ibn arabi - sur la connaissance de la station de l'équivalence entrela femme et l'homme

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Sur la connaissance de la station de l'équivalence entre la femme et l'homme dans certaines demeures divines, qui a le privilège de la protection (Açimyah). *** Mohyiddin Ibn Arabi, Futûhât al-Mekkiyah, Chap. 324. A. Mostagh Firou, Etudes Traditionnelles, 1988-1989. ____________________________________________________________________ Présentation. La mentalité moderne tendant de plus en plus vers l'uniformisation en toutes choses, on aurait grand tort d'être surpris de voir les différences qualitatives disparaître de même progressivement. Cet état de fait a profondément marqué aussi les rôles respectifs de l'homme et de la femme, si bien que désormais, l'idée d'une illusoire égalité des fonctions, des droits et des devoirs incombant à l'un et à l'autre, est acceptée partout dans le monde profane comme une chose normale et indiscutable, et cela, même dans les domaines où des différences physiologiques et psychologiques manifestes réclameraient logiquement un statut différent. En dénonçant les aberrations de la mentalité moderne, l'oeuvre de René Guenon a suscité chez de nombreux auteurs des mises au point diverses du rôle de la femme dans un sens plus correct et traditionnel. Parmi les travaux publiés dans le passé sur cette question, on peut citer ceux d'Ananda K. Coomaraswamy, auxquels il sera fait appel à plusieurs reprises dans les notes qui suivront, ainsi que ceux de Giorgio Manara. Cet auteur précisément, dans un article consacré au rôle de la femme dans l'Islam, affirmait naguère très justement que « dans le taçawwuf, des possibilités de réalisation spirituelle aussi illimitées que pour les hommes sont offertes aux femmes (...) », et rappelait en outre qu' « il existe, notamment en ce qui concerne la situation de la femme, un esprit particulier à la forme islamique qui se retrouve aussi bien dans le Coran que dans les hadîth du Prophète » (1) : « A titre de référence ajoutait-il, nous rappellerons simplement (...) l'affirmation selon laquelle la femme occupe un degré hiérarchiquement subordonné à celui de l'homme (ar-rijâlu qawwâmûna ‘ala-n-nisâ’i ; Surat IV,38), sans doute en tant que modalité de manifestation individuelle à laquelle elle doit se conformer pour sa propre réalisation, et aussi en vue du dépassement initiatique de l'individualité » (2). Dans une autre partie de son article, Giorgio Manara précisait encore: « en règle générale, la femme se trouve, plus que l'homme, liée de façon constante à une autorité dont elle dépend (...) ; dans une communauté islamique, chaque femme (...) est placée normalement sous l'autorité directe d'un homme, nécessairement musulman, que ce soit le père, le tuteur, un frère ou le mari (...) ». Certes, les conceptions exprimées ici par Giorgio Manara le sont sous une forme islamique, mais il faut savoir qu'elles peuvent parfaitement être

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Page 1: Ibn Arabi - Sur la connaissance de la station de l'équivalence entrela femme et l'homme

Sur la connaissance de la station de l'équivalence entre la femme et l'homme dans certaines demeures divines,

qui a le privilège de la protection (Açimyah). ***

Mohyiddin Ibn Arabi, Futûhât al-Mekkiyah, Chap. 324. A. Mostagh Firou,

Etudes Traditionnelles, 1988-1989. ____________________________________________________________________

Présentation.

La mentalité moderne tendant de plus en plus vers l'uniformisation en toutes choses, on aurait grand tort d'être surpris de voir les différences qualitatives disparaître de même progressivement. Cet état de fait a profondément marqué aussi les rôles respectifs de l'homme et de la femme, si bien que désormais, l'idée d'une illusoire égalité des fonctions, des droits et des devoirs incombant à l'un et à l'autre, est acceptée partout dans le monde profane comme une chose normale et indiscutable, et cela, même dans les domaines où des différences physiologiques et psychologiques manifestes réclameraient logiquement un statut différent.

En dénonçant les aberrations de la mentalité moderne, l'oeuvre de René Guenon a suscité chez de nombreux auteurs des mises au point diverses du rôle de la femme dans un sens plus correct et traditionnel. Parmi les travaux publiés dans le passé sur cette question, on peut citer ceux d'Ananda K. Coomaraswamy, auxquels il sera fait appel à plusieurs reprises dans les notes qui suivront, ainsi que ceux de Giorgio Manara. Cet auteur précisément, dans un article consacré au rôle de la femme dans l'Islam, affirmait naguère très justement que « dans le taçawwuf, des possibilités de réalisation spirituelle aussi illimitées que pour les hommes sont offertes aux femmes (...) », et rappelait en outre qu' « il existe, notamment en ce qui concerne la situation de la femme, un esprit particulier à la forme islamique qui se retrouve aussi bien dans le Coran que dans les hadîth du Prophète » (1) : « A titre de référence ajoutait-il, nous rappellerons simplement (...) l'affirmation selon laquelle la femme occupe un degré hiérarchiquement subordonné à celui de l'homme (ar-rijâlu qawwâmûna ‘ala-n-nisâ’i ; Surat IV,38), sans doute en tant que modalité de manifestation individuelle à laquelle elle doit se conformer pour sa propre réalisation, et aussi en vue du dépassement initiatique de l'individualité » (2). Dans une autre partie de son article, Giorgio Manara précisait encore: « en règle générale, la femme se trouve, plus que l'homme, liée de façon constante à une autorité dont elle dépend (...) ; dans une communauté islamique, chaque femme (...) est placée normalement sous l'autorité directe d'un homme, nécessairement musulman, que ce soit le père, le tuteur, un frère ou le mari (...) ». Certes, les conceptions exprimées ici par Giorgio Manara le sont sous une forme islamique, mais il faut savoir qu'elles peuvent parfaitement être

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transposées, sous un mode ou un autre, à d'autres formes traditionnelles orthodoxes.

En fait il aura fallu qu’arrivent les temps modernes, pour que soit envisagée la possibilité pour la femme d'exercer la fonction de rabbin dans la tradition hébraïque, une éventualité qui naturellement souleva, en son temps, bon nombre de réactions dans ces milieux traditionnels. D'autre part, sans un tel rapport de dépendance et de complémentarité entre l'homme et la femme, le sacrifice de la satî indienne ou du harakiri de la femme japonaise serait totalement incompréhensible et injustifié (3). Enfin, ces mêmes préoccupations traditionnelles sont également à l'origine du fait, que, dans la tradition chrétienne, tout en reconnaissant à la femme aussi bien qu'à l'homme la possibilité de s'élever à la « sainteté », l'exercice du sacerdoce a toujours été exclusivement réservé à l'homme, ainsi que René Guenon l'a fait remarquer en diverses occasions dans son oeuvre (4).

(1) Cf., Rivista di Studi Tradizionali, N" 32 (1970), « La possibilité islamique pour la femme », p. 341-342. (2) Ibid., note. (3) Cf. Ananda K. Coomaraswamy, Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel dans la perspective indienne du gouvernement, p. 97, éd. Arche. (4) Ces observations restent valables même si, encore tout récemment, des signes sont apparus donnant à penser qu'à l'intérieur de l'Eglise catholique même, certaines tendances s'affrontent autour d'un débat visant à concéder à la femme l'exercice du ministère sacerdotal jusqu'ici réservé aux hommes. Il convient de se souvenir en effet de ce qu'a dit René Guenon à propos de l'extériorisation providentielle du Christianisme dans les premiers siècles, et des parallélisme que l'on peut établir entre les rites probablement initiatiques de l'origine, et les rites exotériques et les sacrements qui leur succédèrent vraisemblablement (Aperçus sur l'initiation, chap. XXIII). A ce sujet, il est important d'ajouter que les précisions qui seront données dans le cours de cet article sur les empêchements pour la femme d'accomplir certains rites particuliers du domaine initiatique, sont susceptibles d'être transposées dans le domaine exotérique et qu'elles pourront rendre plus explicites les raisons pour lesquelles, dans l'Eglise catholique, la femme n'a jamais été admise à l'ordination sacerdotale et à l'administration de certains sacrements. On remarquera en outre, que certains passages de ce chapitre des Futûhât, présentent des analogies incontestables avec les enseignements de la tradition chrétienne : Maître Eckhart, par exemple, évoquant saint Augustin, dit de lui qu'il est comme un « vase d'or », ouvert vers le haut et fermé vers le bas, et invite à prendre ce saint pour modèle en ajoutant : « Les hommes sont assimilés aux forces d'en-haut puisqu'ils ont toujours le chef découvert, tandis que les femmes sont assimilées aux forces d'en-bas et ont toujours la tête couverte. Les puissances supérieures (...) sont donc assimilées aux hommes car elles sont toujours nues. » (Etudes Traditionnelles, « Comme un vase d'or massif », N" 301, juill.-août 1952, p. 213-214).

Cela étant dit, on peut légitimement se demander pour quelles raisons sont apparus, plus récemment, dans la revue où écrivit Giorgio Manara, des articles en parfaite

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opposition avec ce qui avait été pertinemment affirmé par celui-ci en son temps, et dans lesquels est soutenu (5), sous une forme ou sous une autre, que du point de vue initiatique il ne se trouve aucun empêchement à ce que la femme accède, non seulement à la réalisation spirituelle, ce qui est tout à fait correct, mais aussi « à l'exercice de fonctions hiérarchiquement plus élevées », ce qui est, comme on le verra par la suite, sujet à diverses restrictions très importantes. En outre, ces mêmes articles soutiennent curieusement que du point de vue exotérique, il n'existe aucun obstacle à ce que la femme accède à la fonction d’Imâm, c'est-à-dire à ce qu'elle dirige « aussi bien la prière des femmes que celle des hommes », ce qui, sous certains aspects, est une fonction comparable à celle du prêtre chrétien ou du rabbin hébraïque.

Comme on le voit, s'il est permis de se poser des questions à l'égard d'un tel changement de perspective sur le rôle traditionnel de la femme et quant aux raisons qui l'ont provoqué, il n'en demeure pas moins un réel danger, c'est qu'à une époque où de telles idées se répandent déjà que trop facilement, de semblables affirmations n'entraînent de nouvelles confusions susceptibles de servir davantage le désordre du monde moderne que l'orthodoxie de la tradition (6).

Il entre certes dans le droit de ceux qui côtoient ces milieux, de vérifier si derrière ces retournements de perspective, ne se trouverait pas quelque circonstance insolite affectant la régularité traditionnelle, et probablement de telles investigations conduiraient à des constatations qui ne manqueraient pas de surprendre. Mais comme il n'est pas dans les attributions d'une revue comme celle où nous écrivons, de se livrer à des vérifications internes de ce type, il sera sans aucun doute beaucoup plus profitable, à maints égards, de chercher à rétablir la vérité sur le rôle et les fonctions de la femme dans la tradition islamique, à partir des écrits d'un Maître incontesté de cette tradition, le Sheikh Mohyiddin Ibn Arabi. Par ailleurs, nous sommes persuadés qu'il ne sera de surcroît pas bien difficile, à ceux qui le souhaiteraient, de transférer ces notions, moyennant les adaptations nécessaires, à d'autres formes traditionnelles, surtout s'ils tiennent compte du fait que le Sheikh Ibn Arabi, tout comme René Guenon, s'applique toujours à résoudre les contradictions apparentes en faisant référence aux principes métaphysiques, principes qui sont naturellement communs à toutes les formes traditionnelles.

(5) Ceci se réfère aux deux numéros de la Rivista di Studi Tradizionali de l'année 1986 parus dans le courant de 1987. (6) II ne s'agit d'ailleurs pas d'un cas isolé et ayant des conséquences sur le plan doctrinal : dans un article aussi récent (R.S.T., N° 64, janv.-juin 1986, p. 114), qui n'est pourtant pas dépourvu de valeur à d'autres égards, on peut lire à propos des rites cette affirmation par exemple: « (...) il est indispensable qu'ils soient accompagnés d'une intention correcte ». Ceci jette un voile épais sur ce qu'a rappelé René Guenon à maintes reprises, à savoir que « les rites possèdent une efficacité propre ». En fait, ce qui est affirmé dans cet article témoigne d'une notable confusion, c'est que l’ « aspiration », qui est une chose nécessaire pour accéder à l'initiation, est prise ici pour l' « intention » — correcte ou droite -, qui elle ne peut être obtenue qu'après un long

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chemin dans la voie. Devant de telles méprises, il faut espérer que l'étude sur la « théorie du geste » annoncée récemment dans notre revue, et à laquelle appartient ce domaine des rites, vienne apporter dans divers milieux une plus grande clarté à cet égard. Quoi qu'il en soit, il est curieux d'observer que si l'on rapproche le cas dont il s'agit des autres confusions relevées depuis quelques temps dans la même revue, on remarque manifestement une orientation allant dans le sens de la « rigueur », de la fermeture du « Qabd », et de la « limitation », toutes choses assimilables en grande partie à la nature féminine ; une nature qui rappelle le symbolisme de l’ « arche », ou de la « baleine », ou encore du « dauphin » - que René Guenon associe à la « Femme de mer » (S.F.S.S., chap. XXII, p. 170) - et à la « matrice », qui conserve le germe d'immortalité et qui a, sous divers rapports, un rôle analogue à celui de la caverne ou des « encadrements » ; rappelons que selon René Guenon, ces encadrements « ont une valeur de protection, et même doublement, en empêchant non seulement les influences maléfiques de pénétrer dans la demeure, mais aussi les influences bénéfiques d'en sortir et de se disperser au dehors » (S.F.S.S., chap. LXV, p. 393). Toutefois, il ne faut pas oublier que l'éclairage de la « caverne » n'est « que le reflet d'une lumière qui pénètre à travers le « toit du monde », par la porte solaire, qui est l’« oeil de la voûte cosmique » ou l'ouverture supérieure de la caverne ». La fermeture, dans des conditions normales, ne peut donc être totale ; le qabd (coagula) doit être équilibré par le bast (solve) ; l’attribut de Rahmân (qui implique la notion de « donner l'existence - engendrer ») doit coexister avec l'attribut de Rahîm (qui implique la notion de « protéger - conserver »).

Cette traduction intégrale du texte d'Ibn Arabî sera d'autant plus nécessaire, que dans les récentes publications dont nous faisions état au début la citation de passages isolés de leur contexte semble conforter les thèses exposées, alors que, comme il sera aisé de s'en rendre compte, une lecture attentive du texte intégral en fait au contraire ressortir toute la fausseté, ou pour le moins parfois, les limites précises de leur application. Par exemple, en ce qui concerne l'Imamat de la femme, qui est traité dans une autre partie de l'oeuvre d'Ibn Arabî (7), il est bien exact que cet auteur traditionnel en admet la validité dans des circonstances particulières, mais en spécifiant que l'Imamat de la femme correspond à celui de l’âme, tandis que celui de l'homme correspond à l'Imamat de l'intellect ('Aql). Voici le passage en question : « Lorsque la Nafs (femme) en a assez de suivre ton Imamat (de l'intellect — homme), et qu'elle fait l’Imam, alors toi, suis-la, et fait la salâh derrière elle pour la protéger afin que la passion ne l'égare pas (...) ; il est donc admis que la Nafs fasse l’imâm, et ceci est l'Imamat de la femme ».

Il est d'autre part bien trop évident, que des circonstances exceptionnelles ne peuvent rien changer à cet égard de subordination de la femme, ni faire en sorte de lui attribuer une égalité de fonction avec l'homme, qui, tout en remplissant son rôle autonome et volontaire de protection lorsqu'il la suit dans l'exécution du rite, conserve néanmoins son indépendance ; et cela de la même façon qu'un Maître peut parfaitement suivre la salâh d'un disciple, sans pour cela que le disciple ne prenne jamais ni la fonction ni le degré du Maître, ni qu'il y ait une quelconque égalité de

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degré ou de fonction entre le Maître et le disciple. En fait, cette « subtilité » conceptuelle exposée par Ibn Arabî n'est évidemment pas du ressort du domaine exotérique, où les divers madhhab (rites) prescrivent simplement : « La femme ne dirige (rôle de l'imam) ni les hommes, ni les femmes (...) ni les prières d'obligation divine, ni les prières surérogatoires » (8).

Indépendamment du fait que ce texte d'Ibn Arabi écarte toute possibilité de confusion sur la fonction de la femme, son importance réside aussi et avant tout dans les précisions qu'il apporte sur la véritable nature féminine ; et ceci est extrêmement précieux, car la voie initiatique ne pouvant être parcourue que dans la conformité à la nature propre à chaque être (swadharma), laquelle diffère nécessairement entre l'homme et la femme, la connaissance de la nature propre à la femme sera donc de la plus grande utilité pour toutes celles qui, sensibilisées par le message de René Guenon, ont l'intention d'entreprendre au moins un approfondissement théorique, en vue de fournir un effort « opératif » par la suite. De plus, il est tout aussi intéressant de remarquer que, précisément par le jeu de ces différences de nature et par comparaison, le rôle et la nature de l'homme apparaîtront aussi plus distinctement, de sorte que toutes les complémentarités entre l'homme et la femme pourront de même être perçues avec facilité et contribuer, si elles sont exploitées opportunément par l'un et par l'autre, à élever la dignité de leurs rôles respectifs.

(7) Futûhât, vol. I, chap. LXIX, p. 447. (8) Cf. La Risâlah, Epître sur les éléments du dogme et de la loi de l'Islam selon le rite Mâlékite, Ibn Abi Zayd Al Qayrawânî, éd. 1460, p. 73.

Ainsi qu'il y a été fait allusion plus haut, il est toujours de règle, chez Ibn Arabî, de ramener toutes choses, les êtres, leur nature, les contingences ou autres, à leurs racines métaphysiques, et cela présente notamment l'avantage de rendre évident ce qui serait susceptible de laisser planer un doute, comme c'est le cas parfois lorsqu'on a affaire à une exposition de type exotérique et dogmatique, ou lorsque la formulation est enveloppée dans la diversité des contingences. La lecture de ce texte d'Ibn Arabî peut donc ouvrir sur des développements bien plus amples que ceux suggérés par son titre, tout en conservant néanmoins un côté pratique au niveau des concepts exposés. Il est donc à souhaiter que cette traduction puisse être utile au même degré, non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes, notamment pour affiner leurs rapports réciproques, afin qu'ils se conforment toujours plus harmonieusement aux lois cosmiques qui nous gouvernent, et qui apparaissent aussi dans les préceptes et les enseignements des Envoyés et des Maîtres des différentes traditions. Sur un autre plan, il ne pourra être que profitable de ce rendre compte clairement, combien la confusion des rôles respectifs de l'homme et de la femme constitue un empêchement de fait dans la voie de la réalisation : la régénération ou l'harmonisation des puissances de l'être ne peut certes s'accomplira travers des procédés ou des attitudes contraires à l'ordre cosmique (9).

Enfin, notre époque étant caractérisée par des mentalités tournées généralement vers

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le « contingent » et l’ « apparent », et surtout vers leurs aspects les plus « spectaculaires », c'est-à-dire capable de faire vibrer des « sensations », il n'est pas douteux qu'on verra de plus en plus se multiplier, sous les formes les plus diverses, des publications envahissant le domaine traditionnel pour y transporter, en quelque sorte, consciemment ou inconsciemment, les usages et pratiques qui ont cours dans le monde profane, et en vertu desquels il est licite de se faire l'écho de n'importe quoi, dès l'instant où il s'agit de rabaisser les lecteurs au niveau de leurs facultés inférieures; des manifestations apparentées à ce genre de choses s'étant produites encore tout récemment, les notes qui accompagneront ce texte d'Ibn Arabî seront donc aussi l'occasion de montrer indirectement combien, en toutes circonstances, la réalité profonde demande à être approchée avec beaucoup de prudence au travers des apparences, et surtout avec un ensemble de connaissances au moins théoriques, assez étendues pour ne pas se laisser entraîner dans des erreurs de jugement regrettables.

(9) Cf. Futuwwah, Etudes Traditionnelles, N° 499 & 500, pp. 15 & 74.

A. MOSTAGH FIROU.

Sur la connaissance de la station de l'équivalence entre la femme et l'homme dans certaines demeures divines,

qui a le privilège de la protection (Açimyah).

***

Les femmes sont l'autre moitié des hommes dans le monde spirituel et dans le monde corporel, leur statut est unique et il est celui de l'être humain. Ils se sont polarisés en deux (entités) pour une question contingente qui a séparé les femmes des hommes. Ils sont jugés, quant à leur degré d'universalisation, à travers la réalisation de l'unité chez les êtres (dans la multiplicité). Si tu observais (de façon correcte) le Ciel et la Terre, tu pourrais les distinguer, sans d'ailleurs les diviser. Regarde l'excellence (intérieure) et sa manifestation extérieure, elles sont une unique chose sous le signe de l'harmonie.

***

Sache qu’Allâh t'assiste, que l'humanité étant une réalité qui comprend les hommes et les femmes, il n'y a pas de supériorité des hommes par rapport aux femmes pour tout ce qui concerne leur nature d'êtres humains.

Puisque l'homme est participant du macrocosme de l'univers, le macrocosme n'a pas un degré de supériorité sur l'homme à ce point de vue. Toutefois, il résulte que l'homme a une supériorité sur la femme, comme il résulte aussi que le degré de la

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création des Cieux et de la Terre est supérieur au degré de la création de l'homme. La plus grande partie des hommes ne sait pas cela, malgré que dans les deux cas, il y ait des indications et des signes qui mettent en évidence cet état de supériorité.

Il est dit dans le Coran : « Seriez,-vous plus forts dans la création que le Ciel, que Lui a créé ? » Lui (Allâh), a parlé de ce qui concerne le Ciel, puis a parlé de la Terre, de sa forme sphérique et de ce qui la concerne.

Tout cela pour démontrer la supériorité (du Ciel et de la Terre) sur l'être l'humain ; nous constatons ainsi que le degré de supériorité du Ciel et de la Terre sur l'homme est le même que celui de l'homme sur la femme, Et ceci parce que l'homme est créé du Ciel et de la Terre, et qu'il est produit entre eux et à partir d'eux (d'où il descend), et que le créé n'a pas la même force que le Créateur, puisque l' « agi » dérive de l' « agent ».

De la même façon, nous trouvons qu'Eve est produite à partir d'Adam, extraite et constituée de la côte courte, par quoi elle est dans l'impossibilité d'atteindre le degré de celui dont elle provient, et ne pourra connaître du degré de l'homme que jusqu'à la limite d'où elle a été créée, qui est la côte, et c'est pour cela que sa compréhension ne peut atteindre la réalité (entière) de l'homme. Analogiquement, l'homme ne peut connaître de l'Univers, sinon à mesure égale de ce qu'il a pris de l'Univers pour sa manifestation. L'homme, en tant que tel, ne pourra jamais atteindre le degré de l'Univers dans sa totalité, malgré qu'il en soit une de ses parties. Ainsi, la femme ne pourra jamais atteindre le degré de l'homme, bien qu'elle soit une partie précieuse de l'homme. La femme ressemble à la nature, étant, à l'inverse de l'homme, le lieu de l'action.

En effet, l'homme dépose seulement le germe dans la matrice, qui est le lieu de formation et de création par lequel se manifestent dans la femme les existences concrètes (a'yân) de cette espèce, en tant qu'elles sont susceptibles de formation et de passer, stade après stade, par les diverses phases de la création, jusqu'à ce que se forme un être parfait. A cause de cette assignation (particulière) (qadr), l'homme est supérieur à la femme, et c'est pourquoi celle-ci est inférieure en (Nâqiçât ul-'aql) par rapport à l’homme (1); en effet, elle ne peut comprendre sinon ce qu'elle a pris de l'homme (min Khalqi ar-rajul) à l'origine de la création.

Pour tout ce qui concerne l'infériorité de la femme dans les questions traditionnelles (nuqçân ad-dyn), cela est la contrepartie de sa capacité d'opérer; en effet, l'oeuvre n'est une oeuvre que par rapport à la connaissance (ars sine scientia nihil), et la connaissance dépend de l'aptitude (qubul) du sujet, mais l'aptitude à son tour dépend de la prédisposition du sujet depuis son origine. La prédisposition de la femme est inférieure à celle de l'homme parce qu'elle est une partie de l'homme, d'où il s'ensuit nécessairement (fa lâ budda an) que la femme est caractérisée par une infériorité dans les questions traditionnelles par rapport à l'homme.

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Mais ce chapitre traite de l'attribut (Sifâh) dans lequel sont réunis les femmes et les hommes, et cet attribut, comme nous l'avons mentionné, s'applique à leur état d'êtres créés, aussi bien du point de vue de leur réalité essentielle (min jihati al-Haqâiq), que du point de vue de leur évolution (may 'aridu lahumâ), ainsi que cela ressort de cette parole (du Coran) : « Les Musulmans et les Musulmanes, les croyants et les croyantes (...), ceux qui mentionnent intensément Allah, et celles qui Le mentionnent intensément, (...), ceux qui se repentent L'adorent, célèbrent ses louanges et font le pèlerinage (...), celles qui se repentent L'adorent et font le pèlerinage ». (2)

(1) Ceci se rapporte à la " petite intelligence "dont parle Ibn Ajîba (Cf. Le Soufi marocain Ahmad Ibn ‘Ajiba et son Mi’râj, p. 226) ; en ce qui concerne la « grande intelligence », il y a une égalité d'accès pour l'homme et pour la femme ainsi qu'on le verra plus loin. D'autre part, cette infériorité de la femme dans la « petite intelligence », est compensée par d'autres qualifications dont il sera question par la suite. (2) Dans ce paragraphe, les points d'équivalence entre l'homme et la femme commencent à être mis en évidence : d'une part, en tant qu'êtres humains, ils sont assujettis aux mêmes lois, et en cela ils ont en commun le privilège (état central) de la nature humaine ; d'autre part, ils peuvent devenir tous les deux (Cf. L'Homme et son devenir selon le Védanta) des réalisés et obtenir l’ « Identité Suprême », degré ou « station divine » qui bénéficie de la « protection » (Cf. Le symbolisme de la Croix, chap. II & III, et en particulier la note suivante: « Lorsque l'homme, dans le « degré universel », s'exalte vers le sublime, lorsque surgissent en lui les autres degrés (états non-humains) en parfait épanouissement, il est l’ « Homme Universel ». L'exaltation ainsi que l'ampleur ont atteint leur plénitude dans le Prophète (qui est ainsi identique à l’ « Homme Universel ») » (Epitre sur la Manifestation du Prophète par le Sheikh Mohammed ibn fadlallah El-hindi) ». Pour plus de précisions en ce qui concerne la « station divine » (El-maqâmul-ilâhi), on peut se reporter utilement aussi aux observations de René Guenon (Le Symbolisme de la Croix, chap. VII, p. 49 notamment). L'évolution entre ces deux points extrêmes de la réalisation se fera néanmoins selon des modalités qui dépendent des qualifications et des prédispositions de chaque être, lesquelles sont naturellement différentes sous de nombreux aspects chez l'homme et chez la femme ; en conséquence, les fonctions que l'un et l'autre pourront assumer dans la hiérarchie indéfinie des états d'existence seront différentes aussi.

Le Prophète — sur lui le salut de la paix, a dit que beaucoup d'hommes ont atteint la perfection (Kamâl), et parmi les femmes, Miryam fille d'Imran, et Assiâ la femme de Pharaon, l'ont atteinte. Ainsi les hommes et les femmes sont réunis dans le degré de la Perfection (Kamâl) (3). L'homme a été préféré avec une plus grande perfection (Akmâliâh) et pas seulement avec la Perfection (Kamâliâh) ; ainsi, si tout deux peuvent être, parfaits jusqu'au degré de la prophétie, l'homme a toutefois été préféré à la femme avec la fonction d'Envoyé (Risâlah) et de vivificateur (Ba'athâh), alors que la femme n'a pas accès à ces degrés (de fonction) (4) ; même si, par la suite, entre tous ceux qui appartiennent à la même « station », il y a différents niveaux de préférence - comme l'a dit le Très-Haut : « De ces Envoyés nous en avons préféré

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certains à d'autres », - ou encore : « Nous avons préféré certains Prophètes par rapport à d'autres ».

(3) En ce qui concerne Marie, dont Ibn Arabi proclame par ailleurs la perfection (Kamâl), sa relation avec Jésus et sa mission (prophétique selon l'Islam, divine selon le Christianisme) de revivification de l'Ancien Testament, est magistralement exprimée ainsi par Dante dans le Paradis : « 0 Vierge mère, fille de ton fils » (XXXIII, I). Où le l'ait d'être in filiae loco est évidemment entendu au sens hiérarchique et spirituel ; mutatis mutandis, un tel rapport, certes complexe et particulier, peut cependant servir de base à d'utiles réflexions en vue de situer, de manière correcte, les relations pouvant s'établir par analogie et à un niveau moins élevé, dans les organisations initiatiques, ou même dans le cadre de la famille traditionnelle. Par exemple, dans la tradition islamique, il est bien compris que le rôle de chef de famille (l'autorité), à l’amont du père, est confié au fils adulte le plus âgé, tandis que la conduite des affaires domestiques (le pouvoir) est conservé par la mère, En dehors de quelques cas exceptionnels el régionaux de matriarcat, une telle conception s'est d'ailleurs maintenue fort longtemps en Occident, surtout dans les milieux ruraux, où pratiquement la contamination générale des mentalités à cet égard n'a pénétré qu'après la seconde guerre mondiale. (4) On peut se rendre compte par ce qui précède, qu'Ibn Arabi attribue aussi à la femme la possibilité d'atteindre la perfection (Al-Insânul-Kâmil), d'obtenir le degré el la fonction de prophète, en limitant cependant cette fonction prophétique à la fonction non-légiférante (comme c'est le cas de Seyyidinâ Mohammed), el sans prétendre à celle de revivificateur (comme c'est le cas de Seyyidinâ 'Isa — Jésus). Il ne faudra toutefois pas s'étonner si, dans le même chapitre, on peut lire un peu plus loin que « tous ces états ont été partagés par les hommes et les femmes, qui participent de tous les degrés jusqu'à la fonction de « Pôle » (Qutbiah); en fait, il s'agit de degrés et de fonctions à tous égards inférieurs à ceux de prophète, auxquels il a été fait allusion tout d'abord. Il suffit de remarquer qu'ici, Ibn Arabi parle de prophétie « légiférante » et « non-légiférante », de la même façon qu'il précise dans une autre partie du texte (Futûhât II, p. 6), qu'il y a des « pôles » détenant le califat intérieur et extérieur, (les quatre premiers califes ( Râshidûn) par exemple), et d'autres, le plus grand nombre, qui n'ont que le califat intérieur, sans aucune fonction extérieure. Malgré l'égalité de la femme et de l'homme au niveau de cette « station divine » de la « Perfection », on aura remarqué qu'Ibn Arabî spécifie que l'homme « a été préféré avec une plus grande perfection » (Akmâliâh) correspondant à la mission d' « Envoyé » (Risâlah) et de « vivificateur » (Ba'athâh). Il est suffisant de se référer a ce qu'a dit René Guenon à propos de la réalisation ascendante el de la réalisation descendante (Initiation el Réalisation Spirituelle, chap. XXXII, p. 262), pour comprendre que « l'universalisation atteint sa plénitude effective dans le Rasûl, qui ainsi est véritablement el totalement l’ « Homme Universel ». » Il y a donc chez la femme, par rapport à l'homme, un certain « manque » qui l'empêche d'accomplir jusqu'à ses extrêmes limites la réalisation descendante, un « manque » qui, on le verra dans la suite du texte, a pour contrepartie des qualifications particulières d'un autre genre. En effet, cela concerne naturellement la femme en tant

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qu'être qui se manifeste sous cette forme dans notre degré d'existence; mais il est bien entendu que cet être peut perdre la limitation dont il s'agit dans d'autres degrés d'existence (Cf. Initiation et Réalisation Spirituelle, chap. XXX, p. 229). Comme le remarque René Guenon, la fonction « du simple nabî peut être plus ou moins limitée quant à son étendue el quant à son but propre » tandis que celle de rasûl « manifeste l'attribut divin d'er-Rahmân dans tous les mondes (rahmatan lil-âlamin) » (Initiation et Réalisation Spirituelle, chap. XXXII, p. 261). On verra par la suite comment Ibn Arabi met en évidence les facultés implicites de cet attribut divin, qui consiste en la capacité de « faire exister », de « générer » les choses, établissant pour cela un rapprochement entre Er-Rahmân (celui qui fait exister les choses), et Râhim (matrice). Notons entre autres choses que Râhim a la même racine que le nom divin Er-Rahîm qui implique les attributs de « conservateur » et de « soutien » et non celui d' « existentiation » (Cf. Le Soufi marocain Ibn 'Ajiha et son mi’râj, p. 112). Il apparaît ainsi que la femme, « lieu » de la filiation et de la manifestation de l'existence concrète des êtres dans notre degré d'existence (Râhim), ne puisse de toute façon, même après avoir atteint les degrés ultimes de la réalisation, se libérer totalement des implications de sa propre nature, et devenir apte à manifester « l'attribut d'Er-Rahmân dans tous les mondes » ; et ceci parce que le « support » de sa manifestation individuelle, en tant que féminin, n'est pas susceptible, comme le souligne Ibn Arabî d'accéder à la plénitude de la réalisation descendante qui se concrétise dans le Rasûl. II semblerait donc que la femme puisse être l'instrument de l'effusion d'influences spirituelles aptes au maintien, au développement, et à la conservation de la communauté traditionnelle et initiatique, mais non celui d'influences capables de présider à la naissance, ou à la revivification, d'une tradition par la transmission d'une nouvelle loi ou l'adaptation d'une précédente. Un reflet de cet état de choses se remarque dans les organisations musulmanes, où, normalement, la « guidance » spirituelle et la direction d'une tarîqah sont confiées à un Maître qualifié de sheikh al-tarbîyah (instruction), qui réunit tous les degrés et conduit le disciple le long du chemin initiatique (sulûk) (Cf. Sheikh Tadili. La vie traditionnelle, c'est la sincérité, p. 36, Ed. Traditionnelles, Paris). Dans les fonctions du Maître, on peut distinguer deux éléments fondamentaux qui sont: le « pacte » (Al-bay'a) et l’ « instruction » (Tarbîyah : de rabbâ, élever, éduquer). Dès lors, par analogie avec tout ce qui précède, et par référence traditionnelle, on peut concevoir qu'une femme possédant un certain degré de réalisation, puisse avoir une fonction et coopérer à l'instruction d'un disciple, homme ou femme, dans le respect des règles traditionnelles concernant les rapports entre personnes de sexe différent, mais il est inconcevable qu'une femme confère le « pacte » initial (initiation). On peut en avoir la preuve dans le fait que parmi toutes les chaînes initiatiques orthodoxes, sur plus de quatorze cents ans de tradition musulmane, ne figurent que des noms masculins. D'autre part, il ne peut échapper qu'il existe une analogie évidente entre l'apport d'une nouvelle loi, germe spirituel pour une communauté, et le dépôt d'un germe spirituel chez un être à travers le « pacte » (initiation) ; les deux choses sont représentées, de façon tout à fait évidente, dans la signification symbolique des facultés propres à l'homme adulte de déposer, au sein même de ce qui va devenir l’«

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enceinte » maternelle, le germe humain. Et il ne sera pas bien difficile de comprendre, que ce symbolisme « naturel » peut avoir une très grande importance lorsqu'il est transféré à la compréhension du domaine initiatique, puisque l'initiation est considérée partout comme une « seconde naissance », et que, selon ce qui a été dit ailleurs déjà, dans le cadre d'un mariage traditionnel la femme d'un initié est une initiée mais l'inverse est impossible (Cf. A.K. Coomaraswamy, Autorité Spirituelle et Pouvoir temporel dans la perspective évolienne du gouvernement, p. 73). Il convient toutefois de tenir compte, afin de prévenir toute fausse interprétation, qu'une telle « initiation », agissant en quelque sorte par l'entremise du mari, son efficacité cesserait par là même que cette source masculine viendrait à disparaître avant que la femme ait atteint l' « état primordial ». Par ailleurs, ce germe d' « enceinte », qui est passé dans le langage ordinaire pour désigner une femme en état de grossesse, et dont l'usage est devenu en quelque sorte « mécanique », n'a certainement pas été choisi par hasard à l'origine, car il comporte manifestement une signification profonde en parfait accord avec le symbolisme de la nature féminine. Mais sans doute en a-t-il été déjà assez dit pour permettre de se faire une idée, désormais assez précise, de ce qui peut être défini par des ex pressions comme « paternité » et « maternité » spirituelles, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter d'autres commentaires. Si l'on envisage maintenant le cas des organisations initiatiques dans lesquelles, en l'absence d'un Maître, des « délégués » (Kholafâ, Muqâddamun) opèrent à sa place, il y a lieu de tenir compte, que ces représentants ne possèdent évidemment pas les degrés de réalisation effective correspondant à une fonction qu'ils n'exercent, précisément que par « délégation » ; il est donc évident qu'une femme, à plus forte raison dans une semblable circonstance où la réalisation effective fait défaut, ne pourra exercer validement un rôle de guide dans une organisation initiatique ; en effet, ainsi qu'on l'a vu plus haut, sa constitution symbolique même ne l'habilitera d'abord pas à conférer le « pacte » (initiation), et d'autre part, manquant dans le cas présent d'un degré de réalisation effective, elle se trouvera de nouveau, par rapport à l'homme, et bien qu'elle puisse avoir une compétence spécifique dans tel ou tel domaine traditionnel, devant la situation d' « infériorité dans les questions traditionnelles » dont parle Ibn Arabi. Et l'on sait qu'il n'est pas licite qu'une communauté, surtout initiatique, ait à sa tête même, un être qui manifeste par sa nature une « infériorité » au point de vue traditionnel. On peut ainsi avoir la certitude, que, lorsqu'un élément féminin prend le dessus, d'une façon ou d'une autre, dans une organisation initiatique islamique et en assure la direction effective, il s'agit, « en acte », d'un processus d'éloignement de l'orthodoxie traditionnelle : processus qui aurait d'ailleurs peu de chance de se produire en présence d'êtres possédant un degré élevé de réalisation et ayant dépassé le maqâm al-amr, lesquels n'iraient certes pas au-delà des limites qui sont les leurs. Quoi qu'il en soit, on peut être sûr qu'il y aura toujours des difficultés, d'une sorte ou d'une autre, à fournir l'indispensable témoignage du mandat reçu (ijazah). Maintenant, que de telles choses adviennent par suite d'excès de zèle, par incompréhension, ou par d'autres circonstances, ne change rien à l'affaire, ni non plus d'espérer justifier cette situation par de présumées insuffisances ou faiblesses de celui qui devrait légitimement exercer la fonction en question : il y aurait là, au surplus, un manquement grave au respect de la hiérarchie initiatique, à

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propos duquel il serait impardonnable de ne pas rappeler la recommandation du Prophète Mohammed, faite à l'occasion de son dernier pèlerinage : « Obéissez à votre chef, même s'il était un esclave abyssin » (cité par Ibn Arabi dans La Profession de Foi, p. 267). Des milieux traditionnels du Taçawwuf se sont aussi exprimés en Orient sur ces questions, en précisant qu'il est interdit (harâm) qu'une femme joue, même par délégation, le rôle de guide d'une tarîqah ou d'une branche de celle-ci ; en particulier, on pourrait citer ici un représentant de la tarîqah Darqawiwiah-Shâdhiliah, lui-même Sheikh attarbîyah, et par conséquent dûment qualifié pour émettre une ifta (verdict), a qui a été posé, il y a peu de temps, la question suivante : « Dois-je déduire de vos paroles que si une femme est savante (idha kanat 'alimah), elle peut donner des conseils aussi bien aux hommes qu'aux femmes, mais qu'elle ne peut lier avec le pacte ni les hommes ni les femmes, et que c'est pour cela que ne figure aucune femme dans la Silsilah des Turûq ! » — A quoi il fut répondu : « La réponse est comme vous dites ». Il est à signaler comme fait particulièrement intéressant pour les lecteurs de cette revue, que ce personnage, qui a eu l'occasion de connaître au moins une partie de l'oeuvre de René Guenon, a affirme que « Le Skeikh Abdel Wahîd-Yahia appartient à l'Orient des Orients, et au même Orient Eternel qu'Ibn Arabi. »

Allâh a réuni aussi bien les hommes que les femmes dans la tâche, chargeant les femmes comme les hommes ; des devoirs sont ainsi réservés à la femme et non à l'homme, comme sont réservés à l'homme des devoirs ne concernant pas les femmes, même si les femmes sont la moitié des hommes (5).

(5) Toujours à propos des rôles ou des charges, en quelque sorte « constitutionnels », c'est-à-dire procédant des natures respectives de l'homme et de la femme, on pourra, indépendamment de l'exposé d'ibn Arabî, se référer aux travaux d'Ananda K. Koomaraswamy (La Doctrine du Sacrifice et A.S.P.T. dans la perspective indienne...), qui a aussi développé certaines argumentations de René Guenon sur ce sujet spécifique. Il ne sera d'ailleurs pas superflu de donner ici quelques extraits de ces études, qui furent en partie recensées positivement par René Guénon : « Dans l’ Anguttara Nikâya, III, 363, où sont énumérées les passions et les fonctions dominant les êtres humains, la Seigneurie (issariya) est assignée aux Kshatriyas et aux femmes. Dans le gouvernement comme dans le mariage, le pouvoir revient à la femme, et l'autorité à l'homme. Le tyran ou la virago abusent du « pouvoir » féminin ; avec un roi légitime ou une femme véritable, il est exercé en accord avec la justice » (La Doctrine du Sacrifice, p. 147) ; — « En d'autres termes, la fonction spécifiquement royale et féminine est l'administration ; la première administre un royaume et la seconde une maison » (A.S.P.T., p. 96) ; — « Mais si le roi, en coopérant avec un pouvoir plus éminent, devient ainsi le Père de son peuple, il n'en reste pas moins vrai que des potentialités sataniques et mortelles sont inhérentes au Pouvoir Temporel quand la Royauté ne poursuit que ses seuls intérêts, quand la moitié féminine de l'Administration affirme son indépendance, quand le Pouvoir prétend régner sans tenir compte de la Justice, quand la « femme » réclame ses «

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droits », ces potentialités mortelles deviennent réalité ; comme la famille et la maison, le roi et le royaume sont détruits et le désordre (anrla) prévaut » (A.S.P.T., p. 104). Lorsque, notamment, se vérifie la présence des conditions indiquées dans la note précédente, c'est-à-dire quand une femme, pour une raison quelconque, occupe la place de l'autorité la plus élevée dans une organisation initiatique musulmane, elle se trouve ainsi exercer un rôle illégitime allant au-delà de ses limites naturelles ; et par conséquent, on peut parfaitement comprendre que les mesures prises par cette autorité illégitime contre ceux qui s'opposent à cette irrégularité, ne peuvent avoir aucune valeur, sinon sur le plan pratique et contingent. En effet, dans un cas comme celui-ci, la situation même d'irrégularité qui est à la source, empêche qu'un individu devenu ainsi une autorité illégitime, soit le véhicule des influences spirituelles qui déterminent le rattachement ou l'éloignement de la chaîne initiatique. De surcroît, ces mêmes mesures représenteront un acte d' « injustice », puisqu'elles sont dirigées vers ceux qui s'opposent à une illégalité, et elles ne pourront, de ce fait également, avoir la « caution » d'aucune influence spirituelle : elles sortent des conditions exigées pour qu'une autorité bénéficie de l’ « infaillibilité traditionnelle ». Ceux qui seraient frappés par de tels abus, pourraient certes en ressentir les conséquences sur le plan individuel, mais leurs possibilités sur le plan spirituel n'en seraient pas amoindries pour autant, pas plus que celles liées aux fonctions qu'ils auraient pu être appelés à exercer antérieurement, lesquelles, dans la pire des hypothèses, c'est-à-dire dans le cas d'une impossibilité matérielle à poursuivre leur exercice, demeureraient provisoirement à l'état potentiel de faculté, à moins qu'elles ne se concrétisent ailleurs dans un « milieu » plus conforme : « Certes, ma terre est grande... » (Inna ardy wâsi’atân; Cor. XXIX, 56). Sur un plan pratique, et pour envisager tous les cas de figure, il en serait de même si une autorité régulière extérieure, manipulée de fait par cette autorité illégitime, avait servi de couverture à des actes irréguliers de celte nature ; car il manquerait alors l’ « autonomie » requise, définie ainsi par A.K. Coomaraswamy ; « Qu'entendons-nous par « autonomie » ? Dans de cas d'un roi, c'est commander et non se laisser diriger pur la multitude de ceux qui doivent rester ses vassaux et ses sujets ; au foyer, c'est diriger et ne pas se laisser mener par sa propre famille ; et en soi, c'est diriger ses désirs et ne pas leur permettre de guider notre conduite » (A.S.P.T., p. 116). Pareillement, l'anomalie d'une telle situation subsisterait dans le cas où ces mesures seraient délibérées par une communauté d'individus, même initiés, dès lors que le consentement général (l'ijmâ) serait obtenu en éliminant ceux qui sont défavorables à la décision, ou en ne faisant pas participer intentionnellement certains membres de la communauté. Dans tous ces cas de figure, les vices de forme, indépendamment de l'irrégularité de fond, apparaissent clairement, et c'est pourquoi mieux valait développer jusqu'au bout cette question. Si nous nous sommes arrêté sur ce cas particulier, c'est pour bien monter combien la confusion des rôles et des devoirs spécifiques à chacun des deux sexes de l'espèce humaine, rôles et devoirs qui sont, par la correspondance nécessaire des divers plans de manifestation, l'expression de réalités métaphysiques et cosmologiques supérieures, ne peut qu'aboutir au désordre, et à terme, à un processus de dégradation. Il n'est possible de remédier à cela qu'en se référant constamment aux principes

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doctrinaux communs à toutes les traditions, même s'ils sont exprimés parfois sous des formes différentes. Dans la traduction d'une autre partie de l'oeuvre d'ibn Arabi, nous aurons aussi l'occasion, à travers quelques notes, d'étudier en ce qui concerne plus particulièrement l'homme, le danger qui existe pour lui d'outrepasser ses propres limites en empiétant sur les domaines réservés de la femme. On peut comprendre en effet que, quel que soit le niveau envisagé, qu'il s'agisse du plan individuel, du milieu des organisations initiatiques, ou celui de la famille, il puisse y avoir de la part de l'homme, un vice d’attitude qui conduise à un « envahissement » du domaine féminin, comparable en cela aux excès dénoncés par Dante jadis, et concernant l'usage direct du pouvoir temporel que voulut faire l'Eglise dans les siècles passés, provoquant ainsi le désordre avec la « révolte des Kshatriyas » de Philippe le Bel.

Sache, ensuite, que la position de la femme par rapport à celle de l'homme, à l'origine de l'existence, est comme la position de la matrice (Râhim) par rapport au Miséricordieux (Rahmân) (Er-Rahmân est un nom divin qui implique la faculté de faire exister les choses) ; donc elle (la femme) dérive de lui (l'homme) et elle s'est manifestée à la ressemblance de sa forme.

Il est dit dans certains récits, qu'Allâh a créé Adam à la ressemblance du Miséricordieux, et il est démontré que notre matrice (Râhim) se conforme au Miséricordieux ; notre position au regard du Miséricordieux est comme la position d'Eve au regard d'Adam : elle (Eve), est le lieu de la filiation et de la manifestation des enfants.

Analogiquement, nous sommes le lieu de la manifestation des actes, car, même si l'acte est d'Allâh, il n'est manifesté que par nos actions, et ne se montre pas dans le monde sensible, excepté par nous. Si nous n'étions pas dérivés du Miséricordieux, ce rapport divin — qui d'un côté est constitué par notre dépendance vis-à-vis de Lui, et d'un autre par le fait qu'un souverain est lié à son peuple (littéralement : le souverain d'un peuple est à celui-ci) —, ne serait pas possible (6).

Notre dépendance de Lui (Allâh) est la dépendance de la partie vis-à-vis du tout, et s'il n'y avait pas un tel rapport, la Puissance divine et son Indépendance absolue n'aurait aucune relation avec nous. Par cette relation, nous devenons le lieu ou elle (la Puissance divine) est mise en évidence, son essence ne se voit qu'en nous et en vertu de notre création à la ressemblance divine (Min aç-çurati al-ilâhiyati) (7) ; ainsi, il nous a été attribué tous les noms divins. Il n'y a aucun nom divin dont nous n'ayons une part, et rien ne peut arriver sinon le juste (le voulu) de la cause première (Hukmuhu fi-l-açl).

(6) Tout un approfondissement de ces rapports entre le Principe el les êtres, voir les Symboles fondamentaux de la science sacrée, chap. LXXV, « La Cité divine », p.462). (7) Si l'on rapproche l'affirmation précédente selon laquelle notre position au regard du Miséricordieux (Rahmân) est semblable à celle d'Eve vis-à-vis d'Adam, avec la

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déclaration présente d'après laquelle « son essence (de la puissance divine) ne se voit qu'en nous et en vertu de notre création... », le parallélisme ainsi établi peut amener quelques remarques. En effet, il en résulte que normalement, l'homme manifeste son intériorité à travers la relation avec la femme, et que c'est cette dernière qui la met en évidence ; c'est-à-dire que dans le mariage, la femme reflète l'expression de la Nafs de l'homme, dans le bien et dans le mal, et en manifeste ses secrets. Il découle de cette perspective, que, de la même façon que Dieu, en tant que « non-existant » (exstare), n'existerait pas sans la manifestation, de même l'homme ne pourrait manifester les attributs masculins (au sens intérieur) sans le support et la complémentarité de la femme, d'où la sentence : « Le mariage est la moitié de l'Islam ». D'un autre côté, la femme n'est pas en mesure de manifester ses potentialités et de les transformer en « acte », sans l'intervention et l'influence de l'homme, et cette transformation s'effectue aussi en fonction des prédispositions de la « matrice », de la même façon que des champs dissemblables ensemencés par la même semence, donnent des fruits de qualité inégale, bien qu'ayant pourtant tous pour origine la même graine (Le Symbolisme de la Croix, chap. VI, p. 46). Par ailleurs, bien que les relations matrimoniales entre l'homme et la femme soient évidemment tout à fait privilégiées et les plus complètes, on ne doit cependant pas limiter la question des rapports entre l'un et l'autre à cette seule catégorie, En effet, il est facile de concevoir que cette relation réciproque (au sens intérieur) entre homme et femme, peut parfaitement être cultivée sous d'autres régimes, tels que le mode paternel par exemple, fraternel, ou encore tutélaire, et il est bien connu qu'en Islam, une femme passe toujours sa vie sous la protection d'un homme ; ne peuvent faire exception à cette condition nécessaire, que celles qui ont atteint un degré de réalisation proche de l' « état primordial » (Maqâm al-amr), celui même que cite Dante dans la Divine Comédie, et à propos duquel Virgile confirme par ces mots à son disciple qu'il a acquis l'autonomie : « Per ch’io te sovra te corono et mitrio » (« C'est pourquoi sur toi je te couronne et sur toi je pose la mitre »; Purg., XXVII, 142). Cette « protection » masculine, quoique réelle, n'est pas du tout ressentie par la femme traditionnelle musulmane comme une « privation » de liberté ; en réalité, c'est plutôt elle qui dissimule sa complète conformité à sa propre nature, sous l'aspect d'une parfaite soumission et fidélité a son conjoint vivant ou mort. Ces brèves remarques seront aussi susceptibles de faire comprendre, quoique cette question mériterait bien d'autres développements, les raisons profondes du sacrifice par le feu de la sâti indienne. Il a été rapporté, par ailleurs, que dans un autre contexte concernant une tarîqah située en Orient, à la mort du Maître, Sheikh al-tarbîyah estimé et vénéré, son épouse prétendit, sans être en mesure de justifier de sa qualité et en l'absence de dispositions de la part du Maître, faire partie des « pôles » (min al-aqtab). Ceci eut naturellement pour conséquence de créer une série de difficultés, de troubles et de divisions au sein de cette tariqah, mais, indépendamment de la valeur et du caractère de cette prétention, ce cas reste toutefois un exemple pouvant fournir l'occasion de quelques ultimes remarques. En effet, si l'on écarte naturellement l'hypothèse que l'erreur puisse provenir d'une maladresse du Maître, puisque aucune disposition précise de

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celui-ci ne valait a cet égard, et qu'il était de plus estimé fort justement pour sa parfaite sagesse et sa totale conformité à la tradition, expression d'un certain degré de réalisation, on se retrouve dans l'obligation de reporter son attention vers l'épouse, ou plutôt, pour en revenir au symbolisme dont il a été question, vers le terrain où a été déposé le germe. Il serait naturellement absurde de considérer l'épouse comme conforme en rien à son époux, puisque ce fait même aurait impliqué la répudiation durant la vie du Maître ; mais on peut émettre l'hypothèse, que le point de départ de la confusion conceptuelle commise par la femme, puisse plutôt résider dans quelque impureté ou autres imperfections du terrain ensemencé par le germe ; un terrain qui a dû cependant avoir un certain degré de fertilité pour assurer un début de germination, car il n'aurait pu sans cela servir de plan de réflexion et être complémentaire à la fonction masculine de l'époux (Cf. Le Symbolisme de la Croix, chap. VI). Enfin, on a maintenant suffisamment parlé de cette correspondance complémentaire entre l'homme et la femme, pour comprendre qu'un rapport de ce type peut parfaitement aussi être transposé analogiquement au niveau du Maître et du disciple ; en effet, toutes les considérations qui précèdent dans cette étude sur les divers aspects de ce complémentarisme. et sans doute bien d'autres encore qui pourraient venir compléter utilement ces quelques remarques sur la place traditionnelle de la femme par rapport a l'homme, y compris sur sa nécessaire fidélité, ne sont pas exclusives d'être adaptées à la relation entre Maître et disciple, où, à l'égard de la fidélité, vaut la formule : « Le Maître élit (choisit) et n'est pas élu (choisi) » (Esh-Sheikh yuwajjih wa la yatawajjah).

* * *

Le Prophète a dit – sur lui le salut et la paix –, ce nom qui se trouve dans toutes les parties de l'homme, fait que lorsqu'un membre (une partie) souffre, le reste du corps vient à son aide par la fièvre. Si la présence d'une douleur en un point particulier provoque la fièvre dans le reste de l'organisme, qui est ainsi tout endolori par la douleur de la partie, figurons-nous ce qu'il en est du mental (An nâfsu-n-nâtiqah) qui a le pouvoir dans ce domaine (Sultâna hadhi-l-baladi al Amin) ? Dans ce cas, l'âme animale (An nafsu-l-Hayawanyiah) transporte la fièvre, et il en est subitement du mental (An nâfsu-n-nâtiqah) comme d'un souverain qui sent vaciller l'état sur lequel il règne, et qui s'en préoccupe. Ne vois-tu pas qu'Allâh – gloire à Lui, est décrit avec le visage de la colère, celui de la miséricorde, et une attitude portée à considérer les actes justes et à exaucer les demandes ? Il a rendu tout cela dépendant des causes que nous provoquons.

Ainsi, lorsque nous Lui désobéissons de façon évidente, nous Le mettons en colère, et lorsque nous disons des paroles qui Lui plaisent, Lui est satisfait de nous. Comme a dit le Prophète – sur lui le salut et la paix –, nous ne devrions dire que ce qui plaît à notre Seigneur. Lorsque nous nous repentons, c'est par désir d'être accueillis auprès de Lui, et si ce n'était pour nos méfaits, Il n'aurait pas châtié et n'aurait pas pardonné.

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Tout cela sert et renforce le rapport (avec Lui) et augmente la trace de la cause (première) ; en fait, nous sommes les enfants des causes qui ont une seule mère et beaucoup de pères. Par déduction et non par vision directe, Il est la cause première (8).

Précédant (donc) ce que nous avons dit, il a confirmé ce rapport par ses paroles : « Celui qui unit, Allâh l'unit, celui qui divise Allâh le divise ». Regarde comme est merveilleuse cette loi qui consiste de la part du Miséricordieux (Ar-Rahmân) dans l'acte de séparer, puis de nous rendre la félicité et Sa proximité en fonction de nos actes tendant à réunir ce que Lui avait séparé (9).

(8) A travers les observations précédentes sur le « serviteur » qui dépend du Principe comme la partie du tout, et cette dernière remarque sur la participation des noms ou attributs divins aux natures individuelles, et à travers aussi la référence à la colère et à la satisfaction divines, se profile la complexité des rapports du centre avec la périphérie et de la périphérie avec le centre, qui est à la base de la conception de l'unicité de l'existence (wâhdati-l-wujûd) Cf. René Guénon, Les États Multiples de l'Être, chap IV, et Le Symbolisme de la Croix, chap. I.(9) L'attribut de Rahmân, rapporté au Principe, n'a pas toujours été autant développé et expliqué sous l'aspect de générateur de la manifestation, que ne le fait ici Ibn Arabi. Néanmoins, Abd al Karîm Al Jîlî traitant de la Rahmâniyah divine dans son célèbre traité Al-Insân al-kâmil (L'Homme Universel), dit que l'Attribut dont il parle « tient pour ainsi dire le milieu entre ce qui se rapporte exclusivement à l'Essence divine, comme le Nom de l'Essence, et ce qui a une face tournée vers les créatures » (p. 52), expliquant plus loin : « La première miséricorde que Dieu eut pour les existences fut la manifestation du monde de Lui-même » (p. 54). On ne peut donc pas ne pas voir une analogie entre cet attribut et Prajâpati ou « Seigneur des êtres produits », lesquels sont tous sortis de lui-même et doivent par conséquent, en un certain sens, être regardés comme sa « progéniture » (Cf. Symboles fondamentaux de la Science Sacrée, chap. XLVI, p. 302).

La forme est un lieu de contrastes (oppositions), mais en elle il y a la Proximité divine, de sorte qu’il y a aussi pour nous (dans la forme) le moyen d’arriver a Lui, et cela est comme le retour de l’étranger auprès des siens (10).

(10). A ce sujet, voir plus loin la note 8.

Rien ne peut ressembler à l’« Œuvre Divine » ; en effet Il a dit : « Rien n’est semblable a Lui ».

Quand nous effectuons une division, nous L’imitons dans Son acte de diviser (manifester) ; en effet, Il a créé tout ce qui est dérivé à travers l’attribut de Rahmân (qui s’est divisé dans tous les êtres existants) par lequel celui qui divise s’efforce de Lui ressembler, mais, conformément à un principe (bien connu) « Il n’est égal a rien et rien ne peut L’égaler ». Allah a averti que celui qui divise sera éloigné de Sa

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Miséricorde, mais non pas de Lui, et Il nous a ordonné de rassembler, ce qui consiste à réunir la partie au tout. En effet, Il a dit : « A Lui retournent toutes les choses, adore-le, et remets-toi a Lui, ton Seigneur n’est pas inattentif a ce que vous faites ».

Il t’a confié les œuvres et S’est attribué un rôle d’observateur et de témoin attentif de fidèle mémoire. Ceci pour te donner un exemple à suivre dans ta charge ; en conséquence, ne sois pas inattentif et n’oublie pas. En effet, un tel comportement t’est indispensable pour ta (pauvreté) dépendance (de Lui), alors que Lui est indépendant (riche) par rapport à toi.

Puisque Eve dérive d’Adam, il y a entre eux un rapport de tendresse et de miséricorde semblable à celui qui existe entre le rahim (lieu où les choses prennent leur existence — la "matrice"), et le rahmân (celui qui donne l’existence aux choses), entre lesquels il y a (également) un rapport tendre et miséricordieux ; néanmoins, Il t’a ordonné d’unir ce qu’Il a divisé, afin que l’acte de diviser Lui soit réservé et que celui d’unir te soit réservé (11). En cela, il y a pour toi une chance qui t’ennoblit par rapport au reste du monde. En effet, ce rapport tendre qui se retrouve chez les conjoints, se manifeste aussi dans les relations conjugales (sexuelles) qui impliquent (comme conséquence) les enfants. Ainsi, la miséricorde qui se manifeste (entre les conjoints), consiste en de la tendresse pour le compagnon et en une nostalgie de lui qui est apaisée par sa présence.

(11) Il s’agit ici de l’essence même du sacrifice, sujet qui a été développé par René Guenon en divers endroits de son œuvre, et en particulier dans son article « Rassembler ce qui est épars » (Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. XLVI). On peut voir aussi à ce propos « Atmayajna ~ Le sacrifice de soi » (A.K. Coomaraswamy, La Doctrine du Sacrifice).De même que la multiplicité est alimentée par le sacrifice de Prajâpati, qui se manifeste à travers tous les êtres produits en perdant son unité, de même il incombe a l‘être individuel qui suit la voie initiatique, l‘obligation de sacrifier sa propre unité relative et individuelle, pour reconstituer, par réciprocité, l’unité de Prajâpati auquel il s‘identifie lui-même.Il est intéressant de remarquer que le conseil traditionnel qui recommande de ne pas diviser la communauté des croyants et des initiés, auquel fait également allusion le Sheikh Tâdilî – « ne divisez pas l’ensemble des groupes des initiés, même si eux-mêmes le faisaient ! Car la division est un égarement qui entraîne inévitablement les innovations hétérodoxes, qui disperse les cœurs et détruit les résultats de l’amour » (Cf. La vie traditionnelle c'est la sincérité, p. 24) —, il est intéressant donc, de remarquer que ce conseil trouve là une explication métaphysique, en ce sens que l’individu, en divisant, accomplit un « geste » en quelque sorte inverse par rapport a son rôle dans la manifestation. Et cela ne peut avoir que des répercussions négatives sur son évolution, étant donné qu’il s‘est ainsi éloigné de la Miséricorde divine.Au fond, un bon nombre de divisions naissent simplement de l’incapacité d’accepter d’autres perspectives ou d’autres comportements, qui la plupart du temps ne sont pas forcement plus mauvais au point de vue traditionnel, mais présentent seulement la

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particularité d’être différents. En fait, dans la voie initiatique mais aussi dans la vie sociale et traditionnelle, la volonté de sacrifice de sa propre individualité est beaucoup moins implicite qu’on pourrait le penser. Ainsi, on peut très bien parvenir a l'accomplissement formel des devoirs traditionnels et même des devoirs initiatiques, qui consistent aussi en des invocations (dhikr) des attributs divins essentiels, tout en niant de fait ensuite, à travers des « gestes » ou des comportements, Celui que l'on a affirmé d’abord « rituellement ».

Pour ce qui concerne la femme, il s’agit de la nostalgie de la partie pour le tout, du rameau pour sa souche ou de l’étranger pour sa patrie. Quant à ce qui se rapporte à la nostalgie de l’homme, il s’agit de la nostalgie du tout pour la partie, puisque c’est seulement ainsi qu’il peut (véritablement) être appelé « tout » ; sans la partie, on ne peut réaliser le nom du « tout » (12).

(12). Pour tout ce qui concerne les rapports affectueux entre l'homme et la femme, voir le chapitre consacré à la Sagesse Divine dans le Verbe de Mohammed (Ibn Arabi, Fuçûç al-Hikam - La sagesse des Prophètes).

La nostalgie de l’origine (la souche) pour le rameau existe puisque la souche alimente le rameau ; s’il n’y avait pas celui-ci (le rameau), la faculté d’alimenter (rabbânyatu-l-imdad) ne se réaliserait pas ; de même que s’il n’y avait pas l’univers, il n’aurait pas été possible qu’Il (Allah) soit Seigneur, le monde lui est nécessaire afin qu’I1 ne cesse de réaliser (en acte) Sa Seigneurie.

Les existences concrètes (les êtres manifestés) ne cessent de se tourner vers Lui, endossant le vêtement de la dépendance (bi-iftiqar) pour avoir en don le Nom (l’attribut) de l’existence, et Lui ne cesse de se tourner vers les êtres manifestés, les tirant à Lui en vertu de Sa Miséricorde (attraction du Ciel). Il ne cesse d’être Seigneur — Gloire a Lui et qu’Il soit exalté —, aussi bien dans l’état ou nous ne sommes pas manifestés que dans l’état où nous sommes manifestés (fi hali ‘adamina wa fi hali wujudina) ; nous sommes les possibilités qui sont rendues nécessaires par Lui (la imkanu lana ka-l-wujubi lahu).

Vers :

— Si tu penses, réalise avec ton intellect combien notre origine est le lieu de la négation d’une négation (consistant dans l’illusion de l’existence indépendante des individualités), et celui de l'affirmation de ce qui est déjà affirme (Principe).— Parmi les choses merveilleuses il y a le fait que Je ne cesse d’être éternel, et cela malgré que Je sois actuel.— Ton Seigneur était et rien n’était en dehors de Lui, ni précédant ni suivant.

Le tout recherche la partie et la partie son tout avec tendresse et miséricorde, par lesquelles ils sont unis (la partie et le tout) et de cette union est née l’essence des enfants. L’attribut de géniteurs est donc devenu juste pour eux, et l’existence des

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enfants leur a conféré le statut de géniteurs qu’ils ne possédaient pas auparavant, c’est-a-dire la paternité (ou la maternité). Ceci ne se produit pas pour le Seigneur qui ne cesse jamais d’être tel. C’est parce que toute chose possible de l’océan des possibilités (divines), qu’elle soit manifestée ou qu’el1e ne le soit pas, ne cesse jamais de posséder Ses propriétés ; en effet, il Lui est donné de contempler toute chose possible même lorsqu’elle se trouve en l’état de non-manifestation.

C’est une règle générale et éternelle que les possibilités soient en l’état de non-manifestation (al-adami) avant de se manifester (wujûdahu). Toute possibilité ne cesse d’être subordonnée à la Seigneurie du Principe, même si elle n’est pas manifestée. En cela réside la différence entre ce qui concerne Allâh et ce qui concerne le serviteur. En effet, ce dernier n’acquiert le titre et le degré de géniteur que lorsque intervient l’existence (la naissance) de l’enfant ; il y a donc égalité entre l’homme et la femme en tant qu’ils sont susceptibles de devenir géniteurs.— Il y a d’autres cas ou il y a égalité entre les femmes et les hommes, et même, dans certaines occasions, la femme occupe la place de deux hommes : on sait qu’un juge n’émet la sentence que sur la base du témoignage de deux hommes ; toutefois, la femme peut ici tenir la place de deux hommes. Ceci est le cas lorsque le juge accepte les paroles de la femme au sujet de la fin des menstruations de l'Iddah (13) ; c’est encore le cas lorsque le mari, en présence d’une incertitude, accepte de la femme l’affirmation que l’enfant est le sien (du mari), ou également lorsqu’il accepte ses dires attestant qu’elle se trouve en période de menstruation. Ainsi, dans tous ces cas la femme tient la place de deux témoins véritables, de la même façon que l’homme tient la place de deux femmes dans les questions traditionnelles. Ils se compensent réciproquement à travers leurs statuts.

(13). Par le terme Iddah, on entend la période de retraite obligatoire de la femme musulmane à la suite d'une répudiation, d'une séparation ou de la perte du mari. Durant cette période, il n'est pas permis à la femme de se remarier ; en effet, en laissant passer, selon le cas, deux ou trois périodes menstruelles, il est possible de vérifier s la femme n'est pas dans l'attente d'un enfant, et le cas échéant de savoir à qui doit en être attribuée la paternité. (La Risâlah, chap. XXXIII, p. 195).

Vers :— le plus tient la place du moins,— Le moins tient la place du plus (14).—— Il réduit en poussière qui Il veut ;— Il rend éthéré (pur) qui Il veut.

Si ce n’était pour la perfection des formes, le Califat (15) ne se réaliserait pas. Celui qui le demande peut en être chargé, mais celui qui le reçoit sans l’avoir demandé est aidé. Celui qui demande la charge est quelqu’un qui a la prétention de l’exercer en conformité. Celui à qui il est demandé d’occuper la charge est libre de son poids, et une telle confiance (pour le Califat) est un poids grave dans le Ciel et sur la Terre.

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Celui qui a des prétentions sera éprouvé, quel qu’il soit, sans exception : il sera éprouve précisément dans le domaine où il se vante de ses prétentions.

(14). Il se trouve ici une allusion au principe de l'analogie inverse, qui a été évoqué par René Guénon en diverses circonstances : « Ce qui est le premier ou le plus grand dans l'ordre principiel est, du moins en apparence, le dernier ou le petit dans l'ordre de la manifestation » (Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. LXXIII, « Le grain de sénevé », p. 437).(15) Pour mieux comprendre ce passage, il convient de se souvenir que dans son propre plan d'existence, l'homme a une position semblable à celle de ar-Râhman par rapport à la matrice (rahim). Par cette attribution à l'homme d'une forme dérivée du Principe (Min aç-çûrati-l-Ilâhiati), et par l'analogie existant entre le microcosme et le macrocosme, la conception même de l' "Homme Universel" est possible. Comme le remarque René Guénon, « c'est cette forme totale de l' "Homme Universel" que Dieu ordonna aux anges d'adorer » (Le Symbolisme de la Croix, chap. VI. p. 44, note 6).

Les paroles : « Paix sur lui au jour de sa naissance, au jour de sa mort et au jour où il ressuscitera à la vie », sont un témoignage divin assuré, et ceci est la station de celui qui a reçu le Califat sans l’avoir demandé et la protection sans y prétendre. Les paroles « Paix sur moi au jour de ma naissance, au jour de ma mort et au jour de mon retour a la vie », seraient une invocation soumise à l’épreuve, quoique dans le cas présent celle-ci serait rendue impossible en raison de l’état d’enfance (de Jésus) où les ressources intellectuelles font encore défaut. De fait, son état (de Jésus) est le même que celui de Jean, et c’est là un argument décisif. Ceci naturellement dans l’hypothèse où il parle sans comprendre ce qu’il dit : si inversement il comprend ce qu’il dit, alors il est en possession des facultés intellectuelles et ses moyens se sont développés en conséquence ; il s’agit alors de la perspective habituelle des gens d’un cas exceptionnel.

S’il lui avait été ordonné de dire ce qu’il a prononcé, alors lui (Jésus) a annoncé ce qui lui avait été donné par Allah et qu’il devait communiquer ; donc ce n’est pas quelqu’un qui a des prétentions et qui recherche la gloire. L’Envoyé d’Allah — sur lui le salut et la paix —, a dit également « Je suis le Seigneur (Sayid) des fils d’Adam sans vanité (qui est l’ostentation du faux). Mais il l’annonce par ordre divin, et un tel être n’est pas mis à l’épreuve ni examine car il s’agit de quelqu’un qui ne prétend rien (16).

(16) Les mots entre guillemets sont des citations coraniques, où sont rapportées des paroles de Jésus alors qu'il se trouvait encore au berceau (Coran XIX, 33). Non seulement Ibn Arabi affirme que ces paroles ont été proférées par la volonté d'Allâh et non par celle de Jésus, qui n’a pas ainsi désiré le mandat divin, mais encore il précise que si cela s’est produit en brisant les règles normales, il s’est agit alors d’un événement exceptionnel, c’est-a-dire d’un miracle.

Tous ces états (qui concernent celui qui reçoit un mandat divin), sont communs aux

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femmes et aux hommes, qui partagent tous les degrés jusqu’à celui de Pôle.

La sentence de l’Envoyé — sur lui le salut et la paix —, ne peut te tromper : « Ceux qui confient leurs affaires à une femme, n’auront pas de succès », puisque nous faisons référence au mandat d’A1lâh et non au mandat donné par les hommes (17). Les paroles du Prophète concernent celui qui est nommé par les hommes. Si nous avions reçu seulement les paroles du Prophète — sur lui le salut et la paix —, affirmant: « Les femmes sont 1’autre moitié des hommes », cela aurait déjà été suffisant.

(17) Ce passage a déjà été évoqué dans une note précédente, à propos des remarques d‘Ibn Arabi sur les raisons pour lesquelles la sphère de compétence des fonctions traditionnelles de la femme, ne pouvait s’étendre d’une part jusqu’à la charge de Prophète légiférant ou de Prophète revivificateur, et d’autre part à celle de Sheilkh at-tarbyah au sens complet du terme.Il pourrait paraître étrange qu‘un être qui assume la fonction de Pôle et donc de lieutenant du Prophète, soit ensuite soumis à des limitations pour l’exercice d’une fonction de niveau inférieur comme celle de Sheikh at-tarbyah. Afin d’éviter à cet égard des malentendus, il est opportun de préciser tout d’abord que s’agissant d’« investitures divines », elles s’actualisent seulement chez les êtres qui ont au moins atteint un degré de réalisation équivalant au Maqam-l-amr, c‘est-a-dire chez ceux qui ont accompli la régénération psychique, et qui sont en mesure d’entrer directement en relation avec les hiérarchies spirituelles. En particulier pour ce qui concerne le Pôle de l’époque (Qutb-az-zaman), Ibn Arabi précise qu’il est choisi parmi les Afrad qui se trouvent dans la même station que les anges « chérubins », et qui ont perdu toute identité par la contemplation de la Majesté divine (Ibn Arabi, Al-Insân al-Kâmil). Il est à remarquer qu’Ibn Arabi utilise spécialement le mot « degré » (martabah) qui appartient à la racine même (rataba) dont dérive aussi Tartibût tacawwuf (« les catégories de l’initiation »), que René Guenon fait correspondre aux hiérarchies spirituelles qu’il définit ainsi : « par « hiérarchies spirituelles », nous ne pouvons entendre proprement rien d’autre que l’ensemble des états de l’être qui sont supérieurs à l’individualité humaine, et plus spécialement des états informels ou supra-individuels » (Les États Multiples de l’Être, chap. XIII, p. 78 et p. 80, note 8). Il n’est pas douteux qu’il s’agit ici de degrés (et de fonctions correspondantes) qui ne concernent plus seulement le chemin initiatique précédant le degré de l’« homme primordial », mais qui dépassent ce stade de réalisation. « D’une façon plus générale, explique René Guenon dans une autre partie de son œuvre, et à tous les niveaux des hiérarchies spirituelles, qui ne sont pas autre chose que les hiérarchies initiatiques effectives, c’est seulement à travers le degré qui lui est immédiatement supérieur que chaque degré peut percevoir tout ce qui est au-dessus de lui indistinctement et en recevoir les influences » (La Grande Triade, chap. XVIII, p. 158) il découle de ceci qu’un être de nature féminine qui a été élu à l’un ou l’une des degrés ou fonctions appartenant aux hiérarchies spirituelles dont il est question ci-dessus, et à moins qu’il ne veuille user des facultés de changement de la forme extérieure féminine comprises

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dans son degré, sera vu par celui qui s’approche d‘une organisation initiatique, et quipar définition doit encore passer le processus de régénération psychique (n’ayant donc à ce stade aucune perception directe et distincte des états spirituels), sera vu disions-nous, à travers sa « trace » dans notre degré d’existence, trace qui consiste en une entité psycho-physique ayant la forme d’une femme, bien que ennoblie par le degré de purification atteint et perceptible de l’extérieur. Évoquant son séjour chez la Sheikhat Nunah Fatimah, Ibn Arabi rapporte que cette femme, âgée cependant de quatre-vingt-dix ans, avait l’apparence, le visage et la grâce d’une jeune fille de quatorze ans ans, au point qu‘il avait honte de la regarder par crainte de substituer au respect du Maître l’attraction de la beauté.Il a été mentionné à diverses reprises, dans le texte d'Ibn Arabi, et on verra que cette question sera développée par lui ultérieurement, que dans notre plan d'existence, « la femme représente la partie et l'homme le tout », qu'elle « est du côté de la nature (at-tab'iah) et l'homme du côté de l'ordre divin (al-amr) », que par cette assignation particulière qui consiste dans sa faculté de déposer la graine, « l'homme est supérieur à la femme et c'est pourquoi celle-ci est inférieure en intelligence par rapport à l'homme », ou que « la femme est caractérisée par une infériorité dans les questions traditionnelles ». Par conséquent, si un aspirant à l'initiation formulait le pacte entre les mains d'une femme, il y aurait là une contradiction incompatible avec la nature du « geste » accompli ; en effet, une « élection » qui doit nécessairement venir d'en haut, serait accomplie dans notre degré d'existence par une entité psycho-physique, cela d'une femme, qui est, au point de vue traditionnel, inférieure dans l'échelle hiérarchique. Cette anomalie ne serait pas seulement due à l'incapacité normale de l'aspirant d'aller au-delà de la « trace » laissé dans notre plan d'existence par un « réalisé », mais elle proviendrait surtout de la forme féminine qui est inadaptée à représenter symboliquement la supériorité hiérarchique. Il n'est certainement pas indiqué, pour la validité et la propriété du « geste », que soient employés dans un contexte traditionnel des symboles inversés. On pourrait rappeler opportunément que dans la tradition hindoue, la transmission de l'initiation est effectuée par les hommes, tandis que les femmes, lorsqu'elles se marient avec un représentant des trois premières castes (dwija), sont autorisées à porter un signe rouge sur le front (troisième œil), symbole de l'initiation induite par le mariage.Pour exprimer la même chose en terme guénonien, il est possible de dire que dans notre degré d'existence, la femme représente un axe horizontal (ou un plan de réflexion), et l'homme un axe vertical. En ce sens, l'homme apparaît comme la projection dans notre plan de l'axe vertical (absolu et non pas relatif) qui unit les degrés indéfinis d'existence ; la « forme » même de l'homme exprime symboliquement la verticalité relative de son état comme la « forme » de la femme manifeste symboliquement l'horizontalité du sien. Si l'on se reporte de nouveau à la tradition hindoue, il est intéressant de remarquer que dans les temples dédiés à Shiva, le sacrifice (puja) est accompli en aspergeant et décorant la forme verticale symbolisée par le linga, et que ce sacrifice est rigoureusement réservé aux hommes (brahmanes), qui l'exécutent au nom de ceux qui le demandent.L'activité du Ciel, qui gouverne les processus initiatique et qui agit le long de l' « Axe du monde » peut, dans certaines conditions, se projeter dans notre monde en prenant

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également comme support symbolique la verticalité de l'homme, mais ne peut pas prendre pour support de ce type d'horizontalité de la femme puisque son symbolisme n'est pas vertical mais horizontal, et que par conséquent elle ne peut pas non plus représenter la verticalité absolue (Le Symbolisme de la Croix, chap. VI).Cette nature verticale de l'homme et celle horizontale de la femme permettent d'expliquer aussi les raisons pour lesquelles dans les civilisations traditionnelles, il est concédé à l'homme d'avoir en même temps plusieurs épouses, tandis que l'inverse est interdit aux femmes. pour comprendre cet état de choses, il est suffisant de transposer d'abord métaphysiquement, puis au niveau des applications contingentes, le même symbolisme géométrique selon lequel un axe vertical peut passer simultanément par le centre de multiples plans, alors qu'un plan ne peut avoir qu'un seul axe vraiment vertical qui passe par son centre.Dans le cas d'une femme ayant atteint un degré élevé de réalisation (au delà de l'état primordial), il n'est plus question de représenter symboliquement la verticalité, puisque cette femme (la forme féminine est ici employée seulement pour indiquer l'état d'où est part le processus de réalisation) s'étant placée désormais en un point de l'axe vertical, possède donc une verticalité effective, et non pas symbolique comme chez l'homme ordinaire. Toutefois, cette verticalité tant en dehors de l'horizon habituel, elle ne pourra être reconnue que par celui qui se trouve également le long de l'axe, ou tout au moins au point central du plan ; pour tous les autres, la représentation de cet être sur notre plan d'existence continuera d'avoir un aspect horizontal et féminin, simplement caractérisé dans ce cas par la « perfection » de l'horizontalité qui est celle de la forme féminine ; à moins que cet être, déjà libéré de la forme, ne décide pour accomplir sa mission propre, de prendre un autre aspect. Ibn Arabi mentionne à ce propos qu'un de ses Maîtres spirituels, la Sheikhat Nunah Fatimah dont on a parlé plus haut, servit avec une parfaite soumission pendant plus de quarante ans et jusqu'à sa mort son propre mari, comme en témoignent ceux qui, après avoir été à son service durant quelques temps, atteignirent la même station spirituelle que la sienne.D'après tout ce qui vient d'être rappelé, il s'ensuit qu'un être qui se manifeste sous la forme féminine dans notre degré d'existence, peut, en vertu de son élévation aux états supra-humains, occuper tous les degrés et les fonctions des hiérarchies spirituelles jusqu'à celle de Pôle intérieur (et non de Pôle extérieur, à moins qu'il n'en revête la forme adéquate, comme il en fut dans la tradition islamique du Prophète, d'Abû Bakr, Omar et d'autres cités par Ibn Arabi), mais non la fonction de Sheikh at-tarbiyah qui implique non seulement la formation et l'élévation (rabba) des disciples mais aussi la transmission de l'initiation. A plus forte raison, il est évident que ce qui a été dit sur la "forme féminine" empêche que les fonctions de vicaire d'un Maître puissent être confiées à une femme, puisque ces fonctions, qui n'impliquent pas nécessairement un degré de réalisation, consistent principalement dans la collation du pacte (initiation) par délégation du Maître (Cf. Initiation et Réalisation Spirituelle, p. 191), accordée en vertu de certaines qualités requises et en fonction de la nature individuelle.Il ne pourra pas échapper que de la sorte, le champs de développement des possibilités initiatiques de la femme, par rapport à l'homme, se trouve limité à la fois dans un sens supérieur (impossibilité d'accéder à la fonction de Prophète législateur),

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et dans un sens inférieur (impossibilité de conférer l'initiation directement ou par délégation), de façon tout à fait conforme aux rapprochements faits par Ibn Arabi entre la nature féminine (ar-rahim, matrice), le Nom divin Ar-Rahîm (qui implique la notion de « conserver » et de « développer »), et le rôle symbolique intérieur de la femme dans la famille traditionnelle. Tout un domaine donc, bien différent de celui de l'homme qui, d'un point de vue inférieur, est doté de la possibilité de transmettre l'initiation par délégation et aussi d'une certaine façon e, vertu de sa nature symbolique, et qui d'autre part, peut assumer la fonction de Prophète légiférant en manifestant l'attribut divin Ar-Râhman (qui implique la notion de « faire naître » et de « donner l'existence à toutes les choses ») dans tous les mondes. Ainsi, dans le domaine spirituel comme dans celui de la famille traditionnelle, le rôle de représentant extérieur de l'autorité est confié à l'homme, sans qu'il y ait pour cela, entre la femme et l'homme, une quelconque différence quant aux degrés de réalisation spirituelle qu'il leur est possible d'atteindre.Tout en tenant compte des finalités symboliques particulières, il est curieux de noter que dans une œuvre de grande importance au point de vue initiatique, la Divine Comédie de Dante, le rôle initial dans le parcours du chemin des « petits mystères » soit confié à un guide, Virgile, qui a la forme masculine, le rôle intermédiaire le long du chemin des hiérarchies spirituelles, à un guide féminin, Béatrice, et enfin le rôle final à un homme, saint Bernard. Pourtant, la raison profonde pour laquelle les hiérarchies traditionnelles exotériques sont normalement occupées par les hommes ne devrait échapper à personne. En effet, pour user d'un exemple donné par René Guénon à propos de la tradition chinoise (La Grande Triade, chap. XVIII, p. 154), la hiérarchie confucianiste (exotérique) - (Cheu : le « lettré » ; Hien : le « savant » ; Cheng : le « sage ») -, regarde le Ciel, c'est-à-dire se réfère à la hiérarchie taoïste (ésotérique) - (Tcheen-jen : l' « homme véritable » ; Cheun-jen : l' « homme spirituel ») -, et puisque d'après ce qui a été dit, il convient que dans le cadre des « petits mystères » le guide soit un homme, cela doit être d'autant plus valable pour le domaine exotérique, qui se trouve hiérarchiquement subordonné - et en quelque sorte aussi préordonné -, au chemin des « petits mystères ».Il est d'autre part conforme à un symbolisme maintes fois rappelé par René Guénon, justement à propos de La Divine Comédie de Dante, selon lequel ce qui est le plus haut se reflète au point le plus bas, que la préférence réservé à l'homme au sommet de l'échelle hiérarchique (Rasûl), se retrouve dans la préférence qui lui est réservée dans les devoirs exotériques ou dans le cheminement des « petits mystères ».

* * *

En d'autres termes, les stations, degrés ou attributs auxquels l'homme peut accéder, peuvent être obtenus par celles d'entre elles que choisit Allâh parmi les femmes, exactement comme Il le veut pour les hommes.

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Ne vois-tu pas que le dessein d'Allâh - qu'il soit exalté -, a été de favoriser la femme dans (son) nom par rapport à l'homme ? En effet, l'homme peut être appelé Marâ, alors que la femme est désignée par Marah ; ainsi, à la fin du mot il y a adjonction d'un "h", mais lorsqu'on le lit, il y a un "t" en plus par rapport au nom de Marâ qui est assigné aux hommes. de la sorte, il est réservé à celle-ci, dans cette station, un degré en plus par rapport aux hommes, et cela pour compenser ce qui a été dt (précédemment), à savoir que les hommes ont (dans la société) un degré de plus que les femmes. L'équilibre a donc été rétabli par cette adjonction au nom de Marâ lorsqu'il est décliné au féminin, de la même manière que l'adjectif hubla (enceinte) est porteur de l'alif maqsura, et l'adjectif hamra (rouge) du hamza (18). Si tu objectes que la raison pour laquelle Allâh a exigé, en matière de témoignage, deux femmes pour un seul homme, réside dans la propension (des femmes) à oublier, te basant sur la parole : « si l'une d'elles se trompe, l'autre le lui rappelle », alors il est opportun de tenir compte de ce que précise Allah (Lui-même) - qu'Il soit exalté - :

Il (Allâh) a dit, à propos d'Adam, qu'il a oublié, et le Prophète – sur lui le salut et la paix – , a dit aussi : « Adam a oublié, et il en a été de même pour sa progéniture. » Ainsi, l'oubli des descendants d'Adam découle de son propre oubli, puisque nous descendons de Lui, et qui est adressée au monde. Allâh - qu'Il soit exalté -, dit qu'ils ont oublié Allâh et c'est pour cela qu'Il les a oubliés.

On doit en fait remarquer qu'Allâh décrit l'une des femmes comme tant perplexe à propos de ce dont elle a témoigné, et on pas comme étant en proie à l'oubli ; la perplexité est la moitié de l'oubli et non l'oubli total. Lui-même (Allâh) a rattaché (par contre) l'oubli total à l'homme ; en effet, Il a dt : « (Adam) a oublié et nous n'avons pas trouvé en lui la conviction ». Il est donc possible que l'homme oublie son témoignage (de foi) complètement et ne s'en souvienne plus ensuite. Au contraire, il n'est pas possible qu'une des deux femmes oublie ; l'une d'elles rappellera toujours à l'autre qu'elle s'est trompée dans le témoignage (de foi). Certes, les paroles d'Allâh sont vraiment sans équivoque, puisqu'Il nous précise dans un verset du Coran (19), que l'une rappelle l'autre, et par suite, il est donc nécessaire que l'une des deux ne se trompe pas à propos du témoignage et n'oublie pas. D'après les paroles mêmes d'Allâh, l'une des deux a été décrite comme possédant l'Attribut divin (même) dont parle Moïse dans le Coran : « Mon Seigneur ne se trompe pas et n'oublie pas." »

S'il n'y avait, pour soutenir la noblesse de la féminité, que le seul fait d'attribuer l'essence (dhat) et l'attribut (çifat) à Allâh quand ces mots sont féminins (en arabe), cela serait suffisant, et pourrait même réconforter le cœur d'une femme humiliée par celui d'entre les hommes qui est ignorant en cette matière (20).

(18) Ceci se réfère à des règles grammaticales de la langue arabe, selon lesquelles la déclinaison au féminin d'un adjectif comporte une terminaison différente selon sa racine et sa voyelle finale.(19) Coran., II, 282.

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(20) Ainsi qu'on le verra dans la suite du texte, Ibn Arabi établit une analogie entre l'homme et l'ordre divin (Amr) d'une part, et entre la femme et la nature (tabi'ah) d'autres part ; cette dernière est retenue par Ibn Arabi en tant que substance universelle au sens absolu (Prakriti). À cet égard, René Guénon précise : « Les Eaux, d'une façon générale et au sens le plus étendu, représentent la Possibilité, entendue comme la « perfection passive », ou le principe universel qui, dans l'Être, se détermine comme la « substance » (aspect potentiel de l'Être) » (Les États Multiples de l'Être, chap. XII, p. 74). Il est naturel que la femme, participant de la nature de Prakriti, manifeste par rapport à l'homme un aspect de passivité, et aussi une plus grande présence de l'attribut de « conservation », exactement comme sont contenues et conservées en Prakriti toutes les possibilités de manifestation ; dans ce sens, la femme possède donc une supériorité par rapport à l'homme. Ce principe est également susceptible d'une application plus générale dans le cadre des classes sociales ; ici, comme y fait allusion René Guénon, le rôle plastique ou féminin est assuré par le peuple : « C'est d'ailleurs à ce même peuple qu'est toujours confiée la conservation des vérités d'ordre ésotérique qui autrement risqueraient de se perdre, vérités qu'il est incapable de comprendre, assurément, mais qu'il ne transmet cependant que plus fidèlement » (Initiation et Réalisation Spirituelle, ch. XXVIII, p. 215). À propos de la correspondance entre la femme et la nature, on peut noter une autre relation dont parle René Guénon à propos de la substance : « celle-ci, du fait de l' "inintelligibilité" inhérente à son indistinction ou à son état de pure potentialité, peut être définie proprement comme la racine obscure de toute existence » (La Grande Triade, chap. IV, p. 40). Cet aspect « obscur » et « caché » lié à la potentialité, propre à la substance, se manifeste comme un attribut féminin particulièrement présent chez la femme, et cela, comme on vient de le voir, en vertu précisément de sa correspondance avec la nature. En effet, selon la définition même de René Guénon, par rapport à l'homme, la femme en tant que telle est davantage en « puissance » qu'en « acte » ; ainsi, dans les sociétés traditionnelles, le comportement normal de la femme reflète de façon extérieure ce qui est conforme à sa nature profonde ; c'est le cas notamment de son confinement dans un cadre fermé et protégé, ou encore de son habillement qui dissimule généralement la tête et le visage, et, dans une plus grande proportion que chez l'homme, beaucoup d'autres parties du corps ; une telle façon d'être n'annule en rien chez la femme l'autre tendance liée à sa relative « extériorité » par rapport à l'homme, qui a pour conséquence de manifester particulièrement chez elle les attributs de « beauté » sur le plan extérieur (« la beauté de l'homme est dans on esprit, et l'esprit de la femme est dans sa beauté »). Et c'est précisément ce juste équilibre entre le dévoilement de cette beauté et son occultation, qui est indispensable au déroulement de la fonction de la femme dans le cosmos. Les dommages qui peuvent résulter, dans le monde moderne, de al perte de cet équilibre entre les deux composantes de la nature féminine sont bien trop évidents, mais on peut cependant remarquer que la femme complètement « dévoilée », outre le fait de trahir sa propre féminité, perd aussi la possibilité de représenter symboliquement à son niveau, des principes plus élevés, et donc de constituer, conjointement avec d'autres symboles, ce Liber Mundi qui peut être source d'étude et de réflexion pour ceux qui sont qualifiés, et permettre bien d'autres compréhensions plus profondes du

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« créé » et de l'« Artisan divin ».

Le Législateur nous a interdit de penser à l'Essence d'Allâh, mais il ne nous a pas interdit de parler de l'Unité d'Allâh, et même, il nous l'a imposé par cette parole : « Sache qu'il n'y a pas d'autre dieu en dehors d'Allâh, et demande pardon pour tes erreurs ». Dans ce cas, l'erreur consiste en ce qui passe par le mental chez celui qui réfléchit à l'Unité divine dans ses aspects essentiels (Vérité Suprême), puisque c'est là une connaissance essentielle que l'on ne peut connaître. Il nous a empêchés de penser à cela par l'immensité et la portée de ces choses, et par l'absence de proportion entre ce qui est l'objet de l'étude et les conjectures qui peuvent être établies en partant des indications disponibles. L'Essence ne peut être représentée par une supposition ni comprise par l'intelligence, puisqu'à elle seule (l'Essence) revient la Majesté et l'Immensité (21). Il n'est même pas licite de poser des questions à ce sujet comme l'a fait Pharaon, et d'ailleurs Moïse – sur lui le salut et la paix –, a éludé sa demande ; en effet, lorsqu'une demande est fausse, il n'est pas nécessaire de répondre.

(21) tout ce qui est exposé ici par Ibn Arabi n'a pas qu'une importance conceptuelle, mais se reflète aussi nécessairement dans la « méthode » initiatique ; de son côté, un autre Maître de l'ésotérisme islamique s'exprime également sur le même sujet (De l'Homme Universel, Abd al-Karîm al-Jîlî, pp. 30-31) : « Par "Essence de Dieu" (dâth Allâh) – exalté soit-il ! – on entend Dieu Lui-même, et c'est par cette Aséité (al-huwiyah) divine qu'appartiennent essentiellement les Noms (de perfection) et les Qualité (universelles). On conçoit donc l'Essence à travers toute forme (idéelle) qui découle logiquement d'une des signification qu'Elle implique ; (...) Sache que l'Essence de Dieu le Suprême est le mystère (ghayb) de l'Unité (al-ahadiyah) que tout symbole exprime sous un certain rapport, sans qu'il puisse L'exprimer sous beaucoup d'autres rapports. On ne la conçoit donc pas par quelque allusion (ishârah) conventionnelle ; car on ne comprend une chose qu'en vertu d'une relation, qui lui assigne une position, ou par une négation, donc par son contraire ; or, il n'y a, dans toute l'existence, aucune relation qui « situe » l'Essence, ni aucune assignation qui s'applique à Elle, donc rien qui puisse La nier et rien qui Lui soit contraire. Elle est, pour le langage, comme si Elle n'existait pas, et sous ce rapport Elle se refuse à l'entendement humain. Celui qui parle devient muet devant l'Essence divine, et celui qui est agité devient immobile ; celui qui voit est ébloui. Elle est trop noble pour être conçue par les intelligences... Elle est trop élevée pour que les pensées La saisissent. Son fond primordial (kunh) n'est atteint par aucune sentence de la science, ni par aucun silence qui La tait ; aucune limite, aussi fine et incommensurable soit-elle, ne L'embrasse... ».

S'agissant dans le cas présent d'une séance publique, Moïse parla comme on vient de le dire, et Pharaon pensa que la réponse n'était pas appropriée, car il croyait sa demande bien orientée, et ne savait pas que les questions sur l'Essence du Principe ne rentrent pas dans celles pour lesquelles on use de l'expression « Qu'est-ce que ? » (Ma), mais plutôt dans celles pour lesquelles on utilise « Peut-être ? » (Hal). « Qu'est-ce que » (ma), place la question sur le plan de l'existence de la chose plutôt que sur ce

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qui est demandé ; « Peut-être que » (Hal), vise à reconnaître si la chose est vraie ou non.

Lorsque le Pharaon prit enfin conscience de son erreur, il dit : « Assurément, l'Envoyé qui vous a été donné est fou », ceci afin de donner le change à l'assistance qui ne s'était pas aperçue (de son erreur). S'il n'avait pas su la vérité, Pharaon n'aurait pas dit que Moïse avait été envoyé et qu'il n'était pas venu de sa propre volonté ; en effet, Moïse n'invitait pas le peuple en son nom (mais au nom du Principe). En le dépeignant comme fou, Pharaon a présenté Moïse comme le laissaient paraître les circonstances, c'est-à-dire comme inconnu et incompris de l'assistance. mais Moïse, à la différence des personnes présentes, se rendit compte que Pharaon comprenait réellement les choses, comme s'en rendirent compte les sages et non les ignorants parmi les mages. la compréhension de Pharaon le pénétra sans transparaître à l'extérieur, jusqu'à ce que celui-ci dise : « Je crois en Celui auquel croient les fils d'Israël », sans mentionner le nom d'Allâh afin d'éviter l'équivoque ou le doute. Étant donné que les présents savaient que les fils d'Israel ne croyaient pas à autre chose qu'au Dieu qui état venu à eux à travers Moïse et Aaron, s'il (Pharaon) leur avait dit : « Je crois en Allâh », les assistants auraient pensé qu'il témoignait en sa propre faveur (qu'il se prenait pour Allâh) ; en effet, lui (Pharaon), avait dit aussi qu'il ne reconnaissait pour son peuple aucun Dieu qui ne soit pas lui. Pharaon mit donc ce voile pour couvrir ses paroles.

Cette question (générale de al femme et de l'homme) ne se dévoile pas, et elle n'est pas comprise, excepté par ceux qui connaissent le rang (martabah) de la nature (tabi'ah) vis-à-vis de l'ordre divin (Amr) ; en effet, la femme occupe, par rapport à l'homme, la même station que la nature vis-à-vis de l'ordre divin. La femme est le lieu où se manifeste l'existence concrètes des enfants, de la même manière que dans l'ordre (universel), la nature est le lieu où se manifestent (apparaissent) les essences des corps. Elles (les essences des corps), tirent leur existence de la nature et sont manifestées en vertu de l'ordre, ce qui veut dire qu'il n'y a pas d'ordre (divin) sans la nature, comme il n'y a pas de nature sans ordre. En effet, le Cosmos dépend à la fois de l'un et de l'autre. On ne peut pas dire non plus qu'Allâh peut manifester (faire exister) une chose sans que soit faite (ianfâil) une autre chose, puisqu'Allâh te répond par cette parole : « Certes, lorsque nous voulons une chose, nous lui disons "sois", et elle est ».

Mais la notion générale sur la chose (ash-shaiyiah) doit (forcément) correspondre à la chose spécifique. Comme nous l'avons démontré, ce qui arrive en elle est l'union de deux facteurs : l'ordre divin s'adresse à elle (la substance) pour faire apparaître (donner un aspect à) la chose spécifique dans cette substance (universelle) absolue (Ash-shaiyiah al matlaqah). Ainsi, lorsque apparaissent les corps et les formes concrètes, apparaissent aussi la forme, les modes (conceptuels), les contingences, la force de l'esprit et les éléments subtils (al-hasiyah). On pourrait en quelque sorte dire, et dans le langage de la foi cela est appelé le « nuage obscur » (al 'amâ) (le non-manifesté), que ceci est le Principe précédant la manifestation du manifesté. Il n'y a

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pas d'air (de manifestation) ni au-dessous, ni au-dessus de lui (du nuage obscur). Il l'a donc nommée (la substance, la nature) et lui a appliqué un nom existant et capable de donner la forme et les éléments subtils. Ainsi, nous avons défini le degré de la nature, et celui-ci est la substance universelle au sens absolu.

Du livre de la première union dérive le monde entier, ce qui est le plus haut et ce qui est le plus bas, le dense et le subtil, l'intelligible ou le sensible, toutes les choses, qui, à l'intérieur d'Allâh, possèdent l'attribut de l'existence (22).

(22) On ne peut pas ne pas relever une analogie entre les concepts exposés ici par Ibn Arabi, et ce qu'énonce René Guénon à propos de Purusha et Prakriti dans la tradition hindoue ; en effet, il existe une parfaite correspondance entre les derniers termes de ce paragraphe d'Ibn Arabi et le passage suivant de René Guénon : « C'est l'union de ces deux principes complémentaires qui produit le développement intégral de l'état individuel humain, et cela par rapport à chaque individu ; et il en est de même pour tous les états manifestés de l'être autres que cet état humain (...) » (L'Homme et son devenir selon le Vêdânta, chap. IV, p. 45). Il est naturel qu'en relation avec l'exposition de ce concept métaphysique, il soit fait mention de l'état de non-manifestation défini dans l'ésotérisme islamique par le terme al-'Amâ (l'obscurité divine). A cet égard on pourra utilement se reporter à un chapitre de l'ouvrage déjà cité d'Abd al-Karîm al-Jîlî (De l'Homme Universel) qui porte précisément ce titre (pp. 57 et suiv.).

Donc, nous ne connaissons rien d'elle (la nature), sinon en proportion de ce qui nous apparaît, de même que nous ne connaissons rien des Noms divins, sinon dans la mesure de ce qui nous touche. Ainsi, celui qui connaît le degré de la nature connaît aussi le degré de la femme, et celui qui connaît l'ordre divin connaît également le degré de l'homme, et aussi que toute choses manifestées - à l'exception d'Allâh - dépendent pour leur existence de ces deux ordre de réalités. Mai cette réalité se cache et devient fuyante, de sorte que les intellects dérivés (d'elle) l'ignorent et ne l'expriment point dans le mode de la simplicité (ce qui est essentiel), mais plutôt dans celui de la complexité. Ceci à cause de leur ignorance de ce degré (de réalité), comme est également ignoré le degré de la femme malgré qu'il ait été définit par le Législateur – sur lui le salut et la paix –, au travers de ces paroles : « Certes, les femmes sont l'autre moitié des hommes ».

Par conséquent, l'ordre qui s'établit entre eux est analogue à celui du haut et du bas ('uluwan wa safalan), (23). Ne vois-tu pas que les (premières) manifestations et les entités spirituelles sont la cause des existences corporelles ? En ne vois-tu pas aussi que, si ces formes corporelles sont soumises à de rapides changement, elles ne s'éloignent cependant pas d'elle (de la nature) ?

Ceci est une station qui a de grandes dimensions, et à partir de laquelle s'étendent les diverses manifestations.

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(Fin)

(23) Après avoir dit à la fin de ce chapitre des Futûhât, qu'il n'y a pas d'Ordre divin sans la nature et inversement, Ibn Arabi exprime la correspondance qui existe entre ces deux degrés de la manifestation et ceux de l'homme et de la femme. Ainsi, la complémentarité de l'Ordre (Amr) divin et de la nature (Tabi'ah) d'une part, et l'homme et la femme d'autre part, ne saurait être rendue plus évidente. Mais quelques lignes plus bas, Ibn Arabi précise aussi que l'ordre qui s'établit entre eux est celui du haut et du bas, ou du supérieur et de l'inférieur, ce qui, au-delà de la complémentarité, fait apparaître un rapport hiérarchique entre les deux termes. Cette affirmation corrobore pleinement en quelque sorte, les diverses remarques faites précédemment dans le cours du texte, où suivant les circonstances, il avait été relevé soit une supériorité de l'homme sur la femme, soit inversement une supériorité de la femme vis-à-vis de l'homme, et parfois une égalité devant les degrés ou les opportunités ; en fait, il n'y aurait pas complémentarité entre les deux termes si en certaines circonstances, l'un ou l'autre ne disposait pas des éléments faisant défaut à sa propre contrepartie. Comme le remarque René Guénon lorsqu'il évoque ce domaine des complémentaires (Ordre divin-Nature, Ciel-Terre, homme-femme), la complémentarité implique nécessairement aussi un rapport hiérarchique : « deux termes contraires ou complémentaires (et qui au fond, sont toujours plutôt complémentaires que contraires dans leur réalité essentielle) peuvent être, suivant les cas, en opposition horizontale (opposition de la droite et de la gauche) ou en opposition verticale (opposition du haut et du bas), ainsi que nous l'avons déjà indiqué ailleurs. L'opposition horizontale est celle de deux termes qui, se situant à un même degré de réalité, sont, pour ainsi dire, symétriques sous tous les rapports ; l'opposition verticale marque au contraire une hiérarchisation entre les deux termes, qui, tout en étant encore symétriques en tant que complémentaires, sont cependant tels que l'un doit être considéré comme supérieur et l'autre comme inférieur. (...) En effet, l'Essence de la Substance universelle, sont respectivement le pôle supérieur et le pôle inférieur de al manifestation, et l'on peut dire que l'une est proprement au-dessus et l'autre au-dessous de toute existence ; d'ailleurs, quand on les désigne comme le Ciel et la Terre, ceci se traduit même, d'une façon exacte, dans les apparences sensibles qui leur servent de symboles » (La Grande Triade, chap. II, pp. 30-31). Cela semble donc être la conclusion la plus importante qui se dégage de ce chapitre des Futûhât d'Ibn Arabi. Si, comme le dit celui-ci, on ne peut comprendre le degré de la femme et de l'homme sans connaître le degré de la nature et de l'ordre divin, il en découle que la perspective à la fois complémentaire et hiérarchique selon laquelle nous concevons l'Essence et la Substance universelle, doit pouvoir s'appliquer aux rapports réciproques de l'homme et de la femme.Il suffit de réfléchir quelque peu pour s'apercevoir qu'une bonne partie des difficultés et malentendus que l'on constate lorsqu'il s'agit de définir les rôles respectifs de l'homme et de la femme, résulte de l'incapacité d'associer ou de faire coexister simultanément la perspective complémentaire et la perspective hiérarchique. Lorsque l'aspect complémentaire prédomine, la femme est lésée puisqu'il lui manque alors un guide, et l'homme ne pourra développer harmonieusement ses propres possibilités.

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Lorsque prévaut inversement l'aspect hiérarchique, c'est l'homme qui est privé d'utiliser les éléments susceptibles de le compléter, ce qui entraîne nécessairement la femme dans une carence par effet de réciprocité. Même si de telles situations ne se rencontrent généralement pas à un degré aussi absolu, on peut cependant se rendre compte aisément des déséquilibres qui peuvent en résulter, surtout lorsque cela se produit dans le cadre de la voie initiatique. En effet que ce soit vis-à-vis de la vie traditionnelle du couple ou dans le domaine plus vaste des organisations initiatiques, ce qui a été dit jusqu'ici est suffisant pour fixer des critères opératifs assez précis pour que la complémentarité entre l'homme et la femme – qui implique à maints égard chez celle-ci des qualifications faisant défaut chez l'homme –, ne puisse entamer le rapport hiérarchique nécessaire à la fonction de l'homme vis-à-vis de la femme, et cela naturellement, sans qu'il y ait empêchement pour elle d'obtenir les les mêmes degrés de réalisation que l'homme, lesquels, comme tels, bénéficient du privilège de la protection. Bien entendu, cette infériorité relative ou fonctionnelle de la femme ne doit toutefois pas être étendue en dehors du domaine où « actif » et « passif », représentés ici par l'homme et la femme, sont en corrélation (cf. Le Symbolisme de la Croix, ch. VI, p. 43). Ainsi, par exemple, la femme peut jouer un rôle « actif » par rapport aux enfants, ceci pour un certains laps de temps allant jusqu'à l'âge adulte, c'est-à-dire jusqu'à ce que les facultés intellectuelles et autres des enfants aient été développées et perfectionnées. A partir de ce moment, les rapports privilégiés et respectueux dus au « grand âge » étant maintenus, la relation de dépendance hiérarchique et de complémentarité des enfants mâles devient caduque, comme le démontre la structure de la famille traditionnelle hindoue, où le fils adulte devient chef de famille (2è époque de la vie – grihastha) et en assume toute la responsabilité, tandis que le père ou la mère se retirent de la vie active, ou se détachent de al famille, ou acceptent un rôle de dépendance (3è et 4è époque de la vie – arna prastha et sannyasa ; Alain Daniélou, Les quatre sens de la vie). Il est enfin trop évident que ces considérations sont nécessairement aussi, mutatis mutandis, susceptibles d'une application dans les organisations initiatiques. En effet il est manifeste que la femme peut jouer ici, en vertu de ses attributs féminins particuliers, un rôle dans le sens de la fidélité, du souvenir et de la conservation d'un pacte et de toutes ses implications en matière de rituel, de comportements ou des diverses particularités qui caractérisent le milieu de l'organisation. On peut ainsi concevoir que la femme d'un Maître disparu puisse, en vertu de son « âge » et de sa fonction innée de mère, durant la période de transition entre la mort de l'époux-Maître et la prise en charge par u, substitut, jouer transitoirement un rôle particulièrement important, sans pour cela avoir la possibilité de conférer l'initiation ni de devenir le « guide » de l'organisation. Dans un cas comme dans l'autre, il s'agit de phases temporaires dans lesquelles le degré découlant de l' « âge » tient la place des qualifications « masculines » indispensables au plein exercice de la fonction de père ou de Maître ; mais on peut aussi concevoir, même dans la meilleure des hypothèses, les dommages qui pourraient en résulter si cette situation venait à perdurer ; en ce qui concerne la femme, un tel rôle empêcherait le développement des possibilités dominantes propres à sa nature féminine et ralentirait ainsi son processus d'évolution initiatique ; quant aux individus qui lui sont assujetis, ils viendraient à manquer d'une action « masculine » ou « active », susceptible de

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produire, volontairement ou involontairement lorsqu'il existe un cadre traditionnel correct, des réactions utiles au processus évolutif humain ou initiatique ; et tout cela pour simplement vouloir privilégier exagérément l'intensification de l'aspect « conservation », jusqu'à nier quelque adaptation que ce soit aux circonstances internes et externe, qui sont par définition changeantes puisqu'elles sont liées au développement cyclique de l'existence. Par ailleurs, l n'y a rien d'étonnant à ce que cette action « masculine » ou « active », puisse se manifester inconsciemment le cas échéant, c'est-à-dire sans un degré de réalisation qui permette la prise de conscience de cette action, et cela se comprendra d'autant mieux si l'on tient compte qu'un homme peut parfaitement déposer une « graine » et engendrer un enfant, même s'il n'a pas en lui les qualification nécessaire pour devenir ensuite un « père » au sens plénier du terme. Dans l'un et l'autre cas, la nature et certaines qualités particulières sont suffisantes pour déclencher un processus qui peut avoir des degrés divers de perfectionnement. D'un autre côté, on ne peut pas concevoir qu'une femme, serait-elle particulièrement douée, puisse « suppléer » à cette fonction, de la même manière qu'elle ne pourra déposer dans la matrice un germe qu'elle ne possède pas. Toutes ces considérations, indépendamment de ce qui touche à la régularité de l'attribution du "mandat", dont nous avons déjà longuement parlé, et qui, pour être valide, implique nécessairement une étroite correspondance avec les principes et les lois métaphysiques qui en sont le fondement, pourront permettre de se faire une idée de ces lois et principes qui ont été mis en évidence, sous une forme ou une autre, dans ce chapitre des Futûhât.