henry monnier le roman chez la portiere

10
LE ROMAN CHEZ LA PORTIERE (Scènes populaires) de Henry Monnier PERSONNAGES : Mme DESJARDINS, portière. — Cinquante-cinq à soixante ans ; d'une grande exactitude à remplir ses devoirs ; esclave du premier ; soumise aux volontés du second ; à son aise avec le troisième ; mangeant dans la main du quatrième ; fière et hautaine avec les étages supérieurs. — Bonnet garni d'une petite dentelle ; tour en cheveux ; fichu de rouennerie ; robe d'indienne ; tablier de couleur ; tablier blanc par-dessus. Mme POCHET. — Quarante-sept ans ; sèche au moral comme au physique ; adorant les caquets et les provoquant ; veuve, depuis trois ans, de M. POCHET, ancien garçon de bureau au ministère des Cultes, n'ayant jamais eu d'amis, ni d'enfants. — Mise analogue à celle de la précédente dame. Mme CHALAMELLE. — Quarante à quarante-deux ans ; bonne femme au fond, ne disant jamais de mal du prochain ; 800 livres de rente légitimement acquises ; raccommodant la dentelle à celle fin de diminuer ses frais de loyer ; du vin dans sa cave ; donnant parfois à dîner et traitant bien ; soi-disant veuve d'un certain M. Chalamelle, commis à cheval dans les Ardennes, que ses meilleures amies prétendent n'avoir jamais existé ; obligeante, peu bavarde, bien qu'habitant les étages élevés. — Bonnet garni de rubans, robe de soie les dimanches et les fêtes. Mlle VERDET. — Soixante ans, lèvres minces, nez pointu ; physique de cigale, revêche, prude, dévote, de la confrérie de la Vierge à Saint-Eustache ; n'aimant rien au monde que ses trois chats, dont un chien ; pilier de paroisse et de sacristie ; rendant de fréquentes visites aux dames de charité de son arrondissement ; faisant des rapports rarement avantageux au suisse, au bedeau, voire même au donneur d'eau bénite ; sortant de l'église pour entrer chez la portière, et de sa loge à l'église et chez les voisines, déchirant tout le monde et son père, s'il existait encore. — Avec chapeau ; robe appliquée en fourreau sur son échine, mantelet ou châle noir ; un paroissien à la main, qu'elle se garde de mettre dans un ridicule (réticule) ; un chapelet débordant sa poche. REINE (MADEMOISELLE). — Trente à trente-six ans ; assez belle personne ; port du nom de sa patronne ; parlant fort peu et perlant sa conversation, qu'elle émaille de cuirs et de pataquès ; gouvernante d'un vieux monsieur seul, à son aise, n'y regardant pas de près ; surprise un jour, la croisée entr'ouverte, par la veuve POCHET, dans la chambre à coucher de son maître, comme Monsieur passait sa chemise. LA LYONNAISE. — Cinquante-sept ans, et n'en parlons plus ; possédant un honnête embonpoint ; très bornée ; le plastron de la loge et de la maison ; adorant les petits oiseaux, qui ne la payent point de retour ; bonne femme au fond ; sans aucune espèce d'usage et d'éducation ; sans initiative. — Mise des plus modestes bien que fort propre; robe de cotonnade, bonnet des plus simples. DESJARDINS. — Soixante-sept à soixante-huit ans ; matin et soir, nuit et jour la tête enveloppée d'un bonnet noir encadrant sa large figure ; aimant la bonne chère ; courant après les bonnes ; paresseux comme Figaro ; ennemi des idées avancées ; crachant, mouchant, friand et gourmand ; égoïste au premier chef ; grossier et suffisant avec les femmes ; en somme, homme fort

Upload: ferkes

Post on 17-Aug-2015

223 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

LE ROMAN CHEZ LA PORTIERE(Scnes populaires)deHenry MonnierPERSONNAGES :Mme DESJ ARDINS, portire. Cinquante-cinq soixante ans ; d'une grande exactitude remplir ses devoirs ; esclave du premier ; soumise aux volonts du second ; son aise avec le troisime ; mangeant dans la main du quatrime ; fire et hautaine avec les tages suprieurs. Bonnet garni d'une petite dentelle ; tour en cheveux ; fichu de rouennerie ; robe d'indienne ; tablier de couleur ; tablier blanc par-dessus. Mme POCHET. Quarante-sept ans ; sche au moral comme au physique ; adorant les caquets et les provoquant ; veuve, depuis trois ans, de M. POCHET, ancien garon de bureau au ministre des Cultes, n'ayant jamais eu d'amis, ni d'enfants. Mise analogue celle de la prcdente dame.Mme CHALAMELLE. Quarante quarante-deux ans ; bonne femme au fond, ne disant jamais de mal du prochain ; 800 livres de rente lgitimement acquises ; raccommodant la dentelle celle fin de diminuer ses frais de loyer ; du vin dans sa cave ; donnant parfois dner et traitant bien ; soi-disant veuve d'un certain M. Chalamelle, commis cheval dans les Ardennes, que ses meilleures amies prtendent n'avoir jamais exist ; obligeante, peu bavarde, bien qu'habitant les tages levs. Bonnet garni de rubans, robe de soie les dimanches et les ftes.Mlle VERDET. Soixante ans, lvres minces, nez pointu ; physique de cigale, revche, prude, dvote, de la confrrie de la Vierge Saint-Eustache ; n'aimant rien au monde que ses trois chats, dont un chien ; pilier de paroisse et de sacristie ; rendant de frquentes visites aux dames de charit de son arrondissement ; faisant des rapports rarement avantageux au suisse, au bedeau, voire mme au donneur d'eau bnite ; sortant de l'glise pour entrer chez la portire, et de sa loge l'glise et chez les voisines, dchirant tout le monde et son pre, s'il existait encore. Avec chapeau ; robe applique en fourreau sur son chine, mantelet ou chle noir ; un paroissien la main, qu'elle se garde de mettre dans un ridicule (rticule) ; un chapelet dbordant sa poche.REINE(MADEMOISELLE). Trente trente-six ans ; assez belle personne ; port du nom de sa patronne ; parlant fort peu et perlant sa conversation, qu'elle maille de cuirs et de pataqus ; gouvernante d'unvieux monsieur seul, son aise, n'y regardant pas de prs ; surprise un jour, la croise entr'ouverte, par la veuve POCHET, dans la chambre coucher de son matre, comme Monsieur passait sa chemise.LA LYONNAISE. Cinquante-sept ans, et n'en parlons plus ; possdant un honnte embonpoint ; trs borne ; le plastron de la loge et de la maison ; adorant les petits oiseaux, qui ne la payent point de retour ; bonne femme au fond ; sans aucune espce d'usage et d'ducation ; sans initiative. Mise des plusmodestes bien que fort propre; robe de cotonnade, bonnet des plus simples.DESJ ARDINS. Soixante-sept soixante-huit ans ; matin et soir, nuit et jour la tte enveloppe d'un bonnet noir encadrant sa large figure ; aimant la bonne chre ; courant aprs les bonnes ; paresseux comme Figaro ; ennemi des ides avances ; crachant, mouchant, friand et gourmand ; goste au premier chef ; grossier et suffisant avec les femmes ; en somme, homme fort {C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}{FF24E698-947D- 4896-B0B1-2A454CEF5268}{C0A8C59F-6E8F-43c4-8453-65D208276F40}dsagrable que son pouse a toujours regard et regarde encore comme un Phnix (ce qui n'est pas). Tablier bleu bavette, rarement purifi ; comme son bonnet, du soir au matin, du matin au soir.UN DEPUTE. Le seigneur et matre de demoiselle Reine ; soixante soixante-cinq ans ; bien conserv ; lvres paisses; aimant le vin, et la gloire, et les belles.M. LASERRE. Soixante ans bien sonns. Ancien locataire, le doyen de toute la maison ; vivant seul ; logeant seul ; faisant son mnage etne recevant me qui vive ; ex-employ aux Contributions indirectes ; cart de ses fonctions et mis la retraite en 1815, comme professant des opinions dangereuses et subversives. Petite taille, figure fine et intelligente ; passant ses soires au caf voir jouer aux checs et aux dominos ; fort propre de sa personne ; couch tous les jours neuf heures ; ne parlant qui que ce soit au monde ; faisant le lendemain exactement ce qu'il a fait la veille. Une ancienne machine qui s'arrtera un beau matin ; un petit jardin sur sa fentre.ADOLPHEPOCHET, plus connu sous le nom de DODOFFE. Neuf dix ans ; polisson dans toute l'tendue du mot ; profrant les jurements les plus affreux ; malpropre ; promenant mille deux mille fois par jour le parement de sa veste sous son nez ; ne sachant un tratre mot de grammaire ni de catchisme ; se battant tous les coins de rue ; rentrant toujours l'oreille dchire ; frquentant les plus mauvaises socits ; fumant des cannes battre les habits ; drobant dans les poches de sa mre ; ayant deux reprises ouvert la cage aux oiseaux de LA LYONNAISE, et jet par la fentre un des chats de Mlle VERDET, le Prince Mistigris.AZOR, carlin de quatorze ans ; surcharg d'embonpoint ; exhalant aprs dner une odeur ftide ; commenant fort grisonner ; libertin, coureur, sur sa bouche.M. PRUDHOMME, professeur d'criture, lve de Brard et Saint-Omer, expert asserment prs les cours et tribunaux. tranger la maison ; cinquante-cinq ans ; pudique ; toutes ses dents ; de belles manires ; cheveux rares et ramens ; lunettes d'argent ; parlant sa langue avec puret et lgance. Habit noir ; gilet blanc, les jours fris ; bas blancs ; pantalon noir ; souliers lacs.UN FACTEUR. Livre de la poste ; peu de manires.UNE VOIX CLAIRE. Veste de chasse ; teint blme ; cravate de couleur.UNE VOIX ENROUEE. Chapeau sur le coin de l'oreille ; col de chemise rabattu ; cravate la Colin ; cheveux en tire-bouchons ; veste de garon de caf ; pantalon cosaque ; bottes cules.La loge du portier.DESJ ARDINS, MADAMEDESJ ARDINSMmeDESJ ARDINS. Ah ! voyons, vas-tu pas commencer par te coucher et pas te brler le sang comme toutes les jours au pole ? qu'c'est vraiment pas raisonnable de roupiller toute une soire comme tu roupilles.DESJ ARDINS. a t'est ben facile dire, que j' roupille ; j' voudrais voir si c'est qu' tu roupillerais, si t'avais c'que j'ai.Mme DESJ ARDINS. J e l'aurais qu' je 1' subirais, j'en ai vu ben d'autres, Dieu merci ! On a ben raison d' dire, qu' les femmes c'est sus la terre pour souffrir, et pas aut' chose. Les hommes ont les douceurs, et nous 1' paquet ; mais vous aimez qu'on vous plaigne, c'est vot' caractre ; fais pas moins c' que j' te dis, va t' coucher et laisse-nous tranquilles ; tu m'ennuies, j' suis pas d' mauvaise humeur, m'en mets pas. Tiens ! t'as pas seulement ferm la porte d' la rue, tant t'es feigniant !DESJ ARDINS. P'tt'ben qu' oui, p'tt'ben qu' non, j'en sais rien.Mme DESJ ARDINS. J ' vas la fermer, bouge pas, tu ferais des sottises. Bon ! Azor qu'est parti ! J 'ai jamaisvu d'homme pus coureur que c' chien-l. O a qu'il est c't' heure ? Azor ! J ' t'en moque ! Tu vas m' la payer, aie pas peur ! Voulez-vous venir ici !... J ' vas aller toi, polisson ! Ah ! vous voil ! Bien ! Apprtez vos reins ! Vous voulez pas ? Non ? Mme quand j' vous 1' dis. (AZOR, sur son derrire, dix pas de sa matresse, implore son pardon, laissant entrevoir l'extrmit de sa langue.) C'est a, vous tes timide quand vous avez fait des sottises. (Elle rentre dans sa loge, saisit un fouet suspendu un clou derrire la porte, en dtache un coup sur la partie infrieure des reins "AZOR qui, ne fuyant pas assez vite, pousse un cri plaintif et va se rfugier sous l'tabli du tailleur.) Reviens-z'y, intrigant ! Vous en allez pas si loin, prsent ; j' veux vous voir. Vous voulez pas ? J ' vous dis de venir ici ! Ah ! vous voil, c'est ben heureux ! Le ferez-vous encore ? Serez-vous encore dsobissant ? Vous voulez pas prend' sus vous de 1' promettre ? Plat-il ? Parlez plus haut, je n' vous entends pas. C'est pas des caresses que j' demande, c'est d' la conduite. Le ferez-vous encore ? Dites-le tout de suite. Vous voulez pas ? Une fois, deux fois, vous voulez pas ? (AZOR garde le silence le plus absolu ; puis, voyant sa matresse brandir de nouveau son fouet, il regagne au plus vite sa cachette, recevant, sur la mme partie du corps, un second coup de l'importance du premier.)MADAME DESJ ARDINS, MADAMEPOCHET, ADOLPHE, AZORMme POCHET. Bonsoir, madame, la compagnie. Aprs qui donc qu' vous en avez, sans vous commander ?Mme DESJ ARDINS. M'en parlez pas ; c'est encore aprs c' vilain coureur de chien, qu'on n'en peut pus jouir ; ceux qu'ont pas de btes sont ben heureuses !Mme POCHET. Il est d' fait qu'on s'y attache ; comme aux p'tits oiseaux... Y a qu' voir la Lyonnaise avec eux, c'est leur domestique. (AADOLPHE.) Eh ben ! dites donc, vous, l-bas ! C'est-y dans eune curie que j' vous ai amen ? On dit rien madame, quand l'on vient chez elle, on li souhaite point 1' bonsoir, c'est trop commun, apparemment ? Mme DESJ ARDINS. Bonsoir, mon minet. Mme POCHET. Li faites point d'avances,y rpondra pas, si c'est point son ide. Veux-tu ben n' pas t' tourner comme a, ou j' vas t' coucher ; a sera pas long, tu vas voir ! T'nez, si c'est pas eune infection, eune chemise blanche de c' matin, comme j' n'ai jamais connu qu' mon mari ! si on n' dirait pas qu'il l'a d'puis trois semaines ! vilain laid ! va voir 1' petit mame Vaillant, si c'est qu'il est sale comme toi !ADOLPHE. J ' m'en fiche pas mal.Mme POCHET. Veux-tu ben pas rpliquer, vilain monstre ; tu finiras sus l'chafaud, t'en es sr ! T'nez, par curiosit, r'gardez ses yeux.Mme DESJ ARDINS. Dodoffe, t'es pas gentil.ADOLPHE. a m'est gal.Mme POCHET. Vilain sans-cur !Mme DESJ ARDINS. On vous a pas vue c' matin ? Vous tiez pas malade ?Mme POCHET. Je l'tais sans l'tre ; mais la vrit, c'est qu' j'tais presse 1' d'venir. J 'avais mon savonnage ; figurez-vous, qu' j'ai vu1' temps peine d'aller sercher ma crme et mon charbon. Du reste, vous, a va bien ?Mme DESJ ARDINS. Comme vous voyez.Mme POCHET. Je vois qu' vous tes core joliment jaune, v'l c' que j' vois. Au surplus, pour c' que j' vous souhaite...Mme DESJ ARDINS. Vous tes ben honnte.Mme POCHET. Eh ben ! Etlesnouvelles emmnages ?Mme DESJ ARDINS. a m'a pas encore l'air d't' la fleur des pois, trois jeunesses comme a dans des chambres, sans pre ni mre !... Aprs a, j' m'en bats l'il, j'en aurai ni honte ni profit. J ' sais toujours pas d' quel tat qu'a sont.Mme POCHET. Les propitaires, vous sentez, tirent tous, pus qui peuvent, sa location.Mme DESJ ARDINS. Dame, c'est leur droit, y z'en usent.Mme POCHET. a leux z'y est ben gal, qu' vous soyez voleur, filou ou assassin ; y savent ben qu' les voleurs, lesassassins et les filous volent point chez eux, y vont leur train, rien les arrte.Mme DESJ ARDINS. C'est leur droit, y z'en usent. Mme POCHET. Comme celui ma cousine que j' vous ni cont. Y vient l'aut' jour, dans sa chambre, il y dit, qui dit : Tiens, mame Petit, a vous fait deux pices ! Comment deux pices, qu'a rpond, c'est--dire une soupente, qu' j' m'ai faite, tmoin le papier rose qu' j' m'ai mis en arrivant, avec ma nice, quand elle a venue Paris. Deux pices ! sans compter que je l'enlverai, mon papier, quand je m'en irai, et sans vot' permission encore, qu'a dit. J 'y tiens dj point tant n' vot' maison ! j'ai pas fait d' bail vie, qu'a dit. C'est d'honneur vrai, la plupart, des parvenus ! Mme DESJ ARDINS. Pas le ntre.Mme POCHET. Tant qu'au ntre,j'ai toujours su le respecter. J ' dis point a pour lui.Mme DESJ ARDINS. Il est digne de l'tre. Comme celui vot' cousine, p'tt'ben que si vot' cousine savait 1' prend'... Mme POCHET. Pas moyen, elle a essay. Sa chamb' fume, comme si que c'tait heune vapeur dans sa chemine, y consommer ses yeux, sans compter 1' tuyau qui passe tout cont' son lit, et pour peu que 1' temps tourne l'humidit, va te promener, impossible de rester chez elle ; et pas eune donne, son logement ! cent cus, comme vous tes heune honnt' femme, pas a d' moins, pas a d' plus. Dites donc ?Mme DESJ ARDINS. Aprs ?Mme POCHET. Y avez-vous parl, ces jeunesses ?Mme DESJ ARDINS. J ' vas vous dire...Mme POCHET. Dites.Mme DESJ ARDINS. J e leur z'y ai parl, s'entend, sans leux z'y parler, c'est elles qui m'ont demand si c'est qui yavait pas de pompe dans la maison : J e crois pas, que je leux z'y au rponnu, c'est ici tous gens bien composs, y en a jamais vu d'aut's, y en aura jamais ; c'est point n'ici eune maison de blanchisseuses, pus souvent qu'on vous y tolrera vos loques accroches n'un cerceau vos fentres ! C'est pas le genre d' la maison. Si vous voulez d' l'eau, vous serez pas plus ne moins protges qu' les autres, deux sous la voie, tant qu' vous en voudrez. Mais c'est d'honneur vrai, a vous entre dans les maisons ne plus ne moins que dans heune curie.LES PRCDENTS, MADEMOISELLE REINEMlle REINE, un bougeoir la main. Bonsoir, mesdames, la compagie. (Elle souffle sa bougie.)Mme DESJ ARDINS. Tiens ! Pourquoi donc qu' vous teignez vot' lumire ? ah ben ! par exemple ! c'est moi qu'teignera la mienne. Vous la brlereriez dans vot' cuisine ; autant qu'ici, a nous claire.Mme POCHET. C'est juste. Et vot' bche, o qu'elle est?Mlle REINE. Madame est tmoin comme quoi que j'en ai remont tantt tois de la cave.Mme DESJ ARDINS. Nous n'en sommes pas l-dessus. Et monsieur, comment qui va ?Mlle REINE. J 'ai toute ma soire moi, mosieu dneen ville. Et ces dames ?Mme POCHET. Pas core venues.Mlle REINE. C'est vrai, j'y pensais pas. Sont-elles point alles voir le nouveau vicaire ?Mme POCHET. Vous l'a dit.Mme DESJ ARDINS. Me suis laiss dire que c'tait plusM. Poirot, c'est-y vrai ?Mme POCHET. Sans compter que c'est tant pis.Mme DESJ ARDINS. Y z'en changent, prsent, de vicaires, comme de chemises, sans comparaison. Ah ! nous n'attendons qu' ces dames, pour continuer ce livre d'hier au soir. Dites donc, la belle ?Mlle REINE. Plat-y !Mme DESJ ARDINS. C'est dommage que vous tiez pasau commencement. Mlle REINE. a fait rien, dites-moi seulement son nom, j' serai ben vite au courant. Mme DESJ ARDINS. Co-lina ou l'Enfant du Ministre. C'est parfaitement crit.Mme POCHET. Et intressant! en pleurer toutes leslarmes de son corps.LES PRECEDENTS, MADAME CHALAMELLE, LA LYONNAISE, MADEMOISELLE VERDETMme DESJ ARDINS. Vl ces dames, v'l ces dames ! Eh ben ! mesdames, entrez, entrez, le spectacle va commencer... attendez, j' vas un brin fermer la porte.UN EPICIER. Mon cousin est-il chez eux ?Mme DESJ ARDINS. Nous n'avons pas de ces gens-l ici. (L'picier se retire.) Dites donc, vous, l-bas ! o allez-vous donc comme a ?... vous n' pouvez pas dire o qu' vous allez ?UN INDIVIDU. M. Corot ?Mme DESJ ARDINS. C'est pas ici.L'INDIVIDU. O est-ce que c'est ?Mme DESJ ARDINS. J ' vous dis qu' c'est pas ici... Est-ce qu'on entre comme a 1' soir dans les maisons ?L'INDIVIDU. Bte que vous tes ! je n'entre pas, puisque je m'en vas.Mme DESJ ARDINS. Bte vous-mme, grand fdr.L'INDIVIDU. Bossue... bossue ! t'es force d'tre bossue.Mme DESJ ARDINS, les poings sur les hanches. Va-t'en donc... eh ! voleur !... (L'INDIVIDU se sauve.)Mme POCHET. Vous avez dit 1' mot, madame Desjardins ; il s'a ensauv ds qu'il s'a vu r'connu. (La porte cochre est ferme, Mme DESJARDINS rentre et ferme la loge.)LA LYONNAISE. Eh bien ! sommes-nous toutes cesdames ? Mme CHALAMELLE. Nous avons encore Mlle Verdet.Mlle VERDET, frappant au carreau. Bonsoir, mesdames.Mme CHALAMELLE. Tiens, comme dit c't' autre, sans comparaison : quand on parle du loup... nous parlions de vous.Mlle VERDET. Dites donc, madame Desjardins, c'est pas pour vous flatter, mais la maison, c'est une infection... Qu'il y a des horreurs partout dans les escaliers.MmePOCHET. C'est le gros caniche du tailleur du cintime, au fond du collidor. J 'l'ai joliment r'lev, ce brigand de tailleur, qui s' jetterait plutt par la croise que de saluer quelqu'un en passant, le sclrat. J e 1' dteste, ce vilain homme-l ; on n'ajamais vu des sortes de gens pareils. J ' suis donc mont chez eux ; rien d' fait deux heures ! Lui tait l, qu'avait l'air de travailler avec sa mine insolente ; madame tait les bras croiss, et la demoiselle la mme chose. J ' leur z'y ai dit que j'tais lasse, la fin, d'tre la domestique leur chien. Ils m'ont rpondu : Nous en sommes bien fchs, madame, voyez-vous, d'un air... Moi aussi, que j'ai rpondu schement. a les a terrasss ; ils n'ont plus rien dit, et je m' suis enalle. Mais, tenez, voyez-vous, j' sais ce que c'est prsent ; le mari est un mouchard ; la mre rien du tout, et lafille est enceinte. C'est la blanchisseuse qui me l'a dit. Enfin, est-ce qu'ils n'ont pas mang un melon l'autre jour qu'on n' pouvait pas en approcher! pas un brod... un cantalou... deux fois ma tte. J ' suis loin de m'opposer ce qu'ils en mangent, du melon ; qu'ils en crvent s'ils veulent, j' m'en moque pas mal encore ; mais qu'ils viennent exprs taler leurs pluchures sur le carr en face mon paillasson, j' dis qu' c'est une petitesse.Mlle REINE. Vous dites donc, mesdames, que le nouveau vicaire...Mme CHALAMELLE. Nous l'avons vu. Ah ! c'est pas l M. Poirot ; oh ! non. D'abord, la Lyonnaise peut vous l dire, il parle fort mal latin.LA LYONNAISE. Oh ! oui.Mme DESJ ARDINS. C'est cependant la langue de la religion franaise, c'est mme la langue naturelle l'homme en gnral ; car qui dit l'homme dit la femme. Tenez, sans aller plus loin, prenez deux enfants tout petits, mettez-les dans heune chambre, ils parleront latin ; on a vu a.LA LYONNAISE. Oh ! oui.Mme DESJ ARDINS. Mais moi qui n' suis qu'une femme, j' veux apprendre parler cosaque, ou cossais ; eh ben ! j'ai qu' m'y mettre ; car enfin, pour apprendre, enfin supposons que je le veux ; eh ben, je le fais, c'est un fait.LA LYONNAISE. Oh! oui. Mais ce que j' plains de ce temps n'ici, c'est les petits oiseaux.Mme DESJ ARDINS. Moi, ce que j' vous dis pour le cossais, j' vous 1' dis pour tout en gnral.LA LYONNAISE. Oh ! oui. Mais je donne aux petits oiseaux de ma croise ; mais j' peux pas donner tout Paris, et j'les plains.Mme DESJ ARDINS. Ah ! si nous nous entendons pas mieux... Vous m' parlez de vos oiseaux, laissez-moi tranquille, la Lyonnaise.Mlle REINE. Allons ! voyons donc, mesdames, n'allez-vous pas encore vous chamailler ? Qu'est-ce que vous avez donc, madame Pochet ? vous ne nous dites rien.Mme POCHET. Je souffre 1' martyre de l'estomac... rien ne me passe depuis quelque temps.Mme DESJ ARDINS. C'est comme Mme Bardy... Faudrait prendre du th, peut-tre.LA LYONNAISE. Oh ! oui, une belle chose que votre th ! laissez-nous donc, c'est une fameuse saloperie.Mme DESJ ARDINS. Qu'est-ce qui vous a fait ?LA LYONNAISE. Pas moi, dieu merci ! mais un de mes maris, qu'il a failli m'enlever. Qui donc celui-l, dj ? est-ce Prevoteau ? non, c'tait un blond... Brodais... j' crois, c'tait Brodais... non, non... Pilorel... enfin, n'importe. Il m'arrive un soir qui tombait de faiblesse. Eh ben ! quoi, que j'y dis, qu'est-ce que c'est ? J ' crois bien que c'tait Prevoteau prsent, n'importe... Enfin finalement j' vas voir le mdecin ; il n'avait pas cabriolet alors ; il tait fort honnte ; il m' dit : Votre mari est ivre-mort ! Ivre-mort ! Oui, donnez-lui du th. Qu'appelez-vous du th ? Plante potagre. Bon ! o qu' a s'achte ? Partout. J 'prends mon tabellier ; j' vas donc chez l'apothicaire, qui me renvoie chez l'picier... L'picier, je le vois encore ; il est mort, j' crois, depuis, et c't'picier-l, c'tait un Lhurel ; i m' dit : Pour combien ? Pour deux liards. On n'en fait pas ! Pour combien donc qu'on en fait, pour 3.000 francs ? Pas moins de vuit sous. J e tends mon tabellier. Non, donnez votre main. Il me met trois p'tites crottes noires dans le creux de la main, et voil pour mes vuit sous. J ' ne reviendrai pas tous les deux jours, que je me rappelle que j'lui dis, et je m'en en fus. Arrive chez nous, je cherche comme une pingle monhomme Brodais... ou Pilorel ; je n' sais plus. J ' vous parle pas d'hier ! et je le trouve derrire le pole, dans la chemine. J ' dis... Bon, et je mets sur le feu mon th, en le faisant, comme dit l'picier, fuser dans de l'eau. J e bats, je bats... je gote, c'tait fadasse, sans montant, sans rien ; j' dis : Cet homme qui trouve le lait son djeuner trop doux, qu'il y met de l'eau-de-vie, ne prendra jamais a : j'y mets un peu de vin, un peu de caf... du cornichon... de la moutarde... du veau... de lacompote... un peu de pain d'pice... des petits radis roses... du sel et du poivre ; je bats, je bats... de l'chalote ; je bats : a fait pure... je bats toujours et je lui fais prendre ; enfin il n'eut pas plutt tout pris que le voil qui... enfin... de tous les cts... Il fut malade trois mois ; vous sentez, cet homme, a lui avait sarg l'estomac... Belle ordure que votre th !Mme DESJ ARDINS. Il y a des personnes qu'a leur z'y russit. Ah ! v'l Mme Dutillois ! J ' m'en vas continuer la lecture d'hier, comme ayant l'haleine la plus forte. Nous en tions que Rosemonde tait reste abandonne avec sa petite... aprs avoir eu des reproches se faire. Attendez... ... Le dpart prcipit... C'est pas a, nous l'avons lu. ... Il tait mont sur son palefroi... Nous avons lu a, que la Lyonnaise a dit que c'tait un tabouret. ... Nadir allait chaque matin cueillir les fleurs pour orner le front de son pre... Nous avons lu a... Eh ben ! qu'est-ce que tu fais donc, Dodoffe ? tu touches encore la chandelle ; toujours tes mains dans le suif ! C'est joliment toi qui irais cueiller des fleurs pour orner le front de ton papa... Ah ! voil, voil ! ... Malheureuse mre, dit-elle, tu es l'assassin de ta propre enfant pour les sentiments que tu lui as... Vl un mot que je ne peux pas lire. I, n, in ; c, u, 1... LA LYONNAISE. a s'entend.Mme DESJ ARDINS. a n'a pas le sens commun, votre interprtation, la Lyonnaise. Que tu lui as...LA LYONNAISE. Finissez !Mme DESJ ARDINS, pelant. Q, u, , s, qus.LA LYONNAISE. Inculqus ! C'est un Espagnol. Nous n'avions pas encore vu celui-l.Mme DESJ ARDINS. N'y a pas plus d'Espagnol l-dedans que dessus la main ; c'est seulement un mot d'auteur.Mme CHALAMELLE. Ah ! vous rappelez-vous c't'auteur qui restait ici ? Moi, je l'aimais bien ; avec a que c'tait monsieur Singulier. Qu'est-ce qu'il est devenu ? (On frappe la porte.)UNE VOIX ENROUEE. Mlle Pauline ! Mme DESJ ARDINS. Pauline...qui ? LA VOIX ENROUEE. Pauline Fredais ; y est-elle ? Mme DESJ ARDINS. C'est-il unedes trois emmnages d'hier au soir ?LA VOIX ENROUEE, avec humeur. C'est Pauline, qu'on vous dit ; tes-vous sourde ?Mme DESJ ARDINS. Oui, monsieur, elle est chez eux. Vl un joli chantillon des gens qu'elles voient !... Dieu ! qu'il a l'air violent, c't'homme-l. (Lisant.) Malheureuse mre, dit-elle, tu es l'assassin de ta propre enfant, par les sentiments que tu lui as... (On frappe.)UNE VOIX CLAIRE. Mlle Pauline ?Mme DESJ ARDINS. Elle y est ; au quatrime, la porte gauche. Bon ! et de deux; v'l Longchamps qui commence.LA VOIX CLAIRE. J e sais o c'est.Mme DESJ ARDINS. Il sait o c'est ! c'est emmnag d'hier ! il y a donc couch ?Mlle REINE. Vous croyez ?... Quelle horreur !... Si Monsieur sait qu'il y a des cratures dans la maison, lui qui reoit M. 1' cur !Mme DESJ ARDINS. L'assassin de ta propre enfant par les sentiments que tu lui as... (On frappe.)LEFACTEUR. Trois sous.Mme DESJ ARDINS. Pour qui ?LEFACTEUR. Le second.Mme DESJ ARDINS. Dites donc, facteur, est-ce que vous vous figurez que je m'en vas me mettre comm' a dcouvert avec le second ? pas du tout. En v'l dj pour neuf sous, et on ne parle de rien... J e ne veux plus.LEFACTEUR. Laissez donc, v'l l'jour de l'an ; trois sous.Mme DESJ ARDINS. Vous avez raison. Voulez-vous, sans vous commander, m'passer la sibylle, au-dessus de votre tte, sur la tablette, ct du p'tit cadre, mame Pochet. Excusez, la Lyonnaise... Tenez, v'l trois jolis sous.LEFACTEUR. Qu'a le nez fait comme si blancs ; trois sous ?Mme DESJ ARDINS. Pas encore ! Tenez, v'l un joli sou de la libert, facteur.LEFACTEUR. C'est bon !MmeDESJ ARDINS. Vous fermerez le carreau... ; il s'enva. Maintenant ils sont grossiers comme du pain d'orge, dans les places. N'y avait qu' voir autrefois ! J 'avais un oncle de mon mari dans les curies du Roi, Versailles, palfermier ; fallait voir ces gens-l en socit... (Lisant.) Malheureuse mre, dit-elle, tu es l'assassin...LA VOIX CLAIRE, au carreau. Elle est joliment chez elle, Mlle Pauline !Mme DESJ ARDINS. C'est qu'elle sera sortie, ou elle est peut-tre occupe.LA VOIX CLAIRE. Qu'est-ce que vous dites d'occupe ?Mme DESJ ARDINS. Mais, monsieur...LA VOIX CLAIRE. J ' dis qu'on s taise... ; tirez-moi le cordon.Mme DESJ ARDINS. Vous fermerez votre porte... Comment ?... Qu'est-ce que vous dites ?... manant, grossier, sans ducation. J e n'oserais pas rpter devant un enfant ce qui vient de m' dire. Le propitaire le saura demain... Eh ben ! j' vas t'tre heureuse pendant trois mois. Eh ! mon Dieu ! J e n'ai plus de cur rien ! c'est vrai. Malheureuse mre, dit-elle... (On frappe.)LES PRECEDENTES, M. PRUDHOMMEM. PRUDHOMME. M. Dufournel ?Mme DESJ ARDINS. Oui, monsieur. Vous savez ous-ce que c'est ?M. PRUDHOMME. Depuis trente annes conscutives...Mme DESJ ARDINS. Ah ! c'est vrai, je ne vous r'mettais pas, monsieur.M. PRUDHOMME. J e vous demanderai lapermission d'allumer mon rat.Mme DESJ ARDINS. Oui, monsieur.M. PRUDHOMME. En vous remerciant mille fois. J e vais fermer le carreau ; mille pardons.Mme DESJ ARDINS. De rien. (On frappe.)DEUX VOIX DE FEMME. C'est nous !Mme DESJ ARDINS. Tiens ! l'Opra dj finite. Vl la dame du fond de la cour, au rez-de-chausse, avec sa demoiselle, qui rentre.Mlle VERDET. Et un cavalier, dites donc ! je ne connaissais pas celui-l.Mme DESJ ARDINS. J e n'ai rien vu, moi. C'est une dame trs gnreuse.Mlle VERDET. Il a pourtant la tte de plus que M. Bocquet.Mme DESJ ARDINS. Malheureuse mre, dit-elle, tu es l'assassin de ta propre enfant par les sentiments que tu lui as inculqus... inculqus... Emaille de fleurs, l bondissaient de toutes parts de jeunes agneaux blancs comme neige. a ne suit pas beaucoup. J ' crois ben, 104 et 297. Dis donc, Desjardin, qu'est-ce t'as donc fait des pages ? dis-le donc ; tu dors comme un sabot dans ta soupente ; t'as allum ta pipe avec... J ' te dis pas de tirer le cordon, imbcile. (Elle va fermer la porte.) Comment faire, prsent, pour y supplere ? je ne sais pus du tout o j'en suis. Vl la Lyonnaise qui commence sa nuit ; bonsoir, la Lyonnaise !LA LYONNAISE. Non, pas du tout : Emaille de fleurs...Mme DESJ ARDINS. J e le croyais, excusez. Voyons donc sous le coussin de mon fauteuil, quelquefois... Rien du tout. Malheureuse mre...M. PRUDHOMME, au carreau. J 'ai teint mon rat.Mme DESJ ARDINS. Dame ! monsieur, vous allez faire ce mange-ltoute la soire, si vous ne 1' mettez pas, pour traverser la cour, dans la coiffe votre chapeau.M. PRUDHOMME. J e crains de la compromettre... J e vais cependant aviser au moyen de ne pas vous dranger davantage ; mille pardons de vos peines, mille remercments.Mme DESJ ARDINS. Malheureuse mre, dit-elle, tu es l'assassin de ta propre enfant, par les sentiments que tu lui as inculqus... maille de fleurs...M. PRUDHOMME, au carreau. C'est encore moi : dame ! que voulez-vous ? tout finit par s'teindre, dans la nature !... Le rat, c'est l'image de la vie... nous subissons la loi commune... J e vais fermer le carreau.Mme DESJ ARDINS. Dieu ! que cet homme est bte avec tout son esprit ! je ne connais rien de si bte. (La porte est reste ouverte ; en allant la fermer Mme DESJARDINS aperoit venir de loin un des locataires, elle la referme promptement et rentre dans sa loge.) Dites donc, v'l ce Laserre. J 'vas l'laisser un peu dehors pour le r'mercier d' ses dernires trennes.LES PRECEDENTS, M. LASERRE, LE MAITRE DE MADEMOISELLE REINEMme POCHET. Comment, est-ce qu'il n'vous a rien donn l'an pass ?Mme DESJ ARDINS. La moiti d'un petit cu, comme vous tes heune honnte femme.Mlle REINE. Trente sous !... Oh ! l'avare !Mme POCHET. C'estunehorreur !... (On frappe.)Mme DESJ ARDINS. Pan ! Oui, cogne, va !Mlle REINE. Il a pourtant de quoi ?Mme DESJ ARDINS. J e crois ben ; un gabelou r'tir... (On frappe.)Mme POCHET. Pan ! Et qui est bien meubl... j'ai vu sa chambre.Mme DESJ ARDINS. Oui, oui, il a un mobilier assez consquent... (On frappe trois coups.)Mme POCHET, riant. Vl qui s'anime !Mme DESJ ARDINS. C'est son habitude. (On frappe coups redoubls.) Frappe, frappe ; oh ! a n' s'ra pas la dernire fois. (Le portier, rveill en sursaut, tire le cordon de la soupente.) Qu'est-ce qui te prie d'ouvrir, animal ?M.LASERRE ET LEMAITREDEMlle REINE, entrant en mme temps.M. LASERRE. Pourquoi tardez-vous autant, madame Desjardins ?Mme DESJ ARDINS. Les ordres de monsieur sont de ne plus ouvrir pass mnuit.M. LASERRE, tirant froidement ses montres. Il est minuit moins un quart mes deux montres comme votre horloge, et comme voil un quart d'heure que j'attends...Mme DESJ ARDINS. Il est mnuit pass... votre montre est une patraque.LEMAITREDEMlle REINE. La mienne marque galement minuit moins un quart, madame.Mme DESJ ARDINS, mielleusement. Ah ! c'est diffrent, la vtre va bien.LEMAITREDEMlle REINE. Quels sont donc ces nouveaux ordres ? Comment, les locataires ne peuvent plus rentrer pass minuit ?Mme DESJ ARDINS. Oh ! monsieur, ces ordres-l ne sont pas pour tout le monde.M. LASERRE. C'est--dire que c'est pour moi ; c'est poli.Mme DESJ ARDINS. Vous n' m'avez pas paye pour a.LEMAITREDEMlle REINE. Allons, allons, madame Desjardins, ne rpondez pas ainsi.Mme DESJ ARDINS, avec empressement. Ah ! mon Dieu ! vous avez bien raison... (Donnant la lumire Mlle REINE.) Monsieur, voici votre lumire ; on est fait pour vous attendre, et c'est avec plaisir.LEMAITREDEMlle REINE, montant l'escalier, Mme DESJARDINS . Mre Desjardins, on doit des gards tout le monde. (Il salue M. LASERRE.)M. LASERRE. Monsieur, j'ai l'honneur de vous prsenter mes respects.Mme DESJ ARDINS. T'nez donc, monsieur Laserre, voici trois cartes et deux lettres qui tranent ici depuis huit jours.M. LASERRE. Comment ? depuis huit jours !Mme DESJ ARDINS. Oui... fallait-il pas vous les monter ?M. LASERRE. Ce sont les nouvelles que j'attendais... Vous auriez d au moins me prvenir que vous aviez une lettre pour moi.Mme DESJ ARDINS. Ah ben ! par exemple !... fallait me d'mander s'il y avait quet' chose pour vous. (Elle ferme son carreau et souffle sa chandelle.)M. LASERRE, dans la plus profonde obscurit de l'escalier. Comme cette canaille est intresse. (Il se heurte.)Mme DESJ ARDINS, coutant. S'il pouvait se casser l'nez ! (On entend M. LASERRE tomber.) Dieu vous bnisse !Mme POCHET, se rveillant. N'y a pas d' quoi... voisine. Ah , passez-moi donc vot' chaufferette, que j' rallume ma lumire.Mme DESJ ARDINS. Eh ! attendez donc, que c' crasseux ne profite pas de la clart.UNE VOIX DE COCHER, en dehors. La porte... s'il vous plat !...Mme POCHET. Justement, v'l le premier qui rentre.Mme DESJ ARDINS, allant ouvrir la porte cochre. Azor, v'nez ici.LA VOIX DE COCHER. La porte, s'il vous plat !Mme DESJ ARDINS. Eh ! on y va. (La voiture passe ; elle ferme sa porte.) Madame rentre avec Monsieur ; miracle ! Il fait bien froid, ce soir. (Rentrant dans sa loge.) Nous aurons d' la neige, bien sr; mes cors me font souffrir qu' a n'est pas croyable !Mme POCHET. Ah ! mon Dieu ! et moi qui n'a pas rentr mes girofles !Mme DESJ ARDINS. Ah ben ! elles sont frites, allez. Prairie maille de fleurs... (AZOR, qui est sorti, gratte la porte.) Allons, en v'l d'une autre. Veux-tu venir ici, vacabond !Mme POCHET. T'nez, passez-le par le carreau, vous n'ouvrirez pas la porte.Mme DESJ ARDINS. Oui, mais passera-t-il ?Mme POCHET. Vous forcerez un peu. (Elle essaye de le faire passer par le carreau. AZOR pousse des hurlements affreux.)Mme DESJ ARDINS, forant. Veux-tu bien passer, entt !... Allez vous coucher tout d' suite. (On entend sonner le coucou.)Mme POCHET. Tiens, minuit !... (Les autres dames sont endormies.) Eh bien ! mademoiselle Verdet, la Lyonnaise, dites donc, vous v'l dj parties ?... Allons coucher, allons !TOUTES CES DAMES, se levant en billant. Oui, allons coucher.Mme POCHET. A d'main, madame Desjardins, demain, mesdames. Nous n'avons pas beaucoup lu aujourd'hui ; c'est dommage, c'tait bien intressant !FIN