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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. » (Lénine, 1902, Que faire ?) Les dossiers du PCMLM Féodalité et Bourgeoisie Humanisme, Lumières, Bourgeoisie Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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« Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. »

(Lénine, 1902, Que faire ?)

Les dossiers du PCMLM

Féodalité et Bourgeoisie

Humanisme, Lumières, Bourgeoisie

Parti Communiste Marxiste-Léniniste-Maoïste de France

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Résumé

Table des matières1. Présentation......................................................................................................................................22. Introduction......................................................................................................................................43. La naissance de l’État français moderne avec François Ier..............................................................64. La Réforme, expression urbaine bourgeoise-monarchiste...............................................................85. Calvin, héraut de la bourgeoisie européenne..................................................................................106. La guerre de religions en France....................................................................................................137. Le classicisme, stade suprême du féodalisme en France................................................................158. La formation de l’État moderne par l’administration « géométrique »..........................................179. Le saut qualitatif culturel-civilisationnel et le développement des forces productives..................1810. Rabelais et Montaigne..................................................................................................................2111. Matérialisme et dignité du réel.....................................................................................................2312. Les Lumières françaises...............................................................................................................27

1. Présentation

Les communistes sont imperméables aunihilisme national ; leur objectif est de dépasserla nation, qui n’est qu’un phénomènetemporaire. La France, en tant que nation,n’existe historiquement que pour permettre à labourgeoisie de pleinement se développer, dansun cadre adéquat.

A l’aube de la révolution socialiste, ce cadrecommence à vaciller ; dans la construction dusocialisme et dans la perspective ducommunisme à l’échelle mondiale, les nationsdisparaissent définitivement, cédant la place à lacommunauté universelle.

Comprendre la nature, temporaire, de lanation française, est une nécessité pour la classeouvrière. Sans cela, elle n’est pas en mesured’assumer l’établissement d’un État socialistedans son pays, et par la suite de dissoudre cettenation dans la république socialiste mondiale.

Cela est d’autant plus important qu’àl’époque de la révolution socialiste, la

bourgeoisie pousse au (vain) « rétablissement »des valeurs nationales, alors que la petite-bourgeoisie tente de bloquer la roue de l’histoireen niant la cadre national (au profit decorporations, de communautés, de régions, depseudos nations, du racisme, de l’ethno-différentialisme, etc).

Quel est l’intérêt historique des valeursnationales ? Celles-ci ont un double caractère.

D’un côté, les valeurs nationales représententune étape de civilisation, commune à toutel’humanité mais avec des différences d’apparence(le fait de vivre en société à grande échellenotamment avec une langue commune, leprincipe d’une justice à prétention universelle,la fin des hostilités locales et régionale,l’élévation du niveau de vie, la généralisationdes sciences face à l’obscurantisme, etc).

D’un autre côté, la culture nationale dechaque pays apporte sa pierre à l’édifice de laculture humaine en général (le sauna finlandais,le « french kiss », la pop anglaise, la pizzaitalienne, etc).

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En France, les valeurs nationales ont doncelles-mêmes un double caractère. Distinguer cequi restera dans le socialisme, de ce qui nerestera pas, est d’une grande importanceculturelle.

Mais ce n’est pas tout. A l’époque de la crisegénérale du capitalisme, la bourgeoisie françaisetente de modifier la compréhension qu’on a de laculture française, elle tente de masquer sanature, d’en donner une définition « nouvelle »conforme à ses propres intérêts.

L’importance historique de Rimbaud estgommée, et en lieu et place la bourgeoisiedécadente réécrit l’histoire et place Baudelairecomme « inventeur de la modernité. » Unauteur progressiste comme (Savinien) Cyrano deBergerac est caché derrière une œuvre puérile etsans intérêt comme la pièce éponyme d’EdmondRostand, et son œuvre elle-même diffaméecomme relevant du « baroque ».

La raison de cela est que la bourgeoisie tentede maintenir le cadre national, en cultivant leséléments les plus incongrus mais les plus visibles(les plus baroques précisément), afin demaintenir les différences nationales. Rejeter cesnouvelles divisions nationalistes (régionalistes,localistes, etc.) est une tâche aussi importanteque le dépassement des réelles différencesnationales.

Voici comment Lénine présente cette question:

Le marxisme est inconciliable avec lenationalisme, fût-il le plus « juste », leplus « pur », le plus fin et le plus civilisé. A la place de tout nationalisme, lemarxisme met l’internationalisme, lafusion de toutes les nations dans une unitésuprême qui se développe sous nos yeuxavec chaque nouvelle verste de chemin defer, chaque nouveau trust international,chaque association ouvrière (internationalepar son activité économique et aussi parses idées, ses aspirations). Le principe de la nationalité esthistoriquement inéluctable dans la sociétébourgeoise, et, compte tenu de cettesociété, le marxiste reconnaît pleinementla légitimité historique des mouvements

nationaux. Mais, pour que cettereconnaissance ne tourne pas à l’apologiedu nationalisme, elle doit se borner trèsstrictement à ce qu’il y a progressif dansces mouvements, afin que cettereconnaissance ne conduise pas à obscurcirla conscience prolétarienne par l’idéologiebourgeoise. Le réveil des masses sortant de latorpeur féodale est progressif, de mêmeque leur lutte contre toute oppressionpour la souveraineté du peuple, pour lasouveraineté de la nation. De là, le devoirabsolu pour le marxiste de défendre ledémocratisme le plus résolu et le plusconséquent, dans tous les aspects duproblème national. C’est là une tâchesurtout négative. Le prolétariat ne peutaller au delà quant au soutien dunationalisme, car plus loin commencel’activité « positive » de la bourgeoisie quivise à renforcer le nationalisme. Secouer tout joug féodal, touteoppression des nations, tous les privilègespour une des nations ou pour une deslangues, c’est le devoir absolu duprolétariat en tant que forcedémocratique, l’intérêt absolu de la luttede classe prolétarienne, laquelle estobscurcie et retardée par les querellesnationales. Mais aider le nationalisme bourgeoisau-delà de ce cadre strictement limité etsitué dans un contexte historiquenettement déterminé, c’est trahir leprolétariat et se ranger aux côtés de labourgeoisie. Il y a là une ligne dedémarcation souvent très mince et que lesnational sociaux bundistes et ukrainiensoublient tout à fait. La lutte contre tout joug national ?Oui, certainement. La lutte pour toutdéveloppement national, pour la « culturenationale » en général ? Non,certainement. Le développementéconomique de la société capitaliste nousmontre dans le monde entier des exemplesde mouvements nationaux incomplètementdéveloppés, des exemples de constitutionde grandes nations par la fusion ou audétriment de certaines petites, desexemples d’assimilation des nations. Le principe du nationalisme bourgeois,c’est le développement de la nationalité engénéral, d’où le caractère exclusif dunationalisme bourgeois, les querellesnationales sans issue. Quant auprolétariat, loin de vouloir défendre ledéveloppement national de toute nation, ilmet au contraire les masses en gardecontre de telles illusions, préconise laliberté la plus complète des échangescapitalistes et salue toute assimilation desnations, excepté l’assimilation par lacontrainte ou celle qui s’appuie sur des

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privilèges. Consacrer le nationalisme en lecontenant dans de « justes limites », «constituer » le nationalisme, dresser desbarrières solides et durables entre toutesles nations au moyen d’un organismed’État particulier : telle est la baseidéologique et le contenu de l’autonomienationale culturelle. Cette idée estbourgeoise de bout en bout et fausse debout en bout. Le prolétariat ne peut donner sonsoutien à aucune consécration dunationalisme; au contraire, il soutient toutce qui aide à effacer les distinctionsnationales et à faire tomber les barrièresnationales, tout ce qui rend la liaisonentre nationalités de plus en plus étroite,tout ce qui mène à la fusion des nations.Agir autrement, c’est se ranger aux côtésde la petite bourgeoisie nationalisteréactionnaire. »

(Notes critiques sur la questionnationale)

La classe ouvrière n’a qu’un seul drapeau, ledrapeau rouge de l’internationalisme prolétarien,et par la révolution socialiste entend marcher aucommunisme, à la communauté universelle !

2. Introduction

La France de la période capitaliste est le fruitd’un long processus, au travers duquel labourgeoisie est née, s’est développée, a tenté deprendre le pouvoir, et enfin l’a pris enréussissant à le conserver.

La période de la naissance de la bourgeoisieest celle de l’humanisme et de la Renaissance.La période de son développement, ce sont lesXVIIe et XVIIIe siècles avec commeaboutissement la révolution française. Enfin,c’est dans la seconde partie du XIXe siècle quela bourgeoisie prend le pouvoir en France, et leconserve.

La bourgeoisie n’a ainsi et évidemment pasdisparu à la fin du XVIe, pour réapparaître audébut du XVIIIe siècle ; il n’est pas possible deconsidérer séparément l’humanisme et les

Lumières, ni d’oublier la période intermédiaire.

On peut et doit penser à la figure de Spinoza,qui a vécu au XVIIe siècle, période historiqueoù c’est la réaction qui prédominait. Il seraitabsurde d’oublier cette figure essentielle de lapensée humaine, sous prétexte qu’il seraitarriver trop tard pour l’humanisme, et trop tôtpar rapport aux Lumières, alors que justement ilest le prolongement de l’un et l’annonciateur del’autre, jouant pour l’Europe le rôle qu’Averroèsaurait pu jouer pour le monde arabo-persan.

En ce qui concerne la France, oublier leXVIIe siècle serait pareillement oublier les «libertins », qui sont justement les partisans dumatérialisme et les champions des idéesprogressistes à leur époque (tel Savinien Cyranode Bergerac), ou encore les œuvres littéraires deMolière, dont le caractère bourgeois est évident.

L’exemple de Molière est très parlant enFrance, car le terme « bourgeois » désigne celuiqui habite le bourg, la ville. La bourgeoisie naîtavec la ville, et mourra avec elle, car lesocialisme amènera le dépassement de lacontradiction entre les villes et les campagnes.

Les villes témoignent de la vigueur de labourgeoisie ou, inversement, sa faiblesse. Carc’est dans les villes que naît la bourgeoisie, sousla forme des artisans et des marchands. Ceux-cisont à l’origine d’une petite productionmarchande fondée sur la propriété privée et letravail personnel ; organisés en corporations eten guildes, ils affirment leurs intérêts face auxforces féodales.

Dans la culture arabo-persane, la philosophie(appelée falsafa) ne put pas s’imposer, en raisonde l’absence de bourgeoisie solidement ancréedans les villes, et ce malgré ses formidablesapports à la science et à la pensée humaine. Lesforces féodales dominaient culturellement etéconomiquement ; la culture urbaine étaitenserrée par le féodalisme.

Un exemple similaire existe en Europe. DuXIIe au XVIIe siècle, le nord de l’Europe avaitconnu l’alliance des villes de la Hanse (Riga,

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Stockholm, Hambourg, Cracovie, Lübeck,Rostock, Dantzig, etc.) autour de la Baltique,mais les forces féodales parvinrent àcontrecarrer cette émancipation de labourgeoisie commerciale.

Près de 80 villes appartenaient à cette liguehanséatique, qui pratiquait le commerce avecl’Angleterre, la Scandinavie, la Pologne et laRussie. Les produits industriels d’Europeoccidentale (draps de Flandre et d’Angleterre,toiles, articles métalliques d’Allemagne, vins deFrance…) étaient échangés contre les fourrures,les peaux, le lard, le miel, le blé, le bois, la poix,les tissus de lin et autres articles artisanaux dunord-est de l’Europe.

Cependant, aux XVe et XVIe siècles, labourgeoisie connaît également une périodeflorissante dans le sud de l’Europe. Elle parvientainsi à maintenir son existence, grâce à desvilles qu’elle contrôle, dont les plus connues sontFlorence, Venise, Gênes ; elle pouvait alorssoutenir les penseurs et artistes qui regardaientle monde dans une manière que l’on doitqualifier de matérialiste, tout en se maintenantsur le plan militaire grâce à des États (de typerépublicain notamment).

Friedrich Engels constate ainsi l’origine ducapitalisme, du capital industriel, par rapport àla Hanse et à l’Italie :

« Le marchand était l’élémentrévolutionnaire dans cette société où toutétait stable, pour ainsi dire par hérédité ;le paysan recevait par héritage et de façonpresque inaliénable non seulement sonarpent, mais aussi sa position depropriétaire libre, de fermier libre oudépendant ou de serf ; l’artisan de la ville,son métier et ses privilèges corporatifs ;chacun d’eux recevait en outre sa clientèle,son marché, de même son habileté forméedès sa jeunesse pour ce métier héréditaire.C’est dans ce monde qu’apparut lecommerçant qui devait être à l’origine deson bouleversement. Il n’en fut pas lerévolutionnaire conscient, mais bien aucontraire la chair de sa chair, le sang deson sang (…). Il [= le capital industriel] s’était déjàébauché au Moyen-Âge, et ce dans troisdomaines ; navigation, mines, industries

textiles. A l’échelle où les républiques maritimesitaliennes ou hanséatiques pratiquaient lanavigation, celle-ci était impossible sansmatelots, c’est-à-dire sans salariés (dont lacondition de salariés pouvait se dissimulersous des formes d’association avecparticipation aux bénéfices) ; quant auxgalères, il leur fallait également desrameurs, salariés ou esclaves ; les membresd’une association pour l’extraction desmétaux qui, à l’origine, étaient destravailleurs associés, s’étaient déjà presquepartout constitués en sociétés par actionspour l’exploitation de l’entreprise aumoyen de salariés. Dans l’industrie textile, le commerçantavait commencé à prendre directement àson service les petits tisserands en leurfournissant le fil qu’il faisait transformerpour son compte en tissu, contre unsalaire fixe, bref, en devenant, de simpleacheteur, un entrepreneur. Nous trouvons ici les premiers débuts dela constitution de plus-value capitaliste. »

(Complément au supplément du livre IIIdu Capital).

Afin de défendre leurs activités, et de parleur position privilégiée, ces entrepreneursdéveloppèrent une vision du monde, uneidéologie, et modifièrent les arts en leur faveur.La richesse de la peinture hollandaise nes’explique pas sans le succès commercial de larépublique des Provinces-Unies ; la pensée deMachiavel ne se laisse pas comprendre sans unevision globale des progrès de la bourgeoisie dansla future Italie.

Friedrich Engels dit ainsi et justement decette période que :

« Ce fut le plus grand bouleversementprogressiste que l’humanité eût jamaisconnu, une époque qui avait besoin degéants et oui engendra des géants : géantsde la pensée, de la passion et du caractère,géants d’universalité et d’érudition. Les hommes qui fondèrent la dominationmoderne de la bourgeoisie furent tout,sauf prisonniers de l’étroitesse bourgeoise. »

(La dialectique de la nature)

A ce titre, la période de la Renaissance

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italienne, celle de l’humanisme qui est l’idéologieprolongeant cette Renaissance, est un momentessentiel de l’histoire humaine. C’est cettepériode qui va permettre aux Lumièresd’exister, à la bourgeoisie de s’affirmer, au modede production capitaliste de s’imposer. Sansl’humanisme italien de la Renaissance, il n’yaurait pas de Lumières françaises.

3. La naissance de l’État françaismoderne avec François Ier

Le matérialisme dialectique enseigne que lepassage à un niveau supérieur est unecaractéristique du saut qualitatif. Ainsi,l’humanité a profité du passage des micro-Étatstypiques du féodalisme à un État centralisé,généralisant la loi et la justice. C’est un progrèsdans la civilisation et le refus desparticularismes, à une époque où « l’univers »de la grande majorité des individus se résumaitau cinq kilomètres environnant, où le pays estdivisé entre 70 000 – 80 000 seigneuries.

L’État central généralise une justice unique,rejetant la violence des micro-univers repliés sureux-mêmes et combattant de manière ultra-violente et tribale la moindre interventionextérieure. Il ne le fait pas sans mal, mais ilprofite d’une tendance irrépressible, celle del’accumulation du capital.

Car les échanges économiques se généralisentau sein d’une même zone géographique,repoussant le chaos et en permettant unepacification du cadre des échanges, qui devientle cadre national où l’État régule la vie sociale.

C’est le moment où les villes se développentcomme foyers de civilisation. Dans certainessituations, ces villes deviennent si puissantes,qu’elles deviennent littéralement des États-marchands, comme Gênes et Venise.

Le capital est alors déjà centralisé, fruit d’unlong processus d’accumulation. De grandesfamilles de banquiers s’affirment, comme les

Fugger (qui dominent la banque et la finance enEurope au Moyen-Âge comme à la Renaissance),les Médicis (de Florence, mais aux filialesbancaires à Londres, Lyon, Avignon, Bruges,Genève, Venise, Rome, Naples, Pise…).

Dans la future France, Lyon est alors lapremière place bancaire financière de France ; en1502, ce sont pas moins de 40 entreprises deFlorence qui ont des filiales dans cette ville,possédant une main-mise sur le commerce àlongue distance en France.

La bourgeoisie qui se développe élève sonniveau culturel, de par les échanges et sonintense activité. Naturellement, cela correspondà la période des débuts de l’imprimerie ; despresses sont installées à Bâle en 1466, Rome en1467, Paris en 1468, Venise en 1469, à Buda en1471.

L’État central lui-même assume cetteorientation. Matthias Corvin Ier de Hongrie(1443-1490) était par exemple un grand mécène,et disposait d’une bibliothèque fameuse, la «Bibliotheca Corviniana », avec entre 4000 et5000 œuvres, soit la plus grande après celle duVatican.

En France, c’est François Ier qui va jouer lerôle historique d’implanter l’humanisme ansdans la culture nationale française, faisant de luiune figure essentielle de la Renaissance. Enpratique, l’humanisme français été d’uneextrême faiblesse ; les humanistes ont été peunombreux et leur faiblesse les pousse aupessimisme moraliste (exactement comme lorsde la falsafa à certains moments).

Néanmoins, cela est compensé par deuxphénomènes : tout d’abord, François Ier est lepremier roi à vraiment profiter d’une unité «nationale », une unité nationale d’autant plusimportante qu’elle marque la sortie d’unepériode de troubles très importants et deprésence militaire et idéologique anglaise (la «guerre de cent ans »).

Ensuite, par ses guerres dans ce qui seral’Italie, François Ier a contribué à ce que la

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France se tourne vers ce pays et son humanisme,pillant tant les idées que des œuvres(manuscrits, peintures, sculptures, etc.), faisantde la Renaissance italienne le modèle à suivrepour la France.

La Renaissance n’est donc pas ici unerupture avec la féodalité, mais sa modernisationpoussée jusqu’à son plus haut degré. Il n’y pastant un humanisme qu’une « modernisation » del’appareil étatique, justement dans grandetransformation « nationale » donnant naissanceà l’État français moderne.

Les deux principales figures intellectuelles del’appareil humaniste, Guillaume Budé etJacques Lefèvre d’Étaples, considèrent d’ailleursque le retour à la culture gréco-romaine va depair avec le respect des institutions tantchrétiennes que monarchiques.

C’est la monarchie elle-même qui établit ainsison caractère d’État central dans une démarchede civilisation, pavant la voie à Louis XIV. Loind’être un simple facteur d’oppression, lamonarchie est la garante de valeurs, comme lerappelle Ronsard :

« Sire, ce n’est pas tout que d’être Roi deFrance Il faut que la vertu honore votre enfance : Un Roi sans la vertu porte le sceptre envain »

(Ronsard, Institution pourl’adolescence du Roi très chrétien Charles

neuviesme de ce nom, 1562)

Lors de la visite de François Ier à Lyon en1515, on a ainsi pu lire ce poème consacré aux «vertus du souverain » (et prétexté par une lettrede son nom royal) :

« Je suis Rayson, qui du beau nom deFrançois Secunde lettre en main tiens pour blason Signifiant qu’il doit, toute sayson, Sur ses subjets tenir mesure et pois Car pa rayson, suivant les justes loix, Au peuple doibt administrer justice

Et le garder, par sa royale voyz Et sa vertu en bon ordre et police. »

La monarchie est la garante raisonnable de lajustice et du bon fonctionnement de la société.Louis XII est déjà en 1506 surnommé « le pèredu peuple » par les États généraux qui saluentson respect des « coutumes » ; avec FrançoisIer, les masses vivent une unification sanspareille mesure.

Point culminant de la fondation de l’Étatmoderne français, l’administration choisit uneseule langue pour son fonctionnement. En 1539est mise en place l’ordonnance dit de Villers-Cotterêts (nom d’une ville picarde), appeléeofficiellement « Ordonnance générale en matièrede justice et de police », généralise l’utilisationdu français pour les arrêts et les procédures descours de justice, ainsi que pour la rédaction desactes notariés.

La langue de la cour et des élites urbaines,langue la plus développée au niveau culturel,s’impose face aux langues populaires(notamment les langues d’oc parlées dans le sudde la France, mais également le breton et lebasque).

L’État moderne donne alors naissance auCollège des lecteurs royaux, assumant égalementl’établissement définitif d’une bibliothèque duroi enrichie d’achats et du dépôt légal. Et dansla foulée, le poète Joachim du Bellay publie en1549 Défense et il lustration de la languefrançaise (La Deffence, et Il lustration de laLangue Francoyse), qui sert de manifeste auxpoètes du groupe de la Pléiade qui inaugurent lalittérature nationale.

La langue française alors sa reconnaissanceofficielle et sa production artistique ; elle estprête à prendre la place du latin dans ledomaine scientifique. L’État national français asa langue nationale ; les particularismes locauxsont définitivement dépassés ; c’est une victoiredu progrès, permettant le passage à une étapesupérieure de la civilisation.

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4. La Réforme, expression urbainebourgeoise-monarchiste

La faiblesse de l’humanisme en France d’uncôté, le renforcement de l’État national sousFrançois Ier de l’autre, font que la monarchie aune marge de manœuvre très large face auféodalisme de la noblesse d’un côté, auféodalisme du clergé de l’autre.

Face au clergé, la monarchie se permet ainsid’avoir un rapport de force permettant ce qu’onappellera le gallicanisme : l’Église est en Francerelativement indépendante du Vatican (celaperdure jusqu’en ce début du XXIe siècle,l’Église française connaissant l’hégémonie ducourant « catho de gauche » -Le Monde,Télérama, etc.- et soutenant les institutions, quirestent distantes mais bienveillantes, parexemple avec les écoles privées, payées parl’État laïc).

Mais dans d’autres pays, le pouvoirréactionnaire du catholicisme romain, sesformidables richesses, provoquent la colère tantde la bourgeoisie que d’une large partie dupeuple lassée de l’exploitation et de lacorruption. Cette colère donne naissance auprotestantisme, marqué par de très nombreuxcourants, allant du simple réformismeinstitutionnel au communisme.

Tant en France qu’en Angleterre ou dans lafuture Allemagne, le protestantisme est donc néen tant qu’arme dans la lutte de classes. Il a étél’instrument idéologique pour affronter leféodalisme ou au moins une partie de celui-ci,pour combattre le catholicisme romain (lié auVatican).

Son triomphe, et la nature de ce triomphe,ont alors dépendu des jeux d’alliances entre lesprincipales forces présentes (monarchie, petitenoblesse, bourgeoisie, et de manière toujoursisolée, les masses paysannes et la plèbe urbaine).

Trois types de situation ont prévalu :

1. Dans les pays où les forces nationales – à

la fois bourgeoise et monarchiste – ont réussi àbriser le joug catholique-féodal, leprotestantisme s’est instauré comme religionnationale (Angleterre, Allemagne, Suède,Danemark, Pays-Bas) : la « Réforme » atriomphé.

a) Dans la future Allemagne et enScandinavie, la « Réforme » a triomphé sous lasupervision des forces monarchistes : leprotestantisme s’est instauré comme religionnationale, liée aux monarchies, sous la forme duluthérianisme. La bourgeoisie cède l’initiative enAllemagne en raison de sa crainte desinsurrections paysannes, à visée communiste.

b) En Angleterre et aux Pays-Bas, la «Réforme » a triomphé dans une alliance trèsforte entre la monarchie et la bourgeoisie,permettant le développement plus large ducapitalisme. La monarchie prédominait dans lecas anglais (le protestantisme devenant lareligion nationale sous la forme hiérarchisée del’anglicanisme en Angleterre), la bourgeoisieprédominait dans le cas hollandais (leprotestantisme dominant sous la forme demultiples églises « réformées » et largementtolérantes).

2. Dans les pays où les forces nationales –bourgeoises uniquement ici – n’ont pas réussi àbriser le joug catholique de par le refus de lamonarchie de participer au mouvement,l’idéologie catholique romaine baroque s’estinstaurée (Italie, Portugal, Espagne, Autriche-Hongrie) en tant qu’alliance Vatican –monarchie, avec une variante classique enFrance (la monarchie étant prédominante surl’Église) : la « contre-Réforme » a triomphé.

Une quatrième situation a également existé :le soulèvement populaire au nom de laréalisation immédiate du royaume de Dieu surTerre. Mais de par le niveau historique desforces productives, ce type de révolutioncommuniste a nécessairement échoué, malgré debrillants succès temporaires.

Voici comment Friedrich Engels présente lasituation :

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« C’est l’époque qui commence avec ladeuxième moitié du XVe siècle. La royauté, s’appuyant sur lesbourgeois des villes, a brisé la puissancede la noblesse féodale et créé les grandesmonarchies, fondées essentiellement sur lanationalité, dans le cadre desquelles sesont développées les nations européennesmodernes et la société bourgeoise moderne; et, tandis que la bourgeoisie et lanoblesse étaient encore aux prises, laguerre des paysans d’Allemagne a annoncéprophétiquement les luttes de classes àvenir, en portant sur la scène nonseulement les paysans révoltés, – ce quin’était plus une nouveauté, – mais encore,derrière eux, les précurseurs du prolétariatmoderne, le drapeau rouge au poing etaux lèvres la revendication de lacommunauté des biens. Dans les manuscrits sauvés de la chutede Byzance, dans les statues antiquesretirées des ruines de Rome, un mondenouveau se révélait à l’Occident étonné :l’Antiquité grecque; ses formesresplendissantes dissipaient les fantômesdu Moyen Âge ; l’Italie naissait à unépanouissement artistique insoupçonné,qui sembla un reflet de l’antiquitéclassique et n’a plus été retrouvé. En Italie, en France, en Allemagne,apparaissait une littérature nouvelle, lapremière littérature moderne ; l’Angleterreet l’Espagne connurent bientôt après leurépoque littéraire classique. Les barrières de l’ancien orbis terrarum[le Theatrum Orbis Terrarum est lepremier atlas, en 1570] furent brisées ;pour la première fois la terre étaitvraiment découverte, les fondements poséspour le passage de l’artisanat à lamanufacture qui devait, à son tour,constituer le point de départ de la grandeindustrie moderne. La dictature spirituelle de l’Église futbrisée ; la majorité des peuplesgermaniques la rejeta directement enadoptant le protestantisme, tandis que,chez les peuples romans, une allègre librepensée, reprise des Arabes et nourrie de laphilosophie grecque fraîchementdécouverte, s’enracinait de plus en plus etpréparait le matérialisme du XVIIIe siècle. »

Le protestantisme, dans sa forme nonmonarchiste, se présente ainsi comme un idéalurbain, ou plus exactement l’idéal de petitesvilles caractérisées par une participationgénérale à la vie sociale, organisée autour deprincipes moraux issus de la religion. Le clergé

n’a plus sa place dans une société où chaqueindividu devient un citoyen qui se sait regardéchaque seconde par Dieu, de qui il doit mériterpar la tempérance et le travail.

C’est donc un idéal civilisationnel,correspondant aux exigences du mode deproduction capitaliste, qui a besoin d’individusentrepreneurs dans une société développée etpolicée. Le protestantisme se pose comme unmouvement progressiste face au féodalisme,remettant en cause la tyrannie, affirmant lacitoyenneté des individus.

Le livre de l’anglais Hobbes, Le Léviathan,pose la question du droit et de l’État dont lanature est d’arbitrer, et non d’opprimer. De lamême manière, l’œuvre de La Boétie, leDiscours de la servitude volontaire, est encoreaujourd’hui très connue, de par son rejet de ladomination du pouvoir central et son appel à unregard critique, permettant de changer leschoses matériellement.

Ce que la bourgeoisie française cachecependant, c’est que le succès de cette œuvre aété portée par le protestantisme. Le Discourssera en effet publié dans Le Réveil le-matin desFrançois en 1574, ainsi que dans les Mémoiresde l’Estat de France sous Charles neufiesme, en1577. Ce « Discours » est alors connu sous lenom de « Contr’Un » : ce qui est visé, c’estl’État central, monarchiste.

Cette question démocratique se révèle dans leconflit anglais entre le courant anglican et lecourant puritain en Angleterre.

La révolution anglaise de 1640-1660 a uncaractère éminemment démocratique : si laroyauté reste, la religion officielle devientnationale (et protestante, sous la dénominationd’anglicanisme) et la bourgeoisie a en partie lechamp libre, malgré l’échec de la tentatived’instauration d’une république (avecCromwell). Roméo et Juliette, de Shakespeare,est une expression de cette revendication de lacitoyenneté démocratique : deux individusdoivent pouvoir s’aimer, au-delà des barrièresféodales.

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Si la monarchie a le dessus, elle estconcurrencée par la bourgeoisie, dont lereprésentant est le mouvement « puritain » quis’oppose ainsi à la centralité de la messe pourprôner la valeur du sermon. Ce dernier doit êtreprétexte à la discussion, et l’autel est considérécomme devant être placé au centre, plutôtqu’être inaccessible au fond du temple. Lesforces monarchistes protestantes prônent quantà elles l’existence d’un clergé bien organisé et oùla messe a la dimension centrale, le sermondevant être plutôt rejeté, la discipline passiveétant l’aspect principal (tout comme dans leluthérianisme nordique).

Le succès de l’anglicanisme sur lepuritanisme décentralisateur amènera unmouvement d’émigration en Amérique du Nord,forgeant une culture de liberté politique absolue,de refus du droit de l’État à imposer quoi quece soit dans le domaine religieux, du refus detoute centralisation. Cela pavera la voie à l’idéalbourgeois républicain des États-Unisd’Amérique.

5. Calvin, héraut de la bourgeoisieeuropéenne

« Mais à côté de l’Allemand Luther, il yavait eu le Français Calvin. Avec une rigueur bien française, Calvinmit au premier plan le caractère bourgeoisde la Réforme, républicanisa etdémocratisa l’Église. Tandis qu’en Allemagne la Réformeluthérienne s’enlisait et menait le pays àla ruine, la Réforme calviniste servit dedrapeau aux républicains à Genève, enHollande, en Écosse, libéra la Hollande dujoug de l’Espagne et de l’Empire allemandet fournit au deuxième acte de larévolution bourgeoise, qui se déroulait enAngleterre, son vêtement idéologique. Ici le calvinisme s’avéra a être le véritabledéguisement religieux des intérêts de labourgeoisie de l’époque, aussi ne fut-il pasreconnu intégralement lorsque larévolution de 1689 s’acheva par uncompromis entre une partie de la noblesseet la bourgeoisie. »(Friedrich Engels, Ludwig Feuerbach et la

fin de la philosophie classique allemande)

Calvin, héraut de la bourgeoisie : labourgeoisie française n’a jamais reconnu ce fait.Et pour cause : le protestantisme a échoué àêtre son drapeau en France, alors que la libre-pensée et le rationalisme porteront les Lumièreset la révolution bourgeoise de 1789.

Les livres d’histoire ne parlent donc pas deCalvin, le considérant au mieux comme unGenevois, simple figure protestante. A Noyon,ville de Picardie où il est né en 1509, ce n’estque pendant l’occupation allemande durant lapremière guerre mondiale qu’une plaque seraapposée sur sa maison natale rebâtie au débutdu XIXe siècle.

Noyon elle-même est une ville peu connue.En ce début de XXIe siècle, c’est une petite villed’un peu moins de 15 000 personnes, maishistoriquement elle a été d’une grandeimportance en tant que centre chrétien du nordde ce qui sera la France.

Il s’agit en effet d’une ville d’importancepour les Francs, dont l’une des capitales est latoute proche Soissons. Charlemagne (en 768) etHugues Capet (en 987) y ont été sacrés roi desFrancs. Un très important évêché y existait,profitant notamment de la figure de l’évêqueSaint-Eloi, ancien orfèvre et trésorier du roiDagobert.

La ville devient même la première «commune libre » de l’histoire du royaume, en1108, l’évêque s’alliant aux bourgeois de la ville,qui profite alors d’un grand élan économique,dans une Picardie qui a à l’époque l’une despopulations les plus denses et est relativementprospère grâce au textile.

Lorsque Jean Calvin naît en 1509, Noyonn’est déjà quasiment plus que l’ombre de sonriche passé : sa localisation géographique en afait un lieu de passage des armées, notammentanglaises.

La superstition règne alors en maître dans lepays tout entier, poussé par l’obscurantisme

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catholique romain. L’exemple de Jeanne d’Arc,qui s’imagine que la parole divine s’adresse àelle pour qu’elle boute les Anglais hors deFrance, est très parlant.

Dans un même ordre d’idées, la cathédrale deNoyon, lors de grandes sécheresses ou degrandes pluies, expose la châsse (un cercueilservant de relique) de sainte Godeberthe, etprétend conserver un fragment d’un vêtement dela Vierge. On y trouve également la chasse desaint Eloi, qu’on sort notamment pour la fête del’ascension. L’abbaye de Saint-Eloi, vers Arras,possède elle prétendument de la barbe et descheveux de saint Eloi, du sang de Saint-Etienne,des cheveux de Saint Jean Baptiste et de SaintJean l’Evangéliste, etc.

Le protestantisme se dresse contre ce type desuperstitions, de manière véhémente comme entémoigne l’affaire des placards, en 1534. Il s’agitde placards, c’est-à-dire d’affiches de 37centimètres sur 25, avec un préambule et quatrearticles dénonçant la « mystique » de la messe ;on y lit notamment au sujet de celle-ci que « Letemps [est] occupé en sonneries, hurlements,chanteries, cérémonies, luminaires,encensements, déguisements et telles manièresde singeries, par lesquelles le pauvre monde estcomme brebis ou moutons, misérablemententretenus et promené par ces loups ravissantmangé, rongé et dévoré. »

Le titre des placards est explicite : « Articlesvéritables sur les horribles, grands etinsupportables abus de la messe papale inventéedirectement contre la sainte cène de JésusChrist » ; on les retrouve notamment affichés,dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, à Noyon,Paris, Rouen, Orléans, Tours, Amboise, Blois, etjusque sur la porte de la chambre du roiFrançois Ier.

La répression qui suit cette affaire amèneCalvin, déjà critique et ouvert auprotestantisme, à rejoindre Strasbourg, puis laville de Bâle en Suisse. Cette ville est dominéepar les plus riches bourgeois, elle dispose denombreuses imprimeries et soutient massivement

la Réforme (120 textes de Luther sont publiésentre 1517 et 1528). C’est là que Calvin devientl’intellectuel organique de la bourgeoisie, pourensuite rejoindre la ville suisse de Genève etdevenir le héraut reconnu de la bourgeoisieeuropéenne dans son affrontement avec leféodalisme.

Calvin va jouer en effet un rôle historique, enconférant à la Réforme des institutions, uneorganisation religieuse. A la critique religieusede Luther succède une démarche institutionnellepavant la voie à la bourgeoisie moderne. Ilapporte la culture juridique française, avec toutesa rigueur. L’œuvre majeure ici est Institutionde la religion chrétienne, monument de 450 000mots.

Le calvinisme correspond aux exigences ducapitalisme : il rejette la question de l’au-delà,pour mettre l’accent sur le présent. Pour cela,Calvin va faire une formidable constructionintellectuelle. Il explique en effet que Dieu esttout puissant, mais loin ; prier pour demanderquelque chose à Dieu, que ce soit pour soi-mêmeou pour une personne défunte, n’a ici aucunsens et consiste en de la superstition.

Par contre, Dieu a envoyé un messager : leChrist ; ainsi, plutôt que d’espérer atteindrel’au-delà par différents « trucs » et tours depasse-passe (prières, etc.) s’adressant à Dieu(qui est loin), il faut vivre de manièrestrictement droite, en suivant l’exemple duChrist (qui est venu au plus près montrerl’exemple). Au sujet de « l’Écriture sainte », ildit que « c’est la voie certaine pour nous guider,afin que nous ne soyons pas vagabonds eterrants çà et là tout le temps de notre vie. »

Il n’y a donc plus de place pour un clergéenseignant « de l’extérieur » aux masses, ni unau-delà terrorisant et empêchant le présentd’être mis en valeur. Il y a par contre unemorale organisée socialement exigeant del’individu qu’il se comporte de manière urbaine,civilisée, dans une communauté travaillant pourmontrer qu’elle suit le message du Christ.

Et, là est le paradoxe génial de Calvin, la

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mise en avant du présent et de la vie matériellese fait au nom de l’au-delà. Le masque de lareligion est placée sur le visage de la sociétébourgeoise. Calvin dit ainsi que : « Dieu esttenu pour Roi, quand les hommes, renonçant àeux-mêmes et méprisant le monde et cette vieterrestre, s’adonnent à la justice e dieu pouraspirer à la vie céleste (…). Car la condition duRoyaume de Dieu est telle, qu’en nous voyantassujettis à sa justice, il nous fasse participantsde sa gloire. »

Évidemment, le calvinisme nécessite la miseen avant d’une présence permettantl’intermédiaire entre la réalité et le monde divin(dictant la conduite à suivre) : d’où la mise enavant du Christ et uniquement du Christ, entant que prétexte à un mode de gouvernement,à un mode de vie. Calvin dit que « Laphilosophie chrétienne veut qu’elle cède, etqu’elle se retire pour donner lieu au Saint-Esprit, et être domptée sous sa conduite, pourque l’homme ne vive plus de soi, mais ait en soiet souffre Christ vivant et régnant. »

Cette importance pratique du Saint-Espritdonnant le chemin de la vertu est très importantdans la définition calviniste ; Calvin définit ainsila trinité : « C’est qu’au Père, le commencementde toute action, et la source et origine de touteschoses est attribuée ; au Fils, la sagesse, leconseil et l’ordre de tout disposer ; au Saint-Esprit, la vertu et efficace de toute action. »

La société bourgeoise, en tant quecommunauté chrétienne (de type calviniste),devient donc le témoin de l’alliance maintenueentre Dieu et ses élus (c’est le principe auxÉtats-Unis d’Amérique du « In God we trust »,« God bless America », etc.), élus qui doiventobéir au injonctions du Saint-Esprit (en lisant etrelisant la Bible en petites communautés) dansla pratique (forcément sociale).

Le calvinisme n’est donc pas un « fatalisme», comme a tenté de le présenter le catholicismeromain. Les succès du calvinisme dans les payscapitalistes – la Hollande, les États-Unisd’Amérique – témoignent du contraire.

S’il y a « prédestination » dans le calvinisme,c’est pour souligner l’idéal d’un individu à la viebien réglée dans une société bien réglée, car cestyle de vie permet une communion intime,complète, absolue, à la fois personnelle etsociale, avec Dieu.

Et ce style de vie qui permet d’affronterl’adversité de la concurrence. Engels, dansSocialisme utopique et socialisme scientifique,constate ainsi :

« Mais là où Luther échoua, Calvinremporta la victoire. Le dogme calvinisteconvenait particulièrement bien auxéléments les plus hardis de la bourgeoisiede l’époque. Sa doctrine de la prédestination étaitl’expression religieuse du fait que, dans lemonde commercial de la concurrence, lesuccès et l’insuccès ne dépendent ni del’activité, ni de l’habileté de l’homme,mais de circonstances échappant à soncontrôle. Succès ou insuccès ne sont pasceux de qui veut ou de qui dirige: ilstiennent à la grâce de puissanceséconomiques supérieures à l’individu etinconnues de lui. Cela était particulièrement vrai à uneépoque de révolution économique, alorsque de nouveaux centres commerciaux etde nouvelles routes de commerceremplaçaient tous les anciens, que lesIndes et l’Amérique étaient ouvertes aumonde, et que les articles de foiéconomiques les plus respectables la valeurde l’or et de l’argent-commençaient àchanceler et à s’écrouler. De plus la constitution de l’Église deCalvin était absolument démocratique etrépublicaine, et là où le royaume de Dieuétait républicains, les royaumes de cemonde pouvaient-ils rester sous ladomination de monarques, d’évêques et deseigneurs féodaux ? Tandis que leluthéranisme allemand devenait uninstrument docile entre les mains desprinces, le calvinisme fonda uneRépublique en Hollande et d’actifs partisrépublicains en Angleterre et, surtout, enÉcosse. »

Le rôle historique de Calvin est ainsiimmense. Il pave la voie à une société organisée,une société moderne, une société assumant àtous les niveaux la civilisation en tant queprincipe. Il est le symbole d’une étape: celle de

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la bourgeoisie sortant l’humanité de la féodalité.

6. La guerre de religions en France

La religion est toujours le masque idéologiqued’une classe sociale, le reflet d’une époque biendéterminée. Les luttes de classes en France ontdonc, du XVe au XVIIe siècle, pris l’apparencede guerres de religion.

Ces guerres ont été nombreuses : huit dans laseconde moitié du XVIe siècle, avec desprolongements aux XVIIe et XVIIIe siècles. Laraison en est que le protestantisme s’estlargement développé, mais pas assez pourasseoir une hégémonie.

Le protestantisme, après une première vague,rassemble environ 10% de la population duroyaume, formant 1500 communautés. Cescommunautés sont soit noyées dans la masseurbaine (Paris, Lyon, Rouen, Orléans, Bourges),soit extrêmement bien implantées,principalement dans le sud du pays avec unesorte de « croissant huguenot » où l’on retrouveplus de 80% des protestants d’alors.

Les protestants sont des « lisant-écrivant » ;ils font partie des couches les plus alphabétisées,alors que l’écrasante majorité de la paysanneriereste dans le giron catholique romain. Leprotestantisme est diffusé par des diplômésd’université, des laïcs et des clercs, desnégociants, des marchands, des artisans.

A cela s’ajoute une partie de la noblesse,justement dans le midi. La raison en est uneforte tradition d’autonomie et dedécentralisation. La possible existence d’unenation occitane a été définitivement écrasée avecla croisade contre la religion cathare, au XIIIesiècle. Mais si la noblesse et la population ontaccepté leur intégration dans le royaume, leurriche culture les pousse à revendiquer uneautonomie. Sans nul doute, on retrouve le mêmephénomène dans le Béarn et la populationbasque.

Cette volonté d’autonomie est en parfaitaccord avec les besoins de libertés desentrepreneurs, tant dans le Languedoc quejustement dans des villes commerciales commeLa Rochelle ou Lyon. C’est cette tendancehistorique qui fait face au centralisme de l’Étatnational en train de naître, et qui est considérépar le cardinal de Richelieu comme un « Étatdans l’État. »

Cela est juste, comme en témoigne laconstitution en février 1573 des Provinces del’Union, sur le modèle néerlandais (et doncappelées par certains historiens « Provinces-Unies du Midi »).

Il va de soi qu’aujourd’hui, cette perspectivecommunautaire-décentralisée n’a plus rien deprogressiste et n’est qu’une fiction petite-bourgeoise visant à faire tourner en arrière laroue de l’histoire. Elle est évidemment présentedans le sud de la France (sous la forme de lafiction d’une « nation occitane » à laquelle ilfaudrait donner naissance et qui serait «naturellement » progressiste), mais égalementdans d’autres zones sous la forme ultra-réactionnaire des « identitaires » revendiquantune attachement « charnel » à leur « terroir. »

Ce qui s’est décidé à l’époque, c’était lanature de la construction de l’État nationalfrançais : de manière ultra-centralisée, ou biende manière décentralisée. La victoiremonarchiste, en alliance avec le Vatican, adonné naissance à une France ultra-centralisée,identité qui ne changera nullement avecl’avènement de la république bourgeoise. La finde cette dimension ultra-centralisée ne peut êtreamenée que par le dépassement de la France entant que nation, et non son morcellement visantà ramener dans le passé, à l’époque de l’éclosionde la bourgeoisie en tant que classe.

La conception même d’une nation morcelée, àune époque de développement de la civilisation,est une contradiction en soi. C’est cela qui a étéla cause de la défaite protestante, leprotestantisme n’ayant pas réussi à lever ledrapeau national.

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Les protestants, considérant leur mouvementcomme inéluctable car voyant comme leurennemi le Vatican et non nécessairement lamonarchie en soi (tout en rejetant soncentralisme absolu), ont accepté de temporiser.

Les multiples guerres de religion (1562-1563,1567-1568, 1572-1573, 1574-1576, 1576-1577,1579-1580, 1585-1598) sont donc sanglantes,provoquant la mort de dizaines de milliers depersonnes. et l’objectif est l’hégémonieidéologique.

Mais cette bataille pour le rapport de forceest conçu, du côté protestant, comme devantfaire boule de neige, et les pauses entre lesguerres sont donc marquées par de multiples «édits » où les protestants se voient reconnus parla monarchie, avec l’obtention de plus ou moinsde droits de culte.

Cela n’empêche pas la violence: à la fin duXVIe siècle, sur 337 lieux de culte (catholiques)du diocèse de Toulouse par exemple, le nombred’églises ou de chapelles ayant dû affronter lacolère protestante est le suivant : 45 ont étébrûlés, 37 détruites, 23 mises en ruine, 19 n’ontplus de toiture, 14 ont été pillés ou sont enmauvais état.

Mais ce n’est pas l’aspect principal: leprotestantisme espérait gagner la légitimité,l’hégémonie. Cet espoir sera vain.

En effet, les temps morts entre les guerresvont permettre à la monarchie de se développeren tant que culture nationale, et par là, de parle niveau civilisationnel plus élevé de la nationpar rapport au localisme, de prendre le dessusculturellement.

A cela s’ajoute les multiples manœuvres,comme le massacre de la Saint-Barthélemy, en1572. Un attentat avait blessé à Paris le chefprotestant Gaspard II de Coligny, et lesreprésentants protestants venus protester sontmassacrés dans un complot se transformant enpogroms anti-protestants à Paris, puis dans unevingtaine de villes de province.

A Paris, Coligny est ainsi achevé et sa tête

envoyé au pape Grégoire XIII, pape qui faittirer le canon du Château-Saint-Ange à Rome,commande une médaille commémorative,demande au peintre Vasari (auteur par ailleursdu premier recueil d’histoire de l’art, Les Viesdes meil leurs peintres, sculpteurs et architectes)des œuvres célébrant le massacre pour orner leVatican.

Une autre manœuvre fut la conversion aucatholicisme du chef protestant Henri deBourbon en 1593, permettant à celui-ci dedevenir roi de France, sous le nom de Henri IV.Si cela permet un nouvel édit plus favorable, lestatu quo et le renforcement de la royautéjouent en défaveur de la culture protestante,dont la dynamique est cassée et semble allercontre la tendance à la construction nationale.

C’est en assiégeant et soumettant la villeprotestante de La Rochelle, mais aussi ensupprimant également les châteaux forts privéset en interdisant les duels, bastions féodaux, queRichelieu marque le triomphe des forcesmonarchistes tant sur les forces bourgeoises nonparisiennes que sur la petite noblesse, et ledéveloppement de la construction nationale.

Une construction nationale sous l’égide de lamonarchie, qui à son apogée « résout » laquestion protestante : Louis XIV fait paraître en1685 l’édit de Fontainebleau qui oblige lesprotestant à se convertir ou s’exiler.

Double conséquence de cela, après l’échec duprotestantisme, la bourgeoisie produira lemouvement des libertins (qui permettrontl’éclosion des Lumières). La petite noblesse, elle,sera à l’origine du jansénisme, mouvementpuritain de désengagement d’une sociétédominée par le pouvoir central.

Comme le constate Engels, dans LudwigFeuerbach et la fin de la philosophie classiqueal lemande, la religion devient alors un simplemoyen idéologique pour tromper les masses, etne peut plus jouer de rôle progressiste. Leprotestantisme, en tant que religion «bourgeoise », a été la dernière religion à jouerun rôle progressiste authentique.

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« En France, la minorité calviniste fut, en1685, opprimée, convertie au catholicismeou expulsée du pays. Mais à quoi cela servit-il ? Déjà à cetteépoque, le libre penseur Pierre Bayle étaità l’œuvre, et, en 1694, naquit Voltaire. Lamesure draconienne de Louis XIV(révocation de l’Édit de Nantes) ne fit quefaciliter à la bourgeoisie française laréalisation de sa révolution sous la formeirréligieuse, exclusivement politique, laseule qui convînt à la bourgeoisiedéveloppée. Au lieu de protestants, ce furent des librespenseurs qui siégèrent dans les assembléesnationales. Par-là le christianisme était parvenu àson dernier stade. Il était devenuincapable de servir à l’avenir de manteauidéologique aux aspirations d’une classeprogressive quelconque ; il devint de plusen plus la propriété exclusive des classesdominantes qui l’emploient comme simplemoyen de gouvernement pour tenir enlisière les classes inférieures. A remarquerque chacune des différentes classes utilisela religion qui lui est conforme :l’aristocratie foncière avec le jésuitismecatholique ou le rigorisme protestant, labourgeoisie libérale et radicale avec lerationalisme ; et que ces messieurs croientou non à leurs religions respectives, celane fait aucune différence. »

7. Le classicisme, stade suprême duféodalisme en France

La formation de l’État national français sefait donc en alliance avec l’Église, mais uneÉglise qui n’a pas l’hégémonie et ne peut pasfaire du baroque l’idéologie dominante. C’est leclassicisme qui prédominera, en tant que formeidéologique féodale de « haut niveau », puisqueroyale et nationale.

Le protestantisme allemand s’est vu happépar les féodaux allemands en quêted’indépendance, alors que sa version anglaise,l’anglicanisme, est une religion monarchisteégalement. La Hollande fait figure de bastionintellectuel et culturel, mais cela ne sedécouvrira que par la suite, lorsque labourgeoisie se renforcera réellement ; ainsi, leXVIIe siècle appartient à la France dans

l’histoire du monde.

La France est en effet alors un grand pays,aux ressources nombreuses, et l’élévationculturelle, au-dessus de la féodalité, est unévénement d’une portée mondiale. La preuve dece saut qualitatif est l’immense productionculturelle et idéologique de cette période.

L’État français est alors tendu vers un effortcommun, dans une organisation sociale «organique », où tous les éléments politiques,sociaux, culturels, idéologiques… se confondentet s’unissent.

Ce phénomène sera le rêve des « despoteséclairés » en Europe, et plus tard, aprèsl’effondrement de la féodalité, la référence duromantisme (même si, en apparence, c’est auMoyen-Âge qu’il est fait référence).

Le caractère organique de la périodeclassique de la France se révèle dans l’alliance,contre-nature, de la comédie et de la tragédie.

La comédie, portée par Molière, estl’expression de la bourgeoisie, de sa natureurbaine, de son mode de vie où commence àapparaître l’accumulation comme valeuressentielle (L’avare Harpagon fait ainsi cettecélèbre réplique : « Hélas ! mon pauvre argent,mon pauvre argent, mon cher ami ! On m’aprivé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’aiperdu mon support, ma consolation, ma joie ;tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faireau monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre»).

La tragédie, portée par Corneille (davantagetourné vers l’aristocratie) et Racine (davantagetourné vers la religion), est l’expression de laféodalité et de ses valeurs aristocratiques.L’aristocrate est aristocrate par le sang et doitaccepter ce destin, bon gré mal gré. Ses valeursdoivent être la vertu, les valeurs conformes à lahiérarchie dans la société, à la bienséance.

Bourgeoisie et aristocratie sont elles-mêmessubordonnées à la monarchie ; les pièces jouéesà Versailles pour Louis XIV sont le symbole ducaractère supérieur de la monarchie alors

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absolue.

La pensée scientifique elle-même est marquéepar ce caractère « organique », le roi étant latête, la figure centrale du corps social. En effet,ce sont les mathématiques qui dominent alors lapensée scientifique française, en tantqu’expression du besoin de gestion d’un mondeordonné, hiérarchisé.

Les grandes figures des mathématiques quesont René Descartes et Blaise Pascal sont defervents religieux, leur pensée est pétrie dansl’ordre monarchique. Il s’ensuit un progrès dansla complexité scientifique, mais une visiontotalement mécanique.

Pascal orientera ses mathématiques vers lecalcul, inventant la machine à calculer.Descartes ne voit quant à lui « aucune différenceentre les machines que font les artisans et lesdivers corps que la nature seule compose »(Principia, IV, 203). Les animaux sont donc des« machines », une pensée que prolongera lereligieux Nicolas Malebranche, toujours auXVIIe siècle.

Cette tendance sera lourde de conséquence,marquant en France une rupture quasi uniqueau monde entre nature et culture. Les jardins àla française, où les bosquets sont taillés enforme géométrique, deviennent le symbole d’unedénaturation profonde du noyau dur de lanation française se formant.

La preuve de ce caractère national est que labourgeoisie elle-même conservera cette optique ;seule la classe ouvrière pourra la balayer, enfaisant passer la France dans le socialismetendant à la communauté universelle.

La nation française s’est formé à l’époqueclassique, dans un esprit « géométrique. » Lesarchitectes Mansart et Le Vau sont en quelquesorte des mathématiciens comme Pascal etDescartes.

La littérature elle-même a une forme quasigéométrique, puisque comédie et tragédie sontexactement codifiés, les règles se voulantimmuables (règle des trois unités en tragédie

avec un monde seulement aristocratique, divertiret instruire pour Molière avec un mondeseulement bourgeois, etc.).

L’arrière-plan de la littérature est lui-mêmegéométrique, puisque c’est durant cette mêmepériode que la langue française s’unifie,devenant langue nationale. Le rôle centralrevient à François de Malherbe, de qui restel’image d’un puriste maniaque ayant même oséaffirmer au roi : « Quelque absolu que voussoyez, vous ne sauriez, Sire, ni abolir ni établirun mot, si l’usage ne l’autorise. »

C’est Nicolas Boileau, dans L’art poétique(1674), qui résumera parfaitement cet « espritfrançais » de type « géométrique » :

« Enfin Malherbe vint, et, le premier enFrance, Fit sentir dans les vers une juste cadence, D’un mot mis en sa place enseigna lepouvoir, Et réduisit la muse aux règles du devoir. Par ce sage écrivain la langue réparée N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.Les stances avec grâce apprirent à tomber,Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber. Tout reconnut ses lois; et ce guide fidèle Aux auteurs de ce temps sert encor demodèle. Marchez donc sur ses pas; aimez sapureté, Et de son tour heureux imitez la clarté. Si le sens de vos vers tarde à se faireentendre, Mon esprit aussitôt commence à sedétendre, Et, de vos vains discours prompt à sedétacher, Ne suit point un auteur qu’il faut toujourschercher. Il est certains esprits dont les sombrespensées Sont d’un nuage épais toujoursembarrassées; Le jour de la raison ne le saurait percer. Avant donc que d’écrire apprenez àpenser. Selon que notre idée est plus ou moinsobscure, L’expression la suit, ou moins nette, ou

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plus pure. Ce que l’on conçoit bien s’énonceclairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément.Surtout qu’en vos écrits la langue révérée Dans vos plus grands excès vous soittoujours sacrée. En vain vous me frappez d’un sonmélodieux, Si le terme est impropre, ou le tourvicieux; Mon esprit n’admet point un pompeuxbarbarisme, Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleuxsolécisme. Sans la langue, en un mot, l’auteur le plusdivin Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchantécrivain »

« Ce que l’on conçoit bien s’énonceclairement, Et les mots pour le dire arriventaisément » : cela sera une logique parfaite pourles mathématiques, la « méthode » préconiséepar Descartes. Cette apogée du féodalisme sousla forme classique pave ainsi, malgré elle, la voieau matérialisme.

Mais cette logique parasitée par la monarchied’un côté, la religion de l’autre, pousse à lapensée mécanique. Descartes entend « nousrendre comme maîtres et possesseurs de lanature », sans aucune considération pour le réel,sans voir le double aspect du travail sur lemonde.

C’est cela qui explique que la France au eujusqu’à présent d’excellents mathématiciens,mais que la dialectique reste considérée, mêmechez les « marxistes », comme une mystique,une élucubration « allemande » de Hegel (lesdeux seuls réels auteurs ayant compris ladialectique en France ayant été Politzer,d’origine hongroise, et Kojève, d’origine russe).

Par le classicisme, la nation françaiseacquière la force de caractère l’amenant à êtreraisonnable, mais cet esprit raisonnable confineau fanatisme, au refus des sauts qualitatifs, deschangements complets : c’est cela qui explique le« tempérament » français « cotonneux », «

ouaté », que l’on retrouve en période de crise,durant l’Occupation ou mai-juin 1968… etégalement le refus obstiné de reconnaître lanature, et l’humanité comme étant une de sescomposantes.

8. La formation de l’État moderne parl’administration « géométrique »

La formation de l’esprit national françaisculminant dans le « classicisme » caractérisé parl’alliance monarchie – religion (avec laprépondérance de la monarchie) va de pair avecla formation de l’État français, en tantqu’administration à l’échelle nationale.

La notion de république est au centre despréoccupations, en tant que « res publica »,chose publique. Jean Bodin en fait la théorie,dans son oeuvre principale, La République(1576), où il donne les contours juridiques de lamonarchie.

Dans le cadre de l’esprit national, cetteconception est « géométrique » ; Cardin Le Bretexplique dans le classique De la souveraineté duRoy (1632) que « La souveraineté n’est non plusdivisible que le point en géométrie. »

Le roi n’est pas le centre, mais l’axe central.Si l’on est encore incertain du fait que le jeuneLouis XIV ait jamais affirmé que « L’État c’estmoi! », on connaît par contre ses dernièresparoles, très parlantes ici : « Je m’en vais, maisl’État demeurera toujours. »

De la même manière, Jean-Baptiste Colbert,importante figure de la finance au XVIIe siècle,avait comme devise : « Pro rege, saepe, propatria semper » soit « Pour le roi souvent, pourla patrie toujours. »

Le même Colbert rappelle également que «Le roi veut qu’il y ait de l’uniformité dans sonroyaume » (lettre à Henri d’Aguesseau,intendant de Languedoc, 26 avril 1675).

Car la monarchie absolue, c’est avant tout

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une administration nationale. La loi devient lamême dans tout le pays, le roi exige impôts etsoldats. Le pays devient unifié.

Une imprimerie royale est ainsi fondée auXVIIe siècle par Louis XIII, au Louvre, pourimprimer les actes royaux. Les avocats et lesjuristes forment une nouvelle professiond’importance, alors que se développe le droitdans tout le pays. En 1764, le dépôt étatiquedes actes légaux contenait déjà 350 000 actes(originaux, copies, imprimés).

L’application des décisions royales passe parune administration développée : des officiers(chargé d’offices, c’est-à-dire d’administration dedomaines précis, la charge étant héréditaire etpouvant se vendre), des commissaires (qui sontdes chargés de mission temporaires), et enfin lesingénieurs et techniciens (fortifications, ponts etchaussées, marine, géographes…), les commis(employés aux écritures), les inspecteurs(chargés de la vérification, véritables policiers dela monarchie)…

On a déjà les bases d’une administrationétatique moderne, ainsi que le principe d’uneformation par l’État des cadres de la nation :l’École des ponts et chaussées est fondée en1747, l’École du génie de Mézières en 1748,l’École des mines en 1783.

On a également une affirmation du caractèregénéral de la société française, avec les « étatsgénéraux », rassemblant des représentants des «sujets » du roi, présentant des « doléances. »Ces états généraux se sont réunis à Tours en1484, à Pontoise en 1561, à Blois en 1576 et en1588, à Paris en 1593 et en 1614, à Versailles en1789.

A cela s’ajoute les assemblées des notables(1506, 1527, 1558, 1560, 1575, 1583, 1596, 1617,1625, 1626, 1787, 1788), qui émettent des « avis.» Il n’est nullement difficile ici de voir commentse préfigurent d’un côté le Parlement (forme «moderne » des états généraux) et de l’autre leSénat (forme « moderne » des assemblées desnotables).

Si on ajoute les secrétaires d’État, ledépartement de la guerre, le département de lamarine, le département des affaires étrangères etle département des finances, on voit que labourgeoisie n’a rien inventé et directementrepris, à la monarchie absolue, le principed’administration moderne.

Avec Versailles, où s’installent les ministreset leurs services, on a également la formationd’une capitale administrative. Cette capitaledevient le centre culturel, le bastion idéologiquede la monarchie. L’existence de la cour, soit 10000 courtisans, est la preuve de la fin de laFrance des « fiefs » telle qu’elle existait encoreau XVIe siècle. Le Roi veille et surveille tout.

La destruction de la « cour des miracles » àParis – les quartiers de Paris incontrôlés etincontrôlables de par la population lumpen –témoigne de cette généralisation de l’ordre, dece progrès de civilisation.

La France devient alors une nation, la «France, mère des arts, des armes et des lois »telle que l’avait défini Du Bellay au XVIe siècle,et telle que la République bourgeoisie du débutdu XXIe siècle l’assume encore.

Ce cadre national va permettre à l’antithèsede la féodalité, le capitalisme, de s’affirmerfranchement, donnant à la bourgeoisie lacapacité de diriger la nation. Richelieu, cardinalrenforçant l’État et contribuant à la naissancede l’Académie française, pave la voieinstitutionnelle à la naissance de l’Étatbourgeois républicain.

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9. Le saut qualitatif culturel-civilisationnel et le développement des

forces productives

La sortie du Moyen-Âge, sous l’impulsion dela falsafa et du développement du capitalisme, aconduit à un grand développement des forcesproductives et la généralisation des techniquesartistiques.

Ce développement a emporté sur son passageles vieilles conceptions. Si aujourd’hui, cesœuvres peuvent paraître parfois très inégales, enraison du niveau technique dont nous disposonsaujourd’hui, elles sont à l’époque à l’origined’une véritable révolution culturelle.

Dans tous les domaines intellectuels, lebouleversement est complet ; même la religioncatholique est obligée de moderniser son stylepour suivre le courant et tenter de se mainteniridéologiquement.

Peinture, musique, théâtre, romans, poésie,politique, philosophie, morale, esthétique,mathématiques, physique, agriculture…L’humanité connaît un bouleversement sanspareil, alors que la féodalité atteint son apogéeet que la bourgeoisie connaît en certains paysune naissance fulgurante.

De par cette situation, les marchandsconcurrencent donc les églises dans les domainesartistiques et intellectuels.

On a d’un côté des portraits comme celui dumarchand londonien Thomas Gresham, parAdrian Quey (vers 1560), ou bien Le prêteur etsa femme, réalisé au début du XVIe siècle par leflamand Quentin Metsys.

Habitant dans la ville bourgeoise d’Anvers,ce dernier fait partie de l’école flamande, avecJan Van Eyck, Jérôme Bosch et Pierre PaulRubens ; en Allemagne c’est Albrecht Dürer quiest le peintre et graveur représentatif del’humanisme et de la Réforme.

Et de l’autre côté, on a la Chapelle sixtineréalisée par Michel-Ange, et les œuvres

formidables de Raphaël et Léonard de Vinci ; onretrouve également les italiens Tintoret,Véronèse, Titien, le grec El Greco qui a fondél’école espagnole ou encore l’Italien Bernini, le «second Michel-Ange. »

Entre les portraits (de marchands,d’aristocrates, de la vie quotidienne) et lescélébrations des moments religieux, on trouveégalement une « zone tampon » : la mythologiegréco-romaine. Les artistes « jonglent » entreces pôles, selon leur situation historique, selonleur idéologie et leur marge de manœuvre.

Car ici la référence à un passé gréco-romainidéalisé permet de contourner la religioncatholique, tout en évitant un affrontementfrontal, ce qui est relativement accepté partl’Église elle-même qui tient encore le haut dupavé et intègre à son hégémonie culturelle lagloire artistique.

Toutefois, le pouvoir royal lui-même n’est pasen reste puisque la monarchie française, qui esthégémonique, s’approprie l’architecture, toutd’abord avec les Châteaux de la Loire, puis avecceux de Versailles, le Grand Trianon, et Vaux-le-Vicomte.

Les « Jardins à la française », créés parAndré Le Nôtre, forment le point culminant duclassicisme français.

En Europe, l’art naît donc véritablementavec la Renaissance ; les progrès techniquespermettent son développement de plus en plusmassif, et il n’est plus de classe sociale quipuisse se permettre de ne pas l’assumer àgrande échelle.

C’est la naissance de l’art en tant que valeurde civilisation ; les masses assument cettedirection, elles soutiennent ce qui se présentecomme un progrès, une avancée, tout comme lamonarchie et la religion apparaissaient commeun progrès par rapport à l’esclavagisme et labarbarie passée.

L’effondrement de la monarchie française en1789 est également le contre-coup de l’échecinévitable de la monarchie à pérenniser cette

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progression (la monarchie anglaise, elle, semaintenant en s’alliant avec la bourgeoisie, puisau moins symboliquement en lui cédant lescommandes de l’État).

A partir de la Renaissance, il n’est plus declasse sociale qui puisse s’installer sans affirmerrelever d’un niveau civilisationnel plus élevé.

Même au XVIIe siècle, lorsque la religioncatholique s’alliera à la pire réaction féodalepour contrer l’humanisme, elle devra assumerl’art de manière généralisée et se présentercomme une éthique « supérieure ».

L’art baroque naît donc dans le domainearchitectural, dans le plan des églises érigées parles jésuites, qui forment le noyau dur intellectuelet culturel de la réaction catholique, de ce qu’onappelle la « contre-réforme ».

A l’architecture s’allie très vite la poésiemaniérée visant à montrer le caractère triste ettoujours changeant d’un monde qui seraitmarqué par l’omniprésence de la mort. Lebaroque, idéologie de grande puissance, vamarquer profondément des pays entiers, jusqu’àaujourd’hui : l’Espagne, l’Italie, ceux del’Autriche-Hongrie.

Mais son incrustation au cœur des culturesnationales passe par une présentation culturelle,civilisationnelle ; la religion se présente commeune « morale. » De fait, le Moyen-âge est(définitivement) dépassé par le développementdes forces productives, rien n’est plus commeavant.

Dès lors, la dimension culturelle n’échappedonc pas aux puissants. La monarchie absoluefrançaise contrôle ainsi très étroitement lesproductions culturelles, n’hésitant pas tantôt àintégrer Jean de La Fontaine, éminent défenseurdu peuple, tantôt à mettre de côté Fénelon, legrand précurseur des Lumières (Les Aventuresde Télémaque, fils d’Ulysse).

Les dominants savent en effet, malgré leursfondements féodaux, que l’évolution techniquefavorise (au moins pour l’instant) ledéveloppement de leur propre pays, que c’est la

bourgeoisie qui est à l’origine de cedéveloppement. Cela est d’autant plus flagrantsi l’on voit qu’à cette époque, l’Europe est bienmoins avancée que d’autres parties du monde.

L’Europe a 50 millions de personnes y vivant,contre 130 millions en Chine et cent millions enInde ; Istanbul a déjà plus d’un demi milliond’habitants et de fait l’Empire Ottoman étaitune très grande puissance militaire, tout commela Chine.

Mais l’échec des ottomans à prendre la villeautrichienne de Vienne en 1529, après avoir prisle contrôle des Balkans et de la majeure partiede la Hongrie, symbolise la vigueur de labourgeoisie, de la capacité de mobilisationnationale et du progrès technique.

C’est ainsi que l’université, lieu de savoir, està la croisée des chemins des deux classes,féodale et bourgeoise. Dans le mot « université» on retrouve le mot univers : le projet estclairement de rassembler les savoirs, dans uneperspective universelle. Cependant, les bénéficesvont à court terme encore aux institutions enplace.

Au-delà des inévitables frictions etinterdictions des idées nouvelles, cela permet undéveloppement sans précèdent en Europe.

La médecine, reprise à la culture arabo-persane, est l’une des matières les plusimportantes : l’École de médecine de Salerne(près de Naples) est fondée à la fin du IXe siècleet est la plus importante du Moyen-Âge, lafaculté de Montpellier fondée en 1289 prenant lerelais à la Renaissance, toujours dans lacontinuité des avancées arabo-judéo-persanes.

Dans ce cadre, le livre de chevet de Henri IVest Théâtre d’agriculture et mesnage deschamps, d’Olivier de Serres, ouvrage qui en 1702en est quasiment à sa centième édition !

Et l’université naît et acquière donc unesignification essentielle, révolutionnaire,puisqu’elle va former l’appareil d’État desnouveaux États-nations : lorsque Gustave Vasaen Suède fait triompher la Réforme sur le

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catholicisme, il ferme l’université d’Uppsala(fondée en 1477) pour que les étudiantsréquisitionnés deviennent des cadres de lanouvelle administration.

Pareillement, les hommes d’État de Grande-Bretagne commencent à passer par Oxford(1525) et Cambridge (1546), facultés tournéesvers l’Italie. L’université de Cracovie, dans unePologne assumant de plein pied la Renaissance,fondée en 1364, est pareillement un grand pôlede l’intelligence jouant un rôle historique enAstronomie, en ayant notamment commeprofesseur Nicolas Copernic (1473-1543), quipublie De revolutionibus orbium caelestium.

A Heidelberg, l’université fondée en 1386 estainsi le lieu où Luther expose ses thèses (c’est la« dispute de Heidelberg »).

L’université est le symbole de l’intelligence,qui naît dans la féodalité, mais porte en elle lesgermes d’une société nouvelle. De grandspenseurs saisissent cette porte ouverte sur lefutur.

Francesco Guicciardini, homme politique deFlorence, écrit une histoire de l’Italie dont ilvérifie les sources, ouvrant la voie à une lecturehistorique scientifique, alors que Machiavel poseavec Le Prince les fondements de l’étude de lapolitique.

L’italien Tommaso Campanella publie LaCité du Soleil, utopie philosophique etcollectiviste, et Thomas More publie lui Utopia.

L’humanité prend conscience d’elle-même ;avec le progrès des forces productives, ellecommence à se saisir elle-même, à se poser faceà elle-même, à construire une morale, à existeren tant que tel, de manière non éparse,hasardeuse, purement spontanée. La civilisations’installe durablement, gagnant chaque jourdavantage en profondeur.

10. Rabelais et Montaigne

Lorsque apparaît la langue française commelangue de la pensée, de science, au XVIe siècle,il fallait qu’elle assume une dimension nationale-populaire, qu’elle dépasse le formalisme dulatin.

Les poètes de la Pléiade, groupe de septpoètes dont Ronsard et Du Bellay, ont ouvert lavoie, mais c’est surtout la littérature réaliste quia imprégné l’esprit français. Un réalisme tournévers le burlesque, en raison de la démarchepopulaire de remise en question des hiérarchiespar la moquerie, ou bien vers le repli défensifsur les valeurs intellectuelles, morales etculturelles.

Impossible donc de comprendre la Francesans Rabelais et Montaigne.

La figure de Rabelais est ainsi proche de lapoésie populaire de François Villon (XVe siècle)et du réalisme de Paul Scarron (XVIIe siècle,auteur du Roman comique), des fables de LaFontaine (XVIIe siècle) et du matérialisme deSavinien Cyrano de Bergerac (Histoire comiquedes États et Empires de la Lune, vers 1650).

Il est significatif que ces auteurs,authentiquement porteurs de la culture et de lacivilisation, d’une perspective réaliste, soientmis de côté dans l’éducation institutionnel desmasses (ou alors seulement entrevus sur le plande la forme).

Tout comme il est significatif qu’une œuvrecomme L’Astrée, publié de 1607 à 1627, parHonoré d’Urfé, soit passée à la trappe par labourgeoisie. Ce roman de pratiquement 5400pages était lu dans toutes les cours européennes,sa valeur culturelle et historique est immense,mais inutilisable par la bourgeoisie aujourd’hui…

Aujourd’hui décadente jusqu’au baroque, iln’est par contre pas étonnant que la bourgeoisiemette en avant Rabelais et plus exactementGargantua.

Rabelais a notamment étudié à la Faculté de

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Médecine de Montpellier, dont les connaissancessont directement liées à l’influence de la falsafaarabo-persane (et ici également juive). Il se situeainsi dans une perspective humaniste ; il prônedonc l’intelligence, la réflexion, les études, lavolonté libre d’étudier : c’est l’utopie del’abbaye de Thélème, dans Gargantua.

Malheureusement, à cet aspect positif on doitopposer un aspect négatif d’une grande force,l’emportant inexorablement. La culturenationale française s’appuie pour une bonnepart sur la contradiction terrible de Rabelais,dont la rébellion intellectuelle va de pair avecune participation à la vie tant cléricale quemonarchique.

Ainsi, d’un côté, voici comment Rabelais semoque de la logique religieuse formelle, avecGargantua devant devenir docteur de laSorbonne grâce à sa compréhension desprincipes « scientifiques » religieux de l’époque:

« Il n’est (dist Gargantua) poinct besoingtorcher cul, sinon qu’il y ayt ordure ;ordure n’y peut estre si on n’a chié ; chierdoncques nous fault davant que le cultorcher.- O (dist Grandgousier) que tu as bonsens, petit guarsonnet ! Ces premiers joursje te feray passer docteur en gaie science,par Dieu ! »

Toutefois, de l’autre côté, Rabelais a unparcours ecclésiastique chaotique mais restantdans le cadre religieux ; il est très proche del’appareil monarchique, et même du roi.Rabelais est ainsi finalement plus un fou du roi,prétendument populaire de par sa dimensionburlesque, qu’un réel humaniste partant enguerre.

Il y a ici, dans ce culte du jeu de l’esprit,quelque chose de typiquement français. Depuiscette époque, il n’est pas de journaliste «critique » qui ne place de jeu de mot dans letitre de son article, comme jeu de «distanciation », comme « moquerie », etc.

Rabelais a donc des limites historiques

évidentes ; sa démarche reste dilettante. Preuvede cela, l’épitaphe que lui a fait Ronsard, où ilest expliqué que du matin au soir on ne pouvaitpas le voir sans qu’il soit en train de boire : «Jamais le soleil ne l’a vu, Tant fût-il matin, qu’iln’eût bu, Et jamais au soir la nuit noire, Tantfût tard, ne l’a vu sans boire » et qu’il faut faire« ripaille » si l’on passe voir sa tombe : « O toi,quiconque sois, qui passes, Sur sa fosse répandsdes tasses, Répands du brit et des flacons, Descervelas et des jambons »

Avec Montaigne et les Essais, on est loin decela, et on retrouve l’esprit français qui seracelui qu’on qualifiera de « cartésien », enréférence avec la rigueur de Descartes. MaisMontaigne reconnaît également toute sa dignitéau réel, ce qui fait de lui un grand précurseurdu matérialisme dialectique.

Cette citation révèle sa compréhension desdeux aspects d’une question concrète :

« Quand je joue avec ma chatte, qui saitsi je ne suis pas son passe-temps plutôtqu’elle n’est le mien? Nous nous taquinonsréciproquement. »

Montaigne a ainsi été un ardent critiquedu colonialisme et de ses destructions, avec unoeil à la fois matérialiste et dialectique,comprenant les interrelations :

« Notre monde vient d’en trouver unautre (et qui nous répond si c’est ledernier de ses frères, puisque les démons,les sibylles et nous, avons ignoré celui-cijusqu’asteure ?) non moins grand, plein etmembru que lui, toutefois si nouveau et sienfant qu’on lui apprend encore son a, b,c; il n’y a pas cinquante ans qu’il ne savaitni lettres, ni poids, ni mesure, nivêtements, ni blés, ni vignes. Il étaitencore tout nu, au giron, et ne vivait quedes moyens de sa mère nourrice (…).Bien crains-je que nous aurons bien forthâté sa déclinaison et sa ruine par notrecontagion, et que nous lui aurons biencher vendu nos opinions et nos arts.C’était un monde enfant ; si ne l’avons-nous pas fouetté et soumis à notrediscipline par l’avantage de notre valeur etforces naturelles, ni ne l’avons pratiqué

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par notre justice et bonté, ni subjugué parnotre magnanimité.La plupart de leurs réponses et desnégociations faites avec eux témoignentqu’ils ne nous devaient rien en clartéd’esprit naturelle et en pertinence.L’épouvantable magnificence des villes deCuzco et de Mexico, et, entre plusieurschoses pareilles, le jardin de ce roi, oùtous les arbres, les fruits et toutes lesherbes, selon l’ordre et grandeur qu’ils onten un jardin, étaient excellemment formésen or ; comme, en son cabinet, tous lesanimaux qui naissaient en son État et enses mers ; et la beauté de leurs ouvragesen pierrerie, en plume, en coton, en lapeinture, montrent qu’ils ne nous cédaientnon plus en l’industrie.Mais quant à la dévotion, observance deslois, bonté, libéralité, loyauté, franchise, ilnous a bien servi de n’en avoir pas tantqu’eux ; ils se sont perdus par cetavantage, et vendus et trahis eux-mêmes. »

Cette combinaison de rationalisme etd’ouverture d’esprit aux peuples colonisés esttrès originale en France, car en tant qu’État-nation la France est née comme « mère des arts» c’est-à-dire dans le culte de la dominationtechnique de la nature.

Montaigne est en porte-à-faux total avec laconception dominante, qui culminera dans les «Jardins à la française » ; voici comment ilprésente la nature en Amérique, cette « mèrenourrice » dont il parlait plus haut :

« Et pourtant la saveur et la délicatessede divers fruits de ces contrées, qui nesont pas cultivés, sont excellentes pournotre goût lui-même, et soutiennent lacomparaison avec ceux que nousproduisons.Il n’est donc pas justifié de dire que l’artl’emporte sur notre grande et puissantemère Nature.Nous avons tellement surchargé la beautéet la richesse de ses produits par nosinventions que nous l’avons complètementétouffée. Et partout où elle se montre danstoute sa pureté, elle fait honte, ô combien,à nos vaines et frivoles entreprises.Et le lierre vient mieux de lui-mêmeEt l’arbousier croît plus beau dans leslieux solitaires,Et les oiseaux, sans art, ont un chant plus

doux,[Properce, I, 2, 10.] »

Cette compréhension du double caractère dela nature fait de Montaigne un précurseur ducommunisme ; son affirmation de l’unité de labiosphère est une anticipation de la questioncommuniste :

« Qu’on ne se moque pas de la sympathieque j’ai pour elles [les animaux]: lathéologie elle-même nous ordonne d’avoirde la mansuétude à leur égard.Elle considère que c’est un même maîtrequi nous a logés dans ce palais pour être àson service, et donc que les bêtes sont,comme nous, de sa famille; elle a doncraison de nous enjoindre d’avoir enverselles du respect et de l’affection.Si on peut discuter de tout cela, il n’enreste pas moins que nous devons uncertain respect et un devoir générald’humanité, non seulement envers lesanimaux, qui sont vivants et ont unesensibilité, mais envers les arbres et mêmeles plantes.Nous devons la justice aux hommes, et labienveillance et la douceur aux autrescréatures qui peuvent les ressentir. Il yune sorte de relation entre nous, et desobligations mutuelles.Je ne crains pas d’avouer la tendresse dueà ma nature si puérile qui fait que je nepeux guère refuser la fête que mon chienme fait, ou qu’il me réclame, même quandce n’est pas le moment. »

« Même quand ce n’est pas le moment » :Montaigne fait ici l’éloge de la dignité du réel.

Quant à sa défense des règnes animal etvégétal, l’emploi qu’il fait de l’expression «obligations mutuelles » anticipe notre visioncontemporaine, moderne, marxiste – léniniste –maoïste, de l’unité de la vie dans la biosphère,et des responsabilités qui en découlent.

On peut même dire qu’avec la question de lasensibilité, il apporte ce qui manquait à laconception matérialiste de Spinoza. C’est unepreuve de l’immense réflexion de l’époque de lanaissance de la bourgeoisie en tant que classe, sacontribution à la civilisation humaine.

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11. Matérialisme et dignité du réel

Le principal problème du Parti Communistefrançais dans les années 1930 et 1950 a été sonincapacité à correctement évaluer les Lumièresfrançaises. Elles ont été considérées commepavant unilatéralement la voie au socialismescientifique, en raison de leur matérialisme.

C’est là un point de vue erroné, doublementerroné. Tout d’abord, parce que ce matérialismen’est pas dialectique. Ensuite, parce que cematérialisme pris comme seulement « français »nie l’influence du matérialisme anglais, lepremier vrai matérialisme bourgeois.

Voici comment Karl Marx présente le défautdu matérialisme ancien, bourgeois :

« Le principal défaut de tout matérialismejusqu’ici (y compris celui de Feuerbach)est que l’objet extérieur, la réalité, lesensible ne sont saisis que sous la formed’objet ou d’intuition, mais non en tantqu’activité humaine sensible, en tant quepratique, de façon subjective. (…)Le plus haut point auquel arrive lematérialisme intuitif, c’est-à-dire lematérialisme qui ne conçoit pas le sensiblecomme activité pratique, c’est l’intuitiondes individus singuliers et de la sociétécivile.Le point de vue de l’ancien matérialismeest la société civile, le point de vue dunouveau est la société humaine oul’humanité sociale. »

(Karl Marx, Thèses sur Feuerbach)

Il faut ici souligner que le matérialisme a enFrance eu une grande composante religieuse.Dans la Sainte famil le, Marx et Engelssoulignent ainsi le double aspect de Descartes :

« Dans sa physique, Descartes avait prêtéà la matière une force créatrice spontanéeet conçu le mouvement mécanique commeson acte vital. Il avait complètementséparé sa physique de sa métaphysique. Àl’intérieur de sa physique, la matière estl’unique substance, le fondement uniquede l’être et de la connaissance.

Le matérialisme mécaniste françaiss’est rattaché à la physique de Descartes,par opposition à sa métaphysique. Sesdisciples ont été antimétaphysiciens deprofession, c’est-à-dire physiciens. (…)Dès sa première heure, la métaphysiquedu XVIIe siècle, représentée, pour laFrance, surtout par Descartes, a eu lematérialisme pour antagoniste.Descartes le rencontre personnellement enGassendi, restaurateur du matérialismeépicurien. Le matérialisme français etanglais est demeuré toujours en rapportétroit avec Démocrite et Épicure.La métaphysique cartésienne a eu unautre adversaire en la personne dumatérialiste anglais Hobbes.C’est longtemps après leur mort queGassendi et Hobbes ont triomphé de leuradversaire, au moment même où celui-cirégnait déjà comme puissance officielledans toutes les écoles françaises. »

Est-ce à dire que le matérialisme est né enFrance ? Absolument pas. Marx et Engelssont très clairs à ce sujet, justement parcequ’ils accordent toute son importance à ladignité du réel. A côté de Gassendi, ilssaluent ainsi le rôle de Pierre Bayle, dontils disent : « L’homme qui, sur le plan dela théorie, fit perdre leur crédit à lamétaphysique du XVIIe siècle et à toutemétaphysique, fut Pierre Bayle. »

Est-il besoin de souligner à quel point labourgeoisie nie cette réalité, et a une visionhistorique différente? La raison de cela estqu’elle n’a pas le même centre d’intérêt que lesocialisme scientifique. Voyons ce que disentMarx et Engels au sujet du matérialisme :

« Le matérialisme est le vrai fils de laGrande-Bretagne. Déjà son scolastiqueDuns Scot s’était demandé « si la matièrene pouvait pas penser ».Pour opérer ce miracle, il eut recours à latoute-puissance de Dieu; autrement dit, ilforça la théologie elle-même à prêcher lematérialisme. Il était de surcroîtnominaliste. Chez les matérialistes anglais,le nominalisme est un élément capital, etil constitue d’une façon générale lapremière expression du matérialisme.Le véritable ancêtre du matérialismeanglais et de toute science expérimentalemoderne, c’est Bacon. La science basée surl’expérience de la nature constitue à ses

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yeux la vraie science, et la physiquesensible en est la partie la plus noble.Il se réfère souvent à Anaxagore et seshomoioméries, ainsi qu’à Démocrite et sesatomes. D’après sa doctrine, les sens sontinfaillibles et la source de toutes lesconnaissances.La science est la science de l’expérience etconsiste dans l’application d’une méthoderationnelle au donné sensible. Induction,analyse, comparaison, observation,expérimentation, telles sont les conditionsprincipales d’une méthode rationnelle.Parmi les propriétés innées de la matière,le mouvement est la première et la pluséminente, non seulement en tant quemouvement mécanique et mathématique,mais plus encore comme instinct, espritvital, force expansive, tourment de lamatière (pour employer l’expression deJacob Boehme). Les formes primitives dela matière sont des forces essentiellesvivantes, individualisantes, inhérentes àelle, et ce sont elles qui produisent lesdifférences spécifiques.Chez Bacon, son fondateur, lematérialisme recèle encore, de naïve façon,les germes d’un développement multiple.La matière sourit à l’être humain totaldans l’éclat de sa poétique sensualité; parcontre, la doctrine aphoristique, elle,fourmille encore d’inconséquencesthéologiques.Dans la suite de son évolution, lematérialisme devient étroit. C’est Hobbesqui systématise le matérialisme de Bacon.Le monde sensible perd son charmeoriginal et devient le sensible abstrait dugéomètre. Le mouvement Physique estsacrifié au mouvement mécanique oumathématique; la géométrie est proclaméescience principale. Le matérialisme se faitmisanthrope.Pour pouvoir battre sur son propre terrainl’esprit misanthrope et désincarné, lematérialisme est forcé de mortifier lui-même sa chair et de se faire ascète. Il seprésente comme un être de raison, maisdéveloppe aussi bien la logique inexorablede l’entendement.Partant de Bacon, Hobbes procède à ladémonstration suivante : si leurs sensfournissent aux hommes toutes leursconnaissances, il en résulte que l’intuition,l’idée, la représentation, etc., ne sont queles fantômes du inonde corporel plus oumoins dépouillé de sa forme sensible.Tout ce que la science peut faire, c’estdonner un nom à ces fantômes. Un seul etmême nom peut être appliqué à plusieursfantômes. Il peut même y avoir des nomsde noms.Mais il serait contradictoire d’affirmerd’une part que toutes les idées ont leur

origine dans le monde sensible et desoutenir d’autre part qu’un mot est plusqu’un mot et qu’en dehors des entitésreprésentées, toujours singulières, il existeencore des entités universelles.Au contraire, une substance incorporelleest tout aussi contradictoire qu’un corpsincorporel. Corps, être, substance, toutcela est une seule et même idée réelle. Onne peut séparer la pensée d’une matièrequi pense. Elle est le sujet de tous leschangements. Le mot infini n’a pas desens, à moins de signifier la capacité denotre esprit d’additionner sans fin.C’est parce que la matérialité seule peutfaire l’objet de la perception et du savoirque nous ne savons rien de l’existence deDieu. Seule est certaine ma propreexistence. Toute passion humaine est unmouvement mécanique, qui finit oucommence. Les objets des instincts, voilàle bien. L’homme est soumis aux mêmeslois que la nature. Pouvoir et liberté sontidentiques.Hobbes avait systématisé Bacon, maissans avoir fondé plus précisément sonprincipe de base, aux termes duquel lesconnaissances et les idées ont leur originedans le monde sensible.C’est Locke qui, dans son Essai surl’entendement humain, a donné unfondement au principe de Bacon et deHobbes. (…)Nous avons déjà fait remarquer combienl’ouvrage de Locke vint à propos pour lesFrançais. Locke avait fondé la philosophiedu bon sens, c’est-à-dire déclaré, par unevoie détournée, qu’il n’existait pas dephilosophie distincte des sens humainsnormaux et de l’entendement fondé sureux.Le disciple direct et l’interprète françaisde Locke, Condillac, dirigea aussitôt lesensualisme de Locke contre lamétaphysique du XVIIe siècle. Il démontraque les Français avaient eu raison derejeter cette métaphysique comme unesimple élucubration de l’imagination etdes préjugés théologiques. Il fit paraîtreune réfutation des systèmes de Descartes,Spinoza, Leibniz et Malebranche.Dans son Essai sur l’origine desconnaissances humaines, il développa lesidées de Locke et démontra que nonseulement l’âme, mais encore les sens, nonseulement l’art de former des idées, maisencore l’art de la perception sensible, sontaffaire d’expérience et d’habitude. C’estde l’éducation et des circonstancesextérieures que dépend donc tout ledéveloppement de l’homme. Condillac n’aété supplanté dans les écoles françaisesque par la philosophie éclectique. »

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On voit ici l’analyse géniale des deuxfondateurs du socialisme scientifique. Il ne secontentent pas de constater la genèse dumatérialisme, ils l’évaluent. Ils voient très biencomment Bacon avait une vision universelleformidable : « le matérialisme recèle encore, denaïve façon, les germes d’un développementmultiple. La matière sourit à l’être humain totaldans l’éclat de sa poétique sensualité. »

Est-ce à dire que le matérialisme français n’ajoué aucun rôle? Absolument pas. Mais ilaboutit au socialisme en passant par lematérialisme anglais : là est le « virage »systématiquement « oublié » par les faussairesdu marxisme.

Marx et Engels expliquent :

« Ce qui distingue le matérialisme françaiset le matérialisme anglais, c’est ladifférence des deux nationalités. LesFrançais ont doté le matérialisme anglaisd’esprit, de chair et de sang, d’éloquence.Ils lui confèrent le tempérament qui luimanquait et la grâce. Ils le civilisent.C’est chez Helvétius, qui part égalementde Locke, que le matérialisme prend soncaractère spécifiquement français.Helvétius le conçoit d’emblée par rapportà la vie sociale. (Helvétius : De l’homme).Les propriétés sensibles et l’amour-propre,la jouissance et l’intérêt personnel biencompris sont le fondement de toutemorale. L’égalité naturelle desintelligences humaines, l’unité entre leprogrès de la raison et le progrès del’industrie, la bonté naturelle de l’homme,la toute-puissance de l’éducation, voilà leséléments principaux de son système.Les écrits de La Mettrie nous proposentune combinaison du matérialisme cartésienet du matérialisme anglais. Il utilisejusque dans le détail la physique deDescartes. Son Homme-Machine est calquésur l’animal-machine de Descartes.Dans le Système de la nature d’Holbach,la partie physique est également unamalgame des matérialismes anglais etfrançais, tout comme la partie morale estfondée essentiellement sur la moraled’Helvétius. Le matérialiste français qui aencore le plus d’attaches avec lamétaphysique et reçoit pour cela même leséloges de Hegel, Robinet (De la nature) seréfère expressément à Leibniz.Nous n’avons pas à parler de Volney, deDupuis, de Diderot, etc., pas plus que des

physiocrates, maintenant que nous avonsdémontré la double origine dumatérialisme français issu de la physiquede Descartes et du matérialisme anglais,ainsi que l’opposition du matérialismefrançais à la métaphysique du XVIIesiècle, à la métaphysique de Descartes,Spinoza, Malebranche et Leibniz.Cette opposition ne pouvait apparaîtreaux Allemands que depuis qu’ils sont eux-mêmes en opposition avec la métaphysiquespéculative.De même que le matérialisme cartésien ason aboutissement dans la science de lanature proprement dite, l’autre tendancedu matérialisme français débouchedirectement sur le socialisme et lecommunisme.Quand on étudie les doctrinesmatérialistes de la bonté originelle et desdons intellectuels égaux des êtres humains,de la toute-puissance de l’expérience, del’habitude, de l’éducation, de l’influencedes circonstances extérieures sur l’homme,de la grande importance de l’industrie, dela légitimité de la jouissance, etc., il n’estpas besoin d’une grande sagacité pourdécouvrir les liens qui le rattachentnécessairement au communisme et ausocialisme.Si l’être humain tire toute connaissance,sensation, etc., du monde sensible, et del’expérience au sein de ce monde, ce quiimporte donc, c’est d’organiser le mondeempirique de telle façon que l’être humainy fasse l’expérience et y prenne l’habitudede ce qui est véritablement humain, qu’il yfasse l’expérience de sa qualité d’êtrehumain. Si l’intérêt bien compris est leprincipe de toute morale, ce qui importe,c’est que l’intérêt privé de l’être humain seconfonde avec l’intérêt humain.Si l’être humain n’est pas libre au sensmatérialiste, c’est-à-dire s’il est libre, nonpar la force négative d’éviter telle ou tellechose, mais par la force positive de fairevaloir sa vraie individualité, il ne faut paschâtier le crime dans l’individu, maisdétruire les foyers antisociaux du crime etdonner à chacun l’espace social nécessaireà la manifestation essentielle de son être.Si l’être humain est formé par lescirconstances, il faut former lescirconstances humainement. Si l’êtrehumain est, par nature, sociable, il nedéveloppera sa vraie nature que dans lasociété, et le pouvoir de sa nature doit semesurer non à la force de l’individusingulier, mais à la force de la société.Ces thèses, et d’autres analogues, serencontrent presque textuellement mêmechez les plus anciens matérialistesfrançais. »

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Ainsi, le matérialisme français permet lagenèse d’une affirmation générale dumatérialisme, mais le matérialisme est bien néen Angleterre dans la reconnaissance de ladignité du réel.

Là est le « hic », la dimensionsystématiquement niée par les faussaires dumarxisme, qui ont transformé celui-ci en Franceen un économisme, un « structuralisme », unesociologie….

Rétablir le marxisme signifie doncreconnaître le caractère central de la dignité duréel. On comprend que Bacon, découvrant lematérialisme, ait pu publier une utopie, LaNouvel le Atlantide, monde métissé où l’espritest tendu vers la connaissance scientifique, dansune démarche collective.

Une fois le monde réel reconnu, il fauts’organiser en fonction, établir une moraleidéale. Générosité, splendeur, grandeur d’âme,célébration de l’esprit, dignité, le service public :demain, l’humanité construira la nouvelleAtlantide, sur toute la planète comprise commeBiosphère, la nature se voyant enfin reconnue depar la dignité du réel !

12. Les Lumières françaises

Les Lumières françaises ne sont donc pas «tombées du ciel », elles sont bien uneproduction, et non pas une création « géniale. »Elles sont le fruit :

- de l’humanisme né avec les débuts ducapitalisme, notamment en Italie et en Hollande,bastion des arts et des sciences ;

- du protestantisme ainsi que du matérialismeanglais, expression du capitalisme anglais quis’exprime largement depuis la révolutionanglaise au XVIIe siècle.

Si cela est vrai, alors les Lumières françaisesdoivent posséder deux caractéristiques.

Tout d’abord, en raison de l’importance en

France de l’idéologie classique-monarchiste et savictoire sur le protestantisme, les Lumières ne seprésentent pas comme une idéologie de combat,mais de réformes humanistes, se considérantcomme un prolongement de l’humanisme et duclassicisme.

Une tendance révolutionnaire peut exister,mais seulement avec une différence marquée parrapport au courant réformiste (selon le principede la lutte entre deux lignes, entre l’ancien et lenouveau).

Ensuite, l’influence anglaise doit êtreextrêmement importante dans le monde desidées.

Est-ce le cas ? Oui, c’est bien le cas.

Voltaire, le symbole des Lumières, cultivaitl’esprit classique ; si elles sont considéréescomme sans valeur aujourd’hui, ce sont ses trèsnombreuses tragédies qui l’ont rendu alorscélèbre. Voltaire respecte le legs classique, sesitue dans la suite de Racine et Corneille, etvénère l’alexandrin.

Il dénonce la religion, mais refuse absolumentl’athéisme ; il aimerait une monarchie de typelibérale, et n’hésite pas à vivre plusieurs annéesen Prusse, auprès du « despote éclairé »Frédéric II.

Ainsi, celui qui sera l’amant de sa proprenièce n’est pas un révolutionnaire, mais unefigure intellectuelle du régime monarchique,auteur d’une soixantaine de pièces de théâtre etd’une correspondance d’au moins 23 000 lettres.

C’est à ce titre qu’il est le passeur en Francedes conceptions d’Isaac Newton (1643-1727) ;c’est même lui qui est à l’origine de l’histoire deNewton et de la pomme (qui serait tombé surlui depuis le pommier et lui aurait faitcomprendre la gravité).

Voltaire doit notamment sa connaissance deNewton à la mathématicienne et physicienneÉmilie du Châtelet, qui a traduit Newton(Voltaire dira d’elle qu’elle était « un grandhomme qui n’avoit de défaut que d’être une

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femme »).

Voltaire a également une vision du monde,libérale, empruntée à John Locke ; la plumeacerbe de Voltaire est purement et simplementau service du libéralisme politique.

L’œuvre de Voltaire s’appuiefondamentalement sur la réflexion de Newton etde Locke, et il n’est nullement étonnant que labourgeoisie gomme cet aspect éminemmentscientifique et politique, comme elle gomme sonidentité purement « classique » pour créer lemythe d’un Voltaire bourgeois avant l’heure.

Montesquieu se situe dans la mêmeperspective. Le principe de la séparation despouvoirs, exposé dans De l’esprit des lois, estemprunté à la monarchie constitutionnelleanglaise. Les Lettres persanes ne doivent pasfaire oublier qu’il était un aristocrateparticipant à des salons, magistrat au parlementde Bordeaux et déjà une grande figureintellectuelle de son temps, reconnue commetelle.

Voltaire et Montesquieu apparaissent commecomplémentaires dans l’affirmation de l’idéologiebourgeoise libérale, et leur position n’était pasréellement radicale, même si en contradictionabsolue, sur le fond, avec la féodalité.

Le contexte pourtant, avec une bourgeoisieforte mais sans défense face à la monarchie ainsique la féodalité religieuse, aboutit à unesituation explosive. La faiblesse humaniste de labourgeoisie française et l’échec duprotestantisme se transforment en force desLumières et en triomphe de l’idéologie laïque –républicaine.

Engels constate ainsi l’importance historiquedu matérialisme en France, ainsi que les deuxtendances (déisme et matérialisme) :

« Cependant, le matérialisme passaitd’Angleterre en France où il rencontra uneautre école philosophique matérialiste,issue du cartésianisme avec laquelle il sefondit. Tout d’abord, il demeura en Franceaussi une doctrine exclusivementaristocratique; mais son caractère

révolutionnaire ne tarda pas à s’affirmer.Les matérialistes français ne limitèrent pasleurs critiques aux seules questionsreligieuses, ils s’attaquèrent à toutes lestraditions scientifiques et institutionspolitiques de leur temps; et afin deprouver que leur doctrine avait uneapplication universelle, ils prirent au pluscourt et l’appliquèrent hardiment à tousles objets du savoir dans une œuvre degéants qui leur valut leur nom –l’Encyclopédie.Ainsi sous l’une ou l’autre de ses deuxformes – matérialisme déclaré ou déisme –ce matérialisme devint la conception dumonde de toute la jeunesse cultivée deFrance, à tel point que lors-que la grandeRévolution éclata, la doctrinephilosophique, mise au monde enAngleterre par les royalistes, fournit leurétendard théorique aux républicains etaux terroristes français, et fournit le textede la Déclaration des droits de l’homme. »

(Socialisme utopique et socialismescientifique)

A la critique « constructive » et juridique deVoltaire et Montesquieu s’associe ainsi unecritique radicale, allant jusqu’à la méthodemême de la pensée, assumant ouvertement lematérialisme. Deux auteurs se dégagentnéanmoins comme auteurs matérialistes, sur lavoie du matérialisme dialectique : Rousseau etDiderot.

Rousseau et Diderot sont les deux titans dela civilisation en France au XVIIIe siècle. A lasuite de Bacon, Hobbes et Locke, ils amènent lematérialisme sur le terrain de la réalité social etde la pensée quasi dialectique. En lieu et placedu scepticisme critique de Voltaire etMontesquieu, leur démarche va dans le sensd’une connaissance réaliste et totale du monde.

Rousseau et Diderot constituent le pointculminant de la vague des Lumières, qui croit auprogrès et entend se débarrasser du voilereligieux. C’est le sens du Dictionnairehistorique et critique (1697) de Pierre Bayle, dela Digression sur les Anciens et les Modernes(1688) de Le Bovier de Fontenelles, del’Esquisse d’un tableau histiorique des progrèsde l’esprit humain (1794) de Condorcet, de laRéflexions critiques sur la poésie et sur la

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peinture (1719) de Jean-Baptiste Du Bos.

Lorsque Jean-Baptiste Du Bos affirme quel’art doit « remuer le cœur », il affirme ladignité du réel, et c’est bien le sens desLumières dans ce qu’elles ont de meilleur. Ellescivilisent le matérialisme anglais : l’Encylopédien’est pas un rassemblement de textes froids etformels, mais de brillantes analyses concrètes.

Lénine, dans Matérialisme et Empirio-criticisme, cite un long passage de Diderot, tiréde l’Entretien avec d’Alembert : Diderot atoujours été considéré comme un immenseprécurseur du socialisme scientifique, il estconsidéré comme un matérialiste authentique, laplus haute expression des Lumières.

Mais il n’est pas le seul, et déjà le socialismeutopique s’exprime. Le Code de la nature (1755)du philosophe « oublié » des Lumières, Étienne-Gabriel Morelly, va jusqu’à exiger l’abolition dela propriété privée et exiger l’organisationcollective de la société :

« LOIX FONDAMENTALES ETSACRÉES

Qui couperoient racine aux vices et à tousles maux d’une Société.

I.Rien dans la Société n’appartiendrasingulièrement ni en propriété à personne,que les choses dont il fera un usage actuel,soit pour ses besoins, ses plaisirs, ou sontravail journalier.

II.Tout Citoyen sera homme publie sustenté,entretenu et occupé aux dépens du Public.

III.Tout Citoyen contribuera pour sa part àl’utilité publique selon ses forces, sestalens et son âge ; c’est sur cela que serontréglés ses devoirs, conformément aux Loixdistributives. »

Morelly exposera son utopie communistedans Naufrage des îles flottantes ou Basiliade

du célèbre Pilpai (Pilpay est le poète indien àl’origine de l’inspiration de nombreuses fables deLa Fontaine).

La même année que le Code de la nature estpublié le fameux Discours sur l’Origine et lesFondements de l’inégalité parmi les hommes deRousseau. De par sa méthode, Rousseau est unmatérialiste, quelqu’un qui raisonne en termed’organisation sociale, comme en témoigne leDu contrat social (1762).

Sa reconnaissance de la nature n’estnullement un préromantisme, mais bienl’affirmation de la matière, de la dignité du réel.C’est en ce sens qu’il faut comprendre lesConfessions : non pas comme un élogeindividualiste, mais comme une reconnaissancesensuelle de la réalité, aux antipodes duformalisme outrancier et caricatural de Voltaire.

Rousseau a éminemment une tendance aupessimisme et une conception petite-bourgeoisedu socialisme, une tendance à aller dans le sensde la petite propriété. Mais il rejoint latendance progressiste des Lumières, la plusavancée : celle de Diderot, Helvétius, d’Holbach,d’Alembert, La Mettrie.

Cette tendance exprime déjà les exigencesd’universalité, de science, de reconnaissance duréel et de considération comme quoi l’humanitéest elle-même une composante du réel.

La Mettrie pressent ainsi déjà les exigencesde la biosphère :

« L’Homme n’est pas pétri d’un Limonplus précieux; la Nature n’a emploiéqu’une seule & même pâte, dont elle aseulement varié les levains (…).Enfin le Matérialiste convaincu, quoi quemurmure sa propre vanité, qu’il n’estqu’une Machine, ou qu’un Animal, nemaltraitera point ses semblables; tropinstruit sur la Nature de ces actions, dontl’inhumanité est toujours proportionnée audegré d’Analogie prouvée ci-devant; & nevoulant pas en un mot, suivant la LoiNaturelle donnée à tous les Animaux, faireà autrui, ce qu’il ne voudroit pas qu’on luifit.Concluons donc hardiment que l’Hommeest une Machine; & qu’il n’y a dans tout

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l’Univers qu’une seule substancediversement modifiée.

(L’Homme Machine)

Formidable matérialisme, formidableépicurisme, ayant profité de la falsafa arabo-persane et de se morale ! La voie de lacivilisation était toute tracée.

La bourgeoisie a été une classerévolutionnaire ; elle a fait sortir l’humanité desaffres du féodalisme, elle a brisé la monarchie,elle a libéré les forces productives.

Déjà ses plus grands représentants avaientsaisi l’utopie universelle qui allait s’exprimerdans le futur, déjà l’immense horizon dumatérialisme était deviné.

Déjà était pressenti le matérialismedialectique, comme quoi l’Univers n’est qu’uneseule substance diversement modifiée, c’est-à-dire la matière en mouvement, et comme quoipar conséquent les êtres humains, eux-mêmematière en mouvement, doivent suivre lespréceptes de l’épicurisme, vivre en harmonieavec la vie en elle-même.

Publié en juin 2014Illustration de la première page: portrait de Julien Offray de La Mettrie

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