j'ai vécu sur deux planètes - phylos

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  • Phylos

    JAI VCU SUR DEUX PLANTES

    Traduit de langlais par Louis Colombelle

    DITIONS ROBERT LAFFONT PARIS

  • LES PORTES DE LTRANGE

    Collection dirige par Francis Mazire

    Cet ouvrage a t publi pour la premire fois aux tats-Unis par Borden Publishing, Los Angeles sous le titre :

    A DWELLER ON TWO PLANETS

    Jacques Weiss, 1949 Traduction ditions Robert Laffont, S. A., Paris, 1972.

    ISBN 2-221-00321-7

  • DDICACE DE PHYLOS

    MES AMIS

    Je vous ai appels mes amis, car toutes les choses que je tiens du Pre je vous les ai fait connatre.

  • Ce livre a t crit avant la guerre de 1940. An-ticipant les futures communications entre notre Terre et une plante o la civilisation est plus avance, cela paraissait une pure fiction. Mais depuis lors

    Jai vcu sur deux plantes a ensuite t traduit par un polytechnicien, Jacques Weiss, sous le pseudonyme de Louis Colombelle, et a connu une trs grande audience auprs dun pu-blic dsireux de progresser dans une voie alliant la science et la religion. En raison de son actuali-t, nous nous faisons un plaisir de le rditer pour satisfaire les nombreuses demandes des cher-cheurs.

    Quand vous fermerez Jai vcu sur deux pla-ntes , et si vous dsirez approfondir les nigmes offertes vos mditations, le traducteur se per-met de signaler un autre ouvrage quil a traduit plus rcemment et intitul La Cosmogonie dUrantia 1. Il apporte aux habitants dUrantia (notre plante) la connaissance du cosmos (uni-vers) avec son nombre prodigieux de plantes ha-bites.

    Vous y trouverez une rponse valable au grand problme de lhumanit : pourquoi sommes-nous sur la Terre et quelle est notre destine ?

  • Table des Matires

    Prface du traducteur ----------------------------------------------------------------- 8

    PREMIRE PARTIE CHAPITRE PREMIER ATLANTIDE, REINE DES VAGUES --------------- 12 CHAPITRE II CAPHOUL ---------------------------------------------------------- 30 CHAPITRE III LA FOI EST AUSSI UNE CONNAISSANCE ET PERMET DE DPLACER LES MONTAGNES ---------------------------------- 49 CHAPITRE IV AXTE INCAL, AXTUCE MUN ----------------------------- 53 CHAPITRE V LA VIE CAPHOUL ---------------------------------------------- 61 CHAPITRE VI RIEN DE BON NE SAURAIT PRIR ------------------------- 79 CHAPITRE VII CONTIENS-TOI TOI-MME ---------------------------------- 84 CHAPITRE VIII UNE GRAVE PROPHTIE ----------------------------------- 90 CHAPITRE IX LA GURISON DES CRIMINELS ----------------------------- 95 CHAPITRE X RALISATIONS -------------------------------------------------- 102 CHAPITRE XI LE RCIT ---------------------------------------------------------- 113 CHAPITRE XII LIMPRVU ARRIVE ----------------------------------------- 126 CHAPITRE XIII LE LANGAGE DE LME ----------------------------------- 134 CHAPITRE XIV LADOPTION DE ZALM ------------------------------------ 136 CHAPITRE XV UNE DSERTION MATERNELLE ------------------------ 147 CHAPITRE XVI LE VOYAGE SUERN --------------------------------------- 156 CHAPITRE XVII RA NI INCAL------------------------------------------------- 178 CHAPITRE XVIII LE GRAND VOYAGE --------------------------------------- 180 CHAPITRE XIX UN PROBLME BIEN ABORD -------------------------- 193 CHAPITRE XX DUPLICIT ------------------------------------------------------ 199 CHAPITRE XXI LA FAUTE DUNE VIE --------------------------------------- 204 CHAPITRE XXII ZALM PROPOSE, LE KARMA DISPOSE ------------- 210 CHAPITRE XXIII UN TMOIN DEVANT LE CRIMINEL ---------------- 220 CHAPITRE XXIV LE DVACHAN ---------------------------------------------- 245

    DEUXIME PARTIE CHAPITRE PREMIER UNE NOUVELLE PERSONNALIT ------------- 271 CHAPITRE II UNE ME EN DANGER ---------------------------------------- 282 CHAPITRE III NE VOUS PROCCUPEZ PLUS DU LENDEMAIN ----- 302 CHAPITRE IV LE SALAIRE DE LA VIE --------------------------------------- 325 CHAPITRE V LA VIE HUMAINE SUR VNUS------------------------------ 349 CHAPITRE VI UNE RPONSE INDIRECTE --------------------------------- 356 CHAPITREVII LE DSERT EST DEVANT TES PIEDS --------------- 376 CHAPITRE VIII LES MATRES DE JADIS ENSEIGNAIENT LA SCIENCE DE DIEU------------------------------------------------------------------ 394

  • CHAPITRE IX PAIX QUI TIENT COMPTE DES AVERTISSEMENTS ----------------------------------------------------------------- 403 CHAPITRE X APRS LES ANNES, LE RETOUR ------------------------- 424 CHAPITRE XI LE CHAPITRE IV DE SAINT MATTHIEU ---------------- 433

    TROISIME PARTIE CHAPITRE PREMIER VOUS RCOLTEREZ CE QUE VOUS AVEZ SEM ----------------------------------------------------------------------------------- 447 CHAPITRE II JOB, XXXVIII-7 -------------------------------------------------- 449 CHAPITRE III LE SPULCRE DES TEMPS PASSS ---------------------- 450 CHAPITRE IV LA CHUTE DE LATLANTIDE ------------------------------- 453 CHAPITRE V LINHUMANIT DE LHOMME POUR LHOMME ----- 468 CHAPITRE VI POURQUOI LATLANTIDE A PRI ------------------------ 470 CHAPITRE VII LA TRANSFIGURATION ------------------------------------- 473 POSTFACE DE LAUTEUR LA DIVISION DU CHEMIN ------------------ 476 GLOSSAIRE --------------------------------------------------------------------------- 488

  • Prface du traducteur

    Parmi les dizaines de milliers de livres sur les sujets sotriques dont fourmille la littrature anglo-saxonne, jen ai lu quelques centaines. Ils se sont diviss sponta-nment dans mon esprit en trois classes : dune part le groupe des banaux ou des prims, dautre part celui des livres intressants et instructifs, et enfin le groupe fort peu nombreux de ce que jappellerai les livres majeurs. Par une trange concidence , tous ces livres majeurs manaient de Californie, et avaient t rdigs au dbut du vingtime sicle. Ils ont illumin la vie spirituelle dun trs vaste public anglo-saxon, et je me suis donn pour mission de les prsenter au public franais.

    Sur le frontispice de la Bibliothque municipale de Los Angeles est inscrite la devise suivante : Les livres invi-tent tout le monde, ils ne contraignent personne. Jaime cette devise, qui reflte si bien lesprit des livres majeurs. Il faut que chacun se sente libre de prendre dans leur contenu ce qui peut servir de nourriture son me, dans ltat dvolution o elle se trouve au moment de la lec-ture. Les livres majeurs ne cherchent jamais prouver quelque chose la manire cartsienne ni forcer une conviction. Ils racontent, ils tmoignent, et ensuite, selon la formule de saint Paul lesprit rend tmoignage mon esprit que ces choses sont vraies ou quelles ne sont pas vraies.

    Les trois livres majeurs que jai traduits jusquici ma-nent de trois auteurs absolument diffrents. Ils forment un triptyque : AVANT PENDANT APRS. Jentends avant, pendant, et aprs la vie terrestre de Jsus relate par les vangiles. Car ces livres sont tous centrs sur Lui, qui a pris sur ses paules la charge du monde, et qui reste la clef de vote de son volution jusqu ce quil remette le Royaume au Pre la fin des temps apocalyptiques.

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  • PENDANT, cest le Tome III de la Cosmogonie dUrantia qui complte les critures saintes, notamment par lhistoire de la vie de Jsus entre douze et trente ans.

    APRS, cest la Vie des Matres, de Baird T. Spalding, qui dcrit la vie glorieuse des tres qui ont achev leur volution terrestre et revtu leur corps incorruptible.

    AVANT, cest le livre de Phylos, Jai vcu sur deux plantes , que jai lhonneur de prsenter aujourdhui au public franais. Il relate lhistoire des incarnations suc-cessives de lauteur dans la priode glorieuse de lAtlantide, puis dans les Temps modernes, illustrant les causes et modalits de la chute des civilisations, et les efforts des mes jumelles pour se retrouver deux deux. Mais surtout il montre que le Christ se prparait dj son rle de sauveur du monde des milliers dannes AVANT sa naissance Bethlem. Quand il affirma cette activit aux Hbreux, ceux-ci ne le crurent pas. Il leur rpta Avant quAbraham ft, JE SUIS (Jean, VII-58). Et alors ils voulurent le lapider.

    Le monde a volu sous laction majeure de Jsus, avant, pendant, et aprs les temps bibliques. Je publie donc le livre de Phylos sans mtendre davantage, lais-sant aux lecteurs franais la libert den apprcier leur tour lenseignement.

    Louis COLOMBELLE.

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  • PREMIRE PARTIE

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  • CHAPITRE PREMIER

    ATLANTIDE, REINE DES VAGUES

    Pourquoi pas ? me demandai-je en marrtant au milieu des neiges de la montagne, si haute que le Roi des Orages y domine toujours, mme quand lt rgne sur la plaine. Ne suis-je pas un Atlante, un Posidien, et ce nom nest-il pas synonyme de libert, dhonneur, et de pouvoir ? Mon pays natal nest-il pas le plus glorieux sous le soleil, sous lgide dIncal, Dieu suprme ? Et de nou-veau je me demandai : Pourquoi, oui, pourquoi ne mefforcerais-je pas de devenir lun des hommes minents de mon fier pays ? Prestigieuse est la Reine des mers, reine aussi du monde, car toutes les nations nous payent un tribut dloges et de marchandises, et toutes cherchent nous imiter. Gouverner en Posid, nest-ce pas gouver-ner sur toute la terre ? Je vais donc mefforcer de gagner le prix, et jy parviendrai ! Et toi, Lune ple et froide, sois tmoin de ma dtermination. Puis, levant les mains, je criai encore : Et vous aussi, diamants scintillants du ciel !

    Quand il suffisait dun effort rsolu pour obtenir le suc-cs, jatteignais habituellement les buts que je mtais fixs. Cest donc l que je formulai mes vux, une grande altitude au-dessus de la mer et de la plaine qui stendait sur trois mille cinq cents kilomtres vers louest, jusqu la cit royale de Caphoul. Autour et au-dessous de moi slevaient des pics et des chanes de montagnes. Mais si vastes quils fussent, ils paraissaient triqus ct du sommet o je me tenais.

    Tout autour de moi stendaient les neiges ternelles, mais ma pense tait si remplie de ma rsolution de deve-nir puissant dans mon pays natal que je ne prtais aucune attention au froid. En vrit, je mapercevais peine que

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  • lair ambiant tait aussi glac que celui des plaines arc-tiques du lointain septentrion.

    Certes, jentrevoyais nombre dobstacles franchir, car je ntais alors quun pauvre fils de montagnard, orphelin de pre, non de mre heureusement ! Je me mis penser ma mre, vivant des milliers de mtres plus bas, l o ondulent les forts ternelles et o la neige tombe rare-ment. Tandis que je me tenais sur le sommet baign de temptes, seul avec la nuit et mes penses, les larmes me vinrent aux yeux, car je ntais quun jeune garon, sou-vent triste lorsque je pensais aux dures preuves de mai mre. Ces rflexions ne firent toutefois quajouter mon ambition dagir et de devenir quelquun.

    Une fois de plus, ma pense sarrta sur les difficults vaincre au cours de ma lutte pour atteindre le succs, la gloire, et le pouvoir.

    LAtlantide, ou Posid, tait un empire dont les sujets jouissaient dune libert limite seulement par un mini-mum de lois monarchiques. La loi gnrale attribuant les places officielles rservait chaque sujet mle sa chance dobtenir une fonction. Lempereur tait lu, ainsi que ses ministres, les Princes du Royaume qui formaient le Con-seil des Nonante. Leurs postes taient analogues aux se-crtariats dtat de la Rpublique Nord-Amricaine, la-quelle a vritablement succd lAtlantide. Si la mort venait rclamer loccupant du trne ou lun de ses con-seillers, on faisait jouer la loi lectorale. Autrement elle ne fonctionnait pas, moins de rvocation pour indignit. De cette sanction, lempereur lui-mme ntait pas exempt.

    Le droit de vote appartenait deux grandes catgories sociales qui comprenaient toutes les classes du peuple sans distinction de sexe. Le grand principe sous-jacent du systme politique atlante pourrait se rsumer ainsi : Une rgle gradue pour mesurer le niveau dducation de chaque lecteur, sans aucune considration de sexe.

    Les deux grandes catgories sociales taient celle des prtres (Incalas) et celle des savants (Xioquas).

    Peut-tre se demandera-t-on comment chacun pouvait courir sa chance dans un systme do les artisans, com-

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  • merants, et militaires taient exclus, sils nappartenaient pas une classe ayant le droit de vote.

    Tout le monde avait la facult dentrer au Collge des Sciences, celui dIncal (prtres), ou aux deux, sans dis-tinction de race, de couleur, ni de sexe. On exigeait sim-plement que le candidat ft g de seize ans rvolus et possdt une bonne ducation. Celle-ci pouvait sobtenir dans les coles ordinaires ou dans les classes primaires des collges tels que le Xioquithlon, qui existaient dans les capitales de certains tats atlantes : Nouma, Terna, Ido-sa, Corosa. Elle pouvait mme sobtenir lcole primaire de Marzus, principal centre dart et dindustrie de Posid.

    Au grand Xioquithlon, la dure des tudes tait de sept ans, raison de dix mois par anne. Il y avait deux ses-sions de cinq mois de travail actif, suivies chacune dun mois de vacances. Chaque tudiant pouvait prendre part aux examens qui avaient lieu en fin danne, ou juste avant lquinoxe de printemps.

    Nous reconnaissions la loi naturelle de la limitation de leffort mental, en ce sens que les cours suivis taient purement facultatifs. Laspirant pouvait librement choisir autant ou aussi peu de matires quil lui tait agrable, ncessairement avec le correctif suivant : seuls les posses-seurs dun diplme de premire classe pouvaient poser leur candidature un emploi officiel, mme le plus humble. Un tel diplme signifiait que son titulaire avait acquis une srie de connaissances spciales, trop nom-breuses pour tre dtailles ici, mais dont il sera fait men-tion au cours de ce livre.

    Le diplme de seconde classe ne confrait aucun autre prestige politique que le droit de voter. Mais si quelquun ne se souciait ni de voter ni dtre fonctionnaire, il gardait cependant le privilge de recevoir linstruction gratuite dans nimporte quelle branche dducation.

    Certains naspiraient qu une instruction sommaire, en vue de mieux exercer un mtier dtermin, tel un aspirant mineur dsirant recevoir dun ingnieur des leons de minralogie, ou un ouvrier agricole des leons dun fer-mier, ou dun jardinier des leons de botanique. Ces gens

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  • peu ambitieux navaient aucune part au gouvernement. Bien que leur nombre ne ft pas minime, le stimulant du prestige politique tait tel que onze membres sur douze de la population adulte possdaient au moins un diplme de seconde classe, et quun bon tiers possdait celui de pre-mire classe. En consquence, les lecteurs ne man-quaient pas de candidats pour remplir toutes les fonctions gouvernementales lectives.

    Peut-tre le lecteur na-t-il pas encore pleinement com-pris la diffrence entre les lecteurs de la prtrise et ceux de la science. Lenseignement de lIncalithlon (collge des prtres) comportait tous les cours suprieurs du Xio-quithlon. Mais, diffrence essentielle, il comprenait en plus un vaste domaine de phnomnes occultes et de thmes anthropologiques et sociologiques. Les laurats s sciences trouvaient ainsi loccasion de se prparer rendre service dans toutes les circonstances o des hommes moins instruits et connaissant moins bien les grandes lois sous-jacentes de la vie pouvaient avoir besoin daide et de conseils.

    En fait, lIncalithlon tait la plus haute et la plus com-plte source denseignement que le monde connt alors. Je dirai mme et veuillez pardonner ce qui nest pas de lorgueil atlante mais pourrait le paratre quon y rece-vait un enseignement plus haut quil nen a t donn depuis lors, et mme quil nen sera donn dans ce do-maine particulier pendant de longs sicles venir.

    Dans une institution aussi leve, il fallait naturelle-ment que les tudiants fussent dous dun zle spcial et dune force de volont peu commune pour poursuivre leurs tudes et obtenir leur diplme du jury des examina-teurs. la vrit, trs peu avaient trouv quune vie ft assez longue pour acqurir ce diplme, peut-tre pas mme un sur cinq cents de ceux qui sortaient honorable-ment du Xioquithlon. Et cependant cette institution ntait dj pas infrieure la moderne Universit de Cornell.

    Tandis que je mditais au milieu des nvs, je dcidai de ne pas chercher en faire trop, mais de devenir en tout

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  • cas un Xioqua si la moindre chance me le permettait. Je nesprais gure atteindre lminence que confrait le titre dIncala, mais je fis le vu de concourir pour cela, si au-cune circonstance ne men empchait. Pour obtenir cette fire distinction, il ne me suffirait pas de poursuivre des tudes ardues. Il faudrait encore possder damples res-sources pour les dpenses dentretien et maintenir ten-dues lextrme une volont et une nergie indfectibles.

    Do pouvais-je esprer tout cela ? On croit que Dieu aide les ncessiteux. Si je nen tais pas un, qui donc ltait ? Je navais pas dix-sept ans, ma mre comptait sur moi pour la faire vivre, et hormis mon nergie et ma vo-lont natives je navais rien pour maider dans mes ambi-tions. mon sens, cela suffisait comme preuve de mon tat de sujtion, et il tait tout indiqu pour les dieux de maider.

    Plein de ces rflexions, je montai plus haut encore, vers la cime qui dchirait le ciel, et japprochai du sommet. Laurore tait proche, et il fallait que je me tinsse sur la roche la plus haute pour saluer Incal (le soleil) ds quil triompherait de Navaz (la nuit). Autrement, le chef de toutes les manifestations, le seul vrai Dieu dont Incal portait le nom et dont il tait le bouclier, pourrait ne pas accueillir favorablement ma prire. Non, il fallait quil voie le jeune suppliant npargner aucune peine pour lui rendre honneur. Cest pour cette unique raison que javais grimp seul dans ces solitudes, sur cette pente de neige vierge sous le dme toil des cieux.

    Je me demandais moi-mme : Y a-t-il une croyance plus glorieuse que celle de mes concitoyens ? Tous les Atlantes nadorent-ils pas le Grand Dieu, la seule vraie Divinit, qui est reprsente par lclatant Soleil ? Il ne peut rien exister de plus sacr ni de plus saint. Ainsi parlait le jeune garon dont la pense mrissante avait saisi la vritable inspiration de la religion exotrique, mais de qui lautre religion, plus profonde et plus sublime, tait ignore et devait le rester pendant les jours de Posid.

    Quand le premier rayon de lumire jaillit de derrire le bouclier travers le sombre abme de la nuit, je me jetai la

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  • face contre la neige du sommet, dans lattitude quil fallait observer jusqu ce que le Dieu de lumire ait entirement triomph de Navaz. Il triompha enfin ! Alors je me levai, fis une profonde et dernire gnuflexion, et redescendis sur mes pas le long de cette terrible dclivit de glace, de neige, et de roches dnudes. Celles-ci taient noires et acres, perant leur manteau de glace, et faisant ressortir les ctes de cette montagne incomparable, qui slevait plus de quatre mille trois cents mtres au-dessus du ni-veau de la mer.

    Pendant deux jours, tous mes efforts avaient tendu vers le sommet glac, en vue de my tendre, offrande vivante sur un autel surlev, afin dhonorer mon Dieu. Je me demandais sil mavait entendu et remarqu. Si oui, sen proccupait-il ? Sen souciait-il assez pour ordonner son vice-rgent, le Dieu de la Montagne, de maider ? Sans savoir pourquoi, je me tournai vers ce dernier, esprant en une sorte daveugle orgueil, quil me rvlerait quelque trsor, ou bien

    Mais quel est ce reflet mtallique sur le rocher dont mon piolet a expos le cur aux rayons du soleil matinal ? De lor ! Incal ! Est-ce vrai ? De lor jaune et prcieux ! Incal ! criai-je en rptant son nom, sois lou pour avoir si vite rpondu ton humble suppliant. Dans ma gratitude pour le Dieu de tous les tres, le Sublime, dont le Soleil, son bouclier, projetait ses glorieux rayons, je magenouillai tte nue dans la neige. Puis je regardai nouveau le trsor. Ah ! quelle rserve de richesse il com-portait !

    Tandis que le quartz se fendait sous mes coups redou-bls, les morceaux en restaient ciments par le mtal prcieux, tellement son paisseur tait grande dans la gangue. Les artes aiguises des cailloux siliceux me cou-paient les mains, si bien que le sang coulait par une demi-douzaine de blessures. Tandis que je saisissais le coupable quartz glac, mes mains saignantes se soudaient lui par le gel, unissant le sang et le trsor. Peu importe. Je les arrachai sans prendre garde la douleur, tant jtais exci-t.

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  • Incal ! mcriai-je, tu es bon pour ton enfant en le dotant si libralement du trsor qui lui permettra dexcuter sa dcision avant que son cur nait eu loccasion de dfaillir dans la longue attente de lesprance.

    Aprs avoir choisi les morceaux de quartz aurifre les plus riches, je remplis mes vastes poches de tout ce que je pouvais emporter dans ma marche chancelante.

    Comment marquer lendroit, pour le retrouver ? La tche tait facile pour un montagnard n. Elle fut bientt accomplie. Alors je mlanai joyeusement sur la descente, vers ma maison, avec ma lourde charge et mon cur l-ger.

    trois kilomtres peine de la base de mon pic au tr-sor serpentait par-dessus les montagnes la grande voie impriale qui aboutissait locan, des centaines de kilomtres de lautre ct des plaines de Caphoul.

    Une fois cette route atteinte, la partie la plus fatigante du trajet serait accomplie, bien quelle ne reprsentt pas plus dun cinquime de la distance totale.

    Je donnerai une ide des difficults que lon rencontrait escalader cette montagne gante ou en redescendre en disant que les cinq cents derniers mtres de lascension ne pouvaient seffectuer que par un seul chemin tortueux. Une gorge troite, simple fissure volcanique, offrait au pied une prise des plus prcaires. Partout ailleurs, les faces de la montagne taient formes d-pics infranchis-sables. Ce maigre support nexistait que sur les premiers trois cents mtres. Ensuite la fissure sinterrompait. Vers son extrmit suprieure, il y avait une petite grotte, un peu plus haute quun homme, et susceptible de contenir une vingtaine de personnes. Au fond de cette grotte souvrait une galerie plus large que haute dans laquelle on pouvait accder en rampant. Laventureux explorateur tait ensuite forc de descendre une pente assez forte ; mais pendant les douze premiers pas le plafond de la galerie se relevait au point que lon pouvait presque se tenir debout. A son point le plus bas, la galerie serpentait, puis sagrandissait nouveau en un tunnel ascendant

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  • tortueux dont les parois offraient au pied des asprits suffisantes pour rendre le parcours sans danger. Pourtant, ce tunnel montait quarante degrs dinclinaison et par-fois davantage. On grimpait ainsi sur une centaine de mtres de verticale, mais les sinuosits du boyau allon-geaient beaucoup ce trajet. Cher lecteur, ctait le seul chemin pour atteindre le sommet de la montagne la plus leve de Posid ou de lAtlantide, selon que vous prfrez donner un nom ou lautre ce continent insulaire.

    Si ardu que ft le passage, il y avait largement place pour le grimpeur dans cette vieille chemine sche ou cet ancien conduit deaux souterraines. Au dbut, cela avait certainement t une chemine. Maintenant, elle tait use par les eaux au point de rendre conjecturale son origine igne.

    Sur un point de son trajet, ce long tunnel slargissait en une vaste caverne, qui partait angle droit de la che-mine, et descendait, descendait profondment dans les entrailles de la montagne, peut-tre mille mtres de profondeur ou davantage. Celui qui saventurait prs de labme dans cette sinistre obscurit se trouvait au bord dun gouffre dont aucun ct ntait visible, sauf celui sur lequel il se tenait. Il tait impossible daller plus loin, sinon pour des cratures ailes comme des chauves-souris, et il ny en avait pas dans ces terribles profondeurs.

    Aucun son ne se rflchissait dans ce vide immense. Aucun rayon de lanterne ne rvlait lautre paroi. Il ny avait rien dautre quune mer dencre dun noir ternel. Cependant le gouffre ne minspirait aucune frayeur. Il me fascinait plutt. Je navais jamais trouv de compagnon pour braver linconnu et pour venir mes cts sur ce rebord effroyable.

    Trois fois, au cours des annes passes, jy avais t, pouss par la curiosit. La dernire fois, je mtais pench sur le bord pour rechercher un chemin de descente. Mais lnorme bloc basaltique sur lequel je me tenais bascula, puis tomba dans labme. Cest de justesse que je pus sau-ter en arrire et prserver ainsi ma vie.

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  • Pendant plusieurs minutes, les chos de la chute du bloc parvinrent jusqu moi. Ma torche lavait accompa-gn, et chaque fois quelle heurtait la paroi, elle projetait des tincelles semblables des lucioles, jusqu ce quelle et finalement disparu. Je fus laiss dans une obscurit profonde, tout tremblant encore du danger couru et oblig de retrouver mon chemin vers la sortie, dfaut de quoi il ne me restait plus qu mourir. Depuis lors, je navais plus eu envie dexplorer le gouffre.

    Javais toutefois bien souvent parcouru la chemine, entre la caverne abyssale et la sortie sur le flanc de la montagne, deux cents mtres au-dessous du sommet. Que de fois javais pass par lendroit o le hasard dun coup de piolet mavait rvl le trsor de minerai. Mais je navais jamais dcouvert le prcieux dpt avant de lavoir demand Incal sous la pression de la ncessit o je me trouvais. Ds lors, quoi dtonnant ce que jprouvasse une foi absolue dans les croyances religieuses de mon peuple ?

    En quittant le sommet neigeux, il me fallait quitter la lumire du soleil et lair pur pour entrer dans une obscuri-t dense et une atmosphre lgrement sulfureuse. En abandonnant la clart du matin, jchappais aussi au froid terrible de laltitude, car lintrieur du tunnel tait chaud.

    Je parvins enfin la grotte, dominant la fissure de trois cents mtres qui allait me guider vers les pentes plus aises du tiers mdian de la montagne. Je marrtai dans la grotte. Fallait-il retourner chercher une autre charge de minerai ou rentrer directement la maison ? Je finis par me dcider refaire lascension et me trouvai une fois de plus lendroit de mon trsor. Puis je redescendis avec ma seconde charge jusqu lentre du grand gouffre et my arrtai un moment, car il me restait cent vingt mtres assez rudes grimper pour atteindre la grotte extrieure. Je repris ensuite ma route, et me trouvai bientt dans la grotte, quatre mtres de lair libre.

    Bien que le tunnel ft sinueux dans son ensemble, il comportait des parties aussi droites que si elles avaient t tailles par une machine-outil. Les cent vingt mtres qui

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  • sparaient la grotte de lentre du gouffre taient lune de ces parties droites qui, cause de cela, tait presque plus difficile franchir que le reste du tunnel. En fait, on ny serait pas parvenu si les rugosits latrales navaient four-ni aux pieds des points dappui. Si le tunnel avait t clai-r au lieu dtre obscur, jaurais pu regarder droit dans le gouffre partir de la grotte.

    La tideur de lair minvita masseoir, ou plutt mtendre demi dans la grotte, bien que je ne pusse rien voir. Tout en me reposant, je mangeai une poigne de dattes et bus petites gorges un peu de neige fondue contenue dans mon bidon. Cela fait, je mallongeai com-pltement pour dormir dans lair tempr.

    Je ne sais combien de temps je dormis, mais le rveil fut effroyable. Des bouffes dair, chaudes au point de vous arracher la peau, passaient au-dessus de moi, char-ges de fumes suffocantes, et produisant dans leur rue vers le sommet de rauques murmures. De lhaleine ar-dente du gouffre montaient des hurlements et des gmis-sements quaccompagnait le bruit dnormes explosions et dassourdissantes dtonations.

    Plus terrifiante que tout tait la lueur rouge rflchie par les parois du gouffre, o je pouvais maintenant plon-ger mon regard sans obstacle. Dans ses profondeurs bril-laient des clats de gaz enflamms rouges, verts, bleus, et multicolores. Pendant un moment la peur me paralysa, et je restai contempler cet enfer dlments flamboyants. Je savais que les lueurs et la chaleur, toutes deux momen-tanment croissantes, ainsi que le bruit et les secousses de la montagne annonaient tous le mme phnomne : une ruption volcanique active.

    la fin, lenvotement qui engourdissait mes sens fut rompu par lapparition dun jet de lave fondue, projet de plusieurs mtres dans la galerie par une explosion lintrieur du gouffre. Alors je me levai et menfuis. Je traversai prcipitamment la grotte et rampai avec une hte et une nergie folles travers lentre horizontale qui ne mavait jamais paru si basse !

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  • Javais oubli que je portais de lor dans mes poches, et le fait ne me revint lesprit quau moment o jprouvai laction retardatrice du prcieux minerai. Au milieu de mon effort de fuite, javais regagn un certain calme, et ma prsence desprit restaure mincita ne pas jeter mon trsor. La rflexion me convainquit que le danger, bien que menaant, ntait pas imminent. Je retournai donc en rampant dans la grotte, y repris un sac que jy avais laiss, et le remplis de tout le minerai que je pouvais porter.

    Je dnouai ensuite de ma poitrine une courroie de cuir et une corde dune douzaine de mtres. Jattachai le sac un bout et nouai lautre bout une pointe de rocher. Je laissai filer le sac, et descendis aprs lui. Puis, par une secousse, je dtachai la corde de sa pointe de rocher, et rptai maintes fois cette manuvre. Je parvins de la sorte au bas de la fissure avec la majeure partie de mes deux charges de minerai. partir de l mon chemin sui-vait une arte rocheuse assez troite, mais suffisante pour former un chemin facile.

    Je venais daborder cette arte, lorsque je me retournai pour jeter un coup dil en arrire sur le chemin que javais parcouru. cet instant se produisit une secousse tellurique presque suffisante pour me jeter terre, et de la petite grotte o javais dormi, je vis sortir une bouffe de fume, puis une lueur rouge de la lave. Elle gicla vers le bas en une cascade igne formant un spectacle superbe la tombe du jour, car le soleil ntait pas encore couch. Le sommet de la montagne tait louest de mon arte, de sorte qu lapproche de la nuit je me trouvais dans une ombre profonde.

    Je menfuis le long de larte, aprs avoir laiss mon sac et la majeure partie du contenu de mes poches lendroit que je jugeai le plus sr, bien haut au-dessus de la gorge o la lave serait force de couler. Une fois bonne dis-tance, je marrtai pour me reposer et promener mes regards sur le torrent de feu qui se ruait dans la gorge, assez loin ma droite, mais bien en vue.

    Et je pensai : Au moins, maintenant que la force ne de mon excitation sest dissipe, jai autant de minerai

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  • dans mes poches que jen puis porter. Il semble y avoir plus dor que de quartz, de sorte que mme si je ne peux rattraper le reliquat, jai une fortune en rserve. QuIncal soit lou pour cela !

    Dans mon inexprience, je ne pouvais me rendre compte dans quelle mesure mes dix kilos de quartz auri-fre taient insuffisants pour faire face aux dpenses de sept annes dtudes au collge. De plus, il sagissait du collge de la capitale, o les frais sont plus levs quailleurs. Mais ctait indniablement le plus grand trsor que jeusse jamais possd, ou mme contempl. Cest pourquoi jtais satisfait.

    la vrit, la croyance en une Providence toute puis-sante est indispensable la plupart et mme tous les hommes. La seule diffrence entre eux cest que la Divini-t dont les hommes de grand savoir ont besoin doit dispo-ser dune puissance se rapprochant davantage de linfini que celle des dieux ncessaires aux gens moins expri-ments. Ceux qui comprennent que la vie est illimite projetteront leur pense sur un Dieu peu prs omnipo-tent en regard de la conception qui suffit satisfaire la mentalit ordinaire.

    Ds lors, peu importe que la dit adore soit une idole de pierre ou de bois, une forme inanime quelconque, ou un Esprit Suprme de nature androgyne. Les Grands tres qui prsident au cours des vnements et appliquent la loi du Karma instaure par le Dieu ternel voient le degr de foi dans le cur des hommes, et nadmettent pas que la loi suive toujours son cours rigide sans tre temp-re par la misricorde. Sils laissaient laction desschante de la tristesse et du dsespoir tuer la confiance dans les idoles, les dieux anims , ou le Suprme Esprit de Dieu, alors la bont humaine pourrait trembler pour sa sret et son maintien. Une telle catastrophe ne pourrait sharmoniser avec Dieu. La loi ne permettra donc jamais quelle se produise.

    Il en tait ainsi de ma croyance en Incal, partage par mes concitoyens. Incal, conception purement spirituelle, nexistait que dans la pense de ses adorateurs. Elle

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  • sajoutait la foi dans la Cause ternelle, dont aucune intelligence aucune poque, na jamais pu sainement douter. Cette croyance tait noble, poussait une haute moralit, et nourrissait la foi, lespoir, et la charit. Sans doute, lIncal personnel tait symbolis par le bouclier de lclatant soleil, mais que restait-il dinexistant, sauf dans le cerveau des hommes ? Notre concept atlante remplaait pour nous lEsprit de Vie, Pre de tout. Ctait suffisant pour obtenir que lon observt les principes censs plaire le plus Incal.

    De tout temps, les anges du Suprme Dieu incr ont donn leurs soins aux enfants du Pre. Aujourdhui, re-gardant la croyance enchsse dans mon cur et dans celui de mes compatriotes, ils devaient dire en exerant leur ministre : Quil te soit fait selon ta foi.

    Voyant mon espoir dexceller parmi les hommes, ils avaient rabaiss mon orgueil par la peur, tandis que je fuyais la montagne en feu. Mais aucun dsastre ne se produisit.

    Je menfuyais aussi vite que la nature du chemin me le permettait, et dans ma course je louais Incal, parce que javais gard ma vie et possdais de lor. LEsprit de Vie fut misricordieux, car je ne sus pas combien mon trsor tait insuffisant pour mes besoins avant que la piqre du d-sappointement net t carte de moi par la dcouverte dune rserve bien plus abondante.

    Sur plusieurs kilomtres, mon chemin suivait une arte en lame de couteau. En beaucoup dendroits, des prci-pices bants souvraient ct du sentier, au point que je dus me servir de mes mains et de mes pieds pour passer. Parfois, les parois pic encadraient le sentier, qui deve-nait trs troit. Jtais reconnaissant envers Incal pour les moindres circonstances heureuses et le remerciai de ce que le dieu de la Montagne ne se dment pas sous forme de secousses telluriques pendant que je me trouvais dans ces positions prilleuses.

    cinq kilomtres de mon point de dpart, jarrivai au bord dun prcipice effrayant, tandis quune paroi verti-cale se dressait au-dessus de moi. Seules clairaient mon

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  • chemin les lueurs de la montagne en feu. Tandis que je descendais prcautionneusement vers le rebord basal-tique, une violente secousse me prcipita sur les genoux et faillit me projeter dans le prcipice. Un instant plus tard un grondement sourd emplit lair avec une intensit per-sistante. Plein de terreur, je regardai derrire moi. Un norme jet de flammes et de fume se ruait vers le ciel, accompagn de pierres assez grosses pour tre visibles lil nu. Au-dessous du rebord o je maccrochais, il y avait un affreux bruit de craquements et dcrasements. La terre tremblait dune faon pouvantable, et sous les chocs rpts, je maccrochais aux rochers dans la crainte dsespre dtre lanc par-dessus le rebord.

    Hier, la gorge que je contemplais dcrivait ses courbes autour de divers pics et artes du massif. Ces artes et pics avaient exist jadis. Maintenant ils nexistaient plus. Je contemplais un paysage de tourbillons effrayants et con-fus, juste suffisamment clairs par les lueurs volcaniques pour tre perceptibles. Les falaises et les rochers autrefois solides paraissaient instables et ballotts comme les eaux de locan. Ils montaient et retombaient sous une pousse horrible, se broyant et scrasant dans un vrai pandmo-nium. Par-dessus le tout, des cendres retombaient en douche paisse et ininterrompue tandis que poussires et vapeurs volcaniques emplissaient lair et stendaient, tel un voile funraire, sur un monde apparemment en train de mourir.

    Finalement, ces rugissements fous et ces secousses curantes prirent fin. Lhistoire plutonique ne fut plus narre que par la lueur rgulire du flot de lave et par des secousses telluriques espaces. Mais je restai tendu sur mon rebord, malade et moiti vanoui.

    Peu peu la lave cessa de scouler, et sa lueur steignit. Les chocs neurent plus lieu qu de longs inter-valles. Une paix semblable celle de la mort envahit toute la contre, cependant que les cendres grises retombaient silencieusement sur la terre malmene.

    Les tnbres rgnaient. Je crois que je perdis cons-cience pendant quelque temps, car au moment o je

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  • mtirai, jprouvai une douleur aigu la tte. En y por-tant la main, je sentis un suintement chaud qui scoulait dun point douloureux au toucher. Je ttonnai autour de moi et trouvai une pierre aux artes vives qui tait tombe de la paroi suprieure et mavait heurt. Quelques mou-vements me montrrent que la blessure ntait pas grave, et je massis. Laurore approchait dj. Alors, dfaillant de douleur, de faim, et de froid, je mtendis nouveau pour attendre le jour.

    LIncal levant claira une scne bien diffrente de celle du matin prcdent ! Quand je regardai vers le fier som-met, la lumire rouge du soleil me montra quune bonne moiti en avait t arrache et avale par quelque ca-verne mystrieuse . Oui le pote a exprim la vrit en disant : Les montagnes dressent vers le ciel leurs parois chaudes et noircies, et inclinent leurs hautes ttes vers la plaine.

    Dans le voisinage, juste mes pieds, l o des artes avaient exist et o laffreux tournoiement avait eu lieu, les flches rocheuses, pics et parois avaient disparu jamais ! leur place se trouvait un grand lac deau bouil-lante, dont la rive la plus loigne tait voile par la lente chute des cendres. Des nuages de vapeur se condensaient dans lair froid en une fine bruine, comme si le globe, rudement frapp, versait des larmes sur sa rcente agonie. Tous les bruits taient touffs, le tremblement calm, le bouillonnement du flot de lave arrt.

    Larte sur laquelle je me trouvais avait presque enti-rement chapp au dchirement gnral. Elle avait nan-moins souffert, et quand je voulus reprendre mon chemin habituel de retour, celui-ci avait disparu. Un norme bloc de rocher pesant plusieurs milliers de tonnes avait gliss dans le prcipice, arrachant tout vestige du sentier qui traversait par-l. Je cherchai une autre route et me mis grimper dans la lumire tamise.

    Jarrivai une partie de la crte oppose au soleil, et naperus que deux troits rebords bien prilleux, des lacs deau bouillante dans le fond, et des parois infranchis-sables au-dessus de moi.

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  • Soudain un faible rayon de lumire rougetre brilla en travers de mon chemin. Jen recherchai la source et vis quil provenait dune large fissure dans la paroi qui me surplombait. Le bas de cette fissure ntait pas loin au-dessous de moi. Elle se fermait sans se rtrcir, par un plancher aussi large que louverture de la fissure elle-mme, comme si la roche avait t pousse de ct en formant une faille, ce qui tait certainement le cas.

    Je descendis jusquau niveau de ce plancher. Puis, trouvant la fissure assez large jy entrai sans redouter une nouvelle secousse tellurique qui pouvait la refermer et my craser comme dans un moule gaufres. Pourtant, javais envisag cette ventualit. Mais, tel un bon Atlante, jcartai ma crainte en songeant que je me confiais Incal, lequel agissait au mieux pour moi.

    et l, sur la paroi fendue, apparaissaient des veines de quartz porphyrique formant des saillies qui couraient le long de la masse de granit. La fissure stendait jusqu la crte, et bien quelle et prs dun mtre de large, sa hauteur la faisait paratre fort troite. Je marrtai, rempli de joie lide qu droite et gauche mes yeux contem-plaient du rocher vierge, qui depuis les origines de la Terre navait pas t expos au regard de lhomme. Je fis alors une dcouverte qui fit battre mes artres dune joie sauvage. Tout prs de moi, juste un peu en avant, il y avait un filon jaune docre dans lequel japerus de nombreuses mouchetures dune roche blanchtre plus dure. Ctaient des morceaux de quartz arrachs par la secousse qui avait produit la fissure. Ils taient abondamment tachets de ppites dor natif et dargent mtallique.

    La ductilit des deux mtaux prcieux se manifestait par de curieux effets. Lor et largent avaient t tirs hors de la paroi de la fracture sous forme de filaments ayant parfois plusieurs centimtres de longueur.

    nouveau, la sensation de dfaillance cause par la faim me quitta. Joubliai temporairement les souffrances de ma douloureuse plaie la tte, et je chantai un hymne de gratitude mon Dieu. Disparu, le majestueux sommet, dtruite, la seule route daccs possible de

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  • lascensionniste. Mais ici, aprs la fin de la guerre entre feux souterrains, il y avait un trsor plus grand, plus proche de ma maison, plus facile atteindre que le pre-mier. Lexcitation de la joie provoqua une tension trop grande de mes nerfs dj si affaiblis, et je mvanouis !

    Mais la jeunesse a du ressort, et la sant de ceux qui nont pas de vices possde une lasticit merveilleuse. Je repris bientt conscience et eus la sagesse de rentrer la maison sans gaspiller mes forces en marrtant davantage.

    Je savais que mon instinct de montagnard me guiderait infailliblement quand il faudrait retrouver cet endroit.

    Je pris conseil de ma mre. Elle fut davis que je ne pouvais exploiter la mine tout seul, et je compris quelle avait raison. Mais trouverais-je madjoindre des hommes qui imiteraient leur soif de rcompense une fraction honnte de la fortune ainsi obtenue ?

    Il suffit de dire ici que jobtins les concours ncessaires. Certains prtendus amis entrrent en association avec moi. Ils mattriburent un tiers des profits sans exiger aucun travail de ma part, se rservant pour eux-mmes le reste des recettes. Ils acceptrent aussi sous certaines rserves mon exigence de faire inscrire mon nom la proprit exclusive de la mine. Je leur fis signer un papier cet effet, et ils durent le sceller du sceau le plus sacr qui existt en Atlantide, savoir lapposition de leur signature trace avec leur propre sang.

    Jinsistai sur ce luxe de formalits dans la crainte in-coercible de voir ces gens prtendre avoir dcouvert la mine eux-mmes et mconnatre ainsi tous mes droits. Aujourdhui, je sais que mes soupons taient fonds. Le contrat spcifiait que la totalit de la mine quils allaient exploiter durant lanne en cours tait la proprit inali-nable de Zalm Numinos. Seule lexistence de cette clause les empcha de me dpouiller comme ils en avaient lintention. La clause ne mentionnait pas spcialement linventeur de la mine, mais stipulait en termes indiscu-tables que le droit la proprit tait attribu au porteur de mon nom. En cas de contestation, je naurais pas prouver comment jen tais devenu titulaire. Aucune af-

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  • firmation quun autre tait linventeur de la mine naurait t utile avec des gens malintentionns, car peu importait de savoir qui avait dcouvert le filon le premier. Le fait subsistait que jen tais le propritaire. Cela me valait tous les avantages et la protection complte de la loi. Du moins, dans mon ignorance, cest ce que je croyais.

    Mes associs taient moins ignorants. Ils savaient que le contrat tait illgal, donc sans valeur. Un jour vint o jappris tout. Les lois de lAtlantide faisaient de chaque mine la source dune dme au profit de lEmpire, et toute mine exploite sans tenir compte de cette obligation lgale tait sujette confiscation.

    Mes partenaires pousss par leur avarice gardrent se-cret notre accord, tout en exploitant la mine, ce qui les rendit complices dune violation de la loi. Faute de quoi ils auraient pu en devenir propritaires lgaux en dnonant simplement mes agissements au plus proche agent du gouvernement.

    Mais, lpoque, je ne connaissais pas la loi, et mes deux associs crurent habile de se taire, parce quils ne savaient pas tout et croyaient ne pratiquer quune entorse vnielle certains rglements. Cest ainsi que le secret fut conserv en attendant sa rvlation ultrieure.

    Maintenant que je disposais des ressources voulues, ltape suivante consistait dmnager de la campagne vers la cit de lempereur. Je passerai sous silence nos adieux notre vieille maison de la montagne et notre nouvelle installation Caphoul.

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  • CHAPITRE II

    CAPHOUL

    Les Atlantes vivaient sous un gouvernement se rappro-chant dune monarchie tempre. Leur systme recon-naissait un empereur lu, sans le moindre caractre hr-ditaire, et des ministres connus sous le nom de Conseil des Nonante ou Princes du Royaume . Tous ces offi-ciels taient nomms vie, sauf rvocation pour malfai-sance. Ce terme tait strictement dfini, et les sanctions correspondantes svrement appliques. Si haut plac que ft loffenseur, il ne pouvait chapper au jeu de la loi.

    Aucune fonction gouvernementale ntait lective, sauf un seul poste ecclsiastique. Les postes secondaires des services publics taient toujours pourvus par voie de no-mination, et les titulaires strictement nots par ceux qui les avaient nomms. Ces derniers, empereur ou princes, taient responsables devant le peuple de lusage de leurs pouvoirs et de la conduite des fonctionnaires choisis par eux.

    Le prsent chapitre na pas pour objet de faire un cours de politique atlante, mais de dcrire les palais ministriels et royaux que la nation mettait la disposition de ses lus, un pour chaque prince, trois pour lempereur. Dans lensemble, la description extrieure et intrieure de lun de ces btiments donne une ide de ce qutaient les autres. Il en est de mme aujourdhui aux tats-Unis et dans les nations modernes. Un difice gouvernemental se reconnat aisment aux traits gnraux de son architec-ture. La description dAgaco, palais principal de lempereur, servira donc un double but, celui de donner une ide de la plus clbre rsidence du grand empire de Posid, et celui dillustrer le style prdominant de

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  • larchitecture gouvernementale pendant la priode o je rsidai en Atlantide.

    Je prie le lecteur dimaginer un tertre haut denviron cinq mtres, large de cinquante et long de deux cent cin-quante. La plate-forme suprieure tait faite de blocs de porphyre taill. Sur les quatre cts, un escalier en pente douce descendait vers le gazon environnant. En avant et en arrire, les marches taient divises en quinze sections. Aux extrmits les escaliers navaient que trois sections, chacune de quinze mtres de long. Les deux sections voi-sines des coins taient spares par des divisions consis-tant en de profonds retraits quadrangulaires dans lesquels et autour desquels les escaliers couraient sans interrup-tion. La section centrale tait spare de chacune des sections latrales par un colossal serpent de grs sculpt, aussi vivant que lart pouvait le rendre. Les ttes de ces reptiles immobiles reposaient sur le tapis de gazon vert au bas des escaliers. Leurs corps stalaient en plein relief sur les marches, jusquen haut de la plate-forme. Ils taient enrouls autour de colonnes massives qui supportaient les frontons des vrandas de la superstructure. Le palais tait rig sur la plate-forme de porphyre, et les colonnes for-maient un pristyle fort imposant entre les larges vran-das et les marches. La division suivante consistait en un quadrangle dans les marches, la suivante en un nouveau serpent, et ainsi de suite tout autour de ldifice.

    Jespre que ma description est suffisamment claire pour donner une ide de cet immense paralllogramme entour de marches, gard par de monstrueuses formes serpentines la fois utiles et ornementales. Ces emblmes religieux ne symbolisaient pas seulement la sagesse. Ils rappelaient aussi lapparition dun serpent de feu dans le ciel de la Terre dautrefois, au moment crucial o lHomme stait spar de Dieu.

    Alternant avec ces formes, les retraits rompaient laspect rectiligne de la faade et en vitaient la monoto-nie. Au-dessus slevait le premier tage du palais pro-prement dit. Son pristyle entrelac de serpents soutenait de grands toits de vrandas, sur lesquels dnormes vases

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  • remplis de terre nourrissaient toutes sortes de plantes tropicales, darbustes, et de nombreuses varits darbrisseaux. Ce jardin luxuriant parfumait lair, dj rafrachi par de nombreuses fontaines qui jouaient au milieu des plantes.

    Au-dessus du premier tage, avec ses portiques pleins de fleurs, slevait un autre tage dappartements entour de galeries ouvertes dont le sol tait form par les toits des pices infrieures. Le troisime et dernier tage ne com-portait pas de vrandas, bien quil ft tout entour de galeries-promenades dont le toit de ltage infrieur for-mait le sol. La mme luxuriance de fleurs et de verdure rendait cet tage aussi charmant que les autres.

    Les oiseaux beau plumage et beau ramage en taient les htes bienvenus. Bien que libres, ils taient apprivoi-ss, car nul ne leur avait jamais fait de mal. Des gardes taient munis de sarbacanes projetant sans bruit leurs dards. Silencieusement, ils dtruisaient tous les oiseaux de proie, les espces doiseaux non chanteurs ou ternes de plumage, ou encore ceux qui ne se rendaient pas utiles par leurs qualits dinsectivores, et qui, pour ces diverses raisons, taient regards comme indsirables.

    Des tours et des flches gracieuses jaillissaient du toit principal. Les nombreuses pices en encorbellement, les angles, les artes de votes, les arcs-boutants ajours, les corniches, et les multiples ornements architecturaux enle-vaient au palais toute apparence de lourdeur.

    La plus grande des tours tait encercle jusquen haut par un escalier en spirale qui conduisait une plate-forme suprieure enclose de parapets, trente mtres au-dessus dun toit daluminium.

    Le palais dAgaco tait seul parmi les difices gouver-nementaux possder une tour semblable. Celle-ci avait t rige quelques sicles avant mon poque, en mmoire dune belle princesse enleve aux soins aimants de son poux et partie au Navazzamin, le pays ombreux des mes quittant la Terre. Tel tait le palais dAgaco.

    ltage suprieur on avait install un grand muse of-ficiel. Ltage mdian tait occup par les bureaux des

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  • principales autorits du gouvernement. Quant au premier tage, il tait magnifiquement dispos et meubl pour servir de rsidence prive lempereur. Il nest pas sans intrt de noter que les gueules bantes des serpents de pierre dcrits plus haut servaient de portes dentre (de taille normale) certains appartements du rez-de-chausse. Ce dtail donnera une ide exacte de limportance de ces reptiles monstrueux, cependant artis-tiques dans leurs proportions. Leurs corps taient de grs sculpt, gris, rouge, ou jaune. Leurs yeux taient de sar-doine, de cornaline, de jaspe, et dautres minraux siliceux colors. Quant aux dents crochues des gueules bantes, elles taient de quartz blanc clatant, et encadraient les portes dentre.

    Lexistence dune pareille masse de pierres tailles et scies oblige les cerveaux modernes se demander si les Atlantes nobtenaient leurs produits finis que par le labeur incessant des esclaves, ou si nous possdions des ma-chines particulirement efficaces pour tailler la pierre. Dans le premier cas, il aurait fallu que nous fussions un peuple barbare, et alors notre autonomie politique et t constamment menace par les forces de soulvement du volcan social toujours cr par lesclavage. Cest la seconde hypothse qui est exacte, car notre machinerie dans ce domaine faisait notre orgueil parmi les nations, ainsi dailleurs quune diversit presque infinie doutils servant toutes sortes de fins.

    Quon me permette ici une affirmation, destine non pas tayer une discussion, mais tre comprise la lumire des chapitres suivants : si nous les Atlantes nous navions pas possd cette vaste gamme dinventions mcaniques et les talents dinventeurs qui nous assuraient de tels triomphes, alors vous autres des temps modernes vous ne possderiez pas non plus ces facults cratrices ni aucun des produits dun pareil gnie.

    Peut-tre, en tudiant mon affirmation, ne compren-drez-vous pas le lien entre nos deux poques et nos deux races. Mais mesure que vous approcherez de la fin de

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  • cette histoire, votre mmoire se rfrera mes paroles avec une pleine intelligence de la question.

    Confiant dans le succs de mon effort pour vous d-peindre en paroles laspect dun difice gouvernemental atlante, jessayerai maintenant de vous donner une ide du promontoire caphalien o trnait Caphoul. Cette ville royale tait la plus grande de son temps. A lintrieur de ses limites rsidait une population de deux millions dmes. Elle ntait pas protge par une enceinte forti-fie. A la vrit, aucune des villes de cette poque ntait entoure de murs, et sous ce rapport, elles diffraient des villes et cits connues des poques historiques ult-rieures.

    Quand je retrace mes souvenirs de cette priode de Po-sid, je ne mcarte pas des faits, car toute ma prsente narration est historiquement tire des archives de la lu-mire astrale. Nanmoins, elle antidate de bien des sicles les histoires transmises par les manuscrits, rouleaux de papyrus, ou pierres graves. Car Posid nexistait dj plus sur Terre au moment o les premires pages de lhistoire furent crites par les premiers chroniqueurs employant le papyrus, ni mme plus tt encore, quand les sculpteurs doblisques et les crivains sur pierre des temples dgypte gravrent leurs hiroglyphes sur un granit durable.

    Alors lAtlantide ntait dj plus connue sur terre, car il y a bientt neuf mille ans que locan a englouti notre beau pays sans en laisser de traces, moins de traces quil nen subsiste dHerculanum et de Pompi enfouies sous les cendres et la lave, et dont lexistence mme fut mise en doute par la chrtient pendant seize sicles. Des excava-teurs ont enlev les scories de Pompi. Mais de Caphoul, nul ne peut carter les flots de lAtlantique et rvler ce qui nexiste plus. Car si chaque jour tait un sicle, il se serait coul prs de trois mois de ces jours-l depuis que le redoutable commandement de Dieu a t donn aux eaux : Couvrez le pays de manire que le clairvoyant soleil nen voie plus trace tout au long de sa course.

    Et il en fut ainsi.

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  • Dans les pages prcdentes, jai dcrit le promontoire de Caphoul savanant dans locan la suite des plaines caphaliennes, et visible de nuit la lueur de sa capitale claire. Sur cinq cents kilomtres louest de Nouma, la pninsule prolongeait la plaine en se rtrcissant. Le cap qui la terminait avait une largeur de quatre-vingts kilo-mtres. Il slevait directement de locan une trentaine de mtres de hauteur, tout comme les falaises crayeuses de la Manche, et ce niveau la plaine tait plate comme la main. la pointe de cette grande pninsule slevait Caphoul, ou Atlan, Reine des Vagues , ville magnifique et paisible, avec ses vastes jardins au charme tropical

    O la feuille ne se fane jamais Dans les tranquilles charmilles en fleurs, Et o labeille fte son banquet Pendant toute une anne de nectar.

    Ses collines artificielles, dont les plus leves portaient les palais gouvernementaux, taient perces ou surmon-tes par de larges avenues ombrages de grands arbres. Les avenues partaient du centre de la ville comme les rayons dune roue et sallongeaient en ligne droite sur quatre-vingts kilomtres. Elles taient coupes angle droit par des avenues plus courtes, traversant la pninsule sur soixante kilomtres dans le sens de sa largeur. Ainsi, dans une splendeur de rve, stendait la plus fire cit de ce monde ancien.

    Nulle part Caphoul ne sapprochait de locan moins de huit kilomtres. Elle navait pas de murs denceinte, mais tait compltement entoure par un immense foss de plus dun kilomtre de largeur et vingt mtres de pro-fondeur moyenne, aliment par les eaux de lAtlantique. Au nord, un large canal rejoignait le grand fleuve Nomis, dont le fort dbit provoquait dans le foss un puissant courant de succion. Les eaux de locan entraient par le sud et drainaient le foss sur toute la priphrie de la ville. De la sorte, lcoulement la mer tait assur pour les eaux de tous les gouts de cette le circulaire artificielle.

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  • Dnormes pompes moteurs refoulaient les eaux fraches de locan travers de vastes tuyaux et canalisations de pierre sur toute la surface de la ville, inondant les gouts et fournissant de la force motrice pour divers usages, lumire et applications lectriques de toutes sortes.

    Services lectriques ? nergie lectrique ? Oui, en vri-t, nous avions une profonde connaissance de cette force motrice universelle. Nous lutilisions sous des formes innombrables dont beaucoup restent redcouvrir dans votre monde moderne. mesure que des hommes et des femmes de cette poque ancienne se rincarnent dans le prsent ge, ils se remmorent chaque jour une plus grande partie de nos procds.

    Chers amis, il est trange que vous restiez incrdules lorsque je parle de ces inventions que vous considrez comme proprit exclusive des temps modernes. Mais je parle par exprience, en connaissance de cause, car je vivais alors et vis encore maintenant. Non seulement jai vcu en Atlantide il y a douze mille ans, mais jai vcu aux tats-Unis avant, pendant, et aprs la guerre de Sces-sion.

    Une partie de notre courant lectrique tait tire du mouvement des vagues sur le bord de la mer, et une frac-tion plus grande encore du flux et du reflux des mares. Les torrents de montagne et les procds chimiques en fournissaient aussi. Mais la source principale dnergie provenait de ce que nous appelions juste titre le Ct Nocturne de la Nature .

    Nous connaissions comme vous de puissants explosifs, mais nous les utilisions sur une chelle bien plus vaste et varie. Supposons que vous sachiez contraindre ces subs-tances cder sans crainte dexplosion leurs vastes r-serves dnergie latente. Continuerez-vous longtemps propulser vos mcanismes laide de moteurs vapeur ou lectriques, grossiers et lourds ? Si un grand paquebot pouvait se passer de ses machines et de ses soutes char-bon en utilisant une nergie concentre ne dpassant pas le poids dun sac main et capable de lui faire traverser lAtlantique ou de tirer un train sur dix mille kilomtres,

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  • combien de temps utiliseriez-vous encore des machines vapeur ? Cependant, une nergie de cet ordre tait connue dans la vie atlante peut-tre par vous, certainement par moi et ntait mme pas la plus estime. Vous la conna-trez nouveau, car NOTRE RACE est en train de revenir du Dvachan 2 sur la Terre.

    Je disais que cette nergie ntait pas seule notre dis-position. Compare aux lourdes machines vapeur, un mcanisme employant lnergie du Ct Nocturne de la Nature ressemblerait un lger moteur explosion.

    Que sont les forces du Ct Nocturne de la Nature ? Je ne rpondrai ici que par une autre question : Do proviennent les forces naturelles de la gravitation, du soleil, ou de la lumire ? Si vous me rpondez quelles proviennent de Dieu, je vous ferai une rponse semblable. Lhomme est lhritier du Pre. Tout ce qui appartient au Pre appartient aussi au Fils. Si Incal reoit son impulsion de Dieu, le Fils dcouvrira comment le Pre sy prend et finira par en faire autant, comme les hommes le firent jadis en Atlantide. Mais vous pourrez faire de plus grandes choses que nous. Vous existez maintenant, vous existiez alors ; vous tes Posid revenue, et sur un plan suprieur !

    Le grand foss entourant la capitale avait t creus pour un but maintenant atteint depuis des sicles. Ce but tait alors purement maritime, car avant lemploi gnra-lis des vaisseaux ariens, il fallait utiliser des navires pour les transports. La ralisation du projet avait t si efficace quelle avait valu Caphoul son fier surnom de Souveraine des Mers , nom quelle conserva mme lorsque lusage primitif de ses douves fut relgu dans lhistoire.

    Quand des moyens de transport amliors eurent sup-plant les anciens, on laissa se rouiller ou bien on conver-tit dautres usages les navires qui pendant dix sicles avaient fait honneur toutes les mers et toutes les routes maritimes du globe. Locan ne portait plus main-tenant que de rares voiliers de plaisir, appartenant tous

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  • des gens qui aimaient la nouveaut et satisfaisaient ainsi leur got du sport.

    Ce changement radical ntait cependant pas un motif suffisant pour laisser se dsagrger les deux cent vingt kilomtres de quais en maonnerie qui bordaient le foss. Les eaux non matrises auraient rong le terrain, caus la perte de proprits prcieuses, dtrior le systme sani-taire de la ville, et en outre dtruit la beaut des douves et de leurs alentours. Aussi, durant les sept cents ans qui scoulrent depuis labandon des transports maritimes, on navait laiss aucune fissure menacer cette grande longueur de maonnerie. Un trait remarquable de Caphoul tait la richesse et la beaut exceptionnelles de ses arbres et de ses bosquets tropicaux. Bordant les ave-nues et couvrant les collines couronnes de palais, dont beaucoup slevaient soixante et mme cent mtres au-dessus du niveau de la plaine, des arbres, des arbustes, des plantes grimpantes et des fleurs annuelles ou vivaces remplissaient les gorges, canons, dfils, et plateaux en miniature dont la cration avait enchant les Atlantes amateurs dart. Cette vgtation couvrait les pentes et entourait les falaises minuscules et les murs des bti-ments. Elle cachait mme une grande partie des marches qui conduisaient par de larges mplats jusquau bord des douves. Elle recouvrait tout, tel un glorieux vtement verdoyant.

    Le lecteur commence peut-tre se demander o vi-vaient les habitants. La question vient point, et jespre que la rponse en sera juge intressante.

    La surface du grand promontoire tait primitivement une plaine. On lavait transforme en une configuration bien plus belle de collines et de vallonnements. Pour effec-tuer ce changement, on avait difi avec une rsistance toute preuve des masses rocheuses de fort volume sur-montes de terrasses. On y avait mnag des tunnels vots pour les avenues dintersection et rempli les es-paces creux dun mlange soigneusement pilonn dargile, de ciment, et de cailloux. Lextrieur avait t ensuite couvert de terreau sur les parties plates, et lon avait cons-

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  • truit des gradins pour servir de support une vgtation varie.

    Ces collines couvraient des centaines de kilomtres car-rs de la plaine primitive, laissant, sauf quelques excep-tions, peu de terrain plat en dehors des avenues. Un grand nombre de ces avenues escaladaient les collines ou re-montaient le long dun canon jusque vers son col terminal. Puis elles pntraient dans la colline sous le col et dbou-chaient de lautre ct par un tunnel vot. Des tubes de cristal, dans lesquels on avait fait un vide absolu, clai-raient ces passages dune lumire continue drive des forces du Ct Nocturne de la Nature .

    Les faces verticales et inclines des constructions ainsi que les parois des canons, taient creuses de larges chambres de dimensions varies. Les portes et fentres taient caches par des imitations de corniches do pen-daient des vignes vierges et autres plantes se plaisant dans les rochers. Ainsi se trouvait dissimule la vue la raideur peu gracieuse des cadres mtalliques sous-jacents.

    Les appartements formaient des ensembles artistique-ment disposs pour abriter des familles. Les feuilles de mtal qui couvraient les murs empchaient lhumidit lintrieur, et la position souterraine des appartements leur assurait en toute saison une temprature rgulire.

    Les plans de toutes ces rsidences taient faits par le gouvernement. Celui-ci les construisait et en conservait la proprit. Les habitants les louaient au ministre des Btiments publics. Le loyer tait nominal, cest--dire juste suffisant pour payer la contrepartie des services rendus, entretien, clairage lectrique, chauffage, fourni-ture deau, et salaire des fonctionnaires chargs de ces services. Le loyer total ne cotait pas plus de dix quinze pour cent du salaire dun ouvrier mcanicien qualifi. Le lecteur voudra bien excuser ce luxe de dtails, faute des-quels il naurait quune conception vague et peu satisfai-sante de la vie dans ces temps antdiluviens.

    Le grand charme de ces rsidences provenait de leur isolement, ce qui vitait laspect affreux de masses angu-leuses de maisons que lon voit dans nos villes actuelles,

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  • mais quon ne rencontrait que fort rarement dans les cits atlantes. Un observateur accoutum aux atrocits mo-dernes de pierre, de brique et de bois aurait trouv Caphoul remarquable. En grimpant sur la hauteur, il naurait aperu aucune de ces constructions empiles perant le ciel et spares par des tunnels troits, sombres, sans arbres, et souvent infects, faussement ap-pels rues. Il aurait vu une colline, puis une autre, puis encore une autre, jusqu les compter par vingtaines, car il y en avait cent quatre-vingt-dix en tout. Il aurait vu un lac, puis une falaise avec un tang ou un parc bois ses pieds, puis des gorges en miniature, avec leurs petites forts si rgulirement irrgulires. Il aurait vu des cas-cades ou des torrents aliments par linpuisable apport deau frache de la municipalit, avec leurs rives et plages couvertes despces de plantes, arbres, et arbustes qui aiment la proximit de leau vive.

    Chers amis, telle est la vue que vos yeux auraient con-temple si vous aviez regard Caphoul avec moi. Et peut-tre lavez-vous fait ? Cependant Caphoul ntait pas dnue de maisons construites la manire moderne. Car toute personne qui en avait les moyens et lautorisation du service durbanisme avait le droit de construire de telles maisons et l, dans des situations et un style calculs pour ajouter la beaut de lensemble. Beaucoup de gens usaient de cette facult. Il existait aussi un nombre har-monieux de muses dart, de salles de spectacles, et de btiments non destins au logement.

    En me promenant dans la ville, je vis qu certains en-droits les avenues paraissaient prendre brusquement fin dans des sortes de grottes dont lintrieur renfermait habituellement des stalactites descendant du plafond. Peut-tre lavenue tait-elle lgrement dvie de la ligne droite, ce qui empchait den apercevoir la continuit. lintrieur de ces grottes, des lampes cylindriques abat-jour, fonctionnant haute tension dans le vide, proje-taient, tel un clair de lune, une douce lueur trs agrable aux passants qui arrivaient du plein soleil.

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  • La plupart des Atlantes taient des cavaliers accomplis. Le gouvernement fournissant des transports lectriques, les chevaux ne servaient pas de moyen de locomotion ; on les montait pour faire de la culture physique et acqurir de la grce. En vrit, les rformateurs chrtiens de la fin du XIXe sicle auraient t dans le pays de leurs rves sils avaient t Caphaliens, car le gouvernement appliquait ses principes de paternalisme collectiviste dune manire tellement systmatique quil stait appropri toutes les terres, tous les moyens de communication et de transport, toutes les usines, bref, toute proprit. Le systme tait source de grands bienfaits, et aucun Atlante naurait sou-hait le voir abandonner ou complter par un autre.

    Quand un citoyen dsirait un valx (vhicule arien), il en faisait la demande aux fonctionnaires comptents dun des nombreux arodromes du royaume. Sil voulait culti-ver la terre, il sadressait au ministre des Sols et de lAgriculture. Sil dsirait manufacturer quelque produit, loutillage tait louer, au prix nominal ncessaire pour couvrir les frais et le salaire des fonctionnaires qui avaient la charge de cette partie du domaine public.

    Je pense que ces exemples suffiront. En nos temps pr-sents, il nexiste nulle part une harmonie politique sem-blable celle qui rsultait de ce paternalisme des fonc-tionnaires lus. Les rpubliques modernes regardent cette tendance avec un sentiment de jalousie et quelque peu dalarme. Mais sa qualit tait trs diffrente de celle daujourdhui. Notre paternalisme tait troitement sur-veill et dment contrl par les lecteurs de la nation ; il refltait essentiellement les vrais principes socialistes.

    Malgr les dtails prcis que je viens de donner, je nai pu dcrire nombre darrangements trs spciaux mainte-nus entre les parents politiques et leurs enfants, ni entre le travail et le capital. Je ne puis le faire de manire ap-proprie, car ces pages ne sont pas un plaidoyer tendant adapter la prsente poque des mthodes en vigueur dans ces temps trs reculs.

    Il est cependant bon de prciser ici que lAtlantide ne souffrait pas de cette plaie la fois moderne et trs an-

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  • cienne que constituent les grves. Celles-ci bloquent le capital et les entreprises, affament les artisans, et font souffrir les pauvres bien plus quelles ne peuvent amener dennuis aux portes des riches. Le secret de cette immuni-t ntait pas difficile dcouvrir dans une nation dont le gouvernement reprsentait la voix des lecteurs assez duqus pour jouir du privilge de vote. Et cela sans dis-tinction de sexe, car le principe suivant tait vraiment implant dans notre vie nationale : chaque lecteur son talon de mesure, selon son ducation. Le sexe du votant na aucune importance.

    Dans une telle nation et sous un tel gouvernement, il et t vraiment trange que des discussions industrielles aient pu troubler longtemps le rgime social. Un principe gnral dquit entre lemployeur et lemploy rgnait en Atlantide. Peu importait ce quune personne faisait pour une autre. Tout le problme tournait autour de la question suivante : Est-ce que telle personne rend un service telle autre ? Dans laffirmative, le fait que ce service ft accompli ou non par un travail physique ne comptait pour rien. On nattachait pas davantage dimportance ce que lemployeur ou lemploy reprsentassent plusieurs per-sonnes.

    Nos ordonnances locales au sujet de la justice dans lindustrie taient fort compltes et plutt volumineuses. Bien que je ne tienne pas reproduire nos lois sociales en dtail, quelques extraits trouveront ici une place appro-prie. Je les ferai prcder dun bref expos sur la manire dont elles furent instaures. On verra ainsi comment en ces temps reculs nous tions arrivs rgler dune ma-nire quitable et dfinitive des discordes ouvrires tout fait semblables nimporte quel bouleversement indus-triel moderne et tout aussi menaantes pour lordre et la paix.

    Sur la Pierre de Maxin , laquelle nous nous rfre-rons longuement plus tard, tait grav ce terme essentiel du rglement de la terrible menace de brouille entre le capital et le travail, savoir : Si des salaris croient quils sont opprims et songent se dresser dans leur colre

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  • pour dtruire leurs oppresseurs, que leur main se fige, afin quils Mobissent Moi. Je leur dis : Ne lsez aucune personne dans son corps ni dans ses biens, mme si elle vous opprime. Car tous ne sont-ils pas frres et surs ? Ntes-vous pas tous les enfants dun mme Pre, du Cra-teur sans nom ? Mais je vous commande ceci : Dtruisez loppression. Les choses valent moins que les hommes. Allez-vous les laisser gouverner et opprimer leurs matres ? Recherchez diligemment le sens de mes pa-roles.

    Les tudiants de la doctrine interprtaient ce comman-dement comme signifiant que les classes industrielles opprimes ne devaient pas nuire aux capitalistes oppres-seurs ni leurs proprits. Les classes riches taient vic-times des circonstances, peut-tre autant que les pauvres gens. Lanarchie aveugle ntait pas un remde. Il fallait draciner les conditions, chose facile si lon abordait con-venablement le problme. Pour un oppresseur, il y avait mille opprims, dont la majorit avait droit de vote. Puisque le gouvernement tait le serviteur du peuple, on avait dcid que la meilleure mthode consistait traiter la question par rfrendum et ne pas employer la vio-lence contre les riches. Un appel fut donc lanc dans la population pour voter sur ladoption dun code de rgles industrielles et sa soumission respectueuse lapprobation de lempereur.

    Parmi ses nombreux articles et chapitres, je reproduirai seulement ceux qui sappliquent aux temps et aux troubles modernes. Il sera donc ais de comprendre pourquoi ces articles et chapitres ne sont pas numrots la suite les uns des autres.

    EXTRAITS DU CODE ATLANTE DU TRAVAIL Aucun employeur ne pourra exiger de labeur

    de son personnel en dehors des heures lgales de travail sans lui allouer une rmunration excep-tionnelle.

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  • Chapitre IV. Au cours dune priode de vingt-quatre heures, le temps lgal de travail ne devra tre ni infrieur ni suprieur neuf heures lors-quil sagira de travail physique, ou huit heures pour les emplois sdentaires qui exigent principa-lement un effort mental.

    Ce rglement permettait aux deux parties dtablir un

    contrat de travail qui leur convenait mutuellement. Il spcifiait le commencement et la fin des heures de travail par rfrence la premire heure du jour, qui correspon-dait au midi moderne.

    En matire de salaires, la loi tait fort claire. Partant du point de vue que lhumanit, dans sa nature infrieure, est goste, elle prsumait que les employeurs tendraient se gonfler, sagrandir selon la doctrine moderne du lais-sez-nous faire . Il fallait donc que la loi les obliget dtre justes lorsquils ntaient pas pousss par le sens du devoir traiter quitablement leurs semblables, ou quand le droit ntait pas soutenu par la force.

    Dans ce domaine, le monde anglo-saxon, en qui lAtlantide et Suernis se rincarnent, montre lun des symptmes du progrs lent mais certain engendr par le temps. Bien que lhomme, linstar de toutes les cratures animes ou inanimes, se meuve en circuit, il parcourt nanmoins une spirale et progresse chaque tour, savanant sur un plan toujours plus lev. Alors quen Atlantide les esprits avancs devaient avoir recours la contrainte pour obtenir que les faibles fussent lgitime-ment traits, en Amrique et en Europe on rencontre une certaine bonne volont qui fait partie du devoir de justice et dquit. Cest pourquoi nous voyons souvent les pa-trons modernes faire volontairement ce que les Atlantes ne faisaient qu cause de la loi, et notamment procder au partage de leurs bnfices avec les ouvriers.

    La rdaction finale de la loi ayant t confie aux lgi-slateurs, les lecteurs dcidrent que le gouvernement devait instituer un ministre de lintendance, dont le rle consisterait runir toutes les statistiques concernant les

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  • produits alimentaires du commerce, les textiles indispen-sables pour se vtir, et en gnral tous les articles nces-saires lentretien convenable des individus. Ces statis-tiques devaient permettre une estimation de tous les pro-duits de premire ncessit, parmi lesquels on comptait les livres, pour la nourriture mentale. On calculait le cot de toutes ces choses pour une anne, et on le divisait par le nombre de jours ouvrables. On obtenait ainsi le taux du salaire quotidien, quon rvisait tous les quatre-vingt-dix jours selon les fluctuations des principaux articles. Le salaire ntait donc pas entirement stable, et le taux ap-plicable un trimestre pouvait parfaitement diffrer de celui des trimestres prcdents.

    Je reprends mes citations :

    Chapitre VII, article 5. Les employeurs divi-seront le bnfice brut de leurs entreprises con-formment au plan suivant : il sera pay en es-pces chaque employ un salaire ou un traite-ment conforme lestimation trimestrielle du cot de la vie faite par le ministre de lintendance.

    Sur le solde, il sera rserv six pour cent des capitaux investis, ce pourcentage formant le b-nfice net de lemployeur. Sur le nouveau solde, on prlvera les dpenses courantes. Le surplus ventuel sera partag en deux. Une moiti sera investie pour servir une rente aux malades et aux infirmes, ou payer une assurance aux familles des ouvriers et employs dcds. Lautre moiti sera distribue priodiquement au personnel, propor-tionnellement ses moluments et indemnits di-verses.

    Chapitre VIII, article 5. Lensemble du per-

    sonnel nest que lquivalent du Directeur gnral. Le Directeur gnral est gal au corps de ses su-bordonns. En consquence, lorsque les em-ployeurs nassureront pas personnellement la marche de leur entreprise, ils devront payer au

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  • Directeur un traitement gal au total des salaires de ses subordonns.

    Certes, ces lois du travail rendent un son moderne.

    Mais, toutes les poques et dans toutes les nations, la civilisation a tendance sexprimer sous des formes qui semblent presque identiques si on les traduit dans le lan-gage du jour. Ainsi, dans lantique Atlantide et la moderne Amrique, le mot grve dcrit correctement une rvolte des travailleurs. Le mme principe caractrise toutes les autres phases, car les progrs du monde dun ge lautre sont fort lents. Ainsi, dans son prsent cycle secondaire, le monde nest ni aussi avanc ni aussi civilis que lancienne Atlantide. Cette affirmation peut paratre svre. On la comprendra ultrieurement.

    Jai dcrit en gros les principales caractristiques in-dustrielles de Posid. Les grves rcurrentes et les meutes qui provoqurent le vote de ces lois disparurent, et la paix prit son lan. Certes, les changements quelles provoqurent furent favorables, mais les puissants cher-chaient toujours tourner la loi. Ils ny parvinrent pas un degr dangereux. Nanmoins le dsir quils en avaient sintgra dans le Karma. En consquence, quand la chr-tient moderne atteignit le dix-huitime et surtout le dix-neuvime sicle, et que cette poque atlante commena de se rincarner, la tendance loppression se fit jour nou-veau pendant un certain temps.

    Un nouveau facteur primant cette tendance apparat timidement de nos jours. Cest la bonne volont de faire ce qui est bien pour le seul amour de la justice. Au cours des toutes rcentes annes, elle sest manifeste dans le do-maine industriel, tel un signe des lueurs crpusculaires du dernier jour, dont la dernire heure marquant la fin dune poque est maintenant prs de sonner. Je me rfre parti-culirement au plus grand dsir des hommes de traiter quitablement leurs concitoyens sans y tre contraints par la loi. Il est vrai quils le font principalement parce quils trouvent le procd payant. Mais jamais on ne laurait trouv tel si la rincarnation de notre esprit dquit

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  • navait pouss des expriences dans le partage des bn-fices, dans lespoir de faire disparatre liniquit des grves et dharmoniser la socit de manire que chacun traite son voisin comme il voudrait lui-mme tre trait.

    Finalement, si trange que cela paraisse, cette amlio-ration descend en ligne directe par rincarnation des droits acquis par la force en Atlantide, de mme quen Atlantide loppression rincarne ressortait de la tombe des ges couls avant la construction de la merveilleuse pyramide de Gizeh. Si je faisais ici autre chose quune allusion ce sujet, jempiterais sur un travail confi dautres par le Messie. Toutefois, jen dirai davantage plus tard. Il suffit donc pour linstant de savoir quau cours de ces poques lhomme luttait pour remonter la pente o avaient chu ses anctres, et que ses progrs taient peine perceptibles. Gloire soit donne au Pre de ce que ses enfants slvent lentement mais srement vers Ses hau-teurs par des voies dtournes. Leurs rechutes sont nom-breuses, mais ils se relveront et ne permettront pas lennemi de triompher.

    Bien que cela puisse paratre une digression, il faut que je parle ici du systme de transport lectro-odique de Caphoul et des autres villes et villages dissmins dans lempire et ses colonies. La description ne concerne que les moyens de transport locaux.

    De part et dautre de chaque avenue, un large trottoir pav de mosaque tait rserv aux pitons. Sur sa bor-dure se dressaient une srie de vases de pierre massifs et sans fond, dans lesquels poussaient des arbustes dornement et des plantes feuillage. De chaque ct des vases, un rail mtallique tait support trois mtres de hauteur par des potences semblables celles qui retien-nent les embarcations de sauvetage bord des bateaux.

    intervalles rguliers, la ligne principale croisait dautres rails susceptibles de se relever ou de sabaisser pour former jonction. La commande se faisait par un simple levier. Ces rails servaient de rseau routier urbain, car, lexception des grandes artres rayonnantes, peu de rues taient paves sous ces rails. Sur la carte du service

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  • municipal des transports, lensemble de ces rails princi-paux et des traverses ressemblait la toile dune araigne de jardin. Dans chaque quartier, on trouvait une multi-tude de voitures munies de mcanismes auto-odiques leur permettant de slancer une vitesse prodigieuse avec leurs passagers. Mais il ne pouvait se produire de colli-sions, car ces monorails formaient un systme a double voie.

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  • CHAPITRE III

    LA FOI EST AUSSI UNE CONNAISSANCE ET PERMET DE DPLACER LES MONTAGNES

    Un vieux dicton dont les origines se perdent dans la nuit des temps affirme que a connatre, cest pouvoir . Dans des limites bien dfinies, cela correspond la vrit. Mais il faut que derrire la connaissance se dresse lnergie ncessaire pour en rcolter le profit. Alors seu-lement le dicton est exact.

    Pour exercer son commandement sur la nature et ses forces, il faut que loprateur ait une parfaite connaissance des lois naturelles impliques dans lopration. Cest le degr de connaissance o il est parvenu qui marque sa plus ou moins grande capacit. Ceux qui ont acquis la comprhension la plus profonde de la loi (Lex Magna) sont des Matres dont les pouvoirs sont merveilleux au point de paratre magiques. Les esprits non-initis sont absolument effars devant leurs manifestations incom-prhensibles.

    Lorsque je quittai ma maison de la montagne pour ma rsidence urbaine, japerus autour de moi, tout le long de la route, des merveilles inexplicables. Mais ma dignit naturelle mvita de paratre ignorant. Peu peu, je me familiarisai avec mon entourage et commenai com-prendre les choses dont jai parl prcdemment. Mais pour prtendre une agrable autorit sur la nature, il me fallait des tudes particulires dont je navais pas dter-min le plan avant dhabiter la ville. Il me paraissait sage de concentrer mon nergie sur des spcialits sans disper-ser mes forces en abordant des tudes gnrales. Je dci-dai donc de passer un certain temps sans solliciter mon admission au Xioquithlon, et de consacrer cet intrim observer.

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  • Javais lu normment de livres, que je mtais procu-rs la bibliothque publique de mon district monta-gneux. Jy avais gagn une certaine comprhension de la politique sociale. Il ny avait que quatre-vingt-onze postes lectifs auxquels pouvaient se prsenter trois cents mil-lions dAtlantes de Posid et de ses colonies. Sur ce nombre, une rcente statistique parvenue ma connais-sance indiquait que prs de trente-huit millions dlecteurs possdaient un diplme de premire classe, leur permettant de poser leur candidature lun de ces quatre-vingt-onze postes. Cela me fit considrer comme fort improbable quun pareil sort privilgi pt jamais mchoir.

    Mais dfaut, javais le sentiment que si je my prpa-rais en obtenant un diplme de premire classe, je pour-rais atteindre un haut niveau politique et obtenir un poste appoint. Nombre de ceux-ci taient presque aussi hono-rifiques que les postes de conseillers lus.

    Sur quel sujet spcial devaient porter mes efforts ? Les recherches gologiques mattiraient beaucoup, car leurs nombreuses branches offraient de vastes et sduisantes opportunits. La philologie mintressait presque autant, car javais de grandes facilits pour apprendre les langues trangres. Je men tais aperu en lisant un petit volume dcrivant une trange contre du nom de Suernis. Il y avait de nombreux exemples du langage de ce pays, et je les avais parfaitement retenus sans effort, ds la premire lecture.

    Aprs plusieurs mois dans la mtropole, je me dcidai enfin acqurir toutes les connaissances que je pourrais en gologie, et aussi en matire de mines et de minralo-gie pratique. Javais en effet le sentiment quIncal mordonnait ces tudes. Comme branches accessoires, je me proposai dtudier fond la littrature analytique et synthtique, non seulement de mon Atlantide natale, mais aussi des langages de Suernis et du Ncropan. Jai ainsi nomm les trois plus grandes nations des temps qui pr-cdrent No. Lune delles a t efface de la Terre. Les

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  • deux autres ont survcu jusqu aujourdhui aprs de terribles vicissitudes dont je parlerai plus tard.

    Jtais pouss choisir ce curriculum pour les raisons suivantes : comme gologue connaissant les sciences connexes, jesprais faire des dcouvertes importantes et les publier sous forme de livres devant le monde, ou tout au moins devant les peuples de lAtlantide, qui se consid-raient comme formant la majeure partie du monde. Il tait difficile de parvenir ce but autrement que par les tudes envisages. Linfluence atteinte par mes publica-tions pourrait peut-tre me conduire au poste politique de Surintendant des Mines, poste au moins gal aux plus belles fonctions appointes de notre empire.

    Certes, si jentrais dans la course pour obtenir un di-plme de premire classe, on exigerait de moi dautres tudes. Mais les prcdentes seraient les plus agrables et constitueraient ma principale aspiration.

    Entre parenthses, je ferai remarquer que ces tudes, que je slectionnai alors et o je passai matre plus tard, donnrent ma nature une certaine orientation. Il en rsulta que je pus exploiter il y a quelques annes avec plein succs des mines dans ltat de Californie. Ces tudes fixrent aussi mes tendances linguistiques avec une telle fermet que, pendant la priode o je fus citoyen des tats-Unis dAmrique, javais la matrise non seule-ment de ma langue natale mais de treize autres langues modernes, dont le franais, lallemand, lespagnol, et di-vers dialecte de lHindoustan, auxquels sajoutait le sans-crit comme une sorte de rcration mentale.

    Je vous prie de ne pas considrer cette confession comme un talage de science. Ce nen est pas un. Je la fais pour vous montrer, vous amis lecteurs, que vos propres pouvoirs ne proviennent pas seulement dun hritage. Ils sont aussi des rcolements de notions acquises au cours de lune et peut-tre de toutes vos vies antrieures. Je dsire galement vous donner une indication profitable : les tudes que vous entreprenez aujourdhui, si prs quelles soient du soir de votre vie, porteront srement du fruit non seulement dans votre prsente vie sur Terre,

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  • mais au cours de vos prochaines incarnations. Nous voyons laide de tout ce que nous avons vu, nous faisons avec tout ce que nous avons fait, et nous pensons avec tout ce que nous avons pens. Verbum sat sapienti.

    Dans le chapitre suivant, je me propose de consacrer quelques pages des considrations sur la science phy-sique telle que la comprenaient les Atlantes. Jen indique-rai plus spcialement les premiers principes de base, car faute de les connatre, vous seriez obligs daccepter comme dites ex cathedra une srie daffirmations que vous comprendrez sur-le-champ aprs les explications qui vont suivre.

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  • CHAPITRE IV

    AXTE INCAL, AXTUCE MUN

    Par ltude des lois naturelles, les philosophes atlantes taient arrivs la conclusion que lunivers matriel tait une entit non pas complexe, mais fort simple dans sa source premire. Ils avaient mis leur hypothse lpreuve, et la glorieuse vrit que Dieu est immanent dans la nature leur apparaissait clairement. Ils y avaient ajout Axte Incal, axtuce mun , cest--dire : Con-natre Dieu, cest connatre tous les univers.

    Pendant des sicles, leurs hommes de science avaient expriment, enregistr des phnomnes, fait des dduc-tions, des analyses, et des synthses. Sans mme tenir compte de leurs merveilleuses connaissances astrono-miques, ils taient arrivs la conclusion finale que le monde et tous les phnomnes varis taient crs et maintenus en mouvement perptuel par deux forces pri-maires de principe : la matire dune part et lnergie dynamique dautre part, reprsentant la manifestation extrieure dIncal. Il nexistait donc quune Substance et une nergie, la premire tant Incal extrioris, et la se-conde sa vie en action dans son corps. Daprs eux, la Substance unique assumait des formes trs diverses sous laction variable de la force dynamique. Tel tait pour Posid le principe de base de tous les phnomnes natu-rels ou psychiques, mais non des phnomnes spirituels.

    Quon me permette ici de formuler un postulat avec le-quel beaucoup de lecteurs sont dj partiellement ou entirement familiers. Commenant par lnergie dyna-mique dont la premire manifestation sensible est une vibration simple, la position de la science atlante pouvait se rsumer comme suit : une vibration de frquence trs basse est sensible au toucher ; un accroissement de fr-

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