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RhondaHelms

SCRATCH

Traduitdel'anglais(États-Unis)parClaireAllouch

Milady

Dédicace

Celivreestdédiéàmonmarietmesenfants.Onnepeutpasrêverdemeilleursoutien!

Vousêteslalumièredemavie.

Chapitrepremier

—Est-cequetuaslanouvellechansondeDogfaceThirty?Lafillemesouriaitd'unaircondescendant toutenhurlantpourque je l'entende.Tropbronzéeet

perchéesurdestalons,elletapaitdupiedsurlesmarchesquimontaientversmonbox.—Tu la connais sûrement, ajouta-t-elle.Tu sais, c'est celle où il dit dans le refrain : « I wanna

bounceyourbig…»—Oui,merci,jevoisdequoituparles,l'interrompis-jeavecunsourirepoli.Jedétestaiscettechanson,débileetmisogyne,maisçan'avaitpasd'importance.—Jelapassedèsquejepeux,conclus-je.—T'asintérêt,toutlemondeattendça.Ahoui,ettiens,c'estpourtoi.Ellefouilladanssonsac,ensortituneénormeliassedebillets,etattrapaundollarqu'elleposasur

maplatine.Puis,avecungestefaussementamicaldelamain,elles'éloignaenroulantdesfessesdanssamicrojupe,lapluscourtedetoutelaboîte.—Merci,c'esttropgénéreux,marmonnai-jealorsqu'elles'éclipsait.J'auraisbienlevélesyeuxauciel,maisaprèstout,ellen'étaitpasobligéedemedonnerquoiquece

soit.Donc,c'étaitmieuxquerien.Sans m'entendre – ou peut-être qu'elle s'en moquait – elle disparut dans la foule en transe qui

s'agitaitausondesbassesquis'échappaientàpleinvolumedemeshaut-parleurs.Je remismoncasquepourm'occuperde la transition avec la chanson suivante, unnouveau tube

dubstepindé.Sicertainsdesclientspouvaientsemontreraussiprétentieuxquelajoliedemoisellequivenaitdemedemanderuntitre, laplupartétaientdesgenssuperquiappréciaientlamusiquevariéequejeleurproposais.Ilsn'hésitaientpasàs'approcher,unverreàlamain,sourireauxlèvres,etàmeglisser dix dollars pour me remercier d'avoir programmé un morceau qu'ils aimaient. Dans cetendroit,leweek-end,jenevoyaispaspasserlanuit.Et je devais bien admettre qu'amener la foule à ce degré de folie était à la fois euphorisant et

hypnotique.Enexauçantlesdésirsdecetteassistanceenmanquedebonnemusique,jesentaiss'établirun lien puissant.Ceque je nem'autorisais jamais sur le campus, ni ailleurs.Là, dansmonbox ensurplomb,jepouvaislesregardertoutenrestantàl'abriduchaos.Je vidai mon verre d'eau citronnée, secouant mon débardeur bleu pour rafraîchir mon buste

ruisselantdesueur.Maispastropfort,pouréviterdedévoilerlescicatricesdemonventre.LeMask,unedesboîteslesplusbranchéesdelarégiondeCleveland,étaitrapidementsurchaufféàcausedelafoule,maiscesoir-là,latempératureétaitencoreplusélevéequ'àl'accoutumée.Seulementuneheureaprèsavoircommencémasession, je ruisselaisdéjà.Peut-êtrequesi jechoisissaisdes tenuespluscourtesetpluslégères,commelesautresfilles,jeseraisplusàl'aise.Maisc'étaithorsdequestion.Justin,l'undesbarmen,vintm'apporterunnouveauverred'eau.—Tiens,Casey,medit-ilavecunsourire.

Sescheveuxauxpointesteintesenroux,étaientcoiffésàlaperfection,etilportaitunjeanmoulantavec un tee-shirt noir ajusté. C'était un garçon intelligent, qui savait utiliser son corps comme unatout:touteslesfillesluicouraientaprès.Bienqu'ilpréfèreleshommes,iln'avaitaucunproblèmeàselaisserdraguerenéchanged'unbon

pourboire.—Ah,tulisdansmespensées,remerciai-jeenattrapantunglaçonpourm'enfrotterlanuque.J'avaisremontémescheveux,maisleboutdemaqueue-de-chevalvenaitquandmêmesecollersur

mapeaumoite.—Ilfaitencorepluschaudqued'habitude,commentai-je.—Salm'adit que le climatiseur avait lâché, expliqua-t-il avecun riremoqueur. Jemedemande

bienquandilsedécideraàleréparer…—Sansdoutejamais,dis-je,amusée.Çaluirapporteplusd'argentquelesgensmeurentdesoif!Il

n'estpasbête.Troismoisauparavant,j'avaisréponduàuneoffred'emploi:uneboîtedenuitsituéeàdeuxpasde

mon campus recherchait un DJ à temps partiel. L'établissement venait d'ouvrir en fanfare, et Salm'avaitaussitôtfaitforteimpressionentantquegérantpleindejugeote.Petit,trapuetnemâchantpassesmots,ilavaitcommencéparmeregarderenfrottantsoncrânechauve.—Toi,tuesDJ?Tun'espasunpeujeune,mapuce?C'estvraiquejenefaisaispasmesvingtetunans,etqueparconséquent,lesgensavaienttendance

ànepasmeprendreausérieux.Mais,deuxansauparavant,lorsquej'avaisdonnéuncoupdemainàmon cousin John comme DJ au mariage d'un parent éloigné, je m'étais aussitôt sentie accro. J'aiéconomisé pendant plusieurs mois pour m'acheter du matériel d'occasion, et je me suis mise àtravaillerrégulièrementaveclui.C'estWilliamquiarepérél'annoncedeSaletm'aencouragéeàtentermachance.Maisquandj'aivu

lehaussementdesourcilsdontmegratifiaitSal,j'aibiencomprisqu'ilétaitsceptique.—J'aiunecollectiondedisquesabsolumentincroyable,etjedisposed'unéquipementcomplet.Je

suisfiable,bosseuse,etjem'yconnaisenmusique.Sivoussouhaitezquevotreboîtecrèveleplafondtrèsvite,jepeuxvousaider,luiai-jeassuréenleregardantdroitdanslesyeux.Jenesaispascequim'aprisdedireça.Était-celedésespoir?Unefaçondecachermapeur?Je

l'ignore,mais j'avais de bonnes raisons de vouloir ce job. J'en avais vraiment besoin.Assez pourtenterdel'enfumerenmefaisantpasserpourlacrèmedelacrème.Salestrestépensifunmoment,puisilm'atapédansledosavecungrandéclatderire.—Tuasducran,petite.Onvafaireunessai;onverrabiencequeçadonne.Troismoisplustard,j'étaisencorelà.Ungroupedejeunesfemmesfituneentréetumultueuse,braslevés,poussantdeshurlements.Leurs

vêtements les dévoilaient plus qu'ils ne les couvraient, et elles avaient l'air d'être déjà salementéméchées,alorsqu'iln'étaitque23heures.J'espéraisqu'ellesneprovoqueraientpas tropdechahut.L'uned'ellesportaitundiadèmeetuneécharpe:ellesfêtaientsoitunenterrementdeviedejeunefille,soit un anniversaire. Selon toute vraisemblance, elles allaient me demander une chansonparticulièrementsalaceensonhonneur.Maisjesavaisquejepourraiscomptersurunbonpourboire,

jem'empresseraisdoncd'accéderàleurdemande.Justinrevintmetrouver,tenantàlamainunebièrelégère,l'airmystérieux.—C'estpourtoi,annonça-t-ilenposantleverresurladesserte.—Euh…merci,maistusaisbienquejeneboispasd'alcool.Jamaisentravaillant,etrarementlerestedutemps,mêmeàlamaison.Quandonestbourré,ona

tendanceàproférerdesvéritésqu'onregretteparlasuite.—Cen'estpasdemapart.C'estl'undesmecs,là-bas,quitel'envoie,expliqua-t-ilavecunsignede

têteverslebar.Quelqu'un m'offrait un verre ? Je suivis son regard, mais la foule était si dense que c'était

impossibledesavoirquiétaitl'auteurdecegeste.—Jeteremerciedemel'avoirapportéenpersonne.—Jen'auraisloupétaréactionpourrienaumonde,lança-t-ilavecunclind'œilgoguenard.Pasétonnant:çan'arrivaitjamais.J'évitaislestenuessexy,metenaisenretrait,etnejouaispasde

mes«atouts».Jepréféraism'exprimeràtraverslamusique.Maisçan'avaitpasempêchéquequelqu'unmeremarque…—Ilestsupermignon,enplus.Situn'enveuxpas,tupeuxmelelaisser,plaisantaJustinavantde

repartirverslebar.À la fois flattée et gênée, je sentismon cœur s'emballer.Qui étaitmonmystérieux bienfaiteur ?

Fallait-illeremercier?Paraîtrais-jeimpoliesijenelefaisaispas?D'une main tremblante, je levai mon verre en direction du bar. Je ne voyais pas le garçon en

question,maisjesupposaisquemesremerciementsneluiéchapperaientpas.Jeprisunepetitegorgéeparpolitesseavantdereposerlapintesurmatable.Pendant deux heures, le temps sembla s'envoler.Malgré la chaleur qui ne cessait de grimper, la

boîte était bondée, avec une ambiance de folie. Quelques filles de mon cours de finances étaientpasséesmesaluer.Jem'étaisefforcéedesourireetleuravaisproposédeprogrammerdeschansonsdeleurchoix.C'étaitlemomentdefaireunepause.J'avaisbesoindemedégourdirlesjambes.Aprèsavoirlancé

monCDdemixetindiquéàJustinquejesortaisquelquesminutes,jem'étaisfaufiléeparlaportedederrière.Ilnefaisaitguèreplusfraisdehors,maisunepetitebrisesoufflaitdansl'allée.Jem'appuyaicontrelemurdebrique,monverred'eauàlamain,pourprofiterdecetinstantderépit.La plupart du temps, l'allée était peuplée de fumeurs et parfois de couples ivres, occupés à

s'embrasserlascivementsanslamoindrepudeur.Maispourunefois,toutétaitcalme,etçamefaisaitdubien.Jeprisuneprofondeinspirationetroulailatêtepourmedétendrelecou.Soudain,unevoixgrave,surgied'uncoinsombre,rompitlesilence.—Euh…jepeuxmemettrelà?Jesursautaisiviolemmentquejem'aspergeailesbras.Del'autremain,jevérifiaiquej'avaisbien

moncouteaudansmapoche.Bienentendu,jenel'avaisjamaisutilisé,maismieuxvautprévenirqueguérir–surtoutquandonestseuleavecuninconnu.—Quiestlà?demandai-jed'unevoixquinetrahissaitpasmanervosité.

Ungarçonauxcheveuxnoirssortitdel'ombre,lesmainslevéespoursignalerqu'ilvenaitenpaix.Grand,vêtud'untee-shirtblancetd'unjeanélimé,jel'avaisdéjàvu:ilétaitdansmoncoursdephilo.Jenemesouvenaisplusdesonnom,maisjen'avaispasoubliésesyeuxvertsbrillants,quim'avaientfrappéelorsdupremiercours,deuxsemainesauparavant.Ilavaitéchangéquelquesblaguesd'initiésaveclaprof,quienavaitpleuréderire.Personnedanslasallen'avaitcomprisdequoiilsparlaient…Contretouteattente,sonhumourbizarren'avaitpasdécouragélesfilles:ilavaitréussiàenattirer

deux,quis'asseyaientdepartetd'autredeluietl'assaillaientderegardscoquins.Demaplace,justederrièrelui,jedevaisvraimentm'appliquerpournepasmelaisserdistraireparsesépauleslargesetsataillefine.Lesdeuxfillesnecessaientdeglousser,cequiavaitl'artdemetapersurlesnerfs.Il s'avança, un sourire désabusé aux lèvres, et s'arrêta à quelquesmètres demoi. Il se passa une

maindanslescheveux,sansréussiràleslisserréellement.Jenepusm'empêcherderemarquersesbrasmusclés.—Désolé,jenevoulaispastefairepeur.Ilfaitunechaleurinfernale,là-dedans…—Ilnefaitpastellementmeilleurici,répliquai-jed'untonmesuré.J'étaisennage.Jetentaid'afficherunairdétendu:ilavaituncomportementtoutàfaitcorrect,mais

jepréféraisquandmêmelegarderàl'œil.Iljetaunbrefregardauverred'eaudontj'avaisrenversélamoitié.—Jet'auraisenvoyéautrechose,sij'avaissuquetun'aimaispaslabière.Oh,c'estlui?!—Ah,merci.Maispourquoiest-cequetum'asoffertàboire?demandai-jesansprendreletemps

deréfléchir.Oh non, j'étais toujours tellement maladroite… malpolie, même. Certes, je ne voulais pas

l'encourager,maiscen'étaitpasuneraisonpourmecomportercommeunemalotrue.Grand-mamanm'auraitfaitlesgrosyeux,sielleavaitsu.—Etpourquoipas?rétorqua-t-ilavecunsourire.Incapabledetrouveruneréponseintelligente,jemecontentaid'unegrimace.—Tut'appellesCasey,n'est-cepas?Onestdanslamêmeclassedephilo.Jesuisassisjustedevant

toi.Mainsdanslespoches,ilsebalançaitunpeu,l'airdétendu.Ainsi,ilm'avaitremarquée.Jefrémisàl'idéequel'intérêtquejeluiportaisétaitréciproque.—C'estlapremièrefoisquejerencontreunDJ.Commentest-cequetuchoisislesmorceauxquetu

passes?Ilallas'appuyercontrelemurenfacedemoi,brascroisés,vibrantdecuriosité.—Enfait,jemélangecequimeplaîtàmoi,etcequelesgensontenvied'entendre.Donc,j'alterne

lestubesetdestrucsplusconfidentiels.J'étais tellement perturbée que ça devaitme donner l'air bête. Je n'avais pas l'habitude qu'onme

regardeavectantd'avidité,toutenm'accordanttoutl'espacedontj'avaisbesoin.Biensûr,cen'étaitpaslapremièrefoisquejemefaisaisdraguer.Aprèstout,dumomentqu'onest

unefille,çaarrive forcément.Mais jememontrais toujours tellementmalà l'aiseque lesmecsne

tardaientpasàlaissertomber.Cettefois,c'étaitdifférent.Ilacceptaitmabizarrerieetgardaituntonamicalquinememenaçaitpas.Jemedétendisunpeu.— J'ai bien aimé la chanson où la basse et le synthé se répondaient, comme un dialogue. Je ne

l'avaisencorejamaisentendue.Je rougis jusqu'à la racinedescheveux. Jevoyais trèsbiendequelmorceau ilparlait : je l'avais

composémoi-même.C'était la première fois que j'osais faire ça : passer une de mes créations. J'avais bossé dessus

pendant des semaines. J'avais prévu une autre chanson à intercaler en vitesse si jamais celui-là nedonnaitrien.Maislepublicavaitcontinuéàdansersansproblème.Avecunsignedetête,legarçons'écartadumuretsedirigeaverslaporte.—Je feraismieuxde rentrer, sinonmespotes vont croire que jeme suis fait agresser, dit-il en

riant.—Moiaussi.Merciencorepourlabière.Il se tournaversmoi, sourireaux lèvres.Sesdents luisaient à la lumièredes lampadaires. Justin

avaitraison:cetypeétaitvraimentmignon,medis-je,lecœurbattant.Etassezperturbant,aussi.Jen'arrivaispasàlecerner.Alorsqu'ilallaitdisparaîtreparlaporte,jel'arrêtai:—C'estquoitonnom,déjà?J'avaishontededemander,maisçam'auraitembêtéedenepaslesavoir.—Daniel,répondit-ilpar-dessussonépaule.Àlundi,Casey.Ils'enfonçadansl'obscurité,avaléparlanuitnoiredumoisdeseptembre.JereprismonverreàmoitiévidepourretournerdansmonboxdeDJ.Pendantlerestedelasoirée,

j'eusbiendumalànepasregarderdanssadirection.Jesavaisqu'ilnefallaitpas,maisjen'arrivaispasàmelesortirdelatête.

Chapitre2

Jedétestaislelundi.Jemefrottailefrontenréprimantunsoupir.Toutlemondeétaitpenchésursonlivre,maisjene

comprenais pas un traître mot de ce que je lisais. MmeWilkins nous avait demandé de prendreconnaissance du passage sur le Surhomme de Nietzsche dans notre manuel et d'écrire uncommentaire:ceconceptétait-ilounonpertinentdanslasociétéd'aujourd'hui?Une réflexion bien trop profonde pour mes neurones de bon matin. La prochaine fois, je me

blinderaisdecaféavantlecours.Çanemepermettraitpeut-êtrepasdecomprendrecequisedisait,maisaumoinsjeseraisbienréveillée.Devantmoi,Danielétaitpenchésursonbureau.Jedevinaissesmusclesàtraversletissuvertfoncé

desachemise.Detouteévidence,luin'avaitaucunmalàsaisircequelaprofattendaitdenous.Mêmelesdeuxfillesquil'entouraientétaiententraind'écrire.Jedoutaisunpeuqu'ellessoientoccupéesàrépondreàlaquestion.Jeprisuneprofondeinspirationetreluslepassage,unephraseaprèsl'autre.Lecours,quinedurait

quecinquanteminutes,touchaitàsafin.L'espritenvahidepenséesnégatives,jesentismoncœurseserrer.Sij'avaisdéjàtellementdemalàcomprendreautoutdébutdusemestre,qu'est-cequeceseraitdansdeuxmois,quandonseraitplongésjusqu'aucoudanslesthéorieslesplusobscures?Certes,jepourrais toujours changer d'option au semestre prochain, mais ça décalerait l'obtention de mondiplôme.Jen'allaispasbaisserlesbras.—Vous finirez ça à la maison. Recopiez-le au propre, et n'oubliez pas de l'apporter mercredi,

rappelaMmeWilkinssansprêterattentionauxprotestationssourdesquifusaientaufonddelaclasse.Ellerefermasoncahieretsemitàfourrerd'énormespilesdepapiersdanssonsacentissu,assorti

àsajupenoireetrouge.Commetoujours,elleavaittressésonabondantecrinièreenunenattedansledos.Elledevaitdétenirlerecorddumondedunombredetuniquesteintesàlamain.Mme Wilkins était une dame âgée qui refusait catégoriquement la plupart des nouvelles

technologies,prétendantqu'ellesabrutissaient lapopulationencréantdesaddictionsetun repli sursoi. J'avais même entendu dire qu'elle avait une vieille machine à écrire dans son bureau, et quel'administration avait mis un an avant de la convaincre d'utiliser le système informatique del'université.Commeelleétaittitulaire,ellesesentaitenpositiondeforce.—Àlaprochaineséance,vousaurezune interrogation,vousavez intérêtà réviser.Vouspouvez

partir,conclut-ellesèchement.J'étais à la fois soulagéeet abattue. J'allais certainementpasser tout le trimestre lenezdansmon

manueldephilo.Jecherchaidansmontéléphoneuneplaylistentraînanteetmisunécouteurdansl'unedemesoreilles.—Quelcoursaffreux!soupiraDanielensetournantversmoi,ungrandsourireauxlèvres.Les jouesenfeu, je tentaidenepas ledévorerdesyeux.Jedevinaischaquemuscledeson torse

soussachemise.

—Jenesaispascommentjevaism'ensortir,avouai-je.Ilrangeasonmanueldanssonsacetremontal'alléeentrelestablesverslaporte.Jeprisgardeàne

pasmarchertropprèsdelui.Jenevoulaispasqu'ils'imaginequejelesuivais.Mais il ralentit pour m'attendre. Je choisis de laisser pendre mon deuxième écouteur sur mon

épaule.—Tuenpensesquoi,toi?—Dequoituparles?—DuSurhomme.Laquestionpourmercredi.—Donne-moid'abordtonpointdevue.J'auraispupariercentdollarsqu'ilavaitunebonneréponse.Ets'ilmelacommuniquait,jepourrais

peut-êtrem'enservir.—Tumeplais!déclara-t-ildansunéclatderirerauque.C'étaitlapremièrefoisqu'ungarçonmedisaitça,avectantdelégèreté.Commes'ilavaitparléde

sonparfumdeglacepréféré.«Tumeplais.»Jerougisdeplusbelle.—Tudistoutcequetupenses,ondirait?Ilouvritlaportedubâtimentpourmelaisserpasser.Unvraigentleman,avecça.J'allaisdesurprise

ensurprise.J'éteignismamusiqueetrangeaimontéléphonedansmapoche.—Pourquoiest-cequejedevraismetaire?Lavieesttropcourtepourfairedesmystères.Nousmarchionssur le trottoirdansunsilenceagréable.Quelquesvoitures roulaientdans la rue.

Lesoiseaux,cachésdanslefeuillageépaisdesarbresquibordaientlarue,gazouillaientàquimieuxmieux,mais jen'yprêtaispas attention : laprésencemagnétiquedeDanielm'enempêchait. J'avaisvraimentbesoind'uncafé,maisjen'avaispasletempsderepasserchezmoi.Je décidai de me rendre au Coffee Baby, le meilleur coffee-shop de Berea. Pour un prix très

raisonnable, on pouvait y acheter d'énormes viennoiseries, et les quantités de café étaient plus quegénéreuses.C'étaitleparadisdesétudiantssérieux.—Oùtuvas?finis-jepardemander.Ilavaitcertainementunautrecours.—Mescoursnereprennentqu'endébutd'après-midi,etjen'airienàfaired'icilà.Jem'arrêtai.Bienqu'ilsoitencoretôt,lesoleilétaitdéjàaccablant.—Maisalors…qu'est-cequetufaisiciavecmoi?J'étaisterriblementmalàl'aise.Jen'avaispasenviequ'ilresteprèsdemoi,meforçantpeuàpeuà

m'ouvrir.Mavieneregardaitpersonne.Il se tournaversmoi.Dans la lumièrequi filtrait à travers lesbranches, sonvisageétaitmarbré

d'ombresetunpeuverdâtre.—J'aicommel'impressionquejetetapesurlesystème…Tupréfèresquejem'enaille?—Non,pasdutout,mehâtai-jedebredouiller,honteusedemonhostilité.

J'étais prête àmemontrer aussi franche que lui. Oui, il memettait mal à l'aise.Mais enmêmetemps,ildégageaituncharismequiincitaitàl'écouter,àdésirerquesesyeuxseposentsurvous.Jel'avaisressentidansl'alléederrièrelaboîtedenuit,maisaussilorsqu'ilprenaitlaparoleencours.Àprésent,j'étaisdevenuelacibledecetétrangepouvoir.Etjenecomprenaispaspourquoi.Ilchangeasonsacd'épaule.Ilavaitdestachesderousseursurlesbrasetlenez.Curieuxmélange

d'airenfantinetdecharmeviril.—Tuasquelquechosedeprévu?J'aimeraisbient'inviteràboireunverre.Jedevraisdécliner,maintenirnotre relationàcestade-là : intéressantesansêtre tropproche.Pas

troppersonnelle.Maisjenepusm'empêcherderépondre:—C'estmoiquit'offreuncafésitumedonnesuncoupdemainpourledevoirdephilo.Qu'est-cequim'étaitpasséparlatête?J'étaisaussisurprisequelejouroùj'avaisaffirméàSalque

j'étais leDJ qu'il lui fallait. J'avais beau tenter de la faire taire, une partie demoi avait gardé sonfranc-parlerd'antan.Cen'étaitpourtantpasfauted'essayerdemettremaviesurdesrails…Maisiln'yavaitpasdemalàpasserunpeudetempsavecuncamaradedepromo.Etsijeparvenais

àsortirlatêtedel'eauenphilo,jeseraismoinsstressée.Voilàtout.Ilacquiesçaavecunsourire.ArrivésauCoffeeBaby,ilouvritlaportedevantmoi.Ilfaisaitdélicieusementfraisetuneodeurde

caféflottaitdanslapièce.Jepoussaiunsoupirdesoulagementensentant lasueurrefroidirsurmapeau.JesuivisDanielversunetabledanslefond,etnousprîmesplacesurdeschaisesbancales.Danielselaissaallercontresondossier,lesbrascroisés,interrogateur.Je détournai les yeux. Il avait un regard si perçant que la vie devait lui apparaître avec une

abondancededétailsinsupportable.Commentfaisait-ilpournepastrouverçaépuisant?—Qu'est-cequetuprends?m'enquis-je.Ilsuivaitdudoigtlesirrégularitésduboisdelatable.Fascinée,jenepouvaismedétacherdeses

mainsd'artiste.Lagaucheétaittachéed'encre.—Tuesgaucher…—Ehoui,j'utilisemamauvaisemain!répliqua-t-ilenriant.—Quoi?— Autrefois, être gaucher était mal vu. On pensait même que c'était un signe du diable. On

contraignaitlesenfantsàécriredelamaindroite,quitteàdevoirlesbattre.—Quelleconnerie!—Lemonden'estpastoutrose.Lesgensfontdeschosesaffreuses,parfoissansraison.Ça,j'étaisaucourant.Jemerembrunisaussitôt.Jen'auraispasdûvenir.J'allaisluipayeruncaféet

partir,etmaviereprendraitsoncoursnormal.—Tuesoù,là?demanda-t-ilensepenchantpourmeregarder.Jemelevaid'unbond.J'avaislachairdepoule.Ce n'est rien, c'est juste le froid. À cause de la clim. Tout va bien. Prends ce café et tire-toi en

vitesse.—Qu'est-cequiteferaitplaisir?Machinalement, jeme passai lamain sur le côté gauche du ventre.Ma cicatrice, profonde, était

perceptible à travers mon tee-shirt ample. Remarquant que Daniel suivait ma main des yeux, jem'immobilisaiaussitôt.—Uncafénoir,s'ilteplaît.Avecunsignedetêtegêné,jemedirigeaiverslecomptoir.Ilallaitmeprendrepourunefolle.Il

fallaitquejereprennelecontrôledemesémotions.Pendant que l'employé, un gars très grand et blond que je n'avais jamais vu, préparait les deux

boissons,jem'appliquaiàrespirercalmement,inspirantparlenezetexpirantparlabouche.Commegrand-mamanmel'avaitappris.C'étaittoujoursefficace.Jecroyaisentendresavoixdansmonoreille,etjemedétendis.Jesentais

mes muscles se décontracter l'un après l'autre. Grand-maman m'avait prévenue que les crises depaniquepourraientêtredéclenchéespardesdétailsinsignifiants,etquejenem'endébarrasseraissansdoute jamais. Ce que j'avais de mieux à faire, c'était d'en être consciente et de ne pas me laissersubmerger.Plus facile à dire qu'à faire. D'un autre côté, c'était son propre fils qui m'avait fait ça, donc sa

douleurdevaitêtrepresqueégaleàlamienne.Mon téléphone vibra dans ma poche. Voyant s'afficher un texto de ma grand-mère, je ne pus

m'empêcherdesourire.Onauraitditqu'ellelisaitdansmespensées!D'unautrecôté,àprésentqu'ellesavait envoyer des messages, elle ne s'en privait pas. Elle était plutôt douée avec les nouvellestechnologies.Grand-papa,àl'inverse,refusaitdetoucheruntéléphoneportable.

Il va faire beau aujourd'hui, alors n'oublie pas ta crème solaire. Ça serait dommaged'abîmertapeauclaire!Bises,Grand-maman.

Jepouffaiderire.Çam'amusaittoujoursdevoirqu'ellesignaitsestextos.Ellen'avaitpasencore

comprisquejesavaisdetoutefaçonquec'étaitelle.Jerépondisquej'allaismeméfierdusoleil,etsentislerestedematensionsedissiper.L'employé poussa deux gobelets dans ma direction. Je lui glissai quelques pièces et lui dis de

garderlamonnaie.Sonairdistantfutaussitôtremplacéparunsouriresincère.Jen'avaisaucunmalàsavoircombienilpeutêtrepénibledetravailleraucontactdesclients.Je posai les consommations sur la table d'unemain sûre. J'étais fière demoi : j'avais repoussé

l'attaque de panique. Je savais que ça ne serait pas aussi facile la prochaine fois,mais j'avais bienl'intentiondeprofiterdemonsuccès.Unjouràlafois.Jedevaismeconcentrersurl'instantprésent.—C'estdélicieux,commentaDaniel,manifestementsurpris.C'étaitlapremièrefoisqu'ilvenait,alors?Jehochailatêteetbusàmontourunegorgée.Ilétait

trèsfort,justecommejel'aimais.

—J'aipassédesheuresetdesheuresici,cestroisdernièresannées.Aprèsledéjeuner,quandtoutlemondeluttepournepass'endormir,ilyadelaqueuepresquejusquesurletrottoir.Àprésentquemacrised'angoisseétaitpassée,jepourraisenprofiterpouravancersurcetravailde

philo. Il fallait bien que jem'en occupe à unmoment ou à un autre, de toute façon. Je sortismoncahier et le manuel. J'étais soulagée que Daniel n'ait pas émis de commentaires sur moncomportement,etjenevoulaispasluilaisserl'occasiondes'yintéresserplusavant.—Çanet'embêtepassijeteposequelquesquestionssurleSurhomme?J'aimeraisbienprendre

desnotesenmêmetemps.Tuasl'airdecomprendrebienmieuxquemoidequoiils'agit.—Jet'enprie.—OK,dis-jeaprèsm'êtreraclélagorge.Pourcommencer,c'estquoi,enfait,unSurhomme?—Tuasl'artdeposerdesquestionssubtiles,répondit-ilenriantauxéclats,avantdeselancerdans

uneexplicationpatiente.Ilmefallutunmomentpoursaisirtouteslesnuancesdesonpropos.Certes,c'étaitassezcompliqué,

mais je dois aussi admettre que l'odeur fraîche de son eau de toilette ne m'aidait pas à resterconcentrée.Ilétaittoutprèsdemoi,penchésurlemanuel,pointantdudoigtunephraseouuneautre,etçamedonnaitdesfrissons.Jeneparvenaispasàdétournerlesyeuxdesesdoigts,àcesserd'observerlafaçondontilbougeait

unpeu sur sa chaise, le souffle douxqui s'échappait de ses lèvres entrouvertes.Chaque centimètrecarrédemapeauétaittroubléparsaproximité,c'étaitgênant.Jen'avaisjamaisétéaussiréceptiveàunautreêtre.C'étaitdéconcertant.Magnétique.—Pourrésumer,onpeutdirequeleSurhomme,c'estl'hommeidéalselonNietzsche.Ilnesesent

pasobligédefairecommetoutlemonde.Cen'estniunsuiveur,niunmeneur.Iladesidéesetdescroyancesàlui,etiln'essaiepasdelesimposerauxautres.PourNietzsche,Dieun'existepas.Doncchaque homme doit se créer sa morale. Tu comprends ? demanda-t-il, les yeux brillantsd'enthousiasme.J'acquiesçai en silence. Je commençais à saisir le concept,mais il fallait que jem'éloigne de ce

garçonavantdecommettrel'irréparable.Commedeluidirequej'aimaissonodeur,parexemple,ouqu'ilmefaisaitmesentirtoutedrôle.—Euh…oui. Jecroisque j'ai saisi.Mais jedoisyaller,maintenant.Mercipour tonaide.Toute

seule,çam'auraitprisdesheures…Baissantlatêtepourévitersonregard,jelaissaitombermesaffairesdansmonsac.— Je t'en prie. J'espère qu'on aura l'occasion de se refaire ça bientôt, dit-il avant de boire une

gorgéedesoncafé,quidevaitêtrefroid.Iln'yavaitpastouchépendantqu'ilmeparlait.Incapablederépondre, je toussotai.Est-ceque j'avaisenviede le revoir?Àmagrandesurprise,

oui.Maisaulieud'enconvenir,jemecontentaid'unhaussementd'épaulesvague,leremerciaiencore,etmedirigeaiverslasortie,déposantdansunepoubellemongobeletàmoitiéplein.Enfranchissantleseuil,jejetaiundernierregardverslefonddelasalle.Danielavaittoujourslesyeuxrivéssurmoi,lestraitsempreintsd'uneémotionindéchiffrable.

Chapitre3

Machansonétaitpresquefinie.Les yeux rouges, je me concentrai sur la liste de pistes dans mon ordinateur, cliquant pour en

écoutercertaines.Jefouillaisparmilessamplesquej'avaiscréésouachetéscesdernièresannées.Lamusiqueélectroniqueestaussidifficilequen'importequelleautreformedecomposition.Ilm'arrivaitdechercherlebonsamplependantdesheures.Siriennemesatisfaisait,jelecomposaismoi-même.Lemorceau que j'étais en train de terminer était un peu plusmélancolique que ce que j'écrivais

d'habitude. En général, je mettais beaucoup de basses et unemélodie qui leur répondait. C'étaientd'excellents ingrédients pour une diffusion en boîte de nuit.Mais ce jour-là,mon inspiration étaitdifférente.J'avaisenviedequelquechosedeplusévocateur.J'avaisétéréveilléedeuxheuresplustôtparuncauchemar,encoreplusbrutalqued'ordinaire.Dans

monrêve,jemetrouvaisdansunepiècesombre;leslitsjumeauxétaiententourésd'unhaloblafard.MasœurLilatournaitversmoisonvisagelivide,maculédesang.Nousétionstoutesdeuxétenduessurlesolentrenoslits,lesmembresécartésdansdespositionsétranges,commedeuxmarionnettesqu'onalaisséestomberbrusquement.Lilaouvraitlabouche,maisdusangencoulaitetjenecomprenaispascequ'ellevoulaitmedire.

J'essayaisde ramperverselle,mais ladouleurdansmonventreétait siviveque jenepouvaispasbouger.J'appuyaislamainsurlablessuredontlesangcoulaitàflots.Elletentaitunedernièrefoisdeproférerunson,puissonregarddevenaitvitreuxalorsqu'ellerendaitsonderniersoupir.C'est alors que je m'étais réveillée, trempée de sueur, le visage ruisselant de larmes. Mes

couverturesgisaientsur lesol,monoreillerétaitdéforméà forced'avoirétéagrippé,et jem'étaismorduleslèvrespournepascrier.Aprèsplusdehuitans,onauraitpucroirequecesrêvesnemefaisaientplusrien.Quejelessentais

venir,quejen'avaispluspeur.Iln'enétaitrien:c'étaittoujourslemêmechoc,lamêmehorreur.Prenant une gorgée d'eau, je repoussai ce souvenir etme concentrai surma tâche. L'expérience

m'avait appris que si je travaillais jusqu'à ne plus en pouvoir, j'arrivais à me rendormir pourgrappillerquelquesheuresdesommeilsupplémentaires.Aprèsuncafé, j'avaisassezd'énergiepouraffronterlajournée.SachantquejedevaisallerbosserauMaskdansdix-huitheures,j'avaisintérêtàavoirmonquotaderepos.Ajustant mon casque sur mes oreilles, je lançais un sample, une voix féminine qui chantait en

français. Le timbre était léger, aérien, les mots comme une caresse. La première fois que j'avaisentendu cette voix, j'en avais eu des frissons. Ça irait àmerveille avecmon sample de cordes. Jel'ajoutaiàmonmorceau,quej'avaisintituléI'mHauntedenattendantdetrouvermieux.Soudain,unemainvintseposersurmonépaule.Terrifiée,jemelevaid'unbond,lesoufflecourt.

J'arrachaimoncasqueetfisvolte-facepourmieuxdistinguermonassaillant.Megan,macolocataire,medévisageait,effrayée,lescheveuxenbataille.Derrièreelle,laportede

machambreétaitouverte,révélantlecouloirsombre.

— Ça va ? me demanda-t-elle. Ta musique m'a réveillée… J'ai frappé à la porte, mais tu nem'entendaispas,avectoncasque.Elleavaitunemarqued'oreillersurlapeausombredesajoue.Moncœurcommençaàsecalmer.—Tum'asfoutulesjetons,avouai-je,lamainsurlapoitrine.Jesuisdésolée.J'étaisentrainde…Jejetaiunregardàmonécran,oùmacompositionétait toujoursaffichée.Megansepenchavers

l'ordinateur,curieuse.—C'estquoi?Dutravail?Ilest1heuredumatin,tusais.—Hum…riend'important.Jetuaisletemps,c'esttout.Désoléedet'avoirréveillée.Jen'avaisjamaisparléàMegandelamusiquequej'écrivais.Elleavaitdespeluchessursonlit,des

tas de portraits d'elle et ses amies sur lesmurs de sa chambre, alors que je n'avais pas décoré lamienne.J'avaisjustedisposéquelquesphotosdemesgrands-parentsicietlà.Inutiledepréciserqu'onpouvaitdifficilementêtreplusdifférentesquenousdeux.Nousétionsencolocationdepuisquelquesmois:Meganavaitpubliéuneannoncedanslejournal

de la fac.Bienqu'ellesoitbeaucoupplussociablequemoi,sortantdeuxou trois foisparsemaine,ellemefichaitlapaix.Çameplaisait.Maisducoup,nousnousconnaissionsàpeine.Nousnefréquentionspaslesmêmesendroits:àvrai

dire, je préférais passermes soirées à lamaison, dansma chambre.Çam'allait bien comme ça…jusqu'àcemomentprécis.Parcequ'àencroiresatête,jel'avaisvexée.—Ondiraitdelamusique,sur tonécran,dit-elle.Je jouaisdelaclarinettedansunorchestre,au

collège.Tuétaisentraindecomposer?Jenesavaispas…Ellesemblaitàlafoispeinée,etpleinederegrets.Jerougis,coupableetgênée.—Cen'estpasgrand-chose…Jefaisçaquandje…Jemereprisjusteàtemps.J'avaisfailliluiparlerdemescauchemars.Qu'est-cequisepassaitdans

matête,cesjours-ci?—…quand je n'arrive pas à dormir. Je compose un peu pour tuer le temps. Il doit y avoir un

problèmeavecmoncasque:jesuisnavréedet'avoirréveillée.—Oh,soupira-t-elle,déçue.Tusais,commeturestestoujoursdanstachambre,jenesaisjamais

vraimentcequetufais.Ondiraitquetun'aimespastraîneraveclesautres…mêmemoi.Alorsqueçafaitdesmoisqu'onestcolocataires,maintenant.Ma culpabilité augmenta d'un cran,me vrillant l'estomac. Elle avait raison. Chaque fois que ses

amiesvenaientcheznous,jem'enfermaisdansmachambre,moncasquesurlesoreilles,lesyeuxauplafond.Jereculaipourm'appuyersurlebureau.—Jenevoulaispas…Jeveuxdire…Merde,j'étaisnulle.Direquejecroyaisqu'elleetmoi,onétaitd'accord.Aulieudeça,ellepensait

quejelarejetais.Etonnepouvaitpasleluireprocher.—Jesuisvraimentdésolée,finis-jeparsoupirer.Ellehochalatête,toujoursvexée.Mesexcusesneluisuffisaientpas.— On pourrait faire un truc ensemble ? Un de ces quatre. Bientôt, proposai-je pour me faire

pardonner.Elleétaitdéjàvenueenboîtequandj'étaisauxplatines,maisçanecomptaitpascommeunesortie.—Tuveuxbien?demanda-t-elle,soudainpeusûred'elle.J'acquiesçai,unpeurassérénée.Aupointoùj'enétais,j'auraisacceptédefairel'ascensiondumont

Fujiavecelle.Jem'étaissentievraimentmalenlavoyantsitriste.—J'aiunesuperidée:ilyaunesoiréejeudi…,dit-elleensecouantsesboucles.Je ne pus réprimer un grognement. Ce n'était pas la première fois qu'elle me demandait de

l'accompagneràunefêtesurlecampus.—Euh…jepensaisplutôtlouerunecomédieromantiqueetfaireuneorgiedeglaces.Un tête-à-tête à lamaisonmepermettrait d'éviter deme confronter àmesdifficultés sociales.Et

commeça,jeseraissûredenepasavoirdecrised'angoisse.—Maisilyaurapleindemecssupermignons,roucoula-t-elleens'approchantdemoi.Sescheveuxetsesyeuxbrunsbrillaientdanslalumièredemonécran.—Ilfautabsolumentquetuviennes.Tunepeuxpasraterça!Jetemaquillerai,etteprêteraides

habits.Jevaistetransformerenvéritablefemmefatale.Allez,justeunefois!Ensuitejetelaisseraitranquille.Refuserferaitdemoilapireconnassedetouslestemps.Jel'avaisréveillée,aprèsl'avoirrepoussée

pendantdesmois.Paslapeinedeluidonnerl'impressionquej'avaisunetrophauteopiniondemoipouraccepterdememontrerenpublicavecelle.Peut-êtrequ'ellemeficheraitlapaixaprèsça.Ellepenseraitquejem'ouvraisàelle,etjen'auraisqu'àluicachermessecrets.—D'accord,jevaisvenir.Ilfaudraitjustequejefinissemesrévisionsenfind'après-midilejeudi.Etavecunpeudechance,je

neseraispasobligéederestertard.—Super!s'écria-t-elle.Bon,jevaisretournermecoucher.J'aiuneinterrod'algèbredemainmatin.

Je sais bien que je vaisme planter,mais c'est pas une raison pourme pointer avec une gueule dedéterrée.Jemepermisunpetit ricanement.Comme siMeganpouvait nepas resplendir.Elle était grande,

avecune silhouette sublimeetunepeauparfaite. Il émanaitd'elleuncharisme fou.Etpourne riengâcher,elleétaitétudianteenmaths.Unespritaffûtédansuncorpsderêve.—Tunevaspas le regretter,promit-elle, sensibleàmondésarroi. Je resteraiprèsde toi.Onva

biens'amuser,tuverras.Jelaserraicontremoipourdissimulermagêne,puisellesortitenrefermantlaporte.Jemeremis

aubureaupouréteindrel'ordinateur.Monhumeurcréatives'étaitenvolée,remplacéeparunsentimentdedésorientation.Cherchantàm'occuperlesmainsetl'esprit,jeclassailespapiersquitraînaientsurmatable.C'était

unvieuxmeuble,maiscommeilvenaitdemongrand-père, jem'efforçaisdelegarderrangéetenbonétat.Ensuite, jemeglissaidansmon lit, lesyeux rivés sur lesombresauplafond jusqu'àcequemes

paupièressefermentd'elles-mêmes.

J'avaisdécidédemenerunevietranquille,stable.Prévisible.Maisj'avaisl'impressionquetoutétaitsurlepointdevolerenéclats.Etjen'étaispascertained'yêtreprête.—Queldommagequetuaiesrefusédeporterunejupe,soupiraMeganenm'examinantdelatête

auxpieds.Nousétionssurletrottoirdevantlelocald'unefraternité,auxabordsducampusdeSmythe-Davis.

Desétudiantsallaientetvenaientenriant.Jevibraisausondesbassesquis'échappaientparlaporte.—Écoute,j'aidéjàfaitdescompromis.La jupequ'elleavaitvoulume forceràenfilern'étaitpasplus longuequ'uneceinture, et elleme

suggérait de l'assortir d'un string.Mais exhibermon intimité ne faisait pas partie de l'éventail despossibles.J'avaisdoncexigédeportermonjeandélavé,toutenacceptantuntee-shirtmoulantornédumessage«I<3Bacon»enlettresrosespailletées.Megan m'avait aussi maquillée et coiffée. À ma grande surprise, elle avait réussi à ne pas me

déguiser en«Barbie fait le trottoir ».Elle s'était contentéed'unmaquillage smokypour soulignermonregard,etavait remontémescheveuxenunchignonnégligéduquels'échappaientdesmècheslégèrementondulées.C'étaitàlafoischicetdécontracté;ilfaudraitquejeluidemandedes'occuperdemonlookplussouvent.—Heureusement,toutlehautducorpsestsupersexy,commenta-t-elleenmeprenantparlebras.

Allez,viens,onvasebourrerlagueule.—Ouhlà,protestai-jeenm'arrêtantnet.C'estpastropmongenre,tusais.—OK,OK,tempéra-t-elle.Justeunebièrepourtedétendreunpeu.Uneoudeux,c'esttout.Enplus,

c'est du pipi de chat, dans ces fûts. Les étudiants sont des gros radins, au cas où tu n'aurais pasremarqué.Oooh,regarde,c'estBobby!Ilesttellementmignon…Lejeunehommeenquestion,trèsbronzé,portaitlemaillotdesonéquipedefootballaméricain.Il

se tenaitavecd'autres joueurs,sourireauxlèvres,sur lapelousedevant lamaison.Ils levèrent leurverredansuntoastbruyant,etentonnèrentunhymnesportifdopéàlatestostérone,avantdefranchirlaported'entrée.Nousnousapprochâmesànotretour,derrièreungroupedefillesquibavardaientavecanimation

ensirotantdesboissons.Entendantunechansonà lamode,Megansemit aussitôt àdanser.Ellenepouvait s'empêcherde

lancerdesregardsfurtifsàBobby.Aprèsquelquesminutes,jesoupiraietl'incitaiàfairecedontellerêvait.—Allez,valuiparler…—Maisjeneveuxpastelaissertomber.—Net'enfaispaspourmoi.—Sijetelâcheuneseconde,tuvast'enfuir.—Non,pasdutout,bredouillai-jeenrougissant.Jevaisrester.Unpetitmoment,entoutcas.—Promisjuré?J'acquiesçai.Sonvisages'éclaira,etellepressamamaindanslasienne.

—Merci. C'est vraiment super sympa de ta part. Maintenant, va vite te chercher une bière. Tuverras,tuserasplusàl'aise…Elles'éloignaversBobbyetengageaaussitôtlaconversation.La musique était rythmée, puissante. Je la sentais battre dans mes veines. Un peu trop forte et

déséquilibrée,etlesenceintesn'étaientpasdelameilleurequalité,maiscesoir-là,cen'étaitpasmoileDJ.Aulieudepenserautravail,j'allaistenterdem'amuser.Uneseulebière.Jepourraisladégusterlentementavantdem'éclipser.D'ailleurs,Meganavaitsans

douteraison:çam'aideraitàmedétendre.Çaneseraitpasderefus,avecmesmainsquitremblaientetmonestomacquifaisaitdesnœuds…Jeprisquelquesinspirationstoutenobservantlapiècebondée.Jereconnaissaisquelquesgarçonsavecquij'étaisencours.Ilsdraguaientungroupedefilles.Certes,jemedoutaisquel'endroitseraitsurpeuplé,maisjenem'yétaispassuffisammentpréparée.Mon look semblait bien terne comparé à celui des autres filles. Toutes arboraient des tenues

semblablesàcelledeMegan:mini-jupesfluo,hautsmoulantsoudécolletésjusqu'aunombril…—Eh,tuveuxunebière?proposaunevoixmasculinedansmondos.Jemeretournai.Letypemedétailladelatêteauxpiedsensouriantjusqu'auxoreilles.Iln'étaitpas

vilain,avecsescheveuxblondsébouriffésetsesyeuxbleus,maisc'étaitlegenredemecàjouerdesesatoutspourmultiplierlesconquêtes.C'estdumoinsl'impressionqu'ilmefaisait.Maisj'étaispeut-êtreinjuste.—Euh…jevaisallermeservir.Merciquandmême.Unefillenedoitjamaisaccepterunverred'uninconnu,mêmes'ilparaîtgentil.—Ilvayavoirunconcoursdetee-shirtmouillé,reprit-ilenregardantmesseins.Jepensequetu

devraist'inscrire.Onoffrecentdollarsàlagagnante.Ilsouriaitàprésentjusqu'auxmolaires.Commequoi,lapremièreimpressionestparfoislabonne.Cetypeestungrosrelou.—Merci,jecroisquejepréfèregagnermavieautrement,rétorquai-jeentournantlestalons.Sansluilaisserletempsderéagir,jemedirigeaiverslejardin,oùdevaitsetrouverlefûtdebière.J'allaismeservirunverre.Si jerestais làuneheureoudeux,Megannepourraitpasseplaindre.

Ensuite,jerentreraisàlamaisonoùjemeblottiraisavecunbonlivre.C'étaitgagnant-gagnant.Dans le patio, une petite brune se tordit la cheville sur ses talons compensés et tomba surmoi,

m'éclaboussantlescheveuxavecsongobelet.—Désolée,gloussa-t-ellealorsquejel'aidaisàseredresser.Eh…maisonseconnaît!En effet, on s'était déjà croisées.C'était l'une des deux filles qui passaient leur temps à tenter de

convaincreDanieldecoucheravecelles,àgrandrenfortdebattementsdecils.—Onestensembleenphilo,complétai-jeenessuyantlabièrequimecoulaitsurlesjoues.Megans'étaitdonnétellementdemalpourrien!Àprésent,jepuaislehoublon…—Ahoui,c'estça,renchérit-elleenlissantledébardeurquiluimoulaitlapoitrine.Tuparticipesau

concoursdetee-shirtmouillé?Çavaêtretropmarrant!Aufait,moic'estAmanda.—Casey,répliquai-jedemontonlepluspoliavantdem'éloigner.

Amandamesuivitalorsquejem'approchaisdufûtetremplissaisungobelet.Ellemetenditlesien,que je remplis également. Non qu'elle en ait besoin.Mais je suppose qu'elle voulait remplacer leprécieuxliquidedontellem'avaitarrosée.—Cequ'on s'emmerde,danscecours !grommela-t-elleavecunepetitemoue. Jenecomprends

riendutout.Jecroisquejevaislâcherl'affaire.Lesoleilcommençaitàsecoucher,etlatempératurefraîchissaittrèslégèrement.Unebriselégère

mecaressalevisage,m'arrachantunsoupirdeplaisir.—C'estquoi,tesautresmatières?Tuesenquelleannée?medemandaAmandaensedésaltérant.Je bus à mon tour et me dirigeais vers le fond du jardin, loin de la foule dense qui dansait et

bavardait en sonmilieu.Peut-être que si jeme concentrais surmabière, je n'aurais pas besoin debeaucoup lui parler. Aussitôt, je me reprochai cette pensée. De toute évidence, elle essayait de semontrersympa,maisonn'avaitvraimentrienencommun.—Jesuisenquatrièmeannéedecommerce.Doncjen'aiquasimentplusquedescoursd'écooude

gestion,àpartquelquesoptions.Partoutfusaientdesrires,lesgenss'embrassaient,échangeaientdessourires,bavardaient.Pourune

raisonbizarre,j'eneuslecœurserré.Peut-êtrequejelesenviais,etquej'auraisvoulumedéfairedemonobscuritéintérieure.—Jesuisentroisièmeannée,m'informaAmandaenlorgnantungrandtypenoirquipassaitnon

loin. Bordel, cemec est gaulé comme un dieu…Tu as vu sesmuscles ? Oh ! Regarde qui vientd'arriver!C'estDaniel,legarsquiestenphiloavecnous!Lecœurbattantlachamade,jeprisunegorgéedebière,espérantdissipermanervosité.Unedouce

torpeurvint se répandredansmesmembres. Jebaissai lesyeuxversmongobelet : il étaitpresquevide.J'étaistellementanxieusequejel'avaisdescenduendixminutes.Merde.Daniel s'était arrêté sur le pas de la porte. Il était grand, puissant, et encore plus attirant que

d'habitude.Sescheveuxnoirsétaientunpeuébouriffés.Ilportaitunjeanetuntee-shirtnoirornédulogod'ungroupegrungedesannées1990.—Jevaisluiparler,déclaraAmandasansserendrecomptedemonétat.Est-cequej'ail'airbien?Ellelissaunenouvellefoissontee-shirttenduàcraquersursesseins.—Tuassurtoutl'airdequelqu'unquivadévorersaproie,fis-jeremarquerenriant.—C'estexactementça!pouffa-t-elle.C'estbienmonintention!Àplus!EllefonçasurDaniel,trébuchantàplusieursreprisessursestalonsdémesurés.Jenepusretenirunpetitrire.Quis'arrêtanetlorsqu'ellearrivadevantDanieletluiposaunemain

surletorse.Ill'accueillitavecunsourirechaleureuxetilssemirentaussitôtàbavarder.Jemesentisenvahiepardessentimentsamers.Jenevoulaispaslavoirledraguer.Nil'inverse.Jeretournaid'unpasdéterminévers lefûtpourreprendreunebière.Mesperceptionsétaientà la

fois engourdies, et bizarrement alertes. Je sirotai mon verre lentement, bien décidée à ne pasl'engloutird'unetraitecommeleprécédent.J'avaisl'impressiond'entendremonsangbattredansmesoreilles,irréguliercommeunemélodieunpeufausse.

Etcen'étaitpasseulementl'alcool.C'étaitlui.Si j'avaissuqu'ilserait là, jeseraissansdouterestéeà lamaison.Puis jememisàriredemoi:

j'étais ridicule, à essayer deme faire toute petite et d'arrêter de le regarder.Comme si je pouvaislutter.Ilm'attirait,depuisledébut.Danielsedétournad'Amandaetbalayal'assistanceduregard.Enfin,ilmevitetgardalesyeuxrivés

surlesmiens.Lagorgeserrée,lesbrashérissésparlachairdepoule,j'étaisassaillieparuneboufféedepanique.Maisqu'est-cequimeprenait ?Pourquoi est-ceque jeme laissais aller àboire, àm'intéresser à

lui?C'étaitcomplètementstupide.Ilfallaitquej'étouffecesémotions.DanielsetournadenouveauversAmanda,àquiiladressaquelquesmotsavantdesedirigervers

moiàtraverslafoule.Jeneparvenaispasàlequitterdesyeux.L'effetdel'alcools'accentuant,moncorps me semblait léger, aérien. J'avais l'impression que mes membres s'étaient allongés. Je mesentaisbizarre,unpeuexcitée,pleinementconscientedetoutcequim'entourait.Etcontrairementàcequej'auraispucroire,c'étaitunesensationtrèsagréable.D'unemain, jem'agrippais à la barrière, et de l'autre, je serrais convulsivementmongobelet en

plastiquerouge.Soudain,jen'avaisplusenviedefuir.Monangoisses'évanouit.Jeneressentaisplusqu'unviolentdésird'êtreplusprèsdelui.

Chapitre4

Daniels'arrêtaàquelquespasdemoi,radieux,etmedévisageaquelquesinstants.—Quefaitunefillecommetoidansunesoiréecommecelle-ci?demanda-t-il,désinvolte.—Ettuarrivesàséduirelesdemoiselles,aveccegenredeclichés?—Jusqu'ici,çan'ajamaismarché,avoua-t-il.Ilallaseservirunebièreavantderevenirprèsdemoi.—Sérieusement,jevaisparfoisdansdesfêtes,etjenet'yvoisjamais.Jemecontentaidehausserlesépaules.Saprésencemedonnaitdedélicieuxfrissons.Cen'estqu'ungarçoncommelesautres,mesermonnai-je.Pasdequoiêtrenerveuse.—Jenesorspasdesmasses.C'étaitunefaçondevoirleschoses.Jereprisunegorgéedebière.—Çam'étonnequetunesoispascheztoi,entraind'inventerunnouveauconceptphilosophique,

ajoutai-je.—Biboergosum,rétorqua-t-il.—Euh…c'estdulatin,non?Qu'est-cequeçaveutdire?—Jebois,doncjesuis.Tchin!répondit-ilencognantsongobeletcontrelemien.Je le regardai prendre une gorgée, puis me forçai à détourner les yeux, m'absorbant dans la

contemplation de ses chaussures. Encore ces Converse. Elles étaient usées, confortables. Il devaitaimerêtredehors,bouger.—Quit'aconvaincuedevenir?—Macolocataire,expliquai-jeavecunsourirerésigné.Elleestdanslecoin.Entraindes'amuser,

d'êtresociableetrigolote.Jerougis.Labièremedonnaitchaud.Jedevaisluirecommeunelanterne.Descrissuraiguss'élevèrentaufonddujardin.Nousnoustournâmespourvoircequisepassait.

Unebandedegarçonsbalançaitdesseauxd'eausurunerangéedefilles,révélantleursseinssousletissumouillé.Unpeuplusloin,Megan,agrippéeàsonfootballeur,l'embrassaitàpleinebouche.Illaserracontrelui.Jerougisdeplusbelle,etreportaimonattentionsurleprofildeDaniel, lespommettessaillantes

dans les rayons obliques du couchant. Il secoua la tête avec un rire incrédule en contemplant leconcours.Unesensationdélicieusemeparcourutlapeau.—Ilfauttoujoursquecessoiréesfinissentdansladébauche,commenta-t-ilavecunsoupir.Ilmeregardadesesyeuxd'unvertbrillant.—Oui,etdirequej'airatéçapendantdesannées,queldommage!—Oh,tuviensdefaireuneblague?s'étonna-t-il,lamainsurlecœur.Est-cequeçaveutdirequetu

commencesàappréciermacompagnie?—Nenous emballons pas, répondis-je avec un soupir théâtral. Il va falloir encore beaucoupde

citationslatinespourmeconquérir.Ouhlà!C'étaitvraimentmoi,cettefillequiflirtaitcommeçaavecungarçon?Jen'auraispascru

çapossible…Maisilyavaitquelquechoseenluiquimedonnaitenviedetrouverlarepartieàsesremarqueshumoristiques.Etlabièrenedevaitpasyêtrepourrien.Leremèdeidéalpourêtreàl'aiseensociété.—Casey!s'écriaunevoixstupéfaite.JemetournaipourdécouvrirMegan,encompagniedesonfootballeur,lesyeuxrivéssurDanielet

moiavecunintérêtnondissimulé.Ellemedécochaunclind'œilquisevoulaitdiscret,maisc'étaitvraimentratéetjenepusretenirunegrimace.—Vousfaitesquoi,touslesdeux?—Ondiscute,marmonnai-je.Euh…jeteprésenteDanielGriffin.Onestensembleenphilo.Daniel,

voicimacolocataire,MeganPorter.Et…Merde,j'avaisdéjàoubliéleprénomdesoncopain.—BobbyEllison,complétaMegan,radieuse.Iljouedansl'équipedefootballaméricain.Jemeretinsdeleverlesyeuxauciel.Çaauraitétédifficiledenepascomprendrequecetypeen

maillotdefootballjouaitaufootball.MaisMeganavaitunfaiblepourcegarçontoutenmuscles,etcen'étaitpasàmoidejuger.—Enchantée,mehâtai-jededire.BobbymeréponditparunsignedetêteetseremitaussitôtàdévorerMegandesyeux.Illuipassa

unbrasautourdelatailleetl'attiracontrelui.—Vousparliezdequoi?demandaMeganavantdepoufferparcequeBobbyl'embrassaitdansle

cou.Hum,c'estdélicieux…maisj'aimeraispouvoirmeconcentrer!Çadevenaitvraimentgênant.JelançaiunregardàDaniel.—Nousdiscutionsdecitationslatines,déclara-t-ild'untondégagé.Etunpeudephilosophie.Nous

étudionsNietzscheencours,etilaécritdeschosesfascinantessurDieuetsurlamorale.Est-cequetuconnaisunpeusapensée?Jeseraiscurieuxd'avoirtonpointdevuesurlaquestion.—Euh…,réponditMegan,l'œilvaguesousl'effetdecetteentréeenmatièresoporifique.Non,pas

vraiment.Jesuisenmaths,moi, tusais.Bon,onvaallerseresservirunebièreetpapoterunpeuàdroite,àgauche.Onvouslaisseàvotrepalpitanteconversation.Quandilsfurentrepartis,jepusenfinmelaisseralleràrire.—Félicitations!Tuestrèsefficace.Elles'estlittéralementenfuie.—Ellen'apaslesmêmesgoûtsraffinésquenous,c'esttout.Est-cequetuteplaisdanscettesoirée?

medemanda-t-ilenposantlesmainssurlabarrièredepartetd'autredemoi,m'emprisonnantentresesbras.—Pastrop,avouai-jeenmefrottantlecreuxdelapoitrine.Ilyavaittropdebruit,jen'arrêtaispasdemefairebousculer…cen'étaitvraimentpaslelieupour

moi.Mêmelabièreneparvenaitpasàmedétendrecomplètement.

—J'aiuneidée,lançaDaniel.Tuveuxqu'onparte?Je restai un instant incapable de réfléchir, puis je scrutai son regard. Il ne semblait pas avoir de

mauvaisesintentions.Maispouvais-jeluifaireconfiance?Cen'est jamaissûrdequitterunesoiréepoursuivreuntype.Surtoutquandonneleconnaîtnid'Èvenid'Adam.Ils'écarta,melaissantrespirer.—Je connaisun endroit oùon est tranquille pourparler, ajouta-t-il.Tun'aurasqu'à envoyerun

textoàMeganpourluidireoùonva.Moninquiétudedevaitseliresurmonvisage.Maisilétaitassezattentionnépourtenterdedissiper

mescraintes.Jefinismongobeletavantdelejeterdansunecorbeille.Fallait-ilyaller?Ouvalait-ilmieuxresterlà?—Tupeux rester, si tu préfères, déclara-t-il comme s'il lisait dansmes pensées. Je crois que le

concoursdeMisstee-shirtmouillévacommencer.Ilavaitraison,jenepouvaispasensupporterdavantage.J'envoyaiuntextoàMeganpourluidire

quejem'absentaisunepetiteheure.Puis,enfonçantlesmainsdanslespochesdemonjean,jelevailesyeuxversDaniel.—Jetesuis.—Un cinéma de plein air ?m'étranglai-je lorsque Daniel gara son épave sur le parking, trois

quartsd'heureplustard.Jenesavaismêmepasqueçaexistaitencore.Pourmoi,c'étaitunvestigedesannées1950…—Pourquoi?Tun'aimespaslesfilms?répliqua-t-ilenriant.En tout cas, il ne m'avait pas menti : nous n'étions pas seuls. Quelques autres voitures étaient

disperséesdevantlegigantesqueécranblanc.Unebriselégèreentraitparmafenêtreouverte,faisantvolermescheveuxautourdemonvisage.—Biensûrquesi,répondis-jedemonairleplussage.Jeparvenaisàmainteniruneapparencedecalme,mais j'avais l'estomacqui faisaitdesnœuds.Et

mon cœurn'était pas revenu à son rythmenormal depuis quenous avionsquitté la soirée,malgrél'attitude respectueuse de Daniel. Il avait allumé l'autoradio pour meubler les silences crispés, etn'avaitpascherchélecontactphysique.—Qu'est-cequ'ilsprojettent,cesoir?—Aucuneidée,avoua-t-il,m'arrachantunéclatderire.Jesaisqu'ilssontouvertstouteslesnuits

tantquelatempératurelepermet,doncjemesuisditqu'onpouvaittenternotrechance.Ilpayal'entréeettrouvauneplaceverslemilieudel'espace.Iln'yavaitpasd'autresvoiturestout

près,maisonn'étaitpasisoléspourautant.Je commençai à me détendre. Daniel ne faisait toujours aucun mouvement pour s'approcher. Il

semblait parfaitement décontracté. Il coupa le contact et accrocha le haut-parleur sur la portière,laissantpendresonbrasparlafenêtre.PuisilsepenchaverslaboîteàgantsetensortitunénormepaquetdeM&M's.—Tuasfaim?

—Tugardesduchocolatdanstavoiture?—Pastoi?—Maisçanefondpas?demandai-jeenregardantlesachetd'unairsceptique.Ilavaitfaitunetempératurecaniculairetoutelajournée,mêmesil'atmosphèreavaitunpeufraîchi

depuisuneheure.—Sansdouteunpeu,maisc'estquandmêmebon.Ilfouilladenouveaudanslaboîteàgantspourattraperdeuxcuillèresenplastiqueemballées.—Tiens.Çaseramieuxcommeça.Jeledévisageai,lesyeuxronds.—Tantquetun'aspasmangéduchocolatfonduàlapetitecuillèredirectementdanslepaquet,tune

connaisriendelavie,déclara-t-il,solennel.Iln'yariendemeilleur.Aprèstout,j'adoraislechocolat.Avecunhaussementd'épaules,jedéballaiunecuillèreetfourraile

sachetdanslecendrierdelaportière.IlouvritlepaquetdeM&M'setpuisaunebouchéedechocolatfondu.Leslèvresserrées,jenefaisaispasungeste.Danieldonnaunpetitcoupdelanguesurlapointedesacuillèresansmequitterdesyeux.Jesentis

tout mon corps se tendre de plus belle, mais la sensation était différente. Sa façon de lécher sonchocolatétaittrèssexy.Ilfaisaitçaavecdétermination.Avecunplaisirpur.Jefrissonnai.Impatientedemechangerlesidées,j'enfonçaiàmontourmoncouvertdanslesachet.—Hum,c'estplutôtbon,admis-je,labouchepleine.C'étaitunpeudégoûtant,certes,maisc'étaittoujoursmieuxquedegaspiller.L'écran s'illumina.Après quelques pubs pour les stands de nourriture du cinéma, je reconnus le

génériqued'ouverturedeBlanche-Neige.—Retourenenfance…,commentaDaniel.Blanche-Neige.Çafaisaituneéternitéquejene l'avaispasregardé.Quandonétaitpetites,Lilaet

moi,onpassaitleDVDenboucle.Unété,notremèreavaitfailliendevenircinglée.Onadoraitvoirlesanimauxfaireleménagechezlesnains.Lilaenfilaitsaplusbellerobe,etellechantait,unplumeauàlamain,devantlatélé.Lagorgenouée,j'avaisdumalàavalermabouchéedechocolat.Jereposaimacuillère.—C'estquoi,l'alimentquetudétestesleplus?s'enquitDaniel.—Hein?Laquestionétaitsibizarrequ'ellem'arrachaàmatristesse.—Moi,c'est lanoixdecoco,expliqua-t-il.Jen'enmangeraispourrienaumonde,mêmecachée

dansungâteau.—Mêmepasavecduchocolat?Moi,j'adoreça.—Beurk,non.C'estunproduitdudiable,répliqua-t-ilenmimantledégoût.—Pourmapart,c'estleketchup.—Commentpeux-tunepasaimerleketchup?Tuessûrequetuesaméricaine?Jenesaispassion

vapouvoirsefréquenter…Tuvasdevoirrentreràpiedsiçacontinuecommeça,décréta-t-ilenmemontrantlaporte.—Arrête!Leketchupmasquelegoûtdesaliments!protestai-jeenriant.—Pasdutout.Aucontraire,ilvientrehausserlessaveursnaturelles.Nousrestâmesunmomentsilencieux,détendus,devantBlanche-Neige.—Tuesenfacdequoi?medemanda-t-ilsoudain.Manifestement,ilfaisaitpartiedecettecatégoriedegarçonsquiveulenttoutsavoirdèslepremier

rendez-vous.Jenesavaispastropquoienpenser.Engénéral,ilsonttendanceàêtreunpeulourds,maispourl'instant,iln'avaitposéaucunequestionindiscrète.—Decommerce,répondis-jeenmeforçantàfairetairemescraintes.JecomptepassermonMBA

unpeuplustard,aprèsavoirtravailléquelquesannées.Ettoi?—Qu'est-cequit'intéressedanslecommerce?—Ehbien… il y abeaucoupdedébouchés. Jen'aurai pasdemal à trouverun emploi. J'ai déjà

commencéàchercher.—D'accord,maisqu'est-cequit'intéresse,toi,danscedomaine?Qu'est-cequitedonneenviede

bosserlà-dedans?—Cen'estpasunequestiond'envie,répliquai-je,lesjouesenfeu.C'estunequestiondesécurité.Je

veuxêtrecertainedetrouverunbonposte.Jevaisacheteràboire.Qu'est-cequetuveux?—UnCoca,s'ilteplaît.Jemeruaihorsdelavoiture,puistentaidemarchercalmementverslestand.Pourquoiest-cequeje

réagissaiscommeça?Jen'avaisaucuneraisond'avoirhonte.Cen'estpasparcequ'onnechoisitpasunefilièrequienjette,commeletressagesous-marindepaniersd'osier,oulelatindecuisine,qu'onnes'épanouitpas.Jericanaiintérieurement.Lasécuritédetrouverunboulot,c'estépanouissant.Etj'avaisunprojet.Jen'avaispasàmejustifier.NidevantDaniel,nidevantquiconque.

Chapitre5

JecommandaideuxCocaetretournaiverslavoiture,chargéedesdeuxénormesverrespleinsàrasbord.Jeneregardaispasl'écranenmarchant.Jemesentisunpeucoupable.Danielnedevaitpassedouterdel'impressionqu'ilm'avaitfaite.Maréactionétaitpeut-êtreunpeuexagérée.C'étaitnormal,aprèstout,qu'ilaitenviedesavoircequimeplaisait.Ilétaittrèscurieux,jel'avaisdéjàremarqué.Ilouvritlaporteenmevoyantapprocher,etjemeglissaiàmaplaceavantdeluitendresonverre.—Merci,dit-ilavecungrandsourire.Toutcechocolatfondum'adonnésoif.—Ettoi,c'estquoitamatièreprincipale?LeCocaétaitdélicieux,bienfraisetpétillant.Çam'aidaitàclarifiermesidées.Leseffetsdel'alcool

étaient presque entièrementdissipés ; j'étais denouveau enpleinepossessiondemesmoyens, plusconfiante.Moinsflottante,moinsenproieàmonémotivité.J'étaisplusensécurité.—Mapremièrespécialisation,c'estl'anglais,etensuite,histoiredel'art.—Mais…quelmétiertuvasfaire,avecça?C'étaitunedrôledecombinaison.Çanemesemblaitpastrèspragmatique.—Jen'enaipaslamoindreidée.Jepensepeut-êtreenseigner,maispourl'instant,jemecontentedu

plaisir d'apprendre. Je préfère vivre l'instant présent plutôt que de m'angoisser en cherchant àplanifier l'avenir. J'ai la chance de pouvoir travailler quand je veux dans l'étude notariale demonpère,pourgagnerunpeud'argentquandj'enaibesoin.Le silence s'installaune foisplus,mais la tensionétait retombée.Blanche-Neigecouraitdans les

bois,effrayée.J'auraisvouludétournerlesyeux,maisjen'yarrivaispas.Pendantcettescène,Lilacouraitautourdusalon,etj'avaisl'habitudedelapoursuivre.Jefermailes

yeux,meforçantàrespirercalmement.N'importequoipeutdéclencherunecrised'angoisse.Iln'yapasmoyendel'éviter.Letout,c'estdesavoirlagérer.Maisj'auraisquandmêmepréféréqu'onaillevoirunautrefilm.—Tufaisquoi,quandtut'ennuies?demandai-jepourmechangerlesidées.Jedevaiscesserde ruminer, revenirdans leprésent.Lui retourner le feunourridesesquestions

étaitsansdouteunbonmoyen.—Jenem'ennuiejamais,répondit-ilavechauteur.Jemetournaiversluienriant.—Bon,d'accord,c'étaitunbobard,avoua-t-ilensuçotantsapaille.JemebaladedansCleveland,à

larecherchededistractionsgratuites.Ilyatoujoursquelquechoseàfaireenville.—Ah,tuesfauché?—Non.Nechangepaslesujet,s'ilteplaît,metaquina-t-il.TuesdéjàalléeauRockHall?LeRockandRollHallofFameétaituneattractionbienconnuedeCleveland.—Pasencore,maisj'enaientenduparler,biensûr.Çacoûtecher,non?

—Oui, mais il y a des parties qu'on peut voir sans payer. La boutique, l'entrée… J'aime aussiregarderlespassantsetprendredesphotos.Ilyapleindegensbizarres,parlà-bas.Jenesaispassituasremarqué.—Tuyvasavecqui?—Personne,répondit-ilavecunhaussementd'épaules.—Tunetesenspastropseul?Jel'imaginaisentraindesepromenerdanslecentre,appareilphotoàlamain.Semêlantàlafoule

pourimmortaliserdesfamillesunies.J'enseraisincapable.C'étaitl'unedesraisonspourlesquellesjepréféraisresterà lamaison,àécriredelamusique,quandjenebossaispascommeDJ.C'étaituneactivitéquejepouvaisfaireensolosansmesentiridiote.—Pasdu tout. Je suisentouréet j'observecequi sepasseautourdemoi.Onapprenddes tasde

choses quand on se laisse porter par le flot. Il suffit d'épier les conversations.Un jour, j'ai vu uncoupleseséparer.Ilssontrestéstrèsdignes.Uneautrefois,unefemmeaannoncéenpleurantàsonmecqu'elleétaitenceinte.Ils'estaussitôtmisàgenouxpourluidemandersamain.Elleaditouietluiasautédanslesbras.Toutlemondeaapplaudi.Etaussi,unefois,j'aivudeuxvieillesdamessurunbanc : elles donnaient desmiettes aux pigeons en se tenant par lamain. La vie regorge de jolieschoses…Ilsuffitderegarderautourdesoi.Son ton passionné allait de pair avec un charisme étonnant. Je pouvais presque voir ce qu'ilme

décrivait,etj'eussoudainenviede…fairequelquechose.N'importequoi.Cesserd'êtremoi,oubliermes idées noires pendant un moment, et vivre comme lui. J'avais du mal à imaginer ce que jeressentirais,sij'étaisaussiouverte,sansméfiance.Sij'étaiscapableden'avoirjamaispeur.—Ettoi,qu'est-cequetufaispourt'évader?Jesursautai.Avait-illudansmespensées?—Delamusique,dis-jedansunsouffle.C'étaittoutmonunivers.Lesbassesétaientlebattementdemoncœur,lescompositionsmalignede

vie,quiparvenaitlaplupartdutempsàmemaintenirau-dessusdel'eau.—J'écrisdeschansons,expliquai-je.—Oùest-cequetupuisesl'inspiration?Àvraidire,jenem'étaisjamaisposélaquestion.—En général, jem'assieds et… ça vient comme ça. Je superpose des pistes en tâtonnant. Selon

l'humeur…C'était incroyable que je lui en révèle autant. Mais j'avais l'impression qu'il était capable de

comprendre.Il me regarda droit dans les yeux, et je sentis mon cœur s'affoler. Nous nous étions peu à peu

rapprochés, si bienqu'il ne restait plus qu'une trentaine de centimètres de banquette entre nous.Lalumièrevivedel'écransoulignaitlestachesderousseurdesonnez.Ilavaituneveinequibattaitdanslecou,etsoudain,sonregardseposasurmabouche.Jemeléchaileslèvres.Ilretintsonsouffle.L'ivresse de la bière s'était totalement dissipée, et je ne pouvais blâmer que mes émotions

souterraines. Ce type étrange, magnétique, avait réussi je ne sais comment à envahir toutes mespenséesetj'étaisincapabledel'endéloger.—Tuesunefillepleinedepassion,commenta-t-il.Çasevoitdanstesyeux.Etças'entendquandtu

parlesdemusique.J'acquiesçaiensilence.J'auraisvouluquemonpoulsralentisse,quemesémotionssecalment.C'était ledébutd'unenouvellechanson, et lamélodie sedéversaduhaut-parleurdans l'habitacle.

Mais je ne pouvais détacher le regard des yeux de Daniel. Je pouvais y lire une succession desentiments.Delacuriosité.Durespect.Del'ardeur.Iltenditlentementlebrasversmoietmecaressalamainduboutd'undoigt.Jememisàfrissonner.

Ilsuivitlesillonentremonindexetmonmajeur.Puisilretournamamainpoureneffleurerlapaume.—Tuesunmystère,souffla-t-ilavecunsourireencoin.Uneénigme.Uneabondancedetendances

contradictoires,unlabyrinthe.—Vraiment?m'étonnai-jeenriant.—Hum,jesuisenpanned'analogies.Unsilenceconfortables'installa.Soudain,j'avaismillequestionsàluiposer.Avait-ildesfrèreset

sœurs ?Où avait-il grandi ?Quel genre d'enfant était-il ?Mais si je le faisais, ilme retourneraitcertainementlapolitesse.Etjen'étaispasencoreprêteàabordermonpassé.J'ignorais également comment lui indiquer que ces sujets étaient tabous sans passer pour une

cinglée.Jemecreusailacervellepourtrouverunterrainplusneutre.Uneremarquepastroppersonnelle,

maisquirompraitlesilence.Jeregrettaisdenepasavoirétéplusattentivequandlesgensautourdemoiparlaientdelapluieetdubeautemps.—Euh…Quellessonttescéréalespréférées?—LesCinnamonToastCrunch,répondit-ildutacautac.Ettoi?—LesWeetabix.C'estpleindefibresetdeselsminéraux.—Ah,unchoixtrèssérieux,Casey.Mêmeaupetitdéjeuner,tuneprendsrienàlalégère…Jesavaisqu'ilmetaquinait,maissaremarquemefroissa.Iln'yaquelavéritéquiblesse…Etilétait

vraiquejechoisissaismescéréalescommelereste,pourmasanté,paspourleplaisir.—Tuverras,dansvingtans,quandtuaurasperdutoutestesdents.Tuserasjaloux!C'était nul comme réponse. J'aurais voulumemettredesbaffes.Pendantunmoment, je regrettai

mêmedenepasavoirachetéunebièreaulieuduCoca.Jemeseraissansdoutesentiemoinsnunuche.Etsij'avaisquandmêmesortidesphrasesminables,j'auraispudirequec'étaitàcausedel'alcool.—Sansdoute,convintDaniel.J'aiunaveuàtefaire…Lesyeuxmi-clos,ilseremitàcontemplermeslèvresetsepenchaunpeuversmoi.—Pourquoi?bredouillai-je,lecœuraffolé.—Pourquoiquoi?M'interdisantderegardersabouche,siprochedelamienne,jecherchaiquelquechoseàdire.Mon

corpsétaitsensibleàsaprésence.Jecommençaisàhaletermalgrémoi.Ilportaituneeaudetoilettefraîche,commeunebrisedeprintempsaubordd'unlac.Jevoulaism'approcherencore.

Arrête,m'ordonnai-je.C'étaitdangereuxd'êtreaussiprèsdelui.—Euh…Pourquoitumefaisunaveu?—Tuposesdecesquestions…Jenesaispas.Maisjepourraispasserlanuitàparleravectoi.Et

c'estpourçaquejeveuxt'avouerquejen'arrivepasàtechasserdemespensées.Je restai sans voix, essayant de comprendre pleinement ce qu'il venait de dire. Il était d'une

honnêtetédésarmante,quimettaitàmallebouclierquejebrandissaisenpermanence.—Tum'intrigues,Casey…Ils'apprêtaitàajouterquelquechose,maisjeneluienlaissaipasletemps.Jem'approchaideluiet

posaimabouchesurlasienne.D'abordpétrifiédesurprise,ilnetardapasàmeprendrelamainavantdeplacerl'autremainsurmanuque.Ilglissalalanguedansmabouche.Ilavaitungoûtdechocolat,deCoca,etdemâle.C'étaitplusenivrantquelabière.Lesbattementsdemoncœurétaientdevenuschaotiques.Haletante, jevinsmepressercontre son

torsemusclé.Ilenfonçalesdoigtsdansmescheveux.Jesentaissachaleurm'envahir.J'étaisivredelui,brûlanted'uneémotionquejeneparvenaispasànommer.J'enavaisdesfrissons

jusquedansleventre.Ils'écartauninstantpourreprendresonsouffle,lespupillesdilatées.Ilmeregardaavecunsourire

encoinetm'embrassadenouveau.J'étaisprisedansuntourbillondevolupté.Jem'agrippaisdesdeuxmainsàsesépaulesmusclées.Jesentaissapeaubrûlanteàtraverssontee-

shirt.Ilmecaressait lescheveuxd'unemain.De l'autre, il remonta surmacuisse,versma taille.Cette

sensationsiprèsdemonventrem'effrayaunpeu.Lorsque ses doigts soulevèrentmon tee-shirt pourme frôler le nombril, jem'écartai d'un bond

jusqu'àmaportière.J'avaisl'impressionqu'onvenaitdemeverserunseaud'eauglacéesurlatête.Jetiraisurmonvêtementpourmecouvrirleventreaumaximum,lecœurbattantàserompre.Seigneur,faitesqu'ilnel'aitpassentie.Jen'étaispasprête.Pasprêtedutout.—Toutvabien?demanda-t-ilensepassantlamaindanslescheveux,surpris.J'acquiesçai,lesbrascroisés.—Oui.Désolée.Je…Qu'est-cequejepouvaisdire?Jen'enpouvaisplus,demespeurs,demesfailles,desaperfectionet

demanullité.Jebattisdescilspourchassermeslarmes.Jenevoulaispasqu'ilmevoiepleurer.—Désolée,répétai-je.Çam'avaitprissipeudetempsdemelaisseraller.Puis,laréalitém'avaitrattrapée.Unetensionpalpables'étaitinstalléeentrenous.Danielsetournadenouveauversl'avant,lesmains

surlescuisses.—Jenevoulaispastebousculer,dit-ild'untonpleinderegret.Jesuisdésolédet'avoirmisemalà

l'aise.

Iln'yétaitpourrien.Aucontraire,c'étaitmoilaresponsable.Jem'étaisjetéesurluiavantdefairevolte-face,d'unefaçonincompréhensibleàsesyeux.Ilétaitforcémentperplexe,sicen'estagacé.Etjenepouvaisleluireprocher.Jesecouailatêteetvérifiaiunefoisdeplusquemontee-shirtétaitbienenplace.—Non,c'estmafaute.Maisjesuisunpeufatiguée…Est-cequetu…Est-cequ'on…Ilremitaussitôtlecontactetreposalehaut-parleursursonprésentoir.—Jet'enprie.Pasdeproblème.Pendantletrajetversmonappartement,jen'ouvrislabouchequepourluiindiquerlechemin.Nous

restâmesàbonnedistancel'undel'autre.Enapparence,ilétaittrèsdétendu,maisilavaittoutdemêmeleslèvrespincées.Jem'étaisrarementsentieaussicoupable.Cequinedevait êtrequ'unebanale sortie avaitviré aumélodrame. Jene le reverrais sansdoute

jamais.Etquipourraitluientenirrigueur?Jechassaicespenséespessimistespournepasentrerdanslecerclevicieuxfamilier.Detoutefaçon,

iln'avaitjamaisétéquestionqu'onsemetteencouple.Jen'avaisniletempsnilacapacitédem'ouvriràquelqu'undelasorte.C'étaitmieuxainsi.Maisjenepusréprimerlepincementderegretlorsqu'ilsegaradevantmonimmeuble.Ilcoupalemoteuretsetournaversmoi.—Onestarrivés,dit-il.Commetuasdût'enapercevoir,ajouta-t-ilavecunrirenerveux.Jem'efforçaidesourire.—Mercidem'avoirarrachéeàcettefête.J'auraisvraimentpasséunmauvaismoment.C'étaitvrai.Mêmesilasoiréenes'étaitpastrèsbienterminée,c'étaittoujoursmieuxquesij'étais

restée là-bas. Quant au baiser que nous avions échangé… je savais qu'il me hanterait pendantlongtemps.—Etmercidem'avoirramenéechezmoi,aussi.—Derien.Ilfitunmouvementpoursortirdelavoiture.—Oh,net'embêtepas.Jepeuxrentrertouteseule,dis-jeàlahâte.Lelaisserm'accompagneràlaportemesemblaittropintime.J'avaisbesoindemeretrouverseule

dansma chambre pour décompresser. Pourme défaire de la profonde tristesse qui avait repris saplacehabituelledansmapoitrine.Ilserraleslèvresmaisneprotestapas.Uneémotionpassadanssesyeux,maisjen'auraissudire

laquelle.—Bonnenuit,murmurai-je.—Bonnenuit.Je fermaimaportière etme faufilai dans l'appartement désert.Megan était sansdoute encore en

traindes'amuser.Jeluienvoyaiuntextopourl'informerquej'étaisbienrentrée,etm'allongeaisurmonlit.Ilmefallutquelquesminutesderespirationprofondepourramenermoncœuràsonrythmenormal.MalgrécequedevaitdésormaispenserDaniel,jen'étaispasuneviergeeffarouchée.Monpremier

rapportsexuelavaiteulieudix-huitmoisauparavantavecundénomméJacob.C'étaitungentilgarçonquej'avaisrencontréencoursd'anglais.Nousavionsl'habitudedetravaillerensemble.Jerelevaimontee-shirtetposailesmainssurmacicatrice,suivantdesdoigtslepetitbourreletde

chair.Certes,j'avaiscouchéavecJacob,maissansenleverlehaut.Danslenoir,surmonlit.Çan'avaitpasdurélongtemps.Depuis,jenel'avaisjamaisrevuentêteàtête.Quandonsecroisait,ilm'adressaitunvaguesignede

tête.Manifestement,iln'avaitpasétéplusemballéquemoiparlachose.Jen'étaispaspresséede recommencer.Surtoutpas avecDaniel, ungarçonquime fascinait.Qui

menaçaitdemefairedévierduplanprudentquejem'étaisconstruit.Jen'étaispasprêtepourça.Avecunsoupir,jeremismontee-shirtenplaceetrestailesyeuxrivés

auplafond jusqu'àplusde2heuresdumatin.Enfin, j'entendisMegan rentrer engloussant, unpeupompette.Mais même ce son ne parvint pas à chasser le souvenir des mains tièdes et des lèvresdoucesdeDaniel.

Chapitre6

—Cequetuaspumemanquer!s'écriagrand-mamanenmeserrantdanssesbras.Raconte-moitoutcequis'estpassédepuisladernièrefois.Jerespiraiuneboufféedesonparfumdevanilleetdecannelleetsouris,enlapressantcontremon

cœuravecprécaution.Desmèchesdesescheveuxblancsmechatouillaientleboutdunez.—Ons'estvuesvendredi,rappelai-jeenriant.Maisc'étaitbondesesentiraimée,desavoirqu'elles'étaitlanguiedemoi.J'avaisquittéleurtoiten

premièreannéedefacpourm'installersur lecampus.C'étaiteuxquiavaient insisté,mais jesavaisquejeseraistoujourslabienvenuechezeux.Grand-mamanlaissaittoujoursdesdrapspropresdansmonlitaucasoùjevoudraisresterdormir.—Jesais.Maistantdechosespeuventseproduireenunesemaine!Elle s'écarta pourme regarder. Elle avait des rides au coin de ses yeux bruns, que soulignait la

doucelumièredusalon.—Entre,entre.Çafaituneheurequegrand-papatourneenrond.Ilétaitimpatientquetuarrives.Ila

quelquechoseàtemontrer.Jelevailesyeuxauciel,feignantl'agacement.Grand-mamanmedonnaunepetitetapesurlebras.—Arrête!Tusaisbiencommentilest…Grand-papa collectionnait avec passion les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale. Il n'avait

découvertlesachatsenlignequel'étéprécédent,lorsqu'ilm'avaitvueacheterdesmanuelspourlafacsurAmazon.Çaavait été ledébutd'unegrandeaventure.Àprésent, le facteurnecessaitde sonnerpourdéposerdescolis:vieuxcasques,équipementmilitaire,brochuresdepropagande…toutcequ'ilpouvaitdénicher.Sonbureaus'était transforméenmusée.Grand-mamanavaitfiniparrenonceràyfaire leménage. Elle avait décrété que s'il devait continuer à accumuler du bazar, il faudrait qu'ilnettoielui-même.Jelasuivisdanslacuisine.Grand-papaétaitentraindefairedelapuréedepommesdeterre.Ilme

regardaetfronçalessourcils.—Tuestropmaigre,commenta-t-il.Tunemangespas,àlafac?Cettefois,jelevailesyeuxaucielpourdebon.—Jet'assure,grand-papa,jepassemontempsàbâfrer.Je savais qu'il se faisait du souci. Pourtant, cela faisait bien longtemps que je n'avais plus de

troubles alimentaires. Mes intestins étaient remis de mes blessures, et je pouvais m'alimenternormalement.Maisçanel'empêchaitpasdechercheràmegaverchaquesemaine.Ilmetenditlepresse-purée.—Parfait.Danscecas,tupeuxfinirdepréparerlapuréependantquejevaischerchermadernière

trouvaille.— Tu n'as pas intérêt à rapporter de la poussière dans ma cuisine, tonna grand-maman en lui

lançantunregarddetravers.Grand-papaétaitunhommedegrandetaille,dotéd'unecarruredefootballeuraméricain.Maiscela

nel'empêchaitpasdecourberl'échinequandgrand-mamanprenaitceton.Je m'occupai des pommes de terre, ajoutant du lait et du beurre comme grand-maman m'avait

apprisàlefaire.Ilflottaituneodeurchaudeetagréabledanslacuisine.Unemichedepaindoraitdansle four,etunragoûtmijotaitsur le fourneau.Pouletaubrocoli, sansaucundoute :c'étaitmonplatpréféré.— Alors, comment s'est passée ta semaine de cours ? demanda grand-maman en disposant

l'argenteriesurlatable.—Pasmal.Lescoursdecommercesontdifficiles,maisc'eststimulant.Enrevanche,laphilo,c'est

mortel…Pendant un instant, je restai silencieuse, songeant à Daniel… à notre baiser. Puis jeme remis à

écraserlespommesdeterre.—Etàpartça?insistagrand-mamanens'approchantpar-derrière.Jesursautaid'unaircoupableetgardailesyeuxbaisséssurleplat.J'avaisdécidéd'attendreunpeu

avantdeleurparlerdeDaniel.Iln'yavaitrienàdire,detoutefaçon,etjenevoulaispasqu'ilsaillents'imaginerquejeperdaismontempsdansdessoiréesaulieuderéviser.—Pasgrand-chose.Tusais,justelescours,toutça…laroutine.Pastrèsconvaincant.Bravo,Casey,me réprimandai-je intérieurement.Grand-maman ne risque pas de tomber dans le

panneau.—Qu'est-cequit'estarrivé?s'enquit-elleavecdouceur.J'allaiposerlapuréesurlatabletoutenguettantgrand-papa.Ilauraitdéjàdûm'attendreavecson

achat.—Riendespécial.Jemeursdefaim.Ceragoûtsentdélicieusementbon!Grand-maman s'apprêtait à répliquer lorsque grand-papa déboula dans la cuisine, coiffé d'un

casquemilitairerecouvertd'unfiletdecamouflage.—Regarde-moicettebeauté,déclara-t-ilen l'enlevant,dans l'intentionévidentede luiattribuer la

placed'honneursurlatable.—Jeteledéconseillefortement,grondagrand-maman.Elledisposalesserviettessurlessetsdetableencrochet,puismefitcomprendred'unregardquela

conversationn'étaitpasterminée.Grand-papaarrêtasongesteetlevalecasqueàhauteurdenosyeux.—Tuvois,lefiletestencoreentrèsbonétat.Mais…onpourraenparleraprèsledîner,conclut-il

encourantleremisersurlecanapé.Jeservisleragoûtpendantquegrand-mamancoupaitlepain,etnousnousassîmespourdîner.C'étaitbrûlant,maiscommelaclimatisationmarchaitàfond,jemesentaisbienavecmachemiseà

mancheslongues.Jeprisunebouchéeetsoupiraideplaisir.—Tuaschoisicetterecettepourmefaireplaisir,n'est-cepas?

—Jesaisquetul'aimes,répondit-elleavecunsourire.—Alors,commentsepassetonsemestre?demandagrand-papaenreposantsonverredelait.Monestomacsemitaussitôtàfairedesnœuds,maisjeprissurmoi.—Trèsbien,mentis-jeavecungrandsourire.J'aidumalenphilo,maisàpartça,toutvabien.Les

coursdecommercesontsuper.Etjesuiscertainequetuadoreraismonprofd'anglais:ilpassetoussesétésenGrèce.Safamilleyhabiteencore.Peut-êtrequesijemetransformaisenmoulinàparoles,grand-mamann'yverraitquedufeu.— Je n'arrive pas à croire que tu sois déjà en dernière année, soupira grand-papa. Ça passe

tellement vite… Tu étais encore toute petite quand tu es venue vivre chez nous. Et regarde-toimaintenant:adulte,forte,intelligente,etprêteàvolerdetespropresailes.Jetendislebraspourluitapoterlamain.Désormais,ilavaitlesdoigtsnoueuxàcausedel'arthrose,

mais pendant des années, cesmêmesmainsm'avaient bercée quand jeme réveillais en hurlant aumilieudelanuit,etavaientessuyémeslarmes.—Sansvous,jen'enseraispaslà,répliquai-jed'unevoixtremblanted'émotion.Aucunmotnepouvaittraduirel'amouretlagratitudequejeressentaispoureux.Ilsm'avaient sauvée demes cauchemars. Lorsque toutema famille étaitmorte, ils n'avaient pas

hésitéune secondeàmeprendre chez eux. Ilsm'avaient traînéedansunmagasinpourdécorermanouvelle chambre et m'avaient racheté des habits, puisque je ne voulais rien qui vienne de monanciennemaison.Ilsm'avaientaussioffertuniPodqu'ilsavaientremplidechansons.Grand-mamanm'avaittransmissonamourdelamusique.Alorsquej'avaistraversél'enferàtreizeans,ilsm'avaientredonnéuneraisondevivre.Etc'étaitpourcelaquejen'avaispasdetempsàperdreensorties.Jevoulaisréussirmesétudes,les

rendrefiersdemoi.Leurmontrerqu'ilsavaientfaitunboninvestissement.Etjen'étaisplustrèsloindubut.—Est-cequetuessûrequetoutvabienpourtoi?medemandagrand-maman,lesyeuxhumides.Je

mefaisdusouci,tusais.—Oui,jet'assure,répliquai-jeententantdereprendrecontenance.—Est-cequetusorsunpeu?Tuprendsdubontemps?—Àpartallerencours?Non,jenefaispasdestripteasepourpayermesfraisd'inscription,sic'est

cequetuveuxsavoir!Elleme tapota le bras.Le rire faisait couler les larmesqu'elle avait retenues,mais elle semblait

rassurée.—Arrêtetesbêtises.Jemedemandaisjustesitut'étaisfaitdesamis.C'estunequestionqu'ellem'avaitdéjàposéelorsquej'étaisvenuem'installerchezeux,etqu'ilavait

fallum'inscriredansunnouveaucollège.Jechangeaisd'État,d'environnement,devie.Çam'avaitprisdesmoisderéussiràsaluermesprofesseurs,etplusencored'adresser laparoleàmescamarades.Maisau fildu temps, lesgensavaient cessédeme regardercomme lanouvellebizarre, et avaientacceptémonnaturelréservé.C'étaitunlongchemin,maisj'avaisfranchitouteslesétapes.

—J'enaiquelques-uns.LesourireencoindeDanielmerevintenmémoire,etjem'empourpraiaussitôt.Jenevoulaispas

penseràluiencetinstant.Jepréféraismeconcentrersurcerepasdélicieuxetsurlacompagniedemesgrands-parents.Maislapeaumepicotaitausouvenirdesesdoigts.Leslèvresmebrûlaientalorsquejesongeaisànotrebaiser.—Hum,commentagrand-maman,sagace.Jenesuispasaveugle.Commentils'appelle?J'auraisvoulurépondre«Quiça?»,maisjesavaisqu'elleseraitfâchéedemevoirfairelatêtede

mule.—C'estungarçonquiestavecmoienphilo.Maisiln'yarienentrenous…onajustepasséunpeu

detempsensemble.—Ilestaussiendernièreannée?demandagrand-papad'unairsoucieux.Jen'eusaucunmalàdevinerlecoursdesespensées.Est-cequ'ilvaladémotiver?Est-cequ'ilestdignedesontempsetdesonattention?Jeleurracontailescoursdephilo,lapremièrerencontrealorsquej'étaisderrièrelesplatines,son

attitudelorsdelasoiréesurlecampus(décidanttoutefoisdenepasmentionnerl'alcoolquicoulaitàflots ni le concours de Miss tee-shirt mouillé), le cinéma et Blanche-Neige. J'omis également deparlerdubaiser.Cebaisersisensuelquej'enavaisencoredesfrissons.Ilsm'écoutèrentattentivement,melaissantletempsdechoisirmesmots.Jereportaimonattentionsurmonragoûtquirefroidissait.—Ilsembletrèsintéressant,ditgrand-maman.Quandest-cequetulerevois?—Jenepensepaslerevoir…Je…jecroisquejeluiaifaitpeur.J'aiunpeupaniqué.Jen'étaispas

prête…Ellemepritlamainavecunregardpleindetendresse.—Mapuce, je suisheureuseque tu travaillesautantà la fac.Noussommes très fiersde toi,pas

seulementpour tesrésultatsbrillants,maisaussiparcequetuesquelqu'undetrèsdroit.Celadit, tudoisprendreletempsd'avoiruneviesociale,aussi.—Maisj'enaiune!répliquai-je,surladéfensive.J'étaisalléeuneoudeuxfoisauborddulacavecMegan,audébutdel'été,etpuisilyavaitlasoirée

delaveille.SanscompterquejetravaillaiscommeDJtouslesweek-ends.—Leboulot,çanecomptepas,Casey,déclara-t-elle,sourcilsfroncés.Ellemeconnaissaittropbien.—Cen'estpasdepuistonboxquetuvastemêlerauxautres,reprit-elle.Jem'inquiètepourtoi.Tu

passestouttontempsenferméecheztoi.Ilfautdonnerunechanceauxgens…—Jevaisbien,jet'assure…Jemetournaiversgrand-papa,espérantqu'ilvienneàmonsecours.Ilsecontentadehausserlesépaulescommepourdire:«Débrouille-toi.»Letraître!D'unautrecôté,c'estluiquidevaitsupportergrand-mamanauquotidien.

—Tufinistoujoursparrepousserlesgensquiserapprochentdetoi,ajoutacelle-ci.Laisse-luisachance:ilal'airgentil.Etj'aimeraisvraimentquetunousleprésentes.L'idéemefitrire.C'étaittellementpeuvraisemblable…— Il n'a certainement pas envie deme revoir, déclarai-je d'un ton définitif.Donc, ça n'a aucune

espèced'importance.J'eusunpincementaucœuràcesmots,maistantpis.—Àmon avis, il te réserve des surprises, insinua-t-elle d'un air perspicace. Les garçons ne se

découragentpasaussifacilement.Ceuxquienvalentlapeine,entoutcas.Celui-là,parexemple,dit-elle en regardant grand-papa, a dû me courir après pendant des mois avant que j'accepte de luiadresserlaparole.—C'estvrai,bougonna-t-il.Ellefaisaitcommesijen'existaispas.Ilsévoquaientrarementleurrencontre;jedébordaisdecuriosité.—Qu'est-cequit'aencouragéàinsistermalgrétout,grand-papa?Ilséchangèrentunregard.—Ilyavaitquelquechosedanssesyeuxquejeneparvenaispasàoublier.Unjour,àl'école,jel'ai

vue rire avec sa sœur, dans un rayon de soleil. Elle souriait de toutes ses dents, et riait à gorgedéployée,sanscettefaussehontedesfillesdel'époque.J'aisuqu'elleétaitfaitepourmoi.Çavalaitlecoupdeprendreletempsdel'enconvaincre.Quiauraitcruquegrand-papaétaitaussiromantique?Cettedécouvertemebouleversa.J'avaisdu

malàimaginerqu'onpuissepasserquaranteansaveclamêmepersonne.Pourlemeilleuretpourlepire.EtDieusaitqu'ilsavaientconnulepire,aveccequiétaitarrivéàmafamille…Malgré l'intensitédemespeurs,malgré toutcequipouvaitme rameneràcet étatdont jen'avais

jamaispleinementguéri,j'entretenaistoujoursunespoirténudetrouvermoiaussiuntelamour.Deparveniràmedébarrasserdecettesouffrance,etd'êtreheureuse,guérie.Alors,jerevoyaislesyeuxdemonpère,sinistresetflamboyants,etjemesouvenaisdecequise

passequandonselaissealleràaimerquelqu'uncorpsetâme.Jemeraclailagorgeetrepoussaimonassietteencorepleine.Jen'arrivaispasàmedétendre.—Ilfautquej'yaille.Jedoisréviserunpeuavantd'allertravailler.J'avaistropmalauventrepouravalerunebouchéedeplus.Maisjenevoulaispaslesinquiéter.—Tun'asquasimentpastouchéàtonassiette,protestagrand-papa.Essaiedemangerunpeuplus,

Casey.Jesoupirai.Grand-mamanselevaetemportamonassietteavantquej'aiepufaireungeste.Ellelavidadansla

poubelleetlarangeadanslelave-vaisselle.—Je saisquec'estdurpour toi,machérie.Mais je suis fièrede toi,parceque tuessaiesquand

même.C'estlaseulemanièredet'ensortir.Tudoisaccepterdequittertazonedeconfort.Amène-nouscegarçon.Tunous leprésenteras, et tongrand-père luimontrera sa collectiond'armesà feu…çal'encourageraàtetraitercommeilfaut!Soulagée,jemelaissaialleràrire.Laconversationenfinclose,jesentislatensionretomber.

—D'accord.Sijamaisonserevoit,luietmoi,jeleluiproposerai.Cettepromessenemecoûtait rien,car jesavaisbienqueçan'arriveraitpas.D'ailleurs, jen'avais

paspréciséquandj'inviteraisDaniel.Jel'aidaiàdébarrasserpuisleurfislabiseàtouslesdeux.—Àvendrediprochain.—Envoie-moiuntextosituasbesoindequoiquecesoit,merappelagrand-mamanenmetapotant

l'épaule.J'avaisungrandsourireenretournantàmavoiture.Jerepartisverschezmoi,unemusiquedouce

en fond sonore.Mais les mots de mes grands-parents me trottaient dans la tête, me forçant à lesécouter.«Laisse-luisachance.»Devais-jeprendrecerisque?Saprésenceétaitunetelle libération…Pourtant,meprendreaujeu

seraitdangereux.Jeleconnaissaisàpeine.Enplus,j'avaissoufflélechaudetlefroidaucinéma.Jel'avaismêmecarrémentrepoussé.Riennedisait qu'il allait faire commegrand-papaetmepoursuivrede ses assiduités.Mais jene

pouvaism'empêcherdelesouhaiter,aufonddemoi…

Chapitre7

J'avaisl'estomacnouéenpénétrantdanslasalledephilolelundisuivant.MmeWilkinsn'étaitpasencorearrivée,etlaclassen'étaitqu'àdemi-pleine.Biensûr,j'étaisunpeuenavance.JepréféraisêtrelàavantDaniel:çam'évitaitdedevoirpasserdevantluietlefrôlerpourmeglisseràmaplace.Etpuis, jevoulais levoir entrerdans la salle.C'était ridicule,mais jen'ypouvais rien. Jene lui

avaispasreparlédepuislecinémaenpleinair,etjen'avaisaucuneidéedecequ'ilmedirait.Jetentaidemelisserlescheveuxetpinçaileslèvrespourvérifierl'étatdemongloss.Envoyant

débarquerAmandasurdeschaussuresàtalonscompensésvertigineuses,mouléedansunpetithautetvêtued'une jupe translucide, je sentismes joues s'empourprer. Je nevalais pas tellement plus cherqu'elle:j'avaismoiaussiapportéunsoinparticulieràmonapparencecematin-là,enespérantqu'ilmeremarque.J'avaischoisilachemisequimettaitleplusmesformesenvaleuretmonjeanleplusajusté.Etpourcouronnerletout,jeportaismesConverse.Gênant.Danielentra,entee-shirtblancetjeandélavé.Sescheveuxétaienthumides,commes'ilsortaitdela

douche. Il tenait son sac négligemment sur une épaule. Je me forçai à détourner le regard et àcontemplermoncahier,regardantleslignesbleuessanslesvoir.Jetentaidecalmerlesbattementsdemoncœur.Ilselaissatombersurlesiègedevantmoi,etjem'autorisaiàleverlesyeux.Unegoutted'eaucoula

lelongdesanuque,absorbéeparsoncol.Jeretinsmonsouffle.—Salut,lançai-jed'unevoixunpeutroprauqueàmongoût.Ilsetournaversmoietm'adressaunsourirepolimaispastrèschaleureuxquim'attrista.—Coucou,répondit-il.—Daniel,roucoulaAmandaencroisantlesjambespourdévoilersescuissesfuselées,jen'aipas

trèsbiencompriscequ'ondevaitfairepouraujourd'hui.Est-cequejepeuxregarderdanstoncahier?Il se mit à chercher la bonne page, et elle tira sa table près de la sienne. Ils engagèrent une

conversation,penchésl'unversl'autre.Jerestaipétrifiéesurmachaise.Jeculpabilisais,etj'étaisunpeuperplexe.Jen'avaispasvraimentenviequ'ils'intéresseàmoi,n'est-cepas?Çam'auraitgênée.Ilétaittropperspicace,meforçantàm'aventurerlàoùjenevoulaispas.MaislevoirparleravecAmanda,regardersesdoigtseffleurerlepapiercommeilsavaientcaressé

mapeau…C'étaitdelatorture.J'étaisjalouse.Jalouse et idiote parce que j'étais incapable de maîtriser cette émotion. La première image qui

m'étaitvenueenmeréveillant,c'étaitsonvisage.Seslèvresetsesyeux,etpuissonrire,sesproposàla fois érudits et décalés. Ses tentatives pourmemettre à l'aise à la soirée et dans sa voiture. Lefrôlementdesesdoigtssurlesmiens.L'intensitéaveclaquelleilparlaitdecequ'ilvoyait,decequ'ilressentait.Ilavaitquelquechosedefascinant.Etjen'arrivaispasàm'endébarrasser.Etvoilàquej'avaisétéprisedevitesse.Amandaallaitluilaverlecerveauavecseslongscils,ses

petitspiedsetsesfossettes.Ilallaitcraquerdevantsoncharmeeffronté.Etçaaussi,çam'agaçait:qu'ilpuissepasserd'unbaiseravecmoiàcetteconversationoùilsemblaitn'avoird'yeuxquepourelle.Jesavais que jememontrais injuste,mais c'est ce que je ressentais. Il respectaitmon souhait enmefichantlapaix,maisàprésentquej'étaisconfrontéeauxfaitsjemerendaiscomptequecen'étaitpasdutoutcequejevoulais.Pfff…J'avaisbesoindemechangerlesidées.Parbonheur,MmeWilkinschoisitcemomentpourentrer,vêtued'unechemiseblancheéliméeet

d'unpantalonlargeenpatchworkcousumain,satresseébourifféependantsursonépaule.Ellelaissatombersonénormesacsursonbureau.—Bon,mettons-nousautravail.Nousavonsbeaucoupdechosesàvoiraujourd'hui.Jefisdemonmieuxpourmeconcentrerpendanttoutlecours.Jerecopiaisoigneusementcequ'elle

gribouillait au tableau dans un grand nuage de poussière de craie. Je parvins presque à ne plusregarder ledos finet toniquedeDaniel, sesbrasdont lesmusclesbougeaient lorsqu'ilprenaitdesnotes.Ilnecessaitdesepasserlamaindanslescheveuxenréfléchissant.Jefinisparreposermonstyloavecunsoupir.J'étaisvraimentridicule.Jedevaisarrêterdepenserà

lui.Toutdesuite.J'ouvrismonmanueletmepenchaisurlesmots,lesrelisantenboucle,tentantdeforcermonespritàcomprendrecequ'ilspouvaientbiensignifier.Mais j'étais tout simplement incapable deme concentrer. Et je savais parfaitement pourquoi. La

causesetenaitàquelquescentimètresdemoi.L'aiguille tournait lentement, une minute à la fois. Je mâchouillais mon crayon, contemplais le

tableau,etfaisaisdemonmieuxpournepaspenseràDanieletànotremerveilleuxbaiser.Ouà lafaçondont j'avais complètementgâché la soirée. J'auraisvoulu revenir enarrièrepour réparer ça.Maiscomment?MmeWilkinstoussota,ramenantmonattentionsurelle.Ellenousregarda,contrariée.—Vousêtesbiensilencieux,aujourd'hui.Est-cequevousseriezdéjàdémotivés?Lesemestrene

faitpourtantquecommencer…Jemesentisrougirsoussonregardperçant.Ellefinitparsoupireretnousfairesignedepartir.—Filez.N'oubliezpasdelirelechapitresuivantdanslemanuel.Jevousrappellequejepeuxfaire

uneinterron'importequandsansprévenir!Tout lemonde rangea ses affaires à toute vitesse, soulagé de pouvoir s'enfuir. Jeme levai, sans

regarderDaniel,toujoursassis.J'étaistellementgênéequejepouvaisàpeinerespirer.Jevenaisjustedepasserdevantluipoursortirlorsqu'ilm'attrapadoucementparlebras.—Eh,attendsunpeu,appela-t-il.Ilseleva,unelueurbienpluschaudedansleregardqu'àsonarrivée.Pourtant,jeneparvenaispasà

savoir ce qu'il pensait. Je lui adressai un signe de tête, alors quemon pouls battait si fort à mesoreillesqu'ilmesemblaitentendrelebruitdel'océan.—Jesuisvraimentdésolé,pourl'autresoir,s'excusa-t-ilencore.—Non,non,jet'enprie.Cen'étaitpastafaute.C'estjustequeje…Je…

—Tues…tueslibre,vendredi?demanda-t-ilenrougissantunpeu.—Euh…oui,répondis-je,lagorgesèche.Je travaillais en alternance avec un deuxièmeDJ, qui assurait quelquesweek-ends par-ci par-là.

C'étaitjustementsontour.Est-cequeDanielvoulaitsortiravecmoi?Ilmelâchalebras,enfonçalesmainsdanssespochesetreprit:—J'aideuxbilletspourunconcertd'électro-house,avecunnouveauDJ.C'estungarsducoin,etil

commenceàavoirpasmaldesuccès.Çaserasûrementsuper.Jemedemandaissiçat'intéresserait…Unrendez-vous.J'étaisàlafoisimpatienteetanxieuse.Ilsouhaitaitmerevoir.Malgrécequis'étaitproduitlafois

précédente.Enplus,ilmeproposaitdelamusique:monpointfaible!Jenepouvaispasdirenonàunconcert.NiàDaniel.Malgrétousmesefforts,j'avaisenviedepasserdutempsaveclui.—Çaal'aircool,parvins-jeàrépondred'unevoixposée.Pendantunbrefinstant,ilmeregarda,lesyeuxmi-clos,puisilm'adressacesourireespièglequeje

commençaisàbienconnaître.—Super.Jepassetechercheràquelleheure?Tuveuxallerdînerd'abord?Ah,zut.Jedînaischezmesgrands-parentstouslesvendredis,etiln'étaitpasquestiondeleslaisser

tomber.Malgrémapromesse,jen'étaispasprêteàleurprésenterDaniel.—Euh…onpeutseretrouversurplace?J'aidestrucsàfaireavant.—Parfait.J'aihâted'yêtre!Ilnemelâchaitpasdesyeux,etbienquelesétudiantsaientcommencéàentrer,jeneparvenaispas

àmedétourner.—Moiaussi,murmurai-je.J'étaistoujoursincapabledemeconcentrer.La semaine s'était étirée interminablement. La veille au soir – jeudi – j'avais passé une éternité

plantéedevantmonplacard,àessayerdechoisirmatenuepourcesoir.Pourmonrendez-vous.Monrendez-vousavecDaniel.Jenemesouvenaismêmepasdemondernierrendez-vousromantique.Alorsquejequittaismon

dernier cours de commerce, dans un soleil éblouissant, et que je traversais le campus pour allerchercherma dose de caféine auCoffee Baby, je me replongeai dans mes souvenirs. J'avais passébeaucoupdetempsavecJacoblorsdupremiersemestrededeuxièmeannée,maisonn'étaitvraimentsortisqu'uneoudeuxfois.Pourmangerunepizzaouallervoirunfilm,cegenredechoses.Rien qui ressemble au rendez-vous de ce soir. Écouter de la musique avec quelqu'un, ça me

semblaitétrangementintime.Je traversai lapelouse luxuriante.Desgroupesd'étudiants se retrouvaient toutautourdemoi, les

fillesmouléesdansdestenuesprovocantesetperchéessurdestalonsdémesurés.Partoutfusaientdes

riresetdesplaisanteriessurlesprofs,lescamaradesdepromooulescuitesduweek-endprécédent.Jemesentissoudainlecœurléger.Àcetinstant,j'avaisl'impressiond'êtrecommeeux:impatienteetnerveuseàl'idéedesfestivitésde

lanuit.Pourunefois,cen'étaitpasmoileDJ.J'allaispartagerl'expérienceintensedelamusiqueavecDaniel.Jeremontaimeslivressurmahancheetprisladirectionducafé.Il y faisait froid et sombrepar rapport à l'extérieur.Les tables étaient occupéespar des groupes

d'étudiantsquibavardaient,etleursconversationsmeparvenaientdansl'airchargéd'effluves.Jemedirigeaiverslefond,quiparaissaitpluscalme,ettrouvaiuneplaceàunetablepresquevide.

Àl'autrebout,uncoupledegarçonssedévoraitdesyeux,sanssepréoccuperdemoi.Jemeplongeaidansmoncahierdefinanceafindenepaslesdéranger.Avantquej'aiepupassermacommande,unevoixjoyeusemehéla.—Ilmesemblaitbienquec'étaittoi!s'écriaMeganenaccourantversmoi,lescheveuxrelevésen

deuxadorablespetitschignonssurlescôtés.Elleportaitunjeanslimtaillebasseetuntee-shirtbleumarine.Pourlamillièmefois,jeluienviaisabeautédécontractée,safaçond'illuminerlapièceparsonseulsourire.Megan était toujours de bonne humeur. Elle avait une grâce naturelle. Peut-être que je pourrais

m'inspirerd'ellepourêtreàl'aiseavecDanielcesoir.Peut-êtrequ'ellemedonneraitdesconseils…Maisj'hésitaispendantqu'elles'installaitprèsdemoiavecsongobeletdecafé.Sijeluienparlais,

ellenemelâcheraitplusavantd'avoireutouslesdétails.Est-cequej'étaisprêteàm'ouvriràelle?Àlalaisserentrerdansmavie?—Enfinvendredi!soupira-t-elle.Ouille,c'estchaud!Elle reposa son café, enleva le couvercle et se mit à souffler sur le breuvage bouillant avant

d'ajouter:—Tutravailles,ceweek-end?Sic'estlecas,j'aibienenviedevenirt'écouter.—Pascesoir,maisdemainoui,répondis-jeenfrottantmesmainsmoitessurmonjean.Parler avec elle me rendait anxieuse. Comment avais-je pu oublier à ce point ce que c'est que

d'avoiruneconversationnormaleavecquelqu'un?Racontersa journée,évoquersespenséesetsessentiments?Enfant,j'étaisunvraimoulinàparoles.Avant.—Çava?s'inquiéta-t-elle.Tuasl'aircontrariée.—Jesuisunpeunerveuse…Jesorscesoir…avecungarçon.Elleécarquillalesyeuxsifortqu'ilmesemblaqu'ilsallaientjaillirdeleursorbites.Puisellesetâta

lefront.—Est-cequej'aideshallucinations?s'écria-t-elleenriant.Maispourquoituesnerveuse?Etc'est

qui,d'abord?J'avaisdespalpitations.SiparleravecMeganmemettaitdanscetétat,qu'est-cequeçaseraitplus

tard,quandjeseraisaveclui?

—Daniel,legarçonavecquij'étaisàlasoirée.Ilestenphiloavecmoi.Ellemeregardaavecdouceuretmecaressalebras.—Çavaaller.Ilenpincepourtoi.Çasevoyaitdanssesyeux, l'autresoir.Tuvaspasserunbon

moment,tuverras.Jemedétendisunpeuetmeforçaiàrespirerlentement.Jen'allaispasfaireuneattaquedepanique

poursipeu.J'avaislasituationenmain.Ilnes'agissaitpasdesemarier,justedesortirunsoir.J'enétaisparfaitementcapable.—Merci,dis-jedansunsouffle.—Etvousallezfairequoi,alors?Ellem'écouta,hochantlatêteavecenthousiasme,pendantquejeluiparlaisdulieuderendez-vous.

Jedoisreconnaîtreque lavoirsicontentepourmoimepermitdemesentirmoiaussienvahieparl'impatience.JeneconnaissaispasceDJ,alorsc'étaitdoublement intéressantpourmoi.Jepourraisvoiruncollègueautravail,etpeut-êtreypuiserdel'inspiration.— Je ne sors pas tout de suite, ce soir, donc j'ai le temps dem'occuper de tes cheveux et de te

maquiller,dit-elle.—Riendetropextravagant,d'accord?Aprèstout,jedevaisd'abordallerdînerchezmesgrands-parents.—Paroledescout,répondit-elle.—Tuasétéscoute?— Jamais de la vie ! Je déteste la vie au grand air.Mais je trouvais que ça appuyait bienmon

propos.J'éclataisderire,deplusenplusdétendue.—Jevaismechercheruncafé.Tuveuxquelquechose?—Nonmerci.Jesurveilletesaffaires.Jem'approchaidelafiled'attenteetjetaiuncoupd'œilàMegan.Laconversationavaitétémoins

difficile que ce que je craignais. J'étais persuadéequ'elle allaitm'assaillir de questions indiscrètes,maisaulieudeçaelles'étaitcontentéedem'écouteravecintérêt.Jel'avaispeut-êtremaljugée.Lesjouesenfeu,jesentislaculpabilitém'envahir.Ces derniers temps, je n'avais cessé de juger trop vite les gens qui m'entouraient. Certes, ça

m'apportait de la sécurité,mais ça neme rendait pas heureuse pour autant. Bavarder avecMeganm'avaitôtéunpoids.Elleavaitraison:j'allaiscertainementpasseruneexcellentesoirée.Danielnesemontreraitpasinsistant:jeluiavaisclairementfaitcomprendrequejen'étaispasprêteàallertroploin,etçanel'avaitpasempêchédem'inviter.Moncaféàlamain,jeretournaiversMegan,biendécidéeàluidemanderdesconseilspournepas

laisserl'anxiétémegâchercettesortie.

Chapitre8

Àdeux rues de la boîte, je commençai à entendre lamusique.La sentant vibrer jusque sousmapeau,jenepusréprimerunsourire.Danielavaitproposéqu'onseretrouvedevantladiscothèque.Bienquel'endroitsesitueaucentre-

ville, j'avais réussi à trouver une place pourme garer. L'établissement n'était pas grand,mais unemultitudedeclients allaient etvenaientpar laporteet sur le trottoir.La fouleétait trèsmélangée :punks,B.C.B.G.,hipsters…toutcepetitmondesecôtoyaitsansproblème.C'étaitunpeusurréaliste.L'air doux du soir me caressait les bras. Je portais un débardeur à paillettes et un jean.Megan

m'avaitfaitlesgrosyeuxenconstatantquej'avaischoisiunetenuetrèsbasique,maisjen'avaisrienvoulusavoir.Elles'étaitrattrapéesurlemaquillageetlacoiffure.J'avaisl'aird'unepin-up,avecdesbouclesetdesanglaises.Ellem'avaitmisunrougeàlèvresvif,unpeud'ombreàpaupièresetuntraitd'eye-liner.Ellem'avaitmêmeprêtésonrougepréférépourquejepuissemeremaquillerensortantdetable.Jeluttaipournepaslaissermaconfianceenmois'évaporer.J'avançaisurletrottoiràlarecherchedeDaniel.Ilmefallutuneminutepourrepérersasilhouette

familière appuyée contre un mur de briques. Sa chemise noire moulante, dont il avait roulé lesmanches,révélaitlesmusclesdesesbras.Jedistinguaissesclavicules,lepetitcreuxàlabasedesoncou,parl'entrebâillementducoldéboutonné.Ilavaitlescheveuxébouriffés,justecequ'ilfaut.Danslehalodulampadaire,onauraitcruqu'ilavaituneauréole.Lorsqu'ilmevit,sonvisages'illuminad'unsourire.Ils'écartadumurpourveniràmarencontre.—Tuessuperbe,dit-il.J'avaisdumalàl'entendre,danslebrouhahaambiant.Ilmeregardadelatêteauxpieds,lesyeux

mi-clos.—Merci.Toiaussi,bredouillai-je,lecœurbattant.Megan m'avait conseillé de garder une certaine distance ce soir-là. Il fallait laisser Daniel me

couriraprès:nepaslerepousser,maisnepasluirendrelatâchetropfacilenonplus.Apparemment,les garçons aimaient chasser. Je n'étais pas trop sûre que ce soit vrai.Mais d'un autre côté, mongrand-pèreconfirmaitcettethéorie.Danstouslescas,jedevaisprendreleschosesavecdésinvoltureetneluimontrermonintérêtque

petitàpetit,sij'enressentaisl'envie.Ça,jepouvaislefaire:êtredistanteétaitmamarquedefabrique.Ilsortitlesbilletsdesapochedansungestethéâtraletm'entenditun.—Iln'yapasdeplacesassises,biensûr.Ilsn'ensontqu'àlapremièrepartie.C'estungroupelocal.

Jenesaispluscommentilss'appellent.J'acquiesçaietmeretinsdemepasserlamaindanslescheveux.Meganm'avaitrépétéquejedevais

paraîtresûredemoi,etnepasdouterdemacoiffureoudemesvêtements.Jesavaisqueceseraitplusdifficile.Maisjepouvaisaumoinsfairesemblant.Dumoins,jel'espérais.

Ilvint seplaceràmescôtés.L'odeur fraîchedesoneaude toilettemechatouilla lesnarines,mefaisant tourner la tête. Pendant un instant, je dus lutter pour ne pasme précipiter vers lui afin derespirerencoresonparfum.Ilposaunemainenbasdemondos,medonnantdespetitsfrissonsdeplaisir.Jepercevaislapressiondesesdoigtsàtraversmondébardeur.Sisentirsonparfumetsesdoigtsdansmondosmemettaitdanscetétat,allais-jeréussiràmetenir

convenablementpendantlerestedelasoirée?Nousentrâmesdanslafiled'attente.Jedevinaissoncorpstoutcontrelemien.Autourdenous,les

genssebousculaientets'interpellaient,agitantlesbrasetriantdanslevacarmedelaboîtedenuit.Uneoudeuxfois,quelqu'unmerentradedans,et lorsque jereçusuncoupdecoudedans leventre,unedouleurfantômeseréveilla,mefaisanthaleter.Jeprisletempsderespirercalmementpourchasserlapaniquequimontait.Toutallaitbien.J'étais

guérie,jen'avaisplusmal,etriennememenaçait.—Désolépourlafoule,mechuchotaDaniel.C'estlafolie…Saprésencemerassurait.J'avaisl'impressionquesoncorpsformaitunebarrièreprotectriceautour

demoi.Jemeconcentraisursonparfum,soncontact,pournepluspenseràmesangoisses.Enquelquesminutes,jeparvinsàmedétendre.Jeluiadressaiunsourirereconnaissant.Notretour

d'entrerarriva.Noustendîmesnosbilletsetfranchîmeslaporte.L'assistance était nombreuse, bien plus qu'auMask. C'était intimidant. Je me sentais submergée.

Danieldevinamaterreur,etilm'emmenaàl'écart,lelongd'unmur,oùlafouleétaitmoinsdense.Jemeremisàrespirer.—Jevaisnouschercherdesboissons,dit-ilenm'effleurantlecoude.J'aurais voulu qu'il laisse sa main là. Je le regardai s'éloigner rapidement vers le bar. Je ne

parvenais pas à détacher mes yeux de lui, jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la foule. Il faisait unechaleur étouffante, mais c'était plus supportable que ce que j'avais craint. Un petit filet d'air fraisfiltraitparlesbouchesd'aération.Jeregardaitoutautourdemoi,meforçantàprendreconsciencedemon environnement. Les gens riaient et dansaient, de façon sexy ou rigolote, imitant la gestuellemécaniqued'unrobot.Legroupeétaitplutôtpasmal.Ilsfaisaientungenredetechnoavecunchanteur,unpercussionniste,

etuntroisièmemusicienausynthétiseur.Lesparolesétaientsimples,maisentêtantes,etjemesurprisàbougeraurythmedelamélodie.Personneneprêtaitattentionàmoi.Jen'étaisqu'unvisageanonymeparmitantd'autres.Nousétions

réunisparl'amourdelamusique.Toutetensionenvolée,jemelaissaiporterparlamélodie.Quelquesminutesplustard,Danielrevint,unebièredansunemainetunverred'eaudansl'autre–

avecunerondelledecitron.Ilmeletendit.—Tiens.Iln'avaitpasoublié.C'étaitundétail,maisçamefitplaisir.—C'estparfait.Merci,dis-jeavantdeprendreunegorgéerafraîchissante.Nous restâmes côte à côteunmoment, sirotant nosboissons, profitant de l'ambiance.Un silence

confortable s'était installé entre nous, entrecoupé de commentaires sur les chansons que nousécoutions.

Le groupe joua son derniermorceau, et un disque demusique électronique se déversa dans leshaut-parleurspendantqueleDJfaisaitquelquesréglages.—Çateplaît,jusqu'ici?—Beaucoup!criai-jepourcouvrirlebruit.J'avaisunsourirebéat,enpartieàcausedelamusique,etenpartieparcequ'ilétaitprèsdemoi.Bon,d'accord.Surtoutparcequ'ilétaitlà.—Dis-moi,pourquoiest-cequetuaschoisiSmythe-Davispourfairetesétudes?demanda-t-ilen

portantsabouteilleàseslèvres.—Cen'estpastroploindechezmesgrands-parents,avouai-je.J'espéraisqueçanefaisaitpastropbébête,maisc'étaitimportantpourmoi.—J'aidécrochéunebourse,aussi,etçaapesédanslabalance,ajoutai-je.—MafamillevitausuddeCleveland.Çameplaîtdepouvoirleurrendrevisitefacilementtouten

étantassezloinpouravoirmavie.J'aimebeaucouplenorddel'Ohio.—Tuas faitdebonnesphotos, cesderniers temps?m'enquis-je, repensantànotreconversation

danslavoiture.Etànotrebaiser.Cequimefitrougir.Il regarda soudainmabouche, les lèvres entrouvertes. Je reprismon souffle, unpeuaffolée.De

touteévidence,sespenséesavaientsuivilemêmecoursquelesmiennes.—Oui,ceweek-endjesuisallétraînerducôtédumuséedesbeaux-arts.J'aiaussifaituntourdans

lesjardinsinternationaux.J'aivudesgaminsdanserdansunemaredeboue.Ilsétaientsalesdelatêteauxpieds,maisçanelesgênaitpas.C'étaitmignon.J'étaisunpeusoulagéequ'iln'aitpasmentionnélebaiser.Etunpeufrustréeaussi.J'étaisvraiment

noyéedansmesémotions,incapabledesavoircequejevoulais.Jebrûlaisd'envieetenmêmetempsjebridaismesenvies.J'étaisentraindemerendrefolleavectoutecetteindécision.—Jetemontreraidesphotos,toutàl'heure,situveux.J'enaiquelques-unesdansmontéléphone.Lamusiques'arrêtaetnousnoustournâmesverslascène.—Mesdamesetmessieurs,criaunevoixgravedansleboxdeDJ.JesuisDJEnrique.C'estl'heure

decasserlabaraque!Lafoule répliquaparun rugissementde joie,et lesmainsse levèrentaussitôt.Apparemment,DJ

Enriqueavaitdenombreuxfans.Jemeconcentraisurlui,observantsesinteractionsaveclepublic.Ilavait une présencemagnétique. C'était un homme aux cheveux courts et aux longs cils fournis. Ilportait son casqueautourducou,un écouteur appuyécontre l'oreille alorsqu'il lançait lepremiermorceau.Des basses puissantes et sensuelles s'échappèrent des enceintes, et les gens semirent à danser. Il

ajoutagraduellementdifférentespistesdemusiqueélectronique,maislabasserestaitprédominante.Jefusaussitôtsouslecharme.—J'adore!meconfiaDanielenfinissantsabière.Iljetalabouteilledansunepoubelleetmedébarrassademonverrequ'ilposasurunepetitetable.

Puisilmepritparlamain.

—Viensdanser.—Oh,non,jenesaispas…,bredouillai-je,lesoufflecourt.—Rienqu'unechanson,supplia-t-ilensepenchantversmoi.Sonparfumsemêlaitdansmonespritaveclamusiqueetlachaleurquirégnaitdanslapièce.Lemorceauétait si sensuelque jeme sentis envahiededésir. Jen'avais jamaisdansédevantdes

gens–dumoins,pasdepuismonenfance,quandjenemedemandaispassanscessedequoij'avaisl'air.Ilsourit,sonirrésistiblefossetterefaisantuneapparition.—Allez,rienqu'unechanson.J'acquiesçaisanssavoirpourquoi.Jemelaissaiguiderversleborddelapiste.Parbonheur,ilne

m'entraînapasaumilieu,où jemeserais sentiemalà l'aise.Unemainposéeavec légèreté surmahanche,ilsemitàbouger.Jerestaiplantéeunesecondeavantd'oscilleràmontour.J'étais terriblementgênée…j'avaisl'impressiond'agitermesgrandsbrasraidescommeunrobot.

C'étaittellementaffreuxquejepréféraim'arrêter.—Fermelesyeux,meconseillaDaniel.Turéfléchistrop,çasevoitdanstonregard.Alorsferme

lesyeuxetlaisse-toialler.Jemecontentaidefroncerlessourcils.—Fais-moiconfiance.Je savais qu'il avait raison. Je m'exécutai avec un soupir. Pendant de longues secondes, je me

concentraisurlesbasses,leparfumdeDaniel,lecontactdesamainsurmahanche.J'oubliaitoutlerestepourmefondredanslamusique.Jemeretranchaidanscetendroitenmoioù

riennepouvaitm'atteindre,oùj'étaisheureuse.Jelevailesmainsau-dessusdelatête.Il ne fallutquequelques instantspourque je sente la chaleurducorpsdeDaniel contre lemien.

Nousnousrapprochâmes,unmillimètreàlafois.Finalement,mestétonsrencontrèrentsontorseetmonbassinvintappuyercontrelesien.Jerefusaid'ouvrirlesyeux,bienquemoncorpsrépondeausien,ledésirmontantdepartetd'autre.Danielnefitpasunmouvementpourmeserrerplusprèsdelui.Ilmelaissal'initiative.Ilsecontentadepressersesdoigtsunpeuplusfortsurmahanche.Quand enfin j'ouvris les yeux, je m'aperçus qu'il me regardait, les pupilles dilatées de désir. Je

reprismonsouffleet laissai tombermesbras,posantunemainsursonépaule. Ildéplaça lasiennevers le bas demon dos,mais toujours sansm'attirer plus près. Nous ne parlions pas,maismilleémotionscirculaiententrenous.Ilmelaissaitdécideràquelrythmej'étaisprêteàaller.J'aimaislepouvoirqueçameconférait.Je

voyaisdanssesyeuxetàlafaçondontsagorgepalpitaitqu'ilavaitenviedemoi.Etmonpoulsbattaitàl'unissondusien.Lamusiquenousenvironnait,noustransperçait.Jehaletai.Jeposaimonautremainsursataille,mecollantcontrelui.Ilm'embrassalefront.J'étaistellement

surpriseparladouceurdecegestequemoncœurseserra.Soudain,quelqu'unmebouscula.J'étaissiabsorbéeparcetéchangeavecDanielquejen'avaisrien

remarquéd'autre.Maisjeprisalorsconsciencequenousétionsentréssurlapistededanse,etquelafoulenousentouraitàprésentdetoutesparts.Jen'avaispasl'habitudedem'abandonnercommeça.

Entempsnormal,j'étaisdansleboxdeDJ,surveillantlepublicsansjamaism'ymêler.Jecontrôlaislamusique,etjenemelaissaispasalleràlaressentirdel'intérieur.Lerythmechangea.Danielsouritetlevalesbras.Jel'imitai.Toutautourdenous,lesgensdansaient

avecfrénésie.Etjecomprisenfin.Àprésentquej'étaisaucœurdupublic,épousantsesmouvements…Jecomprispourquoilesgens

aimaient venir danser auMask. Ce qui faisait qu'ils en redemandaient, qu'ils se lâchaient, qu'ils sefondaient dans lamusique.C'était commeune ivresse, une folie collective dont j'avais toujours euenviesansjamaisenêtreconsciente.Envahieparlasensualité,jemeserraicontreDaniel.J'avaisl'impressiondeplanersousl'effetdu

désir.Ilpassalesbrasautourdematailleetm'effleuralefrontduboutdeslèvres,puisl'oreilleetlecou.Jemecambraiau-devantdeluienletenantparlaceinturedesonjean.Jebrûlaisdemerapprocherencore.Il se baissa pour lécher la sueur qui perlait surmon épaule. Je réprimai un gémissement. Ilme

regarda.Nousétionstousdeuxéperdusdedésir.J'entendais le sang battre dans mes tempes. Je sentais une bosse révélatrice sous son pantalon.

Pendantuninstant,j'eusenviedelecaresser.Desavoirexactementàquelpointilbandait.Àquelpointjelefaisaisbander.Çaallaittropvite.J'allaismenoyerdansmesémotionssijenem'arrêtaispastoutdesuite.J'avais

tellementenviedelui…Envieetpeurenmêmetemps.Jenepouvaispasmepermettredemelaisserdistraire.Jeme souvenaisde ladernière foisque jem'étais laissée aller commeça avec lui.Çaavaitmal

fini:ilavaitfaillidécouvrirmonterriblesecret.Jem'écartaietessuyaimonfrontmoite.—J'aiunpeuchaud.Jevaissortirprendrel'air.—Toutvabien?—Oui.Çava,merci,bredouillai-jeencherchantàreprendremonsouffle.Je…jesuisdésolée.Jetraversailafoulequim'oppressaitpourmedirigerverslasortie.Dehors,ilfaisaitchaud,maisl'airétaitpuretletrottoirdésert.J'étaiscouvertedetranspiration,à

causedelachaleurdelaboîte,deladanse.EtdemondésirpourDaniel.Pourquoiest-cequej'avaisabaissémesdéfensesaussifacilement?Ilmefaisaitperdrelatête.Jetrouvaiseffrayantdevoiràquelpointjem'étaisrapprochéedeluien

sipeudetemps.—Casey?appela-t-ildansmondos.Jemetournaiverslui,m'efforçantdesouriredemonmieux.—Désolée.Jesuisdésolée…Ilfaisaitchaud,etilyavaitbeaucoupdemonde…Sansparlerdemessentimentsquiavaientprisledessus.—Est-cequejeteplais?demanda-t-ildebutenblanc.

—Euh…quoi?Il s'approcha un peu.Une fois de plus, il faisait attention à ne pasme bousculer ; il gardait ses

distances.C'étaittellementgentildesapart…J'avaisunpeuhonte.—J'aidumalàsavoir.Tuesunpeuambiguë.Parfois,j'ail'impressionquetuneveuxplusavoir

affaireàmoi.Surtoutquandçadevientunpeu…unpeuchaud,entrenous.Jerougis.Jem'apprêtaisàrépondre,maisilnem'enlaissapasletemps.—Maisàd'autresmoments,quand tu te laissesaller, je croisque tu ressens lamêmechoseque

moi.Alorsj'avaisenviedesavoir,det'entendremeledire.

Chapitre9

Danielsemblaitlirejusqu'auxtréfondsdemonâme.Sonregardperçantmevoyaittoutentière,avecmespeurs,mesdésirs,mahainedemoi-mêmeetmafaçondementirpourfairecommesitoutallaitbien.Cequin'étaitpasvrai.Loindelà.Matensionetmonangoissevis-à-visdusexesetransformèrentenpanique.—Oui,tumeplais.Maisjepréféreraisqueçanesoitpaslecas,répondis-jesansréfléchir.Àpeineavais-jeprononcécesmotsquejelesregrettai.Cen'étaitpasexactementcequejevoulais

dire–entoutcas,pascommeça.Sonsourires'effaça,etl'éclatdesesyeuxdiminua.—Pourquoiest-cequeçat'embêtequejeteplaise?medemanda-t-ilnonsanscuriosité.Ungroupede filles passa près de nous engloussant.Deuxd'entre elles ne se gênèrent pas pour

reluquerDanieldelatêteauxpieds.J'éprouvaiunnouvelaccèsdejalousie.J'étaisbienconscientedemessentiments,etjenepouvaispaslesnier.J'avaisenviedesortiraveclui,maisjenevoulaispasenavoirenvie.Pourtant,jenevoulaispasnonplusqu'ilsorteavecquelqu'und'autrequemoi.Pfff.Iln'accordapasunregardauxdemoiselles.Daniel voulait savoir ce qui m'angoissait tellement dans le fait qu'il me plaise. Et moi, je me

demandaispourquoiilneprenaitpassesjambesàsoncou.Quefaisait-ilencoreenmacompagnie,alorsquejenecessaisdesoufflerlechaudetlefroid?Pourquoinecherchait-ilpasplutôtquelqu'undenormal,biendanssapeau?Danieléclataderire,toutetensionenvolée.Saréactionm'étonna.—Écoute, je neveuxpasgâcher cette super soirée, dit-il enmecaressant lamain. J'ai passéun

excellentmomentavectoi.Onn'aqu'àyretourner,etprendreleschosescommeellesviennent.Onpeutdanserouregarderlesgens,commetupréfères.Etjenet'embêteraipas.Ilm'effleurait lapaumeduboutdupouce,medonnantdes frissons.Sesparolesm'aidèrentàme

calmer.Est-cequ'illepensaitvraiment?C'étaitunesacréevolte-face.—Tuessûr?demandai-je,incertaine.—Toutcequejeveux,c'estm'amuseretpasserdutempsavectoi.Riendeplus.Ils'approchapourmeregarder.Ilsemblaitsincère.Je finis par acquiescer. C'était un parfait gentleman : il acceptaitmes accès de panique sansme

culpabiliser.Certes, jevoyaisqu'aufond,ilauraitvoulumepousser,m'inciteràluiracontercequin'allait pas.Peut-êtrequ'il se rendait comptequecen'était pas lebonmoment.Quellequ'en soit laraison,j'étaiscontentedecesursis.Jelesuivisàl'intérieur.Lerestedelasoiréesedérouladefaçonplusdétenduequecequej'auraiscraint.LeDJenchaînait

lesmélodies.Nousrestâmesenlisièredelafoule,àsiroterunebièreoudel'eauenbattantlamesure.Iln'insistanipourparlernipourdanser,bienquejelevoiedetempsentempsmeglisserunregard

ducoindel'œil.Ilbrûlaitdemedirequelquechose,maisilseretint.Ilétait2heurespasséesquandleconcertpritfin.Jem'étaisbienamusée,maisçanem'empêchait

pas d'être épuisée. J'étais vidée par l'émotion et le désir inassouvi. Tout ce que je voulais, c'étaitprendreunedouche,meblottirdansmonlit,etdormir.Danielmeraccompagnaàmavoiture.—Çanetedérangepasquejet'escortejusquecheztoi?demanda-t-ilenrougissant.Jeveuxêtre

certainqueturentressansencombre.Ilestvraimenttard.Sonembarrasétaittouchant.Incapabledeparlersousl'effetdel'émotion,jemecontentaidehocher

latête.Jelevailamainverssonvisageetluieffleurailajouependantunefractiondeseconde.Ilmesuivitenvoiturejusquechezmoi.Aprèsm'êtregarée,jesortisdemonvéhicule.Ils'arrêtaà

quelquesplacesdelàetvintmerejoindre,sansprendrelapeined'éteindresonmoteur.Ilmesourit,apparemmentheureuxdesasoirée.—Mercid'avoiracceptémoninvitation,dit-il.Unpetitventfraiss'était levé,luiébouriffantlescheveuxetséchantlasueursurmoncouetmon

dos.—Merciàtoidem'avoirinvitée…—J'aimebientacoiffure,dit-ilenenroulantunedemesmèchesautourdesondoigt.Ils'approchaencoreetmepritlevisageentresesmainsavecuneinfiniedouceur.Sesgestesétaient

lents,commes'ilvoulaits'assurerdemonassentiment.Ilposatendrementseslèvressurlesmiennes,puis sur les commissures. Jeme serrai contre lui et entrouvris la bouche.Mais il s'écarta presqueaussitôtetmecaressalajoueavantdes'éloigner.—Bonnenuit,Casey,melança-t-ilavantderetourneràsavoitureavecunderniersignedelamain.Jerestai immobilequelquesminutes,savourantlesouvenirdececontact.C'étaitunbaiserchaste,

quin'avaitpaslamêmepassionqueceluiquenousavionséchangédanssavoiture.Etpourtant,ilmebouleversaitdavantage.Jemepassaiundoigtsurlabouche,puismedirigeaiversl'appartementetouvrislaporte.Lesacde

Megantrônaitsurlaconsole:elleétaitderetour.Jesourisàl'idéequec'étaitbienlapremièrefoisqu'elle rentrait avantmoi. Elle serait vraiment fière demoi lorsque je lui raconterais la soirée lelendemain.Jelaissaitombermesclefsetmonsacàcôtédusien,etréfléchis.Çaalors…laperspectivedelui

enparlernem'avaitmêmepasfaitreculer.J'entraidansladoucheetfiscoulerdel'eaufraîche.C'étaitagréableaprèsavoireutellementchaud

dans la boîte de nuit. Mes doigts pleins de savon passèrent sur mes cicatrices. C'était incroyablecommeilm'avaitmiseenémoialorsquenousdansions.J'avaisunpeupeur,c'estvrai.Maispar-delàcesentiment,uneautreémotionbouillonnaitdansmapoitrinechaquefoisquejepensaisàlui.Quejelevoyais.Quejeletouchais.Jenepouvaisnierl'attirancequej'éprouvaispourlui.Aprèsm'êtrerincéeetséchée,j'enfilaiundébardeuretunboxeretm'allongeaisurmonlit.

J'avaisencoreletournis.Jen'arrivaispasàmesortirDanieldelatête.J'aimaissafranchise…sesyeux…sesmainsquimecaressaientledos.Sabouchebrûlantesurlamienne.Commemoi,Danielétaitpleindecontradictions.Ilmepoussaitdansmesretranchements,puisme

laissaittranquille.Maisunechoseétaitsûre:ilmegardaitsurdescharbonsardents.Quandjem'endormis,j'avaisencorelesourireauxlèvres.J'allaisvomir,çanefaisaitpasunpli.Megansortitdesachambre,vêtued'unerobedeplageendentellequidévoilaitsonmaillotdebain.—Jet'interdisdegerbersurcetapis.Allez,toutvabiensepasser.Ilnevaplustarder.Etensuite,on

n'auraplusqu'às'éclater. J'aimismonbikini leplussexy. Iln'yapresquepasde tissu,envérité…Bobbyvas'étranglerenreluquantmeslolos.Detouteévidence,manervositésautaitauxyeux.J'émisunpetitriretoutentriturantmontee-shirt.—Commesituavaisbesoindeçapourêtremagnifique!Ellevints'asseoiràcôtédemoietpritmesmainsmoitesdanslessiennes.—Eh…tuessûrequeçava?J'acquiesçai, tremblante.Pourquoiest-ceque jememettaisdansunétatpareil?Sansdouteparce

quej'avaisperdulatêtelaveille,etdemandéàDanieldenousaccompagner.LafamilledeMeganvivaitdansunevillaauborddulacÉrié,avecuneplageprivée.Chaqueannée,

ils organisaient un énorme barbecue pour l'anniversaire du père de Megan. L'été précédent, ellem'avait invitéeàpasserunweek-endchezeux,mais j'avaisdécliné. J'avaispréféré resterenferméedansmachambre,avecunlivreetdesprovisionsdechinois.Cettefois-ci,jen'avaispumerésoudreàrefuser.Ellem'avaitsuppliéeavecsesgrandsyeuxbruns,

etm'avaitrappeléàquelpointjem'amusaisdepuisquej'acceptaisdesortirdelamaisonetdevivreunpeu.Ilnem'avaitfalluquequelquesminutespourcéder.Laveille,alorsquej'étaisdansungrandmagasinentraindechercherunmaillotdebain,quelques

heuresavantdecommencermonserviceauMask,j'avaisprismontéléphonepourenvoyeruntextopathétiqueàDaniel, luiproposantdem'accompagner.Je leprévenaisà ladernièreminute, ilauraitsûrementd'autresengagements,maisj'avaisenviedelerevoir.Quelquesminutesplustard,ilavaitréponduqu'ilviendrait.Etc'estainsiquejemeretrouvaisdansmonmaillotunepiècebleumarine,avecunjeancoupéen

shortetuntee-shirtpar-dessus,lesmainsmoitesettremblantes.Espérantcontretouteattentenepasmecouvrirderidiculedevantlui.J'étaisanxieuseàl'idéedemerendreàcettefête,d'êtreentouréedetoutelafamilledeMeganetdeleursamis.J'avaisbesoinquequelqu'unm'accompagne.Lapremièrepersonne–laseule,envérité–àlaquellej'avaispenséétaitDaniel.Enoutre,comme

Bobbydevaitnousrejoindresurplace,jesavaisqueMeganallaitpasserleweek-endàluilécherlapomme,etjenetenaispasàvoirça.Lasonnetteretentit.Meganselevad'unbondetm'adressaunclind'œil.—Jesuissûrequec'estDaniel!s'écria-t-elleavantd'ouvrirlaportebrusquement.Entre!Elleest

là,surlecanapé.Danielfranchitleseuiletregardaautourdelui,unsourireradieuxauxlèvres.C'étaitlapremière

foisqu'ilvenait;ilexaminalestableaux,lemobilier,lesétagères.J'avaispassélamatinéeàfaireleménagepourquece soitprésentable.Megan s'était torduede rire enmevoyant frotter le sol.EllepensaitqueDanielseficheraitéperdumentquelecarrelageétincelleounon.Jemelevaietm'essuyailesmainssurmonshort,luiadressantunsouriretremblantmaissincère.

Vêtud'unbermudadeplageetd'un tee-shirtgrisdélavé, ilavait lescheveuxébourifféset lesyeuxbrillants.Ilétaitàtomber.J'eneusdespapillonsdansleventre.—Vousêtesprêts?demandaMeganenattrapantsonsac.Elle se penchapour s'emparer de la petite glacière qui attendait près de la porte,maisDaniel la

devança.Jeprismesaffairesetnoussortîmes,Danielmarchantjustederrièremoiversmavoiture.J'avais

proposédeconduire.JesavaisqueMegancomptaitboire,etjenevoulaispasmonteravecelledanscetétat.Etpuis, si j'avaisbesoindepartirplus tôtqueprévu, jenemeretrouveraispascoincéeaumilieudenullepart.Maisj'avaisbienl'intentionderesterjusqu'aubout,cettefois.J'enavaisparléavecmagrand-mère

laveille,etelleétaitfolledejoiequej'aieacceptél'invitation.Ellem'avaitconseillédem'isolerdetempsàautreafind'éviterd'êtresubmergéeparlapanique.C'étaitunbonconseil.Jesavaisquej'enétaiscapable.Enchemin,Meganfredonnaitenécoutantlaradio.Daniel,côtépassager,nedisaitrien.Detempsen

temps, Megan s'avançait entre les sièges avant et nous chantait dans les oreilles, avec plusd'enthousiasmequedetalent.Jenepouvaism'empêcherderire:sonbonheurétaitcontagieux.Enarrivant,j'eusunpeudemalàtrouveruneplace:larueétaitdéjàpleinedevoitures.Jesentis

aussitôtlesoufflememanquer.Toutcemonde…Est-cequej'allaisréussiràgérer?Danielmeposalamainsurlacuisse.Riendesexueldanscegeste:c'étaitpourmerassurer.Jelui

adressaiunsourirereconnaissant.Ilavaitdevinécequejeressentaisenunclind'œil.Çamefitunpeupeurdeconstaterqu'ilmeconnaissaitdéjàsibien.Mais encet instant, c'était exactement cedont j'avaisbesoin.Un soutien silencieux. Je luipressai

doucementlamain,puismeconcentraisurmoncréneau.NousmarchâmesverslamaisondesparentsdeMegansousunsoleildeplomb.Nouspercevionsde

plusenplusdevoixetd'éclatsderireàmesurequenousapprochions.Meganseprécipitapourouvrirlaportedecôtéetnousfaireentrer.Laclimatisationétaitallumée,

etl'airfraismedonnalachairdepoule.Lacuisineétaitbondée;ungrouped'adosriaitdansuncoin.Quelques femmes étaient occupées à sortir des assiettes du réfrigérateur. La fête était vraimenténorme.Maistoutlemondesouriait.Personnenenousregardaitensedemandantcequejefaisaislà.Jeme

détendisunpeu.Une femme noire, grande et élancée, les cheveux remontés en une élégante queue-de-cheval,

s'approcha de nous. C'était forcément la mère de Megan : elles se ressemblaient beaucoup. Pas

étonnantqueMegansoitsibelle:samèreétaitmagnifiqueetnefaisaitpasdutoutsonâge,malgrélesquelquesridesquiseformaientautourdesesyeuxlorsqu'ellesouriait.—Bonjour,machérie,dit-elleenembrassantMegansurlajoue.—Maman,jeteprésentemacolocataire,Casey,etson…ami.Unsourire radieuxaux lèvres,ellemontraDanielquiposait laglacièresur lecomptoir. J'aurais

voululuimettredesbaffes.—Enchantée.Jesuisraviequevoussoyezlà,réponditsamèreenjoignantlesmains,sesbracelets

d'argenttintantaupassage.Elleportaitunecombinaisonpruneavecunfoulardrougeetjaunenouéàlataille.—Servez-vous,ajouta-t-elle.Ilyadelabière,duvin,desjusdefruits,del'eau…etpleindetrucsà

grignoter.Megan s'éloigna avec samère, bras dessus, bras dessous, nous plantant là,Daniel etmoi. Ilme

sourit.—Quoi?—Jesuiscontentd'êtreiciavectoi,c'esttout.Quelquesmotssimplesetdirects…c'étaittoutlui.Jefondissouslachaleurdesonregard.Ilattrapa

deuxbouteillesd'eaudansleréfrigérateuretm'entenditune.—Onvadanslejardin?Onserasansdoutemoinsentassés.C'estlemomentquechoisituneinconnuepourlebousculeretrepartirens'excusant.Ilmelançaun

regardsagace.J'acquiesçaienriantetlesuivisparlaporteenverrecoulissante,jusquesurlapelouseluxuriante.Les invités avaient également envahi l'extérieur.Nousmarchâmes jusqu'à labarrière aufonddujardin,etlasplendeurdulacÉriés'offritànotrevue.Lesoleilfaisaitscintillerleseauxbleufoncé.Quelquesbateaux fendaient les flots, laissantunsillageblanc semblableàun rubanderrièreeux. Il y avait davantage de vent par ici, et je sentis ma queue-de-cheval voleter dans mon dos.Quelquesmèchesvinrentmechatouillerlevisage.—C'estmagnifique,soupirai-jeaprèsavoirprisunegorgéed'eau.Jeremontaimonsacsurmonépaule.Mamèreauraitadorécetendroit.Labrise,lesoleil,lelacqui

s'étendaitàpertedevue…Elleavaittoujoursrêvéd'habitersurlesrivesdulac,etpendantledernierété,elleavaitàplusieursreprisesdemandéàmonpèredenousemmenerenvacancesdanslecoin.J'eneus lecœurserré.Contrairementàmonhabitude, je laissai l'émotions'emparerdemoi,etmeremémoraisonsourireauxdentsécartéesetsonéternelcoupdesoleilsurlenez.Sonabsencemefaisaittellementmal…maisbizarrement,refuserdepenseràelleétaitencorepire.

Àelle,ouàmasœur.Danielinterrompitlecoursdemespensées.—Quandj'étaispetit,onallaitchaqueétéàVermillion.OnlouaituncottagesurlelacÉriépendant

unesemaine,dit-ilenplaçantunemainau-dessusdesesyeuxpourregarderauloin.—Tuascombiendefrèresetsœurs?demandai-je.Jeregrettaiaussitôtmaquestion.Entoutelogique,ilallaitmelaretourner.Maisjemesouvinsqu'il

m'avaitlaisséeenpaixchaquefoisquej'enavaiseubesoin.

Sijevoulaisdevenirplussociable,ilallaitbienfalloirquejem'habitueàparlerauxgens.Mêmesic'étaitunetorture.—J'ai troispetites sœurs, confessa-t-il en riant.Trois sacrésnuméros…Quand j'habitaisencore

chezmesparents,jen'avaisjamaisd'eauchaudepourmadouche!—Jen'imaginemêmepas!m'exclamai-je.Etsansluilaisserletempsdemeposeràsontourdesquestions,jeluiproposaid'allersurlaplage.Jedescendisàsasuitelesmarchesdebois,chaufféesparlesoleil.Arrivéesurladernièremarche,

entièrementrecouvertedesable, jepoussaiunsoupirdeplaisiretenfonçai lesorteilsdans ledouxtapisblanc.Riennepouvaitêtreplusdélicieux.Unvraimomentdebonheur.—Et toi,alors, tuasdesfrèresetsœurs?demandaDanielentoute innocence,m'arrachantàma

béatitude.—Non,répondis-jeenledépassant,lecœurbattantlachamade.Ilseraidit,surpris.Pasmaintenant,s'ilteplaît,lesuppliai-jementalement.Cejour-là,jevoulaisjustefairesemblantd'êtrenormale,dumoinsautantquepossible.Jevoulais,

pourunefois,sortirdemonpersonnagedefillecassée,timideetbizarre.—Casey!criaunevoixderrièremoi.Meganmefaisaitdesgrandssignesd'unemain,l'autrebraspasséautourdutorsenudeBobby.—Onarrive!ajouta-t-elle.Jen'avaisjamaisétéaussicontentedelavoir.Sauvéeparlegong.J'espéraisquelasécheressedemaréponsen'avaitpasdétériorélesfilsténus

quimeliaientàDaniel.

Chapitre10

Mabouffée de panique se calma enfin, et je recommençai à respirer normalement.Megan allaitnouschangerlesidées,avecsabonnehumeurhabituelle.Etj'allaisessayerdemeteniràmadécisiondeprofiterdelajournée,commetoutlemonde.Alorsqu'elledescendaitl'escalier,jeremarquaiqu'elleportaitsaglacière.Ellecourutversmoiet

mepritdanssesbraspourmechuchoteràl'oreille:—Ohlàlà,Bobbyestencoreplussexyqued'habitude,aujourd'hui!Regarde-moicettetablettede

chocolat…J'aienviedelelécherpartout.—Jenepensepasqu'ilyvoieuneobjection,pouffai-je.—J'aichipéquelquesboissons,reprit-elleàhautevoix.Onvaemprunterlebateaudemonpèreet

s'amuserunpeu.Ilyatropdemonde,là-haut.Çavousintéresse?D'uncôté,çatombaitàpic.J'allaispouvoirmedétendre,àl'abridelafoule.Maisd'unautrecôté,

DanieletmoiallionssansdoutetenirlachandelleentreelleetBobby.Etlemoinsqu'onpuissedire,c'estqu'ilsn'étaientpastrèspudiques.Maistoutdemême,enétantavecelle,j'avaisl'assurancequelaconversationresteraitgénérale,etje

pourraisdoncéviterlescrisesdepanique.—Çametente.Ettoi,Daniel?—Jesuispartant!répondit-ilavecunsourire.Il passa délicatement le bout des doigts sur le duvet demon bras. C'était un effleurement, léger

commeuneplume, àpeinediscernable.Pourtant, j'eus l'impressionde sentirmapeauvibrer avantmêmequ'ilm'aittouchée.C'étaitincroyable.Commesitousmessensétaientenéveilensaprésence.Toutletemps.Ilmemettaitdansunétatquejen'avaisjamaisconnuauparavant.J'avaisfaimdelui.Et j'allais me retrouver coincée sur un bateau avec lui, au milieu de l'eau. Pourvu que je sois

prête…Avec un cri de joie,Megan attrapa Bobby par lamain. Nous suivîmes notre guide enthousiaste

jusqu'au ponton, où une petite embarcation blanche attendait sagement. On pouvait s'y installer àquatreconfortablement.Meganposa laglacièreet sortit sacrèmesolaire.Elle seservitpuisme lapassa.—Tuvasrôtir,avectapeauclaire,melança-t-elleenriant.Elleavaitraison.J'évitaisengénéraldetraînerausoleil,maisquandje lefaisais,c'était toujours

avecuneépaissecouched'écrantotal.JeluiempruntaidoncsonflaconavantdelepasseràDaniel,qui souleva son tee-shirt pour étaler le produit sur son ventre. Je fis de monmieux pour ne pasm'extasier tropvisiblementdevant la fine lignedepoilsquidescendaitverssonshort. Iln'étaitpasaussimuscléqueBobby,maisilavaitdesabdosbienfermes.Jerespiraiungrandcoup.J'avais envie de le toucher, de sentir sa peau brûlante de soleil contre la mienne. De poser ma

bouchesurlasienne.Jedétournai lesyeuxavantqu'ilmesurprenneà le reluquer,etmontaidans l'esquifà la suitede

Megan.Lesgarçonss'installèrentàleurtour.Daniels'assitàcôtédemoisurlebanc,à l'arrièredubateau,pendantqueBobbyprenaitplaceàl'avantavecMegan.—Accrochez-vous!s'écriacelle-ciendémarrant.Nousvolionsau-dessusdel'eau.L'airtièdemefouettaitdetoutesparts,maisilétaitmêléd'embruns

rafraîchissants.JesentaislaprésencedeDanielàmadroite.Songenoucognaitparfoislemien,etjememordaisalorsleslèvres.Ilavaitremissontee-shirtenplace,maisjeneparvenaispasàeffacerl'imagedesonventredemonesprit.Ilavaitlapeauhâlée,cequim'avaitsurprise.Ildevaits'activertorsenu;peut-êtrequ'ilaimaitjardiner.Jeressortismabouteilled'eaudemonsacpourmedésaltérer.J'avaisdumalàm'intéresseràautre

chose que lui. Difficile de sembler indifférente alors que nos genoux s'entrechoquaient à chaquemouvementdubateau.Si je fermais les yeux et tournais sur moi-même pendant une minute, je saurais quand même

exactementoùilsetrouvait.Moncorpss'étaittransforméenantennerégléesurlui.—Ilfaitchaud,soupira-t-il.Je fis unemimique consternée devant la banalité de sa remarque, avant de déceler une étincelle

espiègledanssonregard.—Lesoleilatendanceàproduireceteffet,commentai-je.— Il fait aussi ressortir les reflets de tes cheveux, ajouta-t-il, plus sérieux. Ils ont une très jolie

couleur.Ilsemitàjoueravecunemèchedemaqueue-de-cheval.Çam'émoustilla,etjem'aperçusquemon

corpstoutentierpenchaitinsensiblementverslesien,commedumétalattiréparunaimant.Jereculaid'unbond.—Vousêtesbiensilencieux,touslesdeux,décrétaMeganenseretournant.Ellenouscontemplad'unairfaussementsuspicieux,sanslâcherlegouvernail.—Nousdiscutonsphilo,rétorquai-jeavecironie.Etjepréféreraisqueturegardesdevanttoi,siça

netedérangepas.J'aimeraisautantéviterd'avoirunaccident.Danielavaittoujoursmamècheentrelesdoigts,etnousétionssiprèsl'undel'autrequel'hypothèse

d'uneconversationmétaphysiquen'étaitpastrèscrédible.—Vousavezl'airdedeuxtourtereaux,répliqua-t-elleavantdeserasseoirversl'avant.Bobbytoussotad'unairmalicieux.Je levai les yeux au ciel. Daniel lâchames cheveux et s'écarta de quelquesmillimètres en riant.

L'éloignement,siinfimequ'ilfût,mefitmal.Lorsque la villa de ses parents ne fut plus qu'un point blanc au loin, Megan coupa le moteur.

L'embarcationtanguaitdoucement.C'étaitunesensationdélicieuse.Bobbyseleva,adressaunclind'œilàMegan,etplongeadanslelac.Ellecrialorsquelagerbed'eau

qu'ilavaitsoulevéevintnouséclabousser.Daniels'essuyalesbrasenriant.Bobbyrefitsurfaceetvints'agripperaubateau,regardantMeganavecgourmandise.

—L'eauestdélicieuse,déclara-t-il.Tudevraisvenirjouir…desatempératurebienfraîche.C'estcequ'ilademieuxenstock?Unpeupiteux,commeblague…MaisMegan,séduite,manquadedéchirersarobedanssahâteàrevêtirsonbikini.Ellesautaetcria

deplusbelleenarrivantdansl'eau.Jereçusdenouvelleséclaboussures.—Tuaimesnager?medemandaDaniel.Ilôtasontee-shirtd'ungesteélégantetsepenchasurlaglacièrepourensortiruneboissonfraîche

qu'ilouvritaussitôt.Lorsqu'illevalatêtepourboireaugoulot,jepusobserversapommed'Adamquiremuait.Jemeforçaiàregarderlabouteilled'eauquej'avaistoujoursàlamain.Nelereluquepas,m'admonestai-je.—Disonsquejesuiscapabled'éviterlanoyade,répondis-jeavecunhaussementd'épaules.Ceque

jepréfère,c'estfairelaplanche.Jeprisunegorgéed'eautièdeetmetournaiversMeganetBobby,quijouaientàsepourchasser,un

prétextepoursetouchertouteslestroissecondes.Daniel resta silencieux unmoment avant que j'ose poser de nouveau les yeux sur lui. Le soleil

caressait sa peau, illuminant ses cheveux comme une couronne et soulignant les muscles de sesépaules,etlecreuxdesaclavicule.Jemesentisfondrededésir.Jenepouvaispasnierqu'ilm'excitaitauplushautpoint.Ilmesuffisaitdeleregarderpourêtredanstousmesétats.J'avaislesdoigtsquimedémangeaientdetouchersapeaunue.—Tuasenvied'allerfairelaplanche?proposa-t-ilavecunsourireencoin.Sesyeuxétincelaientdemalice,commepourmeforceràabandonnermesinhibitions.J'enmourais

d'envie.Enoutre,même si l'eau faisait remontermon tee-shirt, jeportaisunmaillotunepiècequicachaitmescicatrices.J'acquiesçai.Il reposa sa boisson dans la glacière et se laissa glisser dans l'eau, du côté opposé àMegan et

Bobby.Ilavaitunetelleaisancequ'onauraitcruqu'ilétaitnédanslelac.Ilrefitsurfaceetsecouasescheveuxenriant.—Elleestfraîche,reconnut-il.Jeledévoraisdesyeux.Desgouttelettesruisselaientsursoncou,làoùj'avaisenviedel'embrasser.

Mon cœur battait la chamade. Peut-être qu'un plongeon m'aiderait à garder la tête froide et àrecouvrermesesprits.Rougissante,j'enlevaimonshortsousleregarddeDaniel.Ilnemelorgnaitpasdefaçonsalace…il

avait juste les yeux surmoi. Comme s'il avait peur que je change d'avis. Je ne pouvais pas le luireprocher.Unpeuhonteuse à cette idée, je posaimon short surmon siège, passai les jambespar-dessuslebastingage,etsautai.Pendant un long moment serein, je restai sous la surface, environnée par l'eau glacée. Puis je

remontaietrepoussaimescheveux.Danielnageaitsurplace,sesbraspuissantsmoulinantlesvagues.Lebateautanguaittoujoursàcôtédemoi.Jecommençaisàmeréchauffer.Nousétionsd'uncôtéde

l'embarcation,MeganetBobbyde l'autre,étrangementsilencieuxdepuisquelque temps.J'étaisbiencontentedenepasvoircequ'ilstraficotaient.—Quand j'étais petit, je pouvais rester des heures dans la piscine, jusqu'à avoir les doigts tout

plissés,racontaDaniel,quis'étaitrapproché.

L'eauqu'ilfaisaitbougerparsesmouvementsmecaressaitlesjambes.—Àl'époque,jevoulaisdevenirchampionolympiquedeplongeon.Jen'avaispeurderien,avoua-

t-il.—Jet'yvoisbien…Jen'avaisaucunmalàimagineruntoutpetitDaniel,maigrichonetbronzé,entraindeplongerdans

unepiscine,s'exerçantsansrelâche.—Qu'est-cequit'afaitchangerd'avis?—Lesmaillotsdepiscine,çanem'allaitpasdutout,répondit-ild'unaircoquinquimefitrire.—Moi, je jouais à être une sirène. Jem'asseyais sur lesmarches de la piscine, les jambes bien

collées,commesic'étaitunequeue.Masœuretmoiavionspassédesheuresetdesheuresàlapiscinemunicipale.Ellen'yallaitjamais

sansseslunettesetsonpince-nez,semoquantduridicule.Je m'arrêtai sur ce souvenir, attendant la vague de tristesse qui ne manquait jamais de me

submerger. Mais là, dans le calme du lac, seule avec Daniel qui me souriait patiemment, je neressentisqu'unpetitpincement.Peut-êtreétait-ce ledébutde laguérison.Peut-êtrequ'un jour, jenesouffriraisplusdutout.Tuneluiasmêmepasparléd'elle.Nidecequis'estpassé,merappelaunepetitevoixdansmatête.Monsourires'effaça.Danielplongeasousl'eau,etréapparutàquelquescentimètresdemoi,mefaisantsursauter.—Bouh!s'écria-t-il,chassantmamélancolie.—Tum'asfaitpeur…—Jesais.J'aivraimentenviedet'embrasser,avoua-t-ilenreprenantsonsérieux.J'enavaisenvieaussi.Là,dansl'eau,souslesoleil,danscetenvironnementheureuxetléger.Pour

qu'enfinj'arriveàvivrel'instantprésent.Il posa la main sur ma hanche, me caressant la cuisse avec le pouce. Le souffle court, je me

maintenaisàlasurfaceparquelquesmouvementsdejambesparesseux.J'auraisvouluquececontactduretoujours.—Moiaussi,j'enaienvie,murmurai-jesibasquejen'étaispassûred'avoirréellementprononcé

cetaveu.Daniels'agrippaaubateauetm'enlaçadel'autrebras,mecollantcontrelui.Sansréfléchir,jenouai

mesjambesautourdesatailleetmesbrasautourdesoncouruisselant.Jelesentais,brûlantentremesjambes,etprissoudainconsciencequenousn'étionsséparésquepar

deuxfinescouchesdetissu.Lespupillesdilatéesdedésir,ilpenchalatêteversmoi.Jem'approchaipourcollermes lèvresaux siennes.L'eauexerçait sonva-et-vient surnous,nous

tirantetnouspoussanttouràtour.MaisDanielétaitmabouée.J'étaisensécurité.Jeleserraiencoreplusfortentremescuisses,presqueàmoncorpsdéfendant.Sonsexetendaitle

tissudesonshortdebain,et jefrissonnaiàcecontact.J'entrouvris labouchepourqu'ilyglisse lalangue,dansunesensuelleexploration.J'enfonçailesdoigtsdanssescheveuxethumail'odeurdesapeau.

Nous flottions au gré des vagues. Sa respiration saccadée accroissait encore mon désir, faisantsaillirmestétons.J'étaisplongéedansunabîmedevolupté…—Oh,jen'ycroispas!criaunevoixdansmondosavecungloussementmalicieux.Casey,tun'es

qu'unepetitecoquine!Merde.Je m'écartai de Daniel et me retournai, mortifiée d'avoir été surprise en train de faire des

cochonneries.JustesouslenezdeMeganetBobby,quiétaientremontésdanslebateauetprofitaientduspectaclepar-dessuslebastingage,unebouteilledebièreàlamain.Bobbym'adressaunclind'œil.Gênée, je tiraisurmontee-shirtpourleremettreenplace.Daniel

avaitlaissésamainsurlebasdemondos,sansmebousculer,justepourmerappelerqu'ilétaitlà.Ilm'aidaàmehisseràbord.Jeglissaiunpeusurlesoldel'embarcation,maisparvinsàretourner

m'asseoirsansencombre.Jereprisunegorgéed'eau,désireusedemeconcentrersurautrechosequelesouvenirbrûlantdemonétreinteavecDaniel.Megans'apprêtaitàparler,maisjelevailamainpourl'endissuader.—Motus,chuchotai-jealorsqueDanielremontaitàsontourdanslebateau.Elle fronça les sourcils, surprise,mais j'étais inflexible. Jenevoulaispasqu'onme taquine à ce

sujet.J'étaistropbouleversée.Avecunhaussementd'épaules,Bobbyfinitsabièreetjetalabouteillevideàsespieds.Ilenouvrit

aussitôtuneautrequ'ilvidad'untraitavantdelâcherunrotsonoreetdesourireàMegan.—J'aimevoirteslèvrestoutesmouillées,dit-elleenriant.—Hum,cen'estqueledébut…,répliqua-t-ild'unairpleindesous-entendus.Quellehorreur…Peut-êtrequejeferaisbiendeboireunpeud'alcoolmoiaussi,pourqueletempspasseplusvite.

Maisjepréféraismecontenterdemoneau.Jemesentaisunpeubarbouillée.Etpournerienarranger,Danielnecessaitdemelancerdesregardsencoin.Jefinisparcéderetmetournerverslui.Lesyeuxpétillants,iltenditunemainversmoi.Refrénant

unsoupirdenervosité,jelapris,etlelaissaim'attirerverslui,glissantsanseffortsurlebancdansmonmaillotmouillé.Unepetitebrisefraîcheseleva,faisantsedurcirmestétons.Danielnetardapasàs'enapercevoir,

maisilseremitaussitôtàmeregarderdanslesyeux.—Jen'aiaucunregret,mesouffla-t-il.Jesuisravidet'avoirembrassée.Maisjeneveuxpasquetu

soismalàl'aise.Onpeutrestercommeça,situveux.Tun'esobligéeàrien.Jemedétendis.Ilpassaunbrasautourdemesépaules,m'effleurantduboutdesdoigts.J'eneusla

chairdepoule.Megan et Bobby buvaient toujours. Elle se balança un peu dans son siège et rota discrètement

derrièresamain.—Bordeldemerde,soupira-t-elle.Jecroisbienquejesuisbourrée.Danieletmoiéchangeâmesunregardconsterné.—Tusaispiloterunbateau?luidemandai-jeàvoixbasse.

—Onvatrouverunesolution,promit-il.Megan se leva et se tourna vers nous. Son bikini la laissait presque entièrement nue. Quelques

gouttes d'eau coulaient encore sur sa peau sombre. Elle était magnifique, pleine d'assurance, etpendantunmoment,j'eusenvied'êtrecommeelle.Sûredemoi.Àl'aise.—Tuestropcouverte,medit-elleenagitantl'indexdevantmonvisage.Tudevraisenlevertontee-

shirt.Bobbyenprofitapourluidonnerunetapesurlesfesses.Ellesursautapuiséclataderire.—Ettoi,tudevraisenlevercemaillot,dit-ild'unevoixrauque.—Jesuisbiencommeça,affirmai-je.Mon maillot couvrait mes cicatrices, mais je n'avais tout de même pas envie de retirer mon

vêtement.Cen'étaitqu'uneminceépaisseurdetissu,maisilm'évitaitdemesentir…nue.ExposéeauxyeuxdeDanieletdumonde.—Allez,insista-t-elle,unemainsurlahanche.Tuessuperbe.Regarde,moijen'aiquemonmaillot.

Tudevraisfairepareil.Ellesepenchapourreprendreunebière,sansdoutelatroisièmeenvingtminutes.Elleétaitcomplètementsoûle.Jemesentaisassezmal.J'avaislesoreillesquibourdonnaient.—Non,jet'assure,jepréfèrerestercommeça,répliquai-jed'untonoùcommençaitàpoindrede

l'agacement.Danielcessademecaresserlebras,maisjem'enaperçusàpeine.Meganlevalesyeuxaucielavec

unprofondsoupir.—Pourquoitufaistantd'histoires?Onestentrenous.Lesgarçonsn'ontqueleurmaillot,etmoi

aussi.Tuessapéecommeunebonnesœur.Elles'approchademoietattrapal'ourletdemontee-shirt,maisjereculai.Ilétaithorsdequestion

qu'ellem'arrachemonvêtement.Lesmâchoiresserrées,jeremisletissubienenplace.—Arrête,Megan.Bobby la tirapar lamain,maiselle le repoussaetposa surmoi son regardunpeuvitreux.Elle

manquadeperdrel'équilibrelorsqu'unevaguefittanguerlebateau,etserattrapaaubastingage.—Maismerde,pourquoiest-ceque tu fais ta sainte-nitouche?Tupensesque jesuisune traînée

parce que je ne me couvre pas de la tête aux pieds comme toi, c'est ça ? Qu'est-ce que tu veuxprouver?Quetuesmeilleurequetoutlemonde?—Maisqu'est-cequeturacontes?C'estdégueulasse!JenesavaispasquelleattitudeadopterdevantcetteMeganivreeténervée,quejeneconnaissaispas.

Siçaavaitétépossible,j'auraisregagnélerivageàlanage,etjel'auraisplantéelà.Elletremblaitderage.—Jevaistedire,moi,cequiestdégueulasse.C'estquetusoisaussicoincéeducul.Tunousdonnes

l'impressiond'êtredesdébauchés,toutçaparcequ'onaimes'amuser.ElletournalestalonsetselaissatombersurlesgenouxdeBobby.

J'avaislesyeuxquipiquaient,maisjeravalaimeslarmes.Jen'allaispaspleurer.Merde!Pourquoiétait-elleaussiencolère?Pourquois'enprenait-elleàmoi?Jeneluiavaisrienfait!Jecroisailesbrasettentaidereprendremonsouffle.Daniel me serra contre lui et écarta de mon visage les mèches de cheveux que le vent y avait

collées.— Casey…, chuchota-t-il. Elle est soûle, elle ne sait pas ce qu'elle dit. Ne le prends pas

personnellement.—Jeveuxrentreràlamaison,suppliai-je.Jem'essuyai lesyeux. Jenevoulaispasme laisseraller.Et jene souhaitaisnullement resterune

secondedeplusavecMegan.Toutcevitriolqu'elleavaitdéversésurmoi…Pourmeforceràêtrecommeelle.Maiselleneme

connaissaitpas,pasvraiment.Ellenesavaitpascequej'avaistraversé,nicequeçam'avaitcoûtédevenir.Qu'elleaillesefairefoutre.Danielmepressalamain.Ilavaitunregardsicompréhensifqueçamefitencoreplusmal,etjeme

forçai à détourner les yeux. Lui non plus ne comprenait pas. Personne ne savait ; c'était mamalédiction.Il se glissa sur le siège conducteur. Après quelques tentatives infructueuses, il parvint à faire

démarrer lemoteuretà reprendre ladirectiondechez lesparentsdeMegan.Nous filâmessur lesflots,tanguantetroulant,maislalégèretédel'allers'étaitenvolée.Onrentraitverslafête,lajoiedevivredesgensquisavaients'amuser.Desgensauxquelsjeressemblaissipeu.

Chapitre11

Cefilmétaitnulàchier.Jem'enfonçaidans ledossierducanapéetdégustaimaglaceHäagen-Dazs.Ça, aumoins, c'était

bon. Banana & Cream, une de mes valeurs sûres en cas de coup de blues. L'héroïne du téléfilmplongea son regard dans celui du héros, et ils s'embrassèrent au ralenti. J'avalai une nouvellecuillerée.Megann'étaitpas rentréeà l'appartement lanuitprécédente.Danieletmoiétionspartisaussitôt–

ellenem'avaitpasfaitsigne,maisjesupposaisqu'elleétaitrestéedormirchezsesparents.Malgrémonanxiété, j'avais réussià tenir lecouppendantma journéedecours.Danielm'avait redonnéducourageenmeposantdesquestionsphilosophiquesaprèslecours.Àprésent,j'étaisàlamaison,seule,aucalme.Malàl'aise.Quelquesminutesplustard,j'entendisunecleftournerdanslaserrure,etjemetendisaussitôt.Elle

était là. Je posai le pot de glace sur un sous-verre et rentrai les pieds sous les fesses, serrant uncoussincontremonventre. J'étais enbasdepyjamaet tee-shirt, car il étaitdéjà22heurespassées,bientôtlemomentdemecoucherencelundisoir.Meganentraetlaissatombersonsacetsaglacièreprèsdelaporte.Ellemelançauncoupd'œil,

indéchiffrable.—Coucou,dit-elledoucement.Jemecontentaid'unsignedetêteavantdemetournerdenouveauverslatélé.Touteslesémotions

delaveillemesubmergèrentdeplusbelle,aupointd'enavoirmalauventre.Maisjen'allaispasluimontrer combienellem'avaitblessée. Je restaidonc retranchéederrière lemurprotecteurdemonsilence.Elle se dirigea vers la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Je gardai les yeux rivés sur l'écran. Je

l'entendissoupireravantdes'asseoirsurlefauteuilàcôtéducanapé,unCocaLightàlamain.Ellel'ouvritetpritunelonguegorgée.—Jemesuiscomportéecommeuneconnasse,dit-elled'unevoixmortifiée.Elleappuyalacanettesursonfront,etlafitrouleràdroiteetàgauche.Jen'avaispasl'intentiond'ouvrir labouche.J'étaisdécidéeàresterassisedansunsilenceglacial,

pour luimontreràquelpoint j'étais fâchée.Mais lesmotss'échappèrentdemes lèvrescontremongré.—Qu'est-cequit'aprisdemedireça?Elleposasacanetted'ungestebrusquesurlatable,projetantdepetitesgouttestoutautour.—J'aipétélesplombs.Complètement.J'avaistropbu,etj'étaisunpeuanxieuseàcausedeBobby.

Jecherchaisàluiplaire…Ellerestaquelquesinstantssilencieuse,puisreprit:—Tusais,jepourraistedonnertoutuntasderaisonspourmoncomportement,maisàquoibon?

Lavérité,c'estquej'aieutort.Etjeregrettevraimentcequej'aidit.Jesuisdésoléedet'avoirtraitéecommeça.Tun'avaisrienfaitpourmériterça,bredouilla-t-elled'unevoixtremblantequimetoucha.Jetentaideresterencolère,denepasmelaisserallerauxsentiments.Maisj'avaisdenouveaules

yeuxquipiquaient.Jeserrai lecoussinplusfort.C'étaitpourçaquejen'aimaispasdevenirprochedesgens:parcequ'ensuite,quandonbaissaitlagarde,ilsnousfaisaientmal.Ellesoupiraetchangeadeposition.— J'ai l'impression que… que tu n'es pas très ouverte avec moi. Que tu me dissimules

perpétuellement des choses. Et je ne comprends pas pourquoi. Je voulais t'obliger à arrêter de tecacher,maisjen'aipaschoisilabonnefaçon.J'auraismieuxfaitdeteparlerdemesinquiétudes.—Quellesinquiétudes?OK,jem'étaisbaignéeentee-shirt,maiscen'étaitpassibizarrequeça…—J'ail'intuitionqu'ilyadesgrandstrousnoirsdanstavie.Qu'ilt'estarrivédeschoseshorribles…

Maisjen'osepasteposerlaquestionparcequeçadonneraitl'impressionquejememêledecequinemeregardepas.Ellemescrutaitd'unregardsérieux,etj'étaisincapablededétournerlesyeux.—Jenetecomprendspas.Jenet'aijamaisvuesansauminimumundébardeuretunshort.Quand

tusorsdelasalledebains,tuesdéjàhabilléedelatêteauxpieds.Commesitun'étaispasbiendanstoncorps…çamefaitbizarre.Moiquisuis tellementà l'aiseavecmonphysique, jen'arrivepasàsaisirqu'onsoitcommeça,mêmesijesaisbienqu'onestdifférentes.Jemeraclailagorgeetdesserraiunpeumonétreintesurlecoussin.Jen'étaispasprêteàaborder

cesquestions.Jevoulaisavancerdansmavie,maismonpassénecessaitdemefaireretomberdanslenoir.—Écoute,jeneveuxpasdirequetuesobligéedetebaladeràpoil,maisjene…—J'aidescicatricestrèsmochessur leventre,m'entendis-jedéclarer.J'aiétégrièvementblessée

quand j'avais treize ans. J'ai dû subir de nombreuses opérations. Et comme je déteste les voir, jepréfèrequ'ellesrestentcachées.Jegardailesyeuxrivéssurlesbroderiesducoussin,vertes,roses,violettes,etbleues.J'avaisles

joues en feu, commeaprès un coupde soleil, et la gorge serrée. Je tentai dedéglutir etmemis àcompterlesfleurssurletissu.—Qu'est-cequit'estarrivé?Jesecouailatête.Jenepouvaispasenparlerpourl'instant.Lesouvenir–ouplutôt,lecauchemar–

étaitenfermédansunpetit recoin,à l'intérieurdemonesprit.Leproblème,c'estquepouravancer,j'avais besoin de repousser toutes les images demon enfance.Même celles des bonsmomentsmefaisaienttropmalpourquejepuisseyrepenser.Quandjem'étaisinstalléechezmesgrands-parents,grand-mamanavaitessayédem'inciteràparler

demesparentsetdemasœur.Ellenem'avaitlaisséetranquillequelorsquej'avaisfiniparcéderetaccepterd'endiscuteravecunpsy.Mais jesurprenaisde tempsen tempssonregard tristeposésurmoi.Ellesemblaitdevinercombienilétaitdifficiledefairecommesij'étaisnéeàl'âgedetreizeans.Commesiaucunehorribletragédien'étaitvenuebalayermaviesursonpassage.Meganpoussaunsoupir.Jemetournaiverselle.Elleavaitdanslesyeuxlamêmetristessequema

grand-mère.—Jesuisdésolée…,murmura-t-elle.Jenesaispascequetuas,maisjenevoulaispasteblesser.

J'espèrequetumepardonneras.Elleétaitsincère,àn'enpasdouter.Ellen'avaitpasrenoncéàserapprocherdemoi,malgrétous

meseffortspourlarepousser.Jenepouvaispasluidonnercequ'ellemedemandait,maisjepouvaisdumoinsacceptersesexcuses.—Merci,finis-jeparmarmonner.—Situasenviedeteconfier,jesuislà.Jehochailatête.—Casey?Est-ceque…Est-cequeçaaquelquechoseàvoiravectesparents?Tuneparlesjamais

d'eux,etjemedis…Ilssontmorts,c'estça?Vousavezeuunaccident?C'estdelàqueviennenttescicatrices?Je sentis unpoids dans la poitrine, et la têteme tourna unpeu. Je rejetai le coussin etme levai,

inspirant lentement par le nez et soufflant par la bouche.Megan se redressa d'un bond et vintmecaresserledospourm'aideràmecalmer.J'étaispartagéeentreuneenviedelapousser–c'étaitellequim'avaitvalucettecrised'angoisse–etledésirderesterprèsd'ellepourêtrerassurée.Lorsquelessymptômesdiminuèrentenfin,j'émisunpetitriregêné.—Toutvabien,désolée.Elleavaitl'airtellementabattuequeçamedonnaenviedepleurer.—J'essayaisseulementdet'aider.Decomprendrepourquoituessi…—…Toquée?complétai-jed'unevoixamère.—Non.Triste.—Oui,mesparentssontmorts,répondis-jeendétournantleregard.Laglacefondaitdanssonpot.Lecoupleàlatéléétaitenpleinedispute:l'héroïnevenaitdefondre

enlarmes.J'étaissoudainengourdie,lesmembresfroids.J'étaispresquecontentequeladouleuraitcessé.Aumoins,jepouvaisvivrecommeça:ilmesuffisaitdefairesemblant,jusqu'àcequejemesentemieux.—Jeretournedansmachambre.JesentisleregarddeMegandansmondospendantquejerangeaislaglacedanslecongélateuret

refermaisdoucementlaportedemachambre.Jem'allongeaisurmonlitetposailesmainssurmescicatrices.Jepassail'indexlelongdusillonboursouflé.J'avaisfrôlélamort.Onpeutmêmedirequejel'avaisvueenface.Mafamilleétaittombéedevant

mesyeux.C'étaitcequej'avaisvécu,etpourtant,jemeréveillaischaquematin.J'allaisencours,etautravail.MaiscetteconversationavecMegan,lefaitdesentirmonpassécommesuspenduentrenousdeux,

mefaisaitculpabiliser.Oui,c'étaitplusfaciledefairecommesiriendetoutçanes'étaitproduit.Maisc'était unmensonge. Je commençais à oublier de petits détails à propos d'eux.Des choses quimepeinaientquandjem'ensouvenais…maisquim'auraienttuéesijelesavaisoubliées.D'une main tremblante, je cherchai une vieille photo dans le tiroir de ma table de chevet. Je

contemplai le visage de ma mère et de ma sœur au soleil. Derrière elles s'étendait une pelouseluxuriante ponctuée d'arbres. Lila était perchée sur le dos de maman, des mèches de cheveuxretombantlelongdesesjouespourvenireffleurerlefrontdenotremère.Ellesavaientl'airtellementheureuses…Jecaressai l'imagedupouce,unsentimentdoux-amers'éveillantdansmapoitrine,mecoupant le

souffle.Puisjeretournaileclichéetprisunstylo-billepournoterquelquesmotsdansunderniercoinlibre.«Lilaaimaitlebeurredecacahuètes.Lepéchémignondemaman,c'étaitlesfraisestrempéesdans

dumiel.»Jereposailestyloetreluslesphrasesetlesmotséparsquicouvraientledosdel'image.Desbribes

desouvenirsquejen'auraispusupporterd'oublier,consignéeslà,ensécurité.J'avaisd'autresclichés,portantégalementdesannotations,rangésdansletiroir.Jedéposaiunbaisersurleurvisage.Deslarmesbrûlantesruisselaientsurmesjoues.Onm'avaitdit

quelechagrins'estomperait.Quelmensonge!Quelhorrible,horriblemensonge!J'avais lamain plus ferme lorsque je remis la photo à sa place. Le rituel de noter un souvenir

adoucissait très légèrement lapeine.Amoindrissait laculpabilité.Devivre,d'avancer,d'avoirenvied'allermieux…Jem'essuyai lesyeuxetmerallongeai.Megann'avaitpas tropinsisté.Mais j'enavaisrévéléplus

que prévu. Je n'ignorais rien de sa famille, alors qu'elle ne connaissait rien de la mienne, à partquelquesdétailssurmesgrands-parents.C'étaitpeut-êtremieuxcommeça.Quelquechosemedisait,pourtant,qu'àprésentquejeluiavaisdonnéunepremièreréponse,Megan

ne s'arrêterait pas là. En attendant, je ferais demonmieux pour étouffer mes sentiments, et fairecommesijen'étaispasentraindetomberlentementenmorceaux.—J'aimebientacoiffure.CesparoleschuchotéesparDanielalorsquejepassaisdevantluilevendredipoursortirdelasalle

decoursmefirentm'arrêternet.Avecunpetitriregêné,jemetriturailescheveux.—Oh,ilfaisaittellementchaudcematinquejelesairelevés…C'étaitunénormebobard.Çam'avaitprisvingtminutesdelesenrouleretd'yenfoncerdesépingles

pour obtenir un effet décontracté. Parce que je voulais qu'ilme remarque.Ça avaitmarché. Ilmeregardaitavecunaird'intérêtintensequimefitfrissonnerjusqu'auxorteils.Ilyavaitquelquechoseenluiquim'attiraitirrésistiblement.J'avaisbeauessayerdegarderlatête

froide, ilmemettait en ébullition.Le lundi et lemercredi, nous étions ressortis du coursdephiloensemble,bavardantdechosesetd'autres–dutemps,deséquipessportivesdelafac,d'unarticledejournalqu'il avait lu.Maispeu importait le sujet.Mesoreillescaptaientchacunedesnuancesde savoix,sontondoux,lerythmedécontractédesesparoles.Sondiscoursétaitpourmoicommelechantd'unesirène,commeunappât,etjenemanquaisjamaisdemordreàl'hameçon.—J'aienviequ'onsorteencore,toietmoi,medit-il.Ilmeregardaitavecunetelleflammedanslesyeuxquej'auraisputomberàlarenverse.—Tueslibrequand?ajouta-t-ild'unevoixvibrantededésir.

—Euh…Tuvoudraisfairequoi?Quellequestionidiote!Çan'avaitpaslamoindreimportance.Jesavaistrèsbienquejepasseraisun

excellentmoment, que ce soit devant un dîner, autour d'un verre ou penchés sur notremanuel dephilo.Touslesinstantsquej'avaisvécusavecluidanslasemaineavaientétéunplaisir.Lemercredi,onavaitréviséensemble.Ils'étaitassistoutprèsdemoiàlatabledelacuisine,dans

monappartement,etjerespiraissonparfum.Sacuisseétaitpresséecontrelamienne,medonnantdesfrissons.Inutiledepréciserquej'avaiseuquelquesdifficultésàmeconcentrer.Jerepensaissanscesseàses

mainssurmesfesses,meserrantcontreluidanslelac.Sespenséesavaientdûsuivrelemêmecours:ilavaitdéposéuntendrebaisersurmeslèvres.Hélas, l'instantn'avaitpasduré.Meganavaitdéboulépar laported'entrée.Jem'étaisécartéed'un

bond,peuenclineàêtresurpriseunedeuxièmefoisentraindemefairepelotercommeuneadoenmanque.Ensuite,j'avaistentédemonmieuxdemeconcentrersurmonlivre,commeilsedoit.Mais jen'arrivaispasàeffacer le souvenirdesoncontactentremes jambes, sonsexedur, tendu

contremoi.Jeressentaisencorecedésirintense,cetteenvied'êtrenueaveclui.Ceseraitsifacile,etsidangereuxàlafois,demelaisseralleràceplaisir…—Hum,onpourrait se remettreànotredevoirdephilo,proposa-t-il en s'approchantdavantage.

C'estpourlasemaineprochaine,aprèstout.Jedoisencoreécrirequelquespagesetlerelireavantdelerendre.Les étudiants du cours suivant commençaient à entrer, aussi je prismon sac. J'avais le cœur qui

battait à toute vitesse, et mon sang courait dansmes veines avec un picotement électrique. En cetinstant,toutcequejedésiraisétaitdepasserdutempsaveclui,mêmepourrédigerundevoir.—Tuveuxvenircetaprès-midi?Onpourraittravailleruneheureoudeux…J'étaisfièredemontondétaché.—J'aiunpeudetempsavantd'allerdînerchezmesgrands-parents,ajoutai-je.—Parfait.Envoie-moiuntextoquandtueslibre.J'acquiesçai.Aprèsledîner,j'iraisautravail.Maisjenepouvaisrésisteràlatentationdepasserun

peudetempsavecluiavantça.Ilétaitcommeuneflammequiilluminaitlescontoursdemonuniversmorne,etquimemettaitenfeuàchacundesesregardsdebraise.Ilmesourit etmecaressa la joueavecsonpouce. Il avait lespupilles tellementdilatéesdedésir

qu'onnevoyaitpresquepluslesirisd'unvertbrillant.J'étaisfascinéeparsonregard.—Onsevoitvers14heures,alors.Jeleregardais'éloigner.Ilmefallutunmomentpourreprendrecontenanceavantdequitterlasalle.

Dehors,l'airétaitchaudethumide.Onsentaitl'orageapprocher;ilyavaitdelatensiondansl'air.LamêmeélectricitéquicrépitaitentreDanieletmoi.J'étais en train de me perdre, de laisser échapper ma vie si tranquille, petit à petit. Au lieu de

rechercherleréconfortdelasolitude,jecommençaisàdécouvrirl'extasecapiteusedelacompagniedeDaniel.Çameterrifiait.

Maisj'envoulaisencore…

Chapitre12

Notreséancedetravailsepassabien.Nousn'accordâmespasbeaucoupdetempsànosrévisions.Danielarrivajusteaprès14heures.Àpeineavait-ilfranchilaportequejeperdistoutdésird'ouvrirun livre. Le bruit de l'orageme parvenait par la fenêtre ; être à l'abri avec lui n'en était que plusdouillet.—Euh…Onn'aqu'às'installerlà,dis-jeendésignantlatable.Nousétalâmesnos livresetnospapiers sur la table, et ce silenceétrangeet confortable s'établit.

Pendantlapremièredemi-heure,jefisdemonmieuxpourmepersuaderquej'allaisresterconcentréesurcedevoirdephilo,maistouscesvieuxbarbusmortsdepuislongtempsnepouvaientm'expliquerce que je ressentais en cet instant. Pourquoi en sa présence, tout l'oxygène demes poumons étaitremplacéparquelquechosedenouveau,quimefaisaitsentirheureuseetvivante.Ils'apprêtaitàmeposerunequestion,maissereprit. Ilsecontentademeregarder,commepour

liredansmonâme.Jevisuneémotionpassersursonvisage,maisavantquej'aiepuladéchiffrer,ilmemitunemainsurlanuqueetm'embrassa.Cen'étaitpasletendrebaiserdemercredi.Cettefois-ci,j'étaisentièrementgriséeparcecontactqui

serépandaitdansmesveinescommeunedrogue.J'étaisivredelui.Jebuvaissabouchesansparvenirà m'en lasser. Tousmes sens étaient en éveil. Je sentais son odeur virile, ainsi qu'un soupçon dementhe.Jegémisdedésir,lestétonsdurcis,tendantlefintissudemonsoutien-gorge.Jedevaismeretenir

delesfrottercontresontorse.—Jen'arrivepasàmerassasierdetoi,murmura-t-il.Nousavionstousdeuxlesoufflecourt.Ilresserrasonétreintesurmanuqueetposalefrontcontre

lemien.Ilavaitenvied'allerplusloinetmoiaussi.Maisj'avaistroppeur.Avecunsoupir,jereculai.—Tufaisquoi,demainmidi?demanda-t-il.Il avait les lèvres un peu gonflées et humides après notre baiser, et ça me donna envie de

l'embrasserencore.—Euh…riendespécial,répondis-jeententantdemereprendre.—Tuaimeraisvenirdéjeuneravecmoi?J'acquiesçai.Ilmesourit.—Parfait.Jeveuxteprésentermafamille.Jen'arrivaispasàcroirequej'aiepuaccepter.J'avaisessayédemedédire,maisiln'avaitrienvoulu

savoir. J'avais rendu les armes quand ilm'avait promis qu'on ne resterait pas longtemps chez sesparents,justeletempsdedéjeuner.Je contemplaima garde-robe.Que devait-on porter pour rencontrer la famille de son… de son

quoi,aujuste?Qu'étions-nous,Danieletmoi?Peuimportait.J'étaissatisfaitedenotrerelation,sansavoirbesoindeluicolleruneétiquette.Êtresa

petiteamiememettraitunepressionpour laquelle jen'étaispasprête.Çam'obligeraità luirévélercertaineschosesauxquellesjenevoulaispaspenser.Jeme décidai pour un chemisier rose pâle, un jean et des chaussures plates. Tout en simplicité.

Après tout, je n'avais pas spécialement besoin de faire bonne impression.Nous déjeunerions aveceux,puisnousirionsnouspromenerauparc.Cen'étaitqu'unbrefpassagedanslamaisonfamiliale,riend'officiel.Et peut-être que si je me répétais ça en boucle pendant la demi-heure suivante, j'arriverais à y

croire. Je décidai deme secouer, enfilaimesvêtements, attrapaimon sac àmain et courusvers laporteavantd'avoirletempsdemeprendreencorepluslatêtesurmonapparence.Danieldevaitmeretrouversurleparkingquelquesminutesplustard.Est-cequesionétait tropanxieux, lecœurpouvaitexploser?J'attendissousunarbre.L'airétait

chaudetlourd,etunvoiledesueurs'étaitformésurmonfrontetau-dessusdemalèvresupérieure.Heureusementquejen'avaispasprislapeinedemettreautrechosequeduglossetdumascara,parcequeçaauraitcoulésurmesjoues.Montéléphonevibradansmapoche.Jelesortis.

Passeunebonnejournée,etsoistoi-même.Tuvasleurplaire,c'estsûr.Etfinistonassiette–tuestropmaigre.Ahoui,P.-S.:j'espèrequetunousamènerascegarçonunvendredisoirTRÈSBIENTÔT.Bisous,grand-maman.

Jepouffaiderire,soudaindétendue.Magrand-mèresavaittoujoursquandj'avaisbesoind'unpeu

deréconfort.Lesourireauxlèvres,jerépondis:

J'iraijusqu'àmeresservir,situarrêtesdesignertestextos.Àcestade,ellelefaisaitpourmetaquiner.Daniel arriva dans sa voiture rouge foncé, qu'il gara le long du trottoir. Il ouvrit sa portière et

sortit,lescheveuxunpeupeignéspourunefois,vêtud'unechemiseblancheimmaculéeetd'unjean.Monpoulss'accéléra.Unclaquementbizarres'échappadesouslecapotdelavoiture,arrachantunéclatderireàDaniel.—Oui,jesais,ellefaitdesdrôlesdebruits,lapauvrechérie.Maisellerouletoujours.—«Lapauvrechérie»?—Sonvrainom,c'estTitine,maiselles'énervequandjel'appellecommeça,expliqua-t-ilavecun

adorablehaussementd'épaules,avantde lui tapoter lecapot.Mesparentsmel'ontoffertepourmesseizeans.Etellenem'ajamaislaissétomber.—Mes grands-parents m'ont aidée à acheter ma voiture, commentai-je enme dirigeant vers le

siègepassager.Ilallumalemoteuretlaclimseremitenmarche,medonnantlachairdepoule.—Tuestrèsproched'eux,j'ail'impression.—Oui,très.Jem'efforçaidenepasmontrermanervosité.Laconversationprenaituntourdangereux.Ilfallait

laramenerverslepassérécent.— Ils m'ont aidée pendant mes études. Mon grand-père adore que je lui raconte mes cours

d'histoire.C'estunpassionné.Ils'intéresseenparticulieràlaSecondeGuerremondiale.—J'aisuiviuncoursd'histoireeuropéenneauderniersemestre.C'étaitpassionnanteteffrayantàla

fois.—Mongrand-pèrepenseexactementcommetoi.Ilcollectionnelessouvenirsdeguerre:ilditque

c'estimportantdenepasoublierleserreursdupassé,afindenepaslesrépéter.Alors que pourma part, je préférais enterrer le passé pour qu'il ne puisse pasm'attirer dans sa

noirceur.Daniels'engageasurl'autoroute,chantonnantunevieillechansonausondelaradio.— J'aime autant te prévenir… dansma famille, on est plutôt exubérants. Je n'ai que des sœurs,

commej'aidûteledire,etellessontaussibavardesquemoi.Ilm'adressaungrandsourire.J'avaislesmainsmoites,malgrélecourantd'airglacialdelaclim.Est-cequej'allaissubirunfeu

nourridequestions?Serais-jecontraintedeparlerdemafamille,demavie?J'avaisunfourmillementdansleslèvres.Jefermailesyeuxetinspiraiparlenezavantd'expirerpar

labouche.Cen'étaitpaslemomentd'avoiruneattaquedepanique.J'éluderaislesinterrogations,toutsimplement.Onneresteraitpasplusd'uneheure.J'allaism'ensortir.Une main vint se poser fermement sur la mienne et je rouvris les yeux d'un coup. Daniel me

regarda,sonautremaintoujourssurlevolant.—Eh,jeteprometsqu'ilsnetemordrontpas.Ilssontgentils.Jesaisqu'ilyadeschosesdonttune

veuxpasparler.Jelevoisdanstesyeux.Mais…Ilfautquetut'ouvresunpeu,detempsentemps.Terenfermersurtoi-mêmetefaitplusdemalquecequetucrois.Jesavaisqu'ilvoulaitbienfaire.Ilmeregardaitd'unairpleindedouceur.Maisjedétestaisqu'on

mefasselaleçon.Commesijenesavaispasdéjàtoutça.Commesimesgrands-parentsetmonpsynemel'avaientpasdéjàrabâché.—Jevaisbien,déclarai-je.—Jesais.J'essaiejustedet'aider.Jenevoulaispasd'aide.Jevoulaisjustevivreetrespirer,dansl'instantprésent.Maisjenetenaispas

àmedisputerjusteavantdepasserunejournéeensembleaveclui.—Merci,dis-jeenespérantquemontonétaitconvaincant.Ilmesemblal'entendresoupirer,maisaveclaventilationàfond,jen'enétaispassûre.Illaissatout

demêmesamainsur lamienneetseremità lacaresseravecsonpouce.J'auraisvoulusortirmontéléphone pour écouter de la musique, ce qui avait toujours pour effet de me détendre, mais ça

n'auraitpasétépoli.Alorsjemechantaideschansonsdansmatêtejusqu'àcequelatensionretombe.Letrajetseterminatropviteàmongoût.Danielsegaradevantunemaisondestyleancien,àl'angle

d'uneagréableruerésidentielle.Parlaported'entréeouverte,onpouvaitvoirungroschienhirsuteassisderrièrelamoustiquaire,lesyeuxrivéssurlavoiture.QuandDanielensortit,l'animalseleva,laqueuebattantavecjoie,lalanguependante.Danielvintm'ouvrirlaportièreetmeconduisitverslademeure.—C'estFrankenstein.Nousnesavonspasdequelleraceilest,maisilbavebeaucoup.J'aimeautant

quetusoisprévenue.—Quiest-cequiachoisilenom?demandai-jealorsquenousgravissionslesmarches.—L'aînéedemessœurs.Elleestpasséeparunephaseunpeu…unpeubizarre,àl'époqueoùonl'a

adopté.Elleregardaitdestasdevieuxfilmsd'horreur,expliqua-t-ilenriant.Ilouvritlamoustiquaire.Aussitôt,lechiensejetasurluietvintluiposersesgrossespattessurla

poitrine,avecunpetitaboiementdeplaisir.—Salut,mongrand,ditDanield'unevoixtendreenluifrottantlatête.Allez,çasuffit.Illerepoussa,déjàtoutdégoulinantdesalive.Lechienmedévisageaensuitelonguement,d'unair

interrogateur. Il avait le poil gris, et semblait assez âgé. Il devait être dans la famille depuislongtemps.Jeluitendislamainpourqu'ilmerenifle.Autrefois,quandj'étaistoutepetite,nousavionsunchien,

etmêmesidepuisjen'avaisguèreeul'occasiondefréquenterdesanimaux,j'engardaisuntrèsbonsouvenir.Après m'avoir flairée quelques instants, il vint fourrer sa tête sous ma main. Je le grattouillai

amicalement,déclenchantunetempêtedebattementsdequeue.Ilsetortilladeplaisirquandj'atteignissesoreilles.—Tuluiplais,commentaDaniel,ravi.—Daniel?C'esttoi?demandaunevoixmasculineparlafenêtre.Moncœurs'affoladenouveau.Maisbiensûr, jenepouvaispaspasseruneheureà joueravec le

chiendevantlaporte.Danielmepritparlamainetmefitentrerdansuncouloircarrelé.Frankensteinnous emboîta le pas. Nous débouchâmes dans la cuisine, qui s'ouvrait sur un immense salon. Onapercevaitunecheminéeàdroite,etunhomme,grandetmince,assisàl'extrémitéd'uncanapéd'angledecouleurcrème.Ilselevapournousaccueillir.IlavaitlesyeuxetlabouchedeDaniel.C'étaitforcémentsonpère.—Ravidefairetaconnaissance,medit-ilenmetendantlamain.Danielnousabeaucoupparléde

toi.Frankensteinallaseposteràcôtédesonmaître,etsemitànousobserver.JeserrailamaindupèredeDanielenessayantdenepaspaniqueràl'idéedecequ'ilavaitbienpu

leurraconter.—Ilm'asouventparlédevoustousaussi,repartis-jeavecunsourirecrispé.—Entre,etassieds-toi,jet'enprie.LepèredeDaniel reprit saplace sur le canapé. Jem'assisdansun fauteuil develours, etDaniel

s'installaàcôtédemoi.J'entendisalorsdesbruitsdepasà l'étagepuisdans l'escalier.Trois jeunesfillesàlatailleélancéeentrèrentàleurtourdanslesalon.Laplusjeuneétaitadolescente,laplusâgéedéjà dans l'âge adulte. Elles me regardaient avec une curiosité non dissimulée. Toutes trois seressemblaientbeaucoup,avecleurabondantecheveluresombreetleursyeuxvertsbrillants.OnauraitdituneversionfémininedeDaniel.—Donc,c'esttoi,Casey,commentalaplusjeune.Mainsurlahanche,ellemedévisageait,leslèvresunpeuserrées.—Miranda…,sifflaDaniel.Ellelevalesmainsensigned'innocence.—Jen'airienditdemal,Dan.—C'estça,c'estbienmoi,Casey,dis-jeenriant.L'atmosphèresedétendit.Jeregardailesdeuxautressœurs.Celledumilieu,quinedevaitpasavoir

plusdeseizeans,mesouritd'unairtimideensetordantlesdoigts.Elleportaitunerobebleuetoutesimpleetdeschaussuresplates.—Moi,c'estFrancine,seprésenta-t-elle.—Etmoi,Parker,déclaral'aînéeavecungrandsourire.Elle avait remonté ses cheveux bruns en un chignon désordonné. Son haut à paillettes, qu'elle

portaitavecunmini-short,dévoilaitsesépaulesetsesbrasbronzés.—Jepeuxteproposerunverre?ajouta-t-elle.—Euh…oui.Jeveuxbiendel'eau,ouuneboissongazeuse.Ouunjusdefruits…Elle se précipita vers la cuisine, dont sortit alors une petite femme rousse, bien en chair, qui

s'essuyalesmainsavantdem'entendreune.Elleavaitdegrandsyeuxgrischaleureux,etbienqu'ellenesoitpastrèsjolie,elledégageaitunetellegentillessequejerestaiàlaregarder,fascinée.—Bonjour.JesuislamamandeDaniel.Noussommesravisquetusoislà.Jejetaiuncoupd'œilàDaniel.Ilsneseressemblaientpasdutout.—Ehoui,dit-elleenriant.Cesquatreenfantssontleportraitcrachédeleurpère.Ellesepassalamaindanslescheveuxd'unairavantageuxavantd'ajouteravecmalice:—Tantpispoureux!Elleétaitvraimentcharmante.Jel'aimaisdéjà.Parkerm'apportaunDrPepperquejememisàsiroter.Nousnousdirigeâmesensuiteverslavaste

salle à manger, aussitôt suivis par le chien. Sur une desserte étaient disposés un assortiment deviandesfroidesetdefromage,dupain,etdiversessaucesetcondimentspoursandwich.—Àmidi,c'esttoujoursunbuffet,m'expliquaDanielenmeposantunemainenbasdudos.Sers-

toi.Jeconfectionnaimonsandwichleplusvitepossiblepournepaslesfaireattendre.Macanettedans

unemain,monassiettedansl'autre,jecontemplaisDanieletsafamille.Ilriaitavecsessœurs,tirantlescheveuxdeMirandaetdonnantuncoupdecoudeàFrancinepourlaforceràsourire.Detouteévidence,ellesl'adoraienttouteslestrois.

Toutlemondes'installaàtable.Daniels'assitàmagauche,Parkeràmadroite.Lebruitaugmentaquand les filles se mirent à bavarder. Elles parlaient de tout et de rien : de l'ennui profond despremièresheuresdecourslematin,delanourrituredégoûtantedelacantine,delapremièreannéedeParker à l'université. Elle fréquentait Marshall College, un autre établissement local qui jouissaitd'uneréputationd'excellence.Çafaisaitbeaucoupd'uncoup,pourmoiquiétaishabituéeàlasolitudedemachambreetaucalme

desrepaschezmesgrands-parents.Danielsemblaitpercevoirmatensioncroissante.Ilmecaressalegenousouslatable.Unfrissonde

plaisirmeparcourutlajambeetjetournaiversluiunregardsurpris.—Et toi,mon chéri, comment se passent tes cours ? s'enquit samère.Est-ce que les profs sont

sympas?As-tudesanecdotesrigolotesànousraconter?—Ehbien, répondit-il avecunpetit rire, notre prof dephilo, àCasey etmoi, semble surgie du

passé.Ellenousdemandedefairenosdevoirsàlamainaulieudelestaper.IlselançadansunegrandedescriptiondeMmeWilkins,avecsoncôtéoriginaletsafaçondenous

clouersurplaced'unregard.Mirandaéclataderire.—J'écriscommeunpied.Jedétesteraisça!—C'estvrai,renchéritDaniel.Jecroismêmemesouvenirquetun'avaisétéreçuequedejustesseà

l'examendecalligraphie,enprimaire.Jecontemplaisesfossettesalorsqu'iladressaitunsouriretaquinàsasœur.Jenepouvaisdétacher

lesyeuxdelui,malgrémeseffortspourmeconcentrersurmondélicieuxsandwich.J'étaissûrequemessentimentspourluisevoyaientàdeskilomètres.Jemecontentaisdelesécouterensilence.Toutesafamilles'intéressaitàlui,posantdesquestions

sursescoursetlesprofs.Exactementcommemesgrands-parents.Detempsentemps,quelqu'unmeposaitunequestionàproposdelafac,demesgrands-parents,de

cequejevoulaisfaireunefoismondiplômeenpoche.Dessujetsanodinsquinememettaientpasendanger.J'envinsàsoupçonnerDanieldeleuravoirrecommandédenesurtoutpasaborderdesujetspluspersonnels.Cetteidéemesoulageaitetmecontrariaitenmêmetemps.Soudain,laplusjeunedestroisfillesdemanda:—Est-cequevoussortezensemble?Jerougiscommeunepivoineetmeraclailagorge.—Euh…FrancinefitlesgrosyeuxàMirandaetsepenchaversellepourchuchoter:—Ilvientjustedenouslaprésenter.Onnedevraitpasposerdequestionsaussiindiscrètes.Çan'est

paspoli.—Désolée,marmonnaMirandaenbaissantunvisageboudeurverssonassiette.—Cen'estpasgrave,dis-jepourlaconsoler.Noussommesdetrèsbonsamis.Certes,plusquedesamis,maisjen'avaispasenviequ'onmeforceàcolleruneétiquettesurnotre

relationalorsquenousn'enavionspasencoreparléentrenous.

Danielmetapotalegenoudansungesterassurant.Jeluilançaiunregardreconnaissantetposaimamainsurlasienne.Toutmesemblaitbienlorsquenosmainssetouchaientainsi.C'étaitfou.Plusjepassaisdetempsaveclui,plusjedécouvraisdefacettesdesapersonnalité.C'était

un artiste passionné, qui photographiait lemonde avec son point de vue si particulier.Un étudiantinvesti,avided'apprendre.Un séducteur sexymais léger, quime faisait vibrer. Quim'embrasait à lamoindre caresse. Ses

baisersenflammaientmessensetmemettaient la têteà l'envers.Medonnaientenviede le supplierd'allerplusloin.Rougissante, jemepenchaidenouveau surmonassiette,presquevide. Je savais trèsbiencequi

m'arrivait : j'étais en trainde tomberamoureusedeDaniel,malgrémeseffortspourgarder la têtefroide.Ilyavaitenluiquelquechosequim'incitaitàbaisserpeuàpeumesdéfenses.Àm'ouvriràlui,luienrévélerplussurmoietenapprendredavantagesurlui.Àexplorercettealchimieexplosivequiexistaitentrenous.Mais sans pour autant prendre de risques. Je n'étais pas prête à m'exposer de nouveau à la

souffrance.Et jecraignaisquemes réservesne soientpasdugoûtdeDaniel. Je le soupçonnaisdechercher, avec sesmanières douces et fermes à la fois, àme forcer à en révéler davantage, àmemettreànu,baissantlagardedéfinitivementetprenantlerisqued'êtreblessée.Àlafindurepas–jedoisadmettrequemêmesij'aspiraisaucalme,jen'étaispaspresséedequitter

safamille–chacundébarrassasonassiette.Tout lemondemeserradanssesbraspourmedireaurevoir.Çamemitmalàl'aise,maisjenevoulaispasêtreimpolieenmeraidissantcommeunpiquet,alorsj'essayaidemeforceràresterdétendue.Ilsnousraccompagnèrentàlaporte.—Reviensvite,meditsamère.Laporteseratoujoursouverte.Jen'avaisaucunmalàlacroire.—Merci,répondis-jeensurmontantmatimiditépourluiserrerlamain.Unefoisdanslavoiture,jebouclaimaceinture,prêtepourlerestedenotrejournéeàdeux.Jene

pouvaism'empêcherdemedirequemamèreauraitaimélafamilledeDaniel.

Chapitre13

Jem'appuyaicontrelaported'entrée,regardantDanieldroitdanslesyeux.Lalumièreducouloirde l'immeuble, assez tamisée, faisait ressortir les reliefs de son visage. J'avais le cœur qui battaitpresquedouloureusementtantj'étaisimpatientede…jenesaisquoi.—C'étaitunesuperjournée,dis-je.Jenementaispas.Nousavionspassél'après-midisousunchaudsoleildansunparcvoisin.Daniel

avait apporté des provisions et un frisbee. Les heures s'étaient écoulées en rires, conversations, etcoursessurl'herbevertedel'été.J'étais à peu près certaine d'avoir le visage rouge et brûlé, mais c'était la première fois que je

m'amusais autant depuis bien longtemps.Danielm'avait raconté toutes les bêtises qu'il avait faitesavecsessœursquandilsétaientenfants.—Pourmoiaussi,répliqua-t-ilenserapprochant.Jesentaissonsoufflesurmesjouesetmabouche.Ilsepenchapourm'effleurerleslèvres.C'était

uncontactténu,maissuffisantpourmefairefrissonner.—Entre,proposai-jeprécipitamment.Jenevoulaispasqu'ilparte.Jevoulaisquecemoments'étireà l'infini,commeunenoteparfaite

jouéesurunviolon.—Jevaisfaireunepizza,ajoutai-je.—Unepizza?Jesuistonhomme!Jesuisincapabledecuisiner.Il faisait sombredans l'appartement.Meganétait sansdoutedéjàdehorsavecsesamies ;onétait

samedisoir,aprèstout.J'allumailalumière.—Turisquesd'êtredéçu.Jevaissimplementsortirunepizzaducongélateur.Ilentraàmasuite,etjefermailaportederrièrelui.Leslampesprojetaientdesrefletsambréssursa

peau.Jemesentissoudainnerveuse.Nousétionsseuls.Dansmonappartement.Toutpouvaitarriver.Jemeraclailagorge.—Euh…jepeuxt'offrirquelquechoseàboire?demandai-jeenentrantdanslacuisine.—JeveuxbienunCoca,situenas.—Meganestaccroàlacaféine.NousavonstoujoursduCoca.Jeprisdeuxcanettesetmedirigeaiverslecanapé.Ilétaitdéjàassis,etjem'installaidoncprèsde

lui,espérantqu'ilneremarquepasmesmainstremblanteslorsquejeluitendissaboisson.Unsilenceagréables'établit.Nousnousfaisionsface,nosgenouxse touchaient.Tandisquenous

sirotionsnoscanettes,jem'émerveillaisdeschangementssurvenusenmoiensipeudetemps.Aulieudemecacherdansmachambre,paniquée,j'étaisassisesurlecanapéavecungarçonquimefaisaitcraquer.Jel'avaisdéjàembrassé,touché,aupointd'oubliertoutlereste.Jeressentisuneémotionbizarre.Delafierté.J'étaisfièredemoi.

Detoutpetitspasenavant,medis-jeenluilançantunregardfurtif.Soudain intimidée, je rougis. Il était si beau, avec sesmèches brunes qui lui retombaient sur le

front. Il dégageait une telle intensité que je ne pouvais pas lui résister. Je n'en avais d'ailleurs pasenvie.Aucunhommenem'avaitjamaisinspirédetelssentiments.J'avaismanquéquelquechosejusque-là,

sansm'endouter.Jesurvivais,dansuneexistencecreuse…MaisDanielmeprocuraitdessensationsquim'effrayaient.Etmefaisaientvibrerdebonheur.—Àquoitupenses?medemanda-t-ilavecunsourire.Tuasl'airrêveuse…Ilposasacanetteetselaissaallercontreledossier.—Àriendeprécis,mentis-jeenrougissant.—Vraiment?insista-t-ilavecunsouriresagace.Jemeléchaileslèvres.—C'estunpeutropsilencieux,parici.Ilnousfautdelamusique.D'unemaintremblante,jeprislatélécommandeetallumailetéléviseursurunechaînedeclips.Par

bonheur,Danielnecreusapasdavantage.—Oncontinuelejeu?proposa-t-il.Auparc, il avait lancé ce défi pendant que nous jouions au frisbee.L'un d'entre nous posait une

question idiote,et l'autredevait répondre leplusvitepossible.C'estétonnammentdifficiledevisercorrectementtoutenseraclantlacervelleàlarecherched'uneréponse.—Tonfilmpréféré?attaquai-jeenmeroulantenbouleavecuncoussin.—Commes'iln'yenavaitqu'unseul,rétorqua-t-il,sourcilsfroncés.Jedirais…Fenêtresurcour.

Ton…—Çaparledequoi?Ilécarquillalesyeux.—C'estundeschefs-d'œuvred'AlfredHitchcock.Ungrandclassique.Tunel'asjamaisvu?Jefis«non»delatête.—Tuneconnaismêmepasdenom?Bon,c'estdécidé:onvaleregarderensemble.—C'estennoiretblanc?gémis-je.—Dansmafamille,onaunerègle,répliqua-t-ilavecsévérité.Onn'apasledroitdejugerunfilm

qu'onn'apasvu.Tuespriéedet'yplieraussi.—Maisonestchezmoi,ici!rétorquai-jeenlevantlementond'unairfaussementrebelle.Ilsepenchaversmoi.—J'ailesmoyensdetecontraindre,tusais…Avec ses yeux magnifiques et sa bouche délicieuse, il aurait de toute façon pu me demander

n'importequoi…—Tuallaismeposerunequestion?—Tateintedecrayondecouleurpréférée?s'enquit-ilsanss'éloigner.

—TerredeSiennebrûlée.—Tun'aspaseubesoinderéfléchir,fit-ilremarquerdansunéclatderire.—Tamarquedesous-vêtementsfavorite?Maisqu'est-cequim'avaitprisdeposerunequestionpareille?—Euhnon,attends,jenevoulaispas…—J'adorelamarqueHanes.Etjeportedesboxers,situveuxtoutsavoir,répondit-ilavecunclin

d'œil.Tuesunepetitecoquine,Casey!Jenem'enseraispasdouté…JeprisunegorgéedeCoca,savourantlepicotementdesbullesdansmagorge.J'étaisentrainde

flirter,c'étaitindéniable.Jen'étaiscertespastrèsàl'aise,maisDanieljouaitlejeuetnemefaisaitpassentiridiote.—Tonmeilleursouvenird'enfance?Jerestaipétrifiée,lecœurbattantàtoutrompre.Jereposaimacanetted'ungesteraide.—Jenecomprendspaspourquoituneparlesjamaisdetonpassé,dit-ild'unevoixdouce,comme

pourcalmerunanimaleffrayé.Tutedoutesbienquej'aienviedeconnaîtredeschosessurtoi.Moi,jemelivreàtoi,jeteracontedeschoses.J'aimeraisbienquetufassespareilavecmoi.J'ail'impressionqu'ilt'estarrivédeschoseshorribles.Tunementionnesjamaistesparents.Jesavaisbienqueçaseproduiraitunjour.Jeserrailecoussincontremonventre.C'étaitunpiteux

bouclier,maisçamerassuraitquandmême.—Jen'aimepasenparler.Jepréfèrevivreauprésent.Etpenseràl'avenir.—Jefaisdeseffortspournepastebousculer,tusais.Maisc'estcommes'ilyavaitunpanentierde

taviequiétaitpassésoussilence.Commentest-cequ'onpeutavancer…Penseràl'avenir,commetudis,situmecachestonpassé?Latêtebaissée,jeregardaismesmains,mesdoigts,maisjesentaissesyeuxposéssurmoi.J'avais

lesoreillesquibourdonnaientsousl'effetd'undébutd'attaquedepanique.Monestomacfaisaitdesnœuds.Unepartdemoi,téméraireetautodestructrice,avaitenviedetout

luicracher.Deluibalancertoutelavéritéàlafigure,etdelevoirseliquéfierd'horreur,puisdepitié,avant dem'abandonner àmes tourments. Les dégâts étaient trop considérables pour que je puisseredevenircommeavant.J'avaisl'impressiondeméritercettesouffrance.Parcequej'étaisvivante,etquejepouvaisdoncla

ressentir.Avoirsurvécuétaituncoupdechance,unmiracle,maisaussiunchoc.J'étaisenvie,alorsquemonpère,mamèreetmasœurpourrissaientdansleurtombe,etjedevaisvivrechaquejouraveccetteidée.Etàpartmesgrands-parentsetquelquescousinséloignés,personneneconnaissaitmonsecret.—Jenemecachepas,protestai-jed'unevoixrauque, lagorgedouloureuse.Non…j'essaie juste

d'avancer.Jemetuspendantunlongmoment.Lamusiquemeublaitlesilencesansparveniràmerassurer.—Mesparents…sontmorts.Ainsiquemapetitesœur.C'étaitvraimenthorrible,etjen'aimepasen

parler.Jen'aimaismêmepasypenser.

J'osaienfinlever lesyeuxversDaniel.Sonvisagenemontraitnipitié,nihorreur.Ilétait juste…ouvert.J'ydécelaiunpeudetristessedevantmadouleur,del'empathiesurtout.J'avaisl'impressiondecontempler son âme et j'y lisais qu'il avait envie de me serrer dans ses bras pour apaiser messouffrances.— Je suis vraiment désolé, dit-il à voix basse. Je n'ai jamais rien vécu de tel. Je n'arrive pas à

imaginercequetupeuxressentir.C'étaient des paroles simples, mais sincères. Je sentis les murs protecteurs que j'avais dressés

autour demoi se fissurer un peu.La gorge nouée, incapable de proférer un son, je répondis d'unhochementdetête.Ilregardaverslagauche,oùs'ouvraitlaportedemachambre,etprituneexpressionplusdouce.—Dis-moi,c'estlà-dedansquelamagiealieu?Jeledévisageai,bouchebée,lesyeuxronds.—Euh…quoi?Prenantsoudainconsciencedecequ'ilvenaitdesous-entendre,ilfitunegrimaced'excuse.— Oh, merde. Ce n'est pas ce que je voulais dire, balbutia-t-il en rougissant. J'ai aperçu ton

ordinateurettonmatérielsurlebureau.JeparlaisdetesactivitésdeDJ.Pasde,euh…autrechose.Ilsedonnaunetapesurlefront.Çame fit rire si fort que j'en avais mal au ventre. Ah, ça faisait du bien. La tristesse de notre

conversations'estompait.—Tuveuxquejetemontre?—Çanet'embêtepas?Ilavaitl'airsitimidetoutàcoup,quelesmurssefissurèrentunpeuplus.—Viens.Jevaistemontrercommentçamarche.Leconduireversmachambremedonnauneimpressionétrange.C'étaitmonlieuàmoi.Certes,je

n'avais pas beaucoup d'effets personnels, mais c'était tout demêmemon intimité. Il approcha unechaisedemonbureau,etjem'assisdevantl'ordinateurpourdémarrerleprogramme.J'avaisdumalàmeconcentreralorsqu'ilemplissaitlapiècedesaprésenceenvoûtante.—Ça,c'estlelogicielquej'utilisepourtrafiquerdeschansonsdéjàexistantes.Jefaisdesremix,en

somme.—Çat'arrivedecréerdesmorceauxdetoutespièces?Jepercevaisl'odeurchaudeetrichequedégageaitsapeau.Jedusmemordreleslèvrespournepas

pousserungémissement.J'avaisenvied'enfouirmonvisagedanssoncou.Êtresiprèsdelui,aveccecourant électrique qui crépitait entre nous, être témoin de ses gestes, de ses regards…C'était troppourmoi.Jemeforçaiàrépondreàsaquestion.—Euh…oui.J'aidéjàcomposédeschansons.—Tuveuxbienm'enfaireécouterune?Est-cequetuenasuneencoursd'élaboration?Jesongeaiàlachansontristequej'avaispresqueachevée.Jen'avaisbesoinqued'uneheureoudeux

detravailpourqu'ellesoitfinie,maisjen'étaispasencoreprêteàlapartager.Peut-êtreparcequ'elle

étaitsipersonnelle,silourdedesens.—Ellen'estpasterminée,fis-jeremarquerd'untonunpeudéfensif.Maistusaisquoi?Onn'aqu'à

enécrireuneensemble!—Dis-moicequejedoisfaire,acquiesça-t-il,ravi.Jeluimontrailesbases,etluiouvrismesdossiersdesamples.Nouscommençâmesavecuneligne

debasses rythméesdont lamélodie endiabléenousdonnait enviededanser. Je laprogrammais enbouclesurunepisteavantd'explorerd'autressons.Enentendantundrôlede«plouf!»,iléclataderire.—Franchement!—Onnesaitjamaisquandonaurabesoind'unplouf,expliquai-jeententantdegardermonsérieux.—Peut-êtresitucomposesunepubpourunlaxatif.—Tuesdégoûtant,protestai-jeenluidonnantunetapesurlebras.Ilsemassaavecunegrimacededouleur.Nouspassâmeslesdeuxheuressuivantesàchoisirdessons.Danielavaitunetrèsbonneoreille,ce

quinemanquapasdemesurprendre.C'étaitlapremièrefoisquejecréaisavecquelqu'un,maisjenem'étais pasmis la pression : le but n'était pas de produire unemélodie complexe ou sophistiquée.Nous nous amusions simplement à superposer des lignes demélodie. Le résultat final était plutôtcorrect.JeleluicopiaimêmesurunCDpourqu'ilpuisseécouternotre«chef-d'œuvre»chezlui.Vers20heures,jefisunegrimace.J'avaisl'estomacquigrondait.—Merde, je suis désolée. J'ai oublié de préparer à manger. Et je vais bientôt devoir partir au

travail.Parfois,quandj'étaiscomplètementplongéedanslamusique,ilm'arrivaitdesauterunrepas.Mais

jenepouvaismepermettredemepointerenretardauMask,quoiqu'ilm'encoûtedemeséparerdeDaniel.Ilpritsonairleplussolennel.— Et dire que tu m'avais promis une pizza artisanale. Fraîchement débarquée d'un congélateur

italien.—Jesuisnavréedetedécevoir.Jemelevaietfistournermatêtepourétirermoncou.—Alors,quandest-cequ'onsigneavecunemaisondedisques?Cettechansonestvraimentcool.—Tuasraison,jevaism'enoccuper,répondis-jeenriant.Pourtant,aufond,l'idéemeplaisait.Ceseraitvraimentsuperdefaireunalbum,mêmeindépendant.

Departagermamusique.Maisçamecoûterait lapeaudes fesses.Sanscompterqueçaprendrait surmon tempsde travail

pourlafac.Mieuxvalaitnepasypenser.Danielselevaetposaunemainsurl'arrièredematêtepourmecaresserlanuqueaveclepouce.Je

fondisdeplaisir.—Jesaisquetudoisallertravailler,maisjen'aipasenviedepartir.J'aipasséunesuperjournée

avectoi,etj'aidumalàtequitter.Sa franchisemefitcraquer.C'était lapremière foisqu'unhommesemontraitaussihonnêteavec

moi. Je baissai soudain la garde.Toutemavie, j'avais construit cesmurs autour demoi.Pourmeprotéger.Maisparsesparolesetsesbaisers,ilétaitentraindememettreànu.Ilsepenchaetposasabouchesurlamiennedansunbaiserardent,possessif.Ilpassasonautrebras

autourdemataillepourmeserrercontrelui.J'ouvrislabouche,m'enivrantdesonodeur.IlavaitunlégergoûtdeCoca.J'étaisbaignéedansleparfumdesoneaudetoilette,lessensenéveil.Je m'agrippai à sa chemise, envahie par un désir brûlant. J'avais envie de lui, j'aurais voulu le

déshabillerpour lécherson torseque j'avaisaperçu lorsdenotrebaignadedans le lacÉrié.J'avaisenviedelui,toutdesuite.Etc'étaitréciproque.Sonsexedurappuyaitcontremonventre.Iln'yavaitaucundoutesur lefait

qu'ilmedésirait.Jemefrottaicontrelui,luiarrachantungémissement.Sonsoufflechaudmedonnadesfrissons,commeuncourantélectriquequimeparcouraitendirectiondemonventreenflammédevolupté.—Oh,Casey…tumerendsfou,soupira-t-il.Ilenfouit lesdoigtsdansmescheveuxetmetira la têteunpeuenarrièrepourm'embrasseravec

encoreplusdepassion.Ilmecaressaitlalangueaveclasiennealorsquej'appuyaismestétonsdurciscontresontorse.Jenesaispascombiendetempsnousrestâmesainsi,ànousembrasseretnouscaresser.Ildescendit

samainversmesfessespourmeserrerencoreplusfortcontresonsexe,maisn'allapasplusloin.Auboutd'unmoment,nousfinîmesparnousécarter,lesyeuxvagues,labouchegonflée.Iln'enlevapastoutdesuitesamaindemescheveux.Ilappuyasonfrontcontrelemien.—Avectoi,jenesaisplusquijesuis.Etjen'auraisjamaiscruquetoietmoi…—Moinonplus,avouai-je.Pourêtreparfaitementhonnêtevis-à-visdemoi-même,j'étaisheureusequ'ilsoitentrédansmavie.

Plusqueça,jemesentaishonorée.Danielvoyaitenmoiquelquechosequelesautresnepercevaientpas,etçamefaisaitvibrer.Ilmedonnaitenvied'être…moi-même.Jeleraccompagnaiàlaporte.Aprèsundernierbaiser–tendre,celui-ci–ilpartit.Jerestaiunlong

momentledoscolléaubattant,incapabled'effacermonsourirebéat.

Chapitre14

Jepoussaiunsoupirsépulcral.—Jen'aijamaisrienlud'aussiglauquequecepoème.Danielcoinçasoncrayonderrièresonoreille,attrapalatable,ettirasachaiseprèsdelamienne.—Qu'est-cequetulis?Jefisglisserlemanuelverslui.—C'estpourmoncoursdelittératurebritannique,monautreoption.Onenestàlapoésie.JeluimontraiL'AmantdePorphyria,deRobertBrowning.Unelumièredouceentraitparlafenêtre

delabibliothèqueetéclaboussaitlespages.Daniellutàvoixbasse.Ilfronçalessourcils.—Lavache.Donclemecl'aétranglée.—Oui,elleaétéétrangléeavecsescheveux…Jefrissonnais.Quipourraitavoirdesidéespareilles?Etpourquoinotreprofnousfaisait-ilétudier

ça?—Maispourquoiest-cequ'ilfaitça?Jedevaisécrireuncourtessaiexpliquantpourquoilenarrateurtuaitlafemme.Nousrestâmessilencieuxunmoment,ressassantcettequestion.—Audébutdupoème,oncomprendqu'elleestvenuelevoirmalgréunobstaclequilessépare;

peut-êtreunedifférencedeclassesociale,finitparsoulignerDanielensetournantversmoi.Jemeperdisquelquesinstantsdanssesyeux.Ilmesourit.Concentre-toi,medis-jeentoussotant.—Doncpeut-êtreque lenarrateurvoulaitabsolument l'empêcherderepartir. Ilnesupportaitpas

qu'ellelequittedenouveau,hasardai-je.—Ilsemblevraimentcroirequ'ellel'aime,ditdoucementDaniel,m'embrasantparcesparoles.—Merci.Çamedonneunpointdedépart.—Jesuiscontentdet'avoiraidée,medit-ilenmecaressantlamain.Nous restâmesmaindans lamainpendantqu'il lisaitun texted'histoireetque jemepenchaisde

nouveau sur lepoèmeenessayantd'adopter lepointdevued'unamantdésespéré,prêt à toutpourgarderlafemmeaiméeauprèsdelui.Maisaprèsuncertaintemps,monespritsemitàvagabonder.Lebrouhahadelabibliothèquedisparut.Danieletmoiavionspassébeaucoupdetempsensemble,cesdeuxdernièressemaines.L'automne,

ma saison préférée, était arrivé, et même si les températures étaient demeurées douces, les joursavaientcommencéàraccourcir.Jenepouvaispasm'empêcherd'êtreimpatiente.Aussiétrangequeçapuisseparaître,cettesaison

m'évoquait le renouveau. L'air vif, les pulls, le cidre, les tartes à la citrouille, les feuilles dorées.J'étaisravieàl'idéedepartagerçaavecDaniel.

J'entendaissarespiration,douceetrégulière.Ilétaitcomplètementabsorbéparsalecture,cequimelaissaitlibredesavourersaprésenceavectousmessens,derespirersonodeurmarine.D'écoutersaplumegriffersonpapier–pourunefois,êtregaucherétaitpratique:nouspouvionsnousdonnerlamaintoutenécrivant.Plusjepassaisdetempsensacompagnie,plusellemedevenaitindispensable.J'aimaisêtreaveclui

pourétudier.Pourregarderunfilmidiot.Pourmepromenersurlecampus.Boireducafé.Discuterde philo, ou débattre des pires bonbons, ou de n'importe quoi d'autre. Tout était merveilleux, dumomentquec'étaitaveclui.Ilmeplaisait.Vraimentbeaucoup.Je m'empourprai, et luttai contre la chaleur qui m'envahissait. Je n'avais pas honte de mes

sentiments:jem'yétaishabituée.J'étaisàl'aiseaveceux,àprésent.Maisj'avaisencoredessecretspourlui.Degrossecrets.Etçacreusaitunfosséentrenous,unpeu

plus largechaque jour.Aufildenosconversations, jemesentaisdeplusenpluscoupable.Danielcroyaitmeconnaître,maisc'étaitfaux.Commentl'aurait-ilpu,alorsquejeleprivaisdetreizeansdemonhistoire?À l'inverse, je n'ignorais rien de lui. Je savais, par exemple, que lorsqu'il était très concentré, il

tapotait la table du bout de son crayon par séries de trois petits coups. Il semordillait la lèvre, etmarmonnaitparfoisàvoixbasse.Iladoraitl'eau.Etpuis,ilavaitpeurdesclowns,aussicurieuxqueçapuisseparaître.Ilaimaitles

sandwichsdontlagarnituredébordaitdepartout.Chaquefoisqu'ilentraitdansunepièce,j'avaislecœurquis'affolait.J'étaisentraindetomberfolleamoureusedelui.J'avaisbeaumerépéterquecen'étaitqu'unpetit

béguin,iln'enrestaitpasmoinsqu'ils'étaitinfiltrédanschacunedemespenséessansquej'yprennegarde.Ilfaisaitdésormaispartiedemoi,etjenepouvaisplusmepasserdelui.—Tuestoujoursendifficulté?demanda-t-iltoutàcoup.—Hein?bredouillai-jeenmetournantverslui,priantpourquemesémotionsnesoientpaslisibles

surmonvisage.— Ça fait plusieurs minutes que tu regardes cette page sans la voir. Ce n'est quand même pas

compliquéàcepoint!dit-ilenmedonnantunpetitcoupd'épaule.—Non.C'estflippant,maisjecommenceàcomprendre.Illaissatombersoncrayonsurlajointuredesonlivreetmeposaunemainsurlajoue.—Aveccettelumière,j'ail'impressiondepouvoirlireentoi.Ilmeregardaitd'unairparfaitementhonnêteetsincère.Tout lecontrairedemadissimulation.Je

fussubmergéeparlahonte.Jeleconnaissaissibien,alorsqu'ilignoraittoutdemoi.Etsurtoutdesévénementsquim'avaientdétruiteaupointdefairedemoiunecoquillevide.—Daniel,murmurai-je.Jenesuispas…Jeveuxdire,jenesaispascomment…—Écoute,jesaisquetues…réservée.Turestesunmystère.Maisjetedécouvredavantagechaque

jour.Sonsourires'étaiteffacé,maisilavait laissésamainsurmajoue,qu'ilcaressaitdoucementavec

sonpouce.Qu'ilme découvre, c'était ce que je souhaitais du fond du cœur.Vraiment.Mais çame terrifiait

aussi. Oui, un jour il saurait tout. Mais j'avais la certitude que ce serait le début de la fin. Nosconversationsseraientdeplusenplusformelles, jusqu'àcequenousn'ayonsplusrienànousdire.Daniel surveillerait sespropos,évitantde faireallusionàdesparents,ausuicide,à l'alcoolouauxpathologiesmentales.Ilfiniraitparneplusouvrirlabouche.Ettoutseraitterminéentrenous.Notrerelationsedissoudraitcommeunepoignéedeseldansun

bassin,quis'éparpilleetsefondpeuàpeudanslenéant.C'étaitcequim'étaitarrivéavecmescousins lointains.Depuisdesannées, ilsavaientpeurdeme

voir. Ils craignaient que mon obscurité intérieure vienne déteindre sur leur vie confortable. Ilsredoutaient,enregardantenmoi,detrouverleurproprereflet.L'enferquej'avaisvécupouvaittombersurn'importequi.Ettoutlemondeenavaitpeur.C'étaitlaraisonpourlaquellejepréféraisfermermagueule.Jem'écartai.Ilfronçalessourcilsetlaissaretombersonbras.—J'aimeraisquetut'ouvresàmoi,confia-t-il.Ilfaisaitdesonmieuxpourparlerd'unevoixcalme,maissadouleurétaitperceptible.Unmélange

depeineetdefrustration.—Jenesuispasencoreprête.Jeparvinsànepasfondreenlarmes.J'étaisfièredemoi.J'étaispartagéeentredésiretpeur.Pourtant,ilétaittoujourslà.Toutcequejepouvaisfaire,c'étaitm'accrocheretprofiterdecesdoux

momentsaveclui,tantqu'ilsduraient.Avantquetoutbascule.Jerefermaimonlivre,puislesien,etmelevai.—C'est étouffant, ici, déclarai-je enme forçant à sourire. J'ai assez bossé pour aujourd'hui. Tu

viens?Enréalité,ilmerestaitencorebeaucoupdetravailpourterminercetessai,maisjepourraism'en

occuperlesoir.Pasmaintenant.Pourunefois,jepouvaism'accorderunpeudeliberté,encompagniedeDaniel.Aprèsquelquessecondes,ilpritlamainquejeluitendaisetselevaaussi.Ilsemblaittoujoursun

peuméfiant,maisj'étaistoutdemêmesoulagée.—Onvaoù?—N'importe.Oh,jesais:onpourraitmangeruneglace,tantqu'ilfaitbeau.Sonvisages'éclaira.—Excellenteidée!Après avoir rangé nos affaires et quitté la bibliothèque, nousmarchions côte à côte, nosmains

s'effleurantparfois.Danielprit lamienne,doigtsemmêlés.C'étaitune sensationmerveilleuse :nosmainssemblaientfaitesl'unepourl'autre.Jemecollaisàluialorsquenousparcourionslespelousesducampus,metenantplusdroite.Jene

savaispascombiendetempscettehistoiredurerait,maisjepouvaistoutdemêmesavourerlefaitque

pourlemoment,Danielavaitenvied'êtreavecmoi.Ilvoyaitenmoiquelquechosequiétaitjusque-làpasséinaperçu.Etbienqu'ilnes'enrendepascompte,jesentaismesdéfensescéderpetitàpetit.— Je ne pourrais pas avaler une bouchée de plus.Cette salade de pommes de terrem'a achevé,

soupiraDanielens'allongeantsurlacouverture.Ilposalesmainssursonventre,quimalgrésesprotestations,étaittoujoursplat.—J'aitellementbâfréquemonpantalonvalittéralementexploser.—Commediraitmonprofd'anglais,cen'estpaslittéraldutout.Sic'étaitlecas,tuteretrouveraisà

poil,etceseraitunpeuembêtant.Noussommesdansunjardinpublic,aprèstout.Pourtepunirdecetabusdelangage,tuvasfinircettesaladedepommesdeterre.Jeprisuneénormecuilleréeetlatendisverssabouche.Ilserassitetmeregardad'unairfaussementoffensé.Lesoleilchatoyaitsursescheveuxbrunsaux

richesreflets,etfaisaitscintillersesyeux.Rapidecommel'éclair,ilm'arrachalacuillèredesmainsetlalançaàtraverslapelouse.—Oh,merde.Désolé,ellem'aéchappé.—Monsieur l'agent !Cet homme jette des détritus par terre !m'écriai-je en faisant semblant de

chercherunpolicierdesyeux.Leparcétaitdésert,àl'exceptiondequelquesenfantssurlesbalançoires.Daniel me flanqua sur le dos et se mit à me grattouiller le flanc droit, là où j'étais la plus

chatouilleuse.—Etcettefemmevenddeladrogue!lança-t-ilavecunfourire.—Crétin!protestai-jeenmedébattantpourmerelever.C'étaitunesupercuillère.—Jet'enrachèteraiune.—Maiselleétaitassortieauxautres…,soupirai-jeentirantsurmondébardeurpourm'assurerque

monventren'étaitpasdécouvert.Parchance,Danieln'avaitpaseffleurémescicatrices.—Jeprendraiunlot,danscecas.—Tuasréponseàtout.Il se levaetme regarda, lesyeuxbrillantsde joie. Jenem'étaispas sentie aussibiendepuisdes

jours.Depuisl'incidentàlabibliothèque,enfait.Ilmecaressadenouveau,sanss'approcherdemescicatrices.Cen'étaitplusunechatouille,maisuncontacttendreetbrûlantàlafois.—Non,pasàtout,objecta-t-il.Sonregardseposasurmaboucheetilserralamainsurmahanche.Unetensionérotiques'installa

aussitôtentrenous.Jemepassailalanguesurleslèvres,provoquantunéclairdedésirdanssesyeux.Jefisunpasvers

lui.Jevoulaissentirsabouchesurlamienne,toutdesuite.—Oh,lesamoureux!Oh,lesamoureux!s'écriaungaminnonloin.

Jebaissailesyeux,rougissante.Danielsepenchaversmoi.—J'aitropenviedet'embrasser…,murmura-t-ild'unevoixrauquequiembrasamessens.Son désir était évident, et attisait lemien. Je sentismon corps réagir, le cœur battant, lesmains

tremblantes.Jelevailatêteverslui,assoifféedesoncontact.Ileffleuramabouchedansunecaressefugitivequimelaissasurmafaim.—Pasici…,murmura-t-il.Jeveuxqu'onsoitseulstouslesdeux.«Seuls…»Latensiondanssavoixmedonnaitdesfrissons.Moncorpsvibraitdelatêteauxpieds.J'acquiesçai,

mondésiraudiapasondusien.Nous ramassâmes nos affaires. Mes mains tremblaient tellement que je fourrai tout n'importe

commentdansmonsac.Sesparolesrésonnaientdansmatête.Jene savaispas cequi allait sepasser,mais jevoulaisme retrouver seule avec lui.Le sentir, le

toucher,legoûter,entrerencontactavecsapeaunue…Dans la voiture, nous n'échangeâmes pas unmot. La tension était palpable,montant d'un cran à

chaquenouveaukilomètre.—Onvachezmoi,suggérai-jed'unevoixrauque.Megann'estpaslà.Onétaitjeudietelleallaitàunesoiréesurlecampus,avecBobby.L'appartementnousappartenait

pourdelonguesheures.Entêteàtête.Daniel me glissa un regard furtif et acquiesça. Il posa la main surma cuisse nue. Jeme sentis

envahieparunevaguedechaleurbrûlante.J'avaisbeausavoirquec'étaitimpossible,j'avaissoudainenviequ'ilpromènesesmainspartoutsurmoncorps.Chaquegestedesonpoucesurl'intérieurdemacuissemefaisaitfondrededésir.C'étaitincroyable…Ilsegarasurleparkingetnousnousdirigeâmesverslaporte,d'unpaspluspresséqued'habitude.

J'ouvrislaserrureetpénétraidanslapiècesombre,Danielsurlestalons.Ilrepoussalebattantetmeplaquacontrelemur,unemaindansmondosetl'autresurmanuque.Illevamonvisageversmoietposasabouchesurlamiennedansunbaiserquim'embrasajusqu'à

lamoelle.Haletante, jem'agrippai à ses épaules,m'enivrantde sonparfumquime semblait entrerdanschaquecelluledemoncorps.—J'aimetongoût,soupira-t-il.Jevoudraist'embrasserpendantdesheures.Ilappuyasontorsetoniquecontrelescourbesdemapoitrine.J'avaislestétonsdurcisaupointd'en

être douloureux. Gémissante de désir, jeme frottai contre son érection tandis qu'il memaintenaitfermementcontrelemur.Il se pencha pour m'embrasser le cou, me mordillant et me léchant la gorge. Des cascades de

frissonsse répercutaientenvaguesdeplusenplusviolentes. J'étais trempéedevolupté. Il remontaunemainversmesseins,maiss'arrêtaavantdelesatteindre.Ils'écartapourquêtermonapprobation.Jerépondisparunhochementdetête.Ilposalapaumesurmonseindroitetfitpleuvoirdesbaiserssurmondécolleté.Sabouchebrûlante

laissaitdestraceshumidessurmondébardeur.Je n'en pouvais plus. Je me cambrai pour écraser mon téton sur ses lèvres. D'une main, je lui

caressaislescheveux,l'incitantàcontinuer.Ilsuçaalorsmontétonàtraversletissu,m'arrachantungémissementdeplaisir.—C'estdélicieux…,haletai-je.Ilaspiramontétonplusfort.Jeluicaressailecouavantd'enfouirmesmainsdanssescheveuxsi

doux.J'envoulaisplus.J'avaisenviedeletoucher.—Dansmachambre…,parvins-jetoutjusteàmurmurer.—Tuessûre?medemanda-t-il,prudent.Lesous-entenduétaitclair.J'avaislecœurquibattaitsifortqu'ildevaitpouvoirl'entendre.J'étaisà

lafoisterrifiéeetexcitée.Jamaisjen'avaisressentiunteldésir.Étais-jepourautantprêteàcoucheraveclui?Sionlefaisait,ilmeverraitnue.Àmoinsque jegardemesvêtements,etqu'onsoitdans lenoir.S'embrasser,c'étaitdéjàpasmal,

non?—Jeveuxm'allongeravectoipourt'embrasser,finis-jepardire.C'étaittoutelafranchisedontj'étaiscapableàcemoment-là.Ilmedonnaencoreunbaiser,rapideetpossessif.Puisilmepritparlamainetm'entraînaversla

chambre.Après avoir refermé la porte, nous parvînmes jusqu'au lit et nous débarrassâmes de noschaussuressansrompreuninstantlebaiserquinousliait.Noustombâmessurlematelas,membresemmêlés,siserrésl'uncontrel'autrequ'unsouffled'airn'auraitpupasserentrenous.J'arrachai le tee-shirt de Daniel. Je voulais sentir ses muscles sous mes doigts. Son torse était

brûlant. Je le poussai sur le dos et vins m'installer au-dessus de lui. De minces rais de lumièreentraientparlafenêtre.Lesoufflecourt,jecontemplaisoncorpsfin.Malgrélafaibleluminosité,jediscernaischacunde

sesmuscles.J'auraisvouluvenirfrottermestétonsnuscontrelui.Danielmeregardaitensilence.Ilmelaissait lesrênes.Depuislasoiréeaucinéma,iln'avaitplus

tentédeglisser lesmainssousmeshabits.Maisencet instant,çanemesatisfaisaitpas.Malgrémapeur,j'envoulaisplus.J'étaispartagéeentremondésirdévorantetlapeurparalysantedecequ'ilpenseraits'ilmevoyait

nue.Pourtant,j'étaisconscientequececombat-làétaitperdud'avance.Jedevaissoitêtrecourageuseetaccepterqu'ilmevoie,soitmecontenterdechastesbaisers.—Qu'est-cequinevapas?chuchota-t-il.Çavatropvite?Jem'assis,lesangbattantàmesoreilles.Ilétaitencorepossibledetoutarrêter.Jepouvaisjouerla

sécuritéetgardermessecretsencoreunmoment.—Non,répondis-jeàmoncorpsdéfendant.Maisavantqu'onailleplusloin,je…jedoisteparler

dequelquechose.

Chapitre15

Danielseredressaetallumalalampedechevet.Ilrecula,lesyeuxrivéssurmoi.—Dequoituveuxmeparler?J'auraispréférém'enfuir,maisjemeforçaiàleregarderenface.Jecherchaienvainlesmotspour

ledire,pourexprimerl'ouragand'émotionsquifaisaitrageenmoi.—Est-cequetuesvierge?demanda-t-ild'unevoixqui trahissaitunsentiment indéchiffrable.Tu

sais,onn'estpasobligésde…—Oh,non.Cen'estpasça.J'aidéjà…faitl'amour,balbutiai-jeenrougissant.C'estjusteque…Çaavaitétéaffreux.Jen'avaisrienressentidel'intensitéquej'éprouvaisavecDaniel.Moncorpsvibraittoutentiersousl'effetdel'appréhension.—J'aidumalàêtreàl'aise,enfait,avouai-je.Jemesentaispathétique.Danieltenditlebraspourmecaresserlamainduboutdupouce.C'étaitungestederéconfort,mais

ilmaintenaitinvolontairementmondésirauplushautpoint.—Jecomprends.Onn'apasbesoind'allerplusloin.Tunedoispasteforcer.Sonregardétaitfranc,honnête.Sesparolesétaientsincères.Sijenevoulaispasallerplusloinque

desbaisers,ils'encontenterait.Mais combien de temps pourrions-nous encore nous satisfaire de cela ?Nous avions tous deux

follementenviel'undel'autre.Sondésirétaitaussiévidentquelemien.Ilseredressapourremettresontee-shirtetselever.Non!Ilquittaitmonlit,l'intimitédecettepièce…Chaqueparcelledemoncorpsvoulaitleretenir.—Attends,suppliai-jeenposantlamainsurlebasdesondos,toujoursdénudé.Ilfinitd'enfilersontee-shirt,maisrestasurlelit.—Jecroyaisque tuvoulaisarrêter…C'est toujours lamêmehistoire : je tebouscule, jemets le

doigtlàoùçafaitmalsansm'enrendrecompte,ettut'enfuis.Jen'aipasenviedecontinuer.Pasici.Pasmaintenant.—Enfait…j'aidescicatrices,expliquai-jeenposantlamainsurmonventre.Etjen'aipasenvie

que tu les voies. Elles sont affreuses. Très profondes. Je les déteste tellement que j'évite de meregarderquandjemedouche.Rouge de honte, j'avais du mal à réprimer mes sanglots. C'était difficile de me montrer si

vulnérabledevantunhommeaussiparfait.Ilavaitlaperfectiond'unestatue,unepeauimpeccable,desmusclesciselés…Ilnepouvaitpascomprendrecequeçamefaisait,desavoirquemoncorpsétaitmeurtriàjamais.—J'aipeurqu'ellestedégoûtent…çametuerait.

Cesderniersmotstombèrentdanslesilencequis'étaitinstalléentrenous.Daniel se levasansme regarder. Je sentismoncœurse fêler. J'allais ramasser lesmiettesdema

dignitéetleraccompagneràlaporte.Jenelaisseraiséchappercetteémotionquelorsqu'ilseraitparti.Mais au lieu de s'éloigner, il se tourna vers le lit, arracha la couverture, et la jeta par terre.

Perplexe, je restai debout à le regarder sansmot dire. Il fit ensuite subir lemême sort au drapdedessus.Ilmepritlamainetplongeasonregarddanslemien,commepourliredansmonâme.Uneveinebattaitaucreuxdesagorge.—Casey,dit-ild'unevoixbouleverséequimefitchavirer.Fais-moiconfiance,jet'enprie.Enétais-jecapable?J'acquiesçaiensilence.Unpeudétendu,ilm'incitad'ungesteàm'allongersurlelit.Ilramassaledrapetledisposaautour

demonventre,nelaissantdépasserquemesjambesetmatête.Jerestaiimmobile,medemandantcequiallaitm'arriver.Ilmefitleverlesbrasettiradoucementmontee-shirt,sansfairebougerledrapquimecouvraitla

poitrine.Monpoulss'accéléra.J'étaisensoutien-gorge.Maismescicatricesétaientcachées.Danieléteignitlalumière.J'entendaissarespiration,douceetrauqueàlafois.Ils'assitauborddu

litetm'effleuradelamain.—Jeveuxquetutesentesbien.Jeneveuxpasquetuaieshontedetoncorps.Sesdoigtsavaientladouceurduvelourssurmapeau.J'auraispumemettreàronronnersousles

caressesqu'iladministraitàmesbrasetauhautdemapoitrine.C'étaitapaisantetexcitantàlafois.Au bout de quelques minutes, je commençai à me détendre. J'avais l'impression de fondre

lentement.Maisenmêmetemps,messensaiguisésdécelaientsaprésenceavecacuité.Sarespirationunpeuhaletante,lesdernièresnotesdesoneaudetoilette.Leboutdesesdoigts.Jepercevaistoutçaavecunevigueuraccrue.Ileffleuralaceinturedemonshortduboutdesdoigts,puiss'arrêta.—Casey,situchangesd'avis,tun'aurasqu'àmeledire.Jet'obéirai.D'accord?Savoix était rauquededésir, et j'auraisvouluvoir sesyeux. Je savaisqu'ils brillaientd'un éclat

particulier.—Oui,parvins-jeàarticuler.J'avaisenviequ'ilmecaresselesjambesdelamêmefaçon.Ilarrangealedrappourmecouvrirjusqu'àmi-cuisse,puism'enlevamonshort.Jeneportaisplus

quemes sous-vêtements. Jeme sentis soudain un peu gênée,mais lorsqu'il semit àme frôler lesjambesenunlongmouvementavantdem'effleurerlecreuxdugenou,jepoussaiungémissementdeplaisir.—J'adorelesbruitsquetufaisquandtuesexcitée…—Jemesenstellementbienavectoi,avouai-je.C'était vrai, et pas seulement physiquement. Personne ne s'était jamais donné autant demal pour

m'aideràmedétendre.Pourprendresoindemoi.

Lorsqu'ilremontalesdoigtssurl'intérieurdemacuisse,jemecambraiverslui.Soudain,sentirsesmainsnemesuffisaitplus.Jetiraidoucementsursontee-shirtpourl'inciteràl'enlever.Il l'arrachaaussitôtetlejetaaupieddulitavantdevenirs'allongercontremoi.Nousétionscollés l'unà l'autre,etnosbouchesserencontrèrent.Follededésir, jem'accrochaià

lui.Ilmecaressaitàtraversledrap,surlesflancspuislapoitrine.Enfin,ilvintposerleslèvressuruntétondurci,lesuçantàtraversmonsoutien-gorge,dontilfinitpardescendrelebonnet,memettantànu.Sentirsabouchedirectementsurmonmamelonaccrutencorel'enviequej'avaisdelui.Jeplongeai

lesdoigts dans ses cheveux, voulantme rapprocher encorede lui. Ilme léchait le bout du sein, lemordillaitetl'embrassait.Jefrottaimajambecontrelui,caressantsonsexeenérection.—J'aienviedetoi,soupira-t-ild'unevoixétranglée.—Moiaussi.S'ilteplaît.Maintenant.C'étaitvrai.Sesbaisersnemesuffisaientpas.J'éprouvaisunbesoindouloureuxdelesentirenmoi.

Jevoulaismelieràluid'unefaçonquenousn'avionsencorejamaisressentieensemble.Jevoulaisluioffrirunepartdemoiqu'ilgarderaitpourtoujours,etrecevoirlemêmedondelui.Ilsemitàfouillerdanssapoche.—Tuessûre?demanda-t-ilens'écartantpourmeregarderdanslesyeux.J'avaisdumalàdistinguersestraitsdanslapénombre,maislalueurquibrillaitdanssesprunelles

parlaitd'elle-même.Ilétaithabitéparuntourbillond'émotions.—Jeveuxquetumeledises.Parcequesiparlasuitetuvenaisàmelereprocheretmefuyaisde

nouveau,çametuerait.—S'ilteplaît,fais-moil'amour.Jenefuiraipas,c'estpromis,murmurai-jeendéposantunesérie

debaiserslelongdesamâchoire,priantpourqu'ilcomprennecequejeressentais.Depuislepremierjour,Danielétaitpourmoicommeunlivreouvert.Maisjel'avaistoujoursgardé

àdistance.Quandjelelaissaiss'approcherunpeutropprès,jeprenaislafuite,etcescénarion'avaitcessédeserépéter.Ilméritaitmieuxqueça,etcesoir-là,jevoulaisêtreàlahauteur.Êtrelapersonnequ'ilméritait.Etquejeméritaisd'être,moiaussi.Unefillequinesesentiraitpasirrécupérable.Unefillequ'un

hommerespecterait.Adorerait.Estimerait.Sanscesserdem'embrasserlecou,Danielenlevasonshortetsonboxer.Ilétaitentièrementnu,son

sexedurappuyécontremoi.Unfrissonnerveuxmeparcourutleventre.Maiscen'étaitpasdelapeur.C'étaitdel'impatience.J'enavaisenvie.Ilglissaunemainsousledrappourlaposersurmonsexe,embrasantmoncorpsdéjàenébullition.

Ilintroduisitundoigtenmoi,déclenchantunespiraledeplaisir,commeunevibrationsourde.Chacundemessensexplosaitdansunemyriadededétails,gravantàjamaiscetinstantdansmamémoire.—Tum'émerveilles…,avoua-t-ilenmeléchantlecou.Sonsoufflemecaressaitdélicieusement.Jeluidonnaiàmontouruncoupdelangue.Jen'étaisplustrèsloindel'orgasme.Moncorpstoutentiervibrait,chantaitmême,soudainvivant

grâceàDaniel.—Je…,soupirai-jed'unevoixentrecoupée.Jevais…Son doigt effleura mon point G à cet instant, et un brasier de sensations s'alluma en moi, me

calcinantsursonpassage.—Oui,chuchota-t-ild'unevoixvibranted'émotionetdedésir.Lesvaguesdeplaisirquimesubmergeaientmirentlongtempsàrefluer.Jeluicaressailescheveux,

écartantunemèchedesonfront.Ilm'embrassaleboutdunezavantd'enfilerlepréservatif.Ilvints'allongerau-dessusdemoi,lescoudesdepartetd'autredemoncou,lesgenouxentremes

jambes.Jeserrailescuissesautourdesataille.Uninstantplustard,ilétaitenmoi,etnousgémissionstousdeuxdeplaisir.— C'est tellement…, tenta-t-il de dire d'un ton rauque tout en m'embrassant le front, les doigts

emmêlésdansmescheveux.Sonsexevolumineuxm'emplissaitd'unefaçonquejen'auraisjamaisimaginée.—C'esttellementbeaud'êtreentoi,réussit-ilenfinàarticuler.Lesyeuxrivésauxmiens, ilmecaressait laboucheavecsonpouce.Nousbougionsensemble.Je

mecambraivers luipourqu'ilentreplusprofondément.Jevoyaisen lui jusqu'àsonâme,et je fussoudainfrappéed'uneprisedeconscience.Lesmursquej'avaisdressésautourdemois'écroulèrentenunepluiededébris,etjenepensaispaspouvoirlesreconstruireunjour.J'étaisentraindetomberamoureusedecethomme.Moncœurs'affola,etjeréprimaiàgrand-peineunhoquetdesurprise.Lerythmes'accélérait.Nousétionstousdeuxcouvertsd'unefinepelliculedesueurquitrempaitle

draptoujoursposéentresonventreetlemien.C'étaitunmomentd'émotionintense,etj'étaispresquesubmergéeparmessentiments.Sesyeuxs'étaientassombris,pleinsdevieetdedésirpourmoi.Ledrapquicachaitmescicatricesm'évitaittoutmalaise.Jemesentaissexy,totalementdansl'instant.Totalementaveclui.Etc'étaitgrâceàluiquecemiracleseproduisait.Je ne pouvais m'arrêter de le toucher. Le feu qu'il avait allumé en moi me dévorait jusqu'à la

moelle.Jebrûlaispourlui.Jeleserraiencoreplusintensémentcontremoiavecmespieds,l'incitantàallerplusfort.Nossoufflespantelantssemêlaient,chacuns'enivrantdel'autre.Ilaccéléra,etjesentissesmusclesse tendre.Lerythmesefaisaitfrénétique.Jevoulaisqu'il reçoiveautantdeplaisirqu'ilm'enavaitdonné.Jemecambraisverslui,mefrottantcontresonpelvis.—Jeveuxtesentirjouir,murmurai-jeàsonoreilleenluimordillantlelobe.Ilfrissonna, larespirationsoudainirrégulière.Ilaccéléraencore,etunevagued'extasemontade

nouveauenmoi.—Jevais…,souffla-t-ilenrejetantlatêteenarrière,touslesmusclesbandés.Ohoui…Je m'accrochai à lui, voulant le recevoir au plus profond de moi. Tremblant, il soupira mon

prénom,ets'agrippaàmoidetoutessesforcesaumomentdejouir.Puisilmesoulevalementonpourmeregarderdanslesyeux.—Merci,dit-il.

Uneparoletoutesimple,maischargéed'unevéritabletendresse.Ilm'embrassasurlescommissuresdeslèvres,dechaquecôté.Lagorgeserrée, j'étaisauborddeslarmes.Ilyavaitunetellegrandeurdanscesremerciementspourunplaisirpartagé.Commesijeluiavaisoffertunprésentprécieux.Ilm'avaitdonnétellementplus!Il se retira, sortit du lit pour jeter le préservatif, puis revint s'allonger àmes côtés.Nous étions

collés l'un contre l'autre, comme si nous ne pouvions plus jamais supporter d'être séparés. Jemetournaisurleflanc,etilseserracontremondos,unemainjouantavecmescheveuxetl'autreposéesurmahancheàtraversledrap.Jet'aime,Daniel.Cettephraseauraitvoulusortirdemabouche.Celam'effrayaitetm'émerveillaitàlafois.C'étaitla

première fois que je connaissais un plaisir aussi intense : peut-être était-ce ce qui me rendait sisentimentale. Jamais auparavant je ne m'étais laissée aller à ressentir les choses. Je pouvaism'autoriseràêtreamoureuse,maiscertainementpasàleluiavouer.J'avaisbesoindetempspouracceptertoutça.Jevoulaism'assurerquecesentimentétaitréel,que

ce n'était pas simplement un contrecoupde la volupté.Mais je ris enmoi-même à cette pensée. Jesavais très bien qu'il n'en était rien. Cela faisait un moment que mes sentiments pour lui allaientcroissant.Àprésentqu'ilsvenaientd'exploserdevantmesyeux,jenepouvaispluslesnier.Jeposaiunemainsurlasienne,caressantsesdoigtsfins,tentantdelesmémoriser,centimètrepar

centimètre. Jesentais lebattement régulierdesoncœurdansmondos.Lasueurqui trempaitnotrepeausemblaitnousrapprocherencoreplus.— Reste, cette nuit, demandai-je à mon corps défendant. Euh… si tu en as envie. Tu n'es pas

obligé…Maistupeux,situveux.—Ohoui,j'aimeraisbien.Maisilvafalloirquejepassechezmoi,soitcesoirsoitdemainmatin,

pourrécupérerdesaffaires.J'espèrequemescolocatairesn'ontpasmisl'appartementàsac.Les trois garçons avec lesquels il partageait son logement étaient bien plus fêtards que lui. Ne

raffolant pas des soirées étudiantes, il ne passait pas beaucoupde temps avec eux, et je n'étais pasparticulièrementenclineàallerchezlui.J'avaisdumalàsympathiseraveccegenredemecs.—Peut-êtrequ'onpourraitdormirunpeuavantde faireunsautchez toi,proposai-jed'unevoix

ensommeillée.Onenprofiteraitpourdîner.J'étais clouée à mon matelas par une torpeur béate. Le corps de Daniel épousait le mien à la

perfection.Commentétait-cepossible?Notreliensanscesseplusfortm'emplissaitdejoie,maisjesavais aussi qu'il me rendait vulnérable. Je le laissais entrer dans mon univers, et il pourrait mebroyersinotrecouplenetenaitpas.Maisjen'avaispasenvied'ypenser.Pourunefois,jevoulaisvivrel'instantprésentetm'autoriseràêtreheureuse.—Çameva,dit-il.Sonsouffleralentitprogressivementetilnetardapasàs'endormir.Çamepritunpeupluslongtemps,maisladernièrechosedontjefusconscienteavantdesombrer

étaitlasensationdenosdoigtstoujoursmêlés.

Chapitre16

Moncœurallaitexploser.J'enétaiscertaine.Danieltenditlebraspourmepresserlamain.Ilavaitsentimatensionmonterd'uncoup.Sansdoute

parcequej'étaisraidecommeunpiquetsurmonsiègeconducteur.Jen'ypouvaisrien.Nousétionsenroutepourlamaisondemesgrands-parents,pourletraditionnel

repas du vendredi soir. Sauf que cette fois, j'amenais Daniel. Tard la veille au soir, alors quej'attendais dans la voiture qu'il prenne ses affaires chez lui – il était revenu avec un petit sac quicontenaitdulingepropreetseslivrespourlevendredimatin–j'avaisappelémagrand-mèresuruncoupdetêtepourluidemandersijepouvaisl'inviter.Non contente d'insister pour que je vienne le leur présenter, elle avait tendu le téléphone àmon

grand-pèreafinqu'ilenremetteunecouche.Commesilefaitquej'aimoi-mêmeposélaquestionnesuffisaitpas.Riantdeboncœur,j'avaisdoncpromisdeveniraveclui.Mais à présent que lemoment fatidique approchait, j'avais le pouls fébrile. Je sentais une veine

battreàlabasedemoncou.Sijenemecalmaispastoutdesuite,jefiniraisparavoiruneattaquedepanique.J'étaistellementanxieuse…—Parle-moiunpeud'eux,demandaDanielalorsquenousnousengagionssurl'autoroute.Il alluma l'autoradio et fouilla parmi mes CD avant d'en glisser un dans la fente, une série

d'instrumentauxunpeuvintage.—D'accord,dis-jeententantdemeconcentrersurlaconversationetlamusiqueplutôtquesurmon

appréhension.Il fallait que je reste dans l'instant présent au lieud'échafauderdes scénarios catastrophe.Que je

fasseconfianceàDaniel.C'estnormalquandonsortavecquelqu'un,medis-je.Etc'estmêmeunetrèsbonnechoselorsqu'en

plusonestsecrètementamoureuxdecettepersonne.Aumoins,ons'assurequelesdeuxêtreslesplusimportantsdenotreviel'apprécientaussi.— Eh bien, grand-maman aime cuisiner. Beaucoup. Elle est restée au foyer pendant des années

quandsesenfantsétaientpetits.Mongrand-pèreestretraité;ilatravailléàl'aéroportpendantvingtans,commemécanicien.—C'estplutôtrock'n'roll,commenta-t-il.Magrand-mèreafaittoutesacarrièrecommecomptable

chezFord.Elleaimaittellementsonmétierqu'elleacontinuédesannéesaprèsl'âgedelaretraite.—Ettongrand-père,ilfaisaitquoi?—Ilestmortl'annéedernière,confia-t-ilaprèsunepause.Aprèsunelonguemaladie…uncancer.

Maisavantça,ilétaitdansl'assurance-vie.—Jesuisdésolée,dis-jeenluipressantlamain.Vousétiezproches?—Ilétaittrèscool,répondit-ild'unevoixquisevoulaitdégagée,maisoùperçaitdelatristesse.Il

memanquebeaucoup.Avecmessœurs,onallaitchezluitouslesétés.Ilaimaitlavieaugrandair.

J'étais surprise queDaniel nem'ait pas parlé de lui plus tôt.Mais d'un autre côté, avec tous lessecretsquejegardais,jepouvaisdifficilementleluireprocher…Etsijelelaissaissedévoileràsonrythme,jepourraisenfaireautantsansculpabilité.Pourtant, je savais que lorsqu'il découvrirait la vérité sur mon passé – ce qui finirait bien par

arriver, même si par bonheur ça ne serait pas ce soir-là, puisque j'avais demandé à mes grands-parentsdeneriendire–leschoseschangeraiententrenousd'unefaçonimprévisible.M'envoudrait-ildeleluiavoircachésilongtemps?Semontrerait-ilaucontrairecompréhensif?C'étaitdéjàassezdifficiledeluttercontrematendanceàmeretirerenmoi-mêmelepluspossible.

Garder le souvenir de ma mère et de ma sœur vivant en moi malgré le chagrin était aussi uneépreuve. Quant à ouvrir les vannes et tout laisser sortir, j'en étais incapable. Pour le moment, dumoins.Jenepouvaispasluifaireportercefardeau.Oui, j'avais le droit de garder mes secrets. Après tout, on n'était pas ensemble depuis très

longtemps.Jenevoulaissurtoutpasleblesser.Jecraignaisqu'ils'éloignedemoi,aprèsça…Jerepoussaicestristespensées.Toujoursmaindanslamain,nousnousapprochionsdechezmes

grands-parents. Ce qui comptait, ce soir-là, ce n'était pas le passé, mais le présent. Je lui jetai unregarddecôté,etvisquelaventilationdelavoiturefaisaitdanserunedesesmèchesdecheveux.Sajoue était creuséepar cette fossettequi apparaissait chaque fois qu'une idée amusante lui traversaitl'esprit.Jevoulaisgardercetteimagedeluienmoipourtoujours.Photographiermentalementchaqueinstantquenouspassionsensemble.—Jesaisquetumeregardes,dit-ilsansseretourner.C'estunevisionenchanteresse,n'est-cepas?—Tamodestiemelaissesansvoix.—Jesuissûrquecen'estpaspourmamodestiequetum'aimes.Jeretinsmonsouffle.Certes,ilplaisantait,maislefaitqu'ilpuisseprononcercesmotssifacilement

mepétrifiait.Peut-êtrequ'ilconnaissaitmessentiments.Maissic'étaitlecas,pourquoinem'enavait-iljamaisparlé?Est-cequ'ilattendaitquejeprennel'initiative?Nousétionsarrivésdevantchezmesgrands-parents.L'ouragandequestionsquifaisait ragedans

matêtepritdoncfin.—C'estlà,annonçai-jeengarantmavoituredansl'allée.Calme-toi,Casey!Iladitçaenpassant,sansypenser.Arrêtedetoutinterpréter…L'amourmerendaitpsychopathe.Jem'efforçaidesourireetouvrislaportièreàlavolée.Ilsortitàsontour,maisneclaquapas toutdesuitesaporte,préférantmeregarderpar-dessusle

capot.—Toutvabien?—Oui,oui,net'inquiètepas,dis-jeensouriantdeplusbelle.—Tantmieux,répondit-il,pastrèsconvaincu.Laported'entrées'ouvrit,etmagrand-mères'avançasurleperron.—Entrez,appela-t-elle,unemainau-dessusdesyeux.Ilfaittropchaud!J'ail'impressionquel'été

neveutpasfinir.Vousallezrôtir.

Àprésent, j'avais lesmainsqui tremblaient, l'estomacnoué, et un sourire franchement crispé. Jem'avançaiavecDaniel,quidépassaitmagrand-mèred'unetêtemaisfaisaituneffortpournepassepencherversellecommesielleétaitnaine.—Grand-maman,jeteprésenteDaniel.—Enchantédefairevotreconnaissance,madameMackintosh.Ellemelançaunregardsurprisetapprobateuràlafois.Ungarçonbienélevé!Çaexisteencore?—Toutleplaisirestpourmoi,répondit-elle.Entrez.J'aifaitdelacitronnade,etaussiduthéglacé,

sivouspréférez.Nousentrâmestouslestrois.Laclimatisationétaitrégléeaumaximum,etçamedonnalachairde

poule.J'avaislatêtetellementàl'enversquej'avaisoubliédemettredesmancheslonguespourvenir.Zut!Jepénétraidanslesalonenmefrottantlesbras,etnousnousassîmessurlecanapé.La présence de Daniel me poussait à regarder les lieux avec un regard neuf. Le mobilier était

démodémaisconfortable.Moquettebeige,passe-partout.Bibelotsdisposésdansdespetitesvitrinesetsurdesétagères.Desphotosdemoicouvraientlamajeurepartied'unmur.Surlacheminéetrônaitunportrait pris le jour de la remise des diplômes au lycée, le pompon demon chapeau suspendu aucadre.Ilmefallutunmomentavantd'osermetournerversDaniel.Luiaussiétaitentraindedétaillerla

pièce.—Tagrand-mèreal'airtrèsgentille,chuchota-t-il.—Ellel'est.Jemedétendisunpeu.Grand-maman revint avec deux verres de citronnade. J'en avais l'eau à la bouche. Malgré mes

nombreusestentatives,jen'avaisjamaisréussiàreproduiresaboissonàlafoisdouceetacidulée.Elles'assitsurleborddesachaiseetcroisalesjambes.Jevisqu'elleavaitprissoindesemaquiller,

et qu'elle portait la petite croix en or que mon grand-père lui avait offerte pour son dernieranniversaire.Çamefitchaudaucœur.Elleaussivoulaitfairebonneimpression.Jen'étaispaslaseuleàêtrenerveuse.C'étaitlapremièrefoisquej'amenaisungarçon,doncilétait

logiquequ'onsoittouteslesdeuxunpeutendues.Maisjecommençaisàmesentirmieux.—Grand-papanevapastarder,annonça-t-elle.Ilestpartiacheterdulait:j'avaisfinilabouteilleen

préparantlapurée.Daniel,parle-moiunpeudetoi.Tuétudiesl'anglais,c'estça?—Oui,etjefaisaussidel'histoiredel'art.Ilsdiscutèrentdesoncursuspendantquelquesminutes.Ilétaitàlafoisdécontractéetrespectueux,

riantunpeumaispastropforttoutenluiexpliquantsesaspirationspourl'avenir.— Donc, tout bien réfléchi, je pense qu'une fois diplômé, je vais devenir enseignant. J'aime

tellement l'école ! Ça me semble la meilleure façon de ne jamais quitter ses bancs sans avoir àenchaînerlesprêtsétudiants.— Casey a toujours été très sérieuse. Nous sommes très fiers d'elle. Elle est dans le haut du

classementchaquesemestredepuissapremièreannée.

—Grand-maman…Cen'estpasnonplusl'exploitdusiècle!—Pfff,rétorqua-t-elleavecungestedelamain.Tuestropmodeste.Laportes'ouvrit.—Voilàlelait,déclaragrand-papa.Ilentradanslesalonentendantsamainlibre,l'airtrèssérieux.—Ravideterencontrer,fiston.Je réprimai un gémissement.D'accord, il avait l'intention de la jouer comme ça. Peut-être qu'on

pourraitmangertrèsviteetrepartiraussitôt.Grand-mamanseleva,poussantunpetitgrognementsousl'effetdel'effort.—J'ailedosencompote,aujourd'hui.Bon,allonspréparerlatable.C'estl'heure.Ledînerfutmoinspéniblequecequej'avaisredouté.Mesgrands-parentss'abstinrentdememettre

mal à l'aise en posant àDaniel des questions indiscrètes. Petit à petit,ma tension s'apaisa. Jem'envoulais d'avoir été aussi méfiante : j'aurais dû me douter qu'ils respecteraient mes réserves et setiendraientbien.Chacunsemontratrèspoli.Maismalgrélacourtoisieambiante,j'avaislecœurquidébordaitd'émotionscontradictoires.Sans

medépartirdemonsourire,jefinismonassiette–pouletfrit,haricotsvertsetpuréedepommesdeterre,unautredemesplatspréférés–maisjen'arrivaispasàcroirequeDanielétaitparminous.Jen'enrevenaispasqu'ilaitpuprendreunetelleimportancepourmoienl'espacedequelquessemaines.C'étaitcomplètementfou.Songenoueffleuralemien.Était-cefaitexprès?Je bougeai un peu dansmon siège pour rapprochermes jambes des siennes. Son genou vint de

nouveau toucher le mien, et cette fois, il demeura tout contre. C'était un contact ferme, qui meréchauffait.Etquiétaitvoulu,donc.Jetentaideréprimerlegrandsourirequimenaçaitdedonnerdessoupçonsàmesgrands-parents.—Caseym'aditquevouscollectionnezlessouvenirsdelaSecondeGuerre,annonçaDanielàmon

grand-père.L'annéedernière,j'aisuiviuncourssurlesguerresduXXesiècle.J'aiétéfrappéparleschangementsradicauxdestechniquesdecombatàpartirdelaGrandeGuerre.Lesanciennesrèglesn'avaientpluscours,etlesgensonteudumalàs'adapter.Jevisuneexpressiondesurprisepassersurlevisagedegrand-papa.—C'est exact. J'ai lu des récits autobiographiques de soldats des deux grandes guerres, et tous

relatent combien il leur a été difficile de retourner à une existence normale après l'horreur descombats.—Avez-vous lu Invincible,deLauraHillenbrand?demandaDaniel.C'est l'histoired'uncoureur

olympiquequipartaufrontpendantlaSecondeGuerre.C'estunextraordinairerécitdesurvie.Ils passèrent les vingtminutes suivantes à discuter du livre.Grand-papa était sur son terrain ; il

s'animaitdeplusenplusaufuretàmesurequeDanielluidonnaitsonpointdevueetsesthéoriessurlaguerre.Cen'étaitplusunsimpleéchangepolimaisuneconversationàbâtonsrompus.VoirDanielserapprocherdemongrand-pèresurunsujetquitenaittellementàcœuràcedernier

mebouleversait.Jeposailamainsursacuisse,souslatable.Discrètement,ilvintposersapaumesurmesdoigtsetlespressertendrement.C'était la première fois que je nouais une relation avec quelqu'un comme lui. Il me défiait, me

faisaitrire,m'agaçait,etm'excitaitcommejamaisdansmavie.Est-cequej'avais tortdeprierpourquecesoitréel,etpourqueçadure?Samainsurlamienneétaitbienréelle,toutàfaitconcrète.Demêmequesongenouappuyécontrelemien.Etsafaçondemetenir,lanuitprécédente.Demecaresserlescheveuxjusqu'àcequejem'endorme.Çaaussi,c'étaitréel.Toutcequejesavais,c'étaitquejevoulaisqu'ilviennedînerlàdenouveaula

semainesuivante.Jedésiraisneplusrienignorerdelui.Qu'onaitdespetitesblaguesquepersonned'autrenecomprendrait.Posermespiedsfroidssursesjambespourl'embêter.Regarderdestasdefilmssanss'arrêter.PartirenvacancesetfairedestonnesdephotospourlesmettresurFacebook.Fairecequefonttouslescouples,etquilesunitdavantage.J'avaislecœurgonflédetoutescesémotions.C'étaittrop,beaucouptrop,etenmêmetemps,çanemesuffisaitpas.J'envoulaisplus.Maisest-ce

quej'avaislecouragedetendrelamainpoursaisircequejedésirais?—Casey?appelagrand-maman.Ouh-ouh,tuesavecnous?Merde.Priseenflagrantdélitderêvasserie.—Désolée.J'étaisunpeuailleurs,répondis-je,contrite.—Jedisaisqu'ondevraitdébarrasser.Tongrand-pèreveutmontrersestrésorsàDanielavantque

vouspartiez.Tutravailles,cesoir,jecrois?J'acquiesçai.—Jevaisvousaider,proposaDaniel.—Non,net'enfaispas!répliquai-jeenriant.J'aidéjàvusacollectiondescentainesdefois.Toi,en

revanche,tuesunbleu.Tunevaspast'entireràsiboncompte.Lesdeuxhommess'éloignèrent.Lorsquegrand-mamanseleva,jelavisporterlamainàsondosavecunegrimacededouleur.—Resteassise,ordonnai-je.Jem'encharge.Çaauraitleméritedem'occuper.—Jenerajeunispas,soupira-t-elle.Jepeuxt'annoncerquel'automnenevaplustarder.Jelesens

dansmesarticulations.—Jet'enprie…Tun'espasvieille.Vousavezàpeinedépassélessoixante-dixans,touslesdeux,

protestai-jeenempilantlesassiettes.Penseràleurvieillissementm'effrayait,etjepréféraimeconcentrersurlavaisselle.Nousrestâmesunmomentsilencieusespendantquejem'affairais.Jeremplislelave-vaisselleetle

misenmarche.—Ilestdrôlementgentil,déclarasoudaingrand-mamand'unevoixsincère.Etiltientàtoi.Jemetournai,ledoscontrelecomptoir,pourluifaireface.—Moiaussi,jel'aimebeaucoup,avouai-je.

Çamefaisaitbizarredeledireàvoixhaute.Maisc'étaitlavérité.—Peut-êtremêmeplusqueça,ajoutai-je.D'accord,cen'étaitpasjuste«peut-être»,maisjen'étaispasencoreprêteàreconnaîtrequej'étais

amoureuse.Etquandjeleferais,ceseraitluilepremierinformé.Grand-mamanmesourit.Elleavaitl'airsifatiguéequej'eneusunpincementaucœur.Qu'est-cequi

lamettaitainsiauboutdurouleau?Était-ellemalade?— Qu'est-ce qui ne va pas, grand-maman ? demandai-je d'une voix tremblante. Tu peux me le

dire…—Mais je suis forte commeunbœuf,machérie.Ne te faispasde souci. Jenevaispasmourir

demain,va.Jesuisjustefatiguée.Laplupartdutemps,toutvabien.Jemelaissaitombersurlesiègeàcôtédusien.Jesavaisqu'ellenemementiraitpas.Sielleétait

malade,ellemeledirait.Maiscelamerappelaquejedevaisprofiterdavantagedechaquemomentaveceux.Etfairedemonmieuxpourprendresoind'elle.Ellemepritlamainfermemententrelessiennes.Sesdoigtssemblaientfrêlescomparésauxmiens.—Jet'aime,machérie.Etjesuisheureusequetunousaiesprésentécejeunehomme.Maistudois

leluiraconter.Neremetspasçaconstammentàplustard.Jevoisbienqueçatemine.—Tuasraison,admis-je, lagorgeserrée,enjetantunregardcoupableverslebureaudegrand-

papa.Mais…çavatoutchanger.—Sic'estlebon,touts'arrangera.J'acquiesçaiensilence.Ellemetapotalamainavantdelalâcher.— Tu ferais mieux d'aller chercher ce malheureux garçon avant que ton grand-père le rende

complètementchèvre.Tusaiscommentilest:unefoisqu'ilestlancé…Elleritdoucementetajouta:—Remarque,s'ilsurvitàuneheureavecgrand-papa,ilpourratoutencaisser…Nousprîmescongé;Daniellesremerciachaleureusementpourleuraccueil.Grand-papaluidonna

uneaccoladeavantdelelaisserpartir.— Merci de m'avoir invité, me glissa Daniel dans la voiture. J'ai passé une super soirée. Et

maintenant,qu'est-cequ'onfait?Jeconsultail'heuresurmontéléphone.—Jevaisrepasserchezmoipourmeprépareravantd'allerbosser.Et toi?demandai-jeavecun

sourireensortantlavoituredel'allée.—Oh,jevaistraînersurmoncanapéenpensantàunefillequiestentraindebosser.Riendebien

passionnant.Jerosisdeplaisir.—Ah.Ehbien,situt'ennuies,passemefaireunpetitcoucou.Incroyable.J'étaisentraindeflirter.Sansl'ombred'undoute.Etplusjelefaisais,aveclui,plusça

devenaitfacile.

Jem'engageaisurl'autoroute.Ilmelançaunregardenbiais.Ilyavaittantdechaleurdanssesyeux,etdanssonsourireencoin,

quejemesentisfondreetvibrerd'impatience.—Jevaispeut-êtremelaissertenter,Casey.

Chapitre17

Ce soir-là au Mask, la foule était particulièrement dense. Par bonheur, Sal avait fini par faireréparerlaclimatisation–Justinetmoiavionsdûleharcelerpendantdessemaines–etlatempératureétaitredevenuesupportable.Çatombaitbien,parcequej'avaisapportéunsointoutparticulieràmatenue.Maquillage,cheveuxbouclés,etmêmeunpetithautmoulantau-dessusdemonjeanpréféré.Enmevoyantsortirdemachambre,Meganm'avaitcarrémentsifflée.Mêmesij'avaislevélesyeux

auciel,ilfallaitbienadmettrequec'étaitagréabledesesentirséduisante.Unjeunehommes'approchaduboxdeDJ.Ilétaitbeaugarçon,avecdegrandsyeuxbrunsetune

tignasseblonde.Ilmeregardaitavecunsouriregourmand.—Salut.Tupeuxmedireletitredelachansonquivientdepasser?—Euh,attendsvoir…C'étaitlederniermorceaudeParadiseFound.Ahoui,GutterMom.Maman

surletrottoir.Ilsinvententtoujoursdecestitres…—Eneffet,c'estplutôtbizarre!acquiesça-t-ilenriant.Merci.Àpartça…Jepeuxt'offrirunverre?Àqui,àmoi?—Euh…nonmerci,jen'aibesoinderien.—Ildoitfairechaud,pourtant,là-haut,insista-t-ilens'approchantjusqu'àn'êtreplusqu'àquelques

dizainesdecentimètres,lamainposéesurlemontantdubox.Tuessûrequetuneveuxrien?—Jem'enoccupe,intervintunevoixfamilièredanssondos.Danielsefaufila,unverred'eauetunebièreà lamain,etvintm'embrassersur labouche.Après

avoirposéleverre,ilmepassaunbrasautourdelataille.—Désoléd'arriversitard.J'aiétéretardé.LejeunehommeobservalegestepossessifdeDanieletnousfitunsignedetête.—OK.Merci.—Merciquandmême,luilançai-jealorsqu'ils'éloignait.Avecunsourireencoin,jemetournaipourregarderDaniel.—C'étaittrèsintéressant,commentai-je.—Quoi?demanda-t-ilenprenantunegorgéedebière.—Étais-tujaloux,parhasard?—Moi?Jaloux?Euh…Bon,peut-êtreuntoutpetitpeu.— Tu sais, ce n'est pas comme ça, d'habitude. En général, personne ne fait attention à moi,

expliquai-jeenpréparantlemorceausuivant.—Tuimaginesquetuesinvisible,maiscen'estpaslecas,protestaDanield'untonétonnamment

sérieux.Jecroisquetunesaispasàquelpointtuesattirante.Etjeneparlepasqueduphysique.Ilyaquelquechoseen toi…une intensitéquidonneenvied'entrerdans lepetit cercledesgensàqui tuaccordestaconfiance.Desgensavecquitubaisseslagarde.

Jemetournaiverslui,émue.C'étaitlapremièrefoisqu'onmeparlaitcommeça.Pourtant,pendantdesannées,j'avaissouhaitéêtreinvisible.Voirlecauchemarqu'avaitvécumafamillerépétéàl'infinipartouslesjournauxpendantdessemainesalorsquejen'étaisqu'uneadom'avaittraumatisée.Mais…quelquechoseétaitentraindechangerenmoi.Quandcegarçonétaitvenumeparler,au

lieudelerepousseravecungrognementgrincheux,jeluiavaisfaitlaconversation.Jen'avaismêmepaspenséàmescicatrices.—Jetetrouvetrèsattirant,toiaussi,avouai-je.Tuasuneprésencemagnétique.J'étais surprise de m'entendre faire une telle confession, mais dans l'intimité du box, avec la

musique qui résonnait tout autour de nous, ça semblait juste. Nulle part je ne me sentais plus ensécuritéquedans cet endroit.Maconfiance enmoiy était totale : lamusiqueétaitmonâmeetmavoix.Jemedétournaipour fouiller dansmesdisques. J'avais soudain enviedepasser lebonmorceau

pourlui.Delaisserlamusiqueluitransmettrecequejen'osaispasdire.C'étaitunechansond'amourétrangemais entêtante, composée par un groupe inconnu dont je raffolais. Je la préparai pour lalancerdèslafindumorceauencours.J'avaislesmainstremblantes.—J'aimeraisbienenchoisirune,moiaussi,dit-ildansmondos.Ilvintsecollercontremoi,sapeautièderéchauffantlamienne.Jeduslutterpournepasmelaisser

allercontrelui,envahieparledésir.Ilsavaittrèsbiendansquelétatilmemettait.—Hum,toussotai-jeenm'écartantavecunsourirepenaud.Tupeuxregarder là-dedansetvoirsi

quelquechosetetente.La demi-heure suivante passa en un éclair. Daniel avait d'excellents goûts musicaux, assez

éclectiques,plutôtrétrodansl'ensemble.Lepublicréagissaittrèsbien.Nousnouséclationsetriionsàgorgedéployée.—Jereviens,meglissa-t-illorsquenouseûmesfininosboissons.—Cen'estpaslapeine…,commençai-je.—Chut,meréprimanda-t-ilavecunregardsévère.Nemeprivepasdeceplaisir.Jehochailatête,confuse.Il sortit du box et s'élança vers le bar. Justin s'avança à sa rencontre et ils engagèrent la

conversation.Jepréparailemorceausuivantetlemixaidoucementdansleprécédent,afinquelepassagedel'un

à l'autre soit insensible, les basses se correspondant parfaitement. Quand le public était déchaînécommeàcemoment-là,ilaimaitgarderlemêmerythmeunlongmoment.Enlevantlesyeux,j'aperçusdeuxjoliesfillesquiparlaientàDaniel,trèsanimées.Illeurréponditetéclataderireenécoutantlarouquine.Unaccèsdejalousiemeserralesentrailles.

J'étaisbête,ouquoi?Piquerunecriseparcequedeuxminettesessayaientdeledraguer?Danielavaitsansdouteressentilamêmechosequandleblondétaitvenumetrouver,quelquesinstantsauparavant.J'auraisvoulusortirdemonboxpourallerleurmontrerqu'ilétaitàmoi.C'étaitridicule,unvrai

comportementdefemmedescavernes,maisc'étaitcommeça.Jeconnaissaislegoûtdesapeau,etjeluiavaisdonnémoncorps.Jel'avaissentienmoi,j'avaisvul'éclatdesesyeuxjusteavantl'orgasme.

Ilétaitàmoi,etjen'avaispasbesoindeleprouver.Justins'approchaettenditdeuxverresd'eauàDaniel,quisalualesdemoisellesetrevintversmoien

contournant la piste de danse. Les filles le suivirent des yeux, reluquant ses fesses en chuchotantderrièreleurmain.Jesentismontéléphonevibrerdansmapoche.

Tuasdégottél'hommeidéal.Unvraigentleman.Calme-toi,MissJalousie.C'estTOIqu'ilveut!

Lemessage de Justin était drôle, mais j'avais quandmême le rouge aux joues. Je ferais mieux

d'apprendreàdissimulermesémotions, si Justinparvenait à lesdéchiffrerdepuis le comptoir ! Jerépondisparunsmileyquitiraitlalangue,etremisl'appareildansmapoche.Danielme tendit un verre. Il commentait les réactions dupublic,memontrait les couples qui se

formaient, s'amusant à inventer des histoires. Nous choisissions desmorceaux qui déchaînaient lafoule, bougeant comme un seul homme au rythme des basses. Comme moi, Daniel s'enivrait dupouvoirquenousavionssurl'assistance.—C'est génial ! s'écria-t-il, les joues roses d'excitation. Je comprendsque tu nepuisses pas t'en

passer.J'adoreraisavoirunboulotcommeletien.—Jetransmetsaupublicmonamourdelamusique.C'estmerveilleux.Ilmeprit lamain.Partagercemomentaveclui lerendaitencoreplusprécieux.Jenem'étaispas

autantamuséeauMaskdepuislongtemps.Etc'étaitgrâceàlui.À la findemonservice, ilm'aidaà rangermonmatériel,me faisantgagnerbeaucoupde temps.

Habituellement,c'étaitJustinquimedonnaituncoupdemainpourlesarticleslesplusvolumineux.Deboutàcôtédemavoitureàprésentchargée,jem'essuyailefront.Aprèsavoirfaitdenombreux

voyagespourremplirlecoffre,j'avaistropchaud.—Mercipourtonaide,dis-je.Ils'approcha,provoquantunechaleurd'unautregenre.Lesyeuxmi-clos,ilmeremitenplaceune

mèchedecheveux.—Çam'afaitplaisir.Sontonbasetvibrantdepromessesmefitpenseràuneautresortedeplaisir.—Jeferaismieuxderentrerchezmoi,soupira-t-il.J'aiundevoir importantàrendre lasemaine

prochaine,etjen'aipascommencé.Ilmepritlevisageentrelesmainsetm'attiraversluipourm'embrasserdoucement.J'ouvris laboucheafinqu'il yglisse la langue.Nous restâmesunebonneminute ainsi. J'avais le

sang en ébullition. J'avais de nouveau envie de lui.Mais jemanquais de sommeil, et j'avais aussibesoind'unebonnedouche.Lorsquenousnousséparâmes,jeluisouhaitaibonnenuitd'unevoixsirauquequejelareconnusà

peine.Çamefitrire,unpeugênée.

Danielm'effleuralefrontduboutdeslèvrespuissepenchaversmonoreillepourmurmurer:—J'aihâtedeterevoir.Ilrepartitverssavoiture,etjelesuivisdesyeuxjusqu'àcequesesfeuxarrièredisparaissentdans

lanuit.LanuitsuivanteauMask,jepassaid'unechansonàuneautre,pluspopulaire.Lepublichurlaitde

plaisirendansantdeplusbelle.Jesouris.C'étaituntravailaddictif.Ilmepermettaitderendrelesgensheureux,etdepartagercequej'aimais.Montéléphonevibra.

Mescolocatairesnesontpaslàcesoir,etj'aipresquefinimondevoir.Tumemanques.Tuveuxvenir?

Lecœurbattant à se rompre, je relus le textounedizainede fois.Danielmemanquait aussi.On

avaittousdeuxpassélajournéeàrédigerdesessaisouréviserpourdescontrôles.

Jenefinispasavant2heures.Etilfaudraaussiquejerapportemonéquipementchezmoi.J'avaistellementenviedelevoir…Ilnes'étaitmêmepasécoulévingt-quatreheures,etj'avaisdéjà

des symptômes de manque. Ces derniers jours, on s'était vus quotidiennement. À présent, je nepouvaisplusmepasserdelui.J'étaisfolledejoieàl'idéequ'ilressentelamêmechose.

Pasdeproblème,jet'attends.D'accord?Lesdoigtstremblants,jerépondis:

Oui.Saréactionnetardapas.

Jebrûled'impatience.Cesquatremotsmefirentvibrerjusqu'auplusprofonddemoi.Contrairementàlanuitprécédente,lasoiréemesembladureruneéternité.Sansdouteparcequeje

regardaismamontretouteslescinqminutes,attendantdésespérémentlaquille.Malgrétoutl'amourquejeportaisàmontravail,jenevoulaispasresterunesecondedeplusquenécessaire.

Avecunsourirepoli,j'acceptaislesdemandesdechansons.Maisdansmatête,j'étaisdéjàaulitavecDaniel,respirantl'odeurdesapeau,passantlesdoigtssursesmuscles.Goûtantlecreuxdesoncou.Uneoudeuxfois, je faillisoublierdechangerdemorceau.Jemesecouaipourprêterdavantage

attentionàmontravail.Toutsepassaitbien,maisjen'auraispasvouluqueSalsemetteàdouterdemoi.LaissantsoncollègueWilliamtenirlebar,Justinquittalecomptoirpourvenirm'apporterdel'eau.

Ilétaittoutdenoirvêtu:jeanmoulant,tee-shirtajusté,cheveuxhérissésavecdugel.—Tuasl'airassoiffée,medit-ilenmetendantleverre.—Merci,tuesadorable,confirmai-jeenbuvantàgrandesgorgées.—Toutvabien?Tusembles…unpeuailleurs,cesoir.Préoccupée,peut-être.Àmoinsquetune

soisentrainderêveraucorpsd'Apollond'uncertainjeunehomme?Jem'empourpraiaussitôt.—Arrêtetesconneries,répliquai-jetoutdemêmeenlevantlesyeuxauciel.—Quelle coquine, cetteCasey ! commenta Justin en riant. Tu te doutes que je ne veux ignorer

aucundétail.MaisjeferaismieuxderetournerbosseravantqueWilliammeplanteunpoignarddansledos.Tumeraconterastoutpartexto,OK?—Jevaisplutôttelaisseravoirrecoursàtonimagination.Ilme dévisagea, étonné parma réponse piquante. Pour tout dire, j'étais la première surprise. Je

n'étaispasdansmonétatnormal:çanemeressemblaitpasdeflirteroudefairedesblaguessalaces.MarelationavecDanielétaitentraindemetransformer.Daniel enroula une jambe autour de lamienne etme passa un bras sur la poitrine. Il blottit son

visagedansmoncou,justesousl'oreille.Sonsouffleétaittiède,formantunagréablecontrasteavecsachambre,unpeufraîche.—Jenetienspluslesyeuxouverts,avoua-t-ilenm'embrassantl'oreille,cequimefitfrissonner.Je

votepourqu'onfasseunegrassematinée,demain.—Ça,cen'estpasunproblème.Je vérifiai que le drapme couvrait bien le ventre. J'avais les seins et les jambesnues,maismes

cicatricesétaientcachées.Il soupira.Soncorps irradiaitunedoucechaleur. Jeposaiunemain sur sonbraset écoutai avec

bonheursarespirationralentirprogressivement.J'étais fatiguée, mais le sommeil me fuyait. Je voulais profiter encore de ce moment avant de

sombrer.Nousvenionsdefairel'amour,etçaavaitétémerveilleux.Passionné,frénétique.Avecdesbaisersdévorants,desdoigtsquis'agrippaientàl'autre,dessoupirsvoluptueux.J'étaistoujourssurunpetitnuage.Jeregardaiautourdemoidanslapénombre.Lesmursdesachambreétaientcouvertsdepostersde

rock,dephotosdesafamilleetdesesamis,debilletsdeconcert,decoupuresdejournauxetmêmedepagesduNationalGeographic.Ilavaituncouvre-litbleuvifrayédenoir,etdesdrapsd'unblancimmaculé.Unedécoéclectique,intrigante.Exactementcommejel'imaginais.

Ilmarmonna quelquesmots inaudibles dans son sommeil. Je ne pus réprimer un sourire. Jemecollai un peu plus contre lui,m'autorisant àme sentir… àme sentir être, tout simplement. En cetinstant,jepouvaisl'aimer,dansl'obscuritétranquilledesachambre.Moncœurs'ouvrait,explosaitdemillesentimentsquejen'osaisluimurmurer.Bienquej'enaieenvie.J'auraisvoululeréveilleretluidemanders'ilm'aimaitaussi.S'ilcroyaitpossibledem'aimerautantquejel'aimais.L'intensitédemesémotionsmefaisaitpeur.J'étaissubmergée.Jem'ynoyais.Paniquéeàl'idéequeDanielfassetombermesbarrières,jememisàpleurer.Jenevoulaispasvoir

s'écrouler les murs que j'avais érigés pour me protéger. Mon pouls commença à s'affoler, et jeressentisunefoisdeplusunfourmillementdanslesdoigtsetautourdeslèvres.Pasmaintenant,m'exhortai-je.Iln'yavaitpasderaisondepaniquer.Toutallaitbien.Jepouvaisgardermonsecretencoreunpetit

moment, aumoins le tempsde savoir cequenotre relationallait devenir. J'avais encoredu temps.Aucuneraisondeseprécipiter.Respire.Après quelques minutes, mon rythme cardiaque ralentit un peu. Le sommeil commença enfin à

m'envahir,etjemelaissaialler.Jemeconcentraisurl'instant,commemonpsymel'avaitconseillétoutescesannéesauparavant.LasensationdesdoigtsdeDanielsurmapeaunue.Lalégèrechatouillequemeprocuraitsonsoufflequifaisaitvoletermescheveuxsurmonoreille.L'odeurdenoscorpsmêlés.Toutenlui,etdansnotrerelation,étaitunehistoiredesensation.Jefermailesyeux.Puisjetournailevisageverslui,inhalantlafragrancedesonshampoing,qui

imprégnaitaussil'oreiller.Jeremontailedrapsurnosépaules,carnousn'allionsplustarderàavoirfroid.Petit à petit, je laissai le rythme doux de la respiration de Daniel me conduire à mon tour au

sommeil.

Chapitre18

—Casey,chuchotaunevoixdouceàmonoreille.Jemeretournaiavecungrognement.Lalumièredumatinvintm'agresserlesyeux.—Pasencore…—Ilestpresque11heures,annonçaDanielenriant.Jesentisleborddulitployer,puisunemainvintmecaresserlescheveux.Cen'étaitpasunefaçon

désagréable de se réveiller. Jem'étirai etme tortillai un peu dans le lit avec un sourire endormi,enroulantledrapautourdemontorse.—Jen'arrivepasàcroirequej'aiedormisitard.Etplusencore,quejenemesoispasréveilléeuneseulefoispendantlanuit.Pasdecauchemars:

juste un sommeil serein et profond. C'était tellement rare. J'avais l'impression d'avoir dormi unesemaine.—J'aipréparélepetitdéjeuner.Tudevraisvenirmangerunmorceau.Ilselevaetmejetauntee-shirtqu'ilavaitprisdanssontiroir.Ilétaittrèsdoux,grisfoncé.J'auraissansdoutepuremettremondébardeur,maisporterl'undesesvêtementsétaitsiintime…

Unpeucommedecrieraumondequenousétionsensemble.Quenouspartagionsdeschoses,quenousavionsunevraierelation.Jerougis.—OK,j'arrivedansuneminute.Ilfautjusteque…Je baissai les yeux versmon buste dénudé,mes tétons pointant sous le drap fin à cause de son

regard.—Prendstontemps,répliqua-t-ilavecunclind'œil.Tupourrastedoucheraprèslepetitdéjeuner,

situveux.Ilressortitdelapièceetfermalaportederrièrelui.J'enfilaiàlahâtesoutien-gorge,culotteetjean,

avantdepassersontee-shirt. Ilétaitunpeugrandpourmoi,mais le tissuétaitdoux.Et ilsentait lepropre,commeDaniellui-même.Jefusaccueilliedanslacuisineparuneodeurd'œufsetdebacon.—Tut'esmisenquatre,constatai-je,touchée.Celafaisaituneéternitéquejen'avaispasprisunvraipetitdéjeunerdudimanche.—Ehoui,queveux-tu,jesuisuntypebien.J'espèrejustequec'estcomestible.Il servit lanourriture surdeuxgrandesassiettesblanchesqu'il déposa sur la table,où le couvert

étaitdéjàmis,avecdujusdefruitsetmêmedesserviettes.Jem'assis en facede lui.Nousattaquâmesnotre repasavecappétit, sansparlerpendantquelques

minutes.Lesœufsétaientcuitsàlaperfection.Ilavaitmêmemisunpeudefromage.Délicieux.—Tun'espasaussimauvaiscuisinierqueceque tum'avais laisséentendre,commentai-jeaprès

unebouchéedebaconcroustillantàsouhait.—Arrête,c'estvraimentbasique!Pourraterça,ilfaudraitseleverdebonneheure.Tufaisquoi,en

général,ledimanche?—Pasgrand-chose.Mesdevoirs,laplupartdutemps.De temps en temps, Megan préparait le petit déjeuner pour un de ses coups d'un soir, et me

proposaitdemangeraveceux.Maisjedéclinaisetrestaisterréedansmachambre.—Mes parents cuisinent un énorme petit déjeuner tous les dimanches.C'est un rituel. Pancakes,

œufs, bacon, saucisses, etc. Je suis toujourspersuadéqu'il y abeaucoup trop àmanger,mais il nerestejamaisunemiette.Ettoi,tuavaiscegenredetraditions,avectafamille?L'estomacserré,jereposaimafourchette.Danielsoupiraenvoyantmonexpression.—J'aimeraisseulementqu'onseconnaissemieux,Casey…Ilyaunfosséentrenous,etquandje

veuxlefranchir,tutefermescommeunehuître.Onnepeutparlernidetafamille,nidetonpassé.—Jenesuispasencoreprête,déclarai-jeavecraideur,lecœurbattantdeplusenplusvite.—Maistuserasprêtequand?Dis-moi,quandça?Lasemaineprochaine?Dansunmois?Dans

cinqans?Tun'aspasfaitunpasversmoidepuiscettepremièresoirée,quandtum'asrepoussésansuneexplication.Jepassemontempsàmarchersurdesœufs.Àéviter touslessujetsquipourraientsembleruntoutpetitpeupersonnels,pournepasrisquerdetefroisseroudetefairefuir.—Cen'estpasvrai,protestai-je,lesyeuxpleinsdelarmes.Jemesuisconfiéeàtoi.Jet'aiprésentéà

mesgrands-parents.L'odeurdupetitdéjeunernemeparaissaitplusaussiappétissante.Je trouvais lesœufsfadeset le

bacontropfort.Jerepoussaimonassiette.—Moiaussi,jet'aiprésentémafamille.Cen'estpasunecompétition…—Jen'aipasditça!Nemeprêtepasdesintentionsquejen'aipas.—Pourquoiest-cequetuneveuxpasmefaireconfiance,etêtrehonnêteavecmoi?Jesuiscomme

unlivreouvertpourtoi.Tupeuxmeposern'importequellequestion.Ilrepoussaégalementsonassietteetsepassalamaindanslescheveux.—Toutlemonden'estpascommetoi,c'esttout!Tusaisquoi?Jen'aipasenvied'enparler.Jemelevaipourpartir.Jenevoulaispasm'engagerdanscettevoieavecluicejour-là.Mabonne

humeur s'était envolée, mais il était encore temps de mettre un terme à la conversation avant deprovoquerdevraisdégâtsdansnotrerelation.—Neme fais pas ce coup-là, tonna-t-il en se levant à son tour.Dès que tu te sensmenacée, tu

t'enfuis.Chaquefois.Etmoi,jepassemontempsàm'écraser.Jelaissefaire.Mais…—Arrêted'insister,Daniel.Jeneveuxpasparler,l'interrompis-jed'unevoixglaciale.J'avaisl'estomacnoué,lesmainstremblantes.Jelesenfonçaidansmespoches.Jenel'avaisjamaisvuaussiénervé.Uneveinebattaitsursatempe,etilavaitlesnarinespincées.—De quoi est-ce que tu as peur ? Pourquoi tu refuses deme dire ce que tu ressens, ce que tu

penses?Jesuisassezbienpourquetucouchesavecmoi,maispasassezpourquetumeparles?

Jereçuscetteremarquecommeuncoupdepoing.Lesilencesefit,perturbéseulementparnotrerespirationhaletante.—Tuesinjuste,bredouillai-je,lagorgenouée.—Non,c'esttoiquiesinjuste.Cettesituationmetueàpetitfeu,Casey.Arrêtedemerejeter.Jeveux

t'aider,maistuestellementtêtue!Toutcequetufais,c'estdressermuraprèsmur,dèsquej'abordeunnouveausujet.Jenesuispaslàpourteblesser,tusais.Jet'aifaitentrerdansmavie.Tum'asvu,toutentier:lebonetlemoinsbon.Alorsquemoi,jen'aidroitqu'àdesbribesdetoi,cellesquetuveuxbienmemontrer.Etducoup, jene te connaispas.Après tout ce temps, tuneme fais toujourspasconfiance…J'étaissubmergéeparlaculpabilitéetlacolère.—Turamènes toutà toi,alorsqueçan'a rienàvoir,dis-jeenpointantundoigt sursapoitrine.

Contrairementàceque tuas l'airdepenser, toutçaacommencébienavantque je te rencontre.Sipersonnene sait riendemoi, c'est pourunebonne raison.Saufquebien sûr, pour toi, tout estmafaute.Maisquetuleveuillesounon,c'estmafaçondefaireface.C'estcequimepermetdetenir.Maistoi…Tucroisquetupeuxdébarquerdansmavie,etquejevaistoutlaissertomberetchangerpourtefaireplaisir?Çanemarchepascommeça!—Jerêve!Tunepensespascequetudis?Jenet'ai jamaisdemandédechanger.Tues injuste,

répéta-t-il.—Non,c'esttoiquiesinjuste!rétorquai-jeàmontour,lesbrascroisés.Macolèrenefaisaitquecroître,et laculpabilité familièren'étaitpasenreste.Depuis ledébut, je

savaisqueçaallaitseproduire.Quecettesérénitépartagéenepouvaitpasdurer.Ilmedévisageasansmotdirependantunlongmoment.J'avaisbeaumesentirtomberenmiettes,je

refusai de baisser les yeux. Comment les choses avaient-elles pu tourner aussi mal ? Tout avaitpourtant bien commencé. Nous avions passé une merveilleuse soirée.Mais comme toujours avecmoi,leschosesavaientdégénéré.—Aprèstoutcequ'onavécu,jepensaisavoirméritéunpeud'honnêtetéetdeconfiance.—C'estçaquetuveux?Quejesoishonnête?criai-jeenlevantmontee-shirtpourluidévoilerma

honte.Je contemplai résolument le sol, bien décidée à ne pas voir l'expression d'horreur qui devait se

peindresursestraits.—Voilà,c'estçaquejecache,àtoietàtoutlemonde.Moncœurtambourinaitsifortdansmapoitrinequej'avaispeurqu'ilsecasse.Je laissai retomber le vêtement, mais ne tournai pas les yeux vers lui, préférant examiner les

dessinsducarrelage.—Monpèreétaitdépressif.Amer.Aigri.C'étaitunalcoolique.Iln'avaitjamaisconnulebonheur.

Mais ilneprenaitpassesmédicaments : ildisaitqueça l'abrutissait.Mamèrefaisaitdesonmieuxpour semontrer patiente. Elle l'encourageait, lui souriait, et faisait tout ce qu'elle pouvait pour lerendreheureux.L'imageduvisagedouxdemamèremerevintenmémoireetjemetusquelquessecondes,lagorge

nouée.Depuiscombiendetempsn'avais-jepasracontécettehistoire?

Jeconnaissaislasuite…jesavaisbiencequej'allaisluidire,maisçamedéchiraitquandmêmeleslèvres.—Unsoir,monpèreétaitd'unehumeurparticulièrementexécrable.Ilavaithurlésurmamère,se

plaignantdelaviemisérablequ'ilmenait.Desparolestellementcruelles,quimeblessaienttoujoursautant,toutescesannéesaprès.—Jen'avaisque treize ans.Lila,ma sœur, en avait dix.Nous sommes restéesuneheure terrées

danslesalon,àattendrelafindeladispute.Àécoutersansunbruit.Les larmes que je retenais depuis le début de la conversation coulaient à présent surmes joues.

J'apercevaislespiedsdeDaniel, immobilescommes'ilétaitpétrifié,maisj'étais toujoursincapabledeleverlesyeuxverslui.J'étaisenmêmetempsdanscettecuisine,etdansmonanciennemaison.Jecroyaissentirleparfumdesbougiesàlapommequemamanaimaittant,serépandantdepuislatablebasse.J'entendaisuntrainroulerauloin.Lechienduvoisinaboyer.—Çaafiniparsecalmer.J'aiemmenéLilaàl'étage.Ons'estpréparéespouralleraulit,etons'est

endormies,poursuivis-je,unemainsurlapoitrine,lesoufflecourt.—Casey,ditDanield'unevoixtimide.—C'estlepremiercoupdefeuquim'aréveillée,enchaînai-jesansl'écouter.Lesmotscoulaientdemabouchecommeunerivièreencrue.Jen'auraispluspulesarrêter,même

sijel'avaisvoulu.L'histoireexigeaitàprésentd'êtreracontéejusqu'aubout.—Jen'aipascompriscequec'était. J'ai cruqu'unobjet s'était casséen tombant.Çavenaitde la

chambredemesparents. J'ai réveilléLila, et on est restées aumilieude la chambre,maindans lamain,nesachantquefaire.Puis,quelqu'unaouvertlaporte…c'étaitmonpère,leregardsombreetunpeuflou,unecarabineàlamain.—Oh,Casey,non!s'étranglaDaniel,bouleversé.J'avaislavisioncomplètementbrouillée.—Ila tirésurmasœurdevantmesyeux.Ilapressé lagâchette…etelleest tombée.Etpuis ila

pointé son arme surmoi. Tout s'est passé si vite ! J'étais paralysée par la peur. Je suis restée à leregarder,sansfaireungeste.Jerespiraisdeplusenplusmal.Unemainsurlabouche,jememisàsangloter.Toutvabien.Maistudoisfinir,maintenant.Jetentaidedominermesémotions.J'avaislagorgesiserréequemavoixn'étaitqu'unmurmure.—Jenesaispaspourquoij'aisurvécu.Nicomment.Jenemesouvienspastrèsbiendecequis'est

passéensuite.J'enrêvesouvent,maisjenesaispassicequejevoiscorrespondàlaréalitéousic'estjustemoncerveauquiessaiedetrouverdesréponses.Dansmonrêve,samaintrembleaumomentdeme tirer dessus. La balle n'a pas atteint mes organes vitaux, même si mes intestins ont souffert.Ensuite, il…ila retournésonarmecontre lui.Unvoisinadûentendre le raffut :quand j'ai reprisconscience,j'étaisàl'hôpital.J'aidemandéoùétaitmafamille.Toutlemondeétaitmort.Morts parcequemonpère n'avait pas pu se contrôler, et qu'il avait souhaité quenousmourions

aveclui.Lesjambesflageolantes,jedusm'agripperàunechaise.Danielseprécipitaversmoi,maisjelevai

lamain. Je ne voulais pas qu'ilme touche. Son contactme ferait voler en éclats. Je tenais à peinedebout,retenueparunfil.—Donne-moijusteuneseconde.Respireprofondément.Inspire,expire.Inspire,expire.Dansma tête, lavoixdegrand-maman tentaitdem'apaiser. Je suivis sesconseils,qu'ellem'avait

répétésnuitaprèsnuit,lorsquejemeréveillaisenpleincauchemar,pendantmapremièreannéechezeux.Jemeredressai.Courage,Casey.JeregardaienfinDanieldans lesyeux. Ilpleuraitàchaudes larmes : lehautdeson tee-shirtétait

mouillé.Lechagrinquejelisaisdanssesyeuxétaitsivifquejemesentisvaciller.—Jevaisrentrerchezmoi,murmurai-je.J'allaismeroulerenboulesousmesdrapsetneplusbougerpendantunan.J'avaisfaittantd'efforts

pournepaspenseraupassé.MaisDanielavaitrefusédemefoutrelapaix…Ils'essuyalesjoues.—Ilfautqu'onendiscute.Jenepeuxpastelaisserpartiraprès…aprèstoutça.—Jevaisrentrerchezmoi,répétai-je.Jeretournaidanssachambreetenlevailetee-shirtqu'ilm'avaitprêté,avecdesgestessoigneux.Je

lepliaietleposaisurlelitdéfait.Jeprissoindenepasregarderlesoreillersquiportaientencorelamarque de nos têtes, l'une contre l'autre. J'enfilai mon débardeur et me penchai sous le lit pourrécupérermeschaussures.—S'ilteplaît,supplia-t-ild'unevoixdéchirante.Ilfautquetuarrêtesdemefuir.Tuviensjustede…

t'ouvriràmoi,etmaintenanttuveuxpartir.Maisilfautqu'onparledetoutça.S'ilteplaît.Sionveutqueçamarcheentrenous,ilfautqu'onenparle.Savoixvibraitd'uneémotionquiressemblaitdangereusementàdelapitié.—Jesuisdésoléquetuaiestraversécetteépreuve,Casey.Jen'auraisjamaisdeviné…—Jeneveuxpasdepitié,répliquai-jeenmetournantverslui.Jesuisforte.Çafaithuitansqueje

meconstruisunenouvellevie,touteseule.Maistutenaisabsolumentàconnaîtrelavérité,quoiqu'ilm'encoûte.Tun'aspascesséd'insister.Etjet'enveux.—Delapitié?Maiscen'estpasdelapitié,c'estdel'empathie,sedéfendit-il,choqué.Jen'aijamais

rienvécud'aussitraumatisant,etj'ensuisbienconscient.Maisçanesignifiepasquejenepeuxpaspartagertadouleur.Pourtant,tuestellementdéterminéeàêtreindépendante,quetun'acceptesl'aidedepersonne.Ilétaitdenouveaufrustré,maistentaitdedominersesémotions.—Tunepeuxpaspartagermadouleur,déclarai-jeenattrapantmonsacàmain.Tun'asaucuneidée

decequeçafaitdesavoirquetonproprepèreavoulutetuer.Etpireencore…Jeprisuneinspirationtremblanteetmeforçaiàpoursuivre.Toutétaitdéballé,àprésent.Aupoint

oùj'enétais,autantarracherlesparadrapd'uncoup,etluimontrermescicatrices,moralesaussibienquephysiques.

—Pireencore,savoirqu'ilexisteunrisquequejedeviennecommelui.Quejeperdecontrôle,quejecraque.—Tun'espaslui!protesta-t-ilavecvéhémence.Ilcroyaitcequ'ildisait.Maiscommentétait-cepossible?Jem'étaisbercéed'illusionsencroyant

queçapouvaitmarcherentrenous.—C'estcequetucrois!J'évitedepenseràlui,parcequeçamerendfollederage.Mamèreetma

sœurmemanquent,touslesjoursdemavie,parcequec'étaitunmonstreetqu'ilmelesaarrachées!Jesortisdelachambreetmedirigeaiverslaported'entréequej'ouvrisd'ungestefurieux.Danielmesuivaitdeprès.—Tunepeuxpasconduiredanscetétat.—Jevaisparfaitementbien.Iln'avaitpasbesoindeme traitercommesa fille.Toutceque jevoulais, c'étaitm'enfuir, laisser

derrièremoicesémotionsviolentesetdestructrices.Unefoisdevantsonimmeuble,jememisàfouillerdansmonsacàlarecherchedemesclefs.Où

pouvaient-ellesbienêtre?Lapaniquem'avaitenvahiejusqu'auboutdesdoigts,jusqu'auxlèvresaussi.Oh,parpitié,non.Attendsd'êtrearrivéeàlamaison.Pasici.—Jet'enprie,Casey…Laisse-moiteraccompagner.—Non.—Maismerde!Arrêtedefaireça!Laisse-moit'aider.Jemetournaiverslui.—Daniel,j'aienvied'êtreseule.Fous-moilapaix.Tunem'aspasdéjàassezfaitdemal?J'avais parlé sous le coup de la colère. À peine avais-je prononcé ces mots que j'aurais voulu

pouvoirleseffacer.Ilrecula,peiné.Jebaissai la tête etme remisenquêtedemesclefs. Je finispar les trouver, tout au fonddu sac.

Enfin. Je tenais à peine debout. Je sautai dans ma voiture, mis le contact, et sortis de monstationnement. Je sentais le regard blessé de Daniel dans mon dos, mais j'étais incapable de meretourner.JeprisunCDauhasardetleglissaidanslelecteur,poussantlevolumeaumaximum.Lamusique

était forteet rythmée, faisantvibrerchacunedemescellules. Jeme laissai envahirpar lachanson,évitantdepenseroudesentir.C'étaitmaconsolation.Jeroulaicommeçapendantuneheure,mecontentantd'écouter.Leslarmesavaientséchésurmes

joues en sillons salés. Je serrai le volant si fort que j'en avaismal aux doigts.Mais peu à peu, lamusiqueparvintàapaiserladouleur,suffisammentpourquej'acceptederentreràlamaison.Unefoisàl'appartement,jecourusdirectementàmachambresansm'arrêterpourparleràMegan,

assise sur le canapé. Jeme roulai enboule surmon lit sansmêmeprendre la peined'enlevermeschaussures. J'éprouvais une douleur terrible dans la poitrine, comme si quelqu'un l'avait labouréeavecunecuillère.J'étaisentraindetomberenmorceaux,et jenesavaispascommentchassercettesouffrance.

Chapitre19

Le lundimatin, lorsque jeme levai pour aller en cours de philo, j'avais l'estomac noué commejamais.Jen'étaispasprêteàaffronterDaniel.Pascejour-là,alorsquejemesentaisencoreaussimal.J'avaispasséunenuitdemerde,metournantetmeretournantdansmonlit,revivantl'horreurdemestreizeanschaque foisque je fermais lespaupières. Jevoyaisma sœur tomber sur le sol, lesyeuxrivéssurmoi,dusangjaillissantdesesplaies.Aulieudemedoucheretdem'habiller,jerestaiassisesurleborddulit,àessayerdemecalmer.

Une demi-heure s'écoula, et je n'étais pas plus près dememettre en route que lorsque je m'étaisréveillée.J'étaisauborddelanausée.J'auraisvoulumedonnerdesbaffes,carjedétestaisêtreainsiàlamercidemesémotions,maisc'étaitcommeça.LevisagedeDanielpassadansmonesprit,ainsiquelesouvenirdesarespirationsaccadéealors

quejeluidécrivaisl'horreur.Jemeforçaiàinspirerprofondément.Jecrispaimesdoigtstremblantssurmesgenoux.Non,jen'allaispasmelaisserhapperparuneattaquedepanique.Jecontrôlaismesémotions.Mesémotionsnemecontrôlaientpas.Je n'étais pas comme mon père. Je ne tomberais pas dans ces états obscurs. Ce petit discours

d'encouragement finit par avoir raison dema panique,mais cela ne résolvait pas le problème deDaniel. J'avais besoin de recul. J'avais peur de le voir, sachant que ses yeux seraient chargés dechagrin,etpeut-êtredecolère.Desémotionsquiserefléteraientdanslesmiens.Etquandjeleverrais,queluidire?«Désoléedet'avoirenvoyémonpassémonstrueuxdanslagueule»?Est-cequetoutétaitfinientrenous?Jem'empourprai.Ilm'avaitbousculéeaupointquejenepuisse

plus rien cacher. J'avais soulevé mon tee-shirt pour lui montrer les cicatrices. Comme si de rienn'était,commesic'étaitfacile.Ildevaitêtredégoûtéàvie.Jepassailesdoigtssurlesbourreletsdemesanciennesplaies.J'yétaishabituée,maisilm'arrivait

encored'êtreécœurée.Surtoutquandjevoyaisleventreplatetlissedesautresfilles.Jesavaisquelemien ne serait jamais comme ça. Les médecins m'avaient sauvé la vie ; je me sentais à la foissoulagée,etcoupable.Coupabled'êtrevivante.Coupableparcequejedétestaislefaitd'êtremarquéephysiquement,portantàjamaislesouvenirde

cequis'étaitproduit.J'étaisuneingrate.Onfrappadoucementàlaporte.—Oui?dis-jeenreposantlamainsurmesgenoux.Meganpassalatêtedansl'encadrement.—Toutvabien?medemanda-t-elle,inquiète.Ellemeregarda,remarquantquej'étaistoujoursenpyjashort.Laveille,jen'étaispassortiedema

chambre, ne mettant le nez dehors que pour me faufiler jusqu'aux toilettes. J'espérais qu'elle nem'avaitpasentenduepleurer.—Je…Jenesaispastrop,finis-jeparavouer.Jenemesenspastrèsbien.C'étaitunpetitmensonge : jen'étaispasmaladeàproprementparler,mais j'avais l'âme toujours

meurtrieparladisputedelaveille.Etjenesavaisquefairepourallermieux.J'avaislecœurquivibraitd'unchagrinprofonddontjeneparvenaispasàmedébarrasser,etj'étais

épuisée.J'auraisvoulumeréfugierdanslesommeil.Pleurerencore.Crier.Etaussi,cesserdepenseràtoutça,mêmependantuneheure.—Tuasbesoindequelquechose?D'habitude,àcetteheure-ci,tuparspourlafac,alorsjemesuis

doutée que quelque chose n'allait pas. Toi qui es si ponctuelle… Et puis, hier matin, quand tu esrentréeàlamaison,tuavaisl'airbouleversée.Jen'aipasvouluêtreindiscrète.Etçanemeregardepas.Maissituasenviedeparler,jesuislà.Elleessayaitdem'aider,etçamefaisaitplaisir,maisjenemevoyaispastoutluiraconter.Lagorge

serrée,jerépondisparunsignedetête.—Jecroisquejevaisresteràlamaison,aujourd'hui.Jen'aipaslecouragedesortir.—Je tecomprends. Ilyade lasoupeenboîtedans leplacard.Tusais,celleaupoulet,avecdes

vermicelles.Parfoisilsuffitd'unpeudenourritureetd'unbonsoapàlatélépoursesentirmieux.Tuveuxquejeresteavectoi?—Non,cen'estpaslapeine.Certes,j'étaislâcheetjepréféraismecacherchezmoiqued'affronterDaniel,maisjen'allaisquand

mêmepasentraînerMeganavecmoi.— Je vais juste cocooner un peu aujourd'hui, sécher les cours. Et peut-être rattraper un peu de

sommeilenretard,conclus-je.Je ne me souvenais pas de la dernière fois que j'avais manqué des cours. Sans doute lors de

l'horrible épidémie de grippe, en première année. Et encore, je n'étais restée que deux jours à lamaison.J'avaisbienméritéunpeuderépit…—Repose-toi,mapuce,soufflaMegan.J'aidescomprimésdemélatoninesurmatabledechevet,

pourt'aideràdormir,situveux.Iln'yapasd'accoutumance…çapermetjustedetrouverlesommeil.Tupeuxenprendre,siçatedit.Ellequittamachambre.Quelquesinstantsplustard,j'entendislaported'entréeserefermer.J'étaisseuledansl'appartement.

J'attendisuneminuteavantd'allerfairepipi.Danslasalledebains,jevismonrefletdanslemiroir:yeuxrougesetbouffis,cheveuxhirsutes.PasétonnantqueMegansesoitinquiétée.J'avaisl'aird'uneruine.J'avais l'estomac trop noué pour avaler quoi que ce soit, mais je suivis les conseils de ma

colocataire.Enrouléedansunecouverture,jem'installaisurlecanapéetallumailatélé,afinquelebruitm'empêche de penser.Qu'il fasse taire les idées qui se bousculaient dansma tête.Ma colèrecontreDaniel.Mapeurdeleperdre.Maculpabilitédeblesserlesgensquim'aimaient.Colère.Peur.Culpabilité.Unespiralesansfin.

Je me couchai sur le canapé, resserrai la couverture autour de moi, et fermai les yeux. Ils mepiquaient.Toutmoncorpsétaitdouloureux.Je finis par m'endormir. Je ne savais pas quelle heure il était quand une main vint me secouer

doucement. Je soulevai mes paupières lourdes pour découvrir Megan, penchée sur moi avec unsourire.Ilfaisaitsombre:quelqu'unavaitfermélesvoletsetéteintlatélé.—Je t'ai réchaufféune soupe, chuchota-t-elle. Je l'aiposée sur la tablebasse.Essaiedemanger,

d'accord ? Tu n'as rien avalé depuis que tu es rentrée, hier matin. Il faut que tu t'hydrates, c'estimportantquandonestmalade.J'auraisvoulu luidireque jen'étaispasmalade,mais c'était tellementadorablede sapartdeme

soignercommeça…Ducoup,jemecontentaid'acquiesceretdem'asseoir.J'avaislatêtequitournaitun peu, la bouche cotonneuse. Je pris une gorgée de soupe, chaude et riche, m'apercevant avecsurprisequej'étaisaffamée,etnetardaipasàfinirmonbol.Megan revintde la cuisine, attrapa le récipient et la cuillère, et fila lesdéposerdans l'évier.Elle

s'assitàcôtédemoietrallumalatélé,zappantpours'arrêtersurlarediffusiond'unesitcomcélèbre.—Riendetelquederigolerpoursechangerlesidées,déclara-t-elle.Elle avait raison.À lamoitiéde l'épisode, jememisà rire,moi aussi. J'étaisbien, assise à côté

d'elle.J'avaislapoitrineuntoutpetitpeumoinsoppressée.Lelendemain,j'assistaiàl'ensembledemescours.JenecroisaipasDanielsurlecampus,cequime

soulageaetm'attristaàlafois.Lerestedelasemaine,jesuivistousmescours,saufceuxdephilo.Jedînaichezmesgrands-parentslevendredi,etparvinsàleurcachercequis'étaitpassé,mettantmonattitudebizarresurlecomptedelafatigue.JetravaillaiauMask,fismesdevoirs,mangeai,dormis.ToutçasansDaniel.Etmoncœurnemelaissapasl'oublieruneseuleseconde.Le dimanchematin, jem'installai sur le canapé en pyjashort, pourmanger une tartine devant un

dessin animé débile. Megan, qui n'était pas rentrée la nuit précédente, m'avait envoyé un texto –ponctuédepointsd'exclamation–pourmeprévenirqu'elledormaitchezBobby.L'appartementétaitdoncdésertetsilencieux.Onfrappaàlaported'entrée.Jemelevaipourouvrir.C'étaitDaniel.Lapremièrechosequejeremarquaifutsonregardfatigué,lescernesnoirssousses

yeux.—Salut,dit-il,decettevoixrauquequimeprocuraitdesfrissons.—Salut,répondis-je,lecœurbattant.Jemesentaisterriblementmalàl'aisefaceàcethommequim'avaittenuedanssesbras,quiavait

posésabouchesurlamienne,étaitentréenmoietm'avaitdonnél'impressiondecompter.Jedétestaiscettesituation.Ilsoupiraetsefrottalanuque.—Je…Ilfautqu'ondiscute.J'ai…Tun'espasvenueencours,etje…

Il me faisait de la peine. Je ne l'avais jamais vu si déstabilisé, lui d'habitude plein d'assurance.L'inquiétudeselisaitdanssesyeuxverts,etilpinçaitleslèvrescommes'ilavaitpeurdeparler.J'écartailebattantdavantage,faisantdemonmieuxpournepasledévorerdesyeux.Mêmetorturé,

ilétaitterriblementséduisant.—Vienst'asseoirsurlecanapé.Laisse-moiletempsdem'habiller,d'accord?J'avaislesmainsquitremblaient,l'estomacnoué.Jemeruaidansmachambre,pourenfileruntee-

shirtrougeàmancheslonguesetunjean.Enrevenant,jeneletrouvaipasassis,maisdeboutprèsdelaporte,l'airpartagé.—Onpeutsortird'ici?Ilfautquejeteparle.Uneboufféedesoneaudetoilettemarinemeparvint,etj'éprouvaiunpincementdetristesse,tantil

memanquait.Cettesemaineloindeluim'avaitparuuneéternité.J'avaisfaitdemonmieuxpournepasypenser,maisils'étaitlogéauplusprofonddemoi.Malgrétousmeseffortspourmepersuaderducontraire,notredisputen'avaitpueffacercesentiment.Jerespiraiungrandcoup,prismonsacàmain,etlesuivis.Nousmontâmesdanssavoiture.Ilsortitduparkingetnetardapasàs'engagersurl'autoroute.Un

silencetendurégnaitentrenous.Danielavaitlesmainscrispéessurlevolant.Illesfrottasursonjeanà deux reprises. Lorsque je hasardai un regard vers son profil, je vis un muscle battre sur samâchoire.Avait-il peur de me parler ? Je me tordais les doigts. J'étais contente de ne pas être la seule à

éprouver de l'anxiété, mais ça me brisait le cœur de le voir aussi déchiré. J'ignorais ce qui luioccupaitl'esprit,maiscespenséeslerongeaient,c'étaitévident.Peut-êtrem'emmenait-ilauloinpourm'annoncerqu'ilnevoulaitplusmevoir.Jeressentiscomme

unedouleuràlapoitrineàcetteidée.Maispourquoinepasl'avoirfaitdansl'appartement?Pourquoim'entraînerdanssavoiture?— Je suis vraiment nerveux, avoua-t-il avec un soupir. Ça a mal tourné, dimanche. J'ai tant de

chosesàtedire,maisj'aipeurdelefaire…Jemeserrailesmainsencoreplusfort.—Tuferaismieuxd'enfinir.S'ilavait l'intentiondemelarguer, jen'avaispasenviederesteraveccetteépéedeDamoclèsau-

dessusdelatêtependantdesheures.Jepréféraisrentreràlamaisonetessayerderamasserlesmiettesdemadignité.Etattendred'êtrebienàl'abridansmachambrepourm'effondrer.—Jen'arrêtepasdepenseràcequetum'asraconté.Ettouts'éclaire,maintenant,dit-ilsibasqueje

devaistendrel'oreillepoursaisirsesmotsmalgrélebruitdel'autoroute.Jecomprendspourquoiturestestoujourscouverte,pourquoitunecomptesquesurtoi-même,etpourquoituessifermée…Cen'estpasunecritique!Jecomprendsquetuveuilleséviterd'êtreblessée.Jeneproféraipasunsonpendantqu'ilsetournaitpourmeregarderbrièvement.—Jesuisdésoléd'avoir insistécommeça.Jenepeuxpasimaginercequetuasvécu.Maviede

familleneressemblaitenrienàlatienne.Mais…Casey,j'aivucombientuaschangédepuisqu'onestensemble,mêmesitunet'enrendspascompte.Tusouris,turigolesbienplusqu'avant.Tuasbaissélagarde. Etmême si je sais que c'est difficile pour toi deme faire confiance, je vois bien que cette

confiancet'aideàguérir.Tut'autorisesàt'ouvrirauxautres,àt'intéresseràeux.J'avaislesyeuxpleinsdelarmes.Ilavaitraison.—Tu as fait preuve de beaucoup de courage enme racontant tout ça. Et je ne veux pas que tu

continuesàmefuir.J'essaiedet'aider,pasdetefairedumal.Maistuestellementàvif…Çametuedetevoirsouffrircommeça.Quandtuarriverasàlaissertonchagrinderrièretoi,jecroisquetuserasémerveilléedetesentirtellementmieux.— Plus facile à dire qu'à faire, commentai-je. Je ne sais pas comment me débarrasser de mes

sentiments.Jeme tus, surprisedevoirqu'après toutcequis'étaitpassé, jemeconfiaisencoreà lui.Lesang

battaitàmesoreilles.Maisjecontinuaisàluiouvrirmoncœur.Avecunehésitationpalpable,ilavançaunemainversmoietpritlamienne,poséesurmesgenoux.

Cecontacttendremeprocuradesfrissons.Jemesentaisréconfortée.Etdenouveau,j'avaisleslarmesauxyeux.—Jem'endoute.Jesuisfierdetoutlemalquetut'esdonné.Et…jecroisquej'aidesidéespour

t'aider,annonça-t-ilenremettantsamainsurlevolantpourquitterl'autoroute.Jeregardaiparlavitre.Oùallions-nous?Quelquesminutesplus tard,monestomacsecontractaitsiviolemmentque j'avaispeurdevomir.

Non,ilnepouvaitpassavoiroùnousallionspasser.C'étaitjusteunehorriblecoïncidence.Lesyeuxrivésdroitdevant,Danieldécéléra.Ilentradanslecimetièreparlagrilleouverte.Làoùreposaientmamère,masœuretmonpère.—Non!criai-jed'unevoixvibrantededésespoir.Jen'étaisvenuedanscetendroitqu'unefois,ensortantdel'hôpital.L'enterrementavaiteulieudes

semaines auparavant.Mes grands-parents me soutenaient alors que je pleurais en les suppliant dem'amenerchezeux.C'étaitunsouveniraffreux.Jetentaivainementd'ouvrirlaportière,cherchantàm'échapper.Danielfreinaetmemitunemainsurl'épaule.—Arrête.Casey,arrête.Écoute-moi.Ilfautquetumefassesconfiance.Écoutecequej'aiàtedire.

Situn'espasd'accord,onpartira.Maisd'abord,laisse-moit'expliquer.Jepleuraisàchaudeslarmessousl'effetdelacolèreetdelaterreur.—Jen'arrivepasàlecroire!crachai-jed'untonrageur.Aprèstoutcequ'onatraversé,tuchoisis

dem'amenerici?Tuesmalade…—Tunepourrasguérirquesituacceptesdetournerlapage,affirma-t-il,résolu.Tudoisaffronter

tonpère.Luidirequetuluienveux,quetuledétestes,toutcequetuassurlecœur.Tudoissortirtoutça,parcequeçat'empoisonne.—Tuteprendspourmonpsy?sifflai-jed'unevoixhaletante.Jesuistonnouveaujoujou?—Pasdutout!Jemefaisdusoucipourtoi!Pourquoituneveuxpascomprendre?Tun'espas

seulecontrelemondeentier.Jesuislàpourtoi.Laisse-moit'aider,s'ilteplaît!Ilsepassaunemaindanslescheveux,lesébouriffantdanstouslessens.Jeregardaiautourdemoi,envahieparunsentimentdetrahison.Ilavaitdûfairedesrecherchessur

Internetet liredes tasd'articlesafindedécouvriroù lescadavresdemafamilleétaienten traindepourrir.—Jen'arrivepasàlecroire.Lavoituremesemblaitsoudaintropconfinée.J'ouvrislaportièreetm'échappai,respirantl'airvif

du dehors.L'automne était enfin arrivé, et la température avait baissé. J'avais la chair de poule. JetournailedosàlavoitureenentendantDanielouvrirsaportièreàsontour.—Jen'aipasbesoindeguérir.Jevaisbien.—Oui,tuvasbien.Tuarrivesàtenir,unjouraprèsl'autre.Maisquandtuaurasaffrontétonpèreet

évacuécessentiments,tuirasmieuxque«bien».Tupourrasenfinguérirpourdevrai.Jesavaisqu'ilétaitconvaincudecequ'ildisait.Maisilavaitfranchiunelimiteenm'amenantlà–en

meprenantparsurprise.Jepoussaiunpetitcriderage.S'ilm'avaitdemandémonavis,j'auraisrefusédevenir,et ilne l'ignoraitpas.C'étaitpourcette raisonqu'ilavaitagiensecret.Comment lui faireconfianceaprèsça?J'avaisl'impressionquemoncœurétaitprisdanslaglace.—Jerentrechezmoi,déclarai-jed'untonrageur.Soittumeramènes,soitjemedébrouillepour

trouverunbusoufairedustop.Maisjeneparleraipasàmonpère.Pasici,etpasavectoi.—Casey…— Non. J'en ai assez de t'écouter. Et de te laisser tenter de me soigner, de me changer, de

transformerleschosespourtonplaisir.Situtesouciaisvraimentdemoi,tum'accepteraiscommejesuis.Ettuarrêteraisdemerenvoyermonpassédanslagueule.Danslesilencequisuivit,onentendaitquelquesoiseauxgazouillerdanslesarbres,auloin.Jecontemplaislesol,refusantderegarderautourdemoi.Unrayondesoleiljouaitsurlegravier.—Jeteramène,dit-il.Jesentaisqu'ilétaitdéçu,maisçam'étaitcomplètementégal.Deretourdanslavoiture,latensionétaitpresqueinsoutenable.Jegardailesyeuxrivéssurlaroute,

voulantm'assurerqu'onroulaitbienverschezmoi,commepromis.Arrivédevantmonimmeuble,Danielmitsonmoteuraupointmort.— J'essayais juste de t'aider. Je ne voulais pas te faire de mal. J'aimerais tellement que tu le

comprennes…J'avais la gorge si serrée que je ne crois pas que j'aurais pu répondre, même si j'en avais eu

l'intention.Sij'ouvraislabouche,jememettraisàhurlersanspouvoirm'arrêter.Les mains tremblantes, je me débattis quelques secondes avec la poignée. Je sortis, et sans me

retourner,claquailaportièreetmedirigeaiversmonappartement.Toutétaitfinientrenous.Jelesavais.Finipourdebon.Cetteidéemefaisaitdelapeine,maisen

même temps, ellem'apportait uncurieux soulagement. Jenepouvais supporterqu'onessaiedemesoigner,qu'onmeforcesanscesse.Jevoulaistraverserlavieselonmespropresrègles.Jemislaclefdanslaserrure.L'appartementétaittoujoursdésert.Jem'assissurlebordducanapé,

ettoutesmesémotionss'apaisèrentd'uncoup,melaissantfroideethébétée.

Àcetinstant,j'auraisvouluquemonexistencereprennesoncoursd'avant.AvantqueDanielentredansmavieetmechangeàjamais,medonnantdenouvellesattentes.Mepousseàtomberamoureusedelui,àbaissertoutesmesdéfenses.Àluifaireconfiance.Àl'aimer.Jevoulaisrecouvrermaprudenceetmasécurité.Mastabilité.Etjen'étaispascertained'yparvenirunjour.

Chapitre20

Jepassail'après-midiàcomaterdevantlatélé,essayantdemonmieuxdenepaspenser,niressentirquoiquecesoit.Sijem'accordaisneserait-cequ'uneminutepourressassercequis'étaitproduit,jeplongeraisdefaçonsiprofondequejenereferaispeut-êtrejamaissurface.J'avaiseutouteslespeinesdumondeàm'extrairedecepuitsdenoirceur,lorsquej'avaistreizeans.Jen'étaispassûred'avoirlaforced'endurerçaunedeuxièmefois.Montéléphonevibra.Lesmainstremblantes,lecœuraffolé,jelesortisdemapoche.Maiscen'était

pasDaniel.

J'espèrequetouts'estbienpasséautravail,hiersoir.Jet'aime!Grand-maman.PS:Oui,j'aisigné.:-P

Ces quelques mots tout simples suffirent à faire voler en éclats les murs que j'avais tenté de

reconstruire.J'étaisdansladétresse.J'avaisbesoinderentrerchezmoi,demenourrirdelasécuritérassurantedeceuxquiétaientlàpourmoiquandtoutallaitmal.

Jepeuxpassertevoir?Laréponsenetardapas.

Grand-papaestentraindebricolerchezunami,maisjesuisàlamaison.Ilyaunrôtidanslefour.Viens,machérie.Bisous,grand-maman

Sans même savoir ce qui me torturait, elle avait deviné que j'avais besoin d'être consolée. Son

amourmedonnalaforcedequitterlecanapé,deprendremonsac,etdemedirigerverslaporte.Pendanttoutletrajet,jem'efforçaidemeconcentrersurleschansonsquipassaientàlaradio.Jene

voulaispasprêterattentionauxpenséesquitourbillonnaientdansmoncerveau.Jenepouvaispasmepermettredecraquertoutdesuite.Grand-mamanétaitminuscule,maissesbrasmincesavaienteulaforcenécessairepourmetenirpendantbiendescrisesdelarmes.Grand-papaetelleétaientpourmoicommeunpharedanslanuit.Arrivéechezelle,jefrappaiàlaporte.Grand-mamanm'ouvrit,levisagerayonnantd'amouretde

tendresse.J'étaistellementtenduequej'avaismalpartout.Jetenaisàpeinedebout.—Coucou,machérie,dit-elleenmeprenantparlamainpourm'entraînerausalon.Delacuisinemeparvenaitl'odeurdurôtientraindecuire,etd'unemichedepainàpeinesortiedu

four,quegrand-mamanavaitprobablementposéesurlefourneaupourqu'ellerestetiède.

—Tuveuxboirequelquechose?Jefis«non»delatête.Bienquej'aiemillechosesàraconter,jemetrouvaisubitementincapable

deproférerunson.Fronçant les sourcils, elle vint s'asseoir à côté demoi sur le canapé, et repritmamain dans les

siennes.—Jeneveuxpastebousculer,maisjevoisbienquequelquechosenevapas.Etjemefaisdusouci

pourtoi.Tun'aspasdonnébeaucoupdenouvelles,cettesemaine,sanscompterquetuavaisl'airunpeubizarrevendredisoir,audîner.Il faut croire que je ne les avais pas trompés aussi bien que je l'espérais. Je laissai échapper un

sanglotétouffé,etpressaimamainlibresurmabouche.Contrôle-toi.Gardelamaîtrise.Tunepeuxpasparleretpleurerenmêmetemps.Laréprimandefitsoneffet.Jemedétendisjusteassezpourréussiràarticuler.—J'aipasséunemauvaisesemaine.J'avaisdumalàretenirmeslarmes,maisjenevoulaispasm'enfoncerdansmonchagrin.Jedistoutàgrand-maman,enphrasesentrecoupées.Quej'étaisentraindetomberamoureusede

Daniel,qu'ilm'avaitincitéeàm'ouvrir,àrire,àsourire.Àl'aimer.Ladisputelorsdelaquellejeluiavais dévoilé mes cicatrices et raconté mon passé. Le fait que j'avais séché les cours pendant lasemaine,etqu'ilétaitvenumerendrevisitelematinmême.Etlecimetière.Alorsquejeparlais,lesémotionsquej'avaisvoulufairetairemesubmergèrentenénormesvagues

dedouleur.Jepleuraisàchaudeslarmes.— Je n'arrive pas à croire qu'il ait pu me faire une chose pareille, commentai-je d'une voix

étranglée,quejeneparvenaisplusàraffermir.J'avaismalauxmains : j'avaisdû lâchercellesdegrand-maman,parcequ'àprésent, je serrais si

fortlespoingsquelesonglesm'entraientdanslapeau.Jedesserrailesdoigtsetappuyailespaumessurmescuisses.—Jeluifaisaisconfiance,etilm'atrahie.—Qu'est-cequitefaitcroirequ'ils'agitd'unetrahison?demanda-t-elleaveccuriosité.Jemeraclailagorgeetm'essuyailesyeux.—Ilsavaitquec'étaitcompliquépourmoi,etilm'yaamenéesansmeprévenir.Rienqued'ypenser,jesentaislacolèremonter.Etladouleur,aussi.CommentDanielaurait-ilpuignorerqueretournerlà-basmetuerait?—Oh,machérie…J'imaginequeçaadûêtretrèsdurpourtoi.Jesuisdésolée…Ellesepenchapourmeprendredanssesbras.Desespetitesmains,ellemecaressaitlescheveux,

m'appuyantlatêtesursonépaule.—Casey,cequ'ilafaitn'étaitpasbien.Cen'étaitpasunebonneidéedet'infligerçaàl'improviste.

Jecomprendstacolère.Maisilavaitraisonsurunpointtrèsimportant,soupira-t-elleenmeserrantplus fort, comme si elle savait que ses paroles allaientme blesser. Il faut que tu dises adieu à tonpassé,situveuxguérir.Jemeraidis.Ellemeserraencoreunpeuplusfort.Paspourm'écraser,maispourmedemanderde

nepasm'écarter.—S'il tenaitvraimentàmoi, iln'essaieraitpasdemechanger,murmurai-jeavecferveur.Jesuis

commejesuis!Ellem'embrassasurlefront.—Jenepensepasqu'ilveuilletechanger.Toutcequ'ilsouhaite,c'estquetusoisheureuse.Ellem'écartapourmeregarderdanslesyeuxavantd'ajouter:— J'ai bien vu la façon dont il te contemplait quand il est venu dîner. Il tient à toi. Vraiment.

D'accord,iln'apaschoisilameilleureméthode,maisilfautreconnaîtrequ'iln'apastortsurlefond.Jesaisquec'estdifficilepourtoi.Affronterunpassételqueletienneseraitsimplepourpersonne.Leslarmesluimontèrentauxyeux,etçamebrisalecœur.Jemesentissoudainégoïste.Unefoisde

plus,jemeregardaislenombril,pleurantsurmespeursetmonchagrin.Maisjen'ignoraispasquemagrand-mèreaussiavaitpasséplusd'unenuitsansdormir.Quelecoupdefoliedemonpère luiavaitarrachélecœur,àelleaussi.À l'adolescence, il m'arrivait de rester allongée dans mon lit, incapable de m'endormir, et de

l'entendresangloterdanslapiècevoisine.Certes,j'avaisperdumafamille,maiselleaussi.Elleavaitperdusonfils,sabelle-fille,etsonadorablepetite-fille.Pourtant,ellenes'étaitpaslaisséabattre.Ellenes'étaitpascachéeaufonddesonlit,àboireouprendredessomnifères.Elles'étaitressaisiepourm'aideràtraverserlapirepériodedemonexistence.—Commenttuasfait?demandai-je.—Dequoiparles-tu?répliqua-t-elleenmecoinçantunemèchedecheveuxderrièrel'oreille.—Comment tu as fait pour lui pardonner et pour dépasser ta colère ? Je n'y arrive pas, grand-

maman.Ilmesuffitdepenseràluipouravoirenviedehurler.Çafaithuitans,etjeledétestetoujoursautant.Ilneméritepasmonpardon.Unehaineamèrerevintàlasurface.Envérité,j'étaisincapabledeluipardonner.Commentserait-ce

possible ?Après tout, il n'était plus là pourm'expliquer pourquoi il avait pété les plombs.Ce quis'étaitpassédanssa têtequand ilavaitdécidédeprendreunecarabinepourabattre toutesa familleavantdesesuicider.Aucunmoyendecomprendrecequis'étaitpassé…Je n'en avaismême pas envie.Car si je comprenais un assassin, qu'est-ce que ça révélait dema

personne?—Jesais,machérie…Çam'aprislongtemps.J'aibeaucoupparléaveclepsyetavectongrand-

père, et c'est comme ça quema colère s'est apaisée. Lui pardonner a pris davantage de temps. J'ytravailleencoretouslesjours.Jenevaispastementir:ladouleuresttoujourslà.Jeneconnaisriendepirequedesavoirquevotrefilsétaitdansunetelledétressequeleseulmoyenqu'ilaittrouvéd'yéchapperaitétécelui-ci.Jen'aipassul'aider…Je luipris lamain.Nousétionsuniespar lamêmedouleur. Jen'étaispas seule…et jene l'avais

jamaisété,mêmes'ilm'avaitparfoissemblélecontraire.—Jesuisdésolée,chuchotai-je.—J'aidûapprendrelepardon,reprit-elle.Pasparcequetonpèreleméritait.Pasparcequec'estce

qu'unemèreestcenséeéprouver.Maisparcequesi jene luiavaispaspardonné, je seraisdevenueaigrie,noyéedansmacolère.Etcommentaurais-jepuavancer,prendresoindetoietdetongrand-

père,enétantsubmergéepardesémotionsnégatives?Je repensai à mon passé. À la façon dont j'avais enfermé toutes les terribles émotions que me

causait lamort dema famille dans un tout petit recoin demon cœur, refusant de les ressentir unenouvelle fois.Mettant tellement d'énergie à feindre que ces événements nem'avaient pasmarquéeàjamais.—Jenesaispascommentluipardonner,avouai-je.—C'estuncombat.Maistusais,Casey,cettetristessenetedéfinitpas,mêmesitupeuxparfoisle

penser.Avantlatragédie,tuétaisuneenfantheureuse.Etpuis,toutecettejoiedevivreaétéécrasée,ettoiavec.Maisjelavoisdenouveauentoi,mapuce.Turisettusourisbeaucoupplus,depuisquetuasrencontréDaniel.Àmongrandagacement,j'avaisunefoisdepluslesyeuxpleinsdelarmes.Jeserraidoucementsa

maindanslamienne.—J'essaie,balbutiai-je.— Je sais, je le vois bien.Et ce que je vais te dire ne va pas te plaire,mais tant pis. Si tu veux

avancer,êtreheureusepourdevrai,ilyaquelquespointsquetunedoispasoublier.Etquejeferaisbiendegarderenmémoire,moiaussi.Ellepritunegrandeinspirationavantdepoursuivre.—Tonpèret'aimait,àsafaçon.EtilaimaitaussiLilaettamère.Maisilétaithantéparsesdémons,

etilsonteuraisondelui.Ilétaittropmaladepours'ensortir,maisilrefusaitd'êtreaidé.Monfardeau,c'estd'avoirététémoindececombatcontresesproblèmespendantlesdernièresannéesdesavie.Jelevoyaisluttercontrel'obscurité,maiselleaquandmêmegagné.Peut-êtrequesijen'avaispasbaissélesbras,j'auraispulepousseràentrerdansuneinstitutionoùonl'auraitsoigné.Etalors,riendetoutçaneseraitarrivé.C'étaitlapremièrefoisqu'elleseconfiaitainsi.Jen'étaisdoncpaslaseuleàculpabiliser.J'enavais

malpourelle.—Non,dis-jeavecdétermination.Aucund'entrenousn'auraitpuempêchercequis'estpassé.Papa

étaittêtu,ilnet'auraitpasécoutée.Jemetus.Soudain,jecomprenaisquecequejevenaisdedireétaitvrai.—Jemesouviens,quandvousétiezpetites…Tuétaisenmaternelle,doncLiladevaitavoirdansles

deux ans.C'étaitHalloween.Ton père aimait cette fête – il préparait vos costumes des semaines àl'avance. Cette fois-là, il t'avait fabriqué des ailes de fée. Quand tu es rentrée de ta tournée duvoisinage, tu avais un gros sac de bonbons, et les joues toutes rouges d'avoir reçu tant decompliments.Ahoui,jem'ensouvenais,àprésent.Toutlemondes'étaitextasiésurmondéguisement.Monpère

medonnait lamain, tirantde l'autre lechariotoùmasœurétaitassise.Nousnousétionsgavéesdesucreriesaupointd'enavoirmalauventre.Maisc'étaitunemerveilleusesoirée.Çamemitmalàl'aise.Jenevoulaispasrepenserauxbonsmomentsaveclui.J'avaispassétoutes

cesannéesàlutterpourconserverlessouvenirsdemamèreetdemasœur,victimesinnocentes.Maisàprésentquegrand-mamanvenaitde lesrappelerà lasurface, tousceuxquej'avais tentéd'oublierexigeaientderevenirdansmaconscience.

Papaetmoipartageantunebarbeàpapaàlafoire.Papameteignantlespointesdescheveuxenbleu,parcequejevoulaisressembleràunephotoque

j'avaisvuedansunmagazine.PapaetLilaentraindedessinersurletrottoiravecdescraiesdecouleur,puissepourchassantpour

sebarbouillerl'unl'autre.Lesoufflecourt,jepressaiunemainsurmapoitrine.Àmacolèresemêlaitdésormaisunimmense

sentiment de perte. J'avais perdumamère etma sœur. Et le père que j'aimais quand j'étais petite.C'étaittropdechagrin…Jeprisgrand-mamandansmesbras,respirantsonparfumdevanille.Secouéedesanglotsviolents,

jepleuraidelonguesminutessursonépaule,aupointdem'écorcherlavoix.—Est-cequ'unjour,jecesseraid'avoirmal?—Là,machérie…c'estbien.Laissetoutsortir.Je savais bien que la colère et la peur étaient des poisons qui bouillonnaient dansmon sang et

finiraientparme tuer. Jevoulaism'endébarrasser.Pourtant, je redoutais cequim'arriveraitquandelles ne seraient plus là. J'avais vécu comme ça pendant si longtemps que je ne connaissais plusd'autreétat.Peuàpeu,lesparolesdemagrand-mèreprirentsens,faisantéchoàcequej'avaisentenduplustôt

danslajournée.Danielm'avaitsuppliéededireàmonpèretoutcequejeressentais,avaitmaintenuquejenepourraisguérirqu'àconditiond'évacuercessentiments.Maiscommentmedéfairedecesémotionstellementancréesenmoiqu'ellesmedéfinissaient?Jem'écartai,reniflantetm'essuyantlesjoues.J'avaislenezbouché,lesyeuxbrûlants,etundébutde

migraine.—Désolée,soupirai-je.Grand-mamanmepritlementonpourlevermonvisageverselle.—Jet'interdisdet'excuser.Tun'aspasàêtredésoléedetessentiments.Jamais.Nidevantmoi,ni

devantpersonne.Mais je t'enprie,penseàcedontnousvenonsdeparler. Jesaisque tuaspeurdeperdrelecontrôle.J'aibienvulemalquetutedonnespournelaisserpersonnes'approcherdetoi…passeulementpourteprotéger,maispourlesprotégereux-mêmes.Tuaspeurdedevenircommelui.Mais,machérie,tun'espastonpère.Cequiluiestarrivénet'arriverapasàtoi.Situveuxtelibérerdecettesouffrance, tudoisaccepterdelâcherprise.Tunedoisplus laissersamaladie tegâcher lavie.Arrête de te rendre responsable de ses actions. Personne ne peut temontrer la voie.À toi decherchertavérité.Touteslesréponsessontdanstoncœur.J'avaisdumal à encaisser.C'était facile,pour les autres,deme recommanderde lâcherprise. Je

croyais l'avoir fait.Certes, jen'avaispas écrit de lettre àmonpère, commeme l'avait conseillé lepsychologue.Maisjem'étaisaccrochéeàl'école.J'étaisalléeàlafac.Jem'étaisdonnéeàfondpourlamusique.Est-cequecen'étaitpascequ'onappelait«avancerdanslavie»?Celanesuffisait-ilpas?Laminuteriedelacuisinesonna.Magrand-mèremefitmelever.—Jepensequ'unebonnetranchedemondélicieuxrôtiestlameilleuredesthérapies.

Je lui adressai un sourire larmoyant.Elle voulait faire baisser la tension palpable dans la pièce,mais j'étais trop bouleversée. Je n'étais pas capable de faire ce que grand-maman et Daniel meconseillaient.Laseuleidéedeparleràmonpèremesoulevaitl'estomac.Grand-mamanavaiteubeaumedirequejen'étaispasresponsabledesproblèmesdemonpère,j'avaisquandmêmel'impressionquej'auraisdûfairequelquechosepourl'empêcher.Mêmesijenesavaispasquoi.Quej'auraisdûsauvermamèreetmasœur.Etsijesuivaisleursconseils,etquejenemesentaispasmieux?Sijefaisaisfaceàlavéritédemes

émotions, etque j'affrontaismonpère?Contrequipourrais-jealorsdirigermacolère, si cen'estcontremoi-même?Jen'étaispascertained'êtreprêteunjouràmelibérerdecetterageenracinéeprofondément.Cette

penséem'attristaitautantqu'ellem'effrayait.

Chapitre21

Latempératurebaissaitdejourenjour.L'automneétantdésormaisbienavancé,j'avaisressortitousmespulls,etcelundimatin,alorsquejemedirigeaisverslasalledephilo,jeportaisuntricotvertfoncétoutdoux.Commetoujoursdepuisàprésentdeuxsemaines,c'étaitaveclesnerfsenpelotequejemarchaisverslebâtiment.Sirotantmoncafé,jemeforçaiàmedétendre.Lemorceaudedubstepquej'écoutaiss'infiltraitdansmesveines,m'aidantàmerelaxerunpeu.Autourdemoi,lesétudiantsbavardaientetriaient,certainscourantàtoutesjambespourarriverà

l'heure.Unebrise fraîchebalayait le campus,m'ébouriffant lescheveuxetmedonnant la chairdepoule.

L'automneétaitmasaisonpréférée.D'habitude,jel'attendaisavecimpatience.Maiscetteannée-là,jen'avaispastellementderaisonsd'êtrejoyeuse.En entrant dans la salle, je m'installai à ma place et posai mon sac à mes pieds. J'éteignis ma

musiqueetrangeaitéléphoneetécouteurs.Lebureaudevant lemienétait désert, comme toutes les foisdepuisque j'étais revenueencours.

J'avaisprismoncourageàdeuxmains,aprèsmaconversationavecgrand-maman,pourretournerencoursdephilo.Rattrapertouteunesemaineétaiténorme,etj'allaisdevoirredoublerd'effortssijenevoulaispasécoperd'unenotecatastrophique.Maisj'étaisterrifiéeàl'idéederevoirDaniel.J'étaisencorepeinéeenrepensantauchocquej'avaiséprouvé.Danielnes'asseyaitplusàlaplace

devantlamienne.Ils'étaitinstallédansuncointoutaufonddelasalle,penchésursoncahier,refusantdeleverlatêtetantquelecoursn'étaitpascommencé.Ilnem'avaitpasregardéeuneseulefois.Pournerienarranger,j'étaisdansunétatlamentable.Lui,àl'inverse,étaitplusbeauquejamais.Ses

prunellesvertesétaientencoreplusvivesquedansmonsouvenir.J'avaislecœurbrisé,commesionm'en avait arraché un morceau. J'étais déchirée entre le désir de parvenir à l'oublier et celui dem'autoriserdenouveauàledévorerdesyeux.Àlafinducoursdulundi, ilavaitramassésesaffairesetfilé.Depuis, lerituels'était répétésans

exception.Nousétionsdevenusdesétrangersl'unpourl'autre.Nousn'échangionsplusnimessages,nicoups

defil.Riendutout.Commesijamaisnousn'avionsétéprochesoupartagéquoiquecesoit.Commesi je n'avais jamais respiré sonparfumdans son cou, comme s'il nem'avait jamais embrassée, oucomme si nous n'avions pas vécu des moments plus intimes que jamais deux êtres n'enavaientconnus.Danielmelaissait tranquille,commeje le luiavaisdemandé.Ilrespectaitmonsouhaitdeneplus

êtrebousculée.Maismoncœur,cetidiot,débordaitdetristesse.L'amourquej'avaisressentipourluines'étaitpas

envolé,malgrémacolère.L'absencen'avaitpassuffiàl'étouffer.Àl'inverse,j'avaistouteslespeinesdumonde àme concentrer en classe.Lesmoments que nous avions passés ensemble se répétaientinlassablementdansmonesprit.Monlitétaittellementvide,sanslui…Nepluspouvoirdéchiffrerles

émotionsdanssonregardétaitunetorture.Luiquiétaitautrefoiscommeunlivreouvertpourmois'étaitrefermé.MmeWilkinsentraetsemitàécrireautableau.Jemerisquaiàjeteruncoupd'œilàDaniel.Mon

cœurs'arrêtaquandnosyeuxse rencontrèrent,mais il sedétourna, levisageneutre,et reportasonattentionsurledevantdelasalle.Je n'aurais jamais cru pouvoir souffrir autant à cause d'un garçon. Surtout qu'il avait trahi ma

confiance, m'arrachant tous ces sombres secrets alors que je n'étais pas prête à les affronter. Jeprenaisdesnotes sansconviction,essayantdem'intéresserà la leçon.Maiscecoursétaitvraimentmorne.Ouplutôt,c'estmoiquiétaismorne.Commesimaflammeintérieures'étaitéteinte.Jen'étaisplusqu'unecoquillevide.Chaquejour,je

melevais,m'habillais,allaisencours,mangeais,puismecouchais,etjerecommençaislelendemain.Sans aucune passion. Quand j'essayais de composer de la musique, c'était complètement nul. Lachanson sur laquelle je travaillais était creuse, dépourvue de sens, comme si j'avais perdu unerichessequej'étaisincapablederetrouver.MontravailauMaskn'étaitplusqu'unjobordinaire,etjecomptaislesheuresenattendantlafindemonservice.Jesoupiraietmecoinçaiunemèchedecheveuxderrièrel'oreille.J'enavaisvraimentmarred'être

aussidéprimée.Çam'usait…J'avaisl'impressionqu'onm'avaitarrachélapeaupournelaisserqu'unepelote de nerfs. Amanda chuchotait avec une autre fille, évoquant leurs soirées du week-endprécédent, les choses hilarantes qu'avaient faites ceux qui avaient trop bu, et ce qu'elles allaientmangeraudéjeuner.Lecourssetermina.Jerestaiassiseàmaplacependantquelesautresétudiantssortaientpeuàpeu.

Dans la salle déserte, je rangeai mes affaires et me glissai dans le couloir, puis à l'extérieur dubâtiment,dansl'airfraisdel'automne.Lesfeuillesavaientchangédecouleuràunevitesseétonnante,décorant le campus de nuances rouges, orange et jaunes. Pendant quelques instants, je me sentismieux.Devant moi, Daniel s'éloignait, le sac sur une épaule, la tête levée et le dos bien droit. Il me

manquaitterriblement.Incapable de résister, je lui emboîtai le pas. Je gardai une certaine distance, voulant juste le

contempler, même s'il ne me voyait pas. J'enfonçai les mains dans les poches de mon jean pourmasquerleurtremblement.Aufildesjours,lacolèrequej'avaiséprouvéeaprèsl'affaireducimetièreavaitcommencéàs'émousser.Àprésent,ilmerestaitsurtoutdesremords.Desremords,etunegrandesolitude.Toutenluimemanquait.Safaçondemesourire,demetenir

lamain,demefairerire.Cequ'ilvoyaitenmoi,cetteconnaissanceintimequ'ilavaitdemoi.Avais-jeeu tortde lerepoussersansprendre le tempsdediscuter?Enyrepensant, jesavaisque

grand-mamanavaitraison.Jedevaisdireaurevoiràmasouffrancesijevoulaisguérir.Maisjemedemandais s'iln'étaitpas trop tard, si jen'avaispasétéempoisonnéepar toutce ressentiment,cetteanimositéetcettepeurausujetdemonpère.Çam'avaitconduiteàrepoussertoutlemonde,mêmelesgensbien.Je ne quittais pasDaniel des yeux.Quand il s'arrêta pour discuter avec un grand type latino, je

m'immobilisai près d'un arbre et fis semblant de chercher quelque chose dans mon sac. Sur le

moment,j'étaistellementcertainequeDanielétaitentortqueçam'avaitparunormaldeluidiredemelaisser tranquille.Mais avec le temps, je commençais à voir les choses d'un autreœil.Et soudain,c'étaitmoinsclair.Parfois,onagitmal,maispourunebonneraison.Était-cecequis'étaitpassé?Quandjelevailesyeux,ilavaitdisparu.Etjemesentisencoreplustriste.Jemeblottissurlecanapéetzappaid'unechaîneàl'autre.Iln'yavaitjamaisriend'intéressantàla

télélemardisoir,maisjen'enpouvaisplusderesterdansmachambreàregarderlesmurs.Unpeuplustôt,j'avaisessayédetravaillersurmachanson,maisçan'avaitfaitquemedéprimerdavantagecartoutallaitdetravers.Aucunedespistesquej'avaisajoutéesnecorrespondaitvraiment.C'étaitlapremièrefoisquej'échouaisàcomposerunmorceau,etc'étaitvraimentaffreuxdemetrouverainsiprivéedemonréconforthabituel.Jenesavaispasquoifairepourmesentirmieux.Suruncoupdetête, j'avaisécouté lacompositionque j'avaiscrééeavecDaniel,et fonduen larmes.C'estainsiquej'avaiséteintl'ordinateur,découragée,pourvenirm'installerdanslesalondansl'espoirdemeviderl'esprit.Jechoisisunesitcomauhasardetserraiuncoussincontremonventre.Letempspassaitavecune

mornelenteur.Unpeuplustard,j'entendislaported'entrées'ouvrir.—Oh,chouette,tueslà,ditMegan.Ellesedirigeaverslacuisinepourdéposersesdeuxgrossacsdecourses.—Lajournéeaétébonne?demandai-jeparpurepolitesse.Aulieuderépondre,elleselaissatombersurlecanapéàcôtédemoi,unpotdecrèmeglacéedans

chaquemain.Ellem'entenditun,avecunecuillère.Je la regardai attentivement, pour la première fois depuis des semaines. J'avais été tellement

plongéedansmesennuisquejeneluiavaispasaccordébeaucoupd'attentioncesdernierstemps.Elleavaitdescernes sous lesyeux,et sesvêtements flamboyantsavaientété remplacésparun jean toutsimpleetunpullnoir.Sansmaquillage,elleavaitperdubeaucoupdepanache.Je retirai l'operculedemonpotdeglaceetprisunebouchée.Chocolat etbeurredecacahuètes :

exactementcedontj'avaisbesoin!—Toutvabien,Megan?—Ettoi?demanda-t-elle,labouchepleine.Ellepoussaunsoupirdeplaisirendégustantsaglaceetsetournaversmoi.—Casey,tunetrouvespasquecetappartementestdevenucomplètementdéprimant,cesdernières

semaines?—Jesuisnavrée,bredouillai-je,honteuse.Meganprit la télécommandepour changerde chaîne.Elle tomba surunvieux thriller ennoir et

blancquicommençaittoutjuste,legénériquedéfilantencoreàl'écran.—Écoute,reprit-elle.Jesaisbienquequelquechosenevapas.Etjemedoutequec'estenrapport

avecDaniel,puisqueçafaitunmomentquejenelecroiseplus.J'imaginequetun'aspasenvied'enparler,maisçam'attristevraimentdetevoircommeça…Quedirais-tud'uneorgiedeglacedevantla

télé?Leslarmesmemontèrentauxyeux.Jepassaismontempsàrepousserlesgens,etpourtant,ilsne

baissaientpaslesbras,bienquejeneméritepasleursefforts.J'avaisbeaumesentirseule,iln'enétaitrienenréalité.Jeposaimaglacesurlatablebasse.—Tuesvraimentsuper,tusais…,bredouillai-jeavecunsouriretremblant.—Ohoui,jesais.Maisjesuiscontentequetut'enaperçoivesenfin.Onpeutdirequetuasmisun

moment.—Ettoi,çava?Tuasl'airfatiguée,demandai-jed'unevoixhésitante.Jen'avaispasl'habitudedelavoircommeça.—Bobbyetmoi,ons'estséparés,expliqua-t-elleavecunepetitemoue.—Oh…jesuisdésoléepourtoi!—Tunedevraispas.Jesuismieuxsanslui.Jel'aisurprisaulitavecdeuxfillesaprèsunesoirée

arrosée.Jen'allaispasaccepterça.Lesseulsplansàtroisquim'intéressent,c'estavecBenetJerry,dit-elleencontemplantsonpotdeglacedelamêmemarque.Jenepusretenirunéclatderire.—Excuse-moi,jenedevraispasrigoler,mais…Lefourirelagagnaàsontour.—Pourquoi est-ceque lesmecsnepensent jamais au-dessusde la ceinture ? Ils n'enont jamais

marre,d'êtredesgrosobsédés?LesyeuxvertsdeDanielmevinrentàl'esprit.Majoies'évanouitaussitôt.J'avais besoin de vidermon sac. L'amitié deMegan était soudain précieuse pourmoi, et j'avais

envie de me confier à elle, de lui montrer qu'elle était importante pour moi, que j'appréciais seseffortspournouerunevraie relation.Sa franchise,etaussi le faitqu'ellem'aitprésentésa famille,etpartagésavieavecmoi.Elles'étaitcomportéecommeunevéritableamie,etbienquejen'aierienfaitpourlemériter,elleétaittoujourslàpourmoi.—Jepeuxteparler?Elleposasacrèmeglacéeetmetapotalebrasavecdouceur.—Biensûr.Tusaisquetupeuxtoutmedire.Je luiracontai toutel'histoire.Çamepritunebonnedemi-heure,aucoursdelaquelle jesoulevai

mon tee-shirt pour luimontrermes cicatrices.Débordante de compassion, ellem'écoutait avec lesyeuxhumides.Je luiexpliquaiquemesgrands-parentsavaientpendant longtempsconstitué toutmonunivers,et

que j'avais dumal à accorderma confiance à d'autres. Pas seulement parce que j'avais peur d'êtretrahiecommejel'avaisétéparmonpère,maisaussiparcequejecraignaisdedevenircommelui.Jelaissaileslarmesroulersurmesjouessansmêmelesessuyer.Jeserrailecoussincontremonventre,maisjepoursuivaismonrécit.JeluiparlaideDaniel.Delafaçondontilm'avaitattirée,denosbaisers.Delacourpatientequ'il

m'avait faite, de mes barrières qui étaient tombées peu à peu. De la façon dont nous avions faitl'amour,quandilm'avaitpermisdemesentiràl'aise,sexyetdésirée,etdemessentimentspourlui.

Meganm'écoutaitensilence.Devivesémotionspassaientdanssesyeux,maiselles'abstenaitdetoutcommentaire,melaissantparleràmonrythme.Lorsquej'arrivaiaumomentoùjeluiavaisexposémonsecret,oùilm'avaitemmenéeaucimetière,

causant notre rupture, j'étais si bouleversée que j'avais mal partout. J'avais des difficultés àm'exprimer,parcequel'histoireétaitencoretoutefraîche,maisjemeforçai.Aprèsavoirachevémonrécit,jerespiraiprofondémentpourchasserladouleurquis'étaitinstallée

dansmapoitrine.Avecunpetitriregêné,jereprismaglace,quiressemblaitdésormaisàuncoulisdechocolat.—Pffiou,soupira-t-elle.Onpeutdirequetun'aspaseuunsemestredetoutrepos.—Jenesaispascommentm'ensortir,reconnus-je.J'ail'impressionqueçan'estpaspossible.Que

jevaismeretrouverenferméedansuncyclededouleurparcequejesuis…Jememordislalèvreetmeremisàpleurer.—Parcequejesuistropdémoliepourconnaîtrelebonheur.Alorsquejenedemandequeça.Tout

cequejevoulais,c'étaitlapaixetlasécurité.Unevienormale.Megansepenchapourmedébarrasserdupotdeglaceetmeprendredanssesbras.Jelaserraià

montouravantdememettreàsanglotersursonépaule.C'étaitcurieux:jem'habituaisàtrouverduréconfortauprèsdesautres.Aulieudetoujoursravalermonchagrin.Elles'écarta,sansmelâchertoutàfait.—Jesuisfièredetoi,tusais.Tuastraverséplusd'épreuvesquelaplupartdesgens,etpourtant,tu

eslà.Aprèstoutça,tuvasàlafac.Tuasunsuperboulot,quetuadores.Ettucomposes.Jemesentistoutdesuitemieux.Ellenemejugeaitpaspourlafaçondontj'avaisréagiavecDaniel,

nisurlesmoyensquej'avaistrouvéspourcontinueràvivre.Ellen'avaitpaspitiédemoi,etn'étaitpastristeaupointdemedonnerenviedefuir.Ellesesouciaitdemoi,avecuneréelleempathie.Elleétait sincèredanssesémotions.J'enfussi

surprisequejerestaiincapabledeproférerunson.—Àt'entendre,oncroiraitquetuattendsquetavieveuillebiencommencer.Quetouts'arrangeà

l'intérieurdetoipourquetupuissesenfinêtreheureuse.Mais,mapuce,c'estfait:tuvisdéjà.Tut'esfaituneplacedanslemonde,tuasprisdesrisques.Tuassudécouvrircequit'apportaitdelajoie,ettu t'es donné dumal pour l'avoir. Tu n'as pas à rougir de toi, au contraire. La vie ne sera jamaisparfaite,sûreetpaisible,alorsilfautprofiterdecequinousplaît,chaquefoisqu'onenal'occasion.J'allaisprotester,luidirequ'ellesetrompait.Maissoudain,jeprisconsciencequ'elleavaitraison.

Jeretinsmonsouffle,stupéfaite.Pendanttoutescesannées,j'avaisattenducemomentmagiqueoùjecesseraisdemesentirbrisée,et

où le monde retrouverait du sens à mes yeux. Je m'étais raconté que je nageais sur place, parprudence,veillantànepasfairedevagues,etquej'aimaiscefiletdesécuritéquej'avaistenduautourdemoi.Pourtant, j'avaissautésurl'occasiondetravaillercommeDJ,alorsquejen'avaisaucunegarantie

queçamarche. Jem'étaisengagéedansune relationavecDaniel, j'étais tombéeamoureuse. J'avaisprislerisquedem'ouvriretd'êtrerejetée,aussibiencôtémusiquequecôtécœur.Cen'étaitpaslafaçond'agirdequelqu'unquinerecherchequelasécurité.

C'était vrai que je vivais déjà ma vie. Bien qu'elle soit pleine de dangers, aujourd'hui commeautrefois.Pendanttroplongtemps,jem'étaisaveugléeencroyantm'accrocheràquelquechosequejen'avaisjamaiseu:uneexistencestableetennuyeuse.Etàlaréflexion,jen'étaispasdutoutcertained'en avoir envie. Que serait ma vie, sans les risques que j'avais pris pour la musique, et pourl'amour?Jen'avaispluslapoitrineoppressée.Ébahie,jelevailesyeuxversMegan.Pourquoin'avais-jepas

compriscelaplustôt?C'étaitelle,parsonacceptationtranquilledemoi-même,parsapatienceetsadiscrétion,quim'avait

permisdemeconfier,etsurtoutdel'écouter.Etparlàmême,d'écoutermaproprevoix.Jemeremisàpleurer,maispasdechagrin.Plutôtdesoulagement.—Merci.C'estcedontj'avaisbesoin.Merci.Elleavaitelleaussilesyeuxpleinsdelarmes.—Mercidem'avoir faitconfiance.Jesaisqueçan'étaitpas facilepour toi.Mais jeseraimuette

commeunetombe.Jen'endoutaispasuneseuleseconde.Jemepenchaisversellepourlaserrercontremoi.—Tum'asbeaucoupaidée,etmoijen'airienfaitpourtoi.Tuveuxquej'aillecreverlespneusdela

voituredeBobby?Elleéclataderireetessuyaseslarmes.—Non, ne t'en fais pas. Je n'étais pas amoureusede lui, de toute façon.Et avec cequ'il a dû se

chopercettenuit-là,ilauraprobablementbesoind'unegrossepiqûredepénicilline.Ilseradéjàassezpuni.—Tuasraison,acquiesçai-je,prisedefourire.Meganregardasonpotdeglaceetfitunegrimace.—Merde, elle est àmoitié fondue…Heureusement que j'ai fait des provisions. On va pouvoir

remettre ces deux pots au congélateur pour qu'ils durcissent, et se rattraper avec autre chose enattendant.Elle retourna dans la cuisine en chantonnant, et jeme laissai aller dans le canapé. Jeme sentais

différente,moinsoppressée.Monobscuritéintérieureavaitétéremplacéeparunelueurd'espoir.Unsouffledeviehabitaitmesveines,commedesmilliersdepetitesbulles.Jen'étaispascondamnéeàl'échecetauchagrin,commejel'avaiscru.Jevoulaisêtreheureuse,etçan'avaitriend'impossible.Jevoulaisressentirencorecettesensationdélicieuse.Maisavantdetourner lapageetdeprendre

mavieenmain,j'avaisunoudeuxpointsimportantsàrégler.

Chapitre22

Lesamedimatin,jemeglissaidansmavoiture,m'installaiauvolantetmislecontact.Maisj'étaisincapable de bouger. Je pris plusieurs profondes inspirations pour ouvrir mes poumons quisemblaientavoirrétrécisousl'effetdel'anxiété,etconsidéraisanslesvoirlesrangéesd'immeublesenbriquesdevantmoi.J'étaismortedepeur.Pourme donner du courage, jeme représentai le visage souriant deMegan. Je lui avais dit où

j'allais.Ellem'avaitfaitpromettredel'appelerencasdecoupdeblues.Ellem'avaitmêmeproposédem'accompagner,maisj'avaisbesoindefaireçatouteseule.Dixminutess'écoulèrentenhésitations–fallait-ilyaller,ouattendre?Était-ceunebonneidéede

partir seule, ou aurais-jemieux fait d'accepter la proposition deMegan ? – puis jeme secouai etdémarraienfin.J'essayai deme concentrer sur le paysage pour ne pas penser à l'endroit où jeme rendais.Des

feuillesmarronetsèchesvolaientàtraverslarue.Lalumièredusoleilmatinalfrappaitdesesrayonsobliques les arbres, lesmaisons et les pelouses. En arrivant sur l'autoroute, j'eus la surprise de latrouver presque déserte. Il faisait trop froid pour rouler la fenêtre ouverte, et j'avais poussé lechauffageàfond.Plusj'approchaisducimetière,plusmesoreillesbourdonnaient.Jedébouchaidevant lagrille justequandelle s'écartaitpour laisserentrer lesvisiteurs. J'avais le

cœurdanslagorge,battantsifortquemesmainstremblaient.Jen'avaispasétéaussinerveusedepuisdessiècles.Seigneur,jenepriepassouvent,maisjetedemandedem'aideràtenirlecoup.Mespneuscrissaientsurlegravier.Jeconsultailesflèchesetprislabonnedirection.Lesrangées

detombessesuccédaientenlignesnettes,commeunedentitiondepierrequipousseraitsurl'herbe.Jemegaraietcoupailecontact.Un fourmillement familier se fit sentir dansmes lèvres.Une vague de panique vint s'abattre sur

moi.Non.Jememordislalèvreinférieurepourcoupercourtàlacrised'angoisse.Lesdoigtsentremêlés,je

m'efforçaiderespirerlentement.Toutiraitbien.Detoutefaçon,jen'avaispaslechoix.Je resserraimonécharpeautourdemagorge,attrapai lapetiteboîtesur lesiègepassageretme

dirigeaiverslarangéedetombesquihébergeaitmesparentsetmasœur.Jem'arrêtaientremamèreetmasœuretmelaissaitomberausol.Pendantunelongueminute,je

contemplai les lettrespropres etdoucesduprénomdema sœur,«LILA»,gravéesdans lapierre.J'écartailesquelquesfeuillesquiétaientvenuesseposersurleurcarrédepelouse.

Lecimetièreétaitdésert.J'étaisseuleavecelles.Quelquesoiseauxgazouillaientdanslesarbrestoutproches,leurchantsemblanttrèsfortdanslesilence.—Coucou,petitesœur,dis-je.Mesparolesnesonnaientpasnaturel,maisjemeforçaiàpoursuivre.—Tumemanquestellement…Ilnesepassepasunjoursansquejemedemandecequetuserais

devenuesituavaispuvivre.Jepromenaimesdoigts sur les lettres, commesiçapouvaitnous rapprocher.Une imagedeson

sourirejuvénilemepassadevantlesyeux,mebrisantlecœur.Jefouillaidanslaboîtepourensortirunepetitepoupéedeporcelainequej'avaistrouvéeaucentre

commercial la veille, avecMegan.Elle ressemblait àma sœur, avec ses grands yeux bruns et sonsourirerayonnant.Sescheveuxétaientremontésenchignon,etelleportaitunerobedeprincessed'unbleuvif.Dèsquejel'avaisvue,j'avaissuquejedevaisl'acheter.Lilaadoraitlesprincesses.Avecdesmainstremblantes,jecreusaiuntrouprèsdelapierretombalepourydéposerlapoupée

avantdelarecouvrirentièrement.— Je t'ai apporté un cadeau. Je ne veux pas qu'on te le vole, alors je le cache. C'est un secret,

d'accord?Puisjeprisunsachetplastiqueoùj'avaisécrit«Lila»etemballaiunpeudeterrepourl'emporter

avecmoi.—Tumemanquesterriblement…J'avaislagorgesiserréequelesmotsavaientdumalàsortir.Deslarmessemirentàruisselersur

mesjoues.Jeleslaissaicouler,meforçantàouvrirlesvannesduchagrinquej'avaisgardéenfermépendantsilongtemps.—Et…jesuisdésoléedenepast'avoirrenduvisite.J'aieutort…Maisj'avaispeurd'affronterla

vérité.Jecraignaisdecraquer,etdeneplusjamaisavoirlaforcedemereprendre.C'étaitidiot…Jem'essuyai les yeux pour regarder la tombe demamère. Silencieuse, comme les autres. Elle

n'étaitpluslà-dessous,jelesavais.Sonâmeavaitquittésoncorpslanuitdesamort.Celledemasœuraussi.Maisj'auraisquandmêmedûvenirplussouvent,ensignederespect,aulieudefuiravectantd'obstination.Carenfuyantlepassé,c'étaientellesquejefuyaisaussi.—Jesuisdésolée,maman,sanglotai-je,latêtebasse,enm'agrippantàlapierreglacée.Ilyatantde

choses que je n'arrive pas àme pardonner.Avoir survécu alors que vous êtes tousmorts. Être unfardeaupourgrand-mamanetgrand-papa.Ilsontétésuper, tusais.Jeneveuxpasdirequ'ilsm'ontfaitsentirquejeleurpesais.Jemetus,essayantdechassermapeine.Jen'étaispasvenuepourmecomplairedansmaculpabilité.

Aucontraire,j'étaislàpourm'endéfaire.J'avaislesdoigtsgelés.Jelesfrottaipourlesréchauffer,maislefroidmontaitdusolets'infiltrait

jusquedansmesos,medonnantdesfrissons.—Bref. Jevais à la fac,maintenant. J'habitedansunappartementavecunecolocataireadorable.

C'est ma dernière année, en fait. Je pense que vous seriez fiers de moi. Je n'ai pas toujours lesmeilleuresnotes,maisjemesuisbiendébrouilléejusqu'ici.Et…jesuisaussiDJ.Jetravailledansuneboîtedenuit,etjem'ensorspasmaldutout.C'estdingue,pasvrai?Jereniflaietm'essuyailenez.Jecontemplailecimetièreautourdemoi.Unebrisesoutenuebalayaitl'espaceouvert,faisantdanser

les pans demon écharpe. Bien qu'il n'y ait quemoi, je neme sentais pas seule. Je savais quemafamilleétaitlà,àm'écouter.Leur parler était bien moins douloureux que ce que j'avais imaginé. Je m'en voulais de ne pas

l'avoirfaitplustôt.—J'aimelamusique,maman.J'aicomposéquelqueschansons.Tunet'yattendaispas,n'est-cepas?Etpourtant…Lila etmoi, nouspassionsdesheures àdanser, chantant àpleinspoumons avec la

radio.Nousavionsmême tentéd'enécrirequelques-unes,bienqueLilane soitpasdouéepour lesrimes.Et un soir,maman avait assisté, avec une patience d'ange, au spectaclemusical que nous avions

préparé.Lila s'occupait dumagnéto pendant que je chantais en agitant un tambourin.Maman avaitapplaudiàtoutrompre;onseseraitcruàBroadway.Latombedemonpèresedressaitàmadroite,maisjenepouvaispaslaregarder.Pastoutdesuite.

Je voulaisme ressourcer dans les chaleureux souvenirs demamère etma sœur, encore quelquesinstants. Jegardaidonc lesyeux tournésvers le resteducimetière, caressantdu regard lepaysageserein.—J'ai rencontréungarçon, avouai-je. Il s'appelleDaniel, et il fréquente lamêmeuniversitéque

moi.Maman,ilteplairait.Ilestcommetoi,ilaimemebousculer.Jememisàrireetpleurerenmêmetemps.—Ilavoulum'emmener ici ilyaquelque temps,mais jemesuisénervée. Jemesentais trahie,

commes'il était allécontremessouhaits.Maisen réalité, il avait raison. Ilm'a forcéeàouvrir lesyeuxsurmaculpabilité. J'ai comprisque si j'étais tellement repliée surmoi-même,c'estparcequej'avaispeur.Jen'étaispasprêtepourunetellefranchise.Pasprêteàveniraffrontercequej'avaisfuipendantsilongtemps:mondésespoirfaceàvotremort.Danielmemanquait si fort ! J'auraisvouluqu'il soit là, tenantmamaindans la sienne.Qu'ilme

félicitepourmoncourage.J'iraisauboutdumondepoursentirdenouveausesbraspuissantsautourdemoi.—Jesuistombéeamoureusedelui,maisj'aitoutgâchéenlerepoussant…Jesanglotaiunmoment,latêtesurlesgenoux,indifférenteaufroiddeplusenplusmordant.—J'enaitellementmarredesouffrir,maman…D'êtretoutletempstristeetesseulée…Çafaitdes

semainesquejen'aipasadressé laparoleàDaniel.Etçametueàpetit feu.Jedonneraisn'importequoipourt'entendremechuchoterdesconseils…Mes sanglots redoublèrent, et je ne cherchai pas à les calmer. Je ne voulais plus lutter contre le

chagrin,nilecacher.Acceptantladouleur,jemeremisàparlerenpleurant,commeuneenfant.—Vousmemanqueztellement…Jevoudraisquevoussoyezprèsdemoi…Rienn'estpareil,sans

vous!

Pendantun longmoment,onn'entendit riend'autredans lecimetièreque lebruit terribledemespleurs.Puisjereniflaiettentaidemeressaisir.AprèsunregardlarmoyantauxtombesdemamanetdeLila,jemelevaietépoussetaimonjean.Àprésentquej'avaisexprimétoutecettesouffrance,jemesentais libérée. Pour une fois, je n'essayais pas d'étouffer mes émotions, de faire semblant d'êtrenormale, en bonne santémentale. J'avais besoin de cesser définitivement de faire comme si c'étaitpossible.Oudumoins,commesic'étaitpossiblerapidement.Je prenais conscience de qui j'étais. Je devais m'accepter. Avec des défauts, des peurs et des

cicatrices, mais aussi avec la capacité d'aimer, malgré tout ce qui m'était arrivé. Je m'étaisreconstruite, un jour à la fois, et j'avais ouvertmon cœur àmes grands-parents, àMegan. Puis àDaniel.Jem'approchaidelatombedemonpèreetlacontemplai.Jeressentislacolèrefamilière,brûlante,

mêléedeculpabilité.Cessentimentsaussi,jelesavaisrépriméspendantdesannées.Jem'étaisracontéquepourguérir,jedevaislechasserdemespenséesetdemoncœur.Maislesouvenirdemonpèreétaittoujoursenfouienmoi,quejeleveuilleounon.Lesmotsvenaientdifficilement.—Je…jenetecomprendraijamais.Etjepensequejen'enaipasenvie.Est-cequetuétaismauvais

depuis le début, sans qu'on s'en soit rendu compte ? Est-ce que tu étais fou ? Était-ce un troublepsychiatriquesévère,nondiagnostiqué?Frissonnante dans la brise glaciale, les poings serrés, je me tus pour reprendre une grande

inspiration.Jeressentiscommeuneexplosiondanslapoitrineetjememisàhurler.—Qu'est-ce qui t'est passé par la tête, bordel ? Si tu étais tellementmalheureux, si tu étais trop

dérangépourguérirunjour,si tunevoulaispasfairel'effortdetesoigner,pourquoiest-cequetun'espasparti?Pourquoinepasavoirpristescliquesettesclaques?Oupourquoiest-cequetunet'espassuicidé,toutsimplement?Àcausedecequetuasfait,jetedéteste!J'étaisentraindemepurger,etmêmesijemesentaiscoupable,çamefaisaitdubien.Jeproférais

d'horriblesparoles,maisjen'auraispaspulesreprendre.Jenelesouhaitaispas.Jelesavaisravaléespendanthuitans.C'étaitdéjàbienassezlong.—Pourquoiest-cequ'ilfallaitquetunousfassesdumal,àLila,mamanetmoi?Qu'est-cequ'on

t'avaitfait?Onessayaitjustedeterendreheureux.Toutlemondevoulaitt'aider,maistunousrejetais.Les jambes flageolantes, je me laissai tomber par terre, les bras croisés autour de mon buste

frissonnant.Mesgenouxcognèrentbrutalementcontrelesol,maisçam'étaitégal.—Pourquoiest-cequetunenousaspasaiméescommeont'aimait?Tuasbousillémavie,papa.

Tum'asdémolieet jene saispas si jepourraiun jour tepardonner.Tum'asarraché lesgensquej'adoraisleplusaumonde.C'étaithorriblementégoïste.Pendantdelonguesminutes,jerestaifaceàlatombedemonpère.Monchagrinétaitsiviolentqu'il

semblaitmedéchirerl'âme.J'avaisl'impressionquemoncœurvolaitenéclatsalorsquej'affrontaismesdémons.Jefrissonnais,mais jenequittaipas lapierre tombaledesyeux.Monpèrenepouvaitplusmefairedemal,etjemerépétaiinlassablementcetteidéerassurante.IlnepouvaitplusblessermamanniLilanonplus.Non, jenepouvais luiaccordermonpardon.Dumoins,paspour lemoment.Maisçan'étaitpas

grave.Labriseretombaetunchaudrayondesoleilpassaentrelesbranchesdel'arbreleplusprochepour

venir me caresser. Mes frissons se calmèrent peu à peu, et mes émotions diminuèrent. Les yeuxfermés, je levai le visage vers le soleil. J'absorbais la lumière à travers ma peau, et cela meréchauffaitautantl'âmequelecorps.J'avaisl'impressionquecemomentétaituncadeaudemamèreetmasœur,leurfaçondemedire

qu'ellesseraienttoujoursprèsdemoi,etquetoutiraitbien.Marespirationrevintàlanormale.Jeme levai, les genoux douloureux après ce long contact avec le sol froid, et ouvris les yeux.

J'avaisdessillonssaléssurlesjoues,maisçam'étaitégal.Lesreplissombresdemoncœurétaiententraindefondredanslalumière,etl'acceptationprenaitpeuàpeusaplaceenmoi.Mamanauraitvouluquejevivepleinement,heureuse.Lilaauraitsouhaitéquejem'amuseetqueje

suivemesrêves.Jeleferais,pourellesdeux.Etpourmoi.Non, toutes lesombresnes'étaientpasdissipées.Paspour lemoment.Alorsque je ramassaisun

peudeterrepourlarangerdanslesacquej'avaisétiqueté«Maman»,jesentaistoujourslesderniersélancementsdelacolèremetordreleventre.Maiscen'étaitpasgrave.J'avaisledroitd'êtreencolère.Quandçaseproduiraitdenouveau,àl'avenir,j'enparleraisàquelqu'un.C'étaitfini,deravalermes

sentiments.Demecacher.—Aurevoir,murmurai-jeàmafamilleavantdemedirigerversmavoiture,portantdansunemain

laboîtequicontenaitlesdeuxsachetsdeterre.En sortant du cimetière, je n'étais pas la même qu'en entrant. Ou plutôt, si, mais… plus légère.

Comme si j'avais abandonné une tonne de souffrance derrière moi. Mon corps tout entier s'étaitdétendu.Quoiqu'ilarriveparlasuite,jepouvaisêtrefièredecequej'avaisaccomplicejour-là.Jemisle

contact et repris le chemin de l'appartement. Une vieille chanson passait à la radio. Je poussai levolumeetlaissailamusiquedéferlersurmoi.J'avaisfroid,etmonjeanétaithumide.J'avaismalaudos,etmesyeuxrougesetbouffisétaientdouloureux.Maisjemesentaismieux.Fatiguée,vidée,maisenfinprêteàallerdel'avant.Monpèrenepouvait

plusmeblesser.Jenelelaisseraisplusprendrelepouvoirsurmesémotions,occupermespensées.Voilàcequ'ongagnaitàlâcherprise…J'avaisreprispossessiondemoi-même.Jen'allaispasdevenircommemonpère,quiavaittoujoursgardélesgensàdistance,seretranchant

derrière des barrières et refusant d'avouer qu'il avait besoin d'aide. Vivant dans le noir, malgrél'insistancedes autres à avoir uneplacedans sa vie.Mespeurs nem'avaient pas empêchéed'avoirmal ; elles m'avaient seulement empêchée de nouer de vraies relations. À présent que je lecomprenais,j'étaisprêteàvivreautrement.Maisj'allaisdevoirconvaincrelegarçonquej'aimaisdemedonnerunenouvellechance.

Chapitre23

Le lundi matin, avant le début du cours de philo, Amanda se tourna vers moi avec un regardsuppliant.—Jet'enprie,dis-moiquetuaslesnotesdelaséancedevendredi.Jen'aipaspuvenir,j'avaisune

gastrocarabinée.Etdéjàquejenecomprenaispasgrand-choseavant,maintenantc'estlapanique…Jefeuilletaimoncahier,arrachailespages,etlesluitendis.—Tiens.Tun'aurasqu'àmelesrendreauprochaincours.Etsituasdesquestions,n'hésitepas.J'allaismereplongerdansmesnotesquandunsouvenirmerevint.—Oh,aufait,onauneinterroenfindesemaine.IlfautrévisertoutlechapitresurKant.—Jenesavaispas.Heureusementquetueslà!Tumesauveslavie.Onpourraitpeut-êtresevoir,

cettesemaine.Pourpotasserautourd'uncafé,parexemple.Qu'est-cequetuenpenses?—Euh,d'accord.Çaserait…sympa.J'étaissurprisequ'ellemelepropose,maisplusencoredeconstaterquel'idéemetentait.—Merci,dit-elleenarrachantunpetitmorceaudepapierdesoncahierpourynotersonprénomet

sonnumérodetéléphone.Appelle-moipourtrouverunedate.Jeluidonnaiàmontourmonnuméro,qu'elleentraaussitôtdanssontéléphone,rayonnante.Voir Amanda si reconnaissante et désireuse de passer du temps avec moi, malgré mon attitude

pendant tout le semestre, remua quelque chose dans ma poitrine. Depuis que j'étais rentrée ducimetière,deuxjoursauparavant,jemesentaisdifférente.Jem'étaisréveilléetôtetj'avaispréparélepetitdéjeunerpourMegan.Lorsqu'elleétaitentréedans lacuisine,elleenétait restéesur lecul. Jeprisalorsconsciencedupeud'actesdésintéressésquej'avaisréaliséspendanttoutescesannées.Pasétonnantquejen'aiepasd'amis.Oudumoins,pasencore.Ducoup,enpassantauCoffeeBabyavantd'allerencours,jepayaid'avancelecafédelapersonne

derrièremoi dans la queue, et laissai en outre un généreux pourboire. Je ne restai pas pour voircomment legarsenquestionallaitprendre lachose : lebutn'étaitpasde flattermonego,maisdefaireungestepourm'ouvriraumonde.Je me tournai vers le fond de la salle pour voir Daniel. Il avait les yeux posés sur moi, une

expressionindéchiffrablesurlevisage.Maispourunefois,ilnesedétournapas.Ilavaitunsoupçonde barbe, comme s'il n'avait pas pris la peine de se raser en se levant, et ça le rendait irrésistible.J'auraisvoulupasserlesdoigtssursonmentonpiquant…Etaussirespirersonparfum.Malgrélesbattementsdésordonnésdemoncœur,jenebaissaipaslesyeux.Laprofentra,rompantl'enchantement.Danielsetournaverselle,tripotantsonstylo.Avecunsoupir, jecommençaiàprendredesnotes.MmeWilkinscouvrait le tableaudecitations.

Daniel m'avait regardée quelques instants… Était-ce bon signe ? Est-ce qu'il accepterait de meparler?La nuit passée, j'étais restée éveillée dans mon lit, à contempler le plafond en me rejouant les

événementsdes joursprécédentsdans la tête.Après lavisite sur la tombedemesparents etdemasœur,j'avaisenfincompriscequeDanielavaittentédefairepourmoi.Ilavaitvoulumedébarrasserdemespeurs,maisjel'avaisrepoussé.Etjen'avaispasététrèsdoucedansmesparoles.Jel'avaisrejetéviolemment.Est-ce qu'ilm'en voulait ? J'avais l'estomac noué à cette idée. Il s'était passé tellement de temps

depuisladernièrefoisqu'ons'étaitparlé…Peut-êtrequesij'étaisalléeletrouvertoutdesuiteaulieud'attendreaussilongtempsenmeregardantlenombril,j'auraispurattraperlecoup.S'ilmerepoussaitàsontourlorsquej'essaieraisdemerapprocher,j'enmourrais.C'étaitcequime

paralysaitleplus.Pourtant,jesavaisquecen'étaitquedelalâcheté.Etjenevoulaisplusêtrelâche.Jemetournaidenouveauvers lui.Àlaplacevoisinede lasienne,uneblondeà l'airperplexese

penchaitverslui.Illuichuchotaitdesexplicationsenluimontrantquelquechosedanslemanuel.Ellehochalatêteuneoudeuxfoisavantdeluiadresserunsourirereconnaissant.Unenouvelleboufféedechagrinvintmeserrerlecœur.Jememordislalèvreinférieure.Daniel

était toujours prêt à aider ceux qui en avaient besoin. Il était généreux de son temps, et de sonaffection.Commentavais-jepurejetertoutçasifacilement,commes'ilnecomptaitpasàmesyeux?Pasétonnantqu'ilm'évite.Jeluiavaisdonnél'impressionden'êtrepasimportant,nidignedema

confianceetdemessecrets.Oui,jel'aimais.Maiscommentaurait-ilpus'endouter?Jen'avaisrienfaitpourleluimontrer.Àprésent,ilseprotégeait.Pouvais-jeleluireprocher?Je serrais mon stylo d'une main un peu tremblante. Daniel valait tous les risques. Il méritait

quelqu'unquisoitprêtàtoutpourlereconquérir.Jen'étaispassûrequ'ilacceptedemeparler–dem'écouterluiexpliquerpourquoij'avaispaniqué,ouderecevoirmesexcuses–maisj'étaisdécidéeàessayer.Etàymettretoutmoncœur.Siçanemarchaitpas,jen'auraispasdereprochesàmefaire.Jeseraisfièredemesefforts.Mais

bon sang, j'espérais que çamarcherait. Parce que l'amour que j'éprouvais pour lui, et que j'avaisrefuséderegarderenfacependanttoutescessemaines,étaittoujourslà,bouillonnantsouslasurface.Ilmemanquaitterriblement.J'avaisbesoindelui.Etjevoulaisqu'ilsachequ'iln'avaitrienàcraindre,qu'ilavaitledroitd'avoirbesoindemoi,lui

aussi.Quejeseraislàpourlui,commeilavaitvoulul'êtrepourmoi.Jen'enpouvaisplusd'attendrelafinducours.L'impatiencecouraitdansmesveines.J'avaisdumal

àmeconcentrersurlaleçonalorsquemoncœuretmatêtedébordaientdepenséespourDaniel.Jemeforçaisàprendredesnotes,sansconviction.Quandenfinlaprofnousautorisaàpartir,jerangeaimesaffairesleplusvitepossibleetallaime

poster à côté de la porte.Les étudiants sortaient tandis que la classe suivante commençait à entrer.Danielétaitparmilesderniers.Lecœurbattantàserompre,jeluitouchailebras.—Dis,jepeuxteparler?Ilécarquillalesyeuxdesurpriseavantd'affichersonairleplusimpassible.—Jen'aipasletemps,désolé.—Cesoir,alors?Tueslibre?Justepouruncafé?

À mon grand désespoir, il secoua la tête. Il me lança un regard furtif puis se détourna,décontenancé.—Écoute,je…jenepeuxpas,c'esttout.—Cinqminutes,suppliai-je.Jeteprometsdenepasteretenirlongtemps.Avecunprofondsoupir,ilfinitparmeregarder.Desémotionsfugitivespassèrentdanssesyeux,

aussitôtremplacéesparsonmasquefroid.Ilsefrottalanuque.—Jen'enpeuxplus,Casey.Jenepeuxpascontinueràfairelesmontagnesrusses.Jesuisdésolé.Ils'éloigna,franchitlecouloiretquittalebâtimentsansseretourner.J'avaisdumalàencaisserlecoup.Malgrétoutcequis'étaitpassédanslecimetière,j'auraispensé

qu'ilaccepteraitdemeparler.Maiscen'étaitpaslecas.Jemesentaiscomplètementécrasée.Jem'appuyaicontrelemur,luttantpournepaspleurer.Non,ça

ne pouvait pas se finir comme ça. Je n'allais pas renoncer sans me battre. Il fallait juste que jeparvienneàleconvaincredem'écouter:ilverraitquej'avaischangé.Jecomprenaisqu'ilredoutedesouffriràcausedemoi:ilavaitdebonnesraisons.Maissijeluiouvraismoncœur,sijeluimontraisquej'étaisprêteàfairedesefforts,peut-êtrequ'ilbaisseraitlagardeetm'accorderaitunechance.Un plan commença à germer dansma tête. Jem'efforçai de respirer lentement pour calmer les

battementsdemoncœur.Jesavaisquejepouvaisyarriver.J'allaismedonneràfond…etprierpourqueçamarche.Mon téléphone vibra. Je le sortis dema poche avec des doigts tremblants, espérant que ce soit

Daniel.Maisc'étaitunnuméroquejeneconnaissaispas.

Coucou, c'estAmanda.On peut réviser aujourd'hui ? S'il te plaît, dis oui ! Je t'offre uncafé!;-)

Jememordis la lèvre. J'auraisvoulucourirmeroulerenboulesurmon litavecmesécouteurs,

pourtenterdesoignermoncœurbrisé.Maislesvieilleshabitudesnemeseraientd'aucuneaidedansmaquêtederenouveau.Enplus,çanemeferaitpasdemaldetravaillerunpeudèsàprésent,histoired'avoirl'espritdégagéplustardpourmeconcentrersurDaniel.

Tueslibretoutdesuite?Laréponsenetardapas.

Carrément!OnseretrouveauCoffeeBabydans10minutes?Jenouaimonécharpe autourdemoncouet sortis.Quelques étudiants couraient à toutes jambes

pour arriver à l'heure en cours.Des couplesmarchaient sur les feuillesmortes qui jonchaient lestrottoirs, main dans la main. Mon haleine faisait de la buée. J'essayais de ne pas repenser à lapremière fois que j'avais fait ce trajet avec Daniel, lorsque nous avions bu notre premier café

ensemble.Ilmemanquaittellement…LeCoffeeBabyétaitbondéet ily régnaituneagréablechaleur.Amandaétaitdéjà installéeàune

table,avecdeuxgobeletsdecaféetunepiledesachetsdesucre.—Jesuisarrivéeenavance,dit-elled'unairdésolé.Jenesavaispascequetupréfères,alorsjet'ai

prisuncafénoir,maissiçaneteconvientpas,jepeuxyretourner.—C'estadorable.Net'enfaispas.Ettun'auraispasdû,tusais!—C'estlamoindredeschoses.J'aivraimentleschocottesderatercetexamen!Aprèsavoirenlevémonmanteau,jem'installaiprèsd'elleetvidaideuxsachetsdesucredansmon

gobelet.—Jenesuispasunebêteenphilo,laprévins-je.—Tuaslamoyenne?—Pourl'instant,oui.—Alors,tuesmeilleurequemoi.Maisj'aibienl'intentiondem'accrocher!—Danscecas,c'estparti.Je sortismes affaires et nouspassâmes la demi-heure suivante à comparer nosnotes.Malgré sa

tendance à roucouler devant les garçons et ses affirmations selon lesquelles elle était une bille,Amandaétaitloind'êtreidiote.Jem'envoulusdel'avoirconsidéréecommeunedindependanttoutlesemestre.Lesquestionsqu'elleposaitmontraientqu'elleavaitdéjàcomprisbeaucoupdechoses.Jenepouvaism'empêcherderepenseràlafoisoùj'avaisétudiéNietzscheavecDaniel.Cesouvenir

meserraitlecœur.—Qu'est-cequinevapas?medemanda-t-elle,lessourcilsfroncés.Incapabledeparler,jecommençaiparluiadresserunsourirecrispéetunpetitgestedelamain.—Euh…justedesproblèmespersonnels.—Désolée.Jenevoulaispasêtre indiscrète,marmonna-t-elleensepenchantdenouveausurses

notes.Laculpabilitémetombaaussitôtdessus.Arrêtederepousserlesgens.Amandaavaitvoulus'assurerquej'allaisbien,cequiétaitparfaitementcompréhensible.— Non, c'est moi qui suis désolée… Je suis un peu novice en la matière, tu sais. Je n'ai pas

l'habitudedemefairedesamis,depapoter.D'êtrenormale,quoi.Tun'yespourrien…c'estmoi.Elleritdoucementenm'entendantsortircettephrasebateau.—Celle-là,cen'estpaslapremièrefoisqu'onmelasert!J'éclataiderireàmontour,détendue.Amandarepritsonsérieuxetsepenchaversmoi.—Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeregardepas,mais…tun'aspasl'airbien,cestemps-ci.

Tuparlesencoremoinsqued'habitude.Est-cequetoutvabien?Est-cequetuasrompuavecDaniel?J'aibienvuqu'ilavaitchangédeplace…—Tusavaisqu'onétaitensemble?m'étonnai-je.

—Évidemment!Unmecaussisexy,tupensesbienquej'aimenél'enquête!—J'aimerdé,confiai-je,lesyeuxbaissés.Etj'aipeurdel'avoirperduàtoutjamais.Jel'airepoussé

silongtempsquemaintenant,ilneveutplusdemoi.Ilpréfèreéviterquejeluifassedumal…—Alors,commenttuvast'yprendre?demanda-t-elled'untondedéfi.Tunevaspasresterlesbras

croisés,j'espère!—Jecroisquej'aiuneidée…mais…sijamaisçanemarchepas…—Non,arrête.Ilnefautjamaisbaisserlesbrasparcraintedel'échec,déclara-t-elleavecpassion.

Danielestunmecsuper.Ilvat'écouterparcequ'iltientàtoi.Levéritableamournedisparaîtpasenquelquessemaines.Fais-moiconfiance.Toutestencorepossible.Jelaregardaiboiresoncafé,admirativedesaforce,desaconfianceenelle.—J'espèrequetuasraison.—J'ensuissûre.Leshommes,çameconnaît.Avecunclind'œil,ellemeserragentimentlebras,avantd'ajouter:—Ilyaquelquechoseentoiquil'aattiré.Lecharmevaopérerdenouveau.Aieconfianceentoi,et

enluiaussi.—J'aidumalàfaireconfiance,avouai-je,lesyeuxpleinsdelarmes.Ilm'estarrivédeschoses…

difficiles,etj'aiencoredumalàm'ensortir.—Maistumefaisconfiance,là.C'était vrai. Je fus surprisede constaterque jepouvais avoirune conversation aussi profonde et

intimeavecunefillequejeconnaissaisàpeine.Quelquessecondesplustard, je luinarraiàgrandstraitscequis'étaitpasséquandj'avaistreizeans,etcommentjem'étaisretrouvéeàhabiterchezmesgrands-parents. Je lui épargnai les détails les plus horribles,mais jem'aperçus queparler demonpasséétaitmoinsdouloureuxquejenem'yattendais.Jelisaistoutessortesd'émotionssurlevisaged'Amanda.Ellem'écoutaitenbuvantsoncafé,pleine

decommisération.Puisellemeracontasonenfanceavecunemèrealcooliqueetviolente,quipouvaitresterunesemainesansdessoûler.Lorsquesongrand frèreavait eudix-huitans, il étaitparti avecAmanda,etilsn'avaientplusjamaisrevuleurmère.Son récitme bouleversa.C'était tellement facile pourmoi dem'apitoyer surmon sort.Mais les

autresaussiavaientleurspeines,etçanelesempêchaitpasdeseleverchaquematin,etdevivreavecleurdouleur.Malgréleurdouleur.Amandasouriait,flirtait,riaitets'amusait.—Commenttufais?m'enquis-je.Oùest-cequetutrouveslaforced'avancer?Elleréfléchitunmomentensemordillantlepouce.— Je n'ai pas vraiment le choix. C'est la vie. Et je ne vais pas laisser ses problèmes à elle

m'empêcherdevivre,moi.Jevauxmieuxqueça.Ellesetutquelquesinstants,puisreprit:—Lesgenssontplusfortsqu'ilsnelecroient.Tuvast'ensortir,Casey.J'ensuisconvaincue.Tues

quelqu'undebien.Malgré lablessuredu refusdeDaniel, jepassaisplutôtunebonne journée.Finalement,m'ouvrir

auxautresn'étaitpassidouloureux.Etçadevenaitdeplusenplusfacile.

—Jesuisvraimentcontentequ'onaitpriscecaféensemble,avouai-jeàAmandad'unevoixsincère.Merci.—Jet'enprie,c'estlemoinsquejepuissefaire,avectoutel'aidequetumedonnes!répliqua-t-elle

avecungrand sourire.Maintenant,on feraitmieuxde se remettre auboulot,histoirede réussir cecontrôle à la con. C'est ça qui surprendrait la vieille bique… Remarque, avec ma chance, ellerisqueraitdecroirequej'aitriché!Amandamefitunclind'œilavantdereprendresonlivre.L'heuresuivantesepassaenrévisionset

enbavardages.Aumomentdepartir, jeproposaiàAmandadevenirfaireuntourauMaskpendantmesheuresdetravail.Sonenthousiasmemefitchaudaucœur.Mamèreauraitétéfièredemoi,pourtousceseffortsdesociabilité.Pourlefaitdevivre,etnondesurvivre.

Chapitre24

Çameprendraittoutemonénergie.J'espéraisqueceseraitsuffisant.Ilétait3heuresdumatinpasséesdanslanuitdejeudiàvendredi.Jem'étaismiseautravailaussitôt

après le dîner.Dans un peumoins de six heures, je remettraisma chanson àDaniel. Je travaillaisdessusnon-stopdepuisplusieursjours.Cemorceauexprimeraitmapersonnalitéetmessentimentsentermesnonéquivoques.C'étaitcommedeluiprésentermoncœursurunplateaud'argent.Aucunautregarçonnem'avaitdonnéunetelleenviedem'offriràlui.Penchéesurmonordinateur,jeposailescoudessurmonbureau.J'avaislesyeuxquipiquaientde

fatigue,maisc'étaitpresquefini.Encoreuneheureoudeux,etlachansonseraitprête.J'avalai les dernières gouttes de mon café. Il était froid depuis des heures, mais j'avais besoin

d'énergiepournepasm'endormir.J'avaisledosencompoteàforcederesterassisedepuisdesjoursetdesjours.Maisçan'avaitaucuneimportance.L'inspirationétaitlà,etj'étaisdéterminée.J'avais repris unemélodie dans lemorceau que nous avions composé ensemble.D'un clic, je la

collaidansmanouvellecomposition,etmemisautravailpourlamixerdefaçonadéquate.Lareconnaîtrait-il?S'ensouvenait-ilaveclamêmeclartéquemoi?Jemelevaipourm'étirer,puissortisdelachambreafind'allermeresserviruncaféfroid.Toutme

rappelaitDaniel : lecanapéoù il s'étaitassis, le réfrigérateurdans lequel ilavaitpioché, la tableàlaquellenousavionsréviséensemble.Mon lit, désormais désert. Depuis combien de semaines n'avais-je pas eu une bonne nuit de

sommeil?Trop!Monmugàlamain,jeretournaidansmachambre.Jemesaisisdumicroetl'allumai.L'heureétait

venued'ajouterl'élémentfinal.Jeprisunegrandeinspirationetmemisàparler.Letrajetverslebâtimentdescours,cematin-là,futpartagéentreimpatience,appréhension,etune

fortedosedefatigue.J'avaisconsacrétoutelasemaineàmesdevoirsetàmonprojet,m'accordantàpeineletempsdemangeretdedormir.Mamain,crispéesurmoniPod,semitàtranspirer.Jemeforçaiàdétendremesdoigtsdouloureux.

Leventd'automnequiseglissaitentrelesarbresfaisaitvoleterlesfeuillesdesséchéessurlestrottoirsetlespelousescouvertesdegivre.J'entraidanslebâtimentetmedirigeaiverslasalledephilo,lesangbattantàmesoreilles.J'étais

venue en avance pour être certaine d'arriver avant lui. La classe était déserte, la lumière encoreéteinte.Aprèsavoirposésur sonbureau l'iPodetunepaired'écouteursque j'avais tirésdemapoche, je

sortis également le petit mot dans lequel je lui demandais d'écouter la chanson et le disposai

soigneusementsurlereste,demanièreàcequeçanesoitpastropvisible.Jen'auraispasvouluquequelqu'unlefaucheenpassant.Lesoufflecourt,lesmainstremblantes,jemeprécipitaiversmaplace,déballaimesaffaires,etfis

demonmieuxpournepasm'évanouir.Lesétudiantscommencèrentàentrer.Jen'osaispasleverlesyeux:sijecroisaissonregard,jene

tiendrais pas le coup. Savoir qu'il allait soit écouter la chanson, soit refuser, était absolumentterrifiant.Dansledeuxièmecas,jenesupporteraispasd'enêtretémoin.Autour demoi, les sièges se remplissaient,mais je n'y prêtais aucune attention. LorsqueDaniel

entra,j'eneusaussitôtconscience:mapeauvibraitdelasensationdesaprésencedanslapièce.Maisjegardailesyeuxbaissésversmafeuille,lesonglesenfoncésdansleboisdemoncrayon.Cen'estpaslemomentdecraquer.—Coucou,chuchotaunevoixfémininedevantmoi.Merciencorepourlaséancederévisions.Ça

m'avraimentaidée.JelevailevisageversAmandaetluiadressaiunsouriretremblant.—Jet'enprie.—Çava?medemanda-t-elle,inquiète.Tuasunetêtededéterrée!J'avaislamaintellementcrispéesurmoncrayonqu'ilmesemblaitquejen'arriveraisjamaisàle

lâcher.Ilresteraitéternellementcolléàmesdoigts.Lesourirequejeluiprésentainedevaitpasêtretrèsconvaincant,maisjenevoulaispasqu'ellesefassedusoucijusteavantlecontrôle.—Je…j'aijusteunpeulatrouille.—Oh,tunedevraispas!s'écria-t-elle,rassurée.Tuvasassurer.Pourl'examenetpourtusaisquoi.

Jesuisdanstoncamp.Appelle-moisituveuxquejel'immobilisependantquetuluidiscequetuasàdire.Parleavectoncœur.Iltienttoujoursàtoi,ilvat'écouter.Pourvuqu'elleaitraison…—Merci,murmurai-je.Jeteferaisignes'ilfautemployerlesgrandsmoyens.Ellemeserradoucementlamainpourm'encourager.Pendant les quelquesminutes qui suivirent, je parcourusmes notes, essayant deme rafraîchir la

mémoire. Mon cerveau, privé de carburant, avait du mal à fonctionner. Les mots semblaient sebrouillersurlepapier.Tout lemonde se tut lorsqueMmeWilkins entra. Jeprismoncourage àdeuxmains et levai les

yeux.Ellenousregardaitunparun,salonguenatteébourifféependantsursonépaule.—Sortezunefeuille,dit-elled'untonneutre,commed'habitude.Quelqu'un poussa un petit grognement derrière moi. Je ne pus réprimer un sourire. Certains

espéraienttoujoursqueleprofallaitoublierl'interro.Çanerisquaitpasd'arriveravecMmeWilkins!Ellenousdistribua les sujets, et lecontrôlecommença.Le tempsmesemblait tantôt s'étireravec

unemortellelenteur,tantôts'accéléreràunrythmeaffolant.J'avaisàlafoishâteetpeurquelecourss'achève.Moncerveaurefusaitdeseconcentrersurlesréponses.Qu'allait-ilsepasser?Danielavait-ildéjàécoutélachanson?Oupréférait-ilremettrecemomentàplustard?Allait-ilsecontenterdejeterl'iPodsurmatableavantdequitterlasalle?

L'appréhensionmecontractaitl'estomac.J'étaisincapablederéfléchir.Merde,j'allaiscomplètementfoirercetteinterro…Reportermonattentionsurmafeuilleexigeauneffortsurhumain.Iln'yavaitaucunequestionde

cours : on nous demandait une série d'essais. C'était épuisant,mais aumoins, çame forçait àmeconcentrer.JecessaidoncdepenseràDanielettentaiderépondredemonmieux.Normalement,jenedevaispastropm'inquiéter:danscetypededevoir,elleaccordaittoujoursdespointspourlabonnevolonté.—C'estfini!Posezvosstylosetfaitespasserlescopiesversl'avant,clamaMmeWilkinsalorsque

jetraitaisladernièrequestion.Jesoupirai,déçue.Jen'avaispaseuletempsdefinir…J'espéraisquandmêmeavoirlamoyenne.Quelqu'unme tapota l'épaule. Jemeretournaipourprendre les feuillesqueme tendait la fillede

derrière, y ajoutai la mienne et les transmis à l'étudiante deux rangs devant moi. À présent quel'interroétaitfinie,monangoisseseréveillait.MmeWilkinss'avançapourramasserlesdevoirs,auxquelsellejetaunbrefcoupd'œil.—Vulatêtequevousfaisiezenrépondantauxquestions,jesaisdéjàqueçavaêtreunecatastrophe,

assena-t-elle avant de regarder samontre. Pour la semaine prochaine, vous devez lire le chapitresuivantdanslemanuel.Vouspouvezpartir.Lesangbattaitsifortàmesoreillesquej'entendisàpeinesesderniersmots.Lecoursétaitfini:le

momentdevéritéétaitarrivé.J'étaispétrifiéedeterreur,prised'unlégervertige,lavisionbrouillée.Autourdemoirésonnaientdesbruitsdepapierfroisséalorsquechacunrangeaitsesaffairesetse

dirigeaitverslaporte.Amandaselevaetsetournaversmoiavecunegrimace.—C'étaitaffreux!J'acquiesçaid'unhochementdetêtemuet.Elleramassasonsacetmeserral'épaule.—Envoie-moiuntextosituasbesoindequoiquecesoit,OK?Jecroiselesdoigtspourtoi.Lesmainstremblantes,jeremballaimesaffaires.Jedusmemettredecôtépouréviterdemefaire

bousculer par des étudiants qui se ruaient sur la porte. Je mourais d'envie de regarder dans ladirectiondeDaniel,maisj'étaistropterrifiée.J'avaisrarementeuaussipeur.Lesilencefinitparsefairedanslasalle.Jefermailesyeuxetmeconcentrai.Jepouvaislefaire.

J'avaislecontrôlesurlavie,etlejeuenvalaitlachandelle.J'avaisécritcettechansonpourlui,certes,maisaussipourmoi.Jelevailatêteetm'autorisaienfinàparcourirlapiècedesyeux.Elleétaitentièrementdéserte.Danielétaitpartisansm'adresserlaparole.Jemeretinsdecrierdedésespoir.Touscesefforts,pourrien!J'avaiséchoué.Jem'accordaiuneminuteentièrepourressentirpleinementmadouleur.Maisjen'allaispaspleurer

danscetendroit.J'allaisrassemblerlesrestesdemadignitéetsortirdelasalle,fièredemoi.

J'avaissautésansfilet.Jem'étaisouverteàlui,prenantlerisqued'unchagrind'amour.J'avaistouteslesraisonsd'êtrefière.Meganseraitaussidecetavis.Onseblottirait toutes lesdeuxsur lecanapépourpleurerunbon

coup.La connaissant, elle essaierait peut-être dem'entraîner dehors pourme changer les idées. Jen'enavaistoujourspasenvie,maisçanemefaisaitpluspeur.Jesavaisquec'étaitparamitié.J'enfilaimonmanteauetdescendisl'alléepoursortir.Enfranchissantleseuil,jem'arrêtai,pétrifiée.

Daniel se tenait à quelques mètres de là, un écouteur dans l'oreille gauche, le visage empreintd'émotionsquejeneparvenaispasàlire.Jetoussotai,gênée.—Coucou,dit-ilenretirantl'écouteur.Ils'écartaunpeudumur,décontenancé.—Commentçava?demanda-t-ilavecunepolitesseexcessive.Jem'apprêtais à répondre : « bien ». J'aurais voulu garder un semblant de dignité, éviter de lui

révélerquej'étaisdévastée.Maisquelquechosem'arrêta.Jenevoulaispasluimentir.Jem'approchai,memettantà l'abridu fluxd'étudiantsquiparcouraient lecouloir,etposaimonsacpar terre. Je ledévoraisdesyeux–sesprunellesvertes,sa tignassenoire,sesadorables tachesderousseur.Jemerepaissaisdelui.—Enfait…Enfait,jenevaispasbiendutout,bredouillai-je.Ilrestainterdit.Allez,Casey,dis-le-lui.—Tu…tumemanquestellement!Toutentoimemanque,avouai-jeenleregardantdanslesyeux,

espérantluitransmettremesémotionsparlapuissancedemonregard.Ilseraidit,maisnefitpasungeste.Ilmedévisageait,apparemmentstupéfait.—Tuveux savoir cequimemanque leplus?ajoutai-je,bravache, sachantque jen'avais rienà

perdre.Ta façondemepiquer lesdrapsdans le lit,etdemettre tonbrassurmoicommepourmeprotéger.Etl'odeurdetescheveuxquandjem'endors.Ilbattitdescilsetrepritsonsouffle.—Casey…,balbutia-t-ild'unevoixétranglée.—Etaussi,tonhabitudedemepousserdansmesderniersretranchements.Jesuissûrequetunet'y

attendais pas ! commentai-je avec un petit rire honteux. Mais c'est vrai. Tu m'as contrainte à medépasser,etçam'aaidéeàgrandir.Jen'aipluspeurdevivre…etc'estgrâceàtoi.J'avais un poids sur la poitrine, et les yeux commençaient à me piquer, mais je me forçai à

poursuivre.—Cequimemanqueaussi,c'estquetumefassesrire,etquetumesurprennesavectesquestions

bizarres.Jemetusettentaiderecouvrerunerespirationnormale.Jeneparvenaispasàdéchiffrersonexpression,etçametuaitàpetitfeu.Jebaissailesyeuxpourne

pasperdrepiedaumomentdeluifaireunedernièrerévélation.Mesmainstremblaientsifortquejeduslespressercontremesjambespourlesimmobiliser.

—Tu es tellement bon, et je nem'en rendais pas compte. Et ce quimemanque, c'est… c'est deparlerdetoutetderienavectoi,etdesentirl'odeurdetapeau,etquetumefassesl'amourcommesij'étaisbelle…Jenepusfinirmaphrase:Danielavaitposésamainsurmonmentonpourmeleverlevisagevers

luietm'embrasseravecunepassionintensequifaisaitvibrermonâme.D'abordtropsurprisepourfaireungeste,jemisquelquessecondesàprendreconsciencequeDanielsepressaitcontremoi,meserrant d'un bras possessif autour de ma taille, et se délectait de ma bouche comme d'un nectarprécieux.Maismoncorpsnetardapasàsemettreaudiapason,lapeaufrémissanted'undésirsipuissantqu'il

enétaitpresquedouloureux.Jem'agrippaiàsesbras,savourantsabouchesurlamienne.Chacunedemescellulesexigeaitd'êtreprèsdelui,avecuneintensitéquim'effrayait.Quelqu'unnoussifflaavantd'éclaterderire.—Eh,allezfaireçadansvotrechambre!Nousnous écartâmes, les joues en feu, le souffle court.Le sourire éclatantdeDaniel reflétait le

mien.Laferveurdecebaisermefaisaittournerlatête.Ilramassamonsacetmepritlamain.—Viensavecmoi,dit-ilenmetirantverslasortie.Ilmeconduisitversunbancsurlapelouse.Parcefroid,leparcétaitpresquedésert.—Tun'aspasdemanteau,protestai-je.—Cen'estpasgrave,répliqua-t-ilenmefaisantasseoir.Il s'installasiprèsdemoiquenosgenouxse touchaient. Il tenaitmesdoigtsenveloppésdans les

siens.—Casey,je…Ilsoupira,essayantdesedétendre.—J'aiaimétachanson.—Jesuistellementcontente!avouai-je,soulagée.—C'estlapremièrefoisquejereçoisquelquechosecommeça,meconfia-t-il,leregardbrillantde

sincérité.Ilnetentaitplusdemecachersessentiments.Jelisaisdanssesyeuxuneintensitéquimelaissasans

voix.—Etj'aiadorélefaitquetureprennesunepartiedenotremorceau.Çarendaittachansonencore

plusuniqueàmesyeux.Ainsi,ils'enétaitsouvenu…—Écoute,Daniel…Je…Cequis'estpasséaucimetière…,articulai-jeavecdifficulté.—Jesuistellementdésolé,avoua-t-ilenrougissant,lesyeuxbaissés.J'aieutort.C'étaitstupide,je

n'auraisjamaisdûagirdefaçonaussiimpulsive.Jevoulaisquetut'ouvresàmoi,quetutelibèresdetespeurspourqu'onpuisseavancerensemble.Maisjen'auraispasdûtefairetomberçasurlecoindelatête,parsurprise.—Jenet'enveuxpas.

—Jet'aifaitdumal.Sesparolesétaientsimplesmaischargéesdesens.Ilétaithabitéd'unetristesseinfinie.—Tun'imaginespascombiendenuitsj'aipasséessansdormir,àmerejouercettescèneàl'infini.

Tusemblaissidésespérée…trahie,même.Jem'envoulaisàunpoint…etjem'enveuxtoujours.Jet'aifaitfuir,etc'estlecontrairedecequejesouhaitais.—Cen'étaitpaslameilleureapproche,jel'admets,dis-jeencaressantsajouetoutefroide.Maistu

avaisraisonsurlefond.Àl'époque,jen'étaispasprête,maisensuitej'ysuisretournée.Touteseule.—Et…çava?Commentças'estpassé?demanda-t-il,inquiet.—Oui,çava.Oudisons,çavaaller.J'aiparléàmonpère,et j'aipusortir toutecettecolèreque

j'avaissurlecœur.Çam'afaitdubiendeluigueulerdessus,deluidirecombienilm'avaitdémolie.Et j'ai pris un peu de terre sur les tombes de ma mère et de ma sœur. Ensuite j'ai acheté deuxorchidées,etj'aiajoutélaterredanslepot.Jelesgardedansmachambre.Çapeutparaîtremacabre,maisj'aienviequ'ellessoientprèsdemoi.Lespétalesrosevifetvioletsm'arrachaientunsourirechaquefoisquejeposaislesyeuxdessus.Levoyantfrissonner,jefisunmouvementpourmelever.—Non,j'aienviederesterici,dit-ilenvenantdoucementsecollercontremoi.Il passa un bras sousmonmanteau et se pencha versmoi. Son souffleme caressa l'oreille,me

donnantdesfrissons.—Çam'amanqué,çaaussi…—Pareilpourmoi,répliquai-jed'unevoixétrangléeparl'émotion.—Jesuisdésolédet'avoirfaitdumal,répéta-t-ilenmemordillantl'oreille.Jevoulaist'aider,mais

jem'ysuismalpris.Jedésiraisquetusoisheureuse,mêmesic'étaitsansmoi.Certes, je pouvais survivre sans Daniel, les dernières semainesme l'avaient montré. Je pouvais

vivre,maisguèreplus.—Jenepeuxpasêtreheureusesanstoi,dis-jeenentremêlantmesdoigtsauxsiens.—Je t'aime,memurmura-t-il à l'oreille, commeunsecret intimequimepritpar surpriseetme

donnauneboufféedeplaisir.Jet'aime,Casey,etjeferaisn'importequoipourtoi.Jemetournaipourleregarder.Ilavaitlesyeuxbrûlantsd'amour.—Tumepardonnesdet'avoirrepoussé?demandai-je.— Tu n'as pas à me demander pardon. Ton passé fait partie de toi. Je l'accepte, même si j'ai

forcémentenviedeteconsoler.Etjesaisquetoutneserapasparfaitdujouraulendemain,maisjesuislàpourtoi.Maiss'ilteplaît…netefermeplusjamais.J'essaieraideneplustebousculer.Jeneveuxplusjamaisvivreça.Sesparoleshonnêtes,prononcéesd'unevoixrauque,firentvolermoncœurenéclats.—C'estpromis.Daniel,jet'aimetellement…Celafaisaitsi longtempsquejerêvaisdeluidirecettephraseenface.Jeposaimabouchesur la

sienne,etnoslèvresseréchauffèrentinstantanément.Je sentis sesdoigtsdansmes cheveux, et il enfonçaunécouteurdansmonoreille.M'écartantun

peu,jevisqu'ilavaitmisl'autredanslasienne.Lamélodiedoucedelachansonquej'avaiscomposée

pourluidémarra.Cen'étaitriendespectaculaire.Nisophistiqué,nirecherché.Maislasimplicitélaissaittransparaître

toutesmes émotions.À la fin, alorsque lesdernièresnotes se taisaient,mavoix s'élevait pour luifaireunaveu.«Daniel,tum'astransformée.Tum'asmontrécequ'onéprouvelorsqu'onestvraimentvivant,etje

ne serai plus jamais la même. Merci d'avoir partagé tant de toi avec moi, même quand je ne leméritaispas.J'aimetoutentoi.Jet'aime.»—Jel'aiécoutéependanttoutel'interro,meconfia-t-ilavecunsourireencoin.Jel'avaismiseen

boucle,etj'étaisincapabledel'éteindre.J'auraisvoulumeleverpourallert'attraperett'embrasseràenperdrehaleine,aumilieudelasalle.—C'estMmeWilkinsquiauraitétécontente,tiens!J'étaisivredejoie.J'enlevaimonécouteurpourleposerdanssamain.—C'estàtoipourtoujours.J'avais acheté exprès un iPod Mini et y avais transféré des chansons qui devaient lui plaire, y

compriscellequ'onavaitcomposéeensemble.—Etmoi,jesuisaussiàtoipourtoujours,repartit-ilenm'embrassantsurlefront.C'était vrai. Et réciproquement, mon cœur reposait entre ses mains puissantes. La fragilité de

dépendrel'undel'autrenousrendaitplusforts.Nousquittâmes lebancpourmarchersur le trottoir,d'unmêmepas,collés l'uncontre l'autre. Je

n'avais l'intention d'aller nulle part, à part là où j'étais, c'est-à-dire à ses côtés. Le reste pouvaitattendre.Lesfeuillescraquaientsousnospieds.Leventselevait,etjeserraiDanielcontremoi.J'étaisheureuse.J'avaisl'impressiond'êtrehabitéeparunechaudelumière.Cettefélicitéquim'avait

fuiesilongtemps…Nous marchions en silence dans le vent qui forcissait, comme pour nous prévenir que l'hiver

approchait.Àpartirdecejour,nousaurionsdenombreuxsouvenirspartagés.Nousmarchionssanssavoiroù,maindanslamain,reliésparunréseauinvisibled'émotions.Jepressaisamain,etilpressalamienne.

Playlist

Voiciquelqueschansonsquim'ont sembléconstituerunbonaccompagnementpourScratch, soitparleursparolessoitparleurmélodie,etd'autresqueCaseyauraitpupasserdanssaboîtedenuitouécouter. On peut les trouver en cherchant « SCRATCH by Rhonda Helms » sur Spotify (compteSpotifyrequis).J'espèrequevousprendrezautantdeplaisiràl'écouterquemoncorrecteurPeteretmoienavonseuàlaconstituer!RhondaHelmsConcreteAngel,deGarethEmeryetChristinaNovelliCettechansonpourraitêtrelethèmeprincipaldeScratch,celuiquiillustrelafaçondontDanielvoit

Casey.C'estunclassiquedel'électro-dance.RewinddeEmmaHewittOntrouved'excellentsremixsurlesingle,maisceluideMikkasestmonpréféré.J'imagineCasey

etDanielentraindedansersurcettechansonlorsqu'ilsvontécouterDJEnrique.Lovers(PureMix),deSolarstone,avecLemon«Lovemeintolife,takeawaymypain…»(Ramène-moiàlaviepartonamour,guéris-moidema

douleur…)JesuiscertainequeCaseypasseraitcemorceauauMask,et j'aime la tonalité trèsDepecheMode

desvoix.LivefortheNightdeKrewellaUneautrechansonqueCaseyaimeraitpasser.Ontrouvedebonsremix,maislaversionalbumest

trèspop-dance.AlivedeKrewellaaaussidesparolesquivontbienavecScratch.WelcomeToTheJungle(OriginalMix)deAlvaroetMercerDansmatête, j'imagineCaseyentraindelepasserauMask,peut-êtrequandlapistededanseest

chargéed'uncourantérotique.RedLightsdeTiëstoJecroisqueCaseyécouteraitcettechansonjustepourelle,loinduMask.J'aimelaversionlongue.

Elleadeschangementsderythmeintéressantspourdanser.FrostNovadeAqua&Arctic

C'estunchouetteinstrumentald'électro-dance.ÇaressembleàcequeCaseypourraitcomposer.UnderControl(ExtendedRemix)deCalvinHarrisavecAlessoetHurtsJe vois bien Casey écoutant ça quand elle traverse le campus entre les cours. J'aime

particulièrementlecrescendo.NeedYouNow(HowManyTimes)dePlumbElleaunevoix tellementchargéed'émotion, tellementsuppliantedans le refrain,qu'avec le fond

d'électro-dance,çadonnel'impressiond'écouterunhymne.J'aimeleJ-CClubMix.C'estlegenredechosesqueCaseypourraitcomposerpourDaniel,afindeluitransmettresessentiments.BacktoYou(WachRemix)deFabioXB&ChristinaNovelliC'est la voix de Christina Novelli dansConcrete Angel qui m'a conduite à cette chanson, et j'ai

trouvé qu'elle correspondait parfaitement aux thèmes du livre. «Nomatterwhat I do, this currentpullsmebacktoyou…»(Quoiquejefasse,jesuisramenéeverstoiparcecourant…)C'estàlafoisbeauetentêtant.Moves(VinnyVero&SteveMiglioreRadioEdit)deBrightLightBrightLightUnefoisencore,lesparolesrésonnentavecl'histoire:«Movingonisthehardestthingtodo…»

(Avancer,c'estleplusdur).Legrooveestsuper,etjetrouvequec'estunremixgéniald'unechansondéjà excellente à la base. On peut aussi écouter la Blueprints Version si on préfère des tonalitésacoustiquesplustendres,quisoulignentlesparoles.InTheDarkdeTiëstoetChristianBurnsUnechansonplusancienne,maislesparolesconviennentbienàCaseyetDaniel:«CauseIwillbe

there,andyouwillbethere,we'llfindeachotherinthedark»(Commejeserailà,ettoiaussi,nousnousretrouveronsdanslenoir).SwaggadeExcisionetDatsikCommeWelcomeToTheJungle,c'estunmorceauqueCaseyprogrammeraitaprèsminuit,quandle

publicestd'humeurplussensuelle.LikeSatellitesdeManufacturedSuperstarsJevoisbienCaseypasserçaauMask.AllofMe(Tiësto'sBirthdayRemix)deJohnLegendC'est une belle chanson, riche de sentiments, et le remix trouve vraiment son rythme dans la

deuxième moitié. Ce serait sur la playlist personnelle de Casey, et une fois encore, les paroles

correspondentbienàScratch.StealYouAway(ClubMix)deDashBerlin,AlexanderPopovetJonathanMendelsohnUnbeaucrescendo iciaussi,etjevoisbienCaseyécrireunmorceaucommecelui-là,etmêmele

passerauMask.Parachute(tyDIMix)deIngridMichaelson«Idon'tneedaparachute,baby,ifI'vegotyou,you'regonnacatchme…»(Jen'aipasbesoinde

parachute,chéri,quandtueslàpourmerattraper).Jepensequec'estlegenredechansonsqueDaniel–pourchanger–mettraitdansuneplaylistpourCasey.Etelleaunetrèsbellevoix,commetoujours.SaySomethingdeAGreatBigWorldEncoreunechansonquiferaitunbonthèmepourScratch,particulièrementverslafin.Ontrouve

de bons remix, mais les paroles brutes sont mieux mises en valeur par un accompagnementminimaliste.J'aileslarmesauxyeuxchaquefoisquejel'écoute.

Remerciements

Merciàmoncorrecteur,Peter,poursesconseilsavisésquim'ontaidéeàdonneràcelivretoutelaforcequ'ilpouvaitrecéler.Etàtoutel'équipedeKensingtonpoursonsoutien.Merci àmes camarades d'écriture. Si je ne pouvais pasm'appuyer sur vous, jeme roulerais en

boulepourpleurer.C'estvousquimepermettezdegarderlatêtesurlesépaules.Merciàmamerveilleusefamilleetàmesamis.Vousnemanquezjamaisdevousprécipiterpour

acheter mes livres, et d'insister lourdement auprès des autres pour qu'ils en fassent autant. C'estadorable.Etpourfinir,merciàtoi,lecteur!J'espèrequecettehistoireteplaira.

RhondaHelms est diplômée en littérature et écriture d'invention. Quand elle n'est pas en traind'écrire, elle dévore des romans et se consacre à la photographie amateur. Elle avoue aussi undangereuxpenchantpourlefromage.Ellevitdansl'Ohioavecsafamille,undiscrettoutouetunchatquimiauleparticulièrementfort.