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PAR CECILE GU~RET ET EMILIE BLACHERE ILLUSTRATIONS DOMINIQUEBOU Dans uneépoqueconfuse, menaçante, en perte de repères, nous sommes tous un peufragilisés. ons séquence : une soci6tédu formatage oh les coachs aident leursclients à remplir unr8le so ciai... mais aussi 3 conditionner leur pensée intime. Si certains réussissent à nousrendre professionnellementplus cr performants m, d'autres ont une Meuse tendance à envahir notre sphh privée. Nos reporters ont payé de leur personne, testé un séminaire, inte~ewé ces d.rampions du a ddveloppernent persorni S, maisaussi lesociologuecritique Robert Ebguy. Résultat: prudence! l A cc- Attention à la manipulation ! EN TOUT GENRE •• JAl UN TRÈ5 bON coACH ••• Dans une époque confuse, menaçante, en perte de repères, nous sommes tous un peu fragilisés. Conséquence: une société du formatage où les coachs aident leurs clients à remplir un rôle social... mais aussi à conditionner leur pensée intime. Si certains réussissent à nous rendre professionnellement plus « performants lO, d'autres ont une fâcheuse tendance à envahir notre sphère privée. Nos reporters ont payé de leur personne, testé un séminaire, interviewé ces champions du «développement personnel lO, mais aussi le sociologue critique Robert Ebguy. Résultat: prudence! 5 -CUL t.1t1/o2/09 .- ....... ..... ........... ............. ll PAR CÉCILE GUÉRET ET EMILIE BLACHERE ILLUSTRATIONS DOMINIQUE BOLL Attention a la manipulation!

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Page 1: JAl TRÈ5 bON coACH - prevensectes.com · querie du coaching est qu'il part du postulat que le monde, notamment l'entreprise,est immuable et intangi

PAR CECILE GU~RET ET EMILIE BLACHERE ILLUSTRATIONS DOMINIQUE BOU

Dans une époque confuse, menaçante, en perte

de repères, nous sommes tous un peu fragilisés.

ons séquence : une soci6té du formatage oh les

coachs aident leurs clients à remplir un r8le

so ciai... mais aussi 3 conditionner leur pensée

intime. Si certains réussissent à nous rendre

professionnellement plus cr performants m,

d'autres ont une Meuse tendance à envahir

notre sphh privée. Nos reporters ont payé de

leur personne, testé un séminaire, inte~ewé

ces d.rampions du a ddveloppernent

persorni S, mais aussi le sociologue critique

Robert Ebguy. Résultat: prudence! l

A

cc- Attention à la manipulation !

EN TOUT GENRE

•• •JAl UN

TRÈ5 bONcoACH

•••

Dans une époque confuse, menaçante, en perte

de repères, nous sommes tous un peu fragilisés.

Conséquence: une société du formatage où les

coachs aident leurs clients à remplir un rôle

social... mais aussi à conditionner leur pensée

intime. Si certains réussissent à nous rendre

professionnellement plus «performants lO,

d'autres ont une fâcheuse tendance à envahir

notre sphère privée. Nos reporters ont payé de

leur personne, testé un séminaire, interviewé

ces champions du «développement

personnel lO, mais aussi le sociologue critique

Robert Ebguy. Résultat: prudence!

~~~~ 5 -CUL t.1t1/o2/09.- .......~.....~...........~............. llPAR CÉCILE GUÉRET ET EMILIE BLACHERE

ILLUSTRATIONS DOMINIQUE BOLL

Attention a la manipulation!

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DANSLAJUNGLEDU TRAVAIL

SUR SOI

LE PARADISDESCOACHSEux aussi auraientpu faire appel à uncoach, pourtant,c'est seuls queXavier Levergne etson épouse,Véronique, se sontlancé un défi:abandonnermétier - il géraitune entreprised'informatique - etbiens pour acquérirle domaine de laButte-Ronde. Perdudans un îlot deverdure au cœur dela forêt deRambouillet. ceparadis est devenuen moins d'un an lelieu ultra-tendancedes séminaires duCac 40. Au total.42 hectares et6000 mètres carrésde surfaceaccueillent un haras,un lounge, unepiscine intérieure,une verrièreancestrale et deuxchalets demontagne plus vraisque dans les Alpes!Alliant un cadreapaisant et un décorrustique. lecomplexe reçoitpar an quelque20 000 personnespour une centainede séminaires decoaching! Les épouxLevergne facturent257 euros parpersonne et par jour.Le prix del'harmonie?

ans la salle, une quinzaine de personnesattendent Vincent Lenhardt, fondateurde Transformance, à la fois cabinet etécole de coaching. Dispersée stratégi­quement sur une table, la bibliogra­

phie complète du conférencier, auto­proclamé «pape» du coaching, et de son

associé, Laurent Buratti, conseil en management.Créée en 1988, cette école, «la première sérieuse »,précise-t-il, surfe sur la déferlante de cette disciplineen vogue, dernière panacée d'un monde individualisteet en «mal de repères ». Rien que sur Google, le termerenvoie à plus de 69,2 millions de pages Web...

Surmédiatisé, popularisé et utilisé comme unproduit marketing très vendeur, il n'en reste pas moinsune profession obscure. Selon la Société françaisede coaching (SfCoach), c'est «un accompagnement depersonnes ou d'équipes pour le déve­loppement de leurs potentiels et deleurs savoir-faire dans le cadre d'ob­jectifs professionnels». Autrement dit,«voir le prince en la grenouille»,traduit Vincent Lenhardt. Ainsi, deplus en plus de grandes sociétésdemandent un appui pour renforcerl'autorité du leader, aider un salarié àfaire le point ou à traverser une crisepassagère... Le but étant d'améliorer l'individu pourbonifier la productivité et donc le chiffre d'affaires de cesmêmes entreprises.

RENDRE L:ENTREPRISE FERTILEAu programme de Transformance, 29 jours de cours

répartis en 10 sessions. Le but? Créer les coachs de de­main. Sourire familial, ambiance décontractée, VincentLenhardt avec sa tranquille assurance brandit... unepoule en peluche! «Notre but est de se focaliser d'abordsur la poule, c'est-à-dire l'entreprise, et non sur ses œufs.il faut qu'on la rende fertile! »Devant son assemblée per­plexe, il vend le programme, tout en faisant référence àses bouquins, «disponibles juste derrière vous ».

Face à lui, les prétendants surmotivés affichent desparcours éclectiques: grandes écoles, diplômes en psy­chologie, histoire... et une ambition légitime: c'est undes rares métiers où les débouchés sont réels et les béné­fices significatifs. Rien qu'en 2008, le marché ducoaching professionnel en France a frôlé, d'après laSFCoach, les 75 millions d'euros. Selon VincentLenhardt, il atteindrait plus de 400 millions d'euros...

La confusion règne. En France, entre 2500 et3000 coachs d'entreprise se partagent ce marché juteux.Un business qui peut rapporter de 100 euros la séance(environ une heure et demie) pour aider un particulier à10 000 euros pour coacher une équipe. Mais la professionn'est pas réglementée. Au niveau national- et européen ­aucun diplôme n'est reconnu. Face à cette vague incon­trôlable et incontrôlée, certains s'inquiètent et dénon­cent: les coachs vous manipulent à coups de normes etde dépendances. «C'est faux! C'est l'inverse, protestePascal Domont, administrateur à la SFCoach. C'est une

approche où on essaie de comprendre la réalité du"coaché". Notre travail est d'amener la personne, en untemps limité, dans un processus d'autonomie. » VincentLenhardt admet néanmoins un risque de «déresponsabi­lisation, de passivité, de victimisation... Une relation malgérée peut déboucher sur des mises en danger profes­sionnelles», convient-il. Dans cette jungle du travail sursoi, pas moins de 40 formations ont ouvert, produisantprès de 600 nouveaux coachs par an. D'après uneenquête réalisée en 2004 par la Syntec, 87% desentreprises interrogées y ont recours. C'est clair, lecoaching ne connaît pas la crise.

VERS DES DÉRIVES SECTAIRES?En revanche, en plus des charlatans alléchés par ce

«business» lucratif, la manipulation guette. C'est pour­quoi certaines associations comme la Société française

de coaching ou l'Association euro­péenne de coaching entendent profes­sionnaliser ce nouveau métier. Ainsi, laSFCoach accrédite, via un jury d'ex­perts et moyennant 550 euros, environ200 coachs par an. En créant un Codede déontologie unique en son genre, ilstentent de gérer les débordements.

Malgré leurs efforts, «le coachingreste insuffisamment visible et lisible

dans sa pratique et dans ses intentions», déplore Henri­Pierre Debord, conseiller à la Miviludes, la mission inter­ministérielle de vigilance et de lutte contre les dérivessectaires. Depuis trois ans - date du début du déferle­ment du coaching -, Debord surveille certains prestatai­res dont il soupçonne un lien avec des sectes, lesquelless'insèrent de plus en plus dans les formations. «Les ré­seaux sectaires utilisent les coachs comme vecteur d'ac­cès aux rouages économiques», explique le spécialiste.Françoise Chalmeau, conseillère à la Miviiudes, alerte:«Le danger s'amplifie car ces professionnels emploientdes outils psychologiquespour intervenir dans lasphère privée de l'individuet tenter de le mettre sousemprise. » Personne neconnaît le nombre de cessociétés à risque; à ellesseules, les associations devictimes en ont déjà réper­torié plus de 700...

Mais les recours judi­ciaires sont limités. Car,en droit français, la défini­tion juridique de secte estfloue. «De plus, les vic-times perdent leur espritcritique, regrette FrançoiseChalmeau. Or, pour avoirgain de cause, il faut accu-muler les preuves. »Sans parler de la ripostedes sectes, très organisées, procédurières etmenaçantes. • Emilie BLACHERE

PARIS MATCH DU 5 AU 11 MARS 2009

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Robert Ebguy, sociologue

Robert Ebguyest aussi directeurde recherchesau Centre decommunicationavancée.

LES PIÈGESAEVITER!1. Un coach doit être

connu. Renseignez-vous

sur sa formation. sur ses

méthodes de travail et

demandez conseil auprès

de la SFCoach. de

l'Union nationale des

associations de défense

des familles et de

l'individu victimes de

sectes (Unôdefi) ou de la

Miviludes:

www.sfcoach.org,

www.unadfi.com.

www.miviludes.gouv.fr.

2. Evitez les prestations

d'un week-end et les

séminaires: les séances

longue durée peuvent

favoriser l'emprise

psychologique.

3. Refusez les paiements

en espèces.

4. Gardez vos distances

avec un accompagnateur

qui vous propose

rapidement une

formation pour devenir

vous-même coach.

5. Soyez curieux. gardez

du recul et surtout

cultivez votre esprit

critique.

parismatch.com

apporté à l'entreprise, mais de travail­ler votre épanouissement personnelsous l'angle de l'adaptation sociale.C'est d'ailleurs une définition del'hystérie en psychanalyse: ne pasexister pour soi, se lover dans lediscours de l'autre.Le coaching n'apporte-t-il pas toutsimplement un ensemble detechniques utiles?

Le coaching devient probléma­tique quand il prétend étendre sestechniques à la sphère privée, quandun "family coach", "love coach" ouautre "Iife coach" vous dit commentvivre. Quand ces techniques publici­taires touchent à l'intime, le moidevient un capital de ressources à ex­ploiter, soumis au calcul des intérêtset des profits. On se "repackage", onse relooke, on se refabrique une per­sonnalité pour faire face à la demandedu marché.Quelle est la différence entre ledéveloppement personnel et letravail psychanalytique?

Alors que l'analyse cherche lescauses profondes d'un malaise, coa­ching et développement personnelpromettent le bonheur et la révélationd'un potentiel. Le coach élabore desréponses rapides, vous conditionne àdonner la bonne réponse au bon sti­mulus. C'est une philosophie de bancde poissons: on modélise les par­cours, on synchronise les consciences.Le coaching veut aussi vous fairecroire qu'aller bien est une questionde motivation. Mais positiver n'a ja­mais empêché d'être dépressif! Lapsychanalyse ne vous donne pas deréflexes comportementaux. Aucontraire, elle vous aide à vousconnaître, à vivre les nouvelles expé­riences. Et puis, il n'y a pas d'idée deperformance dans l'analyse: oncherche la vérité du sujet, la person­nalité profonde.Comment résisterà ce formatage?

En apprenant à être soi. Car on sefaçonne en étant à l'écoute de sesémotions et en libérant son énergiecréatrice. _ Interview Cédle GUÉRET

changent leur personnalité pourmieux se conformer aux désirs suppo­sés de l'employeur. La première escro­querie du coaching est qu'il part dupostulat que le monde, notammentl'entreprise, est immuable et intangi­ble. Sans utopie ni alternative possi­ble, c'est donc à vous de changer.La promesse de faire de vous unhomme nouveau...

C'est la deuxième escroquerie.Pour le coach, vous êtes responsablede vos défaillances. Mais, grâce à lui,vous ferez fuir le loser. et vous fere7surgir le superman, cet êtrede lumière que vous êtes au fondde vous-même.On éradique donc toute faiblesse,pourtant humaine.

Dans une société-jungle où lesautres sont des rivaux, il ne fautsurtout pas montrer ses failles. Le plusironique, c'est que, derrière unvocabulaire humaniste, le coachingprésente l'avantage de neutraliser lesconflits: la violence n'est plus extério­risée mais retournée contre soi. Autreduperie: on vous fait croire que lamétamorphose sera révolutionnaire,alors qu'on vous apprend le confor­misme. On vous dit: "C'est pourvotre bien", mais le coach est payé parvotre patron pour synchroniser vosambitions et vos désirs avec ceux de

l'entreprise. Il ne s'agit

AVEC pas de cultiver

l'1oN CoAcH votre personnalitécomme un bénéfice::::::-=

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l1AFEMME"

Paris Match. Pourquoi un telengouement pour le coaching ?

Robert Ebguy. Dans un contextede doute existentiel, l'individumanque des repères nécessaires à laconstruction de son identité. Avant,les manières d'être étaient multiples:on pouvait reproduire le modèlesocial dans lequel on naissait, lecontester ou proposer une alterna­tive. Aujourd'hui, les individussont poussés à rentrer dans le mouled'une société de plus en plus durepour survivre.Depuis quand cherche-t-on à êtresi conformiste?

Nous sommes passés d'une èredu désir avec, dans les années 70, l'es­poir de changer la vie, à une ère d'exi­gences. Or, quand une sociétédevient frileuse, elle impose que l'ac­complissement individuel passe aprèsles impératifs sociaux. Dans cette ma­chine à fabriquer de la précarité et del'exclusion, les individus ont peur dene pas être à la hauteur. Ils souffrentpsychiquement, se fragilisent. Il fautêtre plus fort, plus convaincant, plusadapté. C'est comme ça que, au­jourd'hui, les étudiants font plusieurs

CV, s'inventent des hob­bies, des diplômes. Ils

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En séminairede gestalt.Gonzague Masquelierau milieu de ses élèveset de ses coachs.La gestalt (du verbe«gestalten »: mettreen forme), aétéinventée dans lesannées 50 par lepsychiatre allemandFritz Peris.

Ecole parisiennedegestalt,27, rue Froidevaux,Paris XIV.Tél.: 0143224041,www.gestalt.asso·fr/accueil.php.« La gestaltaujourd'hui »,

de GonzagueMasquelier,éd. RetzPsychothérapie.

L:objectifde la gestalt thérapie: « Prendre la pleineresponsabilité de sa vie, restaurer sa liberté de choix »,

explique Gonzague Masquelier, directeur de l'école.Comme un tennisman perfectionne son jeu en prenantdes cours, la gestalt permet de valoriser ses ressourcespsychiques, de développer son potentiel. Nous nerecevons pas que des gens en souffrance. Certainsviennent réfléchir à une prise de décision joyeuse,comme un mariage; d'autres ont une envie de mieux-êtreou une difficulté précise à résoudre. » Proposée enthérapie individuelle, la gestalt est, précise+û,«particulièrement mobilisatrice de changementslorsqu'on la pratique en groupe». Un stage de trois jourscommence la semaine suivante, je tente l'expérience.

Lundi, 9 h 30. Untasdechaussuresdevant la porte... J'entre en chaussettes et jedécouvre mes nouveaux camarades: dix hommes ethuit femmes, entre 30 et 50 ans. Habillés comme dansla vie, certains chics, d'autres décontractés. Face ànous, les deux thérapeutes, Claudia et Thierry,proposent une prise de contact. «Marchez dansl'espace, puis présentez-vous à quelqu'un.» je faisquelques pas en rond, en essayant de lever les yeux dela moquette, quand je suis happée par un participant.Regard profond de sa part, sourire gêné de la mienne.Peu habituée à ce type d'entrée en matière, je metortille, mal à l'aise. Et je recommence l'exercice.Aucune question sur l'âge, la situation sociale oufamiliale. On dit simplement ce qu'on pense, commeça vient: «je suis heureux d'être là» ou «Ton regardm'intimide ». Suit un temps de partage pendant lequelchacun exprime son vécu de l'exercice: «C'estimportant pour moi d'être dans une rencontre d'égalà égal avec les dames », dit un homme. «La présenced'une femme enceinte me rassure>" confie un autre.je m'étonne que chacun déballe si facilement sessentiments, et je constate avec soulagement que jene suis pas obligée de prendre la parole. Ouf, voilà lapause. A la cafétéria, toujours pieds nus, on trempedes petits gâteaux dans son café, tout en conversant deson passé psychothérapeutique. La plupart travaillent

dans le social et ont un CV bien rempli: analysetransactionnelle, bioénergie, rebirth...Et, bien sûr, gestalt. Nous sommes seulement troisà venir pour la première fois. Certains, ingénieur,avocat ou chef de projet marketing, sont même enreconversion pour devenir thérapeutes à leur tour.

11 h50. « Qui veut commencer?» Nadine tous­sote: « J'aimerais travailler sur mon agressivité. »

Visiblement habituée, la jeune femme expose vite sonproblème: «je suis en colère contre mes parents quim'ont empêchée d'aller jouer avec les autres enfantsquand j'étais petite. » «Peux-tu choisir des personnes quireprésenteraient cette situation?» demande Claudia, lathérapeute. Une femme et un homme symboliseront, parleur simple présence, les parents; trois autres partici­pants, les copains. La scène prend forme. Claudia maté­rialise le sentiment d'oppression éprouvé par Nadine enlui appuyant sur la tête: «Non, tu ne sortiras pas joueravec les autres enfants!» assène-t-elle. Nadine pleure,enrage, tape du pied, tente de se dégager de ce bras quil'entrave, enrage de sa culpabilité et finit par crier, aprèsune bonne heure de travaû: «Vous ne pouvez plus m'en­fermer! je suis grande, c'est moi qui décide! »Dans l'as­semblée, les estomacs sont noués, certains visages pleinsde larmes. La scène semble avoir bouleversé nombre demes camarades qui prennent tour à tour la parole pourexprimer leur ressenti. je me demande où je suis tombée.Dois-je craindre ce débordement de pathos ou admirerces gens bizarres qui vivent leurs émotions sans craindrele jugement des autres? Pour l'instant, j'hésite.

Petit à petit, je me rassure.En discutant avec mes camarades, je découvre des genséquilibrés et sympathiques. En voyant les thérapeutesaccompagner le «travail» de chacun, je comprends leurstechniques et observe leur contrôle de la situation. C'estparfois spectaculaire, l'un tapant dans un coussin, l'au­tre hurlant de toutes ses forces, perché sur une chaise.Parfois en douceur et sans effusion. Les problématiquessoulevées ne laissent jamais indifférent. La gestalt de­vant aider à fluidifier le contact avec soi (ses peurs, sesdésirs), les autres (son entourage affectif, professionnel)et l'environnement (son rapport à la société), «on esttout le temps concerné», résume un de mes camarades.Parfois, on forme des petits groupes, c'est moins intimi­dant. A Luc qui aimerait dire toutes les insultes dont ûvoudrait couvrir sa mère mais qui «n'ose pas», parexemple, on objecte: «Si tu ne le fais pas ici, quand leferas-tu?» Le soir, on se sépare épuisés, avant de seretrouver tout sourire à 9 heures le lendemain, et recom­mencer la danse coussin-travaû-partage. Trouillardeet coincée au début, je suis plus à l'aise et profite de cetteoccasion unique de vivre les choses simplement, commeje les ressens. Tout à coup, trois jours plus tard, c'estdéjà fini. On se quitte, avec l'étrange impression d'êtrepassés à l'essorage. _ Cécile GUÉRET

PARIS MATCH DU 5 AU 11 MARS 2009