histoire de la rome antique

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Yann Le Bohec. Histoire. Collection Que sais-je?

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QUESAIS-JE?

HistoiredelaRomeantique

YANNLEBOHEC

Professeurémériteàl'UniversitéParis-Sorbonne(ParisIV)

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Introduction

’histoiredeRome,c’estl’histoireextraordinaired’unepetitecitéquiafaillidisparaîtrecentfoisendeuxsiècles(509-338),puisquis’imposaàsesprochesvoisins,puisàtouteunerégion, leLatium,puis à l’Italie (272), et enfinaumonde tout entier, lemondede l’époque, lemondeméditerranéen.Commentexpliquercemiracle?Nil’organisationpolitique,nilavieéconomique,nilesstructuressociales,nilesproductionsculturellesneprésententdecaractèreextraordinaire.

Cetteconquêteaétéeffectuéeparunrégimearistocratiqueetparunearméedeconscription.Aussiétonnantquelefaitpuisseparaître,Romeasouventétécontrainteauconflit;seshabitantsaimaientlapaix,détestaientlaguerre.Mais,quandilfallaitlafaire,ilslafaisaient,etilsnes’arrêtaientqu’àlavictoire.

Puis cet Empire fut préservé pendant quatre siècles par une monarchie et par une arméeprofessionnelle.

L’économie ne présentait pourtant aucune particularité par rapport à celles que pratiquaient lespeuplesvoisins ; elle reposait sur leblé,basede toute l’alimentation.Les anciens luiont ajouté lavigneet l’olivier,constituant la trilogieméditerranéennedesgéographes,maisaussi legarum, unesaumuredevenueuncondimentuniversel,lacéramique,répanduepartout,letextile,lamétallurgieetle bois, si important et qui a laissé si peu de traces. Un fait mérite pourtant d’être relevé : laRépubliqueadisposéd’hommesengrandesquantités,etelleapuenenvoyerpartout,depuisledétroitdeGibraltar jusqu’auxconfinsde laSyrie ; leHaut-Empirea connuunéquilibreétonnant entre lapopulationetlaproduction.

Lasociétéquefaisaitvivrecetteéconomieétait,elleaussi,trèsprochedecellesquivivaientdanslespaysvoisins.Àsatête,setrouvaientles300familles(puis600),lesnoblesquidirigeaientl’Étatsousla République, qui le faisaient fonctionner sous le Haut-Empire. En dessous, les chevaliers separtageaient entre la fonction publique et les activités économiques.Une solide classe de notablesmunicipaux, juste endessous, dirigeait l’économie et la vie des cités ; passionnément attachés à lapaix,ilsaimaientl’Empirequigarantissaitleurpouvoir.

L’Empire a été perdu par un régimemonarchique et par une autre armée demétier. Les hommeslibres, citoyensounon, faisaientmarcher l’économie ; cen’étaitpasauxesclavesqu’incombait cerôle,contrairementàcequel’onaparfoiscruauxxixeetxxesiècles.

Lesnoblessurtouttenaientàlacultureintellectuelle;danscedomaine,Romen’aquepeuapporté:beaucoupaétéprisauxGrecs,cesGrecssibienvaincusetpourtantsiintelligents.C’estsansdoute,pensaientlesRomains,pouruneraisonreligieuse.CarlesRomainsétaientpersuadésqu’ilsétaientlepeuplelepluspieuxdumonde.

Puisune terriblecrisea frappé l’Empireau iiie siècledenotreère.L’Empire s’enest remiset il amêmeconnuunerenaissanceauivesiècle.Verslafindecemêmeivesiècle,l’Occidentconnaissaittoutes sortes de difficultés, et devenait l’Occident barbare ; l’Orient au contraire trouvait la force

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d’unenouvellerenaissance,maisdansuncontextedifférent,etdevenaitl’Orient«byzantin»;maisétait-ceencoreRome?

Actuellement,denombreuxdébatsagitentlemondescientifique.Ilnefautpourtantpasselaisseralleraupessimisme:uncertainnombrededonnéespeuventêtreconsidéréescommeacquisesetbiendesdébatssoitsontmineurs,soitsontdefauxdébats.Onaposédesproblèmes;onlesaparfoisrésolus.

Leshistoriensactuelsutilisenttoujoursetencorelestextesditslittéraires;ilssontpeunombreux(unhommepeut,danssavie,liretoutelalittératuregrecqueetlatineintéressantl’histoiredecemonde).Pourtant,àleslire,ilstrouventtoujoursduneuf.Ilsnepeuventplussepasserdel’épigraphie,delanumismatique,delapapyrologieetdel’archéologie.Danscesdomaines,lamassededocumentsestinfinie,etchaqueannéeapportesonlotdenouveautés.

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ChapitreI

Lesorigines

aVilledeRomeestnéele21avril753avantJ.-C.,dumoinsd’aprèsunelégendequiestàpeuprèsconfirméeparl’archéologie:lemytherecouvrelaréalitéenladéformant.RemarquonsquelemotVilles’écritavecunemajusculequandils’agitdeRome,l’Urbs.

I.LagéographieLesconditionsgéographiquesexpliquentenpartieledéveloppementdeRome.Lepremierhabitatfutinstallédans leLatium,sur la rivegaucheduTibrequi,àcetendroit,couleapproximativementdunordverslesud.C’estpourcetteraisonquelesanciensontemployél’expressionderivelatinepourdésigner la rive gauche, par opposition à la rive étrusque ou rive droite, située en Étrurie et quicommençaitdel’autrecôtédel’eau.Contrairementàlalégende,Romeneserépartissaitpassurseptcollines,maissurtrois.Àl’èrequaternaire,unelanguevolcaniquevenuedesmontsAlbainsetdelaSabineatteignitleTibre.Puisl’érosionfitsonœuvreetelleisolatroiscollines(dunordausud:leCapitole,lePalatinetl’Aventin)toutendisséquantleplateaudesEsquilies,quiseterminaenquatrelanguesqui,vuesd’enbas,donnentl’impressionerronéequ’ellessontautantdecollines(dusudverslenord :Caelius,Esquilin,ViminaletQuirinal).LeVaticanne fitpartiedeRomeque tardivement.Cessepthauteursisolaientdeuxdépressions,àl’emplacementdufuturForumetdufuturChampdeMars. Le Tibre quitte Rome à 13 m au-dessus du niveau de la mer. Les collines ont une hauteurmoyennede50mavecunsommetà84mauQuirinal.

LaVilleest inséparabledesonfleuve.LeTibreenserraitdanssoncoursuneîle, l’îleTibérine,quifacilitait le passage entre le Latium et l’Étrurie. Il obéit actuellement à un régime méditerranéencontrasté,avecundébitmoyende220-245m3/seconde.Ilestcaractérisépardesminimumsd’étéetdesmaximumsdeprintempsqu’accompagnentparfoisdescruesviolentes,quiinondaienttouteslespartiesbassesdelaVilleetdétruisaientlesentrepôts,réduisantlepeupleàlafamine.

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NousneredironspasquelaVilleétaitbiensituéeouqu’elleétaitsituéeàuncarrefour:onpeutlediredetoutes lesvilles.ElleoccupaitunepositioncentralenonseulementenItalie,maisencoreenMéditerranée.LeLatiumestuneplainepauvreetmarécageuse,surtoutdanssapartielittorale,prochededeuxautresrégionségalementbassesmaisriches,l’ÉtrurieaunordetlaCampanieausud.Ilestdominé par lesApennins qui traversent toute l’Italie ; cettemontagneTertiaire atteint 2 487m aumontVelino,à80kmàl’est-nord-estdeRome.Iln’étaitséparédel’ÉtruriequeparlecoursduTibrequelongeaitlaroutelaplusancienne,laviaSalaria(routedusel).PlusieursautresroutespermettentdecomprendrequellesrelationsontnouéeslesRomains,etavecquelsvoisins.Lavia(voie)Aureliaremontait vers le nord, le long du littoral étrusque ; la via Cassia suivait la précédente,mais parl’intérieurdesterres;laviaAemiliaremontaitverslenord-estetRiminiàtraverslesApennins;laviaCaeciliarejoignaitégalementl’Adriatique,maisenpartantpleinest;verslesud,lavoiedeTibur(Tivoli) et lavoieLatine rejoignaient laCampanie.Par la suite, l’Italie et lemondeméditerranéenfurentcouvertsderoutes:touslescheminsmenaientàRome.

II.L’histoirePlusquelagéographie,c’estl’histoirequifitdeRomecequ’ellefut.

En ce qui concerne l’histoire, elle s’appuie en partie sur la légende.Deux frères aux ascendancesdivines,RomulusetRémus,voulurentfonderuneville.Ilssedisputèrentpoursavoirquiyexerceraitl’autorité;ledébattournamaletRomulustuaRémus.

Enréalité,lepremierpeuplementimportantdusitepeutêtredaté,parlestessonsdecéramiquequiyontétéretrouvés,delafindelasecondemoitiéduviiiesiècleavantJ.-C.;descabanesdebergersleurétaientassociées,situéessur larivegaucheduTibre;ceshabitantsvenaientpeut-êtred’Albeoude

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Lavinium.

L’archéologievientderévélerquelesitedeRomeaétéoccupédèslaPréhistoireetjusqu’audébutduIer millénaire, mais pas de manière continue (du moins n’en a-t-on pas de preuve). Les premiershabitantsvenaientsansdoutedecommunautésdifférentes,peut-êtreétaient-ilsdesLatins,desSabinset/ou des Étrusques. Les Latins formaient une branche des peuples italiens, qui eux-mêmesappartenaient au monde des Indo-Européens et qui sont arrivés dans la péninsule au cours du IIemillénaire.Maisc’estseulementaucoursduviiiesiècleavantnotreèrequedespaysans,sansdoutedes bergers, sûrement des Latins, vinrent bâtir des cabanes sur le site deRome. Leurs cabanes seregroupèrentpourformerdesvillages,quiserejoignirentetdonnèrentnaissanceàlaVille.

CefutsurtoutgrâceauxÉtrusquesquelesvillagesdevinrentVille.Enaménageantunégout,lacloacamaxima,dontonpeutencorevoirlaboucheau-dessusdulitduTibre,ilsasséchèrentunmaraispouryinstallerleforum,avecuneplacepourlescitoyens, lecomitium,etunesallederéunionpour lesanciens,lacurie.Unpontpermitdetraverserlefleuve(lenomdeRomevientpeut-êtredel’étrusqueRumon,«pont»).Destemples,installéssurtoutsurlacollineduCapitole,complétèrentledispositif.Romeconnutun-siècledecivilisationétrusque.

Ilesthabitueldedireque lapremièreRomefutgouvernéepardesroisétrusques.Certes, ilnefaitaucundouteque lesÉtrusquesyoccupèrentuneplace importante.Mais ilsnefurentsansdoutepastoujoursenconflitnimêmeenconcurrenceaveclesLatins.Lesobjetsdégagésparlesarchéologuesprésententuneassezgrandediversité.Etlalégendeelle-mêmefaitalternerdessouverainsauxnomslatinsd’abord,étrusquesensuite.D’ailleurs,lesaristocratiesitaliennesonttoujoursététrèsliéesentreelles.

Lalégendenommesixrois,NumaPompilius,l’organisateurdelareligion,TullusHostilius,lepèrede l’armée, AncusMartius, le bâtisseur, Tarquin l’Ancien, Servius Tullius, le fondateur de la viecivique,etenfinTarquinleSuperbe(«l’orgueilleux»),théoriquementresponsabledelachutedesescompatriotespouravoirvioléuneLatine,lavertueuseLucrèce,en509.L’archéologiemontrequ’unerévolution eut lieu au début du ve siècle, ce dont témoigne l’arrêt des importations de céramiqueétrusque.Ainsi,enréalité,lesLatinsconquirentleurindépendanceenchassantlesÉtrusques.

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ChapitreII

LaRépublique

emot«République»désigneunrégimearistocratiquedanslequellepeupleavaitdesdroits,maistrèslimités.Romereprésentauneexceptiondanslemondeméditerranéen:seshabitantsneconnurentjamaisneserait-ceque la tentationde ladémocratie.Cetteorganisationn’empêchapasdesconflitsquifaillirentfairedisparaîtrelacité;lesguerresextérieuresluifirentcourirdesrisquesanaloguesjusqu’à la fin du iiie siècle et le succès de la conquête n’empêcha pas de nouveaux déchirementsintérieurs;bienplus,ellelesfavorisa.

I.LesséditionsLesdeuxpremierssièclesdelaRépublique,unepériodecaractériséedanssatotalitéparunrégimetrès aristocratique, furent marqués par de violents conflits socio-politiques qui opposèrent lespatriciens aux plébéiens. La distinction entre ces deux groupes est plus difficile à établir qu’il n’yparaît.Ladifférencenerésidaitpasdanslafortune,carchacundesdeuxétaitdirigépardeshommeségalement riches, qui s’appuyaient sur une nombreuse clientèle, formée de pauvres obligés de lessoutenir.Lespatricienspossédaientlepouvoir,peut-êtreparcequ’ilsl’avaientconquisen509surlesÉtrusques,etlesplébéiensenétaientexclus.Lespatriciens,commeleurnoml’indique,formaientleconseildespatres,lesPèresouchefsdefamille.Lesplébéiensregroupaientpeut-êtred’anciensalliésdesÉtrusques,sansdoutedesétrangersetdesaffranchis,maisquinevoulaientpasresterexclusdupouvoir.D’oùdesactionsspectaculairesdeleurpart,nommées«sécessionsdelaplèbe».

Dès 494-493, les plébéiens décidèrent de faire sécession et de fonder une ville concurrente surl’Aventin,collineoùse trouvaient leurssanctuaires ;ce futunedespremièresgrèvesde l’histoire.Une belle légende raconte queMénénius Agrippa, un homme habile, vint leur raconter une fablecomparantlespartiesducorpsauxélémentsdelacité:chacundevaittravaillerpourlesautres.Dansla réalité, les plébéiens conquirent le pouvoir degré après degré. Ainsi, une loi de 445 abolitl’interdiction des mariages mixtes ; en 367, les plébéiens eurent accès au consulat ; en 356, à ladictature,unechargealors trèshonorable ;en351,à lacensure ;en300,auxsacerdoces,bienquequelques prêtrises restassent aux mains des patriciens jusqu’à la fin de Rome (par exemple lesouverain pontificat).Au cours des ive et iiie siècles, les riches des deux camps se rapprochèrent,notamment par des mariages, pour, finalement, ne former qu’une seule élite, « la noblesse » ounobilitas.Lemot«plébéiens»changeadesens;ilfutréservéauxhommeslibresetpauvres.

II.Lesguerresitaliennes(509-272)À plusieurs reprises, Rome faillit disparaître mais, à chaque fois, les légionnaires réussirent àinverserlecoursdel’histoireàleurprofit.Entre509et338,desguerresincessantesmenacèrentla

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Villepresqueenpermanence.LesÉtrusquesvoulaientreprendreunevilleperdue(guerredePorsennaen508ou507 ;guerrecontreVéiesde406à396)et lesvoisins,Sabinsaunord-est,Èquesà l’est(458) etVolsques au sud, voulaient la piller enmême temps que détruire un ennemimilitairementdangereux.UneguerrecontrelesLatinspritplacedès499(ou496).En390,desGaulois,quis’étaientinstallésdanslaplaineduPô,s’ajoutèrentauxautrespillards;ilsrevinrenten367.

MaislesRomainsn’avaientcesséd’améliorerleurarméequi,aumilieuduivesiècle(Tite-Live,VIII,8),étaitforméedequatrelégions,soit20000fantassinslourds,équipésducasque,delacuirasse,dubouclier,duglaivecourtàdeuxtranchants(gladius)etdujavelotdejetetdehast(pilum).Aucombat,unelégionétaitdiviséeenmanipules,regroupementsdedeuxcenturies,quiétaientisoléslesunsdesautres et répartis sur trois lignes : hastats à l’avant, princes au centre et triaires à l’arrière. Cedispositifconféraitàl’ensemblelaforce(infanterielourde)etlasouplesse(isolementdesunités).

LebesoindesécuritésansdoutepoussalesRomainsàdeduresguerrescontrelesSamnites,dansdesmontagnesd’accèsdifficile.Latraditionénumèretroisguerressamnites,en343-341,326-304et298-290.PuislesCampaniensetlesLatinss’unirentcontrelesRomains.Laliguelatineattaquade340à338mais,àlafin,ellefutbattue.En338eutlieuunévénementextraordinaire:aulieuderéduireenservitudesesennemisàterre,levainqueuraccordalacitoyennetéromaineauvaincu.Desmariagesentre nobles avaient préparé cettemesure, qui fut mise en application avec lenteur, et qui eut desconséquencespolitiquesetmilitairesconsidérables:unÉtatromano-campanienfutcrééetildisposad’unemultitudedelégionnaires.

Romepassade ladéfensiveà l’offensive,nonsansmérite.Le roid’Épire,Pyrrhus,vintguerroyerdansleSuddel’ItalieetenSicilepourdéfendrelesGrecsetpeut-êtrelessoumettreàsonautorité.Lesrencontresfurentàpeuprèséquilibrées,maisseterminèrentparune«victoireàlaPyrrhus»:leroigardait lamaîtriseduchampdebataille,mais ilavaitsubidespertes tellesqu’ilnepouvaitpascontinuer.Ildécidadepartirendisant(cequiesttropbeaupourêtrevrai)qu’illaissait«unsuperbechampdebatailleauxRomainsetauxCarthaginois».En272,laprisedeTarenteachevaitlaconquêtedel’Italie.Entre338et272,ilavaitsuffidecinquanteanspourréaliserl’unificationdelapéninsule.

III.Lesguerrespuniques(264-146)Devenusmaîtresdel’Italie,lesRomainsdevaientpoursuivreleursguerreshorsdelapéninsule;maisdansquelledirection?Ilestassuréqu’ilsn’avaientpasunplandeconquêtepréétabli.Bienplus,dansleursmentalités collectives, la guerre était unmal et la paix un bien, et PaulVeyne, dans un petitarticle, a rappelé que les Romains n’ont pas toujours été les agresseurs; mais ils ne pouvaients’arrêterquevainqueurs,ilsnedevaientjamaiscapituler.

LehasardlesmitaucontactdelaSicile(l’îlenefaisaitpaspartiedel’Italie:cenométaitréservéàlapéninsule) et des Carthaginois. Il est vrai que Rome et Carthage ambitionnaient de contrôler laMéditerranéeoccidentale.

PourlesRomains,lesPuniques,ouPhéniciensd’Occident,avaientd’abordétédesalliéspolitiquesetdespartenaireséconomiques.Dès509,unpremiertraitéauraitétéconcluentreeux,etilsseseraientpartagé lamerde l’Ouestpouryexercer leursactivités.L’expansion romaineamena toutefoisuneconfrontation. Rome, puissance dominante en Italie, et Carthage, puissance établie en Afrique du

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Nord,ont toutesdeuxl’ambitiondecontrôler laMéditerranéeoccidentale.C’estautourde laSicile(territoireenpartieCarthaginois)quelesdeuxcivilisationss’affrontentpourlapremièrefois.Cefutlapremièreguerrepunique(264-241),marquée,pourlesRomains,parunesériedevictoiresnavales(Myles,260;Ecnome,256;îlesAegates,241),parunedéfaitesurterre(Tunis,255)etuneautresurmer (Drépane, 249). Cette répartition des succès et des échecs peut paraître surprenante : lesCarthaginois avaient la réputationd’être debrillantsmarins et lesRomainsde solides paysans.Enfait, ces derniers possédaient depuis longtemps une marine performante, et les autres étaientexcellents pour la marine commerciale, non pour la marine de guerre. Finalement, la Sicileoccidentaledevintlapremièreprovinceromaine.Peuaprès,laSardaigneetlaCorsefurentprisesauxCarthaginoisparlesRomains.

Vingt ans plus tard, Hannibal, fils d’Hamilcar, un des Carthaginois vaincus, voulut donner unerevancheàsapatrieetprovoqualadeuxièmeguerrepunique(218-201).MaîtreduSuddelapéninsuleIbérique, il entama une odyssée spectaculaire, de Carthagène à Turin (traversée du Rhône et desAlpes),puisilremportaquatrevictoireséclatantesenItalie(LeTessinetLaTrébieen218,Trasimèneen217etCannesen216).LabatailledeCannesestrestéecommeunmodèleencoreétudiédanslesécolesdeguerre.Sousl’influencedeFabiusleTemporisateur,leCunctator,lesRomainsrenoncèrentprovisoirementauxbataillesrangées,inventèrentdesstratagèmes(lapratiquedelaruseétaitpourtantcontraireàleuréthiquetraditionnelle),etilsétouffèrentlittéralementHannibaldansleSuddel’Italie.Dans le même temps, Scipion attaquait les Carthaginois en Espagne et Métellus les Syracusains,devenusleursalliés.PuisScipiondébarquaenAfrique;leSénatdeCarthagedemandaàHannibaldedéfendresapatrie.IlfutbattuàZama(202).Letraitéde201fitperdreauxCarthaginoisleurempireetréduisitleurdomaineauxlimitesd’uneagglomération.

Leconflitque la traditionappelle« troisièmeguerrepunique»(148-146)se réduisitausiège,à lapriseetàladestructiondeCarthage.LeNorddelaTunisieactuellefuttransforméenprovince,livréauximmigrantsitaliens,paysansoucommerçants;maisnilalanguenilareligionpuniquesnefurentinterdites.

IV.LesGrecsLesRomainsonttoujourséprouvédeuxcomplexesfaceauxGrecs:desupérioritéfaceàunpeuplevaincu et d’infériorité face à un peuple d’intellectuels. Cette ambiguïté fut résumée par le poèteHorace : « La Grèce vaincue conquit son sauvage vainqueur, et elle apporta la civilisation auxpaysans latins.»Lespluscultivésd’entreeuxadmiraient la littérature, laphilosophieet lesœuvresd’art produites par ce pays. La Grèce, pour toutes ces raisons, en plus du fait que des siècles decivilisationyavaiententassédestrésors,nepouvaitqu’attirerlesconvoitises.

Enprélude, troisguerres(230-229,219et172-168)donnèrentaux légionsromaines lecontrôledel’Illyrie,approximativementl’ex-Yougoslavie.Demême,laconquêtedelaGrècesefitentroistemps(plusun)etconcernasurtoutlaMacédoine.LesRomains,quireprochaientauroidecepays,PhilippeV,d’avoirétéunallié(trèsthéoriqueenréalité)d’Hannibal,remportèrentlavictoire.Ilsyenvoyèrentensuiteunmagistratphilhellène,Flamininus,quiproclama«lalibertédelaGrèce»,aumotifqu’onnepouvaitpastraiterlesGrecscommelesEspagnols.UnedeuxièmeguerredeMacédoineseterminaparlavictoiredeCynoscéphalesen197.UnetroisièmeguerredeMacédoines’achevasurladéfaitedePerséeàPydna(168).Undemi-siècleplustard,unerévoltegénéraledupeuplegrecentraînaune

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sévèrerépression(sacdeCorintheen146).LaGrècefutdiviséeendeuxprovinces,laMacédoineaunordetl’Achaïeausud.

V.LesconquêtesconsécutivesSansl’oppositiondeCarthage,Romeputétendresonempire.Àcesujet,ilfautéviterl’anachronisme.Laconquêtederégionsrichesetlecontrôledevoiesdecommunication,objectifsrecherchésparlesÉtats modernes, n’étaient pas ceux des anciens, mais des conséquences ; de même, l’acquisitiond’esclavesnefutqu’unbénéficecollatéral.Enréalité, leshommesdecetteépoqueétaienteuxaussipoussésparl’appâtdugain,maissousdeuxformesdifférentesdesnôtres,lebutinpourlessoldatsetletributpourleSénat.Ilsagissaientaussipourdesmotifspsychologiques,lapeurduvoisin,unepeurd’autant plus grande que ce voisin étaitmal connu, et le désir de commander pour ne pas avoir àobéir (les vaincus d’une bataille devenaient esclaves des vainqueurs). Ajoutons à ces explicationsl’ambitiondequelquesnoblessansscrupules(CésarenGaule),etnousauronslefaisceaudecausessusceptiblesdeprovoquerdesguerres.Touslespeuplespartageaientcetteconceptiondesrapports«internationaux».

Puis, le succès entraînant le succès, les conquêtes se succédèrent et Rome finit par ressentir lecomplexedugendarme:leSénatsesentitobligédemaintenirl’ordredanslemonde,c’est-à-direenMéditerranée.Enrevanche,lesRomainsnepratiquèrentjamaislaguerreidéologiqueoudereligion.Bienplus,desfreinsexistaient,quilimitaientlesagressions:toutconflitdevaitêtrejustifié.

Ladeuxièmeguerrepuniqueavaiteudessuites.AprèsavoirchassélesCarthaginoisdelapéninsuleIbérique, les Romains s’y trouvèrent engagés dans une œuvre de longue haleine, une conquêteininterrompue(212-19avantJ.-C.).Danslemêmetemps,ilsattaquèrentlaMacédoinepuis,delà,laGrèce(215-146),cequilesmenaàaffronterlaSyrie(192-62).Ensuite,ilss’emparèrentdelaGauleméridionale(125-121)puisdelaGauleduNord(58-51).Enfin,l’Égyptefutannexéeàlasuited’uneguerrecivile,entreOctaved’uncôté,etAntoine,alliéàCléopâtre,del’autre(31-30).

VI.L’ÉtatDans un texte célèbre, le Grec Polybe (VI, 11, 4) expliquait que les Romains étaient devenusinvinciblesparcequ’ilsavaientélaborédes institutionsparfaitesquicombinaientavecéquilibre lestroistypesderégimespossibles,lamonarchie(lesconsuls),l’aristocratie(leSénat)etladémocratie(lescomicesouassembléespopulaires).

En réalité, lepeupleétaitbridé.Pourélire lesmagistrats inférieurs etvoter les lois civiles, il étaitréparti en35 tribus,4urbaines et 31 rustiques, cequi avantageait lesmilieux ruraux,par traditionconservateurs.Pourélire lesmagistrats supérieursetvoter les loismilitaires, il étaitdiviséen193centuriescensitaires ; lesplus richesvotaientd’abord, lesautresensuite,et lescrutinétaitclosdèsqu’unemajorité était atteinte ; de ce fait, les plus pauvres ne votaient jamais.Et le peuple ne s’estjamaisplaint,oupresquejamais.

Demême, le pouvoir desmagistrats était lui aussi bridé. Ces derniers exerçaient leur pouvoir de

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manière collégiale, pourune seule annéenon renouvelable, et ils étaient spécialisés.Lesquesteurss’occupaientdesfinances,lesédilesdel’urbanisme,lespréteursdelajustice;quantauxconsuls,ilsdirigeaient lapolitiqueà l’intérieuret lesarméesà l’extérieur.Cette sériedechargesconstituait lacarrièredeshonneursoucursushonorum.

Restait donc leSénat, qui exerçait véritablement le pouvoir, parce que les institutions le voulaient,parcequelepeuplenes’yopposaitpasetparcequecetteassemblées’étaitdistinguéeenrefusantlacapitulation aumomentoù tous la croyaient inévitable, pendant la guerre contreHannibal.Organethéoriquementdélibératif,ilémettaitdesavissurtouslessujets,avisquisontconnussouslenomdesénatus-consultes,etquiavaientfiniparavoirforcedelois.Ilcontrôlaitl’essentiel:lesfinances,ladiplomatieetlaguerre.

VII.L’économieL’étudedel’économiedansl’Antiquitéestdifficilepourtroisraisons.Toutd’abord,lesmentalitésetlesbesoinsdifféraientdecequ’ilssontactuellement.Ensuite,lessourcesnepermettentdeconnaîtrequ’une partie de l’iceberg, en l’absence de statistiques, et beaucoup de produits ont disparu sanslaisserdetraces,notammentleplusimportant,leblé.Enfin,labibliographieestsouventpartialepourdes raisons idéologiques. C’est ainsi que les modernes se sont demandé si l’on doit parlerd’archaïsmeoudemodernisme, cequi est un fauxproblème, la spécificité de l’époque empêchantd’utiliserl’unetl’autredecesmots.

Les conditions étaient dures, le relief et le climat jouant un grand rôle. L’État, normalement,n’intervenaitjamais;ilnefaisaitrienencasdecrise.Lesmoyenstechniquesétaientmédiocres,etlerecoursauxesclavesn’aétéimportantqu’enItalieetquependantlesiècleetdemiquivadelafinduiiiesiècleaumilieuduier.Etsilamonnaiefitsonapparitionaucoursduiiiesiècle,ellecirculamoinsquedenosjours.Ajoutonsquenousconnaissonsmalladémographieetlaconjoncture.

L’agriculturereprésentaitl’essentieldel’activitéhumaine,fondéesurla«trilogieméditerranéenne»,blé-huile-vin.L’alimentationétait très largementbaséesur lescéréalespauvres,quifournissaient lepain, et l’huile apportait un complément énergétique. Le vin ne s’est développé que tardivement,surtoutenCampanieetenÉtrurie,maisiladonnématièreàdesexportationsnonnégligeables.Fruitset légumes, viandes et poissons n’étaient servis demanière régulière que sur les tables des riches.L’artisanatproduisaitdansdesconditionsdifficilesdelacéramique,dutextile,desobjetsenfer,etilrecouraitbeaucoupaubois.Lecommerceempruntaitlesvoiesromaines,moinsnombreusesàcetteépoque, le cabotage, les fleuves et la mer ; il était déjà aidé par des banques et des compagniesd’assurance.

VIII.LasociétéLes Romains étaient organisés suivant une société à la fois de classes (critères économiques) etd’ordres(critèresjuridiques):larichesseentraitévidemmentenconsidération,maisl’Étatjouaitsonrôleenétablissant, lorsducensusquinquennal,desalbumsoùétaient inscritsceuxqui le servaient(lessénateursetleschevaliers)etceuxqu’ilservait(lescitoyensromains).

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Lasociétéétaitévidemmenthiérarchisée,etl’onpeutdistinguersixniveaux.1/Lessénateurs,quelque300famillesaumoins,possédaientunedemeuredansRomeetdesterresenItalie;ilssemettaientauservice de l’État en exerçant des magistratures (carrière des honneurs), des missions diverses(diplomatie, commandements d’armées, gouvernements de provinces…), et en participant auxséancesdeleurassemblée;2/leschevaliers,parfoisplusrichesquelessénateurs,parfoisapparentésà ces derniers, privilégiaient les affaires économiques, sans négliger le service de l’État(commandements militaires notamment, pour lequel ils recevaient un « cheval public »).Essentiellement propriétaires fonciers, ils pouvaient faire des affaires, activité théoriquementmépriséeparlessénateurs(nousdisonsbien:«théoriquement»);3/lesvillesd’Italieétaientgéréespardesnotables,propriétairesfonciers,parfoisfondateursd’ateliersoudeboutiques.Ilsn’aspiraientqu’àl’ordre,unevaleurfondamentalepoureux;4/lescitoyensromainsserépartissaientenpaysans(90 % peut-être, l’essentiel de la population), artisans, commerçants et, au dernier siècle de laRépublique,soldats;5/lemilieudesaffranchisétaitplusdiversqu’onnel’adit;ontrouvaitchezeuxuneminoritédynamique,ceuxquiavaientsuacheterleurliberté,etunemajoritémisérable,lesvieuxesclavesquelesmaîtreslibéraientpourneplusavoiràlesnourrir;6/toutenbasdecettehiérarchie,les esclaves menaient une vie très dure, surtout quand ils étaient contraints à certaines activités,commeétaientlesbergers,lesgladiateursetlesprostitués.Ilsrecevaientleurstatutparlanaissance(«par le ventre », en suivant le statut de la mère). Un homme pouvait perdre la liberté au combat(captivité) ou en justice (condamnation) ; il pouvait être acheté sur unmarché.Mais les RomainsdifféraientdesGrecsdanscedomaine.Ilsavaientélaboréundroitdesesclaves(propriétédupécule,delatombe…);cesdeniersétaientàleursyeuxdeshommes,certesdiminués,maissupérieursàdesmachinesouàdesanimaux.

IX.LacultureIlestgénéralementadmisquelesRomainsontcontractéuneénormedetteauprèsdesGrecs,quilesontaidésàcréer leurculture (àce sujet,onnepeutpasmanquerde renvoyeràPierreGrimal,LeSiècle des Scipions). Ils ont notamment appris auprès d’eux les différents genres littéraires et laphilosophieet ilsontacquis leurgoûtdesœuvresd’art.Lesdeuxpremiersgrandsécrivains furentdes auteurs de comédies, Plaute (v. 254-184) et Térence (v. 190-159). Mais l’histoire, à traversl’annalistique,latragédieetlasatireeurentleursauteurs.Si,dansledomainedesidées,lescepticismeneplutguèreauxRomains,ilsselaissèrentséduireparPlatonetAristoteet,plusencore,àlafindelaRépublique,parl’épicurismequ’illustraLucrèce(v.98-55avantJ.-C.).Lerecoursauplaisircommeindicateur de la vérité apparut sans doute comme une solution parmi les difficultés du temps.L’apogéearrivarapidementavecCicéron(106-43).Lepersonnagepeutnepasêtresympathique,maisilaportélalanguelatineàsaperfection.Ilalaisséunecorrespondancetrèsricheetpassionnante,desdiscoursprononcéspourdéfendredesparticuliersoudeshommespolitiques,etdestraitésthéoriquesconsacrésàlarhétorique,àlaphilosophieetàlapolitique.Ilessayaderéagircontrel’épicurismeparle stoïcismeetdeproposerunordrepolitiqueoù leSénatconserverait lepouvoirgrâceà l’actiond’unpersonnagedotédetouteslesqualités,leprince.Lesdeuxderniersgrandsécrivainsdel’époquerépublicainefurentdeuxhistoriens,Salluste(87ou86-35)etCésar(100-44)quiportasonexpressiontrès près de la perfection cicéronienne. Les arts ont laissé moins d’œuvres marquantes. Dans cedomaine,ilétaitplusfaciled’importerquedeproduire.L’architecturerecouraitencoretrèssouventaubois,etbeaucoupdemonumentsontdisparusanslaisserdetraces;onconnaîtsurtoutlecomplexereligieux découvert à Rome sur le Largo Argentina. Dans le domaine des arts figurés, quelques

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sculptures,notammentdesbustes,révèlentl’importancedesinfluencesgrecques,toutefoisatténuéesparunapportromain,lesouciduréalisme.

X.LesreligionsLa religion est le lien qui unit l’homme auxdieux, lien qui s’exprimepar desmythes et des rites.L’historiographieactuelleprivilégielaplacedel’homme,sonsentimentreligieux,audétrimentd’uneétudedelamythologie.Leshommesdemandaientsurtoutlanourriture,lasanté(ilsaccordaientpeudeconfianceauxmédecins)etlasécurité(contrelesbrigandsetlesenvahisseurs).Ilspouvaientaussidemandertoutcedontleshommescroientavoirbesoin:larichesse,l’amour,l’amitié,lachanceauxcoursesdechevaux…Laconnaissancedesdieuxétaitacquisegrâceauxmythes,quiétaientrépétésdanslesfamillesetparfoisconsignésdanslalittérature.Lefidèlen’étaitpasobligédecroireàcesrécits ; il pouvait n’en accepter qu’une partie ou, comme faisaient les intellectuels, élaborer uneconceptionphilosophiquedudivin.

Lesdieuxainsiconnusrésultentd’uneévolution.LespremiersLatinslesconcevaientleplussouventcomme des abstractions, appelées numina ; puis, sous l’influence des Grecs, ils ont élaboré uneanthropomorphisation. Leur panthéon, indo-européen donc polythéiste comme celui qu’honoraientlesGrecs,étaitdominéparlatriadecapitoline,Jupiter,JunonetMinerve,quiprotégeaitlacité.

Lesautresdieuxavaientchacununeouplusieursfonctions:Marsprotégeaitlesarmesetleschamps,Mercureveillaitsurlesvoyageurs,lescommerçantsetlesvoleurs.CérèsdonnaitlebléetBacchuslavigne.ApollonetSalus(labonneSanté)servaientdecorpsmédical.

Pour obtenir satisfaction, il fallait pour le moins prier, en se mettant debout, paumes des mainstournéesverslehautpourlesdieuxducieletverslebaspourlesdieuxdesenfers;c’estlapositionde l’orant. Les sacrifices d’animaux se révélaient plus efficaces. L’animal était tué et le célébrantfaisaitdeuxpartsdesadépouille:lesfidèlesmangeaientcequiétaitcomestible;leresteétaitbrûlépour le dieu ; c’était un rite de communion. Quelques cas particuliers sont attestés : au cours del’holocauste,latotalitédel’animalétaitbrûlé;onappelaithécatombelesacrificede100bœufs.Onpouvait célébrer ces rites n’importe où, par exemple en pleine nature, mais il était préférable deprocédersurunautel,devantuntemple.L’autelpouvaitêtreunsimpledédeterreoudebois;sculptédanslapierre,ilcoûtaitpluscher,maisilavaitl’avantagedeladurée.Lestemplesétaientbâtissurunhautpodium,àladifférencedestemplesgrecs.Àl’époquerépublicaine,ilsétaientdeboisetdeterre;ceuxquiavaientétéconçusenpierreontsouventétédétruitssouslePrincipatpourêtrereconstruitsdeplusbellemanière.À ladifférencedecequi sepassedans les religionsmonothéistes, en règlenormaleilétaitinterditdepénétrerdansletempleparcequ’ilétaitlademeuredudieu.

La deuxième guerre punique provoqua un grand désarroi dans les esprits. Un oracle assura auxRomains qu’il leur fallait importer dans leur capitale la pierre noire qui représentait la déesseanatolienneCybèle.LeSénataccepta(pouvait-ilfaireautrement?),maisilveillaà«naturaliser»(M.Le Glay) cette déesse terriblement exotique ; elle n’en reçut pas moins un accueil d’une ferveurexceptionnelle:làcommençal’arrivéeenOccidentdesdivinitésdites«orientales».

Lamagieetlasuperstitionétaienttrèsrépandues.LemortelpouvaitparexempledemanderauxdieuxdesEnfersd’intervenirensafaveurens’adressantàunmagicienpourqu’ildéposedansunetombe

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une tablette de défixion, un textemagique gravé sur du plomb ou écrit sur un papyrus. Il pouvaitégalements’adresseràunharuspicequiétudiait le foied’unanimalsacrifiépoury lire l’avenir («quandun haruspice rencontre un autre haruspice, disaitCicéron, ils ne peuvent pas s’empêcher desourire »).Quant aumort, objet d’un culte, il vivaitmisérablement dans sa tombe, n’attendant desvivantsquedesritesquiluiredonnaientunpeudevie,etquiétaientdesprières,dessacrificesetdesrepasfunéraires.Unefêtedesmortsétaitcélébréechaqueannéedu13au21février(feralia).

XI.Lacrise(133-31avantJ.-C.)En133éclataunecrisequicouvaitdepuislongtemps,etquineseterminaqu’en31avantJ.-C.EllemituntermeàlaRépubliquearistocratiqueetouvritlavoiedelamonarchieimpériale.

La crise fut, paradoxalement, causée par le trop grand succès de la conquête, qui permit « lavengeanceposthumed’Hannibal»(A.J.Toynbee).Leprocessusaétébienanalysé.Parlaconquête,lesrichess’enrichissaientetlespauvress’appauvrissaient.Àtitredebutin,lesnoblesramenaientdenombreuxesclaves,main-d’œuvrebonmarchéquileurpermettaitdemettreenvaleurnonseulementlesterresqu’ilspossédaientparhéritageouachat,maisencorecellesqu’ilsusurpaientsurledomainepublic,l’agerpublicus.Àl’opposé,lessoldats,deplusenpluslongtempsetsouventabsentsdechezeux,laissaientlasurveillanceetl’exploitationdeleurterreàuneépousequinepouvaitpasrésisteràunvoisinpuissantnisurleplanéconomiquenisurleplanjuridique.Ilsneréussissaientpas,mêmequandilsétaientprésents,àconcurrencerlamain-d’œuvreservile.Ruinés,ilsfuyaientverslesvilles,surtoutversRomequidevintlaplusgrosseagglomérationdumonde,etilsyformaientunemassedechômeursmisérables. Là, ils entraient dans la clientèle des riches qui les avaient ruinés : le clientappuyait sonpatrondanssesentreprisespolitiques ;enéchange, il recevaitunesportule,panierdeprovisionsousommed’argentquiluipermettaitdesurvivre.

Pourtant, le peuple ne se révolta pas et les Romains ne songèrent jamais à instaurer un régimedémocratique.Autreparadoxe,larupturevintd’aristocratesquiestimaientqu’ilfallaitrécompenserlessoldats,diminuer lenombred’esclavesetdonnerdu travailauxpauvresparune loiagraire,enleurconfiantunepartiedel’agerpublicus.En134,TibériusGracchus,gendreduprinceduSénat,seprésentaauTribunatdelaplèbe,avecunprogrammesimple:fairevoteruneloiagraire.Élu,ilfitvoter cette loi et,par làmême, il fonda lemouvementdes«populaires».Sedressèrent contre luid’autresaristocrates,emmenésparScipionledeuxièmeAfricain,quisebaptisèrentlesmeilleurs,lesoptimates, et dont le programme était également très simple : ils ne voulaient pasmême entendreparlerdeloiagraire.Tibériusfutassassiné.Dixansplustard,sonfrère,Caius,futélusurlemêmeprogrammeetsubitlemêmesort;ilestvraiqu’ilavaitrenouvelésontribunatdemanièreillégale.L’abandonprovisoiredelaloin’empêchapasletriomphedel’idée.

L’échecdesGracquesfutressenticommel’échecdelavoielégale.Ilyeutbienunedernièretentative,maisellefutmenéeen100pardesextrémistes,letribunSaturninusetlepréteurGlaucia.Ledébatsetransporta sur les champs de bataille de la guerre civile, chaque camp se rangeant derrière unimperator,«généralvictorieuxparlavolontédesdieux».Lespopulaires,lespremiers,seconfièrentàMarius,quirevêtitunesériedeconsulatsillégauxàpartirde107.Pourluifairepièce,lesoptimatestrouvèrentSylla.Lesviolencesfurentinouïesetl’onassistaàunepremièreprisedeRomeparSyllaen88,unedeuxièmeparMariusen87,une troisièmedenouveauparSyllaen83; lacruautédecedernier conflit fut aggravée par une proscription (on donnait ce nom à une affiche qui portait les

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nomsdecondamnésàmort,susceptiblesd’être tuésparn’importequi ; l’assassinétaitrécompenséparunepartiedesbiensdelavictime).UnerévoltedesItalienscontreRomeen91-88(onlesappelait«alliés»,socii,d’oùlenomde«guerresociale»donnéeàceconflit)etuneguerreservileen73(célèbrerévoltemenéeparSpartacus)secouèrentlapéninsule.Mais,pendantlesguerresciviles,lesconquêtescontinuaient,commeonl’avuplushaut,au§V.

Après la mort de Marius et la démission de Sylla, la vie politique s’apaisa brièvement. Puis lesoptimates trouvèrent un nouveau chef en Pompée, qui s’entendit avec César, un populaire, en unpremiertemps(60-59),puisquilecombattitenundeuxièmetemps,dansunenouvelleguerrecivile(49-45).L’assassinatdeCésar,auxidesdemars(15mars44avantJ.-C.),survintalorsquelepartidesoptimates était étrillé et que l’idée monarchique faisait son chemin dans les esprits. Les derniersrépublicains,BrutusetCassius, furentvaincuset tuésàPhilippes(42).Nerestèrentplusfaceàfacequedeuxpopulaires,Antoine,héritierspiritueldeCésar,etOctavien,héritiertestamentaireetparentdumêmeCésar.Malgré l’appui de la reine d’Égypte, Cléopâtre,Antoine fut vaincu parOctavien,futurAuguste,àlabataillenavaled’Actium(31avantJ.-C.).LaRépubliqueavaitvécu.

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ChapitreIII

LeHaut-Empire:l’histoire

I.Auguste(31/27avantJ.-C.-14aprèsJ.-C.)uguste fonda un nouveau régime, et Rome passa de l’aristocratie à lamonarchie sans transition

démocratiquecommecela s’était fait ailleursdans lebassinméditerranéen.Vainqueurde laguerrecivile, ilne se trouvaitplusdeconcurrentsaprès labatailled’Actium.Disposantde temps (plusdequarante ans), il organisa son pouvoir, que résument ses titulatures. On y trouve des élémentspolitiques:ilportaitlenomdeCésar,dictateur,etilétaitlechefdupartipopulaire.D’autrestermesrenvoyaientàdespouvoirscivils:ilavaitrevêtulapuissancetribuniciennequiluidonnaitledroitdecasserlesloiscontrairesauxintérêtsdelaplèbeetquiluiconféraituneimmunitésacrée;ilavaitleconsulat,devenuunsimplehonneur;et,parletitredePèredelapatrie,ilavaitlesdroitsjuridiquesd’unpèresursesenfants.Dansledomainemilitaire,ilcommandaitlesarméesentantqu’imperator,maisilavaitobligationdeleurapporterlavictoire.Ilétaitsurtoutrecouvertdechargesreligieuses:lenomd’Augusteétaitliéautitredel’augureetàauctoritas;lesouverainpontificatenfaisaitlechefdelareligion.Laplupartdesautrestitresavaientuncaractèreplusoumoinssacré.

Touteslesréformesvisantàrenforcersonautoritésefirentprogressivement,demanièreempirique:27, partage des provinces avec le Sénat et titre d’Auguste ; 25, culte impérial à Tarragone ; 23,premièrepuissancetribunicienne;12,souverainpontificat;2avantJ.-C.,titredePèredelapatrie.

L’Empireconnutpourtantuneviepolitique.Des forcesexistaient,quines’exprimaientpaspardesélections,maisdansdescirconstancesparticulières.

LeSénatseréunissait régulièrementet,mêmesiquelquesempereursontmisàmortdessénateurs,aucunn’ajamaissongéàlesupprimer,d’autantqu’ilfournissaitàl’Étatsescadrescivils,techniquesetmilitaires.Lepeupleromainnedemandaitque«dupainetdesjeux»(Juvénal);ilnevotaitplus.Maisilpouvaitmanifestersacolèredemanièreviolentepardesmanifestationsdanslesrues,etlesempereursonttoujoursveilléàsonapprovisionnementpourévitercegenredeconflits.

De même, l’armée pouvait intervenir. Elle était pourtant divisée en deux parties. Les prétoriensavaientunrôleprivilégié,carilsvivaientdansl’entouragedel’empereuràquiilsfournissaientunegarde.Leslégionnairessetrouvaientaucontraireloinduprince,surlesfrontièresdel’Empire.MaisilsseconsidéraientcommelesvraiscitoyensromainsetilsméprisaientaussibienlesprétoriensqueleshabitantsdeRome,jugésoisifsetparesseux,vivantdansleluxe.Leursinterventionsétaientraresettoujourspourlebiendel’Empire…etleleur.

Augusteeut recours auxchevaliers et, lepremier, auxaffranchis.Tous ses successeurs l’imitèrent,avec plus ou moins d’empressement, en particulier en ce qui concerne les affranchis impériaux,méprisésetjalousésàlafois.Ilréorganisal’armée,créantunegardeimpériale,fixantleslégionssur

A

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lesfrontièresetdonnantuncaractèrepermanentàlamarine.MalgréunéchecenGermanie,ilréussità agrandir l’empire de 25% : il acheva la conquête de la péninsule Ibérique, annexa toute la rivedroiteduDanube,héritadelaGalatieetassuralamainmisesurl’Égypte.

Il diffusa une idéologie simple et efficace à travers lesmonnaies, à travers des inscriptions et desmonumentsqui avaient tousune significationpolitique. Il utilisait la tradition et lamodifiait à sonavantage. Les Romains, avons-nous dit, considéraient que la guerre était un mal, mais qu’elle nedevaitêtreachevéequeparlavictoirequidonnaitlapaix,donclaprospérité.Ilseplaçaaucœurdeceschémaidéologique:c’estàluiquelesdieuxavaientdonnélepouvoirpourqu’ilapportelavictoire.Demême,ilutilisatrèshabilementlareligion,unanimementrespectée.Poursoignerlesapparences,il restaura la tradition en reconstruisant des temples et en pourvoyant des sacerdoces abandonnéspendant la guerre civile.Mais, en réalité, il lui donnaune« inflexion» enprivilégiantApollon etMars,sesprotecteurspersonnels.Surtout,illaissasecréerleculteimpérial.

Leretouràl’ordrefavorisal’éclosiond’un«siècled’Auguste»dansleslettres(Tite-LiveetVirgile,les poètes élégiaques) et les arts. De nombreuxmonuments ont été construits à son époque, dansRome (Forumd’Auguste, temple d’Apollon sur lePalatin,Autel de laPaix,Mausolée) et dans lesprovinces(MaisonCarréedeNîmes,diversarcs).

Contrairementàcequiétaitditautrefois,ilréglasasuccession,etillefitàlafoisparl’associationetparl’adoption:ildonnalapuissancetribuniciennesuccessivementàsonneveuMarcellus,puisàsonamiAgrippa,puisàsespetits-fils,CaiusetLucius,etenfinàsonbeau-fils,Tibère.

II.LesJulio-ClaudiensAssurément âgé et misanthrope, accusé par ses ennemis de lubricité et d’alcoolisme chronique,Tibère eut un règne long et ennuyeux (14-37). Le personnage s’était pourtantmontré un excellentadministrateuretungénéralencorepluscompétent.Lapériodefutmarquéepardesrévoltesgraves.Lessemi-nomadesquivivaientenAfriquerefusaient lasédentarisationimposéepar laconstructionde routes qui traversaient leurs terrains de parcours. Ils suivirent un chef appelé Tacfarinas, undéserteur qui, entraîné à la tactique desRomains, tint tête aux légions de 17 à 24.À peu près à lamême époque, en 21, une partie de la Gaule se révolta également à l’instigation de Florus et deSacrovir;lesTurons(Touraine)etlesAndécaves(Anjou)commencèrent,puislesTrévires(Trèves)et surtout lesÉduens (Morvan)suivirent.Les révoltésétaientendettés, ils trouvaientqu’ilspayaienttrop d’impôts et ils supportaientmal l’arrogance des gouverneurs.L’armée intervint et réprima lemouvementsanstropdedifficultés;ilfallutnéanmoinsunevraiebataille,prèsd’Autun,pourveniràboutdesÉduens.

Laviepolitiquefutunpeuagitée,notammentparcequequelquessénateursfurentpersécutés.En31fut découvert le complot de Séjan, le préfet du prétoire (chef de la garde prétorienne). Il avait eul’idéeétonnantepourunsimplechevalierdetuerl’empereuretdeprendresaplace.Ilfutmassacréavectoutesafamille.PouréchapperauxpressionsduSénatetdupeupleromain,Tibères’étaitretiréàCapri,d’oùilassistaitàcesévénements.

Son successeur,Caligula (37-41), était assurément déséquilibré, et son règne prouva que l’Empirepouvait vivre sans prince grâce à ses structuresmilitaires et administratives : laMaurétanie fut en

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effetannexée,etletrésorvidé.Ilpersécutalessénateursplusencorequen’avaitfaitTibèreetilfuttuéàlasuited’uncomplot.

C’est l’oncle de ce jeune fou, Claude (41-54), qui lui succéda. Ce personnage ridicule d’après latradition sénatoriale, qui le décrit comme un ivrogne, bègue, boiteux, jouet de ses affranchis ettrompéparsesfemmes,réalisapourtantuneœuvreimportante.Onleconsidèredenosjourscommeunesprittrèsouvert,modernepoursontemps,etsanspréjugésexcessifs.IlfitacheverlaconquêtedelaMaurétaniequis’étaitrévoltéeenapprenantlamortdesonroi,demanièreplusviolenteàl’ouest(sacdeVolubilis).IlentrepritdefaireannexerlaBretagne(notreGrande-Bretagne),missionconfiéeà de très bons généraux, et il réduisit en provinces la Lycie, la Judée et la Thrace. Un documentcélèbre,uneplaquedebronzeappelée«lesTablesclaudiennes»(àtort,cariln’yenaqu’une),faitconnaître avec davantage de précision que le texte de Tacite un discours qu’il prononça devant leSénat.IlydemandaitquedesGauloispuissententrerauSénat.L’illustreassembléerefusapolimentderecevoirensonseindesporteursdepantalons.Enfin,iltransformal’administrationenyintroduisantde nombreux affranchis. C’est sans doute sa dernière épouse, Agrippine, qui l’empoisonna pourmettreaupouvoirsonfilsd’unautrelit,Néron.

Néron(54-68),ungrosgarçoncapricieux,eutl’idéeétonnantedefonderlapolitiquesurl’esthétique.Et,commesongoûtn’étaitrienmoinsquesûrauxdiresdenombreuxhommescultivésdesontemps,il ne s’entendit pas avec le Sénat où se trouvaient la plupart de ces esthètes ; d’où de multiplesexécutions,dontcelledePétrone,«l’arbitredesélégances».Ilfitaussimettreàmortunemèrepeut-êtreabusive.

Il laissa à Corbulon le soin d’une guerre contre l’Iran, à d’autres bons généraux la mission depoursuivrelaconquêtedelaBretagne.

Un incendie deRome (64) lui permit de persécuter les chrétiens et d’entreprendre la constructiond’unpalaisquiannonceraitlenouvelÂged’or,laMaisond’or.

LesoulèvementdelaJudéemitenvaleurunbonofficier,Vespasien,quipritpourlieutenantsonfilsaîné,Titus.Laguerrefutdureetcruelle,marquéepardessiègesdontlespluscélèbresaboutirentàlaprisedeJotapata,deJérusalemetdeMasada.QuandVespasiendutpartirpourRomeetpourlaguerrecivile,c’estTitusquirepritlecommandementdel’arméedeJudée.

Les sénateurs excédés des foucades deNéron provoquèrent une guerre civile (68-69) : anti-Néron(Galba et le Sénat) et pro-Néron (Othon et les prétoriens, Vitellius et les légions de Germanie)s’affrontèrent jusqu’à cequ’un tiers parti (Vespasien, appuyépar l’arméed’Orient) vienne rétablirl’ordre.Vespasienfutalorsproclaméempereur,lequatrièmepourlesannées68/69.

III.LesFlaviensLadynastiedesFlavienscommençabienetfinitmal.

OnafaitdeVespasien(69-79)unempereur«bourgeois»,motterriblementanachronique,maisquidonneuneidéejusted’unpersonnagesoucieuxdenepasbousculerl’Empireetdenepasgaspillerl’argentpublic.Enréalité,VespasienétaitmembreduSénatetavaitfaitunecarrièrebrillante,au-delà

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duconsulat.

Il laissa des officiers rétablir l’ordre en Gaule, après les désordres de la guerre civile. Bataves,TréviresetLingonsfurentremissurlechemindel’obéissanceparCerialisetparFrontin,auteurdesStratagèmesetaussiDesaqueducsdeRome.Maislesnotablesgaulois,lorsdel’assembléedeReims,avaientdéjàmanifestéleurattachementàRome,c’est-à-direàl’ordre.Danslemêmetemps,sonfils,Titus, mettait fin à la guerre juive qui aurait fait un million de morts (quelques extrémistespoursuivirentunconflitsansespoir).

Onlecréditederéformesdansl’administrationdesprovinces,desfinancesetdel’armée.Vespasienasurtoutlaissésonnomdanslesaffairesfinancières.Ayantremarquéquelesteinturiersutilisaientdel’urine comme fixant pour les colorants, il mit une taxe sur ce produit. Son fils Titus lui ayantreproché unemesure qu’il trouvait peu élégante, il lui mit sous le nez les premières pièces d’orrapportéespar lamesure:«Sens,dit-il, l’argentn’apasd’odeur»;parcettemesure, il laissasonnomàdepetitsédicules.

Sonrègneaégalementlaisséundocumentimportant,lecadastred’Orange,quimontrelepartagedesterresentreGauloisetvétérans.C’estungranddocumentgravécommeuneinscription.

Politiquement,ilavaitréussiàcréeruntierspartientreamisetennemisdeNéron,regroupantsurtoutceux que la guerre civile avait lassés, la prise de Rome ayant été particulièrement violente. Enparticulier,ilsemontrarespectueuxduSénat.Et,s’ilfitdétruirelademeuredémentielledeNéron,laMaison d’or qui coupait Rome en deux, il fit entreprendre l’amphithéâtre Flavien ou Colisée, enhommageaupeupledeRome;ilmourutavantsonachèvement.

LefilsaînédeVespasien,Titusdonc(79-81),serenditcélèbreparsapassionpourlareinedeJudée,Bérénice(voirRacine),etparsonamourdesautres,sifortqu’onl’avaitsurnommé«lesdélicesdugenrehumain».Quelqueshistoriens sceptiquespensent qu’il a surtout dû sabonne réputation à labrièvetédesonrègne,marquéenoutreparunecélèbreéruptionduVésuve,quiensevelitPompéietHerculanum,etquituaPlinel’Ancien.PlineétaitamiraldelaflottedeMisèneetilvoulutvoirdeprèsl’éruption;ilmourutétouffé,donnantainsiàlascienceundesesmartyrs.

Titusmourutbrutalement,d’unemaladiemystérieusequiafaitdirequ’ilauraitétéempoisonné.SonfrèrecadetDomitien(81-96)luisuccéda.Cederniereutenrevancheunassezlongrègne.

Sa politique fut en rupture avec celle de son père : il s’appuya sur les humbles contre les grands.D’unepart, il augmenta le salairedes soldats, enajoutantunquatrièmeversementannuelaux troisautres(cettesolden’avaitpasétéaugmentéedepuisunsiècle).D’autrepart,ilpersécutalessénateurs.

Il fit bâtir de nombreux monuments dans Rome : il procéda à l’achèvement du Colisée, il fitconstruiredesthermesditsdeTitus,l’arcdeTitus,letempledeVespasien,lestadeduChampdeMars(l’actuelleplaceNavoneenagardéleplan),unpalaissurlePalatinetleforumtransitorium.Onvoitqu’iltenaitàs’inscriredansunedynastie,etilavoululaisserlesnomsdesonpèreetdesonfrèreàtraverscesbâtiments.

Auxfrontières,l’arméeromaineéchouadanssatentativedeconquêtetotaledelaBretagne.Agricola,beau-père de Tacite, réussit à contrôler l’ensemble de l’île, mais, après son départ, il fallutabandonnerl’ÉcossepourenvoyerdesrenfortssurleDanube.LesChampsDécumates,larégionqui

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setrouveentrelescourssupérieursduRhinetduDanube(larégionsituéeautourdelaForêtNoire),furentajoutésàl’Empire.Enrevanche,lesarméesromainessubirentdegraveséchecssurleDanube,de lapartdesDaces (Roumanieactuelle),et leurs roisDiurpaneus,puisDécébalese jetèrentsur laprovinceromainedeMésiepourlapiller.Unlégat,gouverneurdeprovince,etunpréfetduprétoirefurentl’unaprèsl’autrevaincusettués.Domitienpréféraacheterlapaix.L’aristocratiesénatorialeneluipardonnapasceséchecsetsasolutionhumiliante.

Ce ne fut pourtant pas du Sénat que vint sa fin. Il fut assassiné dans un complot organisé par safemme,pardesamisetpardesaffranchis.

IV.LesAntoninsLeshistoriensactuelsconsidèrentlesiècledesAntoninscommel’âged’ordel’Empire,unepériodemarquéepardesguerresvictorieuses(leplussouvent)etuneforteprospérité(enrèglegénérale).

Arrivéaupouvoir à70ans, applaudipar les sénateurs etmalvupar lesprétoriens,Nerva (96-98)s’acquitpourprincipalméritelechoixdesonsuccesseur,Trajan.Ildutfairefaceàunehostiliténonvoilée de sa garde et à des problèmes financiers difficilement solubles, Domitien ayant vidé lescaisses.

Trajan(98-117)futsurtoutunhabilepolitiquequisutsefairepasserpourungrandstratège.Onafaitdeluiuntraîneurdesabre;ilétaitaucontraireunintellectuel,adeptedustoïcisme,amidePlineleJeuneetdeTacite.

Onluidoitlacréationdesalimenta,quin’intéressaientquel’Italie.Desprêtsétaientconsentisàdespaysansquivoulaientaccroître leursrevenusetdesorphelinsétaiententretenusavec les intérêtsdecesprêts.

PourmontrersasupérioritésurDomitien,ilconquitlaDacie,maiscefutsansdifficultés:c’étaitunpetit pays, qui ne pouvait supporter la comparaison avec l’immense empire romain ; un véritableaffrontementétaitperdud’avancepourlesDaces.Enrevanche,TrajansuthabilementmettreenscènelesdeuxguerresdaciquesquiseterminèrentparlamortdeDécébale.Avecl’orqu’ilenretira,ilfitcreuser un port à Ostie et construire un forum dominé par la colonne qui raconte ses modestesexploits.

Parlasuite,ilfitannexerl’Arabie(àpeuprèslaJordanieactuelle).Leshabitantsn’opposèrentaucunerésistanceàuneconquêteattendue:l’Arabieavaitétéunprotectoratetsatransformationenprovinceachevaitunprocessusengagédepuislongtemps.

Enfin,ils’attaquaàl’Iran.L’affairetournamalet,quandTrajanmourut,l’arméeétaitsurlepointdeconnaîtreladéroute.

Àl’EspagnolTrajansuccédauncompatriote,Hadrien(117-138),quialaissél’imaged’unphilosophestoïcienetd’unintellectuelphilhellènequi,aprèsavoirparticipéauxguerresdeTrajan,seconvertitauxcharmesdelapaix.

Dèssonarrivéeaupouvoir,ilconclutuntraitéavecl’Iranetsetrouvamêléàlarépressiondecequi

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aétéappelé«lecomplotdesconsulaires»:quatregénérauxquis’étaientillustréssousTrajanfurentaccusés de vouloir le renverser et immédiatement mis à mort. Les sénateurs lui en voulurentbeaucoup. Il fut donc considéré par les anciens comme un tyran et par les modernes comme unpacifiste.Lemot«pacifiste» est anachroniquepour l’Antiquité ; disons simplement«pacifique»pouréviterl’anachronisme.Malgrésondésirdepaix,ildutécraserunedernièrerévoltejuive(132-135),animéeparBarKochba,etquifutplusdurequ’onnel’adit.

Ilfitbeaucoupdevoyages:en121-125,ilparcouruttoutl’Empire;en128,ilserenditenAfrique;en 128-132 enfin, il limita ses déplacements à l’Orient. Il attacha une importance particulière àAthènes,Éleusisetàl’Égypte.Leshistorienssesontlonguementinterrogéssurlesensàdonneràcesdéplacements. Hadrien ne voulait pas résoudre une crise qui n’existait pas ni mieux administrerl’Empire.Enrevanche,iléchappaitainsiàlapressionduSénatetdupeupledeRome.

Onavouluvoirenluiunhomosexuel.Lorsd’unvoyageenÉgypte,unjeuneetbelesclavebithynien,Antinoüs, mourut (suicide ou accident, on ne sait). Hadrien le divinisa, et cette extraordinairetransformation fut acceptée par beaucoup demonde. Il est possible qu’Hadrien ait eu des rapportssexuelsavecce jeunehomme. Il est sûren revanchequecettedivinisation servait l’empereur : s’ilpouvaitfaired’unhommeundieu,qu’était-ildonclui-même,sinonundieutrèspuissant?

Hadrienrestamalaimédessénateursquiluireprochaientlarépressionducomplotdesconsulairesetcetterelation.

Pour lesmodernes, il fut ungrand intellectuel. Son attachement profond au stoïcisme, à la culturegrecque(onlesurnommait«lepetitGrec»,Graeculus)estprouvéparsaconnaissancedelalangue,parsesvoyagesàAthènes,parsesgénérositésàl’égarddecettevilleetparsoninitiationàÉleusis.

Ilafaitconstruiredenombreuxmonuments,àAthènesetàRome.Ils’étaitfaitbâtirprèsduTibreunmausoléeetàTivoliunevastedemeure,quiluipermettaitdevivreloindeRome,loinduSénatetdupeuple.IlaattachésonnomàunmurcélèbreconstruitenBretagneetdestinéàlimiterlesincursionsdesCalédoniens.

Aprèsavoirdésignéunsuccesseur,AntoninlePieux,ilselaissamourirdefaim,enstoïcien.

Lerègned’AntoninlePieux(138-161)illustreledicton:«Lespeuplesheureuxn’ontpasd’histoire.»

Aucontraire,lerègnedeMarcAurèle(161-180)futremplidebruitetdefureur.Sitôtinvesti,l’auteurdesPenséesstoïcienneschoisitcommeassociéLuciusVérusetluiconfiauneguerreheureusecontrel’Iran (161-166).Mais dès 167, l’empereur passa sur la défensive : les Quades et lesMarcomansattaquaient sur le Danube en même temps qu’une épidémie s’y répandait. Il resta dans les campsjusqu’àsamort.

Cefutsonfils,Commode(180-192),quiluisuccéda.LapaixfutviterétabliesurleDanube.Maisdesbrigandsparcoururent laGaule (Maternus) et des complots se succédèrent contreunempereurquiétait influençable, qui se prit d’abord pour un gladiateur, ensuite pour le dieu Hercule et qui seconduisaitenennemidessénateurs.En192,safemmelefitétranglerparunathlète.

V.LesSévères

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L’assassinatdeCommodeprovoquauneguerrecivile(193-197).LeSénatappuyalacandidaturedePertinax,quifutvitetué.Alors,lesprétoriensmirentl’EmpireauxenchèresetlevendirentàDidiusJulianus, ce qui provoqua l’indignation de Septime Sévère, légat de Pannonie, mais aussi dePescenniusNiger,légatdeSyrie.

SeptimeSévèredevint empereurpar l’acclamationde ses légionnaires (193-211). Il dutmenerunelongueguerrecivile.Toutd’abord, ilpritRome,oùsonpremierrivalavaitété tué.Puis ilmarchavictorieusement contre Niger qui s’était allié à l’Iran et à des princes arabes. La guerre civile setransformaenguerreextérieure;l’Iranfutécraséetdenouvellesterresconquisesàl’est.

Pendantcetemps,lelégatdeBretagne,ClodiusAlbinus,sentitl’ambitionlepousser.IldébarquasurlecontinentetmarchasurLyonoùils’installa.Ilfutvaincuen197àlabatailledeLyon.

LeshistorienssontpartagéssurlerègnedeSeptimeSévère.Lesunsinsistentsursesvictoiresetsesréformesdel’arméepourdirequ’ilfutunmilitaire.Ilaugmentalessoldes(ladeuxièmefoisdepuisAuguste!),ilpermitauxsoldatsdesemarier,ilamélioralesapprovisionnements,ilpermitauxsous-officiers de se constituer en collèges et il créa de nouvelles légions, augmentant les effectifs d’undixième.D’autresconstatent,aucontraire,qu’àcemomentseplaçal’apogéedudroitromain,etilsvoient en luiuncivil.Enoutre, l’impératrice JuliaDomnaanimaunecour auxactivitéshautementintellectuelles.Lesdeuxaspectsnesontpasincompatibles.

Enfin,l’empereurpartitremettredel’ordreenBretagne(208-211)oùilmourut.

Illaissadeuxfils.Caracalla(211-217),l’aîné,étaitunhommeàl’espritpratiqueetpeuportésurlesspéculationsintellectuelles.Nevoulantpaspartagerlepouvoiravecsonfrère,Géta,illefittuer.Pourobtenirlesoutiendel’armée,ilaugmentalessalairesdesmilitaires,commeavaitfaitsonpère,dansdesproportionsquenousneconnaissonspas,maisquiétaientconsidérables.Par là, ilaggravait ledéficit des finances publiques au point qu’il rendait difficile, voire impossible, le paiement dessommespromises.Cettemesureeutdoncdesconséquencesgraves,souventsous-estiméesàl’heureactuelle.

Caracalla exerça le pouvoir à la manière d’Alexandre le Grand : vaincre ses ennemis puis leurpardonneretmêmelesassocier.MaislesGermainsetlesIraniensquiattaquaientl’Empirenefurentpas touchés par cette magnanimité. En revanche, les habitants de l’Empire ont peut-être été plussensiblesàlaconstitutionAntoninequileurdonnait,àtous,lacitoyennetéromaine(212).Laportéede cette loi est actuellement limitée par la critique qui y voit simplement l’aboutissement d’unprocessusengagédepuislongtemps,unesimplificationadministrative,sansplus.

Dans le domaine de la guerre,Caracalla se révéla compétent. Il acheva de briser la résistance desCalédoniens,puisilserenditsurleRhinpourguerroyercontredesGermainsquiétaientsansdoutelesAlamans.

Caracallafutassassinéparsonpréfetduprétoire,Macrin,quipritlapourpre(217-218)etnedisposapasdebeaucoupdetempspourappliquerunepolitiquepersonnelle.Ilneputpaspayerlessoldatsquil’avaient acclamé et auraient trouvé normal qu’il les récompense en argent comptant. Il dut aucontrairepayer l’Iranpouravoir lapaix (200000000desesterces,cequi représentaitpeut-être lequartdubudgetdel’État).

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Aprèscebrefintermède,lepouvoirrevintdanslafamilledesSévères,àÉlagabal(218-222).Prêtredudieud’Émèse,ilseconduisitplusenprêtrequ’enempereur.Soumisauxfemmesdesafamille,etpeu intéressépar lapolitique, ildonna lepouvoiràdesgensmédiocresetdebasseorigine,cequiétaitmalvudesontemps;ilneputpasdépenserd’argentpourlepeuple.Sestenuesvestimentaires,sesconduitessurprirentlesRomains,puisleslassèrent,etilsletuèrent.

Soncousin,SévèreAlexandre(222-235),luisuccéda.Luiaussiadmirateurd’AlexandreleGrand,cethommejeuneetbeausutplaireauxsénateurs,maispasauxsoldats.On l’acréditéd’uneéphémèrerestaurationsénatoriale;enfait,ilsebornaàconstituerunconseilcomposédenobles.

Il dutmeneruneguerre contre l’Iran,Nisibe étant assiégéeparArdashir.Ces ennemisvenaient deréaliser une révolution à la fois politique (changement de dynastie au profit des Sassanides),religieuse (primautéd’AhuraMazda) etmilitaire (arméedemétier avecune infanterie lourdebienorganisée).Ilréussitàrepousserlesennemis,cequiluipermitdeconserverlaMésopotamie.IlfutalorsappeléenOccidentpourcombattredesGermainsquiavaientenvahilesChampsDécumatesetquicommençaientàpillerlaplained’AlsaceetlaRétie.IlfaisaitdespréparatifsàMayencequandilfuttuéàlasuited’uncomplotaniméparsonpréfetduprétoire.

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ChapitreIV

LeHaut-Empire:lagéographie

I.Romeès la fin du iiie siècle avant notre ère, Rome était devenue la plus grande ville du monde

méditerranéen;onestimequesapopulation,sousleHaut-Empire,comptaitentreunettroismillionsd’habitants.

Onytrouvaittroiscentres,etd’abordleForumrépublicain,toujoursessentiel,avecdesmonumentsquicorrespondaientauxinstitutionsmajeuresdelaVille.LeSénatsiégeaitdanslacurie,unegrandesallepresquecarréeetmodested’apparence.Lesmagistratspouvaient s’adresseraupeuple romaindepuis la tribune aux harangues. Ce même peuple romain pouvait se rassembler sur le Forumproprementdit,placepubliqueconsacréeà laparole.Desbasiliquesavaientétéconstruitespardesnoblesrichespourluipermettredeseréunirquandlesoleilétaittropfortouquandilpleuvait.

LeForumrépublicainfutconcurrencéparunesériedeforumsditsimpériaux,quivisaientàmontrerdiscrètementquelecentredegravitépolitiqueavaitchangé.CésarfitbâtirsonforumaveclebutinprisdanslaguerredesGaules,etilleconsacraàVénus,déessedelavictoire,dontilseprétendaitledescendant.AugustesongeaàremercierMarsquiluiavaitdonnélavictoirecontrelesRépublicainsàPhilippesetqu’ilavaitunpeunégligé.VespasienprivilégialadéessePaixetDomitienMinerve,dansunensembledontNervas’attribua lapaternité sanspudeur.Trajanenfin fitconstruireunensembleconsidérablepourcommémorersavictoiresurlesDaces.Aunord,lacélèbrecolonne,quiraconteenimages la guerre contre lesDaces, était flanquée de deux« bibliothèques », sans doute des dépôtsd’archives;ausud,leforumproprementditétaitdominéparunestatueéquestredeTrajan.Entrelesdeuxsetrouvaitunegrandebasilique.Àl’est,des«marchés»étaientenfaitlesbureauxdel’annone,leservicechargédedistribuerdubléauxcitoyens.

D

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Enoutre,unquartiernouveaus’étaitdéveloppésousl’influencedupouvoir,leChampdeMars.Onytrouvait des lieux réservés au peuple romain, les saepta, où jadis il venait voter, et des portiques,notammentleportiquedePompée.Destemplesyavaientétébâtis:panthéon,templesrépublicainsduLargoArgentina,templesdeVénus,d’ApollonSosianus,deCastoretPollux,d’Hadrien.Lepeupleyavait aussi reçudes lieuxde loisirs, stadedeDomitien, théâtre deMarcellus, pseudocrypta Balbi,thermesd’AgrippaetdeNéron.

Lecentrereligieux,ensuite,setrouvaitsurlacollineappeléeCapitole,oùavaientétébâtisletempledumêmenometunemultitudedesanctuaires,consacrésàOps,Fides,Veiovis,Junon(Moneta,d’oùlenomdel’atelier:«monétaire»)etdiversJupiter.Lesarchivespubliques(tabularium)etletrésormilitaire(aerarium)yavaientaussiétéinstallés.

Unnouveaucentrepolitique,enfin,avaitétéérigésurlePalatin,Palatinus,quiadonnésonnomaumotpalatium,«palais».Autourdesmaisonsd’AugusteetdeLivie,augmentéespardesconstructionsduesàTibèreetNéron,futbâtiunvasteensembledontlesprincipauxtravauxremontentàDomitien.Outreleslocauxd’habitation,onytrouvaitunsanctuairedesNymphes,unstadeetuneécolepourlaformationdesesclavesdel’État.

D’autresquartiersontété identifiés,dontunsecteurcommerçantsur larivegaucheduTibre.Deuxlieux de loisirs des plus importants furent installés entre l’Esquilin et le Caelius, l’amphithéâtreappeléColiséeetleGrandCirque.Maisexistaient,etsouventenplusieursexemplaires,tousleslieuxdeloisirstraditionnels:amphithéâtrespourlescombatsdegladiateurs,naumachiepourlesbataillesnavales,cirquepourlescoursesdechevaux,théâtres,etsurtoutthermes.

Lesquartiersd’habitationétaient logiquementrépartisentrerichesetpauvres: lespremiersavaientsurtoutoccupé l’est de laville et leshauteurs, les seconds les flancsdes collines et lepopuleuxetpittoresqueTranstévère,letrans-Tiberim:Romeavaitdébordésurlariveétrusque,larivedroite.Lepeuple habitait dans des immeubles, insulae, construits en brique et surtout en bois, facilementinflammables et sans confort. Ils brûlaient facilement, et l’incendie de l’un d’entre eux secommuniquaitsouventà tout lequartier.Lesnoblesvivaientdansdesmaisonsparticulièresdutype

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domus,bienéquipées(eaucourante,thermesprivés…,etmêmejardinsintérieurs).

Pourassurerlaviedecetteimmensecommunauté,Augusteavaitorganiséleservicedel’annonequidistribuaitdubléauxcitoyensromains;ilavaitmisenplaceunegarnisonquimaintenaitl’ordre,lesprétoriensetlesurbaniciani,etcrééuncorpsdepompiers,lesvigiles.

Les travaux récentsmettent l’accent sur les faubourgs, le suburbium, moins densément peuplés etréservés à des activités bruyantes ou salissantes, comme le cuir et la teinture des textiles. Romedevenaitdeplusenplusuneville-musée,lelieuoùs’accumulaientdestrésorsdivers.

II.L’ItalieLemotItaliedésignait,pourlesanciens,lapartiepéninsulairedupaysactueldecenom,àl’exclusiondelaSicileetdelaSardaigne,etseshabitantsontétéconsidérésparunefictionpolitiqueetjuridiquecommelesalliésquiontpermisauxRomainsdeconquérirlemonde,cequileuravaludesprivilèges(autonomiemunicipale, fiscalité allégée et avantages en justice). La plaine du Pô, elle aussi, restalongtemps extérieure, le Rubicon servant de frontière ; César donna la citoyenneté romaine auxTranspadans en 49, etAuguste intégra à l’Italie laCisalpine. Les cités conservèrent une très largeautonomie,àpeineentaméeparl’instaurationdeconsulairessousHadrien; ilsn’ensuscitèrentpasmoinslemécontentement.AntoninlePieuxlessupprima;mais,en163,ilsfurentremplacéspardesjuridiques.

L’Italieestoccupéeparunelonguemontagnehostile,lesApennins,avecensoncentreleSamnium.La prospérité était concentrée dans les trois plaines traditionnelles, l’Étrurie, le Latium et laCampanie,auxquelless’ajoutaunequatrièmerégiondeprospérité,laplainepadane.

LeLatium, pays des Latins, était lamoins riche des quatre régions. Sur le littoral, desmarécagesrendaient la vie difficile. En allant vers l’est, vers la montagne, on rencontrait des collines, plusfavorables,puislamontagnehostile.Onycultivaitlebléetonypratiquaitl’élevage,surtoutsurlescollines.LelongduTibre,quiséparaitleLatiumdel’Étrurie,laviaSalariapossédaituneantiquitéetune valeur économique importantes, le sel étant indispensable pour la conservation de beaucoupd’aliments. La principale ville était donc Rome, mais on peut mentionner Préneste, centre depèlerinage, le Lourdes des imperatores, Reate, Nurcie, Teate desMarrucins et Alba Fucens. Ostien’estdevenueque tardivement leportdeRome,grâceaux travauxeffectuéssurordredeClaudeetsurtoutdeTrajan.Claudeavaitfaitcoulerunbateauenpleinemeretlancerdeuxjetéesverscemôle.Maiscenefutqu’audébutdu iie sièclequ’unesolution réellementsatisfaisante fut trouvéegrâceàl’ordesDaces.Trajanfitcreuserunbassinhexagonaldansl’intérieurdesterres,avecdesquais,desentrepôtsetdescanaux.

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LaCampanieétaitunevaste terreàblé,une«campagne»commesonnom l’indique, le jardindel’Italie.Lavigneetl’oliviers’yétaientdéveloppés,maisl’artisanat(bronzeetcéramique),trèsactifàl’époque républicaine, avait décliné. L’urbanisation était forte et des villes célèbres s’y étaientdéveloppées:Capoue,capitalerégionale,Pouzzoles,premierportdeRome,Ischia,Cumes,Sorrente,Stabies,Herculanum,PompéietNaples,ainsiqueleportdeguerredeMisène.Stabies,HerculanumetPompéisontbienconnuesparcequel’éruptionduVésuvesousTituslesaconservées;elless’étaientenrichiesparlaproductionetlecommerceduvin.

Latroisièmerégiondeprospérité,c’étaitl’Étrurie.Outreleblé,elleproduisaitunvintrèsrecherché.ElleavaiteuuneillustreproductiondevaisselleàArezzo(Aretium,d’oùlenomd’arétinedonnéeàcettecéramique);pouruneraisoninconnue,lesartisansquittèrentl’Étrurieautempsd’Augusteetilss’installèrentenGaule.IlrestalamétallurgiedePopuloniaetlecélèbremarbredeCarrare.

Laplainepadanefutlaquatrièmerégionprospère.Ellecombinaitlesculturesetl’élevage,demêmequ’ycoexistaientbovinsetovins,cesderniersfournissantlalaineindispensableautextile.Elledevintcélèbre pour son urbanisation et son urbanisme exceptionnellement développés : Aoste, Milan,Vérone,Padoue…RappelonsqueVirgileétaitoriginairedecetterégion,etqu’onl’appelleparfois«lecygnedeMantoue».

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Les autres régions étaient plus isolées et plus pauvres, comme l’Ombrie (Spolète, Rimini, FanumFortunaeetSenaGallica)et lePicénum,patriedePompée (Ancône,Auximum,Firmum,Asculum,Interamna). On leur ajoutera le Samnium, pays de la guerre sociale (91-88 avant J.-C.), avec sacapitale Corfinium, l’Apulie (Bénévent, Bari et Brindisi). Le Sud bénéficiait des villes grecques,Cumes déjà mentionnée, également Naples (Neapolis, La Nouvelle Ville), Poseidonia devenuePaestumetsurtoutTarente.

Quantaulittoral,trèsétenducommelemontreunecarte,ilvivaitdelapêcheetducommerce;desdécouvertes récentes ont montré l’existence d’ateliers de garum, cette saumure de poisson trèsrecherchée.

Dans lesGéorgiques (II, 136-176), Virgile a laissé un célèbre tableau, souvent appelé L’Hymne àl’Italie,quimetenrelationlabeautédupaysage,lenombredesvillesetlalignéedeshérosdontledernierestAuguste.

III.L’OccidentAucunefrontièren’ajamaisséparél’Orientdel’Occidentà l’époqueromaine,maisunedistinctions’imposa : on parlait latin à l’ouest, grec à l’est, l’administration étant officiellement bilingue.L’Occidentétaitformédeplusieursgroupesdeprovinces.

L’AfriquenerecouvraitquelapartienordduMaghrebactuel(delaLibyeoccidentaleauMaroc).LeshabitantslesplusanciensétaientappelésLibyens,plustardMauresetNumides;ilsavaientaccueillidesPhéniciens,lesPuniquesouCarthaginois;desimmigrantsitaliensétaientensuitevenusengrandnombre.

L’Afrique fut longtemps le pays de lamonoculture du blé. Cette production ne pouvant se passerd’irrigation, lepays fut couvert depuits et debarragesqui coupaient lesouadi (rivières à secunepartie de l’année) ; des canaux et des citernes complétaient ce dispositif. Le nombre de cesconstructionsestimpressionnant.Desrecherchesrelativementrécentesontmontréquelaculturede

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l’oliviersedéveloppaaudébutdu iie siècle.Elleentraîna la fabricationd’amphores,quientraînaàsontourledéveloppementd’unartisanatdegrandequalité,consacréàlavaissellededemi-luxe,ditesigillée.Ajoutonsàcesbienslesfauvesetlasaumuredepoissons(garum).Autotal,l’Afriquedevintunedesrégionslesplusrichesdel’Empire,grâceautravaildeseshabitantsetàcetteéconomieauxproductionscomplémentaires.Cetterichesseseconcrétisadans lasociété : lesnotablesmunicipauxpratiquaientungénéreuxévergétisme.DesAfricainsentrèrentauSénatetmême fournirentà l’Étatunedynastie,lesSévères.

Cette prospérité s’accompagna d’une forte romanité. Les traces en sont encore visibles dans unurbanisme impressionnant ; Sabratha et Lepcis Magna, Dougga et Carthage, Haïdra et Tébessa,TimgadetTipasa,Volubilisencore,sontconnuesmêmedestouristes.

La péninsule Ibérique avait subi des influences puniques dans le sud et celtiques dans le nord.Égalementricheetromanisée,ellesedistinguaitparplusieurstraits.La«trilogieméditerranéenne»se rencontrait partout où le climat et le sol le permettaient. L’élevage des chevaux permettaitd’alimenterl’arméeromaine.Laproductiondemétauxfutabondante:plomb,fer,cuivre,étain,zinc(la calaminedes anciens) et surtout or et argent.Les zonesminièresdessinaient unvaste croissantprenantnaissancedansleNord-Ouest,descendantverslePortugaletsepoursuivantdanslarégionduGuadalquivir.L’urbanisationn’étaitpasmédiocreavec,d’aprèsStrabon,200villesenBétique,114enTarraconaiseet46enLusitanie.OnciteraItalicaetCordoue,BarceloneetTarragone,Méridaenfin.

LaGaule,submergéepardesCeltesentreleviiieetleiersiècleavantnotreère,étaitmoinspeupléeetmoinsurbanisée,maisdiviséeentroiszones.LeNord,correspondantàlavalléeduRhin,possédaitdescampsquiavaientdonnénaissanceàdesvillesetdiffusélaromanité.Lessoldatsdépensaientsurplaceleurssalairesetlelatinétaitlalanguedecommandement.Strasbourg,Mayence,Cologne,BonnetXantensontlesplusconnues.LeSudressemblaitdavantageàl’Italiequ’àuneprovince,sil’onencroit Pline l’Ancien. On y trouvait la trilogie méditerranéenne et le littoral connaissait une viemaritimeactive(innombrablesépaves).Les–nombreuses–grandesvillesétaientMarseille,Olbia,Antibes,Nice,Agde,Aix,Fréjus,Arles,Cavaillon,Carpentras,Orange,Die,Alba,Apt,Riez,Valence,Vaison,Vienne,Gap,Digne,Avignon,Nîmes,Narbonne,Béziers,CarcassonneetToulouse.Entrelesdeux,laprovincedelyonnaiseétaitmoinsprospèreetmoinsromanisée.Toutefois,Lyonétaitunedesplusgrandesvillesdel’OccidentetAutunn’étaitpasuneciténégligeable.

LaromanitéétaitsansdouteprofondémentancréeenGaule,puisquelesFrançaisparlentencoreunelanguelatine.

La Bretagne (notre Grande-Bretagne) était peu urbanisée (Londres, Rochester, Camulodunum etYork).Onaccordesansdouteplusdecréditqu’ellesn’enméritentàsesminesdupaysdeGalles.Elleétaitenpermanencemenacéeparlespillardsvenusd’Écosse,cequiavaitnécessitéuneforteprésencemilitaire.

L’Illyrieenfin,aunord-ouestdesBalkans,passaitpourunerégiontrèsrude.Elleapourtantdonnéàl’empiredubois,dublé,desmétauxetdeshommes,enparticulier les fameuxempereurs illyriensdontonditqu’ilsontsauvél’Empireauiiiesiècle,cequiestpeut-êtreexcessif,etqu’ilsontfondéleBas-Empireauivesiècle,cequiestsansdouteplusjuste.

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IV.L’OrientL’unité de l’Orient venait de l’emploi de la langue grecque comme langue de culture et commedeuxième langue officielle de l’Empire. Dans cette partie du monde, comme en Occident, ondistinguaitplusieursensemblesmajeurs.

LesBalkans,pourl’essentielGrèceetMacédoine,constituaientunezoneéconomiquementdépriméeaudébutdelapériode,maisenessorrégulierensuite.Économiquement,latrilogieméditerranéennecaractérisaitlarégion.Maisl’oliviernepoussaitpaspartout,redoutantlefroiddelamontagne.Lesvinsdequalitéétaientexportés,surtoutparlesîles(Chio,Rhodes).

Athènes, passage obligatoire pour tout homme cultivé, conservait son prestige, comme les grandssanctuairesd’Éleusis,Delphes,Olympie,Corinthe(sanctuairedel’Isthme).Lesgrandescitésantiquess’étaient adaptées à la monarchie impériale. En Attique, outre Athènes, on trouvait comme villesOropos,Éleusis,Marathon,LePiréeetÉleusis.EnEubée,ChalcisetÉrétrie.Dans lePéloponnèse,Sparte,Argos,Patras,Messène,TégéeetMégalopolis.EnBéotie,Thèbes,Platée,Tanagra,ThespiesetOrchomène.Lescitéspérégrines(dedroitnonromain)possédaientdesinstitutionstrèsvariéesethéritéesdutempsdel’indépendance;ellesétaientplusnombreusesquelescolonies(Philippes).

La tradition culturelle et religieuse restait vive. Les assemblées régionales ou koina s’étaient nonseulementmaintenues,maisencoredéveloppéesendevenantcentresduculteimpérial.LesempereursphilhellènesontsuêtrereconnaissantsauxGrecsdeleurfidélité.

L’Anatolie,vasteplateauarideéchancrédepetitesplaineslittorales,auraitétépauvresileshommesn’enavaientdécidéautrement.

L’Asie,àl’ouest,avaitreprisl’héritagedesGrecsanciensetdePergame,cequiluiavaitpermisdedevenir laplus importantedesprovincesde tout l’Empire :elleétaitexceptionnelleparsa richessematérielle,culturelleetsonurbanisation(Éphèse,Pergame…).

La Cappadoce, à l’est, jouait un grand rôlemilitaire face à l’Arménie, royaume et protectorat del’Iran ou de Rome, en fonction du rapport de forces. La présence des légions avait permis ledéveloppementd’unréseauroutier,delaprospéritéliéeauxsalairesdépensés,etelleavaitfavoriséladiffusiondelaromanité.

Lesprovincescentralesétaientàlafoismoinsromainesetmoinsprospères,sansêtrepauvres.Ellesvivaientdel’élevageetdelaculturedublé.

La Syrie possédait un riche passé, tant du point de vue économique (héritage commercial desPhéniciens) que culturel (Grecs,Romains, Sémites divers, dont desArabes et les Phéniciens).Uneétroitebandecôtièredonnaitdesculturesméditerranéennes, toutcommelavalléedel’Oronte,dontAntiocheétait lacapitale.L’artisanatétaitactif(verre).Lamontagnefournissaitunboischoisipourles constructions navales.Au-delà, le désert, barrière efficace contre l’Iran, était très difficilementfranchissable.L’oasisdePalmyrevivaitbiengrâceà sa situation sur l’unedes routesde la soie etgrâceàsapositionentre lemonderomainet lemondeiranien.Lecommercemaritimeétaitactifàpartirdesports(Beyrouth,Byblos,TyretSidon).

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LaJudée,annexedelaSyrie,étaituncouloirentreledésertetlamer,doncunlieudepassage.Lesculturesétaientassezabondantesetlecommerceégalementactif.Elleanéanmoinsvécupauvrementet connu deux guerres très dures et perdues contre Rome (66-70 et 132-135). La principale ville,Jérusalem,aététrèsromaniséeparlavolontéimpériale.

L’Égypte,«dondu(dieu)Nil»selonHérodote,étaituneimmenseoasisbordantlefleuve.Augusteenavaitfait«uneimmensemétairie»(PaulPetit)destinéeàalimenterlescitoyensromains.Petitàpetit,sonstatuts’estnormaliséetl’Égypteestdevenueunevraieprovince.LavalléeproduisaitbeaucoupdeblégrâceaulimonfertiledéposéenaoûtparlacélèbrecrueduNil.Enrevanche,lavigneyétaitrare et l’olivier ne pouvait pas y pousser en raison de la sécheresse. Le papyrus alimentait uneindustrieactive.DesroutesreliaientlecoursduNilàlamerRouge;ellesservaientautransportdeproduitsvenusdel’Orientlointain(épicesettissus).

Alexandrie, une des villes les plus fascinantes de l’Empire, possédait des ateliers (textile, bijoux,objetsdeluxe),desentrepôtsetdeslieuxdehauteculture(leMuséeetlaBibliothèque).

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ChapitreV

LeHaut-Empire:ledroitetlaguerre

I.Lepouvoire régime fondé parAuguste (voir chap. iii, § I) fut unemonarchie,mais avec une vie politique.

L’empereur,chefdel’État,desarméesetdelareligion,possédaitdoncdespouvoirscivils(potestas),militaires(imperium)etsurtoutreligieux.IlpouvaitainsiimposersonpointdevueauSénat,danssesprovincesmais aussi dans les provinces dites sénatoriales. Il pouvaitmener les armées au combat(Trajan) ou déléguer ce devoir et pouvoir à des généraux qu’il estimait plus compétents que lui(Néron).Ilétaitperçucommeunintermédiaireentrelesdieuxetleshommes,protégédespremierspourassurerlebonheurdesseconds.Ilyavaitconflitidéologiquequandilétaitbattu:soitilcachaitsadéfaite,soitildevaitêtreéliminé(cequifutlarègledanslacriseduiiiesiècle).

Mais il devait compter avec trois autres institutions, le Sénat, qui se réunissait régulièrement, lepeupleromain(lescomicessetenaientdemoinsenmoinssouvent,etladernièreattestationdatedeNerva, mais les mécontents pouvaient manifester violemment) et les prétoriens, voire leslégionnairesencasdecrise.LesrelationsavecleSénatfurentàlafoisvariablesetessentielles,carlessénateurspossédaientlarichesseetlesavoir,etilsfournissaientlescadressupérieursdel’Étatetde l’armée. Ils étaient indispensables et, dans lemême temps, ils pouvaient susciter la jalousie del’empereurousacolères’ilsétaientperçuscommedesobstaclesàl’exercicedupouvoir.Laloidemajestépermettait aux empereurs ennemisduSénat (« lesmauvais empereurs ») demettre àmortceuxqu’ilsconsidéraientcommedesennemis.

Il disposait d’un conseil (consilium principis), réuni d’abord en fonction des nécessités, puis avecrégularitéàpartird’Hadrien:ilétaitprésidéparlepréfetduprétoire,ilavaitunecompositionfixeetil était formé surtout de juristes et de militaires, parce qu’il intervenait essentiellement dans desaffairesrequérantcesdeuxdomainesdecompétence.

Le prince se faisait aider par des institutions qu’on appelle la « chancellerie », un ensemble debureauxouofficiadirigéspardesprocurateursaffranchisd’abordpuis,aprèsletempsdeClaude,pardescouplesaffranchi-chevalier,lechevalierétantlesupérieurdel’affranchi.Lebureaudescomptes(a rationibus) était le plus important ; il était aidé par les services des archives (amemoria), desenquêtes (a studiis), des requêtes (a cognitionibus) et de la correspondance latine et grecque (abepistulislatinisetgraecis).

UnemultitudedepersonnagesexerçaientdespouvoirsdiversdansRome.LepréfetdelaVilleétaitdevenu une sorte de maire désigné. Plusieurs préfets complétaient cette panoplie. Le préfet duprétoire, à l’origine simple commandant de la garde, avait largement étendu son autorité : ilremplaçait le prince en cas d’empêchement et présidait le conseil ; il était devenu le principal

L

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conseiller pour les affaires judiciaires et militaires. Le préfet de l’annone dirigeait un serviceimportantpourlemaintiendel’ordre, leravitaillementpromisauxcitoyensromains; ilavaitsoussesordresdesemployésquipercevaientcetimpôtennature,d’autresquiletransportaient,d’autresenfinquiassuraientladistributionauxayantsdroit.Lepréfetdesvigilescommandait lespompiers.Un grand nombre d’autres fonctionnaires, juges et officiers, intervenaient également. En fait, ilsemblequelepouvoiraitvouludiviserlepluspossiblelestâches.

Quoiqu’ilensoit,souslePrincipat,Romeétaitbien«lecentredupouvoir»(R.BianchiBandinelli).

II.LedroitLeshistorienss’accordentàdirequeledroitjouaitunrôleessentieldanslesmentalitésdesAnciens,commegarantdel’ordrepublic,etqueledroitromainestl’ancêtredenotredroit.Ilsn’ontpourtantquerarementcherchéàrendrecettematièreaccessibleauxnon-spécialistes.

Ilconvientdevoird’abordquelsétaientlesorganesquicréaientleslois.SouslaRépublique,lesloispouvaientvenirdescomices (leges) ouduSénat (sénatus-consultes).Sous lePrincipat, les sénatus-consultes subsistèrent, souvent influencés par le prince ; s’y ajoutèrent les textes émanant del’empereur,édits(textesgénéraux),décrets(jugementsimpériaux),rescrits(réponsesdel’empereur)etmandats(avisconcernantl’administration).

Il faudrait ensuite voir comment se déroulait un procès. Une affaire célèbre, celle du Christ, peutillustrerledéroulementd’uneaffairejudiciaire;carlaprocéduresuiviefutparfaitementconformeaudroitromain,mêmesiellepeutchoquerunmoderneetsurtoutunchrétien.

Il n’existait ni police, ni accusateur public, ni avocat, pour ce dernier en théorie seulement, carCicéron fut un avocat célèbre et, au Bas-Empire, la profession fut reconnue et réglementée. Desparticuliers,lesvictimesleplussouvent,devaientprésenterl’accuséautribunal,quiassuraitseulsadéfense, et ils soutenaient l’accusation. Dans le cas du Christ, l’accusateur était en réalité unecollectivité, qui constitue une personne morale, « les grands prêtres et les anciens du peuple »(Matthieu, 26, 3). Il faut d’abord trouver le coupable et c’est ici qu’intervient Judas qui, contre 30deniers,prometdeleleurlivrer.Lescommanditairesenvoientdeshommespourlesaisiraucorps:«Commeilparlaitencore,survintJudas, l’undesDouze,etavecluiunebandenombreusearméedeglaivesetdebâtons,envoyéeparlesgrandsprêtresetlesanciensdupeuple»(Matthieu,26,47).Undesesamisessaiedeledéfendreetblesseundesassaillants.MaisJésusrefused’êtresecouruauprixdelaviolence:«Tousceuxquiprennentleglaivepérirontparleglaive.»

L’accusén’avaitquepeudedroitsdanscecas:ilappartenaitàunpeupledevaincusetàlacatégoriedespérégrins,hommeslibresnepossédantpaslacitoyennetéromaine.PourlesRomains,ilétaitenoutreunvagabondjuif.

ÀRome,sousleHaut-Empire,unprocèspouvaitsuivredeuxtypesdeprocédures.

Danslecasdelaprocéduredite«formulaire»,l’accusateurserendaitd’aborddevantunmagistrat,lepréteur,qui«ditledroit».Cedernierdemandaitàl’accusateurd’écriresarequêteetàl’accusésaréponse.Avant lesdébats,etaveceux, il rédigeaitun texteou« formule»dugenre :«Siun tela

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commistelcrime,ilserapunidetelchâtiment.»Ildevaittenircomptedesdeuxpointsdevue.Puisilentendait les deux parties et les témoins et il tranchait. L’accusé devait être présent.Demême quel’accusateur devait contraindre l’accusé à se présenter, il devait aussi le contraindre à payer, sansavoir à compter sur la force publique qui n’intervenait pas dans les conflits entre particuliers.Undeuxième procès était même parfois nécessaire pour contraindre un perdant mauvais payeur. Onremarqueraquenilepréteurnilesjugesnesontdesprofessionnelsdudroit.CommePoncePilate,ilsdoiventdoncs’entourerd’unconseilcomprenantdesspécialistes.

Le Sénat avait lui aussi une juridiction, mais c’est la juridiction de l’empereur qui connut ledéveloppementleplusfort.LeprocèsduChristillustreparfaitementlaprocédure«extraordinaire»,carPoncePilate agit en tant que représentant de l’empereur. Il n’y a donc qu’une phase, devant legouverneur, qui est en même temps le personnage qui « dit le droit » et celui qui prononce lasanction.CommeJésusneréponditpasàPilate, ilétaitconsidéré,endroitromain,commeavouantsescrimes.

Ilexistedifférentsdroits,pourlesesclavesetlesmilitaires,etpourlesprovinciaux.Maislemodèleromaintenditàs’imposeretunegrandeuniformisationserépandit.

Diverses peines existaient : amendes, réduction en esclavage, travaux forcés dans les mines,crucifixionpourlesesclavesetlespérégrins,etglaivepourlescitoyensromains;seulscesdernierspouvaientfaireappelàCésar,commelefitsaintPaul,pardeuxfois.

Audébutduiiiesiècle,desjurisconsultes,Paul,Papinien…,élaborèrentuneréflexionquipritsouventforcedeloienraisondesavaleur.Parlasuite,desempereursbyzantinsfirentfairedescompilations:CodeThéodosien (entre 429 et 438),Corpus Iuris ciuilis comprenant leDigeste (533) et leCodeJustinien(534).

III.L’arméeL’armée romaineduPrincipat était devenuepermanente et professionnelle.Elle atteignit unniveaud’excellenceexceptionnelaucombat.D’unepart,ellepeutêtreconçuecommeuneinstitutionparmid’autres, comme un corps.D’autre part, elle avait une fonction extraordinaire, les soldats existantpourtueraunomdel’État.

En tant que corps, l’armée était divisée enunités et soumise àunehiérarchie.Elle comprenait unegarnisoninstalléedansRome:9cohortesprétoriennes(500hommes×9),3cohortesurbaines(500×3)et7cohortesdevigiles(1000×7),pluslesequitessingularesAugusti,lagardeducorpsmontée(500).Lecorpsdebataille,installéauxfrontières,étaitdiviséen25légions(5000fantassinslourds×25);leurnombrefutportéjusqu’à33audébutduiiiesiècle.Unelégionétaitdiviséeendixcohortes,une cohorte en troismanipules, unmanipule endeux centuries, ce qui fait 59 centurionspour unelégioncarlapremièrecohortenecomptaitquecinqcenturies,maisàeffectifsdoubles.Leslégionsétaientaidéespardesunitésauxiliaires,ailesdecavalerie(500ou1000),cohortesd’infanterielégère(500ou1000),cohortesmixtesditesequitataeenlatin(500ou1000),etnumeriethniques(effectifsvariables).LamarineoccupaitdeuxgrandsportsenItalie,MisèneetRavenne,etelleavaitinstallédesescadresdanslesprovinces.

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Lechefsuprêmeétaitl’empereur.Ilétaitassistéparleoulespréfet(s)duprétoire.Pourcommanderles armées des provinces, il plaçait un lieutenant à leur tête, un légat, ancien consul. À la tête dechaque légion,etdesauxiliairesquiendépendaient, ilplaçaitunautre légat, luisimplementancienpréteur.Lalégionavaitpourdeuxièmeofficieruntribun,filsdesénateuretappelélaticlave.Ilavaitsoussesordresdeschevaliers,lepréfetducamp,puiscinqtribunsditsangusticlavesetenfinles59centurions.

Lessoldatsétaientrecrutésaumomentduconseilderévision,ledilectus,présidéparlegouverneuretquiexaminaitenprioritélestatutjuridique,ensuitelesqualitésphysiquesetintellectuellesdujeunehomme.Les esclaves et les affranchis n’étaient pas admis pour cause d’indignité, et la plupart dessoldatsbénéficiaientdelacitoyennetéromaine;quelquespérégrinspouvaiententrerseulementdanslesauxiliairesetlamarine.Audébutdel’Empire,onfitappelàdesItaliens;peuàpeu,ceux-cifurentdispensés de service, sauf dans la garnison de Rome. Peu à peu également, les provinciauxremplacèrentlesItaliensdansleslégions:natifsd’aborddegrandescités,ensuitedelaprovincedegarnisonetenfinfilsdesoldatsappeléscastris(ilsnefurentjamaismajoritaires).Chaqueprovinceétaitdéfendueparlessiens;l’AfriqueparlesAfricains…

La terrible efficacité de cette armée s’explique par plusieurs facteurs, d’abord un recrutement dequalité,ensuitelapratiquerégulièredel’exercice,enfinlatactiqueetlastratégie.Pourl’exercice,quiétaitàlafoisformationinitialeetcontinue,lesoldatdevaitd’abordfairedelagymnastique(marche,course,saut,nage,surtout).Ensuite, ils’adonnaitaumaniementd’armes,lancerdujavelot,escrimeavecleglaive,tiràl’arc…Enfin,lessoldatsmanœuvraientenunitésconstituées.

L’armementétait constituépar lecouplegladius-pilum.Legladius était court (70cmde long,3delargeur)etpointu,avecdeuxtranchants;ilpermettaitdefrapperdetailleetd’estoc.Lepilumétaitunjavelotàfortepuissancedepénétration; ilétaitfaitd’unlongmancheenboisetd’unlongfertrèsmincedemêmelongueur;encasdechoc,lefersepliaitetnepouvaitpasêtrerenvoyéàl’expéditeur.Aucoursduiiiesiècle,ilsfurentremplacésparlecouplespatha-hasta,unelongueépéesanspointeetunelancedechoc.

Suivant les circonstances, les généraux pouvaient accepter la bataille en plaine, et recourir audispositif en cohortes (groupes de trois manipules) isolées les unes des autres, ou à la phalange(hommes disposés épaule contre épaule) ; ils préféraient souvent le siège,moins coûteux en vieshumaines.La bataille commençait par desmanœuvres et se terminait par unemultitude de duels àl’escrime.

Les batailles, en principe, ne faisaient pas beaucoup de victimes : quelques centaines chez lesvainqueurs, quelquesmilliers chez les vaincus.Mais la guerre offrait des aspects effrayants et lessoldats ressentaient la peur : ils voyaient ce que l’on a appelé « le visage de la bataille » (JohnKeegan). Ilspouvaient se rendreetdanscecas ilsdevenaient esclaves, et les leurs aveceux ; s’ilstentaientdefuir, ilsrisquaientd’êtrefrappésdansledoset tués.Aprèsunebatailleouunsiège, lescivilssouffraientàleurtours’ilsappartenaientaucampdesvaincus:lesparentsdesvaincusétaientréduits enesclavage, leurs femmesétaientviolées, tous lesbiens saisis etdesmeurtrescommisauhasard;c’était«levisagedelabataille»pourlescivils.

L’empirefutentouréparundispositifdéfensifcomposédetroisélémentsaumaximum:partout,desroutes étaient construites ; les militaires bâtissaient des défenses ponctuelles (forts, fortins) et ilsutilisaient, seulement parfois, des défenses linéaires, comme le mur d’Hadrien en Bretagne ou

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comme un fleuve ; les modernes appellent ce système le limes, un mot impropre, rarement ettardivementutiliséparlesanciens.

IV.LesprovincesÀl’origine,lemot«province»désignaitlamissionconfiéeàunmagistratsortantdecharge.Peuàpeu,ilfinitpars’appliqueràunterritoireplacésousl’autoritédeRome.

En27avant J.-C.,unpartagedesprovinces futorganiséentre leprinceet leSénat, représentantdupeupleromaindanscecas(pourcetteraison,onparleactuellementdeprovincessoit«duSénat»,soit«dupeupleromain»).Enthéorie,Augustesechargeaitdesprovincesexposéesauxmenacesdel’ennemi, donc pauvres, et il laissait les provinces riches à la haute assemblée. En fait, deschangements de statut sont attestés : laNarbonnaise, impériale en 27, fut vite donnée auSénat ; laSardaignechangeaplusieursfoisderesponsable.

Ladésignationsénatorialeouimpérialeveutdirequelegouverneurétaitdésignéparuneinstanceouparl’autre,etqu’ilétaitresponsabledevantelleencasdemalversation.

Àlatêtedechaqueprovincesetrouvaitungouverneur,intermédiaireentrelepouvoircentraletlapopulation.Danslesprovincessénatoriales,ilportaitletitredeproconsul;ilétaitunancienconsuldanslesdeuxplusgrandsterritoires,AsieetAfrique,unancienpréteurdanslesautres.Danslesprovincesimpériales,ilétaitunlégatimpérialpropréteur,ancienconsuls’ilyavaitunearméededeuxoutroislégions(Bretagne,Germanies,Syrie…),ancienpréteursil’arméenecomptaitqu’unelégion(Numidie)oupasdelégiondutout(Lyonnaise).Danslespetitesprovinces,l’empereursefaisaitreprésenterparunprocurateuréquestre,appeléparlesmodernesprocurateurgouverneur,àdistinguerdesprocurateursfinanciersmentionnésplusloin;lesmodernesappellentcesprovinces«depremière»ou«dedeuxièmecatégorie»,expressionsinconnuesdel’Antiquité.L’Égypteconstituaituncasàpart;elleétaitgouvernéeparunpréfetéquestredehautrang.

Le gouverneur était assisté par un responsable des finances, unmagistrat appelé questeur dans lesprovinces sénatoriales, un procurateur équestre dans les autres.Dans les territoires les plus vastes(Asie,Afrique), un ou plusieurs légats (jusqu’à trois) rendaient la justice à sa place quand il étaitindisponible. Un ou plusieurs procurateurs, à ne pas confondre avec le précédent, veillaient àl’administration des biens impériaux. Un ou plusieurs officiers, suivant l’importance des troupesmisesàsadisposition,enassuraient lecommandement.Enquelqueendroitquecesoit, ilsefaisaitaider par un personnel administratif de comptables et de secrétaires peu nombreux, comptantquelques dizaines d’employés, au plus quelques centaines dans les provinces les plus vastes. ÀCarthage,onaretrouvélapartieducimetièremiseàleurdisposition,quel’onappellepartradition«lanécropoledesofficiales».

Danstouslescas,legouverneurdevaitremplirunemissionfondamentale,fairerespecterl’ordre.Aupremierchef,ildevaitrendrelajusticepouréviterlesvendettasfamiliales.Ilétaitlejugesuprêmedelaprovince;seulslescitoyensromainspouvaientfaireappelàCésaretêtrerejugésàRome.Citoyenromain, saintPaul profita par deux fois de cette opportunité, car il avait été condamnépour avoirseméledésordreenOrient.MaislefuturempereurGalbarefusal’appelàunautrecitoyenromain,dont le crime était à la fois trop patent et trop abominable (il avait empoisonné son pupille pour

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détournersesbiens).Néanmoins,pourmarquersonstatutsocial,illefitcrucifiersurunecroixplusgrandequelesautresetpeinteenblanc.

On possède de nombreux exemples de cette fonction. Un cas célèbre est connu par l’Apologied’Apulée,unhommejeuneetpauvrequiavaitépouséunedamericheetplusâgéequelui.Lesparentsde lamariée l’accusèrent d’avoir recouru à lamagie pour la séduire. Il risquait sa tête,mais il sesauvaparunbrillantplaidoyerquifutjugéconvainquantparleproconsul.Legouverneursurveillaitsonadjointchargédesfinances,enfaitdelafiscalité.Enfin,ildevaitpréserverla«paixdesdieux»,s’assurerque les templesétaiententretenuset lescultescélébrés.À l’époqued’Auguste,onvoit cedernier intervenir dans la province d’Asie pour faire rendre à un temple les biens qui luiappartenaientetquiavaientétédétournés.Onvoitque,dèsl’origine,l’empereurnesegênaitpaspours’occuper des affaires des provinces dites sénatoriales.Lemême souverain s’est également souciédesproblèmesdelaCyrénaïque,commelemontrentlesfameuxéditsdeCyrènequiconcernentlesrelationsentreGrecsetRomains.

V.LamunicipalisationOnappellecitéunensembleregroupantunevilleet le terroirquiendépend,cetespaceétantplacésous l’autorité des mêmes institutions et sous la protection des mêmes dieux ; les anciens neconcevaientpaslacivilisationendehorsdecerégime.CesystèmeestattestéaussibienenGrècequedans l’Italie républicaine. Des communautés lui échappaient toutefois, parce qu’elles étaientarchaïques;ellescorrespondaientàunstadenon-oupré-municipal,etils’agissaitenparticulierdesemi-nomadesoudemontagnards.Plusieursnomssontattestés;pourl’essentiel,ondistinguaitdesvici(bourgs),despagi(cantonsruraux),descanabae(surtoutprèsdescamps)etdescastella(bourgsliésàunegrandedemeure).

L’étude de ce système, pour le Principat, est très à la mode actuellement parce que plusieursinscriptionsquilefontconnaîtreviennentd’êtredécouvertes(lalexIrnitana,trouvéedansleSuddel’Espagne,aétégravéesursixplaquesdebronze,pourunlotvraisemblablementdedixplaques).Cesdocumentsontrelancéunintérêtqui,audemeurant,n’avaitjamaisfaibli.

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Fidèles à leur tradition, les Romains ont toujours appuyé les régimes aristocratiques, et les citésméditerranéennesdel’époqueimpérialerespectèrentleurvolonté.

EnOccident,unecitéétaitorganiséesuivant lemodèlede laRomerépublicaine.Ony trouvaituneassembléepopulaireoupopulus,dotéedepouvoirstrèslimités,quicorrespondaitauxcomices.Uneassembléerestreinte, l’ordredesdécurions, réelledétentricede l’autorité,s’inspiraitduSénat ;desmagistratsétaientchargésd’exécutersesdécisions.Lequesteurs’occupaitdesfinances,l’édiledelapolice et des bâtiments, et le duumvir disait le droit. Tous les cinq ans, les duumvirs devenaientduumvirs quinquennaux et ils effectuaient le census en plus du reste (établissement des listes decitoyens,dechevaliersetdesénateurs).Lesprêtresdelacitéétaientégalementélus(flaminespourlesdieuxduculteimpérial,flaminiquespourlesdéessesdumêmeculte;augurespourlirelesprésages;sacerdotes de la divinité poliade). Tout candidat à un poste devait pratiquer l’évergétisme : ilpromettaitundonencasdesuccès.

EnOrient,latraditiongrecqueavaitétépréservée.Maislemêmeschémaserépétaitdanscedomaine,quoique plus complexe. La cité possédait une assemblée large ou ekklèsia, une assemblée étroite,boulèougerousia.Elledisposaitaussid’ungrandnombredemagistratsetd’assistantsdesmagistrats: secrétaire ou grammateus ; stratège, irénarque, paraphylax pour la police ; pour le marché,agoranome, astynome, elaiones, épimélète ; pour les jeux, agonothète ou hellanodikès. Pour lajustice, c’était plus simple : le duumvir était appelé archonte ; il voisinait avecdes prytanes et despolitarques [1].

Lescitésétaienthiérarchisées : lescoloniesétaientpeupléesdecitoyens romains, lesmunicipes depérégrins, sauf les notables qui obtenaient la citoyenneté romaine et, dans les civitates, même lesnotablesétaientpérégrins.Ilenallaitdemêmedanslesorganismesnonmunicipaux.

Poursusciterlasympathiedugouverneur,lescivitatessedotaientd’institutionssemblablesàcellesdescolonies.Ellesavaienttoutefoislapossibilitédeconserverleurstraditions,connuespardestitresgrecsenOrient;enOccident,ontrouvedessufètesenAfrique,desvergobretsenGaule.

À partir du début du iie siècle, les cités qui avaient des difficultés financières demandèrent augouverneur de nommer un curateur, personnage doté de tous les pouvoirs dans le domaineéconomique.Contrairement à ce que l’on croyait autrefois, on saitmaintenant qu’il respectait « leprivilège de liberté » (François Jacques). Il rééquilibrait les finances, puis il partait. Avec laConstitution antonine de 212, qui donna la citoyenneté à tous les habitants de l’Empire, cesdistinctionsperdirentleurintérêt.

Notes

[1]VoirA.Billault,Les100MotsdelaGrèceantique,Paris,Puf,«Quesais-je?».n°3898

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ChapitreVI

LeHaut-Empire:laviematérielle

I.Laville’urbanisme romain a été souvent maltraité, et deux erreurs doivent être évitées ; elles sont en

général fondées sur un examen superficiel du plan de Timgad, ville d’Afrique qui constituait uneexceptionetnereprésentaitpasunerègle.D’unepart,lesanciensnerecherchaientpasforcémentlesangles droits, car il leur fallait tenir compte du relief et de constructions préexistantes ; ils secontentaientdeprivilégier l’ordre.D’autrepart, lepouvoir impérialet l’arméen’intervenaientpas,les constructions importantes étant dues aux notables par le biais de l’évergétisme (générosité àl’égarddupeuple).

OnconnaîtmallesvillesdeGaule,parcequ’ellesontétérecouvertespardesconstructionsmodernes.Enrevanche,PompéietHerculanum,oulesvillesd’AfriquecommeLepcisMagna,Dougga,Timgad,TipasaetVolubilis,permettentdeplongerdansl’Antiquité.

Pourlesanciens, lafonctionciviquel’emportait,etelleavaitpourcadreleforum(agoraengrec),endroitoùseretrouvaientlescitoyenspourparlerdesaffairescommunes.C’étaitunevasteplace,engénéralrectangulaire,ouverteounon.Ellepouvaiteneffetêtreferméeparunportiqueetelleétaitplacée à l’endroit où se croisaient le kardo, axe nord-sud, et le decumanus, axe est-ouest. Unebasilique,sortedeforumcouvert,lecomplétait.Ondonnaitlenomdeportiqueroyal(basilikèstoa)àunegrandesallerectangulaire,diviséeentroisnefspardeuxrangéesdecolonnesetterminéeparunepetitesalleendemi-cercle,appeléeexèdreouabside;elleétaitcouverteparuntoit,cequipermettaitdel’utiliserpartempsdepluieoudetropgrandsoleil.LeSénatlocal,quantàlui,seréunissaitdansunecurie,salleenformedetemple,bâtiesurunhautpodium;s’illedésirait,parexempleencasdetroubles,ilpouvaitseréunirdansn’importequeltemple.

Lafonctionéconomiquesetrouvaitailleurs.Pourlecommerce,existaientdesplaces,desmarchésetdesboutiques;pourl’artisanat,desateliers.Lesboutiquesetlesateliers,demêmequelestavernes,étaientsouventdepetitespiècesprisessurunevastedemeure;oualorsellesétaientconstruitesàceteffet (sur le forum de Lutèce, par exemple, qui a été recouvert par l’actuelle rue Soufflot). Lesarchéologuesontdégagédesquartiers«industriels»,parexempleàTimgad;lesactivitéspolluantes(textiles)oubruyantes(métallurgie)étaientsouventdéplacéesdanslesuburbium,lesfaubourgs.

La fonction sociale était remplie par l’habitat. Pour les pauvres, point d’immeubles, sauf àRome,mais des constructions légères faites de branchages et de toiles, sortes de bidonvilles appelésmapalia, qui ont disparu sans laisser de traces ; on les connaît par quelques textes et par desreprésentationssurdesmosaïquesengénéraltardives.Lesricheshabitaientdesdomus.Cesdernièresétaientdiviséesendeuxparties, lapartie romaineet lapartiegrecque.Dans lamaisonromaine,on

L

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distinguaittroisélémentsessentiels:d’abord,uneentrée(atrium)oùse trouvaitunbassindestinéàrécupérer leseauxdepluie ; ensuite,un salon (tablinum)où se trouvait le laraire, auteldesLares,dieuxde lafamille ;enfin,unesalleàmanger(triclinium).Le luxesevoyaitàd’autrespièces,desthermes, une cuisine, des salles diverses. Dans la maison grecque, le propriétaire disposait d’unjardin intérieur, le péristyle.Cet habitat était fermé sur lui-même : entrées étroites et fenêtres hautplacées,depetitesdimensions.

La ville était le lieu des loisirs ; nous reviendrons plus loin sur ce sujet (thermes, théâtres,amphithéâtres,cirques…).

Elleaccueillaitaussidesdieux.Le templen’étaitpasouvertauxfidèles ; ilétait lamaisondudieu.Danslatraditionromaine,ilétaitbâtisurunhautpodium,àladifférencedutemplegrec,quiétaitauniveaudusol.Ondistinguaittroisparties,unescalier,uneentréeàcolonnade(pronaos)etlachambrede la statue (naos oucella). L’exemple le plus célèbre, en France, est laMaisonCarrée deNîmesconstruite à l’époque d’Auguste pour les princes de la jeunesse, petits-fils de l’empereur,Caius etLuciusCésar;c’étaitdoncunmonumentduculteimpérial.

Pourpratiquerlesrites,lefidèlen’avaitbesoinqued’unautel,undédepierre,maisquipouvaitêtrefait de terre ou de bois. On en trouvait beaucoup devant les temples. Ils permettaient d’offrir dessacrificesetdes libations ;dans lepremiercas,unanimalétait tué,dans le secondcasduvinétaitrenversé.Onpouvaitaussiybrûlerdel’encens.

Lesmortsétaiententerrésauxportesdesvilles,lelongdesroutes.Lestombesétaientmarquéespardesmonuments divers, des stèles (pierres dressées), des autels pour les sacrifices ou des cupules(demi-colonne posée sur la tranche). Les riches se faisaient enterrer dans des monuments plusimportants, des mausolées, voire de vastes complexes comme celui qu’avait voulu le LingonanonymeconnuparundocumentappeléLeTestamentduLingon.

II.LacampagneL’agriculture représentait l’essentiel de l’activité des hommes, et le blé constituait leur principalenourriture.Cemotde«blé»désigneenréalité toutessortesdecéréales,surtoutdescéréalesditespauvres, qui tiennent mieux au corps et viennent plus facilement. Tout paysan en produisait pourrespecter le sacro-saint principe d’autarcie, et quels que soient la nature du sol et le climat de larégion.Quelquesprovincesétaientréputéespourleurgénérositéencedomaine,l’Égypteetl’Afriquenotamment, où l’irrigation et les terrasses mettaient en échec les contraintes géographiques (eau,relief).Lepainn’étaitjamaisjeté,etlebléétaitconsommésousdifférentesformes,bouillies,soupes,gâteaux…

Quandc’étaitpossible,la«trilogieméditerranéenne»,blé-vigne-olivier,étaitexploitée.

Lavignevientfacilementetsecomportecommeunvraichiendent;ellenedemandequedusoleilet,sil’onveutdubonvin,beaucoupdetravailetd’intelligence(pentesduVésuveetÉtrurieenItalie,îlesde Chio et Rhodes en Grèce). Le vin était très répandu, et en offrir une coupe était un geste decourtoisie, d’amitié,mais l’ivresse étaitmal vue ; jamais consommé pur, il étaitmélangé avec del’eau,dumiel,duplâtre…Lessoldatsbuvaientparfoisunepiquetteappeléeposca.

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DesdécouvertesrelativementrécentesontpermisdedécouvrirquenotreNormandieentraitdanslacatégorie des régions viticoles, aux côtés de la Narbonnaise et de l’Aquitaine. LesAllobroges deVienneavaientmisaupointuncépage,l’allobrogica,lesBiturigesdeBordeauxavaientfaitdemêmeavec labiturica, et lesHelviens duVivarais, eux aussi, avaient amélioré leurs plants. Le vignoblegaulois, toutefois, produisait pour la quantité plus que pour la qualité. Un édit de Domitien avaitordonnédesarrachagesdeplantsdevigne;cettemesureindiqueaumoinsunesurproduction.

L’olivierestaucontrairefragile.Ilnesupportepaslefroid(enGaule,ilnedépassepaslalatitudedeVienne;onneletrouvenullepartenmontagne)etildemandebeaucoupd’eau(l’Égypten’enavaitpas).L’huile,quiconnutunfortdéveloppementpendantlePrincipat,étaitdequalitévariable,laplusmauvaiseservantauxlampesouàlatoilette,commesavon(c’estcequeditcettemauvaiselanguedeJuvénalàproposdel’huiled’Afrique).

Fruitsetlégumes,viandeetpoissonétaientvendusleplussouventàl’intentiondesriches;lesplatsextraordinaires décrits par Apicius ou par Pétrone à propos de la table de Trimalcion étaientexceptionnels.Lesanciensappréciaientparticulièrementlegarum,unesaumuredepoissonproduiteautourdudétroitdeGibraltar,etlelongdulittoraldel’AtlantiqueetdelaMéditerranée.Beaucoupdefruitsetlégumesquisontaujourd’huiqualifiésde«méditerranéens»étaientinconnusdel’Antiquité:pommes de terre, courgettes, melons, piments, poivrons, tomates et fraises (ils ont été importésd’Amériqueàpartirduxviesiècle).

Le sel et le sucre, qui ont aussi disparu sans laisser de traces, et qui sont indispensables au corpshumain,étaientrecherchés.Leselprovenaitsurtoutdemaraissalants,lesucreétaitfourniparlemiel.Lesgourmandsconnaissaientbeaucoupd’épicesetilssavaientlesutiliser:anis,bergamote,cumin,camomille,ciboulette,civette,coriandre,safran,cumin,hysope,lavande,moutarde,nard,thymetlemystérieuxsilphiumdeCyrénaïque.

On élevait tous les animaux actuellement connus, avec une prédilection pour le bœuf, le porc, lemoutonetlachèvre.Leschevaux,enrevanche,servaientessentiellementdemoyendedéplacement.Les animauxdits« célestes»parcequ’ils appartenaient à l’empereur étaient les animaux sauvagesrecherchéspourlesamphithéâtres.

D’autres conditions favorablesontpermis laprospéritéduHaut-Empire.Lamonnaie circulait, desbanquesexistaient,etunrareéquilibres’estétablientreladémographieetlesproductions.Descrisesfrumentairessontnéanmoinsattestées,mêmeàRome(23-22,2avantJ.-C.,5-6aprèsJ.-C.,10,19,23,32,39-41,51,62,64,68,pourleseuliersiècledel’Empire),maisautotal,ellesn’entraînaientpasdesmortstropnombreux.

L’empereur était le plus grand propriétaire de l’empire. Néron, ayant appris que six personnespossédaientlamoitiédusolenAfrique,lesfitmettreàmortets’emparadeleursterres.Àpartirdeson règne, l’Afrique prit la place de l’Égypte pour assurer l’annone de Rome. D’autres grandspropriétaires existaient, et Hadrien développa une classe de petitsmétayers privilégiés, les colons(nousreviendronssurcespersonnagesau§VI).

Lesolétaitsouventsoumisauparcellementquel’onappelleàtort«cadastration»ou«centuriation»(iln’yavaitpastoujoursdecadastrenidecenturies).

L’huile,levinetlegarumimposèrentledéveloppementd’ateliersdecéramique;ilsfavorisèrentles

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échanges.

III.L’artisanatUnepremièredifficulté,rencontréeàproposdel’agriculture(blé),tientàladocumentation:certainsproduitsonttraversélessiècles(pierreetcéramique),d’autres,parmilesplusimportants,ontdisparusanslaisserdetraces(boisetmétaux).Ilconvientdoncquel’historiensoitprudentaveclesrésultatsdefouilles,pournepassurestimerousous-estimerlesdifférentsproduits.

Unautreproblèmetientautravailderéflexiondeshistoriens.Quelquesfabrications,notammentdecéramique,étaientassuréesàgrandeéchelle.Desauteurssesontdemandésil’onpouvaitparlerd’«artisanat»oud’«industrie»,etlaquestionn’ariend’absurde.Enfait,ànotreavis,lamédiocritédessourcesd’énergiemisesenjeuempêched’employerlemotindustrie.

La terre cuite ou céramique était un produit très répandu, très utilisé depuis le Néolithique, quiremplissaitdemultiplesusages.Pourlaproduire,ilfallaitdel’eauenabondance,uneterredequalitéetduboispouralimenterdesfours.

Elle permettait d’abord de s’équiper en vaisselle. Sous l’Empire, elle fournissait soit une vaissellecommune,sansnometsansâge,soitdesproduitsdedemi-luxe,deteinterougeorangé,décorésdemotifs en relief ; leur étude permet de voir quels étaient les centres d’intérêt des propriétaires(c’étaientsurtoutlesdieuxetlesloisirs).Danscecas,onparledesigillée«signée»,parcequelesateliers apposaient un cachet au fond des plats. Dès l’époque républicaine, l’Italie en produisaitbeaucoup. À l’époque d’Auguste, les artisans se rendirent en masse dans le Sud de la Gaule,notammentàlaGraufesenque;auiiesiècle,ilschangèrentpourLezoux,dansl’Allier.L’Afriquefutaussiuneterrericheenproductionsdequalité,souventimitéesdansd’autresprovinces,maisàpartirdudébutduiiesiècledenotreère.

La terre cuite permettait aussi de produire des lampes à huile, toujours décorées ; les motifscorrespondentassezbienàceuxquiontétéobservéssur lavaissellesigillée.La lampecomprenaittroiséléments,unréservoircylindriquepercédedeuxtrouspourleremplissageetl’aération,unbecdanslequelonintroduisaitunemècheetunepoignée.

La terre servait aussi à fabriquer des amphores, le conteneur universel de l’Antiquité, la boîte deconservedel’époque(vin,huile,garum,conservesdiverses,defruits,légumes,poissonsouviande).Lamatièreétait souventpeuraffinéeet lacapacitéaussiélevéequepossible ;engénéralde formeovale,l’amphoreétaitagrémentéededeuxpoignées.Lefabricantécrivaitparfoislanatureducontenuetsaqualité;ilajoutaitéventuellementlenomduproducteuretlarégiondeprovenance.

Une terre cuite tout aussi rudimentaire permettait de fabriquer des briques et des tuiles, parfoisestampillées.

D’autresproduitsétaientutilisés,surtout leboisquiétaità l’Antiquitécequefurentauxxixeetxxesiècleslecharbonetlefer:àlafoisuncombustibleetunmatériau.DesinscriptionsontpermisdevoirquelemontLiban,auiiesiècledenotreère,étaittoutentierpropriétéimpérialeetconsacréàdesessencesindispensablespourlafabricationdesnavires.Leboisservaitpourlesmaisons,lesbateaux,

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les chars et les chariots, l’habitat, lesmanches d’outils, les armes… ; on le néglige souvent parcequ’iln’apaslaissédetraces.

Le textile,également,asouventdisparusans laisserde traces.Onconnaît toutefoisdespesons,desstèlesfiguréesmontrantdesartisansautravailetdesrestesdetissus.Lalaineétaitsouventfiléeàlamaison.Desateliersfabriquaientlestissus,d’autreslesteignaient.

Demême,beaucoupd’objetsenmétal,fer,plomb,cuivre,oretargent,ontétérefondusetdonceuxaussi échappent à notre connaissance.Pour se procurer desmétaux, les hommes, qui ignoraient lagéologie,recherchaientdepréférenceceuxquiétaient«enloupe»,àlasurfacedusol.Ilfallaitdetoute façonque lemineraiaffleurât ;maisensuite, lesmineurssuivaient le filon jusqu’àcequ’unefaille l’interrompe et ils pouvaient aller loin sous terre. Les risques étaient énormes, et lesarchéologues retrouvent souvent des cadavres en grappe. C’est pourquoi ce métier était exercésurtoutpardesesclavesetdescondamnés.

Lestravailleursétaientsouventregroupésenateliersoùesclavesethommeslibrestravaillaientcôteàcôte.Les productions artisanales étaient pour certaines indispensables à l’agriculture (outils), pourd’autres superflues. La plus ou moins grande production de superflu indique les périodes deprospérité : on sait que la bonne santé économique a prévalu aux ier et iie siècles, que la crise estarrivéeauiiiesiècle.

IV.LecommerceLe développement du commerce fut favorisé par l’essor de l’économie monétaire. Auguste avaitréorganisélesmonnaies.Ilcréaunsystèmebimétalliste,or-argent.Ilfitfrapperunepièced’orou«aureus»de7,92g,d’untitrede99%,etunepièced’argent,lecélèbredenier,d’unpoidsde3,86getd’unmêmetitre,99%.Unsystèmed’équivalenceetlerecoursàdesmonnaiesdecomptefurentfixésparlaloi:

1aureus(av) [1]=25deniers(d)=100sesterces(hs)=400asses(as).

Au début de l’époque impériale, lemanque de numéraire incita les autorités à tolérer des frappesmunicipales. Par la suite, quelques crises sont attestées,mais la conjoncture fut favorable jusqu’audébutduiiiesiècle,caractériséeparuneinflationmodérée.

Lecommerceétaitorganiséetenpartiecontrôléparlepouvoirquientiraitdesrevenussousformede taxes. Les gouverneurs contrôlaient les poids et mesures utilisés par les commerçants. Ilsautorisaient ou non les marchés, qui risquaient de provoquer des désordres. Dans les villes, ontrouvaitdesmarchandsquivendaientenpleinair,d’autresdansdesboutiques,d’autresencoredansdes marchés ou macella. Des marchés périodiques ou nundinae se tenaient dans les campagnes.Quanduneunitédel’arméequittaitunegarnison,unnouveautarifdetaxes(portorium)étaitmisenplace;onpeutainsivoircequisevendaitetcequis’achetait,etàquelprix.DestextesdecegenreontététrouvésnotammentenAfrique,àCarthage,LambèseetsurtoutZarai.

Lesprincipauxproduits agricolesqui circulaient étaient leblé, l’huile, levinet legarum ; dans ledomaine artisanal, c’étaient la céramique sous divers aspects, le bois et lesmétaux sous forme de

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lingotsoud’objetstravaillés.

Desmoyensdetransportvariéspouvaientêtreutiliséset,aupremierchef,lescharsquiparcouraientlescélèbresvoiesromaines.Contrairementàlalégende,ellesn’étaientpasdallées,saufauxabordsdes villes. Pour construire une route, les ouvriers creusaient une longue tranchée, la remplissaientd’unmélangedeterre,desableetdecailloux,enluidonnantuneformebombéeetenlaissantdeuxrigoles pour l’évacuation des eaux, à gauche et à droite. Un axemajeur faisait le tour dumondeméditerranéen.Desaxessecondairespartaientdulittoralversl’intérieur.EnGaule,Agrippa,gendred’Auguste,avaitorganiséunréseauàpartirdeLyon:versLangres(puisBoulogneouBonn),versArles,leMidietlamer;verslesAlpesetl’ItalieduNord;versSaintesetl’Atlantique.

Onutilisaitbeaucouplanavigationfluvialeetlecabotage.UnevillecommeLyonavaitdescollègesdemarinsnaviguantlesunssurlaSaône,lesautresleRhône,d’autresencoreàlafoissurleRhôneetsur laSaône.Lesunsutilisaientdesbarques,d’autresdesoutres,soitcommecontenantsoit,cequinousparaît plusprobable, pour formerdes radeaux.Lanavigationhauturière existait évidemment,maissurtoutàlabellesaison(lemareclausumou«mer fermée»étaitunepratique, le refusde lanavigationenhiver,etn’étaitpasuneinterdictionordonnéepar la loi : lesnavigateursprenaient lameràleursrisquesetpérils).

LesRomainsavaientmisaupointuntrèsgrandnombredenaviresetnotammentlesplusgrosqu’aconnusl’Antiquité;ilsétaientsupérieursencapacitéetenqualitéàceuxquiavaientétéutilisésparlesAthéniensetlesCarthaginois.Ilspouvaientcontenirjusqu’à500tonnespourJeanRougé,etmême1300tonnespourLionelCasson.AuBas-Empire, la techniqueseperdit,et il fallutattendre le tempsdescaravellespourquesoitrattrapéleretardprisauMoyenÂge.

Les risques étaient énormes, comme en témoigne le grand nombre d’épaves retrouvées par lesarchéologueslelongdulittoralméditerranéendelaGaule.Lesgrandsportsétaientaménagés,avecdes bassins, des jetées, des phares et des entrepôts, plus tout ce qui était nécessaire aux marins,tavernes, lupanars et lieuxde culte : c’étaientOstie etPouzzoles,Tarragone etBarcelone,Arles etNarbonne, Carthage, Alexandrie… D’après Jean Rougé, les principaux axes reliaient Corinthe àMessine, laCrète à la Sicile,Cyrène à la Sicile,Alexandrie à lamerÉgée, l’Espagne à l’Italie etCarthageàPouzzolesetOstie.

Lesrelationsavecl’extérieurontbeaucoupintéresséleshistoriens.OnsaitmaintenantqueleSaharaétait une barrière rarement franchie (les Noirs et les fauves attestés dans l’empire venaient del’Égypte,desoasisduSudduMaghrebetdecemêmeMaghreb).Enrevanche, leséchangesétaientplus actifs avec l’Extrême-Orient. La Chine exportait de la soie contre de l’or, par trois voies(Turkestan,IranetocéanIndien).L’Indeexportaitdesparfumsetdesépices;dèsl’époqued’Auguste,untempleduculteimpérialavaitétéconstruitsurlacôteouestdel’Inde.L’Arabiefournissaitparfumsetépices.

V.LesgrandsLa société romaine du Haut-Empire était une société à la fois de classes (critère de distinctionéconomique) et d’ordres (critère juridique, décision de l’État, qui permettait l’inscription sur unalbum).GézaAlföldyavait dessinéunepyramide socialequimontrait quedes courants ascendants

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traversaientunesociété,quin’étaitpasfaitequedestrateshorizontales.

Pour rattacher un homme à un ordre, l’État lui demandait un cens minimum (propriété), unehonorabilitéreconnueetdesactivitésdansleservicepublic.

Pourentrerdansles600famillesquicomposaientl’ordresénatorialduPrincipat,ilfallaitatteindreuncenséquivalentà1000000desesterces.Cemontantpermettaitd’acheterdeuxgrandsdomaines,ce qui est relativement peu. Beaucoup d’hommes possédaient plus que ces biens, et d’autresconditionsétaientexigées.Lecandidatdevaitremplirdesconditionsd’honorabilité:ilnedevaitpasappartenir à une famille considérée comme vulgaire, indigne (tous lesmétiers en rapport avec lamortetlesang).IldevaitposséderdespropriétésfoncièresetunemaisondansRome.

Les sénateurs suivaient la carrière des honneurs, comme sous la République, mais avec quelquesvariantes:questeur(finances),puisédile(bâtiments,police)outribundelaplèbe(postesansactivitéréellesousl’Empire),puispréteur(justice)etenfinconsul(titrehonorifiqueàcetteépoque).Aprèslaprétureetsurtoutaprèsleconsulat,ilsexerçaientdesresponsabilitésdiverses–techniques,militairesetadministratives–àRome,enItalieoudanslesprovinces.Ilspouvaientservircommegouverneurde provinces, commandant d’armée ou de légion, directeur de Trésor public, chef d’un servicetechnique(dansRome:aqueducs, travauxpublics,égoutset rivesduTibre ;enItalie,entretiendesroutes). Au sommet de cette carrière se trouvaient des sacerdoces de la Ville de Rome, trèshonorifiques.

Lamoitiédessénateursvenaitd’Italie,lesautresdequelquesrégionsparticulières(péninsuleIbériquesurtoutauiersiècle,AfriqueetSyrieauiiesiècle).

L’ordreéquestreconstituaitunesortededemi-noblesse,àunniveauinférieur,regroupantpeut-être5000familles.L’impétrantdevaitposséderunbiende400000sesterces.Leschevalierscommençaientpar un service militaire, les trois milices équestres (préfecture de cohorte, tribunat de légion etpréfectured’aile);puisilsexerçaientdesprocuratèles(salairede60000,100000,200000et300000sestercesparan);danscecas, ilsgouvernaientdespetitesprovincesimpériales,administraientdesbiensappartenantàl’empereuroubienilsallaientàRomedirigerundesscriniadela«chancellerie».Enfin,ilspouvaientatteindreles«grandespréfectures»(flottesitaliennes,annone,vigiles,Égypteetprétoire).QuelquessacerdocesdeRomeétaientréservésauxplusbrillantsd’entreeux.

Onacruqu’ilexistaitunementalitééquestre,plusouvertequelamentalitéaristocratique(FrancescoDella Corte à propos de l’historien Suétone). En réalité, ils suivaient les modes et les modèlesaristocratiques,quis’imposaientàtous(JacquesGascou,àproposdumêmeSuétone).

Ils venaient d’Italie, eux aussi, et de plus en plus souvent, et même très tôt, de provinces. LesGermaniesfournissaientnotammentdebonsofficiers.

C’étaitunordreouvert,verslehaut,carlesmeilleursd’entreeuxaccédaientàl’ordresénatorial,etverslebas,carilspouvaientvenirdumilieudesnotablesmunicipaux.

L’ordredesdécurionsréunissaitlesnotablesdechaquecité;ilsétaientde60à300parvilleetdecensvariable.Propriétairesfonciersàl’échelledeleurcommune,arrondissant leursrevenusparunpeude commerce et d’artisanat, ils suivaient une carrière locale (questeur, édile puis duumvir, voireduumvirquinquennal;voirplushaut§vduchapitrev).

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Onserapeut-êtresurprisdetrouvericidesaffranchisetdesesclaves.Enfait,quelquesaffranchis,uneminorité, semontraient très dynamiques et s’enrichissaient par desmoyens souvent aux limites del’honnêteté.LeTrimalcionduSatiricondePétroneestunbonexempledecespersonnes,mépriséesetjalouséesà la fois.Parailleurs, lesaffranchis impériauxpossédaientun réelpouvoirqui leurétaitconféré par la proximité du prince. Au temps de Claude, plusieurs d’entre eux ont atteint dessommets,Polybe,Narcisse,CallixteetPallasnotamment;ilsdirigèrentalorslesbureauxpalatins,arationibus, a memoria, ab epistulis, etc. Leur attitude a tellement exaspéré les nobles que lesempereurssuivantsontreculésurcepoint.Maislesaffranchisetlesesclavesimpériauxonttoujoursoccupéuneplacespécialedansles«courantsascendants»delapyramidedeGézaAlföldy.Aveclesesclavestoutefois,mêmeimpériaux,nousarrivonsauxmilieuxhumbles.

VI.LeshumblesLesmilieuxpopulairesreprésentaientunemajoritéécrasantedeshabitantsdel’Empire.

Les hommes libres et pauvres, les plébéiens, étaient divisés en citoyens romains et pérégrins ; cesderniersétaientdeshommeslibres,descendantsdepeuplesvaincusparRomeetquisetrouvaientdecefait«étrangers»àl’Empire,tolérésparl’État.Onnesaitpasbiencequerecouvrelacatégoriedesdéditices,sansdoutedesdescendantsd’ennemisacharnésdel’ordreromain.

Enmajoritépaysans,ilsvivaienttoussurtoutdelaterre,maisc’estdanscemilieuqueserecrutaientlesartisans,lescommerçantsetlessoldats.Lescitoyensromainsbénéficiaientdeprivilègesdanslesdomaines du droit et de la fiscalité. Quand ils étaient appelés, ils servaient dans les légions. Lesprivilèges étaient plus grands pour ceux qui vivaient à Rome : ils bénéficiaient de l’annone et ilsavaient des spectacles tous les jours. En Italie, ces avantages s’estompaient ; ils disparaissaient enprovince.

Unnouveaugroupeestdésignéparletermedecolonat.Cestatutestattestédèsl’époquedeVespasienet s’est développé sous Hadrien. Un homme libre qui voyait une terre abandonnée, en particulierparmicellesquiétaientappelées«subcesives»,pouvaitlamettreenvaleuretyresteràconditiondeverseraupropriétaireuntiersdesfruits(lexMancianaenAfrique);lemêmesystèmeaétéappliquéauxmines(tablesdeVipascadanslapéninsuleIbérique).

Lesartisansetlesnégociantscherchaientàseprotégerdanslecadredecollègesoucorporations.Cesassociations regroupaient tous les membres d’un même métier, les patrons et les ouvriers. Ilspossédaientunecaisseetdesresponsables,unpeusurlemodèledescités.L’Étatseméfiaitd’eux,etilsétaientparfoisinterdits,toujourssurveillés.Onignorepourquoicertainesvilles,commeLyon,onteudenombreuxcollèges,alorsqued’autrescommeCarthagen’enontpaseu,pourautantqu’onlesache.

Les soldats comptaient au nombre des rares salariés de l’Antiquité. Ils exerçaient unmétier et ilsétaientpayéspourlefaire.Maisilsn’étaientpasriches:ilsdevaienttoutpayer,leurarmement,leurvêtementetleurnourriture.

Lesdifférentsempereursontlargementdistribuélacitoyenneté.Onlevoitauxnomsqueportaientlesnouveauxpromusetleursdescendants:CaiusIuliuspourCésaretAuguste,TiberiusClaudiuspour

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Claude etNéron,TitusFlavius pour lesFlaviens,MarcusUlpius pourTrajan,PubliusAelius pourHadrien,MarcusAurelius pourMarcAurèle et surtoutCaracalla. En 212, laConstitution antoninedonnalacitoyennetéàtousleshommeslibresvivantdansl’Empire:touteslesdistinctionsjuridiquess’effacèrent.Commeonl’adit,lespérégrinsétaientalorsenvoied’extinction.

Lesaffranchisétaientd’anciensesclavesquiavaientobtenulaliberté.Lesplusdynamiquespouvaientl’acheteravecleurpécule,lesautresl’obtenaientcommedongratuitlorsducensus,oupartestament,ou par simple déclaration du propriétaire devant un magistrat ou même devant des témoins. Lesaffranchissementstestamentairesdevinrentsinombreuxqu’uneloi leslimitapournepastropléserleshéritierslégitimes.Unemajoritéd’affranchisvivaientdanslamisère;ilsétaientlibérésparleurmaîtreàpartirdumomentoùilsnepouvaientplusleservir,parcequ’ilsétaienttropâgés.Ilneleurrestaitqu’àvivredemendicitéetàmourir.L’affranchisuivaitobligatoirementlestatutdesonancienmaîtreetdevenaitdoncsoitpérégrin,soitcitoyenromain.Illuirestaitliéparlesliensinscritsdansuncontrat synallagmatique (reconnu devant les tribunaux) : devenu son client, il lui devait respect etassistance;enéchange,lemaître,devenusonpatron,luidevaitprotection.

Les esclaves, à la différence de ce qui se passait en Grèce où ils étaient considérés comme desmachines ou des animaux, étaient vus par les Romains comme des hommes, mais des hommesdiminués,àquimanquaitlaliberté,denaissanceouparsuited’unaccidentdelavie.Onentraitdanscemilieupar la naissance (par lamère), par achat chezunpeuplebarbare, si l’on acceptait d’êtreprisonnier dans une guerre, ou par condamnation en justice. Une législation les protégeait, leurreconnaissantundroitdepropriétésurleurpécule,leurtombe…L’esclavepouvaitmêmeacheterunautreesclavequifaisaitletravailàsaplace,unvicaire.Sileursituations’estunpeuamélioréesousl’influencedustoïcismequiamarquélesAntonins,leursortn’étaitpastoujoursdesplusagréables:travaillant pour quelques pièces de monnaie, dans les champs ou dans des ateliers, ils pouvaienttomber plus bas, devenir gladiateurs, prostitué(e)s… Néanmoins, on évite aujourd’hui les clichéslarmoyantsquiavaientcoursautempsduromantisme,auxixesiècle.

Tout en bas, existaient des « classes dangereuses » qui regroupaient des brigands organisés enbandes,desvagabonds,desmagiciens,descharlatansdetouspoils,desmagesetdesharuspices.OnretrouvecesmilieuxdansLesMétamorphosesd’ApuléeetdansL’Âned’ordeLuciendeSamosate.L’Étatoulesmilicesmunicipalesn’intervenaientqu’encasdebanditismeoudedésordre;maisalorssansfaiblesse.

VII.LesloisirsLacivilisationdesRomainsfutenpartieunecivilisationdesloisirs,maisdeloisirspratiquésaprèsletravail.Lajournéedébutaittôt,vers6h/6h30,parundéjeunerrapide.Suivaientdelonguesheuresdetravailet,vers15hcommençaitletempslibre,inauguréparunrepasléger.

Leplussouvent,leshommesallaientauxthermes;lesfemmeségalement,maisplusrarementetdansdes établissements séparés.Autour des bains publics, on trouvait des terrains de gymnastique, destavernes,deslupanars,desbibliothèques,dessallesdelecture,ettoutcequipouvaitfairelecharmedelavie.Lebainétaitprisdansunordrefixe:tiède,chaudpuisfroid,saufpourlesmaladesàquiilétait recommandéd’éviter leschocs.C’étaitun lieudeconvivialité,où lesgens se rencontraient etbavardaient. La fréquentation des thermes avait des conséquences sur la santé publique, mais les

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contemporainsnelesavaientpas.Ilsignoraientl’existencedesmicrobesetdesvirusetconstataientsimplement,demanièreempirique,queceuxquifréquentaientlesthermesseportaientmieux.

Lesautresloisirsétaientplusrares,parcequepluschers.

Le théâtre avait une scène rectangulaire et des gradins en demi-cercle ; c’était un lieu consacré àDionysosouBacchus.Lespectateurpouvaitcertesassisteràdesreprésentationsdecomédies(PlauteetTérence)ouàdestragédies(Sénèque),ouàdespantomimes,analoguesànotremime;ellesétaienttoutefoisdeplusenplusrares,bienquecesreprésentationsaientappartenuaucultedeDionysos.Leplussouvent,ilrecherchaitdesreprésentationslicencieusesetvulgaires.Danslemime,l’acteurjouaitsansmasquedesscènesd’amouretd’adultère.Danslepantomime,ilchantaitetdansait,accompagnéparunchœur.L’atellaneproposaitdesrenvoisàdessujetsd’actualitéprésentéspardespersonnagestraditionnels.

Quelquesrarescités,Romeévidemment,AthènesetaussiLyon,VienneetCarthage,possédaientdesodéons,architecturalementdespetitsthéâtresavectoit,lieuxconçuspourlesconférences,lamusique,lesactivitésintellectuelles.

Lepeuple appréciait davantage les combats de l’amphithéâtre.Cesmonuments avaient la formededeuxovalesconcentriques,l’unentourantl’arène,l’autrelesgradins;onytrouvaitdeuxchapelles,l’unepourMars,dieudesarmes,etl’autrepourDiane,déessedeschasses.Onyvoyaitdesactivitésdiversespratiquéespardesgladiateursetdesanimaux:hommecontrehomme,hommecontrebête,bêtecontrebête.Lesspectateursaimaientlescombatsdéséquilibrés:unrétiaire,légèrementéquipé,porteur d’un filet, d’un couteau et d’un trident, contre un secutor, lourdement armé, porteur d’uncasque,d’unbouclieretd’unglaive.Cegoûtpour lacruautéapourtantété très tôtcritiquépardesintellectuels,etilafiniparlasserlesgenssimpleseux-mêmes.Audébutduiiiesiècle,lagladiatureétaitendéclin,d’autantquel’organisationcoûtaitcher.L’historienGilbert-CharlesPicardpensaitquecesspectaclesétaientutilespoureffrayerlesméchants.

Lesmêmes spectateurs se retrouvaient de préférence dans le cirque pour des courses de chars.Lecirqueavaituneformeallongée; l’arèneétaitséparéeendeuxparunmur,délimitéauxextrémitéspardesbornes.Peuderègles,ouplutôtdesrèglessimples:deuxouquatreécuries,deuxouquatrevéhicules,rienquel’obligationdefairesepttoursd’arèneetl’espoirdel’emporter;touslescoupsétaient permis au cocher, pourvu qu’il gagne. Chaque écurie se reconnaissait à la couleur de latuniquedesesjockeys.Lesspectateurspouvaientprendrepartipouruncampoupourl’autre,etilslefaisaientenfonctiondecritèressociaux:lesnotablessoutenaientlesbleus,etlaplèbelesverts.Lesconflits restaient en général verbaux. Ce n’était pas de ces gradins que partirait une improbablerévolution.Lesspectateursavaientmieuxàfaire:lespariscouraientetlesnotablesdistribuaientdescadeaux.

Notons enfinque leshistoriensoublient souventdeparler des latrines, publiques et collectives, unlieu de sociabilité des plus prisés. Les municipalités faisaient construire de vastes locaux avecbeaucoupd’eau,oùleshommesseretrouvaientpourparleretsoulagerleursintestinsenmêmetemps;onentrouvedetrèsbeauxetbienconservés,parexempleàSaint-Romain-en-Gal.

Ledîner,assezlong,clôturaitunejournéebienremplie.Seulsleshommesutilisaientdeslitsàtroisplaces ; les femmes et des esclaves les servaient. Le charme de la conversation alternait avec desdanses et des représentations diverses, quand lemaître demaison était assez riche pour payer ces

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distractions.

Notes

[1]av,d,hsetas:cesabréviationssontutiliséesparlesnumismates.

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ChapitreVII

LeHaut-Empire:laviedel’esprit

I.LeslettresePrincipat,àsesdébuts,vitunfortdéveloppementdelalittératurelatine,puislalittératuregrecque

àsontourconnutunbelessoraucoursduiiesiècle.Cetteépoqueconnut,commelesarts,desphasesclassique,romantiqueetbaroque.

C’estparunephaseclassique,le«siècled’Auguste»,qu’elles’ouvrit,etelleformeunautreapogéedelalittératurelatineaprèsletempsdeCicéron.Cesommetfutfavoriséparl’activitédeMécène,amidel’empereur,quifitdesonnompropreunnomcommun.Virgile,grâceàl’Énéide,aétéconsidérédès l’Antiquitécommeleplusgrandpoètedeson temps ; ilaégalementécrit lesBucoliqueset lesGéorgiques.Lamêmeépoquefutmarquéeparungrandhistorien,Tite-Live,quiaracontélepassédeRomedepuislesorigines,etpardespoètesbucoliquescommeTibulle,ProperceetOvide;Horace,unpeuenmargedesautres,adiffuséunepenséeempreinted’épicurisme.

Parlasuite,plusieursgenresmontrèrentdudynamisme,laphilosophieavecSénèque,lapoésieavecLucain,Martial,Juvénal, l’encyclopédismeavecPlinel’Ancien, l’histoireavecTaciteetSuétone, lalittératureépistolaireavecPlineleJeune,leromanbaroqueavecLesMétamorphosesd’Apulée.

Unelittératurechrétiennefitsonapparition,surtoutavecTertullien.

Lesauteursgrecsnefurentpasenresteetapportèrentleursoutienaunouveaurégime.AprèsStrabon,quialaisséunedescriptiongéographiquedumonde,leplusgrandnomestceluidePlutarque,plusmoralistequ’historien,qui,grâceà sesViesparallèles et à son traducteurAmyot (1513-1593), faitaussi partie de la littérature française. Mais l’histoire eut ses auteurs, des juifs comme Philon etFlavius Josèphe, des païens comme Arrien et Appien. Cette période brillante fut appelée « ladeuxièmesophistique».Laphilosophies’orientarésolumentverslestoïcisme,avecÉpictèteetMarcAurèle.EtLuciendonna«uneœuvreabondanteetdiverse»(AlainBillault),baroque,d’oùémergentpeut-êtredesromansprochesdeceuxqu’avaitécritsApulée.

II.LesartsL’art romain, qui possédait une plus forte composante grecque que la littérature, l’obstacle de lalangue ne pesant pas en ce domaine, est passé lui aussi par des phases classique, romantique etbaroque.Et,sidesdiversitésrégionalessontattestées,ellesétaientcaractériséesparfoisdavantageparunelourdeurplusoumoinsmarquéequepardesapportsvraimentpositifs.

L

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Dans ce domaine, plus encore que dans les lettres, le « siècle d’Auguste » fut marqué par uneexplosiondelaproduction,lapériodeprécédenteayantlaissépeudegrandsmonuments.LaVilledeRomefutprivilégiéeavecun forumdominéparun templedeMars,desarcs,des temples (dont lepremierÉtatdufuturpanthéon),des théâtres,des thermes,unenaumachiepourdescombatsnavalsentre gladiateurs, et le mausolée d’Auguste, auxquels il faut ajouter l’autel de la Paix. Dans ledomainedesartsfigurés,lastatued’Auguste,trouvéedanslavillaquepossédaitsafemmeàPrimaPorta,portedesreliefsclassiquesmontrantl’humiliationdel’IrandevantRome.Danslesprovinces,ettoujourspourl’époqued’Auguste,onmentionneralaMaisonCarréedeNîmes,untempleduculteimpérial,etlecélèbrePontduGard,enréalitéunaqueduc.

Lesprincessuivantsontconstruitdespalais:TibèreàCapri,Néron(célèbreMaisond’or,détruiteparlasuite),lesFlavienssurlePalatinetHadrien(villadeTivoli).Ilsontégalementlaissélasériedesforums impériaux, qui continuaient ceux qu’avaient fait construire César et Auguste ; le plusimpressionnantest sansdouteceluiquiporte lenomdeTrajan, etquiestdominéparunecolonnesculptéeracontant lesguerresdaciques, lapremièrebandedessinéedel’histoire.D’autrescolonnesmarquentlepaysageurbain.Ellesétaientdestinéesàcommémorerlesexploitsd’AntoninlePieuxetde Marc Aurèle. Parmi les monuments importants, on leur ajoutera l’arc de Titus, le panthéond’Hadrien et le temple de Vénus et de Rome. Pour les arts figurés, nous renvoyons à la GemmaAugustea, aux peintures dePompéi, aux statues d’Antinoüs et à la statue équestre deMarcAurèle,modèlederomantismequisetrouveencoresurleCapitole.Lescitésdesprovincessecouvrirentdemonumentsetd’œuvresd’artfiguréesinnombrables.

Le iiie siècle eut une production marquée par le réalisme dans les sculptures qui ornaient dessarcophagesetdanslesportraits.

III.LespolythéismesLaviereligieuseduPrincipatsediversifia,d’oùleplurielde«polythéismes»,etelledevintcequeMarcelLeGlayappelaitunmille-feuille.

Danslesprovinces,perdurèrentlesculteslocauxquinefurentpasinterdits,saufsurdespointsprécisqui allaient à l’encontre de l’ordre public (druides, sacrifices humains). Bien plus, les pratiqueslocalesbénéficièrentdenouveauxmoyensd’expression : l’architectureet la sculpture.LesGauloiscontinuèrent à honorer Taranis, dorénavant appelé Jupiter, Épona, la déesse des écuries et deschevaux, et tout leur panthéon, et les Africains restèrent fidèles à Saturne, nom latin de Ba’alsHammon(l’interpretatioromanaconsistaitàdonnerunnomlatinàundieuexotique).

Lescultestraditionnelsfurenttoujourshonorés:triadecapitoline,Mars,Vénus…

Arrivaaussileculteimpérial,unevraieetnouvellereligionquinefutjamaisimposéemaistoujoursproposée.Leshabitantsdel’Empirepouvaienthonorerounon,vénérer leGéniedel’empereur,ousonNumen,ousapersonne,ousafamille,oucequ’ilsvoulaient.Ilslefaisaientindividuellementouau niveau de la cité par l’intermédiaire du flamine et des collèges appelés seviri etaugustales, ouencoreauniveaudelaprovince.

Dès la finde l’époque républicainearrivèrentdescultesque leshistoriensappellent«orientaux»,

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maisqui,précisément,n’ontqu’unpointcommun,venirdelapartieorientaledumondeancien,etquinesediffusèrentvraimentqu’àpartirdumilieuduiiesiècledenotreère.Tousavaientlecharmedel’exotisme et parfois du secret.Quelques-uns étaient des cultes àmystères, avec desmythes et desritesréservésauxinitiés;certainsdonnaientl’espoird’unevieéternelle.OncompteparmicesdieuxIsis et Sérapis, venus d’Égypte, les Ba’als syriens, les GrecquesDéméter et Korè, Attis et Cybèlearrivésd’Anatolie,l’IranienMithra.Nouspensonsquetouscescultesrestèrentconfinésàdesmilieuxétroits, mais d’autres historiens imaginent une vague qui a submergé l’Occident. La crise du iiiesiècle(chapitreviii,§I)futressentiecommeunabandondeRomeparlesdieux,fâchésdenepasêtrehonorésparleschrétiens.

IV.LesmonothéismesL’Empire romainconnutdeuxmonothéismes (leshistoriensontune fâcheuse tendanceàoublier lejudaïsme).

Endroitromain,l’appartenanceaujudaïsmel’étaitàlafoisàunenationetàunereligion.Audébutde l’époque impériale, les juifs se partageaient en quatre « sectes » ; chacune correspondait à deschoixreligieux,politiquesetsociaux.LesrichessadducéensprivilégiaientleculteduTempleet,audébut,nefurentpashostilesàRome.Lespharisiens,socialementplusmélangés,étaientplusprudentsen politique et plus attachés aux rites. Les esséniens attendaient une fin dumonde prochaine et ilsdétestaient les occupants, tout comme les zélotes qui, eux, attendaient la venue d’unMessie. Deuxvraies guerres, en 66-70 et 132-135, aboutirent à deux désastres militaires et à une réunificationreligieuse, sous l’autorité morale des pharisiens qui complétèrent la Bible par un recueil depréceptes,leTalmud.L’Étatromainpersécutacepeuple,coupablederévolte.

Le christianisme prit naissance en son sein : leChrist et ses premiers disciples étaient juifs, et ilsfurentperçusparleurscompatriotesd’abordcommeunesortedecinquièmesecte,puiscommedeshérétiques.LarupturecomplètevintsansdoutedesaintPaul(ilyalàunsujetdélicat,quiasuscitébeaucoup de controverses) ; il proposa l’abandon de la circoncision et l’ouverture de la foi auxgentils.Uncorpusdetextesfutélaboré,leNouveauTestament,quicomplétaitl’AncienTestamentetse proposait de le mettre à jour. Des rites simples furent pratiqués de manière discrète, dans desmaisonsprivées,ensortequ’iln’yeutpasd’artchrétien.

L’Étatromainpersécutaaussileschrétiens,demanièreponctuelled’abord:NéronàRome,PlineleJeuneenBithynie;sainteBlandinefutmartyriséeàLyon,lessaintesPerpétueetFélicitéàCarthage.Puis, les premiers Pères de l’Église, Tertullien et saint Cyprien par exemple, commentèrent lemessageduChrist.Lapersécutiondevintsystématiqueaucoursdelacriseduiiiesiècle,notammentsousDèceetValérien.

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ChapitreVIII

DuIIIesiècleauBas-Empire

I.LacriseduIIIesiècleourunefois, leshistorienssontd’accordentreeux: lacrisequisecoual’Empireaucoursduiiiesiècle a une origine militaire : des ennemis plus nombreux, mieux organisés et plus agressifs,attaquaient de plus en plus simultanément. Les Romains subirent des défaites lourdes, et desempereursfurenttuésaucombat(GordienIIIpeut-êtreetassurémentDèce)oucapturés(Valérien).

Deux ennemis semanifestèrent avec une vigueur particulière.LesGermains s’étaient organisés enligues(Francs,Alamans)etreçurentdesrenforts(lesGoths,autreligue;plustardlesVandalespuislesBurgondes). Ilsadoptèrentdes tactiquesplusefficaces.QuantauxIraniens, ilssedotèrentd’unearmée permanente, apprirent à pratiquer la poliorcétique, ou technique du siège, et recoururentdavantageàl’infanterie.

Lacrisemilitaireentraînaquatreautrescrises.

Crisepolitique.–Ladéfaiteprouvaitquel’empereuravaitétéabandonnéparlesdieux.Lepréfetduprétoireletuait,prenaitsaplaceetnommaitunnouveaupréfetduprétoirequiletuaitquelquesmoisaprès. L’Empire était devenu une monarchie absolue tempérée par l’assassinat. Ces faiblesses dupouvoir central incitèrent nombre de généraux à tenter des coups d’État, ce qu’on appelleimproprement des « usurpations ». Il n’est pas assuré que certains de ces révoltés n’aient pas étésincèrement persuadés qu’ils se battaient pour le bien de l’Empire. Dans ces conditions, il étaitimpossibled’appliquerunepolitiquesuivie.

Ceséchecsprovoquèrentdesréactions.Voyantquelepouvoircentralétaitincapabledelesdéfendre,desprovinciauxprirent leursaffairesenmains.Desmouvementsdesécessionsemanifestèrent.EnGaule,legénéralPostumusvoulutprendrelepouvoir;ilneputrenverserl’empereurlégitime,maisilconstituaunvasteempiredesGaulesàl’ouest.EnOrient,unecitécaravanière,Palmyre,dirigéeparunnotable,Odeynath,seproposadedéfendreRomecontrel’Iran(sonprojetétaitdifférentdeceluiqu’avait élaboréPostumus). Il demanda àdevenirdux etcorrector, soit chefmilitaire et civil, puispréfetdeMésopotamieetenfin ilprit le titre iraniende«roidesrois».Quand ilmourut, la reineZénobiepritlepouvoirsouslecouvertdesonfils,Waballath.Elleconstituaunempirequis’étenditsur une partie de l’Orient romain. De toute façon, les Palmyréniens avaient barré la route auxIraniens.

Crise économique. – Les barbares tuaient, pillaient et détruisaient. Les besoins de la guerreprovoquèrentuneforteinflation:lemétalprécieuxmanquant,lesmonnaiesencirculationétaientde

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plusenpluslégèresetcontenaientdeplusenplusdebronze.Sanslesavoir,enacceptantdessalairesquel’Étatnepouvaitpasleurpayer,lessoldatsavaientcreuséleurpropretombe.

Crise sociale. – Les riches devinrent plus rares, et ceux qui restaient étaient plus aisés par unphénomène de concentration foncière. Les notables furent ruinés par l’impôt, car ils étaientresponsablesdesonpaiement.Certainspréférèrent toutabandonneretvivreenmendiantsaudésert(Égypte) ; d’autres s’efforçaient d’entrer dans le clergé, qui bénéficiait d’exemptions. Les pauvresdevinrentpluspauvres,etbeaucoupfurentréduitsaubrigandage.

Crisemorale. – Les désastresmontraient que les dieux se détournaient de Rome ; ils se sentaientnégligésparcequeleschrétiensneleshonoraientpas.DèceetValérienorganisèrentdespersécutionspourlesforceràhonorerlesdieuxetsurtoutàpratiquerleculteimpérial.LarésistancefutplusviveenAfrique,où l’oncomptadenombreuxmartyrs,qu’enGaule,où lesfidèlespensèrentsansdoutequelavievalaitbienunparjurearrachésouslacontrainte.

D’unemanièregénérale,ontendactuellementàmarquerleslimitesdecettecrise.Ellefutperçueavecdavantaged’acuité sur leRhin, leDanubeet enSyriequ’en Italie, enEspagneouenAfrique.Bienqu’ilyaiteudessignesannonciateurssousMarcAurèle,puissousCaracallaetSévèreAlexandre,elle ne commença vraiment qu’avec le deuxième tiers du siècle. Le fond fut atteint au temps deGallien.Leshistoriensactuelspensentqueleredressementcommençaaprèslamortdecesouverain,dès 268. Certes, Aurélien (270-275) réussit à résorber les deux sécessions de la Gaule et desPalmyréniens.En272,ilpritd’assautPalmyre;puisilsetournaverslaGaule.IlserenditàChâlons-sur-Marne,avecsestroupes.SuccesseurlointaindePostumus,Tetricusvintàsarencontre,luiaussiavec des soldats. Sur le champ de bataille, il préféra parvenir à un accord ; il se rendit avecl’assurance d’obtenir son pardon. Mais nous pensons qu’il fallut attendre 284 pour voir un vraichangement.

II.LarenaissanceLes historiens actuels écrivent, avec une belle unanimité, que l’année 284 ouvrit une période derenaissancedanstouslesdomaines,militaire,économique,spiritueletreligieux.Quelques-unssontallés jusqu’àcondamner l’expressionde«Bas-Empire», jugéepéjorative.L’archéologieconfirmecetterenaissancemaisenpréciseleslimites:lenombredetessonscroît,maisdemeuremoinsélevéquesouslePrincipat,etunralentissementsefitjouraprèslemilieuduivesiècle.

Quatreempereurssesuccédèrent.Dioclétien(284-305),unmilitaireillyrien,conçutlaTétrarchie:ilpartageal’EmpireentredeuxAugustes,unseniorprotégéparJupiter(lui)etunjuniorprotégéparHercule(Maximien),etdeuxCésars(GalèreetConstanceChlore).Ildécidaqu’auboutdevingtanslesAugustesdémissionneraientetseraientremplacésparlesCésars.Luietsesadjointsremportèrentdes victoires sur les Germains et sur l’Iran et remirent de l’ordre en Égypte, en Afrique et enBretagne, ce qui ne les empêcha pas de lancer une violente persécution contre les chrétiens.Dioclétien réorganisa toutes les cités et toutes les provinces de façon à ce qu’elles fussent sur lemêmemodèle;ilréformal’arméeetcréaunnouveausystèmemonétaire.

En305,DioclétienetMaximienabdiquèrent,cequiprovoquaunépisodedeguerreciviledontsortitvainqueurConstantinIer (306-337).Cederniermenadesguerresciviles,qu’ilgagna toutes,surtout

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contreMaxencequitenaitRomeetcontreLicinius,quidisposaitdesforcesdel’Orient.Ilestsurtoutcélèbrepoursapolitiqueàl’égarddeschrétiens:l’éditdeMilanleurdonnalalibertédeculte;lui-mêmefinitparseconvertir,etilfutbaptisésursonlitdemort,commefaisaienttousleschrétiensdeson temps.Cette option religieuse expliquequ’il soit bien aimédes chrétiens, plus critiquépar lesautres.Pourlereste,ilpoursuivitlesréformesdesonprédécesseur,surtoutdansledomainemilitaire:leseffectifsavaientétéaccrus,unenouvellegardeimpériale,forméeparlesscholespalatines,unitésdebarbares,avaitremplacél’ancienne,etleslégionsavaientétéréduitesengénéralà1000hommes.Leconseilderévisionoudilectusfutabandonné.Onenrôlaitceuxquiseprésentaient,onrecouraitaurecrutement plus ou moins volontaire de misérables, de barbares et d’hommes fournis à titred’impôtsparlesgrandspropriétaires.

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La fondation de Constantinople, deuxième capitale, correspondait à un déplacement du centre degravité.Les trois fils deConstantin Ier,Constance II,Constantin II etConstant, lui succédèrent.Autermedeplusieursépisodesdeguerresciviles,cefutConstanceII(337-361)quisortitenvainqueurdelaconfrontation.Ildonnauncaractèrehiératique,sacréetchrétienàunpouvoircruel.Onaditdeluiqu’ilaétélepremierempereurbyzantin.Ilfutaussicelui«parquilemondes’étonnad’êtrearien»,puisqu’ilavaitadhéréàcetteconceptionthéologique(voirplusloin,§XI).

Larenaissancedelamenaceiraniennelepoussaàpartagerlepouvoiravecunjeuneparent,Julien,envoyéenGaule.PuisildemandadesrenfortsàJuliencontrel’Iran.Nevoulantpasaiderl’Orient,lessoldatsd’OccidentserévoltèrentetportèrentJulienaupouvoir,plusoumoinscontresongré(361-363). Ce dernier, qui venait de mettre de l’ordre en Gaule, marcha contre Constance II qui, parbonheur,mourutdemortnaturelle.Julienseproclamapolythéiste(leschrétiens,pourl’injurier,l’ontappelé«l’Apostat»).Ilentrepritd’écraserl’Iran.Maisl’entreprisetournamal,aumoinspourlui,carilfuttué.

III.LesGermains

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Les Romains étaient entrés en contact avec les Germains lors de l’invasion des Cimbres et desTeutons, marquée pour eux par le désastre d’Orange, en 105 avant J.-C. Ils les ont rencontrés denouveaupendant lesguerresdeCésar, ensuite lorsde la tentativemalheureused’Augustequi avaitvoulucréeruneprovincedeGermanieentreRhinetElbe,entreprisequiseterminaen9aprèsJ.-C.parunautredésastre,auTeutoburg(cesiteaétéidentifiéavecKalkriese,enWestphalie).

Les Germains étaient organisés suivant un modèle monarchique, obéissant à des rois – chefs deguerre.Lesouverainétaitassistéparuneassembléeetunconseilplusétroit.Lepeupleétaitorganiséencantonsetenfamilles.Pourtous,laviolence,surtoutaucombat,représentaitunevaleuressentielle.Contrairement à la légende, et même s’ils possédaient de très bons cavaliers, les Germainscombattaientsurtoutcommefantassins,malprotégés,utilisantdesarmesoffensivesdiverses,variantd’un peuple à un autre (hache, longue lance ou framée et longue épée ou spatha). Leur tactiquedésordonnéelesmettaitfacilementàlaportéedesRomains,quin’ontjamaisétévaincusqu’àlasuitedefautesdecommandement.

Audébutduiiiesiècle,lesGermainsvivantprèsdel’Empireadoptèrentunenouvelletactiqueplus«romaine », en phalange, et ils se regroupèrent en ligues, Francs et Alamans ; d’autres Germainsarrivèrent,lesGoths.Lesguerresfurentalorsrenduesplusdifficilespourleslégionsquiconnurentlespireséchecsaumilieudusiècle.Lasituationserétablitlentement.

Au cours du ive siècle, de nombreux Germains entrèrent dans l’armée romaine et les meilleursatteignirentlesplushautspostes.Aprèslemilieuduivesiècle,lesanciensennemisretrouvèrentleuragressivité et de nouveaux ennemis firent leur apparition, Vandales, Suèves, Saxons, Burgondesnotamment.En378,l’empereurValensfutvaincuparlesGothsettuéàlabatailled’Andrinople.En406, lesVandales, lesAlains et les Suèves percèrent la frontière duRhin. En 410, lesGoths, déjàinstallés depuis plusieurs décennies dans l’Empire, pillèrent Rome. Les contemporains (saintAugustin) eurent le sentiment qu’unmonde s’effondrait. Les Vandales et leurs alliés s’installèrentdans lapéninsule Ibérique.LesGoths créèrent le royaumedeToulouse,puis ils s’installèrentdansune Espagne préalablement évacuée par les Vandales, qui avaient migré vers l’Afrique (de 429,débarquementprèsdeTanger,à439,prisedeCarthage).

IV.L’IranL’Iranétait leseulÉtatcapablederivaliseravecl’Empireromainparsonétendue,sapopulationetsonorganisation.Lesmodernes,àlasuitedesanciens,l’appellentenledésignantparlapatriedeladynastieaupouvoir,«Parthes» (lesArsacidesvenaientdeParthie)puis«Perses» (lesSassanidesétaient desPerses), ce qui est une inexactitude, l’Iran étant un conglomérat de peuples comprenantParthes,Perses,Mèdes…

LesRomainsavaientcombattul’Iranetsubidesdéfaites,àCarrhaeen53avantJ.-C.etautempsdeMarcAntoine.PuisAugusteavait imposésansguerre la restitutiondesenseignes,en19avantJ.-C.Trajan étaitmort à temps, avant d’être vaincu, en 117.MaisMarcAurèle et Septime Sévère, plushabiles,avaientécrasécetennemi.

Dansledomainemilitaire,l’Irann’étaitpasundangervéritablepourRomeet,jusqu’audébutduiiiesiècle, ce pays n’a vaincu les légions que dans le cas où il pouvait profiter d’une faute du

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commandementdesRomains.LesIranienseux-mêmesenétaientconscients,quiavaientmisaupointunetactiqueleurcausantpeudepertes:encasd’invasion,sesarméesrecouraientàlaguérillaetellesreculaientpourattirerlesennemisversdesrégionsisolées,surtoutdesdéserts,oùlalogistiqueferaitdéfaut.Lesgénérauxiraniensutilisaientdonclanaturepourseprotéger,etsurtoutlesdeuxobstaclesmajeursquis’interposaiententreeuxetRome,undésertausud,laMésopotamie,etunemontagneaunord,l’Arménie.

Audébutdu iiie siècle, l’armée iranienne se renforçadansdes conditionsmal connues, sansdouteavec l’aide de déserteurs de l’armée de Pescennius Niger. Elle se dota d’une infanterie lourdepermanente et donc professionnelle, et apprit la poliorcétique. Entre 238 et 244, elle mena devigoureuses offensives. Les succès culminèrent en 260, quand l’empereur Valérien fut capturé aucombat.

L’Iran était dirigé par une monarchie (dynastie des Arsacides jusqu’au début du iiie siècle, desSassanidesensuite),souventqualifiéeàtortde«féodale»(laféodalitéestapparueauMoyenÂge),parce que les nobles y jouaient un grand rôle. L’armée était surtout formée de troupes montées,cavalierslourdsoucataphractaires(nobles)etlégersouarchers,célèbrespar«laflècheduParthe»lancéeversl’arrièrelorsd’unefuitefeinte.

De nombreuses guerres marquèrent la période qui suivit. Dioclétien réussit à vaincre l’arméeiranienneetàprendrelesprovincesdeMésopotamie,cequifutressentiàlafoiscommeuneinjusticeetcommeunehumiliation.Aumilieuduivesiècle,leconflitreprit(ilcouvaitàlamortdeConstantinIer).En363,Juliententad’envahirl’Iran:ildescenditl’Euphratesansproblèmesmajeurs,rencontradesdifficultésdèsqu’ilvoulutremonterleTigreetfuttuéparunsoldatisolé.Jovienconclutunepaixhonteuseaveclesennemispourconfortersonproprepouvoiràl’intérieurdel’Empire.

V.L’arméeDioclétien et Constantin Ier transformèrent complètement l’armée romaine. Un débat a été ouvertdepuislongtemps,poursavoircequirevientàl’unetàl’autre.Leshistoriensmanifestentengénéralbeaucoupd’enthousiasmedevantdesréformessurlesquellesilestpourtantraisonnabledemanifesterdesréserves.

Dans le domaine de l’armement, il n’y eut ni réforme ni révolution mais une lente évolution,entreprisedèslemilieuduiiie siècle.Lesfantassinsavaient renoncéaucouplegladius-pilum,et ilsutilisaientlaspatha,longueépéegermaniqueàdeuxtranchants,sanspointe,etlalancea,longuelancedechoc;ilsconservaientcasque,cuirasseetbouclier.

Dioclétien aligna toutes les unités, légions et auxiliaires, sur le même modèle de 500 ou 1 000hommes;danslemêmetemps,ilaugmentaleseffectifs,pensantquelaquantitésuppléeraitlaqualité.En effet, le recrutement par l’État lors du conseil de révision ou dilectus fut abandonné. Lespropriétairesdurentfournirdesrecrues,etilsnedonnèrentévidemmentpastoujourslesmeilleursdeleurspaysans;leseffectifsfurentcomplétéspardesvolontaires,peunombreuxetjamaisbonsdanslestempsdedifficultés,souventdesbarbaresoudespaysansruinés,voiredesvagabonds.

Encequiconcernelagardeimpériale,onsaitqueConstantinIersupprimalescohortesprétoriennes

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etmitàleurplacedesscholespalatines.IldéveloppaleprocessusderemplacementdesRomainspardesbarbares,cequiétaitunefaussebonneidée :si lesbarbarespermettaientd’économiser lesangromain,ets’ilsconnaissaientbienla tactiquedesadversaires, ilsn’avaientpastoujoursenviedesefairetuerpourRome.

Il supprima les pouvoirs de commandement des préfets du prétoire, confinés dans des tâches delogistique et, peu à peu, plutôt tardivement, il mit à la tête de l’armée des magistri militum,improprementappelés«maîtresdesmilices»,qu’ilvautmieuxdésignercomme«généraux»,etquiétaient répartis entre la cour et les provinces. Un nouvel encadrement fit son apparition : comtes,ducs,préposésettribunspourleniveaudesofficierssupérieurs,primiciers,sénateurs,ducénairesetcentenairespourlesofficierssubalternes.Unseulpointpositifdansunocéandemédiocrité:unbontacticienpouvaitsauverlasituation(JulienàStrasbourg,en357).

Après363, l’arméeromainemanifestauneredoutable inefficacité :ellesubitundésastredevant lesGoths à Andrinople en 378 ; en 406, elle ne put pas empêcher l’invasion de la Gaule puis de lapéninsuleIbériqueparlesVandales,accompagnéspardesAlainsetdesSuèves,etellelaissafaireledoublesacdeRomeen410,denouveaupardesGoths.

VI.LabureaucratieUnemonarchie plus autoritaire et plus sacralisée, voire hiératique, semit en place et elle préparal’évolutionverslamonarchiebyzantine.

Peude contrepoids s’opposaient à l’autorité de l’empereur.LeSénat et le peuple deRome avaientperdu toutepossibilitéd’actionpourpeser surun souverainquinevivaitplusàRomemais sur lafrontière,danslescamps.Quantàl’armée,ellenes’exprimaitplusqu’àtraverslesofficiersd’état-major qui se réunissaient parfois, notamment pour désigner un successeur à un souverainmort etimprévoyant;lesbarbaresétaientdeplusenplusprésentsàlacour;leschrétienspesaientdeplusenplus(ThéodoseIerduts’humilierdevantsaintAmbroisequiluireprochaunerépressiontropcruelle).

L’empereurétaitlaloi;ilétaitaussilechefdesarméeset,silepaïenDioclétienajoutaitàcestitresles fonctions de chef de la religion, les empereurs chrétiens durent se contenter de servir dedéfenseursdelavraiefoi,définieparlessynodesetlesconciles.

L’administration centrale changea profondément. Le conseil, dorénavant appelé consistoire,s’occupaittoujoursdesaffairesdel’État;l’empereuryavaitévidemmenttoujourslederniermot.LamaisonimpérialefutadministréeparlechefdelaChambresacrée.L’administrationproprementditefut partagée entre une schole des notaires (ceux qui prennent des notes) sous le primicier, et desscrinia(bureaux)sousdesmagistri,eux-mêmessoumisàunquesteur.Ondistinguaitlesservicesdesrequêtes (libelli), des archives (memoria) et de la correspondance (epistulae). Les finances furentgéréespardeuxcomtes,unpourlesbiensprivés,l’autrepourleslargessessacrées.Théoriquementdifférents, ces deux trésors se complétaient et leurs attributions étaient réparties suivant des règlesmaldéfinies.Innovationquiacontribuéàlanaissanced’unelégendenoiredel’Empire,unepolicesecrètefitsonapparitionetl’onredoutalessinistresagentesinrebusmisàladispositiondumaîtredesoffices.

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Dans lesprovinces, lepouvoircivil restaauxgouverneursoupraesides,quinegardèrentque leurfonction judiciaire, au point qu’ils sont souvent appelés simplement « les juges ». Le domainemilitaire était strictement séparé du domaine civil. Les provinces furent regroupées en diocèsesconfiés à des vicaires, et les diocèses formèrent trois préfectures du prétoire (Orient,Occident etItalie-Afrique).Letitredepréfetduprétoirechangeadonccomplètementdesignificationaumomentoùlescohortesprétoriennesfurentdissoutes.

L’uniformitéprésidaaussiaudestindescités, touteségalesentreelleset toutesappeléesdésormaiscivitates. Des études récentes ont montré que la vie municipale a perduré au ive siècle, mais ellemanifesta sans doute moins de dynamisme que ne le disent les auteurs de ces enquêtes ; elle futpourtantbienvivante.Chaquecitéétaitplacéesousl’autoritéd’uncurateur,sortedemaireassistéparune assemblée de notables, les curiales, eux-mêmes successeurs des décurions du Principat.L’assembléepopulaireestencoreattestée,maisrarement,demêmequelesmagistrats traditionnels,questeurs, édiles et duumvirs. Sur eux pesait la mission de percevoir les impôts ; ils en étaientresponsablessurleurspropresdeniers,etcettechargepesaitsilourdquedesabandonsdepatrimoineetlafuiteaudésert(enÉgypte)sontattestés.

VII.LaprospéritéPendant longtemps, les historiens ont écrit que le Bas-Empire avait été une période de misèreéconomique(dernierouvrageàdéfendrecettethèse,nonsansbrio:R.Rémondon,danslacollection«NouvelleClio»,en1964).Maislesdécouvertesdetessonsdecéramiquefaitesenfouillesavaientmontré, dès les années 1950, que cette conception était erronée et maintenant plus personne necontestel’existenced’unerepriseéconomiqueaudébutduivesiècle,malgrédesdifficultés,marquéesnotammentparuneinflationrecord.

Verslafinduiiiesiècleetledébutduive,laprospéritérevintdonc.Ellefutsymbolisée,etaidée,parune nouvelle organisation monétaire inspirée du modèle d’Auguste, un bimétallisme or-argent.Circulèrentdoncunaureusde5,45g,unargenteusde3,41getdesfollesdebronzedeplusde9g.Maisl’instaurationdecesystèmeprovoquad’aborduneinflationsigravequelepouvoirpolitiquefitcequ’iln’avaitjamaisfait:en301,ilintervintdanslavieéconomiqueparun«éditdumaximum»(maximum des prix et salaires). Si l’économie monétaire perdura, le troc prit une importancecroissanteetlessalairesdesmilitairesfurentdeplusenpluspayésennature.

La premièremoitié du ive siècle vit donc une prospérité plus oumoins forte suivant les régions,suivieparunlentdéclindel’Occident,interrompuseulementparlesmesuresefficacesdeJulienenfaveur des notables.Dans lemême temps, beaucoup de signes indiquaient que l’Orient, lié à l’or,connaissait un essor net. En Occident, domaine de l’argent, l’Afrique et la Bétique prospéraientdavantagequelaGauleetlaBretagne.

Les productions changèrent peu : le blé restait la base de l’alimentation et, dans les paysméditerranéens, il se combinait toujours à l’olivier et à la vigne ; l’élevage et la pêche (garum)fournissaient toujours des compléments appréciés. À la campagne, ce furent surtout les structuresfoncières qui changèrent. Un phénomène de concentration de la propriété est attesté. Un nouveaucolonatsuccédaàl’ancien(voir§suivant)etdesbarbaresfurentinstallésàl’intérieurdel’Empire,surtoutprèsdesfrontières.C’estainsiquedesFrancsreçurentdesterresdansleNorddelaGaule,en

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échange du service militaire. La céramique et le bois fournissaient ses principaux matériaux àl’artisanat,quiutilisaitaussilestextiles,leferetleverre.Desateliersimpériaux,travaillantenpartiepourl’armée,firentleurapparition.Denouveauxaxescommerciauxsemanifestèrent,notammentenItalie autour deMilan et Aquilée. Le commerce maritime reprit, et Ostie, Carthage et Alexandrierestèrentlesgrandsports.

VIII.LasociétéLasociétéduivesièclerestaunesociétéd’ordresetdeclasses;maiselleévoluaversunsystèmedecastesquinefutjamaiscomplètementconstitué,bienquelamobilitéaitétédeplusenplusréduite.

L’ordreéquestrefutvictimedesonsuccès.ConstantinIercessadedistribuerdesbrevetsdechevaliersetildonnaletitredesénateursàtousceuxquiavaientjusqu’alorsétéchevaliers.Ilyeutdoncdeuxsortes de sénateurs, les sénateurs d’Empire, environ 5 000 familles, et les membres du Sénat deRome,aunombrede300.Cesderniersvirent leurrôleconsidérablementdiminué; ilsneservirentplusquedeconseilmunicipalpourlaplusgrandevilledumonde,tandisquelespremiersoccupaienttouslespostesdel’administrationetdel’armée;puisConstantinopleeutaussisonSénat.

Si les sénateursétaient tous riches,quelques-unsétaientdevenus très richespendant la crisedu iiiesiècle, comme le préfet du prétoire Probus.Quelques autres personnages, qui n’exerçaient aucunefonctionpublique,s’étaientégalementélevésjusqu’àlacatégoriedesnantisetmêmedestrèsnantis.Ilsvivaientmoinssouventenvilleetontlaissédesvillasconsidérablesetenrichiesdemosaïques(lespluscélèbresdecesdemeuresrustiquessontlavilladeMontmaurindanslaHaute-GaronneetlavilladePiazzaArmerinaenSicile).

Cefurentlesmilieuxpopulaires,quireprésentaientpeut-être90%delapopulationdel’Empire,quisouffrirent le plus. Les soldats furent de plus en plus mal payés, ce qui décourageait les plusdynamiques des jeunes gens. Les paysans libres, qui avaient obtenu le statut de colons sous lePrincipat,gardèrentlemêmetitre;mais,commelesimpôtslesécrasaienteuxaussi,ilstentaientdechangeraumoinsderégionsinondestatut.Desloisleurinterdirentdebougeretilsfurentfixésàlaglèbe.Cenesontpaslesesclaves,maiscescolonsquifurentlesancêtresdesserfsduMoyenÂge.

Car l’esclavage perdura, et les Pères de l’Église ne trouvèrent en général rien à redire à cetteinstitution.Ilsdemandèrentseulementunpeuplusd’humanité,cequileurfutaccordé.Ainsi,aulieudemarquerauferrougelevisagedesfugitifsrattrapés,lesmaîtresleurattachèrentaucoudelourdscolliersdeplombaveclenometl’adressedupropriétaire.

Ilnerestaitauxcolonsruinésetauxesclavesmalheureuxqu’àdevenirbrigands,commel’étaientlescélèbres bagaudes qui ravagèrent laGaule.Onpassait là des « classes laborieuses » aux« classesdangereuses».

IX.LesculturesLegoûtpourlesœuvresd’artetlesécritsperdura,évidemment,avecdescaractèresnouveaux;mais

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la tradition classique fut admirée et respectée. Pourtant, il faut établir deux distinctions majeures,entrel’Occidentlatinetl’Orientgrec,entreleschrétiensetlespolythéistes.

L’architecture donna peu de grandes créations et peu de nouveautés. On explique cette relativemodestie par le fait que les villes avaient été pourvues du nécessaire pendant le Haut-Empire ; ilsuffisaitderestaurercequiavaitbesoindel’être.Néanmoins,quelquesempereursvoulurentencoreembellir Rome : thermes de Dioclétien, monuments de Maxence sur la voie Appienne, arc deConstantin.EnOccident,Rome,CarthageetAutunontprofitédecetessor.EnOrient,Constantinople,Alexandrie,AntiocheetPergameégalement.

Les chrétiens apportèrent peu d’éléments nouveaux. Les premières églises, plutôt tardives, furentbâtiessurlemodèledesbasiliquesciviles.Ellesformèrentuncomplexeépiscopal,ensembledetroiséléments, l’église, lebaptistèreet lamaisonde l’évêque.Les richespurentobtenirdes«sépulturesprivilégiées », qui étaient des « sépultures de privilégiés » (P.-A. Février) dans les églises : ils sefaisaiententerrerprèsdesreliquesdessaints.

Au chapitre des arts figuratifs, on retiendra les monnaies, la sculpture et surtout la mosaïque.L’iconographieétaitmoinsrespectueusedelaperspectiveetdelafidélitédanslareprésentationdestraits.Lesmodernesdisentquecen’étaitpaspar ignorance,mais intentionnellement,parsoucidesréalitéscachées.

EnOccidentetdoncen latin,noussignalerons leschrétiensArnobedeSicca,Lactance,et les troistrèsgrandsquefurentsaintAmbroise,saintJérômeetsaintAugustin.ChacundesPèresdel’Égliseaécritdestraitésdepolémique(contrelespaïens,lesjuifs,leshérétiquesetlesschismatiques)etdestraitésdethéologie,permettantdemieuxcomprendrelanaturedeDieuetdesonFils.SaintAugustinalaisséuneœuvreconsidérable;sonimportancefuttellequ’iladominéleMoyenÂgeetqu’ilresteencoreundesPèresdel’Égliseparmilespluslusetlespluscommentés.Ducôtédespaïens,onciteraPorphyreetJambliqueenphilosophie,l’historienAureliusVictoretlepoèteAusone.Leplusgrandnomestassurémentceluidel’historien, toujourspaïen,AmmienMarcellin.D’autresauteurspaïensont produit leur œuvre à cette époque, Macrobe (grammairien), Claudien (poète) et Symmaque(orateuretépistolier).Vers ledébutduve siècle,unanonymeappelé l’auteurde l’Histoire Auguste(S.H.A.)alaissédesbiographiesimpérialessérieusespourleiiesiècleetledébutduiiie, fantaisistespourlasuite.

EnOrient, et donc en grec, nousmentionnerons le païen Julien, « l’Apostat », et qui a laissé uneœuvred’unhautniveaulittéraire.Libaniusd’Antioche,amid’AmmienMarcellin,autrepolythéiste,alaisséluiaussiuneœuvred’uneampleurconsidérableparlaqualitéet laquantité,deslettresetdesdiscours.Parmilesgrandsauteurschrétiensde l’Orient,onnommeraEusèbedeCésarée,Athanased’Alexandrie et les trois Cappadociens, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze et Grégoire deNysse,auxquelsonjoindrasaintJeanChrysostome.

X.LespolythéismesLespolythéismesperdurèrentetévoluèrent.Ilssemaintinrentchezlesélitescommedanslepeuple.Iln’est pas possible de réduire le polythéisme à une religion de gens incultes. Les paysans restaientattachésàdesdieuxqu’ilscraignaient,aupointquelemotpaysan,paganus,«païen»,fututilisépar

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les chrétiens comme une injure contre les tenants des dieux anciens. Mais les sénateurs romainsbataillèrentlongtemps,de382à402,contrelesempereurschrétiensquivoulaientlesforceràenleverl’auteldelaVictoireplacédanslacurie.

ÀpartirdeConstantinIer,quiconfisqualesbiensdestemplesen331,brisantlacolonnevertébraledupolythéisme,larépressions’abattitsurlesréfractaires:persécutésjusque-là,leschrétiensdevinrentpersécuteurs.Mais,àladifférencedeschrétiens,lespaïensnesejetèrentjamaisdanslemartyreetlaphilosopheHypatie d’Alexandrie,massacrée par desmoines en 415, fut une exception, victime deconditionslocalesparticulières.

Un débat idéologique s’engagea. Les intellectuels, s’appuyant sur la philosophie néoplatonicienne,élaborèrentunethéologieprèsd’êtremonothéisteetfinalementassezprochedecellequ’élaboraientles chrétiens ; les modernes appellent cette conception de l’hénothéisme. On en trouve unethéorisationdansdestraitésdel’empereurJulien,parexempleSur leroiHéliosetSur laMèredesdieux.

Pour éviter la destruction des statues, recommandée certains jours par saint Augustin, condamnéed’autresjoursparlemêmesaintAugustin,quelquesfidèlesfirentconstruiredeschambresoùilslescelaient:«maisondelacachette»àCarthage,àAthènesetenAnatolie.

Leculteimpérialdurapluslongtemps,d’abordparcequ’ilavantageaitlepouvoir,ensuite,parcequeles prêtres devaient pratiquer un évergétisme auquel tous étaient sensibles. Le concile d’Elvire(Grenade)autorisamêmeleschrétiensàdevenirflamines,àconditionqu’ilsnepratiquentpasderitespaïens.

XI.LesmonothéismesLesJuifs,quin’avaientplusledroit,enthéorie,derevenirenJudée-Palestine,serépartirentàtraverslemonde. Les uns se réfugièrent en Iran, où ils furent bien accueillis et protégés. Les autres, quirestèrentdansl’Empireromain,furentenbutteàdespersécutions,commetoujoursaudemeurant.Ilsserépandirentdanstoutl’Orient,enSyrie,àAlexandrieetàÉphèse,enOccidentégalement,surtoutàRome,dansunebienmoindremesureenAfrique.Ilspurentnéanmoinspoursuivrel’élaborationd’uncorpsdedoctrinessurtoutconsacréauxrites,leTalmud.Ilscréèrentaussiunartquileurfutpropre,qui a laissé des mosaïques, des lampes et des synagogues. Les thèmes iconographiques étaientempruntés à la Bible, faisaient référence à ce livre, ou au polythéisme. La synagogue comprenaitdeuxpièces,l’unepourleshommes,l’autrepourlesfemmes,etunportique.

Les chrétiens furent un peu victimes de leur succès.Avec le nombre naquirent des hérésies et desschismes.EnAfrique,desrigoristesn’acceptèrentpasd’accorderlepardonàceuxquiavaientfaiblidanslapersécution,donnantainsinaissanceauschismedonatiste,contrelequell’évêqued’Hippone,saintAugustin,guerroyalongtemps.EnOrient,desthéologiens,àlasuited’Arius,assurèrentqueleChrist ne possédait que la nature humaine ; le concile deNicée les condamna comme hérétiques,affirmantque leChristétaithommeetDieuà la fois.Mais leurdoctrinemarqua le ive siècle et serépanditchezdesbarbares,enparticulierchezlesGoths.Ceconflitopposadonclesariensetceuxquis’appelaientorthodoxes,etqu’ilvautmieuxdésignercommenicéens.

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Auvesiècle,lemonophysisme,considérécommeuneautrehérésie,enseignaitqueleChristn’avaitqu’unenature,etlesynodedeChalcédoinelecondamna.

Lecultes’organisa.Chaquecitéchrétienneeutunehiérarchieecclésiastique : lesdegréssupérieursétaient constitués par l’évêque, supérieur des prêtres, des diacres et des sous-diacres ; au niveauinférieur se trouvaient les acolytes, les exorcistes, les lecteurs et les portiers. En parallèle sedéveloppait lemonachisme qui fonctionnait avec des nones et desmoines.Mais il ne faudrait pasimaginer une vague submergeant lemonde : lemouvement se fit avec lenteur, cité après cité. Leschrétiens n’eurent pas, pendant longtemps, d’art religieux. Les premières traces visibles furent lesgroupesépiscopauxet,dansleséglises,lessépulturesprivilégiées.

Lamissionperdurait,commecellequ’aaniméesaintMartinenGaule.Ellefutfacilitéeparlapratiquedelacharitéchrétienneetparlemonothéismequiparaissaitmoderne:lesvieuxdieuxétaientmorts.

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ChapitreIX

LafindeRome

I.Leretourdelacrise’année 364 fut l’année « de tous les dangers », comme l’a dit AmmienMarcellin. Les ennemis

s’organisaient partout et de nouveaux barbares faisaient leur apparition. Valentinien Ier (364-375),pourtantmodéré,associaàsonpouvoirunarienfanatique,sonfrèreValens(364-378); lepremierprit en charge l’Occident, le second l’Orient. Ce dernier ne réussit pas à chasser des Goths quis’étaient installésdans l’Empire,enThrace.Quand ilvoulut leur faire laguerre, ilengageamal lalutteetilfutvaincuettuéàAndrinople,undesplusgrandsdésastresqu’eutàsubirl’arméeromaine(378).Sonsuccesseur,ThéodoseIer(379-395),futunmaniaquedel’administrationetdelareligion.Ilpersécuta les juifs, les hérétiques, les schismatiques, les païens, et il s’intéressa même auxhomosexuelsqu’ilvoulaitbrûlervifs.Militairement,ilnebrillapasetsapiresottisefutdepartagerl’Empire entre ses deux fils ; il confia à Arcadius (383-408) l’Orient et à Honorius (393-423)l’Occident.Cesderniersétantdemédiocreschefs,lepouvoirfutexercéparleurentourage.

En406,lesVandales,lesAlainsetlesSuèvestraversèrentleRhinetneleretraversèrentjamais.En410,lesGoths,quivoulaientgagnerl’Afriqueparmer,pillèrentRomeaupassage;leurflotteayantétédétruiteparlatempête,ilsrepassèrentparlaVillequifutdenouveaupillée.Cetévénementeutuneimportanceconsidérablesurlescontemporainsquifurentbouleversés.Lespaïensestimèrentqueleschrétiens,quin’honoraientpas lesdieux,enétaient responsables.Curieusement, leschrétiensfirentcommes’ilssesentaientcoupablesetrépondirent.SaintAugustinexpliquadansLaCitédeDieuqu’ilyavaituneautrecitéquelacitéterrestre,uneautreRomequecellequisetrouvaitsurleTibre.Oroseécrivit une Histoire contre les païens pour montrer que Rome avait connu des malheurs avantl’arrivéeduchristianisme.

Pendant le ve siècle, l’Occident romain se transforma lentement enOccident barbare, pendant quel’Orientromaindevenaitl’Orientbyzantin.

II.L’effondrementLeshistorienssesontdemandésil’Empireavaitétéassassinéous’ilétaitmortdesabellemort(voirConclusion). Ils n’ont jamais vraiment ouvert de débat pour déterminer à quel moment a finil’histoiredeRome,simêmeelleafiniàunmomentprécis.Maisilsuffitd’ouvrirlesmanuelspourvoir quedes solutions sont proposées augré de l’humeur des auteurs.Autrefois, on admettait unerupturebrutale,en476,quandleSkireOdoacredéposaledernierempereur,lemalnomméRomulusAugustule,etenvoyaàConstantinoplelesinsignesimpériaux.Depuisquelquesdécennies,ilestadmis

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parbeaucoupd’historiensquedes secteursde lavie aussi importantsque l’économieont subiunelenteévolution,voiren’ontpaschangédutout,commeonl’écritparfoisenseréférantàlanotionde« temps long » telle que l’a définie Fernand Braudel. D’ailleurs, dans lemondemusulman, les «autres»sonttoujoursappelés,actuellement,les«Roumis»,lesRomains.Maiscesavantatoutefoisdistingué troisnotionsde temps,etdeuxd’entreelles sont souventoubliées : le tempsmoyenet letemps court. De toute façon, il est faux de croire que l’agriculture n’a pas changé depuis leNéolithique jusqu’auxixe siècle ; le climat, les techniques et les structures sociales, aumoins, ontévolué. D’ailleurs, une telle permanence reviendrait à nier l’histoire. Les spécialistes d’histoirepolitique constatent que Constance II (337-361) fut le premier « empereur byzantin » par lasacralisationqu’ildonnadupouvoir.IlfutaumoinsunprécurseuretJustinien(527-565),mêmes’ilse faisait appeler empereur desRomains, est engénéral considéré comme le dernier souveraindel’AntiquitéoulepremierduMoyenÂge,suivantlepointdevueadopté(onretrouveunmêmedébatàproposdesaintAugustin,dernierpenseurdel’AntiquitéoupremierduMoyenÂge).Onpeutaussipenserqu’unmondes’écroulequandlafrontièreestdéfinitivementpercée,quandlacapitaleestpriseetquandlalanguechange.Or,en406,lesVandalesfranchirentleRhin;en410,Romefutpilléepardeuxfois;et,danslesannéesquisuivirent,legrecremplaçalelatincommelangueofficielle.Ànotreavis,levesiècleavulafind’unmonde,lafindumonderomainetmêmedumondeantique.

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Conclusion

’Empireromainadurédixsiècles.Iln’estpascourantdansl’histoiredel’humanitéqu’unempireaitconnuuneaussilongueexistence.Etpourtant,commeonl’adit,lesRomainsdétestaientlaguerreetilsaimaientlapaix.Ànotreavis,quatreraisonsexpliquentcephénomène.

Onneserapassurprisdecequiseprésenteenpremiercommeexplication:lesRomainsavaientsuorganiserunearméesupérieureàtoutescellesquiexistaientdeleurtemps,fondéesurunprincipedequalitéetsurunencadrementtrèscompétent.Enplus,ilsavaientprisauxautrescequ’ilsavaientdemeilleur,utilisantunarmementdisparate,grec,gaulois…,copiantlapoliorcétiquedesGrecs.

Mais la force ne peut pas tout résoudre à elle seule. Les Romains avaient su associer les anciensvaincusàleurEmpire; lesLatins, lespremiers,après338,enontprofité.Puis lesItaliens,puislesprovinciaux,ontparticipéaupouvoir (oneutdesempereursespagnols,africains…)etontdéfenduleur domaine contre les barbares.Un aussi vasteEmpire ne pouvait pas vivre sans l’adhésion despopulations.

Entroisièmelieuintervientlapsychologiecollective.LesRomainsn’aimaientpaslaguerre,onl’aditetredit.Maisunefoisqu’elleétaitengagée,ilsnel’arrêtaientqu’àlavictoire.Ilsontparfoiseudumériteànepasbaisserlesbras,notammentquandHannibaleûtdétruitquatredeleursarmées.C’estlàqu’intervintleSénat,etlepeupleromainnel’oubliajamais.

Enfin, il faut citer l’économie. Certes, elle ressemblait à celle que connaissaient tous les peuplesvoisins.Maislesdieuxfurentlongtempsfavorables:leclimatneconnutalorsaucunesautebrutale,aucunegrandeépidémieneravagealemonde.Ladémographiedel’Italiefuttrèspuissante:Hannibaldevaitdétruireplusieursarméesavantd’épuiserlepotentieldesesennemis;lui,iln’avaitquepeudesoldatsetlamoindreerreurluieutétéfatale.Toutefois,ledroitromain,enimposantdepartagerunbienentre leshéritiers, conduisit leshommesàpratiquerune relative limitationdesnaissancesquicréaunéquilibreentrelaproductionetlaconsommation.

L’économieetlapsychologiedétraquèrentlemécanisme.Lessoldats,endemandantouenacceptant,on ne sait trop, des augmentations de salaires très fortes et très brutales, au début du iiie siècle,épuisèrentlesfinancespubliques,maisnieuxnilesempereursnelesavaient,carilsneconnaissaientpaslesmécanismesdel’économie.

Lesempereurs,effrayésparlescoupsd’Étatàrépétition,affaiblirentlecommandementd’oùétaientvenuestouteslestentatives.Maiss’ilsl’affaiblissaientsurleplanintérieur,ilsl’affaiblissaientaussicontrelesbarbares.

Lachristianisationdel’Empiren’arienapportéetamêmeunpeucompliquélatâchedesmilitaires:iln’étaitpasfaciledecombattreavecenmémoirelecommandement«Tunetueraspoint».Quelquesévêques ont même découragé quelques soldats : trois ans de pénitence pour celui qui tue encombattant,maisquidoitpourtantfairesondevoir.Ildevaitêtredifficiledes’yretrouverquandonavaitunepetiteculture!

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Labarbarisationdel’arméeasansdouteplusaffectésaqualité.UnGothn’estpasunRomain,entoutcaspasunvraiRomain.Et,mêmes’ilpeutêtreunboncombattantquandilsebatpourlessiens, ilreste à prouver qu’il ait été aussi efficace en luttant pour ceux qui, la veille encore, étaient sesennemis.

Detoutefaçon,noussavonsquelescivilisationssontmortelles.Etlesempiresplusencore.

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