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TRIBUNE DE LYON I 184 I Du 18 au 24 juin 2009 I 20 I ENCOUVERTURE INFILTRÉ À LA “SCIENTO” E n plein procès de la Scientologie, j’ai infiltré l’église de Lyon, association loi 1901 surveil- lée de près par la Miviludes (1) . Ce lundi 18 mai, j’ouvre pour la première fois la porte de l’église située place des Capucins (Lyon 1 er ). Un homme d’une cinquantaine d’années, cheveux grisonnants et rasé de près me reçoit, l’air méfiant. Muni d’un prospectus trouvé sur le présentoir à l’entrée, je prétends venir par curiosité, afin d’en savoir plus sur les théories de Ron Hubbard, le fondateur et maître spirituel de la Scientologie. Mon interlocuteur fronce les sourcils.Pour le ras- surer, j’explique: “Je travaille dans le milieu psy- chiatrique dont les méthodes, qui consistent à faire absorber des médicaments, m’indignent. J’ai lu quel- ques théories de Ron Hubbard sur la psychiatrie qui correspondent complètement à mes idées concernant le traitement des patients. Je ne savais pas qu’il s’agissait de la scientologie”, lui dis- je. Intéressé, il me pose un tas de questions : “Où exercez-vous ? Depuis combien de temps ? Pourquoi n’être venu que maintenant ? “. Je lui réponds que “j’ai besoin de me faire ma propre opinion”. Nous restons debout. Il me tend alors un énorme pavé intitulé La Dianétique, l’équivalent de la Bible de la Scientologie, que je dois lire pour comprendre la philosophie de Ron Hubbard. Coût : 20 euros. Il m’en présente un autre, Le Stress au travail, pour le même prix. N’ayant pas d’argent sur moi ; il propose de m’accompagner au distributeur le plus proche. Sur le chemin, j’affine ma présentation fictive : “J’ai 25 ans, j’ai terminé des études en psychologie il y a un an et je suis auxiliaire de nuit dans un hôpital psychia- trique. Mon métier consiste à donner des médi- caments aux patients, mais ce n’est pas toujours la meilleure des solutions.” La confiance s’installe. De retour à l’église, Pierre (2) me fournit les fac- tures. Nous échangeons nos numéros. Je ne pro- mets pas de l’appeler, sauf si les livres répon- dent à mes questions. DEUX JOURS PLUS TARD, À 10 HEURES, coup de télé- phone. C’est Pierre : “Avez-vous lu les livres?”. Je réponds avoir été conquis mais que tout n’est pas clair. Nous nous retrouvons un peu plus tard, à l’église. Assis l’un en face de l’autre, dans le hall d’entrée, je lis mes notes à haute voix. A ma droite, l’électromètre, une machine étrange raccrochée à deux cylindres.Après avoir vanté mes “progrès” et ma capacité de compréhension “hors du com- mun”, Pierre me propose de faire un test de personnalité. Il me tend les cylindres, que je tiens dans chaque main, et règle l’intensité électrique de telle sorte que l’aiguille située au milieu de la machine soit Le parquet de Paris vient de requérir la dissolution de la branche française de la Scientologie. Le jugement est attendu en septembre. Alors que le procès battait encore son plein, notre reporter s’est infiltré durant près de trois semaines au sein de l’église de Lyon, place des Capucins. Voici comment la “Sciento” s’y prend pour manipuler ses adeptes. QUI ÉTAIT RON HUBBARD ? Fondateur de l’Eglise de scientologie, mort en 1986, Ron Hubbard “a passé sa vie à rouler tout le monde, à tricher en affaires, à frauder le fisc, à fuir ses créanciers, à “Où exercez-vous ? Depuis combien de temps ? Pourquoi n’être venu que maintenant ?” DOSSIER RÉALISÉ PAR ABDELWAHID DJABALLAH (1) Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (2) Tous les prénoms ont été changés. © CLAIRE GILLET 04-Dossier184.qxd 16/06/09 20:24 Page 20

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TRIBUNE DE LYON I 184 I Du 18 au 24 juin 2009I 20 I

ENCOUVERTURE

INFILTRÉ À LA“SCIENTO”

En plein procès de la Scientologie, j’ai infiltrél’église de Lyon, association loi 1901 surveil-lée de près par la Miviludes(1). Ce lundi 18

mai, j’ouvre pour la première fois la porte del’église située place des Capucins (Lyon 1er). Unhomme d’une cinquantaine d’années, cheveuxgrisonnants et rasé de près me reçoit, l’air méfiant.Muni d’un prospectus trouvé sur le présentoir àl’entrée, je prétends venir par curiosité, afin d’ensavoir plus sur les théories de Ron Hubbard, lefondateur et maître spirituel de la Scientologie.Mon interlocuteur fronce les sourcils. Pour le ras-surer, j’explique : “Je travaille dans le milieu psy-chiatrique dont les méthodes, qui consistent à faireabsorber des médicaments,m’indignent. J’ai lu quel-ques théories de Ron Hubbard sur la psychiatriequi correspondent complètement àmes idées concernant le traitementdes patients. Je ne savais pas qu’ils’agissait de la scientologie”, lui dis-je. Intéressé, il me pose un tas dequestions : “Où exercez-vous ?Depuis combien de temps? Pourquoin’être venu que maintenant? “. Je luiréponds que “j’ai besoin de me fairema propre opinion”.Nous restons debout. Il me tend alors un énormepavé intitulé La Dianétique, l’équivalent de laBible de la Scientologie, que je dois lire pourcomprendre la philosophie de Ron Hubbard.Coût : 20 euros. Il m’en présente un autre, LeStress au travail, pour le même prix. N’ayant pasd’argent sur moi ; il propose de m’accompagner

au distributeur le plus proche. Sur le chemin,j’affine ma présentation fictive : “J’ai 25 ans, j’aiterminé des études en psychologie il y a un an etje suis auxiliaire de nuit dans un hôpital psychia-trique. Mon métier consiste à donner des médi-caments aux patients, mais ce n’est pas toujoursla meilleure des solutions.” La confiance s’installe.De retour à l’église, Pierre(2) me fournit les fac-tures. Nous échangeons nos numéros. Je ne pro-mets pas de l’appeler, sauf si les livres répon-dent à mes questions.

DEUX JOURS PLUS TARD, À 10 HEURES, coup de télé-phone. C’est Pierre : “Avez-vous lu les livres ?”.Je réponds avoir été conquis mais que tout n’estpas clair. Nous nous retrouvons un peu plus tard,

à l’église. Assis l’un en face del’autre, dans le hall d’entrée, je lismes notes à haute voix. A madroite, l’électromètre, unemachine étrange raccrochée àdeux cylindres.Après avoir vantémes “progrès” et ma capacité decompréhension “hors du com-mun”, Pierre me propose de faireun test de personnalité. Il me

tend les cylindres, que je tiens dans chaque main,et règle l’intensité électrique de telle sorte quel’aiguille située au milieu de la machine soit

Le parquet de Paris vient de requérir la dissolution de labranche française de la Scientologie.Le jugement est attenduen septembre. Alors que le procès battait encore son plein,

notre reporter s’est infiltré durant près de trois semaines ausein de l’église de Lyon, place des Capucins. Voici comment la

“Sciento” s’y prend pour manipuler ses adeptes.

QUI ÉTAIT RON HUBBARD ?

Fondateur de l’Eglise descientologie, mort en1986, Ron Hubbard “apassé sa vie à rouler toutle monde, à tricher enaffaires, à frauder le fisc, àfuir ses créanciers, à

“Où exercez-vous ?Depuis combien detemps ? Pourquoi

n’être venu que maintenant ?”

DOSSIER RÉALISÉ PAR ABDELWAHID DJABALLAH

(1) Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre lesdérives sectaires(2) Tous les prénoms ont été changés.

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LA

IRE

GIL

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LES 8 DYNAMIQUESCe sont des sorte d’étapes de progression quidéterminent aussi l’ordre hiérarchique des adeptes.

Le soi (comprendre son propre corps et son propremental)La famille et l’éducation des enfantsLa survie du groupeL’humanitéLes formes de vies : la Scientologie considère quel’homme est immortel ; il aurait donc plusieurs viesantérieures.L’univers physique : Il a quatre composantes : lamatière, l’énergie, l’espace et le tempsLa dynamique spirituelle (l’impulsion à survivre entant qu’être spirituel)L’infini : appelé également Dieu, l’Etre suprême oule Créateur

QU’EST-CE QUE LADIANÉTIQUE ?C’est d’abord le titred’un ouvrage écrit parRon Hubbard en 1950qui décrit la puissancede la pensée sur lacorps. C’est, selonl’auteur “une sciencementale de la santé”visant à lacompréhension del’inconscient, elle sebase sur la technique del’audition dianétique etest le fondement“philosophique” del’Eglise de scientologie.

esquiver des poursuitesjudiciaires”, écrit Russell Millerdans Hubbard, le Messie de lascientologie (Plon, 1994) aprèsune enquête de plusieursannées. “A la fois Charlot etHitler, son véritable destin estplus extraordinaire que tousses mensonges”.Selon le site Prevensecte, ilétait un “faux journaliste,explorateur mythomane,aventurier pour gazettespopulaires”. Auteur d’unecentaine de romans descience-fiction, il est l’auteurde la Dianétique (lire ci-contre), et en a fait une

religion. Le mythomane,devenu gourou, a ensuitemultiplié les voyages, les livres,les conférences pour faire la“promotion” de ses théories.Selon prevensectes.comet info-sectes.orgEEnn FFrraannccee :: 5 églises et 9missions. 300 membres à pleintemps. Entre 2 000 et 4 000adeptes. Chiffre d’affairesestimé : 10 millions d’eurosselon d’anciens adeptes.DDaannss llee mmoonnddee : 6 065 églisesdans plus de cent paysChiffre d’affaires estimé : entre150 et 200 millions selond’anciens adeptes.

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plus ou moins sensible à ma “charge électro-magnétique” (avoir de la charge, en scientologie,signifie ressentir des sentiments négatifs). Il mepose alors des questions d’ordreprofessionnel, affectif et person-nel. L’aiguille vacille plus oumoins rapidement vers le picto-gramme positif. Il m’invite à letutoyer. “Tu vois, me dit-il, tu asde la charge en toi. En scientolo-gie, ce qui est vrai pour toi est vraipour les autres”. Il se rapproche,les coudes sur ses genoux : “Enlisant et en apprenant, des phéno-mènes que tu n’aurais jamais ima-ginés t’apparaîtront. J’en ai faitl’expérience et crois-moi, c’est dingue !” A la finde l’échange, nous convenons que c’est moi quiappellerai pour fixer un autre rendez-vous.

TROIS JOURS S’ÉCOULENT : mon téléphone sonne denouveau à 10 heures du matin. Pierre vient aux

nouvelles “juste pour savoir si ça avance” et mepropose de passer à l’église pour en parler. Cettefois, il me conduit dans l’arrière-salle. Le carre-

lage et les murs sont d’un blancimmaculé. Des panneaux alignésvantent les vertus de la scientolo-gie, d’autres présentent les livres,conférences et DVD de Ron Hub-bard, dont le buste trône ostensi-blement à côté d’un pupitre. Noussommes assis face à face au milieude la pièce. Il me demande de lireà haute voix ce qui est écrit sur lepanneau, les “huit étapes pouratteindre le bonheur” (voirpage 21). Après un exposé de plus

d’une heure sur son parcours au sein de la Scien-tologie, et de la possibilité de se décharger de sesproblèmes, il propose de me faire auditer. “Celate permettra de mieux cerner tes problèmes actuels,dont l’origine se situe dans tes vies antérieures.Tu verras des choses incroyables”, promet-il. Il en

L’AUDITIONL’audition permet à l’au-diteur d’avoir uneemprise sur le mental del’audité en apprenanttout sur lui, jusque dansses pensées les plusintimes. Présentée par laScientologie comme lemoyen de se soulager desa “charge”, autrementdit de ses souffrances,l’audition coûte près de200 euros et dure géné-ralement 12 heures. Ellepermettrait de purifierl’âme, le “thétan”.

“En lisant et en appre-nant, des phénomènesque tu n’aurais jamais

imaginés t’apparaî-tront. J’en ai fait

l’expérience et crois-moi, c’est dingue !”

LA TECHNIQUE DE L’AMORÇAGE :La technique de l’amorçageconsiste à déclencher une motiva-tion potentielle chez une personne.Il faut donc travailler le terrain : “Jevous fournis un certain nombre dedocuments qui sont susceptiblesde vous aider à trouver une solu-tion adéquate à vos problèmes.”Tandis que la maison d’éditionspécialisée en tire profit…

L’ÉLECTROMÈTRE :Durant les séances dites de l’élec-tromètre, le scientologue établitune relation plus personnalisée, entête à tête. Il va accueillir votre ma-laise (milieu professionnel) dansune dimension intellectuelle, avecl’électromètre, et dans une dimen-sion affective, en invitant au tu-toiement au moment où s’installeune relation de confiance.

L’AUDITION ET LES COURS :On vous propose d’évoquer les

choses pour lesquelles vous de-mandez une aide ou des réponses.Cela permet d’identifier des pointsparticuliers de la personnalité surlesquels on pourra s’appuyer ulté-rieurement ; d’où l’invitation àrompre avec son milieu profession-nel.

LA RÉPÉTITION :C’est une technique de l’emprisementale qui tend à redonner uncontenu émotionnel fort à un évé-nement. L’objectif : provoquer unesituation émotionnelle intenseface à une grande difficulté profes-sionnelle. Demander de répéter estune manière de dire à autrui : “Jeprends le pouvoir sur toi, je te de-mande de répéter.” On prend ainsil’ascendant sur vous.

“L’ARCHIVISTE” :Autre technique habituelle : vousracontez un événement qui a pro-bablement eu des préalables. On

fait la démonstration que ce n’estpas une anecdote mais une situa-tion répétée qui vous met danscette même situation. Lorsquel’auditeur demande à l’archiviste

de trouver des éléments similairesdans une période prénatale, il faiten sorte de pousser le souvenir àl’extrême. A force, vous finissez parpenser que c’est vrai.1

LES TECHNIQUES DE MANIPULATIONDE LA SCIENTOLOGIEL’AVIS DU PSYCHIATRE. Le professeur Philippe Parquet est membre du Conseil d’orientation de laMiviludes. Sa mission consiste à repérer les dérives sectaires. Voici son analyse des méthodesd’endoctrinement de la Scientologie.

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Livres, DVD, la Scientologiepourvoit également à la culture de ses adeptes…

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profite pour me vendre, pour 16 euros, un DVDhyper sensationnaliste sur les dérives psychia-triques. Nous en regardons un passage dans unesalle de cinéma aménagée. Il m’invite à rentrerme reposer, ne pas trop sortir, ne pas boire d’al-cool et bien manger pour être prêt le jour de l’au-dition. Avant de partir, il me demande de réglerimmédiatement 182 euros pour douze heuresd’audition.

LE JOUR J, Pierre me présente Isabelle, la direc-trice. C’est elle qui va m’auditer dans une petitesalle du deuxième étage. Un bureau, deux chai-ses, un divan derrière moi, une bibliothèque enface, avec, accroché au mur, un poster intitulé“Le pont vers la liberté totale”. Il s’agit d’une listereprésentant les centaines d’étapes à franchirpour accéder au bonheur absolu. Les mêmesquestions personnelles, professionnelles et affec-tives me sont posées. J’ai des problèmes, c’est

certain. La voix douce, presque divine, m’em-porte. Elle me demande de fermer les yeux et delui décrire un moment récent qui m’a mis encolère. J’invente une scène à l’hôpital. Je raconteque j’ai pris l’initiative de ne pas donner son trai-tement à l’un des patients, qu’une collègue s’enest rendu compte, qu’elle m’a dénoncé auprèsde la chef de section et toutes deux me montrentcomment forcer un patient à prendre ses médi-caments. Je dois décrire ma “pensée profonde” àce moment précis. “Bande de c…”, en l’occur-rence. L’auditrice me demande de répéter. Jerépète. “C’est bien, continuez – je répète – Répé-tez encore – je répète – Bravo, encore, avec plusd’intensité comme si vous y étiez !”. J’ai dû répé-ter “Bande de c…” au moins vingt fois. Deux heu-res durant, nous décortiquons instant par ins-tant cette scène à l’hôpital en répétantinlassablement mes “pensées”.“Nous allons maintenant demander à l’archi-

L’ARCHIVISTEEn scientologie,l’Homme est immortel.Il a plusieurs vies anté-rieures. L’archiviste estcensé contenir lesarchives de son passé. Ilpourrait même révélerdes événementssurvenus lors d’unepériode prénatale. Enréalité, c’est uneconstruction de l’espritqui prend forme à forcede répétitions, au coursde l’audition.

SSeelloonn llaa MMiivviilluuddeess,, llaaSScciieennttoollooggiiee eesstt--eellllee uunneesseeccttee oouu uunnee rreelliiggiioonn ??Il n’y a pas d’autorité, en France,pour qualifier une religion ou unesecte. Nous dénonçons plutôt lesdérives sectaires si nous consta-tons un ou plusieurs des élémentssuivants : des exigences financièresexorbitantes, des démêlés judiciai-res fréquents, des atteintes sexuel-les, ou s’il y a tentative de ruptureprofessionnelle ou familiale. Parailleurs, la Scientologie n’a jamaisdemandé à bénéficier de la loi de1905 sur les cultes. Elle ne peut pasespérer être reconnue comme unereligion car les tribunaux n’ont pasle pouvoir de qualifier un mouve-ment de religion ou de secte. Lestribunaux sont saisis de faits bienprécis. En l’espèce : d’escroquerieen bande organisée.

QQuueellss ssoonntt lleess mmooyyeennssjjuurriiddiiqquueess ppoouurr lluutttteerrccoonnttrree lleess ddéérriivveess sseeccttaaii--rreess ??Le droit commun, qui comprend ledroit pénal, le droit civil et le droitdu travail s’applique, notammentpour sanctionner les délits écono-miques d’escroquerie, d’extorsionde fonds ; les atteintes aux per-sonnes, à savoir l’exercice illégalde la médecine ou de la pharma-cie, les abus sexuels, la non-assis-tance à personne en danger, letravail faussement bénévole, etc.Et puis, il y a le délit tout à faitspécifique dit de la loi About-Pi-card du 12 juin 2001, une loi uni-que en Europe, qui réprime la su-jétion psychologique et incriminel’abus frauduleux de l’état de fai-blesse. En clair, c’est l’emprisementale.

CCoommmmeenntt pprréévveenniirr lleesspprraattiiqquueess sseeccttaaiirreess ??Prévenir les pratiques sectairespasse par l’information, la vigi-lance, la formation d’agents-relaisdans les régions, les départements,les parquets généraux. C’est la mis-sion de la Miviludes de faire de laprévention. De son côté, la jurispru-dence a beaucoup évolué. Il restetoutefois un point à améliorer, laprescription. L’idéal serait que ledépart de la période de prescrip-tion soit fixé le jour de la sortie dugroupement sectaire. Car tant quela personne est dans le groupe-ment, elle n’a pas ses capacités dejugement.1

Prévenir les pratiques sectaires passe par l’informationENTRETIEN. Georges Fenech, magistrat et ancien député UMP du Rhône, est à la tête de laMiviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). En 1988,année où un adepte de la Scientologie s’était suicidé, il avait instruit le procès du responsablelyonnais de la secte pour homicide involontaire.

“La Scientologie n’ajamais demandé à

bénéficier de la loi de1905 sur les cultes.”

© A

FP

GEORGES FENECH, PRÉSIDENT DE LA MIVILUDES :

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viste de nous révéler un moment similaire anté-rieur à celui-ci.” Les yeux fermés, je décris ins-tant par instant une scène imaginaire où, en pri-maire, mon institutrice m’aurait grondé et dit àma mère que j’avais signé à sa place un mot pourbavardages. Deux heures durant,je distille inlassablement la scène,de même que les “Oh mon Dieu”que ma mère aurait proféré, ouencore les “Je te hais” que j’auraisvoulu dire à la maîtresse. Une réac-tion physique devrait avoir lieu àen croire la directrice. De fait, j’aitrès mal à la tête. Je demande d’ar-rêter pour aujourd’hui mais monauditrice me dit qu’il serait dom-mage d’interrompre ici notre travail. J’insiste.Elle me fait ouvrir les yeux. “Voilà, vous reve-nez dans le présent”, m’annonce-t-elle en m’in-diquant rapidement un certain nombre de points

dans la pièce, que je dois regarder, et en me fai-sant toucher la table, la chaise, un stylo… “Sor-tez un moment, allez boire un verre et revenez,on ne peut pas arrêter maintenant, c’est génialce que nous avons fait !” mais elle perd le sourire

lorsque j’insiste pour partir, pré-textant avoir été de service la nuitpassée et n’ayant pas beaucoupmangé. Elle cède enfin, non sansmal. Je sors au bout de cinq heu-res d’entretien.

LE LENDEMAIN, mon “auditrice” mesignale que nous avons grillé desétapes en commençant par l’au-dition. Et que mon milieu profes-

sionnel pose problème. S’ensuivent alors cinqheures de présentation des fondements de lascientologie, appuyés par de nombreuses cita-tions extraites de différents livres de Ron

“Tu n’es pas commeles autres. Tu as unpotentiel extraordi-

naire mais tu ne peuxpas l’utiliser car ton

milieu te bloque.”

(1) Le Clair : un état delibération mentale qui permetà l’individu de se débarrasserde ses expériences négatives.

Roger Gonnet : “J’ai aidé Ron Hubbard à se faire du pognon !”PORTRAIT. Fondateur de la section lyonnaise de la Scientologie, Roger Gonnet livre sonexpérience. Après une décennie de totale dévotion, de 1974 à 1982, il est intervenu en tant quetémoin dans le procès contre la Scientologie, la prescription ne lui ayant pas permis de porterplainte.

Roger Gonnet rejoint la Sciento-logie en 1974. C’est l’un de sesoncles qui lui fait découvrir l’or-

ganisation. Attiré par les explicationsde Ron Hubbard (le fondateur de laScientologie) sur le mental logique, ilsuit les cours de communication dis-pensés par l’organisation. “C’était bé-néfique car je pouvais enfin regarderles gens dans les yeux sans être per-turbé”, confie-t-il. Roger Gonnet de-vient sans s’en rendre compte la proied’un processus d’endoctrinement bienficelé qui doit lui permettre d’identifierses “aberrations”, thème récurrent enscientologie, pour ensuite mieux cernerla personnalité du sujet. Puis il monteen grade. Pour cela, ses recruteurs luiapprennent à poser des questions àautrui et à insister pour obtenir des ré-ponses. Après des centaines d’heuresd’auditions intensives, de lectures as-sidues et de cours répétés, Roger Gon-net devient “opérationnel”. Un an plustard, il démissionne de son activité deconseil d’entreprise en logistique in-

dustrielle pour ouvrir une sorte de fran-chise de la Scientologie, avec sonépouse, dans le Beaujolais. Ils font unapport de 10 000 euros. Leur chiffred’affaires se compose de la vente decours par correspondance, de livres etd’auditions dont un pourcentage estreversé à la Scientologie.

MESSAGE DE RON HUBBARD. Tout endirigeant sa petit affaire, Roger Gon-net suit encore des cours et des audi-tions. Il dépense alors l’équivalent decentaines de milliers d’euros en l’es-pace d’un an et demi, et autant lesannées suivantes. “La Scientologievous propose d’accéder au ‘pont versla liberté totale’, décrit-il aujourd’hui.Pour cela, on passe par un certainnombre de caps qu’on appelle ‘OT’(Operational Thetan). De la base àOT 8 (passage au stade de Clair(1)),j’ai dépensé au moins 300 000 euros.Et ainsi de suite jusqu’à OT 15. C’est leprix à payer pour croire que l’on peutfaire varier son poids sur une balance

et pour se créer des vies antérieuresou intergalactiques”, ironise-t-il.En 1982, la franchise se délocalise àNeuville dans une immense maisonde 1 100 m2 ; elle compte environ 600membres et se forge une renomméeà travers le réseau international. Maisles relations avec la direction mon-diale s’enveniment lorsque cette der-nière multiplie ses prélèvements pardix. “Au début, on percevait les trois-quarts du chiffre d’affaires pour arri-ver à moins d’un SMIC par personne.Et lorsque les statistiques n’étaientpas bonnes, on recevait un messagede Ron Hubbard qui disait ‘rice andbeans’ [du riz et des haricots pourtous]”. En 1982, de retour d’un sémi-naire au Danemark, Roger Gonnettrouve la maison bien vide : en douce,les meubles ont été transférés dansl’actuelle église de la Scientologie àLyon. C’est ce qui le décide à claquerdéfinitivement la porte. Son plusgrand regret ? “J’ai aidé Ron Hubbardà se faire du pognon !” déplore-t-il.1

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Hubbard, elles-mêmes sché-matisées sur des feuilles de papierblanc pour mieux m’aider à assi-miler les représentations menta-les. Mes supposées cinq annéesd’études en psychologie intéres-sent particulièrement mon inter-locutrice ; il faut les mettre au ser-vice de la “cause”. Avant cela, jedois sortir de mon milieu, quim’oppresse et oppresse la Scien-tologie. Le tutoiement s’installe, les sourires etla voix douce ont repris. “Tu as un thétan(3)

incroyable.Tu n’es pas comme les autres.Tu as unpotentiel extraordinaire mais tu ne peux pas l’uti-liser, car ton milieu te bloque.” Elle continue, faceau poster du “Pont vers la liberté totale” : “Tu esà OT8(4) c’est très rare. Tu peux rapidement pas-ser à des niveaux supérieurs et accomplir tonobjectif : aider l’Humanité”. En clair, je fais par-tie des “élus”. Une semaine s’écoule, au cours de

laquelle je suis supposé prendre le temps de laréflexion d’un engagement plus approfondi.Entre temps, nous communiquons par téléphone.Je reçois des appels, parfois tard le soir. Nousnous voyons aussi régulièrement, une heureenviron tous les deux jours. Tout est mis enœuvre pour que je me sente enfin “exister”.Voyant que je ne suis pas prêt à démissionner,la directrice me fait miroiter des déplacementsà l’étranger pour rejoindre les “org’ idéales”(5)

(Flag aux USA, Danemark, Suède) dont unegigantesque, qui devrait ouvrir prochainementà Bruxelles, haut lieu des institutions européen-nes. “Je veux le meilleur pour toi, comme si tu étaismon fils. On ne va pas te traiter comme un ‘public’(6)

je veux que tu deviennes Staff(7). Tu signeras lecontrat dès que tu auras démissionné” promet-elle.

LE STATUT DE STAFF me permettrait de suivre lescours gratuitement. Deux jours plus tard, je luiindique avoir démissionné. Pourtant, après lesfélicitations et une heure et demie d’entretien,il n’est déjà plus question de contrat Staff. Il mefaudra d’abord suivre les cours de base, “pourune meilleure compréhension”. Elle m’incite àtrouver rapidement un emploi, car la Scientolo-

gie ne pourra pas me prendre encharge. Finis les grands sourires etla voix angélique. Place aux chosessérieuses: une poignée de main puisdirection une salle de cours. Là, elleme présente les différentes étapesà franchir avant de passer Staff. Autotal, entre les “cours” et les “confé-rences”, il y en a pour 1 860 euros.Mon infiltration s’arrête là.1

“Je veux le meilleurpour toi, comme si tu

étais mon fils. Tusigneras le contrat

dès que tu aurasdémissionné.”

(3) Ame, esprit. “Je réalise que je suis un thétan, pas un corps”.On trouve des thétans gentils, d’autres malintentionnés.(4) Thétan opérant, personne au-dessus de l’état de Clair, quiest non seulement libérée de ses impulsions inconscientes,mais aussi investie de pouvoirs illimités sur la matière,l’énergie, le temps, la vie et la pensée. Le Thétan opérantremplira des missions intergalactiques et parviendra un jour“au contact de la divinité”.(5) Organisations idéales. Grosses structures comptant auminimum 200 membres.(6) Membres lambda.(7) Membres de l’équipe salariés par la Scientologie.

Tract de l’église de scientologie.

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