulé en révisionnisme rend l’ac-cès aux biens premiers de plus en plus incertainpour une partie de la population. Dans le schéma

néolibéral, la cupidité peut devenir le principe orga-nisateur de notre société, car elle serait une réalitéde la nature humaine contrairement au désir depoursuivre un quelconque intérêt collectif. Inutiled’orienter l’action individuelle pour obtenir un effetcollectif, de nous demander ce qui est juste, deréglementer positivement l’activité économique. Onpeut abolir tout contrat social s’exprimant politique-ment : le système des prix nous informe sur la valeurde nos actions, sur les biens à privilégier. La solida-rité se désagrège avec l’effacement de l’idée de biencommun politiquement soutenable. Le marché est leseul instrument de coordination possible de l’activitéde l’humain comme marchandise qui travaille. Lesriches sont les gagnants d’une course à laquelletous pouvaient participer, ils ne doivent rien aux per-dants3. Justement, si cette fragmentation des con-naissances et du travail est une structure collectivequi assure notre prospérité, son côté pervers est unmal social à assumer collectivement par un recoursconsenti à l’individu contre l’ensemble4. Selon KarlPolanyi, la nouvelle conception qui a placé his-toriquement la cupidité, la possession matérielle auprincipe de l’organisation des sociétés est le faitd’une petite mais puissante élite5. Par exemple, leslois protégeant les pauvres étaient dénoncéescomme empêchant la croissance d’une classeouvrière…Nous en sommes encore là trois sièclesplus tard : le syndicalisme, le salaire minimum, lesimpôts tueraient la croissance, l’emploi, l’investisse-ment ; on nous joue quotidiennement ce vieux«tape».

L’autodiscipline du marché : les illusions perdues

La classe sociale qui aspire à dominer doit présen-ter ses intérêts comme l’intérêt collectif. On a pontifiéad nauseam sur l’État gaspilleur en exigeant la déré-glementation sinon la privatisation. Or, le libremarché, supposément plus efficace par essence,gaspille à une échelle dont la plupart des Étatsn’oseraient même pas rêver. Sur ce point, Stiglitzanalyse notamment les résultats récents de la déré-glementation dans le domaine des télécommunica-tions, des médias. Libérons les tarifs disaient-ils, lesnouvelles technologies en concurrence n’allaient pas

Janvier 2005 - No 30 - 10e année

«Je suis le taon, celui qui trouble votre quiétude» - Socrate

Dans ce numéro...

«Les conservateurs à la Bush veillaient à la bonne santé morale de cette dame en l’obligeant à voyager 100 km par jour en autobus pour occuper deux emplois à temps partiel…» ________________________ p.7

«C’est quoi le problème au juste avec les cols bleus? Tabarouette, leur salaire annuel moyen est d’environ 35 000$. Est-ce vraiment exagéré? Naturellement, pour certains politiciens, journalistes, affairistes et économistes, c’est définitivement trop…» __________________________________________ p.11

«Père Noël commença aussi à s’intéresser à une main d’œuvre de lutins qui vivaient pauvrement dans des pays du tiers-monde et qui étaient, à son sens, beaucoup plus souples au niveau des salaires et des conditions de travail.»____________________________________________________ p.14

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Espérer naïvement que l’égoïsme suffise

par Michel Bernard

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LE TAON dans la cité

2 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité

LE TAON dans la cité

La Chaire d’études socio-économi-ques de l’UQAM est un institut derecherche universitaire dont les tra-vaux scrutent les vices cachés du néo-libéralisme. Par ses études critiques,la Chaire vise à promouvoir undiscours alternatif afin d’ali-menterles débats en faveur d’un projet desociété progressiste.

Le Taon dans la cité est le journal de laChaire. Il se veut un journal d’idées etde réflexion.

Adresse postale :Chaire d’études socio-économiquesUniversité du Québec à Montréal

C.P. 8888, Succ. Centre-ville,Montréal (Qc) H3C 3P8

Adresse civique :315, rue Ste-Catherine Est,

Local R-4430Montréal (Qc) H2X 3X2

Téléphone :(514) 987-3000, poste 7841#

Télécopieur : (514) 987-0345

Courriel : [email protected]

Site Internet :www.unites.uqam.ca/cese

L’équipe de la Chaire

Titulaire: Léo-Paul LauzonAdministration: Martine LauzonChercheurs: Denis Gendron

Marc Hasbani

L’équipe du Taon

Éditeur: Marc HasbaniRédaction et entrevue: Martine LauzonCollaborateur: Michel Bernard

Infographie : Fleur de lyséewww.fleurdelysee.ca

Imprimerie : Payette & SimmsTirage: 7000 exemplaires

Dépôt légalBibliothèque Nationale du Québec

TABLE DES MATIÈRES

ÉditorialESPÉRER NAÏVEMENT QUE L’ÉGOÏSME SUFFISEpar Michel Bernardpage 1

Entretien avec Jennie SkeneLE MONDE DES INFIRMIÈRES ET DE LA FIIQpar Martine Lauzonpage 3

ActualitésLES GROSSIÈRES MANIPULATIONS DE LADROITE AMÉRICAINEpar Michel Bernard page 6

Contes et comptes du prof LauzonLES VILAINS COLS BLEUS DE MONTRÉAL ETLES MÉCHANTS FONCTIONNAIRES DU QUÉBECpar Léo-Paul Lauzonpage 11

INTERNATIONALISER L’AMAZONIEpage 13

Conte de noël

DU VILLAGE DU PÈRE NOËL AU VILLAGE GLOBALpar Martine Lauzonpage 14

L’équipe de la Chaire donne tout son appui aux

grévistes de la Société des alcools du Québec…

et nous espérons que nos lecteurs et lectrices

supportent également leur cause en s’abstenant

d’acheter tout produit de la SAQ.

C’est une question de solidarité !

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Entretien

LE MONDE DES INFIRMIÈRES ET DE LA FIIQ

La Chaire a rencontré Jennie Skene,présidente de la Fédération

des infirmières et des infirmiers du Québec

par Martine Lauzon

Martine Lauzon : J’aimerais d’abord vousremercier du temps que vous nous consacrez pourcette entrevue qui, je l’espère, fera ressortir ce qu’estle travail de votre syndicat ainsi que de celui des infir-mières1, le contexte dans lequel vous l’effectuez et lesorientations que vous aurez à prendre pour lesprochaines années. Pour commencer, j’aimeraisaborder, car on ne peut passer à côté étant donné ledéséquilibre qu’elle semble avoir causé, la questiondes retraites massives qui ont eu lieu à la fin desannées 90. Est-ce que le secteur de la santé en estencore affecté?

Jennie Skene : Situons-nous en 1996, aumoment des discussions visant à diminuer la massesalariale du gouvernement du Québec pour l’atteintedu déficit 0. Le gouvernement proposait des diminu-tions de salaires compensées à même la caisse deretraite syndicale, ce que nous avons refusé. D’autresdiscussions nous ont amenées à la bonification tem-poraire du régime de retraite, mais personne, à cemoment, ne prévoyait qu’un aussi grand nombre d’in-firmières quitteraient le réseau. C’était sans tenircompte de la démotivation et du découragement quiont suivi les fermetures d’hôpitaux. Nos évaluationsde plus ou moins 1700 infirmières potentiellementintéressées se sont plutôt traduites par 3700 infir-mières salariées et 500 cadres infirmiers. Au départ,le déséquilibre ne se faisait pas sentir, justement à

cause des fermetures d’hôpitaux et de la diminutiondu nombre de lits. De cette manière, les départs ontpermis aux infirmières qui ne travaillaient pas, qui setrouvaient en disponibilité, de travailler. Toutefois, çan’a pas arrêté la machine des départs, parce quel’âge moyen des infirmières augmente. Il se situeautour de 48 ou 49 ans, ce qui veut dire que plusieursse trouvent dans la tranche des 50-55 ans, et même60 ans. Quand le réseau de la santé s’est développé,à la fin des années 60 et des années 70, les infir-mières sont massivement entrées en fonction, ce quiexplique le vieillissement actuel du personnel. Il y adonc aujourd’hui un grand nombre d’infirmières quiont pris et prendront leur retraite, puisqu’elles ontatteint les critères d’admissibilité pour le faire, soit 35 ans de service ou 60 ans d’âge. Toutefois, à lasuite des moyens de pression et de la grève que nousavons faits en 1999, le conseil des services essen-tiels a exigé du gouvernement qu’il fasse une planifi-cation de la main-d’œuvre. Nous avons donc fait aveclui et les associations patronales une étude complètequi démontrait que le déséquilibre comme on l’aconnu perdurerait, justement parce que plusieursinfirmières se trouvent dans une strate d’âge les rapprochant de la retraite.

M.L. : Pouvez-vous me parler d’un des moyens qui aété mis en place pour pallier le manque de personnel?

J.S. : Le contingentement de la formation en soinsinfirmiers a été levé. Il y a autour de 5000 jeunes enformation en soins infirmiers dans les cégeps et lesuniversités. Toutefois, elles ne complètent pas toutesleur formation parce qu’en cours de route, souventlors des stages, certaines voient que cette professionne leur convient pas, qu’elles n’aiment pas ça. Sur cepoint, je dirais que ça s’est un peu amélioré depuistrois ans, car plus de finissantes sortent chaqueannée. Toutefois, bien qu’il faille toujours travailler surl’entrée, il faut aussi garder celles qui sont déjà enemploi. Sur ce point, les conditions de travail dans lesmilieux hospitaliers n’ont pas beaucoup changé enterme d’amélioration; c’est plutôt l’inverse. La popula-tion vieillit et il y a une augmentation et une comple-xification de la demande de soins, ce qui fait que çaprendrait plus de monde, alors que de l’autre côté, onessaie de rattraper un manque de personnel. On vadonc continuer à vivre le déficit pendant encore unbon bout de temps, avec des périodes de pseudo-stabilité, comme ça été le cas cet été dans certainsmilieux, car la demande de soins augmente, toutcomme les départs à la retraite.

M.L. : Est-ce que toutes les régions vivent lamême situation?

J.S. : Certaines régions sont plus frappées par la pénurie de personnel, comme la grande région de Montréal, la Montérégie, les Laurentides etl’Outaouais. D’autres régions le sont moins, commele Saguenay–Lac-Saint-Jean qui est pas mal enéquilibre en ce qui concerne le personnel, ce qui faitque leurs finissantes vont travailler ailleurs. Comme lamoyenne d’âge de cette région est parmi les plusélevée au Québec, elle va se retrouver en pénurie,puisqu’elle n’aura pas gardé ses finissantes. La ques-tion de la situation de l’emploi dans certaines régionsest un autre point à considérer pour expliquer lespénuries. Dans les régions frappées par le chômage,je pense ici à la Gaspésie, à la Côte-Nord ou àl’Abitibi, quand le conjoint déménage, l’infirmière lefait aussi : puisque qu’elle est mobile, elle peut facile-ment se replacer ailleurs.

M.L. : Il y a aussi la question du bassin de main-d’œuvre qui n’est pas à négliger, car les jeunes nepeuvent naturellement pas remplacer les baby-boomers, faute de nombre suffisant.

J.S. : Exactement. La courbe démographique s’in-verse et il y a moins de jeunes. En dépit de nos effortspour attirer le maximum d’étudiantes possible, s’il y ena moins sur le marché, il y en a automatiquementmoins en soins infirmiers, comme dans n’importequelle autre discipline. Il y a aussi que maintenant demultiples métiers et professions s’offrent aux jeunes.Une étudiante qui veut travailler dans le milieu hospi-talier peut alors opter pour la diététique au lieu dessoins infirmiers, pour ne pas travailler la nuit ou le soir,etc. Les conditions de travail des diverses professionsœuvrant dans le réseau de la santé sont différente.Aussi, quand les étudiantes commencent leurs stages,certaines réalisent, comme je l’ai indiqué, qu’elles neveulent finalement pas faire ça toute leur vie.

M.L. : Justement, vous avez devancé les stages,pour que les étudiantes vivent plus rapidement laréalité du terrain.

J.S. : Elles peuvent commencer à travailler commeexterne en soins infirmiers une fois que leur deu-xième année est complétée. Ce n’est pas un stage,sauf qu’elles sont supervisées. Ça leur permet demettre en pratique ce qu’elles ont appris, de mieux leposséder et de se sentir plus à l’aise. Durant les troismois d’été, elles peuvent pratiquer ce qu’elles ontétudié, ce qui est plus motivant que de travailler dansun restaurant ou un magasin au salaire minimum. Lesenseignantes, tant des cégeps que des universités,disent que les jeunes qui ont fait l’externat sont beau-coup plus autonomes quand elles font leur troisièmeannée et qu’elles posent plus de questions car elles

Jennie SkenePrésidente de la FIIQ

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Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité 3

Le féminin sera utilisé dans ce texte afin de refléter la réalité féminine du réseau de la santé et des services sociaux.

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Entretien

4 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité

ont été en contact pendant une bonne période avecle milieu. Cet aspect a un impact sur la rétention desjeunes. Il ne faut pas oublier qu’il est facile de seréorienter à 23 ou 24 ans. C’est pourquoi il fautessayer de les garder et trouver des moyens de lefaire.

M.L. : Est-ce que le réseau de la santé est accueil-lant, séduisant pour les jeunes de la relève?

J.S. : Je pense que tous les milieux essaient d’êtreséduisants et de faire miroiter des possibilités d’em-plois, sauf que ça ne se traduit pas toujours commeça sur le terrain. Certains jeunes sont complètementabandonnées. À partir du moment où il manque d’in-firmières, il en manque aussi pour soutenir la relève.En principe, il faudrait toujours qu’il y ait une personnede référence disponible pour une jeune qui a un pro-blème, qui veut valider une information, qui a unquestionnement. Quand on interroge les jeunes, c’estle point qui ressort comme le plus important pourqu’elles se sentent bien dans leur travail, puisqu’ellessont sans expérience, ce qui est normal lorsqu’ondébute dans la profession. Il est difficile pour unejeune infirmière de ne pas pouvoir référer à quelqu’und’expérience quand elle veut poser une question etqu’elle a l’impression de déranger parce que tout lemonde est surchargé. On pense qu’il serait possiblede donner ce rôle de soutien à des infirmières prèsde la retraite. Elles accepteraient peut-être volontiersde rester un an de plus pour faire du coaching dejeunes. C’est intéressant car c’est un transfert d’ex-périence : celle qui a du bagage enrichit les connais-sances de quelqu’un qui entre sur le marché du tra-vail. Je pense qu’il faut qu’il y ait une jonction entre lesdeux groupes.

M.L. : Est-ce qu’il y a actuellement des méca-nismes de transmission des savoirs mis en place?

J.S. : Très peu.

M.L. : Est-ce qu’il y a une ouverture à des amé-nagements de postes ou de temps, ou les deux, dansle sens que certaines infirmières pourraient déciderde demeurer en emploi, passé l’âge de la retraite,mais selon différentes conditions de travail, de tâchesou d’horaire?

J.S. : C’est un des sujets de notre négociation.On a fait des demandes spécifiques sur l’aménage-ment du temps de travail, afin que les gens de nuittravaillent moins, que les infirmières demeurent pluslongtemps en retraite progressive, qu’elles soientdégagées de leurs fonctions pour coacher deséquipes. On souhaite aussi qu’il y ait obligatoire-ment une formation en cours d’emploi pour le per-sonnel d’au moins cinq jours par année. Aujourd’hui,ça n’existe pas. On a des budgets négociés àchaque convention collective, mais ils peuvent êtretous utilisés dans les mêmes unités dans l’année,alors que d’autres n’ont rien. La mise à jour, le main-tien et le développement des connaissances, cesont des demandes de cette nature-là que l’on doitmettre de l’avant afin que les infirmières aient legoût de rester en emploi. On voudrait que les

personnes qui atteignent un certain âge aient plusde congés, justement pour favoriser le temps derécupération pour leur santé. Les absencescausées par la maladie, qui n’ont pas cessé d’aug-menter durant les années 90, augmentent lephénomène de pénurie. Aujourd’hui, les absencesmaladie commencent à diminuer. Il faut donc faireun investissement spécifique sur ce point, si on veutdes effets durables.

M.L. : Vous essayez donc de négocier des amé-nagements de temps de travail, d’horaires et depostes pour pallier le vieillissement des infirmières?

J.S. : Exactement, et nous croyons aussi que nousdevons faire disparaître les longues listes de disponi-bilités. Le fait qu’une infirmière travaille cinq jours parsemaine sur différents quarts de travail, différentesunités de soins, est en totale contradiction avec ledéveloppement de l’expertise, alors que si les infir-mières ont des postes, elles pourront développer leurexpertise et se sentir plus à l’aise. On pense que çafait partie des mesures à mettre en place.

M.L. : Est-ce que d’autres problématiquestouchent les infirmières? Quelle serait votre lectureactuelle du système de la santé?

J.S. : Je pense que l’absence de ligne claire,constante, est le premier problème, car le réseauest constamment remis en question. Après ledéficit, les fermetures d’hôpitaux et la diminutiondu nombre de lits qui ont eu lieu au milieu desannées 90, c’est maintenant le tour des fusionsd’établissements. Ça peut avoir du bon sur certainsaspects, mais on a des doutes sur d’autresaspects. À titre d’exemple, dans la région deQuébec, il y a 23 établissement qui sont fusionnésensemble. Est-ce qu’un administrateur qui doitsoutenir les ressources humaines va savoir ce quele monde fait et vit dans chacun des milieux? Est-ce que les gens vont être mieux soutenus? Nouscroyons qu’il n’y aura plus d’identité, que les gensne se reconnaîtront pas, parce que ce n’est paslogique comme type de regroupement. Ça ne ferapas une grosse différence dans les petites villes oùles deux, trois ou quatre CHSLD et le CLSC tra-vaillent déjà ensemble, mais pour une régioncomme Montréal, où il n’y a pas d’histoire de col-laboration entre les groupes, le rapprochement nese fera pas demain. Il y a aussi la question dufinancement qui est toujours présente, malgré l’en-tente entre le Québec et le gouvernement fédéralde cet été. On peut vouloir modifier des choses,mais il faut avoir les moyens de le faire pour sta-biliser le réseau. Ça touche les infirmières et tousceux qui œuvrent dans le réseau de la santé de nejamais savoir ce qui s’en vient. Le réseau de lasanté est menacé d’un déficit à l’autre. On entendparler plus souvent de déficit et de récupérationsbudgétaires que de santé. Ce n’est donc pas trèsmotivant pour le personnel, qui aime le travail qu’ilfait mais qui se sent bousculé. Ça joue beaucoupdans les départs de toutes sortes, pour les jeuneset les moins jeunes.

M.L. : Parlant de changement, est-ce que l’arrivéedu nouveau gouvernement a changé quelque chose?

J.S. : C’est certain. On l’a vu immédiatement aprèsl’élection. Plusieurs tables de travail ou comités avecle ministère de la Santé ont été mis en suspens. Nosmilitantes qui travaillaient sur l’équité salarialen’avaient plus de vis-à-vis à leur retour de vacancesen août 2003. Le gouvernement n’a pas rappelé auConseil du Trésor les gens qui travaillaient pour lui,qui étaient les experts du milieu assignés à l’évalua-tion des emplois. Oui, ça a changé les choses demanière importante.

M.L. : Ce gouvernement s’intéresse donc peu à cequi se passe sur le terrain.

J.S. : C’est un gouvernement qui décide, qui n’estprès ni de la population ni des gens qui travaillentdans le milieu de la santé. Et ça s’applique aussi auxautres milieux syndicaux, car on se parle entre nous,et il y a des choses qui ont été complètement misesde côté.

M.L. : Concernant l’entente pour la santé, le gou-vernement veut l’utiliser pour des baisses d’impôts,ce à quoi vous vous opposez.

J.S. : L’argent de la santé ne peut servir à desbaisses d’impôts. Ensuite, on nous demandera depayer pour des services, des facturation ou des tari-fications supplémentaires. On n’est vraiment pasd’accord là-dessus.

M.L. : On parle de facturation, et ça fait plusieursannées qu’on entend parler de privatisation du sys-tème de santé. Est-ce que ça se met en place?

J.S. : On ne peut pas dire que ça se met offi-ciellement en place, mais quand on regarde lestravaux de madame Jérôme-Forget sur la réin-génierie, on ne peut penser qu’il n’y a rien qui setrame, au contraire. Il y a des efforts du gouverne-ment pour introduire le libre marché dans plusieursaspects des services. Il faut donc être très vigilantsquant à l’avenir des services publics, car dès que laporte est ouverte au privé, on sait qu’on ne peut plusla refermer. Il faut continuer à se battre et à prendreposition pour que ça ne se produise pas. C’est unelutte de tous les instants.

M.L. : Cette position est-elle partagée avec lesautres syndicats? Quelles sont vos relations aveceux?

J.S. : Avec l’ensemble du mouvement syndical,au-delà des divergences sur les manières de faireles choses, je pense que tout le monde est conscientqu’il y a une obligation que nous tenions des posi-tions similaires. On sait qu’on se tire dans le pied siun groupe accepte quelque chose alors que lesautres sont contre car ça ouvre des portes. On arégulièrement des rencontres avec les autres syndi-cats sur différents sujets pour voir les stratégies queles uns et les autres veulent mettre de l’avant. C’estaussi de prendre des positions les plus largementpartagées par les différents groupes afin d’être

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Entretien

Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité 5

capable de faire face, de manière consensuelle, augouvernement.

M.L. : Vous avez une grande visibilité dans lesmédias. On a souvent l’impression que vous êtes àl’avant-garde, que vous prenez position sur différentsaspects et que vous avez l’appui de la population.

J.S. : C’est peut-être parce nous sommes con-centrées dans un domaine précis d’activités : tout cequi touche à la santé est notre préoccupation pre-mière, et ce, même si nous intervenons sur d’autresthématiques. C’est entendu qu’on a une concentra-tion plus grande dans le domaine de la santé, de toutce qui la touche et de tout ce qui vient la remettre enquestion. On a fait beaucoup de travail autour desaccords de libre échange, des marchés publics etdes PPP, des points qu’on partage avec d’autres,mais qui, je dirais, surprennent parfois pour l’organi-sation que nous sommes. Nous ne sommes pas unegrosse organisation, mais le travail qu’on a fait danscertains champs a été très marquant. Je pense queça ressort, les préoccupations qu’on a quant àl’avenir des services publics et celles qu’on a quantà leurs détériorations. La population comprend quenos perspectives dépassent largement le seul cadrede nos conditions de travail. Je pense que oui, effec-tivement, sur ces aspects, c’est reconnu. On luiamène des choses concrètes à la population. C’estpour ça qu’elle nous écoute. La manière de dire leschoses est importante. C’est pourquoi on essaie, endémystifiant certains concepts, que notre messagesoit compréhensible par tout le monde. Celademande beaucoup d’énergie, mais on investitbeaucoup dans ce champ-là, peut-être moins que ceque l’on souhaiterait, mais c’est dans les limites denos capacités. Tout le travail qu’on est obligé de faireavec les fusions et l’accréditation des établissementsenlève malheureusement du monde qui travaille surles dossiers plus socio-politiques.

M.L. : Pour l’avenir, quels sont les défis qui atten-dent la Fédération?

J.S. : C’est certain que le contexte actuel de latransformation du réseau de la santé nous interpelle,comme Fédération, de plusieurs façons parce quenos membres sont des dispensatrices de soins.Toute la préoccupation du réseau de santé public estdonc là d’une manière très importante. À côté de ça,il y a tout ce qui se passe actuellement, qui nousoblige à revoir notre manière d’être, ce que noussommes. Nous étions une organisation 100 % infir-mières, et nous allons devenir une organisation desoins avec des infirmières, des infirmières auxi-liaires, des inhalothérapeutes, des perfusionnistes,etc., parce que le gouvernement nous oblige à nousfusionner. Quand on parle santé, c’est valable pourtout ce monde. Il va falloir qu’on trouve une manièrede fonctionner entre nous qui soit respectueuse desgroupes qui, dans certains cas, sont beaucoupmoins nombreux que nous. Il y a donc un gros travailà faire pour l’organisation elle-même afin qu’elle soitaussi solide qu’avant, et qu’elle soit capable de pren-dre des positions aussi fortes en tenant compte de

certaines particularités. Il y a le réseau de la santé etle travail de l’organisation syndicale. On doitreprésenter, avec la même qualité, l’ensemble deces groupes professionnels. À côté de ça, pourl’ensemble de ces groupes, il y a tout l’aspect desconditions de travail, la manière dont on peut exercersa profession, la qualité des gestes qu’on pose.Dans leur quotidien, les professionnelles ne voientpas toujours les risques et les enjeux qui concernentl’ensemble du réseau de la santé, donc de toutes lestravailleuses et les travailleurs. Dans l’esprit de biendes gens, une organisation syndicale sert d’abord àdéfendre les conditions de travail. C’est notreresponsabilité de relier les conditions de travail, leréseau public de santé et sa capacité de prendre encharge une population vieillissante, les marchéspublics, les risques que font peser les traitésd’échanges commerciaux sur les services publicsquels qu’ils soient, pour que les gens comprennentqu’on ne peut pas parler que de conditions de travail.

M.L. : On a parlé des défis qui attendent la FIIQ.Maintenant, quels sont ceux des infirmières sur leterrain, ce qui s’en vient pour elles?

J.S. : Introduire de nouvelles pratiques ou direqu’il y a des nouveaux champs d’exercices potentielsau moment où il y a beaucoup de démobilisationdans le réseau de la santé fait que les infirmièresvoient difficilement comment elles pourraient faireplus, car elles ont toujours l’impression de courir. Lefait d’intégrer quelque chose de nouveau devientmenaçant. Il faut alors rétablir un niveau de con-fiance chez les infirmières pour qu’elles se sentent àl’aise, qu’elles aient les moyens d’investir de nou-veaux champs de pratique, là où ça sera possible dele faire. Pour éviter que ces nouvelles pratiquessoient vues comme un ajout de tâche, il faut que lesinfirmières délèguent à d’autres groupes de la santédes tâches qu’ils peuvent faire et privilégient ce quirelève de leur compétence exclusive.

M.L. : Est-ce à dire qu’à cause des divers change-ments du réseau de la santé des dernières années,la notion de changement n’est plus vue commequelque chose de positif?

J.S. : Exactement. D’un côté, les tâches sont de plusen plus complexes, les cas de plus en plus lourds et lademande de soins de plus en plus grande, alors que del’autre côté, il n’y a pas de moyens supplémentairespour y faire face. Ainsi, si je dis à une infirmière qu’ellea dorénavant le droit de faire telle chose, elle ne voit pascomment y parvenir avec le fardeau actuel de ses tâ-ches. Les gens ne pensent pas au départ qu’il y a destâches qu’ils devraient donner à d’autres groupes,comme à une préposée ou à une brancardière.Pourtant, quand on investit en organisation du travaildans les milieux, surtout depuis la dernière négociation,quand on révise les tâches, on peut ainsi faire créer despostes dans d’autres catégories d’emploi, réception-nistes, aides de service, préposés aux bénéficiaires,etc., pour que la tâche de l’infirmière se trouve automa-tiquement modifiée et qu’elle puisse exécuter le travail pour lequel elle a été formée.

M.L. : Le vieillissement de la population va-t-il aussi entraîner d’autres façons de voir lasanté?

J.S. : Il va falloir innover. C’est pour cela que laFIIQ ne s’est jamais objectée sur le fond à ce qu’il yait une plus grande prise en charge dans la commu-nauté. Il faut que des services soient accessiblesdans la communauté. Ce que demandent les per-sonnes âgées, c’est de continuer à vivre chez elles.Faire tout cela demande du monde, ça ne coûte pasplus cher, mais ce n’est pas au même endroit. Il fautaussi supporter les familles. Nous n’avions pas deproblème avec le virage ambulatoire prévu dans laréforme Rochon. Toutefois, l’argent enlevé aux hôpi-taux n’a pas été réinvesti dans les CLSC, dans lacommunauté. On n’a donc pas réglé le problème. Àpartir du moment où il y a un vieillissement commeon le connaît, il est certain qu’il faut être présentdans les milieux de vie pour aider les personnes etleur famille, et pour donner les services dont ellesont besoin pour les garder autonomes le pluslongtemps possible.

M.L. : Comment se passe la collaboration avec lesautres syndicats d’infirmières ailleurs au Canada?

J.S. : Nous avons régulièrement des échanges.On fait des rencontres spécifiques au moins deuxfois par année, des rencontres où il y a au moins unepersonne de chaque exécutif pour échanger surl’ensemble des dossiers et où on se tient au courantde ce qui se fait dans chaque province. Ainsi, quandmonsieur Couillard donne l’exemple de l’Alberta,nous pouvons vérifier l’information. Toutefois, nousne sommes pas membre de la Fédération cana-dienne des syndicats d’infirmières. Historiquement,au Québec, la santé est de compétence provinciale.Nos visions sont très différentes de celles de noscollègues sur certains aspects, notamment le rôledes provinces par rapport au rôle du fédéral. Ellesveulent que le fédéral se mêle plus de santé, alorsque nous voulons le contraire. Elles ont l’impressionque c’est le fédéral qui protège le réseau de la santé,alors que, selon nous, c’est lui qui, par ses coupuresd’une quarantaine de milliards, est responsable desdifficultés que nous rencontrons depuis le milieu desannées 90.

M.L. : Est-ce que vous voyez et vivez les mêmesréalités sur le terrain?

J.S. : Sur le terrain, certaines réalités sont simi-laires sur le plan des conditions de travail, de la sur-charge, etc. C’est au sujet des solutions ou de laporte à laquelle frapper que cela diffère. Pour elles,le fédéral est le défenseur des services publics, alorsque nous sommes convaincues du contraire. Ladiversité culturelle est assez flagrante. Mais quandon parle de ce que vivent les infirmières, on serejoint facilement.

M.L. : Je vous remercie énormément, madameSkene, du temps que vous nous avez accordé.

J.S. : Merci.

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6 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité

Les grossières manipulations de la droite américaine

Du bon usage politique du sacré et de l’invisible

Éric Laurent1

décrit les réseaux occultes de Bushet l’atmosphère intellectuelle dans laquelle baignentles républicains. Le programme de la droite, la dic-tature de la pensée unique est en marche : déman-tèlement du système de protection sociale pour faireplace à une compassion conservatrice à base decharité envers ceux qui auront fait preuve aux orga-nismes religieux de leur dénuement et de leur foi2,fin du soutien aux minorités, imposition des valeursreligieuses les plus conservatrices à l’ensemble dela société au mépris de la Constitution, etc. Lesaccrocs à la séparation constitutionnelle de l’Égliseet de l’État sont devenus un problème grave. Laforce de l’État impose l’Église. Ceux qui veulentremplir des fonctions d’État doivent démontrer leurfoi. Sur le plan extérieur, une politique agressive estmenée pour un modelage des rapports de force afinde créer un terreau favorable aux intérêts des multi-nationales américaines (pas nécessairement favo-rable au peuple américain). Le complexe militaro-industriel a pris le contrôle de l’administration Bushen matière de politique de défense et de politiqueétrangère. Priorité significative, les Américains nedisposent pas d’une assurance-maladie universelle,mais ils consacrent 400 milliards $ par an à leurarmée (équivalent de 11 500 $ pour chacun de 35millions d’américains qui restent pauvres à la portedu paradis.)

Le centre de gravité politique s’est déplacé descôtes libérales vers le Sud conservateur et religieux.Un premier réseau à l’assaut de Washington intègrede nombreux prédicateurs dans l’entourage deBush. Les chrétiens fondamentalistes auraient votérépublicain à 84 %3 : ceux qui voudraient se compterparmi les plus compatissants votent pour un gou-vernement sans véritable compassion. Où est Dieu? Dieu est partout ! Surtout dans l’État en oppositionavec la Constitution. Bush, dans un retour à desstructures sociales moyenâgeuses veut éliminerl’aide sociale et la convertir en charité «faith-based»contrôlée par les groupes religieux. Le droit desChartes ne se traduit plus en revenu. Ce qui était dûen droit devient une faveur accordée en charité àceux qui se plient à une croyance. Les prédicateurs-évangilistes qui prétendent contrôler quelque 18millions de voteurs, ne veulent pas être ignorés etveulent imposer leurs vues sectaires et rétrogrades,le religieusement correct. L’aide aux organismesinternationaux s’occupant de planification familiale adéjà été réduite ou coupée. Les fondamentalisteschrétiens ont démonisé la Chine pour son pro-gramme d’un enfant par famille face à un problèmede surpopulation. La Chine devrait foncer dans lemur sans prendre de mesure ou lancer des cam-pagnes d’abstinence sexuelle selon le jugement desprédicateurs millionnaires américains…

Ces groupes religieux font jouer leur influencepour promouvoir leurs propres intérêts. Ainsi en

est-il de Pat Robertson, fondateur de la coalitionchrétienne, qui a amassé une fortune personnellede 150 millions $, réinvestie en bonne partie dansl’industrie des courses de chevaux. Dieu républicainlà haut dans son fauteuil de nuages bénit les mil-lionnaires et demande aux pauvres de se résigner...La foi religieuse se mêle au credo du laisser-faire etd’autres credos politiques de droite. Le christian-isme à l’américaine appuie un intérêt de classe. Ceréseau de prédicateurs induit un comportement derésignation chez les travailleurs alors que ses lea-ders vivent dans l’opulence tout en cautionnant lesgrands possédants et un «ordre» social qui acomme fondement la cupidité. Les néoconserva-teurs rêvent d’un système encore plus inégalitaire,hiérarchisé, autoritaire qui transfère tous les risquesaux salariés.

Bush qui s’adonnait à l’alcool rejoignit pour deuxans un groupe d’étude de la Bible : il se considèrecomme un born again cuvée 1986. Comme gou-verneur du Texas, il avait autorisé une centaine defois l’application de la peine de mort tout en décré-tant le 10 juin «jour de Dieu». Arrivé à la présidence,il présente Jésus comme son ami, comme unphilosophe républicain ; il décrète le 20 janvier 2001jour de prière alors qu’il en existait déjà un en mai :il a voulu en faire un de son cru. Sous sa présidence«le personnel de la Maison Blanche participe quoti-diennement à des groupes d’étude de la Bible4. »Bush est très proche de la pensée messianique etapocalyptique des militants chrétiens évangélistesd’après laquelle un combat se livre entre le bien etle mal qui culminera dans une confrontation finale.«Les gens qui adhèrent à ce type de croyancesprennent souvent des risques inappropriés etaffolants parce qu’ils considèrent que tout celarelève de la volonté divine5.» Cette intimité avec lesgroupes religieux doublée d’une conviction person-nelle du président et de ses collaborateurs fait quel’administration américaine revient au Moyen-Âge etéventuellement à la guerre de religion, s’appuie nonplus sur l’argumentation, la démonstration mais surles affirmations gratuites des gourous chrétiens quiagitent la bible, ou plus précisément leur interpréta-tion de la bible mêlée d’intérêts économiques.

Un système normatif fondé surl’au-delà et le marché

Les Républicains accommodent leur capitalismesauvage à la sauce humaniste en s’associant auxévangélistes et en valorisant la charité. Ils veulentprofiter d’une détresse socio-économique pour s’at-taquer à la laïcité. Ils engendrent eux-mêmes unemisère qu’ils abandonnent au caritatif. Les richesne veulent pas payer les impôts nécessaires à laréalisation d’un contrat social mais ils se donnentun supplément d’âme en garrochant des poignéesde petit change aux pauvres. Les énoncés méta-physiques ne relèvent pas de l’expérienceempirique, ils sont essentiellement irréfutables, onpeut en faire un usage intéressé, jamais le réel ne

pourra s’interposer : les conservateurs américainsne s’en privent pas. Une société coordonnée princi-palement par le marché et un État minimal n’a pasassez de cohésion pour se construire une moralefondée sur un sens politique du bien commun. Lasociété devient la coexistence problématique depurs individus enfermés dans leurs différences,maximisant leur position personnelle. La mise enœuvre de principes laïcs, d’une morale séculièreexige un consensus politique, un débat public, unsens de la communauté, une ascèse de l’individupour accéder à un universel citoyen, un partage.Leur système normatif est donc un «prêt-à-porter»imposé du dehors par deux transcendances, deuxmains invisibles : celle de Dieu et celle du marché.La moitié ne vont pas voter, ne s’identifient pas àune communauté politique. La concentration desrichesses et du pouvoir empêche la formation d’unepolitique de bien commun. Le seul laurier est d’êtrele plus riche, le premier au détriment des autres,personne ne se sent responsable du bien être desautres, n’identifie ses intérêts à ceux de la commu-nauté. Le thème principal des élections est labaisse d’impôts. Ils ne se sentent pas diminuéspersonnellement du fait de vivre dans une sociétélargement inégalitaire, injuste, sans égalité deschances. «Si les politiques sociales de l’État ont étéfortement remises en cause au cours des années80 aux États-Unis, c’est parce que l’État y est perçupar les citoyens comme un simple dispositif visantà garantir leurs droits et leurs intérêtsparticuliers6. » Avec une prédominance pour le droitde propriété illimité. D’ailleurs l’institution fonda-mentale de cette société de marché, les compag-nies, déménagent n’importe où dans le monde pourfaire plus de profit, le sens communautaire est ine-xistant. Les Américains déménagent plus souventque tout autre peuple dans l’histoire de l’humanité.Ils ont de moins en moins de sentiment d’apparte-nance à un lieu donc à une communauté. D’autrepart, il n’est pas étonnant que Bush soit à couteauxtirés avec la communauté scientifique. Il ne fait querépercuter le conflit entre la science et un systèmenormatif religieux construit à une époque pré-scientifique. Pontifiant sur les valeurs familiales tra-ditionnelles, la droite bien-pensante condamne leféminisme (femme-servante sans revenu direct,consignée au foyer) l’avortement (même en cas de viol ou d’inceste chez les extrémistes). PatRobertson déclara que le «11 septembre» était leprix à payer par l’Amérique pour ses «40 millions demeurtres…par avortement7.» Jerry Falwell de ladroite chrétienne, trouva les gays responsables dumême événement8. Tout le monde devrait avoir lamême idée du bien…c’est écrit dans la Bible. Bushfait ses confidences à Billy Graham et compte denombreux conseillers officieux chez les prédica-teurs de droite. Une faune républicaine plaide pourla religion d’État, la suppression des fonds auxorganisations de planning familial, pour le contrôlereligieux des écoles publiques, pour la compassionconservatrice9, pour le renforcement militaire, la

par Michel Bernard

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peine de mort, pour un bourrage de crânes, unenseignement obligatoire d’une pensée fossilereligieuse comme explication du monde (refus dereconnaître l’évolution complexe du vivant en s’ac-crochant à la création ex nihilo en 7 jours,Armageddon), le refus d’affronter la réalité del’existence en rêvassant à des au-delà, des par-adis, etc. Dans un rapport magico-infantile aumonde, Reagan croyait à l’immanence del’Armageddon qui précipitera en enfer les nonchrétiens, ceux qui refusent de voir la lumière.Certains sont convaincus qu’une grande guerre estnécessaire pour régénérer moralement l’Amé-rique... Mais tant que tout ce beau monde dénon-cera le travail du diable qui se manifeste dans l’opposition, chez ces « liberals »…

Les riches et le lobbying, la grossière manipulation deshommes et des idées

Dans sa vision du monde, la droite chrétienne estconvaincue de la décadence morale de l’Amérique.Mais ils sont les alliés objectifs des affairistes quis’opposent aux programmes sociaux et aux impôts,qui rêvent naïvement de faire de meilleures affairesdans un milieu social appauvri. Ils veulent mettre lamain sur l’État de façon durable. Les deux groupesveulent faire contrepoids aux campus universitaires,aux médias, aux artistes, aux intellectuels dans uneguerre du bien contre le mal à leurs yeux. Aucunfinancier de la droite n’est trop hurluberlu pour êtreécarté. Les républicains déploraient l’absence d’ungrand journal conservateur dans le paysage culturelde Washington : le révérend Moon, un multimilliar-daire consacra 100 millions $ au Washington Times.Gourou de l’Église de l’Unification, Moon se décritlui-même comme un nouveau Messie…l’ancienayant échoué, dit-il. En retour, ce journal est alimen-té par un accès privilégié à la Maison Blanche et laCIA. Ceux qui critiquent ou enquêtent sur l’engage-ment militaire voient leur vie passée au peigne fin.Si on trouve pas, on invente : ce journal accusaitClinton d’avoir été recruté par le KGB, lui attribuaitdes dizaines d’enfants illégitimes ; on affirmait que60 personnes de son entourage avaient disparumystérieusement...; le journal avait aussi lancé desrumeurs sur la santé mentale du démocrateDukakis10, comme si cette faune disposait del’équipement mental nécessaire pour juger des qua-lités intellectuelles d’autrui, etc.

Les fondations philanthropes vouées à la promo-tion des idées de droite forment aussi un réseauocculte qui écrase les groupes sociaux qui ont sou-vent un caractère local, manipule grossièrement encoulisse avec de l’argent déductible d’impôts :(Fondations Coors, Olin, Heritage, Instituts Cato,Hoover, American Enterprise, etc11. Des affairistesmilliardaires mécènes de l’ultraconservatismecomme Mellon (fortune bancaire, surnommé le pèrefinancier de la droite américaine12, 600 millions $ dedons en 30 ans), Coors (brasserie, tradition anti-

syndicale), Olin (fortune de l’industrie des muni-tions) etc., sont à leur fondement. L’HeritageFoundation, un think tank de 150 permanents13,fournit gratuitement des études au Congrès, auxmédias, sur les thèmes de la réduction des pro-grammes sociaux, le renforcement du budget mili-taire, la place centrale de la religion, la lutte contreles syndicats et leurs «privilèges»14. Ces fondationsfinancent le think tank conservateur comme leNational Empowerment Television, «la plus puis-sante arme de communication entre les mains del’ultra-droite15.» C’est ainsi qu’elle fournit du tempsd’antenne à la National Rifle Association (NRA) quiplaide pour le doigt sur la gâchette autant au niveaunational qu’au niveau individuel. La NRA alimentegénéreusement la caisse électorale républicaine etBush a retourné l’ascenseur en rétablissant la ventelibre d’armes semi-automatiques le 14 septembre2004. On finance des sites web contre l’impôt, le«tax and spend», on distribue gratuitement des mil-liers d’exemplaires de magazines conservateurscomme l’American Spectator, financé par Mellon quiattaquait l’administration Clinton. Ces think tanksconservateurs influencent le Congrès déjà formé engrande partie de Républicains. On finance aussi lemilieu universitaire, exigeant en retour la nominationde courtisans. Par les nominations partisanes, lesconservateurs tentent de contrôler les fonctions dejuge, la tête de la CIA et autres organismes.

Chacun pour soi : le culte du marché, le bon usageéconomiste de la morale

L’élite républicaine recrute dans la grande entre-prise ; Cheney venait d’Halliburton (pétrole), lessecrétaires au trésor venaient d’Alcoa, de CSX, etc.16

Une consanguinité vénale business-politique-militaireentretient un plaidoyer constant pour le renforcementdu budget militaire. Un messianisme du marché leprésente comme un mode de répartition des riches-ses juste a priori et source d’ordre spontané. Unemoralisation du travail accompagne une abolition desprogrammes sociaux, une élimination de la discrimi-nation positive (fin des quotas pour les minorités), unrefus des bien-nantis d’assumer les dommages col-latéraux d’un système qui les enrichit17, de la forcedécrétée impersonnelle du marché.

Michael Moore, dans Bowling à Columbine, a faitressortir ce caractère de «lyncheux de pauvres»des conservateurs pour qui l'aide sociale rend lespauvres paresseux et exigeants faisant baisser leréservoir de cheap labor18, d’échangistes dés-espérés prêts à accepter n’importe quoi. C’est le tra-vail à tout prix, le travail sacré, le travail moralisateur.Moore était conduit au Michigan où un enfant de sixans venait d’en tuer accidentellement un autre parballe. Sa mère, menacée d’expulsion de son loge-ment l’avait confié temporairement à son frère ; l’en-fant avait trouvé là une arme et l’avait apportée à l’é-cole19. Cette mère était contrainte à participer au programme aide-sociale-contre-travail géré là par

Lockheed Martin, un fabricant d’armes diversifiédans la guerre aux pauvres. Les conservateurs à laBush veillaient à la bonne santé morale de cettedame en l’obligeant à voyager 100 km par jour enautobus pour occuper deux emplois à temps partiel,dont un au restaurant du multimillionnaire Dick Clarkqui recevait des avantages fiscaux pour participer auprogramme tout en embauchant à un salaire minime ;malgré tout, elle ne joignait pas les deux bouts... Oùest la véritable cause efficiente dans la mort de cetécolier du Michigan? Toujours favorables à l’empri-sonnement des pauvres et des enfants20, la compas-sion conservatrice s’est dépassée et exigeait lapeine de mort pour l’enfant de six ans. À l’atrophie del’État social correspond une hypertrophie de l’Étatpénal.

Du bon usage de la peur : la consanguinité vénale business-politique-militaire

Les conservateurs cultivent et utilisent idéo-logiquement la peur, pensons au Patriot Act quisubordonne les droits de la personne à la sécurité.Les candidats à la présidence s’attaquaient surleurs qualités de commandant en chef et à savoirqui réduirait le plus les impôts. Kerry se glorifiaitd’avoir encore des éclats d’obus dans la jambe21…Eisenhower parlait déjà d’un complexe militaro-industriel qui faisait courir un danger à la démocra-tie. Ce détournement de la démocratie, drapé depatriotisme, s’appuie sur une culture de la peur.Comme pour la guerre du Vietnam, la guerre en Irakest fondée sur une grande différence entre les butsréels et les buts prétendus. «Depuis longtemps, ledroit international accepte les actions préemptiveset rejette les guerres préventives22. » La guerrepréemptive est assimilée à une riposte face à unemenace patente (par exemple la mobilisation de l’ar-mée), un geste posé en premier en légitimedéfense. Le fait que la décision ait été prise sanspreuve réelle de l’existence d’armes de destructionmassive23 menaçant de façon immanente les États-Unis change tout et fait de la guerre en Irak uneguerre d’agression. On a induit le Congrès en erreursur ce point de droit international : mentir auCongrès est passible «d’impeachment». Onalléguait aussi faussement que l’Irak cherchait à seprocurer de l’uranium au Niger24, qu’il alimentait Al-Quaida. Il demeure que les démocraties ont ledevoir de s’opposer aux dictatures par des actionscollectives, en commençant par l’isolement diploma-tique et commercial.

Les «hommes clés du Pentagone ou de laMaison Blanche ont tous un passé qui les relie aucomplexe militaro-industriel du pays25.» Le vice-président Cheney s’est enrichi comme ancien Pdgd’Halliburton26 qui a ramassé sans appel d’offre legros des contrats en Irak pour la reconstruction etpour pomper l’or noir. Bush père est un pilier du

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8 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité

groupe Carlyle qui détient des participations dans164 sociétés dont certaines s’enrichissent dansl’armement (chars et missiles). Exemple, en 2001United Defense Industries une filiale de Carlyle a obtenu un contrat de 12 milliards $ pour le programme Crusader. Le fils Bush profitera de lafortune du père…source de conflit d’intérêt. On noteaussi qu’un ancien vice-président de NorthropGrunman (bombardiers B2, F18) devenu secrétairede l’Air Force, etc. Tare congénitale qui se répandquand les ex-conseillers du pentagone deviennent àleur tour des lobbyistes du secteur militaro-industrielprivé et les font bénéficier de leurs connaissances«intimes». Le secrétaire d’État de Bush père, JamesBaker détient 180 millions $ dans Carlyle vendeurd’armes. Un ancien ministre de la défense deReagan, Franck Carlucci a dirigé Carlyle. Le désird’aller en guerre se confond avec le désir d’en-richissement de cette «élite» politico-financière27.Laurent note aussi que les États du Sud conserva-teurs regroupent le 1/3 de la population mais 42 %des soldats, 43 % des contrats d’armement etaccueillent 56% des troupes28. Pas étonnant que lespoliticiens-affairistes républicains fassent le plein devotes dans le sud «profond».

Finalement, Laurent rappelle que tout ce beaumonde forme une alliance bigarrée. Par exemple,le «révérend» milliardaire Moon graisse la droiteaméricaine tout en la qualifiant de «moisson deSatan». Ils peuvent se mépriser mutuellement,mais ils iront main dans la main tant qu’ils conti-nueront de manger au même râtelier, de s’enrichiroutrageusement d’une idéologie de broche à foin àbase de peur pour justifier le militaire, de condi-tionnement à des formes surannées de transcen-dance et d’une sociologie primaire qui plaide pourl’abolition des programmes sociaux en faveur d’unmarché non entravé, déréglementé soutenu par larépression. Un beau projet de société…Nouscourons collectivement un danger lorsque leshommes les plus puissants de la terre ont un rap-port au monde de type intégriste religieux.

1 LAURENT, Éric, Le monde secret de Bush, la religion, les affaires, les réseaux occultes, Plon, 2003

2 Seul le droit est compatible avec la dignité humaine. 3 Idem, p. 83 Ils ont exigé la nomination d’Aschroft comme

ministre de la Justice ; celui-ci dirigeait des organismes de ladroite chrétienne.

4 Ibid., p. 205 Ibid., p. 21 Laurent cite un expert des mouvements religieux

ultra-conservateurs, Chip Bertlet. 6 BERTEN, André, DA SILVERA, Pablo, POURTOIS, Hervé,Libéraux et communautariens, Paris, PUF, 1997, p. 252

7 Ibid., p. 778 À un petit déjeuner de prière organisé par Bush, J. Robinson, untélévangéliste texan racontait le plus sérieusement du monde àun auditoire et à un Bush attentifs la longue conversation qu’ilavait eu avec Dieu en route vers Dallas...

9 Ibid., p. 61. La compassion conservatrice est décrite par M. Ovalsky, «Tragédie de la compassion américaine». On y prônele démantèlement total du système de protection sociale, le

retour à la charité. Le droit social détruit l'harmonie sociale rendles pauvres exigeants, envieux, nie le principe de l’échange libre, du droit de propriété.

10 Olin Foundation et l’American Spectator de Mellon ont dépensédes millions $ à la télé, dans les journaux et même dans la publication d’un livre pour discréditer une jeune femme quiaccusait de harcèlement sexuel un juge conservateur de la Cour Suprême...Retour d’ascenseur, ce juge arrêta le recomptedes votes en Floride dans l’élection contestée de Bush qui gagnal’élection avec 337 576 votes de moins que son adversaire. Lafemme du juge fut engagée par l’Heritage Foundation dans ungroupe de travail préparant les futures nominations dans l’administration Bush.

11 Ici, l’Institut économique de Montréal a aussi le statut d’organisme charitable…

12 Il finance l’aile droite du parti Républicain. Il avait donné un million en 344 chèques pour la campagne de Nixon de 1972.

13 ST-ONGE, Claude, L’imposture néolibérale, Écosociété, 2000, p. 25. 14 Elle a fourni la base en 20 volumes de l’idéologie de la révolution

conservatrice de Reagan Mandate for Leadership un manifestenéolibéral en réalité. Notamment, justification des coupures mas-sives dans les programmes sociaux sans oublier guerre des étoiles.

15 Laurent, op. cit., p. 3716 Lynn Cheney femme du vp américain est un pilier de

l’American Enterprise Institute, qui sert de «vivier à George W. Bush pour constituer son administration».

17 Ibid., p. 31, p. 59. Par exemple l’Olin Foundation payait lesjournalistes jusqu’à 1 500 $ pour assister aux séminaires d’un

certain Murray, auparavant inconnu, qui enfourchait la vieillepicouille idéologique affirmant que la pauvreté a une causegénétique et non socio-économique.

18 Dernière statistiques officielles, il y a 35,9 millions de pauvresaux USA soit 12,5 % de la population.

19 réf. Bowling à Columbine. Manipulation grossière : dans les joursqui suivirent la National Rifle Association fit dans la ville dudrame une réunion publique ou Charlton Heston (Moïse) soulevait la foule avec ses slogans éculés assimilant le libre portd’armes à feu à la défense de la liberté.

20 Compassion républicaine : de façon générale les conservateursaméricains se soucient peu du mauvais traitements des prison-niers, ils pensent que cela les empêche de récidiver. Bushcomme gouverneur accordait des privilèges aux prisonniers quise convertissaient au christianisme et assistaient aux offices, tantpis pour les autres qui refusaient de «voir la lumière».

21 En 2002, les dépenses mondiales en armement ont détourné 894 milliards $ d’un meilleur usage pressant

22 Les mensonges, les faux rapports, les interprétations abusives, lesdissimulations sont décrits en détail par DEAN, John W., Bush, le dossier accablant,Pire que le watergate ! Paris, Presses de laRenaissance, 2004, p. 21

23 Arsenal nucléaire en constitution, armes chimiques etbiologiques couplés à la technologie balistique des missiles, desavions sans pilote, etc. Dean, op. cit p. 220et 225. Les affirmationsde Bush semblaient crédibles venant d’un commandant en chefd’un appareil de sécurité nationale coûtant 400 milliards $ ÉUpar année : «il s’agissait d’un effort calculé et délibéré pour fourvoyer le Congrès» p. 228

24 Bush, dans son discours sur l’état de l’Union alléguait que l’Iraks’était procuré de l’uranium en Afrique. Joseph Wilson, unancien ambassadeur, qui avait été chargé d’une mission pourvérifier cette question a contredit Bush l’obligeant à se rétracter.Par vengeance, l’identité de sa femme, Valerie Plame Wilsonagent secret de la CIA, a été révélée alors qu’elle était en missionce qui a mis sa vie en danger.

25 Laurent, op.cit., p. 16526 Il a quitté Halliburton en vendant 30 millions $ de titres juste

avant que la valeur boursière ne pique du nez…pour des ques-tions de surfacturation, de poursuites gigantesques de la part devictimes d’amiantose. Il bénéficiait d’informations privilégiées.Laurent p. 186-192

27 Éric Laurent décrit longuement les nombreux conflits d’in-térêts dans La guerre des Bush, Les secrets inavouables d’unconflit, Paris, Plon, 2003. Voir aussi LOROT, Pascal, À qui profite la guerre ? Éditions 1, Paris, 2003.

28 Laurent, Le monde secret de Bush, op. cit., p. 102

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Éditorial

Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité 9

permettre de profits plus que normaux (on promettaitle contraire aux actionnaires). Que la concurrencerègne ! En réalité les dominants savaient que la con-currence ne pourrait être durable, qu’en état de déré-glementation, des lignes ça peut se contrôler, qu’avecde l’argent, ce qui reste de lois peut être vidé de toutesubstance par un lobbying auprès des politiciens dedroite. Ils se souvenaient que sous Carter, la déré-glementation des lignes aériennes avait d’abord faitbourgeonner de nouvelles compagnies mais que laplupart n’avaient pas survécu. Finalement, lesgrandes compagnies s’étaient partagées les aéro-ports : elles ont d’abord baissé brutalement les prix letemps d’éliminer les concurrents, elles les ont remon-tés ensuite profitant d’un état de déréglementation.Leur taille combinée à leurs stratégies de fermeturedu marché les mettaient ensuite hors de portée. Peut-on dire que ce sont les moins efficaces qui ont étésortis de ce marché ou empêchés d’entrer ? La con-currence, l’égalité d’accès au marché et à l’informa-tion n’existent pas spontanément : la réglementationdoit policer ce rapport de force qu’est le marché pourl’orienter vers l’intérêt général.

D’ailleurs, dans le secteur des télécommunica-tions, les gros joueurs ont porté un jugement douteuxsur l’envergure de la demande et ont continué d’inve-stir malgré un état de surcapacité devenu notoire ;c’est que là aussi on espérait éliminer les concurrentspour ensuite, non seulement rentabiliser, mais sepayer la traite. Car l’important est de s’installer enpremier dans une position de quasi-monopole, separtager la tarte et de bloquer l’entrée à la concur-rence. Les levées de fonds furent massives, une sur-capacité ahurissante en est résultée. En 2002 seule-ment aux États-Unis, dix milliards $ sont partis enfumée dans le sans-fil6 et les 65 milliards $ investisdans le téléphone de 1997 à 2001 avaient fondu à 4 milliards $.Vingt trois compagnies en faillite dont cellede WorldCom qui fut la plus grosse de tous les temps.En tout, deux milles milliards $ d’actifs boursiers éva-porés7. Efficience, discipline des marchés : ce n’estpas un peu cher pour trouver supposément paressais et erreurs le meilleur usage des ressources ?Historiquement, les économies centralisées commela Chine et l’URSS ont gaspillé énormément. Stiglitzmentionne que c’est justement parce que le marchéet l’État sont si souvent défaillants qu’il faut les fairecoopérer. Certains croient que la chute du socialismeéquivaut au triomphe du capitalisme…Un équilibredifficile à trouver, la Russie démontre l’échec duplanisme aussi bien que du laisser-faire : dans soncheminement hâtif vers le libre marché, elle a souffertd’un stupéfiant déclin de plus de 40 % de son PIBdepuis 10 ans et le nombre des citoyens vivant sousle seuil de pauvreté est passé de 2 millions à 60 mil-lions8, tout en créant une poignée de riches.

Comme résultat de cette pseudo-liberté, ce surin-vestissement est étonnant mais le côté le plus som-bre est le sousinvestissement ; à côté des cas où lemarché s’implique mal, il existe ceux où il refuse des’impliquer. Les lobbies travaillent à l’avènement dumarché non entravé, à l’élimination du secteur pu-blic, mais la demande de ceux qui n’ont pas d’argentest jugée inexistante, elle n’intervient pas dans la fix-ation des prix, elle n’entraîne pas d’offre privée alorsque le marché arrose de luxe superflu les riches.Dans le néolibéralisme l’individu n’accède aux biensque par l’échange, aucun accès garanti aux bienspremiers. Les pharmaceutiques n’investissent pasdans les maladies qui affectent les pays pauvres.Les maladies infectieuses sont responsables de

43 % des décès dans les pays du tiers monde, con-tre 1 % dans les pays riches9… Le cas du sida enAfrique est bien connu. Aux États-Unis, il a fallu sup-pléer au marché dans l’accès à la propriété en créanten 1968 la Federal Mortgage Association pour con-sentir des prêts hypothécaires. L’histoire de Microsoftest éloquente sur l’incapacité du marché à contrerpar lui-même les monopoles. Stiglitz rappelle notam-ment la petite amende de 100 millions $ et l’empri-sonnement des dirigeants dans le cas de ArcherDaniels Midland et les ententes secrètes dans lalysine et l’acide citrique10. Ici, le Bureau de laConcurrence obtient régulièrement des condamna-tions. Laisser la cupidité devenir le principe organisa-teur de notre société comporte aussi des risquesénormes pour l’environnement. Exemple récent, lesdéchets électroniques contenant du plomb, mercure,arsenic finissent dans l’eau. Comme dans d’autresproduits, les compagnies considèrent la demandepour les ordinateurs mais se lavent les mains desdéchets, effet pervers de leur enrichissement.Imaginez si on faisait la bêtise de croire à l’autodisci-pline du marché à laquelle nous convient les patrons,leurs chambres de commerce, leurs «instituts», etc.

Le règne de la cupidité : la subordination de l’organisationsociale aux profits des compagnies

Stiglitz, qui a été économiste en chef de laBanque Mondiale note que l’économie mondiale esten train de se transformer en faveur du profit desgrandes entreprises. Linda McQuaig11, rappellequ’un des grands pas dans l’instauration de la cupi-dité comme principe d’organisation de notre sociétéa été la signature de l’Aléna appuyé sur le dogme dela libre circulation. Cet accord comporte son proprecadre juridique transcendant ceux des pays partici-pants et dans lequel seuls les droits des investis-seurs sont considérés. Il en résulte un modèle d’éco-nomie internationale où les compagnies prédomi-nent sur les États. Les gouvernements ne sont plusen mesure de protéger leurs citoyens. Ils ne peuventplus refuser l’accès à des entreprises étrangères quipolluent sans devoir les compenser pour perte deprofit, serait-ce même le refus de recevoir un dépo-toir de produits toxiques12. Capitulant sans condition,Ottawa qui refusait le MMT, un additif à l’essence,sur son territoire, a payé 19 millions $ à Ethyl Corp.pour perte de profits. «Les grandes compagniesétrangères n’ont qu’à démontrer qu’elles auraient pufaire beaucoup plus d’argent si les gouvernementsn’avaient pas dressé des obstacles sur leur route,comme des décrets relatifs au zonage ou des loissur la protection de l’environnement13. » Ces lois bri-ment l’intérêt collectif au bénéfice de l’intérêt parti-culier. La Commission des droits de l’homme del’ONU n’a aucun moyen de faire appliquer ses déci-sions, mais une multinationale étrangère peutobtenir promptement des millions $ du tribunal del’Alena pour perte de profits quand une municipalitélui refuse d’ouvrir un dépotoir de produits dangereux.Cela témoigne d’une société où le droit au profit pré-vaut sur les droits collectifs où la cupidité règnecomme principe organisateur. Par exemple, le gou-vernement américain qui défend ses multinationalesrefuse l’adhésion au protocole de Kyoto et àl’Organisation internationale du Travail…

Le jour est proche où les programmes gouverne-mentaux dans la santé, l’éducation, les postes, etc.seront vus comme des monopoles coupables d’en-traves aux profits des compagnies étrangères. Face

à Poste Canada, «UPS a jeté à la face du Canadaune poursuite de 230 millions $ en dommages etintérêts pour son manque à gagner dans les mes-sageries14. » Évidemment, ces compagnies laisséesà elles-mêmes ne répondront qu’à la demande sol-vable : un service postal privé se bornerait auxgrandes villes, les compagnies du domaine de lasanté ne traiteront que les maladies rentables, leursprogrammes d’éducation ne s’adresseront qu’auxriches. Quant aux pays pauvres, le FMI et l’OMC sechargent déjà de les obliger à restructurer «leursinstitutions et leurs lois afin qu’ils puissent fournir unterreau fertile où pourront prospérer les investisse-ments des compagnies étrangères15. » Dans la crisedu sud-est asiatique, Stiglitz démontre comment lespays riches ont forcé les pays asiatiques à ouvrirleurs frontières aux capitaux occidentaux, ontarrosés leurs banques de capitaux spéculatifs pourensuite faire payer aux peuples déjà démunis ladéconfiture de ces banques au nom de la préserva-tion du système financier international.

Les leçons des hommes d’affairesaux gouvernements : l’invitation à la frugalité

Marché non entravé, qu’arrive-t-il aux rémunéra-tions des dirigeants quand on laisse faire ? Dans lesannées 1990, la rémunération moyenne des hautsdirigeants américains s’est accrue de 442 % en huitans pour atteindre des niveaux inouïs. Écart abyssal,en 2000, le PDG américain a gagné 500 fois plusque le salarié moyen16. Là, les salariés représententplus que 92,5 % de la population active et le salairemoyen réel n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’en1973, situation pire chez les 20 % des travailleurs dubas de l’échelle dont les salaires réels ont fléchi de9 % de 1973 à 199717. Les plans de retraitepharaoniques constituaient aussi une façon pour lesdirections d’en passer une «petite vite» aux action-naires (qui sont par ailleurs trop passifs). Évidem-ment, ils ne disaient pas qu’avec la bulle boursièreles hausses avaient peu de choses à voir avec leurgestion. Cas parmi d’autres, les jets privés, subven-tionnés qui utilisent à vil prix les infrastructurespubliques pour transporter les capitaines d’industriesà leurs réunions, à leurs vacances.

L’intervention redistributrice la plus combattue parle gros argent arrogant, les impôts : qu’arrive-t-ildans ce domaine si on laisse faire ? Aux ÎlesCaïmans, 50 000 compagnies, 600 banques, 500compagnies d’assurance enregistrées pour 40 000habitants… Le laisser-faire en relation avec les par-adis fiscaux fait que les «deux tiers des compagniesaméricaines n’ont pas payé d’impôt fédéral sur leursprofits entre 1996 et 200018», un transfert cumulatifde l’ordre de 5 000 milliards $ dans les paradis fis-caux des caraïbes. Ici, Sheila Fraser, la vérificatricegénérale, mentionnait qu’en 2001 seulement, nosbons affairistes canadiens ont transféré 38,7 mil-liards $ dans le trio Barbade, Bermudes, Bahamas19.Ces riches profitent au maximum des servicespublics sans payer leur cotisation. Des gens qui ontpayé leurs impôts meurent sur les listes d’attentedes hôpitaux pendant que ces voleurs se torchentavec le contrat social. Sans parler du fait que ? de1 % des contribuables canadiens (les plus riches)bénéficient de la moitié du 4,5 milliards $ annuelsque coûte l’exemption de 50 % des gains de capi-taux20, mais ce n’est pas assez…

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Éditorial

10 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité

L’information est nécessaire à la gestion optimaledes ressources. Les directions se sont versés desfortunes en options d’achat d’actions à bas prix :80 milliards détenus par des cadres aux États-Unis àla fin de 2002 : la rémunération en stock options duprésident de Citigroup atteignait 224 millions $ pourl’année 200021. Les actionnaires payaient les distri-butions de stocks options aux directions du prixd’une dévalorisation de leurs actions mais comme lecours des actions montaient, cette baisse pourtantréelle était noyée dans la hausse. Chut ! Chut ! Neréveillez pas les naïfs qui dorment au gaz. Quand lesvictimes sont consentantes et que les gouverne-ments n’ont pas de volonté, le vol n’est pas du vol,c’est le temps d’en profiter. Mais le pire, c’est que lesstock-options formaient un système incitatif derémunération exclusivement tourné vers le courtterme avec tout ce que cela entraîne comme gestionà courte vue et comme volatilité. Plus personne n’estintéressé à créer de la valeur à long terme, la cibledevenant le cours boursier à court terme. Ainsi, ledésir d’augmenter artificiellement le cours desactions conduisait les compagnies à emprunter pourracheter leurs propres titres (500 milliards $ derachat en dix ans22). Après ces exemples colossauxde gaspillage de ressources, ces «cerveaux finan-ciers» donnent encore des conseils «désintéressés»à l’État.

Le marché non entravé et lesconflits d’intérêt

Parmi ceux qui se targuent de nous dire ce queles choses valent vraiment, il faut mentionner lesbanquiers en cravate, les courtiers, les analystes,etc. En 1990, avec la vague néolibérale et la déré-glementation, un conflit d’intérêt a pu s’épanouir,notamment par l’élimination de la séparation entreles banques commerciales et les banques d’af-faires23. Les fonctions d’analyse, de conseil, d’intro-duction en bourse, de montage de regroupements,de vente d’actions se cumulaient. Derrière un ana-lyste qu’on croyait neutre se dissimulait un vendeurde chars usagés avec ses informations partielles, lescourtiers réservant les bons deals aux sociétés deplacements de leur groupe.

Les analystes, les courtiers ont enfilé leurslunettes roses et ne tarissaient pas de recommanda-tions « achat très conseillé». Une fois connu lesscandales et trois mois avant sa faillite, WorldComrecevait encore la cote «à acheter»... À la veille de lafaillite d’Enron, 85 % des analystes de Wall Street

recommandaient candidement l’achat, trois grandesagences de cotation la classait BBB + soit moins de4% des chances de faire faillite24. Six mois avant leurdébâcle, les 70 entreprises cotées ayant fait failliteen 2002 faisaient l’objet d’une recommandation posi-tive à 55 %25. Leur éthique les retenait-il de recom-mander Enron avec ses 3 000 filiales dont 700enregistrées en paradis fiscaux, «693 auxCaïmans26». Pour les banques d’affaires, regrouperdeux firmes de deux milliards $ pouvait rapporterune coquette commission de 300 millions $. Et lesfusions n’ont pas manqué27. La présence de multi-ples entreprises n’est plus synonyme de concur-rence mais de structure trop «fragmentée».

Une banque d’affaire pouvait facturer 100 millions $pour s’occuper d’une émission d’actions et donner unkick back de 10 millions $ aux dirigeants qui lui avaientconfié l’affaire. L’Attorney général de New-York a trou-vé cela anormal et a fait cracher 1,4 milliards $ d’amende aux banques… Stiglitz raconte que les lob-byistes, les courtiers en mal de commissions ont vudans la bulle boursière l’occasion d’organiser descampagnes dénigrant les faibles rendements, pour-tant sécuritaires, de la Social Security, la caissepublique de retraite créée en 1935 et qui a évité lapauvreté à tant d’Américains. À force de grenouillage,les compagnies ont obtenu un allégement des règlesrégissant les fonds de pension privés et la privatisa-tion partielle de la caisse publique. Pourtant, uneétude ne portant que sur les 348 entreprises du S&P500 proposant à leurs employés des régimes àprestations déterminées a montré un sous finance-ment de 458 à 638 milliards $28. Négligeant la pre-mière règle en placement, celle qui prescrit de ne pasmettre tous ses œufs dans le même panier, le fondsde pension des employés de Procter & Gamble étaitplacé à 94,7 % dans les actions de la compagnie29.

Les banques ont fait l’hypothèse que lesdinosaures créés par leurs capitaux étaient tropgros pour faire faillite. Elles ont ouvert les vannes,elles ont soutenu Enron jusqu’au boutte ! Sa faillitea laissé un cratère de dettes impayées de 60 mil-liards $. Dans le regroupement AOL-Time Warner(165 milliards $ ÉU) on avait vu des synergies quin’existaient pas. Le comptable a passé une petiteécriture de radiation de 99,8 milliards $ dans lesécarts d’acquisition en revenant de son break unbel après-midi de 2002 (deux fois le PIB de laHongrie). WorldCom avait fait 75 acquisitions en 5 ans, 80 milliards $ dont 51 milliards $ financés par

émission d’actions. Les actionnaires se sont renduscompte trop tard qu’un petit incorporel de 50 mil-liards $ au bilan correspondait à du vent. GlobalCrossing…(fondation en 1997, faillite de 12,4 mil-liards $ en 2001) avait réussi à emprunter envitesse 10 milliards $ pour bâtir un réseau de fibresoptiques de 160 000 km30. Tant pis pour ceux quiavaient travaillé des années pour mettre ça dansleur fonds de pension. Amateurs de placementssolides, pensez qu’au 31 décembre 2002, les good-wills équivalaient à 54 % des capitaux propres del’ensemble des entreprises non financières del’indice SBF 12031.

L’insuffisance de l’égoïsme,l’échec du laisser-faire : pas l’État minimal, l’État optimal

«Si l’on compare les données des années 1960et 1970, quand l’interventionnisme gouvernementalde type keynésien était à la mode, à celles des 20 années de politiques promarché qui ont suivi, onvoit que la croissance était plus forte presquepartout au cours de la période de typekeynésien32. » Sans compter que la croissancerécente est moins bien répartie. «Une grande partiedes gains réalisés au cours des dernières années aété accaparée par le petit groupe de privilégiésinstallé au sommet33…» Le chômage récent estaussi mal répertorié : le temps partiel, les retraitesprématurées du marché ou les entrées retardées,le faux travail autonome, le travail bénévole forcécachent le chômage. Les scandales financiersvécus dans la dernière décennie ne sont pas depetits accrocs égoïstes dans une machine bienhuilée et tournée vers l’intérêt général. C’est leprincipe de la suffisance de l’égoïsme qui est bala-yé. Des intérêts puissants et organisés font toujourspression pour que les règles soient laxistes et lagouvernance d’entreprise faible. Le citoyen est lasynthèse de l’individuel et de l’universel : le passagede l’homme au citoyen exige justement une ascèsede la cupidité. Le travail et les connaissances sontsocialement divisés, nous nous devons d’être spé-cialisés pour être utile au tout avec les risques quecela comporte. Le marché, ou l’échange pur commemode d’accès aux biens ne peut honorer sesengagements face à ces risques, ses zélateursrefusent d’ailleurs d’assumer les effets pervers dece mode d’organisation qui le sert. L’État doit êtreprésent pour réglementer un rapport de force quipourrait écraser une partie de la population. L’Étatdoit être optimal et non minimal.

1 STIGLITZ, Joseph E. Quand le capitalisme perd la tête, Fayard, 2003.L’auteur est prix Nobel d’économie.

2 Ibid., p. 123 Comme si l’égalité des chances était présente au départ…Toute

inégalité réelle est inacceptable s’il n’y a pas eu au départ égalitédes chances. Chaque individu a un droit égal à utiliser sa libertépour poursuivre les buts qu’il a choisi. La notion de droit égal estune farce sans égalité des chances.

4 EWALD, François, L’État-providence, Livre III, «Du risque profes-sionnel au risque social. Le contrat social de solidarité», pp.223 etsuiv. Paris, Grasset, 1986

5 POLANYI, Karl, La grande transformation Aux origines politiques etéconomiques de notre temps, Éditions Gallimard, Bibliothèque dessciences humaines, 1983, original 1944.

6 En partie dû à la fragilité des incorporels au bilan : en Europe, aubeau milieu de la folie des acquisitions, un abonné au sans fil sevendait 5 000 euros ex. dans l’acquisition de la britanniqueOrange par France Télécom, PASTRÉ, Olivier, VIGIER, Michel, Le capitalisme déboussolé, La Découverte, 2003, p. 74

7 Stiglitz, op. cit., p. 1328 McQuaig, op. cit., p. 1089 PIGNARRE, Philippe, Le grand secret de l’industrie pharmaceutique,La Découverte, 2003, p. 121

10 Stiglitz, op. cit., p. 14611 McQUAIG, Linda, Le grand banquet, la suprématie de la cupidité et

de l’appât du gain, Écosociété, 2003. L’auteure est chroniqueure auToronto Star.

12 Ibid., Chapitre 2.13 Ibid., p. 8114 Ibid., p. 8915 Ibid., p. 9716 Par exemple, Ebbers de WorldCom s’était versé un salaire de

142 millions $ en 1999. Un petit prêt avec ça ? Pourquoi pas, quedire de 408 millions $ ? Stiglitz, op. cit. p. 216. John Roth deNortel avait gagné le salaire de 1000 infirmières en 2000 tout enmenant pratiquement sa compagnie à la faillite. Mc Quaig, op.cit., p. 277.

17 McQuaig, op. cit., p. 16218 GURTNER, Bruno, «Tax havens, loopholes let corporations pay

little or no taxes», The CCPA Monitor, oct 2004, p.1, Microsoft n’apas payé d’impôt fédéral en 1999 sur un profit de 12,3 milliards $EU.

19 ALEPIN, Brigitte, Ces riches qui ne paient pas d’impôts, Éd. Du Méridien, 2004, p. 148

20 STANFORD, Jim, «My favourite scandals», The CCPA Monitor, oct 2004, p.6

21 VÉRON, Nicolas, AUTRET, Matthieu, GALICHON, Alfred,L’information financière en crise, comptabilité et capitalisme, Odile Jacob, 2004, p. 154

22 PASTRÉ, Olivier, VIGIER, Michel, Le capitalisme déboussolé,La Découverte, 2003, p. 60

23 Pastré et Vigier, op. cit., p 72. Pour les 3 premières grandes banques d’affaires américaines 69,4 milliards de profit en 2000 ;137 000 employés avec une rémunération moyenne de 236 000 $US. ( Pastré a dirigé plusieurs banques d’affaires.)

24 Ibid, p.175.25 Ibid., p. 7726 Pastré et Vigier, op. cit. p. 1727 En 2000, 5 000 opérations pour 3 500 milliards $ à l’échelle

mondiale. Ibid., p. 7228 Stiglitz, op. cit., p. 24329 Pastré et Vigier, op. cit., p. 14230 Ibid., p. 5431 Véron, Autret et Galichon, op. cit. p. 14232 McQuaig, op. cit., p. 10633 McQuaig, op. cit., p. 143

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Contes et comptes du prof Lauzon

Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité 11

Les vilains cols bleus de Montréal et les méchants fonctionnaires du Québec

Les vilains cols bleus de MontréalPour certains, le principal fléau au Québec qui

nous afflige et qui nous empêche tous d’être heureuxet de nous épanouir, c’est depuis toujours les colsbleus de la ville de Montréal. Tout le monde sait ça,qu’à côté des cols bleus, les terroristes américainssont des enfants de cœur et les Hells Angels des boysscouts. Par exemple, les éditorialistes et leschroniqueurs de La Presse sont littéralement hantéset obsédés par les Cols bleus de Montréal, commeFrançois Cardinal, cette guirlande intellectuelle, qui,lors de sa chronique du 21 octobre 2004 intitulés«Laissez-les hurler!», s’est déchaîné sur les Colsbleus de Montréal en terminant son texte ainsi : «Il estgrand temps de donner la priorité au bien communplutôt qu’à une poignée de privilégiés». Si jeune et àla fois si lamentable et si pitoyable. Pour lui et sesacolytes, les pétrolières, les banques, SNC-Lavalin,Air Canada, Bombardier et Power Corp., qui est à lafois dans le pétrole, l’eau, la santé, l’électricité, lesautoroutes représentent le zénith en termes de biencommun. Si les Cols bleus sont des privilégiés à 35 000$ l’an, que sont alors les dirigeants d’entrepris-es avec un salaire moyen de 4.5 millions$ en 2003,les juges à 250 000$, les médecins spécialistes à 400 000$ et les journalistes de La Presse qui gagnentau moins le double des Cols bleus, qui ont la semainede quatre jours, qui ont un horaire de travail très flexi-ble et qui ont des avantages sociaux à faire rêver tousles travailleurs de la terre, incluant les Cols bleus? Jesais bien que je ne devrais pas, mais je me surprendsparfois à rêver au jour où Power Corp. Donnera, aunom du «bien commun», ses journalistes en sous-traitance à des pigistes, juste pour voir les moyens depression que ces «privilégiés» utiliseraient et justepour avoir l’immense plaisir de les entendre «hurler».

D’ailleurs, ils pourraient difficilement critiquer lasous-traitance, la privatisation, les fameux partenari-ats public-privé et le dégraissage car tout cela est faitau nom du bien commun, que nous disent nos élus etnos journalistes, et surtout pas au nom du bien trèspersonnel de nos affairistes. Ben non, ce sont desamis qui nous veulent tous beaucoup de bien. C’estpourquoi ils veulent gérer en notre nom nos prisons,nos hôpitaux, nos écoles, nos aqueducs, nosautoroutes, nos garderies, notre électricité, notretransport en commun, etc.

C’est quoi le problème au juste avec les cols bleus?Tabarouette, leur salaire annuel moyen est d’environ35 000$. Est-ce vraiment exagéré? Naturellement,pour certains politiciens, journalistes, affairistes etéconomistes, c’est définitivement trop, même s’ilsseraient eux-mêmes incapables de vivre avec un telsalaire annuel. Il faudrait les ramener à 20 000$ parannée. Après tout, ce ne sont que des travailleurs ordi-naires qui n’ont pas étudié longtemps et il est injustede les payer 35 000$ par année alors que les pigistes

de La Presse, les «associés» de Wal-Mart, les sous-traités de Bombardier et de Bell Canada, et lesesclaves modernes qui peinent dans les soins à domi-cile, les garderies, les stations-service d’Esso, dans letextile et dans l’entretien ménager font à peine 20 000$ par année. Voilà, en termes d’équité avec lesautres travailleurs exploités et avec les générationsfutures, normalisons vers le bas et surtout pas vers lehaut du salaire des médecins, des juges, desdirigeants et des administrateurs d’entreprises, despoliticiens et des journalistes.

Alors que l’on connaît une croissance économiquefulgurante depuis 1990 qui ne s’est jamais vue depuisla fin de la deuxième guerre mondiale, que la richessecollective nous sort par toutes les extrémités du corpshumain, que nos gouvernements se sont privés volon-tairement de recettes fiscales au profit des dodus de lasociété et qu’il les a inondé de baisses d’impôts etd’abris fiscaux tout en se faisant complices de leursfraudes fiscales généralisées dans les paradis fiscaux,voilà que pour solutionner la précarité permanente desfinances publiques créée et entretenue de toutespièces par ces derniers, voilà qu’ils s’en prennent ets’acharnent sur les travailleurs du réseau public en lesdiabolisant, en les ridiculisant, en les méprisant et enles faisant passer pour des profiteurs et des gras dursdu système. Je vomis ces lâches, comme le ministrelibéral des affaires municipales Jean-Marc Fournier qui,dans un article du Journal de Montréal, daté du 17 avril2004 et intitulé «Le ministre Fournier veut examiner lessalaires plus élevés au municipal» a invité les élusmunicipaux à couper sur les salaires de leurs employésà défaut de verser aux municipalités plus d’argent ou deleur fournir de nouvelles sources de revenus. Imaginez,faut couper selon cet abruti dans le gras du salaire descols bleus à 35 000$, par année et surtout pas danscelui des juges, des médecins, des politiciens et desprofessionnels qui gagnent annuellement entre 100 000$et 500 000$. Non, il est bien plus facile de s’en prendreaux travailleurs les plus vulnérables de la société plutôtqu’aux notables à qui il a versé récemment de plan-tureuses augmentations de salaires, comme aux jugeset aux médecins spécialistes.

Oui, madame la duchesse, le parti libâral du Québecest une succursale du patronat et met religieusementen application leurs très sages recommandationscomme en fait foi cet article de Kathleen Lévesque duDevoir daté du 4 octobre 1996 et titré «Réduisons lessalaires de 18%. Les gens d’affaires proposent leursremèdes aux maux de la métropole».Vous voulez con-naître c’est quoi les fameux remèdes de nos affairistes,eh bien, les voici, tels que signalés au premier para-graphe du dit article «La communauté d’affaires deMontréal entend contribuer (sic) à l’assainissement desfinances montréalaises en recommandant entresautres la privatisation de services municipaux (sic)combinée à une diminution de 18% du salaire des

fonctionnaires (sic)». Cet article datant de 1996 illustreà quel point la précarité des finances publiques tant aumunicipal qu’au provincial est consciemment maintenupar nos politiciens et nos affairistes afin de créer unénorme problème artificiel qui ne peut évidemment êtrerésolu selon eux que par la sous-traitance, la privatisa-tion, les partenariats public-privé et le charcutage enrègle des conditions de travail des commis d’État. Çaprend vraiment des écoeurants, eux qui gagnent desmillions par année en salaires et qui fraudent l’impôt àtour de bras, venir nous suggérer, au nom du «biencommun» et du mieux-être des générations futures, de«choper» le salaire des fonctionnaires à 35 000$ parannée et de leurs céder, par le biais de la privatisation,nos services publics afin de les enrichir encore plus. Ceque les affairistes ont proposé en 1996 est une copieconforme du programme et des politiques adoptésaujourd’hui par «leur» gouvernement libéral du Québecavec leurs hommes et leurs femmes de mains que sontMonique Jérôme-Forget, Michel Audet, Sam Hamad etle très sublime Jean Charest.

Voici le titre de l’article de Michel Larose du 6 octo-bre 2004 paru dans le Journal de Montréal : «Haussesde 8.5% sur six ans». Le journaliste débute son texteen écrivant ceci : «L’arbitre Gilles Lavoie a consentides augmentations salariales de 8.5% aux cols bleusde Montréal réparties sur six années». Sacramouille,faudrait donner un cours d’économie de base au ditjournaliste, car avec des taux d’inflation qui oscillententre 2.5% et 3% l’an, ce n’est pas une augmentationde salaire qui a été consentie aux cols bleus mais belet bien d’une importante diminution de salaire qui leura été imposée. 8.5% d’augmentation sur 6 ans, ça fait,si mes calculs sont bons, 1.4% par année alors que letaux d’inflation annuel est le double. Tabarnane, çaprend pas la tête à Papineau pour comprendre quec’est une diminution de salaire réelle que l’on veutimposer aux cols bleus et que dans six ans, à l’expi-ration de leur contrat de travail, ils deviendront alorsdes «working poors». Exactement ce que lesaffairistes voulaient en 1996 et que le parti libâral duQuébec a entériné avec son «cheuf» Jean Charest,dixit la baloune gonflée à l’hélium. Oui, nos exploiteursveulent un réservoir de «working poors», d’esclaves etde miséreux. Pour que le néolibéralisme fonctionne àleur goût, cela est non seulement souhaitable mais belet bien nécessaire.

Il est espérer que les cols bleus n’accepteront pascette forme d’exploitation que l’on veut leur imposer.Pas seulement en leur nom, mais pour les milliersd’autres travailleurs syndiqués ou non qui seront affec-tés négativement dans leurs propres conditions de tra-vail. En fait, c’est au nom du «bien commun» qu’ilsdoivent résister, ce qui les rendra encore plus hono-rables, quoique les trou-de-culs disent et prétendent.

Suite à la page suivante

par Léo-Paul [email protected]

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Contes et comptes du prof Lauzon

12 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité

Au tour des fonctionnaires duQuébec de passer au tordeur de la réingénierie de l’État

Dans leur vision de l’État allégé, modernisée etadaptée, les libéraux du Québec et les affairistesvoient en les commis de l’État un autre gros problèmeet un obstacle à leurs fins particulières qui empêched’enrichir l’infime minorité de la population composéedes opportunistes et des ex-politiciens et qui appau-vrit la majorité. Naturellement, les solutions qu’ils proposent, ou devrais-je dire qu’ils imposent, sont tou-jours les mêmes, soit la sous-traitance, les partenari-ats public-privé, la privatisation et la baisse de salairesdes fonctionnaires, toutes des mesures qui profitentau gratin au détriment du crottin!

Commençons par le commencement, avec le titrede cet article de Konrad Yakabuski du Devoir daté du18 mai 1995, oui, de l’année 1995 : «Les employés del’État à la queue de l’ensemble des salariés québé-cois». Telles sont les conclusions d’une étude del’Institut de la statistique du Québec, qui est loin d’êtreun organisme syndical ou de gauche, qui portait sur lacomparaison du salaire et des avantages sociaux duprivé et du public. Puis, attachez bien votre tuque etvotre capine, car j’ai pour vous le compte-rendu d’uneautre recherche de l’Institut de la statistique duQuébec rapportée dans un article du Devoir, le 28novembre 2003, soit huit ans plus tard que la précé-dente et intitulée : «Salaire et rémunération : l’adminis-tration québécoise est en retard». Puis-je vous rappe-ler de nouveau mes amis que cela comprend lessalaires et les avantages sociaux des fonctionnairesde la province du Québec comparés aux autresemployés du public et à ceux du privé?

Qu’à cela ne tienne, même si les fonctionnaires duQuébec gagnent moins que dans le privé, l’actuel gou-vernement libéral, dans son obsession idéologique denous délester encore plus de nos biens et de nos ser-vices publics au profit des affairistes à qui il est rede-vable, veut se débarasser de ces derniers en faisantappel à la sous-traitance et aux partenariats public-privé. Grandiose projet de société, les mots me man-quent. Et même si les employés de l’État du Québecgagnent moins que dans le privé et ont un salaireannuel moyen d’à peine 30 000$ par année, l’infâmeactuel premier ministre du Québec Jean Charest et sabande de crosseurs, avec en tête la crosseuse enchef, Monique Jérôme-Forget, veut les éliminer afin demoderniser l’État, qu’ils nous disent. Et puis, ce mêmepetit minusque veut leur imposer le gel salarial pour lesdeux prochaines années, tel que rapporté dans l’articlede Denis Lessard et de Mario Cloutier de La Presse du16 juin 2004 intitulé «Québec dépose ses offres aux600 000 fonctionnaires des secteurs publics et para-publics». Et l’exploitation continue de plus belle avecen prime le démantèlement de nos services publics etla privatisation de nos instruments collectifs. Ben oui,les syndicats sont trop forts et le patronat trop faible.Les preuves sont faites et les jeux sont faits, rien ne vaplus pour la majorité. The show must go on.

Le «show» infect du mensonge et des menacesvéhiculés par nos exploiteurs doit continuer de plusbelle. On fait tout ça au nom du «bien commun» quenous disent les affairistes et leurs politiciens que leursfidèles journalistes, comme François Cardinal de LaPresse, s’empressent de relayer la «bonne nouvelle»aux zouaves que nous sommes pour mieux nousanesthésier, nous culpabiliser, nous monter les unscontre les autres et finalement nous soumettre.

Suite de la page 11

Les dernières études de la Chaire…

Les six principales banquescanadiennes

Cette étude a pour objectif principal dedocumenter empiriquement l’évolutionde la rentabilité du bénéfice net, desdividendes, des rachats d’actions et del’actif total des plus grandes banquescacadiennes pour les douze dernièrersannées, soit la période allant de 1992 à2003 inclusivement.

CESE, 39 pages, 10$

Les banques canadiennes etl’évasion fiscale dans lesparadis fiscaux

Dix milliards de dollars d’évasion fiscalefaite par les cinq principales banquescanadiennes dans les paradis fiscaux au cours des treize dernières années(1991-2003).

CESE, 32 pages, 10$

Une étude empirique surl’entretien hivernal des routesau Québec

La sous-traitance est abordée en fonction de certains aspects socio-économiques représentant des enjeuximportants pour la société québécoise.

CESE, 48 pages, 10$

Les six principales banquescacadiennes

Période de 12 ans : 1992 à 2003

Étude

Léo-Paul LauzonMarc Hasbani

Denis Gendron2004

Les banques canadiennes etl’évasion fiscale dans

les paradis fiscaux

Étude

Léo-Paul LauzonDenis GendronMarc Hasbani

Novembre 2004

Sous-traitance

Étude

Denis Gendron

Septembre 2004

Pour vous procurer ces études, entrez en contact avec la Chaire au (514) 987-3000, poste 7841

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Environnement

Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité 13

« En effet, en tant que Brésilien, je m'élèverais tout simplement contre l'internationalisation de l'Amazonie. Quelleque soit l'insuffisance de l'attention de nos gouvernements pour ce patrimoine, il est nôtre. En tant qu'humaniste, cons-cient du risque de dégradation du milieu ambiantdont souffre l'Amazonie, je peux imaginer que l'Amazonie soit inter-nationalisée, comme du reste tout ce qui a de l'importance pour toute l'humanité. Si, au nom d'une éthique humaniste,nous devions internationaliser l'Amazonie, alors nous devrions internationaliser les réserves de pétrole du mondeentier. Le pétrole est aussi important pour le bien-être de l'humanité que l'Amazonie l'est pour notre avenir. Et malgrécela, les maîtres des réserves de pétrole se sentent le droit d'augmenter ou de diminuer l'extraction de pétrole, commed'augmenter ou non son prix. De la même manière, on devrait internationaliser le capital financier des pays riches. Sil'Amazonie est une réserve pour tous les hommes, elle ne peut être brûlée par la volonté de son propriétaire, ou d'unpays. Brûler l'Amazonie, c'est aussi grave que le chômage provoqué par les décisions arbitraires des spéculateurs del'économie globale. Nous ne pouvons pas laisser les réserves financières brûler des pays entiers pour le bon plaisir dela spéculation.

Avant l'Amazonie, j'aimerais assister à l'internationalisation de tous les grands musées du monde. Le Louvre ne doitpas appartenir à la seule France. Chaque musée du monde est le gardien des plus belles oeuvres produites par legénie humain. On ne peut pas laisser ce patrimoine culturel, au même titre que le patrimoine naturel de l'Amazonie,être manipulé et détruit selon la fantaisie d'un seul propriétaire ou d'un seul pays.

Il y a quelque temps, un millionnaire japonais a décidé d'enterrer avec lui le tableau d'un grand maître. Avant quecela n'arrive, il faudrait internationaliser ce tableau.

Pendant que cette rencontre se déroule, les Nations Unies organisent le Forum du millénaire, mais les présidents decertains pays ont eu des difficultés pour y assister, à cause de difficultés aux frontières des États-Unis. Je crois doncqu'il faudrait que New York, lieu du siège des Nations Unies, soit internationalisée. Au moins Manhattan devraitappartenir à toute l'humanité, comme du reste Paris, Venise, Rome, Londres, Rio de Janeiro, Brasília ou Recife.Chacune de ces villes, avec sa beauté particulière et son histoire du monde, devrait appartenir au monde entier.Si les États-Unis veulent internationaliser l'Amazonie, à cause du risque que fait courir le fait de la laisser entre lesmains des Brésiliens, alors internationalisons aussi tout l'arsenal nucléaire des États-Unis. Ne serait-ce que par cequ'ils sont capables d'utiliser de telles armes, ce qui provoquerait une destruction mille fois plus vaste que lesdéplorables incendies des forêts brésiliennes Au cours de leurs débats, les actuels candidats à la présidence des États-Unis ont soutenu l'idée d'une internationalisation des réserves forestières du monde en échange d'un effacement dela dette. Commençons donc par utiliser cette dette pour s'assurer que tous les enfants du monde aient la possibilité demanger et d'aller à l'école. Internationalisons les enfants en les traitant, où qu'ils naissent, comme un patrimoine quimérite l'attention du monde entier. Davantage encore que l'Amazonie. Quand les dirigeants du monde traiteront lesenfants pauvres du monde comme un patrimoine de l'humanité, ils ne les laisseront plus travailler alors qu'ils devraientaller à l'école; ils ne les laisseront plus mourir alors qu'ils devraient vivre.

En tant qu'humaniste, j'accepte de défendre l'idée d'une internationalisation du monde.

Mais tant que le monde me traitera comme un Brésilien, je lutterai pour que l'Amazonie soit à nous. Et seulement à nous ! »

Lors d'un débat dans une université aux États-unis, le ministre brésilien de l'Éducation CristovamBuarque a été interrogé sur ce qu'il pensait au sujet de l'internationalisation de l'Amazonie.Le jeune étudiant américain commença sa question en précisant qu'il espérait la réponse

d'un humaniste et non d'un Brésilien. Voici la réponse de M. Cristovam Buarque,que la presse états-unienne n'a pas jugé opportun de diffuser :

Internationaliser l’Amazonie

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Conte de noël

14 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité

Un conte de noël pour tous : du village du père noël au village global

par Martine [email protected]

Quoi de mieux, en cette période des festivités dutemps des fêtes, que de commencer par une petitehistoire réinventée du Père Noël. Il fut un temps oùPère Noël confectionnait lui-même, avec l’aide de safemme, que nous appellerons originalement MèreNoël, et de quelques lutins, les cadeaux destinésaux enfants pour la grande fête de la naissance deJésus. Habitant un coin douillet du Pôle Nord, ils tra-vaillaient ensemble, tout au long de l’année, pourémerveiller les enfants lors de la nuit magique deNoël.

Tout en fabriquant des jouets, une idée se mit àgermer dans la tête de Père Noël : il pourrait fabri-quer beaucoup plus de jouets si plusieurs autreslutins mettaient la main à la pâte. Après plusieurssemaines de réflexion et de plans ingénieux, il envient à la conclusion qu’il devait construire un atelierexploitant des machines, où chaque lutin travailleraità la chaîne, à des tâches spécifiques et répétitives,sur un processus de production. Les lutins se lais-sèrent convaincre de changer le procédé de fabrica-tion par une hausse de salaires qui leur permettraitde consommer les biens qu’ils produisaient, carcette production intensive était réalisable unique-ment par une croissance du pouvoir d’achat.

Comme Père Noël était très connu dans sonpatelin et que sa réputation n’était plus à faire,plusieurs autres dirigeants d’entreprises suivirentson exemple, dont un certain Henry Ford qui s’ap-propria, par la suite, son concept. Parallèlement, lasociété commençait à se doter de programmes soci-aux utiles à protéger les individus contre les aléaséconomiques, dans une perspective de plein-emploi,en vu d’assurer la capacité de consommation. Lecontexte lui permettant d’accroître sa production,Père Noël ouvrit des ateliers et des centres de distri-bution partout dans la province. Toutefois, il arriva untemps où Père Noël rencontra de la concurrence.Voyant le potentiel qu’offrait le marché du jouet, où lademande ne cessait d’augmenter et ne se limitaitplus qu’aux temps des fêtes, Santa Clause et St-Nicolas se lancèrent eux aussi en affaires, et offrirentune grande variété de jouets. Père Noël se rendit vitecompte qu’il devait s’adapter à cette nouvelle com-pétition : il décida de fermer des usines dans les ter-ritoires les moins rentables et les moins prometteursen termes de développement économique, commesa propre région du Pôle Nord, où les jeunes

quittaient massivement vers les centres métropoli-tains et où plusieurs de ses habitants subsistaient del’aide sociale. Sans le vouloir vraiment, mais pensantà la propre survie de son entreprise, Père Noël con-tribua à appauvrir ces régions, en procédant à lamise à pieds de plusieurs lutins suite à la fermeturede ses ateliers et centres de distribution.

Parallèlement, Père Noël voyait aussi que pouraugmenter sa production de jouets, il devait investirdans de l’équipement de plus en plus spécialisé.Pour ce faire, il devait augmenter ses prix de vente,ce qu’il fit pendant un temps, tout comme ses com-pétiteurs. Mais l’inflation occasionnée par ces haus-ses de prix de vente n’aidait pas son chiffre d’af-faires; comme il ne pouvait pas descendre le salairede ses lutins en deçà du salaire minimum, Père Noëlentreprit d’importantes compressions au niveau deson bassin de main-d’œuvre, en abolissant plusieurspostes qu’il jugeait inutiles.

Toutefois, Père Noël fut confronté à ses proprescontradictions : accaparé par l’appât du gain, il n’apas vu qu’en mettant un grand nombre de lutins à laporte, il participait à faire augmenter le taux de chô-mage, faisant ainsi diminuer la capacité des lutins àfinancer les programmes sociaux ainsi qu’à acheterses produits. Par le fait même, la demande intérieurede jouets s’en est ressentit. Contournant le problèmeet ayant l’esprit avant-gardiste, Père Noël s’engageaalors dans la voie de l’exportation. Par des accordsfavorables au libre-échange, il a ainsi vu son marchéaugmenter et il commença à distribuer ses jouetspartout sur la planète. La concurrence étant trèsforte, en raison qu’il n’était pas le seul dans la courseaux jouets et que la compétition émanait deplusieurs pays producteurs, il demanda des subven-tions à l’État pour l’aider à s’imposer comme le roi dujouet à l’échelle planétaire. N’ayant pas droit auxmême subventions et ne pouvant suivre la cadence,les PME de St-Nicolas et de Santa Clause firent fail-lites.

Père Noël commença aussi à s’intéresser à unemain d’œuvre de lutins qui vivaient pauvrement dansdes pays du tiers-monde et qui étaient, à son sens,beaucoup plus souples au niveau des salaires et desconditions de travail. Il fit donc quelques accords desous-traitance avec des pays comme l’Inde, la Chineet le Mexique. Voyant les opportunités qui s’offraient

à son entreprise, il y déménagea toute sa productionet ses centres de distribution, laissant ses lutins d’icisans emploi. Ils étaient, de toute manière et à sonhumble avis, trop chers payés pour le travail exécuté.Ce qui ne pouvait pas manquer de lui plaire, c’estque ces pays du tiers-monde, obligés de rembours-er des dettes publiques extérieures etéléphantesques, devaient se soumettre à desmécanismes économiques imposés par des institu-tions mondiales. Cette emprise d’étrangers sur lalégislation interne, édifiée en vue d’assainir leursfinances publiques, s’est résultée par la destructionde la production locale au profit d’intérêts financiersà l’échelle planétaire, comme ceux de Père Noël.

C’est ainsi que le village du Père Noël se trans-forma en village global : toute la planète est désor-mais invitée à connaître ses jouets, et ce, même sice n’est pas tous les lutins, à son emploi ou non, quipeuvent se les procurer. Leur salaire étant trop faiblepar rapport au coût vendu, qui représente parfoisplusieurs mois de travail, ils se contentent de pro-duire les biens pour les pays développés et pourceux qui possèdent encore les moyens de lesacheter. Sauf que, suite au déménagement de saproduction, Père Noël a contribué à appauvrir sonpropre pays, par des mises à pieds et des ferme-tures d’ateliers, en profitant de situations extérieuresde pauvreté.

Rusé comme il est, Père Noël sait, qu’à l’instard’un marché local ou national, le marché mondial varencontrer ses limites et arriver à saturation : aprèsavoir conquit et appauvrit la planète, quel marchépourrait-il envahir à nouveau? Mais Père Noël nepense pas à ça, car d’ici là, et après avoir fait sa for-tune sur le dos de lutins ne pouvant s’offrir le luxe derefuser de travailler à rabais, figuré sur la liste, pub-liée par la revue Forbes, des 100 individus les plusriches au monde alors que la majorité crève de faim,et avoir détenu une richesse personnelle supérieureà celle de plusieurs pays, il se retirera du monde desaffaires. Il ira se la couler douce avec Mère Noël surune île paradisiaque des Caraïbes, qu’il connaissaitdéjà pour y avoir ouvert une filiale de transport ma-ritime de jouets, dans un but évident d’échapper àl’impôt, et d’ainsi priver l’État d’importantes recettesfiscales nécessaires à la redistribution de la richessevia des programmes sociaux destinés aux lutins auchômage ou sur l’aide sociale.

«Histoire retrouvée dans l'introduction d'un travail de session remis par Martine Lauzon dans un cours dedoctorat et adaptée partiellement à partir du livre «la mondialisation de la pauvreté» de MichelChossudovski»

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Activités de la Chaire

Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité 15

Le carnet de la Chaire…

SUR LA ROUTE DE LA CHAIRE

Le 28 juillet 2004 : Léo-Paul s’est rendu au Cap-de-la-Madeleine pour donner une allocution àl’auberge Halte-Jeunesse, dont la mission est de permettre aux jeunesadultes d’avoir un lieu de repos et d’échanges profonds sur la foi

Le 10 août 2004 : À la défense des rivières, Léo-Paul Lauzon et Denis Gendron (chercheur)ont fait une présentation pour l’organisme les Sentinelles des Quinze àAngliers au Témiscaminque

Le 17 septembre 2004 : Denis Gendron, a fait une conférence à Québec pour le Syndicat de la fonc-tion publique sur la sous-traitance

Le 6 octobre 2004 : Dans le cadre des soirées environnementales organisées par HéritageSaint-Bernard et les étudiants de l’école Louis-Philippe Paré, Léo-PaulLauzon a prononcé une allocution à Châteaugauy

Le 14 octobre 2004 : Une conférence de Léo-Paul pour le Syndicat québécois des employées etemployés de service, section locale 298 (FTQ)

Le 22 octobre 2004 : Une allocution de Léo-Paul pour l’organisme sans but lucratif «RencontresVie et Sens», sous le thème «Économie globale et valeurs humaines» à St-Jérôme

Le 25 octobre 2004 : Denis Gendron a fait une conférence pour le Syndicat de la fonctionpublique de la région de Montréal au Centre St-Pierre Apôtre

Le 29 octobre 2004 : Cette fois à Rimouski, Léo-Paul a montré et commenté ses acétates auxemployé(e)s du Centre communautaire juridique du Bas-St-Laurent –Gaspésie

Le 12 novembre 2004 : De retour à Montréal, Léo-Paul a prononcé une conférence au Medley,pour un spectacle bénéfice du 30e anniversaire de la grève de UnitedAircraft organisé par le syndicat des employés de Pratt & Whitney, sectionlocale 510

Le 16 novembre 2004 : C’est au tour de l’Association des Pompiers de Montréal Inc. de recevoir lavisite du titulaire… et de ses légendaires acétates

Le 26 novembre 2004 : Une brève présentation de Léo-Paul Lauzon lors de la soirée bénéficeorganisée par Fondation Rivières afin de souligner leur 2e année d’existence

Le 1er décembre 2004 : Un peu en retard à cause des intempéries, Léo-Paul a prononcé une allo-cution à des étudiant(e)s en sciences humaines du cégep de Victoriaville

Le 5 décembre 2004 : Dans la ville qui l’a vu grandir, Denis Gendron a prononcé une conférencepour le S.T.T. C.L.S.C. Vallée des Forts (CSN)

Le 10 décembre 2004 : Léo-Paul s’est adressé aux employé(e)s de métiers d’Hydro-Québec (sec-tion locale 1500) à St-Hippolyte

Le 14 décembre 2004 : Encore une conférence du titulaire de la Chaire, cette fois pour laCommission scolaire des grandes seigneuries, Centre l’Accore àChâteauguay, devant des jeunes de 16-22 ans

LA CHAIRE ET SES ÉTUDES

SEPTEMBRE 2004 : Conférence de presse à Québec, concernant les résultats de l’étude «Lasous-traitance au Québec : une étude empirique sur l’entretien hivernal desroutes» par Denis Gendron

OCTOBRE 2004 : Conférence de presse à Montréal portant sur l’étude «Les banques cana-diennes et l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux, pour la période detreize ans allant de 1991 à 2003» par Léo-Paul Lauzon, Denis Gendron etMarc Hasbani

Nouvellepublication!

Eh oui, j’en suis déjà à mon deuxièmetome des Contes et comptes du profLauzon. Alors que le premierregroupait mes chroniques men-suelles publiées entre août 1997 etavril 2001, celui-ci réunit celles quisont parues depuis mai 2001 jusqu’enavril 2004 dans quelques journaux etrevues progressistes, communau-taires et culturels. Le succès enlibrairie du premier tome m’a vraimentétonné et ravi! Cela m’a motivé àcontinuer à gratter, à vulgariser, àfouiner, à décortiquer et à déchiffrerles modèles, les théories et lespolitiques présentées faussement aunom de l’intérêt général, alors quedans les faits, leur application neprofitera seulement qu’à une minoritéde privilégiés au détriment du mondeordinaire, incluant aussi la fameuseclasse moyenne que le patronat, lespoliticiens et leurs faire-valoirprétendent vouloir favoriser.

L-P.L.

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16 Janvier 2005 - No 30 - 10e année • LE TAON dans la cité