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J.A.Redmerski
PRÈSDETOITraduitdel’anglais(États-Unis)parBenjaminKuntzer
Milady
Pourquiconquen’aencorejamaisconnudemomentdefaiblesse.Nevouslaissezpassubmerger,
ladouleurfinirapardisparaître.
1
ANDREW
ILYAQUELQUESMOIS,QUAND J’ÉTAISALLONGÉDANSMONLITD’HÔPITAL, JEN’IMAGINAIS PASDUTOUTQUE jeseraisencoreenvieaujourd’hui,etencoremoinsque j’attendraisunbébéde l’angevaguementdémoniaque auquel je serais fiancé.Et pourtant, c’est le cas.Nousy sommes.Camryn etmoi, prêts àappréhender lemonde d’une façon nouvelle. Les événements ont pris une tournure inattendue, commec’estsouventlecas.Etsic’étaitàrefaire,niellenimoinevoudrionsquecelasepasseautrement.
J’adore ce fauteuil.C’était le préféré demonpère, et la seule pièce de sonhéritage à laquelle jetenaisvraiment.Biensûr,j’aiaussireçuungroschèquequinouspermettradevoirvenirpendantunbonmoment, sans oublier laChevelle,mais ce fauteuil compte tout autant àmes yeux.Camryn le déteste,mêmesiellenelereconnaîtrajamaisàhauteetintelligiblevoix,carilappartenaitàmonpère.Jenepeuxpasluienvouloir:ilestvieux,ilpue,etilyauntroudansl’assiseremontantauxannéesoùmonpaternelétaitungrosfumeur.Jemesuisengagéàfairevenirquelqu’unpourlenettoyer,etjetiendraiparole.Dèsqu’elleauradécidésiellepréfèrequ’onresteàGalvestonouqu’ons’installeenCarolineduNord.Lesdeuxmevont,maisquelquechosemeditqu’elleréservesadécisionàcausedemoi.
J’entendsl’eaudeladouches’éteindre,puis,quelquessecondesplustard,ungrosboumébranlerlacloison.Jemerelèved’unbond,sansmesoucierdelatélécommandequej’envoies’écrasersurlesol,etme précipite vers la salle de bains. L’angle de la table bassem’érafle douloureusement lemollet aupassage.
J’ouvrelaporteàlavolée.—Qu’est-cequis’estpassé?Camrynsecouelatêteetmesouritavantdesepencherpourramasserlesèche-cheveuxgisantàcôté
destoilettes.Jepousseunsoupirdesoulagement.—Tuesencoreplusflippéquemoi,segausse-t-elle.Elle m’observe me frotter la jambe avec vigueur. Elle repose le sèche-cheveux sur le comptoir,
s’approchedemoietm’embrasseàlacommissuredeslèvres.—Apparemment,cen’estpaspourmoiqu’ilfautlepluss’inquiéter.Jel’attrapeparlesépaulespourl’étreindre,puislaisseglissermapaumejusqu’àcaressersonventre
légèrement arrondi.Onvoit à peine qu’elle est enceinte.Àquatremois, jem’attendais aumoins à cequ’ellecouveunbébéhippo,maisjeneconnaisrienàcegenredetruc.
— Peut-être bien, réponds-je en tentant de dissimuler mon embarras. Je suis sûr que tu l’as fait
exprès,justepourvoircombiendetempsj’allaismettreàarriver.Ellem’embrassedel’autrecôtédelabouche,puisrevientdroitaubut,introduisantlangoureusement
sa langue entre mes lèvres tout en serrant son corps nu et encore mouillé contre le mien. Je laisseéchapperungémissementdecontentementetl’étreinsdeplusbelle.
Jem’écartenéanmoinsavantdesuccomberàsonpiègegrossier.—Merde,fautvraimentquetuarrêtesdefaireça.—C’estcequetuveux?medemande-t-elleavecunsourirenarquois.Jepaniquecomplètementquandellefaitça.Unefois,aprèsuneconversationachevéeparcesourire,
nousn’avionspluseulemoindrerapportpendanttroisjours.Lestroispluslonguesjournéesdemavie.—Ehbien,non,réponds-jed’untonchargéd’angoisse.C’estpaslemoment.Nousavonsexactement
trenteminutespourarriverchezlemédecin.J’espéraissecrètementquesalibidonefaibliraitpaspendantsagrossesse.J’aientendud’horribles
histoires de femmes enceintes jamais rassasiées se transformant, dès qu’elles devenaient réellementgrosses,enharpiescracheusesdefeupourpeuqu’onlestouche.
Unedemi-heure.Merde.Jepourraislaprendrevitefaitsurlecomptoir…Camrynm’adresseunsouriretendreetrécupèred’uncoupsecsaservietteétenduesurlatringledu
rideaudedouchepourentreprendredesesécher.—Jeseraiprêtedansdixminutes,promet-elleenm’éconduisantdelamain.N’oubliepasd’arroser
Géorgie.Tuasretrouvétontéléphone?—Pasencore,admets-jeencommençantàsortir.Puisjem’immobiliseetajoute,avecunsouriresuggestif:—Euh,onpourrait…Ellemeclaquelaporteaunez.J’éclatederire.Je farfouille dans tout l’appartement, retournant les coussins et examinant les endroits les plus
incongrus en quête de mes clés, avant de les découvrir dissimulées sous une pile de courrierspublicitaires amoncelée sur le comptoir de la cuisine. J’hésite un instant avant de me saisir d’uneenveloppebienparticulière.Camrynrefusedemelaisserlajeter,carc’estsurcelle-ciqu’ellealumonadresse à l’opératrice des urgences le jour où j’ai fait une crise devant elle. J’imagine qu’elle al’impression que cemorceau de papier a contribué àme sauver la vie, alors que, en réalité, il lui auniquementserviàcomprendrequej’avaisunproblème.Monattaqueétaitsansgravité.J’enavaisdéjàeuplusieurs.Merde, j’enavaismêmeeuunedansnotrehôteldeLaNouvelle-Orléans,avantquenousdécidionsdepartagerunechambre.Inutiledepréciserque,quandj’aifiniparleluiavouerplustard,ellenel’apastrèsbienpris.
Elles’inquiètesansarrêtdevoirrevenirlatumeur.Jecroisqu’elles’ensoucieplusquemoi.Sielle revient, tantpis.Noussurmonteronscetteépreuveensemble.Désormais,noussurmonterons
toutensemble.—C’estl’heure,mabelle!l’appelé-jedepuislesalon.Elle sortde la chambrevêtued’un jeanetd’un tee-shirt plutôtmoulants.Etdes talonshauts.Sans
déconner.Destalons?—Lapauvre,tuvasluiécrabouillerlatêteavecunpantalonaussiserré.— Je ne vais rien lui écrabouiller du tout, que ce soit un garçon ou une fille, réplique-t-elle en
attrapantsonsac.Tuasbeauêtresûrdetoncoup,rienn’estencorecertain.Noussortonsmaindanslamain,etjepenseàenfoncerleboutonsurlapoignéeavantdeclaquerla
portederrièrenous.—Jesaisquec’estunefille,déclaré-jeavecassurance.
—Tuveuxqu’onparie?m’interroge-t-elleavecunsourireencoin.L’air est encore assez doux pour unmois de novembre. Je lui ouvre la portière de la voiture, et
l’inviteàmonterenorientantmapaumeverslehaut.—Quelestl’enjeu?demandé-je.Tusaisquejesuistoujoursprêtàparier.Camrynseglissesursonsiège,etjefaisletourdelavoitureentrottinantavantdem’installeràmon
tour.Lespoignetsposéssurlevolant,j’attendspatiemmentqu’ellemeréponde.Ellesemordillelalèvreinférieure,letempsd’yréfléchir.Seslongscheveuxblondsluitombentsur
lesépaules,etsesyeuxbleusbrillentd’excitation.—Puisquetuessisûrdetoi,finit-ellepardéclarer,tun’asqu’àproposeruntruc,jetediraisijesuis
d’accord. (Elle affiche soudain unemine sévère et pointe surmoi un doigt accusateur.)Mais rien desexuel.Jecroisquetuasdéjààpeuprèsfaitletourdelaquestion.Trouvequelquechosede…
Ellesetortillelesmainsdevantelle.—Jenesaispas…d’oséoudesignificatif.Mmm.Jesèchecomplètement.J’introduislaclédansledémarreur,maishésiteuninstantavantdela
fairetourner.— Très bien, alors si c’est une fille, c’est moi qui choisis son prénom, suggéré-je, fier de ma
trouvaille.Sessourcilstressaillentlégèrement,etelleafficheunemouecontrariée.—Çanemeplaîtpastrop.C’estunedécisionqu’ondoitprendreàdeux,tunetrouvespas?—Biensûrquesi,maistunemefaispasconfiance?Ellehésiteuninstant.—Si…si,jetefaisconfiance,mais…—Maispaspourchoisirleprénomdenotreenfant.Jeluiadresseunemineoffusquée,pourlesimpleplaisirdelamettreenboîte.Gênée,ellen’oseplus
meregarderenface.—Alors?lapressé-je.Camryncroiselesbrasavantderépondre:—Etàquelprénomtupenses,aujuste?—Qu’est-cequitefaitcroirequej’enaidéjàun?JetournelacléetlemoteurdelaChevellesemetàvrombirdoucement.Elleinclinelatêtedecôté,souriantd’unairentendu.—Oh,arrêtetonchar!Siçan’étaitpaslecas,tuneseraispasaussisûrdusexeettuneferaispasde
paristupidejusteavantuneéchographie.Jemeretourne,hilare,etpasselamarchearrière.—Lily,admets-jeenl’observantducoindel’œiltoutenquittantmaplacedeparking.LilyMarybeth
Parrish.Unlégersourireluiéclairepeuàpeulevisage.—En fait, çame plaît bien, dit-elle, de plus en plus radieuse. Je dois avouer que j’étais un peu
inquiète.PourquoiLily?—Sansraisonparticulière.Jetrouveçajoli,c’esttout.Ellenesemblepasconvaincue.Ellemeconsidère,lesyeuxplissés.—C’estvrai!promets-jeenriantdoucement.Jen’aipasarrêtéderéfléchiràdesprénomsdepuis
quetumel’asannoncé.LevisagedeCamryns’illumine,etsi jen’étaispasunmec,unvrai, jemelaisseraisalleràrougir
commeunidiot.
—Tuyréfléchisdepuislepremierjour?Elleparaîtagréablementsurprise.Tantpis,jem’empourpremalgrétout.—Ouais,avoué-jeduboutdeslèvres.Jen’aipasencoretrouvédebonprénomdegarçon,maisona
encoreplusieursmoispourypenser.Camrynm’observe,auxanges.J’ignorecequi luipassepar la têteàcet instantprécis,mais jeme
rendscomptequejerougisdeplusenplusàmesurequ’ellemescrute.—Quoi?finis-jepardemanderavantd’éclaterderire.Ellesepencheversmoietmetournedélicatementlementonavantdem’embrasser.—Jet’aimetellement,chuchote-t-elle.Jemetsunebonnesecondeàprendreconsciencequej’aidescrampesauxzygomatiquesàforcede
sourire.—Jet’aimeaussi.Maintenant,metstaceinture.Elle s’installe correctement et s’exécute. Sur la route, nous ne cessons l’un et l’autre de consulter
l’heuresurletableaudebord.Plusquehuitminutes.Cinq.Trois.Jecroisquenousnousfaisonslamêmeréflexionennousgarant:dansquelquessecondes,nousallonsrencontrernotrefilsounotrefillepourlatoutepremièrefois.Etdirequ’ilyaàpeinequelquesmois,jenepensaispasvivresilongtemps…
—Jen’enpeuxplusd’attendre,mechuchoteCamrynensepenchantversmoi.C’esttellementbizarre.D’êtreassisensalled’attente,entourédefemmesenceintes.Jen’osepasles
regarder.Certainesparaissent furieuses.Tous lesmagazinespourmecssemblentarborerencouvertureunephotod’hommeposantsurunbateau, lepoucedanslagueuled’unpoisson.Jefaisminedelireunarticle.
—Onestlàdepuisàpeinedixminutes,murmuré-jeenluicaressantlacuissed’ungesteréconfortant.—Jesais,maisjesuissinerveuse…Aumoment où je lui saisis lamain, une infirmière en rose émerge d’une porte latérale et appelle
Camryn.Nouslasuivonssanstarder.Jem’assiedscontrelemurtandisqueCamrynsedéshabilleetenfilel’unedecesblousesd’hôpital.
Je la taquine sur le fait qu’elle se retrouve ainsi cul nu, et elle fait mine de se vexer, mais sonrougissementlatrahit.Puiselles’installeàcôtédemoietnousattendons.Etattendonsencore.Uneautreinfirmièrefinitpararriver.Elleselavelesmainsaulavabo.
—Avez-vousbuassezd’eauavantvotrerendez-vous?demande-t-elleaprèsnousavoirsalués.—Oui,madame,répondCamryn.Jevoisbienqu’elleredoutequelebébéaillemaletquel’échographielerévèle.J’aiessayédelui
direquetoutallaitbiensepasser,maisellenecessedes’inquiéter.Ellem’adresseunregarddésespérédepuissonsiègeàl’autreboutdelapièce,maisjenepeuxrien
faired’autrequedemerapprocherpourlaréconforter.L’infirmièreluiposeunesériedequestionsavantd’enfilerunepairedegantsenlatex.Jecontribueauxréponsesaussisouventquepossible,carCamrynestdeplusenplustendueàchaquesecondequis’écouleetpeineàarticuler.Jeluiserrelamainensigned’encouragement.
Lorsque l’infirmière lui verse une giclée de ce liquide gluant sur le ventre, Camryn prend uneprofondeinspiration.
—Waouh, vous avez un sacré tatouage, commente l’infirmière. Ça n’a pas dû être une partie deplaisir,surtoutsurlescôtes.
—Non, c’est assez spécial, confirmeCamryn enme souriant. C’est unOrphée.Andrew a l’autremoitié.Eurydice.C’estunelonguehistoire.
Jesoulèvefièrementmontee-shirtpourmontrermondessinàl’infirmière.—C’eststupéfiant!s’exclame-t-elleennousobservanttouràtour.Onnevoitpasçatouslesjours.Elle change alors de sujet en déplaçant sa sonde au-dessus de la tête du bébé, de son coude et
d’autresmembres.Plus l’infirmière sourit ennousexpliquantque« toutestparfait»,plus je sensqueCamryn sedétend.Ses traits sedécrispent et lebonheur et le soulagement se lisent sur sonvisage. Jesourisàmontour.
—Vousêtessûrequ’iln’yapaslieudes’inquiéter?demandemalgrétoutCamryn.Certaine?Elleacquiesceetm’adresseunrapidecoupd’œil.—Oui. Jusqu’ici, jen’ai rienvudeproblématique.Le fœtussedévelopperapidementeta toutce
qu’il faut là où il faut. Il bouge bien, et les battements de son cœur sont normaux.Vous pouvez vousdétendre.
Camrynlèvelatêteversmoi,etj’ail’impressionquenouspensonstouslesdeuxàlamêmechose.L’infirmièremeconfortedanscetteimpressionquandelledemande:—Jecroiscomprendrequevousêtescurieuxdeconnaîtrelesexe?Nousprenonsunesecondepournousinterrogerduregard.Elleesttellementbelle.Jen’arrivepasà
croirequenoussoyonsensemble.Qu’elleportemonbébé.—Jetienslepari,déclaresubitementCamryn,meprenantcomplètementaudépourvu.Ellesefendd’unlargesourireetmeserredoucementlamain;nousnoustournonsversl’infirmière.—Oui,répondCamryn.Sivouslesavez.L’infirmièreapprochesasondede lazoneconcernéeet sembles’adonneràuneultimevérification
avantdedonnersonverdict.—Ehbien,c’estencoreunpeutôt,mais…ilmesemblequec’estunefille,révèle-t-elleenfin.Dans
unevingtainedesemaines,lorsdevotreprochaineécho,jepourraivousl’annonceraveccertitude.
2
CAMRYN
HONNÊTEMENT,JENECROISPASAVOIRDÉJÀVUANDREWSOURIRECOMMEÇA.PEUT-ÊTRELAFOISOÙJ’AIchantéavec luipour lapremièrefoisàLaNouvelle-Orléans,quandilavaitétési fierdemoi,mais jen’ensuismêmepassûre.Moncœurtambourinedansmacagethoraciquesouslecoupdel’émotion, laréactiond’Andrewmetouche.Jesaisàquelpointilvoulaitunepetitefille,etjejureraisqu’ilrassembletoutsoncouragepournepasfondreenlarmesdevantl’infirmière.Oudevantmoi,d’ailleurs.
Personnellement, je n’ai jamais eu de préférence entre un garçon et une fille. Comme toutes lesfemmesenceintes,j’espèrejustequelebébéestenbonnesanté.MêmeAndrewnefaitévidemmentpaspasserlesexeenpriorité.J’enaiconscience.
Ilsepenchepourm’embrasserdélicatementsurleslèvres;sesyeuxvertslumineuxtrahissentsajoie.—AlorsceseraLily,dis-je,enpleinaccord,avantdel’embrasserdenouveauenpassantlesdoigts
danssescheveuxchâtainsetcourts.—Trèsjoliprénom,estimal’infirmière.Maisessayeztoutdemêmed’entrouverunpourungarçon,
onnesaitjamais.Ellenettoiesasondeetnouslaisseunmomentpoursavourernotrejoie.Andrewluilancealors:—Ehbien,siàcestademonbébén’aencorerienquipuisseclairementsevoirentre les jambes,
c’estquec’estincontestablementunefille.Jeréprimeunéclatderireetlèvelesyeuxaucielenobservantl’infirmière.Leplusdrôleestqu’il
étaitsérieux.Ilinclinelatêtedecôtéenremarquantmonairamusé.Nouspassons le restede la journéeà fairedescourses.Ni luinimoin’avonspu résister. Jusqu’à
présent,nousavionsregardédenombreuxarticlessansachetergrand-chosecar,nesachantpass’ilfallaitopterpourduroseoudubleu,nousnevoulionspasnousretrouveravecunechambrebourréedejaune.Etmêmes’ilsepeutencorequecesoitungarçon,Andrewestplusconvaincuquejamaisqu’ils’agitd’unefille, je me prends donc au jeu et me mets à y croire également. Il me force malgré tout à resterraisonnable!
—Ilvautmieuxattendre,insiste-t-ilenmevoyantlouchersurunnouvelensemblepourfilleaurayondesnouveau-nés.Tusaisquemamèrecomptefêterdignementl’heureuxévénement,pasvrai?
—Oui,maisonpeutquandmêmeacheterquelquestrucsmaintenant.Jeglissedonccettetenuesimignonnedanslechariot.Andrewcontempletouràtourlecaddieetmonvisage,unemoueméditativeauxlèvres.
—Jecroisqu’onadépassélestadedesquelquestrucs,mabelle.Ilaraison.J’enaidéjàpourprèsdequatre-vingt-dixdollarsdevêtements.Danslepiredescas,sion
découvreplustardquec’estungarçon,jepourraitoujoursleséchanger.Lajournéesedérouledanscemêmeespritjusqu’àcequenousnousarrêtionschezsamèrepourlui
apprendrelanouvelle.—Oh,c’estmerveilleux!s’exclame-t-elleenm’embrassant.J’étaissûrequeceseraitungarçon!JelaisseglissermesmainslelongdesbrasdeMarna,puism’installeàlatabledelacuisineavec
Andrewtandisqu’ellesedirigeverslefrigo.Elleensortunpichetdethéglacéetnousensertunverreàchacun.
—Lafêteauralieuenfévrier,annonce-t-elledepuisderrièrelecomptoir.J’aidéjàtoutorganisé.Tun’aurasplusqu’àvenir.
Elleaunsourirejusqu’auxoreillesquandellereposelepichet.—Merci,dis-je.Ellenousapportenosverrespuiss’assiedsurlachaiselibre.Mamaisonmemanquevraiment.Maisj’adoreaussicetendroit,etMarnaestcommeunedeuxième
maman. Je n’ai pas encore pume résoudre à avouer àAndrew combien l’absence demamère et deNataliemepèse;jen’aipasvraimentd’amieprocheàquimeconfier.Onabeauêtreamoureusedutypeleplusgénialdelaplanète–cequiestmoncas–,çanecompensepascomplètementl’absencedemesproches.J’airencontréunefilledemonâge,ici,unecertaineAlana,quihabiteàl’étagedudessusavecsonmari,maisjecrainsqu’onn’aitpastellementd’atomescrochus.Sijecommencedéjààmetrouverdes excuses pour ne pas l’accompagner quand elleme propose des sorties, ça ne collera sans doutejamaisentrenous.
Cependant,jecroisvraimentquecettetristessequejecache,cemaldupaysquejetaisettoutlerestesontdusàlagrossesse.J’aileshormonesenvrac.Jesupposeaussiquec’estplusoumoinsliéaustress.Unrienm’inquiète,désormais.Enfin,j’étaisdéjàangoisséeavantderencontrerAndrew,maisc’estmillefoispiredepuisquejesuisenceinte…Est-cequelebébévanaîtreenbonnesanté?Serai-jeunebonnemère?Ai-jefoutumavieen l’airen…Voilàque jerecommence.Putain.Jesuisvraimentunmonstre.Chaquefoisquecettepenséem’effleurel’esprit,jemesensatrocementcoupable.J’aimenotrebébé,etsic’étaitàrefaire,jerecommenceraissanshésiter,maisjenepeuxm’empêcherdemedemandersije…sinousn’avonspasdéconnéenfaisantunenfantsitôt.
Lavoixd’Andrewmetiresoudaindematorpeur.—Camryn?Çava?Jemecomposeunsourirecrédible.—Oui,toutvabien.J’étaisdanslalune.Tusais,jepréfèrelevioletaurose.—Tum’aslaisséchoisirleprénom,réplique-t-il,jetelaissechoisirlescouleursquetuveux.Ilrefermesousla tablesamainautourdelamienne.Lefaitdesavoirqu’ilprendtoutcelaàcœur
suffitàmeremettreenjoie.Marnaéloignesonverredeseslèvresetlereposedevantelle.—Oh?s’étonne-t-elle.Vousavezdéjàtrouvéleprénom?Andrewacquiesce.—LilyMarybeth.Marybeth est ledeuxièmeprénomdeCamryn,précise-t-il.C’est normalqu’elle
portelenomdesamère.Ilvientdemefairefondre.Jeneleméritepas.Marna,radieuse,mesourit.Ellen’apasétéépargnéeparlesémotionsfortes.Nonseulementsonfils
avaincu lamaladiealorsqu’ilétaità l’articlede lamort,maisvoilàqu’il s’apprêteà luidonnerune
petite-fille.— C’est un très joli prénom, s’enthousiasme-t-elle. Je pensais qu’Aidan etMichelle seraient les
premiers,maislavieestpleinedesurprises.Saphrasesemblesous-entendrequelquechose.Andrews’enrendcompteluiaussi.—Est-cequ’ilyadel’eaudanslegaz,entreeux?s’enquiert-ilavantd’avalerunegorgéedethé.—Rienquedetrèsnormalchezlescouplesmariés,répond-elleévasivement.Ilyatoujoursdeshauts
etdesbas,etilssontencoupledepuislongtemps.—Combiendetemps?—Mariésdepuiscinqansseulement,mepréciseMarna.Maisilsdoiventêtreensembledepuisneuf
ans,maintenant.Ellehochelatêteenyréfléchissant,commepourconfirmersonintuitioninitiale.—Çadoitêtreàcaused’Aidan,estimeAndrew.Jen’aimeraispasêtremariéaveclui.Iléclatederire.—Ouais,çaseraitbizarre,admets-jeengrimaçant.—Entoutcas,Michellenepourrapasveniràlafêtequej’organiseentonhonneur.Elleaplusieurs
conférencesenfévrier,etçanecollepasavecsonemploidutemps,surtoutqu’ellehabiteloin.Maiselleenverrasansdoutelesplusbeauxcadeaux.
Ellem’adresseunsouriretendre.Jeluirendssonsourire,prendsunegorgéedethé.Monespritrecommencedéjààdivaguersansque
je puisse l’en empêcher. Je n’arrête pas de penser à son commentaire sur les mariages connaissantnécessairementdeshautsetdesbas.Etjemeremetsàangoisser.
—C’estle8décembre,tonanniversaire,pasvrai,Camryn?Jeclignedesyeuxpourreprendremesesprits.—Oh…oui.Vingtetuncetteannée.—Ah,çanousfaitdoncencoreunechoseàfêter.—Oh,non,nevousembêtezpas.Ellebalaiemonrefusd’ungestedelamain,etAndrewnousregardeavecunsourirebéat.Jecapitule,sachantqu’avecMarna,ilseraitvaindediscuter.Nousrentronscheznousenvironuneheureplustard.Lanuitestdéjàtombée.Lajournéem’aépuisée,
demêmequel’excitationdenotrepremièrerencontreavecLily.Lily.Jen’arrivepasàcroirequejevaisêtremaman.Jesourismalgrémoienentrantdanslesalon.Je
laissetombermonsacsurlatablebasseetm’affaleaumilieuducanapé,avantdemedébarrasserdemeschaussuresenbattantdespieds.Bientôt,Andrew,radieux,s’assiedàcôtédemoiavecunsourireentendu.
J’aipuduperMarna,maisj’auraisdûsavoirqu’Andrewmeperceraitàjour.
3
ANDREW
JE PRENDS CAMRYN DANS MES BRAS ET L’INSTALLE EN AMAZONE SUR MES GENOUX. JE L’ENLACE ETENFOUISMONvisagedanslecreuxdesoncou.Jesaisquequelquechosel’attriste.Jelesens,maisunepartiedemoirechigneàluiposerlaquestion.
—Qu’est-cequ’ilya?demandé-jemalgrétout,enretenantmonsouffle.Ellepivotelatêtepourmeregarderdanslesyeux,etjeladécouvrerongéed’anxiété.—J’aiseulementpeur.—Peurdequoi?Ellemarqueunepause,observedistraitementlerestedelapièce,puisseperddanslacontemplation
d’unpointinvisiblejustedevantelle.—Detout,répond-elle.Jeluiprendslementonpourlaforceràmefaireface.—Tupeuxtoutmedire,Camryn.Tulesais,pasvrai?Sesprunellesbleuessetroublentdelarmesqu’ellenelaissepascouler.—Je…ehbien,jenevoudraispasquel’onfinissecomme…tusais,pleind’autrescouples.Oh,jecomprendsmieux.Jelafaispivoterparleshanches,desortequ’ellesoitvraimentfaceàmoi,
àcalifourchonsurmescuisses.—Regarde-moi,dis-jeenluiprenantlesmains.Onnevapasfinircommelesautrescouples.Tuveux
quejetedisepourquoi?Ellen’acquiescepas,maisc’estinutile.Jesaisqu’elleattendquejepoursuive.Unelarmeroulealors
desonœil,maisjelarattrapeavantquesacoursenes’achève.—Parcequenousensommestouslesdeuxconscients,expliqué-je.Parcequec’estledestinquinous
ajetésdanslesbrasl’undel’autre,danscecar,aufinfondduKansas.Etparcequel’onsaitl’uncommel’autrecequ’onattenddelavie.Onn’apasencoreclarifiétouslesdétails–etc’estinutile–,maisaumoinsonsaitdansquelledirectionaller.
Jem’interrompsuninstantavantd’ajouter:— On peut encore faire le tour du monde. Il va juste falloir décaler un peu notre départ. Et en
attendant,onvitnotreviecommeonl’entend.Onnes’infligepasuneroutineàlacon.Jeparviensàluiarracherunlégersourire.—Etcommentfait-onpouréviterça?medemande-t-elleencroisantlesbras,unemouesuffisantelui
déformantleslèvres.
Voilàlacrâneuseespièglequejeconnaisetquej’aime.Jeluifrictionnevivementlescuissesavantderépliquer:—Si tuveux travailler, tupeux. Jeme fousque tu retournesdesburgersouque tu ramassesde la
merdedansunzoo,tupeuxfairecequiteplaît.Maisdèsquetuenasmarreouquetucommencesàavoirl’impressionqueçadevienttavie,donnetadémission.Etsitupréfèresattendresansrienfaire,çamevaaussi,jetel’aidéjàdit.Tusaisque,quoiqu’ilarrive,jem’occuperaidetoi.
J’anticipe sa réaction, et m’y prépare donc. Ça ne manque pas : Camryn montre les dents etm’enguirlande.
—Pasquestionquejeresteàmetournerlespoucespendantquetum’entretiens.Elleesttellementcanonquandellejouelesfemmeslibérées.Jelèvelesmainsensignedereddition.—D’accord,commetuveux.Cequ’ilfautquetucomprennes,c’estquejemefouscomplètementde
cequetufaisounefaispas,tantquecelaterendheureuse.—Et toi,Andrew ?Tu ne peux pasme dire de ne pasme soucier de la routine tandis que tu t’y
précipiteslatêtelapremièresousprétextequ’onaunenfantàcharge.Cen’estpasjuste.—C’estplusoumoinscequetuasditlepremiersoiroùj’aimismatêteentretescuisses.Tucrois
queçam’aposéunproblème,àl’époque?Ellerougit.Mêmeaprèstoutcetempsettoutcequenousavonsvécuensemble,j’arriveencoreàla
mettremalàl’aise.Jeprendssonvisageencoupeetl’embrasse.—Tantquejevousauraitoi,Lilyetmamusique,jeseraicomblé.Unenouvellelarmedévalelelongdesajouedélicate,maiscettefoisellesourit.—Tumelepromets?s’enquiert-elle.—Oui,jetelepromets,déclaré-jeavecfermeté.Jelaisses’écoulerunesecondeavantdeluisourire.—Jesuisdésolée,dit-elledansunsouffle,lamineabattue.Jenesaispascequiclochechezmoices
dernierstemps.Unjour,toutvabien,jesuistoutsourires,etlelendemain,subitement,jemesenstoutemoroseetdéprimée.
Jericanedoucement.—Ons’habitueàtout,mêmeauxsautesd’humeur.Elleouvrelabouche,offusquée,avantdesemettreàrireàsontour.—C’estunefaçondevoirleschoses.Elles’interromptsubitementavantdereprendre:—Tuasentendu?Elle plisse les yeux en tendant l’oreille vers la source du bruit. Je l’entends également,mais fais
commesiderienn’était.—Oh,génial!commenté-je.Nemedispasquelagrossesseprovoqueaussideshallucinations.Ellem’assèneunelégèreclaquesurlapoitrineavantdeselever.—Non,c’esttonportable,affirme-t-elleenfaisantletourducanapé.Jecroyaisquetun’avaisplus
debatterie?Non…J’avaisjustecoupélasonnerieavantdelecacherpourtelefairecroire.Disonsquejepensais
l’avoircoupée.—Jecroisquetuesassisdessus,déclare-t-elle.Je me mets debout à mon tour et fouille ostensiblement sous le coussin. Je finis par en extraire
l’appareil,dont l’écranaffiche leportraitdeNatalie.Techniquement, il s’agitplutôtde laphotod’une
hyène,maisjetrouvaisqueçaluiressemblaitbien.Merde.Çaprometd’êtrebizarre.Camryntendlamainendécouvrantlenomdesonamie.—DepuisquandNataliet’appelledirectement?s’exclame-t-elleenm’arrachantmontéléphone.Ouais,vraimentbizarre,carellenesemblepasjalouse:elleaungrandsourireauxlèvres!Jemegrattenerveusementl’arrièreducrâne,évitantdecroisersonregard,puisessaiepromptement
derécupérermonportable.—Alorslà,turêves!s’esclaffe-t-elleens’éloignantducanapé.—Allez,rends-moimontéléphone…Ellemel’agitesouslenezavantquej’enjambeledossierpourm’élanceràsapoursuite.Ellebranditsamainvidedansmadirection.—Attention!Jesuisenceinte,tupourraismefairemal!Elleglousse.Voilàqu’elleabatsonatout«petitechosefragile».Quellepeste!Elle fait glisser sondoigt sur labarrede réponse et porte l’écouteur à sonoreille, sans cesserde
sourire.Jecapitule.Jesuisnulàcegenredejeu.—Ehbien,salutNatalie,ditCamrynsansmequitterdesesyeuxtaquins.Alorscommeça, tuvois
monmecendouce?Elle secoue la tête en entendant la réponse inaudibledeNatalie.Elle saitmanifestement cequi se
trame,ous’endoutefortement,carellesaitquejenelatromperaijamais,surtoutpasavecsameilleureamie.Celle-ciestcertesjolie,maisellesecomportecommeunestardetélé-réalité.
Camrynmetletéléphonesurhaut-parleur.—Videzvotresac,touslesdeux,ordonne-t-elle.—Hum,euh…,bredouilleNataliedesoncôté.—Pourlapremièrefoisdesavie,Natalien’arienàraconter,semoqueCamryn.J’ensuissurlecul.Ellesetournealorsversmoi.—PardonAndrew!s’exclameNatalie.—Pastafaute,réponds-je.J’aioubliédel’éteindre.Camrynseracleimpatiemmentlagorge.—C’étaitcenséêtreunesurprise,avoué-jeenfronçantlessourcils.—Ouais!Jetejurequ’ilnemesautepas!JegrimaceoutrageusementaucommentairedeNatalie,etCamrynfaitdesonmieuxpourréprimerson
éclatderire.Cependant,ellenemanquejamaisuneoccasiondetorturerceuxqu’elleaime,mêmesiellelefaitsansmalveillance.
—Jenetecroispas,Nat,affirme-t-elleleplussérieusementdumonde.—Hein?Nataliesemblecomplètementabasourdie.—Çaduredepuiscombiendetemps?insisteCamryn.Elleestvraimentbonnecomédienne.Ellevaposerl’appareilsurlatablebasseetcroiselesbras.—Cam…JetejuredevantDieuquecen’estpascequetucrois.Oh,bonsang,jamaisdelaviejene
teferaisuntrucpareil.Enfin,ouais,Andrewestvraimentbeaumec,jel’admets,etjeluisauteraisdessusaussivolontiersquesurJosephMorgansivousn’étiezpasensemble,mais…
—J’aipigé,Nat.Parbonheur,Camrynl’ainterrompueavantquesonamieneseperdeendigressions.—Vraiment?demandeprudemmentNatalie.
Ellenesaitplustropsurquelpieddanser,cequinem’étonneguère.Camryn récupère le téléphone et me le colle sous le nez en articulant silencieusement le mot
«sérieux?».Jesupposequ’ellefaitallusionàlahyène.Jehausselesépaules.—Alors,qu’est-cequisepassevraiment?reprend-elle.—Camryn,réponds-je,jesaisquetuaslemaldupays.Çafaitunmomentquejem’endoute,doncil
y a une quinzaine de jours, j’ai récupéré en douce le numéro de Natalie sur ton téléphone et je l’aiappelée.
Elleplisselesyeux.Jelaforceàs’asseoirsurlecanapéavecmoi.—Ouais,ilm’aappeléepourmeparlerdevotrerendez-vouschezl’échographiste,ensedisantque
jevoudraispeut-être…Savoixdéraille;elleneveutpasêtrecellequirévèlelepotauxroses.—Jemesuisditqu’ellevoudraitpeut-être t’organiserune fêtepourcélébrer l’heureuxévénement
quand nous saurions si c’est une fille ou un garçon. J’ai d’abord essayé d’appeler tamère,mais elledevaitêtreencoreàCozumel.
Camrynacquiesce.—Ouais,c’étaitsansdoutelecas.—Maiselleestàfonddedans,maintenant,préciseNatd’unevoixstridente.Elleetmoi,onétaiten
train de tout organiser en secret. Je n’en pouvais plus d’attendre que ton sex-toyme dise si c’est ungarçonouunefille,alorsjeluiaitéléphoné,etmaintenantj’airuinélasurprise!
—Non,non,Nat,tun’asriengâchédutout,affirmeCamrynpenchéetoutprèsdutéléphoneavantdesevautrerdanslecanapé.Enfait,c’estmêmemieuxquejelesache,carjesuisdéjàtoutexcitéeàl’idéederevenirbientôtenCarolineduNord.
—Ehbien,tun’auraspasàattendrelongtemps,interviens-je.Onpartvendrediaprès-midi.Camrynouvregrandlesyeuxetsonsourires’élargit.Je crois que c’était tout ce dont elle avait besoin. En deux secondes chrono, la petite fille
complètementdépriméeestdevenueunejeunefemmerayonnantdebonheur.J’adorelavoirdanscetétat.J’auraisdûleluiavouerplustôt.
—Maisquatremois,c’estencoreunpeutôtpourfêterça,non?s’étonneCamryn.Çanemedérangepas,hein,mais…
—Peut-êtrebien,répliqueNatalie,maisons’enfout:turentresàlamaison!—Ouais,dis-je,ons’estditqu’onpourraitfaired’unepierredeuxcoups.—Ehbien,jesuisravie.Merciàtouslesdeux!s’exclame-t-elle,radieuse.—Bon,etalors…,reprendNatalie.C’estungarsouunefille?Camrynfaitdurerlesuspensequelquessecondesdeplus,prenantplaisiràtorturerNatalie,puiselle
annonce:—Unefille!Natalieglapitsifortquejenepeuxréprimerunmouvementderecul.—J’enétaissûre!hurle-t-elle.Entempsnormal,j’auraisjugéprudentdeleslaisserentrefillesetd’allermepréparerunsandwich,
prendreunedoucheouautrechose,maisjesaisquejenepeuxpasm’éclipsercettefois.J’étaispartieprenantedu«grandcomplot»,jesupposedoncquejemedoisd’attendrelafindelaconversation.
—Jesuistellementcontente,Cam.Vraiment,tun’aspasidée.—Enfait,euh…si,elleenaunepetiteidée,corrigé-je.Camrynmedécocheunregardmenaçant.
—Merci,Nat.Moiaussi,jesuiscontente.Etonadéjàchoisileprénom.Enfin,techniquement,c’estplutôtAndrewquiachoisi.
—Quoi?s’offusqueNatalied’untonpince-sans-rire.Tuveuxdirequ’ill’a…trouvétoutseul?Elleprononcecesderniersmotscommes’ils’agissaitd’unemaladieterrible.Maisputain,c’estquoicettemaniequ’ontlesfemmesdepenserquelesmecssontnulspourchoisir
desprénoms?—LilyMarybethParrish,annoncefièrementCamryn.Jesuistellementsoulagédesavoirquemacopineaimeceprénomautantquemoi,etqu’ellenefait
pasjustesemblantpournepasmefairedepeine.—Ohpunaise,lepire,c’estquej’aimebien.Andrew,tuasbongoût!Jen’avaiscertainementpasbesoindel’approbationdeNatalie,maisçanem’empêchepasdesourire
commeungaminàl’idéequemêmeelleletrouvebien.
4
CAMRYN
LA JOURNÉE D’HIER A ÉTÉ ÉPUISANTE. AGRÉABLEMENT ÉPUISANTE. LES BONNES NOUVELLES SE SONTaccumulées, je ne suis pas encore remise de toutes ces émotions.Notre soirée à venir dans notre barpréférédeHoustonn’enseraqueplusexcitante.
Andrewetmoiavonscommencéàjouericietlàilyaunpeuplusd’unmois,etj’adoreça.Avantdelerencontrer,jen’avaisjamaisimaginémeproduireunjourdansuncoindepub.Ninullepartailleurs.Çanem’avait jamaiseffleuré l’esprit.Néanmoins, j’yaiprisgoûtàLaNouvelle-Orléans,etcelam’aouvertd’incroyablesperspectivesparlasuite.Biensûr,unegrandepartiedemonbonheurvenaitalorsdufait de partager ces moments avec Andrew, ce qui est encore vrai aujourd’hui. Je doute que jecontinueraiss’ilnem’accompagnaitpas.
Cen’estpaslefaitdejouerenpublicquimeplaîttant,maisplutôtdelefaireaveclui.Jediscuteunmomentavecmamèredemonprochainséjour,etellesembleaussiimpatientequemoi.
RogeretellesesontmariésauMexique!Çam’alégèrementfaittiquerdenepasavoirétéinvitée,maisplusj’ypensemoinscelamedérange.Ilsontsimplementfaitpreuvedespontanéité.Ilsontécoutéleurscœursetfoncé.DepuisquejesuisavecAndrew,j’aiapprisqu’êtrespontanéeetsavoirparfoissortirdumoule sontdeuxchoses très importantes.Après tout, nousne serionspas ensemble tous lesdeux si jen’avaispasdécidédepartirsuruncoupdetête.
Concernant notre propre mariage, nous n’avons pour l’instant pas arrêté de date. Nous en avonsdiscutéunsoiret sommes tombésd’accordpour le fairedèsquecelanousparaîtraitopportun.Pasdejourprécis.Pasdepréparatifs.Pasderobeà5000dollarsquejeneremettraisplusjamais.Pasdefleursàassocieràladécoration.Pasdegarçonsnidedemoisellesd’honneur.Touscestrucsnousstressentrienqued’ypenser.
Nousnousmarieronsquandnousseronsprêtsàfranchirlepas,etnoussavonstousdeuxquel’attenten’a rien àvoir avecunequelconque incertitude.Nous levoulons l’un comme l’autre, çane fait aucundoute.
J’entendslesclésd’Andrewtournerdanslaserrure,etjelerejoinsauniveaudelaported’entrée.Jeluisautedanslesbras,enroulemesjambesautourdesatailleetl’embrasseàpleinebouche.Ilclaquelaported’uncoupdepiedetm’étreintàsontoursansdescellernoslèvres.
—Quemevautcethonneur?medemande-t-ilquandnousnousécartonspourreprendrenotresouffle.—Jesuissurexcitée.Sesfossettessecreusent.
Commejerefusedelelâcher,ilmeporteàtraverslesalonetjusquedanslacuisine.—J’auraisdûteramenercheztoiplustôt,déclare-t-ilenm’asseyantsurlecomptoir.Ilseplanteentremesjambesetposesesclésàcôtédemoi.—Nevapasculpabiliser,luidis-jeenluiplantantunnouveaubaisersurleslèvres.Jesuissûreque
leTexasmemanquerasijerestetroplongtempsenCarolineduNord.Ilsourit,sansparaîtreconvaincu.—Cen’estpasurgent,maisjetiensàcequecesoit toiquidécidesoùnousallonsvivre.Etjene
veuxpasquetuchoisissesleTexaspourmefaireplaisir.J’adoremamère,maisjen’auraipasautantlemaldupaysquetoi.
—Qu’est-cequitefaitpenserça?—J’aivécutoutseulpendantuncertaintemps,merappelle-t-il.Toi,tunel’avaisjamaisfaitavantde
quitterRaleigh.Ilsourit,prendunpeudereculetajoute:—Enplus, tuesbourréed’hormonesetcomplètementdingue,alors j’aiplutôt intérêtàmeplierà
toutestesexigencessansdiscuter.Jeluibalanceuncoupdepied,manquantvolontairementmacible.Ilsepencheversmoi,soulèvelebasdemontee-shirtetapposeseslèvreschaudessurmonventre.—EtBillyFrank?m’enquiers-jetandisqu’ilseredresse.Situleplantesunefoisencore,ilrisque
denejamaisteréembaucher.Andrewéclatederireetcontournelebarpouraccéderauxplacards.Jepivotesurlecomptoirpour
continueràluifaireface,laissantmesjambespendremollementdel’autrecôté.—Jebossepourluiparintermittencedepuismesseizeans,dit-ilensortantuneboîtedecéréales.On
formecommeunefamille,cen’estpasn’importequel jobdemécano.J’aibesoinde luiplusqu’iln’abesoindemoi.
—Pourquoitucontinues?m’étonné-je.—Deplongersousuncapot?J’acquiesce.Ilversedulaitsursonboldecéréales,puisremetlabouteilleauréfrigérateur.—J’aimebienbossersurlesbagnoles,m’explique-t-ilenenfournantuneénormecuillerée.C’estplus
unhobbyqu’autrechose,poursuit-il labouchepleine.Etpuis, çapermetdemettredubeurredans lesépinards.
Jemesensunpeumesquinedenepastravailler.Ilsaitàquoijepense,commetoujours.Ilavalesabouchéeetbranditsacuillerversmoi.
—Nefaispasça.Jel’observeaveccuriosité,faisantminedenepascomprendreàquoiilfaitréférence.Ilprendplacesurletabouretàcôtédemoi,reposantlespiedssurlabarreprévueàceteffet.—Tuasconsciencequetutravailles,pasvrai?medemande-t-ilenm’étudiantducoindel’œil.La
semainedernière,ons’estfaitquatrecentsdollarsrienqu’enjouantauLevy’s.Quatrecentsenunesoirée,c’estpasdégueu.
—Jesais,admets-je.C’estjustequejeneprendspasçapourunboulot.Ilritdoucementensecouantlatête.—Tuneprendspasçapourunboulotparcequetuadoresça.Etparcequetunepointespas.Ilaraison,jetiensnéanmoinsàallerauboutdemaréflexion.—Sionétaitsansarrêtsurlaroute,sionn’avaitpasdeloyer,defacturesetdebébéenvue,çane
seraitpaspareil.(Jeprendsuneprofondeinspirationavantdecracherlemorceau.)Moiaussijevoudrais
trouveruntravailquimedétende.Commetoiaveclegarage.Ilacquiesce.—Génial…Ilengloutitunenouvellecuillerée,puisreposenonchalammentlesbrasdepartetd’autredesonbol.—Etqu’est-cequetuaimeraisfaire?Lemot-clédelaphraseest«aimerais».J’yréfléchisquelquessecondes,pinçantleslèvresdansmonintenseconcentration.—Ehbien, j’aimebienfaire leménage, jepourrais trouveruntafdansunhôtel,suggéré-je.Ouau
Starbucks,untrucdanslegenre.Ilsecouelatête.—Jedoutequeçateplaise,réplique-t-il.Mamèrefaisaitdesménagesavantquemonpèremontesa
boîte.Tun’aspasidéedecequelesgenslaissenttraînerderrièreeux.Jefaislagrimace.—Bon, je vais trouver autre chose.Dès qu’on arrivera àRaleigh, je commencerai à chercher du
travail.Lacuillerd’Andrews’immobilisejusteau-dessusdesonbol.—Donctuveuxqu’ons’installelà-bas?
5
ANDREW
JEN’AVAISPASL’INTENTIONDELATÉTANISERDELASORTE. J’ÉCARTEMONBOLETLA FAISGLISSERVERSMOISURlecomptoir.Jeposelesbrassursescuissesnuesetl’observeavecleplussincèredessourires.
—Çamevatrèsbien,mabelle.—Tuenessûr?Jemepenchepourl’embrassersurlajambegauche,puissurladroite.—Oui.Certain.Oniraàlafêteceweek-end,etànotreretouronprépareranoscartons.Elleprendmesmainsentrelessiennes.—Maisaprèsnotredéménagement,ilfaudrarevenirpourfévrieretlafêtequetamamanorganise.Jesourisjusqu’auxoreilles.—Trèsbonplan,répliqué-je,paslemoinsdumondesurprisqu’elleprenneégalementencompteles
sentimentsdemamère.Bon,c’estréglé.Prochaineétape:Raleigh.Aumoinsjusqu’àcequ’ons’enlasse.Camryn,plusheureuse encoreque lorsqu’elle est venuem’accueillir à laporte,mepasse lesbras
autourducou.Jememetsdeboutetlasoulève,lesmainsglisséessoussonjolipetitcul.—Pardonpourlescéréales,dit-elle.—Hein?Ellebaisselesyeux,légèrementembarrassée.—Jetepariequequandtut’imaginaismarié,tutedisaisquetafemmeteprépareraitdebonspetits
platsàfairesetrémousserd’envielesplusgrandscuistots.J’éclatederire.—Non,jen’aijamaisriensupposédepareil,affirmé-jeàquelquescentimètresdesonvisage.Quant
àfairesetrémousserd’envie,crois-moi,tusaist’yprendre.Elleresserresescuissesautourdematailleetrougit.Jel’embrassesurlenezavantdeplongermon
regarddanssesmagnifiquesyeuxbleus.Jefermelespaupièresetsenssadoucehaleinementholéeflotterautourdemoi.Salanguevientdélicatementtitillermalèvreinférieure,m’implorantd’ouvrirlabouchepourl’accueillir.Je luicèdedeboncœur,et l’embrassevoracementenlaserrantdansmesbras.Je latransporte jusqu’à notre chambre dans cette position et profite d’elle pendant toute l’heure qu’il nousresteavantdeprendrelaroutepourHouston.
NousarrivonsenCarolineduNordversmidilevendredi,etjevoisdéjàlesyeuxdeCamrynpétiller
d’impatience. Ce n’est que la deuxième fois qu’elle revient ici en quatremois. Nous récupérons nos
bagagesetallonsretrouverNatalieetBlake,quinousattendentausoleilpournousramener.Et,commelors de notre première rencontre, j’appréhende deme retrouver face à face avec la hyène qui sert demeilleureamieàmafiancée.
—Cam,tum’astellementmanqué!luilanceNatalieenl’embrassant.Blake se dresse de toute sa hauteur derrière Natalie, les mains profondément enfouies dans ses
poches,lesépaulesvoûtées,unsourireniaisplaquésursonvisagehâlé.Jevoistoutdesuitelequeldesdeuxporte la culotte. Il doitvraiment êtredumauvais côtédu fouet. Je réprimeun fou rire. Il devraits’affirmerunpeuplus.Putain,jenepeuxriendire…
—Andrew!Natalies’intéressealorsàmoncas,etjebrandismentalementmonbouclieranti-barjots,contraintde
répondreàsonétreinte.Pourêtrehonnête, jen’aimepastropNatalie.Jeneladétestepas,maisdisonsquejeneluiaurais
sansdoutejamaisadressélaparolesiellen’avaitpasétésiprochedeCamryn.Etlesortqu’elleluiaréservéetquil’apousséeàgrimperdanscecarmelaisseungoûtamer.Jesuispourlepardon,maislesimplefaitqu’elleaitpuluiinfligeruntrucpareilm’inciteàrestersurmesgardes.J’aidûprendresurmoipourluitéléphonerilyadeuxsemainesetluiparlerdel’échographieettoutça.MaisçaafaitplaisiràCamryn,c’esttoutcequicompte.
—Contentedeterevoir,Blake,déclareCamrynenleprenantdanssesbras.Je sais tout de lui, et je n’oublie pas qu’il louchait surCamryn avant de se rabattre plus tard sur
Natalie.Malgréça,j’aiplutôtunebonneopiniondelui.Nousnousserronslamain.—Ohputain,fais-moivoir!s’exclameNatalieensoulevantlehautdeCamryn.Avecmilleprécautions,elleplacelesdeuxmainssursonventreetlacontempleensouriant.Unléger
glapissementnaîtdanssagorge,etjemedemandecommentlecorpshumainpeutproduiredessonsaussiétranges.
—JepourraisêtreTataNatalie,oumarraineNatalie!Euh…Commentdire?Jecroisbienquenon.Camrynacquiescerapidementtandisquejem’efforcedenelaisserfiltreraucuneondenégative.Jene
voudraispasfoutreenl’airsonretourauxsourcesenluifaisantcomprendrequejenetolèrelaprésencedesameilleureamiequeparégardpourelle.
6
CAMRYN
CarolineduNord
LA FÊTE QUEMAMÈRE ETNATALIE ONT ORGANISÉE ÉTAIT VRAIMENT GÉNIALE. J’AI EU DES TONNES DEcadeaux:unlitpourbébéflambantneuf,untrotteur,unebalancelle,unechaisehaute,deuxbaignoires–uneroseetunebleue,justeaucasoù–,environneufcentquatre-vingt-quatrecouches–entoutcasunemontagnedecouches–,d’innombrablesbouteillesdeshampooingetde talc,ainsiquede lapommadeanti-érythèmefessier,cequiétaitplutôtflippant,et…j’enoublieuncertainnombre,ycomprisquelques-unsdontj’ignoreencorel’utilité.
Après être restée si longtemps au centre de l’attention, je commence à me sentir légèrementoppressée;j’aimeraisquetoutcelasetermine,pourquejepuissem’immergerunlongmomentdansunbainbienchaud.
Deux autres heures s’écoulent, et tout le monde est parti en dehors de Natalie, qui me retrouveplongéedanslamoussejusqu’auxoreilles.
—Cam?m’appelle-t-elledepuislaportedelasalledebains.Ellefrappedoucementàplusieursreprises.—Entre,réponds-je.Ellepousselaporteetjetteuncoupd’œilàl’intérieur.Cen’estpascommesiellenem’avaitjamais
vueàpoil.Elles’assiedsurlecouvercledestoilettes.—Bon,c’estofficiel,déclare-t-elleavecunsourirejusqu’auxoreilles,lagrossessefaitgonflerles
seins.Commetoujours,elleexagère.Jesorslamaindel’eauetluiprojettequelquesgouttesàlafigure.—Tutesensbien?demande-t-elleenrecouvrantsonsérieux.Tusemblesépuisée.—Jesuisenceinte,déclaré-jeplatement.—C’estvrai,maisCam,tuasunesalegueule.—Merci.J’ajustelabarrettequiévitedemetremperlescheveuxetreposelebraslelongdelabaignoire.—Bahquoi, tun’espascenséeêtre resplendissante? Ilparaîtque toutes les femmesenceintes le
sont.
Jehausselesépaulesetsecouelatête.Unedouleursourdem’élancelebasdudos,puisdisparaîtaussivitequ’elleestvenue.Jegrimaceen
changeantdeposition.—Tuessûrequeçava?Ellesembleplusinquiètequenécessaire.—J’aitoujoursuntrucquimetiraille.Riend’inquiétant.Lepireresteencoreàvenir.Auniveaudes
tiraillements,jeveuxdire.J’ignorecequim’apousséeà formuler cettedernièreprécision ; sansdoute ai-jevoulum’assurer
qu’ellen’interprètepastoutdetravers.—Toujourspasdenauséesmatinales?J’opteraislargementpourunpetitmaldedoscomparéaufait
devomirtripesetboyauxtouslesmatins.—Non,réponds-je.Maisnevapasmeporterlapoisse,Nat.Jedoisbienreconnaîtreque,sij’avaislechoix,j’opteraismoiaussipourladouleurplutôtquepour
lesvomissements.Etjusqu’àprésent,jesuisservie.J’imaginequejefaispartiedeschanceusesquin’ontquasimentpasdenausées.Nid’enviesbizarres,d’ailleurs.J’endéduisque,soitjesuisanormale,soitceshistoiresdecornichonsetdecrèmesglacéessontunramassisdeconneries.
Je sorsde labaignoire etm’envelopped’une serviettedebainavantd’embrasserNataliepour luidireaurevoir.
Puis je vais m’allonger sur mon lit, me rappelant combien il est confortable. Pour autant, cettechambrenememanquepastellement,etjen’aipasl’impressionderegrettermonanciennevie.Non.J’aitoujoursenviedefuircette«anciennevie»,c’estd’ailleurslaprincipaleraisonpourlaquellej’aieutantdemalàdéterminersijevoulaisounonrevenirvivredanslecoin.MamèreetNataliem’ontmanqué,etjedoisbienreconnaîtrequelaCarolineduNordaussi.Maispasdanslesensoùilmetardederevenirm’échouericipourfairelesmêmeschosesqu’avant.Jen’aipasabandonnécemodedeviesansraison,etjenesuispasprêteàyretournertêtebaissée.
Au lieudesortiravecNatalieetBlakeplus tarddans lasoirée, jedécidede resterà lamaisonetd’allermecouchertôt.Jesuislittéralementépuisée,commesimoncorpsconsommaitplusd’énergiequ’àl’habitude;etpuismadouleurauxreinsn’apasnonpluscomplètementdisparu.Voilàplusieursheuresqu’elledevientlancinante.
Andrewvientmerejoindreaulitets’allongesurlecôté,latêteappuyéesursonpoing.—J’ai l’impressionde fairequelquechosedemal, enme retrouvant avec toidans ta chambrede
petitefille.Ilestrayonnant.Jemefendsd’unlégersourireetm’enfonceplusprofondémentsouslacouette.Ilfaitpeut-êtreunpeu
fraisdans lachambre,pourtant jemeursdefroid.J’enroule lesdoigtsautourdu tissuduveteuxpour leplaquersousmonmenton.
—Simonpèreétaitlà,répliqué-jeenricanant,tudormiraisdanslachambredeCole.Il se rapproche de moi et me passe un bras autour de la taille. J’ai d’abord l’impression qu’il
s’apprêteàtireravantagedufaitquenousnousretrouvonsenfinseuls,maissestraitssedurcissentetsamainremontejusqu’àmescheveux.
—Tusais,tucommencesàm’inquiéter,dit-il.Tutecomportesbizarrementdepuisqu’onestrentrésavecBlake.Qu’est-cequisepasse?
Jemerapprochedeluietréponds:—Nataliem’aditlamêmechose.Jetejure…Jelecontemplefixement.
—Oh,elles’enestrenducompteaussi?J’acquiesce.—J’aijusteunpeumalaudos,etjesuisglobalementmalfichue,maisvousnemanquezjamaisune
occasiondemerappelerquejesuisenceinte.Ilmesouritàpeine.—Tudevraispeut-êtreallervoirlemédecinpourt’assurerquetoutvabien?Jesecouedoucementlatête.—Jenevaispascommenceràpsychoteretàmepointeràl’hôpitalpourunouioupourunnon.Ona
vul’échographistelasemainedernière.Toutvabien.Ellel’aditelle-même.Jemepencheverslui,l’embrassedélicatementsurleslèvresetmeforceàsouriredavantagepourle
rasséréner.Il sourit à son tour et soulève légèrement la couette afin de pouvoir se blottir contremoi. Jeme
retournepourmepositionnerdosàlui,etsoncorpsépouselaformedumien.Ilesttellementbrûlantquejepourraismefondrecontre lui ; jemesenssur lepointdem’endormirprofondément.Sonsoufflemecaresselecou,puisilydéposedepetitsbaisers.Jefermelesyeuxetprofitedesaprésence,desonodeurnaturellequimefaittoujoursvibrer,delafermetédesesbrasetdesesjambes,delachaleurémanantdesapeau.Jenesuismêmepascertainedepouvoirm’endormirsansluiunjour.
—Si ça empire,memurmure-t-il, tu as intérêt àm’en parler. Je ne voudrais pas non plus que tut’obstinesàn’allervoirpersonnetoutensachantqu’ilpourraityavoirquelquechosedebizarre.
Jemetourneverslui,vaguementamusée.—Oh,tuveuxparlerdecesgensquirefusentdevoirlemédecinpendanthuitmois,convaincusque
leurtumeuraucerveauestinopérable?Ilpousseunsoupir.J’avaisespérélefairerire,maisiln’amanifestementpastrouvéçadrôle.Ilm’étreintdoucement.—Promets-moisimplementqu’encasdenouvelledouleuroudesymptômesuspect,tum’enparleras
etqu’oniraensembleàl’hôpital.Jecapitule,nonpaspourclorelaconversation,maisparcequ’ilaraison.Jen’aiencorejamaisété
enceinte,jenesaisdoncpasdifférenciercequiestnormaldecequinel’estpas.
7
CAMRYN
NOUS SOMMES DIMANCHE APRÈS-MIDI, ET JE PENSE QUE TOUT CE DONT J’AVAIS BESOIN HIER ÉTAIT UNEBONNE nuit de sommeil. Ça va un peumieux aujourd’hui, et je n’ai plusmal au dos. Jem’habille etentreprendsderassemblermesaffairespourqu’Andrewetmoipuissionsrepartirlesoirsansencombre.Mais avant de reprendre l’avion, j’ai toute une journée entre filles à passer avecNatalie, et j’ai bienl’intentiond’enprofiter.
—TuessûrqueçanetedérangepasderesteravecBlake?demandé-jeàAndrewtandisqu’ilenfilesamarinière.
Ilvaserecoifferdevantlemiroir,si tantestqu’onpuisselefaireensepassantlesdoigtsdanslescheveux.Ils’esttoujoursunpeufichudesacoiffure,tantqu’ellenepartpasdanstouslessens.
Ilpivoteversmoi.—Çameva. Ilest sympa.Onvaallerà la salledebillardse fairequelquesparties,dit-il enme
prenantparlataille.Net’enfaispaspourmoi.Amuse-toibienavecNatalie.Jeparsd’unrireléger.—Tusais,elletetueraitsielledécouvraitlaphotoquilareprésentesurtontéléphone.Sonsourires’accentue.Ilm’attrapeparlesépaulesetsecouelatêtedefaçonthéâtrale.—Tuestrèscourageuse,CamrynBennett.Jemourraisécraséparlapersonnalitédecettefillesije
devaispasserplusd’uneheuredansunepièceavecelle.Saufsijemecrèved’abordlestympansavecuncrayon.
Jeréprimeunéclatderireetlerepoussesansménagement.—Tuestropméchant!—Ehbien,oui,jel’avoue.Ilsepencheversmoietmeplanteunbaisersurlefront.Jerenchérisenl’attrapantparlecolpour
plaquersabouchecontrelamienne.—Pourinfo,iln’estpastroptardpouruncouprapide.Ilscrutemonvisageetmeslèvres,puism’embrassedeplusbelle,memordillantlalèvreinférieure.—Biensûrquesi,entends-jedireNataliedepuisl’embrasuredemaporte.Nousinterromponsnotrebaiseretnousretournonsenmêmetempspourladécouvrirlesbrascroisés
avecunsouriredetravers.Seslongscheveuxbrunsluitombentsurlesépaules.Jemedemandecequ’elleasurprisdenotreconversation.
Andrew lève discrètement les yeux au ciel à son intrusion.Le pauvre.Ce qu’il ne ferait pas pourmoi…
Natalie entre dans la chambre d’un pas nonchalant et se laisse tomber sur le bout du lit. Elle n’amanifestementrienentendudecompromettant,sansquoielleseseraitdéjàfendued’uneremarquebiensentie.Elleclaquesubitementdesmainsetlance:
—Allez,enroute!Onadesmanucures,despédicures,etpleind’autrescuresquinousattendent.Envoyantl’aird’Andrew,jedevinequ’ilsemordlesjouespournepassortirunerepartiecinglante.
Jeluilanceunregardd’avertissement,etilsecontentedesourireenpinçantleslèvres.—Tutesensmieux,aujourd’hui?s’enquiertNatalie.J’enfilemesRocketDog–«leschaussureslespluslaidesquej’aiejamaisvues»,selonAndrew–et
entreprendsdemebrosserlescheveux.—Ouais,beaucoupmieux,réponds-jeenmetournantverssonreflet.Encoreunpeupatraque,mais
rienàvoiravechier.—Fais-moileplaisirdeveillersurelle,demandeAndrewàNatalie.Siellecommenceàseplaindre
dedouleursouden’importequoi,appelle-moi,d’accord?Elleacquiesce.—Biensûr.Ceneseraitpaslapremièrefoisqu’elleselaisseraitsouffrirenattendantqueçapasse.
L’annéedernière,elleapassédeuxjoursaulitàrâleretàgémiràcaused’unmaldedentsavantd’allerchezledentiste.C’étaitinsupportable.
—Youhou,jesuisjustelà,leurrappelé-jeencessantdemecoiffer.Nataliebalaiemoninterventiond’unreversdemainetseretourneversAndrew.—Jet’appellesielleéternueplusdequatrefoisdesuite.—Bien,ditAndrewavantdes’adresseràmoi.Tuasentendu?s’exclame-t-ild’untonsévère.J’ai
desrenforts,maintenant.Depuis quandAndrew etNatalie font-ils cause commune ? Il y a encore quelques secondes, il ne
pouvaitpaslavoirenpeinture.Jesecouelatêteetmetresselescheveuxavantd’enattacherleboutd’unélastique.
Andrewnousembrasse,Lilyetmoi,puissortrejoindreBlake.Peuaprès,Natalieetmoifranchissonslaporteànotretour;j’espèrequecettejournées’écoulerasansnouvelledouleurquipousseraitNatalieàappelerAndrewpourqu’ilsm’amènentdeforceauxurgenceslesplusproches.
NouscommençonspartraînerunpeudansnotreStarbuckshabituel,puisnousfaisonsuncrochetparlepetitcentrecommercialpourallervoirlaboutiquedeproduitsdebeautéoùNatalietravailledepuisunmois.Ellemeprésenteàsamanageuseetàsesdeuxcollègues,dontj’oublieimmédiatementleprénom.Sachefestsympa,etmeproposemêmederevenirpostulersilecœurm’endit.NatalieintervientpourluiexpliquerquejeretournebientôtauTexas,et,commejeneconfirmepasassezvitesonaffirmation,elledevinequejeluicachequelquechoseetsemetàtrépignerd’impatience.Jeremercielamanageuseensouriantet,danslasecondequisuit,Nataliem’entraînedeforcehorsdumagasinpourcommencersoninterrogatoire.
—Crachelemorceau!s’exclame-t-elle,lesyeuxexorbités.Jevaism’appuyeràlabalustrade.Ellem’yrejointimmédiatement,laissanttombersonsacàmainet
unsacdecoursesàsespieds.Jeréfléchisàmaréponse,nesachanttropquoidire.Jenepeuxpasluiaffirmerqueoui,jereviens
m’installeràRaleigh,carellecomprendrait :« J’emménage iciet tout redeviendraexactementcommeavant.»AlorsquelaréalitéestqueNatalieetmamèrememanquent,etquejenesuispasfaitepourleTexas.
Soudain,lavéritém’apparaîttandisquejescrutelecentrecommercialavecintensité.Touscesjourspassés au lit à contempler le plafond, alors qu’Andrew partait bosser avec Billy Frank ; toutes cesjournéesàm’interrogersurl’originedemonproblème,àessayerdecomprendrepourquoij’avaislemaldupayssanspourautantavoirenviederetournerm’yinstaller.JemesouviensdenotrearrivéeauTexasavecAndrew.Ça remontemême aux quelques kilomètres avant que nous franchissions la frontière del’État. Putain, je n’avais aucune envie d’être là. J’avais peur que tout se termine abruptement, quel’existence si excitante que nous partagions sur la route ne devienne rien d’autre qu’une agréableréminiscenceunefoisnotredestinationatteinte.
Etd’unecertainemanière…ç’aétélecas.Je ravale la grosse boule qui s’est formée dans ma gorge et m’efforce de garder une respiration
stable.Cen’estpasàcausedeLily.Jel’aimetellementquejenepourraijamaisluireprocherquoiquece
soit.Lavéritéestquelavienes’achèvepasàlagrossesse.Denombreusespersonnessemblentlepenser,maisjecroisauplusprofonddemoiquetoutdépenddelamanièredontonveutvivreleschoses.Biensûr,avoirunenfantestl’unedesépreuveslesplusarduesquisoient,maisçan’estpaslafindumonde.Iln’yaaucuneraisonquecelaréduiseànéantlesrêvesd’unepersonne.C’estcequ’Andrewetmoiavonsfaitprogressivement,sansvraimentnousenrendrecompte,quiafaitvolernosprojetsenéclats :nousnous sommes installés trop confortablement. Le genre de confort qui finit par vous rattrapersubrepticement des années plus tard, par vous frapper sur l’arrière du crâne en s’exclamant :Eh, lescrétins!Vousvousrendezcomptequeçafaitdixansquevousêtesprisonniersdevotreroutine?
Jegardelesyeuxdanslevague.—Jenesaispastropcequ’onvafaire,Nat,finis-jeparadmettreavantdemetournerverselle.Je
veuxdire,oui,jereviensàlamaison,mais…Ellefroncesessourcilssombresd’unairinterrogateur.—Maisquoi?Jedétournelatêteet,commemaréponsetardeàvenir,elleajoute:—Ohnon,nemedispasqu’Andrewnevientpasavectoi?Bonsang,çanevaplusentrevous?Jefaisbrusquementvolte-face.—Non,Nat,çan’arienàvoir.Ilm’accompagne,c’estsûr.C’estjuste…jenesaispas.C’estdurà
expliquer.Ellem’observeavecunemouesongeuse,puism’attrapeparlecoude.—Onatoutl’après-midipouressayerdecomprendre,alorsallonsausalondebeautéettâched’y
réfléchirenchemin.Ellesepenchepourramassersessacs,puislesfaitglissersursonpoignetvidetoutenm’entraînant
verslasortielaplusproche.Nousarrivonsàl’institutquelquesminutesplustard;ilestpleinàcraquer,commetoujoursleweek-
end.Natalieetmoisommesjuchéessurdehautstabouretstandisquedesfilless’occupentdenospiedsnus.Madernière pédicure remonte à des siècles en arrière, j’espère quemes orteils ne sont pas trophorriblesàvoir.
—Tusais,Cam,tunem’asjamaisvraimentexpliquépourquoituétaispartie.(Nataliesetourneversmoi.)Parpitié,dis-moiqueçan’étaitpasmafaute.
—Ce n’était la faute de personne en particulier. J’avais juste besoin de prendre un peu le large.J’étouffais.
—Perso, jene ferai jamaisun trucaussidingue,mais avecdu recul, forceestde reconnaîtrequec’étaitvraimentgénial.
Celamefaitsourire.—Oui,hein?Sonvisages’illumine,sesyeuxmarronpétillent.—Carrément.Tuasfiniavecunpénissurpattes(lafilleenchargedesapédicurerelèvebrièvement
latête),unebaguedefiançaillesetunbébétropcanonenroute.(Natalies’esclaffe.)Putain,jesuistropjalouse!
Celamefaitrireaussi,maispasaussifort.—D’abord, tu n’as aucune raison de l’être, vu que tu sors avecBlake. Ensuite, comment peux-tu
savoirsilebébéseracanon?Nataliepinceleslèvresetmedévisagecommesij’étaisladernièredesimbéciles.—Sérieux ?Àvousdeux, vous auriez dumal à faire unbébémoche. (La fille quime tripote les
orteils lève les yeux au ciel en se tournant vers sa collègue.)Et je ne suis pas jalouse de toi à caused’Andrew,maisparcequejevaissansdoutefinircommemamère,sansn’avoirjamaisrienvud’autrequelaCarolineduNord.Çanemedérangepas.Jenesuispasfandestransports,etjedeviensclaustrodèsquequelqu’unrespiretropprèsdemoi,maisd’unecertainemanière,jet’envie.
Jeréfléchisàcequ’ellevientdedire,sanstoutefoisémettrelemoindrecommentaire.Jerecommenceàavoirmalaudos,etjetâchedechangerdepositionsanstropremuerlespieds.J’ai
aussicommeunpointdecôté,maisjesuissûrequec’estàcausedetoutelamarchequenousavonsfaite.—Alors,tuastrouvé?demandeNatalie.—Quoi?Ellecille,surprisequej’aiepuoubliersivitenotreconversationducentrecommercial.Lavéritéest
quejen’aipasoublié,simplementessayéd’éviterlesujet.—Pourtouttedire,commencé-jeenregardantdanslevidepourm’imaginerAndrew,jeneveuxni
revenirici,niresterauTexas.Enfin,si,j’aienvied’êtreici,maisjesuismoiaussiterrifiéeàl’idéedefinircommetamère.
Entempsnormal, jenemeseraisjamaisserviedesamèrecommeexemple,maisc’estvraimentlemoyenleplussimpledeluifairecomprendrecequejeressens,surtoutqu’ellevientd’utiliserlamêmecomparaison.
—Ouais,jevoiscequetuveuxdire,dit-elleenhochantlatête.Qu’est-cequetuenvisages,alors?Iln’yapasgrand-chosed’autreàfaire,surtoutaveclebébéquiarrive.
BonDieu,pourquoia-t-ilfalluqu’elleremetteçasurletapis?Jepousseunsoupirsilencieuxetévitede me tourner vers elle pour qu’elle ne puisse pas lire la déception sur mon visage. Natalie est mameilleureamie,maisj’aitoujourssuqu’elleferaitpartiedecesgensquiviventleurexistencetoutentièredansunebulle incolore etqui finissentpar se réveillerpleinsde regretsquand il est trop tardpouryremédier.Ellevientdemedonnerraisonavecsoncommentairesurl’arrivéed’unbébésignifiantlafind’unepériodedrôleetenrichissante.Etpuisqu’ellenecomprendrajamais,jemedispensedereleverunefoisencore.
—Cam?Tuessûrequeçava?Jeretiensmonsouffleetluijetteuncoupd’œil.Jeressensunvifélancementaucôté,etj’aisoudain
l’impressionquejememetsàdégoulinerdesueur.Nefaisantaucuncasdel’employéeenchargedemapédicure,jeretiremonpiedetattrapelesaccoudoirspourmehisserhorsdemonfauteuil.
—Ilfautquej’ailleauxtoilettes.—Camryn?— Tout va bien, Nat. Désolée, dis-je à la fille avant d’emprunter l’étroit couloir désigné par la
pancarteindiquantlespetitscoins.
Je m’efforce de ne pas donner l’impression de souffrir, car je ne veux pas que Nataliem’accompagne;jesaisnéanmoinsqu’ellevalefairequoiqu’ilarrive.
Jepousselaportebattanteetm’enfermeàl’intérieur;jepeuxenfinmelaisseralleràmadouleur.Degrossesgouttesdesueurperlentsurmonfrontetsousmesnarines.Cettefois,ilyavraimentuntrucquicloche. Il s’agit peut-êtredemapremièregrossesse,mais çanem’empêchepasde savoir que cequej’éprouveàcetinstantn’ariendenormal.Jesorsrapidementdelapetitecabinequinefaitqu’accroîtremonmalaiseetm’approchedugrandlavabo.
Cen’estpaspossible…Jesuisincapablederéprimerletremblementdemesdoigts.Demoncorpstoutentier.Jeprendsune
dosedesavonpourmelaverlesmains,etalorsquejem’apprêteàallerlessécher,jeressensunepointeplus fulgurante que jamais. J’éclate en sanglots, pliée en deux sur le bord du comptoir. La douleurphysique amomentanément disparu,mais… Jeme fais sans doute des idées. Oui, ça doit être ça. Jepsychote.Sijen’aiplusmal,c’estforcémentquejevaisbien.
J’inspireprofondément,expire,répètelamêmeséquenceplusieursfoisavantdereleverlatêtepourm’observer dans lemiroir. Jem’essuie le visage d’unemain humide, faisant disparaître les dernièreslarmes.J’airecouvrésuffisammentdeluciditépourmesentirécœuréeenmerendantcomptequejesuispiedsnusdansdestoilettespubliques.
Laportes’ouvrealorssurNatalie.—Sérieux,tuvasbien?Non,questionidiote,çasevoitdirect.Qu’est-cequisepasse?J’appelle
Andrew.Elletournelestalonsetvacherchersontéléphone,maisjelaretiensinextremis.—Non,Nat,attends.—Tufaischier.Jetelaissesoixantesecondespourm’expliquer.Jecapitule,carmêmesijemeursd’enviedemeconvaincrequejevaisbien,j’aiconsciencequece
n’estpaslecas.Surtoutdepuisquej’aivucequej’aivuavantdequitterlacabine.—J’aimalaudosetaucôté,etj’aidespertes.—Despertes?Elleaunemouelégèrementdégoûtée,qu’elleparvienttantbienquemalàdissimuler.Maiscen’est
rienàcôtédesoninquiétude.—Tuveuxdire,genre…dusang?Ellemedécocheunregardsuspectetgardelesyeuxrivéssurmoijusqu’àcequejeluiréponde.—Oui.Sansrienajouter,elledisparaîtdanslecouloir.L’existencevousobligeparfoisàfairefaceàunévénementsiterriblequ’onsaitqu’onneseraplus
jamaislamêmepersonne.Commesiunevaguenoiredéferlaitsubitement,engloutissantsursonpassagetoute tracedebonheur sansqu’onpuisse rien fairepour l’enempêcher.Tout lemondevit cegenredetragédieaumoinsunefois.Nuln’estàl’abri.Cequejenepigepas,c’estcommentuneseulepersonnepeutl’endurercinqfoisd’affiléeensipeudetemps.
Jesuisallongéesurunlitdesurgences,blottiesousunecouverture.Natalieestassisesurlachaiseà
magauche.Jenepeuxpasparler.J’aibientroppeur.—Putain,qu’est-cequileurprendtantdetemps?pesteNatausujetdesmédecins.Elle se lève et se met à tourner tel un lion en cage, ses talons hauts cliquetant doucement sur le
carrelageblancetlumineux.Puisellechangedeton.
Elles’immobiliseetsetourneversmoi,avantdedéclarerd’unevoixremplied’espoir:—Peut-êtreque,s’ilsprennenttoutleurtempspourvenirt’examiner,c’estqu’ilsestimentqu’iln’ya
riend’inquiétant.Jen’ycroispasunseulinstant,maisnepeuxmerésoudreàl’avouer.Cen’estqueladeuxièmefois
quejemeretrouveauxurgences;lapremière,c’étaitlorsquej’avaisfaillimenoyerensautantdepuisdespromontoiresenborddelac,etj’yavaispassépresquesixheures.Toutçapourrecoudrelaplaiequejem’étaisfaiteàlahancheenm’écorchantcontrelesrochers.
Je roule de côté et contemple le mur. Quelques secondes plus tard, la porte vitrée coulisse. Jem’attendsàvoirenfinundocteur,maismoncœurs’emballequandAndrewpénètredanslapièce.Natalieetluiéchangentàvoixbassequelquesphrasesquejefaissemblantdenepasentendre.
— Ils ne sont même pas venus la voir, sauf pour lui poser quelques questions et lui donner unecouverture.
Le regard d’Andrew croise brièvement le mien, et je remarque l’anxiété qui le ronge, même s’ils’efforcedenerienlaissertransparaître.Ilsaitaussibienquemoicequisepasse,mais,commemoi,ilserefuseraàledireouàlecroiretantqu’unmédecinnel’aurapasd’abordconfirmé.
Ilsdiscutentencorequelquessecondes,puisNatalievientsepenchersurmoipourm’embrasser.—Lesvisitessontlimitéesàunepersonneenmêmetemps,m’explique-t-elleenseredressant.Jevais
rejoindreBlakeensalled’attente,dit-elleens’efforçantdesourire.Çavaaller.Ets’ilsnesemagnentpasunpeu,jetejuredefoutreungrosbordel.
Sa véhémence m’arrache un sourire, et je lui sais gré de toujours trouver les mots pour meréconforter,mêmedanslessituationslesplussombres.
Elles’arrêteàlaporteetsouffleàAndrew:—S’ilteplaît,tiens-moiaucourantdèsquetuensaisplus.Puiselles’éclipseenrefermantderrièreelle.QuandAndrewm’observedenouveau,moncœurfondcomplètement,carjesaisquej’aisonattention
pleineetentière.Ilvachercherlachaiselaisséevacanteetlarapprochedulit.Ilmepressedélicatementlamain.
—Jesaisquetutesensmal,jet’épargnedonclaquestion.Cettefois,jeneparvienspasàsourire.Nous nous considérons longuement sans un mot. C’est comme si nous connaissions d’avance la
sentence.Nousnenousavisonspasuninstantdepenserquepeut-être,peut-être,toutirabien.Carceneserapaslecas.Cependant,Andrewfaitdesonmieuxpourmeréconforteretnes’autoriseniàpleurernià paraître trop inquiet. J’ai conscience qu’il cherche simplement à me préserver. Je sais combien ilsouffre.
Enfin,unmédecinetune infirmièreviennentm’examiner.Dansunétatsecond, j’entends lepremierexpliquerquelecœurdemonbébéacessédebattre.J’ailesentimentquelemondes’écrouleautourdemoi,sansenêtretoutàfaitcertaine.Jecroiseleregardd’Andrew,pleindelarmes;ilnequittepasledocteurdesyeuxtandisquecelui-ciprononcedesparolesquiseperdentaufonddemonesprit.
LecœurdeLilys’estarrêté.Etjemedis…tiens,lemienaussi…
8
ANDREW
VOILÀMAINTENANTQUINZEJOURSQUENOUSSOMMESÀRALEIGH.JEN’ENTRERAIPASDANSLEDÉTAILDEtouteslessaloperiesquenous–Camryn,surtout–avonssubies.Jem’yrefuse.Lilyestpartie,etCamrynetmoisommesdévastés.Quoiquenousfassions,nousnepourronspaslarameneràlavie,etj’essaiedetoutesmesforcesdegarderlatêtehorsdel’eau;enrevanche,depuiscejour-là,Camrynn’estpluselle-même,etjecommenceàdouterqu’elleleredevienneunjour.Ellerefusedeparleràquiquecesoit.Niàsamère,niàNatalie,niàmoi.Ellediscute,maisjamaisdecesujet.Jenesupportepasdelavoirdanscet état, car il est évident que, sous son masque de façade, elle vit un vrai calvaire. Et je me senscomplètementimpuissantàl’aider.
Jesuisallongésursonlitàcontemplerleplafond,enattendantqu’ellesorteenfindeladouche.Montéléphonesemetàsonnersurlatabledenuit.
—Allô?C’estNatalie.—J’aibesoindeteparler.Tuesseul?Prisdecourt,ilmefautunesecondepourréagir.—Oui,Camrynestsousladouche.Quesepasse-t-il?Jejetteuncoupd’œilverslaportepourm’assurerquepersonnenenousécoute.L’eaucouletoujours.—Est-cequesamèret’aditquelquechosesur…quelquechose?medemandeNataliedemanière
suspecte.J’aiunpressentimentétrange.—Ilvafalloirquetudéveloppesunpeu,répliqué-je.Cetteconversationcommencedéjààmefairechier.Ellepousseunprofondsoupirquinefaitqu’accroîtremonimpatience.—Bond’accord,écoute:Camn’estvisiblementpasdanssonétatnormal.(Sansdéconner?)Tudois
essayerdelaconvaincrederetournervoirsapsy.Bientôt.Sapsy?Ladouchecessedecouler,etjelanceunnouveaucoupd’œilverslaporteencorefermée.—Dequellepsytuparles?demandé-jeàmi-voix.—Ouais,elleenvoyaitune,et…—Attends,chuchoté-jedurement.Laportedelasalledebainss’ouvre,etj’entendsCamrynserapprocherdelachambre.
—Ellearrive,m’empressé-jed’ajouter.Jeterappelleplustard.Je raccrocheet reposemon téléphoneà saplaceà l’instantmêmeoùCamrynouvre laportede la
chambre,enturbannéed’uneservietteetvêtued’unerobedechambrerose.—Coucou,luidis-jeencroisantlesmainsderrièrelatête.Jemeursd’enviede rappelerNataliepourconnaître le finmotde l’histoire,mais jedécidedeme
renseignerdirectementàlasource.Enoutre,jenetienspasàcacherquoiquecesoitàCamryn.Jel’aidéjàfaitetjenesuispasprèsderecommencer.
Ellemesouritensefrictionnantlescheveuxàl’aidedelaserviette.—Jepeuxteposerunequestion?—Biensûr,répond-elleenlaissantsatignasseblonderetomberdanssondos.—Est-cequetuétaissuivieparunpsy?Sonsourires’estompepourêtreinstantanémentremplacéparuneexpressionneutre.Elles’approche
duplacard.—Pourquoi?—ParcequeNatalievientd’appelerpourteconseillerd’yretourner.Ellesecouelatêteetsemetàfarfouillerdanslapenderie,sansunregardpourmoi.—Libreàelledemeprendrepourunefolle.Jesorsdulit,toutjusteparéd’unboxer,etvaismeposterderrièreelle,lesmainssurseshanches.—Cen’estpasparcequ’onvoitunpsyqu’onestfou,répliqué-je.Ellen’apeut-êtrepastort.Çate
feraitdubiendepouvoirteconfieràquelqu’un.Celam’embêtedenepouvoirêtrecequelqu’un,maislàn’estpasleproblème.—Andrew,çavaaller…Ellefaitvolte-faceetm’adresseunsourire tendre,mecaressant lementonduboutdesdoigts.Puis
ellem’embrassesurleslèvres.—Promis.Jesaisquevousvousfaitestousdusoucipourmoi,etjenevouslereprochepas,maisje
n’iraipasvoirunpsy.C’estridicule.Ellereplongedanssapenderieetarracheunchemisieràuncintreavantd’ajouter:— Tout ce qu’ils veulent, c’est me faire une ordonnance et me renvoyer chez moi. Je refuse de
prendredescachets.—Sansaller jusque-là, le fait depouvoirdiscuter avecunepersonneextérieurepourrait t’aider à
mieuxacceptercequis’estpassé.Elles’immobilisebrutalement,lesbraslelongducorps,froissantlechemisierdanssonpoingserré.
Ellepousseunsoupir,etsesépaulessedétendentenfin.Elle finitpar tourner la têtepourmeregarderdroitdanslesyeux.
—Lemeilleurmoyendedigérerçaestd’oublierqueças’estpassé.Cettephrasemefendlecœur.—Çairamieuxdèsqu’onnem’obligeraplusàypensertouslesjours,reprendCamryn.Plusvous
essaierezdemepousserà«enparler»(ellemimedesguillemetspouraccentuercesmots),plusvousmeconsidérerezavecdestêtesd’enterrementchaquefoisquej’entredansunepièce,plusj’auraidemalàl’oublier.
Cen’estpaslegenredechosequel’onpeutoublier,maisjenetrouvepaslecouragedeluirétorquerça.
—OK,dis-jeenretournantdistraitementverslelit.Aufait…combiendetempsveux-turesterici?Mêmesijenesuispasparticulièrementpresséderentrer.
Cen’estquel’unedesinnombrablesquestionsquejeveuxluiposer,maisjesuistoutaussihésitant
surlesautres.Depuisdeuxsemaines,j’ail’impressiondedevoirmarchersurdesœufschaquefoisquejem’adresseàelle.
—JeneretourneraipasauTexas,déclare-t-ellenonchalammentavantd’enfilerunjean.Surdesœufs.Ilssontpartout.Malàl’aise,jemefrottealorsl’arrièredelatête.—D’accord,dis-je.Danscecas,j’iraitoutseul,dis-moiquellesaffairestuveuxquejeterapporte.
Etpendantmonabsence,Natalieettoipourrieznouschercherunappart.C’esttoiquichoisis.Onprendcequetuveux.
Je me fends d’un sourire prudent. Je ne désire que son bonheur, et je ferai tout pour qu’elle leretrouve.
Son visage s’illumine, et jeme laisse volontiers convaincre que sa réaction est sincère. Àmoinsqu’ellelesoitréellement.Àcestade,jenesaisplus.
Elles’approchedemoi,etmefait reculervers lepieddu litenapposant lesmainsàplatsurmontorse.Puisellemeforceàm’yasseoir.Jelacontempleparendessous.Entempsnormal, je luiauraisdéjàsautédessus,maislemomentsemblemalchoisi.Jesaisqu’elleenaenvie.Enfin,jecrois…maisj’aipeurdelatoucher,commetoujoursdepuislafaussecouche.
Elleseplaceàcalifourchonsurmoi,serrelesjambesautourdematailleet,mêmesijeredoutelemoindrecontact,jenepeuxm’empêcherdemetendreverselle.Elleposelesmainssurmesépaulesetplonge son regard dans lemien. Jememords les joues et ferme les yeux quand elle se penche pourm’embrasser. Je lui rends son baiser, sentant la douceur de ses lèvres, inspirant son haleine.Mais jem’écartealorsetlamaintiensparleshanchespourmepréserverd’unnouvelassaut.
—Mabelle,jenecroispasquecesoit…Ébahie,elleinclinelatêtedecôté.—Tunecroispasquequoi?Nesachantcommentleformuler,jedissimplementcequimevientàl’esprit.—Çanefaitquedeuxsemaines.Est-cequeça…—Saigneencore?complète-t-elle.Non.Est-cequec’estdouloureux?Nonplus.Jetelerépète,je
vaisbien.Ellevatoutsaufbien.Néanmoins, j’ai lesentimentquesi jem’obstineàtenterdel’enconvaincre,
celaseretourneracontremoi.Merde… Je vais finalement peut-être devoir prendre le taureau par les cornes et aller parler à
Natalie.Camryndescenddemongiron,maisjemelèveenmêmetempsqu’elleetlaserrecontremoi.Jepose
lajouesursescheveuxencoremouillés.—Tuasraison,dit-elleensereculantafindepouvoirmeregarder.Jedevrais,euh…reprendrela
pilule,avant.Ceseraitcondereprendrelerisque.Elles’éloigne.Cen’étaitpas lebutde lamanœuvre.Bien sûr, aprèscequ’ellevientdevivre, ilvaut sansdoute
mieuxquenousfassionsplusattentioncettefois.Maispourêtrecomplètementhonnête,jel’allongeraissanshésitersurlelitdansleseulbutdelaremettreenceintesic’étaitcequ’ellevoulaitvraiment.Siellemeledemandait.Jeneregrettepasdel’avoirfaitlapremièrefois,etjesuisprêtàrecommencer.Maisilfautqu’elleenaitenvie,etjecrainsqu’enenparlantlepremier,elleprenneçapourunesuggestion,s’enveuilled’avoir perdumaLily, et soit prête à réessayerdans le seul butdemepermettredeme sentirmieux.
Camrynretiresarobedechambre,lajetteaupieddulitetentreprendd’enfilersonchemisier.
—Sic’estcequetuveux,alorsvapourlapilule.—Est-cequec’estcequetoi,tuveux?lance-t-elleenmeregardantdroitdanslesyeux.Celaressembleàunequestionpiège.Faisgaffe,Andrew.Jehochelatête.—Sic’estcequetudésires.Pourl’heure,jepensequec’estsansdoutecequ’ilyademieuxpour
toi.Sesyeuxnetrahissentaucuneespèced’émotion,cequim’angoisselégèrement.Elle finit par acquiescer et se détourne. Elle va farfouiller dans un tiroir en quête d’une paire de
chaussettes.—J’appellerailegynécodanslajournée,pourvoirs’ilpeutmedonnerunrendez-vous.—D’accord.Puis, comme si nous ne venions pas d’avoir une conversation aussi sérieuse que déprimante, elle
s’approchedemoi,toutsourires,etsemetàmebécoter.—Peut-êtrequ’ensuiteturecommencerasàteconduirenormalement,ajoute-t-elle.—Commentça?—Oh,arrête…Tun’aspasessayéuneseulefoisdecoucheravecmoidepuisquec’estarrivé.(Son
sourire s’élargit et son regard s’attarde surmon torse nu.) Je dois avouer quemon obsédé d’AndrewParrishmemanque.Durantcestroisderniersjours,jemesuisoccupéedemoitouteseule.
Ellesepencheversmoi,memordilledélicatementl’oreilleetprécise:—Jel’aiencorefaitsousladoucheilyaquelquesminutes.Dommagequetun’aiespasétélà.Desfrissonsmeparcourentlecorps,delanuquejusqu’auxpieds.Merde,pourquoinem’a-t-ellepas
demandédem’encharger?Jemeseraisvolontiersexécuté.Elledevraitlesavoir,àprésent.Jeprendssonvisageentremesmainset l’embrasseàpleinebouchetandisqu’elles’emparedema
verge.L’instant suivant, elleme chevauche. Ses doigts s’attardent autour de l’élastique demon boxer,tandisqu’elleconsidèremoncorpsavecunairdélicieusementconcupiscent.
Merde,sielles’apprêteàmeprendredanssabouche…Jenemerendscomptequej’aifermélesyeuxqu’ensentantsesdoigtss’immiscerentremonboxeret
mapeau.Quandellefaitglissermonsous-vêtement,jenevoisquel’intérieurdemespaupières.Puismabonneconscienceresurgitd’uncoupetjel’interromps,merelèveàmoitié,m’appuyantsur
mescoudes.—Mabelle,pasmaintenant.Elleboude.Elleboudevraiment,leslèvresenavant,etçamefaitlemêmeeffetquesesyeuxdechien
battu;jesuisàdeuxdoigtsdecéderàsoncapricetantellemefaitcraquer.—J’enaienvie.Crois-moi…trèsenvie,dis-jedansunricanementnerveux.Maisattendsunpeu.Ta
mèrevarentrerd’uneminuteàl’autre,etje…Ellebasculelatêtedecôtéetmecontemple,rayonnante.—Cen’estpasgrave,m’assure-t-elleavantdem’embrasserunenouvellefoispuisdesauterdulit.
Tuasraison.Jenevoudraissurtoutpasquemamèremesurprenneentraindetetaillerunepipe.Viendrais-jededéclineruneoffredefellation?Cettefille ignoreàquelpointellemetientparles
couilles.Jepréfèrenepasleluidire,sansquoiellepourraitabuserdesonpouvoir.Putain,qu’est-cequejeraconte?Jecrèved’enviequ’elleenabuse.Jel’aimeplusquetout.
Camryns’envaavecsamèreplustarddanslamatinée,aprèsqu’ellearéussiàobtenirunrendez-vous de dernière minute avec son gynécologue. J’ai voulu m’entretenir discrètement avec sa mèreévoquerleschosesdontNatalieaessayédemeparlermaisjen’enaipaseul’occasion.Ellesdevaientpartirdansl’heurepournepasmanquerlaconsultation,etcelaauraitsembléétrangequejem’enferme
avecelledansunechambre.Camrynauraittoutdesuitecomprisquel’onparlaitd’elle.
9
ANDREW
CAMRYN M’A LAISSÉ SA VOITURE. JE LUI AI UNE FOIS DEMANDÉ POURQUOI ELLE NE L’AVAIT PAS PRISEPLUTÔTquedegrimperdansuncarenjuilletdernier,etellem’asimplementrépondu:«Ettoi?»JedusprendresurmoipourmeglisserderrièrelevolantdesaPriusrouge,maisjefinisparm’yrésoudrepourmerendreauStarbucks,oùNataliem’avaitdonnérendez-vous.
Toutdanscetterencontremesembledangereuxettordu.Quandceseraterminé,j’auraienviedemefrictionnerausavondeMarseillepourmelaverdecettetrahison.NatalieentresansBlake,etsedirigedroitversmoi,ses longscheveuxbrunsnouésenqueue-de-cheval.J’aiprissoindechoisir la table lapluséloignéedelavitrine,depeurquequelqu’unnem’aperçoiveavecelle.Peum’importequepersonneicinemeconnaisse,làn’estpaslaquestion.J’aiessayédeluitirerlesversdunezautéléphone,maiselleainsistépourqu’onsevoie.
Elles’assiedenfacedemoi,posantsonsacsurlatable.—Jenemordspas,melance-t-elleavecunsourireencoin.Peut-êtrepas,maisjepariequeta…— Tu n’as pas à faire semblant de m’apprécier, reprend-elle en interrompant le cours de mes
pensées.Camn’estpaslà.Etjenesuispasaussibouchéequetulepenses.Je dois bien reconnaître qu’elleme surprend. Je pensais sincèrement qu’elle ne se doutait pas de
l’antipathie que j’éprouve pour elle. Elle a beau être lameilleure amie dema fiancée, elle lui a faitbeaucoup demal il y a quelquesmois, en refusant de croire que son ex,Damon, lui avait avoué êtreamoureuxd’elle.C’esttropdébile.
Jem’écartedelatableetcroiselesbras.—Ehbien,puisqu’onenestàseparlerfranchement,dis-moi:c’estquoi,tonproblème?Cette fois, c’est elle qui est prise de court. Elle écarquille les yeux de surprise, puis fronce les
sourcils.J’ail’impressionqu’ellesemordl’intérieurdesjouespourdissimulersonexaspération.—Commentça?Ellecroiseàsontourlesbrasetinclinelatête,faisantbasculersaqueue-de-chevaldecôté.—Jecroisquetusaistrèsbiencequejeveuxdire,rétorqué-je.Etdanslecascontraire,tuespeut-
êtreaussibouchéequejel’imaginais.Jenepeuxpasm’empêcherdemecomportercommeunconnardavecelle.J’auraispucontinueràla
tolérersansjamaisrienbalancerdenégatifàsonsujet,maisc’estellequiaouvertleshostilités.C’estdoncsafaute.
Ellesemblesoudaincomprendreoùjeveuxenvenir,etsonregards’assombrit.Ellesaitprécisémentdequoijeveuxparler.
—Jesais,c’estmérité,dit-elleendétournantlatête.Jeregretteraitoutemaviecequej’aifaitsubiràCamryn,mais ellem’a pardonné, alors je ne vois pas pourquoi tum’en voudrais pour ça. Tu nemeconnaissaismêmepas,àl’époque.Tunemeconnaistoujourspas,d’ailleurs.
Non,eneffet, jeleluiaccordebienvolontiers,maisj’ensaissuffisammentsurellepourmeforgermonopinion.Aumoins,l’occasionm’estdonnéed’affronterNatalie.ConcernantDamon,ouquelquesoitlenomdecetenfoiré,c’estuneautrehistoire.J’adoreraisl’avoirassisenfacedemoi.Jemeursd’enviedeluicasserlesdents.
—Detoutefaçon,iln’estpasquestiondemoi,reprend-elle,toujoursavecsonsourireencoin.Alors,laisse-moit’expliquerpourquoijet’aifaitvenir.
J’acquiescesilencieusement.—Cam etmoi sommesmeilleures amies depuis une éternité. J’étais là pour elle à lamort de sa
grand-mère, puis à celle de Ian, et encore quand son frère Cole a tué cemec et atterri en prison. Etévidemmentquandsonpèreatrompésamèreetqu’ilsontdivorcé.(Ellesepenchepar-dessuslapetitetablequinoussépare.)Toutcelas’estpasséaucoursdestroisdernièresannées.(Ellesecouelatêteets’adossedenouveauàsonsiègeencroisantlesbras.)Etcenesontlàquelesprincipauxévénementsquiontmissaviesensdessusdessous,Andrew.Honnêtement,cettefillen’estpasnéesouslabonneétoile.(Ellelèvelesmainsaucieletpoursuitd’untonthéâtral.)Oooh,maisévidemment,jenepeuxpasluidireunechosepareille.Ladernièrefoisquej’aiessayédevantersesmérites,elleafaillim’arracherlatête.Crois-moi,ellen’aimepasqu’onlaprenneenpitié.Elledétesteça,même.Elleestdanscetétatd’espritoù, quoi qu’il puisse lui tomber sur le coin de la gueule, elle estimera toujours que des tas de gensendurentbienpire.
Ellelèvelesyeuxauciel.Je vois exactement de quoi elle parle.Quand on était sur la route ensemble,Camryn a longtemps
essayéd’éviterd’évoquersesproblèmes;enrevanche,cequeNataliesembleignorer,c’estquej’aiaidéCamrynàsortirunpeudesacoquille.Celamefaitdoucementrigolerd’avoirréussiendeuxsemainescequeNatalie,sasoi-disantmeilleureamie,n’estjamaisparvenueàaccomplirenplusieursannées.
—Etdonc,ellel’accepte,poursuit-elle.C’estcequ’elleatoujoursfait.Crois-moi,elleréprimetantdechagrin,decolère,dedéceptionetdejenesaisquoid’autrequ’ellenepourrajamaisréglertoussesproblèmes.Etaveccequis’estpasséaveclebébé…(Elleavalesasalive,etjedevinesonmalaiseàlafaçondontellebaisselesyeux.)Jemefaisbeaucoupdesoucipourelle,Andrew.
Jenem’attendaispasàcequemarencontreavecNatalieaccentuel’inquiétudequej’éprouvaispourCamryn.J’enressentaisdéjàavant,maispluselleparle,plusçaempire.
—Explique-moi cettehistoiredepsychiatre, reprends-je. Je lui aiposé laquestion tout à l’heure,maisellel’aesquivée.
Nataliecroiselesjambesetpousseunprofondsoupir.—Ehbien, son père l’a convaincue d’aller en voir un peu après lamort de Ian.Cam s’y rendait
chaquesemaine,etçasemblaitluifairedubien,maisjecroisqu’elles’estfoutuedenous.Onneplantepastoutlemondesansriendireàpersonnepourgrimperdanslepremiercaràdestinationdenullepartalorsque«çavademieuxenmieux».
—C’estsonpèrequil’aconvaincue?Elleconfirme.—Ouaip.Ellea toujoursétéplusprochedeluiquedesamère;Nancyestgéniale,maisunpeuà
l’ouest,parfois.Quand,aprèsledivorce,sonpèreaemménagéàNewYorkavecsanouvellecopine,je
pense que ça l’a encore plus bouleversée que le reste. Même si, bien sûr, elle refusera toujours del’admettre.
Je prendsma respiration etme passe les deuxmains sur le crâne. Jeme sens tellement coupabled’apprendreça,surtoutdelabouchedeNatalie;d’unautrecôté,Camrynnemel’auraitmanifestementjamaisrévélé.
—Elleaaussiparlédecachets,dis-je.Elleneveutpasretournervoirdepsyparcequ’ils…Nataliem’interromptenhochantlatête.—Ouais, elleétait sousantidépresseurspendantunmoment.Etpuisun jour,ellem’aavouéavoir
arrêtédelesprendredepuisdesmois.Jen’ensavaisrien.Jevaisalorsdroitaubut.— Bon, et pour quelle raison précisément m’as-tu fait venir ici ? J’espère que ce n’était pas
uniquementpourmedévoilertoussessecrets?Jesuiscontentd’avoirappriscesinformations,maisjemedemandesiellemelesatransmisespour
lesimpleplaisirdefairedescommérages.Sansdoutepas.Jecroisqu’elles’inquiètesincèrementpoursonamie,maisétantdonnécequejesais
desapersonnalité,jemedoisd’êtreprudent.—Jepensequ’ilfautquetulasurveilles,m’avoue-t-ellealors,captanttoutemonattention.Elleafait
unegrossedépressionaprèslamortdeIan.J’avaisdumalàlareconnaître.Ellenepassaitpassontempsà pleurer ni à se comporter comme les dépressifs sont censés le faire, non. Cam est… (Elle lèvebrièvementlesyeuxpourréfléchir,puislesreposesurmoi.)Elleestrestéestoïque,jenesaispassic’estle bon terme. Elle a arrêté de sortir. Elle a commencé à se foutre de l’école. Elle ne voulait pluss’inscrireàlafac.Pourtant,onavaittoutplanifiédepuisledébutdulycée,mais,avecsadépression,lesétudesnel’intéressaientplusdutout.
—Qu’est-cequil’intéressait,alors?Nataliesecouelégèrementlatête.—Jenesaispastrop,ellen’enparlaitquerarement.Maisparfois,ellepartaitdansdesdélirestrop
bizarres,superprofonds:ellevoulaitfaireletourdumondelesacaudos,cegenredetrucs.Jenesaisplusexactementquoi,maisunechoseestsûre:ellen’avaitplusvraimentlespiedssurterre.Oh,etellem’aaussiditunefoisqu’ellenepouvaitplusressentir lamoindreémotion.Çameparaîtétrange,maisbref.
Elleagitelesmainspourfairesignequecelan’aguèred’importance.Puisellemesourit,etjenesaispastropcequecelasignifieavantqu’ellereprennelaparole.
—Etquandelle t’arencontré,elleestredevenueelle-même.Maisgenreencentfoismieux.Jemesuis rendu compte, le soir où ellem’a appelée depuis LaNouvelle-Orléans, que quelque chose avaitchangé.Honnêtement,jenel’avaisjamaisvueaussicombléequ’avectoi.
Ellemarqueunepause,puisajoute:—Jecroisquetueslameilleurechosequiluisoitjamaisarrivée.Nem’enveuxpasderemettreça
surlatable,maissituétaismort…J’attendsimpatiemmentqu’elleachèvesaphrase,maisellen’enfaitrien.Ellesedétourneetsemble
surlepointdepasseràautrechose.—Sij’étaismort,quoi?—Jenesaispas,dit-elle.(Ellement.)Jecroisjustequ’ilfautquetulasurveilles.Inutiledetedire
qu’elleaplusquejamaisbesoindetoi.Sur ce point, elle ne m’apprend rien, mais après tout ce qu’elle m’a raconté, je ne peux pas
m’empêcher de penser que je dois désormais impérativement rester avec Camryn chaque minute de
chaquejour.J’enveuxpresqueàNataliedem’avoirrévélétoutça,maisilfallaitquejelesache.Jemelèveetenfilemavestenoire,puisrepoussemachaisesouslatable.—Tuparscommeça?Jem’interrompspourladévisager.—Enfait,oui,réponds-je.(Elleselèveàsontour.)Jecroisquej’ensaisassez.—Jet’enprie,neluidispas…Jelèvelamain.—Écoute,neleprendspasmal,j’appréciequetum’aiesrévélétoutça,maissiCamrynmeposela
question,jeluidiraiquenousnoussommesvusicitouslesdeuxetquetum’asracontétoutcequejesais.Net’attendspasàcequejeluicachequoiquecesoit.
Ellepousseunsoupirthéâtral.—Trèsbien,dit-elle en récupérant son sac.Mais cequim’inquiète, c’estqu’elle se sentemal en
apprenantquejesuisvenuetetrouver,pasqu’ellem’enveuilledet’avoirparlé.J’acquiesce.Jel’admets:cettefois,jelacrois.Je traîne à la baraque devant la télé quand Camryn et samère rentrent de chez le gynéco. Jeme
redresse,malàl’aised’êtreainsivautréalorsquejenesuispaschezmoi.JeposelatélécommandesurlatablebasseenchêneetmelèvepouraccueillirCamryn.
—Alors,commentças’estpassé?Situation étrange. Question étrange. Tout est étrange. Je déteste l’étrangeté. Il faut vraiment qu’on
trouvetrèsviteunappart.Ouunechambred’hôtel.LeregarddeCamryns’adoucitquandelles’approchedemoi.—Trèsbien,merépond-elleenmeplantantunbaisersurlajoue.Ilm’aprescritunenouvellepilule.
Ettoi,tuasfaitquoiaujourd’hui?Jepariequetuétaistropsexy,àroulertoutesvitresouvertesdanscettevoiturepourfilleNewAge.
Elleesquisseunrictusmoqueur.Jemesensrougirunpeu.Samèrem’adresse un sourire timide en passant derrière Camryn pour se diriger vers la cuisine.
ExactementlegenredeminecontritedontCamparlaitcematin,cellequisignifie:«Elleestsifragileetj’aitellementdepeinepourvousdeux.»Jecommenceàcomprendrepourquoielledétesteça.
—Ehbien,jen’aipasfaitgrand-chose,maisj’aitoutdemêmesubiunface-à-faced’unquartd’heureavecShenziauStarbucks.
—Shenzi?Jesecouelatêteensouriantetajoute:—Laissetomber.Natalie.Ellevoulaitqu’onsevoiepourparlerdetoi.Elleestvraimentinquiète.Camryn,agacée,sedirigeverslecouloirmenantàlachambre.Jeluiemboîtelepas.—J’imaginecequ’elleaputeraconter,dit-elleenentrantdanslapièce.Elleposesonsacàmainetunsacdecoursessurlelitavantd’ajouter:—Etçamefoutvraimentenrognequ’ellet’appellequandj’ailedostourné.—Jen’auraissansdoutepasdûallerlavoir,admets-je,deboutdansl’embrasuredelaporte.Mais
elleavachementinsistéet,honnêtement,j’avaisenvied’entendrecequ’elleavaitàmedire.Ellesetourneversmoi.—Etqu’est-cequetuasdécouvert?Lapointedemécontentementquejeperçoisdanssontonm’aiguillonnelégèrement.—Quetuavaistraversédesjourssombreset…
Camrynlèvelamainpourm’interrompreetsecouelatêted’unairréprobateur.—Andrew,sérieusement.Écoute-moi,d’accord?dit-elleenmeprenantlesmains.Pourl’instant,la
seule chose qui ajoute à mon malheur est que tout le monde s’inquiète pour moi en permanence.Réfléchis-y:onenadéjàparlécematin.Regarde-moi.
Jem’exécute;cen’estpascommesiellen’étaitpasjusteenfacedemoi.—Est-cequejepassemontempsàmemorfondre?(Non,c’estvrai.)Combiendefoism’as-tuvue
sourire cette semaine ? (Un paquet de fois, à vrai dire.) Tu m’as déjà entendue dire quelque choseindiquantquejesouffreplusquej’enail’air?(Non,sansdoutepas.)
Elleinclinesonbeauvisageetlèvelamainpourmecaresserlajouedesesdoigtsdélicats.—Promets-moiquelquechose.Entempsnormal,j’auraisrépondu:«Toutcequetuveux»sansl’ombred’unehésitation,mais,cette
fois,jetergiverse.Ellepenchelatêtedel’autrecôtépuislaisseretombersamain.Jefinisparrépondreàcontrecœur:—Çadépendquoi.Ellenediscutepas,maisjemerendsbiencomptequ’elleestdéçue.—Promets-moiqueleschosesredeviendrontnormalesentrenous.C’esttoutcequejetedemande,
Andrew.Çamemanque.Nosdélires,nospartiesde jambesenl’airdéjantées, tesfossettes, tonamourdébordantetdémesurépourlavie.
—Etprendrelaroute?suggéré-je.Toutengouementladéserte,commesijevenaisdedireunegrosseconnerie.Sesyeuxdériventlentementetellesembleperduedansquelquepenséesombreetprofonde.—Camryn…est-cequeçatemanquedeneplusêtresurlaroute?J’aiplusquejamaisbesoindeconnaîtresaréponse,surtoutàcausedelaréactioninattenduequ’elle
vientd’avoir.Aprèsunlongmomentdesilence,elleseretourneversmoi,etj’ail’impressiondemeperdredans
sonregardinsondable,cequiprovoqueenmoiuncertainmalaise.Ellerestecoite,exactementcommesi…elleétaitincapablederépondre.Nesachantpascequiluitraversel’esprit,jefinispardéclarer:—On pourrait recommencer tout de suite. C’est peut-être précisément ce dont tu… ce dont on a
besoin,ajouté-jeenlaprenantparlesépaules.Lesimplefaitdeverbalisercette idée larenddeplusenplusexcitante.Camrynetmoi.Prenant le
large.Vivantsansattaches,profitantdel’instantprésent,exactementcommenousl’avionsprévu.Jemerendssoudaincomptequejerayonnelittéralement,lesourirejusqu’auxoreilles.Bonsang!Ouais,c’estexactementcequ’ilnousfaut.Pourquoin’yai-jepaspenséplustôt?
—Non,répond-elleplatement.Sarépliquem’arracheàcedélicieuxétatseconddanslequelj’étaisplongé.—Non?J’aidumalàycroire,oumêmeàcomprendrelesensdecemot.—Non.Elles’éloignenonchalammentdemoi.—Mais…pourquoipas?Plusriennenousobligeàattendre.Jecomprendsalorslaraisonmêmedesonrefus.Jen’aitoutefoispasàmettrelesujetsurlatable,car
ellelefaitsanstarder.—Andrew,dit-elled’unairpleinderegret,sionfaisaitçamaintenant,j’auraistoujoursdansuncoin
dematêtelefaitquel’onrepoussait l’échéanceàcausedubébé.Çanemesemblepasêtreunebonneidée.Paspourl’instant.J’aibesoindetemps.
—D’accord,dis-jeenallantlarejoindre.Je hoche la tête et me force à sourire, espérant lui faire comprendre que, quelles que soient ses
décisions,jeseraitoujourslàpourelle.— Bon, et de quel niveau de folie Natalie m’a-t-elle affublée aujourd’hui ? demande-t-elle en
ricanant.Elleplongelamaindanssonsacdecourses.Jem’esclaffeàmontouretm’allongesurlelittoutengardantlespiedsparterre.—Niveaujaune,répliqué-je.Leplusbasquisoit.Maiselles’estcomportéecommeunniveaurouge,
dis-jeenpenchantlatêtedanssadirection.Mêmesijesuissûrquetut’endoutaisdéjà.Elle me sourit et sort de son sac une pile de culottes, qu’elle entreprend de dépouiller de leurs
étiquettes.—Ehbien,jemedoutequ’ellet’abourrélemouausujetdemaphasedépressiveetdufaitquejene
soispasnéesousla«bonneétoile».Elle trace lesguillemetsduboutdesdoigtsavantd’agiter l’indexdansmadirection,unairdedéfi
dansleregard.—Mais cen’était riendeplusqu’unephase. Jem’en suis remise.Etpuis, quine subit jamaisde
pertes,dedivorcesouderupturesdifficiles?C’estridiculede…—Mabelle,tutesouviensdecequejet’aidit?QuandonétaitàLaNouvelle-Orléans?—Tum’asditdestasdechoses.Ellejettelesétiquettesdanslacorbeilleàpapier.—Quelechagrinn’estpasunputaindeconcours.—Oui,jem’ensouviens,admet-elle.Elleentreprendderangersesculottes,maisj’enattrapequelques-unesaupassage.Jebrandisdevant
moil’uned’entreelles,endentellerose,laissantreposerlesautressurmontorse.—Putain,j’adorecelle-là,dis-jeavantqu’ellemel’arrachedesmains.— Bref, reprend-elle tandis que j’examine de la même manière celles qu’elle n’a pas encore
récupérées,jen’aiplusenviedeparlerdeça,d’accord?Aprèsm’avoirdépouillédesdeuxculottesrestantes,ellereformesapile,qu’ellerangedansletiroir
supérieurdesacommode.Ellerevientverslelitetseplaceàcalifourchonsurmoi,ungenouplantédanslacouverturedepartet
d’autredemoncorps.Jeluifrictionnebrièvementlescuisses.—J’aienviedesortircesoir,déclare-t-elle.Qu’est-cequetuendis?Jememordillelalèvreinférieureavantderépondre:—Çametentebien.Tuveuxalleroù?Ellem’adresse un sourire entendu, comme si elle y avait déjàmûrement réfléchi. J’adore la voir
souriredelasorte.C’esttellementsincère,tellementréel.Finalement,peut-êtrequeNatalieenfaitdestonnespourpasgrand-chose.
—Ehbien,jemedisaisqu’onpourraitalleràL’UndergroundavecNatetBlake.—Attends,cen’estpaslàquel’autreconnardt’aembrasséesurletoit?—Si, si, chantonne-t-elle. (Bon sang, si elle n’arrête pas de se trémousser commeça…)Mais ce
«connard»estenprisonpourunan.EtNatalieavraimentenviequ’onyaille.Ellem’aenvoyéuntextojusteavantqu’onrentre.
—Tuessûrequ’ellen’essaiepasdetecirerlespompesparcequ’elleamauvaiseconscience?
Camrynhausselesépaules.—Peut-êtrebien,maisceseraitquandmêmesympad’yaller.Etpourunefois,onpourraitécouterun
groupejouerplutôtquedemonternous-mêmessurscène.Elles’allongesurmoi,etjeglisselesmainssursesfessesparfaitementgalbéespourlestripoter.Elle
m’embrasseetnousnousétreignons.—D’accord,dis-jedoucementquandelleécarteseslèvresdesmiennes.Jeluipasselesdoigtsdanslescheveux,puisluienserrelevisagedemespaumes.—VapourL’Underground.Etdemain,jeprendsl’avionpourleTexaspourcommenceràfairenos
bagages.—Çanetedérangepasquejeresteici?—Non, çame va très bien.Au fait, tu ne devais pas chercher un appart pendantmon absence ?
ajouté-jeaprèsl’avoirembrasséesurlefront.Elleseredresse,s’étiredetoutsonlong,puisentremêlesesdoigtsauxmiens.—Jevaisyvenir,déclare-t-elle.Chaquechoseensontemps.Pourl’heure,leplusimportantestde
nouspréparerpourcesoir.J’acquiesceenluisouriant,puisluiserrelesmainsetlaforceàsepencherversmoi.—Tuestoutpourmoi,murmuré-jecontresabouche.J’espèrequetunel’oublierasjamais.—Jenel’oublieraipas,m’assure-t-elleenondulantdélicatementdeshanches.Puisellememordillelalèvreetajoute:—Mais s’il m’arrive de l’oublier, pour une raison ou pour une autre, j’espère que tu trouveras
toujoursunmoyendemelerappeler.J’étudieuninstantsabouche,puissesjouesquejecaresseduboutdespouces.—Toujours,affirmé-jeavantdel’embrasservoracement.
10
ANDREW
CELA FAIT UN BAIL QUE JE NE SUIS PLUS SORTI DANS UNE BOÎTE COMMEL’Underground. PUTAIN, J’AIVINGT-CINQ ans, et ici je me sens comme un vieux. Le fait d’avoir surtout fréquenté des bars oudiscothèquesreculéscommeleOldPointasansdoutecontribuéàmefaireoublierl’existenceduheavymetal.Bon,j’aimebiencegenredemusique,maismerde,faites-moiécouterquelquesclassiquesdurock.CamrynetmoiavonspassélasoiréeavecBlakeetNatalieàsubirungroupenommélesSoixante-Neuf–commec’estoriginal!–grattantfaussenotesurfaussenote,tandisquelechanteurbraillaittelunorignalenrut.
Pourtant,çasemblaitplaireaupublic.Peut-êtreparceque laplupartdesclientsétaientbourrésoudéfoncés.Sansdoutelesdeux.
J’auraisbienaiméboire,moiaussi,maisj’avaisacceptédeservirdechauffeur.Çanemegênepas.Aumoins,Camrynapus’éclatersansretenue.Elleenavaitbesoin.Etjesuisfierd’elle:jem’attendaisàmoitiéà lavoir refuser touteactivitépendantdesmois. Je souffremoiausside lapertedeLily,maisCamrynestencorelà,etc’esttoutcequiimporteaujourd’hui.
L’air froid de novembre nous fait du bien, après que nous sommes restés enfermés pendant troisheuresdanscetentrepôtaussienfuméqu’étouffant.
—Tupeuxmarcher?demandé-jeàCamrynenlamaintenantfermementparlataille.Elle repose la tête sur mon épaule et fait disparaître ses mains à l’intérieur des manches de son
manteau.—Çava,merépond-elle.Tum’asarrêtéeàtemps,cettefois,tun’aspasàt’inquiéterdemeporter
jusqu’àlamaisoncommetul’asfaitàLaNouvelle-Orléans.Jelasensquiredresselementonpourm’observer,etjelouchebrièvementsurelletoutenm’efforçant
deregarderoùonmetlespiedssurcetrottoirenténébré.—Tutesouviensdecettesoirée,pasvrai?—Biensûrqueoui,dis-jeenlaserrantcontremoi.C’étaitiln’yapassilongtempset,detoutefaçon,
jenepourraijamaisl’oublier.Pasplus,d’ailleurs,qu’aucuneautreminutepasséeentacompagnie.Ellemesouritavantderegarderdroitdevantelle.—Tuesdugenreinoubliable,ajouté-jeavecunemouemoqueuse.— Je me suis réveillée une fois, cette nuit-là, m’apprend-elle en se blottissant contre mon bras.
J’étais à côtédes toilettes, et jeme suis demandé comment j’avais atterri là.Puis j’ai senti ton corpsderrièremoi,tonbrassurmataille,etmonenviedemelevers’estvolatilisée.Pasparcequej’étaisivre
morteetquej’avaislatêtedansunétau,maisparcequetuétaisavecmoi.—Ouais,jem’ensouviens…Jem’égareuninstantdansmespensées.Nousmarchonsl’uncontrel’autrependantunedizainedeminutes,jusqu’àatteindrelastation-service
près de laquelle nous avons garé la Prius dans un parking abandonné. Jemets le chauffage à fond etprendslevolantpournousramenersansheurtsàlamaison,regrettantunefoisencorequenousn’ayonspas réservé de chambre d’hôtel en découvrant la voiture dema belle-mère dans l’allée. Je n’ai riencontreNancy,mais j’avoue que j’aime bien pouvoirme promener chezmoi en boxer, ou à poil, sansrisquerdelacroiser.
J’aideuneCamryn titubanteàdescendreet l’accompagneà l’intérieur, tout en lamaintenantpar lataille.Maisellevabien.Unpeupompette,mais riendegrave. Jeverrouille l’entréederrièrenous, etCamrynsedépouilleimmédiatementdesonblousonqu’ellejettesurleporte-manteau.Jel’imite.
Lamaisonestparfaitementsilencieuse,etlaseulelumièreémanedesveilleusesbranchéespourl’unedanslecouloir,pourl’autreau-dessusducomptoirdelacuisine.
Camrynmesurprendenlaissantglissersesmainssurmapoitrineavantderedescendrejusqu’àmesabdos. Elleme pousse sansménagement contre lemur du vestibule. Elle introduit sa langue dansmaboucheetjelamordillegentimentavantdel’embrasser.Elledéboutonnemonjeand’ungesteexpert,enabaissant la braguette dans la foulée. Je l’embrasse de plus belle et laisse échapper un gémissementquandellepasselesdoigtssousl’élastiquedemonboxerpourmesaisiràpleinesmains.
Çafaittellementlongtemps…Elleseplaquecontremoi.J’écartelatêtejusteassezlongtempspourdire:—J’aisuperenviedetoi,maisonpourraitaumoinsattendred’arriverdanstachambre.Sesmouvementsdelangues’enhardissent,etellerétorqueenrecollantseslèvresauxmiennes:—Mamèren’estpaslà.Ellememordlalèvrejusteassezfortpourquecelasoitdouloureux,cequinefaitqu’accroîtremon
excitation.—ElleestpartiebosseraveclavoituredeRoger.Jel’embrassealorssansretenueetlasoulèvepourlaporterjusqu’àsachambre.Nousn’yarrivons
pasassezviteàsongoût,etellem’aarrachémontee-shirtavantmêmequenousfranchissionslaporteetque je la jette à plat sur lematelas. Je lui enlève tout, sauf sa culotte.Elle s’assied au bord du lit etabaissed’ungestesecmonboxeretmonjean.Jememetsàcalifourchonsurelle,plantantunpoingdanslescouverturespournepasl’écraser,etmeservantdemonautremainpourtitillerseslèvreshumidesàtravers le tissudesa lingerie.Ellese tortillesousmescaresseset secambre, frottantsesseinscontremontorse.
Jedescendsdulit,retiresaculotteenmeservantdemesdeuxmajeurs.Jel’embrasseàl’intérieurdescuissesetnepeuxm’empêcherdefondresursonentrejambe,dontjesuisprivédepuissilongtemps.Jecessedelafairelanguir,carc’estmoiquejetorture.
Jelalèchefurieusement,etelletentedesedéroberàmabouche.Elleagrippelesdrapsau-dessusdesatête,etseretrouvebientôtàmoitiédanslevide.Jelamaintiensenplaceenluitenantfermementlescuisses,enfonçantmesonglesdanssapeau.J’aspiresonclitoris jusqu’àcequ’ellen’enpuisseplusetqu’elletentedem’étranglerentresesjambes.
Jesaisqu’elles’apprêteàjouirquandellem’attrapeparlescheveuxpourmeforceràreculer.Je la contemplepar endessous et nos regards se croisent.Ellemecaresse le crâne. J’attends,me
demandantàquoiellepense,sanscomprendrepourquoiellem’aforcéàm’arrêter.
Ellesembleespérerquelquechose,mais jenesaisispasquoi.Jen’aipour l’heurequ’unechoseàl’esprit:m’enfouirenelle.Jerésistedetoutesmesforcesàlatentationdelafaireroulersurleventrepourlamettreàquatrepattes,deluitirersifortlescheveuxque…
Elle penche la tête et m’étudie, comme pour tenter d’anticiper mon prochain mouvement. Je suishypnotiséparsonvisage,d’oùémaneunairfragileeténigmatiquequejeneluiavaisencorejamaisvu.Elle me fait remonter sur le lit et, instinctivement, je m’y allonge sur le dos. Elle rampe sur moi,m’embrassantleventre,lescôtes,letorsepourvenirsepositionneràmahauteur.Unlégergrognementm’échappequandjesenssachaleurmoiteserapprocher.Ellem’adresseunsouriretendreetinnocentquin’arienàvoiravecsoncomportement.Ellemeprenddanssamain,etmesyeuxserévulsentdeplaisirquand elle me positionne dans le bon angle pour pouvoir aller et venir sur moi avec une lenteurinsupportable.
Je la laisse me chevaucher aussi longtemps qu’elle le souhaite, mais je dois faire preuve d’uneconcentrationextrêmepournepasatteindrel’extaseavantelle.Puis,auderniermoment,ilsepasseunechoseàlaquellejen’avaisjamaisréfléchi;jememetsalorsàpaniquerenespérantqu’elleneserendecomptederien,etjenedisposequed’unefractiondesecondepourdéciderdemeretirerounon.
CAMRYN
MONCŒURBATLACHAMADE.J’AILESOUFFLECOURTETJESUISENNAGE,MALGRÉLAFRAÎCHEURDELAPIÈCE.Alorsquejesuisauborddel’orgasme,Andrew,manifestementpaniqué,seretire.Celam’étonneunpeu,maisjefaiscommesiderienn’était.Aulieudequoi,jemepenchesurlui,leboutdemesseinseffleurantsontorse,etj’effectuequelquesva-et-vientaveclamain.
Puis je m’affale, la joue contre sa poitrine, les genoux ployés de part et d’autre de ses hanches.J’entendssoncœurtambourinercontremonoreille.Ilouvregrandlesbrasets’efforcedereprendresarespirationavantdelesrefermersurmoi.Jesensseslèvresseposersurmoncrâne.
Jeresteainsiallongéeàréfléchir.Jepenseàcequivientdesepasser,etàcequines’estpaspassé.Jepenseà sonodeuretà lachaleurdesapeau. Jeconstateàquelpoint il estdevenudocile.Toutçaparcequ’ils’inquiètedemefairemal,physiquement,émotionnellement,sansdoutemêmespirituellement,si tant est que ce soit possible. Et je ne l’en aime que davantage. Je l’aime pour tout l’amour qu’ilm’accordeenretour,maisj’espèrequ’ilneresterapaséternellementsiprotecteur.
Pourl’heure,j’aimemieuxnepasl’embêteravecça.Avantqu’ilacceptedebaissersagarde,jevaisdevoirluiprouverquejesuistoujoursmoi-même.Sesattentesmesemblentparfaitementlégitimes.
Jemeredresseetluisouris.Je me demande s’il va tenter de se justifier, de m’expliquer pourquoi il s’est retiré ; il va
probablementmedirequ’ilnesavaitpass’ildevaitresterounon.Pourtant,ilrestemuet.Ilattendpeut-êtrequej’abordelesujet.Jen’enfaisriennonplus.
Pourromprelesilencequiseprolongeetleverunpeududoutequipèsesurlachambre,j’onduledeshanchesdefaçonprovocantetoutengloussantunpeu.
—Attends,laisse-moirécupérer,mabelle.Ilsouritluiaussi,puismefessedesdeuxmains.Jepousseunglapissement exagéré, feignantde souffrir réellement, puis reprendsdeplusbellema
danselascive.—Tuferaismieuxd’arrêter,m’avertit-il.Sesfossettessecreusent.Jeremuedenouveau.—Tucroisquejeplaisante?Recommence,ettuvasleregretter.Naturellement,jem’exécute,toutenmepréparantmentalementàsubirl’assautqu’ilmeréserve.Ilm’attrapelestétonsetpincejusteassezfortpourquejem’immobilise,depeurqu’ilmelesarrache.—Aïe,ouille!J’éclatederireetluisaisislesmains,maisilserreunpeuplusfortquandj’essaiedelesretirer.Ilsecouelatêteetarboreunairsisérieuxquejesuisimpressionnéeparsonjeud’acteur.—Jet’avaisprévenue.Tuauraisdûm’écouter.—Arrête,s’ilteplaît,s’ilteplaît,s’ilteplaît!Ils’humecteleslèvresetdéclared’untonnonchalant:
—Tuprometsd’êtreunegentillefille,pasvrai?Jehochelatêtefrénétiquement.Ilplissesesyeuxcruelssansrelâchersonétreinte.—Tulejures?—JetelejuresurlatombedemonchienBeebop!Ilmepinceunedernièrefois,mefaisantgrimaceretserrerlesdents,puismelâcheenfin.Ils’assied
alors sur le lit et enroule mes jambes autour de sa taille. Il se penche en avant et apaise mes seinsdouloureuxduboutdelalangueavantdelessuçoter.
—Çavamieux?medemande-t-ilenmeregardantdroitdanslesyeux.—Beaucoupmieux,chuchoté-je.Puisilm’embrassesurlaboucheetmefaittendrementl’amour.Nousnousendormonsensuite,lovés
l’uncontrel’autre,peuaprès3heuresdumatin.
11
CAMRYN
JEPENSAISHÉRITERD’UNEGUEULEDEBOISDIXFOISPIREQUECELLEQUIMETIRAILLECEMATIN.AVANTHIER soir, je n’avais plus bu depuis desmois,mais je nem’en plains pas. Je roule sur le côté et, endécouvrantsur le réveilqu’Andrewdevraitêtreà l’aéroportdepuisunebonneheureetdemie, j’ouvredesyeuxcommedessoucoupesetmeredressecommeundiabledanssaboîte.
—Andrew!dis-jeenlesecouant.Ilgrogneensemettantsurledos,entrouvrantàpeinelespaupières.Il tendlebrasetessaiedeme
forceràmerallongerpourpouvoirserendormir,maisjelerepousse.—Lève-toi.Tuasratétonavion.Son seul réflexe est d’ouvrir des yeux aussi ronds que les miens ; puis, à mesure que la réalité
s’insinuedanssonesprit,lerestedesoncorpssemetenaction.—Merde!Merde!Merde!Ilbondithorsdulitetseretrouve,nu,aumilieudelapièce.Jenemelasseraijamaisdeleregarder–àpoilouhabillé,mêmecombat.Jen’arrivetoujourspasà
comprendreparquelmiracle jepartagesavie. Il se frotte levisagedesdeuxmains,puisse lespassedans les cheveux avant de se gratter la nuque,mettant en évidence sesmuscles bien dessinés. Puis ilpousseunlongsoupirrésigné.
—Jevaisdevoirchangerdevol.Jesorsdulitetramassemarobedechambrequitraîneparterrepourpouvoirmerendreàlasallede
bains.—Même si ça nemegêne pas de rester ici quelques heures de plus, précise-t-il en s’approchant
derrièremoi.—Jenesaispas,Andrew.(Jenouelecordondemonpeignoir.)J’avaisunpeuhâted’êtretranquille.Commejesuisdosàlui,ilnepeutpasvoirmonlargesourire.Unprofondsilences’abatsurlachambre.—Tuessérieuse?Enentendantsastupeur,jenepeuxm’empêcherd’éclaterderire.Jefaisvolte-faceetl’embrassesur
labouche.—Bien sûr quenon.D’ailleurs, c’est peut-êtremoi qui ai éteint le réveil. Peut-être que tout était
prémédité.Manifestementsoulagé,ilm’embrasseàsontouretcontournelelitpourretrouversonboxer.
—Tuasvraimentfaitça?medemande-t-ilenl’enfilant.—Non.Maisj’auraisdûypenser.Jem’ensouviendrailaprochainefois.Tuveuxprendretadouche
avecmoi?Précisémentàcetinstant,onfrappeàmaporte.Sachantqu’ils’agitsansdoutedemamère,Andrew
seraiditlégèrementets’empressedes’asseoirsurlelitpoursecouvrir.J’ouvre laportesurmamèredans toutesasplendeurdeblondedécolorée.Elleporteunchemisier
rosepâleetunpeudefardàjouesassorti.—Tuesdebout?demande-t-elle.Non,maman,jesuissomnambule.Elleenadebonnes,parfois.Je remarque immédiatement le regard qu’elle adresse àAndrew.Elle nous a déjà fait part de son
inquiétudequantaufaitdemevoirretomberenceintetroptôt,maisellenes’attendtoutdemêmepasàcequ’oncessedefairel’amour?C’estpeut-êtrecequ’elleespère,maisçanerisquepasd’arriver!
Ellem’adresseunsouriretimidepuisdemande:—Tuveuxm’accompagnerchezBrenda,aujourd’hui?Carrémentpas.J’adore ma tante Brenda, mais j’apprécie beaucoup moins de mourir asphyxiée dans sa maison
saturéedefuméedecigarette.—Non,j’aidestrucsprévusavecNatalie.Enréalité,jen’airienprévudutout,maispassons.—Ahbon,d’accord.Ehbien…(EllesetournedenouveauversAndrew,puisversmoi.)Jecroyais
qu’ilrepartaitpourleTexasdanslamatinée?Jeresserrelaceinturedemonpeignoiretcroiselesbras.—Ouais,onnes’estpasréveillés,maisilvaprendreunvolplustard.Mamèrehochelatête,puisluiadresseunderniercoupd’œil.Ellesefendd’unlégersourire,qu’il
luiretourne.Bizarre.ElleaimevraimentbienAndrew,maisn’apasl’habitudequ’ungarçondormedansmachambre,mêmes’ilestlàdepuisdeuxsemaines.Sijen’allaispasbientôtavoirvingtetunansetsinousn’étionspasfiancés,iln’auraitjamaiseuledroitdemettrelespiedsici.D’unautrecôté,ellesaitquenousnousaimons,etaprèscequis’estpasséaveclebébé,elleestsoulagéequ’ilsoitlàpourmoi.Néanmoins,celarestebizarre.Pournoustous.Ouais,Andrewetmoiallonsvraimentdevoirnoustrouverunappart.
Un appart à nous… ici, à Raleigh. J’ai soudain l’impression qu’un poids colossal m’écrase lapoitrine.
Mamèrefinitparsortirde lapièce,et jemetourneversAndrew,quisemble toujoursaussimalàl’aiseavecsondrapsurlesgenoux.
Mêmesijemerendsbiencomptequel’envieluiestpassée,jeproposeàtouthasard:—Tuveuxprendretadoucheavecmoi?Iltressaille.—Non,j’iraiaprès.Sagêneadolescentemefaitpouffer.Puisjemeradoucis.—Jevaischercherunappartpendantleweek-end.C’estpromis.Ilselève.—Dis-moi,situveuxquejefasselesvisitesavectoi.Jet’aiproposédelesfaireavecNataliepour
quetuneteretrouvespastouteseulependantmonabsence.Tusais,histoiredeluidemandersonavissurlacouleurdesvoilagesettoutça.
J’éclatederire.—Jenevaispasacheterdevoilages,affirmé-je.Des rideaux,à la rigueur,mais lesvoilagessont
pourlesdécorateursd’intérieuroulesrichescouguars.Ilsecouela têteenmeregardantquitter lachambretandisquejeprendsladirectiondelasallede
bains.Je suis partagée entre Jekyll et Hyde. En permanence. Quand je suis avec Andrew, je suis toute
souriante, sansavoir àme forcer. Je suisheureuse. Je crois.Maisdèsque jeme retrouve seule, c’estcommesijemetransformaisenuneautrepersonne.J’ail’impressionqu’unêtreinvisiblesetientderrièremoienpermanence,etjoueavecunesaloperied’interrupteurquimedérèglelecerveau.Off.On.Off.On.O…Non,On.
Je m’assieds dans la baignoire, les genoux ramenés contre la poitrine, et je laisse couler l’eaubrûlantependantdelonguesminutes.Jepenseàcetinévitableappartementquejesuisobligéedetrouver,àlabonnesoiréepasséehieràL’Underground,àlatonnedelingesalequejedoiscommenceràlaver,etaulogoquis’effacesurledessusdusavon.Quandl’eaurefroidittoutàcoup,lebrusquechangementdetempératuremetiredemarêverieetjeprendsconsciencequejesuislàdepuisuneéternité.Jeneprendsmêmepaslapeinedemeraserlesjambesavantdesortir,évitantvolontairementletapisdebaindontjedéteste lecontactsous lespieds. Je laisse tomberdessusuneserviettepropreetmeplante làpourmecontemplerdanslemiroir.J’entreprendsmachinalementdecompterlenombredetachesdedentifricequiconstellentlaglace.Jem’arrêteàquatorze.
J’ouvre l’armoire à pharmacie, farfouille parmi les flacons et les emballages enquête d’uneboîted’Advil.Parchance,deuxcachetsdevraientsuffireàmelibérerdemapseudo-gueuledebois.Jetrouveenfinmonbonheurderrièredestubesorangeportantlesconsignesdumédecin.Jedéchiffreuneétiquette.
Oxycodone7.5–Unepiluletouteslessixheuresencasdedouleur–NancyLillard.J’ignorepourquoimamères’estfaitprescriredesanalgésiques,qu’ellen’amanifestementpaspris,
mais je sais qu’elle a des problèmes de dos depuis quelque temps, alors peut-être qu’elle s’est enfinrésolue à aller voir un médecin. Ou qu’elle s’est transformée en criminelle et profite de son statutd’infirmièrelibéralepouracheterdesmédocspardesmoyensdétournés.
C’estpeuprobable,étantdonnéquece flaconaétéacheté ilyaunmoisetqu’ilestencoreplein.C’esttoujourslamêmemamanquej’aiconnuetoutemavieetquirechigneàavalerautrechosequelesproduitsinoffensifsqu’ontrouveenparapharmacie.
Jem’apprêteàreposerleflacon,maismeravise.Çanepeutpasfairedemal.J’aimalàlatête,onpeutbienqualifierçadedouleur,non?Si.Jepousselecapuchonet lefais tournerpourl’ouvrir,puisinclineletubepourmefairetomberuncachetdanslecreuxdelamain.Jel’avaleavecunegorgéed’eau,m’essuie le corps et enroulemes cheveux dans une serviette. J’enfile alorsmon peignoir, en noue laceintureetretournedanslachambrepourm’habiller.J’entendsAndrewdiscuterdanslacuisine,maissontondécontractém’indiquequ’ilneparlepasavecmamère.Ildoitêtreautéléphone.L’entendreévoquersonfrèreAshermeconfortedansmonopinion.
J’auraisencoredûpasserunsavonàNataliesic’étaitellequil’avaitappelé.Ilfautvraimentqu’ellearrêtedes’inquiéterpourmoietdecontacterAndrewdansmondos.
Aprèsm’êtrepeignée,jevaislerejoindredanslacuisine.—Jesais,frérot,maisjenepensepasquecesoitunebonneidéepourl’instant.(Jeralentislepas
pournepas l’interrompre trop tôt.)Ouais.Ouais.Non, ellevamieux.Ellen’est clairementplusaussibouleverséequ’aprèslapremièresemaine.Mmm,mmm.
Je jetteuncoupd’œilpar laporteet ledécouvredeboutdevant lebar, le téléphoneà l’oreille,samain libre reposant sur le comptoir. Il hoche la tête de temps à autre, écoutant patiemment son
interlocuteur,quejedevineêtreAidan.Encoreunefois,monintuitions’avère:—RemerciebienMichellepoursaproposition.Onviendrapeut-êtrevousrendrevisitedansunmois
oudeux,quandCamrynauraeuletempsde…Non,plutôtauprintemps.IlfaitvraimenttropfroidpourmoiàChicagodurantl’hiver.
Iléclatederireavantd’ajouter:—Putain,non!Àtonavis,pourquoijepréfèreleTexas?Ils’esclaffedenouveau.Jefinisparentrerpourdebondanslapièce,etilm’aperçoit.—J’aimeraisbienyaller,annoncé-je.Andrewmecontemplesansriendirependantuninstant,puisinterromptsonfrère:—Une seconde,Aidan. (Il couvre lemicro du téléphone pour s’adresser àmoi.) Tu veux aller à
Chicago?Celasemblelesurprendre.—Biensûr,réponds-jeensouriant.Çaseraitsympa.Ilsemble toutd’abordréfléchiràquelquechose.Peut-êtrequ’ilnemecroitpas,oupeut-êtrequ’il
essaied’envisagerlachoseetnevoitquebourrasquesdeventetdeneige.Puissonvisages’illumine,etilhochelentementlatête.
—D’accord,dit-il.(Aprèsunecourtehésitation,ilreprendletéléphone.)Aidan,jeterappelleplustard,d’accord?Ouais.OK.Àplus.
Ilfaitglissersesdoigtssurl’écranpourraccrocher.Puisilm’observedenouveau.—Tuessûre?Jecroyaisquetuvoulaisrestericiquelquetemps?J’approchedufrigopourensortirunepetitebouteilledejusd’orange.—Oui,jesuissûre,dis-jeenenavalantunegorgée.C’étaituneidéedeMichelle?Ilacquiesce.—Ouais.Aidanm’aditqu’elles’inquiétaitpourtoi.Elleaproposédenousaccueillirquelquesjours
sionvoulait.Jeboisunenouvellegorgéeetposelabouteillesurlecomptoir.—Elles’inquiètepourmoi?Ehbien,c’estgentildesapart,maisj’espèrequesionyva,jeneme
retrouveraipasdanslamêmesituationqu’iciavecNatalie.Andrewsecouelatête.—Nan,cen’estpas legenredeMichelle.Ellen’a rienàvoir avecNatalie, insiste-t-ilpourbien
marquerladifférenceentrelesdeux.—Cen’estpascequejevoulaisdire,Andrew.—Jesais,jesais.Maisfranchement,c’estunefillebien.Jelaconnaissuffisammentpoursavoirqu’ilaraison.Puisl’effetducachetsefaitbrusquementsentir,et j’ai l’impressiondeneplusavoirlatêtesurles
épaules.Jesuisparcouruedefourmillementsdespiedsjusqu’ausommetducrâne.Ilmefautunesecondepouryvoirclair.Jem’accrocheinstinctivementaucomptoirpourmeretenir.
—Waouh.J’avalebruyammentmasaliveetmeforceàclignerplusieursfoisdespaupières.Andrewm’observed’unairméfiant.—Çava?J’ouvresigrandlabouchepoursourirequejesenslafraîcheurdel’airsurmesdents.—Ouais,çavacarrémentbien.Ilinclinelatêtedecôté.
—Parcequejenet’aiplusvuesouriredelasortedepuisquejet’aipassélabagueaudoigt.Luiaussisouritplusoumoins,maislacuriositél’emportesurl’amusement.Jemetsmabaguedefiançaillesbienenvuepourpouvoirl’admirer,mêmesielleacoûtémoinsde
100dollarsetqu’elleauraitparuinsignifianteàlaplupartdesfiancéesdecepays.Jel’avaisrepéréeunjourdansunpetitmagasinauTexas,etjem’étaisfendued’uncommentaireinnocentsurlefaitquejelatrouvaisjolie.
—Jel’adore,avais-jedéclaréenl’inclinantdemanièrequelesoleilsereflètedessus.Elleesttoutesimple,etpourtantellen’estpascommelesautres.
Jel’avaisrendueàlafemmedumagasin,quil’avaitremisedanssavitrine.—Quoi,tun’espaslegenredefilleàadorerlesdiamants?m’avaitinterrogéeAndrew.Tuneveux
pasd’uncaillousigrosqu’iltefaudraitunebrouettepourletransporter?—Pasquestion!m’étais-jeesclaffée.Cenesontquedescoquillesvides.Leseultrucquicompte,
avec ces bagues, c’est le nombre de zéros sur l’étiquette. (Nous étions sortis de la bijouterie tout endevisant.)Non,jesuiscomplètementd’accordaveccequetum’asditunjour.
—Qu’est-cequejet’aidit?Jel’avaisprisparlamainentournantàgaucheaucoindelaruepourrejoindrelecafé.—Plusc’estsimple,plusc’estsexy.(J’avaisposé la têtesursonépaule.)Tum’asditçachez ton
père,pourm’expliquerpourquoijenedevaispaspasseruneheureàmemaquilleroumecoiffer.Ilavaitsourienrepensantàcettejournée,puism’avaitserréecontrelui.—Ahouais,j’aiditça?«Plusc’estsimple,plusc’estsexy.»Ehbien,j’avaisraison.—Etenplus,elleestbelle.Lelendemain,Andrewétaitrentréàlamaisonaveclamêmebagueetmel’avaittendue.Puis,faisant
çadanslesrègles,bienquedefaçonunpeuthéâtrale,ilavaitmisungenouàterreetavaitdéclaré:—CamrynMarybethBennett, laplusbellefemmedecetteplanèteet futuremèredemonbébé,me
ferais-tul’honneurdem’épouser?J’avaissourietl’avaisgratifiéd’unregardcirconspectavantderépliquer:—Decetteplanèteseulement?Ilavaitcilléavantderépondre,leplussérieusementdumonde:—Ehbien,jen’aiencorejamaisrencontrélesfemmesdesautresplanètes…Ni luinimoin’avionspuréprimernotre fourire.Puis ilavait soudain recouvrésoncalme,cequi
m’avaitimmédiatementdégrisée.—Veux-tum’épouser?Jem’étaismiseàpleurercommeuneMadeleine.Lelongbaiserquejeluiavaisdonné,etquinous
avaitétrangementfaitbasculertousdeuxsurlamoquette,étaitplusexplicitequ’unmillionde«oui».Biensûr, ilm’avaitdéjàdemandéeenmariage le jouroù je luiavaisannoncéque j’étaisenceinte,
maisilyavaitmislesformes,cettefois,etjamaisjen’oublieraicetinstant.—Allô,ilyaquelqu’unlà-dedans?Andrewm’agiteunemaindevantlafigure.Je suis brusquement happée dans le présent, planant plus haut qu’un cerf-volant à cause de mon
cacheton.Etjemerendsbrusquementcomptequejedoismereprendresijeneveuxpasqu’ilsedoutedequelquechose.
12
ANDREW
J’IMAGINEQUELESSAUTESD’HUMEURPERDURENTMÊMEAPRÈS…EHBIEN,APRÈSLAGROSSESSE.ENMOINSd’uneheure,CamrynestpasséedetraînerlessavatesdansunmondemaussadeàgambadergaiementaupaysdesBisounours.Maisaumoins,elleparaîtheureuse,etloindemoil’idéedevouloirjugersafaçondel’exprimer.
Cependant,lefaitqu’elleveuillesubitementquitterRaleighpourserendredansuntoutautreendroit,neserait-cequepourunweek-end,mesembleétrange.Jenepeuxm’empêcherdedemander:
—Pourquoisitôt?Enfin,jesuispourqu’onyaillesituenasvraimentenvie,maisjepensaisquetuvoulaisresterici,trouverunappartettoutça?
—Ehbien,oui…,répond-elledemanièrepeuconvaincante.(Ellearboretoujourscesouriredistraitsibizarre.)Maisjemedisaisqu’ilvalaitmieuxyallertantqu’onenavaitl’occasion,parcequequandj’auraitrouvéunboulotici,jenesaispassij’auraiencorebeaucoupdetempslibrelesweek-ends.
Ellecroiselesmainsdevantsonventre,sesdoigtstapotantnerveusementsursesjointures,commesielleavaitlabougeotte.
—Est-cequetu…Je m’interromps. Je ne vais pas faire ce qu’elle affirme vouloir nous voir tous cesser de faire :
m’inquiéter pour elle en permanence et lui demander si elle va bien toutes les cinq minutes. Je mecontentedoncdesourireavantdedéclarer:
—JevaisrappelerAidanpourleurdirequ’onpasseralesvoirceweek-end.J’attendsqu’ellevalide leplanning,ouqu’elles’yoppose,etcommeellene faitni l’unni l’autre,
j’ajoute:—DoncçanesertàrienquejerentrecherchernosaffairesauTexasavantleretourdeChicago.Ils’agitenréalitéd’unequestion.Jedoisbienavouerquenepassavoiroùjemetrouveraidemain
commenceàmefairetournerlatête.Çan’arienàvoiravecnotretempspassésurlaroute,àprofiterdumomentprésentetà redéfinirquotidiennement lemot«spontanéité».Aumoins,notrebutde l’époqueétait justement de ne pas savoir de quoi le lendemain serait fait.Alors qu’aujourd’hui, je ne suis pascertaindecomprendrecequisetrame.
Ellefinitparacquiescerettireunechaisedecuisine,oùellenes’assiedhabituellementjamais,saufpourprendresonpetitdéjeuner.Là,elledonnejustel’impressiond’avoirbesoindeseposer.
—Attends, lui dis-je soudain.Tu es sûreque c’est bienun appart que tuveux ?Onpeut aussi setrouverunepetitemaisonquelquepart.
J’imaginequec’estmafaçond’allerà lapêcheaux infos,sansavoirà luidemander :«Qu’est-cequ’ilya?»
Ellesecouelatête.—Non,Andrew,çanemedérangepasdutoutd’habiterenappartement.Jen’aiaucunproblèmeavec
ça.Etpuis, jenevaispastelaisserdilapidertonhéritagepouracheterunebaraquedansuncoinoùtun’aspaschoisid’éliredomicile.
Jem’installesur lachaisevoisineetpose lesbrassur la table.Je lacontempled’unairquienditlong.
—Jetesuivraisn’importeoù.Tulesais.Tantquetunemedemandespasd’acheterunigloodansl’Arctiqueoud’emménageràDétroit,toutmeva.Etcequejefaisdemonhéritageneconcernequemoi.Detoutefaçon,oùveux-tuquejeclaqueunetellesommed’argent,sicen’estdansunemaison?C’estcequetoutlemondefait.Lamortprofitetoujoursauxpromoteursimmobiliers.
Nousdisposonsd’unmatelasde550000$quemonpèrem’aléguéendisparaissant.Mesfrèresenonteuautant.Çafaitbeaucoupd’argent,etj’aidesgoûtstrèssimples.Àquoid’autrepourraitmeservirtout ce pognon ? Si Camryn n’était pas entrée dans ma vie, je vivrais dans une modeste bicoque àGalvestonetmeferaisdesplateaux-téléàbasedenouilleschinoises.JecontinueraisàpayermesfacturesetàbosserpourBillyFrank,parcequej’adorel’odeurducambouis.Camrynestaussipeudispendieusequemoi,cequirendnotrerelationsiparfaite.Enrevanche,celam’agaceparfoisqu’ellen’arrivepasàaccepter le fait quemonargent soit aussi sonargent.Ellen’amêmepasvoulume laisser renflouer lecompte qu’elle a utilisé lors de notre road-trip : six cents dollars sur un livret que son père lui avaitouvertencasd’urgence.Elles’estobstinéeàtoutcompenserelle-même.EtcesursapartdescachetsquenousavonstouchésenjouantauLevy’s.
S’il y a un truc quime gêne, chez elle, c’est bien ça. Jem’occuperai d’elle quoi qu’il advienne,qu’elleleveuilleounon.Ilvabienfalloirqu’elles’yfasse.
—AllonspasserquelquesjoursàChicagoet,ànotreretour,oniravoirdesmaisons.Ensemble.Jemelèveetrepoussemachaisesouslatable,commepourindiquerqueledébatestclos.Ellesemblesurprise,maispasdanslebonsensduterme.Sonsourires’estompe.—Non,situveuxqu’onachèteunemaison,ilfautd’abordquej’économise…Jel’interrompsd’ungesteimpatient.—Arrêtedoncd’êtreaussitêtue.Si«tamoitié»denosdépensest’importetant,tun’aurasqu’àme
payerennatureetenmefaisantunstripteasedetempsentemps.Elleouvregrandlaboucheetécarquillelesyeux.—Quoi?!(Sonéclatderiretrahitbientôtsaminefaussementoffusquée.)Jenesuispasunepute!Elleselèveetabatdoucementsapaumesurlatable,maisjesoupçonnequecesoitdavantagepour
garderl’équilibrequepourprotester.Jesourisettournelestalons.—Celle-là,tul’asbiencherchée.Unefoisàlaporte,jeluiadresseunrapidecoupd’œilpourm’assurerqu’ellen’apasbougé,toujours
sousl’effetdelasurprise.—Ettuserascequejetedis!luilancé-jeenm’éloignant.Iln’yariendemalàêtremapute!Jel’entendsquiseruesurmoi.Jem’élanceàtraverslesalon,bondispar-dessusledossierducanapé
comme un putain de ninja, puis sors par la porte du fond sans parvenir à la semer. Ses rires et seshurlementsperçantssonttoujoursdansmonsillage.
NotreavionatterritàO’Harelevendredienfind’après-midi.Parchance, iln’yapasunmètrede
neigeausol.Quandj’aiditàCamrynquejelasuivraisn’importeoù,çan’étaitpastoutàfaitvrai:jeplaiderais farouchement ma cause si elle décidait de s’installer dans un endroit où les hivers sonthabituellementfroidsetneigeux.Jedétesteça.Dufondducœur.Cettefois,c’estmoiquisuisenpleineextase,endécouvrantunpaysagedépourvudeneigeetunetempératureextérieurededouzedegrés.C’estassez doux pour la saison, à Chicago, et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Le réchauffementclimatique?Çan’apasquedesmauvaiscôtés.
Aidannousattenddansleterminal.—Çafaitunbail,frangin,luidis-jeenluiserrantlamainavantdeleprendredansmesbras.IlmetapedansledosàplusieursreprisesavantdesetournerversCamryn.—Contentdeterevoir,luidit-il.Ellel’étreintfermement.—Moiaussi.Mercidenousavoirinvités.—Ehbien, tout lemériteen revientà la ténacitédemonépouse, réplique-t-ilavantdehausserun
sourcil.Cequineveutpasdirequejenevoulaispasvousvoir,hein?Illuiadresseunclind’œil.Ellerougitlégèrement,etjeluiprendslamain.Michellenousapréparéàdîner.C’estunecuisinièrehorspair.Etellealesmêmesgoûtsculinaires
qu’Aidan et moi, je ne suis donc pas surpris de découvrir de gros cheeseburgers bien gras avecsupplémentfromagepourlesgourmets.Etdelabière.Mevoilàauparadis.
Nousmangeonstouslesquatredevantl’écrangéantdutéléviseurdemonfrangin,etnousdiscutonsdetoutetderiendurantlesséquenceslesplusennuyeusesdufilm.Ànotrearrivée,j’étaislégèrementinquietd’entendreAidan ouMichelle aborder un sujet lié de près ou de loin à la fausse couche deCamryn.Mêmesijesavaisaufonddemoiqu’ilsnecommettraientpaspareillemaladresse.Enlesregardant,jemedemandemêmesilaquestionleurtrottedansuncoindelatête.ConnaissantAidan,j’endoute.Iléviteautant que faire se peut les sujets trop sérieux. Quant àMichelle, elle joue son rôle à la perfection,s’assurant demettre Camryn complètement à l’aise sans lui donner lamoindre raison de penser à cequ’ellevoudraitoublier.
Enoutre, jen’ai jamaisvuCamrynaussibienavecNataliequ’avecMichelleencet instant, jen’aidonc pas àme plaindre. Finalement, ce petit voyage improvisé pourrait se révéler plus positif que jen’avaisosél’imaginer.
Aucoursdel’unedenosconversations,Aidanbasculelatêteenarrièreetéclatederire.Jenemelasseraijamaisdecegenredemomentavecl’undemesfrères.
—Ouais,Andrewétaitfinbourréquandcerecruteurdemannequinsestvenuletrouverdansmonbarcesoir-là,explique-t-ilàCamrynalorsquejenecessedeleverlesyeuxauciel.
Etvoilà,Aidans’apprêteunefoisdeplusàexagérerconsidérablementl’événement.Camrynarboreunsourirejusqu’auxoreilles,etjemedoutequ’ellejubiledemevoirmedandinerainsiàcôtéd’elle.
—Ce type s’est installé sur le tabouret voisin du sien et lui a dit qu’il avait « le look ». (Aidansecouelatête,hilare.)Etsansmêmeluilaisserletempsdefinirsaphrase,AndrewsetourneversluietluibalanceavecunairdeCharlesManson:«Ehmec,jerêve,outuviensdebouffermescacahouètes?»Si tu avais vu sa tronche… Il était complètement paniqué, et s’est même reculé comme s’il pensaitqu’Andrewallaitlefrapper.
CamrynetMichelles’esclaffentenchœur.— Puis il a sorti sa carte de visite et la lui a tendue en disant : « Tu as déjà pensé à faire du
mannequinat?»Andrewl’aregardéesanslaprendre.—Si,jel’aiprise,interviens-je.
Aidanm’adresseunsourirenarquois.—Ouais,maispasavantdeluiavoirrétorquéavecbeaucoupd’éloquencequetunepourraisjamais
êtremannequin,parceque«c’estpourlesmecsquin’ontpasdecouilles».—Oh,arrêteunpeu,Aidan,l’interromps-jeavantdeboireunegorgéedebière.—Pourquoijenet’aiencorejamaisvuaussibourré?m’interrogeCamryn.Elle n’arrête pas de se fendre la poire, se délectant de chaque instant ; sa bonne humeur est
communicative.Jecaresseduboutdesdoigtssalonguetresseblonde.—Ehbien,commencé-je,toutsimplementparcequej’aimûridepuiscejour-là.Michelleétouffeunricanement.—Eh!m’exclamé-jeenmetournantverselle.Tupeuxparler,Michelle!Ladernièrefoisquejesuis
venuici,jet’aivuedanseraubarcommeunestripteaseuseavecuncoupdanslenez.Elleenrestebouchebée.—Jenefaispasdestrip,Andrew!Aidanéclatederireetavaleunebonnerasadedebière.—Jenesaispas,maissijen’avaispasétélàcesoir-là,onseraitpeut-êtredivorcésàl’heurequ’il
est.Michelleluiassèneungrandcoupdecoussinsurlecrâne.—Jenemesuispasdéshabillée!insiste-t-elleengloussant.Aidan,quel’assautn’amanifestementpascalmé,semarretoujoursautant.Camrynaussi.Jemeperdsunmomentdanslacontemplationdesonsourire,ravideconstaterqu’elle
passeunsibonmoment.Michelleajoute:—Vousêtesvraimentintenablesquandvousêtesensemble.—Eh,lefaitquetusoismariéeaucrétindugroupefaitdetoilaproieidéale.—Ouais,renchéritAidan.Maisestime-toiheureusequ’Ashernesoitpaslà,parcequ’ilcachebien
sonjeu.Ohqueoui!Cepetitmerdeuxpeutêtresacrémentretorsquandilestenforme.Michelledécroiselesjambesetselèvepourdébarrasserlatablebasse.Camrynl’imiteaussitôt.—Crois-moi,jesuisuneParrishdepuissuffisammentlongtempspourm’enêtrerenducompte.ElleempilelesassiettestandisqueCamrynrécupèrelesserviettesetlesbouteillesdebièrevides.—Pourquoi tu ne dis rien, Camryn ? reprendAidan depuis le canapé. Tu n’es certes pas encore
mariéeàmonfrère,maistuleseraspeut-êtrebientôt,cequifaitaussidetoiunevictimepotentielle.Iltendsabièreversellecommepourporteruntoast,puislaporteàseslèvresavecunsouriretaquin.Mon frère est brillant. S’il n’était pas si moche, je l’embrasserais sur la bouche. Je ne voudrais
surtoutpasqueCamrynsesenteexcluedelaconversation.—Alors,jesuiscontentequetun’aiespasencorededossiersurmoi,réplique-t-elleavecunsourire
encoin.—Pasencore,répète-t-ileninsistantlourdementsurlecaractèreinéluctabledecederniermot.Mais
prépare-toiàunsacrébizutage!CamrynfaituneadorablemoueetsuitMichellejusquedanslacuisine.
13
CAMRYN
—C’ESTVRAIMENTSYMPADENOUSAVOIRINVITÉS,DIS-JEÀMICHELLETOUTENJETANTLESBOUTEILLESVIDES.
Elleposesurlecomptoirlapetitepiled’assiettesetentreprenddelesrinceravantdelesmettredanslelave-vaisselle.
— C’est normal, m’assure-t-elle avec un sourire. Pour être honnête, j’avais besoin d’un peu decompagnie.Jesuisassezstressée,encemoment.
Ellecontinueàremplirlecompartimentdubas.Jemerapproched’elleetviensm’adossercontreleplan de travail, les bras croisés.Me dit-elle ça pour m’encourager à l’interroger ? Je n’en suis pascertaine,maismesenssuffisammentàl’aiseavecellepourtenterlecoup.
—C’esttonjobquitepréoccupe?Lavraiequestionest:«ToutvabienentreAidanettoi?»,surtoutaprèscequeMarnanousaraconté
surleursproblèmesdeménage,maisjepréfèreprendredespincettes.Sonsourires’étiretandisqu’ellerinceladernièreassiette.—Non,aucontraire,jecroisquetravailleràlacliniquemesertdethérapie.Jerestesilencieuse,àl’écoute.—C’estlebarquipompebeaucoupd’énergieàAidan,cesdernierstemps,reprend-elle.Maisc’est
uniquementsafaute.Ilaplusd’employésqu’iln’enfautpourfairetournerlamachine,maisilpasseuntempsfouàgérerdeschosesqu’ildevraitconfieràseséquipes.
Jel’observeaveccuriosité.—Pourquoi?Elle referme lamachine et jetteun coupd’œil vers laporte enplein cintrequimène au salon, où
AidanetAndrewdiscutentets’esclaffentenponctuantnombredeleursphrasespar«merde,frérot,j’ycroispas».Elleseretournealorsversmoiavantdeseconfieràmi-voix:
—Ilm’enveut.Elle détourne alors la tête et se sèche les mains sur le torchon suspendu à la porte de placard
surplombantleplandetravail.C’est tout ? Je ne dis rien pendant quelques secondes, au cas où elle marque une pause
particulièrement prolongée,mais elle ne poursuit pas.Ce quime contrarie un peu. Puis, soudain, elledéclare:
— Je ne devrais pas t’embêter avec ça. Pas après tout ce qu’Andrew et toi avez enduré. Je suisnavrée.
—Non,Michelle,dis-jepourlarassurer.Jesuislàpourt’écouter.Pouruneraisonquim’échappe,lefaitqu’elleévoque«toutcequ’Andrewetmoiavonsenduré»me
dérangemoinsquequandcelavientdequelqu’und’autre.Peut-êtreparcequejesaisqu’ellenecherchepas àme tirer les vers du nez, et qu’elle n’a pas peur de se comporter normalement avecmoi. Pourl’heure,iln’estquestionquedeMichelle,etjetiensàêtrelàpourelle.
Ellehésite,lanceunnouveaucoupd’œilverslesalon,puispousseunsoupir.—Ilveutdesenfants,m’avoue-t-elle.(Jeressenscommeunpincementaucœur,maisn’enlaisserien
transparaître.)Etmoiaussi,mais…pasmaintenant.—Oh,jevois.(J’acquiesceetprendsletempsderéfléchiràlasituation.)Ehbien,çapourraitêtre
pire. Ce n’est pas comme s’il avait une liaison, ou comme s’il s’était mis à fabriquer de laméthamphétamineausous-sol.
Michelleéclated’unrirediscretetraccrocheletorchonàsapoignée.—Tuasraison,admet-elle,légèrementdéridée.Jen’yavaisjamaisréfléchisouscetangle.J’aurais
aumoins aimé avoir trois ans de plus. En tant que pédiatre, je passemes journées avec des enfants.J’adoreça.C’estindispensablepourexercercemétier;celadit,j’aiaussiuneconscienceaccruedelaresponsabilité que c’est d’en élever un. Pour Aidan, ça se limite à l’inscrire au foot et à l’emmenercamper,tuvoislegenre?
Jepouffedoucement.—Ouais.Jemedemande si elle neme racontepas tout çapour tâcherd’apaisermapeine, enme rappelant
combien il est difficile d’avoir unbébé. Je pense que jeme fais des idées.Étant donné la nature desproblèmesqu’ellerencontreavecAidan,ellepourraitdifficilements’ouvriràmoisansentrerdanscesconsidérations.
—Alors,dis-moi:commentsepasselarééducationd’Andrew?L’atmosphèresedétendimmédiatementdanslapièce,commesinousrespirionstoutesdeuxbeaucoup
mieuxmaintenantquelesujetsensibleaététraité.—Ilaeuquelquesfaiblessesmusculairesaudébut,maisilseportecommeuncharme.Ilneretourne
presquepluschezlekiné.Michellehochelatête.Ellem’offreunechaiseets’installesuruneautre.—Tantmieux,dit-elleavantqu’unsilencegênés’installe.AidanetAndrewymettentuntermeendébarquanttousdeuxdanslacuisine.Aidanfoncedroitvers
lefrigo,tandisqu’Andrewselaisselourdementtombersurmesgenoux.—An-drew!gémis-jedansunéclatderiretoutententantenvaindelerepousser.Ilfautvraiment
quetuperdesdupoids.Arrête,chéri,tum’écrases!Ilpivotedeprofiletmejetteunregardencoinavantdemeserrerlevisageentresesmainsetdeme
planterunbaiserbruyantentrelesdeuxyeux.—Bougedelà!crié-je.(Ilobtempèreenfin.)Tuaslesosduculpointus.Jememasselescuissespourenchasserladouleur.Biensûr,sonculestloind’êtreosseux,maisson
regardoutrévalaitbiencepetitmensonge.—Devraisgamins!déploreMichelledepuisl’évier.Jenel’aimêmepasvueserelever.Aidanfermelefrigo,unebièreà lamain,ets’assiedsur lachaise laisséevacanteparsonépouse.
Andrewmesoulèvecommeunsacdeplumespourmevolermaplace,puisilmereposedanssongiron.—C’estmieuxcommeça,déclaré-je.Ilrefermelesbrasautourdemataille.
—Bon,onadiscutéavecAidan.Oh,oh,çacommencemal.—Ahouais?m’enquiers-jed’unairméfiant,enscrutantAidanpuisqueAndrewsetrouvederrière
moi.—Çapromet,semoqueMichelle,unehancheappuyéecontreleplandetravail.Aidanposesabouteillesurlatableets’explique:—Est-cequeçavousdiraitdejouerdansmonbardemainsoir?C’estlasoiréelapluschargéedela
semaine.Etlesmorceauxquevousreprenezcollentparfaitementaveccequ’aimentmesclients.Jen’aijamaisétéaussinerveusedepuisqu’Andrewm’afaitmontersurscènepourlapremièrefois
auOldPoint,àLaNouvelle-Orléans.Sansdoutelefaitdenousproduiredevantsafamille.C’estquandmêmemoinsflippantdese lancerdevantunefouled’inconnusqu’onnereverrasansdoute jamais.Là,j’aidesnœudsauventrerienqued’ypenser.
—Jenesaispas…Andrewm’étreintlégèrementplusfort.—Oh,allez,dit-ilpourm’encouragersansparaîtretropinsistant.Insiste,Andrew!Arrêtedeprendredespincettes !Comporte-toicomme tu l’as faitquand tum’as
pousséeàchangercetteputainderoueouàgrimpersurletoitdetavoituresousl’averse!—Allez,reprendAidanenécho.Andrewm’aditquetuchantaissuperbien.Jem’empourpreetgrimaceenmêmetemps.—Ehbien,iln’estpastoutàfaitobjectif,tunedevraispaslecroiresurparole.— Je trouve que c’est une idée géniale, intervient Michelle en venant s’installer sur les genoux
d’Aidan.Illuitapejoyeusementlescuissesdesdeuxmains,commeAndrewlefaitsisouventavecmoi.Aidan
neluiressemblepasautantqu’Asher,maisvutousleurspointscommuns,iln’estpasdifficilededevinerqu’ilssontfrères.
J’y réfléchis un instant, puis me tourne vers Andrew et croise les doigts derrière sa nuque. Sonsourires’étired’uneoreilleàl’autre.Commentluirésister?
—Bon,d’accord,cédé-je.Jevaislefaire.Maisc’estmoiquichoisisleschansons.Aidanacquiesce.—Toutcequetuvoudras,meprometAndrew.—Combiendetempsonjoue?—Aussilongtempsquevousvoudrez,merépondAidan.Uneseulechansons’ilfaut.C’estvraiment
commevouslesentez.Andrew et moi nous couchons tard, après plusieurs parties serrées d’Atout Pique. Et même si la
chambred’amissesituejusteenfacedelaleur,nousnesommespasaussimalàl’aisequechezmamère.Saufqu’aucunsonneprovientdeleurchambre,contrairementàcequis’estpassédanslanôtredurantladernière demi-heure. J’ai pourtant essayé de gardermes gémissements en sourdine,mais ça n’est pastoujoursfacilequandAndrewestauxmanettes.
Çadoitmaintenant faire troisheuresqu’ilestendormi.J’entends lesbruitsde la rueetsonsoufflerégulier.De tempsà autre, lespharesd’unevoitureviennentglisser le longd’unpandemuravantdedisparaître.
Jen’arrivepasàdormir.J’aitendanceàfairedesinsomniesouàmeréveillerenpleinenuitdepuis…ehbien,deuxgrossessemaines.J’essaiedenepastropm’agiterpournepasdérangerAndrew.Ilsemblesipaisible,ainsiallongé.
Je finis par me lever discrètement et vais farfouiller dans mon sac en quête d’une pilule. Elles
m’aidentàtrouverlesommeil.Etj’aimebienl’étatdanslequelellesmemettent.Ellesmepermettentderessentirautrechosequeladouleur.Jefaistoutefoistrèsattention.Jen’aiaucunetendanceàl’addiction,etjen’aijamaisprisdedroguesdemavie.Mêmesij’aitirésurquelquesjointsenfindelycée,commetoutlemonde.
Jedoisnéanmoinsreconnaîtrequejenesaispascommentjeferaiquandjen’enauraiplus…J’en fais tomber une dans le creux de ma main et l’observe longuement. Je devrais peut-être en
prendredeux, pourune fois, histoire debiendormir. J’ai besoinde sommeil si je veux être d’attaquedemainsoir,aubard’Aidan.Ouais,mieuxvautenprendreuneseconde.
Jefaiscoulermescachetsaveclabouteilled’eauquireposeàcôtédulit,puisjemerallongeàcôtéd’Andrewetscruteleplafondenattendantquelesmédicamentsfassenteffet.
Mesentantremuer,Andrewrouleinstinctivementsurlecôtéetmeposelamainsurleventre.Jemeblottiscontrelui,traçantdoucementlescontoursdel’Eurydicetatouéesursontorse.Bientôt,jemesenspluslégère,etmesyeuxs’emplissentdecentainesdepapillonsquisemettentàbattredesailesderrièremespaupièresetautourdemestempes.
Etje…
ANDREW
CAMRYNS’ESTLEVÉEBIENAPRÈSMIDI.QUANDJ’AIFINIPARLARÉVEILLER,ELLEÉTAITDETRÈSMAUVAISPOIL,peut-êtreàcausedesamigraine.Mignonne,maisdemauvaispoil.Elleaàpeinebudeuxbièreshiersoir,maisàlavoirainsiallongée,latêteenfouiesousl’oreiller,ondiraitqu’elles’estsiffléunebouteilleentièredetord-boyaux.
— Je t’ai apporté de l’Advil, lui dis-je enm’asseyant près d’elle. Tu as peut-être une tumeur aucerveau.
Ellemebalanceuncoupdegenoudanslacuisse.—Cen’estpasdrôle,Andrew,geint-elle.Jetrouvaisçamarrant,pourtant.—Allez,avaleça,insisté-jeenretirantl’oreiller.Elleprotestequelquessecondesavantdecapituler.Elleseredresseletempsd’avalerlescachetsavecunegorgéed’eau,puisselaisseretombersurle
matelas, serrant fermement lespaupièreset semassant les tempesduboutdesdoigts. Je lui rends soncoussin,souslequelelles’abritesanstarder.
—Tusais,ilnefautpasboirequandonn’yestpashabitué.—Jen’aibuquedeuxbières,réplique-t-elled’unevoixétouffée.J’aijustemalaucrâne,çan’arien
àvoiravecl’alcool.Je me penche pour l’embrasser sur le ventre. La dernière fois que j’ai fait ça, elle était encore
enceinte ; celame rend tristeun instant,mais, commedepuisque la tragédiea eu lieu, je réprimecessentimentsetravalelaboulequiseformedansmagorge.
—Jepeuxrestericiavectoi,situveux,proposé-je.—Non,çavaaller.Samainémergedesoussonoreiller.Ellelaposeàl’aveuglesurmonentrejambe,serendcomptede
cequ’elletoucheets’empressedeladéplacersurmongenou.Jelataquineraisbienàcesujet,maisjelalaissetranquillepourcettefois.
—Bon,jevaisaiderAidanpendantuneheureoudeux,luidis-jeenmerelevant.J’espèrequetutesentirasmieuxcesoir,j’aivraimentenviequ’onjoue.
—Moiaussi,dit-elleenmetendantlamain.Jeluiembrasselesdoigtsavantd’allerrejoindremonfrère.Quandnousrentronsendébutdesoirée,
Camrynesthabilléeetn’aplusmalaucrâne,nousnousdirigeonsdonctouslesquatreversleroyaumed’Aidan,peuplédebière,decacahuètesetdeconcerts.
ÀencroireAidan, lesaffairesvontbien ; iln’estmêmepas19heuresquandnous franchissons la
portedesonbar,etjeconstatequ’iln’exagéraitpas.Jen’avaisencorejamaisvuautantdemondeici,etpourtantj’yaipasséunsacrépaquetdevendredisetdesamedisdepuisqu’ilenestdevenupropriétaireilyasixans.Lesinnombrableshaut-parleursfixésauxmursetauplafonddiffusentunesortedefolkrock
ressemblantbeaucoupauxmorceauxdontCamrynetmoiavonsmalgrénousfaitnotremarquedefabrique.Si onm’avait demandé, il y a quelque temps, ce que je jouerais si je devaismontermon groupe, jen’aurais jamais répondu ça. Je reprenais des classiques du rock comme les Stones ou Led Zeppelindepuis un bail, mais cela a changé depuis ma rencontre avec Camryn. Aujourd’hui, notre principaleréférence reste lesCivilWars, parce que les duos nous sont venus naturellement.Cela dit, nous nouséclatonsaussiparfoissurdevieuxmorceaux.
Notrepréféré:«HotelCalifornia»,desEagles.Latoutepremièrechansonquenousayonsentonnéeensemble.Certes,c’étaitdanslavoiture,etuniquementpournousamuser,maisçanousestresté.Camrynaaussiinsistépourapprendre«Laugh,INearlyDied»desRollingStones.
Toutefois, elle préfère les trucs plus modernes, et par-dessus tout les Civil Wars, c’est doncgénéralementcequenousjouons.
Cesoirneferapasexception.J’avaispressentiqu’ellechoisirait«TipofMyTongue»et«BirdsofaFeather»,carc’estsurces
deuxtitresqu’elles’amuseleplus.J’adorelaregarderpendantquenoussommessurscène,carcelalatranscende littéralement et la rendplus canonque jamais.Quandelle chante, j’ai l’impressionque lesqualités qu’elle a au quotidien se démultiplient. Elle ne se contente d’ailleurs pas de chanter : elleinterprète. Elle a un vrai don d’actrice. Ellem’a dit qu’elle faisait du théâtre à l’école, et ça nemesurprendpasdutout.
Chanteràmoncôtésembleaussilarendreheureuse,cequirendcettesoiréed’autantplusimportante.C’estlapremièrefoisquenousnousproduisonsdepuisqu’elleaperdulebébé,etj’espèrequecelaluiferadubien.
Nous nous frayons un passage à travers la foule compacte et arrivons enfin sur la scène, où nousprenonstoutnotretempspournousinstaller.Iln’yapasgrand-choseàpréparer,avecuneseuleguitare–malheureusement,pasl’unedesmiennes–etdeuxmicros,maisnousnecommenceronspasavantunbonquartd’heure.
—Jesuistellementnerveuse,meglisseCamrynàl’oreille,suffisammentfortpourcouvrirlamusiqueambiante.
Jepousseunpetitpffduboutdeslèvres.—Oh,arrête.Ilyaunbailquetun’asplusletrac.Onafaitçadesdizainesdefois.—Jesais,maislà,onchantedevantAidanetMichelle.—Ilchantecommeunecasserole,onsefoutunpeudesonavis.Ellesourit.—Aumoins,jenesuispasstresséeaupointdeneplusvouloirjouer.Aucontraire,c’estmêmeplutôt
excitant.—Jetereconnaisbienlà.Jeluidéposeunbaisersurleslèvres.—Cesdeuxfilles,àlapremièretableàtagauche,melanceCamrynsanslesregarder.Ellessonten
traindefantasmersurtoi,çasevoitcommelenezaumilieudelafigure.Jepouffediscrètementensecouantlatête.— Et le mec à côté de la femme en violet, répliqué-je en le désignant du menton, n’a cessé de
s’imagineravecsaboucheentretescuissesdepuisquetuesmontéesurscène.—Cesoir,c’estdonceux,hein?J’acquiesced’unhochementdetête.—Alors,faisons-lesgrimperauxrideaux,conclut-elleavecunsourireespiègle.—J’ycomptebien,rétorqué-jesurlemêmeton.
NousavonscommencécepetitjeudèsnotredeuxièmesoirauLevy’s:nouschoisissonsungarçonetune filledans lepublic, etnouscherchonsà leur transmettredesvibrationsérotiquesen les faisant sesentir uniques le temps de l’une de nos chansons. Nous veillons toujours à leur accorder quelquesattentions discrètes, bien avant de leur sortir le grand jeu. D’abord un regard prolongé, trois bonnessecondesdurantlesquellesnousleurfaisonscomprendrequenouslesavonsremarquésunpeuplusquen’importequid’autredanslasalle.Camrynaentamésonnumérodecharme.Letypearboredéjàungrandsourireniais.Ellesetourneversmoietmedécocheunclind’œil.Jepassesurmonépaulelasangledema guitare, puis observe les deux filles. Force est de constater qu’elles sont plutôt canon. Je capted’abordl’attentiondelabrunette,soutienssonregardpendantquelquessecondes,puism’intéresseàsonamiependantlemêmelapsdetemps.Dèsquejedétournelatête,jelessurveilleducoindel’œiletlessurprendsàglousserensefaisantdesconfidences.Jesourisetcommenceàgratterquelquesnotespouraccordermoninstrument.Camryntapotesursonmicro,puisvachercherdeuxtabouretssurlesquelsnousne resterons de toute façon assis que le temps d’une chanson. Elle se hisse sur le sien et croise lesjambes;sestalonsnoirsvertigineuxluidonnentl’airdesavoirparfaitementcequ’ellefaitdanslemétier.Ilssontornésdepetitsclousargentés.Bonsang,lesfringuesqu’elleportesuffisentparfoisàmerendredingue.
Un jeune homme grimpe sur la scène pour annoncer notre concert.De nombreuses voix se taisentalors, imitées par d’autres dès les premières notes de guitare. Quand Camryn entonne la premièrechanson,sontimbreesttellementsuavequ’ilsuffitàcapterl’attentiondechacun.
Nousjouonsquatremorceauxdevantunpublicparticulièrementréceptif,promptàdanser,àboireetàchanteravecnous.L’ambianceestélectrique,etj’adoreça.
Lemicroàlamain,Camryndescendlestroispetitesmarchesquimènentàlascèneets’approchedesavictime.Avantlafindumorceau,ilprendsonpiedensetrémoussantavecelle.Quandsesmainsserapprochentunpeutropdespartiesdesoncorpsquemoiseulsuisautoriséàtoucher,Camrynsourit,enbonneprofessionnelle,etcontinueàchantertoutenlerepoussant.
Nousprenonsbientôtunecourtepause.Camrynm’attireàl’arrièredelascènetandisquelesconversationsvontbontraindanslasalle.—Ilfautquej’ailleauxtoilettes,medit-elle.Jeposemaguitarecontrelemur.—Pendantcetemps,jevaisnouschercheràboire.Qu’est-cequetuprends?Ellehochelatêteensouriant.—N’importequoi,peum’importe.—Avecdel’alcool?demandé-je.Elleacquiescedenouveauetm’embrassebrièvement,manifestementpresséed’allersesoulager.—Oh,etsitufaisaislaprochaineensolopourunefois?propose-t-elle.—Vraiment?Pourquoi?—Parceque tu la jouesmieux toutseul,déclare-t-elle, lesmainssurmon torse.Etpuis j’aiassez
chantécesoir,j’aienviedeteregarder.Ellem’embrasse.Sesescarpinslagrandissenttellementquenousfaisonslamêmetaille.Sesdésirssontdesordres.Jeneveuxpaslabrusquer.—D’accord, jevaischanter toutseul,accepté-je.Çaserad’autantplusfacilededraguercesdeux
filles.Ellerépliqueavecunpetitrire:—N’enfaispastrop,Andrew.Souviens-toidecequis’estpasséladernièrefois.—Jesais,jesais,assuré-jeenluifaisantsignedepartir.
Elle tourne les talons et je lui assène une petite claque sur les fesses pour lui faire accélérer lemouvement.
14
CAMRYN
QUAND J’ARRIVEAUXTOILETTES, JEMERETROUVEAUBOUTD’UNEFILEDEFEMMESATTENDANTQU’UNECABINEselibère.L’airestsaturéd’haleineséthyliques,deparfumsetd’odeurdecigarette.Àintervallesréguliers,uneporte s’ouvreet se refermedansunodieuxclaquement,àmesureque lesgensentrentetsortent. Je commence par me laver les mains, me faufilant entre deux filles éméchées juchées sur lecomptoirdepartetd’autredu lavabo.Parchance,ellesn’ontpas l’alcoolmauvais,car jenesuispasd’humeur àm’adonner au crêpagede chignonce soir.Elles s’excusentdeprendre toute laplace et sedécalentaimablement.
—Merci,leurdis-jeenallumantl’eau.—Eh,t’eslachanteuse,faitremarquercelleàmagauche,toutsourires.Sonregardnavigueentresonamieetmoi-même.—Ondiraitbienqueoui,admets-je.Je ne suis pas non plus franchement d’humeur à badiner dans des toilettes publiques. Plus je
m’éternisedanscegenred’endroit,plusjemesensdégueulasse.—Vousêtesgéniaux,touslesdeux,reprend-elleenrayonnant.—Ouais,franchement,renchéritsacopine.Commentçasefaitquevouschantiezdansdesbars?Jemecontentedehausserlesépaulestoutenfaisantgiclerunpeuplusdesavondansmapaume.Je
m’efforcedeleséviterleplusgentimentpossible.—Ouais,sérieux,reprendlapremière.J’s’raisprêteàpayerpourvousvoirjouer.Même dansmon état, je ne suis pas complètement insensible aux compliments. Je lui souris et la
remercie.Lorsque deux nouvelles cabines s’ouvrent simultanément, elles sautent sur l’occasion et foncent
s’enfermeràl’intérieur.Bientôt,ellessortentdestoilettesenm’adressantunpetitsignedelamainetmesouhaitentbonnechancepourlasuitedema«carrièremusicale».Alorsqu’ilnerestepresqueplusquemoi,jemetourneverslemiroir,maisjenemeregardepas.Aulieudequoi,jeplongelamaindansmapocheetenextraisuncachet,quejefaiscouleravecunpeud’eau.
Justehistoiredemecalmerunpeu.Puisjem’observe,repoussantdanslefonddemonespritlapriseducompriméetlaculpabilitéqui
s’ensuitinvariablement.Jemetrouvechaquefoisuneexcusepourlesprendre,etparvienspresqueàmeconvaincrequ’iln’yapasdemalàcela. Jesaiscependantquemaconscienceneme tiraillepassansraison.
Enmoinsdeonzeminutes,laculpabilité,lesexcusesoulestressnem’importentplus,carlapartiedemoncerveaugérantcesémotionsestcomplètementengourdie.
Jeme frotte les yeux pour effacer les traînées demascara, puis essuie la sueur qui perle surmonvisageà l’aidedepapierhygiénique.Jedoisfairebonnefigureenretournantdanslasalle.Jemesenssuperbien,etmonalluredoitêtreàl’imagedemonétatd’esprit.
JejouedescoudespourrejoindreAidanetMichelle,deboutderrièrelegigantesquecomptoir.Puisjeme rappellequ’Andrewdevait allermechercher àboire,mais il est horsdequestionque je retournejusqu’àlascènepourrécupérermonverre.
—Vousêtesvraimentgéniaux!mehurleMichellepourcouvrirlebruitdelafoule.Ellemeprenddanssesbrasetjeluirendssonétreinte,sentantunsouriremédicamenteuxm’étirerles
lèvres.JemetourneversAidan.—Qu’est-cequetuenaspensé?— Je suis d’accord avecMichelle ! s’exclame-t-il. Vous devriez écrire vos propresmorceaux et
revenirjouericiplussouvent.Ilyasouventdesdénicheursdetalentsquiviennenttraîneraubar.Etdescélébrités. (Ilmedésigne lemurdufondoùsontalignéesdesphotosautographiéesdemusiciensetdestarsducinéma.)Avecvoscompos,jesuissûrquevousdécrocheriezuncontratdansl’année.
Jeplanedésormaissihautqu’ilpourraitmedirequenoussommesnulsàchieretquenousn’avonsabsolumentaucunavenirdanslamusiquequejecontinueraisàluisouriredelasorte,laissantsesmotsmerentrerparuneoreillepourressortirparl’autre.
Jepivotealorsvers lascèneet remarquequ’Andrewet legroupemaisons’apprêtentàentamersachansonfétiche:«Laugh,INearlyDied».Jedoutequ’ilmevoieàtraverslafoule,maisilsaitquejel’observe.J’adoreleregarderquandilestsurscène,danssonélément.Jesaisquemêmesinousformonsunbonduo,ilestencoremeilleurquandilestseul.J’adorerepenseràlapremièrefoisquejel’aivudanscesconditions.Carcesoir-là,àLaNouvelle-Orléans,jesavaisqu’iljouaitpourmoi,etjem’étaissentiecommelafillelaplusheureusedumonde.
Jeferaisn’importequoipouréprouverceladenouveau.N’importequoi…Peuaprèsavoirgrattélespremièresnotes,Andrewa,commeàsonhabitude,déjàcaptél’attentionde
lasalleentière.Lesdeuxfillesdudevantsontdésormaisdebout,dansantensembledefaçonprovocante;jesaisqu’ellesnefontçaquepourAndrew,j’aidéjàassistéàdesscènessimilaires.Ellesontenviedelui et il leur laisse croire, justepourun soir, que la réciproqueestvraie.C’estparfaitement innocent.Andrewetmoisommesd’accordlà-dessus:c’estunefaçoncommeuneautredesoignerl’egodesautres.Flirteràdroite,àgauche,faired’unpetitveinardoud’unepetitechanceuselecentredel’attention,justeassezlongtempspourlesfairerougiretsourire.Onnesaitjamaiscequipeutsepasserdanslaviedecespersonnes,etunpeud’énergiepositivedetempsàautrenepeutpasfairedemal.
QuandnousrentronschezAidanetMichellepeuaprèsminuit,jevaismecoucheravanttoutlemonde.Je reste allongéependantunebonneheure, à les entendrediscuter au salon.Andrewétait prêt àvenirdans lachambreenmême tempsquemoi,mais j’ai insistépourqu’ilpasseunpeude tempsavecsonfrère. Il s’inquiète beaucoup trop pour moi depuis quelque temps. Nous repartons pour Raleigh dèsdemain,etjetiensàcequ’ilprofited’Aidanaumaximum.
Unedeuxièmeheures’écoule,etjenedorstoujourspas.Agacée,jeplongelamaindansmonsac,dontjesorsàtâtonsleflacondemédicaments.Sansmême
m’enrendrecompte,jel’aidéjàquasimentvidé.Cettefois,jesombrevers3heures.
15
ANDREW
—CAMRYN?MABELLE,JET’ENPRIE,RÉVEILLE-TOI.Jelasecoueparl’épaule,deplusenplusviolemment.Désormais, ma principale émotion est l’inquiétude. Suivie de près par la colère et le chagrin.
Pourtant,étrangement,ledoutel’emportesurtouteslesautres.Jelasecouederechef.—Lève-toi.J’ignorecombiendepiluleselleapuavaler,maisàenjugerparleflaconpresquevide,l’éventualité
d’une overdoseme provoque un accès de panique.Néanmoins, elle respire de façon régulière, et lesbattementsdesoncœursemblentnormaux.Sielleneseréveillepas…
Elleentrouvrelesyeux,et,soulagé,jerespireungrandcoup.—Camryn.Regarde-moi.Elleparvientàseconcentrersuffisammentpourriversesyeuxauxmiens.—Quoi?gémit-elledoucementavantderefermerlespaupières.Jelasaisissansménagementparlesépaulesetlaforceàs’asseoir.—Jet’aiditdeteréveiller.Gardelesyeuxouverts.Elle obtempèremollement, comme s’il n’y avait rien que de très ordinaire à se faire réveiller et
redresserdeforce.—Combienenas-tupris?Michellesetientderrièremoi,dansl’embrasuredelaporte.—Tuveuxquej’appelleuneambulance?Soudain,Camrynredevientparfaitementcohérente.Jenesaispassimaquestionafiniparatteindre
soncerveau,ousilaréférenceàl’ambulanceluiaremislesidéesenplace,maisellemescruted’unairterrifié,lesyeuxagrandisparlapeur.
—Combiendecesfoutuscachetsas-tupris?Elle se tourne vers le flacon, posé sur la table de chevet. Quand je suis venu prendre de ses
nouvelles,jugeantqu’ilneluiressemblaitpasdedormirjusqu’à14heures,jel’aitrouvéparterre.—Camryn?Jelasecoueencorepourattirersonattention.Ellem’observelonguement.Jedécouvretantd’émotionsdanssesprunellesquejenesaisquechoisir
entre l’humiliation, le regret, la douleur, la colère ou le renoncement. Puis les premières larmes
apparaissent. Je sens soncorps trembler entremesmains.Elle s’écroulealors contremoi et éclate ensanglotsdéchirants.
—Andrew?m’appelleMichelledepuislaporte.Sansmeretourner,jeréponds:—Non,çavaaller.Et je ravalemespropres pleurs etmonpropre chagrin, luttant contre l’étauqui se referme surma
poitrine.Michellequittelapièceenrefermantdoucementderrièreelle.J’étreinsCamrynpendantdelonguesminutes, la laissant inondermontee-shirtdeseslarmes.Jene
prononcepasunmot.Pasencore.D’unepartparcequejesaisqu’elleabesoindeça,detoutévacuer.D’autrepartparcequejesuissifurieuxetblesséquejemedoisdeprendredureculpouréviterdediredes choses que je pourrais regretter. Je la serre donc puissamment contre moi, en attendant que sestressautementssetarissent.Jel’embrassesurlesommetducrâneenm’efforçantdenepascraqueràmontour.Lapartiedemoiquifulminem’yaidegrandement.
—Jesuisdésolée!s’exclame-t-elle.Etdèsl’instantoùjeperçoisladouleurdanssavoix,j’enoubliepresquecomplètementmacolèreet
l’enlaceplusfortencore.—C’esttoiquit’excuses?m’étonné-je,incrédule.Jel’écartelégèrementdemoipourpouvoirlaregarder.Jesecouefurieusementlatête,deretourau
picdemacolère.—Dis-moicombientuenaspris.Jeplantemonregarddanslesien.—Hiersoir?Seulementtrois,répond-elle.—Etcombienilyenavait,àl’origine?—Jenesaispas.Peut-êtreunevingtaine.—Depuiscombiendetempstuenprends?Ellemarqueunepauseavantderépondre.—Seulement depuismardi. Ils sont àmamère. J’en ai pris un pour faire passermamigraine, et
puis…Denouvelleslarmesluimontentauxyeux.Jetendslamainpourlesluiessuyer.—Bonsang,Camryn,dis-jeenlaplaquantdenouveaucontremontorse.Qu’est-cequit’estpassépar
latête,bordel?—Jen’ensaisrien!s’écrie-t-elle.Jenesaispascequiclochechezmoi.Jemetsmesmainsencoupeautourdesesjoues.—Tusaistrèsbiencequicloche.Tuesperturbéeparlefaitd’avoirperduLily,ettun’arrivespasà
gérer.Tuauraisdûm’enparler.Ellebaissealorslesyeux,sansbougerla tête.Lesilencesinistrequis’ensuitmefrappedelaplus
étrangedesmanières.J’essaiedelaconvaincredemeregarder,maiselles’yrefuse.—Camryn?Parle-moi.Ilfautquetumeparles.Écoute,tun’ascommisaucuneerreur,ettun’aurais
paspuempêchercequiestarrivé.Ilfautquetulesaches.Tudoiscomp…Elle se libèrebrusquementdemonétreinte,medévisage avecunmélangededouleur et…d’autre
chose.—Toutestmafaute!s’exclame-t-elleenreculantsurlelit.Ellefinitparendescendredel’autrecôtéetcroiselesbrasenmetournantledos.
—Cen’estpastafaute,Camryn.Jem’approched’elle,maisdèsqu’ellemesentarriver,ellefaitvolte-face.—Si,toutestmafaute,Andrew!répète-t-elle,deslarmespleinlesyeux.Jen’arrêtaispasdepenser
quemagrossesseallaittoutgâcher!J’étaisfurieusequ’onhabitetoujoursàGalvestonauboutdequatremois ! Jemedemandaiscommentonallaitpouvoir réalisernos rêvesavecunbébé !Alorssi,c’estàcausedemoiqu’onl’aperdu,etjemehaistouslesjourspourça!
Elles’enfouitlevisagedanslesmains.Jecombleladistancequinoussépareetlaserredansmesbras.—Putain,Camryn,cen’estpastafaute!Je ne pense pas avoir jamais dit quelque chose à quelqu’un avec une telle émotion.Ma poitrine
trembledefaçonincontrôlablecontrelasienne.—Regarde-moi ! lui dis-je encore enme reculant. C’est tout à fait normal. Et si jamais tu étais
coupable, je le serais aussi : çam’est aussi arrivé de penser à des trucs pareils,mais, comme toi, jen’auraisjamaisvolontairementprovoquéça.
Jen’ainulbesoind’attendrequ’elleconfirmemonassertion,carjesaisqu’ellenedésiraitpasperdreLily.Néanmoins,elleprendlapeinedepréciser:
—Jen’aijamaisregrettéd’êtreenceinte.Etje…jeveuxqu’ellerevienne!—Jesais.Jesais.Je l’étreins puissamment et la faismarcher jusqu’au pied du lit, où je l’encourage à s’asseoir. Je
m’accroupisentresesjambes,lescoudesposéssursescuisses,etluisaisislesdeuxmains.Jelaregardebienenfaceetdéclare,unefoisencore:
—Cen’estpastafaute.Elleessuiequelqueslarmes,etnousrestonsdanscettepositionpendantcequimeparaîtuneéternité.
Je pense qu’elle me croit – à moins qu’elle donne le change simplement pour mettre un terme à laconversation.Puisellecontemplelemurderrièremoietdemanded’unetoutepetitevoix:
—Est-cequeçafaitdemoiunetoxicomane?J’ai envie de rire, mais je m’abstiens. Je me contente plutôt de secouer la tête en lui souriant
tendrement,serrantdélicatementmesdoigtsautourdessiens.—Tuaseuunmomentdefaiblesse,etmêmelespersonnes lesplusfortesnesontpas immunisées
contreça.Quatrejoursetunflacondecalmantsnefontpasdetoiunedroguée.Tuasprisunemauvaisedécision,voilàtout.
—Cen’estpascequeMichelleetAidanvontpenser.Jesecouelatête.—Biensûrquesi.Ettouslesautresaussi.(Jemeredressepourm’asseoiràcôtéd’elle.)Etpuis,ça
neconcernepersonne.C’estentretoietmoi.—Jen’avaisencore jamais rienfaitdepareil,déclare-t-elleenscrutant levide.Jen’arrivepasà
croire…—Tun’étaispastoi-même.TuesbouleverséedepuislamortdeLily.Lapièceseretrouveétrangementplongéedanslesilence.Jel’observeducoindel’œil,maispréfère
nepasinterromprecetinstant.Ellesembleperduedanssespensées.—Andrew,finit-elleparreprendre,onnedevraitpeut-êtrepasresterensemble.Sesmotsm’atteignentavecunetelleforcequej’enailesoufflecoupé.Jesuistellementsouslechocquejen’arriveplusàparler.Moncœurbatàtouteallure.Enfin,commeellenedéveloppepas,jeparviensàrépliquer:—Pourquoitudisunechosepareille?
Etjeredouteprofondémentsaréponse.Elleregardetoujoursdroitdevantelle,lesjouesbaignéesdelarmes.Puisellesetourneversmoi,et
jereconnaisdanssesyeuxladouleurquisetrouvecertainementdanslesmiens.—Parcequetousceuxquej’aimefinissentparm’abandonnerouparmourir.Jesuisparcourud’unevaguedesoulagement,quesadétresseéclipseaussitôt.C’estàcet instantprécisque jemerendscomptequec’est lapremière foisqueCamryns’ouvreà
moi, ou à qui que ce soit d’autre, à ce sujet. Je repense aux choses que Natalie m’a dites, auxconversationsqueCamrynetmoiavonseuessurlaroute,etjesaisqu’elleadmetenfinsadouleur.Elleestdésormaiscapabledesel’avoueràelle-mêmeetdel’assumerauxyeuxdesautres.
—Çame semble tellement égoïste de dire ça, poursuit-elle. (Jeme garde bien de l’interrompre.)Monpèrenousaquittés.Mamèreachangé.Magrand-mère,laseulepersonneaumondequisoitrestéelamêmeetaittoujoursétélàpourmoi,estmorte.Ianaussi.Coleestalléenprison.Nataliem’apoignardéedansledos.Lily…(Sonvisageestdeplusenplusmarquéparl’affliction.)Ettoi.
—Moi?Maisjesuislà,Camryn.Jeseraitoujourslà,dis-jeenluiprenantlesmains.Peum’importecequetufais,oucequisepasseentrenous.Jenetequitteraijamais.Jeresteraitoujoursauprèsdetoi,ajouté-jeenserrantsifortquejeluitordslesdoigts.Tutesouviensquandjet’aiditquetuétaistoutpourmoi?Tum’asdemandédetelerappelersitoutefoistuoubliais.Ehbien,jetelerappellemaintenant.
Lessanglotslafonttressaillir.—Maistuauraispumourir,déclare-t-elle,enpleurs.Chaquefoisquejevenaistevoiràl’hôpital,je
me disais que ce serait ton dernier jour. Et quand tu t’en es tiré, jeme suis surprise àme le répéter,encoreetencore.Pendantdessemaines,pendantdesmois,carj’avaisbesoindem’habitueràl’idéedetevoirdisparaître.Unjour.Parceque,d’unemanièreoud’uneautre,jesavaisquetuallaisfinirparpartirtôtoutard.Commetoutlemonde.
—Pourtantjesuisresté,dis-jeavecunsourireternidedésespoir.(Jem’assiedsparterreetl’inviteàmerejoindre.)Jenesuispasmort.J’aisurvécu,parcequejesavaisquetuétaislà,avecmoi,pendanttoutcetemps.Parcequejesavaisquenousétionsfaitspourêtreensemble,etquesitudevaisvivre,alorsmoiaussi.
—Etsiçaarrivequandmême?insiste-t-elle.(Saquestionmeprenddecourt.)Silatumeurrevient?—Cela n’arrivera pas, affirmé-je.Etmême dans le cas contraire, je la vaincrai de nouveau. J’ai
laissés’écoulerhuitmoissansallervoirledocteur,etpourtantjel’aiquandmêmevaincue.Avectoiquimebottes leculrégulièrementpourallerpasserdesvisitesdecontrôle, jenerisquepasdemelaisserprendreparsurprise…
Ellenesemblepastoutàfaitconvaincue,maisjedevineunelueurd’espoirsursonvisage,etc’esttoutcequej’espérais.
—Jesuissincèrementdésolée,m’assure-t-elle.Etaulieudeluidirequecen’estpasgrave,jeluilaisseapprécierdenouveaulesilence,pourlui
permettredeconclure.—Jeparieque tune t’attendaispas àun tel concentrédeconnerie, reprend-elle en se frottant les
yeux.Pourdétendrel’atmosphère,jefrottesesgenouxdénudésetréplique:—Jet’aimeraismêmesitufaisaispartiedecesfillesquicourentsefairevomirauxtoilettesaprès
chaquerepas,ousituétaissecrètementfétichistedesclowns.Elleritdoucementàtraversseslarmes,cequimemetenjoie.Je lui redresse le menton et recouvre mon sérieux en observant ses magnifiques iris d’un bleu
cristallin.
—Camryn,dis-je,Lilyn’étaittoutsimplementpasprête.Jenesaispaspourquoi,maisçan’estpastafaute,nicelledequiquecesoit.Ettudoiscomprendrequ’ilfautfairefaceàcetteépreuveensemble.DeAàZ.D’accord?
Elleacquiesce.Jemepenchepourl’embrasser,d’abordsurlefront,puissurleslèvres.Le silence qui s’ensuit est plus détendu.Plus léger. Je sais queCamrynne sera pas complètement
rétablie du jour au lendemain, mais je constate déjà une nette amélioration. Ça se voit rien qu’en laregardantqu’elle s’estdélestéed’unepartiede son fardeauenendiscutant.Elle en avait besoin.Elleavaitbesoinquequelqu’unl’aideàmettredel’ordredanssesidées.Pasd’unepersonneindifférente,nid’unepersonneluiservantdesréponsestoutesfaitesàchacundesesproblèmes.
Elleavaitbesoindemoi.Jememetsdeboutetluitendslamain.—Viens.Ellemelaisselarelever.Jeramasselesmédicamentssurlatabledechevet,puisemmèneCamrynà
la salledebains. Je soulève l’abattantdes toiletteset lui tends le flacon.Et, sansque j’aiebesoindeprononcerlemoindremot,elleenrenverselecontenudanslacuvettesanshésitation.
—Jen’arrivetoujourspasàcroirequej’aieétésifaible.Elletirelachasseetregardetournoyerpuisdisparaîtrelesquatrepilulesrestantes.Puisellerelèvela
têteversmoi.—Andrew,j’auraisfacilementpudeveniraccro.Jen’imaginemêmepas…Jel’interrompspourl’empêcherdesetorturerdavantage:—Maisçan’estpasarrivé.Ettuasdroitàtonmomentdefaiblesse.C’estfini,maintenant.Jesorsdelasalledebainsettraverselachambreàgrandspas.Elles’arrêteaumilieudelapièce,
sansmequitterdesyeux.—Andrew?Jefaisvolte-faceetréponds:—Accorde-moiunesemaine.Ellesembledéconcertée.—Unesemainepourfairequoi?Jemefendsd’unlégersourire.—Disoui.Resteiciavecmoiunesemainesupplémentaireettuverrasbien.Deplusenplusperplexe,ellefinitpardéclarer:—Euh…d’accord.Sonvisagetrahituneincompréhensiontotale.Néanmoins,ellemefaitconfiance,etc’esttoutcequicompte.Jevaisnousoffrircedontnousavons
touslesdeuxbesoin,qu’elleleveuilleounon.
16
CAMRYN
TroisièmejourJENEMESERAISJAMAISPENSÉECAPABLEDEFAIRECEQUEJ’AIFAIT.SELONANDREW,C’ESTUNMOMENTDE
faiblesse;mêmes’ilaraison,ilmefaudrauntempsfoupourarriveràmelepardonner.Michellem’aassuréqu’ellenemejugeaitpas,etbienquecelam’aitremontélemoral,jenepeuxpas
m’empêcherdemesentirhumiliéechaquefoisquejemetrouvedanslamêmepiècequ’elleouAidan.C’estpeut-êtrelefaitqu’ilssoientsicompréhensifsquirendtoutcelasiterrible.
Une semaine. J’ignore quelle idéeAndrew a derrière la tête,mais je lui dois de ne pas poser dequestionsetdelelaisseragiràsaguise.Ilsemontretrèssecretdepuisplusieursjours,répondantsouventautéléphonedepuisd’autrespiècespourquejenepuissepasentendresesconversations.Jen’aiessayéqu’unefois,encoupantlesondelatéléetretenantmonsoufflesurlecanapétandisqu’ilallaitparleràAsherdepuislacuisine.Maisjemesuisimmédiatementsentiecoupable,etj’airemontélevolumepourm’empêcherd’espionner.
Jeprenaiscespilulesdepuismoinsd’unesemaine,maiscelanem’empêchepasdemesentirencoresupermaltroisjoursaprèsavoiravalélesdernières.Jesuisàcôtédemespompes,j’aiencoreplusdemalqu’avantàm’endormir,maismesmauxdetêtecommencentenfinàs’estomper.Jen’imaginepascequecelaauraitétésij’avaisétéaccropendantdesmoisvoiredesannées.Jecompatissincèrementaveclesgenspourquic’estlecas…
Quatrièmejour
Aidanentredanslesalonavecunepetitepiledecourrieràlamain,qu’iltrietoutenavançant.Il observe d’un air curieux une petite enveloppe blanche, puis la brandit devant lui avant de
m’observerjusqu’àcequ’Andrewviennenousrejoindre.—Ondiraitquec’estpourtoi.Ilmelorgnedenouveau,maistendl’enveloppeàAndrew.J’aiunétrangepressentiment;jemelèvedufauteuilrelaxeetm’approched’Andrewpourenavoirle
cœurnet.Justeavantqu’illadérobeàmonregardetlaisseretomberlamainàsoncôté,j’aperçoislenomde
Nataliegriffonnédessus.
Ilsaitquejel’aivu.—Non,déclare-t-ilensecouantlatête.Jetelamontreraiuneautrefois.Puisilfaitdisparaîtrel’enveloppedanslapochearrièredesonjean.Jeluifaispleinementconfiance,maisjesuishumaine,etunepartiedemoi-mêmenepeuts’empêcher
d’être anxieuse.PourquoiNatalie enverrait-elledes lettres àAndrew?Confianceoupas, lapremièrechosequivientforcémententêtedanscegenredesituationestdesedemandercequisetrameentreeux.Maiscettepenséeesttellementabsurdequejelarejetteimmédiatement.
Ilscomplotentcontremoi.J’aimeraisjustesavoircequ’ilsmijotent.
Cinquièmejour
Aujourd’hui,j’aieuNatalie,mamère,puisMarnaautéléphone.Cettedernièresecomportecommesiderienn’était,etelles’ensortaussibienqueMichellelorsquenoussommesarrivésàChicago.Elleestd’unegentillesseàtouteépreuve.Mamère,enrevanche,nesemblepascapabledeparlerd’autrechosequedemarelationavecAndrew.Ellemetannedèsqu’elleenal’occasionsurladatedenotremariage,etcroitdurcommeferquenosnocesserontcélébréesdanslapluspuretradition.J’aibeauessayerdeluidirequejeneveuxpasdejolierobe,nid’église,nidépenserdesmilliersdedollarspourdesfleursquinedureront pasune semaine, elle semblene rien entendre.Elle trépigned’impatience.Aumoins, elleseraitpeut-êtreplusdétendueàl’idéedelevoirdormirdansmachambre.J’ignorecequisepassedanssatêteet,pourêtrehonnête,jedoutequ’ellelesacheelle-mêmelamoitiédutemps.
Andrewavait rendez-vousaujourd’huichezunmédecindeChicagopourunbilancomplet.Commechaquefois, j’enaieu leventre toutnouéd’appréhension.Heureusement, ilest revenuavecdebonnesnouvelles.
Sixièmejour
J’aidenouveauNatalieautéléphone,maisjeneluiparletoujourspasdel’enveloppe.Desoncôté,
ellesecomportebizarrement.Elles’efforcedenepastrahirlessecretsd’Andrew,cequijalonnenotreconversation de nombreux silences gênants. Je me gausse intérieurement de constater son manque despontanéité:ellecrèved’enviedetoutmedéballerpourpasseràautrechose.
Septièmejour
Cette semaine a été l’une des plus longues de mon existence. Je traîne au lit parce que les
températurescommencentàchuter,maisaussiparcequejesuistendueetquejenepeuxmerésoudreàfaireautrechose.Andrewestdeboutdepuisuneheure,etiln’arepointélenezdanslachambrequ’uneseule fois, pour récupérer ses chaussures. Ilm’a embrassée en souriant, comme s’il était secrètementexcitéparquelquechose,puisilestressortisansunmot.
Jerouledecôté,blottiesouslacouverture,lesyeuxrivéssurlafenêtre.Lesoleilbrillepuissammentdanslecielbleudépourvudenuages.
Jelesentendstoustroiss’affairerdanslamaison.Lessemellesd’Andrewcouinentsur leparquetdevantnotrechambre. Ilouvregrand laporteetse
postedansl’embrasurepourm’observer.—Lève-toiethabille-toi,m’ordonne-t-il,lamaintoujourssurlapoignée.
Je le considère un court instant, pensant peut-être qu’il vam’expliquer,mais il se contente demedésignermeschaussurescommepourm’indiquerdelesenfiler,puisilrefermelaporteetmeplantelà.
Unefoisencore,j’obéisaveuglément.J’enfilemonjeanfavorietunpullenlainetroplarge,puisunepairedechaussettesetmesRocketDog.Quandjedescendsausalon,Michelleestlovéedevantlatélédans un coin du canapé, un plaid sur les genoux. Elle se tourne versmoi et arbore un grand sourire,commesiellesavaitunechosequej’ignorais.C’estsansdoutelecas.
—IlestdehorsavecAidan,m’informe-t-elleenmedésignantdumentonlaported’entrée.Deplusenplusanxieuse,jem’enapprochedoucementpourallerl’ouvrir.JesorssurleperronetaviseAndrewetAidan,deboutdel’autrecôtédelarueavecAsher,toustrois
adossésàlaChevelle.Pendantuneseconde,jemedis:OK,toutça,donc,parcequ’Ashernousrendvisite?Non que je ne sois pas heureuse de le voir, mais, honnêtement, cela ne méritait pas tant de
cachotteriesdelapartd’Andrew.Jecomprendsalorsqu’ils’agitdelavoiture,maisc’estàpeuprèstoutcequej’arriveàdéduirepar
moi-même.J’aiunepetite idéede laraisonpour laquelle ilestvenu jusqu’iciavec,mais jem’efforcepourl’instantdenepasyréfléchir.
JedescendsrapidementlesmarchespourallerembrasserAsher.—Tuasbonnemine!s’exclame-t-il.Sesjouessecreusentdedeuxfossettesaussisemblablesàcellesd’Andrewquelesontsesyeuxverts
lumineux.Puisilm’étreintàsontouretmefaitlégèrementdécoller.Radieuse,jeréplique:—Jesuiscontentedetevoir.Jen’arrêtepasdejeterdescoupsd’œilàAndrew,quisouritsifortquejedoutequ’ilsoitcapablede
metairebienpluslongtempscequ’ilmecache.J’examinelaChevelle,puisAsher.Unedeuxièmefois.—Etdonc,tuasfaitlaroutedepuis…OK,c’estencoreplus troublantquejene l’avais initialement imaginé.LavoitureétaitauTexaset,
auxdernièresnouvelles,AshersetrouvaitdansleWyoming.Jefinisparreprendre:—Bon,qu’est-cequisepasse?AshersetourneversAndrew,quifaitunpasversmoi.—Jeluiaidemandédeveniraveclavoiture,explique-t-il.—Maispourquoi?Ashercroiselesbrasets’appuieàlaportièrearrière.— Parce qu’il est dingue, réplique-t-il en pouffant. Et parce qu’il ne faisait pas confiance à un
transporteurprofessionnel.J’interrogeAndrewduregard,attendantqu’ilcrachelemorceau.Unebriseglaciales’immisceentre
lesmaillesdemonpull,etjeremontemesmainsdansmesmanches.—Tuascinqminutespourfairetesvalises,medit-il.Avantmêmequ’ilaitfinisaphrase,moncœurbatdéjààtoutrompre.Ilsetapotelepoignet,pourtant
dépourvudemontre.—Pasunesecondedeplus.—Andrew…—Pasdediscussion,tranche-t-il.Vacherchertesaffaires.Jelecontemplebêtement,dépourvued’expression.Mathéories’estavérée; j’auraispourtantpréférémetromper.Jeneveuxpasreprendrelaroute…
Enfin,si,mais…çan’estpasbien.Pasbiendutout.—Plusquequatreminutes,m’informeAsher.—Maisonnepeutpaspartircommeça,plaidé-je.Ceseraitmalpoli.(JedésigneAsher.)Ettonfrère
vientd’arriver.Tuneveuxpasprofiterde…—Jepeuxrendrevisiteàmongrandfrèrequandjeveux,intervientl’intéressé.Maispourl’heure,je
croisquetuferaismieuxdefairecequ’iltedit,sinonturisquesdeteretrouversurlarouteàporterlamêmeculottependantunesemaine.
Quelquessecondess’écoulent,durantlesquellesjenebougepasnonplus.Jedoisêtredansunesorted’étatdechoc.
—Troisminutes,mabelle,décompteAndrewenmescrutantleplussérieusementdumonde.Jeneplaisantepas.Montelà-haut,balancenosaffairesdansnossacs,etgrimpedanscetteputaindevoiture.
Ohmince,voilàqu’ilredevientexactementcommeavant…Commejem’apprêteàparlementer,sesyeuxs’embrasentetildéclare:—Magne-toi,letempspresse!Abaissantfinalementmagarde,jemelaisseporterparlemouvementautantquefairesepeut.Jelui
décocheunregardnoiretréplique:—D’accord.Sijecède,c’estuniquementparcequejesaisqu’ilessaied’arrangerleschoses.Jenem’ensenspas
moinscoupablepourautant.Faisantpeude casde soncompte à rebours, je tourne les talons et retourne très lentementvers la
maison,prenantvolontairementtoutmontemps,afindenepasnonplusluidonnerl’impressionquejeluiobéisaudoigtetàl’œil.
—Tuétaisaucourant,Michelle?luidemandé-jeenrentrant.—Biensûr!s’exclame-t-elledepuislesalon.J’entendslesouriredanssavoix.J’ouvrelaportedenotrechambre,posemonsacsurlelitetentreprendsdetoutfourreràl’intérieur.
Puis jeme dirige vers la salle de bains, récupère nos brosses à dents et notre nécessaire de toilette.J’arrachenoschargeursde téléphoneauxprisesmurales, fourremonportabledansmonsacàmain.Jefaisrapidementletourdelapièce,espérantn’avoirrienoubliéd’important.
Andrewavaitmanifestementdéjàpréparésesaffairessansquejem’enrendecompte.Je scrute alors scrupuleusement chaque centimètre carré de la chambre, sans rien réellement
distinguer.Jen’aiaucuneenviedefaireça,maisc’estpeut-êtrepourlemieux.J’entends leklaxon retentir à trois reprises, cequim’arrache àma rêverie. Jemepasse le sacde
voyagesurl’épauleetrécupèremonsacàmain.—Àundecesquatre!melanceMichelledepuislecanapé.Jem’arrêtejusteavantdeladépasser,mepenchepar-dessusledossierducanapépourluidonnerune
étreinteinconfortable,déséquilibréeparmesaffaires.—Amusez-vousbien,ajoute-t-elle.—Merciencoredenousavoirinvités,répliqué-je.Ellemefaitsignedepartiravecungrandsourire,etjemedirigeverslaporte.Alorsque je descends lesmarchesduperron,Andrewdéverrouille le coffre de laChevelle, dans
lequeljen’aiplusqu’àjetermonsac.J’ailargementdépassélescinqminutesqu’ilm’avaitaccordées,maisjeledéfiedemefairelamoindreréflexion.
—Tuesprête?medemande-t-ilenclaquantlehayon.Jeprendsuneprofondeinspiration,metournetouràtourversAsheretAidanetvaislesembrasser.
—Jesuiscontentquevoussoyezvenus,meditAidan.—Prendssoindemonfrère,ajouteAsher.Jeleursourisàtousdeuxetm’installesurlesiègepassager.Andrewrefermemaportière.Ilssedisentaurevoir.Uneminuteplustard,Andrewseglissederrièrelevolant,etunebourrasque
d’airfraiss’immisceàsasuitedansl’habitacle.Ilm’adresseuncoupd’œil.—Bon,voilàleprogramme,m’explique-t-il.Onfileverslesud-estendirectiondelacôte…—Attendsuneseconde,l’interromps-je,tuastoutplanifié?Çaneluiressemblepasdutout,etcelam’intrigue.Ilmedécocheunlégersourireetprécise:—Enpartie.Maisc’estnécessaire.—Enquoiest-cenécessaire?Ilfroncelessourcilscommepourmedire:«Tuveuxbienmelaisserfinir?»Jemetaispourlelaisserpoursuivre.Ilsepencheversmoipourouvrirlaboîteàgants.—Onfileverslesudetonlongelacôtejusqu’àlafindel’hiver,déclare-t-il.Jenepeuxm’empêcherdem’interrogersurletempsqu’ilprévoitdepassersurlaroute.«Jusqu’àla
findel’hiver»?Jen’arrivepasàcomprendrecequiluipasseparlatête.Ilsortunecarteetladépliesurlevolant.Jel’observeavecméfiance.
—Jedétestelefroid,dit-il.Avecunpeudechance,sionrestesurlacôteetqu’ons’enfonceverslesud,onpourraévitertoutescesconneriesdeneigeetautres.
Oui, bonne idée. Je ne supporte pas le froid non plus, alors ouais, c’est effectivement nécessaire.J’acquiesceetlelaissecontinuer.
Andrewfaitglissersondoigtlelongdenotreitinéraire.— On rejoint la côte en Virginie, puis on oblique vers le sud en traversant ton État. Mais sans
s’arrêter,d’accord?Onsecontentedetraverser.Ilattendmonassentiment.Jehochedenouveaulatêteetdéclare:—Entendu.Jesupposequ’ilyaunelogiquedanstoutecettefolie,etjemedisqu’ilvautmieuxlasuivre.Ilsereplongesursacarteetrecommenceàtracernotretrajectoire.— Puis on traverse la Caroline du Sud, la Géorgie, et on suit la côte de la Floride à partir de
FernandinaBeach(sonindexdécritunevastebouclesurlepapier)jusqu’àPensacola.—Combiendetempsçavanousprendre?Ilmesouritetsecouelatête.—Qu’est-cequeçapeutfaire?Puisilreplielacarten’importecommentetlalaissetombersurlabanquetteentrenous.—Cettefois,c’estmoiquichoisisladirectionàsuivre,précise-t-il.Surtoutparcequejen’aiaucune
enviedemepelerlecul.Mais(ilseremetdansl’axedelaroute)detoutefaçon,c’estcommeça.—Pourquoifais-tutoutça,Andrew?Ilreposelesyeuxsurmoi.—Parcequec’estlachoseàfaire,répond-ilenmescrutantavecintensité.Parcequetuesdansla
voiture.Sesmotsmetroublent.—Parcequejesuisdanslavoiture?Ilhochelentementlatête.—Ouais.
—Mais…çaneveutriendire!Son regardvert s’adoucit avec son sourire, et il se pencheversmoi pourm’attraper lementon. Il
m’embrassesurlaboucheetdit:—Tuauraisput’opposerbecetonglesàceprojet.Tuauraispum’envoyermefairefoutrequandje
t’aidit d’aller cherchernos affaires.Mais tun’enas rien fait. (Ilmeplanteunnouveaubaiser, et sonhaleinementholées’attardesurmeslèvres.)Tun’aspaspristonsacparcequejetel’aidemandé,tul’asfaitparcequetuenmouraisd’envie.Tun’asjamaisagiuniquementpourmefaireplaisir,Camryn.Jet’aisimplementfiléuncoupdepiedaucul,c’esttout.
J’essaie de dissimuler le sourire qui s’épanouit sur mon visage, mais j’en suis incapable. Ilm’embrasse sur le front, puis se cale dans son siège. Lemoteur ronronne de façon agressive pendantquelquessecondes,tandisqu’iljoueaveclapédaled’accélérateur.
Ilaraison.Mêmesijemesuisparfoisplainte,jen’auraisjamaisacceptéchacunedesesexigencessiellesn’avaientpasétédanslesensdemesdésirs.Çamesurprendtoujoursdeconstaterqu’ilatoujoursunelongueurd’avancesurmoi.
17
ANDREW
JECROISQUEPOURLAPREMIÈREFOISHIER,ÀCHICAGO,J’AIÉTÉINCAPABLEDEPRÉDIRELARÉACTIONDECamryn à l’une demes lubies.Ma copine était brisée. Je flippais un peu plus chaque jour de la voirs’enfoncer.J’aiprisunrisquecesoir-làenappelantAsherpourluidemanderd’acheminerlaChevellejusqu’àChicago.Jen’étaispascertaindelaréactiondeCamrynet,pourêtrehonnête,j’avaistrèspeurqu’ellerefusedepartir.Àcausedelaculpabilité.Moiaussiçam’adémoli,deperdreLily.Jedonneraisunbrasouunejambepourlafairerevenir.Maisonnepeutrienychanger.Àquoibonnousnoyerdansnotrechagrinenrefusanttoutcequipourraitnousprocurerdubonheur?Ceseraituneconneriesansnom.C’estcommeçaqu’onsefouten l’air.Unsuicideparticulièrement lentetdouloureux.SiCamrynavaitrefusé, je l’auraisbalancéede force sur labanquettearrière.Parcequec’est ça,notrevie.Nousnoussommesrencontréssurlaroute;nousavonsapprisànousconnaîtreetànousaimersurlaroute.C’estàlaroutequenousappartenons,etc’estlàquenousallonsvivrejusqu’ànouvelordre.
Lesquatorzepremièresheuresderoutesontparticulièrementcalmes.JeconduisdeChicagojusqu’àVirginia Beach, en écoutant la radio ou l’un de mes CD quand je ne trouve pas de station potable.Camryn,mêmesiellesouritetcommentelepaysage,n’esttoujourspaselle-même.Çafiniraparrevenir.Çaluiprendrapeut-êtrequelquesjours,maisellerecouvrerasesesprits.
Lesplagesdelacôteestn’ontrienàvoiraveccellesduTexas.Ellessontpluspropres,etl’eaud’iciressembledavantageàl’océanquelegolfetroubleetboueuxdeGalveston.
Ilestdéjàtard.Nousavonsvulesoleildisparaîtreàl’horizondèsnotrearrivéeàVirginiaBeach,etc’étaitlapremièrefoisquej’apercevaiscetteétincelledanslesyeuxdeCamryndepuislafaussecouche.Si j’avaissuqu’uncoucherdesoleilpouvaitprovoqueruntel résultat, je l’auraisemmenéeenvoirundepuislongtemps.
— Et alors, on prend des chambres séparées ? me demande-t-elle tandis que nous sortons de lavoituresurleparkingdenotrepremierhôtel.
Jevoisbienqu’elleplaisante,maisjepariequ’ellenes’attendpasàcequejelaprenneaumot.—Exactement.J’ouvrelecoffreetensorsnosdeuxsacs.—Tuessérieux?Sasurpriseestparticulièrementdrôleàvoir.Je joue le jeu jusqu’au bout. Je n’avais jamais envisagé de prendre des chambres séparées,mais
maintenantqu’elleenparle,jenetrouvepasl’idéesimauvaise.
Jerefermelecoffreetnouspénétronsdanslehall.—Andrew,jecroisqu’onn’enestpluslà.—Deuxchambresmitoyennesennon-fumeur,s’ilvousplaît.Laréceptionnistepianotesursonordinateur.JefaiscommesiCamrynn’avaitriendit,cherchantma
cartedecréditdansmonportefeuille.—Andrew?—Jen’aipasdechambresmitoyennes,merépondl’employée,maisj’enaideuxfaceàface.—Onlesprend,dis-je.Camrynmechuchote:—Jen’arrivepasàcroirequetusoisprêtàpayerpourdeuxchambresalorsqu’onadéjàcouchédes
millionsdefoisensemble…Ellepoursuitsilongtempssonargumentairequelaréceptionnistefinitparnouslancerdesregardsen
biais.J’adorevoircetteexpressionsurlatêtedesgens,cetteminehébétéesignifiant:«Jen’arrivepasàcroirequevousayezvraimentditça.»
—S’ilteplaît,tais-toi,lancé-jeàCamryn.Jeterendraivisitedanstachambrepourtefairegrimperauxrideaux,net’enfaispas.Inutiledemefaireunescène.
Camrynouvredesyeuxaussigrandsqueceuxdelaréceptionniste.Jelaprendsparlamainetl’entraîneverslesascenseurs.— Je vous souhaite un agréable séjour, nous dit la femme de l’accueil, stupéfaite, lorsque nous
tournonslestalons.Camrynéclatederiredèsquelaportedenotrecabinesereferme.—C’étaitquoi,cedélire?!s’exclame-t-elle,incapabledesecontenir.J’ail’impressionqu’onest
aussimaturesquedeuxmômesdequinzeans.—Maistutemarres,souligné-je.Lejeuenvalaitlachandelle.L’ascenseurs’arrêteaupremierétageetnousendescendons.—Maissérieux,Andrew,pourquoideschambresséparées?Pourluiprouverquemaspontanéitén’estpasvaine,jeréfléchisàlalettrequej’aidemandéàNatalie
dem’envoyer à Chicago. Nous nous arrêtons aumilieu du couloir, devant nos chambres, et je laissetombernossacssurlamoquettemouchetéedevert.
—Justepourcesoir,luidis-jeenplongeantlamaindansmesaffairesenquêtedel’enveloppe.Camrynm’observesilencieusement.Jemedoutequ’elleveutmedirequelquechose,maisnesaitpas
tropquoi.Jemeredresse,lepliàlamain.Ellelecontemplesansparveniràvoirclairdansmesintentions.—Cesoirseulement,turesterastouteseuledanstachambre,luidis-jeenluitendantlecourrier.Elleacessédesouriredèsquejel’aisortidemonsac.Àprésent,ellemedévisageavecunmélange
d’incertitudeetd’étonnement.Ellesesaisitde la lettreavecprudence,commeincertainedevouloirdécouvrircequise trouveà
l’intérieur.Je glisse sa carte magnétique dans la serrure et rentre son sac dans sa chambre. Elle me suit à
quelquespas,silencieuseetsuspicieuse,l’enveloppeserréeentresesdoigts.Jedéposesesaffairessurlelongmeuble télé et examine sa chambre comme je le fais chaque fois. J’allume toutes les lumières etessaie lechauffageavantderabattre lesdrapspourm’assurerqu’ilssontpropres.Mesouvenantdesaphobiedescouvre-litsd’hôtel,jel’arrachecomplètementetlejetteenbouledansuncoindelapièce.
Elleresteaupieddulit,immobile.Jevaismeposterdevantelle.Jeplongemesyeuxdans lessiens.Je faisglissermondoigtsurson
sourcil,puissursajoue,sentantsapeauseréchaufferàmoncontact.J’aienvied’elle.Quandellebaisselesyeuxsurmeslèvres,celaéveilleenmoiquelqueinstinctprédateur.Jeréprimenéanmoinsmondésir.C’estdanssonintérêt;avecunpeudechance,cettesoiréeluipermettradetournerunepage.
—Camestalléeàl’enterrement,m’aditNatalielejouroùjel’aiappeléedechezAidan.Maiselleestarrivéeenretard,elles’estassiseau fond,prèsde lasortie,etelleestpartieavant la finde lacérémonie.Ellearefuséd’approcherducercueil.
—Est-cequ’ellet’enajamaisparlé?luiai-jedemandé.— Non, m’a répondu Natalie. Et chaque fois que j’ai voulu remettre le sujet sur le tapis, les
funérailles,l’accident,n’importequoi,ellem’aenvoyéebouler.Cesoir,Camrynvavivredesmomentsdouloureux,maissiellenelesaffrontepasunefoispourtoutes,ellen’irajamaismieux.
—Tusaisoùmetrouver, luichuchoté-jeenm’éloignant.Jecompteresterdebouttoutelanuit.J’aicommencé à écrire une nouvelle chansonhier, et j’ai vraiment envie de bosser dessus tant qu’elle estencorefraîchedansmonesprit.
Nousnous sommes lentementmais sûrementdécidés à travailler nospropres compositions, surtoutdepuisnotrevoyageàChicago,etaprèsnotreconcertaubard’Aidan,Camrynasembléplusintéresséequejamaisparl’idée.
Elle hoche la tête et sourit faiblementmalgré samine inquiète ; elle cogite sans doute à cause ducontenudel’enveloppe.
—Etsijeneveuxpasrestertouteseuledansmachambre?—Jetedemandedelefaire,luiréponds-jeavecleplusgrandsérieux.Justepourunenuit.Je ne veux pas lui en dire plus,mais j’espère quemon expression sincère parviendramieux à la
convaincrequemesparoles.—D’accord,accepte-t-elle.Jel’embrassesurleslèvresetlalaissedanssachambre.Jepriesimplementpournepasmeprendreunretourdebâton.
CAMRYN
ANDREWMELAISSEDANSLACHAMBRE.SEULE.ÇANEMEPLAÎTPAS,MAISAUCOURSDESCINQMOISQUENOUSavonspassésensemble,j’aiapprisàmefieràlui.Cinqmois.Celam’étonnechaquefoisquej’ypense,caravectoutcequenousavonsvécu,j’ail’impressionquecelafaitplutôtcinqans.Ilm’arriveparfoisdemerappelermonex,Christian,celuiquim’a trompée,celuiavecqui jesuissortiepourmeremettreenselleaprèsIan.Nousnoussommesfréquentéspendantquatremois.Nousnousconnaissionspourtantàpeine.Etaujourd’hui,jenemesouviensmêmeplusdesadatedenaissanceouduprénomdesasœur,alorsqu’ellehabitaitàdeuxruesdechezlui.
Àmillelieuesdecequej’expérimenteavecAndrew.Encinqmois, jesuis tombée totalement, follementet inconditionnellementamoureuse, j’aiapprisà
vivre,j’aidéjàpresquerencontrétoutesafamille,auseindelaquellejemesensparfaitementintégrée,nousavonsremportéuncombatàmortcontrelamaladie, jesuistombéeenceinteetnousnoussommesfiancés. Le tout en cinq mois. Et voilà que nous affrontons encore une nouvelle épreuve. Et qu’ilm’accompagneencorepasàpasdansl’existence.Jemedemandecequejepourraisluiinfligerd’assezignoblepourqu’ilmequitte.Quelquechoseaufonddemoimeditqu’ilneleferaitpourrienaumonde.Riendutout.
Jenemesureraijamaispleinementmachanced’êtretombéesurquelqu’uncommelui.Jemerendsalorscomptequejen’aipascessédescruterlaportedepuisqu’ilaquittélapièce.Je
finisparbaisserlesyeuxsurl’enveloppeetjenesaispaspourquoi,maisjesuisterrifiéeàl’idéedeceque je vais y découvrir. J’ai pourtant tourné et retourné le problème dansma tête pendant près d’unesemaine.Unelettre?Danscecas,dequoipeut-ils’agir?Quil’auraitrédigéeetdansquelbut?PourquelleraisonNataliem’écrirait-elle?Oupourquoiécrirait-elleàAndrew?
Toutcelan’aaucunsens.Jem’assiedsaupieddulit,laissanttombermonsacàmainsurlesol.Jefaiscourirmesdoigtssurle
contourdel’enveloppe:sansdoutedupapier,plutôtépais,pliédeuxoutroisfois.Riendebosseléoud’inégalàl’intérieur.Seulementdupapier.
Jepousseunsoupiretm’apprêteàlareposersanstoutàfaitm’yrésoudre.Jenesaispascequimeretientde l’ouvrir.Voilàune semainequecelame renddingueet,maintenantque j’ai enfin l’occasiond’élucidercemystère,j’enaitroppeur.
Jedépose l’enveloppe sur le lit etme lève, croise lesbras et commence à faire les centpas sansjamaisréellementlaquitterdesyeux.Jesuistoujourssurmesgardes,commesielleétaitsusceptibledemesauterdessusetdemelacérerlajambeaupassage.CommelasaloperiedechatdematanteBrenda.Je farfouilledansmonsacpourenexhumermon téléphoneetappelerAndrewafinde lui fairepartdemontrouble,maisjemesurecombiencelaseraitstupide.
Jemerésousenfinàramasserl’enveloppeet,aprèsl’avoirlonguementsoupesée,jeglisselapointedemon doigt sous le rabat pour le desceller.Malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à l’ouvrirproprement,et jecapituledoncen ladéchirantsansvergogne.Jebalance lepli toutabîmésur le litet
révèle une feuille essentiellement vierge, dont l’objectif principal était de dissimuler la photo àl’intérieur. J’en contemple d’abord le dos, rechignant à la retourner. Je commence par lire le rapidemessagelaisséparNatalie:
C’estlaplusbellequej’aie.J’espèrequecelat’aidera.Jet’aimefort,Nat
Jeretourneleclichéetmoncœurs’écroulequandjedécouvrelevisageradieuxetsouriantdeIan.
Nous regardons tous deux l’objectif, joue contre joue. Les lumières colorées des manèges de la fêteforainedeCarolineduNordilluminentledécoràl’arrière-plan.J’enaisoudainlesoufflecoupé,commesi j’étais tombée dans un lac gelé. Les larmes jaillissent immédiatement de mes yeux, et je laisseéchapper la photo qui tombe sur le lit. J’enfouismon visage entremesmains, recouvrantmes lèvrestremblotantes.
Commentpuis-jem’autoriseràpleurersonsouvenir?Pourquoicelam’arrive-t-il?JenemesuispasdébarrasséedetoutesmesphotosdeIansansraison.Detoutcequimereliaitàlui.
Chaque fichier informatique. J’ai retiré sonnomdemon téléphone. J’aimême jetéma tabledechevetd’enfance, sous laquelle il avait gravé « IAN CAMRYN ». J’ai fait le grand ménage dans monexistence,carcelameblessaittropdesavoirquetoutcequimerestaitdeluiétaitmatériel.Jenepouvaispasgrand-chosecontrelessouvenirs,mêmesijem’étaisefforcéedelesoublierégalement.
PourquoiAndrewm’aurait-ilfaitunechosepareille?Faireremonteràlasurfacetoutecettedouleur.SurtoutsipeudetempsaprèslamortdeLily.
Unepartiedemoimeurtd’enviedeluihurlerdessus,detraversercecouloirpourallerluidiresesquatrevérités.Cependant,maraisonprendledessus.Jesaispourquoiill’afait.Jesaispourquoiilm’alaisséedanscettepièce,seuleaveccettephoto.Parcequ’ilm’aimetellementqu’ilestprêtàmeramenerIanpourunenuitafinquejepuisseenfinfairemondeuildelui.
Maisjenepeuxpasregardercetteputaindephoto!J’ensuisincapable!Lesjouesbaignéesdelarmes,jeplongelesmainsdansmonsacpourenextrairemonplusgrospull,
que j’enfile en hâte avant de quitter ma chambre en courant. Quelques instants plus tard, je sors del’ascenseur etme rue à l’extérieur pour allerm’asseoir sur le sable froid et observer l’océan et sonhorizonsansfin.
18
ANDREW
JEMEDEMANDESIELLEVAL’OUVRIR.MERDE,JEMEDEMANDEAUSSISIELLEVAM’ENVOULOIRÀMORTDELUIavoirinfligéça,maissiçapeutl’aider,jesuisprêtàcourirlerisque.
J’allumelatélévisionetunevieillerediffusiondeSeinfeldvientromprelesilencedemachambre.Jemedébarrassedemeschaussuresduboutdespiedsetvaisprendreunedouche,laissantl’eaubrûlantemepleuvoirdessusjusqu’àcequ’elletiédisse.Jen’arrivepasàpenseràautrechosequ’àCamryndanssachambre,medemandantsielleobservelaphotodesonexdécédéetsielletientlechoc.J’aitrèsenvied’aller lasoutenirdanscetteépreuve,maisjesaisqu’ilvautmieuxqu’ellel’affronteseule.Elleauraitd’ailleursdûs’enoccuperdepuislongtemps,bienavantnotrerencontre.
Aprèsm’êtreséché,j’enroulelaservietteautourdematailleetfarfouilledansmonsacenquêted’unboxer.Jem’assieds,monregards’attarded’abordsurlatélé,puissurlemur,puisdenouveausurlatéléjusqu’àmerendrecomptequec’estseulementunsubterfugepourtenterdeneplussongeràCamryn.
J’écoute cinq chansons en aléatoire sur mon MP3 avant de me décider à aller prendre de sesnouvelles.J’essaied’aborddel’appelersursonportable,maisellenedécrochepas.Jemesersensuitedutéléphonedelachambre.Toujourspasderéponse.Elleestpeut-êtresousladouche.J’essaiedem’enconvaincre jusqu’à ce quemon instinct prenne le dessus. J’enfilemon jean et un tee-shirt àmancheslongues,puistraverselecouloirséparantnosdeuxchambres.Jeplaquemonoreillecontresaporte.Jen’entends pas d’eau couler. Je me sers donc de sa deuxième carte magnétique pour déverrouiller laserrure.
Elle n’est pas là. Mon cœur s’emballe tandis que je fouille la pièce. La première chose que jeremarqueestlaphotogisantsurlelit;jenel’avaispasencorevuejusque-là.Jelaramasseetl’étudieuninstant. Camryn semble si heureuse.Voilà la Camryn que je connaissais, avec sonmagnifique sourireplein d’énergie. Jem’en souviens parfaitement. Elleme souriait souvent ainsi quand nous faisions larouteensemble.
Sentant poindre la panique, je détourne la tête et regarde par la fenêtre. Je scrute le noir océan.Quelquespersonnessepromènentsurlajetée.Sanslâcherlaphoto,jeretournedansmachambre,enfiledeschaussuressans lesnoueretmedirigevers laplage.Lafraîcheurde l’airn’estpas insupportable,maissuffisammentprégnantepourquejemefélicited’avoirmisdesmancheslongues.Jelacherchelelong de la promenade, examine tous les transats devant l’hôtel,mais elle est introuvable. Je range leclichédansmapochearrièreetmemetsàtrottinerversl’eau.
Jeladécouvreassisedanslesablenonloindelà.
—Onpeutdirequetum’asfaitpeur.Jemelaissetomberàcôtéd’elleetluipasseunbrasautourdesépaules.Elleregardefixementlesvagues,laissantlabrisefraîchejouerdanssescheveuxsansm’adresserle
moindrecoupd’œil.—Jesuisdésolé,luidis-je.Jevoulaisjuste…—Jet’aime,Andrew,m’interrompt-ellesanstournerlatête.Jenesaispascommentunefillepeutà
lafoisavoirautantdechanceetunetellepoisse.Nesachantpas tropoùelleveutenvenir, jeredoutededireunmotde travers,etpréfèredoncme
taire.Jelaserrecontremoipourpartagermachaleur.Toujourssansunmot.—Jenet’enveuxpas,reprend-elle.Audébut,si,maisplusmaintenant.—Dis-moiàquoitupenses.Elle persiste à contempler l’horizon. Les vagues viennent lécher la plage quelquesmètres devant
nous.Unminusculepointblanc,lephared’unbateau,semeutauloin.Soudain, je sens le regard deCamryn se poser surmoi, et je tourne la tête dans sa direction.Les
bâtimentsdansnotredosetlaluneproduisentjusteassezdelumièrepourmepermettrededistinguersestraitsdélicats,tandisquedesmèchesdecheveuxluibalaientlesjoues.Jetendslamainpourenécarterquelques-unsvenusselogerdanssabouche.Elleseradoucitetdéclare:
—J’aimaisIan.Beaucoup.Maisjenevoudraispasquetupenses…Jesecouelatête.—Camryn,nefaispasça.Iln’estpasquestiondemoi,d’accord?dis-jeenchassantunenouvelle
mèchedecheveuxrebelles.Ellemarqueunecourtepause,etjesenssamainseposersurmongenou.J’entrelacemesdoigtsaux
siens.Ellepivotedenouveauverslamer.—Jenevoulaispasalleràsonenterrement,avoue-t-elle.Jenevoulaispasmesouvenirdeluidans
cetétat,ajoute-t-elleenm’observantàladérobée.Tuterappellescejour,danstonappartement,oùjet’aisurprisautéléphoneavecAidan,quandilessayaitdeteforceràallerauxfunéraillesdetonpère?
Jefaissignequeoui.—Tuluiasrépliquéquetuaimaistesouvenirdesgensvivants,pasgisantdansuneputaindeboîte.
Ehbien,c’étaitexactementcequejeressentaismoiaussi.Jen’aijamaisvouluyaller.C’estaussipourçaquejenevoulaispasvoirLilyetquej’aioptépourlacrémation.
—Maistuasfinipart’yrendre.Àl’enterrementdeIan.Jepréfèrenepasm’appesantirsurLily,pourl’instant.C’estunsujetinfinimentplusdouloureux.Pour
touslesdeux.Jel’aivue.Elleétaitsipetitequej’auraispulateniraucreuxdemamain.MaisCamrynarefusédelaregarder.
Ellesecouelatête.—Pasvraiment, rectifie-t-elleaprèsunmomentderéflexion.J’yétaissansyêtre.Mafaçonde le
laisserpartiraétédelechasserdemonesprit,d’oubliersavoix,sonvisage,tout.Jen’ysuisalléequeparcequetoutlemondes’attendaitàm’yvoir.Sijenem’étaispastantsouciéedel’opiniondesautres,jeseraisrestéechezmoi,cejour-là.
—Maiscen’estpascommeçaqu’onfaitsondeuil,dis-jeenpesantchacunedemesparoles.C’estexactementcommepousser lapoussièresousle tapis.Ellereste là.Etonlesait.Etellenecesseradenoustorturerl’espritjusqu’àcequ’ons’endébarrassecorrectement.
—Jesais,admet-elle.Aprèsplusieurssecondesdesilence,jeplongelamaindansmapochearrièreetenextraislaphoto.
—Tusais,s’ilétaitencorevivant,jeseraisunpeujaloux.Ilestplutôtcanon.Camrynmesouritetjeconstatequesesyeuxontesquivélecliché.Jeleposesurlesable,prèsdenosgenoux.Puisjereprends,leplussérieusementdumonde:—Camryn, ton problème– les pilules et tout ça – n’a pas uniquement à voir avecLily.Tu en as
conscience,pasvrai?Ellegardelesilence,maisjesaisqu’elleréfléchitintensémentàcequejeviensdeluidire.—Tuastoutbalayésousletapis.Ian.Lily.Natalieprétendquetuasadoptélamêmestratégiepourta
grand-mère,pourCole,etpoursurmonter ledépartde tonpèrequisembledavantages’intéresseràsanouvelleconquêtequ’àtoi.(Jeformuleleschosescrûmentcarc’estainsiqu’ilfautqueceschosessoientdites.)Aulieudegérerlasituationoudefairetondeuil,tuaspréférérepoussercesévénementsdansuncoinenattendantqu’ilsdisparaissent.Tufaisaisdéjàçabienavantnotrerencontre.Maisilfautquetuterendescomptequetouts’accumule,jusqu’aujouroùtufinisparpéterunplombetteretrouveraufonddugouffre.
—Jesais.Tuasraison,commed’habitude,réplique-t-elled’untonabattu.—Tulepensesvraiment,ouest-cequetumedisçapourquejemetaise?Jeluisouris,espérantluiarracherlapareille.Celafonctionne.Ellemeréponddonc,lesourireauxlèvres:—Oui,jelepensevraiment.J’auraisjustepréféréledécouvrirplustôt.—Etqu’est-cequit’aouvertlesyeux?—Monphilosophetatoué.Elleéclated’unrirequimeréchauffelecœur.Jen’arrivepasàcroirequ’ellerigole.Jecraignaispourtantqu’ilneluifaillebeaucoupdetempspour
assumertoutça,maisellemesurprendchaquejourunpeuplus.—Unphilosophe,hein?Pasvraiment.Maisj’acceptelecompliment.Camryneffectueunquartdetouretposelatêtesurmesgenoux.Ellemecontempleavecsesyeuxde
biche,etjenepeuxm’empêcherdeluicaresserlevisage.—Tuveuxsavoirlavérité?medemande-t-elle.—Biensûr,réponds-je,soudainunpeuanxieux.—C’estcequejet’aiditchezAidan:sijeteperdais,jen’ysurvivraispas.Quandj’aifaitmafausse
couche,çaafaitrejaillirtoutesmesanciennescraintes.J’aieupeurdeteperdre.C’étaitcommesicettenouvelle tragédieavaiteu lieupourmerappeleràquellevitesse lamortpouvaitnousarracherunêtrecher.Siledestinpeutsemontrerassezcruelpourtuermonbébé,alorspourquoit’épargnerait-il?Çamefait flipper,Andrew. L’idée de te perdre un jourme ronge de l’intérieur. Et comme j’ai déjà failli teperdreunefois,çan’enestquepluscrédible.
—Commejetel’aidéjàdit…Elleseredresseetvientseposterenfacedemoi,lesgenouxenfouisdanslesable.— Je sais ce que tum’as dit, m’interrompt-elle.Mais peu importe ce que tu penses, même si tu
trouves toujours lesmotspourme réconforter.Tunepeuxpas savoircequivasepasser,Andrew.Latumeurpourraittrèsbienreveniret,malgrétoutcequ’onpourrafaire,malgrétouteslesprécautionsqu’onpourraprendre,ellepourraittetuer.
Je faisminedediscuter,maiselleest si absorbéepar son raisonnementque je saisque jedois lalaisserfinir.
—Tueslameilleurechosequimesoitjamaisarrivée,poursuit-elle,etjepeuxteregarderdroitdanslesyeuxett’affirmersincèrementque,mêmesic’estdouloureux,jepeuxendurerlamortdeIan.Etmême
celledeLily.Oucelleden’importequi,même si je sais àquelpoint ladouleur sera atroce.Mais latienne…Jenepourraipasl’accepter.Jamais,conclut-elleaprèsunebrèvehésitation.
Lesilencequis’installeentrenousamplifielebruitduressac.J’aienviedelaprendredansmesbras,del’embrasseràpleinebouche,maisjeresteassisàlacontempler,carjen’aijamaisentendu,ressentioucomprisparolesaussipuissantes.
Je finis par étendre les bras pour la hisser dansmon giron. Je croise lesmains dans son dos, laregardedroitdanslesyeuxetréplique:
—Jetecrois,carjeressensexactementlamêmechose.Elleinclinelégèrementlatêtedecôté.—Vraiment?—Ouais.Camryn, jenepeuxpasvivre sans toi. Jepourrais essayer,mais ce serait uneexistence
longueetmalheureuse.Ilnes’agitpasseulementdemoi:toiaussi,tupourraismourirdemain.Tun’espasimmuniséenonplus.
Elleneformulepasd’objection,maissedétourneunbrefinstant.Jeluiprendslesjouesentremesmainspourlaforceràmeregarderencore.Sapeauesttoutefroide.—Ondoitvivrel’instantprésent,tuterappelles?Cesmotssuffisentàcapterdenouveausonattention.J’enprofitepourajouter:—Ilfautqu’onfasseunpacte,toietmoi,maintenant.Tuveuxbien?Jedéplacelégèrementmespaumespourréchauffersesoreillesglaciales.—D’accord.Jesuisraviqu’ellemefassesuffisammentconfiancepournepasmeposerdequestionavantdeme
donnersonaccord.Duboutdel’index,jetraceuncercledepuissonfrontjusqu’àsonmentonenpassantparsesjoues.—On ne peut pas contrôler lamort, dis-je. Ni toi nimoi ne pouvons rien faire pour l’éviter ou
repousserl’échéance.Toutcequenousmaîtrisons,c’estlafaçondontnousvivronsnotrevieenattendantlejourfatidique.Alorsfaisons-nousdespromessesquenouspourronshonorerquoiqu’iladvienne.
Ellehochelatêteetsefendd’unlégersourire.—Quelgenredechoses?s’enquiert-elle.—N’importequoi.Cequ’onattendl’undel’autre,parexemple…Jemelèveetenfouismesmainsdansmespoches.Jescruteattentivementl’océan,cherchantcequeje
voudraisluifairepromettre.Uneseulechosemevientàl’esprit,jemeretournedoncversCamryn,pointeundoigtaucieletdéclare:
—Çan’arienàvoiraveclatumeurouautrechoseenparticulier,maisjeveuxquetumepromettesque si je me retrouve un jour sous respirateur artificiel, et si tu sens au fond de toi que je ne m’enremettraipasetquejesouffre,alorstumedébrancheras.
Sonsourires’efface.Ellemedévisaged’unairneutre,commesijevenaisdetoutgâcher.Jeluisaisislamainpourlaforceràserelever.
—Cen’estpaspourêtremorbide.C’estjusteuntrucquim’atoujoursangoissé,tucomprends?Onvoit ça parfois à la télé ou dans des films. Un type est raccordé à toutes les machines possibles etimaginables,toutçaparcequesafamilles’accrocheàunespoirinexistant.Jesaisquel’espoirfaitvivre,mais cegenrede trucme terrifie. (Je lui attrapedoucement lesbras.)Neme laisse jamaisdevenirunlégume.Promets-le-moi.Tumeconnaismieuxquequiconque,etjecomptesurtoipoursavoirquandjen’enpourraiplus.Alors,promets-le-moi.
Lentement,ellecommenceàselaisserconvaincre.Çaluiprendquelquessecondes,maisellefinitparacquiescer.
—Promets-le-moiaussi.—C’estpromis,luidis-jeensouriant.Ellereculed’unpasetremontelesmainsdanssesmanches.Elles’étreintpourseréchaufferetsemet
àfairelescentpas.Elles’arrêteetmefaitface.—Promets-moiquesij’attrapelamaladied’Alzheimeroudevienssénile,tuviendrasmevoirtous
lesjoursmêmesijenemesouviensdepersonne,etquetumeferaslalecture,commeNoahavecAllie.—Quiça?demandé-je.(Maisçamerevientpresqueaussitôt.)Oooh,jevois…J’éclatederireetsecouelatête.Sesyeuxetsonsourires’agrandissentquandellecrie:—Andrew!Cen’estpasdrôle!Jesuissérieuse!Jelaprendsalorsdansmesbras.—D’accord,d’accord!luidis-jeenlaserrantdeplusenplusfort,tandisqu’ellesetortillepourse
libérer.—C’étaittonidée,paslamienne,alorsneprendspasçaàlalégère.—Jesais.Tuasraison,mais…sérieux?Tuveuxqu’onserejoueN’oubliejamais?Ellemedonneuncoupdecoudedansleventreetjemeplieendeux,exagérantladouleur,levisage
déformé de souffrance et de rire. Pour ajouter l’humiliation à la blessure, Camryn me pousse sansménagementetmefait tomberdanslesable.Puiselleplaceunpieddepartetd’autredemeshanches,poselesmainssurlesmiennesetmetoisedefaçonautoritaire.Jelaisseunemainsurleventre,luttantpourgardermonsérieux,mêmesijesaispertinemmentqueçanesuffitpas.
—C’estbientongenredetemoquerdeschosesgraves.Elleaffirmecelaavecuntelaplombquejem’esclaffederechef,d’autantplusqu’ellepeineàrester
stoïque.Elles’apprêteàs’asseoirsurmoietsansdouteàmegiflerdesespetitesmainsfragiles,maisjesuis
lepluspromptetjel’agrippeentrelesjambesenserranttrèsfort.Elleauraitbasculésijenel’avaispasretenue.—Ouille!gémit-elle.PutainAndrew!Qu’est-cequiteprenddem’attraperparlà?J’accentuelapressionetmeredresselégèrement,lafaisants’inclinerenarrière.Ellefinitpartomber
àgenoux,lesyeuxàhauteurdesmiens.—J’aimebiença,chuchoté-jetoutcontreseslèvres.Maintenant,nebougeplus.Notrehumeurchangeenunefractiondeseconde.Sapeauseréchauffesubitement,sonregardsefait
plusintense,soncorpsdocile.—Ilyadesgens,dehors,tente-t-elledeprotester.Maismamainserefermantsursonentrejambeluicoupelesouffle.Jemeperdsdanslacontemplationdesesyeux,deseslèvreshumidesetcharnues,avantdedéclarer:—Jem’enfiche.Ilssontloin.—Mais…qu’est-cequetufais?—Nebougepas.Nefaispasdebruit.Jeluilèchedélicatementlalèvreinférieure,quejesuçoteensuite.Elleessaiedem’embrasser,mais
jenelalaissepasfaire.Jeretirelamainposéesursonpantalonetl’introduissousletissupourpercevoirsa chaleur. Je n’en reviens pas, elle est déjàmouillée. Je l’embrasse dans le creux du cou et inspireprofondément pourm’imprégner de son odeur.Elle reste parfaitement immobile, en dépit de quelquesfrémissements et de son cœur qui s’emballe. J’ai très envie de la baiser.Mais je n’en fais rien pourl’instant,carj’adoremefairelanguir.
Monautremain,jusqu’alorsposéesursataille,glissejusqu’àsescuisses,laforçantàlesespacer.
—Écartelesjambes,ordonné-je,toujourscontresabouche.Et elle obtempère, jusqu’à venir plaquer les genoux contre le sable. Elle se crispe légèrement en
apercevantunhommedéambulernonloindelà,maisjelapincedenouveau,introduisantdeuxdoigtsenelle et la forçant àme regarder. Elle hoquette et je frissonne silencieusement, la sentant se contracterautourdemesdoigts.Jenemelassepasd’observersonvisage,scrutantsesprunellesavantdem’égarerparfoissursabouche.
—Regarde-moi,luidis-je.Etsituasenviedefermerlespaupières,abstiens-toi.Nemequittepasdesyeux.
Elleacquiescetimidement,commeredoutantquejem’interrompeencasdemauvaiseréponse.J’effectue d’abord de lents va-et-vient de lamain, me servant de son humidité pour lubrifier son
clitoris,autourduqueljedécrisdepetitscerclesdumajeur.Chaquefoisquejeletouche,ellefaitminedefermer les yeux,mais jem’arrête aussitôt que je le remarque et elle s’efforce de les garder ouverts.J’introduisdenouveaumesdoigtsenelle,unpeuplusvitecettefois,enmaintenantunepressiondupoucesurlepointsensible.D’infimesgémissementss’échappentd’entreseslèvresentrouvertes,etnossoufflessemêlentenunmêmenuagedevapeurdansl’airfrais.Maisellenemequittepasdesyeuxetneprononcepasunmot,mêmesijesaisqu’ellemeurtd’enviedefairelesdeux.
Jechuchoteàsonoreille:—Àprésent,tutefichescomplètementqu’onpuissenousvoir,pasvrai?Tumelaisseraisteprendre
icidevanttoutlemonde,quitteàavoirhonteplustard.Ellemefaitsignequeoui.Sanscesserdefairealleretvenirmesdoigts,jedemande:—Qu’est-cequetumelaisseraisfaired’autre?—Toutcequetuveux,répond-elledansunsouffle.—Toutcequejeveux?J’appliqueplusfermementmonpoucecontresonclitoris.Sarespirationsefaitdeplusenplussaccadée.—Oui…Ohoui,toutcequetuveux.Ses mots, sa voix chargée de désir me rendent dingue, et je bande si fort que c’en est presque
insupportable.J’accélèreencorelacadence.Soncorpssemetàtrembler,sescuissespeinentàresterenplace.Jem’écartedesonoreillepourreplongermesyeuxdanslessiens.Lesoufflecourt,elles’efforcede soutenirmon regard,mais ses paupières sont de plus en plus lourdes. En voyant ses prunelles sedilaterquandj’atteinslebonendroit,jem’efforcedemaintenirlerythme.
—Netedétournepas,luidis-jeenl’observantavecintensité.Alorsqu’ellecommenceàjouir,jecapturedanssonregarduneétincelled’extase.Jesenslachaleur
desonorgasmeémanerdelapeaudélicatedeseslèvres,quitententdeserefermervoracementsurlesmiennes,cequejeprendssoind’éviter.Etdèsquesesconvulsionssemblentsetarir,j’enfoncemesdeuxdoigtsplusprofondément tandisqu’elle secontracteautourde toutes ses forces, tendant lebassinversmoipouraccentuerlecontactdemonpoucesursonclitoris.
Elles’effondrefinalementcontremontorse.J’enserredemesbrassoncorpstremblotantetl’embrasseausommetducrâne.—Putain,qu’est-cequetumefais?gémit-elle.Jericanedoucementetl’étreinsdeplusbelle.—Toutcequejeveux,réponds-jed’unairretors.Ellesoulèvelégèrementlatêtepourmedévisager.—Ehbien, cette fois, tu auras beau t’y opposer, je ne te laisserai pas t’en tirer sans te rendre la
pareille.—Ahbon,c’estcommeça?—Oui,c’estcommeça,alorsnet’avisemêmepasd’essayer.—Etqu’est-cequetucomptesmefaire?demandé-jeensentantmonsourires’élargir.—Toutcequejevoudrai,réplique-t-elleavecunsourirepleindesous-entendus.Ellesemetalorsdeboutetmetendlamainpourm’aideràmerelever.—Maispasdehors,précise-t-elle.Ilcommenceàfairetropfroid.—C’esttoilechef,dis-jeenlalaissantm’entraîneràsasuite.Je fais comme si je n’avais rien remarqué,mais dès que nous nous éloignons de la plage, elle se
retourneunedernièrefoisverslaphotodeIanetelle,gisantsurlesable.Ellemeserrelamainplusfortetmesourittandisquenoustraversonslapromenade.
Jesaisquejen’aipasfaitgrand-chosepourl’aideràtournerlapage.Certes,jel’aiforcéeàlefaire,maisc’estbienelle,qui,àcetinstant,aaffrontésesplusgrandespeurs.Ellearegardédanslesyeuxunepersonnequ’elleaaiméeetperdue,etafiniparadmettre lafatalité.Forceestdereconnaîtrequecelas’estdéroulédefaçonétrange,etquejen’étaisvraimentpassortiavecl’intentiondem’envoyerenl’air,surtoutdansuninstantpareil.MaisCamrynavaitbeaucouppenséàIan,seulesurcetteplage,etavaitdéjàtoutrésolubienavantquejelarejoigne.
Jenesaispastropcommentelles’estdébrouillée,niquelaétémonrôleexactement,maisquandnoussommesrentrésàl’hôtel,savéritablepersonnalitépointaitdéjàleboutdesonnez.
MaCamrynremontaitlapenteet,avecelle,j’étaissurmonpetitnuage.
19
CAMRYN
8décembre,jourdemonvingtetunièmeanniversaire
COMMELESTEMPÉRATURESCOMMENCENTÀBAISSER,ANDREWETMOIDÉCIDONSDEBIFURQUERVERSLESUD.Nousn’avonspasséqu’uneseulenuitàVirginiaBeach,d’oùnousavonslongélacôtedelaCarolineduNordjusqu’àMyrtleBeach,enCarolineduSud,oùj’aidégottémonpremierpetitboulotdeceroad-trip:desménages.Certainementpasmonpremierchoix,surtoutdepuisqu’Andrewm’aéclairéesurlessaletésquelesclientsonttendanceàlaisserderrièreeux.Maisiln’yapasdesotmétier,etçanem’apastantdérangée, saufquand il s’agissait denettoyerdes corbeilles àpapier au fonddesquellesdevieuxchewing-gumsrépugnantsrestaientcollés.Désolée,maislesimplefaitd’ypensermedonnedeshaut-le-cœur. J’ai appelé Andrew pour le supplier de s’en charger à ma place. Bien entendu, je l’aicomplètement soudoyé à coups de promesses de gâteries incroyables réalisées dans divers endroits.Superchouette.Nan,sérieusement?J’adoreluifaireceplaisir.Jefaisjusteparfoissemblantdedétesterça,maisjecroisqueçaluiplaîtparcequ’ilaimem’entendremeplaindre.
Bref,apparemment,lesménagessontcommedesportesàtambour:lesemployésvontetviennentsisouventqu’il arrivemêmequ’ilsne soient jamais inscrits sur les registresofficiels. Jeme suis fait laréflexionquecelapourraitsacrémentjouerenmafaveuraucoursduvoyage.Etdonc,enéchangedelamoitiéduprixdenotrechambred’hôtel,etparcequ’ilsétaientàcourtdepersonnel,jeleuraidemandésijepouvaisfileruncoupdemainetilsm’ontembauchéeaussitôt.
Mais ça n’était que temporaire, car Andrew et moi devions vite partir d’ici pour rallier notreprochaine destination,même si nous ne la connaissions pas encore.Nous n’y réfléchissons jamais enavance.Laseulerèglequenousnoussommesfixéeestderestersurlacôte.Aumoinsjusqu’auprintemps.Ce qui nous laisse encore plusieursmois pour voir venir, et pour l’heure, nous sommes joyeusementinstallésdansunpetitbungalowhôteliersurlamagnifiqueplagedeSavannah,enGéorgie.
Etaujourd’hui,jevaisfêtermesvingtetunans.Andrewm’arracheàmonprofondsommeilenouvrantgrandlesrideauxdenotrefenêtregigantesque
pourlaisserlesoleilemplirlapièce.—Debout,lareinedelajournée!Joyeuxanniversaire!s’exclame-t-ildepuislepieddulit.Jel’entendstambourinerduplatdelamainsurlereborddelafenêtre.Je grogne et roule de côté, tournant le dos au soleil et m’enfouissant la tête sous les draps. Une
bourrasqued’airfroids’abatsurmoiquandAndrewdéfaitbrusquementlelit.
—Oh,allez!gémis-jeenremontantmesgenouxcontremapoitrineetenmecollantl’oreillersurlevisage.Tupourraismelaisserdormirlejourdemonanniversaire.
Soudain,moncorpsestsoulevédumatelas,auqueljetentedésespérémentdem’agripper.Andrewmetientfermementparlacheville.Jemedébatspourmelibérer,maisilm’attireàluiendeuxtempstroismouvements, et je finis par capituler. J’atterris les quatre fers en l’air aumilieu d’une pile de drapsfroissés.
—Tuesvraimenttropcon!m’esclaffé-je.—Maisc’estcommeçaquetum’aimes.Maintenant,debout.Lescheveuxtoutemmêlés,jelèvelesyeuxversluietfaislamoue.Ilmesouritetmetendlamain.Je
m’ensaisis,etilm’aideàmemettredebout.—Joyeuxanniversaire,mabelle!medit-ilenmeplantantunbaisersurleslèvres.Jebronche légèrement, sachantque jedoisavoirunehaleine incommodanteetque je saisqu’ilne
manquejamaisuneoccasiondemelefaireremarquer.Andrew plonge la main dans la poche de sa veste et en sort un petit écrin en velours noir.
Manifestement,iladéjàfaitdestasdechosescematin,maisc’estsurtoutlecadeauqu’ilmedéposedansla paume quim’intrigue. Je l’observe avecméfiance, prête à lemordre si je découvre qu’il est allédépenserunesommefollederrièremondospourm’acheterunbijou.
—Andrew?demandé-jed’untonsoupçonneux.—Ouvre,secontente-t-ilderépondre.J’aiétésage.Promis.Illèvelesdeuxmainspourm’assurerdesabonnefoi.Doutanttoujoursdesonapparentesincérité,jesoulèvelecouvercledelaboîteetrévèleunpendentif
endiamantquim’arracheunlégerhoquetdesurprise.Puisjeleregardedroitdanslesyeux.—Andrew,jetejureque…Jejetteunnouveaucoupd’œilàmoncadeau,mesentantcoupablerienquedeletenir.—Cen’estpaspossibleque…—Promis,répète-t-ilavecunsourirecharmeur.Çan’étaitpastrèscher.Jememordslalèvreinférieured’unairsceptique.—Combien?—Oh,environcentvingt-cinq.Pasplus.Croixdebois,croixdefer.IltraceunXsursoncœurpourscellersapromesse.Puisilsortlecollierdesonécrinetlelaissependreauboutdesondoigt.—Ilteplaît?m’interroge-t-ilenvenantsepositionnerderrièremoi.Je soulève instinctivement les cheveux qui me tombent sur la nuque pour lui permettre de me
l’attacher.—Ilestparfait,Andrew.Ilmeplaîtbeaucoup.Jel’adore.Dèsqu’iltientenplace,jeprendslapierreentremesdoigtspourl’admirerdeplusprès.Jefaisvolte-faceetmehissesurlapointedemespiedsnuspourl’embrasserprofondément.J’aidumalàcroirequ’un trésorpareiln’aitpascoûtéunefortune,mais ilmeditprobablement la
vérité.Dumoins,jelepense…—Merci,monchéri,dis-je,rayonnante.Ilm’assènesoudainuneclaquesurlesfessesetdéclare:—Ilfautqu’onsorte,aujourd’hui.J’enaimarrederesterenfermé.Marredufroid,aussi.J’aimerais
pouvoirhiberner.Ensortantunetenuepropredemonsac,rangéàcôtédelatélé,jerenchéris:—Pareil.Qu’est-cequ’onfait,alors?
—Jenesaispas.N’importequoi.Maishabille-toichaudement.Uneprécisioninutile.Mêmeêtresurlacôteetplusausudn’apassuffiànousréchauffercesderniers
jours.Nousrêvonstousdeuxdeprintempsetd’été,tantetsibienquenousneparlonsquasimentplusquedeça.Jemeplainssouventdenepaspouvoirpassermespiedsnusparlafenêtredelavoituresansgelersurplace,et lui râleparcequenousn’avons toujourspaseu l’occasiondedormirdansunchampà labelleétoile.Biensûr,jem’abstiensdeleluidirecarcelaneferaitquerenforcersadétermination,maisilnemetardepasdepasserunenuitdehors.Jamaisplus.Pasaprèscequinousestarrivélesoirdenotrepremièretentative.Non.Leslitsd’hôtelmeconviennenttrèsbien.Aumoins,onnerisquepasd’ytrouverdesserpents.
L’hiverestvraimentdéprimant.Jesupposequec’estpourcelaqueletauxdesuicideestsiélevéenAlaska.C’estunÉtatmagnifique,maisjepréfèresanshésiterm’échouerdanslachaleurinsoutenabledel’undesdésertsdusud.
J’enfileplusieurscouchesdevêtements:unmanteauépais,uneécharpe,desgants,etj’enpasse.Etpourtant,jesuisencoregelée.
AvecAndrew,mêmel’hiverdevientchaud!J’aitoujourstrouvésexylesmecsavecunbonnet,mais
commeilyajoutesonblousonnoirdecouturier,sonpullanthracite,sonjeansombreetsesDocMartens,jenepourraisrêverplusbeaucadeau.Jesourisintérieurement,tandisquenousdéambulons,maindanslamain,àtraverslapetitefoulequiseréfugiedanslepharepouréchapperaufroid,quandtroisfilles,sansdoute des touristes aussi, contemplentAndrew en bavant littéralement d’envie. Je jubile secrètement ;c’estcequeferaittoutefemmenormalementconstituée.Jen’aijamaisvupersonned’aussiséduisant.Pasétonnantqu’ilaitétémannequin.Ildétesteenparler,c’estpourquoijem’acharneàremettrelesujetsurlatable,justehistoiredelevoirsedandinernerveusementd’unpiedsurl’autre.D’ailleurs,ilserasemoinssouventqu’avant,etavecsabarbedetroisjours,ilestencorepluscraquant.
Nousgrimponsl’escalierenspiralemenantausommetduphare,etnousadmironsensemblelavueimprenablesurl’océan.C’estvraimentuntrucàfaire.Nousavonsnaviguéàvue,roulantdanstoutelaville jusqu’à trouver un endroit qui nous intéresse. Cependant, se la jouer spontanés durant les moisd’hiver,c’estquitteoudouble.Nous laissonspendrenosbraspar-dessus labalustradeetnouscollonsl’unàl’autrepournousréchauffer.Àcettehauteur,desrafalesglacialesnouscinglentlevisage,etjemedoutequemonnezetmesjouessontprobablementtoutrouges.
Ilnousfautcinqminutespourdécréterquenousenavonsassezvu,etnousretournonsàlavoitureencourantpresque.
—Etsionallaitauciné?demande-t-ildederrièrelevolant.Ou…Bon,c’estdécidé,onhiberne.Nousrestonsassisdansl’habitacleuneéternité,letempsdetrouveruneactivitéintéressante.—Onn’aqu’àroulerunpeu,suggéré-je,àcourtd’idées.—Oupartird’ici.Jehausselesépaules.—Situveux.Puisj’aperçoisunebannièrerougeindiquant«Marchéauxpucesetantiquités».—J’aienviedefairedushopping.Andrewnesembleguèreenthousiaste.—Dushopping?Jedésignelabanderole.—Pasdansuncentrecommercialnirien,précisé-je.Maisonpeutfairedebellestrouvaillesdansun
marchéauxpuces.
Ilnesautepasdejoie,maisjedevinequ’ilaconsciencequec’esttoujoursmieuxquedesepromenerdanslefroidouderesterdanslaChevellesansrienfaire.
Il finit par céder car, disons-le tout net, il n’apasvraiment le choix. Il effectueunebrèvemarchearrièrepoursortirdesaplacedeparkingetnousprenonsladirectiondumarché.Nousytrouvonsunpeudetout:deschapeauxridicules,desinstrumentsdentairesd’uneautreépoque,desédredonsfaitsmain,descassettesvidéoetdesdisques.RiennesembleréellementpassionnerAndrew,jusqu’àcequ’ilmettelamainsurunecaisseenboispleinedevinyles.
—Jen’avaisplusvudedisquedeLedZeppelindepuisdesannées!s’exclame-t-il.Lapochettequ’iltientàlamainestsacrémentuséeetdécolorée,commesielleavaitpassétrenteans
dansungrenier.Pourtantillamanipuleavectantdesoinqu’ellepourraitêtreàl’étatneuf.—Tunecomptestoutdemêmepasacheterça,si?—Pourquoipas?s’étonne-t-ilsansmeregarder.Ilretournel’objetpourenobserverlafacearrière.—Parcequec’estunvinyle?—Ouais,maisunvinyledeLedZeppelin,objecte-t-il.—Certes,etalors?Commeilnerépondpas,jemepermetsd’insister.—Surquoitucomptesl’écouter?Ilfinitparm’accordertoutesonattention.—Jenecomptepasl’écouter.—Alors,pourquoil’acheter?Puis,j’anticipesaréponseetl’imited’untonsarcastique:—Oh,c’estunepiècedecollection,j’aipigé.Tupourraislefaireencadrersurlabanquettearrière
delavoiture,raillé-jeavecunsourirenarquois.—Oualors,jepourraisl’installeràl’avantettefaireasseoirderrière.J’enrestebouchebée.Andrewsouritetreposeledisquedanslaboîte.—Jenevaispasl’acheter,décide-t-ilfinalementenmeprenantlamain.Quelquesminutesplustard,nousnousarrêtonsdevantunautreétal,proposantdesvêtementsvintage.
Tandis que je passeméticuleusement en revue chaque article, Andrew s’approche du stand voisin oùs’accumulentdescentainesdeDVDetdeBlu-ray.Ilcontemplelesétagèreslesbrascroisés,prenantletempsdelireletitredechaquefilm.Jen’aperçoisquel’arrièredesoncrânedel’autrecôtédugrillagedeboisséparantlesdeuxéventaires.Jeretourneàmesvêtements,prised’unbesoininsistantdepossédertoutcequejetouche.J’adorelesvieillesfringues.Mêmesijen’enportepas,etn’enaiaucunedansmesarmoires ; néanmoins, cela fait partie des choses qu’on ne peut pas s’empêcher d’examiner avecadmirationens’imaginantlesporter.
Jerepousseunàunlescintresmétalliquesafind’êtresûredenerienrater.Deschemisiersàmanchesgigotetlacetsdecuir,descorsets,desrobesauxlonguesmanchesfleuriesetàjabotdemousseline,desbottesdestylevictorien…
Qu’est-cequec’estqueça?Moncœurs’arrêteunesecondequandj’écarteuncintreetaviselavieillerobeivoireauxmanches
bouffantesdechezGunneSax.Jelaplaquecontremoietmetourneverslemiroir.Lebaseffleuretoutjustelesol.Jelamaintiensd’unemainàmahauteur,puistiresurletissuduboutdesdoigtsetmemetsàvirevolter.
—J’adorecetterobe!m’exclamé-je.Ilmelafaut.
—C’estvraiqu’elleestpasmal.Lavoixd’Andrewdansmondosmefaitsursauter.Légèrementgênéequ’ilm’aitsurpriseàmemirerdelasorte–etàparlertouteseule–,jen’osele
regarderenface.Aulieudequoi,jejetteuncoupd’œilàl’étiquette.Elleestàmataille!C’estunsigne,elleestfaitepourmoi.Désormais,laquestionneseposeplus.Ledestinatranché!
JelaserrecontremoietmetourneversAndrew.—Elleteplaîtvraiment?luidemandé-jed’unaircoupable,espérantéviterqu’ilmerenvoiedansles
dentsnotreconversationsurlevinyledetoutàl’heure.—Tudevraislaprendre,m’affirme-t-ilavecungrandsourirefaisantressortirsesfossettes.Ellet’ira
commeungant.Tuserastrèsbelle.Commed’habitude.Jerougisetdétournelatête.—Tucrois?Jenepeuxm’empêcherdesourireaussi.—J’ensuissûr.Enplus,çamefaciliteraitl’accès.Çam’auraitétonné!Jenerelèvepassoncommentairedéplacé,surtoutparcequejesuiscomplètementsouslecharmede
cetterobe.C’estalorsquejemerendscomptequejen’aimêmepasencoreregardéleprix.Connaissantlamarque,jesaisquesesproduitsnesontjamaistrèschers.Cependant,unindividulambdapeuttrèsbiens’imaginer duper un acheteur potentiel en triplant la mise initiale. Je retiens mon souffle en repérantl’étiquette.Vingtdollars!Parfait.
JeregardeAndrew,etmesenssoudainunpeugarce.—EtsituretournaischerchertondisquedeLedZeppelin?suggéré-jetimidement.Ilsecouedoucementlatêteensouriant.—Nan,jenesauraispasquoifaired’unvieuxvinyle.Alorsqu’unerobecommecelle-ci…Ilcroiselesbrasetm’observedepiedencap.Jesuissûrequ’ilrecommenceàsefairedesidéesgrivoises,etjem’apprêtecettefoisàletraiterde
perversquandilajoute:—C’estlatenueparfaitepourunejeunemariée.Sesyeuxvertssemblentvouloirtranspercerlesmiens.Monsourires’atténueetjedéclare:—C’estlarobedemariageidéale,admets-je.—Alorsc’estréglé,décrète-t-ilenmeprenantparlamain.Unsoucidemoinspourlesnoces.—Onn’apasbesoind’autrechose,affirmé-jeenlesuivantjusqu’àlacaisse,levêtementrepliésur
monavant-bras.Ilm’adresseuncoupd’œil.—Desalliances,merappelle-t-ilavecunairétrange.—J’enaidéjàune,contré-jeenbrandissantlamainpourluimontrerlediamantqu’ilm’aoffertau
Texas.—C’estunebaguedefiançailles.—Ouais,maisçasuffit.—Quoiqu’ilensoit,ilm’enfautuneaussi.Oualorstum’asoublié?Ilfautêtredeux,tusais?Jeglousselégèrementtandisquenousprenonsplacedanslacourtefiled’attente.—C’estvrai,tuasraison,maismabaguemesuffitamplement.Enoutre,jesaisquetuasdépenséune
fortunepourcecollier.Jenepeuxpastelaisserfaire.—Tuveuxdéjàreparlerdeça?medemande-t-il,taquin,ensortantsonportefeuille.Jenet’aipas
mentisurleprixdupendentif.Peut-êtrefinalementqu’ilditlavérité.—Jetecrois,déclaré-je.Ilmesouritetlesujetestclos.
20
ANDREW
OUAIS,JESUISUNPUTAINDEMENTEUR.CECOLLIERM’ACOÛTÉUNPEUPLUSDE600DOLLARS,MAISJEMEgarderai bien de le lui avouer. Elle trouve qu’au-delà d’un certain prix, la valeur d’un objet tient aunombre de ses zéros,mais ce n’est pas toujours le cas. Sincèrement, je crois que c’est généralementplutôtlafillequifaitgrandcasduprix.Merde,ilm’estmêmearrivéd’entendredesgarcesseplaindrequeleursmecsnedépensaientpasassezpourelles.Jemedemandesiellesserendentcomptedecequenouséprouvonsquandellesseréunissententrecopinespourcomparerlatailledeleursdiamants,commenouspourrionscomparercelledenos…Àdirevrai,cen’estpaslegenredetrucqu’onfaitréellement.Oudumoins,jen’aiencorejamaisrencontréuntypequim’aitproposédesortirsonservicetroispiècespourlecompareraumien.
JetenaisvraimentàoffrirunjolicadeauàCamrynpoursonanniversaire.Etilsetrouvequeleseultrucquim’aitvraimentplun’étaitpasdonné.
Ilvafalloirt’yfaire,mabelle.Elles’évanouiraitsansdoutesielledécouvraitcombienj’aipayénosalliances,quej’aitrouvéesà
Chicago.Çan’apasétéfaciledelesluicachertoutcetemps.Maisj’airéussiàplanquerlepetitécrindanslequelellessontrangéesàl’intérieurdemonsacmarin.
Commed’habitude,nouspassonsla journéeentièreàtraînerensembleenfaisantabstraction,autantquepossible,dutempsglacial.Dèsnotrearrivéeàl’hôtel,j’attrapemaguitareetluijouelachansonquej’aiécriteetsurlaquellejebossedepuisunesemaine.J’espéraislaluioffrirpoursonanniversaire.Jel’aicomposéespécialementpourelle.Jel’aiintitulée«Fleurdeschamps».Ellem’aétéinspiréeparlapremièrejournéequenousavonspasséeensembleàmasortiedel’hôpital,aprèsl’opération.
—Tudevraisyallermollo,m’avait-elleditcejour-là.Évitependantun tempsd’aller fourrer latêtedansl’undesmoteursdeBillyFrank,etnefaispasnonplusdesautàl’élastiquenidecoursededragsters.
J’avaisricanédoucementenbasculantlatêtedecôtépourlaregarder.J’étaisallongésurunetabledepique-niqueenpierre.Camrynétaitassisesurlebanc,auniveaudematête.
—Etdonc,pourtoi,yallermollosignifienerienfairedutout? luiavais-jedemandé,lesourireauxlèvres,lesmainscroiséesderrièrelanuque.
—Iln’yariendemalàparesserunejournéedansunparc,m’avait-ellerépliquéenmecaressantlefrontduboutdudoigt.
—Eneffet,avais-jeréponduenembrassantsonindexquipassaitnonloindemabouche.J’aimebien
resterseulavectoi.Elle avait légèrement penché la tête et elle s’était radoucie. Puis elle avait observé le parc. Les
arbres étaient resplendissants, l’herbe verte et épaisse. C’était vraiment une journée magnifique. Jem’étaisdemandépourquoinoussemblionsêtrelesdeuxseulsdehorspourenprofiter.
—J’adore les fleursdeschamps, avait-elledéclaréd’un tondistantenobservant lapetitecollines’élevantderrièremoi.
Jem’étaisalorsretournéetenavaisremarquéune,solitaire,perchéeensonsommet.Jenesaispaspourquoi,mais,depuiscejour-là,chaquefoisquejevoisunefleurdeschamps,jepenseàCamryn.
Je n’oublierai jamais le sourire qui illumine son visage quand je lui joue cette chanson. Il est sichaleureux,si lumineux,si touchant…Legenredesourirequisembledire«Jet’aimeplusquetoutaumonde»sansqu’ilsoitbesoindeprononcerlemoindremot.
21
ANDREW
21janvierJourdemonvingt-sixièmeanniversaire
JEFAISUNRÊVEFORMIDABLEDANSLEQUELJEM’ADONNEÀLACHUTELIBRE(ALLEZSAVOIRPOURQUOI,JE
SUISavecl’acteurChristopherLee…)dansuncielbleu…ciel.ChristopherLee,quiportedeslunettesdeprotectionrouge,mefaitsignedesdeuxpoucesjusteavantqueleventl’emportesubitementdansl’éther.Soudain,moncœurs’arrête,etj’inspirebrusquementunairglacial.J’ouvregrandlesyeuxetmeretrouvedans lemonderéel.Jemeredressesivitedans le litquemesbrass’agitentdepartetd’autredemoncorps,venantheurterl’appliquemurale.
—Putaindemerde!Ilme faut une seconde pour comprendre ce qui vient de se passer.Alors que, le souffle court, je
balanceencorelesdrapsfroidsethumidesdecôté,j’aperçoisCamryn,deboutaupieddulit,unseauàglaçonsdanslamain.
Ellegloussebruyamment.—Joyeuxanniversaire,monchéri!Debout!Je suppose que je l’aimérité, après le réveil que je lui ai réservé pour son anniversaire, lemois
dernier. Mais cette petite garce m’a vraiment bien eu, et m’a rendu la monnaie de ma pièce… Lesrevanchessonttoujourspiresquel’assautinitial.
Incapabledem’empêcherdesourire, j’obtempère lentementetsorsdulit,nucommeunver.Elleadéjà son regard de regret et recule vers la porte. Sachant qu’il s’agit de sa seule issue, je la regardejaugerlasituation.
— Je suis désolée ! m’assure-t-elle avec une moue terrifiée, tendant la main dans son dos pourattraperlapoignée.
—Ohoui,jen’endoutepasuninstant,mabelle.Jem’approched’elleàpetitspas,lascrutantdemesyeuxencorelourdsdesommeil,telunprédateur
jouantavecsaproie.Ellegloussedenouveau.—Andrew!Jeneteleconseillepas!Ellen’estdésormaisplusqu’àquelquesdizainesdecentimètresdel’entrée.Jeprendsnéanmoinstout
montemps,lalaissantespérer.Lesourirejusqu’auxoreilles,jedoisressembleràundémentsadique.
Soudain,Camrynglapit,incapabledeseretenir,etfonceverslaporte.—Noooon!Pitié!hurle-t-elletoutenrianttandisquelebattantvients’écrasercontrelemur.Elles’enfuitdanslecouloir.Tandisquejem’élanceàsasuite,elles’immobilise,choquée,trahissantlefaitqu’ellenes’attendait
sûrementpasàcequej’aillesiloinsansvêtements.—OhmonDieu!Andrew,non!crie-t-elleenseruantdanslecorridorpuissammentilluminé.Je laprends en chasse,mesbijouxde famillevolant auvent.Cette fillenemeconnaît pas encore
parfaitement,sielles’imaginequejeseraistropgênépourlapoursuivreculnu,bienquerétréciparlefroid.Jem’enfiche.Jevaisluifairepayerceseaudeglace.
Nousdépassonslachambre321tandisqu’uncoupledepersonnesâgéesenémerge.L’hommeforcesonépouse,lesyeuxécarquillés,àrentrerdanslapièce,tandisqu’uncingléentenued’Adamleurpassedevantàtouteberzingue.
—DouxJésus…,entends-jedireloinderrièremoi.Camryn atteint finalement l’autre bout du couloir, fait volte-face et s’arc-boute, lesmains tendues
devantellecommepourformerunbouclier.Deslarmesluiroulentsurlesjouestantellerit.—Jemerends!Jemerends!Ohputain,tuestoutnu!Ellenepeutpass’arrêterderire.Jemejoinsàsonhilaritéenl’entendantémettredescouinements
dignesd’uncochon.—Tuvasvraimentlepayercher,l’informé-jeenl’attrapantpourlahissersurmonépaule.Cettefois,ellen’essaiemêmepasdehurlernidesedébattre.Premièrement,elleritsifortqu’ellen’a
pluslamaîtrisedesoncorps.Deuxièmement,ellesaitquec’estinutile.J’espèrejustequ’ellenevapasmepisserdessus.
Je la ramène jusqu’à notre chambre. En chemin, quand nous repassons devant la 321, je saluesobrementlecoupleenlegratifiantd’un:
—Navrédevousavoirinfligécespectacle.Jevoussouhaiteuneagréablejournée.Puisjereprendsmaroutesousleursyeuxébahis,tandisquelemarisecouelatêteendardantsurmoi
unregardrévolté.Je referme laportederrièrenousetbalanceCamrynsur le lit, aumilieudesglaçonspartiellement
fondus.Ellesemarrecommeunebaleine.Jemepositionneentresesjambes,retiredansunmêmegestesonshortetsaculotte,etlatoisesansun
mot. Je suis au garde-à-vous en quelques secondes. Son fou rire se tarit, et elle se mord la lèvreinférieureenm’observantdesesbeauxyeuxbleusquiréveillentlabêtesommeillantenmoi.
Sansvéritableavertissement,jem’abaisselégèrementetm’enfonceprofondémentenelle.—Est-cequetuesvraimentdésolée?chuchoté-jeenallantetvenantlentement.J’apposemontorsecontresapoitrine,nostatouagessetouchent,OrphéeetEurydicesontdenouveau
réunisalorsquenousnousfondonsl’undansl’autre.—Oui…,affirme-t-elle,leslèvrestremblantes.Jepousseunpeuplusfort,luirelevantunecuissedelamain.Sespaupièressefermentetellebasculelatêteenarrière.Jeplaquemabouchecontre lasienneetsongémissementvient résonnerdansmagorge, tandisque
j’accélèrelemouvement.Puisuninstinctplussombre,presqueprédateur,granditenmoi.J’agrippesesdeuxcuisses,enfonçant
mesdoigtsdanssachairtoutenlatirantversmoisivitequ’ellen’apasletempsderéagir.Luisaisissantlesbras,jelaretournesansménagementetluientravelespoignetsdansledosenlaforçantàsemettreàgenoux. De ma main libre, je caresse les contours délicats de son cul exposé devant moi, pinçant
fermementchaquefesseavantd’yasseneruneclaqueassezpuissantepourprécipitersoncorpsenavant.Ellegémit. Je la saisisalorspar lanuque, luiappuyantplus fermement levisagecontre lematelas. Jesenssapeauchaufferàl’endroitoùmesdoigtsyontlaissédesmarquesrouges.
Ellegémitdenouveau,etjeserresespoignetsunpeuplusfort.J’introduisdeuxdemesdoigtsdanssabouchetoutenlapossédantplusprofondémentpar-derrière.
Ellepousseunpetitcri,sescuissessemettentàtrembler,maisjenem’arrêtepas.Jesaisqu’ellenesouhaitepasvraimentquejem’interrompe.
Unefoisquej’aijouietquelesbattementsdemoncœurralentissent,j’attiresoncorpsnucontrelemien,sonvisageluisantdesueurnichéaucreuxdemonbras.Ellem’embrasseletorseetfaitcourirsonindexetsonmajeursurmonbicepsendirectiondemabouche.Jeluiattrapelamainetluiembrasselesdoigts.
—Jesuiscontentequetusoisredevenutoi-même,medit-elledoucement.—Moi?m’étonné-je.Tutrouvaisquej’avaischangé?Ellepivotelégèrementlatêteafindepouvoirmeregarder.—Oui,unpeu.—Quandça?Jesuissincèrementsurpris,maisjetrouvesaréserveadorable.—QuandonaperduLily,réplique-t-elle.Lesourirejoueurquiflottaitsurmeslèvresdisparaîtaussitôt.PuisCamrynreprend:— Je ne te le reproche pas, mais après ça, tu n’as cessé de me traiter comme une poupée de
porcelainequetuavaispeurdecasserenlamanipulanttropbrusquement.Jel’attireauplusprèsdemoietelleposesajouesurmontorse.—Ehbien,jenevoulaispastefairemal,mejustifié-jeenfaisantglissermonpoucesursonbras.Ça
mefaitparfoisencoreunpeupeur.—Ilnefautpas,mechuchote-t-elleavantdem’embrasserdenouveau.Neteretienspasavecmoi,
Andrew.Jeveuxquetusoistoujourstoi-même.Jesourisetluipresselebras.—Tusaisquetuviensdemedonnerlapermissiondetemassacrerquandjeveux?—Oui,j’enaipleinementconscience.J’entendslesouriredanssavoix.Jel’embrassesurlesommetducrânepuislafaisroulersurmoi.—Joyeuxanniversaire,déclare-t-elleencoreavantd’introduiresalanguedansmabouche.HeureusementquelaFlorideexisteenhiver.Aprèsmontrèssurprenant–et,jedoislereconnaître,
satisfaisant – anniversaire de ce matin, Camryn et moi passons la journée à répéter notre nouveaumorceau.Enfin,cen’esttechniquementpasunevéritablecomposition,maisdisonsquenousavonsreprisà notre sauce le génial «EdgeofSeventeen»deStevieNicks.Lavitesse à laquelle s’enchaînent lesparolesénerveunpeuCamryn,maiselleestrésolueàtravaillerpouryarriver.C’estsachanson,cellequ’ellevoudraitentonnerseule.C’estunpasdegéantpourelle,carnousn’avonsjusqu’àprésenteffectuéquedesduos.
Jel’enadmired’autantplus.Malgrésonagacement,jevoislavéritableCamrynreprendreledessusjouraprèsjour.Elleal’esprit
plusléger,sesyeuxpétillentdavantageetchacundesessouriresmerappellenotrepremièrerencontre.— Tu peux y arriver, l’encouragé-je depuis le rebord de la fenêtre, ma guitare électrique en
bandoulière.N’essaiepassifort,mabelle,approprie-la-toi.
Ellepousseunsoupiretbasculelatêteenarrière,s’affalantsurlachaiseprèsdelapetitetablerondeàcôtédemoi.
—Jeconnais lesparoles,mais jem’emmêle toujours lespinceauxsur lesdernièresphrases, jenesaispaspourquoi.
—Jeviensdeteledire:turéfléchistrop,parcequetucommencesàchanterent’attendantàavoirdumalsurcettepartie.N’ypensepas.Essaieencore.
Elleprendunenouvelleinspiration,puisserelève.Nousnousentraînonsencoreuneheureavantdenousdirigerverslerestaurantleplusprochepourun
déjeunertardif.—Tuvasyarriver,net’enfaispas,larassuré-jetandisquelaserveusenousapportenossteaks.—Jesais.Çam’énerve,c’esttout.Elles’attaquesanstarderàsonassiette.—Ilm’afalludutempspourmaîtriser«Laugh,INearlyDied»,luidis-jeenportantàmaboucheun
énormemorceaudeviande.Jemastiqueunmomentavantdepoursuivre,laboucheencorepleine:—Laprochainechansonquejevoudraisapprendreest«Ain’tNoSunshine»,deBillWithers.J’ai
toujoursvoululaconnaître,etjecroisqu’ilesttempsquejetournelapagedesStones.Ellesemblesurprise.Ellebraquesafourchettesurmoi,déglutit,puiss’exclame:—Oooh!Excellentchoix!—Tulaconnais?Je suis légèrement étonné, car elle n’avait pas une grande culture rock ou blues quand nous nous
sommesrencontrés.Elleacquiesceetavaleunefourchettedepommesdauphines.—J’adorecettechanson.Monpèrel’avaitsurlacassettequ’ilécoutaittoutletempsquandilquittait
l’Étatpourleboulot.CeWithersestunsacréchanteur.J’éclatederire.—Qu’est-cequ’ilyadedrôle?demande-t-elle,perplexe.—Onauraitditunecowgirl.Jeboisunegorgéedebièreetcontinueàrireensecouantlatête.—Quoi?T’asqu’àdirequejeparlecommeunepéquenaude.Elleécarquillelesyeux,sanstenterdedissimulersonsourire.—Plutôtcommeuneplouc.CeWithersestunsacréchanteur!Yi-ah!J’imitesonattitude,basculantlatêteenarrière.Elleritdeboncœuravecmoi,mêmesi jevoisbienqu’ellefaitdesonmieuxpourdissimulerson
visageécarlate.—Entoutcas,jesuiscarrémentd’accordavectoi.Elleprendàsontourunegouléedebière,puisreposesonverresurlatableetajoute,enplissantles
yeux:—Jeparleduchoixdechanson,pasducôtéplouc.—Biensûr,rétorqué-je,moqueur,enfinissantmonsteak.Commeelleme l’avait promis, nous en avionsmangéunensemblepour lapremière foisquelques
joursaprèsmasortiedel’hôpital.Etcommecejour-là,ainsiquechaquefoisqu’elleencommandeun,elleneparvientàenmangerqu’unemoitié.Cequim’enfaitd’autantplus.Quandje lavoissaturer, jem’empressed’échangernosassiettes.
Ellen’arrêtepasdejeterdescoupsd’œilàsontéléphone,etfinitmêmeparenvoyeruneréponseà
quelqu’un.—C’estencoreNataliequitetannepoursavoirquandtuvasrentrer?—Ouais,ellenelâchepaslemorceau.Ellerangesontéléphonedanssonsac.Camryn est une menteuse lamentable. Lamentable. Elle ne serait pas crédible même si sa vie en
dépendait. Et là, à sa façon d’observer lemur lambrissé du restaurant, je vois bien qu’elleme cachequelquechose.Jelacontempletoutenjouantavecmoncure-dent.
—Onyva?luidemandé-je.Ellemesouritfaiblement,etjevoissontéléphones’illumineràl’intérieurdesonsac.Ellelitletexto
qu’ellevientderecevoiretsembleimmédiatementpluspresséedepartir.Sonsourires’élargitetelleselèvedetable.
—Attends,ilfautpayer.Jefaissigneàlaserveusedenousapporterl’addition,etCamrynserassiedimpatiemment.—Pourquoies-tusubitementsipressée?Jegagnedu tempspour la faireenrager,mais sorsmacartedecrédit avantque la serveuseaitpu
s’éloigner.—Commeça,répliqueCamryn.Jemecontentedesourired’unairentendu.—D’accord,dis-jeenm’adossant.J’étiremesbrasau-dessusdematête,memettantaussià l’aisequepossible.C’estunstratagème:
plusjesembledétendu,pluselletrépigne.Quelquesminutes plus tard, la serveuse revient avecma carte etmon reçu. Je laisse unpourboire
danslerécipientprévuàceteffetetmelèvetrèslentement,enfilemonmanteau,m’étiredenouveau,feinsunbâillement…
—Bon,tutedépêches?Jesaisqu’ellen’enpeutplusd’attendre.J’éclatederire, laprendspar lamain,etnoussortonsdu
restaurant.Unefoisderetouràl’hôtel,Camryns’arrêtedanslehall.—Passedevant.Jeterejoinsdansuneminute.Ilestévidentqu’elletramequelquechose,maispuisquec’estmonanniversaire,j’acceptedejouerle
jeu, je l’embrasse sur la joue et grimpe dans l’ascenseur. Une fois dans la chambre, c’est moi quicommenceàm’impatienter.
Ellearrivetrèsbientôt,uneguitareflambantneuveàlamain.Jemelèvedèsquejel’aperçois.—Waouh…Sonsourireestàlafoisdouxettendre,presquetimide.Commesiunepartied’ellecraignaitquejene
l’aimepas.Jefaisquelquespasdanssadirection.—Joyeuxanniversaire,Andrew,medit-elleenmetendantl’instrument.Jel’attrapeparlemanche,posel’autremainsurlacaisse,etl’admireavecunimmensesourire.Ses
lignessontpures.Elleestmagnifique.Parfaite.Jelaretournepourenexaminerl’envers.Jeremarqueunefineécriturecursivequicourtlelongdumanche:
Ilfitcoulerdeslarmes,surlesjouesdePluton,Etilforçal’Enferàluiaccordercequel’Amourconvoitait.Unextraitdel’unedesnombreusesversionsdumythed’OrphéeetEurydice.Jenesaishonnêtement
pasquoidire.—Elleteplaît?—Jel’adore.Elleestparfaite.Elledétournelatêteenrosissantlégèrement.—Enfait,jen’yconnaisrienenguitares.J’espèrequecen’estpasunemarquepourrieniriendece
genre.C’estletypedumagasinquim’aaidéeàlachoisir.Etpuisj’aidûattendreplusieursjoursqu’ilslagravent,etj’aicruquejenel’auraisjamaisàtempsàcausede…
—Camryn,dis-jepourmettreuntermeàsesdivagationspaniquées.Jen’aijamaisreçudeplusbeaucadeaud’anniversaire.
Surce,jecomblel’espacequinoussépareetl’embrassedélicatementsurleslèvres.
22
CAMRYN
QuelquepartsurlaI-75–mai
NOUS SOMMES SUR LA ROUTE DEPUIS DES MOIS. EN MARS, NOUS ÉTIONS DÉJÀ TELLEMENT HABITUÉS ÀCHANGER régulièrement d’hôtel que c’était devenu comme une seconde nature. Une nouvelle chambrechaquesemaine,unenouvelleville,unenouvelleplage…Toutétaitnouveau.Maismalgrélanouveauté,c’étaitcommesinousfranchissionslaported’unebâtissequenousavionshabitéependantdesannées.Jen’auraisjamaisimaginédired’unechambred’hôtelquec’était«lamaison»,ouqu’ilseraitsifaciledes’habituer à la vie nomade.Malgré tout, c’est parfois un peu compliqué, mais cela fait partie d’uneexpérienceglobalequejeneregretteenaucunpoint.
Jemedemandetoutefoissicethiverinterminablenem’apasunpeuusée.Jemeposelaquestioncarjeme suis surprise à plusieurs reprises à rêvasser d’un pavillon quelque part, une demeure que nousoccuperionsauquotidienavecAndrew.
Ouais,jesuissûrequec’estuniquementdûàl’hiver.Il est 2 heures du matin, et nous sommes tombés en panne quelque part dans le sud-ouest de la
Floride,surunlongtronçond’autoroutedésert.Etilpleutàtorrents.Nousavonsappeléunedépanneuseilyauneheure,maispouruneraisonquim’échappe,ellen’estpasencorearrivée.
—Est-cequ’ilyaunparapluiedanslavoiture?demandé-jeentâchantdecouvrirlebruitdesgouttestambourinantsurletoit.Jepourraisteletenirpendantquetularépares.
—Ilfaitnuitnoire,Camryn,réplique-t-iltoutaussifort.Mêmeavecunelampedepoche,jenesuispassûrd’yarriver.Ilfaudraitd’abordquejecomprennecequidéconne.
Jem’affaissesurmonsiègeetposelespiedssurletableaudebord,lesgenouxpliésversmoi.—Aumoins,ilnefaitpastropfroid,commenté-je.—Ondevraitsurvivreà lanuit,confirme-t-il.Ceneseraitpas lapremièrefoisquel’ondormirait
dans la voiture. Je suppose que la dépanneuse sera là avant l’aube,mais dans le cas contraire, jemeplongeraisouslecapotdèsqu’ilferajour.
Nous restonsquelques instants assis sans riendire, à écouter lapluiemarteler la carrosserie et letonnerre rouler comme une vague à travers les nuages. Puis nous sommes tellement fatigués que nousdécidonsdepassersurlabanquettearrière,denousyblottirl’uncontrel’autreetd’essayerdedormirunpeu.Bientôt,quandildevientévidentquenotrepositionesttropprécaireetinconfortableetqu’iln’yaclairementpasdeplacepourdeux,Andrewretourneàl’avant.Nousn’arrivonscependanttoujourspasà
trouverlesommeil.Ilsetourneetseretournependantplusieursminutesavantdedemander:—Oùest-cequetutevois,dansdixans?—Jenesaispastrop,réponds-jeencontemplantletoit.Maisjesaisquejeveuxyêtreavectoi.—Moiaussi,affirme-t-il,désormaisluiaussisurledos.—Ettoi,tuyasréfléchi?l’interrogé-je,curieusedesavoiroùilveutenvenir.Monbrasgauchevientremplacerledroitsousmatête.— Ouais, réplique-t-il. J’ai envie de m’installer dans un endroit chaud et paisible. Parfois, je
t’imaginesurlaplage,piedsnusdanslesable,lescheveuxauvent.Jesuisassisnonloinsousunarbre,àjouerdelaguitare.
—Cellequejet’aiofferte?—Biensûr.Jesourisetcontinueàl’écouter,visualisantlascène.—Ettuluitienslamain.—Àqui?Andrewrestemuetunmoment.—Notrepetitefille,précise-t-ild’untondistant,commesisonespritvagabondaitplusloinencore
quelemien.Jedéglutisenespérantdissiperlenœudquis’estformédansmagorge.—J’aimebiencetteimage,dis-je.Etdonc,tuveuxteposer?—Àterme,oui.Maisquandl’heureseravenue.Pasavant.Unebourrasquevientfrapperlavoitureetunbrusquecoupdetonnerrefaittremblerlesol.—Andrew?—Ouais?—Troisièmechoseàmettresurlalistedenospromesses:siondevientvieux,qu’onamalpartoutet
qu’onnepeutplusdormirdanslemêmelit,promets-moiquenousneferonsjamaischambreàpart.—C’estpromis,merépond-ilavecunsouriredanslavoix.—Bonnenuit,luidis-je.—Bonnenuit.Etquandjem’endorsquelquesminutesplustard,jememetsàrêverdecetteplagedesablechaudet
d’Andrewquimeregardemepromener,unepetitemainserréedanslamienne.La dépanneuse n’est jamais venue. Nous nous réveillons le lendemain, raides et perclus de
courbatures,malgrélefaitquenoussoyonsrestéschacunsursabanquette.—Sijecroisecedépanneur,ilvaprendrecher,grogneAndrew,latêtesouslecapot.Ildonnedestoursdecléà…jen’aipaslamoindreidéedecedontilpeuts’agir.Ilréparelavoiture.
Jen’ensaispasplus.Etilestvraimentd’humeurmassacrante.Jeresteàproximitépourl’aider,aucasoù,etjenejouepaslablondeenluidemandantàquoisertcemachinoucommentfonctionnecebidule.Envérité,jem’enfouspasmal.Etpuis,çal’énerveraitencoreplusd’avoiràm’expliquer.
Maislesoleilapercé.Etilcognefort.J’ail’impressiond’êtremorteetdemeretrouverauparadis.Jesautedanslesflaques,vestigesdel’oragedelanuitdernière,inondantmesclaquettes.Jenesais
pasquellemouchem’apiquée,maisjelèvelesbrasaucielettournesurmoi-mêmeaumilieudelaroute.—Tuveuxbienvenirmefileruncoupdemain?grommelleAndrew.Jesautillejusqu’àluietluipincelesflancspourletaquiner,carjesuisdesibonnehumeurquejene
peuxm’enempêcher.Ilsursautealorsetvientseheurterlecrânecontreledessousducapot.Jegrimaceetmeplaqueunemainsurlabouche.
—Ohmerde,monchéri!Jesuisdésolée!Jetendslamainversluiquirouledesyeux,maisilfermelespaupièresengonflantsesjouesd’air
avantdepousserunsoupirbruyant.Jeluiattrapelatête,lafrictionne,puisl’embrassesurlenez.Jenepeuxréprimermonsourire,mais
jenememoquepasdelui,j’essaiesimplementdeprendremonairdechienbattu.— Je te pardonne, déclare-t-il en me désignant le moteur. Il faut que tu tiennes cette pièce une
seconde.Jem’approcheauplusprès,jetteuncoupd’œilsouslecapotettendslamainenattendantqu’ilme
guideaubonendroit.—Ouais,justelà,dit-il.Nebougeplus.—Pendantcombiendetemps?—Tantquejeneteledispas,réplique-t-il.(Uneesquissedesourireluidéformelecoindeslèvres.)
Situlâches,toutel’huilevas’écouler,etonresteracoincésiciunlongmoment.—Alors,dépêche-toi,luidis-je,ressentantdéjàundébutdetorticolis.Ilcontournelavoiturepourallerchercherunebouteilled’eaudanslecoffre.Ilendévisselentement
lebouchon.Avaleunegorgée.Contempleleschamps.Boitdenouveau.—Andrew,est-cequetutefousdemoi?Jejetteuncoupd’œilpar-dessuslecapotpourl’observerdumieuxquejepeux.Ilsecontentedesourire.Etdeboireunenouvellegorgée.Merde,ilsefoutréellementdemoi!Jecrois…—Nelâchepas.Jesuissérieux.—C’estdesconneries,m’exclamé-je.Jecommenceàécarterlesdoigts,maismeraviseaussitôt.—Allez,c’estvraioupas?—Benoui,biensûr.Çavacoulerdepartoutetsansdoutemêmetegiclerdessus.C’estsuperdurà
fairepartir.—Jecommenceàavoirmalaudos,meplains-je.Ilprendtoutsontempset,alorsquejem’apprêteàlâcherpourdebon,ilvientmesaisirparlataille
etm’écarterducapot.Illèveunemainetm’étalesurlajoueunetraînéedecambouis.Jeluicriedessusenlerepoussant.
—Beurk!Merde,Andrew!Etsijen’arrivepasàl’enlever?Jesuisréellementénervée,maisunepartiedemoinepeutpasrésisteràsonsourire.—Maissi,çavapartir,affirme-t-ilenreplongeantlenezdanslemoteur.Maintenant,montedansla
voitureetprépare-toiàmettrelecontactquandjeteledirai.Je lui grogne dessus avant d’obtempérer, et bientôt la Chevelle ronronne de nouveau et nous
reprenonslaroutedeSt.Petersburg,àmoinsd’uneheuredelà.Aujourd’hui, il fait vraiment un temps estival, et nous avons l’intention d’en profiter.Après avoir
investi notre chambre d’hôtel et pris une douche ô combien nécessaire, nous nous dirigeons vers lemagasinleplusprochepouryacheterunshortdebainetunbikini,bienrésolusàpiquerunetêtedansl’océan.
Il insistepourque j’achèteunminusculemaillotdebainnoir rehausséd’étoilesargentées,maiscen’estpasluiquiseraobligédesel’extrairedelaraiedesfessestouteslescinqsecondes.Jejettedoncmondévolusurunrougetoutmignonetuntantinetpluscouvrant.
— Finalement, ce n’est peut-être pas plusmal que tu aies pris celui-là, me dit-il alors que nousmontonsdanslavoiture.
—Etpourquoiça?demandé-je,toutsourires,medébarrassantdemestongs.—Parcequej’auraissansdoutedûcasserquelquesdents.Ilpasselamarchearrièreetnoussortonsduparking.—Simplementparcequ’ilsm’auraientreluquée?m’étonné-jeavecunpetitrireincrédule.—Nan,sansdoutepas.Çam’excitequandd’autresmecstematent.—Beurk!m’exclamé-jeengrimaçant.—Pasdanscesens-là!sedéfend-il.Punaise.Il secoue la tête commepourdire« J’ycroispas», etnousbifurquons sur la routeencombréede
voituresdetouristes.—C’estjustequeçameflattedet’avoiràmonbras.Çafaitunbienfouàmonego.—Oh,doncpourtoi,jenesuisqu’untrophée?Jecroiselesbrasetafficheunemoueoutragée.—Ouais,mabelle,jetegarderienquepourça.Jepensaisquetulesavaisdéjà.—Danscecas,tudoistedouterquejeresteavectoipourlamêmeraison.—Ahvraiment?medemande-t-ilavecuncoupd’œil.Jemecaleconfortablementcontreledossier.—Ouaip.C’estjustepourrendrejalouseslespetitesgarces.Maislanuit,jerêveàl’amourdema
vie.—Etquiest-ce?Jepinceleslèvresetfaismined’observerdegaucheetdedroitecommepourchercherl’heureuxélu.—Ehbien,jepréfèrenepastediresonnompouréviterquetuaillesluichercherdescrossesetqu’il
finissepartecasserlagueule.Maisjepeuxtedirequ’iladescheveuxchâtains,desyeuxvertsàtomberetquelquestatouages.Oh,etilestmusicien…
—Vraiment?Disdonc,ilal’airparfait,jemedemandepourquoitutesersdemoicommetrophée,danscecas.
Jehausselesépaules,netrouvantpasderepartiecinglante.—Allez,tupeuxmeledire.Cen’estpascommesijeleconnaissais.—Désolée,m’obstiné-jeenmetournantverslui,maisjeneparlejamaisdeluiensonabsence.—Çasetient,réplique-t-il.Tusaisquoi?—Quoi?Ilsefendd’unsouriremalveillantquinemeplaîtpasdutout.—Jeviensdemesouvenirdedeuxou trois trucsque tun’as finalement jamais faits lorsdenotre
premierroad-trip.Oh,oh.—Jenevoispasdutoutdequoituparles,mens-je.Il retiresamaindroiteduvolantet laposesursacuisse.Sonairprovocateurs’amplifieàchaque
instant,etjefaisdemonmieuxpourdissimulermanervositégrandissante.— Eh bien, tu dois encore montrer ton cul par la fenêtre. Et je ne t’ai pas encore vue manger
d’insectes.Tupréfèresquoi?Unesauterelle?Ungrillon?Unverdeterre?Peut-êtreunfaucheux?Jemedemandes’ilsontdesfaucheuxenFloride…
J’enaidesfrissonsdanstoutlecorps.—Laissetomber,Andrew,dis-jeensecouantlatête.(Jeposemespiedssurlaportièreetjoueavec
matresseententantdedissimulermonanxiété.)Jeneleferaipas.Etpuis,c’étaitlorsdenotrepremiervoyage,tunepeuxpasressortircegenredetrucn’importequand.Tuauraisdûmelefairefairequandtuenavaisl’occasion.
Sonsouriredepetitsalopardnelequittepas.—Non,insisté-jeplatement.Jemetourneverslui.—Non!déclaré-jeunedernièrefois,cequilefaitéclaterderire.—Trèsbien,cède-t-ilenreposantsamainsurlevolant.Celadit,çavalaitlecoupd’essayer.Tune
peuxpasmelereprocher.—Sansdoutepas.
ANDREW
NOUSPASSONSTOUTELAJOURNÉEÀNOUSBAIGNERETÀLÉZARDERSURLAPLAGE.NOUSCONTEMPLONSLEcoucherdesoleil,puislecielétoilé.Uneheureaprèslatombéedelanuit,nouscroisonsungroupedejeunesdenotreâge.Ilstraînaientsurlaplagenonloindenous.
—Vousêtesducoin?nousdemandelegrandaubrasdroitentièrementtatoué.L’un des couples s’installe dans le sable près de nous. Camryn, allongée entre mes jambes, se
redresselentement.—Non,onvientdeGalveston,réponds-je.—EtdeRaleigh,précise-t-elle.—Nous,onestde l’Indiana, intervient labrunequivientdeseposer. (Ellenousdésignesesamis
encoredebout.)Maiseuxviventici.L’undesautresgarsprendsacopinedanslesbras.—Moic’estTate,etvoiciJen.(Puisileffectuelerestedesprésentations.)Johanna.Grace.Etmon
frère,Caleb.Toustroishochentlatêteensouriant.—Moic’estBrooke,préciselabruneàcôtédeCamryn.EtvoiciElias,monfiancé.Camrynachèvedeseredresseretsenettoielesmainsenlesfrottantl’unecontrel’autre.—Raviedevousrencontrer,dit-elle.Moi,c’estCamryn,etAndrew,monfiancé.Eliasmetendlamain.Tate,legarsautatouage,reprend:—Onva faire la teuf sur une plage privée, à unedemi-heure d’ici.Un endroit génial, vraiment à
l’écart.Siçavoustente,vousêteslesbienvenus.Camrynsetortillelégèrementpourmeregarder.Nousnousscrutonsmutuellementpendantquelques
secondes.Çanem’intéressepasplusqueça,maisellesembleavoirtrèsenviedesejoindreàeux.Jemelèveetl’aideàenfaireautant.
—Génial,lancé-jeàTate.Onvoussuit.—Cool,seréjouit-il.Camrynetmoiattraponsnosserviettesdebainetnotresaccontenantdubœufséché,desbouteilles
d’eauetdelacrèmesolaire,etnoussuivonsTateetsesamisjusqu’auparking.Nousrevoilàdans lavoitureàprendredesdécisionssuruncoupde tête.J’aiquelquesréticences,
sansdouteparcequejen’aiplusfaitlafêteavecquelqu’und’autrequeCamryndepuisuneéternité,maisilsnesemblentpasbienméchants.
Lesprétenduestrenteminutesderoutesetransformententroisquartsd’heure.—Jenesaisplusdutoutoùonest.Celafaitaumoinsvingtminutesquenousroulonssuruneroutesombreàl’écartdelavoierapide,et
leurJeepSaharaavaleencorelebitumeàcentvingtkilomètres-heure.Jen’aiaucunmalàlasuivre,maisjen’aipasl’habitudedeconduiresiviteenterritoireinconnu,surtoutdenuit,quandjenepeuxpasvoir
sidesflicsnesecachentpassurlebas-côté.Sijechopeuneprune,jenepourraim’enprendrequ’àmoi-même,maisçanem’empêcherapeut-êtrepasdecasserlagueuleàceTate.Questiondeprincipe.
—Heureusementqu’onavaitleplein,commenteCamryn.Puisellerit,passesespiedsparlafenêtreetajoute:—Peut-êtrequ’ilsnousemmènentdansunepetitebaraquedanslesboisoùilsvontnousassassiner
sauvagement.—Eh,tusaisquej’yaipensé?répliqué-jeenricanant.—Jecomptesurtoipourmesauverlavie,plaisante-t-elleencore.Neleslaissepasmedécouperen
petitsmorceauxnimeforceràregarderLesAngesdelatélé-réalité.—C’est juré. Ce quime donne une idée pour notre quatrième promesse : si je devais être porté
disparu, engage-toi à ne pas cesser les recherches avant un an. Au trois cent soixante-sixième jour,considère que, si j’étais encore vivant, je t’aurais déjà retrouvée, et donc que je suis mort depuislongtemps.Jeveuxquetaviepuissereprendresoncours.
Elleseredressesurlesiège,rentresespiedsàl’intérieurdel’habitacle.—Çanemeplaîtpastrop.Ilarrivequ’onretrouvecertainespersonnessainesetsauvesdesannées
plustard.—Ouais,maispasmoi,affirmé-je.Fais-moiconfiance : si çadureplusd’unan,c’estque je suis
mort.—Bon,d’accord,cède-t-elleendéfaisant saceinturedesécuritépourvenirposer sa tête surmon
épaule.Maisàconditionquetuenfassesautantpourmoi.Unan.Pasunjourdeplus.—Jetelepromets.Mêmesic’estunmensongeéhonté.Jelachercheraisjusqu’àmondernierjour.
23
CAMRYN
CEN’ESTPASUNDRAMEDEMENTIRSURCERTAINESCHOSES.CETTE«PROMESSE»ENFAITPARTIE.JAMAISJEn’arrêteraismesrecherchesaprèsseulementunan.Honnêtement,jecroisquejelepoursuivraisjusqu’àmamort.Cepactequenousnoussommesjuréderespectercomptebeaucoupànosyeux,maissurcertainssujets,jepréfèredonnermonaccordàlalégère,quitteàrevenirdessuslemomentvenu.
Enoutre,j’ailesentimentqu’ilment,luiaussi.Andrewl’ignore,maisj’aicroisécettebrune,Brooke,danslestoilettespubliquesprèsdelaplage,
plustôtdanslajournée.Elleestentréedansmacabinequandj’ensuissortie.Nousnenoussommespasparlé,justecroiséesavecunsourireamical.Jesupposequec’estpourcelaqu’elleaconvaincusesamisdenousinviteràleurfête.
Jepensequ’onvabiens’amuser.Andrewetmoipassonscentpourcentdenotretempsensemble,etça ne nous fera sans doute pas de mal de rencontrer quelques nouvelles têtes. Et puis, il n’a pasréellementformuléd’objection,jesupposedoncqu’iltientlemêmeraisonnementquemoi.
Laroutejusqu’àcetteplage«privée»sembledureruneheure.LeurJeepbifurquesuruneroutepartiellementgoudronnée;plusnousnousenfonçonsdessus,plusle
parcours devient chaotique. Leurs phares illuminent les ténèbres bordées d’arbres, jusqu’à ce que lesentierdébouchesurunevasteétenduedesableetdecailloux.Andrewsegareàcôtéd’euxetcoupelecontact.
—Entoutcas,c’esteffectivementisolé,déclaré-jeendescendantdevoiture.Andrewvientmerejoindre,etnouscontemplonsensemblelaplagedéserte.Ilmeprendlamain.—Ilestencoretempsdefairemachinearrière,persifle-t-il.Quandilsnousaurontattirésloindela
Chevelle,nousnenousreverronspeut-êtreplusjamais.Ilm’attirecontreluicommepourmedireadieu.—Onvasurvivre,luiassuré-jealorsqu’ilsdescendentdeleur4×4.Tateouvresoncoffreetensortuneénormeglacièrequ’illaissetomberdanslesable.—Onadeslitresdebière,annonce-t-ilenenretirantlecouverclepourplongerlamainàl’intérieur.IllanceuneCoronaàAndrew.Cen’estpascellequ’ilpréfère,maisilenboitquandmême.Brookeetsonfiancé–j’aidéjàoubliésonnom–s’approchentdemoi,tandisqueTatedécapsuleune
autrebouteillequ’ilm’apporte.—Merci,luidis-jeenm’ensaisissant.Andrewdécapsulelasienneàl’aidedesonporte-clés.
—Sivousavezunecouverture,vousdevriezlaprendre,nousconseilleTate.Sacopinevientlerejoindreetm’adresseunsourireenmepassantdevantdanssonminusculebikini
blanc.—Et j’aiune super sonodanscettecaisse,précise-t-il en tapotantaffectueusement lehayonde sa
Jeep,donconnemanquerapasnonplusdemusique.Andrewouvresoncoffreetensortlacouverturequ’ilgardetoujoursenréserve,cellesurlaquelle
nousavionsprévudedormirdansunchampaumoisdejuilletdernier.Saufqu’aujourd’hui,grâceàmoi,elleaétélavéeetnepueplusl’essenceetlavieillebagnole.
—Oùestmonshort?demandé-jeenfouillantlabanquettearrière.—Ici,répondAndrewdepuislecoffre.Quandjeressorsdelavoiture,ilmelejetteetjel’attrapeauvol.—Jen’aipasdutoutl’intentiondemebaignerdenuit,annoncé-jeenl’enfilantpar-dessusmonbas
debikinirouge.—Commeça,jeneseraipaslaseule!seréjouitBrooke.Jeluisourispar-dessusletoitdelaChevelleetclaquelaportière.—Tuesdéjàvenueiciaveceux?l’interrogé-je.Tateetlesautress’approchentdéjàdelamer,armésdeleurglacière,deplusieurssacsdeplageetde
diverses autres choses.Les baffles de la Jeep crachent un rock bruyant à travers les portières restéesouvertes.
—Hier soir,me répondBrooke,maisElias a tropbu et a commencé à gerber dès le début de lasoirée,j’aidoncdûnousrameneràl’hôtelplustôtqueprévu.
Elias,voilà leprénomdesonfiancé.L’intéressésecouela têteet luiadresseunregardsarcastiquesignifiantmanifestement:«Sympadelecriersurtouslestoits.»
Andrew etmoi les accompagnons,main dans lamain, et allons rejoindre le reste du groupe, déjàinstalléencercle.NousétendonsnotrecouvertureetTatecraqueuneallumettequ’il jettesuruntasdeboismort.Laflammeallumel’essenceàbriquetqu’ilafaitcoulerdessus,etunpuissantbrasierprendvieetvientchasserlapénombredesadanseorangée.Déjàlefeudecampmeréchauffe,sibienquej’enéloignelacouvertureavantqu’Andrewetmoinenoussoyonsinstallésdessus.BrookeetEliasseposentsurdesserviettesdebaingéantes.Tate,sonfrèreetlestroisautresfillespartagentungrandcouvre-lit.J’enfonceleculotdemabouteilledanslesablepourl’empêcherdebasculer.
Tatemefaitpenseràcessurfeurscaliforniens,aussiblondsquebronzés.Commetouslesgarsici,ycomprisAndrew, ila lesgenoux remontésdevant luiet lespoignetsposésdessus.Tandisque j’étudiesilencieusementchacundenoscompagnons,jesurprendsbrièvementducoindel’œilquelquechosequimemetsurmesgardes:lablondeassiseàcôtédufrèredeTate,quinedoitpasêtresacopinevulafaçondont ils se comportent,dévoreAndrewdesyeux.Ellen’apas seulement cet innocent regardde saintenitouche:non,cettefilletenteradelemettredanssonlitdèsquej’aurailedostourné.
Quandellemesurprendàl’épier,elledétournelatêteetsemetàdiscuteravecsavoisine.JenemefaisaucunsouciparrapportàAndrew,maissielle tentaituneapprochesachantqu’ilest
monfiancé,jen’hésiteraispasuninstantàluibotterlecul.JemedemandesiAndrewaremarquésonpetitmanège.
ANDREW
J’ESPÈREQUECAMRYNN’APASVULEREGARDQUECETTEFILLEVIENTDEM’ADRESSER.CINQ SECONDESSEULavecelle,etelleessaieraitdemeconvaincredelasauter.Çanem’intéressepaslemoinsdumonde,maisçapimenteunpeucettesoirée.
Jeseraisprêtàpariermacouillegauchequ’elleadéjàcouchéavecTateetsonfrangin.SansdoutepasElias–ildoitêtredugenrefidèle–,maiss’ilétaitpartant,ellen’hésiteraitsansdoutepaslongtemps.
Merde,ellevientdemereluquer.JemetourneversCamrynpouréviterdecroiserleregarddecetteallumeuse,etdécouvresonsourire
entendu.Ellen’estpasdupenonplus.JesoulèveCamrynàboutdebrasetl’installeentremesjambes.—Net’enfaispas,mabelle,luichuchoté-jeàl’oreille.Puisjel’embrasseostensiblementdanslecoupourm’assurerquel’autrel’aitbienvu.—Jenem’inquiètepas,m’assureCamrynens’adossantàmonbuste.Évidemmentqu’ellenes’enfaitpaspourmoi,maisjelasenspresquesurlepointdesortirlesgriffes
pourdéfendresonterritoire.Putain,lasimpleidéedel’imaginersejetersurcettefilleàcausedemoi…Oups,jenedevraispaspenseràdeschosespareilles.Merde.Troptard.
—Vousavezdessacréstatouages,faitremarquerTate.Noussommesdésormaisaucentredel’attention,Camrynetmoi.Elleseredressepourleurpermettre
demieuxvoir.—Ouais,tum’étonnes,renchéritBrooke,captivée,s’approchantdenousenrampantsurlesable.Ils
m’intriguentdepuistoutàl’heure.LablondequimelorgnaitunpeuplustôtricaneenobservantCamryn,quineserendcomptederien,
tropoccupéeàmontrersontatouageàBrooke.Jetentedetournerlachoseàmonavantage.—Retourne-toi,mabelle,etmontre-leurcequeçadonne.JefaispivoterCamrynsurmesgenouxpuism’allongesurlesable,lacouchantàplatventresurmoi.Lerestedupetitgroupenousobserveavecattention,etjeperçoislamoueamèredelablondequand
jepresse lecorpsdeCamryncontre lemien.Nousalignonsnos tatouagesafinqu’OrphéeretrouvesonEurydice.Celle-ci porte une longue robe translucideque le vent plaque contre ses courbes, et tend lamainvers l’Orphéepeint sur lescôtesdeCamryn.Brookeest stupéfaitepar lesdétails,qu’elle scruteavecadmiration.ElleseretourneversEliasquisembleparticulièrementnerveux,commes’il redoutaitquesafiancéel’entraînedeforcechezuntatoueurdèslafindelasoirée.
—C’est…trop…canon,commenteBrookeeninsistantsurchaquesyllabe.Quisont-ils?—OrphéeetEurydice,réponds-je.Dumythegrec.—Unehistoired’amourtragique,préciseCamryn.Jerefermemesbrassurelle.—Jenevoispourtantpasgrand-chosedetragiqueentrevous,commenteTate.
J’étreins Camryn plus fort encore, tandis que nous partageons silencieusement des pensées quin’appartiennentqu’ànous.Jel’embrassesurlesommetducrâne.
Brookeretourneàsaplace,toujoursassisesursesgenoux.—Jetrouveçamagnifique.Ilvautmieux,d’ailleurs,parcequeçaadûfaireunmaldechien.—Ouais,onpeutdireça,confirmeCamryn.Maisçaenvalaitlapeine.Unpeuplustard,CamrynetmoiavonsbuaumoinstroisCoronachacun,maiselleseulesembleen
subirleseffets.Elleestunpeuéméchée,justeassezpourlarendrebavarde.—Carrément ! s’exclame-t-elleen se tournantversBrooke. Je lesaivusenconcert avecNat,ma
meilleureamie.Ilsdéchirent!Iln’yapasbeaucoupdegroupesquijouentaussibiensurscènequesurleursalbums.
—Ouais,c’estvrai,admetBrookeenfinissantsabière.TudisquevousvenezdeCarolineduNord?Camrynseredressepours’installerentailleursurlesable.—Ouais,maisAndrewetmoionn’yhabitepasvraiment.—Vousvivezoù,alors?s’intéresseTate.Iltireunelonguetaffesursacigaretteetretientsonsoufflelongtempsavantderecracherlafumée.—AuTexas,c’estça?Toutlemondesetourneversmoiquandjeréponds:—Non,disonsplutôtqu’on…voyage.—Vousvoyagez?répèteBrooke.Genre,vousvivezdansuncamping-car?—Pasvraiment,corrigeCamryn.Onajustelavoiture.Lablondequim’amatétoutelasoiréeintervient:—Etpourquoivousvoyagez?Jeremarqueimmédiatementsonregard,celuiquicherchedésespérémentàcaptermonattention,mais
jerépondsenmetournantversBrooke.—Onjouedelamusique.—Quoi,vousêtesdansungroupe?s’étonnelablonde.Cettefois,jelaregardebienenface.—Plusoumoins,admets-je.Maisjeneluiendispasplus,etpivotedenouveauversBrooke.—Qu’est-cequevousjouez?m’interrogeCaleb,lefrèredeTate.Il s’est subtilement rapproché de l’autre fille depuis notre arrivée. Ils ne sortent sans doute pas
ensemblenonplus,maisilyapeudechancesqu’ilpasselanuitseul.—Duvieuxrock,dublues,dufolk,cegenredetruc,dis-jeavantdeboireunenouvellegorgée.—Alorsjouez-nousunmorceau!s’exclameBrooke,toutexcitée.Manifestement,elleestaussifêléequeCamryn,ettoutesdeuxsemblents’entendreàmerveille.Camryntourneversmoisesgrandsyeuxenthousiastes.—Pourquoipas?Tuasl’acoustiquesurlabanquettearrière.Jesecouelatête.—Nan,jenesuispasd’humeur.—Oh,allez,s’ilteplaît…Camrynprendsonairdechienbattuetpousseunpetitgémissementpourmefairechangerd’avis.Je
tentenéanmoinsderésisterencoreunpeu,espérantqu’ellefiniraparlâcherl’affaire.Cequin’arriveévidemmentpas.—Ouais,mec.Situasunegratteetquetusaist’enservir,c’estgénial,intervientTate.Désormais, tous les regards convergent versmoi – y compris celui deCamryn, le seul qui puisse
emporterlamise.Jefinisdoncparcapituler.Jemelèvepourallerchercherlaguitareàlavoitureetreviensaussitôt
avec.—Maistuchantesavecmoi,dis-jeàCamrynenreprenantplaceàcôtéd’elle.—Nooon!Jesuistroppompette!Ellem’embrassesurlabouchepuisvas’asseoirprèsdeBrookeetElias,sansdoutepourmefairede
laplace.—Bon,qu’est-cequejejoue?Laquestions’adressaitàCamryn,maisc’estTatequiyrépond:—Cequitefaitplaisir,mec.Je fais défiler dans ma tête différents titres, et finis par jeter mon dévolu sur l’un d’eux,
particulièrementcourt.J’accorderapidementmaguitare,puismemetsàjouer«Ain’tNoSunshine».Audébut, jemefousunpeuqueçasonne justeounon,mais,commed’habitude,dèsque jesuis lancé, jedeviensuneautrepersonneetjedonnetoutcequej’ai.Jegardelespaupièresclosespendantpresquetoutlemorceau,sanstoutefoiscesserdepercevoirl’énergiedemescompagnonsd’unsoir.
Etjesaisqu’ilsselaissenttousemporter.Àl’entamedudeuxièmerefrain,jerivemonregardàceluideCamryntoutengrattantlescordes.Elle
estàgenouxdanslesable,etoscilledegaucheàdroite.Lesautresfillesenfontautant,bercéesparlerythme.J’entonneàtue-têteladernièrelignedroite,etcetéchauffementm’asuffiàvouloirjouerencore.Brooke ne tarit pas d’éloges et continue à impliquer Camryn dans ses discours – ce qui lui vaut deremonterencoredansmonestime.Contrairementà lablondassequimescruteencoreplus intensémentqu’avant.
—Merde,tudéconnaispas,mec!s’exclameTate.Ils’allumeunjoint.—Joues-enuneautre,medemandeBrookeens’appuyantdenouveaucontreElias,quil’enveloppe
danssesbraspar-derrière.TatefaittournerlepétardversCamryn.Ellel’examineuninstant,hésitante.J’aperçoisuntiraillement
dedouleursursonvisage;jesaisqu’elleserappellesonmomentdefaiblesseaveclescalmants.Ellesecouelatête.
—Nonmerci,jevaisresteràlabière,pourcesoir.Jesourisintérieurement,fierdesadécision.EtquandTatemelepropose,jedéclineégalement,non
pasparcequejen’aipasenvied’unetaffeoudeux,maisparcequejetrouveraisçainjustevis-à-visdeCamryn.
Jen’aijamaisétéungrosfumeur,maisçam’arriveàl’occasion.Etcesoirneferapaspartiedecesoccasions.
Je joue d’autres chansons auprès du feu.Camryn finit parm’accompagner sur unmorceau. Je n’aialorsplusqu’uneenvie:meprélassersurlesableavecmabelleetprofiterdecemomentdegrâce.JeposemaguitareàcôtédemoisurlacouvertureetattireCamrynsurmesgenoux.
Depuisquelquesminutes,lefrèredeTatepartageunesoupedelanguesavecsavoisine,qu’ilpeloteallégrement.Évidemment,ilsneparlentpasbeaucoup.Jecroisquelablondequinem’apasquittédesyeuxdelasoiréeaenfincomprislemessage.Oualors,elleesttropdéfoncéepourpenserencoreàmoi.
TateretournemonterlesondanssaJeep,etenrevientavecunebouteilledegin,uneautredeSpriteetunepiledegobeletsenplastique.Sacopines’attelleàpréparerlescocktailsetfaitpasserlesverres.
—Faites-vousplaisir,lesmecs,nousencourageTate.Etnevousbilezpaspourlaroute:lesflicsneconnaissentpascetendroit.
—Ouais,onvaenprendreunverre,accepté-je.Jejetteuncoupd’œilàCamryn,mesouvenantdesonexpressionquandTateluiaproposélejointun
peuplustôt.—Enfin,saufsitunepréfèrespas,ajouté-je.Jen’aiaucuneenviequ’ellefassen’importequoisousl’emprisedel’alcool,et jenetienspasnon
plusàcequ’ellesepaieunehorriblegueuledeboisdemain.—Non,çava,monchéri.Maisjevaisprendrejusteunverre,d’accord?Ellem’adresseunsouriretendre,commepoursollicitermapermission,cequejetrouveadorable.J’acceptepournepasluifairedepeine.Nous nous mettons alors tous à discuter de tout et de rien en sirotant notre breuvage. Camryn
s’esclaffe, sourit et part dans ungranddébat avecBrooke au sujet des tampons. J’ignore parfaitementcommentcesujetestvenusurlatable,etjenetienspasàlesavoir,maisnouspassonsunsupermoment.Desgroupes que je n’avais encore jamais entendusbraillent par les haut-parleurs non loin de là ; lesquelquesdernièreschansonsm’intriguent,etjesuissûrquec’esttoujourslemêmeinterprète.
—Quic’est?demandé-jeàTate.Ilfinitparsedétournerdesacopine.—Quiça?Legroupe?—Ouais.Ilssontvachementbons.—Ça,monpote,c’estDaxRiggs.Iljoueensolo,maintenant.Jecroisqu’ilacommencédansAcid
Bath…(Il lèvelégèrementlesyeuxauciel,commepourytrouversaréponse.)Entoutcas, ilachantédansplusieursgroupes,dontAcidBathetAgentsofOblivion,pourlesplusconnus.
—Ahouais,AcidBath,çameditquelquechose,affirmé-jeenavalantunenouvellegorgéedegin.—Çanem’étonneraitpas,commenteTate.—Vafalloirquejemerenseigneunpeuplussurcequ’ilfait.Ilaunlabel?Camryn,quienavisiblementfiniavecseshistoiresdetampons,serapprochedemoietposesatête
surmonépaule.—Entoutcas,iln’ajamaissignésurunemajor,m’expliqueTate.Etc’esttantmieux,parcequec’est
vraimentdelamerde.Çamefoutenrognedevoirdesgroupesgéniauxsecompromettreenfaisantdespubspourdudentifriceoucegenredeconneries.
Jeparsd’unlégerrire.—Ouais,tum’étonnes.Jamaisjenesigneraisavecunemaisondedisques,mêmesionmeproposait
uncontrat.—T’as raison,mec.Après, tudeviens leurpute.Tamusiquene t’appartientplus,et tubaisses ton
frocdevantl’ordurequitesignetonchèque.Cegarscommenceàmeplaire.Unpeu.—Andrew,ilfautquej’aillefairepipi,mesouffleCamryn.Jeluiprendssongobelet,quejeposesurlesable.—Moiaussi,admets-jeautantàsonintentionqu’àcelledeTate.Cederniertendsacigaretteverslagauche.—Allezparlà.Aumoins,vousnerisquezpasdemarchersurunmorceaudeverre,ouunesaloperie
dugenre.JeposemonverreàcôtédeceluideCamrynet l’aideà semettredebout.Nousmarchonsdans le
sableendirectiond’unbouquetd’arbresetderochers,assezàl’écartpourquepersonnenepuissenousvoir.
—Ilvafalloirqu’ondormeici,cettenuit.Jenesuispasenétatdeconduire.
Elles’accroupitàquelquesmètresdel’endroitoùjemesoulage.—Jesais,réplique-t-elle.Ondiraitquetuvasl’avoir,tanuitàlabelleétoile,hein?Jememoqued’elleintérieurement.Elleesttellementsoûlequ’ellebafouillelégèrement.—Ouais.Maissachequeçanecomptepasvraiment,parcequetut’ensouviendrasàpeinedemain
matin.—Alorslà,si.—Alorslà,non.Ellemanquedetomberàlarenversequandelleaterminé,ets’aidedesesmainspournepasperdre
l’équilibre.Jel’attrapeparlebrasetlasoutiensparlatailleenlarelevant.Puisjel’embrassesurlehautducrâne.
—Jet’aimetellement.Jenesaispaspourquoij’airessenticebesoinimpérieuxdeleluidireàcetinstant,maislefaitdela
savoirprèsdemoietincapabledes’occuperd’elle-mêmem’yaencouragé.Cesmotsattendaientdanslefonddemagorge,etjedoisbienreconnaîtrequ’ilscommençaientàm’étouffer.Jemettraisvolontiersçasurlecomptedel’alcool,maisnon,mêmecomplètementsobre,jel’aimeàencrever.
Elle se blottit contre moi, pose sa tête contre ma poitrine et m’étreint très fort tandis que nousretournonsverslefeu.
—Moiaussi,jet’aime.
24
ANDREW
TANDIS QUE LA NUIT AVANCE, LES ATTITUDES ÉVOLUENT AU SEIN DE NOTRE PETIT GROUPE. LES GENSPARLENTmoins,s’embrassentplus.BrookeetEliassontallongésl’uncontrel’autred’uncôtédufeu.Tateetsacopinepourraienttoutaussibienêtreentraindebaiser,ilneleurrestequ’àretirerleursfringues.Parchance,lablondebizarreaidedésormaissacopineàtripoterCaleb,àquelquesmètresdeCamrynetmoi.
Ouais, je commence à voir où tout cela vamener. Rien de bien grave. Ce n’est pas comme si jen’avaisjamaisrienconnudepareil.Saufque,cettefois,maprincipalepréoccupationn’estpasdetâcherde satisfaire deux filles à la fois, mais uniquement de faire en sorte que Camryn ne se retrouve pasembringuéelà-dedans.
Alorsquejerouledecôtépourluiglisserunmotàl’oreille,lemondes’écroulesousmoi.J’essaiede soulever la tête. Je réfléchis. J’ai l’impression que de petites féesme dansent sur les yeux.Alorsqu’ilssontouverts.
—Ohmerde,dis-jeàvoixhaute.Oualors,jen’airienditdutout.Peut-êtrequetoutcelaétaitdansmatête.Jelèvelamaindevantmonvisage,etj’ail’impressiondetenirlaluneentremonpouceetmonindex.
J’essaie de l’envoyer valser,mais elle est bien trop lourde et forcemonbras à retomber.Mon coudeheurtelesablecommes’ilpesaitquarantekilos.
J’ailatêtequitourne.Lesflammessontbleues,jaunesetrougesombre.Lebruitdel’océanm’arrivedécupléauxoreilles,mêléauxcraquementsduboisdanslefeuetàdesgémissements.
—Camryn?Oùtues?—Andrew?Jesuis…ici.Jecrois.Jenesuismêmepascertainqu’ils’agissedesavoix.Jeserrelesyeuxdetoutesmesforcesetlesrouvre,tâchantdemeconcentrer,maism’endécouvrant
incapable.En vérité, je n’en ai pas envie. Je souris. J’ai l’impression quemes lèvres sont si tenduesqu’ellesrisquentdemefendrelevisageendeux.Puisçanemedérangeplus.
Oh,putaindemerde.Jesuisenpleintrip.Bordel.Qu’est-cequ’ilsm’ontrefilé?J’essaiedemelever,maisalorsquejemecroisdebout, jecontemplemespiedsetconstatequeje
n’aipasbougéd’uniota.J’essaieunenouvellefois,sansplusderésultat.Pourquoisuis-jesoudainclouéausol?—Saloperiedemerde,Tate,entends-jedireunevoix,sanssavoirsielleappartientàunefilleouun
garçon.C’estdelaputaindecame.NomdeDieu.Jevoisdesarcs-en-cielettout.Jeplaneàquinzemille.Etceluioucellequivientdedireçaentonne:«Çaplanepourmoi».J’ail’impressiond’êtrechezlesfous,sansavoirvraimentenvied’enpartir.Finalement,jem’allongesurledosetpalpelesabledesdeuxmainspourm’assurerdemaposition.
Puisjelèvelesyeuxaufirmamentetobservelesétoilesnaviguerdefaçonpoétiquedanslapénombre.LevisagedeCamrynapparaîtsurmapoitrinetelunspectresortidelabrume.
—Mabelle?demandé-je.Çava?Jem’inquiètepourelle,maisjenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Ouais,çavasupeeeer.Super.—Allonge-toicontremoi,luidis-je.Je ferme lespaupièresquand jesenssa têteseposersurmon torse ; jehumealors l’odeurdeson
shampooing,bienplusprégnantequ’habituellement.Toutestamplifié.Chaqueson.Lacaresseduventsurmon visage. Dax Riggs chante « Night Is the Notion » quelque part en fond sonore, et si mon espritm’indiquequecelavientdeloin,lamusiqueesttellementfortequej’ail’impressionquelaJeepestgaréeàcôtédemonoreille.J’aimêmelesentimentdecapterleseffluvesducaoutchoucdespneus.
Etjenepeuxpasm’enempêcher.J’entonne«NightIstheNotion»àpleinspoumons.Jenesaispascomment je connais les paroles, mais c’est bien le cas. Putain, je les connais par cœur. Lemorceausemblesepoursuivreindéfiniment,maisjen’enairienàfoutre.Jefinisparmetaire,laissantlamusiquemepénétrer.Riend’autren’importequelemomentprésent.Jesuisexcitécommejamais.Ilmefautuneseconde–jecrois–pourprendreconsciencequemabiteressentlamêmebrisequemonvisage.C’estagréable.
—Camryn?Quoi?Oui.Je ne sais plus ce que je raconte, je ne suismême pas certain de parler.Mon cerveaume dit de
m’assurerqu’ellen’estpascomplètementdéfoncéepourmetaillerunepipedevantlesautres,maisd’unautrecôtéjen’aiaucuneenviequ’elles’arrête.
Lesoufflecourt,jelaissematêtebasculerdecôté.JevoisCalebchevaucherl’unedecesfilles,lescuissesnuesdecettedernièreécraséescontresoncorpscambré.Jedétournelesyeux.Jecontemplelecielnocturne.Destraînéeslumineusess’attardentdanslesillagedesétoiles.Jefrissonneensentantmonglandaufonddesagorge.
Jebaisselementon.J’aperçoisunechevelureblonde.Jetendslamainpourlacaresser,partagéentreledésirdel’écarterdemoietl’enviedelaforceràmesucerplusprofondément.J’optefinalementpourcettedeuxièmepossibilité,etquandjerejettelatêteenarrière,jedécouvrelevisagedeCamryntoutprèsdumien;jemeredressebrusquement.
—Dégagedelà,connasse!parviens-jeàéructer.Je la repousse d’un coup de pied, et mon trip prend un virage à cent quatre-vingts degrés. Je ne
m’éclateplusdutout.Jemeforceàm’asseoir.Jemegifledesdeuxmains,espérantrecouvrermalucidité,envain.J’arrive
néanmoinsàrangermonmatosetjevoisàlalumièredesflammesquecettesalopes’estdéjàécrouléeaucôtédeCaleb.J’ignorecombiendetempss’estécoulé,maisjesuisleseulànepasdormir.
Jecommenceàpaniquer.Jen’arriveplusàrespirer.Putain,qu’est-cequis’estpassé?Jeroulesurlecôté,attrapeCamrynparl’épauleetlaforceàsecolleràmoi,sanslalâcher.C’estmonderniersouvenir.
CAMRYN
JEMESENSMAL.BONDIEU,JEN’AIJAMAIS,JAMAISEUUNETELLEGUEULEDEBOIS.LESOLEILMATINALETLA brise océaneme réveillent. D’abord, je reste allongée et immobile, de peur de vomir aumoindremouvement.Moncerveautambourinecontremoncrâne,j’ailapointedesdoigtstoutengourdie,etlerestedemon corps n’est qu’une épave tremblante et nauséeuse. J’ouvre les yeux avec un gémissement,mepasselamainsurleventre.Jesaisquejenepourraipasquittercetteplageavantd’avoirvomipendantcinqbonnesminutes,maisjemeretiensautantquepossible.
J’ai une joue enfoncée dans le sable. J’en sens les grains me coller à la peau. Lentement, trèslentement,jem’essuiedel’indexavantdem’enmettredanslesyeux.
J’entendsungrandclac,suivid’uncraquementetd’uncri.Malgrélesprotestationsdemonestomac,jerouledel’autrecôté,faceàlamer.—Lâche-le!entends-jecrierunefille.Celametiredematorpeur,etjenemerendscomptequ’alorsquej’étaiscomplètementdéconnectée
de la réalité. Désormais, cependant, je suis parfaitement réveillée. Je dresse la tête et vois AndrewtabasserTateàcoupsdepoing.
—Andrew!essayé-jedehurler.J’ailagorgetoutesècheetlavoixcassée,jeneparviensdoncqu’àémettreunfaiblecroassement.—Andrew!répété-jeavecplusdedétermination.—Putain,c’estquoitonproblème,mec?brailleTate.Ils’efforcedefuirsonagresseur,maiscederniernelâchepasl’affaire.Illefrappe,encoreetencore,
jusqu’àlefairetomberdanslesable.LefrèredeTateintervientalors,plaquantAndrewdecôté.Ilsbasculenttouslesdeuxetroulentl’un
surl’autresurplusd’unmètre.AndrewsaisitCalebàlagorgeetlesoulèveau-dessusdeluiavantdeleprojeterausoletdeseruersurlui.IlluiassènetroiscoupsdepoingavantqueTatel’attrapepar-derrièreetl’entraîneàl’écart.
—Détends-toi,mec!s’exclameTate.MaisAndrewfaitvolte-faceetluidécocheunviolentuppercutaumenton,quiprovoqueunnouveau
craquementécœurant.Tatetitubeenarrière,setenantlamâchoire.—Tunousasdrogués!Jevaistetuer!grondeAndrew.Jeparviensenfinàmeleveretchancellejusqu’àlui.Tandisquejem’apprêteàluiagripperlebras,
on me bouscule violemment dans le dos et je tombe sur les fesses. Cela me coupe le souffle. Je necomprendspascequi s’estpassé.Puis j’aviseCaleb,àcalifourchonsurAndrew. Jeme trouvais sansdoutesursoncheminquandils’estruésurlui.
JemerelèvetantbienquemaletvoisEliass’approcherdenous.Paniquée,jetournelatêtededroiteetdegauche,puisreposelesyeuxsurlui,commeauralenti.Ont-
ilsl’intentiondetomberàtroissurAndrew?Ohnon,çanesepasserapascommeça!JetentederetenirTatetandisquesonfrèreetluidérouillentAndrew,maisEliasmerepousse.
—Pousse-toi!megrogne-t-il.Andrewtientbonfaceàsesdeuxadversaires,ilesttoujoursdeboutetleurrendcouppourcoup,mais
siEliass’enmêle,jenepensepasqu’ilpourrarésisterlongtemps.Eliassejointàlabagarre,etjenesaisplusdirequicognequiquanddeuxmainsm’attrapentsousles
aisselles.—Resteavecmoi,meditBrooke.Tétaniséeparlaconfusionetl’effroi,jevoisEliasfrapperCaleb.Unevaguedesoulagementdéferle
surmoi,bienquebrièvement.Andrewalaboucheensang.D’unautrecôté,ilssaignenttouslesquatre.J’ail’impressionquelarixe
neseterminerajamais,etchaquefoisqu’Andrewdonneouencaisseuncoup,jefermelesyeuxavecunegrimace, cherchant àm’épargner ces images. Je suis assise sur le sable dans les bras deBrooke, quiredoute toujoursque j’essaiedem’interposer.En réalité, j’ai denouveau l’impressionque jevaismemettreàvomir,etjepeuxàpeinebouger.Delasueurperlesurmonfront,medégoulinedanslecou.Lecielsemetàtournoyer.
—Ohnon.Brooke…Jecroisque…Jesuisincapabledefinirmaphrase.Moncorpsconvulseviolemmentetmesmainss’enfoncentdans
le sable devantmoi pour retenirma chute.Mon dos s’arrondit puis retombe, s’arrondit puis retombe,tandisquejevomis,encoreetencore.MonDieu,faitesqueças’arrête.Jamaisplusjeneboirai!Maisfaitesqueças’arrête!Mesprièresrestentvaines.Plusjevomis,plusmoncorpsréagitàl’odeur,ausonetaugoût,etplusleshaut-le-cœursontpuissants.Lecombatn’estplusqu’unbruitdefond.Quandjen’aiplusriendansleventre,jefinisparm’effondrersurlecôté.Jenepeuxplusbouger.Moncorpstrembledefaçonincontrôlable,mapeauestàlafoisfroideetchaude,couvertedesueur.JesensBrookes’asseoirprèsdemoi.
—Çavaaller,medit-elle.Putain,cetruct’avraimentretournélebide.—Qu’est-cequec’était?m’enquiers-je.Desbribesdesouvenirscommencentàmerevenir.Jen’entendsmêmepassiellerépondàmaquestion.Jemesouviensquetoutallaitbien,quej’étaisjusteunpeuéméchéequandnousavonsattaquélegin.
Puis, soudain, je ne distinguais plus rien, tout semblant beaucoup trop près demoi. Je n’arrêtais pasd’essayerdemeconcentrersurdespointspluslointainscommel’océan,lesétoilesouleslumièresdesbateaux. Je me souviens d’avoir eu l’impression que l’un d’eux dérivait vers nous et allait bientôts’échouersurlaplage.Maisjem’enfichais.Jetrouvaiscela…magnifique.Ilallaittousnoustuer,maisc’étaitmagnifique.Etjemesouviensd’avoirentenduAndrewchanterunechansonauxaccentssensuels.J’ai poséma tête sur sa poitrine pour l’écouter. Je voulaism’allonger sur lui etme déshabiller, et jel’auraissansdoutefaitsij’avaispubouger.
Jemesouviensaussi…Attendez.Cettesalopeblonde.Ellem’ademandé…attendez.Jemeredressealors.—Tudevraisresterallongéeencoreunpeu,meconseilleBrooke.Jeportemesdoigtsàmonfront.Jemesouviensde l’avoirvues’asseoirprèsdeBrookeetmoi.Elleétaitaussidéfoncéequenous
tous,maisjeneressentaispluslamoindrejalousie.Ellenousaparléunmoment,sansqueçamedérange.Àmesurequetoutmerevient,moncorpsseremetàtrembler.Elleaessayédem’embrasser.Jecroismêmequejel’aiembrasséeenretour…
Jecrainsdemeremettreàvomir.Jeremontemesgenoux,posemescoudesdessus,m’enfouislatêtedansmesmains.Jesuistoujours
prise de vertiges. Je n’ai peut-être pas fini de me vider les tripes. Je n’éprouve pas cet intensesoulagementquisuitunenausée.Aucontraire,lebesoinderendrevientdes’intensifier.Cettefois,c’estuniquementnerveux.
Lerestemeparvientpetitàpetit,etmêmesijepréféreraisoublier,jemeforceàmerappeler.Ellem’a demandé si elle pouvait coucher avecAndrew etmoi.Ouais, çame revient,maintenant.
Mais…ohmerde…J’avaiscomprisçadanslesensdedormir,j’étaistellementdéfoncéequejen’avaismêmepasenvisagél’aspectsexueldelachose.
Jeluiaiditquejem’enfichais.Puisjemesouviensqu’elle…J’en ai le souffle coupé. Je porte la main à ma bouche ; la brise malmène mes yeux ronds
d’étonnement.Jemesouviensqu’elleasucéAndrew.Quandj’essaiedemelever,jesenslamaindeBrookeseposerdansmondos.—Arrête,medit-elle enme forçant àme rasseoir à côté d’elle.Ne t’enmêle pas.Tu risques de
prendreunmauvaiscoup.Jemelibèred’unmouvementsecdepoignetetretentedememettredebout,maismesnerfsàvifet
mesmouvementsbrusquesmeprovoquentunnouveaurenvoidebile.Puisj’entendslavoixd’Andrew.—Merde,dit-ilàBrooke.Tuveuxbiencouriràlavoitureetmerapporterunebouteilled’eau?Elleselèvepours’encharger.Andrewme prend sur ses genoux dès que j’arrête de cracher. Ilme caresse les cheveux pour les
écarterdemesyeuxetdemabouche.—Putain,ilsnousontdrogués,mabelle,medit-il.J’entrouvrelespaupières.Ilmecaresselesjoues.—Jevaistuercettepute.JelejuredevantDieu,Andrew.Ilsemblesonnéparmadéclaration.Ilignoraitsansdoutequej’étaisaucourant.—Elleesttoujoursendormie.Mabelle,jesuis…Saculpabilitémevadroitaucœur.—Andrew, je sais ce qui s’est passé, lui assuré-je. Je sais que tu l’as prise pourmoi. J’ai vu ta
réaction.— Peu importe, réplique-t-il en serrant les dents. (Ses yeux se mouillent de larmes.) J’aurais dû
savoirquecen’étaitpastoi.Putain,jesuisnavré.J’auraisdûlesavoir.Sesmainsseresserrentlégèrementsurmonvisage.Jem’apprêteàluidiredenepass’envouloirquandEliasvientnousrejoindre.—Désolé,mec,onnesavaitpas.Jetelejure.—Jetecrois,luiditAndrew.Brookerevientaveclabouteilled’eau,etjerecouvredéjàquelquesforces.Jem’assieds,ledosbien
droit, appuyée contre le torse d’Andrew. Il croise ses bras devantmoi etm’étreint extrêmement fort,commes’ilcraignaitdemevoirm’enfuiràtoutesjambes.
PuisilouvrelamainpourattraperlabouteillequeluitendBrooke.Ilendévisselebouchon,seversedel’eaudanslapaumeetm’entamponnelefrontetlabouche.Lafraîcheurm’apaiseinstantanément.
—Écoute,mec,jesuisvraimentdésolé,lanceTateenarrivantderrièrenous.Onpensaitquetut’enfoutrais.Onenamisdanslesverresdetoutlemonde,histoiredepartager.Onnevousapasfaitvenirici
avecuneidéetorduederrièrelatête.Andrewparvientàseleversivitequejeperçoisàpeinesonabsenceetildécocheunnouveaucoup
depoingàTate.Unviolentcraquementromptlesilence.—Andrew,s’ilteplaît!m’écrié-je.EliasretientAndrew,Calebsechargedesonfrère,ettousdeuxécartentlesdeuxprotagonistes.Andrew ne cherche pas à relancer la bagarre,mais il se débarrasse d’Elias d’une secousse et se
tourneversmoipourm’aideràmerelever.—Onyva,dit-il.Ilfaitminedemeporter,maisjesecouelatêtepourluisignifierquejepeuxmarcher.Ilprendsaguitare,jerécupèrenotrecouverture,etnouspartonstousdeuxverslaChevelle.—Ondevraitpeut-êtreramenerBrookeetElias,suggéré-je.Il balance la guitare dans le coffre, m’arrache la couverture et en fait autant avec elle. Puis il
approche de sa portière, pose les coudes sur le toit et s’enfouit la tête entre lesmains. Il prend uneprofondeinspirationpuisabatsonpoingsurlacarrosserie.
—Putaindemerde!s’exclame-t-ilavantdefrapperdenouveau.Aulieud’essayerdeleraisonner, jepréfèrelelaissersecalmerseul.Jeleregardeavectendresse
depuismon côté de la voiture, avant de rentrerm’asseoir. Il reste dehors uneminute encore, puis jel’entendsdire:
—Sivousvoulez,jevousramène.EliasetBrookes’approchentdelaChevelle,leursaffairesàlamain,ets’installentsurlabanquette
arrière.
25
ANDREW
JENESAISMÊMEPASCOMMENTJEMEDÉBROUILLEPOURRETROUVERLAROUTESIFACILEMENT.JECROISQU’Àunmomentdonné,jem’enfoutaisunpeuqu’onseperde.Jeparviensnéanmoinsànousramenersansmetromperuneseulefois,nim’arrêtersurlebas-côtépourdemandermonchemin.Laconversationsefaitrare.Etj’aidéjàoubliélesquelquesmotsquenousavonspuéchanger.
Nousnousgaronsdansleparkingdel’hôteletdisonsaurevoiràEliasetBrooke.Entempsnormal,j’aurais sans doute remercié celui-là, ou je leur aurais souhaité bon voyage ; je leur aurais peut-êtremêmeproposédedîneravecnouscesoir.Enlacirconstance,jemecontentedehocherlatêtequandilsnousfontpartdeleurgratitudepourletrajet.
Jeredémarreetfaisletourdubâtimentpourlaisserlavoituresousnotrefenêtre.Camrynsemblehésiterencoreàmeparler.Ellen’apaspeur,elleestjusteencoreindécise.Jesuis
incapabledelaregarder.Jemedétestepourcequiestarrivé;jenemelepardonneraijamais.Ellemeprendparlamainetnousmontonsdirectementversnotrechambre.Dèsquej’enfranchisle
seuil,jem’attelleàfourrertoutesnosaffairesdansnossacs.—Cen’estpasta…—Non,l’interromps-je.S’ilteplaît.Laisse…laisse-moiuneminute.Ellemecontempled’unairabattu,maisobtempèresansdiscuter.Bientôt,nous sommesdenouveau sur la route, capaunordpourquitter lapéninsule.Destination :
n’importeoùsaufenFloride.Aprèsuneheuredetrajet,jeressasseencorelesévénementsd’hier,essayantdecomprendrecequia
pu se produire. Jem’arrête sur le bordde la route.Tout est si calme. Je contemplemesgenoux, puisregardeparlepare-brise.Jemerendscompteàmesphalangesblanchiesquejeserrelevolantdetoutesmesforces.Jefinisparouvrirmaportièreetsortir.
Jetraverseàgrandspasl’étenduedegravieretdepoussière,glissele longdelapentedufosséetremontedel’autrecôtépourmedirigerversl’arbreleplusproche.
—Andrew,arrête!mecrieCamryn.Jecontinuenéanmoinssurmalancéeet,lorsquej’atteinsceputaindetronc,jelefrappeaussifortque
j’aicognéTateetCaleb.Jemedéchire lapeauetdusangsemetàcoulersurmonpoingetentremesdoigts,maisçanemesuffitpas.
JeneretiensmescoupsquelorsqueCamrynseglisseentrel’arbreetmoietmerepoussesifortauniveaudutorsequejemanquedetomberàlarenverse.Sesjouessontbaignéesdelarmes.
—Arrête!Parpitié!Arrête!Jeme laisse choir à genoux sur l’herbe,mamain ensanglantée pendantmollement au bout demon
poignet.Moncorpsbasculeenavantetmatêtesuitlemouvement.Jenevoisquelesol.Camryn s’installe face àmoi. Elleme prend le visage entre ses paumes, tente deme forcer à la
regarder,maisjerefusedemelaisserfaire.—Tunepeuxpasm’infligerça,dit-elled’unevoixchevrotante.Jefinisparaccepterdeplongermesyeuxdanslessiens,carçamefaitunmaldechiendel’entendre
pleurer.Jetâchemoi-mêmederéprimermeslarmesdecolère.—Monchéri, çan’estpas ta faute.Tuétaisdrogué.Dans tonétat,n’importequiauraitcommis la
mêmeerreur.(Elleprendmonvisageencoupeentresesmains.)Ça…n’est…pas…ta…faute,répète-t-elleendétachantchaquemot.Tucomprends?
Ellem’empêchededétournerlatêteetglissesesgenouxentremesjambespourserapprocherdemoi.Jel’enlaceinstinctivement.
—J’auraisquandmêmedûlesavoir,insisté-je.Etcen’estpasqueça,Camryn:j’étaiscenséveillersurtoi.Tun’auraisjamaisdûavalercettedrogue.(Lesimplefaitd’yrepenserfaitbouillonnerlacolèreetlahainequej’éprouveàmonencontre.)J’étaiscenséveillersurtoi!
Ellemeprenddanssesbrasetmeplaquelatêtecontresapoitrine.Puisellerecule.—Andrew,regarde-moi.S’ilteplaît.Jem’exécute.Jedevinedanssesyeuxunmélangededouleuretdecompassion.Sesdoigtsdélicats
s’attardentsurmonmentonmalrasé.Ellem’embrassedélicatementsurleslèvresetdéclare:—C’étaitunmomentdefaiblesse.Commepourme rappelerceque je lui aidit, ilyadesmoisdeça, au sujetdespilulesqu’ellea
gobées.—C’était autantma fauteque la tienne, reprend-elle. Je ne suis pas idiote. J’aurais dûmeméfier
aussietnepaslaissernosgobeletssanssurveillance.Cen’estpastafaute.Jelaissecourirmonregardsurlesolavantdelereposersurelle.Jenesaispascommentluifaire
comprendre qu’à cause de ce que je suis, dema façon de penser, jeme sens responsable d’elle.Uneresponsabilitédontjesuisfier,etquej’éprouvedepuislejourdenotrerencontre.Çametue…Çametuedemedirequependantmon«momentdefaiblesse»,j’aiétéincapabledelaprotéger,etqu’enbaissantainsilagarde,j’auraispulalaissersefairevioler,tuer…Commentluifairecomprendreque,mêmesiellenem’enblâmepas,celan’excuseenrienmonéchec?Elleadroitàsesmomentsdefaiblesse.Pasmoi.Meconcernant,c’estunefoiradecomplète.
—Etjamais,augrandjamais,jenet’envoudraipourça,ajoute-t-elle.Jeladévisage,scrutesonexpressionpouressayerdecomprendre,quandellem’explique:—Cequecettefilleafait,précise-t-elle.Jen’enreparleraijamais.Parcequetun’asrienfaitdemal.
(Jesenssesdoigtsseresserrerlégèrement.)Tumecrois?—Ouais.Jetecrois,dis-jeenhochantlatête.Ellepousseunsoupiretreprend:—Enplus,c’estpeut-êtreunpeumafaute.—Commentça?—Ehbien…(Ellehésiteuninstant,l’aircontrit.)Jecroisque,sanslefaireexprès,jeluienaidonné
l’autorisation.Voilàquimelaissepantois.—Jemesouviensqu’ellem’ademandésiellepouvaitcoucheravecnous,et jecroisqueje luiai
répondu que oui, elle pouvait. Mais j’avais compris dormir… Si j’avais été plus sobre, je n’auraisjamaiscommiscetteerreur.Andrew,jesuisdésoléed’avoirlaissécettenymphotesauterdessus.
Jesecouelatête.—Cen’estnitafautenilamienne,alorsnetereprocherien,d’accord?Nelavoyantpassourirecommejel’espérais,jelasaisisparlataille.Elleglapitquandjememetsà
lachatouiller.Elleglousseetsetortillesifortqu’elletombeàlarenversedansl’herbe.Jemeplacealorsàcalifourchonsurelle,lesgenouxdepartetd’autredeseshanchespournepasl’écraser.
—Arrête!Non!Andrew,jetejure!Arrêêêêêête!Elleritàgorgedéployée,maisçanem’empêchepasdecontinueràluititillerlescôtes.J’entendsalorslasirèned’unevoituredepoliceetmefigeenlavoyantsegarerderrièrelamienne.—Ohmerde!dis-jeenregardantCamryn.Elleadel’herbepleinlescheveux.Jemeredressed’unbondetluitendsmamainblesséepourl’aideràserelever.Unefoisdebout,elle
entreprenddes’épousseter.NousretournonsverslaChevelletandisqueleflicdescenddesonvéhicule.—Vouslaissezsouventvotreportegrandeouvertesurleborddelaroute?demande-t-il.Jejetteuncoupd’œilàmaportièreavantdeluirépondre.—Non,monsieur.J’aieuuneviolenteenviedevomir,etjen’aipasréfléchi.—Permis,assuranceetpapiersduvéhicule.Jesorsmonportefeuilleet lui tendsmonpermisavantd’allerchercherlerestedespapiersdansla
boîte à gants. Camryn s’appuie contre le coffre, les bras croisés nerveusement devant elle. L’officierretourneàsavoiture–nonsansavoirremarquélesangsurmesmains–etvavérifiermondossier.
—J’espèrequetunemecachespasdesvolsàmainarmée,desmeurtresouquoiquecesoitdecegenre,medéclareCamryntandisquejevaisprendreplaceprèsd’elle.
—Nan,macarrièredetueurensérieestderrièremoi,répliqué-je.Jen’aiplusrienàmereprocher.Jeluiadresseunpetitcoupdecoudecomplice.Quelqueslonguesminutesplustard, ilvientnousrejoindreà l’arrièredelavoitureetmetendmes
papiers.—Qu’est-ilarrivéàvotremain?s’enquiert-il.J’yjetteuncoupd’œilet,maintenantqu’ilenparle,jecommenceàressentirunedouleurlancinante.
Jeluidésigneletroncimpliquédanslarixe.—Jemesuiscognécontreunarbre.—Vousvousêtescognécontreunarbre?répète-t-ild’untoncirconspect.IlexamineensuiteCamrynpendantdelonguessecondes.Génial,ilpensesansdoutequejelabats,ou
uneconneriedanslegenre.Etvusatêteaprèslesincidentsd’hiersoiretnotrebagarredansl’herbe,ilnedoitguèreêtrerassuré.
—Bon,d’accord,j’aicognécetarbre.Àprésent,ilobserveCamryndroitdanslesyeux.—C’estbiencequis’estpassé?l’interroge-t-il.Camryn,plusnerveusequejamais,etprobablementaussiconscientequemoidesidéesquesefaitle
flic,faitsoudainsaNatalie.—Oui,monsieur,dit-elle enagitant lesmains. Il était furieuxparcequedes connards (elle fait la
grimace)–désolée–ontabusédenoushiersoir,etiln’arrêtepasdes’enpunirdepuiscematin,cequil’aamenéàsedéfoulercontrecetarbre!J’aicourupourlerattraperavantqu’ilsefassedumaletonenadiscuté,etsi j’ai lagueuleenvrac–désolée–,c’estàcausedecettenuitdemerdequ’onapassée.Maisjevousprometsqu’onn’estpasdesméchants.Onneprendpasdedrogue,cen’estpasuntueuren
sérieniriendecegenre,alorss’ilvousplaît,laissez-nouspartir.Vouspouvezmêmefouillerlavoiture,sivousvoulez.
Àseprendrelatêtedanslesmainsdedésespoir…Je ricane intérieurement. Nous n’avons effectivement rien à cacher. À moins que… nos amis
éphémères,EliasetBrooke,aient laissé tomberparaccidentunsachetdebeuhoud’autrechosesur labanquettearrière.
Ohmerde…faitesqueçanesepassepascommeàlatélé.JemetourneversCamrynetsecouediscrètementlatête.Elleécarquillelesyeux.—Quoi,qu’est-cequej’aidit?Jemecontentedesourire,sanscessermesmouvementsdedénégation,incapabledem’enempêcher.Le flic renifle puis semord l’intérieur de la joue. Il nous observe tour à tour pendant de longues
secondes,sansprononcerunmot,cequinefaitqu’accroîtrenotrenervosité.—Laprochainefois,nelaissezpasvotreportegrandeouverte,déclare-t-ilengardantunairaussi
neutrequedepuissonarrivée.Ceseraitdommagedesefairearracherlaportièred’uneChevellede1969enaussibonétat.
Jemefendsd’unlégersourire.—Absolument.Ilretournealorsàsavoitureetnousenfaisonsautant.Nousleregardonss’enallersansriendire.—«Vouspouvezmêmefouillerlavoiture,sivousvoulez»?répété-je.—Jesais!s’esclaffe-t-elleenbasculantlatêteenarrière.C’estsortitoutseul.Jememetsàrireaussi.—Entoutcas,ondiraitquetonbla-blainutile–qui,d’ailleurs,mefoutunpeulatrouille–nousa
tirésd’affaire,cettefois-ci.Maisj’aipeurquetacopinebipolaireaitfinipardéteindresurtoi.Jeposelesmainssurlevolant.Tout sourires, elle s’apprête sans doute à faire un commentaire sur Natalie quand elle avisemes
phalangescouvertesdesang.Elleserapprochealorsdemoietmeprendlamaindanslessiennes.—Ilfautnettoyerçaavantqueças’infecte,dit-elle.Elleyregardedeplusprèsetentreprendderetirerlesmorceauxd’herbeetdeterrecollésàlaplaie.—C’esttrèsmoche,Andrew.—Cen’estpassigrave,répliqué-je.Pasbesoindepointsdesuture.— Non, mais toi, tu aurais bien besoin de quelques baffes. Ne me refais plus jamais ça. Je ne
plaisantepas.Elleretireunderniergravierpuissepenchepar-dessusledossierpouraccéderàlaglacière.Jetournelatêteverselleetnevoisquesonpetitculparfaitmoulédanssonshort.Jeglisselesdoigts
sousl’élastiquedubasdesonbikinietlefaisclaquersursapeau.Elleneréagitpassurlemoment,maismefaitlesgrosyeuxquandelleserassied,unebouteilled’eauàlamain.
—Rinceça,m’ordonne-t-elleenmelatendant.J’ouvremaportièreetobtempère.Toutenfourrageantdanssonsac,ellereprend:—Laprochaine foisque tu es en colère et que tu ressens l’enviedepasser tesnerfs surunobjet
inanimé,jet’ajouteraiofficiellementsurmalistedespsychotiques.Elle me glisse de force un antiseptique dans la paume. Difficile de lui refuser ça. Comme je ne
l’avalepassur-le-champ,ellem’encourageàlefaired’ungesteimpatient.—Tuesunepetitegénissebienexigeante,commenté-jeenriant.
Elle m’assène un coup de poing joueur à l’épaule (et parvient à se faire mal à la main) en mereprochant de l’avoir traitée de grosse vache. Je me marre dans mon coin, et suppose que c’est samanière à elle de me changer les idées. Quelques minutes plus tard, nous échangeons joyeusementquelques considérations musicales et discutons du genre de bars ou de boîtes dans lesquels nousaimerionsjoueravantd’arriveràLaNouvelle-Orléans.
Nousavonsdécidéque,quelquesoitlenombred’étapespréalablesouladuréedenotreséjoursurplace,nousfinirionsparretournerquoiqu’ilarrivedansnotrevillepréféréeaubordduMississippi.
C’était avant-hier.Aujourd’hui, nous sommes allongés surunvrai lit, dansunhôtel convenabledu
grandÉtatqu’estl’Alabama.
26
CAMRYN
—ALORS, EST-CE QUE TU ES EXCITÉE POUR CE SOIR, OU est-ce qu’il te faut un sac pour vomir ?medemandeAndrewensortantdelasalledebains,uneserviettenouéeautourdelataille.
Jeposelatélécommandesurlatabledechevetetmeredressedanslelit.—Lesdeux,réponds-je.Jeconnaislachanson,maisc’estmonpremiersolo.Alorsouais,j’aiunpeu
letrac.Ilfarfouilledanssonsacetfinitparmettrelamainsurunboxerpropre.Saserviettetombeparterre.
J’inclinelatêtedecôté,observantdepuismaplacesonirrésistiblepetitcul.Ilenfilesoncaleçonetenfaitclaquerl’élastiquesursataille.
—Tuvasdéchirer,présage-t-ilense tournantversmoi.Tut’esentraînéedesmilliersdefoiset tucartonnesdéjà.Etpuis,situn’étaispasaupoint,jeteledirais.
—Jesais.—Bon,prêtepourallerbosser?poursuit-ilenachevantdes’habiller.—Ouais.Plusoumoins.Dequoij’ail’air?Jemelèveettournesurmoi-même,paréed’unminusculedébardeurnoiràfinesbretellesetd’unjean
moulant.—Attends,luidis-je,undoigtlevé.J’enfilemesnouvellesbottinesnoires flambantneuves et en remonte les fermeturesÉclair.Puis je
virevoltedenouveauavantd’adopteruneposethéâtrale.—Insupportablementsexy,commetoujours,réplique-t-ilavecunlargesourire.Puisils’approchedemoipourjoueravecmatresse.Cesoir,jevaischanterseulele«EdgeofSeventeen»deStevieNicks,maisdurantlesdeuxheures
précédentes, je jouerai la serveuse tandis qu’Andrewdébarrassera et nettoiera les tables.Trop bien !C’estmoiquiaiobtenulejobcool.
Lebarestpleinàcraquerquandnousarrivons,surlescoupsde19heures.J’adorel’ambiancedecetendroit.Lascèneestd’unetailleraisonnable,maislasalleetlapistededansesontgigantesques.Etiln’ya pas une place de libre, ce qui me rend d’autant plus nerveuse. Nous nous rendons au fond del’établissement,maindanslamain,nousfrayantuncheminparmilesclients.Nousavonseulachancededégottercetafoùnouspourronsbosserensembleplusieurssoiréesdesuite.DepuisquenousavonsquittélaVirginie,nousn’avons travailléquedefaçonsporadique.J’ai faitquelquesménagesçàet là, tandisqu’Andrews’improvisaitbarman,voirevideur.Iln’estpeut-êtrepasgonfléauxhormones(ettantmieux,
car je trouveçaassezignoble),maissesmusclessontsuffisammentsaillantspourqu’ils l’aientengagésansmal.Parchance,iln’apaseuàmettrequelqu’undehorsparlecol,etnes’estpasretrouvéimpliquédansunebagarre.
Notrebosspourlesquelquesprochainsjours,German–qui,commesonnomnel’indiquepas,estunebrutebiendecheznous–tendàAndrewuntablierblancetunbadgeindiquant«Andy».
Jeréprimeunfourire,maisAndrewperçoitmalgrétoutmonairamusé.Germanfrottesagrossemaintrapuesursonnez,l’essuiesursonpantalon,puisdéclare:—Dèsqu’unetab’s’libère,t’lapréparesp’lesaut’clients.(IlbranditunindexmenaçantversAndy–
pardon,Andrew.)Etpastoucheauxpourboires.Sontp’lesserveuses,pigé?—Oui,monsieur,répondAndrew.Quand German baisse les yeux sur son carnet de commandes, Andrew articule discrètement un :
«C’estquoicetype?»Jepinceleslèvrespourm’empêcherdesourirequandnotrepatronrelèvelenez.Ilmecontemple,dans lesensoùilm’observe longuementd’unairradicalementdifférentquecelui
qu’ilarboraitpourtoiserAndrew.Ildévoilesesdentsjauniesenunsourireetdéclare:—Toi,t’asqu’àr’sembleràquoiqu’tur’sembles.Unp’titsourireett’encaisseslesbiftons.Jenepeuxqu’imaginercequ’endurentauquotidienlesserveusesquitravaillenticiàpleintemps.Jebatsrapidementdescilsetrépliqueavecunlégernasillementcampagnardetséducteur:—Comptezsurmoi,m’sieurGerman.Etquandj’raifinimesheures,poursûrqu’vouscomprendrez
quej’doivemer’faireunebeautéavantd’montersurscène.Jevoislesyeuxd’Andrews’arrondir,maisjerestefocaliséesurGerman,quiestdéjààcepointàma
bottequesijeluidemandaisdelécherlesol,saseuleréponseserait:«P’dantc’biend’temps?»
ANDREW
CETACCENTDEBELLEDUSUDQUIVIENTDENULLEPARTM’ASUBITEMENTEXCITÉ.ELLEETMOIALLONSDEVOIRavoirunepetiteconversation,plustarddanslasoirée.
J’accroche le badge àmonnom, nouemon tablier dansmondos et attrape l’espècede bassine enplastiquequeGermanmedésigne.Bonsang,cen’estpaslegenredeboulotquimedérange,maisGermanestunvraipéquenaud,etj’espèrequ’ilneresterapasdansmespattespendantlesdeuxheuresàvenir.Etpuisunpetitcoupdedéodorantne lui feraitpasdemal.Putain,qu’est-cequ’ilpue ! Ilestvraimentàl’opposéde l’établissementqu’ildirige.Commeundrapeaupirate flottantà la fenêtred’unemaisonà400000dollars.Lebar/restaurantestplutôtclassieux.Àl’intérieur,dumoins.
Jemedirigevers lasalle,mabassinesouslebras,etm’orientevers lapremièretablevidequejevois.Jedébarrasselesassiettessalesrempliesdefritesécraséesetderestesdebeignetsetbalanceletout dans ma cuvette. Puis j’essuie la table avec le chiffon dans ma poche de tablier et aligne lesbouteilles de ketchup et de sauce à viande. Contrairement au service, ça ne demande pas beaucoupd’investissement,cequiexpliquesansdoutequeCamrynaiteudroitàuneheuredeformationhier.C’estpeut-êtreellequihériteradetouslespourboiressiellesaitfaireusagedesescharmes,maisaussiellequidevrasubirlesremarquesglaçantesduperversquinoussertdepatron.Etjejubile.Çaluiapprendraàsemoquerdemoi.Elles’estgausséeenmesurnommantle«charognarddubar».J’espèrequ’ellenes’attendpasàcequejelaprotègedesavancesrépugnantesdeGerman.Ellesedémerde.
Jenettoiedeuxautrestables,sanstoucheraubilletdecinqoffertsurlapremière,niàceluidevingtlaissésurlaseconde.Tandisquejem’apprêteàretournerencuisinepourmedélesterdemonfardeau,quatrefillesassisesdansunboxprèsdumurm’apostrophent.
— Eh, beau gosse, me lance la doyenne du groupe en me faisant signe d’approcher. On peutcommander?
—Désolé,madame,jenem’occupequedunettoyage.Uneautre,plusmignonne,merappellealorsquejefaisdemi-tour.—Jepariequesiondemandaitàcequetusoisnotreserveur,tuauraisunepromotion.Ellealesyeuxvitreuxetsatêteoscillelégèrement.Jeremarque–commentfaireautrement?–ses
seinsénormes,prêtsàfaireexplosersondébardeurmoulant.Ellesepenchelégèrementenavantpourlesmettreenvaleur.
— Eh bien, vous pouvez toujours demander, répliqué-je avec un demi-sourire charmeur. Et si lepatronditoui,jesuisàvoustoutelasoirée.
Ellesseconsultentsilencieusement,commedébattantmentalementdelamarcheàsuivre.Jepourraislesfairemangerdanslecreuxdemamain.
Camrynarrivederrièremoi,unplateauà lamain,sur lequelsontalignésplusieurspetitsverresdewhisky,ainsiqu’unplusgrand,déjàremplidebillets.Jemedemandes’ils’agitdesespourboiresoudel’argentdescommandes.Çam’angoisselégèrement.
Ellem’adresseunsouriresuffisant,setourneverslesfemmesattablées,puisdenouveauversmoi.
—Est-cequ’ilvousembête,mesdames?s’enquiert-elle.Jesaisqu’ellen’estpasjalouse:cesoir,elleetmoisommesenpleinecompétition.Etellevafaire
sonpossiblepourm’empêcherderemporterlepariquenousavonsfaitdanslavoitureenarrivant:—Tunecroispasquejepuissetoucherdespourboiresennettoyantlestables?—Non,m’a-t-ellerépondu.Çanefaitpaspartiedumétier.—Réfléchis bien, lui ai-je répliqué en lui jetant un coupd’œil.C’est un bar plein de femmes et
d’alcool.Jetepariequejepeuxmefaireunmaxdeblé.—Ahouais?m’a-t-elledéfiéavecunemoue.—Ouais.Puis,mesentantd’humeurtéméraire,j’ailégèrementaugmentél’enjeu:—Enfait,jetepariequejepeuxrécolterplusdepourlichesquetoi.Elleaéclatéderire.—Sérieux?Onpariepourdebon?Elleacroisélesbrasensecouantlatête,commesiellemetrouvaitridicule.—Oui,ai-jerépondu.Jesavaispertinemmentquej’auraisdûdire:«Non,jedéconne.»Maisjen’aipasditnonet,maintenant,siCamrynl’emporte,jeluidevraitroismassagesd’uneheure,
àréaliser trois joursdesuite.Uneheureéquivautàuneéternitéentermesdemassage.J’enaimalauxbrasrienqued’ypenser.
LaplusvieilledesclientesrépondàCamryn:—Non,ilnenousembêtepasdutout,madouce.Ellemedévisagealorsdelatêteauxpieds,lementonposésursesmainsjointes,paumesverslehaut,
commesielles’imaginaitmefoutreàpoilpourmelécherdepartout.—Ilpeutresteraussilongtempsqu’illedésire.Oùestvotreresponsable?— Quelque part par là-bas, répond Camryn. Un grand type avec la chemise du bar. Il s’appelle
German.—Merci,poupée,luiditlafemmeenrecommençantàmedévorerdesyeux.Jedoisbienreconnaîtrequ’ellemefaitunpeupeur.Etpuisqu’ellesembleêtrelachefdemeute,je
préfère tailler la route avant qu’elleme croie vraiment sous son charme et que je doive demander àCamryndemetirerd’affaire.
—Passezuneexcellentesoirée,mesdemoiselles,déclaré-jeavecunsourireavenantenfaisantvolte-face.
Jesensdesdoigtsseglisserdanslapochedemontablier.Jebaisselesyeuxetlavoisquiretiresamain.Ellem’adresseunregardlourddesous-entendus.
—Toiaussi,monamour,réplique-t-elle.Jeluidécocheunclind’œiletsourisauxtroisautrestoutenm’éloignant.Unefoisdanslacuisine,je
videmabassineetplongelamaindansmapoche,enexhumanttroisbilletsdevingt.Ehbien,peut-êtrequeceparin’étaitpassiridiculequeça,finalement…
Deuxheuresplustard…Si,c’étaitparfaitementidiot.—Deuxcentquarante,quaranteetun,quarante-six,cinquante-six.Camryncomptesespourboiresmaintenantquenotresoiréeest finie.Elleajouteavecunsourireen
coin:
—Ettoi,tut’esfaitcombien?J’essaiedegarderuneminesévèrepourquemadéceptionparaissesincère,maisellenemerendpas
latâchefacile.Jesorsdoncmesbilletsetrecomptedevantelle.—Quatre-vingt-deuxdollars.—Pasmal,pourunaide-serveur,jedoisbientel’accorder,dit-elleenempochantsonpécule.—Qu’est-cequetum’accordes?demandé-jeenmedébarrassantdemontablier.Onannulelepari?—Pff!Turigoles?Germansepointederrièrenous.—V’z’avez intérêt à êt’ bons, lance-t-il.Et pas d’rapoud’ces chansonsNewAge à lamode. (Il
claquedesdoigtsletempsdetrouverunexemple,maisfinitparcapituler.)N’estpasàlaNouvelleStar,là.
—Compris,acquiesceCamrynavecsonsouriredévastateur.German, un air abruti plaqué sur le visage, s’extrait péniblement de son envoûtement et émet un
grognementenmepassantdevant.Celadit, jenemeplainspas,carjepréfèrequ’ilnemeregardepascommeilregardeCamryn.
Jemetourneverselle.—Net’enfaispas,luidis-jeenluiprenantlesmains.Encoreunefois:tuvasdéchirer.Ellehochenerveusementlatête.Puisellesoufflerapidemententreseslèvresarrondiesetprendune
longueinspiration.—Jecourschercherlaguitareletempsquetuteprépares,l’informé-je.—D’accord.Jel’embrassesurleslèvresetvaisrécupérerdanslecoffredelavoiturelagrattequ’ellem’aofferte
pour mon anniversaire. Elle va peut-être chanter toute seule pour la première fois sur « Edge ofSeventeen»,maisleriffestsiconnuquejesuispresqueaussistresséqu’elle.Bon,peut-êtrepasautant:c’estunmorceauassezfacileàmaîtriser.Cequejeredouteleplus,c’estdelafairefoirer.Elleestmaseulecausedetracpournotrereprésentationdecesoir.
Jemontesurscèneetm’approchedubatteur,Leif,quenousavonsrencontréhier.—Mercidefaireçapournous,mec,luidis-je.—Pasdeproblème,réplique-t-il.Situsavaiscombiendefoisj’aijouécemorceau,danslebardans
lequeljebossais,ilyaquelquesannées.Camrynétait tout heureusede trouverunbatteurqui le connaissait déjà.Elle s’était préparée àne
jouerqu’àdeux,sachantqueceneseraitpaspareil sans lespercussions.MaisquandonacroiséLeifhier,durantsaformationdeserveuse,etqu’ilaacceptédesejoindreànouscesoir,jecroisqueCamryns’esttoutdesuitesentiebeaucoupplussûred’elle.
Jemepasselasangledeguitaresurl’épaulequandCamrynvientmerejoindre.Jemepenchealorsàsonoreilleetluiglisse:—Tuesvraimentcanon.Elle rougitetobservesa tenue.Ellea troquésonpetithautnoircontreunautreendentellequi lui
tombedansledos,maislaisseentrevoirlebasdesonventre.Elleporteégalementlependentifquejeluiaioffert.Etelleadétachésescheveux.J’adorela tressequ’ellearborechaquejour,mais jedoisbienreconnaître qu’elle est encore plus attirante quand ses délicats cheveux blonds lui tombent sur lesépaules.
LesvoixdubarportentsifortquenousentendonsàpeineLeiftapersursabatterie.Touteslestablessontoccupées,demêmequelesboxlongeantlemurdufond.Mesquatrecopinesdetoutàl’heuresontencorelà,maissesontsacrémentrapprochéesdelascène.Ellessemblentintriguéesparcetaide-serveur
quiserévèleêtreguitariste.Entempsnormal,jechercheraisma«victime»parmilafoule,maiscesoir,jesaisqueniCamrynnimoin’allonsjoueràça.Elleestbientropnerveusepours’amuserdelasorte.
Quandtoutestprêtetquenoussommessur lepointdecommencer,elle retientsonsoufflependantquelquessecondesensetournantversmoi.
J’attendsqu’ellemedonneletop,etquandellehochelatêtejememetsàjouer;immédiatement,touslesregardssebraquentsurnous.Ceriffdeguitareretiendraitinévitablementl’attentiondupublicleplusexigeant.Etdèsqu’elleentonnelespremièresparoles,Camryndevientelleaussiunetoutautrepersonne,ce qui ne manque pas de me surprendre. Elle incarne parfaitement le morceau.Mieux qu’elle ne l’ajamais fait lorsdenos séancesde répétition.Chacunede sesphrases transpire la confiance et le sex-appeal,chacundesesmouvementsmemetenémoi.
—Ooo,baby,ooo,ooo!reprends-jeenchœur.Maislesgensdanslasallen’ontd’yeuxquepourelle,mêmemesquatrecopines,quisesontpourtant
rapprochées pour me mater. À présent, elles appartiennent essentiellement à Camryn, et je ne peuxm’empêcherd’éprouverunecertainefierté.
Avantlafindupremiercouplet,lapistededanseestdéjàprised’assaut.Lapuissanceetlecharmequi se dégagent de la voix deCamryn,mêlés à la fascination de tous pour son interprétation,me fontcomplètementbasculer,etjereprendsmonriffavecplusdeconvictionquejamais.
—Ooo,baby,ooo,ooo!Descrisenthousiastess’élèventrégulièrementenarrière-plan,reprischaquefoisqueCamrynmonte
danslesaigus.Jenesuispasrassasié.Je chante à pleins poumons sur les deux refrains suivants, et je sais qu’arrive alors le quatrième
couplet,surlequelellesetrompetoujours.Jeluijetteuncoupd’œil,sanscesserdegrattermescordes,ledoscambré,maisjenedécouvrepaslamoindretracedenervositésursonvisage.Rienqu’àlavoir,jesaisqu’elleneseplanterapas.
Lesmotss’échappentsiviteetsiparfaitementdesabouche,quejemefendsd’unsourireimmenseavantd’entonnerlerefrainsuivantavecelle.
Incroyable,elles’estcomplètementappropriélachanson.Gareàtesfesses,StevieNicks!Aumilieu dumorceau, Camryn pousse le «Oooo ! » qui précède l’instant sinistre de la chanson
durantlequelellepeutbrièvementsereposer.Laguitarenes’arrêtepaspourautant.C’estépuisant,etpourtantjegardelerythme,neratantpasune
note.Camrynetmoinousregardonsetpartageonsunmomentdegrâce.Puisellerecommenceàchanteret
jemejoinsàellequandjesuiscensélefaire.Elle agrippe le micro à deux mains, ferme les yeux et crie « Yeah ! Yeah ! » avec une émotion
incroyable.Puisellerivesesprunellesauxmiennesenrécitantlederniercoupletcommesiellelefaisaitpour
moiseul.J’enaidesfrissons.Jesourissansmedéconcentrerdemaguitarejusqu’àlafindumorceau.Lepublichurlesonplaisir.Camrynsaluelapremière,jel’imiteensuite.Sonsourireestsivasteque
l’émotionm’étouffepresque.Jefaispassermaguitaredansmondosetm’approched’ellepourlaprendredansmesbras,lafaisant
décollerdusol.Dessiffletsetdeshourrasjaillissentdepartout,maistoutcequicompteàcetinstantestleregarddeCamryn.Jel’embrassevoracement,etlesvivatssemultiplient.
Avantlafermeture,nousenchaînonsunedizainedemorceauxfaceàunpublicdeplusenplusdense.
Nousentonnonsnotammentcertainesdenospréférées,comme«BartonHollow»,«HotelCalifornia»ou«BirdsofaFeather»,etchacunesembleplaireautantquelaprécédente.Jenefaispasdesolocesoir,mêmesiCamrynmeledemande.Cettesoiréen’appartientqu’àelle.Jerefused’être lecentredel’attention,mêmepouruneseulechanson.
Nousregagnonsnotrehôtelvers2heuresdumatin,etj’exécutevolontierslemassageliéàmonpariperdu.
27
CAMRYN
—GERMAN SEMBLE CONVAINCU QU’ON VA RESTER ICI UN MOMENT, DIS-JE, LA JOUE DROITE ÉCRASÉECONTRElematelas.Jeluiaipourtantditquecen’étaitquetemporaire.
Lesmainsmagiquesd’Andrewpétrissentmondoscommedel’argile,desépaulesjusqu’àlataille.Jeresteallongéesurleventre,profitantdecemassageautantquedemontoutpremier.J’aidumalàgarderlesyeuxouverts. Ilestassisàcalifourchonsurmoncorpspresquenu, lesgenouxdepartetd’autredemeshanches.
—Ouais,ilm’aprisàpartpourmedemanderàquelleheureonallaitjouerdemainsoir.Il glousse en enfonçant ses dix doigts dans ma chair, avant d’entamer de solides mouvements
circulaires.Jegémissoussontoucherexpert.—Onpeutresterquelquesjours,maisj’aimeraisbienqu’onnes’attardepastrop,reprend-il.—Moiaussi.Enplus,lesmoustiquesdeMobilesontépouvantables!Tuasvul’essaimd’apocalypse
quigrouillaitautourduréverbère,quandonestsortiscesoir?Aulieuderépondreàmaquestion,Andrewdéclare:—Tuasétégéniale.Jesavaisquetut’ensortiraisbien,maisj’avouequejenem’attendaispasàça.Jeparviensàentrouvrirlespaupièresetjetteuncoupd’œilparlafenêtre.—Àquoi,précisément?Sesmainss’activentencore.—Tuesmontéesurscèneettuenasimmédiatementprispossession.Tuasvraimentundon.—Jen’iraispasjusque-là,répliqué-je,maisjesuisassezfièredemoi.Jenesaisvraimentpascequi
m’apris.Jemesuisjustedébarrasséedel’angoissequimenouaitlagorge,etj’aitoutdonné.—Entoutcas,çaamarché,commente-t-il.—Seulementparcequetuétaislà,tempéré-je.Nous restonssilencieuxquelquesminutes ; j’ai refermé lesyeuxalorsquesonmassagemenacede
m’expédieràtoutinstantaupaysdesrêves.Jenesensplusmesmusclesfaciaux,j’aidesfourmillementsdanslatêteetdesfrissonsdanslanuquetandisqu’ilmemasselecuirchevelu.
Avantquel’heuresoitécoulée,jem’enveuxdeluiinfligerçasilongtempsetmurmure:—Situesfatigué,tupeuxt’arrêter.Comme il continue, je le force à cesser en roulant sur le dos. Ilm’embrasse délicatement sur les
lèvres. Puis nous nous contemplons un instant, tentant de deviner les intentions de l’autre, étudiant
mutuellementnoslèvres.Ilpressesonbassincontrelemien,etsaboucheprendpossessiondelamienneenunbaiserpassionné,tandisqu’ilcommenceàmefairel’amour.
28
ANDREW
NOUSSOMMESDENOUVEAUSURLAROUTE,QUELQUEPARTENTREGULFPORT,DANSLEMISSISSIPPI,ETLANouvelle-Orléans.C’estunejournéeparfaite:lecielestlimpideetilfaitjusteassezchaudpourroulerlesfenêtresouvertessansavoirbesoindebrancherlaclim.Camrynestauvolant,etjesuisvautrésurlesiègepassager,unpiednonchalammentpasséparlavitrecommeellelefaitsouvent.
NousavonspasséunesemaineàMobile,etl’argentquenousnoussommesfaitàbosseretàjoueralargementremboursélegîte,lecouvertetl’essencedelabagnole.Àcôtédesespourboires,lesmiensn’étaientqu’unegoutted’eau.
Montéléphonesemetàvibrerdanslapochedemonbermudanoir.—Salut,maman,quoideneuf?Ellem’expliquequejeluimanque,puisembraiedirectementsurmonétatdesanté.—Non,jen’aipasfaitdebilanrécemment.Ouais,j’aipasséunscanneràl’hôpitalet…Non,ilsont
appeléledocteurMarsterspouravoirmondossieret…Oui,maman.Jesais.Jesuisprudent.(J’adresseuncoupd’œilàCamryn,quimesouritenretour.)Camrynestdéjàsurmondos.Ouais.Là,onestsurlaroute deLaNouvelle-Orléans. Je ne sais pas combien de temps on va rester,mais ensuite on fera uncrochetparleTexaspourtefaireuncoucou,d’accord?
Aprèsquej’airaccroché,Camrynm’interpelle:—LeTexas?J’ai instantanément l’impressionqu’elle pense lamême choseque lors de notre premier road-trip,
maisellemedonnetortenajoutant:—Çanemegênepas,hein.Jesuisjustesurprisedeladestination.Ellesouritdenouveau,etjesuisconvaincuque,cettefois,ellenemecacherien.—LeTexasnet’inquièteplus?m’enquiers-je.Ellegardelesyeuxrivéssurlarouteàl’approched’unvirage,puislorgnedansmadirection.—Pasdutout.Pascommeavant.—Qu’est-cequiachangé?Jerentremonpiedetpivotepourluifaireface,intriguéparsamétamorphose.—Parce que les choses ont évolué, réplique-t-elle.Dans le bon sens.Andrew, lemois de juillet
dernieraétééprouvant.Pour tous lesdeux.Jenesaispascomment,mais jecroisque j’ai toujourssuqu’il nous arriverait quelque chose de terrible au Texas. Pendant un moment, je pensais que j’étaisseulementinquièteparcequec’étaitladernièreétapedenotrevoyage,maisjen’ensuisplussisûre.J’ai
plutôtl’impression…Jesourislégèrement.—Jecroiscomprendre.Cequisoulèveunenouvellequestion.Ellemecontemple,dansl’expectative.—Est-cequ’onvaseposerunjour?Saréactionmesurprend.Jem’attendaisàvoirsonsourires’estomper,àcequecetinstantdegrâcese
dissolve,pourtantsesprunelless’illuminentetilémanedetoutsonêtreuneformedesérénité.— Un jour, oui, affirme-t-elle. Mais pas tout de suite. Tu sais, Andrew, j’ai envie de découvrir
l’Italie. Rome. Sorrente. Peut-être pas demain, ni au cours des cinq prochaines années,mais j’espèreavoirl’occasiond’yaller.EnFrance,aussi.ÀLondres.J’adoreraisaussiallerenJamaïque,auMexiqueetauBrésil.
—Vraiment?Ilfaudraitdutempspourvoirtoutça.Jenedispasçapourladécourager,carj’aimeraismoiaussivisitercespays.Levents’engouffredanssescheveux,arrachantquelquesmèchesàsatresse,lesfaisantdanserdevant
sonvisagerayonnant.—Jemesenstellementlibre,avectoi,reprend-elle.J’ail’impressiondepouvoirtoutfaire.Alleroù
jeveux.Êtrequijeveux.(Ellem’adresseunnouveaucoupd’œilavantdepoursuivre.)Ons’installerabientôtquelquepart,maisjerefusequ’onseposepourtoujours.Tucomprendscequejeveuxdire?
—Oui.Jenel’auraispasformuléautrement.NousarrivonsenLouisianejusteavantlanuit,etCamrynserangesurlebas-côté.—Jen’enpeuxplusdeconduire,dit-elleens’étirantavantdebâilleràs’endécrocherlamâchoire.—Jet’aiditilyauneheuredemelaisserlevolant.—Ouais,ehbienjetelelaissemaintenant.Elledevientgrincheuse,quandelleestfatiguée.Nous sortons tous les deux de voiture pour changer de place,mais nous arrêtons en nous croisant
devantlecapot.—Tuvoisoùonest?luidemandé-je.Elleobservelesdeuxcôtésdelaroutedéserte,puishausselesépaules.—Euh…aumilieudenullepart?Jepouffelégèrementetluidésignelechamp.Puislesétoiles.—Ladernièrefoisnecomptaitpas,tuterappelles?Ses yeux pétillent, mais je vois bien qu’elle est partagée. Il ne me faut pas longtemps pour
comprendrepourquoi.—C’estungrandpré,platetdégagé.Etàvuedenez,jediraisqu’iln’yapasdevaches,assuré-je.Jesaisquecelanelarassureenrienquantàlaprésencepossibledeserpents,maisj’aitentélecoup,
espérantqu’ellen’ypenserapas.—Etlesserpents?Elleyapensé.—Nelaissepascessalesbestiolesgâcheruneoccasionenordedormirenfinàlabelleétoile.Ellemescruteenplissantlesyeux.Jesorsl’artillerielourdeetlasupplie.—S’ilteplaît?Pitié…Jemedemandesimonregarddechienbattuestaussiefficacesurelleque lesiensurmoi.Jesuis
tentéde la fairebasculer surmonépaulepour l’entraîneraumilieuduchamp,mais je suiscurieuxdedécouvrirl’efficacitédematechnique.
Elleruminependantunebonneminuteavantdecéderàmoncharme.—D’accord,lâche-t-elleavecunsoupirexaspéré.Jecoursverslecoffrepourensortirlacouverture,etnoustraversonsensemblelefosséavantdenous
pencherpourpassersouslaclôture.Noustraversonsalorslepréimmensejusqu’àtrouverl’endroitidéal.J’ai commeune impressiondedéjà-vu. J’étends lacouverture sur l’herbe sècheet effectueune rapideexplorationanti-reptilepourlarassurer.Nousnousallongeonssurledos,l’uncontrel’autre,lesjambestenduesetleschevillescroisées.Etnouscontemplonsl’étenduenoireetinfinieducielparseméd’étoiles.Camrynme désigne diverses planètes et constellations,me détaillant chacune d’entre elles, et je suisimpressionnéparsesconnaissancesetsafacultéàlesdistinguerlesunesdesautres.
—Jenetepensaispasaussi…Jenetrouvepaslemotquejecherche.—Cultivée?Jelasenssourireàmoncôté.—Enfin,je…jenevoulaispasdirequetuétais…—UneécerveléecomplètementsuperficiellequicroitquelaVoielactéesortdespisd’unevacheou
queleBigBangn’estquelenomd’unesérietélé?—Ouais, un truc dans le genre, consens-je pour entrer dans son jeu.Non, sérieusement, où as-tu
appristoutça?Jenet’imaginaispasscientifique.—Jevoulaisdevenirastrophysicienne.C’étaitmonplandecarrière,àdouzeans.Jesuisprofondémentsurprisparcettedécouverte,maisjecontinueàobserverlesétoilesensentant
croîtremonsourire.—Envrai, je voulais aussi être spécialiste de physique théorique et astronaute, et bosser pour la
NASA,maisjemefaisaisdesfilms.Manifestement.—Camryn,pourquoitunem’avaisencorejamaisracontéça?Ellehausselesépaules.—Jenesaispas.L’occasionnes’estsansdoutepasprésentée.Tun’asjamaisrêvédedevenirautre
chosequecequetues?—Si,sansdoute,admets-je.Mais,mabelle,pourquoitun’aspascontinuédanscettevoie?Jem’assiedssurlacouverture.Saréponserequierttoutemonattention.Ellemedévisage,commesij’enfaisaistrop.—Sansdoutepourlamêmeraisonquecellequit’apousséànepassuivretesrêves.(Elleremonte
lesgenouxetcroiselesmainssursonventre.)C’étaitquoi,d’ailleurs?Je n’ai aucune envie de parler de moi, mais puisque c’est la deuxième perche qu’elle me tend,
j’acceptedeluirépondre.Jeplielesgenouxetposelesavant-brasdessus.—Ehbien,enplusd’êtrerockstar,jevoulaisdevenirarchitecte.—Ahbon?—Ouais,confirmé-jeavecunhochementdetête.—C’estcequetuétudiaisàlafacavantdelaissertomber?— Non. (L’absurdité de ma réponse me fait doucement glousser.) J’étudiais la comptabilité
d’entreprise.Camrynfroncelessourcils.—Lacompta?Tudéconnes?Elleseretientpournepasrire.—Nan,mêmepas,répliqué-jeenricanantmoi-même.Aidanm’aproposédespartsdanssonbar.À
l’époque, je ne pensais qu’au fric, et je me disais qu’être propriétaire d’un bar serait une aubaine.J’aurais pu y faire des concerts et… je ne sais pas trop ce que je m’imaginais, mais j’ai sauté surl’occasion. Puis il a commencé àme dire qu’il fallait que je comprenne les aspects commerciaux del’affaire, cegenrede truc. Jeme suis inscrit en fac, et ça s’estplusoumoinsarrêté là.Lacomptanem’intéressaitpas,pasplusquetenirunbarougérertouteslesformalitésmerdiquesinhérentesaumondedel’entreprise.
Jemarqueunepauseavantdeconclure:—Commetoi,jemefaisaisdesfilms,etjenevoulaisquelesaspectspositifsdelachose,leresteme
faisaitchier.Etquandjemesuisrenducomptequec’étaittoutourien,j’ailaissétomber.Elleseredressepours’asseoiràsontour.—Etpourquoias-tuaussilaissétomberl’idéededevenirarchitecte?Jemefendsd’unrictusmoqueur.—Sansdoutepourlamêmeraisonquecellequit’apousséeànepasdevenirastrophysicienne.Ellesecontentedesourire,sansréfutermonargument.Jecontemplelechampquis’étendau-delàdeCamryn.—Nousnesommesquedeuxâmesperduesnageantdansunaquarium,déclaré-je.Elleplisselesyeux.—J’aidéjàentenduçaquelquepart.Jeluisourisavantdeluidonnerunebrèvechiquenaude.—C’estdansunechansondesPinkFloyd.Maisc’estassezjuste.—Tunouscroisperdus?J’inclinelégèrementlatêtepourregarderlesétoilesau-dessusdesoncrâne.—Ensociété,unpeu.Maisensemble,non.Jecroisquenoussommesexactementlàoùnoussommes
censésnoustrouver.Nousprofitonsd’unmomentdusilence.Puis,nousnousétendonssurlacouvertureetfaisonscequenoussommesvenusfaire.Jeconsidère,
enextase,l’infinitédufirmament.J’ail’impressionderetrouverunepartiedemoi-mêmedanscesétoiles.Pendantdelonguesminutes,j’oublielamusique,cequec’estqued’êtresurlaroute,latumeurquim’apresqueemportél’annéedernière,lemomentdefaiblessequiafailliavoirraisondel’espritdeCamryn.J’oublielapertedeLily,lefaitqueCamrynaitarrêtélapilulesansmeconsulter.J’oublieaussiquej’aiarrêtédemeretirersanslaprévenirnonplus.
J’oublieàpeuprès tout.Telest l’effetd’un instantcommecelui-ci.Onse sent toutpetit aumilieud’unechosesi immensequ’elledépassel’entendement.Celavousdépouilledetousvosproblèmes,devos souffrances, de vos besoins, envies ou désirs, cela vous force à prendre conscience du caractèreinsignifiantdetoutça.C’estcommesilaTerredevenaitsubitementsilencieuseetimmobile,etquevotreesprit parvenait enfin à comprendre ou à éprouver l’immensité de l’univers, tout enmesurant le rôleinfimequ’ilyjoue.
Pourquoi aller voir un psychiatre ? Pourquoi un psychologue, un coach de vie, un conseiller enmotivation?Audiablecescharlatans!Contentez-vousderegarderlecieletdevousyégarerunefoisdetempsentemps.
Uneodeurdésagréablemeréveillelelendemainmatin.Jehumel’air,lespaupièrestoujourscloses,le
cerveauencoreengourdi,maisl’odoratdéjàpleinementréveillé.L’airdumatinestunpeufrais,et j’ail’impressiond’êtrecouvertderosée.Jerouledecôté,renifleunefoisencore,etlapestilenceestencorepire.J’entendsunbruissementnonloin,etfinisparentrouvrirlesyeux.Camrynroupilleàcôtédemoi.Je
distingueàpeinesatresseblondeétendueentrenoussurlacouverture.Elleestenpositionfœtale.Quelleestcetteodeur?!Jemecouvrelaboucheetmeredresselentement.Camryncommenceàs’agiterenmêmetempsque
moi,seremetsurledosetsefrottelafigureàdeuxmains.Ellebâille.Jefinisd’ouvrirlesyeuxquandelles’exclame:
—Putain,çapue!Jem’apprêteàrépliquerqu’ils’agitsansdoutedesonhaleinequandelleécarquillesesbillesbleues
enavisantquelquechosederrièremoi.Jemeretourneinstinctivement.Untroupeaudevachespaîtàquelquespasdelà;ennoussentantnousagiter,ellessemblentprendre
peur.—C’estpasvrai!Camrynbonditsursespiedsencoreplusvitequelesoiroùceserpentarampésurnotrecouverture,
etjel’imiteaussitôt.Deuxvachesmeuglent,beuglentetgrognent,reculentsansregarderetviennentpercuterleurspetites
copines,cequinefaitqu’agiterunpeuplusletroupeau.—Onferaitmieuxdedégagerd’ici,dis-jeenattrapantCamrynparlamain.Nous nous élançons d’abord sans prendre le temps de ramasser la couverture,mais jeme ravise
quelquessecondesplus tardet retourne lachercher.Camrynhurleet jememetsà rire tandisquenousfonçonsendirectiondelavoiture.
—Oh,merde!m’écrié-jeenmettantlepieddansunebousefraîche.Camryn glousse de façon incontrôlable, et nous trébuchons presque jusqu’au bout du champ, moi
parce que j’essaie de courir tout en nettoyant ma semelle, elle parce qu’elle manque de perdre sessandalesàchaquefoulée.
—Jen’ycroispas!s’esclaffe-t-ellequandnousregagnonsenfinlavoiture.Elleseplieendeuxetposelesmainssurlesgenouxpourreprendresonsouffle.Jesuismoiaussiàboutdesouffle,et jecherchemarespirationtoutenraclantmachaussuresurle
bitume.Camrynsautesurlecapotdelavoiture,laissantpendresesjambesdevantelle.—Etmaintenant,onpeutdirequ’onl’afait?demande-t-elleenriant.Jelèvelatête,contemplesonsourireradieux,etréponds:—Ouais,cettefois,onpeutraisonnablementestimerquec’estbon.—Bien!jubile-t-elle.(Puisellemedésigneunpaillassonvégétal.)Vaessuyerteschaussuresdans
l’herbe,conseille-t-elleavecunsourireencoin.Là,tunefaisquel’étalerunpeuplus.Jem’exécute,reprenantmonmouvementdeplusbelle.—Depuisquandtuesuneexperteenmerde?—Surveilletonlangage,meprévient-elleenprenantplacederrièrelevolant.—Sinonquoi?laprovoqué-je.Elle démarre laChevelle et fait gronder lemoteur à plusieurs reprises. Ses prunelles luisent d’un
éclatmalicieux.Ellepasselebrasgaucheparlavitreouverteetmefaitaurevoirdelamainenpassantlentementdevantmoi.
Jeluidécocheunregardmenaçant,maissonsourires’élargitencore.—Tunemelaisseraisjamaisici!luicrié-jetandisqu’elles’éloigne.Jen’endoutepasuninstant…Elles’éloignedeplusenplus,etjerested’abordfigé,pensantqu’ellebluffe.Puisjevoislavoiture
devenirdeplusenpluspetite…Jefinisparmelanceràsapoursuite.
29
CAMRYN
LAPREMIÈRECHOSEQUIME PASSE PARLATÊTEQUANDNOUSARRIVONSÀLANOUVELLE-ORLÉANS EST«HOME,sweethome».L’impatiencecroîtquandjerepèredesélémentsquimesontfamiliers:lesgrandschênes,lesmagnifiquesmaisonstraditionnelles,lelacPontchartrainetleSuperdome,lestramwaysrougeetjaunequimefonttoujourspenseràdesjouets…Et,biensûr,leVieuxcarréfrançais.J’avisemêmeunhommejouantdusaxophoneàuncoinderue,etmesenspropulséedirectementdansunecartepostaledelaville.
JemetourneversAndrew,quim’adresseunrapidesourire.IlmetsonclignotantetnousbifurquonsàdroitesurRoyalStreet.Moncœurvacilleets’emballeenmêmetempsquandj’aperçoisleHolidayInn.Tantdechosessesontpasséesici,ilyadixmois.Cetendroit…unhôtel…c’estbeaucoupplusqueça,àmesyeux.Çareprésentebeaucouppournousdeux.
—J’aipenséquetuvoudraisdormirici,pendantnotreséjourenville,meditAndrew,auxanges.Commelessouvenirsmecoupentencore lesouffle, jemecontentedehocher la têteensouriantde
plusbelle.Noussortonsnosaffairesducoffreetpénétronsdanslebâtiment.Rienn’achangé,endehorsdesdeux
réceptionnistes.Jenecroispaslesavoirvuesl’annéedernière.J’entends vaguement Andrew leur demander les numéros de nos anciennes chambres, tandis que
j’observeencoreleslieuxpourmieuxm’enimprégner.Dieuquecetendroitm’amanqué.—Oui,lesdeuxsontlibres,ditl’unedesréceptionnistes.Vouslespreneztouteslesdeux?Cettephrasecaptemonattention.Andrewsetourneversmoi.Ilveutsansdoutesavoircequej’enpense.Je changemon sac d’épaule et hésite un instant. Je n’ai jamais réfléchi à cette question, et je ne
pensaispasqueladécisionseraitsidifficileàprendre.—Ehbien,euh…(J’observetouràtourAndrewetl’employée,toujoursindécise.)Jenesaispas.On
pourraitpeut-êtreprendrejustecelleoùona…(Jem’interromps,netenantpasunefoisdeplusàpasserpouruncoupled’adosàpeinepubères,etadresseàAndrewunregardentendu.)Celleoùonaconclunotreaccord.
Andrew réprime un sourire, mais ses yeux le trahissent tandis qu’il tend sa carte de crédit à laréceptionnisteenluiindiquantlenumérocorrespondant.
Nousquittonsbientôtlehalld’entréeetprenonsl’ascenseurjusqu’ànotreétage.Encoreunefois,je
melaisseabsorberparlesmoindresdétailsducouloir,jusqu’àlacouleurdelapeinturerecouvrantlesmurs,cartoutceci,mêmeleplusinsignifiant,faitpartieintégranted’unsouvenircapital.Lefaitd’êtreicidenouveaumeprocureunsentimentindescriptible.J’enaipresquedeslarmesdejoie.Jesuiségalementtoutexcitée,cequim’évited’avoirl’airridicule.
Andrews’arrêteentre lesportesdenosdeuxchambresd’antan, lestédedeuxsacsetdesaguitareélectrique.Ilvoulaits’acheterunehousse,maisn’enapasencoreeul’occasion.
—Çafaitbizarredeseretrouverici,hein?medemande-t-il.—Aussibizarrequ’agréable.Nousrestonslàunebonneminute,àcontemplerlesdeuxportes,jusqu’àcequ’Andrewserésolveà
passerlacartemagnétiquedanslaserruredecellequenousavonsfinalementprise.Celamedonnevraimentl’impressiondevoyagerdanslepassé.Lebattantpivotelentement,ettoutce
que nous avons vécu dans cette pièce déferle subitement sur nous pour nous accueillir.Dès que nousfranchissons le seuil, jeme souviens de toutes les nuits que nous avons passées ici, séparément puisensemble, comme si cela s’était déroulé hier. Je remarque l’endroit près du lit où jeme tenais quandAndrew m’a fait craquer pour de bon. Je jette un coup d’œil par la vitre pour observer les ruesencombréesduquartierfrançais.JerevoiscejouroùAndrewétaitassissurcereborddefenêtreàjouerde la guitare acoustique, et cette fois où jeme trouvaismoi-même à cet endroit, à danser en chantant« Barton Hollow », alors que je me croyais seule. Je me tourne vers la salle de bains et, tandisqu’Andrewallume,jecontempled’abordlecarrelageoùiladormiprèsdemoi,mêmesijen’aiquedesbribesderéminiscence.
J’imagineque,parfois, lesplusgrands souvenirs s’écriventdansdesendroits improbables,preuves’ilenfautquelaspontanéitéestplusgratifiantequ’unevieméticuleusementplanifiée.Quequoiquecesoitdeméticuleusementplanifié.
JepivoteversAndrew.— Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que tous ces mois passés sur la route depuis
décembreétaientcensésnousmenerici.Danscetteville.Danscethôtel.Jen’arrivepasàcroirecequejeraconte,etjememetsimmédiatementàm’interrogersurlesraisons
decesentiment.Celapourraitsignifierdesmilliersdechoses,maislaplusévidenteesttoutsimplementquenousavionsbesoinderevenirici.
Oui,c’estexactementça.Dumoins,c’estcedontj’avaisbesoin.Quandcetterévélationmefrappe,jeme retrouve debout au milieu de cette chambre entourée de pensées plutôt que d’objets. Je regardeAndrewdroitdanslesyeux,sanslevoirréellement.Celuiquejeperçois,c’est lui,danslepassé.Lesmêmesprunellesvertesenvoûtantes,unanauparavant.
Pourquoijeressenstoutcela?—Tuaspeut-êtreraison,déclare-t-il.Puisilreprend,d’untonplusmystérieux:—Camryn,àquoitupenses?—Quenoussommespartistroptôtlapremièrefois.C’est la première chose qui me soit venue à l’esprit, et maintenant que je l’ai verbalisée, je
commenceseulementàcomprendrecombienjelepense.—Qu’est-cequitefaitdireça?medemande-t-ilens’approchantdemoi.Cettefois,jen’aipasl’impressionqu’ilmeposedesquestionsauxquellesiladéjàlaréponse.C’est
plutôtcommesinouspensionslesmêmeschosesaumêmemoment,ettentionsdemieuxlescomprendreencherchantdesexplicationschezl’autre.
Nousnousasseyonsaupieddulit,lesmainsentrelescuisses,etrestonsunlongmomentsilencieux.
Puisjemetourneversluietdéclare:—Jen’aijamaisvoulupartirsitôt,Andrew.Jesavaisquenotreprochaineétape,aprèsLaNouvelle-
Orléans,seraitGalveston.Jen’étaispasprêteàquittercetendroit…maisjenesaispaspourquoi.Etcettevéritémefaitpeur.Pourquoi ?Sansparler du fait que leTexas signifiait la fin duvoyage, ni que j’avais cet horrible
pressentiment que quelque chose d’atroce nous y attendait, pourquoi voulais-je rester ici ? Pasnécessairementpourtoujours,maisentoutcaspluslongtemps?
— Je ne sais pas, admet-il avec un haussement d’épaules. Peut-être parce que c’est ici que nousavonsfinalementconclunotreaccord.
Ilm’adresseunebourradetaquine.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Ouais, possible,mais je crois qu’il y a plus,Andrew. Je crois que c’est parce que nous nous
sommesvraiment trouvés, ici. (Jecontemple lemurd’en face,perduedansmespensées.) Jen’ensaisrien.
JesenslelitremuerquandAndrewsemetdebout.—Ehbien,cettefois,assurons-nousd’entirerlemeilleurpartiavantdepartir.(Ilmetendsamain,
quejem’empressedesaisir.)Peut-êtrequ’oncomprendramieux.Jemelèveàmontouretréplique:—Ou…peut-êtrequec’estunedeuxièmechancequinousestofferte.Honnêtement,jen’aipaslamoindreidéedecequim’apousséeàdireça.—Unedeuxièmechancedefairequoi?s’étonne-t-il.Jemarqueunepausepouryréfléchir,puisréplique:—Jel’ignoreégalement.
30
ANDREW
JEPRENDSSONVISAGEENCOUPEENTREMESPAUMES.—Onn’estpasobligésderépondreàcetteénigmedèscesoir,dis-jeenl’embrassantsurleslèvres.
Jepuelabouseetj’aiabsolumentbesoind’unedouche.Avecunpeudechance,tun’espassuffisammentdégoûtéepourrefuserdem’accompagner.
Sonexpressionpensivesemueencesourirecoquinquej’espérais.Jelasoulèvedeterre,calantmesmainssoussesfesses;ellerefermesesjambesautourdemataille
etlaissependresesbrassurmesépaules.Àlasecondeoùjesenssalanguechaudeàl’intérieurdemabouche, je l’emmènesous ladouche ;nousnousretrouvons tousdeux torsenuavantd’avoir franchi laportedelasalledebains.
Notrepremièredestinationà la tombéede lanuitest leOldPointBar.Nousavonsàpeinemis le
piedàl’intérieurqu’uneCarlasurexcitéebousculedeuxtypesbalèzespourseruersurmoienfaisantdegrandssignes.Noustombonsdanslesbrasl’undel’autre.
— Je suis tellement contente de te revoir ! s’exclame-t-elle suffisamment fort pour couvrir lamusique.Laisse-moiteregarder!(Ellereculed’unpasetm’examinedespiedsàlatête.)Toujoursaussibeau.
EllesetourneensuiteversCamryn.Ellem’adresseuncoupd’œilavantdes’intéresserdenouveauàelle.
—Ah,ah,jesavaisqu’ilnetelaisseraitpaspartir.Ellel’étreintàsontour,laserrantfermementcontreelle.—Aprèsvotredépart,j’aiditàEddiequ’elleétaitfaitepourtoi.Ilétaitdemonavis.Ilavaitprédit
qu’àtonprochainpassage,Camrynseraitencoreavectoi.Ilavaitmêmevoulumeconvaincredeparierdel’argent,dit-elleenm’adressantunclind’œilentendu.Tusaiscommeilétait.
Enunefractiondeseconde,jepassedelajoieaudésespoir.—Était?demandé-jeavecméfiance,redoutantsaréponse.Carlanecessepasdesourire,mêmesiellesemblesubitementmoinsenjouée.—Jesuisdésolée,Andrew.Ilestmortaumoisdemars.Unecrisecardiaque,àcequ’ilparaît.Marespirationsebloque,et jem’assiedssur le tabouretdebar leplusproche.JesensCamrynse
rapprocherdemoi.Jenevoisplusqueleplancher.— Ah non, pas de ça ici, tu m’entends ? me morigène Carla. Tu connaissais Eddie mieux que
n’importequi.Iln’amêmepaspleuréàlamortdesonfils.Tuterappelles?Ilajouédelaguitaretoutelanuitenl’honneurdeRobert.
LesdoigtsdeCamryns’immiscententrelesmiens.JenelèvepaslesyeuxavantqueCarlafasseletourducomptoirpourallerchercherunebouteilledewhiskyetdeuxpetitsverres.Ellelesdéposedevantmoietlesremplit.
—Ildisaittoujoursques’ilmouraitavantl’und’entrenous,ilpréféreraitseréveillerdansl’au-delàen nous voyant danser plutôt que pleurer sur sa tombe, poursuit-elle. Maintenant, bois. Son whiskypréféré.C’estcequ’ilauraitvoulu.
Carlaaraison.Malgréça,etmêmesiEddieauraitdétestévoirquelqu’unaccabléparsadisparition,jen’arrivepasàm’extrairedupuitsdedétressedanslequeljesuistombé.JemetourneversCamrynetmerendscompteque,bienqu’elleaitdeslarmespleinlesyeux,elles’efforcedenepaspleurer.
Aucontraire,ellesouritenmeserranttendrementlamain.Elles’emparedel’undesverresqueCarlavientdeserviretattendquej’enfasseautant.Jefinispartendrelebrasverslecomptoirpourm’exécuter.
—ÀEddie,dis-je.—ÀEddie,répèteCamryn.Noustrinquons,noussourionsetfaisonsculsec.NotreinstantdegravitéprendfinquandCamrynreposesansdélicatessesonverreàl’enverssurle
bar.Ellefaitlapiregrimacequej’aiejamaisvuunefillearboreretsoufflebruyamment,commesielleavaitlagorgeenfeu.
Carlaéclatederireet récupère leverreavantdenettoyerd’uncoupde torchonla trace laisséeendessous.
—Jen’aijamaisditqu’ilétaitbon,justequec’étaitlepréféréd’Eddie.Jedoisbienreconnaîtrequecetrucarrache.Unvraitord-boyaux.JenesaispascommentEddieafait
pourenboirependanttoutescesannées.—Vousjoueztoujoursensemble?s’enquiertCarla.Camrynprendplacesurletabouretvoisindumienetrépond:—Ouais,deplusenplussouvent.Carlanousdévisaged’unairsuspicieux.Ellerécupèremonverreetlefaitdisparaîtrequelquepart
souslecomptoir.—Depuiscombiendetemps?Pourquoivousn’êtespasrevenusiciplustôt?Jepousseunprofondsoupiretcroiselesmainssurlebar,adoptantunepositionplusconfortable.— Eh bien, après notre départ, nous sommes rentrés à Galveston, et j’ai plus ou moins atterri à
l’hostoàcausedematumeur.—Tuasplusoumoinsatterriàl’hosto?répèteCarlaenemployantlemêmetoncirconspectquele
flicquinousacontrôlésenFloride.Ellepointesurmoiundoigtaccusateur,maisc’estàCamrynqu’elles’adresseensuite:—Onluiavaitpourtantditd’allerconsulter,maisiln’apasvoulunousécouter.—Vousétiezaucourantaussi?s’étonneCamryn.Carlaacquiesce.—Ouais.Maistoncopainestvraimenttêtucommeunebourrique.—Là,jesuisbiend’accord,confirmeCamrynd’unevoixamusée.Jesecouelatêteetmeredressesurmontabouret.—Bon,vousavezfinidevousliguercontremoi?Detoutefaçon,ils’avèrequejesuisvivant,alors
peuimporte.Bref,Camrynetmoiavonsvécudestrucsvraimentpasfacilesdepuisladernièrefois,maisonaréussiàsurmontertoutça.
Jeluiadresseunsourirechaleureux.—Etducoup,vousvenezboucler laboucle,conclutCarla. J’espèrequevousallez jouerce soir.
Eddieauraitadorémontersurscèneavectoiunedernièrefois.Camrynetmoinousregardonsunbrefinstant.—Jesuispartante,dit-elle.—Moiaussi.Carlaapplauditvigoureusement.—Ah, c’est génial ! Vous pouvez y aller quand vous voulez. Le seul groupe prévu ce soir a dû
annuler.Nous restons au bar à discuter avec Carla pendant une bonne heure avant de nous décider à
commencer notre concert improvisé. Même si la salle n’est qu’à moitié pleine, la foule estparticulièrementexcitée.Nousentamonsnotreprestationparnotreduo fétiche,«BartonHollow» ; lechoixnousestapparuévident,carc’estauOldPointquenousl’avonsjouépourlapremièrefois.Nousenchaînonsavecplusieursautresmorceauxavantd’enarriverà«Laugh,INearlyDied»,quejedédieàEddieJohnson.JelajouesansCamryn,maisaveclesuccesseurd’Eddie,ungentilCréolenomméAlfred.
Peuaprèsminuit,CamrynetmoidisonsaurevoiràCarlaetquittonsleOldPoint.Néanmoins,danslepluspurstyledeLaNouvelle-Orléans,nousnecomptonspasnouscouchersitôtetenprofitonspourfairelafête.Nousnousdirigeonsd’abordversled.b.a.,puisverslebaroùCamrynm’adonnéunevéritableleçondebillardcettenuit-là.Ils’estquasimentécouléunandepuisqu’ons’estfaitfoutreàlaportedel’établissement à cause d’une baston. J’espère qu’ils ne se souviennent pas demoi.Vers 2 heures dumatin,aprèsplusieurspartiesetplusieursverres,j’aidedenouveauCamrynàgrimperdansl’ascenseurdel’hôtel;commel’annéedernièreaumêmeendroit,elletientàpeinedebout.
—Çava,mabelle?Jepouffelégèrementenlasoutenantparlataille.Satêteoscilledegaucheàdroite.—Non.Çanevapas.Ettutemoquesdemoi.—Oh,jesuisdésolé,affirmé-je,àmoitiésincère.Jenememoquepasdetoi,jemedemandejustesi
onvaencorepasserlanuitàcôtédestoilettes.Ellegémit,sansdoutepluspourmecontredirequepourexprimersoninconfort.Jeraffermismaprise
sur elle quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent, et nous avançons tant bien que mal jusqu’à notrechambre.Je laguidevers le lit, ladéshabillepresqueentièrementet luienfile l’undesesdébardeurs.Elleserecroquevillesurl’oreilleretjem’apprêteàremonterledrapsurelleavantdemerappelerque,danssonétat,ellerisquedesuerabondammentetfiniraparrendretoutl’alcoolqu’elleaingérécesoir.
Parprécaution,jevaischercherlapetitecorbeilleàpapierposéeprèsdelatéléetlarapprochedesoncôtédulit.Puisjevaisimbiberd’eauungantdetoilette,quej’essoreau-dessusdulavabo.LetempsquejeretourneauchevetdeCamrynpourluitamponnerlefrontetlevisage,elles’estdéjàendormie.
Quandjemeréveillelematinsuivant,jesuissurprisdelavoirdéjàalerte.—Bonjour,monchéri,dit-elledansunsouffle.Elle est allongée sur le côté, face à moi, la tête posée sur l’oreiller. Ses prunelles bleues sont
chaleureuses et pleines de vie ; elle n’a pas du tout lamine fatiguée due à la gueule de bois que jem’imaginais.
—Commentsefait-ilquetunedormesdéjàplus?demandé-jeenluicaressantlajouedureversdelamain.
—Jenesaispastrop,répond-elle.Jesuismoi-mêmeunpeusurprise.
—Commenttutesens?—Bien.Je passe le bras dans son dos pour l’attirer versmoi, entremêlant nos jambes nues. Elle trace le
contourdemespectorauxdelapointedel’index,cequimeprovoqueuneéruptiondechairdepoule.Jecontemplesesyeux,sabouche,suivantdesdoigtslecheminprisparmonregard.Elleesttellement
belle.Putain,tellementbelle.Elletendlamainpourmecaresserlesdoigts,puislesembrassel’unaprèsl’autre,serapprochantunpeuplusdemoi.Quelquechoseenelleachangé.
—Tuessûrequetoutvabien?m’inquiété-je.Un léger sourire illumine son visage quand elle acquiesce. Puis elle plaque ses lèvres contre les
miennes,écrasantfermementsesseinssurmontorse.Sestétonssontdéjàdurs.Jelesuismoiaussi,bienavant qu’elle empoignemon érection. Elleme lèche le bout de la langue puism’embrasse avidementtandisquejel’étreinsdefaçonpossessive.D’unepressiondebassin,ellemefaitressentirladouceurdesapeau,l’humiditéquepeineàcontenirlecotonlégerdesonslip.Sansinterromprenotrebaiservorace,je retire sa culotte d’une seulemain. Je tends les hanches vers elle, pressantmon érection contre sachaleurintime.
Je roule sur elle et plante mon regard dans le sien. Sans rien dire. Je ne commente pas son étatd’excitation, pas plus que je ne la force àme contempler. Je ne la domineni par lesmots, ni par lesgestes,niparmesexigences.Jemecontentedel’observer,sachantpertinemmentquelesparolesnesontpastoujoursnécessaires.
J’embrasse délicatement ses lèvres, le coin de sa bouche, la ligne de samâchoire. J’introduismalangueentresesdentset,empoignantmonmembreérigé,entreprendsdelefrottercontreelle.Jelasensqui ondule des hanches,m’indiquant combien elleme désire. Je ne tiens pour une fois pas à la fairelanguir,ni à lui refuserquoiquece soit, jem’introduisdoncàpeineenelle ; son regard seperd, sespaupières papillonnent, sa bouche s’entrouvre. Quand je la pénètre plus profondément, ses jambes semettentàtrembler.Ellegémitdoucement,semordantlalèvreinférieure.Jel’embrassederechefetfinispar m’enfoncer complètement en elle. Je m’immobilise alors, me prélassant entre ses cuissesfrémissantes,alorsquesesdoigtsfébrilesmepétrissentledos.
Jebasculed’avantenarrièretoutenfaisantoscillermonbassin.Uninfimevoiledesueurrecouvredéjànosdeuxcorps.J’aienviedeluilécherlapeau,maisjenem’arrêtepas.Jenepeuxpasm’arrêter…
Jemeredressejusteassezpourquenospoitrinesnesetouchentplus,etl’attrapesouslegenouafindelui soulever la jambe pourme permettre de plonger en elle plus profondément. Je donne un coup dehanchesplusviolent, luiplaquelacuissesur lematelas.Elleprononcemonnom,m’agrippela tailleàdeux mains, mais les retire presque aussitôt pour s’accrocher au bout du lit, au-dessus de sa tête.J’observeavecaviditésesseinsrebondiraurythmedemesva-et-vient,puisjemepenchedessuspourlesmordiller.
Mavisionsetrouble.Ellepousseunrâlebruyantetsemetàgeindre.Sesbruitsmerendentfou.Jeluilâchelacuisseetm’affaledenouveausurelle,écrasantsapoitrinesouslamiennetandisqu’ellerefermeses bras dans mon dos. Ses ongles s’enfoncent douloureusement dans ma peau. De son bassin, elleaccompagne le mouvement. Je l’embrasse à pleine bouche. Mon baiser se fait plus féroce quand jecommenceàjouir.Moncorpsconvulseetunsonrauques’échappedemagorge.Jeralentismesassauts,finissantpardetendresbalancements.Camrynmemordlalèvreinférieureetjel’embrassetendrement,laserrantcontremoijusqu’àavoirterminé.
Je m’allonge alors sur elle. Mes battements de cœur saccadés finissent par recouvrer un rythmenormal;lesangrecommenceàcirculerdansmesdoigts,dansmesorteils,faitsaillirlaveineprèsdematempe.Jeposelajouesursesseinsnus,entrouvrelabouche,souffledefaçonerratique.Ellejoueavec
mescheveuxhumidesdesueur.Nousrestonsainsiallongéstoutelamatinéesansprononcerunmot.
31
ANDREW
JENEMERAPPELLEPASM’ÊTREENDORMI.QUANDJ’OUVRELESYEUX,LERADIO-RÉVEILINDIQUE11H10.JEMErendsalorscompteque,sijemesenstoutnu,cen’estpasparcequejeneporteaucunvêtement,maisparcequeCamrynnesetrouveplusdanslelitavecmoi.
Elle est assise sur le rebordde fenêtre, vêtued’un short et d’un tee-shirt, sans soutien-gorge.Elleregardedehors.
— Je crois qu’on devrait partir, déclare-t-elle sans quitter des yeux le décor lumineux de LaNouvelle-Orléans.
Jem’assiedssurlelit,lesjambescouvertesparledrap.— Tu veux quitter la ville ? m’étonné-je. Je croyais qu’on n’était pas restés assez longtemps, la
premièrefois.—Ouais,confirme-t-elle,toujourssansseretourner.Lapremièrefois,noussommespartistroptôt,
maiscettefois,nousnepouvonspasrestertroplongtempsuniquementpourcompenser.—Maispourquoituveuxpartir?Onn’apasséqu’unejournéesurplace.Ellepivoteenfinversmoi.Sesyeuxtrahissentuncertainressentimentouunerésolutionferme,sans
quej’arriveàdéterminerdequelsentimentils’agitréellement.Peut-êtreya-t-ilunpeudesdeux.Aprèsunelonguehésitation,ellefinitpardéclarer:—Andrew,jesaisqueçapeutparaîtreidiot,maisjecroisquesionresteicipluslongtemps…je…Jemelèvealors,aprèsavoirenfilémonboxergisantausol.—Qu’est-cequisepasse?demandé-jeenallantlarejoindre.Ellem’observe.—C’est juste que…Ehbien, quand on est arrivés ici hier, jeme suis rappelé ce que cet endroit
signifiaitpournousenjuilletdernier.Etjemesuisrenducomptequejen’arrêtaispasd’essayerdemerappelerlesimagesdel’annéepassée,detenterderevivrecesinstants…
—Maisçan’estpluspareil,complété-je,pensantcomprendre.Elleyréfléchitunesecondeavantd’acquiescerd’unlégerhochementdetête.—Ouais.C’estjustequecetendroitesttellementchargéensouvenirssignificatifs…Putain,Andrew,
jenesaispluscequejeraconte!Samoue,d’abordpensive,sefaitagacée.Jetireunechaiserangéesouslatableetm’installedevantlafenêtre.Jemepencheenavant,serrant
lesmainsentremesgenoux,considérantCamrynparendessous. Jem’apprêteàajouterquelquechose
pourcomplétersonexplication,maisellemedevance.—Peut-êtrequ’ilvaudraitmieuxnejamaisrevenirici.Jenem’attendaispasàça.—Pourquoi?Elleplaquesespaumessurlereborddefenêtreetcontractelesépaulestandisquesondoss’affaisse.
Laconfusionetl’incertitudedésertentpeuàpeusonvisage;ellecommenceàcomprendre.—Tuvois,c’estunpeucommesituessayaisdereproduireuneexpériencepasséedanslesmoindres
détails ;malgré toute ta bonne volonté, ça ne sera jamais comme la première fois. (Elle considère lachambretoutenréfléchissant.)Jemerappellequandj’étaisgamine.Coleetmoijouionstoujoursdanslesboisderrièrenotreanciennemaison.Çafaitpartiedemesplusbeauxsouvenirs.Onyavaitconstruitunecabane.(Lesyeuxrivéssurmoi,ellepouffedoucement.)Enfin,çaressemblaitplutôtàquelquesplanchesclouéesentredeuxbranches.Maisc’étaitnotrecabane,etnousenétionstrèsfiers.Ettouslesjours,aprèsl’école,onallaityjouer.
Son visage s’illumine tandis que ces vestiges d’enfance remontent à la surface. Puis son sourires’évanouit.
—Etpuisonadéménagépours’installerdanslamaisonqu’occupemamèreencoreaujourd’hui,etj’ai longtempscontinuéàpenser à cesbois, ànotre cabaneet à tous cesmomentsgéniauxquenousyavons passés. Je pouvais être assise dans ma chambre ou en voiture, et je memettais à revivre cesépisodesdefaçonsiintensequejeressentaislesmêmeschosesquetantd’annéesauparavant.
Elleposeunemainsursoncœur.— J’y suis retournée un jour, poursuit-elle. J’étais tellement accro à la nostalgie que j’étais
convaincue de pouvoir accentuer ce sentiment en retournant à l’emplacement de la cabane, là où jem’asseyaisparterrepourtracerdanslapoussièredesmessagessecretsàl’attentiondeColechaquefoisquej’yarrivaisavantlui.Maisçan’étaitpaspareil,Andrew.
Jel’observeetl’écouteavecintensité.—Çan’étaitpaspareil,répète-t-elled’unairdistant.J’aiététellementdéçue.Quandjesuispartiece
jour-là, j’avais unmanque encore plus grand que celui que j’avais espéré combler enme rendant surplace.Etdepuis,chaquefoisquej’essayaisd’yrepensercommej’avaisl’habitudedelefaire,j’enétaisincapable.J’avaisbrisétousmessouvenirsenyretournant.Jenemesuisrenducomptequetroptardquej’avaisremplacécesjoursheureuxparcettevisiteterneetdécevante.
Jeconnaisparfaitementcesentimentdenostalgie.Jepensequetoutlemondel’éprouveàunmomentdesavie,maisjenedéveloppepasnineluifaispartdemapropreexpérience.Jepréfèremecontenterd’écouter.
—Toutelamatinée,j’aiessayédemeconvaincrequenousn’étionspasvraimentdanscettechambre.Quelebard’hiersoirn’étaitpasleOldPoint.Quelanouvelledelamortd’Eddien’étaitqu’unmauvaisrêve.(Elleplantesonregarddanslemien.)J’aienviedepartird’iciavantdedétruireaussicesouvenir.
Ellearaison.Complètementraison.Cependant,jecommenceàmedemandersi…—Camryn,pourquoivoulais-turetrouverça?(Jedétesteceque jem’apprêteàdire.)Tun’espas
heureusedecequenousvivons?Decequenoussommes?Elleredressebrusquementlatête,unmasqued’incrédulitéplaquésurlevisage.Puisellesedétendet
répond:— Oh, non… Andrew. Ça n’a rien à voir. Je pense que, comme nous sommes revenus ici, j’ai
inconsciemmentessayéderecréerl’unedesexpérienceslesplusinoubliablesdemonexistence.Elleposelesmainssurmesépaulesetjel’attrapeparlataille,l’observantparendessous.Jesuison
nepeutplussoulagéparsaréponse.Jesouris,melèveàmontouretdéclare:—Alorsjeproposequ’ondégaged’iciavantquetoncerveaucomprennequeturacontesdelamerde.Elleglousse.Jelalâcheetentreprendsimmédiatementdefourrernosaffairesdansnossacs.Jeluidésignelasalle
debains.—Surtout,n’oublierien.Son sourire s’élargit et elle s’y précipite sans tarder.Enmoins de deuxminutes, tout est emballé.
Lestéschacund’unsacetd’uneguitare,nousquittonslapiècesansunregardenarrière.Nousnejetonsmêmepasuncoupd’œilà laportedelachambrevoisine,quenousn’avonspasoccupéecettefois-ci.Unefoisdanslehalld’entrée,jem’approcheducomptoiretdemandeàêtreremboursédelasemainequej’aipayéed’avance.Laréceptionnistepassemacartedecréditdanssonlecteuretjeluitendsnoscartesmagnétiques.
Camryntrépigned’impatienceàmoncôté.—Arrêtederegarderautourdetoi,ordonné-je,sachantqu’ellemetsessouvenirsenpéril.Ellepartd’unrirelégeretfermelesyeux.— Merci d’avoir séjourné à l’Holiday Inn de La Nouvelle-Orléans, nous dit l’employée. Nous
espéronsvousretrouverbientôtdansnotreétablissement.—L’HolidayInn?répété-je.Non,onestà…l’EmbassySuitesde…Gulfport.Ouais,c’estça,dans
leMississippi.Çanevapas,mademoiselle?Sonvisagesechiffonneavantqu’ellehausselessourcils,estomaquée,sanstoutefoisfairelemoindre
commentaire.Nousquittonslebâtimentsansnousretourner.CamryncontinueàjouerlejeutandisquenouschargeonslaChevelle.—QuandonarriveraenLouisiane,jesuggèredetraverserLaNouvelle-Orléanssanss’yarrêter,dit-
elle.Cen’estpassidifficilequeçadefairemined’êtreailleurs.—Çameva,répliqué-jeenclaquantmaportière.OnpeutaussitraverserGalvestonsanss’arrêter,si
tuveux.—Non,ilfautqu’onfasseuncoucouàtamère.Aprèsquoi,oniraoùtuveux.Jepasselamarchearrièreetprécise,avantdesortirdemaplacedeparking:—Çaneveutpasdirequ’onnepeutpasfaireunehalteentreicietGalveston.Ellepinceleslèvresenhochantsonassentiment.—C’estvrai.Puisellem’adresseunregardsemblantsignifier:«Etmaintenant,foutonslecampd’ici.»Nousfaisonsungranddétourpoursortirdelavilleetobliquonsverslenord-ouest,traversonsBâton-
RougeetShreveportetatteignonslafrontièreduTexasavantderallierLongview.NousnousarrêtonsàTyler pour prendre de l’essence, puis poussons jusqu’à Dallas, où Camryn insiste pour acheter un«véritablechapeaudecowgirl»dansWestVillage.
—OnnepeutpastraverserleTexassanss’habillercommedesTexans!déclare-t-elleenexagérantl’accentlocal.
J’acceptedoncdelaconduirejusqu’àuneboutique.Personnellement,jenesuispastrèschapeaunitrèsbottes,maisforceestdereconnaîtrequ’elleles
porteàmerveille.Nous passons la nuit àLaGrange, où nous buvons quelques verres en admirant la prestation d’un
super groupe de rock-country. Nous passons la soirée suivante auGilley’s, où Camryn chevauche untaureauderodéomécanique,arborantfièrementsonchapeaudecowgirlsisexy.Plustard,deretourdansnotrechambred’hôtel,j’endosselerôledutaureauetlalaissemechevaucher,toujoursavecsonchapeaudecowgirl.
Lesurlendemain,nousnousretrouvonsàenvironuneheurederoutedeLubbock,rangéssurlebas-côtéavecunpneuàplat.J’auraisvraimentdûenvérifierlapressionàlastation-servicedeTyler.
—Çacraint,mabelle,déclaré-jeenm’accroupissantpourobserverlesdégâts.Jen’aipasderouedesecours.
Camrynestadosséeàlavoiture, lesbrascroisésdevantelle.Sapeauscintilledesueur, tantsurlevisagequ’au-dessusdesseins.Ilfaitunechaleuràcrever,parici.Iln’yapasunarbreniunbâtimentoùnousabriteràdeskilomètresàlaronde.Noussommesentourésd’uneétenduedeterrepratiquementplateetdésertique.Ilyabienlongtempsquejenemesuispasaventuréaussiloindansl’ouestduTexas,etjecommenceàmerappelerpourquoi.
Jemerelèveetsautesurlecapotdelavoiture.—Faisvoirtontéléphone.—Tuvasappelerunedépanneuse?demande-t-elleaprèsavoirrécupérésonportablesursonsiège
pourmeletendre.Jefaisdéfilersonécrand’accueilpourtrouversonappli«pagesjaunes».—Jenevoispasd’autresolution.Je tape lesmots « dépannage automobile » puis parcours la liste de résultats avant de jetermon
dévolusurunnuméro.—J’espèrequ’elleviendra,cettefois,dit-elle.Tandisquejeparleaugaragisteenluiexpliquantquelletailledepneuilmefaut,jevoisCamrynse
glisserà l’intérieurpar la fenêtreouverteet ressortiravecsonchapeausur la tête, sansdoutepour seprotégerdusoleil.
Ellegrimpeàsontoursurlecapotpourvenirseposteràcôtédemoi.— D’accord, merci, monsieur, dis-je avant de raccrocher. Il sera là dans au moins une heure,
annoncé-je.Jeposel’appareilsurlacarrosserieetscruteCamrynavecunsourireespiègle.—Tusais,tupourraisdécouperlejeandanstonsacpourt’enfaireunmini-short,retirertonsoutif
soustondébardeuret…Ellemeposeundoigtsurleslèvres.—Laissetomber,medit-elle.Mêmepasenrêve.Nousnousasseyonset restonsunmomentàcontempler silencieusement ledésertquinousentoure.
J’ail’impressionqu’ilfaitdeplusenpluschaud,sansdouteparcequenoussommesposésenpleinsoleilsur le capot d’unevoiture noire absorbant les rayons commeune éponge.De temps à autre, unebriseagréablevientnouscaresserlevisage.
—Andrew?Camryn retire son chapeau et le pose surma tête, puis s’allonge le dos contre le pare-brise. Elle
croiselesmainsderrièresanuqueetremontelesgenoux.— Cinquième entrée sur notre liste de promesses : si je meurs avant toi, assure-toi que je sois
enterréepiedsnusdanslarobequenousavonsachetéeaumarchéauxpuces.Oh,etjeneveuxpasd’eye-linerbleunidesourcilsdessinéscommedanslesannées1980.
Ellesepencheversmoi.—Jecroyaisquec’étaitdanscetterobequetuvoulaism’épouser.
Elleplisselespaupières,aveugléeparlesoleil.—Ouais,mais jeveuxaussiêtreenterréededans.Certainespersonnespensentque lavieaprès la
mort consiste à revivre les instants lesplusheureuxde son existence. Je revivrai doncnotremariage.Autantlefaireentenue.
Jeretire lecouvre-chefensouriantetm’allongeàcôtéd’elle,suffisammentprèspourprotégernosdeuxcrânessouslecôtélepluslargeduchapeau.Dèsquej’airéussiàlepositionnercorrectement,jedéclare:
— Numéro six : si je meurs avant toi, je veux que tu fasses jouer « Dust in theWind » à mesfunérailles.
Ellelorgnedansmadirectionsanstropbougerpouréviterdefairetomberlechapeau.—Tutiensvraimentàrevenirlà-dessus?Tuessurlepointdemefairedétesterunsupermorceau,
Andrew.Jerisdoucement.—Jesais,maisj’aivuunépisodedeHighlanderoùsafemme,Tessa,meurt.Cettechansonfaisait
partiedelabandeoriginaleet,depuis,jen’arrêtepasd’ypenser.Ellesouritetlèvelamainpouressuyerlasueurquigouttesursonfront.—C’estpromis,dit-elle.Maispuisqu’onenparle,j’aimeraisajouterunseptièmepoint.Tuasdéjàvu
Ghost?Jeluijetteuncoupd’œil.—Ouais,biensûr.Commetoutlemonde.Sauflesmoinsdeseizeans.Ducoup,jesuissurprisquetu
connaisses.Jeluiadresseunebourradeamicale.Elleéclatederire.—C’estàcausedemamère,admet-elle.J’aidûvoirGhostetDirtyDancingaumoinsunecentaine
defois.ElleenpinçaitpourPatrickSwayze,etj’étaislaseulefilledanssonentourageàquiellepouvaitconfiercombienelleletrouvaitmignon.Bref,puisquetul’asvu…Numérosept:siquelqu’untetue,tuasintérêtàrevenirmevoircommeSampourm’aideràtrouvertonassassin.
Jepouffeensecouantlatête,faisantmalencontreusementchoirlechapeau.—Tuasunvraiproblèmeaveclesfilms.Peuimporte.Jeprometsderevenirtehanterjusqu’àlafin
detesjours.—Tuasintérêt!s’esclaffe-t-elle.Enplus,jesaisquejeferaipartiedecesgensquisontpersuadés
que leur bien-aimé rôde encore autour d’eux après la mort. Ça ne fera que me conforter dans monopinion.
J’ignoreencorecommentjepourraitenircettepromesse,maisjeferaiaumieux.—C’estjuré,àconditionquetuenfassesautant.—Commetoujours,réplique-t-elle.—Numérohuit:nem’enterrepasàunendroitoùilfaitfroid.—Entièrementd’accord.Pareilpourmoi!Elles’essuiedenouveaulevisageetjemeredresse,luitendantlamainpourl’aideràdescendredu
capot.—Viens,onvasemettreàl’intérieur,àl’abridusoleil.Deuxheuresplustard,ladépanneusen’esttoujourspaslàetlanuitcommenceàtomber.Nousallons
manifestementpouvoirregarderlesoleilsecouchersurledéserttexan.—J’enétaissûre,déclareCamryn.C’estquoi,cedélire,aveclesdépanneuses?C’est alors que des phares aveuglants apparaissent sur la route. Particulièrement soulagés, nous
descendonsàlarencontredenotresauveur,etremarquonstousdeuxlamêmechoseenmêmetemps:cetypeestlesosiedeBillyFrank.Nouséchangeonsunregard,sansfairelemoindrecommentaire.
—Ilvousfautunerouedesecoursouundépannage?demande-t-ilenglissant lespoucessouslesbretellesdesasalopetteenjean.
—Justelaroue,réponds-jeenlesuivantàl’arrièredesoncamion.—Bon,j’aipastropletempsd’attendrequevousayezfinidelachanger,dit-ilencrachantsachique
ausol.Vousallezvousensortir?—Ouais,çavaaller,répliqué-je.Maisattendezuneseconde.Jelèveundoigtenl’air,puismepenchedanslavoiturepourdémarrer.Commelemoteurronronne
sansproblème,jecoupelecontactetretourneverslui.—Jevoulaisjusteêtresûrqu’ellefonctionnaitencore.Jepaielesosieetregardesesfeuxarrièredisparaîtreàl’horizon.Quandjeretourneverslavoiture,
jesuissurprisdevoirCamrynlasouleveràl’aideducric.—Ahouais,ça,c’estmameuf!Ellemesouritenpoursuivantsoneffort,satresseblondetombantsursonépaule.—Çan’est pas si difficile,medit-elle en faisant rouler la rouede secours après êtreparvenue à
retirerl’anciennetouteseule.Jecroisquejevaismemettreàbander.Non,enfait,jebandedéjà.—Non,pastantqueça,finis-jeparrépliquer,ungrandsourireauxlèvres.Quelquesminutesplustard,ellerabaisselavoitureetrangelesoutilsdanslecoffre.Jeramassela
rouecrevéeetlabalanceàl’intérieur.Nousnousinstallonsànosplacesetrestonslàsansriendire.Toutestsicalme.D’immensestraînéespourpresetrosâtreszèbrentlecielencombréàpertedevue
decirrusbleutés.Alorsquelatempératurecommenceàretomber,ladoucebriseannonciatricedelanuits’immisceparlesvitresouvertes.Lecoucherdesoleilestmagnifique.Honnêtement,jen’enavaisencorejamaisobservéunavecautantd’attention.Peut-êtreparcequejesuisenbonnecompagnie.
Je ne sais pas précisément ce qui vient de se passer entre nous, mais nous sommes en parfaitesymbiose.Elleleremarqueégalement.Jemetourneverselle.Ellesetourneversmoi.
—Prêteàrentrer,maintenant?demandé-je.—Ouais.Elle marque une pause, regarde par le pare-brise, perdue dans ses pensées. Puis elle pivote de
nouveauversmoi,plusrésoluequ’ilyaencorequelquessecondes.—Ouais,jecroisquejesuisprêteàrentreràlamaison.Ellesourit.Et pour la première fois depuis que j’ai quittéGalveston seul ce jour-là, oudepuis queCamryn a
grimpédanscecaràRaleigh,nousnoussentonsenfin…comblés.
32
CAMRYN
J’IMAGINEQUENOUSAVONSVRAIMENTBOUCLÉLABOUCLE.MAIS JEDOISADMETTREQUE,MAINTENANTQUE nous sommes rentrés à Galveston après septmois de voyage, je ne suis plus dans lemême étatd’esprit.Cetendroitnem’inquièteplus, jen’aipluspeurquelarelationqu’Andrewetmoipartageonsprennefinsubitement.Jenem’attendsplusàcequ’unetragédiemédicalepointedenouveauleboutdesonhorriblenezsanscriergare.Jemesensbien,ici.Etalorsquenousnousgaronsdansleparkingdesarésidence,j’éprouveunecertaineformedesatisfaction.J’arrivemêmeàm’imaginervivreici.D’unautrecôté,j’arriveégalementàm’imaginervivreàRaleigh.Celasignifieprobablementquenoussommesprêtsànousinstaller.Aumoinspouruntemps.Jamaispourtoujours,commejel’aidéjàditàAndrew,maissuffisammentlongtempspournousremettredenotrelongpériple.
Andrewestd’accordavecmoi.—Ouais,dit-ilenrécupérantnossacssurlabanquettearrière.Tusaisquoi?Ilreposenosbagagesaumêmeendroitetm’observepar-dessusletoitdelavoiture.—Quoi?m’enquiers-jeaveccuriosité.Sesyeuxpétillentd’amusement.—Tuasraison,quandtudisnevouloirresternisurlaroutenidanslamêmevilleassezlongtemps
pournousenlasser.(Ilmarqueunepauseets’appuienonchalammentsurletoitdelavoiture.)Peut-êtrequ’onpourraitsecontenterdevoyagerpendantleprintempsoul’été,etprofiterdel’automneetdel’hiverpourvivrecheznousetparticiperauxfêtesdefamille;mamèreétaitunpeufâchéequenousnepassionsniNoëlniThanksgivingavecelle.
—Excellenteidée.D’autantplusqueçacraint,devoyagerquandilfaitfroid.Nous nous dévisageons ainsi pendant un longmoment, jusqu’à ce que j’interrompenos cogitations
silencieusesendéclarant:—Allez,prendslessacs.Onenparleraàl’intérieur.AllonsprendredesnouvellesdeGéorgie.— Elle va très bien, m’assure-t-il en se penchant de nouveau à l’intérieur. Ma mère l’a arrosée
régulièrement.Jemesaisisdesguitaresetdemonsacàmain.Quandnouspénétronsdansl’appartementd’Andrew,
je suisassailliepar lamêmeodeurque lorsdemapremièrevisite : celled’unappart inoccupé.Maiseffectivement,Géorgieestenpleinesanté.
Jem’écroulelittéralementsurlecanapé,épuisée,lesjambespendantpar-dessusl’accoudoir.—Laprochainefois,lanceAndrewenpassantderrièreledossier,nouspartironsloind’ici.
Jel’entendsposersescléssurlecomptoirdelacuisine.Jemeredresseetinterroge:—Loincomment?Ilrevientdanslesalon,ungrandsourireauxlèvres.—L’Europe,l’AmériqueduSud…Tudisaisvouloirvisiterl’Italie,leBrésiletpleind’autrespays.
Jeproposequ’onenchoisisseun.Celameprocureun soudain regaind’énergie. Jeme lèvepour le considérer, tellement excitéepar
cetteperspectivequejepeineàconservermoncalme.—Vraiment?Ilacquiesce,toujoursavecunsourirejusqu’auxoreilles.—D’ailleurs, pour respecter la tradition, on pourrait écrire toutes nos destinations rêvées sur de
petitsboutsdepapieretentireruneausort.Jepousseuncri.Unvraipetitcri,bienaigu!Jejoinslesmainsàlaverticaledevantmapoitrine.—C’estuneidéegéniale,Andrew!Ils’installesur lecanapé,pose lespiedssur la tablebasse, lesgenouxpliés.Jesuis incapablede
m’asseoir.Jerestedoncdebout,àscrutersonvisagerayonnant.—Biensûr,nousdevonsd’abordmettredel’argentdecôté,tempère-t-il.Onenaencorepleinàla
banque,maisvoyageràl’étrangercoûteranécessairementpluscher.—J’aihâtedetrouverunboulot.(Cesimplecommentairesemblestimulermamémoire.)Andrew,tu
m’asdemandéunjourdetedireleplushonnêtementdumondeoùjevoudraisvivre.Celaretientimmédiatementsonattention.—Etlaréponseest…?J’yréfléchisunesecondeavantderépondre:—Pourl’instant,jediraisRaleigh,maissurtoutpourêtreàcôtédeNatalieetdemamère.Etaussi
parce que je sais que je pourrais facilement être embauchée là où travaille Natalie. Sa chef semblem’apprécier,etellem’aencouragéeàpostulerquandjevoulaiset…
Andrewm’interrompt.—Inutiledetejustifier.Il tendunbrasversmoi et jem’installe sur ses cuisses, face à lui. Jenem’étaismêmepas rendu
comptequejebafouillaistellementj’étaisnerveuse.Simplement,jenevoudraispasqu’ilsesenteobligéd’accepter.
Ilmesouritetcroiselesmainsderrièremondos.—Maseulequestionest:qu’est-cequetuentendspar«pourl’instant»?—Ehbien…c’estlàqueçadevientcompliqué,admets-je.Ilinclinelégèrementlatêtedecôté,m’observantd’unaircurieux,lesjouesàpeinecreuséesdeses
fossettes.Jefinisparajouter:—Jenecroispasqu’ondevraitdépensertoutnotreargentdansunemaison,caronn’yresterapas
éternellement. Et puis, si on faisait ça, on n’aurait plus de quoi voir venir si on allait en Europe ouailleurs,etlesboulotspayésausalaireminimumnenouspermettrontpasdemettrebeaucoupdecôté.
Ilm’adresseunregardencoin.—Attendsuneseconde.J’espèreque tun’aspas l’intentiond’aller t’installerchez tamère?Ona
besoind’intimité.Jeveuxpouvoirteretournersurlatablebassedèsquel’enviem’enprend.Jeglousseenresserrantparjeumescuissesautourdessiennes.—Tuasvraimentdesidéestordues!Etnon,jen’aicarrémentpasenviederetournerhabiterchezma
mère.—Danscecas,situneveuxniacheternivivrechezelle,celaimpliquedeprendreunelocation,et
çacoûtetrèscher.Je suis soudain gênée, car le moment est venu de parler de l’argent d’Andrew comme s’il
m’appartenaitégalement,choseàlaquellejenemeferaisansdoutejamais.Jedétournelatête.—Tuterappellesquandtudisaisqu’onpourraitsetrouverunepetitemaisonquelquepart?—Ouais.Sesprunelless’illuminent,commes’ilsavaitdéjàcequejem’apprêteàdire.—Ehbien,onpourraitachetercashuneminusculebicoqueouunappartencopropriété,justedequoi
vivretouslesdeux…Jenesaispas,untrucpascher,maispropre,cequinouspermettraitdemettreunpeud’argentdecôtépournosvoyages.Onn’auraitpasde loyeràpayer, seulement les factureset lesdépensescourantes;etenbossantàgauche,àdroiteouenfaisantquelquesconcerts,onn’auraitmêmepasbesoindetaperdansnoséconomies.
Pourquoiarbore-t-illemêmesourirequelechatd’AliceaupaysdesMerveilles?!Jemesenssubitementrougiretjebaissehonteusementlesyeux.— Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? demandé-je en plaquant les mains contre son torse tout en
m’efforçantdenepasrire.—Riendutout.Jesuissimplementheureuxquetutesoisenfinrenducomptequecequiestàmoiest
àtoi.Ilresserresonétreinte.—N’importequoi,dis-jeentâchantdedissimulermesjouesempourprées,feignantd’êtreoffusquée.—Eh,dit-ilenmesecouantleshanches,nefaispasça.Vaauboutdel’idée.Aprèsunelonguepause,jereprends:—Et quandonpartira là oùnousmènera le petit bout de papier qu’on aura pioché auhasard, on
pourrademanderàNataliedegarder lamaison.Oumieux!m’exclamé-jeenpointantundoigtauciel.Quandonauraenfintrouvécepetitendroitpaisiblesurlaplagedontturêvestantetqu’ons’yinstallera,onpourrasoitvendrenotremaisondeRaleigh,soitlalouerpourseconstituerunepetiterente.Peut-êtremêmeàNatalieetBlake!
Jevoisbienqu’uneidéeluitrotteentête.Ilmesourittoujoursdoucementetnem’apasquittéedesyeux.Pourtant,ilrestetotalementsilencieux.Etquandilreprendenfinlaparole,c’estpourdéclarer:
—Ondiraitquetuyasbeaucoupréfléchi.Çat’apriscombiendetempspourélaborertoutça?Jenemerendscomptequemaintenantqueçafaitunbonmoment.Çadoit remonterau jouroùj’ai
commencéàpenserànotreavenir,quandj’aiofficiellementacceptélefaitquej’enavaisassezd’êtresurlarouteetquej’avaisenviedemeposerunpeu.
Andrewattendpatiemmentmaréponse,dardantsurmoileregardtendreetsongeurqu’ilm’accordechaquefoisqu’ilchercheàmerappelerquerienquejepuissedirenepourranuireàl’opinionqu’ilademoi.
—Sur l’autoroute,quandonaquittéMobile,avoué-je.Quandje t’aiditpour lapremièrefoisquej’aimeraisbienallerenItalie,enFranceetauBrésil.Quandjet’aiditquejenevoudraisjamaisresteréternellementaumêmeendroit.Depuiscesoir-là,j’aiessayédetrouverunesolutionquinouspermettraitdetoutcombiner.(Monregardseperd.)J’aitransgressélesrèglesettoutplanifié.
Ilsepencheenavantpourmeplanterunbaisersurleslèvres.—Ilestparfoisnécessairedelefaire,assure-t-il.Tuasbientravaillé.Tonplanestparfait.Puisilmeserrecontreluietm’embrasseavecpassion.
Quandilmelibère,jel’étudieuninstant,luiprenantlevisageentremesmains.—Maisj’aienviedet’épouserici,ajouté-je.(Sesprunellesseremettentàpétiller.)Jenevoudrais
pasquetamèresesenteexclue,tuvoiscequejeveuxdire?C’estjusteàcausedeçaquejeculpabilisedevouloirretourneràRaleigh.Jemesensd’autantplusmalqu’elleaorganisécettefêteprénatalequin’a…
—Çaluiferaittrèsplaisir,m’affirme-t-ilpourinterrompremesdigressionsinutiles.Etàmoiaussi.Ilm’embrassedeplusbelle.
33
ANDREW
JE N’AURAIS PAS PU RÊVER D’UNE JOURNÉE PLUS RÉUSSIE. LE TEMPS EST IDÉAL. NOUS N’AVONS RIENPRÉPARÉ pour lemariage, pourtant tout s’est goupillé parfaitement. J’ai appelémamère hier pour luidemanderdenousrejoindresurlaplagedel’îledeGalveston.Elleestarrivéeàl’heure,sanssedouterdelaraisondenotreinvitation.
Je lève lamainquand je l’aperçois, lui fais signedenous rejoindre, etdèsqu’ellenousvoit, ellecomprend.Sonvisages’illumined’ungrandsourireextrêmementcontagieux.
—Oh,vous!s’exclame-t-elleens’approchant.Jen’arrivepasàcroirequevousvoussoyezenfindécidés.Jesuissi…Jesuistellement…
Elleessuieleslarmesquiluiroulentsurlesjoues,pleurantetriantàlafois.Camryn, piedsnus et vêtuede cette robe ivoire vintagequ’elle a trouvée aumarché auxpuces, la
prenddanssesbrasetlaserrecontresoncœur.—Oh,Marna,nepleurezpas!lasupplie-t-elle,surtoutpournepassuccomberàsontour.—Est-cequ’onattendquelqu’und’autre?demandemamèrequandellearecouvrésesesprits.—Tuesnotreseuleinvitée,affirmé-jefièrement.—Ouais,préciseCamryn,iln’yaquevousetlerévérend.MamèrenouscontournepourallerembrasserlerévérendReed.Ellefaitpartiedesaparoissedepuis
neuf ans – elle a même essayé de m’y traîner une centaine de fois, mais je ne vais pas à l’église.Cependant,nulautrequeluin’étaitmieuxplacépournousmarier.
Ettandisqu’ilsetrouvedevantnoussurcetteplage,uneBibleuséeentrelesmains,àprononcersondiscourssolennel,jenevoisqueCamrynquim’étreintlespoignets.Labrisejoueavecquelquescheveuxaffranchis de cette tresse dorée que j’aime tant. J’adore aussi son sourire, ses yeux bleus, sa peau sidouce.J’aienviedel’embrassersansplusattendre.Jel’attireprèsdemoi.Leventseprenddanssarobe,laplaquantcontresasilhouettesvelte.Jeréprimeunsourirequandunemècherebelleluirentredanslabouche.Elletentedel’enchasserd’uncoupdelanguesanssefaireremarquer.
Sachantqu’elleneveutsurtoutpasinterromprelacérémonie,mêmepourunechoseaussifutile,jemecharged’écarterlescheveuximportuns.
J’ail’impressionquenoussommesseulsaumonde.Aumomentdeprononcernosvœux, j’ai consciencequenousn’avons rienécritnipréparé.Alors,
commeentouteoccasion,nousimprovisons.Jerefermemesmainssurlessiennesetdéclare:
—Camryn,tueslamoitiémanquantedemonâme,et jet’aimerai jusqu’àlafindenosjours.Jeteprometsque,situm’oubliesunjour,jeteferailalecturecommeNoahàAllie.Jeteprometsque,quandnousseronsvieuxetperclusderhumatismes,nousneferonsjamaischambreàpart,etquesi tudevaismouriravantmoi,jeveilleraisàcequetusoisenterréedanscetterobe.JeteprometsdevenirtehantercommeSamahantéMolly.
Ellealeslarmesauxyeux.Jeluicaresselespaumesduboutdespouces.—Jeteprometsquenousnenousréveilleronsjamaisennousdemandantpourquoinousavonsgâché
nos vies à ne rien faire, et que quelles que soient les épreuves que nous aurons à affronter, je seraitoujoursprésentàtescôtés.Jeteprometsd’êtrespontané,debaisserlesondemamusiquequandtudorsetdetechanter«RaisinsInMyToast»quandtuserastriste.Jeteprometsdetoujourst’aimer,oùquenoussoyons,quoiquenousvivions.Cartuesmamoitié,etjesaisquejenepourraispasvivresanstoi.
Elle ne peut réprimer ses larmes plus longtemps. Il lui faut quelques instants pour reprendre lamaîtrisedesesémotions.
Puiselledéclare:—Andrew, je teprometsdene jamais te laisserbranchéàun respirateur,nide te laisser souffrir
quand je saurai au fonddemoi que ta vie est derrière toi. Je te promets que si tu étais un jour portédisparu,jene…jen’arrêteraisjamaisdetechercher.Jamais.(Celamefaitsourire.)Jeteprometsqu’àtamort,jem’assureraiqu’onentende«DustintheWind»àtesfunéraillesetqu’onnet’enterrepasdansunendroitfroid.Jeteprometsdetoujourstouttedire,mêmesij’aihonteousijemesenscoupable,etdetefaireconfiancequandtumedemanderasquelquechose,carjesaisquecen’estjamaissansraison.Jeteprometsd’êtretoujoursàtoncôtéetdenejamaisrientelaisseraffronterseul.Jeteprometsdetoujourst’aimer,danscetteviecommedans la suivante,car je saisque,mêmedans l’au-delà, je seraisperduesanstoi.
Lepasteursetourneversmoi:—AndrewParrish,voulez-vousprendreCamrynBennetticiprésentepourépouse,pouraujourd’hui
etàjamais,pourlemeilleuretpourlepire,danslarichessecommedanslapauvreté,l’aimeretlachérirjusqu’àcequelamortvoussépare?
—Jeleveux.Jeglissealorsàsonannulairel’alliancequej’avaisachetéeàChicago.Elleretientsonsouffle.Lepasteurs’adresseensuiteàCamryn:—CamrynBennett,voulez-vousprendreAndrewParrishiciprésentpourépoux,pouraujourd’huiet
àjamais,pourlemeilleuretpourlepire,danslarichessecommedanslapauvreté,l’aimeretlechérirjusqu’àcequelamortvoussépare?
—Jeleveux.Je lui tends enfin l’alliance que je lui ai également cachée jusqu’à ce jour, et elleme la passe au
doigt.LerévérendReedachèvelacérémonie,prononçantcessixmotstantattendus:—Jevousdéclaremarietfemme.Puisilm’autoriseàembrasserlamariée.Nousn’attendonsqueçadepuisledébutdelacélébration,
maismaintenantquenousavonsreçulefeuvert,nousnousperdonschacundanslesyeuxdel’autre,nouspercevant sousun journouveau,un jour infinimentplus lumineuxquecelui au coursduquelnousnoussommesrencontrésdanscecarauKansas.Quandmeslarmesmenacentdecouler,jelasoulèvedeterreetécrasemabouchecontrelasienne.Ellesanglotetoutenm’embrassant,etjelaserrecontremoi,achevantdefairedécollersespiedsnusdusolavantdelafairetournoyer.Mamèrepleuretoutesleslarmesdesoncorps.J’ail’impressionquejenecesseraijamaisplusdesourire.
Camrynestmonépouse.
CAMRYN
JE VIENS DE DEVENIR CAMRYN PARRISH. JE N’ARRIVE PAS À ME REMETTRE DU FLOT D’ÉMOTIONS QUIM’ASSAILLE.Jepleuredejoie.Jesuisaussiexcitéequ’anxieuse.Jejetteunnouveaucoupd’œilàlabaguequ’ilm’apasséeaudoigt ; jesaisqu’elle luiacoûtéunefortune.Puis jecontemplelasienne,presqueidentiqueàlamienne,bienqueplusmasculine,et jenepeuxpasluienvouloird’avoirdépenséautantd’argent. C’est impossible. J’entends Marna sangloter derrière moi, et je ne peux m’empêcher deretournerl’embrasser.
—Bienvenuedanslafamille,medit-elled’unevoixchevrotante.—Merci.Jesèchemeslarmes,sanscesserdesourire.Andrewmepasseunbrasautourdelatailleetlerévérendvientnousrejoindre.LorsqueMarnaetlui
semettentàparlerdetoutetderien,Andrewetmoinouséloignonslégèrement.Ilnecessedemedévorerduregard,àtelpointquejemesensrougir.
—Qu’est-cequ’ilya?luidemandé-je.Ilsecouelatête,auxanges.—Jet’aime,dit-ilsimplement.Jeparviensinextremisàmeretenirdepleurerunefoisencore.—Jet’aimeaussi.Nouspassonsnotrelunedemieldansnotreappartement,à l’encontredetoutesles traditions.Mais
nousdésironsattendrenotrepremiervoyageàl’étrangerpourcélébrervraimentnosnoces.—Oùpenses-tuqu’onvaatterrir?medemande-t-il.Noussommesassisdehors,dansdeschaisesdejardin,unebièreàlamain;nousentendonsauloinun
groupejouerdelamusique,sansdoutesurlaplageouauparc.Jeboisunegorgéeavantderépondre:—Jenesaispas.Tuveuxqu’onparie?Andrewsefrottelalèvreinférieuredupouce.—Euh…Ilyréfléchit,prendunenouvellegorgéedebière,puisréplique:—Jecroisquelepremierpaysàsortirduchapeausera…leBrésil.—LeBrésil,vraiment?Pasmal.Maisj’endoute.J’aiplutôtlesentimentqueceserauntrucgenre
l’Italie.—Ahbon?—Ouais.Nousportonsenmêmetempsnotrebouteilleànoslèvres.—Tuasraison,ondevraitparier,consent-il.Safossettesecreusesursajouedroite.—OK,çamarche.
—D’accord.Sic’estleBrésilquil’emporte,tudevrasm’accompagnersurlaplagedanslepluspurstyleRiodeJaneiro.
Ilarboreunsourirepleindemalice.Jemetsquelquessecondesàcomprendredequoiilparle,puisj’ensuisbéate.—Pasquestion!Ilricanediscrètement.—Jenemetrémousseraipasseinsnussuruneplagepublique!insisté-je.Ilbasculecarrémentlatêteenarrièreetéclatederire.—Non,jenepensepasqu’ellesfassenttoutesça,mabelle.Maisjevoudraisquetuportesl’unde
ces bikinis brésiliens.Pas unde ces trucs excessivement pudiquesque tu asmis enFloride.Tu as uncorpsàtomberparterre.
Ilavaleunedernièregorgéepuisreposesabouteillesurlatabledevantnous.Jeprendsletempsdepeserlepouretlecontreenmemordillantl’intérieurdelajoue.—D’accord,consens-je.Ilhochelatête,légèrementsurprisdemevoircédersifacilement.—Maissic’estl’Italie,reprends-jeavecunrictus,tudevrasmechanterunesérénadesurl’escalier
delaTrinité-des-Monts…enversionoriginale.Jecroiselesjambes.Jesaisquecedernierdétailvafairefrémirsonpetitcul.—Tudéconnes?Commentveux-tuquejefasseça?—Jenesaispas.Maissijegagne,tuvasdevoirtrouverunmoyend’yarriver.Ilsecouelatêteetpinceleslèvres.—Entendu.Marchéconclu.
34
CAMRYN
Raleigh,CarolineduNord.Moisdejuin
—SURPRISE!S’EXCLAMENTPLUSIEURSVOIXQUANDJ’ENTREDANSNOTRENOUVELLEMAISON.Effectivementsurprise,jesursautelégèrementenportantlamainàmapoitrine.Natalieestpostéeau
beaumilieudelapièce,Blakeàsoncôté.MesamisduStarbuckssonttouslà,demêmequeSarah, lasœurdeBlake,quej’airencontréeilyaquinzejoursquandAndrewetmoisommesarrivésenville.
—Waouh,c’estenquelhonneur?m’étonné-je.Moncœurtambourineencore,carjedoisbienavouerqu’ilsm’ontflanquéunetrouillebleue.Jeme
tourneversAndrew.Jedevineàsonsourirequ’iln’estpasinnocentdansl’affaire.Natalie,quiarboredésormaisdesrefletsauburn,meprenddanssesbras.—C’esttafêteofficielledebienvenue.(Ellem’adresseunsourireaffectéetsetourneversAndrew.)
Àtonavis,pourquoijemesuiscomportéecommesijemefoutaisquetusoisrentrée,cesderniersjours?—Tunet’espasdutoutcomportéecommeça,contré-je.—D’accord,peut-êtrepasdefaçonflagrante,maisvoyons,Cam…tunet’espasditquejetecachais
quelquechose?Maintenantqu’elleenparle,jemesuiseffectivementposédesquestions.Ellesemblaitheureusede
mevoirrevenir,maispassubmergéedejoiecommeellesaitsibienl’être.Jem’étaisditqueBlakeavaitfinalementréussiàlacalmer.
JepivotefaceàAndrew.—Maisonn’amêmepasencoredemeubles!—Détrompe-toi!intervientNatalieenm’attrapantparlepoignet.Ellem’entraînedanslesalon,oùquelquespoufssemblentavoirétédisposésauhasard.Aumilieude
la pièce, quatre caisses de lait rouges sont réunies pour soutenir un gros morceau de bois plat,probablement censé faire office de table basse. L’électricité n’est pas encore raccordée, mais troisbougies éteintes se dressent dans des couvercles renversés de boîtes à biscuits, attendant que la nuittombed’iciquelquesheures.
Jerisdeboncœur.—J’adore!Etsionoubliaitlesmeublespoursecontenterdecestylerétrodépouillé?suggéré-jeà
Andrew.
Ilsaitquejeplaisante,biensûr…Ilselaissetombersurlepoufleplusprocheetétendlesjambesdevantlui,vautrédansleconfortable
sacenvinyle.—Çapourraitlefaire,maisilmefautquandmêmeunlit.Jem’installe sur le coussinvoisin et trouveuneposition confortable.Les autresnous imitent, sauf
NatalieetBlake,quis’enretournentverslacuisine.Andrewetmoiavonsdégottécettepetitemaisoncinqjoursaprèsnotrearrivée.Voulantdégagerde
chezmamère aussi tôt que possible, il a passé des heures sur Internet ou le nez dans desmagazinesspécialisés,tandisquejemelacoulaisdoucepourmeremettredelalongueroutedepuisGalveston.Jel’ailaisségérerlesrecherchesquasimenttoutseul.Ilmemontraitdesphotos,etjeluidonnaismonavis.Maiscettemaisonestparfaite.C’estlatroisièmequenousavonsvisitée(etjenepensepasqu’ilaiteuuncoupdecœurdessusuniquementparcequ’ilasurprislemêmematinmamèreàmoitiénue,quipensaitquenousétionsdéjàpartispourlajournée).Ellefiguraitàunbonprixcarlesvendeurs,quiavaientdéjàdéménagédepuisquatremois,voulaients’endébarrasserauplusvite.Aufinal,nousl’avonspayéevingtmille dollars demoins que sa valeur véritable, en acceptant que les vendeurs ne s’occupent d’aucunstravauxavantdenouslaisserlesclés.Etcommenouspayionscash,toutestallétrèsvite.
Etàcompterd’aujourd’hui,nousensommesofficiellementlesnouveauxpropriétaires.Nous avons louéune remorque et rapporté des tas de choses deGalveston, y empilant tout ce qui
pouvait y tenir. Néanmoins, nous allons devoir y retourner bientôt pour récupérer nos meubles.Malheureusement,Andrewtientcoûtequecoûteàconserverlevieuxfauteuilpuantdesonpère,maisilapromisdelefairenettoyer.Etilaplutôtintérêtàs’ytenir!
Natalie et Blake viennent enfin nous rejoindre avec quatre bouteilles de bière chacun, qu’ilscommencentàdistribuer.
—Nonmerci,paspourmoi,décliné-je.MonrefusbrisemanifestementlecœurdeNatalie,quifaitressortirsalèvreinférieureetm’observe
avecdesyeuxdechienbattu.Elleporteuntee-shirtblancmoulantquimetbiensesseinsenvaleur.—J’aidécidédemepriverdebièrependantaumoinsunesemaine,Nat,déclaré-je.Ellefaitlamoue,puishausselesépaulesetlance:—Tantpis,çaenferapluspourmoi!AprèsavoirtendusabouteilleàAndrew,Blakesedirigeversleseulpoufencoredisponible,mais
Natalie s’y précipite avant lui. Il se vautre donc sur elle. Tandis qu’ils se chamaillent,Natalie laisseéchapperungloussementstrident,etjemetourneimmédiatementversAndrewpourobserversaréaction.
—Shenzi,chuchote-t-ilensecouantlatêteavantdeporterlabouteilleàseslèvres.Jerissouscape,maintenantquejesaispourquoiillasurnommeainsi.Peuaprèsqu’ill’aditpourla
premièrefois,j’aitapécenomsurGoogleetdécouvertqu’ils’agissaitdelaplusagressivedeshyènesduRoiLion.
—Bon,vousaviezpromisdemeracontervotreroad-trip,nousapostropheNatalie,désormaiscaléesurlepoufentrelesjambesdeBlake.
ToutlemondesetourneversAndrewetmoi.—Jet’enaidéjàparlé,Nat.—Ouais,maisànous,tunenousasriendit,intervientLea,monamiequitravailleauStarbucks.Alicia,sacollègue,ajoute:—J’aifaitunroad-tripunefoisavecmamèreetmonfrère,maisjesuissûrequeçan’avaitrienà
voiraveclevôtre.—Etpuisjenesaistoujourspascequis’estpasséenFloride,renchéritNatalie.
ElleboitunegorgéedebièreavantdereposersabouteilleausoletdesecalercontrelesjambesdeBlake.Celui-cil’embrassedanslecou.
Jemecrispeàcettesimpleévocation,etcomprendstrèsvitequec’estparcequ’Andrewestleseulquirisqued’êtregênéparl’anecdote.Pendantuneseconde,jen’osemêmepasleregarder,tantj’aihonted’avoirmentionnécettesoirée-lààNatalie.Jeneluiailivréaucundétail,jeluiaisimplementexpliquéqu’ilnousétaitarrivéuntrucvraimenttordulà-bas.
Quandj’oseenfinmetournerversAndrew,jemerendscomptequ’ilnem’enveutpaslemoinsdumonde.Ilm’adresseunclind’œiletreposesabièreàsontour.
—LaFloride…,commence-t-il,àmagrandesurprise.Sansdoutelepiremomentdenotrevoyage,ainsiqueleplusétrange–etpourtant,ilyacertainspassagesquinem’ontpasdérangétantqueça.
J’ignoretotalementoùilvaenvenir.Toutlemondealesyeuxrivéssurlui,àprésent,surtoutNatalie,quienbavepresqueparanticipation.—Onarencontréungrouped’amisquinousontproposéd’allerfaire lafêteaveceuxsuruncoin
reculédelaplage.Onaaccepté.Etonapasséunbonmoment.Jusqu’àcequeçadeviennebizarre.—Bizarrecomment?l’interromptNatalie.—BizarregenreMDMA,oujenesaispastropquelleautresaloperie,répond-il.Natalieécarquillelesyeuxetmetancevertement.—TuasprisdelaMD?Putain,qu’est-cequinetournepasrond,cheztoi,Cam?Jesecouelatête.—Non,cen’étaitpasdutoutvolontaire.Onaétédrogués!Tousouvrentdésormaisdesyeuxrondscommedessoucoupes.—Ouais,enchaîneAndrew.Onn’estmêmepassûrsdecequ’ilsnousontfilé,maisonplanaittous
lesdeuxcomplètement.—Çam’estarrivé,unefois,intervientSarah,lapetitesœurdeBlake,quidoitavoirdix-huitans.Sonfrèreseredressesubitement,etNataliemanquedefairetombersabouteille.—Quoi?!s’exclame-t-il,fouderage.—Oh,tun’étaispasaucourant?répond-elled’untondoucereux,commesielledécouvraitqu’elle
avaitomisdeluifairepartdecedétail.Manifestement,mieuxvalaitqu’ilnel’aitpassuavant.—Ouille!gémitNatalieensetenantlabouche.—Désolé,luiditBlake.(Il l’embrasserapidementsurlajoueavantdeseretournerverssasœur.)
Putain,quit’afaitça,Sarah?Nememenspas,hein.Tuasintérêtàmeledire…Est-cequ’ilt’estarrivéquelquechose?
Ilsembleredouterlepire.Sarahlèvelesyeuxauciel.—Non,riendutout,parcequeKaylaétaitlà,etqu’ellem’aramenéeàlamaison.Etjenesaispas
quil’afait,Blake,alorspitié,arrêtedeflipper.(Puiselles’adressedenouveauànous.)Vousdisiez?—Jet’accompagne,mec,lanceAndrewàBlake.Situdécouvresquiafaitça,appelle-moi.C’estdu
grandn’importequoi.Jeluiassèneunlégercoupdecoude.Ilcomprendlesous-entenduetreprend:—Bref,laFlorideétaitunesacréeexpérience,maisjenesuispaspressédelaréitérer.Andrewneleurparlepasdel’espècedesalopequil’asucé.Cequim’arrange,carcelaauraitdonné
un tourbizarreà la conversation.Sansparlerdu faitqueNatalie aurait fait seschouxgrasd’une telleinformation.Nouscontinuonsàdiscuterpendantunlongmoment;vers20heures,Blakedoitramenersasœur. Natalie les accompagne évidemment et, bientôt, tous les autres suivent. Andrew et moi nous
retrouvonsseulsdansnotretoutepremièremaisondejeunesmariés.Ilrevientdelacuisineavecunebougieàlamain,qu’ilestalléallumersurlacuisinière.Legazaété
branchéavantl’électricité.Ilpenchelaflammesurlesautresmèchespourlesembraseràleurtour.—Est-cequ’onvadormirparterre?luidemandé-je.—Nan,répond-ilens’éloignantdesbougies.Il rassemble les poufs au centre de la piècepour créer unmatelas de fortune, puis tapote sur l’un
d’euxduplatdelamain.—Çairapourcettenuit.Onauratoujoursmoinsmalaudosqueparterre.Jesouris.— Ça fait bizarre, pas vrai ? dis-je en contemplant les murs nus de notre maison, essayant de
déterminerquellesphotosouquelscadresytrouveraientlemieuxleurplace.—Quoi?Den’avoirnimeublesniélectricité?Tudevraisavoirl’habitude,ricane-t-il.Jem’écartedumurauqueljesuisadosséeetvaislerejoindresurnotrelitd’appoint.Jetendslamain
verslatableetplantemondoigtdanslacirechaudejusqu’àcequ’elleenépouselaforme.—Non,jeparledecettemaison.Denous.Detout,enfait.—Bizarredanslebonsensduterme,j’espère?—Biensûr,affirmé-jeavecunsourire.Unsilenceenvahitlapièce.Lalumièredesbougiesprojettedesombresdansantessurlesparois.Il
règneunevagueodeurdeJaveletd’autresdétergents.—Andrew,reprends-je.Mercid’avoiremménagéici.Ilfinitpars’asseoiràcôtédemoietnousobservonslesflammespendantunlongmoment.—Oùvoulais-tuquej’aille,sanstoi?réplique-t-il.—Tusaiscequejeveuxdire.Jetendslamainetlalaisseplanerau-dessusd’unebougie,larapprochantauplusprèsdelaflamme
pourvoirjusqu’àquelledistanceladouleurrestesupportable.—Jesais,admet-il,maisquandmême.Jeretiremamainetmetournevers lui ; la lueurorangéede labougieadoucitses traits,malgré la
barbedetroisjoursquicommenceàluirecouvrirlesjoues.—Camryn,j’aiquelquechoseàtedire.Moncœursefigesoudain,tantsontonmedéplaît.—Quoi…Commentçatuasquelquechoseàmedire?Jesuisextrêmementnerveuse,bienquej’ignorepourquoi.Andrewremontesesgenouxpouryposer sesavant-bras. Ilcontemple la flammependantquelques
secondesàpeine,quisemblentpourtantdurerbienpluslongtemps.—Andrew?Jemepositionnedefaçonàluifaireface.Jevoissapommed’Adamsesouleverquandildéglutit.Ilmeregardedroitdanslesyeux.—Jerecommenceàavoirdesmauxdetête,avoue-t-il.Monventreseserre.Jesuissurlepointdevomir.—Pas depuis longtemps, seulement depuis lundi.Mais j’ai pris un rendez-vous avec unmédecin
d’ici.C’esttamèrequimel’arecommandé.Jeladétestedem’avoircachéça.J’ailesmainsquitremblent.— Je lui ai demandé de ne rien te dire car je voulais que notre emménagement se déroule
tranquillement…—Tuauraisdûm’enparler.
Ilchercheàm’attraperlamain,maisjelerepoussemalgrémoietmemetsdebout.—Pourquoim’as-tucachéça?!Jesuisprised’unvertige.Andrewselèveàsontour,gardantnéanmoinssesdistances.—Jeviensdeteledire.Jenevoulaispas…—Jem’enfous!Tuauraisdûm’enparler!Jecroiselesbrasetmepenchelégèrementenavant.Jesuissurpriseden’avoirpasencoredégueulé.
J’ailesnerfsàfleurdepeau,lemoindremouvementmeprovoqueunedécharge.Levisagedansmesmains,jefinisparéclaterensanglots.—Çan’estpaspossible…Putain,pourquoifaut-ilquecelarecommence?!L’instantsuivant,Andrewmeprenddéjàdanssesbras.Ilserremoncorpstremblantcontresapoitrine
etm’ymaintientfermement.—Çaneveutriendire,tempère-t-il.Honnêtement,çan’arienàvoiraveccequejeressentaisavant,
Camryn.J’aidesmauxdetête,oui,maiscenesontpluslesmêmes.Quand je parviens à contrôler suffisamment mes pleurs pour arriver à parler sans m’étouffer, je
redresselefrontpourl’observer.Ilmeprendlevisageentresesmainsetm’adresseunsourirehésitant.—Jesavaisqueturéagiraiscommeça,mabelle,ajoute-t-ild’unevoixneutre.Jeneveuxpastevoir
stresserpendantquatre jours, jusqu’àmon rendez-vousde lundi,dit-il en soutenantmon regard.Cenesontpluslesmêmes.Concentre-toilà-dessus,carc’estlavérité.
—Vraiment?Ouest-cequetudisçauniquementpouréviterquejenem’inquiète?Jesuisdéjàconvaincuequecettedeuxièmeoptionestlabonne.Jem’éloignedeluietcommenceà
tourner en rond,unemaindans le creuxdemoncoudeopposé, l’autre surmes lèvres. Jenepeuxpasm’arrêterdetrembler.
—Jenetemenspas,mepromet-il.Çavaaller.J’ailesentimentquecen’estriendegrave,tudoislecroireaussi.
Jefaisvolte-facepourl’affronterdenouveau.—Jeneveuxpasrevivreça,Andrew.J’ensuisincapable.Ilinclinelégèrementlatêtedecôté;ilarboreunairpensif,curieux,inquiet.Je sais qu’il attend que je développe, mais je n’y parviens pas. Mes mots ne feraient que le
bouleverserouleblesser.Etceneseraientquedesmots.Desmotsnésdelasouffranceetdelacolère,desmotsappartenantàcettepartiedemoiquivoudraitcoincerDieuentrequatre’z’yeux,ouquiquecesoit,ouquoiquecesoitquigèrenotreexistence,etluicracherd’allercramerenenfer.
Ilfautd’abordquejerecouvremoncalme.Quejeprennedureculetrespireunboncoup.C’estprécisémentcequejefais.—Camryn?—Tuvast’enremettre,luidis-jed’untonneutre.J’ensuissûre.Ils’approchedemoi,m’embrassesurlefrontetdéclare:—Moiaussi.
35
ANDREW
CES QUATRE DERNIERS JOURS ONT ÉTÉ PARTICULIÈREMENT STRESSANTS.MÊME SI CAMRYN PRÉTENDAITqu’elle resterait positive et qu’elle ne se laisserait pas abattre, elle n’a pas été elle-même. Je l’aientendueàdeux reprises s’enfermerdans la salledebainspourpleureretvomir.Depuisque je luiaiparléduretourdemesmauxde tête jeudisoirdernier,ellearecommencéàagircommeelle lefaisaitavantquenousallionsrendrevisiteàAidanetMichelleàChicago:ellefeignaitdesourireetprétendaitéclaterde rirequand il sepassaitquelquechosededrôle.Ellen’était toutsimplementpaselle-même.Inquiet à son sujet, etme rappelant l’épisode des calmants après sa fausse couche, je lui ai demandécarrémentsielleétaitentraindeconnaîtreunnouveau«momentdefaiblesse».
Ellem’aaffirméquenon,etj’aiacceptédelacroire.Je sais cependant que la seule chose qui pourra l’apaiser cette fois sera deme voir sortir de cet
hôpitalavecunbilandesantépositif.Danslecascontraire…jepréfèrenepasypenser.Camrynadûm’attendredansunesallevoisinependantmonscanner.Jesaisqu’elleafaillisecrêper
lechignonavec l’infirmièreavantd’obtempérer.Etcomme ladernière fois, j’ai l’impressiond’être làdepuis des heures. Je commence àme sentir légèrement claustrophobe dans le tunnel que forme cettemachineimmenseetbruyante.Lemédecinm’aditderesterparfaitementimmobile.D’essayerdenepasbouger,souspeinededevoirtoutrecommencer.Inutilededirequejen’aipresquepasosérespirerdurantlesquinzeminutesquiontsuivi.
Àlafindel’examen,jeretiremesbouchonsd’oreilleetlesjettedanslapoubellelaplusproche.Camrynafaillicraquerquandl’infirmièrevenuemelibérernousainformésquenousn’aurionsaucun
résultatavantmercredi.—Vousplaisantez!s’est-elleexclaméeavechargne.Ellenousamaintesfoisobservésl’unetl’autre,espérantquenouspourrionsyfairequelquechose.J’aijetéuncoupd’œilàl’infirmière.—Iln’yapasmoyend’avoirlesrésultatsaujourd’hui?Comprenantàl’expressiondeCamrynqu’ellen’étaitpasdisposéeàpartir,elleafiniparsoupireret
déclarer:—Allezvousasseoirensalled’attente,jevaisvoirsiledocteurAdamspeutvousrecevoirtoutde
suite.Quatreheuresplustard,nousétionsinstallésdanssonbureau.
—Jenevoisriend’anormal,a-t-ildéclaré.(LamaindeCamrynasoudainlibérélamiennedesonétreinte mortelle.) Mais étant donné votre dossier, mieux vaut que vous reveniez me consultermensuellement,enmerapportantlamoindreévolutiondansvotreétatdesanté.
—Maisvousavezditn’avoirrienvud’anormal,estintervenueCamrynenmeserrantdenouveaulamain.
— Effectivement. Je pense cependant que c’est dans l’intérêt d’Andrew. Par mesure de sécurité.Ainsi,siquoiquecesoitseprésente,nouspourronsletraiterauplustôt.
—Parceque,selonvous,quelquechosevaréapparaître?L’agacementnotablesurlevisagedudocteurm’adonnéenviederire,maisjemesuiscontentédeme
tournerversCamrynpourrépondre:—Non,cen’estpascequ’iladit.Calme-toi.Toutvabien.Tuvois,jesavaisqu’iln’yavaitriende
grave.Etdepuiscejour,jen’aicesséd’espérerluiavoirditlavérité.
36
CAMRYN
Biendesmoisplustard…
ANDREWM’AÉCRITUNEAUTRELETTREDURANTNOTREPREMIERMOISDANSLAMAISON.J’AIDÛLALIREUNE centainede fois.Généralement,elleme faitpleurer,mais jemesurprends régulièrementà souriremalgrétout.Ilm’ademandédelarelirechaquesemaine,afindemarquerseptjoursdeplussansqueriennesesoitpassé.Etj’airespectécettepromesse.Habituellement, jem’yattelleledimanchesoir,aprèsqu’ils’estendormiprèsdemoidansnotrelitconjugal.Maisparfois,quandjesombreavantluidanslesommeil,jelasorsdulivreposésurlatabledechevetetlalisavantqu’ilseréveille.Etchaquefois,jeme tourne vers lui pour l’observer quand j’en ai terminé, et j’espère revivre cet instant la semainesuivante.
Andrewm’atoujoursépatée.Jesuisébahieparlafaçondontfonctionnesoncerveau.Ilestcapabledemeregardersansrienmedire,toutenmedonnantl’impressiond’êtrelapersonnelaplusimportantedumonde.Jesuisépoustoufléeparsacapacitéàresterpositif,mêmequandlavies’écrouleautourdelui.Etparsafacultéàfairebrillerunelueurd’espoirdanslesrecoinslesplussombresdemonesprit,mêmeàl’époqueoùj’étaispersuadéequejenesortiraisjamaisdutrou.
Bien sûr, il a connu des mauvais jours, ses propres « moments de faiblesse », mais jusqu’àaujourd’hui,jen’aijamaisrencontréquelqu’undesemblable.Etjesaisquecelan’arriverajamais.
Peut-êtrequ’aufondjesuisunepersonneextrêmementfaible.Peut-êtreque,sanslui,jeneseraispascellequejesuisdevenue.Parfois,ilm’arrivedemedemanderàquoiressembleraitmonexistencesijene l’avais pas rencontré, s’il ne m’avait pas protégée lors de ce voyage en car aussi dangereuxqu’imprudent que j’avais décidé d’entreprendre seule. J’ignore ce qu’il serait advenu demoi s’il nem’avait pas aimée suffisamment pour m’aider à surmonter mon moment de faiblesse. Je détestem’imaginersouscetangle,maisilfautparfoissavoiraffronterlaréalitéenface,comparercequesontleschosesetcequ’ellesseraientsitoutn’avaitdépenduquedenous.J’aipleinementconscienceque,sansAndrew,jeneseraispeut-êtrepluslàaujourd’hui.
Cesderniersmoisontététrèséprouvantspournousdeux,toutenétantsimultanémentpleinsdevie,d’excitation,d’amouretd’espoir.
La vie est une chosemystérieuse et souvent injuste. Toutefois, je pense avoir appris, en côtoyantAndrewauquotidien,qu’il luiarriveégalementd’êtremerveilleuseetque,biensouvent,quandlesortsembles’acharner,c’estquel’Existencelibèredel’espacepourd’autresévénementsàvenir,bienplus
agréables.J’aimecroireencela.Celamedonnedelaforcequandj’enaileplusbesoin.Etc’estlecasencemoment.J’essaie de regarder l’horloge, perchée haut sur le mur blanc immaculé de la chambre, mais je
distingue à peine les petites aiguilles noires à travers mes yeux brumeux. J’aimerais savoir depuiscombiendetempsjesuisici.Jesuisfaibleetépuisée,tantphysiquementquementalement,etjen’enpeuxplus.Jeravalelaboulelogéedansmagorge;j’ailabouchesèchecommedupapierdeverre.Jelèvelamain pour essuyer une larme qui me roule sur la tempe. Une seule. En réalité, je n’ai pas beaucouppleuré.Parcequeladouleuraprécédemmentétésiinsupportablequ’ilnedoitpasmeresterbeaucoupdelarmes.
Jenevaispasyarriver.J’ail’impressionquejevaisabandonnerd’uninstantàl’autre.J’aienviededemanderàtoutlemondedesortirdemachambre,demelaisserseule,d’arrêterdemeregardercommesi mon âme avait besoin d’être sauvée. Pourtant, c’est le cas ! Putain oui ! Mais personne ici n’estcapabledem’apporterlesoutiennécessaire.
Tousmesmembressontgourds.Jenesensplusrien.Lesmursdel’hôpitalcommencentàserefermersurmoi,merendantquelquepeuclaustrophobe.En termesdedouleuretdechagrin, jeneressensplusrien.Jemedemandesicelareviendraunjour.
—Tudoisessayerdepousser,meconseilleAndrewenmetenantlamain.Jepivotebrusquementlatêteversluipourrétorquer:—Maisjenesenspasmonventre!Commentveux-tuquejepoussesijenemesenspaspousser?Toutcequej’arriveàexpulsersontcesmotscrachésàtraversmesdentsserrées.Ilmesouritetembrassemonfrontcouvertdesueur.—Vousallezyarriver,m’encourageledocteurBall,postéeentremesjambes.Jeserrefermementlespaupières,m’agrippeàlamaind’Andrewetpousse.Dumoins, jepense.Je
rouvrelesyeuxetm’autoriseàrespirer.—Est-cequej’aipoussé?Est-cequeçaavance?BonDieu,j’espèrenepaspéter!Putain,cequeceseraitgênant!—Tut’ensorstrèsbien,mabelle.Andrewsetournealorsversl’obstétricienne,dansl’expectative.—Encoredeuxoutroisfoispourraientsuffire,confirmecelle-ci.Saréponsenemeplaîtguère,etjelaisseéchapperunsoupirexaspérétoutenplaquantviolemmentma
têtecontrel’oreiller.—Essaieencore,mabelle,meditdoucementAndrew,sansjamaissedépartirdesoncalme.Pourtant,chaquefoisqu’iladresseuncoupd’œilaumédecin, jevoissonvisagesecrisperunpeu
plusd’angoisse.Jemeredresseunefoisencoreetessaiedepousser,mais,commed’habitude,jen’arrivepasàsavoir
sijelefaiseffectivementousij’enaisimplementl’impression.Andrewplaceunbrasdansmondospourmesoutenir,etjem’arc-boutepourpousserderechef,fermantsifortlesyeuxquej’ail’impressiondelesenfoncerdanslefonddemoncrâne.Jeretrousseleslèvresetserrelesdents.Jesuisennage.
Je laisse échapper un hurlement inintelligible en cessant mon effort, et je suis enfin capable derespirerdenouveau.
Puisjesensquelquechose.Waouh…Çan’estpasdeladouleur–lapériduralemel’aépargnée–,mais j’aivraiment senti lapressiondubébé.End’autres circonstances, j’aurais l’impressionque l’onm’afourréunobjetexcessivementvolumineuxdanslevagin.J’ouvredesyeuxdeplusenplusgrands.
—Latêteestsortie,annoncel’obstétricienne.J’entends alors un bruit de succion, tandis qu’elle nettoie sa petite gorge à l’aide d’une poire
d’aspiration.Andrewaenviedevoir;iltendlecoutelleunetortuepourobtenirunmeilleurangle,sanstoutefois
quittermonchevet.—Encoreunpetiteffort,Camryn,m’encourageBall.Jepousseunefoisdeplus,avecdavantagedeconvictionmaintenantquejesaisquecelafonctionne.Lesépaulesémergent.Unedernièrepousséeetnotrebébéestné.—Bravo!meféliciteladoctoresseenluinettoyantdenouveaulagorge.Andrewm’embrassesurlajoueetsurlefront,puisrepousselescheveuxcolléssurmonvisageparla
sueur. Quelques secondes plus tard, les cris du bébé font naître dans la pièce nombre de sourires etd’exclamations. Je fondsen larmes,sanglotantsi fortquemoncorps toutentier tremblesous l’effetdel’émotion.
Puisl’obstétriciennedéclare:—C’estunefille.Andrewetmoinelaquittonspasdesyeux,tandisqu’onluidemandedecouperlecordon.Ilsefend
d’unlargesourireenallantfièrementeffectuercegestesymbolique.Ilnesemblepassavoirquidenotrebébéoudemoi ildoit regarder leplus. Je souriset reposema tête sur l’oreiller,àboutde forces. Jedistingueenfinlesaiguillesdel’horloge.Ellesm’indiquentqueletravailaduréplusdeseizeheures.
Jeressensdiversespressions,pousséesettractionsentremesjambes,tandisquelemédecinexécutecertaines opérations dont, en toute honnêteté, je ne tiens pas à connaître les détails. Je me contented’observerleplafondpendantquelquessecondes,revivantparflashscesneufderniersmois,jusqu’àcequej’entendenotrefillehurleràl’autreboutdelapièce;jeredressealorslatêtesivitequejemanquedemefaireuntraumatismecervical.
Andrew est debout près de l’une des infirmières, tandis que celle-ci s’affaire à la laver avant del’envelopperdansdescouvertures.Ilm’adresseuncoupd’œil.
—Elleatavoix,mabelle,déclare-t-ilensebouchantlesoreilles.Je lui souris et les contemple tous deux, tâchant d’oublier ce qui se passe entremes cuisses. Puis
Andrewvientmerejoindre.Ilm’embrassesurlaboucheetmurmure:—Tudégoulines.Ondiraitquetuviensdecourirunmarathon.Tun’aspasdemaquillage,tuesen
bloused’hôpital.Etpourtant,tuestrèsbelle.Etmalgrétoutça,ilparvientencoreàmefairerougir.Jelèveunemainéquipéed’uneintraveineuseetluicaresselajoueavantdel’attirerversmoi.—Onaréussi,chuchoté-jecontreseslèvres.Ilm’embrassederechef,puisl’infirmières’approchedenous,notrebébédanslesbras.—Quivoudraitlatenirenpremier?s’enquiert-elle.Andrewetmoinousconsultonssilencieusement,puisils’écarted’unpaspourqu’onmelaconfie.—Non,dis-je.Toid’abord.Après une courte hésitation, il capitule et tend les bras pour la prendre. L’infirmière l’installe
délicatement contre lui et prend un peu de recul pour s’assurer qu’il la tient comme il faut. Il sembled’abordprisd’unemaladresseenfantine,ayantsansdoutepeurdelalâcheroudeluifairemal,maisilsedétendrapidement.
—Elleestblonde,medit-il,rayonnant,sesyeuxvertspétillantdelarmes.Etenplus,elleapleindecheveux!
Jesuistoujourssifatiguéequejeneparviensàluiadresserqu’unmaigresourireenréponse.
Andrewsepenchesurelle,effleuresespetitesjouesdureversdesesdoigts,l’embrassesurlefront.Aprèsquelquessecondes,ilmelaconfiepourlapremièrefois.Etàlasecondeoùjemeretrouvefaceàfaceavecmapetitefille,jecraquedenouveau.Meslarmessontsinombreusesqu’ellesmetroublentlavue.
—Elleestparfaite!m’exclamé-jesansdétournerlesyeux.J’ai presque peur de regarder ailleurs, craignant qu’une seconde d’inattention suffise à la faire
disparaîtreouàmeréveillerd’unmerveilleuxrêve.—Parfaite,répété-jeenposantunbaisersurleboutdesonnezminuscule.
37
ANDREW
LA FAMILLEAUGRANDCOMPLET, DEMONCÔTÉ COMMEDE CELUI DECAMRYN – À L’EXCEPTION DE SONPÈREETdesonfrère–,patienteensalled’attente.Ilsignorentencores’ils’agitd’ungarçonoud’unefille.Camrynetmoin’avonspasvoululesavoirdurantlagrossesse.Nousvoulionsnousménagerlasurprise.Etcelaafonctionné.
Avant de laisser tout lemonde entrer les voir, je reste unmoment avec Camryn dans la chambreindividuelleoùl’onnousaemmenéspeuaprèslanaissance.Nousnesommesquetouslesdeux,attendantquelesinfirmièresnouslaramènentaprèsluiavoirapportélespremierssoins.Jeprendsnotrebébédansmesbrasquandl’uned’ellesvients’assurerquelebraceletqueCamrynporteaupoignetcorrespondbienàceluiindiquant«BébéParrish»accrochéàsaminusculecheville.J’yveilleégalementavantdelaisserl’aide-soignanterepartir.Etjelascrutedanslesmoindresdétails.Onn’estjamaistropprudent,etjetiensà être sûr et certain qu’ils nous ont bien rendu le bébé que nous leur avons confié.Mais son épaissechevelure blonde ne laisse pas la moindre place au doute, de même que son petit piaillement tropcraquantquimemetàsespieds.Siellepouvaitparler,j’obéiraissanshésiteràsesmoindrescaprices.Jeveuxunbiberon!Oui,m’dame!Change-moilacouche!C’estcommesic’étaitfait!Marchesurlepiedde cette infirmière qui m’a enveloppée comme un foutu burrito ! Tes désirs sont des ordres, petiteprincesse!
Camrynlamaintientcontresapoitrineletempsdelatétée.Elle s’est rendu compte qu’elle attendait un enfant la veille de notre emménagement.Mais elle ne
m’enapasparléavantquenoussortionsdechezledocteur,lelundisuivant.Ellem’aditqu’elleavaiteupeurdelefaire,toutcommej’avaisredoutédeluiavouerressentirdenouveauxmauxdetête.Aprèsça,nousavonslonguementdiscutédelafaçondontnousallionsenvisagerleschoses,cettefois.L’allaitementcomptait parmi ces nouvelles résolutions. Lors de sa première grossesse, elle n’était pas emballée àl’idée qu’un bébé lui suçote le sein, surtout quand il aurait été question de le nourrir en public. Àl’époque, j’étais en accord avec tous ses principes, n’essayant jamais de lui faire changer d’avis. Jen’avaisaucuneraisonvéritabledem’opposeràelle.
Maiscettefois,quandellearemislesujetsurlatable,elleadit:—Tusaisquoi,chéri?J’ailudestasdechosessurlagrossesseetlesbienfaitsdel’allaitement,etje
mefichedecequelesautrespensent:j’aienviedelefaire,etj’ail’impressionquec’estcequ’ilyademieuxpourlui.
—Alorstudevraisessayer,ai-jerépondu.
Jem’assiedsprèsd’elle.Jesuiscontentqu’elleaitpriscettedécisionseule,sansquej’aieeubesoind’argumenter.Tantquejenememetspasàsécréterdulaitetqu’ellenemedemandepasdedonnerlesein,c’estellequichoisit.
—Ilparaîtquelaplupartdesbébésnaissentaveclesyeuxbleus,meditCamrynenregardantnotrefille,maisjecroisque,plustard,elleauratesyeuxverts.
Jecaresseduboutdudoigtlatêtedenotreenfant.—C’estpossible.Jenepeuxpasm’empêcherdelesadmirertouteslesdeux,mafemmemagnifiqueetmapetitefillesi
précieuse. J’ai l’impression de me retrouver dans un autre monde, plus lumineux que ce à quoi jem’attendais.Jenepensaispasaufonddemoi-mêmepouvoirêtreplusheureuxquejenel’étaisdéjàavecCamryn.Jen’imaginaispasquecelasoitpossible.
JecroisqueCamrynestencoresouslechoc.—Àquoitupenses?luidemandé-jesansmedépartirdemonsourirechaleureux.Sesyeuxfatiguéss’illuminentquandellelesposesurmoi.—Tuavaisraison,affirme-t-elle.Lebébéémetunpetitbruitdesuccion,silégerquejel’entendsàpeine,maisjemesurprendsàêtre
attentifaumoindredesesfaitsetgestes.—Tum’asditquejeneferaispasdefaussecouche,cettefois,poursuit-elle.Commetum’asditque
tatumeurnereviendraitpas.Tum’asaffirméquetoutiraitbien.Ettoutvapourlemieux.Elleobservenotrebébépendantquelquessecondes,lissantduboutdudoigtsonsourcilnaissant,puis
ellereportesonattentionsurmoi.—Mercidenet’êtrepastrompé.Jemelèvedemachaise,prendssonmentonetsajouedansmamain,etluisoulèvelégèrementlatête
afindepouvoirluidonnerunpetitbaisersurlabouche.Onfrappeunlégercoupàlaporte,quis’ouvrealorslentement.Mamèreapparaîtdansl’embrasure.—Entre,luidis-jeenluifaisantsignedenousrejoindre.Lebattantsurdimensionnéachèvedepivoter;tantdegenssesuccèdentdanslachambrequej’arrête
delescompteraprèsAidanetMichelle,enceintedecinqmois.Ilyabeaucoupd’embrassades, tout lemondemetapedansledostoutenessayantd’apercevoir le
bébé.—Félicitations,frangin,mecongratuleAidan.J’étaissûrquetuseraispapaavantmoi.IlcaressedoucementleventrerebondideMichelle.Ellelechasseenriantetluilancequ’ilaintérêt
àneplusjamaisremettresondoigtdanssonnombril.Puisellem’étreintàsontourets’approchedulit.—Onattendungarçon,m’annonceAidan.—Ahbon?C’estgénial!m’exclamé-je.Camryns’apprêteàréagiràsontour,maisMichelleladevance.—Onn’enestpassûrs,affirme-t-elle.Ilpensejustelesavoir.Camrynpartd’unrirelégeretréplique:—Crois-moi,si l’undesfrèresParrishdéclarequ’ilvaavoirunfilsouunefille,onpeut luifaire
confiance.—Trèsbien,onverra,concèdeMichelle,guèreconvaincue.Jeme tourne versmon frère ; j’ai déjà vu cet air confiant.Ouais, pas de doute, ils vont avoir un
garçon.—Oh,monDieu!entends-jedireNataliediscrètementdepuisuncoindelapièce,lacouvertureest
rose.Est-cequeçaveutdirecequejepense?
Elleporteàses lèvressesdoigtsornésdebagues.Jesuissincèrementsurprisde lavoirsicalme.Blakesetientàsoncôté,aussisilencieuxqu’àsonhabitude.
Camrynm’interrogeduregard,etjehochelatêtepourdonnermonassentiment.Puiselledéclare,àl’intentiondetoutlemonde:
—Oui,c’estbienunefille.Touteslesfemmess’empressentalorsdetraverserlapiècepourrejoindrelelit.LamèredeCamryn
est lapremièreàvouloir laprendre ;Camrynrabatsa robedechambresursapoitrineavantde la luitendreavecprécaution.
—Oh,Camryn,elleestmagnifique!s’extasieNancy.Lescheveuxdécolorésdecettedernièresontramassésenunchignonausommetdesoncrâne.Safille
ahéritédesesyeuxbleus,unecouleurquileurvabienàl’unecommeàl’autre.—Elleestparfaite.Mapetite-fille…Lebeau-pèredeCamryn,Roger,sembleterrifié,deboutcontrelemur.J’ignoresic’estparcequece
genredesituationlemetmalàl’aise,ouparcequ’ilserendcomptequ’ilaépouséunegrand-mère.Jericaneintérieurement.
Asherestleprochainàvenirm’embrasser.—Siçaavaitétéungarçon,j’auraisredoutédevoirtonclone,courantdanstouslessenssansjamais
posersesfessesnullepart.Ilmesouritenmedécochantunebourradeamicale.—Ouais,faisgaffeàcequetudis,petitfrère,tuesleprochainsurlaliste.Etunmini-toiseraitaussi
terriblequ’unmini-moi.—Passûr.—Non, tuas raison, il fautd’abordavoirunecopinepourenarriver là.Tun’aspasà t’inquiéter
d’avoirdesgaminsdansl’immédiat.—Eh,j’aiunecopine!s’offusque-t-il.—Quiça?LaraCroft?Oul’unedesœuvresdeLuisRoyo?m’esclaffé-je.—Pff,n’importequoi!réplique-t-ilencroisantlesbras,l’airblasé.Je sais toutefois qu’il en faut plus pour lemettre en colère. Il s’inquiéterait pourmoi si je ne le
taquinaispas.—OncleAsher,dis-jepourmefairepardonnermalgrétout.Çasonnebien.Ilhochelatêted’unairpensif.—Ouais,jetrouveaussi.C’estdésormaisautourdemamèredeporternotrefille.Jenel’avaisencorejamaisvuesifière.Elle
n’arrêtepasdenousobservertouràtour,lebébéetmoi.—Elleatonnezetteslèvres,Andrew,affirme-t-elle.—EtlescheveuxetlavoixdeCamryn,souligné-je.Nataliese trouvedésormaisaupieddu lit ;ellene tientplusenplace,se tordant lesmainsdevant
elle.Mamère remarque combien il lui tarde de la tenir, et embrasse donc sa petite-fille pour la luipasser.
—J’espèrequetut’esbienlavélesmains,Nat,lanceCamryn.—Oui!réplique-t-elleavantdesedésintéressercomplètementdesonamiepourparlerànotrefille
endormie.Oh,tuesleplusjolibébédumonde.Plus l’excitationcroît,plussavoixs’élève.Elle se retourne finalementversCamrynetdéclare, le
plussérieusementdumonde:—J’enveuxunaussi!
Blakeécarquille lesyeux ; jesuispresquesûrqu’ilamanquédes’étouffer.Quelques instantsplustard,jeconstatequ’ilestallés’adosseraumur,àcôtédeRoger.
NotrefilleatterritensuitedanslesbrasdeBrenda,latantedeCamryn,puisdansceuxdel’unedesescousines.AprèsqueMichellel’abercéependantquelquesminutesens’extasiantsursabeauté,ellefinitparlareposersurleventredesamère.Jem’assiedsdenouveauauprèsdeCamryn.
—Alors,vousavezchoisileprénom?nousdemandemamère.Camrynetmoinousconsidérons;nousavonslamêmeidéeentête.—Pasencore,répliqueCamrynsansrienajouter.Jesaisquejesuissansdouteleseuliciàm’enrendrecompte,maintenantquelaquestionduprénom
aétéposée:Camrynnepeuts’empêcherderepenseràLily.Ellelaisseunangepasseretembrassenotrefillesurlajoue,visiblementfièredesabelleréussite,endépitdudeuilencorerécent.
L’essentieldelafamillesedisperseavantlanuittombée,maisnosmèress’attardentpluslongtempsquelesautres,apprenantàseconnaître.C’estlapremièrefoisqu’ellesserencontrent.Ellesfinissentparpartirpeuavant19heures,alorsqu’uneinfirmièrevientprendredesnouvellesdeCamrynetdubébé.
Dèsquenousnousretrouvonsdenouveautouslestrois,j’éteinsleslumièressaufcelledelasalledebains. Notre fille dort à poings fermés dans les bras de sa maman. Je sais que Camryn est fatiguée,complètementépuisée,même,maisellenepeutserésoudreàposernotreenfantafindepouvoirrécupérerunpeu. Je lui ai proposéde la prendrepour lui permettre de se reposer,mais elle insiste pour resteréveillée.
Jelescontempletoutesdeuxl’espaced’unmomentdegrâce,puisjevaism’asseoirprèsd’elles,surleborddulit.
Camrynsetourneversmoi,puisreportesonattentionsurnotrepetitangeassoupi.—Lily,dis-jesimplement.Camrynmeregarde,confuse.Jehochelentementlatêtecommepourdire:«Oui,tuasbienentendu»,etj’effleuredenouveaule
crânedenotrebébé.—Tuterappellescequejet’aiditàChicago,lejouroùj’aitrouvélespilules?Ellefaitsignequenon.Cettefois-ci,c’estsonvisagequejecaresse,d’abordunejoue,puisl’autre.—Jet’aiditqueLilyn’étaittoutsimplementpasprête.Jemarqueunepause,puisajoutedansunsourire:—Unemêmeâmedansunautrecorps.LesprunellesdeCamrynsemettent àpétiller.Elle inclinedoucement la tête,medévisageantavec
étonnement.Puiselleconsidèrenotrebébé,etnerelèvelesyeuxqu’uneéternitéplustard.Elleaalorslesjouesbaignéesdelarmes.—Tucrois?medemande-t-elled’untonpleind’espoir.—Ouais.Ses pleurs redoublent, et elle étreint délicatement la petite Lily contre sa poitrine, la berçant
doucement.Puisellem’observedenouveauetacquiesceplusieursfois.—Lily,chuchote-t-elleenl’embrassantsurlesommetducrâne.Lematin suivant, jeme réveille dans la chaise à côté du lit deCamryn, où jeme suis endormi la
veilleausoir.J’entendssavoixentamerdoucementlesilencedelapièceet,commechaquefois,jefaismined’êtreendormitandisqu’ellerelitcettelettrequejeluiaiécriteilyadesmoisdecela.
38
CAMRYN
CHÈRECAMRYN,Jesaisquetuaspeur.Jetementiraisent’affirmantêtremoi-mêmecomplètementrassuré,maisjesuisobligédecroireque,cettefois,toutirabien.Ettuverras,toutirabien.Nousavonsaffronté tantd’épreuvesensemble.Plusque laplupartdesgensensipeudetemps.Maisquoiqu’ilsoitadvenu,unechosen’ajamaischangé:noussommestoujoursensemble.Mêmelamortnepourraitpast’arracheràmoi.Rienquetupuissesfairenemedonnerait unemauvaise imagede toi. Il n’yapasunedroguequipourrait t’éloignerdemoi, ni te retourner contremoi. Je ne prends pas de gros risques en affirmant que noussommesindestructibles.Peut-êtrequetoutcequinousestarrivén’étaitqu’untest.Ouais,plusj’ypense,plusj’ensuis convaincu. De nombreuses personnes considèrent que le destin existe. Certainsobtiennenttoutcequ’ilsdésirentoutoutcedontilsontbesoinenunclaquementdedoigts,maisilsenabusent.D’autreslaissentpasserleuruniquechance,carilsn’ouvrentjamaislesyeuxassezlongtempspourserendrecomptequ’ellesetrouvejustesousleurnez,prêteàêtrecueillie.Mais toietmoi,mêmeavantnotrerencontre,avonsbravé l’impossibleenprenant des décisions sans écouter les avis extérieurs nous assurant, de tas de façonsdifférentes, que nous faisions n’importe quoi. Alors que, putain, nous nous sommescontentés de faire les choses à notremanière, même si cela pouvait sembler imprudent,complètement dingue ou non conventionnel. C’est comme si plus nous insistions et plusnous nous battions, plus les obstacles se durcissaient. Car nous devions prouver ce quenousvalionsvraiment.Etjesaisquenousysommesparvenus.Camryn, je veux que tu relises cette lettre une fois par semaine. Peu importe le jour oul’heure:lis-la.Chaquefoisquetul’ouvriras,jeveuxquetuconstatesquetuestoujoursenceinte,quejesuistoujoursenbonnesanté,quenoussommestoujoursensemble.Jeveuxquetunousimaginestouslestrois,toi,moietnotrefilsounotrefille,entraindedécouvrirl’Europeoul’AmériqueduSud.Imagine-le.Carnousallonsnousconformeràcetteimage.Jet’enfaisleserment.Tuestoutpourmoi,etjeveuxqueturestesforteetnelaissesjamaistescraintesdupasséentachernotremarcheversl’avenir.Toutirabien,cettefois,jetelejure.
Fais-moiconfiance.Àlasemaineprochaine…Jet’aime,
AndrewJe lève le nez de la lettre, la posant sur le lit à mon côté sans la lâcher totalement. Lily est
profondémentendormiedanssonberceaudel’hôpital.Andrewadûfairepreuved’unegrandeforcedeconvictionpourquej’accepteenfindel’ymettreplutôtquedelagarderdansmesbrastoutelanuit.Jemesuistoutefoisréveilléedesmilliersdefoispourm’assurerqu’ellerespiraitencore.Etjevérifieunefoisdeplus.Jenepeuxpasm’enempêcher.Jeleferaisansdouteencorependantdesmois.
Jefinisparreplier la lettred’Andrewpour laénièmefois. Ilsupposesansdouteque jene la liraiplusmaintenantqueLilyestnée.Maisilsetrompe.Jen’aijamaiscessédelirelapremièrelettrequ’ilm’aécrite,maisill’ignore.J’aimonpetitjardinsecret.
—Tuesprêteàmettretoutescesdestinationsdansunchapeau?m’interroge-t-il.Jemedemandedepuiscombiendetempsilestréveillé.Jemetourneversluipourluisourire.—Attendonsquelquesmois.Ilhochelatêteetselève.—Commentas-tupudormirdanscetteposition?m’étonné-je.Tuauraisdûtemettresurlecanapé,
ajouté-jeendésignantlapetitebanquetteprèsdelafenêtre.Andrews’étire,puissefaitcraquerledosetlanuque.Ilnerépondpas.—Onvaenfinpouvoirrécupérertouslescadeauxdelafêteorganiséechezmamèreettoutinstaller
cheznous,reprends-je.Ilm’adresseunsourirenarquois.—Attends…Tul’asdéjàfait,c’estça?Ilcontinuesesétirements.—Techniquement,jen’ysuispourrien.Maishier,Natalie,Blakeettamèreonttoutdéménagédès
quenoussommespartispourl’hôpital.Jem’y étais toujours opposée durant la grossesse. Histoire de ne pasmettre la charrue avant les
bœufs,encasdenouvellefaussecouche.C’estégalementpourçaquej’airefusédeconnaîtrelesexedubébéavantlanaissance.Jenevoulaispasm’impliquerplusquederaison,contrairementàlapremièrefois.Jecraignaisqueçameportelapoisse.Andrewnepartageaitpastotalementmescraintes,maisiln’ajamaistentédemeconvaincred’agirdifféremment.
—Et,commetut’endoutes,ajoute-t-il,puisqueMichelleetmamèresontencoreenville,iln’yapasquecescadeauxquit’attendentàlamaison.
Lelendemain,quandAndrewm’ouvrelaportepourmepermettred’entrercheznousavecLilydans
lesbras,jemerendstoutdesuitecomptequ’ilnem’apasmenti.Lamaisonestrutilante.Jenel’auraisjamaissibiennettoyéemoi-même.Tandisquenoustraversonslesalonendirectionducouloir,jejetteuncoupd’œilàl’écoute-bébéposésurlatablebasse,àcetautresurlecomptoirdelacuisine,autroisièmebranchédanslasalledebainset,enfin,àl’émetteurquejedécouvredanslachambredeLily.
J’observelapièceavecdesyeuxrondscommedessoucoupes.—Waouh,Andrew,regardecequ’ellesontfait!Lilys’agitedansmesbras,sansdoutedemesentirtoutexcitée,maisellesecalmerapidement.Le lit de bébé est installé contre unmur.Un ravissantmobilemusicalWinnie l’Ourson plane au-
dessus.Unecommodeetunetableàlangerassortiesontprisplaceprèsdelafenêtre.Andrewouvreles
tiroirs pour me montrer qu’ils sont remplis de vêtements, de gigoteuses, de bavoirs, de chaussettesminusculesetd’autresaccessoiresindispensables.Jedécouvredanslapenderiedesdizainesdepetitesrobesettenues.Ilyatantdepaquetsdecouchesprèsdelatableàlangerquej’ail’impressionquenousn’auronsjamaisàenacheternous-mêmes.Biensûr,jesaisqu’ilnes’agitlàqued’unvœupieux.
Andrewmefaitalorssignede lesuivredans lecouloir,où ilouvre leplacardprèsde lasalledebains. Celui-ci abrite un trotte-bébé flambant neuf, demême qu’une balancelle et qu’un étrange tapisd’éveil,tousencorerangésdansleurboîte.
—Jelesmonteraiquandelleseraenâge,dit-il.Maisçan’estpaspourtoutdesuite.—Tupensesquetuvast’ensortir?letaquiné-je.Ildresselementonetdéclare:—Sansmêmelirelesinstructions.Jerissilencieusement.Puisilmemènejusqu’ànotrechambre.Uncouffinblancestdisposéprèsdemoncôtédulit.—Jet’aiachetéça,fanfaronne-t-il.Jesaisquetuneseraspastoutdesuiteprêteàlalaisserdanssa
chambre,alorsjemesuisditquetuenauraisbesoin.Ilrougit.Jem’empressed’allerl’embrassersurlecoindelabouche.—Tuavaisraison,luiconfirmé-je.Merci.Lilyrecommenceàs’agiter,seréveillantcettefoispourdebon.Andrewmelaprenddesbras.—Jevaislachanger,déclare-t-il.Jem’allongesurlelitsanscesserdel’observer.Illacouchesurnotrematelasetretirelacouverture
danslaquelleelleestemmaillotée.Lescrislesplusmignons,maislespluspuissantsquisoientémergentdesespoumonsminuscules.Sespetitsbrasetjambesbattentrapidementl’air.Safiguretoutentièrevireàl’écarlate.Pourtant,Andrewnebronchepas.Etquandilouvresacouche,ilnesourcillepasnonplusendécouvrantlecadeauqu’elleluialaissé.Jedoisbienreconnaîtrequejesuissurprisedelafacilitéaveclaquelleiladéjàendossésonrôledepapa.
J’aireprisletravailàlaboutiquedeproduitsdebeautéaprèsmoncongématernité,maisseulementà
temps partiel. Ma patronne, Janelle, est géniale, et elle m’apprécie tant qu’elle m’a accordé uneaugmentation d’un dollar de l’heure quand elle a appris que j’étais enceinte. Seules Natalie et moitravaillons encore là-bas ; Nat est à temps plein et a même fait un certain nombre d’heuressupplémentaires, puisque je me suis arrêtée pendant six semaines. Mais ça ne la dérange pas : elleéconomisepouracheteràsontour.Blakeetellesemblentvraimentfaitsl’unpourl’autre,jemefaislaréflexionchaquefoisquejelesvoisensemble.Envérité,jenel’avaisencorejamaisvueaussiheureuse.Je pensais qu’elle l’était quand elle sortait avec Damon, mais je me rends compte aujourd’hui qu’ildevaitsimplements’agirdetoléranceetdepiètreestimedesoi.Blakeestdifférent.Jecroisquec’estdusolide.
Andrew a trouvé un job dans un garage auto trois semaines après notre emménagement. Sonexpérienceetsescompétencesluiontpermisd’obtenirunsalaireplusqu’honorable.Ilgagnebienmieuxsaviequemoi,mais ilessaiedemeréconforterenmerépétant :«C’estquedalleparrapportaufaitd’expulsernotrebébéparton…»Jel’interrompschaquefois.
Çan’étaitpasnécessaire,Andrew.Merciquandmême.J’ai l’impression que les crèches sont réservées aux plus riches. Honnêtement, je ne vois pas
commentunepersonnepayéeauSMICpeuts’offrirleluxed’unegarded’enfant.Toutesapaieiraitlà-dedans,çan’auraitaucunsens.Quoiqu’ilensoit,Andrewetmoisommesd’accordpournepasconfiernotre fille à des inconnus.Nous avons donc trouvé un compromis avec Janelle : je travaille à temps
partiellesoir,quandAndrewestàlamaison,etunweek-endsurdeux.Nousn’avonsaucunmalà joindre lesdeuxboutsetnousdébrouillonscommedeschefs,commesi
nousavionsfaitçatoutenotrevie.Mêmesinoséconomiess’élèventàplusdecentmilledollars,celanenous empêche pas de mettre encore de l’argent de côté en ne dépensant que le strict minimum.Parallèlementànosactivitésquotidiennes,Andrewetmoidonnonsdesconcertsunsamedisurdeux,lessemainesoùjenetravaillepas,danslebarqueRob,lefrèredeBlake,aouvertenville.Ils’estpasséuntrucàL’Undergroundquil’acontraintàfermerl’établissement.Selonlarumeur,Robamêmeéchappédepeuàlaprison.Àmonavis,c’estparcequ’ilnepossédaitpaslalicencenécessaire.Aujourd’hui,Blakebossecommemanagerdanscenouveaubar,etilnousreverselamoitiédelarecettequandnousyjouons.C’estplusquenousnenoussommesjamaisfait,endehorsdechezAidan.Samedidernier,nousavonsempochéhuitcentsdollars.
Dequoialimenternosréservesenprévisiondeladestinationqueletirageausortnousindiquera.EtmêmesiAndrewdonnetoutàchaquereprésentation,commeill’atoujoursfait,jevoisbienquandnoussommessurscènequ’ilahâted’allerrécupérerLilychezmamère,ouchezquiconquealachancedeselavoirconfierpourquelquesheures.
AndrewestgénialavecLily.Ilm’étonnechaquejourunpeuplus.Ilse lèveaussisouventquemoipourchangersacoucheenpleinenuit,et resteparfoiséveillépourme tenircompagniependantque jel’allaite. Il lui arrive aussi d’avoir des réactions demec, il n’est donc pas complètementM. Parfait.Apparemment,iln’estpastotalementimmuniséauxcouchesimmondeset,pasplustardquecematin,jel’aivuprisd’unhaut-le-cœuraumomentdelachanger.Çam’afaitrire,maisjemesuissentietellementmalpourluiquejen’aipaspum’empêcherdeprendrelerelais.Ilaquittélapièceenseplaquantlecoldechemisesurlenezetlabouche.
Et… eh bien, je ne voudrais pas aller trop vite en besogne, mais j’ai l’impression que Lily asuffisammentattendriAndrewpourqu’ilcommencemêmeàapprécierNatalie.Justeunpeu.Jenesaispas,maischaque foisqu’elle laprenddanssesbraset la fait sourireen luiparlantavecsavolubilitéhabituelle, ça ne semble pas déranger Andrew. Lily a maintenant trois mois, et je ne me souvienshonnêtementpasdeladernièrefoisqu’ilatraitéNatdehyène,ouqu’ilm’aadresséunregardexaspérédanssondos.
Illuiarriveencoredesecrisperquandelles’autoproclamemarrainedeLily,mais…uneétapeaprèsl’autre.Ilfinirapars’yhabituer.
39
ANDREW
9févrierPremieranniversairedeLily
—AIDANETMICHELLESONTLÀ!MECRIECAMRYNDEPUISLESALON.J’attacheledernierboutondelarobedeLilyetlaprendsparlamain.Ellen’aimepastropquandje
faisçaetsetortilleentoussenspourselibéreretm’attraperl’indexàlaplace.—Viens,monbébé,luidis-jeenlaregardant.OncleAidanettanteMichellesontvenustesouhaiter
unbonanniversaire.Jejureraisqu’ellecomprendtoutcequejeraconte.Ellemeserre ledoigtaussi fortqu’ellepeut,glousseet faitunpasdegéantenavant,commesi je
n’étaispasassezrapideàsongoût.Pliéendeux,jeprogresseàdemi-pasrapidesdanslecouloirpourluipermettre de courir sur ses petites jambes potelées. Alors qu’elle manque de tomber au moment detourner,jelarattrapeparlamainpourl’aideràrecouvrerl’équilibre.Elleafaitsespremierspasàdixmois.Ditsonpremiermot,«maman»,àsixmois.Àsept,elleadit«papa»,et j’aicarrémentfonduquandellem’aappeléainsipourlapremièrefois.
Camrynavaitraison:elleamesyeuxverts.—Lily!s’exclameMichelled’untonthéâtralens’accroupissantàsahauteurpourl’envelopperdans
ses grands bras. Oh, mon Dieu, que tu as grandi ! (Lily glousse de façon incontrôlable quand ellel’embrassesurlesjoues,surlefront,surlenez.)Miam,miam,miam,ajouteMichelleenfaisantminedeladévorer.
JemetourneversAidan,quitientmonneveudanssesbras.Jetendslesmainsverslui,maisAveryest timideet ilseblottitcontre lapoitrinedesonpère.Jereculed’unpas,espérantqu’ilnevapassemettreàpleurer.Aidantentedel’amadouer.
—Est-cequ’ilmarchedéjà?demandeCamrynenvenantseposterprèsdemoi.MichellesuitLilydanslesalon,oùnombredeballonsrosesetvioletsgonflésàl’héliumsontcollés
auplafond.QuandLilyserendcomptequ’ellenepeutpaslesattraper,ellecapituleetsedirigedroitverslapiledecadeauxquil’attendparterre.
AidanconfiedeuxpaquetsenveloppésàCamryn, etnousallons tous rejoindreMichelleetLilyausalon.Camryndéposelescadeauxaveclesautres.
—Ilessaie,répondAidanausujetdespremierspasdesonbambin.Ilarriveàavancerensetenant
aucanapé,maisiln’apasencoreressentilebesoindelelâcher.—Bonsang,c’esttonportraitcraché,frangin!déclaré-je.Pauvregamin.Aidanm’auraitbalancéuncoupdepoings’ilavaiteulesmainslibres.—Ilestadorable,intervientCamrynentendantlesbrasverslui.Biensûrqu’ill’est,maisilfautbienquejememoqueunpeudemonfrère.Averyl’observed’abordcommesielleétaitfolle,puissevengedufaitquej’aieditdumaldeson
papaenacceptantsansproblèmed’alleravecCamryn.Aidanéclatederire.NancyetRoger,NatalieetBlake,Sarahetsonpetitami,quiadéjàeuunenfantavecuneex,arrivent
pratiquementtousenmêmetemps.Puisnosvoisins,MasonetLori,unjeunecoupleavecunpetitdedeuxans,débarquentavecdescadeauxpleinlesbras.Lily,toujoursentraindefrimer,poselesmainsetlatêtesurletapis,mettantenl’airsonpetitpopotincouvertdesacouche.Puisellefaitminedetomberetsefendd’un«Oh,oh»quandtoutlemondeéclatederire.
— Regardez-moi ces jolies boucles blondes, s’extasie Michelle. Est-ce que votre fille avait lescheveuxaussiclairs,quandelleétaitbébé?demande-t-elleàlamèredeCamryn,assiseàcôtéd’elle.
Nancyacquiesce.—Oui,exactementlesmêmes.Plus tard, quand tout le monde est enfin là, Lily reçoit l’autorisation d’ouvrir ses paquets ; et, à
l’instardesamaman,ellesemetàchanteretàdanser,sedonnantenspectacledevanttoutlemonde.Puis,quandvient l’heuredesoufflersabougie(pourêtrehonnête,heureusementquejesuis làpourl’aider),elleestàdeuxdoigtsdesenoyerdanslegâteauetleglaçagemauve.Elleenasurlescheveuxetsurlescils,etmêmedanslesnarines.Camrynessaieenvaindel’empêcherdefairetropdesalissures,maisellefinitparcapituleretlaisseLilys’amuser.
Celle-cis’écrouledefatiguebienavantledépartdesesderniersinvités.—Jecroisquec’estlebainquil’aachevée,mesouffleCamryntandisquenoussommestousdeux
penchéssursonlit.JeprendsCamrynparlamainetl’entraîneàmasuite,tirantlaportedeLilyensortant.Nousnousallongeonsensemblesurlecanapépourregarderunfilm,puisCamrynm’embrassesurles
lèvresetvaprendresadouche.J’éteinslatéléetobservelapièce.J’entendsl’eaucoulerdanslasalledebains,lesvoituresrouler
danslarue.Jerepenseàlaconversationquej’aieueavecmonpatronhier:commejetravailleavecluidepuispresquedeuxans,jevaisbientôtdisposerdedeuxsemainesdevacances.JesaiscependantquequinzejoursnesuffirontpaspouraccomplirlesprojetsqueCamrynetmoiavonsentête.Cettehistoiredetravailestleseulpointquenousn’ayonspasvraimentrégléquandils’agiradequitterRaleighpourunmois ou plus. Nous tenons tous les deux à notre boulot, et nous en sommes venus à la conclusionimparfaitededevoirfairecesacrificepourréalisernosrêvesdevoyagestoutenévitantdedevenirlesvictimesdecettehorribleroutinemonotonequinousterrifiel’unetl’autre.
Nous savons que nous ne garderons pas nos postes éternellement. Et, en vérité, c’est un peu leproblème.Mais j’ai réponduàmonbossque,oui, j’allaisavoirbesoindecescongésdans lesmoisàvenir.J’aidécidédenepasluiparlerdemadémissionavantd’avoirdiscutéavecCamryncesoir.
Jemelèveducanapé,vaischercherunbloc-notesdansletiroirdubureaudel’ordinateuretretournem’asseoiràlatabledelacuisine.JecommenceànoterlesnomsdesdifférentesdestinationsqueCamrynetmoiavonsdéjàévoquéesensemble:laFrance,l’Irlande,l’Écosse,leBrésil,laJamaïque…Bientôt,j’aiamasséunejoliepiledebandelettesaumilieudelatable.Alorsquejelespliel’uneaprèsl’autrepourlesjeterdanslechapeaudecowgirldeCamryn,jel’entendscouperl’eauàlasalledebains.
Ellevientmerejoindredanslacuisine,sescheveuxmouilléscollésdanssondos.—Qu’est-cequetufais?demande-t-elle.Maiselleacomprisavantquej’aieeuletempsdeluirépondre.Elles’assiedàcôtédemoi.Etsourit.
C’esttrèsbonsigne.—Ondevraitpeut-êtrepartirenmaioujuin,suggéré-je.Ellesepasseunpeignedanslescheveuxtoutenconsidérantmaproposition.Puiselleleposesurla
table.—TupensesqueLilyestprête?s’enquiert-elle.J’acquiesce.—Ouais,jecroisbien.Ellemarche.Ons’étaitditqu’onattendraitqu’ellesachelefaire.Camrynhochelatêteàsontouretpoursuitsaréflexion,sansjamaissemblerdouter.—Ilfautl’habituertantqu’elleestjeune.Nous ne formons vraiment pas une famille traditionnelle. De nombreux parents rejetteraient par
principel’idéemêmedevoyageràl’étrangeravecunjeuneenfant.Pasnous.Jedoisbienreconnaîtrequetoutlemonden’estpasdansnotresituation,mais,pournous,c’estunbesoinvital.Naturellement,nousnebourlinguerons pas dans les mêmes conditions que lors de nos road-trips à travers les États-Unis.Conduiresansbutpendantdesheures,desjours,voiredessemainesavecunbébédanslavoituren’estpas envisageable –Lily détesterait ça.Non, il s’agira davantage de se poser dans une ville que nousavonsenviededécouvrirquedecourird’unendroitàl’autresansvéritableescale.Et,malheureusement,nousnepourronspasprendrelaChevelle.
Camryntirelechapeauverselleetplongelamainàl’intérieurpourbienmélanger.—Tuasmistousceuxdontonavaitparlé?m’interroge-t-elle.—Biensûr.Elleplisselesyeuxd’unairtaquin.—Tumens.—Quoi?Non,sérieux,jel’aifait.Ellemedonneunpetitcoupaumolletdesonpiednu.—Jenepeuxpastefaireconfiance,Andrew.Elleentreprenddesortirlesmorceauxdepapierpourleslireàvoixhauteavantdelesreposersurla
table.—Jamaïque.France.Irlande.Brésil.Bahamas.ÎlesVierges.Mexique.Ellelesempilelesunssurlesautres.Aprèsplusieursautrestirages,ellebranditledernierpapier,qu’elleserrefermemententresesdoigts.
Ellem’adresseungrognementsuspicieux.—Quelquechosemeditquecen’estpasécrit«Italie».Ellefaitdesonmieuxpournepassourire.Jenesaisvraimentpascommentj’aipuespérerm’entireràsiboncompte.Alors que jememords les joues pour conserver une expressionneutre, elle déplie lemorceaude
papieretlit:—Australie.Ellelereposeausommetdupetittasqu’elleaconstitué.—Jedevraistepunirpouravoiressayédetricher.Ellegrimaceetcroiselesbrasd’unairboudeur.—Oh,allez,dis-je,finalementincapabledegardermonsérieux.Aumoins,jen’aipasécritplusieurs
fois«Brésil».
—Tuyaspensé,pasvrai?Jegrimaceenl’entendanthausserleton,etnousnoustournonstouslesdeuxverslecouloirmenantà
lachambredeLily.Camrynsepencheau-dessusdelatablepourmesifflerentresesdents:—Tantpispourtoi,tuespuni.Pasdesexependantunesemaine.Elles’enfoncesursachaiseetsouritd’unairsatisfait.Là,çan’estplusdrôledutout.Jeravalemafierté,hésiteuninstant,puisfinispardire:—Oh,allez,tuplaisantes,pasvrai?Tuaimesçaautantquemoi.—Biensûrqueoui,admet-elle.Maistun’asjamaisentendudirequelesfemmesavaientcettefaculté
incroyabledes’enpriverpluslongtempsqueleshommes?Jeprendraimonpiedtouteseule.—Tubluffes,affirmé-je,moyennementconvaincu.Elle secoue légèrement la tête ; la lueur dans ses prunelles indiquant qu’elle est on ne peut plus
sérieusemerendnerveux.—Commentcomptes-tuterattraper,sinon?Jeretrousselégèrementleslèvres.—Jeferaitoutcequetuveux.Jemarqueunepause,puisbrandisundoigtetajouteavantqu’ilsoittroptard:—…Tantqueçan’estnidégradant,nidégoûtant,niinjuste.Lesourirejusqu’auxoreilles,elleselèvelentementdesachaise.Jescrutechacundesesmouvements
avec laplusgrandeattention, redoutantde laisseréchapperquelquechose.Elleglisse lespoucessousl’élastiquedesaculotteetmeprovoqueenfaisantminedelaretirer.
C’estpasvrai…sansdéconner?Elleappelleçaunepunition?Jetentedereprendremonsang-froid,defairecommesisongesten’avaiteuaucuneffetsurmoialors
que,envérité,jesuisdanstousmesétats.Elles’éloignedemoi.—Oùtuvas?demandé-je.—Prendremonpied.—Hein?—Tuasbienentendu.D’accord,mais…çan’étaitpascensésepassercommeça.—Mais…quelleestmapunition?Elles’arrêteassezlongtempspourm’adresseruncoupd’œilencoin.—Tudoismeregarder.—Attends…quoi?Jecommenceàlasuivre.Quellevilainepetitesorcière.Elle se dirige vers le salon et s’allonge sur le canapé, une tête sur l’accoudoir, une jambe sur le
dossier.Vilaine,vilainesorcière!Ellemedécocheunregardtorride,etc’enesttroppourmoi;àlasecondeoùsesyeuxcroisentles
miens,jemeplaceàcalifourchonsurelleetécrasemabouchecontrelasienne.—Alorslà,pasquestion,mabelle,chuchoté-jecontreseslèvresavantdel’embrasserencoreplus
voracement.Ellem’attrapeparlachemise,mêlepassionnémentsalangueàlamienne.PuisLilysemetàpleurer.
Jemefige.Camrynaussi.Nousnousobservonsuninstant,aussifrustrésl’unquel’autre,maissanspouvoirnousempêcherdesourire.Lilyalesommeilprofondetneseréveillepresquepluslanuit,maissontimingdecesoirnemesurprendpas.
—Jem’enoccupe,cettefois,meditCamrynenserelevant.Jemerelèveaussitôt,mefrottantlecrâneduplatdelamain.Après qu’elle a disparu au bout du couloir, je me réinstalle à la table de la cuisine et griffonne
« Italie» surunmorceaudepapier. Je leglissedans lechapeau,puis replie tous lesautreseten faisautantaveceux.
Quelques minutes plus tard, Camryn a réussi à rendormir Lily et la maison est de nouveaucomplètementsilencieuse.Ellevientserasseoiràcôtédemoi,croisantsesjambesnuessoussesfesses.Elle pose un coude sur la table, enfonce sonmenton dans sa paume etme contemple avec un sourirechaleureux;ellesembleavoiruneidéederrièrelatête.
—Andrew,dit-elle,tupensesvraimentquel’onpeutfaireça?—Fairequoi,exactement?Elleposesonautrecoudesurlatableetsetordlesdoigtsavecnervosité.—VoyageravecLily.Jemarqueunepauseetm’appuiecontremondossier.—Ouais,jepensequeçapeutlefaire.Pastoi?Sonsourirefaiblit.—Camryn,tun’asplusenviedevoyager?Ellesecouelatête.—Non,cen’estpasçadu tout.Mais j’ai superpeur. Jeneconnaispersonnequiait tentépareille
expérience.C’estplutôteffrayant.Etsionsefaisaitdesfilms?Ilyasansdouteuneraison,silesgensnormauxnefontpascegenredechose.
Jesuisd’abordinquiet.Jeredouteaufonddemoiqu’elleaitréellementchangéd’avis,etmêmesijemeplieraisévidemmentàsesdésirs,jesaisque,quelquepart,jeseraisunpeudéçu.
Jemeredresseetposeàmontourlesbrassur la table,adoptantsaposition.Monregards’adoucitquandjeleposesurelle.
—Jesaisqu’onpeutlefaire.Tantquec’estcequel’onveuttouslesdeux,tantqu’onnelefaitpaspourfaireplaisiràl’autre,alorsoui,Camryn,jesaisqu’onpeutlefaire.Onpeutselepermettre.Lilyn’irapasàl’écoleavantplusieursannées.Riennenousretient.
—Est-cevraimentceque tudésires?Tumeprometsque tuneveuxpas le faireuniquementpourmoi?
Jesecouelatête.—Non.Etmêmesijenelesouhaitaispasautantquetoi,jeleferaisquandmêmeparcequec’estce
quetuveux.Maisoui,j’enaitrèsenvie.Sonfaiblesourires’étirelégèrement.—Ettuasraison,poursuis-je.Àmoiaussi,çamefaitpeur.Ceseraitbeaucoupmoinsflippantsinous
n’étionsquetouslesdeux,mais…voisleschosesautrement:sionnelefaitpas,alorsquoi?Elledétournelechefpouryréfléchir,puishausselesépaulesetdéclare:—Alorsonpourraittravailleretélevernosenfantsici,j’imagine.—Exactement.Cettecraintefaittouteladifférenceentreeuxetnous.Jefaisungesteversl’extérieurenprononçantce«eux»,pourenglobertouscesgensauxquelsnous
voulonséviterderessembler.Camrynlecomprendparfaitement,jelevoissursonvisage.Etjen’entendspasparlàqueceuxquichoisissentdepasserleurvieaumêmeendroitpouryfonderunefamilleonttort.
Nousnevoulonssimplementpasfairepartiedeceuxquidésirent,quirêventd’autrechose,dequelquechosedeplusgrand,maisquinevontjamaisauboutdel’idéecarilssonttétanisésparlapeur.
—Maisqu’est-cequ’onvafaire?medemande-t-elle.—Cequ’onveut,affirmé-je.Tulesaisbien.—Ouais,maisjeparledeplustard.Danscinqoudixans,qu’est-cequ’onvafairedenosvies?de
celledeLily?Mêmesij’adorel’idéedevoyagertoutenotreexistence,celanemesemblepasdutoutréaliste.Onfiniraparmanquerd’argent.IlfaudrabienqueLilyailleàl’écoleunjouroul’autre.Etalors,onatterriraici,etondeviendracommeeuxdetoutefaçon.
Jesecouedenouveaulatêteetsouris.—Çafaitpartiedespeursetdesexcusesauxquellesnousnedevonspascéder,mabelle.Tout ira
bienpournous.Tout irabienpourLily.Onva faire leschosesànotremanière, aller làoùonvoudraaller,profiterdelavieetnejamaisselaisseralleràcetteroutinequenousredoutonstouslesdeux.Etdanslepiredescas,lejouroùoncommenceraàmanquerd’argent,sionnetrouvepasdetravailetqueLilydoitalleràl’école,sil’onestobligésdes’installerquelquepartpourdulongterme,mêmesic’estici,alorsnousleferons.Maispourl’heure(jemartèlelatabledemonindexpourinsistersurcepoint),nousn’avonspasànouseninquiéter.
Ellesourit.—D’accord.C’étaitjustepourêtresûre.Jehochelatêteettendslamainverslechapeaupourlerapprocherd’elle.—Tupiochesenpremier,décrété-je.Elleplongesamainàl’intérieur,maiss’immobiliseetmescruted’unairaccusateur.—Est-cequetuasajoutél’Italie?—Oui.Promis.Sachantcettefoisquejeluidislavérité,ellefaitdisparaîtresesdoigtsdanslechapeauetcommence
àmélangerlesmorceauxdepapier.Elleensortun,qu’elledissimuleàl’intérieurdesonpoingserré.—Ehbien,qu’est-cequetuattends?Ellemeglisselepapierdanslapaumeetréplique:—Jeveuxquecesoittoiquilises.J’accepte et déplie précautionneusement le papier. Je l’examine d’abord silencieusement, nous
imaginanttouslestroisenvoyagelà-bas.J’étaissiconcentrésurlefaitdegagnermonpariavecleBrésilquejen’avaisjamaisréellementenvisagélesautresdestinations.Maintenantquej’aiperdu,celadevientbeaucoupplussimple.
—Alors?s’impatiente-t-elle.Jesourisetretournelemorceaudepapiersurlatable.—Jamaïque,annoncé-je.Ondiraitquenousavonstouslesdeuxperdu.Ellesefendd’unlargesourire.Cesquelqueslettresrévéléesdevantnousreprésententbienplusqu’un
peud’encresurdupapier.Ellessymbolisentlecommencementdurestedenotreviecommune.
40
CAMRYN
ETQUELLEVIEMERVEILLEUSEETFORMIDABLECELAS’ESTRÉVÉLÉÊTRE!Jemesouvienscommesic’étaithierdecejourdeprintempsoùnousavonsdécollépourlaJamaïque.
Lily portait une robe jaune et deux barrettes à fleur dans les cheveux. Elle n’a pas pleuré ni ne s’estimpatientée lors du voyage pourMontego Bay. Un vrai petit ange. Et quand nous avons atteint cettepremière destination, à l’instant où nous sommes descendus d’avion et avons posé le pied sur ce solétranger,toutnousestapparusubitementréel.
C’estalorsqu’Andrewetmoisommesdevenusdifférents.Maisj’yreviendraiplustard.C’étaitilyafortlongtemps,etjepréfèrecommencerparlecommencement.Durantlesdeuxmoisquiontprécédél’embarquementàborddecetavion,jen’aipascesséd’avoir
peur.Mêmesijecrevaisd’enviedelefaire,sijemerépétaisrégulièrementqu’Andrewavaitraisonetquejen’avaispasàm’inquiéter,jem’inquiétaissansarrêt,naturellement.Tantetsibienque,deuxjoursavantlegranddépart,j’aifaillifairemachinearrière.
J’aialorsrepenséànotrepremierroad-tripensemble,quandilm’avaitfaitfourrersesvêtementsdansunsac:
—Alors?Oncommenceparalleroù? avais-jedemandé enpliant proprement la chemise sur lesommetdelapile.
Ilfarfouillaitencoredanssonarmoire.—Non,non,m’avait-illancédel’intérieurd’unevoixétouffée.Pasdeplans,Camryn.Onprendla
bagnoleetonroule.Sanscarte,nirien…Ilétaitalorsressortiduplacardetavaitreprisd’untimbreplusclair:—Qu’est-cequetufabriques?J’avaisrelevélatête,ladeuxièmechemisedéjààmoitiépliée.—Jerangetesaffaires.J’avaisalorsentenduunbruitsourdlorsqu’ilavaitlâchésesbasketsnoiresavantdesedirigervers
moi.Là,ilm’avaittoiséeavecunairréprobateuretm’avaitprislachemisedesmains.—Net’embêtepas,mabelle.Contente-toidelesfourreràl’intérieur.Unéchangeapparemmentsansimportance,quipourtantm’avaitdonnélecouragedemonterdanscet
avion.Jesavaisque,sijerestais,sijecontinuaisàtropyréfléchir,jefiniraisparmelaisserenvahirparlapeur,etqu’ellenecesseraitdèslorsdecontrôlermavie.Notrevie.
Etàprésent,chaquefoisquejepenseaupassé,laseulechosequim’effraieestdemedirequenoussommespassésàdeuxdoigtsdevivrelerestedenotreexistenceenCarolineduNord.
Noussommesrestés troissemainesenJamaïque,etavons tellementappréciénotreséjourquenousn’avionsaucuneenvied’enrepartir.Noussavionsnéanmoinsquenousavionsencore tellementàfaire,tantd’endroitsàvisiter.Ainsi,unsoir,aprèsavoirfaitconnaissanceavecdesgensducoinsurlaplage,Andrewaplongé lamaindans le sac–nousavions remplacé lechapeaudecowgirlparun sachet enveloursautrementplusfacileàtransporter–ettiréleJapon.Del’autrecôtédel’océan…
Nousnenousétionspasdutoutpréparésàcela.Inutilededirequecelaasonnéleglasdenotregrandetomboladuvoyage!Nousnoussommesplutôt
décidésàchoisirladestinationsuivanteenfonctiondenotrelocalisationactuelle:leVenezuela,Panama,lePérouet,enfin,leBrésil.Nousavonstoutvisité.Notrepluslongséjouraumêmeendroit,deuxmois,aeulieuàTemuco,auChili.Nousfaisionsbiensûrensorted’éviterlesendroitslesplusdangereuxpourles voyageurs, les villes et les pays caractérisés par un contexte politique instable. Partout où nousallions,nousnoussurprenionsànousassocierdeplusenplusfacilementàchaqueculture.Àmangerlanourriture et à participer aux célébrations locales.À apprendre de nouvelles langues. Bien que, pourl’essentiel,nousn’ayonsretenuquequelquesphrases.
Etcommeprévu,noussommesrentrésaupayspourlesvacances.NousavonspasséThanksgivingàRaleigh. Noël à Galveston. LeNouvel An à Chicago. Et, bien sûr, le deuxième anniversaire de Lily,égalementàRaleigh.Nousenavonsprofitépourl’emmenerchezlemédecin,pourunbilancompletetlerappeldesvaccins.Etoui,Andrewestégalementallévoirledocteuret,commesafille,ilétaitenpleinesanté.
Juste avant le printemps, il a accepté de louer notre maison à Natalie et Blake. Ça tombaitparfaitementbien,àvraidire. Ilscherchaientàdéménager,celanousprocuraitunepetiterente,etcelanousévitaitdepayerdesfacturesinutiles.Nousdisposionstoujoursd’unesommerondeletteenbanque,maisnotremodedeviel’avaitconsidérablemententamée.Peuàpeu,nousavonstoutefoisapprislestrucset astuces relatifs aux voyages à l’étranger, et nous nous sommes de plus en plus tournés vers lesauberges,leshôtelsbonmarchéoudesmaisonsdevacancesmoinschèresencore.Nousnerecherchionspasleluxe,justeunendroitsûretproprepourLily.
Cependant,cequinousasansdoutepermisderéaliserlesplusgrosseséconomiesétaitdenejamaisvoyagercommedestouristes.Nousn’achetionsnisouvenirsniquoiquecesoitd’inutile.Nousévitionslesvisitesguidéesetnedépensionspasnosdollarscommen’importequelvacancierayantbudgétésonséjour.Nousn’achetionsquelestrictnécessaire,mêmesinousnousfaisionsparfoisplaisiravecunbonrepasouunnouveaujouetpourLily,quandellefinissaitparselasserdusien.
Ilnousarrivaitégalementdedonnerunconcertdetempsàautreafindeglanerquelquecachet,mais,avecLily,nousnepouvionsjamaismontersurscèneenmêmetemps.Commenousn’osionspaslalaisseràquelqu’un, ne serait-cequepourquelquesminutes, j’aimême fini par arrêter complètement, laissantAndrewchanterens’accompagnantdesaguitareacoustique.Maisilafiniparlaissertomberluiaussi:autres pays, autres styles musicaux, langues radicalement différentes. Nous voyions bien que nosmorceauxnefonctionnaientpasaussibienqu’auxÉtats-Unis.
QuelquesmoisaprèsledeuxièmeanniversairedeLily,Andrewetmoiavonsdécidéqu’ilétaittempsderepartir.Nousvoulionsenprofiterautantquepossibleavantdedevoirnousinstallerpourinscrirelapetiteàl’école.Etj’étaisprêteàdécouvrirl’Europe.Ainsi,àl’approchedel’été,nousavonsjeténotredévolusurlePortugal.
Andrewetmoiavons«grandi»quandnoussommesdescendusdecetavionenJamaïque.Voilàceque j’entendais en disant que nous étions devenus différents. Bien sûr, Lily nous a également fait
beaucoupmûrirenvenantaumonde,maisendescendantdecetavionetensentantcettebrisesurmonvisage,j’aienfindécouvertquel’airn’étaitpaslemêmeàl’étranger;etnoussavionsquenousvivionscetteexpériencepourdebon.Nousétions loindecheznousavecnotre fille,etmêmesinousn’avonscessédepuiscejourdeprofiterdel’existence,nousn’avonsjamaisbaissélagarde.
Nousavionsgrandi.
41
ANDREW
JEPENSESOUVENTÀMAVIED’AVANT,AVANTMÊMEMARENCONTREAVECCAMRYN,ETÇAMEFAITPRESQUEPEURd’avoirchangéautant.J’étaiscequ’elleappelleun«gigolo»quandj’étaisaulycée.Et,jel’avoue,j’aicontinuéàl’êtreplustard–elleestaucourantpourchacunedesfemmesquej’aifréquentées.Ellesaitpourmesannéesfolles.Ellesaitquasimenttoutdemoi.Quoiqu’ilensoit,jepensesouventàmonpassé,maisçanememanquepas.Saufdetempsàautre,quandilmevientdesimagesdemajeunesseencompagniedemesfrères : là, ilm’arrivederessentircettenostalgiedontCamrynparlait lorsdenotredeuxièmepassageàLaNouvelle-Orléans.
Je ne regrette rien, pasmêmemes excès,même si je ne recommencerais pas forcément tout. J’airéussiàdépassercestadeetàtrouverunefemmemagnifiquem’ayantdonnéunefilleparfaitequejeneméritecertainementpas.
J’ai appris hier qu’Aidan etMichelle, après deux gamins et des années demariage, s’apprêtent àdivorcer.Çamefaitmalpoureux,mais j’imagineque tout lemonden’estpasfaitpourêtreensemble,contrairementàCamrynetmoi.Jemedemandesileurhistoireauraitpusepoursuivres’ilsnes’étaientpastuésautravail.Lebardemonfrèreluiapompétoutesonénergie,etMichelleétaitelleaussilessivéeparsontaf.Camrynetmoiavionsdéjàconstatéqu’ilssemblaients’éloignerl’undel’autre.Nousnousenétionsfaitlaréflexion,mêmelorsdelapremièrevisitedeCamryn,avantlanaissancedeLily.
—Ilsnefontquetravailler,m’a-t-elleditunsoirdel’annéedernière.Travailler,s’occuperd’AveryetdeMolly,regarderlatéléetallersecoucher.
J’aihochélatêted’unairméditatif.—Ouais,jesuiscontentqu’onn’aitpasfinicommeça.—Moiaussi.Asher,enrevanche,sortavecunefilleadorablenomméeLea.Etjesuisfierd’annoncerqu’ilsontun
jour décidé sur un coup de tête d’aller s’installer àMadrid.Mon petit frère a bienmené sa barque,devenant développeur de logiciels, ce qui lui a permis de trouver autre chose sansmal. Il n’était pasobligédelefaire.IlauraitpuresterenpostedansleWyoming,maisapparemmentnousnousressemblonsplusquejenel’imaginais.Parbonheur,Leapartagesescentresd’intérêtetsadétermination;sansquoi,leurrelations’achèveraitsansdoutepluscommecelled’AidanetMichellequecommecelledeCamrynetmoi.Etj’aicrucomprendrequeLeasefaisaitpasmaldecashenvendantsesrobesdecréatricesurInternet.Camrynamêmeenvisagédeselancerlà-dedanségalement,puiselles’estrenducomptequeçal’obligeraitàfairedelacouture…
Puisqu’ilssontinstallésenEspagne,celanousaoffertunpied-à-terresurplacequandnousysommesallésànotretour.Asheraeubeauinsisterpourquenousnepayionspasdeloyer,nousl’avonsfaitquandmême.Camrynnevoulaitpas–jelacite–vivreen«parasite».
—Undollar,asuggéréAsherpourluidonnerbonneconscience.—Non,a-t-ellerefusé.Sixdollarsquatre-vingt-quatreparsemaine,pasunpennydemoins.Asheraéclatéderire.—Disdonc,tuesvraimentbizarre,commefille.OK.Vapoursixdollarsquatre-vingt-quatre.Audébut,nouscomptionsresterchezmonfrèrepourunequinzainedejours,maisunenuit,Camrynet
moiavonseuuneconversationàcœurouvert.—Andrew, je crois qu’ondevrait se poser unpetitmoment. Ici, àMadrid.Oupeut-être rentrer à
Raleigh.Jen’enaipasparticulièrementenvie,mais…Jel’aidévisagéeaveccuriosité,toutenconstatantqu’unefoisencore,nouspensionslamêmechose.—Jesaiscequetutedis:voyageravecLilyn’estpasaussifacilequ’onl’imaginait.—Non,eneffet.Elleadétournépensivementlatête,etsonexpressions’estdurcie.—Tupensesqu’onafaitcequ’ilfallait?Enl’emmenantdanstantd’endroits?Elle a fini par me regarder dans les yeux. Je voyais bien à son expression qu’elle espérait une
réponsepositive.—Bien sûrqueoui, ai-je répliqué leplus sincèrementdumonde.C’est cequ’ona toujoursvoulu
fairedepuislepremierjour.Onn’aaucunregret.Biensûr,ilafalluchangernotrefaçondefairepoursasécurité,onafaitl’impassesurdenombreuxendroits,onestrestéspluslongtempsqueprévuàchaqueétapepournepastropladéboussoler,maisonafaitcequ’ilfallait.
Camrynm’asouritendrement.—Etpeut-êtrequ’onluiainoculélevirusduvoyage.(Ellearosi.)Jenesaispas…—Si,tuasraison,ai-jeinsisté.—Alors,qu’est-cequ’ondevraitfaire,àtonavis?Finalement,nousavonssquatté troismoischezAsheretLeaavantde repartir.Nousavons faitune
dernièreescaleavantderentrerauxÉtats-Unis:l’Italie.Camrynafiniparm’avouerpourquoielletenaittantàs’yrendre:sonpèrel’yavaitunjouremmenéelorsd’unvoyaged’affaires,quandelleavaitquinzeans.Justetouslesdeux.C’étaitladernièrefoisqu’elles’étaitsentiesiprochedelui.Ilsavaientpassébeaucoupdetempsensemble.Ils’étaitd’ailleursdavantageconsacréàellequ’àsontravail.
—Tuessûrequec’estunebonneidée?luiai-jedemandéavantdenousenvolerpourRome.Etsirepartir là-bas foutait tes souvenirs en l’air, comme quand tu es retournée dans ces bois derrière lamaisondetonenfance?
—Jesuisprêteàcourirlerisque,m’a-t-ellealorsaffirméenentassantlesaffairesdeLilydansnotrevalise.Etpuis,jen’yvaispaspourrevivrecessixjoursavecmonpère,maispourmelesrappeler.Jenepeuxpasfoutreenl’aircedontjenemesouviensquevaguement.
Unefoissurplace,jel’aivueseremémorerdestonnesdechoses.ElleaemmenéLilys’asseoirsurl’escalierdelaTrinité-des-Monts,toutcommesonpèreavaitdûlefaireavecelle.
—Noust’aimonsbeaucoup,a-t-elleditàLilyenluiserrantlamainavectendresse.Tulesais,pasvrai?
Lilyasouriavantd’embrassersamamansurlajoue.—Jet’aime,maman.Puiselles’estinstalléeentrelesjambesdeCamryn,etcettedernières’estmiseàtressersachevelure
blondeavantdefairebasculersanattesursonépaule,lacoiffantexactementcommeelle.
J’aisouriàmontouretlesaiobservéesenrepensantàcejour,ilyasilongtemps:—Jenesaispas,untrucentrecopains,m’avait-elledit.Genredeuxamisquipartagentunrepas.—Oh,avais-jeréponduavecunlégersourire.Donconestamis?—Biensûr, avait-elle admis,manifestement prise audépourvuparma réaction.Disonsqu’on est
copainsjusquedansleWyoming.Jeluiavaistendulamain,qu’elleavaitserréeàcontrecœur.—JesignepourcopainsjusquedansleWyoming,avais-jerépondu.Jesavaisquec’étaitlafillequ’ilmefallait.PasseulementjusquedansleWyoming,maisjusqu’àla
findestemps.Jen’arrivetoujourspasàcroiretoutcequenousavonsvécuensemble.Aprèsquasimenttroisanssurlaroute,ilétaittempsderentrer.Nous avons donc regagnéRaleigh et notre humble demeure.Natalie et Blake ont trouvé une autre
maisonà l’autreboutde laville.Lilyabienvitecommencé l’école,et si lesannéessuivantesontétéheureuses, Camryn et moi ressentions comme un manque. J’ai regardé ma petite fille devenir unemagnifique jeune femme avec des rêves, des objectifs et des aspirations rivalisant avec ceux de sesparents.J’aimeàcroirequec’estgrâceànous–Camrynetmoi–queLilyestdevenuequielleest.Celadit, elle a sa propre personnalité, et je crois qu’elle aurait de toute façon évolué ainsi sans l’aide depersonne.
Jen’auraispuêtreplusfier.Tout cela semble si loin. Et, d’une certaine manière, ça l’est. Mais même aujourd’hui, quand je
repenseaujouroùj’aiaperçuCamryndanscecarauKansas,celamesemblesiclairquecelapourraitêtrehier.Quandjepensequesinousn’étionspaspartis touslesdeuxsuruncoupdetête,envoyantsefaire foutre lasociétéet ses jugementsdevaleur,nousnenousserions jamais rencontrés…SiCamryns’était laisséedominerparlapeurdel’inconnu,nousneserionsjamaisallésenJamaïque.Nousavonsvraimentvécunosexistencescommenousl’entendions,etpascommelerestedumondel’entendait.Nousavonsprisdesrisques,optépouruncheminmoinsconventionnel,nousn’avonsjamaisdéviédenosrêvespourplaireauxunsouauxautres,etnousnenoussommesjamaiscontraintsàfairequoiquecesoitassezlongtempspournousenlasser.Biensûr,ilnousestarrivédefairedeschosesparnécessité–travaillerdansdesfast-foods,parexemple–,maisnotrevienetournaitpasautourdeça.Nousavonschaquefoistrouvéuneissue,sansnousavouervaincus.Parcequenousn’avonsqu’uneseulevie.Uneseulechanced’enprofiter.Nousavonssaisicettechanceetnousnoussommesenfuisavec.
Etjecroisqu’onenatirélemeilleur.Jenesaispasquoiajouter.Cen’estpascommesinotrevies’achevait,maintenantquenotrehistoire
sembleavoiratteint son terme.Non.C’est loind’être terminé.Camrynetmoiavonsencoredes tasdechosesàfaire,desdizainesdelieuxàvisiter,tellementderèglesàtransgresser.
Aujourd’huiestlepremierjourdurestedenotrevie.C’estunejournéepascommelesautres,pourLily, pournous, pour toutes lesvaleursquenousdéfendons.Notrehistoireprend fin, certes,maispasnotrevoyage,carnousvivronssurlefildurasoirjusqu’ànotremort.
Épilogue
LILY
Quinzeansplustard
—LILYPARRISH!MmeMorrisonappellemonnomdepuislascènedel’auditorium.J’entendsmesamisetmafamille
s’exclamerdanslafoule,puisdessiffletsetdesapplaudissements.Je lève lamainpour tenirmacoiffede lauréat toutengravissant lesquelquesmarchesenbois. Je
n’arrivepasàl’enfilercorrectement.Monpères’estmoquédemoi,prétendantquej’ailamêmeformedecrânebizarrequemamère.
Lesacclamationssontdeplusenplusfortesàmesurequejetraverselascène.Moncœurtambourinecontremes côtes. Je suis tellement excitée. Je crois que je n’ai pas cessé de sourire durant ces vingtdernièresminutes.
Madame la proviseur Hanover me tend mon diplôme, que je saisis d’une main tremblante. Lesapplaudissements redoublent. J’observemes parents, postés au premier rang. Ils se sont levés de leurchaise.Leursyeuxbrillentdelarmesdejoie.Mamèremelancedesbaisers.Monpèremedécocheunclind’œiletapplauditàtoutrompre.Jem’étrangled’émotiondelesvoirsifiersdemoi.Jeneseraispaslàsanseux.Jenepourraisrêvermeilleursparents.
Àlafindelacérémonie,monpetitami,Gavin,etmoifendonslafoulepourallerretrouvermonpèreetmamère.
Mamanmeprenddanssesbrasetmeplanteunbaisersurlecrâne.—Bravo,Lily!s’exclame-t-elleenmeserrantencoreplusfort.Jesuistellementfièredetoi!Elleadeslarmesdanslavoix.—Nepleurepas,maman.Tuvasfairecoulertonmascara.Ellesepasseundoigtsouslesyeux.Papam’embrasseàsontour.—Félicitations,magrande.Jemehissesurlapointedespiedspourluifaireunebise.—Merci,papa.Puisilm’attireàsoncôtéetplacesurmahancheunemainprotectrice.Il toiseGavind’unair torve, l’étudiedepiedencap,commechaquefoisqu’ilapu levoirdepuis
deuxansquenoussommesensemble.Maiscettefois,ilplaisante.Aumoinsenpartie.Illuiafalluunan
pour accepter Gavin et lui faire suffisamment confiance pour le laisser sortir avec moi sans lasupervisiond’undemesdeuxparents.C’étaittellementgênant…Maiscecôtésurprotecteurn’ajamaisdécouragéGavin,etjecroisquemesparentsnel’enrespectentquedavantage.
C’estungarçongénialetjecroisque,aufond,ilslesavent.—Félicitations,Gavin,luiditpapaenluiserrantlamain.—Merci.Gavinestencoreterrifiéparmonpère.Jetrouveçamignon.Mesparentsontorganiséunegrandefêtepourcélébrermondiplôme,ettoutlemondeestlà.Vraiment
toutlemonde.Ilyamêmedesgensquejen’aipasvusdepuisdesannées:mononcleAsheretmatanteLeasontrevenusexprèsd’Espagne!OncleAidanestlàluiaussi,avecmescousinsAveryetMolly,etAlice,sanouvellefemme.Mesgrands-mères,MarnaetNanaNancy(ellerefusetoutsurnomqui«fassevieille ») sont également de la partie. Nana n’est pas en grande forme. Elle souffre de sclérose enplaques.
—Oh,monDieu,machérie,tuvasm’abandonner!s’exclameZoey,mameilleureamie,envenantmerejoindre.
NousavonsgrandiensembleàRaleigh,toutcommesamère,Natalie,etlamienne.—Jesais,c’esthorrible!Jesuisdégoûtée.Maistusaisquejeviendraiterendrevisite!Jelaserrecontremoncœur.—Ouais,maisputain,tuvasquandmêmememanquer.—Jet’aidéjàditdet’installeràBostonpourterapprocher.Elle lève lesyeuxaucieletsescheveux teintsennoircorbeaurebondissentsursesépaules tandis
qu’ellesehissesurl’undestabouretsdebardelacuisine.—Écoute,nonseulementjenevaispasvenirm’installeràBostonavectoi,maisilsepeutaussique
jequittebientôtlaCarolineduNord.—Commentça?m’étonné-je.Jem’installe sur le siègevoisindu sien.MononcleCole entredans lapièce à cemoment-là, des
bouteillesdebièrevidespleinlesmains.Illesbalanceàlapoubelle.Zoeypousseunsoupir,s’accoudeaucomptoiretsemetàtortillerentresesdoigtsquelquesmèches
decheveux.—MesparentsdéménagentàSanFrancisco.—Quoi?Sérieux?Jen’arrivepasàycroire.—Ouais.Jeneparvienspasàdéterminersielleestdéçueounesaitsimplementpasencorecommentprendre
lanouvelle.—C’estgénial,m’extasié-jepourluimontrerlavoie.Tuneveuxpasdéménager?Zoeyretiresonbrasducomptoiretcroiselesjambes.—Jenesaispasquoienpenser,Lil.C’esttrèsloind’ici.Cen’estpascommesic’étaitauboutdela
rue.—C’estvrai,maisonparledeSanFrancisco!J’adoreraisallerlà-bas!Ellesefendd’unlégersourire.OncleCole,danstoutesagloiremaussade,attrapetroisnouvellesbouteillesdanslefrigoetencoince
legoulotentresesdoigts.Ilmesouritavantderetournerrejoindrelesautresdanslesalon.Il est génial.Quand il est arrivé, ilm’aglissé une carte de félicitations avecdeux cents dollars à
l’intérieur.
—Zoey,jetrouveçasuper.Ethonnêtement,ilmetarded’allerrendrevisiteàmameilleureamieenCalifornie.Ouais.Çasonneencoremieuxquandonledit.Californie.
J’accompagnecesquatresyllabesdegestesthéâtraux.Elleéclatederire.—Tuvasvraimentmemanquer,Lil.—Toiaussi.Samèreentredanslacuisine,suiviedeprèsparBlake,sonpère.—TuasannoncélanouvelleàLily?demandeNatalieenseservantdanslefrigo.—Ouais,jeviensdeluidire.—Qu’est-cequetuenpenses,Lily?BlakeembrasseZoeysurlatête,prendlabièrequeNatluitendetsortdelamaison,sansdoutepour
fumerunecigarette.—Jesuistoutexcitéepourelle,réponds-je.J’emménageàBostonpourlafac,ellevaenCalifornie.
Onneserapeut-êtrepluscolléesl’uneàl’autrecommedepuistoujours,maisjetrouveçabiendenepastoujoursresteraumêmeendroit.
—Tuesvraimentlafilledetesparents,çanefaitaucundoute,répliquesamèreenpouffant.Jesourisfièrementetsautedemontabouretpourlesaccompagner,Zoeyetelle,ausalon.—Jevoudraisporteruntoast!s’exclamemonpèreenbrandissantsabièreaumilieudelapièce.Ilplongesonregarddanslemien.Nousavonslesmêmesyeuxverts.—Ànotrepetitefille,Lily.Montre-leurquiestlameilleure,àlafac!Toutlemondelèvesonverre.—ÀLily!Jepasselerestedelajournée,etcejusqu’àlanuittombée,encompagniedemesamis,demafamille
et, bien sûr, de Gavin. Je l’aime tellement. Nous nous ressemblons beaucoup. Nous nous sommesrencontréspeuaprèsqu’ilaquittél’Arizonapourvenirs’installerici.Soncasiern’étaitpasloindumien,et nous avions presque lesmêmes cours. Zoey a été la première à lui faire de l’œil, ce qui n’a riend’étonnantvusanaturedragueuse.Dèsqu’ilétaitarrivéaulycée,ellem’avaitlancé:«Celui-là,ilestpourmoi. Regarde-moi faire et prends-en de la graine. » Je n’avais nullement eu l’intention dem’enmêler,mais apparemment la personnalité de Zoey était trop imposante pour quelqu’un commeGavin.Celadit,c’estprobablementgrâceàellesinoussommesensembleaujourd’hui.Siellen’avaitpasétélà,iln’auraitpeut-êtrejamaistrouvéd’excusepourvenirmeparler.
Zoeyalâchél’affairedèsqu’ilarévéléquec’étaitmoiquil’intéressais.C’estd’autantplusétrangequeGavinetmoinousressemblonstantqu’onpourraitcroirequeledestin
nousaréunis.Nousvisionstouslesdeuxlamêmefac.Nousaimonslamêmemusique,lesmêmesfilms,livres ou séries télé. Nous apprécions tous deux l’art et l’histoire et avons tous deux, à différentespériodesdenosvies, envisagéde traverser l’Afrique.Gavin est passionnéd’archéologie. Jevoudraisdevenirconservatricedemusée.
Gavin n’est pasmon premier petit ami, ni le premier garçon que j’aie embrassé,mais il a été lepremierpourtoutlereste.Jenepeuxpasimaginerpassermavieavecquelqu’und’autrequelui.J’espèrequenousfinironscommemesparents.Oui,jel’espèrevraiment.
Aprèsl’obtentiondemondiplôme,j’aipassél’étéavecmesparents.Etjen’aipasperduuneminute
decetempsenfamille,carjesavaisquecelapasseraitvite.Àlarentrée,j’aiemménagésurlecampus.Quant à mes parents… eh bien, ils avaient autant de projets que moi. Je crois qu’ils m’ontremarquablement bien élevée,mais je savais que, dès que je quitterais lamaison pour voler demes
propresailesencommençant lafacavecGavin, ilss’empresseraientd’alleraccomplir leurrêved’unevie.
Jesuistellementheureusepoureux.Ilsmemanquentchaquejour,maisjesuisheureuse.Ils n’oublient jamais de me poster des lettres – pas de simples e-mails, de véritables lettres
manuscrites. Je lesai toutesgardées,qu’ellesviennentde l’Argentine,duBrésil,duCostaRicaouduParaguay, ou bien de partout en Europe : d’Écosse, d’Irlande, duDanemark… Je suis ravie quemesparentssoientainsi:libresd’esprit,spontanés,amoureuxdumonde.Jelesadmirebeaucoup.D’aprèscequ’ilsmeracontentdeleurexistenceàmonâgeouunpeuplus,jemerendscomptequeleurrelationacommencésurleschapeauxderoues,mêmesitouts’estbienterminé.Mamèrem’aracontésonhistoire,sadépression.Ellen’estpasentréedans lesdétails, et j’ai toujours suqu’ellemecachaitdeschoses.Maisellevoulaitquejesachequemonpèreetelleseraienttoujourslàpourmoi,quoiqu’iladvienneetquellesquesoientlesdécisionsquejepourraisprendre.
Jecroisqu’elleavaitpeurquejereproduiseleserreursqu’elleapucommettrequandelleaconnudemauvaisespasses,maishonnêtement,jenem’imaginepasêtremalheureuseunjour.
Maman m’a également parlé de sa rencontre avec papa. À bord d’un car de tourisme, c’estincroyable!Çam’afaitéclaterderire.Maisquandjepenseàeuxetàtoutcequ’ilsontenduré,jenepeuxm’empêcherd’êtreimpressionnée.
Selon maman, mon père était un peu sauvage, à l’époque. Elle pense que c’est sans douteessentiellementpourçaqu’ilamisdutempsàaccepterGavin.Làencore,ellen’estpasentréedanslesdétails,mais…bonsang,monpèredevaitêtrevraiment…Beurk!Peuimporte.
J’aiappristantdechosesgrâceàmesparents.Ilsm’ontenseignéquelavieétaitprécieuse,etqu’ilnefallaitjamaisengâcherunseulinstant,carchaquesecondepouvaitêtreladernière.Monpèreabeaucoupinsistépourquejesoismoi-même,pourquejedéfendeceenquoijecroyais,quejesoutiennemesidéesplutôtquecellesdesautres.Ilm’aditquelesgensessaieraientdemetransformersurleurmodèle,etdem’enméfiercarj’auraistôtfaitdedevenircommeeux.Leprincipalchevaldebatailledemamèreaétédemeconvaincrequelavien’estpascenséeêtreunesuccessiondejobsmerdiques,defacturesàpayer;ellenevoulaitpasquejedevienneesclavedecettesociété.Elles’estassuréquejecomprennebienque,quoiqu’endisentlesautres,jen’avaispasàmeneruneexistencequejen’avaispaschoisie.J’aidoncchoisi ma voie. Je m’efforce de faire de ma vie une qui vaudra le détour, qui sera pleine de beauxsouvenirs,etpasunequisenoieraaumilieudetouteslesexistencesmornesquisedéroulentautourdemoi.Jesuislaseuleàprendrelesdécisionsquimeconcernent.Ilyauradesmomentsdifficiles,jeseraipeut-êtreobligéedefairecuiredessteakshachésouderécurerdestoilettespendantuntemps,jeperdraidesgensquej’aimeetmavieneserapeut-êtrepasunlongfleuvetranquille.Cependant,tantquejenemelaisseraipassubmergerparmesennuis, je finiraiun jourpar faireexactementceque jeveux.Etquoiqu’ilarrive,quiquejeperde,jeneseraipastristeéternellement.
Toutefois, mes parents m’ont surtout appris à aimer. Bien sûr, ils m’ont prodigué un amourinconditionnel,mais jeparle surtoutde la façondont ils s’aiment l’un l’autre. Jeconnaisbeaucoupdecouplesmariés–laplupartdesparentsdemesamislesontencore–,maisraressontceuxquisontaussidévoués l’unenvers l’autrequemesparents.Je lesai toujoursconnus inséparables.Jenemesouviensquedequelquesdésaccords,etjenelesaijamaisentendussedisputervraiment.Jamais.Jenesaispascequi rend leur mariage si solide, mais j’espère bien que, quel que soit l’ingrédient secret, ils m’onttransmisunpeudecettemagie.
Gavinentredansmachambredelarésidenceuniversitaireetrefermelaportederrièrelui.Ils’assiedaupieddemonlit.
—Encoreunelettredetesparents.
J’acquiesce.—Oùsont-ils,encemoment?—AuPérou,dis-jeenmereplongeantdansleurcourrier.Ilsadorentl’Amériquelatine.Ilmeposeunemainréconfortantesurlegenou.—Tut’inquiètespoureux.—Ouais, commed’habitude.Maisc’est encorepirequand ils sont là-bas. Ily adesendroits très
dangereux.Jenevoudraispasqu’ilsfinissentcomme…Gavinmeprendlementonpourmeforceràleregarder.—Ilneleurarriverarien,tulesais.Peut-êtrequ’ilaraison.Mamèreetmonpèrevoyagentlesacaudosdepuismaintenantdeuxans,etle
pirequ’ilsaientvécu–d’aprèscequ’ilsm’ontdit,entoutcas–aétédesefairedépouillerunefois,etuneautre foisd’avoirunproblèmedepasseports.Mais ilpourrait leurarrivern’importequoi, surtoutseulssurlaroute.
Apparemment,j’aihéritédel’anxiétédemamère.—Encoredeuxans,etilsseronttoutaussiinquietsquetoi,ajoute-t-ilenmedéposantunbaisersur
leslèvres.—Jesupposequeoui,admets-jeenluisourianttandisqu’ilserelève.Mamèreselèverasansdoute
touteslesnuitsensedemandantsijen’aipasétédéchiquetéeparunlion.Gavinm’adresseunsourireencoin.Ilyasixmois,nousavonsdécidéquenousavionsvraimentenviededécouvrirl’Afriqueaprèsnos
deuxpremièresannéesdefac.Quandnousnoussommesrencontrés, ils’agissaitmoinsd’unprojetqued’unpointcommundécouvertaufild’uneconversation.Aujourd’hui,c’estdevenuunvéritableobjectif.Dumoinspourl’instant.Beaucoupdechosespeuventévoluerendeuxans.
Jereplielalettreetlaremetsdansl’enveloppedécolorée,quejeposesurmatabledechevet.Gavinmetendlamain.—Tuesprête?medemande-t-ilenm’aidantàmerelever.Jem’apprêteàquitter lapiècepourallerfêtersonanniversaireencompagniedenosamiset, juste
avantdesortirdanslecouloir,jejetteunderniercoupd’œilàl’enveloppeavantderefermerdoucementlaportederrièremoi.
JessicaAnnRedmerskiestnéeàLittleRocken1975.EllevitenArkansasavecsestroisenfants.Elleauneprédilectionpourtoutcequiincitelesgensàrepousserleurslimites,etassumeparfaitementlefaitd’êtreuneinconditionnelledelasérieTheWalkingDead.Lesaventuresd’AndrewetCamryn–Loindetout et Près de toi – ont d’abord été autopubliées sur Internet. Après avoir rencontré un succèsphénoménal,GrandCentralPublishingaacquislesdroitsdelasérie.Loindetouts’est imposéentêtedesmeilleuresventesduNewYorkTimes,duWallStreetJournaletdeUSAToday.
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