rhonda helms - ekladata.comekladata.com/05lu41p-mcfe7dj-2sxghyisvuq/scratch_-_rhonda_helm… ·...
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Dédicace
Celivreestdédiéàmonmarietmesenfants.Onnepeutpasrêverdemeilleursoutien!
Vousêteslalumièredemavie.
Chapitrepremier
—Est-cequetuaslanouvellechansondeDogfaceThirty?Lafillemesouriaitd'unaircondescendant toutenhurlantpourque je l'entende.Tropbronzéeet
perchéesurdestalons,elletapaitdupiedsurlesmarchesquimontaientversmonbox.—Tu la connais sûrement, ajouta-t-elle.Tu sais, c'est celle où il dit dans le refrain : « I wanna
bounceyourbig…»—Oui,merci,jevoisdequoituparles,l'interrompis-jeavecunsourirepoli.Jedétestaiscettechanson,débileetmisogyne,maisçan'avaitpasd'importance.—Jelapassedèsquejepeux,conclus-je.—T'asintérêt,toutlemondeattendça.Ahoui,ettiens,c'estpourtoi.Ellefouilladanssonsac,ensortituneénormeliassedebillets,etattrapaundollarqu'elleposasur
maplatine.Puis,avecungestefaussementamicaldelamain,elles'éloignaenroulantdesfessesdanssamicrojupe,lapluscourtedetoutelaboîte.—Merci,c'esttropgénéreux,marmonnai-jealorsqu'elles'éclipsait.J'auraisbienlevélesyeuxauciel,maisaprèstout,ellen'étaitpasobligéedemedonnerquoiquece
soit.Donc,c'étaitmieuxquerien.Sans m'entendre – ou peut-être qu'elle s'en moquait – elle disparut dans la foule en transe qui
s'agitaitausondesbassesquis'échappaientàpleinvolumedemeshaut-parleurs.Je remismoncasquepourm'occuperde la transition avec la chanson suivante, unnouveau tube
dubstepindé.Sicertainsdesclientspouvaientsemontreraussiprétentieuxquelajoliedemoisellequivenaitdemedemanderuntitre, laplupartétaientdesgenssuperquiappréciaientlamusiquevariéequejeleurproposais.Ilsn'hésitaientpasàs'approcher,unverreàlamain,sourireauxlèvres,etàmeglisser dix dollars pour me remercier d'avoir programmé un morceau qu'ils aimaient. Dans cetendroit,leweek-end,jenevoyaispaspasserlanuit.Et je devais bien admettre qu'amener la foule à ce degré de folie était à la fois euphorisant et
hypnotique.Enexauçantlesdésirsdecetteassistanceenmanquedebonnemusique,jesentaiss'établirun lien puissant.Ceque je nem'autorisais jamais sur le campus, ni ailleurs.Là, dansmonbox ensurplomb,jepouvaislesregardertoutenrestantàl'abriduchaos.Je vidai mon verre d'eau citronnée, secouant mon débardeur bleu pour rafraîchir mon buste
ruisselantdesueur.Maispastropfort,pouréviterdedévoilerlescicatricesdemonventre.LeMask,unedesboîteslesplusbranchéesdelarégiondeCleveland,étaitrapidementsurchaufféàcausedelafoule,maiscesoir-là,latempératureétaitencoreplusélevéequ'àl'accoutumée.Seulementuneheureaprèsavoircommencémasession, je ruisselaisdéjà.Peut-êtrequesi jechoisissaisdes tenuespluscourtesetpluslégères,commelesautresfilles,jeseraisplusàl'aise.Maisc'étaithorsdequestion.Justin,l'undesbarmen,vintm'apporterunnouveauverred'eau.—Tiens,Casey,medit-ilavecunsourire.
Sescheveuxauxpointesteintesenroux,étaientcoiffésàlaperfection,etilportaitunjeanmoulantavec un tee-shirt noir ajusté. C'était un garçon intelligent, qui savait utiliser son corps comme unatout:touteslesfillesluicouraientaprès.Bienqu'ilpréfèreleshommes,iln'avaitaucunproblèmeàselaisserdraguerenéchanged'unbon
pourboire.—Ah,tulisdansmespensées,remerciai-jeenattrapantunglaçonpourm'enfrotterlanuque.J'avaisremontémescheveux,maisleboutdemaqueue-de-chevalvenaitquandmêmesecollersur
mapeaumoite.—Ilfaitencorepluschaudqued'habitude,commentai-je.—Salm'adit que le climatiseur avait lâché, expliqua-t-il avecun riremoqueur. Jemedemande
bienquandilsedécideraàleréparer…—Sansdoutejamais,dis-je,amusée.Çaluirapporteplusd'argentquelesgensmeurentdesoif!Il
n'estpasbête.Troismoisauparavant,j'avaisréponduàuneoffred'emploi:uneboîtedenuitsituéeàdeuxpasde
mon campus recherchait un DJ à temps partiel. L'établissement venait d'ouvrir en fanfare, et Salm'avaitaussitôtfaitforteimpressionentantquegérantpleindejugeote.Petit,trapuetnemâchantpassesmots,ilavaitcommencéparmeregarderenfrottantsoncrânechauve.—Toi,tuesDJ?Tun'espasunpeujeune,mapuce?C'estvraiquejenefaisaispasmesvingtetunans,etqueparconséquent,lesgensavaienttendance
ànepasmeprendreausérieux.Mais,deuxansauparavant,lorsquej'avaisdonnéuncoupdemainàmon cousin John comme DJ au mariage d'un parent éloigné, je m'étais aussitôt sentie accro. J'aiéconomisé pendant plusieurs mois pour m'acheter du matériel d'occasion, et je me suis mise àtravaillerrégulièrementaveclui.C'estWilliamquiarepérél'annoncedeSaletm'aencouragéeàtentermachance.Maisquandj'aivu
lehaussementdesourcilsdontmegratifiaitSal,j'aibiencomprisqu'ilétaitsceptique.—J'aiunecollectiondedisquesabsolumentincroyable,etjedisposed'unéquipementcomplet.Je
suisfiable,bosseuse,etjem'yconnaisenmusique.Sivoussouhaitezquevotreboîtecrèveleplafondtrèsvite,jepeuxvousaider,luiai-jeassuréenleregardantdroitdanslesyeux.Jenesaispascequim'aprisdedireça.Était-celedésespoir?Unefaçondecachermapeur?Je
l'ignore,mais j'avais de bonnes raisons de vouloir ce job. J'en avais vraiment besoin.Assez pourtenterdel'enfumerenmefaisantpasserpourlacrèmedelacrème.Salestrestépensifunmoment,puisilm'atapédansledosavecungrandéclatderire.—Tuasducran,petite.Onvafaireunessai;onverrabiencequeçadonne.Troismoisplustard,j'étaisencorelà.Ungroupedejeunesfemmesfituneentréetumultueuse,braslevés,poussantdeshurlements.Leurs
vêtements les dévoilaient plus qu'ils ne les couvraient, et elles avaient l'air d'être déjà salementéméchées,alorsqu'iln'étaitque23heures.J'espéraisqu'ellesneprovoqueraientpas tropdechahut.L'uned'ellesportaitundiadèmeetuneécharpe:ellesfêtaientsoitunenterrementdeviedejeunefille,soit un anniversaire. Selon toute vraisemblance, elles allaient me demander une chansonparticulièrementsalaceensonhonneur.Maisjesavaisquejepourraiscomptersurunbonpourboire,
jem'empresseraisdoncd'accéderàleurdemande.Justinrevintmetrouver,tenantàlamainunebièrelégère,l'airmystérieux.—C'estpourtoi,annonça-t-ilenposantleverresurladesserte.—Euh…merci,maistusaisbienquejeneboispasd'alcool.Jamaisentravaillant,etrarementlerestedutemps,mêmeàlamaison.Quandonestbourré,ona
tendanceàproférerdesvéritésqu'onregretteparlasuite.—Cen'estpasdemapart.C'estl'undesmecs,là-bas,quitel'envoie,expliqua-t-ilavecunsignede
têteverslebar.Quelqu'un m'offrait un verre ? Je suivis son regard, mais la foule était si dense que c'était
impossibledesavoirquiétaitl'auteurdecegeste.—Jeteremerciedemel'avoirapportéenpersonne.—Jen'auraisloupétaréactionpourrienaumonde,lança-t-ilavecunclind'œilgoguenard.Pasétonnant:çan'arrivaitjamais.J'évitaislestenuessexy,metenaisenretrait,etnejouaispasde
mes«atouts».Jepréféraism'exprimeràtraverslamusique.Maisçan'avaitpasempêchéquequelqu'unmeremarque…—Ilestsupermignon,enplus.Situn'enveuxpas,tupeuxmelelaisser,plaisantaJustinavantde
repartirverslebar.À la fois flattée et gênée, je sentismon cœur s'emballer.Qui étaitmonmystérieux bienfaiteur ?
Fallait-illeremercier?Paraîtrais-jeimpoliesijenelefaisaispas?D'une main tremblante, je levai mon verre en direction du bar. Je ne voyais pas le garçon en
question,maisjesupposaisquemesremerciementsneluiéchapperaientpas.Jeprisunepetitegorgéeparpolitesseavantdereposerlapintesurmatable.Pendant deux heures, le temps sembla s'envoler.Malgré la chaleur qui ne cessait de grimper, la
boîte était bondée, avec une ambiance de folie. Quelques filles de mon cours de finances étaientpasséesmesaluer.Jem'étaisefforcéedesourireetleuravaisproposédeprogrammerdeschansonsdeleurchoix.C'étaitlemomentdefaireunepause.J'avaisbesoindemedégourdirlesjambes.Aprèsavoirlancé
monCDdemixetindiquéàJustinquejesortaisquelquesminutes,jem'étaisfaufiléeparlaportedederrière.Ilnefaisaitguèreplusfraisdehors,maisunepetitebrisesoufflaitdansl'allée.Jem'appuyaicontrelemurdebrique,monverred'eauàlamain,pourprofiterdecetinstantderépit.La plupart du temps, l'allée était peuplée de fumeurs et parfois de couples ivres, occupés à
s'embrasserlascivementsanslamoindrepudeur.Maispourunefois,toutétaitcalme,etçamefaisaitdubien.Jeprisuneprofondeinspirationetroulailatêtepourmedétendrelecou.Soudain,unevoixgrave,surgied'uncoinsombre,rompitlesilence.—Euh…jepeuxmemettrelà?Jesursautaisiviolemmentquejem'aspergeailesbras.Del'autremain,jevérifiaiquej'avaisbien
moncouteaudansmapoche.Bienentendu,jenel'avaisjamaisutilisé,maismieuxvautprévenirqueguérir–surtoutquandonestseuleavecuninconnu.—Quiestlà?demandai-jed'unevoixquinetrahissaitpasmanervosité.
Ungarçonauxcheveuxnoirssortitdel'ombre,lesmainslevéespoursignalerqu'ilvenaitenpaix.Grand,vêtud'untee-shirtblancetd'unjeanélimé,jel'avaisdéjàvu:ilétaitdansmoncoursdephilo.Jenemesouvenaisplusdesonnom,maisjen'avaispasoubliésesyeuxvertsbrillants,quim'avaientfrappéelorsdupremiercours,deuxsemainesauparavant.Ilavaitéchangéquelquesblaguesd'initiésaveclaprof,quienavaitpleuréderire.Personnedanslasallen'avaitcomprisdequoiilsparlaient…Contretouteattente,sonhumourbizarren'avaitpasdécouragélesfilles:ilavaitréussiàenattirer
deux,quis'asseyaientdepartetd'autredeluietl'assaillaientderegardscoquins.Demaplace,justederrièrelui,jedevaisvraimentm'appliquerpournepasmelaisserdistraireparsesépauleslargesetsataillefine.Lesdeuxfillesnecessaientdeglousser,cequiavaitl'artdemetapersurlesnerfs.Il s'avança, un sourire désabusé aux lèvres, et s'arrêta à quelquesmètres demoi. Il se passa une
maindanslescheveux,sansréussiràleslisserréellement.Jenepusm'empêcherderemarquersesbrasmusclés.—Désolé,jenevoulaispastefairepeur.Ilfaitunechaleurinfernale,là-dedans…—Ilnefaitpastellementmeilleurici,répliquai-jed'untonmesuré.J'étaisennage.Jetentaid'afficherunairdétendu:ilavaituncomportementtoutàfaitcorrect,mais
jepréféraisquandmêmelegarderàl'œil.Iljetaunbrefregardauverred'eaudontj'avaisrenversélamoitié.—Jet'auraisenvoyéautrechose,sij'avaissuquetun'aimaispaslabière.Oh,c'estlui?!—Ah,merci.Maispourquoiest-cequetum'asoffertàboire?demandai-jesansprendreletemps
deréfléchir.Oh non, j'étais toujours tellement maladroite… malpolie, même. Certes, je ne voulais pas
l'encourager,maiscen'étaitpasuneraisonpourmecomportercommeunemalotrue.Grand-mamanm'auraitfaitlesgrosyeux,sielleavaitsu.—Etpourquoipas?rétorqua-t-ilavecunsourire.Incapabledetrouveruneréponseintelligente,jemecontentaid'unegrimace.—Tut'appellesCasey,n'est-cepas?Onestdanslamêmeclassedephilo.Jesuisassisjustedevant
toi.Mainsdanslespoches,ilsebalançaitunpeu,l'airdétendu.Ainsi,ilm'avaitremarquée.Jefrémisàl'idéequel'intérêtquejeluiportaisétaitréciproque.—C'estlapremièrefoisquejerencontreunDJ.Commentest-cequetuchoisislesmorceauxquetu
passes?Ilallas'appuyercontrelemurenfacedemoi,brascroisés,vibrantdecuriosité.—Enfait,jemélangecequimeplaîtàmoi,etcequelesgensontenvied'entendre.Donc,j'alterne
lestubesetdestrucsplusconfidentiels.J'étais tellement perturbée que ça devaitme donner l'air bête. Je n'avais pas l'habitude qu'onme
regardeavectantd'avidité,toutenm'accordanttoutl'espacedontj'avaisbesoin.Biensûr,cen'étaitpaslapremièrefoisquejemefaisaisdraguer.Aprèstout,dumomentqu'onest
unefille,çaarrive forcément.Mais jememontrais toujours tellementmalà l'aiseque lesmecsne
tardaientpasàlaissertomber.Cettefois,c'étaitdifférent.Ilacceptaitmabizarrerieetgardaituntonamicalquinememenaçaitpas.Jemedétendisunpeu.— J'ai bien aimé la chanson où la basse et le synthé se répondaient, comme un dialogue. Je ne
l'avaisencorejamaisentendue.Je rougis jusqu'à la racinedescheveux. Jevoyais trèsbiendequelmorceau ilparlait : je l'avais
composémoi-même.C'était la première fois que j'osais faire ça : passer une de mes créations. J'avais bossé dessus
pendant des semaines. J'avais prévu une autre chanson à intercaler en vitesse si jamais celui-là nedonnaitrien.Maislepublicavaitcontinuéàdansersansproblème.Avecunsignedetête,legarçons'écartadumuretsedirigeaverslaporte.—Je feraismieuxde rentrer, sinonmespotes vont croire que jeme suis fait agresser, dit-il en
riant.—Moiaussi.Merciencorepourlabière.Il se tournaversmoi, sourireaux lèvres.Sesdents luisaient à la lumièredes lampadaires. Justin
avaitraison:cetypeétaitvraimentmignon,medis-je,lecœurbattant.Etassezperturbant,aussi.Jen'arrivaispasàlecerner.Alorsqu'ilallaitdisparaîtreparlaporte,jel'arrêtai:—C'estquoitonnom,déjà?J'avaishontededemander,maisçam'auraitembêtéedenepaslesavoir.—Daniel,répondit-ilpar-dessussonépaule.Àlundi,Casey.Ils'enfonçadansl'obscurité,avaléparlanuitnoiredumoisdeseptembre.JereprismonverreàmoitiévidepourretournerdansmonboxdeDJ.Pendantlerestedelasoirée,
j'eusbiendumalànepasregarderdanssadirection.Jesavaisqu'ilnefallaitpas,maisjen'arrivaispasàmelesortirdelatête.
Chapitre2
Jedétestaislelundi.Jemefrottailefrontenréprimantunsoupir.Toutlemondeétaitpenchésursonlivre,maisjene
comprenais pas un traître mot de ce que je lisais. MmeWilkins nous avait demandé de prendreconnaissance du passage sur le Surhomme de Nietzsche dans notre manuel et d'écrire uncommentaire:ceconceptétait-ilounonpertinentdanslasociétéd'aujourd'hui?Une réflexion bien trop profonde pour mes neurones de bon matin. La prochaine fois, je me
blinderaisdecaféavantlecours.Çanemepermettraitpeut-êtrepasdecomprendrecequisedisait,maisaumoinsjeseraisbienréveillée.Devantmoi,Danielétaitpenchésursonbureau.Jedevinaissesmusclesàtraversletissuvertfoncé
desachemise.Detouteévidence,luin'avaitaucunmalàsaisircequelaprofattendaitdenous.Mêmelesdeuxfillesquil'entouraientétaiententraind'écrire.Jedoutaisunpeuqu'ellessoientoccupéesàrépondreàlaquestion.Jeprisuneprofondeinspirationetreluslepassage,unephraseaprèsl'autre.Lecours,quinedurait
quecinquanteminutes,touchaitàsafin.L'espritenvahidepenséesnégatives,jesentismoncœurseserrer.Sij'avaisdéjàtellementdemalàcomprendreautoutdébutdusemestre,qu'est-cequeceseraitdansdeuxmois,quandonseraitplongésjusqu'aucoudanslesthéorieslesplusobscures?Certes,jepourrais toujours changer d'option au semestre prochain, mais ça décalerait l'obtention de mondiplôme.Jen'allaispasbaisserlesbras.—Vous finirez ça à la maison. Recopiez-le au propre, et n'oubliez pas de l'apporter mercredi,
rappelaMmeWilkinssansprêterattentionauxprotestationssourdesquifusaientaufonddelaclasse.Ellerefermasoncahieretsemitàfourrerd'énormespilesdepapiersdanssonsacentissu,assorti
àsajupenoireetrouge.Commetoujours,elleavaittressésonabondantecrinièreenunenattedansledos.Elledevaitdétenirlerecorddumondedunombredetuniquesteintesàlamain.Mme Wilkins était une dame âgée qui refusait catégoriquement la plupart des nouvelles
technologies,prétendantqu'ellesabrutissaient lapopulationencréantdesaddictionsetun repli sursoi. J'avais même entendu dire qu'elle avait une vieille machine à écrire dans son bureau, et quel'administration avait mis un an avant de la convaincre d'utiliser le système informatique del'université.Commeelleétaittitulaire,ellesesentaitenpositiondeforce.—Àlaprochaineséance,vousaurezune interrogation,vousavez intérêtà réviser.Vouspouvez
partir,conclut-ellesèchement.J'étais à la fois soulagéeet abattue. J'allais certainementpasser tout le trimestre lenezdansmon
manueldephilo.Jecherchaidansmontéléphoneuneplaylistentraînanteetmisunécouteurdansl'unedemesoreilles.—Quelcoursaffreux!soupiraDanielensetournantversmoi,ungrandsourireauxlèvres.Les jouesenfeu, je tentaidenepas ledévorerdesyeux.Jedevinaischaquemuscledeson torse
soussachemise.
—Jenesaispascommentjevaism'ensortir,avouai-je.Ilrangeasonmanueldanssonsacetremontal'alléeentrelestablesverslaporte.Jeprisgardeàne
pasmarchertropprèsdelui.Jenevoulaispasqu'ils'imaginequejelesuivais.Mais il ralentit pour m'attendre. Je choisis de laisser pendre mon deuxième écouteur sur mon
épaule.—Tuenpensesquoi,toi?—Dequoituparles?—DuSurhomme.Laquestionpourmercredi.—Donne-moid'abordtonpointdevue.J'auraispupariercentdollarsqu'ilavaitunebonneréponse.Ets'ilmelacommuniquait,jepourrais
peut-êtrem'enservir.—Tumeplais!déclara-t-ildansunéclatderirerauque.C'étaitlapremièrefoisqu'ungarçonmedisaitça,avectantdelégèreté.Commes'ilavaitparléde
sonparfumdeglacepréféré.«Tumeplais.»Jerougisdeplusbelle.—Tudistoutcequetupenses,ondirait?Ilouvritlaportedubâtimentpourmelaisserpasser.Unvraigentleman,avecça.J'allaisdesurprise
ensurprise.J'éteignismamusiqueetrangeaimontéléphonedansmapoche.—Pourquoiest-cequejedevraismetaire?Lavieesttropcourtepourfairedesmystères.Nousmarchionssur le trottoirdansunsilenceagréable.Quelquesvoitures roulaientdans la rue.
Lesoiseaux,cachésdanslefeuillageépaisdesarbresquibordaientlarue,gazouillaientàquimieuxmieux,mais jen'yprêtaispas attention : laprésencemagnétiquedeDanielm'enempêchait. J'avaisvraimentbesoind'uncafé,maisjen'avaispasletempsderepasserchezmoi.Je décidai de me rendre au Coffee Baby, le meilleur coffee-shop de Berea. Pour un prix très
raisonnable, on pouvait y acheter d'énormes viennoiseries, et les quantités de café étaient plus quegénéreuses.C'étaitleparadisdesétudiantssérieux.—Oùtuvas?finis-jepardemander.Ilavaitcertainementunautrecours.—Mescoursnereprennentqu'endébutd'après-midi,etjen'airienàfaired'icilà.Jem'arrêtai.Bienqu'ilsoitencoretôt,lesoleilétaitdéjàaccablant.—Maisalors…qu'est-cequetufaisiciavecmoi?J'étaisterriblementmalàl'aise.Jen'avaispasenviequ'ilresteprèsdemoi,meforçantpeuàpeuà
m'ouvrir.Mavieneregardaitpersonne.Il se tournaversmoi.Dans la lumièrequi filtrait à travers lesbranches, sonvisageétaitmarbré
d'ombresetunpeuverdâtre.—J'aicommel'impressionquejetetapesurlesystème…Tupréfèresquejem'enaille?—Non,pasdutout,mehâtai-jedebredouiller,honteusedemonhostilité.
J'étais prête àmemontrer aussi franche que lui. Oui, il memettait mal à l'aise.Mais enmêmetemps,ildégageaituncharismequiincitaitàl'écouter,àdésirerquesesyeuxseposentsurvous.Jel'avaisressentidansl'alléederrièrelaboîtedenuit,maisaussilorsqu'ilprenaitlaparoleencours.Àprésent,j'étaisdevenuelacibledecetétrangepouvoir.Etjenecomprenaispaspourquoi.Ilchangeasonsacd'épaule.Ilavaitdestachesderousseursurlesbrasetlenez.Curieuxmélange
d'airenfantinetdecharmeviril.—Tuasquelquechosedeprévu?J'aimeraisbient'inviteràboireunverre.Jedevraisdécliner,maintenirnotre relationàcestade-là : intéressantesansêtre tropproche.Pas
troppersonnelle.Maisjenepusm'empêcherderépondre:—C'estmoiquit'offreuncafésitumedonnesuncoupdemainpourledevoirdephilo.Qu'est-cequim'étaitpasséparlatête?J'étaisaussisurprisequelejouroùj'avaisaffirméàSalque
j'étais leDJ qu'il lui fallait. J'avais beau tenter de la faire taire, une partie demoi avait gardé sonfranc-parlerd'antan.Cen'étaitpourtantpasfauted'essayerdemettremaviesurdesrails…Maisiln'yavaitpasdemalàpasserunpeudetempsavecuncamaradedepromo.Etsijeparvenais
àsortirlatêtedel'eauenphilo,jeseraismoinsstressée.Voilàtout.Ilacquiesçaavecunsourire.ArrivésauCoffeeBaby,ilouvritlaportedevantmoi.Ilfaisaitdélicieusementfraisetuneodeurde
caféflottaitdanslapièce.Jepoussaiunsoupirdesoulagementensentant lasueurrefroidirsurmapeau.JesuivisDanielversunetabledanslefond,etnousprîmesplacesurdeschaisesbancales.Danielselaissaallercontresondossier,lesbrascroisés,interrogateur.Je détournai les yeux. Il avait un regard si perçant que la vie devait lui apparaître avec une
abondancededétailsinsupportable.Commentfaisait-ilpournepastrouverçaépuisant?—Qu'est-cequetuprends?m'enquis-je.Ilsuivaitdudoigtlesirrégularitésduboisdelatable.Fascinée,jenepouvaismedétacherdeses
mainsd'artiste.Lagaucheétaittachéed'encre.—Tuesgaucher…—Ehoui,j'utilisemamauvaisemain!répliqua-t-ilenriant.—Quoi?— Autrefois, être gaucher était mal vu. On pensait même que c'était un signe du diable. On
contraignaitlesenfantsàécriredelamaindroite,quitteàdevoirlesbattre.—Quelleconnerie!—Lemonden'estpastoutrose.Lesgensfontdeschosesaffreuses,parfoissansraison.Ça,j'étaisaucourant.Jemerembrunisaussitôt.Jen'auraispasdûvenir.J'allaisluipayeruncaféet
partir,etmaviereprendraitsoncoursnormal.—Tuesoù,là?demanda-t-ilensepenchantpourmeregarder.Jemelevaid'unbond.J'avaislachairdepoule.Ce n'est rien, c'est juste le froid. À cause de la clim. Tout va bien. Prends ce café et tire-toi en
vitesse.—Qu'est-cequiteferaitplaisir?Machinalement, jeme passai lamain sur le côté gauche du ventre.Ma cicatrice, profonde, était
perceptible à travers mon tee-shirt ample. Remarquant que Daniel suivait ma main des yeux, jem'immobilisaiaussitôt.—Uncafénoir,s'ilteplaît.Avecunsignedetêtegêné,jemedirigeaiverslecomptoir.Ilallaitmeprendrepourunefolle.Il
fallaitquejereprennelecontrôledemesémotions.Pendant que l'employé, un gars très grand et blond que je n'avais jamais vu, préparait les deux
boissons,jem'appliquaiàrespirercalmement,inspirantparlenezetexpirantparlabouche.Commegrand-mamanmel'avaitappris.C'étaittoujoursefficace.Jecroyaisentendresavoixdansmonoreille,etjemedétendis.Jesentais
mes muscles se décontracter l'un après l'autre. Grand-maman m'avait prévenue que les crises depaniquepourraientêtredéclenchéespardesdétailsinsignifiants,etquejenem'endébarrasseraissansdoute jamais. Ce que j'avais de mieux à faire, c'était d'en être consciente et de ne pas me laissersubmerger.Plus facile à dire qu'à faire. D'un autre côté, c'était son propre fils qui m'avait fait ça, donc sa
douleurdevaitêtrepresqueégaleàlamienne.Mon téléphone vibra dans ma poche. Voyant s'afficher un texto de ma grand-mère, je ne pus
m'empêcherdesourire.Onauraitditqu'ellelisaitdansmespensées!D'unautrecôté,àprésentqu'ellesavait envoyer des messages, elle ne s'en privait pas. Elle était plutôt douée avec les nouvellestechnologies.Grand-papa,àl'inverse,refusaitdetoucheruntéléphoneportable.
Il va faire beau aujourd'hui, alors n'oublie pas ta crème solaire. Ça serait dommaged'abîmertapeauclaire!Bises,Grand-maman.
Jepouffaiderire.Çam'amusaittoujoursdevoirqu'ellesignaitsestextos.Ellen'avaitpasencore
comprisquejesavaisdetoutefaçonquec'étaitelle.Jerépondisquej'allaismeméfierdusoleil,etsentislerestedematensionsedissiper.L'employé poussa deux gobelets dans ma direction. Je lui glissai quelques pièces et lui dis de
garderlamonnaie.Sonairdistantfutaussitôtremplacéparunsouriresincère.Jen'avaisaucunmalàsavoircombienilpeutêtrepénibledetravailleraucontactdesclients.Je posai les consommations sur la table d'unemain sûre. J'étais fière demoi : j'avais repoussé
l'attaque de panique. Je savais que ça ne serait pas aussi facile la prochaine fois,mais j'avais bienl'intentiondeprofiterdemonsuccès.Unjouràlafois.Jedevaismeconcentrersurl'instantprésent.—C'estdélicieux,commentaDaniel,manifestementsurpris.C'étaitlapremièrefoisqu'ilvenait,alors?Jehochailatêteetbusàmontourunegorgée.Ilétait
trèsfort,justecommejel'aimais.
—J'aipassédesheuresetdesheuresici,cestroisdernièresannées.Aprèsledéjeuner,quandtoutlemondeluttepournepass'endormir,ilyadelaqueuepresquejusquesurletrottoir.Àprésentquemacrised'angoisseétaitpassée,jepourraisenprofiterpouravancersurcetravailde
philo. Il fallait bien que jem'en occupe à unmoment ou à un autre, de toute façon. Je sortismoncahier et le manuel. J'étais soulagée que Daniel n'ait pas émis de commentaires sur moncomportement,etjenevoulaispasluilaisserl'occasiondes'yintéresserplusavant.—Çanet'embêtepassijeteposequelquesquestionssurleSurhomme?J'aimeraisbienprendre
desnotesenmêmetemps.Tuasl'airdecomprendrebienmieuxquemoidequoiils'agit.—Jet'enprie.—OK,dis-jeaprèsm'êtreraclélagorge.Pourcommencer,c'estquoi,enfait,unSurhomme?—Tuasl'artdeposerdesquestionssubtiles,répondit-ilenriantauxéclats,avantdeselancerdans
uneexplicationpatiente.Ilmefallutunmomentpoursaisirtouteslesnuancesdesonpropos.Certes,c'étaitassezcompliqué,
mais je dois aussi admettre que l'odeur fraîche de son eau de toilette ne m'aidait pas à resterconcentrée.Ilétaittoutprèsdemoi,penchésurlemanuel,pointantdudoigtunephraseouuneautre,etçamedonnaitdesfrissons.Jeneparvenaispasàdétournerlesyeuxdesesdoigts,àcesserd'observerlafaçondontilbougeait
unpeu sur sa chaise, le souffle douxqui s'échappait de ses lèvres entrouvertes.Chaque centimètrecarrédemapeauétaittroubléparsaproximité,c'étaitgênant.Jen'avaisjamaisétéaussiréceptiveàunautreêtre.C'étaitdéconcertant.Magnétique.—Pourrésumer,onpeutdirequeleSurhomme,c'estl'hommeidéalselonNietzsche.Ilnesesent
pasobligédefairecommetoutlemonde.Cen'estniunsuiveur,niunmeneur.Iladesidéesetdescroyancesàlui,etiln'essaiepasdelesimposerauxautres.PourNietzsche,Dieun'existepas.Doncchaque homme doit se créer sa morale. Tu comprends ? demanda-t-il, les yeux brillantsd'enthousiasme.J'acquiesçai en silence. Je commençais à saisir le concept,mais il fallait que jem'éloigne de ce
garçonavantdecommettrel'irréparable.Commedeluidirequej'aimaissonodeur,parexemple,ouqu'ilmefaisaitmesentirtoutedrôle.—Euh…oui. Jecroisque j'ai saisi.Mais jedoisyaller,maintenant.Mercipour tonaide.Toute
seule,çam'auraitprisdesheures…Baissantlatêtepourévitersonregard,jelaissaitombermesaffairesdansmonsac.— Je t'en prie. J'espère qu'on aura l'occasion de se refaire ça bientôt, dit-il avant de boire une
gorgéedesoncafé,quidevaitêtrefroid.Iln'yavaitpastouchépendantqu'ilmeparlait.Incapablederépondre, je toussotai.Est-ceque j'avaisenviede le revoir?Àmagrandesurprise,
oui.Maisaulieud'enconvenir,jemecontentaid'unhaussementd'épaulesvague,leremerciaiencore,etmedirigeaiverslasortie,déposantdansunepoubellemongobeletàmoitiéplein.Enfranchissantleseuil,jejetaiundernierregardverslefonddelasalle.Danielavaittoujourslesyeuxrivéssurmoi,lestraitsempreintsd'uneémotionindéchiffrable.
Chapitre3
Machansonétaitpresquefinie.Les yeux rouges, je me concentrai sur la liste de pistes dans mon ordinateur, cliquant pour en
écoutercertaines.Jefouillaisparmilessamplesquej'avaiscréésouachetéscesdernièresannées.Lamusiqueélectroniqueestaussidifficilequen'importequelleautreformedecomposition.Ilm'arrivaitdechercherlebonsamplependantdesheures.Siriennemesatisfaisait,jelecomposaismoi-même.Lemorceau que j'étais en train de terminer était un peu plusmélancolique que ce que j'écrivais
d'habitude. En général, je mettais beaucoup de basses et unemélodie qui leur répondait. C'étaientd'excellents ingrédients pour une diffusion en boîte de nuit.Mais ce jour-là,mon inspiration étaitdifférente.J'avaisenviedequelquechosedeplusévocateur.J'avaisétéréveilléedeuxheuresplustôtparuncauchemar,encoreplusbrutalqued'ordinaire.Dans
monrêve,jemetrouvaisdansunepiècesombre;leslitsjumeauxétaiententourésd'unhaloblafard.MasœurLilatournaitversmoisonvisagelivide,maculédesang.Nousétionstoutesdeuxétenduessurlesolentrenoslits,lesmembresécartésdansdespositionsétranges,commedeuxmarionnettesqu'onalaisséestomberbrusquement.Lilaouvraitlabouche,maisdusangencoulaitetjenecomprenaispascequ'ellevoulaitmedire.
J'essayaisde ramperverselle,mais ladouleurdansmonventreétait siviveque jenepouvaispasbouger.J'appuyaislamainsurlablessuredontlesangcoulaitàflots.Elletentaitunedernièrefoisdeproférerunson,puissonregarddevenaitvitreuxalorsqu'ellerendaitsonderniersoupir.C'est alors que je m'étais réveillée, trempée de sueur, le visage ruisselant de larmes. Mes
couverturesgisaientsur lesol,monoreillerétaitdéforméà forced'avoirétéagrippé,et jem'étaismorduleslèvrespournepascrier.Aprèsplusdehuitans,onauraitpucroirequecesrêvesnemefaisaientplusrien.Quejelessentais
venir,quejen'avaispluspeur.Iln'enétaitrien:c'étaittoujourslemêmechoc,lamêmehorreur.Prenant une gorgée d'eau, je repoussai ce souvenir etme concentrai surma tâche. L'expérience
m'avait appris que si je travaillais jusqu'à ne plus en pouvoir, j'arrivais à me rendormir pourgrappillerquelquesheuresdesommeilsupplémentaires.Aprèsuncafé, j'avaisassezd'énergiepouraffronterlajournée.SachantquejedevaisallerbosserauMaskdansdix-huitheures,j'avaisintérêtàavoirmonquotaderepos.Ajustant mon casque sur mes oreilles, je lançais un sample, une voix féminine qui chantait en
français. Le timbre était léger, aérien, les mots comme une caresse. La première fois que j'avaisentendu cette voix, j'en avais eu des frissons. Ça irait àmerveille avecmon sample de cordes. Jel'ajoutaiàmonmorceau,quej'avaisintituléI'mHauntedenattendantdetrouvermieux.Soudain,unemainvintseposersurmonépaule.Terrifiée,jemelevaid'unbond,lesoufflecourt.
J'arrachaimoncasqueetfisvolte-facepourmieuxdistinguermonassaillant.Megan,macolocataire,medévisageait,effrayée,lescheveuxenbataille.Derrièreelle,laportede
machambreétaitouverte,révélantlecouloirsombre.
— Ça va ? me demanda-t-elle. Ta musique m'a réveillée… J'ai frappé à la porte, mais tu nem'entendaispas,avectoncasque.Elleavaitunemarqued'oreillersurlapeausombredesajoue.Moncœurcommençaàsecalmer.—Tum'asfoutulesjetons,avouai-je,lamainsurlapoitrine.Jesuisdésolée.J'étaisentrainde…Jejetaiunregardàmonécran,oùmacompositionétait toujoursaffichée.Megansepenchavers
l'ordinateur,curieuse.—C'estquoi?Dutravail?Ilest1heuredumatin,tusais.—Hum…riend'important.Jetuaisletemps,c'esttout.Désoléedet'avoirréveillée.Jen'avaisjamaisparléàMegandelamusiquequej'écrivais.Elleavaitdespeluchessursonlit,des
tas de portraits d'elle et ses amies sur lesmurs de sa chambre, alors que je n'avais pas décoré lamienne.J'avaisjustedisposéquelquesphotosdemesgrands-parentsicietlà.Inutiledepréciserqu'onpouvaitdifficilementêtreplusdifférentesquenousdeux.Nousétionsencolocationdepuisquelquesmois:Meganavaitpubliéuneannoncedanslejournal
de la fac.Bienqu'ellesoitbeaucoupplussociablequemoi,sortantdeuxou trois foisparsemaine,ellemefichaitlapaix.Çameplaisait.Maisducoup,nousnousconnaissionsàpeine.Nousnefréquentionspaslesmêmesendroits:àvrai
dire, je préférais passermes soirées à lamaison, dansma chambre.Çam'allait bien comme ça…jusqu'àcemomentprécis.Parcequ'àencroiresatête,jel'avaisvexée.—Ondiraitdelamusique,sur tonécran,dit-elle.Je jouaisdelaclarinettedansunorchestre,au
collège.Tuétaisentraindecomposer?Jenesavaispas…Ellesemblaitàlafoispeinée,etpleinederegrets.Jerougis,coupableetgênée.—Cen'estpasgrand-chose…Jefaisçaquandje…Jemereprisjusteàtemps.J'avaisfailliluiparlerdemescauchemars.Qu'est-cequisepassaitdans
matête,cesjours-ci?—…quand je n'arrive pas à dormir. Je compose un peu pour tuer le temps. Il doit y avoir un
problèmeavecmoncasque:jesuisnavréedet'avoirréveillée.—Oh,soupira-t-elle,déçue.Tusais,commeturestestoujoursdanstachambre,jenesaisjamais
vraimentcequetufais.Ondiraitquetun'aimespastraîneraveclesautres…mêmemoi.Alorsqueçafaitdesmoisqu'onestcolocataires,maintenant.Ma culpabilité augmenta d'un cran,me vrillant l'estomac. Elle avait raison. Chaque fois que ses
amiesvenaientcheznous,jem'enfermaisdansmachambre,moncasquesurlesoreilles,lesyeuxauplafond.Jereculaipourm'appuyersurlebureau.—Jenevoulaispas…Jeveuxdire…Merde,j'étaisnulle.Direquejecroyaisqu'elleetmoi,onétaitd'accord.Aulieudeça,ellepensait
quejelarejetais.Etonnepouvaitpasleluireprocher.—Jesuisvraimentdésolée,finis-jeparsoupirer.Ellehochalatête,toujoursvexée.Mesexcusesneluisuffisaientpas.— On pourrait faire un truc ensemble ? Un de ces quatre. Bientôt, proposai-je pour me faire
pardonner.Elleétaitdéjàvenueenboîtequandj'étaisauxplatines,maisçanecomptaitpascommeunesortie.—Tuveuxbien?demanda-t-elle,soudainpeusûred'elle.J'acquiesçai,unpeurassérénée.Aupointoùj'enétais,j'auraisacceptédefairel'ascensiondumont
Fujiavecelle.Jem'étaissentievraimentmalenlavoyantsitriste.—J'aiunesuperidée:ilyaunesoiréejeudi…,dit-elleensecouantsesboucles.Je ne pus réprimer un grognement. Ce n'était pas la première fois qu'elle me demandait de
l'accompagneràunefêtesurlecampus.—Euh…jepensaisplutôtlouerunecomédieromantiqueetfaireuneorgiedeglaces.Un tête-à-tête à lamaisonmepermettrait d'éviter deme confronter àmesdifficultés sociales.Et
commeça,jeseraissûredenepasavoirdecrised'angoisse.—Maisilyaurapleindemecssupermignons,roucoula-t-elleens'approchantdemoi.Sescheveuxetsesyeuxbrunsbrillaientdanslalumièredemonécran.—Ilfautabsolumentquetuviennes.Tunepeuxpasraterça!Jetemaquillerai,etteprêteraides
habits.Jevaistetransformerenvéritablefemmefatale.Allez,justeunefois!Ensuitejetelaisseraitranquille.Refuserferaitdemoilapireconnassedetouslestemps.Jel'avaisréveillée,aprèsl'avoirrepoussée
pendantdesmois.Paslapeinedeluidonnerl'impressionquej'avaisunetrophauteopiniondemoipouraccepterdememontrerenpublicavecelle.Peut-êtrequ'ellemeficheraitlapaixaprèsça.Ellepenseraitquejem'ouvraisàelle,etjen'auraisqu'àluicachermessecrets.—D'accord,jevaisvenir.Ilfaudraitjustequejefinissemesrévisionsenfind'après-midilejeudi.Etavecunpeudechance,je
neseraispasobligéederestertard.—Super!s'écria-t-elle.Bon,jevaisretournermecoucher.J'aiuneinterrod'algèbredemainmatin.
Je sais bien que je vaisme planter,mais c'est pas une raison pourme pointer avec une gueule dedéterrée.Jemepermisunpetit ricanement.Comme siMeganpouvait nepas resplendir.Elle était grande,
avecune silhouette sublimeetunepeauparfaite. Il émanaitd'elleuncharisme fou.Etpourne riengâcher,elleétaitétudianteenmaths.Unespritaffûtédansuncorpsderêve.—Tunevaspas le regretter,promit-elle, sensibleàmondésarroi. Je resteraiprèsde toi.Onva
biens'amuser,tuverras.Jelaserraicontremoipourdissimulermagêne,puisellesortitenrefermantlaporte.Jemeremis
aubureaupouréteindrel'ordinateur.Monhumeurcréatives'étaitenvolée,remplacéeparunsentimentdedésorientation.Cherchantàm'occuperlesmainsetl'esprit,jeclassailespapiersquitraînaientsurmatable.C'était
unvieuxmeuble,maiscommeilvenaitdemongrand-père, jem'efforçaisdelegarderrangéetenbonétat.Ensuite, jemeglissaidansmon lit, lesyeux rivés sur lesombresauplafond jusqu'àcequemes
paupièressefermentd'elles-mêmes.
J'avaisdécidédemenerunevietranquille,stable.Prévisible.Maisj'avaisl'impressionquetoutétaitsurlepointdevolerenéclats.Etjen'étaispascertained'yêtreprête.—Queldommagequetuaiesrefusédeporterunejupe,soupiraMeganenm'examinantdelatête
auxpieds.Nousétionssurletrottoirdevantlelocald'unefraternité,auxabordsducampusdeSmythe-Davis.
Desétudiantsallaientetvenaientenriant.Jevibraisausondesbassesquis'échappaientparlaporte.—Écoute,j'aidéjàfaitdescompromis.La jupequ'elleavaitvoulume forceràenfilern'étaitpasplus longuequ'uneceinture, et elleme
suggérait de l'assortir d'un string.Mais exhibermon intimité ne faisait pas partie de l'éventail despossibles.J'avaisdoncexigédeportermonjeandélavé,toutenacceptantuntee-shirtmoulantornédumessage«I<3Bacon»enlettresrosespailletées.Megan m'avait aussi maquillée et coiffée. À ma grande surprise, elle avait réussi à ne pas me
déguiser en«Barbie fait le trottoir ».Elle s'était contentéed'unmaquillage smokypour soulignermonregard,etavait remontémescheveuxenunchignonnégligéduquels'échappaientdesmècheslégèrementondulées.C'étaitàlafoischicetdécontracté;ilfaudraitquejeluidemandedes'occuperdemonlookplussouvent.—Heureusement,toutlehautducorpsestsupersexy,commenta-t-elleenmeprenantparlebras.
Allez,viens,onvasebourrerlagueule.—Ouhlà,protestai-jeenm'arrêtantnet.C'estpastropmongenre,tusais.—OK,OK,tempéra-t-elle.Justeunebièrepourtedétendreunpeu.Uneoudeux,c'esttout.Enplus,
c'est du pipi de chat, dans ces fûts. Les étudiants sont des gros radins, au cas où tu n'aurais pasremarqué.Oooh,regarde,c'estBobby!Ilesttellementmignon…Lejeunehommeenquestion,trèsbronzé,portaitlemaillotdesonéquipedefootballaméricain.Il
se tenaitavecd'autres joueurs,sourireauxlèvres,sur lapelousedevant lamaison.Ils levèrent leurverredansuntoastbruyant,etentonnèrentunhymnesportifdopéàlatestostérone,avantdefranchirlaported'entrée.Nousnousapprochâmesànotretour,derrièreungroupedefillesquibavardaientavecanimation
ensirotantdesboissons.Entendantunechansonà lamode,Megansemit aussitôt àdanser.Ellenepouvait s'empêcherde
lancerdesregardsfurtifsàBobby.Aprèsquelquesminutes,jesoupiraietl'incitaiàfairecedontellerêvait.—Allez,valuiparler…—Maisjeneveuxpastelaissertomber.—Net'enfaispaspourmoi.—Sijetelâcheuneseconde,tuvast'enfuir.—Non,pasdutout,bredouillai-jeenrougissant.Jevaisrester.Unpetitmoment,entoutcas.—Promisjuré?J'acquiesçai.Sonvisages'éclaira,etellepressamamaindanslasienne.
—Merci. C'est vraiment super sympa de ta part. Maintenant, va vite te chercher une bière. Tuverras,tuserasplusàl'aise…Elles'éloignaversBobbyetengageaaussitôtlaconversation.La musique était rythmée, puissante. Je la sentais battre dans mes veines. Un peu trop forte et
déséquilibrée,etlesenceintesn'étaientpasdelameilleurequalité,maiscesoir-là,cen'étaitpasmoileDJ.Aulieudepenserautravail,j'allaistenterdem'amuser.Uneseulebière.Jepourraisladégusterlentementavantdem'éclipser.D'ailleurs,Meganavaitsans
douteraison:çam'aideraitàmedétendre.Çaneseraitpasderefus,avecmesmainsquitremblaientetmonestomacquifaisaitdesnœuds…Jeprisquelquesinspirationstoutenobservantlapiècebondée.Jereconnaissaisquelquesgarçonsavecquij'étaisencours.Ilsdraguaientungroupedefilles.Certes,jemedoutaisquel'endroitseraitsurpeuplé,maisjenem'yétaispassuffisammentpréparée.Mon look semblait bien terne comparé à celui des autres filles. Toutes arboraient des tenues
semblablesàcelledeMegan:mini-jupesfluo,hautsmoulantsoudécolletésjusqu'aunombril…—Eh,tuveuxunebière?proposaunevoixmasculinedansmondos.Jemeretournai.Letypemedétailladelatêteauxpiedsensouriantjusqu'auxoreilles.Iln'étaitpas
vilain,avecsescheveuxblondsébouriffésetsesyeuxbleus,maisc'étaitlegenredemecàjouerdesesatoutspourmultiplierlesconquêtes.C'estdumoinsl'impressionqu'ilmefaisait.Maisj'étaispeut-êtreinjuste.—Euh…jevaisallermeservir.Merciquandmême.Unefillenedoitjamaisaccepterunverred'uninconnu,mêmes'ilparaîtgentil.—Ilvayavoirunconcoursdetee-shirtmouillé,reprit-ilenregardantmesseins.Jepensequetu
devraist'inscrire.Onoffrecentdollarsàlagagnante.Ilsouriaitàprésentjusqu'auxmolaires.Commequoi,lapremièreimpressionestparfoislabonne.Cetypeestungrosrelou.—Merci,jecroisquejepréfèregagnermavieautrement,rétorquai-jeentournantlestalons.Sansluilaisserletempsderéagir,jemedirigeaiverslejardin,oùdevaitsetrouverlefûtdebière.J'allaismeservirunverre.Si jerestais làuneheureoudeux,Megannepourraitpasseplaindre.
Ensuite,jerentreraisàlamaisonoùjemeblottiraisavecunbonlivre.C'étaitgagnant-gagnant.Dans le patio, une petite brune se tordit la cheville sur ses talons compensés et tomba surmoi,
m'éclaboussantlescheveuxavecsongobelet.—Désolée,gloussa-t-ellealorsquejel'aidaisàseredresser.Eh…maisonseconnaît!En effet, on s'était déjà croisées.C'était l'une des deux filles qui passaient leur temps à tenter de
convaincreDanieldecoucheravecelles,àgrandrenfortdebattementsdecils.—Onestensembleenphilo,complétai-jeenessuyantlabièrequimecoulaitsurlesjoues.Megans'étaitdonnétellementdemalpourrien!Àprésent,jepuaislehoublon…—Ahoui,c'estça,renchérit-elleenlissantledébardeurquiluimoulaitlapoitrine.Tuparticipesau
concoursdetee-shirtmouillé?Çavaêtretropmarrant!Aufait,moic'estAmanda.—Casey,répliquai-jedemontonlepluspoliavantdem'éloigner.
Amandamesuivitalorsquejem'approchaisdufûtetremplissaisungobelet.Ellemetenditlesien,que je remplis également. Non qu'elle en ait besoin.Mais je suppose qu'elle voulait remplacer leprécieuxliquidedontellem'avaitarrosée.—Cequ'on s'emmerde,danscecours !grommela-t-elleavecunepetitemoue. Jenecomprends
riendutout.Jecroisquejevaislâcherl'affaire.Lesoleilcommençaitàsecoucher,etlatempératurefraîchissaittrèslégèrement.Unebriselégère
mecaressalevisage,m'arrachantunsoupirdeplaisir.—C'estquoi,tesautresmatières?Tuesenquelleannée?medemandaAmandaensedésaltérant.Je bus à mon tour et me dirigeais vers le fond du jardin, loin de la foule dense qui dansait et
bavardait en sonmilieu.Peut-être que si jeme concentrais surmabière, je n'aurais pas besoin debeaucoup lui parler. Aussitôt, je me reprochai cette pensée. De toute évidence, elle essayait de semontrersympa,maisonn'avaitvraimentrienencommun.—Jesuisenquatrièmeannéedecommerce.Doncjen'aiquasimentplusquedescoursd'écooude
gestion,àpartquelquesoptions.Partoutfusaientdesrires,lesgenss'embrassaient,échangeaientdessourires,bavardaient.Pourune
raisonbizarre,j'eneuslecœurserré.Peut-êtrequejelesenviais,etquej'auraisvoulumedéfairedemonobscuritéintérieure.—Jesuisentroisièmeannée,m'informaAmandaenlorgnantungrandtypenoirquipassaitnon
loin. Bordel, cemec est gaulé comme un dieu…Tu as vu sesmuscles ? Oh ! Regarde qui vientd'arriver!C'estDaniel,legarsquiestenphiloavecnous!Lecœurbattantlachamade,jeprisunegorgéedebière,espérantdissipermanervosité.Unedouce
torpeurvint se répandredansmesmembres. Jebaissai lesyeuxversmongobelet : il étaitpresquevide.J'étaistellementanxieusequejel'avaisdescenduendixminutes.Merde.Daniel s'était arrêté sur le pas de la porte. Il était grand, puissant, et encore plus attirant que
d'habitude.Sescheveuxnoirsétaientunpeuébouriffés.Ilportaitunjeanetuntee-shirtnoirornédulogod'ungroupegrungedesannées1990.—Jevaisluiparler,déclaraAmandasansserendrecomptedemonétat.Est-cequej'ail'airbien?Ellelissaunenouvellefoissontee-shirttenduàcraquersursesseins.—Tuassurtoutl'airdequelqu'unquivadévorersaproie,fis-jeremarquerenriant.—C'estexactementça!pouffa-t-elle.C'estbienmonintention!Àplus!EllefonçasurDaniel,trébuchantàplusieursreprisessursestalonsdémesurés.Jenepusretenirunpetitrire.Quis'arrêtanetlorsqu'ellearrivadevantDanieletluiposaunemain
surletorse.Ill'accueillitavecunsourirechaleureuxetilssemirentaussitôtàbavarder.Jemesentisenvahiepardessentimentsamers.Jenevoulaispaslavoirledraguer.Nil'inverse.Jeretournaid'unpasdéterminévers lefûtpourreprendreunebière.Mesperceptionsétaientà la
fois engourdies, et bizarrement alertes. Je sirotai mon verre lentement, bien décidée à ne pasl'engloutird'unetraitecommeleprécédent.J'avaisl'impressiond'entendremonsangbattredansmesoreilles,irréguliercommeunemélodieunpeufausse.
Etcen'étaitpasseulementl'alcool.C'étaitlui.Si j'avaissuqu'ilserait là, jeseraissansdouterestéeà lamaison.Puis jememisàriredemoi:
j'étais ridicule, à essayer deme faire toute petite et d'arrêter de le regarder.Comme si je pouvaislutter.Ilm'attirait,depuisledébut.Danielsedétournad'Amandaetbalayal'assistanceduregard.Enfin,ilmevitetgardalesyeuxrivés
surlesmiens.Lagorgeserrée,lesbrashérissésparlachairdepoule,j'étaisassaillieparuneboufféedepanique.Maisqu'est-cequimeprenait ?Pourquoi est-ceque jeme laissais aller àboire, àm'intéresser à
lui?C'étaitcomplètementstupide.Ilfallaitquej'étouffecesémotions.DanielsetournadenouveauversAmanda,àquiiladressaquelquesmotsavantdesedirigervers
moiàtraverslafoule.Jeneparvenaispasàlequitterdesyeux.L'effetdel'alcools'accentuant,moncorps me semblait léger, aérien. J'avais l'impression que mes membres s'étaient allongés. Je mesentaisbizarre,unpeuexcitée,pleinementconscientedetoutcequim'entourait.Etcontrairementàcequej'auraispucroire,c'étaitunesensationtrèsagréable.D'unemain, jem'agrippais à la barrière, et de l'autre, je serrais convulsivementmongobelet en
plastiquerouge.Soudain,jen'avaisplusenviedefuir.Monangoisses'évanouit.Jeneressentaisplusqu'unviolentdésird'êtreplusprèsdelui.
Chapitre4
Daniels'arrêtaàquelquespasdemoi,radieux,etmedévisageaquelquesinstants.—Quefaitunefillecommetoidansunesoiréecommecelle-ci?demanda-t-il,désinvolte.—Ettuarrivesàséduirelesdemoiselles,aveccegenredeclichés?—Jusqu'ici,çan'ajamaismarché,avoua-t-il.Ilallaseservirunebièreavantderevenirprèsdemoi.—Sérieusement,jevaisparfoisdansdesfêtes,etjenet'yvoisjamais.Jemecontentaidehausserlesépaules.Saprésencemedonnaitdedélicieuxfrissons.Cen'estqu'ungarçoncommelesautres,mesermonnai-je.Pasdequoiêtrenerveuse.—Jenesorspasdesmasses.C'étaitunefaçondevoirleschoses.Jereprisunegorgéedebière.—Çam'étonnequetunesoispascheztoi,entraind'inventerunnouveauconceptphilosophique,
ajoutai-je.—Biboergosum,rétorqua-t-il.—Euh…c'estdulatin,non?Qu'est-cequeçaveutdire?—Jebois,doncjesuis.Tchin!répondit-ilencognantsongobeletcontrelemien.Je le regardai prendre une gorgée, puis me forçai à détourner les yeux, m'absorbant dans la
contemplation de ses chaussures. Encore ces Converse. Elles étaient usées, confortables. Il devaitaimerêtredehors,bouger.—Quit'aconvaincuedevenir?—Macolocataire,expliquai-jeavecunsourirerésigné.Elleestdanslecoin.Entraindes'amuser,
d'êtresociableetrigolote.Jerougis.Labièremedonnaitchaud.Jedevaisluirecommeunelanterne.Descrissuraiguss'élevèrentaufonddujardin.Nousnoustournâmespourvoircequisepassait.
Unebandedegarçonsbalançaitdesseauxd'eausurunerangéedefilles,révélantleursseinssousletissumouillé.Unpeuplusloin,Megan,agrippéeàsonfootballeur,l'embrassaitàpleinebouche.Illaserracontrelui.Jerougisdeplusbelle,etreportaimonattentionsurleprofildeDaniel, lespommettessaillantes
dans les rayons obliques du couchant. Il secoua la tête avec un rire incrédule en contemplant leconcours.Unesensationdélicieusemeparcourutlapeau.—Ilfauttoujoursquecessoiréesfinissentdansladébauche,commenta-t-ilavecunsoupir.Ilmeregardadesesyeuxd'unvertbrillant.—Oui,etdirequej'airatéçapendantdesannées,queldommage!—Oh,tuviensdefaireuneblague?s'étonna-t-il,lamainsurlecœur.Est-cequeçaveutdirequetu
commencesàappréciermacompagnie?—Nenous emballons pas, répondis-je avec un soupir théâtral. Il va falloir encore beaucoupde
citationslatinespourmeconquérir.Ouhlà!C'étaitvraimentmoi,cettefillequiflirtaitcommeçaavecungarçon?Jen'auraispascru
çapossible…Maisilyavaitquelquechoseenluiquimedonnaitenviedetrouverlarepartieàsesremarqueshumoristiques.Etlabièrenedevaitpasyêtrepourrien.Leremèdeidéalpourêtreàl'aiseensociété.—Casey!s'écriaunevoixstupéfaite.JemetournaipourdécouvrirMegan,encompagniedesonfootballeur,lesyeuxrivéssurDanielet
moiavecunintérêtnondissimulé.Ellemedécochaunclind'œilquisevoulaitdiscret,maisc'étaitvraimentratéetjenepusretenirunegrimace.—Vousfaitesquoi,touslesdeux?—Ondiscute,marmonnai-je.Euh…jeteprésenteDanielGriffin.Onestensembleenphilo.Daniel,
voicimacolocataire,MeganPorter.Et…Merde,j'avaisdéjàoubliéleprénomdesoncopain.—BobbyEllison,complétaMegan,radieuse.Iljouedansl'équipedefootballaméricain.Jemeretinsdeleverlesyeuxauciel.Çaauraitétédifficiledenepascomprendrequecetypeen
maillotdefootballjouaitaufootball.MaisMeganavaitunfaiblepourcegarçontoutenmuscles,etcen'étaitpasàmoidejuger.—Enchantée,mehâtai-jededire.BobbymeréponditparunsignedetêteetseremitaussitôtàdévorerMegandesyeux.Illuipassa
unbrasautourdelatailleetl'attiracontrelui.—Vousparliezdequoi?demandaMeganavantdepoufferparcequeBobbyl'embrassaitdansle
cou.Hum,c'estdélicieux…maisj'aimeraispouvoirmeconcentrer!Çadevenaitvraimentgênant.JelançaiunregardàDaniel.—Nousdiscutionsdecitationslatines,déclara-t-ild'untondégagé.Etunpeudephilosophie.Nous
étudionsNietzscheencours,etilaécritdeschosesfascinantessurDieuetsurlamorale.Est-cequetuconnaisunpeusapensée?Jeseraiscurieuxd'avoirtonpointdevuesurlaquestion.—Euh…,réponditMegan,l'œilvaguesousl'effetdecetteentréeenmatièresoporifique.Non,pas
vraiment.Jesuisenmaths,moi, tusais.Bon,onvaallerseresservirunebièreetpapoterunpeuàdroite,àgauche.Onvouslaisseàvotrepalpitanteconversation.Quandilsfurentrepartis,jepusenfinmelaisseralleràrire.—Félicitations!Tuestrèsefficace.Elles'estlittéralementenfuie.—Ellen'apaslesmêmesgoûtsraffinésquenous,c'esttout.Est-cequetuteplaisdanscettesoirée?
medemanda-t-ilenposantlesmainssurlabarrièredepartetd'autredemoi,m'emprisonnantentresesbras.—Pastrop,avouai-jeenmefrottantlecreuxdelapoitrine.Ilyavaittropdebruit,jen'arrêtaispasdemefairebousculer…cen'étaitvraimentpaslelieupour
moi.Mêmelabièreneparvenaitpasàmedétendrecomplètement.
—J'aiuneidée,lançaDaniel.Tuveuxqu'onparte?Je restai un instant incapable de réfléchir, puis je scrutai son regard. Il ne semblait pas avoir de
mauvaisesintentions.Maispouvais-jeluifaireconfiance?Cen'est jamaissûrdequitterunesoiréepoursuivreuntype.Surtoutquandonneleconnaîtnid'Èvenid'Adam.Ils'écarta,melaissantrespirer.—Je connaisun endroit oùon est tranquille pourparler, ajouta-t-il.Tun'aurasqu'à envoyerun
textoàMeganpourluidireoùonva.Moninquiétudedevaitseliresurmonvisage.Maisilétaitassezattentionnépourtenterdedissiper
mescraintes.Jefinismongobeletavantdelejeterdansunecorbeille.Fallait-ilyaller?Ouvalait-ilmieuxresterlà?—Tupeux rester, si tu préfères, déclara-t-il comme s'il lisait dansmes pensées. Je crois que le
concoursdeMisstee-shirtmouillévacommencer.Ilavaitraison,jenepouvaispasensupporterdavantage.J'envoyaiuntextoàMeganpourluidire
quejem'absentaisunepetiteheure.Puis,enfonçantlesmainsdanslespochesdemonjean,jelevailesyeuxversDaniel.—Jetesuis.—Un cinéma de plein air ?m'étranglai-je lorsque Daniel gara son épave sur le parking, trois
quartsd'heureplustard.Jenesavaismêmepasqueçaexistaitencore.Pourmoi,c'étaitunvestigedesannées1950…—Pourquoi?Tun'aimespaslesfilms?répliqua-t-ilenriant.En tout cas, il ne m'avait pas menti : nous n'étions pas seuls. Quelques autres voitures étaient
disperséesdevantlegigantesqueécranblanc.Unebriselégèreentraitparmafenêtreouverte,faisantvolermescheveuxautourdemonvisage.—Biensûrquesi,répondis-jedemonairleplussage.Jeparvenaisàmainteniruneapparencedecalme,mais j'avais l'estomacqui faisaitdesnœuds.Et
mon cœurn'était pas revenu à son rythmenormal depuis quenous avionsquitté la soirée,malgrél'attitude respectueuse de Daniel. Il avait allumé l'autoradio pour meubler les silences crispés, etn'avaitpascherchélecontactphysique.—Qu'est-cequ'ilsprojettent,cesoir?—Aucuneidée,avoua-t-il,m'arrachantunéclatderire.Jesaisqu'ilssontouvertstouteslesnuits
tantquelatempératurelepermet,doncjemesuisditqu'onpouvaittenternotrechance.Ilpayal'entréeettrouvauneplaceverslemilieudel'espace.Iln'yavaitpasd'autresvoiturestout
près,maisonn'étaitpasisoléspourautant.Je commençai à me détendre. Daniel ne faisait toujours aucun mouvement pour s'approcher. Il
semblait parfaitement décontracté. Il coupa le contact et accrocha le haut-parleur sur la portière,laissantpendresonbrasparlafenêtre.PuisilsepenchaverslaboîteàgantsetensortitunénormepaquetdeM&M's.—Tuasfaim?
—Tugardesduchocolatdanstavoiture?—Pastoi?—Maisçanefondpas?demandai-jeenregardantlesachetd'unairsceptique.Ilavaitfaitunetempératurecaniculairetoutelajournée,mêmesil'atmosphèreavaitunpeufraîchi
depuisuneheure.—Sansdouteunpeu,maisc'estquandmêmebon.Ilfouilladenouveaudanslaboîteàgantspourattraperdeuxcuillèresenplastiqueemballées.—Tiens.Çaseramieuxcommeça.Jeledévisageai,lesyeuxronds.—Tantquetun'aspasmangéduchocolatfonduàlapetitecuillèredirectementdanslepaquet,tune
connaisriendelavie,déclara-t-il,solennel.Iln'yariendemeilleur.Aprèstout,j'adoraislechocolat.Avecunhaussementd'épaules,jedéballaiunecuillèreetfourraile
sachetdanslecendrierdelaportière.IlouvritlepaquetdeM&M'setpuisaunebouchéedechocolatfondu.Leslèvresserrées,jenefaisaispasungeste.Danieldonnaunpetitcoupdelanguesurlapointedesacuillèresansmequitterdesyeux.Jesentis
tout mon corps se tendre de plus belle, mais la sensation était différente. Sa façon de lécher sonchocolatétaittrèssexy.Ilfaisaitçaavecdétermination.Avecunplaisirpur.Jefrissonnai.Impatientedemechangerlesidées,j'enfonçaiàmontourmoncouvertdanslesachet.—Hum,c'estplutôtbon,admis-je,labouchepleine.C'étaitunpeudégoûtant,certes,maisc'étaittoujoursmieuxquedegaspiller.L'écran s'illumina.Après quelques pubs pour les stands de nourriture du cinéma, je reconnus le
génériqued'ouverturedeBlanche-Neige.—Retourenenfance…,commentaDaniel.Blanche-Neige.Çafaisaituneéternitéquejene l'avaispasregardé.Quandonétaitpetites,Lilaet
moi,onpassaitleDVDenboucle.Unété,notremèreavaitfailliendevenircinglée.Onadoraitvoirlesanimauxfaireleménagechezlesnains.Lilaenfilaitsaplusbellerobe,etellechantait,unplumeauàlamain,devantlatélé.Lagorgenouée,j'avaisdumalàavalermabouchéedechocolat.Jereposaimacuillère.—C'estquoi,l'alimentquetudétestesleplus?s'enquitDaniel.—Hein?Laquestionétaitsibizarrequ'ellem'arrachaàmatristesse.—Moi,c'est lanoixdecoco,expliqua-t-il.Jen'enmangeraispourrienaumonde,mêmecachée
dansungâteau.—Mêmepasavecduchocolat?Moi,j'adoreça.—Beurk,non.C'estunproduitdudiable,répliqua-t-ilenmimantledégoût.—Pourmapart,c'estleketchup.—Commentpeux-tunepasaimerleketchup?Tuessûrequetuesaméricaine?Jenesaispassion
vapouvoirsefréquenter…Tuvasdevoirrentreràpiedsiçacontinuecommeça,décréta-t-ilenmemontrantlaporte.—Arrête!Leketchupmasquelegoûtdesaliments!protestai-jeenriant.—Pasdutout.Aucontraire,ilvientrehausserlessaveursnaturelles.Nousrestâmesunmomentsilencieux,détendus,devantBlanche-Neige.—Tuesenfacdequoi?medemanda-t-ilsoudain.Manifestement,ilfaisaitpartiedecettecatégoriedegarçonsquiveulenttoutsavoirdèslepremier
rendez-vous.Jenesavaispastropquoienpenser.Engénéral,ilsonttendanceàêtreunpeulourds,maispourl'instant,iln'avaitposéaucunequestionindiscrète.—Decommerce,répondis-jeenmeforçantàfairetairemescraintes.JecomptepassermonMBA
unpeuplustard,aprèsavoirtravailléquelquesannées.Ettoi?—Qu'est-cequit'intéressedanslecommerce?—Ehbien… il y abeaucoupdedébouchés. Jen'aurai pasdemal à trouverun emploi. J'ai déjà
commencéàchercher.—D'accord,maisqu'est-cequit'intéresse,toi,danscedomaine?Qu'est-cequitedonneenviede
bosserlà-dedans?—Cen'estpasunequestiond'envie,répliquai-je,lesjouesenfeu.C'estunequestiondesécurité.Je
veuxêtrecertainedetrouverunbonposte.Jevaisacheteràboire.Qu'est-cequetuveux?—UnCoca,s'ilteplaît.Jemeruaihorsdelavoiture,puistentaidemarchercalmementverslestand.Pourquoiest-cequeje
réagissaiscommeça?Jen'avaisaucuneraisond'avoirhonte.Cen'estpasparcequ'onnechoisitpasunefilièrequienjette,commeletressagesous-marindepaniersd'osier,oulelatindecuisine,qu'onnes'épanouitpas.Jericanaiintérieurement.Lasécuritédetrouverunboulot,c'estépanouissant.Etj'avaisunprojet.Jen'avaispasàmejustifier.NidevantDaniel,nidevantquiconque.
Chapitre5
JecommandaideuxCocaetretournaiverslavoiture,chargéedesdeuxénormesverrespleinsàrasbord.Jeneregardaispasl'écranenmarchant.Jemesentisunpeucoupable.Danielnedevaitpassedouterdel'impressionqu'ilm'avaitfaite.Maréactionétaitpeut-êtreunpeuexagérée.C'étaitnormal,aprèstout,qu'ilaitenviedesavoircequimeplaisait.Ilétaittrèscurieux,jel'avaisdéjàremarqué.Ilouvritlaporteenmevoyantapprocher,etjemeglissaiàmaplaceavantdeluitendresonverre.—Merci,dit-ilavecungrandsourire.Toutcechocolatfondum'adonnésoif.—Ettoi,c'estquoitamatièreprincipale?LeCocaétaitdélicieux,bienfraisetpétillant.Çam'aidaitàclarifiermesidées.Leseffetsdel'alcool
étaient presque entièrementdissipés ; j'étais denouveau enpleinepossessiondemesmoyens, plusconfiante.Moinsflottante,moinsenproieàmonémotivité.J'étaisplusensécurité.—Mapremièrespécialisation,c'estl'anglais,etensuite,histoiredel'art.—Mais…quelmétiertuvasfaire,avecça?C'étaitunedrôledecombinaison.Çanemesemblaitpastrèspragmatique.—Jen'enaipaslamoindreidée.Jepensepeut-êtreenseigner,maispourl'instant,jemecontentedu
plaisir d'apprendre. Je préfère vivre l'instant présent plutôt que de m'angoisser en cherchant àplanifier l'avenir. J'ai la chance de pouvoir travailler quand je veux dans l'étude notariale demonpère,pourgagnerunpeud'argentquandj'enaibesoin.Le silence s'installaune foisplus,mais la tensionétait retombée.Blanche-Neigecouraitdans les
bois,effrayée.J'auraisvouludétournerlesyeux,maisjen'yarrivaispas.Pendantcettescène,Lilacouraitautourdusalon,etj'avaisl'habitudedelapoursuivre.Jefermailes
yeux,meforçantàrespirercalmement.N'importequoipeutdéclencherunecrised'angoisse.Iln'yapasmoyendel'éviter.Letout,c'estdesavoirlagérer.Maisj'auraisquandmêmepréféréqu'onaillevoirunautrefilm.—Tufaisquoi,quandtut'ennuies?demandai-jepourmechangerlesidées.Jedevaiscesserde ruminer, revenirdans leprésent.Lui retourner le feunourridesesquestions
étaitsansdouteunbonmoyen.—Jenem'ennuiejamais,répondit-ilavechauteur.Jemetournaiversluienriant.—Bon,d'accord,c'étaitunbobard,avoua-t-ilensuçotantsapaille.JemebaladedansCleveland,à
larecherchededistractionsgratuites.Ilyatoujoursquelquechoseàfaireenville.—Ah,tuesfauché?—Non.Nechangepaslesujet,s'ilteplaît,metaquina-t-il.TuesdéjàalléeauRockHall?LeRockandRollHallofFameétaituneattractionbienconnuedeCleveland.—Pasencore,maisj'enaientenduparler,biensûr.Çacoûtecher,non?
—Oui, mais il y a des parties qu'on peut voir sans payer. La boutique, l'entrée… J'aime aussiregarderlespassantsetprendredesphotos.Ilyapleindegensbizarres,parlà-bas.Jenesaispassituasremarqué.—Tuyvasavecqui?—Personne,répondit-ilavecunhaussementd'épaules.—Tunetesenspastropseul?Jel'imaginaisentraindesepromenerdanslecentre,appareilphotoàlamain.Semêlantàlafoule
pourimmortaliserdesfamillesunies.J'enseraisincapable.C'étaitl'unedesraisonspourlesquellesjepréféraisresterà lamaison,àécriredelamusique,quandjenebossaispascommeDJ.C'étaituneactivitéquejepouvaisfaireensolosansmesentiridiote.—Pasdu tout. Je suisentouréet j'observecequi sepasseautourdemoi.Onapprenddes tasde
choses quand on se laisse porter par le flot. Il suffit d'épier les conversations.Un jour, j'ai vu uncoupleseséparer.Ilssontrestéstrèsdignes.Uneautrefois,unefemmeaannoncéenpleurantàsonmecqu'elleétaitenceinte.Ils'estaussitôtmisàgenouxpourluidemandersamain.Elleaditouietluiasautédanslesbras.Toutlemondeaapplaudi.Etaussi,unefois,j'aivudeuxvieillesdamessurunbanc : elles donnaient desmiettes aux pigeons en se tenant par lamain. La vie regorge de jolieschoses…Ilsuffitderegarderautourdesoi.Son ton passionné allait de pair avec un charisme étonnant. Je pouvais presque voir ce qu'ilme
décrivait,etj'eussoudainenviede…fairequelquechose.N'importequoi.Cesserd'êtremoi,oubliermes idées noires pendant un moment, et vivre comme lui. J'avais du mal à imaginer ce que jeressentirais,sij'étaisaussiouverte,sansméfiance.Sij'étaiscapableden'avoirjamaispeur.—Ettoi,qu'est-cequetufaispourt'évader?Jesursautai.Avait-illudansmespensées?—Delamusique,dis-jedansunsouffle.C'étaittoutmonunivers.Lesbassesétaientlebattementdemoncœur,lescompositionsmalignede
vie,quiparvenaitlaplupartdutempsàmemaintenirau-dessusdel'eau.—J'écrisdeschansons,expliquai-je.—Oùest-cequetupuisesl'inspiration?Àvraidire,jenem'étaisjamaisposélaquestion.—En général, jem'assieds et… ça vient comme ça. Je superpose des pistes en tâtonnant. Selon
l'humeur…C'était incroyable que je lui en révèle autant. Mais j'avais l'impression qu'il était capable de
comprendre.Il me regarda droit dans les yeux, et je sentis mon cœur s'affoler. Nous nous étions peu à peu
rapprochés, si bienqu'il ne restait plus qu'une trentaine de centimètres de banquette entre nous.Lalumièrevivedel'écransoulignaitlestachesderousseurdesonnez.Ilavaituneveinequibattaitdanslecou,etsoudain,sonregardseposasurmabouche.Jemeléchaileslèvres.Ilretintsonsouffle.L'ivresse de la bière s'était totalement dissipée, et je ne pouvais blâmer que mes émotions
souterraines. Ce type étrange, magnétique, avait réussi je ne sais comment à envahir toutes mespenséesetj'étaisincapabledel'endéloger.—Tuesunefillepleinedepassion,commenta-t-il.Çasevoitdanstesyeux.Etças'entendquandtu
parlesdemusique.J'acquiesçaiensilence.J'auraisvouluquemonpoulsralentisse,quemesémotionssecalment.C'était ledébutd'unenouvellechanson, et lamélodie sedéversaduhaut-parleurdans l'habitacle.
Mais je ne pouvais détacher le regard des yeux de Daniel. Je pouvais y lire une succession desentiments.Delacuriosité.Durespect.Del'ardeur.Iltenditlentementlebrasversmoietmecaressalamainduboutd'undoigt.Jememisàfrissonner.
Ilsuivitlesillonentremonindexetmonmajeur.Puisilretournamamainpoureneffleurerlapaume.—Tuesunmystère,souffla-t-ilavecunsourireencoin.Uneénigme.Uneabondancedetendances
contradictoires,unlabyrinthe.—Vraiment?m'étonnai-jeenriant.—Hum,jesuisenpanned'analogies.Unsilenceconfortables'installa.Soudain,j'avaismillequestionsàluiposer.Avait-ildesfrèreset
sœurs ?Où avait-il grandi ?Quel genre d'enfant était-il ?Mais si je le faisais, ilme retourneraitcertainementlapolitesse.Etjen'étaispasencoreprêteàabordermonpassé.J'ignorais également comment lui indiquer que ces sujets étaient tabous sans passer pour une
cinglée.Jemecreusailacervellepourtrouverunterrainplusneutre.Uneremarquepastroppersonnelle,
maisquirompraitlesilence.Jeregrettaisdenepasavoirétéplusattentivequandlesgensautourdemoiparlaientdelapluieetdubeautemps.—Euh…Quellessonttescéréalespréférées?—LesCinnamonToastCrunch,répondit-ildutacautac.Ettoi?—LesWeetabix.C'estpleindefibresetdeselsminéraux.—Ah,unchoixtrèssérieux,Casey.Mêmeaupetitdéjeuner,tuneprendsrienàlalégère…Jesavaisqu'ilmetaquinait,maissaremarquemefroissa.Iln'yaquelavéritéquiblesse…Etilétait
vraiquejechoisissaismescéréalescommelereste,pourmasanté,paspourleplaisir.—Tuverras,dansvingtans,quandtuaurasperdutoutestesdents.Tuserasjaloux!C'était nul comme réponse. J'aurais voulumemettredesbaffes.Pendantunmoment, je regrettai
mêmedenepasavoirachetéunebièreaulieuduCoca.Jemeseraissansdoutesentiemoinsnunuche.Etsij'avaisquandmêmesortidesphrasesminables,j'auraispudirequec'étaitàcausedel'alcool.—Sansdoute,convintDaniel.J'aiunaveuàtefaire…Lesyeuxmi-clos,ilseremitàcontemplermeslèvresetsepenchaunpeuversmoi.—Pourquoi?bredouillai-je,lecœuraffolé.—Pourquoiquoi?M'interdisantderegardersabouche,siprochedelamienne,jecherchaiquelquechoseàdire.Mon
corpsétaitsensibleàsaprésence.Jecommençaisàhaletermalgrémoi.Ilportaituneeaudetoilettefraîche,commeunebrisedeprintempsaubordd'unlac.Jevoulaism'approcherencore.
Arrête,m'ordonnai-je.C'étaitdangereuxd'êtreaussiprèsdelui.—Euh…Pourquoitumefaisunaveu?—Tuposesdecesquestions…Jenesaispas.Maisjepourraispasserlanuitàparleravectoi.Et
c'estpourçaquejeveuxt'avouerquejen'arrivepasàtechasserdemespensées.Je restai sans voix, essayant de comprendre pleinement ce qu'il venait de dire. Il était d'une
honnêtetédésarmante,quimettaitàmallebouclierquejebrandissaisenpermanence.—Tum'intrigues,Casey…Ils'apprêtaitàajouterquelquechose,maisjeneluienlaissaipasletemps.Jem'approchaideluiet
posaimabouchesurlasienne.D'abordpétrifiédesurprise,ilnetardapasàmeprendrelamainavantdeplacerl'autremainsurmanuque.Ilglissalalanguedansmabouche.Ilavaitungoûtdechocolat,deCoca,etdemâle.C'étaitplusenivrantquelabière.Lesbattementsdemoncœurétaientdevenuschaotiques.Haletante, jevinsmepressercontre son
torsemusclé.Ilenfonçalesdoigtsdansmescheveux.Jesentaissachaleurm'envahir.J'étaisivredelui,brûlanted'uneémotionquejeneparvenaispasànommer.J'enavaisdesfrissons
jusquedansleventre.Ils'écartauninstantpourreprendresonsouffle,lespupillesdilatées.Ilmeregardaavecunsourire
encoinetm'embrassadenouveau.J'étaisprisedansuntourbillondevolupté.Jem'agrippaisdesdeuxmainsàsesépaulesmusclées.Jesentaissapeaubrûlanteàtraverssontee-
shirt.Ilmecaressait lescheveuxd'unemain.De l'autre, il remonta surmacuisse,versma taille.Cette
sensationsiprèsdemonventrem'effrayaunpeu.Lorsque ses doigts soulevèrentmon tee-shirt pourme frôler le nombril, jem'écartai d'un bond
jusqu'àmaportière.J'avaisl'impressionqu'onvenaitdemeverserunseaud'eauglacéesurlatête.Jetiraisurmonvêtementpourmecouvrirleventreaumaximum,lecœurbattantàserompre.Seigneur,faitesqu'ilnel'aitpassentie.Jen'étaispasprête.Pasprêtedutout.—Toutvabien?demanda-t-ilensepassantlamaindanslescheveux,surpris.J'acquiesçai,lesbrascroisés.—Oui.Désolée.Je…Qu'est-cequejepouvaisdire?Jen'enpouvaisplus,demespeurs,demesfailles,desaperfectionet
demanullité.Jebattisdescilspourchassermeslarmes.Jenevoulaispasqu'ilmevoiepleurer.—Désolée,répétai-je.Çam'avaitprissipeudetempsdemelaisseraller.Puis,laréalitém'avaitrattrapée.Unetensionpalpables'étaitinstalléeentrenous.Danielsetournadenouveauversl'avant,lesmains
surlescuisses.—Jenevoulaispastebousculer,dit-ild'untonpleinderegret.Jesuisdésolédet'avoirmisemalà
l'aise.
Iln'yétaitpourrien.Aucontraire,c'étaitmoilaresponsable.Jem'étaisjetéesurluiavantdefairevolte-face,d'unefaçonincompréhensibleàsesyeux.Ilétaitforcémentperplexe,sicen'estagacé.Etjenepouvaisleluireprocher.Jesecouailatêteetvérifiaiunefoisdeplusquemontee-shirtétaitbienenplace.—Non,c'estmafaute.Maisjesuisunpeufatiguée…Est-cequetu…Est-cequ'on…Ilremitaussitôtlecontactetreposalehaut-parleursursonprésentoir.—Jet'enprie.Pasdeproblème.Pendantletrajetversmonappartement,jen'ouvrislabouchequepourluiindiquerlechemin.Nous
restâmesàbonnedistancel'undel'autre.Enapparence,ilétaittrèsdétendu,maisilavaittoutdemêmeleslèvrespincées.Jem'étaisrarementsentieaussicoupable.Cequinedevait êtrequ'unebanale sortie avaitviré aumélodrame. Jene le reverrais sansdoute
jamais.Etquipourraitluientenirrigueur?Jechassaicespenséespessimistespournepasentrerdanslecerclevicieuxfamilier.Detoutefaçon,
iln'avaitjamaisétéquestionqu'onsemetteencouple.Jen'avaisniletempsnilacapacitédem'ouvriràquelqu'undelasorte.C'étaitmieuxainsi.Maisjenepusréprimerlepincementderegretlorsqu'ilsegaradevantmonimmeuble.Ilcoupalemoteuretsetournaversmoi.—Onestarrivés,dit-il.Commetuasdût'enapercevoir,ajouta-t-ilavecunrirenerveux.Jem'efforçaidesourire.—Mercidem'avoirarrachéeàcettefête.J'auraisvraimentpasséunmauvaismoment.C'étaitvrai.Mêmesilasoiréenes'étaitpastrèsbienterminée,c'étaittoujoursmieuxquesij'étais
restée là-bas. Quant au baiser que nous avions échangé… je savais qu'il me hanterait pendantlongtemps.—Etmercidem'avoirramenéechezmoi,aussi.—Derien.Ilfitunmouvementpoursortirdelavoiture.—Oh,net'embêtepas.Jepeuxrentrertouteseule,dis-jeàlahâte.Lelaisserm'accompagneràlaportemesemblaittropintime.J'avaisbesoindemeretrouverseule
dansma chambre pour décompresser. Pourme défaire de la profonde tristesse qui avait repris saplacehabituelledansmapoitrine.Ilserraleslèvresmaisneprotestapas.Uneémotionpassadanssesyeux,maisjen'auraissudire
laquelle.—Bonnenuit,murmurai-je.—Bonnenuit.Je fermaimaportière etme faufilai dans l'appartement désert.Megan était sansdoute encore en
traindes'amuser.Jeluienvoyaiuntextopourl'informerquej'étaisbienrentrée,etm'allongeaisurmonlit.Ilmefallutquelquesminutesderespirationprofondepourramenermoncœuràsonrythmenormal.MalgrécequedevaitdésormaispenserDaniel,jen'étaispasuneviergeeffarouchée.Monpremier
rapportsexuelavaiteulieudix-huitmoisauparavantavecundénomméJacob.C'étaitungentilgarçonquej'avaisrencontréencoursd'anglais.Nousavionsl'habitudedetravaillerensemble.Jerelevaimontee-shirtetposailesmainssurmacicatrice,suivantdesdoigtslepetitbourreletde
chair.Certes,j'avaiscouchéavecJacob,maissansenleverlehaut.Danslenoir,surmonlit.Çan'avaitpasdurélongtemps.Depuis,jenel'avaisjamaisrevuentêteàtête.Quandonsecroisait,ilm'adressaitunvaguesignede
tête.Manifestement,iln'avaitpasétéplusemballéquemoiparlachose.Jen'étaispaspresséede recommencer.Surtoutpas avecDaniel, ungarçonquime fascinait.Qui
menaçaitdemefairedévierduplanprudentquejem'étaisconstruit.Jen'étaispasprêtepourça.Avecunsoupir,jeremismontee-shirtenplaceetrestailesyeuxrivés
auplafond jusqu'àplusde2heuresdumatin.Enfin, j'entendisMegan rentrer engloussant, unpeupompette.Mais même ce son ne parvint pas à chasser le souvenir des mains tièdes et des lèvresdoucesdeDaniel.
Chapitre6
—Cequetuaspumemanquer!s'écriagrand-mamanenmeserrantdanssesbras.Raconte-moitoutcequis'estpassédepuisladernièrefois.Jerespiraiuneboufféedesonparfumdevanilleetdecannelleetsouris,enlapressantcontremon
cœuravecprécaution.Desmèchesdesescheveuxblancsmechatouillaientleboutdunez.—Ons'estvuesvendredi,rappelai-jeenriant.Maisc'étaitbondesesentiraimée,desavoirqu'elles'étaitlanguiedemoi.J'avaisquittéleurtoiten
premièreannéedefacpourm'installersur lecampus.C'étaiteuxquiavaient insisté,mais jesavaisquejeseraistoujourslabienvenuechezeux.Grand-mamanlaissaittoujoursdesdrapspropresdansmonlitaucasoùjevoudraisresterdormir.—Jesais.Maistantdechosespeuventseproduireenunesemaine!Elle s'écarta pourme regarder. Elle avait des rides au coin de ses yeux bruns, que soulignait la
doucelumièredusalon.—Entre,entre.Çafaituneheurequegrand-papatourneenrond.Ilétaitimpatientquetuarrives.Ila
quelquechoseàtemontrer.Jelevailesyeuxauciel,feignantl'agacement.Grand-mamanmedonnaunepetitetapesurlebras.—Arrête!Tusaisbiencommentilest…Grand-papa collectionnait avec passion les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale. Il n'avait
découvertlesachatsenlignequel'étéprécédent,lorsqu'ilm'avaitvueacheterdesmanuelspourlafacsurAmazon.Çaavait été ledébutd'unegrandeaventure.Àprésent, le facteurnecessaitde sonnerpourdéposerdescolis:vieuxcasques,équipementmilitaire,brochuresdepropagande…toutcequ'ilpouvaitdénicher.Sonbureaus'était transforméenmusée.Grand-mamanavaitfiniparrenonceràyfaire leménage. Elle avait décrété que s'il devait continuer à accumuler du bazar, il faudrait qu'ilnettoielui-même.Jelasuivisdanslacuisine.Grand-papaétaitentraindefairedelapuréedepommesdeterre.Ilme
regardaetfronçalessourcils.—Tuestropmaigre,commenta-t-il.Tunemangespas,àlafac?Cettefois,jelevailesyeuxaucielpourdebon.—Jet'assure,grand-papa,jepassemontempsàbâfrer.Je savais qu'il se faisait du souci. Pourtant, cela faisait bien longtemps que je n'avais plus de
troubles alimentaires. Mes intestins étaient remis de mes blessures, et je pouvais m'alimenternormalement.Maisçanel'empêchaitpasdechercheràmegaverchaquesemaine.Ilmetenditlepresse-purée.—Parfait.Danscecas,tupeuxfinirdepréparerlapuréependantquejevaischerchermadernière
trouvaille.— Tu n'as pas intérêt à rapporter de la poussière dans ma cuisine, tonna grand-maman en lui
lançantunregarddetravers.Grand-papaétaitunhommedegrandetaille,dotéd'unecarruredefootballeuraméricain.Maiscela
nel'empêchaitpasdecourberl'échinequandgrand-mamanprenaitceton.Je m'occupai des pommes de terre, ajoutant du lait et du beurre comme grand-maman m'avait
apprisàlefaire.Ilflottaituneodeurchaudeetagréabledanslacuisine.Unemichedepaindoraitdansle four,etunragoûtmijotaitsur le fourneau.Pouletaubrocoli, sansaucundoute :c'étaitmonplatpréféré.— Alors, comment s'est passée ta semaine de cours ? demanda grand-maman en disposant
l'argenteriesurlatable.—Pasmal.Lescoursdecommercesontdifficiles,maisc'eststimulant.Enrevanche,laphilo,c'est
mortel…Pendant un instant, je restai silencieuse, songeant à Daniel… à notre baiser. Puis jeme remis à
écraserlespommesdeterre.—Etàpartça?insistagrand-mamanens'approchantpar-derrière.Jesursautaid'unaircoupableetgardailesyeuxbaisséssurleplat.J'avaisdécidéd'attendreunpeu
avantdeleurparlerdeDaniel.Iln'yavaitrienàdire,detoutefaçon,etjenevoulaispasqu'ilsaillents'imaginerquejeperdaismontempsdansdessoiréesaulieuderéviser.—Pasgrand-chose.Tusais,justelescours,toutça…laroutine.Pastrèsconvaincant.Bravo,Casey,me réprimandai-je intérieurement.Grand-maman ne risque pas de tomber dans le
panneau.—Qu'est-cequit'estarrivé?s'enquit-elleavecdouceur.J'allaiposerlapuréesurlatabletoutenguettantgrand-papa.Ilauraitdéjàdûm'attendreavecson
achat.—Riendespécial.Jemeursdefaim.Ceragoûtsentdélicieusementbon!Grand-maman s'apprêtait à répliquer lorsque grand-papa déboula dans la cuisine, coiffé d'un
casquemilitairerecouvertd'unfiletdecamouflage.—Regarde-moicettebeauté,déclara-t-ilen l'enlevant,dans l'intentionévidentede luiattribuer la
placed'honneursurlatable.—Jeteledéconseillefortement,grondagrand-maman.Elledisposalesserviettessurlessetsdetableencrochet,puismefitcomprendred'unregardquela
conversationn'étaitpasterminée.Grand-papaarrêtasongesteetlevalecasqueàhauteurdenosyeux.—Tuvois,lefiletestencoreentrèsbonétat.Mais…onpourraenparleraprèsledîner,conclut-il
encourantleremisersurlecanapé.Jeservisleragoûtpendantquegrand-mamancoupaitlepain,etnousnousassîmespourdîner.C'étaitbrûlant,maiscommelaclimatisationmarchaitàfond,jemesentaisbienavecmachemiseà
mancheslongues.Jeprisunebouchéeetsoupiraideplaisir.—Tuaschoisicetterecettepourmefaireplaisir,n'est-cepas?
—Jesaisquetul'aimes,répondit-elleavecunsourire.—Alors,commentsepassetonsemestre?demandagrand-papaenreposantsonverredelait.Monestomacsemitaussitôtàfairedesnœuds,maisjeprissurmoi.—Trèsbien,mentis-jeavecungrandsourire.J'aidumalenphilo,maisàpartça,toutvabien.Les
coursdecommercesontsuper.Etjesuiscertainequetuadoreraismonprofd'anglais:ilpassetoussesétésenGrèce.Safamilleyhabiteencore.Peut-êtrequesijemetransformaisenmoulinàparoles,grand-mamann'yverraitquedufeu.— Je n'arrive pas à croire que tu sois déjà en dernière année, soupira grand-papa. Ça passe
tellement vite… Tu étais encore toute petite quand tu es venue vivre chez nous. Et regarde-toimaintenant:adulte,forte,intelligente,etprêteàvolerdetespropresailes.Jetendislebraspourluitapoterlamain.Désormais,ilavaitlesdoigtsnoueuxàcausedel'arthrose,
mais pendant des années, cesmêmesmainsm'avaient bercée quand jeme réveillais en hurlant aumilieudelanuit,etavaientessuyémeslarmes.—Sansvous,jen'enseraispaslà,répliquai-jed'unevoixtremblanted'émotion.Aucunmotnepouvaittraduirel'amouretlagratitudequejeressentaispoureux.Ilsm'avaient sauvée demes cauchemars. Lorsque toutema famille étaitmorte, ils n'avaient pas
hésitéune secondeàmeprendre chez eux. Ilsm'avaient traînéedansunmagasinpourdécorermanouvelle chambre et m'avaient racheté des habits, puisque je ne voulais rien qui vienne de monanciennemaison.Ilsm'avaientaussioffertuniPodqu'ilsavaientremplidechansons.Grand-mamanm'avaittransmissonamourdelamusique.Alorsquej'avaistraversél'enferàtreizeans,ilsm'avaientredonnéuneraisondevivre.Etc'étaitpourcelaquejen'avaispasdetempsàperdreensorties.Jevoulaisréussirmesétudes,les
rendrefiersdemoi.Leurmontrerqu'ilsavaientfaitunboninvestissement.Etjen'étaisplustrèsloindubut.—Est-cequetuessûrequetoutvabienpourtoi?medemandagrand-maman,lesyeuxhumides.Je
mefaisdusouci,tusais.—Oui,jet'assure,répliquai-jeententantdereprendrecontenance.—Est-cequetusorsunpeu?Tuprendsdubontemps?—Àpartallerencours?Non,jenefaispasdestripteasepourpayermesfraisd'inscription,sic'est
cequetuveuxsavoir!Elleme tapota le bras.Le rire faisait couler les larmesqu'elle avait retenues,mais elle semblait
rassurée.—Arrêtetesbêtises.Jemedemandaisjustesitut'étaisfaitdesamis.C'estunequestionqu'ellem'avaitdéjàposéelorsquej'étaisvenuem'installerchezeux,etqu'ilavait
fallum'inscriredansunnouveaucollège.Jechangeaisd'État,d'environnement,devie.Çam'avaitprisdesmoisderéussiràsaluermesprofesseurs,etplusencored'adresser laparoleàmescamarades.Maisau fildu temps, lesgensavaient cessédeme regardercomme lanouvellebizarre, et avaientacceptémonnaturelréservé.C'étaitunlongchemin,maisj'avaisfranchitouteslesétapes.
—J'enaiquelques-uns.LesourireencoindeDanielmerevintenmémoire,etjem'empourpraiaussitôt.Jenevoulaispas
penseràluiencetinstant.Jepréféraismeconcentrersurcerepasdélicieuxetsurlacompagniedemesgrands-parents.Maislapeaumepicotaitausouvenirdesesdoigts.Leslèvresmebrûlaientalorsquejesongeaisànotrebaiser.—Hum,commentagrand-maman,sagace.Jenesuispasaveugle.Commentils'appelle?J'auraisvoulurépondre«Quiça?»,maisjesavaisqu'elleseraitfâchéedemevoirfairelatêtede
mule.—C'estungarçonquiestavecmoienphilo.Maisiln'yarienentrenous…onajustepasséunpeu
detempsensemble.—Ilestaussiendernièreannée?demandagrand-papad'unairsoucieux.Jen'eusaucunmalàdevinerlecoursdesespensées.Est-cequ'ilvaladémotiver?Est-cequ'ilestdignedesontempsetdesonattention?Jeleurracontailescoursdephilo,lapremièrerencontrealorsquej'étaisderrièrelesplatines,son
attitudelorsdelasoiréesurlecampus(décidanttoutefoisdenepasmentionnerl'alcoolquicoulaitàflots ni le concours de Miss tee-shirt mouillé), le cinéma et Blanche-Neige. J'omis également deparlerdubaiser.Cebaisersisensuelquej'enavaisencoredesfrissons.Ilsm'écoutèrentattentivement,melaissantletempsdechoisirmesmots.Jereportaimonattentionsurmonragoûtquirefroidissait.—Ilsembletrèsintéressant,ditgrand-maman.Quandest-cequetulerevois?—Jenepensepaslerevoir…Je…jecroisquejeluiaifaitpeur.J'aiunpeupaniqué.Jen'étaispas
prête…Ellemepritlamainavecunregardpleindetendresse.—Mapuce, je suisheureuseque tu travaillesautantà la fac.Noussommes très fiersde toi,pas
seulementpour tesrésultatsbrillants,maisaussiparcequetuesquelqu'undetrèsdroit.Celadit, tudoisprendreletempsd'avoiruneviesociale,aussi.—Maisj'enaiune!répliquai-je,surladéfensive.J'étaisalléeuneoudeuxfoisauborddulacavecMegan,audébutdel'été,etpuisilyavaitlasoirée
delaveille.SanscompterquejetravaillaiscommeDJtouslesweek-ends.—Leboulot,çanecomptepas,Casey,déclara-t-elle,sourcilsfroncés.Ellemeconnaissaittropbien.—Cen'estpasdepuistonboxquetuvastemêlerauxautres,reprit-elle.Jem'inquiètepourtoi.Tu
passestouttontempsenferméecheztoi.Ilfautdonnerunechanceauxgens…—Jevaisbien,jet'assure…Jemetournaiversgrand-papa,espérantqu'ilvienneàmonsecours.Ilsecontentadehausserlesépaulescommepourdire:«Débrouille-toi.»Letraître!D'unautrecôté,c'estluiquidevaitsupportergrand-mamanauquotidien.
—Tufinistoujoursparrepousserlesgensquiserapprochentdetoi,ajoutacelle-ci.Laisse-luisachance:ilal'airgentil.Etj'aimeraisvraimentquetunousleprésentes.L'idéemefitrire.C'étaittellementpeuvraisemblable…— Il n'a certainement pas envie deme revoir, déclarai-je d'un ton définitif.Donc, ça n'a aucune
espèced'importance.J'eusunpincementaucœuràcesmots,maistantpis.—Àmon avis, il te réserve des surprises, insinua-t-elle d'un air perspicace. Les garçons ne se
découragentpasaussifacilement.Ceuxquienvalentlapeine,entoutcas.Celui-là,parexemple,dit-elle en regardant grand-papa, a dû me courir après pendant des mois avant que j'accepte de luiadresserlaparole.—C'estvrai,bougonna-t-il.Ellefaisaitcommesijen'existaispas.Ilsévoquaientrarementleurrencontre;jedébordaisdecuriosité.—Qu'est-cequit'aencouragéàinsistermalgrétout,grand-papa?Ilséchangèrentunregard.—Ilyavaitquelquechosedanssesyeuxquejeneparvenaispasàoublier.Unjour,àl'école,jel'ai
vue rire avec sa sœur, dans un rayon de soleil. Elle souriait de toutes ses dents, et riait à gorgedéployée,sanscettefaussehontedesfillesdel'époque.J'aisuqu'elleétaitfaitepourmoi.Çavalaitlecoupdeprendreletempsdel'enconvaincre.Quiauraitcruquegrand-papaétaitaussiromantique?Cettedécouvertemebouleversa.J'avaisdu
malàimaginerqu'onpuissepasserquaranteansaveclamêmepersonne.Pourlemeilleuretpourlepire.EtDieusaitqu'ilsavaientconnulepire,aveccequiétaitarrivéàmafamille…Malgré l'intensitédemespeurs,malgré toutcequipouvaitme rameneràcet étatdont jen'avais
jamaispleinementguéri,j'entretenaistoujoursunespoirténudetrouvermoiaussiuntelamour.Deparveniràmedébarrasserdecettesouffrance,etd'êtreheureuse,guérie.Alors,jerevoyaislesyeuxdemonpère,sinistresetflamboyants,etjemesouvenaisdecequise
passequandonselaissealleràaimerquelqu'uncorpsetâme.Jemeraclailagorgeetrepoussaimonassietteencorepleine.Jen'arrivaispasàmedétendre.—Ilfautquej'yaille.Jedoisréviserunpeuavantd'allertravailler.J'avaistropmalauventrepouravalerunebouchéedeplus.Maisjenevoulaispaslesinquiéter.—Tun'asquasimentpastouchéàtonassiette,protestagrand-papa.Essaiedemangerunpeuplus,
Casey.Jesoupirai.Grand-mamanselevaetemportamonassietteavantquej'aiepufaireungeste.Ellelavidadansla
poubelleetlarangeadanslelave-vaisselle.—Je saisquec'estdurpour toi,machérie.Mais je suis fièrede toi,parceque tuessaiesquand
même.C'estlaseulemanièredet'ensortir.Tudoisaccepterdequittertazonedeconfort.Amène-nouscegarçon.Tunous leprésenteras, et tongrand-père luimontrera sa collectiond'armesà feu…çal'encourageraàtetraitercommeilfaut!Soulagée,jemelaissaialleràrire.Laconversationenfinclose,jesentislatensionretomber.
—D'accord.Sijamaisonserevoit,luietmoi,jeleluiproposerai.Cettepromessenemecoûtait rien,car jesavaisbienqueçan'arriveraitpas.D'ailleurs, jen'avais
paspréciséquandj'inviteraisDaniel.Jel'aidaiàdébarrasserpuisleurfislabiseàtouslesdeux.—Àvendrediprochain.—Envoie-moiuntextosituasbesoindequoiquecesoit,merappelagrand-mamanenmetapotant
l'épaule.J'avaisungrandsourireenretournantàmavoiture.Jerepartisverschezmoi,unemusiquedouce
en fond sonore.Mais les mots de mes grands-parents me trottaient dans la tête, me forçant à lesécouter.«Laisse-luisachance.»Devais-jeprendrecerisque?Saprésenceétaitunetelle libération…Pourtant,meprendreaujeu
seraitdangereux.Jeleconnaissaisàpeine.Enplus,j'avaissoufflélechaudetlefroidaucinéma.Jel'avaismêmecarrémentrepoussé.Riennedisait qu'il allait faire commegrand-papaetmepoursuivrede ses assiduités.Mais jene
pouvaism'empêcherdelesouhaiter,aufonddemoi…
Chapitre7
J'avaisl'estomacnouéenpénétrantdanslasalledephilolelundisuivant.MmeWilkinsn'étaitpasencorearrivée,etlaclassen'étaitqu'àdemi-pleine.Biensûr,j'étaisunpeuenavance.JepréféraisêtrelàavantDaniel:çam'évitaitdedevoirpasserdevantluietlefrôlerpourmeglisseràmaplace.Etpuis, jevoulais levoir entrerdans la salle.C'était ridicule,mais jen'ypouvais rien. Jene lui
avaispasreparlédepuislecinémaenpleinair,etjen'avaisaucuneidéedecequ'ilmedirait.Jetentaidemelisserlescheveuxetpinçaileslèvrespourvérifierl'étatdemongloss.Envoyant
débarquerAmandasurdeschaussuresàtalonscompensésvertigineuses,mouléedansunpetithautetvêtued'une jupe translucide, je sentismes joues s'empourprer. Je nevalais pas tellement plus cherqu'elle:j'avaismoiaussiapportéunsoinparticulieràmonapparencecematin-là,enespérantqu'ilmeremarque.J'avaischoisilachemisequimettaitleplusmesformesenvaleuretmonjeanleplusajusté.Etpourcouronnerletout,jeportaismesConverse.Gênant.Danielentra,entee-shirtblancetjeandélavé.Sescheveuxétaienthumides,commes'ilsortaitdela
douche. Il tenait son sac négligemment sur une épaule. Je me forçai à détourner le regard et àcontemplermoncahier,regardantleslignesbleuessanslesvoir.Jetentaidecalmerlesbattementsdemoncœur.Ilselaissatombersurlesiègedevantmoi,etjem'autorisaiàleverlesyeux.Unegoutted'eaucoula
lelongdesanuque,absorbéeparsoncol.Jeretinsmonsouffle.—Salut,lançai-jed'unevoixunpeutroprauqueàmongoût.Ilsetournaversmoietm'adressaunsourirepolimaispastrèschaleureuxquim'attrista.—Coucou,répondit-il.—Daniel,roucoulaAmandaencroisantlesjambespourdévoilersescuissesfuselées,jen'aipas
trèsbiencompriscequ'ondevaitfairepouraujourd'hui.Est-cequejepeuxregarderdanstoncahier?Il se mit à chercher la bonne page, et elle tira sa table près de la sienne. Ils engagèrent une
conversation,penchésl'unversl'autre.Jerestaipétrifiéesurmachaise.Jeculpabilisais,etj'étaisunpeuperplexe.Jen'avaispasvraimentenviequ'ils'intéresseàmoi,n'est-cepas?Çam'auraitgênée.Ilétaittropperspicace,meforçantàm'aventurerlàoùjenevoulaispas.MaislevoirparleravecAmanda,regardersesdoigtseffleurerlepapiercommeilsavaientcaressé
mapeau…C'étaitdelatorture.J'étaisjalouse.Jalouse et idiote parce que j'étais incapable de maîtriser cette émotion. La première image qui
m'étaitvenueenmeréveillant,c'étaitsonvisage.Seslèvresetsesyeux,etpuissonrire,sesproposàla fois érudits et décalés. Ses tentatives pourmemettre à l'aise à la soirée et dans sa voiture. Lefrôlementdesesdoigtssurlesmiens.L'intensitéaveclaquelleilparlaitdecequ'ilvoyait,decequ'ilressentait.Ilavaitquelquechosedefascinant.Etjen'arrivaispasàm'endébarrasser.Etvoilàquej'avaisétéprisedevitesse.Amandaallaitluilaverlecerveauavecseslongscils,ses
petitspiedsetsesfossettes.Ilallaitcraquerdevantsoncharmeeffronté.Etçaaussi,çam'agaçait:qu'ilpuissepasserd'unbaiseravecmoiàcetteconversationoùilsemblaitn'avoird'yeuxquepourelle.Jesavais que jememontrais injuste,mais c'est ce que je ressentais. Il respectaitmon souhait enmefichantlapaix,maisàprésentquej'étaisconfrontéeauxfaitsjemerendaiscomptequecen'étaitpasdutoutcequejevoulais.Pfff…J'avaisbesoindemechangerlesidées.Parbonheur,MmeWilkinschoisitcemomentpourentrer,vêtued'unechemiseblancheéliméeet
d'unpantalonlargeenpatchworkcousumain,satresseébourifféependantsursonépaule.Ellelaissatombersonénormesacsursonbureau.—Bon,mettons-nousautravail.Nousavonsbeaucoupdechosesàvoiraujourd'hui.Jefisdemonmieuxpourmeconcentrerpendanttoutlecours.Jerecopiaisoigneusementcequ'elle
gribouillait au tableau dans un grand nuage de poussière de craie. Je parvins presque à ne plusregarder ledos finet toniquedeDaniel, sesbrasdont lesmusclesbougeaient lorsqu'ilprenaitdesnotes.Ilnecessaitdesepasserlamaindanslescheveuxenréfléchissant.Jefinisparreposermonstyloavecunsoupir.J'étaisvraimentridicule.Jedevaisarrêterdepenserà
lui.Toutdesuite.J'ouvrismonmanueletmepenchaisurlesmots,lesrelisantenboucle,tentantdeforcermonespritàcomprendrecequ'ilspouvaientbiensignifier.Mais j'étais tout simplement incapable deme concentrer. Et je savais parfaitement pourquoi. La
causesetenaitàquelquescentimètresdemoi.L'aiguille tournait lentement, une minute à la fois. Je mâchouillais mon crayon, contemplais le
tableau,etfaisaisdemonmieuxpournepaspenseràDanieletànotremerveilleuxbaiser.Ouà lafaçondont j'avais complètementgâché la soirée. J'auraisvoulu revenir enarrièrepour réparer ça.Maiscomment?MmeWilkinstoussota,ramenantmonattentionsurelle.Ellenousregarda,contrariée.—Vousêtesbiensilencieux,aujourd'hui.Est-cequevousseriezdéjàdémotivés?Lesemestrene
faitpourtantquecommencer…Jemesentisrougirsoussonregardperçant.Ellefinitparsoupireretnousfairesignedepartir.—Filez.N'oubliezpasdelirelechapitresuivantdanslemanuel.Jevousrappellequejepeuxfaire
uneinterron'importequandsansprévenir!Tout lemonde rangea ses affaires à toute vitesse, soulagé de pouvoir s'enfuir. Jeme levai, sans
regarderDaniel,toujoursassis.J'étaistellementgênéequejepouvaisàpeinerespirer.Jevenaisjustedepasserdevantluipoursortirlorsqu'ilm'attrapadoucementparlebras.—Eh,attendsunpeu,appela-t-il.Ilseleva,unelueurbienpluschaudedansleregardqu'àsonarrivée.Pourtant,jeneparvenaispasà
savoir ce qu'il pensait. Je lui adressai un signe de tête, alors quemon pouls battait si fort à mesoreillesqu'ilmesemblaitentendrelebruitdel'océan.—Jesuisvraimentdésolé,pourl'autresoir,s'excusa-t-ilencore.—Non,non,jet'enprie.Cen'étaitpastafaute.C'estjustequeje…Je…
—Tues…tueslibre,vendredi?demanda-t-ilenrougissantunpeu.—Euh…oui,répondis-je,lagorgesèche.Je travaillais en alternance avec un deuxièmeDJ, qui assurait quelquesweek-ends par-ci par-là.
C'étaitjustementsontour.Est-cequeDanielvoulaitsortiravecmoi?Ilmelâchalebras,enfonçalesmainsdanssespochesetreprit:—J'aideuxbilletspourunconcertd'électro-house,avecunnouveauDJ.C'estungarsducoin,etil
commenceàavoirpasmaldesuccès.Çaserasûrementsuper.Jemedemandaissiçat'intéresserait…Unrendez-vous.J'étaisàlafoisimpatienteetanxieuse.Ilsouhaitaitmerevoir.Malgrécequis'étaitproduitlafois
précédente.Enplus,ilmeproposaitdelamusique:monpointfaible!Jenepouvaispasdirenonàunconcert.NiàDaniel.Malgrétousmesefforts,j'avaisenviedepasserdutempsaveclui.—Çaal'aircool,parvins-jeàrépondred'unevoixposée.Pendantunbrefinstant,ilmeregarda,lesyeuxmi-clos,puisilm'adressacesourireespièglequeje
commençaisàbienconnaître.—Super.Jepassetechercheràquelleheure?Tuveuxallerdînerd'abord?Ah,zut.Jedînaischezmesgrands-parentstouslesvendredis,etiln'étaitpasquestiondeleslaisser
tomber.Malgrémapromesse,jen'étaispasprêteàleurprésenterDaniel.—Euh…onpeutseretrouversurplace?J'aidestrucsàfaireavant.—Parfait.J'aihâted'yêtre!Ilnemelâchaitpasdesyeux,etbienquelesétudiantsaientcommencéàentrer,jeneparvenaispas
àmedétourner.—Moiaussi,murmurai-je.J'étaistoujoursincapabledemeconcentrer.La semaine s'était étirée interminablement. La veille au soir – jeudi – j'avais passé une éternité
plantéedevantmonplacard,àessayerdechoisirmatenuepourcesoir.Pourmonrendez-vous.Monrendez-vousavecDaniel.Jenemesouvenaismêmepasdemondernierrendez-vousromantique.Alorsquejequittaismon
dernier cours de commerce, dans un soleil éblouissant, et que je traversais le campus pour allerchercherma dose de caféine auCoffee Baby, je me replongeai dans mes souvenirs. J'avais passébeaucoupdetempsavecJacoblorsdupremiersemestrededeuxièmeannée,maisonn'étaitvraimentsortisqu'uneoudeuxfois.Pourmangerunepizzaouallervoirunfilm,cegenredechoses.Rien qui ressemble au rendez-vous de ce soir. Écouter de la musique avec quelqu'un, ça me
semblaitétrangementintime.Je traversai lapelouse luxuriante.Desgroupesd'étudiants se retrouvaient toutautourdemoi, les
fillesmouléesdansdestenuesprovocantesetperchéessurdestalonsdémesurés.Partoutfusaientdes
riresetdesplaisanteriessurlesprofs,lescamaradesdepromooulescuitesduweek-endprécédent.Jemesentissoudainlecœurléger.Àcetinstant,j'avaisl'impressiond'êtrecommeeux:impatienteetnerveuseàl'idéedesfestivitésde
lanuit.Pourunefois,cen'étaitpasmoileDJ.J'allaispartagerl'expérienceintensedelamusiqueavecDaniel.Jeremontaimeslivressurmahancheetprisladirectionducafé.Il y faisait froid et sombrepar rapport à l'extérieur.Les tables étaient occupéespar des groupes
d'étudiantsquibavardaient,etleursconversationsmeparvenaientdansl'airchargéd'effluves.Jemedirigeaiverslefond,quiparaissaitpluscalme,ettrouvaiuneplaceàunetablepresquevide.
Àl'autrebout,uncoupledegarçonssedévoraitdesyeux,sanssepréoccuperdemoi.Jemeplongeaidansmoncahierdefinanceafindenepaslesdéranger.Avantquej'aiepupassermacommande,unevoixjoyeusemehéla.—Ilmesemblaitbienquec'étaittoi!s'écriaMeganenaccourantversmoi,lescheveuxrelevésen
deuxadorablespetitschignonssurlescôtés.Elleportaitunjeanslimtaillebasseetuntee-shirtbleumarine.Pourlamillièmefois,jeluienviaisabeautédécontractée,safaçond'illuminerlapièceparsonseulsourire.Megan était toujours de bonne humeur. Elle avait une grâce naturelle. Peut-être que je pourrais
m'inspirerd'ellepourêtreàl'aiseavecDanielcesoir.Peut-êtrequ'ellemedonneraitdesconseils…Maisj'hésitaispendantqu'elles'installaitprèsdemoiavecsongobeletdecafé.Sijeluienparlais,
ellenemelâcheraitplusavantd'avoireutouslesdétails.Est-cequej'étaisprêteàm'ouvriràelle?Àlalaisserentrerdansmavie?—Enfinvendredi!soupira-t-elle.Ouille,c'estchaud!Elle reposa son café, enleva le couvercle et se mit à souffler sur le breuvage bouillant avant
d'ajouter:—Tutravailles,ceweek-end?Sic'estlecas,j'aibienenviedevenirt'écouter.—Pascesoir,maisdemainoui,répondis-jeenfrottantmesmainsmoitessurmonjean.Parler avec elle me rendait anxieuse. Comment avais-je pu oublier à ce point ce que c'est que
d'avoiruneconversationnormaleavecquelqu'un?Racontersa journée,évoquersespenséesetsessentiments?Enfant,j'étaisunvraimoulinàparoles.Avant.—Çava?s'inquiéta-t-elle.Tuasl'aircontrariée.—Jesuisunpeunerveuse…Jesorscesoir…avecungarçon.Elleécarquillalesyeuxsifortqu'ilmesemblaqu'ilsallaientjaillirdeleursorbites.Puisellesetâta
lefront.—Est-cequej'aideshallucinations?s'écria-t-elleenriant.Maispourquoituesnerveuse?Etc'est
qui,d'abord?J'avaisdespalpitations.SiparleravecMeganmemettaitdanscetétat,qu'est-cequeçaseraitplus
tard,quandjeseraisaveclui?
—Daniel,legarçonavecquij'étaisàlasoirée.Ilestenphiloavecmoi.Ellemeregardaavecdouceuretmecaressalebras.—Çavaaller.Ilenpincepourtoi.Çasevoyaitdanssesyeux, l'autresoir.Tuvaspasserunbon
moment,tuverras.Jemedétendisunpeuetmeforçaiàrespirerlentement.Jen'allaispasfaireuneattaquedepanique
poursipeu.J'avaislasituationenmain.Ilnes'agissaitpasdesemarier,justedesortirunsoir.J'enétaisparfaitementcapable.—Merci,dis-jedansunsouffle.—Etvousallezfairequoi,alors?Ellem'écouta,hochantlatêteavecenthousiasme,pendantquejeluiparlaisdulieuderendez-vous.
Jedoisreconnaîtreque lavoirsicontentepourmoimepermitdemesentirmoiaussienvahieparl'impatience.JeneconnaissaispasceDJ,alorsc'étaitdoublement intéressantpourmoi.Jepourraisvoiruncollègueautravail,etpeut-êtreypuiserdel'inspiration.— Je ne sors pas tout de suite, ce soir, donc j'ai le temps dem'occuper de tes cheveux et de te
maquiller,dit-elle.—Riendetropextravagant,d'accord?Aprèstout,jedevaisd'abordallerdînerchezmesgrands-parents.—Paroledescout,répondit-elle.—Tuasétéscoute?— Jamais de la vie ! Je déteste la vie au grand air.Mais je trouvais que ça appuyait bienmon
propos.J'éclataisderire,deplusenplusdétendue.—Jevaismechercheruncafé.Tuveuxquelquechose?—Nonmerci.Jesurveilletesaffaires.Jem'approchaidelafiled'attenteetjetaiuncoupd'œilàMegan.Laconversationavaitétémoins
difficile que ce que je craignais. J'étais persuadéequ'elle allaitm'assaillir de questions indiscrètes,maisaulieudeçaelles'étaitcontentéedem'écouteravecintérêt.Jel'avaispeut-êtremaljugée.Lesjouesenfeu,jesentislaculpabilitém'envahir.Ces derniers temps, je n'avais cessé de juger trop vite les gens qui m'entouraient. Certes, ça
m'apportait de la sécurité,mais ça neme rendait pas heureuse pour autant. Bavarder avecMeganm'avaitôtéunpoids.Elleavaitraison:j'allaiscertainementpasseruneexcellentesoirée.Danielnesemontreraitpasinsistant:jeluiavaisclairementfaitcomprendrequejen'étaispasprêteàallertroploin,etçanel'avaitpasempêchédem'inviter.Moncaféàlamain,jeretournaiversMegan,biendécidéeàluidemanderdesconseilspournepas
laisserl'anxiétémegâchercettesortie.
Chapitre8
Àdeux rues de la boîte, je commençai à entendre lamusique.La sentant vibrer jusque sousmapeau,jenepusréprimerunsourire.Danielavaitproposéqu'onseretrouvedevantladiscothèque.Bienquel'endroitsesitueaucentre-
ville, j'avais réussi à trouver une place pourme garer. L'établissement n'était pas grand,mais unemultitudedeclients allaient etvenaientpar laporteet sur le trottoir.La fouleétait trèsmélangée :punks,B.C.B.G.,hipsters…toutcepetitmondesecôtoyaitsansproblème.C'étaitunpeusurréaliste.L'air doux du soir me caressait les bras. Je portais un débardeur à paillettes et un jean.Megan
m'avaitfaitlesgrosyeuxenconstatantquej'avaischoisiunetenuetrèsbasique,maisjen'avaisrienvoulusavoir.Elles'étaitrattrapéesurlemaquillageetlacoiffure.J'avaisl'aird'unepin-up,avecdesbouclesetdesanglaises.Ellem'avaitmisunrougeàlèvresvif,unpeud'ombreàpaupièresetuntraitd'eye-liner.Ellem'avaitmêmeprêtésonrougepréférépourquejepuissemeremaquillerensortantdetable.Jeluttaipournepaslaissermaconfianceenmois'évaporer.J'avançaisurletrottoiràlarecherchedeDaniel.Ilmefallutuneminutepourrepérersasilhouette
familière appuyée contre un mur de briques. Sa chemise noire moulante, dont il avait roulé lesmanches,révélaitlesmusclesdesesbras.Jedistinguaissesclavicules,lepetitcreuxàlabasedesoncou,parl'entrebâillementducoldéboutonné.Ilavaitlescheveuxébouriffés,justecequ'ilfaut.Danslehalodulampadaire,onauraitcruqu'ilavaituneauréole.Lorsqu'ilmevit,sonvisages'illuminad'unsourire.Ils'écartadumurpourveniràmarencontre.—Tuessuperbe,dit-il.J'avaisdumalàl'entendre,danslebrouhahaambiant.Ilmeregardadelatêteauxpieds,lesyeux
mi-clos.—Merci.Toiaussi,bredouillai-je,lecœurbattant.Megan m'avait conseillé de garder une certaine distance ce soir-là. Il fallait laisser Daniel me
couriraprès:nepaslerepousser,maisnepasluirendrelatâchetropfacilenonplus.Apparemment,les garçons aimaient chasser. Je n'étais pas trop sûre que ce soit vrai.Mais d'un autre côté, mongrand-pèreconfirmaitcettethéorie.Danstouslescas,jedevaisprendreleschosesavecdésinvoltureetneluimontrermonintérêtque
petitàpetit,sij'enressentaisl'envie.Ça,jepouvaislefaire:êtredistanteétaitmamarquedefabrique.Ilsortitlesbilletsdesapochedansungestethéâtraletm'entenditun.—Iln'yapasdeplacesassises,biensûr.Ilsn'ensontqu'àlapremièrepartie.C'estungroupelocal.
Jenesaispluscommentilss'appellent.J'acquiesçaietmeretinsdemepasserlamaindanslescheveux.Meganm'avaitrépétéquejedevais
paraîtresûredemoi,etnepasdouterdemacoiffureoudemesvêtements.Jesavaisqueceseraitplusdifficile.Maisjepouvaisaumoinsfairesemblant.Dumoins,jel'espérais.
Ilvint seplaceràmescôtés.L'odeur fraîchedesoneaude toilettemechatouilla lesnarines,mefaisant tourner la tête. Pendant un instant, je dus lutter pour ne pasme précipiter vers lui afin derespirerencoresonparfum.Ilposaunemainenbasdemondos,medonnantdespetitsfrissonsdeplaisir.Jepercevaislapressiondesesdoigtsàtraversmondébardeur.Sisentirsonparfumetsesdoigtsdansmondosmemettaitdanscetétat,allais-jeréussiràmetenir
convenablementpendantlerestedelasoirée?Nousentrâmesdanslafiled'attente.Jedevinaissoncorpstoutcontrelemien.Autourdenous,les
genssebousculaientets'interpellaient,agitantlesbrasetriantdanslevacarmedelaboîtedenuit.Uneoudeuxfois,quelqu'unmerentradedans,et lorsque jereçusuncoupdecoudedans leventre,unedouleurfantômeseréveilla,mefaisanthaleter.Jeprisletempsderespirercalmementpourchasserlapaniquequimontait.Toutallaitbien.J'étais
guérie,jen'avaisplusmal,etriennememenaçait.—Désolépourlafoule,mechuchotaDaniel.C'estlafolie…Saprésencemerassurait.J'avaisl'impressionquesoncorpsformaitunebarrièreprotectriceautour
demoi.Jemeconcentraisursonparfum,soncontact,pournepluspenseràmesangoisses.Enquelquesminutes,jeparvinsàmedétendre.Jeluiadressaiunsourirereconnaissant.Notretour
d'entrerarriva.Noustendîmesnosbilletsetfranchîmeslaporte.L'assistance était nombreuse, bien plus qu'auMask. C'était intimidant. Je me sentais submergée.
Danieldevinamaterreur,etilm'emmenaàl'écart,lelongd'unmur,oùlafouleétaitmoinsdense.Jemeremisàrespirer.—Jevaisnouschercherdesboissons,dit-ilenm'effleurantlecoude.J'aurais voulu qu'il laisse sa main là. Je le regardai s'éloigner rapidement vers le bar. Je ne
parvenais pas à détacher mes yeux de lui, jusqu'à ce qu'il disparaisse dans la foule. Il faisait unechaleur étouffante, mais c'était plus supportable que ce que j'avais craint. Un petit filet d'air fraisfiltraitparlesbouchesd'aération.Jeregardaitoutautourdemoi,meforçantàprendreconsciencedemon environnement. Les gens riaient et dansaient, de façon sexy ou rigolote, imitant la gestuellemécaniqued'unrobot.Legroupeétaitplutôtpasmal.Ilsfaisaientungenredetechnoavecunchanteur,unpercussionniste,
etuntroisièmemusicienausynthétiseur.Lesparolesétaientsimples,maisentêtantes,etjemesurprisàbougeraurythmedelamélodie.Personneneprêtaitattentionàmoi.Jen'étaisqu'unvisageanonymeparmitantd'autres.Nousétions
réunisparl'amourdelamusique.Toutetensionenvolée,jemelaissaiporterparlamélodie.Quelquesminutesplustard,Danielrevint,unebièredansunemainetunverred'eaudansl'autre–
avecunerondelledecitron.Ilmeletendit.—Tiens.Iln'avaitpasoublié.C'étaitundétail,maisçamefitplaisir.—C'estparfait.Merci,dis-jeavantdeprendreunegorgéerafraîchissante.Nous restâmes côte à côteunmoment, sirotant nosboissons, profitant de l'ambiance.Un silence
confortable s'était installé entre nous, entrecoupé de commentaires sur les chansons que nousécoutions.
Le groupe joua son derniermorceau, et un disque demusique électronique se déversa dans leshaut-parleurspendantqueleDJfaisaitquelquesréglages.—Çateplaît,jusqu'ici?—Beaucoup!criai-jepourcouvrirlebruit.J'avaisunsourirebéat,enpartieàcausedelamusique,etenpartieparcequ'ilétaitprèsdemoi.Bon,d'accord.Surtoutparcequ'ilétaitlà.—Dis-moi,pourquoiest-cequetuaschoisiSmythe-Davispourfairetesétudes?demanda-t-ilen
portantsabouteilleàseslèvres.—Cen'estpastroploindechezmesgrands-parents,avouai-je.J'espéraisqueçanefaisaitpastropbébête,maisc'étaitimportantpourmoi.—J'aidécrochéunebourse,aussi,etçaapesédanslabalance,ajoutai-je.—MafamillevitausuddeCleveland.Çameplaîtdepouvoirleurrendrevisitefacilementtouten
étantassezloinpouravoirmavie.J'aimebeaucouplenorddel'Ohio.—Tuas faitdebonnesphotos, cesderniers temps?m'enquis-je, repensantànotreconversation
danslavoiture.Etànotrebaiser.Cequimefitrougir.Il regarda soudainmabouche, les lèvres entrouvertes. Je reprismon souffle, unpeuaffolée.De
touteévidence,sespenséesavaientsuivilemêmecoursquelesmiennes.—Oui,ceweek-endjesuisallétraînerducôtédumuséedesbeaux-arts.J'aiaussifaituntourdans
lesjardinsinternationaux.J'aivudesgaminsdanserdansunemaredeboue.Ilsétaientsalesdelatêteauxpieds,maisçanelesgênaitpas.C'étaitmignon.J'étaisunpeusoulagéequ'iln'aitpasmentionnélebaiser.Etunpeufrustréeaussi.J'étaisvraiment
noyéedansmesémotions,incapabledesavoircequejevoulais.Jebrûlaisd'envieetenmêmetempsjebridaismesenvies.J'étaisentraindemerendrefolleavectoutecetteindécision.—Jetemontreraidesphotos,toutàl'heure,situveux.J'enaiquelques-unesdansmontéléphone.Lamusiques'arrêtaetnousnoustournâmesverslascène.—Mesdamesetmessieurs,criaunevoixgravedansleboxdeDJ.JesuisDJEnrique.C'estl'heure
decasserlabaraque!Lafoule répliquaparun rugissementde joie,et lesmainsse levèrentaussitôt.Apparemment,DJ
Enriqueavaitdenombreuxfans.Jemeconcentraisurlui,observantsesinteractionsaveclepublic.Ilavait une présencemagnétique. C'était un homme aux cheveux courts et aux longs cils fournis. Ilportait son casqueautourducou,un écouteur appuyécontre l'oreille alorsqu'il lançait lepremiermorceau.Des basses puissantes et sensuelles s'échappèrent des enceintes, et les gens semirent à danser. Il
ajoutagraduellementdifférentespistesdemusiqueélectronique,maislabasserestaitprédominante.Jefusaussitôtsouslecharme.—J'adore!meconfiaDanielenfinissantsabière.Iljetalabouteilledansunepoubelleetmedébarrassademonverrequ'ilposasurunepetitetable.
Puisilmepritparlamain.
—Viensdanser.—Oh,non,jenesaispas…,bredouillai-je,lesoufflecourt.—Rienqu'unechanson,supplia-t-ilensepenchantversmoi.Sonparfumsemêlaitdansmonespritaveclamusiqueetlachaleurquirégnaitdanslapièce.Lemorceauétait si sensuelque jeme sentis envahiededésir. Jen'avais jamaisdansédevantdes
gens–dumoins,pasdepuismonenfance,quandjenemedemandaispassanscessedequoij'avaisl'air.Ilsourit,sonirrésistiblefossetterefaisantuneapparition.—Allez,rienqu'unechanson.J'acquiesçaisanssavoirpourquoi.Jemelaissaiguiderversleborddelapiste.Parbonheur,ilne
m'entraînapasaumilieu,où jemeserais sentiemalà l'aise.Unemainposéeavec légèreté surmahanche,ilsemitàbouger.Jerestaiplantéeunesecondeavantd'oscilleràmontour.J'étais terriblementgênée…j'avaisl'impressiond'agitermesgrandsbrasraidescommeunrobot.
C'étaittellementaffreuxquejepréféraim'arrêter.—Fermelesyeux,meconseillaDaniel.Turéfléchistrop,çasevoitdanstonregard.Alorsferme
lesyeuxetlaisse-toialler.Jemecontentaidefroncerlessourcils.—Fais-moiconfiance.Je savais qu'il avait raison. Je m'exécutai avec un soupir. Pendant de longues secondes, je me
concentraisurlesbasses,leparfumdeDaniel,lecontactdesamainsurmahanche.J'oubliaitoutlerestepourmefondredanslamusique.Jemeretranchaidanscetendroitenmoioù
riennepouvaitm'atteindre,oùj'étaisheureuse.Jelevailesmainsau-dessusdelatête.Il ne fallutquequelques instantspourque je sente la chaleurducorpsdeDaniel contre lemien.
Nousnousrapprochâmes,unmillimètreàlafois.Finalement,mestétonsrencontrèrentsontorseetmonbassinvintappuyercontrelesien.Jerefusaid'ouvrirlesyeux,bienquemoncorpsrépondeausien,ledésirmontantdepartetd'autre.Danielnefitpasunmouvementpourmeserrerplusprèsdelui.Ilmelaissal'initiative.Ilsecontentadepressersesdoigtsunpeuplusfortsurmahanche.Quand enfin j'ouvris les yeux, je m'aperçus qu'il me regardait, les pupilles dilatées de désir. Je
reprismonsouffleet laissai tombermesbras,posantunemainsursonépaule. Ildéplaça lasiennevers le bas demon dos,mais toujours sansm'attirer plus près. Nous ne parlions pas,maismilleémotionscirculaiententrenous.Ilmelaissaitdécideràquelrythmej'étaisprêteàaller.J'aimaislepouvoirqueçameconférait.Je
voyaisdanssesyeuxetàlafaçondontsagorgepalpitaitqu'ilavaitenviedemoi.Etmonpoulsbattaitàl'unissondusien.Lamusiquenousenvironnait,noustransperçait.Jehaletai.Jeposaimonautremainsursataille,mecollantcontrelui.Ilm'embrassalefront.J'étaistellement
surpriseparladouceurdecegestequemoncœurseserra.Soudain,quelqu'unmebouscula.J'étaissiabsorbéeparcetéchangeavecDanielquejen'avaisrien
remarquéd'autre.Maisjeprisalorsconsciencequenousétionsentréssurlapistededanse,etquelafoulenousentouraitàprésentdetoutesparts.Jen'avaispasl'habitudedem'abandonnercommeça.
Entempsnormal,j'étaisdansleboxdeDJ,surveillantlepublicsansjamaism'ymêler.Jecontrôlaislamusique,etjenemelaissaispasalleràlaressentirdel'intérieur.Lerythmechangea.Danielsouritetlevalesbras.Jel'imitai.Toutautourdenous,lesgensdansaient
avecfrénésie.Etjecomprisenfin.Àprésentquej'étaisaucœurdupublic,épousantsesmouvements…Jecomprispourquoilesgens
aimaient venir danser auMask. Ce qui faisait qu'ils en redemandaient, qu'ils se lâchaient, qu'ils sefondaient dans lamusique.C'était commeune ivresse, une folie collective dont j'avais toujours euenviesansjamaisenêtreconsciente.Envahieparlasensualité,jemeserraicontreDaniel.J'avaisl'impressiondeplanersousl'effetdu
désir.Ilpassalesbrasautourdematailleetm'effleuralefrontduboutdeslèvres,puisl'oreilleetlecou.Jemecambraiau-devantdeluienletenantparlaceinturedesonjean.Jebrûlaisdemerapprocherencore.Il se baissa pour lécher la sueur qui perlait surmon épaule. Je réprimai un gémissement. Ilme
regarda.Nousétionstousdeuxéperdusdedésir.J'entendais le sang battre dans mes tempes. Je sentais une bosse révélatrice sous son pantalon.
Pendantuninstant,j'eusenviedelecaresser.Desavoirexactementàquelpointilbandait.Àquelpointjelefaisaisbander.Çaallaittropvite.J'allaismenoyerdansmesémotionssijenem'arrêtaispastoutdesuite.J'avais
tellementenviedelui…Envieetpeurenmêmetemps.Jenepouvaispasmepermettredemelaisserdistraire.Jeme souvenaisde ladernière foisque jem'étais laissée aller commeça avec lui.Çaavaitmal
fini:ilavaitfaillidécouvrirmonterriblesecret.Jem'écartaietessuyaimonfrontmoite.—J'aiunpeuchaud.Jevaissortirprendrel'air.—Toutvabien?—Oui.Çava,merci,bredouillai-jeencherchantàreprendremonsouffle.Je…jesuisdésolée.Jetraversailafoulequim'oppressaitpourmedirigerverslasortie.Dehors,ilfaisaitchaud,maisl'airétaitpuretletrottoirdésert.J'étaiscouvertedetranspiration,à
causedelachaleurdelaboîte,deladanse.EtdemondésirpourDaniel.Pourquoiest-cequej'avaisabaissémesdéfensesaussifacilement?Ilmefaisaitperdrelatête.Jetrouvaiseffrayantdevoiràquelpointjem'étaisrapprochéedeluien
sipeudetemps.—Casey?appela-t-ildansmondos.Jemetournaiverslui,m'efforçantdesouriredemonmieux.—Désolée.Jesuisdésolée…Ilfaisaitchaud,etilyavaitbeaucoupdemonde…Sansparlerdemessentimentsquiavaientprisledessus.—Est-cequejeteplais?demanda-t-ildebutenblanc.
—Euh…quoi?Il s'approcha un peu.Une fois de plus, il faisait attention à ne pasme bousculer ; il gardait ses
distances.C'étaittellementgentildesapart…J'avaisunpeuhonte.—J'aidumalàsavoir.Tuesunpeuambiguë.Parfois,j'ail'impressionquetuneveuxplusavoir
affaireàmoi.Surtoutquandçadevientunpeu…unpeuchaud,entrenous.Jerougis.Jem'apprêtaisàrépondre,maisilnem'enlaissapasletemps.—Maisàd'autresmoments,quand tu te laissesaller, je croisque tu ressens lamêmechoseque
moi.Alorsj'avaisenviedesavoir,det'entendremeledire.
Chapitre9
Danielsemblaitlirejusqu'auxtréfondsdemonâme.Sonregardperçantmevoyaittoutentière,avecmespeurs,mesdésirs,mahainedemoi-mêmeetmafaçondementirpourfairecommesitoutallaitbien.Cequin'étaitpasvrai.Loindelà.Matensionetmonangoissevis-à-visdusexesetransformèrentenpanique.—Oui,tumeplais.Maisjepréféreraisqueçanesoitpaslecas,répondis-jesansréfléchir.Àpeineavais-jeprononcécesmotsquejelesregrettai.Cen'étaitpasexactementcequejevoulais
dire–entoutcas,pascommeça.Sonsourires'effaça,etl'éclatdesesyeuxdiminua.—Pourquoiest-cequeçat'embêtequejeteplaise?medemanda-t-ilnonsanscuriosité.Ungroupede filles passa près de nous engloussant.Deuxd'entre elles ne se gênèrent pas pour
reluquerDanieldelatêteauxpieds.J'éprouvaiunnouvelaccèsdejalousie.J'étaisbienconscientedemessentiments,etjenepouvaispaslesnier.J'avaisenviedesortiraveclui,maisjenevoulaispasenavoirenvie.Pourtant,jenevoulaispasnonplusqu'ilsorteavecquelqu'und'autrequemoi.Pfff.Iln'accordapasunregardauxdemoiselles.Daniel voulait savoir ce qui m'angoissait tellement dans le fait qu'il me plaise. Et moi, je me
demandaispourquoiilneprenaitpassesjambesàsoncou.Quefaisait-ilencoreenmacompagnie,alorsquejenecessaisdesoufflerlechaudetlefroid?Pourquoinecherchait-ilpasplutôtquelqu'undenormal,biendanssapeau?Danieléclataderire,toutetensionenvolée.Saréactionm'étonna.—Écoute, je neveuxpasgâcher cette super soirée, dit-il enmecaressant lamain. J'ai passéun
excellentmomentavectoi.Onn'aqu'àyretourner,etprendreleschosescommeellesviennent.Onpeutdanserouregarderlesgens,commetupréfères.Etjenet'embêteraipas.Ilm'effleurait lapaumeduboutdupouce,medonnantdes frissons.Sesparolesm'aidèrentàme
calmer.Est-cequ'illepensaitvraiment?C'étaitunesacréevolte-face.—Tuessûr?demandai-je,incertaine.—Toutcequejeveux,c'estm'amuseretpasserdutempsavectoi.Riendeplus.Ils'approchapourmeregarder.Ilsemblaitsincère.Je finis par acquiescer. C'était un parfait gentleman : il acceptaitmes accès de panique sansme
culpabiliser.Certes, jevoyaisqu'aufond,ilauraitvoulumepousser,m'inciteràluiracontercequin'allait pas.Peut-êtrequ'il se rendait comptequecen'était pas lebonmoment.Quellequ'en soit laraison,j'étaiscontentedecesursis.Jelesuivisàl'intérieur.Lerestedelasoiréesedérouladefaçonplusdétenduequecequej'auraiscraint.LeDJenchaînait
lesmélodies.Nousrestâmesenlisièredelafoule,àsiroterunebièreoudel'eauenbattantlamesure.Iln'insistanipourparlernipourdanser,bienquejelevoiedetempsentempsmeglisserunregard
ducoindel'œil.Ilbrûlaitdemedirequelquechose,maisilseretint.Ilétait2heurespasséesquandleconcertpritfin.Jem'étaisbienamusée,maisçanem'empêchait
pas d'être épuisée. J'étais vidée par l'émotion et le désir inassouvi. Tout ce que je voulais, c'étaitprendreunedouche,meblottirdansmonlit,etdormir.Danielmeraccompagnaàmavoiture.—Çanetedérangepasquejet'escortejusquecheztoi?demanda-t-ilenrougissant.Jeveuxêtre
certainqueturentressansencombre.Ilestvraimenttard.Sonembarrasétaittouchant.Incapabledeparlersousl'effetdel'émotion,jemecontentaidehocher
latête.Jelevailamainverssonvisageetluieffleurailajouependantunefractiondeseconde.Ilmesuivitenvoiturejusquechezmoi.Aprèsm'êtregarée,jesortisdemonvéhicule.Ils'arrêtaà
quelquesplacesdelàetvintmerejoindre,sansprendrelapeined'éteindresonmoteur.Ilmesourit,apparemmentheureuxdesasoirée.—Mercid'avoiracceptémoninvitation,dit-il.Unpetitventfraiss'était levé,luiébouriffantlescheveuxetséchantlasueursurmoncouetmon
dos.—Merciàtoidem'avoirinvitée…—J'aimebientacoiffure,dit-ilenenroulantunedemesmèchesautourdesondoigt.Ils'approchaencoreetmepritlevisageentresesmainsavecuneinfiniedouceur.Sesgestesétaient
lents,commes'ilvoulaits'assurerdemonassentiment.Ilposatendrementseslèvressurlesmiennes,puis sur les commissures. Jeme serrai contre lui et entrouvris la bouche.Mais il s'écarta presqueaussitôtetmecaressalajoueavantdes'éloigner.—Bonnenuit,Casey,melança-t-ilavantderetourneràsavoitureavecunderniersignedelamain.Jerestai immobilequelquesminutes,savourantlesouvenirdececontact.C'étaitunbaiserchaste,
quin'avaitpaslamêmepassionqueceluiquenousavionséchangédanssavoiture.Etpourtant,ilmebouleversaitdavantage.Jemepassaiundoigtsurlabouche,puismedirigeaiversl'appartementetouvrislaporte.Lesacde
Megantrônaitsurlaconsole:elleétaitderetour.Jesourisàl'idéequec'étaitbienlapremièrefoisqu'elle rentrait avantmoi. Elle serait vraiment fière demoi lorsque je lui raconterais la soirée lelendemain.Jelaissaitombermesclefsetmonsacàcôtédusien,etréfléchis.Çaalors…laperspectivedelui
enparlernem'avaitmêmepasfaitreculer.J'entraidansladoucheetfiscoulerdel'eaufraîche.C'étaitagréableaprèsavoireutellementchaud
dans la boîte de nuit. Mes doigts pleins de savon passèrent sur mes cicatrices. C'était incroyablecommeilm'avaitmiseenémoialorsquenousdansions.J'avaisunpeupeur,c'estvrai.Maispar-delàcesentiment,uneautreémotionbouillonnaitdansmapoitrinechaquefoisquejepensaisàlui.Quejelevoyais.Quejeletouchais.Jenepouvaisnierl'attirancequej'éprouvaispourlui.Aprèsm'êtrerincéeetséchée,j'enfilaiundébardeuretunboxeretm'allongeaisurmonlit.
J'avaisencoreletournis.Jen'arrivaispasàmesortirDanieldelatête.J'aimaissafranchise…sesyeux…sesmainsquimecaressaientledos.Sabouchebrûlantesurlamienne.Commemoi,Danielétaitpleindecontradictions.Ilmepoussaitdansmesretranchements,puisme
laissaittranquille.Maisunechoseétaitsûre:ilmegardaitsurdescharbonsardents.Quandjem'endormis,j'avaisencorelesourireauxlèvres.J'allaisvomir,çanefaisaitpasunpli.Megansortitdesachambre,vêtued'unerobedeplageendentellequidévoilaitsonmaillotdebain.—Jet'interdisdegerbersurcetapis.Allez,toutvabiensepasser.Ilnevaplustarder.Etensuite,on
n'auraplusqu'às'éclater. J'aimismonbikini leplussexy. Iln'yapresquepasde tissu,envérité…Bobbyvas'étranglerenreluquantmeslolos.Detouteévidence,manervositésautaitauxyeux.J'émisunpetitriretoutentriturantmontee-shirt.—Commesituavaisbesoindeçapourêtremagnifique!Ellevints'asseoiràcôtédemoietpritmesmainsmoitesdanslessiennes.—Eh…tuessûrequeçava?J'acquiesçai, tremblante.Pourquoiest-ceque jememettaisdansunétatpareil?Sansdouteparce
quej'avaisperdulatêtelaveille,etdemandéàDanieldenousaccompagner.LafamilledeMeganvivaitdansunevillaauborddulacÉrié,avecuneplageprivée.Chaqueannée,
ils organisaient un énorme barbecue pour l'anniversaire du père de Megan. L'été précédent, ellem'avait invitéeàpasserunweek-endchezeux,mais j'avaisdécliné. J'avaispréféré resterenferméedansmachambre,avecunlivreetdesprovisionsdechinois.Cettefois-ci,jen'avaispumerésoudreàrefuser.Ellem'avaitsuppliéeavecsesgrandsyeuxbruns,
etm'avaitrappeléàquelpointjem'amusaisdepuisquej'acceptaisdesortirdelamaisonetdevivreunpeu.Ilnem'avaitfalluquequelquesminutespourcéder.Laveille,alorsquej'étaisdansungrandmagasinentraindechercherunmaillotdebain,quelques
heuresavantdecommencermonserviceauMask,j'avaisprismontéléphonepourenvoyeruntextopathétiqueàDaniel, luiproposantdem'accompagner.Je leprévenaisà ladernièreminute, ilauraitsûrementd'autresengagements,maisj'avaisenviedelerevoir.Quelquesminutesplustard,ilavaitréponduqu'ilviendrait.Etc'estainsiquejemeretrouvaisdansmonmaillotunepiècebleumarine,avecunjeancoupéen
shortetuntee-shirtpar-dessus,lesmainsmoitesettremblantes.Espérantcontretouteattentenepasmecouvrirderidiculedevantlui.J'étaisanxieuseàl'idéedemerendreàcettefête,d'êtreentouréedetoutelafamilledeMeganetdeleursamis.J'avaisbesoinquequelqu'unm'accompagne.Lapremièrepersonne–laseule,envérité–àlaquellej'avaispenséétaitDaniel.Enoutre,comme
Bobbydevaitnousrejoindresurplace,jesavaisqueMeganallaitpasserleweek-endàluilécherlapomme,etjenetenaispasàvoirça.Lasonnetteretentit.Meganselevad'unbondetm'adressaunclind'œil.—Jesuissûrequec'estDaniel!s'écria-t-elleavantd'ouvrirlaportebrusquement.Entre!Elleest
là,surlecanapé.Danielfranchitleseuiletregardaautourdelui,unsourireradieuxauxlèvres.C'étaitlapremière
foisqu'ilvenait;ilexaminalestableaux,lemobilier,lesétagères.J'avaispassélamatinéeàfaireleménagepourquece soitprésentable.Megan s'était torduede rire enmevoyant frotter le sol.EllepensaitqueDanielseficheraitéperdumentquelecarrelageétincelleounon.Jemelevaietm'essuyailesmainssurmonshort,luiadressantunsouriretremblantmaissincère.
Vêtud'unbermudadeplageetd'un tee-shirtgrisdélavé, ilavait lescheveuxébourifféset lesyeuxbrillants.Ilétaitàtomber.J'eneusdespapillonsdansleventre.—Vousêtesprêts?demandaMeganenattrapantsonsac.Elle se penchapour s'emparer de la petite glacière qui attendait près de la porte,maisDaniel la
devança.Jeprismesaffairesetnoussortîmes,Danielmarchantjustederrièremoiversmavoiture.J'avais
proposédeconduire.JesavaisqueMegancomptaitboire,etjenevoulaispasmonteravecelledanscetétat.Etpuis, si j'avaisbesoindepartirplus tôtqueprévu, jenemeretrouveraispascoincéeaumilieudenullepart.Maisj'avaisbienl'intentionderesterjusqu'aubout,cettefois.J'enavaisparléavecmagrand-mère
laveille,etelleétaitfolledejoiequej'aieacceptél'invitation.Ellem'avaitconseillédem'isolerdetempsàautreafind'éviterd'êtresubmergéeparlapanique.C'étaitunbonconseil.Jesavaisquej'enétaiscapable.Enchemin,Meganfredonnaitenécoutantlaradio.Daniel,côtépassager,nedisaitrien.Detempsen
temps, Megan s'avançait entre les sièges avant et nous chantait dans les oreilles, avec plusd'enthousiasmequedetalent.Jenepouvaism'empêcherderire:sonbonheurétaitcontagieux.Enarrivant,j'eusunpeudemalàtrouveruneplace:larueétaitdéjàpleinedevoitures.Jesentis
aussitôtlesoufflememanquer.Toutcemonde…Est-cequej'allaisréussiràgérer?Danielmeposalamainsurlacuisse.Riendesexueldanscegeste:c'étaitpourmerassurer.Jelui
adressaiunsourirereconnaissant.Ilavaitdevinécequejeressentaisenunclind'œil.Çamefitunpeupeurdeconstaterqu'ilmeconnaissaitdéjàsibien.Mais encet instant, c'était exactement cedont j'avaisbesoin.Un soutien silencieux. Je luipressai
doucementlamain,puismeconcentraisurmoncréneau.NousmarchâmesverslamaisondesparentsdeMegansousunsoleildeplomb.Nouspercevionsde
plusenplusdevoixetd'éclatsderireàmesurequenousapprochions.Meganseprécipitapourouvrirlaportedecôtéetnousfaireentrer.Laclimatisationétaitallumée,
etl'airfraismedonnalachairdepoule.Lacuisineétaitbondée;ungrouped'adosriaitdansuncoin.Quelques femmes étaient occupées à sortir des assiettes du réfrigérateur. La fête était vraimenténorme.Maistoutlemondesouriait.Personnenenousregardaitensedemandantcequejefaisaislà.Jeme
détendisunpeu.Une femme noire, grande et élancée, les cheveux remontés en une élégante queue-de-cheval,
s'approcha de nous. C'était forcément la mère de Megan : elles se ressemblaient beaucoup. Pas
étonnantqueMegansoitsibelle:samèreétaitmagnifiqueetnefaisaitpasdutoutsonâge,malgrélesquelquesridesquiseformaientautourdesesyeuxlorsqu'ellesouriait.—Bonjour,machérie,dit-elleenembrassantMegansurlajoue.—Maman,jeteprésentemacolocataire,Casey,etson…ami.Unsourire radieuxaux lèvres,ellemontraDanielquiposait laglacièresur lecomptoir. J'aurais
voululuimettredesbaffes.—Enchantée.Jesuisraviequevoussoyezlà,réponditsamèreenjoignantlesmains,sesbracelets
d'argenttintantaupassage.Elleportaitunecombinaisonpruneavecunfoulardrougeetjaunenouéàlataille.—Servez-vous,ajouta-t-elle.Ilyadelabière,duvin,desjusdefruits,del'eau…etpleindetrucsà
grignoter.Megan s'éloigna avec samère, bras dessus, bras dessous, nous plantant là,Daniel etmoi. Ilme
sourit.—Quoi?—Jesuiscontentd'êtreiciavectoi,c'esttout.Quelquesmotssimplesetdirects…c'étaittoutlui.Jefondissouslachaleurdesonregard.Ilattrapa
deuxbouteillesd'eaudansleréfrigérateuretm'entenditune.—Onvadanslejardin?Onserasansdoutemoinsentassés.C'estlemomentquechoisituneinconnuepourlebousculeretrepartirens'excusant.Ilmelançaun
regardsagace.J'acquiesçaienriantetlesuivisparlaporteenverrecoulissante,jusquesurlapelouseluxuriante.Les invités avaient également envahi l'extérieur.Nousmarchâmes jusqu'à labarrière aufonddujardin,etlasplendeurdulacÉriés'offritànotrevue.Lesoleilfaisaitscintillerleseauxbleufoncé.Quelquesbateaux fendaient les flots, laissantunsillageblanc semblableàun rubanderrièreeux. Il y avait davantage de vent par ici, et je sentis ma queue-de-cheval voleter dans mon dos.Quelquesmèchesvinrentmechatouillerlevisage.—C'estmagnifique,soupirai-jeaprèsavoirprisunegorgéed'eau.Jeremontaimonsacsurmonépaule.Mamèreauraitadorécetendroit.Labrise,lesoleil,lelacqui
s'étendaitàpertedevue…Elleavaittoujoursrêvéd'habitersurlesrivesdulac,etpendantledernierété,elleavaitàplusieursreprisesdemandéàmonpèredenousemmenerenvacancesdanslecoin.J'eneus lecœurserré.Contrairementàmonhabitude, je laissai l'émotions'emparerdemoi,etmeremémoraisonsourireauxdentsécartéesetsonéternelcoupdesoleilsurlenez.Sonabsencemefaisaittellementmal…maisbizarrement,refuserdepenseràelleétaitencorepire.
Àelle,ouàmasœur.Danielinterrompitlecoursdemespensées.—Quandj'étaispetit,onallaitchaqueétéàVermillion.OnlouaituncottagesurlelacÉriépendant
unesemaine,dit-ilenplaçantunemainau-dessusdesesyeuxpourregarderauloin.—Tuascombiendefrèresetsœurs?demandai-je.Jeregrettaiaussitôtmaquestion.Entoutelogique,ilallaitmelaretourner.Maisjemesouvinsqu'il
m'avaitlaisséeenpaixchaquefoisquej'enavaiseubesoin.
Sijevoulaisdevenirplussociable,ilallaitbienfalloirquejem'habitueàparlerauxgens.Mêmesic'étaitunetorture.—J'ai troispetites sœurs, confessa-t-il en riant.Trois sacrésnuméros…Quand j'habitaisencore
chezmesparents,jen'avaisjamaisd'eauchaudepourmadouche!—Jen'imaginemêmepas!m'exclamai-je.Etsansluilaisserletempsdemeposeràsontourdesquestions,jeluiproposaid'allersurlaplage.Jedescendisàsasuitelesmarchesdebois,chaufféesparlesoleil.Arrivéesurladernièremarche,
entièrementrecouvertedesable, jepoussaiunsoupirdeplaisiretenfonçai lesorteilsdans ledouxtapisblanc.Riennepouvaitêtreplusdélicieux.Unvraimomentdebonheur.—Et toi,alors, tuasdesfrèresetsœurs?demandaDanielentoute innocence,m'arrachantàma
béatitude.—Non,répondis-jeenledépassant,lecœurbattantlachamade.Ilseraidit,surpris.Pasmaintenant,s'ilteplaît,lesuppliai-jementalement.Cejour-là,jevoulaisjustefairesemblantd'êtrenormale,dumoinsautantquepossible.Jevoulais,
pourunefois,sortirdemonpersonnagedefillecassée,timideetbizarre.—Casey!criaunevoixderrièremoi.Meganmefaisaitdesgrandssignesd'unemain,l'autrebraspasséautourdutorsenudeBobby.—Onarrive!ajouta-t-elle.Jen'avaisjamaisétéaussicontentedelavoir.Sauvéeparlegong.J'espéraisquelasécheressedemaréponsen'avaitpasdétériorélesfilsténus
quimeliaientàDaniel.
Chapitre10
Mabouffée de panique se calma enfin, et je recommençai à respirer normalement.Megan allaitnouschangerlesidées,avecsabonnehumeurhabituelle.Etj'allaisessayerdemeteniràmadécisiondeprofiterdelajournée,commetoutlemonde.Alorsqu'elledescendaitl'escalier,jeremarquaiqu'elleportaitsaglacière.Ellecourutversmoiet
mepritdanssesbraspourmechuchoteràl'oreille:—Ohlàlà,Bobbyestencoreplussexyqued'habitude,aujourd'hui!Regarde-moicettetablettede
chocolat…J'aienviedelelécherpartout.—Jenepensepasqu'ilyvoieuneobjection,pouffai-je.—J'aichipéquelquesboissons,reprit-elleàhautevoix.Onvaemprunterlebateaudemonpèreet
s'amuserunpeu.Ilyatropdemonde,là-haut.Çavousintéresse?D'uncôté,çatombaitàpic.J'allaispouvoirmedétendre,àl'abridelafoule.Maisd'unautrecôté,
DanieletmoiallionssansdoutetenirlachandelleentreelleetBobby.Etlemoinsqu'onpuissedire,c'estqu'ilsn'étaientpastrèspudiques.Maistoutdemême,enétantavecelle,j'avaisl'assurancequelaconversationresteraitgénérale,etje
pourraisdoncéviterlescrisesdepanique.—Çametente.Ettoi,Daniel?—Jesuispartant!répondit-ilavecunsourire.Il passa délicatement le bout des doigts sur le duvet demon bras. C'était un effleurement, léger
commeuneplume, àpeinediscernable.Pourtant, j'eus l'impressionde sentirmapeauvibrer avantmêmequ'ilm'aittouchée.C'étaitincroyable.Commesitousmessensétaientenéveilensaprésence.Toutletemps.Ilmemettaitdansunétatquejen'avaisjamaisconnuauparavant.J'avaisfaimdelui.Et j'allais me retrouver coincée sur un bateau avec lui, au milieu de l'eau. Pourvu que je sois
prête…Avec un cri de joie,Megan attrapa Bobby par lamain. Nous suivîmes notre guide enthousiaste
jusqu'au ponton, où une petite embarcation blanche attendait sagement. On pouvait s'y installer àquatreconfortablement.Meganposa laglacièreet sortit sacrèmesolaire.Elle seservitpuisme lapassa.—Tuvasrôtir,avectapeauclaire,melança-t-elleenriant.Elleavaitraison.J'évitaisengénéraldetraînerausoleil,maisquandje lefaisais,c'était toujours
avecuneépaissecouched'écrantotal.JeluiempruntaidoncsonflaconavantdelepasseràDaniel,qui souleva son tee-shirt pour étaler le produit sur son ventre. Je fis de monmieux pour ne pasm'extasier tropvisiblementdevant la fine lignedepoilsquidescendaitverssonshort. Iln'étaitpasaussimuscléqueBobby,maisilavaitdesabdosbienfermes.Jerespiraiungrandcoup.J'avais envie de le toucher, de sentir sa peau brûlante de soleil contre la mienne. De poser ma
bouchesurlasienne.Jedétournai lesyeuxavantqu'ilmesurprenneà le reluquer,etmontaidans l'esquifà la suitede
Megan.Lesgarçonss'installèrentàleurtour.Daniels'assitàcôtédemoisurlebanc,à l'arrièredubateau,pendantqueBobbyprenaitplaceàl'avantavecMegan.—Accrochez-vous!s'écriacelle-ciendémarrant.Nousvolionsau-dessusdel'eau.L'airtièdemefouettaitdetoutesparts,maisilétaitmêléd'embruns
rafraîchissants.JesentaislaprésencedeDanielàmadroite.Songenoucognaitparfoislemien,etjememordaisalorsleslèvres.Ilavaitremissontee-shirtenplace,maisjeneparvenaispasàeffacerl'imagedesonventredemonesprit.Ilavaitlapeauhâlée,cequim'avaitsurprise.Ildevaits'activertorsenu;peut-êtrequ'ilaimaitjardiner.Jeressortismabouteilled'eaudemonsacpourmedésaltérer.J'avaisdumalàm'intéresseràautre
chose que lui. Difficile de sembler indifférente alors que nos genoux s'entrechoquaient à chaquemouvementdubateau.Si je fermais les yeux et tournais sur moi-même pendant une minute, je saurais quand même
exactementoùilsetrouvait.Moncorpss'étaittransforméenantennerégléesurlui.—Ilfaitchaud,soupira-t-il.Je fis unemimique consternée devant la banalité de sa remarque, avant de déceler une étincelle
espiègledanssonregard.—Lesoleilatendanceàproduireceteffet,commentai-je.— Il fait aussi ressortir les reflets de tes cheveux, ajouta-t-il, plus sérieux. Ils ont une très jolie
couleur.Ilsemitàjoueravecunemèchedemaqueue-de-cheval.Çam'émoustilla,etjem'aperçusquemon
corpstoutentierpenchaitinsensiblementverslesien,commedumétalattiréparunaimant.Jereculaid'unbond.—Vousêtesbiensilencieux,touslesdeux,décrétaMeganenseretournant.Ellenouscontemplad'unairfaussementsuspicieux,sanslâcherlegouvernail.—Nousdiscutonsphilo,rétorquai-jeavecironie.Etjepréféreraisqueturegardesdevanttoi,siça
netedérangepas.J'aimeraisautantéviterd'avoirunaccident.Danielavaittoujoursmamècheentrelesdoigts,etnousétionssiprèsl'undel'autrequel'hypothèse
d'uneconversationmétaphysiquen'étaitpastrèscrédible.—Vousavezl'airdedeuxtourtereaux,répliqua-t-elleavantdeserasseoirversl'avant.Bobbytoussotad'unairmalicieux.Je levai les yeux au ciel. Daniel lâchames cheveux et s'écarta de quelquesmillimètres en riant.
L'éloignement,siinfimequ'ilfût,mefitmal.Lorsque la villa de ses parents ne fut plus qu'un point blanc au loin, Megan coupa le moteur.
L'embarcationtanguaitdoucement.C'étaitunesensationdélicieuse.Bobbyseleva,adressaunclind'œilàMegan,etplongeadanslelac.Ellecrialorsquelagerbed'eau
qu'ilavaitsoulevéevintnouséclabousser.Daniels'essuyalesbrasenriant.Bobbyrefitsurfaceetvints'agripperaubateau,regardantMeganavecgourmandise.
—L'eauestdélicieuse,déclara-t-il.Tudevraisvenirjouir…desatempératurebienfraîche.C'estcequ'ilademieuxenstock?Unpeupiteux,commeblague…MaisMegan,séduite,manquadedéchirersarobedanssahâteàrevêtirsonbikini.Ellesautaetcria
deplusbelleenarrivantdansl'eau.Jereçusdenouvelleséclaboussures.—Tuaimesnager?medemandaDaniel.Ilôtasontee-shirtd'ungesteélégantetsepenchasurlaglacièrepourensortiruneboissonfraîche
qu'ilouvritaussitôt.Lorsqu'illevalatêtepourboireaugoulot,jepusobserversapommed'Adamquiremuait.Jemeforçaiàregarderlabouteilled'eauquej'avaistoujoursàlamain.Nelereluquepas,m'admonestai-je.—Disonsquejesuiscapabled'éviterlanoyade,répondis-jeavecunhaussementd'épaules.Ceque
jepréfère,c'estfairelaplanche.Jeprisunegorgéed'eautièdeetmetournaiversMeganetBobby,quijouaientàsepourchasser,un
prétextepoursetouchertouteslestroissecondes.Daniel resta silencieux unmoment avant que j'ose poser de nouveau les yeux sur lui. Le soleil
caressait sa peau, illuminant ses cheveux comme une couronne et soulignant les muscles de sesépaules,etlecreuxdesaclavicule.Jemesentisfondrededésir.Jenepouvaispasnierqu'ilm'excitaitauplushautpoint.Ilmesuffisaitdeleregarderpourêtredanstousmesétats.J'avaislesdoigtsquimedémangeaientdetouchersapeaunue.—Tuasenvied'allerfairelaplanche?proposa-t-ilavecunsourireencoin.Sesyeuxétincelaientdemalice,commepourmeforceràabandonnermesinhibitions.J'enmourais
d'envie.Enoutre,même si l'eau faisait remontermon tee-shirt, jeportaisunmaillotunepiècequicachaitmescicatrices.J'acquiesçai.Il reposa sa boisson dans la glacière et se laissa glisser dans l'eau, du côté opposé àMegan et
Bobby.Ilavaitunetelleaisancequ'onauraitcruqu'ilétaitnédanslelac.Ilrefitsurfaceetsecouasescheveuxenriant.—Elleestfraîche,reconnut-il.Jeledévoraisdesyeux.Desgouttelettesruisselaientsursoncou,làoùj'avaisenviedel'embrasser.
Mon cœur battait la chamade. Peut-être qu'un plongeon m'aiderait à garder la tête froide et àrecouvrermesesprits.Rougissante,j'enlevaimonshortsousleregarddeDaniel.Ilnemelorgnaitpasdefaçonsalace…il
avait juste les yeux surmoi. Comme s'il avait peur que je change d'avis. Je ne pouvais pas le luireprocher.Unpeuhonteuse à cette idée, je posaimon short surmon siège, passai les jambespar-dessuslebastingage,etsautai.Pendant un long moment serein, je restai sous la surface, environnée par l'eau glacée. Puis je
remontaietrepoussaimescheveux.Danielnageaitsurplace,sesbraspuissantsmoulinantlesvagues.Lebateautanguaittoujoursàcôtédemoi.Jecommençaisàmeréchauffer.Nousétionsd'uncôtéde
l'embarcation,MeganetBobbyde l'autre,étrangementsilencieuxdepuisquelque temps.J'étaisbiencontentedenepasvoircequ'ilstraficotaient.—Quand j'étais petit, je pouvais rester des heures dans la piscine, jusqu'à avoir les doigts tout
plissés,racontaDaniel,quis'étaitrapproché.
L'eauqu'ilfaisaitbougerparsesmouvementsmecaressaitlesjambes.—Àl'époque,jevoulaisdevenirchampionolympiquedeplongeon.Jen'avaispeurderien,avoua-
t-il.—Jet'yvoisbien…Jen'avaisaucunmalàimagineruntoutpetitDaniel,maigrichonetbronzé,entraindeplongerdans
unepiscine,s'exerçantsansrelâche.—Qu'est-cequit'afaitchangerd'avis?—Lesmaillotsdepiscine,çanem'allaitpasdutout,répondit-ild'unaircoquinquimefitrire.—Moi, je jouais à être une sirène. Jem'asseyais sur lesmarches de la piscine, les jambes bien
collées,commesic'étaitunequeue.Masœuretmoiavionspassédesheuresetdesheuresàlapiscinemunicipale.Ellen'yallaitjamais
sansseslunettesetsonpince-nez,semoquantduridicule.Je m'arrêtai sur ce souvenir, attendant la vague de tristesse qui ne manquait jamais de me
submerger. Mais là, dans le calme du lac, seule avec Daniel qui me souriait patiemment, je neressentisqu'unpetitpincement.Peut-êtreétait-ce ledébutde laguérison.Peut-êtrequ'un jour, jenesouffriraisplusdutout.Tuneluiasmêmepasparléd'elle.Nidecequis'estpassé,merappelaunepetitevoixdansmatête.Monsourires'effaça.Danielplongeasousl'eau,etréapparutàquelquescentimètresdemoi,mefaisantsursauter.—Bouh!s'écria-t-il,chassantmamélancolie.—Tum'asfaitpeur…—Jesais.J'aivraimentenviedet'embrasser,avoua-t-ilenreprenantsonsérieux.J'enavaisenvieaussi.Là,dansl'eau,souslesoleil,danscetenvironnementheureuxetléger.Pour
qu'enfinj'arriveàvivrel'instantprésent.Il posa la main sur ma hanche, me caressant la cuisse avec le pouce. Le souffle court, je me
maintenaisàlasurfaceparquelquesmouvementsdejambesparesseux.J'auraisvouluquececontactduretoujours.—Moiaussi,j'enaienvie,murmurai-jesibasquejen'étaispassûred'avoirréellementprononcé
cetaveu.Daniels'agrippaaubateauetm'enlaçadel'autrebras,mecollantcontrelui.Sansréfléchir,jenouai
mesjambesautourdesatailleetmesbrasautourdesoncouruisselant.Jelesentais,brûlantentremesjambes,etprissoudainconsciencequenousn'étionsséparésquepar
deuxfinescouchesdetissu.Lespupillesdilatéesdedésir,ilpenchalatêteversmoi.Jem'approchaipourcollermes lèvresaux siennes.L'eauexerçait sonva-et-vient surnous,nous
tirantetnouspoussanttouràtour.MaisDanielétaitmabouée.J'étaisensécurité.Jeleserraiencoreplusfortentremescuisses,presqueàmoncorpsdéfendant.Sonsexetendaitle
tissudesonshortdebain,et jefrissonnaiàcecontact.J'entrouvris labouchepourqu'ilyglisse lalangue,dansunesensuelleexploration.J'enfonçailesdoigtsdanssescheveuxethumail'odeurdesapeau.
Nous flottions au gré des vagues. Sa respiration saccadée accroissait encore mon désir, faisantsaillirmestétons.J'étaisplongéedansunabîmedevolupté…—Oh,jen'ycroispas!criaunevoixdansmondosavecungloussementmalicieux.Casey,tun'es
qu'unepetitecoquine!Merde.Je m'écartai de Daniel et me retournai, mortifiée d'avoir été surprise en train de faire des
cochonneries.JustesouslenezdeMeganetBobby,quiétaientremontésdanslebateauetprofitaientduspectaclepar-dessuslebastingage,unebouteilledebièreàlamain.Bobbym'adressaunclind'œil.Gênée, je tiraisurmontee-shirtpourleremettreenplace.Daniel
avaitlaissésamainsurlebasdemondos,sansmebousculer,justepourmerappelerqu'ilétaitlà.Ilm'aidaàmehisseràbord.Jeglissaiunpeusurlesoldel'embarcation,maisparvinsàretourner
m'asseoirsansencombre.Jereprisunegorgéed'eau,désireusedemeconcentrersurautrechosequelesouvenirbrûlantdemonétreinteavecDaniel.Megans'apprêtaitàparler,maisjelevailamainpourl'endissuader.—Motus,chuchotai-jealorsqueDanielremontaitàsontourdanslebateau.Elle fronça les sourcils, surprise,mais j'étais inflexible. Jenevoulaispasqu'onme taquine à ce
sujet.J'étaistropbouleversée.Avecunhaussementd'épaules,Bobbyfinitsabièreetjetalabouteillevideàsespieds.Ilenouvrit
aussitôtuneautrequ'ilvidad'untraitavantdelâcherunrotsonoreetdesourireàMegan.—J'aimevoirteslèvrestoutesmouillées,dit-elleenriant.—Hum,cen'estqueledébut…,répliqua-t-ild'unairpleindesous-entendus.Quellehorreur…Peut-êtrequejeferaisbiendeboireunpeud'alcoolmoiaussi,pourqueletempspasseplusvite.
Maisjepréféraismecontenterdemoneau.Jemesentaisunpeubarbouillée.Etpournerienarranger,Danielnecessaitdemelancerdesregardsencoin.Jefinisparcéderetmetournerverslui.Lesyeuxpétillants,iltenditunemainversmoi.Refrénant
unsoupirdenervosité,jelapris,etlelaissaim'attirerverslui,glissantsanseffortsurlebancdansmonmaillotmouillé.Unepetitebrisefraîcheseleva,faisantsedurcirmestétons.Danielnetardapasàs'enapercevoir,
maisilseremitaussitôtàmeregarderdanslesyeux.—Jen'aiaucunregret,mesouffla-t-il.Jesuisravidet'avoirembrassée.Maisjeneveuxpasquetu
soismalàl'aise.Onpeutrestercommeça,situveux.Tun'esobligéeàrien.Jemedétendis.Ilpassaunbrasautourdemesépaules,m'effleurantduboutdesdoigts.J'eneusla
chairdepoule.Megan et Bobby buvaient toujours. Elle se balança un peu dans son siège et rota discrètement
derrièresamain.—Bordeldemerde,soupira-t-elle.Jecroisbienquejesuisbourrée.Danieletmoiéchangeâmesunregardconsterné.—Tusaispiloterunbateau?luidemandai-jeàvoixbasse.
—Onvatrouverunesolution,promit-il.Megan se leva et se tourna vers nous. Son bikini la laissait presque entièrement nue. Quelques
gouttes d'eau coulaient encore sur sa peau sombre. Elle était magnifique, pleine d'assurance, etpendantunmoment,j'eusenvied'êtrecommeelle.Sûredemoi.Àl'aise.—Tuestropcouverte,medit-elleenagitantl'indexdevantmonvisage.Tudevraisenlevertontee-
shirt.Bobbyenprofitapourluidonnerunetapesurlesfesses.Ellesursautapuiséclataderire.—Ettoi,tudevraisenlevercemaillot,dit-ild'unevoixrauque.—Jesuisbiencommeça,affirmai-je.Mon maillot couvrait mes cicatrices, mais je n'avais tout de même pas envie de retirer mon
vêtement.Cen'étaitqu'uneminceépaisseurdetissu,maisilm'évitaitdemesentir…nue.ExposéeauxyeuxdeDanieletdumonde.—Allez,insista-t-elle,unemainsurlahanche.Tuessuperbe.Regarde,moijen'aiquemonmaillot.
Tudevraisfairepareil.Ellesepenchapourreprendreunebière,sansdoutelatroisièmeenvingtminutes.Elleétaitcomplètementsoûle.Jemesentaisassezmal.J'avaislesoreillesquibourdonnaient.—Non,jet'assure,jepréfèrerestercommeça,répliquai-jed'untonoùcommençaitàpoindrede
l'agacement.Danielcessademecaresserlebras,maisjem'enaperçusàpeine.Meganlevalesyeuxaucielavec
unprofondsoupir.—Pourquoitufaistantd'histoires?Onestentrenous.Lesgarçonsn'ontqueleurmaillot,etmoi
aussi.Tuessapéecommeunebonnesœur.Elles'approchademoietattrapal'ourletdemontee-shirt,maisjereculai.Ilétaithorsdequestion
qu'ellem'arrachemonvêtement.Lesmâchoiresserrées,jeremisletissubienenplace.—Arrête,Megan.Bobby la tirapar lamain,maiselle le repoussaetposa surmoi son regardunpeuvitreux.Elle
manquadeperdrel'équilibrelorsqu'unevaguefittanguerlebateau,etserattrapaaubastingage.—Maismerde,pourquoiest-ceque tu fais ta sainte-nitouche?Tupensesque jesuisune traînée
parce que je ne me couvre pas de la tête aux pieds comme toi, c'est ça ? Qu'est-ce que tu veuxprouver?Quetuesmeilleurequetoutlemonde?—Maisqu'est-cequeturacontes?C'estdégueulasse!JenesavaispasquelleattitudeadopterdevantcetteMeganivreeténervée,quejeneconnaissaispas.
Siçaavaitétépossible,j'auraisregagnélerivageàlanage,etjel'auraisplantéelà.Elletremblaitderage.—Jevaistedire,moi,cequiestdégueulasse.C'estquetusoisaussicoincéeducul.Tunousdonnes
l'impressiond'êtredesdébauchés,toutçaparcequ'onaimes'amuser.ElletournalestalonsetselaissatombersurlesgenouxdeBobby.
J'avaislesyeuxquipiquaient,maisjeravalaimeslarmes.Jen'allaispaspleurer.Merde!Pourquoiétait-elleaussiencolère?Pourquois'enprenait-elleàmoi?Jeneluiavaisrienfait!Jecroisailesbrasettentaidereprendremonsouffle.Daniel me serra contre lui et écarta de mon visage les mèches de cheveux que le vent y avait
collées.— Casey…, chuchota-t-il. Elle est soûle, elle ne sait pas ce qu'elle dit. Ne le prends pas
personnellement.—Jeveuxrentreràlamaison,suppliai-je.Jem'essuyai lesyeux. Jenevoulaispasme laisseraller.Et jene souhaitaisnullement resterune
secondedeplusavecMegan.Toutcevitriolqu'elleavaitdéversésurmoi…Pourmeforceràêtrecommeelle.Maiselleneme
connaissaitpas,pasvraiment.Ellenesavaitpascequej'avaistraversé,nicequeçam'avaitcoûtédevenir.Qu'elleaillesefairefoutre.Danielmepressalamain.Ilavaitunregardsicompréhensifqueçamefitencoreplusmal,etjeme
forçai à détourner les yeux. Lui non plus ne comprenait pas. Personne ne savait ; c'était mamalédiction.Il se glissa sur le siège conducteur. Après quelques tentatives infructueuses, il parvint à faire
démarrer lemoteuretà reprendre ladirectiondechez lesparentsdeMegan.Nous filâmessur lesflots,tanguantetroulant,maislalégèretédel'allers'étaitenvolée.Onrentraitverslafête,lajoiedevivredesgensquisavaients'amuser.Desgensauxquelsjeressemblaissipeu.
Chapitre11
Cefilmétaitnulàchier.Jem'enfonçaidans ledossierducanapéetdégustaimaglaceHäagen-Dazs.Ça, aumoins, c'était
bon. Banana & Cream, une de mes valeurs sûres en cas de coup de blues. L'héroïne du téléfilmplongea son regard dans celui du héros, et ils s'embrassèrent au ralenti. J'avalai une nouvellecuillerée.Megann'étaitpas rentréeà l'appartement lanuitprécédente.Danieletmoiétionspartisaussitôt–
ellenem'avaitpasfaitsigne,maisjesupposaisqu'elleétaitrestéedormirchezsesparents.Malgrémonanxiété, j'avais réussià tenir lecouppendantma journéedecours.Danielm'avait redonnéducourageenmeposantdesquestionsphilosophiquesaprèslecours.Àprésent,j'étaisàlamaison,seule,aucalme.Malàl'aise.Quelquesminutesplustard,j'entendisunecleftournerdanslaserrure,etjemetendisaussitôt.Elle
était là. Je posai le pot de glace sur un sous-verre et rentrai les pieds sous les fesses, serrant uncoussincontremonventre. J'étais enbasdepyjamaet tee-shirt, car il étaitdéjà22heurespassées,bientôtlemomentdemecoucherencelundisoir.Meganentraetlaissatombersonsacetsaglacièreprèsdelaporte.Ellemelançauncoupd'œil,
indéchiffrable.—Coucou,dit-elledoucement.Jemecontentaid'unsignedetêteavantdemetournerdenouveauverslatélé.Touteslesémotions
delaveillemesubmergèrentdeplusbelle,aupointd'enavoirmalauventre.Maisjen'allaispasluimontrer combienellem'avaitblessée. Je restaidonc retranchéederrière lemurprotecteurdemonsilence.Elle se dirigea vers la cuisine et ouvrit le réfrigérateur. Je gardai les yeux rivés sur l'écran. Je
l'entendissoupireravantdes'asseoirsurlefauteuilàcôtéducanapé,unCocaLightàlamain.Ellel'ouvritetpritunelonguegorgée.—Jemesuiscomportéecommeuneconnasse,dit-elled'unevoixmortifiée.Elleappuyalacanettesursonfront,etlafitrouleràdroiteetàgauche.Jen'avaispasl'intentiond'ouvrir labouche.J'étaisdécidéeàresterassisedansunsilenceglacial,
pour luimontreràquelpoint j'étais fâchée.Mais lesmotss'échappèrentdemes lèvrescontremongré.—Qu'est-cequit'aprisdemedireça?Elleposasacanetted'ungestebrusquesurlatable,projetantdepetitesgouttestoutautour.—J'aipétélesplombs.Complètement.J'avaistropbu,etj'étaisunpeuanxieuseàcausedeBobby.
Jecherchaisàluiplaire…Ellerestaquelquesinstantssilencieuse,puisreprit:—Tusais,jepourraistedonnertoutuntasderaisonspourmoncomportement,maisàquoibon?
Lavérité,c'estquej'aieutort.Etjeregrettevraimentcequej'aidit.Jesuisdésoléedet'avoirtraitéecommeça.Tun'avaisrienfaitpourmériterça,bredouilla-t-elled'unevoixtremblantequimetoucha.Jetentaideresterencolère,denepasmelaisserallerauxsentiments.Maisj'avaisdenouveaules
yeuxquipiquaient.Jeserrai lecoussinplusfort.C'étaitpourçaquejen'aimaispasdevenirprochedesgens:parcequ'ensuite,quandonbaissaitlagarde,ilsnousfaisaientmal.Ellesoupiraetchangeadeposition.— J'ai l'impression que… que tu n'es pas très ouverte avec moi. Que tu me dissimules
perpétuellement des choses. Et je ne comprends pas pourquoi. Je voulais t'obliger à arrêter de tecacher,maisjen'aipaschoisilabonnefaçon.J'auraismieuxfaitdeteparlerdemesinquiétudes.—Quellesinquiétudes?OK,jem'étaisbaignéeentee-shirt,maiscen'étaitpassibizarrequeça…—J'ail'intuitionqu'ilyadesgrandstrousnoirsdanstavie.Qu'ilt'estarrivédeschoseshorribles…
Maisjen'osepasteposerlaquestionparcequeçadonneraitl'impressionquejememêledecequinemeregardepas.Ellemescrutaitd'unregardsérieux,etj'étaisincapablededétournerlesyeux.—Jenetecomprendspas.Jenet'aijamaisvuesansauminimumundébardeuretunshort.Quand
tusorsdelasalledebains,tuesdéjàhabilléedelatêteauxpieds.Commesitun'étaispasbiendanstoncorps…çamefaitbizarre.Moiquisuis tellementà l'aiseavecmonphysique, jen'arrivepasàsaisirqu'onsoitcommeça,mêmesijesaisbienqu'onestdifférentes.Jemeraclailagorgeetdesserraiunpeumonétreintesurlecoussin.Jen'étaispasprêteàaborder
cesquestions.Jevoulaisavancerdansmavie,maismonpassénecessaitdemefaireretomberdanslenoir.—Écoute,jeneveuxpasdirequetuesobligéedetebaladeràpoil,maisjene…—J'aidescicatricestrèsmochessur leventre,m'entendis-jedéclarer.J'aiétégrièvementblessée
quand j'avais treize ans. J'ai dû subir de nombreuses opérations. Et comme je déteste les voir, jepréfèrequ'ellesrestentcachées.Jegardailesyeuxrivéssurlesbroderiesducoussin,vertes,roses,violettes,etbleues.J'avaisles
joues en feu, commeaprès un coupde soleil, et la gorge serrée. Je tentai dedéglutir etmemis àcompterlesfleurssurletissu.—Qu'est-cequit'estarrivé?Jesecouailatête.Jenepouvaispasenparlerpourl'instant.Lesouvenir–ouplutôt,lecauchemar–
étaitenfermédansunpetit recoin,à l'intérieurdemonesprit.Leproblème,c'estquepouravancer,j'avais besoin de repousser toutes les images demon enfance.Même celles des bonsmomentsmefaisaienttropmalpourquejepuisseyrepenser.Quandjem'étaisinstalléechezmesgrands-parents,grand-mamanavaitessayédem'inciteràparler
demesparentsetdemasœur.Ellenem'avaitlaisséetranquillequelorsquej'avaisfiniparcéderetaccepterd'endiscuteravecunpsy.Mais jesurprenaisde tempsen tempssonregard tristeposésurmoi.Ellesemblaitdevinercombienilétaitdifficiledefairecommesij'étaisnéeàl'âgedetreizeans.Commesiaucunehorribletragédien'étaitvenuebalayermaviesursonpassage.Meganpoussaunsoupir.Jemetournaiverselle.Elleavaitdanslesyeuxlamêmetristessequema
grand-mère.—Jesuisdésolée…,murmura-t-elle.Jenesaispascequetuas,maisjenevoulaispasteblesser.
J'espèrequetumepardonneras.Elleétaitsincère,àn'enpasdouter.Ellen'avaitpasrenoncéàserapprocherdemoi,malgrétous
meseffortspourlarepousser.Jenepouvaispasluidonnercequ'ellemedemandait,maisjepouvaisdumoinsacceptersesexcuses.—Merci,finis-jeparmarmonner.—Situasenviedeteconfier,jesuislà.Jehochailatête.—Casey?Est-ceque…Est-cequeçaaquelquechoseàvoiravectesparents?Tuneparlesjamais
d'eux,etjemedis…Ilssontmorts,c'estça?Vousavezeuunaccident?C'estdelàqueviennenttescicatrices?Je sentis unpoids dans la poitrine, et la têteme tourna unpeu. Je rejetai le coussin etme levai,
inspirant lentement par le nez et soufflant par la bouche.Megan se redressa d'un bond et vintmecaresserledospourm'aideràmecalmer.J'étaispartagéeentreuneenviedelapousser–c'étaitellequim'avaitvalucettecrised'angoisse–etledésirderesterprèsd'ellepourêtrerassurée.Lorsquelessymptômesdiminuèrentenfin,j'émisunpetitriregêné.—Toutvabien,désolée.Elleavaitl'airtellementabattuequeçamedonnaenviedepleurer.—J'essayaisseulementdet'aider.Decomprendrepourquoituessi…—…Toquée?complétai-jed'unevoixamère.—Non.Triste.—Oui,mesparentssontmorts,répondis-jeendétournantleregard.Laglacefondaitdanssonpot.Lecoupleàlatéléétaitenpleinedispute:l'héroïnevenaitdefondre
enlarmes.J'étaissoudainengourdie,lesmembresfroids.J'étaispresquecontentequeladouleuraitcessé.Aumoins,jepouvaisvivrecommeça:ilmesuffisaitdefairesemblant,jusqu'àcequejemesentemieux.—Jeretournedansmachambre.JesentisleregarddeMegandansmondospendantquejerangeaislaglacedanslecongélateuret
refermaisdoucementlaportedemachambre.Jem'allongeaisurmonlitetposailesmainssurmescicatrices.Jepassail'indexlelongdusillonboursouflé.J'avaisfrôlélamort.Onpeutmêmedirequejel'avaisvueenface.Mafamilleétaittombéedevant
mesyeux.C'étaitcequej'avaisvécu,etpourtant,jemeréveillaischaquematin.J'allaisencours,etautravail.MaiscetteconversationavecMegan,lefaitdesentirmonpassécommesuspenduentrenousdeux,
mefaisaitculpabiliser.Oui,c'étaitplusfaciledefairecommesiriendetoutçanes'étaitproduit.Maisc'était unmensonge. Je commençais à oublier de petits détails à propos d'eux.Des choses quimepeinaientquandjem'ensouvenais…maisquim'auraienttuéesijelesavaisoubliées.D'une main tremblante, je cherchai une vieille photo dans le tiroir de ma table de chevet. Je
contemplai le visage de ma mère et de ma sœur au soleil. Derrière elles s'étendait une pelouseluxuriante ponctuée d'arbres. Lila était perchée sur le dos de maman, des mèches de cheveuxretombantlelongdesesjouespourvenireffleurerlefrontdenotremère.Ellesavaientl'airtellementheureuses…Jecaressai l'imagedupouce,unsentimentdoux-amers'éveillantdansmapoitrine,mecoupant le
souffle.Puisjeretournaileclichéetprisunstylo-billepournoterquelquesmotsdansunderniercoinlibre.«Lilaaimaitlebeurredecacahuètes.Lepéchémignondemaman,c'étaitlesfraisestrempéesdans
dumiel.»Jereposailestyloetreluslesphrasesetlesmotséparsquicouvraientledosdel'image.Desbribes
desouvenirsquejen'auraispusupporterd'oublier,consignéeslà,ensécurité.J'avaisd'autresclichés,portantégalementdesannotations,rangésdansletiroir.Jedéposaiunbaisersurleurvisage.Deslarmesbrûlantesruisselaientsurmesjoues.Onm'avaitdit
quelechagrins'estomperait.Quelmensonge!Quelhorrible,horriblemensonge!J'avais lamain plus ferme lorsque je remis la photo à sa place. Le rituel de noter un souvenir
adoucissait très légèrement lapeine.Amoindrissait laculpabilité.Devivre,d'avancer,d'avoirenvied'allermieux…Jem'essuyai lesyeuxetmerallongeai.Megann'avaitpas tropinsisté.Mais j'enavaisrévéléplus
que prévu. Je n'ignorais rien de sa famille, alors qu'elle ne connaissait rien de la mienne, à partquelquesdétailssurmesgrands-parents.C'étaitpeut-êtremieuxcommeça.Quelquechosemedisait,pourtant,qu'àprésentquejeluiavaisdonnéunepremièreréponse,Megan
ne s'arrêterait pas là. En attendant, je ferais demonmieux pour étouffer mes sentiments, et fairecommesijen'étaispasentraindetomberlentementenmorceaux.—J'aimebientacoiffure.CesparoleschuchotéesparDanielalorsquejepassaisdevantluilevendredipoursortirdelasalle
decoursmefirentm'arrêternet.Avecunpetitriregêné,jemetriturailescheveux.—Oh,ilfaisaittellementchaudcematinquejelesairelevés…C'étaitunénormebobard.Çam'avaitprisvingtminutesdelesenrouleretd'yenfoncerdesépingles
pour obtenir un effet décontracté. Parce que je voulais qu'ilme remarque.Ça avaitmarché. Ilmeregardaitavecunaird'intérêtintensequimefitfrissonnerjusqu'auxorteils.Ilyavaitquelquechoseenluiquim'attiraitirrésistiblement.J'avaisbeauessayerdegarderlatête
froide, ilmemettait en ébullition.Le lundi et lemercredi, nous étions ressortis du coursdephiloensemble,bavardantdechosesetd'autres–dutemps,deséquipessportivesdelafac,d'unarticledejournalqu'il avait lu.Maispeu importait le sujet.Mesoreillescaptaientchacunedesnuancesde savoix,sontondoux,lerythmedécontractédesesparoles.Sondiscoursétaitpourmoicommelechantd'unesirène,commeunappât,etjenemanquaisjamaisdemordreàl'hameçon.—J'aienviequ'onsorteencore,toietmoi,medit-il.Ilmeregardaitavecunetelleflammedanslesyeuxquej'auraisputomberàlarenverse.—Tueslibrequand?ajouta-t-ild'unevoixvibrantededésir.
—Euh…Tuvoudraisfairequoi?Quellequestionidiote!Çan'avaitpaslamoindreimportance.Jesavaistrèsbienquejepasseraisun
excellentmoment, que ce soit devant un dîner, autour d'un verre ou penchés sur notremanuel dephilo.Touslesinstantsquej'avaisvécusavecluidanslasemaineavaientétéunplaisir.Lemercredi,onavaitréviséensemble.Ils'étaitassistoutprèsdemoiàlatabledelacuisine,dans
monappartement,etjerespiraissonparfum.Sacuisseétaitpresséecontrelamienne,medonnantdesfrissons.Inutiledepréciserquej'avaiseuquelquesdifficultésàmeconcentrer.Jerepensaissanscesseàses
mainssurmesfesses,meserrantcontreluidanslelac.Sespenséesavaientdûsuivrelemêmecours:ilavaitdéposéuntendrebaisersurmeslèvres.Hélas, l'instantn'avaitpasduré.Meganavaitdéboulépar laported'entrée.Jem'étaisécartéed'un
bond,peuenclineàêtresurpriseunedeuxièmefoisentraindemefairepelotercommeuneadoenmanque.Ensuite,j'avaistentédemonmieuxdemeconcentrersurmonlivre,commeilsedoit.Mais jen'arrivaispasàeffacer le souvenirdesoncontactentremes jambes, sonsexedur, tendu
contremoi.Jeressentaisencorecedésirintense,cetteenvied'êtrenueaveclui.Ceseraitsifacile,etsidangereuxàlafois,demelaisseralleràceplaisir…—Hum,onpourrait se remettreànotredevoirdephilo,proposa-t-il en s'approchantdavantage.
C'estpourlasemaineprochaine,aprèstout.Jedoisencoreécrirequelquespagesetlerelireavantdelerendre.Les étudiants du cours suivant commençaient à entrer, aussi je prismon sac. J'avais le cœur qui
battait à toute vitesse, et mon sang courait dansmes veines avec un picotement électrique. En cetinstant,toutcequejedésiraisétaitdepasserdutempsaveclui,mêmepourrédigerundevoir.—Tuveuxvenircetaprès-midi?Onpourraittravailleruneheureoudeux…J'étaisfièredemontondétaché.—J'aiunpeudetempsavantd'allerdînerchezmesgrands-parents,ajoutai-je.—Parfait.Envoie-moiuntextoquandtueslibre.J'acquiesçai.Aprèsledîner,j'iraisautravail.Maisjenepouvaisrésisteràlatentationdepasserun
peudetempsavecluiavantça.Ilétaitcommeuneflammequiilluminaitlescontoursdemonuniversmorne,etquimemettaitenfeuàchacundesesregardsdebraise.Ilmesourit etmecaressa la joueavecsonpouce. Il avait lespupilles tellementdilatéesdedésir
qu'onnevoyaitpresquepluslesirisd'unvertbrillant.J'étaisfascinéeparsonregard.—Onsevoitvers14heures,alors.Jeleregardais'éloigner.Ilmefallutunmomentpourreprendrecontenanceavantdequitterlasalle.
Dehors,l'airétaitchaudethumide.Onsentaitl'orageapprocher;ilyavaitdelatensiondansl'air.LamêmeélectricitéquicrépitaitentreDanieletmoi.J'étais en train de me perdre, de laisser échapper ma vie si tranquille, petit à petit. Au lieu de
rechercherleréconfortdelasolitude,jecommençaisàdécouvrirl'extasecapiteusedelacompagniedeDaniel.Çameterrifiait.
Chapitre12
Notreséancedetravailsepassabien.Nousn'accordâmespasbeaucoupdetempsànosrévisions.Danielarrivajusteaprès14heures.Àpeineavait-ilfranchilaportequejeperdistoutdésird'ouvrirun livre. Le bruit de l'orageme parvenait par la fenêtre ; être à l'abri avec lui n'en était que plusdouillet.—Euh…Onn'aqu'às'installerlà,dis-jeendésignantlatable.Nousétalâmesnos livresetnospapiers sur la table, et ce silenceétrangeet confortable s'établit.
Pendantlapremièredemi-heure,jefisdemonmieuxpourmepersuaderquej'allaisresterconcentréesurcedevoirdephilo,maistouscesvieuxbarbusmortsdepuislongtempsnepouvaientm'expliquerce que je ressentais en cet instant. Pourquoi en sa présence, tout l'oxygène demes poumons étaitremplacéparquelquechosedenouveau,quimefaisaitsentirheureuseetvivante.Ils'apprêtaitàmeposerunequestion,maissereprit. Ilsecontentademeregarder,commepour
liredansmonâme.Jevisuneémotionpassersursonvisage,maisavantquej'aiepuladéchiffrer,ilmemitunemainsurlanuqueetm'embrassa.Cen'étaitpasletendrebaiserdemercredi.Cettefois-ci,j'étaisentièrementgriséeparcecontactqui
serépandaitdansmesveinescommeunedrogue.J'étaisivredelui.Jebuvaissabouchesansparvenirà m'en lasser. Tousmes sens étaient en éveil. Je sentais son odeur virile, ainsi qu'un soupçon dementhe.Jegémisdedésir,lestétonsdurcis,tendantlefintissudemonsoutien-gorge.Jedevaismeretenir
delesfrottercontresontorse.—Jen'arrivepasàmerassasierdetoi,murmura-t-il.Nousavionstousdeuxlesoufflecourt.Ilresserrasonétreintesurmanuqueetposalefrontcontre
lemien.Ilavaitenvied'allerplusloinetmoiaussi.Maisj'avaistroppeur.Avecunsoupir,jereculai.—Tufaisquoi,demainmidi?demanda-t-il.Il avait les lèvres un peu gonflées et humides après notre baiser, et ça me donna envie de
l'embrasserencore.—Euh…riendespécial,répondis-jeententantdemereprendre.—Tuaimeraisvenirdéjeuneravecmoi?J'acquiesçai.Ilmesourit.—Parfait.Jeveuxteprésentermafamille.Jen'arrivaispasàcroirequej'aiepuaccepter.J'avaisessayédemedédire,maisiln'avaitrienvoulu
savoir. J'avais rendu les armes quand ilm'avait promis qu'on ne resterait pas longtemps chez sesparents,justeletempsdedéjeuner.Je contemplaima garde-robe.Que devait-on porter pour rencontrer la famille de son… de son
quoi,aujuste?Qu'étions-nous,Danieletmoi?Peuimportait.J'étaissatisfaitedenotrerelation,sansavoirbesoindeluicolleruneétiquette.Êtresa
petiteamiememettraitunepressionpour laquelle jen'étaispasprête.Çam'obligeraità luirévélercertaineschosesauxquellesjenevoulaispaspenser.Jeme décidai pour un chemisier rose pâle, un jean et des chaussures plates. Tout en simplicité.
Après tout, je n'avais pas spécialement besoin de faire bonne impression.Nous déjeunerions aveceux,puisnousirionsnouspromenerauparc.Cen'étaitqu'unbrefpassagedanslamaisonfamiliale,riend'officiel.Et peut-être que si je me répétais ça en boucle pendant la demi-heure suivante, j'arriverais à y
croire. Je décidai deme secouer, enfilaimesvêtements, attrapaimon sac àmain et courusvers laporteavantd'avoirletempsdemeprendreencorepluslatêtesurmonapparence.Danieldevaitmeretrouversurleparkingquelquesminutesplustard.Est-cequesionétait tropanxieux, lecœurpouvaitexploser?J'attendissousunarbre.L'airétait
chaudetlourd,etunvoiledesueurs'étaitformésurmonfrontetau-dessusdemalèvresupérieure.Heureusementquejen'avaispasprislapeinedemettreautrechosequeduglossetdumascara,parcequeçaauraitcoulésurmesjoues.Montéléphonevibradansmapoche.Jelesortis.
Passeunebonnejournée,etsoistoi-même.Tuvasleurplaire,c'estsûr.Etfinistonassiette–tuestropmaigre.Ahoui,P.-S.:j'espèrequetunousamènerascegarçonunvendredisoirTRÈSBIENTÔT.Bisous,grand-maman.
Jepouffaiderire,soudaindétendue.Magrand-mèresavaittoujoursquandj'avaisbesoind'unpeu
deréconfort.Lesourireauxlèvres,jerépondis:
J'iraijusqu'àmeresservir,situarrêtesdesignertestextos.Àcestade,ellelefaisaitpourmetaquiner.Daniel arriva dans sa voiture rouge foncé, qu'il gara le long du trottoir. Il ouvrit sa portière et
sortit,lescheveuxunpeupeignéspourunefois,vêtud'unechemiseblancheimmaculéeetd'unjean.Monpoulss'accéléra.Unclaquementbizarres'échappadesouslecapotdelavoiture,arrachantunéclatderireàDaniel.—Oui,jesais,ellefaitdesdrôlesdebruits,lapauvrechérie.Maisellerouletoujours.—«Lapauvrechérie»?—Sonvrainom,c'estTitine,maiselles'énervequandjel'appellecommeça,expliqua-t-ilavecun
adorablehaussementd'épaules,avantde lui tapoter lecapot.Mesparentsmel'ontoffertepourmesseizeans.Etellenem'ajamaislaissétomber.—Mes grands-parents m'ont aidée à acheter ma voiture, commentai-je enme dirigeant vers le
siègepassager.Ilallumalemoteuretlaclimseremitenmarche,medonnantlachairdepoule.—Tuestrèsproched'eux,j'ail'impression.—Oui,très.Jem'efforçaidenepasmontrermanervosité.Laconversationprenaituntourdangereux.Ilfallait
laramenerverslepassérécent.— Ils m'ont aidée pendant mes études. Mon grand-père adore que je lui raconte mes cours
d'histoire.C'estunpassionné.Ils'intéresseenparticulieràlaSecondeGuerremondiale.—J'aisuiviuncoursd'histoireeuropéenneauderniersemestre.C'étaitpassionnanteteffrayantàla
fois.—Mongrand-pèrepenseexactementcommetoi.Ilcollectionnelessouvenirsdeguerre:ilditque
c'estimportantdenepasoublierleserreursdupassé,afindenepaslesrépéter.Alors que pourma part, je préférais enterrer le passé pour qu'il ne puisse pasm'attirer dans sa
noirceur.Daniels'engageasurl'autoroute,chantonnantunevieillechansonausondelaradio.— J'aime autant te prévenir… dansma famille, on est plutôt exubérants. Je n'ai que des sœurs,
commej'aidûteledire,etellessontaussibavardesquemoi.Ilm'adressaungrandsourire.J'avaislesmainsmoites,malgrélecourantd'airglacialdelaclim.Est-cequej'allaissubirunfeu
nourridequestions?Serais-jecontraintedeparlerdemafamille,demavie?J'avaisunfourmillementdansleslèvres.Jefermailesyeuxetinspiraiparlenezavantd'expirerpar
labouche.Cen'étaitpaslemomentd'avoiruneattaquedepanique.J'éluderaislesinterrogations,toutsimplement.Onneresteraitpasplusd'uneheure.J'allaism'ensortir.Une main vint se poser fermement sur la mienne et je rouvris les yeux d'un coup. Daniel me
regarda,sonautremaintoujourssurlevolant.—Eh,jeteprometsqu'ilsnetemordrontpas.Ilssontgentils.Jesaisqu'ilyadeschosesdonttune
veuxpasparler.Jelevoisdanstesyeux.Mais…Ilfautquetut'ouvresunpeu,detempsentemps.Terenfermersurtoi-mêmetefaitplusdemalquecequetucrois.Jesavaisqu'ilvoulaitbienfaire.Ilmeregardaitd'unairpleindedouceur.Maisjedétestaisqu'on
mefasselaleçon.Commesijenesavaispasdéjàtoutça.Commesimesgrands-parentsetmonpsynemel'avaientpasdéjàrabâché.—Jevaisbien,déclarai-je.—Jesais.J'essaiejustedet'aider.Jenevoulaispasd'aide.Jevoulaisjustevivreetrespirer,dansl'instantprésent.Maisjenetenaispas
àmedisputerjusteavantdepasserunejournéeensembleaveclui.—Merci,dis-jeenespérantquemontonétaitconvaincant.Ilmesemblal'entendresoupirer,maisaveclaventilationàfond,jen'enétaispassûre.Illaissatout
demêmesamainsur lamienneetseremità lacaresseravecsonpouce.J'auraisvoulusortirmontéléphone pour écouter de la musique, ce qui avait toujours pour effet de me détendre, mais ça
n'auraitpasétépoli.Alorsjemechantaideschansonsdansmatêtejusqu'àcequelatensionretombe.Letrajetseterminatropviteàmongoût.Danielsegaradevantunemaisondestyleancien,àl'angle
d'uneagréableruerésidentielle.Parlaported'entréeouverte,onpouvaitvoirungroschienhirsuteassisderrièrelamoustiquaire,lesyeuxrivéssurlavoiture.QuandDanielensortit,l'animalseleva,laqueuebattantavecjoie,lalanguependante.Danielvintm'ouvrirlaportièreetmeconduisitverslademeure.—C'estFrankenstein.Nousnesavonspasdequelleraceilest,maisilbavebeaucoup.J'aimeautant
quetusoisprévenue.—Quiest-cequiachoisilenom?demandai-jealorsquenousgravissionslesmarches.—L'aînéedemessœurs.Elleestpasséeparunephaseunpeu…unpeubizarre,àl'époqueoùonl'a
adopté.Elleregardaitdestasdevieuxfilmsd'horreur,expliqua-t-ilenriant.Ilouvritlamoustiquaire.Aussitôt,lechiensejetasurluietvintluiposersesgrossespattessurla
poitrine,avecunpetitaboiementdeplaisir.—Salut,mongrand,ditDanield'unevoixtendreenluifrottantlatête.Allez,çasuffit.Illerepoussa,déjàtoutdégoulinantdesalive.Lechienmedévisageaensuitelonguement,d'unair
interrogateur. Il avait le poil gris, et semblait assez âgé. Il devait être dans la famille depuislongtemps.Jeluitendislamainpourqu'ilmerenifle.Autrefois,quandj'étaistoutepetite,nousavionsunchien,
etmêmesidepuisjen'avaisguèreeul'occasiondefréquenterdesanimaux,j'engardaisuntrèsbonsouvenir.Après m'avoir flairée quelques instants, il vint fourrer sa tête sous ma main. Je le grattouillai
amicalement,déclenchantunetempêtedebattementsdequeue.Ilsetortilladeplaisirquandj'atteignissesoreilles.—Tuluiplais,commentaDaniel,ravi.—Daniel?C'esttoi?demandaunevoixmasculineparlafenêtre.Moncœurs'affoladenouveau.Maisbiensûr, jenepouvaispaspasseruneheureà joueravec le
chiendevantlaporte.Danielmepritparlamainetmefitentrerdansuncouloircarrelé.Frankensteinnous emboîta le pas. Nous débouchâmes dans la cuisine, qui s'ouvrait sur un immense salon. Onapercevaitunecheminéeàdroite,etunhomme,grandetmince,assisàl'extrémitéd'uncanapéd'angledecouleurcrème.Ilselevapournousaccueillir.IlavaitlesyeuxetlabouchedeDaniel.C'étaitforcémentsonpère.—Ravidefairetaconnaissance,medit-ilenmetendantlamain.Danielnousabeaucoupparléde
toi.Frankensteinallaseposteràcôtédesonmaître,etsemitànousobserver.JeserrailamaindupèredeDanielenessayantdenepaspaniqueràl'idéedecequ'ilavaitbienpu
leurraconter.—Ilm'asouventparlédevoustousaussi,repartis-jeavecunsourirecrispé.—Entre,etassieds-toi,jet'enprie.LepèredeDaniel reprit saplace sur le canapé. Jem'assisdansun fauteuil develours, etDaniel
s'installaàcôtédemoi.J'entendisalorsdesbruitsdepasà l'étagepuisdans l'escalier.Trois jeunesfillesàlatailleélancéeentrèrentàleurtourdanslesalon.Laplusjeuneétaitadolescente,laplusâgéedéjà dans l'âge adulte. Elles me regardaient avec une curiosité non dissimulée. Toutes trois seressemblaientbeaucoup,avecleurabondantecheveluresombreetleursyeuxvertsbrillants.OnauraitdituneversionfémininedeDaniel.—Donc,c'esttoi,Casey,commentalaplusjeune.Mainsurlahanche,ellemedévisageait,leslèvresunpeuserrées.—Miranda…,sifflaDaniel.Ellelevalesmainsensigned'innocence.—Jen'airienditdemal,Dan.—C'estça,c'estbienmoi,Casey,dis-jeenriant.L'atmosphèresedétendit.Jeregardailesdeuxautressœurs.Celledumilieu,quinedevaitpasavoir
plusdeseizeans,mesouritd'unairtimideensetordantlesdoigts.Elleportaitunerobebleuetoutesimpleetdeschaussuresplates.—Moi,c'estFrancine,seprésenta-t-elle.—Etmoi,Parker,déclaral'aînéeavecungrandsourire.Elle avait remonté ses cheveux bruns en un chignon désordonné. Son haut à paillettes, qu'elle
portaitavecunmini-short,dévoilaitsesépaulesetsesbrasbronzés.—Jepeuxteproposerunverre?ajouta-t-elle.—Euh…oui.Jeveuxbiendel'eau,ouuneboissongazeuse.Ouunjusdefruits…Elle se précipita vers la cuisine, dont sortit alors une petite femme rousse, bien en chair, qui
s'essuyalesmainsavantdem'entendreune.Elleavaitdegrandsyeuxgrischaleureux,etbienqu'ellenesoitpastrèsjolie,elledégageaitunetellegentillessequejerestaiàlaregarder,fascinée.—Bonjour.JesuislamamandeDaniel.Noussommesravisquetusoislà.Jejetaiuncoupd'œilàDaniel.Ilsneseressemblaientpasdutout.—Ehoui,dit-elleenriant.Cesquatreenfantssontleportraitcrachédeleurpère.Ellesepassalamaindanslescheveuxd'unairavantageuxavantd'ajouteravecmalice:—Tantpispoureux!Elleétaitvraimentcharmante.Jel'aimaisdéjà.Parkerm'apportaunDrPepperquejememisàsiroter.Nousnousdirigeâmesensuiteverslavaste
salle à manger, aussitôt suivis par le chien. Sur une desserte étaient disposés un assortiment deviandesfroidesetdefromage,dupain,etdiversessaucesetcondimentspoursandwich.—Àmidi,c'esttoujoursunbuffet,m'expliquaDanielenmeposantunemainenbasdudos.Sers-
toi.Jeconfectionnaimonsandwichleplusvitepossiblepournepaslesfaireattendre.Macanettedans
unemain,monassiettedansl'autre,jecontemplaisDanieletsafamille.Ilriaitavecsessœurs,tirantlescheveuxdeMirandaetdonnantuncoupdecoudeàFrancinepourlaforceràsourire.Detouteévidence,ellesl'adoraienttouteslestrois.
Toutlemondes'installaàtable.Daniels'assitàmagauche,Parkeràmadroite.Lebruitaugmentaquand les filles se mirent à bavarder. Elles parlaient de tout et de rien : de l'ennui profond despremièresheuresdecourslematin,delanourrituredégoûtantedelacantine,delapremièreannéedeParker à l'université. Elle fréquentait Marshall College, un autre établissement local qui jouissaitd'uneréputationd'excellence.Çafaisaitbeaucoupd'uncoup,pourmoiquiétaishabituéeàlasolitudedemachambreetaucalme
desrepaschezmesgrands-parents.Danielsemblaitpercevoirmatensioncroissante.Ilmecaressalegenousouslatable.Unfrissonde
plaisirmeparcourutlajambeetjetournaiversluiunregardsurpris.—Et toi,mon chéri, comment se passent tes cours ? s'enquit samère.Est-ce que les profs sont
sympas?As-tudesanecdotesrigolotesànousraconter?—Ehbien, répondit-il avecunpetit rire, notre prof dephilo, àCasey etmoi, semble surgie du
passé.Ellenousdemandedefairenosdevoirsàlamainaulieudelestaper.IlselançadansunegrandedescriptiondeMmeWilkins,avecsoncôtéoriginaletsafaçondenous
clouersurplaced'unregard.Mirandaéclataderire.—J'écriscommeunpied.Jedétesteraisça!—C'estvrai,renchéritDaniel.Jecroismêmemesouvenirquetun'avaisétéreçuequedejustesseà
l'examendecalligraphie,enprimaire.Jecontemplaisesfossettesalorsqu'iladressaitunsouriretaquinàsasœur.Jenepouvaisdétacher
lesyeuxdelui,malgrémeseffortspourmeconcentrersurmondélicieuxsandwich.J'étaissûrequemessentimentspourluisevoyaientàdeskilomètres.Jemecontentaisdelesécouterensilence.Toutesafamilles'intéressaitàlui,posantdesquestions
sursescoursetlesprofs.Exactementcommemesgrands-parents.Detempsentemps,quelqu'unmeposaitunequestionàproposdelafac,demesgrands-parents,de
cequejevoulaisfaireunefoismondiplômeenpoche.Dessujetsanodinsquinememettaientpasendanger.J'envinsàsoupçonnerDanieldeleuravoirrecommandédenesurtoutpasaborderdesujetspluspersonnels.Cetteidéemesoulageaitetmecontrariaitenmêmetemps.Soudain,laplusjeunedestroisfillesdemanda:—Est-cequevoussortezensemble?Jerougiscommeunepivoineetmeraclailagorge.—Euh…FrancinefitlesgrosyeuxàMirandaetsepenchaversellepourchuchoter:—Ilvientjustedenouslaprésenter.Onnedevraitpasposerdequestionsaussiindiscrètes.Çan'est
paspoli.—Désolée,marmonnaMirandaenbaissantunvisageboudeurverssonassiette.—Cen'estpasgrave,dis-jepourlaconsoler.Noussommesdetrèsbonsamis.Certes,plusquedesamis,maisjen'avaispasenviequ'onmeforceàcolleruneétiquettesurnotre
relationalorsquenousn'enavionspasencoreparléentrenous.
Danielmetapotalegenoudansungesterassurant.Jeluilançaiunregardreconnaissantetposaimamainsurlasienne.Toutmesemblaitbienlorsquenosmainssetouchaientainsi.C'étaitfou.Plusjepassaisdetempsaveclui,plusjedécouvraisdefacettesdesapersonnalité.C'était
un artiste passionné, qui photographiait lemonde avec son point de vue si particulier.Un étudiantinvesti,avided'apprendre.Un séducteur sexymais léger, quime faisait vibrer. Quim'embrasait à lamoindre caresse. Ses
baisersenflammaientmessensetmemettaient la têteà l'envers.Medonnaientenviede le supplierd'allerplusloin.Rougissante, jemepenchaidenouveau surmonassiette,presquevide. Je savais trèsbiencequi
m'arrivait : j'étais en trainde tomberamoureusedeDaniel,malgrémeseffortspourgarder la têtefroide.Ilyavaitenluiquelquechosequim'incitaitàbaisserpeuàpeumesdéfenses.Àm'ouvriràlui,luienrévélerplussurmoietenapprendredavantagesurlui.Àexplorercettealchimieexplosivequiexistaitentrenous.Mais sans pour autant prendre de risques. Je n'étais pas prête à m'exposer de nouveau à la
souffrance.Et jecraignaisquemes réservesne soientpasdugoûtdeDaniel. Je le soupçonnaisdechercher, avec sesmanières douces et fermes à la fois, àme forcer à en révéler davantage, àmemettreànu,baissantlagardedéfinitivementetprenantlerisqued'êtreblessée.Àlafindurepas–jedoisadmettrequemêmesij'aspiraisaucalme,jen'étaispaspresséedequitter
safamille–chacundébarrassasonassiette.Tout lemondemeserradanssesbraspourmedireaurevoir.Çamemitmalàl'aise,maisjenevoulaispasêtreimpolieenmeraidissantcommeunpiquet,alorsj'essayaidemeforceràresterdétendue.Ilsnousraccompagnèrentàlaporte.—Reviensvite,meditsamère.Laporteseratoujoursouverte.Jen'avaisaucunmalàlacroire.—Merci,répondis-jeensurmontantmatimiditépourluiserrerlamain.Unefoisdanslavoiture,jebouclaimaceinture,prêtepourlerestedenotrejournéeàdeux.Jene
pouvaism'empêcherdemedirequemamèreauraitaimélafamilledeDaniel.
Chapitre13
Jem'appuyaicontrelaported'entrée,regardantDanieldroitdanslesyeux.Lalumièreducouloirde l'immeuble, assez tamisée, faisait ressortir les reliefs de son visage. J'avais le cœur qui battaitpresquedouloureusementtantj'étaisimpatientede…jenesaisquoi.—C'étaitunesuperjournée,dis-je.Jenementaispas.Nousavionspassél'après-midisousunchaudsoleildansunparcvoisin.Daniel
avait apporté des provisions et un frisbee. Les heures s'étaient écoulées en rires, conversations, etcoursessurl'herbevertedel'été.J'étais à peu près certaine d'avoir le visage rouge et brûlé, mais c'était la première fois que je
m'amusais autant depuis bien longtemps.Danielm'avait raconté toutes les bêtises qu'il avait faitesavecsessœursquandilsétaientenfants.—Pourmoiaussi,répliqua-t-ilenserapprochant.Jesentaissonsoufflesurmesjouesetmabouche.Ilsepenchapourm'effleurerleslèvres.C'était
uncontactténu,maissuffisantpourmefairefrissonner.—Entre,proposai-jeprécipitamment.Jenevoulaispasqu'ilparte.Jevoulaisquecemoments'étireà l'infini,commeunenoteparfaite
jouéesurunviolon.—Jevaisfaireunepizza,ajoutai-je.—Unepizza?Jesuistonhomme!Jesuisincapabledecuisiner.Il faisait sombredans l'appartement.Meganétait sansdoutedéjàdehorsavecsesamies ;onétait
samedisoir,aprèstout.J'allumailalumière.—Turisquesd'êtredéçu.Jevaissimplementsortirunepizzaducongélateur.Ilentraàmasuite,etjefermailaportederrièrelui.Leslampesprojetaientdesrefletsambréssursa
peau.Jemesentissoudainnerveuse.Nousétionsseuls.Dansmonappartement.Toutpouvaitarriver.Jemeraclailagorge.—Euh…jepeuxt'offrirquelquechoseàboire?demandai-jeenentrantdanslacuisine.—JeveuxbienunCoca,situenas.—Meganestaccroàlacaféine.NousavonstoujoursduCoca.Jeprisdeuxcanettesetmedirigeaiverslecanapé.Ilétaitdéjàassis,etjem'installaidoncprèsde
lui,espérantqu'ilneremarquepasmesmainstremblanteslorsquejeluitendissaboisson.Unsilenceagréables'établit.Nousnousfaisionsface,nosgenouxse touchaient.Tandisquenous
sirotionsnoscanettes,jem'émerveillaisdeschangementssurvenusenmoiensipeudetemps.Aulieudemecacherdansmachambre,paniquée,j'étaisassisesurlecanapéavecungarçonquimefaisaitcraquer.Jel'avaisdéjàembrassé,touché,aupointd'oubliertoutlereste.Jeressentisuneémotionbizarre.Delafierté.J'étaisfièredemoi.
Detoutpetitspasenavant,medis-jeenluilançantunregardfurtif.Soudain intimidée, je rougis. Il était si beau, avec sesmèches brunes qui lui retombaient sur le
front. Il dégageait une telle intensité que je ne pouvais pas lui résister. Je n'en avais d'ailleurs pasenvie.Aucunhommenem'avaitjamaisinspirédetelssentiments.J'avaismanquéquelquechosejusque-là,
sansm'endouter.Jesurvivais,dansuneexistencecreuse…MaisDanielmeprocuraitdessensationsquim'effrayaient.Etmefaisaientvibrerdebonheur.—Àquoitupenses?medemanda-t-ilavecunsourire.Tuasl'airrêveuse…Ilposasacanetteetselaissaallercontreledossier.—Àriendeprécis,mentis-jeenrougissant.—Vraiment?insista-t-ilavecunsouriresagace.Jemeléchaileslèvres.—C'estunpeutropsilencieux,parici.Ilnousfautdelamusique.D'unemaintremblante,jeprislatélécommandeetallumailetéléviseursurunechaînedeclips.Par
bonheur,Danielnecreusapasdavantage.—Oncontinuelejeu?proposa-t-il.Auparc, il avait lancé ce défi pendant que nous jouions au frisbee.L'un d'entre nous posait une
question idiote,et l'autredevait répondre leplusvitepossible.C'estétonnammentdifficiledevisercorrectementtoutenseraclantlacervelleàlarecherched'uneréponse.—Tonfilmpréféré?attaquai-jeenmeroulantenbouleavecuncoussin.—Commes'iln'yenavaitqu'unseul,rétorqua-t-il,sourcilsfroncés.Jedirais…Fenêtresurcour.
Ton…—Çaparledequoi?Ilécarquillalesyeux.—C'estundeschefs-d'œuvred'AlfredHitchcock.Ungrandclassique.Tunel'asjamaisvu?Jefis«non»delatête.—Tuneconnaismêmepasdenom?Bon,c'estdécidé:onvaleregarderensemble.—C'estennoiretblanc?gémis-je.—Dansmafamille,onaunerègle,répliqua-t-ilavecsévérité.Onn'apasledroitdejugerunfilm
qu'onn'apasvu.Tuespriéedet'yplieraussi.—Maisonestchezmoi,ici!rétorquai-jeenlevantlementond'unairfaussementrebelle.Ilsepenchaversmoi.—J'ailesmoyensdetecontraindre,tusais…Avec ses yeux magnifiques et sa bouche délicieuse, il aurait de toute façon pu me demander
n'importequoi…—Tuallaismeposerunequestion?—Tateintedecrayondecouleurpréférée?s'enquit-ilsanss'éloigner.
—TerredeSiennebrûlée.—Tun'aspaseubesoinderéfléchir,fit-ilremarquerdansunéclatderire.—Tamarquedesous-vêtementsfavorite?Maisqu'est-cequim'avaitprisdeposerunequestionpareille?—Euhnon,attends,jenevoulaispas…—J'adorelamarqueHanes.Etjeportedesboxers,situveuxtoutsavoir,répondit-ilavecunclin
d'œil.Tuesunepetitecoquine,Casey!Jenem'enseraispasdouté…JeprisunegorgéedeCoca,savourantlepicotementdesbullesdansmagorge.J'étaisentrainde
flirter,c'étaitindéniable.Jen'étaiscertespastrèsàl'aise,maisDanieljouaitlejeuetnemefaisaitpassentiridiote.—Tonmeilleursouvenird'enfance?Jerestaipétrifiée,lecœurbattantàtoutrompre.Jereposaimacanetted'ungesteraide.—Jenecomprendspaspourquoituneparlesjamaisdetonpassé,dit-ild'unevoixdouce,comme
pourcalmerunanimaleffrayé.Tutedoutesbienquej'aienviedeconnaîtredeschosessurtoi.Moi,jemelivreàtoi,jeteracontedeschoses.J'aimeraisbienquetufassespareilavecmoi.J'ail'impressionqu'ilt'estarrivédeschoseshorribles.Tunementionnesjamaistesparents.Jesavaisbienqueçaseproduiraitunjour.Jeserrailecoussincontremonventre.C'étaitunpiteux
bouclier,maisçamerassuraitquandmême.—Jen'aimepasenparler.Jepréfèrevivreauprésent.Etpenseràl'avenir.—Jefaisdeseffortspournepastebousculer,tusais.Maisc'estcommes'ilyavaitunpanentierde
taviequiétaitpassésoussilence.Commentest-cequ'onpeutavancer…Penseràl'avenir,commetudis,situmecachestonpassé?Latêtebaissée,jeregardaismesmains,mesdoigts,maisjesentaissesyeuxposéssurmoi.J'avais
lesoreillesquibourdonnaientsousl'effetd'undébutd'attaquedepanique.Monestomacfaisaitdesnœuds.Unepartdemoi,téméraireetautodestructrice,avaitenviedetout
luicracher.Deluibalancertoutelavéritéàlafigure,etdelevoirseliquéfierd'horreur,puisdepitié,avant dem'abandonner àmes tourments. Les dégâts étaient trop considérables pour que je puisseredevenircommeavant.J'avaisl'impressiondeméritercettesouffrance.Parcequej'étaisvivante,etquejepouvaisdoncla
ressentir.Avoirsurvécuétaituncoupdechance,unmiracle,maisaussiunchoc.J'étaisenvie,alorsquemonpère,mamèreetmasœurpourrissaientdansleurtombe,etjedevaisvivrechaquejouraveccetteidée.Etàpartmesgrands-parentsetquelquescousinséloignés,personneneconnaissaitmonsecret.—Jenemecachepas,protestai-jed'unevoixrauque, lagorgedouloureuse.Non…j'essaie juste
d'avancer.Jemetuspendantunlongmoment.Lamusiquemeublaitlesilencesansparveniràmerassurer.—Mesparents…sontmorts.Ainsiquemapetitesœur.C'étaitvraimenthorrible,etjen'aimepasen
parler.Jen'aimaismêmepasypenser.
J'osaienfinlever lesyeuxversDaniel.Sonvisagenemontraitnipitié,nihorreur.Ilétait juste…ouvert.J'ydécelaiunpeudetristessedevantmadouleur,del'empathiesurtout.J'avaisl'impressiondecontempler son âme et j'y lisais qu'il avait envie de me serrer dans ses bras pour apaiser messouffrances.— Je suis vraiment désolé, dit-il à voix basse. Je n'ai jamais rien vécu de tel. Je n'arrive pas à
imaginercequetupeuxressentir.C'étaient des paroles simples, mais sincères. Je sentis les murs protecteurs que j'avais dressés
autour demoi se fissurer un peu.La gorge nouée, incapable de proférer un son, je répondis d'unhochementdetête.Ilregardaverslagauche,oùs'ouvraitlaportedemachambre,etprituneexpressionplusdouce.—Dis-moi,c'estlà-dedansquelamagiealieu?Jeledévisageai,bouchebée,lesyeuxronds.—Euh…quoi?Prenantsoudainconsciencedecequ'ilvenaitdesous-entendre,ilfitunegrimaced'excuse.— Oh, merde. Ce n'est pas ce que je voulais dire, balbutia-t-il en rougissant. J'ai aperçu ton
ordinateurettonmatérielsurlebureau.JeparlaisdetesactivitésdeDJ.Pasde,euh…autrechose.Ilsedonnaunetapesurlefront.Çame fit rire si fort que j'en avais mal au ventre. Ah, ça faisait du bien. La tristesse de notre
conversations'estompait.—Tuveuxquejetemontre?—Çanet'embêtepas?Ilavaitl'airsitimidetoutàcoup,quelesmurssefissurèrentunpeuplus.—Viens.Jevaistemontrercommentçamarche.Leconduireversmachambremedonnauneimpressionétrange.C'étaitmonlieuàmoi.Certes,je
n'avais pas beaucoup d'effets personnels, mais c'était tout demêmemon intimité. Il approcha unechaisedemonbureau,etjem'assisdevantl'ordinateurpourdémarrerleprogramme.J'avaisdumalàmeconcentreralorsqu'ilemplissaitlapiècedesaprésenceenvoûtante.—Ça,c'estlelogicielquej'utilisepourtrafiquerdeschansonsdéjàexistantes.Jefaisdesremix,en
somme.—Çat'arrivedecréerdesmorceauxdetoutespièces?Jepercevaisl'odeurchaudeetrichequedégageaitsapeau.Jedusmemordreleslèvrespournepas
pousserungémissement.J'avaisenvied'enfouirmonvisagedanssoncou.Êtresiprèsdelui,aveccecourant électrique qui crépitait entre nous, être témoin de ses gestes, de ses regards…C'était troppourmoi.Jemeforçaiàrépondreàsaquestion.—Euh…oui.J'aidéjàcomposédeschansons.—Tuveuxbienm'enfaireécouterune?Est-cequetuenasuneencoursd'élaboration?Jesongeaiàlachansontristequej'avaispresqueachevée.Jen'avaisbesoinqued'uneheureoudeux
detravailpourqu'ellesoitfinie,maisjen'étaispasencoreprêteàlapartager.Peut-êtreparcequ'elle
étaitsipersonnelle,silourdedesens.—Ellen'estpasterminée,fis-jeremarquerd'untonunpeudéfensif.Maistusaisquoi?Onn'aqu'à
enécrireuneensemble!—Dis-moicequejedoisfaire,acquiesça-t-il,ravi.Jeluimontrailesbases,etluiouvrismesdossiersdesamples.Nouscommençâmesavecuneligne
debasses rythméesdont lamélodie endiabléenousdonnait enviededanser. Je laprogrammais enbouclesurunepisteavantd'explorerd'autressons.Enentendantundrôlede«plouf!»,iléclataderire.—Franchement!—Onnesaitjamaisquandonaurabesoind'unplouf,expliquai-jeententantdegardermonsérieux.—Peut-êtresitucomposesunepubpourunlaxatif.—Tuesdégoûtant,protestai-jeenluidonnantunetapesurlebras.Ilsemassaavecunegrimacededouleur.Nouspassâmeslesdeuxheuressuivantesàchoisirdessons.Danielavaitunetrèsbonneoreille,ce
quinemanquapasdemesurprendre.C'étaitlapremièrefoisquejecréaisavecquelqu'un,maisjenem'étais pasmis la pression : le but n'était pas de produire unemélodie complexe ou sophistiquée.Nous nous amusions simplement à superposer des lignes demélodie. Le résultat final était plutôtcorrect.JeleluicopiaimêmesurunCDpourqu'ilpuisseécouternotre«chef-d'œuvre»chezlui.Vers20heures,jefisunegrimace.J'avaisl'estomacquigrondait.—Merde, je suis désolée. J'ai oublié de préparer à manger. Et je vais bientôt devoir partir au
travail.Parfois,quandj'étaiscomplètementplongéedanslamusique,ilm'arrivaitdesauterunrepas.Mais
jenepouvaismepermettredemepointerenretardauMask,quoiqu'ilm'encoûtedemeséparerdeDaniel.Ilpritsonairleplussolennel.— Et dire que tu m'avais promis une pizza artisanale. Fraîchement débarquée d'un congélateur
italien.—Jesuisnavréedetedécevoir.Jemelevaietfistournermatêtepourétirermoncou.—Alors,quandest-cequ'onsigneavecunemaisondedisques?Cettechansonestvraimentcool.—Tuasraison,jevaism'enoccuper,répondis-jeenriant.Pourtant,aufond,l'idéemeplaisait.Ceseraitvraimentsuperdefaireunalbum,mêmeindépendant.
Departagermamusique.Maisçamecoûterait lapeaudes fesses.Sanscompterqueçaprendrait surmon tempsde travail
pourlafac.Mieuxvalaitnepasypenser.Danielselevaetposaunemainsurl'arrièredematêtepourmecaresserlanuqueaveclepouce.Je
fondisdeplaisir.—Jesaisquetudoisallertravailler,maisjen'aipasenviedepartir.J'aipasséunesuperjournée
avectoi,etj'aidumalàtequitter.Sa franchisemefitcraquer.C'était lapremière foisqu'unhommesemontraitaussihonnêteavec
moi. Je baissai soudain la garde.Toutemavie, j'avais construit cesmurs autour demoi.Pourmeprotéger.Maisparsesparolesetsesbaisers,ilétaitentraindememettreànu.Ilsepenchaetposasabouchesurlamiennedansunbaiserardent,possessif.Ilpassasonautrebras
autourdemataillepourmeserrercontrelui.J'ouvrislabouche,m'enivrantdesonodeur.IlavaitunlégergoûtdeCoca.J'étaisbaignéedansleparfumdesoneaudetoilette,lessensenéveil.Je m'agrippai à sa chemise, envahie par un désir brûlant. J'avais envie de lui, j'aurais voulu le
déshabillerpour lécherson torseque j'avaisaperçu lorsdenotrebaignadedans le lacÉrié.J'avaisenviedelui,toutdesuite.Etc'étaitréciproque.Sonsexedurappuyaitcontremonventre.Iln'yavaitaucundoutesur lefait
qu'ilmedésirait.Jemefrottaicontrelui,luiarrachantungémissement.Sonsoufflechaudmedonnadesfrissons,commeuncourantélectriquequimeparcouraitendirectiondemonventreenflammédevolupté.—Oh,Casey…tumerendsfou,soupira-t-il.Ilenfouit lesdoigtsdansmescheveuxetmetira la têteunpeuenarrièrepourm'embrasseravec
encoreplusdepassion.Ilmecaressaitlalangueaveclasiennealorsquej'appuyaismestétonsdurciscontresontorse.Jenesaispascombiendetempsnousrestâmesainsi,ànousembrasseretnouscaresser.Ildescendit
samainversmesfessespourmeserrerencoreplusfortcontresonsexe,maisn'allapasplusloin.Auboutd'unmoment,nousfinîmesparnousécarter,lesyeuxvagues,labouchegonflée.Iln'enlevapastoutdesuitesamaindemescheveux.Ilappuyasonfrontcontrelemien.—Avectoi,jenesaisplusquijesuis.Etjen'auraisjamaiscruquetoietmoi…—Moinonplus,avouai-je.Pourêtreparfaitementhonnêtevis-à-visdemoi-même,j'étaisheureusequ'ilsoitentrédansmavie.
Plusqueça,jemesentaishonorée.Danielvoyaitenmoiquelquechosequelesautresnepercevaientpas,etçamefaisaitvibrer.Ilmedonnaitenvied'être…moi-même.Jeleraccompagnaiàlaporte.Aprèsundernierbaiser–tendre,celui-ci–ilpartit.Jerestaiunlong
momentledoscolléaubattant,incapabled'effacermonsourirebéat.
Chapitre14
Jepoussaiunsoupirsépulcral.—Jen'aijamaisrienlud'aussiglauquequecepoème.Danielcoinçasoncrayonderrièresonoreille,attrapalatable,ettirasachaiseprèsdelamienne.—Qu'est-cequetulis?Jefisglisserlemanuelverslui.—C'estpourmoncoursdelittératurebritannique,monautreoption.Onenestàlapoésie.JeluimontraiL'AmantdePorphyria,deRobertBrowning.Unelumièredouceentraitparlafenêtre
delabibliothèqueetéclaboussaitlespages.Daniellutàvoixbasse.Ilfronçalessourcils.—Lavache.Donclemecl'aétranglée.—Oui,elleaétéétrangléeavecsescheveux…Jefrissonnais.Quipourraitavoirdesidéespareilles?Etpourquoinotreprofnousfaisait-ilétudier
ça?—Maispourquoiest-cequ'ilfaitça?Jedevaisécrireuncourtessaiexpliquantpourquoilenarrateurtuaitlafemme.Nousrestâmessilencieuxunmoment,ressassantcettequestion.—Audébutdupoème,oncomprendqu'elleestvenuelevoirmalgréunobstaclequilessépare;
peut-êtreunedifférencedeclassesociale,finitparsoulignerDanielensetournantversmoi.Jemeperdisquelquesinstantsdanssesyeux.Ilmesourit.Concentre-toi,medis-jeentoussotant.—Doncpeut-êtreque lenarrateurvoulaitabsolument l'empêcherderepartir. Ilnesupportaitpas
qu'ellelequittedenouveau,hasardai-je.—Ilsemblevraimentcroirequ'ellel'aime,ditdoucementDaniel,m'embrasantparcesparoles.—Merci.Çamedonneunpointdedépart.—Jesuiscontentdet'avoiraidée,medit-ilenmecaressantlamain.Nous restâmesmaindans lamainpendantqu'il lisaitun texted'histoireetque jemepenchaisde
nouveau sur lepoèmeenessayantd'adopter lepointdevued'unamantdésespéré,prêt à toutpourgarderlafemmeaiméeauprèsdelui.Maisaprèsuncertaintemps,monespritsemitàvagabonder.Lebrouhahadelabibliothèquedisparut.Danieletmoiavionspassébeaucoupdetempsensemble,cesdeuxdernièressemaines.L'automne,
ma saison préférée, était arrivé, et même si les températures étaient demeurées douces, les joursavaientcommencéàraccourcir.Jenepouvaispasm'empêcherd'êtreimpatiente.Aussiétrangequeçapuisseparaître,cettesaison
m'évoquait le renouveau. L'air vif, les pulls, le cidre, les tartes à la citrouille, les feuilles dorées.J'étaisravieàl'idéedepartagerçaavecDaniel.
J'entendaissarespiration,douceetrégulière.Ilétaitcomplètementabsorbéparsalecture,cequimelaissaitlibredesavourersaprésenceavectousmessens,derespirersonodeurmarine.D'écoutersaplumegriffersonpapier–pourunefois,êtregaucherétaitpratique:nouspouvionsnousdonnerlamaintoutenécrivant.Plusjepassaisdetempsensacompagnie,plusellemedevenaitindispensable.J'aimaisêtreaveclui
pourétudier.Pourregarderunfilmidiot.Pourmepromenersurlecampus.Boireducafé.Discuterde philo, ou débattre des pires bonbons, ou de n'importe quoi d'autre. Tout était merveilleux, dumomentquec'étaitaveclui.Ilmeplaisait.Vraimentbeaucoup.Je m'empourprai, et luttai contre la chaleur qui m'envahissait. Je n'avais pas honte de mes
sentiments:jem'yétaishabituée.J'étaisàl'aiseaveceux,àprésent.Maisj'avaisencoredessecretspourlui.Degrossecrets.Etçacreusaitunfosséentrenous,unpeu
plus largechaque jour.Aufildenosconversations, jemesentaisdeplusenpluscoupable.Danielcroyaitmeconnaître,maisc'étaitfaux.Commentl'aurait-ilpu,alorsquejeleprivaisdetreizeansdemonhistoire?À l'inverse, je n'ignorais rien de lui. Je savais, par exemple, que lorsqu'il était très concentré, il
tapotait la table du bout de son crayon par séries de trois petits coups. Il semordillait la lèvre, etmarmonnaitparfoisàvoixbasse.Iladoraitl'eau.Etpuis,ilavaitpeurdesclowns,aussicurieuxqueçapuisseparaître.Ilaimaitles
sandwichsdontlagarnituredébordaitdepartout.Chaquefoisqu'ilentraitdansunepièce,j'avaislecœurquis'affolait.J'étaisentraindetomberfolleamoureusedelui.J'avaisbeaumerépéterquecen'étaitqu'unpetit
béguin,iln'enrestaitpasmoinsqu'ils'étaitinfiltrédanschacunedemespenséessansquej'yprennegarde.Ilfaisaitdésormaispartiedemoi,etjenepouvaisplusmepasserdelui.—Tuestoujoursendifficulté?demanda-t-iltoutàcoup.—Hein?bredouillai-jeenmetournantverslui,priantpourquemesémotionsnesoientpaslisibles
surmonvisage.— Ça fait plusieurs minutes que tu regardes cette page sans la voir. Ce n'est quand même pas
compliquéàcepoint!dit-ilenmedonnantunpetitcoupd'épaule.—Non.C'estflippant,maisjecommenceàcomprendre.Illaissatombersoncrayonsurlajointuredesonlivreetmeposaunemainsurlajoue.—Aveccettelumière,j'ail'impressiondepouvoirlireentoi.Ilmeregardaitd'unairparfaitementhonnêteetsincère.Tout lecontrairedemadissimulation.Je
fussubmergéeparlahonte.Jeleconnaissaissibien,alorsqu'ilignoraittoutdemoi.Etsurtoutdesévénementsquim'avaientdétruiteaupointdefairedemoiunecoquillevide.—Daniel,murmurai-je.Jenesuispas…Jeveuxdire,jenesaispascomment…—Écoute,jesaisquetues…réservée.Turestesunmystère.Maisjetedécouvredavantagechaque
jour.Sonsourires'étaiteffacé,maisilavait laissésamainsurmajoue,qu'ilcaressaitdoucementavec
sonpouce.Qu'ilme découvre, c'était ce que je souhaitais du fond du cœur.Vraiment.Mais çame terrifiait
aussi. Oui, un jour il saurait tout. Mais j'avais la certitude que ce serait le début de la fin. Nosconversationsseraientdeplusenplusformelles, jusqu'àcequenousn'ayonsplusrienànousdire.Daniel surveillerait sespropos,évitantde faireallusionàdesparents,ausuicide,à l'alcoolouauxpathologiesmentales.Ilfiniraitparneplusouvrirlabouche.Ettoutseraitterminéentrenous.Notrerelationsedissoudraitcommeunepoignéedeseldansun
bassin,quis'éparpilleetsefondpeuàpeudanslenéant.C'étaitcequim'étaitarrivéavecmescousins lointains.Depuisdesannées, ilsavaientpeurdeme
voir. Ils craignaient que mon obscurité intérieure vienne déteindre sur leur vie confortable. Ilsredoutaient,enregardantenmoi,detrouverleurproprereflet.L'enferquej'avaisvécupouvaittombersurn'importequi.Ettoutlemondeenavaitpeur.C'étaitlaraisonpourlaquellejepréféraisfermermagueule.Jem'écartai.Ilfronçalessourcilsetlaissaretombersonbras.—J'aimeraisquetut'ouvresàmoi,confia-t-il.Ilfaisaitdesonmieuxpourparlerd'unevoixcalme,maissadouleurétaitperceptible.Unmélange
depeineetdefrustration.—Jenesuispasencoreprête.Jeparvinsànepasfondreenlarmes.J'étaisfièredemoi.J'étaispartagéeentredésiretpeur.Pourtant,ilétaittoujourslà.Toutcequejepouvaisfaire,c'étaitm'accrocheretprofiterdecesdoux
momentsaveclui,tantqu'ilsduraient.Avantquetoutbascule.Jerefermaimonlivre,puislesien,etmelevai.—C'est étouffant, ici, déclarai-je enme forçant à sourire. J'ai assez bossé pour aujourd'hui. Tu
viens?Enréalité,ilmerestaitencorebeaucoupdetravailpourterminercetessai,maisjepourraism'en
occuperlesoir.Pasmaintenant.Pourunefois,jepouvaism'accorderunpeudeliberté,encompagniedeDaniel.Aprèsquelquessecondes,ilpritlamainquejeluitendaisetselevaaussi.Ilsemblaittoujoursun
peuméfiant,maisj'étaistoutdemêmesoulagée.—Onvaoù?—N'importe.Oh,jesais:onpourraitmangeruneglace,tantqu'ilfaitbeau.Sonvisages'éclaira.—Excellenteidée!Après avoir rangé nos affaires et quitté la bibliothèque, nousmarchions côte à côte, nosmains
s'effleurantparfois.Danielprit lamienne,doigtsemmêlés.C'étaitune sensationmerveilleuse :nosmainssemblaientfaitesl'unepourl'autre.Jemecollaisàluialorsquenousparcourionslespelousesducampus,metenantplusdroite.Jene
savaispascombiendetempscettehistoiredurerait,maisjepouvaistoutdemêmesavourerlefaitque
pourlemoment,Danielavaitenvied'êtreavecmoi.Ilvoyaitenmoiquelquechosequiétaitjusque-làpasséinaperçu.Etbienqu'ilnes'enrendepascompte,jesentaismesdéfensescéderpetitàpetit.— Je ne pourrais pas avaler une bouchée de plus.Cette salade de pommes de terrem'a achevé,
soupiraDanielens'allongeantsurlacouverture.Ilposalesmainssursonventre,quimalgrésesprotestations,étaittoujoursplat.—J'aitellementbâfréquemonpantalonvalittéralementexploser.—Commediraitmonprofd'anglais,cen'estpaslittéraldutout.Sic'étaitlecas,tuteretrouveraisà
poil,etceseraitunpeuembêtant.Noussommesdansunjardinpublic,aprèstout.Pourtepunirdecetabusdelangage,tuvasfinircettesaladedepommesdeterre.Jeprisuneénormecuilleréeetlatendisverssabouche.Ilserassitetmeregardad'unairfaussementoffensé.Lesoleilchatoyaitsursescheveuxbrunsaux
richesreflets,etfaisaitscintillersesyeux.Rapidecommel'éclair,ilm'arrachalacuillèredesmainsetlalançaàtraverslapelouse.—Oh,merde.Désolé,ellem'aéchappé.—Monsieur l'agent !Cet homme jette des détritus par terre !m'écriai-je en faisant semblant de
chercherunpolicierdesyeux.Leparcétaitdésert,àl'exceptiondequelquesenfantssurlesbalançoires.Daniel me flanqua sur le dos et se mit à me grattouiller le flanc droit, là où j'étais la plus
chatouilleuse.—Etcettefemmevenddeladrogue!lança-t-ilavecunfourire.—Crétin!protestai-jeenmedébattantpourmerelever.C'étaitunesupercuillère.—Jet'enrachèteraiune.—Maiselleétaitassortieauxautres…,soupirai-jeentirantsurmondébardeurpourm'assurerque
monventren'étaitpasdécouvert.Parchance,Danieln'avaitpaseffleurémescicatrices.—Jeprendraiunlot,danscecas.—Tuasréponseàtout.Il se levaetme regarda, lesyeuxbrillantsde joie. Jenem'étaispas sentie aussibiendepuisdes
jours.Depuisl'incidentàlabibliothèque,enfait.Ilmecaressadenouveau,sanss'approcherdemescicatrices.Cen'étaitplusunechatouille,maisuncontacttendreetbrûlantàlafois.—Non,pasàtout,objecta-t-il.Sonregardseposasurmaboucheetilserralamainsurmahanche.Unetensionérotiques'installa
aussitôtentrenous.Jemepassailalanguesurleslèvres,provoquantunéclairdedésirdanssesyeux.Jefisunpasvers
lui.Jevoulaissentirsabouchesurlamienne,toutdesuite.—Oh,lesamoureux!Oh,lesamoureux!s'écriaungaminnonloin.
Jebaissailesyeux,rougissante.Danielsepenchaversmoi.—J'aitropenviedet'embrasser…,murmura-t-ild'unevoixrauquequiembrasamessens.Son désir était évident, et attisait lemien. Je sentismon corps réagir, le cœur battant, lesmains
tremblantes.Jelevailatêteverslui,assoifféedesoncontact.Ileffleuramabouchedansunecaressefugitivequimelaissasurmafaim.—Pasici…,murmura-t-il.Jeveuxqu'onsoitseulstouslesdeux.«Seuls…»Latensiondanssavoixmedonnaitdesfrissons.Moncorpsvibraitdelatêteauxpieds.J'acquiesçai,
mondésiraudiapasondusien.Nous ramassâmes nos affaires. Mes mains tremblaient tellement que je fourrai tout n'importe
commentdansmonsac.Sesparolesrésonnaientdansmatête.Jene savaispas cequi allait sepasser,mais jevoulaisme retrouver seule avec lui.Le sentir, le
toucher,legoûter,entrerencontactavecsapeaunue…Dans la voiture, nous n'échangeâmes pas unmot. La tension était palpable,montant d'un cran à
chaquenouveaukilomètre.—Onvachezmoi,suggérai-jed'unevoixrauque.Megann'estpaslà.Onétaitjeudietelleallaitàunesoiréesurlecampus,avecBobby.L'appartementnousappartenait
pourdelonguesheures.Entêteàtête.Daniel me glissa un regard furtif et acquiesça. Il posa la main surma cuisse nue. Jeme sentis
envahieparunevaguedechaleurbrûlante.J'avaisbeausavoirquec'étaitimpossible,j'avaissoudainenviequ'ilpromènesesmainspartoutsurmoncorps.Chaquegestedesonpoucesurl'intérieurdemacuissemefaisaitfondrededésir.C'étaitincroyable…Ilsegarasurleparkingetnousnousdirigeâmesverslaporte,d'unpaspluspresséqued'habitude.
J'ouvrislaserrureetpénétraidanslapiècesombre,Danielsurlestalons.Ilrepoussalebattantetmeplaquacontrelemur,unemaindansmondosetl'autresurmanuque.Illevamonvisageversmoietposasabouchesurlamiennedansunbaiserquim'embrasajusqu'à
lamoelle.Haletante, jem'agrippai à ses épaules,m'enivrantde sonparfumquime semblait entrerdanschaquecelluledemoncorps.—J'aimetongoût,soupira-t-il.Jevoudraist'embrasserpendantdesheures.Ilappuyasontorsetoniquecontrelescourbesdemapoitrine.J'avaislestétonsdurcisaupointd'en
être douloureux. Gémissante de désir, jeme frottai contre son érection tandis qu'il memaintenaitfermementcontrelemur.Il se pencha pour m'embrasser le cou, me mordillant et me léchant la gorge. Des cascades de
frissonsse répercutaientenvaguesdeplusenplusviolentes. J'étais trempéedevolupté. Il remontaunemainversmesseins,maiss'arrêtaavantdelesatteindre.Ils'écartapourquêtermonapprobation.Jerépondisparunhochementdetête.Ilposalapaumesurmonseindroitetfitpleuvoirdesbaiserssurmondécolleté.Sabouchebrûlante
laissaitdestraceshumidessurmondébardeur.Je n'en pouvais plus. Je me cambrai pour écraser mon téton sur ses lèvres. D'une main, je lui
caressaislescheveux,l'incitantàcontinuer.Ilsuçaalorsmontétonàtraversletissu,m'arrachantungémissementdeplaisir.—C'estdélicieux…,haletai-je.Ilaspiramontétonplusfort.Jeluicaressailecouavantd'enfouirmesmainsdanssescheveuxsi
doux.J'envoulaisplus.J'avaisenviedeletoucher.—Dansmachambre…,parvins-jetoutjusteàmurmurer.—Tuessûre?medemanda-t-il,prudent.Lesous-entenduétaitclair.J'avaislecœurquibattaitsifortqu'ildevaitpouvoirl'entendre.J'étaisà
lafoisterrifiéeetexcitée.Jamaisjen'avaisressentiunteldésir.Étais-jepourautantprêteàcoucheraveclui?Sionlefaisait,ilmeverraitnue.Àmoinsque jegardemesvêtements,etqu'onsoitdans lenoir.S'embrasser,c'étaitdéjàpasmal,
non?—Jeveuxm'allongeravectoipourt'embrasser,finis-jepardire.C'étaittoutelafranchisedontj'étaiscapableàcemoment-là.Ilmedonnaencoreunbaiser,rapideetpossessif.Puisilmepritparlamainetm'entraînaversla
chambre.Après avoir refermé la porte, nous parvînmes jusqu'au lit et nous débarrassâmes de noschaussuressansrompreuninstantlebaiserquinousliait.Noustombâmessurlematelas,membresemmêlés,siserrésl'uncontrel'autrequ'unsouffled'airn'auraitpupasserentrenous.J'arrachai le tee-shirt de Daniel. Je voulais sentir ses muscles sous mes doigts. Son torse était
brûlant. Je le poussai sur le dos et vins m'installer au-dessus de lui. De minces rais de lumièreentraientparlafenêtre.Lesoufflecourt,jecontemplaisoncorpsfin.Malgrélafaibleluminosité,jediscernaischacunde
sesmuscles.J'auraisvouluvenirfrottermestétonsnuscontrelui.Danielmeregardaitensilence.Ilmelaissait lesrênes.Depuislasoiréeaucinéma,iln'avaitplus
tentédeglisser lesmainssousmeshabits.Maisencet instant,çanemesatisfaisaitpas.Malgrémapeur,j'envoulaisplus.J'étaispartagéeentremondésirdévorantetlapeurparalysantedecequ'ilpenseraits'ilmevoyait
nue.Pourtant,j'étaisconscientequececombat-làétaitperdud'avance.Jedevaissoitêtrecourageuseetaccepterqu'ilmevoie,soitmecontenterdechastesbaisers.—Qu'est-cequinevapas?chuchota-t-il.Çavatropvite?Jem'assis,lesangbattantàmesoreilles.Ilétaitencorepossibledetoutarrêter.Jepouvaisjouerla
sécuritéetgardermessecretsencoreunmoment.—Non,répondis-jeàmoncorpsdéfendant.Maisavantqu'onailleplusloin,je…jedoisteparler
dequelquechose.
Chapitre15
Danielseredressaetallumalalampedechevet.Ilrecula,lesyeuxrivéssurmoi.—Dequoituveuxmeparler?J'auraispréférém'enfuir,maisjemeforçaiàleregarderenface.Jecherchaienvainlesmotspour
ledire,pourexprimerl'ouragand'émotionsquifaisaitrageenmoi.—Est-cequetuesvierge?demanda-t-ild'unevoixqui trahissaitunsentiment indéchiffrable.Tu
sais,onn'estpasobligésde…—Oh,non.Cen'estpasça.J'aidéjà…faitl'amour,balbutiai-jeenrougissant.C'estjusteque…Çaavaitétéaffreux.Jen'avaisrienressentidel'intensitéquej'éprouvaisavecDaniel.Moncorpsvibraittoutentiersousl'effetdel'appréhension.—J'aidumalàêtreàl'aise,enfait,avouai-je.Jemesentaispathétique.Danieltenditlebraspourmecaresserlamainduboutdupouce.C'étaitungestederéconfort,mais
ilmaintenaitinvolontairementmondésirauplushautpoint.—Jecomprends.Onn'apasbesoind'allerplusloin.Tunedoispasteforcer.Sonregardétaitfranc,honnête.Sesparolesétaientsincères.Sijenevoulaispasallerplusloinque
desbaisers,ils'encontenterait.Mais combien de temps pourrions-nous encore nous satisfaire de cela ?Nous avions tous deux
follementenviel'undel'autre.Sondésirétaitaussiévidentquelemien.Ilseredressapourremettresontee-shirtetselever.Non!Ilquittaitmonlit,l'intimitédecettepièce…Chaqueparcelledemoncorpsvoulaitleretenir.—Attends,suppliai-jeenposantlamainsurlebasdesondos,toujoursdénudé.Ilfinitd'enfilersontee-shirt,maisrestasurlelit.—Jecroyaisque tuvoulaisarrêter…C'est toujours lamêmehistoire : je tebouscule, jemets le
doigtlàoùçafaitmalsansm'enrendrecompte,ettut'enfuis.Jen'aipasenviedecontinuer.Pasici.Pasmaintenant.—Enfait…j'aidescicatrices,expliquai-jeenposantlamainsurmonventre.Etjen'aipasenvie
que tu les voies. Elles sont affreuses. Très profondes. Je les déteste tellement que j'évite de meregarderquandjemedouche.Rouge de honte, j'avais du mal à réprimer mes sanglots. C'était difficile de me montrer si
vulnérabledevantunhommeaussiparfait.Ilavaitlaperfectiond'unestatue,unepeauimpeccable,desmusclesciselés…Ilnepouvaitpascomprendrecequeçamefaisait,desavoirquemoncorpsétaitmeurtriàjamais.—J'aipeurqu'ellestedégoûtent…çametuerait.
Cesderniersmotstombèrentdanslesilencequis'étaitinstalléentrenous.Daniel se levasansme regarder. Je sentismoncœurse fêler. J'allais ramasser lesmiettesdema
dignitéetleraccompagneràlaporte.Jenelaisseraiséchappercetteémotionquelorsqu'ilseraitparti.Mais au lieu de s'éloigner, il se tourna vers le lit, arracha la couverture, et la jeta par terre.
Perplexe, je restai debout à le regarder sansmot dire. Il fit ensuite subir lemême sort au drapdedessus.Ilmepritlamainetplongeasonregarddanslemien,commepourliredansmonâme.Uneveinebattaitaucreuxdesagorge.—Casey,dit-ild'unevoixbouleverséequimefitchavirer.Fais-moiconfiance,jet'enprie.Enétais-jecapable?J'acquiesçaiensilence.Unpeudétendu,ilm'incitad'ungesteàm'allongersurlelit.Ilramassaledrapetledisposaautour
demonventre,nelaissantdépasserquemesjambesetmatête.Jerestaiimmobile,medemandantcequiallaitm'arriver.Ilmefitleverlesbrasettiradoucementmontee-shirt,sansfairebougerledrapquimecouvraitla
poitrine.Monpoulss'accéléra.J'étaisensoutien-gorge.Maismescicatricesétaientcachées.Danieléteignitlalumière.J'entendaissarespiration,douceetrauqueàlafois.Ils'assitauborddu
litetm'effleuradelamain.—Jeveuxquetutesentesbien.Jeneveuxpasquetuaieshontedetoncorps.Sesdoigtsavaientladouceurduvelourssurmapeau.J'auraispumemettreàronronnersousles
caressesqu'iladministraitàmesbrasetauhautdemapoitrine.C'étaitapaisantetexcitantàlafois.Au bout de quelques minutes, je commençai à me détendre. J'avais l'impression de fondre
lentement.Maisenmêmetemps,messensaiguisésdécelaientsaprésenceavecacuité.Sarespirationunpeuhaletante,lesdernièresnotesdesoneaudetoilette.Leboutdesesdoigts.Jepercevaistoutçaavecunevigueuraccrue.Ileffleuralaceinturedemonshortduboutdesdoigts,puiss'arrêta.—Casey,situchangesd'avis,tun'aurasqu'àmeledire.Jet'obéirai.D'accord?Savoix était rauquededésir, et j'auraisvouluvoir sesyeux. Je savaisqu'ils brillaientd'un éclat
particulier.—Oui,parvins-jeàarticuler.J'avaisenviequ'ilmecaresselesjambesdelamêmefaçon.Ilarrangealedrappourmecouvrirjusqu'àmi-cuisse,puism'enlevamonshort.Jeneportaisplus
quemes sous-vêtements. Jeme sentis soudain un peu gênée,mais lorsqu'il semit àme frôler lesjambesenunlongmouvementavantdem'effleurerlecreuxdugenou,jepoussaiungémissementdeplaisir.—J'adorelesbruitsquetufaisquandtuesexcitée…—Jemesenstellementbienavectoi,avouai-je.C'était vrai, et pas seulement physiquement. Personne ne s'était jamais donné autant demal pour
m'aideràmedétendre.Pourprendresoindemoi.
Lorsqu'ilremontalesdoigtssurl'intérieurdemacuisse,jemecambraiverslui.Soudain,sentirsesmainsnemesuffisaitplus.Jetiraidoucementsursontee-shirtpourl'inciteràl'enlever.Il l'arrachaaussitôtetlejetaaupieddulitavantdevenirs'allongercontremoi.Nousétionscollés l'unà l'autre,etnosbouchesserencontrèrent.Follededésir, jem'accrochaià
lui.Ilmecaressaitàtraversledrap,surlesflancspuislapoitrine.Enfin,ilvintposerleslèvressuruntétondurci,lesuçantàtraversmonsoutien-gorge,dontilfinitpardescendrelebonnet,memettantànu.Sentirsabouchedirectementsurmonmamelonaccrutencorel'enviequej'avaisdelui.Jeplongeai
lesdoigts dans ses cheveux, voulantme rapprocher encorede lui. Ilme léchait le bout du sein, lemordillaitetl'embrassait.Jefrottaimajambecontrelui,caressantsonsexeenérection.—J'aienviedetoi,soupira-t-ild'unevoixétranglée.—Moiaussi.S'ilteplaît.Maintenant.C'étaitvrai.Sesbaisersnemesuffisaientpas.J'éprouvaisunbesoindouloureuxdelesentirenmoi.
Jevoulaismelieràluid'unefaçonquenousn'avionsencorejamaisressentieensemble.Jevoulaisluioffrirunepartdemoiqu'ilgarderaitpourtoujours,etrecevoirlemêmedondelui.Ilsemitàfouillerdanssapoche.—Tuessûre?demanda-t-ilens'écartantpourmeregarderdanslesyeux.J'avaisdumalàdistinguersestraitsdanslapénombre,maislalueurquibrillaitdanssesprunelles
parlaitd'elle-même.Ilétaithabitéparuntourbillond'émotions.—Jeveuxquetumeledises.Parcequesiparlasuitetuvenaisàmelereprocheretmefuyaisde
nouveau,çametuerait.—S'ilteplaît,fais-moil'amour.Jenefuiraipas,c'estpromis,murmurai-jeendéposantunesérie
debaiserslelongdesamâchoire,priantpourqu'ilcomprennecequejeressentais.Depuislepremierjour,Danielétaitpourmoicommeunlivreouvert.Maisjel'avaistoujoursgardé
àdistance.Quandjelelaissaiss'approcherunpeutropprès,jeprenaislafuite,etcescénarion'avaitcessédeserépéter.Ilméritaitmieuxqueça,etcesoir-là,jevoulaisêtreàlahauteur.Êtrelapersonnequ'ilméritait.Etquejeméritaisd'être,moiaussi.Unefillequinesesentiraitpasirrécupérable.Unefillequ'un
hommerespecterait.Adorerait.Estimerait.Sanscesserdem'embrasserlecou,Danielenlevasonshortetsonboxer.Ilétaitentièrementnu,son
sexedurappuyécontremoi.Unfrissonnerveuxmeparcourutleventre.Maiscen'étaitpasdelapeur.C'étaitdel'impatience.J'enavaisenvie.Ilglissaunemainsousledrappourlaposersurmonsexe,embrasantmoncorpsdéjàenébullition.
Ilintroduisitundoigtenmoi,déclenchantunespiraledeplaisir,commeunevibrationsourde.Chacundemessensexplosaitdansunemyriadededétails,gravantàjamaiscetinstantdansmamémoire.—Tum'émerveilles…,avoua-t-ilenmeléchantlecou.Sonsoufflemecaressaitdélicieusement.Jeluidonnaiàmontouruncoupdelangue.Jen'étaisplustrèsloindel'orgasme.Moncorpstoutentiervibrait,chantaitmême,soudainvivant
grâceàDaniel.—Je…,soupirai-jed'unevoixentrecoupée.Jevais…Son doigt effleura mon point G à cet instant, et un brasier de sensations s'alluma en moi, me
calcinantsursonpassage.—Oui,chuchota-t-ild'unevoixvibranted'émotionetdedésir.Lesvaguesdeplaisirquimesubmergeaientmirentlongtempsàrefluer.Jeluicaressailescheveux,
écartantunemèchedesonfront.Ilm'embrassaleboutdunezavantd'enfilerlepréservatif.Ilvints'allongerau-dessusdemoi,lescoudesdepartetd'autredemoncou,lesgenouxentremes
jambes.Jeserrailescuissesautourdesataille.Uninstantplustard,ilétaitenmoi,etnousgémissionstousdeuxdeplaisir.— C'est tellement…, tenta-t-il de dire d'un ton rauque tout en m'embrassant le front, les doigts
emmêlésdansmescheveux.Sonsexevolumineuxm'emplissaitd'unefaçonquejen'auraisjamaisimaginée.—C'esttellementbeaud'êtreentoi,réussit-ilenfinàarticuler.Lesyeuxrivésauxmiens, ilmecaressait laboucheavecsonpouce.Nousbougionsensemble.Je
mecambraivers luipourqu'ilentreplusprofondément.Jevoyaisen lui jusqu'àsonâme,et je fussoudainfrappéed'uneprisedeconscience.Lesmursquej'avaisdressésautourdemois'écroulèrentenunepluiededébris,etjenepensaispaspouvoirlesreconstruireunjour.J'étaisentraindetomberamoureusedecethomme.Moncœurs'affola,etjeréprimaiàgrand-peineunhoquetdesurprise.Lerythmes'accélérait.Nousétionstousdeuxcouvertsd'unefinepelliculedesueurquitrempaitle
draptoujoursposéentresonventreetlemien.C'étaitunmomentd'émotionintense,etj'étaispresquesubmergéeparmessentiments.Sesyeuxs'étaientassombris,pleinsdevieetdedésirpourmoi.Ledrapquicachaitmescicatricesm'évitaittoutmalaise.Jemesentaissexy,totalementdansl'instant.Totalementaveclui.Etc'étaitgrâceàluiquecemiracleseproduisait.Je ne pouvais m'arrêter de le toucher. Le feu qu'il avait allumé en moi me dévorait jusqu'à la
moelle.Jebrûlaispourlui.Jeleserraiencoreplusintensémentcontremoiavecmespieds,l'incitantàallerplusfort.Nossoufflespantelantssemêlaient,chacuns'enivrantdel'autre.Ilaccéléra,etjesentissesmusclesse tendre.Lerythmesefaisaitfrénétique.Jevoulaisqu'il reçoiveautantdeplaisirqu'ilm'enavaitdonné.Jemecambraisverslui,mefrottantcontresonpelvis.—Jeveuxtesentirjouir,murmurai-jeàsonoreilleenluimordillantlelobe.Ilfrissonna, larespirationsoudainirrégulière.Ilaccéléraencore,etunevagued'extasemontade
nouveauenmoi.—Jevais…,souffla-t-ilenrejetantlatêteenarrière,touslesmusclesbandés.Ohoui…Je m'accrochai à lui, voulant le recevoir au plus profond de moi. Tremblant, il soupira mon
prénom,ets'agrippaàmoidetoutessesforcesaumomentdejouir.Puisilmesoulevalementonpourmeregarderdanslesyeux.—Merci,dit-il.
Uneparoletoutesimple,maischargéed'unevéritabletendresse.Ilm'embrassasurlescommissuresdeslèvres,dechaquecôté.Lagorgeserrée, j'étaisauborddeslarmes.Ilyavaitunetellegrandeurdanscesremerciementspourunplaisirpartagé.Commesijeluiavaisoffertunprésentprécieux.Ilm'avaitdonnétellementplus!Il se retira, sortit du lit pour jeter le préservatif, puis revint s'allonger àmes côtés.Nous étions
collés l'un contre l'autre, comme si nous ne pouvions plus jamais supporter d'être séparés. Jemetournaisurleflanc,etilseserracontremondos,unemainjouantavecmescheveuxetl'autreposéesurmahancheàtraversledrap.Jet'aime,Daniel.Cettephraseauraitvoulusortirdemabouche.Celam'effrayaitetm'émerveillaitàlafois.C'étaitla
première fois que je connaissais un plaisir aussi intense : peut-être était-ce ce qui me rendait sisentimentale. Jamais auparavant je ne m'étais laissée aller à ressentir les choses. Je pouvaism'autoriseràêtreamoureuse,maiscertainementpasàleluiavouer.J'avaisbesoindetempspouracceptertoutça.Jevoulaism'assurerquecesentimentétaitréel,que
ce n'était pas simplement un contrecoupde la volupté.Mais je ris enmoi-même à cette pensée. Jesavais très bien qu'il n'en était rien. Cela faisait un moment que mes sentiments pour lui allaientcroissant.Àprésentqu'ilsvenaientd'exploserdevantmesyeux,jenepouvaispluslesnier.Jeposaiunemainsurlasienne,caressantsesdoigtsfins,tentantdelesmémoriser,centimètrepar
centimètre. Jesentais lebattement régulierdesoncœurdansmondos.Lasueurqui trempaitnotrepeausemblaitnousrapprocherencoreplus.— Reste, cette nuit, demandai-je à mon corps défendant. Euh… si tu en as envie. Tu n'es pas
obligé…Maistupeux,situveux.—Ohoui,j'aimeraisbien.Maisilvafalloirquejepassechezmoi,soitcesoirsoitdemainmatin,
pourrécupérerdesaffaires.J'espèrequemescolocatairesn'ontpasmisl'appartementàsac.Les trois garçons avec lesquels il partageait son logement étaient bien plus fêtards que lui. Ne
raffolant pas des soirées étudiantes, il ne passait pas beaucoupde temps avec eux, et je n'étais pasparticulièrementenclineàallerchezlui.J'avaisdumalàsympathiseraveccegenredemecs.—Peut-êtrequ'onpourraitdormirunpeuavantde faireunsautchez toi,proposai-jed'unevoix
ensommeillée.Onenprofiteraitpourdîner.J'étais clouée à mon matelas par une torpeur béate. Le corps de Daniel épousait le mien à la
perfection.Commentétait-cepossible?Notreliensanscesseplusfortm'emplissaitdejoie,maisjesavais aussi qu'il me rendait vulnérable. Je le laissais entrer dans mon univers, et il pourrait mebroyersinotrecouplenetenaitpas.Maisjen'avaispasenvied'ypenser.Pourunefois,jevoulaisvivrel'instantprésentetm'autoriseràêtreheureuse.—Çameva,dit-il.Sonsouffleralentitprogressivementetilnetardapasàs'endormir.Çamepritunpeupluslongtemps,maisladernièrechosedontjefusconscienteavantdesombrer
étaitlasensationdenosdoigtstoujoursmêlés.
Chapitre16
Moncœurallaitexploser.J'enétaiscertaine.Danieltenditlebraspourmepresserlamain.Ilavaitsentimatensionmonterd'uncoup.Sansdoute
parcequej'étaisraidecommeunpiquetsurmonsiègeconducteur.Jen'ypouvaisrien.Nousétionsenroutepourlamaisondemesgrands-parents,pourletraditionnel
repas du vendredi soir. Sauf que cette fois, j'amenais Daniel. Tard la veille au soir, alors quej'attendais dans la voiture qu'il prenne ses affaires chez lui – il était revenu avec un petit sac quicontenaitdulingepropreetseslivrespourlevendredimatin–j'avaisappelémagrand-mèresuruncoupdetêtepourluidemandersijepouvaisl'inviter.Non contente d'insister pour que je vienne le leur présenter, elle avait tendu le téléphone àmon
grand-pèreafinqu'ilenremetteunecouche.Commesilefaitquej'aimoi-mêmeposélaquestionnesuffisaitpas.Riantdeboncœur,j'avaisdoncpromisdeveniraveclui.Mais à présent que lemoment fatidique approchait, j'avais le pouls fébrile. Je sentais une veine
battreàlabasedemoncou.Sijenemecalmaispastoutdesuite,jefiniraisparavoiruneattaquedepanique.J'étaistellementanxieuse…—Parle-moiunpeud'eux,demandaDanielalorsquenousnousengagionssurl'autoroute.Il alluma l'autoradio et fouilla parmi mes CD avant d'en glisser un dans la fente, une série
d'instrumentauxunpeuvintage.—D'accord,dis-jeententantdemeconcentrersurlaconversationetlamusiqueplutôtquesurmon
appréhension.Il fallait que je reste dans l'instant présent au lieud'échafauderdes scénarios catastrophe.Que je
fasseconfianceàDaniel.C'estnormalquandonsortavecquelqu'un,medis-je.Etc'estmêmeunetrèsbonnechoselorsqu'en
plusonestsecrètementamoureuxdecettepersonne.Aumoins,ons'assurequelesdeuxêtreslesplusimportantsdenotreviel'apprécientaussi.— Eh bien, grand-maman aime cuisiner. Beaucoup. Elle est restée au foyer pendant des années
quandsesenfantsétaientpetits.Mongrand-pèreestretraité;ilatravailléàl'aéroportpendantvingtans,commemécanicien.—C'estplutôtrock'n'roll,commenta-t-il.Magrand-mèreafaittoutesacarrièrecommecomptable
chezFord.Elleaimaittellementsonmétierqu'elleacontinuédesannéesaprèsl'âgedelaretraite.—Ettongrand-père,ilfaisaitquoi?—Ilestmortl'annéedernière,confia-t-ilaprèsunepause.Aprèsunelonguemaladie…uncancer.
Maisavantça,ilétaitdansl'assurance-vie.—Jesuisdésolée,dis-jeenluipressantlamain.Vousétiezproches?—Ilétaittrèscool,répondit-ild'unevoixquisevoulaitdégagée,maisoùperçaitdelatristesse.Il
memanquebeaucoup.Avecmessœurs,onallaitchezluitouslesétés.Ilaimaitlavieaugrandair.
J'étais surprise queDaniel nem'ait pas parlé de lui plus tôt.Mais d'un autre côté, avec tous lessecretsquejegardais,jepouvaisdifficilementleluireprocher…Etsijelelaissaissedévoileràsonrythme,jepourraisenfaireautantsansculpabilité.Pourtant, je savais que lorsqu'il découvrirait la vérité sur mon passé – ce qui finirait bien par
arriver, même si par bonheur ça ne serait pas ce soir-là, puisque j'avais demandé à mes grands-parentsdeneriendire–leschoseschangeraiententrenousd'unefaçonimprévisible.M'envoudrait-ildeleluiavoircachésilongtemps?Semontrerait-ilaucontrairecompréhensif?C'étaitdéjàassezdifficiledeluttercontrematendanceàmeretirerenmoi-mêmelepluspossible.
Garder le souvenir de ma mère et de ma sœur vivant en moi malgré le chagrin était aussi uneépreuve. Quant à ouvrir les vannes et tout laisser sortir, j'en étais incapable. Pour le moment, dumoins.Jenepouvaispasluifaireportercefardeau.Oui, j'avais le droit de garder mes secrets. Après tout, on n'était pas ensemble depuis très
longtemps.Jenevoulaissurtoutpasleblesser.Jecraignaisqu'ils'éloignedemoi,aprèsça…Jerepoussaicestristespensées.Toujoursmaindanslamain,nousnousapprochionsdechezmes
grands-parents. Ce qui comptait, ce soir-là, ce n'était pas le passé, mais le présent. Je lui jetai unregarddecôté,etvisquelaventilationdelavoiturefaisaitdanserunedesesmèchesdecheveux.Sajoue était creuséepar cette fossettequi apparaissait chaque fois qu'une idée amusante lui traversaitl'esprit.Jevoulaisgardercetteimagedeluienmoipourtoujours.Photographiermentalementchaqueinstantquenouspassionsensemble.—Jesaisquetumeregardes,dit-ilsansseretourner.C'estunevisionenchanteresse,n'est-cepas?—Tamodestiemelaissesansvoix.—Jesuissûrquecen'estpaspourmamodestiequetum'aimes.Jeretinsmonsouffle.Certes,ilplaisantait,maislefaitqu'ilpuisseprononcercesmotssifacilement
mepétrifiait.Peut-êtrequ'ilconnaissaitmessentiments.Maissic'étaitlecas,pourquoinem'enavait-iljamaisparlé?Est-cequ'ilattendaitquejeprennel'initiative?Nousétionsarrivésdevantchezmesgrands-parents.L'ouragandequestionsquifaisait ragedans
matêtepritdoncfin.—C'estlà,annonçai-jeengarantmavoituredansl'allée.Calme-toi,Casey!Iladitçaenpassant,sansypenser.Arrêtedetoutinterpréter…L'amourmerendaitpsychopathe.Jem'efforçaidesourireetouvrislaportièreàlavolée.Ilsortitàsontour,maisneclaquapas toutdesuitesaporte,préférantmeregarderpar-dessusle
capot.—Toutvabien?—Oui,oui,net'inquiètepas,dis-jeensouriantdeplusbelle.—Tantmieux,répondit-il,pastrèsconvaincu.Laported'entrées'ouvrit,etmagrand-mères'avançasurleperron.—Entrez,appela-t-elle,unemainau-dessusdesyeux.Ilfaittropchaud!J'ail'impressionquel'été
neveutpasfinir.Vousallezrôtir.
Àprésent, j'avais lesmainsqui tremblaient, l'estomacnoué, et un sourire franchement crispé. Jem'avançaiavecDaniel,quidépassaitmagrand-mèred'unetêtemaisfaisaituneffortpournepassepencherversellecommesielleétaitnaine.—Grand-maman,jeteprésenteDaniel.—Enchantédefairevotreconnaissance,madameMackintosh.Ellemelançaunregardsurprisetapprobateuràlafois.Ungarçonbienélevé!Çaexisteencore?—Toutleplaisirestpourmoi,répondit-elle.Entrez.J'aifaitdelacitronnade,etaussiduthéglacé,
sivouspréférez.Nousentrâmestouslestrois.Laclimatisationétaitrégléeaumaximum,etçamedonnalachairde
poule.J'avaislatêtetellementàl'enversquej'avaisoubliédemettredesmancheslonguespourvenir.Zut!Jepénétraidanslesalonenmefrottantlesbras,etnousnousassîmessurlecanapé.La présence de Daniel me poussait à regarder les lieux avec un regard neuf. Le mobilier était
démodémaisconfortable.Moquettebeige,passe-partout.Bibelotsdisposésdansdespetitesvitrinesetsurdesétagères.Desphotosdemoicouvraientlamajeurepartied'unmur.Surlacheminéetrônaitunportrait pris le jour de la remise des diplômes au lycée, le pompon demon chapeau suspendu aucadre.Ilmefallutunmomentavantd'osermetournerversDaniel.Luiaussiétaitentraindedétaillerla
pièce.—Tagrand-mèreal'airtrèsgentille,chuchota-t-il.—Ellel'est.Jemedétendisunpeu.Grand-maman revint avec deux verres de citronnade. J'en avais l'eau à la bouche. Malgré mes
nombreusestentatives,jen'avaisjamaisréussiàreproduiresaboissonàlafoisdouceetacidulée.Elles'assitsurleborddesachaiseetcroisalesjambes.Jevisqu'elleavaitprissoindesemaquiller,
et qu'elle portait la petite croix en or que mon grand-père lui avait offerte pour son dernieranniversaire.Çamefitchaudaucœur.Elleaussivoulaitfairebonneimpression.Jen'étaispaslaseuleàêtrenerveuse.C'étaitlapremièrefoisquej'amenaisungarçon,doncilétait
logiquequ'onsoittouteslesdeuxunpeutendues.Maisjecommençaisàmesentirmieux.—Grand-papanevapastarder,annonça-t-elle.Ilestpartiacheterdulait:j'avaisfinilabouteilleen
préparantlapurée.Daniel,parle-moiunpeudetoi.Tuétudiesl'anglais,c'estça?—Oui,etjefaisaussidel'histoiredel'art.Ilsdiscutèrentdesoncursuspendantquelquesminutes.Ilétaitàlafoisdécontractéetrespectueux,
riantunpeumaispastropforttoutenluiexpliquantsesaspirationspourl'avenir.— Donc, tout bien réfléchi, je pense qu'une fois diplômé, je vais devenir enseignant. J'aime
tellement l'école ! Ça me semble la meilleure façon de ne jamais quitter ses bancs sans avoir àenchaînerlesprêtsétudiants.— Casey a toujours été très sérieuse. Nous sommes très fiers d'elle. Elle est dans le haut du
classementchaquesemestredepuissapremièreannée.
—Grand-maman…Cen'estpasnonplusl'exploitdusiècle!—Pfff,rétorqua-t-elleavecungestedelamain.Tuestropmodeste.Laportes'ouvrit.—Voilàlelait,déclaragrand-papa.Ilentradanslesalonentendantsamainlibre,l'airtrèssérieux.—Ravideterencontrer,fiston.Je réprimai un gémissement.D'accord, il avait l'intention de la jouer comme ça. Peut-être qu'on
pourraitmangertrèsviteetrepartiraussitôt.Grand-mamanseleva,poussantunpetitgrognementsousl'effetdel'effort.—J'ailedosencompote,aujourd'hui.Bon,allonspréparerlatable.C'estl'heure.Ledînerfutmoinspéniblequecequej'avaisredouté.Mesgrands-parentss'abstinrentdememettre
mal à l'aise en posant àDaniel des questions indiscrètes. Petit à petit,ma tension s'apaisa. Jem'envoulais d'avoir été aussi méfiante : j'aurais dû me douter qu'ils respecteraient mes réserves et setiendraientbien.Chacunsemontratrèspoli.Maismalgrélacourtoisieambiante,j'avaislecœurquidébordaitd'émotionscontradictoires.Sans
medépartirdemonsourire,jefinismonassiette–pouletfrit,haricotsvertsetpuréedepommesdeterre,unautredemesplatspréférés–maisjen'arrivaispasàcroirequeDanielétaitparminous.Jen'enrevenaispasqu'ilaitpuprendreunetelleimportancepourmoienl'espacedequelquessemaines.C'étaitcomplètementfou.Songenoueffleuralemien.Était-cefaitexprès?Je bougeai un peu dansmon siège pour rapprochermes jambes des siennes. Son genou vint de
nouveau toucher le mien, et cette fois, il demeura tout contre. C'était un contact ferme, qui meréchauffait.Etquiétaitvoulu,donc.Jetentaideréprimerlegrandsourirequimenaçaitdedonnerdessoupçonsàmesgrands-parents.—Caseym'aditquevouscollectionnezlessouvenirsdelaSecondeGuerre,annonçaDanielàmon
grand-père.L'annéedernière,j'aisuiviuncourssurlesguerresduXXesiècle.J'aiétéfrappéparleschangementsradicauxdestechniquesdecombatàpartirdelaGrandeGuerre.Lesanciennesrèglesn'avaientpluscours,etlesgensonteudumalàs'adapter.Jevisuneexpressiondesurprisepassersurlevisagedegrand-papa.—C'est exact. J'ai lu des récits autobiographiques de soldats des deux grandes guerres, et tous
relatent combien il leur a été difficile de retourner à une existence normale après l'horreur descombats.—Avez-vous lu Invincible,deLauraHillenbrand?demandaDaniel.C'est l'histoired'uncoureur
olympiquequipartaufrontpendantlaSecondeGuerre.C'estunextraordinairerécitdesurvie.Ils passèrent les vingtminutes suivantes à discuter du livre.Grand-papa était sur son terrain ; il
s'animaitdeplusenplusaufuretàmesurequeDanielluidonnaitsonpointdevueetsesthéoriessurlaguerre.Cen'étaitplusunsimpleéchangepolimaisuneconversationàbâtonsrompus.VoirDanielserapprocherdemongrand-pèresurunsujetquitenaittellementàcœuràcedernier
mebouleversait.Jeposailamainsursacuisse,souslatable.Discrètement,ilvintposersapaumesurmesdoigtsetlespressertendrement.C'était la première fois que je nouais une relation avec quelqu'un comme lui. Il me défiait, me
faisaitrire,m'agaçait,etm'excitaitcommejamaisdansmavie.Est-cequej'avais tortdeprierpourquecesoitréel,etpourqueçadure?Samainsurlamienneétaitbienréelle,toutàfaitconcrète.Demêmequesongenouappuyécontrelemien.Etsafaçondemetenir,lanuitprécédente.Demecaresserlescheveuxjusqu'àcequejem'endorme.Çaaussi,c'étaitréel.Toutcequejesavais,c'étaitquejevoulaisqu'ilviennedînerlàdenouveaula
semainesuivante.Jedésiraisneplusrienignorerdelui.Qu'onaitdespetitesblaguesquepersonned'autrenecomprendrait.Posermespiedsfroidssursesjambespourl'embêter.Regarderdestasdefilmssanss'arrêter.PartirenvacancesetfairedestonnesdephotospourlesmettresurFacebook.Fairecequefonttouslescouples,etquilesunitdavantage.J'avaislecœurgonflédetoutescesémotions.C'étaittrop,beaucouptrop,etenmêmetemps,çanemesuffisaitpas.J'envoulaisplus.Maisest-ce
quej'avaislecouragedetendrelamainpoursaisircequejedésirais?—Casey?appelagrand-maman.Ouh-ouh,tuesavecnous?Merde.Priseenflagrantdélitderêvasserie.—Désolée.J'étaisunpeuailleurs,répondis-je,contrite.—Jedisaisqu'ondevraitdébarrasser.Tongrand-pèreveutmontrersestrésorsàDanielavantque
vouspartiez.Tutravailles,cesoir,jecrois?J'acquiesçai.—Jevaisvousaider,proposaDaniel.—Non,net'enfaispas!répliquai-jeenriant.J'aidéjàvusacollectiondescentainesdefois.Toi,en
revanche,tuesunbleu.Tunevaspast'entireràsiboncompte.Lesdeuxhommess'éloignèrent.Lorsquegrand-mamanseleva,jelavisporterlamainàsondosavecunegrimacededouleur.—Resteassise,ordonnai-je.Jem'encharge.Çaauraitleméritedem'occuper.—Jenerajeunispas,soupira-t-elle.Jepeuxt'annoncerquel'automnenevaplustarder.Jelesens
dansmesarticulations.—Jet'enprie…Tun'espasvieille.Vousavezàpeinedépassélessoixante-dixans,touslesdeux,
protestai-jeenempilantlesassiettes.Penseràleurvieillissementm'effrayait,etjepréféraimeconcentrersurlavaisselle.Nousrestâmesunmomentsilencieusespendantquejem'affairais.Jeremplislelave-vaisselleetle
misenmarche.—Ilestdrôlementgentil,déclarasoudaingrand-mamand'unevoixsincère.Etiltientàtoi.Jemetournai,ledoscontrelecomptoir,pourluifaireface.—Moiaussi,jel'aimebeaucoup,avouai-je.
Çamefaisaitbizarredeledireàvoixhaute.Maisc'étaitlavérité.—Peut-êtremêmeplusqueça,ajoutai-je.D'accord,cen'étaitpasjuste«peut-être»,maisjen'étaispasencoreprêteàreconnaîtrequej'étais
amoureuse.Etquandjeleferais,ceseraitluilepremierinformé.Grand-mamanmesourit.Elleavaitl'airsifatiguéequej'eneusunpincementaucœur.Qu'est-cequi
lamettaitainsiauboutdurouleau?Était-ellemalade?— Qu'est-ce qui ne va pas, grand-maman ? demandai-je d'une voix tremblante. Tu peux me le
dire…—Mais je suis forte commeunbœuf,machérie.Ne te faispasde souci. Jenevaispasmourir
demain,va.Jesuisjustefatiguée.Laplupartdutemps,toutvabien.Jemelaissaitombersurlesiègeàcôtédusien.Jesavaisqu'ellenemementiraitpas.Sielleétait
malade,ellemeledirait.Maiscelamerappelaquejedevaisprofiterdavantagedechaquemomentaveceux.Etfairedemonmieuxpourprendresoind'elle.Ellemepritlamainfermemententrelessiennes.Sesdoigtssemblaientfrêlescomparésauxmiens.—Jet'aime,machérie.Etjesuisheureusequetunousaiesprésentécejeunehomme.Maistudois
leluiraconter.Neremetspasçaconstammentàplustard.Jevoisbienqueçatemine.—Tuasraison,admis-je, lagorgeserrée,enjetantunregardcoupableverslebureaudegrand-
papa.Mais…çavatoutchanger.—Sic'estlebon,touts'arrangera.J'acquiesçaiensilence.Ellemetapotalamainavantdelalâcher.— Tu ferais mieux d'aller chercher ce malheureux garçon avant que ton grand-père le rende
complètementchèvre.Tusaiscommentilest:unefoisqu'ilestlancé…Elleritdoucementetajouta:—Remarque,s'ilsurvitàuneheureavecgrand-papa,ilpourratoutencaisser…Nousprîmescongé;Daniellesremerciachaleureusementpourleuraccueil.Grand-papaluidonna
uneaccoladeavantdelelaisserpartir.— Merci de m'avoir invité, me glissa Daniel dans la voiture. J'ai passé une super soirée. Et
maintenant,qu'est-cequ'onfait?Jeconsultail'heuresurmontéléphone.—Jevaisrepasserchezmoipourmeprépareravantd'allerbosser.Et toi?demandai-jeavecun
sourireensortantlavoituredel'allée.—Oh,jevaistraînersurmoncanapéenpensantàunefillequiestentraindebosser.Riendebien
passionnant.Jerosisdeplaisir.—Ah.Ehbien,situt'ennuies,passemefaireunpetitcoucou.Incroyable.J'étaisentraindeflirter.Sansl'ombred'undoute.Etplusjelefaisais,aveclui,plusça
devenaitfacile.
Jem'engageaisurl'autoroute.Ilmelançaunregardenbiais.Ilyavaittantdechaleurdanssesyeux,etdanssonsourireencoin,
quejemesentisfondreetvibrerd'impatience.—Jevaispeut-êtremelaissertenter,Casey.
Chapitre17
Ce soir-là au Mask, la foule était particulièrement dense. Par bonheur, Sal avait fini par faireréparerlaclimatisation–Justinetmoiavionsdûleharcelerpendantdessemaines–etlatempératureétaitredevenuesupportable.Çatombaitbien,parcequej'avaisapportéunsointoutparticulieràmatenue.Maquillage,cheveuxbouclés,etmêmeunpetithautmoulantau-dessusdemonjeanpréféré.Enmevoyantsortirdemachambre,Meganm'avaitcarrémentsifflée.Mêmesij'avaislevélesyeux
auciel,ilfallaitbienadmettrequec'étaitagréabledesesentirséduisante.Unjeunehommes'approchaduboxdeDJ.Ilétaitbeaugarçon,avecdegrandsyeuxbrunsetune
tignasseblonde.Ilmeregardaitavecunsouriregourmand.—Salut.Tupeuxmedireletitredelachansonquivientdepasser?—Euh,attendsvoir…C'étaitlederniermorceaudeParadiseFound.Ahoui,GutterMom.Maman
surletrottoir.Ilsinvententtoujoursdecestitres…—Eneffet,c'estplutôtbizarre!acquiesça-t-ilenriant.Merci.Àpartça…Jepeuxt'offrirunverre?Àqui,àmoi?—Euh…nonmerci,jen'aibesoinderien.—Ildoitfairechaud,pourtant,là-haut,insista-t-ilens'approchantjusqu'àn'êtreplusqu'àquelques
dizainesdecentimètres,lamainposéesurlemontantdubox.Tuessûrequetuneveuxrien?—Jem'enoccupe,intervintunevoixfamilièredanssondos.Danielsefaufila,unverred'eauetunebièreà lamain,etvintm'embrassersur labouche.Après
avoirposéleverre,ilmepassaunbrasautourdelataille.—Désoléd'arriversitard.J'aiétéretardé.LejeunehommeobservalegestepossessifdeDanieletnousfitunsignedetête.—OK.Merci.—Merciquandmême,luilançai-jealorsqu'ils'éloignait.Avecunsourireencoin,jemetournaipourregarderDaniel.—C'étaittrèsintéressant,commentai-je.—Quoi?demanda-t-ilenprenantunegorgéedebière.—Étais-tujaloux,parhasard?—Moi?Jaloux?Euh…Bon,peut-êtreuntoutpetitpeu.— Tu sais, ce n'est pas comme ça, d'habitude. En général, personne ne fait attention à moi,
expliquai-jeenpréparantlemorceausuivant.—Tuimaginesquetuesinvisible,maiscen'estpaslecas,protestaDanield'untonétonnamment
sérieux.Jecroisquetunesaispasàquelpointtuesattirante.Etjeneparlepasqueduphysique.Ilyaquelquechoseen toi…une intensitéquidonneenvied'entrerdans lepetit cercledesgensàqui tuaccordestaconfiance.Desgensavecquitubaisseslagarde.
Jemetournaiverslui,émue.C'étaitlapremièrefoisqu'onmeparlaitcommeça.Pourtant,pendantdesannées,j'avaissouhaitéêtreinvisible.Voirlecauchemarqu'avaitvécumafamillerépétéàl'infinipartouslesjournauxpendantdessemainesalorsquejen'étaisqu'uneadom'avaittraumatisée.Mais…quelquechoseétaitentraindechangerenmoi.Quandcegarçonétaitvenumeparler,au
lieudelerepousseravecungrognementgrincheux,jeluiavaisfaitlaconversation.Jen'avaismêmepaspenséàmescicatrices.—Jetetrouvetrèsattirant,toiaussi,avouai-je.Tuasuneprésencemagnétique.J'étais surprise de m'entendre faire une telle confession, mais dans l'intimité du box, avec la
musique qui résonnait tout autour de nous, ça semblait juste. Nulle part je ne me sentais plus ensécuritéquedans cet endroit.Maconfiance enmoiy était totale : lamusiqueétaitmonâmeetmavoix.Jemedétournaipour fouiller dansmesdisques. J'avais soudain enviedepasser lebonmorceau
pourlui.Delaisserlamusiqueluitransmettrecequejen'osaispasdire.C'étaitunechansond'amourétrangemais entêtante, composée par un groupe inconnu dont je raffolais. Je la préparai pour lalancerdèslafindumorceauencours.J'avaislesmainstremblantes.—J'aimeraisbienenchoisirune,moiaussi,dit-ildansmondos.Ilvintsecollercontremoi,sapeautièderéchauffantlamienne.Jeduslutterpournepasmelaisser
allercontrelui,envahieparledésir.Ilsavaittrèsbiendansquelétatilmemettait.—Hum,toussotai-jeenm'écartantavecunsourirepenaud.Tupeuxregarder là-dedansetvoirsi
quelquechosetetente.La demi-heure suivante passa en un éclair. Daniel avait d'excellents goûts musicaux, assez
éclectiques,plutôtrétrodansl'ensemble.Lepublicréagissaittrèsbien.Nousnouséclationsetriionsàgorgedéployée.—Jereviens,meglissa-t-illorsquenouseûmesfininosboissons.—Cen'estpaslapeine…,commençai-je.—Chut,meréprimanda-t-ilavecunregardsévère.Nemeprivepasdeceplaisir.Jehochailatête,confuse.Il sortit du box et s'élança vers le bar. Justin s'avança à sa rencontre et ils engagèrent la
conversation.Jepréparailemorceausuivantetlemixaidoucementdansleprécédent,afinquelepassagedel'un
à l'autre soit insensible, les basses se correspondant parfaitement. Quand le public était déchaînécommeàcemoment-là,ilaimaitgarderlemêmerythmeunlongmoment.Enlevantlesyeux,j'aperçusdeuxjoliesfillesquiparlaientàDaniel,trèsanimées.Illeurréponditetéclataderireenécoutantlarouquine.Unaccèsdejalousiemeserralesentrailles.
J'étaisbête,ouquoi?Piquerunecriseparcequedeuxminettesessayaientdeledraguer?Danielavaitsansdouteressentilamêmechosequandleblondétaitvenumetrouver,quelquesinstantsauparavant.J'auraisvoulusortirdemonboxpourallerleurmontrerqu'ilétaitàmoi.C'étaitridicule,unvrai
comportementdefemmedescavernes,maisc'étaitcommeça.Jeconnaissaislegoûtdesapeau,etjeluiavaisdonnémoncorps.Jel'avaissentienmoi,j'avaisvul'éclatdesesyeuxjusteavantl'orgasme.
Ilétaitàmoi,etjen'avaispasbesoindeleprouver.Justins'approchaettenditdeuxverresd'eauàDaniel,quisalualesdemoisellesetrevintversmoien
contournant la piste de danse. Les filles le suivirent des yeux, reluquant ses fesses en chuchotantderrièreleurmain.Jesentismontéléphonevibrerdansmapoche.
Tuasdégottél'hommeidéal.Unvraigentleman.Calme-toi,MissJalousie.C'estTOIqu'ilveut!
Lemessage de Justin était drôle, mais j'avais quandmême le rouge aux joues. Je ferais mieux
d'apprendreàdissimulermesémotions, si Justinparvenait à lesdéchiffrerdepuis le comptoir ! Jerépondisparunsmileyquitiraitlalangue,etremisl'appareildansmapoche.Danielme tendit un verre. Il commentait les réactions dupublic,memontrait les couples qui se
formaient, s'amusant à inventer des histoires. Nous choisissions desmorceaux qui déchaînaient lafoule, bougeant comme un seul homme au rythme des basses. Comme moi, Daniel s'enivrait dupouvoirquenousavionssurl'assistance.—C'est génial ! s'écria-t-il, les joues roses d'excitation. Je comprendsque tu nepuisses pas t'en
passer.J'adoreraisavoirunboulotcommeletien.—Jetransmetsaupublicmonamourdelamusique.C'estmerveilleux.Ilmeprit lamain.Partagercemomentaveclui lerendaitencoreplusprécieux.Jenem'étaispas
autantamuséeauMaskdepuislongtemps.Etc'étaitgrâceàlui.À la findemonservice, ilm'aidaà rangermonmatériel,me faisantgagnerbeaucoupde temps.
Habituellement,c'étaitJustinquimedonnaituncoupdemainpourlesarticleslesplusvolumineux.Deboutàcôtédemavoitureàprésentchargée,jem'essuyailefront.Aprèsavoirfaitdenombreux
voyagespourremplirlecoffre,j'avaistropchaud.—Mercipourtonaide,dis-je.Ils'approcha,provoquantunechaleurd'unautregenre.Lesyeuxmi-clos,ilmeremitenplaceune
mèchedecheveux.—Çam'afaitplaisir.Sontonbasetvibrantdepromessesmefitpenseràuneautresortedeplaisir.—Jeferaismieuxderentrerchezmoi,soupira-t-il.J'aiundevoir importantàrendre lasemaine
prochaine,etjen'aipascommencé.Ilmepritlevisageentrelesmainsetm'attiraversluipourm'embrasserdoucement.J'ouvris laboucheafinqu'il yglisse la langue.Nous restâmesunebonneminute ainsi. J'avais le
sang en ébullition. J'avais de nouveau envie de lui.Mais jemanquais de sommeil, et j'avais aussibesoind'unebonnedouche.Lorsquenousnousséparâmes,jeluisouhaitaibonnenuitd'unevoixsirauquequejelareconnusà
peine.Çamefitrire,unpeugênée.
Danielm'effleuralefrontduboutdeslèvrespuissepenchaversmonoreillepourmurmurer:—J'aihâtedeterevoir.Ilrepartitverssavoiture,etjelesuivisdesyeuxjusqu'àcequesesfeuxarrièredisparaissentdans
lanuit.LanuitsuivanteauMask,jepassaid'unechansonàuneautre,pluspopulaire.Lepublichurlaitde
plaisirendansantdeplusbelle.Jesouris.C'étaituntravailaddictif.Ilmepermettaitderendrelesgensheureux,etdepartagercequej'aimais.Montéléphonevibra.
Mescolocatairesnesontpaslàcesoir,etj'aipresquefinimondevoir.Tumemanques.Tuveuxvenir?
Lecœurbattant à se rompre, je relus le textounedizainede fois.Danielmemanquait aussi.On
avaittousdeuxpassélajournéeàrédigerdesessaisouréviserpourdescontrôles.
Jenefinispasavant2heures.Etilfaudraaussiquejerapportemonéquipementchezmoi.J'avaistellementenviedelevoir…Ilnes'étaitmêmepasécoulévingt-quatreheures,etj'avaisdéjà
des symptômes de manque. Ces derniers jours, on s'était vus quotidiennement. À présent, je nepouvaisplusmepasserdelui.J'étaisfolledejoieàl'idéequ'ilressentelamêmechose.
Pasdeproblème,jet'attends.D'accord?Lesdoigtstremblants,jerépondis:
Oui.Saréactionnetardapas.
Jebrûled'impatience.Cesquatremotsmefirentvibrerjusqu'auplusprofonddemoi.Contrairementàlanuitprécédente,lasoiréemesembladureruneéternité.Sansdouteparcequeje
regardaismamontretouteslescinqminutes,attendantdésespérémentlaquille.Malgrétoutl'amourquejeportaisàmontravail,jenevoulaispasresterunesecondedeplusquenécessaire.
Avecunsourirepoli,j'acceptaislesdemandesdechansons.Maisdansmatête,j'étaisdéjàaulitavecDaniel,respirantl'odeurdesapeau,passantlesdoigtssursesmuscles.Goûtantlecreuxdesoncou.Uneoudeuxfois, je faillisoublierdechangerdemorceau.Jemesecouaipourprêterdavantage
attentionàmontravail.Toutsepassaitbien,maisjen'auraispasvouluqueSalsemetteàdouterdemoi.LaissantsoncollègueWilliamtenirlebar,Justinquittalecomptoirpourvenirm'apporterdel'eau.
Ilétaittoutdenoirvêtu:jeanmoulant,tee-shirtajusté,cheveuxhérissésavecdugel.—Tuasl'airassoiffée,medit-ilenmetendantleverre.—Merci,tuesadorable,confirmai-jeenbuvantàgrandesgorgées.—Toutvabien?Tusembles…unpeuailleurs,cesoir.Préoccupée,peut-être.Àmoinsquetune
soisentrainderêveraucorpsd'Apollond'uncertainjeunehomme?Jem'empourpraiaussitôt.—Arrêtetesconneries,répliquai-jetoutdemêmeenlevantlesyeuxauciel.—Quelle coquine, cetteCasey ! commenta Justin en riant. Tu te doutes que je ne veux ignorer
aucundétail.MaisjeferaismieuxderetournerbosseravantqueWilliammeplanteunpoignarddansledos.Tumeraconterastoutpartexto,OK?—Jevaisplutôttelaisseravoirrecoursàtonimagination.Ilme dévisagea, étonné parma réponse piquante. Pour tout dire, j'étais la première surprise. Je
n'étaispasdansmonétatnormal:çanemeressemblaitpasdeflirteroudefairedesblaguessalaces.MarelationavecDanielétaitentraindemetransformer.Daniel enroula une jambe autour de lamienne etme passa un bras sur la poitrine. Il blottit son
visagedansmoncou,justesousl'oreille.Sonsouffleétaittiède,formantunagréablecontrasteavecsachambre,unpeufraîche.—Jenetienspluslesyeuxouverts,avoua-t-ilenm'embrassantl'oreille,cequimefitfrissonner.Je
votepourqu'onfasseunegrassematinée,demain.—Ça,cen'estpasunproblème.Je vérifiai que le drapme couvrait bien le ventre. J'avais les seins et les jambesnues,maismes
cicatricesétaientcachées.Il soupira.Soncorps irradiaitunedoucechaleur. Jeposaiunemain sur sonbraset écoutai avec
bonheursarespirationralentirprogressivement.J'étais fatiguée, mais le sommeil me fuyait. Je voulais profiter encore de ce moment avant de
sombrer.Nousvenionsdefairel'amour,etçaavaitétémerveilleux.Passionné,frénétique.Avecdesbaisersdévorants,desdoigtsquis'agrippaientàl'autre,dessoupirsvoluptueux.J'étaistoujourssurunpetitnuage.Jeregardaiautourdemoidanslapénombre.Lesmursdesachambreétaientcouvertsdepostersde
rock,dephotosdesafamilleetdesesamis,debilletsdeconcert,decoupuresdejournauxetmêmedepagesduNationalGeographic.Ilavaituncouvre-litbleuvifrayédenoir,etdesdrapsd'unblancimmaculé.Unedécoéclectique,intrigante.Exactementcommejel'imaginais.
Ilmarmonna quelquesmots inaudibles dans son sommeil. Je ne pus réprimer un sourire. Jemecollai un peu plus contre lui,m'autorisant àme sentir… àme sentir être, tout simplement. En cetinstant,jepouvaisl'aimer,dansl'obscuritétranquilledesachambre.Moncœurs'ouvrait,explosaitdemillesentimentsquejen'osaisluimurmurer.Bienquej'enaieenvie.J'auraisvoululeréveilleretluidemanders'ilm'aimaitaussi.S'ilcroyaitpossibledem'aimerautantquejel'aimais.L'intensitédemesémotionsmefaisaitpeur.J'étaissubmergée.Jem'ynoyais.Paniquéeàl'idéequeDanielfassetombermesbarrières,jememisàpleurer.Jenevoulaispasvoir
s'écrouler les murs que j'avais érigés pour me protéger. Mon pouls commença à s'affoler, et jeressentisunefoisdeplusunfourmillementdanslesdoigtsetautourdeslèvres.Pasmaintenant,m'exhortai-je.Iln'yavaitpasderaisondepaniquer.Toutallaitbien.Jepouvaisgardermonsecretencoreunpetit
moment, aumoins le tempsde savoir cequenotre relationallait devenir. J'avais encoredu temps.Aucuneraisondeseprécipiter.Respire.Après quelques minutes, mon rythme cardiaque ralentit un peu. Le sommeil commença enfin à
m'envahir,etjemelaissaialler.Jemeconcentraisurl'instant,commemonpsymel'avaitconseillétoutescesannéesauparavant.LasensationdesdoigtsdeDanielsurmapeaunue.Lalégèrechatouillequemeprocuraitsonsoufflequifaisaitvoletermescheveuxsurmonoreille.L'odeurdenoscorpsmêlés.Toutenlui,etdansnotrerelation,étaitunehistoiredesensation.Jefermailesyeux.Puisjetournailevisageverslui,inhalantlafragrancedesonshampoing,qui
imprégnaitaussil'oreiller.Jeremontailedrapsurnosépaules,carnousn'allionsplustarderàavoirfroid.Petit à petit, je laissai le rythme doux de la respiration de Daniel me conduire à mon tour au
sommeil.
Chapitre18
—Casey,chuchotaunevoixdouceàmonoreille.Jemeretournaiavecungrognement.Lalumièredumatinvintm'agresserlesyeux.—Pasencore…—Ilestpresque11heures,annonçaDanielenriant.Jesentisleborddulitployer,puisunemainvintmecaresserlescheveux.Cen'étaitpasunefaçon
désagréable de se réveiller. Jem'étirai etme tortillai un peu dans le lit avec un sourire endormi,enroulantledrapautourdemontorse.—Jen'arrivepasàcroirequej'aiedormisitard.Etplusencore,quejenemesoispasréveilléeuneseulefoispendantlanuit.Pasdecauchemars:
juste un sommeil serein et profond. C'était tellement rare. J'avais l'impression d'avoir dormi unesemaine.—J'aipréparélepetitdéjeuner.Tudevraisvenirmangerunmorceau.Ilselevaetmejetauntee-shirtqu'ilavaitprisdanssontiroir.Ilétaittrèsdoux,grisfoncé.J'auraissansdoutepuremettremondébardeur,maisporterl'undesesvêtementsétaitsiintime…
Unpeucommedecrieraumondequenousétionsensemble.Quenouspartagionsdeschoses,quenousavionsunevraierelation.Jerougis.—OK,j'arrivedansuneminute.Ilfautjusteque…Je baissai les yeux versmon buste dénudé,mes tétons pointant sous le drap fin à cause de son
regard.—Prendstontemps,répliqua-t-ilavecunclind'œil.Tupourrastedoucheraprèslepetitdéjeuner,
situveux.Ilressortitdelapièceetfermalaportederrièrelui.J'enfilaiàlahâtesoutien-gorge,culotteetjean,
avantdepassersontee-shirt. Ilétaitunpeugrandpourmoi,mais le tissuétaitdoux.Et ilsentait lepropre,commeDaniellui-même.Jefusaccueilliedanslacuisineparuneodeurd'œufsetdebacon.—Tut'esmisenquatre,constatai-je,touchée.Celafaisaituneéternitéquejen'avaispasprisunvraipetitdéjeunerdudimanche.—Ehoui,queveux-tu,jesuisuntypebien.J'espèrejustequec'estcomestible.Il servit lanourriture surdeuxgrandesassiettesblanchesqu'il déposa sur la table,où le couvert
étaitdéjàmis,avecdujusdefruitsetmêmedesserviettes.Jem'assis en facede lui.Nousattaquâmesnotre repasavecappétit, sansparlerpendantquelques
minutes.Lesœufsétaientcuitsàlaperfection.Ilavaitmêmemisunpeudefromage.Délicieux.—Tun'espasaussimauvaiscuisinierqueceque tum'avais laisséentendre,commentai-jeaprès
unebouchéedebaconcroustillantàsouhait.—Arrête,c'estvraimentbasique!Pourraterça,ilfaudraitseleverdebonneheure.Tufaisquoi,en
général,ledimanche?—Pasgrand-chose.Mesdevoirs,laplupartdutemps.De temps en temps, Megan préparait le petit déjeuner pour un de ses coups d'un soir, et me
proposaitdemangeraveceux.Maisjedéclinaisetrestaisterréedansmachambre.—Mes parents cuisinent un énorme petit déjeuner tous les dimanches.C'est un rituel. Pancakes,
œufs, bacon, saucisses, etc. Je suis toujourspersuadéqu'il y abeaucoup trop àmanger,mais il nerestejamaisunemiette.Ettoi,tuavaiscegenredetraditions,avectafamille?L'estomacserré,jereposaimafourchette.Danielsoupiraenvoyantmonexpression.—J'aimeraisseulementqu'onseconnaissemieux,Casey…Ilyaunfosséentrenous,etquandje
veuxlefranchir,tutefermescommeunehuître.Onnepeutparlernidetafamille,nidetonpassé.—Jenesuispasencoreprête,déclarai-jeavecraideur,lecœurbattantdeplusenplusvite.—Maistuserasprêtequand?Dis-moi,quandça?Lasemaineprochaine?Dansunmois?Dans
cinqans?Tun'aspasfaitunpasversmoidepuiscettepremièresoirée,quandtum'asrepoussésansuneexplication.Jepassemontempsàmarchersurdesœufs.Àéviter touslessujetsquipourraientsembleruntoutpetitpeupersonnels,pournepasrisquerdetefroisseroudetefairefuir.—Cen'estpasvrai,protestai-je,lesyeuxpleinsdelarmes.Jemesuisconfiéeàtoi.Jet'aiprésentéà
mesgrands-parents.L'odeurdupetitdéjeunernemeparaissaitplusaussiappétissante.Je trouvais lesœufsfadeset le
bacontropfort.Jerepoussaimonassiette.—Moiaussi,jet'aiprésentémafamille.Cen'estpasunecompétition…—Jen'aipasditça!Nemeprêtepasdesintentionsquejen'aipas.—Pourquoiest-cequetuneveuxpasmefaireconfiance,etêtrehonnêteavecmoi?Jesuiscomme
unlivreouvertpourtoi.Tupeuxmeposern'importequellequestion.Ilrepoussaégalementsonassietteetsepassalamaindanslescheveux.—Toutlemonden'estpascommetoi,c'esttout!Tusaisquoi?Jen'aipasenvied'enparler.Jemelevaipourpartir.Jenevoulaispasm'engagerdanscettevoieavecluicejour-là.Mabonne
humeur s'était envolée, mais il était encore temps de mettre un terme à la conversation avant deprovoquerdevraisdégâtsdansnotrerelation.—Neme fais pas ce coup-là, tonna-t-il en se levant à son tour.Dès que tu te sensmenacée, tu
t'enfuis.Chaquefois.Etmoi,jepassemontempsàm'écraser.Jelaissefaire.Mais…—Arrêted'insister,Daniel.Jeneveuxpasparler,l'interrompis-jed'unevoixglaciale.J'avaisl'estomacnoué,lesmainstremblantes.Jelesenfonçaidansmespoches.Jenel'avaisjamaisvuaussiénervé.Uneveinebattaitsursatempe,etilavaitlesnarinespincées.—De quoi est-ce que tu as peur ? Pourquoi tu refuses deme dire ce que tu ressens, ce que tu
penses?Jesuisassezbienpourquetucouchesavecmoi,maispasassezpourquetumeparles?
Jereçuscetteremarquecommeuncoupdepoing.Lesilencesefit,perturbéseulementparnotrerespirationhaletante.—Tuesinjuste,bredouillai-je,lagorgenouée.—Non,c'esttoiquiesinjuste.Cettesituationmetueàpetitfeu,Casey.Arrêtedemerejeter.Jeveux
t'aider,maistuestellementtêtue!Toutcequetufais,c'estdressermuraprèsmur,dèsquej'abordeunnouveausujet.Jenesuispaslàpourteblesser,tusais.Jet'aifaitentrerdansmavie.Tum'asvu,toutentier:lebonetlemoinsbon.Alorsquemoi,jen'aidroitqu'àdesbribesdetoi,cellesquetuveuxbienmemontrer.Etducoup, jene te connaispas.Après tout ce temps, tuneme fais toujourspasconfiance…J'étaissubmergéeparlaculpabilitéetlacolère.—Turamènes toutà toi,alorsqueçan'a rienàvoir,dis-jeenpointantundoigt sursapoitrine.
Contrairementàceque tuas l'airdepenser, toutçaacommencébienavantque je te rencontre.Sipersonnene sait riendemoi, c'est pourunebonne raison.Saufquebien sûr, pour toi, tout estmafaute.Maisquetuleveuillesounon,c'estmafaçondefaireface.C'estcequimepermetdetenir.Maistoi…Tucroisquetupeuxdébarquerdansmavie,etquejevaistoutlaissertomberetchangerpourtefaireplaisir?Çanemarchepascommeça!—Jerêve!Tunepensespascequetudis?Jenet'ai jamaisdemandédechanger.Tues injuste,
répéta-t-il.—Non,c'esttoiquiesinjuste!rétorquai-jeàmontour,lesbrascroisés.Macolèrenefaisaitquecroître,et laculpabilité familièren'étaitpasenreste.Depuis ledébut, je
savaisqueçaallaitseproduire.Quecettesérénitépartagéenepouvaitpasdurer.Ilmedévisageasansmotdirependantunlongmoment.J'avaisbeaumesentirtomberenmiettes,je
refusai de baisser les yeux. Comment les choses avaient-elles pu tourner aussi mal ? Tout avaitpourtant bien commencé. Nous avions passé une merveilleuse soirée.Mais comme toujours avecmoi,leschosesavaientdégénéré.—Aprèstoutcequ'onavécu,jepensaisavoirméritéunpeud'honnêtetéetdeconfiance.—C'estçaquetuveux?Quejesoishonnête?criai-jeenlevantmontee-shirtpourluidévoilerma
honte.Je contemplai résolument le sol, bien décidée à ne pas voir l'expression d'horreur qui devait se
peindresursestraits.—Voilà,c'estçaquejecache,àtoietàtoutlemonde.Moncœurtambourinaitsifortdansmapoitrinequej'avaispeurqu'ilsecasse.Je laissai retomber le vêtement, mais ne tournai pas les yeux vers lui, préférant examiner les
dessinsducarrelage.—Monpèreétaitdépressif.Amer.Aigri.C'étaitunalcoolique.Iln'avaitjamaisconnulebonheur.
Mais ilneprenaitpassesmédicaments : ildisaitqueça l'abrutissait.Mamèrefaisaitdesonmieuxpour semontrer patiente. Elle l'encourageait, lui souriait, et faisait tout ce qu'elle pouvait pour lerendreheureux.L'imageduvisagedouxdemamèremerevintenmémoireetjemetusquelquessecondes,lagorge
nouée.Depuiscombiendetempsn'avais-jepasracontécettehistoire?
Jeconnaissaislasuite…jesavaisbiencequej'allaisluidire,maisçamedéchiraitquandmêmeleslèvres.—Unsoir,monpèreétaitd'unehumeurparticulièrementexécrable.Ilavaithurlésurmamère,se
plaignantdelaviemisérablequ'ilmenait.Desparolestellementcruelles,quimeblessaienttoujoursautant,toutescesannéesaprès.—Jen'avaisque treize ans.Lila,ma sœur, en avait dix.Nous sommes restéesuneheure terrées
danslesalon,àattendrelafindeladispute.Àécoutersansunbruit.Les larmes que je retenais depuis le début de la conversation coulaient à présent surmes joues.
J'apercevaislespiedsdeDaniel, immobilescommes'ilétaitpétrifié,maisj'étais toujoursincapabledeleverlesyeuxverslui.J'étaisenmêmetempsdanscettecuisine,etdansmonanciennemaison.Jecroyaissentirleparfumdesbougiesàlapommequemamanaimaittant,serépandantdepuislatablebasse.J'entendaisuntrainroulerauloin.Lechienduvoisinaboyer.—Çaafiniparsecalmer.J'aiemmenéLilaàl'étage.Ons'estpréparéespouralleraulit,etons'est
endormies,poursuivis-je,unemainsurlapoitrine,lesoufflecourt.—Casey,ditDanield'unevoixtimide.—C'estlepremiercoupdefeuquim'aréveillée,enchaînai-jesansl'écouter.Lesmotscoulaientdemabouchecommeunerivièreencrue.Jen'auraispluspulesarrêter,même
sijel'avaisvoulu.L'histoireexigeaitàprésentd'êtreracontéejusqu'aubout.—Jen'aipascompriscequec'était. J'ai cruqu'unobjet s'était casséen tombant.Çavenaitde la
chambredemesparents. J'ai réveilléLila, et on est restées aumilieude la chambre,maindans lamain,nesachantquefaire.Puis,quelqu'unaouvertlaporte…c'étaitmonpère,leregardsombreetunpeuflou,unecarabineàlamain.—Oh,Casey,non!s'étranglaDaniel,bouleversé.J'avaislavisioncomplètementbrouillée.—Ila tirésurmasœurdevantmesyeux.Ilapressé lagâchette…etelleest tombée.Etpuis ila
pointé son arme surmoi. Tout s'est passé si vite ! J'étais paralysée par la peur. Je suis restée à leregarder,sansfaireungeste.Jerespiraisdeplusenplusmal.Unemainsurlabouche,jememisàsangloter.Toutvabien.Maistudoisfinir,maintenant.Jetentaidedominermesémotions.J'avaislagorgesiserréequemavoixn'étaitqu'unmurmure.—Jenesaispaspourquoij'aisurvécu.Nicomment.Jenemesouvienspastrèsbiendecequis'est
passéensuite.J'enrêvesouvent,maisjenesaispassicequejevoiscorrespondàlaréalitéousic'estjustemoncerveauquiessaiedetrouverdesréponses.Dansmonrêve,samaintrembleaumomentdeme tirer dessus. La balle n'a pas atteint mes organes vitaux, même si mes intestins ont souffert.Ensuite, il…ila retournésonarmecontre lui.Unvoisinadûentendre le raffut :quand j'ai reprisconscience,j'étaisàl'hôpital.J'aidemandéoùétaitmafamille.Toutlemondeétaitmort.Morts parcequemonpère n'avait pas pu se contrôler, et qu'il avait souhaité quenousmourions
aveclui.Lesjambesflageolantes,jedusm'agripperàunechaise.Danielseprécipitaversmoi,maisjelevai
lamain. Je ne voulais pas qu'ilme touche. Son contactme ferait voler en éclats. Je tenais à peinedebout,retenueparunfil.—Donne-moijusteuneseconde.Respireprofondément.Inspire,expire.Inspire,expire.Dansma tête, lavoixdegrand-maman tentaitdem'apaiser. Je suivis sesconseils,qu'ellem'avait
répétésnuitaprèsnuit,lorsquejemeréveillaisenpleincauchemar,pendantmapremièreannéechezeux.Jemeredressai.Courage,Casey.JeregardaienfinDanieldans lesyeux. Ilpleuraitàchaudes larmes : lehautdeson tee-shirtétait
mouillé.Lechagrinquejelisaisdanssesyeuxétaitsivifquejemesentisvaciller.—Jevaisrentrerchezmoi,murmurai-je.J'allaismeroulerenboulesousmesdrapsetneplusbougerpendantunan.J'avaisfaittantd'efforts
pournepaspenseraupassé.MaisDanielavaitrefusédemefoutrelapaix…Ils'essuyalesjoues.—Ilfautqu'onendiscute.Jenepeuxpastelaisserpartiraprès…aprèstoutça.—Jevaisrentrerchezmoi,répétai-je.Jeretournaidanssachambreetenlevailetee-shirtqu'ilm'avaitprêté,avecdesgestessoigneux.Je
lepliaietleposaisurlelitdéfait.Jeprissoindenepasregarderlesoreillersquiportaientencorelamarque de nos têtes, l'une contre l'autre. J'enfilai mon débardeur et me penchai sous le lit pourrécupérermeschaussures.—S'ilteplaît,supplia-t-ild'unevoixdéchirante.Ilfautquetuarrêtesdemefuir.Tuviensjustede…
t'ouvriràmoi,etmaintenanttuveuxpartir.Maisilfautqu'onparledetoutça.S'ilteplaît.Sionveutqueçamarcheentrenous,ilfautqu'onenparle.Savoixvibraitd'uneémotionquiressemblaitdangereusementàdelapitié.—Jesuisdésoléquetuaiestraversécetteépreuve,Casey.Jen'auraisjamaisdeviné…—Jeneveuxpasdepitié,répliquai-jeenmetournantverslui.Jesuisforte.Çafaithuitansqueje
meconstruisunenouvellevie,touteseule.Maistutenaisabsolumentàconnaîtrelavérité,quoiqu'ilm'encoûte.Tun'aspascesséd'insister.Etjet'enveux.—Delapitié?Maiscen'estpasdelapitié,c'estdel'empathie,sedéfendit-il,choqué.Jen'aijamais
rienvécud'aussitraumatisant,etj'ensuisbienconscient.Maisçanesignifiepasquejenepeuxpaspartagertadouleur.Pourtant,tuestellementdéterminéeàêtreindépendante,quetun'acceptesl'aidedepersonne.Ilétaitdenouveaufrustré,maistentaitdedominersesémotions.—Tunepeuxpaspartagermadouleur,déclarai-jeenattrapantmonsacàmain.Tun'asaucuneidée
decequeçafaitdesavoirquetonproprepèreavoulutetuer.Etpireencore…Jeprisuneinspirationtremblanteetmeforçaiàpoursuivre.Toutétaitdéballé,àprésent.Aupoint
oùj'enétais,autantarracherlesparadrapd'uncoup,etluimontrermescicatrices,moralesaussibienquephysiques.
—Pireencore,savoirqu'ilexisteunrisquequejedeviennecommelui.Quejeperdecontrôle,quejecraque.—Tun'espaslui!protesta-t-ilavecvéhémence.Ilcroyaitcequ'ildisait.Maiscommentétait-cepossible?Jem'étaisbercéed'illusionsencroyant
queçapouvaitmarcherentrenous.—C'estcequetucrois!J'évitedepenseràlui,parcequeçamerendfollederage.Mamèreetma
sœurmemanquent,touslesjoursdemavie,parcequec'étaitunmonstreetqu'ilmelesaarrachées!Jesortisdelachambreetmedirigeaiverslaported'entréequej'ouvrisd'ungestefurieux.Danielmesuivaitdeprès.—Tunepeuxpasconduiredanscetétat.—Jevaisparfaitementbien.Iln'avaitpasbesoindeme traitercommesa fille.Toutceque jevoulais, c'étaitm'enfuir, laisser
derrièremoicesémotionsviolentesetdestructrices.Unefoisdevantsonimmeuble,jememisàfouillerdansmonsacàlarecherchedemesclefs.Où
pouvaient-ellesbienêtre?Lapaniquem'avaitenvahiejusqu'auboutdesdoigts,jusqu'auxlèvresaussi.Oh,parpitié,non.Attendsd'êtrearrivéeàlamaison.Pasici.—Jet'enprie,Casey…Laisse-moiteraccompagner.—Non.—Maismerde!Arrêtedefaireça!Laisse-moit'aider.Jemetournaiverslui.—Daniel,j'aienvied'êtreseule.Fous-moilapaix.Tunem'aspasdéjàassezfaitdemal?J'avais parlé sous le coup de la colère. À peine avais-je prononcé ces mots que j'aurais voulu
pouvoirleseffacer.Ilrecula,peiné.Jebaissai la tête etme remisenquêtedemesclefs. Je finispar les trouver, tout au fonddu sac.
Enfin. Je tenais à peine debout. Je sautai dans ma voiture, mis le contact, et sortis de monstationnement. Je sentais le regard blessé de Daniel dans mon dos, mais j'étais incapable de meretourner.JeprisunCDauhasardetleglissaidanslelecteur,poussantlevolumeaumaximum.Lamusique
était forteet rythmée, faisantvibrerchacunedemescellules. Jeme laissai envahirpar lachanson,évitantdepenseroudesentir.C'étaitmaconsolation.Jeroulaicommeçapendantuneheure,mecontentantd'écouter.Leslarmesavaientséchésurmes
joues en sillons salés. Je serrai le volant si fort que j'en avaismal aux doigts.Mais peu à peu, lamusiqueparvintàapaiserladouleur,suffisammentpourquej'acceptederentreràlamaison.Unefoisàl'appartement,jecourusdirectementàmachambresansm'arrêterpourparleràMegan,
assise sur le canapé. Jeme roulai enboule surmon lit sansmêmeprendre la peined'enlevermeschaussures. J'éprouvais une douleur terrible dans la poitrine, comme si quelqu'un l'avait labouréeavecunecuillère.J'étaisentraindetomberenmorceaux,et jenesavaispascommentchassercettesouffrance.
Chapitre19
Le lundimatin, lorsque jeme levai pour aller en cours de philo, j'avais l'estomac noué commejamais.Jen'étaispasprêteàaffronterDaniel.Pascejour-là,alorsquejemesentaisencoreaussimal.J'avaispasséunenuitdemerde,metournantetmeretournantdansmonlit,revivantl'horreurdemestreizeanschaque foisque je fermais lespaupières. Jevoyaisma sœur tomber sur le sol, lesyeuxrivéssurmoi,dusangjaillissantdesesplaies.Aulieudemedoucheretdem'habiller,jerestaiassisesurleborddulit,àessayerdemecalmer.
Une demi-heure s'écoula, et je n'étais pas plus près dememettre en route que lorsque je m'étaisréveillée.J'étaisauborddelanausée.J'auraisvoulumedonnerdesbaffes,carjedétestaisêtreainsiàlamercidemesémotions,maisc'étaitcommeça.LevisagedeDanielpassadansmonesprit,ainsiquelesouvenirdesarespirationsaccadéealors
quejeluidécrivaisl'horreur.Jemeforçaiàinspirerprofondément.Jecrispaimesdoigtstremblantssurmesgenoux.Non,jen'allaispasmelaisserhapperparuneattaquedepanique.Jecontrôlaismesémotions.Mesémotionsnemecontrôlaientpas.Je n'étais pas comme mon père. Je ne tomberais pas dans ces états obscurs. Ce petit discours
d'encouragement finit par avoir raison dema panique,mais cela ne résolvait pas le problème deDaniel. J'avais besoin de recul. J'avais peur de le voir, sachant que ses yeux seraient chargés dechagrin,etpeut-êtredecolère.Desémotionsquiserefléteraientdanslesmiens.Etquandjeleverrais,queluidire?«Désoléedet'avoirenvoyémonpassémonstrueuxdanslagueule»?Est-cequetoutétaitfinientrenous?Jem'empourprai.Ilm'avaitbousculéeaupointquejenepuisse
plus rien cacher. J'avais soulevé mon tee-shirt pour lui montrer les cicatrices. Comme si de rienn'était,commesic'étaitfacile.Ildevaitêtredégoûtéàvie.Jepassailesdoigtssurlesbourreletsdemesanciennesplaies.J'yétaishabituée,maisilm'arrivait
encored'êtreécœurée.Surtoutquandjevoyaisleventreplatetlissedesautresfilles.Jesavaisquelemien ne serait jamais comme ça. Les médecins m'avaient sauvé la vie ; je me sentais à la foissoulagée,etcoupable.Coupabled'êtrevivante.Coupableparcequejedétestaislefaitd'êtremarquéephysiquement,portantàjamaislesouvenirde
cequis'étaitproduit.J'étaisuneingrate.Onfrappadoucementàlaporte.—Oui?dis-jeenreposantlamainsurmesgenoux.Meganpassalatêtedansl'encadrement.—Toutvabien?medemanda-t-elle,inquiète.Ellemeregarda,remarquantquej'étaistoujoursenpyjashort.Laveille,jen'étaispassortiedema
chambre, ne mettant le nez dehors que pour me faufiler jusqu'aux toilettes. J'espérais qu'elle nem'avaitpasentenduepleurer.—Je…Jenesaispastrop,finis-jeparavouer.Jenemesenspastrèsbien.C'étaitunpetitmensonge : jen'étaispasmaladeàproprementparler,mais j'avais l'âme toujours
meurtrieparladisputedelaveille.Etjenesavaisquefairepourallermieux.J'avaislecœurquivibraitd'unchagrinprofonddontjeneparvenaispasàmedébarrasser,etj'étais
épuisée.J'auraisvoulumeréfugierdanslesommeil.Pleurerencore.Crier.Etaussi,cesserdepenseràtoutça,mêmependantuneheure.—Tuasbesoindequelquechose?D'habitude,àcetteheure-ci,tuparspourlafac,alorsjemesuis
doutée que quelque chose n'allait pas. Toi qui es si ponctuelle… Et puis, hier matin, quand tu esrentréeàlamaison,tuavaisl'airbouleversée.Jen'aipasvouluêtreindiscrète.Etçanemeregardepas.Maissituasenviedeparler,jesuislà.Elleessayaitdem'aider,etçamefaisaitplaisir,maisjenemevoyaispastoutluiraconter.Lagorge
serrée,jerépondisparunsignedetête.—Jecroisquejevaisresteràlamaison,aujourd'hui.Jen'aipaslecouragedesortir.—Je tecomprends. Ilyade lasoupeenboîtedans leplacard.Tusais,celleaupoulet,avecdes
vermicelles.Parfoisilsuffitd'unpeudenourritureetd'unbonsoapàlatélépoursesentirmieux.Tuveuxquejeresteavectoi?—Non,cen'estpaslapeine.Certes,j'étaislâcheetjepréféraismecacherchezmoiqued'affronterDaniel,maisjen'allaisquand
mêmepasentraînerMeganavecmoi.— Je vais juste cocooner un peu aujourd'hui, sécher les cours. Et peut-être rattraper un peu de
sommeilenretard,conclus-je.Je ne me souvenais pas de la dernière fois que j'avais manqué des cours. Sans doute lors de
l'horrible épidémie de grippe, en première année. Et encore, je n'étais restée que deux jours à lamaison.J'avaisbienméritéunpeuderépit…—Repose-toi,mapuce,soufflaMegan.J'aidescomprimésdemélatoninesurmatabledechevet,
pourt'aideràdormir,situveux.Iln'yapasd'accoutumance…çapermetjustedetrouverlesommeil.Tupeuxenprendre,siçatedit.Ellequittamachambre.Quelquesinstantsplustard,j'entendislaported'entréeserefermer.J'étaisseuledansl'appartement.
J'attendisuneminuteavantd'allerfairepipi.Danslasalledebains,jevismonrefletdanslemiroir:yeuxrougesetbouffis,cheveuxhirsutes.PasétonnantqueMegansesoitinquiétée.J'avaisl'aird'uneruine.J'avais l'estomac trop noué pour avaler quoi que ce soit, mais je suivis les conseils de ma
colocataire.Enrouléedansunecouverture,jem'installaisurlecanapéetallumailatélé,afinquelebruitm'empêche de penser.Qu'il fasse taire les idées qui se bousculaient dansma tête.Ma colèrecontreDaniel.Mapeurdeleperdre.Maculpabilitédeblesserlesgensquim'aimaient.Colère.Peur.Culpabilité.Unespiralesansfin.
Je me couchai sur le canapé, resserrai la couverture autour de moi, et fermai les yeux. Ils mepiquaient.Toutmoncorpsétaitdouloureux.Je finis par m'endormir. Je ne savais pas quelle heure il était quand une main vint me secouer
doucement. Je soulevai mes paupières lourdes pour découvrir Megan, penchée sur moi avec unsourire.Ilfaisaitsombre:quelqu'unavaitfermélesvoletsetéteintlatélé.—Je t'ai réchaufféune soupe, chuchota-t-elle. Je l'aiposée sur la tablebasse.Essaiedemanger,
d'accord ? Tu n'as rien avalé depuis que tu es rentrée, hier matin. Il faut que tu t'hydrates, c'estimportantquandonestmalade.J'auraisvoulu luidireque jen'étaispasmalade,mais c'était tellementadorablede sapartdeme
soignercommeça…Ducoup,jemecontentaid'acquiesceretdem'asseoir.J'avaislatêtequitournaitun peu, la bouche cotonneuse. Je pris une gorgée de soupe, chaude et riche, m'apercevant avecsurprisequej'étaisaffamée,etnetardaipasàfinirmonbol.Megan revintde la cuisine, attrapa le récipient et la cuillère, et fila lesdéposerdans l'évier.Elle
s'assitàcôtédemoietrallumalatélé,zappantpours'arrêtersurlarediffusiond'unesitcomcélèbre.—Riendetelquederigolerpoursechangerlesidées,déclara-t-elle.Elle avait raison.À lamoitiéde l'épisode, jememisà rire,moi aussi. J'étaisbien, assise à côté
d'elle.J'avaislapoitrineuntoutpetitpeumoinsoppressée.Lelendemain,j'assistaiàl'ensembledemescours.JenecroisaipasDanielsurlecampus,cequime
soulageaetm'attristaàlafois.Lerestedelasemaine,jesuivistousmescours,saufceuxdephilo.Jedînaichezmesgrands-parentslevendredi,etparvinsàleurcachercequis'étaitpassé,mettantmonattitudebizarresurlecomptedelafatigue.JetravaillaiauMask,fismesdevoirs,mangeai,dormis.ToutçasansDaniel.Etmoncœurnemelaissapasl'oublieruneseuleseconde.Le dimanchematin, jem'installai sur le canapé en pyjashort, pourmanger une tartine devant un
dessin animé débile. Megan, qui n'était pas rentrée la nuit précédente, m'avait envoyé un texto –ponctuédepointsd'exclamation–pourmeprévenirqu'elledormaitchezBobby.L'appartementétaitdoncdésertetsilencieux.Onfrappaàlaported'entrée.Jemelevaipourouvrir.C'étaitDaniel.Lapremièrechosequejeremarquaifutsonregardfatigué,lescernesnoirssousses
yeux.—Salut,dit-il,decettevoixrauquequimeprocuraitdesfrissons.—Salut,répondis-je,lecœurbattant.Jemesentaisterriblementmalàl'aisefaceàcethommequim'avaittenuedanssesbras,quiavait
posésabouchesurlamienne,étaitentréenmoietm'avaitdonnél'impressiondecompter.Jedétestaiscettesituation.Ilsoupiraetsefrottalanuque.—Je…Ilfautqu'ondiscute.J'ai…Tun'espasvenueencours,etje…
Il me faisait de la peine. Je ne l'avais jamais vu si déstabilisé, lui d'habitude plein d'assurance.L'inquiétudeselisaitdanssesyeuxverts,etilpinçaitleslèvrescommes'ilavaitpeurdeparler.J'écartailebattantdavantage,faisantdemonmieuxpournepasledévorerdesyeux.Mêmetorturé,
ilétaitterriblementséduisant.—Vienst'asseoirsurlecanapé.Laisse-moiletempsdem'habiller,d'accord?J'avaislesmainsquitremblaient,l'estomacnoué.Jemeruaidansmachambre,pourenfileruntee-
shirtrougeàmancheslonguesetunjean.Enrevenant,jeneletrouvaipasassis,maisdeboutprèsdelaporte,l'airpartagé.—Onpeutsortird'ici?Ilfautquejeteparle.Uneboufféedesoneaudetoilettemarinemeparvint,etj'éprouvaiunpincementdetristesse,tantil
memanquait.Cettesemaineloindeluim'avaitparuuneéternité.J'avaisfaitdemonmieuxpournepasypenser,maisils'étaitlogéauplusprofonddemoi.Malgrétousmeseffortspourmepersuaderducontraire,notredisputen'avaitpueffacercesentiment.Jerespiraiungrandcoup,prismonsacàmain,etlesuivis.Nousmontâmesdanssavoiture.Ilsortitduparkingetnetardapasàs'engagersurl'autoroute.Un
silencetendurégnaitentrenous.Danielavaitlesmainscrispéessurlevolant.Illesfrottasursonjeanà deux reprises. Lorsque je hasardai un regard vers son profil, je vis un muscle battre sur samâchoire.Avait-il peur de me parler ? Je me tordais les doigts. J'étais contente de ne pas être la seule à
éprouver de l'anxiété, mais ça me brisait le cœur de le voir aussi déchiré. J'ignorais ce qui luioccupaitl'esprit,maiscespenséeslerongeaient,c'étaitévident.Peut-êtrem'emmenait-ilauloinpourm'annoncerqu'ilnevoulaitplusmevoir.Jeressentiscomme
unedouleuràlapoitrineàcetteidée.Maispourquoinepasl'avoirfaitdansl'appartement?Pourquoim'entraînerdanssavoiture?— Je suis vraiment nerveux, avoua-t-il avec un soupir. Ça a mal tourné, dimanche. J'ai tant de
chosesàtedire,maisj'aipeurdelefaire…Jemeserrailesmainsencoreplusfort.—Tuferaismieuxd'enfinir.S'ilavait l'intentiondemelarguer, jen'avaispasenviederesteraveccetteépéedeDamoclèsau-
dessusdelatêtependantdesheures.Jepréféraisrentreràlamaisonetessayerderamasserlesmiettesdemadignité.Etattendred'êtrebienàl'abridansmachambrepourm'effondrer.—Jen'arrêtepasdepenseràcequetum'asraconté.Ettouts'éclaire,maintenant,dit-ilsibasqueje
devaistendrel'oreillepoursaisirsesmotsmalgrélebruitdel'autoroute.Jecomprendspourquoiturestestoujourscouverte,pourquoitunecomptesquesurtoi-même,etpourquoituessifermée…Cen'estpasunecritique!Jecomprendsquetuveuilleséviterd'êtreblessée.Jeneproféraipasunsonpendantqu'ilsetournaitpourmeregarderbrièvement.—Jesuisdésoléd'avoir insistécommeça.Jenepeuxpasimaginercequetuasvécu.Maviede
familleneressemblaitenrienàlatienne.Mais…Casey,j'aivucombientuaschangédepuisqu'onestensemble,mêmesitunet'enrendspascompte.Tusouris,turigolesbienplusqu'avant.Tuasbaissélagarde. Etmême si je sais que c'est difficile pour toi deme faire confiance, je vois bien que cette
confiancet'aideàguérir.Tut'autorisesàt'ouvrirauxautres,àt'intéresseràeux.J'avaislesyeuxpleinsdelarmes.Ilavaitraison.—Tu as fait preuve de beaucoup de courage enme racontant tout ça. Et je ne veux pas que tu
continuesàmefuir.J'essaiedet'aider,pasdetefairedumal.Maistuestellementàvif…Çametuedetevoirsouffrircommeça.Quandtuarriverasàlaissertonchagrinderrièretoi,jecroisquetuserasémerveilléedetesentirtellementmieux.— Plus facile à dire qu'à faire, commentai-je. Je ne sais pas comment me débarrasser de mes
sentiments.Jeme tus, surprisedevoirqu'après toutcequis'étaitpassé, jemeconfiaisencoreà lui.Lesang
battaitàmesoreilles.Maisjecontinuaisàluiouvrirmoncœur.Avecunehésitationpalpable,ilavançaunemainversmoietpritlamienne,poséesurmesgenoux.
Cecontacttendremeprocuradesfrissons.Jemesentaisréconfortée.Etdenouveau,j'avaisleslarmesauxyeux.—Jem'endoute.Jesuisfierdetoutlemalquetut'esdonné.Et…jecroisquej'aidesidéespour
t'aider,annonça-t-ilenremettantsamainsurlevolantpourquitterl'autoroute.Jeregardaiparlavitre.Oùallions-nous?Quelquesminutesplus tard,monestomacsecontractaitsiviolemmentque j'avaispeurdevomir.
Non,ilnepouvaitpassavoiroùnousallionspasser.C'étaitjusteunehorriblecoïncidence.Lesyeuxrivésdroitdevant,Danieldécéléra.Ilentradanslecimetièreparlagrilleouverte.Làoùreposaientmamère,masœuretmonpère.—Non!criai-jed'unevoixvibrantededésespoir.Jen'étaisvenuedanscetendroitqu'unefois,ensortantdel'hôpital.L'enterrementavaiteulieudes
semaines auparavant.Mes grands-parents me soutenaient alors que je pleurais en les suppliant dem'amenerchezeux.C'étaitunsouveniraffreux.Jetentaivainementd'ouvrirlaportière,cherchantàm'échapper.Danielfreinaetmemitunemainsurl'épaule.—Arrête.Casey,arrête.Écoute-moi.Ilfautquetumefassesconfiance.Écoutecequej'aiàtedire.
Situn'espasd'accord,onpartira.Maisd'abord,laisse-moit'expliquer.Jepleuraisàchaudeslarmessousl'effetdelacolèreetdelaterreur.—Jen'arrivepasàlecroire!crachai-jed'untonrageur.Aprèstoutcequ'onatraversé,tuchoisis
dem'amenerici?Tuesmalade…—Tunepourrasguérirquesituacceptesdetournerlapage,affirma-t-il,résolu.Tudoisaffronter
tonpère.Luidirequetuluienveux,quetuledétestes,toutcequetuassurlecœur.Tudoissortirtoutça,parcequeçat'empoisonne.—Tuteprendspourmonpsy?sifflai-jed'unevoixhaletante.Jesuistonnouveaujoujou?—Pasdutout!Jemefaisdusoucipourtoi!Pourquoituneveuxpascomprendre?Tun'espas
seulecontrelemondeentier.Jesuislàpourtoi.Laisse-moit'aider,s'ilteplaît!Ilsepassaunemaindanslescheveux,lesébouriffantdanstouslessens.Jeregardaiautourdemoi,envahieparunsentimentdetrahison.Ilavaitdûfairedesrecherchessur
Internetet liredes tasd'articlesafindedécouvriroù lescadavresdemafamilleétaienten traindepourrir.—Jen'arrivepasàlecroire.Lavoituremesemblaitsoudaintropconfinée.J'ouvrislaportièreetm'échappai,respirantl'airvif
du dehors.L'automne était enfin arrivé, et la température avait baissé. J'avais la chair de poule. JetournailedosàlavoitureenentendantDanielouvrirsaportièreàsontour.—Jen'aipasbesoindeguérir.Jevaisbien.—Oui,tuvasbien.Tuarrivesàtenir,unjouraprèsl'autre.Maisquandtuaurasaffrontétonpèreet
évacuécessentiments,tuirasmieuxque«bien».Tupourrasenfinguérirpourdevrai.Jesavaisqu'ilétaitconvaincudecequ'ildisait.Maisilavaitfranchiunelimiteenm'amenantlà–en
meprenantparsurprise.Jepoussaiunpetitcriderage.S'ilm'avaitdemandémonavis,j'auraisrefusédevenir,et ilne l'ignoraitpas.C'étaitpourcette raisonqu'ilavaitagiensecret.Comment lui faireconfianceaprèsça?J'avaisl'impressionquemoncœurétaitprisdanslaglace.—Jerentrechezmoi,déclarai-jed'untonrageur.Soittumeramènes,soitjemedébrouillepour
trouverunbusoufairedustop.Maisjeneparleraipasàmonpère.Pasici,etpasavectoi.—Casey…— Non. J'en ai assez de t'écouter. Et de te laisser tenter de me soigner, de me changer, de
transformerleschosespourtonplaisir.Situtesouciaisvraimentdemoi,tum'accepteraiscommejesuis.Ettuarrêteraisdemerenvoyermonpassédanslagueule.Danslesilencequisuivit,onentendaitquelquesoiseauxgazouillerdanslesarbres,auloin.Jecontemplaislesol,refusantderegarderautourdemoi.Unrayondesoleiljouaitsurlegravier.—Jeteramène,dit-il.Jesentaisqu'ilétaitdéçu,maisçam'étaitcomplètementégal.Deretourdanslavoiture,latensionétaitpresqueinsoutenable.Jegardailesyeuxrivéssurlaroute,
voulantm'assurerqu'onroulaitbienverschezmoi,commepromis.Arrivédevantmonimmeuble,Danielmitsonmoteuraupointmort.— J'essayais juste de t'aider. Je ne voulais pas te faire de mal. J'aimerais tellement que tu le
comprennes…J'avais la gorge si serrée que je ne crois pas que j'aurais pu répondre, même si j'en avais eu
l'intention.Sij'ouvraislabouche,jememettraisàhurlersanspouvoirm'arrêter.Les mains tremblantes, je me débattis quelques secondes avec la poignée. Je sortis, et sans me
retourner,claquailaportièreetmedirigeaiversmonappartement.Toutétaitfinientrenous.Jelesavais.Finipourdebon.Cetteidéemefaisaitdelapeine,maisen
même temps, ellem'apportait uncurieux soulagement. Jenepouvais supporterqu'onessaiedemesoigner,qu'onmeforcesanscesse.Jevoulaistraverserlavieselonmespropresrègles.Jemislaclefdanslaserrure.L'appartementétaittoujoursdésert.Jem'assissurlebordducanapé,
ettoutesmesémotionss'apaisèrentd'uncoup,melaissantfroideethébétée.
Àcetinstant,j'auraisvouluquemonexistencereprennesoncoursd'avant.AvantqueDanielentredansmavieetmechangeàjamais,medonnantdenouvellesattentes.Mepousseàtomberamoureusedelui,àbaissertoutesmesdéfenses.Àluifaireconfiance.Àl'aimer.Jevoulaisrecouvrermaprudenceetmasécurité.Mastabilité.Etjen'étaispascertained'yparvenirunjour.
Chapitre20
Jepassail'après-midiàcomaterdevantlatélé,essayantdemonmieuxdenepaspenser,niressentirquoiquecesoit.Sijem'accordaisneserait-cequ'uneminutepourressassercequis'étaitproduit,jeplongeraisdefaçonsiprofondequejenereferaispeut-êtrejamaissurface.J'avaiseutouteslespeinesdumondeàm'extrairedecepuitsdenoirceur,lorsquej'avaistreizeans.Jen'étaispassûred'avoirlaforced'endurerçaunedeuxièmefois.Montéléphonevibra.Lesmainstremblantes,lecœuraffolé,jelesortisdemapoche.Maiscen'était
pasDaniel.
J'espèrequetouts'estbienpasséautravail,hiersoir.Jet'aime!Grand-maman.PS:Oui,j'aisigné.:-P
Ces quelques mots tout simples suffirent à faire voler en éclats les murs que j'avais tenté de
reconstruire.J'étaisdansladétresse.J'avaisbesoinderentrerchezmoi,demenourrirdelasécuritérassurantedeceuxquiétaientlàpourmoiquandtoutallaitmal.
Jepeuxpassertevoir?Laréponsenetardapas.
Grand-papaestentraindebricolerchezunami,maisjesuisàlamaison.Ilyaunrôtidanslefour.Viens,machérie.Bisous,grand-maman
Sans même savoir ce qui me torturait, elle avait deviné que j'avais besoin d'être consolée. Son
amourmedonnalaforcedequitterlecanapé,deprendremonsac,etdemedirigerverslaporte.Pendanttoutletrajet,jem'efforçaidemeconcentrersurleschansonsquipassaientàlaradio.Jene
voulaispasprêterattentionauxpenséesquitourbillonnaientdansmoncerveau.Jenepouvaispasmepermettredecraquertoutdesuite.Grand-mamanétaitminuscule,maissesbrasmincesavaienteulaforcenécessairepourmetenirpendantbiendescrisesdelarmes.Grand-papaetelleétaientpourmoicommeunpharedanslanuit.Arrivéechezelle,jefrappaiàlaporte.Grand-mamanm'ouvrit,levisagerayonnantd'amouretde
tendresse.J'étaistellementtenduequej'avaismalpartout.Jetenaisàpeinedebout.—Coucou,machérie,dit-elleenmeprenantparlamainpourm'entraînerausalon.Delacuisinemeparvenaitl'odeurdurôtientraindecuire,etd'unemichedepainàpeinesortiedu
four,quegrand-mamanavaitprobablementposéesurlefourneaupourqu'ellerestetiède.
—Tuveuxboirequelquechose?Jefis«non»delatête.Bienquej'aiemillechosesàraconter,jemetrouvaisubitementincapable
deproférerunson.Fronçant les sourcils, elle vint s'asseoir à côté demoi sur le canapé, et repritmamain dans les
siennes.—Jeneveuxpastebousculer,maisjevoisbienquequelquechosenevapas.Etjemefaisdusouci
pourtoi.Tun'aspasdonnébeaucoupdenouvelles,cettesemaine,sanscompterquetuavaisl'airunpeubizarrevendredisoir,audîner.Il faut croire que je ne les avais pas trompés aussi bien que je l'espérais. Je laissai échapper un
sanglotétouffé,etpressaimamainlibresurmabouche.Contrôle-toi.Gardelamaîtrise.Tunepeuxpasparleretpleurerenmêmetemps.Laréprimandefitsoneffet.Jemedétendisjusteassezpourréussiràarticuler.—J'aipasséunemauvaisesemaine.J'avaisdumalàretenirmeslarmes,maisjenevoulaispasm'enfoncerdansmonchagrin.Jedistoutàgrand-maman,enphrasesentrecoupées.Quej'étaisentraindetomberamoureusede
Daniel,qu'ilm'avaitincitéeàm'ouvrir,àrire,àsourire.Àl'aimer.Ladisputelorsdelaquellejeluiavais dévoilé mes cicatrices et raconté mon passé. Le fait que j'avais séché les cours pendant lasemaine,etqu'ilétaitvenumerendrevisitelematinmême.Etlecimetière.Alorsquejeparlais,lesémotionsquej'avaisvoulufairetairemesubmergèrentenénormesvagues
dedouleur.Jepleuraisàchaudeslarmes.— Je n'arrive pas à croire qu'il ait pu me faire une chose pareille, commentai-je d'une voix
étranglée,quejeneparvenaisplusàraffermir.J'avaismalauxmains : j'avaisdû lâchercellesdegrand-maman,parcequ'àprésent, je serrais si
fortlespoingsquelesonglesm'entraientdanslapeau.Jedesserrailesdoigtsetappuyailespaumessurmescuisses.—Jeluifaisaisconfiance,etilm'atrahie.—Qu'est-cequitefaitcroirequ'ils'agitd'unetrahison?demanda-t-elleaveccuriosité.Jemeraclailagorgeetm'essuyailesyeux.—Ilsavaitquec'étaitcompliquépourmoi,etilm'yaamenéesansmeprévenir.Rienqued'ypenser,jesentaislacolèremonter.Etladouleur,aussi.CommentDanielaurait-ilpuignorerqueretournerlà-basmetuerait?—Oh,machérie…J'imaginequeçaadûêtretrèsdurpourtoi.Jesuisdésolée…Ellesepenchapourmeprendredanssesbras.Desespetitesmains,ellemecaressaitlescheveux,
m'appuyantlatêtesursonépaule.—Casey,cequ'ilafaitn'étaitpasbien.Cen'étaitpasunebonneidéedet'infligerçaàl'improviste.
Jecomprendstacolère.Maisilavaitraisonsurunpointtrèsimportant,soupira-t-elleenmeserrantplus fort, comme si elle savait que ses paroles allaientme blesser. Il faut que tu dises adieu à tonpassé,situveuxguérir.Jemeraidis.Ellemeserraencoreunpeuplusfort.Paspourm'écraser,maispourmedemanderde
nepasm'écarter.—S'il tenaitvraimentàmoi, iln'essaieraitpasdemechanger,murmurai-jeavecferveur.Jesuis
commejesuis!Ellem'embrassasurlefront.—Jenepensepasqu'ilveuilletechanger.Toutcequ'ilsouhaite,c'estquetusoisheureuse.Ellem'écartapourmeregarderdanslesyeuxavantd'ajouter:— J'ai bien vu la façon dont il te contemplait quand il est venu dîner. Il tient à toi. Vraiment.
D'accord,iln'apaschoisilameilleureméthode,maisilfautreconnaîtrequ'iln'apastortsurlefond.Jesaisquec'estdifficilepourtoi.Affronterunpassételqueletienneseraitsimplepourpersonne.Leslarmesluimontèrentauxyeux,etçamebrisalecœur.Jemesentissoudainégoïste.Unefoisde
plus,jemeregardaislenombril,pleurantsurmespeursetmonchagrin.Maisjen'ignoraispasquemagrand-mèreaussiavaitpasséplusd'unenuitsansdormir.Quelecoupdefoliedemonpère luiavaitarrachélecœur,àelleaussi.À l'adolescence, il m'arrivait de rester allongée dans mon lit, incapable de m'endormir, et de
l'entendresangloterdanslapiècevoisine.Certes,j'avaisperdumafamille,maiselleaussi.Elleavaitperdusonfils,sabelle-fille,etsonadorablepetite-fille.Pourtant,ellenes'étaitpaslaisséabattre.Ellenes'étaitpascachéeaufonddesonlit,àboireouprendredessomnifères.Elles'étaitressaisiepourm'aideràtraverserlapirepériodedemonexistence.—Commenttuasfait?demandai-je.—Dequoiparles-tu?répliqua-t-elleenmecoinçantunemèchedecheveuxderrièrel'oreille.—Comment tu as fait pour lui pardonner et pour dépasser ta colère ? Je n'y arrive pas, grand-
maman.Ilmesuffitdepenseràluipouravoirenviedehurler.Çafaithuitans,etjeledétestetoujoursautant.Ilneméritepasmonpardon.Unehaineamèrerevintàlasurface.Envérité,j'étaisincapabledeluipardonner.Commentserait-ce
possible ?Après tout, il n'était plus là pourm'expliquer pourquoi il avait pété les plombs.Ce quis'étaitpassédanssa têtequand ilavaitdécidédeprendreunecarabinepourabattre toutesa familleavantdesesuicider.Aucunmoyendecomprendrecequis'étaitpassé…Je n'en avaismême pas envie.Car si je comprenais un assassin, qu'est-ce que ça révélait dema
personne?—Jesais,machérie…Çam'aprislongtemps.J'aibeaucoupparléaveclepsyetavectongrand-
père, et c'est comme ça quema colère s'est apaisée. Lui pardonner a pris davantage de temps. J'ytravailleencoretouslesjours.Jenevaispastementir:ladouleuresttoujourslà.Jeneconnaisriendepirequedesavoirquevotrefilsétaitdansunetelledétressequeleseulmoyenqu'ilaittrouvéd'yéchapperaitétécelui-ci.Jen'aipassul'aider…Je luipris lamain.Nousétionsuniespar lamêmedouleur. Jen'étaispas seule…et jene l'avais
jamaisété,mêmes'ilm'avaitparfoissemblélecontraire.—Jesuisdésolée,chuchotai-je.—J'aidûapprendrelepardon,reprit-elle.Pasparcequetonpèreleméritait.Pasparcequec'estce
qu'unemèreestcenséeéprouver.Maisparcequesi jene luiavaispaspardonné, je seraisdevenueaigrie,noyéedansmacolère.Etcommentaurais-jepuavancer,prendresoindetoietdetongrand-
père,enétantsubmergéepardesémotionsnégatives?Je repensai à mon passé. À la façon dont j'avais enfermé toutes les terribles émotions que me
causait lamort dema famille dans un tout petit recoin demon cœur, refusant de les ressentir unenouvelle fois.Mettant tellement d'énergie à feindre que ces événements nem'avaient pasmarquéeàjamais.—Jenesaispascommentluipardonner,avouai-je.—C'estuncombat.Maistusais,Casey,cettetristessenetedéfinitpas,mêmesitupeuxparfoisle
penser.Avantlatragédie,tuétaisuneenfantheureuse.Etpuis,toutecettejoiedevivreaétéécrasée,ettoiavec.Maisjelavoisdenouveauentoi,mapuce.Turisettusourisbeaucoupplus,depuisquetuasrencontréDaniel.Àmongrandagacement,j'avaisunefoisdepluslesyeuxpleinsdelarmes.Jeserraidoucementsa
maindanslamienne.—J'essaie,balbutiai-je.— Je sais, je le vois bien.Et ce que je vais te dire ne va pas te plaire,mais tant pis. Si tu veux
avancer,êtreheureusepourdevrai,ilyaquelquespointsquetunedoispasoublier.Etquejeferaisbiendegarderenmémoire,moiaussi.Ellepritunegrandeinspirationavantdepoursuivre.—Tonpèret'aimait,àsafaçon.EtilaimaitaussiLilaettamère.Maisilétaithantéparsesdémons,
etilsonteuraisondelui.Ilétaittropmaladepours'ensortir,maisilrefusaitd'êtreaidé.Monfardeau,c'estd'avoirététémoindececombatcontresesproblèmespendantlesdernièresannéesdesavie.Jelevoyaisluttercontrel'obscurité,maiselleaquandmêmegagné.Peut-êtrequesijen'avaispasbaissélesbras,j'auraispulepousseràentrerdansuneinstitutionoùonl'auraitsoigné.Etalors,riendetoutçaneseraitarrivé.C'étaitlapremièrefoisqu'elleseconfiaitainsi.Jen'étaisdoncpaslaseuleàculpabiliser.J'enavais
malpourelle.—Non,dis-jeavecdétermination.Aucund'entrenousn'auraitpuempêchercequis'estpassé.Papa
étaittêtu,ilnet'auraitpasécoutée.Jemetus.Soudain,jecomprenaisquecequejevenaisdedireétaitvrai.—Jemesouviens,quandvousétiezpetites…Tuétaisenmaternelle,doncLiladevaitavoirdansles
deux ans.C'étaitHalloween.Ton père aimait cette fête – il préparait vos costumes des semaines àl'avance. Cette fois-là, il t'avait fabriqué des ailes de fée. Quand tu es rentrée de ta tournée duvoisinage, tu avais un gros sac de bonbons, et les joues toutes rouges d'avoir reçu tant decompliments.Ahoui,jem'ensouvenais,àprésent.Toutlemondes'étaitextasiésurmondéguisement.Monpère
medonnait lamain, tirantde l'autre lechariotoùmasœurétaitassise.Nousnousétionsgavéesdesucreriesaupointd'enavoirmalauventre.Maisc'étaitunemerveilleusesoirée.Çamemitmalàl'aise.Jenevoulaispasrepenserauxbonsmomentsaveclui.J'avaispassétoutes
cesannéesàlutterpourconserverlessouvenirsdemamèreetdemasœur,victimesinnocentes.Maisàprésentquegrand-mamanvenaitde lesrappelerà lasurface, tousceuxquej'avais tentéd'oublierexigeaientderevenirdansmaconscience.
Papaetmoipartageantunebarbeàpapaàlafoire.Papameteignantlespointesdescheveuxenbleu,parcequejevoulaisressembleràunephotoque
j'avaisvuedansunmagazine.PapaetLilaentraindedessinersurletrottoiravecdescraiesdecouleur,puissepourchassantpour
sebarbouillerl'unl'autre.Lesoufflecourt,jepressaiunemainsurmapoitrine.Àmacolèresemêlaitdésormaisunimmense
sentiment de perte. J'avais perdumamère etma sœur. Et le père que j'aimais quand j'étais petite.C'étaittropdechagrin…Jeprisgrand-mamandansmesbras,respirantsonparfumdevanille.Secouéedesanglotsviolents,
jepleuraidelonguesminutessursonépaule,aupointdem'écorcherlavoix.—Est-cequ'unjour,jecesseraid'avoirmal?—Là,machérie…c'estbien.Laissetoutsortir.Je savais bien que la colère et la peur étaient des poisons qui bouillonnaient dansmon sang et
finiraientparme tuer. Jevoulaism'endébarrasser.Pourtant, je redoutais cequim'arriveraitquandelles ne seraient plus là. J'avais vécu comme ça pendant si longtemps que je ne connaissais plusd'autreétat.Peuàpeu,lesparolesdemagrand-mèreprirentsens,faisantéchoàcequej'avaisentenduplustôt
danslajournée.Danielm'avaitsuppliéededireàmonpèretoutcequejeressentais,avaitmaintenuquejenepourraisguérirqu'àconditiond'évacuercessentiments.Maiscommentmedéfairedecesémotionstellementancréesenmoiqu'ellesmedéfinissaient?Jem'écartai,reniflantetm'essuyantlesjoues.J'avaislenezbouché,lesyeuxbrûlants,etundébutde
migraine.—Désolée,soupirai-je.Grand-mamanmepritlementonpourlevermonvisageverselle.—Jet'interdisdet'excuser.Tun'aspasàêtredésoléedetessentiments.Jamais.Nidevantmoi,ni
devantpersonne.Mais je t'enprie,penseàcedontnousvenonsdeparler. Jesaisque tuaspeurdeperdrelecontrôle.J'aibienvulemalquetutedonnespournelaisserpersonnes'approcherdetoi…passeulementpourteprotéger,maispourlesprotégereux-mêmes.Tuaspeurdedevenircommelui.Mais,machérie,tun'espastonpère.Cequiluiestarrivénet'arriverapasàtoi.Situveuxtelibérerdecettesouffrance, tudoisaccepterdelâcherprise.Tunedoisplus laissersamaladie tegâcher lavie.Arrête de te rendre responsable de ses actions. Personne ne peut temontrer la voie.À toi decherchertavérité.Touteslesréponsessontdanstoncœur.J'avaisdumal à encaisser.C'était facile,pour les autres,deme recommanderde lâcherprise. Je
croyais l'avoir fait.Certes, jen'avaispas écrit de lettre àmonpère, commeme l'avait conseillé lepsychologue.Maisjem'étaisaccrochéeàl'école.J'étaisalléeàlafac.Jem'étaisdonnéeàfondpourlamusique.Est-cequecen'étaitpascequ'onappelait«avancerdanslavie»?Celanesuffisait-ilpas?Laminuteriedelacuisinesonna.Magrand-mèremefitmelever.—Jepensequ'unebonnetranchedemondélicieuxrôtiestlameilleuredesthérapies.
Je lui adressai un sourire larmoyant.Elle voulait faire baisser la tension palpable dans la pièce,mais j'étais trop bouleversée. Je n'étais pas capable de faire ce que grand-maman et Daniel meconseillaient.Laseuleidéedeparleràmonpèremesoulevaitl'estomac.Grand-mamanavaiteubeaumedirequejen'étaispasresponsabledesproblèmesdemonpère,j'avaisquandmêmel'impressionquej'auraisdûfairequelquechosepourl'empêcher.Mêmesijenesavaispasquoi.Quej'auraisdûsauvermamèreetmasœur.Etsijesuivaisleursconseils,etquejenemesentaispasmieux?Sijefaisaisfaceàlavéritédemes
émotions, etque j'affrontaismonpère?Contrequipourrais-jealorsdirigermacolère, si cen'estcontremoi-même?Jen'étaispascertained'êtreprêteunjouràmelibérerdecetterageenracinéeprofondément.Cette
penséem'attristaitautantqu'ellem'effrayait.
Chapitre21
Latempératurebaissaitdejourenjour.L'automneétantdésormaisbienavancé,j'avaisressortitousmespulls,etcelundimatin,alorsquejemedirigeaisverslasalledephilo,jeportaisuntricotvertfoncétoutdoux.Commetoujoursdepuisàprésentdeuxsemaines,c'étaitaveclesnerfsenpelotequejemarchaisverslebâtiment.Sirotantmoncafé,jemeforçaiàmedétendre.Lemorceaudedubstepquej'écoutaiss'infiltraitdansmesveines,m'aidantàmerelaxerunpeu.Autourdemoi,lesétudiantsbavardaientetriaient,certainscourantàtoutesjambespourarriverà
l'heure.Unebrise fraîchebalayait le campus,m'ébouriffant lescheveuxetmedonnant la chairdepoule.
L'automneétaitmasaisonpréférée.D'habitude,jel'attendaisavecimpatience.Maiscetteannée-là,jen'avaispastellementderaisonsd'êtrejoyeuse.En entrant dans la salle, je m'installai à ma place et posai mon sac à mes pieds. J'éteignis ma
musiqueetrangeaitéléphoneetécouteurs.Lebureaudevant lemienétait désert, comme toutes les foisdepuisque j'étais revenueencours.
J'avaisprismoncourageàdeuxmains,aprèsmaconversationavecgrand-maman,pourretournerencoursdephilo.Rattrapertouteunesemaineétaiténorme,etj'allaisdevoirredoublerd'effortssijenevoulaispasécoperd'unenotecatastrophique.Maisj'étaisterrifiéeàl'idéederevoirDaniel.J'étaisencorepeinéeenrepensantauchocquej'avaiséprouvé.Danielnes'asseyaitplusàlaplace
devantlamienne.Ils'étaitinstallédansuncointoutaufonddelasalle,penchésursoncahier,refusantdeleverlatêtetantquelecoursn'étaitpascommencé.Ilnem'avaitpasregardéeuneseulefois.Pournerienarranger,j'étaisdansunétatlamentable.Lui,àl'inverse,étaitplusbeauquejamais.Ses
prunellesvertesétaientencoreplusvivesquedansmonsouvenir.J'avaislecœurbrisé,commesionm'en avait arraché un morceau. J'étais déchirée entre le désir de parvenir à l'oublier et celui dem'autoriserdenouveauàledévorerdesyeux.Àlafinducoursdulundi, ilavaitramassésesaffairesetfilé.Depuis, lerituels'était répétésans
exception.Nousétionsdevenusdesétrangersl'unpourl'autre.Nousn'échangionsplusnimessages,nicoups
defil.Riendutout.Commesijamaisnousn'avionsétéprochesoupartagéquoiquecesoit.Commesi je n'avais jamais respiré sonparfumdans son cou, comme s'il nem'avait jamais embrassée, oucomme si nous n'avions pas vécu des moments plus intimes que jamais deux êtres n'enavaientconnus.Danielmelaissait tranquille,commeje le luiavaisdemandé.Ilrespectaitmonsouhaitdeneplus
êtrebousculée.Maismoncœur,cetidiot,débordaitdetristesse.L'amourquej'avaisressentipourluines'étaitpas
envolé,malgrémacolère.L'absencen'avaitpassuffiàl'étouffer.Àl'inverse,j'avaistouteslespeinesdumonde àme concentrer en classe.Lesmoments que nous avions passés ensemble se répétaientinlassablementdansmonesprit.Monlitétaittellementvide,sanslui…Nepluspouvoirdéchiffrerles
émotionsdanssonregardétaitunetorture.Luiquiétaitautrefoiscommeunlivreouvertpourmois'étaitrefermé.MmeWilkinsentraetsemitàécrireautableau.Jemerisquaiàjeteruncoupd'œilàDaniel.Mon
cœurs'arrêtaquandnosyeuxse rencontrèrent,mais il sedétourna, levisageneutre,et reportasonattentionsurledevantdelasalle.Je n'aurais jamais cru pouvoir souffrir autant à cause d'un garçon. Surtout qu'il avait trahi ma
confiance, m'arrachant tous ces sombres secrets alors que je n'étais pas prête à les affronter. Jeprenaisdesnotes sansconviction,essayantdem'intéresserà la leçon.Maiscecoursétaitvraimentmorne.Ouplutôt,c'estmoiquiétaismorne.Commesimaflammeintérieures'étaitéteinte.Jen'étaisplusqu'unecoquillevide.Chaquejour,je
melevais,m'habillais,allaisencours,mangeais,puismecouchais,etjerecommençaislelendemain.Sans aucune passion. Quand j'essayais de composer de la musique, c'était complètement nul. Lachanson sur laquelle je travaillais était creuse, dépourvue de sens, comme si j'avais perdu unerichessequej'étaisincapablederetrouver.MontravailauMaskn'étaitplusqu'unjobordinaire,etjecomptaislesheuresenattendantlafindemonservice.Jesoupiraietmecoinçaiunemèchedecheveuxderrièrel'oreille.J'enavaisvraimentmarred'être
aussidéprimée.Çam'usait…J'avaisl'impressionqu'onm'avaitarrachélapeaupournelaisserqu'unepelote de nerfs. Amanda chuchotait avec une autre fille, évoquant leurs soirées du week-endprécédent, les choses hilarantes qu'avaient faites ceux qui avaient trop bu, et ce qu'elles allaientmangeraudéjeuner.Lecourssetermina.Jerestaiassiseàmaplacependantquelesautresétudiantssortaientpeuàpeu.
Dans la salle déserte, je rangeai mes affaires et me glissai dans le couloir, puis à l'extérieur dubâtiment,dansl'airfraisdel'automne.Lesfeuillesavaientchangédecouleuràunevitesseétonnante,décorant le campus de nuances rouges, orange et jaunes. Pendant quelques instants, je me sentismieux.Devant moi, Daniel s'éloignait, le sac sur une épaule, la tête levée et le dos bien droit. Il me
manquaitterriblement.Incapable de résister, je lui emboîtai le pas. Je gardai une certaine distance, voulant juste le
contempler, même s'il ne me voyait pas. J'enfonçai les mains dans les poches de mon jean pourmasquerleurtremblement.Aufildesjours,lacolèrequej'avaiséprouvéeaprèsl'affaireducimetièreavaitcommencéàs'émousser.Àprésent,ilmerestaitsurtoutdesremords.Desremords,etunegrandesolitude.Toutenluimemanquait.Safaçondemesourire,demetenir
lamain,demefairerire.Cequ'ilvoyaitenmoi,cetteconnaissanceintimequ'ilavaitdemoi.Avais-jeeu tortde lerepoussersansprendre le tempsdediscuter?Enyrepensant, jesavaisque
grand-mamanavaitraison.Jedevaisdireaurevoiràmasouffrancesijevoulaisguérir.Maisjemedemandais s'iln'étaitpas trop tard, si jen'avaispasétéempoisonnéepar toutce ressentiment,cetteanimositéetcettepeurausujetdemonpère.Çam'avaitconduiteàrepoussertoutlemonde,mêmelesgensbien.Je ne quittais pasDaniel des yeux.Quand il s'arrêta pour discuter avec un grand type latino, je
m'immobilisai près d'un arbre et fis semblant de chercher quelque chose dans mon sac. Sur le
moment,j'étaistellementcertainequeDanielétaitentortqueçam'avaitparunormaldeluidiredemelaisser tranquille.Mais avec le temps, je commençais à voir les choses d'un autreœil.Et soudain,c'étaitmoinsclair.Parfois,onagitmal,maispourunebonneraison.Était-cecequis'étaitpassé?Quandjelevailesyeux,ilavaitdisparu.Etjemesentisencoreplustriste.Jemeblottissurlecanapéetzappaid'unechaîneàl'autre.Iln'yavaitjamaisriend'intéressantàla
télélemardisoir,maisjen'enpouvaisplusderesterdansmachambreàregarderlesmurs.Unpeuplustôt,j'avaisessayédetravaillersurmachanson,maisçan'avaitfaitquemedéprimerdavantagecartoutallaitdetravers.Aucunedespistesquej'avaisajoutéesnecorrespondaitvraiment.C'étaitlapremièrefoisquej'échouaisàcomposerunmorceau,etc'étaitvraimentaffreuxdemetrouverainsiprivéedemonréconforthabituel.Jenesavaispasquoifairepourmesentirmieux.Suruncoupdetête, j'avaisécouté lacompositionque j'avaiscrééeavecDaniel,et fonduen larmes.C'estainsiquej'avaiséteintl'ordinateur,découragée,pourvenirm'installerdanslesalondansl'espoirdemeviderl'esprit.Jechoisisunesitcomauhasardetserraiuncoussincontremonventre.Letempspassaitavecune
mornelenteur.Unpeuplustard,j'entendislaported'entrées'ouvrir.—Oh,chouette,tueslà,ditMegan.Ellesedirigeaverslacuisinepourdéposersesdeuxgrossacsdecourses.—Lajournéeaétébonne?demandai-jeparpurepolitesse.Aulieuderépondre,elleselaissatombersurlecanapéàcôtédemoi,unpotdecrèmeglacéedans
chaquemain.Ellem'entenditun,avecunecuillère.Je la regardai attentivement, pour la première fois depuis des semaines. J'avais été tellement
plongéedansmesennuisquejeneluiavaispasaccordébeaucoupd'attentioncesdernierstemps.Elleavaitdescernes sous lesyeux,et sesvêtements flamboyantsavaientété remplacésparun jean toutsimpleetunpullnoir.Sansmaquillage,elleavaitperdubeaucoupdepanache.Je retirai l'operculedemonpotdeglaceetprisunebouchée.Chocolat etbeurredecacahuètes :
exactementcedontj'avaisbesoin!—Toutvabien,Megan?—Ettoi?demanda-t-elle,labouchepleine.Ellepoussaunsoupirdeplaisirendégustantsaglaceetsetournaversmoi.—Casey,tunetrouvespasquecetappartementestdevenucomplètementdéprimant,cesdernières
semaines?—Jesuisnavrée,bredouillai-je,honteuse.Meganprit la télécommandepour changerde chaîne.Elle tomba surunvieux thriller ennoir et
blancquicommençaittoutjuste,legénériquedéfilantencoreàl'écran.—Écoute,reprit-elle.Jesaisbienquequelquechosenevapas.Etjemedoutequec'estenrapport
avecDaniel,puisqueçafaitunmomentquejenelecroiseplus.J'imaginequetun'aspasenvied'enparler,maisçam'attristevraimentdetevoircommeça…Quedirais-tud'uneorgiedeglacedevantla
télé?Leslarmesmemontèrentauxyeux.Jepassaismontempsàrepousserlesgens,etpourtant,ilsne
baissaientpaslesbras,bienquejeneméritepasleursefforts.J'avaisbeaumesentirseule,iln'enétaitrienenréalité.Jeposaimaglacesurlatablebasse.—Tuesvraimentsuper,tusais…,bredouillai-jeavecunsouriretremblant.—Ohoui,jesais.Maisjesuiscontentequetut'enaperçoivesenfin.Onpeutdirequetuasmisun
moment.—Ettoi,çava?Tuasl'airfatiguée,demandai-jed'unevoixhésitante.Jen'avaispasl'habitudedelavoircommeça.—Bobbyetmoi,ons'estséparés,expliqua-t-elleavecunepetitemoue.—Oh…jesuisdésoléepourtoi!—Tunedevraispas.Jesuismieuxsanslui.Jel'aisurprisaulitavecdeuxfillesaprèsunesoirée
arrosée.Jen'allaispasaccepterça.Lesseulsplansàtroisquim'intéressent,c'estavecBenetJerry,dit-elleencontemplantsonpotdeglacedelamêmemarque.Jenepusretenirunéclatderire.—Excuse-moi,jenedevraispasrigoler,mais…Lefourirelagagnaàsontour.—Pourquoi est-ceque lesmecsnepensent jamais au-dessusde la ceinture ? Ils n'enont jamais
marre,d'êtredesgrosobsédés?LesyeuxvertsdeDanielmevinrentàl'esprit.Majoies'évanouitaussitôt.J'avais besoin de vidermon sac. L'amitié deMegan était soudain précieuse pourmoi, et j'avais
envie de me confier à elle, de lui montrer qu'elle était importante pour moi, que j'appréciais seseffortspournouerunevraie relation.Sa franchise,etaussi le faitqu'ellem'aitprésentésa famille,etpartagésavieavecmoi.Elles'étaitcomportéecommeunevéritableamie,etbienquejen'aierienfaitpourlemériter,elleétaittoujourslàpourmoi.—Jepeuxteparler?Elleposasacrèmeglacéeetmetapotalebrasavecdouceur.—Biensûr.Tusaisquetupeuxtoutmedire.Je luiracontai toutel'histoire.Çamepritunebonnedemi-heure,aucoursdelaquelle jesoulevai
mon tee-shirt pour luimontrermes cicatrices.Débordante de compassion, ellem'écoutait avec lesyeuxhumides.Je luiexpliquaiquemesgrands-parentsavaientpendant longtempsconstitué toutmonunivers,et
que j'avais dumal à accorderma confiance à d'autres. Pas seulement parce que j'avais peur d'êtretrahiecommejel'avaisétéparmonpère,maisaussiparcequejecraignaisdedevenircommelui.Jelaissaileslarmesroulersurmesjouessansmêmelesessuyer.Jeserrailecoussincontremonventre,maisjepoursuivaismonrécit.JeluiparlaideDaniel.Delafaçondontilm'avaitattirée,denosbaisers.Delacourpatientequ'il
m'avait faite, de mes barrières qui étaient tombées peu à peu. De la façon dont nous avions faitl'amour,quandilm'avaitpermisdemesentiràl'aise,sexyetdésirée,etdemessentimentspourlui.
Meganm'écoutaitensilence.Devivesémotionspassaientdanssesyeux,maiselles'abstenaitdetoutcommentaire,melaissantparleràmonrythme.Lorsquej'arrivaiaumomentoùjeluiavaisexposémonsecret,oùilm'avaitemmenéeaucimetière,
causant notre rupture, j'étais si bouleversée que j'avais mal partout. J'avais des difficultés àm'exprimer,parcequel'histoireétaitencoretoutefraîche,maisjemeforçai.Aprèsavoirachevémonrécit,jerespiraiprofondémentpourchasserladouleurquis'étaitinstallée
dansmapoitrine.Avecunpetitriregêné,jereprismaglace,quiressemblaitdésormaisàuncoulisdechocolat.—Pffiou,soupira-t-elle.Onpeutdirequetun'aspaseuunsemestredetoutrepos.—Jenesaispascommentm'ensortir,reconnus-je.J'ail'impressionqueçan'estpaspossible.Que
jevaismeretrouverenferméedansuncyclededouleurparcequejesuis…Jememordislalèvreetmeremisàpleurer.—Parcequejesuistropdémoliepourconnaîtrelebonheur.Alorsquejenedemandequeça.Tout
cequejevoulais,c'étaitlapaixetlasécurité.Unevienormale.Megansepenchapourmedébarrasserdupotdeglaceetmeprendredanssesbras.Jelaserraià
montouravantdememettreàsanglotersursonépaule.C'étaitcurieux:jem'habituaisàtrouverduréconfortauprèsdesautres.Aulieudetoujoursravalermonchagrin.Elles'écarta,sansmelâchertoutàfait.—Jesuisfièredetoi,tusais.Tuastraverséplusd'épreuvesquelaplupartdesgens,etpourtant,tu
eslà.Aprèstoutça,tuvasàlafac.Tuasunsuperboulot,quetuadores.Ettucomposes.Jemesentistoutdesuitemieux.Ellenemejugeaitpaspourlafaçondontj'avaisréagiavecDaniel,
nisurlesmoyensquej'avaistrouvéspourcontinueràvivre.Ellen'avaitpaspitiédemoi,etn'étaitpastristeaupointdemedonnerenviedefuir.Ellesesouciaitdemoi,avecuneréelleempathie.Elleétait sincèredanssesémotions.J'enfussi
surprisequejerestaiincapabledeproférerunson.—Àt'entendre,oncroiraitquetuattendsquetavieveuillebiencommencer.Quetouts'arrangeà
l'intérieurdetoipourquetupuissesenfinêtreheureuse.Mais,mapuce,c'estfait:tuvisdéjà.Tut'esfaituneplacedanslemonde,tuasprisdesrisques.Tuassudécouvrircequit'apportaitdelajoie,ettu t'es donné dumal pour l'avoir. Tu n'as pas à rougir de toi, au contraire. La vie ne sera jamaisparfaite,sûreetpaisible,alorsilfautprofiterdecequinousplaît,chaquefoisqu'onenal'occasion.J'allaisprotester,luidirequ'ellesetrompait.Maissoudain,jeprisconsciencequ'elleavaitraison.
Jeretinsmonsouffle,stupéfaite.Pendanttoutescesannées,j'avaisattenducemomentmagiqueoùjecesseraisdemesentirbrisée,et
où le monde retrouverait du sens à mes yeux. Je m'étais raconté que je nageais sur place, parprudence,veillantànepasfairedevagues,etquej'aimaiscefiletdesécuritéquej'avaistenduautourdemoi.Pourtant, j'avaissautésurl'occasiondetravaillercommeDJ,alorsquejen'avaisaucunegarantie
queçamarche. Jem'étaisengagéedansune relationavecDaniel, j'étais tombéeamoureuse. J'avaisprislerisquedem'ouvriretd'êtrerejetée,aussibiencôtémusiquequecôtécœur.Cen'étaitpaslafaçond'agirdequelqu'unquinerecherchequelasécurité.
C'était vrai que je vivais déjà ma vie. Bien qu'elle soit pleine de dangers, aujourd'hui commeautrefois.Pendanttroplongtemps,jem'étaisaveugléeencroyantm'accrocheràquelquechosequejen'avaisjamaiseu:uneexistencestableetennuyeuse.Etàlaréflexion,jen'étaispasdutoutcertained'en avoir envie. Que serait ma vie, sans les risques que j'avais pris pour la musique, et pourl'amour?Jen'avaispluslapoitrineoppressée.Ébahie,jelevailesyeuxversMegan.Pourquoin'avais-jepas
compriscelaplustôt?C'étaitelle,parsonacceptationtranquilledemoi-même,parsapatienceetsadiscrétion,quim'avait
permisdemeconfier,etsurtoutdel'écouter.Etparlàmême,d'écoutermaproprevoix.Jemeremisàpleurer,maispasdechagrin.Plutôtdesoulagement.—Merci.C'estcedontj'avaisbesoin.Merci.Elleavaitelleaussilesyeuxpleinsdelarmes.—Mercidem'avoir faitconfiance.Jesaisqueçan'étaitpas facilepour toi.Mais jeseraimuette
commeunetombe.Jen'endoutaispasuneseuleseconde.Jemepenchaisversellepourlaserrercontremoi.—Tum'asbeaucoupaidée,etmoijen'airienfaitpourtoi.Tuveuxquej'aillecreverlespneusdela
voituredeBobby?Elleéclataderireetessuyaseslarmes.—Non, ne t'en fais pas. Je n'étais pas amoureusede lui, de toute façon.Et avec cequ'il a dû se
chopercettenuit-là,ilauraprobablementbesoind'unegrossepiqûredepénicilline.Ilseradéjàassezpuni.—Tuasraison,acquiesçai-je,prisedefourire.Meganregardasonpotdeglaceetfitunegrimace.—Merde, elle est àmoitié fondue…Heureusement que j'ai fait des provisions. On va pouvoir
remettre ces deux pots au congélateur pour qu'ils durcissent, et se rattraper avec autre chose enattendant.Elle retourna dans la cuisine en chantonnant, et jeme laissai aller dans le canapé. Jeme sentais
différente,moinsoppressée.Monobscuritéintérieureavaitétéremplacéeparunelueurd'espoir.Unsouffledeviehabitaitmesveines,commedesmilliersdepetitesbulles.Jen'étaispascondamnéeàl'échecetauchagrin,commejel'avaiscru.Jevoulaisêtreheureuse,etçan'avaitriend'impossible.Jevoulaisressentirencorecettesensationdélicieuse.Maisavantdetourner lapageetdeprendre
mavieenmain,j'avaisunoudeuxpointsimportantsàrégler.
Chapitre22
Lesamedimatin,jemeglissaidansmavoiture,m'installaiauvolantetmislecontact.Maisj'étaisincapable de bouger. Je pris plusieurs profondes inspirations pour ouvrir mes poumons quisemblaientavoirrétrécisousl'effetdel'anxiété,etconsidéraisanslesvoirlesrangéesd'immeublesenbriquesdevantmoi.J'étaismortedepeur.Pourme donner du courage, jeme représentai le visage souriant deMegan. Je lui avais dit où
j'allais.Ellem'avaitfaitpromettredel'appelerencasdecoupdeblues.Ellem'avaitmêmeproposédem'accompagner,maisj'avaisbesoindefaireçatouteseule.Dixminutess'écoulèrentenhésitations–fallait-ilyaller,ouattendre?Était-ceunebonneidéede
partir seule, ou aurais-jemieux fait d'accepter la proposition deMegan ? – puis jeme secouai etdémarraienfin.J'essayai deme concentrer sur le paysage pour ne pas penser à l'endroit où jeme rendais.Des
feuillesmarronetsèchesvolaientàtraverslarue.Lalumièredusoleilmatinalfrappaitdesesrayonsobliques les arbres, lesmaisons et les pelouses. En arrivant sur l'autoroute, j'eus la surprise de latrouver presque déserte. Il faisait trop froid pour rouler la fenêtre ouverte, et j'avais poussé lechauffageàfond.Plusj'approchaisducimetière,plusmesoreillesbourdonnaient.Jedébouchaidevant lagrille justequandelle s'écartaitpour laisserentrer lesvisiteurs. J'avais le
cœurdanslagorge,battantsifortquemesmainstremblaient.Jen'avaispasétéaussinerveusedepuisdessiècles.Seigneur,jenepriepassouvent,maisjetedemandedem'aideràtenirlecoup.Mespneuscrissaientsurlegravier.Jeconsultailesflèchesetprislabonnedirection.Lesrangées
detombessesuccédaientenlignesnettes,commeunedentitiondepierrequipousseraitsurl'herbe.Jemegaraietcoupailecontact.Un fourmillement familier se fit sentir dansmes lèvres.Une vague de panique vint s'abattre sur
moi.Non.Jememordislalèvreinférieurepourcoupercourtàlacrised'angoisse.Lesdoigtsentremêlés,je
m'efforçaiderespirerlentement.Toutiraitbien.Detoutefaçon,jen'avaispaslechoix.Je resserraimonécharpeautourdemagorge,attrapai lapetiteboîtesur lesiègepassageretme
dirigeaiverslarangéedetombesquihébergeaitmesparentsetmasœur.Jem'arrêtaientremamèreetmasœuretmelaissaitomberausol.Pendantunelongueminute,je
contemplai les lettrespropres etdoucesduprénomdema sœur,«LILA»,gravéesdans lapierre.J'écartailesquelquesfeuillesquiétaientvenuesseposersurleurcarrédepelouse.
Lecimetièreétaitdésert.J'étaisseuleavecelles.Quelquesoiseauxgazouillaientdanslesarbrestoutproches,leurchantsemblanttrèsfortdanslesilence.—Coucou,petitesœur,dis-je.Mesparolesnesonnaientpasnaturel,maisjemeforçaiàpoursuivre.—Tumemanquestellement…Ilnesepassepasunjoursansquejemedemandecequetuserais
devenuesituavaispuvivre.Jepromenaimesdoigts sur les lettres, commesiçapouvaitnous rapprocher.Une imagedeson
sourirejuvénilemepassadevantlesyeux,mebrisantlecœur.Jefouillaidanslaboîtepourensortirunepetitepoupéedeporcelainequej'avaistrouvéeaucentre
commercial la veille, avecMegan.Elle ressemblait àma sœur, avec ses grands yeux bruns et sonsourirerayonnant.Sescheveuxétaientremontésenchignon,etelleportaitunerobedeprincessed'unbleuvif.Dèsquejel'avaisvue,j'avaissuquejedevaisl'acheter.Lilaadoraitlesprincesses.Avecdesmainstremblantes,jecreusaiuntrouprèsdelapierretombalepourydéposerlapoupée
avantdelarecouvrirentièrement.— Je t'ai apporté un cadeau. Je ne veux pas qu'on te le vole, alors je le cache. C'est un secret,
d'accord?Puisjeprisunsachetplastiqueoùj'avaisécrit«Lila»etemballaiunpeudeterrepourl'emporter
avecmoi.—Tumemanquesterriblement…J'avaislagorgesiserréequelesmotsavaientdumalàsortir.Deslarmessemirentàruisselersur
mesjoues.Jeleslaissaicouler,meforçantàouvrirlesvannesduchagrinquej'avaisgardéenfermépendantsilongtemps.—Et…jesuisdésoléedenepast'avoirrenduvisite.J'aieutort…Maisj'avaispeurd'affronterla
vérité.Jecraignaisdecraquer,etdeneplusjamaisavoirlaforcedemereprendre.C'étaitidiot…Jem'essuyai les yeux pour regarder la tombe demamère. Silencieuse, comme les autres. Elle
n'étaitpluslà-dessous,jelesavais.Sonâmeavaitquittésoncorpslanuitdesamort.Celledemasœuraussi.Maisj'auraisquandmêmedûvenirplussouvent,ensignederespect,aulieudefuiravectantd'obstination.Carenfuyantlepassé,c'étaientellesquejefuyaisaussi.—Jesuisdésolée,maman,sanglotai-je,latêtebasse,enm'agrippantàlapierreglacée.Ilyatantde
choses que je n'arrive pas àme pardonner.Avoir survécu alors que vous êtes tousmorts. Être unfardeaupourgrand-mamanetgrand-papa.Ilsontétésuper, tusais.Jeneveuxpasdirequ'ilsm'ontfaitsentirquejeleurpesais.Jemetus,essayantdechassermapeine.Jen'étaispasvenuepourmecomplairedansmaculpabilité.
Aucontraire,j'étaislàpourm'endéfaire.J'avaislesdoigtsgelés.Jelesfrottaipourlesréchauffer,maislefroidmontaitdusolets'infiltrait
jusquedansmesos,medonnantdesfrissons.—Bref. Jevais à la fac,maintenant. J'habitedansunappartementavecunecolocataireadorable.
C'est ma dernière année, en fait. Je pense que vous seriez fiers de moi. Je n'ai pas toujours lesmeilleuresnotes,maisjemesuisbiendébrouilléejusqu'ici.Et…jesuisaussiDJ.Jetravailledansuneboîtedenuit,etjem'ensorspasmaldutout.C'estdingue,pasvrai?Jereniflaietm'essuyailenez.Jecontemplailecimetièreautourdemoi.Unebrisesoutenuebalayaitl'espaceouvert,faisantdanser
les pans demon écharpe. Bien qu'il n'y ait quemoi, je neme sentais pas seule. Je savais quemafamilleétaitlà,àm'écouter.Leur parler était bien moins douloureux que ce que j'avais imaginé. Je m'en voulais de ne pas
l'avoirfaitplustôt.—J'aimelamusique,maman.J'aicomposéquelqueschansons.Tunet'yattendaispas,n'est-cepas?Etpourtant…Lila etmoi, nouspassionsdesheures àdanser, chantant àpleinspoumons avec la
radio.Nousavionsmême tentéd'enécrirequelques-unes,bienqueLilane soitpasdouéepour lesrimes.Et un soir,maman avait assisté, avec une patience d'ange, au spectaclemusical que nous avions
préparé.Lila s'occupait dumagnéto pendant que je chantais en agitant un tambourin.Maman avaitapplaudiàtoutrompre;onseseraitcruàBroadway.Latombedemonpèresedressaitàmadroite,maisjenepouvaispaslaregarder.Pastoutdesuite.
Je voulaisme ressourcer dans les chaleureux souvenirs demamère etma sœur, encore quelquesinstants. Jegardaidonc lesyeux tournésvers le resteducimetière, caressantdu regard lepaysageserein.—J'ai rencontréungarçon, avouai-je. Il s'appelleDaniel, et il fréquente lamêmeuniversitéque
moi.Maman,ilteplairait.Ilestcommetoi,ilaimemebousculer.Jememisàrireetpleurerenmêmetemps.—Ilavoulum'emmener ici ilyaquelque temps,mais jemesuisénervée. Jemesentais trahie,
commes'il était allécontremessouhaits.Maisen réalité, il avait raison. Ilm'a forcéeàouvrir lesyeuxsurmaculpabilité. J'ai comprisque si j'étais tellement repliée surmoi-même,c'estparcequej'avaispeur.Jen'étaispasprêtepourunetellefranchise.Pasprêteàveniraffrontercequej'avaisfuipendantsilongtemps:mondésespoirfaceàvotremort.Danielmemanquait si fort ! J'auraisvouluqu'il soit là, tenantmamaindans la sienne.Qu'ilme
félicitepourmoncourage.J'iraisauboutdumondepoursentirdenouveausesbraspuissantsautourdemoi.—Jesuistombéeamoureusedelui,maisj'aitoutgâchéenlerepoussant…Jesanglotaiunmoment,latêtesurlesgenoux,indifférenteaufroiddeplusenplusmordant.—J'enaitellementmarredesouffrir,maman…D'êtretoutletempstristeetesseulée…Çafaitdes
semainesquejen'aipasadressé laparoleàDaniel.Etçametueàpetit feu.Jedonneraisn'importequoipourt'entendremechuchoterdesconseils…Mes sanglots redoublèrent, et je ne cherchai pas à les calmer. Je ne voulais plus lutter contre le
chagrin,nilecacher.Acceptantladouleur,jemeremisàparlerenpleurant,commeuneenfant.—Vousmemanqueztellement…Jevoudraisquevoussoyezprèsdemoi…Rienn'estpareil,sans
vous!
Pendantun longmoment,onn'entendit riend'autredans lecimetièreque lebruit terribledemespleurs.Puisjereniflaiettentaidemeressaisir.AprèsunregardlarmoyantauxtombesdemamanetdeLila,jemelevaietépoussetaimonjean.Àprésentquej'avaisexprimétoutecettesouffrance,jemesentais libérée. Pour une fois, je n'essayais pas d'étouffer mes émotions, de faire semblant d'êtrenormale, en bonne santémentale. J'avais besoin de cesser définitivement de faire comme si c'étaitpossible.Oudumoins,commesic'étaitpossiblerapidement.Je prenais conscience de qui j'étais. Je devais m'accepter. Avec des défauts, des peurs et des
cicatrices, mais aussi avec la capacité d'aimer, malgré tout ce qui m'était arrivé. Je m'étaisreconstruite, un jour à la fois, et j'avais ouvertmon cœur àmes grands-parents, àMegan. Puis àDaniel.Jem'approchaidelatombedemonpèreetlacontemplai.Jeressentislacolèrefamilière,brûlante,
mêléedeculpabilité.Cessentimentsaussi,jelesavaisrépriméspendantdesannées.Jem'étaisracontéquepourguérir,jedevaislechasserdemespenséesetdemoncœur.Maislesouvenirdemonpèreétaittoujoursenfouienmoi,quejeleveuilleounon.Lesmotsvenaientdifficilement.—Je…jenetecomprendraijamais.Etjepensequejen'enaipasenvie.Est-cequetuétaismauvais
depuis le début, sans qu'on s'en soit rendu compte ? Est-ce que tu étais fou ? Était-ce un troublepsychiatriquesévère,nondiagnostiqué?Frissonnante dans la brise glaciale, les poings serrés, je me tus pour reprendre une grande
inspiration.Jeressentiscommeuneexplosiondanslapoitrineetjememisàhurler.—Qu'est-ce qui t'est passé par la tête, bordel ? Si tu étais tellementmalheureux, si tu étais trop
dérangépourguérirunjour,si tunevoulaispasfairel'effortdetesoigner,pourquoiest-cequetun'espasparti?Pourquoinepasavoirpristescliquesettesclaques?Oupourquoiest-cequetunet'espassuicidé,toutsimplement?Àcausedecequetuasfait,jetedéteste!J'étaisentraindemepurger,etmêmesijemesentaiscoupable,çamefaisaitdubien.Jeproférais
d'horriblesparoles,maisjen'auraispaspulesreprendre.Jenelesouhaitaispas.Jelesavaisravaléespendanthuitans.C'étaitdéjàbienassezlong.—Pourquoiest-cequ'ilfallaitquetunousfassesdumal,àLila,mamanetmoi?Qu'est-cequ'on
t'avaitfait?Onessayaitjustedeterendreheureux.Toutlemondevoulaitt'aider,maistunousrejetais.Les jambes flageolantes, je me laissai tomber par terre, les bras croisés autour de mon buste
frissonnant.Mesgenouxcognèrentbrutalementcontrelesol,maisçam'étaitégal.—Pourquoiest-cequetunenousaspasaiméescommeont'aimait?Tuasbousillémavie,papa.
Tum'asdémolieet jene saispas si jepourraiun jour tepardonner.Tum'asarraché lesgensquej'adoraisleplusaumonde.C'étaithorriblementégoïste.Pendantdelonguesminutes,jerestaifaceàlatombedemonpère.Monchagrinétaitsiviolentqu'il
semblaitmedéchirerl'âme.J'avaisl'impressionquemoncœurvolaitenéclatsalorsquej'affrontaismesdémons.Jefrissonnais,mais jenequittaipas lapierre tombaledesyeux.Monpèrenepouvaitplusmefairedemal,etjemerépétaiinlassablementcetteidéerassurante.IlnepouvaitplusblessermamanniLilanonplus.Non, jenepouvais luiaccordermonpardon.Dumoins,paspour lemoment.Maisçan'étaitpas
grave.Labriseretombaetunchaudrayondesoleilpassaentrelesbranchesdel'arbreleplusprochepour
venir me caresser. Mes frissons se calmèrent peu à peu, et mes émotions diminuèrent. Les yeuxfermés, je levai le visage vers le soleil. J'absorbais la lumière à travers ma peau, et cela meréchauffaitautantl'âmequelecorps.J'avaisl'impressionquecemomentétaituncadeaudemamèreetmasœur,leurfaçondemedire
qu'ellesseraienttoujoursprèsdemoi,etquetoutiraitbien.Marespirationrevintàlanormale.Jeme levai, les genoux douloureux après ce long contact avec le sol froid, et ouvris les yeux.
J'avaisdessillonssaléssurlesjoues,maisçam'étaitégal.Lesreplissombresdemoncœurétaiententraindefondredanslalumière,etl'acceptationprenaitpeuàpeusaplaceenmoi.Mamanauraitvouluquejevivepleinement,heureuse.Lilaauraitsouhaitéquejem'amuseetqueje
suivemesrêves.Jeleferais,pourellesdeux.Etpourmoi.Non, toutes lesombresnes'étaientpasdissipées.Paspour lemoment.Alorsque je ramassaisun
peudeterrepourlarangerdanslesacquej'avaisétiqueté«Maman»,jesentaistoujourslesderniersélancementsdelacolèremetordreleventre.Maiscen'étaitpasgrave.J'avaisledroitd'êtreencolère.Quandçaseproduiraitdenouveau,àl'avenir,j'enparleraisàquelqu'un.C'étaitfini,deravalermes
sentiments.Demecacher.—Aurevoir,murmurai-jeàmafamilleavantdemedirigerversmavoiture,portantdansunemain
laboîtequicontenaitlesdeuxsachetsdeterre.En sortant du cimetière, je n'étais pas la même qu'en entrant. Ou plutôt, si, mais… plus légère.
Comme si j'avais abandonné une tonne de souffrance derrière moi. Mon corps tout entier s'étaitdétendu.Quoiqu'ilarriveparlasuite,jepouvaisêtrefièredecequej'avaisaccomplicejour-là.Jemisle
contact et repris le chemin de l'appartement. Une vieille chanson passait à la radio. Je poussai levolumeetlaissailamusiquedéferlersurmoi.J'avaisfroid,etmonjeanétaithumide.J'avaismalaudos,etmesyeuxrougesetbouffisétaientdouloureux.Maisjemesentaismieux.Fatiguée,vidée,maisenfinprêteàallerdel'avant.Monpèrenepouvait
plusmeblesser.Jenelelaisseraisplusprendrelepouvoirsurmesémotions,occupermespensées.Voilàcequ'ongagnaitàlâcherprise…J'avaisreprispossessiondemoi-même.Jen'allaispasdevenircommemonpère,quiavaittoujoursgardélesgensàdistance,seretranchant
derrière des barrières et refusant d'avouer qu'il avait besoin d'aide. Vivant dans le noir, malgrél'insistancedes autres à avoir uneplacedans sa vie.Mespeurs nem'avaient pas empêchéed'avoirmal ; elles m'avaient seulement empêchée de nouer de vraies relations. À présent que je lecomprenais,j'étaisprêteàvivreautrement.Maisj'allaisdevoirconvaincrelegarçonquej'aimaisdemedonnerunenouvellechance.
Chapitre23
Le lundi matin, avant le début du cours de philo, Amanda se tourna vers moi avec un regardsuppliant.—Jet'enprie,dis-moiquetuaslesnotesdelaséancedevendredi.Jen'aipaspuvenir,j'avaisune
gastrocarabinée.Etdéjàquejenecomprenaispasgrand-choseavant,maintenantc'estlapanique…Jefeuilletaimoncahier,arrachailespages,etlesluitendis.—Tiens.Tun'aurasqu'àmelesrendreauprochaincours.Etsituasdesquestions,n'hésitepas.J'allaismereplongerdansmesnotesquandunsouvenirmerevint.—Oh,aufait,onauneinterroenfindesemaine.IlfautrévisertoutlechapitresurKant.—Jenesavaispas.Heureusementquetueslà!Tumesauveslavie.Onpourraitpeut-êtresevoir,
cettesemaine.Pourpotasserautourd'uncafé,parexemple.Qu'est-cequetuenpenses?—Euh,d'accord.Çaserait…sympa.J'étaissurprisequ'ellemelepropose,maisplusencoredeconstaterquel'idéemetentait.—Merci,dit-elleenarrachantunpetitmorceaudepapierdesoncahierpourynotersonprénomet
sonnumérodetéléphone.Appelle-moipourtrouverunedate.Jeluidonnaiàmontourmonnuméro,qu'elleentraaussitôtdanssontéléphone,rayonnante.Voir Amanda si reconnaissante et désireuse de passer du temps avec moi, malgré mon attitude
pendant tout le semestre, remua quelque chose dans ma poitrine. Depuis que j'étais rentrée ducimetière,deuxjoursauparavant,jemesentaisdifférente.Jem'étaisréveilléetôtetj'avaispréparélepetitdéjeunerpourMegan.Lorsqu'elleétaitentréedans lacuisine,elleenétait restéesur lecul. Jeprisalorsconsciencedupeud'actesdésintéressésquej'avaisréaliséspendanttoutescesannées.Pasétonnantquejen'aiepasd'amis.Oudumoins,pasencore.Ducoup,enpassantauCoffeeBabyavantd'allerencours,jepayaid'avancelecafédelapersonne
derrièremoi dans la queue, et laissai en outre un généreux pourboire. Je ne restai pas pour voircomment legarsenquestionallaitprendre lachose : lebutn'étaitpasde flattermonego,maisdefaireungestepourm'ouvriraumonde.Je me tournai vers le fond de la salle pour voir Daniel. Il avait les yeux posés sur moi, une
expressionindéchiffrablesurlevisage.Maispourunefois,ilnesedétournapas.Ilavaitunsoupçonde barbe, comme s'il n'avait pas pris la peine de se raser en se levant, et ça le rendait irrésistible.J'auraisvoulupasserlesdoigtssursonmentonpiquant…Etaussirespirersonparfum.Malgrélesbattementsdésordonnésdemoncœur,jenebaissaipaslesyeux.Laprofentra,rompantl'enchantement.Danielsetournaverselle,tripotantsonstylo.Avecunsoupir, jecommençaiàprendredesnotes.MmeWilkinscouvrait le tableaudecitations.
Daniel m'avait regardée quelques instants… Était-ce bon signe ? Est-ce qu'il accepterait de meparler?La nuit passée, j'étais restée éveillée dans mon lit, à contempler le plafond en me rejouant les
événementsdes joursprécédentsdans la tête.Après lavisite sur la tombedemesparents etdemasœur,j'avaisenfincompriscequeDanielavaittentédefairepourmoi.Ilavaitvoulumedébarrasserdemespeurs,maisjel'avaisrepoussé.Etjen'avaispasététrèsdoucedansmesparoles.Jel'avaisrejetéviolemment.Est-ce qu'ilm'en voulait ? J'avais l'estomac noué à cette idée. Il s'était passé tellement de temps
depuisladernièrefoisqu'ons'étaitparlé…Peut-êtrequesij'étaisalléeletrouvertoutdesuiteaulieud'attendreaussilongtempsenmeregardantlenombril,j'auraispurattraperlecoup.S'ilmerepoussaitàsontourlorsquej'essaieraisdemerapprocher,j'enmourrais.C'étaitcequime
paralysaitleplus.Pourtant,jesavaisquecen'étaitquedelalâcheté.Etjenevoulaisplusêtrelâche.Jemetournaidenouveauvers lui.Àlaplacevoisinede lasienne,uneblondeà l'airperplexese
penchaitverslui.Illuichuchotaitdesexplicationsenluimontrantquelquechosedanslemanuel.Ellehochalatêteuneoudeuxfoisavantdeluiadresserunsourirereconnaissant.Unenouvelleboufféedechagrinvintmeserrerlecœur.Jememordislalèvreinférieure.Daniel
était toujours prêt à aider ceux qui en avaient besoin. Il était généreux de son temps, et de sonaffection.Commentavais-jepurejetertoutçasifacilement,commes'ilnecomptaitpasàmesyeux?Pasétonnantqu'ilm'évite.Jeluiavaisdonnél'impressionden'êtrepasimportant,nidignedema
confianceetdemessecrets.Oui,jel'aimais.Maiscommentaurait-ilpus'endouter?Jen'avaisrienfaitpourleluimontrer.Àprésent,ilseprotégeait.Pouvais-jeleluireprocher?Je serrais mon stylo d'une main un peu tremblante. Daniel valait tous les risques. Il méritait
quelqu'unquisoitprêtàtoutpourlereconquérir.Jen'étaispassûrequ'ilacceptedemeparler–dem'écouterluiexpliquerpourquoij'avaispaniqué,ouderecevoirmesexcuses–maisj'étaisdécidéeàessayer.Etàymettretoutmoncœur.Siçanemarchaitpas,jen'auraispasdereprochesàmefaire.Jeseraisfièredemesefforts.Mais
bon sang, j'espérais que çamarcherait. Parce que l'amour que j'éprouvais pour lui, et que j'avaisrefuséderegarderenfacependanttoutescessemaines,étaittoujourslà,bouillonnantsouslasurface.Ilmemanquaitterriblement.J'avaisbesoindelui.Etjevoulaisqu'ilsachequ'iln'avaitrienàcraindre,qu'ilavaitledroitd'avoirbesoindemoi,lui
aussi.Quejeseraislàpourlui,commeilavaitvoulul'êtrepourmoi.Jen'enpouvaisplusd'attendrelafinducours.L'impatiencecouraitdansmesveines.J'avaisdumal
àmeconcentrersurlaleçonalorsquemoncœuretmatêtedébordaientdepenséespourDaniel.Jemeforçaisàprendredesnotes,sansconviction.Quandenfinlaprofnousautorisaàpartir,jerangeaimesaffairesleplusvitepossibleetallaime
poster à côté de la porte.Les étudiants sortaient tandis que la classe suivante commençait à entrer.Danielétaitparmilesderniers.Lecœurbattantàserompre,jeluitouchailebras.—Dis,jepeuxteparler?Ilécarquillalesyeuxdesurpriseavantd'affichersonairleplusimpassible.—Jen'aipasletemps,désolé.—Cesoir,alors?Tueslibre?Justepouruncafé?
À mon grand désespoir, il secoua la tête. Il me lança un regard furtif puis se détourna,décontenancé.—Écoute,je…jenepeuxpas,c'esttout.—Cinqminutes,suppliai-je.Jeteprometsdenepasteretenirlongtemps.Avecunprofondsoupir,ilfinitparmeregarder.Desémotionsfugitivespassèrentdanssesyeux,
aussitôtremplacéesparsonmasquefroid.Ilsefrottalanuque.—Jen'enpeuxplus,Casey.Jenepeuxpascontinueràfairelesmontagnesrusses.Jesuisdésolé.Ils'éloigna,franchitlecouloiretquittalebâtimentsansseretourner.J'avaisdumalàencaisserlecoup.Malgrétoutcequis'étaitpassédanslecimetière,j'auraispensé
qu'ilaccepteraitdemeparler.Maiscen'étaitpaslecas.Jemesentaiscomplètementécrasée.Jem'appuyaicontrelemur,luttantpournepaspleurer.Non,ça
ne pouvait pas se finir comme ça. Je n'allais pas renoncer sans me battre. Il fallait juste que jeparvienneàleconvaincredem'écouter:ilverraitquej'avaischangé.Jecomprenaisqu'ilredoutedesouffriràcausedemoi:ilavaitdebonnesraisons.Maissijeluiouvraismoncœur,sijeluimontraisquej'étaisprêteàfairedesefforts,peut-êtrequ'ilbaisseraitlagardeetm'accorderaitunechance.Un plan commença à germer dansma tête. Jem'efforçai de respirer lentement pour calmer les
battementsdemoncœur.Jesavaisquejepouvaisyarriver.J'allaismedonneràfond…etprierpourqueçamarche.Mon téléphone vibra. Je le sortis dema poche avec des doigts tremblants, espérant que ce soit
Daniel.Maisc'étaitunnuméroquejeneconnaissaispas.
Coucou, c'estAmanda.On peut réviser aujourd'hui ? S'il te plaît, dis oui ! Je t'offre uncafé!;-)
Jememordis la lèvre. J'auraisvoulucourirmeroulerenboulesurmon litavecmesécouteurs,
pourtenterdesoignermoncœurbrisé.Maislesvieilleshabitudesnemeseraientd'aucuneaidedansmaquêtederenouveau.Enplus,çanemeferaitpasdemaldetravaillerunpeudèsàprésent,histoired'avoirl'espritdégagéplustardpourmeconcentrersurDaniel.
Tueslibretoutdesuite?Laréponsenetardapas.
Carrément!OnseretrouveauCoffeeBabydans10minutes?Jenouaimonécharpe autourdemoncouet sortis.Quelques étudiants couraient à toutes jambes
pour arriver à l'heure en cours.Des couplesmarchaient sur les feuillesmortes qui jonchaient lestrottoirs, main dans la main. Mon haleine faisait de la buée. J'essayais de ne pas repenser à lapremière fois que j'avais fait ce trajet avec Daniel, lorsque nous avions bu notre premier café
ensemble.Ilmemanquaittellement…LeCoffeeBabyétaitbondéet ily régnaituneagréablechaleur.Amandaétaitdéjà installéeàune
table,avecdeuxgobeletsdecaféetunepiledesachetsdesucre.—Jesuisarrivéeenavance,dit-elled'unairdésolé.Jenesavaispascequetupréfères,alorsjet'ai
prisuncafénoir,maissiçaneteconvientpas,jepeuxyretourner.—C'estadorable.Net'enfaispas.Ettun'auraispasdû,tusais!—C'estlamoindredeschoses.J'aivraimentleschocottesderatercetexamen!Aprèsavoirenlevémonmanteau,jem'installaiprèsd'elleetvidaideuxsachetsdesucredansmon
gobelet.—Jenesuispasunebêteenphilo,laprévins-je.—Tuaslamoyenne?—Pourl'instant,oui.—Alors,tuesmeilleurequemoi.Maisj'aibienl'intentiondem'accrocher!—Danscecas,c'estparti.Je sortismes affaires et nouspassâmes la demi-heure suivante à comparer nosnotes.Malgré sa
tendance à roucouler devant les garçons et ses affirmations selon lesquelles elle était une bille,Amandaétaitloind'êtreidiote.Jem'envoulusdel'avoirconsidéréecommeunedindependanttoutlesemestre.Lesquestionsqu'elleposaitmontraientqu'elleavaitdéjàcomprisbeaucoupdechoses.Jenepouvaism'empêcherderepenseràlafoisoùj'avaisétudiéNietzscheavecDaniel.Cesouvenir
meserraitlecœur.—Qu'est-cequinevapas?medemanda-t-elle,lessourcilsfroncés.Incapabledeparler,jecommençaiparluiadresserunsourirecrispéetunpetitgestedelamain.—Euh…justedesproblèmespersonnels.—Désolée.Jenevoulaispasêtre indiscrète,marmonna-t-elleensepenchantdenouveausurses
notes.Laculpabilitémetombaaussitôtdessus.Arrêtederepousserlesgens.Amandaavaitvoulus'assurerquej'allaisbien,cequiétaitparfaitementcompréhensible.— Non, c'est moi qui suis désolée… Je suis un peu novice en la matière, tu sais. Je n'ai pas
l'habitudedemefairedesamis,depapoter.D'êtrenormale,quoi.Tun'yespourrien…c'estmoi.Elleritdoucementenm'entendantsortircettephrasebateau.—Celle-là,cen'estpaslapremièrefoisqu'onmelasert!J'éclataiderireàmontour,détendue.Amandarepritsonsérieuxetsepenchaversmoi.—Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeregardepas,mais…tun'aspasl'airbien,cestemps-ci.
Tuparlesencoremoinsqued'habitude.Est-cequetoutvabien?Est-cequetuasrompuavecDaniel?J'aibienvuqu'ilavaitchangédeplace…—Tusavaisqu'onétaitensemble?m'étonnai-je.
—Évidemment!Unmecaussisexy,tupensesbienquej'aimenél'enquête!—J'aimerdé,confiai-je,lesyeuxbaissés.Etj'aipeurdel'avoirperduàtoutjamais.Jel'airepoussé
silongtempsquemaintenant,ilneveutplusdemoi.Ilpréfèreéviterquejeluifassedumal…—Alors,commenttuvast'yprendre?demanda-t-elled'untondedéfi.Tunevaspasresterlesbras
croisés,j'espère!—Jecroisquej'aiuneidée…mais…sijamaisçanemarchepas…—Non,arrête.Ilnefautjamaisbaisserlesbrasparcraintedel'échec,déclara-t-elleavecpassion.
Danielestunmecsuper.Ilvat'écouterparcequ'iltientàtoi.Levéritableamournedisparaîtpasenquelquessemaines.Fais-moiconfiance.Toutestencorepossible.Jelaregardaiboiresoncafé,admirativedesaforce,desaconfianceenelle.—J'espèrequetuasraison.—J'ensuissûre.Leshommes,çameconnaît.Avecunclind'œil,ellemeserragentimentlebras,avantd'ajouter:—Ilyaquelquechoseentoiquil'aattiré.Lecharmevaopérerdenouveau.Aieconfianceentoi,et
enluiaussi.—J'aidumalàfaireconfiance,avouai-je,lesyeuxpleinsdelarmes.Ilm'estarrivédeschoses…
difficiles,etj'aiencoredumalàm'ensortir.—Maistumefaisconfiance,là.C'était vrai. Je fus surprisede constaterque jepouvais avoirune conversation aussi profonde et
intimeavecunefillequejeconnaissaisàpeine.Quelquessecondesplustard, je luinarraiàgrandstraitscequis'étaitpasséquandj'avaistreizeans,etcommentjem'étaisretrouvéeàhabiterchezmesgrands-parents. Je lui épargnai les détails les plus horribles,mais jem'aperçus queparler demonpasséétaitmoinsdouloureuxquejenem'yattendais.Jelisaistoutessortesd'émotionssurlevisaged'Amanda.Ellem'écoutaitenbuvantsoncafé,pleine
decommisération.Puisellemeracontasonenfanceavecunemèrealcooliqueetviolente,quipouvaitresterunesemainesansdessoûler.Lorsquesongrand frèreavait eudix-huitans, il étaitparti avecAmanda,etilsn'avaientplusjamaisrevuleurmère.Son récitme bouleversa.C'était tellement facile pourmoi dem'apitoyer surmon sort.Mais les
autresaussiavaientleurspeines,etçanelesempêchaitpasdeseleverchaquematin,etdevivreavecleurdouleur.Malgréleurdouleur.Amandasouriait,flirtait,riaitets'amusait.—Commenttufais?m'enquis-je.Oùest-cequetutrouveslaforced'avancer?Elleréfléchitunmomentensemordillantlepouce.— Je n'ai pas vraiment le choix. C'est la vie. Et je ne vais pas laisser ses problèmes à elle
m'empêcherdevivre,moi.Jevauxmieuxqueça.Ellesetutquelquesinstants,puisreprit:—Lesgenssontplusfortsqu'ilsnelecroient.Tuvast'ensortir,Casey.J'ensuisconvaincue.Tues
quelqu'undebien.Malgré lablessuredu refusdeDaniel, jepassaisplutôtunebonne journée.Finalement,m'ouvrir
auxautresn'étaitpassidouloureux.Etçadevenaitdeplusenplusfacile.
—Jesuisvraimentcontentequ'onaitpriscecaféensemble,avouai-jeàAmandad'unevoixsincère.Merci.—Jet'enprie,c'estlemoinsquejepuissefaire,avectoutel'aidequetumedonnes!répliqua-t-elle
avecungrand sourire.Maintenant,on feraitmieuxde se remettre auboulot,histoirede réussir cecontrôle à la con. C'est ça qui surprendrait la vieille bique… Remarque, avec ma chance, ellerisqueraitdecroirequej'aitriché!Amandamefitunclind'œilavantdereprendresonlivre.L'heuresuivantesepassaenrévisionset
enbavardages.Aumomentdepartir, jeproposaiàAmandadevenirfaireuntourauMaskpendantmesheuresdetravail.Sonenthousiasmemefitchaudaucœur.Mamèreauraitétéfièredemoi,pourtousceseffortsdesociabilité.Pourlefaitdevivre,etnondesurvivre.
Chapitre24
Çameprendraittoutemonénergie.J'espéraisqueceseraitsuffisant.Ilétait3heuresdumatinpasséesdanslanuitdejeudiàvendredi.Jem'étaismiseautravailaussitôt
après le dîner.Dans un peumoins de six heures, je remettraisma chanson àDaniel. Je travaillaisdessusnon-stopdepuisplusieursjours.Cemorceauexprimeraitmapersonnalitéetmessentimentsentermesnonéquivoques.C'étaitcommedeluiprésentermoncœursurunplateaud'argent.Aucunautregarçonnem'avaitdonnéunetelleenviedem'offriràlui.Penchéesurmonordinateur,jeposailescoudessurmonbureau.J'avaislesyeuxquipiquaientde
fatigue,maisc'étaitpresquefini.Encoreuneheureoudeux,etlachansonseraitprête.J'avalai les dernières gouttes de mon café. Il était froid depuis des heures, mais j'avais besoin
d'énergiepournepasm'endormir.J'avaisledosencompoteàforcederesterassisedepuisdesjoursetdesjours.Maisçan'avaitaucuneimportance.L'inspirationétaitlà,etj'étaisdéterminée.J'avais repris unemélodie dans lemorceau que nous avions composé ensemble.D'un clic, je la
collaidansmanouvellecomposition,etmemisautravailpourlamixerdefaçonadéquate.Lareconnaîtrait-il?S'ensouvenait-ilaveclamêmeclartéquemoi?Jemelevaipourm'étirer,puissortisdelachambreafind'allermeresserviruncaféfroid.Toutme
rappelaitDaniel : lecanapéoù il s'étaitassis, le réfrigérateurdans lequel ilavaitpioché, la tableàlaquellenousavionsréviséensemble.Mon lit, désormais désert. Depuis combien de semaines n'avais-je pas eu une bonne nuit de
sommeil?Trop!Monmugàlamain,jeretournaidansmachambre.Jemesaisisdumicroetl'allumai.L'heureétait
venued'ajouterl'élémentfinal.Jeprisunegrandeinspirationetmemisàparler.Letrajetverslebâtimentdescours,cematin-là,futpartagéentreimpatience,appréhension,etune
fortedosedefatigue.J'avaisconsacrétoutelasemaineàmesdevoirsetàmonprojet,m'accordantàpeineletempsdemangeretdedormir.Mamain,crispéesurmoniPod,semitàtranspirer.Jemeforçaiàdétendremesdoigtsdouloureux.
Leventd'automnequiseglissaitentrelesarbresfaisaitvoleterlesfeuillesdesséchéessurlestrottoirsetlespelousescouvertesdegivre.J'entraidanslebâtimentetmedirigeaiverslasalledephilo,lesangbattantàmesoreilles.J'étais
venue en avance pour être certaine d'arriver avant lui. La classe était déserte, la lumière encoreéteinte.Aprèsavoirposésur sonbureau l'iPodetunepaired'écouteursque j'avais tirésdemapoche, je
sortis également le petit mot dans lequel je lui demandais d'écouter la chanson et le disposai
soigneusementsurlereste,demanièreàcequeçanesoitpastropvisible.Jen'auraispasvouluquequelqu'unlefaucheenpassant.Lesoufflecourt,lesmainstremblantes,jemeprécipitaiversmaplace,déballaimesaffaires,etfis
demonmieuxpournepasm'évanouir.Lesétudiantscommencèrentàentrer.Jen'osaispasleverlesyeux:sijecroisaissonregard,jene
tiendrais pas le coup. Savoir qu'il allait soit écouter la chanson, soit refuser, était absolumentterrifiant.Dansledeuxièmecas,jenesupporteraispasd'enêtretémoin.Autour demoi, les sièges se remplissaient,mais je n'y prêtais aucune attention. LorsqueDaniel
entra,j'eneusaussitôtconscience:mapeauvibraitdelasensationdesaprésencedanslapièce.Maisjegardailesyeuxbaissésversmafeuille,lesonglesenfoncésdansleboisdemoncrayon.Cen'estpaslemomentdecraquer.—Coucou,chuchotaunevoixfémininedevantmoi.Merciencorepourlaséancederévisions.Ça
m'avraimentaidée.JelevailevisageversAmandaetluiadressaiunsouriretremblant.—Jet'enprie.—Çava?medemanda-t-elle,inquiète.Tuasunetêtededéterrée!J'avaislamaintellementcrispéesurmoncrayonqu'ilmesemblaitquejen'arriveraisjamaisàle
lâcher.Ilresteraitéternellementcolléàmesdoigts.Lesourirequejeluiprésentainedevaitpasêtretrèsconvaincant,maisjenevoulaispasqu'ellesefassedusoucijusteavantlecontrôle.—Je…j'aijusteunpeulatrouille.—Oh,tunedevraispas!s'écria-t-elle,rassurée.Tuvasassurer.Pourl'examenetpourtusaisquoi.
Jesuisdanstoncamp.Appelle-moisituveuxquejel'immobilisependantquetuluidiscequetuasàdire.Parleavectoncœur.Iltienttoujoursàtoi,ilvat'écouter.Pourvuqu'elleaitraison…—Merci,murmurai-je.Jeteferaisignes'ilfautemployerlesgrandsmoyens.Ellemeserradoucementlamainpourm'encourager.Pendant les quelquesminutes qui suivirent, je parcourusmes notes, essayant deme rafraîchir la
mémoire. Mon cerveau, privé de carburant, avait du mal à fonctionner. Les mots semblaient sebrouillersurlepapier.Tout lemonde se tut lorsqueMmeWilkins entra. Jeprismoncourage àdeuxmains et levai les
yeux.Ellenousregardaitunparun,salonguenatteébourifféependantsursonépaule.—Sortezunefeuille,dit-elled'untonneutre,commed'habitude.Quelqu'un poussa un petit grognement derrière moi. Je ne pus réprimer un sourire. Certains
espéraienttoujoursqueleprofallaitoublierl'interro.Çanerisquaitpasd'arriveravecMmeWilkins!Ellenousdistribua les sujets, et lecontrôlecommença.Le tempsmesemblait tantôt s'étireravec
unemortellelenteur,tantôts'accéléreràunrythmeaffolant.J'avaisàlafoishâteetpeurquelecourss'achève.Moncerveaurefusaitdeseconcentrersurlesréponses.Qu'allait-ilsepasser?Danielavait-ildéjàécoutélachanson?Oupréférait-ilremettrecemomentàplustard?Allait-ilsecontenterdejeterl'iPodsurmatableavantdequitterlasalle?
L'appréhensionmecontractaitl'estomac.J'étaisincapablederéfléchir.Merde,j'allaiscomplètementfoirercetteinterro…Reportermonattentionsurmafeuilleexigeauneffortsurhumain.Iln'yavaitaucunequestionde
cours : on nous demandait une série d'essais. C'était épuisant,mais aumoins, çame forçait àmeconcentrer.JecessaidoncdepenseràDanielettentaiderépondredemonmieux.Normalement,jenedevaispastropm'inquiéter:danscetypededevoir,elleaccordaittoujoursdespointspourlabonnevolonté.—C'estfini!Posezvosstylosetfaitespasserlescopiesversl'avant,clamaMmeWilkinsalorsque
jetraitaisladernièrequestion.Jesoupirai,déçue.Jen'avaispaseuletempsdefinir…J'espéraisquandmêmeavoirlamoyenne.Quelqu'unme tapota l'épaule. Jemeretournaipourprendre les feuillesqueme tendait la fillede
derrière, y ajoutai la mienne et les transmis à l'étudiante deux rangs devant moi. À présent quel'interroétaitfinie,monangoisseseréveillait.MmeWilkinss'avançapourramasserlesdevoirs,auxquelsellejetaunbrefcoupd'œil.—Vulatêtequevousfaisiezenrépondantauxquestions,jesaisdéjàqueçavaêtreunecatastrophe,
assena-t-elle avant de regarder samontre. Pour la semaine prochaine, vous devez lire le chapitresuivantdanslemanuel.Vouspouvezpartir.Lesangbattaitsifortàmesoreillesquej'entendisàpeinesesderniersmots.Lecoursétaitfini:le
momentdevéritéétaitarrivé.J'étaispétrifiéedeterreur,prised'unlégervertige,lavisionbrouillée.Autourdemoirésonnaientdesbruitsdepapierfroisséalorsquechacunrangeaitsesaffairesetse
dirigeaitverslaporte.Amandaselevaetsetournaversmoiavecunegrimace.—C'étaitaffreux!J'acquiesçaid'unhochementdetêtemuet.Elleramassasonsacetmeserral'épaule.—Envoie-moiuntextosituasbesoindequoiquecesoit,OK?Jecroiselesdoigtspourtoi.Lesmainstremblantes,jeremballaimesaffaires.Jedusmemettredecôtépouréviterdemefaire
bousculer par des étudiants qui se ruaient sur la porte. Je mourais d'envie de regarder dans ladirectiondeDaniel,maisj'étaistropterrifiée.J'avaisrarementeuaussipeur.Lesilencefinitparsefairedanslasalle.Jefermailesyeuxetmeconcentrai.Jepouvaislefaire.
J'avaislecontrôlesurlavie,etlejeuenvalaitlachandelle.J'avaisécritcettechansonpourlui,certes,maisaussipourmoi.Jelevailatêteetm'autorisaienfinàparcourirlapiècedesyeux.Elleétaitentièrementdéserte.Danielétaitpartisansm'adresserlaparole.Jemeretinsdecrierdedésespoir.Touscesefforts,pourrien!J'avaiséchoué.Jem'accordaiuneminuteentièrepourressentirpleinementmadouleur.Maisjen'allaispaspleurer
danscetendroit.J'allaisrassemblerlesrestesdemadignitéetsortirdelasalle,fièredemoi.
J'avaissautésansfilet.Jem'étaisouverteàlui,prenantlerisqued'unchagrind'amour.J'avaistouteslesraisonsd'êtrefière.Meganseraitaussidecetavis.Onseblottirait toutes lesdeuxsur lecanapépourpleurerunbon
coup.La connaissant, elle essaierait peut-être dem'entraîner dehors pourme changer les idées. Jen'enavaistoujourspasenvie,maisçanemefaisaitpluspeur.Jesavaisquec'étaitparamitié.J'enfilaimonmanteauetdescendisl'alléepoursortir.Enfranchissantleseuil,jem'arrêtai,pétrifiée.
Daniel se tenait à quelques mètres de là, un écouteur dans l'oreille gauche, le visage empreintd'émotionsquejeneparvenaispasàlire.Jetoussotai,gênée.—Coucou,dit-ilenretirantl'écouteur.Ils'écartaunpeudumur,décontenancé.—Commentçava?demanda-t-ilavecunepolitesseexcessive.Jem'apprêtais à répondre : « bien ». J'aurais voulu garder un semblant de dignité, éviter de lui
révélerquej'étaisdévastée.Maisquelquechosem'arrêta.Jenevoulaispasluimentir.Jem'approchai,memettantà l'abridu fluxd'étudiantsquiparcouraient lecouloir,etposaimonsacpar terre. Je ledévoraisdesyeux–sesprunellesvertes,sa tignassenoire,sesadorables tachesderousseur.Jemerepaissaisdelui.—Enfait…Enfait,jenevaispasbiendutout,bredouillai-je.Ilrestainterdit.Allez,Casey,dis-le-lui.—Tu…tumemanquestellement!Toutentoimemanque,avouai-jeenleregardantdanslesyeux,
espérantluitransmettremesémotionsparlapuissancedemonregard.Ilseraidit,maisnefitpasungeste.Ilmedévisageait,apparemmentstupéfait.—Tuveux savoir cequimemanque leplus?ajoutai-je,bravache, sachantque jen'avais rienà
perdre.Ta façondemepiquer lesdrapsdans le lit,etdemettre tonbrassurmoicommepourmeprotéger.Etl'odeurdetescheveuxquandjem'endors.Ilbattitdescilsetrepritsonsouffle.—Casey…,balbutia-t-ild'unevoixétranglée.—Etaussi,tonhabitudedemepousserdansmesderniersretranchements.Jesuissûrequetunet'y
attendais pas ! commentai-je avec un petit rire honteux. Mais c'est vrai. Tu m'as contrainte à medépasser,etçam'aaidéeàgrandir.Jen'aipluspeurdevivre…etc'estgrâceàtoi.J'avais un poids sur la poitrine, et les yeux commençaient à me piquer, mais je me forçai à
poursuivre.—Cequimemanqueaussi,c'estquetumefassesrire,etquetumesurprennesavectesquestions
bizarres.Jemetusettentaiderecouvrerunerespirationnormale.Jeneparvenaispasàdéchiffrersonexpression,etçametuaitàpetitfeu.Jebaissailesyeuxpourne
pasperdrepiedaumomentdeluifaireunedernièrerévélation.Mesmainstremblaientsifortquejeduslespressercontremesjambespourlesimmobiliser.
—Tu es tellement bon, et je nem'en rendais pas compte. Et ce quimemanque, c'est… c'est deparlerdetoutetderienavectoi,etdesentirl'odeurdetapeau,etquetumefassesl'amourcommesij'étaisbelle…Jenepusfinirmaphrase:Danielavaitposésamainsurmonmentonpourmeleverlevisagevers
luietm'embrasseravecunepassionintensequifaisaitvibrermonâme.D'abordtropsurprisepourfaireungeste,jemisquelquessecondesàprendreconsciencequeDanielsepressaitcontremoi,meserrant d'un bras possessif autour de ma taille, et se délectait de ma bouche comme d'un nectarprécieux.Maismoncorpsnetardapasàsemettreaudiapason,lapeaufrémissanted'undésirsipuissantqu'il
enétaitpresquedouloureux.Jem'agrippaiàsesbras,savourantsabouchesurlamienne.Chacunedemescellulesexigeaitd'êtreprèsdelui,avecuneintensitéquim'effrayait.Quelqu'unnoussifflaavantd'éclaterderire.—Eh,allezfaireçadansvotrechambre!Nousnous écartâmes, les joues en feu, le souffle court.Le sourire éclatantdeDaniel reflétait le
mien.Laferveurdecebaisermefaisaittournerlatête.Ilramassamonsacetmepritlamain.—Viensavecmoi,dit-ilenmetirantverslasortie.Ilmeconduisitversunbancsurlapelouse.Parcefroid,leparcétaitpresquedésert.—Tun'aspasdemanteau,protestai-je.—Cen'estpasgrave,répliqua-t-ilenmefaisantasseoir.Il s'installasiprèsdemoiquenosgenouxse touchaient. Il tenaitmesdoigtsenveloppésdans les
siens.—Casey,je…Ilsoupira,essayantdesedétendre.—J'aiaimétachanson.—Jesuistellementcontente!avouai-je,soulagée.—C'estlapremièrefoisquejereçoisquelquechosecommeça,meconfia-t-il,leregardbrillantde
sincérité.Ilnetentaitplusdemecachersessentiments.Jelisaisdanssesyeuxuneintensitéquimelaissasans
voix.—Etj'aiadorélefaitquetureprennesunepartiedenotremorceau.Çarendaittachansonencore
plusuniqueàmesyeux.Ainsi,ils'enétaitsouvenu…—Écoute,Daniel…Je…Cequis'estpasséaucimetière…,articulai-jeavecdifficulté.—Jesuistellementdésolé,avoua-t-ilenrougissant,lesyeuxbaissés.J'aieutort.C'étaitstupide,je
n'auraisjamaisdûagirdefaçonaussiimpulsive.Jevoulaisquetut'ouvresàmoi,quetutelibèresdetespeurspourqu'onpuisseavancerensemble.Maisjen'auraispasdûtefairetomberçasurlecoindelatête,parsurprise.—Jenet'enveuxpas.
—Jet'aifaitdumal.Sesparolesétaientsimplesmaischargéesdesens.Ilétaithabitéd'unetristesseinfinie.—Tun'imaginespascombiendenuitsj'aipasséessansdormir,àmerejouercettescèneàl'infini.
Tusemblaissidésespérée…trahie,même.Jem'envoulaisàunpoint…etjem'enveuxtoujours.Jet'aifaitfuir,etc'estlecontrairedecequejesouhaitais.—Cen'étaitpaslameilleureapproche,jel'admets,dis-jeencaressantsajouetoutefroide.Maistu
avaisraisonsurlefond.Àl'époque,jen'étaispasprête,maisensuitej'ysuisretournée.Touteseule.—Et…çava?Commentças'estpassé?demanda-t-il,inquiet.—Oui,çava.Oudisons,çavaaller.J'aiparléàmonpère,et j'aipusortir toutecettecolèreque
j'avaissurlecœur.Çam'afaitdubiendeluigueulerdessus,deluidirecombienilm'avaitdémolie.Et j'ai pris un peu de terre sur les tombes de ma mère et de ma sœur. Ensuite j'ai acheté deuxorchidées,etj'aiajoutélaterredanslepot.Jelesgardedansmachambre.Çapeutparaîtremacabre,maisj'aienviequ'ellessoientprèsdemoi.Lespétalesrosevifetvioletsm'arrachaientunsourirechaquefoisquejeposaislesyeuxdessus.Levoyantfrissonner,jefisunmouvementpourmelever.—Non,j'aienviederesterici,dit-ilenvenantdoucementsecollercontremoi.Il passa un bras sousmonmanteau et se pencha versmoi. Son souffleme caressa l'oreille,me
donnantdesfrissons.—Çam'amanqué,çaaussi…—Pareilpourmoi,répliquai-jed'unevoixétrangléeparl'émotion.—Jesuisdésolédet'avoirfaitdumal,répéta-t-ilenmemordillantl'oreille.Jevoulaist'aider,mais
jem'ysuismalpris.Jedésiraisquetusoisheureuse,mêmesic'étaitsansmoi.Certes, je pouvais survivre sans Daniel, les dernières semainesme l'avaient montré. Je pouvais
vivre,maisguèreplus.—Jenepeuxpasêtreheureusesanstoi,dis-jeenentremêlantmesdoigtsauxsiens.—Je t'aime,memurmura-t-il à l'oreille, commeunsecret intimequimepritpar surpriseetme
donnauneboufféedeplaisir.Jet'aime,Casey,etjeferaisn'importequoipourtoi.Jemetournaipourleregarder.Ilavaitlesyeuxbrûlantsd'amour.—Tumepardonnesdet'avoirrepoussé?demandai-je.— Tu n'as pas à me demander pardon. Ton passé fait partie de toi. Je l'accepte, même si j'ai
forcémentenviedeteconsoler.Etjesaisquetoutneserapasparfaitdujouraulendemain,maisjesuislàpourtoi.Maiss'ilteplaît…netefermeplusjamais.J'essaieraideneplustebousculer.Jeneveuxplusjamaisvivreça.Sesparoleshonnêtes,prononcéesd'unevoixrauque,firentvolermoncœurenéclats.—C'estpromis.Daniel,jet'aimetellement…Celafaisaitsi longtempsquejerêvaisdeluidirecettephraseenface.Jeposaimabouchesur la
sienne,etnoslèvresseréchauffèrentinstantanément.Je sentis sesdoigtsdansmes cheveux, et il enfonçaunécouteurdansmonoreille.M'écartantun
peu,jevisqu'ilavaitmisl'autredanslasienne.Lamélodiedoucedelachansonquej'avaiscomposée
pourluidémarra.Cen'étaitriendespectaculaire.Nisophistiqué,nirecherché.Maislasimplicitélaissaittransparaître
toutesmes émotions.À la fin, alorsque lesdernièresnotes se taisaient,mavoix s'élevait pour luifaireunaveu.«Daniel,tum'astransformée.Tum'asmontrécequ'onéprouvelorsqu'onestvraimentvivant,etje
ne serai plus jamais la même. Merci d'avoir partagé tant de toi avec moi, même quand je ne leméritaispas.J'aimetoutentoi.Jet'aime.»—Jel'aiécoutéependanttoutel'interro,meconfia-t-ilavecunsourireencoin.Jel'avaismiseen
boucle,etj'étaisincapabledel'éteindre.J'auraisvoulumeleverpourallert'attraperett'embrasseràenperdrehaleine,aumilieudelasalle.—C'estMmeWilkinsquiauraitétécontente,tiens!J'étaisivredejoie.J'enlevaimonécouteurpourleposerdanssamain.—C'estàtoipourtoujours.J'avais acheté exprès un iPod Mini et y avais transféré des chansons qui devaient lui plaire, y
compriscellequ'onavaitcomposéeensemble.—Etmoi,jesuisaussiàtoipourtoujours,repartit-ilenm'embrassantsurlefront.C'était vrai. Et réciproquement, mon cœur reposait entre ses mains puissantes. La fragilité de
dépendrel'undel'autrenousrendaitplusforts.Nousquittâmes lebancpourmarchersur le trottoir,d'unmêmepas,collés l'uncontre l'autre. Je
n'avais l'intention d'aller nulle part, à part là où j'étais, c'est-à-dire à ses côtés. Le reste pouvaitattendre.Lesfeuillescraquaientsousnospieds.Leventselevait,etjeserraiDanielcontremoi.J'étaisheureuse.J'avaisl'impressiond'êtrehabitéeparunechaudelumière.Cettefélicitéquim'avait
fuiesilongtemps…Nous marchions en silence dans le vent qui forcissait, comme pour nous prévenir que l'hiver
approchait.Àpartirdecejour,nousaurionsdenombreuxsouvenirspartagés.Nousmarchionssanssavoiroù,maindanslamain,reliésparunréseauinvisibled'émotions.Jepressaisamain,etilpressalamienne.
Playlist
Voiciquelqueschansonsquim'ont sembléconstituerunbonaccompagnementpourScratch, soitparleursparolessoitparleurmélodie,etd'autresqueCaseyauraitpupasserdanssaboîtedenuitouécouter. On peut les trouver en cherchant « SCRATCH by Rhonda Helms » sur Spotify (compteSpotifyrequis).J'espèrequevousprendrezautantdeplaisiràl'écouterquemoncorrecteurPeteretmoienavonseuàlaconstituer!RhondaHelmsConcreteAngel,deGarethEmeryetChristinaNovelliCettechansonpourraitêtrelethèmeprincipaldeScratch,celuiquiillustrelafaçondontDanielvoit
Casey.C'estunclassiquedel'électro-dance.RewinddeEmmaHewittOntrouved'excellentsremixsurlesingle,maisceluideMikkasestmonpréféré.J'imagineCasey
etDanielentraindedansersurcettechansonlorsqu'ilsvontécouterDJEnrique.Lovers(PureMix),deSolarstone,avecLemon«Lovemeintolife,takeawaymypain…»(Ramène-moiàlaviepartonamour,guéris-moidema
douleur…)JesuiscertainequeCaseypasseraitcemorceauauMask,et j'aime la tonalité trèsDepecheMode
desvoix.LivefortheNightdeKrewellaUneautrechansonqueCaseyaimeraitpasser.Ontrouvedebonsremix,maislaversionalbumest
trèspop-dance.AlivedeKrewellaaaussidesparolesquivontbienavecScratch.WelcomeToTheJungle(OriginalMix)deAlvaroetMercerDansmatête, j'imagineCaseyentraindelepasserauMask,peut-êtrequandlapistededanseest
chargéed'uncourantérotique.RedLightsdeTiëstoJecroisqueCaseyécouteraitcettechansonjustepourelle,loinduMask.J'aimelaversionlongue.
Elleadeschangementsderythmeintéressantspourdanser.FrostNovadeAqua&Arctic
C'estunchouetteinstrumentald'électro-dance.ÇaressembleàcequeCaseypourraitcomposer.UnderControl(ExtendedRemix)deCalvinHarrisavecAlessoetHurtsJe vois bien Casey écoutant ça quand elle traverse le campus entre les cours. J'aime
particulièrementlecrescendo.NeedYouNow(HowManyTimes)dePlumbElleaunevoix tellementchargéed'émotion, tellementsuppliantedans le refrain,qu'avec le fond
d'électro-dance,çadonnel'impressiond'écouterunhymne.J'aimeleJ-CClubMix.C'estlegenredechosesqueCaseypourraitcomposerpourDaniel,afindeluitransmettresessentiments.BacktoYou(WachRemix)deFabioXB&ChristinaNovelliC'est la voix de Christina Novelli dansConcrete Angel qui m'a conduite à cette chanson, et j'ai
trouvé qu'elle correspondait parfaitement aux thèmes du livre. «Nomatterwhat I do, this currentpullsmebacktoyou…»(Quoiquejefasse,jesuisramenéeverstoiparcecourant…)C'estàlafoisbeauetentêtant.Moves(VinnyVero&SteveMiglioreRadioEdit)deBrightLightBrightLightUnefoisencore,lesparolesrésonnentavecl'histoire:«Movingonisthehardestthingtodo…»
(Avancer,c'estleplusdur).Legrooveestsuper,etjetrouvequec'estunremixgéniald'unechansondéjà excellente à la base. On peut aussi écouter la Blueprints Version si on préfère des tonalitésacoustiquesplustendres,quisoulignentlesparoles.InTheDarkdeTiëstoetChristianBurnsUnechansonplusancienne,maislesparolesconviennentbienàCaseyetDaniel:«CauseIwillbe
there,andyouwillbethere,we'llfindeachotherinthedark»(Commejeserailà,ettoiaussi,nousnousretrouveronsdanslenoir).SwaggadeExcisionetDatsikCommeWelcomeToTheJungle,c'estunmorceauqueCaseyprogrammeraitaprèsminuit,quandle
publicestd'humeurplussensuelle.LikeSatellitesdeManufacturedSuperstarsJevoisbienCaseypasserçaauMask.AllofMe(Tiësto'sBirthdayRemix)deJohnLegendC'est une belle chanson, riche de sentiments, et le remix trouve vraiment son rythme dans la
deuxième moitié. Ce serait sur la playlist personnelle de Casey, et une fois encore, les paroles
correspondentbienàScratch.StealYouAway(ClubMix)deDashBerlin,AlexanderPopovetJonathanMendelsohnUnbeaucrescendo iciaussi,etjevoisbienCaseyécrireunmorceaucommecelui-là,etmêmele
passerauMask.Parachute(tyDIMix)deIngridMichaelson«Idon'tneedaparachute,baby,ifI'vegotyou,you'regonnacatchme…»(Jen'aipasbesoinde
parachute,chéri,quandtueslàpourmerattraper).Jepensequec'estlegenredechansonsqueDaniel–pourchanger–mettraitdansuneplaylistpourCasey.Etelleaunetrèsbellevoix,commetoujours.SaySomethingdeAGreatBigWorldEncoreunechansonquiferaitunbonthèmepourScratch,particulièrementverslafin.Ontrouve
de bons remix, mais les paroles brutes sont mieux mises en valeur par un accompagnementminimaliste.J'aileslarmesauxyeuxchaquefoisquejel'écoute.
Remerciements
Merciàmoncorrecteur,Peter,poursesconseilsavisésquim'ontaidéeàdonneràcelivretoutelaforcequ'ilpouvaitrecéler.Etàtoutel'équipedeKensingtonpoursonsoutien.Merci àmes camarades d'écriture. Si je ne pouvais pasm'appuyer sur vous, jeme roulerais en
boulepourpleurer.C'estvousquimepermettezdegarderlatêtesurlesépaules.Merciàmamerveilleusefamilleetàmesamis.Vousnemanquezjamaisdevousprécipiterpour
acheter mes livres, et d'insister lourdement auprès des autres pour qu'ils en fassent autant. C'estadorable.Etpourfinir,merciàtoi,lecteur!J'espèrequecettehistoireteplaira.
RhondaHelms est diplômée en littérature et écriture d'invention. Quand elle n'est pas en traind'écrire, elle dévore des romans et se consacre à la photographie amateur. Elle avoue aussi undangereuxpenchantpourlefromage.Ellevitdansl'Ohioavecsafamille,undiscrettoutouetunchatquimiauleparticulièrementfort.