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INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE PÉDAGOGIQUE Toute culture véritable est prospective. Elle n’est point la stérile évocation des choses mortes, mais la découverte d’un élan créateur qui se transmet à travers les générations et qui, à la fois réchauffe et éclaire. C’est ce feu, d’abord, que l’Education doit entretenir. Gaston Berger “L’Homme moderne et son éducation”

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I N S T I T U T N A T I O N A L D E R E C H E R C H E P É D A G O G I Q U E

Toute culture véritable est

prospective. Elle n’est point

la stérile évocation

des choses mortes, mais

la découverte d’un élan

créateur qui se transmet

à travers les générations

et qui, à la fois réchauffe

et éclaire. C’est ce feu,

d’abord, que l’Education

doit entretenir.

Gaston Berger

“L’Homme moderne

et son éducation”

Revue éditée par l’Institut National de Recherche Pédagogique

INRP - Paris INRP - Lyon INRP - Rouen29, rue d’Ulm Centre Léon-Blum 39, rue de la Croix-Vaubois

75230 Paris Cedex 05 Place du Pentacle - BP 17 76130 Mont-Saint-AignanTél. : 01 46 34 90 00 69195 Saint-Fons Cedex Tél. : 02 32 82 95 95

Tél. : 04 72 89 83 00

www.inrp.fr

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REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE N° 139 – AVRIL-MAI-JUIN 2002

Som

mai

re ARTICLES

Dispositifs, pratiques, interactions pédagogiques : approches sociologiques

Gilles Combaz – Le projet d’établissement scolaire :vers une dérive du curriculum ? Contribution à une sociologiedes rapports État/école p. 7

Daniel Thin – L’autorité pédagogique en question. Le cas des collègesde quartiers populaires p. 21

Pierre Merle – L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire :contribution à une sociologie des relations maître-élèves p. 31

Marie-Paule Poggi-Combaz – Distribution des contenus d’enseignementen EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire :des différences non aléatoires p. 53

VARIA

Bernard Lété – Les centres de classes-lecture. Évaluation des effetssur les capacités de traitement de l’écrit d’élèves de cycle 3 p. 71

Saint-Cyr Chardon, Jacques Baillé – Soutien en lecture : prise en comptedes méthodes d’apprentissage p. 81

Laure Léger, Emmanuel Sander, Jean-François Richard, Rémi Brissiaud, Denis Legros, Charles Tijus – Propriétés des objets et résolution de problèmes mathématiques p. 97

Éric Flavier, Stefano Bertone, Jacques Méard, Marc Durand – Les préoccupations des professeurs d’éducation physiquelors de la genèse et la régulation des conflits en classe p. 107

Éliane Ricard-Fersing, Marie-José Dubant-Birglin, Jacques Crinon – Mémoiresprofessionnels et portfolios dans la formation des enseignants :une étude comparative p. 121

NOTE DE SYNTHÈSE

Claude Lessard, Raymond Bourdoncle – Qu’est-ce qu’une formationprofessionnelle universitaire ? 1. Conceptions de l’université et formationprofessionnelle p. 131

NOTES CRITIQUES

C. Blanchard-Laville – Les enseignants entre plaisir et souffrance(G. Genevois) p. 155

B. Charlot (dir.) – Les jeunes et le savoir. Perspectives internationales(P. Rayou) p. 156

C. Dubar – La crise des identités. L’interprétation d’une mutation (J. Hédoux) p. 158

REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE N° 139 – AVRIL-MAI-JUIN 2002

Vous pouvez adresser vos réactions, propositions, interventions diversessous forme de courrier électronique aux adresses suivantes :

[email protected] rédacteur en [email protected] responsable des notes critiques

Cet espace de dialogue permet d’informer la rédaction sur les attentes etles vœux du lectorat de la revue.

NDRL – Les opinions exprimées dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Les auteurssont priés d’envoyer leur manuscrit en trois exemplaires. Celui-ci ne doit pas dépasser35 000 signes, espaces compris. Joindre un résumé en français, et si possible en anglais(fournir aussi le titre en anglais).Pour être reconnue par les grandes bases de données, la RFP souhaite également quechaque article soit désormais accompagné de 4 ou 5 mots-clés en français et en anglais,définis par les auteurs eux-mêmes.Les dessins et figures doivent être d’une qualité permettant une utilisation directe par cliché.Les notes doivent être numérotées en continu, et la bibliographie présentée selon les normesinternationales. La disquette correspondante devra être fournie en cas d’acceptation duprojet. Tél. : 01.46.34.91.61

G. Ferréol – La dissertation sociologique (P. Guillot) p. 163

A. Jellab – Scolarité et rapports aux savoirs en lycée professionnel(C. Agulhon) p. 164

L. Legrand – Pour un homme libre et solidaire. L’Éducation nouvelle aujourd’hui (A. Kerlan) p. 165

C. Nicole-Drancourt, L. Roulleau-Berger – Les jeunes et le travail :1950-2000 (C. Agulhon) p. 167

Observatoire de l’enfance en France – Les jeunes et les médias en France(M. Molgat) p. 169

M. Soëtard – Qu’est-ce que la pédagogie ? Le pédagogue au risquede la philosophie (P.A. Dupuis) p. 171

M. Thrupp – School Making a Difference. Let’s be realistic ! (M. Duru-Bellat) p. 173

Jean-Claude Forquin – Pierre Bourdieu (1930-2002) p. 177

LA REVUE A REÇU p. 179

SUMMARIES p. 181

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 5 5

Dispositifs, pratiques,interactions pédagogiques :

approches sociologiques

Les articles qui composent ce dossier ne procèdent pas d’une commande. Ilsont cependant pu être regroupés, non seulement en ce qu’ils relèvent tous lesquatre de la sociologie de l’éducation, mais plus précisément en ce qu’ils propo-sent des analyses originales de quelques dispositifs, pratiques et interactionspédagogiques. Prenant pour objet les projets d’établissement, Gilles Combazmontre – à travers l’exemple du département du Val-de-Marne – que les manièresdont les collèges investissent ce dispositif, généralisé depuis 1989, ont tendanceà se différencier selon la composition sociale de leur public et à produire deseffets curriculaires plutôt inverses de ceux recherchés (accentuation plutôt qu’at-ténuation des inégalités). Daniel Thin interroge quant à lui l’« autorité pédago-gique » qu’il analyse, en référence à Bourdieu et Passeron, d’abord comme un dis-positif relevant d’une « légitimité d’institution » ; dans le contexte de remise encause de cette autorité, particulièrement sensible dans les collèges populaires, lesenseignants se trouvent dans la situation de la renégocier constamment, et del’actualiser dans le cours de leur action pédagogique personnelle, au gré des« relations d’interdépendance » entretenues avec les collégiens. Hormis des don-nées statistiques et quelques esquisses d’analyse, les pratiques professoralesd’humiliation des élèves n’avaient pas fait jusque-là l’objet d’une étude sociolo-gique systématique participant d’une compréhension renouvelée des interactionspropres à la classe ; à partir d’un corpus important de témoignages recueillisauprès d’étudiants, Pierre Merle élabore une typologie qui distingue pratiques derabaissement lié au statut de l’élève et pratiques d’une autre nature (de typeinjures) touchant à la personne même de l’élève. Visant à maintenir ou restaurerun ordre scolaire, ces pratiques ont des incidences négatives sur ce qui doit don-ner sens à cet ordre, l’apprentissage. Enfin, s’intéressant aux contenus de l’en-seignement d’EPS au collège, sur la base d’une enquête menée dans deux aca-démies, Marie-Paule Poggi-Combaz montre que les curricula se différencientnettement selon les caractéristiques sociales du public scolaire. D’après sonétude, la différenciation se manifeste ainsi dans un domaine où, a priori, on nel’attendrait pas : celui de la culture corporelle.

A.R.

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 7-19 7

INTRODUCTION

Cet article s’efforce de rendre compte d’unerecherche qui constitue le dernier volet d’un trip-tyque consacré à l’analyse de l’évolution récentedes rapports entre l’État et l’école (essentielle-ment pour le premier cycle du second degré).Plus précisément, nous avons tenté d’évaluer les

effets sociaux d’un certain nombre de mesuresqui ont contribué à transférer une partie des res-ponsabilités de l’État central vers les niveauxpériphériques (rectorat, inspection académique ouétablissement ; région, département ou communedu point de vue des collectivités territoriales). Ens’inscrivant explicitement dans la perspective destravaux qui ont cherché à apprécier le rôle que

En France, c’est la loi d’orientation de 1989 qui institue le projet d’établissement. Celui-ci doit permettre,entre autres, d’accroître l’autonomie de l’établissement afin qu’il puisse mieux s’adapter aux spécificitéslocales. Nous ferons l’hypothèse que cette démarche qui cherche à mettre en valeur l’originalité et lasingularité de chaque établissement est susceptible de contribuer à un fonctionnement relativementinégalitaire du système éducatif. Pour tester cette hypothèse, une étude monographique réalisée àl’échelle d’un département métropolitain a permis d’analyser les axes prioritaires des projets d’établis-sement de l’ensemble des collèges publics (N = 101). Cette enquête révèle que dans les collèges socia-lement favorisés, les caractéristiques du public scolaire font que l’on peut se permettre de mettrel’accent sur des objectifs relativement « nobles » (ouverture culturelle, travail en interdisciplinarité, vie àl’intérieur de l’établissement). Au contraire, dans les établissements scolarisant des élèves de milieuxmodestes ou défavorisés, les orientations qui se manifestent à travers les projets d’établissementtraduisent plutôt une adaptation contrainte et forcée aux difficultés que rencontrent quotidiennement lesélèves (difficultés scolaires, situations sociales précaires, violences urbaines, etc.).

Le projet d’établissement scolaire :vers une dérive du curriculum ?

Contribution à une sociologiedes rapports État-école

Gilles Combaz

Mots-clés : projet d’établissement, sociologie des rapports État-école, autonomie des établissements scolaires,inégalités scolaires.

peut jouer le « fonctionnement interne » de l’écoledans la création, la réduction ou le maintien desinégalités de réussite scolaire, la première étapea consisté à analyser les effets du dispositif desprojets d’action éducative (Combaz, 1996). Larecherche engagée au cours d’une deuxièmeétape nous a permis d’apprécier les retombéesdes mesures qui ont contribué à la mise en œuvredes parcours pédagogiques diversifiés (Combaz,1999). Au cours de la troisième phase, nousavons choisi de travailler sur l’une des mesuresqui constitue probablement l’illustration la plusexemplaire des procédures qui ont contribué àassouplir les rapports entre l’État et l’école : leprojet d’établissement. Institué par la loi d’orien-tation de 1989, le projet d’établissement se pré-sente comme une obligation faite aux collèges etaux lycées d’élaborer et de préciser les orienta-tions éducatives et pédagogiques à travers les-quelles doit se manifester l’articulation entre lesdirectives nationales et la prise en compte desspécificités locales. Nous ferons l’hypothèse queces orientations peuvent constituer un puissantrévélateur des processus qui contribuent à diffé-rencier les apports culturels à l’école en fonctiondes caractéristiques sociales du public auquel ons’adresse. C’est parce que la démarche de projetimplique la différence que l’on peut supposerqu’un certain nombre de procédures visant àmettre en évidence les spécificités et la singula-rité des établissements scolaires peuvent contri-buer à la hiérarchisation croissante de ces der-niers ; cette hiérarchisation se manifestant entreautres, de manière palpable, à travers une distri-bution inégalitaire des savoirs.

C’est au cours de la décennie quatre-vingt quela notion de projet d’établissement fait son appa-rition au sein du système éducatif français. Sonémergence est loin de résulter uniquement de laseule évolution du fonctionnement propre del’école. Il importe, au contraire, de rappeler que lecontexte général dans lequel apparaît cette notionde projet correspond à une crise de la société deprogrès et à la montée des précarités, notammentcelles liées au chômage. Comme le précise trèsjustement J.-P. Boutinet (1999, p. 23), « danscette société plus précaire et mouvante, de nom-breux repères disparaissent ou se transforment.Famille, travail, école ou religion, sont autant dedomaines de la vie autrefois clairement définis etstables, et désormais en pleine mutation ». Cetteperte de repères stables ainsi que le caractèrefluctuant et relativement imprévisible de l’environ-

nement dans lequel nous évoluons favorise l’avè-nement d’une véritable « culture à projet »(Boutinet, 1992). Dans ce contexte, le besoin dedonner du sens à nos actions ainsi que la néces-sité de pouvoir jalonner un futur aux contours deplus en plus flous peuvent expliquer en partiel’engouement actuel pour les conduites à projet.Peut-on considérer que l’émergence du projetd’établissement est totalement déconnectée decette évolution ? Un certain nombre d’élémentssemblent plutôt plaider en faveur d’une réponsenégative. En premier lieu, retenons que le projetd’établissement apparaît en grande partie commel’une des solutions envisageables pour répondre àl’hétérogénéité croissante des élèves (Cros,1987). À cette particularité liée à l’évolution dupublic s’ajoutent les problèmes inhérents à lamultiplication des situations scolaires difficiles etau climat d’insécurité ou de violence qui se déve-loppe dans certains établissements. Ainsi, ilapparaît vraisemblable que pour une partie desacteurs concernés — en particulier les ensei-gnants — « le mot “projet” s’identifie (...) au refusd’une situation scolaire insupportable. Plutôtqu’une démarche consciente et méthodique, iltraduit simplement un espoir d’amélioration, detransformation, l’expression d’un désir de chan-gement, notamment dans les conditions d’exer-cice du métier » (Obin, Weber, 1987, p. 57). Ensecond lieu, on ne peut que souligner le flou quientoure les grandes finalités qui devraient impul-ser les politiques éducatives. On serait tenté depenser, à la suite de B. Charlot (1994), que l’Étatne dispose plus de discours politique fort surl’éducation. Et il est probable que « c’est lorsqueles finalités ne sont pas sûres, lorsque apparais-sent des dissensions internes sur leur interpréta-tion, que l’on éprouve le besoin de formaliser unprojet, comme garant, justification, légitimationmême de l’organisation » (Boutinet, 1992, p. 113).Par ailleurs, il faut noter que les années quatre-vingt constituent une période au cours de laquelle« les idées ‘d’autonomie’, de ‘compétitivité’ et deréduction du contrôle de l’État sont largement dif-fusées à propos des établissements d’enseigne-ment ; l’autonomie et la compétitivité devantgarantir un meilleur “rendement” scolaire »(Lelièvre, 1990, p. 213). Un certain nombre derecherches ou d’études récentes se sontd’ailleurs efforcées d’apprécier l’efficacité del’enseignement (Merle, 1998). D’autres travauxont tenté de dénoncer le caractère de plus enplus libéral du fonctionnement de l’école

8 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

publique. Ce qui pourrait s’apparenter à un relatif« retrait de l’Etat » en matière de politiques édu-catives favoriserait le développement d’une écoleà plusieurs vitesses (Careil, 1998). Ce dernierpoint semble pourtant donner lieu à discussion.Est-il vraiment question d’une quelconque formede « désengagement » ou de « démission » del’État ou bien s’agit-il plutôt d’une simple redistri-bution du pouvoir entre le centre et la périphérie ?Si en l’état actuel de la réflexion il paraît difficilede fournir une réponse définitive à cette question,en revanche, il est permis de penser que lesobjectifs en termes de démocratisation de l’ensei-gnement semblent avoir été singulièrement revusà la baisse. Comme l’indique très justementA. Van Zanten « (...) la désectorisation, la décen-tralisation, l’accroissement relatif de l’autonomiedes établissements et, plus encore, la non-limi-tation des stratégies de choix et d’évitement desétablissements des parents favorisés dans uncontexte de laxisme institutionnel ont (...) proba-blement contribué à éroder fortement l’idéald’égalité sociale » (Van Zanten, 1999, p. 142).

Quelles incidences sur le curriculum ?

En s’inspirant des travaux qui ont soulignél’étroite correspondance qui peut exister entre letype de contenus enseignés, les objectifs poursui-vis ou les modèles éducatifs retenus et les caracté-ristiques socioculturelles des élèves auxquels ons’adresse (Isambert-Jamati, 1984 ; Plaisance,1986), on peut se demander si l’évolution que nousvenons d’analyser est susceptible d’avoir desrépercussions en termes de curriculum scolaire. Leprojet d’établissement — à travers les axes priori-taires retenus — servira alors de révélateur desinégalités qui peuvent éventuellement se manifesterquant aux contenus culturels proposés. Dans l’uti-lisation que nous souhaitons faire de cette notion,le curriculum scolaire ne se réduit pas, de façonétroite, aux savoirs enseignés dans le cadre desprogrammes mais renvoie plutôt à la définition pluslarge qu’en donne J.-C. Forquin. Le curriculum seraainsi défini comme un « (...) ensemble d’expé-riences d’apprentissages effectuées par quelqu’unsous le contrôle d’une institution d’éducation for-melle au cours d’une période donnée » (Forquin,1984, p. 213).

Les caractéristiques du curriculum, dont nousrendrons compte des variations éventuelles enfonction du type d’élève auquel il s’adresse,seront appréhendées à travers « un instantané »

constitué par les orientations qui se manifestentpar le biais des projets d’établissement. Commele précise très justement G. Figari (1991), il seraitfaux de penser que le projet d’établissement neconstitue qu’un simple document administratif auservice d’une meilleure gestion. Depuis sa miseen œuvre officielle avec la loi d’orientation de1989 et l’expérience aidant, il est devenu un ins-trument permettant de définir la « politique del’établissement » et, de ce point de vue, il n’estpas sans incidence sur le curriculum scolaire.S’inscrivant parfaitement dans l’ensemble desmesures qui ont contribué à accroître l’autonomiedes établissements scolaires, l’un des objectifsmajeurs du projet d’établissement est de per-mettre une meilleure adaptation aux caractéris-tiques locales. Plutôt que d’être contraint d’appli-quer des directives quelque peu rigides etstandardisées émanant des services centraux del’Éducation nationale, l’établissement est explici-tement appelé à effectuer un certain nombre dechoix qui permettent, entre autres, de prendre encompte les spécificités des élèves auxquels ils’adresse. Ces transformations relativementrécentes du fonctionnement de l’établissement nepeuvent être que questionnées par le sociologuesoucieux de suivre l’évolution des inégalités sco-laires. À ce titre, nous ferons l’hypothèse que lesorientations qui émanent du projet d’établisse-ment constituent un puissant révélateur des dis-parités qui existent entre les établissements. Auxdisparités dues aux caractéristiques sociales etscolaires des élèves peuvent s’associer des dis-parités quant au curriculum. Cette adéquation —bien souvent indispensable et contrainte — entreles orientations du projet d’établissement et lescaractéristiques socioculturelles des élèves, peutconduire à un maintien — voire à une aggravation— des inégalités existantes. Si l’utilisation de lamarge d’initiatives laissée à l’établissement sco-laire peut donner lieu, dans certaines circons-tances, à la production d’inégalités, elle peutaussi — et il est important de le souligner — per-mettre, selon les orientations de la « politique »envisagée par l’équipe éducative, d’engager desactions spécifiques susceptibles d’avoir deseffets « démocratisants ».

LA MÉTHODE

Comme nous l’avons déjà montré (Combaz,1996, 1999), lorsqu’il s’agit d’étudier la nature

Le projet d’établissement scolaire : vers une dérive du curriculum ? 9

des actions entreprises par les collèges dans lecadre des mesures qui ont contribué à assouplirles rapports entre les « services centraux » et les« échelons périphériques », la perspective deconstituer un échantillon national qui pourraitsatisfaire aux exigences d’un minimum de repré-sentativité n’est pas acceptable. L’autonomie quiest accordée aux établissements par le biais deces mesures ne peut effectivement être analyséeen dehors du cadre géographique dans lequel elleprend sens. En ce qui concerne les collèges,l’unité d’analyse qui paraît la plus pertinente estle niveau départemental. L’enquête empiriquedestinée à tester nos hypothèses porte ainsi surl’ensemble des collèges publics du départementdu Val-de-Marne en région parisienne (N = 101).L’élaboration des catégories permettant de carac-tériser les orientations prises par les projetsd’établissement n’a pas été réalisée à partir descatégories indigènes utilisées dans les documentsécrits que les établissements remettent aux auto-rités de tutelle. Nous avons, au contraire, privi-légié le recensement des actions réellemententreprises dans le cadre du projet d’établisse-ment. Plutôt que s’en tenir aux intitulés souventgénéreux et ambitieux qui peuvent avoir pourfonction, dans certaines circonstances, de fournirau regard extérieur une image flatteuse de l’éta-blissement, nous avons préféré être en mesured’analyser la nature des actions menées. Afin dedisposer d’un minimum de contrôle sur le carac-tère authentique ou fictif de ces actions nousavons bénéficié des informations fournies par lesmembres de la cellule pédagogique de l’inspec-tion académique chargés de suivre ces dossiers.Une fois recensées, ces actions ont fait l’objetd’un classement qui a consisté à regrouperen catégories relativement homogènes les prin-cipales orientations caractérisant chaque projetd’établissement. On pourra consulter en an-nexe III la définition précise de chacune de cescatégories. L’objectif étant de mettre en corres-pondance la nature de ces orientations et la com-position sociale du public scolaire, une typologiedes collèges a été construite à partir d’un certainnombre d’indicateurs socio-démographiques per-mettant de cerner le profil socioculturel desélèves de chaque établissement. Pour davantagede précisions sur la manière dont cette typologiea été construite, nous renvoyons le lecteur à l’an-nexe II. Il importe de préciser que pour chacundes types d’établissement (« Très favorisés »,« Ouvriers », etc.), les intitulés retenus ne fournis-

sent qu’une image très synthétique et quelquepeu grossière de la composition sociale. Ainsi, uncollège classé dans la catégorie « Très favorisés »ne signifie pas qu’il ne scolarise aucun enfantd’ouvriers. Le classement indique simplement queces enfants-là sont nettement minoritaires parrapport aux enfants dont les parents sont cadresou exercent une profession intellectuelle supé-rieure.

RÉSULTATS ET DISCUSSION

Les orientations du projet d’établissement sont-elles susceptibles de varier selon la compositionsociale du public scolaire ? Les travaux deS. Devineau (1998), réalisés à partir d’un échan-tillon de 125 projets nous inciteraient plutôt àrépondre par la négative. Nos données empi-riques laissent pourtant penser qu’il existe desliaisons assez fortes entre les orientations prisespar les projets d’établissement et les caractéris-tiques socioculturelles des élèves concernés.Pour la plupart d’entre elles, ces liaisons vontdans le sens d’un maintien — voire d’un creuse-ment — des inégalités. Ce qui tend à valider par-tiellement notre hypothèse. Ces inégalités semanifestent dans les secteurs suivants.

L’ouverture culturelle

Eu égard aux résultats observés, on pourraitconsidérer que c’est le thème à partir duquel semanifestent le plus clairement les inégalités révé-lées par les projets d’établissement. On constateen effet que cette orientation est d’autant plusinvestie que l’on a affaire à des collégiens socia-lement privilégiés (70 % pour les collèges « trèsfavorisés » et 77,3 % pour les « favorisés » contre62,4 % pour l’ensemble des établissements.Tableau 1, annexe I). Ainsi, les apports culturelsqui sortent quelque peu du cadre strict desactivités d’enseignement, sont d’autant plusdéveloppés que l’on s’adresse à des élèves dontl’héritage culturel a toute chance d’être trèsconséquent. On peut supposer que cet investis-sement qui se situe relativement à la périphériedes activités d’enseignement, sans en être totale-ment déconnecté, ne peut avoir lieu que lorsqueles acquisitions scolaires sont déjà suffisammentsolides. Par ailleurs, tout laisse à penser que

10 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

cette ouverture culturelle n’atteint son développe-ment le plus accompli que lorsqu’elle s’adresse àun public déjà fortement sensibilisé, par les pra-tiques familiales, à une culture relativement éla-borée (au sens où l’entend G. Snyders, 1986). Al’inverse, l’on observe que les élèves qui ne peu-vent compter que sur l’école pour bénéficier detels apports sont ceux pour lesquels le thème del’ouverture culturelle est, comparativement, lemoins développé (les collèges « défavorisés »sont effectivement largement distancés avec53,2 %). Pour tâcher de « comprendre » cette ten-dance quelque peu surprenante, on pourrait éven-tuellement évoquer le fait que mettre délibéré-ment l’accent sur cette dimension implique unephase d’acculturation qui peut provoquer unerupture culturelle susceptible de mettre cesélèves dans une posture encore plus inconfor-table par rapport à l’école. Il serait prétentieux devouloir fournir une réponse définitive à cettequestion dans le cadre restreint de cet article.Mais si nous revenons à notre questionnementinitial, nous ne manquerons pas d’observer quenous assistons bel et bien ici à un creusementdes inégalités par les orientations qui se manifes-tent à travers les projets d’établissement. Laquestion de l’ouverture culturelle est appréhendéede manière si différenciée selon la compositionsociale du public scolaire, que l’on peut légitime-ment se demander si l’on n’a pas affaire à uneforme de discrimination négative particulièrementmarquée.

La prise en compte de l’hétérogénéitédes niveaux scolaires des élèves

Le fait de s’adapter pour prendre en compte etgérer la diversité et l’hétérogénéité des niveauxscolaires semble quasiment réservé aux collé-giens issus de couches sociales plutôt favorisées(31,8 % pour les collèges « favorisés » et 36,4 %pour les collèges « couches moyennes » contre23,8 % pour l’ensemble des établissements). Enrevanche, les collèges les plus « défavorisés »sont en net retrait avec 13,3 %. Ce résultatsemble pour le moins paradoxal car on peut pen-ser que les élèves scolarisés dans ces établisse-ments ont, au moins, autant besoin que les autresde la prise en compte de leur diversité. Un certainnombre de travaux ont montré que lorsque cettequestion donne lieu à l’élaboration de dispositifspédagogiques qui favorisent l’hétérogénéité desclasses, ce sont les élèves faibles ou moyens qui

en tirent le plus grand bénéfice (Mingat, 1984,1987 ; Grisay, 1990). Et, à l’inverse, c’est lorsquel’on regroupe les élèves faibles dans des classesde niveau homogène que la progression dans lesacquisitions scolaires s’avère la plus faible (Duru-Bellat, Mingat, 1997). On pourra objecter que sil’on ne met pas l’accent sur les problèmes relatifsà l’hétérogénéité des niveaux scolaires dans lescollèges « défavorisés », c’est probablementparce que la question ne se pose pas ; le niveauétant uniformément très faible pour tous. Ceserait alors admettre que les difficultés rencon-trées sont strictement de même nature et ceserait faire peu de cas des réussites exception-nelles que l’on peut parfois observer dans les éta-blissements à public populaire. La priorité quisemble être donnée à la question de l’hétérogé-néité des élèves dans les collèges « favorisés »,ou dans ceux qui scolarisent en majorité desélèves issus des couches moyennes, peut ren-voyer aux pressions qu’exercent certains parentspour que leurs enfants soient dans de « bonnesclasses » ; ces dernières devant être suffisam-ment homogènes pour éviter que les « mauvais »élèves retardent les meilleurs.

L’interdisciplinarité

Cet aspect est, proportionnellement, beaucoupplus investi par les collèges « très favorisés » et« favorisés » que par les autres (avec respective-ment 30 % et 22,7 % contre 15,8 % pour l’en-semble des collèges). Peut-on supposer que c’estseulement lorsque les conditions d’enseignementsont les plus favorables que le dialogue entre lesdifférentes disciplines peut s’instaurer ? On peuten effet imaginer que les échanges interdiscipli-naires ne peuvent avoir réellement lieu et êtrebénéfiques que lorsque les apprentissages danschacune des disciplines concernées sont déjàsuffisamment maîtrisés par les élèves. On peutfaire l’hypothèse que ce travail de décloisonne-ment qui permet de mettre en perspective les dif-férents types de savoirs autorise l’accès à undegré de connaissance plus élaboré que dans lasituation où les disciplines interviennent demanière relativement indépendante les unes desautres. Dans l’affirmative, on assisterait, une foisde plus, à des apports culturels socialement trèsdifférenciés. Par ailleurs, on peut suggérer que cemode de fonctionnement intellectuel trouve unerésonance plus marquée chez les collégiens issusde milieux favorisés que chez les autres.

Le projet d’établissement scolaire : vers une dérive du curriculum ? 11

B. Bernstein (1975) et E. Plaisance (1986) ont suc-cessivement montré que le fameux code intégréqui caractérise la pédagogie dite invisible mise enœuvre dans le cadre de l’école maternellemoderne semble beaucoup mieux convenir auxenfants des fractions intellectuelles des classessupérieures et des classes moyennes qu’auxautres. Même si les deux notions ne sont passtrictement équivalentes, le code intégré et letravail interdisciplinaire partagent néanmoinsquelques points communs ; en particulier, le faitque les relations entre les différents contenussont ouvertes et que les phénomènes de commu-nication tendent à s’opérer horizontalement.Ainsi, le fait que les collèges qui scolarisent lesélèves issus des couches sociales les plus privi-légiées accordent, comparativement, plus d’im-portance que les autres au travail interdiscipli-naire pourrait traduire une forme de proximitéculturelle existant entre le monde enseignant etce type de public scolaire.

Les relations école-familles

Les établissements les plus mobilisés sur cetaspect sont les collèges qui scolarisent en majo-rité des enfants de classes moyennes (avec27,3 % contre 18,8 % pour l’ensemble des col-lèges). Peut-on encore évoquer, à ce stade de lascolarité, la fameuse connivence mise en évi-dence, par les travaux de J. Pacaud-Breton (1981)et de R. Sirota (1988), entre les parents declasses moyennes et les enseignants de l’écolematernelle et de l’école élémentaire ? Au collège,les uns et les autres se considèrent-ils encorecomme de véritables partenaires ? On aurait pus’attendre à ce que les établissements pour les-quels ces relations école-familles sont à la fois lesplus conflictuelles et les plus utiles soient davan-tage mobilisés sur cette question ; en particulier,les collèges qui scolarisent des élèves de milieuxmodestes ou très défavorisés. On peut supposerque les comportements de méfiance et de retraitqui caractérisent l’attitude de ces familles vis-à-vis de l’école ne facilitent probablement pasles efforts que l’institution met en œuvre pour éta-blir des liaisons régulières. Les recherches deC. Montandon (1991) et de J. Pacaud-Breton(1981) ont montré combien les contacts à l’initia-tive de l’école, qu’ils soient formels ou informels,sont relativement délaissés par les parents descouches populaires. Une enquête plus récente surles attentes et le degré d’implication des familles

qui ont un enfant scolarisé en collège ne fait queconforter ce résultat. Elle montre notamment queseulement un quart des familles ouvrières a prisl’initiative de rencontrer un enseignant depuis queleur enfant est scolarisé en collège alors que l’oncompte près de 40 % des parents qui sont cadresou qui exercent une profession intellectuellesupérieure dans ce cas (Caille, 1992). Comme lesignale très justement J.-M. de Queiroz (1982),dans la plupart des cas, cette attitude de retraitdes familles socialement défavorisées est inter-prétée, par les enseignants, comme un désintérêtpour l’école. Ce qui ne peut manquer d’entretenirou d’accentuer les malentendus et de rendre ledialogue encore plus difficile. Si l’on peutadmettre que le fait de ne pas vraiment mettrel’accent sur les relations école-familles peut êtreune source de handicap pour les élèves des col-lèges scolarisant un public d’origine modeste, cetype de considération est de peu d’intérêt pourcomprendre les raisons qui amènent les collèges« très favorisés » à accorder très peu d’impor-tance à ce thème. Il y a tout lieu de penser queles parents d’élèves de ces établissements peu-vent se permettre d’être relativement en retraitpar rapport à une scolarité qu’ils peuvent encoreconsidérer comme allant de soi. Le temps d’unemobilisation active par rapport aux études n’inter-viendra sans doute que bien plus tard lorsquele choix des meilleures filières d’enseignementnécessitera l’élaboration de savantes stratégies.

La connaissance du monde du travail

A priori, l’on pourrait penser que ce point estavant tout investi par les établissements qui sco-larisent, en majorité, des élèves qui, comparative-ment, ont plus de chances d’être concernés parcette question dans des délais assez brefs :c’est-à-dire les établissements à recrutement plu-tôt populaire. Or, il n’en est rien. Les résultatsrévèlent que les réflexions et les actions menéesautour du monde du travail sont avant tout le faitdes établissements les plus « favorisés » (avec30 % contre 15,8 % pour l’ensemble des col-lèges). Et, à l’inverse, les collèges « défavorisés »et les collèges de type « ouvriers » font partie deceux qui sont les moins mobilisés sur ce thème(avec respectivement 13,3 % et 10 %). Il est pro-bablement fort instructif de rapprocher ce résultatde celui qu’ont révélé les travaux de V. Isambert-Jamati (1984) sur la place de la culture techniqueà l’école élémentaire. Cette recherche montre que

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dans les séquences pédagogiques étudiées, lors-qu’il est question du système productif, lesaspects relatifs à la pénibilité du travail et à larépartition des profits sont proportionnellementmoins souvent évoqués dans les écoles« ouvrières » que dans les écoles « bourgeoises ».Ces aspects semblent pourtant concerner au pre-mier chef les élèves des milieux modestes quiauront, pour une part, à subir de plein fouet leseffets ségrégatifs du système de production danslequel ils seront amenés à s’insérer. On pourraobjecter que le fait de ne pas accorder trop d’im-portance aux questions relatives au monde dutravail dans les établissements à recrutement plu-tôt populaire peut relever d’un souci de préservertemporairement ces élèves qui connaîtront suffi-samment tôt cet univers où les relations d’exploi-tation n’ont nullement disparu. À cette objection,on pourra répondre que l’un des rôles de l’écoleest de fournir à l’élève suffisamment d’outils intel-lectuels lui permettant d’analyser de manièrelucide et critique le fonctionnement de la sociétédans laquelle il évolue.

Accroître la motivation des élèvespour les apprentissages scolaires

Exception faite des collèges « très favorisés »pour lesquels cette question peut sembler super-flue, c’est paradoxalement pour les collèges lesplus « défavorisés » et les établissements socia-lement mixtes que cet aspect est, proportionnel-lement, le moins souvent pris en compte (respec-tivement 6,7 % et 3 % contre 30 % pour lescollèges de type « ouvriers » et 27,3 % pour lescollèges de type « classes moyennes »). Le résul-tat concernant les collèges « défavorisés » peutparaître relativement surprenant compte tenu del’importance que peut prendre la question de lamotivation si l’on se situe dans une perspectivede lutte contre les inégalités sociales de réussitescolaire. Non seulement ce résultat peut paraîtresurprenant mais il peut aussi laisser penser que lasituation scolaire de ces collégiens est considé-rée comme étant « irrécupérable ». À l’évidence,une attitude entachée d’autant de fatalisme nepourrait conduire qu’à un renforcement des pro-cessus de ségrégation scolaire. Les perspectivesdéveloppées par les travaux centrés sur leconcept de rapport au savoir (notamment ceux deCharlot, Bautier et Rochex, 1992) semblent sug-gérer qu’abordée sous l’angle du sens que lesélèves peuvent donner à leurs apprentissages, la

réflexion autour de la question de la motivationpourrait donner lieu à l’élaboration de dispositifspédagogiques susceptibles de faire renaître legoût de connaître et de savoir. Si les résultatsconcernant cette question peuvent sembler rela-tivement paradoxaux pour les collèges « défavo-risés », en revanche, pour les établissements detype « ouvriers », les tendances observées peu-vent paraître plus « conformes » à ce que nousattendions. En particulier, parce qu’elles peuventdénoter le souci affirmé de vouloir prendre réelle-ment en charge les difficultés inhérentes aumanque de motivation des élèves. Peut-on cepen-dant véritablement considérer que ces collégienssont moins éloignés de la norme scolaire queleurs camarades des collèges « défavorisés » etqu’ainsi, l’on serait encore en mesure de remédierà leurs difficultés ? Les résultats qui caractérisentles collèges de type « classes moyennes » peu-vent traduire le fait que, dans ces établissements,la réussite scolaire des élèves n’est pas aussiassurée et brillante que dans les collèges favo-risés. De ce point de vue, la question de la moti-vation pour les apprentissages peut apparaîtrecomme l’une des préoccupations majeures surlaquelle ces établissements se doivent d’êtremobilisés pour répondre aux attentes élevées quicaractérisent une partie des parents d’élèvesconcernés.

La vie à l’intérieur de l’établissement

Améliorer le cadre de vie à l’intérieur de l’éta-blissement, favoriser la vie collective ainsi que lacommunication entre tous les membres de lacommunauté éducative semble constituer unsouci majeur dans les collèges scolarisant unepopulation plutôt favorisée socialement (40 %pour les « très favorisés », et 54,6 % pour les col-lèges « classes moyennes » contre 28,7 % pourl’ensemble des établissements). Cette tendancepeut-elle en partie traduire les affinités évoquéespar A. Léger (1983) entre les enseignants dusecondaire et les élèves d’origine plutôt bour-geoise ? Tout incite à penser qu’à la connivenceculturelle déjà mentionnée plus haut sont asso-ciées des préoccupations relatives aux commo-dités matérielles de la vie quotidienne et aucaractère chaleureux — voire convivial — desrelations humaines qui peuvent se nouer au seinde l’établissement. Assez paradoxalement, cesont les collèges pour lesquels on aurait pu s’at-tendre à une forte mobilisation sur ce thème, tant

Le projet d’établissement scolaire : vers une dérive du curriculum ? 13

le besoin de restaurer un minimum de lien socialsemble impérieux, qui sont comparativement lesplus éloignés de ces préoccupations. Ceci estparticulièrement net pour les collèges de type« ouvriers ». On peut supposer que n’ayant pu fuirou éviter les établissements scolarisant un publicd’origine populaire, une bonne part des ensei-gnants concernés n’est que peu disposée àinvestir de l’énergie et du temps pour tenterd’améliorer des relations qui seront probablementfort conflictuelles et assez peu gratifiantes.

Par les orientations qu’il peut prendre dans cer-taines circonstances, le contenu du projet d’éta-blissement ne traduit parfois qu’une adaptationcontrainte et forcée aux caractéristiques desélèves. Pour les collèges « défavorisés » ou pourceux qui scolarisent des élèves issus de milieuxplutôt modestes, un certain nombre d’orientationspeuvent être révélatrices d’une adaptationcontrainte compte tenu des caractéristiques desélèves. Ainsi le renforcement des apprentissagesdisciplinaires, le développement des compéten-ces instrumentales, l’aide aux élèves en difficultéet l’objectif d’accroître la motivation des élèves(principalement pour les collèges « ouvriers »)constituent des orientations guère surprenanteseu égard au faible niveau scolaire et aux lacunesqui caractérisent une bonne majorité des collé-giens scolarisés dans ces établissements. Il en vade même pour ce qui est de la formation moraleet civique (surtout pour les collèges « défavo-risés »), de la prévention dans le domaine del’hygiène et de la santé ainsi que de la luttecontre la violence (essentiellement pour les col-lèges de type « ouvriers »). Il paraît tout à faitcompréhensible que compte tenu de la gravitédes incidents qui émaillent malheureusement lavie quotidienne de ces établissements souventjugés « difficiles », un certain nombre de mesuresurgentes soient prises pour canaliser lesconduites déviantes. Tout se passe comme si,mis dans l’obligation de faire face à un public deplus en plus éloigné des normes scolaires, lechoix de ces établissements, quant aux orienta-tions données au projet d’établissement, s’avéraitquasiment inexistant. Comment dans ces condi-tions imaginer qu’un certain nombre de dispositifsallant dans le sens d’une égalisation des chancespuissent être mis en place ? Peut-on véritable-ment imaginer que l’on donne la priorité auxactions axées sur l’ouverture culturelle ou sur unemeilleure communication entre l’école et la famille

alors que le « climat interne » de l’établissementest des plus conflictuels ?

Jusqu’à présent nous avons montré que lesorientations qui caractérisent les projets d’éta-blissement confortent plutôt un fonctionnementtrès inégalitaire du système éducatif. Les résul-tats observés laissent toutefois apparaîtrequelques tendances qui peuvent être considéréescomme allant dans le sens d’une réduction desinégalités. Celles-ci concernent essentiellementles collèges « ouvriers ». En premier lieu, l’onconstate que, comparativement aux autres, cesétablissements accordent une large priorité auxliaisons avec les autres segments du systèmeéducatif (école élémentaire, lycée d’enseignementgénéral et lycée professionnel). Ceci peut éven-tuellement favoriser une meilleure prise en chargedes difficultés scolaires dans la mesure où laconcertation entre les différentes équipes éduca-tives peut amoindrir les effets de rupture qui onttendance à déstabiliser les élèves lorsqu’ils fran-chissent les étapes importantes de leur scolarité.On objectera très justement que le résultatobservé ne va pas forcément dans le sens d’unediminution des inégalités puisque les collèges« très favorisés » semblent également très préoc-cupés par cette question (avec 50 % des établis-sements dont le projet intègre cette dimension ;cette proportion étant de 60 % pour les collèges« ouvriers »). Les collèges « ouvriers » se singula-risent également en mettant l’accent sur les pro-cédures d’orientation scolaire et professionnelle.Compte tenu des caractéristiques scolaires desélèves de ces établissements et du fait que l’ac-cès au lycée s’est élargi de façon notable, onpeut supposer que l’on mette l’accent sur l’infor-mation des collégiens dans le domaine de l’orien-tation pour qu’ils puissent « choisir » la filièredans laquelle ils pourront poursuivre le plus long-temps possible leurs études. Par ailleurs, on peutpenser que le fait de consentir des efforts soute-nus pour informer et sensibiliser les élèves peutcontribuer à rendre les « règles » de la sélectionscolaire plus explicites. Les travaux de M. Cher-kaoui (1979) ont montré que lorsque c’est le cas,la réussite scolaire des élèves issus des milieuxmodestes est plus élevée. On peut néanmoinsavancer la même objection que précédemment,en termes de réduction des écarts, puisque l’onpeut très bien utiliser la même argumentationpour les collèges « favorisés » qui se révèlent, euxaussi, très préoccupés par la question de l’orien-

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tation scolaire et professionnelle (95,4 % des éta-blissements mentionnent cette dimension dansles axes prioritaires de leur projet ; cette propor-tion est de 80 % pour les collèges « ouvriers »).

CONCLUSION

Parvenu au terme de cette étude, rappelons-en,dans une première étape, les principaux résultats.En premier lieu, il importe de souligner que,contrairement à ce qu’un certain nombre d’idéesreçues peuvent laisser entendre, il semble que lesmesures qui ont contribué à doter l’établissementscolaire d’un surcroît d’autonomie — en parti-culier celles qui sont relatives au projet d’établis-sement — n’ont pas toujours les effets « démo-cratisants » qu’on pouvait en attendre. Lesrésultats que nous avons obtenus suggèrent quel’on assiste même assez souvent à un effetinverse. Les orientations qui se manifestent à tra-vers les axes prioritaires des projets d’établisse-ment révèlent une différenciation relativementmarquée en termes d’apports culturels. Les varia-tions observées tendent à montrer que cesapports sont loin d’être comparables en fonctiondes caractéristiques socioculturelles des élèvesauxquels ils s’adressent. Aux disparités crois-santes relatives à la composition sociale et auxcaractéristiques scolaires du public semblent cor-respondre des disparités importantes quant aucurriculum. Cette tendance qui s’apparente à unevéritable dérive du curriculum est susceptibled’alimenter les processus d’appropriation et deprivation de savoir déjà mis en évidence par lestravaux de V. Isambert-Jamati (1984) et deL. Tanguy (1983). Si nos résultats tendent à vali-der notre hypothèse générale, un certain nombrede nuances s’imposent cependant. En premierlieu, il apparaît que si pour les cas quelque peuextrêmes (collèges « très favorisés » ou « favori-sés » d’une part et collèges « défavorisés »d’autre part), l’on observe quasiment la constitu-tion de curricula séparés, les variations sontpresque inexistantes pour les collèges sociale-ment mixtes qui représentent tout de même près

du tiers de notre population. En second lieu, ilfaut rappeler qu’il s’agit d’une étude à caractèremonographique réalisée à l’échelle d’un seuldépartement ; celui-ci ne pouvant pas être consi-déré comme représentant une « situationmoyenne » à partir de laquelle des généralisationssont envisageables. Caractérisé par de groscentres urbains, composé aussi bien de com-munes socialement très favorisées que de com-munes de banlieues dites « difficiles », ce dépar-tement peut, à la limite, être considéré commeexemplaire des départements où les disparitésentre les collèges se sont le plus accrues aucours des dix dernières années (Ernoult et al.,1999).

Nos premiers travaux sont loin d’avoir épuisé laquestion de l’autonomie des établissements sco-laires et, plus généralement, celle de l’assouplis-sement des rapports entre l’État et l’école. Peut-on par exemple faire l’hypothèse que le projetd’école, pour le premier degré, a des effets com-parables à ceux que l’on a observés pour le pro-jet d’établissement ? Le rôle spécifique que peu-vent jouer certaines catégories de personnel(inspecteurs de l’Éducation nationale, conseillerspédagogiques notamment) peut-il contribuer àlimiter la dérive du curriculum constatée pour lesecond degré ? Par ailleurs, la mise en œuvre des« travaux personnels encadrés » (TPE) au lycéeconstitue sans nul doute une perspective fruc-tueuse pour analyser la manière dont les« acteurs » peuvent se saisir de la marge d’initia-tives qui leur est nouvellement offerte. Enfin, les« itinéraires de découverte » qui vont prochaine-ment être proposés au collège pourront probable-ment permettre aux établissements d’engager desprojets très originaux susceptibles de s’adapterparfaitement aux caractéristiques des publicsconcernés. Il est cependant possible que ce nou-veau dispositif donne lieu à des actions relative-ment discriminantes socialement en termes detransmission culturelle.

Gilles Combaz

CERLISCNRS – Université Paris V

Le projet d’établissement scolaire : vers une dérive du curriculum ? 15

16 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

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BIBLIOGRAPHIE

Le projet d’établissement scolaire : vers une dérive du curriculum ? 17

ANNEXE I

Tableau 1. — Les axes prioritaires du projet d’établissementselon la composition sociale du public scolaire

Types de collèges selon la composition sociale du public scolaire *

Axes prioritairesdes projets d’établissements **

Hétérogénéité des élèves 20,0 31,8 36,4 21,2 20,0 13,3 23,8

Interdisciplinarité 30,0 22,7 18,2 6,1 10,0 20,0 15,8

Renforcement des apprentissages 0,0 13,6 27,3 9,1 20,0 26,7 14,8

Performances scolaires 10,0 9,1 0,0 12,1 0,0 13,3 8,9

Compétences instrumentales 40,0 40,9 36,4 54,6 70,0 66,7 51,5

Motivation des élèves 0,0 13,6 27,3 3,0 30,0 6,7 10,9

Orientation scolaire et professionnelle 60,0 45,4 57,6 80,0 60,0 67,3

Technologies nouvelles 10,0 9,1 0,0 9,1 10,0 13,3 8,9

Activités socio-éducatives 10,0 9,1 0,0 9,1 0,0 0,0 5,9

Élèves en difficultés scolaires 20,0 31,8 45,4 30,3 30,0 32,7

Lutte contre l’exclusion 0,0 0,0 0,0 6,1 10,0 6,7 4,0

La vie dans l’établissement scolaire 40,0 22,7 54,6 27,3 10,0 26,7 28,7

Liaisons école-familles 10,0 22,7 27,3 15,1 20,0 20,0 18,8

Liaisons avec les autres segmentsdu système éducatif 50,0 31,8 27,3 42,4 60,0 33,3 39,6

Connaissance du monde du travail 30,0 9,1 9,1 21,2 10,0 13,3 15,8

Ouverture culturelle 70,0 77,3 45,4 60,6 60,0 53,3 62,4

Formation morale et civique 50,0 77,3 54,6 72,7 70,0 80,0 70,3

Prévention, hygiène et santé 30,0 59,1 36,4 63,6 80,0 60,0 57,4

Lutter contre la violence 10,0 9,1 18,2 24,2 60,0 26,7 22,8

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Exemple de lecture du tableau : 30 % des collèges « très favorisés » ont inscrit la question de l’in-terdisciplinarité comme l’un des axes principaux de leur projet d’établissement alors que l’on observeseulement 10 % des collèges de type « ouvriers » dans cette situation. Nous avons souligné en carac-tères gras les résultats qui font état d’une sur-représentation par rapport aux pourcentages qui carac-térisent l’ensemble des collèges ; en caractères italiques, ceux qui manifestent une sous-représentation.

Champ : ensemble des collèges publics du département du Val de Marne (N = 101).

* La typologie des collèges présentée dans ce tableau résulte d’une procédure de classification ascen-dante hiérarchique dont les principales étapes ont fait l’objet d’une présentation détaillée en annexe II.

** Plutôt que de dresser une liste détaillée de toutes les orientations caractérisant les projets d’éta-blissement – ce qui aurait conduit à un inévitable émiettement des résultats – celles-ci ont fait l’objetde regroupements qui ont donné lieu aux intitulés qui ont été utilisés dans ce tableau. Pour plus de pré-cisions sur la manière dont chaque catégorie a été définie, nous renvoyons le lecteur à l’annexe III.

18 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Plutôt que de suivre la démarche adoptée parA. Léger (1983) ou V. Isambert-Jamati (1984) quia consisté à n’utiliser que le taux d’enfants d’ou-vriers pour caractériser la composition socialedes établissements étudiés – ce qui aboutit à unclassement relativement grossier et trop dichoto-mique – nous avons souhaité pouvoir prendre encompte, simultanément, un ensemble plus larged’indicateurs socio-démographiques. Parmi cesderniers, nous avons retenu la catégorie socio-professionnelle du chef de famille ainsi que letaux d’élèves de nationalité étrangère. Lerecours à l’analyse multidimensionnelle des don-nées, et plus précisément, l’utilisation des

ANNEXE II – La composition sociale du public scolaire des établissements

méthodes de classification nous a permisd’aboutir à la constitution de catégories d’éta-blissement suffisamment homogènes du point devue des indicateurs retenus. Pour la mise enœuvre de cette méthodologie nous nous sommeslargement appuyé sur les publications suivantes :M. Jambu (1978, 1989) ; J.-P. Fénelon (1981) etL. Lebart, A. Morineau, M. Piron (1995). Parmiles différentes méthodes disponibles, nousavons choisi la classification ascendante hiérar-chique qui procède par agglomération progres-sive des éléments deux par deux. On trouveradans le tableau ci-dessous les résultats qui sontissus de cette procédure.

Tableau 2. — Typologie des collèges selon la composition sociale de leur public scolaireLa valeur des indicateurs socio-démographiques est indiquée en %

Types de collègesselon la composition

sociale du public scolaire

« Défavorisés » 15 3,7 4,0 9,2 22,2 37,4 19,1 27,0

« Ouvriers » 10 3,8 5,6 15,2 23,3 39,7 10,3 25,8

« Mixtes » 33 6,6 12,8 18,2 23,1 26,0 10,1 15,3

« Classes moyennes » 11 6,1 19,6 29,6 17,8 16,7 6,1 8,6

« Favorisés » 22 8,8 29,2 18,1 18,0 17,8 5,3 10,7

« Très favorisés » 10 6,8 48,5 19,9 11,6 6,3 3,6 4,4

Tous les collèges 101 6,3 18,6 18,0 20,1 24,3 9,3 16,0

Lecture du tableau : pour les collèges « défavorisés, on compte 37,4 % d’enfants d’ouvriers et 27 %des élèves sont de nationalité étrangère. Pour les PCS, la catégorie « non-réponse » n’a pas été inséréedans le tableau. Ce qui explique que le total ne soit pas égal à 100 %.

Source : services statistiques du rectorat de l’académie de Créteil.

Champ : ensemble des collèges publics du département du Val-de-Marne (N = 101).

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1 - Les transformations pédagogiques.Celles-ci peuvent se manifester dans deux direc-tions :

– s’adapter pour prendre en compte et gérer ladiversité des élèves et l’hétérogénéité desniveaux scolaires ;

– favoriser la communication entre les diffé-rentes disciplines (interdisciplinarité).

2 - L’approfondissement et le renforcementdes apprentissages disciplinaires

3 - L’amélioration des performances sco-laires

4 - Compétences instrumentales et capacitésopératoires : l’amélioration de la lecture, del’écriture, de l’expression orale, des capacités deraisonnement et l’acquisition de méthodes de tra-vail sont ici les principaux buts visés.

5 - Accroître la motivation des élèves pourles apprentissages scolaires : le principal objec-tif poursuivi est de tenter de redonner du sensaux apprentissages réalisés dans le cadre sco-laire et d’inciter les élèves à s’investir davantagedans ces activités.

6 - L’orientation scolaire et professionnelle

7 - Les savoirs et les savoir-faire nécessairesà l’utilisation des technologies nouvelles : ils’agit essentiellement d’apprendre à maîtriserl’outil informatique et de savoir utiliser les moyensaudiovisuels les plus récents.

8 - Les compétences extra-scolaires et lesactivités péri-éducatives : il s’agit essentiel-lement des activités socioculturelles qui se dé-roulent dans le cadre du foyer socio-éducatif.

9 - L’aide aux élèves en situation difficile.Celle-ci peut se manifester de deux manières. Ilpeut s’agir d’une aide aux élèves qui éprouventdes difficultés scolaires. Mais, plus largement, ilpeut aussi s’agir de prendre en charge les élèves

les plus démunis socialement et de lutter contrel’exclusion.

10 - La vie à l’intérieur de l’établissement.Thème qui rassemble les actions qui visent àaméliorer le cadre de vie, à favoriser la vie en col-lectivité ainsi que la communication entre tous lesmembres de la communauté éducative.

11 - Ouverture sur l’extérieur. Celle-ci peut semanifester sous quatre formes relativement dis-tinctes :

– liaisons école-familles ;

– liaisons avec les autres segments du systèmeéducatif (école élémentaire, lycée et lycée profes-sionnel) ;

– connaissance du monde du travail ;

– ouverture culturelle qui suppose, dans la plu-part des cas, la découverte d’autres civilisationsque la nôtre ou d’aspects du patrimoine artistiquefrançais relativement peu abordés dans le cadredes enseignements.

12 - La socialisation : sous ce terme on quali-fiera toute action à travers laquelle les élèves sontamenés à intégrer un certain nombre de valeurs etde normes de comportements dans les domainessuivants :

– la formation morale et civique (apprentissagede la démocratie, de la tolérance, de la responsa-bilité, respect des différences...) ;

– l’hygiène et la santé avec un souci de pré-vention (toxicomanie, tabagisme, alcoolisme,sida...) ;

– il s’agit aussi, par ailleurs, de lutter contre laviolence et tous les comportements déviants quipeuvent y être associés.

Remarque : pour chacun des projets d’établis-sements l’ensemble de ces axes a fait l’objet d’uncodage binaire de type « présence - absence ».

Le projet d’établissement scolaire : vers une dérive du curriculum ? 19

ANNEXE III – Les axes prioritaires des projets d’établissements

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 21-30 21

L’observation des conditions d’exercice del’action pédagogique dans les collèges de

quartiers populaires, en particulier dans lesclasses où l’ordre scolaire a le plus de mal às’établir et à se maintenir, et où les enseignantssont confrontés à des collégiens réfractaires auxapprentissages scolaires, parfois en « rupture »scolaire, invite à revenir sur les conditions d’exer-cice de l’autorité pédagogique dans ces établis-sements scolaires. Notre analyse s’appuie princi-palement sur une recherche sur le « désordre »dans les collèges (Thin, 1999) effectuée dansdeux collèges en ZEP, dans les quartiers popu-

laires de l’Est lyonnais pendant 18 mois. Cetterecherche a donné lieu à de nombreuses obser-vations (observations de plusieurs classes suiviesd’un cours à l’autre, observations des espaces« hors-classe » des collèges, observations deconseils de discipline, des conseils de classe etde nombreuses rencontres formelles ou infor-melles des différents membres du personnel descollèges) prolongées d’entretiens avec les ensei-gnants des deux collèges. Des entretiens plusrécemment effectués, dans le cadre d’unerecherche sur les processus de « ruptures sco-laires », avec des collégiens particulièrement

Le désordre récurrent dans plusieurs classes des collèges de quartiers populaires révèle une mise encause de l’autorité pédagogique. L’observation montre que la « légitimité d’institution », fondement del’autorité pédagogique selon les auteurs de « La reproduction », est faiblement active et que les ensei-gnants sont contraints à un travail incessant d’instauration et de rappel de leur autorité. Elle montre éga-lement que l’utilisation répétée du pouvoir de sanction afférent à l’autorité pédagogique peut contribuerparadoxalement à son affaiblissement. En remarquant que les enseignants sont contraints à des com-promis dans leur activité pédagogique, pour tenir compte de la distance entre les logiques scolaires etles dispositions des collégiens et pour tenter d’éviter les conflits ouverts et menaçants pour leur auto-rité, l’article souligne la dimension d’interdépendance qui trame l’exercice de l’autorité pédagogique.

L’autorité pédagogiqueen question.

Le cas des collègesde quartiers populaires

Daniel Thin

Mots-clés : autorité, collèges, enseignants, désordre.

réfractaires à l’ordre scolaire et avec des ensei-gnants qui leur sont confrontés, complètent labase empirique de l’analyse.

La proposition que l’autorité pédagogique estune autorité d’institution, c’est-à-dire fondée surune « légitimité d’institution » (Bourdieu etPasseron, 1970, p. 79), se vérifie lorsqu’on note,d’une part, que les enseignants parviennent àimposer dès le premier contact avec des collé-giens peu enclins à consentir au « jeu » scolaireun minimum d’exigences scolaires, et d’autrepart, que les collégiens continuent à accepter,certes de façon minimale, une partie des déci-sions et des demandes des enseignants mêmelorsque la relation pédagogique s’est sensible-ment dégradée. Il est cependant impossible deconfirmer que « la légitimité d’institution dispenseles agents de l’institution de conquérir et deconfirmer continûment leur AuP [autorité pédago-gique] » (Idem). Le désordre récurrent dans plu-sieurs classes des collèges de quartiers popu-laires révèle au contraire une mise en cause del’autorité pédagogique. Il montre que les ensei-gnants sont contraints à un travail incessantd’instauration et de rappel de leur autorité sansêtre toujours assurés de l’efficacité de ces rap-pels. L’observation conduit à souligner la dimen-sion d’interdépendance qui trame l’exercice del’autorité pédagogique et qui conduit les ensei-gnants à des concessions, notamment pour tenterd’éviter les conflits ouverts et menaçants pourcette autorité.

DÉSORDRE SCOLAIRE ET MISE EN CAUSEDE L’AUTORITÉ PÉDAGOGIQUE

Interactions perturbatrices et résistancesà l’ordre scolaire…

Dans les classes observées (1), l’action péda-gogique est perturbée par maintes interactionsqui la parasitent. Citons les nombreuses interpel-lations entre élèves à propos d’événements nonscolaires, les plaisanteries formulées à voix haute,les conflits simulés ou réels qui éclatent à toutpropos, les querelles commencées dans la courou le couloir qui se prolongent dans la classe...Ces interactions conduisent les enseignants à defréquentes interruptions pour tenter de ramener lecalme ou de réorienter l’activité des élèves dans

le sens des apprentissages scolaires. Du coup, cesont de nouvelles interactions qui se développententre l’enseignant et les élèves ou entre élèvesautour de l’intervention du professeur, interac-tions qui sont autant de coupures dans l’activitéde construction ou de transmission des savoirsqui est ainsi fortement morcelée. Les pratiquesqui travestissent la situation scolaire peuventprendre la forme d’une résistance à l’autorité desenseignants. Cette résistance apparaît dans lerefus d’obéissance ou dans la lenteur mise àaccéder à la demande de l’enseignant. On peutévoquer ces élèves qui refusent d’ôter leurs vête-ments d’extérieur dans la classe ou ceux qui nesortent leur cahier ou leur livre qu’après de mul-tiples rappels ou menaces du professeur. La miseen cause de l’autorité de l’enseignant est aussiprésente dans les pratiques consistant à le taqui-ner, à le provoquer, à le pousser à bout, à contes-ter ses décisions, etc. « Y a des classes qui sontcomme ça, des classes qui sont là pour pousserle professeur à bout... en se demandant à lalimite, jusqu’où il va aller, s’il va exploser, s’il vataper un élève, si... je crois qu’ils en sont à ce jeu-là... pour certains » (2). Dans certaines classes, onassiste à un jeu de résistance collective, d’altéra-tion du temps de la classe, d’obstruction de l’ac-tivité scolaire. Nous avons observé des entrées encours manifestement organisées pour retarder ledébut du cours et provoquer des incidents, lesélèves entrant un à un au moment précis où l’en-seignant ferme la porte, comme le déplore ce pro-fesseur : « Les retards de masse. (…) Et il y a desclasses... je suis sûr qu’ils sont cachés... en atten-dant la deuxième sonnerie, et quand la deuxièmesonnerie commence... Bon il y en a deux qui sontrentrés avant, quand la deuxième sonnerie com-mence, ils sont tous les uns derrière les autres eton arrive jamais à fermer la porte. »

Ces pratiques, mélanges de jeu et de résistanceau temps scolaire, concourent à l’affaiblissementde l’autorité de l’enseignant qui ne parvient pas àimposer le respect des règles de la temporalitéscolaire. La dénégation de l’autorité enseignantepeut aller jusqu’à l’affirmation d’une autre légiti-mité ou d’une autre autorité dans la classe. On levoit dans des situations dans lesquelles desélèves « meneurs » imposent le désordre ou à l’in-verse le silence (jamais pour très longtemps) ense substituant à l’autorité du professeur.

Pendant un cours de mathématiques, une élèveorganise la circulation mouvementée d’une

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boîte de boisson gazeuse vide, circulation quientraîne hilarité et de nombreux commentaires.Quand la plupart des élèves ne sont plus tour-nés que vers cette activité et que le bruit esttrès élevé, la même élève déclare à voix hauteet sur un ton professoral : « C’est pas un peufini ! Au travail maintenant ! ». Un calme relatifs’instaure quelques minutes jusqu’à ce qu’ellerelance une nouvelle initiative en cherchantquerelle à un garçon situé à l’autre bout de lasalle.

Ces collégiens substituent à l’autorité pédago-gique un autre pouvoir fondé sur la logique desrelations entre pairs issus des quartiers popu-laires. Ils révèlent la limite et la fragilité de l’auto-rité professorale en plaçant celle-ci en concur-rence avec un autre type de légitimité,antinomique avec les logiques scolaires et lesprincipes de légitimité propres à l’institution sco-laire. Le désordre dans les classes observées nerelève pas du chahut, en tout cas pas du chahuttraditionnel (3). Il participe d’une mise en causeimplicite ou explicite de l’autorité des enseignantsà travers toute une série de pratiques ou de pos-tures qui manifestent une faible soumission àl’autorité pédagogique et qui montrent que celle-ci, loin d’être installée d’emblée, suppose, avecles collégiens de ces classes, un travail d’instau-ration de la part de l’enseignant.

Interactions en boucle

Les mises en cause de l’autorité de l’enseignantet les tentatives de celui-ci pour maintenir lesconditions scolaires d’apprentissage et rétablircette autorité conduisent à des interactions enboucle. Les perturbations provoquées par lesélèves sont alors des répliques aux interventionsde l’enseignant pour faire cesser ou sanctionnerles actes répréhensibles. Ces nouvelles pertur-bations entraînent de nouvelles réprimandesou sanctions selon une circularité se déroulantparfois sur plusieurs séances et rappelant ce queJ.-P. Payet (1995) nomme, à la suite de P. Woods(1990), des tactiques de « réciprocité » à traverslesquelles s’enchaînent les humiliations, les bri-mades, les sanctions et les insolences.

Dans une classe de 5e, un élève est sanctionnépour avoir fait tomber à plusieurs reprises sarègle en métal, puis son cahier, manifestementpour perturber le cours. Il proteste de son inno-cence avec véhémence. L’enseignant le fait

accompagner par un délégué auprès des sur-veillants. Les autres élèves contestent la déci-sion : « C’est pas juste ! » ; « Ça arrive à tout lemonde de faire tomber ses affaires » ; « Lestables sont trop petites ! », etc. L’enseignantimpose le silence avec fermeté. Le coursreprend, mais pendant la demi-heure suivante,les chutes d’objets divers (trousse, crayon,clés...) ne cesseront de se multiplier...

Ces « tactiques de réciprocité » ou ces « logi-ques de la surenchère » (Bruneteaux, 1994) mani-festent une propension à ne pas accepter l’auto-rité scolaire, même quand son détenteur utilise lepouvoir de sanction qui lui est délégué par l’insti-tution scolaire. Elles contraignent à la réactivationrépétée des modalités d’action les plus « autori-taires » de l’autorité et du pouvoir de sanction.Dans les cas où la circularité des sanctions et desreprésailles se prolonge, elle conduit à une quasi-impossibilité d’instaurer une relation qui ne soitpas dominée par les menaces de sanctions. Laboucle ainsi formée fragilise l’autorité pédago-gique. Elle en révèle la faiblesse et la limite, celle-ci ne parvenant pas à interrompre la « boucleinfernale » et n’ayant donc pas le « dernier mot ».L’usage répété des sanctions et des menaces,s’il participe du pouvoir d’action professoralcontre les pratiques perturbatrices ou a-scolaires,constitue aussi une faiblesse de l’autorité péda-gogique parce qu’il montre que la chance d’êtreécouté est fortement déterminée par l’exercice demesures de rétorsion. L’autorité pédagogique doitainsi se montrer, de manière réitérée, réduite aupouvoir de sanction qui en est le dernier rempartet l’expression ultime, expression qui érode cetteautorité en même temps qu’elle la défend et quila sape d’autant plus qu’elle est conduite à serépéter. On est loin de l’idéal pédagogique quivoudrait que l’autorité pédagogique s’exerce sansjamais exhiber le rapport de forces qui la fonde etque le travail pédagogique s’effectue sans coerci-tion, par adhésion des élèves… Les enseignantssont ainsi pris dans une double contrainte entrecet idéal et la nécessité de défendre règles etordre scolaires.

L’autorité pédagogique repose sur une domi-nation au sens de M. Weber, qui se définit par « lachance de trouver des personnes déterminablesprêtes à obéir à un ordre [Befehl] de contenudéterminé » (Weber, 1995, p. 285) (4). L’autoritépédagogique ne s’exerce donc et en fait n’existeque si elle trouve un public prêt à l’accepter.

L’autorité pédagogique en question. Le cas des collèges de quartiers populaires 23

Dans plusieurs classes de collèges de quartierspopulaires, la chance d’être obéi, voire d’êtreécouté, n’est pas assurée et l’autorité pédago-gique rencontre des résistances, qu’elles soientdes résistances volontaires, plus ou moins orga-nisées, ou des résistances objectives (5) duesnotamment aux appropriations hétérodoxes de lasituation scolaire par les collégiens. Dans cesens, la situation de ces classes, les pratiquesdes collégiens témoignent d’un déni, au moinspartiel, de l’autorité pédagogique.

Nécessité d’un travail d’instaurationet de restauration de l’autorité pédagogique

La plupart des enseignants souhaiteraient descollégiens déjà constitués comme élèves, quimanifesteraient une appétence spontanée pourles apprentissages scolaires, pour lesquels lesrègles de l’école iraient de soi et qui accepte-raient l’autorité professorale dès l’abord et demanière pérenne. Or, le travail d’institution descollégiens comme élèves demande ici à êtreaccompli dans le cours même de l’action pédago-gique. « Enseigner en ZEP ou en banlieue, c’est,en effet, être confronté à la nécessité de travaillerexplicitement à constituer ce qui, dans un étatantérieur du système éducatif, ou dans d’autresconditions d’enseignement, pouvait (peut encore)être considéré comme allant de soi, ou comme unacquis à partir duquel l’action de l’école pouvait(peut) s’exercer » (Rochex, 1995, p. 188). L’au-torité pédagogique n’est sans doute jamais com-plètement établie d’emblée avec toutes sortesd’élèves malgré la « légitimité d’institution ». Avecles collégiens des quartiers populaires, la légiti-mité d’institution est d’autant moins opéranteet l’autorité pédagogique est d’autant plus àconquérir que la distance entre les logiques sco-laires et celles des collégiens est plus grande.

En conséquence, les enseignants sont contraintsde déployer tout un ensemble de tactiques pourrétablir leur autorité et l’ordre scolaire à chaquenouveau cours. Les rituels pédagogiques d’instal-lation de la classe en ordre de marche scolairesont très affirmés et le temps d’installation estsouvent long parce que le passage du temps pré-cédent au temps de la classe est difficile pour lescollégiens et que les enseignants doivent réaffir-mer avec force les règles et l’autorité qui en estgarante.

Cours de mathématiques en 6e. À la secondesonnerie, qui marque le moment où les élèvesdevraient être tous en classe, il manque encoreplusieurs élèves ; ils sont dans le couloir.L’enseignant s’assoit à sa table, garde lesilence pour obtenir le calme ; les élèves entrentdans un brouhaha important, se lèvent, seretournent... Le professeur demande à un élèvede rappeler la consigne quand on entre encours. L’élève répond : s’asseoir, rester tran-quille, ne pas parler avec son voisin, sortir sesaffaires. Le professeur fait remarquer que tousconnaissent la consigne, mais ne l’appliquentpas.

Pour beaucoup d’enseignants, par l’affirmation,dès les premiers contacts avec les élèves, derègles et de limites au respect desquelles ilsveilleront avec sévérité, il s’agit de créer un rap-port de forces symbolique qui leur soit favorableet qui permette le moins possible que d’autreslogiques que les logiques scolaires puissent avoircours dans la classe. Les rituels d’entrée passantpar l’exigence que les collégiens soient assis faceà l’enseignant avant de commencer le cours oupar le rappel systématique de règles de compor-tement réalisent tout à la fois la déclaration sym-bolique que l’on est dans un espace de travailscolaire et la réaffirmation symbolique de l’auto-rité pédagogique des enseignants. Ce travaild’instauration préalable pour construire des situa-tions pédagogiques dans lesquelles les apprentis-sages sont possibles produit rarement des effetsdurables. Il apparaît comme un combat sanscesse à recommencer ainsi que l’exprime le lan-gage métaphorique de cet enseignant de fran-çais : « J’ai l’impression de me battre avecl’hydre, vous savez, l’hydre de Lerne. Quand onarrive à maîtriser ou à faire taire cet animal, luicouper la tête, et bon on se croit tranquille, et il yen a quatre qui ont repoussé, et il faut recom-mencer le combat ». Il aurait pu aussi bien userdu mythe de Sisyphe tant les enseignants souli-gnent qu’ils sont obligés de reconquérir l’autoritépédagogique à chaque nouvelle séance. De plus,au cours d’une même séance, ils sont contraintsà de multiples rappels à l’ordre consistant à redé-finir la situation (« on est en classe, alors onécoute ! »), à rappeler les règles (« on ne sedéplace pas sans motif valable »), à interrompredes actes perturbateurs… La plupart des ensei-gnants usent également de nombreux avertis-sements et de menaces de sanctions, comme

24 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

demander à un collégien de déposer son carnetde liaison sur le bureau du professeur, prélude àl’inscription d’une sanction dans le carnet. Denombreuses séances sont scandées par des réac-tivations répétitives de l’autorité pédagogique quihachent le temps de l’action pédagogique.

L’AUTORITÉ PÉDAGOGIQUE DANSDES RELATIONS D’INTERDÉPENDANCE

Si l’autorité pédagogique est allouée par l’insti-tution scolaire, son actualisation dans le cours del’action pédagogique dépend des relations d’in-terdépendance (au sens d’Elias, 1991) entre lesenseignants et les collégiens. Si les relations d’in-terdépendance passent par les interactions face àface entre les enseignants et les collégiens, ellesne leur sont pas réductibles. Elles englobent lerapport que les collégiens peuvent avoir à la sco-larisation en général (les apprentissages, lesrègles scolaires, les exigences scolaires, le modescolaire de socialisation…), aux institutions et àleurs agents comme le rapport que les ensei-gnants peuvent avoir aux collégiens et, dans lecas présent, aux fractions les plus dominées desmilieux populaires. L’actualisation de l’autoritépédagogique passe à travers les interactions dansla classe et hors la classe, mais celles-ci sont tra-mées par l’ensemble des dimensions pratiques etsymboliques des relations d’interdépendance. Lacontrainte d’interdépendance qui pèse sur l’auto-rité pédagogique et son exercice n’est pas pré-sente seulement dans les collèges de quartierspopulaires. Elle est consubstantielle à toute situa-tion pédagogique. Elle prend des modalités etproduit des effets spécifiques dans les collègesde quartiers populaires compte tenu de l’écartentre les collégiens et les exigences scolaires.

Des compromis entre protection et fragilisationde l’autorité pédagogique

Le premier effet de cette contrainte est deconduire les enseignants à consentir des conces-sions et des compromis en matière d’exigences etd’ordre scolaire pour esquiver les tensions tropfortes et s’adapter aux comportements des élèvesou des classes. Ils sont poussés à moduler leursexigences en fonction de leur appréhension (audouble sens de perception et d’inquiétude) de ce

que les collégiens sont capables de supporter eten fonction du calme qu’ils veulent obtenir. Leproblème n’est pas nouveau. Des travaux portantsur les enseignants des CES des quartiers popu-laires parviennent à des conclusions proches :« Placés dans ces conditions d’exercice, les pro-fesseurs se trouvaient contraints d’adapter lesactivités typiques de l’enseignement de leurmatière aux capacités et aux intérêts des élèves,de constituer des critères d’évaluation appli-cables aux performances de ceux-ci ; il leur fallaitégalement définir des repères pour décider quelsétaient, du point de vue de la discipline, lescomportements “tolérables” » (Chapoulie, 1987,p. 320)

La première concession, vécue parfois commeune capitulation, concerne le travail demandé auxcollégiens, la récidive et la multiplication du tra-vail « non-fait » contraignant les enseignants àtolérer soit l’absence de travail, soit des retardsfréquents pour rendre les « devoirs », soit unsimulacre de travail dont ils ne sont pas dupes.« Quand j’ai des élèves que j’ai déjà punis, parcequ’ils n’avaient pas fait leur travail, puis je sais quivont ne pas le faire très souvent, je vais pas lespunir systématiquement, donc parfois je fais laconcession suivante : je remarque qu’il a pas fait,si au moment où on corrige il suit, qu’il note lacorrection, je dis bon, le but est partiellementatteint, rien à dire. »

Pour une partie des collégiens, les professeursadmettent qu’à partir du moment où ils arborentdes signes extérieurs du métier d’élève (un mini-mum d’écrit, une attention apparente, un stylodans la main, etc.), il vaut mieux les laisser tran-quilles. Si la relation qui s’installe présente l’in-convénient de ne pas résoudre la question desapprentissages scolaires pour ces collégiens, elleoffre néanmoins des avantages. D’une part, ellepermet à l’enseignant de ne pas perdre la face enne rendant pas publique la renonciation quis’opère même si personne n’est dupe dans laclasse. D’autre part, elle rend la situation scolairevivable et participe des « stratégies de survie »(Woods, 1977) des protagonistes. Le professeuresquive les conflits qu’il juge perdus d’avance etle collégien échappe aux conséquences négativesde ses manquements aux devoirs d’élève. « On envient à des niveaux, c’est “laisse-moi tranquille” et“je te laisse tranquille”. Et on en arrive là. Et enclasse, tu respectes les règles élémentaires, maismoi “je te laisse un peu tranquille, mais toi tu me

L’autorité pédagogique en question. Le cas des collèges de quartiers populaires 25

laisses tranquille aussi” et on arrive à trouver unéquilibre (…) vivable pour tout le monde parceque sinon on peut pas s’acharner sur un élève quia pas envie de travailler... ». Ainsi, les enseignantspeuvent baisser leurs exigences en matière dediscipline avec certaines classes, tolérer des pra-tiques qu’ils jugent répréhensibles, accepter unniveau de bruit supérieur à ce qu’ils acceptentdans d’autres classes... « Oui il y a des classes oùon accepte plus de bruit, moins de travail, oncontrôle moins c’est évident parce que sinon çaexplose ». On observe ainsi la mise en place d’unpacte minimum, en général tacite, sorte de modusvivendi pour obtenir ou maintenir un semblant depaix dans la classe, en tout cas faire en sorte queles activités pédagogiques puissent se déroulerdans des conditions supportables pour tous. Lesenseignants cherchent aussi à maintenir l’activitépédagogique, fût-ce au prix d’accommodationdes règles scolaires et des principes pédago-giques avec quelques collégiens, pour permettreaux élèves qui tentent de jouer le jeu scolaired’acquérir des savoirs. Les collégiens les plusactifs dans l’obstruction à l’activité pédagogiqueusent d’ailleurs avec habileté du dilemme danslequel ils plongent les enseignants : faut-il inter-venir et sanctionner les manquements aux règlesde fonctionnement de la classe au risque de per-turber davantage encore le cours ou au contraireprivilégier les apprentissages scolaires et ne pasrépondre à la provocation au risque d’affaiblir sonautorité ?

Dans une classe de 5e, une élève joue les « ter-reurs », crie, conteste les enseignants. En sui-vant cette classe, nous nous apercevons queplusieurs enseignants feignent d’ignorer sesprovocations alors que d’autres la reprennentsans jamais pourtant s’affronter avec elle. Tousacceptent de sa part des pratiques qu’ils netolèrent pas d’autres élèves comme sortir de laclasse sous des prétextes divers.

Les conflits comme situations critiquespour l’autorité pédagogique

La baisse des exigences disciplinaires peut êtreune prise en compte des difficultés des élèves àsupporter certaines contraintes. Elle est aussicrainte des réactions « intempestives » ou « agres-sives ». Plusieurs enseignants soulignent qu’il estdifficile de savoir comment agir et que toute exi-gence trop forte peut entraîner des conflits avec

les élèves les moins conformes aux exigencesscolaires. Ils expriment leurs difficultés à savoircomment se comporter tant ils ont le sentimentfondé que leurs interventions peuvent susciterdes réactions qu’ils ne comprennent pas, peuventrenvoyer des élèves à des situations qu’ils viventdouloureusement ou les placer face à des injonc-tions contradictoires qu’ils vivent comme terrible-ment injustes. Le sentiment que tout peut déraperen incident sérieux affleure dans les proposrecueillis dans les collèges et les enseignantsinsistent sur la nécessité d’une vigilance et d’unesurveillance constante : « Moi par exemple main-tenant je me rends compte que je ne suis jamaisassis... Quatre cours de suite, je suis debout, jesuis debout et en vigie constante. » Cette posturede « vigie » repose sur l’idée qu’un petit écart, un« dérapage » porte en lui la potentialité d’un« débordement » ou d’un engrenage dont on nepeut sortir sans affrontement et dont on sort rare-ment « gagnant » au plan de l’autorité pédago-gique.

Au cours des situations de conflit frontal, l’au-torité pédagogique est évidemment particulière-ment menacée. Ces situations manifestent l’ab-sence d’emprise de l’autorité de l’enseignant surle ou les collégiens. Elles peuvent entraîner uneredéfinition de la situation et amener l’enseignantsur un autre terrain que le terrain sur lequel peuts’exercer l’autorité pédagogique. Au cours del’affrontement, le collégien peut (volontairementou non) se placer sur un registre travestissant lasituation scolaire pour imposer une autre défini-tion de la situation qui anéantit l’autorité péda-gogique parce que les normes scolaires de com-portement n’ont plus cours et les modesd’expression propres aux logiques des relationsentre jeunes de milieux populaires s’imposent.C’est ce qui se passe lorsqu’un collégien serévolte et tente, pour faire face à l’autorité pro-fessorale, d’imposer ses propres modes de rela-tion en cherchant l’affrontement physique et enutilisant des catégories langagières qui le valori-sent (selon ses propres normes éthiques) et déva-lorisent l’enseignant. Nous avons observé uneviolente altercation au cours de laquelle un gar-çon de seize ans, hors de lui, hurlait à l’adressed’un professeur masculin (puis des responsablesde l’établissement) : « Je vais te crever » ; « Jesuis pas un pédé, moi ! » ; « Je vais tous vousenc... ! » Ces propos relèvent d’une transgressiondes catégories légitimes mais aussi d’une inver-

26 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

sion de la légitimité des protagonistes. En dénianttoute virilité à l’enseignant, en l’affrontant sur ceterrain-là, le collégien tente de renverser le rap-port de forces. En passant du langage autorisédans le cadre scolaire au langage « de la rue », ilsignifie que l’on n’est plus dans le registre sco-laire mais dans un autre registre où l’autoritépédagogique n’a plus cours.

L’entrée dans un conflit ouvert place les ensei-gnants dans l’alternative suivante : « perdre laface » et affaiblir leur autorité ou aller « jusqu’aubout » pour faire céder le collégien. Dans le pre-mier cas, l’enseignant craint de ne plus pouvoirobtenir quoi que ce soit de ce collégien et d’af-faiblir son autorité devant les autres ; dans lesecond cas, il risque d’entrer dans un enchaîne-ment de conflits avec le ou les collégiens.Beaucoup décrivent des situations qui deviennentinextricables parce que l’enseignant et le collé-gien se sont enfermés dans une hostilité réci-proque, dans une situation d’où l’on ne peut sortirque par un « vainqueur » et un « vaincu ». Tout sepasse comme si, dans ces situations, l’enseignantne pouvait reculer sans perdre son autorité, sonascendant sur les élèves mais aussi comme sicertains collégiens ne pouvaient davantage re-culer sans perdre la face, en particulier devant lesautres élèves. Pour les collégiens, la pression despairs, sans doute la logique de l’honneur propre àla « culture de rue » (Lepoutre, 1997) des quar-tiers populaires imposent de ne pas perdre la facedevant les autres, ce qui conduit à résister à l’au-torité des agents de l’institution scolaire. Lesobservations montrent des collégiens tentantd’avoir le dernier mot même lorsqu’ils sont mani-festement en faute du point de vue des règlesscolaires, des tentatives pour humilier un ensei-gnant par des paroles blessantes, des refus de sesoumettre, etc. Pour les enseignants, perdre laface c’est perdre leur crédibilité et leur autorité,non seulement avec le collégien impliqué dans leconflit mais avec l’ensemble des collégiens assis-tant à l’interaction. Nombre d’entre eux souli-gnent, qu’une fois engagés dans une telle situa-tion, ils ne peuvent reculer et sont contraints« d’avoir le dessus », la plupart du temps en ayantrecours à des sanctions. Ils insistent sur la néces-sité de conclure le conflit à leur avantage afin dene pas se discréditer et d’affirmer leur autoritédevant la classe ainsi que pour protéger l’ins-titution dont ils sont les agents. Lorsque lesconflits sont sans issue ou lorsqu’ils prennent une

forme itérative ou menacent trop fortement l’auto-rité pédagogique, les enseignants ont recours àd’autres instances garantes de l’ordre scolaire etde l’autorité de l’institution, comme les conseil-lers d’éducation et les chefs d’établissements. Ils’agit alors de faire appel à une autorité supé-rieure, afin de protéger sa propre autorité etl’ordre de la classe. De la même manière, lesobservations montrent une tendance dans les col-lèges à se tourner vers des instances extérieuresà l’institution scolaire. Les recours à l’institutionpolicière ou judiciaire ne sont pas rares, non seu-lement en cas de délit de type vol mais égalementen cas d’insultes à enseignants ou autre membredu personnel du collège.

Un élève passant devant le collège interpelle unmembre de l’administration qui se trouve dansla cour et crie : « X, fils de p... ». L’éta-blissement porte plainte pour outrages à fonc-tionnaire.

La mobilisation de ces instances vise à protégerl’institution scolaire autant que l’action pédago-gique. Elle vise à renforcer l’autorité pédagogiqueet tente de préserver les établissements et lesclasses des pratiques les moins légitimes dansl’espace scolaire. Cependant, elle concourt àrévéler la faiblesse et les limites de l’autoritépédagogique. « Quand on a besoin de l’adminis-tration pour régler un problème avec un collégien,on a échoué quelque part », dit un professeurd’anglais. Là encore, les enseignants (et à unautre niveau l’administration des collèges), faceaux résistances objectives d’une partie de leursélèves aux logiques scolaires, sont conduits àaffaiblir leur autorité en cherchant à la protéger.

Les enseignants contraints de se conformeraux principes scolaires

Si le conflit amène les enseignants à s’imposer« coûte que coûte » ou à faire appel à une autreautorité ou à perdre la face, il les confronte éga-lement au risque de leur propre « dérapage ». Ensituation d’affrontement direct avec des collé-giens, il arrive que les enseignants agissent selondes modalités s’écartant des normes scolaires decomportement, au premier rang desquelles lamaîtrise de soi. Lorsqu’un enseignant s’emporte,perd cette maîtrise comme lorsqu’il donne un tourpersonnel au conflit qui l’oppose à un collégien, ils’éloigne des règles scolaires de comportementauxquelles il demande aux collégiens de se

L’autorité pédagogique en question. Le cas des collèges de quartiers populaires 27

conformer. Nos observations montrent qu’alors lerisque de réaction vive, de « rebellion » des collé-giens est important. Nous avons noté plusieurssituations où un collégien réagissait avec viru-lence à une remarque ou à un geste par lequell’enseignant laissait transparaître sa colère ou sonexaspération.

Dans une classe de 4e, cours d’histoire et géo-graphie. Un garçon se lève une fois de plus etune fois de trop pour le professeur qui se trouveà un mètre de lui. Celui-ci l’agrippe par un braset le repousse vers sa chaise en lui disant aveccolère : « Ça suffit maintenant, tu restes assisou alors... » ; l’élève répond avec un regard dedéfi : « Ou alors quoi ? » ; le professeur : « Tune réponds pas ! » ; l’élève : « Lâchez-moi, vousn’avez pas le droit ! » tout en affrontant duregard l’enseignant. Celui-ci retourne à sonbureau et demande à l’élève d’apporter son car-net à la fin du cours. Le collégien, enfin assis,repousse son cahier et son stylo avec colère. Ilne travaille plus jusqu’à la fin du cours etaffiche sur son visage un masque de révolte.

Dans sa théorie de la forme scolaire, G. Vincentsouligne que « L’école, règne de la règle imper-sonnelle, s’oppose à toutes ces formes de pou-voir qui reposent sur la volonté ou l’inspirationd’une personne » (Vincent, 1980, p. 264). À sasuite, R. Gasparini écrit : « Si l’on se rapporte àl’analyse wébérienne des formes de domination,on peut dire que l’autorité qui prédomine à l’écoleactuellement est de type légal-rationnel. (…) Dansla relation pédagogique, les relations affectivestendent à être bannies de la classe au profit d’unrapport plus distant entre le maître et l’élève etdavantage réglé par la référence à des normesrationnelles, officielles et impersonnelles aux-quelles tous doivent se soumettre, y compris l’en-seignant » (Gasparini, 2000, p. 19-20). Lorsqu’unenseignant se laisse déborder par son exaspéra-tion, il sort du registre de rôle attendu et instituépar sa fonction d’enseignant qui suppose uneaction selon des règles impersonnelles et non passelon les humeurs du pédagogue. Du même coup,il se rapproche du registre des relations person-nelles qu’entretiennent les adolescents entre eux.Dans ce genre de situation, les collégiens répli-quent fréquemment en utilisant le registre qui estcelui qu’ils connaissent dans leur quartier ou dansla cour du collège, notamment le registre del’honneur qui suppose que l’on réplique à l’of-fense ou à l’agression subie. Tout se passe

comme si l’enseignant qui déroge aux règles sco-laires associées à sa fonction « autorisait » ou« provoquait » une transgression en retour de lapart du collégien et un déplacement de l’affronte-ment sur un terrain non-scolaire et selon desmodalités elles aussi non-scolaires, plus prochesdes logiques d’affrontement des jeunes des quar-tiers populaires (6). En outre, quand un élèvedéclare « Vous n’avez pas le droit ! », il effectuepeut-être un rappel aux règles de la fonction pro-fessorale et montre par là qu’à défaut de maîtri-ser et de respecter les règles scolaires, il enconnaît quelques-uns des principes au point detrouver insupportable que l’enseignant lui-mêmeles enfreigne.

Dans La société de cour, Elias nous apprendqu’il n’est pas de pouvoir, même lorsqu’il est ditabsolu, qui ne s’exerce sans contrainte sur sondétenteur pris lui aussi dans des relations d’inter-dépendance. Pour que son pouvoir ne soit pasréduit à la seule expression de force brutale, pourqu’un minimum d’adhésion ou de croyance luipermette d’avoir de l’autorité, il est contraint derespecter les règles et les principes qu’il a lui-même instaurés, de se soumettre lui-même àl’ordre social et symbolique sur lequel son pou-voir est censé reposer. De même que le monarqueabsolu « n’aurait pu soumettre les autres à lacontrainte de l’étiquette et de la représentation,instrument de sa domination, sans y prendre partlui-même. » (Elias, 1985, p. 142) (7), les ensei-gnants sont contraints de respecter les règleset principes qu’ils présentent aux collégienscomme règles et principes de conduite. Commedétenteurs de l’autorité pédagogique, ils sontcontraints en retour de se conformer aux prin-cipes sur lesquels cette autorité repose, les man-quements à ces principes produisant une alté-ration de leur autorité ou sa réduction à son seulpouvoir (arbitraire) de sanction.

CONCLUSION

« Avec un recul temporel suffisant, la coïnci-dence entre l’émergence d’une crise des rapportsd’enseignement et les transformations du recrute-ment social de l’enseignement secondaire appa-raît presque complète » écrit J.-M. Chapoulie(1987, 306). Ce que l’auteur appelle « crise desrapports d’enseignement » et que nous avons

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traité sous l’angle de l’autorité pédagogique s’en-racine dans la distance entre les logiques sco-laires et les dispositions des collégiens produitespar la socialisation et les conditions socialesd’existence. Parce que l’École ne parvient pas àréduire cette distance avec une partie des enfantsdes milieux populaires les plus dominés, ni à lesfaire tous entrer dans les logiques scolaires etparce que la « réussite » scolaire ne suffit pas àgarantir la « réussite » sociale pour les enfantsdes fractions les plus dominées des milieux popu-laires, naît une baisse de légitimité de l’institutionscolaire et de ses agents. Cette baisse de légiti-mité affecte l’autorité pédagogique qui s’entrouve diminuée. Avec les collégiens les plus en« rupture », rupture manifestée par leurs pratiqueset par le rejet opéré par l’institution scolaire, toutse passe comme si l’intérêt à se soumettre à lalogique de l’institution ne parvenait pas à êtreplus fort que l’intérêt à se soumettre à unelogique concurrente.

Le modèle de l’autorité pédagogique développédans La Reproduction, relève, comme toutmodèle, d’une « perfection systématique obtenue

par passage à la limite » (Passeron, 1991). Il pré-sente une situation idéal-typique dans laquellel’autorité pédagogique n’a ni à se justifier, ni às’instaurer par un travail spécifique, dans laquelleelle est installée d’emblée et de façon pérenne. Laréalité empirique ne se confond sans doute jamaisavec le modèle. Celui-ci nous permet cependantde comprendre les situations observées en étu-diant en quoi elles s’écartent du modèle. Parl’étude des classes les plus concernées par le« désordre » scolaire et des collégiens les plusréfractaires aux logiques scolaires, on opère aussiun « passage à la limite », passage où la légitimitéd’institution a sa plus faible efficacité parce quel’écart évoqué plus haut fait apparaître leslogiques scolaires comme arbitraires, passage oùles enseignants, faute de bénéficier suffisammentdes effets de la légitimité d’institution, doiventtenter de conquérir eux-mêmes leur autorité et lareconnaissance symbolique qui l’accompagne.

Daniel Thin

Groupe de Recherche sur la Socialisation

Université Lumière Lyon 2

L’autorité pédagogique en question. Le cas des collèges de quartiers populaires 29

NOTES

(1) Traiter de l’autorité pédagogique n’implique pas que l’on enfasse le nœud des difficultés des collèges de quartierspopulaires. La question de l’autorité n’est qu’une entréepossible, isolée pendant le temps de l’analyse, qui n’est pasdissociée d’autres questions (dont elle est pour une largepart une conséquence) comme celles des apprentissages etdes difficultés rencontrées par les collégiens, de la confron-tation des logiques sociales différentes ou encore desconditions sociales dans lesquelles est insérée la scolarisa-tion des collégiens de milieux populaires.

(2) Les passages en italique sont tous des extraits d’entretiensavec des enseignants.

(3) « Le chahut traditionnel, qui exprime l’intégration à l’universscolaire, est nécessaire au bon fonctionnement du systèmepédagogique traditionnel, parce qu’il est à la fois recréationet récréation du groupe pédagogique » (Testanière, 1967,p. 23).

(4) M. Weber précise : « Nous entendons par « domination » lachance, pour des ordres spécifiques (ou pour tous lesautres), de trouver obéissance de la part d’un groupe déter-miné d’individus. Il ne s’agit cependant pas de n’importequelle chance d’exercer « puissance » ou « influence » surd’autres individus. En ce sens, la domination (« l’autorité »)peut reposer, dans un cas particulier, sur les motifs les plus

divers de docilité : de la morne habitude aux pures consi-dérations rationnelles en finalité. Tout véritable rapport dedomination comporte un minimum de volonté d’obéir, parconséquent un intérêt, extérieur ou intérieur, à obéir. »(p. 285)

(5) Parler de résistances objectives permet d’éviter le piège dudiscours sur les « résistances populaires » qui réintroduitderrière les actes des êtres sociaux une finalité que ces der-niers ne leur attribuent pas. Parler de résistances objectives,c’est parler des actes et des pratiques « non construitessubjectivement comme résistances, mais qui résistent pour-tant objectivement à l’imposition des normes pédago-giques » (Thin, 1998).

(6) On rejoint les remarques de G. Mauger concernant les rela-tions des jeunes des quartiers populaires avec la police quise transforment en relation avec une bande rivale lorsque lespoliciers entrent dans un registre d’action similaire auxlogiques des jeunes eux-mêmes (Mauger, 2001).

(7) « On ferme souvent les yeux devant le fait que lescontraintes dont usent les puissants à l’égard des moinspuissants se retournent, sous forme d’autocontraintes,contre les groupes qui les exercent sur les groupes moinspuissants » (Elias, 1985, p. 304).

30 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

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BIBLIOGRAPHIE

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 31-51 31

Écoliers, collégiens et lycéens partagent demultiples expériences scolaires qui sont, peu

ou prou, marquées par l’humiliation, l’injure, lavexation, la moquerie, la honte… Dans cet article,afin d’éviter des périphrases inutiles, le terme« humiliation » sera préféré et sollicité dans unsens générique. Ce terme, le plus employé par lesélèves, présente en effet l’avantage d’appréhen-der de façon syncrétique une dimension majeurede leur histoire scolaire, celle du rabaissement desoi. Les ex-élèves interrogés, même ceux denotre échantillon a priori protégés des affres sco-laires ordinaires (cf. annexe), sont en effet parti-culièrement prolixes sur cet aspect de leur scola-

rité. La fréquence des histoires d’humiliationlivrées au chercheur démontre leur importancepour les enquêtés, et constitue, plus largement,une des descriptions possibles de ce qui sepasse dans une classe et dans un établissement.

La sociologie de l’humiliation des élèves resteencore embryonnaire. La recherche marquantesur ce thème est due à Dubet (1991) pour qui le« mépris » ou le « manque de respect » constitueune sorte de fil rouge sans lequel l’expériencelycéenne ne peut être véritablement comprise.Une quantification du sentiment subjectif d’humi-liation a été réalisée lors de l’enquête Insee-Inedmenée en juin 1992. La moitié des collégiens et

L’article a pour objet de connaître les pratiques d’humiliation des élèves en vigueur dans les établisse-ments d’enseignement français (1). À partir de témoignages écrits recueillis d’une façon codifiée auprèsde 495 étudiants, l’auteur a élaboré une typologie des formes d’humiliation en distinguant le rabaisse-ment scolaire lié au statut d’élève de l’injure liée à la personne. L’article présente une interprétation deces pratiques humiliantes en centrant l’analyse sur les intentions professorales, conscientes ou non,associées à ce type de pratiques scolaires dévalorisantes. L’article montre aussi que l’humiliation desélèves, analysée comme une interaction perturbatrice, est une pratique professorale contraire aux pro-grès scolaires des élèves.

L’humiliation des élèvesdans l’institution scolaire :

contribution à une sociologiedes relations maître-élèves

Pierre Merle

Mots clés : humiliation, ordre scolaire, évaluation des élèves, discrimination sociale, difficultés d’apprentissage.

lycéens, 49 % exactement, déclarent s’être sen-tis, « parfois » ou « souvent », humiliés ou rabais-sés par des professeurs (Choquet et Heran,1996). Parmi d’autres éléments de bilan, onnotera que le terme « humiliation » n’est pasrépertorié comme mot-clé dans la base de don-nées educasource.education.fr. Par ailleurs, dansl’index thématique des recherches parues dans laRevue française de pédagogie de 1967 à 1990, lethème de l’humiliation n’est pas cité une seulefois, ni les autres synonymes mentionnés ci-des-sus. De ce rapide bilan, il ressort que l’humiliationest à la fois une expérience scolaire ordinaire etun objet de recherche relativement délaissé. Lesraisons de l’humiliation des élèves ainsi que leseffets qu’elle produit sur eux restent aussi large-ment méconnus.

Dans la relation maître-élève, l’humiliation estprésente à la fois comme expérience subjectivedes élèves et comme réalité sociale de laclasse dont la connaissance est sans aucundoute problématique. Il existe en effet une diffi-culté méthodologique classique à passer desexpériences des élèves, singulières et subjec-tives, à une connaissance sociologique définiepar Weber comme une science de la réalité(Weber, 1992, p. 148). Chercher à résoudre cettedifficulté nécessite de spécifier de façon le plusexplicitement possible le cadre de la recherche etnotamment les biais associés aux modalités derecueil et d’interprétations des données.L’annexe méthodologique précise les modalitésde collecte et d’exploitation des presque 500 fi-ches recueillies auprès des étudiants à qui nousavons demandé de nous faire part de leur expé-rience scolaire.

Une connaissance sociologique de l’humi-liation scolaire impose aussi de préciser le plusexplicitement possible les hypothèses de larecherche et les modalités d’administration de lapreuve (partie I). Cette question de méthode estd’autant plus importante que l’humiliation sco-laire n’est évidemment pas « donnée » par lasimple lecture des fiches. Un travail d’élucida-tion des significations associées aux situationsvécues par les élèves et les maîtres est en effetinévitable. Ce travail a permis de distinguer uneforme d’humiliation propre à la situation d’élèveet constitutive de jugements professoraux déva-lorisants (partie II) d’une autre forme d’humi-liation qui s’adresse non plus à l’élève mais à lapersonne. Elle prend la forme de l’injure (par-

tie III). Enfin, une dernière partie propose uneinterprétation générale des humiliations subiespar les élèves (IV).

HYPOTHÈSES DE LA RECHERCHEET ADMINISTRATION DE LA PREUVE

Hypothèses de la recherche

Les données recueillies ont pour objet d’établirune connaissance des pratiques d’humiliation desélèves non apportée par l’analyse statistique(Choquet et Héran, 1996). Cette connaissanceconcrète des situations et des mots permet d’ap-profondir la connaissance « de l’intérieur » de ceque peut vivre un élève dans le quotidien de sontravail scolaire. Elle est une introduction toutaussi bien à l’analyse de la violence dans les éta-blissements qu’aux processus de décrochagesscolaires.

Les histoires racontées par les ex-élèves en-quêtés sont, pour une grande part d’entre elles, ceque nous désignerons par l’expression inter-actions perturbatrices ou dérégulatrices. L’ex-pression « incidents critiques » ou « pertur-bateurs » utilisée par Woods (1990) revêt un senstrop différent pour que nous puissions la reprendredans notre démarche. Dans l’institution éducative,ces interactions singulières transforment lesobjectifs poursuivis par les élèves, font voir autre-ment, altèrent l’image du professeur, transformentvoire bouleversent les attentes et les idées que lesélèves avaient sur l’univers scolaire. Ce sont desinteractions qui amènent l’acteur à penser que« ce ne sera plus comme avant », « qu’on ne l’yreprendra plus », ou « qu’une page est tournée ».Dans un langage goffmanien (Goffman, 1974), onconsidérera que le professeur n’a pas respecté lesrites d’interaction ordinaire de la société civile :l’élève a été offensé et a « perdu la face » au pointqu’il lui faut modifier, plus ou moins sensiblement,sa représentation des interactions quotidiennes,son image de soi et sa place dans l’institution sco-laire. Certains élèves disent avoir été « dégoûtés »,« ridiculisés », « découragés », « cassés », « cas-sés à vie » par tel ou tel prof jugé « désagréable »,« méchant », « injuste » ou « humiliant ». Or, unelittérature importante montre qu’une représenta-tion dépréciée de soi exerce des effets négatifs surla performance scolaire (par exemple Martinot etMonteil, 1996). Autrement dit, le contexte relation-

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nel créé par ces interactions perturbatrices renddifficile, voire impossible, la poursuite de l’appren-tissage. La connaissance de ces interactions spé-cifiques a trop longtemps été négligée : sanscelle-ci, l’enseignant ne peut accéder à une partiedes raisons qui font que parfois la classe luiéchappe et devient incontrôlable ou que tel ou telélève se détourne de la matière enseignée ou serévolte. Il s’agit donc de mieux connaître une par-tie des situations qui sont au fondement de la sur-vie du professeur dans sa classe et de l’élève dansl’école.

L’hypothèse de la recherche liant, directementou indirectement, certains « décrochages sco-laires », « démotivations », « inaptitudes » sco-laires, aux pratiques d’humiliation n’est pas exclu-sive d’autres compréhensions de la diversité destrajectoires scolaires des collégiens et lycéens,notamment des approches en termes d’« héri-tages » sociaux (Bourdieu, Passeron, 1964, 1970),de « rapport au savoir » (Charlot, Bautier, Rochex,1992) ou d’efficacité de l’enseignement (Bressoux,1994, 2000 ; Merle, 1998 ; Crahay, 2000). Evidem-ment, ces interactions perturbatrices ou dérégula-trices ne se situent pas dans une sorte de videsocial qui effacerait comme par enchantementl’effet des origines sociales des élèves et les spé-cificités de leurs rapports à l’école sur leursmanières d’y vivre leur scolarité. L’hypothèsedéfendue est autre. Il s’agit de montrer qu’uneapproche en termes de rapports de classes nepeut prétendre à la connaissance totale des inter-actions maître-élèves. Eu égard aux situations declasse, il existe en effet une autonomie relative despratiques d’humiliation et celles-ci constituent unedimension insuffisamment explorée des rapportsdes maîtres aux élèves.

Les modalités d’administration de la preuve

La question de la preuve, ainsi abordée, n’estjamais anodine. Le lecteur voudra bien considérerque la démarche typologique réalisée a pour objetde mettre à distance l’expérience subjective desélèves afin d’accéder à un certain degré de géné-ralité descriptive et explicative des pratiqueshumiliantes. La démarche ne consiste pas toute-fois à rompre avec les expériences subjectivesdes enquêtés. Il s’agit plutôt de construire, à par-tir de celles-ci, une compréhension renouveléedes activités propres à la classe. Dans le champdes débats épistémologiques en sciences so-

ciales, la démarche se rattache davantage à unethèse « continuiste » qu’à une théorie de la rup-ture épistémologique prônée notamment parDurkheim (1895) ou Bachelard (1939). Par ailleurs,sans forcément considérer que la connaissancedu social n’existe que dans le dénombrement, ilest patent que l’analyse qualitative réalisée n’estpas de l’ordre du témoignage et de type biogra-phique mais est aussi, indirectement, de typequantitatif en raison du nombre de fichesrecueillies et analysées.

Les exemples présentés ne constituent en effetque des exemples choisis parmi beaucoupd’autres. Mis en avant dans la démarche d’écri-ture, l’exemple ne vient en fait qu’après dansl’analyse : le « vécu » des élèves n’accède au sta-tut de connaissance sociale que si le poidsdu nombre convainc le chercheur du caractère« réel » des situations décrites par les élèves. Defaçon a priori paradoxale, compte tenu de la posi-tion épistémologique de cette recherche, il estpossible de solliciter Levi-Strauss : « pour at-teindre le réel, il faut d’abord répudier le vécuquitte à le réintégrer par la suite dans une syn-thèse objective (Levi-Strauss, 1955, p. 63). Dansla démarche, la répudiation tient à l’exclusiond’un certain nombre de fiches dans lesquelles lechercheur n’a pu dégager aucun schéma générald’intelligibilité de la situation particulière décritepar l’étudiant. Celle-ci est dès lors restée prison-nière de sa singularité biographique et hors duchamp de la connaissance sociologique.

La démarche procède finalement d’une série defiltres. Dans « l’infinie diversité du réel » (Weber,1922) soumise à la perspicacité compréhensivede chacun, en l’espèce du chercheur dans lecadre d’une démarche scientifique, les étudiantsinterrogés ont été placés de fait dans la positiond’enquêteur en sélectionnant des interactions de« face à face » dignes pour eux d’intérêt eu égardà la question posée (Cf. annexe méthodologique).Cette première sélection se double d’une nouvellesélection réalisée, celle-ci, par le chercheur selonles modalités décrites ci-dessus. Le fait que lechercheur travaille sur un matériau déjà sélec-tionné, et « travaillé » en l’espèce par les enquê-tés, constitue une limite propre à la quasi totalitédes activités de recherche, bien que cette limitese manifeste de façon évidemment très diverseselon le type d’analyse. On pense notamment auxcadres forcément sélectifs que constituent lechoix des questions posées dans les grandes

L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire : contribution à une sociologie des relations maître-élèves 33

enquêtes nationales (recensement, enquêtesEmploi, etc.), aux effets de désirabilité socialesources de biais de réponse, ou encore aucodage des professions et groupes sociaux dansla nomenclature de l’Insee.

L’HUMILIATION DE L’ÉLÈVE :LE RABAISSEMENT SCOLAIRE

Le sentiment d’humiliation est ressenti assezfréquemment par les élèves. Evidemment, ce sen-timent de non respect est réciproque, objective-ment réciproque : il est possible de montrer quel’expérience subjective des maîtres est sur cepoint comparable à celle des élèves (2). Le projetpoursuivi est de considérer les situations que lesélèves jugent offensantes, outrageantes, rabais-santes, et finalement préjudiciables à une recon-naissance minimum de soi inséparable de touterelation éducative et plus généralement sociale.On donnera plusieurs exemples emblématiquesdes situations d’humiliation en regroupant celles-ci par types. Les premières situations sont detype individuel. Les secondes concernent despopulations spécifiques d’élèves. Cette distinc-tion correspond à des différences de pratiquesprofessorales identifiables à la lecture du corpusde fiches étudiées.

Le rabaissement individuel de l’élève

Dans les situations de rabaissement individuel,l’élève est séparé par le professeur des autresélèves de la classe et se retrouve dans une posi-tion de seul contre tous. L’élève assure, malgrélui, au mieux le rôle d’amuseur public, au pirecelui de bouc émissaire, de souffre-douleur ou detête de turc. Étant donné la spécificité sociale dela population enquêtée (Cf. annexe méthodolo-gique), les fiches présentent plus souvent dessituations observées en classe que des situationsvécues personnellement par les élèves enquêtés.

Le « mauvais » élève promu au rangde mauvais exemple

« J’avais une amie dont l’embonpoint la gênaiténormément dans sa vie quotidienne (…). Lescours de sport étaient donc pour elle un véritablecalvaire. Un jour, en cours de saut en hauteur, leprof lui a demandé de franchir la barre devant

tout le monde. La barre était à un mètre, ce quiévidemment est peu, mais pour elle, c’était diffi-cile. Le professeur l’a obligée à sauter. Elle aobéi, a sauté, puis est tombée. Tout le monderiait et surtout le prof. Il l’a obligée à recommen-cer plusieurs fois prétextant se servir d’ellecomme exemple de tout ce qu’il ne fallait pasfaire, et plus largement ne pas être, que le sportc’était la santé et qu’il était urgent de s’ymettre. Je ne suis pas sûre que le droit au respectde l’individu ait été respecté. »

Dans cette situation particulière, il est délicatde se faire l’avocat du professeur : il est en effetdifficile de plaider la méprise ou le malentenduscolaire. La moquerie est objectivement pro-bable : elle existe pour l’élève témoin qui racontel’histoire ; elle existe aussi pour l’élève soumiseaux rires du professeur ; elle existe enfin, proba-blement, pour une partie des autres élèves de laclasse. La mise en cause publique de l’élèvesemble aussi revendiquée par le professeurlorsque celui-ci prend en exemple l’élève pourdéfinir tout ce qu’il ne faut pas faire. S’agit-il d’unprocédé didactique profitable à l’élève ? Cettequestion est importante : lorsqu’ils prennent desexemples de ce qu’il ne faut pas faire, les profes-seurs désignent souvent nominalement un ou plu-sieurs élèves. Tenue longtemps pour la manifes-tation indiscutable de l’incompétence, l’erreur faitdésormais l’objet d’une réévaluation dans l’insti-tution scolaire : elle serait devenue un des sup-ports possibles de l’apprentissage. Peut-on dèslors considérer un point de vue selon lequel lasituation ne relèverait pas de l’humiliationpublique mais d’un travail sur l’erreur de l’élève ?En fait, il n’est guère utile de montrer à un élèvel’erreur qu’il a faite, en l’espèce un saut raté, sicelui-ci n’est pas dans une situation qui lui per-mette d’y « remédier ». Or la répétition desmêmes sauts ratés et des mêmes erreurs n’offrede toute évidence guère la possibilité d’un pro-grès : une barre baissée à quatre-vingt-dix ouquatre-vingts centimètres aurait été d’un plusgrand secours et un saut réussi une introductionplus convaincante à un travail sur l’erreur. Enrevanche, la répétition de la même erreur exigéepar le professeur revient à produire l’effet inversede l’objectif pédagogique censé être poursuivi parle professeur : pour les autres comme pour lui-même, l’élève est assimilé à l’incompétence spor-tive alors que le principe même du travail sur l’er-reur est de parvenir à une distanciation entre la

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faute et l’élève. Si, par ailleurs, il existe deserreurs types, beaucoup d’élèves peuvent servird’exemple, et il est alors anti-didactique et objec-tivement humiliant de prendre comme exempleune élève particulièrement en difficulté dans ladiscipline.

De façon plus générale, la valeur des conseils duprofesseur tient à leur adéquation aux problèmesrencontrés par l’élève. On a montré ainsi, à partird’une analyse systématique des modalités decorrection de copies de mathématiques et defrançais, l’effet positif des annotations de copiesdonnant à l’élève des conseils personnalisésde révision (Thaurel-Richard et Verdon, 1996 ;Schmitt-Rolland et Thaurel-Richard, 1996). Cespratiques sont associées à de meilleures perfor-mances ultérieures. Il existe donc un abîme entreun travail sur l’erreur fondé sur l’analyse métho-dique des erreurs individuelles et la mise en causepublique, et clairement humiliante, du mauvaisexemple et du mauvais élève. Cette mise en causeproduit de surcroît des effets contre-productifs :perte de confiance en soi et jugement dépréciatifengendrent de moindres performances scolaires(Martinot et Monteil, 1996). L’humiliation de l’élèveest donc nettement contraire à ses progrès sco-laires.

La variété de la mise en cause publique :« passage au tableau » et al.

Les élèves ont donc totalement raison lorsqu’ilsreprochent à leurs professeurs la stigmatisationpublique de leurs erreurs. Cette humiliation estclassiquement présente dans la façon, utiliséesemble-t-il spécialement en mathématiques, de« mettre un élève au tableau ». De nombreusesfiches racontent cette situation scolaire archéty-pique de l’élève séchant abominablement sur l’es-trade. Les fiches évoquent soit la situation vécuepar l’ex-élève enquêté, soit, plus souvent, celledes élèves spectateurs sollicités pour assister à lamise en cause publique d’un camarade : « Uneélève de ma classe a eu la malchance de ne pasêtre douée en maths. Cela lui a valu, en 5e, derester plantée une heure au tableau parce qu’ellen’arrivait pas à résoudre un exercice, et ceci sousles brimades d’une prof qui ne s’est pas gênéepour la traiter de nulle devant la classe. Le droità la dignité de cette personne n’a pas été res-pecté ». Le passage au tableau est souvent perçucomme une sorte de « passage à tabac » scolaire.La classe se transforme alors en arène et l’élève

subit une sorte de mise à mort symbolique de sonstatut d’élève devant ses camarades.

Cette humiliation publique est aussi classi-quement présente dans l’habitude professoraleconsistant à rendre aux élèves leurs copies selonun ordre décroissant, de la meilleure à la plusfaible, en ajoutant un commentaire du « très bon »au « minable ». Ou bien le professeur ajoute, enrendant les mauvaises copies, un « petit commen-taire destiné à faire rire la classe ». D’autres pro-fesseurs font preuve d’une mise en cause pluscirconstanciée des élèves : « Lorsque le profes-seur rendait les copies, il faisait systématique-ment un bêtisier des erreurs en nommant lesélèves qui les avaient commises ce qui parfois lesridiculisait devant la classe ». De nouveau, le pro-jet pédagogique d’analyse des erreurs de l’élèvedevient un prétexte commode au service de pra-tiques humiliantes : nul n’est besoin en effet depréciser l’identité d’un élève pour assurer la cri-tique de ses erreurs, si bien que la désignationpublique n’a pas d’autres motifs véritables que lamise en cause de l’élève jugé fautif et incapable.Même à l’université, comme l’écrit un étudiant,cette mise en cause est parfois présente. Lescommentaires sont appropriés au niveau, en l’oc-currence la deuxième année de DEUG : « vousn’avez rien à faire ici, ce n’est même pas d’unniveau bac », ou encore « mais comment avez-vous eu votre bac ma pauvre enfant ? ! ». Sur cessituations, relativement classiques, les remarquesdes enquêtés sont quasi unanimes : la note, juge-ment professoral définissant la valeur scolaire, estune information personnelle, ne concerne quel’élève lui-même et n’a, en aucune manière, à êtrerendue publique auprès des autres élèves de laclasse. Comme l’indique un des étudiants interro-gés : « J’estime qu’un élève a le droit de garderses notes confidentielles… C’est comme les pro-blèmes de santé. » (3).

Le recours à un surnom, sobriquet souventmoqueur, est une autre forme de mise en causepublique. Telle élève raconte qu’elle a passé unbac scientifique mais a toujours eu du mal à com-prendre rapidement. Elle posait beaucoup dequestions aux professeurs. Un d’entre eux a finipar ne plus vouloir lui donner les réponses auxquestions qu’elle posait, et a fini par l’appeler« madame j’comprends pas » lorsqu’elle posaitune question. Comme l’indique l’élève : « J’étaisridiculisée devant toute la classe ». Et sa volontéde poser des questions a été sérieusement

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ébranlée jusqu’à considérer que cette stigmati-sation publique avait mis fin à sa vocation scien-tifique… L’intention humiliante du professeurn’est de fait guère contestable, tout comme, plusgénéralement, les effets négatifs sur l’apprentis-sage de ce type de pratique professorale. Mêmeen considérant que la nécessité de l’avancementdu cours et le respect du programme ont prévalusur l’exigence d’une transposition didactiqueaccessible à tous, les propos de l’enseignant nesont pas conformes à la réglementation scolairequi fait obligation à tous d’un respect de chacun.

Le rabaissement collectif des élèves

À l’école primaire, dans les témoignagesrecueillis, certains professeurs divisent leursclasses en deux voire trois rangées. Cette pra-tique, étant donné l’âge moyen des enquêtés,date en l’espèce du milieu des années quatre-vingt, sans que l’on puisse savoir si elle subsisteencore sous cette forme ou sous d’autres. Soncaractère stigmatisant est explicite. Tel instituteurinstalle les bons élèves près de la fenêtre et cegroupe correspond au « paradis », le groupe des« moyens » est placé au milieu et correspond au« purgatoire », celui des « faibles », placé près dumur, constitue « l’enfer ». Les élèves changent degroupe selon leurs résultats scolaires, et l’institu-teur insiste à cette occasion sur le caractère valo-risant ou dévalorisant de cet acte. D’autres insti-tuteurs se contentent d’une hiérarchie binaire del’espace scolaire en séparant « bons » et « mau-vais élèves ». Le caractère dévalorisant de cespratiques contient inévitablement une dimensionhumiliante tant une partie des élèves de la classeest désignée publiquement comme incapable,stigmatisée et montrée du doigt. Ces pratiques declassement sont de surcroît associées dans lesfiches étudiées à des brimades les plus diverses(scotch sur la bouche, privations de récréations,etc.) qui renforcent la ségrégation et l’humiliationscolaires subies par ces élèves.

Présentes au sein de la classe dans les pra-tiques de séparation spatiale des élèves, leshumiliations collectives sont également obser-vables dans la façon de constituer les classes parles chefs d’établissements. Il existe sur cettequestion un certain nombre de recherches mon-trant la façon dont les é lèves sont regroupésselon leurs niveaux scolaires (4). Or, étant donnél’interdépendance statistique entre niveau sco-

laire, origine sociale et ethnicité, un tel regroupe-ment revient souvent à établir des ségrégationssociales et ethniques (Payet, 1995) même sila dénégation de telles pratiques est en généralla règle (Dubet et al., 1999). Les enquêtés, dansles fiches qu’ils remplissent, ont souvent uneconscience assez claire de ces pratiques. Danstel établissement où les élèves sont regroupésdans quatre classes selon l’ordre alphabétique(A, B, C, D), avec les meilleurs élèves dans lesclasses « A » et les plus faibles dans les classesD, les élèves scolarisés dans les classes C et Ds’appellent eux-mêmes et sont parfois appeléspar les autres les « Cons » (pour la classe C) etles « Débiles » pour la classe D. Cette consciencede la ségrégation scolaire témoigne du sentimentde honte et de nullité scolaire ressenti par lesélèves faibles en tant que groupe scolaire parti-culier à l’intérieur des établissements. Le thèmedu « gros nul », classique dans les cours derécréation (Dubet et Martuccelli, 1996), constituel’expression ordinaire de l’humiliation des élèvesfaibles.

Dans le quotidien des classes, ces différencesinter-classes sont concomitantes de formesdouces d’humiliation et rabaissement collectifs.Le professeur indique par exemple que cetteclasse est « moins bonne » que telle autre, « amoins bien réussi le devoir », etc. Ces formu-lations ordinaires, récurrentes dans le langagedes professeurs (les élèves sont « moins bons »,« plus faibles », « moins dynamiques », ont« moins travaillé », etc.), reviennent indirectementà réaliser des comparaisons « toutes choseségales par ailleurs » sans grand fondement : cetype de comparaisons est toujours éminemmentproblématique autant au niveau des classes d’unmême établissement que dans les comparaisonsinternationales (Blum, Guérin-Pacé, 2000).Logique du classement et logique de rabais-sement sont en l’espèce indissociables. Cetteanalyse vaut aussi pour les « groupes de niveau »,parfois prônés comme remède à l’échec scolairedans certains ouvrages pédagogiques alors queleurs effets sont pourtant des plus incertains voirenégatifs (Crahay, 2000) notamment sur le plansocio-affectif (Rosenbaum, 1980 ; Oakes, 1985).Cette ségrégation intra-établissement se doubled’une ségrégation inter-établissement (Merle,1999 ; Trancart, 1999) dont les effets sont proba-blement proches : la consécration des « bons »établissements n’est pas sans désigner, en creux,

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les établissements peu fréquentables et à traverseux les élèves et les relations à éviter…

Dans ces situations de classement scolaire, sou-vent humiliantes pour l’élève, la frontière entrel’espace public et l’espace privé semble relative-ment respectée. Le classement est, formellement,établi selon des critères de compétences discipli-naires. La singularité biographique de l’élève n’esta priori pas mise en jeu et en question par lemaître. En fait cette séparation des registres sco-laire et personnel est loin d’être respectée d’unemanière pérenne. Il existe assez souvent, dans lespratiques d’humiliation, un chevauchement entreles sphères du pédagogique et du privé. Celles-ciprennent alors une forme particulière d’injure surla personne provoquée par le passage du registrescolaire – l’élève « nul » – au registre personnel –l’élève « con », « coincé », « pétasse », « pimbêche »,etc.

L’HUMILIATION DE LA PERSONNE : L’INJURE

L’injure est ordinairement pensée comme l’apa-nage exclusif des élèves (Lorrain, 1999). Il n’enest rien comme en témoigne abondamment la lec-ture des fiches recueillies. L’injure sur la personneest d’ailleurs une des dimensions de la vie de laclasse pour laquelle les dénonciations des élèvessont les plus surprenantes, les plus violentesaussi. Comme souvent, la fréquence élevée decette dénonciation ne peut être reliée de façonsimple à la fréquence effective des injures. Lessituations exceptionnelles, les mots particulière-ment déplacés, ces interactions perturbatrices oudérégulatrices, marquent les élèves suffisammentpour que ces infractions à la civilité ordinaire dela classe prennent une place importante dans leurvie scolaire alors même que celles-ci sont éven-tuellement peu nombreuses, voire rares. Par défi-nition, l’affaiblissement d’un lien, en l’espècecelui d’un élève à un maître, à une disciplined’enseignement ou à l’école, n’a pas besoin de sereproduire plusieurs fois pour que ces effetssoient prégnants, voire irréversibles. C’est pourcette raison que les élèves interrogés ont gardéen mémoire ces événements. C’est en ce sensque la probable rareté de ces situations n’est pasen rapport avec leurs effets scolaires et qu’à cetitre elles méritent attention et analyse. Il est pos-sible de distinguer l’injure sur la personne liée à

l’incompétence scolaire de l’injure apparemmentindépendante de toute spécificité scolaire propreà l’élève.

L’injure liée à l’incompétence scolaire

Plusieurs fiches présentent des situations d’in-jure sur la personne de l’élève. On sollicitera àcette fin quelques extraits des histoires racontéespar les étudiants enquêtés : « Une élève de maclasse avait un avis différent de son prof, etc’était juste une divergence d’opinion sur lamanière de réaliser un paysage en cours de des-sin. Elle s’est fait traiter de « pétasse » et de« coincée ». Une analyse détaillée sera réalisée dece type de situation car, contrairement aux appa-rences, elle n’est en rien spécifique aux arts plas-tiques : dans bien d’autres disciplines, les élèvessont traités de « coincés », « pimbêches », « pé-tasses. » L’hypothèse défendue tient à l’existenced’un lien entre l’injure et la représentation profes-sorale de la compétence scolaire de l’élève.

Injure et représentations professoralesde la compétence scolaire

Dans cette histoire telle que nous sommes ame-nés à la connaître, les questions centrales, inti-mement liées, concernent « la manière de réaliserun paysage en cours de dessin » et l’absence dequalité artistique de l’élève traitée de « pétasse »et « coincée ». L’enseignement des arts plas-tiques, peut-être davantage que les autres ensei-gnements, semble tiraillé entre deux discours quis’enchevêtrent sans se rencontrer et s’interrogermutuellement de façon suffisamment explicite à lafois pour l’élève et le professeur. Tantôt la pro-duction de l’élève est le produit d’un long appren-tissage, résulte de la maîtrise de techniques spé-cifiques à l’artiste et d’une familiarité ancienneavec les œuvres qui forment l’œil, la sensibilité etle sens de l’esthétique ; tantôt cette productionest le fruit du talent, du don, du goût, du sensinné des couleurs et des formes… Ces deuxreprésentations concurrentielles des compé-tences scolaires sont, peu ou prou, présentesdans toutes les disciplines scolaires. Dans l’en-seignement des lettres, la sensibilité et « l’espritde finesse » sont souvent vantés et considéréscomme des qualités inhérentes à la personne del’élève. Il en est de même en mathématiques oùles « bons » élèves sont censés faire preuve« d’idées », « d’astuces », voire « d’imagination »dans la résolution des problèmes difficiles.

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Autrement dit, dans toutes les disciplines, le« bon » élève, considéré comme « doué » par cer-tains professeurs, se distinguerait radicalementde l’élève jugé faible, essentiellement capable, àl’instar du Chaplin des Temps Modernes, de larépétition mécanique des mêmes exercices.

L’élève et le professeur sont prisonniers decette double représentation des compétencesscolaires, ballottés selon les périodes entre unecompétence pensée comme le fruit d’un vrai tra-vail d’apprentissage ou un pur produit de qualitésintrinsèques. Or les idéologies contemporainesapportent sans doute davantage de crédit auxtalents et au « tout génétique » qu’aux discourssur la méthode et les techniques… Le problèmeéventuellement rencontré par les professeurs tientdonc aux représentations paradoxales de la com-pétence de l’élève : le discours sur « l’imagina-tion », les « idées » ou « l’originalité » est, pourune grande part, un discours de dénégation dutravail d’apprentissage de l’élève et, parallèle-ment, des savoirs et compétences didactiques duprofesseur. Cette représentation innéiste de lacompétence scolaire aboutit à une confusion desregistres d’appréciation, celle portée sur l’élèveet celle portée sur la personne, et à un glisse-ment des appréciations professorales, de cellesrelatives aux compétences actuelles de l’élèveà celles portant sur des qualités censéesconstantes de l’individu et appréhendées commeune seconde nature. Une des dimensions irréduc-tibles de l’injure professorale est en effet de faireabstraction du contexte scolaire et d’ignorer lestatut d’élève défini par le fait de ne pas savoir etla nécessité d’apprendre. Cet oubli du statut del’élève est en fait corrélatif de la non reconnais-sance du statut d’enseignant et de ses missions.Le glissement des appréciations du registre sco-laire au registre personnel est par définition d’au-tant plus probable que l’enseignant adhère expli-citement à l’existence d’aptitudes intrinsèques età l’idéologie du don en se conformant ainsi à undiscours rassurant et bien établi sur les diffé-rences d’intelligence (Merle, 1999) (5).

Quelques extraits de fiches confirment la péren-nité d’une conception innéiste de la compétencescolaire : « En quatrième, je ne comprenais pasles mathématiques. J’ai eu un 2/20 à un devoir.Le professeur de mathématiques est venu me voirlorsqu’il rendait les copies, il a pris mon livre etm’a donné un coup sur la tête avec ce livre. Enmême temps, il a crié sur moi : comment se fait-

il que tu ne comprends rien alors que ton père etta cousine sont bons en maths (il avait eu monpère au collège et ma cousine était dans la mêmeclasse que moi). Jamais ce professeur n’a essayéde parler avec moi de mes problèmes, et visible-ment il n’arrivait pas à comprendre mon échec ».« Tel père, tel fils » semble être le viatique princi-pal de la compréhension des compétences enmathématiques par ce professeur. La difficulté dece professeur à mener une réflexion sur les diffi-cultés de cet élève apporte une illustration quasiparfaite de l’analyse de Bachelard : « Dans l’édu-cation, la notion d’obstacle épistémologique estégalement méconnue. J’ai souvent été frappé dufait que les professeurs de sciences, plus encoreque les autres si c’est possible, ne comprennentpas qu’on ne comprenne pas » (Bachelard, 1989).

L’injure sur la personne liée à l’incompétencescolaire prend des formes variées comme l’at-teste la lecture de nombreuses fiches : « Pourl’avoir vécu personnellement, l’une des choses lesplus difficiles à vivre, surtout en cas d’échec, estprobablement l’humiliation dans la classe. En ter-minale, âge où heureusement on est souventmoins vulnérable, un professeur de maths m’atraité de « vache imbécile » en me tirant l’oreillesous prétexte que je ne réussissais pas àrésoudre un problème au tableau. » Dans un rac-courci saisissant, le professeur de mathématiquesincriminé réduit l’élève faible en mathématiquesau rang de l’animal, et associe, sans réserveméthodologique ni précaution scientifique exces-sive, la nullité en mathématiques à l’impossibilitéd’être véritablement humain, voire même, unevache tout à fait ordinaire…

Injure et hiérarchie des disciplinesd’enseignement

L’obstacle épistémologique, à la fois commundans son principe à toutes les disciplines et spé-cifique aussi à chacune d’entre elles, fait l’objetd’une reconnaissance professorale variable : plusla discipline est « noble » et associée à des qua-lités scolaires jugées remarquables plus, semble-t-il, l’opinion d’une compréhension immédiate etinnée semble prévaloir sur la nécessité d’unapprentissage régulier et méthodique. La légiti-mité des professeurs à porter sur leurs élèves desjugements dépréciatifs semble en effet en rapportavec la légitimité de leur discipline et son clas-sement dans la hiérarchie scolaire. En mathé-matiques, tout particulièrement, les professeurs

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associent davantage leurs compétences à un donassimilant plus facilement la définition de l’intelli-gence à l’excellence mathématique (Léger, 1983).Les remarques déplacées des professeurs demaths sont d’ailleurs beaucoup plus présentesdans notre corpus de fiches à l’égard des élèvesscolarisés dans des classes littéraires ou techno-logiques. Comme l’indique un des étudiants inter-rogés : « Un élève peut être faible dans unematière et avoir des capacités dans d’autres. Unprofesseur ne peut insulter des élèves en leurdisant qu’ils [ne] sont « bons à rien ». Ici, il s’agis-sait de l’enseignement des mathématiques enclasses littéraires. C’est une remarque élitiste. »

L’injure est parfois accompagnée de l’imposi-tion de comportements dégradants. Ainsi, dansles classes littéraires, tel professeur de mathéma-tiques avait l’habitude de mettre les mauvaisescopies à la poubelle et les élèves concernésdevaient venir les récupérer à la fin du cours.Cette pratique professorale d’humiliation offre unbel exemple du raccourci scolaire qui consiste àconsidérer que les filières accueillant des élèves« faibles » en mathématiques sont constitués de« bons à rien », d’élèves qui « ne comprennentrien » entretenant une forte proximité spatialeavec les « poubelles » de l’établissement.L’analyse des données permet donc de supposerun lien de causalité entre l’élitisme de certainesdisciplines et les pratiques humiliantes. Par pru-dence méthodologique, il ne faut pas exclure quece lien de causalité soit, partiellement ou totale-ment, le résultat d’un biais de sélection des expé-riences subjectives présentées par les enquêtés :le statut de discipline dominante et sélective desmathématiques peut rendre les élèves particuliè-rement réceptifs aux remarques déplacées desprofesseurs de cette discipline alors même quede telles remarques seraient aussi fréquentesdans les autres matières.

Pour autant, la compréhension des propos spé-cifiquement dévalorisants tenus en cours demathématiques est éclairée par l’histoire du sys-tème éducatif : de telles remarques humiliantesdans cette discipline semblent peu probables à lafin du XIXe siècle, à l’époque, aujourd’hui siétrange, où les bons élèves en maths étaient sus-pectés de capacités limitées et où régnait sanspartage l’hégémonie des humanités grecques etlatines choisies sans guère d’hésitations par lesmeilleurs élèves. Du point de vue sociologique,on ne peut être que frappé de constater que les

injures ad hominem et la désignation de l’insuffi-sance scolaire, des matheux d’hier aux élèvesdes séries technologiques, professionnelles voirelittéraires d’aujourd’hui, sont grosso modo enrapport avec leur origine sociale plus ou moinsaisée (6). Autrement dit, si l’hégémonie deshumanités est révolue, l’esprit du classementscolaire qui l’a animée reste toujours aussiprésent. Ce n’est d’ailleurs que relativementrécemment que les épreuves du concours géné-ral se sont ouvertes aux épreuves profession-nelles et technologiques. Si une telle redistribu-tion des honneurs et lauriers scolaires est unsymbole de changement, elle n’efface pas toute-fois la forte dépréciation dont pâtissent lesfilières non générales, notamment lors des choixd’orientation : ces enseignements sont peurecherchés par les élèves et les professeurs lesévitent également préférant, avec constancedepuis près de vingt ans, le « charme discret »des élèves bourgeois (Léger, 1983).

Injure et jugements de classe

Les jugements humiliants qui portent atteintes àla personne de l’élève sont aussi, à l’instar deshumiliations portant sur l’incompétence scolaire,potentiellement, des jugements de classe : le pro-fesseur qui oppose l’élève « coincé » à l’élève« créatif » et « imaginatif » juge également des dif-férences de rapports à la culture légitime confor-mément à une analyse développée dans lesannées soixante par Bourdieu et Passeron (1964).Plus largement, les professeurs sollicitent plus oumoins directement des hiérarchies profession-nelles : l’enfant de paysan, d’ouvrier ou d’em-ployé s’oppose à l’enfant des professions aisées,aux enfants de « collègues » et de cadres.Comme l’indique, presque crûment, un professeurinterrogé lors d’une précédente recherche « il y aquelques professions qui sont importantes, desprofessions par exemple, euh... tous ceux quisont psychologues etc., je crois que ça expliqueaussi la relation que l’on peut avoir avec eux, ilsparlent d’un certain lieu, qui est important àconnaître, qui n’est pas le même que d’autres »(Merle, 1996). Sans euphémisme excessif, le pro-pos a le mérite de distinguer sans fard les pro-fessions jugées importantes du vulgum pecus.Plusieurs extraits de fiches montrent que leshumiliations sur la personne sont orientées parl’honorabilité des statuts sociaux et la noblessedes origines :

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– Je suis une fille d’agriculteurs et mon profes-seur m’a dit : « tu ferais mieux d’aller garder lesvaches. »

– « Lorsque le prof fait preuve d’agressivitéenvers un élève, type « tu n’es bon qu’à vendre desfrites au bord de la route », on peut estimer selonmoi que le droit des élèves n’est pas respecté. »

– Au collège, j’avais un prof d’anglais qui avaitl’habitude de « casser » les élèves vivant à lacampagne ou issus de milieux défavorisés(insultes…). »

– « Il n’y a pas que les léopards qui sont fai-néants, les bretons aussi » (sur un commentairede texte). »

– « En primaire, l’instituteur qui savait que monpère était viticulteur m’a dit : Monsieur N…, unstylo, ça ne se tient pas comme une pioche. »

– En classe de première S, un professeur d’his-toire-géo, docteur ès lettres, écrivain, nous a dit :« À votre âge, il est trop tard pour faire des pro-grès en français, vous vous confondez avec la« masse sociale ». Même votre niveau scientifiqueest très limité. »

Viticulteurs, vendeurs de frites, agriculteurs,ruraux et bretons… partagent le même déshon-neur d’appartenir à « la masse sociale », au vul-gum pecus, déclassé, « bon à rien », « analpha-bète » et « fainéant ». Autrement dit, l’injure enclasse est aussi une injure de classe : elle a sasource dans le statut social de l’élève, ou dumoins, ce statut peut être utilisé à des fins d’hu-miliation (7). Le statut social est aussi rappeléd’une façon indirecte par des remarques touchantaux conséquences du faible revenu des parents.Face aux retards de paiement de la cantine, unpersonnel administratif peut intervenir en classeet donner les rappels de cantine impayée en les« distribuant à haute voix devant toute la classe. »Ou bien, il peut s’agir de remarques plus indivi-duelles qui ont la même signification de classe-ment des élèves selon un critère social : « àl’école élémentaire, je ne possédais pas de styloplume qui d’après le prof allait améliorer monécriture. J’ai eu le conseil d’aller en acheter un,« si bien sûr, je pouvais me le permettre ». Sous-entendu, on est un cas social parce qu’on appar-tient à la classe ouvrière. » La thèse du malen-tendu scolaire peut certes être évoquée. Elle estpourtant difficile à défendre : ce que retientl’élève est l’évocation publique de son statut depauvre et d’impécunieux potentiel. La sollicitude

du professeur aurait été évidemment moins sus-pecte si elle s’était manifestée en tête à tête avecl’élève et non à la cantonade… (8).

Injure sur la personne et rabaissement scolaire :quelles relations ? quels publics d’élèves ?

Il n’est pas possible de savoir, en raison de laméthodologie d’enquête, si l’injure sur la personneest moins fréquente que le rabaissement scolaire.Cette distinction est en effet produite pour servirl’analyse des situations et une partie d’entre elleséchappe à cette typologie étant à la fois des situa-tions d’injure ad hominem et des humiliations sco-laires. On se limitera à un exemple dans lequell’humiliation subie par l’élève est tout à la fois unrabaissement scolaire et une injure à la per-sonne, indirectement ravalée au statut social dejeune enfant, voire de bébé : « Au collège, il yavait un élève beaucoup plus âgé que les autres eten difficulté scolaire. Un prof l’a un jour humiliédevant nous en lui donnant une petite poupée ridi-cule sous prétexte qu’il ne cessait de jouer avecses ciseaux et ses crayons. Il s’est alors retrouvéen plus grande situation d’infériorité. »

Il n’est pas possible également de savoir préci-sément si certaines populations scolaires sontplus spécifiquement visées par tel ou tel typed’humiliation. On peut toutefois penser, pour desraisons exposées précédemment, que les humilia-tions sur les personnes concernent plus fréquem-ment les élèves « faibles », au double sensd’élèves ne disposant pas des compétences exi-gées par l’institution scolaire – Choquet et Héran(1996) montrent d’ailleurs que ces élèves se sen-tent plus souvent humiliés que les autres – et nepouvant pas, non plus, bénéficier de la défenseéventuelle de leurs parents. Certains d’entre euxsont en effet trop étrangers au fonctionnementordinaire de l’école et aux modalités de pressionqu’ils pourraient mettre en œuvre pour contrer lespropos d’un professeur indélicat : demande derendez-vous auprès du professeur, lettre de pro-testation à l’inspecteur pédagogique régional,recours auprès du chef d’établissement, mobilisa-tion des parents d’élèves. La faiblesse sociale del’élève à laquelle s’ajoute un niveau scolaire insuf-fisant explique que celui-ci soit plus souvent lacible des railleries du professeur. Un certainnombre des ex-élèves interrogés établissentd’ailleurs une relation entre l’injure et le niveauscolaire. Ainsi, un enquêté indique qu’un de sesprofesseurs avait l’habitude d’attribuer des sur-noms aux élèves. Ceux-ci « étaient le plus sou-

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vent désagréables, voire péjoratifs, notammentceux qu’il attribuait aux mauvais élèves. L’unedes filles de la classe, un peu ronde, avait reçul’appellation de “baleine échouée sur une îledéserte” ». Ou bien, lors de la remise des copies,un professeur de mathématiques réalise uneassociation emblématique et quasi parfaite de ladévalorisation physique et scolaire : « Et la copiela plus nulle ? C’est pour le gros lard. » (cet élèveest jugé « à la limite de l’obésité » par l’étudiantqui relate ce propos). L’intérêt des donnéesrecueillies est de montrer que même si la popu-lation des élèves jugés « gros » est plus impor-tante parmi les élèves « faibles » que parmi les« bons » élèves, il faut constater que l’injure rela-tive au poids ne va s’adresser qu’aux premiers.Dans aucune fiche ne sont associées des proprié-tés scolaires et physiques qui seraient jugéesdivergentes telles que « Et la meilleure descopies ? C’est pour le gros lard ». Autre façon dedire que la réussite scolaire force le respect toutautant que la faiblesse des résultats favorise defait l’humiliation et amène certains professeurs àfaire flèche de tout bois.

L’injure non liée à la compétence scolaire

Il serait toutefois erroné de penser que lesélèves « bons » ou « moyens » ne font pas l’expé-rience de l’humiliation scolaire. Du moins, lesexemples rapportés semblent montrer que lespropos dépréciatifs ou injurieux, s’ils concernentpréférentiellement les élèves faibles, ne concer-nent pas que ceux-là. Plusieurs fiches relatent eneffet des injures et humiliations non liées à uncontexte scolaire précis :

– « J’ai le souvenir d’une prof d’italien enlycée qui pourrait servir de contre-exemple durespect des droits des élèves. Je me suisd’ailleurs toujours dit en considérant sa manièred’être avec ses élèves que pour être un profacceptable, le minimum serait de ne jamais fairecomme elle. Elle avait l’habitude d’humilierouvertement les élèves devant la classe en semoquant de leurs défauts physiques ou même enutilisant ce qui pourrait relever d’un secret pro-fessionnel. Je me souviens du jour où elle s’estmoquée des déboires sentimentaux d’une fille, etdu divorce des parents d’une autre. Elle faisaitrégner dans la classe un climat de crainte oùévidemment il n’y avait plus ni échanges ni com-munication. »

– « En troisième, en musique, le prof s’en estpris à un élève en lui disant : “votre esprit estcomme votre corps : celui d’un avorton”. L’élèveétait chétif et petit, mais il ne faisait rien de par-ticulier et il n’était pas particulièrement mauvaisen classe. »

– « En classe de 4e, un professeur d’allemand,ouvertement fasciste au demeurant, m’a traité de“fils de puce” du fait, bien entendu, de ma taille,laquelle ne correspondait pas, à ses yeux, à l’ar-chétype du surhomme potentiel. »

– « Une camarade de classe souffrait de pro-blèmes d’intégration dans la classe, problèmesdus sans doute à un déficit de séduction qu’elledevait ressentir en cette période difficile de l’ado-lescence. Le professeur lui a lancé, de manièrevexante et explicite pour tous, une réflexion déso-bligeante sur les remèdes (maquillage…) qu’elletentait d’y apporter. »

– « En classe, un jour, le prof de français s’estplacé derrière un élève très timide, et il s’estadressé à toute la classe en mettant les mains surses épaules en disant : “personne ne voudrait êtreson ami, personne ne voudrait être sa petiteamie”. »

– « En 5e, une prof s’est moqué d’un élève enle traitant d’homme de Cro-Magnon car il avaitune tête qui ressemblait à celle d’un singe. » Etc.

Ces injures ou dévalorisations publiques quipourraient être multipliées à volonté ne sont pasreliées dans les fiches étudiées à un niveau decompétence scolaire ou à l’origine sociale. Dansl’esprit des étudiants rédacteurs de ces fiches, detelles relations sont soit inexistantes, soit nonexplicatives de la force de l’injure. Dans cesexemples, le professeur semble moins s’adresserà un élève que viser la personne. Qu’il s’agissed’une humiliation par rabaissement scolaire oud’une humiliation par injure sur la personne, caté-gories construites pour les nécessités de larecherche et la compréhension des situations, laquestion essentielle est de connaître les motifsqui amènent certains professeurs à recourir à detelles pratiques d’humiliation.

L’HUMILIATION DES ÉLÈVES :QUELLE INTERPRÉTATION ?

Les pratiques professorales de rabaissementscolaire et d’injure ont déjà, en partie, fait l’objet

L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire : contribution à une sociologie des relations maître-élèves 41

d’une double interprétation dans les parties pré-cédentes. D’une part, les humiliations subies parles élèves, quelles qu’elles soient, sont le produitde l’idéologie scolaire du classement qui autorisela mise en exergue de l’élève jugé faible et inca-pable ; d’autre part, les jugements professorauxne font que reproduire dans l’ordre scolaire lessystèmes de hiérarchies sociales propres à l’or-ganisation sociale globale : la valorisation dessituations professionnelles dominantes et ledéclassement des positions dominées. La « vacheimbécile » et le « bon à rien » de l’institution sco-laire sont le « mendiant » et « l’assisté » de l’or-ganisation sociale ou le futur « vendeur de fritessur le bord de la route ». Cette double interpré-tation est constituée des deux faces de la mêmemédaille et sollicite une théorie du social quifonde tous les jugements sociaux sur la divisionde la société en classes. Les données recueilliessont susceptibles de valider, pour une part, unetelle explication de l’humiliation scolaire qui neserait, en l’occurrence, qu’une forme spécifiquedes pratiques professorales concourant à lareproduction des positions sociales dominanteset dominées (Bourdieu et Passeron, 1970).

Une telle théorisation des matériaux demeurecependant impuissante à comprendre certainscomportements professoraux et tout particulière-ment certaines modalités d’injures sur la per-sonne. Quelles raisons peuvent amener un profes-seur à se moquer « des déboires sentimentauxd’une fille, et du divorce des parents d’uneautre » ? Pourquoi tel professeur s’adresse à toutela classe en indiquant à propos d’un élève : « per-sonne ne voudrait être son ami, personne ne vou-drait être sa petite amie » ? Pourquoi « traiter »une fille de « pimbêche » et se moquer dumaquillage d’une autre ? Il est toujours possiblede considérer que ces modalités d’humiliationrelèvent aussi des jugements de classe précédem-ment présentés et qu’il manque seulement desdonnées biographiques sur les élèves destina-taires de ces jugements pour que l’interprétationdemeure valide. Mais il s’agirait d’une explicationad hoc. Il est plus pertinent de considérer que ceshumiliations ont une autre origine et nécessitentune autre compréhension de l’univers scolaire.

Les diverses modalités d’humiliation des élèvespeuvent évidemment être analysées à partir dessingularités biographiques des enseignants et,spécifiquement, d’approches psychiatrique oupsychanalytique (par exemple Filloux, 1973 ;

Cifali, 1994 ; Cordié, 1998). Si le stéréotype duprof « sadique », « toqué », « maboule » renvoie àdes réalités objectives, une telle personnalisationou psychologisation de l’humiliation scolaire nepeut à elle seule rendre compte de l’ensembledes pratiques d’humiliation scolaire répertoriéeset aboutit à faire en partie l’impasse sur lescontraintes propres au fonctionnement de laclasse et des établissements. Une telle approcheréduit à des histoires singulières des situationsdont la fréquence statistique nécessite l’analysesociale au-delà des cas éventuellement patholo-giques. Il faut finalement faire l’hypothèse d’unchaînon manquant dans l’ensemble des interpré-tations actuellement disponibles. On présenteraun cadre général d’interprétation des pratiquesprofessorales humiliantes avant de montrer queces pratiques sont aussi sensiblement contextua-lisées.

Cadre général d’interprétationdes pratiques professorales humiliantes

La perte d’efficacitéde la réglementation scolaire

Dans l’institution éducative, la transmission dessavoirs est, hier comme aujourd’hui, inséparablede l’ordre scolaire : à partir d’un certain niveau dechahut et de désordre, le professeur ne peut plusexercer son activité. Depuis longtemps, de nom-breux chercheurs ont souligné de façon récur-rente que l’ordre dans la classe constitue unedimension particulièrement ardue du métier d’en-seignant si bien que les difficultés rencontréespeuvent finir par être une source de stress consi-dérable et empiéter très sensiblement sur l’acti-vité d’enseignement (Morrison et Mc Intyre, 1975 ;Davisse et Rochex, 1995 ; Barrère, 2000 ; VanZanten, 2000). Au pire, le professeur a le senti-ment que son métier se réduit essentiellement àune activité de gardiennage et de maintien del’ordre scolaire. Cette relation fonctionnelle entreordre scolaire et enseignement est au centre despréoccupations professorales et des formes depouvoir mises en œuvre pour assurer un certainniveau de silence pendant les cours. L’analysesociologique de cette question, et plus largementcelle du pouvoir, dans la classe et hors de celle-ci, a fortement mobilisé les pères fondateurs de lasociologie. La démarche de Durkheim (1922), cen-trée sur la sanction et la discipline, est fortementnormative : il s’agit, au-delà de l’étude des fon-

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dements sociaux de l’école, de définir les actionsque le maître doit mener dans la classe afind’éveiller « l’esprit de discipline » et de conforterl’intériorisation de la règle et de la morale.L’analyse wébérienne, fondée sur les formes dedomination sociale, débarrasse l’approche dur-kheimienne de son projet normatif : la dominationrationnelle-légale propre aux sociétés modernesrepose « sur la croyance en la légalité des règle-ments arrêtés et du droit de donner des directivesqu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domi-nation par ces moyens » (Weber, 1995, p. 289).Cette domination rationnelle-légale, propre àtoutes les organisations modernes, y comprisl’institution scolaire, supplante les dominationstraditionnelle et charismatique des sociétésantiques ou moyenâgeuses.

Dans les analyses de Durkheim et Weber, laquestion du « dressage » scolaire de l’élève,décrite particulièrement par Foucault (1975), estconsidérée comme résolue : l’apprentissageméthodique de la morale et la légitimité de ladomination rationnelle-légale, deux analyses d’unemême réalité sociale, scolaire et politique, ont lavertu de rendre l’élève, et ultérieurement l’individu,« intégré » et « raisonnable ». Cette façon de pen-ser l’univers scolaire et social, pour autant qu’ellea correspondu autrement que de façon normativeou idéal-typique à un moment de l’histoire del’école et de la société, ne parvient pas à rendrecompte des situations scolaires contemporainesmarquées par « l’incivilité », l’absentéisme, la« violence »… c’est-à-dire par un ensemble depratiques d’élèves qui traduisent une certaine« dérégulation » des relations scolaires (Dubet etMartuccelli, 1996 ; Charlot et Emin, 1997). Ce quedévoile la situation actuelle de l’école tient finale-ment à une relative impuissance de la sanctionréglementaire, de la loi et de la morale.

L’humiliation comme moyen de sanction propreau mode de domination traditionnelle

Si la croyance, théorisée par Weber, en la légi-timité des règlements ou si l’intériorisation de lanorme et de la morale souhaitée par Durkheimn’assurent plus de façon satisfaisante l’ordrescolaire de manière douce, le maître est dans lanécessité de recourir à d’autres formes d’imposi-tion de l’ordre scolaire et de trouver de nouvellestechniques de « gestion » des relations maîtres-élèves. La négociation dans la classe, commedans toute organisation (Reynaud, 1997), cons-

titue une modalité de règlement des conflitsmaître-élèves. Elles concernent notamment lesévaluations scolaires (Merle, 1996, 1998 ;Barrère, 2002) et d’autres domaines de la vie enclasse tels que la quantité du travail à fournir, ladurée effective des cours ou des pauses, lenombre de devoirs surveillés (Masson, 1998).L’objectif visé par le maître lorsqu’il accepte l’al-longement du temps de pause ou une diminutiondu travail à réaliser par l’élève est bien la limita-tion des conflits qui surgissent classiquemententre les élèves et le maître sur ces questions.Cette négociation n’est ni toujours possible nitoujours souhaitée par les professeurs, tout par-ticulièrement lorsque les demandes de leursélèves leur paraissent exorbitantes, c’est-à-direnon conciliables avec leur conception du travaild’enseignant. L’ordre dans la classe est aussid’autant plus problématique que dans une situa-tion de conflit, l’assistance extérieure que le pro-fesseur peut solliciter et avoir quelque chanced’obtenir est souvent ténue : les « colles » pourinconduites ne vont pas toujours de soi dans l’or-dinaire des établissements et les CPE sont par-fois réticents lorsqu’il s’agit de prendre encharge les problèmes de discipline scolairepropres à la classe (9). Faute d’établir des arran-gements ou compromis satisfaisants sur les rôlesde chacun, et privés en partie du recours à lasanction, une partie des professeurs a dès lorsrecours, pour assurer l’ordre scolaire, à un modede domination qui s’apparente à la « dominationtraditionnelle » décrite par Weber.

L’humiliation par rabaissement scolaire ou parinjure ad hominem doit en effet être clairementconsidérée comme une sanction à l’égard desélèves : elle écarte symboliquement du groupel’élève sanctionné, le désigne comme différent, lestigmatise. Or, la sanction singulière qui définit lafrontière entre ceux qui sont « dedans » et ceuxqui sont « dehors », l’inclusion ou l’exclusion, estparmi les plus lourdes : elle a pour enjeu de reti-rer, de fait, le statut d’élève ou de personne àpart entière. La spécificité de cette sanction tientau fait qu’elle n’est pas réglementaire : elles’émancipe de la domination rationnelle-légale quifait que le détenteur légal du pouvoir obéit, mêmelorsqu’il sanctionne, à un ordre impersonnel (lerèglement intérieur de l’établissement, les règlesde droit). L’humiliation est donc une sorte de faitdu Prince : elle relève de l’arbitraire du maître,elle constitue une modalité de « disgrâce ». On

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reconnaît dans ces spécificités – disgrâce,absence de références à des règles de droits –des dimensions de la domination traditionnelledécrites par Weber : les sujets n’obéissent pas àdes règlements mais au chef et celui-ci peut libre-ment montrer une « inclination » ou une « aver-sion » personnelle. Cet arbitraire, propre à cemode de domination, provient de la tradition quiaccorde au « maître » une relative latitude d’ac-tion. On retrouve dans ces pratiques humiliantesdes thèmes récurrents de la sociologie desélèves : l’existence du favoritisme scolaire, duchouchou (Jubin, 1988) ou de l’élève tête àclaques (Jubin, 1991). Dans l’univers scolaire,l’image classique du fayot (Dubet F., MartuccelliA., 1996) a pour équivalent, dans le rapport dedomination traditionnelle, celle du serviteur zélétoujours en attente d’un « bénéfice » des servicesqu’il rend au « maître ». Finalement, à l’intérieurde l’institution scolaire, les rapports maître-élèvessont, conformément au mode de dominationrationnelle-légale, orientés par le droit (lois,décrets, arrêtés, circulaires, instructions et règle-ment intérieur de l’établissement), mais ces rela-tions sont également sous l’emprise de pratiquesd’humiliation scolaire qui dérogent manifestementà l’emprise de la légalité. Autrement dit, l’ordredans le quotidien de la classe est régi par desprincipes d’organisation concurrents et contradic-toires.

Lorsque les élèves sont incités à définir leursdroits dans l’institution scolaire et dans la classe,leur grande difficulté à les définir précisémentmontre d’ailleurs que les principes qui fondent ladomination rationnelle-légale, tout particulière-ment la référence à la légalité et au règlementintérieur, sont relativement peu opératoires dansl’univers de la classe (Merle, 2001). Les proposdes élèves tels que « le professeur a tous lesdroits » témoignent explicitement de la prégnancede ce type de rapport de domination tradition-nelle. Certes, des expressions telles que « le profabuse de sa position » peuvent être sollicitéespour montrer que les élèves connaissent l’exis-tence de règles auxquelles le maître devrait sesoumettre. Cependant, même dans la dominationtraditionnelle, l’arbitraire du chef est limité par latradition qui l’oblige à respecter interdits etmanières de faire tels que la prohibition de l’in-ceste ou le respect d’un code d’honneur. Il existed’ailleurs une similitude d’organisation entre lesrelations maître-élèves dans la classe et les

modalités de la domination traditionnelle « pri-maire » : la gérontocratie et le patriarcalisme.Dans ceux-ci, la domination est assurée par uneseule personne et la latitude d’action du chef estrelativement étendue. Tout comme le souverain,le capitaine de navire ou le pater familias, lemaître d’école est assez souvent considéré parles élèves comme le « seul maître à bord ».

Le fait du Prince que constitue l’humiliation pro-fessorale est toutefois différent de celui obser-vable dans les sociétés d’Ancien Régime. Autantla « grâce » et la « disgrâce » du seigneur sontindissociables des organisations traditionnellesqui contraignent le sujet à obéir ou à trahir (en fai-sant alors acte d’allégeance à un autre chef),autant le professeur est une sorte de « monarque-nu » : sa liberté de sanction et son pouvoir debannissement public butent in fine sur le recourspossible des élèves au règlement intérieur, à la loiet, en un mot, à l’ordre rationnel légal. Outre lerecours aux chefs d’établissement et à l’inspec-tion, les parents saisissent parfois le tribunaladministratif notamment lors de violences phy-siques des instituteurs à l’égard de leurs enfants.Dans ce cas particulier, la condamnation du pré-venu, quand elle a lieu, transmute la dominationrationnelle-légale, le fait du Prince de l’instituteur,en fait délictueux. L’articulation entre modes dedomination traditionnel et rationnel-légal estpourtant problématique. Les juges ont parfoisaffirmé que le « droit de correction » est reconnuaux enseignants, demandant même que leur soitaccordé un « devoir de correction ». Le profes-seur, monarque-nu ou du moins potentiellementcontestable par des autorités administrativessupérieures, est donc fortement contraint dansses pratiques non réglementaires, notammenthumiliantes. Cette spécificité de son actionexplique la dimension contextuelle de ces pra-tiques.

L’humiliation professorale : une pratiquecontextuelle

La dimension stratégique de l’humiliationprofessorale

Les données recueillies laissent supposer quece sont vraisemblablement les élèves scolaire-ment « faibles » qui font le plus souvent l’objet del’humiliation scolaire. Dans la mesure où lesélèves faibles sont également des élèves pertur-bateurs, il est pertinent d’interpréter l’humiliation

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scolaire comme une forme de sanction dont lafinalité est le maintien de l’ordre scolaire. Or, detoute évidence, ce ne sont pas seulement lesélèves faibles et perturbateurs qui sont les seulsdestinataires des humiliations professorales. Desélèves « timides », semble-t-il peu agités, et d’unniveau scolaire éventuellement moyen, sont eneffet également destinataires des railleries profes-sorales. L’humiliation de ce type d’élèves semblecontredire la thèse défendue. Il n’en est pas for-cément ainsi. Une spécificité irréductible de ladomination traditionnelle et de l’autorité exerçantcette domination est le recours discrétionnaire àla « disgrâce ». Cette possibilité de disgrâce,sorte d’épée de Damoclès qui pèse sur l’élève,suscite la courtisanerie et la soumission. L’usagede l’humiliation scolaire auprès des élèves effacésfavorise en effet un sentiment collectif de« crainte », de « peur », voire de « terreur » men-tionné dans une partie des fiches recueillies(« Dès qu’on rentrait en classe, on était terro-risé par ce professeur »). Le professeur fondel’ordre dans la classe sur cette possibilité de lasanction arbitraire : tous ne seront pas humiliésmais tous peuvent craindre de l’être.

Cependant le professeur n’ignore pas qu’il estun monarque-nu, une sorte de colosse aux piedsd’argile contre lequel des recours peuvent êtredéposés et des plaintes parentales formuléesauprès du chef d’établissement par exemple. Laconnaissance de cette faiblesse fait que le pro-fesseur peut avoir objectivement intérêt à humilierplutôt des élèves « effacés », « timides », habituésà la soumission : le maître se prémunit ainsi de larévolte de ces élèves guère à l’aise dans les inter-actions agressives. Autre façon de dire que l’hu-miliation des élèves timides est une action peurisquée qui s’adresse toutefois à tous les élèvesde la classe tentés par le désordre scolaire. Lastratégie menée consiste classiquement à diviserpour mieux régner. De façon limite, ce type d’hu-miliation est une action préventive qui a pourobjet de décourager les élèves potentiellementchahuteurs en leur faisant connaître les sanctionsqu’ils encourent. Ce type d’action isole aussi lesélèves perturbateurs, les « grandes gueules », quitirent leur force vis-à-vis du professeur de leurcapacité à entraîner les autres élèves vers l’indis-cipline scolaire et savent utiliser à bon escientl’ironie subversive en cas d’humiliation frontale.On donnera l’exemple suivant. Un élève, enclasse de seconde, quelque peu perturbateur, est

traité par son professeur de mathématiques« d’ectoplasme écervelé » (rires de la classe).L’élève lui indique qu’il ne sait pas ce que signi-fie cette expression. Le professeur se sent alorsdans l’obligation de préciser sa pensée ce quiaboutit déjà à limiter la puissance dépréciative dupropos puisque le professeur, par la question del’élève, est en quelque sorte renvoyé à sonmétier : répondre aux demandes d’explication del’élève. Quelques instants après, le professeurpose une question de mathématiques à cet élève.Sans doute cherchait-il à le mettre en difficulté età prendre une revanche sur le précédent échange.Mal lui en a pris, l’élève a répondu qu’il nepouvait malheureusement pas répondre étant« un ectoplasme écervelé » (rires de la classe).L’exemple montre suffisamment les dangersencourus par le professeur qui a recours à l’hu-miliation publique et la nécessité d’un usage stra-tégique de l’humiliation afin que celle-ci ne seretourne pas contre son auteur.

Niveau d’enseignement, rapportaux gratifications scolaires et types d’humiliation

Pour des raisons indiquées dans la premièrepartie, il n’est pas possible, à partir des fichesrecueillies, de réaliser un décompte pertinent dela fréquence, pour chaque degré d’enseignement,des humiliations subies par les élèves. Toutefois,l’école primaire est très souvent évoquée, le col-lège occupe une place médiane alors que le lycéeest moins souvent cité. Cette décroissance dessituations d’humiliation selon l’âge et le statutscolaire n’est évidemment pas fortuite. Commel’indique Max Weber, « le mode effectif d’exercicede la domination [traditionnelle] se conforme à ceque le détenteur du pouvoir peut habituellementse permettre face à la docilité traditionnelle dessujets, sans aller jusqu’à pousser ceux-ci à larésistance » (Weber, 1995, p. 303). Les élèves lesplus jeunes, les « petits », seraient plus soumisque leurs aînés et cette caractéristique explique-rait que les enquêtés aient davantage subi deshumiliations et des violences physiques diversesà l’école maternelle et élémentaire (gifles, tiragede cheveux et des oreilles, coups de pieds, coupsde règle sur les doigts, coup sur la tête avec unlivre, sparadrap sur la bouche…). Les modalitéseffectives de la domination traditionnelle dans laclasse sont donc dépendantes du niveau d’ensei-gnement : la violence physique est plus fréquenteà l’école primaire en raison de la faible force phy-sique des élèves qui interdit à ceux-ci toute

L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire : contribution à une sociologie des relations maître-élèves 45

réponse de même type à une telle sanction pro-fessorale. Encore présente dans les petitesclasses des collèges (6e et 5e), cette violencephysique disparaît par la suite et laisse la place àune violence symbolique, aux dimensions humi-liantes patentes qui, comme l’indiqueBourdieu, est « la forme douce et larvée queprend la violence lorsque la violence ouverte estimpossible » (Bourdieu, 1980, p. 230). Enfin, enlycée, les humiliations rapportées par les enquê-tés se font plus rares : la montée dans la hiérar-chie scolaire diminue la docilité propre aux jeunesâges.

Les modalités de l’humiliation scolaire sontdépendantes aussi des types d’élèves auxquelselles s’adressent. Auprès des élèves sensiblesaux gratifications scolaires, le rabaissement sco-laire individuel constitue une humiliation quiatteint le but recherché alors qu’une telle humilia-tion n’a pas autant de force pour les élèvesfaibles devenus progressivement moins sensiblesau classement scolaire. Pour ce type de public,les humiliations par injure seront plus fréquentesdans la mesure où elles permettent de rappeler àl’élève que s’il n’a plus le sentiment d’êtremembre à part entière de l’institution scolaire, ildemeure de toute façon membre d’une collectivitédans laquelle les jugements humiliants portés parle maître conservent une certaine capacité àrabaisser et à déprécier publiquement. Dans larecherche de Choquet et Héran (1996), cesélèves, scolairement faibles, sont d’ailleurs sensi-blement plus nombreux à déclarer des sentimentsd’humiliation.

CONCLUSION

L’humiliation professorale : interactionperturbatrice ou régulatrice ?

Les humiliations des élèves ont été interprétéesdans le cadre d’une théorie de l’ordre scolaireassimilant l’humiliation à une sanction nonréglementaire, contraire à l’ordre rationnel-légalde l’école et de l’organisation sociale propre auxsociétés modernes. C’est notamment à ce titreque ces sanctions humiliantes sont jugées pertur-batrices : elles ne sont pas la contrepartie nor-male et réglementée de fautes scolaires claire-ment identifiées. Ces humiliations visent, au-delà

de l’élève concret concerné, à maintenir l’ordredans la classe. Les enquêtés rapportent à profu-sion ces situations dans lesquelles ils ont ressentiun rabaissement de soi, de la mortification, dela vexation, voire du mépris. En ce sens lespratiques humiliantes des professeurs sont per-turbatrices : elles provoquent des sentiments denullité, de découragement, et limitent les progres-sions scolaires ; elles produisent à terme un effetPygmalion inversé sur l’élève concerné. Dans cecas de figure, l’ordre scolaire que le professeurtente d’imposer par des pratiques humiliantess’oppose, sans conteste, à l’apprentissage.

Une approche des pratiques d’humiliation uni-quement en termes de dérégulation aboutirait tou-tefois à réduire la complexité de la réalité socialede la classe. Quelques fiches décrivent en effetdes situations dans lesquelles la violence dumaître est une réponse jugée compréhensible à laviolence de l’élève en raison d’une agression phy-sique ou verbale préalable de ce dernier. Unenquêté donne l’exemple suivant : « En classe demusique, en 5e, j’ai eu un prof qui abordait lamusique de manière enthousiasmante. On passaitnotre heure de musique à chanter. Un élève insup-portable rompait toujours l’ambiance et le profes-seur a fini par ne plus le supporter. Il l’a pris vio-lemment et l’a projeté sur le sol. » Ou bien encore,quelques enquêtés signalent un propos profes-soral humiliant en mentionnant que l’élèveétait « insupportable », « casse-pieds », « vraimentpénible » et « qu’il l’avait bien cherché ». Cessituations spécifiques d’humiliation introduisentl’idée d’une violence ou d’une humiliation profes-sorale dont le but est de retrouver une situationscolaire propice à l’apprentissage. Dans ce cas defigure, l’humiliation sera considérée comme unemodalité de régulation de la classe appréhendéeglobalement. La stigmatisation publique de l’élèveaura peut-être pour celui-ci un effet perturbateur,mais cet effet serait une conséquence inévitabled’un projet professoral plus large : assurer à tousles autres élèves le maintien d’une situation pro-pice à l’apprentissage.

Cette « humiliation régulatrice » des relationsmaître-élèves se distingue formellement des humi-liations professorales précédemment décrites parquatre caractéristiques : elle est directement uneréponse à une perturbation antérieure d’un ou plu-sieurs élèves, elle est strictement limitée à celui-ciou à des sujets perturbateurs clairement identifiés,elle est proportionnelle au préjudice causé aux

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autres élèves et au maître, elle ne porte pas sur leniveau scolaire qui ne constitue pas une « pertur-bation » indépendante des actions du maître etplus généralement du système d’enseignement.Autrement dit, cette humiliation est circonscrite etmaîtrisée. Force est de constater que cette humi-liation est rarement décrite dans les fichesrecueillies. On peut penser que les enquêtés ontdélibérément écarté ce type d’humiliation régula-trice en raison de la consigne qui leur était donnée.Il est probable aussi que ces humiliations soientpeu fréquentes : les professeurs qui maîtrisent lescompétences interactionnelles autorisant cetteforme spécifique d’humiliation régulatrice sontgénéralement aussi ceux qui parviennent à éviteren amont les situations qui pourraient nécessiterun recours à ce type d’humiliation.

L’ordre scolaire : humiliation professoraleou négociation maître-élève ?

Les pratiques d’humiliation peuvent être consi-dérées comme des sanctions non réglementairesutilisées par les maîtres pour maintenir un certainniveau d’ordre scolaire dans leurs classes. Lerecours à ce type de sanctions a plusieurs originesqui tiennent aux professeurs, aux élèves et à larencontre spécifique produite par l’interactionentre ces deux catégories d’acteurs. Structurel-lement, les pratiques humiliantes tiennent à laperte d’efficacité de la règle dont les origines sontdes plus diverses. On retiendra des originesexternes, tenant par exemple au fait que lediplôme est, d’une certaine façon, de moins enmoins rentable (Baudelot et Establet, 2000 ; Merle,2001). Il existe aussi des origines internes, notam-ment la moindre ritualisation de l’organisation dela vie scolaire (Prairat, 1999). Ces pratiques pro-fessorales proviennent aussi du fait que le métierd’enseignant expose beaucoup à l’humiliation desélèves. Les pratiques des professeurs sont aussiune sorte de retournement du stigmate, uneréponse aux comportements des élèves. Une telleexplication de l’usage de l’humiliation ne permetpas de savoir pourquoi, parmi les professeurs quiexercent leur activité dans des contextes scolairespourtant comparables, certains d’entre eux par-viennent à éviter les propos humiliants alors qued’autres ont recours à ces pratiques sans aucun

doute dangereuses : outre le risque de « perdre laface » et de ne pas « avoir le dernier mot », unedes grandes difficultés de la gestion de la classefondée sur les pratiques d’humiliation tient au faitqu’elles sont potentiellement contre-productives :elles peuvent se retourner contre leur auteur, sus-citer les plaintes de parents, la « haine », voire laviolence physique des élèves. En fait, pour les pro-fesseurs concernés, il ne s’agit généralement pasd’un choix rationnel mais d’une activité qui, pourreprendre l’expression de Max Weber, « se dérouledans une obscure semi-conscience ou dans lanon-conscience du sens visé ». Le professeur,démuni devant les élèves, ne trouve, pour faireface à l’agitation du moment, que cette modalitéspécifique du maintien de l’ordre sans pleinementmesurer les risques d’escalade et de déborde-ments encourus à moyen terme par ces pratiquesd’humiliation.

La différence entre les professeurs qui parvien-nent à maintenir le calme dans la classe et lesautres peut s’expliquer par la plus ou moinsgrande aptitude professionnelle à utiliser des gra-tifications scolaires et au recours très variable auxgratifications personnelles et affectives à laquelleles élèves sont généralement sensibles (Felouzis,1997). Autrement dit, certains professeurs par-viennent à éviter les problèmes posés par la domi-nation traditionnelle en mettant en œuvre des élé-ments de la domination charismatique : disposerde « charisme », et être capable de créer un « étatde grâce » permettraient d’éviter le recours à ladisgrâce des élèves. L’interprétation du nonrecours à l’humiliation des élèves, qu’il s’agisse deprofesseurs exposés ou non à des situations sco-laires difficiles, peut aussi s’émanciper des modesde domination définis par Max Weber. Il faut alorsconsidérer qu’une organisation pacifiée de laclasse est susceptible de résulter d’un ordre négo-cié (Barrère, 2000 ; Merle, 2001). Celui-ci parvientà s’échapper de l’enfermement et de la violencesymbolique produits par des relations maître-élèves pensées sous la forme de rapports dedomination. Encore faut-il que les élèves et lesmaîtres puissent penser ensemble ce type de rap-port. L’organisation contemporaine de l’institutionscolaire le favorise-t-elle vraiment ?

Pierre MerleIUFM de Bretagne, Université Rennes 2, Lessor

L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire : contribution à une sociologie des relations maître-élèves 47

(1) Cet article a fait l’objet d’une communication au 4e congrèsinternational de l’AECSE, 5, 6, 7, 8 septembre 2001, UniversitéLille 3.

(2) Voir Horenstein, 1998. La dernière enquête de la MGEN(1999-2000) indique aussi que la crainte des agressions, sur-tout verbales, est déclarée de façon fréquente (Laxalt J.-M.,2001, p. 5).

(3) Certains professeurs ajoutent à l’humiliation le sentimentd’injustice. En classe de 5e, suite à une lecture publiqued’une mauvaise copie, un professeur de lettres conclut de lasorte : « c’est vraiment nul, ça ne vaut même pas 4, je temets 1. »

(4) Crahay (2000) présente une revue de la littérature sur cesujet, voir aussi Duru-Bellat M., Mingat A. (1997).

(5) Contrairement aux prévisions considérant que le patri-moine héréditaire de l’espèce humaine comprenait environ100 000 gènes, les premiers séquençages aboutissent à desestimations moyennes comprises autour de 30 000, soit àpeine plus que la mouche drosophile (environ 27 000 gènes).Les scientifiques ignorent, pour environ 40 % d’entre eux, lafonction exacte de ces gènes. Autre façon de dire que lesexplications génétiques de la réussite scolaire relèvent, hiercomme aujourd’hui, de la spéculation.

(6) Si la filière scientifique est aujourd’hui moins qu’hier affu-blée du qualificatif de filière noble, elle reste toutefois laplus recherchée par les enfants de cadres au point que la

proportion de ceux-ci a augmenté de façon relative sur lesannées 1985-1995 (Merle, 2000).

(7) Dans la recherche de Choquet et Héran (1996), on ne peutêtre que surpris de l’absence de corrélation, à l’exceptiondes enfants d’employés, entre le sentiment d’humiliation etl’origine sociale. Ces auteurs montrent en effet, dans lamême recherche, une corrélation entre les très faibles reve-nus des parents et l’humiliation ainsi qu’entre faible niveauscolaire et humiliation. Or, les variables de revenu et deniveau scolaire sont liées à l’origine sociale si bien qu’il estlégitime de penser que dans la modélisation statistique sol-licitée l’effet propre de l’origine sociale est en partie absorbépar l’effet du revenu et du niveau scolaire en raison de l’in-tercorrélation des variables.

(8) Il existe aussi une forme paradoxale de l’humiliation quiconcerne les élèves d’origine aisée dont le niveau scolairen’est pas jugé à la hauteur de leur origine par certains pro-fesseurs. Ainsi, telle élève, fille de professeur de lettres, sevoit reprocher vivement ses fautes d’orthographe pourtantpeu nombreuses, et telle autre, une rédaction jugée plutôtmoyenne compte tenu de ses origines sociales (« pour unefille de psychiatre, je m’attendais à mieux »).

(9) La circulaire de juillet 2000 portant sur les règlements inté-rieurs des établissements rappelle également, de façon trèsexplicite, l’interdiction d’une sanction parfois utilisée pourmaintenir l’ordre dans la classe : donner un zéro pour mau-vaise conduite ou baisser la note d’un devoir.

48 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

NOTES

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L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire : contribution à une sociologie des relations maître-élèves 49

Le matériau exploité dans cet article repose surl’analyse de près de 500 « fiches » recueilliesauprès des étudiants inscrits à la préparation auCAPES à l’IUFM de Bretagne sur le site deRennes. Les étudiants disposaient pour rédigerleur fiche d’une consigne écrite au tableau :« Donner un exemple tiré de votre scolarité d’undroit respecté ou non respecté ». Cette consigneétait assortie du commentaire oral suivant : « Ilfaut donner un exemple qui vous est arrivé per-sonnellement ou, si vous n’avez pas ce type desouvenir pour le moment, un exemple dont vousavez été un témoin direct. Si vous le souhaitezvous pouvez donner deux exemples : un de droitrespecté, un de droit non respecté ». Cetteconsigne n’a pas toujours paru très explicite auxétudiants enquêtés. Certains ont indiqué qu’ils neconnaissaient pas leurs droits en tant qu’élève et,qu’à ce titre, il ne leur était pas possible de rédi-ger une telle fiche. Il leur a été répondu qu’ils dis-posaient très probablement d’une définition impli-cite de leurs droits, pas toujours en tant qu’élève,mais au moins en tant que personne, et qu’ilspouvaient solliciter, faute de mieux, une telle défi-nition pour présenter une expérience de droit res-pecté ou non.

Ces fiches sont constituées d’observations desituations, de témoignages, d’histoires des plusdiverses, que les étudiants ont rédigées sur papierlibre. Il était indiqué que les réponses étaient ano-nymes. Il a été demandé aux étudiants quin’avaient pas rédigé de fiches de rendre une feuilleblanche de façon à connaître l’importance des nonréponses. Dans la mesure où ceux qui n’ont pasrédigé de fiche ont suivi cette consigne, les nonréponses sont inférieures à 10 % des étudiantsprésents dans chacun des amphis sollicités.

La population enquêtée n’est évidemment enrien représentative des populations scolaires. Lesétudiants de l’IUFM de Bretagne sollicités étantinscrits en première année de préparation auxCapes, il s’agit d’une population sélectionnéed’une façon très singulière. Les étudiants d’ori-gine populaire sont très sous-représentés parmices étudiants : alors que dans la populationactive, ouvriers et employés représentent près de60 % des actifs, les étudiants de cette originesociale ne constituent qu’un tiers des inscrits àl’IUFM de première année (34,6 % exactement).Ces données statistiques, ainsi que les suivantes,

nous ont été communiquées par le service centralde scolarité de l’IUFM de Bretagne.

En revanche, le groupe des cadres et profes-sions intellectuelles supérieures (GSP3) auquelappartient 15 % des actifs est surreprésentéparmi les inscrits en première année : un bon tiersde ceux-ci (35,6 %) proviennent de ce groupesocio-professionnel. Ce sont les fils et filles de« professeurs et professions scientifiques » quisont les plus surreprésentés dans cette popula-tion étudiante : 11,9 % déclarent une telle origine.Les données recueillies sont donc tributaires decette composition sociale spécifique de l’échan-tillon qui est approximativement conforme à lastructure sociale des professeurs (Thélot, 1993 ;Degenne et Vallet, 2000). Quels biais cet échan-tillon introduit-il dans l’analyse des données ?

Le souhait de devenir professeur est forcémenten partie lié à une image plutôt positive, ou dumoins pas trop négative, du métier d’enseignant.Cette image assez spécifique est sans doute plusmarquée pour les enfants d’enseignants qui sou-haitent suivre la voie de leurs parents. Ces situa-tions particulières influencent très probablement lecontenu des fiches, c’est-à-dire le regard et lessouvenirs que ces ex-élèves ont conservé de leurscolarité. On n’en tirera pas cependant commeconclusion que la population enquêtée est homo-gène tant son avenir objectif – des professeursagrégés en classes préparatoires aux grandesécoles aux professeurs des lycées professionnels– est contrasté et permet de douter de l’existenced’un univers culturel commun. Toutefois, la popu-lation enquêtée a, en raison de son choix profes-sionnel, quelques raisons objectives de ne pasêtre totalement et particulièrement critique enversl’institution scolaire. Autre façon de dire que laméthode de recueil des données aboutit à unesous-représentation des élèves ayant entretenuune relation conflictuelle avec l’institution scolaire.Cette singularité de la population enquêtée estconfortée par le fait que ces anciens élèves ontété pour la plupart de bons élèves, suffisammentdu moins pour obtenir un bac et poursuivre avecsuccès des études supérieures au niveau de lalicence, et souvent même davantage : 39,1 % onten effet un diplôme supérieur à la licence et 2,5 %un diplôme de troisième cycle. L’âge moyen de lapopulation est de 23,9 ans. Les trajectoires sco-laires de ces étudiants sont donc majoritairement

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ANNEXE : Recueil des données et biais d’enquête

rectilignes et sans histoire. Or, le fait d’être plutôtun bon élève est clairement associé à une expé-rience scolaire particulière (par exemple, Bautieret Rochex, 1998 ; Merle, 1996 ; Rayou, 1998).Sans considérer que celle-ci est forcément heu-reuse, elle est du moins davantage épargnée desincertitudes, tourments, humiliations, révoltes etdécrochages que connaissent les élèves moyensou faibles.

Ce biais d’échantillon est d’une grande impor-tante dans l’interprétation des données. Lesexpériences scolaires des étudiants incités à pré-senter un exemple de droit respecté ou non sonten effet, de façon moyenne, plus sereines etmoins critiques que celles vécues par l’ensembledes populations scolaires. Il est nécessaire d’in-sister sur ce biais car la lecture des fiches pour-rait justement laisser penser le contraire tant leshistoires et témoignages des étudiants enquêtésnous présentent souvent de façon assez négativeune partie des interactions maîtres-élèves. Onprend conscience de ce biais d’échantillonlorsque certains enquêtés, dont la scolarité n’apas, semble-t-il, posé de gros problèmes, ne pré-sentent pas une expérience vécue personnelle-ment mais racontent ce qu’ils ont pu observerdans la classe. Ce sont alors des expériencespropres aux élèves en difficulté scolaire qui sontsouvent présentées et celles-ci ont des spécifici-tés liées à cette caractéristique (e.g. : « je n’aijamais rencontré de problèmes en tant qu’élève,mais par contre à plusieurs reprises, certainsprofs avaient vraiment des « souffre-douleur », etnotamment à l’école primaire où un élève issud’un milieu social très défavorisé et qui avait deuxans de retard en CP était sans cesse humilié parl’instituteur devant toute la classe, et parfois étaitmême frappé »). Fort heureusement pour l’enquê-teur, même les élèves qui sont parvenus à obtenirun diplôme de second ou troisième cycle univer-sitaire n’ont pas tous connu une scolarité sans

histoire. Le fait d’avoir un niveau honorable danstelle ou telle discipline ne protège pas de fai-blesses récurrentes dans d’autres domaines dis-ciplinaires. Autrement dit, peu nombreux sontfinalement les élèves totalement protégés desexpériences humiliantes, des résultats « insuffi-sants » ou « médiocres », de la dévalorisationscolaire. Cette réalité sociale de la classeexplique, pour une grande part, la faiblesse desnon-réponses.

Les fiches recueillies ne présentent évidemmentpas que des témoignages d’humiliation scolaire.Ces types d’histoires sont toutefois particulière-ment fréquents. Encore qu’il soit difficile et en faitimpossible d’opérer un classement des fichesselon les thèmes abordés : dans beaucoupd’entre elles, plusieurs catégories de situationsscolaires sont présentées qu’il s’agisse du droitde grève, des négociations maître-élève, du choixd’orientation, ou tout simplement du droit des’habiller comme on l’entend. Même lorsque lechercheur ne dispose que d’un seul témoignage,celui-ci peut faire l’objet de plusieurs types declassement. Le thème de l’humiliation scolaireétant prédominant, il a été préféré aux autres.

Étant donné l’âge moyen de cette population(23,9 ans), les histoires que les étudiants nousracontent nous donnent des images de l’écoletelle qu’elle a pu être de 1980 à 1996, âge où lesplus jeunes étudiants inscrits en première annéede l’IUFM étaient encore présents en classe ter-minale. Si cette école n’a guère changé sur lescinq dernières années compte tenu de la pyra-mide des âges des enseignants et de leur âgemoyen (Péan, 2000 ; Bourdeaux et Derouillon-Roisné, 2000), les expériences rapportées les plusanciennes, celles relatives au collège et a fortiorià l’école élémentaire, mettent en scène des pro-fesseurs dont une partie d’entre eux ne sont plusen activité ou sont proches de la retraite.

L’humiliation des élèves dans l’institution scolaire : contribution à une sociologie des relations maître-élèves 51

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin, 53-69 53

INTRODUCTION

Ce travail a pris pour point de départ une donnéede fait. Les enseignants d’EPS des banlieues diffi-ciles disent ne pas exercer le même métier queleurs collègues des quartiers privilégiés. Ce senti-ment de fragmentation du monde scolaire en deuxblocs distincts est-il fondé sur des réalités oun’est-il que le reflet de points de vue isolés ? Cetteimpression empirique se conjugue à un autreconstat : les disparités entre établissements sco-laires se creusent, les collèges se différencient deplus en plus du point de vue de la composition

sociale de leur public et des caractéristiques desenseignants. À l’issue d’une étude portant surl’évolution des collèges publics de 1980 à 1990,D. Trancart (1993) constate une concentrationplutôt accrue en dix ans, de populations « favo-risées » ou « défavorisées ». Plusieurs raisonsexpliquent cette évolution : les mesures d’assou-plissement de la carte scolaire, l’autonomie accruedes établissements, le développement du compor-tement consumériste de certaines familles àl’égard de l’école, l’augmentation du « zapping »entre le secteur public et le secteur privé(Langouët, Léger, 1991), tout cela contribue aucreusement des écarts entre « établissements

La présente étude (1) se propose d’analyser de quelle façon s’opère la distribution des contenus d’en-seignement en EPS selon les différents types de publics scolaires caractérisés du point de vue de l’ori-gine sociale des élèves. Les résultats montrent que, pour l’heure, les enseignants d’EPS échouent àtransmettre une culture corporelle commune. L’adaptation des contenus et des objectifs aux caractéris-tiques des élèves peut conduire à une inégalité de traitement préjudiciable à l’appropriation par tousd’une culture corporelle commune indispensable à la formation des élèves. En effet, l’école doit toutmettre en œuvre pour éviter un glissement d’un travail légitime de différenciation pédagogique à desformes implicites de ségrégation sociale.

Distribution des contenusd’enseignement en EPS au collègeselon les caractéristiques sociales

du public scolaire :des différences non aléatoires

Marie-Paule Poggi-Combaz

Mots-clés : éducation physique et sportive, contenu d’enseignement, culture corporelle, sociologie des curricula,inégalités sociales, sport.

d’excellence » et « établissements difficiles ». Àces différenciations croissantes des publics sco-laires, s’ajoutent celles liées aux caractéristiquesdu corps professoral qui varient considérablementselon que l’on exerce en établissements popu-laires ou bourgeois (A. Léger, 1983).

Dans ces conditions, comment va s’effectuer lasélection et la distribution des savoirs à trans-mettre au sein de cette institution divisée. Les avissont partagés. Certains se font les défenseursd’un curriculum commun et universel, d’autresprônent la mise en place d’une organisation sépa-rée des cursus scolaires. J.-C. Forquin (1989)relate les débats animés qui ont mobilisé lessociologues britanniques autour de cette questionde la sélection culturelle scolaire. Doit-on sedemander avec C. Lelièvre (1996) si l’école « àla française » fondée sur les principes d’égalité, desolidarité et d’unité nationale se trouve endanger ? La préoccupation principale devient alorsde savoir comment, en respectant les différenceset les particularismes, donner à chacun une « cul-ture minimale commune ». La difficulté consiste àétablir un équilibre entre les initiatives et les adap-tations locales et les directives nationales édictéespar les instructions officielles.

L’enseignement de l’éducation physique et spor-tive n’échappe pas à ce questionnement. Cettedernière n’est pas une et indivisible. Les contenusd’enseignement proposés en collège subissentdes variations dont nous pourrons constater lecaractère non aléatoire. Les choix effectués nevont pas de soi et méritent d’être observés par lesociologue. Méfions-nous de cette « illusion detransparence du monde social » (Durkheim, 1895)qui pourrait nous laisser penser que les préfé-rences en matière de culture corporelle scolaireseraient uniquement dictées par les contraintesmatérielles d’enseignement ou les prérogativesdes programmes officiels. Mieux comprendre ceschoix, les repérer puis les expliquer, les mettre enrapport avec les caractéristiques sociologiquesdes publics scolaires, tel est l’objectif principal dece travail.

Afin de mieux saisir la façon dont les ensei-gnants définissent ce qui mérite d’être enseigné enEPS au collège, nous mènerons nos investigationsdans deux directions. Nous nous intéresseronstout d’abord à la façon dont ils définissent lecontenu fondamental de l’EPS. Nous observeronsensuite les objectifs qui, en amont, sous-tendent

ces choix. Définition du contenu jugé fondamentalet caractérisation des objectifs visés constituerontles deux points d’appui nous permettant de des-siner les contours des contenus de la culture cor-porelle au collège.

CADRE THÉORIQUE, PROBLÉMATIQUEET HYPOTHÈSES

Notre ancrage théorique emprunte à la fois auchamp de la sociologie des curricula britanniqueet au courant conflictualiste de la sociologie del’éducation. Ces deux approches ont en communde remettre en question la hiérarchie des modèlesculturels transmis à l’école. En définissant lesavoir véhiculé par l’enseignement non pluscomme une entité absolue et douée d’une valeurintrinsèque mais comme une « constructionsociale », les sociologues britanniques nous ontpermis d’interroger sous un angle nouveau les pra-tiques corporelles proposées en cours d’EPS.Cependant, plus que le « caractère subjectivementconstruit de la réalité sociale », idée à laquelle ren-voie la notion même de « construction sociale »,ce qui nous intéresse davantage c’est l’étude dupoids des déterminismes sociaux à l’œuvre dans lechoix des connaissances à transmettre au sein del’école.

Parmi l’ensemble des objets culturels sus-ceptibles d’être transmis, l’école opère un tri.Seule une partie d’entre eux sera jugée digned’être transmise, constituant ainsi la « versionautorisée », la « face légitime » (Forquin, 1989,p. 15) de la culture. Les contenus d’enseignementsont l’objet d’une construction menée à l’intérieurde l’école, leur réalité ne va pas de soi. Dans cetteperspective, le système des savoirs scolaires nereposerait sur aucune justification objective, ilsdépendrait des caractéristiques du contexte etserait l’objet de conflits et de luttes de pouvoir.

Comment s’effectue cette sélection des conte-nus en EPS ? Par le choix des APS (activités phy-siques et sportives) enseignées, l’EPS « s’alignesur les normes de l’institution sportive »(Parlebas, 1986). En effet, les APS prioritairementproposées en EPS sont celles qui se pratiquent enmilieu stable et standardisé. Ce choix coïncideavec celui de l’institution sportive qui elle aussivalorise ce domaine de pratiques. Ces activités

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facilitent la mesure des performances, le classe-ment des élèves à partir de critères jugés égauxpour tous. Leur caractère universel et formateuren fait le contenu légitime de l’EPS. Mais les pra-tiques sportives institutionnalisées ne représen-tent qu’une part de l’ensemble des pratiques cor-porelles susceptibles d’être enseignées en milieuscolaire. Elles renvoient à certains modes d’utili-sation du corps, à certaines manières de penser lecorps, bref à un ensemble de références cultu-relles mettant à distance ou au contraire sédui-sant telle ou telle catégorie sociale d’élèves. Larecherche menée par J.-M. Faure (1983) à proposde la natation est à ce sujet éclairante. L’auteurnous montre comment cette activité sportive tra-ditionnelle peut être transformée, modifiée, sub-vertie et détournée de ses buts initiaux selonles normes culturelles de ses pratiquants. L’ap-prentissage en jardin aquatique, favorisant unrapport ludique et gratuit à l’eau, convient mieuxaux enfants des milieux défavorisés tandis quel’apprentissage des techniques de nage en pis-cine traditionnelle réussit plutôt aux enfants desmilieux favorisés. Ces deux formes de pratiquescoexistent à l’école mais sont inégalement recon-nues par l’institution scolaire ; l’apprentissagetechnique constitue cette part du patrimoineculturel considérée comme étant digne de figurerdans les programmations d’enseignement. Ainsien légitimant des pratiques plutôt que d’autres,l’école éloigne d’elle cette partie des élèves qui,du fait de certaines caractéristiques sociales deleur milieu, se trouve en rupture avec cette culturelégitime.

C’est à la sociologie des curricula que nousdevons ce travail de « déconstruction sociologiquedes évidences de la culture scolaire » (Forquin,1989, p. 112) qui nous montre à la fois que lanorme scolaire n’est pas universelle et que lesélèves, du fait de leur appartenance sociale, ensont plus ou moins proches. L’école impose uneculture parmi d’autres et en EPS une culturecorporelle parmi d’autres. Il reste donc à analyserce qui fait la consistance du curriculum scolaireen EPS et à apprécier dans quelle mesure cedernier contribue au développement d’un certain« pluralisme culturel » (Haramein, Hutmacher, Per-renoud, 1979) visant à « respecter l’identité cultu-relle de chacun sans le priver de l’accès à d’autrescultures ». Car d’un relativisme respectueux desdifférences, le risque existe d’évoluer vers un dif-férencialisme de ségrégation à la fois élitiste etinégalitaire.

Plus généralement, cette recherche s’inscritdans la perspective des travaux de sociologie del’éducation qui montrent comment les inégalitéspeuvent se créer en partie dans l’école et com-ment les pratiques enseignantes contribuent à lesaccroître ou, au contraire, à les réduire. Les résul-tats invitent les enseignants à exercer une certainevigilance à l’égard de tout processus pédagogiquede différenciation dont le principal effet perversest de conduire à un développement séparé descursus privant ainsi certaines catégories d’élèvesde l’accès à des contenus culturels fondamentaux.De l’adaptation légitime – et souvent indispen-sable – à la ségrégation qui, dans certaines cir-constances, peut en découler – sans que celle-cisoit mise en œuvre de façon consciente par lesenseignants – il n’y a qu’un pas. Car, sous couvertd’une nécessaire adaptation des contenus d’en-seignement aux caractéristiques des nouveauxpublics scolaires, l’école tend à enrichir ou aucontraire à restreindre le champ des pratiques cor-porelles proposées. Ce fonctionnement s’appa-rente à un « processus d’appropriation et de priva-tion des savoirs » (Tanguy, Agulhon, Ropé, 1984,p. 42). C’est pourquoi nous proposons d’observerquels sont les contenus d’enseignement proposésen EPS dans les différentes catégories d’établis-sement.

C’est donc à la lumière de ces perspectives derecherche que nous souhaitons analyser et com-prendre de quelles façons se construisent lescontenus d’enseignement en EPS au collège. Noustravaillerons à partir des discours que les ensei-gnants tiennent sur leurs pratiques. L’objectif estd’analyser selon quels critères et sous l’impulsionde quelles variables sociologiques se construisentles contenus d’enseignement en EPS. Nous fai-sons l’hypothèse que les différences dans la façonde concevoir et de mettre en œuvre les contenusd’enseignement en EPS s’expliquent, en partie,par les variations liées aux caractéristiquessociales des publics scolaires, variations qui ten-dent à s’accentuer. La façon dont les enseignantsdéfinissent les contenus de ce qu’il est légitimed’enseigner ainsi que les types de rationalité qu’ilsavancent dépendent étroitement des types depublics scolaires auxquels ils s’adressent. Ceschoix, socialement différenciés, conduisent à unedistribution inégale des savoirs et des compé-tences en EPS entre les différents types d’établis-sements scolaires et alimentent donc un proces-sus d’inégalité entre les élèves. La notion de« contenu d’enseignement » sera utilisée dans un

Distribution des contenus d’enseignement en EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire 55

sens large, il s’agit « des savoirs fondamentaux »,« des capacités de jugement » et des « formesculturelles et patrimoniales » (ministère de l’Édu-cation nationale, de la Recherche et de la Tech-nologie, 1999, p. 4) que tout établissement sco-laire a pour mission de faire acquérir aux élèves.La démarche suivie consiste à décrire et analyserles contenus sélectionnés et ensuite à les mettreen rapport avec les caractéristiques sociologiquesdes élèves.

MÉTHODOLOGIE

L’enquête comporte deux volets : une partiequantitative menée à partir de questionnaires pos-taux permettant de décrire et expliquer les choixdes enseignants et une partie plus qualitativeconduite à partir d’entretiens invitant les ensei-gnants à justifier leurs choix. L’enquête a porté surdeux académies de France métropolitaine, Renneset Lyon, choisies pour leur profil contrasté au vud’un ensemble de critères mis en avant par ladirection de l’évaluation et de la prospective duministère de l’éducation nationale (pourcentage debacheliers, d’établissements en ZEP, taille desétablissements, etc.).

Entre mars et juin 1995, un questionnaire postala été envoyé aux 1 418 enseignants d’EPS de cesdeux académies. Bien entendu, il ne s’agit pasd’un échantillon aléatoire mais d’un recueil dedonnées que l’on pourra considérer simplementcomme exhaustif sur deux académies. 531 ques-tionnaires, soit 37,4 % des 1 418 envoyés, noussont revenus. Ce pourcentage relativement élevéau regard des taux de retour habituellement obte-nus dans les grandes enquêtes sociologiques peuts’expliquer de deux façons : un intérêt tradition-nellement marqué des enseignants d’EPS pour lesquestions d’ordre pédagogique et l’actualité desdiscussions mobilisant la profession sur un projetde programme en EPS. On sait que, en EPS, plusque dans les autres matières d’enseignement, lescontenus de la formation initiale sensibilisent lesfuturs enseignants à une réflexion sur leurs pra-tiques pédagogiques au-delà de l’acquisition d’unsavoir purement disciplinaire.

À partir des données sur la répartition en caté-gories socioprofessionnelles des élèves de chacundes établissements pour l’année scolaire 1993-

1994, nous avons pratiqué une classificationascendante hiérarchique (CAH) sur l’ensemble deces établissements afin de les répartir en classeshomogènes (la typologie obtenue se trouve enannexe 1).

La phase qualitative de l’enquête porte, pour desraisons matérielles, sur un environnement géogra-phique proche, l’académie de Créteil. 25 ensei-gnants, répartis sur 10 établissements différents,ont accepté de se prêter à cet exercice (entre jan-vier 1995 et mai 1996). L’échantillon a été consti-tué de façon à être contrasté selon deux critères :les caractéristiques sociales du public scolaireainsi que celles des enseignants (les caractéris-tiques de l’échantillon se trouvent en annexe 2).

Différentes techniques ont été utilisées afin defaciliter l’expression des interviewés et de les in-citer à développer au maximum leur points de vue.Dans tous les cas, il leur a été demandé de réagirà partir d’un support concret, soit en effectuantdes choix réels, soit en réagissant à des propo-sitions préalablement construites, et ensuite decommenter et justifier ces choix. Nous noussommes inspirés du modèle d’« entretien coupléavec une tâche » proposé par H. Cukrowicz (1993).Chaque entretien a été intégralement retranscrit etsoumis à une analyse thématique rigoureuse(Bardin, 1983).

LES RÉSULTATS

La définition du contenu jugé fondamental

Nous avons invité les enseignants à décrire cequ’il leur paraissait indispensable d’enseigner enEPS au collège afin de vérifier si la définition de cecontenu légitime varie selon la composition socialedu public scolaire. Existe-t-il des conceptions dif-férentes des contenus d’enseignement et doncdes savoirs à transmettre en EPS selon que l’onenseigne en établissements favorisés ou défavori-sés, et par conséquent, assiste-t-on, en fait, àune distribution inégale des savoirs, du moins ence qui concerne les projets déclarés des ensei-gnants ?

À la question « qu’est-ce qu’il vous paraît indis-pensable d’enseigner au collège ? », l’analyse decontenu des réponses a permis de dégager23 thèmes (dont le descriptif se trouve en

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annexe 3). Un enseignant sur deux répond à cettequestion en se référant à ses conceptions éduca-tives générales relatives au développement del’enfant et au domaine de la morale et des valeurs.L’évocation de la motricité n’apparaît qu’en troi-sième position et en des termes généralistes, lesenseignants ne se cantonnent donc pas à descontenus strictement disciplinaires mais élargis-sent volontiers le champ de leurs préoccupations àdes considérations éducatives générales. Ladimension généraliste de l’enseignement de l’EPSau collège est ensuite encore revendiquée avec lanécessité déclarée de diversifier les activités phy-siques et sportives enseignées.

Les enseignants d’EPS définissent l’efficacité deleur action non seulement à partir de son effetdirect sur les apprentissages moteurs mais égale-ment, au-delà, sur ses incidences sur le dévelop-pement psychologique, affectif et social de l’en-fant. Ce résultat rejoint les conclusions établiespar J. Marsenach (Marsenach, 1997, p. 75) dansune enquête sur l’enseignement de l’EPS portantsur l’observation de 200 séances. L’auteurconstate que « depuis 1989, nous pensons décelerune conception plus universaliste de la culture,sous-tendue par l’idée que ce que l’on transmetdépasse les particularités des APS ». Les ensei-gnants sont, en effet, peu nombreux à répondre entermes de liste d’APS (6 %). Ils mettent en avant

des thèmes à dimension universelle tels que ledéveloppement psychologique et affectif de l’en-fant, la morale et les valeurs ou encore le dévelop-pement de la motricité générale, sans entrer dansune démarche particulariste (liée à l’apprentissagede telle ou telle APS) ou localiste (liée aux caracté-ristiques de leur établissement).

Notons au passage que ce sont les enseignantsdes établissements les plus défavorisés qui sesont montrés les plus réticents à proposer desréponses à cette question alors que c’est dans lesquartiers très favorisés qu’on trouve le pourcen-tage de non-réponses le plus faible (14,1 % contre3,2 %). Cette question est-elle apparue pour lespremiers futile ou même gênante ? La définitiond’un contenu légitime en collège semble posermoins de problèmes lorsqu’on s’adresse à desélèves dont les habitudes familiales prédisposentà l’intégration dans les meilleures conditionsdu message scolaire, c’est-à-dire, comme le ditP. Bourdieu « à des élèves qui sont dans le casparticulier de détenir un héritage culturel conformeaux exigences culturelles de l’école » (Bourdieu,1966, p. 337). En établissements difficiles, rien neva de soi et on semble davantage s’interroger surla définition de ce qu’il est légitime d’enseigner.

Les deux thèmes principaux ne sont pas retenuspar les mêmes groupes d’enseignants. « Morale et

Distribution des contenus d’enseignement en EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire 57

Effectif %

Développement psycho-affectif de l’élève 295 55,6

Domaine de la morale et des valeurs 284 53,5

Développement de la motricité générale 101 19

Diversité des APS enseignées 76 14,3

Méthode de travail 75 14,1

Avenir des élèves 71 13,4

Développement cognitif 65 12,2

Non réponse 62 11,7

Aspect physiologique 51 9,6

Apprentissage moteur et scolaire 50 9,4

Progrès 37 7

Rapport au corps 36 6,8

Effectif %

Santé hygiène sécurité 32 6

Liste APS 32 6

Apprentissage fondamental 30 5,6

Sport, culture sportive 27 5,1

Caractéristiques des élèves 16 3

Référence à la culture 15 2,8

Méthodes actives 12 2,3

Transversalité 12 2,3

Spécificité 12 2,3

Interdisciplinarité 5 0,9

APS support 5 0,9

Restriction 1 0,2

Un enseignant sur deux se réfère à ses conceptions éducatives générales.

Définition par les enseignants du contenu légitime de l’EPS

valeurs » est préféré en établissements très défa-vorisés alors qu’en établissements favorisés onrecherche d’abord le « développement psycho-affectif » des élèves. Autour de ces deux thèmes,les caractéristiques sociologiques des établisse-ments sont donc bien discriminantes. Ellesinfluencent tout particulièrement la manière dontse définit le contenu légitime de l’EPS. Les autresthèmes, dans une moindre mesure, n’échappentpas à ce constat comme en témoigne le graphiqueci-dessous.

L’étude du tableau des écarts à l’indépendance,contenant en ligne la composition sociale des éta-blissements et en colonnes les thèmes retenus,nous révèle les choix privilégiés par chaque typed’établissement. On constate une forte attraction

entre établissements très défavorisés et deuxthèmes : morale et valeurs, progrès. Dans les éta-blissements très favorisés quatre thèmes sontprioritairement retenus : la référence aux proces-sus d’apprentissage, les méthodes de travail,l’épanouissement personnel de l’élève (psycho-affectif) et le développement d’une motricité spé-cifique à une ou des APS particulières. Dans lesétablissements très défavorisés on semble vouloirtenir à la fois le pôle de l’éducation (morale etvaleurs) et celui de l’instruction (progrès). La for-mation du futur citoyen reste toutefois un objectifprioritaire. À l’opposé, en établissements favori-sés, l’enseignant consacre toute son attention àl’élève en tant qu’être apprenant et moins en tantqu’être social. C’est le développement personneldes individus et leur progression dans les appren-

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Définition du contenu légitime de l’EPSselon la composition sociale des établissements (écarts à l’indépendance).

On constate une forte attraction entre établissements très défavorisés et deux thèmes : morale et valeurs, progrès.

– 10 – 5 0 5 10

rapport au corps

spécificité

apprentissage

psycho affectif

progrès

morale et valeurs

méthodes de travail

développement cognitif

Défavorisée

Très défavorisée

Très favorisée

tissages scolaires qui est au centre des préoccu-pations. L’analyse factorielle des correspon-dances illustre bien cette répartition entre établis-sements très favorisés et très défavorisés.

L’enquête nous révèle que les contenus déclarésprioritaires par les enseignants possèdent deuxcaractéristiques. D’une part, ils ne sont pas définisuniquement et prioritairement par rapport auxapprentissages moteurs, le développement psy-chologique et social de l’enfant est d’abord mis enavant. D’autre part, ils ne font pas l’unanimité danstous les établissements scolaires puisque des dif-férences notables existent selon les publics sco-laires concernés. Selon le profil du quartier, lafaçon de concevoir l’élève oscille entre uneapproche centrée sur « l’enfant citoyen » en éta-blissements très défavorisés et une démarcheorganisée autour de « l’enfant apprenant » en éta-blissements très favorisés.

Il nous semble désormais intéressant de vérifiersi ce constat se confirme lorsqu’on observe ce quise passe en amont, c’est-à-dire au niveau desobjectifs.

En amont : la définition des objectifs visés,possibilité de diversifier en établissementfavorisé, sélectionner et établir des prioritésen établissements défavorisés

Nous cherchons à connaître ici ce que visent lesenseignants. Même si les effets sur les pratiquesréelles ne sont pas systématiques, nous pouvonstoutefois postuler que les objectifs constituent lesocle sur lequel va s’appuyer la construction descontenus. Il a été demandé aux enseignants declasser les trois missions essentielles qu’ils attri-buent à l’EPS à partir d’une liste préétablie qui leurétait proposée.

Distribution des contenus d’enseignement en EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire 59

Définition du contenu légitime de l’EPSselon la composition sociale des établissements.

Analyse factorielle des correspondances. Plan des facteurs 2 et 5

Les variables (les thèmes des réponses) sont retranscrites en majuscules et les individus (les enseignants regroupés selon la compo-sition sociale majoritaire du public scolaire auquel ils s’adressent) sont retranscrits en minuscules.Individus : pour « très déf » lire très défavorisés, pour « très fav » lire très favorisés.Variables : pour « RACO » lire rapport au corps, pour « DECO » lire développement cognitif, pour « AVEL » lire avenir des élèves.

INTERDISCIPLINARITÉ

SPÉCIFICITÉ ASPECTS PHYSIOLOGIQUES

APS SUPPORT

RACO DECO AVEL

MORALE ET VALEURS

CARACTÉRISTIQUES DES ÉLÈVEStrès déf

mixte

PROGRÈS

APPRENTISSAGE

très fav

défavorisés

agriculteurs

(axe 2)

(axe 5)

MÉTHODES ACTIVES

Le développement de la motricité générale, et defaçon plus secondaire la vie en groupe et le plaisirde pratiquer, sont les trois objectifs les plus pri-sés, alors que les activités de loisirs, le développe-ment cognitif et l’acquisition de techniques spor-tives se trouvent relégués en fin de classement.Toute proximité avec la culture sportive est rejetée(comme le développement organique et foncier etl’acquisition de techniques sportives). C’est l’ap-proche la plus généraliste qui est privilégiée.

Les objectifs prioritaires déclarés par les ensei-gnants se différencient nettement selon les carac-téristiques sociales des élèves. Même si « lesenseignants ont rarement conscience d’ajusterleurs visées à leur public » (V. Isambert Jamati,1984, p. 43), on constate pourtant des variationsliées au lieu d’implantation des établissements. Eneffet, dans les quartiers très favorisés, les ensei-gnants se situent dans la moyenne sauf lorsqu’ilest question du développement cognitif des élèves

(pour l’objectif 1) et du développement organiqueet foncier (pour l’objectif 2 qu’ils placent en tête) ;en revanche les enseignants des établissementstrès défavorisés privilégient nettement l’apprentis-sage de la vie en groupe et la préparation desfuturs loisirs, ils se détournent massivement desobjectifs de plaisir et de motricité générale. Lesécarts à l’indépendance sont de six à huit pointssupérieurs aux autres et les axes 1 et 3 de l’ana-lyse factorielle des correspondances pratiquée seconstruisent d’emblée sur ces regroupementsindividus-variables.

L’analyse factorielle confirme ces résultats.Nous avons pratiqué cette AFC en mettant en actifles établissements pris isolément (non triés selonune quelconque variable indépendante) et enintroduisant les trois objectifs sélectionnés simul-tanément sans effet de classement. Le premier axeoppose des objectifs de type scolaire (méthodes

60 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Objectifs visés par les enseignants

0

10

20

30

40

50

60

MG VG PL MT OF DC TS AL

Objectif n° 1

Objectif n° 2

Objectif n° 3

L’objectif d’enrichissement de la motricité générale est très largement poursuivi (pour « MG » lire enrichissement de la motricité géné-rale, pour « VG » lire apprentissage de la vie en groupe, pour « PL » lire sensibilisation au plaisir de pratiquer, pour « MT » lire acqui-sition de méthodes de travail, pour « OF » lire développement organique et foncier, pour « DC » lire développement cognitif, pour« TS » lire acquisition de techniques sportives, pour « AL » lire préparation aux activités de loisirs).

de travail, développement cognitif) à des objectifsde type extra scolaire (loisirs, techniques spor-tives). Aux premiers sont associés des collèges àrecrutement très favorisé tandis qu’aux secondssont liés des établissements implantés en milieudéfavorisé. On retrouve là une tendance déjàrepérée.

Quelles conclusions tirer de l’ensemble de cesrésultats, qu’ils soient issus de la statistique clas-sique ou de l’analyse multidimensionnelle desdonnées ? On a l’impression que les publics d’en-fants défavorisés ne laissent pas indifférents etconduisent les enseignants, et même peut-êtredans une certaine mesure leur imposent, des choixpédagogiques exclusifs alors que dans les établis-sements favorisés tous les types d’objectifs péda-gogiques sont représentés de façon équilibréeavec un léger avantage pour le cognitif par rapportau moteur et à l’affectif. Dans ces établissementsles enseignants se sentent-ils plus libres de dis-penser une éducation physique équilibrée ? Lesconditions d’enseignement autorisent la miseen place d’une éducation physique pluralistedans ses objectifs avec toutefois la survalori-sation d’une dimension habituellement considérée

comme prioritaire au sein des autres disciplinesd’enseignement. L’enseignant d’EPS tend à cal-quer ses attentes sur celles des autres matièresd’enseignement et à « se conformer » à la fortefonction intellectualiste de l’institution scolairefrançaise » (Arnaud, 1982). Pour justifier sa placedans les cursus, et tout particulièrement auprèsd’élèves issus des milieux favorisés, l’EPS se sentcondamnée à s’inscrire dans ce « processus d’in-tellectualisation ». C’est à ce prix que, dans cesquartiers, l’EPS pourra s’affirmer comme uneauthentique discipline d’enseignement, au prix,sans doute, d’une perte de spécificité.

En milieu défavorisé les exigences sont d’unautre ordre. Les difficultés d’enseignement liéesaux dysfonctionnements de la vie en groupe sonttelles qu’elles conduisent les enseignants àconcentrer quasi exclusivement le travail pédago-gique sur ces problèmes au détriment d’autresdimensions de la formation. Ainsi, la « liberté »pédagogique de l’enseignant semble être large-ment déterminée par les caractéristiques socio-logiques du public scolaire auquel il s’adresse. Lescaractéristiques de la structure semblent ici large-ment peser sur les décisions de l’acteur.

Distribution des contenus d’enseignement en EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire 61

Choix de l’objectif numéro 1selon la composition sociale des établissements (écarts à l’indépendance)

loisir

plaisirmotricité générale

méthode

organique et foncier

– 8

– 6

– 4

– 2

0

2

4

6

8

10

Très favorisée

Très défavorisée

Défavorisée

techniques sportives

dév cognitif

vie en groupe

Les objectifs varient nettement selon le lieu d’implantation de l’établissement, l’amélioration de la vie en groupe est plus souventrecherchée en établissements très défavorisés (pour « dév cognitif » lire développement cognitif).

Les résultats de l’enquête par entretiens neconfirment qu’en partie ces tendances. L’analysede contenu des réponses relatives au choix desobjectifs a permis de dégager 14 thèmes. Lesenseignants sont nombreux à se référer à leursconceptions éducatives générales en rapport avecl’épanouissement personnel et la formation moralede l’élève. Cependant, leurs discours se focalisentplus précisément sur les caractéristiques propresde l’éducation physique, et, dans ce domaine,c’est la visée d’apprentissage qui est privilégiée.Apprendre, assimiler, progresser, savoir acquérir,intégrer sont mis au premier plan dans un but detransformation des élèves aussi bien d’un point de

vue moteur qu’intellectuel (leur apprendre à réflé-chir sur ce qu’ils font). Le développement descapacités physiques organiques et foncières ainsique l’apprentissage sportif constituent un pôlesecondaire. Par la priorité donnée à l’apprentis-sage et aux progrès, l’ancrage scolaire de l’EPSsert de référence prioritaire dans la définition desobjectifs au détriment de l’ancrage sportif. Nousl’avions déjà constaté lors de l’analyse desréponses aux questionnaires, l’EPS se positionned’abord par rapport aux objectifs de l’institutionscolaire comme pour mieux affirmer sa place ausein de l’école. Le domaine des loisirs associé àune pratique de type hédonique ou ludique ne

62 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Choix des objectifs selon la composition sociale des établissements(en caractères gras : répartition des réponses selon les 4 thèmes principaux,en caractères ordinaires : répartition des réponses selon les 14 sous-thèmes)

Ens. Fav. Défav. Mixt.

1. Définition des objectifs par rapport au rôle de l’école 10 4 5 1

1.1 Problématique générale relative à l’école et à la lutte contrel’échec scolaire 4 0 3 1

1.2 Développement cognitif 5 2 3 0

1.3 Objectifs de méthode 5 3 1 1

1.4 Démarche de construction par l’élève 2 1 0 1

2. Définition des objectifs par rapport au développement individuelet social de l’individu 16 5 9 2

2.1 Développement individuel et épanouissement personnel de l’élève 9 4 3 2

2.2 Domaine de la morale et des valeurs, socialisation, règles de vie, citoyenneté 10 2 8 0

3. Accès au domaine du divertissement : le loisir extra scolaire, accentsur les dimensions ludique et hédonique de la pratique physique 9 3 3 3

3.1 Domaine extra-scolaire et de l’avenir des élèves 6 3 1 2

3.2 Plaisir des élèves 5 1 2 2

4. Objectifs centrés sur les caractéristiques propres de l’enseignementde l’EPS 20 7 10 3

4.1 Apprentissage et progrès moteurs 13 6 6 1

4.2 Développement organique et foncier 8 3 3 2

4.3 Accès à la pratique sportive et à la compétition 2 1 1 0

4.4 Diversité des APS et des situations d’apprentissage 3 0 2 1

4.5 Transmission de modèles techniques 3 1 2 0

4.6 Accès à la culture sportive 1 0 1 0

Les objectifs visés varient selon le type de public scolaire, en établissements défavorisés l’accent est mis sur la morale et les valeurssans toutefois délaisser les apprentissages.

concerne qu’une fraction marginale de notre popu-lation. La recherche du plaisir des élèves est sou-vent évoquée de façon convenue, un peu commeun phénomène de mode.

Comme lors de l’enquête par questionnaire, ledomaine de la morale et des valeurs reste le sec-teur privilégié par les enseignants exerçant en éta-blissements défavorisés. Les caractéristiques dupublic scolaire s’imposent comme une contrainteincontournable avec laquelle ils déclarent devoirfonctionner. Certains le font clairement remar-quer : « moi je trouve que c’est (les objectifs) trèslié aux élèves, on n’a pas du tout les mêmes, enfinje n’ai pas du tout l’impression d’avoir des exi-gences spécifiques EPS, on travaille peu de tech-niques, on travaille peu d’observations, d’analysedu mouvement, d’analyse du jeu collectif, on tra-vaille surtout sur l’élève, son comportement ». Au-delà du bon déroulement du cours, ce qui estrecherché, c’est une réelle transformation des atti-tudes et des personnes comme le dit cette ensei-gnante « si je les laisse faire ce qu’ils ont envie, ilsne progresseront jamais, ils ne changeront jamaispar rapport à ce qu’ils sont ». Les caractéristiquesdes élèves induisent donc le choix du type d’ob-jectifs à poursuivre, ici en l’occurrence, l’appren-tissage de règles de vie et de valeurs morales,mais en aucun cas elles ne conduisent les ensei-gnants à capituler dans leur entreprise de transfor-mation et d’enrichissement des élèves.

Cette tendance est confirmée lorsqu’on regardeles résultats relatifs à l’apprentissage et aux pro-grès moteurs. Six enseignants sur 12 exerçant enétablissements défavorisés déclarent « rentrerdans une démarche d’apprentissage » et proposer« des contenus élaborés et ça fonctionne ». Lamenace d’une dérive exclusivement animatricesemble donc en partie écartée. Au contrairemême, proposer aux élèves de solides contenusd’apprentissage constitue le moyen idéal deréconcilier avec l’école certains de ces élèves enrupture avec le système scolaire, ainsi un ensei-gnant estime qu’il « y a un travail fort sur lescontenus à faire de façon à motiver les élèves àrentrer dans l’activité et à ne penser plus qu’àça ». Cette élaboration théorique a posteriorirelève-t-elle d’une simple « stratégie de survie »(Woods, 1997) utilisée par les enseignants pour« sauver les apparences » et « échapper à la des-truction de leur identité » ou bien ce choix est-il lereflet réel des contenus d’enseignement mis enœuvre dans ce type d’établissement ? L’enquête

ne nous permet pas de trancher. À l’opposé, onpeut constater que les enseignants des établisse-ments favorisés sont plus nombreux à se référer àdes objectifs d’apprentissage (6 sur 10). Cetobjectif semble aller de soi auprès d’élèves déjàbien adaptés aux exigences du système scolaire.

Étant donné le faible effectif de notre échan-tillon, un traitement statistique classique nous estapparu insuffisant. C’est la raison pour laquellenous nous sommes tournés vers l’analyse multi-dimensionnelle des données, nous avons doncpratiqué une analyse factorielle des correspon-dances sur l’ensemble des 14 thèmes afin derepérer les ressemblances et les dissemblancesentre nos 25 enseignants. Le premier axe opposedeux groupes d’enseignants : d’un côté les parti-sans d’une approche généraliste et éducative del’EPS axée sur la diversité des APS enseignées,sur la socialisation ainsi que le développementpersonnel de l’individu, et de l’autre des ensei-gnants soucieux de transformer les individus parle biais des apprentissages et de l’acquisition detechniques sportives. Se dessine donc ici unepremière opposition entre « généralistes » et« spécialistes ». Alors que les enseignants exer-çant en établissements défavorisés ou mixtessont majoritaires dans le premier groupe, les« spécialistes » dispensent des cours d’EPS aussibien auprès d’élèves favorisés que défavorisés.En quartiers difficiles, les enseignants ne renon-cent donc pas à leur mission de transmission desconnaissances au profit de visées exclusivementéducatives. Les deux orientations coexistentsans dérive animatrice ou éducative. Cetteremarque est confirmée si on analyse les résul-tats du second axe factoriel sur lequel les objec-tifs scolaires s’opposent aux objectifs visant ledéveloppement social et individuel de l’individu.Les établissements à public défavorisé sontreprésentés aux deux extrêmes. Les enseignantsdes établissements à publics scolaires défavo-risés bien que sur-représentés parmi les généra-listes, sont également présents dans toutes lesautres catégories.

Cette partie des résultats montre donc que, lors-qu’il est question d’objectif, les enseignantsredonnent la priorité aux aspects moteurs.Cependant, à l’image de ce qui a été remarquéprécédemment, ils persistent dans une démarchegénéralisante évacuant toute approche sportive outechniciste. Cette tendance générale ne se vérifiepas quel que soit le type de public scolaire, l’amé-

Distribution des contenus d’enseignement en EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire 63

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Plan des facteurs 1 et 2. Facteur 1 sur l’axe horizontal, facteur 2 sur l’axe vertical.

Le domaine scolaire s’oppose au domaine du développement de l’individu sur l’axe 1 tandis que les généralistess’opposent aux spécialistes sur l’axe 2.

Variables : pour « Exav » lire Domaine extra scolaire et de l’avenir des élèves, pour « Diep » lire Développement indi-viduel et épanouissement personnel de l’élève, pour « Mova » lire Domaine de la morale et des valeurs, socialisation,règles de vie, citoyenneté, pour « Appr » lire Apprentissage et progrès moteurs, pour « Ecol » lire Problématique géné-rale relative à l’école et à la lutte contre l’échec scolaire, pour « Plai » lire Plaisir des élèves, pour « Deco » lireDéveloppement cognitif, pour « Meth » lire Objectifs de méthode, pour « Orfo » lire Développement organique et fon-cier, pour « Sp » lire Accès à la pratique sportive et à la compétition, pour « Dive » lire Diversité des APS et des situa-tions d’apprentissage, pour « Techn » lire Transmission de modèles techniques, pour « Cusp » lire Accès à la culturesportive, pour « Cons » lire Démarche de construction par l’élève.

Individus :Enseignants exerçant en établissements défavorisés : E02, E04, E05, E08, E09, E11, E14, E17, E20, E22, E23, E25.

Enseignants exerçant en établissements favorisés : E01, E03, E06, E07, E10, E12, E13, E15, E18, E19. Enseignantsexerçant en établissements mixtes : E16, E21, E24.

DOMAINE SCOLAIRE

LES GÉNÉRALISTESLES SPÉCIALISTES

EO3

E04

E15E16

E09

E07

E12

E20

E23

E24

E01 E14

E13

E18

E11

E17

E25

CONS

DECO

ECOL

SPOR

APPR

PLAI DIEP

MOVA

TECH

DIVE

DÉVELOPPEMENT DE L'INDIVIDU

lioration de la vie en groupe constitue l’objectifprincipal en établissements très défavorisés.Cependant dans les entretiens, les enseignants deces établissements implantés en quartiers diffi-ciles revendiquent un rôle dans l’amélioration desapprentissages de leurs élèves.

Pour les deux axes d’analyse envisagés, défini-tion des contenus jugés légitimes et effets éduca-tifs attendus, on peut donc noter d’importantesconvergences de résultats. Les savoirs en EPS nesemblent pas se distribuer de façon uniforme danstous les établissements scolaires, des variationsconsidérables apparaissent selon le lieu d’implan-tation des collèges. En établissements défavorisésl’accent est nettement mis sur la formation d’uncitoyen responsable, sur l’inculcation de valeursmorales, ainsi que sur l’amélioration des relationsde groupe. C’est dans ces domaines de la sociali-sation, de l’apprentissage de règles de vie collec-tive que les enseignants situent les carences deleurs élèves.

Auprès d’élèves issus de milieux favorisés, lesenseignants élargissent la gamme de leurs objec-tifs. Les efforts se recentrent toutefois sur l’enfant,son épanouissement et son développement per-sonnel. L’école peut s’offrir le luxe d’être à la foislieu d’apprentissage et de plaisir. Toutes lesformes de projet éducatif cohabitent, la pratiquesportive spécifique y trouve sa place autant que ledéveloppement d’une motricité générale. Face àce type d’élèves, les enseignants se donnent touteliberté.

CONCLUSION

L’ensemble de ces résultats contribue à montrerque l’enseignement de l’EPS est diversifié, cer-tains diront éclaté. Nous avons pu constater queces variations se trouvent sous l’influence devariables sociologiques clairement identifiées. Ceconstat peut-il nuire au développement de cettediscipline d’enseignement ? Sera-t-il « possibled’élaborer une culture scolaire qui ne soit pas unsous-produit dérisoire de la culture mais unecontribution originale ? » (Marsenach, 1997,p. 75). Pratiques sportives, pratiques scolaires etpratiques de loisirs se disputent la primauté enEPS. Les définitions de la culture corporelle sco-laire se différencient selon les publics scolaires

auxquels elles s’adressent et selon les ensei-gnants qui lui donnent vie. Cette diversité est sansaucun doute le signe d’un formidable pouvoircréateur des enseignants qui montrent leur capa-cité à s’adapter aux mutations profondes de lasociété. Cependant, cet émiettement nuit inévita-blement au pouvoir formateur et à la crédibilité decette discipline d’enseignement qui est dès lorsdans l’incapacité de répondre aux exigences de lasociété en matière de cohésion sociale. La néces-sité de s’adapter à l’évolution des publics sco-laires sans pour autant créer de nouvelles inéga-lités s’impose comme une réalité incontournable.Entre « un différentialisme de ségrégation » et « ununiversalisme ethnocentrique et dominateur »(Héran, 1991, p. 463) une voie intermédiaire estsans doute à rechercher.

En effet, l’école doit tout mettre en œuvre pouréviter un glissement de la différenciation pédago-gique à la ségrégation sociale. La différenciationse manifeste principalement par un ajustement descontenus aux caractéristiques sociales despublics scolaires. Cette différenciation devienthiérarchisation à partir du moment où ce qui esttransmis en établissements défavorisés ne corres-pond pas exactement au projet de formation desenseignants et même se trouve parfois très large-ment en deçà de leurs espérances. Les contenuseux-mêmes, les formes de transmission mais éga-lement les objectifs sont transformés et adaptésaux élèves. Alors qu’en établissements favoriséson vise l’acquisition d’une culture corporelle plu-rielle et diversifiée, en établissements défavorisésle choix se restreint à une éducation physique àdominante sportive. La perspective d’une distribu-tion égalitaire des savoirs et des compétencesapparaît donc lointaine et même inaccessible« dans une société nécessairement différenciée »(Tanguy, 1983, p. 253). Cependant, on doit tout demême « s’interroger sur les fondements de cettedistribution » qui, en EPS, sépare apprentissagelié au développement individuel des élèves etapprentissage de valeurs sociales, pratique d’APSen milieu standardisé et pratique d’APS en milieuincertain, pratiques corporelles diversifiées, plu-rielles, et pratiques à dominante essentiellementsportive. Par conséquent, finalement, ces diffé-rences conduisent à élargir, voire à enrichir, ou aucontraire à restreindre, voire à appauvrir, le champdes pratiques corporelles proposées. Par ce pro-cessus « d’appropriation » et de « privation » desavoirs, l’école tend ainsi à consolider les méca-

Distribution des contenus d’enseignement en EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire 65

nismes par lesquels les « rapports de domination(entre classes sociales) se réalisent » (Tanguy,1983, p. 253).

Pour l’heure, nous retiendrons de ce travail quel’école se trouve devant un difficile dilemme quiconsiste à parvenir à consolider son unité tout enrespectant la diversité des publics scolaires qui lafréquentent. Gérer cette difficulté avec succèsconstitue sans doute le défi des années à venir.Comment établir ce délicat équilibre qui impliquede respecter les différences sans renoncer à latransmission d’un minimum culturel communindispensable à la formation de tout citoyen ?L’EPS, au même titre que les autres disciplinesd’enseignement, est directement concernée par cequestionnement. Les contenus d’enseignement enEPS devront nécessairement s’établir à partir decette subtile combinaison entre relativisme et uni-versalisme, il ne sera plus possible de faire l’im-passe sur la diversité socio-culturelle des élèves.Les enseignants devront adapter leur systèmed’intervention pédagogique à l’évolution despublics scolaires. Cet effort passera à la fois parune meilleure maîtrise et une efficace gestion de ladistance culturelle qui les sépare de leurs élèves. Ilest trivial en sociologie de constater que « l’ensei-gnant communique mieux avec les enfants qui luiressemblent » (Haramein, Hutmacher, Perrenoud,1979, p. 258), c’est-à-dire ceux avec lesquels

66 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

existe une certaine proximité sociale et culturelle.Si l’on s’en tient aux données statistiques, il sem-blerait que la distance culturelle entre une majoritéd’enseignants et certaines catégories d’élèvesissus des couches les plus défavorisées de lapopulation persiste avec ce que cela implique entermes de difficultés dans la transmission denormes et de valeurs qui ne sont aucunement par-tagées par les uns et par les autres. Nombreuxsont les sociologues qui ont montré que cettesituation est génératrice d’inégalités sociales deréussite. Cette distance culturelle entre ensei-gnants et élèves constitue un facteur explicatif fortde la distribution inégalitaire des connaissances àl’école. Comment surmonter cette difficulté ?Comme le soulignent A. Haramein, W. Hutmacheret P. Perrenoud, « ce n’est pas la distance cultu-relle qu’il faut affaiblir mais seulement ses effetsnégatifs » et ils ajoutent « le pluralisme culturel etla décentration du maître par rapport à sa propreculture devraient être, dans ce sens, la stratégied’inversion de l’un des principaux mécanismesgénérateurs d’inégalités » (Haramein, Hutmacher,Perrenoud, 1979, p. 259). Cette proposition pour-rait avantageusement inspirer les orientationsmises en œuvre dans le cadre de la formation ini-tiale et continue des enseignants.

Marie-Paule Poggi-CombazUFRSTAPS Besançon

NOTE

(1) Les résultats présentés dans le cadre de cet art iclesont issus d’une thèse dont nous avons extrait une par-t ie des données relatives au choix des contenus d’en-seignement et notamment cel le relative aux variationsl iées au type de public scolaire. Poggi-Combaz M.-P.

Quelles pratiques corporel les au collège ? L’EPS sousl’angle de la sociologie des parcours scolaires , thèsepour le doctorat en Sciences sociales, UniversitéRené Descartes, Paris V, 2000, 594 p, directeur :P. Parlebas.

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Agri. Art. co CPIS PI Emp. Ouv. Retr. Chôm. Autre Total

Classe 1 24,5 11,8 5,3 9 10,1 30,8 0,4 7,3 0,8 100

Classe 2 8,3 13,3 8,2 13,4 14,1 33,8 1,1 7,3 0,5 100

Classe 3 0,5 8,4 45,5 17,2 12,9 10,1 0,7 3,5 1,2 100

Classe 4 2,6 7,6 12,2 20,3 15,1 33,2 1,2 6,9 0,9 100

Classe 5 9,5 15,3 24,5 30,4 1,3 11,8 1 100

Classe 6 0,4 4,8 5,2 10,4 11,4 45,7 2,8 18 1,3 100

Classe 7 8,5 12,6 11,8 45,7 0,6 7,1 0,6 100

Classe 8 1,1 8 21,2 20,7 18,9 22,7 0,9 5,8 0,7 100

Classe 9 1,8 6,9 11,1 16,4 15,7 32,5 1,1 9,9 4,6 100

Total 3,8 8,5 13,6 16,1 15,6 32 1,2 8,3 0,9 100

(Pour « Agri. » lire agriculteurs, pour « Art. co. » lire artisans commerçants, pour « CPIS » lire cadres et professions intellectuelles supé-rieures, pour « PI » lire professions intermédiaires, pour « Emp. » lire employés, pour « Ouv. » lire ouvriers, pour « Retr. » lire retraités,pour « Chôm. » lire chômeurs).

ANNEXES

Annexe I. – Typologie des collèges de Rennes et de Lyon

Caractéristiques des classes issues de la CAH. Collèges de Rennes et de Lyon

Dans un premier temps, nous avons pris en compte les valeurs réelles que prennent dans les classesles variables considérées, ce qui a donné le résultat qui se trouve dans le tableau suivant.

Cette classification a permis de constituer 9 classes d’établissements relativement homogènes du pointde vue des caractéristiques sociales des élèves.

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Composition sociale majoritaire Collèges Enseignants

de l’établissement Effectif % Effectif %

Classe 1 Agriculteurs défavorisés 15 3,6 12 2,3

Classe 2 Artisans commerçants 76 18,4 55 10,4

Classe 3 Très favorisés 20 4,8 31 5,9

Classe 4 Professions intermédiaires 60 14,5 93 17,5

Classe 5 Employés 35 8,5 40 7,5

Classe 6 Ouvriers défavorisés 45 10,9 64 12

Classe 7 Ouvriers 47 11,4 61 11,5

Classe 8 Classes moyennes favorisées* 104 25,2 160 30,1

Classe 9 Mixte** 11 2,7 15 2,8

Total 413 100 531 100

Nombre de collèges et nombre d’enseignants par classe dans notre échantillon

* La classe « Classes moyennes favorisées » est une classe à dominante professions intermédiaires mais aussi cadres et professionsintellectuelles supérieures et employés.

** La classe « Mixte » est une classe dont la représentation de chacune des catégories sociales est proche de la moyenne de l’échantillon.

Annexe II – Caractéristiques de l’échantillon entretien

Annexe III – Analyse de contenu des réponses à la question relativeà la définition du contenu légitime de l’EPS

(libellé de la question : « qu’est-ce qu’il vous paraît indispensable d’enseigner au collège ? »)

1 – Domaine de la morale et des valeurs :

Est visée « l’expression de principes généraux,d’orientations fondamentales » vers lesquels lesenseignants déclarent tendre. Il s’agit de valeurset de normes de comportement qui sont très géné-rales comme le civisme, la tolérance, le respect.Tout ce qui concerne l’amélioration du rapportentre les élèves comme la socialisation ou l’ap-prentissage de la vie en groupe y tient une placeimportante. (Exemples : respect, civisme etcitoyenneté, entraide, solidarité, tolérance, vie engroupe, socialisation, rapport aux autres, vivreensemble, écouter les autres).

2 – Développement personnel et vie affective del’élève :

Cette catégorie regroupe tout ce qui caractérisel’élève d’un point de vue psycho-affectif commepar exemple sa motivation, ses initiatives et sesprojets personnels ou bien sa vie émotionnelle.(Exemples « développement personnel » : épa-nouissement, sens critique, confiance en soi,connaissance de soi, autonomie, auto-évaluation,

découverte de soi, créativité, aider l’élève à setransformer, projet personnel de l’élève, initiative,esprit critique, responsabilité, disponibilité, inves-tissement personnel de l’élève, capacités d’adap-tation, persévérance, rigueur, volonté de réussir,goût de l’effort). (Exemples « vie affective » : émo-tion, plaisir, plaisir et envie de pratiquer, motiva-tion à l’égard de l’activité physique).

3 – Développement cognitif :

Est recherchée l’acquisition de savoirs pratiquesou théoriques relatifs soit à l’activité de l’élève(compréhension de ce que l’on fait) soit à une oudes APS particulières (connaissances du règle-ment, du vocabulaire spécifique à l’activité).

4 – Domaine moteur : il se divise en trois sous-thèmes :

4.1 celui de la motricité générale : sont évoquésle développement de capacités générales ougénéralisables, celui de la coordination, des capa-cités motrices ou habiletés motrices, de l’intelli-gence motrice, de l’adaptation, de principes d’ac-tion, de la disponibilité motrice ;

Distribution des contenus d’enseignement en EPS au collège selon les caractéristiques sociales du public scolaire 69

4. 2 celui du développement physiologique :sont évoqués le développement organique et fon-cier, la dépense énergétique, l’engagement phy-sique des élèves, prise de risque, le goût de l’ef-fort physique, le développement des capacitésphysiques, le besoin de se dépasser ;

4. 3 celui des apprentissages moteurs et sco-laires : est évoquée la capacité à utiliser seserreurs, à faire les relations procédés-résultats, àapprendre à gérer son potentiel, à optimiser sesapprentissages, à respecter les consignes. Lesnotions de rendement, d’efficacité et de dévelop-pement des processus d’apprentissage sont fré-quemment utilisées. La référence à la psychologiecognitive est parfois explicite.

5 – Référence aux progrès de l’élève.

6 – Référence à un apprentissage fondamentalou à des apprentissages fondamentaux, à desacquisitions de base, à des sports de base ayantun caractère légitime, universel. Il est par exemplefait référence à la notion de patrimoine culturel ouencore à un contenu minimum de référence, à desniveaux planchers dans différentes APS.

7 – Référence à des méthodes d’enseignementconsidérées comme « actives » : il est question desituations problèmes, aménagement du milieu, detravail par ateliers, de pédagogie de la découverte,de mettre l’élève dans des situations variées, detravail par le jeu. (Exemples : rendre les élèvesactifs, rendre l’élève acteur de ses transforma-tions).

8 – Référence au temps hors scolaire desélèves : il s’agit soit de l’immédiat extra-scolaire(comme par exemple les loisirs), soit de l’avenirplus lointain des élèves c’est-à-dire le post-sco-laire (comme par exemple l’évocation de la viephysique d’adulte, la référence à l’utilité socialefuture de ce qui est enseigné ou encore la néces-sité de donner du sens à ce qui est enseigné).

9 – Référence à la santé, l’hygiène ou la sécurité

10 – Réponses en termes de liste d’APS ou defamilles d’APS.

11 – Référence au sport et à la culture sportive :apprentissage de techniques sportives, apprentis-sage de règlements sportifs, production de perfor-mance.

12 – Référence à la diversité des APS ensei-gnées ou au contraire à la restriction des APSenseignées :

12. 1 diversité, équilibre entre les familles,palette d’APS ;

12. 2 restriction.

13 – Référence à l’interdisciplinarité, au rapportavec les autres disciplines d’enseignement ou plusgénéralement à la vie de l’établissement.

14 – Référence aux méthodes de travail, d’acqui-sition.

15 – Référence à la prise en compte des caracté-ristiques des élèves.

16 – Référence à la culture sportive et aux pra-tiques sociales de référence.

17 – Référence au rapport au corps : découverte,connaissance, respect du corps, sa domination.

18 – Discussion autour de la transversalité :transfert et/ou développement d’une motricitéspécifique à une ou des APS :

18. 1 transversalité ;

18. 2 spécificité.

19 – Référence au statut des APS dans l’ensei-gnement de l’EPS : les APS sont déclarées commeétant un support. (Exemples : refus de répondre entermes d’APS. Peu importe l’APS..., quelle quesoit l’APS pratiquée...).

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 71-80 71

PRÉSENTATION

L’IUFM de Versailles et l’INRP ont mené entre1995 et 1998 une recherche destinée à évaluer descentres de classes-lecture (Bénichou, Denis,Foucambert & Lété, 1998). Cette recherche étaitdivisée en axes thématiques : Les pratiques péda-gogiques (Jean Foucambert), L’innovation péda-gogique (Daniel Denis), La formation des maîtres

(Jean-Pierre Bénichou). Le présent travail décritles résultats du quatrième axe : « Les effets sur lesacquisitions des élèves » à partir d’une évaluationmenée au centre de l’École du Lac à Grenoble.

Historique des centres de classes-lecture

Les centres de classes-lecture ont été créés en1987 par l’AFL. Il s’agissait d’expérimenter un dis-

Une évaluation d’un stage de type classes-lecture a été menée dans une école du centre-est de laFrance. Les effets sur les capacités de traitement de l’écrit d’élèves de cycle 3 (9-10 ans) ont été étu-diés afin d’évaluer 4 niveaux de maîtrise : a) les connaissances des règles de transcription graphèmes-phonèmes ; b) le vocabulaire ; c) la grammaire et l’orthographe ; d) la compréhension. Un appariementde groupes contrôle (sans stage) et expérimental (stage de 2 semaines) a été mis en place. Les résultatsmontrent un effet du stage en ce qui concerne le vocabulaire et la compréhension. Au niveau du voca-bulaire, des analyses plus poussées font apparaître que l’amélioration des performances est liée à uneefficience accrue dans l’analyse de la chaîne de caractères des mots. L’amélioration des performancesdans une des épreuves de compréhension est interprétée comme étant la conséquence de cettemeilleure efficience, sa réussite reposant sur une bonne automatisation des processus de reconnais-sance des mots. Cette interprétation est confortée par le fait que l’épreuve alternative de compréhen-sion, testant les stratégies inférentielles, n’est pas mieux réussie par les élèves ayant effectué le stage,alors qu’elle est significativement mieux réussie par les élèves du groupe contrôle après trois semainespassées dans leur contexte scolaire.

Les centres de classes-lecture.Évaluation des effets

sur les capacitésde traitement de l’écrit

d’élèves de cycle 3Bernard Lété

Mots-clés : lecture, évaluation, compréhension, cycle 3, centre classe-lecture.

Varia

positif de formation mieux adapté à la fois auxnécessités d’élever le niveau de maîtrise de l’écritet de conduire simultanément une action dansl’école et autour de l’école.

L’AFL a créé un premier centre à Bessèges(Gard) en 1989 qui a reçu la visite de plusieurscentaines d’enseignants et de responsables descollectivités locales et de l’Éducation nationale. En1993, l’AFL met fin pour des raisons financièresaux activités du centre de Bessèges mais, rapide-ment, d’autres centres se créent, les uns en liaisonassez forte avec les présupposés de l’AFL,d’autres sur des positions originales et partielle-ment critiques par rapport à Bessèges, d’autresenfin en toute ignorance de cause et sans filiationd’aucune sorte.

Les classes-lecture sont essentiellement conçues« comme des lieux de formation d’adultes à l’occa-sion d’une formation intensive des élèves pour denouveaux rapports avec l’écrit » (Déchamps et al.,1998, p. 8-9). Le but essentiel est de disposer d’unoutil d’innovation et de formation où, en grandeurréelle, des équipes d’adultes intervenant dansl’école et son environnement, vont pouvoir se for-mer à des pratiques nouvelles de rencontre avecl’écrit.

Quant au but implicite, pour l’AFL, il est d’accé-lérer la prise de conscience des collectivitéslocales de la nécessité de mettre en œuvredes politiques cohérentes autour de la lecture etd’offrir des possibilités de formation à des co-édu-cateurs (enseignants, parents, bibliothécaires, tra-vailleurs sociaux et acteurs de la vie associative).

Les centres de classes-lecture ont ainsi pourobjectif de former des équipes plurisectorielles ettransdiciplinaires à la conduite de politiqueslocales de la lecture. Elles abordent l’écrit sousl’angle « d’un outil d’accomplissement des indivi-dus et des groupes sociaux » et visent à « transfor-mer durablement l’environnement social de l’écoleau quartier » (Bois, 1993). Les potentiels effets desclasses-lecture dépassent donc très largement lecadre de l’école. Il s’agit avant tout d’un temps deformation d’acteurs à une politique de lecture.

En ce qui concerne l’enfant, le stage vise essen-tiellement à mettre celui-ci dans un « bain » d’écritpour lui en faire comprendre les principales fonc-tions en tentant notamment de le faire interagir,grâce et sur la base de ses productions d’écrits,avec ses pairs mais également ses tuteurs et ses

parents. Pour cela, le stage a pour objectif d’aiderl’enfant à assimiler des moyens diversifiés de sai-sie et de traitement de l’information. Dans cettelogique, le dispositif privilégie une rupture avec lespratiques scolaires quotidiennes (en particulier larelation maître-élève). À plus long terme, l’objectifdu stage est d’ancrer l’écrit dans la vie quoti-dienne de l’élève mais également de son entou-rage.

Le centre de l’École du Lac de Grenoble

Le centre de classes-lecture a été créé en 1989 àl’École du Lac dans le quartier de la Villeneuve.

Un séjour lecture nécessite la mise en place dedeux dispositifs parallèles (cf. pour une descrip-tion détaillée, Déchamps et al., 1998). Le premierau centre-lecture à l’École du Lac ; le deuxièmedans l’école (appelée « site ») qui a demandé unséjour lecture.

1. Les élèves de cycle 3 d’une seule école à lafois sont accueillis pendant 4 semaines en demi-pension et sont associés aux élèves d’une classede cycle 3 de l’École du Lac pour mener ensembleles projets prévus pendant le séjour. Ainsi, chaqueclasse de cycle 3 de l’École du Lac a un rôle parti-culier à jouer dans un séjour lecture au cours del’année scolaire. Deux classes d’une même écoleparticipent à deux séjours successifs de 15 jourschacun. Les classes se tiennent mutuellementinformées et peuvent bénéficier de l’aide del’équipe des classes-lecture pour mettre en placeles premiers éléments de la politique de lecturepropre à leur quartier. Deux instituteurs (celui de laclasse en stage et celui d’un cycle 1 ou 2 remplacédans sa classe par un instituteur du centre) et despartenaires (issus de la bibliothèque, du centresocial, de la MJC, de la Maison de l’Enfance, desassociations de parents d’élèves, de l’équipe decirconscription) sont en stage en même temps etsont intégrés au fonctionnement normal des cyclesde l’École du Lac. Ils observent le déroulement desdifférentes activités et participent aux projets encours.

2. Sur le site, un travail de lecture-écriture s’ef-fectue avec l’intervention de deux instituteurs ducentre. Un instituteur du centre prend en chargeune classe de cycle 1 ou 2 pour effectuer un stagelecture-écriture avec cette classe ; l’instituteurtitulaire de la classe participe aux activités, projetset formations dispensées au centre-lecture. Undeuxième instituteur du centre-lecture (à mi-

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temps) mène des actions lecture autour de la BCDsur le site. Ce dispositif permet ainsi à quatre ins-tituteurs du site de suivre une formation au centre(deux pour le premier séjour, deux pour ledeuxième séjour). Les interventions sur le sitecontribuent à impliquer l’ensemble de l’école etses partenaires dans une réflexion sur la mise enplace d’une politique de lecture à l’école.

Durant les 15 jours du stage, les élèves passentobligatoirement par plusieurs activités liées autraitement de l’écrit :

A. Lecture et écriture d’un journal (LaChronique) : tous les matins, les élèves lisent lejournal puis réagissent, argumentent et débattentà l’oral des articles publiés. Ils rédigent, le plussouvent individuellement, un texte qui développeleurs arguments et pose un nouveau problème.Les adultes présents les aident à préciser leurspensées en réagissant au fur et à mesure. Dans cejournal quotidien en circuit court, chaque numérocomprend environ 25 textes d’élèves ainsi que,dans certains numéros, le texte d’un adulte, unextrait de la littérature jeunesse, quelques textesinformatifs. Les textes des élèves concernent desécrits sur ce qui se vit au quotidien (visites, ren-contres) et des écrits en réaction à d’autres écrits.Pour les enseignants du centre, les objectifs de LaChronique sont « de faire en sorte que les élèveséprouvent par et pour eux-mêmes que lire et écrireaident à vivre » et que « les élèves expérimentent lapuissance de l’écrit par les polémiques qui peu-vent naître de leurs écrits ».

B. Présentation de livres : les élèves assistentà une présentation de livres faite par un adulte(bibliothécaire ou enseignant). Les livres peuventêtre empruntés par la suite. La présentationcherche à donner des repères aux élèves pourappréhender la littérature de jeunesse à travers lesauteurs, les genres et les thèmes. C’est égalementune occasion d’aborder certains problèmes aux-quels peuvent être confrontés les élèves (la mort,la maladie, le racisme, etc.). On précise aux élèvesque l’adulte n’apporte que son point de vue.Durant le séjour, une synthèse est faite sur leurslectures par un échange de points de vue sur leslivres lus.

C. Aides à la lecture : il s’agit de donner desrepères pour permettre aux élèves d’entrer dansles différents types d’écrits. Les activités reposentsur l’identification du genre des écrits (documen-taires, fictions, magazines) pour faire des hypo-thèses sur le thème du livre ; l’étude des premières

de couverture (repérer titre, auteur, éditeur) ;l’étude du quotidien régional (observation desrubriques ; conception de la « une » à partir detitres découpés dans les quotidiens). C’est doncune sorte de formation sur le fonctionnement deslivres, les genres de littérature, les éditions et lescollections. Les élèves formalisent leurs apprentis-sages en prenant des notes sur un cahier, « LePetit Libraire ».

D. Entraînement à la lecture assistée par ordi-nateur : le centre a fait l’acquisition des logiciels« Elmo-Elsa » et « Elmo International » produits parl’AFL ainsi que les produits dérivés (livret « Pour-quoi et comment Elmo ? », cassette « Le mouve-ment des yeux »). Il s’agit de démarrer ou de per-fectionner un entraînement en lecture en mettantl’accent sur le sens et les enjeux techniques. Les2 semaines doivent permettre à chaque enfant decomprendre ce qu’il fait quand il lit, d’analyser sesstratégies de lecteur et d’être assez familier dulogiciel pour commencer un véritable entraînementà son retour à l’école.

OBJECTIFS ET MÉTHODE DE L’ÉVALUATION

Limites de l’évaluation

Une observation des pratiques pédagogiques deplusieurs centres avait mis en lumière trois pro-blèmes qui justifient les choix de la présente éva-luation.

D’abord, au sein d’un stage, il existe une grandediversité des pratiques qui amène à considérerque le terme « classes-lecture » est réducteur caril centre l’action pédagogique sur une seule acti-vité, la lecture, alors que d’autres activités sont enjeu (en particulier l’écriture avec la productiond’écrits à visée communicative). Ensuite, les inter-actions entre les pratiques pédagogiques, les indi-vidus qui les mettent en œuvre et les élèves sontextrêmement riches durant un stage ; il est dèslors difficile d’identifier la ou les pratiques suscep-tibles de créer des différences dans l’appropria-tion de l’écrit. Enfin, d’un centre à un autre, onobserve une grande hétérogénéité dans la façonde mettre en œuvre ces pratiques, ce qui rend dif-ficile la généralisation des résultats sur l’ensembledes stages de ce type.

Les centres de classes-lecture. Évaluation des effets sur les capacités de traitement de l’écrit d’élèves de cycle 3 73

Il était donc illusoire d’évaluer les effets propresà chaque pratique recensée. Ceci aurait supposéune démarche expérimentale qui aurait dû êtreeffectuée pendant le stage. La lourdeur du dispo-sitif aurait été dès lors inadaptée au contexte dustage car il aurait fallu étudier, entre autres, leseffets de chaque pratique en contrôlant les effetsdes autres pratiques.

Compte tenu de l’ensemble de ces contraintes,les résultats rapportés ici ne concernent que l’éva-luation d’un seul stage, celui effectué à l’École duLac de Grenoble en décembre 1996. Un cadreméthodologique de type pré-test/post-test avecappariement des élèves d’un groupe contrôle(sans stage) et expérimental (stage de 2 semainesà l’École du Lac) a été retenu. Les élèves de l’école« Jean Macé » de Grenoble qui ont suivi le stagecourant décembre 1996 constituaient le groupeexpérimental (dit groupe classe-lecture). Lesélèves du groupe contrôle ont été sélectionnésparmi ceux de l’école de Seyssins près deGrenoble et « Les Frênes » à Grenoble.

L’appariement des élèves a été effectué selon3 critères : l’âge réel, le sexe et le quotient intel-lectuel verbal obtenu à l’Échelle Collective deNiveau Intellectuel (INETOP, 1969).

L’évaluation s’est déroulée en 4 phases : a) pas-sation de l’Échelle Collective de Niveau Intellectuelpour l’appariement des groupes (octobre 1996) ;b) passation du pré-test (novembre 1996) ; c) pas-sation du post-test dès la fin du stage (décembre1996) ; d) constitution des groupes et traitementsdes résultats.

Les épreuves d’évaluation

Échelle Collective de Niveau Intellectuel

Cette échelle a été construite en 1965 parl’INED et l’INETOP (1) sur un échantillon de120 000 élèves du CP à la classe de 4e (cf. INED etINETOP, 1969). Elle est constituée de 4 cahiershiérarchisés en fonction du niveau scolaire. Lecahier III correspond aux élèves de cours moyen. Ilest constitué de 8 exercices : 4 exercices permet-tent de déterminer un QI non verbal (42 items) et 4un QI verbal (48 items) ; l’ensemble permettant decalculer un QI général.

Nous avons retenu cette échelle pour deux rai-sons : a) sa passation est collective (48 mn), ce quiréduit considérablement le temps de recueil des

données ; de plus sa réalisation par les élèvess’apparente plus à un exercice scolaire qu’à uneévaluation clinique ; b) elle permet de dissocierl’aspect verbal et non verbal de l’intelligence, cequi nous a permis d’apparier les élèves sur la basedes compétences langagières.

Épreuves d’évaluation du traitement de l’écrit

Elles sont destinées à évaluer 4 niveaux demaîtrise de la langue ou de connaissances :a) connaissance des règles de transcription gra-phèmes-phonèmes avec l’épreuve de décisionphonologique ; b) le vocabulaire avec l’épreuve dedécision lexicale ; c) la grammaire et l’orthographeavec l’épreuve de correction orthographique ; d) lacompréhension en lecture avec les épreuves decompréhension de phrases et de textes.

La durée de passation de chaque épreuve étaitde 10 minutes, exceptée l’épreuve de compré-hension de textes d’une durée de 40 minutes.L’ordre de passation était le suivant : compréhen-sion de phrases ; décision lexicale ; correctionorthographique ; décision phonologique et com-préhension de textes. L’enfant disposait d’uncahier sur lequel le matériel était reproduit et où ilrépondait par écrit aux consignes respectives dechaque épreuve. La passation était collective et sedéroulait dans la salle de classe.

1. Décision phonologique

Une liste de 40 non-mots était présentée sur unepage. L’enfant avait pour tâche de dire si oui ounon l’item en question se prononçait comme unmot de la langue française en cochant une caseappropriée en face de chaque item. Vingt itemsnécessitaient une réponse oui (orquestre) et 20une réponse non (covalier). Pour les réponses oui,la fréquence lexicale des mots de base était mani-pulée (magasain vs. guairilla). Pour les réponsesnon, la proximité phonétique ou orthographiqueavec un mot était manipulée (2) (daureau vs. nan-teau).

2. Décision lexicale

Une liste de 20 mots et 20 non-mots était pré-sentée. L’enfant avait pour tâche de dire si oui ounon l’item en question était un mot de la languefrançaise en cochant une case appropriée sur safeuille de passation. Pour les mots, la fréquencelexicale était manipulée (matériel vs. archange).Pour les non-mots, le voisinage orthographique

74 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

avec un mot de la langue était manipulé (socra vs.cinque).

3. Correction orthographique

Un texte avec 20 fautes était présenté. Le texte aété extrait de l’épreuve Correction de textes pro-posée par Aubret et Blanchard (1991). L’enfantdevait identifier ces fautes. Le type d’erreur étaitmanipulé : 10 erreurs étaient d’ordre lexical, 10d’ordre grammatical. Les erreurs d’ordre lexicalportaient soit sur l’orthographe de certains sons(passience), soit sur la perturbation de l’ordre decertaines lettres (infromatique), la correction deces erreurs nécessitant la connaissance des règlesd’écriture des mots. Les erreurs d’ordre grammati-cal portaient sur des règles d’accords grammati-caux (s’affichait pour s’affichaient) ou sur l’homo-phonie de certains mots ou groupes de mots(s’avait pour savait).

4. Compréhension de phrases

Cette épreuve est une adaptation de l’Épreuved’Évaluation de la compétence en lecture (EECL)de Khomsi (1990). Huit planches sur les 20 del’épreuve d’origine ont été retenues. Les planchessont constituées de 4 images et d’une phrasesimple décrivant une action et se rapportant à unedes 4 images que l’enfant doit identifier. La réus-site à cette épreuve suppose une bonne compré-hension de ces phrases. L’enfant doit en parti-culier identifier le cadre discursif qui permet dechoisir l’image correcte et non pas simplementtraiter le contenu sémantique de l’énoncé qui estsans difficulté (exemple : Maman a dit que je mettema veste.). Il doit également traiter la successivitétemporelle et causale des actions représentéesdans les énoncés pour aboutir à l’image correctequi représente l’état final de l’action (exemple : Lafille à qui le garçon a tiré les cheveux a deslunettes).

5. Compréhension de textes

Cette épreuve est une adaptation de l’épreuveLecture Silencieuse proposée par Aubret etBlanchard (1991). L’épreuve est destinée à vérifierla compréhension de textes écrits en situation delecture silencieuse pour des élèves du cours élé-mentaire à la classe de troisième. L’épreuve origi-nale est composée de 9 feuilles comportant destextes de difficulté croissante (3). Chaque feuillecorrespond à un niveau scolaire. Nous avons

retenu les feuilles B (niveau CE2 ; 2 textes), C(niveau CM1 ; 2 textes) et D (niveau CM2 ; 2 pre-miers textes). Chaque texte raconte une petite his-toire et est suivi par des questions que l’enfantdoit compléter.

Cette épreuve ne vise pas à analyser les méca-nismes de la lecture mais à fournir « une mesureglobale du niveau de compréhension d’une lecturesilencieuse » (Aubret & Blanchard, ibid., p. 85).Pour cela, les auteurs ont cherché à dissocier cequi relève de la compréhension du texte de ce quirelève de la mémoire en permettant à l’élève derelire plusieurs fois le texte avant de répondre auxquestions.

Constitution des groupes

Au total, 107 élèves de niveau CM1 et CM2 ontparticipé à l’évaluation. Dix élèves (dont 9 de laclasse-lecture) ont été absents soit au pré-test,soit au post-test. Au final, 97 protocoles ont étéexploités.

Chaque enfant de la classe-lecture a été appariéavec un enfant n’ayant pas effectué de stage.Trois critères ont été utilisés pour l’appariement :le sexe, l’âge (à ± 3 mois) et le QI verbal. Lescaractéristiques des deux groupes après apparie-ment apparaissent au tableau 1.

Les deux groupes comportent 8 filles et 11 gar-çons, ont un âge moyen de 9 ans 7 mois et un QIverbal de 108, légèrement supérieur à leurs pairsdu même âge.

Les centres de classes-lecture. Évaluation des effets sur les capacités de traitement de l’écrit d’élèves de cycle 3 75

Contrôle Classe-lecture

Nombre 19 19

Garçons 11 11

Filles 8 8

CM1 10 9

CM2 9 10

Âge moyen 9 ans 8 mois 9 ans 7 mois

QI non verbal moyen 115 113

QI verbal moyen 108 108

QI moyen 111 110

Tableau 1. – Caractéristiques des groupesde l’évaluation

RÉSULTATS

Traitements

Les résultats ont été traités par une analyse devariance avec le facteur GROUPE (contrôle vs.classe-lecture) à mesures indépendantes et le fac-teur TEST (pré-test vs. post-test) à mesures répé-tées.

La mesure qui permet de conclure à un effet dustage est l’interaction GROUPE * TEST. Autrementdit, un effet plus important du TEST est attendupour le groupe classe-lecture comparativement augroupe contrôle. Pour les épreuves de décisionphonologique, décision lexicale et correctionorthographique où plusieurs facteurs sont mani-pulés (cf. infra), une interaction double ou triple estattendue.

Analyse globale par épreuve

Les résultats sont présentés au tableau 2.

On observe une interaction significative entre leGROUPE et le TEST dans deux épreuves.L’épreuve de décision lexicale fait apparaître unestabilité des performances pour le groupe contrôleet une augmentation des bonnes réponses de 5 %pour le groupe classe-lecture, F (1,36) = 7.29,

p < .01. Pour l’épreuve Lecture Silencieuse, onnote une stabilité des performances du groupecontrôle et une augmentation de près de 7 % desbonnes réponses pour le groupe en stage, F (1,36)= 6.43, p.< .05. Les autres épreuves ne font pasapparaître que le stage favorise une meilleureréussite des élèves.

Le score de l’ensemble des épreuves fait appa-raître que les deux groupes progressent de façonsensiblement équivalente (4 % vs. 3 %) cequi explique que l’interaction n’atteint pas le seuilde significativité à l’analyse de variance, F (1,36) =1.05, p > .31.

En ce qui concerne l’effet principal du TEST (lefait, pour chaque groupe, de passer une secondefois l’épreuve en question), on observe quel’épreuve de décision phonologique n’est pasmieux réussie la seconde fois, ceci dans les deuxgroupes. Par contre on constate, dans les deuxgroupes, une amélioration importante des perfor-mances pour l’épreuve de correction orthogra-phique, que les élèves aient bénéficié du stage(F(1,17) = 9.05, p < .01) ou non (F(1,17) = 7.41,p < .05). L’épreuve EECL de Khomsi, qui mesureessentiellement l’efficience de stratégies inféren-tielles dans la compréhension de textes, est mieuxréussie lors de la seconde passation par les élèvesdu groupe contrôle (F(1,17) = 19.36, p < .0001)alors que la progression des élèves de l’autre

76 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Tableau 2. – Pourcentages moyens de bonnes réponses en fonction de l’épreuve,du groupe et du test

Épreuve Groupe Pré-test Post-test Différencea InteractionGroupe X Test

Décision contrôle 80 % 83 % + 3 % ns nsphonologique classe-lecture 86 % 88 % + 2 % ns

Décision contrôle 78 % 78 % 0 % **lexicale classe-lecture 77 % 82 % + 5 % **

Correction contrôle 21 % 30 % + 9 % ** nsorthographique classe-lecture 16 % 21 % + 5 % **

EECL contrôle 50 % 61 % + 11 % ** ns(Khomsi) classe-lecture 54 % 58 % + 4 % ns

Lecture Silencieuse contrôle 65 % 65 % 0 % **(Aubret & Blanchard) classe-lecture 60 % 67 % + 7 % **

Total contrôle 66 % 69 % + 3 % ** nsclasse-lecture 66 % 70 % +4 % **

ns : non significatif ; ** : p < .05.a la colonne « différence » rend compte de la significativité du facteur TEST dans chaque groupe.

groupe, après leur stage, n’est pas significative(F < 1). Enfin, pour les épreuves de décision lexi-cale et de Lecture Silencieuse où les élèves de laclasse-lecture progressent plus que les élèves dugroupe contrôle, on constate que ces derniers nebénéficient pas de la seconde passation (Fs < 1),ce qui rend compte des interactions analyséesprécédemment.

Analyse par facteur expérimental

Décision phonologique

• Effet de la fréquence de base de l’item(réponses « oui »)

Cet effet mesure la difficulté de comparer uncode phonologique à un code lexical peu fréquentdans la langue.

Les résultats apparaissent au tableau 3.L’ANOVA fait apparaître un effet principal de la fré-quence de base de l’item : les élèves construisentplus facilement un code phonologique quandcelui-ci est issu d’un mot fréquent dans la langue(96 % de BR) que lorsqu’il est issu d’un mot rare(67 % de BR ; F(1,36) = 346.98, p < .001).

On observe que les performances du groupeclasse-lecture sont meilleures que celles dugroupe contrôle en ce qui concerne les mots rarestant au niveau du pré-test (+ 15 %) que du post-test (+ 14 %) alors que pour les items issus d’uncode lexical fréquent, aucune différence n’estobservée. Ceci est confirmé par une interactionGROUPE * FREQUENCE significative (F (1,36) =20.32, p < .001).

L’effet du stage n’est cependant pas avéré,l’interaction GROUPE * TEST * FRÉQUENCE nedépassant pas le seuil de significativité (F < 1).Pour le groupe contrôle, l’effet de fréquence aupré-test est de 38 % de BR en faveur des itemsconstruits à partir de mots fréquents. Au post-test,l’effet stagne à 37 %. La même tendance estobservée pour le groupe classe-lecture, l’effetétant de 23 % au pré-test et de 21 % au post-test.

• Effet du type de transgression(réponses « non »)

Les items demandant une réponse négative à latâche avaient subi soit une transgression orthogra-phique par rapport à un mot de base (« covalier »pour « cavalier »), soit une transgression phoné-tique (« chardin » pour « jardin »). Cette manipu-

lation était destinée à mesurer l’effet du stage surles capacités des élèves à discriminer correc-tement des codes phonologiques phonétiquementou visuellement proches.

Les résultats apparaissent au tableau 4. L’effetprincipal du type de transgression n’est pasavéré : les élèves réussissent aussi bien lorsqueles codes sont phonétiquement proches que lors-qu’ils sont orthographiquement proches (88 % deBR dans les deux cas ; F 1).

À nouveau, l’effet du stage n’est pas avéré,l’interaction GROUPE * TEST * TYPE de TRANS-GRESSION ne dépassant pas le seuil de significa-tivité (F < 1).

Décision lexicale

• Effet de la fréquence lexicale(réponses « oui »)

La fréquence lexicale est un bon indicateur dudegré d’exposition à l’écrit d’un mot : on reconnaîtplus facilement un mot rencontré souvent dans lesécrits (fréquent) qu’un mot rencontré peu souvent(rare). Ici, l’analyse de son effet sur les perfor-mances est destiné à évaluer l’accroissement duvocabulaire des élèves car, grâce à une confron-tation accrue avec l’écrit, les élèves reconnaîtront

Les centres de classes-lecture. Évaluation des effets sur les capacités de traitement de l’écrit d’élèves de cycle 3 77

Tableau 3 – Pourcentages de bonnes réponsesen décision phonologique (réponses « oui »)

en fonction du groupe, du testet de la fréquence lexicale de base des items

Fréquents Rares

Pré-test Post-test Pré-test Post-test

Contrôle 96 % 95 % 58 % 61 %

Classe-lecture 96 % 96 % 73 % 75 %

Tableau 4. – Pourcentages de bonnes réponsesen décision phonologique (réponses « non »)

en fonction du groupe, du test et du typede transgression effectuée sur les items

Transgression Transgressionphonétique orthographique

Pré-test Post-test Pré-test Post-test

Contrôle 83 % 90 % 84 % 88 %

Classe-lecture 88 % 91 % 88 % 91 %

plus facilement un mot rare comme faisant partiede leur vocabulaire. Ainsi, si l’effet du stage estavéré, on s’attend à observer une diminution plusimportante de l’effet de fréquence pour les élèvesdu groupe classe-lecture.

Les résultats apparaissent au tableau 5.L’ANOVA fait bien apparaître un effet principal dela fréquence lexicale : les élèves reconnaissentmieux un mot fréquent dans la langue comme fai-sant partie de leur base de vocabulaire (92 % deBR) qu’un mot rare (54 % de BR) ; F (1,36) =346.09, p < .001.

Pour le groupe contrôle, l’effet de fréquence aupré-test est de 43 % de BR en faveur des itemsfréquents. Au post-test, on note une diminution de4 % (effet de 39 %). Pour le groupe classe-lecture,l’effet est de 38 % au pré-test avec une diminutionde 8 % au post-test (effet de 31 %). Cependant,l’ANOVA ne permet pas de conclure que les élèvesayant participé au stage progressent plus que lesélèves du groupe contrôle, l’interaction GROUPE* TEST * FRÉQUENCE ne dépassant pas le seuil designificativité (F < 1).

• Effet du voisinage orthographique(réponses « non »)

La moitié des items demandant une réponsenégative à la tâche étaient des voisins orthogra-phiques de mots (famme pour femme) ; l’autremoitié étaient des non-mots. L’effet de voisinageutilisé ici mesure en quelque sorte un effet d’inter-férence entre un code orthographique devant pro-duire une réponse négative et un code phonolo-gique pouvant produire une réponse positive. Ladiminution de cet effet en fonction du stage signi-fierait une plus grande efficience dans l’analysevisuelle de la chaîne de caractères des mots.

Les résultats apparaissent au tableau 6. L’effetprincipal du voisinage est avéré : les élèves rejet-tent plus facilement un non-mot quand celui-ci n’apas de liens orthographiques avec un mot de lalangue (95 % de BR) que lorsqu’il ressembleorthographiquement à un mot de la langue (71 %de BR) ;F (1,36) = 65.04, p <001.

Pour le groupe contrôle, l’effet de voisinage nediminue pas du pré-test au post-test (respective-ment + 22 % et + 21 % de BR en faveur des non-mots sans voisins). Par contre, pour le groupeclasse-lecture, l’effet passe de + 39 % au pré-testà + 23 % au post-test. Les élèves rejettent doncavec succès 16 % d’items interférents en plus

après leur stage. L’interaction est significative àl’analyse de variance ; F (1,36) = 7.66, p < .01. Ilapparaît cependant que cette interaction résultedu fait que les élèves du groupe classe-lecturesont nettement moins performants que les élèvesdu groupe contrôle au pré-test en ce qui concerneles non-mots interférents (respectivement, 75 %vs. 58 % de BR). Nous avons donc effectué uneanalyse de covariance en prenant comme cova-riable les performances des élèves au pré-testpour les items interférents. L’analyse fait malgrétout ressortir un effet significatif du groupe per-mettant de conclure à un effet du stage ; F (1,35) =4.02, p = .05.

Correction orthographique

Les élèves détectent plus facilement une fautequand celle-ci est d’ordre lexical (28 % de détec-tions) que lorsque celle-ci est d’ordre grammatical(16 % de détection). L’effet principal du type defautes est significatif à l’analyse de variance ;F (1,36) = 15.51, p < .001 (cf. tableau 7 pour lesrésultats).

Si l’ensemble des élèves progressent du pré-testau post-test, cette progression ne varie pas enfonction du stage et l’interaction GROUPE * TEST *TYPE de FAUTES n’atteint pas le seuil de signifi-cativité ; F < 1.

78 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Tableau 5. – Pourcentages de bonnes réponsesen décision lexicale (réponses « oui »)

en fonction du groupe, du testet de la fréquence lexicale des items

Fréquents Rares

Pré-test Post-test Pré-test Post-test

Contrôle 91 % 88 % 48 % 49 %

Classe-lecture 95 % 93 % 57 % 62 %

Tableau 6. – Pourcentages de bonnes réponsesen décision lexicale (réponses « non »)

en fonction du groupe, du testet du voisinage orthographique des items

Avec voisin Sans voisin

Pré-test Post-test Pré-test Post-test

Contrôle 75 % 77 % 97 % 98 %

Classe-lecture 58 % 75 % 97 % 98 %

DISCUSSION

L’évaluation rapportée ici ne fait pas apparaîtreun effet massif du stage sur les capacités de trai-tements de l’écrit des élèves. Il convient cepen-dant de rappeler que les centres de classes-lecture ont essentiellement une vocation deformation d’adultes et ont pour objectif d’ancrerl’écrit dans la vie quotidienne de l’élève, de sonentourage et de son environnement social. Ilconviendrait donc de mesurer les effets à longterme de ce type de stage, ce que nous n’avons pufaire ici.

Si les effets sur les traitements cognitifs ne sontpas massifs, ils ne sont cependant pas inexistants.On a montré qu’il existait une amélioration desperformances qui concerne deux aspects : unaspect lié à l’enrichissement des connaissanceslexicales (épreuve de Décision Lexicale) et unaspect lié à une plus grande maîtrise dans lacompréhension de textes (épreuve de LectureSilencieuse).

En ce qui concerne le premier aspect, des ana-lyses plus fines ont fait apparaître que l’améliora-tion des performances est liée au fait que les élèvesrejettent avec plus d’exactitude un non-mot lorsquecelui-ci ressemble orthographiquement à un mot dela langue (voisin orthographique). Cette améliora-tion rend compte d’une efficience accrue dansl’analyse de la chaîne de caractères des mots.

L’amélioration des performances dans l’épreuvede Lecture Silencieuse peut en partie provenir decette meilleure efficience, car la réussite à cetteépreuve nécessite une bonne automatisation desprocessus de reconnaissance des mots. Le fait quel’épreuve EECL de Khomsi, moins dépendanted’une bonne analyse des mots (les phrases sontlexicalement simples), ne soit pas mieux réussie parles élèves ayant effectué le stage, conforte cette

hypothèse. Par contre, on a montré que ce sont lesélèves du groupe contrôle qui progressaient plus dupré-test au post-test dans cette épreuve (+ 11 %,cf. tableau 2). À l’évidence, durant la période dustage, les élèves du groupe contrôle ont développédes stratégies de compréhension leur permettantde dépasser les élèves ayant participé au stage.Une critique que l’on peut faire à l’épreuve deLecture Silencieuse (et aux épreuves du même type)est que les élèves, pour réussir, n’ont qu’à releverles informations dans le texte, le texte étant alorsassimilé à une banque de données dans laquelle onprélève la bonne information. Il n’est pas évidentque cette prise de renseignements entraîne la com-préhension du texte car beaucoup d’élèves procè-dent par juxtaposition d’informations successives,sans pouvoir faire une synthèse ou avoir une vued’ensemble du texte.

L’épreuve EECL nous semble par contre trèsappropriée pour évaluer les capacités de compré-hension des élèves en lecture. Elle repose essen-tiellement sur la contextualisation des mots écritspar simple construction d’une représentation ima-gée ou par un calcul inférentiel à partir de la lec-ture de l’énoncé. Contrairement à l’épreuve deLecture Silencieuse, les difficultés de bas niveausont évacuées (celles liées à la reconnaissancedes mots et au contenu sémantique de l’énoncé) eton capte mieux les difficultés liées à la construc-tion du sens du message. En effet, le sens d’unénoncé n’est pas seulement déterminé par la pré-sence et la nature des formes linguistiques. Il n’estpas une donnée explicite des énoncés produits :c’est une construction et un travail interprétatif oùon fait des hypothèses et des choix.

En résumé, le stage favorise une meilleure pra-tique des élèves au niveau des mécanismes dereconnaissance des mots. Cette meilleure pratiquea pour conséquence une meilleure gestion desprocessus de plus haut niveau en jeu dans la com-préhension en lecture. Les mécanismes de recon-naissance des mots impliqués concernent essen-tiellement l’analyse de la suite de lettres dans lemot car un effet se manifeste lorsque les élèvesdoivent rejeter une séquence de lettres visuelle-ment proche d’un mot de la langue. Par contre, lesélèves ayant effectué le stage n’augmentent pasde façon significative leur lexique ; de plus, dansdes activités inférentielles, les élèves qui sont res-tés dans leur classe ont dépassé leurs pairs.

La présente étude fait donc apparaître un résul-tat singulier : ce qui progresse le plus (significati-

Les centres de classes-lecture. Évaluation des effets sur les capacités de traitement de l’écrit d’élèves de cycle 3 79

Tableau 7. – Pourcentages de détectionscorrectes de fautes lexicales et grammaticales

en fonction du groupe et du test

Fautes Fauteslexicales grammaticales

Pré-test Post-test Pré-test Post-test

Contrôle 27 % 35 % 15 % 25 %

Classe-lecture 22 % 27 % 9 % 14 %

80 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

vement) n’est pas ce qui a été travaillé explicite-ment pendant le stage. On peut faire l’hypothèseque l’on a affaire ici à un apprentissage de typeprocédural qui s’est développé, sans instructionverbale, grâce à une confrontation accrue avecl’écrit. Les connaissances acquises sont mobili-sées automatiquement, sans contrôle conscient etsans coût cognitif, ce qui produit une aisanceaccrue dans les premières étapes de la lecture.

Les effets à court terme du stage sur les capa-cités cognitives de traitement de l’écrit des élèves

apparaissent donc limités. Cependant, commenous l’avons noté au début de cette partie, uneévaluation à long terme de ce type de dispositif estnécessaire pour appréhender s’ils sont à même dedéclencher et de modifier durablement les com-portements d’appropriation de l’écrit des élèves etles pratiques d’enseignement de la lecture desadultes, ce qui constitue leur principale vocation.

Bernard Lété

INRP - Marseille

(1) Respectivement : Institut National d’Études Démographiqueset Institut National d’Étude du Travail et d’OrientationProfessionnelle.

NOTES

2) L’intérêt de la manipulation des facteurs expérimentaux danschaque épreuve est présenté dans la partie « Résultats ».

(3) Pour une description, cf. Aubret & Blanchard, ibid., p. 85-13.

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Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 81-95 81

INTRODUCTION

Comme le note Friedel (1998, p. 7), « Si les per-formances moyennes de nos jeunes ont sansdoute progressé depuis le début du siècle, tous lestests montrent une distribution très large des com-pétences, depuis le lecteur expert jusqu’au plusprofondément démuni. » En considérant cette der-nière catégorie et d’après les évaluations natio-nales mesurant les compétences attendues desélèves en lecture en première année de cycle 3(CE2) et de collège (6e), respectivement 20,7 % et14,4 % d’entre eux ne maîtrisent pas les compé-tences de base :

– au niveau du CE2 : reconnaître des mots cou-rants, déchiffrer des mots inconnus, comprendreun texte simple ;

– au niveau de la sixième : saisir l’informationexplicite d’un texte écrit, comprendre de qui ou dequoi on parle et ce qu’on en dit, (Peretti, 1996 ;Dubois, 1996).

C’est parmi ces élèves-là que se recruteront lesprésumés 10 % d’illettrés : « 10 enfants sur 100vont à l’école pendant plus de dix ans et en sortentsans pouvoir lire un texte court et simple... »Bentolila (1996, p. 121). L’école n’est certes pas laseule responsable de cet état de fait et l’environ-nement social et économique, les différences

L’objectif de ce travail est d’évaluer l’impact des méthodes d’apprentissage utilisées par les maîtres surle soutien en lecture. Les principaux résultats de deux expérimentations conduites au sein même del’école, auprès d’élèves de deuxième année de cycle 2, indiquent que certaines tâches de soutien sontplus profitables lorsqu’elles sont en contraste avec les méthodes utilisées en classe. Ils montrent aussiqu’un bon niveau de décodage est nécessaire pour bénéficier d’un soutien en compréhension. Enfin, s’ilsattestent la faisabilité du soutien d’habiletés spécifiques, ces résultats doivent être resitués dans le débatrelatif à l’efficacité didactique d’une décomposition importante de l’acte de lire.

Soutien en lecture :prise en compte

des méthodes d’apprentissageSaint-Cyr Chardon

Jacques Baillé

Mots-clés : soutien scolaire, méthodes de lecture, habiletés spécifiques, compréhension en lecture.

interindividuelles y ont leur part. Néanmoins, elle apour mission de réduire les difficultés de lectureavec les meilleures armes possibles et ce, dès ledébut de l’apprentissage. Le soutien en lecturepeut être considéré comme une de ces armes.

La notion de soutien, réactivée depuis quelquetemps, fait désormais partie intégrante du dis-cours officiel de l’Éducation nationale. Mais celui-ci énonce rarement les modalités pratiques de samise en œuvre didactique. Un ouvrage collectifrécent de l’Observatoire national de la lecture(ONL, 1998) dresse un état des lieux des dernièresrecherches en apprentissage de la lecture.Cependant, s’il aborde les questions d’enseigne-ment par le biais des méthodes d’apprentissage,l’ouvrage ne fournit que peu de pistes quant ausoutien pouvant être apporté aux faibles lecteurs.Tout au plus les auteurs soulignent-ils que les pro-positions qui sont faites peuvent suggérer des« itinéraires pertinents en rééducation et en remé-diation » (op. cit. p. 209). Cette dernière remarquelaisse à penser que les difficultés scolaires s’ap-parenteraient à une pathologie (Fijalkow, 2000).

Il est vrai que les expérimentations ayant pourobjet le soutien en lecture sont peu nombreuses(particulièrement en langue française). Ellesconcernent la plupart du temps l’entraînement desactivités phonologiques ou de décodage, àl’exemple des quelques recherches que nousallons évoquer.

La première est celle d’Hatcher, Hulme et Ellis(1994). Ces auteurs ont proposé, à quatre groupesde faibles lecteurs de 7 ans, 40 séances d’entraî-nement de 30 minutes chacune pendant 20 se-maines. Les résultats indiquent qu’un seul groupese distingue des autres : il a bénéficié d’un entraî-nement phonologique complété par une explici-tation des correspondances entre graphèmes etphonèmes. Les groupes ayant bénéficié soit d’unentraînement phonologique pur, soit de séancesde lecture ou d’écriture ne faisant pas référence àla phonologie progressent moins.

Une autre étude, conduite par Ball & Blachmann(1991), met l’accent sur l’importance de la manipu-lation intentionnelle des phonèmes. Des enfantsde 6 ans, répartis au sein de trois groupes expéri-mentaux, reçoivent pendant une période de deuxmois soit un entraînement de type phonologique,soit un entraînement plus spécialement lexical,soit ne reçoivent aucun entraînement spécifique.Les résultats attestent la supériorité des progrès

du groupe phonologique par rapport aux deuxautres.

Plus récemment, Torgesen, Wagner & Rashotte(1997) comparent l’efficacité de trois programmesd’entraînement. Les 180 sujets du départ, sélec-tionnés en grande section de maternelle sur labase des scores obtenus à des tests portant sur laconscience phonologique, la connaissance deslettres et une mesure du QI verbal, bénéficientpendant deux ans et demi de séances de soutien,à raison de 20 minutes par jour. Un premiergroupe, PASP – Phonological Awarness Plus Syn-thetic Phonics, bénéficie d’un entraînement insis-tant de manière explicite sur la phonologie (asso-ciation entre geste articulatoire, son produit etécriture du graphème). Un deuxième groupe, EP –Embedded Phonics, bénéficie également deséances centrées sur la phonologie mais demanière plus implicite (lettres et sons sont davan-tage présentés dans le contexte d’activités de lec-ture et d’écriture). Un troisième groupe, RCS -Regular Classroom Support, reçoit un enseigne-ment reprenant le programme habituel de lecturedispensé au sein de la classe d’origine. Le derniergroupe est un groupe contrôle qui n’est soumis àaucun entraînement. Lors des évaluations finales,le groupe PASP se distingue nettement des troisautres dans les épreuves phonologiques mais plusfaiblement dans l’épreuve d’identification de mots.En revanche, on n’observe pas les mêmes progrèsavec l’épreuve de compréhension. Les auteurssuggèrent que les effets favorables d’un entraîne-ment phonologique sur la compréhension pour-raient apparaître plus tardivement. Le principeétant qu’un passage de la voie phonologique (indi-recte) à la voie orthographique (directe) libérera dela place en mémoire pour la compréhension.

Il est bien difficile de généraliser ces résultatspour fonder une démarche de soutien. Outre lesproblèmes de validité interne (Troia, 1999), cesrecherches couvrent des durées très variables,insistent sur une habileté unique, présumée initialeet, surtout, tiennent trop peu compte du contextedidactique.

À ce propos, Vellutino & Scanlon (1989) avaientdéjà émis l’hypothèse que « l’usage combiné desméthodes globales et orientées vers le codeconduirait à de meilleurs résultats que l’une oul’autre de ces méthodes employée seule » (p. 286).Dans leur recherche, cinq groupes d’élèves, bonset faibles lecteurs de 7-8 ans et 11-12 ans reçoi-

82 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

vent un entraînement basé sur une simulation desapproches phonique et globale. Les auteurs espè-rent ainsi induire des changements de stratégiesdans la reconnaissance des mots écrits. Les résul-tats les incitent à plaider en faveur de la complé-mentarité des deux approches, tout en mettant enavant les avantages de l’une ou l’autre en fonctiondu moment de l’apprentissage. Dans le mêmeesprit, une enquête menée en 1995 dans 153classes de CP par l’IGEN (Inspection générale del’Éducation nationale) rapportée par Robillart(1996) avait pour objectif principal de tenter derepérer les démarches pédagogiques les plus effi-caces pour un apprentissage réussi de la lecture.Les meilleurs résultats sont observés dans lesclasses où le maître fait pratiquer à ses élèves lesdeux entrées : travail sur le code, travail sur lesens, c’est-à-dire où sont menés de front l’ensei-gnement conjoint des correspondances gra-phèmes phonèmes et la recherche du sens. Ilconvient toutefois d’envisager avec prudence lesrésultats de ces deux dernières recherches :

– l’expérimentation de Vellutino & Scanlonrepose sur une simulation des méthodes d’appren-tissage de la lecture et non sur une situation declasse ;

– les inspecteurs généraux qui ont réalisé l’étudede 1995 n’ont pas procédé à une évaluation duniveau de départ des élèves (en fin de GSM ou audébut du CP). Dès lors, il devient difficile de com-parer les résultats en fin d’année et de conclure àl’existence de différences de niveaux attribuablesaux facteurs mentionnés : rien n’interdit de penserque ces différences étaient déjà présentes avantou au début de l’apprentissage de la lecture.

Malgré ces réserves d’ordre méthodologique, eten écartant le problème des enfants dyslexiquesqui représentent certainement moins de 5 % de lapopulation scolaire et nécessitent une prise encharge spécialisée, (Van Hout et Estienne, 1998 ;Gombert et coll., 2000), nous posons qu’une partienon négligeable des difficultés rencontrées par lapopulation des faibles lecteurs devrait pouvoir serésoudre au sein même de la classe, par l’adminis-tration de séances de soutien adéquates, sansnécessairement faire appel à du personnel spécia-lisé.

En retenant cette idée qu’un apprentissage enlecture stimulant plusieurs registres serait plusefficace qu’un apprentissage n’en stimulant qu’unseul (phonologique ou sémantique), nous avons

soumis des élèves de première année primaire(CP, deuxième année de cycle 2) à des séances desoutien. En outre, nous avons lié le contenu decelles-ci à la méthode utilisée par les maîtres,selon deux modalités : soit les séances reprennentleur méthodologie, soit elles s’en distinguent radi-calement. Dans le premier cas, nous aurons unsoutien « renforcé », dans le second, nous auronsun soutien « contrasté ». C’est à travers deuxépreuves empiriques que nous avons testé lesincidences de ces séances de soutien à durée limi-tée, fondées sur des habiletés multiples et liéesaux méthodes utilisées en classe.

Nos expérimentations se veulent une contri-bution à l’élaboration d’exercices de soutien etn’ont d’autre prétention que d’ouvrir une discus-sion à finalité pratique sur l’enseignement et lesoutien en lecture. En particulier, est-il pertinent,et jusqu’à quel point, de décomposer l’acte de lireen une série d’habiletés soumises à entraînementspécifique ? Rappelons que pour Rieben (1993,p. 138) « ... l’enfant peut acquérir des compo-santes linguistiques spécifiques nécessaires àl’apprentissage de la lecture sans pour autantqu’on les lui enseigne isolément. »

Nous avons présent à l’esprit les limites et lanécessité d’un travail de type expérimental quis’efforce de prendre en compte le contexte didac-tique. En particulier, la lecture des résultats nedevra pas négliger le fait qu’un souci d’authenti-cité didactique n’est pas d’emblée compatibleavec le contrôle des variables, tel qu’il est pratiquéen laboratoire. Notre effort visera donc à concilierrigueur scientifique et pertinence didactique.

EXPÉRIMENTATION 1

La recherche s’est déroulée au cours dudeuxième trimestre de l’année scolaire. Elle aporté sur une population de 54 élèves, apparte-nant à deux écoles urbaines différenciées par laméthode d’apprentissage de la lecture utilisée parles maîtres (1).

Sujets

Les élèves se répartissent ainsi :

– 26 élèves de cours préparatoire. L’ensei-gnante utilise une méthode qui préconise l’ensei-

Soutien en lecture : prise en compte des méthodes d’apprentissage 83

gnement des correspondances graphèmes-pho-nèmes de façon systématique avec le support d’unmanuel. L’approche est donc essentiellement pho-nocentrée et c’est une lecture par médiation pho-nologique qui est recherchée, tout au moins audébut de l’apprentissage. Pour cette raison, lorsde l’analyse, nous retrouverons cette école sous lenom d’école à démarche « phonique » ;

– 28 élèves de deuxième année de cycle 2 (dansune école organisée en cycles, cette année corres-pondant au cours préparatoire). La méthode d’ap-prentissage de la lecture privilégie la compréhen-sion et la sensibilisation aux différentes fonctionsde l’écrit, notamment au sein d’une BCD (biblio-thèque centre documentaire). Les enseignantsfavorisent une pratique de la lecture plus conformeaux usages sociaux de l’écrit : on apprend à liresur des textes authentiques (textes d’auteurs,longs et structurés, ou produits par les enfants). Iln’y a pas d’enseignement systématique des cor-respondances graphèmes-phonèmes. L’utilisationdu contexte (de mots, de phrases, de textes) estencouragée pour susciter l’anticipation ou le devi-nement. D’emblée, c’est une lecture par la voiedirecte qui est recherchée. Par la suite, nousretrouverons cette école sous le nom d’école àdémarche « centrée sur le sens ».

Ces deux méthodologies didactiques distinctescorrespondent étroitement à celles décrites parGoigoux (2000) : approche partiellement phoniqueet approche idéovisuelle pure.

Épreuves des pré-tests et post-tests

Un pré-test composé de 6 épreuves a été admi-nistré à l’ensemble des élèves.

– Épreuves de lecture de mots isolés (MOT),présentation en temps limité (LECRAP)

Dans un premier temps, l’élève doit tenterd’identifier le mot qui lui est présenté pendantune seconde sur une feuille de papier, tout encomptant à haute voix (principe de la tâche ajou-tée (2)). En cas d’échec, le mot est à nouveau pré-senté pendant 5 secondes, sans tâche ajoutée.L’épreuve contient 24 mots.

Les mots reconnus, quelle que soit la modalité,ont été comptabilisés sous l’appellation MOT,l’identification en 1 seconde sous le terme LECRAP.

Liste des mots proposés, dans l’ordre de pré-sentation :

femme, arôme, prise, sabre, veine, toile, plume,écho, frère, lampe, cible, route, livre, olive, usine,jeudi, épine, pays, fille, lande, lundi, sucre, blâme,dinde.

– Épreuve d’évaluation du niveau de consciencephonologique (CSPH)

Le niveau de conscience phonologique est éva-lué à partir de la segmentation et/ou de la fusionau niveau du phonème ou de la syllabe, de18 logatomes présentés oralement.

Exemple de segmentation : « Écoute bien, je tedis ratibou. Maintenant tu enlèves bou. Tu me disce qu’il reste. Je t’écoute :............ »

– Épreuve de complètement de phrases (CLO)

Cette épreuve est une adaptation du test clas-sique de closure. Elle se compose de 12 phrasesà compléter. Pour chaque phrase, trois mots sontproposés : la bonne réponse, un mot noncongruent et un mot relié sémantiquement à labonne réponse.

Exemple : « Sophie est malade, elle boit du...four... sirop... docteur. »

– Épreuve de remise de mots en ordre pour for-mer une phrase, afin d’évaluer la syntaxe (SYN)

L’épreuve est composée de 5 phrases. Il s’agitde reconstituer chacune d’entre elles à partir del’ensemble de ses éléments donnés dans un ordrealéatoire. Deux indices majeurs sont fournis àl’élève : la majuscule marquant le début de laphrase et un point derrière un mot marquant la finde cette même phrase.

Exemple : « a - garçon - Le - mal - petit - aux -dents. »

– Épreuve de compréhension écrite, composéede questions portant sur un texte (COMP)

Cette épreuve, extraite de « L’évaluation conti-nue du savoir lire au cours préparatoire » (CRDPde Nantes, 1981), se présente sous la forme d’uncourt texte narratif, avec un temps de lecturesilencieuse précédant les réponses écrites auxquestions de l’expérimentateur.

84 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Au terme des séances de soutien, un post-test,composé des mêmes épreuves que le pré-test aété à son tour administré. Les enseignants n’ontjamais eu en main le pré-test, par conséquent cedernier n’a fait l’objet d’aucun travail en classe.

Constitution des groupes expérimentaux

À la suite du pré-test, deux groupes de soutien,équivalents et indépendants, ont été constituésdans chacune des deux populations expérimen-tales, c’est-à-dire dans chacune des écoles. Deuxgroupes seront dits « phoniques » : ils recevrontun soutien renforcé à l’école à démarche « pho-nique », contrasté à l’école à démarche « centréesur le sens ». Deux groupes seront dits « sens » :ils recevront un soutien contrasté à l’école àdémarche « phonique », renforcé à l’école àdémarche « centrée sur le sens ». En outre, à l’in-térieur de chaque groupe, nous distinguerons lesélèves les plus en difficulté (faibles lecteurs).

Précisons que nous n’envisageons pas de com-paraisons entre les écoles et entre des méthodesd’apprentissage de la lecture. Ce qui nous inté-resse ici est l’effet des séances de soutien.

Organisation et contenu des séances de soutien

Deux expérimentateurs (3), attachés à chaqueécole, ont effectué huit séances de soutien, cha-cune d’une durée de trente minutes, à heures etjours fixes. Le contenu de chaque séance a faitl’objet d’une préparation minutieuse afin de limiterau maximum l’effet expérimentateur. L’ordre depassage des groupes a été contrebalancé. Chaqueséance a comporté une phase de travail collectif

(avec une application dirigée) et une phase d’exer-cices individuels.

Pour le soutien de type phonique, chacune deshuit séances portait sur :

– la décomposition et la recomposition des motsen syllabes et en phonèmes ;

– la localisation des sons à l’intérieur des mots ;

– la correspondance entre graphème et pho-nème.

Pour le soutien de type centré sur le sens, cha-cune des huit séances portait sur :

– la reconnaissance de différents types d’écrits ;

– l’anticipation et la formulation d’hypothèses ;

– le travail sur le lexique des textes proposés ; larecherche rapide de mots à l’intérieur de textes ;

– la lecture-compréhension.

Quelques exemples abrégés de séances figurenten annexe. Les enseignants du cycle 2 reconnaî-tront des types d’exercices qu’ils utilisent dansleur pratique quotidienne de l’enseignement de lalecture. Nous nous situons dans la perspectived’un soutien effectivement réalisable par le maîtreen classe : courte durée des séances (une demi-heure), objectif facile à identifier, mise en œuvre etpréparation aisées, travail collectif et individuel.

Résultats

Différences de performances entre pré-testet post-test, tous niveaux de lecture confondus(tableau I)

Le tableau se lit de la façon suivante : parexemple, pour le groupe G1/phonique (renforcé),

Soutien en lecture : prise en compte des méthodes d’apprentissage 85

Tableau I. – Comparaison des progrès réalisés par les quatre groupes de soutien, tous les niveaux de lecture confondus

École à démarche « phonique » École à démarche « centrée sur le sens »

G1/phonique G2/sens G1/phonique G2/sens(renforcé) (contrasté) (contrasté) (renforcé)

MOT – 2,75** – 2,33** – 1,90* – 2,97**

LECRAP – 2,69** – 2,53** – ,05 – 1,51

CSPH – 1,53 – 1,74 – 2,76** – 2,28*

CLO – 2,80** – 2,56** – 1,66 – 1,98*

SYN – 2,75** – 3,01** – 10 – 1,66

COMP – 2,38** – 2,99** – 2,32* – 1,72

(Différences entre post- et pré-test, test de Wilcoxon. Valeurs de Z : * significatif à p ≤.05 ; ** significatif à p ≤.01).

on observe qu’il améliore significativement (p ≤.01)toutes les habiletés de lecture, à l’exception de laconscience phonologique (CSPH).

École à démarche « phonique »

Quelle que soit la nature du soutien, contrastéeou renforcée, les élèves progressent dans toutesles épreuves, excepté dans celle relative à laconscience phonologique (CSPH). Tout en attes-tant, sur un plan global, un fort effet du soutiensur les performances, ces résultats ne nous per-mettent cependant pas d’isoler les incidencesliées à la nature de ce soutien. Quant à laconscience phonologique, le fait qu’elle ne soitaméliorée par aucun des soutiens peut êtreimputé au niveau élevé acquis par les élèves autravers d’une pratique quotidienne d’exercices denature phonique.

École à démarche « centrée sur le sens »

Quelle que soit la nature renforcée ou contrastéedu soutien, les élèves ne progressent que dansdeux épreuves, celle de lecture de mot (MOT) etcelle de conscience phonologique (CSPH). Ilsn’améliorent pas leurs scores en lecture rapide(LECRAP) et en syntaxe (SYN).

Notons un effet de la nature du soutien sur lesépreuves de closure (CLO) et de compréhension(COMP). Les scores au test de closure s’amélio-rent uniquement pour le groupe soutien renforcé :une reprise de ce travail d’anticipation en petitgroupe a semble-t-il permis à ces élèves de pro-gresser encore. Le résultat le plus spectaculaireconcerne cependant l’effet positif sur l’activité decompréhension d’un soutien contrasté portant surles caractéristiques phoniques de la langue.

Comme annoncé, nous allons maintenant nousintéresser aux résultats des groupes de faibleslecteurs (fbl). Ces derniers correspondent à dessujets ayant obtenu des scores inférieurs ouproches de la médiane aux épreuves de lecture demots et de compréhension dans chacune desécoles.

Différences de performances entre pré-testet post-test, chez les faibles lecteurs (tableau II)

École à démarche « phonique »

Les résultats des faibles lecteurs sont très diffé-rents de ceux de l’ensemble de la classe. Il y adonc un effet dû au niveau de lecture atteint parles élèves au moment de l’administration de nosséances. Le groupe G1fbl se différencie nettementdu groupe G2fbl dans quatre des épreuves propo-sées. Le soutien renforçant ce qui se fait déjàen classe semble avoir été plus bénéfique, et lesprogrès observés s’étendent à l’ensemble desépreuves. Le soutien contrasté ne permet des pro-grès qu’en syntaxe et en compréhension.

École à démarche « centrée sur le sens »

Chez les faibles lecteurs, seules les perfor-mances en lecture de mots progressent, quelleque soit la nature du soutien. Mis à part ce résul-tat, uniquement la conscience phonologique semontre sensible et encore s’agit-il de l’effet d’unsoutien de nature phonique.

Discussion

L’efficacité du soutien paraît lié à la naturedidactique de la démarche d’apprentissage déve-loppée en classe.

86 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

École à démarche « phonique » École à démarche « centrée sur le sens »

G1fbl/phonique G2fbl/sens G1fbl/phonique G2fbl/sens(renforcé) (contrasté) (contrasté) (renforcé)

MOT – 2,10* – 1,70 – 2,21* – 2,39**

LECRAP – 2* – 1,63 – ,68 – 1,50

CSPH – 2,03* – ,54 – 2,31* – 1,60

CLO – 2,21* – 1,61 – 1,75 – 1,53

SYN – 2,12* – 2,27* 0 – ,57

COMP – 2,04* – 2,42** – 1,73 – 1,18

Tableau II. – Comparaison des progrès réalisés par les quatre groupes de soutien, faibles lecteurs

(Différences entre post- et pré-test, test de Wilcoxon. Valeurs de Z : * significatif à p ≤.05 ; ** significatif à p ≤.01).

Si l’on considère le soutien renforcé, tousniveaux de lecture confondus, l’effet semble plusfort pour les élèves de l’école à démarche « pho-nique » que pour ceux issus de l’école à démarche« centrée sur le sens ». La différence est notable-ment favorable aux premiers pour les items lecturerapide, syntaxe et compréhension. Cette premièredifférence est accentuée dans le cas des faibleslecteurs : alors que ceux de l’école à démarche« phonique » tirent bénéfice du soutien renforcépour tous les items, seule la lecture de mots (unehabileté sur les six testées) est favorisée chez lesfaibles lecteurs de l’école à démarche « centréesur le sens ».

Si l’on considère le soutien contrasté, tousniveaux de lecture confondus, les résultats sontstrictement identiques à ceux du soutienrenforcé chez les élèves de l’école à démarche« phonique ». Comme précédemment, l’effet dusoutien contrasté est plus faible à l’école àdémarche « centrée sur le sens ». Toutefois, danscette école, on observe un impact favorable de cetype de soutien sur la compréhension. Ce résultatest inattendu dans la mesure où il s’agit d’un effetsémantique dû à un entraînement phonique. Chezles faibles lecteurs, le soutien contrasté a unimpact plus réduit. Cependant, si son effet porte,comme on pouvait s’y attendre, sur la lecture demots et la conscience phonologique à l’école àdémarche « centrée sur le sens », il permet uneamélioration de la compréhension à l’école àdémarche « phonique ».

Ces résultats n’ont de sens qu’en fonctionde leurs conditions d’obtention que nousavons voulues les plus écologiques possible.Indépendamment des limites méthodologiquesliées à l’absence de groupe contrôle, la difficultéprincipale résulte de l’intégration, dans lesséances de soutien, des pratiques effectives desmaîtres de l’école à démarche « centrée sur lesens ». Rappelons que ces enseignants pratiquentune pédagogie de la lecture favorisant chez leursélèves l’utilisation de la voie orthographique sanspréalable phonologique. Ils admettent générale-ment que l’apprentissage, tout au moins au début,est plus long et plus coûteux que dans le casd’une démarche phonique (mais il est censé favo-riser l’acquisition de stratégies de lecture plus effi-caces par la suite, Foucambert, 1998). Cetteapproche didactique de l’enseignement de la lec-ture s’accommode mal, contrairement à l’ap-proche phonique, d’une progression hiérarchisée

et découpée en habiletés spécifiques. Par consé-quent, si la reprise d’exercices de type phonique,faciles à mettre en œuvre dans le cadre deséances de trente minutes, ne pose aucun pro-blème, il n’en est pas de même des séances cen-trées sur le sens, difficilement réductibles àquelques exercices limités dans le temps.

Ces remarques justifient que nous reprenions cetravail sur le soutien en lecture au cours d’unedeuxième expérimentation, en y apportant plu-sieurs modifications.

Ainsi, sur le plan de la méthodologie, touten conservant l’opposition entre écoles avecapproches phonique ou idéovisuelle de l’enseigne-ment de la lecture, nous avons décidé de travailleravec des effectifs plus importants afin de consti-tuer deux groupes contrôles, un par type d’école.

Sur le plan du contenu, si nous avons conservéles mêmes séances de type phonique, nous avonsmodifié la nature du soutien reprenant la démarchede l’école « centrée sur le sens ». Nous en avonschangé le contenu didactique en insistant sur troishabiletés propres aux processus de compré-hension écrite : la capacité à traiter les référencesanaphoriques, la résolution des inférences etl’évocation des scripts. L’enrichissement d’unentraînement, initialement réduit au seul principedu renfort ou du contraste, par de tels processusde « haut niveau », rend désormais appropriée unedistinction entre un soutien phonique (« basniveau » : médiation phonologique) et un soutienen compréhension (« haut niveau » : processussémantiques).

EXPÉRIMENTATION 2

Comme la recherche précédente, celle-ci s’estdéroulée au cours du deuxième trimestre de l’an-née scolaire. Elle a porté sur une population de 89sujets appartenant à trois écoles urbaines situéesapproximativement dans les mêmes secteurs géo-graphiques que lors de la première expérimen-tation.

Sujets

Les élèves se répartissent ainsi :

– 46 élèves de cours préparatoire. Ces dernierssont répartis dans deux classes d’une même

Soutien en lecture : prise en compte des méthodes d’apprentissage 87

école. Les enseignantes utilisent la mêmeméthode d’apprentissage essentiellement pho-nique, avec manuel. Pour cette raison, lors del’analyse, nous retrouverons cette école sous lemême nom d’école à démarche « phonique » ;

– 43 élèves de deuxième année de cycle 2 (dansdeux écoles organisées en cycles, cette deuxièmeannée correspondant à celle du cours prépa-ratoire). La méthode d’apprentissage de la lectureprivilégie la compréhension, la sensibilisation auxdiverses fonctions de l’écrit et le travail au seind’une BCD, sans enseignement systématique descorrespondances graphèmes-phonèmes. Ces deuxécoles vont constituer une population expérimen-tale dite école à démarche « centrée sur le sens ».

Épreuves des pré-tests et post-tests

Un pré-test composé de 8 épreuves a été admi-nistré à l’ensemble des élèves.

Les épreuves de remise de mots en ordre, pourformer une phrase, afin d’évaluer le niveau de lasyntaxe (SYN), de compréhension, composée dequestions portant sur un texte (COMP) et d’évalua-tion du niveau de conscience phonologique (CSPH)sont identiques à celles proposées lors de la pre-mière expérimentation. Nous ne présentons ci-des-sous que les épreuves qui distinguent ces pré-testset post-tests de ceux de la première étude.

– Épreuves de lecture de mots isolés (MOT),présentation en temps limité (LECRAP)

Le nombre de mots a été augmenté de 6 unités,passant ainsi de 24 à 30 items. Les consignes etles notations n’ont toutefois pas été modifiées. Parcontre, dans un souci de mieux contrôler le tempsde présentation de chaque item, la passation dutest a été informatisée.

Liste des mots, dans l’ordre de présentation :femme, image, pente, grêle, poire, bravo, plume,route, livre, toile, clown, singe, pitre, dinde, mon-sieur, neige, frère, sabre, lundi, école, sonde,veine, fille, fauve, usine, cobaye, arôme, lampe,pays, sucre.

– Épreuve d’interprétation correcte de pronomsen tant que substituts d’autres mots d’un texte(ANA)

Le test se compose d’un court texte narratif de8 phrases comprenant de nombreuses reprises

anaphoriques, accessibles à des lecteurs débu-tants. Après un temps de lecture silencieuse, desquestions faisant appel dans la recherche de labonne réponse aux anaphores contenus dans letexte, sont proposées aux élèves.

Exemple : « Julie et son frère arrivent del’école... Maman leur a préparé une tarte auxpommes. »

« Pour qui maman a-t-elle préparé de la tarte ? »

– Épreuve d’évaluation du niveau de compré-hension inférentielle (INF)

L’épreuve se compose d’une série de 7 phrases.Pour chaque phrase, il faut choisir la bonneréponse parmi trois propositions.

Exemple : « Mon chien a encore mordu le fac-teur :

– mon chien n’a jamais mordu personne. »

– mon chien n’a pas mordu le facteur. »

– mon chien a déjà mordu le facteur. »

– Épreuve d’évaluation de la compréhension àpartir de la remise en ordre de textes renvoyant àdes activités culturellement stéréotypées (SCR).

Il s’agit de comprendre la chronologie d’une his-toire relatée dans un texte écrit et d’en saisir lesens général. Deux histoires sont proposées sépa-rément. Les phrases composant chacune d’ellessont présentées aléatoirement. Il s’agit de lesremettre en ordre afin que le texte ainsi reconsti-tué ait un sens.

Exemple : « Les courses au supermarché »« Ils commencent leurs achats et le chariot se

remplit. Ils sortent du magasin avec toutes leurscourses. Mélanie prend un chariot, puis elle rentredans le supermarché avec ses parents. Quand lechariot est plein, ils passent à la caisse. »

À l’issue de la période d’entraînement, un post-test composé des mêmes épreuves a été admi-nistré.

Constitution des groupes expérimentaux

À la suite du pré-test, trois groupes, équivalentset indépendants, ont été constitués pour chacunedes deux populations expérimentales. Deuxgroupes seront dits « phonique » (Phon) et ilsrecevront un soutien renforcé à l’école à démarche

88 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

« phonique », contrasté à l’école à démarche« centrée sur le sens ». Deux groupes seront dits« compréhension » (Comp) : ils recevront un sou-tien contrasté à l’école à démarche « phonique »,renforcé à l’école à démarche « centrée surle sens ». Enfin, deux groupes seront dits« contrôle » (Cont).

Comme lors de la première expérimentation, àl’intérieur de chaque groupe, nous distingueronsles faibles lecteurs.

Organisation et contenu des séances de soutien

L’organisation générale reprend celle de l’expé-rimentation précédente : durée et nombre deséances identiques, mêmes profils d’expérimen-tateurs et contrebalancement des passationsselon les groupes, même contenu pour le groupephonique.

En revanche, le contenu des séances centréessur le sens diffère. Il est ici composé d’habiletésen compréhension, présentées de façon plus ana-lytique, enseignées chacune pour elle-même defaçon systématique.

Les huit séances du soutien en compréhensionse répartissent ainsi :

– 3 séances sur la remise en ordre logique desuccessions d’images puis de phrases, la recom-position d’histoires mêlées, la recherche d’intru-sions inappropriées à l’intérieur d’histoires ;

– 3 séances sur le traitement et l’interprétationdes anaphores : principalement, emploi de pro-noms personnels sujets et compléments ;

– 2 séances ayant pour objet les inférences(lieu, agent, action) et les présuppositions.

Enfin, le groupe contrôle est convié à des tâchesde lecture qui ne font l’objet d’aucun travail systé-matique portant sur la phonologie ou la compré-hension :

– lecture à haute voix de textes du manuel uti-lisé en classe, à l’école à démarche « phonique » ;

– lecture silencieuse de livres de bibliothèque(albums, documentaires...) à l’école à démarche« centrée sur le sens ».

Résultats

Différences de performances entre pré-testet post-test, tous niveaux de lecture confondus(tableau III)

Le tableau se lit de la façon suivante : parexemple, pour le groupe G1/Phon, on observe qu’ilaméliore significativement (p ≤.01) six habiletés delecture sur huit (aucun effet statistiquement signi-ficatif sur ANA et INF).

École à démarche « phonique »

Quelle que soit la nature du soutien, phonique ouen compréhension, on obtient une évolution favo-rable des performances entre le pré-test et lepost-test dans cinq épreuves sur huit.

Soutien en lecture : prise en compte des méthodes d’apprentissage 89

École à démarche « phonique » École à démarche « centrée sur le sens »

G1/Phon G2/Comp G3/Cont G1/Phon G2/Comp G3/Cont

MOT – 2,54** – 2,68** – 3,38** – 3,41** – 2,41** – 1,81

LECRAP – 2,94** – 3,53** – 3,41** – 3,31** – 2,12* – 1,63

CSPH – 3,13** – 1,84 – 2,27* – 3,07** – 2,10* – ,85

ANA – 1,70 – 2,11* 2,73** – 2,13* – 1,43 – ,10

INF – ,57 – 2,08* – ,73 – 1,28 – 1,79 – 1,66

SCR – 2,53** – 1,91* – 1,47 – ,45 – 1,06 – ,49

SYN – 2,39** – 2,54** – 2,64** – 15 – 2,60** – ,37

COMP – 2,53** – 2,22* – 2,02* – 3,24** – 2,06* – 1,38

Tableau III. – Comparaison des progrès réalisés par les quatre groupes de soutienet les deux groupes contrôles, tous niveaux de lecture confondus

(Différences entre post- et pré-test, test de Wilcoxon. Valeurs de Z : * significatif à p ≤.05 ; ** significatif à p ≤.01).

Le soutien en compréhension joue son rôleattendu dans l’amélioration des performances enanaphores (ANA), inférences (INF) et scripts (SCR).En revanche, il est plus inattendu qu’un soutienphonique améliore les scripts, la compréhension(COMP) et la syntaxe (SYN).

Un résultat intéressant, que nous discuteronsplus loin, concerne le groupe témoin qui progresseautant que les groupes à soutien spécifique danssix cas sur huit.

École à démarche « centrée sur le sens »

Notons d’emblée une différence importanteentre, d’une part les élèves des groupes G1 etG2, et d’autre part les élèves du groupe contrôleG3. Seuls les deux groupes expérimentaux amé-liorent leurs scores entre le pré-test et le post-test, alors que le groupe contrôle ne progressedans aucune des épreuves. Nous pouvons rai-sonnablement en déduire que les séances desoutien, indépendamment de leur nature, ontproduit un effet pour cette population expéri-mentale.

Le soutien en compréhension (G2) n’a aucunimpact sur les performances aux épreuves analy-tiques, anaphore (ANA), inférence (INF), script(SCR) et ceci n’est pas dû à un effet plafond. Parcontre, ce type de soutien a un effet favorable surMOT, LECRAP et CSPH, activités moins directe-ment attachées à son contenu.

Différences de performances entre pré-testet post-test, chez les faibles lecteurs (tableau IV)

École à démarche « phonique »

En examinant conjointement les groupes expéri-mentaux et le groupe témoin, on observe une simi-litude des variations de performances chez lesfaibles lecteurs et pour l’échantillon total, danscinq épreuves sur huit.

La lecture de mots, la lecture rapide, le script etla compréhension sont toujours mieux traitésaprès soutien, quelle que soit la nature de ce der-nier.

Contrairement à l’échantillon total, un entraîne-ment spécifique au traitement des anaphores et àla résolution des inférences ne produit aucun effetavec ces élèves faibles lecteurs.

La syntaxe ne semble améliorée que par un sou-tien phonique ou par la pratique de la lecture orale.

École à démarche « centrée sur le sens »

Le groupe contrôle ne progressant dans aucunedes épreuves, l’effet des séances de soutien paraîtégalement avéré pour cet échantillon.

Toutefois, l’impact du soutien en compréhensionreste très faible : un seul progrès significatif dansl’épreuve de syntaxe. On peut noter que l’entraîne-ment sémantique reste sans effet sur les épreuvesrelevant du même registre (ANA, INF, SCR, COMP).

90 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Tableau IV. – Comparaison des progrès réalisés par les quatre groupes de soutienet les deux groupes contrôles, faibles lecteurs

École à démarche »phonique« École à démarche »centrée sur le sens«

G1fbl/Ph G2fbl/Co G3fbl/Co G1fbl/Ph G2fbl/Co G3fbl/Co on mp nt on mp nt

MOT – 2,37** – 2,52** – 2,81** – 2,53** – 1,37 – 1,44

LECRAP – 2,39** – 2,67** – 2,80** – 2,38** – 1,34 – 1,06

CSPH – 2,53** – 1,54 – 2,53** – 2,53** – 1,70 – ,24

ANA – ,99 – 1,54 – 2,26* – 1,06 – 1,47 – ,77

INF – 1 – 1,65 – 1,72 – ,70 – 1,41 – 1,41

SCR – 2,21* – 1,91* – 1,82 – 1,63 – 95 0

SYN – 2,22* – 1,80 – 2,48** – 1,13 – 2,04* – ,44

COMP – 2,21* – 2,42** – 2,68** – 2,58** – 1,61 – 1,22

(Différences entre post- et pré-test, test de Wilcoxon. Valeurs de Z : * significatif à p ≤.05 ; ** significatif à p ≤.01).

À l’inverse, le soutien phonique a un effet positifsur les performances aux épreuves qui lui sontplus directement attachées (MOT, LECRAP,CSPH). Il est intéressant de noter qu’il intervientaussi dans l’amélioration des performances encompréhension (COMP).

Discussion

Tous niveaux de lecture confondus, la lecture demots, la lecture rapide et la compréhension sontaméliorées par le soutien, quel qu’il soit. Pour lesautres habiletés, l’efficacité de nos séances paraît,une fois encore, liée à la nature didactique desdémarches d’apprentissage.

En s’intéressant aux soutiens les plus prochesdes méthodes didactiques pratiquées en classe,on observe que le soutien phonique a un effetfavorable beaucoup plus fort dans l’école àdémarche « phonique » que le soutien en compré-hension dans l’école à démarche « centrée sur lesens ». Ce résultat semble corroborer ceux obte-nus lors de la première expérimentation.

En considérant le soutien phonique, relevonsson influence sur les items sémantiques, script,syntaxe et compréhension à l’école à démarche« phonique ». Ce fait pourrait témoigner d’uneflexibilité cognitive relativement élevée qu’entraî-nerait une méthode de lecture se diversifiant rapi-dement entre activités de bas et de haut niveaux.Cette interprétation paraît être confirmée par l’im-pact sur ces mêmes élèves d’un soutien en com-préhension (haut niveau) et par la performance dugroupe contrôle soumis à des activités non spéci-fiques de lecture à haute voix (bas et haut niveauxmêlés, du découpage phonologique aux variationsprosodiques, de la lecture des mots à la lecture dutexte). Autrement dit, une pratique de lecture, indi-viduelle et contrôlée, serait aussi bénéfique à cesélèves qu’un soutien systématique. La méthoded’apprentissage de la lecture utilisée dans cesclasses leur permettrait de faire face à la fois auxexigences du décodage et de la compréhensionposées par nos épreuves.

Pour des résultats moins attendus, et toujoursen ce qui concerne le soutien phonique, remar-quons son impact sur les performances des élèvesde l’école à démarche « centrée sur le sens », enparticulier en lecture de mot, lecture rapide, ana-phore et compréhension. Cet effet, qui neconcerne pas des habiletés directement entraî-

nées en classe, est peut-être lié à l’accroissementde la vigilance et de l’attention qui résulte de lanouveauté de la démarche et des objets langagiersétudiés.

Enfin, les faibles lecteurs soumis au soutienphonique progressent de la même façon quel’ensemble de la classe pour l’école àdémarche « phonique ». Il en va de même, à l’ex-ception notable de l’item anaphore, pour lesfaibles lecteurs de l’école à démarche « centréesur le sens ».

En considérant le soutien en compréhension,observons qu’il améliore la lecture de mot, la lec-ture rapide, la syntaxe et la compréhension, etceci pour tous les élèves et quelle que soit leurécole. On pouvait s’attendre à ce qu’il favoriseplutôt l’inférence, l’anaphore et le script et qu’iln’ait aucun effet sur la conscience phonologique.Or, cet effet n’est obtenu que pour l’école àdémarche « phonique ». En revanche, curieuse-ment, pour l’école supposée plus proche d’unedémarche sémantique, un tel soutien favorise laconscience phonologique et n’a aucun impact surles performances des épreuves à contenu séman-tique. Autrement dit, pour ce type d’école, le ren-forcement de l’anaphore, du script et de l’infé-rence n’a pas d’influence immédiate sur la maîtrisede ces mêmes entités.

Pour les faibles lecteurs soumis au soutien encompréhension, la quasi absence de progrès dansl’école à démarche « centrée sur le sens » confirmele bienfait pour ces élèves d’un soutien contrastéet plus précisément d’un soutien phonique. Dureste, cette interprétation peut être confirmée parl’absence de progrès d’un groupe témoin censépratiquer au plus près une lecture conforme auxorientations didactiques de cette école.

Discussion générale

La pratique du soutien en lecture peut se conce-voir selon trois directions : soit un travail sur deshabiletés isolées ; soit un travail sur de prétenduescompétences globales ; soit un travail combinantde multiples activités. La plupart du temps, cespratiques ne tiennent pas compte des méthodesd’apprentissage utilisées en classe. À l’inverse,notre travail vise à éprouver empiriquement laconception d’un soutien prenant en considérationl’orientation didactique de l’apprentissage de lalecture.

Soutien en lecture : prise en compte des méthodes d’apprentissage 91

Avant d’examiner les difficultés scientifiquesinhérentes à une démarche qui doit s’entendrecomme une contribution à l’élaboration d’une pra-tique de soutien à la fois accessible aux ensei-gnants et évaluable en termes d’efficacité, repre-nons les résultats les plus saillants.

Le premier d’entre eux concerne l’importancepour certaines activités de soutien d’être encontraste avec celles pratiquées en classe. Ceteffet varie selon le niveau de lecture des élèves etla méthode d’apprentissage employée en classe,les faibles lecteurs de l’école à démarche « cen-trée sur le sens » profitant en général davantaged’un soutien contrasté.

Un autre résultat témoigne de la nécessité d’unbon niveau de décodage pour profiter d’un soutienen compréhension. Ainsi, à l’issue des séances desoutien de ce type, les progrès des élèves del’école à démarche « phonique » sont en généralprobants. Paradoxalement, ce même soutien neparaît pas favoriser les élèves (surtout ceux en dif-ficulté) de l’école à démarche « centrée sur lesens ».

Comme l’attestent les performances du groupetémoin lors de la deuxième expérimentation, ilsemble qu’un entraînement à la lecture à hautevoix, contrôlé par l’adulte, favorise de nouveauxprogrès (y compris pour les plus faibles).Rappelons qu’il s’agit ici des écoles phoniques etdonc d’élèves soumis, entre autres, à un travail dedéchiffrage. Par contre, pour des élèves initiale-ment non entraînés à cette activité de déchiffrage,la lecture seule ne produit aucun effet, quel quesoit le niveau de départ de ces élèves.

Bien entendu, la généralisation de ces quelquesrésultats reste problématique. En particulier, laquestion de la durée et du nombre de séancesmériterait d’être approfondie. D’autre part, mêmesi le passage à la deuxième expérimentation nouspermet d’établir la distinction entre une compré-hension en lecture décomposée en habiletés spé-cifiques (groupes expérimentaux, deuxième expé-rimentation) et une compréhension plus globale(groupes expérimentaux, première expérimenta-

tion), nous ne pouvons nous autoriser à trancheren faveur d’un entraînement systématiquementdécomposé, à l’exception de quelques habi-letés en contraste dans le cas de l’école àdémarche « centrée sur le sens ».

Au regard des contraintes matérielles et de lacomplexité de la problématique du soutien, lesrésultats de nos expérimentations paraissentmodestes. Cependant, à notre avis, la voie expéri-mentale reste la seule possible pour d’une part,éviter les inférences praticiennes trop hâtives etd’autre part, se garder des querelles toujours pré-sentes à propos de la pédagogie de la lecture.Mais, dans le même temps, les expériences sur cethème conduites en laboratoire, soit restent confi-dentielles, soit heurtent de nombreux enseignantsou formateurs par leur caractère jugé trop artificiel(voir à ce sujet Lieury et coll., 1996). Il convientalors, même si cela pose d’importants problèmesméthodologiques, de poursuivre les expérimenta-tions sur le terrain scolaire car nous pensonsqu’elles ne sont pas incompatibles avec l’essai decontrôle des variables (Baillé, 1997, 1998). Ainsi,associer davantage les maîtres à la préparation età l’administration des séances, mesurer « l’effet-retard », faire varier le nombre et la durée desséances, ajuster au mieux la difficulté du contenudidactique au niveau des élèves constituent desprolongements possibles aux travaux présentésici.

On ne pourra régler les difficultés scolaires parmoins d’école, mais par plus (et mieux) d’école. Ilfaudra donc consentir à accorder un temps suffi-sant au soutien conçu en relation (contraste, ren-fort) avec la classe. Or, le temps réellement allouéà la lecture risque de diminuer au profit d’activitésdiverses (langues étrangères, informatique, activi-tés culturelles...). Cela signifie que le soutien enlecture devra, si tel est le cas, devenir une quasiobligation scolaire.

Saint-Cyr Chardon et Jacques Baillé

Laboratoire des Sciences de l’ÉducationIUFM et Université Pierre Mendès France, Grenoble

92 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

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Soutien en lecture : prise en compte des méthodes d’apprentissage 93

NOTES

(1) Nous tenons à remercier les directeurs d’école, les institu-teurs et les professeurs des écoles du Lac et des Charmesà Grenoble, de la Pierrotte et de la Martinette à Romanspour leur accueil, ainsi que l’ensemble des personnes ayantparticipé aux deux recherches présentées ici.

(2) La suppression articulatoire (ici compter à haute voix) per-turbe le recodage de l’item visuel sous forme phonologiqueen empêchant la conversion du code visuel en code phono-logique par le phénomène de subvocalisation, Baddeley(1992). Or, pour lire un mot en passant par l’étape de la

médiation phonologique, il est nécessaire de stocker pen-dant un certain temps les différents éléments résultant dudécoupage graphèmique. Si l’unité de stockage est déjàsaturée, cette conversion graphème phonème ne peut avoirlieu.

(3) Les expérimentateurs étaient tous des instituteurs et desprofesseurs des écoles. Ils ont participé collectivement aupréalable à des séances de mise au point et de prise enmain des outils didactiques du soutien.

BIBLIOGRAPHIE

Distribution à chaque élève d’une photocopied’un texte de Jules Renard extrait des « Buco-liques ».

« Berthe s’imagine que savoir lire, c’est tenir unlivre ouvert et promener ses yeux sur la page, enparlant tout haut. Elle improvise ou elle répète deshistoires. Elle lit avec lenteur et régularité, sépareles syllabes, appuie, ne nous regarde qu’en des-sous, remue la tête à droite et à gauche, et quandelle juge qu’elle a eu le temps de lire une page, ellela tourne, et chacun lui dit :

– Comme tu lis bien ! »

1 - Découverte individuelle du texte.

2 - Questions sur le texte :

– De qui parle-t-on ?

– Qui parle de Berthe ? (l’auteur mais y a-t-ilquelqu’un d’autre qui parle ?)

– De quoi parle-t-on dans ce texte ?

– Est-ce que Berthe sait vraiment lire ?

– Comment fait-elle pour montrer qu’elle saitlire ?

Toutes les réponses sont justifiées par des infor-mations prises dans le texte.

3 - Lecture orale faite par l’expérimentateur, lesenfants suivent sur leur feuille.

4 - Propositions de lecture par les élèves.

5 - Travail guidé sur le texte ; aides et correc-tions immédiates. Les élèves doivent :

– entourer en rouge les mots qui montrent qu’onparle d’une petite fille (le prénom Berthe et 6 fois lepronom elle) ;

– entourer en vert les mots qui indiquent qu’onparle de la lecture (lire, histoire,...) ;

– retrouver les mots qui montrent que Berthefait semblant de lire.

94 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

ANNEXES

Exemple abrégé de séance de soutien centré sur le sens (première expérimentation)

Exemple abrégé de séance de soutien « phonique » (première et deuxième expérimentations)

1 - Entraînement collectif :

– présentation de trois mots au tableau, ayantune syllabe encadrée : un bonnet, il a avalé, unlapin ;

– consigne : « À partir des trois syllabes enca-drées, essaie de trouver un nouveau mot (unlavabo) » ;

– même travail avec les mots découpés sui-vants : un tableau, salé, une bouteille (du taboulé).

2 - Entraînement individuel sur ardoise :

– présentation des mots suivants au tableau :midi, un animal (un ami) ;

– découpage syllabique collectif des mots (notéau tableau) ;

– recherche et écriture du mot nouveau surardoise ;

– même travail avec : un camion, un navire, unmari (un canari).

3 - Exercices individuels d’applications surfiche :

– formation de mots nouveaux à partir de syl-labes cibles, situées à l’intérieur de mots appariésà des images.

1 - Correction collective :

– exercice donné en fin de séance précédente, présenté sous forme de six grandes phrases, quatrephrases à ordonner et deux à éliminer ;

Soutien en lecture : prise en compte des méthodes d’apprentissage 95

Exemple abrégé de séance de soutien compréhension « script » (deuxième expérimentation)

Éric va à la gare Il écoute la leçon de lecture. Ils attendent le début du film. avec ses parents.

Le train démarre. Ils attendent le train qui arrive Ils montent dans le wagon.bientôt.

– lecture de chaque phrase par un élève ;

– remise en ordre par deux élèves conseillés par les autres : explicitation des indices qui permettent dedéterminer l’ordre et d’éliminer les phrases pièges.

2 - Entraînement collectif :

– distribution d’une fiche individuelle avec trois histoires : chez le médecin, à l’école, à la gare.

Patrick est malade, Il joue un moment dans la cour, Il a une angine.il va chez le médecin. puis rentre en classe.

Jérémy arrive à l’école. Elles attendent le train. Le TGV arrive et elles s’installentdans la voiture.

Claire va à la gare Devant le docteur, Le maître commenceavec sa maman. il se déshabille. la leçon de lecture.

– lecture en colonne à haute voix des neuf cases ;

– composition des trois histoires en combinant les cases ;

– explicitation des indices qui permettent de déterminer les choix : adéquation avec le thème de départ(malade, docteur, angine ; gare, train, TGV ; école, classe, lecture) ; anaphores (Jérémy, il....).

3 - Exercice individuel sur fiche, suivi d’une correction :

– même exercice avec une seule histoire à composer au sein d’un ensemble de phrases plus importantque précédemment.

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 97-106 97

Le but de cette étude est d’examiner le rôle ducontexte sémantique sur la résolution de pro-

blèmes arithmétiques en considérant l’effet de lacatégorisation des objets (1) évoqués dansl’énoncé, et l’effet de leurs propriétés, sur la miseen place d’une procédure mathématique. Parcontexte sémantique, nous entendons d’une part,l’habillage du problème (le fait qu’on parle debilles ou de pommes) et d’autre part, la structuredu problème (la façon dont les objets de l’énoncédu problème sont agencés). L’objectif est alorsd’étudier comment le contexte sémantique déter-mine la stratégie de résolution. Plus particulière-ment, notre hypothèse générale de travail est quel’habillage et la structure sémantique de l’énoncé

du problème peuvent faciliter ou non l’accès à lacatégorie d’objets de l’énoncé pertinente pour larésolution (catégorie d’objets sur laquelle vonts’effectuer les opérations mathématiques).

LE RÔLE DE LA CATÉGORISATIONSUR LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMESISOMORPHES

Notre travail se situe dans la lignée desrecherches sur la résolution de problèmes iso-morphes. Il s’agit de comprendre pourquoi deux

Le rôle du contexte sémantique sur la résolution de problèmes arithmétiques a été étudié en variant l’ha-billage du problème et la structure catégorielle des objets décrits dans l’énoncé à travers deux expé-riences. La première a été menée auprès de 190 élèves de niveau scolaire Troisième-Seconde(14-16 ans) et la seconde auprès de 98 élèves de niveau scolaire CM2-Sixième (9-11 ans). Les résultatsnous suggèrent que l’effet de la structure catégorielle des objets est sous la dépendance de l’habillagedu problème. Nous discutons ces résultats dans le cadre d’une théorie basée sur la catégorisation desobjets décrits dans l’énoncé.

Propriétés des objetset résolution

de problèmes mathématiquesLaure Léger, Emmanuel Sander,

Jean-François Richard, Rémi BrissiaudDenis Legros, Charles Tijus

Mots-clés : résolution de problèmes arithmétiques, contexte sémantique, structure catégorielle des objets, propriétésd’objets.

problèmes isomorphes, c’est-à-dire pouvant serésoudre par la même opération mathématique ouprocédure, ne sont pas résolus avec le même tauxde réussite, qu’il s’agisse d’élèves en primaire oud’étudiants à l’université (Bastien, 1987). Lesrésultats de la recherche dans ce domaine mon-trent une grande diversité des variables qui peu-vent influencer les performances.

– Le thème général du problème (Bastien, 1987 ;Ross, 1987) : bien que la procédure de résolutionsoit la même, les performances ne sont pas iden-tiques selon que l’énoncé traite de stylo-feutres oude pentes de ski.

– La congruence de surface entre l’opération etle contenu des énoncés : par exemple, devoireffectuer une addition lorsque l’énoncé présente leverbe perdre ne favorise pas la réussite puisque leverbe perdre implique avoir en moins, d’où l’utili-sation de la soustraction qui semble plus naturelle(Vergnaud, 1991). Il a été montré également quel’affectation de secrétaires à des ordinateurs(affectation de personnes à des objets) rend plusdifficile la résolution de problèmes qui portent surle calcul de probabilités que l’affectation d’ordina-teurs à des secrétaires (Bassok, Wu et Olseth,1995). Tout se passe comme si l’appartenanced’une personne à un objet était inconcevable etrendait difficile l’application de la procédure ensei-gnée.

– La place de la question dans l’énoncé (Fayolet Abdi, 1986) : lorsque la question est placée entête d’énoncé, on observe une augmentation sen-sible des performances de résolution par rapport àla forme classique de l’énoncé (question est en find’énoncé). Cette façon de structurer l’énoncé per-mettrait au sujet d’organiser les objets et de sélec-tionner d’emblée le modèle de situation (ouschéma) pertinent pour résoudre le problème(Devidal, Fayol et Barouillet, 1997).

À la lumière de ces résultats, il se pourrait qu’unfacteur déterminant soit la nature des catégoriesdes objets décrits dans l’énoncé. Aux catégoriesd’objets sont en effet attachés des propriétés quipeuvent rendre difficile l’application des opéra-teurs. C’est particulièrement évident avec les« attrape-nigauds » : par exemple, l’égalité entreun kilo de plume (léger) et un kilo de plomb (lourd)a du mal à être appliquée.

Lorsqu’il est question de catégorisation et derésolution de problèmes, nous trouvons deuxacceptions de « catégorisation ». La première

acception concerne la typologie des problèmes :deux problèmes appartiennent à la même caté-gorie si les structures relationnelles induites parl’énoncé sont identiques (Richard, 1994). Dans lamême optique, nous trouvons avec Vergnaud(1985) la notion de classe de situations. Ce qui dif-férencie une classe par rapport à une autre, cesont des invariants (une propriété, une relation ouun ensemble de relations) ou le théorème qu’il fautlui appliquer.

La deuxième acception lorsqu’on parle de lacatégorisation est celle de la catégorisation desobjets de l’énoncé, dans la lignée des recherchesqui accorde une place déterminante à la catégori-sation qui est faite à partir du traitement des pro-priétés d’objets de la situation (Tijus, 2001). Seloncette approche, au fur et à mesure de la lectured’un énoncé, le lecteur catégorise les objets qui ysont décrits dans un réseau de catégories. Ceréseau correspondrait à la représentation et à lacompréhension de ce que le lecteur a lu (Tijus etMoulin, 1997) : « interpréter une situation consisteà trouver les relations qui existent entre les objetsde la situation ». Ces relations se fondent sur lespropriétés des objets. Ainsi les objets décrits dansl’énoncé sont catégorisés à partir des propriétésqui sont pertinentes du point de vue du but (parexemple devoir répondre à des questions), avecpour finalité la compréhension. Seront mis dansune même catégorie, des objets qui présententune propriété commune jugée pertinente pour lafinalité de la compréhension de l’énoncé.

On s’attend à ce que la manipulation de ces pro-priétés au sein d’un énoncé ait des effets sur lacatégorisation des objets de l’énoncé, sur leréseau de catégories qui en découle et finalementsur la représentation du problème. C’est à partirde cette représentation que sera évoquée telleou telle procédure. Ce réseau sémantique seconstruirait non seulement en fonction de la for-mulation de l’énoncé (structure) mais égalementen fonction des connaissances qu’on a des objetsdécrits dans l’énoncé (habillage).

Afin d’étudier le rôle du contexte sémantique,nous avons varié l’accès à la catégorie d’objets del’énoncé sur laquelle doit s’appliquer la procédurede résolution en variant la facilité avec laquelle lesobjets sont identifiables comme faisant partie dela même catégorie (expérience 1).

Lorsqu’on construit le problème et son énoncé,une facilité d’accès à la catégorie peut être obtenue

98 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

en utilisant des catégories d’objets lexicalisées (parexemple des « disques » et des « cassettes audio »),ou encore en introduisant un contexte permettantl’accès à une catégorie ad hoc (objets mis ensemblepour les besoins d’une situation (Barsalou,1983), parexemple des « cartes téléphoniques » et des« disques » en tant qu’objets de collections).

On peut également faire varier le degré de spéci-ficité des catégories d’objets employés (expérience2) : en variant le nombre d’acteurs en jeu dansl’énoncé (un ou trois agents agissant sur les objetsde l’énoncé) et le niveau de catégorisation desobjets (par exemple, en fournissant le niveau debase sur lequel doit s’effectuer la procédure (ter-rain), ou les catégories subordonnées (pré, champset jardin). Nous supposons que ces variations vontinduire un certain réseau sémantique des objets del’énoncé qui facilitera plus ou moins la résolution duproblème. Plus précisément, nous nous attendons àobtenir de meilleures performances dans le cas oùl’énoncé faciliterait l’accès à la catégorie d’objetspertinente pour la résolution.

EXPÉRIENCE 1 : MISE EN ÉQUATION

Les problèmes utilisés sont des problèmes demélange (voir Tableau 1). Ces problèmes peuventse résoudre à l’aide de deux procédures : une

procédure enseignée qui est la mise en équationdu problème sous forme de système d’équation àdeux inconnues et une procédure plus intuitivequi consiste par tâtonnement à procéder paressais successifs en augmentant et diminuant lesvaleurs de chaque catégorie. On notera que si lelecteur n’identifie pas la catégorie « mélange » quicontient ici les éléments « bouteilles de vin rouge »et « bouteilles de vin blanc », il aura du mal àrésoudre le problème posé. Notre prédiction étaitque cette identification sera plus ou moins favori-sée à travers le croisement de deux facteurs : laprésence ou non de catégories lexicalisées (exis-tant dans le langage) et l’introduction ou non d’uncontexte pertinent qui permettrait la constructiond’une catégorie ad hoc (objets mis ensemble pourle besoin d’une situation, Barsalou, 1983).

Ainsi nous supposons que le fait de fournir lacatégorie superordonnée pertinente pour la réso-lution dans l’énoncé va améliorer les performancesde résolution par rapport à un énoncé où celle cin’est pas fournie.

Méthode

Participants

87 élèves de Troisième et 103 élèves deSeconde d’un établissement de la région pari-sienne ont participé à cette expérience.

Propriétés des objets et résolution de problèmes mathématiques 99

Tableau 1. – Exemples de problèmes soumis aux élèves selon la condition expérimentale

Contexte pertinent (CP) Contexte non pertinent (CNP)

Catégorie d’objet lexicalisée(CL)

Catégorie ad hoc(CNL)

Les vieux disques sont les ancêtres desdisques laser et les cassettes ont étéinventées par Philips. Des vieux disquescoûtent 60 francs l’unité et des cassettescoûtent 80 francs l’unité. On a acheté10 objets pour un prix moyen de74 francs l’unité. Quelle quantité de vieuxdisques et quelle quantité de cassettesa-t-on achetées ?(collection)

La peinture jaune permet de colorer enjaune et la colle permet de fixer un objet àun autre. La peinture jaune coûte25 francs le pot et la colle coûte 45 francsle pot. On a acheté 20 pots pour un prixmoyen de 32 francs le pot. Quelle quantitéde peinture jaune et quelle quantité decolle a-t-on achetées ?(tapisserie)

Jean organise une tombola où les lots àgagner sont des bouteilles de vin rouge etde vin blanc. Les bouteilles de vin rougecoûtent 80 francs l’unité et les bouteillesde vin blanc coûtent 150 francs l’unité. Ila acheté 35 bouteilles pour un prix moyende 104 francs l’unité. Quelle quantité debouteilles de vin rouge et quelle quan-tité de bouteilles de vin blanc a-t-il ache-tées ? (tombola)

Pour son stand de rasage de ballons dansune kermesse, Pierre a besoin de ballonset de mousse à raser. Les ballons coûtent2 francs l’unité et les flacons de mousse àraser coûtent 15 francs l’unité. Il a acheté104 objets pour un prix moyen de 5 francsl’unité. Quelle quantité de ballons etquelle quantité de flacons de mousse àraser a-t-il achetées ?(kermesse)

Matériel

Les problèmes présentés aux participantsétaient de type Parties-Tout. Dans l’énoncé, leTout était fourni et la question portait sur les deuxParties qui constituent ce Tout. Pour construireces problèmes, nous avons croisé les deux fac-teurs (catégorie lexicalisée et contexte pertinentpour la construction de cette catégorie) obtenantainsi quatre conditions expérimentales : introduc-tion d’un contexte pertinent - présence de caté-gorie lexicalisée (CP-CL), absence de contextepertinent - présence de catégorie lexicalisée(CNP-CL), introduction de contexte pertinent -absence de catégorie lexicalisée (CP-CNL) etabsence de contexte pertinent - absence decatégorie lexicalisée (CNP-CNL).

Nous avons contrebalancé ces quatre conditionsexpérimentales à travers quatre habillages : collec-tions, kermesse, tombola et tapisserie (voir tableau 1pour quelques exemples de problèmes soumis), etpour cela, nous avons construit 16 problèmes diffé-rents. Ces problèmes peuvent se résoudre à l’aidede deux procédures : une procédure enseignée etune procédure intuitive (voir plus haut).

Procédure

Les problèmes expérimentaux sont présentésdans des livrets. Entre chaque problème expéri-mental, se trouve un problème distracteur. L’ordrede la présentation des problèmes expérimentauxdans les livrets est contrebalancé.

Chaque élève doit résoudre 4 problèmes expéri-mentaux : un de chaque condition expérimentale(CP-CL, CNP-CL, CP-CNL et CNP-CNL) et dechaque habillage (collections, kermesse, tombolaet tapisserie). Le temps de résolution était de6 minutes par problème. Ce temps écoulé, l’ensei-gnant en charge de la classe demandait aux élèvesde tourner la page et de résoudre le problème sui-vant. La durée totale de l’épreuve était de48 minutes. L’utilisation de la calculatrice étaitautorisée.

Codage des réponses

La résolution de chaque problème a donné lieu àdeux codages : un premier codage sous la formed’une note pour la réponse (0 si elle est fausse ouabsente, 0.5 si elle est fausse mais due à uneerreur de calcul, 1 si elle est correcte), undeuxième codage sous la forme d’une note pour laprocédure (1 s’il y a instanciation d’un système

d’équation à deux inconnues, 0,75 s’il y a instan-ciation d’une seule équation de ce système, 0,5 sile participant procède par tâtonnement et 0 s’il uti-lise une autre procédure qui mène à l’échec).

Aucun participant n’a trouvé une réponse cor-recte en utilisant une méthode autre que cellesque nous attendions (système d’équation outâtonnement). En revanche, pour certains pro-blèmes, ne figurait que la réponse sans calcul ousans justification, nous avons donc codé 0 la pro-cédure utilisée. Les valeurs obtenues pour chacundes deux codages ont été sommées pour obtenirune note globale à chacune des réponses. C’estsur cette note, qui peut varier de 0 à 2, qu’ont étéeffectuées toutes nos analyses (ANOVA).

Enfin, nous avons enlevé les données de 59 par-ticipants qui ont échoué aux quatre problèmesexpérimentaux et celles de 17 autres qui ont réussiles quatre problèmes. L’effectif pour le niveau sco-laire Troisième est de 54 participants et de 60 pourle niveau scolaire Seconde.

Résultats et discussion

Effet du niveau scolaire

La différence de performances observée entreles deux niveaux scolaires (moyenne de 0,77 pourles Troisièmes et moyenne de 1,05 pour lesSecondes) est significative (F (1,109) = 8,84 ;p < ,01). De ce fait, nous avons effectué nos ana-lyses pour chaque niveau scolaire.

Effet de l’habillage

Comme attendu, les différences de perfor-mances observées entre les quatre habillages nesont pas significatives ni pour les Troisièmes(F (3,159) = 0,30 ; p =,82, ns), ni pour les Secondes(F (3,177) = 1,99 ; p = ,12, ns). Les variations del’habillage du problème n’ont pas eu d’effet signi-ficatif sur les performances. Ce résultat confirmenotre hypothèse selon laquelle nous pouvionsconsidérer les quatre habillages des problèmescomme étant équivalents parce qu’ils présentaienttous la même notion et la même unité de mesure.

Effet de la structure du problème

Les différences de performances observéesentre les quatre structures de problèmes nesont pas significatives, ni pour les Troisièmes(F (3,159) = 0,94 ; p =,42, ns), ni pour lesSecondes (F (3,177) = 1,83 ; p =,14, ns). Avec

100 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

cette expérience, contrairement à ce que nousnous attendions, nous n’avons pas trouvé d’effetde la structure du problème. Seuls les problèmesde type CP-CNL sont significativement moins bienréussis que les autres problèmes (p =,03) pour lesélèves de niveau Seconde.

Quel que soit le niveau scolaire, les résultatssuggèrent que ni l’habillage, ni la structure du pro-blème n’ont eu d’effet significatif sur les perfor-mances. Pour l’habillage, cela peut s’expliquer parle fait que les problèmes étaient tous construitsautour de la même notion, celle de mélange, et lemême type d’unité (un prix par objet acheté). En cequi concerne la structure du problème, les partici-pants n’ont été sensibles, ni au fait que la caté-gorie du mélange (superordonnée) soit lexicalisée,ni à la présence d’un contexte pertinent pour l’ac-cès à cette catégorie, notamment lorsque celle-cin’est pas lexicalisée (catégorie ad hoc). Les inter-actions de ces deux facteurs, quel que soit leniveau scolaire, ne sont pas significatives (p > ,09pour les Troisièmes et p > ,08 pour les Secondes).

Les variations de la structure sémantique n’ontpeut-être pas produit d’effet sur les performancesparce que les élèves, habitués à appliquer la pro-cédure de résolution, ne seraient plus sensibles aucontexte sémantique. Pour cette raison, nousavons reproduit le même type d’expérimentationsur une autre population d’élèves plus jeunes(niveau scolaire CM2 – Sixième) avec desproblèmes adaptés à ce niveau scolaire (expé-rience 2).

EXPÉRIENCE 2 : FACTORISATIONET APPLICATION DE LA NOTION DE PRODUIT

Les problèmes utilisés dans cette expériencesont des problèmes qui combinent deux opéra-tions mathématiques (l’addition et la multipli-cation) du type (voir tableau 2). Deux procédurespermettent de résoudre les problèmes expéri-mentaux : une première procédure qui consiste àregrouper les objets et à effectuer les calculs surce regroupement qui constitue la catégorie super-ordonnée (factorisation) et une deuxième procé-dure qui consiste à effectuer les calculs sur lessous-catégories et ensuite à rassembler ces cal-culs pour l’opération finale (développement). Pourla factorisation, le participant n’a besoin d’effec-

tuer que deux opérations mathématiques (uneaddition puis une multiplication). Pour le dévelop-pement, il doit en effectuer quatre (trois multipli-cations puis une addition).

Le but de cette expérience est de montrer queselon le mode de présentation des objets dans lesénoncés (structure du problème et habillage), lesprocédures de résolution et les performancesseront différentes d’un énoncé à l’autre. Plus par-ticulièrement, certains modes d’agencement desobjets vont favoriser la mise en place de la facto-risation. Nous supposons que cette procéduresera utilisée plus fréquemment dans le cas oùla catégorie superordonnée sera dénommée dansl’énoncé (par exemple, « pommiers ») et égalementdans le cas où l’énoncé ne mettra en jeu qu’unseul agent (par exemple, « une personne ») quedans le cas où le problème présente les catégoriessubordonnées (par exemple, « pommes, poires etcerises ») et trois agents (par exemple « Marie,Sandrine et Caroline »). D’autre part, on s’attend àobserver des différences de performances suivantl’habillage du problème : « supermarché, fruits,surface, et distance » renvoient respectivementaux notions de calcul d’un coût total, de calculd’une récolte annuelle, de calcul d’une surfacetotale et de calcul d’une distance parcourue. Dansles deux premiers cas, on peut parler de variablesextensives car les propriétés (francs ou kilos) s’ap-pliquent directement aux objets (achats ou fruits).Alors que dans les deux derniers cas, on préféraplutôt parler de variables intensives car les pro-priétés (vitesse et largeur) s’appliquent à d’autrespropriétés des objets (distance et surface). Mêmesi la procédure pour résoudre les problèmes estidentique pour les quatre habillages, les notionssupportant cette procédure ne sont pas identiquesd’un habillage à l’autre. Nous prédisons unmeilleur taux de réussite lorsque les variables sontde nature extensive qu’intensive.

Méthode

Participants

51 enfants de CM2 et 47 enfants de Sixième dedeux établissements situés en région parisienneont participé à cette expérience.

Matériel

Les problèmes présentés aux participants sontde type Parties - Tout. Dans l’énoncé figurent troisParties et la question porte sur le Tout. Les pro-

Propriétés des objets et résolution de problèmes mathématiques 101

blèmes se différencient selon le nombre de typesd’objets dans l’énoncé (un ou trois) et selon lenombre d’agents présents dans l’énoncé (un outrois). En croisant ces deux facteurs, nous obte-nons quatre types de problèmes qui correspon-dent aux conditions expérimentales suivantes : unagent – un type d’objets (A1-O1), un agent –trois types d’objets (A1-O3), trois agents – untype d’objets (A3-O1) et trois agents – troistypes d’objets (A3-O3). (Voir tableau 2 pourexemple de problème soumis)

Ces quatre structures de problèmes ont étécontrebalancées à travers quatre habillages diffé-rents : SUPERMARCHÉ, FRUITS, DISTANCE etSURFACE. Pour les deux premiers habillages(SUPERMARCHÉ et FRUITS), le contenu séman-tique est basé sur des propriétés extensives(nombre d’objets achetés et nombre de kilos defruits récoltés). En revanche, pour les deux der-niers habillages (DISTANCE et SURFACE), lecontenu sémantique est basé sur des propriétésintensives (nombre de kilomètres parcourus et sur-face totale).

Procédure

La présentation des problèmes s’est faite de lamême façon que pour l’expérience 1. Le temps derésolution était de 6 minutes par problème. Ladurée totale de l’épreuve était de 45 minutes. Les

participants n’étaient pas autorisés à utiliser lacalculatrice. Cette mesure a été prise afin de lesinciter à écrire leurs calculs pour recueillir leurmode de raisonnement.

Codage des réponses

Deux codages ont été appliqués à la résolutionde chaque problème : un premier codage sous laforme d’une note pour la réponse (0 si elle estfausse ou absente, 0,5 si elle est fausse mais dueà une erreur de calcul, 1 si elle est correcte) et unsecond codage sous la forme d’une note pour laprocédure (1 s’il y a emploi de la factorisation, 0,5pour le développement et 0 en cas d’utilisationd’une autre procédure menant à l’échec). Nousn’avons pas observé l’utilisation de procéduresautres que celles prévues menant à la réussite. Lesvaleurs obtenues pour chacun des deux codagesont été sommées pour obtenir une note globale àchacune des réponses. C’est sur cette note qu’ontété effectuées toutes nos analyses (ANOVA).

Nous avons enlevé un participant de nos ana-lyses (il a obtenu un score total de 0 aux quatreproblèmes expérimentaux). Les analyses concer-nant l’effet de l’habillage et de la structure desproblèmes seront donc effectuées sur un effectiftotal de 97 participants (51 participants pour leniveau scolaire CM2 et 46 participants pour leniveau scolaire Sixième).

102 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Tableau 2. – Exemples de problèmes selon de la condition expérimentale

Un agent (A1) Trois agents (A3)

Un type d’objets(O1)

3 types d’objets(O3)

Dans un village, une personne a des pom-miers. Chaque pommier produit en moyenne18 kg de fruits par an. Cette personne a7 pommiers qui donnent des pommes rouges,9 pommiers qui donnent des pommes jauneset 6 pommiers qui donnent des pommesvertes. Combien de kg récolte-t-elle en unan ? (FRUITS)

Le long d’une rue, une personne a un jardin,un champ et un pré rectangulaires qui sontcôte à côte. Chaque terrain a une largeur de12 m. Le jardin a 37 m de longueur, le champa 52 m de longueur et le pré a 46 m de lon-gueur. Quelle est la surface totale de ces ter-rains ? (SURFACE)

Une épreuve de régularité est organisée dansun désert. Laurence, puis Céline, puisNathalie conduisent une voiture. Pour chaquetrajet, la voiture doit s’être déplacée à90 km/h en moyenne. Laurence roule 1 h30 mn ; elle s’arrête et passe le relais à Célinequi roule 2 h 30 mn ; elle s’arrête à son touret passe le relais à Nathalie qui roule 2 h.Quelle distance ont-elles parcourue à ellestrois (en tout) ? (DISTANCE)

Dans un magasin, Marie a acheté des cahiersà spirales, Françoise a acheté des paires dechaussettes et Anne a acheté des cassettesde musique. Chaque objet est vendu à 15 F.Marie a acheté 4 cahiers à spirales, Françoisea acheté 7 paires de chaussettes et Anne aacheté 9 cassettes de musiques. Combiend’argent ont-elles dépensé en tout ?(SUPERMARCHÉ)

Résultats et discussion

Les différentes moyennes obtenues lors de l’ex-périmentation sont présentées dans le tableau 3.

Effet du niveau scolaire

Nous n’obtenons pas de différence de perfor-mances significative entre les deux niveaux sco-laires (moyenne de 0,89 pour les participants deCM2 et de 0.95 pour les participants de sixième ;F (1,95) = 0.5 ; p =,48, ns). L’interaction du niveauscolaire avec nos deux autres facteurs (structureet habillage) n’a pas d’effet significatif sur les per-formances (F (3,356) = 0,63 ; p =,59, ns). Commele niveau scolaire n’a pas d’effet sur les perfor-mances, le niveau scolaire des participants n’a pasété différencié dans les analyses suivantes.

Effet de l’habillage du problème

Les problèmes FRUITS et SUPERMARCHÉ sontsignificativement mieux réussis que les problèmesdistance et surface (F (3,273) = 82,69, p < ,01).Comme nous nous y attendions, les problèmes quisont les mieux réussis sont ceux qui ont uncontenu sémantique basé sur des propriétésextensives : achats groupés et récoltes groupées.

Effet de la structure du problème

Les différences de performances obtenues entreles quatre structures ne sont pas significatives(F (3,285) = 1,31 ; p =.27, ns). Toutefois, les pro-blèmes de type A1-O1 sont significativementmieux réussis que les problèmes de type A3-O3 àun seuil de 0,5.

Effet de l’interaction habillage * structure

Selon l’habillage du problème, la structure del’énoncé n’a pas les mêmes effets (F (3,356) =2,79 ; p =,04). Ainsi nous n’observons pas d’effetde la structure sur les performances pour leshabillages FRUITS (F (1,93) = 0,2 ; p =,66, ns), etDISTANCE (F (1,89) = 3,16 ; p =,08, ns). Enrevanche pour l’habillage SUPERMARCHÉ nousobservons une différence de performances signifi-cative entre les problèmes de type A1-O1 et A3-O3(p =,03). De plus les problèmes ne mettant en jeuqu’un seul agent A1 (moyenne de 0,64) sont signi-ficativement mieux réussis que les problèmes met-tant en jeu trois agents A3 (moyenne de 0,6) :F (1,93) = 7,3 ; p < ,01. Nous pouvons interpréterce résultat de la manière suivante. Il semble plusnaturel de réunir plusieurs objets différents et decalculer leur coût total lorsqu’ils ont été achetés

par la même personne que par trois personnes dif-férentes. Quand on va dans un supermarché faireses courses, on calcule la dépense que nousavons réalisée mais on ne l’additionne pas aveccelle faite par notre voisin.

En revanche, pour l’habillage surface, les diffé-rences de performances observées entre les diffé-rentes structures des problèmes (tableau 3) sontsignificatives, (F (1,93) = 3,96 ; p =,05). Les pro-blèmes de type A3-O1 sont donc significativementmieux réussis que les autres types de problèmes(p < ,01). De plus, il apparaît que les problèmes detype O1 (moyenne de 0,49) sont significativementmieux réussis que les problèmes de type O3(moyenne de 0,21) ; (F (1,93) = 5,91 ; p = 0,02). Lastructure du problème aurait donc un effet signifi-catif sur les performances et donc sur la procédurede résolution pour l’habillage surface. Il sembleplus naturel d’assembler 3 types de surface demême nature que de nature différente et lorsqu’ilsappartiennent à 3 personnes différentes qu’à uneseule. Cet effet est celui attendu pour le facteurnombre d’objets en jeu dans l’énoncé.

En résumé, ces résultats suggèrent que l’effet dela structure du problème (interaction du facteuragents et du facteur objets) serait plutôt sous ladépendance de l’habillage du problème.

DISCUSSION GÉNÉRALE ET CONCLUSION

Résoudre un problème mathématique consiste àfaire des opérations sur des propriétés quanti-tatives (les valeurs). Construire un problèmeconsiste à trouver un domaine de la vie quoti-dienne et à attribuer ces propriétés quantitatives àdes objets de ce domaine, ou à des propriétés deces objets. Les résultats obtenus ici nous mon-trent que ce choix a un effet sur les performancesde résolution. Cette observation n’est pas nouvelleet a déjà fait l’objet de recherches (Bastien, 1987 ;Ross, 1987).

À quoi est dû cet effet ? Est-il dû à la notionvéhiculée par les différents habillages, aux objetsqui sont présents dans l’énoncé, à la nature despropriétés associées aux objets de l’énoncé (prix,poids, vitesse...), ou encore à la structure séman-tique des objets décrits dans l’énoncé ?

Propriétés des objets et résolution de problèmes mathématiques 103

Les résultats de l’expérience 1 suggèrent quel’habillage lui-même ne produit pas d’effet sur lesperformances lorsqu’il est question de la mêmenotion (mélange dans le cadre d’achat). Ceci pour-rait être dû à un facteur développemental puisquec’est chez les participants les plus âgés que cetteabsence d’effet a été constatée : à partir d’un cer-tain niveau d’expérience, les participants ne tien-draient plus compte de l’habillage du problème..Une expérience menée par Léger (1998) permetd’écarter le facteur développemental. Dans cetteexpérience, les participants de même niveau sco-laire que celui de l’expérience 1 devaient résoudreexactement le même type de problèmes et quivéhiculaient également des habillages différents,alors que la notion importante du point de vue dela résolution était identique (mélange). La diffé-rence entre les habillages résidait dans le type demélange (liquide ou solide), dans le type d’objetsprésents dans l’énoncé (alliage, vin, habitations,repas, fruits...) et dans la nature de la propriété quiétait associée aux objets de l’énoncé (francs,grammes par kilo, litre par tonne). Dans ce cas-là,les résultats ont montré une différence de perfor-mances entre les habillages.

Les différences de performances obtenues dansl’expérience 2 pour des habillages différents sem-blent plutôt, elles, relever du type de propriétés(intensives ou extensives) du contexte sémantique.Il semblerait que des élèves de niveau scolaire CM2– Sixième aient des difficultés à raisonner sur descontextes sémantiques basés sur les propriétésintensives d’une catégorie (ici, vitesse et surface).

Avec l’expérience 1, nous n’avons pas observéd’effet de la structure du problème, et avec l’expé-

rience 2, nous n’avons pas observé d’effet de lastructure du problème pour les habillages « fruits »et « distance ». Cette absence d’effet ne peut êtredue à une trop grande familiarité de l’habillagepuisque les problèmes évoquant des achats enmagasin sont également très présents dans lesmanuels scolaires et pourtant nous observons uneffet de la structure du problème. Cette différenced’effet pour les variations de structure selon leshabillages nous laisse supposer que la structurecatégorielle des objets telle que nous l’avonsmanipulée a un effet pour certains habillages (etplus particulièrement suivant le type de notionvéhiculée par l’énoncé), alors qu’elle n’a pas d’ef-fet pour d’autres habillages. Nous pouvons ainsisupposer que l’absence d’effet observée dansl’expérience 1 proviendrait du fait que les partici-pants ne sont pas sensibles à nos manipulationssémantiques pour ce type d’habillage.

Pour conclure, ces différents résultats nous sug-gèrent que les propriétés des objets n’ont pastoutes le même poids du point de vue de la résolu-tion de problèmes. Lorsque le type d’objets évo-qués dans l’énoncé diffère d’un énoncé à l’autremais que la notion et que l’unité de mesure sontidentiques d’un énoncé à l’autre, la structure telleque nous l’avons manipulée ne semble pas avoird’effet sur les performances (résultats de l’expé-rience 1). En revanche, lorsque ces trois compo-santes (type d’objets, notions et unités de mesure)sont identiques d’un énoncé à l’autre (cas de pro-blèmes dans un même habillage), l’effet de lastructure semble dépendre de l’habillage. Danscertains cas, elle n’a pas d’effet (cf. habillages« fruits » et « distance »), dans d’autres cas, elle a

104 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Tableau 3. – Moyennes obtenues par les participants des deux niveaux scolaires en fonction de l’habillage du problème, et de l’interaction agent

HabillageStructure

Fruits Supermarché Distance SurfaceMoyennes

A1-O1 1.14 1.6 0.74 0.3 0.94

A1-O3 1.3 1.6 0.48 0.25 0.93

A3-O1 1.24 1.38 0.43 0.68 0.95

A3-O3 1.28 1.32 0.72 0.18 0.86

Moyennes 1.24 1.48 0.6 0.37 0.92

* Objet (A1 signifie un agent, A3 trois agents, O1 signifie un type d’objets et O3 trois types d’objets) qui correspond à la structuredu problème. (N = 97).

un effet sur les performances (cf. habillages« supermarché » et « surface »). Ce type de résul-tats semble conforter l’idée selon laquelle les pro-priétés des objets n’ont pas toutes le même poidsdu point de vue des inférences (Cordier et Tijus,sous presse). Effectivement, si nous prenons, parexemple, deux énoncés équivalents du point devue de la question : (1) Pierre qui a dix francs, a-t-il neuf francs ? et (2) Pierre qui a dix ans, a-t-ilneuf ans ?, les réponses à ces deux énoncésseront différentes. Nous pouvons supposer égale-ment que le fait qu’un énoncé qui véhicule desfrancs comme unité de mesure sera différent d’unénoncé qui véhicule des mètres. Cette différencede poids entre les propriétés des objets pourrait

permettre d’expliquer les décalages de perfor-mances observées entre les habillages dans lesdifférents travaux de la littérature. C’est-à-direque les différences de performances obtenuesentre les différents énoncés ne proviendraient pasdu type d’objets impliqués dans l’énoncé mais plu-tôt du type de connaissances auxquelles cesobjets renvoient (par exemple le type d’unité demesure qui leur est associé).

Laure Léger, Emmanuel Sander, Jean-François Richard, Rémi Brissiaud,

Denis Legros et Charles TijusLaboratoire ESA-CNRS 7021

« Cognition et Activités Finalisées »Université de Paris 8

Propriétés des objets et résolution de problèmes mathématiques 105

NOTE

(1) À chaque fois que nous parlerons d’objet, et notamment de catégorie d’objets, il s’agira des objets concrets mentionnés dansl’énoncé, comme par exemple le fait qu’il s’agisse de pommes ou de billes.

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Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 107-119 107

Les premières recherches ayant porté sur laquestion du maintien et du rétablissement de

l’ordre dans la classe l’ont traitée de manièrelinéaire et à sens unique. La rupture de la disci-pline était attribuée à un comportement déviantd’élève, charge alors au professeur de restaurerl’ordre bafoué (Jones & Jones, 1981). Désormais,les études portant sur l’indiscipline scolaire s’ins-crivent dans une conception plus dynamique etconstructiviste, considérant d’une part les élèvescomme ayant leur part de responsabilité dansl’établissement de l’ordre et d’une dynamique

favorable au travail scolaire (Schunk & Meece,1992), d’autre part que la discipline en classe estun facteur important de l’apprentissage (Reynolds,1992 ; Silverman, 1988).

Les conflits professeur-élève(s) sont un aspectinévitable de la vie scolaire (Meese, 1997) : ils peu-vent d’emblée opposer un professeur à un ou plu-sieurs de ses élèves, ou résulter de l’interventiondu professeur à la suite d’une altercation entreélèves (Malloy & McMurray, 1996). Peu étudiés entant que tels, les conflits professeur-élève(s) ont

Cette étude fut menée en collaboration avec sept professeurs intervenant au sein d’établissements « dif-ficiles ». Le recueil des données comprend l’enregistrement sur cassette audio-vidéo de leçons d’EP,puis des entretiens d’autoconfrontation portant sur les épisodes conflictuels sélectionnés. Fondé sur lathéorie du « cours d’action » (Theureau, 1992), le traitement des données a mis en évidence lesséquences d’action constitutives de l’activité des professeurs, ainsi que leurs préoccupations in situ.L’activité des professeurs s’organise autour d’un événement charnière : la réaction d’opposition véhé-mente d’un élève à la sanction que lui inflige le professeur, déterminant l’existence d’un « avant » et d’un« après ». Les résultats sont discutés selon trois axes : a) les caractéristiques de l’action des professeursau cours de chacune des phases des conflits ; b) l’incompatibilité d’une action in situ dans l’urgence etcelle d’une analyse raisonnée ; et c) l’opposition entre l’intérêt collectif recherché par les professeurs etl’intérêt individuel au centre des préoccupations des élèves.

Les préoccupationsdes professeurs d’éducationphysique lors de la genèseet la régulation des conflits

en classeÉric Flavier, Stefano Bertone,

Jacques Méard, Marc Durand

Mots clés : préoccupations, régulation, conflits professeur-élève(s), action située.

surtout été analysés au travers de leurs compo-santes telles que le rapport à la règle (Méard &Bertone, 1998), les représentations des profes-seurs et des élèves vis-à-vis de la discipline(Cothran & Ennis, 1997) et du pouvoir dans laclasse (Fernandez-Balboa, 1991), les stratégiesd’enseignement et d’évitement des conflits(Colnerud, 1997) ou encore les incivilités desélèves (Méard et al., soumis).

La gestion de l’ordre dans la classe est une pré-occupation primordiale des professeurs, avantmême l’engagement des élèves dans les tâchesd’apprentissage (Durand, 1996 ; McCormack,1997). Il est communément admis que le respectdes règles de la classe est garant de l’ordre, ce quisous-entend que ces règles soient connues etqu’une surveillance assidue de leur respect soitassurée. Cependant, pour des raisons notammentd’économie, toutes les règles ne sont pas explici-tement énoncées par les professeurs. Certainesrevêtent un aspect implicite qui favorise leurremise en cause, parfois volontaire, par les élèvesqui s’engagent dans des négociations avec le pro-fesseur (Zimmerman, 1970). Si dans les diversessituations d’enseignement la négociation estomniprésente et acceptée, elle n’est pas souhaitéepar les professeurs lors des situations conflic-tuelles qui les opposent à leurs élèves. En effet,négocier sur des questions de discipline dans desmoments critiques contraindrait les professeurs àinstaurer une nouvelle situation d’enseignementreposant sur de nouveaux accords plus ou moinstacites. Or, réfractaires à toute négociation oumédiation volontaire (McLaughlin,1994), ils préfè-rent restaurer un ordre menacé au moyen demanœuvres coercitives (Doyle, 1986, 1990). Dansles situations d’enseignement usuelles, ce recoursvolontaire à des stratégies coercitives est relative-ment rare (McCormack, 1997 ; Perron & Downey,1997) pour deux raisons : la première est que lesprofesseurs perçoivent leur pouvoir dans la classeen nette diminution depuis quelques années(Cothran & Ennis, 1997) ; la seconde est que lessanctions ont un effet immédiat mais sont ineffi-caces à moyen terme (Fernandez-Balboa, 1991 ;Willis, 1977). Aussi, les professeurs recourent-ils àune gamme de stratégies afin de prévenir lesconflits (Belka, 1991 ; Colnerud, 1997 ; Meese,1997 ; Perron & Downey, 1997 ; Rink, 1985) allantjusqu’à « fermer les yeux » sur certaines trans-gressions d’élèves dans le but d’éviter des conflitsqui détériorent plus encore la dynamique de travail(Méard et al., soumis).

Les résultats présentés dans ces diversesétudes portent sur un ou plusieurs des aspectsdes conflits en classe. Cependant, ils ne considè-rent jamais le conflit dans son intégralité et dupoint de vue des acteurs. Aussi, nous sommes-nous attachés à analyser, d’un point de vue intrin-sèque, l’action des professeurs d’ÉducationPhysique (EP) au cours de conflits les opposant àun de leurs élèves. Plus précisément, nous noussommes efforcés de décrire et d’analyser lesactions qui ont accompagné le développement duconflit puis celles mises en œuvre pour réguler leconflit et revenir à une situation usuelle d’ensei-gnement.

Cette action est décrite et analysée à partirdes présupposés de l’approche de « la cogni-tion située » (Hutchins, 1995 ; Norman, 1993 ;Suchman, 1987) et de son utilisation dans le cadredes recherches en éducation (Durand, 1999 ; Lave,1988) ainsi que de l’autonomie des situations et dela construction de connaissances (Varela, 1989).L’étude s’attache au niveau de la cognition qui estsignificatif pour l’acteur, en se référant à l’objetthéorique du cours d’action et à une approchesémiologique de l’action (Pinsky, 1992 ; Saury,Durand & Theureau, 1997 ; Theureau, 1992, 2000).Le cours d’action est défini comme « l’activité d’unacteur déterminé, engagé dans un environnementphysique et social déterminé (…), activité qui estsignificative pour ce dernier, c’est-à-dire mon-trable, racontable et commentable par lui à toutinstant de son déroulement à un observateur-interlocuteur » (Theureau & Jeffroy, 1994, p. 19).Cette définition du cours d’action est fondée sur lepostulat que le niveau de l’activité qui est mon-trable, racontable et commentable (c’est-à-diresignificatif du point de vue de l’acteur) est unniveau d’organisation relativement autonome parrapport à d’autres niveaux d’analyse de l’activité,et qu’il peut donner lieu à des observations,descriptions et explications valides et utiles(Theureau, 1992).

Décrire et analyser l’action implique de reconsti-tuer les significations que l’acteur accorde à sonaction. Le cadre d’analyse sémiologique du coursd’action se rattache à l’hypothèse de la penséesigne (Pierce, 1978) : l’homme pense et agit parsignes. Selon Theureau (2000), la notion de signehexadique s’inscrit en relation avec les six catégo-ries fondamentales proposées par Peirce qui com-posent l’expérience globale d’un acteur. Cessignes émergent de l’interaction qu’il entretient

108 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

avec le contexte dans lequel il évolue. Le flux decette action est une succession d’unités discrèteset significatives : les Unités Élémentaires (UE) ducours d’action. Ces dernières constituent unetotalité dynamique, intégrant des actions (pra-tiques et de communication), des sentiments, desfocalisations et des interprétations, c’est-à-direqu’elles sont en relation avec l’ensemble de l’acti-vité passée et future attendue de l’acteur.

Un signe hexadique relie entre elles six compo-santes dont chacune se réfère à une catégorie par-ticulière de l’expérience de l’acteur et est à la foisindissociable et distincte des autres :

L’engagement dans la situation (E) est un « prin-cipe d’équilibration des interactions de l’acteuravec sa situation à un instant donné t découlant deson cours d’action passé ». Il traduit une ouver-ture/clôture du champ des possibles pour l’acteursélectionnant un faisceau d’intérêts, aussi appelépréoccupations de l’acteur à l’instant t.

L’actualité potentielle (A) est « ce qui, comptetenu de E, est attendu par l’acteur dans sa situa-tion dynamique à l’instant t ». Elle rend comptedes possibles réels sélectionnés par E à l’instant t.

Le référentiel (S) correspond aux « types, rela-tions entre types et principes d’interprétationappartenant à la culture de l’acteur qu’il peutmobiliser compte tenu de E et A à l’instant t ». Ilexprime l’ensemble des savoirs possibles pouvantêtre mobilisés par l’acteur à l’instant t dans sasituation.

Le représentamen (R) est « ce qui, à l’instant t,fait effectivement signe pour l’acteur ». Il focalisela triade E-A-S, c’est-à-dire le champ des pos-sibles, autour d’un objet O. Cet objet traduit l’en-gagement de l’acteur dans la situation à l’instant t,c’est-à-dire ce sur quoi il est focalisé. Le repré-sentamen opère ainsi une première transformationde E, A et S en E’, A’ et S’ constituant un chocaction-réaction. Il possède un ancrage correspon-dant à l’élément sélectionné dans la situation (pré-sente ou passée) et peut être un jugement percep-tif (« je perçois ceci »), mnémonique (« je merappelle ceci ») ou proprioceptif (« je fais ceci »).Lorsque le produit du signe est une interprétation,il peut devenir le représentamen du signe suivant.Il constitue alors un représentamen interprétatif(RI), et l’enchaînement des USE une chaîneinterprétative (Theureau, 1992).

L’unité élémentaire du cours d’action (U) est « lafraction de l’activité préréflexive de rang leplus bas », c’est-à-dire montrable, racontable etcommentable par l’acteur. Elle correspond à laprise en charge active du choc action-réaction queconstitue le représentamen et opère une deuxièmetransformation de E, A et S en E’’, A’’ et S’’.

L’interprétant (I) est « la construction de typeset relations entre types à travers la production deU » ; il traduit l’idée de validation/invalidationde savoirs et/ou la construction de nouveauxsavoirs.

En présentant les composantes du signe danscet ordre, Theureau (2000) exprime l’idée quechaque composante suppose les composantes quila précèdent. Dans ce sens, la structure d’attenteE-A-S, relevant de la priméité (Peirce, 1978), setransforme, sous l’effet du représentamen, enune nouvelle structure d’attente eR-aR-sR. Cettenouvelle structure d’attente constitue la portion deE-A-S sélectionnée par le représentamen, signifi-cative du point de vue de l’acteur.

Notre étude a porté sur une analyse intrinsèquedes conflits professeur-élève(s), c’est-à-dire uneanalyse des variables sous le contrôle des ensei-gnants, de leur gestion de ces situations conflic-tuelles. Plus particulièrement, nous nous sommesattachés à décrire et analyser leurs intentions,leurs préoccupations et leurs attentes dans detelles situations. Dans le cadre de cette approchesémiologique, l’analyse de l’activité des profes-seurs lors des situations conflictuelles repose surl’analyse de la transformation de la structure d’at-tente E-A-S en eR-aR-sR sous l’effet du représen-tamen.

En référence aux auteurs ayant défini le conflitdans un cadre social (Selosse, 1991) ou scolaire(Gay, 1981 ; Hay, 1984 ; Shantz, 1987), nousavons opté pour une définition opératoire du« conflit professeur-élève » répondant plus préci-sément aux objectifs de la présente recherche etnous permettant de les repérer et de les isoler aucours des leçons d’EP. Le conflit professeur-élève fut défini comme l’ensemble isolable desinteractions, entre un professeur et un ou plu-sieurs de ses élèves, caractérisées par la manifes-tation explicite d’intérêts ou de points de vuedivergents perturbant le déroulement usuel de laclasse.

Les préoccupations des professeurs lors des conflits en classe 109

MÉTHODE

Participants

Cette étude a été menée en collaboration avecsept professeurs d’EP ayant une expériencevariable de l’enseignement. L’un d’entre eux réali-sait son stage de pratique accompagnée dedeuxième année d’IUFM (Institut Universitaire deFormation des Maîtres) et avait le statut de profes-seur stagiaire, trois autres avaient une expériencedans l’enseignement inférieure à cinq ans, et lestrois derniers avaient plus de 15 ans d’anciennetédans le métier. Sélectionnés en fonction de leurlieu d’intervention : des établissements du secon-daire situés dans des quartiers populaires etsocialement défavorisés, ils étaient volontairespour participer à l’étude, et en avaient accepté leprotocole.

Les élèves, scolarisés en collège, étaient âgésde 11 à 17 ans et issus de classes considéréescomme « à problèmes ». Ils avaient connaissancedu protocole de la recherche sans toutefois enconnaître le thème précis.

Procédure

Cette étude a été menée au sein de six collègesfrançais au cours des années scolaires 1997-1998et 1998-1999 aboutissant à un total de 220 heuresde leçons d’EP observées et filmées par les cher-cheurs. À la fin de chaque leçon, le chercheur etle professeur se réunissaient afin de déterminerl’éventuelle existence d’épisodes conflictuelsrépondant à notre définition opérationnelle. 10 épi-sodes conflictuels ont ainsi été sélectionnés aucours desquels l’activité des professeurs fut étu-diée.

Recueil des données

Trois types de données ont été collectées pourcette étude : a) des données d’enregistrement ;b) des données d’observation ; et c) des donnéesd’autoconfrontation.

Les données d’enregistrement ont été recueilliesgrâce à un système audiovisuel constitué d’unecaméra et d’un micro H.F. relié à celle-ci et portépar le professeur. Après une période de familiari-sation de trois semaines, ce système, situé dansun angle du gymnase, du stade, ou de la piscine a

permis d’enregistrer l’ensemble des actions duprofesseur et des élèves ainsi que leurs communi-cations au cours de la leçon.

Les données d’observation consistaient en l’ob-servation et la notation par le chercheur de tousles événements non enregistrés (repère temporel,arrivée d’un tiers, météo, etc.) par le système pré-cédemment décrit et susceptibles de documenterla situation.

Les données d’autoconfrontation ont été recueil-lies a posteriori lors d’entretiens menés avec leprofesseur à la suite de la leçon. Lors de cesentretiens, le professeur et le chercheur vision-naient ensemble la cassette vidéo de la leçon. Leprofesseur était alors invité à décrire et commenterses actions pratiques, ses communications, sesinterprétations, ses focalisations et ses sentimentsau cours de son action. Le professeur et le cher-cheur pouvaient arrêter le défilement de la bandeafin de faciliter les descriptions et commentaires.Les relances du chercheur avaient pour but d’iso-ler un événement particulier de la leçon et d’inciterle professeur à décrire et commenter les actions etles événements vécus tout en évitant d’orienter lequestionnement sur une interprétation a posterioride la leçon, sur des généralisations ou sur desexplications.

Traitement des données

Les données collectées pour chacun des 10 épi-sodes conflictuels ont été traitées, dans un pre-mier temps individuellement, en trois étapes : a) laconstruction des protocoles à deux volets ; b) ledécoupage de l’action en UE (Unités Élémentaires)et la construction des récits réduits ; c) la cons-truction des signes hexadiques.

Une quatrième étape, analysant collectivementles données des dix cours d’action individuels, apermis d’identifier les régularités dans la gestiondes conflits par les professeurs.

La construction des protocoles à deux volets

Cette première étape a consisté en une réorgani-sation des données afin de restituer le plus fine-ment possible l’action dans son décours temporelet dans son contexte ainsi que les cognitions insitu, des acteurs.

Le premier volet présente, chronologiquement,la retranscription verbatim des communications

110 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

professeur-élève(s) ainsi que les descriptions deséléments du contexte et des actions du professeuret des élèves. Le second volet présente, en cor-respondance avec le premier, la retranscriptionverbatim de l’entretien d’autoconfrontation du pro-fesseur.

Le découpage en UE et la constructiondes récits réduits

À partir du protocole à deux volets, l’action duprofesseur a été décomposée en UE sur la base dedeux critères : être la plus petite possible tout enrestant significative pour l’acteur. Le découpageen UE a été effectué à partir des réponses du pro-fesseur aux questions concernant ses actions pra-tiques (Que fait-il ?), ses communications (Que etavec qui communique-t-il ?), ses focalisations (Surquoi se concentre-t-il ?), ses interprétations (Quepense-t-il ?) et ses sentiments (Que ressent-il ?)telles qu’elles apparaissent dans le protocole.L’intitulé de l’UE (ou produit du signe) a été, parconvention, constitué d’un verbe d’action suivid’un complément d’objet direct et/ou indirect ;l’état émotionnel de l’acteur pouvant être précisépar un adjectif qualificatif. L’utilisation d’unsecond verbe d’action au participe présent traduitun engagement pluriel de l’acteur dans la situa-tion.

Les UE ont été classées chronologiquement afind’obtenir un résumé des actions du professeur aucours de chaque épisode : le récit réduit.

La construction des signes hexadiques

Cette étape fut consacrée à l’identification, lacaractérisation et l’étiquetage des différentescomposantes du signe hexadique. Celles-ci ontété réalisées en se référant au protocole deuxvolets et inférées par le questionnement suivant :

– pour l’engagement (E) : Quelles sont, en tenantcompte de l’action passée du présent cours d’ac-tion et des éventuels cours d’action passés, lespréoccupations du professeur à l’instant t ana-lysé ?

– pour le représentamen (R) : Quel(s) est (sont)l’élément(s) qui fait (font) signe, c’est-à-direperçu(s), ressenti(s) ou rappelé(s), pour le profes-seur dans la situation à l’instant t analysé ?

– pour les préoccupations (eR) : Quelles sont lespréoccupations saillantes chez le professeur enfonction de ce qui fait signe pour lui dans la situa-tion ?

– pour l’actualité potentielle (aR) : Quelles sontles attentes concrètes du professeur à l’instant tanalysé, prolongeant concrètement les préoc-cupations (eR) ?

– pour le référentiel (sR) : Quelles sont lesconnaissances mobilisées par le professeur àl’instant t analysé ?

– pour l’interprétant (I) : Quelle(s) est (sont) la(les) connaissance(s) que le professeur valide/inva-lide ou construit à l’instant t analysé ?

L’identification des régularités dans l’actiondes professeurs

À la suite de l’analyse de chacun des dix coursd’action individuels, leur comparaison systéma-tique a permis d’identifier des régularités dans lagestion et la régulation des conflits par les profes-seurs d’EP. Cette comparaison a porté plus parti-culièrement sur la nature des intentions, des pré-occupations (eR) et des attentes (aR) desprofesseurs lors des situations de conflit.

RÉSULTATS

Les épisodes conflictuels analysés sont d’unedurée comprise entre 1 mn 30 sec. et 5 mn. Leurdébut est marqué par le comportement d’indisci-pline de l’élève et la fin par le retour à une situationusuelle d’enseignement. Durant ce laps de tempsrelativement court, les actions des professeurssont nombreuses, complexes et s’enchaînent rapi-dement. Leur engagement et leurs préoccupationsse modifient radicalement même si le maintien del’ordre et de la discipline restent les enjeux priori-tairement évoqués par les professeurs, quellesque soient les situations.

Systématiquement, les professeurs décrivent laréaction de l’élève d’opposition à la sanctioncomme un événement charnière de l’épisode.Celui-ci est caractérisé par la réaction véhémentede l’élève mis en cause qui, contre toutes attentesdu professeur, refuse de se soumettre à la sanc-tion que ce dernier lui inflige en réponse à sonindiscipline. Cet événement charnière marqueainsi l’existence d’un « Avant » et d’un « Après ».L’« Avant » correspond à la genèse du conflitouvert qui va opposer le professeur à l’élève per-turbateur. Si le début de cette phase n’est pasclairement identifiable, il se situe globalement lors

Les préoccupations des professeurs lors des conflits en classe 111

de la mise en place de la situation au cours delaquelle se produit le comportement d’indisciplinede l’élève et le conflit. L’événement charnière,c’est-à-dire la réaction d’opposition véhémente del’élève à la suite de la sanction que lui inflige leprofesseur pour son indiscipline marque à la fois lafin de cette première phase et le début del’« Après ». Ce dernier correspond au conflit à pro-prement parler, caractérisé par l’opposition entre

le professeur et l’élève, à la régulation du conflitpar le professeur. Cette seconde phase prend finlorsque la leçon reprend un décours usuel.

Bien que les résultats s’appuient sur l’analyse dedix épisodes conflictuels, nous avons pris le partide les illustrer au travers d’un seul cas afin d’enfaciliter la lecture et la compréhension. Ce cas estdécrit ci-dessous (Figure 1).

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Figure 1 . – Plan du gymnase, disposition du professeur et des élèves et déplacementdu professeur et des élèves durant le conflit

SM

SP

M

P

P

Groupe des fillesGradins

S

M

Caméra Matelas de réception

Altercation entre le professeur et Mohamed

But de Hand ball Groupe des garçons

– Querelle entre Samir et Mohamed– Interventiondu professeur

Mur d’enceinte du gymnase

Déplacement du professeur Déplacement des élèves

P : Professeur à l’instant t 1 P : Professeur à l’instant t 2 P : Professeur à l’instant t 3M : Mohamed à l’instant t 1 M : Mohamed à l’instant t 2 M : Mohamed à l’instant t 3 S : Samir à l’instant t 1 S : Samir à l’instant t 2 S : Samir à l’instant t 3

L’épisode, d’une durée de 2 minutes 30secondes, est survenu au milieu de la leçon. Lesélèves, répartis en deux groupes (garçons et filles)derrière deux gros blocs de tapis, avaient reçupour consigne de réaliser, à tour de rôle, des rou-lades vers l’avant puis de rejoindre l’extrémité dela file d’attente de leur groupe. Le professeur, ini-tialement placé entre les deux blocs de tapis,supervisait et encourageait les élèves. Après êtrepassés une première fois, Samir (1) et Mario sontrevenus se placer aux deux premières places etont réalisé une seconde roulade en tenant comptede la modification de la consigne apportée par leprofesseur. Deux autres élèves les ont imités, sansraison apparente, passant aussi deux fois au détri-ment de Mohamed. Enfin, lorsque Samir a tenté depasser une nouvelle fois devant Mohamed, ce der-nier l’a repoussé violemment. Il s’en est suivi unedispute et un échange de coups jusqu’à l’interven-tion du professeur qui les a exclus temporairementde la leçon afin qu’ils se calment. Alors que Samirse dirigeait vers les gradins du gymnase, et que lesautres garçons se dissipaient, le professeur futconfronté au refus de s’exécuter de la part deMohamed. Il s’en est suivi une discussion véhé-mente d’une minute, au cours de laquelle le pro-fesseur tentait de faire obtempérer Mohamed (luidemandant de s’asseoir par terre à proximité dubut de hand-ball). Cette discussion s’est prolon-gée jusqu’à ce que le professeur concède à l’élèvel’autorisation de rester debout, le menaçant toute-fois de punitions extrêmes s’il quittait le but dehand-ball. L’épisode s’est terminé par une inter-vention du professeur en direction des autresélèves de la classe, leur rappelant les sanctionsqu’ils encourraient en cas de nouvelle indiscipline.

L’action des professeurs avant l’événement charnière

Les professeurs décrivent leurs actions précé-dant l’événement charnière comme des actionshabituelles propres à toutes situations d’enseigne-ment conduites avec des élèves « difficiles qui onttendance à s’amuser » (autoconfrontation casn° 1). En ce sens, leur engagement (E) délimitesimultanément :

– une activité usuelle de supervision de l’actiondes élèves relevant de préoccupations multiplesen raison du caractère idiosyncrasique de chaquesituation d’enseignement. Néanmoins, quatre pré-occupations-types apparaissent : a) délivrer des

consignes relatives à la tâche à l’ensemble desélèves de la classe, à un groupe d’élèves ou à unélève en particulier, b) engager/maintenir/surveillerl’activité des élèves, c) délivrer des feedback auxélèves en activité, et d) évaluer les élèves ;

– une activité de gestion de l’ordre et de ladiscipline relevant de trois préoccupations-typesrelatives : a) au maintien d’une dynamique favo-rable au travail scolaire, b) au respect des règlesrégissant l’activité des élèves, et c) au respect desconsignes de sécurité.

À cet instant, conformément à leurs préoc-cupations ainsi qu’à leurs attentes liées aux com-portements habituels d’élèves difficiles, les pro-fesseurs mobilisent des connaissances validesdans toutes les situations d’enseignement rela-tives d’une part au travail des élèves engagés dansune activité et d’autre part à la discipline et à sonrespect. Les professeurs considèrent les compor-tements d’indiscipline des élèves comme étant unincident de cours sans toutefois leur attribuer uncaractère d’exception. Il en est de même en ce quiconcerne leurs réactions à ces incivilités.Concrètement ces réactions se traduisent par uneintervention des professeurs allant du simple rap-pel des règles à l’énonciation d’une punition àl’encontre du fauteur de trouble. Ces interventionsvisent à mettre un terme rapide à cette pertur-bation afin de permettre aux professeurs de serendre à nouveau disponibles pour la supervisiondu travail des élèves. En effet, la préoccupation dela classe reste en arrière-plan et impose aux pro-fesseurs une situation de partage d’attention qu’ilsn’apprécient guère. En d’autres termes, ils cher-chent à maintenir/rétablir une dynamique favorableau travail scolaire, c’est-à-dire à préserver uneambiance studieuse et ordonnée.

Cette première phase prend fin avec la réactiond’opposition de l’élève incriminé.

Dans le cas présenté ci-dessus, dès les premiersinstants de la situation, le professeur perçoit uneagitation et un manque d’organisation dans legroupe des garçons. Les éléments de la situationqui font signe pour le professeur (ses représenta-mens) sont de nature perceptive : a) les bous-culades au sein du groupe des garçons, b) le nonrespect des consignes par certains garçons, etc) le passage répété de cinq garçons au détrimentdes autres. En outre, le professeur est préoccupépar la nécessité de s’occuper équitablement del’ensemble des élèves de la classe : son intérêt

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pour le groupe des filles l’empêche de prendre letemps nécessaire à l’analyse des problèmes dediscipline qui règnent dans le groupe des garçons.Aussi, lorsque la dispute éclate entre les deux gar-çons, le professeur manque d’information quant àsa nature et son intention première est de lesséparer et de les sanctionner dans le but de res-taurer une dynamique favorable à l’engagementdes élèves dans une activité ordonnée. Très vite, ilest confronté au refus d’obtempérer de l’un desdeux protagonistes : Mohamed.

L’action des professeurs au coursde l’événement charnière

Les professeurs décrivent la réaction d’oppo-sition véhémente de l’élève comme l’événementcharnière engageant le conflit à proprement parler.À la suite de leur intervention auprès de l’élèveincriminé, deux possibilités s’offrent à eux. La pre-mière est l’acceptation sans protestations véhé-mentes, par l’élève, de la remarque, voire de lasanction, qu’ils lui adressent. Dans ce cas, l’inci-dent, ayant perturbé la dynamique de travail, estconsidéré comme un événement du cours aumême titre que les différentes actions menées parles professeurs et visant à maintenir/rétablirl’ordre et la discipline. A contrario, la secondepossibilité consiste en une réaction d’oppositionde l’élève perturbateur qui refuse d’obéir au pro-fesseur, marquant ainsi le début de la phaseouverte du conflit.

Initialement partagés entre des préoccupationsrelatives à la supervision du travail des élèves et àla gestion de l’ordre et de la discipline, les profes-seurs ont, par leur intervention en direction del’élève perturbateur, l’intention de rétablir un ordreperturbé par ce dernier. Leurs préoccupationssont alors principalement relatives à l’interruptiond’une situation qui risquerait de se dégrader pareffet de propagation si aucune action n’était entre-prise. Les attentes des professeurs sont liées àdes comportements d’élèves responsables quiaccepteraient la sanction et non à une réactiond’opposition. Leurs préoccupations et leursattentes traduisent un engagement typique de pro-fesseurs confrontés à un comportement déviantd’élève. Certains de rétablir rapidement l’ordre parleur intervention, ils n’envisagent pas une telleréaction de l’élève.

À cet instant, la réaction d’opposition véhé-mente de l’élève est l’élément qui fait signe pour

les professeurs ; ce représentamen (R) modifie lastructure d’attente E-A-S et introduit une nouvellepréoccupation-type (eR) relative au désir des pro-fesseurs de convaincre et/ou de contraindrel’élève perturbateur à obéir à la sanction. Le« choc réactionnel » que provoque la prise deconscience d’un comportement non attendu et/ouredouté par les professeurs engendre une situationqu’ils expriment comme relevant d’un dilemme :leur engagement est partagé entre la nécessité des’occuper de l’ensemble des élèves de la classe etcelle de mettre un terme à la réaction d’oppositionde l’élève. Cette nouvelle préoccupation-type :« convaincre/contraindre l’élève à obéir » déter-mine le début de la phase ouverte du conflit quioppose les professeurs à un de leurs élèves.

Dans notre exemple, le professeur, jugeant ladispute entre Mohamed et Samir inacceptable, lesexclut temporairement de la leçon. Pensant êtreéquitable, le professeur provoque un sentimentd’injustice élevé chez Mohamed qui, déjà victimede ses camarades (ils ne lui ont pas permis de réa-liser l’exercice), se sent persécuté. Sa réactiond’opposition contraint le professeur à s’attarderavec lui afin de le convaincre de se soumettre à lasanction.

L’action des professeurs après l’événement charnière

Initialement partagés entre une activité desupervision du travail des élèves et de gestion del’ordre et de la discipline, les professeurs sontdésormais confrontés à un nouveau dilemme nais-sant de la réaction d’opposition véhémente del’élève perturbateur. L’engagement des profes-seurs après l’événement charnière est déterminépar deux préoccupations-types : a) mettre unterme, le plus rapidement possible, à l’altercationqui les retient avec l’élève perturbateur, et b)reprendre le contrôle de la classe, délaissée tantque l’altercation perdure. Si ces préoccupationsne sont pas contradictoires en soi, elles restentincompatibles dans le même temps dans lecontexte de la classe, contraignant les professeursà éliminer l’une des deux possibilités du dilemme.La seconde de ces préoccupations relevant desfinalités de l’enseignement, il apparaît nécessaireaux professeurs de se libérer de la première afinde reprendre le décours usuel de la leçon.

À cette fin, les professeurs s’engagent dans unealtercation avec l’élève perturbateur caractérisée

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par une dynamique d’affrontement au cours delaquelle chacun tente de faire admettre son pointde vue à l’autre : l’élève cherche à éviter la sanc-tion, ou du moins à la minimiser et le professeur àobtenir l’acceptation de la sanction par l’élève. Siglobalement les professeurs poursuivent un objec-tif unique tout au long du conflit, une analyse plusfine de leurs intentions et de leurs préoccupationspermet de repérer deux séquences distinctes.

La première est caractérisée par leur intentionde convaincre l’élève perturbateur d’obéir. Préoc-cupés par la volonté de reprendre la leçon, les pro-fesseurs s’imposent une forte pression temporellepour mettre un terme à cette altercation.Convaincus que leur intervention auprès de l’élèveperturbateur est indispensable afin d’éviter unedégradation plus importante de la dynamique detravail, les professeurs ne veulent pas y passertrop de temps par crainte de perdre le contrôle dureste de la classe. Cela se traduit par le renouvel-lement de l’énonciation de la sanction, souventaccompagné d’une justification visant à faire com-prendre à l’élève l’objet de la sanction dont il estvictime et ainsi obtenir sa soumission.

La seconde est caractérisée par un engagementplus déterminé des professeurs et par leur inten-tion de contraindre l’élève perturbateur à obéir. Il ya à cela deux raisons. La première est que, sen-sibles au temps déjà perdu par leurs interventionsinfructueuses, ils cherchent à mettre un termerapide à cette situation de partage d’attention. Laseconde est liée à la perception de la rébellion del’élève comme une remise en cause de leur statutde garant de l’ordre et de la discipline dans laclasse. Aussi, leur intention sous-jacente est depréserver ce statut vis-à-vis des élèves de l’en-semble de la classe. Pratiquement on assiste à uncrescendo rapide de la gravité des sanctions pro-posées par les professeurs.

Enfin, les professeurs concluent systémati-quement les conflits par une intervention en direc-tion de l’ensemble des élèves de la classe visant àrendre l’épisode exemplaire. À cet instant, leurspréoccupations sont : a) de reprendre le contrôlede la classe, et b) d’exploiter cet événement à desfins éducatives. Prenant une forme allant d’unsimple rappel des règles à une véritable leçon demorale, leur intervention traduit l’intention de pré-venir toute forme de récidive et de réaffirmer leurstatut autoritaire lié à leur fonction. Dirigée versl’ensemble de la classe, elle permet de faire bais-

ser la pression qui s’exerce sur l’élève perturba-teur et de le réhabiliter auprès de ses camarades.

Dans notre exemple, le professeur, confronté aurefus d’obéissance de Mohamed, réitère la sanc-tion quatre fois avant de menacer allusivementl’élève de sanctions plus lourdes : « Je te préviens,cela se passera mal entre nous… » (communica-tion du professeur à Mohamed, cas n° 1).Rejoignant le groupe des garçons, sa premièreintervention auprès d’eux est une mise en garde encas d’indiscipline future de leur part.

DISCUSSION

Ces résultats permettent d’identifier quatrecaractéristiques de l’activité des professeurs d’EPlors de situations conflictuelles les opposant à unde leurs élèves : a) une situation de partage d’at-tention, b) une pression temporelle importante,c) l’absence de recours volontaire à la négociation,et d) un caractère éducatif.

Les enseignants sont prioritairement focaliséssur les questions relatives à la discipline, au main-tien de l’ordre et au respect des règles, puis àcelles relatives à l’engagement des élèves dans latâche et aux processus d’apprentissage (Durand,1996). Ces préoccupations concourent toutes àl’instauration et la préservation d’une dynamiquefavorable au travail scolaire et à l’apprentissage.En revanche, au cours des conflits les opposant àleurs élèves, les préoccupations relatives auxquestions de discipline subsistent. Plus précisé-ment, les professeurs sont partagés entre lecontrôle de l’ensemble des élèves de la classe afinde préserver la dynamique de travail et la volontéde mettre un terme à l’altercation qui les retientavec l’élève perturbateur afin de reprendre lecours. Ces deux préoccupations ne sont plus sim-plement concomitantes mais également incompa-tibles, dans le même temps, dans le contexte de laclasse. Cette incompatibilité génère une situationde dilemme. Traditionnellement, trois issues peu-vent être considérées : a) la conservation dudilemme tant que celui-ci est supportable, b) larecherche d’un compromis viable, et c) l’abandonde l’une des deux alternatives. Dans le cas desconflits professeur-élève(s), seule la troisièmeissue est envisageable. En effet, l’existence de lasituation conflictuelle dans laquelle les profes-

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seurs sont engagés repose sur le refus d’un élèvede se soumettre à une de leurs interventions sanc-tionnant un comportement perturbateur jugé inac-ceptable et/ou intolérable ; la rébellion de l’élèvel’est tout autant. Aussi la conservation du dilemmeest-elle inconcevable, celui-ci ayant déjà dépasséles limites de tolérance. Pour les mêmes raisons,la recherche d’un compromis est tout aussi impen-sable. Les professeurs sont donc contraints àeffectuer un choix quant à leur engagement dansla situation : « s’engager dans une interaction enparticulier avec l’élève perturbateur » versus« favoriser la supervision de l’ensemble des élèvesde la classe ». Paradoxalement, si la discipline etle maintien d’une dynamique favorable au travailscolaire restent les préoccupations majeures desprofesseurs, ils vont néanmoins abandonner lasupervision de la classe au profit de l’interactionavec l’élève perturbateur.

Selon Doyle (1986, 1990), le système d’appren-tissage dans la classe repose sur un systèmeorganisationnel : l’apprentissage n’est possiblequ’à la condition de maîtriser les aspects relatifs àla discipline. Cela sous-entend l’adhésion de l’en-semble des élèves de la classe. Aussi, lors dessituations conflictuelles, il incombe aux profes-seurs de mettre un terme à la réaction d’opposi-tion de l’élève perturbateur avant de reprendre lecours de la leçon. Cependant, cela ne se fait passans heurts. Si les professeurs abandonnent pro-visoirement l’une des deux possibilités, la préoc-cupation de la supervision de la classe reste tou-tefois présente en arrière-plan. Le dilemme, enapparence résolu, perdure chez les professeurs etgénère ainsi une pression temporelle importante.Omniprésente, elle croît sans cesse à mesure quel’altercation avec l’élève perturbateur se pro-longe. Elle ne prend fin que lorsque ce dernier sesoumet à la sanction. Cette pression temporelleest de nature endogène, elle résulte de la volontédes professeurs de voir l’élève perturbateur secalmer et leur permettre ainsi de reprendre lecontrôle de la classe. En outre, leurs actions dansla conduite de la régulation du conflit s’en trou-vent largement influencées. En effet, pris par letemps, leurs décisions sont hâtives, parfois arbi-traires et ne se réfèrent pas à une analyse fine dela situation. Celles-ci trouvent leur justificationdans la crainte de « voir la classe leur échapper ».Cependant, ces actions, menées dans le but demettre un terme au conflit, tendent de façoncontre-productive à l’alimenter, à favoriser sondéveloppement.

Aussi, pour arriver à leurs fins, les professeursusent-ils du statut autoritaire que leur confère leurfonction ainsi que de la gamme des modes d’ac-tion qu’elle leur offre. En effet, comme l’ont montréCothran et Ennis (1997) et Fernandez-Balboa(1991), les élèves attribuent aux professeurs unstatut de garant de l’ordre, et un pouvoir décision-nel. Si d’ordinaire ce statut est accepté par lesélèves, il en est autrement lors des conflits.Contraints, sous pression temporelle, de mettre unterme à l’altercation avec l’élève perturbateur, lesprofesseurs s’engagent dans une dynamiqued’affrontement se traduisant par une attitudeinflexible. On assiste à une surenchère des sanc-tions proposées à l’élève tant que dure sa rébel-lion, à un refus de négociation des professeurs.Ces derniers justifient cet engagement dans desactions autoritaires par le fait qu’elles apparais-sent comme le seul moyen de préserver leur statutde garant de l’ordre et de la discipline dans laclasse. Aussi, souvent, le conflit dépasse-t-il lecontexte du comportement déviant qui en est àl’origine et prend des proportions démesurées : lasévérité des professeurs traduit leur volonté de nepas « perdre la face » au regard des autres élèvesde la classe. Sans quoi leurs interventions discipli-naires futures n’auraient que peu de chancesd’aboutir favorablement. Ce choix momentané dela « tolérance zéro » apparaît, pour les profes-seurs, comme le moyen de « sauver la face »(Goffman, 1974).

Enfin, la dernière caractéristique de l’action desprofesseurs lors de conflits les opposant à un deleurs élèves est la perspective éducative qu’ilsattribuent à leur intervention et notamment cellesen direction de l’ensemble des élèves de la classe.Après avoir durement sanctionné l’élève perturba-teur, les professeurs ont tendance à justifier leursévérité auprès des autres élèves. Pour être effi-cace, une sanction doit être acceptée, c’est-à-direcomprise non seulement par l’élève incriminé maiségalement par ses pairs, en raison d’une part desenjeux du conflit que sont la préservation de leurstatut par chacun des protagonistes et d’autre partde la volonté des professeurs d’avoir une actionpréventive vis-à-vis des indisciplines futures.

Cette étude portant sur l’analyse de l’action, insitu, des professeurs et de leurs préoccupationslors des conflits les opposant à un de leurs élèves,les réflexions qu’elle engendre et ses apports entermes de formation et d’aide à l’enseignementconcernent principalement leurs actions en classe.

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Ces réflexions et apports portent sur quatre points :a) la contradiction entre les décisions dans l’ur-gence qui sous-tendent les conflits et la nécessitéd’une analyse raisonnée pour agir justement ;b) l’évitement des conflits ; c) la gestion des conflits ;et d) l’insertion de la gestion des conflits dans laperspective d’une éducation à la citoyenneté.

La première réflexion tient au paradoxe que revêtl’analyse de l’action des professeurs lors desconflits. Ceux-ci se développent sur fond de crisetemporelle importante en raison de la multiplicitédes préoccupations incompatibles qui animent lesprofesseurs. Elles génèrent des décisions etactions hâtives, et parfois discutables, de la partdes professeurs, ces derniers agissant dans l’ur-gence sous la menace d’une dégradation de lasituation. A contrario, agir justement, sans risquede « léser » quelqu’un, dans des situations com-plexes telles que les conflits, où les déterminantsexogènes et endogènes sont nombreux, nécessiteune posture réflexive des professeurs, une prise derecul vis-à-vis de la situation et de l’implicationémotionnelle. En raison de l’incompatibilité queprésentent ces deux modes d’engagement, il estdifficile de concevoir comme une solution fiable etefficace un tel mode de raisonnement par les pro-fesseurs. En revanche, les résultats proposés parcette étude sont exploitables dans deux contextes.Le premier est le cadre des formations initiales etcontinues ; elles permettent d’une part d’accéder àune analyse de pratique basée sur de réelles situa-tions d’enseignement, d’autre part de démystifier,auprès des futurs enseignants, les situationsconflictuelles auxquelles ils seront inéluctablementconfrontés au cours de leur carrière. Le second estle cadre de la pratique réflexive quotidienne àlaquelle se livre tout enseignant cherchant à s’amé-liorer : bilan de séances, retour réflexif sur l’activitéprofessionnelle journalière (Schön, 1994). Richesen événements, les situations conflictuelles offrentaux professeurs de nombreuses pistes deréflexion. Cette pratique réflexive permet secondai-rement une anticipation par les professeurs de cessituations extrêmes, c’est-à-dire l’adoption, pareux, de certaines formes de raisonnement leur per-mettant une plus grande impartialité dans leursdécisions en classe. L’objectif de ce travail deréflexion n’est pas de développer chez eux unecapacité d’analyse in situ des conflits ; il vise àmodifier leur posture globale, leur mode d’engage-ment dans les situations conflictuelles au traversd’une prise de conscience des caractéristiques deces situations particulières.

La deuxième réflexion porte sur les moyensd’éviter ces conflits. En effet, la meilleure façon deles régler reste de les prévenir. À cette fin, l’ana-lyse des différents conflits montre les erreurspédagogiques commises par les professeurs.Aussi nombreuses que variées, celles-ci concer-nent aussi bien les élèves que la tâche ou l’activitémême des professeurs : activité intermittente desélèves, tâche d’apprentissage peu attrayante (tropfacile ou trop difficile), supervision distante de lapart des professeurs engendrant des possibilitésde tricherie non sanctionnées, non respect desrègles par les enseignants, etc. Ces erreurs ten-dent à favoriser l’apparition des conflits et à lesentretenir le cas échéant. Cependant, si la dispari-tion totale de ces conflits est inconcevable, elleest sans doute également non souhaitable. Eneffet, ils sont aussi l’occasion de progresser dansla relation qu’entretiennent les professeurs avecleurs élèves. Ils permettent de réaffirmer les règlesfondamentales, d’en (re)négocier d’autres et d’enétablir de nouvelles ; ils constituent ainsi uneétape essentielle dans le fonctionnement, le déve-loppement et la progression de la micro-sociétéqu’est l’école.

La troisième réflexion concerne ce que l’on pour-rait appeler une meilleure gestion des conflits.Rejoignant l’idée d’une posture réflexive de la partdes enseignants visant l’impartialité de leurs déci-sions en classe, cette réflexion peut être articuléeselon trois axes : a) l’évitement d’une sanctiondans l’urgence ; b) un dosage de la sanction ; etc) l’évitement d’une personnalisation du conflit.

De nombreux conflits sont liés à la précipitationgénérée par la forte pression temporelle et ledilemme qui anime les professeurs, ils ne prennentpas le temps nécessaire à une analyse fine de lasituation et s’engagent rapidement dans une dyna-mique d’affrontement. La première propositionconsiste à différer la sanction. Ce règlementretardé du différend ne sous-entend pas nécessai-rement de renvoyer le règlement du conflit à la finde la leçon, mais plutôt d’envisager cette actiondans le contexte de la classe et avec l’ensembledes élèves. Ces derniers peuvent participer en tantque médiateurs par exemple ; en effet, n’étant paspersonnellement impliqués dans le conflit, et parconséquent plus calmes que l’(les) élève(s) incri-miné(s), ils peuvent avoir un rôle apaisant auprèsde ce(s) dernier(s).

La deuxième proposition porte sur le crescendodes menaces de punitions proférées par les pro-

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fesseurs. Ceci a tendance à favoriser les réactionsd’opposition et de refus de(s) l’élève(s) perturba-teur(s). Éviter l’engagement dans ce « cerclevicieux » en proposant des sanctions adaptées eten correspondance avec la faute initiale est unmoyen de ne pas s’engager dans un tel cercle.Sans aller jusqu’à l’établissement d’une échelledes sanctions en correspondance avec les fautesqu’elles répriment, les professeurs ont sans douteintérêt à ne pas se laisser influencer par leur impli-cation émotionnelle dans la situation.

La troisième réflexion concerne la tendance à lapersonnalisation du conflit par les protagonistes :ils attribuent à l’issue du conflit des enjeux per-sonnels démesurés. Aussi, une prise de recul de lapart des enseignants est-elle une nécessité afin dene pas prendre à leur compte la réaction d’opposi-tion de(s) l’élève(s) perturbateur(s).

Enfin, la dernière réflexion concerne l’inscriptionde la gestion des conflits dans le cadre desactions menées en faveur de l’éducation à lacitoyenneté des jeunes collégiens. De façon quasisystématique, les conflits en classe se terminentpar un sermon de la part des professeurs destiné,non plus au(x) seul(s) élève(s) perturbateur(s) maisà l’ensemble de la classe. Ces phases collectivesde commentaire et d’analyse des conflits pour-raient être rendues plus efficaces par l’explicita-tion des deux types de préoccupations prévalentdans la classe : au cours des conflits, les profes-seurs agissent en fonction de ce qui leur paraîtêtre l’intérêt collectif, au nom d’une raison com-mune (le bon fonctionnement de la classe, l’éta-blissement et le maintien d’une dynamique favo-rable au travail scolaire), tandis que les élèvesconsidèrent en premier lieu les intérêts individuels.

Dans la perspective de minimiser le dévelop-pement des conflits futurs, il apparaît indispen-sable de faire prendre conscience aux élèves deces deux niveaux de régulation de l’action et desincompatibilités auxquelles leur juxtapositionconduit. Cela sous-entend un travail en amontimportant, travail sur lequel s’est récemment foca-lisée l’école en se donnant pour objectif la for-mation de « citoyens responsables » (Defrance,1993 ; « Programmes du collège », 1995). Nospropositions s’inscrivent dans le cadre de cesdiverses initiatives consacrées à l’éducation àla citoyenneté qui fait aujourd’hui l’objet denombreux projets, tels que les « InitiativesCitoyennes » (Royal, 1997), qui visent à responsa-biliser les élèves et enjoignent les équipes péda-gogiques et les chefs d’établissement à multiplierleurs efforts en ce sens. Si l’école n’est pas lereflet exact de la société dans laquelle elle prendplace, il est néanmoins crucial qu’elle s’attache àinculquer aux élèves les valeurs de cette sociétételles que devenir un citoyen responsable qui agitsans et contre la violence.

En conclusion, cette étude a révélé que si lesconflits professeur-élève(s) sont pour partie déter-minés par des facteurs exogènes, ils sont égale-ment dotés d’une dynamique intrinsèque résultantde l’interaction entre facteurs locaux, qui sontpotentiellement sous contrôle de l’action des ensei-gnants, et que par conséquent s’ils sont parfois endifficulté, ces derniers ne sont cependant pas tota-lement démunis pour faire face à ces conflits.

Éric Flavier*, Stefano Bertone**,Jacques Méard**, Marc Durand*

* LIRDEF, IUFM Montpellier,** DREEPS, IUFM Nice

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NOTE

(1) Afin de préserver l’anonymat des élèves, tous les prénoms ont été modifiés tout en conservant le marquage de la nationalité.

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Les préoccupations des professeurs lors des conflits en classe 119

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 121-129 121

Les tâches d’écriture exigées dans les forma-tions professionnelles des futurs enseignants

constituent un lien entre la formation dite théo-rique et les stages pratiques dans les écoles. Ellesjouent par là un rôle différent de celui desmémoires ou des thèses dans les formations aca-démiques. Certes, d’un côté comme de l’autre,une analyse des effets du passage par l’écrituresur la construction des connaissances amène àconsidérer l’écriture comme un « instrument intel-lectuel » (Vygotski, 1997/1934) ou comme un« outil mental » (R. Chartier, 1998 ; Olson, 1998).Mais l’écriture en formation d’enseignants – mêmesi elle peut être à l’intersection de plusieurslogiques qui ne sont pas toujours en cohérence,

certification, formation, insertion socioprofession-nelle (Fabre, Lang et Benoît, 1999) – a des objec-tifs propres liés à la construction de connais-sances sur l’action et de l’identité professionnelle(Cros, 1998).

Les travaux français récents sur l’écriture dansla formation des maîtres concernent le mémoireprofessionnel (pour une revue, voir Gomez, 1999).L’existence d’un mémoire professionnel dans lecursus d’un futur enseignant peut aujourd’huiapparaître comme une évidence pour desEuropéens : il existe depuis longtemps en GrandeBretagne, il a été introduit depuis plus de dix ansen France ou en Suède… En revanche, lorsqu’on

Les pratiques d’écriture en formation des enseignants sont désormais répandues dans la plupart despays occidentaux. Elles se présentent néanmoins sous des formes contrastées. Nous comparons ici troisgenres d’écrits à vocation professionnalisante : des mémoires professionnels français et anglais, et desportfolios provenant des États-Unis. Il ressort de cette étude qu’en deçà d’une diversité de surface, dueà la cohérence interne de chaque genre et à ses finalités institutionnelles, apparaît une convergence auniveau des opérations discursives élémentaires qui les constituent en profondeur. Un début d’identifi-cation de ces opérations élémentaires nous ouvre des perspectives nouvelles sur la professionnalitéenseignante autant que sur l’accompagnement à offrir à ces pratiques d’écriture en formation.

Mémoires professionnelset portfolios

dans la formationdes enseignants.

Une étude comparativeÉliane Ricard-Fersing,

Marie-José Dubant-Birglinet Jacques Crinon

Mots-clés : formation des enseignants, écriture en formation, mémoire professionnel, portfolio, analyse de discours.

se tourne vers l’Amérique du Nord, les pratiquesde portfolios apparaissent comme une alternativeà ces choix. Si nous avons pu considérer le portfo-lio, dans un premier temps, comme exotique parrapport à nos traditions, nous nous sommes viteaperçus de la diffusion des pratiques de porte-feuille de compétences dans les champs les plusdivers relevant de la formation, l’éducation ou l’en-treprise (Derycke, 1998 ; 2000 ; Hadji, 1992 ;Weiss, 2000). Le portfolio s’acclimate en France,comme ailleurs, et il est temps de comprendre cequ’il peut apporter à la conceptualisation et àl’évaluation de la formation professionnelle desenseignants.

Une première confrontation entre l’objetmémoire et l’objet portfolio a été réalisée parRussell Osguthorpe, précisément sous le titre « leportfolio, une alternative au mémoire profession-nel » (Osguthorpe, 1998). Il en ressort que, malgrédes finalités très différentes, les deux écrits serejoignent sur bien des aspects. Destiné, l’un à unentretien d’embauche (Winsor et Ellefson, 1995),l’autre à une soutenance de type plus ou moinsacadémique dans le cadre d’une certification pro-fessionnelle, les deux écrits néanmoins sont desoutils de formation et d’évaluation et à ce titrepoursuivent des intérêts communs. Ils visent tousdeux à promouvoir un futur praticien réflexif,capable de relier la théorie (essentiellement sousforme de lectures) à la pratique (sous forme d’ex-périence personnelle dans la classe), de s’impli-quer dans la construction de ses compétences vuecomme une trajectoire identitaire, de tirer profit deses erreurs dûment analysées ainsi que desconseils reçus… Dans les deux cas, il s’agit pourl’étudiant de donner du sens à ses premièresexpériences du métier avec l’aide d’un formateurqui l’accompagne dans la réalisation d’un écrit à lafois trace et outil de formation. Reste que, dans lemémoire, l’accent est mis sur une continuité del’écriture et une spécialisation thématique que neréclame pas le portfolio, dossier composé dedocuments juxtaposés et portant sur des objetstrès diversifiés.

Notre hypothèse est que, par delà les très réellesdifférences entre ces deux genres de textes (1) etles contraintes qu’ils imposent, il y a une homogé-néité des activités élémentaires mises en œuvrepar les auteurs des mémoires et des portfolios etune complémentarité entre les avantages et lesfaiblesses inhérentes à ces deux formes. De tellesconvergences pourraient nous amener, en tant que

formateurs accompagnant ces travaux d’écriture,à tenter de compenser, par des emprunts ponc-tuels à l’autre technique, les limites du genre quinous tient à cœur, non par pur attachement à unetradition, somme toute récente, mais par intérêtpour sa cohérence et son efficacité.

Cette comparaison entre mémoires profession-nels et portfolios aura donc des implications entermes, d’une part de construction d’un modèled’analyse de l’écriture en formation et d’autre partd’action des formateurs assurant l’accompagne-ment de cette écriture. Après une recherche quinous amenait à poser la question de la construc-tion de la théorie dans les mémoires et de laconception de la théorie qu’entretenaient leursauteurs (Ricard-Fersing, Crinon et Dubant-Birglin,2001), nous avons pris conscience que la notionde pratique – deuxième terme d’un couple infernalthéorie/pratique ! – n’était pas plus limpide que lanotion de théorie même si les étudiants expri-maient parfois une relative aisance à faire leur« partie pratique » contrairement à la partie théo-rique supposée difficile. Quelle est la place de lapratique dans un mémoire ? Comment se pré-sente-t-elle ? Qu’en reste-t-il après la mise enforme discursive ? Faut-il aller la chercher dans lesannexes ? Notre groupe de chercheurs est, parailleurs, unanime à dire l’extrême difficulté qu’il y aà faire écrire aux stagiaires sous forme de narra-tion ou de description un compte rendu qui resteau plus près de ce qui a été vécu dans la classe etlaisse apparaître les interstices du sens, l’événe-mentialité du réel, l’irruption du vivant sous laforme d’une parole d’enfant. Les auteurs améri-cains des portfolios savent-ils mieux le faire ?

Bernard Lahire, s’interrogeant sur la difficultédes acteurs sociaux à restituer devant le cher-cheur les savoirs qu’ils engagent spontanémentdans l’accomplissement de leurs activités profes-sionnelles ou de loisir, trouve dans la prégnancedes formes sociales de communication stéréoty-pées des empêchements à retenir dans les maillesd’un filet trop lâche la multitude des actions et dessavoir-faire (Lahire, 1998). Et si le mémoire, danssa discursivité toute académique produisait ceteffet de masquage de la pratique vraie par la sub-stitution d’un autre discours sans rapport avec lespratiques mais à visée de socialisation profession-nelle, caractérisé par la « langue de bois » ?

C’est donc aussi à la recherche de la pratiqueque nous partons, curieux de voir si les pratiques

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du portfolio en trouvent autrement l’accès et sousquelle forme elle peut être, sans affadissement,reprise dans une démarche d’analyse par l’écriture.

MÉTHODOLOGIE

Nous avons sélectionné dans un corpus plusvaste trois portfolios provenant d’une université del’Utah, qui nous ont semblé représentatifs du genre« portfolio » ; ils présentent en effet des analogiesde structure et de formulation qui renvoient sansdoute à des propositions d’organisation relative-ment stéréotypées sans exclure une certaine origi-nalité de contenu. Quant au corpus de mémoiresprofessionnels, il se compose de mémoires profes-sionnels français, mais aussi de mémoires anglais(« professional dissertations »). Nous disposionsde trois mémoires anglais relatifs au domaine descompétences mathématiques (2) et nous y avonsajouté trois mémoires français également relatifs àdes apprentissages mathématiques pour plus decohérence (3). Tous ces écrits concernent l’écoleélémentaire. Il s’agit en outre de travaux validéspar l’institution et considérés comme de bonnequalité par les formateurs qui les ont fournis (4).

Cette inclusion de documents anglais dans lecorpus conduit dès lors à une comparaison à troistermes, la catégorie « mémoire » s’étant révélée àl’analyse plus composite que prévu.

Nous avons d’abord procédé à des comparaisonsde « surface » dans le but de relever les passagesobligés que comportent ces différents écrits. Puis,au-delà des analogies et des différences de struc-ture, nous avons cherché quelles activités élémen-taires communes sous-tendaient ces ensembles.

PORTFOLIOS ET MÉMOIRES PROFESSIONNELS :QUELS PASSAGES OBLIGÉS ?

Avec l’idée de passages obligés, nous voudrionssuggérer que les auteurs des écrits de formationque nous discutons ici se plient à un certainnombre d’obligations, qu’elles leur soient intiméespar des formateurs soucieux d’orthodoxie ouqu’elles résultent d’un implicite entretenu pour lemeilleur et pour le pire de génération en géné-ration, parfois même en contradiction avec lestermes mêmes des textes de cadrage (voir Ricard-

Fersing, Crinon et Dubant-Birglin, 2001). La lecturede ces textes semble confirmer un constat déjà faitlors de l’analyse d’un corpus plus important demémoires professionnels (Crinon et Guigue, 2002) :les auteurs, au milieu des contraintes, trouvent tou-jours des marges de liberté qui confèrent à leur tra-vail une valeur créative et à nos analyses unevaleur interprétative : ce qui ressort des « bons »mémoires n’est pas le résultat figé d’une appli-cation de normes mais plutôt d’une négociationindividuelle entre le besoin de fournir à la demandeet le désir de s’emparer d’un outil pour voir clair.

Quels passages obligés dans les portfoliosaméricains ?

Les trois portfolios étudiés présentent unegrande homogénéité de composition. Comportantou non un sommaire et n’étant jamais paginés, ilslaissent apparaître des chapitres clairement sépa-rés par des pages de garde portant un titre engros caractères : « planning », « management »,« mathematics »… Ces parties ne sont pas organi-sées au sein de regroupements plus vastes, ellessont simplement juxtaposées, parfois numérotées.Il nous semble qu’elles renvoient en réalité à troisentrées distinctes : une entrée par la présentationde soi et de son éthique professionnelle, uneseconde par le traitement de problèmes profes-sionnels, la troisième par l’approche des questionsdisciplinaires et didactiques (5).

Ainsi sous le titre « professional education », ontrouve un curriculum vitae, des éléments d’évalua-tion de l’année de formation mais aussi un exposéplus ou moins développé de « my philosophy ofeducation » qui prend la forme d’une profession defoi parfois étayée de citations et références.

Nous avons regroupé sous la rubrique « pro-blèmes professionnels » les entrées suivantesretrouvées systématiquement :

« Management » : la gestion de la classe et lesproblèmes de discipline.

« Planning » : les programmations à la journée,au mois, au trimestre.

« Integration » : la mise en cohérence dessavoirs disciplinaires, l’interdisciplinarité.

« Assessment » : l’évaluation des élèves.« Parents at school » : la relation avec les

parents.

À l’intérieur de chacune de ces parties, on trouveun plan identique : une déclaration de principes (my

Mémoires professionnels et portfolios dans la formation des enseignants : une étude comparative 123

philosophy of…, management, planning), suivie dedocuments attestant de situations, d’activités illus-trant le thème en question. Il s’agit soit de docu-ments professionnels (des préparations de classe,des observations et bilans), soit de travaux d’en-fants, soit de photographies de situations (un parentintervenant dans la classe, des enfants au travailautour d’une table) très succinctement commentéspar l’ajout de quelques mots sur une étiquette colléesur le document ou légendant la photo.

Le troisième ensemble est consacré aux entréesdisciplinaires et décline les domaines enseignés àl’école, de la maîtrise de la langue (literacy) auxmathématiques et à l’éducation à la santé (healthylifestyles). Chaque chapitre comporte égalementune déclaration de principes accompagnée detraces des activités menées en classe sous formede documents écrits ou photos. Sous l’intitulé« best practices », on trouve des listes de recettespédagogiques, décrites rapidement, datées et réfé-rées à leurs sources. Par exemple : le 8 mars 1999,de madame Mac N., « donner à chaque table unnuméro et y suspendre un sac avec de la colle, desciseaux, des crayons : cela empêche les élèves dese lever et se promener dans la classe ».

On peut donc parler d’une composition enabyme pour ce qui est des portfolios : une partierédigée consacrée à une réflexion personnelleintroduit à l’ensemble du dossier mais ouvre éga-lement chacun des chapitres consacrés à des thé-matiques spécifiques. Le contraste est très netentre une écriture à la première personne (ontrouve aussi dans quelques portfolios des extraitsd’un journal de classe rédigé par l’étudiant oudes monographies d’enfants) et des documentspresque bruts qui peuvent se présenter sous formemanuscrite (par exemple des grilles d’évaluation,des formulaires d’analyse remplis à la main). C’estlà ce que nous appellerons des passages obligés,visiblement dictés par l’institution malgré la pré-sence de quelques variations intéressantes : un denos auteurs ajoute au plan canonique une entréeintitulée « the reflective teacher » et une autre,« colleague collaboration », manifestant peut-êtrepar là une professionnalisation plus avancée.

Quels passages obligés dans les mémoires français et les « professional dissertations » anglais ?

Les mémoires professionnels français marquentun fort attachement à une dichotomie théorie/

pratique. Écrits d’une manière continue, sans rup-ture majeure de style, les trente pages desmémoires étudiés se partagent à peu près égale-ment entre ces deux approches. Grâce à l’analysed’entretiens menés avec quelques stagiaires, nousavons pu montrer la prégnance de ce modèle bienau-delà des prescriptions des directeurs demémoires ainsi que les incertitudes qui entourent leterme même de théorie pour les stagiaires, et pro-bablement pour les formateurs aussi (Ricard-Fersing, Crinon et Dubant-Birglin, 2001). C’estainsi que la partie dite théorique de nos troismémoires combine une élaboration du problèmeprofessionnel choisi, des références nombreusesaux textes officiels attestant des obligations desenseignants et des citations et résumés d’ouvragesscientifiques ou pragmatiques. Le ton y est généra-lisant et le style porte la trace de nombreuses tour-nures prescriptives. La partie dite pratique reposesur l’évocation et l’analyse des activités menées enclasse par l’auteur du mémoire lui-même, en rela-tion avec la problématique de celui-ci. La nature dulien entre les deux parties est complexe. On peutlire la partie pratique soit comme une applicationde la théorie, soit comme une vérification plus oumoins expérimentale, une mise à l’épreuve de lathéorie, soit comme une illustration…

Les trois mémoires sont accompagnés d’an-nexes présentant les supports d’exercices et lestravaux d’élèves auxquels le mémoire renvoie dansle texte grâce à des notes.

Malgré cette distinction entre théorie et pratique,les mémoires français ne présentent pas un planstéréotypé et chacun trouve ses mots et sonrythme propres pour transmettre un cheminementnécessairement original effectué pendant lesquelques mois de rédaction du mémoire. À l’op-posé, les « professional dissertations » anglaisescomportent un plan canonique proche de celuiadopté par les articles scientifiques auxquels ilsempruntent leur nomenclature : problématique dela recherche, hypothèses, méthodologie, résultats,analyse et discussion. Ce constat est confirmé parla lecture des mémoires. Il s’agit à chaque foisd’une recherche à la fois quantitative et qualitativeportant sur un échantillon restreint d’enfants tes-tés en dehors des pratiques de classe proprementdites. Le choix des mémoires anglais est clair. Il sefait en faveur d’une démarche expérimentaliste –que l’étudiant vise à tester les capacités de trans-fert d’apprentissage des élèves d’un domainedans un autre, la véracité des assertions concer-

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nant les compétences comparées de l’un et l’autresexe en matière de représentation spatiale ou lesavantages d’un guidage par un système de grillesd’écriture des apprentissages scientifiques.

L’écriture des mémoires anglais est fréquem-ment interrompue par la présentation de tableauxou de réponses aux exercices, ce qui n’empêchepas la présence d’annexes.

Conclusion provisoire

Ce survol rapide et formel semble donc bienconfirmer que nous avons affaire à trois genresd’écrits de formation bien distincts dont la natureest bien sûr commandée par une fonction précise– certification ou projet d’embauche –, par une his-toire – le portfolio correspond à l’émergence demodes d’évaluations de compétence complexesalternatives aux tests et aux évaluations de savoirsponctuels (Weiss, 2000), le mémoire à uneréflexion sur le rôle formatif de la recherche(Perrenoud, 1990) – et par des injonctions institu-tionnelles auxquelles les auteurs ont tout intérêt àse conformer.

On peut distribuer sur un axe commun les diffé-rents genres décrits jusqu’à présent, en allant dugenre le plus clinique au plus expérimental, àcondition de prendre ces adjectifs dans uneacception suffisamment large.

La spécificité des portfolios réside dans leurtransparence, leur capacité à restituer un réelcertes fragmentaire mais saisi avant même quel’analyse y ait fait le tri entre l’essentiel et l’acces-soire. Tout semble compter également dans lesportfolios qui mettent sur le même plan une lettred’enfant remerciant l’enseignant de sa gentillesseet l’évaluation très officielle portée par l’institution,l’anecdotique, la recette, le prescriptif, le théo-rique… Tous les outils, voire les « trucs » semblentavoir la même dignité et sont dévoilés avec lamême impudeur.

Les mémoires français renvoient également àdes pratiques professionnelles situées en milieunaturel donc complexe mais ce qui nous est livréde l’expérience vécue l’est sous une forme trèsinterprétée, hiérarchisée et c’est en général seule-ment par le biais des annexes que le lecteur peutaccéder au matériau brut.

Quant aux mémoires anglais, leur perspectiveexpérimentaliste les situe d’emblée dans un milieu

proche du laboratoire, obligés qu’ils sont derompre avec l’enchevêtrement des causalités s’ilsveulent accéder à une dimension quantitative etscientifique.

Ces remarques sont schématiques. Elles devrontêtre nuancées. En effet, une seconde lecture plusapprofondie nous amène au constat suivant :chaque genre, malgré son orientation spécifique etsa cohérence, recèle des traits qui sembleraient nedevoir appartenir qu’aux autres genres. D’où l’hy-pothèse que chaque choix sur lequel est fondé ungenre appellerait les autres en creux, et uneseconde hypothèse, qui en découle, que cette dia-lectique du même et de l’autre au sein de chaqueécrit dessinerait les contours d’un parcours de for-mation quasi obligé, partagé, malgré les diffé-rences d’accent, par l’ensemble des institutionsde formation considérées et les sujets qui entre-prennent une telle professionnalisation. Nous met-trons successivement ces deux hypothèses àl’épreuve.

VERS LA DÉFINITION DE COMPOSANTESFONDAMENTALES DE L’ÉCRITUREPROFESSIONNALISANTE

Chaque genre aspire à la complétude

En plaçant chaque genre d’écrit professionnelétudié sur une ligne allant du plus clinique au plusexpérimental, nous soulignions la continuité entreeux plutôt que la rupture. Cette continuité noussemble résulter d’un effet de compensation qui faitque chaque écriture propre à une tradition particu-lière comporte aussi des caractéristiques des deuxautres : chaque genre se déploie sous l’égided’une dominante clairement repérable mais quin’exclut pas la présence plus discrète de traitscomplémentaires. Disons alors que les portfoliosmettent l’accent sur la dimension personnelle duprocessus de formation, les mémoires français surla dimension professionnelle, les mémoires anglaissur la dimension scientifique. Ce qu’on voit enpriorité dans les portfolios, c’est le parcours d’unepersonne dans le dédale des situations rencon-trées par le maître débutant (moi et la discipline ;moi et les maths ; moi et la gestion du temps ; moiet les parents d’élèves, etc.). Dans les mémoires,la problématique professionnelle centrée sur lapréparation de la classe et les décisions de l’en-

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seignant ferait presque oublier qu’il y a desenfants dans la classe, des collègues autour, desparents dehors. Les « professional dissertations »se concentrent sur la constitution des apprentis-sages des élèves en objet de savoir, de rechercheet de théorisation, réservant pour la fin les leçonsprofessionnelles à tirer du constat scientifique.

Pourtant, les portfolios qui semblent refuser dedonner cours à un discours d’analyse continuemettant en scène un acteur et son point de vueunique incluent des pages intitulées « reflection »dans lesquelles ladite réflexion est guidée par unegrille désignée par les quatre initiales PPPP,c’est-à-dire « procedure », « praise », « polish »,« plan » qui conduit l’auteur à propos d’uneséance de classe observée ou menée par lui àpasser de la narration à la critique, puis à la recti-fication et au projet révisé. La présence de pagesde journal professionnel, la réitération de déclara-tions de principes et de valeurs attestent égale-ment de l’aspiration à l’expression d’un sujetgarant de la cohérence de son expérience et deson engagement éthique et théorique (c’est làqu’on trouve les références qui ne sont jamaisconstituées en bibliographie). Des monographiesd’enfants viennent confirmer que du côté desélèves également, l’apparente fragmentation desactivités décrites ou photographiées recouvre desproblématiques individuelles marquées par la dif-ficulté voire l’échec.

Du côté des mémoires français si marqués par lesouci inverse d’une centration sur un problèmeunique éclairé par des lectures et exploré au tra-vers d’une pratique en situation réelle, on trouvedans un mouvement compensatoire les annexesqui restituent quelques éléments d’un vécu tropvite recouvert par l’argumentation. On entendaussi, dans les mémoires, la voix des élèves sousla forme de citations et on y entrevoit la classe autravers de descriptions, mêmes brèves et stéréoty-pées. On entend aussi la voix de l’auteur disantses hésitations ou sa certitude d’avoir choisi unsujet en rapport avec ses questionnements intimesou son désarroi en recevant comme lieu de sespratiques une classe en décalage complet avecson sujet ! Quant au souci scientifique, s’il se situeplus du côté du reçu sous forme de lectures(recensées en bibliographie contrairement au port-folio), il est bien présent et les auteurs participenttous à l’idée d’une rationalité à l’œuvre dans lesapprentissages et à la prévisibilité d’un certainnombre de phénomènes dans la classe.

Dans les mémoires anglais, enfin, la démarchequi cherche à établir de nouvelles vérités scienti-fiques – même modestement, à partir d’un échan-tillon restreint – s’accompagne de remarquestirées d’entretiens libres avec les enfants, demonographies complémentaires des tableauxarides de résultats chiffrés. Des confidences surles difficultés du choix du sujet de recherche met-tent en scène un chercheur visiblement impliqué.La référence appuyée aux instructions officiellesanglaises, le si contesté « National Curriculum »montre bien qu’on se situe dans une perspectiveprofessionnelle, malgré les apparences premièressuggérées par sa structure formelle.

Ainsi, à l’examen, chaque genre d’écrit révèledes priorités assumées sous forme de postures : ils’agit d’entrer dans le métier en mettant en avantun masque de sujet apprenti, de praticien réflexifou de chercheur en herbe. Mais, en deçà de cespostures affichées, chaque genre laisse place àune pluralité d’opérations discursives, dont larécurrence dans les trois genres indiquerait laprésence d’un socle commun pour l’activité d’écri-ture professionnalisante. Cela nous amène à préci-ser nos hypothèses précédentes. Non seulementles trois genres étudiés ne sont guère purs (pre-mière hypothèse) mais de plus ils constituent larésultante d’opérations élémentaires, d’activitésà double face langagière et professionnelle trans-versales à la variété des textes (deuxième hypo-thèse).

Des activités élémentaires à l’intersection des portfolios, des mémoireset des « dissertations »

Le fait de retrouver, d’un genre à l’autre, desentrées semblables nous amène à penser leurcomplémentarité dans la construction d’une syn-taxe propre à l’écriture professionnalisante. Sansprétendre à l’exhaustivité, nous distinguerons cinqopérations que réalise chaque écrit à des degrésdivers mais aussi avec des nuances pleines d’en-seignement. Comme si, en passant d’un genreà l’autre, chaque composante élémentaire sedépouillait à nos yeux de ses particularités et attei-gnait une sorte d’universalité au-delà des contextesnationaux et des techniques particulières.

Ainsi, l’activité qui consiste à identifier sessources pourrait devenir une catégorie englobantà la fois les très académiques bibliographies trou-vées dans les mémoires et les dissertations et les

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listes de « best practices » appartenant aux port-folios. La question de la « traçabilité », du soucide nommer les pensées avec lesquelles on estentré en dialogue et qui étayent les prises dedécision accomplies ou projetées est au cœur dumétier d’enseignant. Il ne s’agit pas de recon-naître indéfiniment une dette mais d’identifier lesorigines de ses pratiques pour pouvoir éventuelle-ment les réévaluer, en tester la cohérence avecles autres éléments d’une pédagogie. On sait pré-cisément la difficulté des praticiens de l’ensei-gnement, même chevronnés, pour référer deschoix à des lectures, des rencontres, des témoi-gnages (A.-M. Chartier, 1998). On a vu enrevanche des stagiaires tenir un journal de leursidées préparatoires au mémoire, c’est-à-dire deleurs rencontres avec des partenaires, des pairs,avec des lectures inopinées, des informations sai-sies au vol, embryon de la future bibliographie quipourtant ne retiendra que les sources les plus offi-cielles. À cet égard, les portfolios se montrentd’une toute autre générosité et s’ouvrent large-ment à la présence des conseillers, pairs, auteursqui ont pu compter dans la construction d’unepensée qui se sait dialogique.

La variété des « je » qui s’écrivent dans les troisgenres nous fait également penser que l’écriture àla première personne est un « lieu commun » de laformation professionnelle par l’écriture. Nousavions déjà quelques indications à ce sujet grâce àune étude antérieure (Crinon, Guigue et Ricard-Fersing, 1999 ; Crinon et Guigue, 2002). Lesmémoires professionnels les plus réflexifs sont eneffet ceux dans lesquels, entre autres, la présenced’un sujet qui se met en scène, assume ses choix,modalise ses affirmations, se fait le plus sentir. Àla croisée de nos trois genres, on retrouve bien lesujet, qu’il dise ses croyances, ses émotionscomme dans les portfolios ou plus pudiquementses décisions de praticien ou de chercheur dansles mémoires français et anglais. Il y a dans lesécrits venant d’Amérique, une grande facilité àpasser d’un « je » à l’autre, ce que font plus diffici-lement les auteurs européens, pris dans le styleparticulier d’un genre académiquement fixé. Maisn’est-ce pas la difficulté de se couler dans un« je » de commande qui fait souvent renoncer lescandidats à l’implication au moment de passer àl’acte et les amène à se dissimuler derrière la troi-sième personne ou l’indéfini ?

Une autre opération repérable dans les écrits deformation est celle qui consiste à faire entrer dans

l’horizon de ses pratiques l’Autre au sens le plusgénéral, c’est-à-dire tout ce qui relève de l’impré-visible, de l’irréductible aux schémas préalablesde l’action programmée : ce sont les enfants, laclasse qu’on n’a pas voulue, les circonstances etconditions sociales défavorables, les partenairesrécalcitrants… Du moins, c’est ainsi que l’envisa-gent les stagiaires français la plupart du temps etc’est à l’occasion de ces « contretemps » que senouent les analyses les plus précieuses (Ricard-Fersing, Crinon et Dubant-Birglin, 2001). Classi-quement, l’obstacle force à interpréter et à donnerun sens au réel non entièrement rationnel. Pour lesauteurs anglais également, un obstacle au niveaud’un choix de recherche peut se révéler fertile etdéboucher sur des résultats originaux (montrer ladifficulté du transfert de procédures cognitives àl’intérieur d’une même discipline et non plus entredeux champs différents). Plutôt que de se laisserforcer par les circonstances, les étudiants améri-cains semblent donner spontanément de la place àl’émergence de l’Autre (événement, personne),étrangers qu’ils sont à la nécessité d’unifier leurexpérience dans un discours continu.

Se référer à des normes fait sans aucun doutepartie des éléments constitutifs fondamentaux desécrits analysés. C’est une activité présente danstous nos exemples, à cette nuance près que lesportfolios mettent l’accent sur l’élaboration denormes individuelles (« my philosophy of… »)quand les écrits européens consacrent l’essentielde cette activité à évoquer les instructions offi-cielles ou, en ce qui concerne les étudiants fran-çais, des prescriptions plus diffuses contenuesdans les ouvrages de pédagogie les plus massive-ment consultés.

Nous nous attacherons enfin à une dernièrecomposante, l’activité qui consiste à poser desproblèmes professionnels, c’est-à-dire à voir dansles pratiques des objets d’étonnement et d’interro-gation et non des routines justifiées par leur simplerécurrence, à rechercher la pensée vivante et com-plexe cachée sous les slogans. C’est un des senspossible de l’injonction de « problématiser » quereçoivent de leurs formateurs les étudiants fran-çais. Ils y répondent en ébauchant une relativisa-tion historique un peu trop souvent structuréeautour de l’opposition rapide entre « les anciens etles modernes », la pédagogie traditionnelle et l’ac-tuelle enfin clairvoyante. Mais entrer dans unmétier, celui d’instruire, ne peut aller sans lavolonté de se situer par rapport à un passé, même

Mémoires professionnels et portfolios dans la formation des enseignants : une étude comparative 127

sous-évalué, et à des mots d’ordre plus récents.On peut aussi poser des problèmes professionnelsen reliant, comme le font les étudiants anglais, quise veulent des chercheurs, l’investigation scienti-fique à la question de l’efficacité de l’enseignant ;étudier les capacités de transfert des élèves, lerôle de l’écrit dans la structuration de la penséescientifique à ses débuts, c’est faire avancer laquestion de l’économie de temps et de moyensdans la classe. Dans les portfolios, on sent la pré-gnance d’une philosophie de l’évaluation commeoutil de problématisation, évaluation de soi et desélèves qui remet en question la valeur de touteentreprise. C’est ainsi une problématisation parl’aval que donnent à lire les portfolios, fidèles encela à une démarche qui consiste à passer à l’acteavec le minimum d’a priori et de construction théo-rique préalable.

CONCLUSION

La liste de ces opérations discursives élémen-taires n’est certainement pas close, le modèlemérite à coup sûr d’évoluer, la conceptualisationproposée est en cours de construction. En outre,notre but n’est pas d’établir un nouveau référen-tiel, même si chacun des éléments évoqués pour-rait aussi être traduit en terme de compétences :compétences relatives à la production d’un écrit,compétences de la professionnalité enseignante. Ils’agit plutôt d’identifier ce qui fait le fondement dela fonction formative de l’écriture professionnali-sante, la matrice de cette écriture. Chacun deséléments retenus présente en effet deux faces,une face langagière (ce qu’on fait quand on com-pose un mémoire ou un portfolio) et une face pro-fessionnelle (ce qu’on fait quand on prépare saclasse, qu’on évalue son action, qu’on se situe parrapport à des valeurs…). S’il serait fâcheux ici deconfondre dire (ou écrire) et faire (Crinon, 2001),du moins s’agit-il d’activités mentales qui lient demanière étroite écriture et exercice de la profes-sion.

Nous voudrions aussi proposer d’utiliser cesquelques remarques dans la perspective d’accom-pagnement des mémoires qui est la nôtre en tantque formateurs d’enseignants. En effet, la variétédes interprétations des activités élémentaires quenous avons repérées (identifier des sources, écrireà la première personne, faire entrer l’Autre dans

ses pratiques, se référer à des normes, poser desproblèmes professionnels) nous suggère la possi-bilité d’étendre le registre des genres que nous fai-sons pratiquer à nos étudiants au-delà de ce qu’ilscomportent habituellement pour mieux embrasserla pluralité des modes d’accès à la complexitéd’un métier. Plutôt qu’en faisant éclater les genresexistants dont la cohérence est garante d’un cer-tain contrat pédagogique entre l’institution et leformé, c’est probablement en multipliant et envariant les genres d’écrits de formation dans letemps d’un cursus de professeur stagiaire qu’onpeut espérer lui faire parcourir l’éventail des pos-sibles. En ce sens, la lecture des portfolios a puêtre pour nous le choc qui nous a réveillés du« sommeil dogmatique » selon l’expression kan-tienne ! La connaissance d’autres normes d’écri-ture de formation pourrait bien nous obliger à faire« travailler » de l’intérieur notre genre de prédi-lection.

Quant à la question de la capture de la pratiquepar les écrits de formation, problème que nousévoquions en commençant et qui constitue pournous, directeurs de mémoires, un vrai problèmeprofessionnel, elle ne peut être résolue ni parl’abandon de la discursivité des mémoires, ni parun recours massif aux témoignages bruts etpresque toujours positifs des portfolios, ni par laplongée dans le monde quantifiable mais néces-sairement simplifié des recherches à l’anglaise.C’était, sans doute, une erreur de vouloir chercherau niveau d’un genre particulier le vecteur privilé-gié de l’écriture du réel. C’est plus probablementau niveau plus profond des opérations discursivesqu’il faudra trouver et affiner l’outil adéquat.

C’est donc en explicitant et en travaillant plusprécisément les séquences d’écriture prépara-toires à la réalisation de l’écrit final, les étapesintermédiaires de la construction d’un mémoire,que nous avons une chance de progresser – et defaire progresser nos étudiants – dans la saisie dela pratique par l’écriture. Dans cette perspective,l’expérience de la lecture d’une pluralité d’écritsde formation et la mise en évidence des opérationsélémentaires qui les sous-tendent pourraient êtredes outils pertinents.

Éliane Ricard-FersingMarie-José Dubant-Birglin

Jacques Crinon

IUFM de Créteil

128 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Remerciements

Le présent article est une partie d’une recherchesur « Les dispositifs d’écriture dans la formationdes enseignants ». Les auteurs adressent leursremerciements à l’IUFM de Créteil, qui a soutenufinancièrement le projet, à l’ensemble des membres

de l’équipe et à leurs partenaires du réseau euro-péen TNTEE (Thematic Network on TeachersEducation in Europe). Des remerciements particu-liers pour Muriel Fénichel (IUFM de Créteil), PeterLittleford (De Montfort University, Bedford, Grande-Bretagne) et Russell T. Osguthorpe (BYU, Utah), quiont participé à la constitution du corpus.

Mémoires professionnels et portfolios dans la formation des enseignants : une étude comparative 129

NOTES

(1) Un genre est caractérisé par un ensemble de propriétés et decaractéristiques liées à des conventions socio-historiques.Lorsque nous rédigeons, nous avons recours aux genres dis-ponibles dans l’environnement culturel (Hayes, 1996). Parmice qui peut caractériser un genre, nous retiendrons ici toutparticulièrement le mode de structuration du texte.

(2) Mémoires soutenus à De Montfort University, Bedford.

(3) Mémoires provenant de l’IUFM de Créteil.

(4) Le corpus est volontairement restreint. Nous proposons eneffet dans le cadre de cet article une analyse qualitative explo-ratoire, qui ne prétend pas avoir valeur générale. Le modèleauquel aboutit cette analyse est actuellement testé sur un cor-pus plus large et plus diversifié d’écrits de formation.

(5) Cette analyse d’un petit échantillon de portfolios est confortée parles données que fournit la littérature nord-américaine consacréeaux portfolios dans la formation des enseignants. Voir notammentGrant et Huebner, 1998 ; Johnson, 1996 ; Montgomery, 1997.

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Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 131-154 131

Qu’est-ce qu’une formationprofessionnelle universitaire ?Conceptions de l’universitéet formation professionnelle

Claude LessardRaymond Bourdoncle

Professionnaliser l’université en y développant des formations profes-sionnelles, cette antienne ancienne avait, dès les années 1960, inspiré enFrance la création, avec statut dérogatoire, des IUT. Puis vinrent des cyclesplus intégrés dans les cursus ordinaires de l’université : AES, LEA, MST,DESS, Magistères et Instituts Universitaires Professionnalisés. Elle a mêmedirectement inspiré un ministre (Savary), une loi (n° 84-52) et une catégorieadministrative statutaire désormais attachée aux universités (établissementpublic à caractère scientifique, culturel et professionnel). Bref, cette antiennea doucement, mais avec persévérance, pénétré l’université.

Aujourd’hui, elle prend une nouvelle actualité et même un nouveau voca-bulaire à la faveur de l’application actuelle en France – comme dans la plu-part des pays européens – des mesures destinées à construire un espaceeuropéen de l’enseignement supérieur d’ici 2010. Cette histoire très récente,et qui n’est déjà pas sans conséquences, mérite d’être évoquée. En mai 1998,à l’occasion du 800e anniversaire de la Sorbonne, quatre ministres de l’édu-cation se sont engagés à œuvrer à l’« harmonisation européenne » des uni-versités en concentrant leurs efforts sur deux points : organiser les étudessupérieures en deux cursus, pré-licence et post-licence ; favoriser la recon-naissance européenne des diplômes à trois niveaux, correspondant à un stan-dard international : bac + 3 (licence) ; bac + 5 (mastaire) ; bac + 8 (doctorat).

En juin 1999, la déclaration de Bologne signée par 29 pays européens neparle plus d’harmonisation, mais de mise en place par des mesures structu-relles convergentes, d’ici 2010, d’un espace européen de l’enseignementsupérieur. L’ambition centrale, bien dans la ligne de l’entreprise européenne,est de créer à la fois un marché commun des diplômes, qui facilite la mobi-lité des étudiants, et un marché commun du travail, qui facilite la mobilité desdiplômés. D’où la place prise dans ces textes par la notion d’employabilité

NOTE DE SYNTHÈSE

132 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

(Haug, 2001), dont l’une des dimensions, la pertinence des formations uni-versitaires par rapport au marché de l’emploi, recouvre celle de profession-nalisation, tandis que l’autre, qui désigne le fait qu’un diplômé de médecinepuisse être employable et exercer la médecine dans les autres pays euro-péens, porte plus sur la reconnaissance européenne des diplômes. Mais ici,comme dans bien d’autres domaines (monnaie, agriculture, commerce...),l’Europe devient le prétexte et le moteur de réformes très profondes, visantà augmenter la compétitivité de l’enseignement supérieur de chaque pays surle marché européen et de l’enseignement supérieur européen sur le marchémondial. La professionnalisation et plus largement l’employabilité sont desdimensions centrales de ce processus d’européanisation, sinon de mondiali-sation, de l’enseignement supérieur.

À vrai dire, dès les années 60, plusieurs pays européens avaient voulurationaliser indépendamment leurs formations professionnelles supérieuresde niveau moyen en créant des établissements non universitaires(Fachhochschulen, IUT, Polytechnics et plus tard HBO, Jallade, 1991). En1983, l’Espagne avait choisi très différemment d’intégrer la grande majoritéde ses formations professionnelles supérieures dans les universités. Cesexemples passés d’universitarisations diverses et l’urgence présente deconvergence européenne nous amène maintenant à poser la question de laprofessionnalisation des universités un peu différemment : qu’est-ce qui faitla spécificité des formations professionnelles universitaires par rapport d’unepart aux formations universitaires non professionnelles et aussi à celles, pro-fessionnelles, des autres établissements d’enseignement supérieur ?

Cette question reprise en titre peut doublement surprendre. Elle est tropvaste et englobe des univers professionnels et des structures universitaires(départements, UFR, écoles, facultés) trop différents pour relever d’une seulerecherche. Elle est aussi triviale : pas la peine d’effectuer une recherche poursavoir si une formation universitaire est professionnelle ou non. Pourtant, sil’on a affaire à des univers professionnels et des structures universitairesprofondément différents, il y a toute chance qu’apparaissent des exigenceset des traits communs à toutes ces formations, précisément parce qu’ellessont à la fois universitaires et professionnelles. Quels sont ces traits ? On nepeut répondre d’emblée. Il n’est donc pas si trivial de les chercher.

Il n’est plus possible aujourd’hui de penser l’université - son nom mêmele suggère – uniquement en France, ni même dans le seul cadre européenen construction, car celui-ci se situe aussi par rapport aux réalités univer-sitaires nord-américaines. Nos références viendront donc non seulementd’Angleterre, d’Allemagne ou de France, mais aussi d’Outre-Atlantique(États-Unis et Canada, tout particulièrement Québec). Mais ce serait unetâche beaucoup trop vaste que de les dégager par une recherche empiriquequi, pour répondre complètement, devrait être doublement comparative :entre les formations universitaires qui sont professionnelles et celles qui nele sont pas, et entre les formations professionnelles se trouvant dans l’uni-versité et celles du reste de l’enseignement supérieur. Les réalités querecouvre le même mot commun d’université sont déjà fort diverses d’un paysà l’autre et rendent déjà la première comparaison difficile. S’il fallait aussiprendre en compte le secteur non universitaire pour lequel on trouve à la foisune extrême diversité institutionnelle dans certains pays et une quasi-inexis-tence dans d’autres où il a été largement absorbé par les universités, ceserait clairement impossible. Nous nous centrerons donc sur les seules for-

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 133

mations universitaires et, renonçant à une comparaison empirique troplourde, nous choisirons la voie de la synthèse bibliographique des travauxexistant, pour dégager les traits significatifs des formations professionnellesuniversitaires. Deux voies sont encore possibles, l’une qui part del’Université et des différentes manières de concevoir ce qui la définit enpropre, l’autre qui part des formations professionnelles universitaires elles-mêmes, pour décrire les caractéristiques qui les distinguent des autres for-mations universitaires.

Nous commencerons dans la présente livraison par la première approche.En fait on trouve plusieurs conceptions différentes de l’université. Nous enconfronterons trois, parmi les plus influentes et les plus anciennes, lesconceptions de l’université libérale, héritière sur plusieurs points de l’univer-sité médiévale, l’université scientifique née à Berlin en 1806 et l’université deservice qui s’est d’abord développée aux États-Unis. Pour chacune nousexaminerons quelle place elle fait aux formations professionnelles et com-ment elles ont influencé trois d’entre elles, choisies à titre d’exemple. Puisnous essaierons de voir quelles difficultés rencontrent aujourd’hui cesmodèles.

Dans une deuxième partie qui sera publiée ultérieurement, nous suivronsla seconde approche, en essayant de distinguer les dispositifs et lesméthodes qui apparaissent typiques des formations professionnelles univer-sitaires. La difficulté est ici plus grande, car, comme le remarquent Curry,Wergin et al. (1993), la formation aux professions est un domaine derecherche encore très récent et peu développé. En outre les quelques étudesexistantes sont faites dans le cadre de chaque école professionnelle et pourrépondre à ses propres besoins, sans se situer dans le cadre plus large etles problématiques plus vastes de la formation universitaire à diverses pro-fessions. En conséquence, c’est moins une synthèse de ces travaux dis-persés que nous proposerons ici qu’une exploration des pistes qui pourraientpermettre de penser ensemble ces divers travaux.

En dernier ressort, notre objectif est davantage dans un premier temps derassembler, relier et analyser un ensemble de matériaux pour, dans un secondtemps, amorcer la problématisation de cette question de la spécificité univer-sitaire des formations dites professionnelles. C’est cette problématisation quinous intéresse et apparaît essentielle à esquisser, quitte à ce que celle-ciprête le flanc à des critiques sur l’un ou l’autre aspect insuffisamment fouillé.Ce qui suit est donc imparfait et justifierait des développements encore plusimportants. Néanmoins, il a semblé important, à cette étape-ci de notre che-minement, de soumettre pour discussion nos travaux en l’état.

Pour illustrer nos propos, nous prendrons pour référence trois champsde formation professionnelle, l’un pris parmi les professions établies (lamédecine), un autre pris parmi les professions nouvelles, mais déjà recon-nues (la gestion) et le dernier pris dans un secteur ancien mais longtempsmal reconnu et qualifié de semi-profession (l’éducation). Il est clair que nousne sommes pas experts de chacun de ces champs et notre tour d’horizonne peut être exhaustif. Ce qui importe dans la démarche poursuivie, c’est deconstater si oui ou non, d’un champ à l’autre, des caractéristiques sem-blables voient le jour et apparaissent constitutives d’une spécificité de laformation professionnelle universitaire, se faisant en quelque sorte écho lesunes aux autres. À cet égard, l’hypothèse qui guide notre recherche met enavant l’autonomisation croissante des formations professionnelles universi-

134 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

taires par rapport aux modèles canoniques de référence de l’institution uni-versitaire, une autonomie certes relative et encore objet de débat, maisnéanmoins une autonomie réelle au plan des finalités, des curriculums, desmodalités institutionnelles et fonctionnelles, ainsi qu’au plan des modespédagogiques de formation. Une autonomie qu’accentue aussi bien l’évolu-tion des financements de recherche que l’ouverture, grâce aux nouvellestechnologies et à la construction d’un espace européen de l’enseignementsupérieur, de marchés internationaux des formations universitaires allant depair avec la place centrale accordée à l’employabilité (Haug, 2001).

Mais, comme les situations dont nous parlons et les mots mêmes quinous servent à les dire diffèrent fortement selon les pays et même, selon lesacteurs, à l’intérieur d’un même pays, il nous faut commencer par quelquesdéfinitions. Par formation professionnelle, on désigne généralement en fran-çais toutes les formations qui préparent explicitement à l’exercice durabled’un travail organisé et reconnu. Elle comporte en général plusieurs dimen-sions :

• le développement des compétences nécessaires à l’accomplissementde l’acte professionnel (savoir-faire) ;

• l’appropriation des connaissances qui fondent cet acte professionnel(savoir) ;

• la socialisation, c’est-à-dire l’acquisition des valeurs et attitudes spé-cifiques au groupe professionnel (savoir-être).

Ainsi définies, les formations professionnelles sont très diversifiées, tantpar leur lieu d’effectuation que par la nature des activités auxquelles ellespréparent. Ainsi on les trouve aussi bien dans l’enseignement secondaire (parexemple en France dans les lycées professionnels et les lycées d’enseigne-ment général et technologique) que dans les universités et les grandesécoles. Elles recouvrent tous les niveaux de formation, du CAP au doctoratde médecine ou au diplôme de l’ENA.

Dans le monde anglophone, on distingue, selon McGuire (1993), la« vocational education », qui concerne la formation professionnelle à desmétiers, que l’on trouve au niveau secondaire et dans les cycles courts dusupérieur, et la « professional education », qui prépare à l’exercice d’uneprofession reconnue, dans des structures qui sont en très grande majoritéintégrées à l’université. On retrouve ici, au niveau de la formation, la distinc-tion entre métiers et professions, qui existe fortement, avec même des basesjuridiques aux États-Unis, mais qui est beaucoup moins forte en Europecontinentale.

Parmi les formations universitaires, on distingue souvent les formationsprofessionnelles, centrées sur la préparation à une profession, des forma-tions académiques, qui seraient centrées sur une discipline et couronnéespar le cycle doctoral. En fait ces formations doctorales ne sont pas moinsprofessionnelles que les autres : elles préparent au métier de chercheur (1).Globalement, sur l’ensemble des formations professionnelles, Dinham etStrittert (1983) avancent une distinction intéressante entre trois types (tech-nique, académique et professionnel) selon le rapport qu’ont les activitéssociales auxquelles elles préparent avec la théorie. Ainsi les professionsauraient un rapport beaucoup plus étroit que les métiers avec la théorie etles sciences, car leurs praticiens en utiliseraient le raisonnement et les résul-tats dans leur travail quotidien. Par contre, par rapport aux formations doc-

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 135

torales, qui sont utilisatrices mais aussi fortement créatrices de savoirs et dethéories, la formation aux professions serait beaucoup plus utilisatrice quecréatrice.

Nous nous en tiendrons ici aux formations professionnelles universitaires.Si beaucoup sont nouvelles, certaines sont fort anciennes, puisqu’on lestrouve dès l’origine des universités. Ainsi, les toutes premières universitésont été constituées par le rassemblement de maîtres et d’étudiants qui étu-diaient des matières professionnelles complexes, permettant de résoudrecertains problèmes que rencontraient dans leur vie leurs contemporains : àBologne, ce fut le droit qui régit les rapports des hommes entre eux, avecleurs biens et, à l’époque, avec l’Église (droit canon) ; à Salerne, ce fut lamédecine qui régit les rapports de l’homme à son corps ; enfin développéeà Paris, la théologie, qui régule les rapports de l’homme à Dieu et à l’au-delà.Bientôt d’ailleurs ces disciplines ont donné naissance aux facultés supé-rieures, toutes professionnelles et où l’on entrait après avoir obtenu le bac-calauréat de la faculté des Arts.

Pourquoi et comment est-on passé de cette université médiévale trèscentrée sur les professions à une université dont on dit aujourd’hui en Europequ’il faudrait qu’elle se professionnalise beaucoup plus ? C’est une longuehistoire, que l’un d’entre nous avait commencé à explorer ailleurs(Bourdoncle, 1994). Pour la comprendre aujourd’hui, nous procéderonsautrement. Nous examinerons, à travers trois auteurs qui les ont bien illus-trées, trois des principales conceptions qui se sont exprimées et affrontées :l’université libérale, l’université de recherche et l’université au service de lasociété. Nous verrons ensuite les difficultés que rencontrent ces différentsmodèles, toujours actifs, à coopérer.

CONCEPTIONS DE L’UNIVERSITÉ ET FORMATION PROFESSIONNELLE

Les trois conceptions que nous avons repérées portent sur l’université engénéral. Mais elles n’en véhiculent pas moins un point de vue sur la forma-tion professionnelle en contexte universitaire et proposent une position pourcelle-ci au sein de l’institution. Après avoir rappelé les éléments principauxde ces conceptions de l’université, nous voudrions dégager la définition et laplace qu’elles donnent à la formation professionnelle dans l’université. Puisnous essaierons de voir la présence de ces modèles dans les trois formationsprofessionnelles emblématiques que nous avons choisies : l’enseignement, lagestion et la médecine.

L’université libérale

L’éducation libérale ou le savoir désintéressé

Il n’y a pas de meilleure illustration de cette conception que les travauxde John Henry Newman qui l’a défendue et systématisée dans une série deconférences célèbres faites en 1852 puis publiées sous le titre de « The Ideaof a University Defined and Illustrated in 9 Discourses Delivered to theCatholics of Dublin ».

136 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Pour Newman, l’université est d’abord et avant tout une petite commu-nauté où enseignants et enseignés discutent, évaluent et explorent des idéesdifficiles, parfois originales, et toujours d’une portée générale. Avant d’êtreune communauté de recherche, l’université est une communauté d’échangeset de discussion, et les universitaires sont d’abord des enseignants soucieuxde la formation intellectuelle, mais aussi morale des jeunes. Le tutorat et l’in-ternat, les deux dispositifs de formation typiques d’Oxford et de Cambridge,structurent les rapports sociaux et renforcent cette communauté (Dell, 1985).

Au sein de celle-ci, l’enseignement doit être organisé de telle sorte quel’étudiant ait toujours une vue d’ensemble du sujet traité et des rapportsd’une discipline particulière avec les autres branches du savoir. En ce sens,la formation doit être pluridisciplinaire et de portée générale. Aux yeux deNewman, l’université, envisagée comme milieu éducatif, est le siège dusavoir universel, c’est-à-dire d’un savoir valable en tout lieu et en touttemps ; ce savoir est incorporé dans des œuvres, des théories, des réali-sations scientifiques, et est ordonné par la philosophie et la théologie ; la for-mation visera donc à ce que l’étudiant entrevoie les grandes lignes du savoiruniversel, ses principes de base, l’ordonnance de l’ensemble avec ses pointsmajeurs et mineurs. Elle aura, dit Newman, une « tournure philosophique ».

Cette éducation, générale et pluridisciplinaire, est aussi libérale. Cetteexpression signifie que le savoir transmis et discuté est à lui-même sa proprefin. La gymnastique de l’esprit, que donne l’éducation libérale, accroît la capa-cité de connaître et par là, à elle seule, est un bien immense, qui a ses réper-cussions dans tous les domaines du savoir. Elle permet d’« ouvrir l’esprit, lecorriger, le raffiner, le mettre en état d’acquérir le savoir, de l’assimiler, de lemaîtriser, de le dominer, de l’utiliser ; lui assurer l’empire sur ses propresfacultés, le rendre appliqué, souple, méthodique, exigeant et critique, sagace,fertile en ressources, toujours à l’aise, habile à s’exprimer » (1968 : 247).

L’éducation libérale, si elle forme d’abord et avant tout l’intelligence, estaussi morale. Newman parle d’une tournure d’esprit qu’il qualifie de « philo-sophique », et dont les attributs sont l’aisance, l’équité, le calme, la modé-ration, la sagesse. Ailleurs, dans une autre conférence, Newman proposecomme qualités du gentleman l’esprit cultivé, le goût délicat, un cœur franc,équitable et impartial, et enfin, un comportement noble et courtois. Nul doutequ’ici s’expriment sans retenue les orientations élitistes et aristocratiquesanglaises du XIXe siècle. Elles ont d’ailleurs été fortement critiquées au fildes ans, tout comme la forte sélection des institutions d’enseignement uni-versitaires et préuniversitaires qui se sont inspirées de ce modèle d’édu-cation : les grammar schools anglaises, les lycées traditionnels français, lesgymnases allemands, les collèges classiques du Québec.

Les auteurs contemporains qui essaient de redéfinir l’éducation libéraledans le contexte d’aujourd’hui n’abandonnent pas cette double dimensionintellectuelle et morale de l’éducation libérale mais ils insistent davantage surce que nous pourrions appeler une morale intellectuelle personnelle, ration-nelle et critique.

Place de la formation professionnelle dans ce modèle

Comment cette conception libérale de l’université conçoit-elle la forma-tion professionnelle en milieu universitaire ? On trouve chez Newman etchez d’autres philosophes de l’éducation libérale plusieurs réponses à cettequestion.

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 137

Il y a d’abord la vieille antinomie de principe entre éducation libérale etformation professionnelle. En effet la tradition universitaire médiévale (elle-même enracinée dans la culture gréco-romaine) établissait une forte dicho-tomie entre le travail intellectuel et le travail manuel, les savoirs théoriqueset les pratiques artisanales, entre ce que les Grecs appelaient Scholè et lesRomains l’Otium (le loisir) et le Negotium (activité entreprise contre rémuné-ration), ou entre une activité libre et l’esclavage (Arendt, 1989). En ce sens,on peut dire que l’éducation libérale est celle des hommes libres, c’est-à-diredes hommes libérés du travail manuel.

À cet argument traditionnel, Newman en ajoute 2 autres :

– l’éducation libérale est meilleure car elle est générale et apprend àfaire face à des situations variées, et à y discerner l’essentiel. À ce titre, elleest plus et plus longtemps efficace que les formations spécialisées, vitedépassées ;

– la formation professionnelle est une mauvaise chose, car elle soumetl’homme à la logique utilitaire du travail et aux dictats d’un milieu qui imposeune forte conformité des idées, des valeurs et des attitudes. Ce qui s’avèrecontradictoire avec les principes de l’éducation libérale. Tout comme,d’ailleurs, la spécialisation.

Conclusion : parce qu’ils sont conformateurs et non libérateurs, restric-tifs et spécialisés et non généraux et ouverts, la formation professionnelle etles savoirs utilitaires n’ont pas leur place à l’université.

Ce point de vue radical a, à des degrés variables, survécu jusqu’à aujour-d’hui. Ainsi Paul Ricœur l’exprimait encore avec force il y a 30 ans, dans sapréface à l’ouvrage de Drèze et Debelle (1968), sur les conceptions de l’uni-versité :

L’université a pour mission de diffuser, à l’ensemble de ceux qui peuventl’assimiler, une culture générale qui aide ses bénéficiaires à suivre, deplus ou moins près, le mouvement de la recherche moderne, scientifique,littéraire, artistique. Cette mission va, jusqu’à un certain point, en senscontraire du souci, proprement professionnel, d’adaptation aux besoinsdu pays en cadres dirigeants. À l’encontre de la spécialisation dessavoirs et des techniques, qui tend à un émiettement comparable à celuidu travail manuel, l’université doit viser à une initiation s’adressant auxaspects les plus généraux du savoir moderne. C’est pourquoi l’ensei-gnement doit tendre au décloisonnement et à la déprofessionnalisation,offrir aux étudiants des choix multiples et des combinaisons variables,multiplier les recherches interdisciplinaires, encourager les institutionsinterdépartementales, de manière que les savoirs spécialisés puissenttoujours être mis en perspective par rapport au mouvement global de laculture : un médecin peut-il ignorer la psychologie et les sciencessociales, en un temps où la moitié de ses patients sont malades de leurcivilisation ? Un architecte peut-il ignorer la biologie humaine, la socio-logie urbaine et un ingénieur l’économie politique ? (1968 : 19-20).

Ces propos qui datent de trente ans sont encore entendus et partagéspar plusieurs dans le milieu universitaire ; ils ont servi et servent toujours àfonder ou justifier des modifications à des curriculums de formation, de façonà y introduire, maintenir, élargir des contenus et des modes de formationconformes à la tradition de l’éducation libérale.

138 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Présence du modèle dans trois secteurs professionnels

Dans certains pays comme les États-Unis, ce modèle est institutionnel-lement présent dans toutes les universités sous la forme d’un collège de type« Liberal Arts », qui est préalable à certaines formations professionnelles.Pour les autres, soit il existe une propédeutique à la formation profession-nelle dont les contenus sont de type humaniste et de sciences sociales, soiton insère des cours inspirés des humanités et des sciences sociales dans laformation professionnelle.

Formation des enseignants

Personne ne nie l’importance de la culture générale dans la formation desfuturs enseignants. Dans les pays où cette formation est entièrement univer-sitarisée, cela conforte la conception libérale de l’université.

Chez certains, cette importance est poussée à son maximum : on sou-haite qu’elle absorbe toute la formation universitaire, la formation au métierétant considérée comme du ressort, non pas de l’université, mais du milieuscolaire, jugé mieux équipé et plus efficace dans l’accomplissement d’unetâche qui apparaît essentiellement comme une double tâche d’insertion pro-fessionnelle (au sens de training) et de socialisation (au sens d’intériorisationdes normes et valeurs du groupe professionnel), tâche qui ne relèverait pasde l’institution universitaire. Avec des spécificités propres à chaque pays, ontrouve des positions semblables :

– en France, notamment à l’occasion de la création des IUFM, avec tousceux (Coq, Finkielkraut, Sallenave, de Romilly…) qui ont dénoncé les ensei-gnements de pédagogie et de sciences de l’éducation, qui seraient autant detemps pris sur la culture générale et la formation disciplinaire ;

– dans les pays où les facultés et départements universitaires desciences de l’éducation ont le monopole de la formation des maîtres, commeseule et unique voie d’accès au métier, avec tous ceux qui estiment que plu-sieurs voies devraient être possibles, et notamment une voie qui donne auxfuturs enseignants d’abord et avant tout une solide culture générale. Cetteposition est certes marginale, mais elle existe. Mentionnons qu’elle a étémise en application dans l’Angleterre de Mme Thatcher, que certains étatsaméricains la tolèrent et qu’un ouvrage récent la défend pour le Québec(Gagné, 1999).

Gestion

Selon Porter (in Clark & Neave, 1992), dans les écoles d’administrationaméricaines, de 40 à 60 % de la formation du baccalauréat de quatre ans estconsacré à ce que l’American Association of Colleges of Business appelle leCBK – common body of knowledge – et couvrant cinq domaines profession-nels (production, financement et mise en marché de l’entreprise ; environne-ment économique, légal et socio-culturel ; comptabilité, méthodes quanti-tatives et systèmes managérial d’information ; théorie et comportementorganisationnel ; analyse et élaboration d’une politique managériale). Le restede la formation, donc autour de la moitié, est consacré à la formation dite deculture générale ou libérale.

Médecine

Aux États-Unis, le curriculum de formation médicale a généralement troiscomposantes (Rothstein in Clark & Neave, 1992) : une composante prémé-

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 139

dicale, à la fois scientifique et de culture générale, une composante précli-nique, dans les sciences médicales de base et dans les autres aspects noncliniques de la médecine, et une composante clinique, pour l’essentiel réa-lisée en milieu hospitalier. L’éducation libérale a donc une certaine place,dans la première et en partie la deuxième composante.

Elle existe aussi, ne serait-ce que sous forme de propédeutique, ailleurscomme par exemple à l’Université de Montréal ou une récente refonte de laformation des médecins a raccourci la formation professionnelle de ceux-cide 5 à 4 ans et utilisé l’année ainsi économisée à des fins de propédeutiquede type liberal arts.

L’université de recherche

Une communauté vouée à la recherche scientifique

Ce sont les allemands W. Von Humboldt au XIXe siècle, et K. Jaspers, auXXe siècle, qui ont formulé le plus clairement cette idée de l’université quis’est matérialisée dans l’université allemande, dans les graduates schoolsdisciplinaires nord-américains et dans les hautes écoles françaises. On peutrésumer cette conception de l’université sous la forme suivante :

1 - l’université, en tant que communauté de chercheurs et d’étudiants, apour mission essentielle de chercher la vérité. Pour l’atteindre, elle doit sedonner comme tâche première la recherche scientifique, meilleur moyend’établir la vérité ;

2 - l’université repose sur deux principes, à la fois éthiques et épistémo-logiques : la liberté accordée aux étudiants de choisir les enseignementsqu’ils suivent et la liberté accordée aux enseignants-chercheurs de définireux-mêmes leurs objets de recherche et d’enseignement, car ils sont lesmieux à même de juger ce qu’il faut chercher et donc enseigner ;

3 - il doit y avoir une forte symbiose entre l’enseignement et la recherche.D’une part, la recherche est essentielle pour l’enseignement universitaire, carson but est d’y initier. Enseigner, c’est faire participer au processus deconstruction de la connaissance et non plus simplement transmettre desconnaissances déjà constituées, comme dans les cycles d’enseignementantérieurs. Inversement, l’enseignement est essentiel à la recherche et auprogrès de la science, car la critique, l’objectivité et la clarté de la sciencesupposent la discussion et la transmission à autrui des résultats de larecherche et leur discussion ;

4 - de cette forte unité entre l’enseignement et la recherche, il découleque seul le chercheur peut vraiment enseigner, et que tout autre ne peut quetransmettre une pensée inerte, même si elle est pédagogiquement bien orga-nisée, au lieu de communiquer la vie de la pensée. Dans ce modèle, lemeilleur enseignant est donc par définition le meilleur chercheur. Bien sûr, untel enseignement favorise aux niveaux avancés des formes organisationnellesnouvelles, comme le séminaire, où l’on peut essayer et discuter les idéesnouvelles, et plutôt que les « leçons », ou « lectures », où l’on transmet lesavoir déjà acquis et la culture du passé, et non le savoir en train de se faire.

Place de la formation professionnelle dans ce modèle

Dans ce modèle tout entier voué à la science, la formation en vue de larecherche scientifique et la formation en vue de l’exercice d’une profession

140 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

sont gouvernées par les mêmes principes : rigueur, objectivité, analyse,esprit critique qui définissent l’attitude scientifique. Dans l’univers profes-sionnel, celle-ci est indispensable à la construction et à la maîtrise desconnaissances efficaces dans la pratique professionnelle, lui permettant deprogresser.

Il faut donc développer la recherche scientifique dans les secteurs pro-fessionnels et y lier, comme dans les secteurs fondamentaux, la recherche etl’enseignement. Il n’y a pas de différence essentielle entre les secteurs : ilssont tous deux voués à la science, dans un cas pour elle-même, dans l’autre,en fonction de ses retombées dans certains champs de pratique. Plus l’atti-tude scientifique pénétrera les curriculums de formation professionnelle, plusles champs de pratique professionnelle pourront profiter des progrès de lascience. La meilleure formation, scientifique comme professionnelle, estdonc une formation à et par la recherche.

Contrairement à la conception libérale de l’université, qui affirmait uneincompatibilité de nature entre formation universitaire et formation profes-sionnelle, la conception de l’université vouée à la science trouve une parentéessentielle entre ces deux types de formation, leur engagement commundans la recherche scientifique. Cette parenté est d’autant plus forte que laformation professionnelle n’apparaît pas dans ce modèle comme ayant uneforte spécificité : elle n’est reconnue que comme lieu d’investissement de lascience et de son esprit.

La science, comme esprit et comme éthique, est ainsi vue comme péné-trant et transformant de l’intérieur le monde des professions, y répandant desnormes de rigueur, d’objectivité, d’analyse et d’esprit critique. Par ce biais,la science rend possible la remise en question de croyances professionnellesétablies, mais en apparence « sans fondement scientifique » ou reposant surdes prémisses discutables, et ouvre la porte à l’évolution et l’innovation pro-fessionnelle. Suivant ce point de vue, l’esprit scientifique, parce qu’il estentièrement voué à la recherche de la vérité, selon des procédures recon-nues, peut bousculer des orthodoxies professionnelles et être une sourced’innovation.

Présence du modèle dans trois secteurs professionnels

La formation des enseignants

L’universitarisation de la formation des maîtres, et plus globalement duchamp de la pédagogie, qui s’est faite d’abord dans les années d’après-guerre en Amérique du Nord, puis plus récemment en Europe, peut être ana-lysée comme une double tentative :

• élever le niveau de la formation initiale : passage d’un niveau bac ouun peu plus à la licence ;

• donner des bases scientifiques à la formation et à la pratique profes-sionnelle.

En effet, si la pédagogie entre à l’université, c’est qu’elle accepte de setransformer en sciences de l’éducation, c’est-à-dire de passer d’un ensemblede discours fortement prescriptifs et pragmatiques à un champ pluridis-ciplinaire soumis aux méthodes de production de connaissance des disci-plines contributives (psychologie, sociologie, histoire, philosophie, etc.). Onenvisage ainsi de passer d’une pédagogie normative à une pédagogie scien-tifique.

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 141

Certes, ce mouvement de scientifisation et donc de disciplinarisationsous forme de sciences de l’éducation qui a accompagné l’universitarisationde la formation des enseignants ne va pas sans tension, notamment entre lademande sociale en matière de savoirs améliorant les pratiques éducativeset la volonté de reconnaissance scientifique, comme le montrent Hofstetteret Schneuwly (1998). Il n’en est pas moins incontestable.

La gestion

Au cours des années cinquante, les écoles d’administration avaient étéfortement critiquées pour une piètre qualité de la formation dispensée : onleur reprochait une absence de rigueur et de consistance, un corps profes-soral insuffisamment formé selon les canons universitaires traditionnels, unefaible sélection des étudiants, etc. D’un peu partout, on réclamait un rehaus-sement des exigences, de la qualité de la formation, de la recherche (avecdes méthodologies plus quantitatives) et l’introduction des sciences socialeset humaines (Porter in Clark & Neave, 1992).

Les années soixante ont marqué un tournant majeur, à la fois en termesd’internationalisation d’un modèle de formation – le MBA devient une normede référence internationale – et aussi en termes d’introduction des « appliedbehavioral sciences and operations research » (1992 : 1071). Geiger etNugent insistent sur ce qu’ils appellent un « new paradigm in managementstudies » combinant les « behavioral sciences » en vue d’élucider les déci-sions d’achat des consommateurs ou le comportement dans les organisa-tions, et l’« operations research and system analysis » qui permettent desmodèles mathématiques de prise de décision dans le domaine de la produc-tion, de la distribution et des opérations internes d’une entreprise (Geiger etNugent in Clark & Neave, 1992).

Médecine

Jusqu’au XVIIIe siècle, étant donné les limitations du savoir, l’apprentis-sage était le principal mode de formation médicale. Certes, des écoles demédecine étaient apparues dès le 9° siècle dans le monde arabe, puis, enItalie (Salerne) et en France (Montpellier), dans le cadre encore incertain despremières universités. Mais elles ont formé peu de médecins et peu fait avan-cer le savoir médical. En fait celui-ci s’est beaucoup développé après lacréation en Allemagne, au début du XIXe siècle, d’écoles médicales appuyantl’enseignement sur la recherche scientifique et favorisant le développementde spécialisations nouvelles encore mal reconnues et pourtant pleinesd’avenir comme la médecine.

La première université qui soit apparue en tant que telle, c’est-à-dire enétant fondée essentiellement sur la recherche et sur les enseignements derecherche (post-graduate), aux États-Unis, Johns Hopkins, s’est explicite-ment inspirée du modèle allemand. Mais, obéissant à la tradition utilitaristeaméricaine, Johns Hopkins a voulu fournir aux étudiants non seulement lesbases intellectuelles de la médecine, mais aussi les savoir-faire et les atti-tudes nécessaires dans la pratique du métier, comme le faisaient les « écolesde propriétaires », cabinets privés où l’on apprenait sur le tas, en aidant lemédecin propriétaire. Cependant contrairement à eux, pour y arriver en res-tant cohérente avec ses principes, l’université a développé ses recherchessur la clinique et la pratique médicale et a formé ses étudiants à utiliser lesrésultats de telles recherches et à acquérir une démarche de recherche. Enfait la médecine était ainsi redéfinie comme une profession à la fois intellec-

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tuelle et pratique. Cette idée chemina jusqu’à l’invention, puis la générali-sation du « teaching hospital » à la suite des rapports (1910 et 1925) deFlexner, ancien élève de Johns Hopkins et grand admirateur de son présidentfondateur, formé en Allemagne. Ce centre hospitalo-universitaire, qui futrepris et adapté dans de nombreux pays, permet en effet que s’effectuentconjointement la pratique des soins, la formation à cette pratique et larecherche.

Plus largement on peut, avec Rothstein (in Clark & Neave, l992) et Barras(2001), comprendre l’histoire de la formation médicale dans différents payscomme celle de l’articulation entre les deux principales composantes de laformation : la formation formelle dans les écoles de médecine – qui avec letemps s’affilient à l’université – et la formation clinique dispensée dans leshôpitaux, dispensaires et institutions charitables ; à partir du milieu duXIXe siècle, un rapprochement s’opère entre ces deux composantes de for-mation selon divers modes d’intégration. On aboutit ainsi après 1920 et lessolutions à la fois scientiste et cliniques de Flexner, à un curriculum tripar-tite qui s’est largement diffusé dans le monde : après un ou deux ans consa-crés aux sciences « propédeutiques » (biologie, physique, chimie), vient l’ac-quisition pendant 3 ou 4 ans des sciences biomédicales fondamentales(anatomie, morphologie, physiologie, biochimie), le tout s’achevant par uneformation clinique.

Une division du travail s’institutionnalise aussi : la formation formelle estde plus en plus prise en charge par des non-médecins, spécialisés dans unebranche ou l’autre de la science médicale. Deux facteurs expliquent cetteévolution selon Rothstein : l’évolution de la recherche – nous dirions la domi-nation de l’idée d’université de recherche scientifique – et le fait que lesprofesseurs non-médecins bénéficient d’un salaire moins élevé que lesmédecins dont la rémunération doit s’approcher de celle du praticien.

En somme, au fur et à mesure que la formation médicale s’institutionna-lise à l’université, et s’émancipe d’un modèle de formation trop exclusive-ment centré sur l’apprentissage, la formation préclinique prend de l’impor-tance et les professeurs de carrière dits « fondamentalistes » y assument uneplace de plus en plus grande, en enseignement comme en recherche. Lascience médicale se développe et la corporation présente aujourd’hui sonhistoire comme la longue succession des progrès scientifiques développantl’efficacité de ses pratiques et multipliant ses spécialisations (Barras, 2001).Maintenant le modèle basé sur la recherche scientifique domine les étudeset les pratiques médicales.

L’université de service

L’université au service du progrès social ou le savoir utile (Whitehead)

Nous référons ici aux écrits de A.N. Whitehead qui ont eu un retentis-sement considérable aux États-Unis, puisqu’ils y ont exprimé et philosophi-quement légitimé une conception de l’université au service non pas de lavérité, ou de la science, mais de la société en général et d’une société par-ticulière, à savoir dans ce cas-ci, la société américaine. Dans The Aims ofEducation (1929), Whitehead consacre un chapitre à l’université, qu’il intro-duit en soulignant l’ouverture à l’Université Harvard (où il a enseigné aprèsl’avoir fait à Oxford, comme Newman) d’une école de commerce !

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 143

Contrairement à Newman et aux tenants de l’éducation libérale,Whitehead insiste pour que la culture générale et la science se portent à larencontre de l’action et participent au progrès de la société. Loin de consi-dérer la culture et la science comme des fins en elles-mêmes, il n’a aucuneobjection à ce que l’éducation, quels que soient la forme et le contenuqu’elle prenne, soit utile.

Coexistent dans les universités trois types d’acteurs : – les scholars, lesdiscoverers et les inventors. Les premiers font revivre la beauté et la sagessedu passé et de la tradition des arts, des lettres et de la philosophie ; lesseconds font avancer le savoir (scientifique) en formulant des vérités géné-rales, et les troisièmes « appliquent » ces savoirs et ces vérités générales demanière à répondre aux besoins sociaux du monde actuel. Le rôle éminentde l’université, c’est d’assurer la rencontre de ces trois types d’acteurs. Lafusion de leurs activités, qui sont toutes progressistes, peut en faire un réelinstrument de progrès.

Ainsi, à travers l’histoire des universités, sous leur impulsion, l’aventurede la pensée et celle de l’action se sont rencontrées. Cela correspondd’ailleurs non seulement à une nécessité sociale, mais aussi à une profonderéalité psychologique, tant chez l’étudiant que chez le professeur, puisqueselon Whitehead, l’intelligence travaille mal dans le vide et cherche toujoursà s’appuyer sur la rencontre de la théorie avec la pratique. L’université secaractérise donc par une forte symbiose entre l’action et la réflexion, c’estd’ailleurs ce qui en assure l’insertion sociale et en fait un foyer de progrèssocial.

Place de la formation professionnelle dans ce modèle

Selon Whitehead, la formation professionnelle universitaire est une formed’éducation parmi d’autres, puisque toute éducation est « acquisition de l’artd’utiliser des connaissances » (cité in Drèze et Debelle, 1968 : 77). Plus pré-cisément, le but de l’université est de dégager les principes généraux sous-jacents à l’activité professionnelle et d’étudier leur application à des casconcrets. Plus explicitement,

Quand je parle de principes, je ne pense guère à des formulations ver-bales. Un principe complètement assimilé est plutôt un mode de penséequ’une proposition formelle. Il devient réaction naturelle de l’esprit au sti-mulus approprié de situations qui l’illustrent... La culture n’est riend’autre qu’un fonctionnement harmonieux de l’intelligence mise en mou-vement... C’est pourquoi l’opposition entre les exigences de la sciencepure et celles de la compétence professionnelle est beaucoup moinsnette qu’on pourrait le penser (cité in Drèze et Debelle, 1968 : 41-43).

La formation professionnelle implique donc une formation intellectuelle,non pas au niveau des détails techniques, qui passent ou qui s’oublient,mais au niveau des principes généraux et de la manière de les appliquer.Elle est ici conçue comme apprentissage d’une forme de pensée proche dece que plusieurs nomment « apprendre à penser comme » (« thinkinglike… ») un professionnel, un médecin, un gestionnaire, un enseignant, etc.Dans cette vision, Ben David réfléchissant à l’échec de l’universitarisationde certains métiers à la suite du Land Grant Act est ici très clair : « pourenseigner quelque chose utilement, il doit exister un corps de connais-sances systématique qui va au-delà des connaissances et tours de mainhabituels des différents métiers » (cité par Bourdoncle, 1994). Là où ces

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connaissances n’existent pas et ne peuvent être générées par la recherche,l’apprentissage sur le tas sera plus efficace comme mode de formation.

À vrai dire, il nous semble que la recherche peut produire des connais-sances nouvelles à portée générale sur n’importe quelle activité, mais quetoutes les activités n’exigent pas de remonter à ces connaissances généralespour déterminer la conduite à tenir. Lorsque l’on traite le plus souvent de casstandardisés, les règles particulières qui permettent de les résoudre sont suf-fisantes et cognitivement plus économiques que le recours aux principesgénéraux. Par contre, lorsque l’on rencontre le plus souvent des cas indivi-dualisés, ce qui est le sort notamment des métiers de l’humain, alors il estplus pertinent de réfléchir sur des savoirs de haut niveau pour trouver, der-rière la singularité, les principes qui permettent, après raisonnement, dechoisir une conduite efficace. C’est ce qu’ont appréhendé Jamous et Pelloile(1970) à l’aide de leur rapport entre indétermination et technicité. Ce dernierterme mesure la part jouée dans la production du service par l’applicationdirecte de règles et manières de faire. L’indétermination au contraire désignel’absence de ces règles immédiates et le recours au raisonnement et à lacréativité du professionnel, qu’il a développé à l’université, lors de sa for-mation professionnelle.

Mais la formation professionnelle n’est pas qu’intellectuelle, elle doitaussi être « pratique ». Même s’il ne développe pas cet aspect, Whitehead nele renie pas. Ici les universitaires qui fondèrent John Hopkins en 1876 et plustard Flexner (1910) jouèrent un rôle capital en pensant et créant les hôpitauxuniversitaires, en tant que lieu où s’effectuent la pratique des soins, la for-mation à cette pratique et la recherche. C’est alors qu’est née l’école pro-fessionnelle universitaire comme lieu de jonction entre des savoirs généraux,produits par la science et la philosophie, et les exigences d’une pratique pro-fessionnelle. En son sein, l’hétéronomie est reconnue et trouve un espacepour se déployer.

Une forme d’apprentissage entre alors à l’université, comparable à celledes arts mécaniques du Moyen Âge, sauf qu’elle se veut régulée par lascience ou des savoirs systématiques, explicites et soumis à la critique uni-versitaire. Toutes les écoles universitaires, à peu de choses près, adopterontou voudront adopter ce modèle clinique, celui d’une forte interaction entreune formation intellectuelle s’appuyant sur une base de connaissance expli-cite et en développement, et une formation pratique effectuée en contexteréel, mais aux risques calculés.

Parsons et Platt, dans The American University (1976), partagent cettevision de la formation professionnelle universitaire : soucieux de montrer ledéveloppement en contexte universitaire du « cognitive complex » et son arti-culation entre les secteurs « fondamentaux » et les secteurs « appliqués », ilsreconnaissent que les facultés professionnelles partagent « a clinical focus »qu’ils définissent en termes d’échanges entre l’université, qui propose dessavoirs, et un secteur d’activité, qui signale les problèmes qu’il rencontredans sa pratique. Certes, pour Parsons, comme dans la tradition allemande,le cœur de l’université, c’est l’école graduée, le lieu de formation à larecherche et le lieu de production de la connaissance. L’école professionnelleapparaît, elle, comme le lieu de production de compétences, plus que desavoirs. Ceci dit, pour ces auteurs, la compétence fait partie du « complexecognitif », puisque le savoir y joue un rôle essentiel selon la définition qu’ils

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 145

en donnent : capacité à atteindre le but grâce à un processus de choix où lesavoir valide et pertinent joue un rôle central (Parsons et Platt, 1976 : 68).

La philosophie de Whitehead réconcilie en quelque sorte le monde desprofessions avec l’université, puisqu’elle soumet l’ensemble de l’université àune vision utilitaire ; dans pareil cadre, les formations professionnelles n’ontaucun complexe à avoir pignon sur les campus universitaires. Cependant,elles y seront chez elles, selon Whitehead, dans la mesure où elles partici-peront à la réflexion inventive sur les savoirs et les principes généraux quifondent une pratique professionnelle et si, par ce biais, elles contribuent àl’innovation. Si nous interprétons convenablement la pensée de ce philo-sophe, les écoles professionnelles universitaires sont utiles à la société, dansla mesure où elles font progresser les milieux professionnels ; elles doiventdonc s’insérer dans des dynamiques de changement et d’innovation, et nonpas, suivant des catégories d’analyse sociologique, simplement reproduire etlégitimer la reproduction des pratiques établies. Le progrès de la société endépend.

Bilan des modèles

Distinctions

Implicite dans deux des trois courants analysés est l’idée que le mouve-ment du monde des professions, et au premier chef, de la formation profes-sionnelle, du moins en milieu universitaire, est induit par des forces qui luisont « étrangères » ou externes, à savoir la culture générale, la philosophieet la science dans ses aspects fondamentaux. On peut parler d’une hiérar-chisation, d’une forte subordination et d’une « colonisation » des formationsprofessionnelles dont on saisit mal, dans ces deux modèles, la spécificité, sitant est qu’il y en ait une.

De lui-même, le monde des professions apparaît dans les deux premiersmodèles comme étroit, spécialisé, englué dans les détails concrets et dansl’univers du particulier. N’y apparaît pas à l’œuvre une forme d’intelligencespécifique, valable, capable d’évoluer au plan des pratiques et des savoirsqui les fondent. L’université est donc nécessaire au monde des professionscomme source d’enrichissement culturel, fondement scientifique et sourced’orientation éthique : la démonstration de cela est d’ailleurs un élémentimportant du discours des philosophes étudiés. Est ici à l’œuvre une rhéto-rique qui veut paradoxalement fonder et justifier l’apport de l’université à lasociété, et au monde du travail et des professions en général.

Ainsi, former un professionnel apparaît comme une affaire de culturegénérale, d’attitudes et de valeurs scientifiques, ainsi que d’éthique. Une for-mation professionnelle universitaire, suivant ces deux modèles, ne se déve-loppe pas en se moulant « mécaniquement » aux exigences objectivementdéfinies d’une fonction de travail. Elle prend ses distances par rapport à cetype d’analyse de fonction, et ne la reconnaît que si on y voit à l’œuvre desprincipes généraux, l’occasion de l’exercice d’un jugement imbibé de raisonet de culture générale.

On est loin de l’insistance des milieux professionnels contemporains pourle développement de véritables compétences, au sens de la capacité d’agirefficacement dans une situation définie, et qui implique la mobilisation des

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savoirs et des connaissances et leur transposition, et aussi la recherche etl’élaboration des stratégies d’action adéquates.

C’est à travers la troisième idée de l’université que la notion de facultéprofessionnelle universitaire, comme espace de formation dotée d’une spéci-ficité, apparaît. Cette spécificité tient à la rencontre des deux aventureshumaines fondamentales, celles de l’action et de la réflexion, ou autrementdit, elle tient essentiellement à une transaction entre l’université, en tantqu’institution de haut savoir, et des groupes professionnels, en tant qu’ins-tances responsables d’activités sociales considérées comme importantes,ces activités utilisant des savoirs. L’école professionnelle suppose une ten-sion entre ces deux termes, c’est-à-dire à la fois une complémentarité et uneopposition.

Dialogue et difficultés

Ces trois modèles toujours vivaces se disputent l’espace d’influence etde discours sur l’université. Ils y participent aussi en partie parce qu’ils serecoupent : les points de vue de Jaspers et de Newman, tout en étant parplusieurs côtés radicalement différents, se recoupent dans l’idée d’une uni-versité loin du bruit du monde, lieu d’une distance critique et de la liberté,lieu aussi d’une solide formation philosophique, c’est-à-dire une formation àet par la raison ; celle de Jaspers et de Whitehead se rejoignent dans l’im-portance commune accordée à la science. Enfin Whitehead reconnaît pleine-ment le rôle des « arts libéraux » dans une éducation professionnelle. Sansces recoupements, le dialogue entre les modèles serait impossible.

L’université actuelle, c’est un peu cela : un dialogue et un conflit à la foiscontinu et contenu entre ces trois modèles. Conflit continu parce qu’ils coha-bitent en permanence sur les mêmes campus avec leurs conceptions et leursrevendications souvent différentes. Conflit contenu parce que, comme nousl’avons vu, ils se recoupent malgré tout en partie, et surtout parce qu’ils serépartissent en des cycles et souvent des endroits différents, les colleges ofliberal arts pour une grande partie des partisans de la conception libérale, lescycles de recherche post-licence, pour les tenants de la conception scienti-fique et les écoles professionnelles souvent autonomisées dans des bâti-ments distincts pour les derniers.

Allons un peu plus loin, au-delà de cette image à la fois complémentaire,conflictuelle et finalement confuse des universités américaines. En fait si surce continent, la grande majorité des écoles professionnelles sont maintenantintégrées dans les universités, les plus prestigieuses, les plus anciennes oules plus importantes ont peu de liens avec les autres structures universi-taires, qu’il s’agisse du collège, des départements disciplinaires, de l’écoledoctorale ou même des autres écoles professionnelles. Comme le soulignaitle Chancelier Capen dès 1953, ces écoles professionnelles sont à peine dis-tinguables des écoles indépendantes : elles mènent une vie à part, avec leurspropres règles de recrutement et leurs propres curriculums, elles s’autofi-nancent avec leurs droits d’inscription ou des subventions gouvernementalesqui leur sont versées directement, s’autocontrôlent avec leurs propresmembres et se maintiennent physiquement hors de la vue et mentalementhors de l’esprit du reste de la communauté universitaire. Fallait-il appeleruniversité cet ensemble faiblement organisé et aux objectifs multiples que detelles écoles professionnelles formaient avec les autres structures universi-taires ? Ne valait-il pas mieux le nommer multi-versité, comme le proposaitKerr (1963, 4e éd.1995) ?

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 147

Quoi qu’il en soit sur le plan organisationnel, l’école professionnelle inté-grée à l’université est devenue pour les formations professionnelles supé-rieures « la norme et l’idéal », selon l’expression d’Anderson (1962). Or auxÉtats-Unis, l’on admet généralement que deux caractéristiques distinguentles formations professionnelles universitaires des formations données dansdes écoles professionnelles spécialisées :

• l’exigence d’asseoir la formation professionnelle sur une formationlibérale, ce qui permettrait aux étudiants de devenir des professionnelscultivés et non de simples techniciens compétents (Curry L., Wergin J.F. etal., 1993) ;

• l’exigence de donner une assise scientifique à la formation profession-nelle, en développant aussi bien l’enseignement des disciplines scientifiquesque l’effectuation de recherches propres.

On retrouve là la conception œcuménique des formations profession-nelles supérieures qu’exposait Whitehead. Ce n’était, ni pour lui, ni pour ceuxqui l’ont suivi, un œcuménisme tactique, une concession aux deux concep-tions antérieures et bien établies de l’université. Ces auteurs croient profon-dément à la complémentarité de ces orientations dans toutes les formationsprofessionnelles et c’est, à leurs yeux, ce qui explique et justifie qu’elles sesoient universitarisées, en transformant leurs programmes et leurs orienta-tions. Ceci ne va pas sans difficultés, ni même aujourd’hui sans contestationd’une telle complémentarité. Les difficultés ne sont pas seulement d’ordreorganisationnel, comme on l’a déjà entrevu, ce sont aussi des difficultés defond, tenant aux conceptions, souvent différentes d’un secteur professionnelà l’autre, de ce que doit être la formation libérale et la formation scientifiquedans une formation professionnelle. Voyons ces points tour à tour.

Les conceptions divergentes de la formation libérale

En Europe méditerranéenne, et tout particulièrement en France, on neparle guère de formation libérale. Ainsi dans un numéro récent de Rechercheet formation significativement intitulé « Les sciences humaines et socialesdans la formation des ingénieurs » (Bardel-Denonnain et Chaix, 1998), onignore l’expression formation libérale, on préfère parler d’humanités, de for-mation générale, de formation dans les sciences humaines et sociales oumême de formation humaine. Dans les autres pays d’Europe, l’expressionsemble beaucoup plus fréquente, mais ses sens sont très différents, ce quin’est guère étonnant lorsqu’on se rappelle avec Rothblatt (2000) ou Silver etBrennan (1988) les milliers de sens et de débats que l’histoire a déposésdans ces mots et que la géographie a encore spécifiés selon les pays.Remarquons toutefois qu’en Angleterre et aux États-Unis, tout le mondesemble d’accord sur l’importance d’une formation libérale dans le sensdonné par Newman, c’est-à-dire une formation qui ouvre l’esprit, le libère dela pression du milieu social et professionnel et lui apprend à penser demanière autonome. Mais l’accord ne va pas au-delà de ce bel idéal. Quelssont les enseignements qui permettent de l’atteindre ? Faut-il les mettre enrapport avec la future profession, quitte à spécifier chaque discipline selonle secteur, avec par exemple de l’histoire, mais différente pour les futurs éco-nomistes et les juristes ? Faut-il au contraire les enseigner pour elles-mêmes,en leur conservant leur caractère gratuit et désintéressé ? Faut-il les ensei-gner dans un temps (le 1er cycle aux États-Unis) et un lieu, le liberal arts col-lege, qui leur est spécifique ou au contraire les inclure dans la formation pro-fessionnelle ? On comprend qu’à autant de questions soit apporté un nombre

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de réponses d’autant plus grand que le système est décentralisé. À vrai dire,on peut distinguer trois grands types selon la nature du curriculum et le lieuoù il est délivré.

Il y a d’abord ce que l’on appelle aux États-Unis les arts libéraux,ensemble de cours portant sur les humanités (littérature, histoire, languesvivantes, philosophie), les sciences physiques, biologiques et mathématiqueset les sciences sociales, qui sont enseignés dans les collèges de même nomet le plus souvent sans finalité professionnelle. Cet ensemble constitue uneformation amenant en quatre ans à la licence (bachelor of arts ou bachelorof science, selon la spécialisation). Cette formation a explicitement pour butde développer des capacités intellectuelles transversales et de donner uneculture générale.

On trouve ensuite ce qu’on appelle la formation générale, ensemble decours optionnels concernant les lettres, arts et sciences, qui peuvent consti-tuer une part importante (30 à 50 %) des études professionnelles. Ils se dif-férencient des arts libéraux par deux traits : ils ne sont pas cantonnés auxpremiers cycles et ils sont largement optionnels, si bien que les choix faitsn’ont pas forcément la cohérence cognitive d’un curriculum fortementconstruit, comme pour les arts libéraux.

Reste enfin ce que Armour et Fuhrmann (1993) appellent la formationlibérale. Elle a des objectifs proches de l’idéal prêché par Newman. On peutles résumer ainsi : développer les capacités de pensée autonome et critique ;faire acquérir les bases culturelles nécessaires pour l’exercice de la pensée,développer le sens des valeurs et leur questionnement critique, et enfin ren-forcer la capacité à communiquer les résultats de sa pensée. Selon cesauteurs, une telle formation peut se dérouler aussi bien dans la formationprofessionnelle qu’en dehors, se manifester aussi bien dans les disciplinesde formation générale que dans les matières professionnelles, car celles-cipeuvent tout autant développer l’esprit critique, la maîtrise de la culture spé-cifique au domaine professionnel, le sens des valeurs et la capacité à expli-citer ses actes et décisions professionnelles.

Dans ces trois cas, même si l’idéal revendiqué et les objectifs visés sontproches, la diversité des conditions de mise en œuvre rend inévitable unegrande divergence dans les réalisations et un débat permanent sur lesmeilleures solutions. Il semble bien, si l’on en croit Anderson jadis (1962)comme Armour et Fuhrmann plus récemment (1993), que l’éducation pure-ment libérale perd du terrain aux États-Unis (la majorité des maitrises – 86 %– et même des doctorats – 53 % – sont maintenant attribués par des écolesprofessionnelles). Ceci s’effectue au profit d’une formation générale ou d’uneformation libérale plus en lien avec les secteurs professionnels concernés ets’effectuant de plus en plus souvent dans les écoles professionnelles elles-mêmes. Même en Europe, comme on le verra en conclusion, la formationlibérale est de plus en plus pensée en relation avec la formation profession-nelle, si l’on en croit Barnett (1994), qui parle, après Silver et Brennan (1988),de « liberal vocationalism ».

La place des sciences : contestations et différenciations

C’est à la suite d’un rapport de la Fondation Carnegie établi par Flexneren 1910, avant même les écrits de Whitehead, que les études médicales ontété universitarisées et sont devenues plus scientifiques. Cette réforme trèsinfluente a lancé le mouvement de scientifisation et d’universitarisation dans

Qu’est-ce qu’une formation professionnelle universitaire ? 149

d’autres secteurs professionnels (droit, avec le rapport Reed en 1921, odon-tologie avec le rapport Gies en 1926…). Quatre-vingt ans plus tard, c’est unautre rapport de la même fondation Carnegie, celui de Boyer (1990), qui arelativisé l’importance de la science en affirmant qu’à coté de l’éruditionscientifique, tout universitaire des secteurs professionnels doit développertrois autres expertises, dont une en matière de pratique. Entre temps, deuxtypes d’arguments ont attaqué soit la prééminence que Whitehead ou Flexneraccordaient aux sciences dans toute formation professionnelle universitaire,soit de manière plus radicale et plus récente, la place même de l’universitédans la production scientifique.

Tout d’abord, une critique sur l’organisation même des formations pro-fessionnelles universitaires et ses conséquences : leur inclusion dans desuniversités où la suprématie était donnée à la recherche a dévalorisé la pra-tique et ses savoirs propres, comme l’ont souligné Jencks et Riesman (1977).Dans cette conception hiérarchique, l’efficacité de la pratique et de sessavoirs ne les justifient aucunement, seuls leurs liens avec des savoirs sys-tématiques, si possible scientifiques, peuvent le faire en leur donnant lacohérence et la rigueur nécessaires. Ainsi dans cette société américaine par-ticulièrement utilitaire, le savoir est désormais perçu comme indépendant etmême antérieur à toute pratique. On commence d’ailleurs ses études parl’apprendre (études précliniques), bien avant le faire et la mise en pratique(études cliniques). Quant à l’apprendre par le faire cher à Dewey, il est éga-lement reporté aux études cliniques. Il y a donc une division forte dans lesétudes et plus largement dans la profession entre la théorie et la pratique, lelaboratoire et le lieu de l’exercice professionnel, la recherche et les applica-tions. Or la hiérarchie que recouvre cette division n’est pas justifiée. Sous lenom de modèle de la rationalité technique, Schön (1983, 1993) a dénoncé ceschéma positiviste, hiérarchique et applicationniste du savoir créé dans leslaboratoires de recherche fondamentale, développé dans des lieux derecherche appliquée et ensuite utilisé sans grande créativité par des prati-ciens. En effet, un tel modèle qui fait du praticien un simple agent mettanten œuvre les règles, méthodes et connaissances construites par la rechercheet apprises à l’université, ignore son rôle essentiel dans la construction duproblème à résoudre. C’est lui qui, pour cela, mobilisera ses acquis univer-sitaires, s’ils conviennent et, sinon, son savoir implicite, issu de son expé-rience, et sa réflexion en action, pour reformuler et surtout résoudre malgrétout le problème. Il faut donc non seulement transmettre le savoir établi parla recherche, mais aussi développer les capacités de « réflexion sur le savoiret de réflexion en action qui se manifestent dans les actions réussies ou pro-blématiques des praticiens » (Schön, 1996), car c’est cela qui aidera lesfuturs praticiens à affronter les cas problématiques.

Or, deuxième critique, ces cas problématiques, qui ne relèvent pas de larationalité technique, parce qu’ils sont marqués par l’incertitude, la singula-rité, l’instabilité et le conflit de valeur, toutes choses qui lui échappent, cescas sont nombreux dans toute pratique professionnelle, mais de manière dif-férente selon les caractéristiques de chaque secteur. Ainsi le rapport entrerecherche et pratique varie selon qu’il s’agit d’une profession majeure, régiepar une finalité claire, un contexte institutionnel stable et un consensus fortsur un paradigme dominant dans l’établissement de ses savoirs (médecine,droit) ou d’une profession mineure aux buts ambigus, sans base de savoirssystématiques (éducation, travail social, soins infirmiers) ou avec des para-digmes conflictuels (psychiatrie). Si l’on y ajoute d’autres caractéristiques

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relevées par Rice et Richlin (1993), comme le fait de travailler sur du phy-sique où les lois sont nombreuses et stables ou sur du biologique et del’humain, où la complexité est plus grande et les lois moins fréquentes, le faitaussi que les formateurs universitaires continuent à pratiquer ou pas, leniveau de certification ou encore le type d’orientation dominant dans leursecteur (par exemple l’aide en médecine et enseignement, l’esprit d’entre-prise en gestion ou en journalisme, l’esprit technique enfin en ingénierie ouarchitecture), on comprend qu’il y ait de grosses différences d’un secteur àl’autre dans le rapport à la science ou au savoir rationalisé. Donnonsquelques exemples :

• en médecine et en ingénierie, on favorise la séparation d’abord, puisl’application hiérarchique ensuite entre la recherche scientifique, centrée surla découverte et surtout faite en laboratoire et la pratique, qu’elle soit cli-nique, au chevet du malade, ou technologique, dans la salle des machinesou le bureau d’études ;

• en éducation, soins infirmiers et travail social, on favorise la pratiquecentrée de manière réflexive sur le client et la situation plutôt que sur l’ap-plication de connaissances établies par la recherche ;

• en gestion, comptabilité ou architecture, on favorise surtout laconstruction et plus encore l’application pragmatique de principes d’actionadaptés aux situations rencontrées.

On l’entrevoit ici, le rapport à la science est trop variable selon les sec-teurs pour qu’elle puisse servir de fondement partout. Une formation favori-sant la résolution de problèmes et la réflexion sur la pratique permet beau-coup mieux qu’une formation scientifique de former de futurs « praticiensréflexifs ». Pour ces deux raisons, et sans aucunement renier la nécessité dela recherche, le modèle des écoles professionnelles universitaires s’appuyantessentiellement sur la recherche scientifique est contesté.

À ces deux raisons, on peut aujourd’hui en ajouter une troisième, plusradicale, qui conteste non plus la prééminence donnée aux sciences dans lesformations professionnelles universitaires, mais la prééminence de l’universitéelle-même dans la production des sciences. En effet, si l’on en croit Gibbonset al. (1994), la production actuelle des savoirs scientifiques ne se ferait plusde manière privilégiée dans le réseau relativement homogène des universités,mais bien plutôt dans un réseau beaucoup plus hétérogène, mêlant aux labo-ratoires universitaires des laboratoires d’entreprises, des firmes innovantes,des sociétés d’expertise, des bureaux d’études publics et privés et desgroupes ad hoc de coordination et de normalisation. Ce n’est pas une simpleévolution dans le partage de la production des savoirs scientifiques entre uneinstitution jusque-là dominante, l’université, et des organismes jusque-là plusutilisateurs que producteurs. Il s’agit en fait, comme le suggère le titre, d’unnouveau mode de production du savoir, dans des sociétés contemporaines deplus en plus basées sur la connaissance et ses applications. Il se distingue-rait fortement du mode universitaire précédent par plusieurs caractéristiques.D’abord, il serait orienté, dans sa manière de poser ses problèmes derecherche et de les résoudre, non par l’offre universitaire, qui privilégie lacohérence cognitive sur l’efficacité sociale, mais par la demande sociale etpour y répondre. Ensuite il favoriserait les équipes hétérogènes, car répondreaux problèmes souvent mal formulés de la demande sociale exige descompétences multiples et fait appel à des chercheurs d’origine, de formation,de disciplines et d’intérêts divers, plutôt qu’à la communauté homogène des

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chercheurs de laboratoires universitaires. Plus encore, la souplesse organisa-tionnelle, qui permet d’ajuster les compétences à mobiliser en fonction desproblèmes à résoudre, serait préférée à la stabilité des structures derecherche liées à l’enseignement et donc aux disciplines. Il serait d’ailleursnon pas disciplinaire, mais transdisciplinaire. Sur plusieurs de ces caractéris-tiques récentes de la recherche – prise en compte de la demande sociale,hétérogénéité des équipes, souplesse institutionnelle et partenariats mul-tiples, inter ou transdisciplinarité – les écoles professionnelles paraissentmieux placées que les départements disciplinaires. D’ailleurs, comme on l’aprécédemment indiqué, elles produisent déjà plus de travaux de recherche(86 % des maîtrises et 53 % des doctorats aux États-Unis) que les départe-ments disciplinaires, si l’on en croit les chiffres pourtant relativement anciens(1986-87) avancés par Conrad & Bolyard Millar (in Clark et Neave, 1992).

En tout cas, ces critiques remettent en cause notre idée initiale que laspécificité des formations professionnelles universitaires, c’est de fusionneren partie les trois modèles d’université. Ce fut peut-être le cas jadis.Aujourd’hui, il semble que les écoles professionnelles, s’appuyant sur lademande sociale et encouragées par l’évolution de la recherche et par lespolitiques gouvernementales de développement des formations profession-nelles et de professionnalisation de l’université, cherchent à se libérer de latutelle des deux autres modèles pour mieux développer leurs caractéristiquespropres. En fait, le rapport de l’université à la société a changé. Ce n’est plusune institution marginale, réservée à la formation d’un groupe élitaire, maisune institution centrale, bien reliée au reste du système éducatif et emportéepar le courant dominant de modernisation, de rationalisation et de massifi-cation démocratisante. Elle ne peut plus se contenter de donner une forma-tion générale et libérale, ni même une formation scientifique, en ignorant lamanière dont ses étudiants pourront ensuite gagner leur vie. En tout cas lesétudiants « post graduate » ne l’ignorent pas, puisqu’ils donnent la préfé-rence aux écoles professionnelles pour les maîtrises et doctorats, comme onl’a déjà vu. On peut interpréter cette évolution dans l’ample perspectivesocio-politique qu’a dessinée Y. Lenoir en ouverture au 13e CongrèsInternational de l’Association Mondiale des Sciences de l’Éducation (2000).On serait passé de l’université culturelle et libérale, prônée par Newman, quidepuis deux siècles contribuait au renforcement des États-nations en fondantl’identité nationale de manière diverse, sur la culture en Allemagne et sur leslettres en Angleterre, à une université dite d’excellence, qualificatif de mar-keting suscitant tous les espoirs et masquant selon Readings (1996) lesorientations beaucoup plus utilitaristes des grandes corporations qui pous-sent à la mondialisation, au déclin de l’État-nation et à l’affaiblissement desfonctions culturelles de l’université au bénéfice de ses fonctions profession-nelles.

Ainsi nombre d’universitaires ont pu dénoncer le trop grand développe-ment de ces étroites formations professionnelles et reprendre la critiqued’Adorno et Horkheimer à propos de l’emprise croissante de la rationalitéinstrumentale sur le dernier bastion qui lui résistait, l’université. D’autres ontpu aussi, avec A. Bloom ou J. de Romilly, condamner l’affaiblissement de laformation libérale et de la transmission des œuvres du passé, avec, par voiede conséquence, la disparition de la culture lettrée. D’autres encore ont pustigmatiser la disparition de l’intellectuel critique qu’incarnait J.-P. Sartre,remplacé par l’expert, aux connaissances aussi profondes, mais à l’ambitiontrès circonscrite à son domaine de compétence. On a même pu voir dans

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152 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

cette évolution une nouvelle « trahison des clercs » et une « défaite de lapensée » (Finkielkraut), comme le rappelle Weijers (1998). Mais après avoirpassé en revue toutes ces critiques et refusé clairement de restaurer la vieilletradition de l’université libérale, qui aurait perdu son âme face à la crois-sance des formations professionnelles, cet auteur préfère proposer un nou-vel équilibre tenant compte des spécificités des formations professionnellesque la société attend aujourd’hui de l’université, sans qu’elle abandonnepour autant sa fonction critique.

Reste à examiner, dans une toute prochaine livraison, quelles sont cesspécificités.

Claude LessardLABRIPROF-CRIFPE

Université de Montréal

Raymond BourdonclePROFEOR

Université de Lille 3

NDLR : La deuxième partie de cette note paraîtra dans un numéro de l’année 2003.

NOTE

(1) D’ailleurs, même en France, les équipes d’accueil fonctionnent d’une certaine manière comme des lieux de stage et de sociali-sation professionnelle au métier de chercheur pour les doctorants.

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communication non verbale selon la méthode éthologique(mimiques, gestes, postures, regards).

Enfin précisons que ce livre ne demande pour salecture aucune compétence particulière en mathéma-tiques (même si les exemples portent sur des situationsd’apprentissage de cette discipline), ni en psychanalyse,car les chapitres théoriques sont soigneusement illustrésde cas, progressivement amenés et clairement exposés.

Il ne s’agit pas d’un livre difficile, mais plutôt complexe,donc qui ne se résume pas. Aussi allons-nous en explorerprogressivement le contenu, afin que chaque lecteurpotentiel puisse apprécier sa richesse.

Claudine Blanchard-Laville débute son ouvrage par unretour sur son propre passé d’écolière puis d’étudiante enmathématiques pour nous montrer qu’on ne peut réfléchiren professionnel sur l’acte pédagogique sans penser à sonpropre parcours, ses propres choix. Puis les exposés cli-niques commencent. Il y a des choses que l’élève ne veut passavoir car elles renvoient à une histoire douloureuse quipeut suffisamment toucher l’enseignant pour qu’il préfèrene pas entendre ce que son élève lui dit. D’où l’idée d’unenécessaire sensibilité à l’inconnu, aux raisons de l’élève.

On aborde ensuite l’importante question de la profes-sionnalisation des enseignants. Le choix d’enseigner lesmathématiques masque souvent une histoire personnellemeurtrie, cette discipline apparaissant alors comme le bonchoix clair, rationnel, secourable. D’où l’intérêt, dans desgroupes de formation, d’analyser ce soi enseignant pouren dégager les implications personnelles et anciennes.C’est là le thème central de l’ouvrage : l’enseignant est aupremier plan dans la relation didactique dont la qualitédépendra des passages qu’il autorise entre son intérioritéet son identité professionnelle, afin d’éviter cette souf-france professionnelle si répandue. Claudine Blanchard-Laville décrit alors, avec exposés de situations, et pour leplus grand plaisir de ceux qui s’intéressent aux analyses depratiques, le dispositif qu’elle utilise, à savoir le grouped’accompagnement clinique.

S’appuyant sur les études de Bion, l’auteur montre quel’essentiel est de faire croître chez l’élève son appareild’apprentissage et non de viser des savoirs en eux-mêmes.Elle radicalise même cette opposition, en montrant qu’on

BLANCHARD-LAVILLE (Claudine). – Les ensei-gnants entre plaisir et souffrance. Paris : PUF, 2001. –281 p. – (Éducation et Formation).

Voici un livre où Claudine Blanchard-Laville fait la syn-thèse de ses recherches sur l’approche clinique psychana-lytique en didactique des mathématiques. Ce livre se litcomme une histoire : on pénètre au fil des pages dans l’in-conscient de la classe pour découvrir tout ce qui s’y joueconcernant les différents plans de la réalité psychiquechez l’élève et le professeur. C’est un beau livre, au sensoù il rassemble théorie, pratique, histoire et engagementpersonnel de l’auteur. Il se lit oserais-je dire avec plaisir,mais peut-être aussi avec une légère souffrance de bonaloi, tant l’écriture, les nombreux cas et situations cités nemanquent pas de nous émouvoir et de nous interroger enprofondeur sur notre propre rapport au savoir. Cliniquepsychanalytique disions-nous, mais il n’est pas questiondans cet ouvrage de tout ramener à l’inconscient ou à lapathologie. Il s’agit de montrer que dans la classe (et peut-être dans le cours de mathématiques plus qu’ailleurs),c’est tout à la fois le corps, les affects, les sentiments trans-férentiels des élèves et enseignants qui sont présents etdont il conviendra de déterminer le rapport au savoir-faire didactique. Ce livre nous apporte beaucoup :

1. Au plan de la théorie : Il s’agit d’une conceptua-lisation nouvelle et forte sur l’espace psychique de laclasse, la fonction contenante de l’enseignant, le transfertdidactique. Cette notion d’espace psychique de la classeélaborée par l’auteur n’est pas seulement une applicationdes concepts de Bion et Winnicott, mais un véritableapprofondissement de la théorie de ces auteurs ; à ce titrenous espérons que cet ouvrage sera lu également dans lescercles de la psychologie et de la psychanalyse et pas seu-lement en sciences de l’éducation.

2. Au plan méthodologique : L’auteur nous montre ceque sont des recherches qui utilisent l’approche clinique.La clinique travaille sur le quotidien ; ainsi la plupart desétudes portent sur des entretiens ou des observationsde situations professionnelles (entretiens psychopédago-giques, groupes d’analyses de pratiques…). L’approcheclinique est intégrative ; ainsi l’auteur, en plus de l’écoute,procède par analyse de l’énonciation du discours, et utiliseaussi des enregistrements vidéos pour un décryptage de la

NOTES CRITIQUES

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peut avoir envie de savoir pour refuser d’apprendre, lesavoir étant alors une nourriture idéalisée dispensant de lasouffrance d’apprendre. À méditer dans le débat quioppose souvent disciplines et pédagogie… En fait, l’offrede savoirs de l’enseignant crée des demandes imaginairesde la part de l’élève, qu’on pourrait identifier commedemandes d’amour, ou alors, si l’histoire personnelle del’élève s’y prête, ces savoirs peuvent être vécus doulou-reusement comme des violences. Il va de soi que le pro-fesseur, avec sa propre histoire, sera par son contre-trans-fert sensible à cette situation transférentielle. On perçoitdonc mieux toute la complexité de ce qui se passe dans laclasse, ainsi que le rôle majeur de l’enseignant qui vaconstruire un espace psychique de la classe. En fonction deson histoire, de sa personnalité, il impose à l’élève sasignature, un certain type de rapport au savoir. C’est làque l’auteur utilise la méthode éthologique avec vidéo, etainsi on peut assister à la construction in situ de cetteenveloppe psychique de la classe, différente selon l’ensei-gnant, mais aussi selon les élèves, car certains semblentdépositaires de la partie la plus riche de l’enseignant,alors que d’autres renvoient l’enseignant à ses crainteset angoisses. Enfin comme résultat intéressant de laméthode éthologique notons l’étonnante et dramatiqueséquence d’observation intitulée Mélanie, minute 41 oùl’on voit, à la manière d’Eugène Ionesco, une leçon demathématiques pourtant bien commencée se déliter com-plètement, la volonté d’emprise toute puissante du pro-fesseur face à la résistance de l’élève amenant au déchire-ment violent de l’enveloppe psychique déjà tissée.

En conclusion, le rapport au savoir a à voir avec les trau-matismes, les deuils originaires, que chacun d’entre nous,enseignant ou élève, porte en soi. Mais puisqu’il est le pro-fessionnel, c’est à lui, l’enseignant, qu’incombe le devoird’essayer de surmonter cette souffrance partagée inhérenteà l’acte d’apprendre. Il devra construire un holding didac-tique bien tempéré, c’est-à-dire un espace transitionnel oùl’élève se verra porté, pouvant ainsi, au sein d’un lien didac-tique, vivre une véritable expérience d’apprentissage. Cen’est pas facile, mais le but de cet ouvrage est justementd’ouvrir des pistes pratiques et théoriques et de montrerqu’une professionnalisation en ce sens est possible.

Guy GenevoisUniversité Lumière Lyon 2

CHARLOT (Bernard) (dir.). – Les jeunes et le savoir.Perspectives internationales. Paris : Anthropos – Écono-mica, 2001. – 168 p.

La notion de « rapport au savoir » connaît un succèscertain dans le champ des sciences de l’éducation.

Bernard Charlot en avait déjà proposé une théori-sation (1) qui suivait ou accompagnait les recherches del’équipe ESCOL de l’Université Paris VIII. Cette der-nière y avait déjà recouru pour comprendre comment lesécoliers et les collégiens de banlieue vivent l’école et yapprennent (2). Elle s’est ensuite intéressée, du mêmepoint de vue, à l’expérience scolaire des « nouveauxlycéens » (3) ainsi qu’au rapport au savoir des jeunes delycées professionnels de banlieue (4). Bernard Charlotsoumet aujourd’hui la notion à une nouvelle épreuve ense demandant en quoi elle peut être un instrument derecherche dans diverses aires culturelles et dans diversesdisciplines.

Il s’agit, fondamentalement, de considérer ce rapportcomme un problème de relation entre le désir et le savoir.Cette question peut être travaillée d’un point de vue psy-chanalytique, comme le fait l’équipe de Jacky Beillerot deParis X. Elle peut l’être aussi d’un point de vue socio-logique qui s’intéresse aux rapports à l’apprendre requiset mobilisés dans des situations différentes. Ce point devue est celui d’ESCOL qui, dans la démarche comparativede ce dernier ouvrage, articule l’approche anthropo-logique qui voit dans l’éducation un processus générald’humanisation et une approche plus circonstanciéeconfrontant à des savoirs précis, à des pratiques socialesdéterminées.

Les équipes engagées dans cette recherche ont en com-mun de mobiliser, à un degré ou à un autre, cette notionde rapport au savoir. Elles travaillent aussi dans des situa-tions contrastées sur des sujets différents. Pour la France,lieu de naissance de la notion, Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex s’intéressent au travail d’écriture en philo-sophie et en sciences économiques et sociales. Pour leBrésil, les équipes du CENPEC et du LITTERIS abor-dent le thème de l’école et du savoir comme « soucisocial », Jacques Gauthier et Leliana de Sousa Gauthiercomparent le rapport au savoir d’élèves, de parents etd’enseignants d’écoles de périphérie à Salvador de Bahia.En République tchèque, Milos Kucera recherche, dans lesbilans de savoir d’élèves de 5e, les échos du débat antiquesur les principes fondamentaux d’organisation des savoirset sur le statut de ces derniers. Stanislas Stech s’intéresse àce que peut signifier « apprendre » pour de jeunes élèvestchèques des années 90. Ahmed Chabchoub, quant à lui,interroge le rapport entre l’acquisition des savoirs scienti-fiques par les jeunes Tunisiens et la conception classiquede la connaissance que véhicule leur culture d’origine.

L’utilisation réitérée de la notion de « rapport ausavoir » ainsi que son « exportation » permettent d’enri-chir et de compléter la méthodologie des « bilans desavoir » mise en œuvre dès les premiers travaux par ceux

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qui s’en réclament. Les petits « philosophes » tchèques de5e, en disant ce qu’ils voudraient apprendre encore, sont,par exemple, invités à situer leur bilan de savoir dans unprocessus plus vaste. De façon générale, on voit le dispo-sitif d’enquête s’étoffer d’entretiens, d’analyses de docu-ments variés destinés à mieux prendre en compte lesfaces objective et subjective du rapport à l’apprendre.Une autre inflexion méthodologique est apportée par lanécessité, pour la recherche, de s’appuyer sur des don-nées qui fassent sens pour les acteurs sociaux concernés.Le jeune âge des sujets enquêtés ou leur faible maîtrisede l’écrit et du type d’abstraction qu’il requiert a conduità compléter les demandes « classiques » des bilans. Ontrouve, par exemple, dans les recherches brésiliennes, desconsignes comme celle qui demande aux enfants ce qu’ilfaudrait enseigner à un Martien chargé de ramener chezlui l’expérience de vie des Terriens ou celle qui sollicite,de leur part, mais aussi de la part des adultes, des dessinssusceptibles de figurer ce que sont pour eux les appren-tissages.

Bien que très différentes par leurs objets d’étude, cesrecherches montrent que les apprentissages peuvent seclasser en trois catégories, évoquées selon un ordredécroissant par les jeunes : ceux qui sont liés à la vie quo-tidienne, ceux qui relèvent de la vie affective et relation-nelle et du développement personnel, ceux qui ressor-tissent de l’intellectuel et du scolaire. Dans ce dernier cas,il s’agit surtout des apprentissages fondamentaux (lire,écrire et compter), beaucoup moins de rapports à descontenus de savoir précis ou à des compétences méthodo-logiques. Ce qui est le plus important, qui fait le plus senspour eux, s’apprend dans la famille plus qu’à l’école. Cerésultat suffirait à lui seul à conforter une posture derecherche qui s’attache à comprendre comment laconstruction du savoir ne se fait pas par acquisition pureet simple, mais par différenciation. On ne va pas générale-ment à l’école pour y apprendre en continuité avec lesmodes d’apprentissage familiaux et trois issues sont pos-sibles, que l’on retrouve, déclinées sous différentesformes, dans tous les groupes qui font l’objet de cesenquêtes. Il peut y avoir rupture sans continuité au sensoù les apprentissages scolaires entrent en concurrenceavec ceux de la vie. La continuité peut être sans rupturelorsque, rivé à une logique de survie, on fréquente l’écolepour avoir, plus tard, un (bon) métier. On peut, enfin,comme le font surtout les jeunes issus des classesmoyennes, se situer dans une logique d’« intersignifica-tion » qui tire profit des tensions engendrées par le pas-sage à l’univers scolaire pour apprendre à la fois « la vie »et « à l’école ».

L’ensemble de ces résultats corroborent ceux déjàprésentés par les différents ouvrages d’ESCOL. Ils les

enrichissent cependant dans la mesure où ils les aidentà s’affranchir de deux limitations qui guettent uneapproche en termes de rapport au savoir, a fortiori derapport à l’apprendre. S’il est fécond d’abstraire ce quise joue en termes d’hominisation dans chaque appren-tissage, le risque de diluer dans une problématiquegénérale du « sens » les rapports circonstanciés à dessavoirs précis demeure cependant. De ce point de vue,la volonté affirmée par « Les jeunes et le savoir » de s’in-téresser simultanément à des questions plus largesd’ordre anthropologique et à d’autres, plus pointues,d’ordre didactique, est tout à fait louable. Pour neprendre qu’un exemple, la comparaison entreprise parE. Bautier et J.-Y Rochex des rapports des lycéens àdeux disciplines à dissertation montre des différencesréelles chez les mêmes jeunes : pour de nombreuses rai-sons, ils semblent plus à l’aise en sciences économiqueset sociales qu’en philosophie. Pour autant ils n’y réus-sissent pas nécessairement mieux et ce constat appellelui-même à prolonger la recherche sur ce qui est sem-blable et ce qui diffère dans les conditions de didactisa-tion de ces deux disciplines. La spécification culturelleconduit, de son côté, à prendre mieux conscience de cequi caractérise chaque système scolaire et, en ce quinous concerne, le système français. Les bilans de savoirfont en effet notamment apparaître une importance plusgrande des apprentissages relationnels éthiques pour lesBrésiliens de milieu populaire qui insistent sur la néces-sité d’apprendre à « se défendre ». Les jeunes Tchèquesquant à eux, plus proches des classes moyennes, parais-sent plus soucieux d’adaptation à la société, aux autreset à eux-mêmes. Les Français semblent s’en prendreplus souvent aux institutions et aux problèmes structu-raux de la société et révèlent par là une imbrication,sans doute beaucoup plus grande que dans d’autrespays, entre les apprentissages scolaires et la formationd’un certain type de citoyen.

Il y a certes des inégalités entre ces différents travaux.Certaines équipes sont engagées depuis moins longtempsque d’autres dans ce type de démarche et utilisent desoutils d’analyse qui doivent eux aussi s’affiner. Larecherche tunisienne, par exemple, qui interroge lecontenu réellement scientifique des connaissances ensciences expérimentales, impute sans doute un peu viteles obstacles repérés chez les élèves à une conceptionpré-moderne de la connaissance : des recherches endidactique de la physique ou de la biologie n’ont-elles pasmontré qu’en France, État laïque, la maîtrise des connais-sances et des procédures n’implique pas nécessairementcelle des concepts et des problèmes ? Il semble aussiqu’on manie des hypothèses culturalistes un peu lourdeslorsque, comme Milos Kucera, on impute à un effet des

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œuvres des anciens Grecs certains traits des bilans desavoir des jeunes Tchèques d’aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, le gain apporté par ces travaux sur lemême et l’autre dans le rapport au savoir est indéniable.Les difficultés rencontrées par chaque équipe pour spéci-fier les objets de recherche tout en demeurant dans uneproblématique commune ne cessent notamment d’inter-roger la notion de rapport au savoir elle-même et, d’unecertaine manière d’en confirmer la pertinence. La languetchèque, par exemple, ne connaît pas autant de tempsgrammaticaux que la langue française, ce qui rend évi-demment très difficile la comparaison des savoirs acquisselon des tranches temporelles qui ne sont pas découpéesde façon identique. De la même manière, la notion fran-çaise de savoir comme appropriation, par le sujet, d’uneconnaissance extérieure n’a pas de correspondant enarabe où « science » ou « connaissance » renvoient à desopérations beaucoup moins personnalisées. Preuve, s’il enétait besoin, que le savoir est un rapport engageant latotalité de l’humain et exigeant des concepts et desméthodes d’investigation susceptibles d’en appréhenderla complexité. Le risque pris par ce type de comparaisonculturelle et disciplinaire est sans doute un jalon néces-saire dans l’étude encore trop peu développée de laconstruction des savoirs.

Patrick RayouINRP

NOTES

(1) Du rapport au savoir. Éléments pour une théorie. Bernard Charlot.Paris, Anthropos-Économica, 1997.

(2) École et savoir dans les banlieues…et ailleurs, Bernard Charlot,Élisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex. Paris, Armand Colin, 1992.

(3) L’expérience scolaire des nouveaux lycéens. Démocratisation oumassification ? Élisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex. Paris, ArmandColin, 1998.

(4) Le rapport au savoir en milieu populaire. Une recherche dansles lycées professionnels de banlieue. Bernard Charlot. Paris,Anthropos, 1999.

DUBAR (Claude). – La crise des identités. L'interpré-tation d'une mutation. Paris : PUF (Le lien social, VII),2000. – 239 p.

Ce livre est une étape importante de la recherche socio-logique de Claude Dubar à propos des processus et phé-nomènes identitaires (1).

L'ouvrage, organisé en cinq chapitres, revisite les tra-vaux de Norbert Elias, de Max Weber, de Marx et Engels,pour dégager, sur la longue durée, quatre formes identi-taires (culturelle, réflexive, statutaire, narrative) en cours

de recomposition (ou de mutation) et en crises dès lorsque les équilibres antérieurs sont rompus et que les deve-nirs sont incertains.

Le modèle conceptuel élaboré au chapitre I guide l’ana-lyse, à partir de la littérature sociologique récente, decrises identitaires « sectorielles », dans les domaines de lafamille et des rapports sexués (chapitre II), du travail etde la vie professionnelle (chapitre III), des engagementssocio-spirituels et socio-politiques (chapitre IV). Le cha-pitre V, consacré à la construction et aux crises de l’iden-tité personnelle, entrecroise les crises « sectorielles » etleurs conséquences possibles.

L’identité ? De quoi s’agit-il ? Claude Dubar, dans uneintroduction très dense (pp. 1-13), précise d’emblée saposture philosophique, sa conceptualisation centrale, saposition dans le champ sociologique et celui des scienceshumaines, et l’analyse qu’il souhaite faire des crises iden-titaires et des évolutions conjointes de la société françaisedepuis les années 1970.

• L’identité, « mot-valise » selon l’auteur, renvoied’abord à un positionnement philosophique. À la posture« essentialiste », où l’identité serait substance, mêmeté, infine destin (cf. Parménide), Claude Dubar oppose, pourl’adopter, une posture « nominaliste », « existentialiste »où l’identité est le résultat, contingent, provisoire, de pro-cessus de changements (cf. Héraclite).

Si l’identité relève de processus, il faut alors la penseren termes d’identification en distinguant d’abord, dans lalignée de la Socialisation (1991), les identifications attri-buées (identités pour autrui) et les identifications revendi-quées (identités pour soi). Les identités, comme résul-tantes de processus d’identification, supposent l’altérité etdes transactions plus ou moins réussies, objectivement etsubjectivement, entre identités attribuées et identitésrevendiquées.

Ces identifications supposent aussi des systèmes d’ap-pellations, historiquement variables, faits de catégorisa-tions sociales collectives retraduites, ré-appropriées, psy-chiquement, par des sujets sociaux singuliers. Dès lors larecherche de formes identitaires, conçues comme agence-ment historique et social de modes de désignations, d’ap-partenances, et comme relations entre processus d’identi-fication pour soi et pour autrui, conduit Claude Dubar àformuler une première hypothèse centrale :

« il existe un mouvement historique, à la fois très ancienet très incertain, de passage d’un certain mode d’identifica-tion à un autre. Il s’agit, plus précisément, de processus his-toriques, à la fois collectifs et individuels, qui modifient la

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configuration des formes identitaires définies commemodalités d’identification. » (p. 4).

Ce passage très ancien et incertain renvoie, et ClaudeDubar prend ici comme référence centrale Max Weber, àdeux formes identitaires idéales-typiques : communau-taires et sociétaires.

« Les premières formes identitaires, les plus anciennes,voire ancestrales, je les appellerai formes communautaires.Ces formes supposent la croyance dans l’existence degroupements appelés “communautés” considérés commedes systèmes de place et de noms assignés aux individus etse reproduisant à l’identique à travers les générations (...).Qu’il s’agisse de “cultures” ou de “nations”, d’“ethnies” oude corporations, ces groupes d’appartenance sont consi-dérés, par les Pouvoirs et par les personnes elles-mêmes,comme des sources “essentielles” d’identités (…).

Les secondes, plus récentes, voire en émergence, je lesappellerai formes sociétaires. Elles supposent l’existence decollectifs multiples, variables, éphémères, auxquels les indi-vidus adhèrent pour des périodes limitées et qui leur four-nissent des ressources d’identification qu’ils gèrent demanière diverse et provisoire. Dans cette perspective, cha-cun possède de multiples appartenances qui peuvent chan-ger au cours d’une vie. » (pp. 4-5).

• Dans le champ sociologique, cette approche del’identité comme processus d’identification, pour autrui,pour soi, à dominante communautaire ou sociétaire,conduit Claude Dubar à se dégager des sociologies « clas-siques » (i.e. Durkheim et ses références « communau-taires »), « objectivistes » (qui pensent l’identité en termede CSP, de diplômes, etc.) ou trop inspirées des thèses dela reproduction et de la domination sociales qui privilé-gient les identités attribuées au détriment des identitésrevendiquées.

Les combats fondateurs de la sociologie pour se démar-quer de la psychologie perdent aussi leur sens dès lorsqu’il s’agit de penser sociologiquement la subjectivité et lasingularité d’un sujet qui est à la fois une entité sociale etpsychique (2). Cette préoccupation, présente dès l’intro-duction, sera explicitée dans le chapitre V : « L’hypothèsequi court tout au long de ce livre peut être ici reformulée :il existe plusieurs types d’identité personnelle, plusieursmanières de construire des identifications de soi-même etdes autres, plusieurs modes de construction de la subjecti-vité, à la fois sociale et psychique, qui sont autant de com-binaisons des formes identitaires définies. » (p. 173).

• Les crises identitaires résultent des processus d’indi-vidualisation induits par la régression ou l’instabilité desappartenances communautaires au sein de formes d’iden-tifications sociétaires engendrées par les évolutions du

mode de production économique et des rapports sociaux.Ces crises économiques et du « lien social », encore malanalysées selon Claude Dubar par absence de recul histo-rique, traversent néanmoins des individus sommés de seconstituer et de s’assumer comme sujets sociaux sociale-ment dépendants d’une part et incités à l’autonomisation,à la réalisation de soi d’autre part.

Quelles formes ou configurations identitaires émergentdans la longue durée (chap. I) ? Claude Dubar a choisi derevisiter trois auteurs qui ont développé une lecture glo-bale, évolutionniste, des sociétés humaines : Norbert Elias(le processus de civilisation), Max Weber (le processus derationalisation), Marx et Engels (le processus révolution-naire de libération). Chacun à leur manière, ces auteursesquissent des formes identitaires possibles et des rela-tions, dialectisées ou non, entre le communautaire et lesociétaire.

Si on croise ces premières dimensions avec les identifi-cations par autrui, pour soi, on obtient quatre configu-rations idéales-typiques (3).

La première, « communautaire et pour autrui », secaractérise par une prédominance du Nous sur le Je.L’individu est défini par sa place dans une lignée (patrili-néaire), il hérite de droits, de devoirs, de ressources et decontraintes quasi immuables car transmis, avec la nais-sance, par le nom du père. Cette forme identitaire seradésignée comme « culturelle », au sens ethnologique duterme, le moi, nominal, s’inscrit dans une temporalitéinter-générationnelle. Moi, fils de, etc. Déroger aux droitset devoirs, à l’identité attribuée et nécessairement assu-mée, ne peut conduire qu’à la mort sociale (exil) ou phy-sique (exécution, suicide).

La deuxième forme identitaire, au croisement du« communautaire » et de l’identité pour soi, se caractérisepar l’émergence d’un Je réflexif, s’individualisant pour unengagement vers un Nous conçu comme une communautéde projet, de référence, bref, un autrui généralisé. Lesfigures évoquées ici sont celles du Saint Homme qui opèreun retour sur lui-même, sur sa foi, mais aussi celle du« souci de soi » qui émerge à Rome aux Ie et IIe siècles,sous l’influence des philosophes moraux et de conseillersquasi directeurs de conscience (cf. Michel Foucault).Cette forme identitaire, réflexive, affirme, à l’intérieurd’un Nous « communautaire » (religieux, politique, philo-sophique, etc.) un Je intime, réflexif, affirmant et sonappartenance et sa singularité dans l’appartenance. À lalimite, cet individu réflexif devient, vis-à-vis de sa commu-nauté d’appartenance, un innovateur, une référence ou un« schismatique potentiel ou réel ».

Notes critiques 159

La troisième forme identitaire, au croisement du« sociétaire » et de l’identité pour autrui, renvoie auxpositions, aux statuts, aux rôles sociaux multiples suscep-tibles d’être occupés au sein de diverses institutionssociales plus ou moins bureaucratisées et hiérarchisées(famille, école, emploi, groupes professionnels, etc.).Cette forme identitaire statutaire, se distingue de la forme« culturelle-communautaire » par le fait que les identifi-cations, fût-ce par autrui, sont plurielles, plus ou moinstemporaires d’une part, et non déterminées par la nais-sance, par le nom du père, d’autre part. Cette forme statu-taire conduit à penser un Je « stratégique » œuvrant ausein d’espaces institutionnels pluriels pour se construireun soi-même. Nous serions ici, en dominante, dans unesociologie de l’acteur, des organisations, où chacun use,avec des succès variables, des ressources stratégiquesmobilisables dans des systèmes d’action singuliers.

La quatrième forme identitaire, au croisement du« sociétaire » et de l’identité pour soi, est appelée formenarrative, elle renvoie à des Nous contingents et à desJe poursuivant leurs intérêts de réussite économique,sociale, personnelle. Cette configuration, qui inclut unemise en question ou à distance des identités attribuées,renvoie à un projet de vie, un style de vie individualisés.Dans cette forme biographique, pour soi, il y a besoin, parl’action dans le monde, de se faire reconnaître par desautruis significatifs (cf. la figure de l’entrepreneur capita-liste puritain de Max Weber). La réflexivité n’est plustournée, comme précédemment, sur l’intimité d’un moiintérieur, mais sur un projet, à soi, d’être et de faire dansle monde.

En conclusion de ce chapitre, Claude Dubar note, entreautre :

• que ces quatre formes identitaires co-existent dans lavie sociale, que suite aux guerres mondiales, aux totalita-rismes politiques, aux inégalités économiques croissantes,aucune configuration historique évoquée ne s’est impo-sée. L’indétermination identitaire, indice d’une mutationinachevée, caractérise la période de crise ;

• que ces formes identitaires sont inséparables de rap-ports sociaux de domination : domination de sexe dans laforme culturelle ; domination symbolique entre croyantset non-croyants, élite et masse, dans la forme réflexive ;domination bureaucratique subordonnant les dirigés auxdirigeants dans la forme statutaire ; domination de classe,des patrons sur leurs salariés, des dirigeants révolution-naires sur leurs ennemis de classe, dans la forme narrative,individualiste et entrepreunariale.

S’il apparaît à l’évidence que ces différentes formes dedomination persistent, coexistent, elles sont aussi mises enquestion par l’affaiblissement des configurations « com-

munautaires » traditionnelles au profit des configurations« sociétaires », par les évolutions économiques et parl’émergence, le développement ou la transformation, dedifférents mouvements sociaux. Ces mutations et crisesidentitaires concernent aussi tous les aspects de lavie sociale et « traversent », « affectent » aujourd’huichacun(e).

Les chapitres 2, 3, 4, sont consacrés à l’analyse, « secto-rielle » en quelque sorte, de ces crises identitaires, par unelecture, ample et orientée, des recherches sociologiquesréalisées, ces trente dernières années, à propos de lasociété française.

Les dynamiques familiales et la crise des identitéssexuées renvoient à des phénomènes et processus sociauxmultiples. À l’émancipation féminine, par l’accès audiplôme, au travail, à la maîtrise de la procréation et doncaussi du corps féminin (loi Weil, mouvement du planningfamilial) correspondent aussi des transformations de lafamille. Le patriarcat autoritaire n’a plus cours, mariages,divorces, unions choisies, recompositions familiales(monoparentales ou non), exigences d’autonomisation,au sein du couple mais aussi des enfants vis-à-vis desparents, attestent de ces évolutions. Dans la vie amou-reuse, l’individualisation, l’espace à soi, voire le chez soi(on mène une vie de couple choisie en ayant chacun sonlogement) transforment les rôles masculins et fémininstraditionnels.

Bref les mutations sont évidentes : « L’ancien modèle aété ébranlé mais y en a-t-il un nouveau ? Manifestementpas. Ce qui se dessine c’est une pluralité de modes de vie, deconceptions, de configurations c’est-à-dire de combinai-sons inédites de formes identitaires (...). On n’est plus sûrde savoir, au fond, ce qu’est le masculin et le féminin, ceque sont devenus et vont devenir les rapports sociaux desexe restés quasi immuables depuis si longtemps. » (p. 93)

Les identités professionnelles, entendues comme « desmanières socialement reconnues, pour les individus, des’identifier les uns les autres dans le champ du travail et del’emploi » (p. 95), peuvent aussi être en crise de troismanières et selon trois significations différentes : crise del’emploi, du travail, des rapports de classe, soit des signifi-cations courantes, complexes ou cachées (p. 96). ClaudeDubar explore ces trois dimensions et significations poursouligner, là encore, les incertitudes et, par là, les crisesidentitaires. On mettra l’accent ici sur la façon dontClaude Dubar, en conclusion de chapitre, revisite lestypologies de Renaud Sainsaulieu et celles qu’il a lui-même élaborées. Des années 1980 à aujourd’hui, letableau dressé est potentiellement apocalyptique.

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• L’identité de retrait de salariés marginalisés, menacéspar les évolutions technologiques et organisationnelles dutravail, s’est transformée, par l’exclusion de fait du mar-ché du travail (chômage total ou pré-retraite), en criseidentitaire « terrible » (p. 125). Exclus du modèle de lacompétence et donc de l’employabilité, ces ex-salariéssont renvoyés à eux-mêmes, au RMI.

• L’identité fusionnelle (Sainsaulieu), catégorielle(Dubar), concerne majoritairement les identificationsouvrières qualifiées se reconnaissant et dans un métier etdans des représentations de défense collective incarnéespar des leaders. Les processus à l’œuvre bloquent ce moded’identification et l’horizon, incertain, fait de recon-versions et de déclassements, est particulièrement mena-çant.

• Le modèle identitaire « négociatoire » (Sainsaulieu)rebaptisé « d’identité d’entreprise » (Dubar) concernaitdes salariés fortement impliqués dans les projets de leursentreprises. Cette forme identitaire n’aurait pas résisté aumodèle de la compétence qui prône la mobilité externeplutôt que la promotion interne. Le chômage des cadres,la prise de conscience de leur instrumentalisation, contri-buerait à la mise en crise de cette forme d’identificationautrefois dynamique.

• Le modèle « affinitaire » (Sainsaulieu) désignéensuite par Claude Dubar comme « identité incertaine »,« identité individualiste » et finalement « identité deréseau » renvoyait, initialement, à des diplômés qui, sejugeant déclassés à l’embauche, recherchaient, et de nou-veaux diplômes et des emplois correspondant à leurs cer-tifications scolaires et universitaires. En dehors du bas-tion, « menacé », de la fonction publique, ce modèle estaussi en crise dès lors « que le dernier cri du modèle de lacompétence suppose un individu rationel et autonome quigère ses formations et ses périodes de travail selon unelogique entrepreunariale de “maximisation de soi” »(p. 127). Le modèle de la compétence ne se fonde plus surles diplômes ou sur les qualifications attestées.

La crise des identités symboliques, religieuses, poli-tiques, syndicales, bref idéologiques, est aisément démon-trée par l’affaiblissement des engagements militants, parles désaffections électorales (politiques ou syndicales),par la montée d’incivilités diverses et enfin, plus globale-ment, par la perte de crédibilité d’idéologies autrefoismobilisatrices. L’individu ne peut plus accorder, a priori,sa confiance à telle ou telle organisation, il lui « faut donctrouver en soi des raisons de choisir tel ou tel “représen-tant”, tel ou tel programme, telle ou telle option. Mais surquelle base ? » (cf. p. 160).

Cette triple crise, dans la vie familiale et les relationssexuées, dans la vie professionnelle, dans les engagementssocio-religieux ou socio-politiques, résulte d’un processusd’individualisation lié, via les évolutions du mode de pro-duction et des rapports sociaux, aux mutations progres-sives des formes sociales (du communautaire vers le socié-taire) et des modes d’identification (de l’identité attribuéevers l’identité revendiquée).

Qu’en est-il, dès lors, de l’identité personnelle ? Quecelle-ci soit en crise, est, compte tenu de ce qui précède,une évidence (cf. p. 192), mais de quoi s’agit-il ? Commentla définir, l’étudier ?

Le chapitre V vise à élucider la construction de l’iden-tité personnelle, à défendre la thèse selon laquelle lescrises sont au cœur de cette construction, toujours fragileet inachevée, d’un sujet social plongé dans une formesociale à dominante sociétaire. Enfin il s’agit aussi d’éluci-der sociologiquement, d’interpréter ce nouvel impératifsocial : construis-toi toi-même ! Ce chapitre contient aussides orientations épistémologiques importantes pour pen-ser, sociologiquement, un sujet social qui n’en reste pasmoins un acteur social.

Par une approche de type phénoménologique, ClaudeDubar examine certaines manifestations des crises etconstructions identitaires. Que peut-on succinctementsouligner ?

• la « dépression » comme symptôme pathologique leplus répandu. L’injonction sociale à être soi-même, à seréaliser, engendre cette « maladie identitaire parfois chro-nique » (p. 164),

• le repli sur soi, la régression, au sens psychanalytique,manifestent un retour vers le communautaire. Le racismeet la xénophobie sont des exemples marquants dans laFrance des années 1980,

• l’émergence, plus législative qu’effective, de la réfé-rence au sujet apprenant et à l’élève à situer au cœur desapprentissages. Cette référence permet de souligner lacrise spécifique de la forme scolaire (Vincent) et la diffi-culté à faire accéder le plus grand nombre d’élèves à l’ap-prentissage expérientiel du travail intellectuel qui, pourl’instant, n’est le fait que d’une minorité de collégiens etde lycéens (cf. Bernard Charlot) d’une part et issue majo-ritairement, d’autre part, des catégories sociales supé-rieures,

• les filles issues de l’immigration se distinguent toute-fois car pour elles, la réussite scolaire ne peut êtrequ’émancipatrice (cf. pp. 183-187). De façon plus large,l’analyse des trajectoires d’immigration sont précieuses

Notes critiques 161

pour l’étude des processus identitaires. Il s’agit ici, enquelque sorte, d’un « effet loupe ».

Comment définir l’identité personnelle ? D’abord parce qu’elle n’est pas : « elle n’est pas appartenance à uneculture figée, pas plus qu’elle n’est rattachement à une caté-gorie statutaire donnée, immuable, elle est un processusd’appropriation de ressources et construction de repères,un apprentissage expérientiel, la conquête permanented’une identité narrative (soi-projet) par et dans l’actioncollective avec d’autres choisis. L’identité personnelleimplique la mise en œuvre d’une attitude réflexive (soi-même) par et dans des relations signifiantes (…) permettantla construction de sa propre histoire (soi) en même tempsque son insertion dans l’Histoire (Nous). » (cf. p. 200)

Comment étudier, sociologiquement, les constructionsidentitaires personnelles ? Celles-ci, réflexives, narra-tives, supposent une mise en mots, une mise en récit. Lerecours aux sciences du langage et l’analyse du langagesont requis pour cerner les catégories pertinentes del’expérience, approcher des « mondes vécus » verba-lisés, classer, non des personnes, mais des « ordres caté-goriels », des univers de croyance, des formes langagières(cf. pp. 207-208). Le sociologue, toutefois, connaît desdifficultés à enregistrer ce qu’il y a d’intime dans l’iden-tité verbalisée, les récits ou histoires de vie, commereconstructions, comme intrigues, s’avèrent aussi être desmatériaux très riches et très décevants. « Bref, la prise encompte de l’identité personnelle aujourd’hui par le socio-logue ne va pas de soi » (cf. p. 210).

Ces difficultés méthodologiques renvoient à des inter-rogations épistémologiques. Comment développer descoopérations disciplinaires pour penser la subjectivité etanalyser ses expressions langagières et rapports aulangage ? Irait-on vers une approche anthropologiquecomme le suggère Bernard Charlot ? N’appartiendrait-ilpas au sociologue de s’approprier les acquis d’autres disci-plines pour penser la subjectivité comme le suggèreClaude Dubar ?

Aujourd’hui, ces questions, centrales, mal résolues, ren-voient à l’un des fronts de la recherche des scienceshumaines et sociales (cf. note 2).

Dans sa conclusion générale, Claude Dubar opère unesynthèse de la démarche, des résultats acquis et des incer-titudes (cf. p. 228) d’une entreprise visant à relier, systé-matiquement, le langage des identités collectives (l’eth-nie, la culture héritée, la nation, la classe) et celui del’identité personnelle (le soi, le soi-même, l’intime, le sub-jectif, etc. )

On est resté, jusqu’ici, au plus près des démarches del’auteur. Quelles remarques pourrions-nous faire ?

Cet ouvrage, dense, remarquablement informé, struc-turé par des articulations théoriques, méthodologiques,empiriques serrées, propose un modèle d’intelligibilitépertinent, heuristique, réfutable pour :

• resituer des évolutions socio-historiques majeures enrevisitant Norbert Elias, Max Weber, Karl Marx,

• examiner des évolutions de la société françaisedepuis les années 1975 dans les champs de la famille, dutravail, des engagements socio-politiques et socio-symbo-liques,

• proposer des interprétations des constructions etcrises identitaires personnelles, conçues comme traduc-tions personnelles, subjectives et singulières, d’évolutionssociétales et sociales.

Au titre des limites inévitables, au sein de choix édito-riaux nécessairement restreints, on peut regretter :

• que les acquis de la sociologie de l’éducation n’aientpas été revisités systématiquement. L’émergence d’unsujet apprenant, les difficultés de la forme scolaire, l’ana-lyse magistrale du discours sur la compétence en forma-tion d’adultes, activent ce regret,

• que la sociologie des loisirs, que l’analyse de la dyna-mique des temps sociaux, que l’émergence des phéno-mènes et processus d’auto-formation, que l’extension del’influence des médias (dont la TV), aient été quasi igno-rés alors que certains développements (cf. pp. 138, 221,222) croisent directement des observations de JoffreDumazedier (1988, Révolution culturelle du temps libre).

Bref, un ouvrage dense qui donne au lecteur des clés delecture des évolutions sociales mais qui le questionneaussi en tant que sujet.

Jacques HédouxUniversité de Lille III

NOTES

(1) Signalons, succinctement des ouvrages à dominante empirique,théorique, méthodologique :– Dubar, Claude, eds, 1987, L’Autre Jeunesse. Lille, PressesUniversitaires de Lille, Coll. Mutations Sociologie, 1987, 264 p.– Dubar, Claude, 1991, La Socialisation. Construction des identitéssociales et professionnelles, Paris, Armand Colin, Collection U,Sociologie, 1991, 278 p. Cf. Note de lecture, Revue française depédagogie, N° 100, Juillet-Septembre 1992, pp. 117-121.– Dubar, Claude, Demazière, Didier, 1997, Analyser des entretiensbiographiques. L’exemple de récits d’insertion, Paris, Nathan, 350 p.

(2) Penser, en sociologie, la subjectivité, le sujet social, la singularité, estune préoccupation théorique, actuelle, renouvelée, pour JackyBeillerot, Bernard Charlot, Claude Dubar, François Dubet. S’il y avaiteu, en 1975, le « retour de l’acteur » (Alain Touraine), le colloque deCerisy, en 1986, marque, pour nous, le « retour du sujet ».

162 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Notes critiques 163

(3) De l’identité au travail (Renaud Sainsaulieu, 1977), aux travaux empi-riques de Claude Dubar, déjà signalés : 1987, 1991, le modèle d’in-telligibilité des identités, sociales, professionnelles, personnelles,est, en quelque sorte, « quaternaire ». Y aurait-il, ici, un « effet dethéorie » au sens de Pierre Bourdieu ?

FERRÉOL (Gilles). – La Dissertation sociologique –Paris : Armand Colin, 2000. – 192 p. – (Cursus).

Voilà, sans aucun doute, un ouvrage très attendu desétudiants et de nombre de leurs professeurs car il est deceux qui sont susceptibles de leur donner un sérieux coupde pouce lorsqu’ils auront à affronter examens et/ouconcours. En effet, chacun sait, ou devrait savoir, l’impor-tance de l’art de la dissertation, notamment dans lesétudes de sciences humaines. Combien d’étudiants, pour-tant riches d’un savoir laborieusement accumulé, ontéchoué à leurs examens ou à leurs concours faute d’avoirsu le valoriser ?

Avec ce nouvel ouvrage de Gilles Ferréol, les apprentissociologues et les candidats aux concours de l’ensei-gnement disposent désormais d’un outil de première maindont l’auteur est, en outre, aux premières loges pour jugerde ce que doit être une bonne dissertation puisqu’il estprésident des jurys du CAPES externe et de l’agrégationinterne de sciences économiques et sociales. Qui plus est,si ce professeur de sociologie à l’université de Poitiers estbien connu pour les ouvrages qu’il a coordonnés sur l’in-tégration et la citoyenneté (1), il s’est surtout illustré dansla réalisation de manuels (2), de lexiques ou de diction-naires (3), ou encore des recueils de conseils pratiques. SaDissertation sociologique, qui relève de la dernière caté-gorie, s’inscrit donc dans la suite logique d’une œuvreprincipalement destinée à servir de base de travail auxétudiants, voire aux lycéens.

L’ouvrage est scindé en deux parties sensiblementégales. Les « Éléments de méthodologie » qui constituentla première font l’objet ensuite d’« Illustrations », c’est-à-dire – on s’en doute – de dissertations rédigées.

Le plan de la première partie suit une démarchelogique, de la capacité à comprendre un sujet et à s’y tenir(chapitre 1) à « L’art de la dissertation » (chapitre 3) enpassant par la recherche et l’organisation des idées, et l’ef-ficacité de l’expression. Aux conseils très précis qui faci-litent la compréhension du sujet, sa délimitation et la prisede position personnelle à son égard s’ajoutent desexemples concrets de ce qu’il faut faire ou pas. Il en est demême lorsque, dans les chapitres suivants, il s’agit derechercher des arguments, de choisir du vocabulaire, deconstruire ses phrases de façon satisfaisante en usant

d’une grammaire correcte et de faire preuve d’un style à lafois agréable et efficace.

Le chapitre le plus important de cette partie, noussemble-t-il, est le quatrième. Les trois premiers ont dis-séqué les éléments qui permettront de faire une bonnedissertation, celui-ci en est à la fois la synthèse etl’aboutissement : la rédaction de l’introduction et la misesur pied du plan. Habitué des concours de l’enseigne-ment, Gilles Ferréol ne se contente pas de prodiguer icid’utiles conseils. Il les enrichit de recettes puisées dansson expérience et d’exemples précis, qu’ils concernent laprésentation matérielle d’un devoir, les termes que lescandidats ont tendance à confondre, les fautes d’ortho-graphe les plus courantes, ou le minutage qui permet defaire face à la contrainte du temps limité. Il proposemême, page 62, une grille de notation, indicationconcrète de ce que les correcteurs attendent d’une dis-sertation en sciences sociales. Naturellement, comme ilne s’agit pas seulement d’apprendre ou d’améliorer latechnique de la dissertation en général, mais bien cellede la dissertation sociologique, les prérequis et lesconnaissances de base en sociologie, notamment les prin-cipaux paradigmes susceptibles d’offrir différentes grillesd’interprétation des « réalités » observées, sont opportu-nément rappelés. Cet important chapitre 4 s’achève sursix exemples de devoirs. Portant sur des sujets que l’onpeut qualifier de « classiques », ils sont traités sous formede plans détaillés. La transition vers la deuxième partieest ainsi toute faite.

En effet, dans cette deuxième moitié du livre, trentesujets sont traités, là encore sous la forme de plansdétaillés, en trois pages environ. Puisés parmi ceux quel’on rencontre le plus couramment dans les examens etles concours, ils sont répartis en quatre grands thèmesfamiliers des sociologues, qui sont autant de chapitres :« Stratifications et hiérarchies », « Le processus de socia-lisation », « Travail et organisation », « Action collectiveet régulation sociale ». Chacun d’eux débute par une pré-sentation, en quelques pages, des « principales théma-tiques ». Chaque corrigé lui-même est précédé d’unecourte, mais dense, « fiche technique » où figurent, dansl’ordre, les prérequis, les mots-clés, les auteurs de réfé-rence, la problématique qui semble s’imposer, le type deplan proposé et, pour finir, des conseils de lectures.Notons au passage que certains exemples choisis pourillustrer le thème du travail nous paraissent, sinon pluséconomiques que sociologiques, à tout le moins trans-versaux : mais, après tout, cela ne matérialise-t-il pas lacomplémentarité des approches économiques et socio-logiques ? Si c’est le cas, voilà qui milite pour un rappro-chement de l’économie et de la sociologie à l’Université,

comme cela se fait déjà depuis plus de trente ans au lycéedans le cadre de la série économique et sociale.

Si l’ouvrage bénéficie d’une structure et d’une présenta-tion claires propres à faciliter son utilisation, si on y trouveforce encadrés et index qui renforcent son aspect pra-tique, déplorons que son esthétique souffre d’une couver-ture dont la couleur, déjà fort pâle lors de l’impression, aune très fâcheuse tendance, comme tous les livres parusrécemment dans la série « Sociologie » de la collection« Cursus », à s’effacer. Malgré ce malencontreux pro-blème technique, gageons que La Dissertation sociolo-gique de Gilles Ferréol saura trouver un nombreux publictant il est vrai que ce travail d’expert nous semble combleravec un réel bonheur un certain vide éditorial.

Philippe GuillotIUFM de La Réunion

NOTES

(1) Notamment Intégration et exclusion dans la société françaisecontemporaine, Presses universitaires de Lille, 1992 (réédition :1994), et Intégration, lien social et citoyenneté, Presses universitairesdu Septentrion, 1998.

(2) Par exemple, une Introduction à la sociologie, avec Jean-PierreNoreck, Armand Colin, dont la cinquième édition vient de paraître(2000).

(3) À un Dictionnaire de sociologie qu’il a coordonné il y a quelquesannées, s’ajoute désormais, parmi d’autres productions semblables,un Lexique des sciences sociales (Armand Colin, 2000).

JELLAB (Aziz). – Scolarité et rapports aux savoirs enlycée professionnel. – Paris : PUF Éducation, 2001. – 240 p.

Les élèves de lycée professionnel n’ont pas souventl’honneur d’être mis en scène, c’est une tâche à laquelles’attèle A. Jellab, quand les recherches se focalisent plutôtsur les étudiants aujourd’hui (Galland (1995), Le Bart etMerle (1997), Erlich (1998), Grignon (1999)), après leslycéens (Ballion (1982), Dubet (1991), Felouzis (1994) etMerle (1996)).

Les élèves de L.P. sont orientés par l’échec, ils subissentplus qu’ils n’agissent dans cette orientation. Issus pour lamajorité de milieux populaires, ils n’ont sans doute pastoutes les clés pour assumer leur métier d’élève et encoremoins leur réussite, ils sont loin de cette culture scolairequi permet de se construire ce capital scolaire incontour-nable pour s’insérer professionnellement. Distribués dansdeux filières (CAP et BEP) et dans une multitude de spé-cialités (plus de 300 diplômes) qu’ils n’auront souvent pasnon plus choisies, ils vont se reconstruire un rapport à

l’école et aux savoirs scolaires après cette rupture avec lafilière « normale » comme le disent les statistiques de laDPD.

A. Jellab travaille en filiation avec les travaux récentssur les jeunes censés accomplir leur « métier » d’élève. Ilreprend la perspective de Dubet sur l’expérience scolaire,il s’appuie sur les travaux du groupe de recherche deParis 8 Escol sur le rapport aux savoirs des jeunes scola-risés en collège, il poursuit le travail de B. Charlot sur « lerapport aux savoirs en milieu populaire. Une recherchedans les L.P. de banlieue », Anthropos-Économica, 1999.

Comment se construit le rapport aux savoirs des jeunesde lycée professionnel ? Comment se construit leur mobi-lisation sur l’école ? Telles sont les questions que seposent ces chercheurs dans une période où la massifica-tion et la prolongation de la scolarité retiennent les jeunesjusqu’à 19 ou 20 ans à l’école.

F. Dubet cherche à réconcilier l’acteur et le système. Ilpostule que les acteurs se ménagent un espace d’activitépropre à travers leur expérience (scolaire) et il en dévoileles mécanismes sociaux. Cependant il considère que cesélèves de L.P. ont une expérience sociale anomique danslaquelle ils ne seraient pas vraiment engagés. À l’inverse,A. Jellab estime qu’à partir de leur socialisation scolaireet de leurs apprentissages, ces élèves donnent sens à cetteexpérience, ils sont loin de n’être que le reflet ou le pro-duit de leur appartenance sociale. Il y a là une volonté del’auteur de se distancier par rapport aux analyses détermi-nistes de la reproduction. Il y a une volonté de com-prendre ce que vivent les jeunes, comment leur subjecti-vité rencontre une situation scolaire et des savoirsobjectifs.

Pour mener à bien cette recherche, A. Jellab s’appuiesur quatre établissements (industriels, tertiaire et de ser-vices), 200 questionnaires et 40 entretiens approfondisportant essentiellement sur le rapport aux savoirs et àl’apprendre.

Ces élèves dualisent les formes scolaires et profession-nelles des savoirs. Engagés dans des cursus professionna-lisés et donc finalisés, ils ont tendance à valoriser lessavoirs professionnels tout comme les stages en entreprisequi permettent de confronter ces savoirs à l’épreuve de lapratique. Ils instrumentalisent leur formation et rejettentce que A. Jellab appelle les savoirs décontextualisés. Enoutre, ils accordent une grande importance à la relationpédagogique, ce que Charlot, Bautier et Rochex mon-traient déjà dans leur ouvrage « École et savoir dans lesbanlieues et... ailleurs » (Colin, 1992). Ces jeunes n’ontpas intégré le sens intrinsèque des apprentissages et ontbesoin plus que d’autres et plus tardivement d’un média-

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teur, l’enseignant, pour adhérer à la formation. Si l’écoleet les savoirs ne peuvent prendre de sens qu’à travers unefinalité identifiable et concrète, il ne faudrait pas enconclure qu’il n’y a pas de mobilisation scolaire de leurpart ou de celle de leur famille. Comme les autres lycéens,ils ont bien intériorisé les valeurs d’usage et d’échange desdiplômes et la nécessité de se présenter avec certainescompétences sur le marché du travail.

Les enseignants de L.P. sont très avertis des modesd’orientation de leurs élèves, de leur sentiment d’échec, ilssont bien persuadés qu’ils ont besoin de soutien et de res-tauration d’une image positive. Ils sont attentifs et adop-tent un enseignement concret « adapté » à ces élèves, ilstentent de les valoriser par de bonnes notes. Certains ori-ginaires de milieux populaires, d’autres passés égalementpar l’enseignement professionnel (L. Tanguy, 1991) com-prennent bien les distances qui séparent ces jeunes d’uneadhésion spontanée à un enseignement formalisé etdécontextualisé.

Pour enrichir sa démonstration A. Jellab nous proposeneuf histoires singulières d’élèves, filles et garçons, deCAP ou de BEP inscrits dans des trajectoires complexes,faites de redoublements et de réorientations. Certains sereconstruisent une expérience positive et veulent pour-suivre après le BEP en bac professionnel ou vers un bactechnologique, d’autres voient le CAP comme un aboutis-sement et une possibilité d’investir un champ profession-nel pour entrer dans l’emploi. Tous racontent une expé-rience scolaire complexe et une difficulté à s’approprierdes savoirs non finalisés.

Pour clore sa démonstration, l’auteur nous propose unetypologie des formes de rapport aux savoirs. Il distinguequatre formes. La forme pratique est la valorisation duconcret et des apprentissages professionnels et en mêmetemps un rejet formalisé des savoirs scolaires, décontex-tualisés. La forme réflexive concerne les élèves qui accor-dent aux savoirs scolaires une attention particulière et sou-haitent poursuivre en bac professionnel ou technologique,ils investissent moins la pratique professionnelle et rationa-lisent les formes de leur investissement scolaire. La formedésimpliquée s’offre comme une rupture non seulementavec les savoirs mais avec l’ensemble de la chose scolairequi comprend les formes d’évaluations, d’orientations, lesrelations avec les enseignants. La forme intégrative-évolu-tive traduit la mise en perspective des savoirs scolaires etprofessionnels, la réduction de la dualité des enseigne-ments pour des élèves qui veulent se donner les moyens depoursuivre et se forgent un projet d’avenir.

Ce dernier type montre bien qu’on ne peut isoler de soncontexte scolaire le rapport aux savoirs, qu’il s’inscrit dansune expérience scolaire qui, si elle est singulière, n’en ren-

voie pas moins au fonctionnement du système scolaire, àla place qu’y occupent les filières, puis les spécialités hié-rarchisées, aux opportunités de se construire une trajec-toire ascendante (par la poursuite d’études) ou non. Lesjeunes qui privilégient la forme pratique rejettent à l’in-verse la forme scolaire et tentent de s’appuyer sur lessavoirs professionnels pour se construire un projet profes-sionnel immédiat.

Cet ouvrage nous offre une analyse du rapport desjeunes de L.P. aux savoirs et à l’école, il a le mérite d’en-trer dans les processus de scolarisation de ces jeunes sou-vent méconnus. On aurait aimé cependant trouver unindex des 40 entretiens, une exploitation plus précise duquestionnaire. La volonté d’inscrire la démonstrationdans une approche qualitative et constructiviste nousprive d’un certain nombre d’éléments de cadrage despopulations et laisse le sentiment d’un travail partiel.

Catherine AgulhonCerlis – Université Paris V

LEGRAND (Louis). – Pour un homme libre et solidaire.L’Éducation nouvelle aujourd’hui. – Paris : HachetteÉducation, 2000. – 231 p.

Le livre que publie Louis Legrand sous ce beau titre :Pour un homme libre et solidaire, regroupe une série detextes écrits ou prononcés au cours des dix dernièresannées, et plus précisément au gré des engagements intel-lectuels et militants de l’auteur, selon le fil de l’actualitééducative. Le lecteur connaît déjà bien l’œuvre de LouisLegrand, pédagogue, militant pédagogique, philosophede l’éducation, acteur éminent de la politique éducative :le Rapport Legrand (1982) appartient à l’histoire du col-lège. La vingtaine de textes réunis ici en quatre sections(Finalités et politiques ; Donner du sens aux apprentis-sages ; Formation morale et civique ; Unification et diffé-renciation) offrent un panorama des principaux thèmes etdes principales analyses du système éducatif qui fondentla pensée et l’action éducatives de l’auteur. Des textessouvent brefs et incisifs où le philosophe, le pédagogue etl’homme d’action s’attachent à dire l’essentiel et l’exi-gence à leurs yeux, non pas pour redire autrement, maisbien pour faire face aux évolutions contemporaines del’école et à ses défis. D’où le ton singulier de l’ouvrage,marqué des accents de la conviction confirmée, mais aussipensé et écrit sous le signe de l’inquiétude grandissanteface aux difficultés actuelles de l’école. Tel est d’ailleurs lepropos introductif et son constat : « d’une part, l’agitationet la violence sous toutes ses formes, de l’injure entre élèves

Notes critiques 165

aux agressions physiques contre les biens et les personnes,enseignants inclus, d’autre part, un désintérêt plus ou moinsaffiché à l’égard de l’enseignement qui va de l’inattentioninsolente à l’absentéisme endémique » (p. 7).

C’est pourtant dans ce tableau sombre d’une école qu’ildécrit au bord de l’implosion que Louis Legrand trouve laconfirmation renouvelée de ses convictions pédagogiques.Persiste et signe, tel aurait pu être le sous-titre du recueil.L’auteur lui a préféré un autre sous-titre, qui donne eneffet au recueil son unité et invite le lecteur à en suivre lefil rouge : L’Éducation nouvelle aujourd’hui. C’est bien àcette démonstration de l’actualité des propositions del’Éducation nouvelle que sont consacrés ces différentstextes, par-delà la diversité de leurs sujets. Actualité dou-blement paradoxale, que Louis Legrand n’est pas hommeà se dissimuler. Paradoxe d’une « nouveauté » maintenantséculaire, d’une vieille dame qui prétendrait détenir lesclés du renouveau. Que vaut une nouveauté proclamée etjamais advenue ? Le premier texte le dit sans détours :« La pédagogie demeure, contre vents et marées, obstiné-ment classique, et la pédagogie nouvelle demeure toujoursnouvelle, c’est-à-dire n’a pas opéré la percée qu’espéraientses fondateurs » (p. 23-24). Paradoxe donc du recours àune idée éducative qu’on pourrait juger épuisée. Maisaussi paradoxe sociologique et historique : « Entre lasociété qui a vu naître l’Éducation nouvelle et la sociétécontemporaine, les différences sont nombreuses et évi-dentes », si importantes que « les propositions qu’elle nousfait, que ce soit d’un strict point de vue pédagogique, ouplus encore, philosophique et éthique, apparaissent trèséloignées de notre contexte social et technique » (p. 11).

On comprend donc dès les premières pages qu’il nes’agit pas pour l’auteur de se satisfaire de l’affirmationd’une foi pédagogique intacte. Non seulement, note-t-il, lecontexte civilisationnel des pratiques de l’Éducation nou-velle – la ruralité, la valeur et la visibilité du travail, lecadre familial – s’est défait, mais le fondement même detoute éducation scolaire se dérobe. L’Éducation nouvelleelle-même ne pouvait conduire son entreprise de transfor-mation du rapport au savoir sans prendre des appuis sur lesol d’un « conditionnement de base comprenant le respectde l’adulte et de l’ordre qu’il imposait » (p. 13). LouisLegrand invite à juste titre le lecteur et l’historien de lapédagogie à mieux mesurer la valeur que l’Éducation nou-velle accordait aux savoirs et à l’autorité du savoir. Et ilfaut lui donner raison sur ce point : « On a trop tendance àminorer la part considérable de l’ordre et du respect dusavoir et de ceux qui savent » dans les écoles nouvelles. Leconstat vaut tout autant, me semble-t-il, pour les partisansque pour les adversaires de l’Éducation nouvelle. Laconclusion qu’en tire Louis Legrand montre bien, malgrécertaines apparences, qu’il n’est pas de ceux qui pensent

que la pédagogie est une réponse suffisante aux problèmesde l’école contemporaine. Toute nouvelle qu’elle soit, lapédagogie de l’Éducation nouvelle « est conduite aujour-d’hui à souffrir des mêmes obstacles que l’éducation tradi-tionnelle qui prétend se maintenir » ; il lui faut reconstruirele fondement disparu, et elle doit « créer de toutes pièces cerespect du savoir et de l’ordre dans le travail et la responsa-bilité qui lui sont liés ». Non, la pédagogie ne peut pas tout.Elle ne peut pas tout contre les maux de l’échec et de laviolence sur lesquels s’arrêtent plusieurs textes. Le péda-gogue ici a entendu la leçon des sociologues. Il y a uncaractère fondamentalement sociologique des échecs et dela violence scolaires, et qui le reconnaît doit accorder aussiqu’une « transformation de la pédagogie dans les collèges,et dans les collèges à risques en particulier, n’est pas leremède assuré aux dysfonctionnements constatés » (p. 224).

Comment dans ces conditions persister et signer ? Enquoi l’Éducation nouvelle peut-elle avoir un sens aujour-d’hui ? La réponse à cette question au fil des différentstextes se situe sur plusieurs registres. L’actualité de l’Édu-cation nouvelle peut se lire d’abord en creux : dans lecaractère foncièrement inadapté aux élèves d’aujourd’huide la pédagogie dominante, impositive, généralisant à l’en-semble des élèves la pédagogie secondaire traditionnelle.Si les graves difficultés que connaît le système éducatif nesont pas toutes la conséquence directe d’un malmenagepédagogique, « il est possible que ces dysfonctionnementssoient, sinon engendrés, du moins favorisés par une péda-gogie inadaptée aux populations que le collège prétend trai-ter » (p. 224). L’Éducation nouvelle déploie en effet sesfinalités et ses pratiques là où les manques de la pédagogieactuelle ont leurs conséquences les plus visibles : la forma-tion d’une personnalité sociale, dont l’enseignement sedésintéresse ostensiblement ; la formation intellectuelle,dont la nature et le fonctionnement (atomisation et proli-fération disciplinaire, abstraction à vide, formalisme, etc.)privent l’apprentissage et le savoir de sens pour la plusgrande masse des élèves. Les techniques Freinet, aux-quelles Louis Legrand accorde « une valeur centrale pourla survie de l’école, et plus généralement de notre viesociale » (p. 117), apparaissent dès lors comme autant desolutions anticipées et disponibles face aux graves pro-blèmes dont le développement menace l’existence mêmeet la légitimité du collège unique. Tel est d’ailleurs lesecond registre de l’analyse : l’actualité de l’Éducationnouvelle est une actualité de la dernière chance.L’Éducation nouvelle ou le triomphe du libéralisme, il n’ya pas, il n’y a plus selon l’auteur d’autre alternative. Laisserle collège aller sur la pente où le conduisent une philoso-phie et une politique éducatives sourdes aux exigenceshumaines dont est porteuse l’Éducation nouvelle n’aurabientôt plus d’autre issue que la reconstruction explicite

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des filières séparées, le triomphe posthume de Destutt deTracy ou la victoire des analyses conservatrices deBantock et du thème des deux écoles, l’une pour l’élite,l’autre pour le peuple (p. 67). C’est dans l’espoir de conju-rer cette issue que Louis Legrand, à plusieurs reprises,expose pour s’y opposer les thèses de Philippe Nemo,chantre du libéralisme appelant de ses vœux une école àvenir fort ressemblante à ce qui est déjà en marche au cœurd’un système éducatif abandonné sur sa pente actuelle,avec la complicité muette de beaucoup. L’exigence del’Éducation nouvelle, son actualité, c’est pour LouisLegrand la conscience vive de ce péril extrême et la seulevoie pour s’y opposer et préserver les chances d’une« école pour la démocratie », d’une école de la démocratie.« Pour l’Éducation nouvelle », écrit-il, « l’ennemi n’est plusl’intellectualisme rationaliste, porteur au fond de générosité,mais le libéralisme individualiste qui se confond aujour-d’hui avec la recherche pure du savoir classant » (p. 14).

Ce thème du savoir classant mériterait à lui seul qu’on ensuive l’analyse. N’était-il pas au fondement du renverse-ment pédagogique opéré par Freinet ? Louis Legranddénonce à nouveau ici, comme il le faisait dans ses ouvragesantérieurs, la profonde ambiguïté de l’attachement desenseignants aux savoirs, la forte ambivalence de leur rap-port personnel au savoir. Qu’un certain « retour auxsavoirs » fasse consensus, accorde parents et enseignants,n’ôte rien à l’ambiguïté, tout au contraire (p. 31, p. 165).

L’actualité de l’Éducation nouvelle serait donc para-doxalement démontrée par la profondeur de la crisecontemporaine : elle « a été définie par les théoriciens créa-teurs contre l’école de leur temps où nous trouvons, avecune persistance étonnante, bien des aspects de la nôtre »(p. 9). Le développement de l’Éducation nouvelle estd’ailleurs historiquement lié aux difficultés du systèmeéducatif face au développement économique et social ;son actualité fait retour quand l’inadéquation de l’école àson temps est patente, quand elle ne répond « ni auxbesoins de la jeunesse ni à ceux de la société » démocra-tique. Son exigence est l’exigence même de la démocratie.Le souci de la pédagogie a bel et bien quelque chose à voiravec celui de la démocratie. Et le refus de la pédagogiedoit être mis en face de ses responsabilités ou de sesconséquences politiques, estime Louis Legrand. Bien desmesures et des innovations structurelles nécessaires ontété neutralisées ou détournées, digérées, comme l’ont étéles propositions du Rapport Legrand sur les collèges.L’auteur s’interroge et invite le lecteur à s’interroger surle sens et les raisons profondes de cette résistance,du refus presque viscéral des méthodes actives.« Comment », en effet, « expliquer cette répugnance fon-damentale du système éducatif français à suivre les orien-tations issues des méthodes actives et de l’Éducation nou-

velle en particulier » (p. 53) ? Le débat avec les tenants ducamp dit « néo-républicain » – que l’auteur ouvre ici et làdans le recueil – s’inscrit sans doute dans le sillage de cetteinterrogation. La discussion du rapport de l’Inspecteurgénéral Jean Ferrier jugeant le temps des apprentissagesdes élèves du primaire « érodé par le laxisme de l’organi-sation » sous couvert d’innovation, en est un bon exemple.Louis Legrand lui rétorque que c’est l’insuffisance mêmede ces innovations, leur dénaturation, le règne des demi-mesures, qu’il faut incriminer. Et de proposer au contraire« de mettre en œuvre franchement et totalement ces orien-tations » (p. 93).

L’actualité de l’Éducation nouvelle est en définitivecelle d’un choix éthique et politique dont il faut assumerla cohérence et l’exigence. L’ultime justification d’unengagement pédagogique décidé à « continuer à inventeret à se battre à contre-courant » n’est pas d’ordre didac-tique ; « elle est de nature éthique comme une affirmationde valeur liée à la démocratie et aussi à la productiond’hommes capables de cette démocratie » (p. 32). Ce queLouis Legrand se dit résolu à poursuivre « contre vents etmarées » dans son plaidoyer pour l’Éducation nouvelle,en son âme et conscience, ce sont « les conditions d’at-teinte des valeurs que tout le monde semble reconnaître,même si le comportement réel en éloigne sans cesse ». Il lefera, dit-il, « obstinément ». L’adverbe est le tout derniermot du chapitre intitulé « Innovations et politiques enéducation ». On pourrait reprocher ce parti-pris d’enfer-mer la lecture et l’analyse de l’école et des évolutions dusystème éducatif dans la seule grille de l’Éducation nou-velle. Ou bien le taxer d’utopie. L’auteur lui-même s’in-terroge là-dessus. Utopie ? Utopie ! Le passage de l’in-terrogation à l’exclamation pourrait être comme lemouvement même du livre ; d’un livre écrit par un péda-gogue dont l’engagement dans la politique éducative dudernier quart de siècle aura été profond, qui avoue com-bien « la réalité actuelle est bien loin des espoirs » (p. 25)qu’il avait fondés, et qui n’en continue et n’en continuerapas moins de penser que les valeurs en éducation commeen politique n’ont de chance que la volonté obstinée deceux qui les portent.

Alain KerlanISPEF, Université Lumière Lyon 2

NICOLE-DRANCOURT (Chantal), ROULLEAU-BERGER (Laurence). – Les jeunes et le travail : 1950-2000. Paris : PUF, 2001 (Sociologie d’aujourd’hui).

Le thème du travail chez les jeunes est largementdéfriché. Nombreux ont été depuis vingt ans les ouvrages

Notes critiques 167

sur la question d’autant qu’elle a posé problème cesmêmes vingt dernières années.

Les premiers travaux culturalistes des années soixanteet soixante-dix, de N. de Maupeou-Abboud sur les blou-sons bleus, ceux de Rousselet sur l’allergie au travail ten-taient de montrer comment les jeunes se situaient par rap-port au travail dans un contexte de plein emploi. À partirdes années quatre-vingt, c’est l’insertion des jeunesqui devient centrale. Le défaut d’emploi focalise lesrecherches. Les économistes s’intéressent au fonctionne-ment du marché du travail (J. Rose), au marché secon-daire sur lesquels les jeunes sont enfermés dans la préca-rité, ils définissent les fonctions du diplôme, signal pourles uns, mode d’adaptation à l’emploi pour les autres,structurant les positions des jeunes dans la file d’attente etsur des espaces différenciés d’emploi dans tous les cas.Les sociologues se tournent vers des analyses plus institu-tionnelles et analysant la place de l’école, de la formationet des pouvoirs publics dans l’organisation de la transitionprofessionnelle, puis s’intéressent dans une perspectiveconstructiviste à la façon dont les jeunes vivent cettetransition vers l’emploi stable. C’est cette perspectivequ’ont adoptée depuis de nombreuses années C. Nicole-Drancourt et L. Roulleau-Berger.

Cet ouvrage s’organise en deux parties distinctes, lapremière se construit dans une perspective historique etcherche à démontrer que la place allouée aux jeunes sur lemarché du travail n’est pas dépendante de la seule crisedes années soixante-dix, elle s’inscrit au contraire dansle fonctionnement de notre système économique. Laseconde réintroduit cette approche constructiviste quipermet d’analyser la perception qu’ont les jeunes de leurtrajectoire, la manière dont ils construisent des arrange-ments pour survivre sans avoir une image trop dégradéed’eux-mêmes.

Dans la première partie, les auteurs ont reconstruit unepériodisation (pour ne pas dire une typologie, ce qui iciserait sans doute réducteur) de la mise au travail desjeunes. Trois périodes sont distinguées : la société pré-salariale, la société de croissance, la société post-salariale.Il y a toujours quelque chose de formel dans la productionde modèles, circonscrire les processus socio-économiquesdans des schémas totalisants réduit l’amplitude des faits.Pourtant cette schématisation qui a pour objectif de nousdémontrer que la place spécifique des jeunes sur le mar-ché du travail et dans la société comme les formes de leurmise au travail ne sont pas une conséquence directe de lacrise de l’emploi est tout à fait heuristique et peut-êtremême originale. S’appuyant principalement sur des statis-tiques de longue durée, sur les éléments forts des trans-formations de la scolarisation, des activités économiques

comme de la place des jeunes dans l’emploi, les auteursnous montrent que dès cette période pré-salariale lesjeunes n’entrent pas dans le salariat de la grande indus-trie. Au contraire, ils sont maintenus sur des statuts déva-lorisés, apprentis, aides familiaux, ils accèdent encoreassez peu à des formations qualifiantes. Dans les annéescinquante, la salarisation (68 %) n’est pas achevée et lesjeunes n’y sont pas rapidement intégrés, ils entrent par lapetite porte sur un marché du travail déjà fermé. Lesjeunes travailleurs se distribuent sur de multiples statuts(apprentis, jeunes travailleurs de la petite entreprise arti-sanale et commerciale, inactifs) et sont déjà touchés parune marginalisation relative.

Dans la période de croissance, c’est la scolarisation et laformalisation de la formation professionnelle qui progres-sent. Les pénuries de main-d’œuvre animent le débat poli-tique, mais l’entrée des jeunes dans l’emploi reste domi-née par une exclusion sélective. La grande entreprisefonctionne sur un marché du travail fermé et promotion-nel et n’appelle pas la main-d’œuvre juvénile qui, si elle sesalarise (98 % en 1968), reste cantonnée dans les secteursles moins attractifs et dans les petites entreprises, elles-mêmes subordonnées.

C’est pourquoi, il n’y a pas lieu de s’étonner que cesformes de marginalisation et de précarisation touchentprécisément les jeunes dans la dernière période. Celle-ci secaractérise par une transformation de la structure des acti-vités, par l’émergence d’emplois atypiques (précaires), parl’allongement de la période de scolarisation et le report del’entrée dans l’emploi ordinaire. Seuls 16 % en 1990 et 6 %en 1996 des jeunes ont un emploi ordinaire, cantonnés àl’école, dans les dispositifs d’insertion ou le chômage, lesautres construisent les files d’attente vers l’emploi stable.Les nombreux dispositifs publics d’insertion, des TUC auxemplois-jeunes en passant par les contrats de qualification,ont des fonctions multiples : requalification des jeunessans diplôme, socialisation et canalisation des jeunes enerrance, gestion de la file d’attente. Les entreprises, mêmeincitées par des exonérations significatives, ne se mobili-sent pas sur l’intégration des jeunes, elles suivent là unetradition de gestion du marché du travail, bien ancrée dansles mentalités françaises.

La deuxième partie s’intéresse plus précisément auxformes d’adaptation des jeunes aux conditions de travailqui leur sont offertes. Le travail reste la forme d’intégrationsociale majeure, elle mobilise la sociabilité des individus etleur subjectivité. Le rapport au travail se joue sur troisdimensions : instrumentale (le travail source de revenus),sociale (relations humaines et formes de reconnaissancesociale), symbolique (univers des significations attribuéesau travail dans la construction des identités sociales). Se

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substitue la figure du jeune précaire, à celle du jeune sco-laire et du jeune ouvrier urbain des périodes précédentes.

À travers leurs représentations du travail, de leur placedans le travail, à travers l’expression de leurs projets d’in-sertion, de mobilité ou de valorisation de leur formationdans le travail, les jeunes donnent à voir la construction deleur identité mais aussi les possibles qui leur sont offerts.Dans les années soixante, plus on approche du monde desOS, moins les projets de mobilité apparaissent, moins lesdimensions instrumentale, sociale et symbolique du tra-vail sont associés, nous disent les auteurs (p. 173). Maiscette dissociation va s’amplifier dans les périodes sui-vantes, sans qu’elles touchent les jeunes de manièrehomogène, bien entendu. La dévalorisation relative desdiplômes n’a pas les mêmes effets à chaque niveau, l’héri-tage social et culturel reste un facteur déterminant des tra-jectoires et constructions identitaires.

Le chômage entraîne des formes de retrait et d’évite-ment du travail. Pour pallier cet effritement de l’adhésionsociale, les pouvoirs publics ont institué les dispositifsd’insertion. Les conseillers professionnels affrontentdirectement la « déserrance » des jeunes, leur révoltesociale, leur anomie. Ces « entrepreneurs moraux », nousdisent les auteurs, évoluent sur trois registres : contrac-tuel, technique et civil et différents modèles d’action : lasolidarité (valorisant le jeune), la familiarité (rendre lesjeunes prêts à l’emploi), la démission (lassés, ils n’ycroient plus eux-mêmes), la fermeture (image dévaloriséede jeunes combinards).

Dans cette configuration complexe où le travail, tout enrestant central dans les formes d’intégration sociale etidentitaire, se dérobe, les jeunes cherchent à se construiredes projets différents et des espaces d’intégration, ilsexplorent des espaces intermédiaires où ils reconstruisentde l’activité. Ce « travail en friche », comme le ditL. Roulleau-Berger, leur permet de restaurer leur image,de reprendre confiance, de se construire des compétencescollectives (il semble lié aux activités artistiques etcommerciales en vogue, aux nouvelles technologies).Cependant ce travail reste lui-même précaire et mêmeéphémère, de plus, il n’est pas accessible à toutes les caté-gories de jeunes. Nombre d’entre eux n’ont pas les com-pétences scolaires et sociales pour l’imaginer et le fairevivre, ce que les auteurs ne précisent pas suffisamment.

Cet ouvrage tente de tenir une analyse socio-écono-mique de longue durée, resituant la place des jeunes (etdes jeunes de milieux populaires) dans les transforma-tions des cinquante dernières années. Il pointe la placespécifique de ces jeunes sur un marché du travail où ilsn’ont jamais acquis une place favorable, dans un rapportsalarial qui leur échappe. Il met en perspective le rapport

Notes critiques 169

subjectif que les jeunes entretiennent avec ces marchés dutravail. Sans jamais tomber dans le misérabilisme ou lepamphlet politique, il nous donne une synthèse des pro-cessus en œuvre et des approches développées depuisvingt-cinq ans. Il trouve ainsi sa place dans une littératureabondante que les auteurs n’ignorent pas.

Catherine AgulhonCerlis-Université Paris V

OBSERVATOIRE DE L’ENFANCE EN FRANCE. –Les jeunes et les médias en France, dirigé par GabrielLangouët. Paris : Hachette, 2000. – 255 p.

Les observatoires scientifiques font aujourd’hui florès.Dans un contexte où s’accélère le rythme des change-ments sociaux et se multiplient à l’infini les sources d’in-formations, les chercheurs sont de plus en plus appelés àobserver sur une large échelle, à faire le tri et à donner unsens au déferlement des données et opinions. Dans cetteveine, l’enfance constitue sans doute un objet d’observa-tion des plus pertinents dans les sociétés modernes. Cettepériode de la vie, plus que toute autre, est soumise à lapanoplie des regards experts et des points de vue, tousproduisant et reproduisant des savoirs pour la plupartdépourvus des contextes qui les ont vu naître. Les sociétésoccidentales, par souci de prévention, de développementdes enfants et de leur prise graduelle, mais toujours plusprécoce, d’autonomie, voient se multiplier les champsd’expertise et d’intervention, qui en soins médicaux detous genres, qui en méthodes éducatives, qui encore entroubles du comportement.

Visant à observer les conditions de vie des mineurs, àentreprendre des recherches dans des domaines peu oumal connus de l’enfance et à diffuser l’informationrecueillie par ces observations et recherches, l’Obser-vatoire de l’enfance en France cherche, par ses travaux etactivités, à combler le vide laissé par tant de discours quise croisent mais qui rarement se rencontrent. Venantaprès d’autres synthèses – telles que L’état de l’enfance enFrance (1997), L’enfance handicapée en France (1999) –Les jeunes et les médias en France souscrit à cette viséegénérale. Lancé à l’occasion de la Journée mondiale del’enfance, cet ouvrage paraît exemplaire tant par l’agence-ment des sections que par la qualité des travaux qu’ilcontient. Il livre au lecteur une véritable mine d’informa-tions et d’analyses basées sur des données statistiques, destravaux antérieurs et des contributions originales. Ilconstitue une invitation faite à chaque lecteur de choisirparmi les sections de l’ouvrage ce qui lui permettrait de

construire, à même ses propres questionnements et inté-rêts, des points de repère pour la compréhension deseffets et enjeux actuels de la présence des médias dans lavie des mineurs.

L’ouvrage contient d’abord un état des lieux qui permetde dégager les questions essentielles et les catégorisa-tions qui en modulent l’exploitation : modes de vie, sexe,origines sociales, inégalités économiques, comporte-ments, etc. Reprenant la célèbre formule de MarshallMcLuhan, « le message, c’est le medium », l’état des lieuxse borne à montrer que le medium, tout autant que sesmessages, envahissent aujourd’hui les sphères publiqueset privées. Les médias constituent par le fait même unedimension importante du processus de socialisation. Maisles médias (presse, radio, télévision et ordinateur) ne sontpas tous également accessibles, pas plus que leur contenun’est interprété de la même manière, selon les milieuxsociaux et le sexe. L’école détient ici un rôle de premierplan, notamment celui de la « médiation humaine » essen-tielle pour que les enfants classent, hiérarchisent, éva-luent, bref donnent un sens aux messages dont Internetest aujourd’hui «l’amplificateur gigantesque » (p. 68).

Suit une section fort originale où sont présentées desdonnées statistiques triées selon leur pertinence en regardde l’objet traité avec, en page gauche de chaque tableau etgraphique, une grille de lecture et d’analyse. Le lecteur seretrouve agréablement plongé dans la mer des chiffrespuisque le traitement analytique et succinct des donnéesimportantes permet de la dominer et, le cas échéant, demieux s’y orienter à l’occasion d’études ou de recherchesfutures. On y découvre, par exemple, que les ménages« modestes » représentent 3 % des foyers équipés d’unordinateur alors qu’ils représentent 36 % de tous lesménages en France. À l’autre extrémité du statut écono-mique, les ménages « aisés » forment 82 % des foyerséquipés alors qu’ils ne constituent que 31 % de l’ensembledes ménages. Par ailleurs, les ordinateurs ont fait leurentrée à l’école. Ils étaient présents, en 1998, dans 37 %des écoles maternelles et dans huit écoles élémentaires surdix. Mais la télévision détient toujours le haut du pavépour l’accès à l’actualité : près de trois quarts des 8 à19 ans estiment que c’est la télévision qui tient le plus aucourant de l’actualité, même s’ils jugent que les magazinesoffrent plus souvent des informations plus complètes etplus « véridiques ». Pas dupes non plus les jeunes, puisqueInternet ne recueille la confiance que de 11 % des 15-19 ans pour le traitement des nouvelles.

Vient enfin « Le regard des scientifiques », une troi-sième partie renfermant cinq contributions dont la rédac-tion a été assurée par des chercheurs choisis en fonctionde la qualité de leurs travaux et de la diversité des angles

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d’approche. Les textes abordent l’objet avec des outilsdisciplinaires (pédagogie, psychologie, sociologie) maisaussi selon les champs d’intérêt des chercheurs. Y sonttraités, en succession, les pratiques informatiques desenfants (G.-L. Baron), l’image comme « école » de la vio-lence (L. Bastide), la place des technologies de l’informa-tion dans les processus d’apprentissage (M. Linard), laconsommation des médias par les enfants (F. Mariet), etle rôle des médias et de l’Internet en enseignement(L. Porcher).

Il convient ici de lier les textes de Bastide et Mariet, quis’attardent à la consommation des médias par les enfants.Après l’examen critique de diverses enquêtes visant àmontrer l’existence d’une relation de cause à effet entreviolence physique à l’écran et actes violents des individus,Bastide conclut à l’improbabilité de cette relation.S’appuyant ensuite sur la psychanalyse, il formule l’hypo-thèse que ces images forment un certain miroir de lasociété, que d’aucuns ont intérêt à diaboliser puisqu’ellesferaient prendre conscience d’images refoulées. De plus,le spectateur maintiendrait en tout temps la capacitéd’une « distance » avec ce qu’il visionne. L’absence dedonnées scientifiques sur la relation entre les jeunes et lesmédias est aussi source de préoccupation chez Mariet qui,après avoir présenté les chiffres disponibles, dénonce lefait que les informations proviennent surtout d’études demarketing commandées par les grandes chaînes d’infor-mation. Ainsi est-il impossible de connaître les modalitésde consommation de la télévision par les enfants (selon laprofession des parents, par exemple) ce qui vient souli-gner l’importance de combler les déficits de connaissancesscientifiques, notamment sur la question de la place de latélévision dans la socialisation des enfants.

Les textes de Baron, Linard et Porcher peuvent aussiêtre regroupés puisque, chacun à leur manière, ils plaidentpour une meilleure intégration des technologies de l’in-formation et des communications (TIC) dans les écoles.Alors que les deux premiers fondent leurs propos surl’importance de favoriser l’apprentissage des élèves (etselon des modalités différenciées pour Linard), Porchersoutient avec verve que l’école doit intégrer les médias àl’apprentissage, sous peine d’être « broyée » par les avan-cées desdits médias. Ces derniers suscitent chez les jeunesplus d’intérêt que ne le fait l’école et sont en voie de per-mettre l’apprentissage à l’extérieur de ses murs. Sous laplume de ces trois chercheurs, le développement des TICdoit faire appel à une mobilisation des acteurs du mondede l’éducation autour des fonctions principales de l’école,soit celles de lutter contre les inégalités d’accès au savoiret de soutenir un apprentissage fondé sur les capacités decompréhension et d’analyse.

L’efficacité de ces contributions scientifiques ne résidepas dans un effet de kaléidoscope, qui aurait pu être lepiège d’une telle approche, mais bien dans la manièredont elle permet de faire avancer le débat et la recherchesur chaque thème, en identifiant conclusions possibles etlacunes de connaissances. Notons enfin que cette troi-sième partie est suivie d’une bibliographie générale surl’objet de l’ouvrage puis d’un annuaire regroupant lesorganismes dont l’action se situe dans le champ étudié.

Somme toute, cet ouvrage relève de bien plus qu’unesimple opération de diffusion des savoirs. À l’image despropositions faites par Porcher pour assurer la place del’école face à sa rivale médiatique, le flot des données etdes connaissances a été soumis à des efforts rigoureux desélection, de catégorisation et d’analyse, donnant ainsiaux chercheurs et intervenants des outils précieux de tra-vail et de réflexion.

Marc MolgatUniversité d’Ottawa et Observatoire Jeunes et Société

INRS-Urbanisation, Culture et Société

SOËTARD (Michel). – Qu’est-ce que la pédagogie ? Lepédagogue au risque de la philosophie. Paris : ESF édi-teur, 2001. – 122 p.

C’est un livre assez bref mais d’une grande importance,écrit avec beaucoup de sûreté et de clarté, que proposeMichel Soëtard, professeur de philosophie de l’éducationet d’histoire de la pensée pédagogique à l’UniversitéCatholique de l’Ouest.

Après notamment La pédagogie entre le dire et le faire dePhilippe Meirieu (ESF, 1995), les travaux de JeanHoussaye et ceux qu’il a coordonnés (en particulier Lapédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, ESF,1993, et Questions pédagogiques. Encyclopédie historique,Hachette, 1999), les articles rassemblés dans le n° 120(juillet-septembre 1997) de la Revue Française dePédagogie (« Penser la pédagogie »), le livre de MichelSoëtard contribue d’abord à camper le paysage, à situer età penser l’espace propre de la pédagogie par rapport à celuide la philosophie et à celui des Sciences de l’éducation.

La pédagogie emprunte à la philosophie ce qui la carac-térise depuis son origine grecque, la visée de l’universel.Mais la réalité concrète de cette visée ne peut être pro-duite qu’à partir de la singularité de chaque existence endevenir : la pédagogie est une pensée du devenir –humain. L’universel n’« est pas », ni comme concept nicomme réalité empirique. C’est un horizon ouvert pour

l’homme en tant qu’être « raisonnable et fini », selon lesmots de la Critique de la raison pratique. Il n’est donc pasdonné, ni comme une finalité naturelle, ni comme unefinalité sociale, mais il faut se décider pour lui « sous leprincipe explicite et affirmé de liberté » (p. 119) qu’adégagé l’époque moderne. Car « l’originalité de la situa-tion », c’est que l’homme doit désormais répondre libre-ment de sa liberté : « l’universel, il lui appartient désor-mais de le construire sur sa liberté » (p. 11-12). C’estpourquoi « la naissance de la pensée pédagogique, commecelle de la pensée politique moderne, a une date qui luiouvre un champ autonome » (p. 14).

Michel Soëtard ne reprend donc pas la façon dont sesont nouées les réflexions entre la philosophie et la penséede l’éducation depuis le débat socratique, puis platoni-cien, avec la Paideia sophistique. Il peut circonscrire, pourla radicaliser, la discussion « dans un cercle marqué detrois noms : Rousseau, Kant, Pestalozzi » (p. 13) parceque, pour eux, c’est justement la liberté qui est le para-digme central.

Mais qu’est-ce que la liberté ?

On pourrait dire en simplifiant que l’autonomie est lapensée de l’absolu de la liberté. C’est la capacité de pen-ser, de juger, de décider, d’agir à partir de soi-même (cequi ne signifie nullement que l’on soit pour autant isolé ouséparé des autres, bien au contraire), et de se reconnaîtrecomme responsable de ses actes. Mais c’est pour chacunsingulièrement, à partir de sa propre « primitivité »comme le dit Kierkegaard, et des conditions sociales danslesquelles il vit, que la liberté doit trouver son cheminconcret. Le sens est ce qui accomplit et étend la libertédans l’existence humaine, ce qui porte cette existence enavant et au-delà d’elle-même. Michel Soëtard est trèsattentif à la distinction, d’inspiration kantienne et mise enlumière par Eric Weil, entre « sens et fait » (p. 21). Lesfaits, y compris, pour Kant, la science, et même ce « fait dela raison » qu’est l’existence de la loi morale et de laliberté en l’homme, n’ont pas de sens en eux-mêmes, maisseulement par rapport à l’intérêt fondamental que nousavons pour notre dignité. C’est pour cela que la liberté, ledevoir, ne sont nullement pour Kant des « entités méta-physiques », mais des idées « formelles », c’est-à-dire desexigences, comme l’idée « vraiment formelle » de « for-mer l’homme de l’homme » chez Rousseau (p. 102, n. 5).Il ne s’agit pas d’idées « vides ». Les idées formelles don-nent sens au devenir – libre, c’est-à-dire à ce quePestalozzi nomme, au titre de « fin » de l’éducation,l’« ennoblissement » (Veredelung) de l’homme dans sondevenir concret.

La distinction entre « fin » de l’éducation, et « finali-tés » qui seraient inscrites dans la nature ou socialement

Notes critiques 171

instituées, rejoint la critique du « finalisme » en éducationmenée par Nanine Charbonnel dans Pour une critique dela raison éducative (Peter Lang, 1988). Déjà VivianeIsambert-Jamati avait, dans Crises de la société, crises del’enseignement (PUF, 1970), montré comment, entre 1860et 1960, avaient évolué les grandes perspectives axiolo-giques de l’enseignement, entre 1860 et 1960, mêlées defaçon inextricable avec des finalités d’ordre social. Ordire, comme Pestalozzi, que le registre propre de l’éduca-tion est d’ordre moral, c’est affirmer que la liberté estpuissance de transformation et de dépassement de toutdonné factuel. C’est dessiner une ligne de crête entre cesdeux risques symétriques et inverses : l’enfermement dansl’objectivation (y compris celle du savoir lorsqu’il tend àse réifier), et l’enfermement dans la subjectivation (ycompris celle du sens si le sujet n’y rencontre que lui-même en tant que « donné »).

Pour que la liberté se construise, Pestalozzi a accordéune très grande attention aux « moyens concrets qui per-mettaient à chacun d’accéder au sens » (p. 36). Ce qui dis-tingue les « pédagogues » des « penseurs de l’éducation »(Rabelais, Montaigne, Rousseau lui-même…), c’est qu’ilstravaillent sur les conditions toujours indirectes du déve-loppement et du perfectionnement, sur les instrumenta-tions, les médiations, les méthodes susceptibles de facili-ter un parcours que chacun doit finalement accomplir surson propre compte. C’est parce que le pédagogue estengagé dans une action pédagogique que Michel Soëtarddonnerait maintenant plus volontiers à sa thèse de 1981(publiée chez Peter Lang) le titre de Pestalozzi ou la nais-sance du pédagogue, plutôt que de l’éducateur (p. 15, n° 6).Philippe Meirieu a insisté sur l’inventivité pédagogique,les trouvailles effectuées par les pédagogues qui se sontattachés à rester fidèles au « principe d’éducabilité » jus-tement avec ceux qui étaient souvent désignés commeinéducables ou irrécupérables. Mais si la liberté peut êtreinstrumentée, jamais elle ne peut être instrumentalisée.Le « moment pédagogique » est celui où le pédagoguedécouvre que l’enfant échappe à son pouvoir (1). ChezMichel Soëtard, l’action pédagogique (par différence avecune pratique que la « praxéologie » pourrait comprendreà partir de ses causes et de ses finalités), se situe toujours« au carrefour de la cause et de la fin » (p. 109), de sorteque son critère ultime est l’humanisation de l’homme « àla mesure du travail intérieur qu’il opère sur lui-même enmême temps qu’il agit » (p. 113).

Mais que l’action pédagogique ne puisse trouver saplace comme « action sensée » qu’ « au point de rencontredes deux mouvements, celui de la nature et celui de laliberté », suppose qu’il y ait un « déjà-là sensé sur lequell’action de construction de la liberté peut et doit s’ap-puyer » (p. 102). Il ne s’agit plus ici de ce « fait de la rai-

son » qu’est pour Kant l’existence en nous de la loimorale, mais plutôt des relations entre le « sens imma-nent » de l’expérience humaine et celui qui la porte au-delà (et non pas seulement au-devant) d’elle-même.L’importance accordée à ce qui s’atteste déjà de libertédans les mouvements mêmes de la nature, pour parlercomme Rousseau, ou dans la dynamique d’« auto-socio-construction » des savoirs et des projets, comme le diraitplutôt le GFEN aujourd’hui, conduirait sans doute àmoins de sévérité à l’égard de l’Éducation Nouvelle (dontà vrai dire Michel Soëtard critique surtout le natura-lisme et le puérocentrisme), c’est-à-dire des « méthodesactives », de la recherche d’une corrélation constructivedes activités et des situations, du co-étayage entre appren-tissage et socialisation, qui ont donné lieu à beaucoup detravail pédagogique et, de la part de nombreux péda-gogues, à une reprise critique de leur expérience, souventpartagée avec d’autres. Peut-être, sous l’« absolu » de laliberté qu’est l’autonomie, une « même vie » se joue-t-elleà des niveaux différents de rapports entre nature etliberté : « c’est pourquoi le destin se concilie si mal avec ledéterminisme, mais si bien avec la liberté : la liberté est dechoisir le niveau » (2). Selon un mouvement typiquementkierkegaardien, la question de ce qu’est la pédagogie s’in-fléchit alors forcément vers celle de son comment, etinvite à s’instruire des pédagogies qui sont réellementapparues au cours de l’histoire.

Or, quelle que soit leur diversité, les pédagogies, dansleur tradition historique réelle, se caractérisent par ce queJean Houssaye a appelé « l’enveloppement mutuel et dia-lectique de la théorie et de la pratique éducative par lamême personne, sur la même personne » (3). La péda-gogie n’est ni un art empirique de l’éducation, ni uneréflexion, plus ou moins systématisée en « doctrine », surl’action éducative en vue de l’améliorer. La situant « entrele dire et le faire », Philippe Meirieu montre que, dans lestextes où elle se dit, la pédagogie donne lieu à des discoursmixtes, hétérogènes, qui véhiculent des principes moraux,des conceptions de devenir de l’homme, des savoirs posi-tifs, des récits, une rhétorique et une heuristique grâceauxquelles les pédagogues essaient de clarifier pour eux-mêmes et pour les autres leurs actions et leurs orienta-tions, dans la tension toujours renouvelée entre des cir-constances et en idéal. Michel Soëtard le rappelle :Pestalozzi présente son « discours de la méthode » qu’estle Chant du Cygne comme « un discours situé, qui renvoieà la particularité de celui qui l’a élaboré à partir de sonvécu et de ses expériences » (p. 98). Le « dire » pédago-gique (théorique, argumentatif, narratif) témoigne doncavant tout d’un souci du sens et de la vérité (par examencritique) de l’agir humain, qui doit toujours être interrogéet réaménagé pour s’inscrire dans un monde évolutif et

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complexe, tout en restant fidèle à ses aspirations les plusprofondes.

Dans un admirable texte écrit en hommage à OlivierReboul, Franck Tinland, tout en se déclarant « profane enla matière », a esquissé ce que pourrait être aujourd’hui« l’école de la liberté », alliant acquisition d’habiletés etde compétences non étroitement adaptatives, initiation aumonde humain, formation à l’autonomie et à la prise deresponsabilités, maintien de l’ouverture de l’imaginationsur un horizon de possibles, éveil à des nouvelles solida-rités (4). Il se trouve que ces « fins » de l’éducation, for-mulées à la hauteur de la complexité et des aléas dumonde d’aujourd’hui, sont mises en correspondance avecce qui fonde l’acte éducatif lui-même dans une « Idée dela liberté » inspirée de Rousseau et de Kant : Idée du res-pect en chacun de ce qui le fait humain, et attention accor-dée aux conditions et aux situations d’une libertéconcrète, ce qui est en congruence complète avec l’orien-tation du livre de Michel Soëtard.

La question ultime est toujours celle-ci : comment pou-vons-nous perfectionner ce qui fait de nous des êtreslibres ? C’est parce que l’éducation a affaire à des « totali-tés concrètes » et engagées dans une histoire qu’elle doittoujours veiller à ce que soit sauvegardée la véracité sub-jective, celui qui éduque aidant l’autre à ouvrir, à enrichir,à affiner des complexes d’idées et de sentiments, pouraccéder à des points de vue critiques et à des distinctionsd’ordres qui favorisent l’ouverture de la conscience etl’exercice de la liberté.

Parce que nous vivons dans un monde qui a perdu ceque Martin Buber appelle sa « forme », c’est-à-dire l’assu-rance de normes instituées et de valeurs communémentpartagées, l’autonomie de l’éducation, et plus encore cellede l’action pédagogique, peuvent désormais apparaîtrecomme telles. Toutes les philosophies constituées aucours de l’histoire se trouvent finalement reconduites aumoment fondateur, socratique, de la philosophie elle-même, qui est aussi son moment pédagogique (p. 120-122). « Le début du philosopher » (ce sont les derniersmots du livre…) renverse ainsi paradoxalement le sous-titre, et met « le philosophe au risque de la pédagogie ». Àla condition qu’ils acceptent de ne pas parler seulementdepuis les hauteurs de l’Idée, les philosophes peuvent êtreaussi ces « artisans d’humanité » (Comenius) « qui tra-vaillent la particularité afin de l’ouvrir à l’universel »(p. 119), en se faisant – au moins un peu ! – pédagogues.

Quant aux Sciences de l’éducation, elles ne peuventêtres descriptives et explicatives des « faits éducatifs »qu’en suspendant méthodologiquement le caractère pro-blématique de cette notion elle-même, puisque l’édu-cation comporte toujours en tant que telle une tension

irréductible entre faits et sens, et que son registre propreest celui du sens qui se fait. Les relations entre Sciences del’éducation et pédagogie sont donc inextricables, bien quesoient distinguables les orientations de leurs probléma-tiques, plutôt vers la connaissance ou plutôt vers la jus-tesse d’une action qui cherche aussi à se dire (5).

C’est pourquoi, comme le recommandait jadis AntoineProst, il est légitime de poursuivre des recherches « enéducation » et non pas seulement « sur l’éducation » (6). Ily a bien un « progrès pédagogique » (ib., p. 30-32). Il n’estcertes pas linéaire, mais il renvoie à cette « culture pro-prement pédagogique », à ce « patrimoine pédagogique »de valeur inégale, mais souvent éclairant, original, et tropsouvent méconnu des enseignants eux-mêmes (7). Le livrede Michel Soëtard, qui clarifie son statut spécifique, et quidissipe beaucoup de malentendus et de préventions pos-sibles, devrait renforcer, voire créer, cet intérêt bien pensépour la pédagogie.

Pierre-André DupuisUniversité Nancy 2

NOTES

(1) Philippe Meirieu, La pédagogie entre le dire et le faire, Paris, ESF,1995, p. 55.

(2) Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF,1968, p. 113.(3) Jean Houssaye, « Présentation », in Jean Houssaye (dir.), La péda-

gogie : une encyclopédie pour aujourd’hui, Paris, ESF, 1993, p. 13.(4) Franck Tinland, « L’école de la liberté : acquisition de compétences

et formation à l’autonomie », in Éducation et philosophie. Écrits enl’honneur de Olivier Reboul, Paris, PUF,1993, p. 121-137.

(5) Pour une présentation récente et équilibrée de ces relations discu-tées, cf. AECSE, Les sciences de l’éducation. Enjeux, finalités etdéfis, AECSE/INRP, 2001, p. 20-25.

(6) Antoine Prost, Éloge des pédagogues, Paris, Seuil, 1985, p. 200-204.(7) Cf. Philippe Meirieu et Stéphanie Le Bars, La machine-école, Paris,

Gallimard (« Folio »), 2001, p. 52-53.

THRUPP (Martin). – School Making a Difference.Let’s be realistic ! Buckingham (Grande-Bretagne) ;Philadelphia (États-Unis) : Open University Press, 1999.

Dans cet ouvrage vif et passionnant, le sociologue (etancien enseignant) néo-zélandais M. Thrupp s’interrogesur la question de l’influence de la composition sociale dupublic scolaire (le « school mix »), sur la vie dans les éta-blissements et le déroulement des scolarités, et ce, c’est làl’originalité du livre, dans une perspective à la fois desociologie qualitative et de politique éducative (1).

La question est d’actualité, dans les pays anglo-saxons.Depuis les années 80, le courant de recherche dit de la

Notes critiques 173

« school effectiveness » a contribué à y imposer l’idéed’ « effets établissements » significatifs, minimisant dumême coup les effets individuels et agrégés (dans uncontexte) des caractéristiques individuelles (notammentsociales) des élèves. Dans cette perspective, quelles quesoient les caractéristiques du public d’élèves, toute écolepeut améliorer son efficacité et son équité, et certains paysont mis en place des mesures très concrètes pour sanc-tionner les écoles défaillantes et récompenser les autres.

La question que pose M. Thrupp dans son ouvrage (quireprend 6 années de travail) est de savoir si cela a un sensde parler d’effets-école « toutes choses égales parailleurs ». Sa thèse est qu’il est vain de prétendre dégager,par des analyses de type « valeur ajoutée » des facteursd’efficacité qui vaudraient dans tous les cas et qu’il seraitdonc de la responsabilité des écoles de mettre en place. Etce parce que l’efficacité serait foncièrement liée à cer-taines caractéristiques « morphologiques » de l’école.Régulièrement, les analyses font apparaître une corréla-tion entre efficacité et type de public accueilli (avec demeilleures progressions dans les écoles au public majori-tairement de classe moyenne, ou en tout cas hétérogènesur le plan social et ethnique). Et de nombreusesrecherches sur les effets-établissements montrent que lacomposition sociale du public joue sur le climat que l’onparvient à mettre en place dans l’établissement, la couver-ture des programmes, les exigences envers les élèves, eux-mêmes facteurs d’efficacité ; autrement dit, il s’avère defait plus facile d’être efficace quand les élèves « apportentavec eux » un certain nombre d’atouts, qu’il s’agisse d’ac-quis initiaux mais aussi d’attitudes plus ou moins favo-rables à l’exercice tranquille du métier d’élève. Dès lors,comme le dit Thrupp, beaucoup de facteurs d’efficacitésont « school based » mais non « school caused » : ils pren-nent bien place au sein de l’école, du fait de ce qu’elle est,mais elle n’en est pas pour autant responsable puisque lar-gement dépendants de son « school mix ».

L’ouvrage est organisé en trois parties, qui présententsuccessivement l’état de la question (dans les pays anglo-saxons, où la littérature, tout comme les débats, sont trèsriches en la matière), les investigations empiriques origi-nales rassemblées sur quatre écoles de Nouvelle Zélande,puis les incidences politiques des résultats.

La recherche s’appuie soigneusement sur la littératureexistante, qui invite à explorer certains processus intermé-diaires, entre la composition du public et ses effets sco-laires, processus soit de type « interactionnels » (inter-actions entre élèves ou entre maîtres et élèves), soit detype « instructionnels » (déroulement précis des activitésd’enseignement). Quatre écoles contrastées (par la tona-lité sociale et ethnique de leur public) ont été choisies, au

sein desquelles 13 élèves de 9e année ont à leur tour étéretenus, de telle sorte qu’ils soient par ailleurs le plus res-semblants possibles en termes de milieu social et deniveau scolaire antérieur. L’« expérience scolaire » de cesélèves, le déroulement des classes, et le jugement desenseignants ont ensuite été comparés d’une école àl’autre, les variations étant in fine rapportées à la spécifi-cité du school mix de chacune des 4 écoles.

La perspective est donc très nettement qualitative, touten étant solidement ancrée dans les travaux antérieurs, cequi produit des résultats très structurés, qui convainquent,sans doute bien au-delà de ce que permettent « objective-ment » les données. Sont mis en avant des processus telsque : l’existence de « groupes de référence » différentsselon le public majoritaire de l’école (pour résumer briè-vement, les élèves adhèrent à la culture du groupe le plusreprésenté) ; les phénomènes de « négociation du curricu-lum » (réel) que les élèves engagent avec les enseignants,avec à nouveau une influence décisive du groupe numéri-quement dominant ; ou encore les modalités de gestion dela discipline ou de la vie quotidienne dans l’établissement,toujours en relation avec son school mix.

Dans la troisième partie, l’auteur d’une certainemanière liste lui-même les recherches qu’il faudrait enga-ger pour mieux comprendre cette influence de la compo-sition scolaire du public que son travail qualitatif suggère ;il intègre de manière remarquable son apport spécifique,sans que l’on sache bien sûr, mais c’est un problème qui sepose à tout chercheur, jusqu’à quel point ses résultats eux-mêmes ont été informés par cette littérature qu’il connaîtsi bien. On peut néanmoins estimer qu’il s’engage un peuvite sur les incidences politiques de cet effet, revenant surla question pointée dès l’introduction, de la capacité desécoles à s’améliorer, quel que soit leur public, sa réponseétant négative : les écoles de « pauvres » ne sont pas desécoles inefficaces, ce sont tout simplement des écolespauvres, que les évaluations externes et les sanctions affé-rentes risquent d’enfoncer encore davantage.

Vu l’enjeu politique de la question de l’impact duschool mix, on peut juger à la fois passionnant et insuffi-sant le travail qualitatif présenté par M. Thrupp. Ce n’estpas par l’étude, si fine soit-elle, de quatre écoles contras-tées que l’on peut être conclusif sur les voies d’influenceet la portée du school mix (ce que reconnaît d’ailleurs par-faitement l’auteur). En la matière, une collaborationentre des approches qualitatives comme celle-là permet-tant d’explorer les processus susceptibles d’être pertinentset des approches quantitatives permettant de tester decette pertinence et d’évaluer le poids respectif de ces dif-férents processus (tout ceci à l’aune de leurs effets chez lesélèves) seraient évidemment des plus intéressantes. Il

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faut souligner qu’en la matière, les questions méthodo-logiques sont cruciales, tant il est nécessaire de traquer,par des méthodes statistiques sophistiquées, d’éventuelseffets d’interaction entre efficacité (ou plus largementinfluence) de l’école et composition sociale de son public.On peut donc se montrer relativement méfiant face à desapproches aussi qualitatives que celle présentée ici, d’au-tant plus que les convictions de l’auteur sont aussi trans-parentes que tranchées. Cela dit, la synthèse informée dela littérature qu’il présente limite un peu ce problème,même si on peut toujours arguer que toute synthèse estorientée.

Par ailleurs, ce travail invite les sociologues à s’intéres-ser davantage aux « effets de pairs » dans les apprentis-sages : ces effets (qui suggèrent que les étudiants qui com-posent une école ou une classe créent un milieu quifacilite ou rend plus difficile l’apprentissage au-delà de cequi serait attendu sur la base des caractéristiques indivi-duelles) renvoient eux-mêmes à plusieurs pistes explica-tives (qu’il s’agisse de l’intériorisation de normes degroupe, des interactions entre élèves, ou des pratiquespédagogiques rendues possibles par le groupe), qui toutesinvitent les sociologues à des collaborations avec leurscollègues de psychologie sociale. Le programme derecherche que propose cet ouvrage est en tout cas extrê-mement stimulant (particulièrement pour la recherchefrancophone si restreinte en la matière).

La professionnalité des chercheurs, leurs compétencesméthodologiques et leur ouverture pluridisciplinaire sontdonc particulièrement cruciales, vu l’enjeu politique de

ces questions, puisqu’il s’agit d’évaluer ce qu’on peutcraindre d’établissements qui seraient de plus en plusségrégués et ce que l’on peut attendre d’une politiquevisant à maintenir ou à accroître une certaine mixitésociale. La position de M. Thrupp est sur ce point trèsnette, et sa recherche apparaît sans conteste engagée : laconcentration des élèves les plus défavorisés les désavan-tage, et la politique dite « néo-libérale » ne fait qu’empi-rer les choses, avec la caution du courant du school effec-tiveness. Il reste que, au-delà des possibilités d’actionvisant à agir sur la composition des publics scolaires, rienne serait pire (et sans doute contraire aux visées de l’au-teur) que de basculer de ce qu’il dénonce, non sansquelque simplisme parfois, comme l’optimisme techno-cratique du courant de la school effectiveness à un fata-lisme renouvelé, faisant des écoles les otages de leurschool mix.

Marie Duru-BellatUniversité de Bourgogne-IREDU-CNRS

NOTES

(1) Notons que les lecteurs qui seraient rebutés par la lecture d’unouvrage en anglais peuvent se reporter à deux articles où l’auteursynthétise et sa problématique et ses résultats :Thrupp M., 1995, « The “school mix ” Effect : the history of an endu-ring problem in educational research, policy and practice », BritishJournal of Sociology of Education, 16 (2), 183-203.Thrupp M., 1997, « How School Mix Shapes School Processes : AComparison of New Zeland Schools », New Zeland Journal onEducational Studies, 32 (1), 53-82.

Notes critiques 175

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 177-178 177

Disparu brutalement le 23 janvier dernier, PierreBourdieu laisse une œuvre immense, qui a su

à la fois contribuer de façon décisive au renouvel-lement des sciences sociales en France et impri-mer dans l’esprit du temps une marque puissanteet universellement reconnaissable. Une grandepensée, ce n’est pas seulement celle qui s’emparedu monde pour le comprendre ou le transformer,c’est celle aussi dont le monde s’empare, avectous les risques de retraduction et de réinterpréta-tion que cela comporte, pour s’instruire et setransformer à partir d’elle. C’est ainsi que la pen-sée de Pierre Bourdieu, pensée « savante » parexcellence, pensée de « lecteur », de théoricien etde chercheur, a pu devenir ressource et motif deculture, élément et aliment d’une « culture com-mune », une culture « critique » et « opposition-nelle » communément partagée, à l’intersection duchamp des sciences sociales, du champ politique,du champ artistique et du champ pédagogique.

Trois caractéristiques frappent dès qu’on s’ef-force de prendre une vue d’ensemble de la pro-duction et de la carrière de Pierre Bourdieu (del’ENS et l’agrégation de philosophie à la chaire desociologie du Collège de France et à la médailled’or du CNRS en passant par l’enseignement enuniversité et les activités et responsabilités derecherche au sein de l’EPHE et de l’EHESS) : c’estd’une part l’abondance, la richesse, la puissance

de l’œuvre produite et publiée, ces dizaines d’ou-vrages, ces centaines d’articles, cette multitudepresque indénombrable de contributions et d’inter-ventions qui paraissent s’accumuler « en spirale »,avec de fréquents remaniements et retours, autourde quelques axes thématiques et théoriques forts(1) ; c’est d’autre part, contrastant avec la diversitédes objets ou des domaines d’investigation (de lamaison kabyle à l’ontologie heideggerienne, dupaysannat béarnais à la pensée scolastique, del’esthétique flaubertienne au marché immobilier, dela sociologie de la science à celle de la haute cou-ture, de l’épistémologie à la religion, de la péda-gogie à la politique), l’extraordinaire, l’impérieusecohérence du dispositif d’analyse et de théorisa-tion, articulé autour de quelques idées maîtresses,quelques hypothèses à portée très générale,quelques concepts doués d’un pouvoir exception-nel de pénétration polémique et de capitalisationheuristique tels que champ, habitus, violence sym-bolique, capital culturel, marché, domination, légi-timité, reproduction ; c’est enfin la radicalité de laposture critique, une radicalité qui s’inscrit d’abord« en creux », dans le « paradoxe performatif » d’undiscours qui semble faire de la démonstrationmême du déterminisme social dans ce qu’il a deplus inéluctable le ressort caché de sa subversionpossible, puis s’exprime de plus en plus ouverte-ment à travers les engagements et les partenariatsmilitants des dernières années.

Pierre Bourdieu (1930-2002)Jean-Claude Forquin

Si, dans l’œuvre de Pierre Bourdieu, les contri-butions concernant les questions d’éducation nereprésentent bien évidemment qu’une partie ouqu’un aspect qu’on a eu trop souvent tendance àprendre pour le tout, on peut remarquer cependantque c’est principalement à partir des travaux qu’ila menés avec quelques proches collaborateurs aucours des années 1960 sur le système d’enseigne-ment et les inégalités devant l’éducation et la cul-ture que l’idée de reproduction a su s’imposer, àl’intérieur mais aussi à l’extérieur du champ pro-fessionnel de la sociologie, comme un paradigme àportée explicative très générale. On a pu attribuerle succès de cette « explication » à des facteurs deconjoncture : l’adéquation entre la nouvelle penséesociologique critique et l’esprit du temps, l’usuredu discours de justification méritocratique del’école, les difficultés ou les désillusions de la« démocratisation ». On ne saurait cependantoublier ce qu’il y avait de radicalement originaldans les enquêtes et les analyses du Centre deSociologie Européenne, et le saisissement provo-qué par des ouvrages comme Les Héritiers ou LaReproduction, qui paraissaient remettre en causedans son fondement même la promesse d’uneécole institutrice et émancipatrice. La même radi-calité, la même puissance de pénétration critiqueétayée sur la longue patience du travail scientifiquese retrouvent dans les descriptions du champ aca-démique, du champ culturel ou du champ du pou-voir proposées dans ces véritables « sommessociologiques » que sont La Distinction, HomoAcademicus ou La Noblesse d’État. Cependant,une pensée dans laquelle l’effet de profondeurn’est jamais complètement séparable d’une cer-taine épaisseur métaphorique des mots laisse tou-jours ouverte une pluralité de lectures et d’usagespossibles. Ainsi la notion de violence symboliquerevêt-elle, dans la réflexion sur le fonctionnementde la communication pédagogique, plusieurs sensou plusieurs « portées » possibles, selon qu’on pri-vilégie le langage de la théorie de l’information (laculture comme système de codes et de messagesdont la fonction objectivement discriminatoire

pourrait théoriquement être combattue par la miseen œuvre d’une « pédagogie rationnelle »), le lan-gage de l’économie (la culture comme « marchédes biens symboliques »), le langage de la sociolo-gie de la religion (l’autorité pédagogique commeautorité sacerdotale, pouvoir d’imposition arbitraired’un arbitraire culturel revêtu des oripeaux dusacré) ou le langage de la sémiologie structurale (laculture comme logique de différenciation distinc-tive, système de différences potentiellement géné-rateur de divisions et de classements). De même,dans nombre de travaux sur le monde universitaire,le monde de l’art ou celui de la science, la des-cription en termes de champs (comme ensemblesstructurés de positions à valeur différentielleconstituant à la fois le support et l’enjeu d’unelutte permanente pour l’appropriation et lecontrôle) pose la question de savoir commentappréhender de manière sociologiquement signifi-cative les modalités spécifiques de production, derégulation et de sanction évaluative propres à cha-cune des grandes sphères de l’activité humaine(l’art, la science, le travail, la technique), qu’on nepeut bien évidemment réduire à de simples sup-ports d’écarts différentiels ou de stratégies de dis-tinction. Mais c’est le propre d’une grande penséecomme celle de Pierre Bourdieu d’apporter avecelle, en même temps qu’un pouvoir exceptionneld’élucidation et d’illumination, une part d’ombre etd’incertitude et une invitation au questionnementqui compte aussi dans la dette que nous avonsenvers elle.

Jean-Claude ForquinNDLR – Jean-Claude Forquin a publié dans la Revue

française de pédagogie les quatre comptes rendus sui-vants consacrés à des travaux de Pierre Bourdieu :BOURDIEU P. et PASSERON J.-C. – La reproduction :éléments pour une théorie du système d’enseigne-ment, Paris, Éditions de Minuit, 1970 (RFP, n° 15, 1971,p. 39-44). BOURDIEU P. – La distinction : critiquesociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979(RFP, n° 55, 1981, p. 35-38). BOURDIEU P. – Homoacademicus, Paris, Éditions de Minuit, 1984 (RFP,n° 75, 1986, p. 112-118). BOURDIEU P. – La noblessed’État : grandes écoles et esprit de corps, Paris, Édi-tions de Minuit, 1989 (RFP, n° 94, 1991, p. 93-98).

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NOTE

(1) Cf. Y. Delsaut et M.-C. Rivière, Bibliographie des travaux de Pierre Bourdieu, Pantin, Le Temps des Cerises, 2002.

Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002, 179-180 179

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180 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

REVUE FRANÇAISE DE PÉDAGOGIE N° 139 – AVRIL-MAI-JUIN 2002

Sum

mar

ies

Devices, practices and educational interactions : sociological approaches

Gilles Combaz – The secondary school project : towards a drifting curricu-lum ? A contribution to a sociology of State-school relationship. p. 7

In France, the “school project” (le projet d’établissement) was instituted bythe 1989 orientation law (loi d’orientation de 1989). It aims, among otherthings, at increasing the autonomy of schools so that they can be best sui-ted to local features. We will make the assumption that this process whichtries to emphasize the original and specific characteristics of each school,is likely to contribute to inequalities in the functioning of the educationsystem. In order to test this assumption, a monographic study carried outon the scale of a french metropolitan departement has made it possible toanalyse the main lines of the “school projects” of all the state-ownedschools (N=101). This survey reveals that in the socially favoured schools,the characteristics of the school public allow the stress to be made on therelatively “noble” objectives (wider opening onto culture, interdisciplinarywork, life inside school). On the contrary, in the schools attended bypupils coming from modest or underprivileged sections of the population,the orientations shown in the “school projects” tend to reveal a constrai-ned adaptation to the everyday difficulties of the pupils (difficulties atschool, precarious social conditions, urban violence, etc.).

Daniel Thin - Questioning teachers’ authority. The case of urban secondaryschools in ‘deprived areas’. p. 21

Lack of discipline and active disorder in urban secondary schools in ‘depri-ved areas’ shows that teachers’ authority is constantly at risk. In theseschools, establishing authority over pupils is a constant task. Paradoxi-cally, however, using punishment too frequently undermines this hard-woncontrol. Therefore, in order to maintain or establish authority over pupils,teachers are obliged to develop strategies of compromise with them,taking into account the gap between the culture of the school and that ofthe pupils from poor urban families in order to avoid violent conflicts,which jeopardize teaching authority. The article emphasizes that teachers’authority depends on interdependence relationships.

Pierre Merle – Student’s humiliation in school institution : a contribution tothe sociology of pupil/teacher relationship. p. 31

This article reveals strategies of humiliation used in French schools. Theauthor collected written accounts made by 495 students and realized atypology of various forms of humiliation : from belittling the student toinsulting him as a person. The author analyses these practises, focusingon teachers’unconscious or conscious intentions. Students’ humiliationappears as a disturbing interaction, which hinders students academic pro-gress.

182 Revue Française de Pédagogie, n° 139, avril-mai-juin 2002

Marie-Paule Poggi-Combaz – The distribution of EPS (PhysicalEducation and Sport) teaching content in secondary school accor-ding to the social characteristics of the student body: non-randomdifferences. p. 53

This study proposes to analyse the dynamics of the distribution of EPSteaching content according to the different types of student bodycharacterized by the students’ social background. The results showthat, for the time being, EPS teachers fail to deliver a common bodyculture. The adaptation of content and of objectives to the students’characteristics can lead to unequal treatment that is prejudicial tothe appropriation by all of the common body culture essential forthe students’ training. Indeed, schools must do their utmost to avoidshifting from the legitimate work of educational differentiation toimplicit forms of social segregation.

VariaBernard Lété – Outdoor classes focusing on reading : measuring its

effects on writing skills of 9-10 year-old pupils. p. 71Nine to ten-year-old children were sent to a school in the countryside

for a two-week-training course devoted to written activities. Theirmastery level was assessed concerning their knowledge of rulesabout graphemes-phonemes transcriptions, vocabulary, spellingand grammar comprehension. The experimental group was compa-red to a control group. Results show an influence of this trainingcourse on vocabulary and comprehension : the ability to analysethe character lists making up words is increased, producing a bet-ter understanding in one test as words recognition process isimproved. But there is no improvement in the second test concer-ning inferential strategies, which is better realized by the controlgroup after three weeks spent in the ordinary classroom context.

Saint-Cyr Chardon, Jacques Baillé – Remedial reading : assessinglearning methods. p. 81

The aim of this research is to evaluate the impact of teaching methodson remedial work in reading. The main findings of two experimen-tal studies, carried out among pupils from cycle 2 (first year infrench primary school) suggest that some remedial tasks are moreprofitable when they are contrasted with those carried out duringclasses. They also show that a good decoding level is required tobenefit from remedial work in comprehension. Finally, while attes-ting remedial feasabibity for specific skills, our results should beinterpreted in the context of the didactic efficience of breakingdown of the reading act.

Laure Léger, Emmanuel Sander, Rémi Brissiaud, Denis Legros, CharlesTijus – Objects properties and semantic aspect of arithmetic pro-blem solving. p. 97

The role of semantic context in arithmetic problem solving was studiedwith the variation of story cover lines and of objects category struc-ture in two experiments. First and second experiment were conduc-ted with 190 15-years-old and 98 10-year-old children respecti-vely. The results suggest that the effect of objects category structureis depending on problem cover story lines. We discuss these results

Summaries 183

in the framework of a theory of objects categorization as describedin the statements.

Éric Flavier, Stefano Bertone, Jacques Méard, Marc Durand - Physicaleducation teachers’ preoccupations during emergence and regula-tion of conflictual situation in the classroom. p. 107

Seven PE teachers, working in secondary schools located in low-income areas, volunteered to participate in this study. Data collec-tion consisted of audio-video recording of the lessons, and of self-confrontation interviews about the selected conflictual events. Basedon the theory of the “course of action” (Theureau, 1992), data ana-lysis allowed identification of successive sequences in teachers’action, and their preoccupations in situ. Teachers’ action is orga-nized round a key-event: the student’s spontaneous and vehementreaction to the punishment, determining a “before” and an “after”.The results are discussed according to three points: a) the charac-teristics of teachers’ action during each phase of the conflicts; b)the incompatibility of a situated action and the one of reasonedanalysis; and c) the opposition between teachers’ concern for col-lective interest and students’ individual preoccupations.

Marie-José Dubant-Birglin, Éliane Ricard-Fersing, Jacques Crinon –Professional dissertations and portfolios in teacher education. Acomparative study. p. 121

In most western countries the importance of writing skills in teachereducation is aknowledged. But they are taught in different ways. Inthis article three kinds of professionalizing written works are com-pared : professional dissertations of student teachers of French andEnglish and portfolios realized in United States. The issue of thisstudy is that, beyond superficial diversity corresponding to internalcoherence of each type of written work with its institutional objec-tives, a convergence appears at the level of basic discursive pro-cesses. Starting to identify these basic processes open new pers-pectives on teachers professionalization and on training to improvethese writing practices.

Mise en page et impression : bialec, nancy - Dépôt légal n° 56184 - juin 2002