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J.A.Redmerski

PRÈSDETOITraduitdel’anglais(États-Unis)parBenjaminKuntzer

Milady

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Pourquiconquen’aencorejamaisconnudemomentdefaiblesse.Nevouslaissezpassubmerger,

ladouleurfinirapardisparaître.

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1

ANDREW

ILYAQUELQUESMOIS,QUAND J’ÉTAISALLONGÉDANSMONLITD’HÔPITAL, JEN’IMAGINAIS PASDUTOUTQUE jeseraisencoreenvieaujourd’hui,etencoremoinsque j’attendraisunbébéde l’angevaguementdémoniaque auquel je serais fiancé.Et pourtant, c’est le cas.Nousy sommes.Camryn etmoi, prêts àappréhender lemonde d’une façon nouvelle. Les événements ont pris une tournure inattendue, commec’estsouventlecas.Etsic’étaitàrefaire,niellenimoinevoudrionsquecelasepasseautrement.

J’adore ce fauteuil.C’était le préféré demonpère, et la seule pièce de sonhéritage à laquelle jetenaisvraiment.Biensûr,j’aiaussireçuungroschèquequinouspermettradevoirvenirpendantunbonmoment, sans oublier laChevelle,mais ce fauteuil compte tout autant àmes yeux.Camryn le déteste,mêmesiellenelereconnaîtrajamaisàhauteetintelligiblevoix,carilappartenaitàmonpère.Jenepeuxpasluienvouloir:ilestvieux,ilpue,etilyauntroudansl’assiseremontantauxannéesoùmonpaternelétaitungrosfumeur.Jemesuisengagéàfairevenirquelqu’unpourlenettoyer,etjetiendraiparole.Dèsqu’elleauradécidésiellepréfèrequ’onresteàGalvestonouqu’ons’installeenCarolineduNord.Lesdeuxmevont,maisquelquechosemeditqu’elleréservesadécisionàcausedemoi.

J’entendsl’eaudeladouches’éteindre,puis,quelquessecondesplustard,ungrosboumébranlerlacloison.Jemerelèved’unbond,sansmesoucierdelatélécommandequej’envoies’écrasersurlesol,etme précipite vers la salle de bains. L’angle de la table bassem’érafle douloureusement lemollet aupassage.

J’ouvrelaporteàlavolée.—Qu’est-cequis’estpassé?Camrynsecouelatêteetmesouritavantdesepencherpourramasserlesèche-cheveuxgisantàcôté

destoilettes.Jepousseunsoupirdesoulagement.—Tuesencoreplusflippéquemoi,segausse-t-elle.Elle m’observe me frotter la jambe avec vigueur. Elle repose le sèche-cheveux sur le comptoir,

s’approchedemoietm’embrasseàlacommissuredeslèvres.—Apparemment,cen’estpaspourmoiqu’ilfautlepluss’inquiéter.Jel’attrapeparlesépaulespourl’étreindre,puislaisseglissermapaumejusqu’àcaressersonventre

légèrement arrondi.Onvoit à peine qu’elle est enceinte.Àquatremois, jem’attendais aumoins à cequ’ellecouveunbébéhippo,maisjeneconnaisrienàcegenredetruc.

— Peut-être bien, réponds-je en tentant de dissimuler mon embarras. Je suis sûr que tu l’as fait

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exprès,justepourvoircombiendetempsj’allaismettreàarriver.Ellem’embrassedel’autrecôtédelabouche,puisrevientdroitaubut,introduisantlangoureusement

sa langue entre mes lèvres tout en serrant son corps nu et encore mouillé contre le mien. Je laisseéchapperungémissementdecontentementetl’étreinsdeplusbelle.

Jem’écartenéanmoinsavantdesuccomberàsonpiègegrossier.—Merde,fautvraimentquetuarrêtesdefaireça.—C’estcequetuveux?medemande-t-elleavecunsourirenarquois.Jepaniquecomplètementquandellefaitça.Unefois,aprèsuneconversationachevéeparcesourire,

nousn’avionspluseulemoindrerapportpendanttroisjours.Lestroispluslonguesjournéesdemavie.—Ehbien,non,réponds-jed’untonchargéd’angoisse.C’estpaslemoment.Nousavonsexactement

trenteminutespourarriverchezlemédecin.J’espéraissecrètementquesalibidonefaibliraitpaspendantsagrossesse.J’aientendud’horribles

histoires de femmes enceintes jamais rassasiées se transformant, dès qu’elles devenaient réellementgrosses,enharpiescracheusesdefeupourpeuqu’onlestouche.

Unedemi-heure.Merde.Jepourraislaprendrevitefaitsurlecomptoir…Camrynm’adresseunsouriretendreetrécupèred’uncoupsecsaservietteétenduesurlatringledu

rideaudedouchepourentreprendredesesécher.—Jeseraiprêtedansdixminutes,promet-elleenm’éconduisantdelamain.N’oubliepasd’arroser

Géorgie.Tuasretrouvétontéléphone?—Pasencore,admets-jeencommençantàsortir.Puisjem’immobiliseetajoute,avecunsouriresuggestif:—Euh,onpourrait…Ellemeclaquelaporteaunez.J’éclatederire.Je farfouille dans tout l’appartement, retournant les coussins et examinant les endroits les plus

incongrus en quête de mes clés, avant de les découvrir dissimulées sous une pile de courrierspublicitaires amoncelée sur le comptoir de la cuisine. J’hésite un instant avant de me saisir d’uneenveloppebienparticulière.Camrynrefusedemelaisserlajeter,carc’estsurcelle-ciqu’ellealumonadresse à l’opératrice des urgences le jour où j’ai fait une crise devant elle. J’imagine qu’elle al’impression que cemorceau de papier a contribué àme sauver la vie, alors que, en réalité, il lui auniquementserviàcomprendrequej’avaisunproblème.Monattaqueétaitsansgravité.J’enavaisdéjàeuplusieurs.Merde, j’enavaismêmeeuunedansnotrehôteldeLaNouvelle-Orléans,avantquenousdécidionsdepartagerunechambre.Inutiledepréciserque,quandj’aifiniparleluiavouerplustard,ellenel’apastrèsbienpris.

Elles’inquiètesansarrêtdevoirrevenirlatumeur.Jecroisqu’elles’ensoucieplusquemoi.Sielle revient, tantpis.Noussurmonteronscetteépreuveensemble.Désormais,noussurmonterons

toutensemble.—C’estl’heure,mabelle!l’appelé-jedepuislesalon.Elle sortde la chambrevêtued’un jeanetd’un tee-shirt plutôtmoulants.Etdes talonshauts.Sans

déconner.Destalons?—Lapauvre,tuvasluiécrabouillerlatêteavecunpantalonaussiserré.— Je ne vais rien lui écrabouiller du tout, que ce soit un garçon ou une fille, réplique-t-elle en

attrapantsonsac.Tuasbeauêtresûrdetoncoup,rienn’estencorecertain.Noussortonsmaindanslamain,etjepenseàenfoncerleboutonsurlapoignéeavantdeclaquerla

portederrièrenous.—Jesaisquec’estunefille,déclaré-jeavecassurance.

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—Tuveuxqu’onparie?m’interroge-t-elleavecunsourireencoin.L’air est encore assez doux pour unmois de novembre. Je lui ouvre la portière de la voiture, et

l’inviteàmonterenorientantmapaumeverslehaut.—Quelestl’enjeu?demandé-je.Tusaisquejesuistoujoursprêtàparier.Camrynseglissesursonsiège,etjefaisletourdelavoitureentrottinantavantdem’installeràmon

tour.Lespoignetsposéssurlevolant,j’attendspatiemmentqu’ellemeréponde.Ellesemordillelalèvreinférieure,letempsd’yréfléchir.Seslongscheveuxblondsluitombentsur

lesépaules,etsesyeuxbleusbrillentd’excitation.—Puisquetuessisûrdetoi,finit-ellepardéclarer,tun’asqu’àproposeruntruc,jetediraisijesuis

d’accord. (Elle affiche soudain unemine sévère et pointe surmoi un doigt accusateur.)Mais rien desexuel.Jecroisquetuasdéjààpeuprèsfaitletourdelaquestion.Trouvequelquechosede…

Ellesetortillelesmainsdevantelle.—Jenesaispas…d’oséoudesignificatif.Mmm.Jesèchecomplètement.J’introduislaclédansledémarreur,maishésiteuninstantavantdela

fairetourner.— Très bien, alors si c’est une fille, c’est moi qui choisis son prénom, suggéré-je, fier de ma

trouvaille.Sessourcilstressaillentlégèrement,etelleafficheunemouecontrariée.—Çanemeplaîtpastrop.C’estunedécisionqu’ondoitprendreàdeux,tunetrouvespas?—Biensûrquesi,maistunemefaispasconfiance?Ellehésiteuninstant.—Si…si,jetefaisconfiance,mais…—Maispaspourchoisirleprénomdenotreenfant.Jeluiadresseunemineoffusquée,pourlesimpleplaisirdelamettreenboîte.Gênée,ellen’oseplus

meregarderenface.—Alors?lapressé-je.Camryncroiselesbrasavantderépondre:—Etàquelprénomtupenses,aujuste?—Qu’est-cequitefaitcroirequej’enaidéjàun?JetournelacléetlemoteurdelaChevellesemetàvrombirdoucement.Elleinclinelatêtedecôté,souriantd’unairentendu.—Oh,arrêtetonchar!Siçan’étaitpaslecas,tuneseraispasaussisûrdusexeettuneferaispasde

paristupidejusteavantuneéchographie.Jemeretourne,hilare,etpasselamarchearrière.—Lily,admets-jeenl’observantducoindel’œiltoutenquittantmaplacedeparking.LilyMarybeth

Parrish.Unlégersourireluiéclairepeuàpeulevisage.—En fait, çame plaît bien, dit-elle, de plus en plus radieuse. Je dois avouer que j’étais un peu

inquiète.PourquoiLily?—Sansraisonparticulière.Jetrouveçajoli,c’esttout.Ellenesemblepasconvaincue.Ellemeconsidère,lesyeuxplissés.—C’estvrai!promets-jeenriantdoucement.Jen’aipasarrêtéderéfléchiràdesprénomsdepuis

quetumel’asannoncé.LevisagedeCamryns’illumine,etsi jen’étaispasunmec,unvrai, jemelaisseraisalleràrougir

commeunidiot.

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—Tuyréfléchisdepuislepremierjour?Elleparaîtagréablementsurprise.Tantpis,jem’empourpremalgrétout.—Ouais,avoué-jeduboutdeslèvres.Jen’aipasencoretrouvédebonprénomdegarçon,maisona

encoreplusieursmoispourypenser.Camrynm’observe,auxanges.J’ignorecequi luipassepar la têteàcet instantprécis,mais jeme

rendscomptequejerougisdeplusenplusàmesurequ’ellemescrute.—Quoi?finis-jepardemanderavantd’éclaterderire.Ellesepencheversmoietmetournedélicatementlementonavantdem’embrasser.—Jet’aimetellement,chuchote-t-elle.Jemetsunebonnesecondeàprendreconsciencequej’aidescrampesauxzygomatiquesàforcede

sourire.—Jet’aimeaussi.Maintenant,metstaceinture.Elle s’installe correctement et s’exécute. Sur la route, nous ne cessons l’un et l’autre de consulter

l’heuresurletableaudebord.Plusquehuitminutes.Cinq.Trois.Jecroisquenousnousfaisonslamêmeréflexionennousgarant:dansquelquessecondes,nousallonsrencontrernotrefilsounotrefillepourlatoutepremièrefois.Etdirequ’ilyaàpeinequelquesmois,jenepensaispasvivresilongtemps…

—Jen’enpeuxplusd’attendre,mechuchoteCamrynensepenchantversmoi.C’esttellementbizarre.D’êtreassisensalled’attente,entourédefemmesenceintes.Jen’osepasles

regarder.Certainesparaissent furieuses.Tous lesmagazinespourmecssemblentarborerencouvertureunephotod’hommeposantsurunbateau, lepoucedanslagueuled’unpoisson.Jefaisminedelireunarticle.

—Onestlàdepuisàpeinedixminutes,murmuré-jeenluicaressantlacuissed’ungesteréconfortant.—Jesais,maisjesuissinerveuse…Aumoment où je lui saisis lamain, une infirmière en rose émerge d’une porte latérale et appelle

Camryn.Nouslasuivonssanstarder.Jem’assiedscontrelemurtandisqueCamrynsedéshabilleetenfilel’unedecesblousesd’hôpital.

Je la taquine sur le fait qu’elle se retrouve ainsi cul nu, et elle fait mine de se vexer, mais sonrougissementlatrahit.Puiselles’installeàcôtédemoietnousattendons.Etattendonsencore.Uneautreinfirmièrefinitpararriver.Elleselavelesmainsaulavabo.

—Avez-vousbuassezd’eauavantvotrerendez-vous?demande-t-elleaprèsnousavoirsalués.—Oui,madame,répondCamryn.Jevoisbienqu’elleredoutequelebébéaillemaletquel’échographielerévèle.J’aiessayédelui

direquetoutallaitbiensepasser,maisellenecessedes’inquiéter.Ellem’adresseunregarddésespérédepuissonsiègeàl’autreboutdelapièce,maisjenepeuxrien

faired’autrequedemerapprocherpourlaréconforter.L’infirmièreluiposeunesériedequestionsavantd’enfilerunepairedegantsenlatex.Jecontribueauxréponsesaussisouventquepossible,carCamrynestdeplusenplustendueàchaquesecondequis’écouleetpeineàarticuler.Jeluiserrelamainensigned’encouragement.

Lorsque l’infirmière lui verse une giclée de ce liquide gluant sur le ventre, Camryn prend uneprofondeinspiration.

—Waouh, vous avez un sacré tatouage, commente l’infirmière. Ça n’a pas dû être une partie deplaisir,surtoutsurlescôtes.

—Non, c’est assez spécial, confirmeCamryn enme souriant. C’est unOrphée.Andrew a l’autremoitié.Eurydice.C’estunelonguehistoire.

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Jesoulèvefièrementmontee-shirtpourmontrermondessinàl’infirmière.—C’eststupéfiant!s’exclame-t-elleennousobservanttouràtour.Onnevoitpasçatouslesjours.Elle change alors de sujet en déplaçant sa sonde au-dessus de la tête du bébé, de son coude et

d’autresmembres.Plus l’infirmière sourit ennousexpliquantque« toutestparfait»,plus je sensqueCamryn sedétend.Ses traits sedécrispent et lebonheur et le soulagement se lisent sur sonvisage. Jesourisàmontour.

—Vousêtessûrequ’iln’yapaslieudes’inquiéter?demandemalgrétoutCamryn.Certaine?Elleacquiesceetm’adresseunrapidecoupd’œil.—Oui. Jusqu’ici, jen’ai rienvudeproblématique.Le fœtussedévelopperapidementeta toutce

qu’il faut là où il faut. Il bouge bien, et les battements de son cœur sont normaux.Vous pouvez vousdétendre.

Camrynlèvelatêteversmoi,etj’ail’impressionquenouspensonstouslesdeuxàlamêmechose.L’infirmièremeconfortedanscetteimpressionquandelledemande:—Jecroiscomprendrequevousêtescurieuxdeconnaîtrelesexe?Nousprenonsunesecondepournousinterrogerduregard.Elleesttellementbelle.Jen’arrivepasà

croirequenoussoyonsensemble.Qu’elleportemonbébé.—Jetienslepari,déclaresubitementCamryn,meprenantcomplètementaudépourvu.Ellesefendd’unlargesourireetmeserredoucementlamain;nousnoustournonsversl’infirmière.—Oui,répondCamryn.Sivouslesavez.L’infirmièreapprochesasondede lazoneconcernéeet sembles’adonneràuneultimevérification

avantdedonnersonverdict.—Ehbien,c’estencoreunpeutôt,mais…ilmesemblequec’estunefille,révèle-t-elleenfin.Dans

unevingtainedesemaines,lorsdevotreprochaineécho,jepourraivousl’annonceraveccertitude.

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2

CAMRYN

HONNÊTEMENT,JENECROISPASAVOIRDÉJÀVUANDREWSOURIRECOMMEÇA.PEUT-ÊTRELAFOISOÙJ’AIchantéavec luipour lapremièrefoisàLaNouvelle-Orléans,quandilavaitétési fierdemoi,mais jen’ensuismêmepassûre.Moncœurtambourinedansmacagethoraciquesouslecoupdel’émotion, laréactiond’Andrewmetouche.Jesaisàquelpointilvoulaitunepetitefille,etjejureraisqu’ilrassembletoutsoncouragepournepasfondreenlarmesdevantl’infirmière.Oudevantmoi,d’ailleurs.

Personnellement, je n’ai jamais eu de préférence entre un garçon et une fille. Comme toutes lesfemmesenceintes,j’espèrejustequelebébéestenbonnesanté.MêmeAndrewnefaitévidemmentpaspasserlesexeenpriorité.J’enaiconscience.

Ilsepenchepourm’embrasserdélicatementsurleslèvres;sesyeuxvertslumineuxtrahissentsajoie.—AlorsceseraLily,dis-je,enpleinaccord,avantdel’embrasserdenouveauenpassantlesdoigts

danssescheveuxchâtainsetcourts.—Trèsjoliprénom,estimal’infirmière.Maisessayeztoutdemêmed’entrouverunpourungarçon,

onnesaitjamais.Ellenettoiesasondeetnouslaisseunmomentpoursavourernotrejoie.Andrewluilancealors:—Ehbien,siàcestademonbébén’aencorerienquipuisseclairementsevoirentre les jambes,

c’estquec’estincontestablementunefille.Jeréprimeunéclatderireetlèvelesyeuxaucielenobservantl’infirmière.Leplusdrôleestqu’il

étaitsérieux.Ilinclinelatêtedecôtéenremarquantmonairamusé.Nouspassons le restede la journéeà fairedescourses.Ni luinimoin’avonspu résister. Jusqu’à

présent,nousavionsregardédenombreuxarticlessansachetergrand-chosecar,nesachantpass’ilfallaitopterpourduroseoudubleu,nousnevoulionspasnousretrouveravecunechambrebourréedejaune.Etmêmes’ilsepeutencorequecesoitungarçon,Andrewestplusconvaincuquejamaisqu’ils’agitd’unefille, je me prends donc au jeu et me mets à y croire également. Il me force malgré tout à resterraisonnable!

—Ilvautmieuxattendre,insiste-t-ilenmevoyantlouchersurunnouvelensemblepourfilleaurayondesnouveau-nés.Tusaisquemamèrecomptefêterdignementl’heureuxévénement,pasvrai?

—Oui,maisonpeutquandmêmeacheterquelquestrucsmaintenant.Jeglissedonccettetenuesimignonnedanslechariot.Andrewcontempletouràtourlecaddieetmonvisage,unemoueméditativeauxlèvres.

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—Jecroisqu’onadépassélestadedesquelquestrucs,mabelle.Ilaraison.J’enaidéjàpourprèsdequatre-vingt-dixdollarsdevêtements.Danslepiredescas,sion

découvreplustardquec’estungarçon,jepourraitoujoursleséchanger.Lajournéesedérouledanscemêmeespritjusqu’àcequenousnousarrêtionschezsamèrepourlui

apprendrelanouvelle.—Oh,c’estmerveilleux!s’exclame-t-elleenm’embrassant.J’étaissûrequeceseraitungarçon!JelaisseglissermesmainslelongdesbrasdeMarna,puism’installeàlatabledelacuisineavec

Andrewtandisqu’ellesedirigeverslefrigo.Elleensortunpichetdethéglacéetnousensertunverreàchacun.

—Lafêteauralieuenfévrier,annonce-t-elledepuisderrièrelecomptoir.J’aidéjàtoutorganisé.Tun’aurasplusqu’àvenir.

Elleaunsourirejusqu’auxoreillesquandellereposelepichet.—Merci,dis-je.Ellenousapportenosverrespuiss’assiedsurlachaiselibre.Mamaisonmemanquevraiment.Maisj’adoreaussicetendroit,etMarnaestcommeunedeuxième

maman. Je n’ai pas encore pume résoudre à avouer àAndrew combien l’absence demamère et deNataliemepèse;jen’aipasvraimentd’amieprocheàquimeconfier.Onabeauêtreamoureusedutypeleplusgénialdelaplanète–cequiestmoncas–,çanecompensepascomplètementl’absencedemesproches.J’airencontréunefilledemonâge,ici,unecertaineAlana,quihabiteàl’étagedudessusavecsonmari,maisjecrainsqu’onn’aitpastellementd’atomescrochus.Sijecommencedéjààmetrouverdes excuses pour ne pas l’accompagner quand elleme propose des sorties, ça ne collera sans doutejamaisentrenous.

Cependant,jecroisvraimentquecettetristessequejecache,cemaldupaysquejetaisettoutlerestesontdusàlagrossesse.J’aileshormonesenvrac.Jesupposeaussiquec’estplusoumoinsliéaustress.Unrienm’inquiète,désormais.Enfin,j’étaisdéjàangoisséeavantderencontrerAndrew,maisc’estmillefoispiredepuisquejesuisenceinte…Est-cequelebébévanaîtreenbonnesanté?Serai-jeunebonnemère?Ai-jefoutumavieen l’airen…Voilàque jerecommence.Putain.Jesuisvraimentunmonstre.Chaquefoisquecettepenséem’effleurel’esprit,jemesensatrocementcoupable.J’aimenotrebébé,etsic’étaitàrefaire,jerecommenceraissanshésiter,maisjenepeuxm’empêcherdemedemandersije…sinousn’avonspasdéconnéenfaisantunenfantsitôt.

Lavoixd’Andrewmetiresoudaindematorpeur.—Camryn?Çava?Jemecomposeunsourirecrédible.—Oui,toutvabien.J’étaisdanslalune.Tusais,jepréfèrelevioletaurose.—Tum’aslaisséchoisirleprénom,réplique-t-il,jetelaissechoisirlescouleursquetuveux.Ilrefermesousla tablesamainautourdelamienne.Lefaitdesavoirqu’ilprendtoutcelaàcœur

suffitàmeremettreenjoie.Marnaéloignesonverredeseslèvresetlereposedevantelle.—Oh?s’étonne-t-elle.Vousavezdéjàtrouvéleprénom?Andrewacquiesce.—LilyMarybeth.Marybeth est ledeuxièmeprénomdeCamryn,précise-t-il.C’est normalqu’elle

portelenomdesamère.Ilvientdemefairefondre.Jeneleméritepas.Marna,radieuse,mesourit.Ellen’apasétéépargnéeparlesémotionsfortes.Nonseulementsonfils

avaincu lamaladiealorsqu’ilétaità l’articlede lamort,maisvoilàqu’il s’apprêteà luidonnerune

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petite-fille.— C’est un très joli prénom, s’enthousiasme-t-elle. Je pensais qu’Aidan etMichelle seraient les

premiers,maislavieestpleinedesurprises.Saphrasesemblesous-entendrequelquechose.Andrews’enrendcompteluiaussi.—Est-cequ’ilyadel’eaudanslegaz,entreeux?s’enquiert-ilavantd’avalerunegorgéedethé.—Rienquedetrèsnormalchezlescouplesmariés,répond-elleévasivement.Ilyatoujoursdeshauts

etdesbas,etilssontencoupledepuislongtemps.—Combiendetemps?—Mariésdepuiscinqansseulement,mepréciseMarna.Maisilsdoiventêtreensembledepuisneuf

ans,maintenant.Ellehochelatêteenyréfléchissant,commepourconfirmersonintuitioninitiale.—Çadoitêtreàcaused’Aidan,estimeAndrew.Jen’aimeraispasêtremariéaveclui.Iléclatederire.—Ouais,çaseraitbizarre,admets-jeengrimaçant.—Entoutcas,Michellenepourrapasveniràlafêtequej’organiseentonhonneur.Elleaplusieurs

conférencesenfévrier,etçanecollepasavecsonemploidutemps,surtoutqu’ellehabiteloin.Maiselleenverrasansdoutelesplusbeauxcadeaux.

Ellem’adresseunsouriretendre.Jeluirendssonsourire,prendsunegorgéedethé.Monespritrecommencedéjààdivaguersansque

je puisse l’en empêcher. Je n’arrête pas de penser à son commentaire sur les mariages connaissantnécessairementdeshautsetdesbas.Etjemeremetsàangoisser.

—C’estle8décembre,tonanniversaire,pasvrai,Camryn?Jeclignedesyeuxpourreprendremesesprits.—Oh…oui.Vingtetuncetteannée.—Ah,çanousfaitdoncencoreunechoseàfêter.—Oh,non,nevousembêtezpas.Ellebalaiemonrefusd’ungestedelamain,etAndrewnousregardeavecunsourirebéat.Jecapitule,sachantqu’avecMarna,ilseraitvaindediscuter.Nousrentronscheznousenvironuneheureplustard.Lanuitestdéjàtombée.Lajournéem’aépuisée,

demêmequel’excitationdenotrepremièrerencontreavecLily.Lily.Jen’arrivepasàcroirequejevaisêtremaman.Jesourismalgrémoienentrantdanslesalon.Je

laissetombermonsacsurlatablebasseetm’affaleaumilieuducanapé,avantdemedébarrasserdemeschaussuresenbattantdespieds.Bientôt,Andrew,radieux,s’assiedàcôtédemoiavecunsourireentendu.

J’aipuduperMarna,maisj’auraisdûsavoirqu’Andrewmeperceraitàjour.

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3

ANDREW

JE PRENDS CAMRYN DANS MES BRAS ET L’INSTALLE EN AMAZONE SUR MES GENOUX. JE L’ENLACE ETENFOUISMONvisagedanslecreuxdesoncou.Jesaisquequelquechosel’attriste.Jelesens,maisunepartiedemoirechigneàluiposerlaquestion.

—Qu’est-cequ’ilya?demandé-jemalgrétout,enretenantmonsouffle.Ellepivotelatêtepourmeregarderdanslesyeux,etjeladécouvrerongéed’anxiété.—J’aiseulementpeur.—Peurdequoi?Ellemarqueunepause,observedistraitementlerestedelapièce,puisseperddanslacontemplation

d’unpointinvisiblejustedevantelle.—Detout,répond-elle.Jeluiprendslementonpourlaforceràmefaireface.—Tupeuxtoutmedire,Camryn.Tulesais,pasvrai?Sesprunellesbleuessetroublentdelarmesqu’ellenelaissepascouler.—Je…ehbien,jenevoudraispasquel’onfinissecomme…tusais,pleind’autrescouples.Oh,jecomprendsmieux.Jelafaispivoterparleshanches,desortequ’ellesoitvraimentfaceàmoi,

àcalifourchonsurmescuisses.—Regarde-moi,dis-jeenluiprenantlesmains.Onnevapasfinircommelesautrescouples.Tuveux

quejetedisepourquoi?Ellen’acquiescepas,maisc’estinutile.Jesaisqu’elleattendquejepoursuive.Unelarmeroulealors

desonœil,maisjelarattrapeavantquesacoursenes’achève.—Parcequenousensommestouslesdeuxconscients,expliqué-je.Parcequec’estledestinquinous

ajetésdanslesbrasl’undel’autre,danscecar,aufinfondduKansas.Etparcequel’onsaitl’uncommel’autrecequ’onattenddelavie.Onn’apasencoreclarifiétouslesdétails–etc’estinutile–,maisaumoinsonsaitdansquelledirectionaller.

Jem’interrompsuninstantavantd’ajouter:— On peut encore faire le tour du monde. Il va juste falloir décaler un peu notre départ. Et en

attendant,onvitnotreviecommeonl’entend.Onnes’infligepasuneroutineàlacon.Jeparviensàluiarracherunlégersourire.—Etcommentfait-onpouréviterça?medemande-t-elleencroisantlesbras,unemouesuffisantelui

déformantleslèvres.

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Voilàlacrâneuseespièglequejeconnaisetquej’aime.Jeluifrictionnevivementlescuissesavantderépliquer:—Si tuveux travailler, tupeux. Jeme fousque tu retournesdesburgersouque tu ramassesde la

merdedansunzoo,tupeuxfairecequiteplaît.Maisdèsquetuenasmarreouquetucommencesàavoirl’impressionqueçadevienttavie,donnetadémission.Etsitupréfèresattendresansrienfaire,çamevaaussi,jetel’aidéjàdit.Tusaisque,quoiqu’ilarrive,jem’occuperaidetoi.

J’anticipe sa réaction, et m’y prépare donc. Ça ne manque pas : Camryn montre les dents etm’enguirlande.

—Pasquestionquejeresteàmetournerlespoucespendantquetum’entretiens.Elleesttellementcanonquandellejouelesfemmeslibérées.Jelèvelesmainsensignedereddition.—D’accord,commetuveux.Cequ’ilfautquetucomprennes,c’estquejemefouscomplètementde

cequetufaisounefaispas,tantquecelaterendheureuse.—Et toi,Andrew ?Tu ne peux pasme dire de ne pasme soucier de la routine tandis que tu t’y

précipiteslatêtelapremièresousprétextequ’onaunenfantàcharge.Cen’estpasjuste.—C’estplusoumoinscequetuasditlepremiersoiroùj’aimismatêteentretescuisses.Tucrois

queçam’aposéunproblème,àl’époque?Ellerougit.Mêmeaprèstoutcetempsettoutcequenousavonsvécuensemble,j’arriveencoreàla

mettremalàl’aise.Jeprendssonvisageencoupeetl’embrasse.—Tantquejevousauraitoi,Lilyetmamusique,jeseraicomblé.Unenouvellelarmedévalelelongdesajouedélicate,maiscettefoisellesourit.—Tumelepromets?s’enquiert-elle.—Oui,jetelepromets,déclaré-jeavecfermeté.Jelaisses’écoulerunesecondeavantdeluisourire.—Jesuisdésolée,dit-elledansunsouffle,lamineabattue.Jenesaispascequiclochechezmoices

dernierstemps.Unjour,toutvabien,jesuistoutsourires,etlelendemain,subitement,jemesenstoutemoroseetdéprimée.

Jericanedoucement.—Ons’habitueàtout,mêmeauxsautesd’humeur.Elleouvrelabouche,offusquée,avantdesemettreàrireàsontour.—C’estunefaçondevoirleschoses.Elles’interromptsubitementavantdereprendre:—Tuasentendu?Elle plisse les yeux en tendant l’oreille vers la source du bruit. Je l’entends également,mais fais

commesiderienn’était.—Oh,génial!commenté-je.Nemedispasquelagrossesseprovoqueaussideshallucinations.Ellem’assèneunelégèreclaquesurlapoitrineavantdeselever.—Non,c’esttonportable,affirme-t-elleenfaisantletourducanapé.Jecroyaisquetun’avaisplus

debatterie?Non…J’avaisjustecoupélasonnerieavantdelecacherpourtelefairecroire.Disonsquejepensais

l’avoircoupée.—Jecroisquetuesassisdessus,déclare-t-elle.Je me mets debout à mon tour et fouille ostensiblement sous le coussin. Je finis par en extraire

l’appareil,dont l’écranaffiche leportraitdeNatalie.Techniquement, il s’agitplutôtde laphotod’une

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hyène,maisjetrouvaisqueçaluiressemblaitbien.Merde.Çaprometd’êtrebizarre.Camryntendlamainendécouvrantlenomdesonamie.—DepuisquandNataliet’appelledirectement?s’exclame-t-elleenm’arrachantmontéléphone.Ouais,vraimentbizarre,carellenesemblepasjalouse:elleaungrandsourireauxlèvres!Jemegrattenerveusementl’arrièreducrâne,évitantdecroisersonregard,puisessaiepromptement

derécupérermonportable.—Alorslà,turêves!s’esclaffe-t-elleens’éloignantducanapé.—Allez,rends-moimontéléphone…Ellemel’agitesouslenezavantquej’enjambeledossierpourm’élanceràsapoursuite.Ellebranditsamainvidedansmadirection.—Attention!Jesuisenceinte,tupourraismefairemal!Elleglousse.Voilàqu’elleabatsonatout«petitechosefragile».Quellepeste!Elle fait glisser sondoigt sur labarrede réponse et porte l’écouteur à sonoreille, sans cesserde

sourire.Jecapitule.Jesuisnulàcegenredejeu.—Ehbien,salutNatalie,ditCamrynsansmequitterdesesyeuxtaquins.Alorscommeça, tuvois

monmecendouce?Elle secoue la tête en entendant la réponse inaudibledeNatalie.Elle saitmanifestement cequi se

trame,ous’endoutefortement,carellesaitquejenelatromperaijamais,surtoutpasavecsameilleureamie.Celle-ciestcertesjolie,maisellesecomportecommeunestardetélé-réalité.

Camrynmetletéléphonesurhaut-parleur.—Videzvotresac,touslesdeux,ordonne-t-elle.—Hum,euh…,bredouilleNataliedesoncôté.—Pourlapremièrefoisdesavie,Natalien’arienàraconter,semoqueCamryn.J’ensuissurlecul.Ellesetournealorsversmoi.—PardonAndrew!s’exclameNatalie.—Pastafaute,réponds-je.J’aioubliédel’éteindre.Camrynseracleimpatiemmentlagorge.—C’étaitcenséêtreunesurprise,avoué-jeenfronçantlessourcils.—Ouais!Jetejurequ’ilnemesautepas!JegrimaceoutrageusementaucommentairedeNatalie,etCamrynfaitdesonmieuxpourréprimerson

éclatderire.Cependant,ellenemanquejamaisuneoccasiondetorturerceuxqu’elleaime,mêmesiellelefaitsansmalveillance.

—Jenetecroispas,Nat,affirme-t-elleleplussérieusementdumonde.—Hein?Nataliesemblecomplètementabasourdie.—Çaduredepuiscombiendetemps?insisteCamryn.Elleestvraimentbonnecomédienne.Ellevaposerl’appareilsurlatablebasseetcroiselesbras.—Cam…JetejuredevantDieuquecen’estpascequetucrois.Oh,bonsang,jamaisdelaviejene

teferaisuntrucpareil.Enfin,ouais,Andrewestvraimentbeaumec,jel’admets,etjeluisauteraisdessusaussivolontiersquesurJosephMorgansivousn’étiezpasensemble,mais…

—J’aipigé,Nat.Parbonheur,Camrynl’ainterrompueavantquesonamieneseperdeendigressions.—Vraiment?demandeprudemmentNatalie.

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Ellenesaitplustropsurquelpieddanser,cequinem’étonneguère.Camryn récupère le téléphone et me le colle sous le nez en articulant silencieusement le mot

«sérieux?».Jesupposequ’ellefaitallusionàlahyène.Jehausselesépaules.—Alors,qu’est-cequisepassevraiment?reprend-elle.—Camryn,réponds-je,jesaisquetuaslemaldupays.Çafaitunmomentquejem’endoute,doncil

y a une quinzaine de jours, j’ai récupéré en douce le numéro de Natalie sur ton téléphone et je l’aiappelée.

Elleplisselesyeux.Jelaforceàs’asseoirsurlecanapéavecmoi.—Ouais,ilm’aappeléepourmeparlerdevotrerendez-vouschezl’échographiste,ensedisantque

jevoudraispeut-être…Savoixdéraille;elleneveutpasêtrecellequirévèlelepotauxroses.—Jemesuisditqu’ellevoudraitpeut-être t’organiserune fêtepourcélébrer l’heureuxévénement

quand nous saurions si c’est une fille ou un garçon. J’ai d’abord essayé d’appeler tamère,mais elledevaitêtreencoreàCozumel.

Camrynacquiesce.—Ouais,c’étaitsansdoutelecas.—Maiselleestàfonddedans,maintenant,préciseNatd’unevoixstridente.Elleetmoi,onétaiten

train de tout organiser en secret. Je n’en pouvais plus d’attendre que ton sex-toyme dise si c’est ungarçonouunefille,alorsjeluiaitéléphoné,etmaintenantj’airuinélasurprise!

—Non,non,Nat,tun’asriengâchédutout,affirmeCamrynpenchéetoutprèsdutéléphoneavantdesevautrerdanslecanapé.Enfait,c’estmêmemieuxquejelesache,carjesuisdéjàtoutexcitéeàl’idéederevenirbientôtenCarolineduNord.

—Ehbien,tun’auraspasàattendrelongtemps,interviens-je.Onpartvendrediaprès-midi.Camrynouvregrandlesyeuxetsonsourires’élargit.Je crois que c’était tout ce dont elle avait besoin. En deux secondes chrono, la petite fille

complètementdépriméeestdevenueunejeunefemmerayonnantdebonheur.J’adorelavoirdanscetétat.J’auraisdûleluiavouerplustôt.

—Maisquatremois,c’estencoreunpeutôtpourfêterça,non?s’étonneCamryn.Çanemedérangepas,hein,mais…

—Peut-êtrebien,répliqueNatalie,maisons’enfout:turentresàlamaison!—Ouais,dis-je,ons’estditqu’onpourraitfaired’unepierredeuxcoups.—Ehbien,jesuisravie.Merciàtouslesdeux!s’exclame-t-elle,radieuse.—Bon,etalors…,reprendNatalie.C’estungarsouunefille?Camrynfaitdurerlesuspensequelquessecondesdeplus,prenantplaisiràtorturerNatalie,puiselle

annonce:—Unefille!Natalieglapitsifortquejenepeuxréprimerunmouvementderecul.—J’enétaissûre!hurle-t-elle.Entempsnormal,j’auraisjugéprudentdeleslaisserentrefillesetd’allermepréparerunsandwich,

prendreunedoucheouautrechose,maisjesaisquejenepeuxpasm’éclipsercettefois.J’étaispartieprenantedu«grandcomplot»,jesupposedoncquejemedoisd’attendrelafindelaconversation.

—Jesuistellementcontente,Cam.Vraiment,tun’aspasidée.—Enfait,euh…si,elleenaunepetiteidée,corrigé-je.Camrynmedécocheunregardmenaçant.

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—Merci,Nat.Moiaussi,jesuiscontente.Etonadéjàchoisileprénom.Enfin,techniquement,c’estplutôtAndrewquiachoisi.

—Quoi?s’offusqueNatalied’untonpince-sans-rire.Tuveuxdirequ’ill’a…trouvétoutseul?Elleprononcecesderniersmotscommes’ils’agissaitd’unemaladieterrible.Maisputain,c’estquoicettemaniequ’ontlesfemmesdepenserquelesmecssontnulspourchoisir

desprénoms?—LilyMarybethParrish,annoncefièrementCamryn.Jesuistellementsoulagédesavoirquemacopineaimeceprénomautantquemoi,etqu’ellenefait

pasjustesemblantpournepasmefairedepeine.—Ohpunaise,lepire,c’estquej’aimebien.Andrew,tuasbongoût!Jen’avaiscertainementpasbesoindel’approbationdeNatalie,maisçanem’empêchepasdesourire

commeungaminàl’idéequemêmeelleletrouvebien.

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4

CAMRYN

LA JOURNÉE D’HIER A ÉTÉ ÉPUISANTE. AGRÉABLEMENT ÉPUISANTE. LES BONNES NOUVELLES SE SONTaccumulées, je ne suis pas encore remise de toutes ces émotions.Notre soirée à venir dans notre barpréférédeHoustonn’enseraqueplusexcitante.

Andrewetmoiavonscommencéàjouericietlàilyaunpeuplusd’unmois,etj’adoreça.Avantdelerencontrer,jen’avaisjamaisimaginémeproduireunjourdansuncoindepub.Ninullepartailleurs.Çanem’avait jamaiseffleuré l’esprit.Néanmoins, j’yaiprisgoûtàLaNouvelle-Orléans,etcelam’aouvertd’incroyablesperspectivesparlasuite.Biensûr,unegrandepartiedemonbonheurvenaitalorsdufait de partager ces moments avec Andrew, ce qui est encore vrai aujourd’hui. Je doute que jecontinueraiss’ilnem’accompagnaitpas.

Cen’estpaslefaitdejouerenpublicquimeplaîttant,maisplutôtdelefaireaveclui.Jediscuteunmomentavecmamèredemonprochainséjour,etellesembleaussiimpatientequemoi.

RogeretellesesontmariésauMexique!Çam’alégèrementfaittiquerdenepasavoirétéinvitée,maisplusj’ypensemoinscelamedérange.Ilsontsimplementfaitpreuvedespontanéité.Ilsontécoutéleurscœursetfoncé.DepuisquejesuisavecAndrew,j’aiapprisqu’êtrespontanéeetsavoirparfoissortirdumoule sontdeuxchoses très importantes.Après tout, nousne serionspas ensemble tous lesdeux si jen’avaispasdécidédepartirsuruncoupdetête.

Concernant notre propre mariage, nous n’avons pour l’instant pas arrêté de date. Nous en avonsdiscutéunsoiret sommes tombésd’accordpour le fairedèsquecelanousparaîtraitopportun.Pasdejourprécis.Pasdepréparatifs.Pasderobeà5000dollarsquejeneremettraisplusjamais.Pasdefleursàassocieràladécoration.Pasdegarçonsnidedemoisellesd’honneur.Touscestrucsnousstressentrienqued’ypenser.

Nousnousmarieronsquandnousseronsprêtsàfranchirlepas,etnoussavonstousdeuxquel’attenten’a rien àvoir avecunequelconque incertitude.Nous levoulons l’un comme l’autre, çane fait aucundoute.

J’entendslesclésd’Andrewtournerdanslaserrure,etjelerejoinsauniveaudelaported’entrée.Jeluisautedanslesbras,enroulemesjambesautourdesatailleetl’embrasseàpleinebouche.Ilclaquelaported’uncoupdepiedetm’étreintàsontoursansdescellernoslèvres.

—Quemevautcethonneur?medemande-t-ilquandnousnousécartonspourreprendrenotresouffle.—Jesuissurexcitée.Sesfossettessecreusent.

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Commejerefusedelelâcher,ilmeporteàtraverslesalonetjusquedanslacuisine.—J’auraisdûteramenercheztoiplustôt,déclare-t-ilenm’asseyantsurlecomptoir.Ilseplanteentremesjambesetposesesclésàcôtédemoi.—Nevapasculpabiliser,luidis-jeenluiplantantunnouveaubaisersurleslèvres.Jesuissûreque

leTexasmemanquerasijerestetroplongtempsenCarolineduNord.Ilsourit,sansparaîtreconvaincu.—Cen’estpasurgent,maisjetiensàcequecesoit toiquidécidesoùnousallonsvivre.Etjene

veuxpasquetuchoisissesleTexaspourmefaireplaisir.J’adoremamère,maisjen’auraipasautantlemaldupaysquetoi.

—Qu’est-cequitefaitpenserça?—J’aivécutoutseulpendantuncertaintemps,merappelle-t-il.Toi,tunel’avaisjamaisfaitavantde

quitterRaleigh.Ilsourit,prendunpeudereculetajoute:—Enplus, tuesbourréed’hormonesetcomplètementdingue,alors j’aiplutôt intérêtàmeplierà

toutestesexigencessansdiscuter.Jeluibalanceuncoupdepied,manquantvolontairementmacible.Ilsepencheversmoi,soulèvelebasdemontee-shirtetapposeseslèvreschaudessurmonventre.—EtBillyFrank?m’enquiers-jetandisqu’ilseredresse.Situleplantesunefoisencore,ilrisque

denejamaisteréembaucher.Andrewéclatederireetcontournelebarpouraccéderauxplacards.Jepivotesurlecomptoirpour

continueràluifaireface,laissantmesjambespendremollementdel’autrecôté.—Jebossepourluiparintermittencedepuismesseizeans,dit-ilensortantuneboîtedecéréales.On

formecommeunefamille,cen’estpasn’importequel jobdemécano.J’aibesoinde luiplusqu’iln’abesoindemoi.

—Pourquoitucontinues?m’étonné-je.—Deplongersousuncapot?J’acquiesce.Ilversedulaitsursonboldecéréales,puisremetlabouteilleauréfrigérateur.—J’aimebienbossersurlesbagnoles,m’explique-t-ilenenfournantuneénormecuillerée.C’estplus

unhobbyqu’autrechose,poursuit-il labouchepleine.Etpuis, çapermetdemettredubeurredans lesépinards.

Jemesensunpeumesquinedenepastravailler.Ilsaitàquoijepense,commetoujours.Ilavalesabouchéeetbranditsacuillerversmoi.

—Nefaispasça.Jel’observeaveccuriosité,faisantminedenepascomprendreàquoiilfaitréférence.Ilprendplacesurletabouretàcôtédemoi,reposantlespiedssurlabarreprévueàceteffet.—Tuasconsciencequetutravailles,pasvrai?medemande-t-ilenm’étudiantducoindel’œil.La

semainedernière,ons’estfaitquatrecentsdollarsrienqu’enjouantauLevy’s.Quatrecentsenunesoirée,c’estpasdégueu.

—Jesais,admets-je.C’estjustequejeneprendspasçapourunboulot.Ilritdoucementensecouantlatête.—Tuneprendspasçapourunboulotparcequetuadoresça.Etparcequetunepointespas.Ilaraison,jetiensnéanmoinsàallerauboutdemaréflexion.—Sionétaitsansarrêtsurlaroute,sionn’avaitpasdeloyer,defacturesetdebébéenvue,çane

seraitpaspareil.(Jeprendsuneprofondeinspirationavantdecracherlemorceau.)Moiaussijevoudrais

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trouveruntravailquimedétende.Commetoiaveclegarage.Ilacquiesce.—Génial…Ilengloutitunenouvellecuillerée,puisreposenonchalammentlesbrasdepartetd’autredesonbol.—Etqu’est-cequetuaimeraisfaire?Lemot-clédelaphraseest«aimerais».J’yréfléchisquelquessecondes,pinçantleslèvresdansmonintenseconcentration.—Ehbien, j’aimebienfaire leménage, jepourrais trouveruntafdansunhôtel,suggéré-je.Ouau

Starbucks,untrucdanslegenre.Ilsecouelatête.—Jedoutequeçateplaise,réplique-t-il.Mamèrefaisaitdesménagesavantquemonpèremontesa

boîte.Tun’aspasidéedecequelesgenslaissenttraînerderrièreeux.Jefaislagrimace.—Bon, je vais trouver autre chose.Dès qu’on arrivera àRaleigh, je commencerai à chercher du

travail.Lacuillerd’Andrews’immobilisejusteau-dessusdesonbol.—Donctuveuxqu’ons’installelà-bas?

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5

ANDREW

JEN’AVAISPASL’INTENTIONDELATÉTANISERDELASORTE. J’ÉCARTEMONBOLETLA FAISGLISSERVERSMOISURlecomptoir.Jeposelesbrassursescuissesnuesetl’observeavecleplussincèredessourires.

—Çamevatrèsbien,mabelle.—Tuenessûr?Jemepenchepourl’embrassersurlajambegauche,puissurladroite.—Oui.Certain.Oniraàlafêteceweek-end,etànotreretouronprépareranoscartons.Elleprendmesmainsentrelessiennes.—Maisaprèsnotredéménagement,ilfaudrarevenirpourfévrieretlafêtequetamamanorganise.Jesourisjusqu’auxoreilles.—Trèsbonplan,répliqué-je,paslemoinsdumondesurprisqu’elleprenneégalementencompteles

sentimentsdemamère.Bon,c’estréglé.Prochaineétape:Raleigh.Aumoinsjusqu’àcequ’ons’enlasse.Camryn,plusheureuse encoreque lorsqu’elle est venuem’accueillir à laporte,mepasse lesbras

autourducou.Jememetsdeboutetlasoulève,lesmainsglisséessoussonjolipetitcul.—Pardonpourlescéréales,dit-elle.—Hein?Ellebaisselesyeux,légèrementembarrassée.—Jetepariequequandtut’imaginaismarié,tutedisaisquetafemmeteprépareraitdebonspetits

platsàfairesetrémousserd’envielesplusgrandscuistots.J’éclatederire.—Non,jen’aijamaisriensupposédepareil,affirmé-jeàquelquescentimètresdesonvisage.Quant

àfairesetrémousserd’envie,crois-moi,tusaist’yprendre.Elleresserresescuissesautourdematailleetrougit.Jel’embrassesurlenezavantdeplongermon

regarddanssesmagnifiquesyeuxbleus.Jefermelespaupièresetsenssadoucehaleinementholéeflotterautourdemoi.Salanguevientdélicatementtitillermalèvreinférieure,m’implorantd’ouvrirlabouchepourl’accueillir.Je luicèdedeboncœur,et l’embrassevoracementenlaserrantdansmesbras.Je latransporte jusqu’à notre chambre dans cette position et profite d’elle pendant toute l’heure qu’il nousresteavantdeprendrelaroutepourHouston.

NousarrivonsenCarolineduNordversmidilevendredi,etjevoisdéjàlesyeuxdeCamrynpétiller

d’impatience. Ce n’est que la deuxième fois qu’elle revient ici en quatremois. Nous récupérons nos

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bagagesetallonsretrouverNatalieetBlake,quinousattendentausoleilpournousramener.Et,commelors de notre première rencontre, j’appréhende deme retrouver face à face avec la hyène qui sert demeilleureamieàmafiancée.

—Cam,tum’astellementmanqué!luilanceNatalieenl’embrassant.Blake se dresse de toute sa hauteur derrière Natalie, les mains profondément enfouies dans ses

poches,lesépaulesvoûtées,unsourireniaisplaquésursonvisagehâlé.Jevoistoutdesuitelequeldesdeuxporte la culotte. Il doitvraiment êtredumauvais côtédu fouet. Je réprimeun fou rire. Il devraits’affirmerunpeuplus.Putain,jenepeuxriendire…

—Andrew!Natalies’intéressealorsàmoncas,etjebrandismentalementmonbouclieranti-barjots,contraintde

répondreàsonétreinte.Pourêtrehonnête, jen’aimepastropNatalie.Jeneladétestepas,maisdisonsquejeneluiaurais

sansdoutejamaisadressélaparolesiellen’avaitpasétésiprochedeCamryn.Etlesortqu’elleluiaréservéetquil’apousséeàgrimperdanscecarmelaisseungoûtamer.Jesuispourlepardon,maislesimplefaitqu’elleaitpuluiinfligeruntrucpareilm’inciteàrestersurmesgardes.J’aidûprendresurmoipourluitéléphonerilyadeuxsemainesetluiparlerdel’échographieettoutça.MaisçaafaitplaisiràCamryn,c’esttoutcequicompte.

—Contentedeterevoir,Blake,déclareCamrynenleprenantdanssesbras.Je sais tout de lui, et je n’oublie pas qu’il louchait surCamryn avant de se rabattre plus tard sur

Natalie.Malgréça,j’aiplutôtunebonneopiniondelui.Nousnousserronslamain.—Ohputain,fais-moivoir!s’exclameNatalieensoulevantlehautdeCamryn.Avecmilleprécautions,elleplacelesdeuxmainssursonventreetlacontempleensouriant.Unléger

glapissementnaîtdanssagorge,etjemedemandecommentlecorpshumainpeutproduiredessonsaussiétranges.

—JepourraisêtreTataNatalie,oumarraineNatalie!Euh…Commentdire?Jecroisbienquenon.Camrynacquiescerapidementtandisquejem’efforcedenelaisserfiltreraucuneondenégative.Jene

voudraispasfoutreenl’airsonretourauxsourcesenluifaisantcomprendrequejenetolèrelaprésencedesameilleureamiequeparégardpourelle.

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CAMRYN

CarolineduNord

LA FÊTE QUEMAMÈRE ETNATALIE ONT ORGANISÉE ÉTAIT VRAIMENT GÉNIALE. J’AI EU DES TONNES DEcadeaux:unlitpourbébéflambantneuf,untrotteur,unebalancelle,unechaisehaute,deuxbaignoires–uneroseetunebleue,justeaucasoù–,environneufcentquatre-vingt-quatrecouches–entoutcasunemontagnedecouches–,d’innombrablesbouteillesdeshampooingetde talc,ainsiquede lapommadeanti-érythèmefessier,cequiétaitplutôtflippant,et…j’enoublieuncertainnombre,ycomprisquelques-unsdontj’ignoreencorel’utilité.

Après être restée si longtemps au centre de l’attention, je commence à me sentir légèrementoppressée;j’aimeraisquetoutcelasetermine,pourquejepuissem’immergerunlongmomentdansunbainbienchaud.

Deux autres heures s’écoulent, et tout le monde est parti en dehors de Natalie, qui me retrouveplongéedanslamoussejusqu’auxoreilles.

—Cam?m’appelle-t-elledepuislaportedelasalledebains.Ellefrappedoucementàplusieursreprises.—Entre,réponds-je.Ellepousselaporteetjetteuncoupd’œilàl’intérieur.Cen’estpascommesiellenem’avaitjamais

vueàpoil.Elles’assiedsurlecouvercledestoilettes.—Bon,c’estofficiel,déclare-t-elleavecunsourirejusqu’auxoreilles,lagrossessefaitgonflerles

seins.Commetoujours,elleexagère.Jesorslamaindel’eauetluiprojettequelquesgouttesàlafigure.—Tutesensbien?demande-t-elleenrecouvrantsonsérieux.Tusemblesépuisée.—Jesuisenceinte,déclaré-jeplatement.—C’estvrai,maisCam,tuasunesalegueule.—Merci.J’ajustelabarrettequiévitedemetremperlescheveuxetreposelebraslelongdelabaignoire.—Bahquoi, tun’espascenséeêtre resplendissante? Ilparaîtque toutes les femmesenceintes le

sont.

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Jehausselesépaulesetsecouelatête.Unedouleursourdem’élancelebasdudos,puisdisparaîtaussivitequ’elleestvenue.Jegrimaceen

changeantdeposition.—Tuessûrequeçava?Ellesembleplusinquiètequenécessaire.—J’aitoujoursuntrucquimetiraille.Riend’inquiétant.Lepireresteencoreàvenir.Auniveaudes

tiraillements,jeveuxdire.J’ignorecequim’apousséeà formuler cettedernièreprécision ; sansdoute ai-jevoulum’assurer

qu’ellen’interprètepastoutdetravers.—Toujourspasdenauséesmatinales?J’opteraislargementpourunpetitmaldedoscomparéaufait

devomirtripesetboyauxtouslesmatins.—Non,réponds-je.Maisnevapasmeporterlapoisse,Nat.Jedoisbienreconnaîtreque,sij’avaislechoix,j’opteraismoiaussipourladouleurplutôtquepour

lesvomissements.Etjusqu’àprésent,jesuisservie.J’imaginequejefaispartiedeschanceusesquin’ontquasimentpasdenausées.Nid’enviesbizarres,d’ailleurs.J’endéduisque,soitjesuisanormale,soitceshistoiresdecornichonsetdecrèmesglacéessontunramassisdeconneries.

Je sorsde labaignoire etm’envelopped’une serviettedebainavantd’embrasserNataliepour luidireaurevoir.

Puis je vais m’allonger sur mon lit, me rappelant combien il est confortable. Pour autant, cettechambrenememanquepastellement,etjen’aipasl’impressionderegrettermonanciennevie.Non.J’aitoujoursenviedefuircette«anciennevie»,c’estd’ailleurslaprincipaleraisonpourlaquellej’aieutantdemalàdéterminersijevoulaisounonrevenirvivredanslecoin.MamèreetNataliem’ontmanqué,etjedoisbienreconnaîtrequelaCarolineduNordaussi.Maispasdanslesensoùilmetardederevenirm’échouericipourfairelesmêmeschosesqu’avant.Jen’aipasabandonnécemodedeviesansraison,etjenesuispasprêteàyretournertêtebaissée.

Au lieudesortiravecNatalieetBlakeplus tarddans lasoirée, jedécidede resterà lamaisonetd’allermecouchertôt.Jesuislittéralementépuisée,commesimoncorpsconsommaitplusd’énergiequ’àl’habitude;etpuismadouleurauxreinsn’apasnonpluscomplètementdisparu.Voilàplusieursheuresqu’elledevientlancinante.

Andrewvientmerejoindreaulitets’allongesurlecôté,latêteappuyéesursonpoing.—J’ai l’impressionde fairequelquechosedemal, enme retrouvant avec toidans ta chambrede

petitefille.Ilestrayonnant.Jemefendsd’unlégersourireetm’enfonceplusprofondémentsouslacouette.Ilfaitpeut-êtreunpeu

fraisdans lachambre,pourtant jemeursdefroid.J’enroule lesdoigtsautourdu tissuduveteuxpour leplaquersousmonmenton.

—Simonpèreétaitlà,répliqué-jeenricanant,tudormiraisdanslachambredeCole.Il se rapproche de moi et me passe un bras autour de la taille. J’ai d’abord l’impression qu’il

s’apprêteàtireravantagedufaitquenousnousretrouvonsenfinseuls,maissestraitssedurcissentetsamainremontejusqu’àmescheveux.

—Tusais,tucommencesàm’inquiéter,dit-il.Tutecomportesbizarrementdepuisqu’onestrentrésavecBlake.Qu’est-cequisepasse?

Jemerapprochedeluietréponds:—Nataliem’aditlamêmechose.Jetejure…Jelecontemplefixement.

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—Oh,elles’enestrenducompteaussi?J’acquiesce.—J’aijusteunpeumalaudos,etjesuisglobalementmalfichue,maisvousnemanquezjamaisune

occasiondemerappelerquejesuisenceinte.Ilmesouritàpeine.—Tudevraispeut-êtreallervoirlemédecinpourt’assurerquetoutvabien?Jesecouedoucementlatête.—Jenevaispascommenceràpsychoteretàmepointeràl’hôpitalpourunouioupourunnon.Ona

vul’échographistelasemainedernière.Toutvabien.Ellel’aditelle-même.Jemepencheverslui,l’embrassedélicatementsurleslèvresetmeforceàsouriredavantagepourle

rasséréner.Il sourit à son tour et soulève légèrement la couette afin de pouvoir se blottir contremoi. Jeme

retournepourmepositionnerdosàlui,etsoncorpsépouselaformedumien.Ilesttellementbrûlantquejepourraismefondrecontre lui ; jemesenssur lepointdem’endormirprofondément.Sonsoufflemecaresselecou,puisilydéposedepetitsbaisers.Jefermelesyeuxetprofitedesaprésence,desonodeurnaturellequimefaittoujoursvibrer,delafermetédesesbrasetdesesjambes,delachaleurémanantdesapeau.Jenesuismêmepascertainedepouvoirm’endormirsansluiunjour.

—Si ça empire,memurmure-t-il, tu as intérêt àm’en parler. Je ne voudrais pas non plus que tut’obstinesàn’allervoirpersonnetoutensachantqu’ilpourraityavoirquelquechosedebizarre.

Jemetourneverslui,vaguementamusée.—Oh,tuveuxparlerdecesgensquirefusentdevoirlemédecinpendanthuitmois,convaincusque

leurtumeuraucerveauestinopérable?Ilpousseunsoupir.J’avaisespérélefairerire,maisiln’amanifestementpastrouvéçadrôle.Ilm’étreintdoucement.—Promets-moisimplementqu’encasdenouvelledouleuroudesymptômesuspect,tum’enparleras

etqu’oniraensembleàl’hôpital.Jecapitule,nonpaspourclorelaconversation,maisparcequ’ilaraison.Jen’aiencorejamaisété

enceinte,jenesaisdoncpasdifférenciercequiestnormaldecequinel’estpas.

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7

CAMRYN

NOUS SOMMES DIMANCHE APRÈS-MIDI, ET JE PENSE QUE TOUT CE DONT J’AVAIS BESOIN HIER ÉTAIT UNEBONNE nuit de sommeil. Ça va un peumieux aujourd’hui, et je n’ai plusmal au dos. Jem’habille etentreprendsderassemblermesaffairespourqu’Andrewetmoipuissionsrepartirlesoirsansencombre.Mais avant de reprendre l’avion, j’ai toute une journée entre filles à passer avecNatalie, et j’ai bienl’intentiond’enprofiter.

—TuessûrqueçanetedérangepasderesteravecBlake?demandé-jeàAndrewtandisqu’ilenfilesamarinière.

Ilvaserecoifferdevantlemiroir,si tantestqu’onpuisselefaireensepassantlesdoigtsdanslescheveux.Ils’esttoujoursunpeufichudesacoiffure,tantqu’ellenepartpasdanstouslessens.

Ilpivoteversmoi.—Çameva. Ilest sympa.Onvaallerà la salledebillardse fairequelquesparties,dit-il enme

prenantparlataille.Net’enfaispaspourmoi.Amuse-toibienavecNatalie.Jeparsd’unrireléger.—Tusais,elletetueraitsielledécouvraitlaphotoquilareprésentesurtontéléphone.Sonsourires’accentue.Ilm’attrapeparlesépaulesetsecouelatêtedefaçonthéâtrale.—Tuestrèscourageuse,CamrynBennett.Jemourraisécraséparlapersonnalitédecettefillesije

devaispasserplusd’uneheuredansunepièceavecelle.Saufsijemecrèved’abordlestympansavecuncrayon.

Jeréprimeunéclatderireetlerepoussesansménagement.—Tuestropméchant!—Ehbien,oui,jel’avoue.Ilsepencheversmoietmeplanteunbaisersurlefront.Jerenchérisenl’attrapantparlecolpour

plaquersabouchecontrelamienne.—Pourinfo,iln’estpastroptardpouruncouprapide.Ilscrutemonvisageetmeslèvres,puism’embrassedeplusbelle,memordillantlalèvreinférieure.—Biensûrquesi,entends-jedireNataliedepuisl’embrasuredemaporte.Nousinterromponsnotrebaiseretnousretournonsenmêmetempspourladécouvrirlesbrascroisés

avecunsouriredetravers.Seslongscheveuxbrunsluitombentsurlesépaules.Jemedemandecequ’elleasurprisdenotreconversation.

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Andrew lève discrètement les yeux au ciel à son intrusion.Le pauvre.Ce qu’il ne ferait pas pourmoi…

Natalie entre dans la chambre d’un pas nonchalant et se laisse tomber sur le bout du lit. Elle n’amanifestementrienentendudecompromettant,sansquoielleseseraitdéjàfendued’uneremarquebiensentie.Elleclaquesubitementdesmainsetlance:

—Allez,enroute!Onadesmanucures,despédicures,etpleind’autrescuresquinousattendent.Envoyantl’aird’Andrew,jedevinequ’ilsemordlesjouespournepassortirunerepartiecinglante.

Jeluilanceunregardd’avertissement,etilsecontentedesourireenpinçantleslèvres.—Tutesensmieux,aujourd’hui?s’enquiertNatalie.J’enfilemesRocketDog–«leschaussureslespluslaidesquej’aiejamaisvues»,selonAndrew–et

entreprendsdemebrosserlescheveux.—Ouais,beaucoupmieux,réponds-jeenmetournantverssonreflet.Encoreunpeupatraque,mais

rienàvoiravechier.—Fais-moileplaisirdeveillersurelle,demandeAndrewàNatalie.Siellecommenceàseplaindre

dedouleursouden’importequoi,appelle-moi,d’accord?Elleacquiesce.—Biensûr.Ceneseraitpaslapremièrefoisqu’elleselaisseraitsouffrirenattendantqueçapasse.

L’annéedernière,elleapassédeuxjoursaulitàrâleretàgémiràcaused’unmaldedentsavantd’allerchezledentiste.C’étaitinsupportable.

—Youhou,jesuisjustelà,leurrappelé-jeencessantdemecoiffer.Nataliebalaiemoninterventiond’unreversdemainetseretourneversAndrew.—Jet’appellesielleéternueplusdequatrefoisdesuite.—Bien,ditAndrewavantdes’adresseràmoi.Tuasentendu?s’exclame-t-ild’untonsévère.J’ai

desrenforts,maintenant.Depuis quandAndrew etNatalie font-ils cause commune ? Il y a encore quelques secondes, il ne

pouvaitpaslavoirenpeinture.Jesecouelatêteetmetresselescheveuxavantd’enattacherleboutd’unélastique.

Andrewnousembrasse,Lilyetmoi,puissortrejoindreBlake.Peuaprès,Natalieetmoifranchissonslaporteànotretour;j’espèrequecettejournées’écoulerasansnouvelledouleurquipousseraitNatalieàappelerAndrewpourqu’ilsm’amènentdeforceauxurgenceslesplusproches.

NouscommençonspartraînerunpeudansnotreStarbuckshabituel,puisnousfaisonsuncrochetparlepetitcentrecommercialpourallervoirlaboutiquedeproduitsdebeautéoùNatalietravailledepuisunmois.Ellemeprésenteàsamanageuseetàsesdeuxcollègues,dontj’oublieimmédiatementleprénom.Sachefestsympa,etmeproposemêmederevenirpostulersilecœurm’endit.NatalieintervientpourluiexpliquerquejeretournebientôtauTexas,et,commejeneconfirmepasassezvitesonaffirmation,elledevinequejeluicachequelquechoseetsemetàtrépignerd’impatience.Jeremercielamanageuseensouriantet,danslasecondequisuit,Nataliem’entraînedeforcehorsdumagasinpourcommencersoninterrogatoire.

—Crachelemorceau!s’exclame-t-elle,lesyeuxexorbités.Jevaism’appuyeràlabalustrade.Ellem’yrejointimmédiatement,laissanttombersonsacàmainet

unsacdecoursesàsespieds.Jeréfléchisàmaréponse,nesachanttropquoidire.Jenepeuxpasluiaffirmerqueoui,jereviens

m’installeràRaleigh,carellecomprendrait :« J’emménage iciet tout redeviendraexactementcommeavant.»AlorsquelaréalitéestqueNatalieetmamèrememanquent,etquejenesuispasfaitepourleTexas.

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Soudain,lavéritém’apparaîttandisquejescrutelecentrecommercialavecintensité.Touscesjourspassés au lit à contempler le plafond, alors qu’Andrew partait bosser avec Billy Frank ; toutes cesjournéesàm’interrogersurl’originedemonproblème,àessayerdecomprendrepourquoij’avaislemaldupayssanspourautantavoirenviederetournerm’yinstaller.JemesouviensdenotrearrivéeauTexasavecAndrew.Ça remontemême aux quelques kilomètres avant que nous franchissions la frontière del’État. Putain, je n’avais aucune envie d’être là. J’avais peur que tout se termine abruptement, quel’existence si excitante que nous partagions sur la route ne devienne rien d’autre qu’une agréableréminiscenceunefoisnotredestinationatteinte.

Etd’unecertainemanière…ç’aétélecas.Je ravale la grosse boule qui s’est formée dans ma gorge et m’efforce de garder une respiration

stable.Cen’estpasàcausedeLily.Jel’aimetellementquejenepourraijamaisluireprocherquoiquece

soit.Lavéritéestquelavienes’achèvepasàlagrossesse.Denombreusespersonnessemblentlepenser,maisjecroisauplusprofonddemoiquetoutdépenddelamanièredontonveutvivreleschoses.Biensûr,avoirunenfantestl’unedesépreuveslesplusarduesquisoient,maisçan’estpaslafindumonde.Iln’yaaucuneraisonquecelaréduiseànéantlesrêvesd’unepersonne.C’estcequ’Andrewetmoiavonsfaitprogressivement,sansvraimentnousenrendrecompte,quiafaitvolernosprojetsenéclats :nousnous sommes installés trop confortablement. Le genre de confort qui finit par vous rattrapersubrepticement des années plus tard, par vous frapper sur l’arrière du crâne en s’exclamant :Eh, lescrétins!Vousvousrendezcomptequeçafaitdixansquevousêtesprisonniersdevotreroutine?

Jegardelesyeuxdanslevague.—Jenesaispastropcequ’onvafaire,Nat,finis-jeparadmettreavantdemetournerverselle.Je

veuxdire,oui,jereviensàlamaison,mais…Ellefroncesessourcilssombresd’unairinterrogateur.—Maisquoi?Jedétournelatêteet,commemaréponsetardeàvenir,elleajoute:—Ohnon,nemedispasqu’Andrewnevientpasavectoi?Bonsang,çanevaplusentrevous?Jefaisbrusquementvolte-face.—Non,Nat,çan’arienàvoir.Ilm’accompagne,c’estsûr.C’estjuste…jenesaispas.C’estdurà

expliquer.Ellem’observeavecunemouesongeuse,puism’attrapeparlecoude.—Onatoutl’après-midipouressayerdecomprendre,alorsallonsausalondebeautéettâched’y

réfléchirenchemin.Ellesepenchepourramassersessacs,puislesfaitglissersursonpoignetvidetoutenm’entraînant

verslasortielaplusproche.Nousarrivonsàl’institutquelquesminutesplustard;ilestpleinàcraquer,commetoujoursleweek-

end.Natalieetmoisommesjuchéessurdehautstabouretstandisquedesfilless’occupentdenospiedsnus.Madernière pédicure remonte à des siècles en arrière, j’espère quemes orteils ne sont pas trophorriblesàvoir.

—Tusais,Cam,tunem’asjamaisvraimentexpliquépourquoituétaispartie.(Nataliesetourneversmoi.)Parpitié,dis-moiqueçan’étaitpasmafaute.

—Ce n’était la faute de personne en particulier. J’avais juste besoin de prendre un peu le large.J’étouffais.

—Perso, jene ferai jamaisun trucaussidingue,mais avecdu recul, forceestde reconnaîtrequec’étaitvraimentgénial.

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Celamefaitsourire.—Oui,hein?Sonvisages’illumine,sesyeuxmarronpétillent.—Carrément.Tuasfiniavecunpénissurpattes(lafilleenchargedesapédicurerelèvebrièvement

latête),unebaguedefiançaillesetunbébétropcanonenroute.(Natalies’esclaffe.)Putain,jesuistropjalouse!

Celamefaitrireaussi,maispasaussifort.—D’abord, tu n’as aucune raison de l’être, vu que tu sors avecBlake. Ensuite, comment peux-tu

savoirsilebébéseracanon?Nataliepinceleslèvresetmedévisagecommesij’étaisladernièredesimbéciles.—Sérieux ?Àvousdeux, vous auriez dumal à faire unbébémoche. (La fille quime tripote les

orteils lève les yeux au ciel en se tournant vers sa collègue.)Et je ne suis pas jalouse de toi à caused’Andrew,maisparcequejevaissansdoutefinircommemamère,sansn’avoirjamaisrienvud’autrequelaCarolineduNord.Çanemedérangepas.Jenesuispasfandestransports,etjedeviensclaustrodèsquequelqu’unrespiretropprèsdemoi,maisd’unecertainemanière,jet’envie.

Jeréfléchisàcequ’ellevientdedire,sanstoutefoisémettrelemoindrecommentaire.Jerecommenceàavoirmalaudos,etjetâchedechangerdepositionsanstropremuerlespieds.J’ai

aussicommeunpointdecôté,maisjesuissûrequec’estàcausedetoutelamarchequenousavonsfaite.—Alors,tuastrouvé?demandeNatalie.—Quoi?Ellecille,surprisequej’aiepuoubliersivitenotreconversationducentrecommercial.Lavéritéest

quejen’aipasoublié,simplementessayéd’éviterlesujet.—Pourtouttedire,commencé-jeenregardantdanslevidepourm’imaginerAndrew,jeneveuxni

revenirici,niresterauTexas.Enfin,si,j’aienvied’êtreici,maisjesuismoiaussiterrifiéeàl’idéedefinircommetamère.

Entempsnormal, jenemeseraisjamaisserviedesamèrecommeexemple,maisc’estvraimentlemoyenleplussimpledeluifairecomprendrecequejeressens,surtoutqu’ellevientd’utiliserlamêmecomparaison.

—Ouais,jevoiscequetuveuxdire,dit-elleenhochantlatête.Qu’est-cequetuenvisages,alors?Iln’yapasgrand-chosed’autreàfaire,surtoutaveclebébéquiarrive.

BonDieu,pourquoia-t-ilfalluqu’elleremetteçasurletapis?Jepousseunsoupirsilencieuxetévitede me tourner vers elle pour qu’elle ne puisse pas lire la déception sur mon visage. Natalie est mameilleureamie,maisj’aitoujourssuqu’elleferaitpartiedecesgensquiviventleurexistencetoutentièredansunebulle incolore etqui finissentpar se réveillerpleinsde regretsquand il est trop tardpouryremédier.Ellevientdemedonnerraisonavecsoncommentairesurl’arrivéed’unbébésignifiantlafind’unepériodedrôleetenrichissante.Etpuisqu’ellenecomprendrajamais,jemedispensedereleverunefoisencore.

—Cam?Tuessûrequeçava?Jeretiensmonsouffleetluijetteuncoupd’œil.Jeressensunvifélancementaucôté,etj’aisoudain

l’impressionquejememetsàdégoulinerdesueur.Nefaisantaucuncasdel’employéeenchargedemapédicure,jeretiremonpiedetattrapelesaccoudoirspourmehisserhorsdemonfauteuil.

—Ilfautquej’ailleauxtoilettes.—Camryn?— Tout va bien, Nat. Désolée, dis-je à la fille avant d’emprunter l’étroit couloir désigné par la

pancarteindiquantlespetitscoins.

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Je m’efforce de ne pas donner l’impression de souffrir, car je ne veux pas que Nataliem’accompagne;jesaisnéanmoinsqu’ellevalefairequoiqu’ilarrive.

Jepousselaportebattanteetm’enfermeàl’intérieur;jepeuxenfinmelaisseralleràmadouleur.Degrossesgouttesdesueurperlentsurmonfrontetsousmesnarines.Cettefois,ilyavraimentuntrucquicloche. Il s’agit peut-êtredemapremièregrossesse,mais çanem’empêchepasde savoir que cequej’éprouveàcetinstantn’ariendenormal.Jesorsrapidementdelapetitecabinequinefaitqu’accroîtremonmalaiseetm’approchedugrandlavabo.

Cen’estpaspossible…Jesuisincapablederéprimerletremblementdemesdoigts.Demoncorpstoutentier.Jeprendsune

dosedesavonpourmelaverlesmains,etalorsquejem’apprêteàallerlessécher,jeressensunepointeplus fulgurante que jamais. J’éclate en sanglots, pliée en deux sur le bord du comptoir. La douleurphysique amomentanément disparu,mais… Jeme fais sans doute des idées. Oui, ça doit être ça. Jepsychote.Sijen’aiplusmal,c’estforcémentquejevaisbien.

J’inspireprofondément,expire,répètelamêmeséquenceplusieursfoisavantdereleverlatêtepourm’observer dans lemiroir. Jem’essuie le visage d’unemain humide, faisant disparaître les dernièreslarmes.J’airecouvrésuffisammentdeluciditépourmesentirécœuréeenmerendantcomptequejesuispiedsnusdansdestoilettespubliques.

Laportes’ouvrealorssurNatalie.—Sérieux,tuvasbien?Non,questionidiote,çasevoitdirect.Qu’est-cequisepasse?J’appelle

Andrew.Elletournelestalonsetvacherchersontéléphone,maisjelaretiensinextremis.—Non,Nat,attends.—Tufaischier.Jetelaissesoixantesecondespourm’expliquer.Jecapitule,carmêmesijemeursd’enviedemeconvaincrequejevaisbien,j’aiconsciencequece

n’estpaslecas.Surtoutdepuisquej’aivucequej’aivuavantdequitterlacabine.—J’aimalaudosetaucôté,etj’aidespertes.—Despertes?Elleaunemouelégèrementdégoûtée,qu’elleparvienttantbienquemalàdissimuler.Maiscen’est

rienàcôtédesoninquiétude.—Tuveuxdire,genre…dusang?Ellemedécocheunregardsuspectetgardelesyeuxrivéssurmoijusqu’àcequejeluiréponde.—Oui.Sansrienajouter,elledisparaîtdanslecouloir.L’existencevousobligeparfoisàfairefaceàunévénementsiterriblequ’onsaitqu’onneseraplus

jamaislamêmepersonne.Commesiunevaguenoiredéferlaitsubitement,engloutissantsursonpassagetoute tracedebonheur sansqu’onpuisse rien fairepour l’enempêcher.Tout lemondevit cegenredetragédieaumoinsunefois.Nuln’estàl’abri.Cequejenepigepas,c’estcommentuneseulepersonnepeutl’endurercinqfoisd’affiléeensipeudetemps.

Jesuisallongéesurunlitdesurgences,blottiesousunecouverture.Natalieestassisesurlachaiseà

magauche.Jenepeuxpasparler.J’aibientroppeur.—Putain,qu’est-cequileurprendtantdetemps?pesteNatausujetdesmédecins.Elle se lève et se met à tourner tel un lion en cage, ses talons hauts cliquetant doucement sur le

carrelageblancetlumineux.Puisellechangedeton.

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Elles’immobiliseetsetourneversmoi,avantdedéclarerd’unevoixremplied’espoir:—Peut-êtreque,s’ilsprennenttoutleurtempspourvenirt’examiner,c’estqu’ilsestimentqu’iln’ya

riend’inquiétant.Jen’ycroispasunseulinstant,maisnepeuxmerésoudreàl’avouer.Cen’estqueladeuxièmefois

quejemeretrouveauxurgences;lapremière,c’étaitlorsquej’avaisfaillimenoyerensautantdepuisdespromontoiresenborddelac,etj’yavaispassépresquesixheures.Toutçapourrecoudrelaplaiequejem’étaisfaiteàlahancheenm’écorchantcontrelesrochers.

Je roule de côté et contemple le mur. Quelques secondes plus tard, la porte vitrée coulisse. Jem’attendsàvoirenfinundocteur,maismoncœurs’emballequandAndrewpénètredanslapièce.Natalieetluiéchangentàvoixbassequelquesphrasesquejefaissemblantdenepasentendre.

— Ils ne sont même pas venus la voir, sauf pour lui poser quelques questions et lui donner unecouverture.

Le regard d’Andrew croise brièvement le mien, et je remarque l’anxiété qui le ronge, même s’ils’efforcedenerienlaissertransparaître.Ilsaitaussibienquemoicequisepasse,mais,commemoi,ilserefuseraàledireouàlecroiretantqu’unmédecinnel’aurapasd’abordconfirmé.

Ilsdiscutentencorequelquessecondes,puisNatalievientsepenchersurmoipourm’embrasser.—Lesvisitessontlimitéesàunepersonneenmêmetemps,m’explique-t-elleenseredressant.Jevais

rejoindreBlakeensalled’attente,dit-elleens’efforçantdesourire.Çavaaller.Ets’ilsnesemagnentpasunpeu,jetejuredefoutreungrosbordel.

Sa véhémence m’arrache un sourire, et je lui sais gré de toujours trouver les mots pour meréconforter,mêmedanslessituationslesplussombres.

Elles’arrêteàlaporteetsouffleàAndrew:—S’ilteplaît,tiens-moiaucourantdèsquetuensaisplus.Puiselles’éclipseenrefermantderrièreelle.QuandAndrewm’observedenouveau,moncœurfondcomplètement,carjesaisquej’aisonattention

pleineetentière.Ilvachercherlachaiselaisséevacanteetlarapprochedulit.Ilmepressedélicatementlamain.

—Jesaisquetutesensmal,jet’épargnedonclaquestion.Cettefois,jeneparvienspasàsourire.Nous nous considérons longuement sans un mot. C’est comme si nous connaissions d’avance la

sentence.Nousnenousavisonspasuninstantdepenserquepeut-être,peut-être,toutirabien.Carceneserapaslecas.Cependant,Andrewfaitdesonmieuxpourmeréconforteretnes’autoriseniàpleurernià paraître trop inquiet. J’ai conscience qu’il cherche simplement à me préserver. Je sais combien ilsouffre.

Enfin,unmédecinetune infirmièreviennentm’examiner.Dansunétatsecond, j’entends lepremierexpliquerquelecœurdemonbébéacessédebattre.J’ailesentimentquelemondes’écrouleautourdemoi,sansenêtretoutàfaitcertaine.Jecroiseleregardd’Andrew,pleindelarmes;ilnequittepasledocteurdesyeuxtandisquecelui-ciprononcedesparolesquiseperdentaufonddemonesprit.

LecœurdeLilys’estarrêté.Etjemedis…tiens,lemienaussi…

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8

ANDREW

VOILÀMAINTENANTQUINZEJOURSQUENOUSSOMMESÀRALEIGH.JEN’ENTRERAIPASDANSLEDÉTAILDEtouteslessaloperiesquenous–Camryn,surtout–avonssubies.Jem’yrefuse.Lilyestpartie,etCamrynetmoisommesdévastés.Quoiquenousfassions,nousnepourronspaslarameneràlavie,etj’essaiedetoutesmesforcesdegarderlatêtehorsdel’eau;enrevanche,depuiscejour-là,Camrynn’estpluselle-même,etjecommenceàdouterqu’elleleredevienneunjour.Ellerefusedeparleràquiquecesoit.Niàsamère,niàNatalie,niàmoi.Ellediscute,maisjamaisdecesujet.Jenesupportepasdelavoirdanscet état, car il est évident que, sous son masque de façade, elle vit un vrai calvaire. Et je me senscomplètementimpuissantàl’aider.

Jesuisallongésursonlitàcontemplerleplafond,enattendantqu’ellesorteenfindeladouche.Montéléphonesemetàsonnersurlatabledenuit.

—Allô?C’estNatalie.—J’aibesoindeteparler.Tuesseul?Prisdecourt,ilmefautunesecondepourréagir.—Oui,Camrynestsousladouche.Quesepasse-t-il?Jejetteuncoupd’œilverslaportepourm’assurerquepersonnenenousécoute.L’eaucouletoujours.—Est-cequesamèret’aditquelquechosesur…quelquechose?medemandeNataliedemanière

suspecte.J’aiunpressentimentétrange.—Ilvafalloirquetudéveloppesunpeu,répliqué-je.Cetteconversationcommencedéjààmefairechier.Ellepousseunprofondsoupirquinefaitqu’accroîtremonimpatience.—Bond’accord,écoute:Camn’estvisiblementpasdanssonétatnormal.(Sansdéconner?)Tudois

essayerdelaconvaincrederetournervoirsapsy.Bientôt.Sapsy?Ladouchecessedecouler,etjelanceunnouveaucoupd’œilverslaporteencorefermée.—Dequellepsytuparles?demandé-jeàmi-voix.—Ouais,elleenvoyaitune,et…—Attends,chuchoté-jedurement.Laportedelasalledebainss’ouvre,etj’entendsCamrynserapprocherdelachambre.

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—Ellearrive,m’empressé-jed’ajouter.Jeterappelleplustard.Je raccrocheet reposemon téléphoneà saplaceà l’instantmêmeoùCamrynouvre laportede la

chambre,enturbannéed’uneservietteetvêtued’unerobedechambrerose.—Coucou,luidis-jeencroisantlesmainsderrièrelatête.Jemeursd’enviede rappelerNataliepourconnaître le finmotde l’histoire,mais jedécidedeme

renseignerdirectementàlasource.Enoutre,jenetienspasàcacherquoiquecesoitàCamryn.Jel’aidéjàfaitetjenesuispasprèsderecommencer.

Ellemesouritensefrictionnantlescheveuxàl’aidedelaserviette.—Jepeuxteposerunequestion?—Biensûr,répond-elleenlaissantsatignasseblonderetomberdanssondos.—Est-cequetuétaissuivieparunpsy?Sonsourires’estompepourêtreinstantanémentremplacéparuneexpressionneutre.Elles’approche

duplacard.—Pourquoi?—ParcequeNatalievientd’appelerpourteconseillerd’yretourner.Ellesecouelatêteetsemetàfarfouillerdanslapenderie,sansunregardpourmoi.—Libreàelledemeprendrepourunefolle.Jesorsdulit,toutjusteparéd’unboxer,etvaismeposterderrièreelle,lesmainssurseshanches.—Cen’estpasparcequ’onvoitunpsyqu’onestfou,répliqué-je.Ellen’apeut-êtrepastort.Çate

feraitdubiendepouvoirteconfieràquelqu’un.Celam’embêtedenepouvoirêtrecequelqu’un,maislàn’estpasleproblème.—Andrew,çavaaller…Ellefaitvolte-faceetm’adresseunsourire tendre,mecaressant lementonduboutdesdoigts.Puis

ellem’embrassesurleslèvres.—Promis.Jesaisquevousvousfaitestousdusoucipourmoi,etjenevouslereprochepas,maisje

n’iraipasvoirunpsy.C’estridicule.Ellereplongedanssapenderieetarracheunchemisieràuncintreavantd’ajouter:— Tout ce qu’ils veulent, c’est me faire une ordonnance et me renvoyer chez moi. Je refuse de

prendredescachets.—Sansaller jusque-là, le fait depouvoirdiscuter avecunepersonneextérieurepourrait t’aider à

mieuxacceptercequis’estpassé.Elles’immobilisebrutalement,lesbraslelongducorps,froissantlechemisierdanssonpoingserré.

Ellepousseunsoupir,etsesépaulessedétendentenfin.Elle finitpar tourner la têtepourmeregarderdroitdanslesyeux.

—Lemeilleurmoyendedigérerçaestd’oublierqueças’estpassé.Cettephrasemefendlecœur.—Çairamieuxdèsqu’onnem’obligeraplusàypensertouslesjours,reprendCamryn.Plusvous

essaierezdemepousserà«enparler»(ellemimedesguillemetspouraccentuercesmots),plusvousmeconsidérerezavecdestêtesd’enterrementchaquefoisquej’entredansunepièce,plusj’auraidemalàl’oublier.

Cen’estpaslegenredechosequel’onpeutoublier,maisjenetrouvepaslecouragedeluirétorquerça.

—OK,dis-jeenretournantdistraitementverslelit.Aufait…combiendetempsveux-turesterici?Mêmesijenesuispasparticulièrementpresséderentrer.

Cen’estquel’unedesinnombrablesquestionsquejeveuxluiposer,maisjesuistoutaussihésitant

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surlesautres.Depuisdeuxsemaines,j’ail’impressiondedevoirmarchersurdesœufschaquefoisquejem’adresseàelle.

—JeneretourneraipasauTexas,déclare-t-ellenonchalammentavantd’enfilerunjean.Surdesœufs.Ilssontpartout.Malàl’aise,jemefrottealorsl’arrièredelatête.—D’accord,dis-je.Danscecas,j’iraitoutseul,dis-moiquellesaffairestuveuxquejeterapporte.

Etpendantmonabsence,Natalieettoipourrieznouschercherunappart.C’esttoiquichoisis.Onprendcequetuveux.

Je me fends d’un sourire prudent. Je ne désire que son bonheur, et je ferai tout pour qu’elle leretrouve.

Son visage s’illumine, et jeme laisse volontiers convaincre que sa réaction est sincère. Àmoinsqu’ellelesoitréellement.Àcestade,jenesaisplus.

Elles’approchedemoi,etmefait reculervers lepieddu litenapposant lesmainsàplatsurmontorse.Puisellemeforceàm’yasseoir.Jelacontempleparendessous.Entempsnormal, je luiauraisdéjàsautédessus,maislemomentsemblemalchoisi.Jesaisqu’elleenaenvie.Enfin,jecrois…maisj’aipeurdelatoucher,commetoujoursdepuislafaussecouche.

Elleseplaceàcalifourchonsurmoi,serrelesjambesautourdematailleet,mêmesijeredoutelemoindrecontact,jenepeuxm’empêcherdemetendreverselle.Elleposelesmainssurmesépaulesetplonge son regard dans lemien. Jememords les joues et ferme les yeux quand elle se penche pourm’embrasser. Je lui rends son baiser, sentant la douceur de ses lèvres, inspirant son haleine.Mais jem’écartealorsetlamaintiensparleshanchespourmepréserverd’unnouvelassaut.

—Mabelle,jenecroispasquecesoit…Ébahie,elleinclinelatêtedecôté.—Tunecroispasquequoi?Nesachantcommentleformuler,jedissimplementcequimevientàl’esprit.—Çanefaitquedeuxsemaines.Est-cequeça…—Saigneencore?complète-t-elle.Non.Est-cequec’estdouloureux?Nonplus.Jetelerépète,je

vaisbien.Ellevatoutsaufbien.Néanmoins, j’ai lesentimentquesi jem’obstineàtenterdel’enconvaincre,

celaseretourneracontremoi.Merde… Je vais finalement peut-être devoir prendre le taureau par les cornes et aller parler à

Natalie.Camryndescenddemongiron,maisjemelèveenmêmetempsqu’elleetlaserrecontremoi.Jepose

lajouesursescheveuxencoremouillés.—Tuasraison,dit-elleensereculantafindepouvoirmeregarder.Jedevrais,euh…reprendrela

pilule,avant.Ceseraitcondereprendrelerisque.Elles’éloigne.Cen’étaitpas lebutde lamanœuvre.Bien sûr, aprèscequ’ellevientdevivre, ilvaut sansdoute

mieuxquenousfassionsplusattentioncettefois.Maispourêtrecomplètementhonnête,jel’allongeraissanshésitersurlelitdansleseulbutdelaremettreenceintesic’étaitcequ’ellevoulaitvraiment.Siellemeledemandait.Jeneregrettepasdel’avoirfaitlapremièrefois,etjesuisprêtàrecommencer.Maisilfautqu’elleenaitenvie,etjecrainsqu’enenparlantlepremier,elleprenneçapourunesuggestion,s’enveuilled’avoir perdumaLily, et soit prête à réessayerdans le seul butdemepermettredeme sentirmieux.

Camrynretiresarobedechambre,lajetteaupieddulitetentreprendd’enfilersonchemisier.

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—Sic’estcequetuveux,alorsvapourlapilule.—Est-cequec’estcequetoi,tuveux?lance-t-elleenmeregardantdroitdanslesyeux.Celaressembleàunequestionpiège.Faisgaffe,Andrew.Jehochelatête.—Sic’estcequetudésires.Pourl’heure,jepensequec’estsansdoutecequ’ilyademieuxpour

toi.Sesyeuxnetrahissentaucuneespèced’émotion,cequim’angoisselégèrement.Elle finit par acquiescer et se détourne. Elle va farfouiller dans un tiroir en quête d’une paire de

chaussettes.—J’appellerailegynécodanslajournée,pourvoirs’ilpeutmedonnerunrendez-vous.—D’accord.Puis, comme si nous ne venions pas d’avoir une conversation aussi sérieuse que déprimante, elle

s’approchedemoi,toutsourires,etsemetàmebécoter.—Peut-êtrequ’ensuiteturecommencerasàteconduirenormalement,ajoute-t-elle.—Commentça?—Oh,arrête…Tun’aspasessayéuneseulefoisdecoucheravecmoidepuisquec’estarrivé.(Son

sourire s’élargit et son regard s’attarde surmon torse nu.) Je dois avouer quemon obsédé d’AndrewParrishmemanque.Durantcestroisderniersjours,jemesuisoccupéedemoitouteseule.

Ellesepencheversmoi,memordilledélicatementl’oreilleetprécise:—Jel’aiencorefaitsousladoucheilyaquelquesminutes.Dommagequetun’aiespasétélà.Desfrissonsmeparcourentlecorps,delanuquejusqu’auxpieds.Merde,pourquoinem’a-t-ellepas

demandédem’encharger?Jemeseraisvolontiersexécuté.Elledevraitlesavoir,àprésent.Jeprendssonvisageentremesmainset l’embrasseàpleinebouchetandisqu’elles’emparedema

verge.L’instant suivant, elleme chevauche. Ses doigts s’attardent autour de l’élastique demon boxer,tandisqu’elleconsidèremoncorpsavecunairdélicieusementconcupiscent.

Merde,sielles’apprêteàmeprendredanssabouche…Jenemerendscomptequej’aifermélesyeuxqu’ensentantsesdoigtss’immiscerentremonboxeret

mapeau.Quandellefaitglissermonsous-vêtement,jenevoisquel’intérieurdemespaupières.Puismabonneconscienceresurgitd’uncoupetjel’interromps,merelèveàmoitié,m’appuyantsur

mescoudes.—Mabelle,pasmaintenant.Elleboude.Elleboudevraiment,leslèvresenavant,etçamefaitlemêmeeffetquesesyeuxdechien

battu;jesuisàdeuxdoigtsdecéderàsoncapricetantellemefaitcraquer.—J’enaienvie.Crois-moi…trèsenvie,dis-jedansunricanementnerveux.Maisattendsunpeu.Ta

mèrevarentrerd’uneminuteàl’autre,etje…Ellebasculelatêtedecôtéetmecontemple,rayonnante.—Cen’estpasgrave,m’assure-t-elleavantdem’embrasserunenouvellefoispuisdesauterdulit.

Tuasraison.Jenevoudraissurtoutpasquemamèremesurprenneentraindetetaillerunepipe.Viendrais-jededéclineruneoffredefellation?Cettefille ignoreàquelpointellemetientparles

couilles.Jepréfèrenepasleluidire,sansquoiellepourraitabuserdesonpouvoir.Putain,qu’est-cequejeraconte?Jecrèved’enviequ’elleenabuse.Jel’aimeplusquetout.

Camryns’envaavecsamèreplustarddanslamatinée,aprèsqu’ellearéussiàobtenirunrendez-vous de dernière minute avec son gynécologue. J’ai voulu m’entretenir discrètement avec sa mèreévoquerleschosesdontNatalieaessayédemeparlermaisjen’enaipaseul’occasion.Ellesdevaientpartirdansl’heurepournepasmanquerlaconsultation,etcelaauraitsembléétrangequejem’enferme

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avecelledansunechambre.Camrynauraittoutdesuitecomprisquel’onparlaitd’elle.

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9

ANDREW

CAMRYN M’A LAISSÉ SA VOITURE. JE LUI AI UNE FOIS DEMANDÉ POURQUOI ELLE NE L’AVAIT PAS PRISEPLUTÔTquedegrimperdansuncarenjuilletdernier,etellem’asimplementrépondu:«Ettoi?»JedusprendresurmoipourmeglisserderrièrelevolantdesaPriusrouge,maisjefinisparm’yrésoudrepourmerendreauStarbucks,oùNataliem’avaitdonnérendez-vous.

Toutdanscetterencontremesembledangereuxettordu.Quandceseraterminé,j’auraienviedemefrictionnerausavondeMarseillepourmelaverdecettetrahison.NatalieentresansBlake,etsedirigedroitversmoi,ses longscheveuxbrunsnouésenqueue-de-cheval.J’aiprissoindechoisir la table lapluséloignéedelavitrine,depeurquequelqu’unnem’aperçoiveavecelle.Peum’importequepersonneicinemeconnaisse,làn’estpaslaquestion.J’aiessayédeluitirerlesversdunezautéléphone,maiselleainsistépourqu’onsevoie.

Elles’assiedenfacedemoi,posantsonsacsurlatable.—Jenemordspas,melance-t-elleavecunsourireencoin.Peut-êtrepas,maisjepariequeta…— Tu n’as pas à faire semblant de m’apprécier, reprend-elle en interrompant le cours de mes

pensées.Camn’estpaslà.Etjenesuispasaussibouchéequetulepenses.Je dois bien reconnaître qu’elleme surprend. Je pensais sincèrement qu’elle ne se doutait pas de

l’antipathie que j’éprouve pour elle. Elle a beau être lameilleure amie dema fiancée, elle lui a faitbeaucoup demal il y a quelquesmois, en refusant de croire que son ex,Damon, lui avait avoué êtreamoureuxd’elle.C’esttropdébile.

Jem’écartedelatableetcroiselesbras.—Ehbien,puisqu’onenestàseparlerfranchement,dis-moi:c’estquoi,tonproblème?Cette fois, c’est elle qui est prise de court. Elle écarquille les yeux de surprise, puis fronce les

sourcils.J’ail’impressionqu’ellesemordl’intérieurdesjouespourdissimulersonexaspération.—Commentça?Ellecroiseàsontourlesbrasetinclinelatête,faisantbasculersaqueue-de-chevaldecôté.—Jecroisquetusaistrèsbiencequejeveuxdire,rétorqué-je.Etdanslecascontraire,tuespeut-

êtreaussibouchéequejel’imaginais.Jenepeuxpasm’empêcherdemecomportercommeunconnardavecelle.J’auraispucontinueràla

tolérersansjamaisrienbalancerdenégatifàsonsujet,maisc’estellequiaouvertleshostilités.C’estdoncsafaute.

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Ellesemblesoudaincomprendreoùjeveuxenvenir,etsonregards’assombrit.Ellesaitprécisémentdequoijeveuxparler.

—Jesais,c’estmérité,dit-elleendétournantlatête.Jeregretteraitoutemaviecequej’aifaitsubiràCamryn,mais ellem’a pardonné, alors je ne vois pas pourquoi tum’en voudrais pour ça. Tu nemeconnaissaismêmepas,àl’époque.Tunemeconnaistoujourspas,d’ailleurs.

Non,eneffet, jeleluiaccordebienvolontiers,maisj’ensaissuffisammentsurellepourmeforgermonopinion.Aumoins,l’occasionm’estdonnéed’affronterNatalie.ConcernantDamon,ouquelquesoitlenomdecetenfoiré,c’estuneautrehistoire.J’adoreraisl’avoirassisenfacedemoi.Jemeursd’enviedeluicasserlesdents.

—Detoutefaçon,iln’estpasquestiondemoi,reprend-elle,toujoursavecsonsourireencoin.Alors,laisse-moit’expliquerpourquoijet’aifaitvenir.

J’acquiescesilencieusement.—Cam etmoi sommesmeilleures amies depuis une éternité. J’étais là pour elle à lamort de sa

grand-mère, puis à celle de Ian, et encore quand son frère Cole a tué cemec et atterri en prison. Etévidemmentquandsonpèreatrompésamèreetqu’ilsontdivorcé.(Ellesepenchepar-dessuslapetitetablequinoussépare.)Toutcelas’estpasséaucoursdestroisdernièresannées.(Ellesecouelatêteets’adossedenouveauàsonsiègeencroisantlesbras.)Etcenesontlàquelesprincipauxévénementsquiontmissaviesensdessusdessous,Andrew.Honnêtement,cettefillen’estpasnéesouslabonneétoile.(Ellelèvelesmainsaucieletpoursuitd’untonthéâtral.)Oooh,maisévidemment,jenepeuxpasluidireunechosepareille.Ladernièrefoisquej’aiessayédevantersesmérites,elleafaillim’arracherlatête.Crois-moi,ellen’aimepasqu’onlaprenneenpitié.Elledétesteça,même.Elleestdanscetétatd’espritoù, quoi qu’il puisse lui tomber sur le coin de la gueule, elle estimera toujours que des tas de gensendurentbienpire.

Ellelèvelesyeuxauciel.Je vois exactement de quoi elle parle.Quand on était sur la route ensemble,Camryn a longtemps

essayéd’éviterd’évoquersesproblèmes;enrevanche,cequeNataliesembleignorer,c’estquej’aiaidéCamrynàsortirunpeudesacoquille.Celamefaitdoucementrigolerd’avoirréussiendeuxsemainescequeNatalie,sasoi-disantmeilleureamie,n’estjamaisparvenueàaccomplirenplusieursannées.

—Etdonc,ellel’accepte,poursuit-elle.C’estcequ’elleatoujoursfait.Crois-moi,elleréprimetantdechagrin,decolère,dedéceptionetdejenesaisquoid’autrequ’ellenepourrajamaisréglertoussesproblèmes.Etaveccequis’estpasséaveclebébé…(Elleavalesasalive,etjedevinesonmalaiseàlafaçondontellebaisselesyeux.)Jemefaisbeaucoupdesoucipourelle,Andrew.

Jenem’attendaispasàcequemarencontreavecNatalieaccentuel’inquiétudequej’éprouvaispourCamryn.J’enressentaisdéjàavant,maispluselleparle,plusçaempire.

—Explique-moi cettehistoiredepsychiatre, reprends-je. Je lui aiposé laquestion tout à l’heure,maisellel’aesquivée.

Nataliecroiselesjambesetpousseunprofondsoupir.—Ehbien, son père l’a convaincue d’aller en voir un peu après lamort de Ian.Cam s’y rendait

chaquesemaine,etçasemblaitluifairedubien,maisjecroisqu’elles’estfoutuedenous.Onneplantepastoutlemondesansriendireàpersonnepourgrimperdanslepremiercaràdestinationdenullepartalorsque«çavademieuxenmieux».

—C’estsonpèrequil’aconvaincue?Elleconfirme.—Ouaip.Ellea toujoursétéplusprochedeluiquedesamère;Nancyestgéniale,maisunpeuà

l’ouest,parfois.Quand,aprèsledivorce,sonpèreaemménagéàNewYorkavecsanouvellecopine,je

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pense que ça l’a encore plus bouleversée que le reste. Même si, bien sûr, elle refusera toujours del’admettre.

Je prendsma respiration etme passe les deuxmains sur le crâne. Jeme sens tellement coupabled’apprendreça,surtoutdelabouchedeNatalie;d’unautrecôté,Camrynnemel’auraitmanifestementjamaisrévélé.

—Elleaaussiparlédecachets,dis-je.Elleneveutpasretournervoirdepsyparcequ’ils…Nataliem’interromptenhochantlatête.—Ouais, elleétait sousantidépresseurspendantunmoment.Etpuisun jour,ellem’aavouéavoir

arrêtédelesprendredepuisdesmois.Jen’ensavaisrien.Jevaisalorsdroitaubut.— Bon, et pour quelle raison précisément m’as-tu fait venir ici ? J’espère que ce n’était pas

uniquementpourmedévoilertoussessecrets?Jesuiscontentd’avoirappriscesinformations,maisjemedemandesiellemelesatransmisespour

lesimpleplaisirdefairedescommérages.Sansdoutepas.Jecroisqu’elles’inquiètesincèrementpoursonamie,maisétantdonnécequejesais

desapersonnalité,jemedoisd’êtreprudent.—Jepensequ’ilfautquetulasurveilles,m’avoue-t-ellealors,captanttoutemonattention.Elleafait

unegrossedépressionaprèslamortdeIan.J’avaisdumalàlareconnaître.Ellenepassaitpassontempsà pleurer ni à se comporter comme les dépressifs sont censés le faire, non. Cam est… (Elle lèvebrièvementlesyeuxpourréfléchir,puislesreposesurmoi.)Elleestrestéestoïque,jenesaispassic’estle bon terme. Elle a arrêté de sortir. Elle a commencé à se foutre de l’école. Elle ne voulait pluss’inscrireàlafac.Pourtant,onavaittoutplanifiédepuisledébutdulycée,mais,avecsadépression,lesétudesnel’intéressaientplusdutout.

—Qu’est-cequil’intéressait,alors?Nataliesecouelégèrementlatête.—Jenesaispastrop,ellen’enparlaitquerarement.Maisparfois,ellepartaitdansdesdélirestrop

bizarres,superprofonds:ellevoulaitfaireletourdumondelesacaudos,cegenredetrucs.Jenesaisplusexactementquoi,maisunechoseestsûre:ellen’avaitplusvraimentlespiedssurterre.Oh,etellem’aaussiditunefoisqu’ellenepouvaitplusressentir lamoindreémotion.Çameparaîtétrange,maisbref.

Elleagitelesmainspourfairesignequecelan’aguèred’importance.Puisellemesourit,etjenesaispastropcequecelasignifieavantqu’ellereprennelaparole.

—Etquandelle t’arencontré,elleestredevenueelle-même.Maisgenreencentfoismieux.Jemesuis rendu compte, le soir où ellem’a appelée depuis LaNouvelle-Orléans, que quelque chose avaitchangé.Honnêtement,jenel’avaisjamaisvueaussicombléequ’avectoi.

Ellemarqueunepause,puisajoute:—Jecroisquetueslameilleurechosequiluisoitjamaisarrivée.Nem’enveuxpasderemettreça

surlatable,maissituétaismort…J’attendsimpatiemmentqu’elleachèvesaphrase,maisellen’enfaitrien.Ellesedétourneetsemble

surlepointdepasseràautrechose.—Sij’étaismort,quoi?—Jenesaispas,dit-elle.(Ellement.)Jecroisjustequ’ilfautquetulasurveilles.Inutiledetedire

qu’elleaplusquejamaisbesoindetoi.Sur ce point, elle ne m’apprend rien, mais après tout ce qu’elle m’a raconté, je ne peux pas

m’empêcher de penser que je dois désormais impérativement rester avec Camryn chaque minute de

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chaquejour.J’enveuxpresqueàNataliedem’avoirrévélétoutça,maisilfallaitquejelesache.Jemelèveetenfilemavestenoire,puisrepoussemachaisesouslatable.—Tuparscommeça?Jem’interrompspourladévisager.—Enfait,oui,réponds-je.(Elleselèveàsontour.)Jecroisquej’ensaisassez.—Jet’enprie,neluidispas…Jelèvelamain.—Écoute,neleprendspasmal,j’appréciequetum’aiesrévélétoutça,maissiCamrynmeposela

question,jeluidiraiquenousnoussommesvusicitouslesdeuxetquetum’asracontétoutcequejesais.Net’attendspasàcequejeluicachequoiquecesoit.

Ellepousseunsoupirthéâtral.—Trèsbien,dit-elle en récupérant son sac.Mais cequim’inquiète, c’estqu’elle se sentemal en

apprenantquejesuisvenuetetrouver,pasqu’ellem’enveuilledet’avoirparlé.J’acquiesce.Jel’admets:cettefois,jelacrois.Je traîne à la baraque devant la télé quand Camryn et samère rentrent de chez le gynéco. Jeme

redresse,malàl’aised’êtreainsivautréalorsquejenesuispaschezmoi.JeposelatélécommandesurlatablebasseenchêneetmelèvepouraccueillirCamryn.

—Alors,commentças’estpassé?Situation étrange. Question étrange. Tout est étrange. Je déteste l’étrangeté. Il faut vraiment qu’on

trouvetrèsviteunappart.Ouunechambred’hôtel.LeregarddeCamryns’adoucitquandelles’approchedemoi.—Trèsbien,merépond-elleenmeplantantunbaisersurlajoue.Ilm’aprescritunenouvellepilule.

Ettoi,tuasfaitquoiaujourd’hui?Jepariequetuétaistropsexy,àroulertoutesvitresouvertesdanscettevoiturepourfilleNewAge.

Elleesquisseunrictusmoqueur.Jemesensrougirunpeu.Samèrem’adresse un sourire timide en passant derrière Camryn pour se diriger vers la cuisine.

ExactementlegenredeminecontritedontCamparlaitcematin,cellequisignifie:«Elleestsifragileetj’aitellementdepeinepourvousdeux.»Jecommenceàcomprendrepourquoielledétesteça.

—Ehbien,jen’aipasfaitgrand-chose,maisj’aitoutdemêmesubiunface-à-faced’unquartd’heureavecShenziauStarbucks.

—Shenzi?Jesecouelatêteensouriantetajoute:—Laissetomber.Natalie.Ellevoulaitqu’onsevoiepourparlerdetoi.Elleestvraimentinquiète.Camryn,agacée,sedirigeverslecouloirmenantàlachambre.Jeluiemboîtelepas.—J’imaginecequ’elleaputeraconter,dit-elleenentrantdanslapièce.Elleposesonsacàmainetunsacdecoursessurlelitavantd’ajouter:—Etçamefoutvraimentenrognequ’ellet’appellequandj’ailedostourné.—Jen’auraissansdoutepasdûallerlavoir,admets-je,deboutdansl’embrasuredelaporte.Mais

elleavachementinsistéet,honnêtement,j’avaisenvied’entendrecequ’elleavaitàmedire.Ellesetourneversmoi.—Etqu’est-cequetuasdécouvert?Lapointedemécontentementquejeperçoisdanssontonm’aiguillonnelégèrement.—Quetuavaistraversédesjourssombreset…

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Camrynlèvelamainpourm’interrompreetsecouelatêted’unairréprobateur.—Andrew,sérieusement.Écoute-moi,d’accord?dit-elleenmeprenantlesmains.Pourl’instant,la

seule chose qui ajoute à mon malheur est que tout le monde s’inquiète pour moi en permanence.Réfléchis-y:onenadéjàparlécematin.Regarde-moi.

Jem’exécute;cen’estpascommesiellen’étaitpasjusteenfacedemoi.—Est-cequejepassemontempsàmemorfondre?(Non,c’estvrai.)Combiendefoism’as-tuvue

sourire cette semaine ? (Un paquet de fois, à vrai dire.) Tu m’as déjà entendue dire quelque choseindiquantquejesouffreplusquej’enail’air?(Non,sansdoutepas.)

Elleinclinesonbeauvisageetlèvelamainpourmecaresserlajouedesesdoigtsdélicats.—Promets-moiquelquechose.Entempsnormal,j’auraisrépondu:«Toutcequetuveux»sansl’ombred’unehésitation,mais,cette

fois,jetergiverse.Ellepenchelatêtedel’autrecôtépuislaisseretombersamain.Jefinisparrépondreàcontrecœur:—Çadépendquoi.Ellenediscutepas,maisjemerendsbiencomptequ’elleestdéçue.—Promets-moiqueleschosesredeviendrontnormalesentrenous.C’esttoutcequejetedemande,

Andrew.Çamemanque.Nosdélires,nospartiesde jambesenl’airdéjantées, tesfossettes, tonamourdébordantetdémesurépourlavie.

—Etprendrelaroute?suggéré-je.Toutengouementladéserte,commesijevenaisdedireunegrosseconnerie.Sesyeuxdériventlentementetellesembleperduedansquelquepenséesombreetprofonde.—Camryn…est-cequeçatemanquedeneplusêtresurlaroute?J’aiplusquejamaisbesoindeconnaîtresaréponse,surtoutàcausedelaréactioninattenduequ’elle

vientd’avoir.Aprèsunlongmomentdesilence,elleseretourneversmoi,etj’ail’impressiondemeperdredans

sonregardinsondable,cequiprovoqueenmoiuncertainmalaise.Ellerestecoite,exactementcommesi…elleétaitincapablederépondre.Nesachantpascequiluitraversel’esprit,jefinispardéclarer:—On pourrait recommencer tout de suite. C’est peut-être précisément ce dont tu… ce dont on a

besoin,ajouté-jeenlaprenantparlesépaules.Lesimplefaitdeverbalisercette idée larenddeplusenplusexcitante.Camrynetmoi.Prenant le

large.Vivantsansattaches,profitantdel’instantprésent,exactementcommenousl’avionsprévu.Jemerendssoudaincomptequejerayonnelittéralement,lesourirejusqu’auxoreilles.Bonsang!Ouais,c’estexactementcequ’ilnousfaut.Pourquoin’yai-jepaspenséplustôt?

—Non,répond-elleplatement.Sarépliquem’arracheàcedélicieuxétatseconddanslequelj’étaisplongé.—Non?J’aidumalàycroire,oumêmeàcomprendrelesensdecemot.—Non.Elles’éloignenonchalammentdemoi.—Mais…pourquoipas?Plusriennenousobligeàattendre.Jecomprendsalorslaraisonmêmedesonrefus.Jen’aitoutefoispasàmettrelesujetsurlatable,car

ellelefaitsanstarder.—Andrew,dit-elled’unairpleinderegret,sionfaisaitçamaintenant,j’auraistoujoursdansuncoin

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dematêtelefaitquel’onrepoussait l’échéanceàcausedubébé.Çanemesemblepasêtreunebonneidée.Paspourl’instant.J’aibesoindetemps.

—D’accord,dis-jeenallantlarejoindre.Je hoche la tête et me force à sourire, espérant lui faire comprendre que, quelles que soient ses

décisions,jeseraitoujourslàpourelle.— Bon, et de quel niveau de folie Natalie m’a-t-elle affublée aujourd’hui ? demande-t-elle en

ricanant.Elleplongelamaindanssonsacdecourses.Jem’esclaffeàmontouretm’allongesurlelittoutengardantlespiedsparterre.—Niveaujaune,répliqué-je.Leplusbasquisoit.Maiselles’estcomportéecommeunniveaurouge,

dis-jeenpenchantlatêtedanssadirection.Mêmesijesuissûrquetut’endoutaisdéjà.Elle me sourit et sort de son sac une pile de culottes, qu’elle entreprend de dépouiller de leurs

étiquettes.—Ehbien,jemedoutequ’ellet’abourrélemouausujetdemaphasedépressiveetdufaitquejene

soispasnéesousla«bonneétoile».Elle trace lesguillemetsduboutdesdoigtsavantd’agiter l’indexdansmadirection,unairdedéfi

dansleregard.—Mais cen’était riendeplusqu’unephase. Jem’en suis remise.Etpuis, quine subit jamaisde

pertes,dedivorcesouderupturesdifficiles?C’estridiculede…—Mabelle,tutesouviensdecequejet’aidit?QuandonétaitàLaNouvelle-Orléans?—Tum’asditdestasdechoses.Ellejettelesétiquettesdanslacorbeilleàpapier.—Quelechagrinn’estpasunputaindeconcours.—Oui,jem’ensouviens,admet-elle.Elleentreprendderangersesculottes,maisj’enattrapequelques-unesaupassage.Jebrandisdevant

moil’uned’entreelles,endentellerose,laissantreposerlesautressurmontorse.—Putain,j’adorecelle-là,dis-jeavantqu’ellemel’arrachedesmains.— Bref, reprend-elle tandis que j’examine de la même manière celles qu’elle n’a pas encore

récupérées,jen’aiplusenviedeparlerdeça,d’accord?Aprèsm’avoirdépouillédesdeuxculottesrestantes,ellereformesapile,qu’ellerangedansletiroir

supérieurdesacommode.Ellerevientverslelitetseplaceàcalifourchonsurmoi,ungenouplantédanslacouverturedepartet

d’autredemoncorps.Jeluifrictionnebrièvementlescuisses.—J’aienviedesortircesoir,déclare-t-elle.Qu’est-cequetuendis?Jememordillelalèvreinférieureavantderépondre:—Çametentebien.Tuveuxalleroù?Ellem’adresse un sourire entendu, comme si elle y avait déjàmûrement réfléchi. J’adore la voir

souriredelasorte.C’esttellementsincère,tellementréel.Finalement,peut-êtrequeNatalieenfaitdestonnespourpasgrand-chose.

—Ehbien,jemedisaisqu’onpourraitalleràL’UndergroundavecNatetBlake.—Attends,cen’estpaslàquel’autreconnardt’aembrasséesurletoit?—Si, si, chantonne-t-elle. (Bon sang, si elle n’arrête pas de se trémousser commeça…)Mais ce

«connard»estenprisonpourunan.EtNatalieavraimentenviequ’onyaille.Ellem’aenvoyéuntextojusteavantqu’onrentre.

—Tuessûrequ’ellen’essaiepasdetecirerlespompesparcequ’elleamauvaiseconscience?

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Camrynhausselesépaules.—Peut-êtrebien,maisceseraitquandmêmesympad’yaller.Etpourunefois,onpourraitécouterun

groupejouerplutôtquedemonternous-mêmessurscène.Elles’allongesurmoi,etjeglisselesmainssursesfessesparfaitementgalbéespourlestripoter.Elle

m’embrasseetnousnousétreignons.—D’accord,dis-jedoucementquandelleécarteseslèvresdesmiennes.Jeluipasselesdoigtsdanslescheveux,puisluienserrelevisagedemespaumes.—VapourL’Underground.Etdemain,jeprendsl’avionpourleTexaspourcommenceràfairenos

bagages.—Çanetedérangepasquejeresteici?—Non, çame va très bien.Au fait, tu ne devais pas chercher un appart pendantmon absence ?

ajouté-jeaprèsl’avoirembrasséesurlefront.Elleseredresse,s’étiredetoutsonlong,puisentremêlesesdoigtsauxmiens.—Jevaisyvenir,déclare-t-elle.Chaquechoseensontemps.Pourl’heure,leplusimportantestde

nouspréparerpourcesoir.J’acquiesceenluisouriant,puisluiserrelesmainsetlaforceàsepencherversmoi.—Tuestoutpourmoi,murmuré-jecontresabouche.J’espèrequetunel’oublierasjamais.—Jenel’oublieraipas,m’assure-t-elleenondulantdélicatementdeshanches.Puisellememordillelalèvreetajoute:—Mais s’il m’arrive de l’oublier, pour une raison ou pour une autre, j’espère que tu trouveras

toujoursunmoyendemelerappeler.J’étudieuninstantsabouche,puissesjouesquejecaresseduboutdespouces.—Toujours,affirmé-jeavantdel’embrasservoracement.

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10

ANDREW

CELA FAIT UN BAIL QUE JE NE SUIS PLUS SORTI DANS UNE BOÎTE COMMEL’Underground. PUTAIN, J’AIVINGT-CINQ ans, et ici je me sens comme un vieux. Le fait d’avoir surtout fréquenté des bars oudiscothèquesreculéscommeleOldPointasansdoutecontribuéàmefaireoublierl’existenceduheavymetal.Bon,j’aimebiencegenredemusique,maismerde,faites-moiécouterquelquesclassiquesdurock.CamrynetmoiavonspassélasoiréeavecBlakeetNatalieàsubirungroupenommélesSoixante-Neuf–commec’estoriginal!–grattantfaussenotesurfaussenote,tandisquelechanteurbraillaittelunorignalenrut.

Pourtant,çasemblaitplaireaupublic.Peut-êtreparceque laplupartdesclientsétaientbourrésoudéfoncés.Sansdoutelesdeux.

J’auraisbienaiméboire,moiaussi,maisj’avaisacceptédeservirdechauffeur.Çanemegênepas.Aumoins,Camrynapus’éclatersansretenue.Elleenavaitbesoin.Etjesuisfierd’elle:jem’attendaisàmoitiéà lavoir refuser touteactivitépendantdesmois. Je souffremoiausside lapertedeLily,maisCamrynestencorelà,etc’esttoutcequiimporteaujourd’hui.

L’air froid de novembre nous fait du bien, après que nous sommes restés enfermés pendant troisheuresdanscetentrepôtaussienfuméqu’étouffant.

—Tupeuxmarcher?demandé-jeàCamrynenlamaintenantfermementparlataille.Elle repose la tête sur mon épaule et fait disparaître ses mains à l’intérieur des manches de son

manteau.—Çava,merépond-elle.Tum’asarrêtéeàtemps,cettefois,tun’aspasàt’inquiéterdemeporter

jusqu’àlamaisoncommetul’asfaitàLaNouvelle-Orléans.Jelasensquiredresselementonpourm’observer,etjelouchebrièvementsurelletoutenm’efforçant

deregarderoùonmetlespiedssurcetrottoirenténébré.—Tutesouviensdecettesoirée,pasvrai?—Biensûrqueoui,dis-jeenlaserrantcontremoi.C’étaitiln’yapassilongtempset,detoutefaçon,

jenepourraijamaisl’oublier.Pasplus,d’ailleurs,qu’aucuneautreminutepasséeentacompagnie.Ellemesouritavantderegarderdroitdevantelle.—Tuesdugenreinoubliable,ajouté-jeavecunemouemoqueuse.— Je me suis réveillée une fois, cette nuit-là, m’apprend-elle en se blottissant contre mon bras.

J’étais à côtédes toilettes, et jeme suis demandé comment j’avais atterri là.Puis j’ai senti ton corpsderrièremoi,tonbrassurmataille,etmonenviedemelevers’estvolatilisée.Pasparcequej’étaisivre

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morteetquej’avaislatêtedansunétau,maisparcequetuétaisavecmoi.—Ouais,jem’ensouviens…Jem’égareuninstantdansmespensées.Nousmarchonsl’uncontrel’autrependantunedizainedeminutes,jusqu’àatteindrelastation-service

près de laquelle nous avons garé la Prius dans un parking abandonné. Jemets le chauffage à fond etprendslevolantpournousramenersansheurtsàlamaison,regrettantunefoisencorequenousn’ayonspas réservé de chambre d’hôtel en découvrant la voiture dema belle-mère dans l’allée. Je n’ai riencontreNancy,mais j’avoue que j’aime bien pouvoirme promener chezmoi en boxer, ou à poil, sansrisquerdelacroiser.

J’aideuneCamryn titubanteàdescendreet l’accompagneà l’intérieur, tout en lamaintenantpar lataille.Maisellevabien.Unpeupompette,mais riendegrave. Jeverrouille l’entréederrièrenous, etCamrynsedépouilleimmédiatementdesonblousonqu’ellejettesurleporte-manteau.Jel’imite.

Lamaisonestparfaitementsilencieuse,etlaseulelumièreémanedesveilleusesbranchéespourl’unedanslecouloir,pourl’autreau-dessusducomptoirdelacuisine.

Camrynmesurprendenlaissantglissersesmainssurmapoitrineavantderedescendrejusqu’àmesabdos. Elleme pousse sansménagement contre lemur du vestibule. Elle introduit sa langue dansmaboucheetjelamordillegentimentavantdel’embrasser.Elledéboutonnemonjeand’ungesteexpert,enabaissant la braguette dans la foulée. Je l’embrasse de plus belle et laisse échapper un gémissementquandellepasselesdoigtssousl’élastiquedemonboxerpourmesaisiràpleinesmains.

Çafaittellementlongtemps…Elleseplaquecontremoi.J’écartelatêtejusteassezlongtempspourdire:—J’aisuperenviedetoi,maisonpourraitaumoinsattendred’arriverdanstachambre.Sesmouvementsdelangues’enhardissent,etellerétorqueenrecollantseslèvresauxmiennes:—Mamèren’estpaslà.Ellememordlalèvrejusteassezfortpourquecelasoitdouloureux,cequinefaitqu’accroîtremon

excitation.—ElleestpartiebosseraveclavoituredeRoger.Jel’embrassealorssansretenueetlasoulèvepourlaporterjusqu’àsachambre.Nousn’yarrivons

pasassezviteàsongoût,etellem’aarrachémontee-shirtavantmêmequenousfranchissionslaporteetque je la jette à plat sur lematelas. Je lui enlève tout, sauf sa culotte.Elle s’assied au bord du lit etabaissed’ungestesecmonboxeretmonjean.Jememetsàcalifourchonsurelle,plantantunpoingdanslescouverturespournepasl’écraser,etmeservantdemonautremainpourtitillerseslèvreshumidesàtravers le tissudesa lingerie.Ellese tortillesousmescaresseset secambre, frottantsesseinscontremontorse.

Jedescendsdulit,retiresaculotteenmeservantdemesdeuxmajeurs.Jel’embrasseàl’intérieurdescuissesetnepeuxm’empêcherdefondresursonentrejambe,dontjesuisprivédepuissilongtemps.Jecessedelafairelanguir,carc’estmoiquejetorture.

Jelalèchefurieusement,etelletentedesedéroberàmabouche.Elleagrippelesdrapsau-dessusdesatête,etseretrouvebientôtàmoitiédanslevide.Jelamaintiensenplaceenluitenantfermementlescuisses,enfonçantmesonglesdanssapeau.J’aspiresonclitoris jusqu’àcequ’ellen’enpuisseplusetqu’elletentedem’étranglerentresesjambes.

Jesaisqu’elles’apprêteàjouirquandellem’attrapeparlescheveuxpourmeforceràreculer.Je la contemplepar endessous et nos regards se croisent.Ellemecaresse le crâne. J’attends,me

demandantàquoiellepense,sanscomprendrepourquoiellem’aforcéàm’arrêter.

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Ellesembleespérerquelquechose,mais jenesaisispasquoi.Jen’aipour l’heurequ’unechoseàl’esprit:m’enfouirenelle.Jerésistedetoutesmesforcesàlatentationdelafaireroulersurleventrepourlamettreàquatrepattes,deluitirersifortlescheveuxque…

Elle penche la tête et m’étudie, comme pour tenter d’anticiper mon prochain mouvement. Je suishypnotiséparsonvisage,d’oùémaneunairfragileeténigmatiquequejeneluiavaisencorejamaisvu.Elle me fait remonter sur le lit et, instinctivement, je m’y allonge sur le dos. Elle rampe sur moi,m’embrassantleventre,lescôtes,letorsepourvenirsepositionneràmahauteur.Unlégergrognementm’échappequandjesenssachaleurmoiteserapprocher.Ellem’adresseunsouriretendreetinnocentquin’arienàvoiravecsoncomportement.Ellemeprenddanssamain,etmesyeuxserévulsentdeplaisirquand elle me positionne dans le bon angle pour pouvoir aller et venir sur moi avec une lenteurinsupportable.

Je la laisse me chevaucher aussi longtemps qu’elle le souhaite, mais je dois faire preuve d’uneconcentrationextrêmepournepasatteindrel’extaseavantelle.Puis,auderniermoment,ilsepasseunechoseàlaquellejen’avaisjamaisréfléchi;jememetsalorsàpaniquerenespérantqu’elleneserendecomptederien,etjenedisposequed’unefractiondesecondepourdéciderdemeretirerounon.

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CAMRYN

MONCŒURBATLACHAMADE.J’AILESOUFFLECOURTETJESUISENNAGE,MALGRÉLAFRAÎCHEURDELAPIÈCE.Alorsquejesuisauborddel’orgasme,Andrew,manifestementpaniqué,seretire.Celam’étonneunpeu,maisjefaiscommesiderienn’était.Aulieudequoi,jemepenchesurlui,leboutdemesseinseffleurantsontorse,etj’effectuequelquesva-et-vientaveclamain.

Puis je m’affale, la joue contre sa poitrine, les genoux ployés de part et d’autre de ses hanches.J’entendssoncœurtambourinercontremonoreille.Ilouvregrandlesbrasets’efforcedereprendresarespirationavantdelesrefermersurmoi.Jesensseslèvresseposersurmoncrâne.

Jeresteainsiallongéeàréfléchir.Jepenseàcequivientdesepasser,etàcequines’estpaspassé.Jepenseà sonodeuretà lachaleurdesapeau. Jeconstateàquelpoint il estdevenudocile.Toutçaparcequ’ils’inquiètedemefairemal,physiquement,émotionnellement,sansdoutemêmespirituellement,si tant est que ce soit possible. Et je ne l’en aime que davantage. Je l’aime pour tout l’amour qu’ilm’accordeenretour,maisj’espèrequ’ilneresterapaséternellementsiprotecteur.

Pourl’heure,j’aimemieuxnepasl’embêteravecça.Avantqu’ilacceptedebaissersagarde,jevaisdevoirluiprouverquejesuistoujoursmoi-même.Sesattentesmesemblentparfaitementlégitimes.

Jemeredresseetluisouris.Je me demande s’il va tenter de se justifier, de m’expliquer pourquoi il s’est retiré ; il va

probablementmedirequ’ilnesavaitpass’ildevaitresterounon.Pourtant,ilrestemuet.Ilattendpeut-êtrequej’abordelesujet.Jen’enfaisriennonplus.

Pourromprelesilencequiseprolongeetleverunpeududoutequipèsesurlachambre,j’onduledeshanchesdefaçonprovocantetoutengloussantunpeu.

—Attends,laisse-moirécupérer,mabelle.Ilsouritluiaussi,puismefessedesdeuxmains.Jepousseunglapissement exagéré, feignantde souffrir réellement, puis reprendsdeplusbellema

danselascive.—Tuferaismieuxd’arrêter,m’avertit-il.Sesfossettessecreusent.Jeremuedenouveau.—Tucroisquejeplaisante?Recommence,ettuvasleregretter.Naturellement,jem’exécute,toutenmepréparantmentalementàsubirl’assautqu’ilmeréserve.Ilm’attrapelestétonsetpincejusteassezfortpourquejem’immobilise,depeurqu’ilmelesarrache.—Aïe,ouille!J’éclatederireetluisaisislesmains,maisilserreunpeuplusfortquandj’essaiedelesretirer.Ilsecouelatêteetarboreunairsisérieuxquejesuisimpressionnéeparsonjeud’acteur.—Jet’avaisprévenue.Tuauraisdûm’écouter.—Arrête,s’ilteplaît,s’ilteplaît,s’ilteplaît!Ils’humecteleslèvresetdéclared’untonnonchalant:

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—Tuprometsd’êtreunegentillefille,pasvrai?Jehochelatêtefrénétiquement.Ilplissesesyeuxcruelssansrelâchersonétreinte.—Tulejures?—JetelejuresurlatombedemonchienBeebop!Ilmepinceunedernièrefois,mefaisantgrimaceretserrerlesdents,puismelâcheenfin.Ils’assied

alors sur le lit et enroule mes jambes autour de sa taille. Il se penche en avant et apaise mes seinsdouloureuxduboutdelalangueavantdelessuçoter.

—Çavamieux?medemande-t-ilenmeregardantdroitdanslesyeux.—Beaucoupmieux,chuchoté-je.Puisilm’embrassesurlaboucheetmefaittendrementl’amour.Nousnousendormonsensuite,lovés

l’uncontrel’autre,peuaprès3heuresdumatin.

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11

CAMRYN

JEPENSAISHÉRITERD’UNEGUEULEDEBOISDIXFOISPIREQUECELLEQUIMETIRAILLECEMATIN.AVANTHIER soir, je n’avais plus bu depuis desmois,mais je nem’en plains pas. Je roule sur le côté et, endécouvrantsur le réveilqu’Andrewdevraitêtreà l’aéroportdepuisunebonneheureetdemie, j’ouvredesyeuxcommedessoucoupesetmeredressecommeundiabledanssaboîte.

—Andrew!dis-jeenlesecouant.Ilgrogneensemettantsurledos,entrouvrantàpeinelespaupières.Il tendlebrasetessaiedeme

forceràmerallongerpourpouvoirserendormir,maisjelerepousse.—Lève-toi.Tuasratétonavion.Son seul réflexe est d’ouvrir des yeux aussi ronds que les miens ; puis, à mesure que la réalité

s’insinuedanssonesprit,lerestedesoncorpssemetenaction.—Merde!Merde!Merde!Ilbondithorsdulitetseretrouve,nu,aumilieudelapièce.Jenemelasseraijamaisdeleregarder–àpoilouhabillé,mêmecombat.Jen’arrivetoujourspasà

comprendreparquelmiracle jepartagesavie. Il se frotte levisagedesdeuxmains,puisse lespassedans les cheveux avant de se gratter la nuque,mettant en évidence sesmuscles bien dessinés. Puis ilpousseunlongsoupirrésigné.

—Jevaisdevoirchangerdevol.Jesorsdulitetramassemarobedechambrequitraîneparterrepourpouvoirmerendreàlasallede

bains.—Même si ça nemegêne pas de rester ici quelques heures de plus, précise-t-il en s’approchant

derrièremoi.—Jenesaispas,Andrew.(Jenouelecordondemonpeignoir.)J’avaisunpeuhâted’êtretranquille.Commejesuisdosàlui,ilnepeutpasvoirmonlargesourire.Unprofondsilences’abatsurlachambre.—Tuessérieuse?Enentendantsastupeur,jenepeuxm’empêcherd’éclaterderire.Jefaisvolte-faceetl’embrassesur

labouche.—Bien sûr quenon.D’ailleurs, c’est peut-êtremoi qui ai éteint le réveil. Peut-être que tout était

prémédité.Manifestementsoulagé,ilm’embrasseàsontouretcontournelelitpourretrouversonboxer.

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—Tuasvraimentfaitça?medemande-t-ilenl’enfilant.—Non.Maisj’auraisdûypenser.Jem’ensouviendrailaprochainefois.Tuveuxprendretadouche

avecmoi?Précisémentàcetinstant,onfrappeàmaporte.Sachantqu’ils’agitsansdoutedemamère,Andrew

seraiditlégèrementets’empressedes’asseoirsurlelitpoursecouvrir.J’ouvre laportesurmamèredans toutesasplendeurdeblondedécolorée.Elleporteunchemisier

rosepâleetunpeudefardàjouesassorti.—Tuesdebout?demande-t-elle.Non,maman,jesuissomnambule.Elleenadebonnes,parfois.Je remarque immédiatement le regard qu’elle adresse àAndrew.Elle nous a déjà fait part de son

inquiétudequantaufaitdemevoirretomberenceintetroptôt,maisellenes’attendtoutdemêmepasàcequ’oncessedefairel’amour?C’estpeut-êtrecequ’elleespère,maisçanerisquepasd’arriver!

Ellem’adresseunsouriretimidepuisdemande:—Tuveuxm’accompagnerchezBrenda,aujourd’hui?Carrémentpas.J’adore ma tante Brenda, mais j’apprécie beaucoup moins de mourir asphyxiée dans sa maison

saturéedefuméedecigarette.—Non,j’aidestrucsprévusavecNatalie.Enréalité,jen’airienprévudutout,maispassons.—Ahbon,d’accord.Ehbien…(EllesetournedenouveauversAndrew,puisversmoi.)Jecroyais

qu’ilrepartaitpourleTexasdanslamatinée?Jeresserrelaceinturedemonpeignoiretcroiselesbras.—Ouais,onnes’estpasréveillés,maisilvaprendreunvolplustard.Mamèrehochelatête,puisluiadresseunderniercoupd’œil.Ellesefendd’unlégersourire,qu’il

luiretourne.Bizarre.ElleaimevraimentbienAndrew,maisn’apasl’habitudequ’ungarçondormedansmachambre,mêmes’ilestlàdepuisdeuxsemaines.Sijen’allaispasbientôtavoirvingtetunansetsinousn’étionspasfiancés,iln’auraitjamaiseuledroitdemettrelespiedsici.D’unautrecôté,ellesaitquenousnousaimons,etaprèscequis’estpasséaveclebébé,elleestsoulagéequ’ilsoitlàpourmoi.Néanmoins,celarestebizarre.Pournoustous.Ouais,Andrewetmoiallonsvraimentdevoirnoustrouverunappart.

Un appart à nous… ici, à Raleigh. J’ai soudain l’impression qu’un poids colossal m’écrase lapoitrine.

Mamèrefinitparsortirde lapièce,et jemetourneversAndrew,quisemble toujoursaussimalàl’aiseavecsondrapsurlesgenoux.

Mêmesijemerendsbiencomptequel’envieluiestpassée,jeproposeàtouthasard:—Tuveuxprendretadoucheavecmoi?Iltressaille.—Non,j’iraiaprès.Sagêneadolescentemefaitpouffer.Puisjemeradoucis.—Jevaischercherunappartpendantleweek-end.C’estpromis.Ilselève.—Dis-moi,situveuxquejefasselesvisitesavectoi.Jet’aiproposédelesfaireavecNataliepour

quetuneteretrouvespastouteseulependantmonabsence.Tusais,histoiredeluidemandersonavissurlacouleurdesvoilagesettoutça.

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J’éclatederire.—Jenevaispasacheterdevoilages,affirmé-je.Des rideaux,à la rigueur,mais lesvoilagessont

pourlesdécorateursd’intérieuroulesrichescouguars.Ilsecouela têteenmeregardantquitter lachambretandisquejeprendsladirectiondelasallede

bains.Je suis partagée entre Jekyll et Hyde. En permanence. Quand je suis avec Andrew, je suis toute

souriante, sansavoir àme forcer. Je suisheureuse. Je crois.Maisdèsque jeme retrouve seule, c’estcommesijemetransformaisenuneautrepersonne.J’ail’impressionqu’unêtreinvisiblesetientderrièremoienpermanence,etjoueavecunesaloperied’interrupteurquimedérèglelecerveau.Off.On.Off.On.O…Non,On.

Je m’assieds dans la baignoire, les genoux ramenés contre la poitrine, et je laisse couler l’eaubrûlantependantdelonguesminutes.Jepenseàcetinévitableappartementquejesuisobligéedetrouver,àlabonnesoiréepasséehieràL’Underground,àlatonnedelingesalequejedoiscommenceràlaver,etaulogoquis’effacesurledessusdusavon.Quandl’eaurefroidittoutàcoup,lebrusquechangementdetempératuremetiredemarêverieetjeprendsconsciencequejesuislàdepuisuneéternité.Jeneprendsmêmepaslapeinedemeraserlesjambesavantdesortir,évitantvolontairementletapisdebaindontjedéteste lecontactsous lespieds. Je laisse tomberdessusuneserviettepropreetmeplante làpourmecontemplerdanslemiroir.J’entreprendsmachinalementdecompterlenombredetachesdedentifricequiconstellentlaglace.Jem’arrêteàquatorze.

J’ouvre l’armoire à pharmacie, farfouille parmi les flacons et les emballages enquête d’uneboîted’Advil.Parchance,deuxcachetsdevraientsuffireàmelibérerdemapseudo-gueuledebois.Jetrouveenfinmonbonheurderrièredestubesorangeportantlesconsignesdumédecin.Jedéchiffreuneétiquette.

Oxycodone7.5–Unepiluletouteslessixheuresencasdedouleur–NancyLillard.J’ignorepourquoimamères’estfaitprescriredesanalgésiques,qu’ellen’amanifestementpaspris,

mais je sais qu’elle a des problèmes de dos depuis quelque temps, alors peut-être qu’elle s’est enfinrésolue à aller voir un médecin. Ou qu’elle s’est transformée en criminelle et profite de son statutd’infirmièrelibéralepouracheterdesmédocspardesmoyensdétournés.

C’estpeuprobable,étantdonnéquece flaconaétéacheté ilyaunmoisetqu’ilestencoreplein.C’esttoujourslamêmemamanquej’aiconnuetoutemavieetquirechigneàavalerautrechosequelesproduitsinoffensifsqu’ontrouveenparapharmacie.

Jem’apprêteàreposerleflacon,maismeravise.Çanepeutpasfairedemal.J’aimalàlatête,onpeutbienqualifierçadedouleur,non?Si.Jepousselecapuchonet lefais tournerpourl’ouvrir,puisinclineletubepourmefairetomberuncachetdanslecreuxdelamain.Jel’avaleavecunegorgéed’eau,m’essuie le corps et enroulemes cheveux dans une serviette. J’enfile alorsmon peignoir, en noue laceintureetretournedanslachambrepourm’habiller.J’entendsAndrewdiscuterdanslacuisine,maissontondécontractém’indiquequ’ilneparlepasavecmamère.Ildoitêtreautéléphone.L’entendreévoquersonfrèreAshermeconfortedansmonopinion.

J’auraisencoredûpasserunsavonàNataliesic’étaitellequil’avaitappelé.Ilfautvraimentqu’ellearrêtedes’inquiéterpourmoietdecontacterAndrewdansmondos.

Aprèsm’êtrepeignée,jevaislerejoindredanslacuisine.—Jesais,frérot,maisjenepensepasquecesoitunebonneidéepourl’instant.(Jeralentislepas

pournepas l’interrompre trop tôt.)Ouais.Ouais.Non, ellevamieux.Ellen’est clairementplusaussibouleverséequ’aprèslapremièresemaine.Mmm,mmm.

Je jetteuncoupd’œilpar laporteet ledécouvredeboutdevant lebar, le téléphoneà l’oreille,samain libre reposant sur le comptoir. Il hoche la tête de temps à autre, écoutant patiemment son

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interlocuteur,quejedevineêtreAidan.Encoreunefois,monintuitions’avère:—RemerciebienMichellepoursaproposition.Onviendrapeut-êtrevousrendrevisitedansunmois

oudeux,quandCamrynauraeuletempsde…Non,plutôtauprintemps.IlfaitvraimenttropfroidpourmoiàChicagodurantl’hiver.

Iléclatederireavantd’ajouter:—Putain,non!Àtonavis,pourquoijepréfèreleTexas?Ils’esclaffedenouveau.Jefinisparentrerpourdebondanslapièce,etilm’aperçoit.—J’aimeraisbienyaller,annoncé-je.Andrewmecontemplesansriendirependantuninstant,puisinterromptsonfrère:—Une seconde,Aidan. (Il couvre lemicro du téléphone pour s’adresser àmoi.) Tu veux aller à

Chicago?Celasemblelesurprendre.—Biensûr,réponds-jeensouriant.Çaseraitsympa.Ilsemble toutd’abordréfléchiràquelquechose.Peut-êtrequ’ilnemecroitpas,oupeut-êtrequ’il

essaied’envisagerlachoseetnevoitquebourrasquesdeventetdeneige.Puissonvisages’illumine,etilhochelentementlatête.

—D’accord,dit-il.(Aprèsunecourtehésitation,ilreprendletéléphone.)Aidan,jeterappelleplustard,d’accord?Ouais.OK.Àplus.

Ilfaitglissersesdoigtssurl’écranpourraccrocher.Puisilm’observedenouveau.—Tuessûre?Jecroyaisquetuvoulaisrestericiquelquetemps?J’approchedufrigopourensortirunepetitebouteilledejusd’orange.—Oui,jesuissûre,dis-jeenenavalantunegorgée.C’étaituneidéedeMichelle?Ilacquiesce.—Ouais.Aidanm’aditqu’elles’inquiétaitpourtoi.Elleaproposédenousaccueillirquelquesjours

sionvoulait.Jeboisunenouvellegorgéeetposelabouteillesurlecomptoir.—Elles’inquiètepourmoi?Ehbien,c’estgentildesapart,maisj’espèrequesionyva,jeneme

retrouveraipasdanslamêmesituationqu’iciavecNatalie.Andrewsecouelatête.—Nan,cen’estpas legenredeMichelle.Ellen’a rienàvoir avecNatalie, insiste-t-ilpourbien

marquerladifférenceentrelesdeux.—Cen’estpascequejevoulaisdire,Andrew.—Jesais,jesais.Maisfranchement,c’estunefillebien.Jelaconnaissuffisammentpoursavoirqu’ilaraison.Puisl’effetducachetsefaitbrusquementsentir,et j’ai l’impressiondeneplusavoirlatêtesurles

épaules.Jesuisparcouruedefourmillementsdespiedsjusqu’ausommetducrâne.Ilmefautunesecondepouryvoirclair.Jem’accrocheinstinctivementaucomptoirpourmeretenir.

—Waouh.J’avalebruyammentmasaliveetmeforceàclignerplusieursfoisdespaupières.Andrewm’observed’unairméfiant.—Çava?J’ouvresigrandlabouchepoursourirequejesenslafraîcheurdel’airsurmesdents.—Ouais,çavacarrémentbien.Ilinclinelatêtedecôté.

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—Parcequejenet’aiplusvuesouriredelasortedepuisquejet’aipassélabagueaudoigt.Luiaussisouritplusoumoins,maislacuriositél’emportesurl’amusement.Jemetsmabaguedefiançaillesbienenvuepourpouvoirl’admirer,mêmesielleacoûtémoinsde

100dollarsetqu’elleauraitparuinsignifianteàlaplupartdesfiancéesdecepays.Jel’avaisrepéréeunjourdansunpetitmagasinauTexas,etjem’étaisfendued’uncommentaireinnocentsurlefaitquejelatrouvaisjolie.

—Jel’adore,avais-jedéclaréenl’inclinantdemanièrequelesoleilsereflètedessus.Elleesttoutesimple,etpourtantellen’estpascommelesautres.

Jel’avaisrendueàlafemmedumagasin,quil’avaitremisedanssavitrine.—Quoi,tun’espaslegenredefilleàadorerlesdiamants?m’avaitinterrogéeAndrew.Tuneveux

pasd’uncaillousigrosqu’iltefaudraitunebrouettepourletransporter?—Pasquestion!m’étais-jeesclaffée.Cenesontquedescoquillesvides.Leseultrucquicompte,

avec ces bagues, c’est le nombre de zéros sur l’étiquette. (Nous étions sortis de la bijouterie tout endevisant.)Non,jesuiscomplètementd’accordaveccequetum’asditunjour.

—Qu’est-cequejet’aidit?Jel’avaisprisparlamainentournantàgaucheaucoindelaruepourrejoindrelecafé.—Plusc’estsimple,plusc’estsexy.(J’avaisposé la têtesursonépaule.)Tum’asditçachez ton

père,pourm’expliquerpourquoijenedevaispaspasseruneheureàmemaquilleroumecoiffer.Ilavaitsourienrepensantàcettejournée,puism’avaitserréecontrelui.—Ahouais,j’aiditça?«Plusc’estsimple,plusc’estsexy.»Ehbien,j’avaisraison.—Etenplus,elleestbelle.Lelendemain,Andrewétaitrentréàlamaisonaveclamêmebagueetmel’avaittendue.Puis,faisant

çadanslesrègles,bienquedefaçonunpeuthéâtrale,ilavaitmisungenouàterreetavaitdéclaré:—CamrynMarybethBennett, laplusbellefemmedecetteplanèteet futuremèredemonbébé,me

ferais-tul’honneurdem’épouser?J’avaissourietl’avaisgratifiéd’unregardcirconspectavantderépliquer:—Decetteplanèteseulement?Ilavaitcilléavantderépondre,leplussérieusementdumonde:—Ehbien,jen’aiencorejamaisrencontrélesfemmesdesautresplanètes…Ni luinimoin’avionspuréprimernotre fourire.Puis ilavait soudain recouvrésoncalme,cequi

m’avaitimmédiatementdégrisée.—Veux-tum’épouser?Jem’étaismiseàpleurercommeuneMadeleine.Lelongbaiserquejeluiavaisdonné,etquinous

avaitétrangementfaitbasculertousdeuxsurlamoquette,étaitplusexplicitequ’unmillionde«oui».Biensûr, ilm’avaitdéjàdemandéeenmariage le jouroù je luiavaisannoncéque j’étaisenceinte,

maisilyavaitmislesformes,cettefois,etjamaisjen’oublieraicetinstant.—Allô,ilyaquelqu’unlà-dedans?Andrewm’agiteunemaindevantlafigure.Je suis brusquement happée dans le présent, planant plus haut qu’un cerf-volant à cause de mon

cacheton.Etjemerendsbrusquementcomptequejedoismereprendresijeneveuxpasqu’ilsedoutedequelquechose.

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12

ANDREW

J’IMAGINEQUELESSAUTESD’HUMEURPERDURENTMÊMEAPRÈS…EHBIEN,APRÈSLAGROSSESSE.ENMOINSd’uneheure,CamrynestpasséedetraînerlessavatesdansunmondemaussadeàgambadergaiementaupaysdesBisounours.Maisaumoins,elleparaîtheureuse,etloindemoil’idéedevouloirjugersafaçondel’exprimer.

Cependant,lefaitqu’elleveuillesubitementquitterRaleighpourserendredansuntoutautreendroit,neserait-cequepourunweek-end,mesembleétrange.Jenepeuxm’empêcherdedemander:

—Pourquoisitôt?Enfin,jesuispourqu’onyaillesituenasvraimentenvie,maisjepensaisquetuvoulaisresterici,trouverunappartettoutça?

—Ehbien,oui…,répond-elledemanièrepeuconvaincante.(Ellearboretoujourscesouriredistraitsibizarre.)Maisjemedisaisqu’ilvalaitmieuxyallertantqu’onenavaitl’occasion,parcequequandj’auraitrouvéunboulotici,jenesaispassij’auraiencorebeaucoupdetempslibrelesweek-ends.

Ellecroiselesmainsdevantsonventre,sesdoigtstapotantnerveusementsursesjointures,commesielleavaitlabougeotte.

—Est-cequetu…Je m’interromps. Je ne vais pas faire ce qu’elle affirme vouloir nous voir tous cesser de faire :

m’inquiéter pour elle en permanence et lui demander si elle va bien toutes les cinq minutes. Je mecontentedoncdesourireavantdedéclarer:

—JevaisrappelerAidanpourleurdirequ’onpasseralesvoirceweek-end.J’attendsqu’ellevalide leplanning,ouqu’elles’yoppose,etcommeellene faitni l’unni l’autre,

j’ajoute:—DoncçanesertàrienquejerentrecherchernosaffairesauTexasavantleretourdeChicago.Ils’agitenréalitéd’unequestion.Jedoisbienavouerquenepassavoiroùjemetrouveraidemain

commenceàmefairetournerlatête.Çan’arienàvoiravecnotretempspassésurlaroute,àprofiterdumomentprésentetà redéfinirquotidiennement lemot«spontanéité».Aumoins,notrebutde l’époqueétait justement de ne pas savoir de quoi le lendemain serait fait.Alors qu’aujourd’hui, je ne suis pascertaindecomprendrecequisetrame.

Ellefinitparacquiescerettireunechaisedecuisine,oùellenes’assiedhabituellementjamais,saufpourprendresonpetitdéjeuner.Là,elledonnejustel’impressiond’avoirbesoindeseposer.

—Attends, lui dis-je soudain.Tu es sûreque c’est bienun appart que tuveux ?Onpeut aussi setrouverunepetitemaisonquelquepart.

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J’imaginequec’estmafaçond’allerà lapêcheaux infos,sansavoirà luidemander :«Qu’est-cequ’ilya?»

Ellesecouelatête.—Non,Andrew,çanemedérangepasdutoutd’habiterenappartement.Jen’aiaucunproblèmeavec

ça.Etpuis, jenevaispastelaisserdilapidertonhéritagepouracheterunebaraquedansuncoinoùtun’aspaschoisid’éliredomicile.

Jem’installesur lachaisevoisineetpose lesbrassur la table.Je lacontempled’unairquienditlong.

—Jetesuivraisn’importeoù.Tulesais.Tantquetunemedemandespasd’acheterunigloodansl’Arctiqueoud’emménageràDétroit,toutmeva.Etcequejefaisdemonhéritageneconcernequemoi.Detoutefaçon,oùveux-tuquejeclaqueunetellesommed’argent,sicen’estdansunemaison?C’estcequetoutlemondefait.Lamortprofitetoujoursauxpromoteursimmobiliers.

Nousdisposonsd’unmatelasde550000$quemonpèrem’aléguéendisparaissant.Mesfrèresenonteuautant.Çafaitbeaucoupd’argent,etj’aidesgoûtstrèssimples.Àquoid’autrepourraitmeservirtout ce pognon ? Si Camryn n’était pas entrée dans ma vie, je vivrais dans une modeste bicoque àGalvestonetmeferaisdesplateaux-téléàbasedenouilleschinoises.JecontinueraisàpayermesfacturesetàbosserpourBillyFrank,parcequej’adorel’odeurducambouis.Camrynestaussipeudispendieusequemoi,cequirendnotrerelationsiparfaite.Enrevanche,celam’agaceparfoisqu’ellen’arrivepasàaccepter le fait quemonargent soit aussi sonargent.Ellen’amêmepasvoulume laisser renflouer lecompte qu’elle a utilisé lors de notre road-trip : six cents dollars sur un livret que son père lui avaitouvertencasd’urgence.Elles’estobstinéeàtoutcompenserelle-même.EtcesursapartdescachetsquenousavonstouchésenjouantauLevy’s.

S’il y a un truc quime gêne, chez elle, c’est bien ça. Jem’occuperai d’elle quoi qu’il advienne,qu’elleleveuilleounon.Ilvabienfalloirqu’elles’yfasse.

—AllonspasserquelquesjoursàChicagoet,ànotreretour,oniravoirdesmaisons.Ensemble.Jemelèveetrepoussemachaisesouslatable,commepourindiquerqueledébatestclos.Ellesemblesurprise,maispasdanslebonsensduterme.Sonsourires’estompe.—Non,situveuxqu’onachèteunemaison,ilfautd’abordquej’économise…Jel’interrompsd’ungesteimpatient.—Arrêtedoncd’êtreaussitêtue.Si«tamoitié»denosdépensest’importetant,tun’aurasqu’àme

payerennatureetenmefaisantunstripteasedetempsentemps.Elleouvregrandlaboucheetécarquillelesyeux.—Quoi?!(Sonéclatderiretrahitbientôtsaminefaussementoffusquée.)Jenesuispasunepute!Elleselèveetabatdoucementsapaumesurlatable,maisjesoupçonnequecesoitdavantagepour

garderl’équilibrequepourprotester.Jesourisettournelestalons.—Celle-là,tul’asbiencherchée.Unefoisàlaporte,jeluiadresseunrapidecoupd’œilpourm’assurerqu’ellen’apasbougé,toujours

sousl’effetdelasurprise.—Ettuserascequejetedis!luilancé-jeenm’éloignant.Iln’yariendemalàêtremapute!Jel’entendsquiseruesurmoi.Jem’élanceàtraverslesalon,bondispar-dessusledossierducanapé

comme un putain de ninja, puis sors par la porte du fond sans parvenir à la semer. Ses rires et seshurlementsperçantssonttoujoursdansmonsillage.

NotreavionatterritàO’Harelevendredienfind’après-midi.Parchance, iln’yapasunmètrede

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neigeausol.Quandj’aiditàCamrynquejelasuivraisn’importeoù,çan’étaitpastoutàfaitvrai:jeplaiderais farouchement ma cause si elle décidait de s’installer dans un endroit où les hivers sonthabituellementfroidsetneigeux.Jedétesteça.Dufondducœur.Cettefois,c’estmoiquisuisenpleineextase,endécouvrantunpaysagedépourvudeneigeetunetempératureextérieurededouzedegrés.C’estassez doux pour la saison, à Chicago, et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre. Le réchauffementclimatique?Çan’apasquedesmauvaiscôtés.

Aidannousattenddansleterminal.—Çafaitunbail,frangin,luidis-jeenluiserrantlamainavantdeleprendredansmesbras.IlmetapedansledosàplusieursreprisesavantdesetournerversCamryn.—Contentdeterevoir,luidit-il.Ellel’étreintfermement.—Moiaussi.Mercidenousavoirinvités.—Ehbien, tout lemériteen revientà la ténacitédemonépouse, réplique-t-ilavantdehausserun

sourcil.Cequineveutpasdirequejenevoulaispasvousvoir,hein?Illuiadresseunclind’œil.Ellerougitlégèrement,etjeluiprendslamain.Michellenousapréparéàdîner.C’estunecuisinièrehorspair.Etellealesmêmesgoûtsculinaires

qu’Aidan et moi, je ne suis donc pas surpris de découvrir de gros cheeseburgers bien gras avecsupplémentfromagepourlesgourmets.Etdelabière.Mevoilàauparadis.

Nousmangeonstouslesquatredevantl’écrangéantdutéléviseurdemonfrangin,etnousdiscutonsdetoutetderiendurantlesséquenceslesplusennuyeusesdufilm.Ànotrearrivée,j’étaislégèrementinquietd’entendreAidan ouMichelle aborder un sujet lié de près ou de loin à la fausse couche deCamryn.Mêmesijesavaisaufonddemoiqu’ilsnecommettraientpaspareillemaladresse.Enlesregardant,jemedemandemêmesilaquestionleurtrottedansuncoindelatête.ConnaissantAidan,j’endoute.Iléviteautant que faire se peut les sujets trop sérieux. Quant àMichelle, elle joue son rôle à la perfection,s’assurant demettre Camryn complètement à l’aise sans lui donner lamoindre raison de penser à cequ’ellevoudraitoublier.

Enoutre, jen’ai jamaisvuCamrynaussibienavecNataliequ’avecMichelleencet instant, jen’aidonc pas àme plaindre. Finalement, ce petit voyage improvisé pourrait se révéler plus positif que jen’avaisosél’imaginer.

Aucoursdel’unedenosconversations,Aidanbasculelatêteenarrièreetéclatederire.Jenemelasseraijamaisdecegenredemomentavecl’undemesfrères.

—Ouais,Andrewétaitfinbourréquandcerecruteurdemannequinsestvenuletrouverdansmonbarcesoir-là,explique-t-ilàCamrynalorsquejenecessedeleverlesyeuxauciel.

Etvoilà,Aidans’apprêteunefoisdeplusàexagérerconsidérablementl’événement.Camrynarboreunsourirejusqu’auxoreilles,etjemedoutequ’ellejubiledemevoirmedandinerainsiàcôtéd’elle.

—Ce type s’est installé sur le tabouret voisin du sien et lui a dit qu’il avait « le look ». (Aidansecouelatête,hilare.)Etsansmêmeluilaisserletempsdefinirsaphrase,AndrewsetourneversluietluibalanceavecunairdeCharlesManson:«Ehmec,jerêve,outuviensdebouffermescacahouètes?»Si tu avais vu sa tronche… Il était complètement paniqué, et s’est même reculé comme s’il pensaitqu’Andrewallaitlefrapper.

CamrynetMichelles’esclaffentenchœur.— Puis il a sorti sa carte de visite et la lui a tendue en disant : « Tu as déjà pensé à faire du

mannequinat?»Andrewl’aregardéesanslaprendre.—Si,jel’aiprise,interviens-je.

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Aidanm’adresseunsourirenarquois.—Ouais,maispasavantdeluiavoirrétorquéavecbeaucoupd’éloquencequetunepourraisjamais

êtremannequin,parceque«c’estpourlesmecsquin’ontpasdecouilles».—Oh,arrêteunpeu,Aidan,l’interromps-jeavantdeboireunegorgéedebière.—Pourquoijenet’aiencorejamaisvuaussibourré?m’interrogeCamryn.Elle n’arrête pas de se fendre la poire, se délectant de chaque instant ; sa bonne humeur est

communicative.Jecaresseduboutdesdoigtssalonguetresseblonde.—Ehbien,commencé-je,toutsimplementparcequej’aimûridepuiscejour-là.Michelleétouffeunricanement.—Eh!m’exclamé-jeenmetournantverselle.Tupeuxparler,Michelle!Ladernièrefoisquejesuis

venuici,jet’aivuedanseraubarcommeunestripteaseuseavecuncoupdanslenez.Elleenrestebouchebée.—Jenefaispasdestrip,Andrew!Aidanéclatederireetavaleunebonnerasadedebière.—Jenesaispas,maissijen’avaispasétélàcesoir-là,onseraitpeut-êtredivorcésàl’heurequ’il

est.Michelleluiassèneungrandcoupdecoussinsurlecrâne.—Jenemesuispasdéshabillée!insiste-t-elleengloussant.Aidan,quel’assautn’amanifestementpascalmé,semarretoujoursautant.Camrynaussi.Jemeperdsunmomentdanslacontemplationdesonsourire,ravideconstaterqu’elle

passeunsibonmoment.Michelleajoute:—Vousêtesvraimentintenablesquandvousêtesensemble.—Eh,lefaitquetusoismariéeaucrétindugroupefaitdetoilaproieidéale.—Ouais,renchéritAidan.Maisestime-toiheureusequ’Ashernesoitpaslà,parcequ’ilcachebien

sonjeu.Ohqueoui!Cepetitmerdeuxpeutêtresacrémentretorsquandilestenforme.Michelledécroiselesjambesetselèvepourdébarrasserlatablebasse.Camrynl’imiteaussitôt.—Crois-moi,jesuisuneParrishdepuissuffisammentlongtempspourm’enêtrerenducompte.ElleempilelesassiettestandisqueCamrynrécupèrelesserviettesetlesbouteillesdebièrevides.—Pourquoi tu ne dis rien, Camryn ? reprendAidan depuis le canapé. Tu n’es certes pas encore

mariéeàmonfrère,maistuleseraspeut-êtrebientôt,cequifaitaussidetoiunevictimepotentielle.Iltendsabièreversellecommepourporteruntoast,puislaporteàseslèvresavecunsouriretaquin.Mon frère est brillant. S’il n’était pas si moche, je l’embrasserais sur la bouche. Je ne voudrais

surtoutpasqueCamrynsesenteexcluedelaconversation.—Alors,jesuiscontentequetun’aiespasencorededossiersurmoi,réplique-t-elleavecunsourire

encoin.—Pasencore,répète-t-ileninsistantlourdementsurlecaractèreinéluctabledecederniermot.Mais

prépare-toiàunsacrébizutage!CamrynfaituneadorablemoueetsuitMichellejusquedanslacuisine.

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13

CAMRYN

—C’ESTVRAIMENTSYMPADENOUSAVOIRINVITÉS,DIS-JEÀMICHELLETOUTENJETANTLESBOUTEILLESVIDES.

Elleposesurlecomptoirlapetitepiled’assiettesetentreprenddelesrinceravantdelesmettredanslelave-vaisselle.

— C’est normal, m’assure-t-elle avec un sourire. Pour être honnête, j’avais besoin d’un peu decompagnie.Jesuisassezstressée,encemoment.

Ellecontinueàremplirlecompartimentdubas.Jemerapproched’elleetviensm’adossercontreleplan de travail, les bras croisés.Me dit-elle ça pour m’encourager à l’interroger ? Je n’en suis pascertaine,maismesenssuffisammentàl’aiseavecellepourtenterlecoup.

—C’esttonjobquitepréoccupe?Lavraiequestionest:«ToutvabienentreAidanettoi?»,surtoutaprèscequeMarnanousaraconté

surleursproblèmesdeménage,maisjepréfèreprendredespincettes.Sonsourires’étiretandisqu’ellerinceladernièreassiette.—Non,aucontraire,jecroisquetravailleràlacliniquemesertdethérapie.Jerestesilencieuse,àl’écoute.—C’estlebarquipompebeaucoupd’énergieàAidan,cesdernierstemps,reprend-elle.Maisc’est

uniquementsafaute.Ilaplusd’employésqu’iln’enfautpourfairetournerlamachine,maisilpasseuntempsfouàgérerdeschosesqu’ildevraitconfieràseséquipes.

Jel’observeaveccuriosité.—Pourquoi?Elle referme lamachine et jetteun coupd’œil vers laporte enplein cintrequimène au salon, où

AidanetAndrewdiscutentets’esclaffentenponctuantnombredeleursphrasespar«merde,frérot,j’ycroispas».Elleseretournealorsversmoiavantdeseconfieràmi-voix:

—Ilm’enveut.Elle détourne alors la tête et se sèche les mains sur le torchon suspendu à la porte de placard

surplombantleplandetravail.C’est tout ? Je ne dis rien pendant quelques secondes, au cas où elle marque une pause

particulièrement prolongée,mais elle ne poursuit pas.Ce quime contrarie un peu. Puis, soudain, elledéclare:

— Je ne devrais pas t’embêter avec ça. Pas après tout ce qu’Andrew et toi avez enduré. Je suisnavrée.

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—Non,Michelle,dis-jepourlarassurer.Jesuislàpourt’écouter.Pouruneraisonquim’échappe,lefaitqu’elleévoque«toutcequ’Andrewetmoiavonsenduré»me

dérangemoinsquequandcelavientdequelqu’und’autre.Peut-êtreparcequejesaisqu’ellenecherchepas àme tirer les vers du nez, et qu’elle n’a pas peur de se comporter normalement avecmoi. Pourl’heure,iln’estquestionquedeMichelle,etjetiensàêtrelàpourelle.

Ellehésite,lanceunnouveaucoupd’œilverslesalon,puispousseunsoupir.—Ilveutdesenfants,m’avoue-t-elle.(Jeressenscommeunpincementaucœur,maisn’enlaisserien

transparaître.)Etmoiaussi,mais…pasmaintenant.—Oh,jevois.(J’acquiesceetprendsletempsderéfléchiràlasituation.)Ehbien,çapourraitêtre

pire. Ce n’est pas comme s’il avait une liaison, ou comme s’il s’était mis à fabriquer de laméthamphétamineausous-sol.

Michelleéclated’unrirediscretetraccrocheletorchonàsapoignée.—Tuasraison,admet-elle,légèrementdéridée.Jen’yavaisjamaisréfléchisouscetangle.J’aurais

aumoins aimé avoir trois ans de plus. En tant que pédiatre, je passemes journées avec des enfants.J’adoreça.C’estindispensablepourexercercemétier;celadit,j’aiaussiuneconscienceaccruedelaresponsabilité que c’est d’en élever un. Pour Aidan, ça se limite à l’inscrire au foot et à l’emmenercamper,tuvoislegenre?

Jepouffedoucement.—Ouais.Jemedemande si elle neme racontepas tout çapour tâcherd’apaisermapeine, enme rappelant

combien il est difficile d’avoir unbébé. Je pense que jeme fais des idées.Étant donné la nature desproblèmesqu’ellerencontreavecAidan,ellepourraitdifficilements’ouvriràmoisansentrerdanscesconsidérations.

—Alors,dis-moi:commentsepasselarééducationd’Andrew?L’atmosphèresedétendimmédiatementdanslapièce,commesinousrespirionstoutesdeuxbeaucoup

mieuxmaintenantquelesujetsensibleaététraité.—Ilaeuquelquesfaiblessesmusculairesaudébut,maisilseportecommeuncharme.Ilneretourne

presquepluschezlekiné.Michellehochelatête.Ellem’offreunechaiseets’installesuruneautre.—Tantmieux,dit-elleavantqu’unsilencegênés’installe.AidanetAndrewymettentuntermeendébarquanttousdeuxdanslacuisine.Aidanfoncedroitvers

lefrigo,tandisqu’Andrewselaisselourdementtombersurmesgenoux.—An-drew!gémis-jedansunéclatderiretoutententantenvaindelerepousser.Ilfautvraiment

quetuperdesdupoids.Arrête,chéri,tum’écrases!Ilpivotedeprofiletmejetteunregardencoinavantdemeserrerlevisageentresesmainsetdeme

planterunbaiserbruyantentrelesdeuxyeux.—Bougedelà!crié-je.(Ilobtempèreenfin.)Tuaslesosduculpointus.Jememasselescuissespourenchasserladouleur.Biensûr,sonculestloind’êtreosseux,maisson

regardoutrévalaitbiencepetitmensonge.—Devraisgamins!déploreMichelledepuisl’évier.Jenel’aimêmepasvueserelever.Aidanfermelefrigo,unebièreà lamain,ets’assiedsur lachaise laisséevacanteparsonépouse.

Andrewmesoulèvecommeunsacdeplumespourmevolermaplace,puisilmereposedanssongiron.—C’estmieuxcommeça,déclaré-je.Ilrefermelesbrasautourdemataille.

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—Bon,onadiscutéavecAidan.Oh,oh,çacommencemal.—Ahouais?m’enquiers-jed’unairméfiant,enscrutantAidanpuisqueAndrewsetrouvederrière

moi.—Çapromet,semoqueMichelle,unehancheappuyéecontreleplandetravail.Aidanposesabouteillesurlatableets’explique:—Est-cequeçavousdiraitdejouerdansmonbardemainsoir?C’estlasoiréelapluschargéedela

semaine.Etlesmorceauxquevousreprenezcollentparfaitementaveccequ’aimentmesclients.Jen’aijamaisétéaussinerveusedepuisqu’Andrewm’afaitmontersurscènepourlapremièrefois

auOldPoint,àLaNouvelle-Orléans.Sansdoutelefaitdenousproduiredevantsafamille.C’estquandmêmemoinsflippantdese lancerdevantunefouled’inconnusqu’onnereverrasansdoute jamais.Là,j’aidesnœudsauventrerienqued’ypenser.

—Jenesaispas…Andrewm’étreintlégèrementplusfort.—Oh,allez,dit-ilpourm’encouragersansparaîtretropinsistant.Insiste,Andrew!Arrêtedeprendredespincettes !Comporte-toicomme tu l’as faitquand tum’as

pousséeàchangercetteputainderoueouàgrimpersurletoitdetavoituresousl’averse!—Allez,reprendAidanenécho.Andrewm’aditquetuchantaissuperbien.Jem’empourpreetgrimaceenmêmetemps.—Ehbien,iln’estpastoutàfaitobjectif,tunedevraispaslecroiresurparole.— Je trouve que c’est une idée géniale, intervient Michelle en venant s’installer sur les genoux

d’Aidan.Illuitapejoyeusementlescuissesdesdeuxmains,commeAndrewlefaitsisouventavecmoi.Aidan

neluiressemblepasautantqu’Asher,maisvutousleurspointscommuns,iln’estpasdifficilededevinerqu’ilssontfrères.

J’y réfléchis un instant, puis me tourne vers Andrew et croise les doigts derrière sa nuque. Sonsourires’étired’uneoreilleàl’autre.Commentluirésister?

—Bon,d’accord,cédé-je.Jevaislefaire.Maisc’estmoiquichoisisleschansons.Aidanacquiesce.—Toutcequetuvoudras,meprometAndrew.—Combiendetempsonjoue?—Aussilongtempsquevousvoudrez,merépondAidan.Uneseulechansons’ilfaut.C’estvraiment

commevouslesentez.Andrew et moi nous couchons tard, après plusieurs parties serrées d’Atout Pique. Et même si la

chambred’amissesituejusteenfacedelaleur,nousnesommespasaussimalàl’aisequechezmamère.Saufqu’aucunsonneprovientdeleurchambre,contrairementàcequis’estpassédanslanôtredurantladernière demi-heure. J’ai pourtant essayé de gardermes gémissements en sourdine,mais ça n’est pastoujoursfacilequandAndrewestauxmanettes.

Çadoitmaintenant faire troisheuresqu’ilestendormi.J’entends lesbruitsde la rueetsonsoufflerégulier.De tempsà autre, lespharesd’unevoitureviennentglisser le longd’unpandemuravantdedisparaître.

Jen’arrivepasàdormir.J’aitendanceàfairedesinsomniesouàmeréveillerenpleinenuitdepuis…ehbien,deuxgrossessemaines.J’essaiedenepastropm’agiterpournepasdérangerAndrew.Ilsemblesipaisible,ainsiallongé.

Je finis par me lever discrètement et vais farfouiller dans mon sac en quête d’une pilule. Elles

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m’aidentàtrouverlesommeil.Etj’aimebienl’étatdanslequelellesmemettent.Ellesmepermettentderessentirautrechosequeladouleur.Jefaistoutefoistrèsattention.Jen’aiaucunetendanceàl’addiction,etjen’aijamaisprisdedroguesdemavie.Mêmesij’aitirésurquelquesjointsenfindelycée,commetoutlemonde.

Jedoisnéanmoinsreconnaîtrequejenesaispascommentjeferaiquandjen’enauraiplus…J’en fais tomber une dans le creux de ma main et l’observe longuement. Je devrais peut-être en

prendredeux, pourune fois, histoire debiendormir. J’ai besoinde sommeil si je veux être d’attaquedemainsoir,aubard’Aidan.Ouais,mieuxvautenprendreuneseconde.

Jefaiscoulermescachetsaveclabouteilled’eauquireposeàcôtédulit,puisjemerallongeàcôtéd’Andrewetscruteleplafondenattendantquelesmédicamentsfassenteffet.

Mesentantremuer,Andrewrouleinstinctivementsurlecôtéetmeposelamainsurleventre.Jemeblottiscontrelui,traçantdoucementlescontoursdel’Eurydicetatouéesursontorse.Bientôt,jemesenspluslégère,etmesyeuxs’emplissentdecentainesdepapillonsquisemettentàbattredesailesderrièremespaupièresetautourdemestempes.

Etje…

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ANDREW

CAMRYNS’ESTLEVÉEBIENAPRÈSMIDI.QUANDJ’AIFINIPARLARÉVEILLER,ELLEÉTAITDETRÈSMAUVAISPOIL,peut-êtreàcausedesamigraine.Mignonne,maisdemauvaispoil.Elleaàpeinebudeuxbièreshiersoir,maisàlavoirainsiallongée,latêteenfouiesousl’oreiller,ondiraitqu’elles’estsiffléunebouteilleentièredetord-boyaux.

— Je t’ai apporté de l’Advil, lui dis-je enm’asseyant près d’elle. Tu as peut-être une tumeur aucerveau.

Ellemebalanceuncoupdegenoudanslacuisse.—Cen’estpasdrôle,Andrew,geint-elle.Jetrouvaisçamarrant,pourtant.—Allez,avaleça,insisté-jeenretirantl’oreiller.Elleprotestequelquessecondesavantdecapituler.Elleseredresseletempsd’avalerlescachetsavecunegorgéed’eau,puisselaisseretombersurle

matelas, serrant fermement lespaupièreset semassant les tempesduboutdesdoigts. Je lui rends soncoussin,souslequelelles’abritesanstarder.

—Tusais,ilnefautpasboirequandonn’yestpashabitué.—Jen’aibuquedeuxbières,réplique-t-elled’unevoixétouffée.J’aijustemalaucrâne,çan’arien

àvoiravecl’alcool.Je me penche pour l’embrasser sur le ventre. La dernière fois que j’ai fait ça, elle était encore

enceinte ; celame rend tristeun instant,mais, commedepuisque la tragédiea eu lieu, je réprimecessentimentsetravalelaboulequiseformedansmagorge.

—Jepeuxrestericiavectoi,situveux,proposé-je.—Non,çavaaller.Samainémergedesoussonoreiller.Ellelaposeàl’aveuglesurmonentrejambe,serendcomptede

cequ’elletoucheets’empressedeladéplacersurmongenou.Jelataquineraisbienàcesujet,maisjelalaissetranquillepourcettefois.

—Bon,jevaisaiderAidanpendantuneheureoudeux,luidis-jeenmerelevant.J’espèrequetutesentirasmieuxcesoir,j’aivraimentenviequ’onjoue.

—Moiaussi,dit-elleenmetendantlamain.Jeluiembrasselesdoigtsavantd’allerrejoindremonfrère.Quandnousrentronsendébutdesoirée,

Camrynesthabilléeetn’aplusmalaucrâne,nousnousdirigeonsdonctouslesquatreversleroyaumed’Aidan,peuplédebière,decacahuètesetdeconcerts.

ÀencroireAidan, lesaffairesvontbien ; iln’estmêmepas19heuresquandnous franchissons la

portedesonbar,etjeconstatequ’iln’exagéraitpas.Jen’avaisencorejamaisvuautantdemondeici,etpourtantj’yaipasséunsacrépaquetdevendredisetdesamedisdepuisqu’ilenestdevenupropriétaireilyasixans.Lesinnombrableshaut-parleursfixésauxmursetauplafonddiffusentunesortedefolkrock

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ressemblantbeaucoupauxmorceauxdontCamrynetmoiavonsmalgrénousfaitnotremarquedefabrique.Si onm’avait demandé, il y a quelque temps, ce que je jouerais si je devaismontermon groupe, jen’aurais jamais répondu ça. Je reprenais des classiques du rock comme les Stones ou Led Zeppelindepuis un bail, mais cela a changé depuis ma rencontre avec Camryn. Aujourd’hui, notre principaleréférence reste lesCivilWars, parce que les duos nous sont venus naturellement.Cela dit, nous nouséclatonsaussiparfoissurdevieuxmorceaux.

Notrepréféré:«HotelCalifornia»,desEagles.Latoutepremièrechansonquenousayonsentonnéeensemble.Certes,c’étaitdanslavoiture,etuniquementpournousamuser,maisçanousestresté.Camrynaaussiinsistépourapprendre«Laugh,INearlyDied»desRollingStones.

Toutefois, elle préfère les trucs plus modernes, et par-dessus tout les Civil Wars, c’est doncgénéralementcequenousjouons.

Cesoirneferapasexception.J’avaispressentiqu’ellechoisirait«TipofMyTongue»et«BirdsofaFeather»,carc’estsurces

deuxtitresqu’elles’amuseleplus.J’adorelaregarderpendantquenoussommessurscène,carcelalatranscende littéralement et la rendplus canonque jamais.Quandelle chante, j’ai l’impressionque lesqualités qu’elle a au quotidien se démultiplient. Elle ne se contente d’ailleurs pas de chanter : elleinterprète. Elle a un vrai don d’actrice. Ellem’a dit qu’elle faisait du théâtre à l’école, et ça nemesurprendpasdutout.

Chanteràmoncôtésembleaussilarendreheureuse,cequirendcettesoiréed’autantplusimportante.C’estlapremièrefoisquenousnousproduisonsdepuisqu’elleaperdulebébé,etj’espèrequecelaluiferadubien.

Nous nous frayons un passage à travers la foule compacte et arrivons enfin sur la scène, où nousprenonstoutnotretempspournousinstaller.Iln’yapasgrand-choseàpréparer,avecuneseuleguitare–malheureusement,pasl’unedesmiennes–etdeuxmicros,maisnousnecommenceronspasavantunbonquartd’heure.

—Jesuistellementnerveuse,meglisseCamrynàl’oreille,suffisammentfortpourcouvrirlamusiqueambiante.

Jepousseunpetitpffduboutdeslèvres.—Oh,arrête.Ilyaunbailquetun’asplusletrac.Onafaitçadesdizainesdefois.—Jesais,maislà,onchantedevantAidanetMichelle.—Ilchantecommeunecasserole,onsefoutunpeudesonavis.Ellesourit.—Aumoins,jenesuispasstresséeaupointdeneplusvouloirjouer.Aucontraire,c’estmêmeplutôt

excitant.—Jetereconnaisbienlà.Jeluidéposeunbaisersurleslèvres.—Cesdeuxfilles,àlapremièretableàtagauche,melanceCamrynsanslesregarder.Ellessonten

traindefantasmersurtoi,çasevoitcommelenezaumilieudelafigure.Jepouffediscrètementensecouantlatête.— Et le mec à côté de la femme en violet, répliqué-je en le désignant du menton, n’a cessé de

s’imagineravecsaboucheentretescuissesdepuisquetuesmontéesurscène.—Cesoir,c’estdonceux,hein?J’acquiesced’unhochementdetête.—Alors,faisons-lesgrimperauxrideaux,conclut-elleavecunsourireespiègle.—J’ycomptebien,rétorqué-jesurlemêmeton.

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NousavonscommencécepetitjeudèsnotredeuxièmesoirauLevy’s:nouschoisissonsungarçonetune filledans lepublic, etnouscherchonsà leur transmettredesvibrationsérotiquesen les faisant sesentir uniques le temps de l’une de nos chansons. Nous veillons toujours à leur accorder quelquesattentions discrètes, bien avant de leur sortir le grand jeu. D’abord un regard prolongé, trois bonnessecondesdurantlesquellesnousleurfaisonscomprendrequenouslesavonsremarquésunpeuplusquen’importequid’autredanslasalle.Camrynaentamésonnumérodecharme.Letypearboredéjàungrandsourireniais.Ellesetourneversmoietmedécocheunclind’œil.Jepassesurmonépaulelasangledema guitare, puis observe les deux filles. Force est de constater qu’elles sont plutôt canon. Je capted’abordl’attentiondelabrunette,soutienssonregardpendantquelquessecondes,puism’intéresseàsonamiependantlemêmelapsdetemps.Dèsquejedétournelatête,jelessurveilleducoindel’œiletlessurprendsàglousserensefaisantdesconfidences.Jesourisetcommenceàgratterquelquesnotespouraccordermoninstrument.Camryntapotesursonmicro,puisvachercherdeuxtabouretssurlesquelsnousne resterons de toute façon assis que le temps d’une chanson. Elle se hisse sur le sien et croise lesjambes;sestalonsnoirsvertigineuxluidonnentl’airdesavoirparfaitementcequ’ellefaitdanslemétier.Ilssontornésdepetitsclousargentés.Bonsang,lesfringuesqu’elleportesuffisentparfoisàmerendredingue.

Un jeune homme grimpe sur la scène pour annoncer notre concert.De nombreuses voix se taisentalors, imitées par d’autres dès les premières notes de guitare. Quand Camryn entonne la premièrechanson,sontimbreesttellementsuavequ’ilsuffitàcapterl’attentiondechacun.

Nousjouonsquatremorceauxdevantunpublicparticulièrementréceptif,promptàdanser,àboireetàchanteravecnous.L’ambianceestélectrique,etj’adoreça.

Lemicroàlamain,Camryndescendlestroispetitesmarchesquimènentàlascèneets’approchedesavictime.Avantlafindumorceau,ilprendsonpiedensetrémoussantavecelle.Quandsesmainsserapprochentunpeutropdespartiesdesoncorpsquemoiseulsuisautoriséàtoucher,Camrynsourit,enbonneprofessionnelle,etcontinueàchantertoutenlerepoussant.

Nousprenonsbientôtunecourtepause.Camrynm’attireàl’arrièredelascènetandisquelesconversationsvontbontraindanslasalle.—Ilfautquej’ailleauxtoilettes,medit-elle.Jeposemaguitarecontrelemur.—Pendantcetemps,jevaisnouschercheràboire.Qu’est-cequetuprends?Ellehochelatêteensouriant.—N’importequoi,peum’importe.—Avecdel’alcool?demandé-je.Elleacquiescedenouveauetm’embrassebrièvement,manifestementpresséed’allersesoulager.—Oh,etsitufaisaislaprochaineensolopourunefois?propose-t-elle.—Vraiment?Pourquoi?—Parceque tu la jouesmieux toutseul,déclare-t-elle, lesmainssurmon torse.Etpuis j’aiassez

chantécesoir,j’aienviedeteregarder.Ellem’embrasse.Sesescarpinslagrandissenttellementquenousfaisonslamêmetaille.Sesdésirssontdesordres.Jeneveuxpaslabrusquer.—D’accord, jevaischanter toutseul,accepté-je.Çaserad’autantplusfacilededraguercesdeux

filles.Ellerépliqueavecunpetitrire:—N’enfaispastrop,Andrew.Souviens-toidecequis’estpasséladernièrefois.—Jesais,jesais,assuré-jeenluifaisantsignedepartir.

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Elle tourne les talons et je lui assène une petite claque sur les fesses pour lui faire accélérer lemouvement.

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14

CAMRYN

QUAND J’ARRIVEAUXTOILETTES, JEMERETROUVEAUBOUTD’UNEFILEDEFEMMESATTENDANTQU’UNECABINEselibère.L’airestsaturéd’haleineséthyliques,deparfumsetd’odeurdecigarette.Àintervallesréguliers,uneporte s’ouvreet se refermedansunodieuxclaquement,àmesureque lesgensentrentetsortent. Je commence par me laver les mains, me faufilant entre deux filles éméchées juchées sur lecomptoirdepartetd’autredu lavabo.Parchance,ellesn’ontpas l’alcoolmauvais,car jenesuispasd’humeur àm’adonner au crêpagede chignonce soir.Elles s’excusentdeprendre toute laplace et sedécalentaimablement.

—Merci,leurdis-jeenallumantl’eau.—Eh,t’eslachanteuse,faitremarquercelleàmagauche,toutsourires.Sonregardnavigueentresonamieetmoi-même.—Ondiraitbienqueoui,admets-je.Je ne suis pas non plus franchement d’humeur à badiner dans des toilettes publiques. Plus je

m’éternisedanscegenred’endroit,plusjemesensdégueulasse.—Vousêtesgéniaux,touslesdeux,reprend-elleenrayonnant.—Ouais,franchement,renchéritsacopine.Commentçasefaitquevouschantiezdansdesbars?Jemecontentedehausserlesépaulestoutenfaisantgiclerunpeuplusdesavondansmapaume.Je

m’efforcedeleséviterleplusgentimentpossible.—Ouais,sérieux,reprendlapremière.J’s’raisprêteàpayerpourvousvoirjouer.Même dansmon état, je ne suis pas complètement insensible aux compliments. Je lui souris et la

remercie.Lorsque deux nouvelles cabines s’ouvrent simultanément, elles sautent sur l’occasion et foncent

s’enfermeràl’intérieur.Bientôt,ellessortentdestoilettesenm’adressantunpetitsignedelamainetmesouhaitentbonnechancepourlasuitedema«carrièremusicale».Alorsqu’ilnerestepresqueplusquemoi,jemetourneverslemiroir,maisjenemeregardepas.Aulieudequoi,jeplongelamaindansmapocheetenextraisuncachet,quejefaiscouleravecunpeud’eau.

Justehistoiredemecalmerunpeu.Puisjem’observe,repoussantdanslefonddemonespritlapriseducompriméetlaculpabilitéqui

s’ensuitinvariablement.Jemetrouvechaquefoisuneexcusepourlesprendre,etparvienspresqueàmeconvaincrequ’iln’yapasdemalàcela. Jesaiscependantquemaconscienceneme tiraillepassansraison.

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Enmoinsdeonzeminutes,laculpabilité,lesexcusesoulestressnem’importentplus,carlapartiedemoncerveaugérantcesémotionsestcomplètementengourdie.

Jeme frotte les yeux pour effacer les traînées demascara, puis essuie la sueur qui perle surmonvisageà l’aidedepapierhygiénique.Jedoisfairebonnefigureenretournantdanslasalle.Jemesenssuperbien,etmonalluredoitêtreàl’imagedemonétatd’esprit.

JejouedescoudespourrejoindreAidanetMichelle,deboutderrièrelegigantesquecomptoir.Puisjeme rappellequ’Andrewdevait allermechercher àboire,mais il est horsdequestionque je retournejusqu’àlascènepourrécupérermonverre.

—Vousêtesvraimentgéniaux!mehurleMichellepourcouvrirlebruitdelafoule.Ellemeprenddanssesbrasetjeluirendssonétreinte,sentantunsouriremédicamenteuxm’étirerles

lèvres.JemetourneversAidan.—Qu’est-cequetuenaspensé?— Je suis d’accord avecMichelle ! s’exclame-t-il. Vous devriez écrire vos propresmorceaux et

revenirjouericiplussouvent.Ilyasouventdesdénicheursdetalentsquiviennenttraîneraubar.Etdescélébrités. (Ilmedésigne lemurdufondoùsontalignéesdesphotosautographiéesdemusiciensetdestarsducinéma.)Avecvoscompos,jesuissûrquevousdécrocheriezuncontratdansl’année.

Jeplanedésormaissihautqu’ilpourraitmedirequenoussommesnulsàchieretquenousn’avonsabsolumentaucunavenirdanslamusiquequejecontinueraisàluisouriredelasorte,laissantsesmotsmerentrerparuneoreillepourressortirparl’autre.

Jepivotealorsvers lascèneet remarquequ’Andrewet legroupemaisons’apprêtentàentamersachansonfétiche:«Laugh,INearlyDied».Jedoutequ’ilmevoieàtraverslafoule,maisilsaitquejel’observe.J’adoreleregarderquandilestsurscène,danssonélément.Jesaisquemêmesinousformonsunbonduo,ilestencoremeilleurquandilestseul.J’adorerepenseràlapremièrefoisquejel’aivudanscesconditions.Carcesoir-là,àLaNouvelle-Orléans,jesavaisqu’iljouaitpourmoi,etjem’étaissentiecommelafillelaplusheureusedumonde.

Jeferaisn’importequoipouréprouverceladenouveau.N’importequoi…Peuaprèsavoirgrattélespremièresnotes,Andrewa,commeàsonhabitude,déjàcaptél’attentionde

lasalleentière.Lesdeuxfillesdudevantsontdésormaisdebout,dansantensembledefaçonprovocante;jesaisqu’ellesnefontçaquepourAndrew,j’aidéjàassistéàdesscènessimilaires.Ellesontenviedelui et il leur laisse croire, justepourun soir, que la réciproqueestvraie.C’estparfaitement innocent.Andrewetmoisommesd’accordlà-dessus:c’estunefaçoncommeuneautredesoignerl’egodesautres.Flirteràdroite,àgauche,faired’unpetitveinardoud’unepetitechanceuselecentredel’attention,justeassezlongtempspourlesfairerougiretsourire.Onnesaitjamaiscequipeutsepasserdanslaviedecespersonnes,etunpeud’énergiepositivedetempsàautrenepeutpasfairedemal.

QuandnousrentronschezAidanetMichellepeuaprèsminuit,jevaismecoucheravanttoutlemonde.Je reste allongéependantunebonneheure, à les entendrediscuter au salon.Andrewétait prêt àvenirdans lachambreenmême tempsquemoi,mais j’ai insistépourqu’ilpasseunpeude tempsavecsonfrère. Il s’inquiète beaucoup trop pour moi depuis quelque temps. Nous repartons pour Raleigh dèsdemain,etjetiensàcequ’ilprofited’Aidanaumaximum.

Unedeuxièmeheures’écoule,etjenedorstoujourspas.Agacée,jeplongelamaindansmonsac,dontjesorsàtâtonsleflacondemédicaments.Sansmême

m’enrendrecompte,jel’aidéjàquasimentvidé.Cettefois,jesombrevers3heures.

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15

ANDREW

—CAMRYN?MABELLE,JET’ENPRIE,RÉVEILLE-TOI.Jelasecoueparl’épaule,deplusenplusviolemment.Désormais, ma principale émotion est l’inquiétude. Suivie de près par la colère et le chagrin.

Pourtant,étrangement,ledoutel’emportesurtouteslesautres.Jelasecouederechef.—Lève-toi.J’ignorecombiendepiluleselleapuavaler,maisàenjugerparleflaconpresquevide,l’éventualité

d’une overdoseme provoque un accès de panique.Néanmoins, elle respire de façon régulière, et lesbattementsdesoncœursemblentnormaux.Sielleneseréveillepas…

Elleentrouvrelesyeux,et,soulagé,jerespireungrandcoup.—Camryn.Regarde-moi.Elleparvientàseconcentrersuffisammentpourriversesyeuxauxmiens.—Quoi?gémit-elledoucementavantderefermerlespaupières.Jelasaisissansménagementparlesépaulesetlaforceàs’asseoir.—Jet’aiditdeteréveiller.Gardelesyeuxouverts.Elle obtempèremollement, comme s’il n’y avait rien que de très ordinaire à se faire réveiller et

redresserdeforce.—Combienenas-tupris?Michellesetientderrièremoi,dansl’embrasuredelaporte.—Tuveuxquej’appelleuneambulance?Soudain,Camrynredevientparfaitementcohérente.Jenesaispassimaquestionafiniparatteindre

soncerveau,ousilaréférenceàl’ambulanceluiaremislesidéesenplace,maisellemescruted’unairterrifié,lesyeuxagrandisparlapeur.

—Combiendecesfoutuscachetsas-tupris?Elle se tourne vers le flacon, posé sur la table de chevet. Quand je suis venu prendre de ses

nouvelles,jugeantqu’ilneluiressemblaitpasdedormirjusqu’à14heures,jel’aitrouvéparterre.—Camryn?Jelasecoueencorepourattirersonattention.Ellem’observelonguement.Jedécouvretantd’émotionsdanssesprunellesquejenesaisquechoisir

entre l’humiliation, le regret, la douleur, la colère ou le renoncement. Puis les premières larmes

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apparaissent. Je sens soncorps trembler entremesmains.Elle s’écroulealors contremoi et éclate ensanglotsdéchirants.

—Andrew?m’appelleMichelledepuislaporte.Sansmeretourner,jeréponds:—Non,çavaaller.Et je ravalemespropres pleurs etmonpropre chagrin, luttant contre l’étauqui se referme surma

poitrine.Michellequittelapièceenrefermantdoucementderrièreelle.J’étreinsCamrynpendantdelonguesminutes, la laissant inondermontee-shirtdeseslarmes.Jene

prononcepasunmot.Pasencore.D’unepartparcequejesaisqu’elleabesoindeça,detoutévacuer.D’autrepartparcequejesuissifurieuxetblesséquejemedoisdeprendredureculpouréviterdediredes choses que je pourrais regretter. Je la serre donc puissamment contre moi, en attendant que sestressautementssetarissent.Jel’embrassesurlesommetducrâneenm’efforçantdenepascraqueràmontour.Lapartiedemoiquifulminem’yaidegrandement.

—Jesuisdésolée!s’exclame-t-elle.Etdèsl’instantoùjeperçoisladouleurdanssavoix,j’enoubliepresquecomplètementmacolèreet

l’enlaceplusfortencore.—C’esttoiquit’excuses?m’étonné-je,incrédule.Jel’écartelégèrementdemoipourpouvoirlaregarder.Jesecouefurieusementlatête,deretourau

picdemacolère.—Dis-moicombientuenaspris.Jeplantemonregarddanslesien.—Hiersoir?Seulementtrois,répond-elle.—Etcombienilyenavait,àl’origine?—Jenesaispas.Peut-êtreunevingtaine.—Depuiscombiendetempstuenprends?Ellemarqueunepauseavantderépondre.—Seulement depuismardi. Ils sont àmamère. J’en ai pris un pour faire passermamigraine, et

puis…Denouvelleslarmesluimontentauxyeux.Jetendslamainpourlesluiessuyer.—Bonsang,Camryn,dis-jeenlaplaquantdenouveaucontremontorse.Qu’est-cequit’estpassépar

latête,bordel?—Jen’ensaisrien!s’écrie-t-elle.Jenesaispascequiclochechezmoi.Jemetsmesmainsencoupeautourdesesjoues.—Tusaistrèsbiencequicloche.Tuesperturbéeparlefaitd’avoirperduLily,ettun’arrivespasà

gérer.Tuauraisdûm’enparler.Ellebaissealorslesyeux,sansbougerla tête.Lesilencesinistrequis’ensuitmefrappedelaplus

étrangedesmanières.J’essaiedelaconvaincredemeregarder,maiselles’yrefuse.—Camryn?Parle-moi.Ilfautquetumeparles.Écoute,tun’ascommisaucuneerreur,ettun’aurais

paspuempêchercequiestarrivé.Ilfautquetulesaches.Tudoiscomp…Elle se libèrebrusquementdemonétreinte,medévisage avecunmélangededouleur et…d’autre

chose.—Toutestmafaute!s’exclame-t-elleenreculantsurlelit.Ellefinitparendescendredel’autrecôtéetcroiselesbrasenmetournantledos.

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—Cen’estpastafaute,Camryn.Jem’approched’elle,maisdèsqu’ellemesentarriver,ellefaitvolte-face.—Si,toutestmafaute,Andrew!répète-t-elle,deslarmespleinlesyeux.Jen’arrêtaispasdepenser

quemagrossesseallaittoutgâcher!J’étaisfurieusequ’onhabitetoujoursàGalvestonauboutdequatremois ! Jemedemandaiscommentonallaitpouvoir réalisernos rêvesavecunbébé !Alorssi,c’estàcausedemoiqu’onl’aperdu,etjemehaistouslesjourspourça!

Elles’enfouitlevisagedanslesmains.Jecombleladistancequinoussépareetlaserredansmesbras.—Putain,Camryn,cen’estpastafaute!Je ne pense pas avoir jamais dit quelque chose à quelqu’un avec une telle émotion.Ma poitrine

trembledefaçonincontrôlablecontrelasienne.—Regarde-moi ! lui dis-je encore enme reculant. C’est tout à fait normal. Et si jamais tu étais

coupable, je le serais aussi : çam’est aussi arrivé de penser à des trucs pareils,mais, comme toi, jen’auraisjamaisvolontairementprovoquéça.

Jen’ainulbesoind’attendrequ’elleconfirmemonassertion,carjesaisqu’ellenedésiraitpasperdreLily.Néanmoins,elleprendlapeinedepréciser:

—Jen’aijamaisregrettéd’êtreenceinte.Etje…jeveuxqu’ellerevienne!—Jesais.Jesais.Je l’étreins puissamment et la faismarcher jusqu’au pied du lit, où je l’encourage à s’asseoir. Je

m’accroupisentresesjambes,lescoudesposéssursescuisses,etluisaisislesdeuxmains.Jelaregardebienenfaceetdéclare,unefoisencore:

—Cen’estpastafaute.Elleessuiequelqueslarmes,etnousrestonsdanscettepositionpendantcequimeparaîtuneéternité.

Je pense qu’elle me croit – à moins qu’elle donne le change simplement pour mettre un terme à laconversation.Puisellecontemplelemurderrièremoietdemanded’unetoutepetitevoix:

—Est-cequeçafaitdemoiunetoxicomane?J’ai envie de rire, mais je m’abstiens. Je me contente plutôt de secouer la tête en lui souriant

tendrement,serrantdélicatementmesdoigtsautourdessiens.—Tuaseuunmomentdefaiblesse,etmêmelespersonnes lesplusfortesnesontpas immunisées

contreça.Quatrejoursetunflacondecalmantsnefontpasdetoiunedroguée.Tuasprisunemauvaisedécision,voilàtout.

—Cen’estpascequeMichelleetAidanvontpenser.Jesecouelatête.—Biensûrquesi.Ettouslesautresaussi.(Jemeredressepourm’asseoiràcôtéd’elle.)Etpuis,ça

neconcernepersonne.C’estentretoietmoi.—Jen’avaisencore jamais rienfaitdepareil,déclare-t-elleenscrutant levide.Jen’arrivepasà

croire…—Tun’étaispastoi-même.TuesbouleverséedepuislamortdeLily.Lapièceseretrouveétrangementplongéedanslesilence.Jel’observeducoindel’œil,maispréfère

nepasinterromprecetinstant.Ellesembleperduedanssespensées.—Andrew,finit-elleparreprendre,onnedevraitpeut-êtrepasresterensemble.Sesmotsm’atteignentavecunetelleforcequej’enailesoufflecoupé.Jesuistellementsouslechocquejen’arriveplusàparler.Moncœurbatàtouteallure.Enfin,commeellenedéveloppepas,jeparviensàrépliquer:—Pourquoitudisunechosepareille?

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Etjeredouteprofondémentsaréponse.Elleregardetoujoursdroitdevantelle,lesjouesbaignéesdelarmes.Puisellesetourneversmoi,et

jereconnaisdanssesyeuxladouleurquisetrouvecertainementdanslesmiens.—Parcequetousceuxquej’aimefinissentparm’abandonnerouparmourir.Jesuisparcourud’unevaguedesoulagement,quesadétresseéclipseaussitôt.C’estàcet instantprécisque jemerendscomptequec’est lapremière foisqueCamryns’ouvreà

moi, ou à qui que ce soit d’autre, à ce sujet. Je repense aux choses que Natalie m’a dites, auxconversationsqueCamrynetmoiavonseuessurlaroute,etjesaisqu’elleadmetenfinsadouleur.Elleestdésormaiscapabledesel’avoueràelle-mêmeetdel’assumerauxyeuxdesautres.

—Çame semble tellement égoïste de dire ça, poursuit-elle. (Jeme garde bien de l’interrompre.)Monpèrenousaquittés.Mamèreachangé.Magrand-mère,laseulepersonneaumondequisoitrestéelamêmeetaittoujoursétélàpourmoi,estmorte.Ianaussi.Coleestalléenprison.Nataliem’apoignardéedansledos.Lily…(Sonvisageestdeplusenplusmarquéparl’affliction.)Ettoi.

—Moi?Maisjesuislà,Camryn.Jeseraitoujourslà,dis-jeenluiprenantlesmains.Peum’importecequetufais,oucequisepasseentrenous.Jenetequitteraijamais.Jeresteraitoujoursauprèsdetoi,ajouté-jeenserrantsifortquejeluitordslesdoigts.Tutesouviensquandjet’aiditquetuétaistoutpourmoi?Tum’asdemandédetelerappelersitoutefoistuoubliais.Ehbien,jetelerappellemaintenant.

Lessanglotslafonttressaillir.—Maistuauraispumourir,déclare-t-elle,enpleurs.Chaquefoisquejevenaistevoiràl’hôpital,je

me disais que ce serait ton dernier jour. Et quand tu t’en es tiré, jeme suis surprise àme le répéter,encoreetencore.Pendantdessemaines,pendantdesmois,carj’avaisbesoindem’habitueràl’idéedetevoirdisparaître.Unjour.Parceque,d’unemanièreoud’uneautre,jesavaisquetuallaisfinirparpartirtôtoutard.Commetoutlemonde.

—Pourtantjesuisresté,dis-jeavecunsourireternidedésespoir.(Jem’assiedsparterreetl’inviteàmerejoindre.)Jenesuispasmort.J’aisurvécu,parcequejesavaisquetuétaislà,avecmoi,pendanttoutcetemps.Parcequejesavaisquenousétionsfaitspourêtreensemble,etquesitudevaisvivre,alorsmoiaussi.

—Etsiçaarrivequandmême?insiste-t-elle.(Saquestionmeprenddecourt.)Silatumeurrevient?—Cela n’arrivera pas, affirmé-je.Etmême dans le cas contraire, je la vaincrai de nouveau. J’ai

laissés’écoulerhuitmoissansallervoirledocteur,etpourtantjel’aiquandmêmevaincue.Avectoiquimebottes leculrégulièrementpourallerpasserdesvisitesdecontrôle, jenerisquepasdemelaisserprendreparsurprise…

Ellenesemblepastoutàfaitconvaincue,maisjedevineunelueurd’espoirsursonvisage,etc’esttoutcequej’espérais.

—Jesuissincèrementdésolée,m’assure-t-elle.Etaulieudeluidirequecen’estpasgrave,jeluilaisseapprécierdenouveaulesilence,pourlui

permettredeconclure.—Jeparieque tune t’attendaispas àun tel concentrédeconnerie, reprend-elle en se frottant les

yeux.Pourdétendrel’atmosphère,jefrottesesgenouxdénudésetréplique:—Jet’aimeraismêmesitufaisaispartiedecesfillesquicourentsefairevomirauxtoilettesaprès

chaquerepas,ousituétaissecrètementfétichistedesclowns.Elleritdoucementàtraversseslarmes,cequimemetenjoie.Je lui redresse le menton et recouvre mon sérieux en observant ses magnifiques iris d’un bleu

cristallin.

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—Camryn,dis-je,Lilyn’étaittoutsimplementpasprête.Jenesaispaspourquoi,maisçan’estpastafaute,nicelledequiquecesoit.Ettudoiscomprendrequ’ilfautfairefaceàcetteépreuveensemble.DeAàZ.D’accord?

Elleacquiesce.Jemepenchepourl’embrasser,d’abordsurlefront,puissurleslèvres.Le silence qui s’ensuit est plus détendu.Plus léger. Je sais queCamrynne sera pas complètement

rétablie du jour au lendemain, mais je constate déjà une nette amélioration. Ça se voit rien qu’en laregardantqu’elle s’estdélestéed’unepartiede son fardeauenendiscutant.Elle en avait besoin.Elleavaitbesoinquequelqu’unl’aideàmettredel’ordredanssesidées.Pasd’unepersonneindifférente,nid’unepersonneluiservantdesréponsestoutesfaitesàchacundesesproblèmes.

Elleavaitbesoindemoi.Jememetsdeboutetluitendslamain.—Viens.Ellemelaisselarelever.Jeramasselesmédicamentssurlatabledechevet,puisemmèneCamrynà

la salledebains. Je soulève l’abattantdes toiletteset lui tends le flacon.Et, sansque j’aiebesoindeprononcerlemoindremot,elleenrenverselecontenudanslacuvettesanshésitation.

—Jen’arrivetoujourspasàcroirequej’aieétésifaible.Elletirelachasseetregardetournoyerpuisdisparaîtrelesquatrepilulesrestantes.Puisellerelèvela

têteversmoi.—Andrew,j’auraisfacilementpudeveniraccro.Jen’imaginemêmepas…Jel’interrompspourl’empêcherdesetorturerdavantage:—Maisçan’estpasarrivé.Ettuasdroitàtonmomentdefaiblesse.C’estfini,maintenant.Jesorsdelasalledebainsettraverselachambreàgrandspas.Elles’arrêteaumilieudelapièce,

sansmequitterdesyeux.—Andrew?Jefaisvolte-faceetréponds:—Accorde-moiunesemaine.Ellesembledéconcertée.—Unesemainepourfairequoi?Jemefendsd’unlégersourire.—Disoui.Resteiciavecmoiunesemainesupplémentaireettuverrasbien.Deplusenplusperplexe,ellefinitpardéclarer:—Euh…d’accord.Sonvisagetrahituneincompréhensiontotale.Néanmoins,ellemefaitconfiance,etc’esttoutcequicompte.Jevaisnousoffrircedontnousavons

touslesdeuxbesoin,qu’elleleveuilleounon.

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16

CAMRYN

TroisièmejourJENEMESERAISJAMAISPENSÉECAPABLEDEFAIRECEQUEJ’AIFAIT.SELONANDREW,C’ESTUNMOMENTDE

faiblesse;mêmes’ilaraison,ilmefaudrauntempsfoupourarriveràmelepardonner.Michellem’aassuréqu’ellenemejugeaitpas,etbienquecelam’aitremontélemoral,jenepeuxpas

m’empêcherdemesentirhumiliéechaquefoisquejemetrouvedanslamêmepiècequ’elleouAidan.C’estpeut-êtrelefaitqu’ilssoientsicompréhensifsquirendtoutcelasiterrible.

Une semaine. J’ignore quelle idéeAndrew a derrière la tête,mais je lui dois de ne pas poser dequestionsetdelelaisseragiràsaguise.Ilsemontretrèssecretdepuisplusieursjours,répondantsouventautéléphonedepuisd’autrespiècespourquejenepuissepasentendresesconversations.Jen’aiessayéqu’unefois,encoupantlesondelatéléetretenantmonsoufflesurlecanapétandisqu’ilallaitparleràAsherdepuislacuisine.Maisjemesuisimmédiatementsentiecoupable,etj’airemontélevolumepourm’empêcherd’espionner.

Jeprenaiscespilulesdepuismoinsd’unesemaine,maiscelanem’empêchepasdemesentirencoresupermaltroisjoursaprèsavoiravalélesdernières.Jesuisàcôtédemespompes,j’aiencoreplusdemalqu’avantàm’endormir,maismesmauxdetêtecommencentenfinàs’estomper.Jen’imaginepascequecelaauraitétésij’avaisétéaccropendantdesmoisvoiredesannées.Jecompatissincèrementaveclesgenspourquic’estlecas…

Quatrièmejour

Aidanentredanslesalonavecunepetitepiledecourrieràlamain,qu’iltrietoutenavançant.Il observe d’un air curieux une petite enveloppe blanche, puis la brandit devant lui avant de

m’observerjusqu’àcequ’Andrewviennenousrejoindre.—Ondiraitquec’estpourtoi.Ilmelorgnedenouveau,maistendl’enveloppeàAndrew.J’aiunétrangepressentiment;jemelèvedufauteuilrelaxeetm’approched’Andrewpourenavoirle

cœurnet.Justeavantqu’illadérobeàmonregardetlaisseretomberlamainàsoncôté,j’aperçoislenomde

Nataliegriffonnédessus.

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Ilsaitquejel’aivu.—Non,déclare-t-ilensecouantlatête.Jetelamontreraiuneautrefois.Puisilfaitdisparaîtrel’enveloppedanslapochearrièredesonjean.Jeluifaispleinementconfiance,maisjesuishumaine,etunepartiedemoi-mêmenepeuts’empêcher

d’être anxieuse.PourquoiNatalie enverrait-elledes lettres àAndrew?Confianceoupas, lapremièrechosequivientforcémententêtedanscegenredesituationestdesedemandercequisetrameentreeux.Maiscettepenséeesttellementabsurdequejelarejetteimmédiatement.

Ilscomplotentcontremoi.J’aimeraisjustesavoircequ’ilsmijotent.

Cinquièmejour

Aujourd’hui,j’aieuNatalie,mamère,puisMarnaautéléphone.Cettedernièresecomportecommesiderienn’était,etelles’ensortaussibienqueMichellelorsquenoussommesarrivésàChicago.Elleestd’unegentillesseàtouteépreuve.Mamère,enrevanche,nesemblepascapabledeparlerd’autrechosequedemarelationavecAndrew.Ellemetannedèsqu’elleenal’occasionsurladatedenotremariage,etcroitdurcommeferquenosnocesserontcélébréesdanslapluspuretradition.J’aibeauessayerdeluidirequejeneveuxpasdejolierobe,nid’église,nidépenserdesmilliersdedollarspourdesfleursquinedureront pasune semaine, elle semblene rien entendre.Elle trépigned’impatience.Aumoins, elleseraitpeut-êtreplusdétendueàl’idéedelevoirdormirdansmachambre.J’ignorecequisepassedanssatêteet,pourêtrehonnête,jedoutequ’ellelesacheelle-mêmelamoitiédutemps.

Andrewavait rendez-vousaujourd’huichezunmédecindeChicagopourunbilancomplet.Commechaquefois, j’enaieu leventre toutnouéd’appréhension.Heureusement, ilest revenuavecdebonnesnouvelles.

Sixièmejour

J’aidenouveauNatalieautéléphone,maisjeneluiparletoujourspasdel’enveloppe.Desoncôté,

ellesecomportebizarrement.Elles’efforcedenepastrahirlessecretsd’Andrew,cequijalonnenotreconversation de nombreux silences gênants. Je me gausse intérieurement de constater son manque despontanéité:ellecrèved’enviedetoutmedéballerpourpasseràautrechose.

Septièmejour

Cette semaine a été l’une des plus longues de mon existence. Je traîne au lit parce que les

températurescommencentàchuter,maisaussiparcequejesuistendueetquejenepeuxmerésoudreàfaireautrechose.Andrewestdeboutdepuisuneheure,etiln’arepointélenezdanslachambrequ’uneseule fois, pour récupérer ses chaussures. Ilm’a embrassée en souriant, comme s’il était secrètementexcitéparquelquechose,puisilestressortisansunmot.

Jerouledecôté,blottiesouslacouverture,lesyeuxrivéssurlafenêtre.Lesoleilbrillepuissammentdanslecielbleudépourvudenuages.

Jelesentendstoustroiss’affairerdanslamaison.Lessemellesd’Andrewcouinentsur leparquetdevantnotrechambre. Ilouvregrand laporteetse

postedansl’embrasurepourm’observer.—Lève-toiethabille-toi,m’ordonne-t-il,lamaintoujourssurlapoignée.

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Je le considère un court instant, pensant peut-être qu’il vam’expliquer,mais il se contente demedésignermeschaussurescommepourm’indiquerdelesenfiler,puisilrefermelaporteetmeplantelà.

Unefoisencore,j’obéisaveuglément.J’enfilemonjeanfavorietunpullenlainetroplarge,puisunepairedechaussettesetmesRocketDog.Quandjedescendsausalon,Michelleestlovéedevantlatélédans un coin du canapé, un plaid sur les genoux. Elle se tourne versmoi et arbore un grand sourire,commesiellesavaitunechosequej’ignorais.C’estsansdoutelecas.

—IlestdehorsavecAidan,m’informe-t-elleenmedésignantdumentonlaported’entrée.Deplusenplusanxieuse,jem’enapprochedoucementpourallerl’ouvrir.JesorssurleperronetaviseAndrewetAidan,deboutdel’autrecôtédelarueavecAsher,toustrois

adossésàlaChevelle.Pendantuneseconde,jemedis:OK,toutça,donc,parcequ’Ashernousrendvisite?Non que je ne sois pas heureuse de le voir, mais, honnêtement, cela ne méritait pas tant de

cachotteriesdelapartd’Andrew.Jecomprendsalorsqu’ils’agitdelavoiture,maisc’estàpeuprèstoutcequej’arriveàdéduirepar

moi-même.J’aiunepetite idéede laraisonpour laquelle ilestvenu jusqu’iciavec,mais jem’efforcepourl’instantdenepasyréfléchir.

JedescendsrapidementlesmarchespourallerembrasserAsher.—Tuasbonnemine!s’exclame-t-il.Sesjouessecreusentdedeuxfossettesaussisemblablesàcellesd’Andrewquelesontsesyeuxverts

lumineux.Puisilm’étreintàsontouretmefaitlégèrementdécoller.Radieuse,jeréplique:—Jesuiscontentedetevoir.Jen’arrêtepasdejeterdescoupsd’œilàAndrew,quisouritsifortquejedoutequ’ilsoitcapablede

metairebienpluslongtempscequ’ilmecache.J’examinelaChevelle,puisAsher.Unedeuxièmefois.—Etdonc,tuasfaitlaroutedepuis…OK,c’estencoreplus troublantquejene l’avais initialement imaginé.LavoitureétaitauTexaset,

auxdernièresnouvelles,AshersetrouvaitdansleWyoming.Jefinisparreprendre:—Bon,qu’est-cequisepasse?AshersetourneversAndrew,quifaitunpasversmoi.—Jeluiaidemandédeveniraveclavoiture,explique-t-il.—Maispourquoi?Ashercroiselesbrasets’appuieàlaportièrearrière.— Parce qu’il est dingue, réplique-t-il en pouffant. Et parce qu’il ne faisait pas confiance à un

transporteurprofessionnel.J’interrogeAndrewduregard,attendantqu’ilcrachelemorceau.Unebriseglaciales’immisceentre

lesmaillesdemonpull,etjeremontemesmainsdansmesmanches.—Tuascinqminutespourfairetesvalises,medit-il.Avantmêmequ’ilaitfinisaphrase,moncœurbatdéjààtoutrompre.Ilsetapotelepoignet,pourtant

dépourvudemontre.—Pasunesecondedeplus.—Andrew…—Pasdediscussion,tranche-t-il.Vacherchertesaffaires.Jelecontemplebêtement,dépourvued’expression.Mathéories’estavérée; j’auraispourtantpréférémetromper.Jeneveuxpasreprendrelaroute…

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Enfin,si,mais…çan’estpasbien.Pasbiendutout.—Plusquequatreminutes,m’informeAsher.—Maisonnepeutpaspartircommeça,plaidé-je.Ceseraitmalpoli.(JedésigneAsher.)Ettonfrère

vientd’arriver.Tuneveuxpasprofiterde…—Jepeuxrendrevisiteàmongrandfrèrequandjeveux,intervientl’intéressé.Maispourl’heure,je

croisquetuferaismieuxdefairecequ’iltedit,sinonturisquesdeteretrouversurlarouteàporterlamêmeculottependantunesemaine.

Quelquessecondess’écoulent,durantlesquellesjenebougepasnonplus.Jedoisêtredansunesorted’étatdechoc.

—Troisminutes,mabelle,décompteAndrewenmescrutantleplussérieusementdumonde.Jeneplaisantepas.Montelà-haut,balancenosaffairesdansnossacs,etgrimpedanscetteputaindevoiture.

Ohmince,voilàqu’ilredevientexactementcommeavant…Commejem’apprêteàparlementer,sesyeuxs’embrasentetildéclare:—Magne-toi,letempspresse!Abaissantfinalementmagarde,jemelaisseporterparlemouvementautantquefairesepeut.Jelui

décocheunregardnoiretréplique:—D’accord.Sijecède,c’estuniquementparcequejesaisqu’ilessaied’arrangerleschoses.Jenem’ensenspas

moinscoupablepourautant.Faisantpeude casde soncompte à rebours, je tourne les talons et retourne très lentementvers la

maison,prenantvolontairementtoutmontemps,afindenepasnonplusluidonnerl’impressionquejeluiobéisaudoigtetàl’œil.

—Tuétaisaucourant,Michelle?luidemandé-jeenrentrant.—Biensûr!s’exclame-t-elledepuislesalon.J’entendslesouriredanssavoix.J’ouvrelaportedenotrechambre,posemonsacsurlelitetentreprendsdetoutfourreràl’intérieur.

Puis jeme dirige vers la salle de bains, récupère nos brosses à dents et notre nécessaire de toilette.J’arrachenoschargeursde téléphoneauxprisesmurales, fourremonportabledansmonsacàmain.Jefaisrapidementletourdelapièce,espérantn’avoirrienoubliéd’important.

Andrewavaitmanifestementdéjàpréparésesaffairessansquejem’enrendecompte.Je scrute alors scrupuleusement chaque centimètre carré de la chambre, sans rien réellement

distinguer.Jen’aiaucuneenviedefaireça,maisc’estpeut-êtrepourlemieux.J’entends leklaxon retentir à trois reprises, cequim’arrache àma rêverie. Jemepasse le sacde

voyagesurl’épauleetrécupèremonsacàmain.—Àundecesquatre!melanceMichelledepuislecanapé.Jem’arrêtejusteavantdeladépasser,mepenchepar-dessusledossierducanapépourluidonnerune

étreinteinconfortable,déséquilibréeparmesaffaires.—Amusez-vousbien,ajoute-t-elle.—Merciencoredenousavoirinvités,répliqué-je.Ellemefaitsignedepartiravecungrandsourire,etjemedirigeverslaporte.Alorsque je descends lesmarchesduperron,Andrewdéverrouille le coffre de laChevelle, dans

lequeljen’aiplusqu’àjetermonsac.J’ailargementdépassélescinqminutesqu’ilm’avaitaccordées,maisjeledéfiedemefairelamoindreréflexion.

—Tuesprête?medemande-t-ilenclaquantlehayon.Jeprendsuneprofondeinspiration,metournetouràtourversAsheretAidanetvaislesembrasser.

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—Jesuiscontentquevoussoyezvenus,meditAidan.—Prendssoindemonfrère,ajouteAsher.Jeleursourisàtousdeuxetm’installesurlesiègepassager.Andrewrefermemaportière.Ilssedisentaurevoir.Uneminuteplustard,Andrewseglissederrièrelevolant,etunebourrasque

d’airfraiss’immisceàsasuitedansl’habitacle.Ilm’adresseuncoupd’œil.—Bon,voilàleprogramme,m’explique-t-il.Onfileverslesud-estendirectiondelacôte…—Attendsuneseconde,l’interromps-je,tuastoutplanifié?Çaneluiressemblepasdutout,etcelam’intrigue.Ilmedécocheunlégersourireetprécise:—Enpartie.Maisc’estnécessaire.—Enquoiest-cenécessaire?Ilfroncelessourcilscommepourmedire:«Tuveuxbienmelaisserfinir?»Jemetaispourlelaisserpoursuivre.Ilsepencheversmoipourouvrirlaboîteàgants.—Onfileverslesudetonlongelacôtejusqu’àlafindel’hiver,déclare-t-il.Jenepeuxm’empêcherdem’interrogersurletempsqu’ilprévoitdepassersurlaroute.«Jusqu’àla

findel’hiver»?Jen’arrivepasàcomprendrecequiluipasseparlatête.Ilsortunecarteetladépliesurlevolant.Jel’observeavecméfiance.

—Jedétestelefroid,dit-il.Avecunpeudechance,sionrestesurlacôteetqu’ons’enfonceverslesud,onpourraévitertoutescesconneriesdeneigeetautres.

Oui, bonne idée. Je ne supporte pas le froid non plus, alors ouais, c’est effectivement nécessaire.J’acquiesceetlelaissecontinuer.

Andrewfaitglissersondoigtlelongdenotreitinéraire.— On rejoint la côte en Virginie, puis on oblique vers le sud en traversant ton État. Mais sans

s’arrêter,d’accord?Onsecontentedetraverser.Ilattendmonassentiment.Jehochedenouveaulatêteetdéclare:—Entendu.Jesupposequ’ilyaunelogiquedanstoutecettefolie,etjemedisqu’ilvautmieuxlasuivre.Ilsereplongesursacarteetrecommenceàtracernotretrajectoire.— Puis on traverse la Caroline du Sud, la Géorgie, et on suit la côte de la Floride à partir de

FernandinaBeach(sonindexdécritunevastebouclesurlepapier)jusqu’àPensacola.—Combiendetempsçavanousprendre?Ilmesouritetsecouelatête.—Qu’est-cequeçapeutfaire?Puisilreplielacarten’importecommentetlalaissetombersurlabanquetteentrenous.—Cettefois,c’estmoiquichoisisladirectionàsuivre,précise-t-il.Surtoutparcequejen’aiaucune

enviedemepelerlecul.Mais(ilseremetdansl’axedelaroute)detoutefaçon,c’estcommeça.—Pourquoifais-tutoutça,Andrew?Ilreposelesyeuxsurmoi.—Parcequec’estlachoseàfaire,répond-ilenmescrutantavecintensité.Parcequetuesdansla

voiture.Sesmotsmetroublent.—Parcequejesuisdanslavoiture?Ilhochelentementlatête.—Ouais.

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—Mais…çaneveutriendire!Son regardvert s’adoucit avec son sourire, et il se pencheversmoi pourm’attraper lementon. Il

m’embrassesurlaboucheetdit:—Tuauraisput’opposerbecetonglesàceprojet.Tuauraispum’envoyermefairefoutrequandje

t’aidit d’aller cherchernos affaires.Mais tun’enas rien fait. (Ilmeplanteunnouveaubaiser, et sonhaleinementholées’attardesurmeslèvres.)Tun’aspaspristonsacparcequejetel’aidemandé,tul’asfaitparcequetuenmouraisd’envie.Tun’asjamaisagiuniquementpourmefaireplaisir,Camryn.Jet’aisimplementfiléuncoupdepiedaucul,c’esttout.

J’essaie de dissimuler le sourire qui s’épanouit sur mon visage, mais j’en suis incapable. Ilm’embrasse sur le front, puis se cale dans son siège. Lemoteur ronronne de façon agressive pendantquelquessecondes,tandisqu’iljoueaveclapédaled’accélérateur.

Ilaraison.Mêmesijemesuisparfoisplainte,jen’auraisjamaisacceptéchacunedesesexigencessiellesn’avaientpasétédanslesensdemesdésirs.Çamesurprendtoujoursdeconstaterqu’ilatoujoursunelongueurd’avancesurmoi.

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17

ANDREW

JECROISQUEPOURLAPREMIÈREFOISHIER,ÀCHICAGO,J’AIÉTÉINCAPABLEDEPRÉDIRELARÉACTIONDECamryn à l’une demes lubies.Ma copine était brisée. Je flippais un peu plus chaque jour de la voirs’enfoncer.J’aiprisunrisquecesoir-làenappelantAsherpourluidemanderd’acheminerlaChevellejusqu’àChicago.Jen’étaispascertaindelaréactiondeCamrynet,pourêtrehonnête,j’avaistrèspeurqu’ellerefusedepartir.Àcausedelaculpabilité.Moiaussiçam’adémoli,deperdreLily.Jedonneraisunbrasouunejambepourlafairerevenir.Maisonnepeutrienychanger.Àquoibonnousnoyerdansnotrechagrinenrefusanttoutcequipourraitnousprocurerdubonheur?Ceseraituneconneriesansnom.C’estcommeçaqu’onsefouten l’air.Unsuicideparticulièrement lentetdouloureux.SiCamrynavaitrefusé, je l’auraisbalancéede force sur labanquettearrière.Parcequec’est ça,notrevie.Nousnoussommesrencontréssurlaroute;nousavonsapprisànousconnaîtreetànousaimersurlaroute.C’estàlaroutequenousappartenons,etc’estlàquenousallonsvivrejusqu’ànouvelordre.

Lesquatorzepremièresheuresderoutesontparticulièrementcalmes.JeconduisdeChicagojusqu’àVirginia Beach, en écoutant la radio ou l’un de mes CD quand je ne trouve pas de station potable.Camryn,mêmesiellesouritetcommentelepaysage,n’esttoujourspaselle-même.Çafiniraparrevenir.Çaluiprendrapeut-êtrequelquesjours,maisellerecouvrerasesesprits.

Lesplagesdelacôteestn’ontrienàvoiraveccellesduTexas.Ellessontpluspropres,etl’eaud’iciressembledavantageàl’océanquelegolfetroubleetboueuxdeGalveston.

Ilestdéjàtard.Nousavonsvulesoleildisparaîtreàl’horizondèsnotrearrivéeàVirginiaBeach,etc’étaitlapremièrefoisquej’apercevaiscetteétincelledanslesyeuxdeCamryndepuislafaussecouche.Si j’avaissuqu’uncoucherdesoleilpouvaitprovoqueruntel résultat, je l’auraisemmenéeenvoirundepuislongtemps.

— Et alors, on prend des chambres séparées ? me demande-t-elle tandis que nous sortons de lavoituresurleparkingdenotrepremierhôtel.

Jevoisbienqu’elleplaisante,maisjepariequ’ellenes’attendpasàcequejelaprenneaumot.—Exactement.J’ouvrelecoffreetensorsnosdeuxsacs.—Tuessérieux?Sasurpriseestparticulièrementdrôleàvoir.Je joue le jeu jusqu’au bout. Je n’avais jamais envisagé de prendre des chambres séparées,mais

maintenantqu’elleenparle,jenetrouvepasl’idéesimauvaise.

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Jerefermelecoffreetnouspénétronsdanslehall.—Andrew,jecroisqu’onn’enestpluslà.—Deuxchambresmitoyennesennon-fumeur,s’ilvousplaît.Laréceptionnistepianotesursonordinateur.JefaiscommesiCamrynn’avaitriendit,cherchantma

cartedecréditdansmonportefeuille.—Andrew?—Jen’aipasdechambresmitoyennes,merépondl’employée,maisj’enaideuxfaceàface.—Onlesprend,dis-je.Camrynmechuchote:—Jen’arrivepasàcroirequetusoisprêtàpayerpourdeuxchambresalorsqu’onadéjàcouchédes

millionsdefoisensemble…Ellepoursuitsilongtempssonargumentairequelaréceptionnistefinitparnouslancerdesregardsen

biais.J’adorevoircetteexpressionsurlatêtedesgens,cetteminehébétéesignifiant:«Jen’arrivepasàcroirequevousayezvraimentditça.»

—S’ilteplaît,tais-toi,lancé-jeàCamryn.Jeterendraivisitedanstachambrepourtefairegrimperauxrideaux,net’enfaispas.Inutiledemefaireunescène.

Camrynouvredesyeuxaussigrandsqueceuxdelaréceptionniste.Jelaprendsparlamainetl’entraîneverslesascenseurs.— Je vous souhaite un agréable séjour, nous dit la femme de l’accueil, stupéfaite, lorsque nous

tournonslestalons.Camrynéclatederiredèsquelaportedenotrecabinesereferme.—C’étaitquoi,cedélire?!s’exclame-t-elle,incapabledesecontenir.J’ail’impressionqu’onest

aussimaturesquedeuxmômesdequinzeans.—Maistutemarres,souligné-je.Lejeuenvalaitlachandelle.L’ascenseurs’arrêteaupremierétageetnousendescendons.—Maissérieux,Andrew,pourquoideschambresséparées?Pourluiprouverquemaspontanéitén’estpasvaine,jeréfléchisàlalettrequej’aidemandéàNatalie

dem’envoyer à Chicago. Nous nous arrêtons aumilieu du couloir, devant nos chambres, et je laissetombernossacssurlamoquettemouchetéedevert.

—Justepourcesoir,luidis-jeenplongeantlamaindansmesaffairesenquêtedel’enveloppe.Camrynm’observesilencieusement.Jemedoutequ’elleveutmedirequelquechose,maisnesaitpas

tropquoi.Jemeredresse,lepliàlamain.Ellelecontemplesansparveniràvoirclairdansmesintentions.—Cesoirseulement,turesterastouteseuledanstachambre,luidis-jeenluitendantlecourrier.Elleacessédesouriredèsquejel’aisortidemonsac.Àprésent,ellemedévisageavecunmélange

d’incertitudeetd’étonnement.Ellesesaisitde la lettreavecprudence,commeincertainedevouloirdécouvrircequise trouveà

l’intérieur.Je glisse sa carte magnétique dans la serrure et rentre son sac dans sa chambre. Elle me suit à

quelquespas,silencieuseetsuspicieuse,l’enveloppeserréeentresesdoigts.Jedéposesesaffairessurlelongmeuble télé et examine sa chambre comme je le fais chaque fois. J’allume toutes les lumières etessaie lechauffageavantderabattre lesdrapspourm’assurerqu’ilssontpropres.Mesouvenantdesaphobiedescouvre-litsd’hôtel,jel’arrachecomplètementetlejetteenbouledansuncoindelapièce.

Elleresteaupieddulit,immobile.Jevaismeposterdevantelle.Jeplongemesyeuxdans lessiens.Je faisglissermondoigtsurson

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sourcil,puissursajoue,sentantsapeauseréchaufferàmoncontact.J’aienvied’elle.Quandellebaisselesyeuxsurmeslèvres,celaéveilleenmoiquelqueinstinctprédateur.Jeréprimenéanmoinsmondésir.C’estdanssonintérêt;avecunpeudechance,cettesoiréeluipermettradetournerunepage.

—Camestalléeàl’enterrement,m’aditNatalielejouroùjel’aiappeléedechezAidan.Maiselleestarrivéeenretard,elles’estassiseau fond,prèsde lasortie,etelleestpartieavant la finde lacérémonie.Ellearefuséd’approcherducercueil.

—Est-cequ’ellet’enajamaisparlé?luiai-jedemandé.— Non, m’a répondu Natalie. Et chaque fois que j’ai voulu remettre le sujet sur le tapis, les

funérailles,l’accident,n’importequoi,ellem’aenvoyéebouler.Cesoir,Camrynvavivredesmomentsdouloureux,maissiellenelesaffrontepasunefoispourtoutes,ellen’irajamaismieux.

—Tusaisoùmetrouver, luichuchoté-jeenm’éloignant.Jecompteresterdebouttoutelanuit.J’aicommencé à écrire une nouvelle chansonhier, et j’ai vraiment envie de bosser dessus tant qu’elle estencorefraîchedansmonesprit.

Nousnous sommes lentementmais sûrementdécidés à travailler nospropres compositions, surtoutdepuisnotrevoyageàChicago,etaprèsnotreconcertaubard’Aidan,Camrynasembléplusintéresséequejamaisparl’idée.

Elle hoche la tête et sourit faiblementmalgré samine inquiète ; elle cogite sans doute à cause ducontenudel’enveloppe.

—Etsijeneveuxpasrestertouteseuledansmachambre?—Jetedemandedelefaire,luiréponds-jeavecleplusgrandsérieux.Justepourunenuit.Je ne veux pas lui en dire plus,mais j’espère quemon expression sincère parviendramieux à la

convaincrequemesparoles.—D’accord,accepte-t-elle.Jel’embrassesurleslèvresetlalaissedanssachambre.Jepriesimplementpournepasmeprendreunretourdebâton.

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CAMRYN

ANDREWMELAISSEDANSLACHAMBRE.SEULE.ÇANEMEPLAÎTPAS,MAISAUCOURSDESCINQMOISQUENOUSavonspassésensemble,j’aiapprisàmefieràlui.Cinqmois.Celam’étonnechaquefoisquej’ypense,caravectoutcequenousavonsvécu,j’ail’impressionquecelafaitplutôtcinqans.Ilm’arriveparfoisdemerappelermonex,Christian,celuiquim’a trompée,celuiavecqui jesuissortiepourmeremettreenselleaprèsIan.Nousnoussommesfréquentéspendantquatremois.Nousnousconnaissionspourtantàpeine.Etaujourd’hui,jenemesouviensmêmeplusdesadatedenaissanceouduprénomdesasœur,alorsqu’ellehabitaitàdeuxruesdechezlui.

Àmillelieuesdecequej’expérimenteavecAndrew.Encinqmois, jesuis tombée totalement, follementet inconditionnellementamoureuse, j’aiapprisà

vivre,j’aidéjàpresquerencontrétoutesafamille,auseindelaquellejemesensparfaitementintégrée,nousavonsremportéuncombatàmortcontrelamaladie, jesuistombéeenceinteetnousnoussommesfiancés. Le tout en cinq mois. Et voilà que nous affrontons encore une nouvelle épreuve. Et qu’ilm’accompagneencorepasàpasdansl’existence.Jemedemandecequejepourraisluiinfligerd’assezignoblepourqu’ilmequitte.Quelquechoseaufonddemoimeditqu’ilneleferaitpourrienaumonde.Riendutout.

Jenemesureraijamaispleinementmachanced’êtretombéesurquelqu’uncommelui.Jemerendsalorscomptequejen’aipascessédescruterlaportedepuisqu’ilaquittélapièce.Je

finisparbaisserlesyeuxsurl’enveloppeetjenesaispaspourquoi,maisjesuisterrifiéeàl’idéedeceque je vais y découvrir. J’ai pourtant tourné et retourné le problème dansma tête pendant près d’unesemaine.Unelettre?Danscecas,dequoipeut-ils’agir?Quil’auraitrédigéeetdansquelbut?PourquelleraisonNataliem’écrirait-elle?Oupourquoiécrirait-elleàAndrew?

Toutcelan’aaucunsens.Jem’assiedsaupieddulit,laissanttombermonsacàmainsurlesol.Jefaiscourirmesdoigtssurle

contourdel’enveloppe:sansdoutedupapier,plutôtépais,pliédeuxoutroisfois.Riendebosseléoud’inégalàl’intérieur.Seulementdupapier.

Jepousseunsoupiretm’apprêteàlareposersanstoutàfaitm’yrésoudre.Jenesaispascequimeretientde l’ouvrir.Voilàune semainequecelame renddingueet,maintenantque j’ai enfin l’occasiond’élucidercemystère,j’enaitroppeur.

Jedépose l’enveloppe sur le lit etme lève, croise lesbras et commence à faire les centpas sansjamaisréellementlaquitterdesyeux.Jesuistoujourssurmesgardes,commesielleétaitsusceptibledemesauterdessusetdemelacérerlajambeaupassage.CommelasaloperiedechatdematanteBrenda.Je farfouilledansmonsacpourenexhumermon téléphoneetappelerAndrewafinde lui fairepartdemontrouble,maisjemesurecombiencelaseraitstupide.

Jemerésousenfinàramasserl’enveloppeet,aprèsl’avoirlonguementsoupesée,jeglisselapointedemon doigt sous le rabat pour le desceller.Malgré tous mes efforts, je ne parviens pas à l’ouvrirproprement,et jecapituledoncen ladéchirantsansvergogne.Jebalance lepli toutabîmésur le litet

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révèle une feuille essentiellement vierge, dont l’objectif principal était de dissimuler la photo àl’intérieur. J’en contemple d’abord le dos, rechignant à la retourner. Je commence par lire le rapidemessagelaisséparNatalie:

C’estlaplusbellequej’aie.J’espèrequecelat’aidera.Jet’aimefort,Nat

Jeretourneleclichéetmoncœurs’écroulequandjedécouvrelevisageradieuxetsouriantdeIan.

Nous regardons tous deux l’objectif, joue contre joue. Les lumières colorées des manèges de la fêteforainedeCarolineduNordilluminentledécoràl’arrière-plan.J’enaisoudainlesoufflecoupé,commesi j’étais tombée dans un lac gelé. Les larmes jaillissent immédiatement de mes yeux, et je laisseéchapper la photo qui tombe sur le lit. J’enfouismon visage entremesmains, recouvrantmes lèvrestremblotantes.

Commentpuis-jem’autoriseràpleurersonsouvenir?Pourquoicelam’arrive-t-il?JenemesuispasdébarrasséedetoutesmesphotosdeIansansraison.Detoutcequimereliaitàlui.

Chaque fichier informatique. J’ai retiré sonnomdemon téléphone. J’aimême jetéma tabledechevetd’enfance, sous laquelle il avait gravé « IAN CAMRYN ». J’ai fait le grand ménage dans monexistence,carcelameblessaittropdesavoirquetoutcequimerestaitdeluiétaitmatériel.Jenepouvaispasgrand-chosecontrelessouvenirs,mêmesijem’étaisefforcéedelesoublierégalement.

PourquoiAndrewm’aurait-ilfaitunechosepareille?Faireremonteràlasurfacetoutecettedouleur.SurtoutsipeudetempsaprèslamortdeLily.

Unepartiedemoimeurtd’enviedeluihurlerdessus,detraversercecouloirpourallerluidiresesquatrevérités.Cependant,maraisonprendledessus.Jesaispourquoiill’afait.Jesaispourquoiilm’alaisséedanscettepièce,seuleaveccettephoto.Parcequ’ilm’aimetellementqu’ilestprêtàmeramenerIanpourunenuitafinquejepuisseenfinfairemondeuildelui.

Maisjenepeuxpasregardercetteputaindephoto!J’ensuisincapable!Lesjouesbaignéesdelarmes,jeplongelesmainsdansmonsacpourenextrairemonplusgrospull,

que j’enfile en hâte avant de quitter ma chambre en courant. Quelques instants plus tard, je sors del’ascenseur etme rue à l’extérieur pour allerm’asseoir sur le sable froid et observer l’océan et sonhorizonsansfin.

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18

ANDREW

JEMEDEMANDESIELLEVAL’OUVRIR.MERDE,JEMEDEMANDEAUSSISIELLEVAM’ENVOULOIRÀMORTDELUIavoirinfligéça,maissiçapeutl’aider,jesuisprêtàcourirlerisque.

J’allumelatélévisionetunevieillerediffusiondeSeinfeldvientromprelesilencedemachambre.Jemedébarrassedemeschaussuresduboutdespiedsetvaisprendreunedouche,laissantl’eaubrûlantemepleuvoirdessusjusqu’àcequ’elletiédisse.Jen’arrivepasàpenseràautrechosequ’àCamryndanssachambre,medemandantsielleobservelaphotodesonexdécédéetsielletientlechoc.J’aitrèsenvied’aller lasoutenirdanscetteépreuve,maisjesaisqu’ilvautmieuxqu’ellel’affronteseule.Elleauraitd’ailleursdûs’enoccuperdepuislongtemps,bienavantnotrerencontre.

Aprèsm’êtreséché,j’enroulelaservietteautourdematailleetfarfouilledansmonsacenquêted’unboxer.Jem’assieds,monregards’attarded’abordsurlatélé,puissurlemur,puisdenouveausurlatéléjusqu’àmerendrecomptequec’estseulementunsubterfugepourtenterdeneplussongeràCamryn.

J’écoute cinq chansons en aléatoire sur mon MP3 avant de me décider à aller prendre de sesnouvelles.J’essaied’aborddel’appelersursonportable,maisellenedécrochepas.Jemesersensuitedutéléphonedelachambre.Toujourspasderéponse.Elleestpeut-êtresousladouche.J’essaiedem’enconvaincre jusqu’à ce quemon instinct prenne le dessus. J’enfilemon jean et un tee-shirt àmancheslongues,puistraverselecouloirséparantnosdeuxchambres.Jeplaquemonoreillecontresaporte.Jen’entends pas d’eau couler. Je me sers donc de sa deuxième carte magnétique pour déverrouiller laserrure.

Elle n’est pas là. Mon cœur s’emballe tandis que je fouille la pièce. La première chose que jeremarqueestlaphotogisantsurlelit;jenel’avaispasencorevuejusque-là.Jelaramasseetl’étudieuninstant. Camryn semble si heureuse.Voilà la Camryn que je connaissais, avec sonmagnifique sourireplein d’énergie. Jem’en souviens parfaitement. Elleme souriait souvent ainsi quand nous faisions larouteensemble.

Sentant poindre la panique, je détourne la tête et regarde par la fenêtre. Je scrute le noir océan.Quelquespersonnessepromènentsurlajetée.Sanslâcherlaphoto,jeretournedansmachambre,enfiledeschaussuressans lesnoueretmedirigevers laplage.Lafraîcheurde l’airn’estpas insupportable,maissuffisammentprégnantepourquejemefélicited’avoirmisdesmancheslongues.Jelacherchelelong de la promenade, examine tous les transats devant l’hôtel,mais elle est introuvable. Je range leclichédansmapochearrièreetmemetsàtrottinerversl’eau.

Jeladécouvreassisedanslesablenonloindelà.

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—Onpeutdirequetum’asfaitpeur.Jemelaissetomberàcôtéd’elleetluipasseunbrasautourdesépaules.Elleregardefixementlesvagues,laissantlabrisefraîchejouerdanssescheveuxsansm’adresserle

moindrecoupd’œil.—Jesuisdésolé,luidis-je.Jevoulaisjuste…—Jet’aime,Andrew,m’interrompt-ellesanstournerlatête.Jenesaispascommentunefillepeutà

lafoisavoirautantdechanceetunetellepoisse.Nesachantpas tropoùelleveutenvenir, jeredoutededireunmotde travers,etpréfèredoncme

taire.Jelaserrecontremoipourpartagermachaleur.Toujourssansunmot.—Jenet’enveuxpas,reprend-elle.Audébut,si,maisplusmaintenant.—Dis-moiàquoitupenses.Elle persiste à contempler l’horizon. Les vagues viennent lécher la plage quelquesmètres devant

nous.Unminusculepointblanc,lephared’unbateau,semeutauloin.Soudain, je sens le regard deCamryn se poser surmoi, et je tourne la tête dans sa direction.Les

bâtimentsdansnotredosetlaluneproduisentjusteassezdelumièrepourmepermettrededistinguersestraitsdélicats,tandisquedesmèchesdecheveuxluibalaientlesjoues.Jetendslamainpourenécarterquelques-unsvenusselogerdanssabouche.Elleseradoucitetdéclare:

—J’aimaisIan.Beaucoup.Maisjenevoudraispasquetupenses…Jesecouelatête.—Camryn,nefaispasça.Iln’estpasquestiondemoi,d’accord?dis-jeenchassantunenouvelle

mèchedecheveuxrebelles.Ellemarqueunecourtepause,etjesenssamainseposersurmongenou.J’entrelacemesdoigtsaux

siens.Ellepivotedenouveauverslamer.—Jenevoulaispasalleràsonenterrement,avoue-t-elle.Jenevoulaispasmesouvenirdeluidans

cetétat,ajoute-t-elleenm’observantàladérobée.Tuterappellescejour,danstonappartement,oùjet’aisurprisautéléphoneavecAidan,quandilessayaitdeteforceràallerauxfunéraillesdetonpère?

Jefaissignequeoui.—Tuluiasrépliquéquetuaimaistesouvenirdesgensvivants,pasgisantdansuneputaindeboîte.

Ehbien,c’étaitexactementcequejeressentaismoiaussi.Jen’aijamaisvouluyaller.C’estaussipourçaquejenevoulaispasvoirLilyetquej’aioptépourlacrémation.

—Maistuasfinipart’yrendre.Àl’enterrementdeIan.Jepréfèrenepasm’appesantirsurLily,pourl’instant.C’estunsujetinfinimentplusdouloureux.Pour

touslesdeux.Jel’aivue.Elleétaitsipetitequej’auraispulateniraucreuxdemamain.MaisCamrynarefusédelaregarder.

Ellesecouelatête.—Pasvraiment, rectifie-t-elleaprèsunmomentderéflexion.J’yétaissansyêtre.Mafaçonde le

laisserpartiraétédelechasserdemonesprit,d’oubliersavoix,sonvisage,tout.Jen’ysuisalléequeparcequetoutlemondes’attendaitàm’yvoir.Sijenem’étaispastantsouciéedel’opiniondesautres,jeseraisrestéechezmoi,cejour-là.

—Maiscen’estpascommeçaqu’onfaitsondeuil,dis-jeenpesantchacunedemesparoles.C’estexactementcommepousser lapoussièresousle tapis.Ellereste là.Etonlesait.Etellenecesseradenoustorturerl’espritjusqu’àcequ’ons’endébarrassecorrectement.

—Jesais,admet-elle.Aprèsplusieurssecondesdesilence,jeplongelamaindansmapochearrièreetenextraislaphoto.

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—Tusais,s’ilétaitencorevivant,jeseraisunpeujaloux.Ilestplutôtcanon.Camrynmesouritetjeconstatequesesyeuxontesquivélecliché.Jeleposesurlesable,prèsdenosgenoux.Puisjereprends,leplussérieusementdumonde:—Camryn, ton problème– les pilules et tout ça – n’a pas uniquement à voir avecLily.Tu en as

conscience,pasvrai?Ellegardelesilence,maisjesaisqu’elleréfléchitintensémentàcequejeviensdeluidire.—Tuastoutbalayésousletapis.Ian.Lily.Natalieprétendquetuasadoptélamêmestratégiepourta

grand-mère,pourCole,etpoursurmonter ledépartde tonpèrequisembledavantages’intéresseràsanouvelleconquêtequ’àtoi.(Jeformuleleschosescrûmentcarc’estainsiqu’ilfautqueceschosessoientdites.)Aulieudegérerlasituationoudefairetondeuil,tuaspréférérepoussercesévénementsdansuncoinenattendantqu’ilsdisparaissent.Tufaisaisdéjàçabienavantnotrerencontre.Maisilfautquetuterendescomptequetouts’accumule,jusqu’aujouroùtufinisparpéterunplombetteretrouveraufonddugouffre.

—Jesais.Tuasraison,commed’habitude,réplique-t-elled’untonabattu.—Tulepensesvraiment,ouest-cequetumedisçapourquejemetaise?Jeluisouris,espérantluiarracherlapareille.Celafonctionne.Ellemeréponddonc,lesourireauxlèvres:—Oui,jelepensevraiment.J’auraisjustepréféréledécouvrirplustôt.—Etqu’est-cequit’aouvertlesyeux?—Monphilosophetatoué.Elleéclated’unrirequimeréchauffelecœur.Jen’arrivepasàcroirequ’ellerigole.Jecraignaispourtantqu’ilneluifaillebeaucoupdetempspour

assumertoutça,maisellemesurprendchaquejourunpeuplus.—Unphilosophe,hein?Pasvraiment.Maisj’acceptelecompliment.Camryneffectueunquartdetouretposelatêtesurmesgenoux.Ellemecontempleavecsesyeuxde

biche,etjenepeuxm’empêcherdeluicaresserlevisage.—Tuveuxsavoirlavérité?medemande-t-elle.—Biensûr,réponds-je,soudainunpeuanxieux.—C’estcequejet’aiditchezAidan:sijeteperdais,jen’ysurvivraispas.Quandj’aifaitmafausse

couche,çaafaitrejaillirtoutesmesanciennescraintes.J’aieupeurdeteperdre.C’étaitcommesicettenouvelle tragédieavaiteu lieupourmerappeleràquellevitesse lamortpouvaitnousarracherunêtrecher.Siledestinpeutsemontrerassezcruelpourtuermonbébé,alorspourquoit’épargnerait-il?Çamefait flipper,Andrew. L’idée de te perdre un jourme ronge de l’intérieur. Et comme j’ai déjà failli teperdreunefois,çan’enestquepluscrédible.

—Commejetel’aidéjàdit…Elleseredresseetvientseposterenfacedemoi,lesgenouxenfouisdanslesable.— Je sais ce que tum’as dit, m’interrompt-elle.Mais peu importe ce que tu penses, même si tu

trouves toujours lesmotspourme réconforter.Tunepeuxpas savoircequivasepasser,Andrew.Latumeurpourraittrèsbienreveniret,malgrétoutcequ’onpourrafaire,malgrétouteslesprécautionsqu’onpourraprendre,ellepourraittetuer.

Je faisminedediscuter,maiselleest si absorbéepar son raisonnementque je saisque jedois lalaisserfinir.

—Tueslameilleurechosequimesoitjamaisarrivée,poursuit-elle,etjepeuxteregarderdroitdanslesyeuxett’affirmersincèrementque,mêmesic’estdouloureux,jepeuxendurerlamortdeIan.Etmême

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celledeLily.Oucelleden’importequi,même si je sais àquelpoint ladouleur sera atroce.Mais latienne…Jenepourraipasl’accepter.Jamais,conclut-elleaprèsunebrèvehésitation.

Lesilencequis’installeentrenousamplifielebruitduressac.J’aienviedelaprendredansmesbras,del’embrasseràpleinebouche,maisjeresteassisàlacontempler,carjen’aijamaisentendu,ressentioucomprisparolesaussipuissantes.

Je finis par étendre les bras pour la hisser dansmon giron. Je croise lesmains dans son dos, laregardedroitdanslesyeuxetréplique:

—Jetecrois,carjeressensexactementlamêmechose.Elleinclinelégèrementlatêtedecôté.—Vraiment?—Ouais.Camryn, jenepeuxpasvivre sans toi. Jepourrais essayer,mais ce serait uneexistence

longueetmalheureuse.Ilnes’agitpasseulementdemoi:toiaussi,tupourraismourirdemain.Tun’espasimmuniséenonplus.

Elleneformulepasd’objection,maissedétourneunbrefinstant.Jeluiprendslesjouesentremesmainspourlaforceràmeregarderencore.Sapeauesttoutefroide.—Ondoitvivrel’instantprésent,tuterappelles?Cesmotssuffisentàcapterdenouveausonattention.J’enprofitepourajouter:—Ilfautqu’onfasseunpacte,toietmoi,maintenant.Tuveuxbien?Jedéplacelégèrementmespaumespourréchauffersesoreillesglaciales.—D’accord.Jesuisraviqu’ellemefassesuffisammentconfiancepournepasmeposerdequestionavantdeme

donnersonaccord.Duboutdel’index,jetraceuncercledepuissonfrontjusqu’àsonmentonenpassantparsesjoues.—On ne peut pas contrôler lamort, dis-je. Ni toi nimoi ne pouvons rien faire pour l’éviter ou

repousserl’échéance.Toutcequenousmaîtrisons,c’estlafaçondontnousvivronsnotrevieenattendantlejourfatidique.Alorsfaisons-nousdespromessesquenouspourronshonorerquoiqu’iladvienne.

Ellehochelatêteetsefendd’unlégersourire.—Quelgenredechoses?s’enquiert-elle.—N’importequoi.Cequ’onattendl’undel’autre,parexemple…Jemelèveetenfouismesmainsdansmespoches.Jescruteattentivementl’océan,cherchantcequeje

voudraisluifairepromettre.Uneseulechosemevientàl’esprit,jemeretournedoncversCamryn,pointeundoigtaucieletdéclare:

—Çan’arienàvoiraveclatumeurouautrechoseenparticulier,maisjeveuxquetumepromettesque si je me retrouve un jour sous respirateur artificiel, et si tu sens au fond de toi que je ne m’enremettraipasetquejesouffre,alorstumedébrancheras.

Sonsourires’efface.Ellemedévisaged’unairneutre,commesijevenaisdetoutgâcher.Jeluisaisislamainpourlaforceràserelever.

—Cen’estpaspourêtremorbide.C’estjusteuntrucquim’atoujoursangoissé,tucomprends?Onvoit ça parfois à la télé ou dans des films. Un type est raccordé à toutes les machines possibles etimaginables,toutçaparcequesafamilles’accrocheàunespoirinexistant.Jesaisquel’espoirfaitvivre,mais cegenrede trucme terrifie. (Je lui attrapedoucement lesbras.)Neme laisse jamaisdevenirunlégume.Promets-le-moi.Tumeconnaismieuxquequiconque,etjecomptesurtoipoursavoirquandjen’enpourraiplus.Alors,promets-le-moi.

Lentement,ellecommenceàselaisserconvaincre.Çaluiprendquelquessecondes,maisellefinitparacquiescer.

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—Promets-le-moiaussi.—C’estpromis,luidis-jeensouriant.Ellereculed’unpasetremontelesmainsdanssesmanches.Elles’étreintpourseréchaufferetsemet

àfairelescentpas.Elles’arrêteetmefaitface.—Promets-moiquesij’attrapelamaladied’Alzheimeroudevienssénile,tuviendrasmevoirtous

lesjoursmêmesijenemesouviensdepersonne,etquetumeferaslalecture,commeNoahavecAllie.—Quiça?demandé-je.(Maisçamerevientpresqueaussitôt.)Oooh,jevois…J’éclatederireetsecouelatête.Sesyeuxetsonsourires’agrandissentquandellecrie:—Andrew!Cen’estpasdrôle!Jesuissérieuse!Jelaprendsalorsdansmesbras.—D’accord,d’accord!luidis-jeenlaserrantdeplusenplusfort,tandisqu’ellesetortillepourse

libérer.—C’étaittonidée,paslamienne,alorsneprendspasçaàlalégère.—Jesais.Tuasraison,mais…sérieux?Tuveuxqu’onserejoueN’oubliejamais?Ellemedonneuncoupdecoudedansleventreetjemeplieendeux,exagérantladouleur,levisage

déformé de souffrance et de rire. Pour ajouter l’humiliation à la blessure, Camryn me pousse sansménagementetmefait tomberdanslesable.Puiselleplaceunpieddepartetd’autredemeshanches,poselesmainssurlesmiennesetmetoisedefaçonautoritaire.Jelaisseunemainsurleventre,luttantpourgardermonsérieux,mêmesijesaispertinemmentqueçanesuffitpas.

—C’estbientongenredetemoquerdeschosesgraves.Elleaffirmecelaavecuntelaplombquejem’esclaffederechef,d’autantplusqu’ellepeineàrester

stoïque.Elles’apprêteàs’asseoirsurmoietsansdouteàmegiflerdesespetitesmainsfragiles,maisjesuis

lepluspromptetjel’agrippeentrelesjambesenserranttrèsfort.Elleauraitbasculésijenel’avaispasretenue.—Ouille!gémit-elle.PutainAndrew!Qu’est-cequiteprenddem’attraperparlà?J’accentuelapressionetmeredresselégèrement,lafaisants’inclinerenarrière.Ellefinitpartomber

àgenoux,lesyeuxàhauteurdesmiens.—J’aimebiença,chuchoté-jetoutcontreseslèvres.Maintenant,nebougeplus.Notrehumeurchangeenunefractiondeseconde.Sapeauseréchauffesubitement,sonregardsefait

plusintense,soncorpsdocile.—Ilyadesgens,dehors,tente-t-elledeprotester.Maismamainserefermantsursonentrejambeluicoupelesouffle.Jemeperdsdanslacontemplationdesesyeux,deseslèvreshumidesetcharnues,avantdedéclarer:—Jem’enfiche.Ilssontloin.—Mais…qu’est-cequetufais?—Nebougepas.Nefaispasdebruit.Jeluilèchedélicatementlalèvreinférieure,quejesuçoteensuite.Elleessaiedem’embrasser,mais

jenelalaissepasfaire.Jeretirelamainposéesursonpantalonetl’introduissousletissupourpercevoirsa chaleur. Je n’en reviens pas, elle est déjàmouillée. Je l’embrasse dans le creux du cou et inspireprofondément pourm’imprégner de son odeur.Elle reste parfaitement immobile, en dépit de quelquesfrémissements et de son cœur qui s’emballe. J’ai très envie de la baiser.Mais je n’en fais rien pourl’instant,carj’adoremefairelanguir.

Monautremain,jusqu’alorsposéesursataille,glissejusqu’àsescuisses,laforçantàlesespacer.

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—Écartelesjambes,ordonné-je,toujourscontresabouche.Et elle obtempère, jusqu’à venir plaquer les genoux contre le sable. Elle se crispe légèrement en

apercevantunhommedéambulernonloindelà,maisjelapincedenouveau,introduisantdeuxdoigtsenelle et la forçant àme regarder. Elle hoquette et je frissonne silencieusement, la sentant se contracterautourdemesdoigts.Jenemelassepasd’observersonvisage,scrutantsesprunellesavantdem’égarerparfoissursabouche.

—Regarde-moi,luidis-je.Etsituasenviedefermerlespaupières,abstiens-toi.Nemequittepasdesyeux.

Elleacquiescetimidement,commeredoutantquejem’interrompeencasdemauvaiseréponse.J’effectue d’abord de lents va-et-vient de lamain, me servant de son humidité pour lubrifier son

clitoris,autourduqueljedécrisdepetitscerclesdumajeur.Chaquefoisquejeletouche,ellefaitminedefermer les yeux,mais jem’arrête aussitôt que je le remarque et elle s’efforce de les garder ouverts.J’introduisdenouveaumesdoigtsenelle,unpeuplusvitecettefois,enmaintenantunepressiondupoucesurlepointsensible.D’infimesgémissementss’échappentd’entreseslèvresentrouvertes,etnossoufflessemêlentenunmêmenuagedevapeurdansl’airfrais.Maisellenemequittepasdesyeuxetneprononcepasunmot,mêmesijesaisqu’ellemeurtd’enviedefairelesdeux.

Jechuchoteàsonoreille:—Àprésent,tutefichescomplètementqu’onpuissenousvoir,pasvrai?Tumelaisseraisteprendre

icidevanttoutlemonde,quitteàavoirhonteplustard.Ellemefaitsignequeoui.Sanscesserdefairealleretvenirmesdoigts,jedemande:—Qu’est-cequetumelaisseraisfaired’autre?—Toutcequetuveux,répond-elledansunsouffle.—Toutcequejeveux?J’appliqueplusfermementmonpoucecontresonclitoris.Sarespirationsefaitdeplusenplussaccadée.—Oui…Ohoui,toutcequetuveux.Ses mots, sa voix chargée de désir me rendent dingue, et je bande si fort que c’en est presque

insupportable.J’accélèreencorelacadence.Soncorpssemetàtrembler,sescuissespeinentàresterenplace.Jem’écartedesonoreillepourreplongermesyeuxdanslessiens.Lesoufflecourt,elles’efforcede soutenirmon regard,mais ses paupières sont de plus en plus lourdes. En voyant ses prunelles sedilaterquandj’atteinslebonendroit,jem’efforcedemaintenirlerythme.

—Netedétournepas,luidis-jeenl’observantavecintensité.Alorsqu’ellecommenceàjouir,jecapturedanssonregarduneétincelled’extase.Jesenslachaleur

desonorgasmeémanerdelapeaudélicatedeseslèvres,quitententdeserefermervoracementsurlesmiennes,cequejeprendssoind’éviter.Etdèsquesesconvulsionssemblentsetarir,j’enfoncemesdeuxdoigtsplusprofondément tandisqu’elle secontracteautourde toutes ses forces, tendant lebassinversmoipouraccentuerlecontactdemonpoucesursonclitoris.

Elles’effondrefinalementcontremontorse.J’enserredemesbrassoncorpstremblotantetl’embrasseausommetducrâne.—Putain,qu’est-cequetumefais?gémit-elle.Jericanedoucementetl’étreinsdeplusbelle.—Toutcequejeveux,réponds-jed’unairretors.Ellesoulèvelégèrementlatêtepourmedévisager.—Ehbien, cette fois, tu auras beau t’y opposer, je ne te laisserai pas t’en tirer sans te rendre la

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pareille.—Ahbon,c’estcommeça?—Oui,c’estcommeça,alorsnet’avisemêmepasd’essayer.—Etqu’est-cequetucomptesmefaire?demandé-jeensentantmonsourires’élargir.—Toutcequejevoudrai,réplique-t-elleavecunsourirepleindesous-entendus.Ellesemetalorsdeboutetmetendlamainpourm’aideràmerelever.—Maispasdehors,précise-t-elle.Ilcommenceàfairetropfroid.—C’esttoilechef,dis-jeenlalaissantm’entraîneràsasuite.Je fais comme si je n’avais rien remarqué,mais dès que nous nous éloignons de la plage, elle se

retourneunedernièrefoisverslaphotodeIanetelle,gisantsurlesable.Ellemeserrelamainplusfortetmesourittandisquenoustraversonslapromenade.

Jesaisquejen’aipasfaitgrand-chosepourl’aideràtournerlapage.Certes,jel’aiforcéeàlefaire,maisc’estbienelle,qui,àcetinstant,aaffrontésesplusgrandespeurs.Ellearegardédanslesyeuxunepersonnequ’elleaaiméeetperdue,etafiniparadmettre lafatalité.Forceestdereconnaîtrequecelas’estdéroulédefaçonétrange,etquejen’étaisvraimentpassortiavecl’intentiondem’envoyerenl’air,surtoutdansuninstantpareil.MaisCamrynavaitbeaucouppenséàIan,seulesurcetteplage,etavaitdéjàtoutrésolubienavantquejelarejoigne.

Jenesaispastropcommentelles’estdébrouillée,niquelaétémonrôleexactement,maisquandnoussommesrentrésàl’hôtel,savéritablepersonnalitépointaitdéjàleboutdesonnez.

MaCamrynremontaitlapenteet,avecelle,j’étaissurmonpetitnuage.

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19

CAMRYN

8décembre,jourdemonvingtetunièmeanniversaire

COMMELESTEMPÉRATURESCOMMENCENTÀBAISSER,ANDREWETMOIDÉCIDONSDEBIFURQUERVERSLESUD.Nousn’avonspasséqu’uneseulenuitàVirginiaBeach,d’oùnousavonslongélacôtedelaCarolineduNordjusqu’àMyrtleBeach,enCarolineduSud,oùj’aidégottémonpremierpetitboulotdeceroad-trip:desménages.Certainementpasmonpremierchoix,surtoutdepuisqu’Andrewm’aéclairéesurlessaletésquelesclientsonttendanceàlaisserderrièreeux.Maisiln’yapasdesotmétier,etçanem’apastantdérangée, saufquand il s’agissait denettoyerdes corbeilles àpapier au fonddesquellesdevieuxchewing-gumsrépugnantsrestaientcollés.Désolée,maislesimplefaitd’ypensermedonnedeshaut-le-cœur. J’ai appelé Andrew pour le supplier de s’en charger à ma place. Bien entendu, je l’aicomplètement soudoyé à coups de promesses de gâteries incroyables réalisées dans divers endroits.Superchouette.Nan,sérieusement?J’adoreluifaireceplaisir.Jefaisjusteparfoissemblantdedétesterça,maisjecroisqueçaluiplaîtparcequ’ilaimem’entendremeplaindre.

Bref,apparemment,lesménagessontcommedesportesàtambour:lesemployésvontetviennentsisouventqu’il arrivemêmequ’ilsne soient jamais inscrits sur les registresofficiels. Jeme suis fait laréflexionquecelapourraitsacrémentjouerenmafaveuraucoursduvoyage.Etdonc,enéchangedelamoitiéduprixdenotrechambred’hôtel,etparcequ’ilsétaientàcourtdepersonnel,jeleuraidemandésijepouvaisfileruncoupdemainetilsm’ontembauchéeaussitôt.

Mais ça n’était que temporaire, car Andrew et moi devions vite partir d’ici pour rallier notreprochaine destination,même si nous ne la connaissions pas encore.Nous n’y réfléchissons jamais enavance.Laseulerèglequenousnoussommesfixéeestderestersurlacôte.Aumoinsjusqu’auprintemps.Ce qui nous laisse encore plusieursmois pour voir venir, et pour l’heure, nous sommes joyeusementinstallésdansunpetitbungalowhôteliersurlamagnifiqueplagedeSavannah,enGéorgie.

Etaujourd’hui,jevaisfêtermesvingtetunans.Andrewm’arracheàmonprofondsommeilenouvrantgrandlesrideauxdenotrefenêtregigantesque

pourlaisserlesoleilemplirlapièce.—Debout,lareinedelajournée!Joyeuxanniversaire!s’exclame-t-ildepuislepieddulit.Jel’entendstambourinerduplatdelamainsurlereborddelafenêtre.Je grogne et roule de côté, tournant le dos au soleil et m’enfouissant la tête sous les draps. Une

bourrasqued’airfroids’abatsurmoiquandAndrewdéfaitbrusquementlelit.

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—Oh,allez!gémis-jeenremontantmesgenouxcontremapoitrineetenmecollantl’oreillersurlevisage.Tupourraismelaisserdormirlejourdemonanniversaire.

Soudain,moncorpsestsoulevédumatelas,auqueljetentedésespérémentdem’agripper.Andrewmetientfermementparlacheville.Jemedébatspourmelibérer,maisilm’attireàluiendeuxtempstroismouvements, et je finis par capituler. J’atterris les quatre fers en l’air aumilieu d’une pile de drapsfroissés.

—Tuesvraimenttropcon!m’esclaffé-je.—Maisc’estcommeçaquetum’aimes.Maintenant,debout.Lescheveuxtoutemmêlés,jelèvelesyeuxversluietfaislamoue.Ilmesouritetmetendlamain.Je

m’ensaisis,etilm’aideàmemettredebout.—Joyeuxanniversaire,mabelle!medit-ilenmeplantantunbaisersurleslèvres.Jebronche légèrement, sachantque jedoisavoirunehaleine incommodanteetque je saisqu’ilne

manquejamaisuneoccasiondemelefaireremarquer.Andrew plonge la main dans la poche de sa veste et en sort un petit écrin en velours noir.

Manifestement,iladéjàfaitdestasdechosescematin,maisc’estsurtoutlecadeauqu’ilmedéposedansla paume quim’intrigue. Je l’observe avecméfiance, prête à lemordre si je découvre qu’il est allédépenserunesommefollederrièremondospourm’acheterunbijou.

—Andrew?demandé-jed’untonsoupçonneux.—Ouvre,secontente-t-ilderépondre.J’aiétésage.Promis.Illèvelesdeuxmainspourm’assurerdesabonnefoi.Doutanttoujoursdesonapparentesincérité,jesoulèvelecouvercledelaboîteetrévèleunpendentif

endiamantquim’arracheunlégerhoquetdesurprise.Puisjeleregardedroitdanslesyeux.—Andrew,jetejureque…Jejetteunnouveaucoupd’œilàmoncadeau,mesentantcoupablerienquedeletenir.—Cen’estpaspossibleque…—Promis,répète-t-ilavecunsourirecharmeur.Çan’étaitpastrèscher.Jememordslalèvreinférieured’unairsceptique.—Combien?—Oh,environcentvingt-cinq.Pasplus.Croixdebois,croixdefer.IltraceunXsursoncœurpourscellersapromesse.Puisilsortlecollierdesonécrinetlelaissependreauboutdesondoigt.—Ilteplaît?m’interroge-t-ilenvenantsepositionnerderrièremoi.Je soulève instinctivement les cheveux qui me tombent sur la nuque pour lui permettre de me

l’attacher.—Ilestparfait,Andrew.Ilmeplaîtbeaucoup.Jel’adore.Dèsqu’iltientenplace,jeprendslapierreentremesdoigtspourl’admirerdeplusprès.Jefaisvolte-faceetmehissesurlapointedemespiedsnuspourl’embrasserprofondément.J’aidumalàcroirequ’un trésorpareiln’aitpascoûtéunefortune,mais ilmeditprobablement la

vérité.Dumoins,jelepense…—Merci,monchéri,dis-je,rayonnante.Ilm’assènesoudainuneclaquesurlesfessesetdéclare:—Ilfautqu’onsorte,aujourd’hui.J’enaimarrederesterenfermé.Marredufroid,aussi.J’aimerais

pouvoirhiberner.Ensortantunetenuepropredemonsac,rangéàcôtédelatélé,jerenchéris:—Pareil.Qu’est-cequ’onfait,alors?

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—Jenesaispas.N’importequoi.Maishabille-toichaudement.Uneprécisioninutile.Mêmeêtresurlacôteetplusausudn’apassuffiànousréchauffercesderniers

jours.Nousrêvonstousdeuxdeprintempsetd’été,tantetsibienquenousneparlonsquasimentplusquedeça.Jemeplainssouventdenepaspouvoirpassermespiedsnusparlafenêtredelavoituresansgelersurplace,et lui râleparcequenousn’avons toujourspaseu l’occasiondedormirdansunchampà labelleétoile.Biensûr,jem’abstiensdeleluidirecarcelaneferaitquerenforcersadétermination,maisilnemetardepasdepasserunenuitdehors.Jamaisplus.Pasaprèscequinousestarrivélesoirdenotrepremièretentative.Non.Leslitsd’hôtelmeconviennenttrèsbien.Aumoins,onnerisquepasd’ytrouverdesserpents.

L’hiverestvraimentdéprimant.Jesupposequec’estpourcelaqueletauxdesuicideestsiélevéenAlaska.C’estunÉtatmagnifique,maisjepréfèresanshésiterm’échouerdanslachaleurinsoutenabledel’undesdésertsdusud.

J’enfileplusieurscouchesdevêtements:unmanteauépais,uneécharpe,desgants,etj’enpasse.Etpourtant,jesuisencoregelée.

AvecAndrew,mêmel’hiverdevientchaud!J’aitoujourstrouvésexylesmecsavecunbonnet,mais

commeilyajoutesonblousonnoirdecouturier,sonpullanthracite,sonjeansombreetsesDocMartens,jenepourraisrêverplusbeaucadeau.Jesourisintérieurement,tandisquenousdéambulons,maindanslamain,àtraverslapetitefoulequiseréfugiedanslepharepouréchapperaufroid,quandtroisfilles,sansdoute des touristes aussi, contemplentAndrew en bavant littéralement d’envie. Je jubile secrètement ;c’estcequeferaittoutefemmenormalementconstituée.Jen’aijamaisvupersonned’aussiséduisant.Pasétonnantqu’ilaitétémannequin.Ildétesteenparler,c’estpourquoijem’acharneàremettrelesujetsurlatable,justehistoiredelevoirsedandinernerveusementd’unpiedsurl’autre.D’ailleurs,ilserasemoinssouventqu’avant,etavecsabarbedetroisjours,ilestencorepluscraquant.

Nousgrimponsl’escalierenspiralemenantausommetduphare,etnousadmironsensemblelavueimprenablesurl’océan.C’estvraimentuntrucàfaire.Nousavonsnaviguéàvue,roulantdanstoutelaville jusqu’à trouver un endroit qui nous intéresse. Cependant, se la jouer spontanés durant les moisd’hiver,c’estquitteoudouble.Nous laissonspendrenosbraspar-dessus labalustradeetnouscollonsl’unàl’autrepournousréchauffer.Àcettehauteur,desrafalesglacialesnouscinglentlevisage,etjemedoutequemonnezetmesjouessontprobablementtoutrouges.

Ilnousfautcinqminutespourdécréterquenousenavonsassezvu,etnousretournonsàlavoitureencourantpresque.

—Etsionallaitauciné?demande-t-ildederrièrelevolant.Ou…Bon,c’estdécidé,onhiberne.Nousrestonsassisdansl’habitacleuneéternité,letempsdetrouveruneactivitéintéressante.—Onn’aqu’àroulerunpeu,suggéré-je,àcourtd’idées.—Oupartird’ici.Jehausselesépaules.—Situveux.Puisj’aperçoisunebannièrerougeindiquant«Marchéauxpucesetantiquités».—J’aienviedefairedushopping.Andrewnesembleguèreenthousiaste.—Dushopping?Jedésignelabanderole.—Pasdansuncentrecommercialnirien,précisé-je.Maisonpeutfairedebellestrouvaillesdansun

marchéauxpuces.

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Ilnesautepasdejoie,maisjedevinequ’ilaconsciencequec’esttoujoursmieuxquedesepromenerdanslefroidouderesterdanslaChevellesansrienfaire.

Il finit par céder car, disons-le tout net, il n’apasvraiment le choix. Il effectueunebrèvemarchearrièrepoursortirdesaplacedeparkingetnousprenonsladirectiondumarché.Nousytrouvonsunpeudetout:deschapeauxridicules,desinstrumentsdentairesd’uneautreépoque,desédredonsfaitsmain,descassettesvidéoetdesdisques.RiennesembleréellementpassionnerAndrew,jusqu’àcequ’ilmettelamainsurunecaisseenboispleinedevinyles.

—Jen’avaisplusvudedisquedeLedZeppelindepuisdesannées!s’exclame-t-il.Lapochettequ’iltientàlamainestsacrémentuséeetdécolorée,commesielleavaitpassétrenteans

dansungrenier.Pourtantillamanipuleavectantdesoinqu’ellepourraitêtreàl’étatneuf.—Tunecomptestoutdemêmepasacheterça,si?—Pourquoipas?s’étonne-t-ilsansmeregarder.Ilretournel’objetpourenobserverlafacearrière.—Parcequec’estunvinyle?—Ouais,maisunvinyledeLedZeppelin,objecte-t-il.—Certes,etalors?Commeilnerépondpas,jemepermetsd’insister.—Surquoitucomptesl’écouter?Ilfinitparm’accordertoutesonattention.—Jenecomptepasl’écouter.—Alors,pourquoil’acheter?Puis,j’anticipesaréponseetl’imited’untonsarcastique:—Oh,c’estunepiècedecollection,j’aipigé.Tupourraislefaireencadrersurlabanquettearrière

delavoiture,raillé-jeavecunsourirenarquois.—Oualors,jepourraisl’installeràl’avantettefaireasseoirderrière.J’enrestebouchebée.Andrewsouritetreposeledisquedanslaboîte.—Jenevaispasl’acheter,décide-t-ilfinalementenmeprenantlamain.Quelquesminutesplustard,nousnousarrêtonsdevantunautreétal,proposantdesvêtementsvintage.

Tandis que je passeméticuleusement en revue chaque article, Andrew s’approche du stand voisin oùs’accumulentdescentainesdeDVDetdeBlu-ray.Ilcontemplelesétagèreslesbrascroisés,prenantletempsdelireletitredechaquefilm.Jen’aperçoisquel’arrièredesoncrânedel’autrecôtédugrillagedeboisséparantlesdeuxéventaires.Jeretourneàmesvêtements,prised’unbesoininsistantdepossédertoutcequejetouche.J’adorelesvieillesfringues.Mêmesijen’enportepas,etn’enaiaucunedansmesarmoires ; néanmoins, cela fait partie des choses qu’on ne peut pas s’empêcher d’examiner avecadmirationens’imaginantlesporter.

Jerepousseunàunlescintresmétalliquesafind’êtresûredenerienrater.Deschemisiersàmanchesgigotetlacetsdecuir,descorsets,desrobesauxlonguesmanchesfleuriesetàjabotdemousseline,desbottesdestylevictorien…

Qu’est-cequec’estqueça?Moncœurs’arrêteunesecondequandj’écarteuncintreetaviselavieillerobeivoireauxmanches

bouffantesdechezGunneSax.Jelaplaquecontremoietmetourneverslemiroir.Lebaseffleuretoutjustelesol.Jelamaintiensd’unemainàmahauteur,puistiresurletissuduboutdesdoigtsetmemetsàvirevolter.

—J’adorecetterobe!m’exclamé-je.Ilmelafaut.

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—C’estvraiqu’elleestpasmal.Lavoixd’Andrewdansmondosmefaitsursauter.Légèrementgênéequ’ilm’aitsurpriseàmemirerdelasorte–etàparlertouteseule–,jen’osele

regarderenface.Aulieudequoi,jejetteuncoupd’œilàl’étiquette.Elleestàmataille!C’estunsigne,elleestfaitepourmoi.Désormais,laquestionneseposeplus.Ledestinatranché!

JelaserrecontremoietmetourneversAndrew.—Elleteplaîtvraiment?luidemandé-jed’unaircoupable,espérantéviterqu’ilmerenvoiedansles

dentsnotreconversationsurlevinyledetoutàl’heure.—Tudevraislaprendre,m’affirme-t-ilavecungrandsourirefaisantressortirsesfossettes.Ellet’ira

commeungant.Tuserastrèsbelle.Commed’habitude.Jerougisetdétournelatête.—Tucrois?Jenepeuxm’empêcherdesourireaussi.—J’ensuissûr.Enplus,çamefaciliteraitl’accès.Çam’auraitétonné!Jenerelèvepassoncommentairedéplacé,surtoutparcequejesuiscomplètementsouslecharmede

cetterobe.C’estalorsquejemerendscomptequejen’aimêmepasencoreregardéleprix.Connaissantlamarque,jesaisquesesproduitsnesontjamaistrèschers.Cependant,unindividulambdapeuttrèsbiens’imaginer duper un acheteur potentiel en triplant la mise initiale. Je retiens mon souffle en repérantl’étiquette.Vingtdollars!Parfait.

JeregardeAndrew,etmesenssoudainunpeugarce.—EtsituretournaischerchertondisquedeLedZeppelin?suggéré-jetimidement.Ilsecouedoucementlatêteensouriant.—Nan,jenesauraispasquoifaired’unvieuxvinyle.Alorsqu’unerobecommecelle-ci…Ilcroiselesbrasetm’observedepiedencap.Jesuissûrequ’ilrecommenceàsefairedesidéesgrivoises,etjem’apprêtecettefoisàletraiterde

perversquandilajoute:—C’estlatenueparfaitepourunejeunemariée.Sesyeuxvertssemblentvouloirtranspercerlesmiens.Monsourires’atténueetjedéclare:—C’estlarobedemariageidéale,admets-je.—Alorsc’estréglé,décrète-t-ilenmeprenantparlamain.Unsoucidemoinspourlesnoces.—Onn’apasbesoind’autrechose,affirmé-jeenlesuivantjusqu’àlacaisse,levêtementrepliésur

monavant-bras.Ilm’adresseuncoupd’œil.—Desalliances,merappelle-t-ilavecunairétrange.—J’enaidéjàune,contré-jeenbrandissantlamainpourluimontrerlediamantqu’ilm’aoffertau

Texas.—C’estunebaguedefiançailles.—Ouais,maisçasuffit.—Quoiqu’ilensoit,ilm’enfautuneaussi.Oualorstum’asoublié?Ilfautêtredeux,tusais?Jeglousselégèrementtandisquenousprenonsplacedanslacourtefiled’attente.—C’estvrai,tuasraison,maismabaguemesuffitamplement.Enoutre,jesaisquetuasdépenséune

fortunepourcecollier.Jenepeuxpastelaisserfaire.—Tuveuxdéjàreparlerdeça?medemande-t-il,taquin,ensortantsonportefeuille.Jenet’aipas

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mentisurleprixdupendentif.Peut-êtrefinalementqu’ilditlavérité.—Jetecrois,déclaré-je.Ilmesouritetlesujetestclos.

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ANDREW

OUAIS,JESUISUNPUTAINDEMENTEUR.CECOLLIERM’ACOÛTÉUNPEUPLUSDE600DOLLARS,MAISJEMEgarderai bien de le lui avouer. Elle trouve qu’au-delà d’un certain prix, la valeur d’un objet tient aunombre de ses zéros,mais ce n’est pas toujours le cas. Sincèrement, je crois que c’est généralementplutôtlafillequifaitgrandcasduprix.Merde,ilm’estmêmearrivéd’entendredesgarcesseplaindrequeleursmecsnedépensaientpasassezpourelles.Jemedemandesiellesserendentcomptedecequenouséprouvonsquandellesseréunissententrecopinespourcomparerlatailledeleursdiamants,commenouspourrionscomparercelledenos…Àdirevrai,cen’estpaslegenredetrucqu’onfaitréellement.Oudumoins,jen’aiencorejamaisrencontréuntypequim’aitproposédesortirsonservicetroispiècespourlecompareraumien.

JetenaisvraimentàoffrirunjolicadeauàCamrynpoursonanniversaire.Etilsetrouvequeleseultrucquim’aitvraimentplun’étaitpasdonné.

Ilvafalloirt’yfaire,mabelle.Elles’évanouiraitsansdoutesielledécouvraitcombienj’aipayénosalliances,quej’aitrouvéesà

Chicago.Çan’apasétéfaciledelesluicachertoutcetemps.Maisj’airéussiàplanquerlepetitécrindanslequelellessontrangéesàl’intérieurdemonsacmarin.

Commed’habitude,nouspassonsla journéeentièreàtraînerensembleenfaisantabstraction,autantquepossible,dutempsglacial.Dèsnotrearrivéeàl’hôtel,j’attrapemaguitareetluijouelachansonquej’aiécriteetsurlaquellejebossedepuisunesemaine.J’espéraislaluioffrirpoursonanniversaire.Jel’aicomposéespécialementpourelle.Jel’aiintitulée«Fleurdeschamps».Ellem’aétéinspiréeparlapremièrejournéequenousavonspasséeensembleàmasortiedel’hôpital,aprèsl’opération.

—Tudevraisyallermollo,m’avait-elleditcejour-là.Évitependantun tempsd’aller fourrer latêtedansl’undesmoteursdeBillyFrank,etnefaispasnonplusdesautàl’élastiquenidecoursededragsters.

J’avaisricanédoucementenbasculantlatêtedecôtépourlaregarder.J’étaisallongésurunetabledepique-niqueenpierre.Camrynétaitassisesurlebanc,auniveaudematête.

—Etdonc,pourtoi,yallermollosignifienerienfairedutout? luiavais-jedemandé,lesourireauxlèvres,lesmainscroiséesderrièrelanuque.

—Iln’yariendemalàparesserunejournéedansunparc,m’avait-ellerépliquéenmecaressantlefrontduboutdudoigt.

—Eneffet,avais-jeréponduenembrassantsonindexquipassaitnonloindemabouche.J’aimebien

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resterseulavectoi.Elle avait légèrement penché la tête et elle s’était radoucie. Puis elle avait observé le parc. Les

arbres étaient resplendissants, l’herbe verte et épaisse. C’était vraiment une journée magnifique. Jem’étaisdemandépourquoinoussemblionsêtrelesdeuxseulsdehorspourenprofiter.

—J’adore les fleursdeschamps, avait-elledéclaréd’un tondistantenobservant lapetitecollines’élevantderrièremoi.

Jem’étaisalorsretournéetenavaisremarquéune,solitaire,perchéeensonsommet.Jenesaispaspourquoi,mais,depuiscejour-là,chaquefoisquejevoisunefleurdeschamps,jepenseàCamryn.

Je n’oublierai jamais le sourire qui illumine son visage quand je lui joue cette chanson. Il est sichaleureux,si lumineux,si touchant…Legenredesourirequisembledire«Jet’aimeplusquetoutaumonde»sansqu’ilsoitbesoindeprononcerlemoindremot.

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ANDREW

21janvierJourdemonvingt-sixièmeanniversaire

JEFAISUNRÊVEFORMIDABLEDANSLEQUELJEM’ADONNEÀLACHUTELIBRE(ALLEZSAVOIRPOURQUOI,JE

SUISavecl’acteurChristopherLee…)dansuncielbleu…ciel.ChristopherLee,quiportedeslunettesdeprotectionrouge,mefaitsignedesdeuxpoucesjusteavantqueleventl’emportesubitementdansl’éther.Soudain,moncœurs’arrête,etj’inspirebrusquementunairglacial.J’ouvregrandlesyeuxetmeretrouvedans lemonderéel.Jemeredressesivitedans le litquemesbrass’agitentdepartetd’autredemoncorps,venantheurterl’appliquemurale.

—Putaindemerde!Ilme faut une seconde pour comprendre ce qui vient de se passer.Alors que, le souffle court, je

balanceencorelesdrapsfroidsethumidesdecôté,j’aperçoisCamryn,deboutaupieddulit,unseauàglaçonsdanslamain.

Ellegloussebruyamment.—Joyeuxanniversaire,monchéri!Debout!Je suppose que je l’aimérité, après le réveil que je lui ai réservé pour son anniversaire, lemois

dernier. Mais cette petite garce m’a vraiment bien eu, et m’a rendu la monnaie de ma pièce… Lesrevanchessonttoujourspiresquel’assautinitial.

Incapabledem’empêcherdesourire, j’obtempère lentementetsorsdulit,nucommeunver.Elleadéjà son regard de regret et recule vers la porte. Sachant qu’il s’agit de sa seule issue, je la regardejaugerlasituation.

— Je suis désolée ! m’assure-t-elle avec une moue terrifiée, tendant la main dans son dos pourattraperlapoignée.

—Ohoui,jen’endoutepasuninstant,mabelle.Jem’approched’elleàpetitspas,lascrutantdemesyeuxencorelourdsdesommeil,telunprédateur

jouantavecsaproie.Ellegloussedenouveau.—Andrew!Jeneteleconseillepas!Ellen’estdésormaisplusqu’àquelquesdizainesdecentimètresdel’entrée.Jeprendsnéanmoinstout

montemps,lalaissantespérer.Lesourirejusqu’auxoreilles,jedoisressembleràundémentsadique.

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Soudain,Camrynglapit,incapabledeseretenir,etfonceverslaporte.—Noooon!Pitié!hurle-t-elletoutenrianttandisquelebattantvients’écrasercontrelemur.Elles’enfuitdanslecouloir.Tandisquejem’élanceàsasuite,elles’immobilise,choquée,trahissantlefaitqu’ellenes’attendait

sûrementpasàcequej’aillesiloinsansvêtements.—OhmonDieu!Andrew,non!crie-t-elleenseruantdanslecorridorpuissammentilluminé.Je laprends en chasse,mesbijouxde famillevolant auvent.Cette fillenemeconnaît pas encore

parfaitement,sielles’imaginequejeseraistropgênépourlapoursuivreculnu,bienquerétréciparlefroid.Jem’enfiche.Jevaisluifairepayerceseaudeglace.

Nousdépassonslachambre321tandisqu’uncoupledepersonnesâgéesenémerge.L’hommeforcesonépouse,lesyeuxécarquillés,àrentrerdanslapièce,tandisqu’uncingléentenued’Adamleurpassedevantàtouteberzingue.

—DouxJésus…,entends-jedireloinderrièremoi.Camryn atteint finalement l’autre bout du couloir, fait volte-face et s’arc-boute, lesmains tendues

devantellecommepourformerunbouclier.Deslarmesluiroulentsurlesjouestantellerit.—Jemerends!Jemerends!Ohputain,tuestoutnu!Ellenepeutpass’arrêterderire.Jemejoinsàsonhilaritéenl’entendantémettredescouinements

dignesd’uncochon.—Tuvasvraimentlepayercher,l’informé-jeenl’attrapantpourlahissersurmonépaule.Cettefois,ellen’essaiemêmepasdehurlernidesedébattre.Premièrement,elleritsifortqu’ellen’a

pluslamaîtrisedesoncorps.Deuxièmement,ellesaitquec’estinutile.J’espèrejustequ’ellenevapasmepisserdessus.

Je la ramène jusqu’à notre chambre. En chemin, quand nous repassons devant la 321, je saluesobrementlecoupleenlegratifiantd’un:

—Navrédevousavoirinfligécespectacle.Jevoussouhaiteuneagréablejournée.Puisjereprendsmaroutesousleursyeuxébahis,tandisquelemarisecouelatêteendardantsurmoi

unregardrévolté.Je referme laportederrièrenousetbalanceCamrynsur le lit, aumilieudesglaçonspartiellement

fondus.Ellesemarrecommeunebaleine.Jemepositionneentresesjambes,retiredansunmêmegestesonshortetsaculotte,etlatoisesansun

mot. Je suis au garde-à-vous en quelques secondes. Son fou rire se tarit, et elle se mord la lèvreinférieureenm’observantdesesbeauxyeuxbleusquiréveillentlabêtesommeillantenmoi.

Sansvéritableavertissement,jem’abaisselégèrementetm’enfonceprofondémentenelle.—Est-cequetuesvraimentdésolée?chuchoté-jeenallantetvenantlentement.J’apposemontorsecontresapoitrine,nostatouagessetouchent,OrphéeetEurydicesontdenouveau

réunisalorsquenousnousfondonsl’undansl’autre.—Oui…,affirme-t-elle,leslèvrestremblantes.Jepousseunpeuplusfort,luirelevantunecuissedelamain.Sespaupièressefermentetellebasculelatêteenarrière.Jeplaquemabouchecontre lasienneetsongémissementvient résonnerdansmagorge, tandisque

j’accélèrelemouvement.Puisuninstinctplussombre,presqueprédateur,granditenmoi.J’agrippesesdeuxcuisses,enfonçant

mesdoigtsdanssachairtoutenlatirantversmoisivitequ’ellen’apasletempsderéagir.Luisaisissantlesbras,jelaretournesansménagementetluientravelespoignetsdansledosenlaforçantàsemettreàgenoux. De ma main libre, je caresse les contours délicats de son cul exposé devant moi, pinçant

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fermementchaquefesseavantd’yasseneruneclaqueassezpuissantepourprécipitersoncorpsenavant.Ellegémit. Je la saisisalorspar lanuque, luiappuyantplus fermement levisagecontre lematelas. Jesenssapeauchaufferàl’endroitoùmesdoigtsyontlaissédesmarquesrouges.

Ellegémitdenouveau,etjeserresespoignetsunpeuplusfort.J’introduisdeuxdemesdoigtsdanssabouchetoutenlapossédantplusprofondémentpar-derrière.

Ellepousseunpetitcri,sescuissessemettentàtrembler,maisjenem’arrêtepas.Jesaisqu’ellenesouhaitepasvraimentquejem’interrompe.

Unefoisquej’aijouietquelesbattementsdemoncœurralentissent,j’attiresoncorpsnucontrelemien,sonvisageluisantdesueurnichéaucreuxdemonbras.Ellem’embrasseletorseetfaitcourirsonindexetsonmajeursurmonbicepsendirectiondemabouche.Jeluiattrapelamainetluiembrasselesdoigts.

—Jesuiscontentequetusoisredevenutoi-même,medit-elledoucement.—Moi?m’étonné-je.Tutrouvaisquej’avaischangé?Ellepivotelégèrementlatêteafindepouvoirmeregarder.—Oui,unpeu.—Quandça?Jesuissincèrementsurpris,maisjetrouvesaréserveadorable.—QuandonaperduLily,réplique-t-elle.Lesourirejoueurquiflottaitsurmeslèvresdisparaîtaussitôt.PuisCamrynreprend:— Je ne te le reproche pas, mais après ça, tu n’as cessé de me traiter comme une poupée de

porcelainequetuavaispeurdecasserenlamanipulanttropbrusquement.Jel’attireauplusprèsdemoietelleposesajouesurmontorse.—Ehbien,jenevoulaispastefairemal,mejustifié-jeenfaisantglissermonpoucesursonbras.Ça

mefaitparfoisencoreunpeupeur.—Ilnefautpas,mechuchote-t-elleavantdem’embrasserdenouveau.Neteretienspasavecmoi,

Andrew.Jeveuxquetusoistoujourstoi-même.Jesourisetluipresselebras.—Tusaisquetuviensdemedonnerlapermissiondetemassacrerquandjeveux?—Oui,j’enaipleinementconscience.J’entendslesouriredanssavoix.Jel’embrassesurlesommetducrânepuislafaisroulersurmoi.—Joyeuxanniversaire,déclare-t-elleencoreavantd’introduiresalanguedansmabouche.HeureusementquelaFlorideexisteenhiver.Aprèsmontrèssurprenant–et,jedoislereconnaître,

satisfaisant – anniversaire de ce matin, Camryn et moi passons la journée à répéter notre nouveaumorceau.Enfin,cen’esttechniquementpasunevéritablecomposition,maisdisonsquenousavonsreprisà notre sauce le génial «EdgeofSeventeen»deStevieNicks.Lavitesse à laquelle s’enchaînent lesparolesénerveunpeuCamryn,maiselleestrésolueàtravaillerpouryarriver.C’estsachanson,cellequ’ellevoudraitentonnerseule.C’estunpasdegéantpourelle,carnousn’avonsjusqu’àprésenteffectuéquedesduos.

Jel’enadmired’autantplus.Malgrésonagacement,jevoislavéritableCamrynreprendreledessusjouraprèsjour.Elleal’esprit

plusléger,sesyeuxpétillentdavantageetchacundesessouriresmerappellenotrepremièrerencontre.— Tu peux y arriver, l’encouragé-je depuis le rebord de la fenêtre, ma guitare électrique en

bandoulière.N’essaiepassifort,mabelle,approprie-la-toi.

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Ellepousseunsoupiretbasculelatêteenarrière,s’affalantsurlachaiseprèsdelapetitetablerondeàcôtédemoi.

—Jeconnais lesparoles,mais jem’emmêle toujours lespinceauxsur lesdernièresphrases, jenesaispaspourquoi.

—Jeviensdeteledire:turéfléchistrop,parcequetucommencesàchanterent’attendantàavoirdumalsurcettepartie.N’ypensepas.Essaieencore.

Elleprendunenouvelleinspiration,puisserelève.Nousnousentraînonsencoreuneheureavantdenousdirigerverslerestaurantleplusprochepourun

déjeunertardif.—Tuvasyarriver,net’enfaispas,larassuré-jetandisquelaserveusenousapportenossteaks.—Jesais.Çam’énerve,c’esttout.Elles’attaquesanstarderàsonassiette.—Ilm’afalludutempspourmaîtriser«Laugh,INearlyDied»,luidis-jeenportantàmaboucheun

énormemorceaudeviande.Jemastiqueunmomentavantdepoursuivre,laboucheencorepleine:—Laprochainechansonquejevoudraisapprendreest«Ain’tNoSunshine»,deBillWithers.J’ai

toujoursvoululaconnaître,etjecroisqu’ilesttempsquejetournelapagedesStones.Ellesemblesurprise.Ellebraquesafourchettesurmoi,déglutit,puiss’exclame:—Oooh!Excellentchoix!—Tulaconnais?Je suis légèrement étonné, car elle n’avait pas une grande culture rock ou blues quand nous nous

sommesrencontrés.Elleacquiesceetavaleunefourchettedepommesdauphines.—J’adorecettechanson.Monpèrel’avaitsurlacassettequ’ilécoutaittoutletempsquandilquittait

l’Étatpourleboulot.CeWithersestunsacréchanteur.J’éclatederire.—Qu’est-cequ’ilyadedrôle?demande-t-elle,perplexe.—Onauraitditunecowgirl.Jeboisunegorgéedebièreetcontinueàrireensecouantlatête.—Quoi?T’asqu’àdirequejeparlecommeunepéquenaude.Elleécarquillelesyeux,sanstenterdedissimulersonsourire.—Plutôtcommeuneplouc.CeWithersestunsacréchanteur!Yi-ah!J’imitesonattitude,basculantlatêteenarrière.Elleritdeboncœuravecmoi,mêmesi jevoisbienqu’ellefaitdesonmieuxpourdissimulerson

visageécarlate.—Entoutcas,jesuiscarrémentd’accordavectoi.Elleprendàsontourunegouléedebière,puisreposesonverresurlatableetajoute,enplissantles

yeux:—Jeparleduchoixdechanson,pasducôtéplouc.—Biensûr,rétorqué-je,moqueur,enfinissantmonsteak.Commeelleme l’avait promis, nous en avionsmangéunensemblepour lapremière foisquelques

joursaprèsmasortiedel’hôpital.Etcommecejour-là,ainsiquechaquefoisqu’elleencommandeun,elleneparvientàenmangerqu’unemoitié.Cequim’enfaitd’autantplus.Quandje lavoissaturer, jem’empressed’échangernosassiettes.

Ellen’arrêtepasdejeterdescoupsd’œilàsontéléphone,etfinitmêmeparenvoyeruneréponseà

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quelqu’un.—C’estencoreNataliequitetannepoursavoirquandtuvasrentrer?—Ouais,ellenelâchepaslemorceau.Ellerangesontéléphonedanssonsac.Camryn est une menteuse lamentable. Lamentable. Elle ne serait pas crédible même si sa vie en

dépendait. Et là, à sa façon d’observer lemur lambrissé du restaurant, je vois bien qu’elleme cachequelquechose.Jelacontempletoutenjouantavecmoncure-dent.

—Onyva?luidemandé-je.Ellemesouritfaiblement,etjevoissontéléphones’illumineràl’intérieurdesonsac.Ellelitletexto

qu’ellevientderecevoiretsembleimmédiatementpluspresséedepartir.Sonsourires’élargitetelleselèvedetable.

—Attends,ilfautpayer.Jefaissigneàlaserveusedenousapporterl’addition,etCamrynserassiedimpatiemment.—Pourquoies-tusubitementsipressée?Jegagnedu tempspour la faireenrager,mais sorsmacartedecrédit avantque la serveuseaitpu

s’éloigner.—Commeça,répliqueCamryn.Jemecontentedesourired’unairentendu.—D’accord,dis-jeenm’adossant.J’étiremesbrasau-dessusdematête,memettantaussià l’aisequepossible.C’estunstratagème:

plusjesembledétendu,pluselletrépigne.Quelquesminutes plus tard, la serveuse revient avecma carte etmon reçu. Je laisse unpourboire

danslerécipientprévuàceteffetetmelèvetrèslentement,enfilemonmanteau,m’étiredenouveau,feinsunbâillement…

—Bon,tutedépêches?Jesaisqu’ellen’enpeutplusd’attendre.J’éclatederire, laprendspar lamain,etnoussortonsdu

restaurant.Unefoisderetouràl’hôtel,Camryns’arrêtedanslehall.—Passedevant.Jeterejoinsdansuneminute.Ilestévidentqu’elletramequelquechose,maispuisquec’estmonanniversaire,j’acceptedejouerle

jeu, je l’embrasse sur la joue et grimpe dans l’ascenseur. Une fois dans la chambre, c’est moi quicommenceàm’impatienter.

Ellearrivetrèsbientôt,uneguitareflambantneuveàlamain.Jemelèvedèsquejel’aperçois.—Waouh…Sonsourireestàlafoisdouxettendre,presquetimide.Commesiunepartied’ellecraignaitquejene

l’aimepas.Jefaisquelquespasdanssadirection.—Joyeuxanniversaire,Andrew,medit-elleenmetendantl’instrument.Jel’attrapeparlemanche,posel’autremainsurlacaisse,etl’admireavecunimmensesourire.Ses

lignessontpures.Elleestmagnifique.Parfaite.Jelaretournepourenexaminerl’envers.Jeremarqueunefineécriturecursivequicourtlelongdumanche:

Ilfitcoulerdeslarmes,surlesjouesdePluton,Etilforçal’Enferàluiaccordercequel’Amourconvoitait.Unextraitdel’unedesnombreusesversionsdumythed’OrphéeetEurydice.Jenesaishonnêtement

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pasquoidire.—Elleteplaît?—Jel’adore.Elleestparfaite.Elledétournelatêteenrosissantlégèrement.—Enfait,jen’yconnaisrienenguitares.J’espèrequecen’estpasunemarquepourrieniriendece

genre.C’estletypedumagasinquim’aaidéeàlachoisir.Etpuisj’aidûattendreplusieursjoursqu’ilslagravent,etj’aicruquejenel’auraisjamaisàtempsàcausede…

—Camryn,dis-jepourmettreuntermeàsesdivagationspaniquées.Jen’aijamaisreçudeplusbeaucadeaud’anniversaire.

Surce,jecomblel’espacequinoussépareetl’embrassedélicatementsurleslèvres.

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22

CAMRYN

QuelquepartsurlaI-75–mai

NOUS SOMMES SUR LA ROUTE DEPUIS DES MOIS. EN MARS, NOUS ÉTIONS DÉJÀ TELLEMENT HABITUÉS ÀCHANGER régulièrement d’hôtel que c’était devenu comme une seconde nature. Une nouvelle chambrechaquesemaine,unenouvelleville,unenouvelleplage…Toutétaitnouveau.Maismalgrélanouveauté,c’étaitcommesinousfranchissionslaported’unebâtissequenousavionshabitéependantdesannées.Jen’auraisjamaisimaginédired’unechambred’hôtelquec’était«lamaison»,ouqu’ilseraitsifaciledes’habituer à la vie nomade.Malgré tout, c’est parfois un peu compliqué, mais cela fait partie d’uneexpérienceglobalequejeneregretteenaucunpoint.

Jemedemandetoutefoissicethiverinterminablenem’apasunpeuusée.Jemeposelaquestioncarjeme suis surprise à plusieurs reprises à rêvasser d’un pavillon quelque part, une demeure que nousoccuperionsauquotidienavecAndrew.

Ouais,jesuissûrequec’estuniquementdûàl’hiver.Il est 2 heures du matin, et nous sommes tombés en panne quelque part dans le sud-ouest de la

Floride,surunlongtronçond’autoroutedésert.Etilpleutàtorrents.Nousavonsappeléunedépanneuseilyauneheure,maispouruneraisonquim’échappe,ellen’estpasencorearrivée.

—Est-cequ’ilyaunparapluiedanslavoiture?demandé-jeentâchantdecouvrirlebruitdesgouttestambourinantsurletoit.Jepourraisteletenirpendantquetularépares.

—Ilfaitnuitnoire,Camryn,réplique-t-iltoutaussifort.Mêmeavecunelampedepoche,jenesuispassûrd’yarriver.Ilfaudraitd’abordquejecomprennecequidéconne.

Jem’affaissesurmonsiègeetposelespiedssurletableaudebord,lesgenouxpliésversmoi.—Aumoins,ilnefaitpastropfroid,commenté-je.—Ondevraitsurvivreà lanuit,confirme-t-il.Ceneseraitpas lapremièrefoisquel’ondormirait

dans la voiture. Je suppose que la dépanneuse sera là avant l’aube,mais dans le cas contraire, jemeplongeraisouslecapotdèsqu’ilferajour.

Nous restonsquelques instants assis sans riendire, à écouter lapluiemarteler la carrosserie et letonnerre rouler comme une vague à travers les nuages. Puis nous sommes tellement fatigués que nousdécidonsdepassersurlabanquettearrière,denousyblottirl’uncontrel’autreetd’essayerdedormirunpeu.Bientôt,quandildevientévidentquenotrepositionesttropprécaireetinconfortableetqu’iln’yaclairementpasdeplacepourdeux,Andrewretourneàl’avant.Nousn’arrivonscependanttoujourspasà

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trouverlesommeil.Ilsetourneetseretournependantplusieursminutesavantdedemander:—Oùest-cequetutevois,dansdixans?—Jenesaispastrop,réponds-jeencontemplantletoit.Maisjesaisquejeveuxyêtreavectoi.—Moiaussi,affirme-t-il,désormaisluiaussisurledos.—Ettoi,tuyasréfléchi?l’interrogé-je,curieusedesavoiroùilveutenvenir.Monbrasgauchevientremplacerledroitsousmatête.— Ouais, réplique-t-il. J’ai envie de m’installer dans un endroit chaud et paisible. Parfois, je

t’imaginesurlaplage,piedsnusdanslesable,lescheveuxauvent.Jesuisassisnonloinsousunarbre,àjouerdelaguitare.

—Cellequejet’aiofferte?—Biensûr.Jesourisetcontinueàl’écouter,visualisantlascène.—Ettuluitienslamain.—Àqui?Andrewrestemuetunmoment.—Notrepetitefille,précise-t-ild’untondistant,commesisonespritvagabondaitplusloinencore

quelemien.Jedéglutisenespérantdissiperlenœudquis’estformédansmagorge.—J’aimebiencetteimage,dis-je.Etdonc,tuveuxteposer?—Àterme,oui.Maisquandl’heureseravenue.Pasavant.Unebourrasquevientfrapperlavoitureetunbrusquecoupdetonnerrefaittremblerlesol.—Andrew?—Ouais?—Troisièmechoseàmettresurlalistedenospromesses:siondevientvieux,qu’onamalpartoutet

qu’onnepeutplusdormirdanslemêmelit,promets-moiquenousneferonsjamaischambreàpart.—C’estpromis,merépond-ilavecunsouriredanslavoix.—Bonnenuit,luidis-je.—Bonnenuit.Etquandjem’endorsquelquesminutesplustard,jememetsàrêverdecetteplagedesablechaudet

d’Andrewquimeregardemepromener,unepetitemainserréedanslamienne.La dépanneuse n’est jamais venue. Nous nous réveillons le lendemain, raides et perclus de

courbatures,malgrélefaitquenoussoyonsrestéschacunsursabanquette.—Sijecroisecedépanneur,ilvaprendrecher,grogneAndrew,latêtesouslecapot.Ildonnedestoursdecléà…jen’aipaslamoindreidéedecedontilpeuts’agir.Ilréparelavoiture.

Jen’ensaispasplus.Etilestvraimentd’humeurmassacrante.Jeresteàproximitépourl’aider,aucasoù,etjenejouepaslablondeenluidemandantàquoisertcemachinoucommentfonctionnecebidule.Envérité,jem’enfouspasmal.Etpuis,çal’énerveraitencoreplusd’avoiràm’expliquer.

Maislesoleilapercé.Etilcognefort.J’ail’impressiond’êtremorteetdemeretrouverauparadis.Jesautedanslesflaques,vestigesdel’oragedelanuitdernière,inondantmesclaquettes.Jenesais

pasquellemouchem’apiquée,maisjelèvelesbrasaucielettournesurmoi-mêmeaumilieudelaroute.—Tuveuxbienvenirmefileruncoupdemain?grommelleAndrew.Jesautillejusqu’àluietluipincelesflancspourletaquiner,carjesuisdesibonnehumeurquejene

peuxm’enempêcher.Ilsursautealorsetvientseheurterlecrânecontreledessousducapot.Jegrimaceetmeplaqueunemainsurlabouche.

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—Ohmerde,monchéri!Jesuisdésolée!Jetendslamainversluiquirouledesyeux,maisilfermelespaupièresengonflantsesjouesd’air

avantdepousserunsoupirbruyant.Jeluiattrapelatête,lafrictionne,puisl’embrassesurlenez.Jenepeuxréprimermonsourire,mais

jenememoquepasdelui,j’essaiesimplementdeprendremonairdechienbattu.— Je te pardonne, déclare-t-il en me désignant le moteur. Il faut que tu tiennes cette pièce une

seconde.Jem’approcheauplusprès,jetteuncoupd’œilsouslecapotettendslamainenattendantqu’ilme

guideaubonendroit.—Ouais,justelà,dit-il.Nebougeplus.—Pendantcombiendetemps?—Tantquejeneteledispas,réplique-t-il.(Uneesquissedesourireluidéformelecoindeslèvres.)

Situlâches,toutel’huilevas’écouler,etonresteracoincésiciunlongmoment.—Alors,dépêche-toi,luidis-je,ressentantdéjàundébutdetorticolis.Ilcontournelavoiturepourallerchercherunebouteilled’eaudanslecoffre.Ilendévisselentement

lebouchon.Avaleunegorgée.Contempleleschamps.Boitdenouveau.—Andrew,est-cequetutefousdemoi?Jejetteuncoupd’œilpar-dessuslecapotpourl’observerdumieuxquejepeux.Ilsecontentedesourire.Etdeboireunenouvellegorgée.Merde,ilsefoutréellementdemoi!Jecrois…—Nelâchepas.Jesuissérieux.—C’estdesconneries,m’exclamé-je.Jecommenceàécarterlesdoigts,maismeraviseaussitôt.—Allez,c’estvraioupas?—Benoui,biensûr.Çavacoulerdepartoutetsansdoutemêmetegiclerdessus.C’estsuperdurà

fairepartir.—Jecommenceàavoirmalaudos,meplains-je.Ilprendtoutsontempset,alorsquejem’apprêteàlâcherpourdebon,ilvientmesaisirparlataille

etm’écarterducapot.Illèveunemainetm’étalesurlajoueunetraînéedecambouis.Jeluicriedessusenlerepoussant.

—Beurk!Merde,Andrew!Etsijen’arrivepasàl’enlever?Jesuisréellementénervée,maisunepartiedemoinepeutpasrésisteràsonsourire.—Maissi,çavapartir,affirme-t-ilenreplongeantlenezdanslemoteur.Maintenant,montedansla

voitureetprépare-toiàmettrelecontactquandjeteledirai.Je lui grogne dessus avant d’obtempérer, et bientôt la Chevelle ronronne de nouveau et nous

reprenonslaroutedeSt.Petersburg,àmoinsd’uneheuredelà.Aujourd’hui, il fait vraiment un temps estival, et nous avons l’intention d’en profiter.Après avoir

investi notre chambre d’hôtel et pris une douche ô combien nécessaire, nous nous dirigeons vers lemagasinleplusprochepouryacheterunshortdebainetunbikini,bienrésolusàpiquerunetêtedansl’océan.

Il insistepourque j’achèteunminusculemaillotdebainnoir rehausséd’étoilesargentées,maiscen’estpasluiquiseraobligédesel’extrairedelaraiedesfessestouteslescinqsecondes.Jejettedoncmondévolusurunrougetoutmignonetuntantinetpluscouvrant.

— Finalement, ce n’est peut-être pas plusmal que tu aies pris celui-là, me dit-il alors que nousmontonsdanslavoiture.

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—Etpourquoiça?demandé-je,toutsourires,medébarrassantdemestongs.—Parcequej’auraissansdoutedûcasserquelquesdents.Ilpasselamarchearrièreetnoussortonsduparking.—Simplementparcequ’ilsm’auraientreluquée?m’étonné-jeavecunpetitrireincrédule.—Nan,sansdoutepas.Çam’excitequandd’autresmecstematent.—Beurk!m’exclamé-jeengrimaçant.—Pasdanscesens-là!sedéfend-il.Punaise.Il secoue la tête commepourdire« J’ycroispas», etnousbifurquons sur la routeencombréede

voituresdetouristes.—C’estjustequeçameflattedet’avoiràmonbras.Çafaitunbienfouàmonego.—Oh,doncpourtoi,jenesuisqu’untrophée?Jecroiselesbrasetafficheunemoueoutragée.—Ouais,mabelle,jetegarderienquepourça.Jepensaisquetulesavaisdéjà.—Danscecas,tudoistedouterquejeresteavectoipourlamêmeraison.—Ahvraiment?medemande-t-ilavecuncoupd’œil.Jemecaleconfortablementcontreledossier.—Ouaip.C’estjustepourrendrejalouseslespetitesgarces.Maislanuit,jerêveàl’amourdema

vie.—Etquiest-ce?Jepinceleslèvresetfaismined’observerdegaucheetdedroitecommepourchercherl’heureuxélu.—Ehbien,jepréfèrenepastediresonnompouréviterquetuaillesluichercherdescrossesetqu’il

finissepartecasserlagueule.Maisjepeuxtedirequ’iladescheveuxchâtains,desyeuxvertsàtomberetquelquestatouages.Oh,etilestmusicien…

—Vraiment?Disdonc,ilal’airparfait,jemedemandepourquoitutesersdemoicommetrophée,danscecas.

Jehausselesépaules,netrouvantpasderepartiecinglante.—Allez,tupeuxmeledire.Cen’estpascommesijeleconnaissais.—Désolée,m’obstiné-jeenmetournantverslui,maisjeneparlejamaisdeluiensonabsence.—Çasetient,réplique-t-il.Tusaisquoi?—Quoi?Ilsefendd’unsouriremalveillantquinemeplaîtpasdutout.—Jeviensdemesouvenirdedeuxou trois trucsque tun’as finalement jamais faits lorsdenotre

premierroad-trip.Oh,oh.—Jenevoispasdutoutdequoituparles,mens-je.Il retiresamaindroiteduvolantet laposesursacuisse.Sonairprovocateurs’amplifieàchaque

instant,etjefaisdemonmieuxpourdissimulermanervositégrandissante.— Eh bien, tu dois encore montrer ton cul par la fenêtre. Et je ne t’ai pas encore vue manger

d’insectes.Tupréfèresquoi?Unesauterelle?Ungrillon?Unverdeterre?Peut-êtreunfaucheux?Jemedemandes’ilsontdesfaucheuxenFloride…

J’enaidesfrissonsdanstoutlecorps.—Laissetomber,Andrew,dis-jeensecouantlatête.(Jeposemespiedssurlaportièreetjoueavec

matresseententantdedissimulermonanxiété.)Jeneleferaipas.Etpuis,c’étaitlorsdenotrepremiervoyage,tunepeuxpasressortircegenredetrucn’importequand.Tuauraisdûmelefairefairequandtuenavaisl’occasion.

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Sonsouriredepetitsalopardnelequittepas.—Non,insisté-jeplatement.Jemetourneverslui.—Non!déclaré-jeunedernièrefois,cequilefaitéclaterderire.—Trèsbien,cède-t-ilenreposantsamainsurlevolant.Celadit,çavalaitlecoupd’essayer.Tune

peuxpasmelereprocher.—Sansdoutepas.

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ANDREW

NOUSPASSONSTOUTELAJOURNÉEÀNOUSBAIGNERETÀLÉZARDERSURLAPLAGE.NOUSCONTEMPLONSLEcoucherdesoleil,puislecielétoilé.Uneheureaprèslatombéedelanuit,nouscroisonsungroupedejeunesdenotreâge.Ilstraînaientsurlaplagenonloindenous.

—Vousêtesducoin?nousdemandelegrandaubrasdroitentièrementtatoué.L’un des couples s’installe dans le sable près de nous. Camryn, allongée entre mes jambes, se

redresselentement.—Non,onvientdeGalveston,réponds-je.—EtdeRaleigh,précise-t-elle.—Nous,onestde l’Indiana, intervient labrunequivientdeseposer. (Ellenousdésignesesamis

encoredebout.)Maiseuxviventici.L’undesautresgarsprendsacopinedanslesbras.—Moic’estTate,etvoiciJen.(Puisileffectuelerestedesprésentations.)Johanna.Grace.Etmon

frère,Caleb.Toustroishochentlatêteensouriant.—Moic’estBrooke,préciselabruneàcôtédeCamryn.EtvoiciElias,monfiancé.Camrynachèvedeseredresseretsenettoielesmainsenlesfrottantl’unecontrel’autre.—Raviedevousrencontrer,dit-elle.Moi,c’estCamryn,etAndrew,monfiancé.Eliasmetendlamain.Tate,legarsautatouage,reprend:—Onva faire la teuf sur une plage privée, à unedemi-heure d’ici.Un endroit génial, vraiment à

l’écart.Siçavoustente,vousêteslesbienvenus.Camrynsetortillelégèrementpourmeregarder.Nousnousscrutonsmutuellementpendantquelques

secondes.Çanem’intéressepasplusqueça,maisellesembleavoirtrèsenviedesejoindreàeux.Jemelèveetl’aideàenfaireautant.

—Génial,lancé-jeàTate.Onvoussuit.—Cool,seréjouit-il.Camrynetmoiattraponsnosserviettesdebainetnotresaccontenantdubœufséché,desbouteilles

d’eauetdelacrèmesolaire,etnoussuivonsTateetsesamisjusqu’auparking.Nousrevoilàdans lavoitureàprendredesdécisionssuruncoupde tête.J’aiquelquesréticences,

sansdouteparcequejen’aiplusfaitlafêteavecquelqu’und’autrequeCamryndepuisuneéternité,maisilsnesemblentpasbienméchants.

Lesprétenduestrenteminutesderoutesetransformententroisquartsd’heure.—Jenesaisplusdutoutoùonest.Celafaitaumoinsvingtminutesquenousroulonssuruneroutesombreàl’écartdelavoierapide,et

leurJeepSaharaavaleencorelebitumeàcentvingtkilomètres-heure.Jen’aiaucunmalàlasuivre,maisjen’aipasl’habitudedeconduiresiviteenterritoireinconnu,surtoutdenuit,quandjenepeuxpasvoir

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sidesflicsnesecachentpassurlebas-côté.Sijechopeuneprune,jenepourraim’enprendrequ’àmoi-même,maisçanem’empêcherapeut-êtrepasdecasserlagueuleàceTate.Questiondeprincipe.

—Heureusementqu’onavaitleplein,commenteCamryn.Puisellerit,passesespiedsparlafenêtreetajoute:—Peut-êtrequ’ilsnousemmènentdansunepetitebaraquedanslesboisoùilsvontnousassassiner

sauvagement.—Eh,tusaisquej’yaipensé?répliqué-jeenricanant.—Jecomptesurtoipourmesauverlavie,plaisante-t-elleencore.Neleslaissepasmedécouperen

petitsmorceauxnimeforceràregarderLesAngesdelatélé-réalité.—C’est juré. Ce quime donne une idée pour notre quatrième promesse : si je devais être porté

disparu, engage-toi à ne pas cesser les recherches avant un an. Au trois cent soixante-sixième jour,considère que, si j’étais encore vivant, je t’aurais déjà retrouvée, et donc que je suis mort depuislongtemps.Jeveuxquetaviepuissereprendresoncours.

Elleseredressesurlesiège,rentresespiedsàl’intérieurdel’habitacle.—Çanemeplaîtpastrop.Ilarrivequ’onretrouvecertainespersonnessainesetsauvesdesannées

plustard.—Ouais,maispasmoi,affirmé-je.Fais-moiconfiance : si çadureplusd’unan,c’estque je suis

mort.—Bon,d’accord,cède-t-elleendéfaisant saceinturedesécuritépourvenirposer sa tête surmon

épaule.Maisàconditionquetuenfassesautantpourmoi.Unan.Pasunjourdeplus.—Jetelepromets.Mêmesic’estunmensongeéhonté.Jelachercheraisjusqu’àmondernierjour.

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CAMRYN

CEN’ESTPASUNDRAMEDEMENTIRSURCERTAINESCHOSES.CETTE«PROMESSE»ENFAITPARTIE.JAMAISJEn’arrêteraismesrecherchesaprèsseulementunan.Honnêtement,jecroisquejelepoursuivraisjusqu’àmamort.Cepactequenousnoussommesjuréderespectercomptebeaucoupànosyeux,maissurcertainssujets,jepréfèredonnermonaccordàlalégère,quitteàrevenirdessuslemomentvenu.

Enoutre,j’ailesentimentqu’ilment,luiaussi.Andrewl’ignore,maisj’aicroisécettebrune,Brooke,danslestoilettespubliquesprèsdelaplage,

plustôtdanslajournée.Elleestentréedansmacabinequandj’ensuissortie.Nousnenoussommespasparlé,justecroiséesavecunsourireamical.Jesupposequec’estpourcelaqu’elleaconvaincusesamisdenousinviteràleurfête.

Jepensequ’onvabiens’amuser.Andrewetmoipassonscentpourcentdenotretempsensemble,etça ne nous fera sans doute pas de mal de rencontrer quelques nouvelles têtes. Et puis, il n’a pasréellementformuléd’objection,jesupposedoncqu’iltientlemêmeraisonnementquemoi.

Laroutejusqu’àcetteplage«privée»sembledureruneheure.LeurJeepbifurquesuruneroutepartiellementgoudronnée;plusnousnousenfonçonsdessus,plusle

parcours devient chaotique. Leurs phares illuminent les ténèbres bordées d’arbres, jusqu’à ce que lesentierdébouchesurunevasteétenduedesableetdecailloux.Andrewsegareàcôtéd’euxetcoupelecontact.

—Entoutcas,c’esteffectivementisolé,déclaré-jeendescendantdevoiture.Andrewvientmerejoindre,etnouscontemplonsensemblelaplagedéserte.Ilmeprendlamain.—Ilestencoretempsdefairemachinearrière,persifle-t-il.Quandilsnousaurontattirésloindela

Chevelle,nousnenousreverronspeut-êtreplusjamais.Ilm’attirecontreluicommepourmedireadieu.—Onvasurvivre,luiassuré-jealorsqu’ilsdescendentdeleur4×4.Tateouvresoncoffreetensortuneénormeglacièrequ’illaissetomberdanslesable.—Onadeslitresdebière,annonce-t-ilenenretirantlecouverclepourplongerlamainàl’intérieur.IllanceuneCoronaàAndrew.Cen’estpascellequ’ilpréfère,maisilenboitquandmême.Brookeetsonfiancé–j’aidéjàoubliésonnom–s’approchentdemoi,tandisqueTatedécapsuleune

autrebouteillequ’ilm’apporte.—Merci,luidis-jeenm’ensaisissant.Andrewdécapsulelasienneàl’aidedesonporte-clés.

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—Sivousavezunecouverture,vousdevriezlaprendre,nousconseilleTate.Sacopinevientlerejoindreetm’adresseunsourireenmepassantdevantdanssonminusculebikini

blanc.—Et j’aiune super sonodanscettecaisse,précise-t-il en tapotantaffectueusement lehayonde sa

Jeep,donconnemanquerapasnonplusdemusique.Andrewouvresoncoffreetensortlacouverturequ’ilgardetoujoursenréserve,cellesurlaquelle

nousavionsprévudedormirdansunchampaumoisdejuilletdernier.Saufqu’aujourd’hui,grâceàmoi,elleaétélavéeetnepueplusl’essenceetlavieillebagnole.

—Oùestmonshort?demandé-jeenfouillantlabanquettearrière.—Ici,répondAndrewdepuislecoffre.Quandjeressorsdelavoiture,ilmelejetteetjel’attrapeauvol.—Jen’aipasdutoutl’intentiondemebaignerdenuit,annoncé-jeenl’enfilantpar-dessusmonbas

debikinirouge.—Commeça,jeneseraipaslaseule!seréjouitBrooke.Jeluisourispar-dessusletoitdelaChevelleetclaquelaportière.—Tuesdéjàvenueiciaveceux?l’interrogé-je.Tateetlesautress’approchentdéjàdelamer,armésdeleurglacière,deplusieurssacsdeplageetde

diverses autres choses.Les baffles de la Jeep crachent un rock bruyant à travers les portières restéesouvertes.

—Hier soir,me répondBrooke,maisElias a tropbu et a commencé à gerber dès le début de lasoirée,j’aidoncdûnousrameneràl’hôtelplustôtqueprévu.

Elias,voilà leprénomdesonfiancé.L’intéressésecouela têteet luiadresseunregardsarcastiquesignifiantmanifestement:«Sympadelecriersurtouslestoits.»

Andrew etmoi les accompagnons,main dans lamain, et allons rejoindre le reste du groupe, déjàinstalléencercle.NousétendonsnotrecouvertureetTatecraqueuneallumettequ’il jettesuruntasdeboismort.Laflammeallumel’essenceàbriquetqu’ilafaitcoulerdessus,etunpuissantbrasierprendvieetvientchasserlapénombredesadanseorangée.Déjàlefeudecampmeréchauffe,sibienquej’enéloignelacouvertureavantqu’Andrewetmoinenoussoyonsinstallésdessus.BrookeetEliasseposentsurdesserviettesdebaingéantes.Tate,sonfrèreetlestroisautresfillespartagentungrandcouvre-lit.J’enfonceleculotdemabouteilledanslesablepourl’empêcherdebasculer.

Tatemefaitpenseràcessurfeurscaliforniens,aussiblondsquebronzés.Commetouslesgarsici,ycomprisAndrew, ila lesgenoux remontésdevant luiet lespoignetsposésdessus.Tandisque j’étudiesilencieusementchacundenoscompagnons,jesurprendsbrièvementducoindel’œilquelquechosequimemetsurmesgardes:lablondeassiseàcôtédufrèredeTate,quinedoitpasêtresacopinevulafaçondont ils se comportent,dévoreAndrewdesyeux.Ellen’apas seulement cet innocent regardde saintenitouche:non,cettefilletenteradelemettredanssonlitdèsquej’aurailedostourné.

Quandellemesurprendàl’épier,elledétournelatêteetsemetàdiscuteravecsavoisine.JenemefaisaucunsouciparrapportàAndrew,maissielle tentaituneapprochesachantqu’ilest

monfiancé,jen’hésiteraispasuninstantàluibotterlecul.JemedemandesiAndrewaremarquésonpetitmanège.

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ANDREW

J’ESPÈREQUECAMRYNN’APASVULEREGARDQUECETTEFILLEVIENTDEM’ADRESSER.CINQ SECONDESSEULavecelle,etelleessaieraitdemeconvaincredelasauter.Çanem’intéressepaslemoinsdumonde,maisçapimenteunpeucettesoirée.

Jeseraisprêtàpariermacouillegauchequ’elleadéjàcouchéavecTateetsonfrangin.SansdoutepasElias–ildoitêtredugenrefidèle–,maiss’ilétaitpartant,ellen’hésiteraitsansdoutepaslongtemps.

Merde,ellevientdemereluquer.JemetourneversCamrynpouréviterdecroiserleregarddecetteallumeuse,etdécouvresonsourire

entendu.Ellen’estpasdupenonplus.JesoulèveCamrynàboutdebrasetl’installeentremesjambes.—Net’enfaispas,mabelle,luichuchoté-jeàl’oreille.Puisjel’embrasseostensiblementdanslecoupourm’assurerquel’autrel’aitbienvu.—Jenem’inquiètepas,m’assureCamrynens’adossantàmonbuste.Évidemmentqu’ellenes’enfaitpaspourmoi,maisjelasenspresquesurlepointdesortirlesgriffes

pourdéfendresonterritoire.Putain,lasimpleidéedel’imaginersejetersurcettefilleàcausedemoi…Oups,jenedevraispaspenseràdeschosespareilles.Merde.Troptard.

—Vousavezdessacréstatouages,faitremarquerTate.Noussommesdésormaisaucentredel’attention,Camrynetmoi.Elleseredressepourleurpermettre

demieuxvoir.—Ouais,tum’étonnes,renchéritBrooke,captivée,s’approchantdenousenrampantsurlesable.Ils

m’intriguentdepuistoutàl’heure.LablondequimelorgnaitunpeuplustôtricaneenobservantCamryn,quineserendcomptederien,

tropoccupéeàmontrersontatouageàBrooke.Jetentedetournerlachoseàmonavantage.—Retourne-toi,mabelle,etmontre-leurcequeçadonne.JefaispivoterCamrynsurmesgenouxpuism’allongesurlesable,lacouchantàplatventresurmoi.Lerestedupetitgroupenousobserveavecattention,etjeperçoislamoueamèredelablondequand

jepresse lecorpsdeCamryncontre lemien.Nousalignonsnos tatouagesafinqu’OrphéeretrouvesonEurydice.Celle-ci porte une longue robe translucideque le vent plaque contre ses courbes, et tend lamainvers l’Orphéepeint sur lescôtesdeCamryn.Brookeest stupéfaitepar lesdétails,qu’elle scruteavecadmiration.ElleseretourneversEliasquisembleparticulièrementnerveux,commes’il redoutaitquesafiancéel’entraînedeforcechezuntatoueurdèslafindelasoirée.

—C’est…trop…canon,commenteBrookeeninsistantsurchaquesyllabe.Quisont-ils?—OrphéeetEurydice,réponds-je.Dumythegrec.—Unehistoired’amourtragique,préciseCamryn.Jerefermemesbrassurelle.—Jenevoispourtantpasgrand-chosedetragiqueentrevous,commenteTate.

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J’étreins Camryn plus fort encore, tandis que nous partageons silencieusement des pensées quin’appartiennentqu’ànous.Jel’embrassesurlesommetducrâne.

Brookeretourneàsaplace,toujoursassisesursesgenoux.—Jetrouveçamagnifique.Ilvautmieux,d’ailleurs,parcequeçaadûfaireunmaldechien.—Ouais,onpeutdireça,confirmeCamryn.Maisçaenvalaitlapeine.Unpeuplustard,CamrynetmoiavonsbuaumoinstroisCoronachacun,maiselleseulesembleen

subirleseffets.Elleestunpeuéméchée,justeassezpourlarendrebavarde.—Carrément ! s’exclame-t-elleen se tournantversBrooke. Je lesaivusenconcert avecNat,ma

meilleureamie.Ilsdéchirent!Iln’yapasbeaucoupdegroupesquijouentaussibiensurscènequesurleursalbums.

—Ouais,c’estvrai,admetBrookeenfinissantsabière.TudisquevousvenezdeCarolineduNord?Camrynseredressepours’installerentailleursurlesable.—Ouais,maisAndrewetmoionn’yhabitepasvraiment.—Vousvivezoù,alors?s’intéresseTate.Iltireunelonguetaffesursacigaretteetretientsonsoufflelongtempsavantderecracherlafumée.—AuTexas,c’estça?Toutlemondesetourneversmoiquandjeréponds:—Non,disonsplutôtqu’on…voyage.—Vousvoyagez?répèteBrooke.Genre,vousvivezdansuncamping-car?—Pasvraiment,corrigeCamryn.Onajustelavoiture.Lablondequim’amatétoutelasoiréeintervient:—Etpourquoivousvoyagez?Jeremarqueimmédiatementsonregard,celuiquicherchedésespérémentàcaptermonattention,mais

jerépondsenmetournantversBrooke.—Onjouedelamusique.—Quoi,vousêtesdansungroupe?s’étonnelablonde.Cettefois,jelaregardebienenface.—Plusoumoins,admets-je.Maisjeneluiendispasplus,etpivotedenouveauversBrooke.—Qu’est-cequevousjouez?m’interrogeCaleb,lefrèredeTate.Il s’est subtilement rapproché de l’autre fille depuis notre arrivée. Ils ne sortent sans doute pas

ensemblenonplus,maisilyapeudechancesqu’ilpasselanuitseul.—Duvieuxrock,dublues,dufolk,cegenredetruc,dis-jeavantdeboireunenouvellegorgée.—Alorsjouez-nousunmorceau!s’exclameBrooke,toutexcitée.Manifestement,elleestaussifêléequeCamryn,ettoutesdeuxsemblents’entendreàmerveille.Camryntourneversmoisesgrandsyeuxenthousiastes.—Pourquoipas?Tuasl’acoustiquesurlabanquettearrière.Jesecouelatête.—Nan,jenesuispasd’humeur.—Oh,allez,s’ilteplaît…Camrynprendsonairdechienbattuetpousseunpetitgémissementpourmefairechangerd’avis.Je

tentenéanmoinsderésisterencoreunpeu,espérantqu’ellefiniraparlâcherl’affaire.Cequin’arriveévidemmentpas.—Ouais,mec.Situasunegratteetquetusaist’enservir,c’estgénial,intervientTate.Désormais, tous les regards convergent versmoi – y compris celui deCamryn, le seul qui puisse

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emporterlamise.Jefinisdoncparcapituler.Jemelèvepourallerchercherlaguitareàlavoitureetreviensaussitôt

avec.—Maistuchantesavecmoi,dis-jeàCamrynenreprenantplaceàcôtéd’elle.—Nooon!Jesuistroppompette!Ellem’embrassesurlabouchepuisvas’asseoirprèsdeBrookeetElias,sansdoutepourmefairede

laplace.—Bon,qu’est-cequejejoue?Laquestions’adressaitàCamryn,maisc’estTatequiyrépond:—Cequitefaitplaisir,mec.Je fais défiler dans ma tête différents titres, et finis par jeter mon dévolu sur l’un d’eux,

particulièrementcourt.J’accorderapidementmaguitare,puismemetsàjouer«Ain’tNoSunshine».Audébut, jemefousunpeuqueçasonne justeounon,mais,commed’habitude,dèsque jesuis lancé, jedeviensuneautrepersonneetjedonnetoutcequej’ai.Jegardelespaupièresclosespendantpresquetoutlemorceau,sanstoutefoiscesserdepercevoirl’énergiedemescompagnonsd’unsoir.

Etjesaisqu’ilsselaissenttousemporter.Àl’entamedudeuxièmerefrain,jerivemonregardàceluideCamryntoutengrattantlescordes.Elle

estàgenouxdanslesable,etoscilledegaucheàdroite.Lesautresfillesenfontautant,bercéesparlerythme.J’entonneàtue-têteladernièrelignedroite,etcetéchauffementm’asuffiàvouloirjouerencore.Brooke ne tarit pas d’éloges et continue à impliquer Camryn dans ses discours – ce qui lui vaut deremonterencoredansmonestime.Contrairementà lablondassequimescruteencoreplus intensémentqu’avant.

—Merde,tudéconnaispas,mec!s’exclameTate.Ils’allumeunjoint.—Joues-enuneautre,medemandeBrookeens’appuyantdenouveaucontreElias,quil’enveloppe

danssesbraspar-derrière.TatefaittournerlepétardversCamryn.Ellel’examineuninstant,hésitante.J’aperçoisuntiraillement

dedouleursursonvisage;jesaisqu’elleserappellesonmomentdefaiblesseaveclescalmants.Ellesecouelatête.

—Nonmerci,jevaisresteràlabière,pourcesoir.Jesourisintérieurement,fierdesadécision.EtquandTatemelepropose,jedéclineégalement,non

pasparcequejen’aipasenvied’unetaffeoudeux,maisparcequejetrouveraisçainjustevis-à-visdeCamryn.

Jen’aijamaisétéungrosfumeur,maisçam’arriveàl’occasion.Etcesoirneferapaspartiedecesoccasions.

Je joue d’autres chansons auprès du feu.Camryn finit parm’accompagner sur unmorceau. Je n’aialorsplusqu’uneenvie:meprélassersurlesableavecmabelleetprofiterdecemomentdegrâce.JeposemaguitareàcôtédemoisurlacouvertureetattireCamrynsurmesgenoux.

Depuisquelquesminutes,lefrèredeTatepartageunesoupedelanguesavecsavoisine,qu’ilpeloteallégrement.Évidemment,ilsneparlentpasbeaucoup.Jecroisquelablondequinem’apasquittédesyeuxdelasoiréeaenfincomprislemessage.Oualors,elleesttropdéfoncéepourpenserencoreàmoi.

TateretournemonterlesondanssaJeep,etenrevientavecunebouteilledegin,uneautredeSpriteetunepiledegobeletsenplastique.Sacopines’attelleàpréparerlescocktailsetfaitpasserlesverres.

—Faites-vousplaisir,lesmecs,nousencourageTate.Etnevousbilezpaspourlaroute:lesflicsneconnaissentpascetendroit.

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—Ouais,onvaenprendreunverre,accepté-je.Jejetteuncoupd’œilàCamryn,mesouvenantdesonexpressionquandTateluiaproposélejointun

peuplustôt.—Enfin,saufsitunepréfèrespas,ajouté-je.Jen’aiaucuneenviequ’ellefassen’importequoisousl’emprisedel’alcool,et jenetienspasnon

plusàcequ’ellesepaieunehorriblegueuledeboisdemain.—Non,çava,monchéri.Maisjevaisprendrejusteunverre,d’accord?Ellem’adresseunsouriretendre,commepoursollicitermapermission,cequejetrouveadorable.J’acceptepournepasluifairedepeine.Nous nous mettons alors tous à discuter de tout et de rien en sirotant notre breuvage. Camryn

s’esclaffe, sourit et part dans ungranddébat avecBrooke au sujet des tampons. J’ignore parfaitementcommentcesujetestvenusurlatable,etjenetienspasàlesavoir,maisnouspassonsunsupermoment.Desgroupes que je n’avais encore jamais entendusbraillent par les haut-parleurs non loin de là ; lesquelquesdernièreschansonsm’intriguent,etjesuissûrquec’esttoujourslemêmeinterprète.

—Quic’est?demandé-jeàTate.Ilfinitparsedétournerdesacopine.—Quiça?Legroupe?—Ouais.Ilssontvachementbons.—Ça,monpote,c’estDaxRiggs.Iljoueensolo,maintenant.Jecroisqu’ilacommencédansAcid

Bath…(Il lèvelégèrementlesyeuxauciel,commepourytrouversaréponse.)Entoutcas, ilachantédansplusieursgroupes,dontAcidBathetAgentsofOblivion,pourlesplusconnus.

—Ahouais,AcidBath,çameditquelquechose,affirmé-jeenavalantunenouvellegorgéedegin.—Çanem’étonneraitpas,commenteTate.—Vafalloirquejemerenseigneunpeuplussurcequ’ilfait.Ilaunlabel?Camryn,quienavisiblementfiniavecseshistoiresdetampons,serapprochedemoietposesatête

surmonépaule.—Entoutcas,iln’ajamaissignésurunemajor,m’expliqueTate.Etc’esttantmieux,parcequec’est

vraimentdelamerde.Çamefoutenrognedevoirdesgroupesgéniauxsecompromettreenfaisantdespubspourdudentifriceoucegenredeconneries.

Jeparsd’unlégerrire.—Ouais,tum’étonnes.Jamaisjenesigneraisavecunemaisondedisques,mêmesionmeproposait

uncontrat.—T’as raison,mec.Après, tudeviens leurpute.Tamusiquene t’appartientplus,et tubaisses ton

frocdevantl’ordurequitesignetonchèque.Cegarscommenceàmeplaire.Unpeu.—Andrew,ilfautquej’aillefairepipi,mesouffleCamryn.Jeluiprendssongobelet,quejeposesurlesable.—Moiaussi,admets-jeautantàsonintentionqu’àcelledeTate.Cederniertendsacigaretteverslagauche.—Allezparlà.Aumoins,vousnerisquezpasdemarchersurunmorceaudeverre,ouunesaloperie

dugenre.JeposemonverreàcôtédeceluideCamrynet l’aideà semettredebout.Nousmarchonsdans le

sableendirectiond’unbouquetd’arbresetderochers,assezàl’écartpourquepersonnenepuissenousvoir.

—Ilvafalloirqu’ondormeici,cettenuit.Jenesuispasenétatdeconduire.

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Elles’accroupitàquelquesmètresdel’endroitoùjemesoulage.—Jesais,réplique-t-elle.Ondiraitquetuvasl’avoir,tanuitàlabelleétoile,hein?Jememoqued’elleintérieurement.Elleesttellementsoûlequ’ellebafouillelégèrement.—Ouais.Maissachequeçanecomptepasvraiment,parcequetut’ensouviendrasàpeinedemain

matin.—Alorslà,si.—Alorslà,non.Ellemanquedetomberàlarenversequandelleaterminé,ets’aidedesesmainspournepasperdre

l’équilibre.Jel’attrapeparlebrasetlasoutiensparlatailleenlarelevant.Puisjel’embrassesurlehautducrâne.

—Jet’aimetellement.Jenesaispaspourquoij’airessenticebesoinimpérieuxdeleluidireàcetinstant,maislefaitdela

savoirprèsdemoietincapabledes’occuperd’elle-mêmem’yaencouragé.Cesmotsattendaientdanslefonddemagorge,etjedoisbienreconnaîtrequ’ilscommençaientàm’étouffer.Jemettraisvolontiersçasurlecomptedel’alcool,maisnon,mêmecomplètementsobre,jel’aimeàencrever.

Elle se blottit contre moi, pose sa tête contre ma poitrine et m’étreint très fort tandis que nousretournonsverslefeu.

—Moiaussi,jet’aime.

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24

ANDREW

TANDIS QUE LA NUIT AVANCE, LES ATTITUDES ÉVOLUENT AU SEIN DE NOTRE PETIT GROUPE. LES GENSPARLENTmoins,s’embrassentplus.BrookeetEliassontallongésl’uncontrel’autred’uncôtédufeu.Tateetsacopinepourraienttoutaussibienêtreentraindebaiser,ilneleurrestequ’àretirerleursfringues.Parchance,lablondebizarreaidedésormaissacopineàtripoterCaleb,àquelquesmètresdeCamrynetmoi.

Ouais, je commence à voir où tout cela vamener. Rien de bien grave. Ce n’est pas comme si jen’avaisjamaisrienconnudepareil.Saufque,cettefois,maprincipalepréoccupationn’estpasdetâcherde satisfaire deux filles à la fois, mais uniquement de faire en sorte que Camryn ne se retrouve pasembringuéelà-dedans.

Alorsquejerouledecôtépourluiglisserunmotàl’oreille,lemondes’écroulesousmoi.J’essaiede soulever la tête. Je réfléchis. J’ai l’impression que de petites féesme dansent sur les yeux.Alorsqu’ilssontouverts.

—Ohmerde,dis-jeàvoixhaute.Oualors,jen’airienditdutout.Peut-êtrequetoutcelaétaitdansmatête.Jelèvelamaindevantmonvisage,etj’ail’impressiondetenirlaluneentremonpouceetmonindex.

J’essaie de l’envoyer valser,mais elle est bien trop lourde et forcemonbras à retomber.Mon coudeheurtelesablecommes’ilpesaitquarantekilos.

J’ailatêtequitourne.Lesflammessontbleues,jaunesetrougesombre.Lebruitdel’océanm’arrivedécupléauxoreilles,mêléauxcraquementsduboisdanslefeuetàdesgémissements.

—Camryn?Oùtues?—Andrew?Jesuis…ici.Jecrois.Jenesuismêmepascertainqu’ils’agissedesavoix.Jeserrelesyeuxdetoutesmesforcesetlesrouvre,tâchantdemeconcentrer,maism’endécouvrant

incapable.En vérité, je n’en ai pas envie. Je souris. J’ai l’impression quemes lèvres sont si tenduesqu’ellesrisquentdemefendrelevisageendeux.Puisçanemedérangeplus.

Oh,putaindemerde.Jesuisenpleintrip.Bordel.Qu’est-cequ’ilsm’ontrefilé?J’essaiedemelever,maisalorsquejemecroisdebout, jecontemplemespiedsetconstatequeje

n’aipasbougéd’uniota.J’essaieunenouvellefois,sansplusderésultat.Pourquoisuis-jesoudainclouéausol?—Saloperiedemerde,Tate,entends-jedireunevoix,sanssavoirsielleappartientàunefilleouun

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garçon.C’estdelaputaindecame.NomdeDieu.Jevoisdesarcs-en-cielettout.Jeplaneàquinzemille.Etceluioucellequivientdedireçaentonne:«Çaplanepourmoi».J’ail’impressiond’êtrechezlesfous,sansavoirvraimentenvied’enpartir.Finalement,jem’allongesurledosetpalpelesabledesdeuxmainspourm’assurerdemaposition.

Puisjelèvelesyeuxaufirmamentetobservelesétoilesnaviguerdefaçonpoétiquedanslapénombre.LevisagedeCamrynapparaîtsurmapoitrinetelunspectresortidelabrume.

—Mabelle?demandé-je.Çava?Jem’inquiètepourelle,maisjenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Ouais,çavasupeeeer.Super.—Allonge-toicontremoi,luidis-je.Je ferme lespaupièresquand jesenssa têteseposersurmon torse ; jehumealors l’odeurdeson

shampooing,bienplusprégnantequ’habituellement.Toutestamplifié.Chaqueson.Lacaresseduventsurmon visage. Dax Riggs chante « Night Is the Notion » quelque part en fond sonore, et si mon espritm’indiquequecelavientdeloin,lamusiqueesttellementfortequej’ail’impressionquelaJeepestgaréeàcôtédemonoreille.J’aimêmelesentimentdecapterleseffluvesducaoutchoucdespneus.

Etjenepeuxpasm’enempêcher.J’entonne«NightIstheNotion»àpleinspoumons.Jenesaispascomment je connais les paroles, mais c’est bien le cas. Putain, je les connais par cœur. Lemorceausemblesepoursuivreindéfiniment,maisjen’enairienàfoutre.Jefinisparmetaire,laissantlamusiquemepénétrer.Riend’autren’importequelemomentprésent.Jesuisexcitécommejamais.Ilmefautuneseconde–jecrois–pourprendreconsciencequemabiteressentlamêmebrisequemonvisage.C’estagréable.

—Camryn?Quoi?Oui.Je ne sais plus ce que je raconte, je ne suismême pas certain de parler.Mon cerveaume dit de

m’assurerqu’ellen’estpascomplètementdéfoncéepourmetaillerunepipedevantlesautres,maisd’unautrecôtéjen’aiaucuneenviequ’elles’arrête.

Lesoufflecourt,jelaissematêtebasculerdecôté.JevoisCalebchevaucherl’unedecesfilles,lescuissesnuesdecettedernièreécraséescontresoncorpscambré.Jedétournelesyeux.Jecontemplelecielnocturne.Destraînéeslumineusess’attardentdanslesillagedesétoiles.Jefrissonneensentantmonglandaufonddesagorge.

Jebaisselementon.J’aperçoisunechevelureblonde.Jetendslamainpourlacaresser,partagéentreledésirdel’écarterdemoietl’enviedelaforceràmesucerplusprofondément.J’optefinalementpourcettedeuxièmepossibilité,etquandjerejettelatêteenarrière,jedécouvrelevisagedeCamryntoutprèsdumien;jemeredressebrusquement.

—Dégagedelà,connasse!parviens-jeàéructer.Je la repousse d’un coup de pied, et mon trip prend un virage à cent quatre-vingts degrés. Je ne

m’éclateplusdutout.Jemeforceàm’asseoir.Jemegifledesdeuxmains,espérantrecouvrermalucidité,envain.J’arrive

néanmoinsàrangermonmatosetjevoisàlalumièredesflammesquecettesalopes’estdéjàécrouléeaucôtédeCaleb.J’ignorecombiendetempss’estécoulé,maisjesuisleseulànepasdormir.

Jecommenceàpaniquer.Jen’arriveplusàrespirer.Putain,qu’est-cequis’estpassé?Jeroulesurlecôté,attrapeCamrynparl’épauleetlaforceàsecolleràmoi,sanslalâcher.C’estmonderniersouvenir.

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CAMRYN

JEMESENSMAL.BONDIEU,JEN’AIJAMAIS,JAMAISEUUNETELLEGUEULEDEBOIS.LESOLEILMATINALETLA brise océaneme réveillent. D’abord, je reste allongée et immobile, de peur de vomir aumoindremouvement.Moncerveautambourinecontremoncrâne,j’ailapointedesdoigtstoutengourdie,etlerestedemon corps n’est qu’une épave tremblante et nauséeuse. J’ouvre les yeux avec un gémissement,mepasselamainsurleventre.Jesaisquejenepourraipasquittercetteplageavantd’avoirvomipendantcinqbonnesminutes,maisjemeretiensautantquepossible.

J’ai une joue enfoncée dans le sable. J’en sens les grains me coller à la peau. Lentement, trèslentement,jem’essuiedel’indexavantdem’enmettredanslesyeux.

J’entendsungrandclac,suivid’uncraquementetd’uncri.Malgrélesprotestationsdemonestomac,jerouledel’autrecôté,faceàlamer.—Lâche-le!entends-jecrierunefille.Celametiredematorpeur,etjenemerendscomptequ’alorsquej’étaiscomplètementdéconnectée

de la réalité. Désormais, cependant, je suis parfaitement réveillée. Je dresse la tête et vois AndrewtabasserTateàcoupsdepoing.

—Andrew!essayé-jedehurler.J’ailagorgetoutesècheetlavoixcassée,jeneparviensdoncqu’àémettreunfaiblecroassement.—Andrew!répété-jeavecplusdedétermination.—Putain,c’estquoitonproblème,mec?brailleTate.Ils’efforcedefuirsonagresseur,maiscederniernelâchepasl’affaire.Illefrappe,encoreetencore,

jusqu’àlefairetomberdanslesable.LefrèredeTateintervientalors,plaquantAndrewdecôté.Ilsbasculenttouslesdeuxetroulentl’un

surl’autresurplusd’unmètre.AndrewsaisitCalebàlagorgeetlesoulèveau-dessusdeluiavantdeleprojeterausoletdeseruersurlui.IlluiassènetroiscoupsdepoingavantqueTatel’attrapepar-derrièreetl’entraîneàl’écart.

—Détends-toi,mec!s’exclameTate.MaisAndrewfaitvolte-faceetluidécocheunviolentuppercutaumenton,quiprovoqueunnouveau

craquementécœurant.Tatetitubeenarrière,setenantlamâchoire.—Tunousasdrogués!Jevaistetuer!grondeAndrew.Jeparviensenfinàmeleveretchancellejusqu’àlui.Tandisquejem’apprêteàluiagripperlebras,

on me bouscule violemment dans le dos et je tombe sur les fesses. Cela me coupe le souffle. Je necomprendspascequi s’estpassé.Puis j’aviseCaleb,àcalifourchonsurAndrew. Jeme trouvais sansdoutesursoncheminquandils’estruésurlui.

JemerelèvetantbienquemaletvoisEliass’approcherdenous.Paniquée,jetournelatêtededroiteetdegauche,puisreposelesyeuxsurlui,commeauralenti.Ont-

ilsl’intentiondetomberàtroissurAndrew?Ohnon,çanesepasserapascommeça!JetentederetenirTatetandisquesonfrèreetluidérouillentAndrew,maisEliasmerepousse.

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—Pousse-toi!megrogne-t-il.Andrewtientbonfaceàsesdeuxadversaires,ilesttoujoursdeboutetleurrendcouppourcoup,mais

siEliass’enmêle,jenepensepasqu’ilpourrarésisterlongtemps.Eliassejointàlabagarre,etjenesaisplusdirequicognequiquanddeuxmainsm’attrapentsousles

aisselles.—Resteavecmoi,meditBrooke.Tétaniséeparlaconfusionetl’effroi,jevoisEliasfrapperCaleb.Unevaguedesoulagementdéferle

surmoi,bienquebrièvement.Andrewalaboucheensang.D’unautrecôté,ilssaignenttouslesquatre.J’ail’impressionquelarixe

neseterminerajamais,etchaquefoisqu’Andrewdonneouencaisseuncoup,jefermelesyeuxavecunegrimace, cherchant àm’épargner ces images. Je suis assise sur le sable dans les bras deBrooke, quiredoute toujoursque j’essaiedem’interposer.En réalité, j’ai denouveau l’impressionque jevaismemettreàvomir,etjepeuxàpeinebouger.Delasueurperlesurmonfront,medégoulinedanslecou.Lecielsemetàtournoyer.

—Ohnon.Brooke…Jecroisque…Jesuisincapabledefinirmaphrase.Moncorpsconvulseviolemmentetmesmainss’enfoncentdans

le sable devantmoi pour retenirma chute.Mon dos s’arrondit puis retombe, s’arrondit puis retombe,tandisquejevomis,encoreetencore.MonDieu,faitesqueças’arrête.Jamaisplusjeneboirai!Maisfaitesqueças’arrête!Mesprièresrestentvaines.Plusjevomis,plusmoncorpsréagitàl’odeur,ausonetaugoût,etplusleshaut-le-cœursontpuissants.Lecombatn’estplusqu’unbruitdefond.Quandjen’aiplusriendansleventre,jefinisparm’effondrersurlecôté.Jenepeuxplusbouger.Moncorpstrembledefaçonincontrôlable,mapeauestàlafoisfroideetchaude,couvertedesueur.JesensBrookes’asseoirprèsdemoi.

—Çavaaller,medit-elle.Putain,cetruct’avraimentretournélebide.—Qu’est-cequec’était?m’enquiers-je.Desbribesdesouvenirscommencentàmerevenir.Jen’entendsmêmepassiellerépondàmaquestion.Jemesouviensquetoutallaitbien,quej’étaisjusteunpeuéméchéequandnousavonsattaquélegin.

Puis, soudain, je ne distinguais plus rien, tout semblant beaucoup trop près demoi. Je n’arrêtais pasd’essayerdemeconcentrersurdespointspluslointainscommel’océan,lesétoilesouleslumièresdesbateaux. Je me souviens d’avoir eu l’impression que l’un d’eux dérivait vers nous et allait bientôts’échouersurlaplage.Maisjem’enfichais.Jetrouvaiscela…magnifique.Ilallaittousnoustuer,maisc’étaitmagnifique.Etjemesouviensd’avoirentenduAndrewchanterunechansonauxaccentssensuels.J’ai poséma tête sur sa poitrine pour l’écouter. Je voulaism’allonger sur lui etme déshabiller, et jel’auraissansdoutefaitsij’avaispubouger.

Jemesouviensaussi…Attendez.Cettesalopeblonde.Ellem’ademandé…attendez.Jemeredressealors.—Tudevraisresterallongéeencoreunpeu,meconseilleBrooke.Jeportemesdoigtsàmonfront.Jemesouviensde l’avoirvues’asseoirprèsdeBrookeetmoi.Elleétaitaussidéfoncéequenous

tous,maisjeneressentaispluslamoindrejalousie.Ellenousaparléunmoment,sansqueçamedérange.Àmesurequetoutmerevient,moncorpsseremetàtrembler.Elleaessayédem’embrasser.Jecroismêmequejel’aiembrasséeenretour…

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Jecrainsdemeremettreàvomir.Jeremontemesgenoux,posemescoudesdessus,m’enfouislatêtedansmesmains.Jesuistoujours

prise de vertiges. Je n’ai peut-être pas fini de me vider les tripes. Je n’éprouve pas cet intensesoulagementquisuitunenausée.Aucontraire,lebesoinderendrevientdes’intensifier.Cettefois,c’estuniquementnerveux.

Lerestemeparvientpetitàpetit,etmêmesijepréféreraisoublier,jemeforceàmerappeler.Ellem’a demandé si elle pouvait coucher avecAndrew etmoi.Ouais, çame revient,maintenant.

Mais…ohmerde…J’avaiscomprisçadanslesensdedormir,j’étaistellementdéfoncéequejen’avaismêmepasenvisagél’aspectsexueldelachose.

Jeluiaiditquejem’enfichais.Puisjemesouviensqu’elle…J’en ai le souffle coupé. Je porte la main à ma bouche ; la brise malmène mes yeux ronds

d’étonnement.Jemesouviensqu’elleasucéAndrew.Quandj’essaiedemelever,jesenslamaindeBrookeseposerdansmondos.—Arrête,medit-elle enme forçant àme rasseoir à côté d’elle.Ne t’enmêle pas.Tu risques de

prendreunmauvaiscoup.Jemelibèred’unmouvementsecdepoignetetretentedememettredebout,maismesnerfsàvifet

mesmouvementsbrusquesmeprovoquentunnouveaurenvoidebile.Puisj’entendslavoixd’Andrew.—Merde,dit-ilàBrooke.Tuveuxbiencouriràlavoitureetmerapporterunebouteilled’eau?Elleselèvepours’encharger.Andrewme prend sur ses genoux dès que j’arrête de cracher. Ilme caresse les cheveux pour les

écarterdemesyeuxetdemabouche.—Putain,ilsnousontdrogués,mabelle,medit-il.J’entrouvrelespaupières.Ilmecaresselesjoues.—Jevaistuercettepute.JelejuredevantDieu,Andrew.Ilsemblesonnéparmadéclaration.Ilignoraitsansdoutequej’étaisaucourant.—Elleesttoujoursendormie.Mabelle,jesuis…Saculpabilitémevadroitaucœur.—Andrew, je sais ce qui s’est passé, lui assuré-je. Je sais que tu l’as prise pourmoi. J’ai vu ta

réaction.— Peu importe, réplique-t-il en serrant les dents. (Ses yeux se mouillent de larmes.) J’aurais dû

savoirquecen’étaitpastoi.Putain,jesuisnavré.J’auraisdûlesavoir.Sesmainsseresserrentlégèrementsurmonvisage.Jem’apprêteàluidiredenepass’envouloirquandEliasvientnousrejoindre.—Désolé,mec,onnesavaitpas.Jetelejure.—Jetecrois,luiditAndrew.Brookerevientaveclabouteilled’eau,etjerecouvredéjàquelquesforces.Jem’assieds,ledosbien

droit, appuyée contre le torse d’Andrew. Il croise ses bras devantmoi etm’étreint extrêmement fort,commes’ilcraignaitdemevoirm’enfuiràtoutesjambes.

PuisilouvrelamainpourattraperlabouteillequeluitendBrooke.Ilendévisselebouchon,seversedel’eaudanslapaumeetm’entamponnelefrontetlabouche.Lafraîcheurm’apaiseinstantanément.

—Écoute,mec,jesuisvraimentdésolé,lanceTateenarrivantderrièrenous.Onpensaitquetut’enfoutrais.Onenamisdanslesverresdetoutlemonde,histoiredepartager.Onnevousapasfaitvenirici

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avecuneidéetorduederrièrelatête.Andrewparvientàseleversivitequejeperçoisàpeinesonabsenceetildécocheunnouveaucoup

depoingàTate.Unviolentcraquementromptlesilence.—Andrew,s’ilteplaît!m’écrié-je.EliasretientAndrew,Calebsechargedesonfrère,ettousdeuxécartentlesdeuxprotagonistes.Andrew ne cherche pas à relancer la bagarre,mais il se débarrasse d’Elias d’une secousse et se

tourneversmoipourm’aideràmerelever.—Onyva,dit-il.Ilfaitminedemeporter,maisjesecouelatêtepourluisignifierquejepeuxmarcher.Ilprendsaguitare,jerécupèrenotrecouverture,etnouspartonstousdeuxverslaChevelle.—Ondevraitpeut-êtreramenerBrookeetElias,suggéré-je.Il balance la guitare dans le coffre, m’arrache la couverture et en fait autant avec elle. Puis il

approche de sa portière, pose les coudes sur le toit et s’enfouit la tête entre lesmains. Il prend uneprofondeinspirationpuisabatsonpoingsurlacarrosserie.

—Putaindemerde!s’exclame-t-ilavantdefrapperdenouveau.Aulieud’essayerdeleraisonner, jepréfèrelelaissersecalmerseul.Jeleregardeavectendresse

depuismon côté de la voiture, avant de rentrerm’asseoir. Il reste dehors uneminute encore, puis jel’entendsdire:

—Sivousvoulez,jevousramène.EliasetBrookes’approchentdelaChevelle,leursaffairesàlamain,ets’installentsurlabanquette

arrière.

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25

ANDREW

JENESAISMÊMEPASCOMMENTJEMEDÉBROUILLEPOURRETROUVERLAROUTESIFACILEMENT.JECROISQU’Àunmomentdonné,jem’enfoutaisunpeuqu’onseperde.Jeparviensnéanmoinsànousramenersansmetromperuneseulefois,nim’arrêtersurlebas-côtépourdemandermonchemin.Laconversationsefaitrare.Etj’aidéjàoubliélesquelquesmotsquenousavonspuéchanger.

Nousnousgaronsdansleparkingdel’hôteletdisonsaurevoiràEliasetBrooke.Entempsnormal,j’aurais sans doute remercié celui-là, ou je leur aurais souhaité bon voyage ; je leur aurais peut-êtremêmeproposédedîneravecnouscesoir.Enlacirconstance,jemecontentedehocherlatêtequandilsnousfontpartdeleurgratitudepourletrajet.

Jeredémarreetfaisletourdubâtimentpourlaisserlavoituresousnotrefenêtre.Camrynsemblehésiterencoreàmeparler.Ellen’apaspeur,elleestjusteencoreindécise.Jesuis

incapabledelaregarder.Jemedétestepourcequiestarrivé;jenemelepardonneraijamais.Ellemeprendparlamainetnousmontonsdirectementversnotrechambre.Dèsquej’enfranchisle

seuil,jem’attelleàfourrertoutesnosaffairesdansnossacs.—Cen’estpasta…—Non,l’interromps-je.S’ilteplaît.Laisse…laisse-moiuneminute.Ellemecontempled’unairabattu,maisobtempèresansdiscuter.Bientôt,nous sommesdenouveau sur la route, capaunordpourquitter lapéninsule.Destination :

n’importeoùsaufenFloride.Aprèsuneheuredetrajet,jeressasseencorelesévénementsd’hier,essayantdecomprendrecequia

pu se produire. Jem’arrête sur le bordde la route.Tout est si calme. Je contemplemesgenoux, puisregardeparlepare-brise.Jemerendscompteàmesphalangesblanchiesquejeserrelevolantdetoutesmesforces.Jefinisparouvrirmaportièreetsortir.

Jetraverseàgrandspasl’étenduedegravieretdepoussière,glissele longdelapentedufosséetremontedel’autrecôtépourmedirigerversl’arbreleplusproche.

—Andrew,arrête!mecrieCamryn.Jecontinuenéanmoinssurmalancéeet,lorsquej’atteinsceputaindetronc,jelefrappeaussifortque

j’aicognéTateetCaleb.Jemedéchire lapeauetdusangsemetàcoulersurmonpoingetentremesdoigts,maisçanemesuffitpas.

JeneretiensmescoupsquelorsqueCamrynseglisseentrel’arbreetmoietmerepoussesifortauniveaudutorsequejemanquedetomberàlarenverse.Sesjouessontbaignéesdelarmes.

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—Arrête!Parpitié!Arrête!Jeme laisse choir à genoux sur l’herbe,mamain ensanglantée pendantmollement au bout demon

poignet.Moncorpsbasculeenavantetmatêtesuitlemouvement.Jenevoisquelesol.Camryn s’installe face àmoi. Elleme prend le visage entre ses paumes, tente deme forcer à la

regarder,maisjerefusedemelaisserfaire.—Tunepeuxpasm’infligerça,dit-elled’unevoixchevrotante.Jefinisparaccepterdeplongermesyeuxdanslessiens,carçamefaitunmaldechiendel’entendre

pleurer.Jetâchemoi-mêmederéprimermeslarmesdecolère.—Monchéri, çan’estpas ta faute.Tuétaisdrogué.Dans tonétat,n’importequiauraitcommis la

mêmeerreur.(Elleprendmonvisageencoupeentresesmains.)Ça…n’est…pas…ta…faute,répète-t-elleendétachantchaquemot.Tucomprends?

Ellem’empêchededétournerlatêteetglissesesgenouxentremesjambespourserapprocherdemoi.Jel’enlaceinstinctivement.

—J’auraisquandmêmedûlesavoir,insisté-je.Etcen’estpasqueça,Camryn:j’étaiscenséveillersurtoi.Tun’auraisjamaisdûavalercettedrogue.(Lesimplefaitd’yrepenserfaitbouillonnerlacolèreetlahainequej’éprouveàmonencontre.)J’étaiscenséveillersurtoi!

Ellemeprenddanssesbrasetmeplaquelatêtecontresapoitrine.Puisellerecule.—Andrew,regarde-moi.S’ilteplaît.Jem’exécute.Jedevinedanssesyeuxunmélangededouleuretdecompassion.Sesdoigtsdélicats

s’attardentsurmonmentonmalrasé.Ellem’embrassedélicatementsurleslèvresetdéclare:—C’étaitunmomentdefaiblesse.Commepourme rappelerceque je lui aidit, ilyadesmoisdeça, au sujetdespilulesqu’ellea

gobées.—C’était autantma fauteque la tienne, reprend-elle. Je ne suis pas idiote. J’aurais dûmeméfier

aussietnepaslaissernosgobeletssanssurveillance.Cen’estpastafaute.Jelaissecourirmonregardsurlesolavantdelereposersurelle.Jenesaispascommentluifaire

comprendre qu’à cause de ce que je suis, dema façon de penser, jeme sens responsable d’elle.Uneresponsabilitédontjesuisfier,etquej’éprouvedepuislejourdenotrerencontre.Çametue…Çametuedemedirequependantmon«momentdefaiblesse»,j’aiétéincapabledelaprotéger,etqu’enbaissantainsilagarde,j’auraispulalaissersefairevioler,tuer…Commentluifairecomprendreque,mêmesiellenem’enblâmepas,celan’excuseenrienmonéchec?Elleadroitàsesmomentsdefaiblesse.Pasmoi.Meconcernant,c’estunefoiradecomplète.

—Etjamais,augrandjamais,jenet’envoudraipourça,ajoute-t-elle.Jeladévisage,scrutesonexpressionpouressayerdecomprendre,quandellem’explique:—Cequecettefilleafait,précise-t-elle.Jen’enreparleraijamais.Parcequetun’asrienfaitdemal.

(Jesenssesdoigtsseresserrerlégèrement.)Tumecrois?—Ouais.Jetecrois,dis-jeenhochantlatête.Ellepousseunsoupiretreprend:—Enplus,c’estpeut-êtreunpeumafaute.—Commentça?—Ehbien…(Ellehésiteuninstant,l’aircontrit.)Jecroisque,sanslefaireexprès,jeluienaidonné

l’autorisation.Voilàquimelaissepantois.—Jemesouviensqu’ellem’ademandésiellepouvaitcoucheravecnous,et jecroisqueje luiai

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répondu que oui, elle pouvait. Mais j’avais compris dormir… Si j’avais été plus sobre, je n’auraisjamaiscommiscetteerreur.Andrew,jesuisdésoléed’avoirlaissécettenymphotesauterdessus.

Jesecouelatête.—Cen’estnitafautenilamienne,alorsnetereprocherien,d’accord?Nelavoyantpassourirecommejel’espérais,jelasaisisparlataille.Elleglapitquandjememetsà

lachatouiller.Elleglousseetsetortillesifortqu’elletombeàlarenversedansl’herbe.Jemeplacealorsàcalifourchonsurelle,lesgenouxdepartetd’autredeseshanchespournepasl’écraser.

—Arrête!Non!Andrew,jetejure!Arrêêêêêête!Elleritàgorgedéployée,maisçanem’empêchepasdecontinueràluititillerlescôtes.J’entendsalorslasirèned’unevoituredepoliceetmefigeenlavoyantsegarerderrièrelamienne.—Ohmerde!dis-jeenregardantCamryn.Elleadel’herbepleinlescheveux.Jemeredressed’unbondetluitendsmamainblesséepourl’aideràserelever.Unefoisdebout,elle

entreprenddes’épousseter.NousretournonsverslaChevelletandisqueleflicdescenddesonvéhicule.—Vouslaissezsouventvotreportegrandeouvertesurleborddelaroute?demande-t-il.Jejetteuncoupd’œilàmaportièreavantdeluirépondre.—Non,monsieur.J’aieuuneviolenteenviedevomir,etjen’aipasréfléchi.—Permis,assuranceetpapiersduvéhicule.Jesorsmonportefeuilleet lui tendsmonpermisavantd’allerchercherlerestedespapiersdansla

boîte à gants. Camryn s’appuie contre le coffre, les bras croisés nerveusement devant elle. L’officierretourneàsavoiture–nonsansavoirremarquélesangsurmesmains–etvavérifiermondossier.

—J’espèrequetunemecachespasdesvolsàmainarmée,desmeurtresouquoiquecesoitdecegenre,medéclareCamryntandisquejevaisprendreplaceprèsd’elle.

—Nan,macarrièredetueurensérieestderrièremoi,répliqué-je.Jen’aiplusrienàmereprocher.Jeluiadresseunpetitcoupdecoudecomplice.Quelqueslonguesminutesplustard, ilvientnousrejoindreà l’arrièredelavoitureetmetendmes

papiers.—Qu’est-ilarrivéàvotremain?s’enquiert-il.J’yjetteuncoupd’œilet,maintenantqu’ilenparle,jecommenceàressentirunedouleurlancinante.

Jeluidésigneletroncimpliquédanslarixe.—Jemesuiscognécontreunarbre.—Vousvousêtescognécontreunarbre?répète-t-ild’untoncirconspect.IlexamineensuiteCamrynpendantdelonguessecondes.Génial,ilpensesansdoutequejelabats,ou

uneconneriedanslegenre.Etvusatêteaprèslesincidentsd’hiersoiretnotrebagarredansl’herbe,ilnedoitguèreêtrerassuré.

—Bon,d’accord,j’aicognécetarbre.Àprésent,ilobserveCamryndroitdanslesyeux.—C’estbiencequis’estpassé?l’interroge-t-il.Camryn,plusnerveusequejamais,etprobablementaussiconscientequemoidesidéesquesefaitle

flic,faitsoudainsaNatalie.—Oui,monsieur,dit-elle enagitant lesmains. Il était furieuxparcequedes connards (elle fait la

grimace)–désolée–ontabusédenoushiersoir,etiln’arrêtepasdes’enpunirdepuiscematin,cequil’aamenéàsedéfoulercontrecetarbre!J’aicourupourlerattraperavantqu’ilsefassedumaletonenadiscuté,etsi j’ai lagueuleenvrac–désolée–,c’estàcausedecettenuitdemerdequ’onapassée.Maisjevousprometsqu’onn’estpasdesméchants.Onneprendpasdedrogue,cen’estpasuntueuren

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sérieniriendecegenre,alorss’ilvousplaît,laissez-nouspartir.Vouspouvezmêmefouillerlavoiture,sivousvoulez.

Àseprendrelatêtedanslesmainsdedésespoir…Je ricane intérieurement. Nous n’avons effectivement rien à cacher. À moins que… nos amis

éphémères,EliasetBrooke,aient laissé tomberparaccidentunsachetdebeuhoud’autrechosesur labanquettearrière.

Ohmerde…faitesqueçanesepassepascommeàlatélé.JemetourneversCamrynetsecouediscrètementlatête.Elleécarquillelesyeux.—Quoi,qu’est-cequej’aidit?Jemecontentedesourire,sanscessermesmouvementsdedénégation,incapabledem’enempêcher.Le flic renifle puis semord l’intérieur de la joue. Il nous observe tour à tour pendant de longues

secondes,sansprononcerunmot,cequinefaitqu’accroîtrenotrenervosité.—Laprochainefois,nelaissezpasvotreportegrandeouverte,déclare-t-ilengardantunairaussi

neutrequedepuissonarrivée.Ceseraitdommagedesefairearracherlaportièred’uneChevellede1969enaussibonétat.

Jemefendsd’unlégersourire.—Absolument.Ilretournealorsàsavoitureetnousenfaisonsautant.Nousleregardonss’enallersansriendire.—«Vouspouvezmêmefouillerlavoiture,sivousvoulez»?répété-je.—Jesais!s’esclaffe-t-elleenbasculantlatêteenarrière.C’estsortitoutseul.Jememetsàrireaussi.—Entoutcas,ondiraitquetonbla-blainutile–qui,d’ailleurs,mefoutunpeulatrouille–nousa

tirésd’affaire,cettefois-ci.Maisj’aipeurquetacopinebipolaireaitfinipardéteindresurtoi.Jeposelesmainssurlevolant.Tout sourires, elle s’apprête sans doute à faire un commentaire sur Natalie quand elle avisemes

phalangescouvertesdesang.Elleserapprochealorsdemoietmeprendlamaindanslessiennes.—Ilfautnettoyerçaavantqueças’infecte,dit-elle.Elleyregardedeplusprèsetentreprendderetirerlesmorceauxd’herbeetdeterrecollésàlaplaie.—C’esttrèsmoche,Andrew.—Cen’estpassigrave,répliqué-je.Pasbesoindepointsdesuture.— Non, mais toi, tu aurais bien besoin de quelques baffes. Ne me refais plus jamais ça. Je ne

plaisantepas.Elleretireunderniergravierpuissepenchepar-dessusledossierpouraccéderàlaglacière.Jetournelatêteverselleetnevoisquesonpetitculparfaitmoulédanssonshort.Jeglisselesdoigts

sousl’élastiquedubasdesonbikinietlefaisclaquersursapeau.Elleneréagitpassurlemoment,maismefaitlesgrosyeuxquandelleserassied,unebouteilled’eauàlamain.

—Rinceça,m’ordonne-t-elleenmelatendant.J’ouvremaportièreetobtempère.Toutenfourrageantdanssonsac,ellereprend:—Laprochaine foisque tu es en colère et que tu ressens l’enviedepasser tesnerfs surunobjet

inanimé,jet’ajouteraiofficiellementsurmalistedespsychotiques.Elle me glisse de force un antiseptique dans la paume. Difficile de lui refuser ça. Comme je ne

l’avalepassur-le-champ,ellem’encourageàlefaired’ungesteimpatient.—Tuesunepetitegénissebienexigeante,commenté-jeenriant.

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Elle m’assène un coup de poing joueur à l’épaule (et parvient à se faire mal à la main) en mereprochant de l’avoir traitée de grosse vache. Je me marre dans mon coin, et suppose que c’est samanière à elle de me changer les idées. Quelques minutes plus tard, nous échangeons joyeusementquelques considérations musicales et discutons du genre de bars ou de boîtes dans lesquels nousaimerionsjoueravantd’arriveràLaNouvelle-Orléans.

Nousavonsdécidéque,quelquesoitlenombred’étapespréalablesouladuréedenotreséjoursurplace,nousfinirionsparretournerquoiqu’ilarrivedansnotrevillepréféréeaubordduMississippi.

C’était avant-hier.Aujourd’hui, nous sommes allongés surunvrai lit, dansunhôtel convenabledu

grandÉtatqu’estl’Alabama.

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26

CAMRYN

—ALORS, EST-CE QUE TU ES EXCITÉE POUR CE SOIR, OU est-ce qu’il te faut un sac pour vomir ?medemandeAndrewensortantdelasalledebains,uneserviettenouéeautourdelataille.

Jeposelatélécommandesurlatabledechevetetmeredressedanslelit.—Lesdeux,réponds-je.Jeconnaislachanson,maisc’estmonpremiersolo.Alorsouais,j’aiunpeu

letrac.Ilfarfouilledanssonsacetfinitparmettrelamainsurunboxerpropre.Saserviettetombeparterre.

J’inclinelatêtedecôté,observantdepuismaplacesonirrésistiblepetitcul.Ilenfilesoncaleçonetenfaitclaquerl’élastiquesursataille.

—Tuvasdéchirer,présage-t-ilense tournantversmoi.Tut’esentraînéedesmilliersdefoiset tucartonnesdéjà.Etpuis,situn’étaispasaupoint,jeteledirais.

—Jesais.—Bon,prêtepourallerbosser?poursuit-ilenachevantdes’habiller.—Ouais.Plusoumoins.Dequoij’ail’air?Jemelèveettournesurmoi-même,paréed’unminusculedébardeurnoiràfinesbretellesetd’unjean

moulant.—Attends,luidis-je,undoigtlevé.J’enfilemesnouvellesbottinesnoires flambantneuves et en remonte les fermeturesÉclair.Puis je

virevoltedenouveauavantd’adopteruneposethéâtrale.—Insupportablementsexy,commetoujours,réplique-t-ilavecunlargesourire.Puisils’approchedemoipourjoueravecmatresse.Cesoir,jevaischanterseulele«EdgeofSeventeen»deStevieNicks,maisdurantlesdeuxheures

précédentes, je jouerai la serveuse tandis qu’Andrewdébarrassera et nettoiera les tables.Trop bien !C’estmoiquiaiobtenulejobcool.

Lebarestpleinàcraquerquandnousarrivons,surlescoupsde19heures.J’adorel’ambiancedecetendroit.Lascèneestd’unetailleraisonnable,maislasalleetlapistededansesontgigantesques.Etiln’ya pas une place de libre, ce qui me rend d’autant plus nerveuse. Nous nous rendons au fond del’établissement,maindanslamain,nousfrayantuncheminparmilesclients.Nousavonseulachancededégottercetafoùnouspourronsbosserensembleplusieurssoiréesdesuite.DepuisquenousavonsquittélaVirginie,nousn’avons travailléquedefaçonsporadique.J’ai faitquelquesménagesçàet là, tandisqu’Andrews’improvisaitbarman,voirevideur.Iln’estpeut-êtrepasgonfléauxhormones(ettantmieux,

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car je trouveçaassezignoble),maissesmusclessontsuffisammentsaillantspourqu’ils l’aientengagésansmal.Parchance,iln’apaseuàmettrequelqu’undehorsparlecol,etnes’estpasretrouvéimpliquédansunebagarre.

Notrebosspourlesquelquesprochainsjours,German–qui,commesonnomnel’indiquepas,estunebrutebiendecheznous–tendàAndrewuntablierblancetunbadgeindiquant«Andy».

Jeréprimeunfourire,maisAndrewperçoitmalgrétoutmonairamusé.Germanfrottesagrossemaintrapuesursonnez,l’essuiesursonpantalon,puisdéclare:—Dèsqu’unetab’s’libère,t’lapréparesp’lesaut’clients.(IlbranditunindexmenaçantversAndy–

pardon,Andrew.)Etpastoucheauxpourboires.Sontp’lesserveuses,pigé?—Oui,monsieur,répondAndrew.Quand German baisse les yeux sur son carnet de commandes, Andrew articule discrètement un :

«C’estquoicetype?»Jepinceleslèvrespourm’empêcherdesourirequandnotrepatronrelèvelenez.Ilmecontemple,dans lesensoùilm’observe longuementd’unairradicalementdifférentquecelui

qu’ilarboraitpourtoiserAndrew.Ildévoilesesdentsjauniesenunsourireetdéclare:—Toi,t’asqu’àr’sembleràquoiqu’tur’sembles.Unp’titsourireett’encaisseslesbiftons.Jenepeuxqu’imaginercequ’endurentauquotidienlesserveusesquitravaillenticiàpleintemps.Jebatsrapidementdescilsetrépliqueavecunlégernasillementcampagnardetséducteur:—Comptezsurmoi,m’sieurGerman.Etquandj’raifinimesheures,poursûrqu’vouscomprendrez

quej’doivemer’faireunebeautéavantd’montersurscène.Jevoislesyeuxd’Andrews’arrondir,maisjerestefocaliséesurGerman,quiestdéjààcepointàma

bottequesijeluidemandaisdelécherlesol,saseuleréponseserait:«P’dantc’biend’temps?»

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ANDREW

CETACCENTDEBELLEDUSUDQUIVIENTDENULLEPARTM’ASUBITEMENTEXCITÉ.ELLEETMOIALLONSDEVOIRavoirunepetiteconversation,plustarddanslasoirée.

J’accroche le badge àmonnom, nouemon tablier dansmondos et attrape l’espècede bassine enplastiquequeGermanmedésigne.Bonsang,cen’estpaslegenredeboulotquimedérange,maisGermanestunvraipéquenaud,etj’espèrequ’ilneresterapasdansmespattespendantlesdeuxheuresàvenir.Etpuisunpetitcoupdedéodorantne lui feraitpasdemal.Putain,qu’est-cequ’ilpue ! Ilestvraimentàl’opposéde l’établissementqu’ildirige.Commeundrapeaupirate flottantà la fenêtred’unemaisonà400000dollars.Lebar/restaurantestplutôtclassieux.Àl’intérieur,dumoins.

Jemedirigevers lasalle,mabassinesouslebras,etm’orientevers lapremièretablevidequejevois.Jedébarrasselesassiettessalesrempliesdefritesécraséesetderestesdebeignetsetbalanceletout dans ma cuvette. Puis j’essuie la table avec le chiffon dans ma poche de tablier et aligne lesbouteilles de ketchup et de sauce à viande. Contrairement au service, ça ne demande pas beaucoupd’investissement,cequiexpliquesansdoutequeCamrynaiteudroitàuneheuredeformationhier.C’estpeut-êtreellequihériteradetouslespourboiressiellesaitfaireusagedesescharmes,maisaussiellequidevrasubirlesremarquesglaçantesduperversquinoussertdepatron.Etjejubile.Çaluiapprendraàsemoquerdemoi.Elles’estgausséeenmesurnommantle«charognarddubar».J’espèrequ’ellenes’attendpasàcequejelaprotègedesavancesrépugnantesdeGerman.Ellesedémerde.

Jenettoiedeuxautrestables,sanstoucheraubilletdecinqoffertsurlapremière,niàceluidevingtlaissésurlaseconde.Tandisquejem’apprêteàretournerencuisinepourmedélesterdemonfardeau,quatrefillesassisesdansunboxprèsdumurm’apostrophent.

— Eh, beau gosse, me lance la doyenne du groupe en me faisant signe d’approcher. On peutcommander?

—Désolé,madame,jenem’occupequedunettoyage.Uneautre,plusmignonne,merappellealorsquejefaisdemi-tour.—Jepariequesiondemandaitàcequetusoisnotreserveur,tuauraisunepromotion.Ellealesyeuxvitreuxetsatêteoscillelégèrement.Jeremarque–commentfaireautrement?–ses

seinsénormes,prêtsàfaireexplosersondébardeurmoulant.Ellesepenchelégèrementenavantpourlesmettreenvaleur.

— Eh bien, vous pouvez toujours demander, répliqué-je avec un demi-sourire charmeur. Et si lepatronditoui,jesuisàvoustoutelasoirée.

Ellesseconsultentsilencieusement,commedébattantmentalementdelamarcheàsuivre.Jepourraislesfairemangerdanslecreuxdemamain.

Camrynarrivederrièremoi,unplateauà lamain,sur lequelsontalignésplusieurspetitsverresdewhisky,ainsiqu’unplusgrand,déjàremplidebillets.Jemedemandes’ils’agitdesespourboiresoudel’argentdescommandes.Çam’angoisselégèrement.

Ellem’adresseunsouriresuffisant,setourneverslesfemmesattablées,puisdenouveauversmoi.

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—Est-cequ’ilvousembête,mesdames?s’enquiert-elle.Jesaisqu’ellen’estpasjalouse:cesoir,elleetmoisommesenpleinecompétition.Etellevafaire

sonpossiblepourm’empêcherderemporterlepariquenousavonsfaitdanslavoitureenarrivant:—Tunecroispasquejepuissetoucherdespourboiresennettoyantlestables?—Non,m’a-t-ellerépondu.Çanefaitpaspartiedumétier.—Réfléchis bien, lui ai-je répliqué en lui jetant un coupd’œil.C’est un bar plein de femmes et

d’alcool.Jetepariequejepeuxmefaireunmaxdeblé.—Ahouais?m’a-t-elledéfiéavecunemoue.—Ouais.Puis,mesentantd’humeurtéméraire,j’ailégèrementaugmentél’enjeu:—Enfait,jetepariequejepeuxrécolterplusdepourlichesquetoi.Elleaéclatéderire.—Sérieux?Onpariepourdebon?Elleacroisélesbrasensecouantlatête,commesiellemetrouvaitridicule.—Oui,ai-jerépondu.Jesavaispertinemmentquej’auraisdûdire:«Non,jedéconne.»Maisjen’aipasditnonet,maintenant,siCamrynl’emporte,jeluidevraitroismassagesd’uneheure,

àréaliser trois joursdesuite.Uneheureéquivautàuneéternitéentermesdemassage.J’enaimalauxbrasrienqued’ypenser.

LaplusvieilledesclientesrépondàCamryn:—Non,ilnenousembêtepasdutout,madouce.Ellemedévisagealorsdelatêteauxpieds,lementonposésursesmainsjointes,paumesverslehaut,

commesielles’imaginaitmefoutreàpoilpourmelécherdepartout.—Ilpeutresteraussilongtempsqu’illedésire.Oùestvotreresponsable?— Quelque part par là-bas, répond Camryn. Un grand type avec la chemise du bar. Il s’appelle

German.—Merci,poupée,luiditlafemmeenrecommençantàmedévorerdesyeux.Jedoisbienreconnaîtrequ’ellemefaitunpeupeur.Etpuisqu’ellesembleêtrelachefdemeute,je

préfère tailler la route avant qu’elleme croie vraiment sous son charme et que je doive demander àCamryndemetirerd’affaire.

—Passezuneexcellentesoirée,mesdemoiselles,déclaré-jeavecunsourireavenantenfaisantvolte-face.

Jesensdesdoigtsseglisserdanslapochedemontablier.Jebaisselesyeuxetlavoisquiretiresamain.Ellem’adresseunregardlourddesous-entendus.

—Toiaussi,monamour,réplique-t-elle.Jeluidécocheunclind’œiletsourisauxtroisautrestoutenm’éloignant.Unefoisdanslacuisine,je

videmabassineetplongelamaindansmapoche,enexhumanttroisbilletsdevingt.Ehbien,peut-êtrequeceparin’étaitpassiridiculequeça,finalement…

Deuxheuresplustard…Si,c’étaitparfaitementidiot.—Deuxcentquarante,quaranteetun,quarante-six,cinquante-six.Camryncomptesespourboiresmaintenantquenotresoiréeest finie.Elleajouteavecunsourireen

coin:

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—Ettoi,tut’esfaitcombien?J’essaiedegarderuneminesévèrepourquemadéceptionparaissesincère,maisellenemerendpas

latâchefacile.Jesorsdoncmesbilletsetrecomptedevantelle.—Quatre-vingt-deuxdollars.—Pasmal,pourunaide-serveur,jedoisbientel’accorder,dit-elleenempochantsonpécule.—Qu’est-cequetum’accordes?demandé-jeenmedébarrassantdemontablier.Onannulelepari?—Pff!Turigoles?Germansepointederrièrenous.—V’z’avez intérêt à êt’ bons, lance-t-il.Et pas d’rapoud’ces chansonsNewAge à lamode. (Il

claquedesdoigtsletempsdetrouverunexemple,maisfinitparcapituler.)N’estpasàlaNouvelleStar,là.

—Compris,acquiesceCamrynavecsonsouriredévastateur.German, un air abruti plaqué sur le visage, s’extrait péniblement de son envoûtement et émet un

grognementenmepassantdevant.Celadit, jenemeplainspas,carjepréfèrequ’ilnemeregardepascommeilregardeCamryn.

Jemetourneverselle.—Net’enfaispas,luidis-jeenluiprenantlesmains.Encoreunefois:tuvasdéchirer.Ellehochenerveusementlatête.Puisellesoufflerapidemententreseslèvresarrondiesetprendune

longueinspiration.—Jecourschercherlaguitareletempsquetuteprépares,l’informé-je.—D’accord.Jel’embrassesurleslèvresetvaisrécupérerdanslecoffredelavoiturelagrattequ’ellem’aofferte

pour mon anniversaire. Elle va peut-être chanter toute seule pour la première fois sur « Edge ofSeventeen»,maisleriffestsiconnuquejesuispresqueaussistresséqu’elle.Bon,peut-êtrepasautant:c’estunmorceauassezfacileàmaîtriser.Cequejeredouteleplus,c’estdelafairefoirer.Elleestmaseulecausedetracpournotrereprésentationdecesoir.

Jemontesurscèneetm’approchedubatteur,Leif,quenousavonsrencontréhier.—Mercidefaireçapournous,mec,luidis-je.—Pasdeproblème,réplique-t-il.Situsavaiscombiendefoisj’aijouécemorceau,danslebardans

lequeljebossais,ilyaquelquesannées.Camrynétait tout heureusede trouverunbatteurqui le connaissait déjà.Elle s’était préparée àne

jouerqu’àdeux,sachantqueceneseraitpaspareil sans lespercussions.MaisquandonacroiséLeifhier,durantsaformationdeserveuse,etqu’ilaacceptédesejoindreànouscesoir,jecroisqueCamryns’esttoutdesuitesentiebeaucoupplussûred’elle.

Jemepasselasangledeguitaresurl’épaulequandCamrynvientmerejoindre.Jemepenchealorsàsonoreilleetluiglisse:—Tuesvraimentcanon.Elle rougitetobservesa tenue.Ellea troquésonpetithautnoircontreunautreendentellequi lui

tombedansledos,maislaisseentrevoirlebasdesonventre.Elleporteégalementlependentifquejeluiaioffert.Etelleadétachésescheveux.J’adorela tressequ’ellearborechaquejour,mais jedoisbienreconnaître qu’elle est encore plus attirante quand ses délicats cheveux blonds lui tombent sur lesépaules.

LesvoixdubarportentsifortquenousentendonsàpeineLeiftapersursabatterie.Touteslestablessontoccupées,demêmequelesboxlongeantlemurdufond.Mesquatrecopinesdetoutàl’heuresontencorelà,maissesontsacrémentrapprochéesdelascène.Ellessemblentintriguéesparcetaide-serveur

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quiserévèleêtreguitariste.Entempsnormal,jechercheraisma«victime»parmilafoule,maiscesoir,jesaisqueniCamrynnimoin’allonsjoueràça.Elleestbientropnerveusepours’amuserdelasorte.

Quandtoutestprêtetquenoussommessur lepointdecommencer,elle retientsonsoufflependantquelquessecondesensetournantversmoi.

J’attendsqu’ellemedonneletop,etquandellehochelatêtejememetsàjouer;immédiatement,touslesregardssebraquentsurnous.Ceriffdeguitareretiendraitinévitablementl’attentiondupublicleplusexigeant.Etdèsqu’elleentonnelespremièresparoles,Camryndevientelleaussiunetoutautrepersonne,ce qui ne manque pas de me surprendre. Elle incarne parfaitement le morceau.Mieux qu’elle ne l’ajamais fait lorsdenos séancesde répétition.Chacunede sesphrases transpire la confiance et le sex-appeal,chacundesesmouvementsmemetenémoi.

—Ooo,baby,ooo,ooo!reprends-jeenchœur.Maislesgensdanslasallen’ontd’yeuxquepourelle,mêmemesquatrecopines,quisesontpourtant

rapprochées pour me mater. À présent, elles appartiennent essentiellement à Camryn, et je ne peuxm’empêcherd’éprouverunecertainefierté.

Avantlafindupremiercouplet,lapistededanseestdéjàprised’assaut.Lapuissanceetlecharmequi se dégagent de la voix deCamryn,mêlés à la fascination de tous pour son interprétation,me fontcomplètementbasculer,etjereprendsmonriffavecplusdeconvictionquejamais.

—Ooo,baby,ooo,ooo!Descrisenthousiastess’élèventrégulièrementenarrière-plan,reprischaquefoisqueCamrynmonte

danslesaigus.Jenesuispasrassasié.Je chante à pleins poumons sur les deux refrains suivants, et je sais qu’arrive alors le quatrième

couplet,surlequelellesetrompetoujours.Jeluijetteuncoupd’œil,sanscesserdegrattermescordes,ledoscambré,maisjenedécouvrepaslamoindretracedenervositésursonvisage.Rienqu’àlavoir,jesaisqu’elleneseplanterapas.

Lesmotss’échappentsiviteetsiparfaitementdesabouche,quejemefendsd’unsourireimmenseavantd’entonnerlerefrainsuivantavecelle.

Incroyable,elles’estcomplètementappropriélachanson.Gareàtesfesses,StevieNicks!Aumilieu dumorceau, Camryn pousse le «Oooo ! » qui précède l’instant sinistre de la chanson

durantlequelellepeutbrièvementsereposer.Laguitarenes’arrêtepaspourautant.C’estépuisant,etpourtantjegardelerythme,neratantpasune

note.Camrynetmoinousregardonsetpartageonsunmomentdegrâce.Puisellerecommenceàchanteret

jemejoinsàellequandjesuiscensélefaire.Elle agrippe le micro à deux mains, ferme les yeux et crie « Yeah ! Yeah ! » avec une émotion

incroyable.Puisellerivesesprunellesauxmiennesenrécitantlederniercoupletcommesiellelefaisaitpour

moiseul.J’enaidesfrissons.Jesourissansmedéconcentrerdemaguitarejusqu’àlafindumorceau.Lepublichurlesonplaisir.Camrynsaluelapremière,jel’imiteensuite.Sonsourireestsivasteque

l’émotionm’étouffepresque.Jefaispassermaguitaredansmondosetm’approched’ellepourlaprendredansmesbras,lafaisant

décollerdusol.Dessiffletsetdeshourrasjaillissentdepartout,maistoutcequicompteàcetinstantestleregarddeCamryn.Jel’embrassevoracement,etlesvivatssemultiplient.

Avantlafermeture,nousenchaînonsunedizainedemorceauxfaceàunpublicdeplusenplusdense.

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Nousentonnonsnotammentcertainesdenospréférées,comme«BartonHollow»,«HotelCalifornia»ou«BirdsofaFeather»,etchacunesembleplaireautantquelaprécédente.Jenefaispasdesolocesoir,mêmesiCamrynmeledemande.Cettesoiréen’appartientqu’àelle.Jerefused’être lecentredel’attention,mêmepouruneseulechanson.

Nousregagnonsnotrehôtelvers2heuresdumatin,etj’exécutevolontierslemassageliéàmonpariperdu.

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CAMRYN

—GERMAN SEMBLE CONVAINCU QU’ON VA RESTER ICI UN MOMENT, DIS-JE, LA JOUE DROITE ÉCRASÉECONTRElematelas.Jeluiaipourtantditquecen’étaitquetemporaire.

Lesmainsmagiquesd’Andrewpétrissentmondoscommedel’argile,desépaulesjusqu’àlataille.Jeresteallongéesurleventre,profitantdecemassageautantquedemontoutpremier.J’aidumalàgarderlesyeuxouverts. Ilestassisàcalifourchonsurmoncorpspresquenu, lesgenouxdepartetd’autredemeshanches.

—Ouais,ilm’aprisàpartpourmedemanderàquelleheureonallaitjouerdemainsoir.Il glousse en enfonçant ses dix doigts dans ma chair, avant d’entamer de solides mouvements

circulaires.Jegémissoussontoucherexpert.—Onpeutresterquelquesjours,maisj’aimeraisbienqu’onnes’attardepastrop,reprend-il.—Moiaussi.Enplus,lesmoustiquesdeMobilesontépouvantables!Tuasvul’essaimd’apocalypse

quigrouillaitautourduréverbère,quandonestsortiscesoir?Aulieuderépondreàmaquestion,Andrewdéclare:—Tuasétégéniale.Jesavaisquetut’ensortiraisbien,maisj’avouequejenem’attendaispasàça.Jeparviensàentrouvrirlespaupièresetjetteuncoupd’œilparlafenêtre.—Àquoi,précisément?Sesmainss’activentencore.—Tuesmontéesurscèneettuenasimmédiatementprispossession.Tuasvraimentundon.—Jen’iraispasjusque-là,répliqué-je,maisjesuisassezfièredemoi.Jenesaisvraimentpascequi

m’apris.Jemesuisjustedébarrasséedel’angoissequimenouaitlagorge,etj’aitoutdonné.—Entoutcas,çaamarché,commente-t-il.—Seulementparcequetuétaislà,tempéré-je.Nous restonssilencieuxquelquesminutes ; j’ai refermé lesyeuxalorsquesonmassagemenacede

m’expédieràtoutinstantaupaysdesrêves.Jenesensplusmesmusclesfaciaux,j’aidesfourmillementsdanslatêteetdesfrissonsdanslanuquetandisqu’ilmemasselecuirchevelu.

Avantquel’heuresoitécoulée,jem’enveuxdeluiinfligerçasilongtempsetmurmure:—Situesfatigué,tupeuxt’arrêter.Comme il continue, je le force à cesser en roulant sur le dos. Ilm’embrasse délicatement sur les

lèvres. Puis nous nous contemplons un instant, tentant de deviner les intentions de l’autre, étudiant

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mutuellementnoslèvres.Ilpressesonbassincontrelemien,etsaboucheprendpossessiondelamienneenunbaiserpassionné,tandisqu’ilcommenceàmefairel’amour.

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28

ANDREW

NOUSSOMMESDENOUVEAUSURLAROUTE,QUELQUEPARTENTREGULFPORT,DANSLEMISSISSIPPI,ETLANouvelle-Orléans.C’estunejournéeparfaite:lecielestlimpideetilfaitjusteassezchaudpourroulerlesfenêtresouvertessansavoirbesoindebrancherlaclim.Camrynestauvolant,etjesuisvautrésurlesiègepassager,unpiednonchalammentpasséparlavitrecommeellelefaitsouvent.

NousavonspasséunesemaineàMobile,etl’argentquenousnoussommesfaitàbosseretàjoueralargementremboursélegîte,lecouvertetl’essencedelabagnole.Àcôtédesespourboires,lesmiensn’étaientqu’unegoutted’eau.

Montéléphonesemetàvibrerdanslapochedemonbermudanoir.—Salut,maman,quoideneuf?Ellem’expliquequejeluimanque,puisembraiedirectementsurmonétatdesanté.—Non,jen’aipasfaitdebilanrécemment.Ouais,j’aipasséunscanneràl’hôpitalet…Non,ilsont

appeléledocteurMarsterspouravoirmondossieret…Oui,maman.Jesais.Jesuisprudent.(J’adresseuncoupd’œilàCamryn,quimesouritenretour.)Camrynestdéjàsurmondos.Ouais.Là,onestsurlaroute deLaNouvelle-Orléans. Je ne sais pas combien de temps on va rester,mais ensuite on fera uncrochetparleTexaspourtefaireuncoucou,d’accord?

Aprèsquej’airaccroché,Camrynm’interpelle:—LeTexas?J’ai instantanément l’impressionqu’elle pense lamême choseque lors de notre premier road-trip,

maisellemedonnetortenajoutant:—Çanemegênepas,hein.Jesuisjustesurprisedeladestination.Ellesouritdenouveau,etjesuisconvaincuque,cettefois,ellenemecacherien.—LeTexasnet’inquièteplus?m’enquiers-je.Ellegardelesyeuxrivéssurlarouteàl’approched’unvirage,puislorgnedansmadirection.—Pasdutout.Pascommeavant.—Qu’est-cequiachangé?Jerentremonpiedetpivotepourluifaireface,intriguéparsamétamorphose.—Parce que les choses ont évolué, réplique-t-elle.Dans le bon sens.Andrew, lemois de juillet

dernieraétééprouvant.Pour tous lesdeux.Jenesaispascomment,mais jecroisque j’ai toujourssuqu’il nous arriverait quelque chose de terrible au Texas. Pendant un moment, je pensais que j’étaisseulementinquièteparcequec’étaitladernièreétapedenotrevoyage,maisjen’ensuisplussisûre.J’ai

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plutôtl’impression…Jesourislégèrement.—Jecroiscomprendre.Cequisoulèveunenouvellequestion.Ellemecontemple,dansl’expectative.—Est-cequ’onvaseposerunjour?Saréactionmesurprend.Jem’attendaisàvoirsonsourires’estomper,àcequecetinstantdegrâcese

dissolve,pourtantsesprunelless’illuminentetilémanedetoutsonêtreuneformedesérénité.— Un jour, oui, affirme-t-elle. Mais pas tout de suite. Tu sais, Andrew, j’ai envie de découvrir

l’Italie. Rome. Sorrente. Peut-être pas demain, ni au cours des cinq prochaines années,mais j’espèreavoirl’occasiond’yaller.EnFrance,aussi.ÀLondres.J’adoreraisaussiallerenJamaïque,auMexiqueetauBrésil.

—Vraiment?Ilfaudraitdutempspourvoirtoutça.Jenedispasçapourladécourager,carj’aimeraismoiaussivisitercespays.Levents’engouffredanssescheveux,arrachantquelquesmèchesàsatresse,lesfaisantdanserdevant

sonvisagerayonnant.—Jemesenstellementlibre,avectoi,reprend-elle.J’ail’impressiondepouvoirtoutfaire.Alleroù

jeveux.Êtrequijeveux.(Ellem’adresseunnouveaucoupd’œilavantdepoursuivre.)Ons’installerabientôtquelquepart,maisjerefusequ’onseposepourtoujours.Tucomprendscequejeveuxdire?

—Oui.Jenel’auraispasformuléautrement.NousarrivonsenLouisianejusteavantlanuit,etCamrynserangesurlebas-côté.—Jen’enpeuxplusdeconduire,dit-elleens’étirantavantdebâilleràs’endécrocherlamâchoire.—Jet’aiditilyauneheuredemelaisserlevolant.—Ouais,ehbienjetelelaissemaintenant.Elledevientgrincheuse,quandelleestfatiguée.Nous sortons tous les deux de voiture pour changer de place,mais nous arrêtons en nous croisant

devantlecapot.—Tuvoisoùonest?luidemandé-je.Elleobservelesdeuxcôtésdelaroutedéserte,puishausselesépaules.—Euh…aumilieudenullepart?Jepouffelégèrementetluidésignelechamp.Puislesétoiles.—Ladernièrefoisnecomptaitpas,tuterappelles?Ses yeux pétillent, mais je vois bien qu’elle est partagée. Il ne me faut pas longtemps pour

comprendrepourquoi.—C’estungrandpré,platetdégagé.Etàvuedenez,jediraisqu’iln’yapasdevaches,assuré-je.Jesaisquecelanelarassureenrienquantàlaprésencepossibledeserpents,maisj’aitentélecoup,

espérantqu’ellen’ypenserapas.—Etlesserpents?Elleyapensé.—Nelaissepascessalesbestiolesgâcheruneoccasionenordedormirenfinàlabelleétoile.Ellemescruteenplissantlesyeux.Jesorsl’artillerielourdeetlasupplie.—S’ilteplaît?Pitié…Jemedemandesimonregarddechienbattuestaussiefficacesurelleque lesiensurmoi.Jesuis

tentéde la fairebasculer surmonépaulepour l’entraîneraumilieuduchamp,mais je suiscurieuxdedécouvrirl’efficacitédematechnique.

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Elleruminependantunebonneminuteavantdecéderàmoncharme.—D’accord,lâche-t-elleavecunsoupirexaspéré.Jecoursverslecoffrepourensortirlacouverture,etnoustraversonsensemblelefosséavantdenous

pencherpourpassersouslaclôture.Noustraversonsalorslepréimmensejusqu’àtrouverl’endroitidéal.J’ai commeune impressiondedéjà-vu. J’étends lacouverture sur l’herbe sècheet effectueune rapideexplorationanti-reptilepourlarassurer.Nousnousallongeonssurledos,l’uncontrel’autre,lesjambestenduesetleschevillescroisées.Etnouscontemplonsl’étenduenoireetinfinieducielparseméd’étoiles.Camrynme désigne diverses planètes et constellations,me détaillant chacune d’entre elles, et je suisimpressionnéparsesconnaissancesetsafacultéàlesdistinguerlesunesdesautres.

—Jenetepensaispasaussi…Jenetrouvepaslemotquejecherche.—Cultivée?Jelasenssourireàmoncôté.—Enfin,je…jenevoulaispasdirequetuétais…—UneécerveléecomplètementsuperficiellequicroitquelaVoielactéesortdespisd’unevacheou

queleBigBangn’estquelenomd’unesérietélé?—Ouais, un truc dans le genre, consens-je pour entrer dans son jeu.Non, sérieusement, où as-tu

appristoutça?Jenet’imaginaispasscientifique.—Jevoulaisdevenirastrophysicienne.C’étaitmonplandecarrière,àdouzeans.Jesuisprofondémentsurprisparcettedécouverte,maisjecontinueàobserverlesétoilesensentant

croîtremonsourire.—Envrai, je voulais aussi être spécialiste de physique théorique et astronaute, et bosser pour la

NASA,maisjemefaisaisdesfilms.Manifestement.—Camryn,pourquoitunem’avaisencorejamaisracontéça?Ellehausselesépaules.—Jenesaispas.L’occasionnes’estsansdoutepasprésentée.Tun’asjamaisrêvédedevenirautre

chosequecequetues?—Si,sansdoute,admets-je.Mais,mabelle,pourquoitun’aspascontinuédanscettevoie?Jem’assiedssurlacouverture.Saréponserequierttoutemonattention.Ellemedévisage,commesij’enfaisaistrop.—Sansdoutepourlamêmeraisonquecellequit’apousséànepassuivretesrêves.(Elleremonte

lesgenouxetcroiselesmainssursonventre.)C’étaitquoi,d’ailleurs?Je n’ai aucune envie de parler de moi, mais puisque c’est la deuxième perche qu’elle me tend,

j’acceptedeluirépondre.Jeplielesgenouxetposelesavant-brasdessus.—Ehbien,enplusd’êtrerockstar,jevoulaisdevenirarchitecte.—Ahbon?—Ouais,confirmé-jeavecunhochementdetête.—C’estcequetuétudiaisàlafacavantdelaissertomber?— Non. (L’absurdité de ma réponse me fait doucement glousser.) J’étudiais la comptabilité

d’entreprise.Camrynfroncelessourcils.—Lacompta?Tudéconnes?Elleseretientpournepasrire.—Nan,mêmepas,répliqué-jeenricanantmoi-même.Aidanm’aproposédespartsdanssonbar.À

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l’époque, je ne pensais qu’au fric, et je me disais qu’être propriétaire d’un bar serait une aubaine.J’aurais pu y faire des concerts et… je ne sais pas trop ce que je m’imaginais, mais j’ai sauté surl’occasion. Puis il a commencé àme dire qu’il fallait que je comprenne les aspects commerciaux del’affaire, cegenrede truc. Jeme suis inscrit en fac, et ça s’estplusoumoinsarrêté là.Lacomptanem’intéressaitpas,pasplusquetenirunbarougérertouteslesformalitésmerdiquesinhérentesaumondedel’entreprise.

Jemarqueunepauseavantdeconclure:—Commetoi,jemefaisaisdesfilms,etjenevoulaisquelesaspectspositifsdelachose,leresteme

faisaitchier.Etquandjemesuisrenducomptequec’étaittoutourien,j’ailaissétomber.Elleseredressepours’asseoiràsontour.—Etpourquoias-tuaussilaissétomberl’idéededevenirarchitecte?Jemefendsd’unrictusmoqueur.—Sansdoutepourlamêmeraisonquecellequit’apousséeànepasdevenirastrophysicienne.Ellesecontentedesourire,sansréfutermonargument.Jecontemplelechampquis’étendau-delàdeCamryn.—Nousnesommesquedeuxâmesperduesnageantdansunaquarium,déclaré-je.Elleplisselesyeux.—J’aidéjàentenduçaquelquepart.Jeluisourisavantdeluidonnerunebrèvechiquenaude.—C’estdansunechansondesPinkFloyd.Maisc’estassezjuste.—Tunouscroisperdus?J’inclinelégèrementlatêtepourregarderlesétoilesau-dessusdesoncrâne.—Ensociété,unpeu.Maisensemble,non.Jecroisquenoussommesexactementlàoùnoussommes

censésnoustrouver.Nousprofitonsd’unmomentdusilence.Puis,nousnousétendonssurlacouvertureetfaisonscequenoussommesvenusfaire.Jeconsidère,

enextase,l’infinitédufirmament.J’ail’impressionderetrouverunepartiedemoi-mêmedanscesétoiles.Pendantdelonguesminutes,j’oublielamusique,cequec’estqued’êtresurlaroute,latumeurquim’apresqueemportél’annéedernière,lemomentdefaiblessequiafailliavoirraisondel’espritdeCamryn.J’oublielapertedeLily,lefaitqueCamrynaitarrêtélapilulesansmeconsulter.J’oublieaussiquej’aiarrêtédemeretirersanslaprévenirnonplus.

J’oublieàpeuprès tout.Telest l’effetd’un instantcommecelui-ci.Onse sent toutpetit aumilieud’unechosesi immensequ’elledépassel’entendement.Celavousdépouilledetousvosproblèmes,devos souffrances, de vos besoins, envies ou désirs, cela vous force à prendre conscience du caractèreinsignifiantdetoutça.C’estcommesilaTerredevenaitsubitementsilencieuseetimmobile,etquevotreesprit parvenait enfin à comprendre ou à éprouver l’immensité de l’univers, tout enmesurant le rôleinfimequ’ilyjoue.

Pourquoi aller voir un psychiatre ? Pourquoi un psychologue, un coach de vie, un conseiller enmotivation?Audiablecescharlatans!Contentez-vousderegarderlecieletdevousyégarerunefoisdetempsentemps.

Uneodeurdésagréablemeréveillelelendemainmatin.Jehumel’air,lespaupièrestoujourscloses,le

cerveauencoreengourdi,maisl’odoratdéjàpleinementréveillé.L’airdumatinestunpeufrais,et j’ail’impressiond’êtrecouvertderosée.Jerouledecôté,renifleunefoisencore,etlapestilenceestencorepire.J’entendsunbruissementnonloin,etfinisparentrouvrirlesyeux.Camrynroupilleàcôtédemoi.Je

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distingueàpeinesatresseblondeétendueentrenoussurlacouverture.Elleestenpositionfœtale.Quelleestcetteodeur?!Jemecouvrelaboucheetmeredresselentement.Camryncommenceàs’agiterenmêmetempsque

moi,seremetsurledosetsefrottelafigureàdeuxmains.Ellebâille.Jefinisd’ouvrirlesyeuxquandelles’exclame:

—Putain,çapue!Jem’apprêteàrépliquerqu’ils’agitsansdoutedesonhaleinequandelleécarquillesesbillesbleues

enavisantquelquechosederrièremoi.Jemeretourneinstinctivement.Untroupeaudevachespaîtàquelquespasdelà;ennoussentantnousagiter,ellessemblentprendre

peur.—C’estpasvrai!Camrynbonditsursespiedsencoreplusvitequelesoiroùceserpentarampésurnotrecouverture,

etjel’imiteaussitôt.Deuxvachesmeuglent,beuglentetgrognent,reculentsansregarderetviennentpercuterleurspetites

copines,cequinefaitqu’agiterunpeuplusletroupeau.—Onferaitmieuxdedégagerd’ici,dis-jeenattrapantCamrynparlamain.Nous nous élançons d’abord sans prendre le temps de ramasser la couverture,mais jeme ravise

quelquessecondesplus tardet retourne lachercher.Camrynhurleet jememetsà rire tandisquenousfonçonsendirectiondelavoiture.

—Oh,merde!m’écrié-jeenmettantlepieddansunebousefraîche.Camryn glousse de façon incontrôlable, et nous trébuchons presque jusqu’au bout du champ, moi

parce que j’essaie de courir tout en nettoyant ma semelle, elle parce qu’elle manque de perdre sessandalesàchaquefoulée.

—Jen’ycroispas!s’esclaffe-t-ellequandnousregagnonsenfinlavoiture.Elleseplieendeuxetposelesmainssurlesgenouxpourreprendresonsouffle.Jesuismoiaussiàboutdesouffle,et jecherchemarespirationtoutenraclantmachaussuresurle

bitume.Camrynsautesurlecapotdelavoiture,laissantpendresesjambesdevantelle.—Etmaintenant,onpeutdirequ’onl’afait?demande-t-elleenriant.Jelèvelatête,contemplesonsourireradieux,etréponds:—Ouais,cettefois,onpeutraisonnablementestimerquec’estbon.—Bien!jubile-t-elle.(Puisellemedésigneunpaillassonvégétal.)Vaessuyerteschaussuresdans

l’herbe,conseille-t-elleavecunsourireencoin.Là,tunefaisquel’étalerunpeuplus.Jem’exécute,reprenantmonmouvementdeplusbelle.—Depuisquandtuesuneexperteenmerde?—Surveilletonlangage,meprévient-elleenprenantplacederrièrelevolant.—Sinonquoi?laprovoqué-je.Elle démarre laChevelle et fait gronder lemoteur à plusieurs reprises. Ses prunelles luisent d’un

éclatmalicieux.Ellepasselebrasgaucheparlavitreouverteetmefaitaurevoirdelamainenpassantlentementdevantmoi.

Jeluidécocheunregardmenaçant,maissonsourires’élargitencore.—Tunemelaisseraisjamaisici!luicrié-jetandisqu’elles’éloigne.Jen’endoutepasuninstant…Elles’éloignedeplusenplus,etjerested’abordfigé,pensantqu’ellebluffe.Puisjevoislavoiture

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devenirdeplusenpluspetite…Jefinisparmelanceràsapoursuite.

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29

CAMRYN

LAPREMIÈRECHOSEQUIME PASSE PARLATÊTEQUANDNOUSARRIVONSÀLANOUVELLE-ORLÉANS EST«HOME,sweethome».L’impatiencecroîtquandjerepèredesélémentsquimesontfamiliers:lesgrandschênes,lesmagnifiquesmaisonstraditionnelles,lelacPontchartrainetleSuperdome,lestramwaysrougeetjaunequimefonttoujourspenseràdesjouets…Et,biensûr,leVieuxcarréfrançais.J’avisemêmeunhommejouantdusaxophoneàuncoinderue,etmesenspropulséedirectementdansunecartepostaledelaville.

JemetourneversAndrew,quim’adresseunrapidesourire.IlmetsonclignotantetnousbifurquonsàdroitesurRoyalStreet.Moncœurvacilleets’emballeenmêmetempsquandj’aperçoisleHolidayInn.Tantdechosessesontpasséesici,ilyadixmois.Cetendroit…unhôtel…c’estbeaucoupplusqueça,àmesyeux.Çareprésentebeaucouppournousdeux.

—J’aipenséquetuvoudraisdormirici,pendantnotreséjourenville,meditAndrew,auxanges.Commelessouvenirsmecoupentencore lesouffle, jemecontentedehocher la têteensouriantde

plusbelle.Noussortonsnosaffairesducoffreetpénétronsdanslebâtiment.Rienn’achangé,endehorsdesdeux

réceptionnistes.Jenecroispaslesavoirvuesl’annéedernière.J’entends vaguement Andrew leur demander les numéros de nos anciennes chambres, tandis que

j’observeencoreleslieuxpourmieuxm’enimprégner.Dieuquecetendroitm’amanqué.—Oui,lesdeuxsontlibres,ditl’unedesréceptionnistes.Vouslespreneztouteslesdeux?Cettephrasecaptemonattention.Andrewsetourneversmoi.Ilveutsansdoutesavoircequej’enpense.Je changemon sac d’épaule et hésite un instant. Je n’ai jamais réfléchi à cette question, et je ne

pensaispasqueladécisionseraitsidifficileàprendre.—Ehbien,euh…(J’observetouràtourAndrewetl’employée,toujoursindécise.)Jenesaispas.On

pourraitpeut-êtreprendrejustecelleoùona…(Jem’interromps,netenantpasunefoisdeplusàpasserpouruncoupled’adosàpeinepubères,etadresseàAndrewunregardentendu.)Celleoùonaconclunotreaccord.

Andrew réprime un sourire, mais ses yeux le trahissent tandis qu’il tend sa carte de crédit à laréceptionnisteenluiindiquantlenumérocorrespondant.

Nousquittonsbientôtlehalld’entréeetprenonsl’ascenseurjusqu’ànotreétage.Encoreunefois,je

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melaisseabsorberparlesmoindresdétailsducouloir,jusqu’àlacouleurdelapeinturerecouvrantlesmurs,cartoutceci,mêmeleplusinsignifiant,faitpartieintégranted’unsouvenircapital.Lefaitd’êtreicidenouveaumeprocureunsentimentindescriptible.J’enaipresquedeslarmesdejoie.Jesuiségalementtoutexcitée,cequim’évited’avoirl’airridicule.

Andrews’arrêteentre lesportesdenosdeuxchambresd’antan, lestédedeuxsacsetdesaguitareélectrique.Ilvoulaits’acheterunehousse,maisn’enapasencoreeul’occasion.

—Çafaitbizarredeseretrouverici,hein?medemande-t-il.—Aussibizarrequ’agréable.Nousrestonslàunebonneminute,àcontemplerlesdeuxportes,jusqu’àcequ’Andrewserésolveà

passerlacartemagnétiquedanslaserruredecellequenousavonsfinalementprise.Celamedonnevraimentl’impressiondevoyagerdanslepassé.Lebattantpivotelentement,ettoutce

que nous avons vécu dans cette pièce déferle subitement sur nous pour nous accueillir.Dès que nousfranchissons le seuil, jeme souviens de toutes les nuits que nous avons passées ici, séparément puisensemble, comme si cela s’était déroulé hier. Je remarque l’endroit près du lit où jeme tenais quandAndrew m’a fait craquer pour de bon. Je jette un coup d’œil par la vitre pour observer les ruesencombréesduquartierfrançais.JerevoiscejouroùAndrewétaitassissurcereborddefenêtreàjouerde la guitare acoustique, et cette fois où jeme trouvaismoi-même à cet endroit, à danser en chantant« Barton Hollow », alors que je me croyais seule. Je me tourne vers la salle de bains et, tandisqu’Andrewallume,jecontempled’abordlecarrelageoùiladormiprèsdemoi,mêmesijen’aiquedesbribesderéminiscence.

J’imagineque,parfois, lesplusgrands souvenirs s’écriventdansdesendroits improbables,preuves’ilenfautquelaspontanéitéestplusgratifiantequ’unevieméticuleusementplanifiée.Quequoiquecesoitdeméticuleusementplanifié.

JepivoteversAndrew.— Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que tous ces mois passés sur la route depuis

décembreétaientcensésnousmenerici.Danscetteville.Danscethôtel.Jen’arrivepasàcroirecequejeraconte,etjememetsimmédiatementàm’interrogersurlesraisons

decesentiment.Celapourraitsignifierdesmilliersdechoses,maislaplusévidenteesttoutsimplementquenousavionsbesoinderevenirici.

Oui,c’estexactementça.Dumoins,c’estcedontj’avaisbesoin.Quandcetterévélationmefrappe,jeme retrouve debout au milieu de cette chambre entourée de pensées plutôt que d’objets. Je regardeAndrewdroitdanslesyeux,sanslevoirréellement.Celuiquejeperçois,c’est lui,danslepassé.Lesmêmesprunellesvertesenvoûtantes,unanauparavant.

Pourquoijeressenstoutcela?—Tuaspeut-êtreraison,déclare-t-il.Puisilreprend,d’untonplusmystérieux:—Camryn,àquoitupenses?—Quenoussommespartistroptôtlapremièrefois.C’est la première chose qui me soit venue à l’esprit, et maintenant que je l’ai verbalisée, je

commenceseulementàcomprendrecombienjelepense.—Qu’est-cequitefaitdireça?medemande-t-ilens’approchantdemoi.Cettefois,jen’aipasl’impressionqu’ilmeposedesquestionsauxquellesiladéjàlaréponse.C’est

plutôtcommesinouspensionslesmêmeschosesaumêmemoment,ettentionsdemieuxlescomprendreencherchantdesexplicationschezl’autre.

Nousnousasseyonsaupieddulit,lesmainsentrelescuisses,etrestonsunlongmomentsilencieux.

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Puisjemetourneversluietdéclare:—Jen’aijamaisvoulupartirsitôt,Andrew.Jesavaisquenotreprochaineétape,aprèsLaNouvelle-

Orléans,seraitGalveston.Jen’étaispasprêteàquittercetendroit…maisjenesaispaspourquoi.Etcettevéritémefaitpeur.Pourquoi ?Sansparler du fait que leTexas signifiait la fin duvoyage, ni que j’avais cet horrible

pressentiment que quelque chose d’atroce nous y attendait, pourquoi voulais-je rester ici ? Pasnécessairementpourtoujours,maisentoutcaspluslongtemps?

— Je ne sais pas, admet-il avec un haussement d’épaules. Peut-être parce que c’est ici que nousavonsfinalementconclunotreaccord.

Ilm’adresseunebourradetaquine.Jenepeuxpasm’empêcherdesourire.—Ouais, possible,mais je crois qu’il y a plus,Andrew. Je crois que c’est parce que nous nous

sommesvraiment trouvés, ici. (Jecontemple lemurd’en face,perduedansmespensées.) Jen’ensaisrien.

JesenslelitremuerquandAndrewsemetdebout.—Ehbien,cettefois,assurons-nousd’entirerlemeilleurpartiavantdepartir.(Ilmetendsamain,

quejem’empressedesaisir.)Peut-êtrequ’oncomprendramieux.Jemelèveàmontouretréplique:—Ou…peut-êtrequec’estunedeuxièmechancequinousestofferte.Honnêtement,jen’aipaslamoindreidéedecequim’apousséeàdireça.—Unedeuxièmechancedefairequoi?s’étonne-t-il.Jemarqueunepausepouryréfléchir,puisréplique:—Jel’ignoreégalement.

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30

ANDREW

JEPRENDSSONVISAGEENCOUPEENTREMESPAUMES.—Onn’estpasobligésderépondreàcetteénigmedèscesoir,dis-jeenl’embrassantsurleslèvres.

Jepuelabouseetj’aiabsolumentbesoind’unedouche.Avecunpeudechance,tun’espassuffisammentdégoûtéepourrefuserdem’accompagner.

Sonexpressionpensivesemueencesourirecoquinquej’espérais.Jelasoulèvedeterre,calantmesmainssoussesfesses;ellerefermesesjambesautourdemataille

etlaissependresesbrassurmesépaules.Àlasecondeoùjesenssalanguechaudeàl’intérieurdemabouche, je l’emmènesous ladouche ;nousnousretrouvons tousdeux torsenuavantd’avoir franchi laportedelasalledebains.

Notrepremièredestinationà la tombéede lanuitest leOldPointBar.Nousavonsàpeinemis le

piedàl’intérieurqu’uneCarlasurexcitéebousculedeuxtypesbalèzespourseruersurmoienfaisantdegrandssignes.Noustombonsdanslesbrasl’undel’autre.

— Je suis tellement contente de te revoir ! s’exclame-t-elle suffisamment fort pour couvrir lamusique.Laisse-moiteregarder!(Ellereculed’unpasetm’examinedespiedsàlatête.)Toujoursaussibeau.

EllesetourneensuiteversCamryn.Ellem’adresseuncoupd’œilavantdes’intéresserdenouveauàelle.

—Ah,ah,jesavaisqu’ilnetelaisseraitpaspartir.Ellel’étreintàsontour,laserrantfermementcontreelle.—Aprèsvotredépart,j’aiditàEddiequ’elleétaitfaitepourtoi.Ilétaitdemonavis.Ilavaitprédit

qu’àtonprochainpassage,Camrynseraitencoreavectoi.Ilavaitmêmevoulumeconvaincredeparierdel’argent,dit-elleenm’adressantunclind’œilentendu.Tusaiscommeilétait.

Enunefractiondeseconde,jepassedelajoieaudésespoir.—Était?demandé-jeavecméfiance,redoutantsaréponse.Carlanecessepasdesourire,mêmesiellesemblesubitementmoinsenjouée.—Jesuisdésolée,Andrew.Ilestmortaumoisdemars.Unecrisecardiaque,àcequ’ilparaît.Marespirationsebloque,et jem’assiedssur le tabouretdebar leplusproche.JesensCamrynse

rapprocherdemoi.Jenevoisplusqueleplancher.— Ah non, pas de ça ici, tu m’entends ? me morigène Carla. Tu connaissais Eddie mieux que

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n’importequi.Iln’amêmepaspleuréàlamortdesonfils.Tuterappelles?Ilajouédelaguitaretoutelanuitenl’honneurdeRobert.

LesdoigtsdeCamryns’immiscententrelesmiens.JenelèvepaslesyeuxavantqueCarlafasseletourducomptoirpourallerchercherunebouteilledewhiskyetdeuxpetitsverres.Ellelesdéposedevantmoietlesremplit.

—Ildisaittoujoursques’ilmouraitavantl’und’entrenous,ilpréféreraitseréveillerdansl’au-delàen nous voyant danser plutôt que pleurer sur sa tombe, poursuit-elle. Maintenant, bois. Son whiskypréféré.C’estcequ’ilauraitvoulu.

Carlaaraison.Malgréça,etmêmesiEddieauraitdétestévoirquelqu’unaccabléparsadisparition,jen’arrivepasàm’extrairedupuitsdedétressedanslequeljesuistombé.JemetourneversCamrynetmerendscompteque,bienqu’elleaitdeslarmespleinlesyeux,elles’efforcedenepaspleurer.

Aucontraire,ellesouritenmeserranttendrementlamain.Elles’emparedel’undesverresqueCarlavientdeserviretattendquej’enfasseautant.Jefinispartendrelebrasverslecomptoirpourm’exécuter.

—ÀEddie,dis-je.—ÀEddie,répèteCamryn.Noustrinquons,noussourionsetfaisonsculsec.NotreinstantdegravitéprendfinquandCamrynreposesansdélicatessesonverreàl’enverssurle

bar.Ellefaitlapiregrimacequej’aiejamaisvuunefillearboreretsoufflebruyamment,commesielleavaitlagorgeenfeu.

Carlaéclatederireet récupère leverreavantdenettoyerd’uncoupde torchonla trace laisséeendessous.

—Jen’aijamaisditqu’ilétaitbon,justequec’étaitlepréféréd’Eddie.Jedoisbienreconnaîtrequecetrucarrache.Unvraitord-boyaux.JenesaispascommentEddieafait

pourenboirependanttoutescesannées.—Vousjoueztoujoursensemble?s’enquiertCarla.Camrynprendplacesurletabouretvoisindumienetrépond:—Ouais,deplusenplussouvent.Carlanousdévisaged’unairsuspicieux.Ellerécupèremonverreetlefaitdisparaîtrequelquepart

souslecomptoir.—Depuiscombiendetemps?Pourquoivousn’êtespasrevenusiciplustôt?Jepousseunprofondsoupiretcroiselesmainssurlebar,adoptantunepositionplusconfortable.— Eh bien, après notre départ, nous sommes rentrés à Galveston, et j’ai plus ou moins atterri à

l’hostoàcausedematumeur.—Tuasplusoumoinsatterriàl’hosto?répèteCarlaenemployantlemêmetoncirconspectquele

flicquinousacontrôlésenFloride.Ellepointesurmoiundoigtaccusateur,maisc’estàCamrynqu’elles’adresseensuite:—Onluiavaitpourtantditd’allerconsulter,maisiln’apasvoulunousécouter.—Vousétiezaucourantaussi?s’étonneCamryn.Carlaacquiesce.—Ouais.Maistoncopainestvraimenttêtucommeunebourrique.—Là,jesuisbiend’accord,confirmeCamrynd’unevoixamusée.Jesecouelatêteetmeredressesurmontabouret.—Bon,vousavezfinidevousliguercontremoi?Detoutefaçon,ils’avèrequejesuisvivant,alors

peuimporte.Bref,Camrynetmoiavonsvécudestrucsvraimentpasfacilesdepuisladernièrefois,maisonaréussiàsurmontertoutça.

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Jeluiadresseunsourirechaleureux.—Etducoup,vousvenezboucler laboucle,conclutCarla. J’espèrequevousallez jouerce soir.

Eddieauraitadorémontersurscèneavectoiunedernièrefois.Camrynetmoinousregardonsunbrefinstant.—Jesuispartante,dit-elle.—Moiaussi.Carlaapplauditvigoureusement.—Ah, c’est génial ! Vous pouvez y aller quand vous voulez. Le seul groupe prévu ce soir a dû

annuler.Nous restons au bar à discuter avec Carla pendant une bonne heure avant de nous décider à

commencer notre concert improvisé. Même si la salle n’est qu’à moitié pleine, la foule estparticulièrementexcitée.Nousentamonsnotreprestationparnotreduo fétiche,«BartonHollow» ; lechoixnousestapparuévident,carc’estauOldPointquenousl’avonsjouépourlapremièrefois.Nousenchaînonsavecplusieursautresmorceauxavantd’enarriverà«Laugh,INearlyDied»,quejedédieàEddieJohnson.JelajouesansCamryn,maisaveclesuccesseurd’Eddie,ungentilCréolenomméAlfred.

Peuaprèsminuit,CamrynetmoidisonsaurevoiràCarlaetquittonsleOldPoint.Néanmoins,danslepluspurstyledeLaNouvelle-Orléans,nousnecomptonspasnouscouchersitôtetenprofitonspourfairelafête.Nousnousdirigeonsd’abordversled.b.a.,puisverslebaroùCamrynm’adonnéunevéritableleçondebillardcettenuit-là.Ils’estquasimentécouléunandepuisqu’ons’estfaitfoutreàlaportedel’établissement à cause d’une baston. J’espère qu’ils ne se souviennent pas demoi.Vers 2 heures dumatin,aprèsplusieurspartiesetplusieursverres,j’aidedenouveauCamrynàgrimperdansl’ascenseurdel’hôtel;commel’annéedernièreaumêmeendroit,elletientàpeinedebout.

—Çava,mabelle?Jepouffelégèrementenlasoutenantparlataille.Satêteoscilledegaucheàdroite.—Non.Çanevapas.Ettutemoquesdemoi.—Oh,jesuisdésolé,affirmé-je,àmoitiésincère.Jenememoquepasdetoi,jemedemandejustesi

onvaencorepasserlanuitàcôtédestoilettes.Ellegémit,sansdoutepluspourmecontredirequepourexprimersoninconfort.Jeraffermismaprise

sur elle quand les portes de l’ascenseur s’ouvrent, et nous avançons tant bien que mal jusqu’à notrechambre.Je laguidevers le lit, ladéshabillepresqueentièrementet luienfile l’undesesdébardeurs.Elleserecroquevillesurl’oreilleretjem’apprêteàremonterledrapsurelleavantdemerappelerque,danssonétat,ellerisquedesuerabondammentetfiniraparrendretoutl’alcoolqu’elleaingérécesoir.

Parprécaution,jevaischercherlapetitecorbeilleàpapierposéeprèsdelatéléetlarapprochedesoncôtédulit.Puisjevaisimbiberd’eauungantdetoilette,quej’essoreau-dessusdulavabo.LetempsquejeretourneauchevetdeCamrynpourluitamponnerlefrontetlevisage,elles’estdéjàendormie.

Quandjemeréveillelematinsuivant,jesuissurprisdelavoirdéjàalerte.—Bonjour,monchéri,dit-elledansunsouffle.Elle est allongée sur le côté, face à moi, la tête posée sur l’oreiller. Ses prunelles bleues sont

chaleureuses et pleines de vie ; elle n’a pas du tout lamine fatiguée due à la gueule de bois que jem’imaginais.

—Commentsefait-ilquetunedormesdéjàplus?demandé-jeenluicaressantlajouedureversdelamain.

—Jenesaispastrop,répond-elle.Jesuismoi-mêmeunpeusurprise.

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—Commenttutesens?—Bien.Je passe le bras dans son dos pour l’attirer versmoi, entremêlant nos jambes nues. Elle trace le

contourdemespectorauxdelapointedel’index,cequimeprovoqueuneéruptiondechairdepoule.Jecontemplesesyeux,sabouche,suivantdesdoigtslecheminprisparmonregard.Elleesttellement

belle.Putain,tellementbelle.Elletendlamainpourmecaresserlesdoigts,puislesembrassel’unaprèsl’autre,serapprochantunpeuplusdemoi.Quelquechoseenelleachangé.

—Tuessûrequetoutvabien?m’inquiété-je.Un léger sourire illumine son visage quand elle acquiesce. Puis elle plaque ses lèvres contre les

miennes,écrasantfermementsesseinssurmontorse.Sestétonssontdéjàdurs.Jelesuismoiaussi,bienavant qu’elle empoignemon érection. Elleme lèche le bout de la langue puism’embrasse avidementtandisquejel’étreinsdefaçonpossessive.D’unepressiondebassin,ellemefaitressentirladouceurdesapeau,l’humiditéquepeineàcontenirlecotonlégerdesonslip.Sansinterromprenotrebaiservorace,je retire sa culotte d’une seulemain. Je tends les hanches vers elle, pressantmon érection contre sachaleurintime.

Je roule sur elle et plante mon regard dans le sien. Sans rien dire. Je ne commente pas son étatd’excitation, pas plus que je ne la force àme contempler. Je ne la domineni par lesmots, ni par lesgestes,niparmesexigences.Jemecontentedel’observer,sachantpertinemmentquelesparolesnesontpastoujoursnécessaires.

J’embrasse délicatement ses lèvres, le coin de sa bouche, la ligne de samâchoire. J’introduismalangueentresesdentset,empoignantmonmembreérigé,entreprendsdelefrottercontreelle.Jelasensqui ondule des hanches,m’indiquant combien elleme désire. Je ne tiens pour une fois pas à la fairelanguir,ni à lui refuserquoiquece soit, jem’introduisdoncàpeineenelle ; son regard seperd, sespaupières papillonnent, sa bouche s’entrouvre. Quand je la pénètre plus profondément, ses jambes semettentàtrembler.Ellegémitdoucement,semordantlalèvreinférieure.Jel’embrassederechefetfinispar m’enfoncer complètement en elle. Je m’immobilise alors, me prélassant entre ses cuissesfrémissantes,alorsquesesdoigtsfébrilesmepétrissentledos.

Jebasculed’avantenarrièretoutenfaisantoscillermonbassin.Uninfimevoiledesueurrecouvredéjànosdeuxcorps.J’aienviedeluilécherlapeau,maisjenem’arrêtepas.Jenepeuxpasm’arrêter…

Jemeredressejusteassezpourquenospoitrinesnesetouchentplus,etl’attrapesouslegenouafindelui soulever la jambe pourme permettre de plonger en elle plus profondément. Je donne un coup dehanchesplusviolent, luiplaquelacuissesur lematelas.Elleprononcemonnom,m’agrippela tailleàdeux mains, mais les retire presque aussitôt pour s’accrocher au bout du lit, au-dessus de sa tête.J’observeavecaviditésesseinsrebondiraurythmedemesva-et-vient,puisjemepenchedessuspourlesmordiller.

Mavisionsetrouble.Ellepousseunrâlebruyantetsemetàgeindre.Sesbruitsmerendentfou.Jeluilâchelacuisseetm’affaledenouveausurelle,écrasantsapoitrinesouslamiennetandisqu’ellerefermeses bras dans mon dos. Ses ongles s’enfoncent douloureusement dans ma peau. De son bassin, elleaccompagne le mouvement. Je l’embrasse à pleine bouche. Mon baiser se fait plus féroce quand jecommenceàjouir.Moncorpsconvulseetunsonrauques’échappedemagorge.Jeralentismesassauts,finissantpardetendresbalancements.Camrynmemordlalèvreinférieureetjel’embrassetendrement,laserrantcontremoijusqu’àavoirterminé.

Je m’allonge alors sur elle. Mes battements de cœur saccadés finissent par recouvrer un rythmenormal;lesangrecommenceàcirculerdansmesdoigts,dansmesorteils,faitsaillirlaveineprèsdematempe.Jeposelajouesursesseinsnus,entrouvrelabouche,souffledefaçonerratique.Ellejoueavec

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mescheveuxhumidesdesueur.Nousrestonsainsiallongéstoutelamatinéesansprononcerunmot.

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31

ANDREW

JENEMERAPPELLEPASM’ÊTREENDORMI.QUANDJ’OUVRELESYEUX,LERADIO-RÉVEILINDIQUE11H10.JEMErendsalorscompteque,sijemesenstoutnu,cen’estpasparcequejeneporteaucunvêtement,maisparcequeCamrynnesetrouveplusdanslelitavecmoi.

Elle est assise sur le rebordde fenêtre, vêtued’un short et d’un tee-shirt, sans soutien-gorge.Elleregardedehors.

— Je crois qu’on devrait partir, déclare-t-elle sans quitter des yeux le décor lumineux de LaNouvelle-Orléans.

Jem’assiedssurlelit,lesjambescouvertesparledrap.— Tu veux quitter la ville ? m’étonné-je. Je croyais qu’on n’était pas restés assez longtemps, la

premièrefois.—Ouais,confirme-t-elle,toujourssansseretourner.Lapremièrefois,noussommespartistroptôt,

maiscettefois,nousnepouvonspasrestertroplongtempsuniquementpourcompenser.—Maispourquoituveuxpartir?Onn’apasséqu’unejournéesurplace.Ellepivoteenfinversmoi.Sesyeuxtrahissentuncertainressentimentouunerésolutionferme,sans

quej’arriveàdéterminerdequelsentimentils’agitréellement.Peut-êtreya-t-ilunpeudesdeux.Aprèsunelonguehésitation,ellefinitpardéclarer:—Andrew,jesaisqueçapeutparaîtreidiot,maisjecroisquesionresteicipluslongtemps…je…Jemelèvealors,aprèsavoirenfilémonboxergisantausol.—Qu’est-cequisepasse?demandé-jeenallantlarejoindre.Ellem’observe.—C’est juste que…Ehbien, quand on est arrivés ici hier, jeme suis rappelé ce que cet endroit

signifiaitpournousenjuilletdernier.Etjemesuisrenducomptequejen’arrêtaispasd’essayerdemerappelerlesimagesdel’annéepassée,detenterderevivrecesinstants…

—Maisçan’estpluspareil,complété-je,pensantcomprendre.Elleyréfléchitunesecondeavantd’acquiescerd’unlégerhochementdetête.—Ouais.C’estjustequecetendroitesttellementchargéensouvenirssignificatifs…Putain,Andrew,

jenesaispluscequejeraconte!Samoue,d’abordpensive,sefaitagacée.Jetireunechaiserangéesouslatableetm’installedevantlafenêtre.Jemepencheenavant,serrant

lesmainsentremesgenoux,considérantCamrynparendessous. Jem’apprêteàajouterquelquechose

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pourcomplétersonexplication,maisellemedevance.—Peut-êtrequ’ilvaudraitmieuxnejamaisrevenirici.Jenem’attendaispasàça.—Pourquoi?Elleplaquesespaumessurlereborddefenêtreetcontractelesépaulestandisquesondoss’affaisse.

Laconfusionetl’incertitudedésertentpeuàpeusonvisage;ellecommenceàcomprendre.—Tuvois,c’estunpeucommesituessayaisdereproduireuneexpériencepasséedanslesmoindres

détails ;malgré toute ta bonne volonté, ça ne sera jamais comme la première fois. (Elle considère lachambretoutenréfléchissant.)Jemerappellequandj’étaisgamine.Coleetmoijouionstoujoursdanslesboisderrièrenotreanciennemaison.Çafaitpartiedemesplusbeauxsouvenirs.Onyavaitconstruitunecabane.(Lesyeuxrivéssurmoi,ellepouffedoucement.)Enfin,çaressemblaitplutôtàquelquesplanchesclouéesentredeuxbranches.Maisc’étaitnotrecabane,etnousenétionstrèsfiers.Ettouslesjours,aprèsl’école,onallaityjouer.

Son visage s’illumine tandis que ces vestiges d’enfance remontent à la surface. Puis son sourires’évanouit.

—Etpuisonadéménagépours’installerdanslamaisonqu’occupemamèreencoreaujourd’hui,etj’ai longtempscontinuéàpenser à cesbois, ànotre cabaneet à tous cesmomentsgéniauxquenousyavons passés. Je pouvais être assise dans ma chambre ou en voiture, et je memettais à revivre cesépisodesdefaçonsiintensequejeressentaislesmêmeschosesquetantd’annéesauparavant.

Elleposeunemainsursoncœur.— J’y suis retournée un jour, poursuit-elle. J’étais tellement accro à la nostalgie que j’étais

convaincue de pouvoir accentuer ce sentiment en retournant à l’emplacement de la cabane, là où jem’asseyaisparterrepourtracerdanslapoussièredesmessagessecretsàl’attentiondeColechaquefoisquej’yarrivaisavantlui.Maisçan’étaitpaspareil,Andrew.

Jel’observeetl’écouteavecintensité.—Çan’étaitpaspareil,répète-t-elled’unairdistant.J’aiététellementdéçue.Quandjesuispartiece

jour-là, j’avais unmanque encore plus grand que celui que j’avais espéré combler enme rendant surplace.Etdepuis,chaquefoisquej’essayaisd’yrepensercommej’avaisl’habitudedelefaire,j’enétaisincapable.J’avaisbrisétousmessouvenirsenyretournant.Jenemesuisrenducomptequetroptardquej’avaisremplacécesjoursheureuxparcettevisiteterneetdécevante.

Jeconnaisparfaitementcesentimentdenostalgie.Jepensequetoutlemondel’éprouveàunmomentdesavie,maisjenedéveloppepasnineluifaispartdemapropreexpérience.Jepréfèremecontenterd’écouter.

—Toutelamatinée,j’aiessayédemeconvaincrequenousn’étionspasvraimentdanscettechambre.Quelebard’hiersoirn’étaitpasleOldPoint.Quelanouvelledelamortd’Eddien’étaitqu’unmauvaisrêve.(Elleplantesonregarddanslemien.)J’aienviedepartird’iciavantdedétruireaussicesouvenir.

Ellearaison.Complètementraison.Cependant,jecommenceàmedemandersi…—Camryn,pourquoivoulais-turetrouverça?(Jedétesteceque jem’apprêteàdire.)Tun’espas

heureusedecequenousvivons?Decequenoussommes?Elleredressebrusquementlatête,unmasqued’incrédulitéplaquésurlevisage.Puisellesedétendet

répond:— Oh, non… Andrew. Ça n’a rien à voir. Je pense que, comme nous sommes revenus ici, j’ai

inconsciemmentessayéderecréerl’unedesexpérienceslesplusinoubliablesdemonexistence.Elleposelesmainssurmesépaulesetjel’attrapeparlataille,l’observantparendessous.Jesuison

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nepeutplussoulagéparsaréponse.Jesouris,melèveàmontouretdéclare:—Alorsjeproposequ’ondégaged’iciavantquetoncerveaucomprennequeturacontesdelamerde.Elleglousse.Jelalâcheetentreprendsimmédiatementdefourrernosaffairesdansnossacs.Jeluidésignelasalle

debains.—Surtout,n’oublierien.Son sourire s’élargit et elle s’y précipite sans tarder.Enmoins de deuxminutes, tout est emballé.

Lestéschacund’unsacetd’uneguitare,nousquittonslapiècesansunregardenarrière.Nousnejetonsmêmepasuncoupd’œilà laportedelachambrevoisine,quenousn’avonspasoccupéecettefois-ci.Unefoisdanslehalld’entrée,jem’approcheducomptoiretdemandeàêtreremboursédelasemainequej’aipayéed’avance.Laréceptionnistepassemacartedecréditdanssonlecteuretjeluitendsnoscartesmagnétiques.

Camryntrépigned’impatienceàmoncôté.—Arrêtederegarderautourdetoi,ordonné-je,sachantqu’ellemetsessouvenirsenpéril.Ellepartd’unrirelégeretfermelesyeux.— Merci d’avoir séjourné à l’Holiday Inn de La Nouvelle-Orléans, nous dit l’employée. Nous

espéronsvousretrouverbientôtdansnotreétablissement.—L’HolidayInn?répété-je.Non,onestà…l’EmbassySuitesde…Gulfport.Ouais,c’estça,dans

leMississippi.Çanevapas,mademoiselle?Sonvisagesechiffonneavantqu’ellehausselessourcils,estomaquée,sanstoutefoisfairelemoindre

commentaire.Nousquittonslebâtimentsansnousretourner.CamryncontinueàjouerlejeutandisquenouschargeonslaChevelle.—QuandonarriveraenLouisiane,jesuggèredetraverserLaNouvelle-Orléanssanss’yarrêter,dit-

elle.Cen’estpassidifficilequeçadefairemined’êtreailleurs.—Çameva,répliqué-jeenclaquantmaportière.OnpeutaussitraverserGalvestonsanss’arrêter,si

tuveux.—Non,ilfautqu’onfasseuncoucouàtamère.Aprèsquoi,oniraoùtuveux.Jepasselamarchearrièreetprécise,avantdesortirdemaplacedeparking:—Çaneveutpasdirequ’onnepeutpasfaireunehalteentreicietGalveston.Ellepinceleslèvresenhochantsonassentiment.—C’estvrai.Puisellem’adresseunregardsemblantsignifier:«Etmaintenant,foutonslecampd’ici.»Nousfaisonsungranddétourpoursortirdelavilleetobliquonsverslenord-ouest,traversonsBâton-

RougeetShreveportetatteignonslafrontièreduTexasavantderallierLongview.NousnousarrêtonsàTyler pour prendre de l’essence, puis poussons jusqu’à Dallas, où Camryn insiste pour acheter un«véritablechapeaudecowgirl»dansWestVillage.

—OnnepeutpastraverserleTexassanss’habillercommedesTexans!déclare-t-elleenexagérantl’accentlocal.

J’acceptedoncdelaconduirejusqu’àuneboutique.Personnellement,jenesuispastrèschapeaunitrèsbottes,maisforceestdereconnaîtrequ’elleles

porteàmerveille.Nous passons la nuit àLaGrange, où nous buvons quelques verres en admirant la prestation d’un

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super groupe de rock-country. Nous passons la soirée suivante auGilley’s, où Camryn chevauche untaureauderodéomécanique,arborantfièrementsonchapeaudecowgirlsisexy.Plustard,deretourdansnotrechambred’hôtel,j’endosselerôledutaureauetlalaissemechevaucher,toujoursavecsonchapeaudecowgirl.

Lesurlendemain,nousnousretrouvonsàenvironuneheurederoutedeLubbock,rangéssurlebas-côtéavecunpneuàplat.J’auraisvraimentdûenvérifierlapressionàlastation-servicedeTyler.

—Çacraint,mabelle,déclaré-jeenm’accroupissantpourobserverlesdégâts.Jen’aipasderouedesecours.

Camrynestadosséeàlavoiture, lesbrascroisésdevantelle.Sapeauscintilledesueur, tantsurlevisagequ’au-dessusdesseins.Ilfaitunechaleuràcrever,parici.Iln’yapasunarbreniunbâtimentoùnousabriteràdeskilomètresàlaronde.Noussommesentourésd’uneétenduedeterrepratiquementplateetdésertique.Ilyabienlongtempsquejenemesuispasaventuréaussiloindansl’ouestduTexas,etjecommenceàmerappelerpourquoi.

Jemerelèveetsautesurlecapotdelavoiture.—Faisvoirtontéléphone.—Tuvasappelerunedépanneuse?demande-t-elleaprèsavoirrécupérésonportablesursonsiège

pourmeletendre.Jefaisdéfilersonécrand’accueilpourtrouversonappli«pagesjaunes».—Jenevoispasd’autresolution.Je tape lesmots « dépannage automobile » puis parcours la liste de résultats avant de jetermon

dévolusurunnuméro.—J’espèrequ’elleviendra,cettefois,dit-elle.Tandisquejeparleaugaragisteenluiexpliquantquelletailledepneuilmefaut,jevoisCamrynse

glisserà l’intérieurpar la fenêtreouverteet ressortiravecsonchapeausur la tête, sansdoutepour seprotégerdusoleil.

Ellegrimpeàsontoursurlecapotpourvenirseposteràcôtédemoi.— D’accord, merci, monsieur, dis-je avant de raccrocher. Il sera là dans au moins une heure,

annoncé-je.Jeposel’appareilsurlacarrosserieetscruteCamrynavecunsourireespiègle.—Tusais,tupourraisdécouperlejeandanstonsacpourt’enfaireunmini-short,retirertonsoutif

soustondébardeuret…Ellemeposeundoigtsurleslèvres.—Laissetomber,medit-elle.Mêmepasenrêve.Nousnousasseyonset restonsunmomentàcontempler silencieusement ledésertquinousentoure.

J’ail’impressionqu’ilfaitdeplusenpluschaud,sansdouteparcequenoussommesposésenpleinsoleilsur le capot d’unevoiture noire absorbant les rayons commeune éponge.De temps à autre, unebriseagréablevientnouscaresserlevisage.

—Andrew?Camryn retire son chapeau et le pose surma tête, puis s’allonge le dos contre le pare-brise. Elle

croiselesmainsderrièresanuqueetremontelesgenoux.— Cinquième entrée sur notre liste de promesses : si je meurs avant toi, assure-toi que je sois

enterréepiedsnusdanslarobequenousavonsachetéeaumarchéauxpuces.Oh,etjeneveuxpasd’eye-linerbleunidesourcilsdessinéscommedanslesannées1980.

Ellesepencheversmoi.—Jecroyaisquec’étaitdanscetterobequetuvoulaism’épouser.

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Elleplisselespaupières,aveugléeparlesoleil.—Ouais,mais jeveuxaussiêtreenterréededans.Certainespersonnespensentque lavieaprès la

mort consiste à revivre les instants lesplusheureuxde son existence. Je revivrai doncnotremariage.Autantlefaireentenue.

Jeretire lecouvre-chefensouriantetm’allongeàcôtéd’elle,suffisammentprèspourprotégernosdeuxcrânessouslecôtélepluslargeduchapeau.Dèsquej’airéussiàlepositionnercorrectement,jedéclare:

— Numéro six : si je meurs avant toi, je veux que tu fasses jouer « Dust in theWind » à mesfunérailles.

Ellelorgnedansmadirectionsanstropbougerpouréviterdefairetomberlechapeau.—Tutiensvraimentàrevenirlà-dessus?Tuessurlepointdemefairedétesterunsupermorceau,

Andrew.Jerisdoucement.—Jesais,maisj’aivuunépisodedeHighlanderoùsafemme,Tessa,meurt.Cettechansonfaisait

partiedelabandeoriginaleet,depuis,jen’arrêtepasd’ypenser.Ellesouritetlèvelamainpouressuyerlasueurquigouttesursonfront.—C’estpromis,dit-elle.Maispuisqu’onenparle,j’aimeraisajouterunseptièmepoint.Tuasdéjàvu

Ghost?Jeluijetteuncoupd’œil.—Ouais,biensûr.Commetoutlemonde.Sauflesmoinsdeseizeans.Ducoup,jesuissurprisquetu

connaisses.Jeluiadresseunebourradeamicale.Elleéclatederire.—C’estàcausedemamère,admet-elle.J’aidûvoirGhostetDirtyDancingaumoinsunecentaine

defois.ElleenpinçaitpourPatrickSwayze,etj’étaislaseulefilledanssonentourageàquiellepouvaitconfiercombienelleletrouvaitmignon.Bref,puisquetul’asvu…Numérosept:siquelqu’untetue,tuasintérêtàrevenirmevoircommeSampourm’aideràtrouvertonassassin.

Jepouffeensecouantlatête,faisantmalencontreusementchoirlechapeau.—Tuasunvraiproblèmeaveclesfilms.Peuimporte.Jeprometsderevenirtehanterjusqu’àlafin

detesjours.—Tuasintérêt!s’esclaffe-t-elle.Enplus,jesaisquejeferaipartiedecesgensquisontpersuadés

que leur bien-aimé rôde encore autour d’eux après la mort. Ça ne fera que me conforter dans monopinion.

J’ignoreencorecommentjepourraitenircettepromesse,maisjeferaiaumieux.—C’estjuré,àconditionquetuenfassesautant.—Commetoujours,réplique-t-elle.—Numérohuit:nem’enterrepasàunendroitoùilfaitfroid.—Entièrementd’accord.Pareilpourmoi!Elles’essuiedenouveaulevisageetjemeredresse,luitendantlamainpourl’aideràdescendredu

capot.—Viens,onvasemettreàl’intérieur,àl’abridusoleil.Deuxheuresplustard,ladépanneusen’esttoujourspaslàetlanuitcommenceàtomber.Nousallons

manifestementpouvoirregarderlesoleilsecouchersurledéserttexan.—J’enétaissûre,déclareCamryn.C’estquoi,cedélire,aveclesdépanneuses?C’est alors que des phares aveuglants apparaissent sur la route. Particulièrement soulagés, nous

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descendonsàlarencontredenotresauveur,etremarquonstousdeuxlamêmechoseenmêmetemps:cetypeestlesosiedeBillyFrank.Nouséchangeonsunregard,sansfairelemoindrecommentaire.

—Ilvousfautunerouedesecoursouundépannage?demande-t-ilenglissant lespoucessouslesbretellesdesasalopetteenjean.

—Justelaroue,réponds-jeenlesuivantàl’arrièredesoncamion.—Bon,j’aipastropletempsd’attendrequevousayezfinidelachanger,dit-ilencrachantsachique

ausol.Vousallezvousensortir?—Ouais,çavaaller,répliqué-je.Maisattendezuneseconde.Jelèveundoigtenl’air,puismepenchedanslavoiturepourdémarrer.Commelemoteurronronne

sansproblème,jecoupelecontactetretourneverslui.—Jevoulaisjusteêtresûrqu’ellefonctionnaitencore.Jepaielesosieetregardesesfeuxarrièredisparaîtreàl’horizon.Quandjeretourneverslavoiture,

jesuissurprisdevoirCamrynlasouleveràl’aideducric.—Ahouais,ça,c’estmameuf!Ellemesouritenpoursuivantsoneffort,satresseblondetombantsursonépaule.—Çan’est pas si difficile,medit-elle en faisant rouler la rouede secours après êtreparvenue à

retirerl’anciennetouteseule.Jecroisquejevaismemettreàbander.Non,enfait,jebandedéjà.—Non,pastantqueça,finis-jeparrépliquer,ungrandsourireauxlèvres.Quelquesminutesplustard,ellerabaisselavoitureetrangelesoutilsdanslecoffre.Jeramassela

rouecrevéeetlabalanceàl’intérieur.Nousnousinstallonsànosplacesetrestonslàsansriendire.Toutestsicalme.D’immensestraînéespourpresetrosâtreszèbrentlecielencombréàpertedevue

decirrusbleutés.Alorsquelatempératurecommenceàretomber,ladoucebriseannonciatricedelanuits’immisceparlesvitresouvertes.Lecoucherdesoleilestmagnifique.Honnêtement,jen’enavaisencorejamaisobservéunavecautantd’attention.Peut-êtreparcequejesuisenbonnecompagnie.

Je ne sais pas précisément ce qui vient de se passer entre nous, mais nous sommes en parfaitesymbiose.Elleleremarqueégalement.Jemetourneverselle.Ellesetourneversmoi.

—Prêteàrentrer,maintenant?demandé-je.—Ouais.Elle marque une pause, regarde par le pare-brise, perdue dans ses pensées. Puis elle pivote de

nouveauversmoi,plusrésoluequ’ilyaencorequelquessecondes.—Ouais,jecroisquejesuisprêteàrentreràlamaison.Ellesourit.Et pour la première fois depuis que j’ai quittéGalveston seul ce jour-là, oudepuis queCamryn a

grimpédanscecaràRaleigh,nousnoussentonsenfin…comblés.

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CAMRYN

J’IMAGINEQUENOUSAVONSVRAIMENTBOUCLÉLABOUCLE.MAIS JEDOISADMETTREQUE,MAINTENANTQUE nous sommes rentrés à Galveston après septmois de voyage, je ne suis plus dans lemême étatd’esprit.Cetendroitnem’inquièteplus, jen’aipluspeurquelarelationqu’Andrewetmoipartageonsprennefinsubitement.Jenem’attendsplusàcequ’unetragédiemédicalepointedenouveauleboutdesonhorriblenezsanscriergare.Jemesensbien,ici.Etalorsquenousnousgaronsdansleparkingdesarésidence,j’éprouveunecertaineformedesatisfaction.J’arrivemêmeàm’imaginervivreici.D’unautrecôté,j’arriveégalementàm’imaginervivreàRaleigh.Celasignifieprobablementquenoussommesprêtsànousinstaller.Aumoinspouruntemps.Jamaispourtoujours,commejel’aidéjàditàAndrew,maissuffisammentlongtempspournousremettredenotrelongpériple.

Andrewestd’accordavecmoi.—Ouais,dit-ilenrécupérantnossacssurlabanquettearrière.Tusaisquoi?Ilreposenosbagagesaumêmeendroitetm’observepar-dessusletoitdelavoiture.—Quoi?m’enquiers-jeaveccuriosité.Sesyeuxpétillentd’amusement.—Tuasraison,quandtudisnevouloirresternisurlaroutenidanslamêmevilleassezlongtemps

pournousenlasser.(Ilmarqueunepauseets’appuienonchalammentsurletoitdelavoiture.)Peut-êtrequ’onpourraitsecontenterdevoyagerpendantleprintempsoul’été,etprofiterdel’automneetdel’hiverpourvivrecheznousetparticiperauxfêtesdefamille;mamèreétaitunpeufâchéequenousnepassionsniNoëlniThanksgivingavecelle.

—Excellenteidée.D’autantplusqueçacraint,devoyagerquandilfaitfroid.Nous nous dévisageons ainsi pendant un longmoment, jusqu’à ce que j’interrompenos cogitations

silencieusesendéclarant:—Allez,prendslessacs.Onenparleraàl’intérieur.AllonsprendredesnouvellesdeGéorgie.— Elle va très bien, m’assure-t-il en se penchant de nouveau à l’intérieur. Ma mère l’a arrosée

régulièrement.Jemesaisisdesguitaresetdemonsacàmain.Quandnouspénétronsdansl’appartementd’Andrew,

je suisassailliepar lamêmeodeurque lorsdemapremièrevisite : celled’unappart inoccupé.Maiseffectivement,Géorgieestenpleinesanté.

Jem’écroulelittéralementsurlecanapé,épuisée,lesjambespendantpar-dessusl’accoudoir.—Laprochainefois,lanceAndrewenpassantderrièreledossier,nouspartironsloind’ici.

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Jel’entendsposersescléssurlecomptoirdelacuisine.Jemeredresseetinterroge:—Loincomment?Ilrevientdanslesalon,ungrandsourireauxlèvres.—L’Europe,l’AmériqueduSud…Tudisaisvouloirvisiterl’Italie,leBrésiletpleind’autrespays.

Jeproposequ’onenchoisisseun.Celameprocureun soudain regaind’énergie. Jeme lèvepour le considérer, tellement excitéepar

cetteperspectivequejepeineàconservermoncalme.—Vraiment?Ilacquiesce,toujoursavecunsourirejusqu’auxoreilles.—D’ailleurs, pour respecter la tradition, on pourrait écrire toutes nos destinations rêvées sur de

petitsboutsdepapieretentireruneausort.Jepousseuncri.Unvraipetitcri,bienaigu!Jejoinslesmainsàlaverticaledevantmapoitrine.—C’estuneidéegéniale,Andrew!Ils’installesur lecanapé,pose lespiedssur la tablebasse, lesgenouxpliés.Jesuis incapablede

m’asseoir.Jerestedoncdebout,àscrutersonvisagerayonnant.—Biensûr,nousdevonsd’abordmettredel’argentdecôté,tempère-t-il.Onenaencorepleinàla

banque,maisvoyageràl’étrangercoûteranécessairementpluscher.—J’aihâtedetrouverunboulot.(Cesimplecommentairesemblestimulermamémoire.)Andrew,tu

m’asdemandéunjourdetedireleplushonnêtementdumondeoùjevoudraisvivre.Celaretientimmédiatementsonattention.—Etlaréponseest…?J’yréfléchisunesecondeavantderépondre:—Pourl’instant,jediraisRaleigh,maissurtoutpourêtreàcôtédeNatalieetdemamère.Etaussi

parce que je sais que je pourrais facilement être embauchée là où travaille Natalie. Sa chef semblem’apprécier,etellem’aencouragéeàpostulerquandjevoulaiset…

Andrewm’interrompt.—Inutiledetejustifier.Il tendunbrasversmoi et jem’installe sur ses cuisses, face à lui. Jenem’étaismêmepas rendu

comptequejebafouillaistellementj’étaisnerveuse.Simplement,jenevoudraispasqu’ilsesenteobligéd’accepter.

Ilmesouritetcroiselesmainsderrièremondos.—Maseulequestionest:qu’est-cequetuentendspar«pourl’instant»?—Ehbien…c’estlàqueçadevientcompliqué,admets-je.Ilinclinelégèrementlatêtedecôté,m’observantd’unaircurieux,lesjouesàpeinecreuséesdeses

fossettes.Jefinisparajouter:—Jenecroispasqu’ondevraitdépensertoutnotreargentdansunemaison,caronn’yresterapas

éternellement. Et puis, si on faisait ça, on n’aurait plus de quoi voir venir si on allait en Europe ouailleurs,etlesboulotspayésausalaireminimumnenouspermettrontpasdemettrebeaucoupdecôté.

Ilm’adresseunregardencoin.—Attendsuneseconde.J’espèreque tun’aspas l’intentiond’aller t’installerchez tamère?Ona

besoind’intimité.Jeveuxpouvoirteretournersurlatablebassedèsquel’enviem’enprend.Jeglousseenresserrantparjeumescuissesautourdessiennes.—Tuasvraimentdesidéestordues!Etnon,jen’aicarrémentpasenviederetournerhabiterchezma

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mère.—Danscecas,situneveuxniacheternivivrechezelle,celaimpliquedeprendreunelocation,et

çacoûtetrèscher.Je suis soudain gênée, car le moment est venu de parler de l’argent d’Andrew comme s’il

m’appartenaitégalement,choseàlaquellejenemeferaisansdoutejamais.Jedétournelatête.—Tuterappellesquandtudisaisqu’onpourraitsetrouverunepetitemaisonquelquepart?—Ouais.Sesprunelless’illuminent,commes’ilsavaitdéjàcequejem’apprêteàdire.—Ehbien,onpourraitachetercashuneminusculebicoqueouunappartencopropriété,justedequoi

vivretouslesdeux…Jenesaispas,untrucpascher,maispropre,cequinouspermettraitdemettreunpeud’argentdecôtépournosvoyages.Onn’auraitpasde loyeràpayer, seulement les factureset lesdépensescourantes;etenbossantàgauche,àdroiteouenfaisantquelquesconcerts,onn’auraitmêmepasbesoindetaperdansnoséconomies.

Pourquoiarbore-t-illemêmesourirequelechatd’AliceaupaysdesMerveilles?!Jemesenssubitementrougiretjebaissehonteusementlesyeux.— Qu’est-ce qu’il y a de si drôle ? demandé-je en plaquant les mains contre son torse tout en

m’efforçantdenepasrire.—Riendutout.Jesuissimplementheureuxquetutesoisenfinrenducomptequecequiestàmoiest

àtoi.Ilresserresonétreinte.—N’importequoi,dis-jeentâchantdedissimulermesjouesempourprées,feignantd’êtreoffusquée.—Eh,dit-ilenmesecouantleshanches,nefaispasça.Vaauboutdel’idée.Aprèsunelonguepause,jereprends:—Et quandonpartira là oùnousmènera le petit bout de papier qu’on aura pioché auhasard, on

pourrademanderàNataliedegarder lamaison.Oumieux!m’exclamé-jeenpointantundoigtauciel.Quandonauraenfintrouvécepetitendroitpaisiblesurlaplagedontturêvestantetqu’ons’yinstallera,onpourrasoitvendrenotremaisondeRaleigh,soitlalouerpourseconstituerunepetiterente.Peut-êtremêmeàNatalieetBlake!

Jevoisbienqu’uneidéeluitrotteentête.Ilmesourittoujoursdoucementetnem’apasquittéedesyeux.Pourtant,ilrestetotalementsilencieux.Etquandilreprendenfinlaparole,c’estpourdéclarer:

—Ondiraitquetuyasbeaucoupréfléchi.Çat’apriscombiendetempspourélaborertoutça?Jenemerendscomptequemaintenantqueçafaitunbonmoment.Çadoit remonterau jouroùj’ai

commencéàpenserànotreavenir,quandj’aiofficiellementacceptélefaitquej’enavaisassezd’êtresurlarouteetquej’avaisenviedemeposerunpeu.

Andrewattendpatiemmentmaréponse,dardantsurmoileregardtendreetsongeurqu’ilm’accordechaquefoisqu’ilchercheàmerappelerquerienquejepuissedirenepourranuireàl’opinionqu’ilademoi.

—Sur l’autoroute,quandonaquittéMobile,avoué-je.Quandje t’aiditpour lapremièrefoisquej’aimeraisbienallerenItalie,enFranceetauBrésil.Quandjet’aiditquejenevoudraisjamaisresteréternellementaumêmeendroit.Depuiscesoir-là,j’aiessayédetrouverunesolutionquinouspermettraitdetoutcombiner.(Monregardseperd.)J’aitransgressélesrèglesettoutplanifié.

Ilsepencheenavantpourmeplanterunbaisersurleslèvres.—Ilestparfoisnécessairedelefaire,assure-t-il.Tuasbientravaillé.Tonplanestparfait.Puisilmeserrecontreluietm’embrasseavecpassion.

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Quandilmelibère,jel’étudieuninstant,luiprenantlevisageentremesmains.—Maisj’aienviedet’épouserici,ajouté-je.(Sesprunellesseremettentàpétiller.)Jenevoudrais

pasquetamèresesenteexclue,tuvoiscequejeveuxdire?C’estjusteàcausedeçaquejeculpabilisedevouloirretourneràRaleigh.Jemesensd’autantplusmalqu’elleaorganisécettefêteprénatalequin’a…

—Çaluiferaittrèsplaisir,m’affirme-t-ilpourinterrompremesdigressionsinutiles.Etàmoiaussi.Ilm’embrassedeplusbelle.

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33

ANDREW

JE N’AURAIS PAS PU RÊVER D’UNE JOURNÉE PLUS RÉUSSIE. LE TEMPS EST IDÉAL. NOUS N’AVONS RIENPRÉPARÉ pour lemariage, pourtant tout s’est goupillé parfaitement. J’ai appelémamère hier pour luidemanderdenousrejoindresurlaplagedel’îledeGalveston.Elleestarrivéeàl’heure,sanssedouterdelaraisondenotreinvitation.

Je lève lamainquand je l’aperçois, lui fais signedenous rejoindre, etdèsqu’ellenousvoit, ellecomprend.Sonvisages’illumined’ungrandsourireextrêmementcontagieux.

—Oh,vous!s’exclame-t-elleens’approchant.Jen’arrivepasàcroirequevousvoussoyezenfindécidés.Jesuissi…Jesuistellement…

Elleessuieleslarmesquiluiroulentsurlesjoues,pleurantetriantàlafois.Camryn, piedsnus et vêtuede cette robe ivoire vintagequ’elle a trouvée aumarché auxpuces, la

prenddanssesbrasetlaserrecontresoncœur.—Oh,Marna,nepleurezpas!lasupplie-t-elle,surtoutpournepassuccomberàsontour.—Est-cequ’onattendquelqu’und’autre?demandemamèrequandellearecouvrésesesprits.—Tuesnotreseuleinvitée,affirmé-jefièrement.—Ouais,préciseCamryn,iln’yaquevousetlerévérend.MamèrenouscontournepourallerembrasserlerévérendReed.Ellefaitpartiedesaparoissedepuis

neuf ans – elle a même essayé de m’y traîner une centaine de fois, mais je ne vais pas à l’église.Cependant,nulautrequeluin’étaitmieuxplacépournousmarier.

Ettandisqu’ilsetrouvedevantnoussurcetteplage,uneBibleuséeentrelesmains,àprononcersondiscourssolennel,jenevoisqueCamrynquim’étreintlespoignets.Labrisejoueavecquelquescheveuxaffranchis de cette tresse dorée que j’aime tant. J’adore aussi son sourire, ses yeux bleus, sa peau sidouce.J’aienviedel’embrassersansplusattendre.Jel’attireprèsdemoi.Leventseprenddanssarobe,laplaquantcontresasilhouettesvelte.Jeréprimeunsourirequandunemècherebelleluirentredanslabouche.Elletentedel’enchasserd’uncoupdelanguesanssefaireremarquer.

Sachantqu’elleneveutsurtoutpasinterromprelacérémonie,mêmepourunechoseaussifutile,jemecharged’écarterlescheveuximportuns.

J’ail’impressionquenoussommesseulsaumonde.Aumomentdeprononcernosvœux, j’ai consciencequenousn’avons rienécritnipréparé.Alors,

commeentouteoccasion,nousimprovisons.Jerefermemesmainssurlessiennesetdéclare:

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—Camryn,tueslamoitiémanquantedemonâme,et jet’aimerai jusqu’àlafindenosjours.Jeteprometsque,situm’oubliesunjour,jeteferailalecturecommeNoahàAllie.Jeteprometsque,quandnousseronsvieuxetperclusderhumatismes,nousneferonsjamaischambreàpart,etquesi tudevaismouriravantmoi,jeveilleraisàcequetusoisenterréedanscetterobe.JeteprometsdevenirtehantercommeSamahantéMolly.

Ellealeslarmesauxyeux.Jeluicaresselespaumesduboutdespouces.—Jeteprometsquenousnenousréveilleronsjamaisennousdemandantpourquoinousavonsgâché

nos vies à ne rien faire, et que quelles que soient les épreuves que nous aurons à affronter, je seraitoujoursprésentàtescôtés.Jeteprometsd’êtrespontané,debaisserlesondemamusiquequandtudorsetdetechanter«RaisinsInMyToast»quandtuserastriste.Jeteprometsdetoujourst’aimer,oùquenoussoyons,quoiquenousvivions.Cartuesmamoitié,etjesaisquejenepourraispasvivresanstoi.

Elle ne peut réprimer ses larmes plus longtemps. Il lui faut quelques instants pour reprendre lamaîtrisedesesémotions.

Puiselledéclare:—Andrew, je teprometsdene jamais te laisserbranchéàun respirateur,nide te laisser souffrir

quand je saurai au fonddemoi que ta vie est derrière toi. Je te promets que si tu étais un jour portédisparu,jene…jen’arrêteraisjamaisdetechercher.Jamais.(Celamefaitsourire.)Jeteprometsqu’àtamort,jem’assureraiqu’onentende«DustintheWind»àtesfunéraillesetqu’onnet’enterrepasdansunendroitfroid.Jeteprometsdetoujourstouttedire,mêmesij’aihonteousijemesenscoupable,etdetefaireconfiancequandtumedemanderasquelquechose,carjesaisquecen’estjamaissansraison.Jeteprometsd’êtretoujoursàtoncôtéetdenejamaisrientelaisseraffronterseul.Jeteprometsdetoujourst’aimer,danscetteviecommedans la suivante,car je saisque,mêmedans l’au-delà, je seraisperduesanstoi.

Lepasteursetourneversmoi:—AndrewParrish,voulez-vousprendreCamrynBennetticiprésentepourépouse,pouraujourd’hui

etàjamais,pourlemeilleuretpourlepire,danslarichessecommedanslapauvreté,l’aimeretlachérirjusqu’àcequelamortvoussépare?

—Jeleveux.Jeglissealorsàsonannulairel’alliancequej’avaisachetéeàChicago.Elleretientsonsouffle.Lepasteurs’adresseensuiteàCamryn:—CamrynBennett,voulez-vousprendreAndrewParrishiciprésentpourépoux,pouraujourd’huiet

àjamais,pourlemeilleuretpourlepire,danslarichessecommedanslapauvreté,l’aimeretlechérirjusqu’àcequelamortvoussépare?

—Jeleveux.Je lui tends enfin l’alliance que je lui ai également cachée jusqu’à ce jour, et elleme la passe au

doigt.LerévérendReedachèvelacérémonie,prononçantcessixmotstantattendus:—Jevousdéclaremarietfemme.Puisilm’autoriseàembrasserlamariée.Nousn’attendonsqueçadepuisledébutdelacélébration,

maismaintenantquenousavonsreçulefeuvert,nousnousperdonschacundanslesyeuxdel’autre,nouspercevant sousun journouveau,un jour infinimentplus lumineuxquecelui au coursduquelnousnoussommesrencontrésdanscecarauKansas.Quandmeslarmesmenacentdecouler,jelasoulèvedeterreetécrasemabouchecontrelasienne.Ellesanglotetoutenm’embrassant,etjelaserrecontremoi,achevantdefairedécollersespiedsnusdusolavantdelafairetournoyer.Mamèrepleuretoutesleslarmesdesoncorps.J’ail’impressionquejenecesseraijamaisplusdesourire.

Camrynestmonépouse.

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CAMRYN

JE VIENS DE DEVENIR CAMRYN PARRISH. JE N’ARRIVE PAS À ME REMETTRE DU FLOT D’ÉMOTIONS QUIM’ASSAILLE.Jepleuredejoie.Jesuisaussiexcitéequ’anxieuse.Jejetteunnouveaucoupd’œilàlabaguequ’ilm’apasséeaudoigt ; jesaisqu’elle luiacoûtéunefortune.Puis jecontemplelasienne,presqueidentiqueàlamienne,bienqueplusmasculine,et jenepeuxpasluienvouloird’avoirdépenséautantd’argent. C’est impossible. J’entends Marna sangloter derrière moi, et je ne peux m’empêcher deretournerl’embrasser.

—Bienvenuedanslafamille,medit-elled’unevoixchevrotante.—Merci.Jesèchemeslarmes,sanscesserdesourire.Andrewmepasseunbrasautourdelatailleetlerévérendvientnousrejoindre.LorsqueMarnaetlui

semettentàparlerdetoutetderien,Andrewetmoinouséloignonslégèrement.Ilnecessedemedévorerduregard,àtelpointquejemesensrougir.

—Qu’est-cequ’ilya?luidemandé-je.Ilsecouelatête,auxanges.—Jet’aime,dit-ilsimplement.Jeparviensinextremisàmeretenirdepleurerunefoisencore.—Jet’aimeaussi.Nouspassonsnotrelunedemieldansnotreappartement,à l’encontredetoutesles traditions.Mais

nousdésironsattendrenotrepremiervoyageàl’étrangerpourcélébrervraimentnosnoces.—Oùpenses-tuqu’onvaatterrir?medemande-t-il.Noussommesassisdehors,dansdeschaisesdejardin,unebièreàlamain;nousentendonsauloinun

groupejouerdelamusique,sansdoutesurlaplageouauparc.Jeboisunegorgéeavantderépondre:—Jenesaispas.Tuveuxqu’onparie?Andrewsefrottelalèvreinférieuredupouce.—Euh…Ilyréfléchit,prendunenouvellegorgéedebière,puisréplique:—Jecroisquelepremierpaysàsortirduchapeausera…leBrésil.—LeBrésil,vraiment?Pasmal.Maisj’endoute.J’aiplutôtlesentimentqueceserauntrucgenre

l’Italie.—Ahbon?—Ouais.Nousportonsenmêmetempsnotrebouteilleànoslèvres.—Tuasraison,ondevraitparier,consent-il.Safossettesecreusesursajouedroite.—OK,çamarche.

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—D’accord.Sic’estleBrésilquil’emporte,tudevrasm’accompagnersurlaplagedanslepluspurstyleRiodeJaneiro.

Ilarboreunsourirepleindemalice.Jemetsquelquessecondesàcomprendredequoiilparle,puisj’ensuisbéate.—Pasquestion!Ilricanediscrètement.—Jenemetrémousseraipasseinsnussuruneplagepublique!insisté-je.Ilbasculecarrémentlatêteenarrièreetéclatederire.—Non,jenepensepasqu’ellesfassenttoutesça,mabelle.Maisjevoudraisquetuportesl’unde

ces bikinis brésiliens.Pas unde ces trucs excessivement pudiquesque tu asmis enFloride.Tu as uncorpsàtomberparterre.

Ilavaleunedernièregorgéepuisreposesabouteillesurlatabledevantnous.Jeprendsletempsdepeserlepouretlecontreenmemordillantl’intérieurdelajoue.—D’accord,consens-je.Ilhochelatête,légèrementsurprisdemevoircédersifacilement.—Maissic’estl’Italie,reprends-jeavecunrictus,tudevrasmechanterunesérénadesurl’escalier

delaTrinité-des-Monts…enversionoriginale.Jecroiselesjambes.Jesaisquecedernierdétailvafairefrémirsonpetitcul.—Tudéconnes?Commentveux-tuquejefasseça?—Jenesaispas.Maissijegagne,tuvasdevoirtrouverunmoyend’yarriver.Ilsecouelatêteetpinceleslèvres.—Entendu.Marchéconclu.

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34

CAMRYN

Raleigh,CarolineduNord.Moisdejuin

—SURPRISE!S’EXCLAMENTPLUSIEURSVOIXQUANDJ’ENTREDANSNOTRENOUVELLEMAISON.Effectivementsurprise,jesursautelégèrementenportantlamainàmapoitrine.Natalieestpostéeau

beaumilieudelapièce,Blakeàsoncôté.MesamisduStarbuckssonttouslà,demêmequeSarah, lasœurdeBlake,quej’airencontréeilyaquinzejoursquandAndrewetmoisommesarrivésenville.

—Waouh,c’estenquelhonneur?m’étonné-je.Moncœurtambourineencore,carjedoisbienavouerqu’ilsm’ontflanquéunetrouillebleue.Jeme

tourneversAndrew.Jedevineàsonsourirequ’iln’estpasinnocentdansl’affaire.Natalie,quiarboredésormaisdesrefletsauburn,meprenddanssesbras.—C’esttafêteofficielledebienvenue.(Ellem’adresseunsourireaffectéetsetourneversAndrew.)

Àtonavis,pourquoijemesuiscomportéecommesijemefoutaisquetusoisrentrée,cesderniersjours?—Tunet’espasdutoutcomportéecommeça,contré-je.—D’accord,peut-êtrepasdefaçonflagrante,maisvoyons,Cam…tunet’espasditquejetecachais

quelquechose?Maintenantqu’elleenparle,jemesuiseffectivementposédesquestions.Ellesemblaitheureusede

mevoirrevenir,maispassubmergéedejoiecommeellesaitsibienl’être.Jem’étaisditqueBlakeavaitfinalementréussiàlacalmer.

JepivotefaceàAndrew.—Maisonn’amêmepasencoredemeubles!—Détrompe-toi!intervientNatalieenm’attrapantparlepoignet.Ellem’entraînedanslesalon,oùquelquespoufssemblentavoirétédisposésauhasard.Aumilieude

la pièce, quatre caisses de lait rouges sont réunies pour soutenir un gros morceau de bois plat,probablement censé faire office de table basse. L’électricité n’est pas encore raccordée, mais troisbougies éteintes se dressent dans des couvercles renversés de boîtes à biscuits, attendant que la nuittombed’iciquelquesheures.

Jerisdeboncœur.—J’adore!Etsionoubliaitlesmeublespoursecontenterdecestylerétrodépouillé?suggéré-jeà

Andrew.

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Ilsaitquejeplaisante,biensûr…Ilselaissetombersurlepoufleplusprocheetétendlesjambesdevantlui,vautrédansleconfortable

sacenvinyle.—Çapourraitlefaire,maisilmefautquandmêmeunlit.Jem’installe sur le coussinvoisin et trouveuneposition confortable.Les autresnous imitent, sauf

NatalieetBlake,quis’enretournentverslacuisine.Andrewetmoiavonsdégottécettepetitemaisoncinqjoursaprèsnotrearrivée.Voulantdégagerde

chezmamère aussi tôt que possible, il a passé des heures sur Internet ou le nez dans desmagazinesspécialisés,tandisquejemelacoulaisdoucepourmeremettredelalongueroutedepuisGalveston.Jel’ailaisségérerlesrecherchesquasimenttoutseul.Ilmemontraitdesphotos,etjeluidonnaismonavis.Maiscettemaisonestparfaite.C’estlatroisièmequenousavonsvisitée(etjenepensepasqu’ilaiteuuncoupdecœurdessusuniquementparcequ’ilasurprislemêmematinmamèreàmoitiénue,quipensaitquenousétionsdéjàpartispourlajournée).Ellefiguraitàunbonprixcarlesvendeurs,quiavaientdéjàdéménagédepuisquatremois,voulaients’endébarrasserauplusvite.Aufinal,nousl’avonspayéevingtmille dollars demoins que sa valeur véritable, en acceptant que les vendeurs ne s’occupent d’aucunstravauxavantdenouslaisserlesclés.Etcommenouspayionscash,toutestallétrèsvite.

Etàcompterd’aujourd’hui,nousensommesofficiellementlesnouveauxpropriétaires.Nous avons louéune remorque et rapporté des tas de choses deGalveston, y empilant tout ce qui

pouvait y tenir. Néanmoins, nous allons devoir y retourner bientôt pour récupérer nos meubles.Malheureusement,Andrewtientcoûtequecoûteàconserverlevieuxfauteuilpuantdesonpère,maisilapromisdelefairenettoyer.Etilaplutôtintérêtàs’ytenir!

Natalie et Blake viennent enfin nous rejoindre avec quatre bouteilles de bière chacun, qu’ilscommencentàdistribuer.

—Nonmerci,paspourmoi,décliné-je.MonrefusbrisemanifestementlecœurdeNatalie,quifaitressortirsalèvreinférieureetm’observe

avecdesyeuxdechienbattu.Elleporteuntee-shirtblancmoulantquimetbiensesseinsenvaleur.—J’aidécidédemepriverdebièrependantaumoinsunesemaine,Nat,déclaré-je.Ellefaitlamoue,puishausselesépaulesetlance:—Tantpis,çaenferapluspourmoi!AprèsavoirtendusabouteilleàAndrew,Blakesedirigeversleseulpoufencoredisponible,mais

Natalie s’y précipite avant lui. Il se vautre donc sur elle. Tandis qu’ils se chamaillent,Natalie laisseéchapperungloussementstrident,etjemetourneimmédiatementversAndrewpourobserversaréaction.

—Shenzi,chuchote-t-ilensecouantlatêteavantdeporterlabouteilleàseslèvres.Jerissouscape,maintenantquejesaispourquoiillasurnommeainsi.Peuaprèsqu’ill’aditpourla

premièrefois,j’aitapécenomsurGoogleetdécouvertqu’ils’agissaitdelaplusagressivedeshyènesduRoiLion.

—Bon,vousaviezpromisdemeracontervotreroad-trip,nousapostropheNatalie,désormaiscaléesurlepoufentrelesjambesdeBlake.

ToutlemondesetourneversAndrewetmoi.—Jet’enaidéjàparlé,Nat.—Ouais,maisànous,tunenousasriendit,intervientLea,monamiequitravailleauStarbucks.Alicia,sacollègue,ajoute:—J’aifaitunroad-tripunefoisavecmamèreetmonfrère,maisjesuissûrequeçan’avaitrienà

voiraveclevôtre.—Etpuisjenesaistoujourspascequis’estpasséenFloride,renchéritNatalie.

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ElleboitunegorgéedebièreavantdereposersabouteilleausoletdesecalercontrelesjambesdeBlake.Celui-cil’embrassedanslecou.

Jemecrispeàcettesimpleévocation,etcomprendstrèsvitequec’estparcequ’Andrewestleseulquirisqued’êtregênéparl’anecdote.Pendantuneseconde,jen’osemêmepasleregarder,tantj’aihonted’avoirmentionnécettesoirée-lààNatalie.Jeneluiailivréaucundétail,jeluiaisimplementexpliquéqu’ilnousétaitarrivéuntrucvraimenttordulà-bas.

Quandj’oseenfinmetournerversAndrew,jemerendscomptequ’ilnem’enveutpaslemoinsdumonde.Ilm’adresseunclind’œiletreposesabièreàsontour.

—LaFloride…,commence-t-il,àmagrandesurprise.Sansdoutelepiremomentdenotrevoyage,ainsiqueleplusétrange–etpourtant,ilyacertainspassagesquinem’ontpasdérangétantqueça.

J’ignoretotalementoùilvaenvenir.Toutlemondealesyeuxrivéssurlui,àprésent,surtoutNatalie,quienbavepresqueparanticipation.—Onarencontréungrouped’amisquinousontproposéd’allerfaire lafêteaveceuxsuruncoin

reculédelaplage.Onaaccepté.Etonapasséunbonmoment.Jusqu’àcequeçadeviennebizarre.—Bizarrecomment?l’interromptNatalie.—BizarregenreMDMA,oujenesaispastropquelleautresaloperie,répond-il.Natalieécarquillelesyeuxetmetancevertement.—TuasprisdelaMD?Putain,qu’est-cequinetournepasrond,cheztoi,Cam?Jesecouelatête.—Non,cen’étaitpasdutoutvolontaire.Onaétédrogués!Tousouvrentdésormaisdesyeuxrondscommedessoucoupes.—Ouais,enchaîneAndrew.Onn’estmêmepassûrsdecequ’ilsnousontfilé,maisonplanaittous

lesdeuxcomplètement.—Çam’estarrivé,unefois,intervientSarah,lapetitesœurdeBlake,quidoitavoirdix-huitans.Sonfrèreseredressesubitement,etNataliemanquedefairetombersabouteille.—Quoi?!s’exclame-t-il,fouderage.—Oh,tun’étaispasaucourant?répond-elled’untondoucereux,commesielledécouvraitqu’elle

avaitomisdeluifairepartdecedétail.Manifestement,mieuxvalaitqu’ilnel’aitpassuavant.—Ouille!gémitNatalieensetenantlabouche.—Désolé,luiditBlake.(Il l’embrasserapidementsurlajoueavantdeseretournerverssasœur.)

Putain,quit’afaitça,Sarah?Nememenspas,hein.Tuasintérêtàmeledire…Est-cequ’ilt’estarrivéquelquechose?

Ilsembleredouterlepire.Sarahlèvelesyeuxauciel.—Non,riendutout,parcequeKaylaétaitlà,etqu’ellem’aramenéeàlamaison.Etjenesaispas

quil’afait,Blake,alorspitié,arrêtedeflipper.(Puiselles’adressedenouveauànous.)Vousdisiez?—Jet’accompagne,mec,lanceAndrewàBlake.Situdécouvresquiafaitça,appelle-moi.C’estdu

grandn’importequoi.Jeluiassèneunlégercoupdecoude.Ilcomprendlesous-entenduetreprend:—Bref,laFlorideétaitunesacréeexpérience,maisjenesuispaspressédelaréitérer.Andrewneleurparlepasdel’espècedesalopequil’asucé.Cequim’arrange,carcelaauraitdonné

un tourbizarreà la conversation.Sansparlerdu faitqueNatalie aurait fait seschouxgrasd’une telleinformation.Nouscontinuonsàdiscuterpendantunlongmoment;vers20heures,Blakedoitramenersasœur. Natalie les accompagne évidemment et, bientôt, tous les autres suivent. Andrew et moi nous

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retrouvonsseulsdansnotretoutepremièremaisondejeunesmariés.Ilrevientdelacuisineavecunebougieàlamain,qu’ilestalléallumersurlacuisinière.Legazaété

branchéavantl’électricité.Ilpenchelaflammesurlesautresmèchespourlesembraseràleurtour.—Est-cequ’onvadormirparterre?luidemandé-je.—Nan,répond-ilens’éloignantdesbougies.Il rassemble les poufs au centre de la piècepour créer unmatelas de fortune, puis tapote sur l’un

d’euxduplatdelamain.—Çairapourcettenuit.Onauratoujoursmoinsmalaudosqueparterre.Jesouris.— Ça fait bizarre, pas vrai ? dis-je en contemplant les murs nus de notre maison, essayant de

déterminerquellesphotosouquelscadresytrouveraientlemieuxleurplace.—Quoi?Den’avoirnimeublesniélectricité?Tudevraisavoirl’habitude,ricane-t-il.Jem’écartedumurauqueljesuisadosséeetvaislerejoindresurnotrelitd’appoint.Jetendslamain

verslatableetplantemondoigtdanslacirechaudejusqu’àcequ’elleenépouselaforme.—Non,jeparledecettemaison.Denous.Detout,enfait.—Bizarredanslebonsensduterme,j’espère?—Biensûr,affirmé-jeavecunsourire.Unsilenceenvahitlapièce.Lalumièredesbougiesprojettedesombresdansantessurlesparois.Il

règneunevagueodeurdeJaveletd’autresdétergents.—Andrew,reprends-je.Mercid’avoiremménagéici.Ilfinitpars’asseoiràcôtédemoietnousobservonslesflammespendantunlongmoment.—Oùvoulais-tuquej’aille,sanstoi?réplique-t-il.—Tusaiscequejeveuxdire.Jetendslamainetlalaisseplanerau-dessusd’unebougie,larapprochantauplusprèsdelaflamme

pourvoirjusqu’àquelledistanceladouleurrestesupportable.—Jesais,admet-il,maisquandmême.Jeretiremamainetmetournevers lui ; la lueurorangéede labougieadoucitses traits,malgré la

barbedetroisjoursquicommenceàluirecouvrirlesjoues.—Camryn,j’aiquelquechoseàtedire.Moncœursefigesoudain,tantsontonmedéplaît.—Quoi…Commentçatuasquelquechoseàmedire?Jesuisextrêmementnerveuse,bienquej’ignorepourquoi.Andrewremontesesgenouxpouryposer sesavant-bras. Ilcontemple la flammependantquelques

secondesàpeine,quisemblentpourtantdurerbienpluslongtemps.—Andrew?Jemepositionnedefaçonàluifaireface.Jevoissapommed’Adamsesouleverquandildéglutit.Ilmeregardedroitdanslesyeux.—Jerecommenceàavoirdesmauxdetête,avoue-t-il.Monventreseserre.Jesuissurlepointdevomir.—Pas depuis longtemps, seulement depuis lundi.Mais j’ai pris un rendez-vous avec unmédecin

d’ici.C’esttamèrequimel’arecommandé.Jeladétestedem’avoircachéça.J’ailesmainsquitremblent.— Je lui ai demandé de ne rien te dire car je voulais que notre emménagement se déroule

tranquillement…—Tuauraisdûm’enparler.

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Ilchercheàm’attraperlamain,maisjelerepoussemalgrémoietmemetsdebout.—Pourquoim’as-tucachéça?!Jesuisprised’unvertige.Andrewselèveàsontour,gardantnéanmoinssesdistances.—Jeviensdeteledire.Jenevoulaispas…—Jem’enfous!Tuauraisdûm’enparler!Jecroiselesbrasetmepenchelégèrementenavant.Jesuissurpriseden’avoirpasencoredégueulé.

J’ailesnerfsàfleurdepeau,lemoindremouvementmeprovoqueunedécharge.Levisagedansmesmains,jefinisparéclaterensanglots.—Çan’estpaspossible…Putain,pourquoifaut-ilquecelarecommence?!L’instantsuivant,Andrewmeprenddéjàdanssesbras.Ilserremoncorpstremblantcontresapoitrine

etm’ymaintientfermement.—Çaneveutriendire,tempère-t-il.Honnêtement,çan’arienàvoiraveccequejeressentaisavant,

Camryn.J’aidesmauxdetête,oui,maiscenesontpluslesmêmes.Quand je parviens à contrôler suffisamment mes pleurs pour arriver à parler sans m’étouffer, je

redresselefrontpourl’observer.Ilmeprendlevisageentresesmainsetm’adresseunsourirehésitant.—Jesavaisqueturéagiraiscommeça,mabelle,ajoute-t-ild’unevoixneutre.Jeneveuxpastevoir

stresserpendantquatre jours, jusqu’àmon rendez-vousde lundi,dit-il en soutenantmon regard.Cenesontpluslesmêmes.Concentre-toilà-dessus,carc’estlavérité.

—Vraiment?Ouest-cequetudisçauniquementpouréviterquejenem’inquiète?Jesuisdéjàconvaincuequecettedeuxièmeoptionestlabonne.Jem’éloignedeluietcommenceà

tourner en rond,unemaindans le creuxdemoncoudeopposé, l’autre surmes lèvres. Jenepeuxpasm’arrêterdetrembler.

—Jenetemenspas,mepromet-il.Çavaaller.J’ailesentimentquecen’estriendegrave,tudoislecroireaussi.

Jefaisvolte-facepourl’affronterdenouveau.—Jeneveuxpasrevivreça,Andrew.J’ensuisincapable.Ilinclinelégèrementlatêtedecôté;ilarboreunairpensif,curieux,inquiet.Je sais qu’il attend que je développe, mais je n’y parviens pas. Mes mots ne feraient que le

bouleverserouleblesser.Etceneseraientquedesmots.Desmotsnésdelasouffranceetdelacolère,desmotsappartenantàcettepartiedemoiquivoudraitcoincerDieuentrequatre’z’yeux,ouquiquecesoit,ouquoiquecesoitquigèrenotreexistence,etluicracherd’allercramerenenfer.

Ilfautd’abordquejerecouvremoncalme.Quejeprennedureculetrespireunboncoup.C’estprécisémentcequejefais.—Camryn?—Tuvast’enremettre,luidis-jed’untonneutre.J’ensuissûre.Ils’approchedemoi,m’embrassesurlefrontetdéclare:—Moiaussi.

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ANDREW

CES QUATRE DERNIERS JOURS ONT ÉTÉ PARTICULIÈREMENT STRESSANTS.MÊME SI CAMRYN PRÉTENDAITqu’elle resterait positive et qu’elle ne se laisserait pas abattre, elle n’a pas été elle-même. Je l’aientendueàdeux reprises s’enfermerdans la salledebainspourpleureretvomir.Depuisque je luiaiparléduretourdemesmauxde tête jeudisoirdernier,ellearecommencéàagircommeelle lefaisaitavantquenousallionsrendrevisiteàAidanetMichelleàChicago:ellefeignaitdesourireetprétendaitéclaterde rirequand il sepassaitquelquechosededrôle.Ellen’était toutsimplementpaselle-même.Inquiet à son sujet, etme rappelant l’épisode des calmants après sa fausse couche, je lui ai demandécarrémentsielleétaitentraindeconnaîtreunnouveau«momentdefaiblesse».

Ellem’aaffirméquenon,etj’aiacceptédelacroire.Je sais cependant que la seule chose qui pourra l’apaiser cette fois sera deme voir sortir de cet

hôpitalavecunbilandesantépositif.Danslecascontraire…jepréfèrenepasypenser.Camrynadûm’attendredansunesallevoisinependantmonscanner.Jesaisqu’elleafaillisecrêper

lechignonavec l’infirmièreavantd’obtempérer.Etcomme ladernière fois, j’ai l’impressiond’être làdepuis des heures. Je commence àme sentir légèrement claustrophobe dans le tunnel que forme cettemachineimmenseetbruyante.Lemédecinm’aditderesterparfaitementimmobile.D’essayerdenepasbouger,souspeinededevoirtoutrecommencer.Inutilededirequejen’aipresquepasosérespirerdurantlesquinzeminutesquiontsuivi.

Àlafindel’examen,jeretiremesbouchonsd’oreilleetlesjettedanslapoubellelaplusproche.Camrynafaillicraquerquandl’infirmièrevenuemelibérernousainformésquenousn’aurionsaucun

résultatavantmercredi.—Vousplaisantez!s’est-elleexclaméeavechargne.Ellenousamaintesfoisobservésl’unetl’autre,espérantquenouspourrionsyfairequelquechose.J’aijetéuncoupd’œilàl’infirmière.—Iln’yapasmoyend’avoirlesrésultatsaujourd’hui?Comprenantàl’expressiondeCamrynqu’ellen’étaitpasdisposéeàpartir,elleafiniparsoupireret

déclarer:—Allezvousasseoirensalled’attente,jevaisvoirsiledocteurAdamspeutvousrecevoirtoutde

suite.Quatreheuresplustard,nousétionsinstallésdanssonbureau.

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—Jenevoisriend’anormal,a-t-ildéclaré.(LamaindeCamrynasoudainlibérélamiennedesonétreinte mortelle.) Mais étant donné votre dossier, mieux vaut que vous reveniez me consultermensuellement,enmerapportantlamoindreévolutiondansvotreétatdesanté.

—Maisvousavezditn’avoirrienvud’anormal,estintervenueCamrynenmeserrantdenouveaulamain.

— Effectivement. Je pense cependant que c’est dans l’intérêt d’Andrew. Par mesure de sécurité.Ainsi,siquoiquecesoitseprésente,nouspourronsletraiterauplustôt.

—Parceque,selonvous,quelquechosevaréapparaître?L’agacementnotablesurlevisagedudocteurm’adonnéenviederire,maisjemesuiscontentédeme

tournerversCamrynpourrépondre:—Non,cen’estpascequ’iladit.Calme-toi.Toutvabien.Tuvois,jesavaisqu’iln’yavaitriende

grave.Etdepuiscejour,jen’aicesséd’espérerluiavoirditlavérité.

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CAMRYN

Biendesmoisplustard…

ANDREWM’AÉCRITUNEAUTRELETTREDURANTNOTREPREMIERMOISDANSLAMAISON.J’AIDÛLALIREUNE centainede fois.Généralement,elleme faitpleurer,mais jemesurprends régulièrementà souriremalgrétout.Ilm’ademandédelarelirechaquesemaine,afindemarquerseptjoursdeplussansqueriennesesoitpassé.Etj’airespectécettepromesse.Habituellement, jem’yattelleledimanchesoir,aprèsqu’ils’estendormiprèsdemoidansnotrelitconjugal.Maisparfois,quandjesombreavantluidanslesommeil,jelasorsdulivreposésurlatabledechevetetlalisavantqu’ilseréveille.Etchaquefois,jeme tourne vers lui pour l’observer quand j’en ai terminé, et j’espère revivre cet instant la semainesuivante.

Andrewm’atoujoursépatée.Jesuisébahieparlafaçondontfonctionnesoncerveau.Ilestcapabledemeregardersansrienmedire,toutenmedonnantl’impressiond’êtrelapersonnelaplusimportantedumonde.Jesuisépoustoufléeparsacapacitéàresterpositif,mêmequandlavies’écrouleautourdelui.Etparsafacultéàfairebrillerunelueurd’espoirdanslesrecoinslesplussombresdemonesprit,mêmeàl’époqueoùj’étaispersuadéequejenesortiraisjamaisdutrou.

Bien sûr, il a connu des mauvais jours, ses propres « moments de faiblesse », mais jusqu’àaujourd’hui,jen’aijamaisrencontréquelqu’undesemblable.Etjesaisquecelan’arriverajamais.

Peut-êtrequ’aufondjesuisunepersonneextrêmementfaible.Peut-êtreque,sanslui,jeneseraispascellequejesuisdevenue.Parfois,ilm’arrivedemedemanderàquoiressembleraitmonexistencesijene l’avais pas rencontré, s’il ne m’avait pas protégée lors de ce voyage en car aussi dangereuxqu’imprudent que j’avais décidé d’entreprendre seule. J’ignore ce qu’il serait advenu demoi s’il nem’avait pas aimée suffisamment pour m’aider à surmonter mon moment de faiblesse. Je détestem’imaginersouscetangle,maisilfautparfoissavoiraffronterlaréalitéenface,comparercequesontleschosesetcequ’ellesseraientsitoutn’avaitdépenduquedenous.J’aipleinementconscienceque,sansAndrew,jeneseraispeut-êtrepluslàaujourd’hui.

Cesderniersmoisontététrèséprouvantspournousdeux,toutenétantsimultanémentpleinsdevie,d’excitation,d’amouretd’espoir.

La vie est une chosemystérieuse et souvent injuste. Toutefois, je pense avoir appris, en côtoyantAndrewauquotidien,qu’il luiarriveégalementd’êtremerveilleuseetque,biensouvent,quandlesortsembles’acharner,c’estquel’Existencelibèredel’espacepourd’autresévénementsàvenir,bienplus

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agréables.J’aimecroireencela.Celamedonnedelaforcequandj’enaileplusbesoin.Etc’estlecasencemoment.J’essaie de regarder l’horloge, perchée haut sur le mur blanc immaculé de la chambre, mais je

distingue à peine les petites aiguilles noires à travers mes yeux brumeux. J’aimerais savoir depuiscombiendetempsjesuisici.Jesuisfaibleetépuisée,tantphysiquementquementalement,etjen’enpeuxplus.Jeravalelaboulelogéedansmagorge;j’ailabouchesèchecommedupapierdeverre.Jelèvelamain pour essuyer une larme qui me roule sur la tempe. Une seule. En réalité, je n’ai pas beaucouppleuré.Parcequeladouleuraprécédemmentétésiinsupportablequ’ilnedoitpasmeresterbeaucoupdelarmes.

Jenevaispasyarriver.J’ail’impressionquejevaisabandonnerd’uninstantàl’autre.J’aienviededemanderàtoutlemondedesortirdemachambre,demelaisserseule,d’arrêterdemeregardercommesi mon âme avait besoin d’être sauvée. Pourtant, c’est le cas ! Putain oui ! Mais personne ici n’estcapabledem’apporterlesoutiennécessaire.

Tousmesmembressontgourds.Jenesensplusrien.Lesmursdel’hôpitalcommencentàserefermersurmoi,merendantquelquepeuclaustrophobe.En termesdedouleuretdechagrin, jeneressensplusrien.Jemedemandesicelareviendraunjour.

—Tudoisessayerdepousser,meconseilleAndrewenmetenantlamain.Jepivotebrusquementlatêteversluipourrétorquer:—Maisjenesenspasmonventre!Commentveux-tuquejepoussesijenemesenspaspousser?Toutcequej’arriveàexpulsersontcesmotscrachésàtraversmesdentsserrées.Ilmesouritetembrassemonfrontcouvertdesueur.—Vousallezyarriver,m’encourageledocteurBall,postéeentremesjambes.Jeserrefermementlespaupières,m’agrippeàlamaind’Andrewetpousse.Dumoins, jepense.Je

rouvrelesyeuxetm’autoriseàrespirer.—Est-cequej’aipoussé?Est-cequeçaavance?BonDieu,j’espèrenepaspéter!Putain,cequeceseraitgênant!—Tut’ensorstrèsbien,mabelle.Andrewsetournealorsversl’obstétricienne,dansl’expectative.—Encoredeuxoutroisfoispourraientsuffire,confirmecelle-ci.Saréponsenemeplaîtguère,etjelaisseéchapperunsoupirexaspérétoutenplaquantviolemmentma

têtecontrel’oreiller.—Essaieencore,mabelle,meditdoucementAndrew,sansjamaissedépartirdesoncalme.Pourtant,chaquefoisqu’iladresseuncoupd’œilaumédecin, jevoissonvisagesecrisperunpeu

plusd’angoisse.Jemeredresseunefoisencoreetessaiedepousser,mais,commed’habitude,jen’arrivepasàsavoir

sijelefaiseffectivementousij’enaisimplementl’impression.Andrewplaceunbrasdansmondospourmesoutenir,etjem’arc-boutepourpousserderechef,fermantsifortlesyeuxquej’ail’impressiondelesenfoncerdanslefonddemoncrâne.Jeretrousseleslèvresetserrelesdents.Jesuisennage.

Je laisse échapper un hurlement inintelligible en cessant mon effort, et je suis enfin capable derespirerdenouveau.

Puisjesensquelquechose.Waouh…Çan’estpasdeladouleur–lapériduralemel’aépargnée–,mais j’aivraiment senti lapressiondubébé.End’autres circonstances, j’aurais l’impressionque l’onm’afourréunobjetexcessivementvolumineuxdanslevagin.J’ouvredesyeuxdeplusenplusgrands.

—Latêteestsortie,annoncel’obstétricienne.J’entends alors un bruit de succion, tandis qu’elle nettoie sa petite gorge à l’aide d’une poire

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d’aspiration.Andrewaenviedevoir;iltendlecoutelleunetortuepourobtenirunmeilleurangle,sanstoutefois

quittermonchevet.—Encoreunpetiteffort,Camryn,m’encourageBall.Jepousseunefoisdeplus,avecdavantagedeconvictionmaintenantquejesaisquecelafonctionne.Lesépaulesémergent.Unedernièrepousséeetnotrebébéestné.—Bravo!meféliciteladoctoresseenluinettoyantdenouveaulagorge.Andrewm’embrassesurlajoueetsurlefront,puisrepousselescheveuxcolléssurmonvisageparla

sueur. Quelques secondes plus tard, les cris du bébé font naître dans la pièce nombre de sourires etd’exclamations. Je fondsen larmes,sanglotantsi fortquemoncorps toutentier tremblesous l’effetdel’émotion.

Puisl’obstétriciennedéclare:—C’estunefille.Andrewetmoinelaquittonspasdesyeux,tandisqu’onluidemandedecouperlecordon.Ilsefend

d’unlargesourireenallantfièrementeffectuercegestesymbolique.Ilnesemblepassavoirquidenotrebébéoudemoi ildoit regarder leplus. Je souriset reposema tête sur l’oreiller,àboutde forces. Jedistingueenfinlesaiguillesdel’horloge.Ellesm’indiquentqueletravailaduréplusdeseizeheures.

Jeressensdiversespressions,pousséesettractionsentremesjambes,tandisquelemédecinexécutecertaines opérations dont, en toute honnêteté, je ne tiens pas à connaître les détails. Je me contented’observerleplafondpendantquelquessecondes,revivantparflashscesneufderniersmois,jusqu’àcequej’entendenotrefillehurleràl’autreboutdelapièce;jeredressealorslatêtesivitequejemanquedemefaireuntraumatismecervical.

Andrew est debout près de l’une des infirmières, tandis que celle-ci s’affaire à la laver avant del’envelopperdansdescouvertures.Ilm’adresseuncoupd’œil.

—Elleatavoix,mabelle,déclare-t-ilensebouchantlesoreilles.Je lui souris et les contemple tous deux, tâchant d’oublier ce qui se passe entremes cuisses. Puis

Andrewvientmerejoindre.Ilm’embrassesurlaboucheetmurmure:—Tudégoulines.Ondiraitquetuviensdecourirunmarathon.Tun’aspasdemaquillage,tuesen

bloused’hôpital.Etpourtant,tuestrèsbelle.Etmalgrétoutça,ilparvientencoreàmefairerougir.Jelèveunemainéquipéed’uneintraveineuseetluicaresselajoueavantdel’attirerversmoi.—Onaréussi,chuchoté-jecontreseslèvres.Ilm’embrassederechef,puisl’infirmières’approchedenous,notrebébédanslesbras.—Quivoudraitlatenirenpremier?s’enquiert-elle.Andrewetmoinousconsultonssilencieusement,puisils’écarted’unpaspourqu’onmelaconfie.—Non,dis-je.Toid’abord.Après une courte hésitation, il capitule et tend les bras pour la prendre. L’infirmière l’installe

délicatement contre lui et prend un peu de recul pour s’assurer qu’il la tient comme il faut. Il sembled’abordprisd’unemaladresseenfantine,ayantsansdoutepeurdelalâcheroudeluifairemal,maisilsedétendrapidement.

—Elleestblonde,medit-il,rayonnant,sesyeuxvertspétillantdelarmes.Etenplus,elleapleindecheveux!

Jesuistoujourssifatiguéequejeneparviensàluiadresserqu’unmaigresourireenréponse.

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Andrewsepenchesurelle,effleuresespetitesjouesdureversdesesdoigts,l’embrassesurlefront.Aprèsquelquessecondes,ilmelaconfiepourlapremièrefois.Etàlasecondeoùjemeretrouvefaceàfaceavecmapetitefille,jecraquedenouveau.Meslarmessontsinombreusesqu’ellesmetroublentlavue.

—Elleestparfaite!m’exclamé-jesansdétournerlesyeux.J’ai presque peur de regarder ailleurs, craignant qu’une seconde d’inattention suffise à la faire

disparaîtreouàmeréveillerd’unmerveilleuxrêve.—Parfaite,répété-jeenposantunbaisersurleboutdesonnezminuscule.

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ANDREW

LA FAMILLEAUGRANDCOMPLET, DEMONCÔTÉ COMMEDE CELUI DECAMRYN – À L’EXCEPTION DE SONPÈREETdesonfrère–,patienteensalled’attente.Ilsignorentencores’ils’agitd’ungarçonoud’unefille.Camrynetmoin’avonspasvoululesavoirdurantlagrossesse.Nousvoulionsnousménagerlasurprise.Etcelaafonctionné.

Avant de laisser tout lemonde entrer les voir, je reste unmoment avec Camryn dans la chambreindividuelleoùl’onnousaemmenéspeuaprèslanaissance.Nousnesommesquetouslesdeux,attendantquelesinfirmièresnouslaramènentaprèsluiavoirapportélespremierssoins.Jeprendsnotrebébédansmesbrasquandl’uned’ellesvients’assurerquelebraceletqueCamrynporteaupoignetcorrespondbienàceluiindiquant«BébéParrish»accrochéàsaminusculecheville.J’yveilleégalementavantdelaisserl’aide-soignanterepartir.Etjelascrutedanslesmoindresdétails.Onn’estjamaistropprudent,etjetiensà être sûr et certain qu’ils nous ont bien rendu le bébé que nous leur avons confié.Mais son épaissechevelure blonde ne laisse pas la moindre place au doute, de même que son petit piaillement tropcraquantquimemetàsespieds.Siellepouvaitparler,j’obéiraissanshésiteràsesmoindrescaprices.Jeveuxunbiberon!Oui,m’dame!Change-moilacouche!C’estcommesic’étaitfait!Marchesurlepiedde cette infirmière qui m’a enveloppée comme un foutu burrito ! Tes désirs sont des ordres, petiteprincesse!

Camrynlamaintientcontresapoitrineletempsdelatétée.Elle s’est rendu compte qu’elle attendait un enfant la veille de notre emménagement.Mais elle ne

m’enapasparléavantquenoussortionsdechezledocteur,lelundisuivant.Ellem’aditqu’elleavaiteupeurdelefaire,toutcommej’avaisredoutédeluiavouerressentirdenouveauxmauxdetête.Aprèsça,nousavonslonguementdiscutédelafaçondontnousallionsenvisagerleschoses,cettefois.L’allaitementcomptait parmi ces nouvelles résolutions. Lors de sa première grossesse, elle n’était pas emballée àl’idée qu’un bébé lui suçote le sein, surtout quand il aurait été question de le nourrir en public. Àl’époque, j’étais en accord avec tous ses principes, n’essayant jamais de lui faire changer d’avis. Jen’avaisaucuneraisonvéritabledem’opposeràelle.

Maiscettefois,quandellearemislesujetsurlatable,elleadit:—Tusaisquoi,chéri?J’ailudestasdechosessurlagrossesseetlesbienfaitsdel’allaitement,etje

mefichedecequelesautrespensent:j’aienviedelefaire,etj’ail’impressionquec’estcequ’ilyademieuxpourlui.

—Alorstudevraisessayer,ai-jerépondu.

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Jem’assiedsprèsd’elle.Jesuiscontentqu’elleaitpriscettedécisionseule,sansquej’aieeubesoind’argumenter.Tantquejenememetspasàsécréterdulaitetqu’ellenemedemandepasdedonnerlesein,c’estellequichoisit.

—Ilparaîtquelaplupartdesbébésnaissentaveclesyeuxbleus,meditCamrynenregardantnotrefille,maisjecroisque,plustard,elleauratesyeuxverts.

Jecaresseduboutdudoigtlatêtedenotreenfant.—C’estpossible.Jenepeuxpasm’empêcherdelesadmirertouteslesdeux,mafemmemagnifiqueetmapetitefillesi

précieuse. J’ai l’impression de me retrouver dans un autre monde, plus lumineux que ce à quoi jem’attendais.Jenepensaispasaufonddemoi-mêmepouvoirêtreplusheureuxquejenel’étaisdéjàavecCamryn.Jen’imaginaispasquecelasoitpossible.

JecroisqueCamrynestencoresouslechoc.—Àquoitupenses?luidemandé-jesansmedépartirdemonsourirechaleureux.Sesyeuxfatiguéss’illuminentquandellelesposesurmoi.—Tuavaisraison,affirme-t-elle.Lebébéémetunpetitbruitdesuccion,silégerquejel’entendsàpeine,maisjemesurprendsàêtre

attentifaumoindredesesfaitsetgestes.—Tum’asditquejeneferaispasdefaussecouche,cettefois,poursuit-elle.Commetum’asditque

tatumeurnereviendraitpas.Tum’asaffirméquetoutiraitbien.Ettoutvapourlemieux.Elleobservenotrebébépendantquelquessecondes,lissantduboutdudoigtsonsourcilnaissant,puis

ellereportesonattentionsurmoi.—Mercidenet’êtrepastrompé.Jemelèvedemachaise,prendssonmentonetsajouedansmamain,etluisoulèvelégèrementlatête

afindepouvoirluidonnerunpetitbaisersurlabouche.Onfrappeunlégercoupàlaporte,quis’ouvrealorslentement.Mamèreapparaîtdansl’embrasure.—Entre,luidis-jeenluifaisantsignedenousrejoindre.Lebattantsurdimensionnéachèvedepivoter;tantdegenssesuccèdentdanslachambrequej’arrête

delescompteraprèsAidanetMichelle,enceintedecinqmois.Ilyabeaucoupd’embrassades, tout lemondemetapedansledostoutenessayantd’apercevoir le

bébé.—Félicitations,frangin,mecongratuleAidan.J’étaissûrquetuseraispapaavantmoi.IlcaressedoucementleventrerebondideMichelle.Ellelechasseenriantetluilancequ’ilaintérêt

àneplusjamaisremettresondoigtdanssonnombril.Puisellem’étreintàsontourets’approchedulit.—Onattendungarçon,m’annonceAidan.—Ahbon?C’estgénial!m’exclamé-je.Camryns’apprêteàréagiràsontour,maisMichelleladevance.—Onn’enestpassûrs,affirme-t-elle.Ilpensejustelesavoir.Camrynpartd’unrirelégeretréplique:—Crois-moi,si l’undesfrèresParrishdéclarequ’ilvaavoirunfilsouunefille,onpeut luifaire

confiance.—Trèsbien,onverra,concèdeMichelle,guèreconvaincue.Jeme tourne versmon frère ; j’ai déjà vu cet air confiant.Ouais, pas de doute, ils vont avoir un

garçon.—Oh,monDieu!entends-jedireNataliediscrètementdepuisuncoindelapièce,lacouvertureest

rose.Est-cequeçaveutdirecequejepense?

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Elleporteàses lèvressesdoigtsornésdebagues.Jesuissincèrementsurprisde lavoirsicalme.Blakesetientàsoncôté,aussisilencieuxqu’àsonhabitude.

Camrynm’interrogeduregard,etjehochelatêtepourdonnermonassentiment.Puiselledéclare,àl’intentiondetoutlemonde:

—Oui,c’estbienunefille.Touteslesfemmess’empressentalorsdetraverserlapiècepourrejoindrelelit.LamèredeCamryn

est lapremièreàvouloir laprendre ;Camrynrabatsa robedechambresursapoitrineavantde la luitendreavecprécaution.

—Oh,Camryn,elleestmagnifique!s’extasieNancy.Lescheveuxdécolorésdecettedernièresontramassésenunchignonausommetdesoncrâne.Safille

ahéritédesesyeuxbleus,unecouleurquileurvabienàl’unecommeàl’autre.—Elleestparfaite.Mapetite-fille…Lebeau-pèredeCamryn,Roger,sembleterrifié,deboutcontrelemur.J’ignoresic’estparcequece

genredesituationlemetmalàl’aise,ouparcequ’ilserendcomptequ’ilaépouséunegrand-mère.Jericaneintérieurement.

Asherestleprochainàvenirm’embrasser.—Siçaavaitétéungarçon,j’auraisredoutédevoirtonclone,courantdanstouslessenssansjamais

posersesfessesnullepart.Ilmesouritenmedécochantunebourradeamicale.—Ouais,faisgaffeàcequetudis,petitfrère,tuesleprochainsurlaliste.Etunmini-toiseraitaussi

terriblequ’unmini-moi.—Passûr.—Non, tuas raison, il fautd’abordavoirunecopinepourenarriver là.Tun’aspasà t’inquiéter

d’avoirdesgaminsdansl’immédiat.—Eh,j’aiunecopine!s’offusque-t-il.—Quiça?LaraCroft?Oul’unedesœuvresdeLuisRoyo?m’esclaffé-je.—Pff,n’importequoi!réplique-t-ilencroisantlesbras,l’airblasé.Je sais toutefois qu’il en faut plus pour lemettre en colère. Il s’inquiéterait pourmoi si je ne le

taquinaispas.—OncleAsher,dis-jepourmefairepardonnermalgrétout.Çasonnebien.Ilhochelatêted’unairpensif.—Ouais,jetrouveaussi.C’estdésormaisautourdemamèredeporternotrefille.Jenel’avaisencorejamaisvuesifière.Elle

n’arrêtepasdenousobservertouràtour,lebébéetmoi.—Elleatonnezetteslèvres,Andrew,affirme-t-elle.—EtlescheveuxetlavoixdeCamryn,souligné-je.Nataliese trouvedésormaisaupieddu lit ;ellene tientplusenplace,se tordant lesmainsdevant

elle.Mamère remarque combien il lui tarde de la tenir, et embrasse donc sa petite-fille pour la luipasser.

—J’espèrequetut’esbienlavélesmains,Nat,lanceCamryn.—Oui!réplique-t-elleavantdesedésintéressercomplètementdesonamiepourparlerànotrefille

endormie.Oh,tuesleplusjolibébédumonde.Plus l’excitationcroît,plussavoixs’élève.Elle se retourne finalementversCamrynetdéclare, le

plussérieusementdumonde:—J’enveuxunaussi!

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Blakeécarquille lesyeux ; jesuispresquesûrqu’ilamanquédes’étouffer.Quelques instantsplustard,jeconstatequ’ilestallés’adosseraumur,àcôtédeRoger.

NotrefilleatterritensuitedanslesbrasdeBrenda,latantedeCamryn,puisdansceuxdel’unedesescousines.AprèsqueMichellel’abercéependantquelquesminutesens’extasiantsursabeauté,ellefinitparlareposersurleventredesamère.Jem’assiedsdenouveauauprèsdeCamryn.

—Alors,vousavezchoisileprénom?nousdemandemamère.Camrynetmoinousconsidérons;nousavonslamêmeidéeentête.—Pasencore,répliqueCamrynsansrienajouter.Jesaisquejesuissansdouteleseuliciàm’enrendrecompte,maintenantquelaquestionduprénom

aétéposée:Camrynnepeuts’empêcherderepenseràLily.Ellelaisseunangepasseretembrassenotrefillesurlajoue,visiblementfièredesabelleréussite,endépitdudeuilencorerécent.

L’essentieldelafamillesedisperseavantlanuittombée,maisnosmèress’attardentpluslongtempsquelesautres,apprenantàseconnaître.C’estlapremièrefoisqu’ellesserencontrent.Ellesfinissentparpartirpeuavant19heures,alorsqu’uneinfirmièrevientprendredesnouvellesdeCamrynetdubébé.

Dèsquenousnousretrouvonsdenouveautouslestrois,j’éteinsleslumièressaufcelledelasalledebains. Notre fille dort à poings fermés dans les bras de sa maman. Je sais que Camryn est fatiguée,complètementépuisée,même,maisellenepeutserésoudreàposernotreenfantafindepouvoirrécupérerunpeu. Je lui ai proposéde la prendrepour lui permettre de se reposer,mais elle insiste pour resteréveillée.

Jelescontempletoutesdeuxl’espaced’unmomentdegrâce,puisjevaism’asseoirprèsd’elles,surleborddulit.

Camrynsetourneversmoi,puisreportesonattentionsurnotrepetitangeassoupi.—Lily,dis-jesimplement.Camrynmeregarde,confuse.Jehochelentementlatêtecommepourdire:«Oui,tuasbienentendu»,etj’effleuredenouveaule

crânedenotrebébé.—Tuterappellescequejet’aiditàChicago,lejouroùj’aitrouvélespilules?Ellefaitsignequenon.Cettefois-ci,c’estsonvisagequejecaresse,d’abordunejoue,puisl’autre.—Jet’aiditqueLilyn’étaittoutsimplementpasprête.Jemarqueunepause,puisajoutedansunsourire:—Unemêmeâmedansunautrecorps.LesprunellesdeCamrynsemettent àpétiller.Elle inclinedoucement la tête,medévisageantavec

étonnement.Puiselleconsidèrenotrebébé,etnerelèvelesyeuxqu’uneéternitéplustard.Elleaalorslesjouesbaignéesdelarmes.—Tucrois?medemande-t-elled’untonpleind’espoir.—Ouais.Ses pleurs redoublent, et elle étreint délicatement la petite Lily contre sa poitrine, la berçant

doucement.Puisellem’observedenouveauetacquiesceplusieursfois.—Lily,chuchote-t-elleenl’embrassantsurlesommetducrâne.Lematin suivant, jeme réveille dans la chaise à côté du lit deCamryn, où jeme suis endormi la

veilleausoir.J’entendssavoixentamerdoucementlesilencedelapièceet,commechaquefois,jefaismined’êtreendormitandisqu’ellerelitcettelettrequejeluiaiécriteilyadesmoisdecela.

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CAMRYN

CHÈRECAMRYN,Jesaisquetuaspeur.Jetementiraisent’affirmantêtremoi-mêmecomplètementrassuré,maisjesuisobligédecroireque,cettefois,toutirabien.Ettuverras,toutirabien.Nousavonsaffronté tantd’épreuvesensemble.Plusque laplupartdesgensensipeudetemps.Maisquoiqu’ilsoitadvenu,unechosen’ajamaischangé:noussommestoujoursensemble.Mêmelamortnepourraitpast’arracheràmoi.Rienquetupuissesfairenemedonnerait unemauvaise imagede toi. Il n’yapasunedroguequipourrait t’éloignerdemoi, ni te retourner contremoi. Je ne prends pas de gros risques en affirmant que noussommesindestructibles.Peut-êtrequetoutcequinousestarrivén’étaitqu’untest.Ouais,plusj’ypense,plusj’ensuis convaincu. De nombreuses personnes considèrent que le destin existe. Certainsobtiennenttoutcequ’ilsdésirentoutoutcedontilsontbesoinenunclaquementdedoigts,maisilsenabusent.D’autreslaissentpasserleuruniquechance,carilsn’ouvrentjamaislesyeuxassezlongtempspourserendrecomptequ’ellesetrouvejustesousleurnez,prêteàêtrecueillie.Mais toietmoi,mêmeavantnotrerencontre,avonsbravé l’impossibleenprenant des décisions sans écouter les avis extérieurs nous assurant, de tas de façonsdifférentes, que nous faisions n’importe quoi. Alors que, putain, nous nous sommescontentés de faire les choses à notremanière, même si cela pouvait sembler imprudent,complètement dingue ou non conventionnel. C’est comme si plus nous insistions et plusnous nous battions, plus les obstacles se durcissaient. Car nous devions prouver ce quenousvalionsvraiment.Etjesaisquenousysommesparvenus.Camryn, je veux que tu relises cette lettre une fois par semaine. Peu importe le jour oul’heure:lis-la.Chaquefoisquetul’ouvriras,jeveuxquetuconstatesquetuestoujoursenceinte,quejesuistoujoursenbonnesanté,quenoussommestoujoursensemble.Jeveuxquetunousimaginestouslestrois,toi,moietnotrefilsounotrefille,entraindedécouvrirl’Europeoul’AmériqueduSud.Imagine-le.Carnousallonsnousconformeràcetteimage.Jet’enfaisleserment.Tuestoutpourmoi,etjeveuxqueturestesforteetnelaissesjamaistescraintesdupasséentachernotremarcheversl’avenir.Toutirabien,cettefois,jetelejure.

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Fais-moiconfiance.Àlasemaineprochaine…Jet’aime,

AndrewJe lève le nez de la lettre, la posant sur le lit à mon côté sans la lâcher totalement. Lily est

profondémentendormiedanssonberceaudel’hôpital.Andrewadûfairepreuved’unegrandeforcedeconvictionpourquej’accepteenfindel’ymettreplutôtquedelagarderdansmesbrastoutelanuit.Jemesuistoutefoisréveilléedesmilliersdefoispourm’assurerqu’ellerespiraitencore.Etjevérifieunefoisdeplus.Jenepeuxpasm’enempêcher.Jeleferaisansdouteencorependantdesmois.

Jefinisparreplier la lettred’Andrewpour laénièmefois. Ilsupposesansdouteque jene la liraiplusmaintenantqueLilyestnée.Maisilsetrompe.Jen’aijamaiscessédelirelapremièrelettrequ’ilm’aécrite,maisill’ignore.J’aimonpetitjardinsecret.

—Tuesprêteàmettretoutescesdestinationsdansunchapeau?m’interroge-t-il.Jemedemandedepuiscombiendetempsilestréveillé.Jemetourneversluipourluisourire.—Attendonsquelquesmois.Ilhochelatêteetselève.—Commentas-tupudormirdanscetteposition?m’étonné-je.Tuauraisdûtemettresurlecanapé,

ajouté-jeendésignantlapetitebanquetteprèsdelafenêtre.Andrews’étire,puissefaitcraquerledosetlanuque.Ilnerépondpas.—Onvaenfinpouvoirrécupérertouslescadeauxdelafêteorganiséechezmamèreettoutinstaller

cheznous,reprends-je.Ilm’adresseunsourirenarquois.—Attends…Tul’asdéjàfait,c’estça?Ilcontinuesesétirements.—Techniquement,jen’ysuispourrien.Maishier,Natalie,Blakeettamèreonttoutdéménagédès

quenoussommespartispourl’hôpital.Jem’y étais toujours opposée durant la grossesse. Histoire de ne pasmettre la charrue avant les

bœufs,encasdenouvellefaussecouche.C’estégalementpourçaquej’airefusédeconnaîtrelesexedubébéavantlanaissance.Jenevoulaispasm’impliquerplusquederaison,contrairementàlapremièrefois.Jecraignaisqueçameportelapoisse.Andrewnepartageaitpastotalementmescraintes,maisiln’ajamaistentédemeconvaincred’agirdifféremment.

—Et,commetut’endoutes,ajoute-t-il,puisqueMichelleetmamèresontencoreenville,iln’yapasquecescadeauxquit’attendentàlamaison.

Lelendemain,quandAndrewm’ouvrelaportepourmepermettred’entrercheznousavecLilydans

lesbras,jemerendstoutdesuitecomptequ’ilnem’apasmenti.Lamaisonestrutilante.Jenel’auraisjamaissibiennettoyéemoi-même.Tandisquenoustraversonslesalonendirectionducouloir,jejetteuncoupd’œilàl’écoute-bébéposésurlatablebasse,àcetautresurlecomptoirdelacuisine,autroisièmebranchédanslasalledebainset,enfin,àl’émetteurquejedécouvredanslachambredeLily.

J’observelapièceavecdesyeuxrondscommedessoucoupes.—Waouh,Andrew,regardecequ’ellesontfait!Lilys’agitedansmesbras,sansdoutedemesentirtoutexcitée,maisellesecalmerapidement.Le lit de bébé est installé contre unmur.Un ravissantmobilemusicalWinnie l’Ourson plane au-

dessus.Unecommodeetunetableàlangerassortiesontprisplaceprèsdelafenêtre.Andrewouvreles

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tiroirs pour me montrer qu’ils sont remplis de vêtements, de gigoteuses, de bavoirs, de chaussettesminusculesetd’autresaccessoiresindispensables.Jedécouvredanslapenderiedesdizainesdepetitesrobesettenues.Ilyatantdepaquetsdecouchesprèsdelatableàlangerquej’ail’impressionquenousn’auronsjamaisàenacheternous-mêmes.Biensûr,jesaisqu’ilnes’agitlàqued’unvœupieux.

Andrewmefaitalorssignede lesuivredans lecouloir,où ilouvre leplacardprèsde lasalledebains. Celui-ci abrite un trotte-bébé flambant neuf, demême qu’une balancelle et qu’un étrange tapisd’éveil,tousencorerangésdansleurboîte.

—Jelesmonteraiquandelleseraenâge,dit-il.Maisçan’estpaspourtoutdesuite.—Tupensesquetuvast’ensortir?letaquiné-je.Ildresselementonetdéclare:—Sansmêmelirelesinstructions.Jerissilencieusement.Puisilmemènejusqu’ànotrechambre.Uncouffinblancestdisposéprèsdemoncôtédulit.—Jet’aiachetéça,fanfaronne-t-il.Jesaisquetuneseraspastoutdesuiteprêteàlalaisserdanssa

chambre,alorsjemesuisditquetuenauraisbesoin.Ilrougit.Jem’empressed’allerl’embrassersurlecoindelabouche.—Tuavaisraison,luiconfirmé-je.Merci.Lilyrecommenceàs’agiter,seréveillantcettefoispourdebon.Andrewmelaprenddesbras.—Jevaislachanger,déclare-t-il.Jem’allongesurlelitsanscesserdel’observer.Illacouchesurnotrematelasetretirelacouverture

danslaquelleelleestemmaillotée.Lescrislesplusmignons,maislespluspuissantsquisoientémergentdesespoumonsminuscules.Sespetitsbrasetjambesbattentrapidementl’air.Safiguretoutentièrevireàl’écarlate.Pourtant,Andrewnebronchepas.Etquandilouvresacouche,ilnesourcillepasnonplusendécouvrantlecadeauqu’elleluialaissé.Jedoisbienreconnaîtrequejesuissurprisedelafacilitéaveclaquelleiladéjàendossésonrôledepapa.

J’aireprisletravailàlaboutiquedeproduitsdebeautéaprèsmoncongématernité,maisseulementà

temps partiel. Ma patronne, Janelle, est géniale, et elle m’apprécie tant qu’elle m’a accordé uneaugmentation d’un dollar de l’heure quand elle a appris que j’étais enceinte. Seules Natalie et moitravaillons encore là-bas ; Nat est à temps plein et a même fait un certain nombre d’heuressupplémentaires, puisque je me suis arrêtée pendant six semaines. Mais ça ne la dérange pas : elleéconomisepouracheteràsontour.Blakeetellesemblentvraimentfaitsl’unpourl’autre,jemefaislaréflexionchaquefoisquejelesvoisensemble.Envérité,jenel’avaisencorejamaisvueaussiheureuse.Je pensais qu’elle l’était quand elle sortait avec Damon, mais je me rends compte aujourd’hui qu’ildevaitsimplements’agirdetoléranceetdepiètreestimedesoi.Blakeestdifférent.Jecroisquec’estdusolide.

Andrew a trouvé un job dans un garage auto trois semaines après notre emménagement. Sonexpérienceetsescompétencesluiontpermisd’obtenirunsalaireplusqu’honorable.Ilgagnebienmieuxsaviequemoi,mais ilessaiedemeréconforterenmerépétant :«C’estquedalleparrapportaufaitd’expulsernotrebébéparton…»Jel’interrompschaquefois.

Çan’étaitpasnécessaire,Andrew.Merciquandmême.J’ai l’impression que les crèches sont réservées aux plus riches. Honnêtement, je ne vois pas

commentunepersonnepayéeauSMICpeuts’offrirleluxed’unegarded’enfant.Toutesapaieiraitlà-dedans,çan’auraitaucunsens.Quoiqu’ilensoit,Andrewetmoisommesd’accordpournepasconfiernotre fille à des inconnus.Nous avons donc trouvé un compromis avec Janelle : je travaille à temps

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partiellesoir,quandAndrewestàlamaison,etunweek-endsurdeux.Nousn’avonsaucunmalà joindre lesdeuxboutsetnousdébrouillonscommedeschefs,commesi

nousavionsfaitçatoutenotrevie.Mêmesinoséconomiess’élèventàplusdecentmilledollars,celanenous empêche pas de mettre encore de l’argent de côté en ne dépensant que le strict minimum.Parallèlementànosactivitésquotidiennes,Andrewetmoidonnonsdesconcertsunsamedisurdeux,lessemainesoùjenetravaillepas,danslebarqueRob,lefrèredeBlake,aouvertenville.Ils’estpasséuntrucàL’Undergroundquil’acontraintàfermerl’établissement.Selonlarumeur,Robamêmeéchappédepeuàlaprison.Àmonavis,c’estparcequ’ilnepossédaitpaslalicencenécessaire.Aujourd’hui,Blakebossecommemanagerdanscenouveaubar,etilnousreverselamoitiédelarecettequandnousyjouons.C’estplusquenousnenoussommesjamaisfait,endehorsdechezAidan.Samedidernier,nousavonsempochéhuitcentsdollars.

Dequoialimenternosréservesenprévisiondeladestinationqueletirageausortnousindiquera.EtmêmesiAndrewdonnetoutàchaquereprésentation,commeill’atoujoursfait,jevoisbienquandnoussommessurscènequ’ilahâted’allerrécupérerLilychezmamère,ouchezquiconquealachancedeselavoirconfierpourquelquesheures.

AndrewestgénialavecLily.Ilm’étonnechaquejourunpeuplus.Ilse lèveaussisouventquemoipourchangersacoucheenpleinenuit,et resteparfoiséveillépourme tenircompagniependantque jel’allaite. Il lui arrive aussi d’avoir des réactions demec, il n’est donc pas complètementM. Parfait.Apparemment,iln’estpastotalementimmuniséauxcouchesimmondeset,pasplustardquecematin,jel’aivuprisd’unhaut-le-cœuraumomentdelachanger.Çam’afaitrire,maisjemesuissentietellementmalpourluiquejen’aipaspum’empêcherdeprendrelerelais.Ilaquittélapièceenseplaquantlecoldechemisesurlenezetlabouche.

Et… eh bien, je ne voudrais pas aller trop vite en besogne, mais j’ai l’impression que Lily asuffisammentattendriAndrewpourqu’ilcommencemêmeàapprécierNatalie.Justeunpeu.Jenesaispas,maischaque foisqu’elle laprenddanssesbraset la fait sourireen luiparlantavecsavolubilitéhabituelle, ça ne semble pas déranger Andrew. Lily a maintenant trois mois, et je ne me souvienshonnêtementpasdeladernièrefoisqu’ilatraitéNatdehyène,ouqu’ilm’aadresséunregardexaspérédanssondos.

Illuiarriveencoredesecrisperquandelles’autoproclamemarrainedeLily,mais…uneétapeaprèsl’autre.Ilfinirapars’yhabituer.

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ANDREW

9févrierPremieranniversairedeLily

—AIDANETMICHELLESONTLÀ!MECRIECAMRYNDEPUISLESALON.J’attacheledernierboutondelarobedeLilyetlaprendsparlamain.Ellen’aimepastropquandje

faisçaetsetortilleentoussenspourselibéreretm’attraperl’indexàlaplace.—Viens,monbébé,luidis-jeenlaregardant.OncleAidanettanteMichellesontvenustesouhaiter

unbonanniversaire.Jejureraisqu’ellecomprendtoutcequejeraconte.Ellemeserre ledoigtaussi fortqu’ellepeut,glousseet faitunpasdegéantenavant,commesi je

n’étaispasassezrapideàsongoût.Pliéendeux,jeprogresseàdemi-pasrapidesdanslecouloirpourluipermettre de courir sur ses petites jambes potelées. Alors qu’elle manque de tomber au moment detourner,jelarattrapeparlamainpourl’aideràrecouvrerl’équilibre.Elleafaitsespremierspasàdixmois.Ditsonpremiermot,«maman»,àsixmois.Àsept,elleadit«papa»,et j’aicarrémentfonduquandellem’aappeléainsipourlapremièrefois.

Camrynavaitraison:elleamesyeuxverts.—Lily!s’exclameMichelled’untonthéâtralens’accroupissantàsahauteurpourl’envelopperdans

ses grands bras. Oh, mon Dieu, que tu as grandi ! (Lily glousse de façon incontrôlable quand ellel’embrassesurlesjoues,surlefront,surlenez.)Miam,miam,miam,ajouteMichelleenfaisantminedeladévorer.

JemetourneversAidan,quitientmonneveudanssesbras.Jetendslesmainsverslui,maisAveryest timideet ilseblottitcontre lapoitrinedesonpère.Jereculed’unpas,espérantqu’ilnevapassemettreàpleurer.Aidantentedel’amadouer.

—Est-cequ’ilmarchedéjà?demandeCamrynenvenantseposterprèsdemoi.MichellesuitLilydanslesalon,oùnombredeballonsrosesetvioletsgonflésàl’héliumsontcollés

auplafond.QuandLilyserendcomptequ’ellenepeutpaslesattraper,ellecapituleetsedirigedroitverslapiledecadeauxquil’attendparterre.

AidanconfiedeuxpaquetsenveloppésàCamryn, etnousallons tous rejoindreMichelleetLilyausalon.Camryndéposelescadeauxaveclesautres.

—Ilessaie,répondAidanausujetdespremierspasdesonbambin.Ilarriveàavancerensetenant

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aucanapé,maisiln’apasencoreressentilebesoindelelâcher.—Bonsang,c’esttonportraitcraché,frangin!déclaré-je.Pauvregamin.Aidanm’auraitbalancéuncoupdepoings’ilavaiteulesmainslibres.—Ilestadorable,intervientCamrynentendantlesbrasverslui.Biensûrqu’ill’est,maisilfautbienquejememoqueunpeudemonfrère.Averyl’observed’abordcommesielleétaitfolle,puissevengedufaitquej’aieditdumaldeson

papaenacceptantsansproblèmed’alleravecCamryn.Aidanéclatederire.NancyetRoger,NatalieetBlake,Sarahetsonpetitami,quiadéjàeuunenfantavecuneex,arrivent

pratiquementtousenmêmetemps.Puisnosvoisins,MasonetLori,unjeunecoupleavecunpetitdedeuxans,débarquentavecdescadeauxpleinlesbras.Lily,toujoursentraindefrimer,poselesmainsetlatêtesurletapis,mettantenl’airsonpetitpopotincouvertdesacouche.Puisellefaitminedetomberetsefendd’un«Oh,oh»quandtoutlemondeéclatederire.

— Regardez-moi ces jolies boucles blondes, s’extasie Michelle. Est-ce que votre fille avait lescheveuxaussiclairs,quandelleétaitbébé?demande-t-elleàlamèredeCamryn,assiseàcôtéd’elle.

Nancyacquiesce.—Oui,exactementlesmêmes.Plus tard, quand tout le monde est enfin là, Lily reçoit l’autorisation d’ouvrir ses paquets ; et, à

l’instardesamaman,ellesemetàchanteretàdanser,sedonnantenspectacledevanttoutlemonde.Puis,quandvient l’heuredesoufflersabougie(pourêtrehonnête,heureusementquejesuis làpourl’aider),elleestàdeuxdoigtsdesenoyerdanslegâteauetleglaçagemauve.Elleenasurlescheveuxetsurlescils,etmêmedanslesnarines.Camrynessaieenvaindel’empêcherdefairetropdesalissures,maisellefinitparcapituleretlaisseLilys’amuser.

Celle-cis’écrouledefatiguebienavantledépartdesesderniersinvités.—Jecroisquec’estlebainquil’aachevée,mesouffleCamryntandisquenoussommestousdeux

penchéssursonlit.JeprendsCamrynparlamainetl’entraîneàmasuite,tirantlaportedeLilyensortant.Nousnousallongeonsensemblesurlecanapépourregarderunfilm,puisCamrynm’embrassesurles

lèvresetvaprendresadouche.J’éteinslatéléetobservelapièce.J’entendsl’eaucoulerdanslasalledebains,lesvoituresrouler

danslarue.Jerepenseàlaconversationquej’aieueavecmonpatronhier:commejetravailleavecluidepuispresquedeuxans,jevaisbientôtdisposerdedeuxsemainesdevacances.JesaiscependantquequinzejoursnesuffirontpaspouraccomplirlesprojetsqueCamrynetmoiavonsentête.Cettehistoiredetravailestleseulpointquenousn’ayonspasvraimentrégléquandils’agiradequitterRaleighpourunmois ou plus. Nous tenons tous les deux à notre boulot, et nous en sommes venus à la conclusionimparfaitededevoirfairecesacrificepourréalisernosrêvesdevoyagestoutenévitantdedevenirlesvictimesdecettehorribleroutinemonotonequinousterrifiel’unetl’autre.

Nous savons que nous ne garderons pas nos postes éternellement. Et, en vérité, c’est un peu leproblème.Mais j’ai réponduàmonbossque,oui, j’allaisavoirbesoindecescongésdans lesmoisàvenir.J’aidécidédenepasluiparlerdemadémissionavantd’avoirdiscutéavecCamryncesoir.

Jemelèveducanapé,vaischercherunbloc-notesdansletiroirdubureaudel’ordinateuretretournem’asseoiràlatabledelacuisine.JecommenceànoterlesnomsdesdifférentesdestinationsqueCamrynetmoiavonsdéjàévoquéesensemble:laFrance,l’Irlande,l’Écosse,leBrésil,laJamaïque…Bientôt,j’aiamasséunejoliepiledebandelettesaumilieudelatable.Alorsquejelespliel’uneaprèsl’autrepourlesjeterdanslechapeaudecowgirldeCamryn,jel’entendscouperl’eauàlasalledebains.

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Ellevientmerejoindredanslacuisine,sescheveuxmouilléscollésdanssondos.—Qu’est-cequetufais?demande-t-elle.Maiselleacomprisavantquej’aieeuletempsdeluirépondre.Elles’assiedàcôtédemoi.Etsourit.

C’esttrèsbonsigne.—Ondevraitpeut-êtrepartirenmaioujuin,suggéré-je.Ellesepasseunpeignedanslescheveuxtoutenconsidérantmaproposition.Puiselleleposesurla

table.—TupensesqueLilyestprête?s’enquiert-elle.J’acquiesce.—Ouais,jecroisbien.Ellemarche.Ons’étaitditqu’onattendraitqu’ellesachelefaire.Camrynhochelatêteàsontouretpoursuitsaréflexion,sansjamaissemblerdouter.—Ilfautl’habituertantqu’elleestjeune.Nous ne formons vraiment pas une famille traditionnelle. De nombreux parents rejetteraient par

principel’idéemêmedevoyageràl’étrangeravecunjeuneenfant.Pasnous.Jedoisbienreconnaîtrequetoutlemonden’estpasdansnotresituation,mais,pournous,c’estunbesoinvital.Naturellement,nousnebourlinguerons pas dans les mêmes conditions que lors de nos road-trips à travers les États-Unis.Conduiresansbutpendantdesheures,desjours,voiredessemainesavecunbébédanslavoituren’estpas envisageable –Lily détesterait ça.Non, il s’agira davantage de se poser dans une ville que nousavonsenviededécouvrirquedecourird’unendroitàl’autresansvéritableescale.Et,malheureusement,nousnepourronspasprendrelaChevelle.

Camryntirelechapeauverselleetplongelamainàl’intérieurpourbienmélanger.—Tuasmistousceuxdontonavaitparlé?m’interroge-t-elle.—Biensûr.Elleplisselesyeuxd’unairtaquin.—Tumens.—Quoi?Non,sérieux,jel’aifait.Ellemedonneunpetitcoupaumolletdesonpiednu.—Jenepeuxpastefaireconfiance,Andrew.Elleentreprenddesortirlesmorceauxdepapierpourleslireàvoixhauteavantdelesreposersurla

table.—Jamaïque.France.Irlande.Brésil.Bahamas.ÎlesVierges.Mexique.Ellelesempilelesunssurlesautres.Aprèsplusieursautrestirages,ellebranditledernierpapier,qu’elleserrefermemententresesdoigts.

Ellem’adresseungrognementsuspicieux.—Quelquechosemeditquecen’estpasécrit«Italie».Ellefaitdesonmieuxpournepassourire.Jenesaisvraimentpascommentj’aipuespérerm’entireràsiboncompte.Alors que jememords les joues pour conserver une expressionneutre, elle déplie lemorceaude

papieretlit:—Australie.Ellelereposeausommetdupetittasqu’elleaconstitué.—Jedevraistepunirpouravoiressayédetricher.Ellegrimaceetcroiselesbrasd’unairboudeur.—Oh,allez,dis-je,finalementincapabledegardermonsérieux.Aumoins,jen’aipasécritplusieurs

fois«Brésil».

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—Tuyaspensé,pasvrai?Jegrimaceenl’entendanthausserleton,etnousnoustournonstouslesdeuxverslecouloirmenantà

lachambredeLily.Camrynsepencheau-dessusdelatablepourmesifflerentresesdents:—Tantpispourtoi,tuespuni.Pasdesexependantunesemaine.Elles’enfoncesursachaiseetsouritd’unairsatisfait.Là,çan’estplusdrôledutout.Jeravalemafierté,hésiteuninstant,puisfinispardire:—Oh,allez,tuplaisantes,pasvrai?Tuaimesçaautantquemoi.—Biensûrqueoui,admet-elle.Maistun’asjamaisentendudirequelesfemmesavaientcettefaculté

incroyabledes’enpriverpluslongtempsqueleshommes?Jeprendraimonpiedtouteseule.—Tubluffes,affirmé-je,moyennementconvaincu.Elle secoue légèrement la tête ; la lueur dans ses prunelles indiquant qu’elle est on ne peut plus

sérieusemerendnerveux.—Commentcomptes-tuterattraper,sinon?Jeretrousselégèrementleslèvres.—Jeferaitoutcequetuveux.Jemarqueunepause,puisbrandisundoigtetajouteavantqu’ilsoittroptard:—…Tantqueçan’estnidégradant,nidégoûtant,niinjuste.Lesourirejusqu’auxoreilles,elleselèvelentementdesachaise.Jescrutechacundesesmouvements

avec laplusgrandeattention, redoutantde laisseréchapperquelquechose.Elleglisse lespoucessousl’élastiquedesaculotteetmeprovoqueenfaisantminedelaretirer.

C’estpasvrai…sansdéconner?Elleappelleçaunepunition?Jetentedereprendremonsang-froid,defairecommesisongesten’avaiteuaucuneffetsurmoialors

que,envérité,jesuisdanstousmesétats.Elles’éloignedemoi.—Oùtuvas?demandé-je.—Prendremonpied.—Hein?—Tuasbienentendu.D’accord,mais…çan’étaitpascensésepassercommeça.—Mais…quelleestmapunition?Elles’arrêteassezlongtempspourm’adresseruncoupd’œilencoin.—Tudoismeregarder.—Attends…quoi?Jecommenceàlasuivre.Quellevilainepetitesorcière.Elle se dirige vers le salon et s’allonge sur le canapé, une tête sur l’accoudoir, une jambe sur le

dossier.Vilaine,vilainesorcière!Ellemedécocheunregardtorride,etc’enesttroppourmoi;àlasecondeoùsesyeuxcroisentles

miens,jemeplaceàcalifourchonsurelleetécrasemabouchecontrelasienne.—Alorslà,pasquestion,mabelle,chuchoté-jecontreseslèvresavantdel’embrasserencoreplus

voracement.Ellem’attrapeparlachemise,mêlepassionnémentsalangueàlamienne.PuisLilysemetàpleurer.

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Jemefige.Camrynaussi.Nousnousobservonsuninstant,aussifrustrésl’unquel’autre,maissanspouvoirnousempêcherdesourire.Lilyalesommeilprofondetneseréveillepresquepluslanuit,maissontimingdecesoirnemesurprendpas.

—Jem’enoccupe,cettefois,meditCamrynenserelevant.Jemerelèveaussitôt,mefrottantlecrâneduplatdelamain.Après qu’elle a disparu au bout du couloir, je me réinstalle à la table de la cuisine et griffonne

« Italie» surunmorceaudepapier. Je leglissedans lechapeau,puis replie tous lesautreseten faisautantaveceux.

Quelques minutes plus tard, Camryn a réussi à rendormir Lily et la maison est de nouveaucomplètementsilencieuse.Ellevientserasseoiràcôtédemoi,croisantsesjambesnuessoussesfesses.Elle pose un coude sur la table, enfonce sonmenton dans sa paume etme contemple avec un sourirechaleureux;ellesembleavoiruneidéederrièrelatête.

—Andrew,dit-elle,tupensesvraimentquel’onpeutfaireça?—Fairequoi,exactement?Elleposesonautrecoudesurlatableetsetordlesdoigtsavecnervosité.—VoyageravecLily.Jemarqueunepauseetm’appuiecontremondossier.—Ouais,jepensequeçapeutlefaire.Pastoi?Sonsourirefaiblit.—Camryn,tun’asplusenviedevoyager?Ellesecouelatête.—Non,cen’estpasçadu tout.Mais j’ai superpeur. Jeneconnaispersonnequiait tentépareille

expérience.C’estplutôteffrayant.Etsionsefaisaitdesfilms?Ilyasansdouteuneraison,silesgensnormauxnefontpascegenredechose.

Jesuisd’abordinquiet.Jeredouteaufonddemoiqu’elleaitréellementchangéd’avis,etmêmesijemeplieraisévidemmentàsesdésirs,jesaisque,quelquepart,jeseraisunpeudéçu.

Jemeredresseetposeàmontourlesbrassur la table,adoptantsaposition.Monregards’adoucitquandjeleposesurelle.

—Jesaisqu’onpeutlefaire.Tantquec’estcequel’onveuttouslesdeux,tantqu’onnelefaitpaspourfaireplaisiràl’autre,alorsoui,Camryn,jesaisqu’onpeutlefaire.Onpeutselepermettre.Lilyn’irapasàl’écoleavantplusieursannées.Riennenousretient.

—Est-cevraimentceque tudésires?Tumeprometsque tuneveuxpas le faireuniquementpourmoi?

Jesecouelatête.—Non.Etmêmesijenelesouhaitaispasautantquetoi,jeleferaisquandmêmeparcequec’estce

quetuveux.Maisoui,j’enaitrèsenvie.Sonfaiblesourires’étirelégèrement.—Ettuasraison,poursuis-je.Àmoiaussi,çamefaitpeur.Ceseraitbeaucoupmoinsflippantsinous

n’étionsquetouslesdeux,mais…voisleschosesautrement:sionnelefaitpas,alorsquoi?Elledétournelechefpouryréfléchir,puishausselesépaulesetdéclare:—Alorsonpourraittravailleretélevernosenfantsici,j’imagine.—Exactement.Cettecraintefaittouteladifférenceentreeuxetnous.Jefaisungesteversl’extérieurenprononçantce«eux»,pourenglobertouscesgensauxquelsnous

voulonséviterderessembler.Camrynlecomprendparfaitement,jelevoissursonvisage.Etjen’entendspasparlàqueceuxquichoisissentdepasserleurvieaumêmeendroitpouryfonderunefamilleonttort.

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Nousnevoulonssimplementpasfairepartiedeceuxquidésirent,quirêventd’autrechose,dequelquechosedeplusgrand,maisquinevontjamaisauboutdel’idéecarilssonttétanisésparlapeur.

—Maisqu’est-cequ’onvafaire?medemande-t-elle.—Cequ’onveut,affirmé-je.Tulesaisbien.—Ouais,maisjeparledeplustard.Danscinqoudixans,qu’est-cequ’onvafairedenosvies?de

celledeLily?Mêmesij’adorel’idéedevoyagertoutenotreexistence,celanemesemblepasdutoutréaliste.Onfiniraparmanquerd’argent.IlfaudrabienqueLilyailleàl’écoleunjouroul’autre.Etalors,onatterriraici,etondeviendracommeeuxdetoutefaçon.

Jesecouedenouveaulatêteetsouris.—Çafaitpartiedespeursetdesexcusesauxquellesnousnedevonspascéder,mabelle.Tout ira

bienpournous.Tout irabienpourLily.Onva faire leschosesànotremanière, aller làoùonvoudraaller,profiterdelavieetnejamaisselaisseralleràcetteroutinequenousredoutonstouslesdeux.Etdanslepiredescas,lejouroùoncommenceraàmanquerd’argent,sionnetrouvepasdetravailetqueLilydoitalleràl’école,sil’onestobligésdes’installerquelquepartpourdulongterme,mêmesic’estici,alorsnousleferons.Maispourl’heure(jemartèlelatabledemonindexpourinsistersurcepoint),nousn’avonspasànouseninquiéter.

Ellesourit.—D’accord.C’étaitjustepourêtresûre.Jehochelatêteettendslamainverslechapeaupourlerapprocherd’elle.—Tupiochesenpremier,décrété-je.Elleplongesamainàl’intérieur,maiss’immobiliseetmescruted’unairaccusateur.—Est-cequetuasajoutél’Italie?—Oui.Promis.Sachantcettefoisquejeluidislavérité,ellefaitdisparaîtresesdoigtsdanslechapeauetcommence

àmélangerlesmorceauxdepapier.Elleensortun,qu’elledissimuleàl’intérieurdesonpoingserré.—Ehbien,qu’est-cequetuattends?Ellemeglisselepapierdanslapaumeetréplique:—Jeveuxquecesoittoiquilises.J’accepte et déplie précautionneusement le papier. Je l’examine d’abord silencieusement, nous

imaginanttouslestroisenvoyagelà-bas.J’étaissiconcentrésurlefaitdegagnermonpariavecleBrésilquejen’avaisjamaisréellementenvisagélesautresdestinations.Maintenantquej’aiperdu,celadevientbeaucoupplussimple.

—Alors?s’impatiente-t-elle.Jesourisetretournelemorceaudepapiersurlatable.—Jamaïque,annoncé-je.Ondiraitquenousavonstouslesdeuxperdu.Ellesefendd’unlargesourire.Cesquelqueslettresrévéléesdevantnousreprésententbienplusqu’un

peud’encresurdupapier.Ellessymbolisentlecommencementdurestedenotreviecommune.

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CAMRYN

ETQUELLEVIEMERVEILLEUSEETFORMIDABLECELAS’ESTRÉVÉLÉÊTRE!Jemesouvienscommesic’étaithierdecejourdeprintempsoùnousavonsdécollépourlaJamaïque.

Lily portait une robe jaune et deux barrettes à fleur dans les cheveux. Elle n’a pas pleuré ni ne s’estimpatientée lors du voyage pourMontego Bay. Un vrai petit ange. Et quand nous avons atteint cettepremière destination, à l’instant où nous sommes descendus d’avion et avons posé le pied sur ce solétranger,toutnousestapparusubitementréel.

C’estalorsqu’Andrewetmoisommesdevenusdifférents.Maisj’yreviendraiplustard.C’étaitilyafortlongtemps,etjepréfèrecommencerparlecommencement.Durantlesdeuxmoisquiontprécédél’embarquementàborddecetavion,jen’aipascesséd’avoir

peur.Mêmesijecrevaisd’enviedelefaire,sijemerépétaisrégulièrementqu’Andrewavaitraisonetquejen’avaispasàm’inquiéter,jem’inquiétaissansarrêt,naturellement.Tantetsibienque,deuxjoursavantlegranddépart,j’aifaillifairemachinearrière.

J’aialorsrepenséànotrepremierroad-tripensemble,quandilm’avaitfaitfourrersesvêtementsdansunsac:

—Alors?Oncommenceparalleroù? avais-jedemandé enpliant proprement la chemise sur lesommetdelapile.

Ilfarfouillaitencoredanssonarmoire.—Non,non,m’avait-illancédel’intérieurd’unevoixétouffée.Pasdeplans,Camryn.Onprendla

bagnoleetonroule.Sanscarte,nirien…Ilétaitalorsressortiduplacardetavaitreprisd’untimbreplusclair:—Qu’est-cequetufabriques?J’avaisrelevélatête,ladeuxièmechemisedéjààmoitiépliée.—Jerangetesaffaires.J’avaisalorsentenduunbruitsourdlorsqu’ilavaitlâchésesbasketsnoiresavantdesedirigervers

moi.Là,ilm’avaittoiséeavecunairréprobateuretm’avaitprislachemisedesmains.—Net’embêtepas,mabelle.Contente-toidelesfourreràl’intérieur.Unéchangeapparemmentsansimportance,quipourtantm’avaitdonnélecouragedemonterdanscet

avion.Jesavaisque,sijerestais,sijecontinuaisàtropyréfléchir,jefiniraisparmelaisserenvahirparlapeur,etqu’ellenecesseraitdèslorsdecontrôlermavie.Notrevie.

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Etàprésent,chaquefoisquejepenseaupassé,laseulechosequim’effraieestdemedirequenoussommespassésàdeuxdoigtsdevivrelerestedenotreexistenceenCarolineduNord.

Noussommesrestés troissemainesenJamaïque,etavons tellementappréciénotreséjourquenousn’avionsaucuneenvied’enrepartir.Noussavionsnéanmoinsquenousavionsencore tellementàfaire,tantd’endroitsàvisiter.Ainsi,unsoir,aprèsavoirfaitconnaissanceavecdesgensducoinsurlaplage,Andrewaplongé lamaindans le sac–nousavions remplacé lechapeaudecowgirlparun sachet enveloursautrementplusfacileàtransporter–ettiréleJapon.Del’autrecôtédel’océan…

Nousnenousétionspasdutoutpréparésàcela.Inutilededirequecelaasonnéleglasdenotregrandetomboladuvoyage!Nousnoussommesplutôt

décidésàchoisirladestinationsuivanteenfonctiondenotrelocalisationactuelle:leVenezuela,Panama,lePérouet,enfin,leBrésil.Nousavonstoutvisité.Notrepluslongséjouraumêmeendroit,deuxmois,aeulieuàTemuco,auChili.Nousfaisionsbiensûrensorted’éviterlesendroitslesplusdangereuxpourles voyageurs, les villes et les pays caractérisés par un contexte politique instable. Partout où nousallions,nousnoussurprenionsànousassocierdeplusenplusfacilementàchaqueculture.Àmangerlanourriture et à participer aux célébrations locales.À apprendre de nouvelles langues. Bien que, pourl’essentiel,nousn’ayonsretenuquequelquesphrases.

Etcommeprévu,noussommesrentrésaupayspourlesvacances.NousavonspasséThanksgivingàRaleigh. Noël à Galveston. LeNouvel An à Chicago. Et, bien sûr, le deuxième anniversaire de Lily,égalementàRaleigh.Nousenavonsprofitépourl’emmenerchezlemédecin,pourunbilancompletetlerappeldesvaccins.Etoui,Andrewestégalementallévoirledocteuret,commesafille,ilétaitenpleinesanté.

Juste avant le printemps, il a accepté de louer notre maison à Natalie et Blake. Ça tombaitparfaitementbien,àvraidire. Ilscherchaientàdéménager,celanousprocuraitunepetiterente,etcelanousévitaitdepayerdesfacturesinutiles.Nousdisposionstoujoursd’unesommerondeletteenbanque,maisnotremodedeviel’avaitconsidérablemententamée.Peuàpeu,nousavonstoutefoisapprislestrucset astuces relatifs aux voyages à l’étranger, et nous nous sommes de plus en plus tournés vers lesauberges,leshôtelsbonmarchéoudesmaisonsdevacancesmoinschèresencore.Nousnerecherchionspasleluxe,justeunendroitsûretproprepourLily.

Cependant,cequinousasansdoutepermisderéaliserlesplusgrosseséconomiesétaitdenejamaisvoyagercommedestouristes.Nousn’achetionsnisouvenirsniquoiquecesoitd’inutile.Nousévitionslesvisitesguidéesetnedépensionspasnosdollarscommen’importequelvacancierayantbudgétésonséjour.Nousn’achetionsquelestrictnécessaire,mêmesinousnousfaisionsparfoisplaisiravecunbonrepasouunnouveaujouetpourLily,quandellefinissaitparselasserdusien.

Ilnousarrivaitégalementdedonnerunconcertdetempsàautreafindeglanerquelquecachet,mais,avecLily,nousnepouvionsjamaismontersurscèneenmêmetemps.Commenousn’osionspaslalaisseràquelqu’un, ne serait-cequepourquelquesminutes, j’aimême fini par arrêter complètement, laissantAndrewchanterens’accompagnantdesaguitareacoustique.Maisilafiniparlaissertomberluiaussi:autres pays, autres styles musicaux, langues radicalement différentes. Nous voyions bien que nosmorceauxnefonctionnaientpasaussibienqu’auxÉtats-Unis.

QuelquesmoisaprèsledeuxièmeanniversairedeLily,Andrewetmoiavonsdécidéqu’ilétaittempsderepartir.Nousvoulionsenprofiterautantquepossibleavantdedevoirnousinstallerpourinscrirelapetiteàl’école.Etj’étaisprêteàdécouvrirl’Europe.Ainsi,àl’approchedel’été,nousavonsjeténotredévolusurlePortugal.

Andrewetmoiavons«grandi»quandnoussommesdescendusdecetavionenJamaïque.Voilàceque j’entendais en disant que nous étions devenus différents. Bien sûr, Lily nous a également fait

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beaucoupmûrirenvenantaumonde,maisendescendantdecetavionetensentantcettebrisesurmonvisage,j’aienfindécouvertquel’airn’étaitpaslemêmeàl’étranger;etnoussavionsquenousvivionscetteexpériencepourdebon.Nousétions loindecheznousavecnotre fille,etmêmesinousn’avonscessédepuiscejourdeprofiterdel’existence,nousn’avonsjamaisbaissélagarde.

Nousavionsgrandi.

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41

ANDREW

JEPENSESOUVENTÀMAVIED’AVANT,AVANTMÊMEMARENCONTREAVECCAMRYN,ETÇAMEFAITPRESQUEPEURd’avoirchangéautant.J’étaiscequ’elleappelleun«gigolo»quandj’étaisaulycée.Et,jel’avoue,j’aicontinuéàl’êtreplustard–elleestaucourantpourchacunedesfemmesquej’aifréquentées.Ellesaitpourmesannéesfolles.Ellesaitquasimenttoutdemoi.Quoiqu’ilensoit,jepensesouventàmonpassé,maisçanememanquepas.Saufdetempsàautre,quandilmevientdesimagesdemajeunesseencompagniedemesfrères : là, ilm’arrivederessentircettenostalgiedontCamrynparlait lorsdenotredeuxièmepassageàLaNouvelle-Orléans.

Je ne regrette rien, pasmêmemes excès,même si je ne recommencerais pas forcément tout. J’airéussiàdépassercestadeetàtrouverunefemmemagnifiquem’ayantdonnéunefilleparfaitequejeneméritecertainementpas.

J’ai appris hier qu’Aidan etMichelle, après deux gamins et des années demariage, s’apprêtent àdivorcer.Çamefaitmalpoureux,mais j’imagineque tout lemonden’estpasfaitpourêtreensemble,contrairementàCamrynetmoi.Jemedemandesileurhistoireauraitpusepoursuivres’ilsnes’étaientpastuésautravail.Lebardemonfrèreluiapompétoutesonénergie,etMichelleétaitelleaussilessivéeparsontaf.Camrynetmoiavionsdéjàconstatéqu’ilssemblaients’éloignerl’undel’autre.Nousnousenétionsfaitlaréflexion,mêmelorsdelapremièrevisitedeCamryn,avantlanaissancedeLily.

—Ilsnefontquetravailler,m’a-t-elleditunsoirdel’annéedernière.Travailler,s’occuperd’AveryetdeMolly,regarderlatéléetallersecoucher.

J’aihochélatêted’unairméditatif.—Ouais,jesuiscontentqu’onn’aitpasfinicommeça.—Moiaussi.Asher,enrevanche,sortavecunefilleadorablenomméeLea.Etjesuisfierd’annoncerqu’ilsontun

jour décidé sur un coup de tête d’aller s’installer àMadrid.Mon petit frère a bienmené sa barque,devenant développeur de logiciels, ce qui lui a permis de trouver autre chose sansmal. Il n’était pasobligédelefaire.IlauraitpuresterenpostedansleWyoming,maisapparemmentnousnousressemblonsplusquejenel’imaginais.Parbonheur,Leapartagesescentresd’intérêtetsadétermination;sansquoi,leurrelations’achèveraitsansdoutepluscommecelled’AidanetMichellequecommecelledeCamrynetmoi.Etj’aicrucomprendrequeLeasefaisaitpasmaldecashenvendantsesrobesdecréatricesurInternet.Camrynamêmeenvisagédeselancerlà-dedanségalement,puiselles’estrenducomptequeçal’obligeraitàfairedelacouture…

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Puisqu’ilssontinstallésenEspagne,celanousaoffertunpied-à-terresurplacequandnousysommesallésànotretour.Asheraeubeauinsisterpourquenousnepayionspasdeloyer,nousl’avonsfaitquandmême.Camrynnevoulaitpas–jelacite–vivreen«parasite».

—Undollar,asuggéréAsherpourluidonnerbonneconscience.—Non,a-t-ellerefusé.Sixdollarsquatre-vingt-quatreparsemaine,pasunpennydemoins.Asheraéclatéderire.—Disdonc,tuesvraimentbizarre,commefille.OK.Vapoursixdollarsquatre-vingt-quatre.Audébut,nouscomptionsresterchezmonfrèrepourunequinzainedejours,maisunenuit,Camrynet

moiavonseuuneconversationàcœurouvert.—Andrew, je crois qu’ondevrait se poser unpetitmoment. Ici, àMadrid.Oupeut-être rentrer à

Raleigh.Jen’enaipasparticulièrementenvie,mais…Jel’aidévisagéeaveccuriosité,toutenconstatantqu’unefoisencore,nouspensionslamêmechose.—Jesaiscequetutedis:voyageravecLilyn’estpasaussifacilequ’onl’imaginait.—Non,eneffet.Elleadétournépensivementlatête,etsonexpressions’estdurcie.—Tupensesqu’onafaitcequ’ilfallait?Enl’emmenantdanstantd’endroits?Elle a fini par me regarder dans les yeux. Je voyais bien à son expression qu’elle espérait une

réponsepositive.—Bien sûrqueoui, ai-je répliqué leplus sincèrementdumonde.C’est cequ’ona toujoursvoulu

fairedepuislepremierjour.Onn’aaucunregret.Biensûr,ilafalluchangernotrefaçondefairepoursasécurité,onafaitl’impassesurdenombreuxendroits,onestrestéspluslongtempsqueprévuàchaqueétapepournepastropladéboussoler,maisonafaitcequ’ilfallait.

Camrynm’asouritendrement.—Etpeut-êtrequ’onluiainoculélevirusduvoyage.(Ellearosi.)Jenesaispas…—Si,tuasraison,ai-jeinsisté.—Alors,qu’est-cequ’ondevraitfaire,àtonavis?Finalement,nousavonssquatté troismoischezAsheretLeaavantde repartir.Nousavons faitune

dernièreescaleavantderentrerauxÉtats-Unis:l’Italie.Camrynafiniparm’avouerpourquoielletenaittantàs’yrendre:sonpèrel’yavaitunjouremmenéelorsd’unvoyaged’affaires,quandelleavaitquinzeans.Justetouslesdeux.C’étaitladernièrefoisqu’elles’étaitsentiesiprochedelui.Ilsavaientpassébeaucoupdetempsensemble.Ils’étaitd’ailleursdavantageconsacréàellequ’àsontravail.

—Tuessûrequec’estunebonneidée?luiai-jedemandéavantdenousenvolerpourRome.Etsirepartir là-bas foutait tes souvenirs en l’air, comme quand tu es retournée dans ces bois derrière lamaisondetonenfance?

—Jesuisprêteàcourirlerisque,m’a-t-ellealorsaffirméenentassantlesaffairesdeLilydansnotrevalise.Etpuis,jen’yvaispaspourrevivrecessixjoursavecmonpère,maispourmelesrappeler.Jenepeuxpasfoutreenl’aircedontjenemesouviensquevaguement.

Unefoissurplace,jel’aivueseremémorerdestonnesdechoses.ElleaemmenéLilys’asseoirsurl’escalierdelaTrinité-des-Monts,toutcommesonpèreavaitdûlefaireavecelle.

—Noust’aimonsbeaucoup,a-t-elleditàLilyenluiserrantlamainavectendresse.Tulesais,pasvrai?

Lilyasouriavantd’embrassersamamansurlajoue.—Jet’aime,maman.Puiselles’estinstalléeentrelesjambesdeCamryn,etcettedernières’estmiseàtressersachevelure

blondeavantdefairebasculersanattesursonépaule,lacoiffantexactementcommeelle.

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J’aisouriàmontouretlesaiobservéesenrepensantàcejour,ilyasilongtemps:—Jenesaispas,untrucentrecopains,m’avait-elledit.Genredeuxamisquipartagentunrepas.—Oh,avais-jeréponduavecunlégersourire.Donconestamis?—Biensûr, avait-elle admis,manifestement prise audépourvuparma réaction.Disonsqu’on est

copainsjusquedansleWyoming.Jeluiavaistendulamain,qu’elleavaitserréeàcontrecœur.—JesignepourcopainsjusquedansleWyoming,avais-jerépondu.Jesavaisquec’étaitlafillequ’ilmefallait.PasseulementjusquedansleWyoming,maisjusqu’àla

findestemps.Jen’arrivetoujourspasàcroiretoutcequenousavonsvécuensemble.Aprèsquasimenttroisanssurlaroute,ilétaittempsderentrer.Nous avons donc regagnéRaleigh et notre humble demeure.Natalie et Blake ont trouvé une autre

maisonà l’autreboutde laville.Lilyabienvitecommencé l’école,et si lesannéessuivantesontétéheureuses, Camryn et moi ressentions comme un manque. J’ai regardé ma petite fille devenir unemagnifique jeune femme avec des rêves, des objectifs et des aspirations rivalisant avec ceux de sesparents.J’aimeàcroirequec’estgrâceànous–Camrynetmoi–queLilyestdevenuequielleest.Celadit, elle a sa propre personnalité, et je crois qu’elle aurait de toute façon évolué ainsi sans l’aide depersonne.

Jen’auraispuêtreplusfier.Tout cela semble si loin. Et, d’une certaine manière, ça l’est. Mais même aujourd’hui, quand je

repenseaujouroùj’aiaperçuCamryndanscecarauKansas,celamesemblesiclairquecelapourraitêtrehier.Quandjepensequesinousn’étionspaspartis touslesdeuxsuruncoupdetête,envoyantsefaire foutre lasociétéet ses jugementsdevaleur,nousnenousserions jamais rencontrés…SiCamryns’était laisséedominerparlapeurdel’inconnu,nousneserionsjamaisallésenJamaïque.Nousavonsvraimentvécunosexistencescommenousl’entendions,etpascommelerestedumondel’entendait.Nousavonsprisdesrisques,optépouruncheminmoinsconventionnel,nousn’avonsjamaisdéviédenosrêvespourplaireauxunsouauxautres,etnousnenoussommesjamaiscontraintsàfairequoiquecesoitassezlongtempspournousenlasser.Biensûr,ilnousestarrivédefairedeschosesparnécessité–travaillerdansdesfast-foods,parexemple–,maisnotrevienetournaitpasautourdeça.Nousavonschaquefoistrouvéuneissue,sansnousavouervaincus.Parcequenousn’avonsqu’uneseulevie.Uneseulechanced’enprofiter.Nousavonssaisicettechanceetnousnoussommesenfuisavec.

Etjecroisqu’onenatirélemeilleur.Jenesaispasquoiajouter.Cen’estpascommesinotrevies’achevait,maintenantquenotrehistoire

sembleavoiratteint son terme.Non.C’est loind’être terminé.Camrynetmoiavonsencoredes tasdechosesàfaire,desdizainesdelieuxàvisiter,tellementderèglesàtransgresser.

Aujourd’huiestlepremierjourdurestedenotrevie.C’estunejournéepascommelesautres,pourLily, pournous, pour toutes lesvaleursquenousdéfendons.Notrehistoireprend fin, certes,maispasnotrevoyage,carnousvivronssurlefildurasoirjusqu’ànotremort.

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Épilogue

LILY

Quinzeansplustard

—LILYPARRISH!MmeMorrisonappellemonnomdepuislascènedel’auditorium.J’entendsmesamisetmafamille

s’exclamerdanslafoule,puisdessiffletsetdesapplaudissements.Je lève lamainpour tenirmacoiffede lauréat toutengravissant lesquelquesmarchesenbois. Je

n’arrivepasàl’enfilercorrectement.Monpères’estmoquédemoi,prétendantquej’ailamêmeformedecrânebizarrequemamère.

Lesacclamationssontdeplusenplusfortesàmesurequejetraverselascène.Moncœurtambourinecontremes côtes. Je suis tellement excitée. Je crois que je n’ai pas cessé de sourire durant ces vingtdernièresminutes.

Madame la proviseur Hanover me tend mon diplôme, que je saisis d’une main tremblante. Lesapplaudissements redoublent. J’observemes parents, postés au premier rang. Ils se sont levés de leurchaise.Leursyeuxbrillentdelarmesdejoie.Mamèremelancedesbaisers.Monpèremedécocheunclind’œiletapplauditàtoutrompre.Jem’étrangled’émotiondelesvoirsifiersdemoi.Jeneseraispaslàsanseux.Jenepourraisrêvermeilleursparents.

Àlafindelacérémonie,monpetitami,Gavin,etmoifendonslafoulepourallerretrouvermonpèreetmamère.

Mamanmeprenddanssesbrasetmeplanteunbaisersurlecrâne.—Bravo,Lily!s’exclame-t-elleenmeserrantencoreplusfort.Jesuistellementfièredetoi!Elleadeslarmesdanslavoix.—Nepleurepas,maman.Tuvasfairecoulertonmascara.Ellesepasseundoigtsouslesyeux.Papam’embrasseàsontour.—Félicitations,magrande.Jemehissesurlapointedespiedspourluifaireunebise.—Merci,papa.Puisilm’attireàsoncôtéetplacesurmahancheunemainprotectrice.Il toiseGavind’unair torve, l’étudiedepiedencap,commechaquefoisqu’ilapu levoirdepuis

deuxansquenoussommesensemble.Maiscettefois,ilplaisante.Aumoinsenpartie.Illuiafalluunan

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pour accepter Gavin et lui faire suffisamment confiance pour le laisser sortir avec moi sans lasupervisiond’undemesdeuxparents.C’étaittellementgênant…Maiscecôtésurprotecteurn’ajamaisdécouragéGavin,etjecroisquemesparentsnel’enrespectentquedavantage.

C’estungarçongénialetjecroisque,aufond,ilslesavent.—Félicitations,Gavin,luiditpapaenluiserrantlamain.—Merci.Gavinestencoreterrifiéparmonpère.Jetrouveçamignon.Mesparentsontorganiséunegrandefêtepourcélébrermondiplôme,ettoutlemondeestlà.Vraiment

toutlemonde.Ilyamêmedesgensquejen’aipasvusdepuisdesannées:mononcleAsheretmatanteLeasontrevenusexprèsd’Espagne!OncleAidanestlàluiaussi,avecmescousinsAveryetMolly,etAlice,sanouvellefemme.Mesgrands-mères,MarnaetNanaNancy(ellerefusetoutsurnomqui«fassevieille ») sont également de la partie. Nana n’est pas en grande forme. Elle souffre de sclérose enplaques.

—Oh,monDieu,machérie,tuvasm’abandonner!s’exclameZoey,mameilleureamie,envenantmerejoindre.

NousavonsgrandiensembleàRaleigh,toutcommesamère,Natalie,etlamienne.—Jesais,c’esthorrible!Jesuisdégoûtée.Maistusaisquejeviendraiterendrevisite!Jelaserrecontremoncœur.—Ouais,maisputain,tuvasquandmêmememanquer.—Jet’aidéjàditdet’installeràBostonpourterapprocher.Elle lève lesyeuxaucieletsescheveux teintsennoircorbeaurebondissentsursesépaules tandis

qu’ellesehissesurl’undestabouretsdebardelacuisine.—Écoute,nonseulementjenevaispasvenirm’installeràBostonavectoi,maisilsepeutaussique

jequittebientôtlaCarolineduNord.—Commentça?m’étonné-je.Jem’installe sur le siègevoisindu sien.MononcleCole entredans lapièce à cemoment-là, des

bouteillesdebièrevidespleinlesmains.Illesbalanceàlapoubelle.Zoeypousseunsoupir,s’accoudeaucomptoiretsemetàtortillerentresesdoigtsquelquesmèches

decheveux.—MesparentsdéménagentàSanFrancisco.—Quoi?Sérieux?Jen’arrivepasàycroire.—Ouais.Jeneparvienspasàdéterminersielleestdéçueounesaitsimplementpasencorecommentprendre

lanouvelle.—C’estgénial,m’extasié-jepourluimontrerlavoie.Tuneveuxpasdéménager?Zoeyretiresonbrasducomptoiretcroiselesjambes.—Jenesaispasquoienpenser,Lil.C’esttrèsloind’ici.Cen’estpascommesic’étaitauboutdela

rue.—C’estvrai,maisonparledeSanFrancisco!J’adoreraisallerlà-bas!Ellesefendd’unlégersourire.OncleCole,danstoutesagloiremaussade,attrapetroisnouvellesbouteillesdanslefrigoetencoince

legoulotentresesdoigts.Ilmesouritavantderetournerrejoindrelesautresdanslesalon.Il est génial.Quand il est arrivé, ilm’aglissé une carte de félicitations avecdeux cents dollars à

l’intérieur.

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—Zoey,jetrouveçasuper.Ethonnêtement,ilmetarded’allerrendrevisiteàmameilleureamieenCalifornie.Ouais.Çasonneencoremieuxquandonledit.Californie.

J’accompagnecesquatresyllabesdegestesthéâtraux.Elleéclatederire.—Tuvasvraimentmemanquer,Lil.—Toiaussi.Samèreentredanslacuisine,suiviedeprèsparBlake,sonpère.—TuasannoncélanouvelleàLily?demandeNatalieenseservantdanslefrigo.—Ouais,jeviensdeluidire.—Qu’est-cequetuenpenses,Lily?BlakeembrasseZoeysurlatête,prendlabièrequeNatluitendetsortdelamaison,sansdoutepour

fumerunecigarette.—Jesuistoutexcitéepourelle,réponds-je.J’emménageàBostonpourlafac,ellevaenCalifornie.

Onneserapeut-êtrepluscolléesl’uneàl’autrecommedepuistoujours,maisjetrouveçabiendenepastoujoursresteraumêmeendroit.

—Tuesvraimentlafilledetesparents,çanefaitaucundoute,répliquesamèreenpouffant.Jesourisfièrementetsautedemontabouretpourlesaccompagner,Zoeyetelle,ausalon.—Jevoudraisporteruntoast!s’exclamemonpèreenbrandissantsabièreaumilieudelapièce.Ilplongesonregarddanslemien.Nousavonslesmêmesyeuxverts.—Ànotrepetitefille,Lily.Montre-leurquiestlameilleure,àlafac!Toutlemondelèvesonverre.—ÀLily!Jepasselerestedelajournée,etcejusqu’àlanuittombée,encompagniedemesamis,demafamille

et, bien sûr, de Gavin. Je l’aime tellement. Nous nous ressemblons beaucoup. Nous nous sommesrencontréspeuaprèsqu’ilaquittél’Arizonapourvenirs’installerici.Soncasiern’étaitpasloindumien,et nous avions presque lesmêmes cours. Zoey a été la première à lui faire de l’œil, ce qui n’a riend’étonnantvusanaturedragueuse.Dèsqu’ilétaitarrivéaulycée,ellem’avaitlancé:«Celui-là,ilestpourmoi. Regarde-moi faire et prends-en de la graine. » Je n’avais nullement eu l’intention dem’enmêler,mais apparemment la personnalité de Zoey était trop imposante pour quelqu’un commeGavin.Celadit,c’estprobablementgrâceàellesinoussommesensembleaujourd’hui.Siellen’avaitpasétélà,iln’auraitpeut-êtrejamaistrouvéd’excusepourvenirmeparler.

Zoeyalâchél’affairedèsqu’ilarévéléquec’étaitmoiquil’intéressais.C’estd’autantplusétrangequeGavinetmoinousressemblonstantqu’onpourraitcroirequeledestin

nousaréunis.Nousvisionstouslesdeuxlamêmefac.Nousaimonslamêmemusique,lesmêmesfilms,livres ou séries télé. Nous apprécions tous deux l’art et l’histoire et avons tous deux, à différentespériodesdenosvies, envisagéde traverser l’Afrique.Gavin est passionnéd’archéologie. Jevoudraisdevenirconservatricedemusée.

Gavin n’est pasmon premier petit ami, ni le premier garçon que j’aie embrassé,mais il a été lepremierpourtoutlereste.Jenepeuxpasimaginerpassermavieavecquelqu’und’autrequelui.J’espèrequenousfinironscommemesparents.Oui,jel’espèrevraiment.

Aprèsl’obtentiondemondiplôme,j’aipassél’étéavecmesparents.Etjen’aipasperduuneminute

decetempsenfamille,carjesavaisquecelapasseraitvite.Àlarentrée,j’aiemménagésurlecampus.Quant à mes parents… eh bien, ils avaient autant de projets que moi. Je crois qu’ils m’ontremarquablement bien élevée,mais je savais que, dès que je quitterais lamaison pour voler demes

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propresailesencommençant lafacavecGavin, ilss’empresseraientd’alleraccomplir leurrêved’unevie.

Jesuistellementheureusepoureux.Ilsmemanquentchaquejour,maisjesuisheureuse.Ils n’oublient jamais de me poster des lettres – pas de simples e-mails, de véritables lettres

manuscrites. Je lesai toutesgardées,qu’ellesviennentde l’Argentine,duBrésil,duCostaRicaouduParaguay, ou bien de partout en Europe : d’Écosse, d’Irlande, duDanemark… Je suis ravie quemesparentssoientainsi:libresd’esprit,spontanés,amoureuxdumonde.Jelesadmirebeaucoup.D’aprèscequ’ilsmeracontentdeleurexistenceàmonâgeouunpeuplus,jemerendscomptequeleurrelationacommencésurleschapeauxderoues,mêmesitouts’estbienterminé.Mamèrem’aracontésonhistoire,sadépression.Ellen’estpasentréedans lesdétails, et j’ai toujours suqu’ellemecachaitdeschoses.Maisellevoulaitquejesachequemonpèreetelleseraienttoujourslàpourmoi,quoiqu’iladvienneetquellesquesoientlesdécisionsquejepourraisprendre.

Jecroisqu’elleavaitpeurquejereproduiseleserreursqu’elleapucommettrequandelleaconnudemauvaisespasses,maishonnêtement,jenem’imaginepasêtremalheureuseunjour.

Maman m’a également parlé de sa rencontre avec papa. À bord d’un car de tourisme, c’estincroyable!Çam’afaitéclaterderire.Maisquandjepenseàeuxetàtoutcequ’ilsontenduré,jenepeuxm’empêcherd’êtreimpressionnée.

Selon maman, mon père était un peu sauvage, à l’époque. Elle pense que c’est sans douteessentiellementpourçaqu’ilamisdutempsàaccepterGavin.Làencore,ellen’estpasentréedanslesdétails,mais…bonsang,monpèredevaitêtrevraiment…Beurk!Peuimporte.

J’aiappristantdechosesgrâceàmesparents.Ilsm’ontenseignéquelavieétaitprécieuse,etqu’ilnefallaitjamaisengâcherunseulinstant,carchaquesecondepouvaitêtreladernière.Monpèreabeaucoupinsistépourquejesoismoi-même,pourquejedéfendeceenquoijecroyais,quejesoutiennemesidéesplutôtquecellesdesautres.Ilm’aditquelesgensessaieraientdemetransformersurleurmodèle,etdem’enméfiercarj’auraistôtfaitdedevenircommeeux.Leprincipalchevaldebatailledemamèreaétédemeconvaincrequelavien’estpascenséeêtreunesuccessiondejobsmerdiques,defacturesàpayer;ellenevoulaitpasquejedevienneesclavedecettesociété.Elles’estassuréquejecomprennebienque,quoiqu’endisentlesautres,jen’avaispasàmeneruneexistencequejen’avaispaschoisie.J’aidoncchoisi ma voie. Je m’efforce de faire de ma vie une qui vaudra le détour, qui sera pleine de beauxsouvenirs,etpasunequisenoieraaumilieudetouteslesexistencesmornesquisedéroulentautourdemoi.Jesuislaseuleàprendrelesdécisionsquimeconcernent.Ilyauradesmomentsdifficiles,jeseraipeut-êtreobligéedefairecuiredessteakshachésouderécurerdestoilettespendantuntemps,jeperdraidesgensquej’aimeetmavieneserapeut-êtrepasunlongfleuvetranquille.Cependant,tantquejenemelaisseraipassubmergerparmesennuis, je finiraiun jourpar faireexactementceque jeveux.Etquoiqu’ilarrive,quiquejeperde,jeneseraipastristeéternellement.

Toutefois, mes parents m’ont surtout appris à aimer. Bien sûr, ils m’ont prodigué un amourinconditionnel,mais jeparle surtoutde la façondont ils s’aiment l’un l’autre. Jeconnaisbeaucoupdecouplesmariés–laplupartdesparentsdemesamislesontencore–,maisraressontceuxquisontaussidévoués l’unenvers l’autrequemesparents.Je lesai toujoursconnus inséparables.Jenemesouviensquedequelquesdésaccords,etjenelesaijamaisentendussedisputervraiment.Jamais.Jenesaispascequi rend leur mariage si solide, mais j’espère bien que, quel que soit l’ingrédient secret, ils m’onttransmisunpeudecettemagie.

Gavinentredansmachambredelarésidenceuniversitaireetrefermelaportederrièrelui.Ils’assiedaupieddemonlit.

—Encoreunelettredetesparents.

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J’acquiesce.—Oùsont-ils,encemoment?—AuPérou,dis-jeenmereplongeantdansleurcourrier.Ilsadorentl’Amériquelatine.Ilmeposeunemainréconfortantesurlegenou.—Tut’inquiètespoureux.—Ouais, commed’habitude.Maisc’est encorepirequand ils sont là-bas. Ily adesendroits très

dangereux.Jenevoudraispasqu’ilsfinissentcomme…Gavinmeprendlementonpourmeforceràleregarder.—Ilneleurarriverarien,tulesais.Peut-êtrequ’ilaraison.Mamèreetmonpèrevoyagentlesacaudosdepuismaintenantdeuxans,etle

pirequ’ilsaientvécu–d’aprèscequ’ilsm’ontdit,entoutcas–aétédesefairedépouillerunefois,etuneautre foisd’avoirunproblèmedepasseports.Mais ilpourrait leurarrivern’importequoi, surtoutseulssurlaroute.

Apparemment,j’aihéritédel’anxiétédemamère.—Encoredeuxans,etilsseronttoutaussiinquietsquetoi,ajoute-t-ilenmedéposantunbaisersur

leslèvres.—Jesupposequeoui,admets-jeenluisourianttandisqu’ilserelève.Mamèreselèverasansdoute

touteslesnuitsensedemandantsijen’aipasétédéchiquetéeparunlion.Gavinm’adresseunsourireencoin.Ilyasixmois,nousavonsdécidéquenousavionsvraimentenviededécouvrirl’Afriqueaprèsnos

deuxpremièresannéesdefac.Quandnousnoussommesrencontrés, ils’agissaitmoinsd’unprojetqued’unpointcommundécouvertaufild’uneconversation.Aujourd’hui,c’estdevenuunvéritableobjectif.Dumoinspourl’instant.Beaucoupdechosespeuventévoluerendeuxans.

Jereplielalettreetlaremetsdansl’enveloppedécolorée,quejeposesurmatabledechevet.Gavinmetendlamain.—Tuesprête?medemande-t-ilenm’aidantàmerelever.Jem’apprêteàquitter lapiècepourallerfêtersonanniversaireencompagniedenosamiset, juste

avantdesortirdanslecouloir,jejetteunderniercoupd’œilàl’enveloppeavantderefermerdoucementlaportederrièremoi.

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JessicaAnnRedmerskiestnéeàLittleRocken1975.EllevitenArkansasavecsestroisenfants.Elleauneprédilectionpourtoutcequiincitelesgensàrepousserleurslimites,etassumeparfaitementlefaitd’êtreuneinconditionnelledelasérieTheWalkingDead.Lesaventuresd’AndrewetCamryn–Loindetout et Près de toi – ont d’abord été autopubliées sur Internet. Après avoir rencontré un succèsphénoménal,GrandCentralPublishingaacquislesdroitsdelasérie.Loindetouts’est imposéentêtedesmeilleuresventesduNewYorkTimes,duWallStreetJournaletdeUSAToday.

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Dumêmeauteur,chezMilady:

LoindetoutPrèsdetoi

www.milady.fr

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