vie de socrate par a.-Éd. chaignet
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Chaignet, Antelme-Édouard (1819-1901). Vie de Socrate. 1868.
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Chaignet, Anthelme-Edouard
8°J
Vie de Socrate
Paris
1868
5352
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t~F
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h~i i.
'~OCRA'E~
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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR:
te* fftnoSpe* de ta science d<t Be<M*.Ouvrage qui a
obtenu une Mention henorabie de l'Académie des
Miencee morales et politiques. Paris, <8M fort
volumein-8* 750
De h ~yctotogfe de Maton, ouvrage qui a obtenu un
premier prix de l'Académie&antaise. Paris, 1862,i volume in-S* S »
VIE
DE
SOCRATE
PARIS
LIBKAnudt ACAUÙMtQUB
DiBLER ET C' UBRAtKËS-ËD'TKURS
~5, QUAt DES AUGUSTtNS, i5
1868
Touldroitst~MrtC!!
3.\ PAR
d. CHAIG.NETT/Ed. CHAIGNET
-i!.M'ProfeSSM~do Littérature unciouuc &la Facutt~ des Lettres
de Poitiers.
PRÉFACE
1/œuvre accomplie par Socrato est un des
plusgrandsfaits de l'histoire des idéeset même
de l'histoire générale; car if nes'est pasborné
à apporter un principe qui a transformé la
science, et si fécond que le riche et brillant
mouvement philosophique qui l'a suivi n'en
est quele développement sa réforme a porté
sur la vie môme, et fait époque aussi bien
dans l'histoire de la civilisationque dans l'his-
toire.de la pensée. C'est le père de la philoso-
phie (1),commel'appelle Cicéron, qui entend
par ce mot, non pas seulement la philosophie
(1) C!c., De Fin., 2, 1. « Socrates qui parens phi!oso-
phiEejnredîcipotest.~ »
V! PRKFACE
spéculative, mais surtout la philosophiepra-
tique, la sagesse,c'est-à-direà la foisla science
et l'art de vivre. C'est à lui qu'est due cette
profondebeauté morale, cette inspirationpure
et forte, sublime et sensée, qui fait de la sa-
gesse antique la préparation, la promesse, le
commencementmême du grand renouvelle-
ment du christianisme.Socrate, lui aussi, est
un précurseur.
Et cependant, quand on essaye de se rendre
compte de cette prodigieuse influence,si l'on
se borne à se représenter, même en les enflant
un peu, ses théories et sa doctrine, on se l'ex-
plique mal.
Quelleest en effet, en peu de mois, la phi-
losophiede Socrate?Commetous les réforma-
teurs, commeDescartes,il commencepar une
œuvre de destruction, par une critique negn-
tive, ou du moins limitative; il part du doute,s
en se demandant qu~e&t-ceque l'homme peut
savoir? Il nie la possibilitécommel'utilité de
ce savoirintempérantqui, dans sonambitieuse
curiosité,embrassele monde entier, et semble
PRÉFACE VIl
mêmes'attacher de préférenceà des questions
étrangères et à des phénomènes extérieurs à
l'homme; il affirmeque l'hommene peut savoir
qu'une seulechose,mais la seule aussi qu'il ait
intérêt à connaître, c'est-à-dire lui-même or,
pourmesurerl'étendue etfixerleslimitesde no-
tre puissancede connaître,évidemmentil afallu
instituer unesorte decritique dela raison.C'est
ainsique,pourlapremièrefois,l'hommeseprend
lui-mêmeet avec consciencepourobjet de son
examen, pour but de son éitide, pour matière
de la science;alors il est obligéde se séparer
pour ainsi dire de lui-même, de s'analyser
comme un objet extérieur, de s'objectiver, et
de cette observation curieuse du sujet qui
pense par lui-même,naît la psychologie, fon-
dement de toutes les sciences morales et de
toute saine philosophie.
Pour s'étudier ainsi lui-même,pour vérifier
l'état de son esprit et de son âme, détruire en
soi l'illusion du faux savoir, dégagerla notion
pure du véritable, l'homme n'a qu'à consulter
sa conscience.L'autorité, la tradition,ne peu-
vin PRÉFACE
vent rien fonder de certain la raison est le
seul arbitre, le seul juge. Il ne faut croirequ'à
la raison quand il s'agit de déciderce qui est
vrai commece qui est bien (1). Acôté du doute
méthodique, voilà donc Socrate qui proclame
l'infaillibilitéde la raison, quand elle consent
à n'étudier qu'elle-mômc,et cette foi dans la
conscience,on peut dire avec Hegel qu'elle
est comme l'avénement d'un Dieu nouveau.
Obéir à la raison, et n'obéir qu'à la raison,
voilà la règle de la vie intellectuelle et de la
vie morale, la dignité commela grandeur de
l'homme; mais s'il fauttout ramener, tout rap-
porter à la raison, c'est qu'il y a en elle des
vérités certaines et universelles. En eSet, en-
seigner, c'est accoucher apprendre,n~estque
se souvenir. L'esprit est plein, la raison est
grosse d'idées; pour tirer ces idées des pro-
fondeurs obscures .où elles se cachent, pour
les contrôler, les vérifier, il y a un art, et cet
(1) Piat., C~t< 46., b. fM~t &AM?~M M~te~t.
PRÉFACE IX
«.
art, c'estla méthodeépagogique,ou l'induction
socratique.
Cette méthode consiste essentiellement à
ramenertoutes nos opinions&des propositions
claires et, sinon incontestables, du moins à
peu prèsincontestées,~<x~x~f~T~o~e~cyou~efay,
et à les comparerà des faits si clairs et si sim-
plesque personnene lespuisse nier. C'est ainsi
que nous pourrons découvrir ou démontrer la
définition des choses, laquelle nous en fait
connaîtrela véritableessence,le ra~at~ey.Cette
essence des choses, c'est une idée, un univer-
sel, convenant à tous les objets individuelsqui
portent le même nom, mais qui n'en est ni
séparé ni séparable. Malgrécett~réserve dont
Aristote est, il est vrai, le seul garant, il est
évidentque nous tenons ici le germe de Fidéa'
lisme platonicien.
Socratene s'est pasbornéàfaireune critique
de l'esprit, à fonder une méthode à la fois dé-
ductive, puisqu'elle suppose les idées innées,
ot indactiv~ puisqu'elle admet le raisonne-
ment par le semblable,qui repose au fondsur
PRÉFACEx
une induction; il a appliquécette méthode et
en a tiré de ces principesla doctrinesuivante
Onne peut pas savoirce qu'on n'a pas appris;
on ne peut pas pratiquer des vertus dont on
n'a pas idée; au contraire, ce qu'on sait être
beau et bien, on ne peut s'empêcher de le
faire. La fin de la science est Faction, et
mêmeon peut allerjusqu'à dire quela science
se confond avec l'action, et par conséquent
la philosophieavec la sagesse et la vertu. Il y
a plus, le bien, déjà identique au vrai, ne se.
distingue pas de Futile; car tout bien est
relatif, c'est-à-direa une fin. L'ordre qui éclate
dans les phénomènes de la nature, et particu-
lièrement dWnsl'organisme de l'homme, a
évidemment un but, qui n'est antre que le
bonheurde l'homme mais cette harmonie si
juste des moyens avec la fin ne peut provenir
que d'une intelligence, d'un être aussi sage
que puissant. C'est une raison, un esprit qui
5
gouvernele monde car demêmeque nous ne
pouvons nous expliquer les mouvements de
notre corps et les actes de notre pensée que
PRÉFACE XI
par la présence d'une âme, principe du mou-
vement, dont la substanceet la forceinvisibles
ne se manifestent que par leurs effets de
même nous ne pouvons pas nier l'existence
des dieux, parce qu'ils se dérobentà nos sens.
Leurs œuvres proclament leur puissance, leur
sagesse, leur bonté. Non-seulementils veillent
sur nous en cette vie; mais ils nous assurent
auprès d'eux, dans une vie future et immor-
telle, la récompense de nos efforts, puissant
encouragementà bien penser et à bien agir
ici-bas.
Je suis trèg-éloignéde vouloir contester la
grandeur et, dans certains points, l'originalité
de cette doctrine.L'immenseserviée rendu par
Socrateest surtout d'avoirprbclana.éle principe
de la souveraineté de la raison individuelle
dans la science et dans la vie; il renvoie cha-
que homme à sa propre pensée, et inaugure,
on la pratiquant avec conscienceet réflexion,
cette méthode fécondede la recherche per-
sonnelle et du libre examen, qui restitue à
l'homme la dignité de son intelligence et la5
xn PRÉFACH
valeurmoralede ses actes. Obéirà une loi que
notre intelligenceou repousse ou ignore, pro-
fesser des maximes que notre raison ne com-
prend pas, certes, commeil le dit par la bouche
éloquente de Platon, pour l'homme, ce n'est
plus vivre (1).
Mais néanmoins on ne peut nier ni les la-
cunes ni les faiblessesde cette philosophie.
Il est évident d'abord que Socrate n'a pas
formulé un système, et c'est avec quelque
peine et beaucoup de complaisancequ'on luii
découvre une métaphysique. On ne peut le
regarder commeFauteur d'une doctrine déter-
minée, arrêtée, dnmoins dans toutes ses par-
ties et formant un ensemble riche et bien lié.
Je sais bien<quece qu'il y a d'ondoyant et de
libre dans son enseignementa contribué à le
rendre fécond mais néanmoins il faut bien
reconnaître qu'au point de vue scientifique,
c'est une lacune. La puissancede systématisa-
tion n'est autre choseque la puissance de sen-
(1)P!at.~po!38a ô «E~i-cM~; ~ret <Mj)<:sM.
PRÉPACE XHJ
tir et de faire sentir l'unité de la variété infinie
des choses c'est là le génie même de la
philosophie (I). On ne peut comprendre une
partie sans comprendreson rapport aux autres
parties, eL au tout lui-même, dans son prin-
cipe nécessairementun. Ainsi, pour Socrate,
Dieu n'est que l'ordonnateur, l'architecte de
l'univers. L'origine des chosesn'est ni résolue
ni mêmecherchée,et quelquesageque paraisse
cette réserve, il faut avouerqu'elle laisse sans
explicationceque la philosophie a précisément
pour objet d'expliquer le mondeet l'homme
qui en fait partie. De même encore, Socrate
ne donne pas à la loi morale sa véritable
nature. La confusion de l'idée du bien avec
celle de l'utile l'empêche de reconnaître à la
première une valeur absolue et universelle.
Au lieu de la placer dans l'obligation qui s'at-
(1)C'estl'idéequ'endonnePlaton,Rep.,VI,485a«L'âmeduvraiphilosopheestcellequiaspiresanscesseà comprendrel'ensemble,fetout,etveutétendresavuesurt'amversaHtedestempscommesurl'universalitédesêtres 'j'u/'pjttM~ufn)T<.B&cuxxttrMTO;Kne~p~EoOxt.6!Mp!<K<t~; X{MtM,?Kt<M;Mtù<t!e;.?»
PRÉFACEXIV
tache invinciblementà tout ce qui est bien en
soi, Socrate ne la voit que dans le bien de
l'homme.Toutechosebonne est bonne à quel-
que chose,dit-il. Onest doncautorisé à se de-
mander s'il a reconnuau bien une valeur abso-
lue. S'il l'a fait, il est certainement regrettable
que sa pensée aitété si obscurequ'onpuisses'y
tromper; s'il ne l'a pas fait, il est difficilede
nier que sa morale, quelque belle qu'elle soit
dans ses conclusions,ne repose sur des prin-
cipes dangereuxet équivoques, et ne tourne.
dans un cercle, le bien étant ce qui est utile
à l'homme,et ce qui est utile à l'homme étant
le bien. Si l'on compareles doctrinesde Pla-
ton, d'Aristote, de Zénon, avec celles de
Socrate,on reconnaît que ces esprits ont cer-
tainement produit un système plus élaboré,
plus développé, plus complet, plus profond,
et l'on se demande comment alors Socrate a
pu obtenirle privilège d'unegloiresi incontes-
tée, et exercer sur ses contemporainscomme
sur la postéritéune si merveilleuse et si pro-
digieuseinfluence.
PREFACE xv
C'est qu'en effet il y a une autre cause qui,
plus que la beauté et la vérité des doctrines, a
produit ce grand ébranlement.
La vérité philosophique et abstraite, les
idées pures, ne suffisentpas pour exalter les
âmeset formercesgrands courantsqui entraî-
nent avecune force irrésistible dans des voies
nouvelles et la science et la vie. L'hommeno
donnesonCœurqu~àl'homme.Pour le transpor-
ter et le ravir, pour exciterson admiration,son
enthousiasme,son amour, il faut qu'il ait sous
les yeux la beauté réelle, concrète,la véritévi-
vante, l'idée, la pensée faite homme. Et ce
n'est pas sans raison la beauté de ridée pure,
la vérité dans sa nudité abstraite est souvent
trompeuse; la limite qui la sépare de Ferreur,
de la pure illusion subjective, est souvent dé-
licate mais quand on voit les maximeset les
théoriesréaliséesdans un homme;quand onles
voit parler, agir et vivre, alors l'âme est prise
tout entièrej l'idée devient un idéal concret
et vivant, le doute n'est plus possible on
croit, on'sait, on voit. Laraison, le cœur, l'or-
XVI PK~FACE
gueil, tout nous porte admirer, à aimer, à
imiterce nobleexemplairede l'humanité, où
nous reconnaissonsnotrepropre nature, mais
agrandie,ce typeidéal,cemodèlepartait,dont
les perfectionsné peuvent plus nou~paraît
une nction irréaltsabl~i~ 1èon:t',ftbé
vivanteréalité hr,iéiiutiSocrate,et en cela
mêmeil se contormaità sapropredoctrine.
La pMosOpMen'est plus ~ur lui
jeu d'espHt, ~e distraëtïO~ ~t~oble
~hoMa~anB~le~oi~ pniloâopMët~de~-
viënf chMe~séneuseet së~ré éBe s~ë&tïSe
ai~ec''la.Pou! ~~tre']~ilo~~ ?'
Bmtdeux dms~ aimerles~hÓm~ês,obéir:à..
] .Bie#
~d'aia~d~B@c~b~~ .!es~fCêl'6f
~e]!t~)in~ 'e':I.
.jM~p~~pa~dï~~M~'e~'Co~ joies
~de'Ia~et~m~se~'dét~~ îcette
!nM~oni~sain~à'cien~ que!,le [mdyèn
~de~servi~les'~ptnN~de ~'i~
(i) ï~ttt.,~poï., sed &w~t)«H~je~ w'a~t*~s'
PRÉFACE XVIt
connaître leur vrai bonheur qui est la vertu.
Hn'y a qu'une vraie vie, la vie de la science;
il n'y a qu'une vraie science, la sciencedelà
vie. La tentative de reformer la philosophie
n'est que la conséquencede la missionde ré-
formerles mœurs e~ conm~entopérer cette
ré&r~ed~gereusëptdïfScile, renouveler &la
~islecoaùr eti'espât, lesn~ et les idées?Y
Ce n'est pas ayec de beaux discours,ni avec
deteaux ii~~iqu'~ convertit les âmes,qu'on
évéilleenelles la honte de l'ignorance, le re-
m~sdela&Ute, Tat~ du vrai,
duhien: c'est par desactesetdesexemplës(l).
Socrate devait doncprésenter, comme il pr6-
~nt%en ~S&tdans son (~ractere, ses mœurset
sây~ en~ le~ l'idéal du vrai
.r~
~ïiên~eignement, disonsmieux, predica-
tion troulait-atteindree~p& voil~l
pod~ïKHil lui donna uï~ formehut~ faxni-
uëre,p6pulaire,basse.Ils'ag~8aitde<~nvaincre
(1)X6n.,JM~K.,IV.,C.tV,n. 10.O~~M~t~t!xwj<.<t'
xvm PMÉFACE
les hommesqu'ils avaientjusqu'ici fait fausse
route; il fallait les prendre pour ainsi dire un
par un, et, dans un entretien direct.et person-
nel, les forceràrentrer en eux-mêmes,à regar-
der,npnsansunesprted'épouvante.leyéritable
état de leur espntet dé leur ~!ne,etles amener
à faire commeune cpRCessionpuNique et sin-
cère de leur ignoranceet de leurcorruption. Le·
dialoguen~estpas ici, commedans Platon, une
formeinspiréeparun sentimentdfartiate c'est
la ibrmenpcessa~e de'Ï'exam~n de consc~nce
de soi-mêmeet des autres, que le Dieua or-
donnéASocratede pratiqueret de recomman-
der. On voit donccommentle~nd et laponne
m~mede la pMpsppMe de ~cra~s~~ étipn
te!!]tentlt~ ~sa peMMu~ j~~ on ~~e
vit tmï'apportaussi int~ une lia~mbniean~i
'par& 1~,vie posit~vpe~la ~int~ll~c-
tueUë.Sc'c~t~~n~tpnte~
corpsetâme.n~ dans ~on~ns~rs;iln'eat
pas seulement]~CMS$~~ c~ela vérité il
en est le coniesseur, lo martyr. Cette ~cite
de la pensée et de l'action~de la dialectiqueet
PRÉFACE XIX
delavertu, de la scienceet delà vie,principede
la doctrinesocratique,si parfaitementconforme
d'ailleurs &toutes les tendances de l'esprit
grec (1), cette unité se montre éclatante dans
la personnalité de Socpate: Sa vie et sa phi-
losophie, dit Hegel, formentun seul et même
tout (8). C'est aller trop loinsans doute,mais,
en Testant dansles limites de la vérité, on peut
dire qu'onne comprendra jamais parfaitement
.la réyûlutien intellectuelle dont Socrate est
Fauteur, si l'on ne connaîtpas sa personnalité,
son caractère,sa vie. La mortmêmequ'il souf-
&itavec un héroïsmesi simple et si touchant,
donna à son génie et à sa vertu ce te ne sais
quoi d'achevé et de sata'é.q~ en fit la plus
ï~il~ileco~~t la plus persuasivequ~l pût don-
jieraH~honintes. Onne résiste pas à une telle
éloqu6n~(3).
~1)OncMmaîtcettemaTumpqui leurest si chère
~tjjM'XTttM.
~)a~<t~Xiv,(~ 1%S a n e e « PUAHstoteleB,etomnisimdi
versam!mm~aptenthmturbo,pinsexmoribusquamexirerMsSOcraUstrax:Ls
XX PREFACE
Ses disciples immédiats l'avaient compris
ils sentaient si bien~importancede laperson-
nalité dé leur maître, qu'ils s'attachèrent à la
faire revivre, au moins autant qu'à reproduire
son enseignement.Aucun d'eux ne négligea,
même en exposant des opinions que Sdcrate
n'avait pas émiseset qu'il aurait peut-être re-
poussées(1),de les placer danssa bouchevéné-
rée, comme si cela seul leur donnaitl'autorité
de la vérité, tant il estvraique somoeuvrephi- ·
losophiqueétait intitnement liée à sonindivi-
dualité.
S'il en est ainsi, on, cpmpt'~ndraque je me
soisproposéd~écnrela biographiede Socrate,à
laquelle s~attàchentnon~eulèmë~'4~ :~J.
cui~s~e~ lanob~ syj~~ les
grandeshgures!de~~M~toife~mais pui~I:I~ 1 mais ûn puisssnt
jntérêt.nioral~~et~plulosdpMqu~~h~'
Ondoitaiëm~s~étonnMque~~ inté-
resgant~tousIe~pMntsdevue, n~ jusqu'à
présentsé(hutperson~, mehEran~ môme
(1)CtC.F'tM., v.29: «ËaqnœSotfàtesKpmdia-bat. Diog.t. II, 45 SMx~Tx;a~tiMn);~t<&T<M.
PRÉFACE XXI
ques.
(1) Les études abondent enAllemagne sur des points
patUoaliefsde cette biographie m&isje n6 connais au-
cun traTaUd'ensemMe qui les résumeou les réunisse.
En France, au di~-sepHLètnesiècle, Jepremier des direc-
teurs~del'ÀcaMmie deg ihECriptions, Charpentier, a
publié à AnisteMamune Vie do Socrate, et c'est,je crois,
làseuleMo~fapItie étudiée et complètequi ait paru dans
notre langue.
à ce que je sache, en Allemagne(1).Le chapi-
tre que, dans sa savante et originaleHistoire
de la G~ce, M. Grote lui a consacré, remplit,
il est vrai, la lacuneque je signale; mais, outre
qu'il n'est pas impossible d~etreplus complet,
les opinions philosophiques particulières à
M. Ctroteontinûué sur sa manièredeprésenter
les faits, et modiné, peut-être altéré, le juge-
ment qu'on doit porter sur le personnagelui-
menie.
ai donc cru utile de raconter, dans ses dé*
iails, cette noblevie, qui est à elle.seuleune si
grande et si pathétique leçon de sagesse, de
modération,d~héroïsmeet de justice, et'qui est
le plusbeau commentatre,commele plus so-
IM~~m~ig~age~de ses doctrines philosûphi-
SOCRATE
1
VIE DE SOCRATE
"LE~S~M~B~
'~cOnSrïa~ès~anciens~,sont~üüaiiimesiànous
coer~açi $Ôèraien'al,tla*lt:r*len60È~jtS'il~!S~nQ~~niB~
ici~,4i
~q~~ait~e~~M~~s:~ a
tre~~ocratjtgu~s~~s~lettresqwuiso g~ti'~)Ët~
-< r~,usS:i<i~ 11,9,ty:ee
~j{!<~ le, ~~jse~')~~t~ ùt, ?:~I,S~s~ tidOrett"
're~& t J~$~t~S~~
i(~l)~~<So<H'< epit ltët8l5,
2 YÎEDESOCiKATE
le tour sophistiquedes idées, les anachronis-
mes qu'elles renferment, les rendraient déjà
suspectes, quand bien mêmele silenceabsolu
que gardent les anciens (1)sur le documentne
le condamnerait pas.D'ailleurs~elIesne con-
tiennent aucun fait que npusneconnaissions
d'ailleurs, et semblent des exercices d'école)des compositionsoratoires, dont les faits con-
nus dela vie ou du caractère de Socràte ibur-
nissentle thème.
Maissi lemaître, parun instinct deprudenceconimun aux graMs réïbf~ oû par un'
goûtdelibertéquegênerait ùntextëécrit.ou parun méprisréRéchipourcettemémoiresourdeet
muette~de~l'é(~TtuEe)i~M d~crit~sut
sàj~rsohne~~a fyïeët s~~ -,iln'en a pas'été ainsi deses d~ci~ qui avaient
a~sié~sês~~a~~s!? paraxssent
~~J~av~~gard~p~ eg~âétedé,leurs
~~fi.~ouvëili~e~qT~ bzërim~inénous;ne Îë'
~Il~ëst.i~ë;I~banms~ ~Socr t. 1'l' p. 59,r'~L'ske)~~ës~~I~t~c~t~is'es~ lomd'~trepronvé~par
JajpËràseobac~ë dece~~d~ ~en~nlé lëtéx~deca~ ~ependant~cel~cprô'üvecïüelé're=
'<cûetFemsta~~a~e~~s'de~~bamus~ aum~
~{eclë~aprés.JèMs~Kris~~t~ -i~".o~JÏ~~t~Bv' ~vLE~i~c~sagt;
6itC[MM.ënoph. IY, 3;:2:e âXx~lv~nai1 ra aepèâ.
K~M;tSTH~aj/.t~u~Tt~~ctp~E'<ojt6'«i(~tY~~Te, etdaBSl')0-
LES SOURCES 3
verrionspas par l'exemplede Platon et de Xé-
nophon, le bon'sens nous assurerait qu'en re-
pEOduisàntsesenseignements,ils n'avaient pas
négligédetransmettre tout cequ'ils savaient de
sâpersbnnalit6 si curieuse, s~o~~ si bi-
xa!rrë,et S laq~ ils attachalent; a:véèraison;
un,ëimp6]'tancetsic~~
Quel~~nt' 6t~ ces ~iog~apnesgrecs de So'-
(~L~s~ plus~ sont évidemment
Ptatd!ti Xénopnoh,.ses contemporains, ses
disciples,ses àmis~sur les~ëIS~ niIii' p~sbé-
sëia ;-n~~{~drë~ ~Mà~~ les d6-
tai!&S()iit~ di~êniM~s~ là dans ceù-
:l~s~
~l~e e~ ét~nt téun~ et rapproches~ de
M~~~tituep;nne Mograpniecomplète est as
s~êmeiit'regrettable queni Fuhni rautre n'ait
'i)I~~d'é~ii&~ vie' d'un.-homme
~il~~aiss~ien~ êi"ü~,i}$;'f1iÎ1lâiënt.
~~eildBË~ni~i~~ p,El~'(pl~Eli~lld~AI1tis-
th~ê~I'~
~ë~p~~qu'ë~ soiri ~qui
n~~a~it~ép~gn~~ ,~i~~c~soi~pieux~qüi
~d'iMcei'tt~ q!ios ~úviag. si
n~mbrëu~~ëpe~da~Mnttou~ et que
:~të)~i~~it: ~f~ ..p.Av~.el:r~Ó't~~qe mot ne
~j~Èlit,danslà p~ q~& Socratelui-
m~~ àt~ij~¡OU,c'est-à-di:reàsavie;
< VIE DE SOCRATK
nous n'en connaissons guère que le sujet et
quelquefoisle titre. La premièrebiographiede
Socrate fut due à Aristoxène de Tarente. Ce
savant, à la fois mathématicien, musicien et
philosophe(1),avait eu pourmaîtreet pourpèreun musicien, célèbre lui-même,nomméSpin-
thare, qui, s'il faut en croiresonfils, avaitvécu
dans l'intimité de Socrate(2)c6mtnedans celle°_d'Épaminondas(3).Lesnombreux purges de
ce polygraphe se rapportaient &la musique,
auxmathématiqu~s.àIaphilosopMectà rhis-
toirë. Outredeg mélanges~ divers.'Ses travaux historiques (Mmpr~~t. t~sërie de biographies (4), parmi ;1~~ sd
trouvaient.~celIes~de~Socrate~~et de' Platon~8
la/première 'it~nous''reste'quelq~~
épaïs'màis.~accent;marqu6< '~(
~e'~oM~tqui~pe~
~p~.autant!que'lesiMts''d~
;Vrai~~ dt~<d'es~i.
.1); :¡;ffii'f.¡"
~S~(S~ 1~,et..I~fai>`iLede
"0,r:I,I'Vl; "l,r':1' "l '1"1 ,¡,~~<<M.L. MaJtae,~AnMteniM!]T98,&.~Â~s~x~<<0r~~
t. n, p. 280, M. SDid~: f~M~tYst~ «aTta~~x
2BO,àd. làidot~t~~Ta~~TM.MTttIt~ ';¡
~P~~jD~~Û~~See~XHn,N~i"I h~.t~ ,~f~ ,~¡.¡.p~i¡"~i:<(4)BtM<n~tM.NomsavonscoBservcMuisHTMs<~ses
~e~M<s~'A~wwm'e,ctdes&agmcmtsétend~sdeso~~jM~no'M'surlerhyU'me.~
LES SOURCES 5
decaractèreest signaléepar les ancienset prou-vée parles faits qu'onlui reproche. Longtemps
discipled'Aristote, dont il avait espéré être le
successeur,frustré de son attente ambitieuse,
et voyantl'école du Lycée laissée à Xénocrate,
il ms~t~le maîtyequ'il venait de perdre (1).
ëiAri~e~ soutient qu'il n'a jainais parlée
qû'eH~mes honorablesd'Anstote,ilestcepen-dant Mpïen~eràreebhnaître qu'il n'y a pas
moyend'ajouter foià ce qu'il nous raconte de
Platon- Le philosopheAdraste d'Aphrodise,
cité par~oclus, nous dit en enBt~ le ca-
ractère del'hbnmie ne pard pas"'desqua-lités ~e*son art, qui repose sur la douceur,
l'harmonie et lamesure, et qu~l sacnRait tout
au plaisirde direquelquechose de nouveau(3).
Ceqn'tl nous dit de Socratepeut en effet-pas-
së~p<mr teL et a paru, &bon droit, suspect à
M~R.e~~ene~~ Grote
'~fI~SMMl:T,M~~&M~tm. 'g,~
P)AT~t~.Vn,De~&t~7~<Bp.XV,!C.M~Âpt<~t<tU~
T~ i~BX~ CetÀas~és deM~s~ i péripa-~~ent avai~iMS~d~Uvi~~O~il faisait,l'liistoire~'etoust6sphilosopheset déÏeur&opinions
~)md., t~ Tïm., é~.Gous., t. lïl,p. !?: ~t t&s.~
T6tB~A~M~ ~M!)S!t~a~'&MtA.tee Tt~N?9M~tMtM~tMOM;Ompeutapprouver!a leçondeMeibom,quilit. danccepassage~te;,quoiquetetextedesmss.puisseêtredétendu.
VIE M! SOŒrE6
a ~ouiu réhabiliter un témoin gi partial et si
passionne.
La biographie de Socrate futl~objet d'autres
travaux nombreux sont
ectièt~eD~perd~ ll~.Jip~
que~enta mu~Ms~
'de&te;~
/dë~ce~~st~e:ns.~e~ép~ a 1e -d
ON~age cpmpi~ t,rest ~ptre
phil~phe~u~er~~a;
pac~Qg~~e~ ~s-
"loi~pl~~bp~no
r~g~~j~ ~i~aHï~~[saû~~6~~
~Qt~ven~M~
~a;
~NaSM"S
~M!en. y~e ut ces
~Irt'T~~Ët~S~
~û[~ë~it~a&~
(2/o%. ~g)'PA!7M., J, p. 3!. Vossms est. dahs !a
LES SOURCES 7
cet ouvrageà Alexandre de Milet, il aura pourauteur ce fameux Polyhistor, connu et célèbre
poursa profondeconnaissancedel'antiquité (I)il vivait du temps de Sylla, qui en fit un ci-
'toyen.romain~ietlui; donna sou nom Cor-
;n~ms~
~BQnn$~eSai~s,~ vers ayant J.-C.,
cite par PIi~e,Plutai'que, Athénée, et auquel
Ctcérondécérnece courtmais bel éloge TtOMto
in ~MN<o~M~îH~e~(3), avait écrit une histoire
dës/pemtreset des sculpteurs
Ido~Bnpëde discipled~Êpicure,
danë~affamiliari~ vécut de3¡0 à 37U
a~ ~j a~ ouvrage sur les
~oc~q~es, n~ pârPI~tarq1le et
~nenee~
~avc~n d'A]~~ né sous. Trajan, outre une
~Msj~nive~ riav~rodx~ri,,~trrop~a,,étH'i~ ~~p~r~é~i~Ae S~Q1:ate;S~idas
~~ût~ cés termos ""OÂtJ¡MJ.~IIÇ<&T~
~~txôcoWiacse~te~ir
d~u~, ~tl~nps~attri~ àlunÁlêxlUl<l~d~&gè3,pr~cep~F~N~Ma.J~" 'i'
(l)Su.êt.,~t!<~a~m.,c.~ ~GorneInt~Atexan-druM,gr~mati~m~ qJ1em!propterIlDtiqui~te~~M~B~~atMBmm~i~~ I:listol'iOUlll'Yocaiit.
(2),S'~M~~.~M.,X,388.(3)~p.ad~M.,L:YÏ,6p.l.
YIBDNSOGRATE8
Je ~~c!/ ~«e~M~quoiqu'il fûtprofondénient'versé danstoute espèce de science, et par-ticulièrement dans la philosophie, il- s'était
surtout consacréà larhétoriquë.
DéaM~us~eBysance, ~e~
l'ouyragëtSur~la~oési~ë~~es~~o~~ S,
~do~e~soN~~o~~ise.~iogè~
~ÂTisl~e'Ë!yTë~ disciple W j
Socrate~su~Igqt~~u~< rensëi-~
gnementssuspects dang son ouvrage ?
7Ma?6'~es~cts~;<
Ion=de ~rüo,pôète; phil~soph~éet historien;
~qu~h~îe~ à`Ath~itesve~cs4~'O;avaut;J~ésus-
~s~c~~e:parm~(]E! Mëmones
~~iqu~enj~ ~ans dout~ ~é
;gu'~)n~c~ Pér~clés':et~'So=~
~()n~e~~a~ Il xie fai~t-.
~S~M~MMMSMNMo~S~
~X!y~ Ton, mt~rlôcu-
~s:të~ dé ~PZatôni~c~û~éla~i d'É-ui~d*"I'ne, e
~6~5~
~i~p~ ¢u~femxne~deSo~das; d'Épi,r
'<aM~ui~ ôü d'Égypte, ,il'après
~tl~ dès mémoiie's:oüïnélaêgés
~~his~jor~~au~ sortes dé -matièr,ès,.qûi:
~rm~a~~ ;e~ritréht~.tr4isis
~1~ 835. :.f ~j'
LES SOURCES 9
1.
livres~très-utiles et très-savants, dit Photius
qui les avait lus enpartie (1).
Satyrus, le péripatéticien, spécialement un
MQgrapJ!i$~ par Athènéè;et saintJërûme,
'~danss~ de-sonr biïvragèsui lèsécri-
'~a~tS~eëlësias~ues,~ un~ de
~~talen~
~~rô~ et con
tëiQ~Orai~c~&a~ nom:méet
Nutârf~e~ ~Ëa!i~ iivr~ sur rA/s~,
la~ë~s ?.3. histo~iquèsmélanges (2).
~~H~~p~B~i~~biogràphe5èité par
~1~ Flamus ~oséplie- ~la
~në~e~ (3)~.tIJ. est èertài~iqu'il
,6Fit~lâ3~ .h.étiphrëstè, èt comme'`
s~n~Jéi'Ônien dit queson.ouvrage,~s'éten-~~ai$~tou~d~~rsonMgës'il~ .leur
~ïrg~s~ té~iérité. decôn-'
;j~ ~.ëgligéâ'écrxie~lame.,d~
~S'
~S~~1~~ de Rhodes, 'd~me~ëné~
4
~o~~d~~ni~c~B~ sembla~lè:~i~célle d'Â-
'$~
't~M~~~i~O~Y
"Sj~Ï~.8~
(S)Et&ccilcdéSoHcind'Alexandne,queDiogénecite
tO VIECBSOCRATE
HéracMe, qui avait fait un abrégédes bio-
graphies de Satyrus.
Philochore, Athénien, noaMnépar Plutàr-
que, Auin~GeUe,Harpocratiûn, TertolUen)s'unt Clément avait écrit une histoire,com=plète de I~Attifpiejusqu'autentps d*AnMo'[d!i~
leDMu~J,~
ApoÙ~dore ~Ath~Nes~gramntainen~ dis-
ciple d'Aristàrqùë et de PanêtiuN; dùtt~ sa
~?0~ en (rois livres~ o~ J5~ <~&
~y?~ qi~e avons 0 louer-
vée~il~uci~Ai~uJ*G~ Ntent
tti~~ ~i~ïe~t~~ noU~~aYoniB;perdai~
DMoysodore~dë~~~otie, ant~j~MB~~~toi)pe~de~Chrè~juaq~ de~Philillp~,
que men~onnejDiodprede Sicile à la En de
j î~qa~izï~ctt~~ï~iur1"épo,~
~~j;; qup~~i~ ~j ~iy;h~~r~ ~t-~t~
~j~~i<Jt~~ Z`ilyér~â~l~,~ntempo~~ d~
!~i~~h!~p~av~ hü' dEgraves rÎériiôléa~,'Phü~
ij~ d'étra,I~
qU~J~900~â~ dé' ~1-b~èphe,é~ lé
co~6r~~ s~ ne hdest pa~e~ L'ouz
YNgeqia~Ct~eDiog~neétait uneJ~&M~<~&ï
coMrOM~c'~t~â-dir~despt~ qmi.av~ielii,,
en~idée~pprtélacCsa~
daMnneWtr~parHeA&j~ tt&tM~~mMaqt~&<!êr~tainementeornsnIMe<huMtMttes~
LESSOURCES H
Le célèbreDémétrius de Phalère, disciplede Théophraste, et qui avait, pendant dix ans,
gouverné Athènes, outre ses traités de rhé-
torique, de poésie, de politique, avait aussi
éprit des ouvrages d'histoire qu'allègue Plu-
t~rque aussi bienque Diogène.
En6n, àcesautorités quidonnentuneimpbr-tance considérableau récit de notre biographe,il convientdajouter Porphyre/le célèbredisci-
plede Plwt~ti:il était ra~teur d'une histoirede
la philosophie,en quatre livres (1), 6'équem-ment citée, et dont faisait partie le fragment
étehdtjiqtj.e nousavonsconservé sur la vie de
Pyth~ô~e. Le qtia~ livre était consacréà
~'1&~ et le troi-
sièmecontenait la vie de Socrate (3).A l'aide de ces documents ainsi autorisés,
et en proGtftntdes renseignements dispersés
d~sAr~b~lTit~u Ci-
(~roB.A~-G~lIe, Apulée Maximede Tyr,
npus gérons pouvoir présenter un tableau à
peu pr~ complet,et sufËsammentjusti&é, de
la~deSocrate.
(1) Suitt. <~«.~<toT~Mt.Cf.Eanap.,P~otetK.,p. &;En8&b~~rëMM.l~.
~)CynU.,p.JMKaM.,I. VIH.
(3)Thé~or.,TAcrap.,1.1.Cyrill.c. Jul.,Vl,p. SC8'Danscepassage,PorphyMcitelui-mêmele témoignaged'Aristoxème.
't't~
~j~pcra~~aquit à Athènes, dans le dêmë
d~ :qui~fai,saitpartië dë lâ,tribti A~itio=
Ôn's'accoïdë générâlecrient'~àplâèer' la
~e~a~ an,néë,~?ela T~eolÿmpiadé~
qu~CQrrëspQndàran469avant Jésus~~ et
iënseignemèrits;.plusnômbreux~què
;~cëEf~a~~n~ t1~ër am
~mois'~]rg~~ le (l~~amiééattique,
etiqpijrépON~!6n!partiej n()tre:smoisde mai.
S~ce~ë~l~ë~~ èst e~aictè, ïL,aerait v''n&~
'c~h~ de I?émotibn, et' dans l'unée
(~~m~n dê)j~~ lés ,cillés grecqtzes l'Asie
mmeu~, e~as~at~l~ indépendance sa
graRd~~c~S~~?~ à
1'embc~c~ed~ .1'.Eiiryméâô~(1).
(1)AppllodoM,danssa<?AroKo~te,etB6nletriusde
:2;1' 1
SANAISSANCE.. SA FAMILLE.
SON ~pUCATION.~ SON TEMPS. –-$ES MANRES
D~NS LA PHILOSOPHIE.
II
~4 VIE DE SOCRATB
Socrate naît donc à la fin des guerres médi-
ques, et la première partie de sa vie tombe à l'é-
poque la plus brillante et la plus prospère de sa
patrie; s~il est contemporain de toutes les gloires
qui iUustrent Ath~ne~, sa~Ule~ est attris-
j~Phalèrë,citësparlMogê~ëdeLaërte,lt, descen-
dreI'~Bnée dé I&~nMs~ahce~là ~d& lai~ OL~et cette
dat~, adoptée par Diogèhe.estreproduit~p
(5~ WII, I, I)et ~e~t~ il, 251.Èlleest
certamement inexacte, car s~Socra~ né eb,4B$,il
n'aurait pas eu, en399 (0}ymp., 95,1), date &pfitt près
<~tain~desamort~i< 11,~ Diod.Siç ,`XIY~3'ï~es
~i~M~t~t~e~ luî dtii~nè'Plato3l:(~jqod.a
M,e). On~ dpncoKtj)g6!d~ d'~inâi~à lü 3a-~
année, et si l'on a~mètqtie le jou)' de sa natSsancejn'é-tàit pa6 ~Oulê a~n]<~ùt so,n~ en
en :en~ril~!dàas'le~mbt~)~~ 'ir: fa~~tjasqa'à~i~tiù!c~s~a- place_r,éu~~7Q:`'
~og~l~ Pl'ês I
.Ct<pt~s;ha~ oQnnmal'arclionte épgn~mp
''ae~a~annëo~e~est~~ec~~ r'ele`véë
')!u~nS~ `~tï~i~`, ,i~ ":rr "~l~ et ar"-
~(~Kq~~n~ ~dn ri~~ à Iâu~
~S~jl~f~Mr~ =de l'axign~o~®(l~tlc~efpt~ipt.h~< ,rnft,sâ~çit,~r~;T~rapscv'Â~iruv
:< dô&~en~'l'
.P~<M'i~~,dë.'domze,an~,id'~&~MeMr8i~B~~.cbnclutql~e.l,epassagtsdA
Biogèn~est mùMl%1~'atchonte~p~ny~ d~cette a
éta~~êa<sonâ]teq~ croit qûeSq-
.crate~est:n6:;j~d~ leiztimcîè~àr-
chonte de la 3ecarnée,où je placela naissancede notre
ipIuloBOphetL~Co~~ de l'enniversabr~ de ëette
SA FAMILLE 15!5
téepar la guerre du Péloponèse, et les consé-
quencés fatales quelle eut pour le bonheur et
l'honneur du peuple athénien.
Sa.mere) appelée Phénajfète, grave et res-
pectable fènimQ, était acco~~ (1). Sophro-
naissance, ~ec celui de la Naissance dé Diane et d'A-
lexandre, a dë!~n6ouverture à quelques scrupules, qui
parattiont plus'àutortS~sënGOre,siF se rappelle que
les legëiodes~ de la pintdsopitie aléxandrine aimàMntà
oXpr~t&Brsous cette to~më~s~ le des
~Md~por~tin~~ l'tiiSMM,et Tensatënt également
na'a~~ejo&rtdelanaissance~d~ &{ÂxoX-
~t<(CM~tnp.<.P!a<e.l).
!~K~~ed~~emtaM,<lahS S&~sset de:teo-
j~ -~s~X&t qC~ ~yMeMus (CaM..jBtte&Mt.,
M);jd<)naeiriDg~&q~~ Spprate lors de son en-
;M~eR avec Parm~ grandes PamathénÈes,coh~
dut qu'il ne peut être né m dans la 3', m dans la 4'annëe d~he Oty~adë; pnisqie ces 'fetttSavalent t0u'-
J~~ i~~a&ns tia~ O:l3Jnpj",(i~.Le
~h~~t~~t, maisc'pst~sNppOs~
réa1il6très~-con-
~tost~cet~' ontre~uo,~et~~en:~'outrë~ att~dterà
,~1;ag~g~tâq~ vtéiribinJ ;'ë~'gn~et.St~âl!i~)c~ bës~psbâ, uiae~nnpof~~ce
ex~sstve.,~9~expre~si~ns~:<le~~I~on~~)M~l~S~e,
;2'?~e~ ~'u 'T<{~në~~ cé
~honibretno~ù~~ ;s,t~t;: ~el1er~.l5i,é
~A~II,~p~ ~j
ad
l
~~iÉ~ro~ c!;ttorvitag
sea~T~ëNsu~i~~c~ a1ppei-
~lat genëN~am' e~~<~p~,ilt~dicaS ~est une mais-
'tresse'femme.
-VIEDESOCRÀTE16
nisque, son père, était statuaire (1) c'est ce
qui lui donnal'occasionde faire remonter, en
plaisantant, l'origine de sa-iamille à Dédale,
héros de tous les sculpteurs (2),l'artiste my-
thi<~e,etlepr~ di~inde-tous.Iesariistes:
II avaitun~reut~ nommé~'âtioclés(3),,fils
d~~cei: :on
~ai~~n ~'cë~p~On~ ai rcen'est 'quâil
a~pëu ~~utpour~s t]~~ g: c~'esprit7~et
poù~ila~~u~jqn.pluMsopIi~ 11 est pro-l)âMëq~~SO(M~x~a d~~ 1emétiër âe
''soË''p~r~Qn;'i~ groupé des
~Ges~n~vo~ev~t~~
etcpl'ony~on~itencf) son--aeimre
â~poque~e~~samas~ ~es-témaignâges-
~~u~a~~et;~ Dygéne,, nous'àoons
.ceux~~e~HinjaR~ à'toutss;les
~~l~e~të~ .acéôledû.~nam;de
,at~& ou Épipha~tet~~os, flc~~M~S~~Ël)~ luü donné
`~Per_
~M~ r
~l~N~les ~édeams
~ëe~i~n~es! ~lyrar~~ua
~MM~Ë~~S~~\(3}~lat.S~e~f 8 ~~oçh~a'SEx~pro~t.jtti-n
~g~ $P.i~IaS` a~P.de Platon:
~iM~S~ qu'Hemster
hujs (Luë:~r~mn t 1~)$`o`~d~~éi ~~eaueoubëe
sonêffël~~ l~at~roal~sGtt~"par"liâë,H'zst `nat.,-XXXVÏÎ, °,~?r
SA FAMILLE t7~
ajoute celle de tailleur de pierres, ~o)<~o<x(1).
L'historien Doui'is, cité par Diogène de Laërte,
coiîËruïe ce fait, et veut même qu'il fût tombé
et~escla~ag~ n'èst pas possible d'après
~~Mt~iq~Sl~a~pr~ q~è ce récit est
~S~!)~M~ ,'Phédon
~S~qu~l~~fërtunë ~de la guerre a v ait, eh
~2~ L. 1'119. Les
t O.rat.
1,'V, ~~e;c~ c (l" :li~?~e~ôl~A~istQph.,/l~P~p. ";TheodOr: 'CynU.
/'a~J~ÏI,~ë.~Smdas~ =.
ti~faut cjB~ë~~ remar uèr q~e ni Plàtôn, ni Xéno.
,phon,~ni'~nst~~ e~'font~sucpne,mention-de;ce
~t~ n~is cel~~<~e)~Ë~ 1'6-
poqae où il~ont cdn~ Socr~ite',üè ltinguès annëes qu'il
~a~aitrër~cë~~prpfessi~ ëtqd'on~MaitoùBUésoN œum'e.~MëmerSdoute encore (t. 11, p. 349),
parce qn!~ :adésaçcord description du groupe
fatt~paM~ :d'Aristop7iânéèt cëllo :qûenoü'sen
~~do~aUJ~i~s;~M~e~ d'evrait sur~
~~rj~ags~ a~ûtenr Pli~ie;s.(H
~?4~p~~a~~ d~Â-
~~U~s~it~~bnip()~'et,~h~it~s m~prqp~a~~
~atMis~lë~uani~pictor, ùt, àliqui,pûtant.~»' Pline
~~pa~pas~q~.S~cr~ :rieçompre-
~q~u~'pMo~~ unvèrtista. $ttibéè
~ous~rf~~ptû'N~ qù'illpî~étaà Soccâté, et: qui'
:it~~usu]~~à;d~es~ inur ùn'ryhà`qui
j~rQcUgtitit~Mti~&bQi~i~ !Gt3ata~t a~ira~ard
~6raUte8~~?S)~dit sois-tu, lnidit-iî)to~qut,dê8Gf&cësqui sont viërgeë,fais de vraies courtisanes,'
18H VIE DB SOCRATE
effet,réduit enservitude, et peut-êtreà quelquechose de pis. Gefut Criton,suivant Déntétrius
de Bysance,qui le tira de sonatelier et lui per-
mit, par sesgénérosités, aussi continues qu'a-
bondantes, de vivre dans ce loisir à
j~n~ssjonqu~ s'éta~ imposé~ ,i
(H~ait~i a'v~~té par.9ë~aol.ôntédt °~'
vine. ~s~ de SpinH~ë.(l~les ternies e~loy~p~I)i(~ .~ppori~fqüê
SQcr&te au~it été1,
~tq1ïë:
..f~e~~niër~q~
~~ire~'lë;'plus'gran~~sa~~
trm~~SB~ ôn.pltis
qu~istidë;panvr~ Iousdonnex;
outre;la~itt~ ,é~-
:p!tE~jde~nj; s'éléu~ni; la
s~iai~l~' quului éùraië~ft~t~.âv~ri
'céés~,(~ton~ ~L~
~(l).~C}~jS~i~
'·;
:~Rei!le~c~ct& ~p~i~~· c~otï~)~p lütar
;1~e:Ma~j~~ë~ I~~ r~S.;ia~~`~ét;r~P"
:ë~
~a ,i r
~N~a~j~Sp!MM~à&'i~ c Ly=.Dio~~r ~11~,20.=LÜ~aÿ
.~s~s~~(o}~ Socrate.'(éd'Reish~,~r'<)r~~c! or~toiëé?`etpeût-i~Erë}fta~jtc~~o~MsMq~e,~au~H~ né fai~kp~asëttaeher.~ie
;enrj~?M~ rlb
~sonpë~ineS)qn'tt!'prê'ta''âl''ùhde~~ ponr
SA,t?AM][M.E. 199
Toutes ces assertions bizarres sont contre-
dites par l'autorité de Platon, qui fait dire à
Socrate qu~il a vécu dans une extrême pau-
vreté, %e}'p/~ (1), témoignage GonSrmé
par XénoDhon, suivant lequel la ma~on et
-~i~y'n~ son maître étaient
~~S~~ .à moins de
~0n tenait m~ eu dérision
~<n~e~~s~:cp a.
reMi~pau~re~gue~ le un va-
i nu-piëds(3)~~p~ ~olé dans
leg~au~evalo~ët que cet~ ami perdit dens de mauvaises
spëcui~o&s.~Socr~ ajoute-t-il, sapporta avec fer-
~et&~cet~~e~ lamàis 1?iogëûe,'11;,20;est ~~s!Cëinp!~t:S~a~en~~ commexiçant,dü.-il;gâ-gna Keaucoupd'ajfg~n.tdans ie commercéde la.banquea intérêts~ pu~i~ I~pjet~it ~aËs se laisse)' décourager,il en IiasaTSatet le perdit encore dans cette industrie
~ncratMe mMs~éj~~» Commentleperdat-il?F~réret
;!('f~XI.(% p~243) que;ce~fùt~
,j~))a~u~~ ~è. pas~un'mot'de~~cëtte
~Mit:[NeM~t~ de, auquel~re~yote~~
j~jt~~â6~ien~``
i~l!J~~ :'l~
1:(~(l~t.j~~ ~gIII,~ c.3I c Î.
~n~J~.8t~l~ ~avu~fa ,~ux'r~~sv~ç
~i:Ï~8! ~S)t~~ amiçïs
~i~Mb~ ~sug,ùit i pelliu. si numxnos
~e~j~ 3l~ub.,v. 93,,pa~lant dela ,~ai-
son.Os.Spcr'a~ diminutifs .bpas-ù e~pvoy
~~TtST6l~[6V. ~L''
EuFpC~)Bp&P ~ao~a,p.,Mt<t&t~)t~~TMtrrM](.~a~te~
"un festin, quand ~i~ venu son tour de ehan-
ter~te vase d'argent ûùl'on versait le vin (I).D'amendeà laquelle sa fortunepersonnéllelui
permet de consentir n'est que d'une mine.
En6nle silence sigmncatiLfd'Aristophaneest
une preuye négative assurément tr~s-&)rtÊ~
car, îhontrerun sage, et Ie~I>lus:e .des'llomj
nies, commençaipg~e<
un~bàtiqueroutier.es~~in~
maligoe~eAt point 1 j
a la situatiph modestede~ sa ~mi~
~J~Mr~~S<:e~~e~T<!KMt'
;~Je~ats'ë~aYaM~~bé~e,~i~~gt~ux~~'a~ni
~Ê~dans
la pMM du F!?wa~o~ l'mtroclmsait
,1,SM~ râo'`é
~'r:fou des
~~a;]~t~~tl&'s~f~ r~s; ,û `es fana-;douté
~i'6~ ^V~rtÎl,.,avoir'11â1Â
~t:~& ~â'~l'fal~~y, ~r D118rB~
f
.&
~ei~~ P~éâ~, p 2~9 g, et Arsstô~ha^ûe~3. ~i N"
'L~~t~~M~
lnsriom sur
i`R.TO~ r· f
j~h~
Et!tiet~ ~pôç z(rpxvr,niv,v~mv~c~eÿ~tr.
SON.DU<SA.T!ON~~ 21
Socrato reçut la libéralp~uca~ion que tout ci-
toyen d'Athènes était b~par la loi de don-
ner à son fils (l).G'étaiënt~la gymnastique et
la mnsi~e, (~est~-dire~ tous 1~ exercices qui
développent et fortifient, Ie,coEps etresprit; il
~f~vid~nmiënt j~ la grâmmatiqûe,
~<tx~ qui ét~it~~ et une. cori-
;ditioi~ préalàble~~et il .ré'dnie aux deux
autres, ait et par-
faite d~unj~uneAt~émëR (2), ~<t~6.'cf,
-e~tf~<&<'t~~t<!t.'r<x. ~r
La gratnmaire, qui devait son nom à la con-
naissant purenien~~mBG ralplialiet~
pour l~s~ la~Gt~r~ de' l'écritur~ âp t
pris]~en~ÔLmtepln~;h! ïmportance e.,t.~z~a
~~(t)I~~ë~~50.d. 'L~
(3)Xênqph.Lac., It~ Aristoph.M.,
18&R~ b; ~éront.; ~'ürc.
;J'J~ F~a"~eriicfulumrxnlitteris,3
;~j~j ~c~~a~sj~s~ ~~l~eram;S<~e~qH:Hn~ w
~Îlec(eaid"ebo.gŸ ~,ic
C!(t:mm~ntse'~i~ qri~Pôrphsre (~éôrd G~cor. a/ect:
~~<C~i~[I~-p.jait-~cfaleavàttete~ mal doué pnr la neituié, enmal M~v~~~M~ ~nxy,r~,qn'il ne savait ni Bi
ecnre,mp~rl~mê~ nette,piopt etbredouillait commeun enhnt~an~~n~snr l'autorité d'Âr!stoxène
qu'il rapp&rteM~t~~ pas Faitpour relever lavéracité de cetê~Otn, quoi qu'en dise M.Grote~
M VtËDËSOCRATE
plus grande étendue. Les livres, dans lesquelsles enfants apprenaient à lire, étaient les plus
grandspoètes de la C~èce,Homèreayant tout,sourcede toute sagesse,politiqueet religieuse;
-pMsIes poètes moralistes,Hésiode,Théognîs,
Phocyli.dë.On&es~pas a Iës lëuTfaïrè
~j.e~~appréndrë~p~~e~ à'lâ f ptiûr eri
~M~n''pénëtreî' âinés; qûi=dei~aie~tt~ÿ'
trouver,larègle del~y~eniof~ (i~e~par suite
défàut~d~ ôn lés 'dictait aux
ée~Iie~s,et de là on arriva facilement, non-
s~Ule~en~~ u~ ïnais
:~j~~B~~ëxplicati~ "Plus,én plus critique et
[ gr~m~àt~~ des textes. ~ui~ tenait la mu-
:sique,qu~~tait~l'aT~ dechanter~de dànsér ët
~de~l!a~rë~ ''G~flûté ~était ~à
~ËeneS,~au~moins~~ fë~médé l'éducâtion
la jeunesse; et d~daignéus~m~n~renvoyée
~Béoti~ Lésppéte~lyryi~s devénaiént`
~T~MQrs~fl~etu~~ ;a~ehë~â~ërit,é~par
~leuTs~~du-eM ."é~~5a~ë~ei~~~ô'~t =
~i'!f~W
ry
h.i ,~I~°`I~
4-j+f ~~IuY
~1~r
~~G~ç;Isbcr~~iV'c'otl.
~S~~Ih~M~ p. :[0!M)~(M~~t~< TYoirda»~~e1 lâ dl~
~Mm~dëp~~ge~e~~inf~aM~ p:r~d~lài'<ue~e:pgi~
(~plnt.ZctM,c.3: "a'a;~ "x~ï~~~<ttt«t~M~t'ï<'e<cK~
SON~DUCATMN ~3
del'harmonieet des rhythmes, d'imprimerdans
les jeunes âmes le sentiment de l'harmonie
morale, et de les habituer, pour ainsi dire, au
rhythme mesurédela vie.C'était, sousunnom
charmant et avecdes formes agréables,un ap"
prentissagëderart de penser, déF~ de dir e et
~l'Mt~e]~~ (l};
Q~an~ a cette~ d~ l'esprit et de
l'ât~e (ttta~aitjoi~t les exercice
on~tait?uNhonim~hienélevé(8).
Cette éducationnemanqia pas à Spcrate.
Maisilya une autre éduçation celle de
la et ~uë ~e c'est rédu-
cati(m J~on~!reç~ et, :pôur.airi~i qu'on
respu~ sans ~sa~oipeÏ~ vouloir, dans l'at-
mosphère inteHectngUee~m~~ là jeu-nëss&se développe, et du, m~ tendre
en(~re, elle se laisse pénéti~ ç~e milleimpres-
si'~anvi~ 'is: Jiûis.~àn~es;'J~"sp.isbie~
~él(Rgn~~e~oirê;~qi~ de "f. ne soit
~qtt~,pr0~uît~6Ë~ci~ egt~~ieüreset
~iîM]~~]:qui~Ï'e:ëp~"¡:[; ,¡:. "[ ,I~J¡< .ri'4~
~l~Pl~t'3~ ~~ç 't~ft,
<t~T6 X~t~~MT~ sur ,1;Wl~e~ee mo-
ra~ttela i~ St. VIÏf/4 et,5;P~t.,
~~J, ~Ï~; ~t~én.,XIV,18;P)at.,j~ëp.,Qülast.Symp.,~II;.r);f\tl1é~XIV, 1 Plët:;~ep.,~V,
(~ATMopti.~M. ~'h,eag.;I~2C!t<op/t.,407ë:mn~tMMapt:'MttXw.
24 VIEDESOCRATE
d'autres preuves, comment expliquerait-on
que ces circonstances;qui ont été les mêmes
~~ur tant d'individus~n'ont prod~~ effets
quë~surun si petit nombre d'entre eux? Mais
quoiqueje considèrel'homme,etsurtoutl'hom-
me de gén;e, CQmm~u~force ujie
~cause!i]it)re~~er~~ dei~ïner~ue~cétte
~]!e~ ?ét qu~`cette~force
~sp~mis~ egtérieures~
~as doutej,n~'ï'~nt p~creé~ majsJ'on~cer-
tain~nient modiR~ et que, parconséquentj il
~jn'est~aë:jmcUSë~ c1ëcounaître.:
t ~Gra~ea eu~l~bonheur dé dans le
plus ttëau siècleJde1'hist'tiire, dans le pays
oùse~n~donn:ë,Jpour~n~d~
toutes~~l~gramj~~ que:.pmssentréalisei et
~,mêm~ji'ë~j~~i]~ ~I,~r~ehésse,Ia püis-
sance~Ja glo~~la~ çouronnéesp~,rdes
'u~ë~Sns.~ïU~te~ _lascul~turé;;l'élti-.7r'B~M~M~~qu:enc~ ~d'ûne~beâutâtellel
plusr~ é~ ç~en'e~t, ~eri~
.r~s~~M~ et~que~e't~é st béau,
'=~M~M l'art` é\'én~i b`, I,- r' 1 r'
~fs~~t~qtie~Gt~~~'des~BM~â~eur~~ r'dônr~~rleur "car~Mèréièt'&d~t~Mtner]eur.p~s~on?n»e ;c~~cerié,sônt
-Lqu~es~~e:1a~vM~et~a~e~M~
maît~~e~l~~ande~col~der&omme~~
SONTEMPS 2S
2
jamais unplus nobleesprit ne se trouva à une
plus nobleécole.
JetrOuve en général les historiens sévères'
jusqu'à l'injustice pour ce siècle, enfant gâtéde toutes les gloires. Thucydide, assistant ëf
l'efFrayant~~ qui en signala
les dernières années, a fait des mœurs et dé&.1'L~:
mobiles ïnoTauxde son tempsune admirable'~r'.t-et~nergiq~~p~tu~ nia~ e~ ~aqu'on,
applique~sa]~!raisonau sièple entier Avecla
gravité fpénëtrantëdeson expressionconciseet
forte, lippus m~ degré!),deperv:er-site ën~àhi~ant~ Tp e~:)yH(.$ la
'1'""Y:c"}:-Y\;'(:¡,j<L!< ,L:.C:'¡,,"{:,T:< 91smpéaté~ c~ la noblesse
morale, ~népri~éee~rai~~ tout séntimeliL
d~honn~ur détruit, tout&f~ facultés
les plus heui'eûsësëniplby aux buts les plus
ignoNë~,Les~ p~StQns~~ph~ Becou-~
ran~~së;sa~sM~ a~ pra-
tiq~s~~Q~j~t~n~~ ~quc~
GCibon~y~~)~~ 1,xi~9'i~C9JlP
'dpëj~désasitrës'~e~M~p&tn~n'ait, paë~
s(~~a!)le~,Lq]~~s~a]~ l'affrm~r9Màis..sans.
avou'~repours! ~cet~ arg~melit, ~qm dimi~
nuerait~sansireSacer, l'importance de sonté-
moignage~paurquoin'a~ pas sui-
vant Im~I~eau~ce~~ décadence moralece fut là guerre,un guerre atroce, uhpiacabte,
26 VLEDBSOCBATË
plus que civile,quifit coulerpar tous les pores,
non-seulementle plus pursangdelaGrèce,mais
son honneuret sa vertu (1)?ÎI est doncinutile,il est faux demontrer les germes de cette cor-
ruption au sein mêmedes splendeursde cette
époque, ôt de n'y TOitque lé,dweloppe~üaent
T~gulier~e~ des.principesqui la diri~eâietl~.
'~0~siec)~ ~q~~(~om<Mi~-on,,le si~c~le,qnicouronnâ~sa.`~e~inesse`des~
~palaiesdcMara~onet-de~S~fatalement condanine aux guerres civilesqui,
pendant pr~ de tMnteàh~coùY~ lâ Gr~cé
d~d~~st~ns,~ et ~Ilit abouti Mlinede
la~liBertë~~de la cxvilisatio~.
Ije progrèsdes i~tit~
1~ magmâquô déyeldppéme~ l'axt ét de la
'p~lë~j~at~:i!E~~ zirlcOtüpléf~,~on-
tredt~ dë~~ écôlës~Iiî1'ôso,phiques;les
~m~RGati~~ùi~j~ d®s-`.pb~iloso-
~phe;5~~mt~ Po s'ïrit~odûi~-
~en~eâ~<K~~ ~lo~~aires'êt 'ten~
~~i,i~ p~aP'ê ,~p~~tliéxste'd~àiïs'
.]~;i~~spË~~ lflusI~~éNv'~éet~p~.üspiiré,~
~en-t~M~~ne!'c<~t~ en~sot,~
;:j~:r,rei!ie~alemén~~i'la~.a (téploral~ri~ti~
moraleqn*o&s~ ëtqm futle ~std~
:gùë~~c<)up3~tet~fHne~ ~f~
(1)ThUCyd.,111,'? ~M~&K !M[Tt(m!M!;MOMI~'wt9tt~<eTe6{eT<K~:t{TMÊM~w'~M.
SONi'EMPS 27
Jesuis étonnéd'entendre répéter encoretant
de banalitéssur l'esprit léger, changeant, révo-
lutionnaire des Athéniens nul peuple dans
l'histoire n'a montréune plus grandeunité, un
respectplusconstant de sonpassé, et.n'estresté
plus ËdÈleàlui-môme.Dansles grandes comme
dans les pertes choses,il~r et rajeunittout saMiri~n détruire, c'est l'union la plus
parfaite~gétnedô rordre et de la liberté, de
l~cons~atMn~ d~mpuy Je n'en yeuxciter gué quelques exemples. En politique,
Athënes,pose le problè~ en des t~rmesqui
né l~t nen la et
on pentdir~rqu~elle~a.réspl
que tous les peuples~n'o~pas~atte~ elle re-
pousseavec une égale horreur Fànarcbie et le
despotisme(1), et par une vue aussi profonde
que juste~ et qui lui appartient en propre, elle
S~t~dje~ l'exprime le
~.n~H~e~ ~éme (2).
C[)~ a été un
'i,i.'t';<¡:i,j' Ii: ;:¡;r¡.:¡">;E'I'i..ii i;¡"
'~r-
~S~ âv4pxçir ~iov"'
'WTt0~6T6~~0w.
6~ç ti\l;4oa~.~AJ~~T~~9!l~!6~0!&WMM.
~tEt~tMa~~ du régimedétetreurorgojntSéptrIesL&C~démoinon~aprèsiaprised'Athènes.
M vrEDESOCRATE
chœur à Bacçhus, et a conservé le caractère
quelui avaientimposéses premiersfondateurs.Six sièclesaprèsle Christ,la Grèceadoraitton-
jours les dieux qu'avaient adorésses pères~et
les Turcs/en entrant à Byzance,trouvèrenten-
coreles Grecspenchés avec une respectueuse
àdmiration~surles page~de ce livre
~bibl~deJ~Mur~g~ et~'de leur PoUr
pa~êr à un ~it~m~ importa~itet n~en
est queplus càra~ -étaitla fidé-
lité tëhâcé dece peuple vieillescoutuïnes,
que, iquOiqu.e~ajtphaibeti ~fût~d'un.~sage
coui'depuis ~ùx gén~ lés' lâ~s,à~
Aliènes, avaient continué d'être écrite dans
ranMeh alphabet a~qu~d~ seizR ou d~huit
~e~ët.seul~e~ ~ig -l'a~çchôntat
~Ëuc]idë~a~~n~siè~ e diffain,é,
~;ce~a,~isag~c~
~~c<)m!)oa~s~
~Pe~qu sentuaents g$n~
r~i~.et~d~e~ ~,d~a~u.,S~~
!;j~n(~~o~
r~
qm,fai~t
'~6gur~~d~~I~Ii~ aip~é'sâ~voirrendu
là~lE~M~p~~à~~patM réçevoir,pbiul
~é~~ense~n&jsQ~nîne'de:400~ancs~.d.estmée;
â~6ce~(~~ûLm~~q~ avait t se ë meÊt
l'honneur d~o~ jî~m~ Ge~ ~Ml~
si co~mpue crut l'honorer personnellement
SON TEMPS 29
2.
beaucoupen lui décernantune offrandevotive
avec des rameauxd'olivier (1)?La liberté politique, l'égalité de tous les ci-
toyens, la puissance de la démocratie dans le
gouvernement,tout cela ne fut pas l'effet ra-
pide d'une révolutionimprévue~hâUv~ou vio-
lente ~tPéncles n'avait fait que développer
les principespolitiquesde Solon, et Solondé-
velopper ceuxque lui donnait la tradition du
passé.La Grècea été toujoursrépublicaine la
monarchielui a toujours paru une institution
barbare et bonne pour les nations orientales,
parce~hque, suivant la~r~ à la fois
dMaigneuse~etpr~~ elles ont
l'ân~servile. La royau~~ dontHomère
noùsiaitlapemture estibndéesurleconse
mentlibre les~roisne sont que des magistratsdont les fonctionssont déterminées et très-li
miltées~ autoritédépenddè leurcourage,de
I~e~d~il~
qu~~agi~~ e une résolutiongratre;on
rà~eiï~le so~ l'armée, soit les chefs;; dis- w
~[ (l)~scM.c.G<~tp~c,6~Corn;Nep.,Thrcasub:,c.
~~G~y~~)D~a, dans jHonièrë, c~ d'une noblesse guer-
rière, ~~TM, ~KtTM.pMt~t, on trouve le peuple 'H~ct,
etIesartisahs,~M't~M, les devina, les médecins, les ar-
immne~~es~s~s~~sont~appeM!, des hommes illustres
tUTM~ap )tXT;M!'~t 6()6TM~ttt' emE!pcwva~.
38 YIEBBSQCRATE
c;u.ts, on déU;bere, et ç~est a~ peuple ~s~b~
qu''àppa~tient.la
sou'yerQinet~. Le 6jtM<ï~i~$
~ct@-n~, ~(~ri~uï~ pQ~
Mp~ ~pQ~t~p ~êt~ d4~ect~q~
:U~ iQjQ~t~]~~ et, q~q~0,V
~SqS~~i~
î
SON.TMft'S \3'[
gtoS~~M la dënioeî'atiqueAthées quelle
.~ût~a'~i~ux mentede retro~v~ liberté et
1~Ë.n' DepMi$qn&D.(i no'n de
~~yM~ fmt~H.pItLs~MM d~ grands
~jM~e~~ ~t~,yë;d~fondo~'
~t~S~ lut~
"~<M~8~'iS~S~ xâppxoclian~
isolée,
~e<e~ le
~m~ de°,p~~e~`zté,.~e la
'i~a~ uni~s.àie~~Gâ~tr$
..ë~ë~ ~o.`,ndar.ye
~~t~~la
~N~ all~~s,'a~'t~~t~ô'
'g~ f~~xto'dal's~ë~aov~ p~~ iei
~TSM~N!SN~< ça`~ qu~e~ ~t~
~ËGS~!S&~MS~~ fdÿér`d~`~ ôl~G~~ï~~rd.~1~'~r~é~`-~o~.~~t o~r'~i,
ret q~a~olle1~ ~b,pr~3~
~S~t~~ ~i11~~~b~reixde~
~iS~H~S~~ b~d~ '~o'
,N~E~~ de ~'ad~ati~n de~es
~i~tj! Ëla~eëôn..
,iâ~s~a~~ i~ ~t;o dë'T&maMe~
~{~<e~N~N~ppelëe''le"e~ et~'Ie
32 VIE DE SOCRATE
Prytanée desGrecs; Thucydidela nommaitFé-
cole de la Grèce,la Grècede la Grèce; Athé-
née, le Musée; Pindare, le boulevard de la
Grèce Hippias,le Prytanée de la sagesse.C'estles yeux nxés sur toutes les splendeursde ce
cinquième siècle que Gicérdn s'écrie A</t~-
MM~~ ~~Mt~ < ~M
or~ <ï<~M~ ~ow~ <M~t6ï~ pM~n-
~~(1).`
~r.L'(Buvrecommunede la philosophie,de Fart
ëtde~a poésie avait été non pas nue des~ruc-
J/mâis~~]~ei~tKm~ là~'Vïe~'mo-
ï~: ? des physiciens av~t com-
ment à pui~ Ï~sprit, hanté par les-visions
~.J,paieBâes~~des''tette~ des lâchetés de la
~s~per~~n.Ëa'd~c~e:de~ Pa~rmén~ile
.un'inonJ~;réet'au''dë~ 'âu-'dëssus'du'inô~ïde
!/que:lM~pï~'if<Ml~~ t~tent, qzie
L ~(1).J!~ 281?lâton,q°zie~sEâ~.hjd't~A~âie~Z~
~t;iiaiwa~ao~sf'$t 8~ e~
.e~n~&~e~~e~ Com~e1~ld~~glsttin, Ietryt~dtSti~MM~C!M~
~el~n~jlejg~t.votf, ro ~'Ia~ss~rit~~MM'n~ord,R)~e.t'Scythe l'amorirdela
;saDgt~tB~et!'l~pt)'M!a!Ï',diB~tO!Nta~nnm~)''t)~t-~~~)M!)~j~~rOrM~t~ etPhénii~ens, J
.M~h~dA~làM~.(R~4Tyj.jn&.'ti&e~Bo~sse~t~de~ss~ien~mss~
avecpItMd'~ctatqnedte!:lesÀûténienst
33'SONTEMPS
les yeux voient, et donnait comme un av'ant-
gOûtdèTinvisible.Xénophane en attaquantcommeHeracliteles absurditésdela légendere-
ligieuse Empédocle, les Pythagoriciens s'é-
taient fait et répandaient du divin une notion
plus pure, une idéeplusvraie, et moinsqu'onne prétendeque fonderles mœurs, la religionet
yËtat sur des notionsplusexactes,plus claires,
plusvraies, ne soit les détruire; à moins qu~onne préteRdequ'en demandant à rhomine de
descendre dans sa consciencepour y trouverla rëgle de ses devoirs envers les autres, en-
v~~lti~An~ la~~p~ donner à la
raisQâ1~directionde la vie, et demanderaux
~mmesnon-seulement de I)ienagir,m~
gu' t~ntbrn~ à une maxime morale, ce
s~t~èit~ la civilisation et relâcher les
liens de la vertu, on sera obligé dereconnaître
que <~ vérités pre~ par les philosophes,et qui p'Br~~ dans les vers des ~poètesh~gi-
qti~Opuquës, sont pour rien dan~ la
d~catienc~'quisignale la En de ce cinquiènie
~si~if~~]"
Les ftra~i~es pnt appe ont niérité
d'&treappelés,dans ce siëQlë,les instituteurs
delà &~è~(l), et commes'il ne suffisait pasà
l)QIymp.,F<<.P!c. 3. cf~zT~T~~mM:nrcu~MOt!
Y[E DE SOCRATE34
ces poètes de montrerla leçon morale dans le
coursdes événementsqu'ils mettent en scène,dans le développement des caractères, dans
l'expressiondes~ehtiments'et des idées dés
personnages qu~ilsfont agir, il y a dans le
dramegrec.paruneexcepUonuniquedaï~srilis-
toire de ~art, u~ personnage spécial dont le
rôle~~ presque cel~~d~ tôut le
mpnde~vp~q~~J6~pa!<l~ Or,.qu'en-
seignent doncGë~p~etës?~ë ]le~v~fJ,ÎJ!;1n'
seib~xentdÓ~cce~pbètes~.Jene v~uxp',asrele-
veri~i endét~lës~ Qnpént ré-
sumet en (piëlques~ es,.i4eeg~~Mo'es,qui
~lenr~~c~~omnmn~ vent ousla nïo~a~on et lad(~~ ,ap, et la'jus-
tiCe~ilsnou~SLppeUënt~~&~ .néaJit
de~l~ïnmg~;d<~[~es~
:bile~~ga~~tnl~~ij[!~ fumée; 1~~ra té'. dé
1~ yies~ït~laMe~ pemture fr~chee,@q",1"t euce"-.;B Tls~n,sé~g~é~t1'eziste~.ce`',d'iiné,
~vi~~a~~ ô,d'ûue~'rovxden~e,d'uu D~.eusu
~l~~j~ mf,a~~1>~1~iaé~s
(~E~o~~ ,ou li u~ui:q~~a!fgt~ consçie~~e;d~x~-
~gles~a~st~ 1`oi~noâ'~écx,i~es
J ~uthmteû~<)I~;1;;1,
~M~UtM;c~a~MO~ tndo;(Ó'ès ''dttitT<
tmdiMbm~cqae: lia poésie est l'éeël~ ~ë îà vtë m0~
Mte.r/~h-j~
SON TEMPS 3.~
et arbitraires des hommes.Nulle puissancene
l'emporte sur la puissance de Jupiter; nul
trôneh'est plus élevé que le sien, il parle et
l'effet suit ce que sa volonté décide s'accom-
plit infailliblement. Contre cette force divine,
Ënpmi~é ne p trianquerde. reconnaftresa fai-
liesse et saJ~é~n~ncë; Qu'il ~chedonc con-
itaître ga ciOpSiti~ sa vràieessedce;qu'il
l~éstinie p~ hlttitcèquF~sth1imain; que
~me~ansie~ malheûr, il Iie:s'irri tépasc0I1tte
1~ die~, etserappeUe que r de lafaMe~
sën:i~pàr~6rgueil,~tiia~e une mois-
spni de l~rMës. Ces p qui éclatent en
t~~ de i ua~t~e~dàn~ d'Eschyle,~ous Ie~ retrouvons avec d'autres accents,
n~oinssublit~eset~~p~ dans
les tragédiesde Soplïoclëet d'Euripide.
L'art dram~ en,l1,Ü::mê.-ne,estex-
S~a~~ m~ral~3.c~1'izitér~t
~~l'à~a~~ti~~
~sit~desl~pe~ ,.pi.,i~ë~ë~r
"ëgl~'inoralê~~ ~dëux'm~l~orSLU~ ~a'
lu~, ~aTQslàcp~(~ence~ 'Ós,dÏ'~mtaWlue,
& ~éc~Q~ans !Q()hsQi~tibe'd1.lspe¿tateur;
!R~;pa~~l~ m~ :ClÓn.tÙsl'ont traïtéé, on
j peutdir~iq~le~h~atre d'Eschyle,de Sopho-
~e~ W~m~~uQ~~ degré, d'En-
npide, présentant à l'hommel'homme m~me,
M VMDESOCRATE
l'hommeintérieur, est commeune philosophiemorale en action.
Socratene paraîtpas s'être contenté decette
éducationcommuneet générale,dontl'art était
la formepuissante et enchantée.
Dansun passagecélèbreet fort diversement
commente, Maximede T~ nomme tous les
maîtres auxquels s'adressa Socrate et dans sa
jeunesse et d{<nsle cours desa vi~, qu'il passatout entière~commele recommaudaitSolon, à
apprendre.. ,j.~<Quetu adores par~e~ûstou~ la science;
dit-il à Soeraté,je te l'ai souvent dire,`
et je t'ai vu adressant les jeunes gens tant~ d.
un maître, tantôt à un autre, conseillantà Cal-
lias~t[fenvcyer~,son~&Âsp~ de,Milét; un-homme&l'école d~uné &mmëTTôi-m~ à
ton âge, tK ne rot~p~~ et,
~non.e<mte]~ faïitle discipled~4~e,
~tu~<diet<Eh~ de;Dio'txnnela science
~de~I~fm<a~[~ èydé Cdunuscelle ~1e~la,muj
~tque,~au]~usr~ l'ai~tdela ~oé~ie,~~B~
;~d~homach~~Im~era~ de
Tlïéodore.~àgéo~é~;(l). est évident,:~tXmie.)~Èti~~ ces nomset ces
".ijfM~:(l)jDtM't.Ït;P.R~ajOt'
pm OMM tÎM~«-a~STX M': !t~ ~T< ~SiA, &!M;&
Tt;aST&)'<HK~,tiT<Ut
SESMAHRES 37
a
faits aux livres de Platon et de Xénophon, et
n'est pas éloignéde n'y voirlui-mêmeque des
traits d'ironie. Examinonscependant avec un
peu de soin ce que l'histoire nous apprenddes
rapports de chacunde ces personnages avec
notre philosophe.
Xénophonnous parle d'Ischomaclius, dans
son ~ep~ttg~ commed'un ami de Socrate,et c'est ainsi quenous le présente également
Plutarqu~~1); B~aisni l'un ni l'autre n'autori-
sent ~asuppositionqu'il ait été son maître, et
dafns~o~aloguë de Xénophonil ne fait guère
que f~~if~~ i~ 'àS<>crateTlourexpo-
~P~ sur~ l~mairlèr~, gou-
~vernér~nne~mat~c~i~
E~?énns~d~:PaI'()$,'estplusieurs~fois men-
tionhéparPlàtoïl dans ieP/(~d~, commeun
rhéteur .qui avait distmguéquelques formes
:~d'aa~~c~~Q~~ ~ei(2h~~il.S~ooï~jpM~
:am~rat~~ha~aj~~tt~p~~q~ (3)".1 :1Wl "J:"y.q, ,,°,
j~i-K't.j ~Mt~f.2<M,& it'!tMi<l[M'.t!& ~e
t'i~ Il,::I;~i~M~ 5 mine5,c'ést-dire 100drachmes,~~m~P~imtt son~pnx,:quaMlFMtag'oràs,T~t'~nt~eBtibOmin~ élestà-direprès
d~MtOO&f~MM~bresT~
38 V1EMSOCRATE
dans le Phédon, commeun poète (1); mais ce
dernier dialoguenousprouvequ'il était àpeineconnu de Socrâte.
Pour la géométrie, à laquelleSocrate notait
pas,U est vrai, étranger (8), on n'a aucunerai-
son decroire qu'il l'ait apprise de Tnéodorede
Cyrene~ <M)mMë~~le 16 maître
deT~Iat~ et~~Ë titre, t'1~ t~is de
ses~pluB''gràhdS~dîalogueS.
$ocrâte~dans lëJM~M~~ dit à son inter-
locuteur qu'il n'est pas étbnitant qu'il soit ai
naMI~daiisl~ depai~~p~ pourmaître de rhétorique cette fetnmë~ë~ebre au-
tant~arsoûesp~ que par sa béau.t~~dan`irles
leçons avaient &rméf~ ~le.~~rrancls~~rateurs,
et~u~plus~a~ d~~~y Pë~ic~léa
veuX~~u~d~]~~ (4);t,' da~le .Ba~g~t,
il~a~est~ '][~Mi!j5a~~
trea6~Ma]E! .t~r~`~3ï~ttla`~ule
:q~ï~d~~ijp~~ ï~ie~c~e 'j
~n~j~il' ~`va~c 1
(i)~<f.,j6o.{~ ~j~;3Mn,jM~ ~i~~
'T~l. .t.
~fB'M~J.'L.~lIl~6;' ApaL,~DeA«M<.~JM,~j'i%~l'r~ ~a' ~j~~jMat.Ma?;, -r~~N~~ëiE~ L(S)TMm,,<9f~xi[n,, p. les; x&m,if~ n~e;
SESMAITRES 39
deux passages, d'où Maxime évidemment
emprunte ses assertions, autre chose qu'uneaimableironie.Cetaest certain dudernier sur-
tout, où Platon expose des idées qui lui ap-
partiennent en propre, et donne à la théorie de
Fam(~ une portée reHgi~~ et philosophi-
qtt&quelle était bienloin d'avoir dans l'èspritde Sonate, tel que nous le représente Xéno-
phon (1)~ Ona mej~ soutenu que D~
était,~personnage n(M~s~ est tres-&é-
qùenMn~nt(a~ (~aune u~ personnage Jhisto-
T~~ ce n~t~ dit~ p~ir des écrivains
post~n~rs à~ ~aton et~qui ne s'appuient que
sur soMitéoïo~ ¡Gepëild~t Jèfw~xem~
pies d'interlocuteurs nc~Ssont rares dans les
dialoguesde ~latpn; on ne Connaîtguèreque
Her, l'AMBLénièn,dans la ~~pMi&~Me;l'hôte
d'Êlée, dans <S'op~M~ ~M~<< les
IroM~e! ',L9isi~(1]fniasde crète,
Mégille de Lacéd~ l'é~aDger:ô.Athè-
M;~t.~ 's~ r~c; a~~ G611~tI¡u,~tMtt~Mtttt, 'i~t~x'r ~°~.u~PWYc -r'f~1."
(l)JMe~IV, ~2;VMBet~tapt~~FM<.?tBî~m~{MnNpN~~ prtirsneeün`t J'a-dopteicipleutentt)mtl'op!n!o~ K.FHed.HertNMn,
'c<m~<de~~iggM~~LnB.M~lS~jOlém~A~ ~rom.; VT,
p.631~;TMm.,Sr~ XIII,p. 199;Himér.,Ora<1,18.
40 ViE DE SOCKATK
nés, quisemblent bien être les
types des trois
grandesconstitutions
politiquesdes
ûrecs.
En' accordant queDiotime soit un
personnage
historique (1), il n~est pas démontrépar
là
que Socrate lui ait dûquelques-unes de
idée&plMl~O~ques~M ~stéer-
t~q~e~ c'était une femmë~d~~
et;~q~e~(~ ~6ri¡ii1ti1nj~é
mais lë~on ironique de Soëra~~q~~ Íl.sé dé-
clare~on disciple da~sl~C dela~
est
mM~ e~~et~B~~:PIU:tà.D~
qu~Om pëu~
~at~a~es~o~~,'ç:'~ea'úèÓiipd"a:litres
It istfugttés
~mps'aH~ent~l'exëi~I~
chere
:i"'
'J,<1>i'cherGl~~àupr~~dfe~
~d~~e!~et?~~
côn~sa~n~ ~!0U~
~nt~ë~~
~fatt~ne't
~nee~~eB~~m~
SESMAITRES 41
science.instinctive,qui n'est pour elles qu'unedes formesde l'art de plaire.
Dans le .M<~îM7eM<?(1) et encore dans FFM-
<y~(8),Spcrate nomme comme son maî-
tre de musiqMConnus.(3), fils deMétrobius.
~~mr~~niqoe~est ici d'autant~plus. évident
que~est d~n~pa~~esse,~Q~~ qu'ils' estmis
à son~~colepour apprendra à jôuer de la lyre,ce qu~prêtai~à rh'e aux enfants élevascomme
hii'd~~Gonn~s~qu~i;appe~ cette,rai
son~leur~S]LtMle~~ L'édu-
catio~q~il~ait~f~ dans.sa jeun~sse lui
rsnda~~ n~H~~upe~ tardifssexercices
de itSjtsiq~~m par
tr~ d'4(~aiBLS, (~). cité
]ueu~d~ (3on~ commele maiîtxe
muRM~~SM~ Diôgènè de
m~
'jâ~Si~o~ dans.~le
~f~~&>
,(3).,S' 272v'c. ~M~F~s~n~g~ ~do~~fMm~ëtne-
'j;d;~i.)p~ps~'q~!G~ lesNuéé,sd'~t~risto'-
~$sm~~ le~xùc,llbaum~ctd~'udhÿd")']E~g~~ue~~S~a~~ l'cble dè Conmiis;,
~ëé~~(~c<~o~~ lâjqunesse~v~~q~~H~St~
~e~ ,1.22, 2;~a~if,8~iSWc~t. «T)istin_
42 ViEMSOCRATE
Z<K*M!(1) et la .B~pMMt~Me(8) que comme un
de ses amis. Ce célèbre musicien devait à l'in-
timité de ses rapports avec Péricles nne impor-
tance politique considérable (3). Plutarque le
nomme un sophiste, qui, par prudence d6-
guisait la vraie nature de son enseignement et
la portéede ses leçons (4~. Platon ë~&it le
ptu~.grand~61~~1 ~t~~è: :i thtéctnô'j sur
l'inSuëncë pr~ndë que la musique exerce
surlës âmes et lës~m~ (5).
E~n Lumen ~ëut 'que SOC!a[té t
tardrt~entà d9ns~(6~ \~iqu'e
Xé&ophon~i~s Ie~~ ~a~:i,a
dansant t&nt seul dan~ sa m~ ~;J1O$
~dohn~tnou~t;~ et~itm~:exeK~saln!-
't9"'< ~i\ >
~DanB~son~.av~~ Soèhitè:'a
,ni~në;~të~dif'<~ science~ ceux
'gtte!!uMm~m~àt~~L-m,qM-lyra:~m!~mdt1~H~
-i~~a.~~1~,IH,I~c;~L~~
r \~N;:c*M~N~~6pt!ët't~MdOB'<i~~MMM
']~€~S~'.un~'àmp~.d~t~îs~~aM~ fi *t aiâ,e~n.
IMqg;.L., ll, 'P~c~~ .S<t~,p. 1~
SESMADERES 43
qui prétendaientposséder la plusbelle de tou-
tes, ta science de la vertu, aux sophistes ilse
dit plusieurs ibis, dans Platon, le disciple de
Prodicus (1), et rappelle mémo son ami (2),
et, dans Xénpphon, il récite par cœurson bel
apologuedT~etCfle(3), comme, dans I~PK)-
chus dePlatpn, quelquesextraits vraimentma-
gniRqnesde son discours sur la mort. D'après
XénOpRonm6me, il eut plusieurs entretiens
avec~ppias (4); il y a loin de la a être sondis-
ciple D'ailleursil y a dans toutes cesexpres-
~ons unenuanMparquée de plaisanterie,etop
~eë~guère ~'oit A'e~conclure autre chose,
s~n<wque S<~cr~ a~~M~entendu Prodi-
cus ~(6) et d'auto sophistes. Ne fût-ce que
pour mieux Ïesr6fùter,i~ était naturel
qu'iL~ûtçu~eug de lés~oir à l'aeûbr~; ;peu~-qu'il.?1 curieux de les Voirà l'œuvre~ peut-&treau~si~c9M~ veut M. Grote,K'a.Tait-il
'L,
ilne s'$gitquede~'ém f,.T~r
-ple~b~d~a~t~~i~iaM~ et
~q~ès~a.~t~t~ ooanpéPradicsns:Pru-'
'<~a~~t~ic~~ stv~ u~pé~<tM~<'MMfH~~~abi~och:~ ~CMt~ï.b.
'4'~B~c.'t'i<!t~~ h-M~h'
~jM~at~~:XAm.~JM~t.4,~]et6.'
~)~Mt~j~~bÏeêtipeT6n~t ÂtmênM,0!. on8?; t ee~ ~po~ t~ de &qûaMmteans.~
VÏBi-Ï)E SC'C&ÂTEr44
pas pour eux le repris d~daigne~x~ co'ur--
roux iËLâig~é q~e leur témeig~~ et
Iso~at~ mats q~il àit~~rée~M~tëur'~dïs-
ciple -o$ iSéMesTetu' '~t~Q~"e'est~je,Q.e
pms:M~e'tt~ y ~dè~"
'o~M~us~
;lè~<S~
SESMAITRES 48.
.3.
pt'it~c'est en excitant l'ardent désir de com-
batte leutrs enseigne-mentsfunestes,' et en
dê~loppant~'âoAgoût naturel de .polémique,
~M~e't~~gatH'' de son oeu-
~e-cette
~sMW~MM~ la fin ~ïctoroùsë dü~bôn
~Y~~s~o~M.~ -~zi~~ëieûx,
~ppa;f!jn~sto~ XadôÇ~~irzedQ~ocratè
'~s)~]~~ d.~aa.wzeci~tjé me~ren-~
~~r~r~'i<l"~ë~~it: p~rmis d~
'ï~~j~n ,ra~e:ou ..J,'ôn=aa ~de-nôtre
't~p~ ïde lizi
!p~j~ ~es ~ôphiste~(1):
~J~ é~oü,ré~éte~«,e,qu~lû~
~it~ Sbcraté;s¢ txëiï~iïtsür-
~l~i~K~ què lü setzle
'?~0~~
~~S~
t~u1üe~~dor,veüt`pas
.nM~NSJ~~ ~e ~aüt ~oz~dzr~?
'p~xs~ou~n~ et po~i~
~M~ ,4'~~a C071SG1e11Ce
ars'~ezxt~~t qzzecet in~i~~idu
r
:M!ii~is,<
46 VIE DE SOCRATE
porte ~n lui les caractères universels de la
venté, en tant que sa raisonplongepar ses ra,
cinés ou par son originedans la raisonuniver-
selle, en tant que les idées universelles et né-
cessairesconstituent l'essence de sonesp)tt?n
estcertam queFhommene peut juger qu*sa raison, penser q<av~s~ espri~;et que
penser étant ïnesUrer~sa pen~ est la~ide-
spre des choses.Mais est-ce lâ~ce que, dtt et
veutdirePMtagorats?Socrate~bnde une méthode pour arriver à
uneisdeâce~d~ l~n~~ /(~4a
pbssiMnt~e~ Alà s'eM~ est la vértumemë. par sa tènta~edo découvrirressèncë de 1~ ët~e <M-
~ternnnerf][~~des~déf~~ ~éné~alesdes diJTérëntesve~us, U~ une morale
;s(~!ltNqu~ plïi~at~ï`lliqne
PaF$ee~echërchesqu ~es~dëésd$s ye~rtni~
~appt~B~ ~Qii~l~ë;~encë~~~a'c~ioseïs
d~ië~~déë~t~p~é~ â~~x é''il
~b~n&d~t~~ c~i~ec~it~ie;
â~n~Jm~n~'p<~ arrï~aérytrouw~rt~ë,
dë'l'au~la~f'ï~ 1'ontolo~ie,
~est~à-d~s~ v~érilablec~nï..ne
~consi~ste~quë.dstnsjl~dée. 'J.~
''LBS-.sophistes~tO~de~i~ hom~o
machinea sensations; ces sensationssont ~out
SESMAÎTRES <!7
individuelles,changeantes; n'ont aucun carac-
tère de fixité ni d'universalité, pas mêmepourl'individu qui les éprouve nonrseulement la
sciencen'est pas nécessaire, mais elle est im-
possible il n'y a donc pas à chercherun art,
unatnéthode, pourarrivera trouverune vérité
qui n'existepas; il nry a qu'un art d'illusion et
de'meusongequiaugmente et exploitela mobi-
lité naturellede l'esprithumain, et l'aide à pas-ser d'un fantômeà un autre. L'homme est la
mesuredosphoses~inonpasen ce sensqu'il y a
dansson esprit des idées qui correspondentaux printapesde rôtre, maisen ceque lescho-
ses n'ayant aucuneréalité, et consistant uni-*
quemontdanslesreprésentations vaines que
s'en &it l'esprit, resprit~ maîtredeses repré-
séntat!ons, les fait être ou paraître ce~qu'il
veut, et nesebom&pasàjnesureBleschoses,
'mais~lea'ct'ée.
j~B~ àpaa "},l' fixe et absolue de
lâ <' ,> J i des vérités morales~etla ~~té, H en e~ des vérités morales,et
unes~e~c&~OTale~ de vie, estt~ut
au~i Mpo~q~ sérieuse.
Le M~est m~ phàque individuappli-
que,~la&nt~isiecha~ de sonima.
gination,àc&quilaiest utile et à ce qui lui
pla~ L'é~e plusmaténal~ le sensua-
lisme réduit à n'être qu'une pratique sans ca-
~8 VtKDESOCRATM
ractërc scientifique,neserajamais un pnncipe
philosophiqueet ne pourrajamais être confon-
du avec la grandemaxime socratique, qui re-
connaît dans la raisonhumaine le principe du
savoir et le fondementde la certitude (1).Un seul rapport d'analogie peut être juste-
mentanirmeentre Socrateet les sophistes: ils
négligentégalementles études physiques quiavaient absorbé les travaux des philosophes
antérieurs; mais là encore,sous l'analogieap-
parente et de fait, se cache une opposition
profonded'intention. Socrateveut fonder une
science, et c'est la science de l'homme, et,commele dira son grand disciple, la philoso-
phie de l'âme. Il ramène doncl'âme en elle-
mêms, commeà l'objet le plus facileet le plusintéressant à connaître pour elle; il ne*croit
pas l'homme autorisé à chercher ces grands
phénomènes obscurs et mystérieux que les
dieux semblent nousavoir cachés, et qui sont
inutiles au bonheur et à la vertu. Maisles so-
phistes la rejettent parceque laphysique. Mon
diSérente de ce qu'elle est aujourd'hui, ne
contient pas d'applicationsutiles aux intérêts
matérielsou aux plaisirssensuels de l'homme.
(!) P!at., Crt< p. 40 (tt<hw& ct~Mtm ?« ~M,
5; « {Mt).e~t!<.j<.<tM6&:to-;t~~[tWMt.
SES MArrMS ~9
En résumé,aucunsouffleélevé, moral,idéal,n'anime les spéculations des sophistes; ils ne
travaillentque pour la vanité oupour l'argent.Ils n'ont pas deméthode ils ne croientpas à la
science, ils ne croientpas à la'vertu il est im-
possibled'imaginerun contraste plus complet.Cen'est pas assurément l'iniluence que ces
différentspersonnagesont pu avoirsur Socrate
qui amoindrirale grand caractère d'originalitéde ses actes et de ses doctrines. Cependantavant de conclure qu'il n'a eu d'autre maître
que la nature (1),que son génie a été directe-
ment inspiréd'en haut, commele fait Maxime
de Tyr, il faut se demander quels ont été
les rapports de Socrate avec les philosophes
qui l'ont précédé, et dont quelques-uns ont
passé pour ses maîtres directs et immédiats.
Il est certainementbien étrange, commele fait
remarquer M.X.Fr. Hermann(2),que Maxime
ne mentionne même pas, au nombre de ceux
quiont pu exercerquelqueactionsur les idées,ou du moinssur la vocation philosophiquede
(ï) MM.,DtMef< 38, 4, t. II, p. 225 MzmM~Mw
pM~, et plus loin, p. 835 w XMtt~Twau~ <« ~MtoeatTt~mia')[t~n,a~X't&etMjtM~.
(2) Soet~. MMt~M<p. 30, dissertation excellenteoù j'ai beaucoup puisé.
SO VIEDESOCRATE
Socrate,Anaxagoreet Archélang.La questionvalait au moinsla peine d'être examinée.
Aristide prétend que Socraten'a pas tiré de
sonpropre fondsune philosophieoriginale, et
qu'il a dû sa sagesse au commercedes nom-<-
breux sages qu'il a fréquentea et dont il cite
Pythoclidèset Anaxagore(1). Que ce dernier
ait exercéune innuenee' gur les idées de So?
crate, o~est*co qui est attesté encore par Dio"
gêne de Laërto et par Suidas (8) et reconnu
par Platonlui-même.La chronologien'interdit
pas croire qu'il ait puêtre entend'ddu futur
réformateùBde la pMIosbpMe.N'édaïia la 70*
-olympiade,vers 5<)0ans av. J~O~~Aétaitvenu à Athènesdansia 81~et était p~orten
exil dans la annéede 1~$8~~troi8~u~quatreans aprèsla. condamnation~qui~en~a~aitj~
navait~:di~é~ ~espace de irente
aR&Ath~î~a~eB~ I~quel.~oarate, ~géde
quatorze~ quinze a~a~& av~aiteu
certainetH~St~coaëion!d'assister ';plus d'une
fois~~es~ëc&ns~(3)~'Pour Arc us les témoigna~~ sont encore
plus précis et plus affirmatifs celui-ci était
(1)Aristid.,(3~<45,t.'Iir.p.'S~O..{3):D:og.L.,tl,19~em,4S;.S~(3)À Mmort d'ÂDMagore,438av. J.-O.,Socràte
avaitquaranteans. 11
SES MAITRES S)
un concitoyen de Socrate, et passe pour être
à la fois le disciple d'Anaxagore et le pre-
mier Athénien qui se soit livré à là philoso-
phie. Quoiqu'il porte souvent dans l'histoire le
titre -signincatif de o <f<~<x.M,et même celui de
o~f~Km~ (1), il n'avait pas négligé, dit-on, la
morale. G~est à lui que Socrate, si l'on en croit
Diogène et beaucoup'd'autres, dut cette direc-
tion de la, philosophie, dont on le croit le pre~
mier auteur (2), tandis qu'il n'est en cela que le
disciple d'Archélaus, dont on l'accuse même
d~avoirété le mignon, tM 7r<t<~)m(3). On veut
(1)Sext, ~P 90; D'og-!< ~1' 16.
(3) DiOg.L., 11, 16 ~p' C&X<t?MVSmxpCtTY~,TNCtU~ttKt
KÙTO;s&~tM!)M~'<;(j:(3)Dipg, L., If, 19; X/13;Porphyr. ap. Thëodor.,
CM~ d)''<~o.a~ XII, 61. Suidas ne fait que reproduireces autorités. Cf.Simplic. in ~s<. -PAys., p. 6 b. Br.Gic., ~sc.,V~ 4: <<Socratem,qui Archetaum,Anaxa-
gor~ disci~pùlN!naudi~ » Sextus Bmpiricus, aprèsavoir dit qu'on appela Archolaus ~omo' parce qu'aveclui cessa la philosophie de la nature, remplacée par la
philosophie niorale introduite par Socrate, se contredit
un peu lui-mêmean ajoutant (s~. M~<VII, 90)quece même~philosophetoucha aussi a la morale, s'occupascientiSquement'des lois, du beau, du bien, et que So-crate n'eut qu'à réc<ieiHirde lui ces doctrines, qu'ilpassa pour avoir découvertes, tandis qu'il s'est borné à
les développer.'D'après Sextus, cette morale était déjàcelle des sophistes; le juste et l'injuste ne sont pasfondésdansra~ nature, mais ont leur origine dans les
consentions arbitraires de la loi. M. R. Hermann en-
52 VIE DE SOCRATE
de plus qu'il ait fait avec Archélaûs, qui suivait
sonmaitre à Lampsaque, un voyageàSamos(l),
ce qui est contraire au témoignage de Platon
qui affirme que Socraten'était jamais sorti d'A-
thènes, si ce n~est pour les expéditions mili-
taires et une seule fois pour assister aux jeux
Isthmiques.
A ces assertions on oppose le silence de Xéno-
phon, de Platon et d'Aristote ce silence n'est
pas absolu; car Platon reconnaît que Socrate
avait au moins entendu lire un ouvrage d'A-
naxagore, qui avait fait sur son esprit une
profonde impression (2). Comment d'ailleurs
supposer que cette intelligence si éveillée et si
tend les mots, TbçuauM~)Mn~e~ ~eT~t~, dans le sans
d'une simple distinction de la partie morale et de la
partie physique de la philosophie mais distinguer la
morale de la physique, n'est-ce pas la constituer, on au
moins la reconnaitre comme une partie de la science?
Thémisteest moins afurmatif(0ra< X, p. 3n,
JTar~.): « Socrate,dit-il, n'a-t-il fait que suivre la routetracée? S'est-il borné à marcher sur les traces d'Ar-
chélaus, ou plutôt n'a-t-U pas eu la noble ambition,non-senlement d'ajouter quelques découvertes qui luifussent propres, mais encore de changer complétement.la nature et le but de la philosophie ? n
(l)Diog.L.,II,23.
(8) Chose singulière Bayle (Dictionn. J~Mt., t. 1,p. 121)trouvelà lapreuvequ'il n'a pas été le discipled'A-
naxagore; car s'il l'eût été, eut-il en besoin d'apprendred'un homme qui lisait les livres d'Anaxagore,quel'on y
SES MAITRES !i33
curieuse, qui allait au-devant des sophistes,·
eût négligé d'entendre des hommes tels qu'A-
naxagore et Archélaüs. Si l'on objecte l'oppo-sitiondesdoctrines, si l'on prétend qu'un élève
d'Anaxagoreno serait jamais sorti de la philo-
sophie de la nature, et n'aurait jamais reconnu
à l'esprit d'autre valeur que celle d'une loi du
monde physique, je réponds qu'on touche là
une question de mots. Qu'entend-on par être
élève d'Anaxagore?être élève de Platon? Est-
cese renfermerdocilementdans le systèmedu
maître, et répéter tout au plus en la commen-
tant, la doctrineapprisedans l'école? Alors, il
faut le reconnaître, Aristote n'est pas le dis-
ciplede Platon, et Socrate n'est le disciple ni
d'Archélausni d'Anaxagore; mais il y a assu-
rément une autre manièred'entendre cette ex-
pression,et demêmequ'il est certainhistorique-ment qu'Aristotea suivi les leçons de Platon,de même onpeut croire queSocratea pu pro-fiterdes enseignementsdecesphilosophesdont
établissaitun entendementpourla causedetoutesleschoses.Ritter(.Hts<.de la PM{.ion.,p. 301)s'appuiesurlesilencedeXénophonetdePlaton.M.HermannvoK~lansle passageduP~do~ lapreuvequeSocrate,aussitôtqu'ileut connaissancedesdoctrinesd'Anaxa-gore,s'enéloigneetlesrépudiailseraitd'ailleursdis-poséà croire,avecStallbaumetSchleiermacher,qu'il a'rapport&Platonplutôtqu'àSocrate.
S4 YlEDB~pCR~TE
il~eY~unjo~fa~reQ~~erlesdûctr~ (I)i
1/ii~~ce mô~e a~ t~ Pl
i~de iL ~pos~ q~ '-la ~preaHëre <ln~ç-
~Q~ d~ se~ ét~e~~ traîne~ 4arÀ,9,
mouYement qm emportaitalors tQ~la~p~~
~g~ j
;R~tSM~eE.i%~'un
.L" 'isMpië~e~ite~ï~
SES MÂjn~s 83
si leur obscurité lui inspirait la crainte de s~y
perdre et de s'y noyer, il ne repoussait pas ce
.qui lui en'paraissait clair, (1). D'ailleurs Sp'
crate déclarelui-'sieme qu'aussitôt qu'il a été
~e~ét~~e c~ son intelligengje~a~idG
~la:t%:et ~d&~Ia~SMence~Bé~~g;~ien
~~p$t;a~ cessant de~iisulter,
~i~errogér~us. qui,avaiai~t
'E~8e~p~t~ ~'est ainsi,qù'il
~di[~i~~j~~ po~tes;et txôuvaiGda~s
le~s 'o~rag~s, ~niynë~i~0t&~
s~en~ëL 1)6~ Tio.ora!e~-.mais
je~CQ~e~~g~ est,
~r~a~ qïieo'e,st~dospoétes, qi~'il'
~~ët~N~p~a~e~ie~~coi~
.j~ïieph~~o~~l~ :'aTem'en,vais scrutant avec
~ë~i~aD~S~t0US~.l~SË:t~ qû~eanciens
sages t~ o~o~~u,â~ous.ontlaisséspar ~crit
~1~~ et sij'y trôuvè q~elr~.iechose,
~g~~f~~ .yz~ofit(3) ~»
~i~~ ,t~i~ ~ëtt~que,
!0j~ ~IL,~2~~.w'cuvn~xr(~`wat'~n,:ui~pctxai,j j. ;<(~t!,))t~YM ;~t~t ~j~lE!Stnd.
~S~S~
~[~~ ZB~ âS ~rovhoP -t~tS)t~tt
~t.<~tt~ ~cxiu,a.vQ~vmvoTtd~'uyoqi,nv
'(3)'~eM~'I,1~ ~J' 'L
YfKDKSOCKATK:;1;
un caractère philosophique,mais il y avait
une poésievéritablementet proprement philo-
sophique, dont Socrate n'a certainement pas
ignorél'existence et les résultats.
Dans trois dialoguesdiSërcnts(1), et en des
termesqui ne laissent de place à aucun doute,
Platonraconteque Socrate,dans sa très-grande
jeunesse, avaitété directementen rapportavec
Parménide et avec Zenon. Quoiquecontredit
par Athénée et'Macrobe, ce renseignement,donné avec une telle insistance par Platon, a
certainementquelquevaleur, et je ne m'étonne
pas qu'on veuille voir quelque chose d'histori-
que dans le passage où Parménideféliciteson
jeune interlocuteur de songoût et de son apti-tude pour la discussionet pour ces jeux austè-
resdeladialectique(2);maisquand il seraitvrai
que cet entretien n'est qu'une fiction et un ar-
(1)7%< 183e; ~opA.,2ne; Pafw.,127b.(2)Athên.,X,S(&;Macrob..Sat.,1,1.ItMtdimcMede
détermineravecprécision)adateduvoyagedeParménIdeàAmènes;caronn'apourla fixerquelesmotsitmxM~,e<~t ~t. Sionentendpartàqninzoonseizeans,onportelevoyagede Parménideà la84"Olympiadesionen-tendavecS. Cyrillevingt-cinqans, on estobligédelefairedescendreà lapremièreannéedeK 8~ Olym-piade.Il est vraiquecelaobligedeplacerlanaissancedeParméaideà FOtympiade(n, 4, chronologiecon-traireautémoignagedeDiog.deL.,maisconformeanxcalculsd'Eusèbe.Pra~. ev.XtV,3..
SKS MAti'RKS :i77
tificede compositiondramatique, encore cette
fictiondoit-cité avoir un sens, et signifiesans
doute que la subtile dialectique de l'école
d'Élée n'a pas été sans influencesur la dialec-
tique de Socrate, et a contribue à former,parses sévères exercices,le rude jouteur (1). En-
fin, sans prétendre, avec les Néoplatoniciens,
que c'est à Pythagore que Socratea empruntétoute sa doctrine, je ne vois rien d'impossibleà admettre que la curiosité de son esprit ait
été également portée de ce côte, et qu'il ait
cherché à connaîtreautant qu'il le pouvaitune
philosophie(2),dont l'inspirationprotbndément
religieuseet morale était faitepour lui plaire.Maintenant jusqu'à quel point a-t-il connu et
étudiécesdoctrines,c'est cequ'on ignore. Nous
ne sommespas arrivés au temps de la philoso-
phie d'érudition; les livres sont rares et chers,
(1)DansXénophonmôme,Mem.,1,1, 14, il faitdesallusionstrès-clairesaux théoriesdeFécoled'Ëtée,quine voulaitreconnaîtrel'existencequedansl'unitéabsolue,.y (<~MTt tt~t; à cellesdeLeucippe,quiprendpourprincipesdeschosesdeséléments,dontlenombreestinfini,M't~Te~M. àceUesd'Héraclite,quiposelemou~ementeUechangementineessants;ace!IesdeZénon,quiafnrmeréterneUeimmuabititèdesciMsescequi attesteuneconnaissancetrès-exactedesphiloso-phies~nt&Heures.
(2) Plut., DcCu)'<OS., 2. 2M)~M~{XMt~tV.:t<t'MrMi~Tt
tMrj~x; ).s'~ ft:H~t.
1
H8 V1EDËSOCRATE
et l'enseignement ii'a guère d'autre procédé
quel'entretien et la conversation la communi-
cationdesidées est encorepresqueentièrementorale. A en juger par ses propresthéories, quin'ont avec celles d6ses prédécesseursque peu.
d'analogie,et desanalogiespûreinentextérieu-
res/il semble que Socraté se soit attaché à les
réfuter eu à les éditer plutôt qu'à 'lés suivre
c'est ~opppëition,la poléoliquéqui développésa pensée philosophique et peut-être la fait
naître.Qequ~lyadeplusiïlarquéenlu~c'est
rindépendancé de la re~ércRé)~6ïMou~ement
spontaRéet libre; affranchir l'esprit humain
des idées apprisesCtttïaNsmisëspar la routine,la tradition, rhabMâe ? rav6uglea~
de Pécule,et .vsub~iiuer le li6~ e$amenet la
recherche persoilnellé, ~oilàle caractère et
anssi lé hutde sa rëfor~ U~ïesoié~ïcéd'écéle
n'aurait jamaissuffi â ce renouwelléme~~tpro_fond et complet de la ~ie morale et iritellec-
tuelle,et~ la seule expHeatio~ dé ~œuvï'é~de
Socrate est daïl~~originâliié~dé~son génié o
~(mginaIité~dé~sëii~Caractèr~:-1eshautes-ver-
tus de son âme et les grandes fac~ son
esprit, joint es à un réflexionconstante, à une
méditationardente/purënt soûles prod~ une
révolution sans pareille dans l'histdu'é ~dé la
philosophie,lui pertB.irentde ia concevoir/de
SES MAÎTRES S99
la tenter et de la réaliser. Quant à ses rapports
avecleshommeset les doctrines de son temps
et du temps antérieur, ce qu'il semble en
avoirrapporté de plus certain, c'est la convic-
tion de la vanité de la science, telle qu'ils
l'avaient comprise.
Non-seulementje ne trouve aucune analogieentre Socrateet les sophistes, mais je ne lui
trouve pour ainsi dire aucun rapport avec les
philosophesantérieurs. Il n'y a dans ses doc-
trines nulle trace de la physique atomistique,
mécaniqueou dynamique; nulle trace d'éléa-
tisme, nulle trace de pythagorisme,pas même
sur la question de l'immortalité de l'âme.
La doctrined'Anaxagôre sur le No~, a seule
exercé une influence visible sur son esprit.Onpeut dire que c'est la physionomiela plus
originalede l'histoire et lui appliquer, dans
un sens aussi élevé que possible, ce mot
qu'il s'appliquait eh raillant à lui-même
<x~7-o~o{?-M~Ao~/a~(1). C'estde son proprefonds qu'il a tiré la philosophie. <
(.l);Xén.,CoMN.,1.5.
4
Si nous n'avons, sur la premièrepartie,de la
vie de Socrate,que desrenseignements incom-
plets et incertains, il n'enest pasde mêmedes
détaiisquinous ont été conservés sur sa per-
sonne, et qui sont non-seulementabondants,maisparaissent avoir, en outre, un degré suf-
6sant devaleur historique.On sait que,dans l'origine, les portraits, en
Grèce, sont nés du désir de conserverFimagedes vainqueurs des jeux sacrés ce n'étaient
que des représentations,'traitées avecliberté,
du caractère physique et moral de ces indivi-
dus mais l'art grec arrivabien vite à une fidé-
lité plus exacteet à une reproductionplus vraie
des~ersonnes.Lesartistes se guidèrentd'abord
d'après Jaurcaractèreconnu, les traditions, les
portraits écrits laissés par les contemporains.
SONESMMT. SONÉCOLE.
LA PERSONNE DE SOCRATE. SON CARACTÈRE.
CHAPITRE IIII
M YIEpËSOCRATE
C'estainsique nousavonsla tête sublimed'Ho-
mère, c'est ainsique nous avonsla tête riante,
spirituelleet ferme de notre Socrate, évidem-
ment imitée de celle deSilène, et modifiéeparles détails tirés de Platon(1). II-n'est pas im-
possibleque des donnéesplus exactes et plussûres aient servi à ceuxqui nous ont transmis
cettengure. En eNet~il est vraisemblablequele
buste a été fait sur la statue en bronzede Ly-
sippe, et quoique Lysippe ait vécu trop tard
aprèsSocratepourle condattre,il a pu travail-
ler d'apres~desdessins, ou des pierres gravées,ou des m~daules, ou des reprod~ plasti-
qués, qui, dans un temps si glorieuxpour la
sculpture, -ne devaient être iii rates ni in-
~xactes'?~~Le goût dés anciens'd'or~ leurs bib~lio~thè-
ques ou leurs muséeë des b poètes etdes pml~opKës~~coMribûé à ~nùltiplf~rees
rëprodactioDS,'qu~ considérer commeà
peu presndëles.câpres lé~ qü'on peut v'àir
(l)Diog.L.,H/~ ~&b; E~Q.yisMh~/eoMO~f<xp~!ggrecque,~partie, p. '77,80,PI.18.Iconographie.qrecque, p~~771,80,Pl.18.
(2)Voir,surlesgemmesdeSocrate,laplupartaUégo-ti(;ûe8ôn6apneieMsës,roavràgedeMaoarius,citéparOit.AUjHer<xAbraxas,sëu~pM~opM~M~quseestanti-quanadegem!nisbMilidianisdisqmsitio.aAnvers,16'74,4; ilya euunereéditionen165'7avecuncommentairedeJeanOhifQet.
SA PERSÔNNE 63
dans l'TcoMO~~MedeVisconti(1),commed'a-
prèsla descriptionde Platon, faite celle-làd'a-
prèsnature, Socrateétait loind'être beau (2) le
visage d'un satyre, le nez camus, les yeux à
fleur de tête, les lèvres épaissesfle teint pâle,la tête chauve (3),.et cependant l'intelligenceet la force intérieure de l'âme répandant sur
cette physionomieune espèce'de charme et
commeun rayonde la beauté morale (4). «Al-
ciMades,dit Rabelais(6),on dialogede Platon,
intitulé le ~B~c~M~,louant son precepteur
SocrâteSi.sans controverseprince des philoso-
phes, entre àultrës parolles, le dictestre sem-
blablees ? Silenesestoyent jadis petites
boytes.teUeS que nous voyons de présent es
boutiques des apothicaires,painctes au dessus
de'nguresjoyeuses et frivoles,commedes har"
py, 's~ oisons bridez, lièvres cornuz,
~Gan~s~aStieeS,boucqs~volants, cer~s lymon-
(1)Cf.Q. ViscdHti, 7coMO~.~)*ec~ 1~partie, p. T7,
~U~&
(3).~Sy~p,I'V,;19j:T<%v~.<fM~ Tc~~ftT~txc~a~-
'V~
(3) rAeë< 143ë;Ar:st6p 103; Xén., o.'V,'7;Wmckelm. Z'Art, f. 11,p,:15.
(4)Epict.,D~'Me~ 1.Wo, p.,19.21_;~1_ So~?e~gh.,t. II, B~ ejns corpus, ~~6~, et adeo
eratgratam et suave M~o~otxtSoxtKUKXKit~ »
(5) Prol. de Gargantua.
tt4 'VIEDESOCRATE
niers. et aultres telles painctures contrefaictes
a plaisir, pour exciter le mondea rire quel
feut Silène, maistre du bon Bacchus maisau
dedans, Ionreservoitles fines drogues,comme
baulme, ambre gris, amomon,muscq, pierre-ries et aultres choses précieuses. Tel disoit
estreSbcrates, parce que le voyans au dehors
et Festimans par Hextorioreapparence, n'en
eussiez donn~u~gcoup~a~d~ ta~t laid
il estoitde corps et ridicule en son maintien,le nez poinctu (1), le reguard d'un taureau (8),le visaged'un fol, simpleen meurs, rusticq en
Yestiments,~pa.ourédei fortune,~fbrtu~é en
femmes.inepteà tousofficesdelarepublic~
toujours riant, toujours beuYantd~~
ung chascun; toujours se guab~ toujouxsdissimulant son di'~ s~a~ 'Mâis~ouvrans
ceste boyte~~ssie~ au deda~ ~trouy~unece-
leste et impreciabled~ entendement;plus
que humain, vertus meryeilleuses~couraÿ~e
invincible,sobresse nonpareille
certain, asseuranceparf~ desprisëm~M~ïn-
croyable de tout ce pourq~-leshuinai~,s.tant
veiglent, courent, travaillent~navigent et ba-
taillent. ~v;
Maigrequelques traits ajoutés par la riche
(1)Rabelaisn'estpointexactici.
(2).P/!< ,1 nb T~ ~e~
SA'PERSONNE 65
4.
imaginationde Rabelais, ce portrait est élo-
quent beau et vrai.
A la foispar économieet par nécessité, car
il était pauvre, mais aussi par simplicité de
goûts et mépris des délicatessesextérieuresde
la vie (1),Socrate se nourrissait avec une so-
briété rare et s'habillaitavec une extrêmesim-
plicité. Antiphon le lui reproche dans Xéno-
phon « Ala manièredont'tu vis, lui dit-il, un
esclavene resterait pas chez son maître; les
metsles plus grossiers, la plus mauvaise bois-
son te suffisent. C'est peu de n'avoir qu'unméchant manteau, qui te sert l'hiver comme
l'été, tu n'as ni tunique ni souliers (2). »
N'allonspas croire, sur ces expressions,queSocrate allât tout nu, ni même nu-pieds; ce
sont là des équivalentsmétaphoriques de nos
hyperboles de va-nu-piedset de~<ms-cMM~.
Les Grecsappela e~eva~rns,ou parexcellence,la tunique de dessus; ceux qui ne
l'avaient pas et ne pouvaient se donner quecellede dessous,~evJ~tx~,étaient nommésa~
yot~ (3). C'étaitle cas de Socrate, qui n~'avai
(l)Anstoph.,JVM&363
KoMUttO~TO;!M)(K TroM.KK~n.
(3)~Mt.,l,6. 12. o(3;Salmas.adTertull.,dePallio,p. TO.
VtEDËSOCRATEbH
paatoujours de quoi s'acheter un manteau (1).
De même les uTro~Me: étaient des soulierp qui
couvraient tout le pied et constituaient une
chaussure élégante, de luxe, et beaucoup trop
chère pour la fortune, comme beaucoup trop
délicate pour la simplicité des habitudea de
Soçrate. L''absonce de cette recherche de cos"-
tume n'indique ni ~M~ ni le v~nisrne (2}:
Soçrate ?& aucun trait qui r le mQiué
mendiant, le jogui indien ou l'ascète!. Xéno-
phon le peint, au contraire, décent dans sa
tenue modeste, et ne se permettant pas, sous
prétexte de vertu, la négH~ënoc de certains
/;(~Diog,TL.il~8.?(3)AtMc~Xn,~)Pttecom
e~ati~a~jctt~~ so~ti~rs,~çc~m~,xra.!iâep~~d~ntsur ~u~ da té çcïnsulter., 5ta11$aumad
jP~~84~()~~o~3~'e& di~-
Ibgti~qK6.PMdf8<:së't~o~T~ ~sommeSoérate, ?
~~<i~jÊ~tt=~g~SaRve~M~t,l~~
~l~l!6~a!~)~a~ ~uraien~ pa_s,p~.ma~hef ~dah~lë~.ru.issM'verte~.ID'&B&iÏ~M~M~p. nonsMe~oïltrp ~<
ms!~at,< ~~Ij~ppps~. ~Me.insehSiMItté,1~ déUcatessedes soldats~m~Mot, et
il,explique ce niot en disant qu'ils portaient ~&tu{x~
<ï~&t~ des peaux et des foiïrrurëg; mais quàTidôB.serait obUgêd'BatendTe, pommeTa fait Cicéron, (~0
'0T~l)~.<tduriasim!spedibu8~i]lë<))!t~~6~ms de l'ab-sence totale-dëphaùsSNres,rexemp}e de ~hèdTeprouveque ce n'était pas une exceptionbizarre ou une affec-
SA.PERSONNE) 67
soins de sa personne, et même la blâmant
chez l&a autres.
'Lorsque! se rend à une réunion d'amis, loin
d''an'ecter un costume négligé et malpropre, il
prend un bain, il se présente convenablement
chaussé, et, en un mot, en toilette (1); et
de ni~me, malgré une tempérance exemplaire,
<tune sObresse sans pareille, il n'apporte
pas à ces fêtes de ~amitié un visage chagrin
et une humeur mûl'oss il se livre à la gaieté,
jl rit franGhement, il cause avec esprit et
grâce, et mettant de côté cette gravité de
démarche, ce regard quelque peu dédaigneux
et sevëre, cette majesté d''expression que lui
tatton d'austérité bu de mépris dés usages: c'était la
m&de,Mn--së~letBLeHtde~ c~yeng qui viv&ientmodes-'
te!ït~~<)ï)tn~eB})LÇQiQRet.L-yc~rgue,t'hais encore de j~n-nes getisél~nts~ de~cats (P~CBc(~ 3~5a) et même rna~
làdiFs'homË.ë'p~
(1)Plat., ~t'74: a, ~<iup. Cf. id., 223 d, K~o-
t~j~t~MTctt p).K~x;~o~6~s[t6w~ !i3Tmxx).M;,desorte
qu'il ne faut pas prendre à îa"lettre les inots d'Epic-
tète~ 2)~ 1.1' p.~ p. tH « Soçratoe rarQ lava-
bat,<. MQue~&tH~ ~e({ua~ neque baliieis uti,si YOluiasot;et tamen raïse etiam lotiones vim habe-
,~M~Je remarque quedans c&mêmepassageSohwëigliauser
traduitLie yeïs .IVit6;,108!T6~;~tm~r~,T~ ~om<if,tco$(Cf.id,, v. 363)n6npar <:nonsalceatos, »
maiabienpar(fdiscalceatos.~ »
68 VIE DE SOCRATE
'attribue Aristophane (1), il boit sans fausse
honte sa coupepleine, et quoiqu'il conseille
plusvolontiersdescoupesquisoientpetites (2~les plus grandes ne lui font pas peur (3).
<t Amis,dit-ildansle.B~~M~deXénopIion(4),
je suis fort d~aviaque~ buvions s'em-
blableà la mandragorequi endort les corps,le
vin, arrosantnosesprrts~asspu~;nas chàgrm
il éveillela joie comm~ aniznèlaflamme,
Ilen'est de nos corpscommedes seniencesqui
germentdansla terre~quele cielyersedespluies
trop abondantes, elles lèvent mal 'elles ne
reçoiv~as ~inipressioili d~s~ent~ mais
modérément~arrosées~fellêspQussent ;avëc
vigueur, leur tige s'élève, elles fl~urissent,
eRes~se,~e:u~n~~deJ~its~Be~Rié~~ si nous
buyOû~a~ëp~exces~c~rp~cI~ l'ësprît
s'a~ihli~si~~po~v~ del'éxpres-'
'sion;rlïe.t@u~gias~~ serv~iteurs
servent d~ûs~dë~od~stës~~ unedouce
~l~pstop~&&T~~v9U6t T,'6V'T~ ô8~tçxçtiTwtPBxk~ü~rrxPct~klFtç,
'xA~<
(2) ~ea.p.226! e! p;txpociçxûXt~St~ruxvâ
Mt~~mmv;jse,depniet~o.t~exptu~e~la ,finéqùitomhesansdiseQ~DU~.(3).Mat. ~/))~.)~â231:: ~!vHV~te~M~<i&
(4)~8, suh"6n-
SONCARACTÈRE 69
et fréquente rosée, nous cédons doucement à
l'attrait du plaisir.s Saforteconstitutionluiper-mettait môme,lorsqueles circonstanceslui en
faisaièntun devoir)de boire avec excès, sans
éprouver aucun trouble physique ou moral,
sans rien ressentirdes vertiges de l'ivresse (1).A la fin de Bôrgie qui termine le banquet
d~Agathon,après une nuit passée tout entière
à boire,et euil a vaincu, le verre en main, les
plue intrépides buveurs,il sort, le corps et l'es-
prit également fermes,et, comme si de rien
n'était, âpres avoirpris un bain, il se rend au
Lycée pOur~~y ses occupations ordi-
'~nairës\f~G'étàit un hommevigo~~ robuste (3),
exercé)par sa manière vivre, à toutes les
privationset aux souffrancesphysiques, qu'il
supportait avec une. singulière indifférence.
Jusque dans sa~ il Gonservé l'ha-
bitude des e~erciGésgymnastiques. Charmide
le -trouve~~non sans étonnernent il est vrài,dansant tout; seul dans sa maison, et nous
voyonsAlcibiade le provôq~ à En
plein le rude~climStde la T~
les~soldats l'avaient ~vu.~a~ un étonne-
~l~M~~M~~330La:.~~at.33d.(3) X6n., JM~e<M., 6,10 t~; SNx~Ttx~~!~uo;.
70 VJSDESOCBATE
mont mêlé de quelque irritation, faire son
service,par un froid rigoureux,avec son cos-
tume ordinaire et marcher pieds nus sur la
glace (1).Il résistait avec une forceégale aux
excèsde la chaleur~à la faimcomme à la soif,
àlafatigueetausommeil(8).QuelquefQism6me,sous rinûuence d'une méditation ardente,
cette forcede résistance,cette insensibilitéaux
impressionsextérieures atteignit presque un
état d'anesthésiecataleptique.Danscette même
campagnede Potidée, des soldats ioniensquil'avaient observé, rapportèrent que, plongédans une méditation profonde,il était resté
dans la mêmeposture, debout toute une jour-née et toute une nuit,et n'était rentréau camp
que le lendemain au point du jour, après avoir
fait sa prière ausoleil (3).
(1)LedMsuadupiedoliaugsé~ela sandaleresteau.C!f.Plat.,<S'y?Kp.,a20b..
(2)X~n.em.,l,8,l; et l], 1; 1 Diog.L.,11,27;Aristoph.,jVM&414 Plat.,~)M~ 820a; c'est ce
qu'onappelaitlà)(~Te~(!t;daSocral.e.(3)Plat,Od;~l,GeIl., 11,1.n'y
voitqu'unendurcissementpurementphysique«interlaboresYolu:titarioset eiërcitiacorpoTisadfortuitaspa-tientiœYicesËrmandi,» etil citedeFavorinuscepas-sage TKM~xt;~~MUsiç'fiXtMMTWMtKOT~c'.êMïepo;Tmv')rpsM.-~N~,oùl'onvoitcequin'estqu'unl'ait accidentel,peut-êtreunique,sechangeren unehabitude'toMcHtt;.Cf.
Hegel.,FbWM.,t. XI,p.51.
SON CA-RACTÈRK 7t
Sabravoureétaitaussihéroïquequemodeste.
AusiégedePotidée.Alcibiade,son camaradede
chambrée, blessé et en danger de perdre .et
ses armes et la vie) dut au courage intrépideet calmede son amide sauver l'un et l'autre,
et Socrate lui abandonnale prix de la valeur
qtieles générauxvoulaientlui décerner.(1).A Bélium,où'il servait commehoplite, dans
latetraite désastreuse oùsa fière attitude, sa
présence d'esprit, supérieure à celle deLâches
môme, son Tegardd&taureau, intimidèrent les
ennemisqui poursuivaientles fuyards,il saibva
également la vie à Xénophon qui était tombé
de cheval(2) il le releva,leprit sur ses épauleset le porta ainsi pendantplusieurs stades jus-
qu'à la fin,de la poursuite..11avait fait égale-ment la campagned'Amphipolis, sans douteavec Thucydide.
L'empirequ'il exerçait sur lui-mêmes'éten-dait &tout ce quiexciteles passionset les con-
voitises humaines il est amoureuxde la jeunesseet dela beauté (3);il se déclareramant d'Alcir
(1)Plat.;~tMp.,220d; Plut-,Aleib.,p. 195a. Plu-tarqueajoute,il est le seulà nousdonnerce rensei-gnement,qu'AIcibiaderenditla pareiUeà Socratedansla retraitedeDéliu.m.
(3)Plat.,Lac~t81b;~mp.,22i b,c;PAœd.,inb.
Diog.n,Y~S~&IX,ei8;Simpl.,adEpict.,c.31~(3)Plat.,~)Mp.,216e.
c.31
72 VIEDE.SOCRA.TE
biade (1); avecson ironiehabituelleil professe
qu'il ne sait qu'une chose,et c'est l'amour (2);
mais, malgré les vers queciteAthénéediaprés
Rérodicus,qui les attribue à Aspasie(3),malgrél'insinuation malveillante d'un mot spirituelde Cicéron(4),malgré l'accusationouverte de
Juvénal (5), trop légèrement répétée par Bo~-
luau (6), cet amour/tout en acceptant les
formes de; langage usitées ;dan~ mœurs
grecques pour exprimer l'odieuse confusion
de l'amouret de l'amitié, cet amourne s'adres-
sait pasà la beauté physique, ïnais à la beauté
intérieure, et ne se proposait d'autre volupté
(l)Plat.S<,w~13t).(2)~11, 6,28:~TOMNT!XO;AM
e <w~ ~o etrtsra.sOMTC(~aTtxx..Pyo<./Mt<.CAa)*)M.,156~
(3)At.hén~,V,219a~
SMXp&Tt;/ tSx '~ft9! [At TO~M~~E' <j!pMC[TWC~
~at~f);,&et<K~{'KK!K~t~!<.u. '"i;~
(4)Gic.e ~< e.5~~c~opyrus-physiognomon.addi-dit Socratein ëtM~m~MeM~~quo AlciMaNesca-
i,7"
chinndmdicitups~gt~isse.{5)Ju:v.ll,M~ i
x<Cast.igas,turpia,quutnsisInt.MSQMat.icpsnotissimafossaciBsedosH.
(6)Bb:L.XII:Etmalgréla yertudontil faisaitparade,Très-équ.ivoqu.eaùndujeuneA~ciMade;
SON CARACTÈRE 73
5
que de purifier,de rendre plus belle et meil-
leure l'âme de celui qu'il disait aimer cela est
prouvé non-seulement par le cynique récit
d'Alcibiade,non-seulementpar le témoignagedirectde Platon, qui nous affirmequ'il ne s'in-
quiétaitpas,dansle choixde ses amis,de savoir
s'ils étaient beaux; par celuide Xénophon,quiconGrmele premier,mais encorepar le silence
de tous ses contemporains,de ses accusateurs,
dès poètescomiques,d'Aristophane,qui certes
Sauraient pas oublié ce trait, comme le fait
observerAthénée(1),si lecaractèredel'homme
n'eût rendu commeimpossible une si odieuse
calomnie.
Si Platona introduit danscette œuvre admi-
rable du Banquetle dégoûtantépisodeauquel
je fais allusion (2), ce n'est donc pas pour
repousserune calomnieque personne n'aurait
osésoutenir,maispourmontrer, commel'inter-
BoileM.a-t-ilsu queP&ulLéopard(.E'MMM~.l.,XII.c.10)substituaittrès-ingénieusement)dansle versdeJuyénal,Sotadicosà.Sooraticos??
(l),AtMn.,V, 319 OU~Ctp« M-~ae TtUT' ÂpUtTomKVT);,M;
T~!); ~StU;~\Km9s!j!~tO{.
11nefautpascroirequ'Aristophaneluieûtpardonnade partagerce vieesi général;il suffitde parcourirsespiècespours'assurerqu'ils'élèveavecunevervevéhémenteGontretousceuxquien étaientaccusés.
(2)Plat.Mp.,3n, sqq.
VIEDESOCRATE74
prête Quintilien, la pureté et la chasteté de
ses affections(1).
Lorsqueje dis que nul des contemporainsde
Socrate n'aurait insinué quelques soupçonscontresacontinenceetsa chasteté, je metrompe;il en est un qui l'a accusé,mais un seul c'est
Aristoxène,ou du moins son père Spinthare,
qui avait entendu personnellementSocrate(2).
Aristoxène,musicienet mathématiciencélèbre,avaitécritdenombreuxtraités sur les deux arts
qu'il pratiquait et professait,et, outre ses trois
livres sur les élémentsde l'harmonieque nous
avons conservés, il avait écrit des mémoires,des mélangeset des biographies,les unes des
grands poètes tragiques, les autres des philo-
sophescélèbres C'est ainsi qu~ilavait composéune vie de Socrate, dont nouspossédonsquel-
ques fragments,tous empreintsd'un esprit évi-
dent de dénigrement et de calomnie; cette
dispositionde caractère est signalée par les
anciens eux-mêmes, qui l'accusent, les uns
d'avoir visé à dire toujours quelque chose de'
nouveau, les autres d'avoir insulté, aussitôt
~1)Xen.~~ëtM.,1,8,1 t<5~a~~MMM~~TfoTctTM.So-crates'élèveavecindignationcontrceesignoblesmœurs.crntes'éléveavecindigna6ionconlrecesignoblesmaeurs.Xen.,AfeM.,1,2, 29;ld., .S'ytMp.,8, 19; QuintU.,VtH,4,23.
CyrUt.,adv.ut., i.VI,p.:M8.
SONCARACTÈRE 78
aprèssa mort, Aristote, dont il était le discipleet dont il aurait voulu être le successeur(1).
Voilà le témoin qui vient nous dire queSocrate avait été le mignon d'Arcbélatis (2),
qu'il était porté à tous les excès de la dé-
bauche (3),qu'il avait la passion de l'argent et
n'était qu'un francusurier (4); que son espritétait lourd et épais, son caractère si violent et
si irritable que les emportements de sa colère
ne s'arrêtaient devant aucun acte ni aucune
parole (5), et qu'à l'intempérance il joignait
l'ignoranceet la bêtise (6).Il est vrai,-si l'on en croit Cicéron, que le
physiognomiste.Zopyreavait cru reconnaître
dansSocrateles caractères extérieurs de la pe-santeur et de la stupiditéde l'intelligenceet de
l'amour des femmes, et que Socrate avouait
qu'il avait employé, pour s'en corriger, toute
(1)Suidas.v. Â~<tT!{.Procl.inTi'Mt.t. III,p. 192.JenevoispasbienpourquoiM.Grotea vouluréhabi-literuntémoinsilégitimementsuspect.
(3)Diog.L.,H,19.(3)fragm.Aristox.,25,ed.Didot;Suid.(4)Diog.L.,II,20.(5) Fragm. Aristox., 2T,tir6 do Théodor., O~ XII,
p. 163: etxp<;](cA<.< !Mdeu~wr<M;fragm. 88: $6Mw ~M Tw
fmyjf.u.Mu-W w~CtO; !)Sï6 ~o'a.Tc.t antomMOxt, oSM ~ox-y-
jMtTM.
(6)Fragm.Aristox.,21,tirédePtut.,(~.MM~ .He-t'O~O~9C M!x!~6Urc'<xxi~.xMxxtXM~OTC~.
76- VIEDJESOCRATE
(1)de., ~e c. 5;TMs..)M!IV,3Tf,Luc. ~.)MO!24.
(2)DMM~ 25, 26, 27. Gonf. id. 9,10, H.
(3)G~c.N'D.,l,:3~
(4)Diog.L.,X.8..
(5)~;I.M<. ~ar., ÎX,29;Xen.po~ 16.H y a
quetqu.ecoutradictiondansjestëtnpignages à cet égard,Comf.Senec., de B~te/ I, 8.
la force de sa raison et de sa volonté (1)maiscene sontlà quedesinductionsfausses,ti-
rées depassagesmal comprisde Xénophonetde Platon, et qu'a très-habilement réfutées
Maximede Tyr (2). Il faut faire encore moins
d'attention aux critiques de Técole épicu-
rienne, qui se permettait tant de licences, et
même d'impertinences, dans ses jugements,comme nous le dit Gicéron <o;M<M~.E'piCMWAor<M~/~&Mt<Hc'g~M~,et allait jusqu'à appe-ler Socratelebouffond'Athènes, ~cM~~awa/M-
CM?M(3).Épicurelui-mêmeavaitétéplusréservé:dans la série d'invectivesqu'il adresseà tous v
les philosophes,et dontBiogenenous a trans-
mis la liste, Socrateest oublié(4).Cet oubliest
presqueun témoignagede respect.IndiS'érentà la fortune,Socrateavait refusé
des présents, non-seulement des rois .et des
étrangers, mais souvent ceux de ses meilleurs
amis (5); il ne voulaitpas les recevoirmêmeà
titre d'honorairesou de rémunération légitime
SON CARACTÈRE 77
pour ses leçons et ses conseils (1). Channide
lui ayant envoyé des esclaves pour qu'il pût ti-
rer profit de leur industrie et de leur travail, il
les refusa (2). Il repoussa de même les offres
d'Archélaûs de Macédoine, de Scopas de. Cra-
nonium, d'Euryloque de Larissa, quil'invitaient
à se rendre et à vivre auprès d'eux (3). Tout cela
n'était ni nerté superbe, ni passion d'ascétisme
mais il avait pour maxime de diminuer autant
que possible le nombre de ses besoins, pour se
rapprocher de la divinité qui n'en avait au~
cun (4).
G'est ce sentiment et ce goûtd'indépendance
'qui se révèlent dans le; mot qu'on lui attribue,
à la vue des objets de toute nature étalés sur le
marché d'Athènes Combien de choses dont je
n'ai pas besoin (5)! Le goût de la pa-
(1) Plat., .Apo!31 c sTtpK~u.~~.060~vitrn)M.
(3)Dtog.L.,U,31..
(~ Diog., 11,25; LibM.po~Dec~NM.,XXIX, t. m,
p.59.
(4)Xéii.MM., l, 6, 10.`
(5) Diog.L., 11, 25 et 11,74.Dans ce dernier passage,Diogènemet, dans la bouched'Aristippe, une réponsequiferait croire que les riches amis de Socrate lui faisaienten nature une espèce de pension alimentaire. Socrate,dit-il, a pour le servir les premiers citoyens d'Athènes,et moi je n'ai que mon esclave. C'est pour cela qu'ilfut ]e premier des Socratiques à prendre un salaire
pour ses leçons.
VIEDESOCRATE78
rure'et de la recherche lui est tout à fait
étranger, et sous cerapport il ne ressemblepasà ses contemporains.« Tousces manteaux de
pourpre, disait-il, ces étoffes d'argent et d'or
sont convenablesà des acteurs qui vont jouerun rôle de tragédie, maisparfaitementinutiles
au bonheur de la vie (1). 'JI
Sa patience envers sa femme estcélèbre,mais elle s'étendait à tout le mondeet à toute
chose; dans les discussions qu'il aimait à pro-
voquer, ilse laissaitmoquer,bafouer, insulter,
frapper; il se vengeait de ces grossiers ou-
tragespar quelquemotspirituel. Un contradic-
teur irrité lui donna un soufflet « Qu'il est
doncfâcheux, dit-il, dene pas savoirquand il
faut mettre un casqueavant de sortir (2).Un
autre le frappe d'un coup de pied et quel-
qu'un s'étonne de sa résignation <: Ehquoi
répond-il,si j'avais reçu un coup de pied d'un
âne, lui ferais-je un procès (3)?« Aristophane,dansla comédiedes~VM~,l'accabla,commeon
sait, de calomnies;un des spectateurs lui dit
–<Eh quoi! Socrate, tune t'indignes pas de
te voirl'objet de la riséepublique? Non,par
Jupiter! le théâtre où l'on me raille, n'est-il
(l)Diog.t.,il, ;?.(2)SeN.7~,l.ÏlLc.Xl.
(3)Diog.L., 11,31,quicitepourgarant.Démét.riua.
SONESPRIT 79
pas commeun grand banquet (1) où chaqueconviverit des autres? » Cette patience, cette
constance d'âme, reposent au fond sur un
sentiment de supériorité, du haut duquel il
méprisela sottise humaine tout en se prêtant à
ses capricesinjurieux.Un jour de grande fête aux Dyonisiaques,
désigné par son nom, affublé de quelque épi-thète plaisante, il voyait des étrangers se re-
tournerpourle voir et le connaître; se levant
tranquillement alors, il "resta debout pendantle reste dela piècepourleur permettre de satis-
faire leur curiosité(8).On aime à croire qu'ÊUen n'invente rien,
quandil nous le montre surpris par Alcibiade
au momentoù il joue avec son fils Lampro-cles (3). Son humeur aimableet complaisanten'est pas moins gaie et piquante; sans doute
ce n'était pas un jeune fou; maisje m'étonne
qu'Aristote lui donnel'épithète de ~o!<~<, et
dans ce passage le rapproche de Cimonet de
Périclesdont on connaît l'attitude réservée et
l'humeur graveet sévère (4). Je m'étonnebien
(1)Plut.,deLib.~~Mc-,p. 14.(2)Plu),<Lt6. Educ.,c.14;~L, jyM<.Mt)'11 c,
13;Senec.,de Const.,S~ c.18,subfnem.(8).ML,~f.,1. XII~15.Cf.PerHODUissLdl.1.(4)Ari8tot.,JX~e<11,IH.'Vittoriosemblene donner
icià (rrAtt~tquele sensde ferme «famitiasingenio
VIEDESOCRATE80
davantage encorequele même auteur lui attri-
bue une humeursombreet noire, à moinsqu'ilnefailleentendrepar jM~oAtx.)) cegrainde folie qui entre, au dired''Aristote,dansl'es-
sencemêmedu génie, et qu'il a eu en partage,suivant lui, avec Empédocle,Platon, et en gé-néral les bons poètes(1).
Cependanton ne peut pas dire qu~ilait 'eula
facûltépoétique au contraire, il semble quel'élément prosaïque domine, dans les disposi-tions deson esprit et la tournure desa penséec'est avecune répugnance visible et pour sa-
tisfaireà un scrupulebiendélicat deconscience,
qu"il fait son métier de poète improvisé.
Craignant de n'avoir pas compris le sens des
visionsnocturnes,qui lui recommandaientsans
cesse de s'occuper demusique, Socrate se ha-
sardè dans sa prison à mettre vers les fa-
bles d~Ésope.ca~sesentait incapablede tirer
de sa~p imaginationune fictionpoétique.II aborda même le genre lyrique et fit un
hymne à Apollon,donton céléb~ait~ fêtepen-dant sa captivité (8).
stabiliarmoqueprseditas,ut in probl.XIX,48,in quodeCjioristragœdiarumdiSpuLat,~o<arMt~vocavit.?»
(l)Aristot.,jPt'o&~XXX,l;Bekk.,953a,~
(2)jP/KB~60d ~'<Teh«'rfA;AidN~cuXoYOU;.Diog.L.,
SON ESPRIT 81
5.
Ces essais tardifs de poésie ne furent pas, au
goût de Diogène, fort heureux ou'~c~ ~6t~-
~6! nous le croyons volontiers, quoique les
comiques aient fait de lui un collaborateur
d'Euripide, voulant plutôt marquer par là le
caractère philosophique de la tragédie d~Euri-
11, 42,n'attribue à Socrato qu'une seule fable etencttt;
deux vers71
Â?OMTFO'~TUT* ~~E Kc'p~9tC. K<F7U~~p.~UOt
~V] XS~ët~ Mp&TTj~XcX&tù O&~tTp,
ILeite égalementle premier vers du morceau lyrique,
qu'il appelle un pœan., tandis que Thémiste (Orat., II,
p. 2T,éd.Hard,) etBIatonlenommentun prélude~M:et Suidasun hymiie(vOc.2Mxp.);il semble que cet hymneexistatencore dutempsdeTnèmiste, qui nous dit xon~c~:
StûxpctTC''!rj)M~tM~6!ro(Y)~ 'r~m ~s'.p.ttjim et du
temps de Diogène,qui en cite le vers
&~).t'Âno~c'<,XMpsM.tA.pTE~.t'nct!~tx~ettM.
Epictète, Dissert. 11,6, et IV, 4, y fait allusion à
peu près dans les mêmes termes qu'Apulée, .F~o~tL,p. 303.« Canit Socrates in carcere hymnos. » Dionvso-dore, qui avait écrit l'histoire de la Grècejusqu'au règnede Philippe de Maoédoine,soutenait quece pœann'était
pas de Socrate. On trouve dans Athénée, XIV, 628, anvers emprunté aux poèmesde SocTate;~M~EMx~To{m
T<.t'rM~)t<!t~~m'<f)ifTM{;
0!xa[~o~MtXM~K!ra6et.u{T![<.maMK~eT~tdv~~jJKj)
Schweighauserse demande queIpeut-êtreceSocrate;Casaubon n'en dit rien.ptt. Muller croit que nous avons
là un autre vers dupteaM que le philosophe avait com-
posé dans sa prison.
82 VŒDESOCNATE
pide (l),que signalerune veinepoétique dans
TespritdeSocrate.Socratea mis l'idéal dans la viepratique et
semble, pour ainsi dire à dessein, le négligerailleurs: on ne le voitpassensible à la grâce et
à la beauté extérieure les discoursqu'onlui
prête ne révèlent pas legoûtde Fart, Famouret
le sentimentdesbellesibrmes, lebesoin ou le
désirde plaire. Il n&iecherchepas le beau lan-
gage il n''adans la boucheque des comparai-sonsvulgaires,desexpressionstrivialesqu'ilne
se lasse pas de répéter, sans craindre, par ces
redites négligenteset cette vulgaritédéformes,
d'apprêter à rire à tout lé monde, à tous ceux
du moinsqui jugent sur l'apparence (2), et de
choquerle goûtdélicat et difficile de sésconci-
~1)MaèMinaehua(Diog.JL, 11,J8}appelleEuripideftmx~t~ Ma~fêde: Socrate,et assuréqueSücrate
a~àtt~tSdë~morceaux&la desP~Crygiens.Cal.
lias, dansdeuxV6:fsconservésdelapiècedes~p6'fépàt~I'as9ettiù&,queSôcf~ avaitdonnéla poésied'ËttMpidèun câra.cteregrà~éet élevé.AMstophaae~a.pMsloinet dit<][a'tl~iaisàitléSpièce$d'E\trfpidé
E~ptKt~'7)~TK;Tj)~M~ ~dtmv
Tc<~mpt).ft~Ù<T<i<;tST<)'~:~tt,TCt<<f<t
Cesdeuxvers,queDiogènecite commeappartenantanx.iV'M~s,nese trouventpasdansnotretexte,etfai-saientalorspartiedelapremièreéditionde cettepiècedontilscdnSrMentr~xistëncB.
(2)Plat.,~Mtp.,222a.
SONESPRIT 83
tqyens.Il n'est pasétonnant qu'à la finSocrate,
par son mépris de toutes les éléganceset des
grâces de la vie et de la parole, ait excité chez
un peuple artiste, ou le Beaujouait Un rôle si
grand, quelque dédain, un peu de colère et
beaucoup d'étonnement. Tout en célébrant
sa vertu divine, en s'écriant qu'on ne pourra
jamais trop admirer sa tempérance et sa force
d'âme, en disant qu'on n'a jamais rencontré
uïl hommepareil pour la sagesse et l'empire
sur soi~môme(l)~Platon avoue qu'il ne res-
sembleà personne, considèreson individualité
etsa vie comme des prodiges, et confesse la
'bizarreriede ce caractère et de cette conduite,
qui, sans doute, devait paraître à plus d'un
presquede la folie(S);il l'appelle d'un mot ca-
ractéristique, mais difficile à traduire parce
qu'il enveloppe une nuance d'ironie dans la
plus sincèreadmiration o~Mo~-))x~ (3).Ëtid'H&autï'eeotécependant,souëcette sim-
plicité triviale, souscebon sensd'une forme si
peu éléga&te'~se cachaitun grand artiste, et, àsa mahièr~Ungrandpoète. S'il ne s'intéresse
(1)Plat.,~y~p.,219b, c,d.(3) Plat., <SyMtp.,281 e rcuToa~ ~n.; M~To;
r~ etTo~fm..
(3)~Id.,3t8e.tindrêtedecorpsseraittropvulgaire,maisil entrequelquechosedeceladanslalocutiondePlaton.
84 VIEDESOCHATE
qu'à la dialectiqueet au raisonnement, la con-
versation n'est pas entre ses mains un purinstrument de logique un souffleplus puissanLet plus élevé ranime et Fembëllit.Parsan-
nesseetsaprofondeur d'observation,par l'iro-
nie pénétrante et aimablequ'il saitdonner à la
critique, il arrive à produire des effets qu'on
peut comparer à ceux du poète comique.Nul
n'a résisté à cette analyseà qui rien n'échappé,à cette forceinvinciblede dialectique et d'i-
ronie. Il passe sa vie à se moquer et à rire de
tout le monde(1) maistout en se jouant ainsi,il accomplitune oeuvre sérieuseet grave (2).GommeVoltaire,il excelleà rendre ses enne-
mis ridicules; mais à la verve de malicepro-fondedecegrand esprit critique,il.unit~là ce qui rend sa personnalité si curieuse, parun exempleunique dans l'histoire, il unit la
faculté de méditation intérieure,d~~
siasme,de ravissement extatique d~m~
tique, la vie d'un saint, la mort~d~
Cette grandeur morale lui co~m~reflet de la beauté qu'il a dédaignée le rail-
leurterrible(3),qui avait le rire commela phy-
ŒPlat.)<S'</Mt~316e:*6!()mw)f'w{x~'t~ ~taTeXc~
(2)Xen.,MgM.,1, 3,8 ~a.~evajjm(mou~~av.(3)Dibg.L.,II, 19,d'aprèsTimondansles<S'<~M:
~MTT)p~Ttip~UXTO(,!nMMTt)te<,t~M~EUTÏ);.
SON ESPRIT 85
sionomiedu satyre (1), ce lutteur aussi invin-
cibledans les joutes dialectiques que Scirron
et Anthée (2), ce chiende chasse de Laconie,
à quiaucuneruse nepeut faire perdre la pistedes idées (3),cet opérateurhabileet hardi qui,semblableà unaccoucheur,tire du plusprofondde votre âme des pensées secrètes que vous
auriez voulu vous cacher à vous-même, c'est
unenchanteur(4)aussi:il frapped'immobilitéet
d'impuissance,commela torpille, tous ceuxquiveulent lui teniriête (5);ilmetcommeunsceau
sujia bouche et sur l'âme de ceuxqui l'écou-.
tent. La puissance de son' art ne, se borne
pas à réduire l'ignoranceou la vanité à un si-
lence humiliantou modeste; ses discours,tout
dépouillésqu'ils sont des grâces du style et de
la séductionde l'harmonie,ont un pouvoirma-
gique qùi charme, comme le feraient les plus
grands poètes (6). 11ravit, il étonne et boule-
Yersel'ânie; il la fait rougir de ses faiblesses,
éveille en elle comme un avant-goût de la
(1)Plat.S'y~p-,215b.(2)Plat.,T'Aee~169a,b Plut.,T'Aes.3;Diod.Sic.,
i~(3) Plat., .P<M"tM.,128 C M<!t~-~set!~xx~~t oxu\m<e{t5
p.6T&9~;.Tt xai t~eue~ TCt~.e~M~Tx.
(4) Bibg. L.. 11,19, d'après Timon!Ë~w.a~ s~Kc~
(&) Plat.8M., 80 a T~~XKT~K~otpx~Tti6~ttMfo[.
(6)Plat., ~Mp., 215 e oh:ue~cnM'<'j'Ao~).e~H;.
86 VIËMiSOCRATE
vertu, une indignation vertueuse contre elle-
même et contre le mal dont elle s'est rendue
coupable(1);c'est une sirèneque ce Silène(2).Lesflûtes deMarsyasn'ont jamais eu cette har-
monie enchanteresse qui charme et l'homme
et la femmeet l'enfant qui les accabletous et
les frappe d'un muet ètonnement (3). Si là
beautése reconnaîtau trouble délieiôQXqu'elle
jette dans l'âme, qui méconnaîtra dans So".crate la vraie beauté de la parole et de l'élo-
quence (4)?C'estsurtoutdans l'ironieque son art semble
avoir excellé.Onsait que sonprincipephiloso-
phiqueétait qu'il ne savait rien~etqtl'il necher-
chait qu"àapprendre quelque chose. Quoiquecette convictionfut chezlui sincère, il s'en ser-
vait à la fois pour l'âttaqne et la défense~
(t)PM.Mp.,3l5'c: ~opu~o~(8)Id. Ayi~ox&ne~agitt.ti~ de~~< cïdv:
7~ YI,3C8,a.ppot'tequesonpèren'hait j&TS(tiar6ù-contréun hommeplus persuasif.Toutesa personneparlait,dit-il.Lesonde sa voix,l'expressionde sabouche,lemouvementdesaphysionomie,et, outrece
qu'ildisait,l'originalitésifortedetoutesapersonne:TwToueMou!~toToTK.C'estle génie,ledieudeladiscussion,96~ m~ T~ ~~XTUtO~.
(3)Plat.,~tMp.,315a: ~e~X~ct ~jt~x~K&Texo-p.~<t.Aristophanea unmotpluscaractéristiqueencore:'jtu~&m~H 2mx~t~{.
(4)Plat.,~Mtp.,81Tc.
SONESPRIT 87
commed'un bouclieret d'une lance il n'avait
pas de peine à réduire au silence ses adver-
sairesprésomptueuxqui en savaient moinsen-
core que ce prétendu ignorant, et qui ne pou-vaient même pas faire longtempsillusion sur
leurs grossièresmanœuvres.
Onnel'a pasassezremarqué,l'ironie, quandelle n'est pas amère, introduit dans la discus-
sion, à la fois, la modestie,l'esprit, la gaieté et
lapolitesse; cet air de bonnecompagnie,cette
attitude modeste d'un hommebienélevéqui se
faitpetit à dessein,
ïJrbaniparceatISTîfibusatqneExteManttseaseonsulto(l),
écarte l'arrogancëscientinquequi est odieuse,le pédantismequi est ridicule, déconcerteFor-
gùeil et la suffisance, et permet de faire
entendre les choses qu'il serait grossier de
dire toMtC]t'ument:c'estlàque Socratefut, à ce
qu'il paraÊ,inimitable; et avecdes formespô"lies et courtoises,son argumentation n'en fut
pâsmoins terrible.Cen'était pas la griffeformi-
dable du lion; niais, avec le miel de rabeinee
attiquë.c~n était le perçant aiguillon.Rien n'ést cruel commele sourireimpercep-
tibleet raillëu]'d'unhommebienélevé car sous
(l)Hor.<X,I.Î,v.lS.
88 VIE DE SOCRATE
les dehorsde l'humilité, l'ironieest l'expressioncontenue d'un sentiment profond de supério-rité dansle demi-jouret sous le demi-motoù
elle se place, elle fait éclater parfoisdans une
'nuance indéfinissable,et que tout le monde
saisit, le dédain et le mépris. Je ne pense pasfairetort à Socrateendisant quece sont là ses
sentiments véritablesà l'endroit de certainsde
ses interlocuteurs, particulièrementdes so-
phistes.Poureux,son méprisest sérieuxet pro-fond. Plus faiblequ'eux dans l'opinionséduite-,il prend cette arme, de tout temps l'arme du
faiblecontre l'insulte du fort, de l'esprit contre
la violence matérielle, du bon sens 'méconnu,de la liberté opprimée, de là justice outragée,contrel'erreur, l'iniquité, l'inGapaGité.lsot-
tise triomphantes. Socrate n'arrachepa~
mentet grossierement'ies masques; il les'sou-
lève doucement~avecun;M insolent, ct
sousles dehorsmenteursdn~~savoiret de.lagra-
vite, nous, laisse voira nu dé,
la vanité~~et~de ~gnorancë~Les~ ne
se sontpas relevés,du GÔup~u'i~letir~a portécommeles jésuitea, ces autres sophistes, ils
traînent et traîneront éternellement devant
l'histoire,avecleur nom même,le trait qui le,sa'
mortellementblessés.
Cependantil ne faudrait pasprendre Socrate
SON ECOLE 89
exclusivementcommeun critique lui aussi il
a une méthodeet une philosophie.Saméthode
estnégativeen ce qu'il croit devoircommencer
parpurger l'âme deserreurs qui l'encombrent,
des vicesqui la déshonorent; mais elle est fé-
condeet positiveen ceque,renvoyantl'hommeà sa propre pensée, en lui disant de chercher
la vérité dans l'observation de sa conscience,dans l'étude de sa raison et de son cœur, il
croitqu'il ya un art, et il croit qu'il possèdecet
art, d'aider les intelligences à mettre au jourles fruits sains et vigoureux qu'elles renfer-
ment, comme à tuer dans leurs germes les
fruits impursquiy croissentet quiles envahi-
raient peu à peu. C'est un accoucheur des
âmes. Quoiqu'ilprétendequ'il ne sait rien,quele Dieului a interdit derien produire,qu'iln'est
pas un maître, il sait du moins qu'il ne sait
rien; il saitdoncce que c'est que savoir; il sait
que nous pouvons savoir ce que c'est que
l'homme, et il sait par quelle méthode nous
pouvons arriverà le savoir. Cette méthodelui
permet d'aider ceux qui veulent acquérir cette
seiehceetd~étudieravec eux ce grand sujet de
la curiositéet de la sympathie de l'homme, jeveux direl'homme.Il leur apprendà détourner
leurs regards encorefaibles de ce ciel matériel
où s'égaraientleursyeux et leurs esprits,et les
VIEDESOCRATE90
ramène à ce ciel intérieur de l'âme qu'ilsavaient négligé,et où une contemplationas-
sidue et profonde leur permettra non-seule-
ment de se voir eux-mêmes,maisde voir Dieu.
qu'ils n'avaient pas encore clairement aperçu.Il a donc,quoiqu'il endise,un enseignement,
et par conséquentune sorte d'école quoiqu'ilaccueilletout le monde,cependantil a une pré-dilectionparticulière pour la jeunesse il ne se
bornepas à accueillir,il attirelesjeunesgens;ilfait plus,il les poursuit, et usant et même abu-
sant du langage qu'expliquent sans le justifierles odieusesmœursdelaGrèce,dontiln'est ce-
pendantpas atteint, il se déclare l'amant de la
jeunesse et de la beauté et proclamene savoir
qu'une chose, c'est l'amour (1).'Il a eu en eS'et
ce don sacré, cettepuissance magique: il a été
aimé et il a aimé; il a su s'ouvrir un chemin
dans les jeunes âmes,y semerles. germes fé-
conds de la vérité et de la vertu, leur inspirerl'amour delà sagesseet de la philosophie.C'estainsi qu'il fait entendre une noble chose sous
cesmots affreux de Platon, que je n'ose tra-
duire:t~oM!v (Mt&<j)&«Mf~t(2),et celui-ci,plus
(1)Plat.,<SytK~20*?<~M<TôtepMTUMCAarM.,155d
<K~<etK*<t~epmTtKd!.
(3) P/:ce~ 249. J. Gesaaer a o~ intîtulef un on-
SON ~GOr.E 9i
triste encore,puisqu'il ravale aux honteux ar-
tinces de la courtisane la prédication de la
plus pure morale rw t~< lui de-
mandeGallias,de quoi donc es-tu si orgueil-
leux? ~(<.Mf~~(l), répond Socrate, c'est-
à-dire, de savoir séduire les jeunes gens à la
sagesse, et de les rendre, par leurs vertus,
pleins d'une beauté réelle et durable, qui les
fasseatout jamais aimeret dignesd'être aimés.
L'amour socratique est l'amour de la vraie
beauté, c'est-à-dire de la beauté morale(2).Voilàquels sont ses disciples, ou plutôt ses
auditeurs favoris mais rien ne ressemble
dans cette pratique à une école réglée on
ne trouve aucune trace de pédantisme et de
scholastique~rien de sérieux, d'austère tout
on accomplissantson œuvre si sérieuse, il se
joue et rit (3).Le cerclenombreux, mais flot-
tant, qui se forme,se disperse, se reformeau-
tour delui, n'est soumisà riendefixe. Aucune
discipline,aucune règle; ni le lieu des entre-
vrageparuen1*769&Gœttingue~oc~es,~KC<tt$pce-def<M~.
(1)Xènoph.,CoM~111,10Cf.id.,IV,56.
(2) jKep., III, 403 C TZTOUXCt~5~NTHM.
(3) Mem., IV, 4,10 M~Mn. M. 1,3, 8 ~tu!~ KM.a.
<M!M[M~Mt;Platr,, CCMC., 316 s~M~M~.S-)!);KM TtC~mt
~tKT6?.
VIEDESOCRATËM
tiens, 'nil'heure, ni le sujet, ne sont nxcs. Il
aimeà causerde la sagesseà table, et ce n'est
là qu'une habitude grecque, transplantée en-
suite à Rome,et dontPlatoncommençaà faire
une espèced'institution;ceuxmêmequi forment
autour delui un cercleplus intime,ne semblent
pas avoir une communautéplus granded'idées
soit entre eux, soit avec lui-même:ils ne sont
réunis que par une plus grande force de sym-
pathie pour sapersonne et d'admiration poursongénie et sa grandeur morale.Nous ne les
connaissonscertainement pas tous, mais nous
en connaissons cependant un assez grandnombre.
Onpeut les distinguer en trois classes les
uns se bornaient à écouter, àjouir du charme
de ces improvisationsintéressantes,piquantes,
aimables; à profiter de l'exemple de sa riche
expérienceet de sa fortedialectique,pour l'ap-
pliquerà l'art de laparole,de lapolitique oude
la poésie.Tel était Euripide, dont Socrate passait
pour le collaborateur(1), et auquel, par égard
pour Famitié dont l'avait honoré son maître,
Platon décerne, peut-être un peu légèrement,le premierprix de son art (3). Socraten'allait
(1)Diog.L., II, 18 jEL, !~M-II, 13.(2)Rep.,VIII,568a !m(C~vr&h T~M~.
SON ÉCOLE 93
guère au théâtre, dit-on, que pour y voir re-
présenterles piècesde son ami c'est à ce titre
qu'ont dûserencontrerdansce cerclelespoètes
AgathonetAristophane,Lysiasl'orateuret Phè-
dre, son admirateurpassionné;lenobleCallias,dela grandefamilledesHipponicus,qui,danssa
curiositépourtoutes les chosesde l'esprit, don-
nait une si généreusehospitalitéà tous les so-
phistes Critias,l'un des pluscruels des Trente
Tyrans; Alcibiade,le plus beau et le pluscor-
rompu des Grecs; l'intrépide, mais téméraire
Lachès; le sage, mais trop prudent Nicias le
jeunePériclèsenfin,accabléparla gloirede son
père et quipérit victimede la fureur dupeuple,à l'occasion du combat naval des Arginuses;
Aristarque et Eutbère, personnagesinconnus
et que Xénophon seul nous fait connaître
comme de vieux amis de Socrate (l);Adi-
mante, l'un des frères de Platon.
Ilest remarquableque nous ne trouvons pade femmesassistant à ces conversations; en
effet, ellespouvaientbien suivre les leçonsdes
pythagoriciens,donnéessecrètementdans l'in-
térieur des maisonset à portes fermées, même
cellesde Platon,quiavaient lieu dansun édifice
public,mais clos; mais elles ne pouvaient se
(I)A~tH.,If, '7et8 <&A<~xxt~Tsx~xT.tE'<x~.
94 VtËMSQCRATE
(l)Diôgènede Laërte,H, 64, nous don.nele 'nombredes
ecrits,sousformedediaidgu.es~qù'on~a~ àcesp8rson-
hage8;tlasctittous aujourd'hui perdus, et presque tous
passaient déjà du temps de Pi&g~oepbUraupposés. <<Datous ces dialogues socratiques, il n'y a d'authentiques,dit Panœtms, que ceux de Platon, deXénophon,d'Ân-tisthène et d'Eschine.? Paaœtius hésite sur ceux de
PhëdoUet.d'Eu.clide:il condamne tous les autres.
mêler aux hommes sur la place publique, le
.port, les gymnases, partout-oùSocrateentraî-
nait son mobileauditoire.
Les deux seules femmes avec lesquelleson
nous le montreen rapport.!sont les deux cour-
tisanes Theodoto et Aspasie, auxquellesil al-
lait demander des leçons sur l'art d'aimeret
dese faire aimer l'une, célèbreparspn rar es-
pHf et.l'aniour qu'elle sut inspirer ô.Périclëa;
l'autre, maîtressed'Alcibiade,auquel elleeut le
couragede rendre les derniers honneursaprèssa mort due à la perfidiede Pharnabase,
Dans une autre classe, on pourrait placerceux qu'on appelle proprement ~0~0;~ w~t,
qui n'ont vu dans Socrate qu'unmpraliste et
ont essayé de continuer, en la développantdans des ouvragesperdus,aujQMrd~lnn(1),cette
philosophiepratique et populaire.Cesont Griton et spn~n~ (~ritpbul~Chae~e-'
phon et son frère (3hér~crate~etAutodoreson frère)Aristod~iaie,TËéag~s,Her*
SONJ~COLE M
mogène, Hermocrate, Phédonide, Theodote,
Epigène,Ménexène,Ctésippe,Théétète, Terp-
sion,Charmide,Cléombrote,Diodore,Glaucon,autre frère de Platon, Simmias et Cebes, les
deux pythagoriciens,Simonle cordonnieret le
charcutierEschine.C'est ce dernierqui, sepré'sentant à Socrate au moment où il recevait'
quelques cadeauxde ses amis, lui dit « Pour
moi, je suis si pauvre que je n'ai rien à t'oSrir
que moi-même; à quoi le sage répondit« Tu ~~ma~M~ munus dederis (1).N'ou-
blions pas Xénophon,dont les Mémorables,le
Banquetet l'Apo~o~~nous montrentsous quel
point de vue cette catégorie de disciples avait
comprisl'enseignement de Socrate.
Bans la troisième et la dernière, on peutmettre ceux qui, derrièreles applications pra-
tiques et les leçons morales, ont aperçu les
principes scientifiques et métaphysiques quiles soutiennent'et les produisent, et qui, à leur
tour, ont essayé de construireavecla méthode
et les principesdu maître, une philosophiepro-
pre et driginale..A leur tête, il faut placerPlaton puis, bien
au dessous,Euclide,fondateurde Fécoïcméga-
rique, amifidèle et admirateurcourageuxjus-
(1)Senec.,~e ~M., 1,8.
VIEDESOCRATE96
qu'à l'héroïsme,de Socrate. S'il faut en croire
l'anecdote racontée par Aulu Gelle (1), c'est
auprès de lui qu'après la mort du maîtrese ré-
fugièrentles discipleseffrayés.Phaedond'Elis, pour lequel Socratesemble
avoir eu une prédilectionmarquée (2), et qui,réunissant autour de lui quelques auditeurs de
son maître, forma l'école d'Elis ou d'Erétrie,très-intimement liée à celle de Mégare, mais
dontnous savons peude chose.
Antisthène d'Athènes, qui avait été, avant
de connaître Socrate,.un professeurde rhéto-
rique sophistique, fut Fauteur de la secte.
cynique et le précurseur de Zénon. Fidèl&au
maîtrequ'il avaitadopté (3),il imitasa méthode
d'interrogerles hommes,maisen mettant dans
cet examen, par lui-même douloureux, un es-
prit de violence et d'arrogance qui était dans
son caractère.
Aristippe de Cyrène avait- été attiré à
Athènes par la réputation de Socrate aux
jeux olympiques, il avait entendu Ischo-
machusparler desadoctrineet desapersonne,et n'eut pas de cesse qu'il nefit sa connais-
(1)Noct.~tM.,vu, 10.(2)Plat.,P~tp~OM.,Md,89a.(3) Xén., M<w: 111, II, n; CuMu., 4, 44; Plat.,
.P/ 59 b; Diog. L., VI, 2.
SON ÉCOLE 97
6
sance. Il a dû nécessairement entrer très-
avant dans sonintimité, puisque Platon cru
devoirsignalerson absence dans cecercle d'a-
misqui se trouvèrent auprès du maître le jouroù il but la coupefatale. Ce qu'il y a de singu-
lier, c'est que,commeAntisthène, il se croyaitle fidèleinterprètede'gprincipes de Socrate en
développant,dans l'écolecyrénaïque, les doc-
trines qui aboutirent biejitûj~àla philosophie
d'Ëpicure.
philosol)hie
CommentSocrate employa-t-il les rares fa-
cultés de son esprit?Quelle fut sa vie? Nous
voudrions pouvoir le dire avec détail mais
nous ne savons rien de sa jeunesse et de son
âgemûr les témoins les plus dignes de con-
nancenenousie montrent,que dans les der-
nières années de sa carrière, et ne font quedes allusions rares et souvent obscures aux
événements qui en avaient rempli la première.
partie, et de beaucoupla plus longue.Il paraît certain, comme nous l'avons déjà
dit, qu'il exerça d'abord la professionde son
père, et que s'il ayait écoutéles conseilset les
désirs de sa famille, il n'en aurait jamais eu
d'autre. C*estdu moins cette oppositionaux
désirs des siens qu'on trouve exprimée dans
les récits, d'ailleurs assez suspects, qui nous
LA MISSION DE SOCRATE. EXAMEN DES HOMMES.
CHAPITREIV
VIEDESOCRATE100
montrent dans Socrateun jeune hommeindo-
cile et rebelle; qui, au lieu de se mettre à l'ou-
vrage et de prendre, comme le lui ordonnait
son père, le ciseau et le marteau, s'échappaitde la maisonet allaitvagabonderpartout où le
conduisait sa fantaisie (1). Sa jeunesse aurait
été ainsi, suivant le document de Porphyre,
probablement emprunté à Aristoxène, assez
irrégulière.Il est à croire qu'il abandonna de bonne
heure le métier paternel qui lui répugnait;c'est dumoins ce qu'afnrmePlutarque. Socrate
était encoreenfant, nous dit-il,6'T<7re!~o(&7-o{,
quand l'oraclede Delphes, consultépar le pèremécontent et inquiet, lui ordonna de laisser
son filssuivre les impulsions de la nature, de
ne pas contraindresavocation, et même de ne
pass'occuper delui du tout; et, en effet, ajoutele biographe, il avait en lui-même, pour leconduiredans la'vie, quelque chose de meil-
(1)Théodor.,<?~c.affect.CM~XII,1030 oncp~ù-~M< &;KpK~!H~M~OÙXSUPtmOM~,OU<~eUTCtKTm;.Ce
fragmentn'apasétéadmisparM.K.Müllerdansl'éd.deDidot,au nombredes fragmentsd'Aristoxène,au-
quelil semblecependantqu'ildoiveappartenir;carc'est surAristoxèneques'appuieconstammentPor-
phyredanslesrenseignementsqu'il nousalaisséssurSocrate.
LA MISSION 101
6.
leur que tous les conseilset que tous les maî-
tres (1).
Malheureusementce renseignement est eu
oppositionavec la tradition, qui attribue à son
ciseau les trois Grâces vêtues de l'Acropoleun groupede cette importance attesterait une
assez longue pratique et d'assez profondesétudes dans son art, tandis que le lieu hono-
rable dont il avait été jugé digne prouverait
que l'artisteavaitatteint un certain degréd'ha-
bileté et de talent (2).Si l'on veut tirer des assertionsde Porphyre
et dePlutarquedes conclusionsquinesoientpas
téméraires, il fautse borner à dire qu'il y a eu
dansSocrateun développementindépendantet
spontané;qu'il a senti debonneheure s'éveiller
la vocation philosophiqueet la passion de se
consacrertout entier à laréformescientifiqueetmorale de ses concitoyenset des hommes. On
peut croire quece, fut sur l'ordre du Dieu de
Delphesqu'il renonça à l'industrie paternelleet
(l)Plut.);Dëe!<BMt.iS'oc~c.x.x.
(2)Bruckera attaquél'autoritédu passagedePlu-tarquequeTennemann,Gesch.~e<PM., t. II, p. 31,a défendue.Ménage,aprèsavoircitélesdeuxpassagesdePausanias,Broute <:HinorefutandusPorphyrius,qui, ut est apudTheodoretum,artis inscitiœSocrateminsimulat,etadversuspatreminobedientiœ.u
'f02 VIB DE SOCRATE
embrassa le périlleux apostolat de la vertu (I).
Mais à quelle époque de sa vie rompit-il tout
à fait avec sa profession et se reconnut-i~ Fo-
Migation~ imposée d'en haut et à laquelle il ne
pourrait ~0 soustraire san~ ~acrilég~. de tra~
vailler au perfectioBn&ment moral de lui-ïSême
et des autresîNQusI'igQoron~ absoluïRent.
Des prédietions, d~ sohgëS) des signes (2),
toutes les formes que peu prendre la volonté
des dieux pour se manifester à un homme~ et
lui annoncer qu'il est réservé à uoemi~sioûdi*
-vine, ~~tt se mssifeëtërënt à lui. Ces cOm-
monicàtions fré(~eBtes~ habitueltea (3~M v
;(1)Btax. Tyr., p. ?5 xKtaï~ ~cascu~et~To~ ~,gvT~~ ~°' K~~f ~u.&~t,M/ X.~?.' .R.er-
~Ma,}~{a.<&&~d~ ~`r~-
~M~ ~OC~M) ?) l`ok~l~~siaiotrtlô t~y,u~
et-de.tt~ l~xp~es~ionâtt'm~ quele>~anciens Grecs
portaient, ùbn-seuieméat aux & tu meaux
~Stëg~pOtt~~M~oa~ il Cita
]~ut,sh~a.~l~ gli'ëïûvgiü~=
attesta .~o~; qû. aYaNoe~~c~<'ëM~i~:M<o~<En relisant ces deaxcb.apitres,0n sera convaincu,
je pense, qTiePlutarque fait allusion, non pas aux pré-
jugés des anciens Grecs, laatS.auxprejugés. ses oon-
temporains, qui les avaient reçus, ayeela servitude, des
Rô&ains, ou tes siKiuîaie&tpoNr eotBpt~rë a leurs''Htaitres.
%Ô~S4c~~M~c~ l 49~
c; ~b.
(3) ~%cB~43~Tci eiM~~o~Eto~;~p(;R,40'd: M~pttNMK~.<it[<,K'<T'X'o.
LA MfSSMN' 103
des dieuxavec Socrate, ces révélations dont il
ne se croyait pas l'objet unique et privilégié,maisque pouvaientespérerd'obtenirtoutes les
ainespurea (I), avaient commencédès sajeu-ne~e (8)et avaient pris peu à peu une préci-
sion, une clarté, une intensité telles dans sa
conscience,qu'il les entendait s'exprimer parune voix (3).
C"étaitlà ce qui se produisait) ce qui se pré*sentàit lui de divin et de détOLonique,~e~ytt
X~~<jM~)V.Gettemï~ionsupérieureà laquelle il se sen-
ta:itappelép~Fu-nevoix d'en haut, et pour la-
quelle il négligeait,par un sàcri6ceoù il trouve
lui-mêmequelque chosede surhumain(4},tous
lés intérêtspositi~et matérielsde la vie, avait
certaïnëînënt déjà commencé, lorsqu'elle fut
coïlïïy~.éëpar l'oracle de Delphes,consultépar
Ghêréphon~son ltmi d'enfance. est évident
queëétOtàële, dont nous allonsracohter l'hig..
toire, n'a pas décida âéul la vocatiOïl~hiloso<
phiqué de Socrate; il fallait mômequ'une'cer-
(1)Xéii.,Af6Mt.,l,iy,18)oùilconseilIeàAristodèmedefaireunecourassidueaux dieux,anndevoirs'ilsne Inienverrontpasdesaviset des conseillersspè-C[Mx,;Gf.M.:i<l.;î;l,M.~
(~]E'lat.ipo~31d:~<a:~<A~u.MM..t,
~Pl&t.o!3ld.(4)Ptttt.,~j&o!31b ~fi~w~N ~ms.
104 VIEDESOCRATE
tainenotoriétéentourât déjà sapersonne, pour
que Chéréphon ait eu la pensée de faire une
telle question, et que le dieu ait pu faire une
telle réponse. Nous savons par Platon quecette carrière de dévouementet de sacrificesa
duré de longues années (1). Quelque vague
que soit cette indication, elle exprimetoujoursune longue-durée; on né peut pas supposer
qu'il ait osé entreprendre ce rôle de réforma-
teur pendant sa jeunesse, car il lui fallait au
moins Fautorité d'un âge presque mûr, sinon
de la vieillesse; mais on peut admettreque la
pensée lui en vint de bonne heure, qu'elle se
développapeu à peu, et qu'il était arrivé à là
pleineconscienceet dans le plein accomplisse-ment de son œuvre versTâge de quarante ou
de cinquanteans. C'est-à-diredans les dix pre-mières années de la guerre du Péloponèse.C'est doncvers ce temps à peu près, entre 430
et 420 ans avant Jésus-Christ, que nous pla-
çonsleyoyage de Chéréphonà Delphes.
Chéréphon, que Socrate nomme son ami
d~ejifance(2), appartenait au parti démocra-
(I)PIat.po~31b:TM<tuTa~~o.
(2)Plat.,Apol.,20e.PlatonluidonnedansCharm.,~8 b, l'épithètede~~xo'{;s'ilfautencroire-Aristo-
phaneet sonscholiaste,à forcedeselivrerà l'étude,ilenétaitdevenumaigre,pâleouplutôtjaune,livideet
LA MISSION 1ÛH
tique; il en avait partagé les périls, les persé-
cutions, et ne rentra de l'exil qu'avec Thrasy-
bule. C'était un homme généreux, passionné
pour la science, ardent dans ses amitiés comme
dans ses antipathies, et qui, poussé par une
admiration enthousiaste, osa demander un jour
à la Pythie s'il y avait un homme plus sage
que son ami(l).
La réponse de la Pythie est assez diverse-
ment rapportée. Dans F Apo~o~e de Platon, So-
crate se borne à dii'e qu'elle aurait répondu
qu'iln'y avait pas un hommeplus sage, t~~po~,
que Socrate; dans celle de Xénophon, qu'il n'y
même malade; de là les épithètes dechauve-souris,w~ïs-
de ~u~c;, d'tM<, quelui donneAristophane, Nub.,104 Schol.v. 104, 144,504. Suivant la seconde de ces
scholies, Nub., 144, il avait écrit quelques ouvragesdont il ne nousest riRnresté.
(1) Tel ne fut pas, suivant Fréret., ~4.c<!<Inscript.,t. 'XI/VU,p. 225, le sens de la question de Chéréphon,qui n'avait pas prétendu consulter l'oracle sur le mérite
de Socrate, mais seulement sur le mérite relatif de.So-
phocle et d'Euripide. Je pense que ce n'est là qu'une
conjecture de l'illustre critique, amenée peut-être parla réponse, mais que ne justifie aucun texte ni aucun
témoignage. On ne voit:pas bien pourquoi le vieil ami
de Socrate serait aller consulterle Dieu sur le mérite de
Sophocieet d'Euripide. Il n'est donc pas dutout certain
que<! Platonrapporte d'une manière peu exacte l'oracle
dont parle Socrate. ')
106 VIE DE SOCRATE
en avait pas de plus libre, de plus juste, de
plus sensé (1).
Diogène de Laërte a la prétention de con-
naître la réponse textuelle de l'oracle (2), que
nous trouvons plus complète encore dans les
~e&o~ d'Aristophane, dans les deux iambes
suivants:
2~fj'o;Bo~MMj;,oo~mTtpOtS'E~t~t~
Â<j)M~~tC(v'«)~~XpciT1t);<JO!j)mT~TO~'
(l)~o~.Xen.,14..
(3) Schol. Aristoph., JVM& 144, Diog.Ij., 11, 37;
Ménage, ad. M. Déinocharès, dans son ouvrage contre
les philosophes, cité par le scholiast.ed'Aristophane,doutait de l'authenticité de cette réponse, parce que les
vers sont iambiques et que les oracles de Delphes se
rendaient en dactyliques hexamètres. Le scholiaste ré-
pond quepJusieurs oracles, et de eeuxm~rendus de son temps, étaient en ianibes, et certains en
pfqse. polotès, 6ngaq~ d~épicuri~na~Co~
XVII) nie la réalité de cet oraclecooinie~c cellé de
tous les aut.res, qu'il considère cotnnie des cèdres de
fraude et,d'iropostur6, ott~KtTt~~i ~o~txov~~et, Athé--
née, qui la conteste~galëme (y. p.2¡8c), s'appuie surles dityérencesentre les détaii~dohn par Xéoop.honet
parPlaton.Bruclter(t,r,p.634)a accepte le doute assez
mal fondé, selon moi; ~e~olptès et d'Athénée. La meil-
leure raison qu'on pourrait invoquer en! faveurde ces
conclusions sceptiques, c'eat que bien des oracles de
cette nature ont été inventés après coup. et par exemple
pour Platon; Apolloatus et PIptin. Maisici l'accord surle fait de deux témoins aussi autorisés que Platon et
Xénophon, laisse peu de prise à un doute raisonnable.
EXAMEN DES HOMMES )U7
Si cet oraclen'a pasfait naître dans Socrate
Fidéede la missionqu'il avait à remplir envers
lui-mêmeet envers les autres, il la détermina
sansdouteavecplus de précisionet la confirma
pluspleinement.Pour s'expliquerle sens de la
réponse du dieu, il se crut obligéenvers tous
ses concitoyens,commesi chacun d'eux était
son père où son frère, d'examiner leur esprit,de scruter leur conscience,d'éveiller dans leur
âme le sens du vrai et du bien, et de la purgerdes erreurs et desvices qui, en s'opposantà la
vertu, s'opposentau bonheur (1).C'est là pourlui une tâche périlleuse,il le sait, mais c'est un
devoir sacré; il aimerait mieux renoncer à la
vie, il aimeraitmieux mourirmille foisque de
refuserde la remplir(2),car il vaut mieuxobéir
à Dieu qu'aux hommes(3); il se promit donc
de lui obéir tant qu'il lui resterait un soufflede
vie (4), et nous savonsqu'il a tenu.parole.Considérantdonc les Athéniens comme un
coursierrobuste et généreux,maisque sa gran-deur même appesantit, et qui a besoin d'un
éperon qui l'aiguillonne,il acceptace rôle dan-
-gereuxderéveillerdes âmesquivoulaient s'en-
(l)Plat.4p~31a.(2)Plat.po~30c,d.(3)Plat.,.o?.,29c, d.(3)Plat.,.aZ~ol.,29 a,
(4)PIat.j~)jOt~ 29 C, d emo~tyK; ~.jc~M xxtoi'){TtN<
t08 VIE DE SOCRATË
(l)Plat.M~p~3a;C~M'm.l&3a,b.
(2)Xénoph., ~M., 1.1, 10 MëMt.,111,11,1; Plat.
Apol. S., 1Tet 16; 31 a. Nousl'avons vu proclamer
Aspasie comme son maître d'éloquence. Quant à Theo-~
dote, célèbre entre les courtisanes de la Grèce, elle avait
aimé Alcibiade et, à sa mort, elle fit ensevelir son corpsdans une robe qui lui appartenait, avant qu'il fût portéau bûcher. Athén., XUI, 574; Libanius, t. I, p. 5~
jEi., .NM<Var., XIII, 32, citent encore CaUistbcomme
une courtisane avec qui s'est entretenu Socrate.
dormir, et passatoute sa vie, non pas à ensei-
gner, car il repoussatoujoursle titre de maître,et nia toujoursqu'il eût jamais promis ou
donné à personne,,des leçons, mais s'offrantà
tous,et provoquanttout le monde, étranger ou
Athénien,j jeuneouvieux, richeoupauvre,à des
entretienstoujoursgratuits. Toute la journéesurlaplacepublique,aumomentmêmedesmar-
chés,ou dans les gymnases, particulièrementau Lycée (1),loindese séparerde la multitude,commeles sophistes de profession,il causait
avecles marchandsdans leurs baraques,avec
les ouvriersdans leur échoppe,avec les ban-
quiers à leurs comptoirs,avec des sophistes,des politiques,des rhéteurs, des orateurs, des
poètes, mais recherchant surtout les jeunes
gens, et se hasardantjusque chez une courti-
sane (1) il cherchait à convaincreses interlo-
cuteurs de l'inanité et de la vanité de leurs
connaissances,et les encourageaità substituer
EXAMENDESHOMMES ~09
?
à ces faux semblantsde science, des principes
plus certains qu'approuvassent également la
conscienceet la raison. Ces conversationsper-
pétuelles, qui le faisaient appeler par les co-
miquesun infatigablebavard, ~Aety~HT,sédui-
santes,piquantes,à la foisgraveset spirituelles,
gaies et sensées, où, sousune apparencede cri-
tique négative et de dissolvante analyse, il
semait les germes de la vie morale, éclaircis-
sait la notion du vrai savoir et du vrai bon-
heur, éveillaitet dirigeait les grandes facultés
investigatriëësde l'âme, lui attiraient de'nom-
breux auditeurs, qu'il n'appellejamais ses dis-
ciples,mais simplement ses amis, ses compa-
gnons, ses habitués (1). Son art de causeur
était si grand, son commercesi recherchéet si
attachant, que, suivant le récit d'Aulu-Grelle,
EUclide, bravant le décret qui punissait de
mort~toutMégariensurprisdans la ville, venait
lanuitdeMégar~~àAthènes,déguiséenfemme,
pourpouvoiren jouir (2); et quandbien même
'il faudrait tenir poursuspecte cette anecdote,
que seïnblent autoriser les conversationsque,
.d'après Matô~ Euclide aurait eues avec So-
cratë dansles derniers temps de sa vie, il n'en
(l)-X&&At~a:S~fK~t~TWMie{/6~uvt~c!0~-~~tXTpiëtMTC;, c! O~.A6U';T6(, o! ft~M;.
(3)A.Gen.,y.~i'<Vl,c.x.
~00 YtNPS.gPCRAT~
faudraitpas moinay voirla preuve de la répu-tationuniverselleques'était acquiseSocrate,et
de la supérioritéqu'il déployadans Se rôle deP,~
causeur public, constant et gratuit, dontil n''yapasd'exempledansl'histoire ~Ath~Qeaavant
ni après.lui.MaisSocrate n'était paa seulement un oau!-
seuraimable,Jetait souventun oenaenr~évère~ils~enaUaitnonpas seulenients'entrete~~ fa-
milièrementavec tout le~ maisp~n~trantavecuneperspieacitéterribleau fonddela cpn--
sçiencedochacundeses interlocutëurs~lHiarra-chantleniasque de ses faussesvert~ 6t,de ses =.
iaax talents, le forçant a d~mniliants aveu~:
d~ïnpuisaanoe,d'ignorance~d~ïnmoralité,fai-
sant rougit les plus honii~~ de tout ce.~u'ils
sentaient.eneuxd~fâ~ mpx~lés,np.~isirri-
tântleplu~~ ie,ur Faisantpéz~ra
lëurs~pretentiQn~~ d'eu~-m~mës et
au rëspeet~autrui~Il ne @~ pas
quepar cette espèce de confessionpubLic~~eet
vîolente~.aiT~par-s~~ analyse; son
raisQnHQj~e~p~~eu~~ sa texriblé ironie, il
s~attiraitdenoiabreuxet redoutablésëuu~m,is;
lui~mên~se coMp~~ &;un;tao s'attache
aux 3ancs d'un chev~ réveiller sa m0l-
:lessë.f~ussi~si~no'Qs:.eïi crpyons~r'j~o~de
Platon~'leprocèsqui'lui fut intenté~ le sur-
EXAMENDESHOMMES t!l
prit pasplus que Hssue fatale ne Fen étonnaj;il sembleFavoirprévue, sinon désirée, comme
on l'a soutenu.
Il faut reconnaître cependant qu'il ne fut ar-
rêté danscette missionsi délicateet si dange-reuse que vers la fin de sa vie. Pour la remplirainsi presque jusqu'au bout, sans violence
comme sans faiblesse, il fallait deux choses
quel'onn'a pas revues dans l'histoire une ville
tellequ~Àthènes.etuïihommetel que Socrate,encorecet hommeeût-il besoin d"étreou de se
croirepossédépar un dieu (1).ToutefoisSocrate, s'il considère cette vie
philosophique)qui consiste non-seulement à
s'interroger et à se confesser soi-même,mais
à interroger et à confesserbon gré malgré, et
publiquement,les autres (2),commeun devoir
religieux; uneobligationenvers le dieu, il y
goûte et y trouve un bonheurqu'ilne cachepas. Il obé~t)sans doute, aux dieux
qui le lui ordonnent,maissans cette constante
étude de rhommé, de l'homme moralsurtout,la ~ie lui sembleraitbien misérable(3) il n'y
(1)Plut.ad.Col.,C.1*7Oe~m-cu~pot~~vou.~3)Pl&t.4.po!28e:~).Mt'wou<Tx~wx~~tTc(~Taejt!)tHT~
/)fcHTH<{a~).OM.L'
(3~ Plat.4po~ 28 e: e xxt KM~T<xttT6<p:e~!itptMTs;
~n~.
VIE DE SOCRATE112
a pour lui qu'une vie désirable, la vie de l'es-
prit qu'une vraie félicité, c'est l'effort actif
de l'âmedans la recherche et, autant qu'elle le
peut, dans la possessionde la vérité.
CHAPITREV
LE. DÉMON DE SOCRATE.
¡;JI
C'est peut-êtreici le lieu de dire ce qu'il faut
entendre par le Ûémon de Socrate c'est un
sujet qui a provoquédans l'antiquité et dans
les temps modernes une légitime curiosité,
sans recevoir une solution absolument satis-
faisanteet généralementadoptée.Je n'ai pas la prétentionde mettre un terme
à cette diversité d'opinionspar une solution
nouvelle; je mepropose seulement, d'abordde
mettretout le mondeà même de porter un ju-
gement par un récit complet et impartial des
faits; je rechercherai, dans Platon et dans
Xénophon, le sens qu'a pu attacher Socrate
lui-même à ce phénomènesoit intérieur, soit
extérieur, soit subjectif, soit objectif;je ferai
connaître ensuite les opinionslès plus consi-
dérables des anciens et des modernes (1), et
(t)CequelesAllemandsappellentla littératuredu
H4 VIEDESiCRATE
je me permettrai eniln de dire à mon tour ce
que j'en pense.
Pour connaître les faits relatifs à cette- cir-
constance un peu, étrange et presque merveil-
leuse de la vie de Socrate, nous avons deux
sujet est immense,et quoique je sois loin d'avoirpu réu-
nit' tous les travaux qui ont paru, particulièrement en
Allemagne, ceux que j'ai recueillis sont si nombreux
que j'f.n ai été plutôt accablé que Secouru.Je citerai ici
seulement les plus importants. Dans l'antiquité Plutar-
que, De 6'gHt'oj'?oet~<M; Apulée, De Deo ~ocWMM;Maxime deTyr~.DMM'tOMX.tV.
Chez les modernes d'abord les histoires généralesde
lapMosophie;Olèarius, dans la traduëtion latine de IWM~tyg J<!
joM~upytt'g~M~.
Brucker,t.I,p)5~3.
.Tepne~an.Q,t..tl,"p.âl.Meiners, ~!W<.des ~ëM~o~)tt~n f. ~98)6t .M<f!aM-
~M,,t.~n,'pt''M. Zêter~ des C~recs;t. II~ ?1.
Puisdes études ottC3 sujet ititervient inet est toutefois: traité ave~.dësdevëlôpp'emëhtâim
'ta'nts;'
SchteMcmacher) trad. aHemuadsde' pi<it&a, ti lï~
~~4M~?~Aët., p': $8~.
RûefsShs~~???8 6<!No~ps, p. 856.
Bn.ftules moaôgMphies, pu'dissertations spéciales!
'L'ab.bé Fraguier~\Dg l'ironie ~e ~ocra~, Af~Mt.de
!ca~MîM.t.îV'.
Be8enbëc-Ë~~(3ëM/~6o~1802,'Ër~Schwartz, Spec. ZMaM~ jBe (7gM.<S'ocr.,Louvain,
183<]'
LE DÉMON ~s
Leiut, !e DèMOM~eNoc~e, 1836, Pans.
Lasaulx, Des ~o~f. Ze&eM,'Munich,1858.
'Volquardsenn,DasDosMtOMtMMtdes~'ô~Kiel,1868.
Freymuller, î)e ~ocra~. D~tMOMM,Landshut, 1864.
(l)PIat., ~.po~.~31 (i,a; Xen., Af<~ 1,1, 4: &~T.o
~eMjj~ttit)trpo'&tjj.ah~'ro;.
(2) Plat-, ~po~.jS., 31d; Gic., De~à)., 1,54 <Nua-
quam impellenti, ssepe revocanti. »
témoins autorisés et considérables,dont les
renseignementss'accordent sur presque tous
les points, et dont on peut concilier par une
explicationnaturelle les contradictions<appa-rentes sur le seul détail on elles se produisent.La questionde fait recevradonc de ces deux
témoignagesune pleine lumière j'y ajouterai
quelques particularitésempruntées, Il est vrai,à des écrivainsqui ne sont plus ni des con-
temporains,desconcitoyenset des amis de So-
crate, mais qui ne doivent pas Être rejetés
systématiquement lorsqu'ils s'accordent avec
Xênophonoù Platon.
Socratéétait persuadéqu'il se produisait en
lui quelquechosede surnaturel, de divin, de
démonique,qui lui donnait des signes sur les
choses avenir (1).Ce phénomène, qui s'était
manifestéà lui dès son enfance, ne lui inai*
qu.&itjamais, suivant Platon, ce qu'il avait à
faire,mais se bornait à le détourner d'une dé-
marchequi pourrait lui être funeste (2),tandis
VIEDESOCRATE116
que, si l'on en croit Xénophon, ces avertisse-
mentss'étendaientaussibien sur cequ'il devait
faire que sur ce qu'il ne devait pas faire (1).Cessignesprophétiques,qui se produisaient
tres-iréquemment, et dansles plus frivolescir-
constances,ne l'avaient jamais trompé(2).Ils
se manifestaientspontanément, sans être pro-
voqués,ni attendus, ni désirés; leDieuluipar-lait sansqu'il l'interrogeât(3). AussiSocrate y
ajoutait une foi absolue, il y obéissaitaveuglé-ment comme à des avertissements d'en haut,comme à des ordresdivins (4),dans les conjec-tures lesplusgraves de sa vie commedans les
chosesles plusinsignifianteset même les plustriviales(5).
Le plussouvent le phénomène se manifes-
tait sousla formed'une voix que Socratesem-
blaitentendre (6); mais quelquefoisles termes
employéspar Platon et par Xénophonlaissent
(1)Xén.,Mem.,1,1,12,IV,3,12;Apol.,§ 12;Plut.,DeGen.~'ocr.,C.xi roitmXuM~x~uov.
(2)Plat.,~Lpo!40a Xén.,.Mem.,I, I, 5.
(3)Xén.,Mem.,IV,3, 13.
(4)Xén.,M<MM.,I,1,5.(5)Plat.,Apol.,40a.
(6)Plat.,Apol.,31c;P~r., 242b f~ axHi~t.Cemot est remarquable:Socratene dit pasqu'ila en-tendu,maisqu'ila crueatsndre.Xés.:.ipeL,18:9~5
~t.)VHOMttTeH.
LE DÉMON M7
7.
supposerautre chose. AinsiXénophonle com-
pare et l'assimile presque aux autres moyens
par lesquels la superstitionpaïenne cherchait
àpercer le secret de l'avenir, c'est-à-direnon-
seulement à des voix ou des bruits, (po~f,maisà des chosesvisibles, crt~o~, tels que la
rencontre de certaines personnes, le vol de
certains oiseaux, ou encore aux bruits de la
foudre(I). Dans Platon, s'il faut, comme je le
crois, appliquer au Génie l'apparition de ce
songequi est venu tant de fois le visiter pourlui prescrirede s'occuperde musique, il se pré-sente sous une forme sensible, mais toujoursdifférente(2).Un jour même c'est une femme
d'une grandebeauté, vêtue de blanc, qui lui
adressedirectementla paroleen des termes quisont assez profondément gravés dans sa mé-
moirepour qu'il puisse les reproduiretextuel-
lement.AilleursPlaton l'appelleun Dieu,le qualifiede gardienpersonnel, cs~o~o~, et,commepourmieux marquer son existenceob-
jective et individuelle, le compareau tuteur
qui devait veiller sur Alcibiade(3).Dans un dialoguedont, il est vrai, l'authen-
ticité est plus que douteuse, mais cependant
(l)X6n.,MeM.,I.I,3; id.)~ 13..(8) Plat., PA~ 60 6 oU~oTet~ o&~ o~tt~Mt~e~o~.
(3) Plat.<ct&I, 12
tl8 YtBSËgOCRATE
dont ~authenticitéest contestéesurtouta.cause
des détails donnéssur le Daemonium)celuMi
devient clairement un dieu personnelet dis~
tinctàquiroh pëUtoQ'nrdessacrincesetdes
prières(1).Cette révélation surnaturelle ne survenait
jamaisqu'à l'occasion de cu'constancesparticu-lières et de faits déterm.inéa,qui Méressaient
smtSûGratê~soK quelqu'un de ses a~i&(~~On ne là voit jamais lui dicter une règle
généralede vie, ou lui conininniquernnedoc-
trine philosôpiiiqne,ou Tésolidrëune question
de Mora-lejdu nloiûs eUetoucherarement à la
.nioralité nienie de l'action qu'elle interdit du
ordonne, et se borne à en faire connaître
d'avance le résultat ava~tàgéux dtz l'issize
tantôt malnêureusë~tantô simplémènt ridi-
cule~~u~htën~intèrd~t~u ~léspaz~oles.et
arrete~S~cratë' ? ôfit iI' s'appréteà
parlô~ et pendant ~ë~ s~'il. (3)<
~Mci~uelqnes'~it~ a l'appui de ce que~nôns
~6nQn~d'à~ëë~(4). ~j.
(9)Xen.,J~Ï,~4.~~Pl6t.s!4&b.'(4)Antipater,dans,unlivre perdu,mais.quecite
Cicéron~avaitrecueilliàcës~unefouled'anecdotes.Cic;M&t).~1,84 &P6rmillt&coUëGtasuB~« patroqusemiraM!iteraSocratedivihatasuBt.))j~
t
LE DEMON H9
t Le Génie qui lui a interdit de préparerd'avance sa défenseet lui a formeRementdé-
fendu de continuer à s'en occuperun jour qu'ilavait commencéà le faire, ne l'arrête pas une
seule foispendanttout son discoursimprovisé,commeil ne l'avait pas arrêté quand il était
sorti de sa maison,ni quand il était monté au
tribunal, quoique souvent, en d'autres circon-
stances, il luieût ordonnéde se taire au milieu
mêmed'un entretien (1).La seule circonstance
où une directiongénérale de conduite semble
.indiquée à Sûcrate par le Daenoniuïh, c'est
lorsqu'il lui interdit de se 'mêler de po-
litique mais la faison qu'en donne Socrate
n'est pas tirée de maximes morales, mais
uniquement du résultat funeste qu'aurait eu
pour lui aussi bien que pourAthènescette dé-
termination, s'il l'avait prise, de participer ac~
tivêmentaû~ affaires et au gouvernement(2).Le Dieu, qui lui adonnéla missiond~ac-
coucherlesespritset lui a défendud'engendreret de procréerlui-même(3),~sw~y,se présente
pour l'empêcher d'appliquer de nouveau son
art à des amis infidèles qui s'en étaient mon-
'(1)Xén.,Me~ IV,8,5; Pht., .Ma~ eus.(2)PIat.,ApoL,31d.
Theet.,150a.
VIEDESOCRATE!20
très indignes (1),et lui;interdit mêmependantun temps assezlong tout commerceet tout en-
tretien avecAlcibiade(2).Dans le dialogue avec Phèdre sur Famour,
sous l'ombrage du platane où les deux amis
sont assis, le signelui apparaît pour l'empêcherde traverser l'Ilissus avant, devoir, par une
rétractation expresse,apaise le Dieu irrité parsonpremierdiscours(3).Aristippelui ayant un
jour envoyé vingt mines, Socrate les lui
renvoya en lui disant simplement que le
Dsemoniumne lui permettait pas de les accep-
ter (4).Danssaprison,il rêva qu'une voix lui disait:
« Dans trois jours tu arriveras à la fertile
Phthie(5). » Il dit alors à Eschine: « C'est
dans trois joursque je mourrai, Criton surve-
nant et lui disant quele navire de Délosarrive-
rait le lendemain,TMfi~/ot<tn)~(queM.Cousin
traduit par ~M/OMy~m,lisant sans doute
(1)?%ee<151a.
(2)~ct6., L,103a, b.Lesignequ'àlap. 124c, Pla-tonappelle9<o~,estappelé~~tu.~to~Tt.Jeleremarquedèsmaintenant,pourmontrerquesiXénophonles confondtoujours,Platonnelesa pas,commeonl'adit,toujoursdistingués.
(3).P/~r., 242;Apul.,DeDeoS., p. 145.(4)Diog.L., 11,65.
(5)Iliad., IX,363.
LE DÉMON 121
6~oM<que né donnent aucun scholiaste, ni
aucun des textes que j'ai eus sous les yeux),Socrate lui répond que ce sera pour le joursuivant seulement, et il le conjecture d'aprèsle songe qu'il a eu: «J'ai cru voir, dit-il, une
femmebelle et majestueuse s'avancer vers
moiet medire Danstrois jours, etc. (1). u
Cen'est passeulementen ce qui le concerne
lui-mêmeque Socrate reçoit ainsi des avertis-
sements, mais encore en ce qui concerne ses
amis.Dans son sommeil,il avait vu un çygnesortir en chanLantde son sein. Platon à ce mo-
ment voulaitpartir pour l'armée; son maître le
fit renoncerà ce projet, ne doutant, pas que
sondisciplene fût l'objet de la vision, et que
le présagenefût de mauvaisaugure (2).
Sur le champ de bataille de Délium,d'aprèsles indicationsde sonDémon,Socratedésignele cheminque devait suivre l'armée pour opé-rer saretraite, sans crainted'être poursuivieou
attaquée, et Pyrilampe,fils de l'orateur Anti-
phon, blessé danscette fuite et fait prisonnier,
(1)Diog.L., 11,35.Cic.,Dediv., I, !?, racontelemêmefaitettraduitleversd'Homère
TertiatePhthimtempestasIœta'IocaMt.
(2).Diog.L.,111,5; Mënag.,AdL Pausan.,1, 30.Dans Atlién. XI, 116 uneévidenteparodiede cerêve.
iM VIHMSOCRATH
eut à se repentir avec beaucoup d'autres de
n'avoir pas suivi ce conseil (1).Le Génie lui
avait annoncé d'avance les désastreux résul-
tats de l'expédition de Sicileet le sort funeste
que devait y trouver Sànhîon,qui faisait cette
campagne(2). lîn jour Ghàrmidevoulant dis-
puter le prix de la course aux jeux de .Ném~e,
Sôcrate,averti par lavQixdu Dîenioniuai,s'ef-
força de l'en dissuader son fatni,résista et rtità déplorerplus tard son inûrédulité (3).
Timarquëétait dansun repas assis à ôOtéde
Socràte il avait complotéde Mre périrNicias,
Ëlsd'Héroscamahdre,etsëlevadetab~ avant
la fin du repas, pour aller préparer et âccom'-
plirle meurtre; Sôbrate~q~ ne-à,a~oft'rien-dô
ses desseins~'èntë~dit'iavo
tisseïnents,~oulut~Ië~etêni~c~ i~it~il~,Ti-`
tnarque~rtit,6orû:inM~l~eçrim~et 1'pià bie~
.tôt~par~~môTt~ ~j~~j~-Les p~récli'tspar lo ISémî~nri'büt
pas toujoursune e()ulëuïMssi~g~ ~ixitôn,
~j(l):Ciç.D6~t~r~5~ Degen.~S'c.xr.(~ Ptat., jr~ Degen.~S'
'c.xt.(3)OnDesait-pascequ. peut-ÊtreCes
jeuxcommencèrent-ils,paf lesdépensesexagéréescesilsl'eptraïNê~ëht,lartu&eetla oùil toïn&a.Xén.,~Ï~t'fv,~
(4)?%139b.
M.ù~MoK 123
par exemple,veut faireune promenademalgréSocrate qui lui conseillede l'ajourner. Il est
puni de sa résistance; il sort, une branche
d'arbre lé frappe àl'œil et le blesse doulou-
reusement (1).Une autre fois, au retour d'une
coursefuite avecses amis, le Démonconseille
à ~OGrâtéde ne pas s'engager dans le chemin
qu'ondevait,naturëllèoient prendre plusieursse rient dé ce présage, et tandis que Socrate
prend une autre route, ils continuent la leurbientôt ils rencontrent un troupeau de porcscouvertsde fange, qui, courant en face d'eux
dans~nsMtiër étroit, renversent et foulent
aux pieds les uns et lès couvrent tous d'or-
dures et d'imniondiGës(2).'Il est évident, pourSocrate, que les Dieux
lui témoignentune plus grande faveur qu'auxautres hottimeS)en lui envoyantainsiconstain--
n~ h:li-mên1eet surlesautres, dessignes&6rtain8d~l'obscur (3) il se croit, il se
Èëîit l'objet d'unefaveur particûliÈre,maisparce
qu'il la mëritë, et il reconnaît que jusqu'à lui
bien peud~hobines,et peut-être un seul)
ont hônorésâ cèdegrédedivine (4);
~(i)~M.M.(2YPlùt.De~eM..S.,c.xi.(3)Xén.m.,IV,3,13.(4) Plat.ep.,VI/496b,c.
VIE DE SOCRATE
mais néanmoins il no se croit pas pour cela
l'objet d'un privilégeunique, et il conseilleà
l'un deses amisd'essayerdel'obtenirdesDieux
en leur obéissantet en les servant commeil le
fait lui-même,et peut-être, dit-il, fléchis parses prières, ils lui révéleront aussi les événe-
ments qu'ils cachent aux autres hommes(1).Socrate établissait une séparation profonde
entre les chosesque la raisonhumainepeut at-
teindre, et cellesqui lui échappent et dont les
Dieux se sont réservé le secret,M d~o~. C'est
foliede les consulter sur cellesqu'ils nous ont
permiset mêmequ'ils nousfont une loidecon-
naître (2) or, de ce nombre sont assurément
lesdéterminationsmorales,puisque,suivanthd,
la vertu est une science, et peut-être la seule
sciencehumaine.C'est donc uniquement pourlès chosesqui se dérobent à notre esprit, qu'ilfaut avoir recoursà la divination,et sur l'issue
incertaine desquelles on peut interroger les
Dieux, qui la révèleront à ceux d'entre les
hommesqu'ils protégent(3).Le domainede la
moralitépure est donc tout naturellementex-
(1)Xén.,JtfeM.,I, 4,18 M~ïSxa~(~!M,)M)t6«.Plus
loin,lemo~rueue*remplaceoiété:,quenoustrouvonsdanscettephrase.
(2)Xen.,JMe)M.,I,I,8.(3}Xén.,AfMt.,1,1, 9,
LEDÉMON 125
clu des révélations du Démon; c'est ce quenous avons vu dans tous les exemples cités
s'il conseille à Socratede ne pas se mêler de
politique,ce n'est pasque lavertu interdise au
sageles fonctionsde citoyen,bienau contraire;maisc'est que cela vaut mieuxpour Socrate et
pour Athènes.Le Dieuprévoyait, et peut-êtren'était-il pas nécessaire pour cela d'être un
dieu, que la mission que s'était donnée So-
crate, de réformer les esprits et les âmes, de
travailler au perfectionnement moral de ses
concitoyens, était presque incompatibleavec
les fonctions actives et militantes de la vie
publique; il se serait perdu tout de suite, et
n'aurait pas pu rendre à lui-même.et aux
autres le service qu'il leur a rendu. Celui quiose se faire le champion de la justice et du
droit, se mettre en travers des passions des
hommeset leur reprocher leurs fautes et leurs
erreurs, celui-là,s'il veut sauver sa vie, ne fût-
ce que pendant quelques années, ne peut passe mêler à lavie publiqueet doitse retirer dans
la vieprivée(1).
De même, si le Démoninterdit à Socrate de
songerd'avanceà sa défense; si, pendant qu'il
parleà ses jugesavecune liberté etune hauteur
t
(1)P]at.po~31d,e.
tM VIEDESCGRA.TE
(1) Plat., Apol., 40 b.
d'attitude, dont il nepouvait pas méconnaître
les périls, il ne L'arrêtepas une seule fois,ce
n'est pas parceque la moralelui fait un devoir
de cette sincérité provocante, car cet ordre
serait en oppositionavec les conseils de pru-dencequil'écartent des an'airesde l'État maisc'est que l'issue du débatlui doit êtrè avânfa-
geuse, et si Socrate est persuadé que là mort
n'est point un mal; c'est, en grande partie,
parce que le Démon,né lui â pas interdit un
langagedontil connaissaitles conséquences(1).Ce n'est que dans lès derniersjoursde sa vie
qu'il lui est ordonné, à sa grande surprise, de
faire de la musique~ on peut dire que dans
cette prescription même) le D~monlum ne
s'écarte pas dé son but habituel; car en s'oc-
cupantde poésie, en Ïùéttant en vêts lés fables
d'Ësope, Socràfe ne croit pas remplir une
œuvre essëntiëlléaient morale; il a pu vouloir
ressentir le charme magique que répand là
musedansl'âïne commeil le disait lui-même,
c'est au milieu de chants sereins et joyeux
que l'honnête homme doit attendre et pourainsi dire espérer la mort.
]Engénéral donc, et dans tous les Mts quenous venons de rapporter, le jDemon n'est
M~DÉMON 127
qu'une lumière qui éclairepour Socrate les té-
nèbres de l'avenir et soulève pour lui seul
répais rideauqui le cacheaux hommes(1).
Maintenant,qu'est-ce que Socratelui-même
entendait par ce phénomène? N'était-ceque la
lumièreGlaireet pure d'une haute raison, ai-
guiséepar la grande expériencede la vie;, for-tii&éëpar là moralitéde saconduite,et l'allusion
à une ré vélationsurnaturelle n'était-elle dans
cette bouchemoqueuse qu'une forme de Firo-
nie ? OUMenétait-cepour lui la voix, le cri de
la conscience morale, ramenée à sa source
Céleste et dMne, la voix de Dieu en nous?9
Sôci'ate~au contraire~creyait-il à des appari-tions surnaturellesquiprenaient, pour lui seul)une formepersonnellesensibleet une voixqui
retentissait à ses oreilles?De plus, ces appari'-tions lui étaient-elles envoyées par un Dieu-
partiGUlier)un Démonpersonnellementattaché
& lui, ou par cette divinité qui gouvernele
monde,qui sait, ~oit~entend tout et est pré-sente partout?R
Et,dâu8 ëe Câs.oômment expliquer cette
croyanceMperstitieuse chez un homme d'un
b&n§êss ët 4-M~ raison si iermê, d'un
(1)Plut.,DepeM.<S'c. x: ïNet<()M;~~px~cuttK~'))-?.0t;Xx!tT~;K~SpNTM~tX<!UM.~Y!oM!~<pj!')ttieW.
VtEDESOCRATH128
esprit si positif,si pratique, si critique? Com-
ment admettre cette dispositionau surnaturel
chez le philosophe qui, trouvant la science
pleine et pour ainsi dire ivre des visions, des
terreurs de la superstition,~e~e~evoy ~<t~<t-ïey M~;M~yx~ <~<Jct~My<dontPythagoreet
Empédoclel'avaient surchargée, l'accoutuma
à ne s'attacher qu'aux faits, et à chercher la
vérité par la lumière d'une raison froide et
calme,y~eyï<Ae~(l)?Faut-ildonc,contre toute
vraisemblance, reconnaître dans Socrate une
imaginationenthousiaste de visionnairecré-
dule, une faculté extatique de ravissement ou
un cerveau malade atteint de ces affections
nerveuses qui provoquent les hallucinations?q
Était-ce un hypocondriaque, une espèce de
fou, ou encore un imposteur et un char-
latan?
Toutes ces interprétations ont été et sont
encore.aujourd'hui soutenues, et les raisons
qui sont produitesà l'appui de chacune d'elles
sont si fortes ou au moins si spécieuses, que
plusieurs des érudits qui s'en sont occupés,ont renoncé à choisir et se bornent~ aprèsavoirexposé les faits, à dire que c'est un mys-
tère impénétrableou une énigme qui attend
(1) Plut, Dea~t. S., c. tx.
LEDKMOX 12U
encore une solution peut-être impossible.Bruckerdit modestement MOMH~t«'<(1).C'est
ce que répète à peu prèsMeiners(2),et c'est
aussi la conclusion d'un petit discours fort
substantiel sur Socrate (3), du directeur du
gymnase d'Oldenbourg,dont je regrette dene
pas savoir le nom < .D<cMMM:tMMt,quid vere
/M<Tt<,co~/Meor,M~MC~e<er:<!Mscripla salis
fj~~tcarc, ?~MC yeceM<M~'M?tt)t<<'r~*c<a<t<w~
evolverea~!<ee.cp~Marcvideri. e
Peut-être ne ferais-je que sage de m'en te-
nir à cette solutionnégative; maisquoique jen'aie ni ledroitd'espérer, ni l'espérance que jetrouverai une réponse à toutes les objections,
je me considèrecomme obligé par mon sujet,et je me hasarde à dire ce que je pense de ce
phénomènemoinsétrange qu'on ne le croit.
D'abord, il faut bien séparer deux questions
que l'on a souvent confonduesen une seule,ce qui a contribué à jeter beaucoupd'obscurité
sur le fait à éclaircu'. Qu'est-ce que Socrate
entendait par le Dtcmonium,et qu'est-ce quenous devonsentendrepar là ? Cesont deuxques-
tions, et à chacune desquelles on peut faire
une réponsetrés-diS'érentc.
(t)T.l",p.M3.Fe''mMC/<<ep/ttt.Sc/<r< t. III, p.5-49.
(3)~o~'atMMt.jMtMtOs<er.~'a?<t~1862,p.25.
VtKDESOCRATEi3K
Examinons la première
Les passages que nous avons cités déjà de
Platon et de Xénophon, et ceux que je pro-
duisici en note (1), prouvent évidemmentque,
(1) Xén., Mem., I, 1, 9. Socrateoppose tout cequi est
da ressort de l'homme à ce qui est du ressort desdieux,
qu'il appelle rb ~u~tM. (/ I, -4, 2). < Pour prouver
que Socrate n'était pasun atbée, je rappellerai ce que jelui ai entendu dire TcB'~ti~t~tt, et Xénophonraconte alors la conversation de.Socrate avec Aristippe
qui ne sacrifiait pas aux dieux, T~;ee~. (/<it.IV, 3, 14.)It ne faut pas' mépriser tes choses invisibles, mais ap-prendre par les phénomènes visibles la puissance desautres et à honorer ~t~/n*, qui est appelé dans le
§ I5ttt);«Ku{.(7d., t, 1,13.) LcDœmonium!ui donnaitdes signes de l'avenir; mais tous les hommes croient
également que les dieux, Tw;tt46,,leur donnent desavor-
tissements par les oiseaux, 1~votx, les signes, les sacn-
fices; seulement ils ne s'expriment pas de la mêmema-
nière ils disent que ce sont ces choses.extérieures quiles font agir, tandMquo §oCMte disait, parce qu'il le
croyait, qmec'e~at~ ~~tM,Paur MOircette conBanceen ces signes, il fallait bien qu'il crût& un Dieu qui les
lui envoyât, eM. (Id., IV, 8,5~ 11avait commencé A
méditer son ~po~<6 quand « ~f~<tM s'y opp(ma,Sans do~te cette tnterdtction fut cause de samort; ma}sil ne faut pas s'étonner que le dieu, TM< ait cru quilétait ptus avantageux pour lui de mourir. Dans les
JM<MK.,I, 1, t, les mots tt<A;t~ sont expliqués
par &t~ ~<~MM~tMa~t.~ e~dansPIatoa, ~'M~pA-, &,Socrate se plaint que Mététus l'accuse de faire et d'in-
venter des dieux nH~t 9:&<Ks:~$ s~t~e~ts SM4;,fai-sant évidemment allusion à l'acte d'accusation, qui con-
tenait, nous le savons, les termes MtM~«t~m.
LE DÉMON 131
pour Socrate,J~e~e.' est l'équivalent de ~o:
et que re Jttf~eyw,te o~of,sont les équiva-
lents plus généraux et plus vagues de e~M
et de <<~eA Il n'y a donc pas lieu de re-
chercher si Jttt~oi/tevest employé adjective-
ment ou substantivement il est tour à tour
substantif et adjectif. Dans Xénophon, à cha-
que instant on trouve e!«e/ pour re ~~eyou
e <eey,et si nous voyons le mot adjectif dans
la phrase de Platon, ~y ï< x<t~~(~0~0~nous
le retrouvons là même, identHieà e<M'~puis-
que le signe révélateur, qui vient d'être ap-
pelé<!jttet~'xayeJ~<t(~ev/eu,reçoità la ligne sui-
Y,all~e la aéxlQmins~t10I1 de Tô zov Aeo,ûva,ueiov (1~.vante la dénominationde Te7-e?«euM~~e:'(1).Aristote a donc raison de conclure que le Dee-monium est ou un Dieu ou rœuvre d'un
Dieu (2).
Dans Platon, dans Xénophon, chez tous
les Socratiques, ré<e7eyest fréquemment em-
ployé, sans qu'on puisse toujours distinguersTIs veulent désigner un Dieu particulier fai-'
sant partie de l'Olympemythologique,ouhien
cette essence.divine et unique; suprême et
souveraine, qui, suivant eux, a ordonné le
monde et en conserve l'harmonie. M. Denys,
(1)Plat.,~p«L,31c,d.(2)R/te~11,23,8.
132 YIEDESOCRATZ
dans Sonexcellentlivre surr~Hs~otre~ M~~Mtdfa~ dans ~ï~Mt~, prétend que cette
expression est une hypocrisie de motsqui se
perpétua dans toute rantiqùité, et permit aux
philosophesde ne pas se décider nettementen
paroles sur la~questiOi~de~é d~ lai plu-ralité di~e (1~ 1~ pui&
cusation ~en(lue~~tmejsi 1~ de
,siMes~tt~pas!~si!
~)ur.Socrate~~on~'ne~Ycit'pas ~pourqu~M~'s~se-
rait abatssé à cen~ ét pourquoi au-
rait déshonoresdïicaracterppar cette~ )f!estfiç-~n mentale~ilahî~pro~~
par sa morf,qu~ilpayaita~ 7
~ur~m~td~claH~nent~c~ :qtiilE .,t (2).
-pas~di~qu~a~
~'esclavë~'et.~non~d~hom~ ja:
,~ma][s,qite~j~c~~~Suclonc°
'T~ ~ôsÉ~or,~q:n~é~,;u~ çr~iré
.~q~~e'~po~~e~~
,e~<Équi~quë d'aïllë`t~"ïëa~df
~Ës~n~m~qu' a~r6ï~rde
~:h~e/~përnL~ ~e `sen~ble
j;lej~p]~nuer'~phi~s0p~qui-aflirme en ~~terme~
~(l)~Tj.~B.l~m<~j]L.j~ 'i. l,"X~M~.J.Ï.~4~2.S~~t~ ~;&~<'y~S!!Bt,
Lt-iD~MON ~33
8
clairs l'unité de l'Être suprême et du moteur
invisible et immobilede l'univers, parce qu'il
est, je crois, le premier à l'avoir clairement.
conçue. Dans Platon même, la théorie des
Idées est la pour prouver combienla notion
~~i~~Dië~}unique~ ne au génie'
~~c,et~n~ dansl,les esprits mêtneS~
c[~ s'y~ et trouble. Le:
p~lyt~eïSthè e~la:Vrai~ rëligion des Grecs
qui, concevant Dieu à rimagé de l'homme, le
conçoiventnécessairementmultiple;lors même
qMe~letp~arMTirtase des représenta-
tion~ gr~~ères et
rëpati~iss~ et 1~déshonorént, l'ünité qu'il
én~voit ~dans l'e~ence et de l'invi-
siMe~ :i,dè rappoM:,depropor-
tion, d~harmonie,telle qu~onla peut concevoir
~€mtre~ioi~~ ~uërseset ~ui~presi-
~aje~ 4èt" ~~ib10'!et'dû'monde
~ef!~i,'J.Í. '1 i, "té"'a'Ád'1'1Ainsi,1:L~ suivantt~'(~n~6lt~uMt6~d'6rdre.'Ai~
]~p~plar~Iit6 'iex~te ~au~sem~du~ïnënde"'
~~dt'vj~ li:8'¡y'~conciliant,~paT~d~~moy~ns
~'q~<gcM~e~ unecel'tairleuuité,
et c~~t~~ce ~mle distm du aionde Sensi-
rble,lt la pimalltë nese lai~ 'mesUrer'ni
ordonner, <c'ëst-à-difene se ramène pas à l'u-
nité et reste éternellementl'indénni. Tee~<pe5'.
VIEDESOCRATEt34CesadjectifsT'a<)~y,rot!t<oy.e'T-e<ïTf:~6y,éle-
vés parl'article à la fonctiondesubstantifs,sont
donc des expressionsvaguesdes notions, mais
loyaleset sincères,correspondantparfaitementà Fêtât des esprits qui les concevaient,et loin
de les dissimuler par des dehors trompeurs,elles sont elles-mêmes un témoignage et
commeun documentdesdoctrines.
Quellenotion précise se formait Socrate de
ce phénomène? Il est difficileet peut-être im-
possiblede le savoir; nullepart il ne Fa défini,et même, s'il faut en croirePlutarque, il se se-
rait refusé sévèrement de donner, à ce sujet,aucun éclaircissement. Simmias l'ayant un
jour interrogé sur ce point, non-seulement
n'en reçut; aucuneréponse, mais l'attitude de
Socratefut telle que personne n'osa plus dé-
sormaislui faireune semblablequestion (1).Pour un hommequi aimait tant a interroger
et être interrogé,ce silence est remarquable.Socrate savait-il bien lui-môme ce qu'il en
pensait et ce qu'il en devait penser?Les phé-nomènes de cette nature, chez ceux qui les
éprouvent sans tomber dans une superstition
crédule, sont accompagnésd'un certain doute,d'une espèce de confusion,qui leur ôte et le
(U Plut, D~~t..S., c. xx.
LEDKMO~ )3S
désiret le goût d'en analyser toutes les circon-
stances, d'y penser et d'en parler; c'est
comme une faiblesse dont ils ont presquehonte. Ainsi,commentveut-onqu'à la distance
où nous sommesdes faits, lorsque celui qui
les a éprouvésn'a laissé, sur ce sujet et sur
aucun autre) pas un mot écrit de sa main;qui,dans ses conversations avec ses plus intimes
amis,s'est refuséà toute explication;comment
veut-on arriver à déterminer ce qui peut-êtreétait resté pour Socrateobscur et confus? Il
me paraît toutefois difficilede prétendre qu'ilconsidéraitle fait uniquement commeun phé-nomène psychologique; les expressions de
Platon et de Xénôphon, les circonstances a
l'occasiondesquelles il se manifeste, semblent
prouver que Socrate croyait à une révélation
extérieure,sensible,et noninterne et purement
subjective.N'était-cequ'une voix ou lui appa-raissait-il une vision véritable? Plutarque fait
direà l'un des interlocuteurs de son dialogue,
que Socrate méprisait et ne daignaitpas écou-
ter ceux qui prétendaient avoir eu des visions.
Son Démonn'aurait doncpas été un iantûmeet
une apparition visibleà ses yeux, mais seule-
ment la perceptiond'une voix (1).C'est comme
(1)Plut.,De~CH.<S' C.XX<.MX~(;, ftM.xCt~;TM<ttM&Mt;.
~'IBDESOCHATE136
cela qu'en parle Platon dans l'Apologie et le
Phédon, et.c'est peut-être la conclusionla plus
simple,la plus conformeau caractère de So-
crate, et au passage de Xénophonoù il rap-
pelleà Aristodèmequ'il ne doit pas s'attendre
à voir apparaître les dieux sous une formevi-
sible. Cependant il ne faut pas repoussercommetout à fait inadmissible l'autre hypo-thèse. Platon, s'il est Fauteur de Théagès,au-
rait-il appeléune voix e e~/Tpo~,mot d'oùil a
éié si facilede tirer plustard le ~g~? Eût-il
comparéune voixà'un tuteur chargé de veil-
ler sur un pupille? Comment d'ailleurs se
figurerune voix, sans se représenter presqueinvolontairement l'être qui la fait entendre
L'imaginationqui s'est laisséeprendre à la pre-mière de ces illusions est presque nécessaire-
ment pousséeà la seconde.Les voixde Jeanne
d'Arc, qui éclatent d'abord au milieu d'une
éblouissantelumière, finissent par prendre un
corps, une ligure, des membres; ce sont des
saintes et des saints enveloppés de vêtements
blancset la tête parée de riches couronnes. Il
ne fautpas dire que l'état extatique d'une pau-vre filledeschamps, enivrée de mysticismeet
l'imagination frappée,dès son enfance, de lé-
gendes surnaturelles, n'a rien de comparableavec l'état mental de Socrate, ce ferme et lu-
LE DÉMON ~37
8.
mmeuxesprit, dout le trait distmctifa'été la
puissance de réflexion, le sens droit, calme,
positif,sceptiquemême, et dont le caractèreest
l'ironie railleuse, qui s'était donné pour mis-
sion précisément de dissiper ces visions, ces
fables, ces mythesqui,troublaientFimagination
populaire et déshonoraient même la philoso-
phie, et de n'avoir recours qu'à la raison saine
et froide; un homme enfin en qui se réalisa
aussi parfaitementque possiblel'idéal antique,
M~HSMMaM~co~poyesano. Ce serait mécon-
naître, je crois, rétat moral de l'antiquité tout
entière, et d'autre part la grande .originalitéde Socrate. Il ya dans tous les esprits pure-ment grecs un fonds incurable de superstition
païenne; lepolythéismea si profondémentim-
prégné les imaginations, que toutes les pen-séesprennent la forme de représentationsvi-
sibles, et reçoivent un corps, une âme, une
voix. Xénophon défend vivement son maître
d'avoir rejeté la croyanceaux dieux de l'O-
lympe.Si Socrate, ou plutôtPlaton, traite assezdé-
daigneusementles mythes, il ne les nie pasau fond, se borne à les interpréter ou à les mo-
difier,usant en cela d'une liberté communeet
permiseaux poètes comme aux philosophes.
L'Eutyphron atteste, il est vrai, qu'en ce qui
YIEDKSOCRATK138
concerne les fables religieuses, les sacrifices,les rites, Socrateaurait voulu changerles opi-nions populaires; mais le début du P/<<?<e
prouve que Platon lui-même ne croyait pasbon de rejeter légèrementou d'interpréter troplibrementces mythes, persuadé qu'ils renfer-
maient un élémentreligieux et sacré. Socrate,
dit-on, seul entre tous ses compatriotes (1),ne
s'était pas fait initier aux mystères d'Eleusis;il croit à une Providencesuprême, à un Dieu
supérieur et souverain, mais il neniepas pourcela l'existencedes dieux inférieurset visibles,
qui l'aident à l'administrationde cet immense
univers(2); il s'écarte en quelquespoints, je lé
sais, desopinionsreligieusespopulaires,et par-ticulièrement sur celui-ci, que les dieux, ne
s'occupentquedesgrandesfonctionsdeleurpro-
vidence,et ne s'abaissentpointà regarderlacon-
duite des hommes(3);enfin,danssonApologie,il est vrai qu'il s'attache à prouverqu'il croit à
des dieux, soit anciens,soit nouveaux, plutôt
qu'à démontrerqu'il croit aux dieux de l'Etat,maistoutcela est loin dedémontrerqu'iln'admet
pas l'existence d'êtres divins et surnaturels. Il
(1)Lnc.,Demon.,c.n u.cw<ftc<t<T«)-<.
(3)Xén.,Mem.,IV, 3,13.Lepassageest mutitéetobscur.
('))Xén.,1.1,19.
],E [)HMO~ 139
est constant, par le témoignagede Xénophon,
qu'il sacrifiaitaux dieux et sur les autels pu-
blics,et dans sa maison (I). Je n'attache au-
cune importance au fait relevé par Lactance,
qu'il jure par le chien et par l'oie (2) mais on
n'en peut dire autant du fait qu'il obéit aux
oracles, par conséquentil y croit (3) il y croit
si bien qu~il en recommande Fusage à ses
meilleursamis(4).Le récit de l'A~a&eMeest à
cet égard très-remarquable Xénophon ayantconsulté Socratesur la question do savoir s'il
devait accompagner Cyrus dans son expédi-tion en Asie, Socrate lui donne d'abord son
avis, puis le recvoie à l'oracle d~Apollon,comme ont toujoursfait, dit-il, les Athéniens
dans les circonstancesgraves (5). Non-seule-
ment il fait pieusement sa prière (6), mais il
(l)Xén.,Ment.,1~1,2.(2)FreymuUer,p.13;God.Hermann,Pfcsy.ad Nub.
~f~/on/t.ip.28;Staltb.,~;)o<.S.,p.22,note.(3)Xén.,~etK.,1,3,4; Plat.,~pof.S.,21b.(4)Xén.,Mem.,IV,7, 10,etXI. 6,18.(5)~K<t! 111,1,5; Cic.,De div.,I, 54.Cequ'ily
adesingulierdanscettecirconstance,cesontlesmotifstoutpersonnelsde conduiteet de prudencequ'avoueSocrate.En encourageantouvertementXénophon,ilcraindraitdepasserpourl'amideCyruset parconsé-quentdeLacedémone,etdesefaireainsiunemauvaise'affairedansl'espritdesAthéniens.
(6)Xén.,Mem.,1,3,2.
140 VIE DE SOCRATE
ajoutefoi aux rêves envoyés par les dieux (1);nous le voyons sujet~à des apparitions noc-
turnes qui lui, donnent des ordres, et c'est
pour s'affranchirdes scrupules religieux quile
tourmentent à Toccasion de ces songes, qu"il
essaye, un peu tard il ~aut faire
dés vers. Ilinvoq~ Hëlips ~commeu~
et sa demiere parole es~;d'ordon~ sâ.
cnHepour lui f~ui~~co~ :msculape(3),:qu{~stnon pas même ]nh dieu, maisS siniplémentunhél'os.Je sais iNehqu'on ne peut guèreS'em-
pêcher de soùpçpnRerune ironie ans. ce.vmu=
on croit entendre Voltaire demandant à sa
mort'qu~cnMfasse~e unem~~ .ou brûler
un ci~Tgeà l'autel de SM~
grë son~jroi~~~(~e~
~me es~p~djiH~sent~n~
~tiqn~maië~jelig~~
GOn~pl~em~~nlanq~ ~çeptique,«;ludi~~tieine siècles~n~ 'is''fétfuér, les~jï~C! ~j J:J~j't?~h'yeux à l'~v~enëe ~r
(~orl1, i Je~cépiiciSIIte!demi6ét(jn:Ile"
le~rejettepas touS~. jSans:êtr~ dupes dessu~
cheriës~g~ visïlïles quï ür-,-h; ,¡" 'or>
~(1)/~[. J~ ~L. ~p.~s~M.
'L :(3)~P~U8'a:. ~7~ .7~ 7.7.(4)Gicérondit de'Panœ~us(Dtp.;I, 9,6)i ~Necta-
M DÉMON /-I4'
ràcliaient&pémosthènele cri ironique et indi-
gné La t'ythiephilippise! les anciens m~me
qnilësontsignalées~ajoutaientencoreune cer-
tain foià ces prédictions dans quelle mesure,
ayec quelles r6seryes,ç~es~~ce qu'ils ne nous
~~ont;p~~dït~cé'~e~ou ~pouvonsdeyi-
~ër~~ai~ ~qu~h~ ~e e~,
~a~d~s~6~ël~ën&~s~ë~.par!~ië~dieux sur les
(~Qses~~ëni~~i~érb~lui-~ n'en conteste
pas l~lit~ G ~sëau repos
jayecu~Spritib~ disposé parde sage médi-
,tatip~s~~et~~p~~uU~égi~ convenable,
~dans~o~gôs.ë~]~ vrais et ,d'uu
.ef~~e~n~ d~ns l'hômnie éveillé,
un~~jnp~astëetp~ ëst 1,:de"trou-
iver~i~~érit~~so~r'~es.a~ soit les
oiseaux~p~ es entraillès des victimes,
s~pj~r~~au~res~ig~ et c'est cequ'onnous
rapp~é<~éaïeD~ de'vocxate; ceq~ï'ilrépète
~eï~~i~më~~ns~les~ lïvres désysocrati-
q~uë.S~ quiddam,,quQ~Dternonüsm
~<8M<x<ë~t~se
~He~c~l)~
Ëc~so~ doitconçlûie d'abord avec
Ciëéron~Mtoutce~qu~M~ lâ divi-
.7m~us;~t~6gare~imësse div~~ dubitàre'<S~dixit.
~(l)<Gic.I,~4.~
VtE DE SOCKATE1~
nation, Socrate ne s'était pas écarté des senti-
ments des anciens philosophes(1), et ensuite
que, par rapport à Inexistenceet à l'apparitiond'êtres surnaturels, divinsou démoniques,en-
trant en commerceavec les hommes,il ne s'é-
tait pas dégagé des habitudes d'esprit et des
croyancessuperstitieusesdu polythéismepour
qui l'univers entier était, commele disait Tha-
lès, plein de dieux, -~r~ ~j~o ~y. Lamytho-
logie trace autour des imaginations grecquesun cercle'magique et enchanté dont elles ne
peuvent sortir complétement.La croyance en des êtres surnaturels, dé-
mons ou génies, agents intermédiaires entre
les dieux et les hommes,faitpartiedes dogmes
de l'orthodoxiepaïenne, s'il y a dansl'anti-
quité quelque chose qui puisse être appeléde ce nom. Inconnueà Homère, elle est for-
muléesystématiquementpar Hésicde, legrand
théologiengrec.Hésiodedistingue trois espèces de démons
les uns bons, gardiens des hommes,~eum
<M~~ revêtus d'un corpsaérien, ~<te<w~«~et chargésde visiterla terrepoury surveillerles
bonnés et les mauvaises actions; ces démons
(1)Cic.,Dediv., i, S,6 «Quodad divinationemattinetmansitin antiquorumphilosophoramsenten-Lia,
t.MDHMOX HH
ne sont autre chose que les âmes immortelles
deshommesde l'âge d~or;les autres, issus des
hommes de la race d'argent, vivent sur la
terre, et ceux qui, pendant leur vie, ont été
des hommes de la race d'airain, demeurent
.dans les ténèbres del'Hadès. Cette doctrine,
née peut-être d'une inspiration orientale (1),n'en est pas moins la'M commune de tous les
Grecs, et c'est avec raison que Plutarque (2)en rapporte, sinon l'origine, du moins la pre-
mièreexpositionsystématiqueà Hésiode.Dans
Ménandre, presque contemporain de Platon,
le démonest déjà Fange gardien (3),et il est
appelé le bon mystagogue de la vie. Platon
fait du démonun intennédiaire entre Dieu et
l'homme, chargé d'opérer toutes les fonctions
de la,divination'(4).En effet, Dieune se révèle
pas, directementà l'homme, et ce n'est que
par l'entremise des démons, r~ ~cn.Me~~v,qu'il
(!)MTinter,De)'e~:o!t.~a&yi!p. 18.
(8)De d~c~. 0)'ac.,10. AtheMgoras(Le~.proC&~s~p. 8)a tortdel'attribueràThaïes.
(3)Memek.,2''f.Poe<.cow.,IV,p. 288AcmTt <~t!jtM~a~pt <J{<.tM{)~TtTOH
tMu; '~Mjt6~M, p.Mra'j'M' Mti p~U
a'y&9o;.
(4) Plat., j&fy~Kp., 202 e T:)~e~cv~~a~ eoTt Tw~M:
te XXtOn)TH) ~X TCUT~Xtt T,M.K'<nxAtr0:<r<~Mpt!.
YIEDESOCRATËm
communiqueet s'entretient avec nous. Dans
le Politique,Platon assigne au Dieu suprêmela fonctionde veiller à l'ensemblede l'univers,et donne aux dieux inférieurs des attributions
subordonnéeset spéciales. Ces dieux sont ap-
pelés ici (1)~o/. I/.B~MOMMSdistingue trois,
sortes d'ôtres l'être divin, re ~e''ey,l'âme et les
cinqcorpsmatériels desquelsnaissent trois es-
pècesnouvelles les unes composéesde terre,les autres composées de feu; entre ces deux
espèces se placent les démons, ~~o~, faits
d~éther,d'air et d'eau, tels que les nymphes,et dont les fonctions ne sont pas détermi-
nées (2).La croyanceà des êtres surnaturels, agents
des dieux et intermédiaires entre eux et les
hommes,était doncuniversellement acceptée,et rien n'autorise à croireque Socratefait à cet
égard exception.Parmi les faits que nous avons rapportés de
sa vie, plusieurs, entre autres celui du siègede Potidée, montrentqu'il y a en lui un levain
d'enthousiasme, une disposition à l'extase,
qu'il n'est pas nécessaired'expliquer par une
organisationphysique particulière; cette ten-
(1)Polit.2Ttd.
(2)~ptM.,984.
LE DÉMON )4!iJ
9
dance extatique, qui d'ailleurs se manifeste,<
rarement, est toujourstempéréepar une raison
maitresse, un bon sens pratique, un espritde réflexion et d'analyse qui ont dû en ar-
rêter les écarts.
Tiedemann explique cette disposition parle haut degré d'effort qu'exige l'analyse des
idées abstraites, et qui, dans certaines organi-
sations, a pour effet, pour ainsi dire mécani-
que, de pousserà l'extase et au ravissement
« La profondeur de la méditation opérait en
lui uneinsensibilité presque absolue qui tou-
chait aux ravissements extatiques (1). Or,ceux qui ont cette dispositionprennent volon-
tiers pour des réalités extérieures et sensibles
les pensées soudainesqui leur montent au cer-
veau, les illuminations rapides qui éclairent
leur esprit, les images fortes et vives dont
la pensée s'enveloppe dans leur intelligenceéchaufféeet ébranlée.
J'avoue, quant à moi, que je ne vois pastout cela dansSocrate; ce n'est ni un Spinozani un Hegel, enfermés dans les domaines de
l'abstraction~courbés sous l'effort d'une, dia-
lectiquevide, ivres de métaphysique ce n'est
m6m.ë~asiin~Platon qui s~envolesur l'aile de
(1)Tiedem.,Cet~derSpecul.Phil., t. Il, p. 1C.
YIRDESOGRÀTBt46
,la poésie auprès du groupe radieux et du
chœur éblouissant des idées pures. Socrate
n'analyse que des faits, des faits de la vie so-
ciale, politique, domestique, des réalités de
l'ordre le plus positif et souvent le plus vul-
gaire.Les analyses que contiennent les Af~Mnï-
bles de Xénophon et les dialogues où Platon
sembles'être particulièrementattaché à repro-duire fidèlement les dis.coursde son maître,n'attestent pas un effet surhumain de médita-
tion ardente, ni une concentration pénible,une tensionfatigantede la penséeappliquéeà
se surprendre elle-mêmedans son mystérieuxtravail et son mystérieuxobjet.
Pourquoi vouloir tout expliquer?Ne pou-vons-nous pas nous contenter des faits?
L'originalitéde Socrate et ce qui rend sa
physionomie unique dans l'histoire de la phi-
losophie, et même dans l'histoire générale,c'est d'avoiruni l'esprit critique,le génie de l'a-
nalyse, le goût du libre examenet du doute,un senspratiqueadmirable,àune toi religieuse
sincère, à unenthousiasme ardent et profond,à une tendance à l'extase, où du moins à une
faculté qui peut y porter. II a la maîicc et la
verve d'ironie critique de Voltaire, et excelle
commelui, autant qu'il se plaît, à rendre ses
LE DÉMON M77
ennemisridicules mais, en mêmetemps, il a
la fermeté morale et la force dialectique de
Kant, et, de plus, à la patience et à la tempé-ranced'un saint, il joint l'intrépidité d'un sol-
dat. En un mot, il unit avec une rare et .égale
puissancedes facultés qui semblent s'exclure,la prosede la vie réelle et la poésiede la vie
idéale, f~cn~fe~<tjT)-o~<t~(1);c'est là le trait
caractéristiquedeSocrate.
Rechercher les causes de cette origina-lité si remarquable, de cette personnalité si
forte, se demanderpourquoi un homme est
ce qu'il est, c'est poser des questions quin'ont pas, suivant moi, de réponse ni la race,ni lemilieu,ni lemomentn'expliquent le mys-tère de l'individualité. Je croisdonc que So-
crate a été, et il n'y a pas contradiction, à la
foisun inspiré et un critique, etque, sans abdi-
quer la raison,il a pu s'imaginer qu'une voix
surnaturelle, peut-être accompagnéed'une vi-
sion, lui annonçait l'issue des événements à
venir.
Remarquonsbienquec'est là toutela fonction
du Dœmonium,car ce n'est pas sur son ordre
ousur une inspiration révéléepar lui, que So-
crate~'est. chargédu rôle hardi et périlleux de
<*
(1)Xéa.Mem.,I,3,8.
148 VIE DE SOCRATE
réformateur des mœurs comme des idées de son
pays et de son temps..
Sa vocation est divine cependant, et son
apostolat lui est ordonné d'en haut; mais il les
rattache aux croyances les plus répandues et
les plus autorisées de l'antiquité, c'est-à-dire
aux oracles et au plus célèbre des oracles; c'est
au dieu de Delphes, c'est à Apollon et non au
DEemonium qu'il obéit, en se consacrant à,l'é-
tude et au perfectionnement intérieur de lui-
même et des autres (1).
Maintenant, qu'ont pensé les philosophes
et que devons-nous penser de ce phéno-
mène ?
Il paraît certain que, les contemporains de
Socrate y ont vu un dieu particulier c'est
évidemment le point de vue des accusateurs.
(1)M. V..Gottsin ~~M. SM~ p..392),n'est~asdecet,av!s « Il cherchaitDiea,dit.-il,ets'en in~piraitsfMis
ceMe; il lesehtaitpart'cutiëremeDt t~aMSe~e COM?Mt-i'6 ~< p~SttM~ G<~t~,qu'il consUltatt commeunoracle et qui était une sorte de démon, c'est-à-dire, sui-vant le,sens pbgulaire du indt,~ enfant des dieu1'xun
intermédiaire entre les dieux et les hommes. C'est dans
sa conscience,commeen un sanctuaire, qu'il accueillait
pieusement les ordres de ce génie Suprême. Je crois,au cont-raire,, quela théorie de Socrate exclut précisé-ment l'intérvention du surnaturel dans les questionsd'ordre moral. Pourlesréso!d!'e,!a raison, suivant So-
crate, suffit, et la conscience.
LE DÉMON 149
Cequ'ils lui reprochent ce n'est pas d'intro-
duire le merveilleux dans la croyance, c'est
d'introduire des êtres surnaturels qui ne sont
pas consacréspar la tradition et autoriséspar
laloi; en unmpt, c'est d'innover en matière
religieuse sur cepoint, Socratesedéfendmal,
et se borne à dire qu'il ne nie pas l'existence
et l'intervention, dans la vie humaine, des
dieux, soit anciens,soitnouveaux.
Plutarque de Ghéronée pose d'abord en
fait que ce.n'est pas une fable, -M; puis,
après avoirfait suggérerpar un des interlocu-
teurs que le D~emoniumpouvait bien n'avoir
été qu'un éternument, il repoussecetteopinion
par la raison que c'eût été~là un signe bien
fortuitet bienpuérilpourdéterminerles actions
d'un hommetel que Socrate.
Quanta:lui, il semblepencherpourl'hypothèse
qui voit dansle (~énioune simple faculté, non
pas B~ême une particulière et distincte,
mais~HReportion de cette sagacité naturelle à
tonsles nommée,quele pM~ aurait for-
tiËéë par FexpérMnoë, etq~ dirigée par une
raison'siïpériëui'e, le déterminait à agir dans
les(~njonctûreË!difncilesetembarrassantes(l).Ï
(1)Pint.~-jDeyeM.S., c.x etxi. OnvoitquePlutar-que nedéterminepasnettementla naturedescircon-stances,toujoursparticulières,oùleBemonsemanifeste.
VIEDESOCRATE150
« Cen'était pas une vision,maisla sensation
d'une espèce de voix, ou plutôt l'intelligence
de certainesraisonsquipénétrait l'esprit de So-
crated'une façontoute merveilleuse; son âme,
pure et exempte de passions, était directement
enrapportavec l'entendement divin, et l'en-
tendement divin pour lui montrer les choses,
n'avait pasbesoinde produiredes sons,d'émet-
tre des articulations vocales; il frappaitla par-
tie intelligente de son âme en lui présentant
Follet lui'mômedanssa nature et son essence;
en d'autres mots, l'entendement divin mettait
en rapport immédiat l'objet pensé et le sujet
pensant: or, pourproduirecet effet, l'entende-
ment divin n'a besoinque d'une influencetrès-
légèreet d'une action &peine sentie, car c'est
le propre de la naturedé l~âoieque, dèsqu'elle
est touchéeextérieurementparla raison,&t~<
~%fe;K~, elle seporie vers l'objet intelli-
gible.Pour donner le branle à l'intelligence,il
faut un coup du dehors; mais ce coup peut.n'être pas sensible la parole, véhicule de la
penséehumaine, agit sur les penséesd'autrui,
maisd'unemanière obscure,tandisque la pen-sée"des démons, toute lumineuse, agit pro-
fondément et rapidement sur nos âmes. Ces
LED~MOU ibt
raisons, ces discours des démons, sont répan-dus partout (1); tous les hommes peuvententendre ces voix silencieuses, ces paroles
muettes; mais tousne les entendent pas, parce
que leurs passionset leurs vices troublent l'ac-*
tion déleur intelligence et voilà aucontraire
pourquoiFamécéleste et divine de Socrate les
entendait si clairement~})
Decette explicationconfuseet obscure,où,
pour expliquerla nature et les actes du Démon
deSocrate,Plutarquefait intervenir, d'unepart,la théorie d'Aristote sur Fentendem'entagent,
et, de l'autre, la oroyance en desdémonspar
lesquels, sans doute, s'opère toujours l'action
del'entendement divin sur la raisonhumaine,il semblerésulter que leDémondeSocraten'é-
tait aux yeux de Plutarque qu'une faculté de
l'intelligence, communeà tous les hommes
mais qui était pluspuissante et plus pure chez
un homme étranger aux passions et aux fai-
blesses de l'humanité.e
Ce n'est pas le sentimentd'Apuléequi, clai-
rement, nettement, en faitun Dieuparticulier.H distingue trois sortes de démons les âmes
humaines encore unies à des corps; les àmes
(1)Plut.,De~ett.S., c. xx d TMvS'~o~M-~).Q~~nxtFO~TMVCtOÇUH~M.
VIE DE SOCRATE152
humainesqui ont été et ne sont plupsoumises
à cette union, telles que les démons d'Hé-
siode (1);enfinles démons qui ne l'ontjamais
été,telsqueleSommeilet l'Amour.C'estàcette
'dernière classe,qui est la plus élevée, qu'ap-
partient le Démonde Socrate, qu'Apuléedécrit
en ces termesprorsus custos,stM~'M~tsp/'<B-
fectus, domesticusS~CM~Or,Lay contubernio
familiaris (2).Et ce gardien céleste communiquaitavec lui
non-seulementpar la voix, mais par des appa-ritionsréelles.
<tEquidemarbitror non modo~MW~MSSocra-
~rM?Metiamoculis signa D~WOM!~~Mî
zesurpasse.~Vd!~frequentius non ~OC~Mt,sed
st~MMm~t~MMwsibi o&~MMt~y~ se ferebat.Id signum ~o<~ ~< tp~tM~D6PMÏOMM~pect~
/WM~, ~MO!~ M~<Soc~? f'gyMëy~, ut
/M)~~CMSAc~KM,~M~~<?M. t
Ce don de voir les dieux, ce privilège, il le
devait à Ja puretéde son âme et de sa vie, dit
Apulée,d'après la théoriedes nouveauxpytha-
gpriciens.Les Pères de l'Église adoptent l'interpréta-
tion des néoplatoniciens,et font, commeeux,
(l)Ep-f.,v.l22.(2)Apul.,DeZ)eo<S.,p. 143,éd.Nisard.
LE DÉMON ta3
9.
du Démonde Socrate un être réel, une nature
intermédiaire entre Dieu et les hommes, un
~pMpo(,suivant l'expressionde Tertullien(1)et de Justin (2), qu'on pouvait si facilement
tirer du passage de Théagès que nous avons
cité plushaut.
D'accordsur ce point, ils se divisent sur la
questionde savoirsi c'est un bon ou un mau-
vais ange. Tertullien (3), saint Cyprien (4),Mmutius~élix (5),Lactance(6),en fontun dé-
mon pervers, un vrai diable, suppôt de Sat an,
~M~Mt~Mt~~<M/O~MM~~ptW~MMtinsincerum,et si aveuglé dans sa perversité, qu'il attaqueet vise à ruiner la croyance dans les faux
dieux, c'est-à-dire une religion qui faisait sa
seule force.Saint Justin, au contraire,y recon-naît une nature angélique, parfaitementbonne,et dans Socrate presque un précurseur du
Christ.Il dit en propres termes« que le Verbe
divin commença'à opérer chez les Grecs parSocrate, ce que lui-même, devenu chair, ac-
complitplus tard chez les Barbares.s C'estun
(1) Tertull., De NMMM.,c. 28.
(2) Just. martyr, Apol., 1!,65.(:~ DeNMMN.,c. t; ~4po< c. xiv.
(4) De vanit. idol., VI.
(5) Octav., c. xxvi, 8.
(6) Institut., VI, 15.
VIE DE SOCRATEt54
hommeinspiréde l'esprit, Ae~eu,et presqueun
de ses martyrs. Ce sentiment, adopté par Clé-
ment d'Alexandrie (1), Eusèbe (2) et même
saint Augustin (3), vient encore d'être docte-
ment soutenu par Freymüller (4).Les moder-
nes, on le comprend, se sont placés presquetous à un point de vue très-différent Lamothe
Le Vayer (5), Richard Simon (6), Souve-
rain (7), Charpentier-(8),voient, dans le Dœ-
monium de Socrate, un phénomène tout in-
terne, qui se passe dans la partie la plus noble
de la raison, et réclaire commeune étincelle
de la raison divine. L'abbé Fraguier (9), suivi
par Forster (10),soutientque c'est par son iro-
nie habituelle que Socrate appelleDaemonium
ce qui n'était en réalité qu~unefaculté de son
âme, la conscience ou la raison. M. Stap-fer (11)veut que le Démonsoit la déincation
(1) jS&'MM-,1.V. C. XIV.
(2) .Pfa?p. Ev., XIII, 13.
(3)DecM.jDc!,vm,14.
(4) D<M.<S.,1864.
(5) Opp., t. III.
(6) Hist. crit. de l'Ancien !Z'M<a~tCM<,I. I, c. Ttiv,
p. 85.
(Tf)Platonisme dévoilé.
(8) Vie de Socrate.
(9) Acad. tMScrïp~ t. IV, p. 360.
(10)Not. ad Plat. Eutyphr., p. 3 a, b.
(11)Biog. univ., Michaud.
LE DÉMON 155
de. soninstinct moral, le for intérieur, consi-
déré comme le sanctuaire de la divinité et
l'organe de ses oracles. La première de ces
interprétations,qui ne voit làqu'une formeiro-
nique de langage,n'est paa d'accordavec le ton
dont Socrateparle du phénomène, avec l'im-
portance qu'iLy attache et la gravité de quel-
ques-unesdes circonstancesoù il le fait inter-
venir, par exemple son jugement. D'ailleurs
Xénophon, qut ne mentionne jamais l'ironie,-nous dit qu'avec ses amis il parlait toujoursnaïvement et simplement(1); mais cette ob-
jection ne s'adresse qu'à la manière dont on
interprète ici l'opinion de Socrate. Pour la
question qui nous occupe, c'est-à-dire dé re-
chercher l'opinion qu'il faut s'en faire, je ne
puis admettre non plus qu'on y voie la con-
science qui se rapporte à la moralité. La con-
science pose une règle de conduite; on juge
d'après cette règle les faits particuliers. Nous
ne voyons rien de semblable dans le Dœmo-
nium de Socrate, quine lui parle jamaisque de
cet inconnu dont les dieux se réservent la
connaissance,de ces secrets de l'avenir qu'ilsnous ont cachés, et peuvent seuls nous révéler
(1) AfëMt., IV, *7,1 a<rX6)(Tw ~Uto5 yN~w cmemcthtïo
po<Tob<~t).eu'<r<t<tttUTm.
Hi6 VIE DE SOCRATE
par des moyens surnaturels, tandis que la. loi
moraleest du ressort de la raison.
Plessing (1) croît que le Dœmoniumn'était
rien du tout qu'un calcul de prudence poli-
tique; il faut avouer alors que le calcul a été
bienmauvais,Meiners (2) y voit le rôved'un
visionnaire, Hegel (3)l'effet d'un état malsain
de l'esprit, commele magnéttsmeanimalpule
somnambu~sine;lirattM phénomène.aux
états extatiques dans lesquels fut surpris quel-
quefoisSocrate, et qui n'y eut que peu de rap-
port. Enfin, M. Lelut le considère commeun
phénomène d'hallucination dû à une maladie
nerveuse, et fait nettement de Socrateun fou».
il est vrai ~qu'ilje met en bonne compagnie,
non-seulement avec Garda~e Swedenborg,
mais âve&Lùther,pascalet, Rousseau.
~pH~~moi,' ;~m~g~ a été le
jo~ët-d'u~e~ i11llsi9n,olt:P,,niëvoisrien
de nialadif, nr~ Socrate
a possédéQu~crupossédala facultéd'un pres-sentim.entdes.chosesà 'venir, et 1'3 ~titachéà une révélation sumàturellesou~ forme
d'une voix qui frappait ses oreilles, et peut-
(1) 0~. 6){~ocf< p. 185,citépar Wiggers,~So-
c~~<p.40.(3)~enM!sc/n!.p~.jS'c)-t~t.ÏII,p.41.~CMch.i.II,p.94-l~.
LED~MO~ 1S7
être.d'une vision qui se présentait à ses yeux.Je ne me laisse pas arrêter par l'objection
qu'il est peu naturel qu'un homme si sensé
et si perspicace ait vécu toute sa vie sous
l'empiretd'une illusion dont il était la dupe.Dansles plus grands esprits, il y a un coinse-
cret oùse cachent la chimèreet l'illusion; ily a
un élément de superstition presque incurable
dans là nature humaine. On le retrouve dans
les 'esprits les plus incrédules quand on peutles percer à jour, et certainementil doit se re-
trouver dans les imaginations païennes, tout
imprégnées du merveilleux mythologique, et
quiont eu tant de peine à s'en délivrer; mais
ces croyances superstitieuses, chez Socrate
commechez tant d'autres, ont pu s'unir à la
raisonla plus ferme, au bon sens le plus pra-
tique, à la vie la plusactive, et mêmeau scep-ticisme le plus hardi.
CHAPITREVII
LA VIE DOMESTIQUE ET POLITIQUE DE SOCRATE.
Nous savons très-peu de choses de la vie de
Socrate; nous ne le voyons qu'arrivé déjà à la
vieillesse et entièrement voué à sa mission
philosophique.L'hommequi renonçait à la vie
politiquese condamnaitlui-mêmechez les an-
ciens à l'obscurité. H dut y avoir peu d'inci-
dentsdanscette vietout intérieure, ou dumoins
tout intellectuelle. Onsait qu'il se maria (1)et
qdil remplit honorablement à plusieurs repri-ses les devoirsmilitairesimposésà tout citoyen
d'Athènes, et courageusement,quoique mala-
droitement,les fonctionsjudiciaires qui lui fu-
rent départiespar le sort.
Quoique Socrate ait été loin de partager le
mépris que faisaient de la femmepresque tous jses contemporains, et dont ne s'est pas d6-
(1) On ignore absoiument à quelle époque.
.ësj~~t~ .im~D~ ~,2
~1~ qn'~lai~m5~riésot~teriu,côx
et dang~reu~c'par~-
~b$~&a~ faït la f~'rixTne
~fër~ l'h~mme
~1),
brenqu'11f~~e ~lA~e
~ii~tl~g~ ~~ic~~t~as ~~porter
s~ï~tc~a~i~nos idées us fnos3~ae~ c~ié
lit C~Il~~airiTl~eb.t`,rj~d ~é,f~t~~3't~'i3hC~~1l~r~`~~
~~t~ ~a~ ~e~~e~`~
~s~M~Tïs~ r T~6:'L~
~ËM~~ qy'~l=aorn~ptb~rôuv~r Intérxog~s'il
~)~ non,
voü~ ~pxézii,~z,t,~
~f~?.~t!i~~§~ ('~j~ Alcibiade>s'y$Gaz~ri'a~~
p~~zenc~`,~es~cris
~~Ë~S~ f~,cï~
~c~i~~ o~tifs.~=~:E'~ï:
~S~SM~W'~ ùa't~z`ïc~(/le~zax
;<:i~
~N~ke~~i~a:lià$À,
e~~Y~~ïlt=d'~fSr2
~f
<M TtBïMB~SbCXMB
ài:ur~~p<~6e pa~~était ~-venve-et
~s~mis~pu~~eBjBm~~a~c~
~laia~~aB~Tta~~ '(lcwâ.
~cél6t)ï~:i~ u'
qu'il~c~i:;&M~ à~c~t~
~j~i~aM~
~j~d~j~j~
~$J~~
~t'w~
SA ~EDO~a~TIQCE t(~
par ~hénée~et~atMtm~spaEluià G~c~,
stituait~ ~QKOga~~ At~h~i~sâ" a
Mhi ;ttRpa~ ~isl~ve de
~û~~x~p~ctppf~ On1'~tronvée~a~
~tai~deva~~râ~
~y~)i<$e~~
(~f~Y,P4t~j~~Qârt- f
j t~'i~~~i~l,~~?.~ ~fi~~
r~ja~ aaitpf,`pxm~pep~~p
~~l't~~ ~y9~~ tc4~~~Ha.x;'i'~Y~
~r' Q~i'z~~hà.~1
~a~e~ p~~i+~°~~w~S~l~â
~Ï9~]~~ c~a~s:p
~j ;<~ta~ ~'p~t~,pti9~
"M~a~ e~i~e~~s,
-]~~a~ r~ s~ ~~3f ~T1~ °~
~ie
i!i~ ~t~i~`~iy, I~W~4~#°H~~°'I
~L~ ~'l~ï8.üz~X~d~'téd~ece~néme,d~ti~
~i~~ e~t~y" $#ri~:J,Bl~~ a~ ~e~la~a~ #o~,"'N~M~~ ~a~el~"'y~ill~~fc~v~i~f~'M~j-'i~~ "Aj~d~t~tY,~a,sarid
c~~r~~g~~,zAri~to~a~~e~ad~pte'~t~Jn~i~S~ tieyara~ i.~
~D~SNi~~ acr=~~`~3~~f~~e~yrr~4ü~i~<t&ifq~ 'L~j:H.
'Ë.~S~~M~~
~E~~E!~ ~t~ra~~?~~tl~~pol~k
~e~~â~tti~y~F~a~fa~ei~Ÿ~o~<fF~=~(~f`#'
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~s~(~~ '6~
~ë~ <itte~bac;h;, de"s.fomznes
~~gi~j~~s~~ an tous.cas, ,i17`ue
~S~Ë~~SM~M~~ ocra a
j~eiït~ du d~~log~ïeetle rnot
aî"l
W!S~$~SS~~
~S~
r~Q~o~es, ~l~ùzk~,4 0~ xi?3~p~use
~$Mï~6~E~S
~~iï);ë!~aM!S~~ d~71~tn~~nd~ ~ccruG~
166 ~6CSj~
per~t~Soc~te ~1~ a oti deux ~emines~
'~il~'a~p(Ml~8ti<l,
"(M~smt~qu~;SC~e'a~ irBè.tn'hfo'n $ai que el -L! ,];¡:,,> f,d, 'r\
~clës, dè~, mar
6Mt'um~etMe'~t~<~<~(3)~~
'q~M~ti~ d
dtt$¡¡I:é¡"~eeiât Ii'
~eà-~iËë-t~
don
SA"VÏBDOMESTIQUE 16'!
mpap~~nm parjX~!M)ph(m?86î~qMen
co:o~tant <~eSocratenefutp heureuxdans
ses en~mts, g~i~~i~ai~ à leurmère
q~ leu~ pe~ sem~e Croireet inét&edire
qu~ilaétaient tous~is B~de Xantippe (1).
~Q~s~c< ~üle~°q~e~s'e~t:dire qu.'e~làa'ën°
/f ~<p~ de,~aei,~ém~usW/~PliB(~i! su~ye~le-~2)aetF'qui,.iaix-ae·
~CM~d~l~ son bumsur et lfien~por~
~i~no~~pa~on~ se natuxe[plut8t°'que
~.S<iB!]~ T~"ul.rndu~an~. aupr~:OISsQn.t~t~arl P t~3~1.le pein~s'a..
\j'K! iolen~e
.d~~< ~i' t~lé~o5nna.i~;d~tSo-~
~ct~te~a adiêu~qu'ehé adc~é â'~sau ma~i
~s~~fpé~d'n~ dbule~rvraie ét~prp~b~.de~
~e~~jc~~ t~ouver.queSo-
a~e~~$~
i~M~p~~ït ~~p~~ti~r~
;j' iilla~a
t' ~w9~i,i~~· %Xam.. 1
-t<~ ~s®l~lliUtÎl~il~m vç~,i",f~t~c~a"
~M~~ a ~fi~bé, Ÿ, ~i~x~u~,d
~i~~M~ma.:dt~a~
~1~ub<m,L~Kte~ :r~
VIEDESOCRATE168
assezfroidementà une affectionbiennaturelle
et à unefaiblesse,je crois, très-pardonnable.
Xénophonest plus expliciteet plus sévère
il appelle Xantippe la plus insupportable de
toutes les femmesqui sont, qui ont été et quiseront jamais (1). Quand Socrate veut expli-
quer commentil a pu contracter une pareille
union, il dit qu'il l'avait choisie exprès pour
éprouversa proprepatience dans le commerce
des hommes,assuré que s'il parvenait à vivre
avec elle, il pourrait facilementvivre avectout
le monde(2), commeon voit ceux qui veulent
devenir bons écuyers, s'exercer à monter les
chevaux les plus ombrageuxet les plus diffi-
ciles; car s'ils parviennent à les dompter, ils
n'auront plus de peine à se rendre maîtres des
autres (3).
Xantippen'est pasnommée,maisclairement
désignéedans les Mémorables.Ici cen'est plus
l'épouse, c'est la mère dont son filsmêmeac-
cuse le caractèreemporté,irascible,et chez la-
(1)Onpeutlireet nonsansprofit,sur cesujet,unpetitarticlede M.Zeller'surXantippe,insérédanslaRevuegermaniquedu1"septembre186'7.Jecroisquec'estl'auteurdel'TTM~OM'gde la philosophie~t'ec~Mg,etjemefélicitedevoirquesesconclusionsnedurèrentpassensiblementdesmiennes.
(2)Aul.Gell.,N.~< 1, n,traduiticiXénophon.(3)Xénoph.,Symp.,2,10.
SA VIE DOMESTIQUE 169
10
quelle il dénonceune telle violence d'humeur
et de parolesque la vie commune devient in-
tolérable (1). Maiscependant, poussé par les
raisons de Socrate, ce fils irrité avoue que ce
ne sont que des criailleries,des querelles, des
mots.et non des actes qu'on peut lui repro-
cher souscette humeur emportée, on décou-
vre un fond de' tendresse (2) qui l'excuse et
qui peut-être la produit. Xantippe a soignéavec le dévouement d'une femme et d'une
mèreses fils malades; elle veille toujoursà ce
qu'il ne leur manque rien; elle prie tous les
jours les dieuxpour leur bonheur, et si elle est
si chagrineet si grondeuse, c'est encorepoureux que son esprit s'inquiète et s'irrite.
Sur ce thème ont-brodéles écrivainsposté-
rieurs, en ajoutant des détails inconnusà Pla-
ton, à Xénophon,à Aristote, qui ne la nomme
mêmepas,non plus qu'Aristophane qui aurait
eu une belle occasion'd'exercer sa verve (3).
Plutarque nous la peint recevant fort mal un
ami que Socrate amenait dîner chez elleet fi-
(1)Xènoph.,Mem.,II,3, 4.(2)Xénoph.,.Me~ II, 1,10.(3)II estdit'Sciledecroirequ'iln'ait pasétémariéen
424.Cependantl'aînédesesfilsestnécertainementaumoinscinqou sixansaprèscettedatequi estcelledelapremièrereprésentationdesNuées.
VtE M! SOCRATEnu
nissant de colère par renverser la table (1)mais comme il nous raconte exactement le
mêmefaitde la femmede Pittacus(2), celadé-
truit ou du moinsdiminue la valeur historiquede son récit. Dans Diogène, après avoirépan-chécontre son mari le riche vocabulaired'une
femmeen colère,impatientéepeut-être par son
sang-froid,et aussi, onpeut le croire,par l'iro-
nie de sa patience, elle lui jette à la ngure un
vase plein d'eau une autre fois, commeil se
promenaitselon sonhabitude sur la place pu-
blique, elle lui enlève son manteau et l'em-
portechez e!le(3).Lesfaiseursd'anecdotesn'en
restent pas là et se plaisent aux embellisse-
ments.Cevased'eau devient dans Sénèqueun
vase de nuit, ou peut-être de l'eau de vais-
selle (4)ou del'eau desa cuvette de toilette (5).~Elienveut qu'elle dérobeà sonmari sonman-
teau pour s'en parer et aller se fairevoir à la
procession,au lieu de se contenter de voir la
procession même. J'imagine que le manteau
de Socratene devait pas être un objet de toi-
(Ï)DeCohib.Ira., C.3HM.(2;De~M~MtM~.aMMH.,c.Xî.
t3)Diog.L.,H;36.37:(4)De c<MMt.Mp.,18. 'Immmndtttuptaperfunde-
fetnr.»
(&)Ath6n.,V,210:"KT~M.
SA VIE DOMESTIQUE 17t
lette des plus rares, et je ne me sens pas dis-
poséàêtre bien sévèrepourcet acte de coquet-
terie, quipeut-êtren'était que deladécence; on
sait qu'il n'y avait pasdeux manteaux dans la
maison de Socrate.
Ce qui paraît certain, c'est quece n'était pasune femme aimable et douce on peut croire,avec Aulu-GeIle,qu'elle était chagrine,querel-
leuse, maussade,colère,violente(1),mais,sans
renouveler la réhabilitation galammententre-
prisepar Hermannet analyséepar Brucker (2),onne voit pas que rien autorise Chrysostomeà
rappeler une ivrogne (3), et Porphyre une
femmede mauvaisesmœurs (4).Elle a eu un grand défaut, pour une femme
et une mère enaimantpeut~êtrebeaucoupson
(!)N. ~«., 1, n Morosaadmodnmet jurgiosa,irannnqneet motestiarummuliebriumpar diemper-quenoctemscatebat.*Senec.,Bp.,lût <Moribusferam,lingnapetulantem.s ·
(2)T.I, p. 888.
(3)~MH.XVI,surlapremièreauxCorinthiens.(A)DansTheodoret.(T%e'-ap.,XII, ?) sansdouted'a-
prèsAnstoxêne,auquelPorphyrea tantemprunté.C'estencoreàPorphyreque Théodoret(Xïl, TM)empruntele récitd'unebataillerangée,à coupsdepoing,entreMyrtoetXantippe,à laquelleSocrateauraitassistéen
pouuantderiTe:cequevoyant,lesJeuxfemmesirritéesseseraientréuniescontrelui et l'auraientaccablécon-jointementd'outrageset docoups.
VIEDESOCRATE)72
mari et ses enfants, ellen'a passu s'en faire
aimer.
Onvoit cependant qu'elle rendait justice à
la sérénité d'âme et à l'égalité d'humeurde So-
crate elle disait elle-même qu'au milieu des
oragesquiavaientbouleverséet déchirél'État,
elle n'avait jamais vu le -moindretrouble sur
son visage, ni quand il sortait de sa maison,ni
quandil y rentrait (1).S'il fut un mari patient, ce fut un pèreaffec-
tueux et mêmetendre, semêlant aux jeux de
ses filsencoreenfants,avecune simplicitéqu'ilne faut pastrop admirerparce qu'elle est trop
naturelle, et, j'espère, assez commune(2).Les
grands attachements qu'il Sut inspirer, prou-vent commentil comprenaitet pratiquait l'a-
mitié, dont il célèbre d'unaccent ému lesjoies
et l'utilité matsni les liens deTamitié,ni les
devoirs dela famille, ni les occupationsde la
mission à laquelle il avait consacré sa vie,
ne l'empêchèrent de remplir ses devoirs de
citoyen.Il fit, en qualité d'hoplite (3), trois campa-
(l)~E!r. v., IX, c. xxvn;Cic. ~MM~111,15;'Cf.Seaec.,De7M.,].II,c.Yi.
(3)~L, ~M<.c., XII, c. xv,et les passagesdeSc-
nèqueetdeVa!èreMaxime.
(3)Dio~L., II, 28et33;~EL,Hist.F<H-VIÏ,11
SAVIEPOLtTIQUE 173
M.
gnes le siège de Potidée, la campagne de
Délium et l'expédition d'Amphipolis. Au siège
de Potidée, qui dura trois ans et commença dans
la seconde année de la 8<~°olympiade, suivant
Brucker, dans la première année de la 87e sui-
vant Casaubon, qui en place la dùréeentre432et
429 av. J.-C. (1), Socrate faisait partie de la
même chambrée qu'AIcibiade. Il céda même à
son jeune camarade le prix de la bravoure que,
suivant des traditions qu'il n'y a aucune
bonne raison de refuser de croire, l'armée vou-
SmxpttTt);xa!<<n~M6u'M.t<.Tptt.Athénée, V, 215, 216,nie lefait des trois campagnes attribuées à Socrate; il se fonde
tantôt sur la pauvreté de,Socrate, qui ne lui aurait paspermis de.sufSre aux frais de l'équipement militaire
d'un hoplite il oublie que ses amis auraient pu faire
pour lui cette dépense, et que d'aillears il y avait dans
les magasins del'Etatuno réserve d'armés, c~c~ des-
tinée à obvier à ces inconvénients prévus; tantôt il al-
lèguele silence de Thucydide, comme si ce dernier eût
pu nommer tous les simples soldats des armées; enfinil chicane Platon pour avoir dit que Socrate avait méritéle prix de la bravoure dans une bataille, ~x" Or,il n'y a pas eu de*vraie bataille à Potidée dont les
Athéniensfaisaient le siège, et ce n'est pas après une
défaite comme celle de Délium, qu'on aurait eu l'idéede donner un prix devaillance. Casaubon, dans le quin-zième chapitre de ses notes sur le livre '? d'Athénée, afait bonm&justice de ces chicanes d'Athénée, inspiréespar le désir qu'il a de prouver les erreurs de Platon.
(I) C'est la date acceptéepar M. Grote.
VIEDESOCRATE174
lait lui décerner (1).C'est~Ià,sous le ciel rigou-reux de la Thrace, dansles épreuvesd'un siège
poursuivipendant un rude hiver, qu'il déploya
aux yeuxdeses concitoyensétonnés,d'un côté,toute la vigueur d'un tempérament robuste
et d'un corps pour ainsi dire insensibleaux
impressionsextérieures, ne daignant prendre
contrelefroidaucunedesprécautionshabituelleaet mêmenécessaires, ne changeantni ses vê-
tements ni sa chaussure; dol'autre, une intré*
pidité froide et terrible et un dévouement af-
fectueux, qui sauva Alcibiadeblessé, près de
tomberaux mainsde l'ennemi et deperdreses
armes et la vie (3).La campagne de Béotie se termina, comme
on sait, par la bataille de Délium,livrée en 484
ay. J.-C., et où les Athéniens,commandesparLâchas, essuyèrent un véritable désastre (3);c'est là que, suivant Diogène,il sauva Xéno-
phoh tombéde cheval (4).Ce détail qui a peut-être été conponduavec
(1)Plat.,~yittp.,2t9e 'ntw~eCi~;Plut.,~M~?:ow«!t'fw)t<M~~reTw. C~derniermots'appHque&~"0et à ra'HF9degY0ts;nsden~mmedMSle rang l'aas'appelle~<~M,l'antre,~Mn~c-~a~MtT'K.
(3)~at.yN~Pb,c.(3)P~t.,~acA.,181 w TMtëttt~~ Cf. Bmhrad
Ptnt.jitct& e.vn, etTh~c.,IV,38.<4)Diog.L.,II,23.
SA VIE POLITIQUE ri
celui qui concerne Aloibiade,a eu le bonheur
d'être reproduit par Cicéron (1) et embellipar
Strabon, qui ajoute que Socrate, voyant son
amià terre et embarrassépar sonchevaLtombé
sur lui, le dégagea, le prit sur ses épauleset le porta ainsi pendant plusieurs stades, jus-
qu'à ce qu'il fut horsde danger (2).Ce qui est
pluscertain, c'estqueSocrate déployasavaleur
accoutumée(3)et montra-mêmedes talents de
général, auxquels, dans Platon, Alcibiadeet
Lachès rendent justice. Sa fière attitude, son
calme hautain et presque dédaigneux, le re-
gard d'une fixité étrange et terrible (4) qu'il
promenait tranquillement sur les ennemis,leur imposèrent,et ils le laissèrentse retirer du
champde bataille sans oser attaquer ni lui ni
Lachès qui raccompagnait(5).Nous Savons aucun détail sur sa conduite
(l)D<:<He.,l,54.(2)Strab.,IX,2,'7,pag,818.(3)Plat.,Symp.,321a, b; Lachès,181a;~EL,Hist.
Var.,111,n, etVU,14.(4)Ptat.,~SyMtp.:231b Tm~~M~~6f!UMn.Oore-
trouvedansAristophane,Nub., 361,cetteexpressiondiversementinterprétée.Platondit ailleursque So-crateavaitparinstantsleregardd'un taureau,T<tu~i.-<
~~th- in b.(5)Je ne MiacommentLusacius(DeCiveSocrat.,
p. 56)a pudirequece faitn'avaitétéracontéqueparSimplicius,~4f<E'ptc<c.x~xi.
VIE DE SOCRATE176
dans l'expédition d'Amphipolis,qui eut lieu
deux ans après la retraite de Délium; on ne
douterapas qu'elle n'ait été honorableet glo-rieuse.
La forced'âme tranquille qu'il montrait sur
le champde bataille, eut occasionde se ma-
nifesterégalementdansquelquescirconstances
politiques.Par des motifsqu'il a donnéslui-
même,et qui consistentuniquement en ceci,
qu'il subordonnait tous ses autres devoirs au
devoirsacréquelui imposaitsa mission,il avait
pris le parti de se tenir éloignédes assemblées
publiques et de refuser toute magistrature.Cette prudencene lui était pas inspiréepar un
mesquin sentiment personnel, il le prouvabien plus tard, mais par la convictionque sa
vie était utile à son pays, et que pour la lui
conserver, eil ne voulait pas taire de bassesse,
il fallait se retirer dans l'ombre de la vie pri-vée (1).
Cependant, probablementparce qu'il ne put
pas se déroberà cette obligation,il fit partiedu
conseildes Cinq-Cents,dans l'année de' la ba-
taille gagnée sur les Lacédémoniensdans les
mers asiatiques, aux Arginuses,par les uottes
athéniennes, en 406avant Jésus-Christ.
(!) Plat., ~Lpo! 32 a.
SA VIE POLITIQUE H7
Onsait. commentfonctionnaitceconseil des
cinq cents membres qui le composaient on
en choisissait cinquante, qui le présidaient
pendanttrente-cinqjours ces cinquante mem-
bres, fournisparla mêmetribu, prenaient pen-dant ces cinq semaines le titre de Prytanes,et' la tribu qu'ils représentaient au conseil
était dite ~f~ygjef~. Lorsque les généraux
vainqueursaux Arginuses,mais qui n'avaient
pas su oupu prendre le soin de recueillir les
mortset les vivants tombésà la mer pendant la
bataille(1), furent accusés devant cetteassem-
blée, il arriva que la tribu Antiochide,dont
faisait partie Socrate, exerçait la présidence.Parun concoursde circonstances,il se trouva
encorequelaprésidenceeffective,lejour même
de l'an'aire, fut exercée par 'Socrate. On com-
prend, en effet, que cinquante membres ne
peuvent pas présider réellement une assem-
blée on choisissait donc dans la tribu prési-
(1)OnconnaîtlerespectdesGrecspourla religiondestombeauxla loid'Athènesfaisait,souspeinedecrimecapital,uneobligationdedonnerla sépultureauxmorts.Lesgénérauxqui avaientcrunécessairedeseporterversMitylènoetd'ypoursuivrela flottevaincue,avaientdonnéauxtaxiarques,etparticulièrementàThéramène,l'ordrederecueillirles.corps.Latempêtelesempêche,dirent-ils,d'exécutercesordres:*laresponsabilitéenre-tombasurleschefs,dontThéramènefutl'undesaccu-sateurslesplusacharnés.
178 VIE DE SOCRATE
(I)Plat/,<?o~4T'4a:M~MM%M.
?) plat. ~p<?~ Xé~ \&M< ~(~ '7,15 iD!Qd.Sic., xnî, ~'M<. ~F., 111,~7.
(3~~& ~6M., I, I};18: ~Y!<~<tT~M? Le
no!Dbfer~elun par tr~bu.Q'esUe clHHreque
dq~ne VatÈrëMnxio)9~« He capite decetn prœtot~n).tristepi ~~tentjam. Gonpn qm pendant.la .batatHe.était assiégé à Samos, fut mis hors 4c cause et coasefvé
dente, un bureau dé dixmembresappelés~p<
<~ot,qui se renouv.élaittoutes les semaines,de manière à ce qu'au bout de cinq semaines
tous les membresde la. tribueussentfait par-tie de ce bureau. Cecomitése choisissaità son
tour un directeur qu~onappelait ~<TTc!Ta<out~~eM-H~Ta!y~o~sf,qui conduisait les dis-~
eussions,avait la policede rassemblée et met-tait les propositionsaux-voix.
Le sort avaitdoncdésignécejour-là Socrate,commerépistate ou président du bureau pré-sidentiel si sa maladresse à recueillir lessuf-
fragesput prêter à rire (1), son inûexible et
courageuse opiniâtreté à ne pas violer la loi,dut donneràréûécMretàpenser(S).
Les neuf générauxétaient poursuiviË!(3); le
peupleirrité et les accusateurs voulaient les
envëlo~er tousâans un~ n~forrriuledac-
cusation, et les faire tous condamner par-un
seuTetuniquean'et.
SAVIEl'OLITUjUË Ht~J
C'était une procédure contraire à la loi qui
exigeait que le jugement.fût individuel, et
qu'il y eût autant deverdicts qu'il y avait de
prévenus.Malgré les cris du peuple ameuté.
malgréles violences et les menaces de quel-
ques démagogues~tels que Théramèneet Cal-
lixène, seul contre tous (1), Socrate, obéissant
au sermentqu'il avait prêté, de juger suivant
les lois établies, résista et .recueillitles suffra-
ges suivant les règlesordinaires, ce qui n'em-
pêcha pas, d'ailleurs, la condamnationà mort
detous ces malheureux.
Si enrésistantau peuple, il avait oséfaire,comme dit Xénophon, ce que pas un autre
hommen'aurait eu la pensée ou le courage de
tenter (2), ce n'était pas le régime de terreur
sanguinairequ'organisa le parti aristocratique
après la prise d'Athènes, qui devaitle faireûé-
dans son commandementProtomaqueet Aristo-gènene revinrentpas à Athènes;les'sixautres,Pé-riclès,Lysias.,Diomédon,Erasinidès,AristocraLesetThrasyllefurentpoursuivis,condamnéset exécutes.LedixièmeétaitArchestrate,mortpendantleprocès.'VoilàcommentFréret,Acad.des/Ksc~ t. XLVII,p. 243,lesréduitàsix,etLusaciusà huit.
(1)Seuldetousles Prytanes,car,parmilescitoyens,Euryptolèmeimitasoncourageuxexemple.
(8j Xen., MeM! ÏY)4,3: ~eux Mu.cn &x~ ~u~~a~pM*no~ {)?rojtt!'<xt.
YIEDKSOCRATKi80
chir. Au milieu des exécutionsqui décimaientla malheureuse cité, et qui, dans l'espace de
huit mois, d'avril à décembre 404, firent
quinze cents victimes, sans comptercinqmille
exilés (1), Socrate,sans témérité et sans'bra-
vade, sut conserversa dignité et une libre atti-
tude.
Se voyant enveloppés.d'une haine univer-
selle et sentant peser sur euxl'horreurdu sang
versé, obligés,pourse soutenir,d'en verseren-
core(2), les Trente Tyrans cherchaientà com-
promettre, dans les fureurs de leur politique,le plus qu'ils pouvaientde citoyens honorableset modérés, en les forçantpar la terreur de de-
venir les instruments de leurs forfaitset d'en
paraître aussi les complices(3).Au nombre des victimes désignéespar Fes-
time de leursconcitoyens &la haine de ce co-
mité des vengeances aristocratiques, et parleur grande ~rtune a Favidité et aux nécessi-
tés pécuniaires. des Trente, se trouvait un
nomméLéon. Le gouvernementchargea cinq
citoyens, parmi lesquels se trouvaient Mélé-
(1)Ysocr.,.4fcop.,p.153;id.Loch.,p.38~;JEsch.,~tp!m~p., p.38;Xén.,.HgHcM.,11 Dtod.Sic.,1.XIV.
(2)Senec.,DeTranq.Anim.,c.3 a irritabstseipsaseevitia.*
(3)Isocr.,Exe.~c. Call.,p.3'?4.
SAVIEPOLI'ftQUK )81
11
tus (1)et Socrate, de se rendre à Salamineoù
s'était réfugié le malheureux, de l'arrêter et
de le ramener prisonnier à Athènes; quatreobéirent Socrate,mandécommeles autres au
Tholos,palais du gouvernement, pour y rece-
voir les ordres, refusa net de concourirà cette
cruauté illégale, et s'en retourna tranquille-ment à sa maison; s'il sauva sa tôte, il le dut
uniquement à la chute de ce pouvoirdétesté
et au retour victorieux de Thrasybule(2).Ces boucheries humaines commençaient à
souleverl'indignation et à révolterl'humanité
Socrate, qui n'était pas suspect de partialité
pour la démbcratie,quoiqu'en dise Xénophon,s'en exprimait librement dans ses entretiens
avec la jeunesse il comparait cette politiqueinsenséeà la conduited'un bouvier, qui ferait
tous ses efforts pour nuire à ses bœufs et
pouren diminuerles qualités et le nombre. La
parole est un bruit toujours importunà tout
despotisme car la parole, au bou-tdu compte,
()) Andoc., De~y~394. M. Grote veut que ce soit,non l'accusateur, mais le père de l'accusateur ce n'est
là, comme il le fait du reste observer lui-même, qu'une
pure conjecture.
(3)Plat.po!32d, e.etXén., Hellen.,11, 39; Mem.,
IV, 4, 3; Diog.L., 11,24; ~L, HM<.car., 111,17; Ly-
sias, adv. ~[por., p. 106; I<1.<t(<c.~'r<!fos</t-,p. '~T;
Isocr., <!t~. Call., 18., § 23.
182 VIE DE SOCRATE
n'a de forceque parce qu'elle est dela raison,
de la justice, en un mot de la lumière, tandis
que la tyrannie a besoin du silencecommele
malfaiteurà besoin dela nuit. Les Trente inti-
mèrentà pocrateavecdesallusionsmenaçantesaux proposqu'il avait tenus, l'ordre de s'abs-
tenir dorénavant de tout enseignement et de
toute conversationavec la jeunesse(1). On ne
sait pasexactement à quelle fut portéce décret, ni quel compte en tînt Socrate. Il
semble avoir eu, la tentation de résister, car
il fut cité une seconde foisdevantles Trente
qui lui rappelèrent avec sévérité les termesde la loi de ce ton calme et ironique qui lui
était habituel,il les pria de lui donner, quel-
ques expliôationssnrla limite précise ô com-
mençait ce qu'il était permis et ce qu'il était`
interdit de dire ;;&~M,~â la jeu-
nesse à laqueUeUne `p.ouvaitplus s'adresser.
On lui répondit de ce ton de gros~~ inso-
lence et de yi~ menaçante que prennentles sots~~ rnéchantsquandils sontles plus
(1)Xén.ë~l, 8;,31:T~ .MœM~.Ïsocr.,~op~T'<)yTcx[S'et)oHTm~~mv.Cemot&'àpasd'équiva-lent exactdanshottelangue;il nedesignepasseule-mentl'art dudiscoursproprementdit,considéréenlui-~ênoe,contmelayhetoriquoulalogiquel'étudié,maiseBcore'Iesëntretiehsqui ont pourobjetla politique
!ambfa~.
SA VIE.POLITIQUE 183
forts, et devant lequel, lorsqu'il est inutile de
se perdre, onn'a plus qu'à se taire. Il est pro-
bable que cefut le parti que prit Socrate. caril échappaà la fureur de ce troupeau d'assas-
sins, et.cefut, commele remarque amèrement
Sénëque, pour devenir la victime d'un procès
inique, sous un gouvernement démocratique,libéralet généreux, qui avait pris pour devise
l~oublidupasse et q~.ifutndèle à cette difficile
vertu du vainqueur. Singulier hasard de la
destinée! dérision amère de la fortune, quisemblenousrappeler qu'il .u'ya pas d'état po-
litique si misérable et de tyrannie si odieuse
qui ne puisse épargnerun honnête homme,et
qu'il n'y a pas non plus de pays si libre et de
gouvernementsi régulier QÙ.Fonne.puisse ac-
cabler un innocent(1).Oncite encoreun trait de courage de So-
crâte, malheureusement moins authentique
queicelùiqu'il ay,ait donnéau sujet de l'arres-
tationde l<éoh. Diodorede ëicile~
(1)Senec., De~MM~MtH.aMt~c.3: « Hune tamenAthenœ ipsœ in carcere occiderunt) et qui tuto insulta-
verat agmtni tyrannorum, ejus libertatem libertas non
jtulit ut scias et ih aSfeetatepubttoa~esse occasionem
sapMBtiyjro ad se profefendu'D.et InSorenti ac ~eata,~ecumain, invidiarQ,!Rille aHa vitia inerjaia regaarë. o
(2)XIV, 3.
VIE DE SOCRATE184
qu'au moment où Théramène, victime de la
réactionoligarchique,après en avoir été l'un
des promoteurset des agents les plus ardents,dénoncépar Critias, se précipita vers l'autel
placé dans l'intérieur du palais du Sénat, So-
crate et deux de ses amis s~avançërentseuls
pour le protégercontreSatyros,chef des Onze,et ses satellites qui voulaient Yenarracher.
Théramènesentant la résistance inutile et ne
voulant entraîner personne dans sa ruine, les
pria de s'abstenir de ce dévouementinutile et
dangereux (1).La tyrannie des Trente prit 6n dans le mois
de décembre404, après avoir duré huit moismais la convention conclue avec Pausanias,
qui amena le rétablissement à Athènes de la
liberté et de Fordre, de la démocratie et de la
paix,nedate quede Fêté403,annéede Parchon-
tat d'Euclide, qui fut désormaispour les Athé-
niens commeune ère nouvelle. Si la conduite
de Rome fut admirable après le désastre de
Cannes,que dira-t-onde celle du peuple athé-
nien?1
(1),Cefaitest attribuépar l'auteurdesViesdesdixorateursà Isocrate:cettecirconstanceet le silence
gardésurun actesidigned'êtreconservéàlamémoire,ontparuà M.Grotedes raisonsssïEsastespourôterà l'anecdotetouteprobabiiiMhistorique.
SAVIKPOLITIQUH ~8H
Après une guerre de vingt-sept ans, quiavait ruiné son empire, ses flottes, son com-
merce, ses finances; dont la dernière défaite
avait imposéà cet enfant gâté de la gloire la
douloureuseobligationde détruire de ses pro-
pres mains les fortificationsde son port et les
longsmurs qui Punissaient à la mer, et lui in-
fligeaitla honteplusdouloureuseencorede su-
bir un gouvernement despotique, imposé par
l'étranger; cette ville, mère de la liberté et de
la démocratie, se retrouvant enfin maîtresse
d'elle-même,avecune générositésansexempleet sans imitationdans l'histoire desrévolutions
et desréactionspolitiques,proclamal'amnistie,c'est-à-direl'oubli et le pardon du passé. Les
sénateurs s'engagèrent par serment à ne re-
cevoir aucune accusation de quelque nature
qu'ellefût, ni M~;?, ni e~«yt.)y)f,pour des faits
relatifs à la période de l'anarchie, commeils
appelaient, d'un mot juste et profond,l'abject
despotismedont.ils avaient subi l'outrage. Les
héliastes, avant de monter sur leur siège, du-
rent également ajouter au serment habituel la
formule Je jure de ne conserveraucune ran-
cune du passé, et de ne voter que d'après les
loisactuelles (1).
(l)Andoc., DeMtys<3T~l: w ~ooMt~om, dans la force
et l'étendue de son vrai sens.
CHAPITRE VII
PROCÈS DE SOCRATE.
Par cette libérale et intelligente politique,Athènes se releva vite de ses ruines et s'attira
le respect et l'estime, même de ses anciens
ennemis.Elle jouissait de cette prospérité re-
naissante depuisquatre ans, lorsque, au com-
mencement du printemps de l'année 399,
Olymp.95,1, dans la deuxièmemoitiédu mois
Munychion,qui correspondànotre moisd'avril,sous l'archontat de Lâchés (1), Socratefut ac-
cuse parT~élétns,secondéd'Ànytus et de Gly-con, qui, suivant les règles de la procédure
usitée, amenèrentdans le portique faisantface
au tribunal de l'archonte-roi (2), un placard
ainsi conçu Acted'accusationsignéet attestéesousla foidu serment,par Mélétus,fils de ]M[é-
létus;du dèmedePitthée, contreSocrate,filsde
(Y)Anonym.cHèparMetirsîus.Dibg.L., II, 44.(2)Plat.,?'Aee<210d:t:!T~To5~M~N«;T<L'ar-
clionte-roi,héritierdesprérogativesreligieusesdel'an-
YJEDESOORATE188
Sophronisque, du dème d'Alopèce Socrate est
coupable du crime de ne pas reconnaître les
dieux reconnus par l'État, et d'introduire d'au-
tres divinités nouvelles; il est de plus coupable
de séduire la jeunesse. Peine, la mort (1).
A la suite de ce premier acte de procédure,
Socrate fut assigné devant rarchonte-roi/ma-
gistrat instructeur et introducteur d'instance
dans ces sortes d'affaires (2). Noussavons que
Socrate comparut; le magistrat, après cette pre-
mière enquête, accueillit l'accusation; il désigna
cienne royauté, introduisait en instance les procèsrelatifs à la religion et au meurtre, <M; ~o'wuxv.!
<M6&!a;,Meier,De lit. ~<~c~,p. 4:T(;M. K. Hermann,
Le/~&Mc7t.138.Son tribunal était placé dans le porti-
que appelé du roi, s~tue aupies de 1'A.goïa,daus ie Cé-
ramique intérieur, et voisin duportiquede Jupiter libé-
rateur, &!){ ~u6ept~;MeuTsius,Lect.Attic., VI, '.17;LQsac.fCt<dcad:.spec,,III,p.lT'2.
(l)Getacted'accusàtione~
procès criminel, qui se distingue de ~M-~anaire civite,
etde<[''TN~<e:quie8tdc8ni'parTimée(Gloss.Pla),):~e[~xctMTMo;~oj)xot.C'était d'abord, comme l'iudiquel'éty-
mologie de ce dernier nom, le double serment par le-
quel le plaignant ~-m;Mc'x, et le défendeurKM~attes-
taient la justice de leur cause. Plus tard la formule
s'appliqua à la pièce écrite de l'accusation, toujoursattestée par serment. C'est dans ce sens qu'il est em-
ployé par Platon. ~4po~ 19 b rm 'w'jM<Mt< ~ct-
'~&t~. Diog. L., 11.,40, appelle ce même instrument ju-diciaire MTt~o~.Cf. Plat., ~~c~ 27 c.
,:(3)Plat., yAee< 210d:tt;<ù!
LE PROCÈS 189
11.
le tribunal, nomma les juges, fixa le jour de
l'affaire, et alors remit Pacte d'accusation aux
juges, qui déférèrent le serment aux deux par-
ties de là le mot e! dans les expressions
composées qui le désignent.
Après trente, et peut-être quarante années,
consacrées à renseignement public, Socrate
qui, malgré quelques difficultés et quelques
mécontentements attestés par Aristophane, n'a-
vait jusqu'alors été l'objet d'aucune accusation,
et n'avait eu aucun procès, même civil, à l'âge
de soixante-dix ans (1), Socrate comparut de-
vant une cour de justice sous l'accusation d'un
crime capital.
La pièce de procédure, dont la copie nous a
(1)De Serres donné dans satraduction latine, « Annos
plus Ma?<~M<<tnatus. Est-ce une erreur de plume?Est-ce une leçon qu'il avait lue dans quelques-unsdes manuscrits d'Estienne? Est-ce tHie restitution
opéréesans bruit et fondée sur le passage de Diog.L.,II, 44, qui rapporte quecertains historiens'donn aient àSocrate soixante ans lors de sa mort? Le chiffre de
soixante-dix, rapporté par Platon, Crit., 52 c, par Diog.L., II, 44, par Maxime de'fyr, Op., XXXIX, 412, est
en outre confirmé par tous les manuscrits que nous
possédons encore. M. Bœckb, Corp. /MSC.,II,p. 341, etM. K. Fr. Hermann, De r~eo~M Deliaca, prétendentprouver qu'a l'époque de sa mort Socrate avait soixante-douze ans. Fréret, Acad. 7MM.,t. XLVII, p. 210, nelui donne que soixante-neuf ans et un mois.
VIEDESOCRATE190
été transmise par Diogène,était encore con-servée dans le teoîple dé la Mère,lé Métroum,où étaient renfermées les archives des gref-fes (1),du temps de Phavorin, sophiste -gau-
lois, qui vivait sous Trajàn et sous Adrien,et souslà foi duquel Diogène l'à reproduite.Les termes diffèrentpeu de ceux qu'emploient
XénopRohët Platon, qui, tous deux,du moins
en exceptantF~pd~M dé Xénophdh, annon-
cent du insinuent qu'ils né la reproduisent
pas textuellement (2). Là seule duTérënceest
que l'ordre dés cnëfs d~accusâtibnest, dans
Platon,riËversë de celui quedonnent les deux
piècesde Xénophonet de Phavorin.Des trois
points, qui, chez ces derniers, se succèdent
commeil suit
l"t'fë pas reconnaître les "dieux dërËtat,
2'' Introduiredes innovations religieusesparle culte de divinitésnon reconnues
(1)M60rë)us,I~c<.~«M.,1.1,c.xi; Julian.Or~VetVI;Xén.,Mem.
`
(2)Xén.MeM.,16~ PIat.po!4 b:%et)MHwMt~e.L'opmtonqùël'Ar~op~ëja~eàlepro-cèsdeSocràteestdëpaisbienlohgtenip~SBamdminëe,maisellea 6tésoutenaè.Quantà l'as~rtionqoenou~.avonsconservéletextedel'arrêtet nëncetnideÏ'aceWsation,je n'a!,aprèsléspit~longSesrecnerche~trMveaucunécrivainqui1'aufoHsë.
LE PROCÈS t91
3°Séductionou corruptiondela jeunesse pardes doctrinesdangereuses,
Platon a mis en premier lieu le troisième,
m.odincationassurément peu importante, si
tout n'était pas important quand il s~agitd'un
pareil hommeet d'un tel événement. Une di-
vergence;plus considérableen apparence,a été
relevéedansfA~o~e de Platon. Ona remar-
qué que la réfutationdes griefsvisés dans l'ac-
cusation dontnousvenons dedonnerlaformule,
est précédéede la réfutation d'une accusation
diSërente, quoiqueportant comme la premièresur trois points
1°Rechercher avec une curiosité indiscrète
et coupableles phénomènesqui se passentsous
là terre et dansle ciel;2"Rendre bonneune mauvaiseraison3*Enseigner aux autres cet art funeste (I).
Aldobrandini, dans ses notes sur Diogènede Laërte, observan'tqa.ePlatonse sert-ici des
termes ~yy~e~ et ~y~t~<e;, a cru qu'il y avait
eu deux accusations distinctes,.chose que le
droit attique n'aurait pas permise,.do~t aucun
auteurn'a jaïnaisparlé, et que contredit .même
(1) Ontrouvedansl'argumentdu.BMs~sd'Isocrate,queSocratëétaitenoutreaccusédeprêcherl'adorationdeschiensetdesoiseaux;iln'ya aucunfondfaire surcettepièce. 1
YIKDESOCRATE1t92
le texte de Platonregardé d'un peu plus près.La phrase s~epoj~MtM~ep~T~SjtMa'/aYj~
Mv&yon<xJr~(1),commence,en effet,par un
correctifqui en changele sens, commeFatrès-
bien vu M. Cousin qui traduit « Caril faut
mettre.leur accusation dans les formes et la
lire commesi elle était écrite .et le serment
prêté. r'
Je crois même que le restrictif ~~gp placé
en tête de la phrase devrait, comme cela est
ordinaire à la constructiongrecque, retombèr
sur o?~~y~et<,tout autant que sur ~T&<<x,et
quele sens véritableest C'estdoncune espèced'accusation dont il faut vous donner, pourainsi dire, la lecture. Maisqui ne voit, comme
Fa déjà montré Fréret, que c'est là seulement
un tour oratoire destiné à combattre les dis-
positions défavorables des juges, les partis
pris et les calomnieséclatantes ou sourdes ré-
pandues dans Fopinion; car Socrate sentait
qu'elles étaient bien autrement dangereuses
que l'accusation officielle, précisément parce
qu'elles étaient plus vagues et, pourainsi dire,insaisissables, Cescalomniesaboutissent à un
mot qu'on a répété biensouventdepuis, quandon a vi~uluperdre un honnête homme. On ai-
(l)Ptat.19b.
LEMtOCÈS 193
mait à dire de Socratequo c'était un sophiste,
un songecreux, un rêveur, un idéologue,un
hommedangereuxqui ruinait] es idéesétablies
et les opinionsreçues, qui employait les res-
sourcesperfidesde l'art de la parole et du rai-
sonnement,à montrer que la vérité est une
erreur, et que l'erreur est une vérité, et qui,dans sa curiosité indiscrète et téméraire, osait
contester la logique, la physique et 'même la
théologieofficielles.Ces bruits, tout eh ne dé-
terminant aucun fait, comprenaient tout; il
n'est pasétonnantqu'ils comprennentles chefs
d'accusation visés dans la formule juridique
déposée par Mélétus, qui se ramène à deux
points une offenseà la religion et une atta-
que contre la famille, l'ordre et la société, parl'influence d'un enseignement subversif. So-
crate fut donc accusé d'être un ennemi de la
religionet deFêtâtsocial.
Devant quel tribunal fut-il cité à compa-raître ?
M. V. Cousin,dans son trop court mémoire
surle procès de Socrate, qui fait partie des
FW~M~M ~~oMpAM <a'M<?~MM<?,et dans la
préfacede TApo~ïe de Platon, sembleconsi-dérer commecertaine l'opinionque Socratefuttraduit devant FAréopage.Quoique ce soit là,suivantFréret, une opinion communémentac-
VIE DE SOCRATE194
ceptée (1),je ne l'ai vue soutenue que par La
Canaye, auteur de quelques recherches sur
l'Aréopage(2) qui ne peut guère avancer en
faveurde sa thèse;,que16fait certain que FAréo-
pageconnaissaitdes causes d'impieté ~f.Maissacompétenceà l'égard deces sortesd'af-
faires, depuislongtempsne lui était plus exclu-
sivement propre. Le procès d'Alcibiâdeet de
tous ceux qui avaient été compromisdans là
profanationdesmystères,avait été jugé par les
héliastes (3). Selon, et Périclèssurtout, avaient
considérablement affaibli le prestige et dimi-
nué retendue des pouvoirs de l'Aréopage,.et l'onsait quele pouvoirjudiciaireoccupéune.
place considérable dans la souveraineté poli-
tique, tombéealors dans les mainsdelà démo-
cratie justementjaloused'exercer ce droit :câr
c'est ce que nous appelonsle jury, sans lequel
il n'yani liberté,nijustice, du moinsni liberté~ni justice garanties (4).
(1)~c~. T~MC.,XLVII,p. 263.
(2)~ead. /MM.,t. VII,p. IT~et;M.,p.51et88,unmémoiredeBlanchardsurlestribunauxathéniens.Surcetteafnrmationpresquesanspreuves,LaCanayees-sayedemontrerqueMeursiuss'esttrompéehrédittsantàneuflenombredesmembrésde FATéopage.
(8)Andoc.,De.M~.(4)Périclèsavaitattachéà cesfonctionsune indem-
nitéplutôtqu'unsalaire,quenous-mêmesn'avonspas
LE PROCÈS
L'Aréopage n'était donc. pas le seul tribunal
compétent pour connaître de l'accusation in-
supprimée. M. Bœckh, jScoMOMtCjooMt~Medes Athé-
niens, a soutenu que cette indemnité, primitivementd'une obole, avait été élevée par le démagogue Cléon à
trois oboles(45à 50cent.). M.G. Hermann, .P~o~2VM&
p. 51, croit qu'elle a toujours été detrois oboles, et que
l'opinion contraire repose sur une confusion de l'indem-
nité ecclésiastique,roeKX).wnMTUM'quifut en effetvaria-
ble, avec l'indemnité judiciaire -ro~m~t~, quin'a jamais
changé. Cependant on peut faire valoir, en faveur du
sentiment soutenu par M. Bœckh, le discours d'Àlci-
biade, dàss le 'Vin 1. deThucydide, 65 et déjà cite
par Fréret, p. 843: De ce discours il résulte que les dis-
tributions faites aux jurés, supprimées par le gouver-nement oligarchiquedes Quatre-Cents, nefurent pas réta-blies après leur chuté. Les Grenouilles d'Aristophane,
qui sont &ë40t!, font toutefois mention de deux oboles à
propos du passage exigé par Charon. Le scholiaste ob-
serve que ces motsdu poète < C'est donc le même prix
partout, ))s~appliquontpar allusion au salaire desjurés
ce quiprouvë que l'Indemnité judiciaire,d'une part, au-rait étéTétàMie; de l'autre, avait varié. Fréret veut queces distributions d'argent aient été ce aui causait, ce
grand attachement du peuple d'Athènes a la forme dé-
mocratique. On ne voit pas cependant qu'après les désas-tres qui ruinèrent leur pays et qui obligèrent ou de sup-primer ou de réduire d'un tiers l'indemnité pécuniairedes juges et des représentants, les citoyens aient étémoins attachés à la cause démocratique. D'ailleurs, on
peut aimer la liberté et l'institution du jury par des mo-tifs un peu plus relevés, et en fait de sentiments géné-reux, il en est peu qu'on soit en droit de refuser auxAthéniens.
t9G VIE DE SOCRATE;
tentée contreSocrate; mais, d'ailleurs, aucun
auteur ancienn'a ni nommé, ni plus ou moins
vaguement indiqué l'Aréopage comme le tri-
bunal devant lequel il ait eu à se défendre,tandisque Maximede Tyr(1)nommeibrmelle-
ment les héliastes, et qu'Athénée (2)les dési-
gne évidemment, en disant que Socrate fut
condamnépar desjuges tirés ausort. Ce sont là
des témoins encore bien éloignés,je l'avoue,maisau moinsils ne sont contreditspar aucun
autre, et sont d'accord avec tout ce que nous
savons del'organisationde l'Aréopage..
Onporte le nombre des membresde cet.te
assembléeà des chiffres très-divers et très-
diS'érents. Nicéphore Calliste, dans son J~-
<o~6ecclésiastique(3)qui date,.it est vrai, du
quatorzièmesiècle,le réduit à neufmagistrats,
qui se repouvelâient tous les ans ce n'était,suivant lui, que le conseil des neuf thesmo-
thëtes. Le scholiaste d'Eschyle (4) relevé à
trente et un membres, et GeorgesPachymëre,
danssa paraphrase des œuvres de saint Dënys
l'Aréopagite,à cinquante-un,sans compterles
archontesqui enfaisaientde droit partie, après
(1)0~39.(2)AtiMï).,xm,6n.
(3).yM<.ecc~.)t.X.(4)~(! ~MM~Mt~.
I.E PROCÈS 't')7
l'expiration deleurs fonctions; enfin, quelquesauteursle poussent à trois cents, sans pouvoir
justifierce nombre, qui n'a pas été atteint pro-
bablement,qui certes n'a jamais été dépassé.
Quelques-uns,il est vrai,veulent quelenombre
n'enait pas été limité(1), mais cela ne prouve
pas qu'il fût considérable.Lihaniusva jusqu'àcroire que les thesmotètes seuls y étaient
admis (2).La sévérité des conditions morales uéces-
sairespourobtenir et conserverune place dans
ce tribunalauguste et révéré (3), ne permetpasde croire que dans une population numéri-
quementaussi faibleque celled'Athènes, il ait
pu atteindre le chiffrede cinqcents membres,
auquel se monta,au moins, le nombredesjugesdeSocrate.
Laliberté politiques'appuiesur le jugement
par jurés, ~olonqui la fonda à Athènes,Péri-
clès qui l'y développa, l'avaient bien com-
(1)j~ t!e Dëm.adv.Androt.(8)~de.D~M.a<Mch'o<.(3)Isoc.,Ardop.Lepluslégerreprochesuffisaitpour
exclureceuxquipouvaienty avoirdroitparleschargesqu'ilsavaientremplies.UnmembrefutrayédelalistepouravoirétouHeunpetitoiseauquis'étaitréfugiédanssa robe.LesAthéniensavaientsentiquel'hommequiale cœurferméàlapitié,nesauraitêtreappeléà rendreauxhommeslajustice,parcequ'ilnela comprendpas.
VIE DE SOCRATE198
pris (1). Touslescitoyensétaient appelésà juger
lescitoyens;desvingtmilleindividusquicompo-saientlapopulation,onench-oisissaittouslesans,au sort (2),par la /ë~e, parmi ceux qui avaient.
trente ans accomplis,six mille qui formaient
la liste dujury. Aprèsavoir mis décote millede
ces citoyensdestinés à fair*eoffice dejurés sup-
plémentaires,les cinq mille autres étaient divi-
sés entre dixchambresoutribunaux, <~)MK~«x,de cinqcentsmembreschaque, et, dans les cir-
.constancesgraves, on réundssàit deux, trois ou
quatre chambres,ce qui faisait monter le nom-
bre des juges à mille, quinze cents, deux mille.
L'affaire des Mystères, q~ui fut jugée toutes
chambres réunies, fut pladdée devant les Six
mille héliastes. Au contraire, dans les procèsde peu d~importance~chaque cour se divisait,et il ne siégeait a~ors'quedeux cents ouquatrecents juges. On trouve dans une àn'âire le
chiffrede sept centsjuges (3).Cesjuges prêtaient un serment solennel dont
nous pouvons lire, sinon- la formule authen-
tique, du moins le sens exact, dans Démbs-
(1)Anst.,FoM.,11,c. xn;. Plut., ,S'o!oM,~~e~.(8~I,esan!hontëset leurgfeCBcrpfo<~daientaatu-age.(3)Fréret,Acad.7Msc:,t.XL'~11;Staub.,~pot..PM<
36b E. Sermana,Z~ 1~.
I.E PROCÈS 199
thènes (1), et je veux en rappeler quelquestraits « Je jugerai suivant les lois et décrets;
s'il n'y a pas de lois expresses, je prononceraiselonmaconscienceet laplus exactejustice (2);
je ne recevrai pas de présent pour rendre la
justice, ni directement, ni indirectement;
d'autres n'en recevront pas pour moi, à ma
connaissance,par des voies obliqueset détour-
nées j'écouteraiégalementl'accusateur et l'ac-
cusé, et je ne prononcerai que sur ce qui fait
l'objet mêmedu procès.Je le jure, par Jupiter,
par Neptune,par Gérés Que cesdieux, si j'en-freinsces règles, me perdent, moi et ma race
Sij'y suisRdele,qu'ils mecomblentdebiens et
m'envoient la prospérité, s
Tels furent les juges devant, lesquels dut
comparaîtreSocrate on ne saitpas exactement
quel en fut le nombre, qui atteignit au moins
cinqcents.Lejury était, commelevoulait la loi,
présidépari'archonte-roi,(levantlequel étaient
portées toutes les accusations intéressant la
religion dél'Etat.
(1)~<!p.TtMtOCf.,149,151.Schoemannet Mëieravaientaccepté,avectouslesancienscritiques,cetteformulecommeauthentique.M.WestermanB,CoMMK.dejMr~M~!CM)M/<M-MM<~t,Leipz.,1859,&cruydécou-vnrToMVM~mifaussaire.
(2) Schelling.,Sol. Le~ p. 35; Wolf,'adLept.,p.339.
VIEDESOCRATE.2')0
Quelsfurent les accusateurs?
Celui qui avait dressé, signé et attesté parserment l'acte d'accusation,était, commenous
l'avons déjà dit, Mélétus les autresavaientun
rôle secondaire,facultatif, et en même temps
dépendant, car ils ne pouvaient prendre la
parolé qu'avec l'autorisation du -tribunal.On
appelaitces avocats(advocati)~oto~cpo;,et plus
précisément, quand ils appuyaient l'accusa-tion <~u~tn-~ep<)<(1); mais rarement, ou plutôt
jamais on ne voit ces auxiliaires se mettre à la
place de l'accusateur ou de l'accusé, assistant
muets au débat qui les intéresse (2). Dansle
procèsde Socrate, s'ils rapportent pas tous le
concoursde leur éloquence, ils paraissent ap-
porter chacun l'appui deleur autorité morale,chacun se présentant au nomd'une classe de
l'État, commepour accabler cet ennemi cbm-
(1)Hyper.,c..Dë?K.cvop~<ou~MTi~o~tH'p.t<Tm~euXejt~M)MT&t<M)~~nt<«~uoMM~[<~m<K.Onlestrouveencorenommésx~e~TEt.Cf.Fr.Herm.,t.eAf&143.Celade-vintplustarduneprofession,unmétiersalarié.Plat.,De XI,ext.;Lycurg.,Leocr.,138;.R~.ad.36:nKjttoOMTwM'wïopMijtM.Le~métierd'écriredesdis-
courspourlespartiesétaitplusancienencore;~'hKKt,~~ff~ sont desmotséquivalents,à un certainmo-ment,.det~tertn.
(2)Dans!ep!aidoyerdeDémosthèNcpourPhsesss,onvoitquecedernier,siincapab'equ'ilfutdeprendrelaparole,avaitcependantditquelquesmots.
LE PROCÈS 20)1
mun sous le poids d'une réprobation univer-
selle.
Mélétus (1) se présentait au nom des poètes,
Anytus au nom des artisans et des hommes po-
litiques, Lycon au nom des orateurs également
mécontents et irrités. Maxime de Tyr (2), en
reproduisant ces détails, veut les compléter, et
il le fait avec des antithèses qui sentent singu-
lièrement la rhétorique. « Ce fut, dit-il, Mélé-
tus qui formula par écrit l'accusation, Anytus
qui introduisit l'instance, Lycon qui poursuivit
et plaida, lepeuple a<K~~ (et non l'Aréopage)
qui jugea, le conseil des Onze qui emprisonna,
le serviteur des Onze qui exécuta. L'acte d'ac-
cusation de Mélétus, Socrate le dédaigna; la
(1)On a longtemps écrit Mélitus, leçon soutenue par
l'étymologie que donne Eustathe, ad. (3t~,V, 106, quidérive le mot de ft~ et par le mot ~sXtïM~t,des (?re-
nouilles d'Aristophane, v. 991 mais de bons manus-
crits' de Platon, appuyés sur les manuscrits de Xéno-
phon,~ent., IV, 4, 4; de Lucien, Joe. coM/tl6; Pise.,10 bis Accus., 0; J9eMtOK.,11 d'Aristote, ~Ae< III,18. 2; de Libanius, ~4po!.~oct\, p. 201, mOmesur des
inscriptions, confirment la leçon M~ro;, aujourd'huipai~out adoptée en Allemagne. La pénultième est lon-
gue dans ce mot, et cela détruit la conclusion qu'on se-rait porté à tirer du vers d'Aristophane, qui serait fauxsi on persistait à lire (~T: Cependant Welcker,Griech. ?Ta~, 9')3, et Eorchhammer rejettent Mè-létus et conservent l'ancienne leçon.
(8)Max.Tyr., C<M< IX, 3,3.
VÎB DE SOCRATE202
déposition d'instance, il la méprisa; le dis-
coursde Lycon,ilne fit qu'en rire.Ici, Maxime
modifie les qualités judiciaires et même les
noms des accusateurs.Aristophanefiguredans
son récit commereprésentant des auteurs dra-
matiques Anytus, des sophistes(1); Mélétus,dessycophantes;Lycon,des orateurs.Diogène
de Laërte, sur l'autorité dePhàvorin,présented~unemanière encoreun peu din'érenteet les
noms et les rôlesdes accusateurs Mélétusest
toujoursceluiqui formuleet signe~accusation;
Polyeucte la soutient de sa paroleàraide d'un
discoursécrit/fourni, dit Hermippe,parPoly-crate le sophiste, par Anytus,à ceque d'autres
préLendent;ennn, d'après ces renseignements,
]Lyconle démagogueaurait organiséles apprêtsde cecomplotjuridique (2).
!ehpassant~u~fait néglige
%? accusa-
teurs,qui représentent presquetout'esles clas-
ser dé la société, aucun n'est prêtre, aucun
n~egtdésigné,6 dans un procèséyidëmmentre-
(1) II est absurde de donner Anytus comme représen-tant des soj[)MStés,dbat.il était l'ennemi Tiblent et dé'
Mare,et~ lui attriDuer~~l~r8le qui ne pou-vai ap~a~lit qu'à l'Mchonte. Il n'a pu, cet égard,quferëqnérS'le magistrat.
~Diog.L., 11,38,39.
LE PROCÈS M3
ligieux, commeintervenant au nom des in-
térêts ou des passions du pouvoir sacerdo-
tal (1).Platon nous fait connaître quelques-uns de
cespersonnages.Il introduit,dansl'JS'M~p~o?:,
Socrate au momentmême où il se prépare à
comparaître devant l'archonte-roi qui l'avait
assignésur la requête de Mélétus,et il lui fait
dire au sujet de son accusateur « Je ne le
connaispas moi-même;c'est, dit-on, un jeunehommetout à fait inconnu,nommé, à ce que
je crois, Mélétus, du dème de Pitthée. Je ne
sais si tu connais dans ce dème un Mélétus,
qui a les cheveuxlongs, peude barbeet le nez
légèrementaquilin (2), passage où M. Stall-
baumveut voir une allusion à son caractère
plein de vanité et d'orgueil, plutôt qu'une
simple description de sa personne physique.Quelétait cepersonnage? il n'est pas facile de
le dire. Il y,a eu, du temps de Socrate, plu-
sieurs Athénien~qui ont porté ce nom. L'un
d'entre eux est mentionnépar Andocide,dans
son Discours s:~ les mystères (3), où il Fac-
(I) Jenevoisrien.quijustiSocettetroisièmecause:< le courrouxlongtempscontenudupouvoirsacerdotalquiéclataenfin,»à laquelleM.V.CousinattribuelepMcès~i&Socrate.
(3).E'M)! 8.(3)De~13,35,63, .94.
VIE DE SOCRATE2fi
cuse d'avoir, dans une orgie faite chez Poly-
tion, avec Alcibiadeet Nicias, en 415, ré-
vélé le secret desmystères; puis, en 404,d'a-
voir obéi à l'ordre illégal des Trente en con-
courant à arrêter, à Salamine, Léon, cet
innocent citoyen, crime dont Socrate, au ris-
que,de sa vie, n'avait voulu être ni l'instru-
ment ni le complice; enfin, d'avoir en 400, à
l'instigationde Callias, filsd'Hipponicus,et de
concert avec Agyrrhius et Epicharès, accusé
Andocide d'impiété. D'un autre côté, le scho-
liaste de Platon, à l'endroit de YApologieoù
son nom est mentionné, nous apprend queMélétusétait un mauvais poète tragique, d'o-
riginethrace, si l'on en croit Aristophane,.qui
l'appelle, dansles G'r~ÔM~~ et les Cigognes,nls de.Laïus. D'après Aristote, dans les DMJ!<M-
c~ l'année même.où les Cigognesfurent
jouées, Mélétusavait donné une (BMtpofHc(1).Ce même scholiaste nous rapporte encore
qu'AristophaneFavaitnommédanslesPay-KMM,et flétri,commel'amant de Callias(2).
(1)Lesdeuxpiècesde G~t~adcet desCigognesfurentreprésentées,d'aprèslecalculdePritzsch,6«OM<p.90,àpeuprésentrelés Ecclesiazousai.quisontde392,etPlutus,jouéunepremièrefoisen408,etunesecondeen388.
(2)Sch.Plat..ipoi!.,18; scho!.Aristoph.,2~M.1302M; ~MX.pt; T~~(it~on !MHM<~KTt~; TM T~M.
LE PROCÈS 205
12
Cette dernière pièce, d'après Clinton et le
texte de Plutarque (1), fut représentée plus de
quatorze ans avant la mort de Socrate; Fau-
teur de l'<E<~poaK~amant de Niciàs en 423,n'aurait plus été un jeune homme en 399, ni
tout à fait inconnu.
Un Mélétus est signalé par Aristophane,
qui accuse Euripide de lui avoir volé quel-
ques bribes (2). C'est évidemment d~unpoète
qu'il s'agit ici.
Xénophon (3)cite un personnagede ce nom
chargéd'aller à Sparte avec Céphisophonpour
y négocierun traité de paix à des conditions
plus douces que celles que Lysandre avait
imposéesaprès la prise d'Athènes, et qui réus-
sit dans cette importante négociation. Athé-
née (4)nous dit, avec ~Elien(5), que sa pâleuret sa maigreurfurent l'objet des railleries des
poètescomiques,et particulièrement d'Aristo-
phane, qui, dans le ~r~a~, le compte au
nombrede ceuxqui étaient descendus dans les
enfers, «<~e/M., et en avait rapportécette pâ-leur cadavériquequi lui avaitvalu de la part
(t)2Vtc.,c.vm.(2).R<Mt.,133Tf.(3)Fe~K.,n,c.iv,36.(4)XII,75.(5)./?M<1. X, 6: ti; XoxTeTï,TaKNjj.mM<t9xt.
206 VIE DE SOCRATE
de Sannyrion, cité par ce mêmeAthénée, le
nom de ~oya~oA~o~ ~e~Jy.Suidas se borne à dire que Mélétus,filsde
Laius, fut/un orateur athénien qui fit aussi des
tragédies, et qui, de concertavec Anytus, ac-
cusa Socrate.
Tous ces personnages n'en font-ils qu'un
seul, ou bieny a-t-ilplusieurs Mélétus,et dans
ce cas quel fut celui qui accusa Socrate?'Voilà
les questionsqu'il est plus facile de poser quede résoudre (1)..
Ï)'abord, on ne peut guère admettrequel'ac-cusateur de Socrate fût le Mëlétus comproalisdans l'affairedes inystères; il auràit eu certai-
nenient, par suite de ce scandale, un âge et
une notoriété qui n'eussent pas permis à 80-
crate de rappeler un jeune homme inconnu.
Peut-on suppose~d~ avoir été
Ï~i-mêmeaccusa d il eût eu le, frÓnt,au risque dé rappeler un passé .~dangereux,
d'intenter un procèsde cette nature?'Et quandil aurait eu cette inipudënce, commentàdmët-
(1)Préret,danslemémoiresouventcité,aprèsavoir
comptéquatreMéiétua1°lepoètetragique,2"l'ambas-sadeurà Sparte,3"le complicedelà mutilationdesBermes,4°l'accusateurde Socrate,les réduità deux,et faitdel'accusateur,lenégociateuret lepoète,cequisouNrequelquesdifnculf.és.
LEPROCÈS 207
tre que ni Xénophon,ni Platon, n'eussent pasrelevécettecirconstance,qui aurait enlevétout
crédit, toute autorité à son accusation. On
prouvepar cette même raison, je dis le silence
de Xéhophonet de Platon, quel'accusateur de
Socraten'était pas le fils de ce Mélétus.
Ëtait-cë doncle poète? Mais, outre que ce-
lui-ci, désigné par Aristophane, dans sa piëc6des rg<.)p~o/pourses rapports avec Callias, ne
pouvàitplus être, quatorze ans après, consi-
déré comme un jeune -homme,le poète comi-
que à qui Euripide avait emprunté quelquesvers, bâfouê'dans les <?~MOM~Mpour la froi-
deur de sa verve et la dépravation de ses
mœurs, ne pouvait plus, vingt-cinq ans après,avoir le moindre titre à ce nom de jeunehommeimberbeet inconnu.
Cependant,d.'u.n autre côté, tous les textes,
et celui dé Platon, J~rspTM!/wotoïMy~fo~evotsont là pournousQbHgMde conclurequeraccu-
s6teur de Socrateétait un poète.M.K.Fr. Her-
mannne trouve d'autre issue à cette difficulté
que de supposerqu'on a eu tort de confondre
l'amant de Calliasavec le profanateurdesmys-tères, et il voitdans l'accusateur de Socrate le
poète Mëlétus,qu~ay~ de trente à qua-rante ans en 399, pouvait, comme l'a ob-
servé déjà Clinton.,être appelé jeune par So-
VIEDESOCRATE208
crate (1),qui le comparaità lui-mêmeou peut.être à Anytus. J'ai bien de la peine à ad-
mettre ce biais un poète tragique dontAristo-
phanes'était àplusieursreprisesoccupé,auquel
Euripide passait pour avoirfait des emprunts,encorequ'il pût passer pour jeune, ne pouvait
pas être si inconnu et si obscur que Socrate
ne soit pas sûr de sonnom..
Puisqu'on est contraint de faire des hypo-
thèses, j'auraismieux aimésupposerl'existence
d'un troisièmeMélétus(2), poète très-jeune et
très-ohscur, comme Platon nous le dit; mais
d'une obscuritételle, queles scholiastes, pourn'e<repas àcourtderenseignementssur sa per-
sonne, l'ont confonduavec le poète tragiquevictimedes plaisanteriesd'Aristophane,amant
de Calliaset compliced'Alcibiadedansla profa-nation des mystères.Quanta déterminerlequeldes deux fut le négociateurheureux du traité
de paix conclu avec Lacédémone, nous n'a-
vons aucun moyen de le faire, et nous ne l'es-
sayerons même pas.
Quant à l'accusateur de Socrate, on ignore
(1)FynesClinton,Fast. ~feHeM,II, p. 91 <Anâge<whichmightbecaUedyoungincomparisonwiththat<ofSacrâtesorperhapsofAnytus.e
(2)M.K.Hermannenfaitle filsdupoète,qu'ildis-
tinguedel'amantdeCatUas.
LE PROCÈS 209
12.
absolumentquel fut le mobileparticulier quile poussa à cette mauvaiseaction. Le scho-
liaste de Platon, Diogène de Laërte et Liba-.
nius (1), prétendent .qu'Anytus avait acheté
la complicitéde Mélétus,qui faisait tout pourde l'argent; mais dans l'incertitude où nous
sommes sur la vraie individualité de ce per-
sonnage, il ne. serait'pas prudent d'attacher
trop d'importanceà ces assertions de témoins
si éloignés.
Quoiqu'il ensoit, Mélétusexpia son crime
Diogène semble dire (2), et Thémiste dit en
termes exprès, qu'il fut traduit devant les tri-
bunaux sur la poursuite d'Antisthène et lé-
galement rondamné à mort. Mais Diodore de
Sicile (3) raconte que, saisi de repentir et de
remords, le peuple athénien,dans un emporte-ment de colère, massacra sans jugement tousles accusateurs de Socrate; Suidas complètele récit, en ce qui concerneMélétus, en disant
que ce fut à coup de pierres.Ce fut Antisthènequi poursuivit également,
(1)Schol.Plat.,Apol.;18b; Diog.L.,II, 38.Liban.,Apol.Socr.,p. 11.
(3)Diog. L., II, 43 M:~Tw M~TM xaTe-~N<r~;etVI,
9, il ajoute, en parlant d'Antisthènes a~ Mt! MeMïM
oihM~etMOjsAMtTtB tttMTtM ce qui veut dire sans doute
qu'Antisthène l'accusa. Thém., Or., xx, 293.
(3) Diod. Sic., XIV, 37.
210 TIEDESOCRATE
(l)Diog.L.,VI,9.
(2)Athèn.,VIII,33i)d..
(3)Dém,,1866,Beisk.
(4)Plat.AfoM.,90fi.
(5) Schot: Plat., 18 b, ~;Xén., ~po!39;~Mi!~ocf.,Vn,p.30.
au diredeDiogène,Anytus, qu'il fit condamner>r
àFexil (1).Cet Anytus semble n'avoir rien de
commun avec celui que Timoclès,poète dela
comédiemoyenne, dans la pièce desTcaW~ns,
appelle o7r~~t/<(2), ni avec celui que Démos-
thène produitcomme témoin danssondiscours
contre Néère(3), et auquel il donne pourpère
Lacias,et pour ancêtres ceux qu'on appelleles
Brytides.L'accusateûr de Socrate était nls du
richeet sageAuthémion, quidevait sa fortune
non pas au hasardou à la générositéd'un testa-
teur, mais qui Favait faite lui-même par son
intelligenceet son travail (4). CommeLysias,Démosthëneet Sophocle,quis'étaient enrichis
dans làventeetla fabricationdes armes;comme
Platon, qui ayait pu subveniraux 6'a~ de ses
voyagesparun grandcommerced~huiles.lë père
d'Anytus avait créé~ Anytus exploitait un
étaNissemënt de tannerie, qu~en~b~~père dé
familleet en bon négociant il entendait lais-
ser à son filsqu'il élevait en conséquence ('5),
Organedes intérêts les pluspositifs,les intérêts
LE PROCÈS 211
de Tindu&trie et du commerce, richesse et force
de l'État, Anytus, dans le procès où Mélétus
avait en apparence le premier rôle, le rôle de pro-
tagoniste, représentait les classes Commerçantes
et ouvrières et en même temps les 'hommes
politiques (1). Son inuuence dut être considé-
rable. Toute l'Apo~~M de Libanius est une
réponse à Ànytas seul, qui, suivant ce rhéteur,
était monté à la tribune après Mélétus et avant
Lycon (2). Il avait trouvé fort mauvais que
Socrate l'admonestât publiquement, et lui re-
prochât de ne penser à faire d& son fils qu"un
tanneur (3). Ses sentiments politiques, tout au-
(1) Il y a peut-être dans ce rapprochement une ironiede Platon: Eh quoi! les industriels, les commerçants,
des hotnméspolitiques! et leurchef, un tanneur! Quelle
monstruosi'te~
(2)Lihan.Apo~t.in,p.l,Reisk.
(3)Xén., ~pb!. M~t~M!ttcu~Mt~. Le scholiaste dePlaton, ~.poL, 18 b, dit, avec Diog. L., 11,38, que So-
crate le plaisantait sur sa profession, et que l'accusation
qu'il soutint ne fut qu'une vengeance d'un amour-pro-
pre Nessé. Ce conte est reproduit par Libanius quiajoute (p. 11) que, l'acte d'accusation déjà dépose, la
causedéja annoncée, Anytus 61 prpposeràSocratë une
réconciliation, s'engageant à renoncer à la poursuite, à
condition que Socrate s'engagerait a ne plus se moquerde sa profession; Mais qu'y a-t-il d'historique dans les
faits articulé&par Libshius, dont l'tBuvre est une com-
position toute sophistique, un exercice de rhétorique et
une déclamation d'école? Comment croire que Socrate
VIEDESOCRATE212
tant que ses légitimesprétentions à élever son
fils comme il l'entendait, avaient contribué à
l'irriter contreSocrate.Il avaitcombattuet souf-
fertpourlaliberté et ladémocratie,etn'était re-
venu del'exil qu'avec Thrasybuleet aprèsavoir
perdu une partie de sa fortune (I). Isocrateat-
teste quebienqu'il eût cruellement~seplaindredu parti oligarchique,et qu'il connût parfaite-ment ceux qui étaient les auteurs du mal qu'ilavaitsouffert,fidèleau sermentd'amnistie,il ne
voulut,pasplus queThrasybule,les poursuivreouïes inquiéter(2).Cependant,sansallerjusqu'à
des poursuitesjudiciaires, on peut, sans calom-
nie, croirequ'Anytus avait rapportédé Fexilun
fond d'irritation et de mécontentement, et il
semblemême, de haine; il s'en prenait à tous
les sophistescommeà,Socrate il gémissaitde.
l'aveuglementdéplorabledes jeunes gens, des
pères de famille, des cités, qui, au lieu de
fûtsiaristocratiquementdédaigneux,lui, letailleurde
pierreset le filsd'unepauvresage-femme?Commentcroire([u'Anytusfût si susceptible,lui qui se laissait
appelerparThéopompeunepantoufledansla piècedes
SïpMtMTt~t;,et parArchippeunsavetierdanscelledesJPO!M<MM?2
(1)Isocr., a~. CaHttM.,§ 11;Xén.,IHellen.,JI, 3;Lysias,acte.~~or., §'78;Diod~Sic.,XIII,63; Epist.P!a<VII.
(2)Isoc.,adv.Ca!!MK.,§ll.
LEPROCÈS 2t3
proscrireceséloquentsprofësseursd'unescience
dangereuse,les accueillaientet les comblaient
d'honneur et d'argent.Quantà lui, il s'était fait
un devoirde rompre tout commerce avec eux
et de les ignorercomplètement(1).C'étaitun citoyennon-seulementriche, mais
populaire, très-influent, très-puissant, et quiavait occupéles plus hautes magistraturesde
FËtat(2). Antérieurementà l'année 411,il avait
été archonte(3). Onlevoit ensuite commander
une flotte de trente vaisseaux envoyés contre
Pylos (4); enfin Lysias (5) nous le montre à
Phylé, l'un deschefsde cesproscritshéroïques
qui rendirent plus tard à leur pays la liberté et
lapaix. Aussison nom est associépar Isocrate,
commeparXénophon(6), à celui deTrasybule.Dans Texil même, il donna envers Agoratus
l'exemple d'une conduite pleine de. clémence,et inspiréeparune sageet généreuse politique.
(l)Plat.,MeM.,98a.
(2)Plat.,Men.,90a; ~p. P! t. III, p.325:<tMTtUMT~tTMtt.
(3)Lys.,<M~.Dot~ p. 58,Auger.C'estdu moinsainsiqueFréretinterprètele mot~~et, queM.K.Hermanninterprètedansunsensplusgénéral,celuideOtTO~iiX<Htt{.
(4)Diod.Sic.,XIII,64.(5)A~. A~or.,I, p.366,Aug.(6)Xén..Hellen.,II, c.m, §43.
VIEDESOCRATE214
L'expulsiondes Trente ajouta, comme on le
devine, à son crédit et à soninfluence; Ando-
cide, dans sa péroraisonéloquente, l'appelle à
sonsecourset le priedevenir prendresa défense
avec Géphalus(1). Or,Géphalusavait eu, avec
Archinus,la plusgrandepart au rétablissement
des anciennes lois (2). On peut donc croire
qu~Anytusn'avait pasété étranger à cettepoli-
tique, à laquelle, suivant Dinarque. fut dû,non moins qu'aux victoire.s d'Iphicrate, deChabrias et de Timothéé, le rétablissement
peu durable, mais brillant encore, de la puis-sanceet dela gloired'Athènes(3).
On veut, ce qui est loin d'être évident, queles éloges donnés à son père, que Platon ap-
pelle un homme sans orgueil et sans haine,
modéréet économe,soientautant de traits dé-
(l)De~s<p.5,ed.H.St.(3)Cf.Dinarch.,adv.-D~M.,p. 1TTet185.
(3)Onseraitdisposéà croirequeLiba~itis(~4po!.p.20,1.15)fait allusionà Anytus,lorsque,aprèsavoirdit de Socrate<A-t-ilfaitpartiedel'oligarchiedesQuatreCents?dela tyranniedesTrente?A-t-ilim!téPisandre?s'est-il rangédu partide Théramene?!'il
ajoute t C'est!àle faitd'unautred'un hommequi futduconseildesQuatreCents,et qui,plustard,eutà rendrecomptedescrimesqu'il avaitcommis.nMaisonnesauraits'arrêteràcetteinterprétatiom:Liba-niusn'ignoraitpasqu'Anytusavaitjouéunrôlepoliti-quetoutdifférent.
LE PROCÈS 2tS
cochéscontrôles défautsdu fils,qui cependant
avait reçu une bonne éducation, ou du moins,
commedit Platon, ce que les Athéniens enten-
daient par là (1). Ona voulu trouver dans
desvicesdecaractère,et dans lesressentiments
d'un ignobleamourméprisé, l'origine de cette
irritationquiéclateenmenacesdans le dialoguede Platon (2).Accusépourlemauvaissuccès de
l'expédition de Pylos qu'il commandait, il
n'aurait du son acquittementqu'à la corruptiondes juges, détestable pratique dont il aurait
donné le premierl'exemple(3).Deplus, il aurait été l'amoureuxmalheureux
et jaloux d'Alcibia.de,qui prodiguaità Socrate
les marques de la plus grande affection, et lui
ocrait l'honneur tant envié de manger et de
lutter avec lui, et même de coucher dans sa
tente (4). L'histoire qu'on raconte à ce sujet,
quoiqu'elleporte sur des relationsque nous ne
pouvonspas même désigner par leur nom, ne
donnepourtant pas ducaractère d'Anytus une
(1):a~90a.(3)~?.,93,948.p) Harpocrat.v.&6!<t(!:m~;Plut.,Conb~ XIV;schoL
~Escit.c.Tim.,§8'7;Diod.Sic.,XIH,64,quifixeladateàla quatrièmeannéedela 93''olympiade,quatreaifsavantla RndelaguerreduPéloponess.
(4)Plnt.,~c~ IV;,4MMtfot'XV! Athm.,XIt,534e.
VIE DE SOCRATE2)66
idée aussi défavorable.Il invite un jour Alci-
ciade à souper celui-cirefuse; puis, ivre, s'en
va fairevacarmeà la porte du festin où il avait
été prié, et, sans daigner entrer, ordonne aux
esclaves qui raccompagnaientde prendre surla table et d'emporter chez lui la moitié,des
coupes et des vases qui y étaient étalés; les
convivess'indignent de cette insolencemépri-sante et dé cesans-façondegrand'seigneurmal
appris. Anytussourit et répond Sachons-lui
gré aucontrairedesa modération,car, s'ilFavait
voulu,il aurait bien pu tout prendre (1). »C'est
au moins spirituel et certainement libéral.
D'ailleursl'anecdote estsuspecte; comment, si
lesdédains d'Alcibiadeeussentprovoquécontre
Socratelesressentimentsd~unamant maltraité
et jaloux, commentXénophonet Platon n'en
eussent-ils pasdit unmot?
Il est probable qu'aveuglépar ses opinionset le sentiment mêm~du dangerque faisaient
couriràFËtât cesrivaux heureux deshommes
politiques(2),Anytus ne vif et ne poursuivitdansSocrate qu~msophisteplus habile et plus
dangereuxque tous les autres, dont les leçons
avaient formé ce Critias, tyran sanguinaire
(l)P)ut.<c:&4; ~Ma< XVII;Athén.,Xn,534.
(3)P~L,jRcp.,VI,493a ~n~
LE PROCÈS 2t7i
13
d'Athènes(1). Il paya, dit-on, de sa vie cette
injustice. Accusé par Antisthène et exilé, il
eut le malheur d'aller à Héracléepoury vivre;il y fut reconnu par quelquesjeunes gens qui
avaient autrefois connu Socrate, et qu'Antis-thène avait déjà, à Athènes, excitéscontre lui.
Suivantle récit deMaximedeTyr, il fut lapidé,et on montrait encore de son temps, dans les
faubourgs de la ville, la place où il avait été
massacré, et où on lui avait,donné la sépul-ture (2). Diogène de Laërte se borne à dire
qu'il reçut l'ordre de quitter Héracléele jourmôme où il y était arrivé (3). Plutarque a une
autre version sur sa fin Les Athéniens, dit-il,
conçurent une telle horreur contre les infâmes
délateurs de Socrate, qu'ils leur refusaientdu
feu, qu'ils ne daignaient pas répondre à leurs
questions, qu'ils ne voulaient pas au bain se
servir de la même eau et faisaient vider celle
où ils avaient touché. Ne pouvant supporterune pareille aversion, ces malheureux,et Any-tus entre eux, se pendirent de désespoir.
Les procédures préparatoires devant le con-
seil des Prytanes, pour amener un jugement
(1)~Escli.c. TtMt.,§lTf3 !~l;,<!)A~~ct.SNx~r~M''M<{~<!TW a~tXTt~KTt ht
KctTtXt ~f!f7! ttSXXttfs~XN;.
(2) Max.Tyr.,Ot-oK.XX,p. 263;Diog.L.,VI,10(2)Max.Tyr.,Oral.XX,p. 263;Diog.L.,VI,10(3)Diog.L-,11,43.
VIEDKSOGRATK2t8
par lequel l'accusationserait reçue et par le-
quel on déclareraitqu'il y avait lieu de pour-
suivre,d'assigneret de jugerSocrate(1),furent
conduitesparLyconqui, dansle procès,repré-sentait les griefs et l'irritation des orateurs(2).Ce personnage, que Diogènede Laërte appelleun démagogue(3), prit la parole, commeAny-
tus, en qualité d'auxiliaire de l'accusation,
~yO~e~, <Tt/yJ(xo<(4), et Platon ~constatequec'est par leurs effortsunis que Mélétusput ob-
tenir gain de cause. 'il
Il y avait à Athènes une sorte de colléged'orateurs de l'État, spus lé nom de p~'cp~,<
yt~epe<,<y<~e(,chargéspar le peuplé, tantôt de
poursuivre l'acceptation ou l'abrogation d'une
loi, tantôt de plaiderdes causespubliques.Ces
avocats, qu'en Angleterre on appelleraitde la
couronne, recevaient du trésor une drachme
par chaque plaidoyer, honoraires appelés ~o
(I) Ledialoguedel'~M~p~fOMsembleindiquerqu'ils'écoulaquelquetempsentrelesprocéduresprélimi-naireset lejugement.
(3) Plat., ~p0~. 33 e &M,) TmY~!Ta,<My.
(3)11,38.Jene.saisoùLibanius(Apol.S., t. îll,p. 13)a prisqu'Anytusauraitdemandél'interventiondansleprocès,desorateurs,lesquels,ajoute-t-il,n'a-vaientledroitde requérirquecontrerm~rx ttMMirp~T-WfTm'iMtMiptU.aMiMTNriMtt~jOjM6;S1Wjt~SUS!&ff<B'!)MS!~t.tptOjtCmt~CMpMTNK.
(4)Plat.,~po~36 a.
LE PROCÈS 2)9
~yM?ep<)toy(1), et formaient une espèce de ma-
gistrature, jouant en quelque manière le rôle
d'un ministère public; mais il n'est guère proba-
ble que ce soit de cette corporation restreinte
qu'il s'agisse ici. L'équivalent dont se sert Dio-
gène, en appelant Lycon un démagogue, montre
qu'il est question d'une classe d'individus plus
puissante et plus nombreuse, et dont l'interven-
tion dans les affaires publiques n'était pas,
comme celle des orateurs fonctionnaires, déter-'f
(1) Aristoph., fgsp., 691, e<,schol. Ils différaient des
simples orateurs ou citoyens qui prenaient la paroledans les assemblées quand bon leur semblait. Ainsi Es-
chine.(!M ?%M.,â3) oppose TN*t~MTNfà T&yp~Mjxov,et
Démosthéne, Phil. IV, distingue des particuliers, ~t~-
T<t;,les orateurs, qu'il appelle Ko~t'eue~~eut.Dans la C'OM-
ronne, peignant la consternation de la ville à la prise
d'Ëtatée, Démosthène s'écrie que personne dans l'assem-
bléen'osa demander la parole, quoique'tous les stratègeset tous les Orateurs fussent présents.
Eschine mémo distingue (in C~A., p. 55), les Tou{Tt tx ttOpc<)XtUTHp!M~t)T6j)~et tt!){e)t ï~B~i<jjK.u,comme sile conseil et le peuple nommaient, chacun de son cote,des commissaires pour soutenir ou attaquer les propo-sitions de loiSiLa scholie des (~M~M,citée plus haut,et la scholiede ~M<MS,v. 913, nous apprennent qu'ilsétaient au nombre de dix. Lorsqu'ils parlaient dans l'as-sembléeils prenaient une couronne (Aristoph., Eccles.,v. 131, et schol., 183,148,163, ni). Il était interdit de
rempHr cette fonction ayant l'ago de quarante ans, etl'on ne pouvait en être revêtu qu'une seule fois.Les con-ditions morales exigées étaient des plus sévères.
YŒDESOCRATE220
minée et limitée (I). Lycon se présentait au
nom de tous ceux qui, par la parole, préten-
daient à une action politique et à une influence.
dans le gouvernement (2).
Quant à lui, c'était un Ionien de naissance,
du dème de Thoricium, pauvre diable d'ail-
leurs, bafoué par les poètes comiques, Cratinus,
Aristophane, Eupolis, Métagene, comme étran-
ger, comme traître et comme mari malheureux;
ce qui ne l'empêchait pas d'être les délices de
l'Agora (3), où Dion l'accuse d'avoir trop aimé
à faire le métier d~accusateur et de syco-
phante (4). Il avait un. fils, nommé Autolycus.
Xénophon, qui l'introduit dans son Banquet,
lui met dans la bouche quelques paroles gra-
cieuses pour Socrate. Si c'est.bien le même per-
sonnage dont parle Ctésias (5), non-seulement
Lycon eût fait commerce d'accusation, mais il
(1) Nous avons vu que Libanius limite leur action ju-diciaire ati cas où les accusés auraient pris part à l'ad-
.m'inist.rationdel'Ët.at.
(2) Surles démagogues,voir Z~M~de la ~o~t'e(PmLOMATHtRde'WacMer);Roetscher, Aristophanes,
p. 154. Sur les orateurs, Sigonius, IV, 6; S. Petit, III,
p. 344; Schoeman,De co?K~. ~4i!/MM.,p. 107; ~e~.
inscript., t. XLIII, p. 1.
(3) Schol. Plat., Apol., 83b <it~~ ~.x~; Aris-
toph., ZysM~2T'0, scho! 1.L, et ad P"Mp.,1169.
(4) DionChrysost, C')'a< 55, 32.
(5) .P~stc., § 52.
LE PROCÈS 2211
avait vendu la ville de Naupacte et livré pourune sommed'argent, au roi dePerse, soncom-
pagnond'armesPisuthnès (1).Voilàles trois personnagesnomméspar Pla-
ton commeaccusateurs de Socrate, les seuls
qui figurent égalementcomme parties an pro-
cès, suivant le récit d'Antisthène,danssonBïs-
Mt~e~g sMcc~stOMdesphilosophes,citée par
Diogène(2),où il représente commePlaton les
mobileset les intérêts de chacund'eux.
Il est certain que tous les trois prirent la
parole; mais il est présumableque Mélétusdit
peu de chose, et que ce fut sur Anytus, quetoutes les traditionsdonnent comme l'âme de
ce complot,et sur le mercenaireLycon, que re-
tombala lutte or atoire;c'estdu moinsà ceux-ci
que Socrate attribue sa condamnation(3). Le
discoursque Libaniusmet dansla bouched'un
ami de Socrate, et qui est uniquement dirigécontre Anytus; certaines expressionsde FApo-
logie de Platon, autorisent même à croire
qu'Anytus y remplit le rôle le plus-considéra"ble et décisif(4).
Outre ces trois personnages, Diogène en
(1)Schol.Plat.po!3b.(2)U, :?.(3)Plat.,~po<. 36.(4) ~p. jS'OC)' 14 w ~ap p!!« T?:
VIE DE SOCRATE222
nommeencoredeux autres Polyeuctequi, au
rapport de Phavorin, prononçales plaidoyers,et Polycratele sophistequi, suivant Hermippe,avait écrit le discours attribué par d'autres à
Anytus lui-même(1). Polyeuctene peut avoir
été une partie importante au procès, car alors
son nomn'aurait pas été omispar Platon ce
n'est pas une raison cependant pour nier son
existence et changer le texte de Diogène,en
substituant, commele proposej~. K. F. Her-
mann,dansla phrase6~eM; TH;/<~Mty na~'et/xTe~
lenomd'Anytus, et en remplaçant également
parle nomdePolyeucteceluid'AnytUjg,contenu
dans la suivante ~u~e~-p~6Tey~oycyfteAcxfMTo?,
&!<<))))j<y"Ej:~<'?!'TTo~,tJ"Ayftc~&!<T<ve<,en sorte queledissentimentd'Hermippeet desautres ne por-terait que sur une. légèredifférenced'écriture,
puisquePolycratepeut êtrefacilementconfondu
avec Polyeucte.
Polyeucte n'est pas absolumentinconnu
Ruhnkhen(2) a trouvéson nom dans un gram-
mairien, et Hekker,dans ses A~ec~a (3),cite
un discoursd'Antiphon contre Polyeucte. Mé-
nageencite unautre de Dinarquecontrelemême,
(!)Diog.L.,II,38.
(2) Hist. crit. orat. ~p. 80.
(3) P. 82.
LE PROCÈS 223
d'après Denys d'Halicarnasse(1). Ne pourrait-onadmettreavecFréret que cefuj-ce Polyeucte
qui, dans l'action préliminaire, pour obtenir
une ordonnancede renvoi, poursuivit devant
le conseildos Cinq-Cents,et, guidépar Lycou,avait prononcele plaidoyer(2).
Le fait que le sophistePolycrate avait écrit
'un discourscontre Socrate, est attesté parune
lettre écrite au nom d'Eschine, et qui fait par-tie du recueil des Lettres socyo~Mes. Il est
qualiné dutitre delogographeparThémiste,qui
prétend que le plaidoyer composé par Poly-crate exerça sur les juges une fascinationma-
gique~3); par Suidas, qui ajoute qu'il écrivit
deux plaidoyers, l'un pour Mélétus~l'autre
pour Anytns,enfin par ~Elien(4) et parQuinti-
lien (5).C'était un homme pauvre, nous apprend
l'auteur de l'argument du jB~s~Md'Isocrate,et c'était cette situationqui l'avait contraint àfairele métier de sophiste.Au momentoù Iso-crate lui adressason jBMsïyts,il vivait, quoique
(1)Harpocrat.,v.Éxpu~Xo~opwKt.(2) Fréret, ~Lea~. MM~'p! t. XLVII, p. 812.
(3) Ttiém-, Orat. 23, p. 396, Hard. e~T)~<M~ xx:
t'YOOTeÛ<h)<KM.
(4)Nts<.V.,XI,10.
5)11,n.
VIE DE SOCRATE224
Athénien de naissance, dans l'île de Chypre,où probablement il tenait école de rhétori-
que (1).Pour qui a-t-il écrit le ou les discours
qu'on lui prête? Il n'est pas probableque ce fut
pour Lycon, orateur distingué lui-même. La
lettre supposée d'Eschine que nous citions
tout à l'heure, dit que ce fut pour Mélétus,quin'en profitaguère, s'il faut en croire ce récit;car il l'avait appris par cœur. comme font les
écoliers leurs déclamations, et lorsqu'il fut
monté à la tribune de l'accusateur, il se trou-
bla, perdit la mémoire, et finalement, ayant
compromispar cet échec sa réputation et la
forcede son discours, fut obligéde -descendre
au milieudela riséeuniverselle.Suidas et Thé-
miste prétendent qu'il fut écrit pour Anytùsmais noussavons que dans sa haine pour les
sophistes,Anytus avait rompu tout commerce
avec eux, et qu'il devait partager la répulsion,communeà tous les hommes politiquesde ce
temps, contre les logographes(2).
Fréret, et avant luiBentley(3),ontfaitobser-
ver, après Phavorin, que ce discours de Poly-crate n'était pas authentique. Il résulte, dit
Fréret, du préambuledel'jEïo~e~ Busiris d~I-
(1)Cf.Spengel,Artt.Scrmt.,p.~5.(2)Thém.,Orat.,XXIII;Plat.,.P'M~3??.(3)Deep.Socr.,Orell.,g 6.
LE PROCÈS 225
13.
socrate,«que ce Polycrateétait un sophiste de
sontemps, qui, pour donnerdes preuvesdeson
éloquehce et pour montrer combienle choix
des sujets lui était indifférent, avait composédeux déclamations, l'une contre Socrate, l'au-
tre en faveur de Busiris. Cependant l'auteur
de l'argument du Busiris d'Isocrat~ soutient
que ce discoursde Polycrate était celui par le-
quelAnytus avaitfait condamnerSocrate, sans
songer que cela est formellementcontraire à
Isocratelui-même. Rien dans le texte du dis-
cours d'Isocrate ne me paraît contraire à l'ar-
gument cité c'est donc par d'autres raisons
qu'il faut se décider. Phavorin avait remar-
qué qu'il était question dans le discoursde Po-
lycrate du rétablissementdes LongsMurs, quin~eutlieu par les soins de Cononque six ans
aprèslamortdeSocrate.Ilserait doncimpossible
d'y voirun discoursréellement prononcédans
le procès, et puisqu'ila existé, il est plusnatu-
rel d'y voir une compositiond'école, un exer-
cice de rhétorique, une déclamation sophisti-
que enfin, comme celle dont le sophiste se
vantait dans l'j&7o~ede Busiris, et qui ne va-
lait pas mieux, suivant Isocrate; ce travail se-
rait alorscommele pendant, dans le sens op-
posé, de l'Apologie de Libanius. Tout en
admettantcette conclusion,M. K. F. Hermann
VIEDESOCRATE226
a soutenu avec insistance (1) que cette pièceétait'antérieure à la mort de Socrate et aurait
été inspirée par le même sentiment qui dic-
tait à Aristophane, tant d'années avant le
procès;,la piècedes Nuées.Aumoment.dupro-
cès~dit le savant professeur, Polycrate vivait
à Chypre.et la réputation de Socratene pou-vait pasêtre, danscette île, assezéclatantepourfournirun sujet suffisammentintéressantà une
compositionsophistique.D'ailleurs,noussavons
par les soholiesd'Aristide(2) que Lysias avait
fait un discours pourSocrateen réponse à Po-
lycrate (3).Or, cette Apologiede Lysias été
faite, on le sait, duvivantde Socrate,et si elle
est une réponse à Polycrate, Tœuvre du so-
phiste était doncantérieure à celledeLysiaset
à ~o~or< à la mort du philosophe.
Ma~r~-JPO~~ Sacratepar Lysias,signa-lée par les anciens (4))a été écrite, non pourlutter d'habileté avec un rival de talent ora-
toire, mais pour servir aux débats judiciaires;il est peu probableet presqueincroyableque le
(1)Gesch.u. ~<. d..P<<M..P~os.,t. t-,p. 629,et
D0<S'0(M*Ct<.<MCMM<.)p.l6.(3)T.m. p. 319et480.
(3)Spengot,Artt. )S'e~-tpp«.,p. l~t i ~<Au«M:t
~tj) ~MXpCtT6U(~pt)( n~UMetT~ ).t!~M,
(4)Schol.Plat.,~po: 18b; Diog.L-,11,40et 41.(4)Schol.Plat.,Apol.,1Sb;Diog.L.tII, 40et 41.
LE PROCÈS 227
rhéteur Polycrate ait choisipour thème d'une
amplificationde rhétorique, une accusation
contre Socrate, au moment même où pesaitsur la tête de cet innocent une accusation
réelle et dangereuse;mais M.K. F. Hermann
ajoute qu'il n'y apas dans le discoursde Poly-crate la preuve qu'onveut y voir, d'une œuvre
postérieure au procès. Selon lui, le sophiste
avait parlédes Long,sMM~s,et c'estPhavorinqui
ajoute, enle citant, qu'ils ont été rebâtis plustard par Gonon.Je ne vois pas sur quoi s'ap-
puie cette interprétation commentPhavorin
aurait-il, d'un détail ajoutépar lui-même,con-
clu à l'authenticité de la pièce? On pourrait
pourtout concilier,admettre que les mots 7rp~
ne~t~M'~ont été ajoutés par mégarde ou par
légèreté dans lesscholiesd'Aristide,ou bien, et
c'est l'opinionde M.Spengel, que Lysias,refai-
sant ou éditant sonApo~te, l'aura adressée,
peut-être avec une lettre, à Polycrate, ou en-
core qu'il en aura composéune autre aprèsavoir eu connaissance de,celle ouïe sophiste
attaquait une mémoire qui lui était chère. En
tout cas, il paraît à peu près prouvé que Poly-crate ne joua aucunrôle, ni de sa personne, ni
de sa plume~dans la condamnationde Socrate
et ne doit pas figurerparmi ses accusateurs.
Du reste, ses accusateurs n'étaient pas ses
YfK. DE SOCRATE228
seuls ennemis; outre une colère inquiète et
sourde,outre un soulèvementgénéral de Fopi-nion publique, aveugle ou aveuglée, des ini-
mitiés personnelles avaient dû travailler à le
perdre; nous ne connaissons pas tous les
noms, mais nous en connaissons du moins
quelques-uns.C'étaientThrasymaque de Chalcédoine,ora-
teur passionné et violent, que Platon nous
peintcommeune bête féroce,prêt à se jetersur
Socratepourledéchirera bellesdents (ï) peut-être est-ce ce personnage que Platon nomme
un orgueilleuxlogographe,et désigneà la nude
r~'M</t~MM~commeun des ennemisacharnés
de Socrate (2); Antiphon, nommé par Dio-
gène (3), qui exerçait le métier de devin, ex-
pliquant les songeset les prodiges,et se mê-
lant à ses momentsperdus, s'il faut en croire
Hermogène, de faire celui de rhéteur et de
logographe (4) un Antilochus de Lemnos,
(i)DeRep.,336b Mes~M~e* <~i~ «; ~M~m-M)Mtt{.
(2)~M<Ay~305e.C'estl'opiniondeWinckelmann,Prolegg.ad J?M~ p. xxHv.M. StallbawneKMt
qtt'aucamindividun'estdésignéet quePlatondépeintici touteuneclasse,celledesécrivainsdediscours.
(3)Iï, 46 THhe~Mt".(4)Vossius,Dc7tt~.Crtee.,p.3T3;Ménag.,aMlMo~.
L. II, 46;Fréret,/tc<td.!H<cWp<t. XLVÏI.p.aa~.
I.t: PROCÈS 229
signalé par Aristide dans son troisième livre
sur la Poésie(1), et dont on ne connaît rien, pasmême exactement le nom ~2);enfin, Aristo-
phane, le célèbrepoète comique,auquel, à tort
ouà'raison, onattribue uneinfluenceconsidéra-
ble sur le sort de Socrate, par sa comédiedes
Nuées. On sait le rôle que le philosophejouedanscettepièce, et quoiqu'onpuissepenser de
l'influencequ'elle a exercée sur sa condamna-
tion, on ne peut pas dire assurément quellesoit Fœuvre d'un ami, ou même d'un indiffé-
rent. Représentéeen 433 pour la première fois,sielle a eu deux représentations,commeelle a
eu certainementdeuxéditions,cettepièce, qu'iln'est pas nécessairede croire composéeà l'ins-
tigation du haineux Anytus, quoi qu'en dise
Diogène,n'est pasla seuleoùAristo phanealivré
cenomrespectableà la risée publique, par des
plaisanteries,sinon toujourscruelles,du moins
toujours menteuses. Dans les OtM<M<a?,pièce
jouée en-414, il lui reproche, et nous savons
que c'est un reproche dénué de vérité, sa né-
gligencedecostumeet sasaleté(3).Dansles<?~<?-
(t)Cetouvrage,citéparDiog.L.,II,46,estperdu.(2)Ala fin de la ViedePythogoreDiogènedonne
intime;.
(3) Vers 1871 ~Mtwv. ~Mtt~M~, et t551 ~{.~c.;
tj.n-~tt SM~anf.
VIEDESOCRATE230
nouilles(1),dont la date se rapprochebeaucoupde celle du procès, il signaleson intimité avec
Euripide,ce philosophedu théâtre, ce sophistedes poètes, commeonl'appelait (2),et qui pas-sait pour faire ses tragédies en collaboration
avec Socrate (3). Assurément ce n'était pasune intention bienveillante qui animait Aris-
tophane à régard d'Euripide, et on peut croire
qu'en associantà son nomcelui de Socrate, il
satisfaisait doublement un sentiment qui n'a
rien de communavec l'amitié. Je ne juge pasencorela conduited'Aristophane,je meborneà
constater que, soit passion, soitdevoir,ellen'a
rien eu d'affectueux, ni même d'impartial.Je sais que pour l'expliquer et ôter au poètetout motif d'inimitié personnelle, on rappelleles éternels et réciproquesgriefsde la philoso-
phie et de la comédiegrecques,et le scholiaste
d'Aristophaneinsiste sur ce fait, queuesautres
comiquesn'avaient pas plus que lui ménagéSocrate (4). La plaisanterie que les. hommes
sont sous la voûte céleste qui les enferme,
(1)Vers149!.
(3)Plut.,0~ V,p.848;AtJién.,IV,48;Sext.Emp.,<t~Ma~OM.,I,388 SX~UM;<ptXO(K())0;.
(3)Diog.L.II.,19.C'estpourcetteraisonqu'Euripidefut ménagépartouslessocrai.iques.
(4)'~M&&7.
LE PROCES 231
comme des charbonsdans un vaste étouffoir,avait été déjà faite par Cratinus contre le phi-
losopheHippon.Eupolis,quine fit mentionquerarement de Socrate, fut plus odieux qu'Aris-
thophane, car, danssa comédie,onpouvaitvoir
le philosophe,aumomentoù son tour arrive de
chanter, glisser l'aiguière d'argent sous son
manteau pour la dérober (1). Il ne cachait pasles sentiments qui l'animaient « Je hais, di-
sait-il, ce vieux bavard, ce vieux gueux, qui
passesa vie à méditer, et n~ajamais médité au
moyen d'avoirdequoimanger(2).»Ameipsias,dans son C'oM7M<y,qui avait remporté le prix sur
les Nuéesd'Aristophane,y avait inséréces vers
que nous a conservésDiogène(3) « Socrate,
homme rare parmi les hommes rares, mais le
plus fou parmi les fous, et toi aussi tu viens à
nous; tu es capable sans doute de supportertoutes les privations, mais tu n'as pas de quoi
(1)Aristophanen'estpasenreste car(~VM&v.181)il accuseaussiSocrated'avoirvoléunmanteaudansun
gymnase.Qherëphonn'étaitpasmieuxtraite Aristo-phanel'appelleunvoleur,un filsdelaNuit,unhibou.(Schot.0~. Plat.)
(3)Meinek-M. CoK.,p. 653,frag.311-:
Mtom~m KMSmxpKTK~ïo~'~TN~o<ot~oXeox~S<TeEXXctm'ppo'miKt,
~X<if)~t~ XXTCMpK~tM~Ot TC.UTOUKXTY'eMXE~.
(3)Diog.L..II.88.
YtEDESOCRATE232
te faire faire un manteau (1). e Avant Aristo-
phane, Dipbile, dont Meineke fait un poète iam-
bique, avait attaqué le philosophe Bœdas (2), et
ce que les poètes de l'ancienne comédie avaient
fail à visage découvert contre Socrate et d~au-
tres philosophes, les poètes de la moyenne le
firent, avec plus de discrétion il est vrai, contre
les académiciens et les pythagoriciens (3.)
C'est ainsi qu'on explique comment Platon a
donné, dans son .BsM~<, une place au grand
poète comique, et on soutient que le disciple
dévoué et fidèle n'aurait pas fait asseoir à la
même table, causer avec une familiarité ai-
mable et enjouée, se livrer à rentraïnèmcnt
d'une débauche commune, Aristophane et So-
crate, s'il avait pu croiré que ce dernier eût été
(t) Athénée (V, '!18) nous dit que, dans cette pièce,
Ameipsias n'avait pas mis Protagoras dans son chœur
depenseurs, ~TterMv.Je ne voispas pourquoi Roetscher
(Aristoph., p. 433)ne veut pas qu'on prenoe ici le mot
chœur dans son. sens étroit et technique. Meineke,
p. 208, et Fritzsch (ÛM-~M~opA.,1.1, p. 243)ont con-
clu, avec raison suivant moi, du récit d'Athénée qu'A-meipsias avait introduit dans son Connus un chœur de
sophistes occupésà la méditation et à la contemplation.Les sophistes et les philosophes, en tout cas, y étaient
joués, et probablement SoCtatey avait une belle part.(2) Schol. Aritt., Nub., Tf<;Meinek,~M<. o't<. corn-,
p.449.
~3)Platon le Comique avait fait une pièce contre les
sophistes. Schol. Arist., Nub., 330.
LE PROCÈS 233
la victimede l'autre. Ona donc dit, tantôt qu'il
n'y a riende grave et d'offensantdans les cri-
tiques d'Aristophane,tantôt que celui-cise se-
rait réconcilié avec le philosophequ'il aurait
apprisà mieux connau.re,et qu'il aurait même
fait à cette nouvelle amitié le sacrificede ne
pas remettre à la scène la seconde récension
qu'il avait faite des A!«~s.
Quant à ce qui concerne la gravite des im-
putationsdu poète, nous pouvonsnous enren-
dre comptepar l'impression qu'en avait reçueSocrate lui-même impression constatée partrois passages qui, bien qu'émanés tous trois
de Platon,n'en paraissentpas moinsavoir une
valeur historique (1).Le premier est le plus grave quoiqu'il nese
plaigne nulle part des autres poètes comiques,Socrate se plaint ouvertement d'Aristophane,constatant que des calomnieslongues et habi-
les ont remplile peuple athénien de soupçonscontresa personne;il s'écrie qu'il estcruel pourlui de ne pouvoirdémasquerces accusateurs
inconnus,dont il ne peut connaître ni la per-sonneni le nom, à l'exception d'un certain fai-
seur de comédies, t~ xa~<Bjo~e«~.Puis, il cite
les traits lancés contre lui dansla comédiedes
(1) Apol., 18c, et 19c; PA~oM, 'M b.
YIKDESOCRATR234
j~VM~,où il était dépeint commeun homme
dontladémarcherévèlel'égarement,qui alapré-tention de marcher dans les airs, et qui débite
mille sottises sur des sujets dont il ne sait
ni peu ni prou. Enfin, dansle .PA<~OM,au mo-
ment d'aborder la question de l'immortalitéde
l'âme, il s'arrête pourfaireobserverquesiquel-
qu'un l'entendait parler en ce moment,il ne
pourraitpas dire,fût-ilmêmeun poètecomique,
qu'il perd sontemps à bavarder (1) et à parlerde chosesqui ne l'intéressent pas.
Il est difficiled'admettre avecM. Stallbaum,
que Socratene se plaint pas ici d'Aristophane.mais de la légèretéfrivoleavec laquelle le pu-blic va chercher, dans des plaisanteries sans
fondementsérieux, des sujetsd'uneaccusation
grave et bientôt d'une accusation capitale (2).Si l'on ne sent pas dans le ton de ces pas-
sages une amertume profondeet un reproche
(1)A~A~M.SurFtt~~txMreprochéeauxphilosophesparlescomiques,voirRuhnkh.adXen.Mem.,1, 3,31:TuXHtpTM;y~MO~t;t)]!9THfKcMLM~tStïtjtNjtt~M.Est-iltJtieS-tionicidelaphysiqueondelarhétoriquesophistique?
(2)Stallb.,Derationibus~MoM~aMt~t«BinterSo-cra~Mt ~M~<M~y*Mr!<MM~'c~MefMM~(p.15).Maiscrateinet ejusexprimeuneopiniontrès-dinërente15).MaisM.Stallbaumexprimeuneopiniontrès-ditrérenteailleurs(Pt'o!e~.ad .P~t<.~SyMp.XLT) <: Acerbmsin Apo-«logiaSocratesdeAristophaniscalunnuisconquestus
est.
I.K PROCKS :i
sévèreet indigné, c'est que le caractère de So-
cratene se prêtait pas à cette véhémenced'in-
dignation, et on ne peut s'empêcher d'y recon-
naître un orgueil assez dédaigneux et une iro-
niepénétrante, si ellen'est pas cruelle.
Maintenant,croire à une réconciliation de
Socrato et d'Aristophane, opinion à'laquelleM. Stallbaum a renoncéaprès l'avoir vivementt
soutenue (1) et qu'avait proposéeGroen Van
Prinsterer, c'est oublieret les termes même de
r~o!o~«'de Socrate,et la date où se place né-
cessairement dans sa vie ce discoursplusou
moins historique. D'un autre cOté,croire quePlaton avait pardonné au poète, soit la part
qu'il avait' pu prendre au procès de Socrate,soit la haine qu'il lui avait témoignée,semble-
rait accuser l'indifférence ou la tiédeur pourune mémoirequi lui était si chère. On a voulu
que le rôle d'Aristophaneait été introduit dans
le ~<m~«?<pour mieux faire sentir par le rap-
prochement, l'infériorité intellectuelle du
poète (2). On voit un reproche amer et violent
dans la mention faite par Platon, qu'Aristo-
phane ne s'occupait que de Bacchuset de Vé-
(t) StaUb-,De ?*a<oM.,p. 14;Z'M~M~.M~M/~y~p. 56.
(2)StaUb.,.Pt-oJ< ad Symp.
YtEDUSOCRATE~:«;
nus (1); il est plus naturel de n'y voir qu'uneallusion à l'esprit plein de grâce et à l'objet
spécialdestravauxdu poète,et nonune critiquedesesmœurs,qui ne seser&itcertainementpas
produiteen ces termes (2).Le hoquetqui l'em-
pêche de prendre la paroleà son tour est con-
sidéré comme une ironie malveillante, parce
qu~onFattribueàsonintempérance.N'est-cepas,
dit-on, rendre Aristophaneridicule que d'op-
poser à la fablequ'il raconte le mythe sublime
et profond de Diotime, qui prouve qu'unefemmemêmeen sait sur l'amour plus longquelui? Enfin l'éloge magnifiquede Socrate par
Alcibiade,n'est-il pas une réponse victorieuse
à toutes les calomniesde Fauteur des Nuées,et n'est-il pas suffisammentpuni et Socrate
suffisammentvengé, lorsqu'il est obligéd'en-
tendre cette apologieet réduit à se taire ?
Onaura beau faire,on aura bien de la peineà trouver dans ces compliments,ou dansquel-
ques piqûres légères, quelque chose qui res-
sembleaux cris d'une amitié cruellementbles-
sée (3). Pour moi, je renonce à dire, parce que
(1)SytMp.,e &TttftAtOWMXt!Â~pC~tTWTMMtZ<~M~-
T~tëo.(2)C'estcependantl'opiniondeWo!fetdePaMcins,
BtM.~r<pc.,vol.I,p. '706.
(3)Ilestvraiqu'Olympiodore,in Phoed.p.44,pense
LE PROCÈS M7
je lesignore, quels motifsont pousséPlaton à
faireà Aristophaneune placeà côté de Socrate
dans son Banquet; je me borne à remarquer
qu'il ne serait pas plus aisé d'expliquer pour-
quoi il a faitde ce monstrede cruauté, du plusférocedes Trente Tyrans, deceluiqui avait in-
terdit à Socrate,souspeinede mort, L'exercice
d'une professionqu'il aimaitautant et plus quela vie qui a proféré contre lui des menaces
que la chute de la tyrannie l'empêcha seule
d'exécuter;pourquoi,dis-je, il a faitde Critias,dansle T:M~, un si magnifiqueéloge, et a im-
mortalisésa mémoireen lui consacrant le dia-
logue inachevé qui porte son nom. La parentéde Platon avec Critias ne sera sans doute aux
yeux de personne une raison ni une excuse.
Maintenant, quels motifs ont.pousséAristo-
phane à donner à Socrateun rôle odieux dans
la comédiedesNuées?A-t-ilété achetéparAny-
tus, commele disent les huitièmeet neuvième
arguments, tandis que la scholie du vers 623
dit simplementque ce fut pour être agréableà Mélétus et Anytus, et observe d'ailleursqueses accusations portent sur les philosophes
qu'il n'est pas fait allusionà Aristophane,mais aEupolis,dansle ~P~~OM.C'est une assertionsanspreuveset quelesdeuxpassagesde l'/4po!o~!e,appli-cablesuniquementMAristophane,détruisent.
VIEDËSOCHATE238
en général (1).Quandbien mêmeon admettrait
qu'Aristophane eût été capable de se vendre
pourun tel rôle, comment supposerqu'Anytuseût préparé,vingt-trois ans d'avance, son com-
plot?Le poète avait-il des raisonspersonnellesde
haïr Socrate?L'auteur du premierargumentdesNuéesest seul à nous dire que ses ressenti-
ments étaient attribuéspar quelques-unsà la
préférence qu'Archélaûs, roi de Macédoine,avait témoignéeà Socrate, et dont le comiqueaurait souffertcommed'une injustice et d'un
mépris. L'amitié de Socrate pour Euripide .(2)est le seul motifqu'on puisse fournirpour jus-tifierouplutôt pour expliquerla conduite d'A-
ristophane mais on ne peut guère s'arrêter
sur une cause si peu naturelle, si mal garantieet désapprouvéemême de l'écrivain qui nous
l'a racontée. N~ya-t-il pas eu donc d'autre
cause que la rivalité des poètes et des philo-
sophes, fondéesur des raisonsd'un ordremoral
et politique très-élève (3)?9
(1) KoMT!);~tÀM!)<Mu;'MtAMx'!);<~m&)[)Aen.
~2)Iln'aUait,pourainsidireJamaisau théâtre,si cen'estquandony représentaitlespiècesdesonami.
(3)Arg.des~VM~<M:Tf'vXt~MM~~9;T! ~.eM~Mu;i~M-TM<Tt<ZOivrt/[MM.
t.KMtOCÈS 2:~
M. G. Hennann (1)pense qu'Aristophane,non plus qu'Eupolis et Ameipsias, n'a eu des
raisons si profondeset si délicates; ils ont été
conduitsuniquement par le désir de faire rire,sans qu'on ait droit de leur supposer un senti-
ment dehaine ou d'irritation or, Socrate leur
fournissaitun beau sujet. La personnalité de
Socrate, connu de tout le monde, vivant cons-
tamment sur la placepublique, dont la figureétait d'une laideur étrange, dont les habitudes
et le langage choquaient les usages élégantset même reçus; qui, au milieu de ga pau-
vreté, gardait, dans l'ironie même de sa pa-
tience, le sentiment très-fierd'une supérioritéintellectuelleet morale, le rendait très-facileà
mettre en scène et très-propreà être le type
populaire du philosophe ridicule ou du so-
phiste grotesque. Il ne faut pasattacher trop
d'importance aux invectives de cette comédie
ancienne, qui, pour obtenir le succès du rire,se permettait tout. Ainsis~eXpliqueraitque Plà-
ton n'a pas gardé contreAristophaneles amers
ressentimentsque nous sommesdisposésà lui
prêter. Socrate nous apparait consacrépar le
temps, la gloire et la mort; il n'apparaissait
pointainsi à ses concitoyens.Aussi Aristophane
(1) P~ <t~JVM&p.33.
240 VIEDESOCRA.TE
ne commettait-il pas un grand crime quand,
vingt-trois ans avant' toute poursuite judi-
ciaire,il venait à se moquerde Socrate,comme
il se moquait de tout le monde, et du peupleathénien en personne.
Ce sont là, je crois, des idées très-raisonna-
bles et très-justes, et que j'accepte en partie:
je dis en partie, parce que je ne puis m'empê-cher depenser qu'il y a eu quelque chose de
plus sérieux dans les attaques d'Aristophane.
.C'est assurément une erreur, ou du moins
une exagération, de prétendre que la comé-
die grecque était une espèce d'institution po-
litique et commeun organe de la démocratie
athénienne. Je suis très-persuadé que, chez
les Grecs comme chez nous, on allait au
théâtre pour se distraire, et à la comédie
pour s'amuser et rire maison ne peut s'em-
pêcher de reconnaître que si cet élément,
qui est le principede l'art, domine dans la co-
médie d'Aristophane, il s'y mêle un élément
moralpratique et sérieux, l'intention évidente
et avouée d~exercerune actionsurf esprit et
les déterminationspopulaires, intention qu'onne retrouve pas au même degré dans les litté-
ratures modernes, où l'art est plus profon-dément séparé ou distinct de la vie. La poé-sie a été précisément~ jusqu'au temps des
LE PROCÈS 2-it
14
sophistes et de Socrate, l'unique instrument
del'éducationchez les Grecs.Ce n'est pas seu-
lement Homèrequi est le maître de la vie
morale(1);ce ne sont pas seulement les poètes
moralistes,commeSolon,Théognis, Simonide,*
Phocylide, qui se croient tenus de faire la
leçon aux hommes les poètes comiqueseux
aussi avaient cette prétention jusqu'à un
certain point légitime. Aristophanefixe ainsi
lui-mêmele rôle de la parahase dans la co
médie «Lechœur sacré doit donner de sages,conseils et d'utiles leçons aux citoyens (2).
Pourquoi devons-nous notre admiration au
poète? A cause de la sagessede ses enseigne-ments. C'est nous qui rendons les hommes
meilleurs (3) aux petits enfants, le maître
est celui qui leur parle; mais, pour ceux quisont arrivés à l'adolescence,le maître, c'est le
poète(4). y
Le sujet desJVM~sa certainement son côté
grave; il pose l'éternel problème, le grand
drame de la vie sociale et politique la lutte
du passé et de l'avenir qui se disputentle pré-
(1)DioN.HuL,Ep.ad foMtp.,p.'756 T'<xUv)Mt-
~e!x~eHM'!tapfM)EVs!;TMp!(~.(2)R<iM,.T. 686.(3)Ran.,v. 1008.(4) ~Rt! v. 1083 TM;~ëùT~ TTO~M{.
VIE DE SOCRATE242
sent. Là pièce est évidemmentdirigée contre
les sophistes,qui commençaientà se substituer
aux ancienspoètes dans l'éducation de la jeu-
nesse, et, par une discussion universelle et
une critique souvent sceptique, ébranlaient les
règles acceptéesde la vie morale, fondée jus-
que-là sur l'autorité, la tradition et la coutume.
Rien n'est plus beau, plus grave, plus tragi-
que même que ces plaidoyers de la Justice et
de l'Injustice, mis si vivement en scènepar le
génie dupoète. Remarquonstoutefois que les
thèses odieusesnesont pasmisesdansla bouche
de Socrate, et qu'aucune personnalité même
ne se découvredans ces éloquentes invectives
du sens communet du.sens moral le Juste et
nnjuste sont des personnages abstraits (1).Maisil n'est pas moinscertain que Socrateest
représentécommeun maîtred'erreursfunestes,ruineuses des relations de famille comme des
croyancesreligieuses; il est accusé de joindreà des spéculationsde physique, vaineset inu-
tiles, qui ne pouvaientque porter atteinte aux
idées reçues sur la divinité des astres, à des
recherchesde dialectiqueniaise, des railleries
(1)M.G.Hermanntrouveunedescausesdel'insuc-cèsdesNuéesdanscesdeuxabstractionspersohniSéescontrairesauxhabitudesdela comédieancienneet augéniemêmedela comédie.
LE PROCÈS 243
impiessur les dieux de l'Etat, et surtout une
adresse perfide dans cet art sophistique de
la parole,qui donne à l'Srreur les apparenceset les couleursde la vérité, et sait faire d'une
cause injuste la plus juste des causes, Aristo-
phane ne sebornaitpas &lui préterces théories
dangereuses;il montre un père de famille in-
sensé, amenantson nlsdans l'école de Soorate
pour y apprendreces bellesmaximes, et le fils
profitesi bien des enseignements de son maî~
tre que, sans respect pour la piété filiale, ils'oubliejusqu'à frapperson père, et, ce qui est
plusgrave encore,justifie sa conduite par d'o-
dieux sophismes,et prétend démontrerqu'elleest conformeà la véritablejustice. Enfin, et ce
trait ne doitpas être nus de côté, le père com-
prenant, mais trop tard, par sa propre expé-
rieuce, combien é.taien.tpervers ces principesd'une moraleraisonnée,combien funestes ces
novateurs audacieux,ne prenant plus conseil
que de sa colère, court à la vengeance et in-
cendie la maison,de Socrate. N'était-ce pas
provoquerdirectementles ressentiments et les
vengeancespopulaires,et dire hautement quedevantde pareilles immoralitéset de pareilles
impiétés, le mépris et le ridiculene suffisaient
pas; qu'il fallait les détruire par le fer et par le
feu; qu'il-fallait,en un mot, commeon l'a trop
VJEDMSOCRATE2.H
souvent répété depuis, que la société me-
nacée, si elle voulait être sauvée, prit des
mesures de salut public où la fin justifie les
moyens. Ce n'est pas encorele momentde sa-
voir si Aristophanen'est pas allé trop loin, et
s'il est vrai qu'il ait, par son exagération
même,compromisle succès de son ouvrage.M. 6\ Hermannvoudrait savoir pourquoi les
Athéniensont préféréles piècesde Cratinuset
d'Ameipsias, à celle de leur concurrent quinous vante Im-mêmela sienne comme un de
ses meilleurs ouvrages. C'est être bien cu-
rieux nous avons perdu les deux comédies
qui lui ont ravi le 'prix, et, par conséquent,toute comparaisonparaît impossible.Cette cir-
constance,qui aurait arrêté tout le monde,n'a
pas arrêté l'insatiable et peut-être indiscrète
curiositédeTillustre savant. Il imagine donc
qu'en prêtant à Socrate des opinions et des
mœurssi contrairesà la vérité, en ne présen-tant qu'une charge au lieu d'un portrait, il
avait ôté à sa peinture ces traits de fidélitéquien auraientfait le prix. Je voudrais pouvoir le
croire; je voudraisque ce qui nous paraît une
infâme calomnie eût pu avoir aux yeux des
Athéniensce mêmeaspect, et leur inspirer le
dégoûtet la colère qu'elle nous inspire. Mais
comment l'admettre quand nous voyons que
LE PROCÈS 245
14..
ces griefssont ceux-là même que reprend là
formuled'accusation, et que développaientles
plaidoyers d~Anytuset de Lycon, commenous
pouvons le voir dans l'Apologie de Platon et
les .M~o~&~ de Xénophon? Comment l'ad-
mettre enfinquand nous savons que cesgriefs,articulés par les accusateurs, furent accueillis
par les juges et sanctionnés par une condam-
nation à mort ?
Ce n'est donc ni la légèreté, ni l'insigni-
nance, ni l'invraisemblancedes calomnies des
~VMée~qui ont portéPlaton à donnerune placehonoraire à Aristophane dans son dialogue,et Xénophonà ne faire à cette comédie quedes allusionssans récriminationet sans amer-
tume, tandis que leur indignationéclatecontre
Anytus et Mélétus,seuls responsables, à leurs
yeux, du malheur qui avait frappé leur maî-
tre. S'il'faut deviner les causes de cette indul-
gence, j'imaginequ'elles se ramènent toutes à
ceci dans une ville où l'attaque la plus libre
et la plus vive des hommes, commedes idées
et des choses, était une pratique universelle,la dénonciatioRd'Aristophane,moitié sérieuse
et.moitié plaisante, ne heurtait pas les senti-
ments des meilleurs amis de Socrate, comme
il froissenos instincts plus délicatsou nos ha-
bitudes moinsviriles. Si Aristophanedésignait
VIE DE SOCRATE246
danssa comédie,Socratecommeun ennemide
la religion, de l'ordre, de l'État et de la famille,Socraten'en faisait-ilpas tout autant à l'égarddes sophistes,et avecuneironienonmoinssan-
glante ne les livrait-il pas à la risée et à l'indi-
gnationpubliques?Et Socratene s'en prendpas
seulement aux sophistes,laplupart étrangersà
Athènes,il s'attaque aux plus grands hommes
de la patrie, à Thémistoclecommeà Périclèsil les accuse d'avoir corrompu leurs conci-
toyens qu'ils croyaient avoir sauvés, et com-
mencé la ruine d'une ville dont ils passaient
pour avoirfondélagloireou augmenté la gran-deur. Non-seulement il agissait envers eux
commeAristophane agissait envers lui, .maison peut dire qu'il employaitles mêmes armes,et versait à pleines mains sur ses adversaires
leridiculeparlaplusterriMe ironie. Quel sa-ë
tjriqueque 66 Platon s'écriait Gorgias. Quel
comiqueque ce Socrate! aurait-ilpu dire avec
autant de raison. Commentdonc Platon au-
rait-il penséà se plaindrequ'on employât con-
tre Socratecesarmes quelui-mêmeet sonmaî-
tre savaient si bienemployercontre les autres?
D'ailleurs, vingt-trois années s'étaient écou-
lées depuis la représentation des ~VM~,et jecrois que personne, à Athènes, pas même
les amis de Socrate, n'ont attribué à cette
I.B PROCÈS 2~î
pièce, ni l'accusation dont il fut l'objet ni
la condamnation dont il fut la victime, et
qui s'explique parfaitement sans cette hypo-
thèse.
Au nombre des ennemis qui, en unissant
leurs haines, ont conspiréla mort de Socrate,
ona pendantlongtempsplacéles sophistes.C'est sur le témoignage d'~EUen(1)qu'a été
portéecontre eux cette accusation,dontFréret,
dans un mémoirequi est un chef-d'oeuvredo
scienceet desaine critique,a depuislongtempsdémontréla fausseté et l'injustice.
~Eliensoutient que la cause de la mort de
Socrate~fut l'immense succès de la comédie
d'Aristophane,reçue,dit-il, avecdetels applau-dissements que le public força les juges, parses acclamations,d'inscrire le nom de son au-
teur avant celui de tous ses rivaux. Or, il est
constantpar les scholies et les anciens argu-
ments, tirés des Didascaliesoù les critiques
grecs avaientdéposél'histoire du théâtre, il est
certain par la pièce elle-même,qu'elle échoua
une fois certainement deux fois peut-être si
elle fut jouée deux fois, et qu'elle n'o~t pas
d'autre représentation.Noussommesdoncdéjàen droit de récuserun témoin si léger et si mal
(1)7?M<.var., II, c.xui.
VIEDESOCRATE248
informé,quand il ajoute que ce furent les so-
phistesirrités desrailleriesde Socratesur leurs
opinionset leur conduite,qui engagèrentMélé-
tus et Anytus à donner une somme d'argentconsidérableàAristophanepourqu'il exaspérâtcontre leur ennemi l'opinion publique.
Fréret a prouvé., et d'une manière invin-
cible
1° Que les sophistes n'étaient pas moins
maltraités que Socrate par Aristophane,qui
n~attaqueen lui qu'un sophiste, et la sophis-
tiquemême;2° Qu'Anytus et l'opinion publique étaient
aussi irrités qu'Aristophane pouvait l'être
contre les sophistes, dont le plus grand,
Protagoras, avait été frappé par un juge-ment..
La conspiration des sophistesest donc une
inventiondesécrivainspostérieurs,légèrement
reproduite parun historien, « sanschoix, sans
discernementet sans exactitude. n
Sicecomplotestimaginaire,lescirconstances
danslesquellesse présentaitl'an'aire, n'offraient
à l'accusationque trop de 'chances, et malgrél'illusion de,ses amis qui croyaient une con-
damnationimpossible,Socrateplusclairvoyant,s'attendait au résultat, qu'il fit peud'enbrts, on
doitl'avouer, pour éviter, quoiqu'on ne puisse
I.E PROCÈS 249
dire qu'il l'ait secrètement désiré et indirecte-
mentprovoqué.Les accusateursne se bornèrent pas à déve-
lopperle thème de la formule judiciaire au-
tant que nous pouvonsen juger par les écrits
de Platon et de Xénophon, ils y ajoutèrent des
chefs nouveaux(1).'On lui reprochadevoir excitéà la haine et au
mépris du gouvernement, en soutenant qu'ilétaitabsurde deconfierau hasard, c'estrà-direau
sort, le choix des magistrats (2)et deschéfsde
l'État ils insinuèrent que c'étaient ses leçons
qui avaient forméCritias et Alcibiade(3); ils
l'accusèrentd'avoirconseilléà sesamisde trai-
ter avec hauteur et violence le petit peuple et
lespauvres(4) ses commentairesperiides ar-
rachaient aux poètesles plus purs les ensei-
gnementsles plus détestables, c'est ainsi qu'ilautorisaitpar un vers d'Hésiode cette abomi-
nable maxime,que l'action en soi est toujours
(1)Liban.,~poL<S'p. 17,est le seul,je crois,quiprétendequ'Anytusréclamadansl'affairel'interventiondesorateurs,interventionillégale,dit-il,puisquelesorateursn'ontdecompétencepouraccuserquevis-à-visdeceuxTxMMK~parTo~TM~,etc.
t2)Xén.,jM<MK.I,9.
(3)Xén.,M~I,3,I8.(4)Xén.,Mem.,I; 2, 59.
VIE DE SOCRATE2:i0
bonne, quelle qu'en soit la moralité (1); enfin
il allait jusquedétruire dans l'âme des jeunesgens toute obéissanceet tout respect de l'auto-
rité paternelle, disant que c'est au sage à cor-
riger Finsensé,et quesi le fils est le sage et le
pèreFinsensé,c'est au fils à réprimanderet à
châtier son père (2). Sophisteindiscret et don-
gereux, Socratene s'occupepasseulementd'é-
tudes de physiqueinutiles et de niaiseries dia-
lectiques,il nie l'existencedes dieux de létat,
en détruit la religionantique et sacrée, et ren-
verse à la foisles fondements de la morale, de
la justice, de la raison,en pratiquant et en en-
seignant Fart détestable dedonneràFerreur et
au mal les couleursde la vérité et de la vertu.
De ces griois, les uns, commeon le voit, ne
sont quele développementdes chefsdel'accu-
sation oS'enseàla religionreconnue,-et préci-sion de la vagueformulede corruption de la
jeunesse. M~s il y en a un tout nouveau ce
sont ses doctrines politiques, son mépris du
gouvernement démocratiqueet -sa préférence
marquéepour l'aristocratiedonenne.Deceque
le griefne fait pas partie de la formulejudi-
ciaire, on n'a pas le droit d~enconclurequ'ilne
fut pas mis en avant par Anytus ou Lycon, et
(l)Xen.,MeM.,I,3,56..(2)Xcn.,Mem.,I, 2,49.'
I.Ë l'KOCËS 2!Ha
qu~iln'eut pas sur l'issue du procès rinûucuco
la plus décisive.Ëtait-ilinterdit aux avocatsde
plaider d~autresmoyens que ceux que conte-
naient leurs conclusions écrites?Je Fignore
j'ai de la peine àlecroire devant les termes
de Xénophouqui fait précéderchacundes iai<ss
articulés contre Socrate de la formule iden-
tique OKo!.f)i~-Cj}6{~t).Soit méprisde la mort, soit convictionque
son rôleactif était terminé et sa vieutile ache-
vée, soit seulement qu'il fût certain de l'inuti-.lité de ses p~orts, Socrate répugnait à se dé-
fendre il sentait qu'il valait mieux pour lui
mourir que de vivre (1); mais il voulut
encore en cela obéir à la loi, et essayer de
remplir cette tâche;,quelque difficile quellefût (2).Ce ne fut donc pas dans son intér6t,mais dans l'intérêt de ses concitoyens, et
pour remplirun devoir, qu'il résolut de se dé-
fendre, et se détendit il se défendit même
sérieusement, sans vouloir,il est vrai, abaisser
soncaractère, ni laisser compromettre en sa
personne les droits de la libre pensée et de
la vérité. Il voulut préparer un discours et
(1)X6n.,~tpo! 1et4 Mem-,1-V,8,6;Plat.,~po~p.29b,c, d,et 30c.
(2) Plat., ~4po7., 19 a M~t 0"~ ~s.mf t~on. ou.<m~STM~OU.MIrCtdTEM.
VIEDESOCRATE252
le méditerd'avance il s'y remit mêmeà deux
fois deuxfoisle signe divin l'en détourna(1).Il obéit enfin à cet ordre réitéré, d'ailleurs si
conformeà son propre sentiment et à ses habi-
tudes, et se présenta sans discours écrit, pré-
paré, ni médité, se fiant à l'inspiration du mo-
ment, et résoluà ne rien changer aux allures
familièreset simplesdesaparole,ni à l'attitude
un peu dédaigneusedans sa fierté, qui con-
vient à l'innocencecalomniée.Sa deviseétait
que le devoirde l'orateur était uniquement de
dire la vérité et toute la vérité, celui des jugesde la discerner et de la proclamer(2). Lysiasavait écrit pour lui un discoursapologétique
après en avoir entendu la lecture C'est un
beau discours,dit-il, mais quine me convient
pas (3).-Et comment,repritLysias,ne te con-
(1)Xén-,Apo: 4;W<MK.IV,8,5.(2)Plat.,~po! p. 18a.(3)DiogènedeL., 11,40,quiparaitl'avoireuentré
lesmains,dit quec'étaitun discoursplutôtdugenrejudiciairequedugenrephilosophique.LeScholiastede
Platon,~4po~18b, enparleaussicommes'ilexistaitdesontemps,et nousapprendqueLysiasy prenaitàpartieMélétus.L'auteurdesFt<.jr(3r<t<danslaviedeLysias,lecaractériseparcesmots::MT~<MjMw,Tmt~xMTMv,c'est-à-diree adjudicumanimoscommovendoscomposita.»
D'aprèsCicéron,de Orat.,î, 54, SocratereprochaaudiscoursdeLysiasdemanquerdeuertévirileetde no-blessecourageuse,«disertamsibiet oratoriamvideri,
LE PROCÈS 2M
i51
vient-ilpas s'il est beau? Ne sai~-tu pas, lui
réponditSocrate, que les belles chaussures et
les beauxhabitsne mevont guère. Stobéemo-
difip unpeu les termes de la réponse sans en
changerle sens. Lysias ayant dit à Socrate
que son discoursne lui paraissait pasmanquerde beauté « Lesroses aussi, réponditle philo-
sophe~sontbien belles, et néanmoins il ne me
conviendraitguèredemecouronnerderoscs(l).Le couragede cette conduitene peut en faire
méconnaître la signification un peu dédai-
gneuse ce n'est plusun prévenu qui se recom-
mandoen suppliantà la justice et à la bienveil-
lance de ses juges,c'est un homme supérieur,un maître qui se croit en droit de donner des
leçons et de signifierdes ordres(2).Cettehau-
teur d'attitude,qui avait sa source, non dans
un vain orgueil, maisdans une vraie grandeurd'âme (3), necontribuapaspeu sans doute à le
fortemetvirilemnonvidori)'.Cf.Qu!ntH.,XI,1!),30,ehXI,1,11,Val.Max.'VI,4,3.Nousavonsdéjàrappelél'o-pinionquiattribueà Lysiasdeuxdiscoursapologétiques,l'unantérieur,l'autrepostérieurà lamortdeSocrate.Cetteconjecturenes'appuiesuraucuneraisonsérieuse.
(1)Stob,,~fMOK.,VIII,9.,(2;Cic:.de_Orcct"T,54: a :1Li~onâisÿp3e::auL~eus,.(3)Cic..<0rs< I, 54 <[Utnonsnpplexautreus,
sedmagisterauldemmas'vid&rëturesEojndicum."J)
(3)Cic.,Tuscul.,l,39:<tLiberamcoBtumaciama mag-nitudineanimiductam,nona superbia.»
V]EDESOCRATEM4
perdre, maisn'autorise pas cependantl'opinion
qu'il ait désiréet ouvertementprovoquésa con-
damnationen irritant à desseinsesjuges. Je ne
voispas queSocrateait reconnu ~~cesst~de
sa mort, et qu'il ait nulle part dit ou fait en-
tendre «qu'il est inutile de reculer devant la
nécessité, qu'il faut que sa mort s'accomplisse
et queson.heure est venue (l).<Sans douteil
déclarequ'il aimemieuxmourirque de renon-
cer à son devoir, qu'il aimemieuxobéirà Dieu
qu'aux hommes maisil n'anulle part expriméla pensée que sa condamnationfût une chose
nécessaire.Parcequ'il se défendavecnoblesse,on n'a pas le droit de dire « qu'il abandonne
de proposdélibéré le but immédiat d'une dé-
fense, et qu'ilparle pourla postéritésanssouci
de la vie (2) ~o~po~ c~<ï,<~ <)~Mp<tsP~ MN?MM?M<~M.f
C'eût été là, commepour Othonà qui Tacite
applique ces admirablesparoles,une prépara-tion un peu artificielle, théâtrale, un calcul,une pose, comme nous dirions, contraire à sa
simplicité,et d'ailleursune formeindirecte du
suicide, contraireà ses'doctrines.Rien n'empô-chaitlesAthéniensd'écouterlavoixdela raison,
(1)M.V.Cousin,~f~. r~poL,p. S8.
(2)M.Croie,H~t.de la 0~ t. VII.p.328ttrad.fr.
M:j't:o<KS S S!i!)J
de rhumanite el delà justice. Sa condamnation
n~étaitpas, comme on l'a dit, &forcéeet un
résultat inévitable dela lutte qu'il avait enga-
géecontrele dogmatismereligieux et la fausse
sagesse deson temps (1). N'introduisonspassi facilementla fatalité dans l'histoire où elle
expliqueraitet justifierait tout. Les Athéniens
auraientpu.e~auraient dû écouter les vérités
courageuses que Socrate mêlait à sa défense,et il ne leur était pasimpossibledol'acquitter.
Socratese défendit donc(2),sansespérance,sans illusion, mais aussi, à mon sens, sérieu-
sement,,sans découragementet sans s'abandon-
ner, CMil se croit et se proclameinnocent (3).Nous avons, sous le titre d'A~o~ So-
c~a~ deux discoursattribuésl'un à Xénophon,l'autre à Platon.
L~Apo7o~~de Xénophon avait longtemps
(1)M.V.Cousin, de~po!. de P~ p.59.(8)Fut-ilseulà prendrela parole?accepta-t-illeçon-
coursd'autresorateurs?S'ilestvraiquePlatonvoulutmonterùla tribunepourprononcerundiscoursensafaveur,silesparolesqueJustu~deTibériadeluimot.dansla bouche,(Diogenp,II,41 ~MTc~o;N< Tm<ou-MjMiu.').xT.T*6x'<TM-<),avaientétéprononcées;il faudraitbienl'adtnett.re,quoiquele fait puisseparaîtresemalcon-cilieravecl'aLtitudedeSocrateauprocès.
{3)-~ârca~r~at'fu~n~cspi~si~ursrlesssamisprirent{S~XAnopiMm afërjae ~pM pittsieurs de sesamis prirent
la parole pour le défendre, ~4po~ 32 TMf o~K'Yo~uotTm~
~tiM~ ftUTN.
256 VIE DE SOCRATE
passé pourune pièceauthentique elleestcitée
comme appartenant à Xénophon par Diogènede Laërte (1), qui la compte dans le cataloguede ses ouvrages;par Athénée, auteur d'un
'*T~eyM/or~<e attribuéà Denys; enfin parStobéequi en reproduitquelquespassagesavec
lamentiondu nomdeXénophou.WalcL:enaër,dans ses notes sur lesM~or~M~ (2),est, je
crois,lepremierqmàitconte8térautlientiGitédecemorceauqu'il trouveindign~dugéniede Xe-
nophon,et,argumentquimetouchedayantage~
qu'il montre composéentièrement des .M~ntO-
ra~ sans contenifaucune idée nQuvelîeni
aucunfaitnouveau.D'ailleurs,rÂjpo~o~deXé-
nophon est un récit plutôt qu~undiscours le
plaidoyerde Socratetient unepetite placed:ans
'unepiecëqui elle-mêmeest de peu d'étendue.
L'auteur ~écla~ point, eu l'intentionde reproduire intégralement, ce grand dé-
bat (3),soinque d'autres que lui avaient déjà
pris (4);il veutséulemehtinsiàter sur~~u~~point'
particulier, savoir, qu'il yalaitmieux ppurSo-
crate mourir que vivrëi Sans juger aufond de
(i).n,s?.(2)Me)M.,I,l.~(3) Xén.ip0~. 22 ÂM-'symm TKscKra sn:SK T~~
~tXit:6!m:.Ù~ftt!K.
(4) Xén., ~Ipo~ 3] ~'<Ypx~ïct~.s' 'Kh'iT;uT~ z?~a).x~tt
J.EPROCMS 2S7
l'authenticité de cette pièce (1), nous n'avons
qu'à la lire pour être convaincus qu'elle n'est
pas le plaidoyerde FUlustreaccusé,et ne re-
produitmêmepas la physionomieexactedeson
discours.
Il en est autrement de l'Apo~K? de Platon,
quoiquel'authenticité en ait égalementété at-
taquée. Ast la croyait l'oeuvre d'un faus-
saire (2), et je me rappelle que M. Cousin,eu
m'entretenant de cet ouvrage,le trouvait bien
maigreet d~untissu bien mesquinpour le gé-nie dè-Tlàton.Cen'estpas là une opinionnou-
veHe:Frëretl'avait déjà expriméeet l'appuyaitsur le jugement deCassiusSévérusqui jugeaitce discoursindigne à la foiset deFavocat et du
prévenu(3),necps~'o~o,?~cy<?o~~MtM,et elle
a été soutenue avec beaucoupde savoir dans
(l)Préretla,croitauthentique,etmêmeplus'véritable-
meûthistofiquequecelledePlaton,car,dit-il,Xénophonla tenait dhormogène,à quiSocrateavait fournicesrenseignements.Maiscetteassertionnereposequesurl'po~o.</temêmeet ne peutévidemmentservirà endémontrerl'authenticité,queSchneidera soutenuepard'autresarguments.Pornemannet ZeUerla tiennentpourfausse,etWalkenaërl'attribueàFauteurdela findelaC~f/p~Keetdeplusieursautresouvragesattribuésà Xénophon.
(2).As.,P~<oM'sZ/ë6gM.,p. 69.(3)Senec.,C8M<ro~l.111~prset'.C'étaitunorateurcé-
lèbre,Plin.,~ts<.JV<K.VII,13.
VIEDESOCRATE258
un livre récent (1)qui, à son tour, a été très-
doctement et très-Imbilementréfute (8).J'avoue que je ne, peux pas partager ces
soupçonsetque je réprouve pas ces scrupules.CitéeparThomiste;,Proclus,Diogènede Laërte,
Origène;Aristideet les vieuxgrammairiens(3),
l'Apologieest vantée pourla perfectionde Fart
et du stylepar Denys d~Halicarnasse,qui n'est
pas suspect d'une très-grande partialité enfa'-
veur de Platon (4), et il faut 6tre prodigieuse-ment délicat pour être plus difficile que ce
riioteur; enfin, si elle n~estpas nomiHée'par
Anstote, il y fait certainement'aHusionet~encite même quelques expres~ôns textuel
les (5). Le dialoguequi s'établit entre Méletus
et Socrate, et qu'on retrouve dans FA~o~~de Xénopilon, ne prouve rien contreFautheo-
ticitô de l'ouvrage, ni même contre sa valeur
historique car il n'est nullement en opposi-tion avec les habitudes judiciaires des Grecs,
et, tout au contraire, la loi faisait une obliga-,
(1)Forchantmer,JPtC~<7MMeyMM~~A.,Berlin,!831.(2)VaaLimt~urgBrouwer,~po!Socra~Mco~:<f<tJtfe-
?: redivivic~MtKKMW!.Gronin~t838.(3)Voirles citationsdansrediUondel'~po!o~tcde
Fr.Fiseher.
(4)Dion.Hal.,DeadM~ vi Demosth.et Arsf~e-<orMa,§ 3.
(5)KAe<II;§3et IH,§18 Plat.,Apol.,1'7b,c,d.
LE PROCÈS 259
tion de répondre aux questions faites par la
partie adverse (1) l'interrogatoire et le contre-
interrogatoire entraient comme éléments de
l'accusationaussi bienque dela défense.Ainsi,
non-seulement on doit conserverà Platon ce
morceau précieux, mais on peut croireque'cen'est pas une ouvre entièrement d'imagina-
nation,une compositionpurementoratoire,sans
fondement réel. Socrate s'était défendului-
même (2) Platon avait assisté aux débats, et
adressait son ouvrageà des concitoyenschez
lesquels ce souvenirétait encorevivant; pou-vait-il inventercomplétementle discours qu'illui mettait dans la bouche? Il sembley régnerun accent de vérité historique; le tour, Fex-
(1)Plat.,..4po~25d e w~c<xeXe'unKToxpMssCfn,,eteneHet,Démosthènesa<<S<epA.0~<ll,p.I131,citeletexte No'jM;'TOM<!(Vt~!)Mt<~AttftttttwtfMtmtph'MOMMUM&Ot;TOBpNTMjtMM.
(8)Celaestcertain,d'abordparcequec'étaituneobli-gationlégale,ensuitecelaestprouvépartouteslestra-ditions,parlefaitmêmedesdeuxApologiesqu'onluiprête,enfinparlesallusionsfréquentesquiserapportentà cettedéfenseetaudiscoursqu'ilprononça..P~o~OM,63b:xp'nonMXo'~thifmOKtMemep~mxs'Mopfm,~d.69e.Socrateaccepta,dit-on,leconcoursd'avocats(Xén.~po~§22).Platonlui-mêmevoulutprendrelaparole,etJustusdeTibériade,citépar Diogène,nousa conservéles pre-miérsmotsqu'ilprononçamaislesjugesnevoulurentpasl'entendreàcausedesonâge,quoiqu'ileût,à cetteépoque,prèsdetrenteans.
VtEDESOCRATE2M
pression, l'esprit du style, le fonddes idées,l'attitude del'orateur, tout enparaît bien socra-
tique, et quoique, avecun artiste aussiaccom-
pli que Platon, cette vérité du stylé et du ca-
ractèrene soitqu'unindice peut-être trompeur,il n'estpas impossibleque nous ayons, dans ce
discours, comme le croit Schleiermacher (1),une copieaussi exacte de la vraie défense dé
Socrate,qu'il était possibleà la mémoireheu-
reuse et à l'imagination créatrice de Platon de
la conserver réservons encore les différen-
cesnécessairesdu discoursécrit et du discours
parléet même improvisé.Noussavons, par les
confidenceset par la pratiquede Thucydide(8)
quelles libertés les historiens se croyaient,en
ce cas permises, et nous voyons qu'ils s'atta-
chaientplus àreproduirele caractèrede rhom-
me.laphysionomie morale du discours, qued'en retracer les idées mêmes et les exprès-sions littérales.
C'est dans cette mesure, et sous cette ré-
serve, que nous considéreronsTApo~M de
Platon comme un document historique, qu'àce titre nousdevonsanalyser.
Elle se diviseen trois parties dans la pre-
mière, Socrate cherche à prouver qu'il n'est
(1)P!C[<OM'SWerke,vol.I, p. 185.(2)1,22.
LE PROCÈS 26)1
15.
pas coupable; dans la seconde, il déterminela
peine qu'il croit avoir méritée; dans la der-
nière, il dit adieu à sesjuges.En effet, le procèsétait du genre de ceux
que la législation attique appelait T/~?-<~(1),c'est-à-dire que la ,peinen~en était pas'fixée
par la loi, mais dépendait de l'accusateur,
des juges, et, ce qu'il y a de particulier,'jus-
qu'à un certain pointde l'accusé.
Ainsi, le débat s'engageait, d'abord sur la
questionde culpabilité celle-ci résolue, l'ac-
cusateur prenait la parole pour proposer la
peine, ff~n', jpœnee~s<M)M<M(2), l'accusé pourfaire une contre-proposition,et le tribunal ju-
geait le secondpoint commele point de fait,
J'et/y~~y~M<pey(3).
(1)Etnoncomniole dit Suidas.M~.oTt{.Ondonnaitcederniernom,suivantPoUux,VIII,63,auprocès, euxMftV&!reT!{/.mMMf):«,c~etTM~MUT6f!~x'Mtc<iouem'y~px'K-ïctt. Cf/D&m./Mîd.,§90:Mêm<!lorsquelaloifixaitlapeine,il semblequ'ondonnaitencore,à l'accuseunealternative.(Dinarch.,ad~.DëMos<A.,§60.)
(2)Celas'appelaitTt~KoOMTMtptu~Tt,t!u.t)!r~~~e~Kt,~t~poEtjte~ett'r!)M)u.K;FaccusÈrépliquait,et celas'appelaitcfWnjMtTOcMOUexuTMT~.xe~Kt.
(8)Harpocrat..eC~wr~KffM.Cie.de0}'a<.1~54.«Er-goillequoquedamnatusest, nequesolumprimissen-·
tèntua,quibustantumstatuebantjudices,damnarentanabsolverent,sedetiamillis,quasiterumlegibusferredebebant.EratenimAthenisreodamnato,sifrauscapi-
YtRPESOCRATE2);2
Ce qu'on peut trouver d'étonnant dans ce
fait, ce n'est pas tant la procédureque Fappli-cationde cette procédureà l'affairede Socrate.
Le crimed'impiété, a~<A~ devait être prévu,il sembte, par le codepénal, et la peine était la
mort. Cependantil est certain, par un autre
exemple, que ce crime rentrait dans la catégo-rie des T~Mto/(4);peut-être qu'en tout cas,même lorsque la peine était prévue et 6xée
par la loi, l'usage déféraità Faccuséle choix
d'une propositioncontraire.
Quoiqu'il en soit, Socrateavait,commenous
l'avons déjà dit, divisé son plaidoyer en trois
parties la première, où il plaide non coupa-
ble, se divise elle-même en deux parties;dans Fune, aussi adroite, il me semble, quenaturelle et digne, et aussi conforme aux rè-
gles do Fart que convenableau caractère de
l'orateur, il cherche à effacer l'impression Si-
cheuse que des propos mensongers o~t pufaire sur l'esprit de ses juges. Il ne leur dira
que la vérité, car il ne veut pas les séduire, et
il expliquecommentces antipathies contre sa
talisuonesset,quastpœnaesestimatto,etsententtaquumjudicibnsdaretur,interrogabaturreus,qnamqqasiaesti-mationemcoma'eruisseMmsxsssecanSterets?.s (Cf.MeieretSchoemann.,~McPteprocess.,p. ni et 1S3.)
(~Dém.,in Timoer.,p. '702.
LEPROCÈS 263
personne et,ses doctrines ont pu naître, en ra-
contant la mission que la réponse du dieu de
Delpheslui avait imposée. Pour obéir au dieu
qui le proclamaitle Ulussage des hommes,et
chercherquellepouvait être la signification-decette réponse sur le compte d'un homme quifaisait professionde ne rien savoir, si ce n'est
cela même qu'il ne savait rien, il s'est cru
obligé d'interroger tous ses concitoyens, et
surtout les plus marquants d'entre eux, ceux
qui prétendaient être intelligents et sages, et,
par une opérationdouloureuse à leur amour-
propre et nécessaire cependant à la patriecommeà chacun d'eux, de leur montrer quelétait levéritable état de leur esprit et de leur
âme, et de les délivrerainsidel'illusion, aussi
dangereuse que fausse, d'une science dont ils
n'avaient que l'apparence et l'orgueil sans la
réalité.
Si on l'accuse de s'occuper de questions de
physique dangereuse et de dialectiquesophis-
tique, ce sont là desmalicesd'un poète comi-
que auxquellesil ne faut attacher ni foini im-
portance. Qu'on en croie le témoignage de
ceux qui le connaissent, et qui savent que ce
sont là des étudesauxquellesil est absolument
étranger et des chosesqu'il fait même profes-fession d'ignorer. Il corrompt la jeunesse,
-VIEDESOCRATE264
dit-on, en ne reconnaissantpas les dieux de
l'État et en introduisant, par son Démon, des
innovationsreligieuses. Il est bien éloignéde
partager les théories d'Anaxagore,qui refusait
toute divinité aux corpscélestes; il considère
et il vénère commedieux le soleil, la lune et'
les autres astres; et quant à son Démon,que
peut-il être, sinon un dieupu une manifesta-
tion divine, et. alors commentl'accuse-t-onde
ne pas croire à l'existence des dieux? Loin
ravoir nui à sa patrie et à ses concitoyens,il
croit, en les forçant de se rendre un compteexact de l'état de leur âme, en cherchant à les
pousser à connaître et à pratiquer la vertu,seule condition du bonheur, il croit leur avoir
rendu un service que lui seul pouvait leur
rendre, et que,lui mort, personne ne leur ren-
dra plus. LeDieu Fayai~~ a~x Athéniens
pour remplir cette fonction sévère et utile, et
c'est pour cela que, d'une part, il a négligésesan'airesetlesint.êrêtsdesi siens, et, de l'autre,
qu'il n'apa~ voulu se mêler activement de la
viepolitique. Qu'on ne lui reproche pas tropde s~tre dérobéà ces devoirs. Dans une ville
comme Athènes, il est difficilede, sauver sa
vie et dedireau peuple la vérité. C'était pourse conserver plus longtemps à la mission
providentielleque le Dieu lui avait imposée,
LE PROCÈS ~!Sli
et il avait la conscience de servir ainsi sou
pays mieux qu'à la tribune du Pnyx.
Quant à la moralité de ses enseignements,les faits sont là pour démentir l'accusateur
aucun de ceux qui les ont reçus, aucun de
leurs parents ne raccusent de les avoir cor-
rompus; plusieurs accourent pour le. défon-
dre. C'est donc une vaine accusation. Qu'onne s'offensepas de la liberté de son langage; il
n'est pasinsensibleaux joies de la vie; il n'est
pas né d'un chêne et d'un rocher, et il a des
enfantsqu'il aime. S'il parleainside son inno-
cence, ce n'est pas par orgueil ou par dédain
injurieux de ses juges, c'est par devoir, c'est
pour conformersa conduite à ses principes et
rester ndèle à lui-même. Précisément parce
qu'il est innocent, il ne s'abaissera pas à des
larmes et.à des prières qui dégradent et l'ac-
cusé et le juge, et attend de la conscienceet
de la raison seules- l'acquittementauquel il a
droit.
Ce discours ne fut pas entendu sans mur-'
mures, et des marquesde mécontentement,et
peut-êtred'indignation(I),éclatèrentà plusieurs
reprises (3).11sembleque ce fut à ce.moment
(1)Plat-,~.p0~.j~Scpuê~TS.
(2)Xen.4jso! § 14: e~ctx~i MUT?.MMMTs;o!tt'tXMTft!
VIE DE SOCRATE2C6que ses avocatsprirent la parole,et quePlaton
essaya inutilement de la prendre.Puis les juges allèrent aux voix, au scrutin
secret commeen toute affaire.Deuxcent qua-
tre-vingt-unévoixse prononcèrentpour la cul-
pabilité(I); la majoritépour la condamnation
fat de trois,ou suivant d'autres leçons, connr-
mées par des manuscrits qu'on déclare meil-
leurs, de trente voix, c'est-à-dire que Socrate
fut déclarénoncoupablepardeuxcentsoixante-
dix-huit ou par deux cent vingt et une voix
dans le premier cas, il y aurait eu cinq cent
cinquante-neufvotants, dans le second, cinqcent deux(2).
Socrate,qui ne s'était fait aucune illusion,
apprit le résultat avec un étonnement qu'il ne
~opMMUv,et plusloin,§ 15 T~T<t<txeu<MMTt{ht jtLNMLMMo~&tUV.
(1)Diog.L., IIj 41.Lestermessontobscurs,maislesensn'estguèredouteux.
(2)Ona élevésurcesnombrestoutessortesdediffi-cultés 281plus2*78donnèrent569or,onafBrmequeletribunaldesHétiastessecomposanttoujoursdecentainescomplètescechiffreestimpossible,maisBoeckhavait
déjàfaitobserverqu'onpouvaitadmettrel'abstentionoul'absenced'an certainnombredejuges.Lesautreschiffressontexposésà lamêmeobjection281plus221~OIlt 8t18~ ce~ttines 3ontçsi.r°y ~éT~!n~~pç.La (:Om`fontSOS.etlescentainessontencarsdérangées.Lacom-
positiondes tribunauxathéniensn'estni assezclaire,ni assezconnue,pourafSrmerquecetterègtedescen-
LEPROCES 2R7
cachapas à ses juges; il trouva extraordinaire
que, malgré les calomniesdont il était depuissi longtemps l'objet, il fût condamnéa une si
faiblemajorité, et il exprima l'opinion que si
Anytus et Lycon n'avaient pas soutenu de
leur influenceet de leur parolel'accusation de
Mélétus, celui-ci n'aurait pas obtenu la cin-
quième partie des suffrages, c'est-à-diren'au-
rait pas recueilli, en faveur de la condamna-
tion, cent voix.
Une fois la question de culpabilitérésolue,
l'accusateur demanda la peine de mort, et on
déféraà Socrate,suivant la loi, et sous la for-
muleordinaire,T/;i~)twaK)e7i/}) a~rcT/Mt,une con-
tre-proposition.Une foiscondamné,l'accent de Socrate,jus-
que-là tranquille et doux, et certainement
contenu et modeste, s'élève et devient plus.
fier; maison ne peut pas dire qu'il brave ses
juges.et attire sur lui, de propos délibéré, la
mort.
tainespures était inviolable.Le calculde M.Stall-baum(adApol.36b), quiportelechiffredesacquitte-mentsà 220n'estpas soutenable,car endéplaçant,commeil le veut,30voix,Socrateeûtencoreétécon-damné,puisqu'ilauraiteucastralui851voixet seule-ment250ensa faveurilyavaiteneffettoujoursunpré-sidentquinecomptepasdanslesnombrespleins.
VIEDESOCRATK268
Aquelle peine, dit-il, vais-je donc me con-
damner? Si je n'écoutais que la voix de ma
conscience,je vous dirais que n'ayant rendu
que des services à ma patrie, j'ai le droit de
n'attendre d'elle que des récompenses, et,
commeje suis vieux et pauvre, la plus justeet à la fois la plus convenablepour moi serait
d'être nourri aux fraisde l'État dans le Pryta-née. Maisen me plaçant, non pas à mon pointde vue, mais au vôtre, puisque vous m'avez
déclaré coupable, il faut que je trouve une
peine quelconque.Je n'irai pas, à monâge,parcrainte de la mort, qui n'est pas un'mal~ qui
peut-être est un bien, me condamner à l'exil
ou à la prison, qui sont des maux certains; il
ne me reste donc à vous proposer qu'une
amende mais je suis pauvre toute ma for-
tune réunie s'élève à peu près à une mine. Je
ne pourrais donc me condamner qu'à une
amende d'une mine, si Criton, Critobule,
Apollodoreet Platon ne me priaient de la por-ter à trente mines, qu'ils s'engagent à payer
pour moi(1).
(1)~p.Soer.14,MaximedeTyr.39,etl'ApologiedeXénophon,§ 23,nientle faitet disentqu'ilrefusadefairelai-mêmeetnepermitpasàsesdéfenseur&defaireunepropositionquelconque,mêmed'uneamendequiauraitpulesauver;ilvoulaitmourir,commeditMaxime
I.E PROCÈS 209
Ce discours ne fut pas mieux reçu que le
précédent. La mention du Prytanée dont il
se déclarait digne n'était pas de nature à cal-
mer l'irritation excitée contre lui. Sans doute
elle n'a pas le caractère de défi hautain et de
suffisance insolente, « d'outrage ~à la cour, »
que veut y voir M. Grote; il faut, au contraire,
reconnaître que Socrate entre autant qu'il le
peut dans les préjugés du tribunal. Malgré sa
répugnance, il ne conclut pas insolemment à
ce qu'on lui décerne cette distinction si enviée,
il ne refuse pas do porter contre lui-même une
'sorte de condamnation qui a dû lui coûter beau-
coup il offre en pâture, aux aveugles ressen-
timents de l'opinion, une amende, pour lui
considérable (1), car elle représente la valeur
deTyr,~M~eToefM~tM.Diog.L.,11,41 neportelasommee
qu'à 25drachmes (Boeck., Œ'coM.T~. < <), mais
Euboulide, cité par lui, l'élève à 100dr.
(1)Le témoignage de Platon est plus autorisé et 'son
récit,plus vraisemblable que celui de Diogène, qui lui
prête, II, 48, cette réponse hautaine et tranchante ~sxx
T&<6jMt~MMTpC~jM~N~Tt[t.&[MHTf~.~!x~ 'n)< <CpUTM!<<<teM;,qu'on trouve déjà dans Cicéron, de Orat., 1,54.Cette réponse, si elle eût été faite de ce style, explique-rait et n'excuserait pas encorel'irritation desjuges, «cu-
jus responso sic judices exarserunt, ut capitis homineminnoeentisatnuun condemnarent, car une réponsehautaine ne suffit pas pour faire d'un innocent un cou-
pable.
YIBDESOCRATE270
de tout ce qu'il possède. Il va plus loin .pourcette circonstance,lui qui n'avait rien voulu
recevoird'Alcibiadeni d'Archélaûs,il accepteune sommeimportante, et qui devait paraitreaux amisde Socratesuffisante,puisquece sont
eux sans doute qui l'avaient 6.xée.Maisil faut
aussi reconnaître que Socrateavait enverslui-
même et envers l'humanité des devoirs qui
primaient ceux de sa vie et de sa personne, et
qu'il ne pouvait sacrifier' sanstrahir ce qu'il
croyait sa mission supérieure et sacrée. Il
avait doncfait 'son devoir: c'était aux Athé-
niens à comprendrele leur et à le remplir.Les juges rapport~rect une condamnatjon
mort, prononcéeà une majoritéplus grande-:il y eut un depJacemeatde 80voixqui' s<~por-tèrent du côté des accusateurs; c~est-à-dire
que la cQpdamnatip~ mort, fut votée par331 voix contre Ï~ si ~nadrne l'un desnombres de votants~et par361 contre 141,si
ron~djnet.rantre~Cette déGisiënn~étonnani son esprit ni son
courage~il s'écria, dit-on, d'abord: Ils me con-
damnent~.mQrt eh bien! eux, c'est la nature
qui les y condamne (1). Puis, prenant la pa-
(1)Diog.L.,IJ,38,répoNsedéjàattribuéeàAnaxa-gore..
I.E l'ROCKS 2'n
rôle, il prédit à ceux qui l'avaient jugé coupa-
ble unpromptremordsde leur injustice; à ceux
qui l'avaient absous,il témoigna sa reconnais-
sance, et leur assura qu'il ne craignaitpas la
mort, et la considéraitmême comme un bon-
heur. Puisil leur recommanda ses fils, en les
priant, s'ils venaient à s'écarter de la justiceet de la vertu, de les corrigeret de les repren-
dre,commeil avaitfait lui-mêmefleurs enfants.
Eunn, avant de rentrer à la prison, il ajouta«Voici le moment de nous séparer, moi pour
mourir,vous pourvivre:"quide nous a le meil-
leur partage? Personne ne le sait, exceptéDi.eu.~r
CHAPITRE VIII
LA MORT.
Par une coïncidencesingulière,le lendemain
du jour de la condamnation, le prêtre d'Apol-lon couronna la poupe du vaisseau sacré qui
portait, à Délos,le cortége destiné chaque an-
née à rendre au dieu, au lieu de sa naissance,les actions de grâces dues pour avoir aidé
Thésée à délivrer Athènes de l'odieux tribut
qu'ellepayait à la Grète(1). C'était le sixième
jourdumoisMunychion,le dixième'mois de
l'année attique. La loi athénienne ne permet-tait pas, pendant ce pèlerinage sacré, de souil-
ler la ville par l'exécution d'un jugement ca-
pital. Socrate dut donc attendre que le vais-
seau fut rentré dansle port d'Athènes, d'où il
restait quelquefoisassezlongtempsabsent, re-
tenu par la célébration des fêtes et les vents
contraires. Dans cet hitervalle, qui dura trente
(1)Plat.,P/:<rdoM.,58a,b, c.
YIEDESOCHATË274!1
jours, le condamné fut mis aux fers, mais il put
recevoir librement chaque jour ses amis, et
s'occuper tantôt avec eux, tantôt seul, de tra-.
vaux intellectuels (1). C'est là qu'il composa,
suivant la tradition rapportée par Platon, un
hymne à Apollon (2) et mit en vers quelques-
unes des fables d'Esope. Ses amis avaient pro-
fité de ce répit pour organiser un plan de fuite,
et déjà avaient gagné le geôlier. Trois jours
avant le retour du vaisseau sacré, Criton, son
vieil ami, pénétraseul, de bon matin, dans la
prison -et le pressa vivement de s'enfuir (3);
il invoqua les raisons les plus fortes et les plus
(1)Et même de musique s'il faut en croire Ammien
Marceltin, XXXÏn, 4, p. 8~6, ed. Gronov. <xSocratem
destinatum po8hse, conjectumqueincarceremperrogasse
quemdamscite lyrici carmenStosiehort modulantem~ut doceretur, id agere dum liçeret., interrogahtequemu-
sico, qttia~ei poberit lide prodessë moritnro postridie,
respondisBe Pt aiiqttfd sciëiisaimpUttsavitadiscedam. »
C'est te motqueStobee,F'4' X~X~ 58;p. 300, prêteà Solondans une circonstance moins tragique. On peutdonc croire quec'est une erreur de Marceluh, à moins
qu'on ne suppose que Soeraten'ait fait que répéter un
mot déjà connu.
(3)Authentique ounon, cet hynmeexistait, encore
dutempsdeDionGhrysostome, Orat. J'oKttccuM Pa-
~KM, xxl ~fuSM!7romoMHOi'M ~t) w~.a~M.
(3)Lofait est attesté parXén.,§33.~tpoLPlutB!-ch.,t. II, p. 1I2S, 1. 13. Platon y fait allusion dans te
Phédon, p. 99 a. Il y a longtemps, dit Socrate, que
LAMOKT l' 27~
touchantes, le conjurant de ne pas se trahir
lui-même,dene paslaisser peseréternellement
sur ceux qui Pavaient aimé le reprocheet la,
honte de ne l'avoir pas sauvé.
Socratese montra touché de cet empresse-mentaffectueuxet dece dévouementsi tendre;il refusa avec douceur,maisil refusaavec une
inflexiblefermeté.Sagranderaisonfut qu'il de-
vait rester, dans la pratique, fidèleaux princi-
pes qu'il avait théoriquementsoutenus toutesa
vie (1).Il avait toujoursdit qu'il fallaitfaire ce
quiétait juste et bien, dût-on y perdre la for-
tune ou la vie; les circonstancesl'appelaientà
prouverqu'il était capabledefairece qu'il avait
conseillé il fallait qu'il le fit. L'obéissanceà la,loi est un devoir des plus impérieuxet une
des obligationsles plus strictes de la justiceil a obéijusqu'à présentet obéirajusqu'au bout
auxlois desonpays.. Cen'est pas une raison,
parce que sa patrie sembleagir injustementenvers lui, pour qu'il lui soit permis d~agirin-
justement envers elle. Laissonsdonc faireaux
dieux, dit-il.
Je nepeux pas voir là un arguaient sans sin-
cesvieuxos seraienten Beotieouà Mégare,sij'avaiscruquec'étaitîsmeilleurpartiàprendre.
(1)Crit.,46e.
VIE DE SOCRATE276
cérité et destiné à couvrir un calculprofond;il est certainque ce principede conduiteserat-
tachait à sesprincipesphilosophiques,et il est
inutilede lui supposer des intentions cachées,et particulièrementl'intention depréparer d~a-
vance l'effet dramatique de la dernière scènede sa vie.
Le jour mêmede cet entretien avec Cnton,Socrateavait eu un songe il avait vu venir
unefemmed'une rare beauté et d'une stature
imposantevêtue de blanc, qui l'avaitappeléet
lui avait dit ce vers d~Homère
S[<.aTt)!E'<T(~T<!ïH<M~ 6p!ëN).Mi'XM6.
Le donde prophétiedontil se croyaitpourvului révélale sens de cesénigmatiquesparolesCela signiue, dit-il à ~Eschine,que c'est dans
troisjoursque je mourrai(1).Aussine voulut-il
pas croire à la nouvelle que lui apportait Cri-
ton, que le vaisseaude Délos arriverait le jourmême de l'entrevue. Les pressentiments de
Socratese réalisèrent..
Le jour iatal arriva (2).Dès le matin, ses
(1)Diog.L.,H.36 Plat.,Crit.,43a.
(~)Ladatedecet.te'mortestplacéedansla1~moitiédu moisThargélion\Ma;)del'ol.95,3(an399av.J.-C.).Si on savaitexactementqueljourle prêtred'Apolloncouronnaitlapoupeduvaisseausacré,onpourraitfixerexactementladatedelamort,quieutlieutrentejours
I.AMORT 277
tC
amis se réunirent encore une fois auprès de leur
maître; ils étaient nombreux. On y voyait
Apollodôre, appelé l'Enthousiaste, et connu par
sa mélancolie douce et tendre; il apportait à
Socrate une riche tunique dont on devait le re-
vêtir,. suivant la coutume grecque, après sa
mort. «Eh! quoi, lui dit-il, le vêtement qui m'a
été bon pendant ma vie, ne me sera-t-il pas
assez bon pour mourir? )) Xénophon (1), comme
Platon, mentionne l'ardeur de son affection
pour son maître, qui éclate en cris et ensanglots
à la dernière scène de la tragédie. Les deux
après. M.K. E. Hermann (L~t'&. (2.yo«esc!MMS<Kc~e~.4~e)'~M)M.,p. 414) croit que la Théorie devait s'ar-
'rangerde manière à faire co'inciderla célébration de cessacrifices avec le jour desThargélies, où l'on célébrait la
'naissance de Diane et la fêtede Déméter Chloe; M. Zel-
lér en a conclu que le retour n'avait lieu que dans la
2"'° moitié de Thargélion. J'aurais été plus disposé à
admettre que ce yaissea-u, qui était le même que celui
où s'était embarqué Thésée(f'lut., ?7!M.. c. 23),mettait
à la voilepour Dèlos le mêmejour qu'avait fait Thésée
pour la Crète: or,icejour était le 6 dumois Munychion,où l'on céiébraitles'&~hMt. Revenujuste un mois après,il aurait été de retour le 6 Thargélion, assez a tempspour que la Théorie pût prendre part à la fête où l'on
puriHait Athènes (Diog. L., II, 44). Socrate, qui but la
ciguë le lendemain, serait donc mort le '7,'qui est, dit-
on, aussi l'anniversaire de son jour de naissance.
())~po~§28.
t* 278 VIE BE SOCRATE
Thébains Simmias et Cébes (1), qui s"étaicnt
la veille donné rendez-vous, deux amis et
presque deux frères, peut-être des pythagori-ciens, certainement auditeurs, sinon disciplesde Philôlaùs, étaient présents et ils jouent un
rôle actif dans le dialogue de Platon. Auprèsde lui était encoreFhédohd~Elis,qui était tout
jeune encore et déjà cher à Socrate. Platon
nous le dépeint heureux de parler de son
vieil ami et de raviver samémoire~c'est dans
sa bouche qu'est placé le récit de l'entretien,et on nous le montre,au momentsuprême,fon-
dant en larmes, et obligé, pour cacher_sa fai-
blesse, de s'envelopper le visage de son man-
teau. .<
L~ plus vieil et le plus ûdele amide Socrate
ne r~ait; pas, coo~et~jpëut~~ù~ ajban-
doni~dan~ cette~der~ caritoü
était riche (8) et ratait souye~ âid~ de sa
bourse (3), si bien que themiste l~appelaitle
ministredes nnancësde'*Sbcrate(~).Il méritait
par la constancede son dévôuelhe~le rôle que
(1)II estdi fBciiedeëroirequece Cébèssoit l'auteurdumorceauintitulétl:v~.
;'(8)XëN.~1.Me)M.)I,.9.
(3)Diog.L.,11,21.
(4)Or.,XXin,p.149:'f~tM~
LA MORT 270
Jui attribue Platon, et que sans doute il rem-
plit..C'est à lui que Socrate adresse ses der-
nières paroles, c'est à lui qu'il recommandesa
femme et ses enfants; c'est lui qu'il charge
d'exécuter ses dernières volontés, et d'offrir
331~dieux,sa dernière oNra.nd~;c'est lui ennu
qui lui. fermeles yeux.Outre ces personnages plus ou moins inti-
mementliés avec Socrate, d'autres étaient ve-
nus lui dire un dernier adieu parmiles Athé-
niens, Gritobul'ô,?1~ de Criton; Hermogè.ne,fils d'Antiphou,qui avait assisté au procès
Epi~ène,~schi.nerAQt~thene, Ctésippo,Mé-
nexene, qui appartiennent tous à ce q~pn
appelleles socratiques,et, parmi les étrangers,
PMdondes,de.Tb.ebesou de Gyrene; EucMo,de Mégare, Tërpsion' complètement inconnu.
Xéuophou,alorsen Asie, et Platon, malade,
peu.t*6tre:de douleur, n'assistaient pas à cette
scène sublimeet déchirante.
Aumomentou le geôlier dela prison, aprèsles avoir fait attendre un instant, leur permitL
d'entrer, les Onze venaient d~aïmoncerà So-crate qu'il devait subir lamortle jour même,et
'de lui faireôter les fers quilui avaient meurtriles jambes. Il était assis sur un lit; sa femme,assise à ses côtés, tenait dansses bras un petitenfant. En les voyant entrer, la douleur de
VIE DESOCRATE280
cette femme éclata, et son coeur se brisa
«Quelle affreuseinjustice! s'écria-t-elle.eAimerais-tudonc mieux, répartit le vieillard,
que ce fût justice? « Ah! Socrate ajouta-
t-elle, voilà tes amis c'est la dernière .fois
qu'ils pourront te parler; c'est la dernière fois
qu'ils' pourrontt'entendre! et elle fondit en
sanglots. D'un regard, il fit signeà Criton de
l'emmeneret elle sortit.
L'entretien commença alors, et porta prin-
cipalementsur l'immortalité de l'âme; mais le
.fonddes idées aussi bien que les développe-mentsparaissent appartenir à Platon. Cequ'on
peut croirehistorique, cest la peinture de So-
crate, de la tranquillité sereine et de l'enjoue-ment sublime de son esprit et de son âme, ta-
bleau d'une beauté incomparable,autant que
pathétique, et qu'onserait désespér.éde croire
tout à fait inventé il se compare lui-même à
l'oiseau d'Apollon,au cygne auquel le dieu à
son heure suprêmeaccordeune vue prophéti-
que plus certaine, et des chantsplus beaux et
plus harmonieux. Le Phédon peut être enef-
fet appelé le chant du cygne de Socrate, et un
hymne sublime et harmonieux à l'immorta-v
lité de Famé.
Tout le jour s'écoula en conversations; le
soleil était encore sur les montagnes, lorsque
LA MORT 281
16.
Socratevoulut en finir il alla prendre un bain
pour éviter à ses amis l'horreur de laver un
cadavre, et fit introduire ses trois enfantset
les femmesde sa maison, soitsesparentes, soit
ses servantes, soit peut-être les unes et les
autres. Aprj~sleur avoir dit adieu, il répondità Criton,qui lui demandait quelles recomman-
dations il avait à faire, et de quelle manière
il désirait être enterré. Il enjoignit à ses
ainis d'être fidèles aux principes de là justiceet de la vertu c'était le meilleur moyend'honorer sa mémoire; pour les soins de la
sépulture, il les laissa libres de faire comme
ils l'entendraient, n"y attachant aucune im-
portance.La loi athénienne ne voulait pas que la lu-
mière sacréefût souilléepar le spectacle des
meurtres juridiques (1); Socrateaurait doncpu
prolongersa vie de quelquesheures maispour
épargnerà ses amis les déchirements, et pour
abrégerl'angoissede cette séparationéternelle,il fit appeler le serviteur des Onze,dont le
cœurse troublaenfaced'une résignation sitou-
chante et d'une douceur si sereine. « Socrate,lui dit cet homme, il n'en sera pas de toi com-
mede tant d'autres qui s'irritent contremoi, et
'!)Oh'mp.,ad P/tescfoM.
VIEDESOCRATE282
me maudissent quandje viens leur annoncer,
par ordre de mes chels, que le moment de
boire le poison est arrivé. De tous ceux quisontjamais entrés ici tu es bien le plus coura-
geux, le meilleuret le plusdoux. x Eten disant
ces mots, ce pauvrehommese dé~urna, pleu-rant à chaudeslarmes.
Socrateprit sans tremblerla coupedesmains
du bourreau, et écouta avec attention les re-
commandationsque celui-ci avait à lui faire
pour faciliter les effetsdu poison.Sur son con-
seil il s'abstint d'en répandrequelquesgouttes
pour faireune libation aux dieux immortels,il
se bornaà les prier de conduire à bien et de
bénir son derniervoyage. C'est la seule chose
queje leur demande, ajouta't-H, puissent-ilsexaucermesveaux Cela dit, d~unvisagetran-
quille et souriantil but la coupe de cigu~.A
cette vue, tous les assistantséclatèrent en lar-
mes et en sanglots.Phédon s'enveloppala tête
de sonmanteau, Criton, dont le courageétaità bout, ne put supporter plus longtemps ce
spectacleet sortit. Apollodore,qui depuisquel-
ques momentsne faisait que pleurer, poussaitdeshurlementsde douleuret fendaitle coeurde
tous les assistants. Seul, Socratene se laissa
point troubler. a 0mesbons .etchérsamis, leur
dit-il, que faites-vous?J'ai toujours entendu
LA MORT 2.S:!
direqu'ilne faut, à l'heurede la mort,prononceret entendre quedesparolesdobonaugure.Soyez
donccalmes!soyez donc fermes! » Tout en di-
sant cesparoles,Socratequi se promenaitdans
la prisonpourobéirauxindicationsdu serviteur
'des Onze, sentit s'appesantir ses jambes il se
couchaalorssur le doscommeon lelui avait,re-
commandé,et secouvritla figure.Le bourreau
entra à cemomentet l'examinant, lui serra les
pieds, prit les jambes qui étaient devenues in-
sensibles peu à peu le corps se glaçait et se
raidissait.Lebas-ventre était déjà* froid commedu marbre, quand Socrate découvrant son vi-
sage <Qriton,dit-il, et ce furent ses dernières
parole, nous devonsun coqà Esoulape, n'ou-
blie pas, je t~enprie, d'acquitter cette dette.–
Celasera fait, réponditCriton quiétait rentré;
si tu as quelqueautre choseà nousordonner,
parle.e MaisSocratene répondit rien.Quelquesinstants après il fit un mouvement conduisit;
l'homme des Onze le découvrit alors tout à
fait, ses regards étaient Gxes;Criton,qui s'en
aperçut, lui fermala boucheet les y eux..Voilà
commentmourut, dit Platon, le meilleur, le
plus sage et le plusjuste des hommes. C'est
sans doute après la lecture de cette admirable
VIE DE SOCRATE284i
tragédie(1)qu'Erasmes'écriait Proinde quum
~M~<SMto~~M~aw lego de. talibusviris, ~~a?
mihi <eMp~oquin~ca?M SancteSocrales,ora
pronobis(2).Tout le monde connaît le parallèle un peu
sophistique que Rousseau~dans sa Professiondefoi du Mc<M~~M?0!/a~établit, entreSocrate
et Jésus, et qui se terminepar cesmots a Oui,si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage,~avie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. s
L'auteur d'une histoire fort estimablede laphi-
losophieancienne,prétend qu'il suffiraitde ren-
verserles termesduparadoxepour en faireune
profondevérité. « La personne humaine,dit-il,s'effacedans Socrate autant qu'il est possible,et ne laisse de place qu'au sage divinisé des
stoïciens.DansJésus, au contraire,la -personne
humaineparaît à chaque instant, vérité qu'an
surplus le dogmeadûconsacrer(3)».Je laissele
secondterme de.la comparaison il est certain
que leChrist,tel que se lereprésentela foicâtho-
liqùe, «n'a rien dédaignédetout ce quiétait de
l'homme; il a toutpris, exceptéle péché, tout,
jusqu'aux moindreschoses,tout jusqu'aux plus
(1)Cicéfon,~-ZVM<.D.,III,disaitqu'iln'avaitjamaispulareliresanspleurer.
(2)c Conviviumreligiosum.(3)M.Ch.Renouvier,t. I, p. 324.
LA MORT .28:i
grandesinnrmités(l))' maisje ne puis admet-
tre que Socrateréaliseet dans sa vie et dans sa
mort L'impassibilitédu sage stoïcien, étrangeret indifférentaux douleurs, aux joies, aux inûr-
mitésde l'humanité lui aussi,il a desaffectionset des amitiés; il n~apoint, commeil le dit lui-
même, un cœur de chêne ou de rocher; mais
sonhéroïsme surmontecesfaiblessesetle vieil-
lard de soixante-douzeans,peut, dans la paixet l'espérance d'une vie meilleure,-s'endormir
tranquille et serein, sans dépasserpour celala
régionde Fhumanité. C~estmêmeun fait re-
marquable,que dans cette antiquité païenne,toute enivrée des visions mythologiques,on
n~aitattribué à Socrate aucun caractère divin
H'or~le d'Apollonne faitpas deluiun Dieu(2).Socrate est un homme seulement, c'est un
hommevraiment grand, et surtout pour ceux
qui croient queJésus est un Dieu, c'est le plus
grand de tous les hommes.
Onpeut se demander, il est vrai, si le So-
crate que nous a peint Platon est bien lo'So-
crate del'histoire, ou s'il n'est qu'un pur et li-
bre idéal. Ona fait observerque le PM~o~et le
(1)Bossuet,2*serm. sur la Compassionde la
Vierge.(2)Xén.,~4po!§ 15: 66N~.Moux~xM~,~~M~M~
~S??o).~MTTû~e~O~e~UTT6D<OEpE~.
2S~ VIE DE SOCRATE
&M~Me<appartiennent à la classede ces dialo-
guesque DiogènedeLaërte appelleM~M~MtT')te/,et qu'il distingue des dialogues dramatiquesoùl'action extérieure était une pure Action.Je
ne voudraispas fonder mon opinion sur une
preuveaussifragile car les formes'dela clasr
sification des dialogues de Platon sont aussi
contestablesquelesprincipesensontdiiférents,On ne peut nier que Platon, s'il ne divinise
pas Socrate, l'idéalise, et répand autour de
cette grande figure un reflet-deBeautépoéti-
que. Mais de quel grand personnage del'his-
toiren~enpeut-onpas dire autant? et d'ailleursnous ne trouvonsrien dans le calme et véridi-
que Xénoplionqui contredise la peinture de
Platon. Comment Socrâte aurait-il e~i~~nenthousiasme si profond, Goauneja.taMait~l
produit une révolutionintellectuelle et morale
si universelle et si féconde,-s'il n'avait pas
porté presque à l'idéal la grandeur humaine?
Pouc s'expliquer son influence, nous sommes
obligésde conclurequ~ila d~être tel quenous
le dit Platon.
CHAPITREIX
APPRÉCIATION DES CAUSES DU PROCÈS ET DM LA
COU DAMNATION DE SOCRATE.
Pourquoidonc les hommes l'ont-ils accusé,
condamné, tué? Quelles ont été les vraies
causes de ce procès~t du meurtre juridique
qui..enfut la suite? Onpeut soutenir et on a
soutenu/à cet égard, plusieurs opinions diS'é-
rentes.
Les uns disent qu'il aété victime d'inimitiés
personnellesqn~ils'était attirées par son en-
quête universelle et perpétuelle sur les ci-
toyens les plus considérablesde rÊtat,etparla critiqueamèrequ'il faisait de leur vanité et
de leur ignorance; d'autres pensent qu'il fut
accusé et condamné pour avoir ouvertement
professé des opinions politiques contraires à
celles du gouvernement établi;,et provoquéles ressentiments d'une démocratie d'autant
plus ombrageuseet irritable qu'ellevenait de
VIEDMSOCRATE2~8
traverser un affreux régime de terreur oligar-
chique, et avait en horreur les théoriespo-
litiques dont la pratique s'était montrée si
cruellement sanguinaire. Pour d'autres, c'est
l'ensemble de ses idées morales, religieuses,
politiques, qui l'ont perdu, qui ont suscité l'ac-
cusationet l'ont fait réussir. « C'est l'esprit de
'ce temps, et non Anytus, ni l'Aréopage,qui a
mis en cause et condamnéSocrate(1). Enfin,
en ces derniers temps, on est allé jusqu'à dire
que, quels qu'aient été les motifsde l'accusa-
tion, il ne fa ut .accuserque Socrate de la con-
damnationqui l'a frappé. Si, par un orgueil
insolent, il n'eût pas offensé ses juges, évi-
demmentdisposésà l'acquitter, ou du moinsà
lui faire grâce, il n'eût pasattiré sur lui-même
ce châtiment,ni à ses concitoyensle reprocheimmérité~'une sanglante injustice (2).«
D'abord,que Socrate n'ait pas succombé à
des inimitiéspersonnelles,c'est ce que prouve
(1)M.V.Cousin. 7'po~.(2)Hnefautpasprendreà lalettrela raisonqueCi-
céronmetdansla bouched'Antoine,de Ora~ 1,54«Illedamnatusest nutlamaliamabcutpamnisipropterdicendiinscientiam,"carCrassusdiraplustard, 111.
16 « Socratesfuit is,qui omniumauditorumtesti-
monio,totiusquejudicioOrsecise,quumprudentiaet
acumine,etvenustate,etsubUlitate,tursveroeloquen-tia,varietate,copia,quamsecumqueinpartemdedisset,
APPRÉCIATION 289
n
l'A~o~M mêmede Platon. Sans douteAnytusétait fort opposé,à ses doctrineset peut-êtrefort irrité contre sa personne; mais le docu-
ment même que nous invoquons atteste qu'il
y a eu des causesplus générales, et sinonplus
généreuses, entous cas moinsbasses et moins
viles.Anytusparaît avoir été ce qu'on appelleun honnête homme, et si des motifs person-nels ont dû l'aigrir, il est constantqu'il a été
averd,par sa sollicitudedepère de famille,queSocrate menaçait l'État d'un grand danger il
a agi ou cru agir au nom d'un intérêt général
et, commeon Fa si souvent répété depuis, au
nom du salut public.D'un autre coté, la passionpolitiquen'a pas
été, quoi qu'en dise Fréret, ni l'unique ni le
principalressort de la poursuite; il est bien
vraiqu'Anytus était un démocrate; que'So-crate avait un penchant avoué pour le gouver-nement
aristocratique, qu'on lui reproche d'a-
voirinspiréà Alcibiadeet à Critiasleur odieuse
politique, d'avoircritiqué le gouvernementpo-
pulaire, le mode d'électionpar le sort, d'avoir
conseillédetraiter les classesinférieuresd'une
omniumfuit facileprinceps. LaréputationdesonéloquenceestattestéeparPJat.,~4~)0(.§1,m;~e~oSo~;).s- etpnrXénophon,Af~K.;IV,!x?.{<~~M,~sMTtXXt ~t'p!(MMO?.
VIEDESOCRATE290
manière dédaigneuse et sévère mais cepen-~dant ces griefs ne font pas partie de l'accusa–
tion.et n'occupent, dans le portrait que nousa laisséAristophane,qu'une placerelativement
petite. Je croisdonc que Socrate a succombéà
un sentiment de terreur aveugle qui s'était
emparéd'un grand nombre d'esprits, de ceux
qui se croient ou se disent conservateurs, et
qui voyaient attaquer avec une persévérance,une habileté, une force,une modérationinvin-
cibles,des principes de religion, de politique,de morale, sur lesquels, pensajtent-ils, repo-saient l'intérôt deTËtat et aussi le leur. Il me
semble que, sous les traits chargés que,la li-
cence de la comédieexplique, le portrait qu'A-
ristophane noustrace de Socrate est celui quedevaient s'en faire la majorité de l'opinion, ou
du moins ceux qui pouvaient, dans l'opinion
publique,toujourssi vague, créer une majoritéfacticeou réelle.Or,l'idée qu'Aristophanenous
donne de Socrateest claireet précise c'est un
sophistedont le scepticismeuniversel ébranle
la religion, la famille et FÉtat. On l'accusa
donc de ruiner tout l'édince social. Les pros-crits héroïques, qui venaient avec Trasybulede rétablir la liberté et l'indépendance d'Athè-
nes, purent croire que Socrate était le repré-sentant de la sophistique:or, la sophistique
APPRÉCIATION 291
était pour eux le principe du mal moral et re-
ligieux qui dénouait rapidement tous les lions
qui avaient fait autrefoisla forceet la gloire de
la patrie; ils crurent qu'il fallait, commeOndit,donnerun grand exempleet frapper un grand
coup.11faut remarquer qu'on ne trouve aucune
trace de fanatismereligieux dans cette affaire.
Chez un peuple qui n'avait pas de hiérarchie
sacrée, de dogmatiquereligieuse, qui choisis-
sait ses prêtres par l'électionou par le sort, et
ne les considérait que comme des magistrats
temporaires et des serviteurs de l'État; quiavait laisséune grandepartie des fonctionssa-
cerdotalesaux magistrats politiques, aux par-ticuliers et aux pères de famille,; où, de tout
temps, les poètes s'étaient permisd'embellir la
tradition des mythes, c'est-à-dire de changerles formesde l'idée religieuse,l'idée et le nom
d'orthodoxie~existaient mêmepas on necon-
naissaitpas l'horreur qu'inspirent aux fidèlesle
schisme et l'hérésie; on n'en ressentait ni les
haines'ni les fureurs, et Socrate n'en a pas été
la victime.
D'ailleursil professaitle culte de ses conci-
toyens (1).Quandun homme de cette loyauté
(l)Xén.poL,§24.
VIE-DESOCRATE292
fait une déclaration semblable, on n'a pas le
droit de la mettre en doute. Son Daemonium"-
n'introduisaitaucuneinnovationsacrilège. Dansun pays où les prêtresn'étaient pas en posses-sion exclusive des révélations divines, avoir
un oracle privéequi s'ajoutait aux oraclespu-w
blics,n'était point uncrime ni unechosenon-
velle ou rare. Qu'au-dessusdes dieux visibles
il crut à undieu invisible, à un dieu suprême,
unique et un, je le pense maisquel est celui
des poètesgrecs, et surtout des poètes mora-
listes,chezlesquelsonne surprendraitpascette
pensée exprimée avec autant de force et de
clarté que chez Socrate?Un dieu unique et
tout-puissant au-dessus des dieuxvisibles et
invisibles,ses~agentset ses ministres, n"a rien
qui contredise la donnée essentielle du poly-théisme ;grec. Cette unité divine, on la trouve
dans Homèrecommedans Pihdare et dans So-
phocle(1), et elle est si peu contraire au poly-théismequele dernier défenseurdu paganisme,
(l)ZEu;w,z~E(;T!,Ztu;&i<!MZt,verscitéparPausanias,X,18,etattribuéauxPéléades,auteursd'unhymneà Ju-piter.~Ctém.,S~OtM.)V,610A.nh~ttpo!awtXj)u<MM'Tt620;;CTtTO'~V.Soph.,Tr~C~ [1278],~SttTOUTNVS,T[ZEÙ;,Menante,F~~w.'r~ 588, attribueà Euphorion,Sts<rE$chyle,cev.ers:
Z6U;<M -p), Zsu; T~j!9.W~ ZEU;T(i:'tifT!X'<TX
~mrt TB~t U'!TSpT:p(,v.
APPRÉCIATION 293
n.
Proclus,professeouvertementun monothéisme
panthéistique. D'ailleurs,chez les anciens, quin'ont pas connu la chaîne d'un dogme étroit,d'un symboleécrit, d'articles de foi, qui cher-
cliaient Dieuen toute libertédans la conscience
et dansla nature, la religionofficielleest moins
une affairede croyance que de culte, et, à cet
égard, Socrate remplissait toutes ses obliga-
tions de citoyen.Aprèss'être un instant occupéde physique, il avait rejeté ces études comme
absurdeset inutiles. Lesprocédéssophistiquesde la parole n'avaient pas de plus grand en-
nemi et de plus redoutable adversaire. Il est
ridiculement injuste de le rendre responsabledesvicesd'Alcibiadeet descruautés de Critias,et non moinsabsurde de l'accuser devoir cor-
rompu la morale. On dit qu'il vient en contre-
dire les principes et en ruiner les fondements,
parceque, cesprincipesétant ceux del'autorité,ces fondements ceux de l'habitude, Socrate
vient donnerà l'hommele droit et lui imposemême le devoir de n'obéir qu'au Dieu qui lui
parle dans sa conscience et dans sa raison. Il
vaut mieux, dit-il, obéir à Dieu qu'aux hom-
Je neparlepasjdesOyp/M~Mg~ou l'on trouvecesmotsétranges,fr. IV,3,Mullach.
· EX; «M; 6< TrOMTM'K.
M4 YI&DBSëSRÂTË
Nias, et sa cottsci~ qu~àEh Mea
~avait~M~oiï~~t~ pxïno~~ervr~~
;r:Hr<6~ il'~ttaq~~â~£1~·
:tat~~a~ ~'ytaxtp~~n~trï;l~w
taq~e~ wsea~éf$xxt~~eAï~ppr~t;
.d~a~~ prluçipe~t~ü,~r~@;S!E~~ da~'1~lxbxé."disoussi~~xF-~oc~at~~=s
')ad~ utra-;é~ de p~otestâ~i~tis~é
~M~sM~ r~li~ieü's"~oü~
~L~î~ u~`~~r3~~le:
~p~~e~ ~~s pï~~test~~$
!6t1~ dbit ~prôte~t~nti~ma;,CeTq~il
~a~coBsetv~~i~ ét ro~r,é
~(~]~ ~de~ientda~s leépa~a.o~.1~
~S'T~MMS~M'~ ~o~:
~c~
~M~8~~M~~ ~eji"~ü~ 'p,rllSl~e
!S~!S~~ ~~`~x 1~Lo~t
pl~s,e;t~,ad°~s~~clés
~L~~ ,~é~~itmésy`~,sce~trra~Fê~à;~la
~p!~aga~()s:t$~ dogrnafisme '~hré~i~
~6~ ~s~~incxpérduf~ib~e
~h~et~au~~ .la far~ede L~sütorité
~a~s~e~ .il lâmesûre, ëtil~
;]~~ Socrate
~n~s~l~lu~ ~am.ps
~~rë~p~cter.'~n~~p~(~n~~l~?~il! la ~con
APBR~QIATION 29H
scieRG9et de la r~son mdi~~ H dé-
pare q~}lvanne~~K~ que renon-
~a~~ss~ine~ ne pas déso-
~h~l~de~~ et r ~conuaît~lesdroits
~t,0~~ qu.'i~.lqs ~esurs et les
~q~ s~âpl~~s~©~ont,
:S~F~ les a~ciaWe~
;{.,jSP()y~ lésauois.n,su~~i;~s7 ].
~(~co~~ quo ;Soo~ata,a sauv~
? c~u';clumoins, e~, louri~fu-
s~ ~pQ d't~us notiv~Ue,
~je~oi~Q~ ~Gle~
'OI~ÏR~ ~ev~nina'~n
.]~~r~s sclï~.suppl~oe
sa t
i. et on
~~t~~S~~j~ '~bslte~,e~ou.~ soïl;
~Q~f~ da dou.le~rqui~stepüt en-
:erQ~]~~]~ éette ~~diguat~o~a~é-
~~e~e~yn~a~ .~p~ppri~ë,ne~
CQ~~u.~p~ pe~ r~ .u~e.d~ç~ri~~qui
sa~a d'~Q" d~aden~Qp~ pf~vt,uq,
~?0~ la
\iU~ati~~dp~ntiq~té!~
Es~ ~i q~ ~~q~~ les yst~~utious
élaMieset excité àlaRa~ et~aumépris, du
;~go~iem~i](iënt:t~~n~~ce~ étoit'pïèu
~orableà~a~~ i.elX~.qu'çllevtait'pra-
VIEDESOCRATE296
tiquée sous ses yeux; il en voyait les viceset
les dangers plus que les vertus et la force. Ce
sage que la liberté politique a élevé; auquel.elle a permis, pendant quarante ans, l'usagede la pluslibrecritique, ce révolutionnairemo-
déré qu'elle a nourride son esprit, iû~budeses
idées, penchait vers un idéal rétrograde, vers
le gouvernementdorien, qui n'aurait passou~-fert un an, un jour, uneheure, ses investiga-tions critiques et son oppositionspirituelle et
railleuse. Maisdepuis quand l'opposition est-
elle un acte de trahison? En tous cas, ce n'est
pas à Athènesqu'on pouvait poserce principeridicule et violent. La critique des institutions
et des lois y était permise'à tous, et jamaisl'État n'était intervenu dans les pures opinions
spéculativesen faitde politique. Nepasdire ce
quel'on pense,l'acquiescementmenteurmême~
du silence, c'était le fait de la servitude asiati-
que (1).La libre parole, le franc parler, quePlaton considérera plus tard comme un des
fléaux de la démocratie,est un élément de la
constitutionathénienne.Choseétrange Platon
attaque cette liberté,-etc'est pour en avoirusé
que Socrateest mort et c'est pour l'avoir in-
(1)Eurip.;.PAGM.,v. 392
A~(.U TO ~MM;jAt) ?.~M <! Tt; <j)~
APPRÉCIATION 297
terditeunjouràà Socratequenousfaisonsànotre
tour, àAthènes, au nom dela justice et de la li-
berté,un amerreproche.LesopinionsdeSocrate
étaient légalement inattaquables. Quant à sa
conduite,il a remplitous sesdevoirsdecitoyen.Il aimaitavecpassion cette ville charmante et
spirituelle~patrie de toutes les grandeurs mo-
rales, hors de laquelle on ne conçoit plus de
placepour la mission qu'il avait à remplir, et
n'avait, pouraucun prix, pour aucune circon-
stance,consenti à s'en absenter (1). On ne lui
fera pas sans doute un crime capital de s'être
abstenu, quandil n'y était pas obligépar la loi,de la vie politiqueactive (2). Enfin, je trouve
que c'est une raillerie cruelle de dire à Socrate
qu'il n'a, qu'à s'en prendre à lui-mêmede l'is-
suejfâcheusedesonprocès,queses jugesétaient
disposésàFindulgence,et qu'avecun peu moins
de hauteur, un peu plus de complaisance,et,tranchonslemot, avec un peude bassesse, il se
serait tiré d'affaire.L'intentiondeM.Groteest de
(l)C~53b..
(2)LaloideSolon,quementionnePlutarque(Solon,20),nes'appliquepasà celuiquis'abstientdebriguerlesmagistratures,maisà celuiquis'abstientd'avoiruneopinionet unpartipolitique.CequeSelonfrapped'in-famie,c'estl'indifférenceenmatièrede gouvernement,cequin'estqu'uneformedel'absencedepatriotisme.
VIEDESOCRATE298
délivrerla démocratieathénienne de la respon-sabilitéde cette iniquité; il aimela liberté et la
voudraitpure et sans tache il souffrede voir
le sang dujuste souillercenobledrapeau; maisil faut aimer les peupleslibres commeils mé-
ritent d'être aimés,virilement; ilfaut savoirleur
dire la vérité.Onpeut plaiderpourAthènes les
circonstancesatténuantes; mais l'absoudre, la
justifier, et, pour lajustifier, accuserl'innocent
qui a été sa victime, ce serait trahir les droits
de la justice et de la liberté même dont So-
crate, plus qu'Athènes, est à ce momentle re-
présentant.
D'ailleurs, il ne faut pas être indulgent pourles fautesdesgouvernementsdémocratiqueset
libres. Il n'est pas étonnant que les gouverne-
mentsabsolus et despotiquesagissentavecper-
fidie, violence, cruauté, injustice: c'est leur
essence. Il ne faut pas demander qu'un arbre
sauvageporte des fruits sains et doux mais la
justice est le fruit naturel de la liberté, et
quand un peuple qui est libre ne sait pas être
juste ni clément, on ne saurait être envers lui
trop sévère; car d'où attendre maintenant la
clémenceet la justice (1)? Il comprometnon-
(1)Cic.,deOff.,ï, 25:«In liberisveropopulis-exer-cemdaetiamestfacilitasetaltitudeanimi a»
APPRÉCIATIOK 299
seulement son honneur, mais la civilisation
dont il fait douter et désespérerun instant.
Disons-le donc la condamnation de So-
crate, mesure de réaction, a été un crime, et
de plus une faute, car elle a été aussi inutile
qu'injuste,. Ce qu'on peut dire en faveur
d'Athènes,c'est que, si elle afait périrSocrate,c'est elle qui l'avait fait naître; elle seule l'a-
vait pu élever, encourager,entendre et sup-
porter pendant cinquante ans. Ajoutons en-
core qu'elle s'est repentie de sa cruauté, et a
pleuré le grand citoyen et le grand homme
quelle avait méconnu. C'est du moins ce
qu'attestent Diodore, Plutarque, Diogène de
Laërte, S. Augustin, Suidas(1), et sans doute
c'est un scepticisme, excessif que de refuser
d'ajouter foi à ces témoignagesd'un fait en soi
si naturel et si conformeau caractère athénien.« Je ne sais pas, dit M.Grote, sur quelle au-
torité repose cette assertion, et j'en doute
complétement (2). » Il est certain que Platon
n'en parle pas plus que Xénophon; mais doit-
on supprimer de l'histoire de Socrate tous les
(1)Diod.Sic.,XIV,31;Plut.,de/~td. c.6.;Diog.L.11,43{etVI,9;Thémist.,C~.XX,239;S.Augustin,deCtc.D.,YIIItc.3; Arg.duJ?M~M'd'Lsocrate.
(2)~M<.o/'Cr., t. VIII,p.615.. I. disbelieveit ol).ogether.»
MO VIEDESOCRATE
faits qui n'ont pas pour garants ces deux té-
moins? M. Grote va jusqu'à dire que la mé-
moirede Socratea dû rester longtemps impo-
pulaire, puisque Xénophon n'a écrit ses Mé-
~o~M~ que,pour dissiper les injustes soup-
çonsquipesaient encoresur elle, commesi on
ne comprenaitpas l'œuvre de Xénophon, dans
l'hypothèse même où les Athéniens auraient
reconnu et regretté leur erreur. S'il n'est pas
certain, comme l'affirme.Diogène,qu'ils lui
aient élevé une statue, cela n'est pas aussi
impossible que semble le croire M. Grote,
s'appuyant sur ce que Lysippe, à qui onTat-
tribue, est très-postérieur à Socrate. Lysippeaurapu travailler d'après lesindicationsde Xé-
nophonet de Platon, d'après des traditions en-
core récentes, et peut-être même d'après des
reproductionsplastiques, qui, dans un tempssi brillant et si fécond pour la sculpture, ne
doivent pas surprendre. Fréret, avant Forch-
hammeret Grote, avait remarqué qu'Euripide
ne pouvaitpas avoir glissé, comme,le prétend
Diogène,dans ces vers de son .P<a:J<HM~<?
ËKX~eT'<XX'<ET6&
ïMo~M, & AMo~t,
T~ cù<~ <xX'YU~<iU<tx~ef'ovx MMXtM,
une allusion touchante à la mort de son ami.
a pièce dont il est question, mentionnéepar
AI'PttËCIATION ;r 301
18
Aristophanedansses T/tfSMtop~orMs(1), comé-
die représentée, d'après les calculsde Fréret
et de S. Petit (2), la -vingtièmeannée de la
guerre dn Péloponèse~est antérieure au moins
-dedixansà la mortdeSocrate,et, ce qui esLun
argumentplusdécisifencore, Euripideest mort
sept ans avant Socrate(3). Maisqu'est-ce qui
empêchede croireque, lors dela reprise de la
pièce,sousle coup d'un sentiment de remords,les spectateurs aient appliqué ces vers à So-
crate (4), et n'aient pu retenir, en les enten-
dant, ceslarmesgénéreuses(5)que Phrynichusavait fait coulerautrefois en leur peignant les
malheurs,de Milet, qui avait été aussi victime
de leur imprudence et de leur légèreté? Ces
nobles remords sont trop dans la nature du
cœurhumain,et surtout dansle caractèreathé-
nien, pour douter d'une tradition si répandue.Isocrate semble y faire une allusion discrète
(l)v.19Tf,811.
(3)S.Petit,~Mce~I,c.X!ii.
P) Phiiochore,citéparDiog.L. 11,44:,et quivivait130ou140ansaprèsSocrate,avaitdéjàfaitcetteob-servation.
(4;)G'estroptnMBde'Vaickecaër.D!'a<.deFfa~.EM~.
p. 190,etdeG.Hermann,~œ < .tVtt~p.XXXJH.
M.BoecitKsuppfsë<:esvers introduitsdans la piècepostefleuremeut,pttruneinterpolation.
(5~Arg. de BMS!)'MM Ti)Os7.T~Ms~x:ut;s.
VIE0Ë8dORAtË30~
dans ces mots dé l'AMM~ < Vous honorez
pas, je pense; que la ville a eu souvent à se
repentir de condamnations prononcées sous le
coup de là colëre et sans preuves évidentes~
et que, peu de temps après, elle a demandé un
compté Sévère & ceux qui avaient égaré sa jus"
tice, tandis qu'elle eût souhaité à ceux Qu'ils
avaieht indignement calomniés plus de prospé-
rités qu'ils n'en avaient goûtées (1)? f J'aime
mieux même, dans rincertitùde dès deux côtés
égale, croire à ces sentiments qu''âceux que
(l)Isocri, tt~~T,~ 19tJena trouvequ'Unfait à l'appuide l'opinion de M. Grote~soutenue déjà par Fréret et
adoptée par Ed. Zetier: c'est le passage d'Eschine, c.
y~ p. I68 E~an,AthéNietis, aVMtilis à thort
le sophiste Soefate, parce qu'il avait 616V6Critias. »
Quoiqu'il n'y ait là ni élogeni blâme, on ne peut nier
que i'épithetede sophiste n'est pas gracieuse et que la
nteni.iôhd~ SuppUëëdeSôët-atë,à l'appui d'anëeOndain-
naMoa~!nbla6le demandée(totttre Déniosthène', écarte
l'idée d'un regret des Athéniens. Mais le mouvementdes idées ne pourrait-il pas être celui-ci Eh quoi! parce
qu'ilavait eu le malheur d'avoir pour auditeur uhCritias,vous avez puni de mort lô saga et inNoceat Socràté, etvous pardonneriez à un Détnosthèhe les crimesd'Aris
tarque. Ainsi, on ne peut rien conclure dp cepassago~quis'explique dans les deux hypothèses. Quant au mot
sophiste, il n'a pas toujours là signification défavorable
que nous sommes disposés à lui attribuer de nos jours?
ADstid., voLH~p. St7. éd. Did., p. 407, vai. Ïl te&A«sMt{n~.f!TM'<aoc~tOT~xctM ttit?.t'<A!ay!vo'<.Gonf. Athén.)
XIII,
ÀPt't~C!tAttOtt 303
M.~rote prête adjugée de Socrate. «Je ne
vois, dit le savant historien de la Grèce, nulle
raison pour croire que les juges athéniens,
qui se sentaient, sans aucun doute, justifiés et
plu~que justifiésen condamnantSocrate
so~ d~cdM~, aient, après sa mort, rétracte ce
sentiment (l).s Si les juges, en condamnant
SOCfate,ont fait justice, il est clair alors queSocrate était coupable; mais coupable de
quoi? M.Grote avance timidement cette sin-
gulière raison A/~r ~s oM~ ~<K~. C~est
pâl'ce qu'il a osé dire qu'il ne craint pas la
mort et qu'il espère en une vie future et im-
mortelle c~est parce' qu~iln'a point abaissé à
de lâches prières la dignité du droit attaquéeen sa personne; c'est pour cela qu''il a mérité
de mourir, et que ses juges n'ont dû en avoir
ni regrets ni remords Encoreune fois, si So-
crate était innocent, le discours qu'il a pro-noncé ne pourrait le rendre coupable. Que la
fiertélégitimequ'il témoigneait contribuéà le
perdre, je le crois, j"en suis même morale- <
mentsûr, mais pourquoi?Est-ce parce que ce
discoursrévélait sa culpabilité,ou pa~cequ'ilfroissait l'orgueil et les passions des juges?
Maisdepuis q~landles condamnationspronon-
(I) .ËM<.o/ t. VHI,p.613.<JusURedandmore
thapjusUSedin condemningSocratoStH»
VIEDESOCRATE304
cées par Forgueilblessésont-ellesdevenues, à
ce titre même, justes? Les passions humaines
expliquentla condamnationde Soçratecomme
elles expliquent la Saint-Barthélémy et la
Terreur Dieu merci, elles ne la justifient pas
davantage.On altérerait profondémentla mo-
ralité de l'histoire si, en montrant les causes
qui expliquent les plus odieux événementsde ses annales, on croyait les avoir justifiéset
glorifiés.Une seule choseapaiserala sévérité
de la postérité sur le crimedes Athéniens, et
c'est précisémentcelle dont onveut nous faire
douter ils ont tué Socrate, maisils l'ont
pleuré le repentir qui lescondamne,en même
tempsles absout. Leurs larmes sont leur seule
justification.
APPENDICE
LES SOPHISTES.
J'ai exprimé une opinion sévère sur les so-
phistes, autrefois trop accusés (1), aujourd'hui
trop complaisamment exaltés, et même quel-
quefois glorifiés. Un coup d'œil rapide jeté
sur leur histoire et sur leurs doctrinesjustiuera,
j'espère, le jugement que j'en ai porté.
Le sensnaturel et primitif du motsophiste (2),
(1) C'est Meiners, dans son Tlistoire ~e l'origine et
de la (MccK/e~cetles sciences, qui aUira le premier t'ut-
tention sur l'importancede tusophistique.M.Rittera d'au-
tant.mieuxaccepteceU.emauièredevoir,qu'il comprend,atort se'on moi, parmi les sophistes, les phitosophœ de ré-
cole atom)ftique, Leucippe et Démocrite. M. K.F.Her-~
mann, dans son Histoire de !<ïp~!7oMp/t!<'de Platon,s'est étendu sur cepoint, qu'a encore développél'auteur
de la belleHistoire de ~pM<osopA!edes Grecs, M.Ed.
Zeller.
(2) En faveur de la sophistique, on remarque que des
contemporainsde Phidias et de Périctès, un Socrate, un
Platon, un Thucydide, même un Critias et un Alci-
APPENDICE30R
se rattachant à <ro~, la science et la sagesse,
n'avait rien que de noble les sages, les philo-
sophes, les poètes, le recevaient comme un ti-
tre d'honneur (1). Cratinus l'avait donné à Ho-
mère et à Hésiode, au rapport de Diogène, et
Pindare l'applique fréquemment à lui-même et
à tous les poètes (2). Hérodote, au dire d'Aris-
tide, avait appelé sophistes Solon et Pythagore,
et Androtion, les sept sages, et même Socrate,
« ce grand sophiste (3).» Cette large et honora-
hie signification ne se perdit même jamais com-
plétement. Lysias appliquait lemotà Platon et à
biade, n'eussentpas subi leoherme, e'Usn'eussent etéquece qu'on nous rapporte d'eux :cela n'est pas évident. Ausein detoutesociété, si biencortstituéequ'etle soit, comme
dansie cprpsicplus sain, il y adesge rmeslatentsdecorrup-
tion qu'a*t ripn, ondumoinsdes causesqut échappent,faitéclater. Ltt 80DM&tit}U6fut unp melatdi~de l'esprU.grec.
(1) DiOg.L., I, 12 M'M00~ XXfOKptOTtU~XtX~T!K~!M pLO-<M~X~XX< o!!Ht'<iTfMO~OMT~
(2) Isthm., IV, 3~,où le scholiaste observeque ce nométait alors donné aux poètes,
(3) Aristid., De quatuor viris, t. II, p, 40Tf AD~j)<)T!m-~Tti)! 6~4
Ç<i(j)t<<; TT~ftHpXXE,~YM~ T<iU; OMt~ X~ XK).M tt9
~ttHt~Mt;~~[oT~T<,u7c<To-<~tyu.Cf. Hérodot., IV, ?, pour
Pythagore, et 1~29, pour Solon. tapcrat,, Orat., XV,313, o Onavait du respect pour ce qu'on appelait ia~
sophistes, et ]osAthéniens m;rent à !Qt&tede rËtatcp-lui qui, Je premier, prit ce nom, c'est-à-dire Solon, <
lamb! Vit. P~<a~ § 83 « C'est la ce qu'on appe!!ela sagessedessept sophistes ou sages, Tm'<~T~~t<~&
).t'6'~ oo~tK.
I<~SSOPHISTES 307
~Eschinele Socratique (1), Esphme l'orateur à
Sacrale (2), ancien à Anaxagore (3), et bien
avant lui, Diogèned'Apollonieà tous les phi-
losophesphysiciens d~' temps auquel il ap-
partenatt lui-n)6me (4). Xenophon semble
aussi l'employer dans ce sens (5), et quelque-fois ppppsece ttfre celui de poète (6); enfin
Aristoteapplique le mot de <r~~à Phidias, en
la dévissant, <~)<Tt!T)!;Ts~f~,la perfectionde
Farf(7),II sembledoncque ce no~nn'a signifié
d'abord qu'un degr~ëtninent de sagesseprati-
que, Qude science sDéoulattve,on de perfec-tion d~n~uïi art (8) il était alorshonorableet
glorieux(9),Plus tard, sans perdre absolument
ce senp tr~s-etendu dans l'usage le plushabi'
(1)Aristid.,yol.III, p. 51'? Aue!<t;nx~TM~o:ooomTwK~tt)t!)tttt~~Ai~tM.
(3) ~:9c)! ~d!). Reis~, p. 169 ~~6' &
À9))~CUOt,S(!)it~TY)<j~t~T~ q6(~mT~~!XT6MXrt.
(3) Lucien, t. I, Hemsterh, p. 118 T<M<ic<pt<!Tw;Â'<~<t-
~~M, et Diodore de SioUe, XII, § 39.
(4)CitéparSimplicius,~d~.fts<P~s.,f.32: xaiTCU;~UOtO~t~OU;K<T6tpOX~9H).~M~,~3;XKX~K7.tKUrc;SCtpKtTK;.
(5)Afe)M.,I, I, 11 oxtXouu.t~o;!)t[()T~Voomta?~~xqj~.c;.(6)~r~ IV, 8, 1. E'Jthyde'neawK'~t~pecot-
}9cH(!Rde~livresdesptus {nustres~e~T~Mt eo-
~'STMY.
(Tf)Ar:st.JVM.,VI,T,(8} Plat., ~ffO~ TMTM~9~5~ mtaTH~
(9)Thémist.,Ofa< XXIII,p. 336 wAMMuM~T<.<iTq6oc<pt<m);<it[<<o''<Tewxxt6~'K~tNoet;et il c~t§,t(n a~s~itl'exempledeSolonetdePythagore.
APPENDICE308
tuel de la langue il se restreignit et s'avilit.
Il f'n a été ai'iS] desmo'sphiiosopheetphiloso-
phie, qu'Hérodote, 1,30, appliqueà Solon,quia parcourule monde, ~o~o~esy"esc/txf~xey.
etpa]'lesqueIsTbucydide,II,40,désignele goût
particulieret caractéristiquedes Athénienspourles choses de l'esprit t~f~ocrotof~y~e~~a.x./onII n'est pas certainque Pythagore,s'ilestvrai
qu'il ait le premier fait usagedu mot (1),l'ait
employé dans un autre sens qu'amour de la
sciencethéoriqueet pratique.Cetermes'est res-
treint ;de plusen plus (2), et si l'on ne peut pas'direqu'il se soit ayili~bnne peuts'empêcherd'a-
vouerqu'ona fait'ce qu'il'allait pourle déshono-
rer.' La philosophieet l'idéologieont été quel-
quefois, chosebizarre, des termesde mépris.~'<Pour revenir E)uxsophistes Platon indique
quatre signi6cations du mot, reproduites par
PhavoTin~s(3) le sophisteest un philosophe,un professeur,T~M~x~oy, un rhéteur/un
charlatan, To~-y&Tt'fi)!
(1)Diog.L., Ff<BMt.,12.
(3)Ïl semblequ'ilseprécisesurtoutaumomentoùlessophiste"paraissent,etlecaractèredeleurmétiersalariéet de leursrecherchesfrivolesnecontribuapaspeuàdéterminerle'sens.dumotphilosophieà la recherchedésintéresse,généreuseet convaincuede la sagesseetdelavérité.
(3) V. co~MOfH.
LESSOPHISTES 309
18.
La signification de maître, de professeur, quin'est point enfermée, commel'ont cru Tennc-
mann et Hegel, dans le suffixe qui le termine,
et qui n'est pas par conséquent a l'origine une
de ses significations naturelles, se montre pourla première fois au temps de Protagoras, à quiSocrate dit « Tu fes présenté publiquementà tous les Grecs, tu t'es annoncé, tu t'es nommé
un sophiste, faisant profession d'enseigner la
jeunesse et d'être un maître de vertu (1). »
Protagoras l'avoue, et dans sa bouche l'appel-
lation qu'il s'applique lui-même a un sens res-
treint, mais non pas injurieux.Au nombre de ceux qui firent de la sophisti-
que un art et un métier, ou du moins une pro-
fession, ilfaut compterProtagoras, Euthydème,
Evénus, et 'même peut-être aussi Prodicus.
Qu'enseignaient-ils? La science et la vertu ?o-
<t~<x~~sTH?(2),la sagesse pratique et humaine
et la vertu politique, c'est-à-dire morale (3), la
science par laquelle les hommes parviennent à
(l)P)at., P)*o<<~<34!)a dctewTMstrMou.xo~cxur~,M'-
!pWM~BTtt~SUOEM;!t CtOST~;M&)tx).M;et ?'< ?. 316 d
ctAOXoYMT&c&c&OT~e~~tx~tTcx~eu~.)cc~M~cu~.
(2) MeM., p. a; 7-'ro~ 318 d; FM~ 8T3
d Apol., 3f) a ~'Aa' 60.
(3)AEtW~TK~OÀ[TtX~XO'.t~pKO'ÏStMeu~E<I['Plut., Vit.
T%e)M.,c. H; Apol., 20a KptT~ ~'A~xT.~K~tM-
9pN![!Mi~.
AppBUDJGE!3)0
bien gouvernerleur maison, à établir de bons
gouvernements, à pratiquer les devoirs de la
piété, de l'amitié, du savoir-vivre envers leurs
parents, leurs concitoyensetles étrangers eux-
mcmes; maisdans un payslibreFactionpoliti-
que~et dans tousles pays l'innuence moralene
s'exercent que par la parole de la l'élo-
quence s'ajouta presque nécessairement aux
sujets de l'enseignement devenuprofessionneldes sophistes; ils apprennent aux jeunes gensa être habilesetpuissants dansla paroleet dans
l'action, J'ej~T!%T<!<«)K7r~TTe~KcK~(I). Ici
nousdevons remarquerqu'ils continuentla tra-
ditiongrecque et athénienne Flutarque nous
parle d'un certainMnésiphile,quin'était ni ora-
teur ni deceuxqu'onappellephilosophesphysi-ciens,maisquis'était occupéspécialementd'une
certaine hab~etépolitique, d'un art de trader
les hommeset d'uneconnaissancepratiquequi seconservaitcommeune espèce de secte depuisSolon(9).ChezlesAthéniens,fart de la parole
qu'ils ne séparaientpas de la pensée, était de-
puis la plus longue antiquité unie à Fart de
bien agir et ce qui, avec le trait si juste et si
profond de Thucydide, II, 40, ~o~o~M~?~
(l)~t-Q~318d.(2) Plut., Vit. ?'~m.,c. :t.
LESSOPHISTES 311
~t6i'eJt~e/o~,x~ <p<Ae~o<poCjM6!/~6f jMt~em/(~,ca-ractérise peut-être le mieux ce peuple admira-
ble, c'est la maxime:~e<vT6x~ -6~, penseret agir.Préret(1) observeque par ce mot, o~Ttiil ne faut pas entendre la sciencedes devoirset
Part de la viemorale qu'il s'agit uniquementd'un savoir-faireutile, d'unecapacitétoute pra-
tique, ~uicomprendmômel'adresse et la force
du corps; il fautcependantreconnaîtreque si la
notiondu devoirestétrangèreà l'enseignementdessophistes,commeà toute lamoraleantique,il n'en est pas ainsi de la vertu considérée
comme une conformitéde la vie aux idées de
la droite raison Protagorass'engage à rendre
lesjeunes gens qu'on lui confiede jour enjourmeilleurs(8).Le mythe que Platon lui fait ex'
poser, et qui peut-êtreest tiré deson ouvrage,~s~fMt <xp~~Mjt~sf. imité d'Hésiode, a
bien le caractèrepratique,positif, humain, de
toute la moralegrecque; mais il a aussi le ca-
ractère évidentd'une inspirationvraiment mo-
rale. GommeHésiodel'avait déjàdit, à la suite
de sa charmantefablede l'EperMf~et du Ros-
s~M~, si les animauxn'ont que la forcepour
règle de leurs rapports, les hommes ont pour
(1) ~AM, ~ca~t'tMc~, t. XLVIt, p. 219.
(2) Protag., 318 a Mt ~op~riM~~i~
APPENDICE312
principede leur vie socialele sentimentde la
justice et larépulsioninstinctivedu mal,A~niet
At< Cescaractèresdonnesà l'hommepar lesdieux sont propres et constitutifs de la nature
humaine celui quin'aurait pasle sentimentdu
juste, loinaturelle que l'éducation développeetne créepas, serait incapabled'entrer dansune
sociétéhumaine il n'appartient pas a ~huma-nité. Il est difficilede contesterq~ieProtagoras,en faisant entrer dans ce mot~6Tt)lesqualités
pratiquementutilesdela viepolitiqueetdomes-
tique, n'excluait pas de son enseignementles
grandset éternels principesdetoute morale l'i-
déeet lesent.imentdubien,etiahonte vertueuse
du mal. C'est mômece côté de sesprétentions
quetournaitenridiculeGorgias,qui,nouslever-
rons, ne se présentait, lui, que commeun pro-fesseur d'éloquence, et était suivi dans; cette
tendance exclusive par Polus, Lycophron et
Thrasymaque. Il n'en était pasainsisans doute
de Prodicus quoiqu'onne mentionne que des
sujets de rhé toriquedans les leçons publiques
qu'il donnait, il est difficilede croire qu'il ait
excludt souenseignementlamorale,à laquelleil avaitconsacreplusieurs ouvrage. dontnous
avons quelques tragmfuts, et entre autres
celui qu'il avait intitulé nf-«, les ~Mo?M
de la M~ où se lisait cette belle allégo-
J,ES SOPHISTES 3t3
rie qui lui valut tant d'éloges, et même.ceux de
Socrate. Ce mythe charmant, évidemmentdé-
veloppementet imitation d'un passage d~He-
siode (1),peignait la dignité ejLle bonheur de
la vertu, et les misèreset l'abjectionde la mol-
lesse et du vice (2). Ailleursil montrait que la
richesse n'est point un bien, et que tout dé-
pend de l'usage qu'on sait en faire, ou quel'homme n'a aucune raison de craindre la
mort, les vivants par cela mêmequ'ils vivent.
encore,les mortsparcequ'ils ne vivent plus (3).Onpeut dire que ce qu'on appelle proprementles moralistes commenceaveccessophistes:ils
mettentlapro?edanstous ses genres auservice
des questionsmorales ce sont ceux qui créent
le conte,le dialogueou proverbe, le traité dog-
matique,la lettre, et enfin le discoursépidicti-
que,qui, sousle nomde parénétique, est l'anté-
cédentet lemodèledu sermon et de l'homélie.
Maisà cûttéde ces sophistes moralistesou,
(t)Ëp~,Y.285.(3)XéD.,Mem.,n,t,31.
(3'jHya dans cetteéloquenteapologiedelamortdestraits d'une éloquencequ'enviet-mtBossuet/et,purexempte,('H).tecompuru~ondelanaturea nueprêteuseà lapetitesemaine,c&XouTXTt;,qui~enMndebienvitetoutcequ'ellenousa prêtéd'organeset defacultés,<tovie,enunmot..
APPENDICESl'!
comme les appelle Isocrate, politiques(1), ce
qui est' la mômechose, ily en avait d'autres
qui ne 'visaientpas si haut et qui, plus cyni-
ques ou plusmodestes, se proposaientunique-mont d'enseigner l'art de. la parole, tandis
qu'Hippiasse,distinguait et s'attirait les plai-santeries de Protagorasen faisant entrer toutes
les connaissanceset tous les arts dansle cercle
deson enseignementencyclopédique.Outre la
morale(2),ilprofessaitl'astronomie,lamusique,les mathématiques, la physique, la rhythmo-
pee, l'histoire, l'archéologie,la mnémonique,la critique, la poésie dans tous ses genres,
même.les arts manuels :o'a!po;/x&i~6y~<<,commedit Thomiste.Parmices sophistes,pour
qui l'art de parler est le fondementet l'objetde
toute éducationvraiment politique, il faut pla-cer Gorgias,Lycophjon,Thrasymaque.Onvoit
donc que le sensdu. mot se détermine et se
(I) Jen'aipasl'intentiondedonnerici unedivisionscientifiquede la sophistiquequoiqu'onait pueupenseretendire,jeneluireconnaispasuneassezgrande
`
importancepourquecelasottnécessaire,et lepeudexalenrphiiosophtqttemômedesesadhérentsles rendptusdifticUeaa distingueretàclasser.Jelesdivisedoncsuivantdestendancesparticulièresplusoumoinspro-noncées;j'enuméreraiensuiteleurstraitscommuns.
(2)Sondialoguedu?Voï<j'Meavaitpourobjetdemon-trer&]~TOtvéovMnT~SUEtV.
LESgOPmSTES 3~
précise, mais on ne voit pas jusqu'à présent
pourquoi,et parmiles contemporainsmême/ils'est si viteavili et estdevenuce qu'il est resté,une injure (1).Tout en se déterminant, le nom
s'étend encore à des directions d'idées assez
différentes, à des manières de voir diverses et
variées; non-seulement la jalousie de métier
divise les-sophistes, mais on n'aperçoit point
qu'il y ait eu une doctrine ou une méthode
particulière qui leur ait été commune, une
unité de principesou de but, ni même des re-
lations personnelles,uncentre d'action, d'idées
et de théorie qui autorisentà en faireune école
on une sec~o,commel'a, je crois, très'bien vu
M.Grote(8).
Maisneva.-t~-ilpas trop loin et au delà de la
vérité, lorsqu'ilprétendque lasophistiquen'est
qu'un mot sans réalité, une abatra-'tion, un
JantOmeimaginaire rêvé par l'ant.ag'omH'node
Platon,'et qu'a entort de relever l'érudition
allemande. Tout en accordant à M.Grotequ'il
(1)Isocr.,jDgpe)'/MM<.o~ XV,p, 835,§313 t~ s~M-wu.fMTy~w~&T~.«~!w,Xénoph.DeeeMa!XIII, 8
g~tT~~M~!tt~~{, p}8t,,7~fo<a~.(t''ad.Ca~9in! aN'au'
rais-tupaghoate,ditSoorateà HippMra!'e,detedonnerpoutsophisteà la facedesGrecs?–Oui, parJupiter,j'enauriUshonte,&direvrai.a
(2)T.XII,p. 165,trad.te.
APPENDICE3~C)
n'y à point eu une philosophie sophistique,ni
un système,ni un principevraiment scientifi-
que qui se rattache à leur nom, nous ne pou-vons-nousempêcherdereconnaîtreà tousceux
auxquelsl'usagede la langue, se modifiantpeuà peu, rappliqua presque exclusivement vers
ce temps, une mêmetendance, une même in-
spirationqui n~arien sans doute de vraiment
scientifique, mais qui n'eut pas moinsson in-
fluence,et qui, sanscorrompre, commeonledit,et sans empoisonnerla droiture instinctive de
l'esprit et le bon sens moral du peuple grec,l'entama certainementet y déposa'des germesde subtilité pernde et de déloyauté immorale,
qui ont germé plus tard, et que la réactionde
Socratene put détruire complétement.Ces traits communssont les suivants:Ils se vouenttous à l'éducation, jusqu'alors
conneeaux familles,aux maîtres de musiqueet d'exercicesgymnastiques, et qui consistait.
dans la.lecture et le commentairedes poètes.Entre leurs mains l'éducation devient un
métier, une profession spéciale, déterminée,dontils sont, par un besoininstinctif,portés à
rechercherlesprincipes, le but, la méthode,la
matière, et cette professionest payée. On ne =
voit pas pourquoi on reprocherait à ceux quise vouentàl'enseignement,de recevoirdeleurs
tËSSOPHISTES 317
peines le salaire qui ne déshonoreni l'artiste,ni le médecin,ni le prêtre cependant l'école
socratiqueeut une autre tradition elle refusa
constammentde rec voir un salaire des audi-
teurs, et après avoir essayé vainement de
vivre indépendante,elle fut obligée,pour con-
server la gratuité de ses cours, d'avoir recours
à l'État~qui accepta l'obligation de payer les
maîtres, mais en échange du droit de les
nommeret de les destituer. Ce n'en est pasmoinsun, trait commun à tous les sophistes,
qu'il fanait relever: je ne dis pas la science,maIsFéducationdevient unobjetde commerceils ne se bornempas à des leçons publiqueset
orales, ilsgénéralisentet relèventl'art d'écrire,
j usque-làassezméprisédes Grecs.
L'éducation étant l'objet commun de tous
ceux qui s'intitulent sophistes, ils ne peuvent
s'empêcherd'en chercherle principerationnel,d'en fonder logiquementle but et d'en déter-
miner la matière, et tous, en partant peut-être de principes différents, mais sous Tin-
uuencedes idées dominantes qui ne voient
dans l'hommequ'un être politique,c'est-à-dire.
social, et dont l'influence et la dignité se me-
surent à l'action quesaparolepeu exercersur
ses concitoyens,ils s'accordent à reconnaître à
l'art de parler et d'écrire une importance si
APPBNDïCB318
capitale, qu'elle est l'objet presque exclusif
de leurs travaux écrits comme de leur ensei-
gnement oral.
Mais, en s'oocupantprofessionnellementdu
langage, on ne peut guère éviterde considérer
et d'étudier la pensée, dontil est l'expressiondelà les sophistesfurent conduits&réfléchirsur
les formesdu langage,sur les catégories gram-
maticales, sur les procédés du raisonnement,c'est-à-dire de toucher, superficiellementsans
doute, mais enfin de toucherun point du do-
maine philosophique,c'est-à-direles formesde
l'esprit et les catégories de l'entendement.
Leurs travaux sur la grammaire, le diction-
naire, la rhétorique môme,les conduisaient
presque nécessairementà uneanalyse psycho"logiqueet à un art du raisonnement qu'ils ne
virent malheureusement que sous la forme
étroiteet faMsede l'éristiq~
Ils sontallés, et ils devaientaller pluS loin:on a beau vouloirne s'occuperque de la forme,onne le peutpas la formede la penséeétant
déjà une pensée, l'esprit est entraîné, d'une
.part, à se demanderquelle est la valeur intel-lectuelle de la pensée et sa certitude; et de
l'autre, quelle est sa valeur morale, question
qu'ils pouvaient doutant moinséviter que la
parole, daps une constitutionlibre, est néces-
I.ES SOPRfSTES 31<
sairement appelée à traiter constammentdu
juste, du droit, de la loi, du bien~du beau
moralet deleurscontraires.
Les sophistes raccordent tous à suivre
cette voie à moitié pratique, à moitié philoso-
phique, qui fait d'eu.x quelque chose d'in-
décis entre rhomme purement politique et
l'homme scientinque (1); ils recevaient des
faits et des mcews les conditions pratiques
et l'objet do l'éducation, et ne cherchaient
qn'~ préparer la jeûnasse à l'action politique,
dont l'instrument est la parole; ils s'accor.-
dent également dans les solutions fausses et
dangereuses qu'ils donnent tous au problème
.que l'intérêt de leur profession les invitait & se
poser, C'~t là que se manifeste le caractère
général de la sophistique c'e~t-à-dire le
~cepticigme, scepticisme moral, scepticisme
intellectuel, que quelques-u.ns cherchent à fon-
(1) ~'M<A~ p. 305C: tS; npO~tX~~M~X!j)t).60~UTe
d< xnt fr~tïtX'iB. ~6rp!M;j~ <(!t).<)Mtj)!et~~tt'<~Tt~.C~gt ()o!)n eux sqpbisHqMsdei~ sHeondeélMque
!~uep6~seulemepts~ppUqusr~xpUcaMoJ) t-Mpg~n&pete
dePhitarque, 7%eMt.,c.u, qui, après ~voirrappetéque de tout temps iLy eut à A(,hènescette intelligenceet cette science pratique tppudentta civilla et domesti-
tica, qui remonte à Solonet peut-être au delà, ajoute:« Ceuxqui uniront cette science pratique à l'art de la
diseus~Q!) et pussèrant deFaction aux mots, Atto~p~Hvv
M Teu<~.Q'-(om,furent appelés sophistes, a
320 APPENDICE
der scientifiquementen empruntant, Protago-ra lès principesde la philosophiede la nature
d'Héraclite, Gorgiasceuxdes Éléates. Leurso-
lutioncommune,c'est qu'il n'y a aucunevérité
universelle et nécessaire; que la pensée n'a
point d'objet, ou ne peut pas atteindre son ob-
jet de là tous concluentqu'il n~ya d'autre but
&Factionpratique quel'inf-érêtpersonnel;d'au-
tre connaissanceque l'opinion 6ula sensation
individuelle et du moment; d'autre savoir
qu'une dialectique éristique et une vaine et
perfiderhétorique.
Protagorasa doptelepriQciped'Heraclite:tbut
estmouvemëh~ 7r~x/yMj<~c~lane veutpasdireque tout est mouvementpur, maisque tou-'
tes chosessont en mouvement,s'écoulent et
changentsans cesse(1).Il pressemêmele prin-
bipe:
~~etn;enttîën~'ësf~ën~0!~p6r[r~ tout chàngeet est soumisà un devenifqui]~ s'arrête jamais
dansuneesgencenxe;maispourlesuj et quicon-
naît et qui pense,les chosesnesontque ce quel-leslui paraissentêtre, et ellesluiparaissent être
comme elles doivent lui paraître, suivant le
moment~les circonstancesinfinimentvariables
(1)T~ee~ 152d, ISTfa, 181c, d M~~M~~eM.oto~M.Phitop.,adArist.ot.,.Deaw' p. 152a.
LESSOPHISTES 3~1
de lieu, de situation,Fêtât toujours changeantoù il se trouve la mesure des choses, de
leur essenceet de leur être n'est pas en elles,mais dans l'esprit qui les pense. L'homme est
la mesure deschoses(1) il n'y a aucune vérité
absolue,objective,universelle; l'affirmationet
la négationsur lemêmeobjeteten mêmetempssont égalementvraies (2).Le savoirn'est ainsi
qu'une apparence fragile, qu'une autre appa-
rence peut remplacer. On peut donc douter de
tout, tout affirmer eHoutcontredhe(3). L'art
de cette dialectique, c'est l'éristique, et appli-
qué à la parole publiquedevant les tribunaux
ou les assembléespolitiques, c'est la rhétori-
que. Parceque, contrairementà tous les docu-
ments quinous restent, Aristophanea jeté in-
justement ce reproche à Socrate; parce queSocratese plaint qu'ondirigecontretuicetteac-
cusation, qui constituelegriefcomnmncontre
-(1)!T~ee<152a, 158a,161c ~M~ j~M ~OpM.nMMw.t.Cratyl.,p.185e; Anst.,Me<IX,1, p.195.
(2)Anst.)~e< 111,4,p.73 ~M:a! ~Tt~<m{XMKMSmjTMtMM.t. )MMtt6pttt~X~TO~TMn~MT~tpOU).<
).~c.'jc(. jMe< VIIL 3: npMT~o~u Ao-~o;Mf;< lU, 5,
P. ~6 0 noMTO~~UÀCt'Y~.
(3) ~ACB<) 0 otmij)t ttM;Mt!.)kC-{tiS~tX~M;.Sf)~/t.,
p. 233e 'tt TT);~TtA~tX'i;;'Tt)'~ti; OÙKM )tE~.t).!m)'ttf~WK'<rM~rnpc.; K~tsëf~T.o~tx~t) ït; ~ù~(; <~Xt~et'<cn.SopA.,22& ~AM;K~Ktë~TOU~.
APPENDICE322
tous ceux qui s'occupaientde science spécula-
tive(l),je nevoispas commentonpourrait sou-
tenir que Protagorasn'a pas méritéune accusa-
tionqu'expliquentsiparfaitementsesprincipes,et que confirmenttous les témoignages.Prota-
gorasavait écrit un Traité de ~yM~M~ (2),et
il fut le premier à enseigner qu'il y avait sur
chaquequestion deux raisons opposéesà don-
ner, qui, se valant l'une et l'autre, puisqu'ellesne valaient rien, pouvaient tour à tour, sui-
vant l'ar~ oul'intérêt de l'orateur, devenir ou
paraître triomphantes. L'art de donner à une
mauvaise raison l'apparence d'une bonne est
une inventionde Protagoras, et s'appelait dans
l'antiquité, par une locution devenue prover-
biale, o npoTe~CMf~o~!)~,TOn~&Ta~opcfe~
~6A,M~(a).
(tj ~J~M.~.) P. 83 d ta )4&T&~~THt tttK <pt~tH)fp6t)<ifM<
?()~tt~6t. tv/WTN~'yc~X~tTr0?f«t!v.Xé!lt)~fëM!.t 1~3,3~
TOXCt'~TO~'ptX&~OCp~t~~0 tMV~CM.MVëTT'.TtU.d~E~ûV.
(2) Diog. L., IX, 55 Te~ ejitorixm'
(3) Diog. L.) IX, 51 n~ârfi; ?0 ).~M{ s!'<<[~tpt<r~-
To;<Tc;<!MtHKtj~M; JtU~ct;. Scho!. Aristoph., JVM&
113; AnStt, ~?Ae<.) 11, 34 TO~~TtM~e< X~ttïTO~t6M
~e5t'6!!TM. i! H~cTK~cuMa-~Aui~.Cic.) BfM< 8: a Léon-
tihus Gorgias, Thrasymachus, Chalcedonins, Prodi-
cus, Ceus, Hippias Eleus, aliique mutti terMporibtis
usdem~ docëre se prufit~bant.ur, an'ogantibus saine
verbis qttemadmodum cau'a ihfcrior, dicenda iieri su~
perior posseL Seu.j, ~). 88 a Protagoras ait-de omni
re in utramque parLem disputari posse ex ~~<o. w
LES SOPHISTES 32a
Il est probableque lessuccesseurset lesimi-
tateurs de ces principes en ont exagéré les
conséquences,et qu'il ne faut pas attribuer à
Protagorasles sophismesniais et grossiers de
Dionysodoreet-d'Euthydeme; mais, outre queFonpeut difficilementnier que ce soient là les
fruits naturels de ces germes détestables) jesuis étonné de voirle solide esprit de M.Grote
défendreles principes eux-mêmes, et ne voir
dans les maximes, « rbomme est la mesure
des choses, et la parolea pour objet et pourbut de changeraux yeux 'de l'auditeur l'appa-rence des choses,<que des maximes vraies et
morales.Je renvoie)pourla discussionexpresse
du premierde cesdeux points,à l'excellentele-
çonde M.Janet (1).et)pourFautre,je meborne
à dire quesi, dans la faiblesseinhérenteà l'es-
prit humain,les affirmationsabsolueset les vé-
rités universellessontrares si presquetous les
sujetsqui peuvent venir en discussionprésen-
tentdea pointsdevue divers~desfacesopposées
qu'ilfautconsidérel')s'il fautconserverà l'avocat
et à l'orateurlafacultédeplaiderlepouretie con-
tre, etavouerque, chezi'avocat.c'estplusqu'un
droit, c'est undevoir; il faut reconnaître aussi,d'une part) qu'il y a des principes de la raison
(1) Revue des coMrspM~h'ce,CocLobre1866.
APPENDICE324
qu'on' nepeut mettre en doute sans détruire
la raison qu'ils constituent de l'autre, des
principes de moralequ'on ne peut ruiner sans
attaquer la vie moraleet la sociétémême.
S'il n'y a pas de différenceréelle entre le
vrai et le faux ni entre le bien et le mal, c'en
est fait de la raisonet de la vie, de toute vie
religieuse, intellectuelle et morale.
Tandis que Protagorasarrive au doute sur
l'existence des dieux, disant qu'il n'en peutrien affirmerni rien savoir (1Y,Prodicus, mal-
gré le bel éloge des dieux que contient son
apologued'Hercule, trouve l'originedes-cultes
et des idées religieuses dans la tendance des
hommes à adorer comme divines les choses
qui leur sont utiles (2), et Critiasne voit dans
la religion qu'une invention humaine, néces-
saire pour réprimerles vices cachés du coeur,
qui se dérobent à l'abt.i'ondes loispédales (3}.Les principes métaphysiques d'où Gorgias
faisait découler sa morale et sa rhétorique..étaient plus scientifiques, et non pas moins
(1)Diog.L.,IX-,51 Plat.,T/K~ 162a.(2)Sext.E.np.,N~. Mtt~IX, 18,51;Cic.,
Deor.,I, XLii,118.Aussitouadt!nx!'8Bgent,-UsProdicusparmiles athées.
(3)Sext.Emp.,<M~.Ma<A.,IX, 54; Plut.,De su-jWf~.jC.xm.
LES SOPHISTES 325
]9
sceptiques; il se servait des définitionséléati-
ques de l'Être pour affirmercette série de pro-
positions1"Rien n'existe.2"Si quelque chose existe, il ne peut être
connu..
3 Si quelque chose existe et qu'il puisseêtre
connu, il nepeut être exprimé par le langage.La parolen'a donc pas pour objetd'exprimer
des idées vraies et qui répondent à des réali-
tés tout n'est qu'apparence. La rhétoriquen'est qu'une ouvrièrede persuasion,qui inspireconfianceà ceux qui écoutent., mais qui ne
leur apprend rien (1J. Il ne s'agit pas d'avoir
raison, de montrer qu'on a raison, mais de pa-raître avoir raison et de paraître le prouveraussi n~a-t-onpas besoin de connaître les cho-
sesmêmesdont onparle. L'art de parler, c'est-
à-dire defaire illusion, consisteprécisémenta
paraître savoirce qu'on ignore, à paraître être
cequ'on n'est pas. Il n'y a dans la rhétorique
qu'un vain et vide formalisme, un ensemble
de procédéstechniques, de savoir-faire prati-
(1)G'0)'C!aS.455!) ~M; ~.M'j~i);~MTtUTm?.~.X'eu
MM/x~ Doxopaier,Aphthon-,R/te<.S)'a?c Wulz,I!, 104,en aUnbu~nt.co~edéfinitionà Gorgins,n'n
pcu),-6trcVautrenutorH.6quecelledu passagedePh-ton..
APPENDICE326
que; aussi) quand.onle possède, on possèdetout l'influence, l'autorité, la puissance, la
richesse et cèlui qui le possèdepeut parler,sanspréparation,non-seulementpouret contre,mais de toute chose.Ce fut Gorgiasqui, le pre-
mier, osa avancer cette insolente prétentionQui j~rMM~MMMZquiddam ~M~C~n?~C~0/teri M~e&a~ ~MMW,Sesdomnia, ~M~MS
quisquea~a!~ '!?6M~<,~s6Fa~c:<M~~~KM~d-~< (1); il jouaitde la parole commeon joue du
violon,ouplutôt commeun charlatan du gobe-let. Il n'est pasbien étonnantque la rhétoriqueen fût réduitebientôt à cette pratique, à cette
routine fastidieuseet détestable~quiaboutira.
dans les sophistes dela secondeépoque,aux..
puériiitésiesplusniaiseset les plusridicules(2).LescepticismemoraldeGorgiaset desonécole
allait plusloinencore que celuide Protagoras.
Si, pour ruh~ la croyanceà des dieux n'était
qu'une invention humaine, justinée au moins
parla nécessitéde réprimer la tendanceau mal
qui germe dans Pâmehumaine, pour l'autre,
l'État, la société, n'étaient qu~uneconvention
facticeet arbitrairedes faiblespour résister aux
forts la loi, unelimitationinjurieuse et injuste
(l)Cic.,jDeor~I,22.
(2) Les élogesdes vers, de la sodris, de la cruche, etc.
LESSOPHISTES 327
de la liberté naturelle, du droit que Fhomme
intelligent et fort a reçu de la nature de faire
servir le faible à ses plaisirs et à ses intérêts'
«Ouprend les meilleurselles plus fortsd'entre
nous, dès leur jeunesse,commede jeuneslions,
puis on les cliarme, ou les enchante par des
influences magiques, on les asservit enfin, à
force de leur répéter que l'égalité est une loi
naturelle qui gouverne les rapports des hom-
mes en société.,et qu'en cotteégalitéconsistent
le bien et le juste (1). Maisquand on est par-venu à auranch)!'l'esprit de ces préjugésde la
tradition et delà coutume,àsortir ducerclema'
giquo dans lequelelles remprisonnent, on s'a-
perçoit bien vite que les faibles quiont fait la
loi ont pris pour règle, non pas l'idée du juste,
qui n'existe pas, mais la mesure de leurs inté"
rets (2). La nature et la loi sont en oppositionl'une à l'autre: l'une est l'oeuvrede Dieu, l'au-
tre celledes hon~nos; celle-cifait de nous des
esclaves(3),celle-là nous appelle à la liberté,
(~(?p?'6~,483:N{ToM~v)~ 6xet<,x.xcr~'s<frtxx~xsn 'ro ~()M~.
(3)<9o~ 483b;J~ep.,XI, 358;Ar:stot.,III,6,11.(3)G'0! 483C:~t{~ MXXT~t;6!!Tt'<'itTSœUTt;XtH0'«~.C;.
Diod.Sic.,~'a;c. 1~ p. 33:<ï'<~t~aj! ~ou~M, T~~t ~tot~én~,JVo~eesc~Fa?~desw~s.de
jït&f,dMf0t, t'Y.I,p.35 'n9t~M'!t!<-<T«~~<ue*u. Cf.Aristot.,~op/t..Ë' C.X)r,p.173a.
328 APPENDICE
(l}jPM~337d.(3) Parexemple,celle-ci,d'Hippiaa (Plat, Pfo<a~ 33~.
T(t'Kj)THau.e.!M'pù<ret~u~ Oul'OKveuttYOir Une
protestation contre l'esclavage.
Le droit n'est que l'intérêt ou le plaisir du
plus fort; la loi est le tyran des hommes et
les forced'agir contrairementau vœu de la na-
ture (1). »
Ce n'est pas en relevant quelquesmaximes
d'une vraie pureté m.orale'(2),en rappelant le
mythe deProtagorasouceluideProdicus,qu'oneffaceral'opprobreque l'histoire impriméjus-tement au nom des sophistes. S'ils n'avaient
pas menace]a morale, commentSocrate eût-il
cru nécessaire,pour la relever, de tant les com-
battre ? Onparle de leurs tendancespolitiques,comme si leurs maximes, qui n'ont jamais été
des théories, n'aboutissaient pas toujours à
réloge dela tyrannie, qu'ils ont enfin amenée.
Je ne trouve pas que ce soit les justifier qued'observerque le tyran, dans les sociétésgrec-
ques, est toujours le chef du parti populaire.On aurait pu généraliser l'observationd'Aris-
tote partout et toujours le despoteest un dé-
magogue,et s'il est le chef du parti populaire,n'oublionspas qu'il en est non-seulementl'op-
presseur, mais le corrupteur.'L'aristocratie, à
Romeet à Athènes, a pu tenir sous le joug le
LES SOPHISTES 329
peuple maisle spectaclevivifiantde la liberté
désapprenaità ce peuple, comprimé dans la
servitude, la servilité. Un gouvernement libre
aristocratiquepeut opprimer un peuple, il ne
l'avilit pas;il peut lui refuser l'exercice de ses
droits, il ne lui en ôte pas la conscience; il
peut enchaînerses bras, mais il ne lui abaisse
pas le cœur et ne lui Sétrit pas l'âme.
Sans douteil a pu sortir de cette critiqueuni-
verselle quelques conséquences heureuses
l'opposition entre le droit naturel et le droit
positif est juste, maisconditionqu'ily ait tou-
jours un droit, et que si l'on violeles lois écri-
tes, ce soit pourrespecter des lois supérieures,
non écritesyetque, pourparler commeSocrate,si l'on refused'obéir aux hommes,ce soit pourobéir Dieu.
Mais' ce 'n'est pas là ce qu'a fait la so-
phistique elle n~apascritiquéles superstitions
populaires et semble, au contraire, au moins
en public, les avoir caressées tout en niant
l'existence desdieux; ellen'a pasprotestécontre
l'imperfectiondes institutions politiques et so-
ciales: elle a soutenu qu'iln'y a entre les hom-
mes,soit individus, soit nations, d'autre règlederelationsque la règlf de la force;ellene s'est
pasbornéeà critiquerl'insufnsancedesthéories
philosophiquesantérieures elle a nié la possi-
~~DiCE33&
bilité d'un savoir quelconque commela réalité
des choses; et la présence dans notre espritd'une seule vérité certaine..La science, Fart,la religion, la vie, elle a touché à tout et tout
menacé,j'allais dire tout corrompu; maiselle
n'eut pas le temps d'accomplirson œuvre dé-
testable, et le seul mérite que je puisse lui re-
connaître,et dontellene doitpastirer, jepense,
beaucoupd'orgueil, c'est d'avoir suscité contre
elle le grand géniemoral deSocrateet le grand
génie métaphysiquede Platon,
Je sais bien que les Allemands trouvent
qu'elle a été non-seulementsalutaire, mais né-
cessaire nécessaire,parcequ'elleest un monu-
ment du développementhistorique dela philo-
sophie salutaire, parce quelle fait, avant
Socrate,descendrela sciencedes hauteursalors
inaccessiblesdessciencesphyftiques,àl'hommc:
elle pose et tait valoirla première le principede la subjectivité rien n'a de valeur pour
l'homme que ce qui intéresse l'homme,
Je ue serai pas accusé,je pense, de mécon-
naître le mérite de la science allemande, Ce
travail porte à toutes s~'spages la preuve que
j'ai recouru presque partout à leur conscien-
cieuse et abondante érudition; mais j'avoue
queje n'admets pas le principehégéliend'une
série fatale de momentsque doit traverser la
LESSOPHISTES 331
philosophie, qu'elle le veuille et le sache ou
non. Je crois la philosophieune œuvre de l'es-
prit humain, et je place l'esprit humain, non
dans la région des causes nécessaires et fata-
les, mais dans la sphère des causes moraleset
libres. L'esprit ne marche pas à la science
commeune pierre, lancée par la fronde, à son
but. Il y va librement, et voilà pourquoiil n'yva pas toujours; voilà pourquoi parfois il s'é-
gare et se corrompt; d'autres foisse relève, se
purifie et ne marche plus, mais vole dans la
voie de la vérité voilà pourquoi la,conscience
de l'humanité, que détruiraient volontiersces
théories tyranniques de la fatalité dans l'his-
toire,gardeencoredeux facultésadmirables,le
respect, l'admiration, l'amour pour ceux qui,commeSocrate, l'ont bien servie le courroux
généreux,l'indignationvertueusecontrelesmé-
chants qui ont 'compromisou retardé ses pro-
grès telle est la réponse qu'on peut faire en
quelques mots au premier mérite que les doc~
trines hégéliennes reconnaissent à la sophis-
tique.
Quant au second, il me confond.Je cherche
et ne trouve pas le profit qu'a pu recueillir la
philosophie des négations universelles aux-
.quelleslessophistesont attachéleur nom,et du
défique par légèreté, par jactance ou par mé-
LES SOPHISTES332.
tier (1), ils ont jeté aux principes de toute
connaissance et de toute morale.
FIN.
(1) Cic., ~4c<t~I,-x!, 23 « Num sophistes? Sic enim
appeiiabaBtur ii qui, osten~ationis
nutqua~tay~MtM,phUosophabantur. a
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.PRÉFACE. Résu~méde la philosophie de So-
Pages.
crate. iv-xx
CHAP. Les sources. 1-11
OnAP.n. La naissance de Socrn~e. Sa fa-
m'I!c. Son éducation, son
temps, sfs maîtres dans la phi-
losophie. i3-59CHAP.ni. Lapprson!)edeSorrate.–Son ca-
ractère, son esprit, son école. 61-97
CnAp~iv. La mission de Socrate.-Examen
des hommes. 99-112
CHAf.v. Le démon de Socrate. 113-15'?
CHAP.vi. La vie domestique et politique de
Socrate. 159-185CHAP.vu. Procès de Socrate. 1.ST2'?!CHAP.vm. Mort de Socrate. 273-286
CHAP.jx. Appréciation des causes du pfoeèset de la condamnation de So-
crate. 287-304APPENDICE.Les sophistes. t. 305-332
IMPRtMEtUEPAMStEUNE
DafonretC*,Bon)erardBonne-Nou''e))e,96,etimpasseBonne-Non'eXe,S.
j~R~M:
PageTf,Lgne 13.Au Reu de lire de 5/0 et370, lisez
de 3~0 à .870.
Page 1), ligne 10: Aa Heu de: e~c:~e de.PJ~t!lisez Plotin.