gabriele basilico, la ville contemporaine mise en pièces

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Recherche théorique sur les travaux du photographe Gabriele Basilico

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Page 1: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces
Page 2: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

SOMMAIRE

NOTE EXPLICATIVE 3

OUVERTURE 4

PRÉSENTATION 9

GABRIELE BASILICO 13

L'OBSESSION DE LA VILLE 15

LA COMMANDE 21

DU TRAVAIL 26

DES PIÈCES PHOTOGRAPHIQUES 29

[ CADRAGE / CONSTRUCTION ] 32

1. POSTURES 34

1.1. Approche 34

1.2. Position 40

1.3. Interprétation 44

[ DÉCOUPER / FRAGMENTER ] 47

2. POUR UNE LENTEUR DU REGARD 50

2.1. Contempler 50

2.2. Vacance 53

2.3. temporalités 57

[ PARADOXE ] 61

3. MONOTONIES 64

3.1. Quantité 64

3.2. Neutralité 68

3.3. Sans qualités 73

[ (RE)COUDRE / TISSER ] 77

4. MISES EN PAGES 79

4.A. TYPOLOGIE 82

4.1. Compilations 83

a. Scattered City 83

b. Cityscapes 86

4.2. Projet 89

4.3. Sur une ville 93

FERMETURE 96

BIOGRAPHIE 99

LÉGENDES 107

BIBLIOGRAPHIE 108

2

Page 3: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

NOTE EXPLICATIVE

Notre travail étant centré sur le travail d'un photographe en particulier, nous avons choisi de construire un

essai plutôt thématique. Il y a toutefois un fl qui s'étire tout du long de notre écrit. C'est la notion de pièce, cette

notion clef nous semblant pouvoir donner les pistes de compréhensions des diverses parties, nous avons choisi de

l'expliquer en la divisant en quatre passages venant introduire chacune des parties. Il est vrai que l'aspect fnal

prends, ainsi, une étrange forme de collage, mais cette “tactique“ nous semblait à même de répondre au travail de

Gabriele Basilico.

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OUVERTURE

Source : Christian Schubarth, « Qui et quoi est diffus, dans la ville diffuse ? Nommer l'étalement urbain contemporain », in, GEA, n°22,

Aprile 2007, ( http://www.gea-ticino.ch/)

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L'espace urbain fait problème. C'est là du moins un constat qui cours dans bon nombres d'écrits

d'urbanistes, d'architectes, de sociologues ou même de géographes. Qu'il s'agisse de pointer les défauts de

l'étalement urbain face à la catastrophe environnementale imminente, ou de s'offusquer de l'homogénéité de ses

formes sans qualités ; la même idée pessimiste persiste. La ville “va“ mal et cela ne va pas vraiment en

s'arrangeant. Voire même, la ville est morte pour laisser place au règne de l'urbain1. Dans ce contexte de crise, nos

anciennes catégories de ville et campagne bien compartimentées et si rassurantes, n'ont plus leur place, frappées

de caducité. Et ce rapport dialectique qui nous semblait si évident laisse place désormais à une multitude de

concepts, cherchant chacun à sa manière de donner une “idée“ de la ville contemporaine. La tentative étant de

rendre la complexité urbaine plus compréhensible, plus lisible.

Ce regroupement de mots clefs2 qui compile environ 50 expressions, et que nous présentons au dessus n'a

rien d'exhaustif mais il donne tout de même une bonne idée du travail lexical auquel s'acharne les penseurs de la

ville contemporaine. Or nous pouvons douter de la signifcation de ces néologismes jouant sur l'impact énonciatif,

et derrière lesquels semblent pointer le syndrome du non-lieu3. Il ne s'agit pas, pour autant, de remettre en question

la pertinence des analyses des auteurs de ces notions, qui ont évidemment beaucoup à nous dire et à nous

apprendre. Mais ces trouvailles langagières tendent peut-être plus au brouillage qu'à l'éclaircissement.

En fait à travers cette pratique du jeu de mot, se joue la nécessité de donner une image symbolique de la

1 Françoise Choay, « Le règne de l'urbain et la mort de la ville », in, La ville, art et architecture en Europe 1870-1993, Paris, Centre Pompidou, 1994, pp. 26-35.

2 Cette forme de mise en évidence de termes est très utilisé sur l'Internet et notamment sur les blogs. C'est un moyen de signaler une utilisation ou une popularité plus grande suivant la taille de la police.

3 Christian Schubarth, « Qui et quoi est diffus, dans la ville diffuse ? Nommer l'étalement urbain contemporain », op. cit.

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ville contemporaine, d'en permettre une représentation. Or c'est bien justement ce qui nous intéresse ici : la

représentation de la ville contemporaine, sa représentation non par des formulations langagières mais plutôt par

l'image photographique.

La photographie entretient depuis ses origines une relation particulière avec la ville. Non seulement parce

que la naissance de ce médium a vu la naissance de la ville industrielle et réciproquement4. Mais aussi parce que

dès lors, la photographie a toujours été ce témoin particulier, cet observateur assidu, attentif et compréhensif qui

sût le mieux lui renvoyer son image au cours de son histoire. La photographie n'est évidemment pas la seule

technique de représentation de l'espace urbain, toutefois, il nous semble que la ville a toujours cultivé une

“préférence“ pour la photographie et réciproquement. Comme si elles étaient habitées par la même “mentalité“ 5.

Pour notre étude, ce qui nous intéresse plus particulièrement, c'est la manière dont la photographie observe

la ville contemporaine. La manière dont elle en donne une image. Et dans la lignée directe des penseurs de

“l'immonde“ urbain, cherchant à donner des concepts parlant face à la perte évidente des repères, la photographie

s'applique à constater les drames et dégâts des mutations urbaines. Une constatation qui se veut souvent ou

plutôt qui se cherche critique, mais qui peut-être se perd trop souvent dans un regard certes éclairé mais trop

halluciné6. Mais comme la réfexion théorique de la ville contemporaine, la photographie se caractérise par une

multitudes de points de vues, de démarches et de discours ; apportant, chacun à sa manière, un bout de

4 Et en réduisant la photographie à son principe de base, le sténopé, elle a aussi vu naitre la ville de la Renaissance. Voir, Hélène Saule-Sorbé, « La photographie à l'épreuve de la ville », in, P. Baudry & T. Paquot (dir.), L'urbain et ses imaginaires,Pessac, MSHA, 2003, pp. 89-103.

5 Guy Bellavance, « Mentalité urbaine, mentalité photographique », in, La recherche photographique, n°17, « Autopsies de la ville », Paris, Paris Audiovisuel, 1994.

6 Quel serait par exemple la dimension critique d'un Andreas Gursky regardant de tout-en-haut les spectacles de notre “hyper-monde“ ?

6

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compréhension.

Dans cette polyphonie des approches photographiques de l'urbain, nous avons choisi de ne traiter que la

pratique de Gabriele Basilico. Et malgré le fait que ce choix puisse sembler restrictif quant à une question aussi

vaste et aussi complexe que celle de l'espace urbain contemporain, nous pensons que sa pratique, sans être une

fn en soi, nous donne des pistes de réfexion tout à fait singulières. En fait il nous semble que, vouloir dire de

manière exhaustive toutes les façons de représenter photographiquement l'espace urbain n'est pas tenable d'un

point de vue théorique comme il serait diffcilement tenable de vouloir penser l'espace dans sa totalité. Aussi,

choisir une pratique en particulier peut paraître certes modeste, cela n'en est pas moins véritablement utile. En

effet, Gabriele Basilico, peut être plus que n'importe quel photographe a fait de la représentation de la ville

contemporaine son leitmotiv. Et cette obsession qui court de la fn des années 70 jusqu'à nos jours, font du travail

de Basilico un témoignage particulier de l'état de nos espaces urbains européens contemporains. Comme nous

nous proposons de le mettre en évidence, cela ne va pas sans un ensemble de postures et de choix

épistémologiques. Des choix qui peuvent aussi amener leur ensemble de paradoxes quant à la complexité du sujet

urbain. Mais fnalement c'est dans le but de construire un récit, qui, sans penser tout dire, nous donne une piste

discursive valable sur la réalité.

Ainsi le travail acharné et interminable de Gabriele Basilico vient-il s'imposer à nous comme paradigmatique

des questionnements actuels sur la représentation de la ville contemporaine.

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PRÉSENTATION

« ON SOME PARADOXES IN THE RELATIONSHIP BETWEEN PHOTOGRAPHY AND THE CONTEMPORARY

CITY »7

Confrontée à la ville, la photographie contemporaine semble perdre sa capacité d'expression. Même dans le

meilleur des cas, quand la condition urbaine émerge réellement, il n'y a plus ni écoles, ni poétiques, ni traditions ou

idiosyncrasie mais simplement « infexions d'un simple regard fxe ». En fait, quand est prise comme thème la

condition urbaine, les “genres“ disparaissent et nous laissent face à une série de photographies qui ressemblent

aux étapes d'un mouvement simple. Et pourtant, c'est dans cette “neutralité“, que se laisse le mieux voir la

condition urbaine contemporaine. « Juste comme les mots, qui une fois dits se convertissent en discours, et

comme les ouvrage architecturaux , qui une fois construits forment une ville, la somme variée d'images de la

condition urbaine offre parfois une valeur ajoutée qui annule leur individualité, redéfnit leur identité et perturbe leurs

affnités initiales. C'est hors de cette alchimie des auteurs, vues et style que la ville contemporaine jaillit parfois

mystérieusement — sous la forme d'une image ».

Un second paradoxe — qui serait en fait la cause du premier — pointe le fait que chaque fois qu'une

tentative de construction d'une représentation commune de l'espace de la ville contemporaine est entreprise, celle-

7 Stefano Boeri, « On Some Paradoxes in the Relationship between Photography and the Contemporary City », in, Instant City : fotografia e metropoli, Baldini & Castoldi, Milan, 2001, pp. 31-32.. Les traductions sont de nous. Toutes les citations sont tirées du texte.

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ci devient, par la force des circonstances le montage d'un éventail de différents points de vues. « Le caractère non-

synthétique de la ville contemporaine nous oblige à tracer simultanément une multiplicité de sujets et de points de

vue, sans aucune possibilité de tous les mettre en place dans un méta-discours commun ». Et cela autant que de

rendre la tâche diffcile au critique, force les photographes à un diffcile acte d'équilibriste : entre l'économie du style

et l'éclectisme de la méthode. Mais en fait, cette « polyphonie » des points de vues dans le même discours, est ce

qui se rapproche le plus du sens de l'espace urbain contemporain : « une approximation sensorielle qui incorpore

— et en même temps annule paradoxalement — la spécifcité et le “genre“ de l'exercice individuel d'interprétation

photographique ».

Un troisième paradoxe qui se situe dans la futilité ou plutôt, dans l'effet de masque que produit de nos jours

une grande partie de la photographie dite de paysage. En effet, cette pratique continue inlassablement de porter un

projet patient et absurde de redéfnition du territoire, croyant avoir encore quelque chose à y découvrir, à explorer.

Une pratique qui « documente et catalogue des lieux, des espaces et des paysages qui sont nécessairement

“nouveaux“, de préférence “hybrides“ et normalement suburbain, dans la croyance que ceci lui permettra de

reconnaître et de révéler la condition urbaine contemporaine ». Mais cette condition, cette ville contemporaine n'est

plus à découvrir, elle est déjà avec nous, elle nous enveloppe. Nous y vivons et la construisons chaque jour à

travers le mouvement de nos corps et l'image mentale que nous y projetons. « Nous n'avons pas besoin de projets

de classifcation ou de grands gestes de refondation pour pouvoir la regarder, mais de petites variations dans l'axe

de notre vision, des vibrations qui érafent la patine des mots et des fgures qui ont été cimentés dans le sens

commun et qui continue de nous cacher l'évidence de nouvelles façons d'habiter l'espace ». Et pour la voir, il ne

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s'agit pas de faire preuve de virtuosité dans la prise de vue, « Plutôt que d'une pensée révolutionnaire, ce dont

nous avons besoin c'est une pensée transversale, fondée sur un nombre précis de règles qui détermine notre

manière de regarder »8.

Enfn, le dernier paradoxe qui en fait prend plus l'aspect d'un programme, met en évidence plusieurs enjeux

pour la photographie contemporaine dans sa manière de traiter le rapport qu'entretiennent l'homme et l'espace

urbain. En effet, « la nouvelle dimension urbaine du monde occidental révèle la dislocation progressive des relations

entre les personnes et l'espace ». Et dans ce contexte où triomphe la « multitude »9 de corps individuels capables

de modifer l'espace physique et d'y projeter leurs trajectoires de la vie de tous les jours ; mais aussi où

s'établissent de nouvelles règles dans les relations personnes-espace qui se créent indépendamment de leur auto-

organisation ; et aussi où émerge une géographie modelée par de grands bouleversements polysismiques et

moléculaires10. Dans ce contexte donc, la photographie n'a pas besoin de faire de grands voyages, n'y même de

réaliser de courageuses “enquêtes“ mais plus simplement d'observer avec attention et de mettre en lumière les

traces de pratiques et de comportement qui modifent l'espace urbain. Elle doit saisir dans leur réalité

contemporaine, les changements qui prennent place dans l'espace où nous vivons, et en déchiffrer les éléments

représentatifs. Et « c'est sur les thèmes du regard, du rapport entre l'individu et le monde, du corps dans l'espace

8 Stefano Boeri se réfère ici à un autre de ses textes : « Eclectic Atlases », in Daidalos, 69/70, Berlin 1999, dont une version plus courte avait été publiée in, Documents 3, Documenta X Magazine, Kassel, 1997. Nous reviendrons sur cette notion de « atlas éclectique » dans la partie que nous réservons à l'étude du livre Italy, Cross Section of a Country, Zurich, Scalo, 1998.

9 Notion chère à Toni Negri & Michael Hardt, Empire, Paris, Exils, 2000.10 Voir sur ces différents points, Stefano Boeri, « Notes pour un programme de recherche », & « Uncertain States of Europe » (coll.), in Mutations,

Barcelone, Actar, 2001.

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urbain, de l'auteur et son rapport a la prise de vue, plutôt que sur ceux de l'énumération exhaustive et

impersonnelle des espaces, que la capacité heuristique de la photographie contemporaine dépend aujourd'hui ».

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GABRIELE BASILICO

Dans le contexte de ces relations paradoxales qu'entretiennent la photographie et la ville contemporaine,

mis en évidence par Stefano Boeri, nous allons nous intéresser à une pratique en particulier, celle de Gabriele

Basilico. Cela peut sembler incohérent, surtout après avoir mis en évidence le fait que lorsqu'il s'agit de représenter

et de parler de la ville, la polyphonie des regards et des propositions est de rigueur. Et pourtant, nous pouvons

clairement justifer cette position. En effet, Gabriele Basilico, s'est toujours donné comme thème de recherches,

sans jamais inféchir, la représentation des espaces urbain actuels. Et c'est de fait de manière paradigmatique que

ses images nous confrontent aux paradoxes présenté par Stefano Boeri. Comme nous le verrons, en poussant

ceux-ci jusqu'à leur paroxysme, Basilico en révèle d'autres, plus spécifque à son traitement de la ville

contemporaine.

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L'OBSESSION DE LA VILLE

Gabriele Basilico, photographe milanais né en 1944, découvre la photographie au cours de ses études

d'architecture à l'Institut Polytechnique de Milan. Et c'est après l'obtention de son diplôme en 1973 — dans le

contexte de crise de la fn des années 60 et le début des années 70 — qu'il décide de se consacrer uniquement à

la pratique photographique. Une pratique qui très vite se spécialise dans l'observation attentive et la représentation

de l'espace urbain qui l'entoure. Le premier projet qui le fait connaître et qui pose les bases des recherches qui

suivront, Milano, ritratti di fabbriche11, se présente comme une étude photographique des espaces industriels de

Milan, pour une grande partie en friche. Des espaces qui sont fortement représentatifs de cette ville. En effet

pendant longtemps, Milan, capitale économique de l'Italie, a tenu son importance grâce à sa forte activité

industrielle, or, dans le contexte post-industriel des nos sociétés occidentales, ces bâtiments deviennent les signes

d'une mutation urbaine à venir et d'un chamboulement social en cours12. Ce projet n'est pas sans rappeler la vaste

œuvre de catalogage typologique des éléments de bâtiments industriels de Bernd et Hilla Becher au début des

années 70. L'infuence en est d'ailleurs revendiquée. Toutefois ce travail n'est en rien une réitération de celui des

Becher, car il n'y a, dans les images de Basilico, ni “systématisme“ protocolaire contraignant13, ni mise à plat des

11 Projet débuté en 1978 et qui se termine par la présentation au Padiglione d'Arte Contemporanea de Milan en 1983. Un catalogue sera publié pour l'occasion aux éditions Sugarco, Milan, 1983.

12 Sur la notion et l'explication sociologique des sociétés post-industrielles voir notamment les recherches d'Alain Touraine, La Société post-industrielle. Naissance d'une société, Denoël, Paris, 1969.

13 Sur le travail de Bernd et Hilla Becher, de nombreuses références et catalogues étudient en profondeur leur protocole de prise de vue, mais aussi l'importance qu'une telle démarche a pu tenir dans l'histoire de la photographie et surtout dans sa légitimation, voir sur ce dernier point, entre autre : Dominique Baqué,La photographie plasticienne, un art paradoxal, éditions du Regard, Paris,1998.

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architectures industrielles14. Au contraire, la série est faite d'une diversité de cadrage et d'une certaine qualité de

lumière15. Dès lors, donc, avec ce projet sur les banlieues industrielles de Milan, Basilico décide de poser son

regard scrutateur sur les espaces où les enjeux de l'urbanité contemporaine ont cours. Des espaces que nous

appellerions communément “périphéries“, “banlieues“, ou encore “zones industrielles“, des espaces qui sont les

espaces représentatifs de la ville contemporaine, celle que nous habitons et traversons aujourd'hui et dont nous

avons tant de diffculté, comme pratiquant, à en donner les caractéristiques. Celle, que beaucoup tentent de défnir

dans des dénominations-concept. Et le regard minutieux de Gabriele Basilico, ne s'est jamais défait de cette

thématique urbaine. Car même lorsqu'il photographie les paysages du nord de la France pour la mission de la

DATAR16 (Bord de mer, 1992)17, ce ne sont pas des paysages dit “naturels“ qu'il représente, mais, par exemple, la

démesure d'un ferry dans un étroit port ; ou encore la réalité d'une cité balnéaire hors saison qui semble comme

désertée, en état d'hibernation. Il en va de même lorsqu'il photographie Beyrouth dévastée après les

bombardements (Beyrouth, 1991) : pas d'emphase tragique dans ses images qui pourraient facilement glisser vers

une vision nostalgique de la ruine, mais bien plus une réalité tout autant urbaine, une présence morphologique des

bâtiments toujours en place, une ville quand bien même et ce malgré son pitoyable état. Également lorsqu'il

14 Sur l'idée de “platitudes“, voir, Eric de Chassey, Platitudes, une histoire de la photographie plate, Paris, Gallimard, 2006, et notamment le chapitre dédié à l'étude des photographies de B. & H. Becher « Sculptures », pp.127-162.

15 Pour la qualité de lumière lire la description quasi lyrique qu'il en donne dans ses « Notes biographiques », in Italia & France,Vedute 1978-1985, Milan, Jaca Book, 1986. « En cette journée de printemps de 1978, la lumière m'a révélé une réalité invisible (…). Il y avait des vibrations subtiles dans l'atmosphère, et on percevait le son silencieux du vide, enveloppé par le parfum de l'air pur poussé par un vent tiède, mais hardi. »

16 Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Régionale.17 Le livre regroupant ses recherches est publié en 1992 (Art&, Udine), mais les images ont été réalisées entre 1984 et 1988 dans le cadre de la

mission (se reporter à la biographie)

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représente les grands ports européens (Porti di mare, 1990), c'est bien plus l'activité industrielle qui est mise en

évidence qu'un rapport nostalgique à l'inconnu que pouvait représenter l'étendue sans fn de la mer dans

d'anciennes représentations18. L'urbain est partout, il est « sans lieu ni borne » pour reprendre Melvin Webber19, et

c'est bien ce que les photographies de Basilico mettent en évidence. Plus que n'importe quel autre photographe il

a fait de la ville « la “chose humaine“ par excellence »20, son thème de prédilection, voir plus encore, sa spécialité.

Parce que c'est comme photographe-architecte — à moins qu'il soit plus juste de dire architecte-photographe —

qu'il observe l'espace. Non seulement parce qu'il est diplômé en architecture, mais aussi parce que c'est avant

tout à une analyse de l'espace qu'il travail, comme un architecte étudierait le contexte de son futur bâtiment. Avant

même de faire une photographie, Basilico observe avec une attention particulière la zone qu'il s'est impartie de

documenter21. Nous pourrions dire que, d'une certaine manière, la photographie n'est pour lui qu'un prétexte pour

étudier l'espace comme un architecte, et créer, au travers la photographie, une image lisible, un document utile.

« Mais la chose la plus intéressante pour moi chez Gabriele Basilico, c'est sa façon de travailler. Comme moi, plus

que moi, il est obsédé par son travail, et c'est une obsession fertile ; Gabriele Basilico est un être totalement

obsédé, et cela me semble fantastique »22. Comme le dit Boeri, le caractère obsessionnel de sa pratique est

18 Comme le met en évidence le projet Solid Sea du laboratoire d'architecture Multiplicity (www.multiplicity.it), présenté entre autre à l'occasion de la Documenta XI de Kassel (2002) ; la mer méditerranée n'est plus du tout un espace inquiétant et mystérieux (tel qu'elle avait pu l'être dans l'antiquité) mais bel et bien un espace solide fait d'autoroutes de marchandises, de routes clandestines d'immigrants, et de frontière infranchissables ; tel une vaste « ville franchisée » (David Mangin, 2004)

19 Melvin M. Webber, L'Urbain, sans lieu ni borne, 1974, trad. fr., Françoise Choay, Édtitions de l'Aube, Paris, 1996.20 Aldo Rossi, L'Architecture de la ville, trad. fr., Livre et communication, Paris, 1990 (réed.), p. 2521 En fait il serait plus juste de dire “qui lui a été impartie de documenter“. Nous expliquons cela dans la partie suivante qui traite de son rapport à

la commande.22 Stefano Boeri, in « Une ville “quand bien même“, conversation téléphonique entre Hans Ulrich Obrist, Stefano Boeri et Gabriele Basilico », in,

17

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déterminant parce que c'est ainsi d'abord, toujours et encore la ville dans son acceptation générale qui est le sujet

de ses images. La ville comme thème intarissable, inépuisable23. Et c'est bien là le projet interminable de Gabriele

Basilico, son obsession : donner une image de la ville, des villes, qu'il observe avec une attentive curiosité. Une

obsession que nous pourrions dire “sisyphéenne“ au regard de l'ampleur de son thème de recherche... mais

n'exagérons pas tout de même puisqu'il n'y a rien d'absurde dans sa démarche, tout au contraire. Et puis, il ne

s'agit pas non plus pour lui de donner une image exhaustive des villes qu'il pratique — ce qui serait évidemment

impossible. A l'inverse, c'est avec une obsession toute pleine de subjectivité et de singularité qu'il donne à voir la

ville contemporaine. « Cette pratique répétitive adoptée pour photographier des villes européennes pendant près

de vingt ans a transformé mon travail en une sorte de mission dont le devoir n'est certes pas de diffuser un verbe,

mais plus simplement de retrouver, à travers l'exercice du regard, le sens des lieux, une cohérence perdue ou plus

simplement une harmonie »24. Mais dire qu'il photographie la ville de manière générale est un manque de précision.

Car la ville, ou plutôt l'espace urbain dont il est toujours question dans ses images c'est l'espace urbain européen

“étendu“ ; l'espace urbain européen dans une acceptation plus large : qui est ouvert à des villes comme Beyrouth

ou Istanbul. Et même s'il est vrai que ses travaux les plus récents se sont ouverts – notamment sur Buenos Aires

(2000), Moscou (2007) et la Silicon Valley (2008) –, ce n'est pas tant leurs aspects exotiques ou pittoresques qui

l'intéressent mais plutôt leur “commune mesure“. Et il est bien diffcile, outre les informations données par les

Berlin, Actes Sud, Arles, 2002.23 Même pour Georges Perec, qui dans son livre, Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, Christian Bourgeois, Paris, 1983 (réed.) ,révèle avec

humour l'impossibilité d'un épuisement d'une ville ; c'est le corps de l'observateur qui s'épuise avant le lieu.24 Gabriele Basilico in, « Une ville “quand bien même“, conversation téléphonique entre Hans Ulrich Obrist, Stefano Boeri et Gabriele Basilico »,

in Berlin, Actes Sud, Arles, 2002.

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signes “discrets“ de la ville (plaque minéralogique, panneau directionnels, publicités...), de repérer, dans les images

de ces “nouveaux“ espace urbains, des différences fagrantes avec ses images européennes. C'est toujours à

travers le prisme de la ville européenne qu'il photographie ces villes. Il n'y a donc pas à chercher dans ces séries

les signes d'une mutation de sa pratique photographique, mais plutôt à les considérer de manière conjoncturel :

comme étant le fruit d'une commande.

19

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SUR LA COMMANDE

Gabriele Basilico n'aime pas voyager. Cela peut paraître étrange pour un photographe qui a observé et

représenté tant de villes à travers l'Europe ; pour un photographe qui a fait des villes son obsession et de leur

représentation sa “mission“. Et pourtant nous pouvons dire que voyager n'est pas son projet. Il n'est pas un

photographe-explorateur qui part à la découverte de “nouveaux mondes“, ni un photographe épris d'un besoin

d'évasion par la route. Il ne part pas chercher l'altérité des villes mais bien plus leurs qualités communes. Et la

façon de voyager qui le caractérise peut s'expliquer notamment par son rapport à la commande privée et

institutionnelle. En effet, au regard de ses différents projet photographiques, il est important de mettre en évidence

le fait que très souvent, c'est, chargé par une institution, qu'il étudie les villes ou zones urbaines en question. Les

paysages du nord de la France ; la ville de Beyrouth après le passage de la guerre ; Milan sa ville natale ; la ville de

Lérida en Espagne ; Nice aussi ; six coupes dans l'Italie urbaine ; Fos-sur-Mer bordant l'étang de Berre près de

Marseille ; les deux capitales portugaises que sont Porto et Lisbonne ; Palerme ; Berlin ; Valence la catalane ; les

monuments antiques de Provence, Saint Jacques de Compostelle, etc. Bien que ces commandes n'aie pas toutes

été exemplaires quand au rapport entre le commanditaire et le photographe, toutes ont été bonne « pour stimuler

son capteur et pour compléter sa carte au 1/1eme de l'espace urbain européen »25. Toutefois, l'une de ces

commandes a tenue une place centrale, aussi bien pour lui — qui y a participé — que pour bon nombre de

photographes — y ayant ou non participé. Lorsque en 1983, la Délégation à l'Aménagement du Territoire et à

25 Stefano Boeri, in, « Une ville “quand bien même“... », op. cit.

21

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l'Action Régionale, lance le projet d'une mission qui aurait pour but de « créer de nouvelles représentations du

territoire pour saisir un moment singulier de son évolution »26, se soulèvent de nombreux problèmes aussi bien

esthétiques, pratiques, que institutionnels27. En effet, pour faire une métaphore qui irait assez bien avec les

thématiques développées par une grande partie des vingt-huit photographes ayant participé à la mission, la DATAR

est arrivée sur un terrain vague, et a dû tracer des voies. Aussi, bien qu'il soit possible de se positionner de manière

critique face au bilan de la mission de la DATAR28, nous ne pouvons lui enlever son originalité. Et malgré son relatif

échec quant à sa “mission“ de traduire visuellement l'aménagement du territoire — puisque le territoire, sous l'œil

subversif des photographes, n'est fait que de décrépitudes, de « dé-paysage »29— son succès esthétique, n'est

pas à mettre en doute. Et il n'est pas exagéré de soutenir le fait que cette mission a fait école, puisque à partir

d'elle et surtout avec elle reviens la tradition du paysage augmentée de l'urbain, mais aussi parce qu'elle inspira

beaucoup d'autres commandes publiques. Toutefois, ne nous égarons pas dans un discours critique sur les tenant

et aboutissant de la mission photographique de la DATAR. Car ce qui nous intéresse de pointer ici, c'est le rapport

26 François Hers et Bernard Latarjet, « L'expérience du paysage », in, Mission photographique de la DATAR, Paysages photographies en France les années 80, Paris, Hazan, 1989.

27 Ces problèmes sont mis en évidence par les deux “patrons“ de la commande, François Hers et Bernard Latarjet, Ibid. 28 C'est notamment la point de vue actuel de Jean-François Chevrier tel que le cite Vincent Guigueno : « La Mission photographique de la Datar a

été une conjonction entre une conception planificatrice et globalisante du territoire national, d'une part, et une surévaluation de la libre créativité du photographe-auteur, d'autre part, avec toutes les dérives formalistes qui s'ensuivent inévitablement », in, « La France vue du sol, une histoire de la Mission photographique de la DATAR (1983-1989) », in, Études photographiques, n°18, Paris, Société Française de Photographie, 2006, pp. 96-119 (disponible en ligne sur : http://etudesphotographiques.revues.org/index1432.html).

29 « Ce bilan des années 1980 est symptomatique : peu de paysages ruraux, ou naturels, mais en revanche, une prédilection insistante pour la décrépitude : décharges, gravats, terrains vagues, banlieues ouvrières, cités sinistrées, usines désaffectées, etc. (…) Paysage du dé, de la déception, de la déjection. Faut-il imputer aux résponsables de l'ouvrage une volonté délibérée de dé-payser, de dé-paysager, au sens violent brutalement défectif, du préfixe ? » Alain Roger, Court traité du paysage, cité in, Vincent Guigueno, op. cit.

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ambiguë qui s'est instauré avec cette mission entre le photographe et le commanditaire, un rapport dans un

équilibre paradoxal : entre la libre créativité de l'auteur et l'effcacité exigée d'un discours politique. Et ce rapport qui

oscille à la limite du politique et du démagogique, a offert un cadre, et a “construit“ un espace de travail pour le

photographe. Et bien que nous pourrions discuter longtemps du rapport tripartie entre l'institution culturel, le

pouvoir politique — sont-elles même différentiables ? — et l'auteur “invité“, ce qui fait aussi de la mission de la

DATAR une référence par excellence, c'est qu'elle a su poser les bases d'une posture quasi schizophrénique de

l'institution, laissant une certaine liberté de création à l'auteur. Cette posture a fait beaucoup de “petits“ en Europe,

pas forcément tous réussi, évidemment. Revenons en à Gabriele Basilico et à son rapport à la commande. En fait,

en comparaison avec celle de la DATAR, les commandes auxquelles il a participé par la suite, n'ont pas eu la même

prétention. D'ailleurs, se sont moins des institutions sous la tutelle directe d'une administration30, que des

institutions culturelles tel que des centres d'art ou des fondations qui ont été commanditaire de ses travaux. Des

institutions sachant donc clairement à quoi s'attendre en invitant Basilico. Et ce cadre particulier de “l'invitation à

photographier“ est à l'origine d'une posture face à l'espace, d'une manière de faire qui s'éloigne clairement d'un

égotisme photographique tel qu'a pu le pratiquer Raymond Depardon, qui a fait de ses voyages et de ses

observations photographiques un moyen de retranscrire un “je“ dans le monde et dans un « temps faible »31. En

30 Sur le rapport entre la mission de la DATAR et le ministère de la culture, on peut souligner à juste titre sa claire autonomie comme le mettent en évidence Vincent Guigueno (op. cit.) et Raphaële Bertho (thèse en cours, Paysages sur commande, Les missions photographiques en Europe dans les deux dernières déciennies du XXeme siècle, voir aussi son article « Analyse institutionnelle de la Mission photographique de la DATAR », sur : http://arip-photo.org/Home/images/journeeetudescritique/bertho.pdf) ; toutefois, la mission n'en était pas moins sous la tutelle d'une autre administration, le ministère de l'Aménagement et du Territoire.

31 Raymond Depardon, « Pour une photographie des temps faible », in, La Recherche photographique, n°15, automne 1993, pp. 80-84, cité dans, Michel Poivert, La Photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2002, pp. 59-64.

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fait, le cadre qu'offre l'invitation, lui permet de venir en travailleur, en observateur-spécialiste de l'espace urbain et

non comme “touriste“... « “Es-tu de ceux qui regardent ou de ceux qui mettent la main à la pâte ?“ ( Friedrich

Nietzsche). A cette question, G.B. répond affrmativement dans le sens d'exhiber des mains à la pâte, et pourquoi

pas, encore chaudes du travail accompli, propédeutique à la mise en œuvre des fgures de ces machines de la

représentation qui fondent la présence de l'art. »32

32 Achille Bonito Oliva, « L'Opus de Gabriele Basilico, Entre catastrophe et sagesse systémique », in, Gabriele Basilico, Carnet de travail 1969-2006, Arles, Actes Sud, 2006, p.108.

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DU TRAVAIL

Au regard de la place que prends la commande dans sa pratique photographique et qui lui permets de

passer d'une ville à l'autre, d'une zone urbaine à l'autre, il est intéressant de s'interroger sur son rapport à la notion

de travail. En effet, tout en transitant par les réseaux de l'art contemporain — en exposant dans de grands centres

d'art, ou en répondant à leur demande de documentation d'une ville —, Gabriele Basilico semble se détacher d'un

certain “milieu artistique“, qui, sous couvert d'une révision du modernisme, tente, avec de grand gestes

esthétiques, de légitimer une pratique photographique déjà plus que clairement légitimée33. Quoiqu'il en soit, et

sans nous lancer ici dans une histoire de la photographie contemporaine, il y a quelque chose de “laborieux“ dans

la pratique photographique de Basilico. Non pas dans le sens où cela lui a coûté beaucoup d'efforts, ou beaucoup

de peines ; ni dans le sens des éventuelles diffcultés rencontrées pour réaliser ses images. Mais plutôt dans le

sens d'une assiduité et d'une grande quantité de travail. Et cette quantité de travail est visible non seulement dans

la quantité d'images réalisées mais aussi dans ses longs repérages des sites. « Quand je suis allée le trouver dans

son appartement berlinois, des guides touristiques et des ouvrages remplis de photos s'empilaient sur les fauteuils

et les tables. Les murs étaient tapissés de cartes de la ville. On approchait de “l'objet“ photographique à travers

l'étude de ces “instruments“ (…). L'organisation de ses prises de vue m'a rappelé les plans préparatoires aux

33 Nous savons que cette idée mériterait un développement plus ample, mais nous risquerions de nous plonger dans un débat d'idées qui encore aujourd'hui fait couler beaucoup d'encre. Nous renvoyons donc à l'explication de Michel Poivert qui nous semble plus que pertinente. Michel Poivert, La Photographie contemporaine,Paris, Flammarion, 2002. Notamment les chapitres « Autorité de la photographie », pp. 87-137, et « Utopie documentaire », pp. 137-185. Voir aussi infra « Neutralité ».

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attaques militaires : il s'agissait d'être bien “armé“ pour une première confrontation avec le nouveau Berlin »34. Mais

sans dire que cette pratique laborieuse de la photographie soit nouvelle, Basilico, ne conceptualise pas cette façon

de faire. Elle va de soi dans sa pratique. D'où, toutes ces métaphores sur sa pratique photographique : un

médecin, un psychothérapeute, un tapissier, un opérateur, un archiviste, chercheur... un “professionnel“ en somme.

Gabriele Basilico, une “usine“ à images, ou plutôt le travailleur d'une usine à image : la ville35. Aussi, parler de travail

photographique quant à la pratique de Basilico est-il tout à fait justifé. Mais un travail qui n'est pas à considérer de

manière péjorative. Tout au contraire, c'est par cette façon de faire et cette production innombrable d'images que

l'œuvre de Gabriele prend tout son sens et sa force discursive. C'est ainsi que son travail peut se placer aussi

comme objet d'étude pratique tout en gardant, malgré tout, des aspects esthétiques particulièrement intéressant

comme nous allons le voir. Et cette manière de travailler l'espace est en fait fnalement un moyen pour lui de jouer

un rôle social plus lucide et moins abstrait. Il est d'ailleurs éclairant sur ce point de voir son discours sur, ou plutôt

avec l'architecture par l'entremise des architectes dans ses différents projets : Aldo Rossi qui préface Porti di Mare

(1990) ; Luigi Snozzi avec qui il va rechercher le centre de Montecarasso (1996) ; Stefano Boeri avec qui il ouvre six

sections dans l'Italie urbaine (1997) et discutera autour de Berlin (2002) et de Scattered City (2005) ; Alvaro Siza qui

préface Cityscapes (1999) ; et puis Umberto Zanetti avec qui il renverse Moscou (2007).

34 Renate Siebenhaar, « La rencontre », in Berlin, Arles, Actes Sud, 2002.35 Nous pourrions filer encore la métaphore en disant qu'il réalise des “pièces“, ou en considérant sa quantité, son flot de production d'images. Voir

infra, « Quantité » et « Pièces photographiques ».

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DES PIECES PHOTOGRAPHIQUES

Que nous regardions les photographies de Barcelone, Milan, Valence, Madrid, Porto, Lisbonne, Berlin, Paris,

Naples, Turin, Saint Jacques de Compostelle, Rotterdam, Vigo, Beyrouth, Istanbul, Palerme — et la liste se

prolonge interminablement —, il nous est diffcile de construire des regroupement formels internes aux images. En

effet, Basilico nous présente aussi bien la ville vue du haut d'immeubles, que vue d'en bas par le piéton qui

l'arpente ; l'image peut tout aussi bien être composée comme une toile de fond de scène à l'italienne avec ce point

de vue “monofocal“ et centripète ; que plate et sans fuite possible pour l'œil, comme écrasée par la densité

urbaine ; ou même encore oblique36, comme en équilibre. Cette pluralité qui compose la quantité déroutante

d'images que Basilico a réunies, fruit d'un seul et même travail obsessionnel sur l'espace urbain européen, nous

laisse dans l'incapacité de constituer des collections formelles ou typologiques à la différence de bon nombre de

pratique contemporaine. Aussi pouvons nous nous interroger sur ce qui lie sa pratique. Parce que malgré ces

irrégularités formelles, une certaine cohérence cimente sa pratique photographique. Une cohérence qui n'est pas

juste due à des choix esthétiques, tel que l'utilisation de la chambre ou du noir et blanc — bien que ceux-ci y

contribuent. Comment dès lors défnir sa pratique photographique ? Quelle notion serait la plus adéquate pour

comprendre son travail ? Est-il suffsant de parler de paysages urbains face à ses images ? N'y a t-il pas une notion

36 Dans l'un de ses derniers projet photographique Gabriele Basilico : Vertiginous Moscow, Thames & Hudson, Londres 2009 ; il s'agissait de photographier la ville de Moscou vue de ses sept tours staliniennes. Les images sont toutes construites avec un point de vue penché, donnant une image oblique, décalé, et relativement dynamique de la ville. Nous verrons aussi dans la partie consacrée au livre Italy, Cross Sections of a Country, que cette idée d'un « regard oblique » a son importance.

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plus “fonctionnelle“ pour défnir la pratique de Basilico ? En fait il est un terme qui nous semble tout à fait pertinent

pour comprendre son travail photographique : celui de pièce. Déjà, dans le langage courant, ce terme a des

utilisations très variées : pièce d'un appartement, pièce d'un mécanisme, pièce de monnaie, pièce de théâtre ou

littéraire, pièce d'un jeu… mais en fait ce qui nous intéresse plus particulièrement, c'est l'ambiguïté de cette notion.

En effet, une pièce c'est aussi bien une partie constitutive d'un tout qu'un objet considéré en soi, constituant à lui

seul un tout envisagé sous le rapport de son utilité, de sa fonction37. Or cette ambiguïté nous semble tout à fait

représentative de la pratique photographique de Gabriele Basilico.

37 D'après Le Petit Larousse, Paris, Larousse, 1992.

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[ CADRAGE / CONSTRUCTION ]

Nous pouvons d'abord parler de pièce par rapport à sa pratique de la chambre photographique. Un outil qui

est de fait primordial dans la pratique de Basilico, au centre même de son esthétique. Or, la chambre, peut-être

plus que les autres techniques photographiques, est à concevoir comme une pratique de construction de l'espace

par l'image. En effet, sans nous lancer dans des comparatifs techniques des différents outils de représentation

photographique et des postures qu'ils impliquent, pointons uniquement le fait que les possibilités de mouvements

des corps avant et arrière de la chambre, permettent de travailler directement l'image, de la manipuler par

distorsions optiques et cela au moment même de la prise de vue. Et cette capacité de construction de la chambre,

Basilico l'a bien comprise et la mets pertinemment en avant : « De sorte que tout, même les choses les plus

complexes et les plus surchargées (…) semble être à sa place (...) »38. La minutie de ses cadrages et la manière

dont il organise l'espace à l'intérieur de l'image, font de lui un véritable scénographe de l'espace urbain, un

“constructeur“ de pièces photographiques qui « cherche à mettre en évidence, d'une manière ou d'une autre, un

point nodal, un principe d'articulation ou d'organisation, ou encore de tension »39.

38 Regis Durand, « Gabriele Basilico : scénographie et contemplation de l'espace », in La part de l'ombre, Essais sur l'expérience photographique, Paris, La Différence, 1990, pp. 107-111.

39 Ibid.

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1. POSTURES

« Comme toute véritable obsession, celle de Basilico s'appuie sur une méthode qui lui permet, me semble-t-

il, de manifester une propension particulière à se positionner dans l'espace et à en mesurer l'épaisseur »40. Une

méthode, qui, s'appuyant sur des choix “techniques“, constitue, en fait, une « manière de faire » reconnaissable.

Mais sans aller, pour autant, jusqu'à parler d'un “style“ — notion qui nous paraît quelque peu galvaudée . Ces choix

techniques que sont la photographie en noir et blanc, l'utilisation d'une chambre grand format 10x12 cm41 et la

“pratique piétonnière“, posent les bases d'une démarche singulière face à son objet d'étude et participe clairement

d'une posture, dans le sens aussi bien d'une attitude du corps que d'une disposition mentale. Et cette posture

prend l'aspect d'une grille de lecture à apposer sur les villes européennes, une grille de lecture malléable qui est

comme un capteur, une grille d'analyse de l'espace.

1.1. Approche

Et bien que chacun de ces choix techniques interagit de manière spécifque avec son appréhension de

l'espace urbain, nous allons d'abord nous intéresser plus particulièrement à sa pratique piétonnière. Traverser,

déambuler, fâner, dériver, franchir, marcher, se déplacer, c'est déjà créer : « le déplacement est non seulement le

40 Stefano Boeri, in « Une ville “quand bien même“ », op. cit.41 Une Linhof Technikardan pour être exact...

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moyen d'une translation spatiale mais également un fait psychique, un outil de fction ou encore l'autre nom de la

production »42. En effet, « Le marcheur est simultanément celui qui donne un profl à son chemin, ouvre ou trace

une voie, et celui qui adapte ce trajet à un contexte, le construit en fonction des accidents et des contraintes du

parcours, des évènements scandant la progression de ses déplacement, et qui invente un rythme au gré des

vicissitudes de la fânerie »43. Une pratique cinéplastique comme le soutient et le démontre Thierry Davila. Mais

n'exagérons pas la place de la marche dans l'œuvre de Basilico. Car contrairement aux artistes que Davila étudie 44,

son projet à lui, n'est pas de donner une visibilité conceptuelle au déplacement comme acte premier d'une réfexion

artistique. Son travail reste toujours dans la production de l'image d'une confguration urbaine particulière dans

laquelle il s'est simplement déplacé à pied. Il n'est donc pas question d'une pratique de la dérive, ni même de celle

du fâneur, car ses recherches ne sont pas des processus hasardeux et ludiques d'exploration d'une ville donnée. Il

ne cherche pas à raconter son passage, mais bien plus à créer les conditions d'une étude de l'espace urbain dont

il dispose. Si nous pouvons donc parler de pratique piétonnière, c'est d'abord parce que, dans sa façon de

photographier, le sol prend une place importante, non pas dans la quantité présente à l'image, mais comme socle

à la fois des bâtiments et de la vision. La ville vue du sol pour paraphraser le titre de l'article de Vincent Guigueno45.

Dans cet article, il met en évidence l'aspect “piétonnier“ de la mission photographique de la DATAR, en opposition

au surplomb de la vision aérienne. En effet, comme il le précise, avant la mission, l'idée commune voulait qu'en

42 Thierry Davila, Marcher, créer, Déplacements, flâneries, dérives dans l'art de la fin du XXeme siècle, Paris, Éditions du Regard, 2002, 4eme de couverture.

43 Ibid., p. 22.44 Essentiellement Gabriel Orozco, Francis Alÿs et le laboratoire Stalker.45 Vincent Guigueno, « La France vue du sol, ... », op. cit.

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matière d'aménagement urbain, l'image la plus “parlante“ soit celle de la vue aérienne : « Penser l'aménagement,

c'est prendre de la hauteur »46. Or, « en faisant délibérément appel à la seule photographie “piétonne“, François

Hers et Bernard Latarjet refusent la manière la plus “naturelle“ de regarder et de photographier le territoire : depuis

le ciel »47, ouvrant ainsi à un regard plus subjectif — et plus subversif quant à la question de l'aménagement. Il n'est

pas question d'un survol dans les images de Basilico mais bien plus d'une présence dans le tissu urbain, comme

pratiquant. Comme le soutient Stefano Boeri, le travail de Gabriele Basilico est « initiateur d'un type de mouvement

particulier : la traversée de la densité urbain, ou mieux, la perspective mouvante. »48. Aussi n'est-il pas question

d'un regard synoptique dans ses images, même lorsqu'il lui arrive de photographier du haut d'un bâtiment. C'est

bien plus dans une volonté d'observation d'un contexte en particulier qu'il “grimpe“ sur les toits de la ville. Et c'est

sans se détacher véritablement du sol qu'il photographie la vue. « Il est diffcile de résister à la tentation du

spectaculaire paysage urbain ci-dessous, et de ne pas prendre des photos panoramiques de haut en bas. J'ai

toujours pris ce genre de photos, bien que je les ai rarement utilisées dans mes livres, et encore moins dans mes

expositions. Je préfère habituellement les points de vue au niveau de la rue, à la hauteur de l'homme, en respectant

rigoureusement la verticalité, c'est-à-dire, “avec la bulle dans la ligne“ comme on dit dans le jargon. J'ai presque

toujours considéré les photos prises d'en haut comme contribuant à l'information donnée par les photos prises de

la rue, du point de vue de la lecture du tissu urbain dans sa complexité et d'une façon unifée »49. C'est donc dans

46 Ibid.47 Ibid.48 Stefano Boeri, in, « Conversation autour de Scattered City », in, Gabriele Basilico, Scattered City, Paris, Le Point du Jour, 2005.49 Gabriele Basilico, in, Filippo Maggia, « A conversation with Gabriele Basilico », in, Gabriele Basilico, Silicon Valley, 07, Milan, Skira, 2007.

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l'ensemble des vues de la ville, dans leur rapport avec les vues du sol et comme complément d'information qu'il

faut voir ces images de la ville vue de haut. Non pas comme résumé totalisant, non pas comme panoptique. C'est

donc bien comme marcheur que nous pouvons considérer Basilico. En fait pour illustrer cette approche par la

marche comme moyen d'observation de l'espace urbain dans son processus de création, il est important de

souligner le fait que cette manière de pratiquer l'espace lui permet une meilleure lecture de celui-ci. Dans un article

sur la pratique de l'espace urbain par le piéton, Michel De Certeau nous propose une comparaison entre l'acte de

parler et l'acte de marcher : « L'acte de marcher est au système urbain ce que l'énonciation (le Speech Act) est à la

langue ou aux énoncés proférés. Au niveau le plus élémentaire, il a en effet une triple fonction “énonciative“ : c'est

un procès d'appropriation du système topographique par le piéton (de même que le locuteur s'approprie et

assume la langue) ; c'est une réalisation spatiale du lieu (de même que l'acte de parole est une réalisation sonore

de la langue) ; enfn il implique des relations entre des positions différenciées, c'est-à-dire des “contrats“

pragmatiques sous la forme de mouvements (de même que l'énonciation verbale est “allocution“, “implante l'autre

en face“ du locuteur et met en jeu des contrats entre co-locuteurs). La marche semble donc trouver une première

défnition comme espace d'énonciation »50. Cette remarque est particulièrement pertinente pour comprendre la

posture de Gabriele Basilico et sa façon de pratiquer l'espace urbain. La marche n'est pas pour lui un concept en

soi, mais bel et bien une « manière de faire », une manière de lire l'espace de la ville et de l'énoncer. Et cette

approche des confgurations urbaines par le mouvement du corps, est un premier acte de lecture pour une

interprétation à venir. En fait, plus qu'à la fgure du piéton, c'est à celle de l'arpenteur qu'il faudrait le comparer.

50 Michel De Certeau, « Pratiques d'espaces, La ville métaphorique », in, Traverses, n°9, Paris, Éditions de Minuit, Novembre 1977, pp. 4-19, p.8.

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Parce que Basilico n'est pas un piéton “normal“ (même si en réalité ce piéton “type“ n'existe pas) qui pratique la

ville tel qu'elle le lui autorise ; ni un piéton-touriste à la recherche d'exotisme et de points de vue exceptionnels dans

les ambiances urbaines s'offrant à lui ; mais bien un arpenteur qui mesure l'espace, qui s'y déplace et s'y place

pour mieux en prendre les dimensions exactes. Grimpant sur les bas-côtés des voies rapides ; passant derrière ce

mur d'enceinte ou ce grillage faisant séparation ; s'installant dans ce terrain vagues qui jouxte ; s'écartant du

trottoir... « Je vais commencer par une prise de vue risquée. Je dois installer mon trépied à l'exact milieu de la rue

pour obtenir mon point de vue central et pour rester “en ligne“ avec ce que je photographie »51. Des placements qui

ne cherchent pas la nouveauté, mais bien plus l'équilibre. « Plus qu'un organisateur, je me sens comme un

“mesureur“ de l'espace. En prenant les mesures avec les yeux c'est une manière d'expérimenter les lieux. (…) une

méthode rituelle pour remplir la fonction de la photographie »52.

51 Gabriele Basilico, in, Filippo Maggia, « A Conversation with... », op. cit. 52 Ibid.

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1.2. Position

« Parfois, lorsque je pense à mon travail, aux mouvements que je fais dans l'espace, ce qui me vient à

l'esprit est l'image d'un animal qui faire le terrain pour chercher son chemin. Ceci est très instinctif mais pour moi il

est tout aussi important de parler de mesure, exactement dans le sens de chercher une mesure, une distance,

c'est-à-dire un équilibre entre moi et ce qui se trouve devant moi »53. Cette approche qui, par la marche patiente,

arpente l'espace de la ville est aussi à comprendre comme une manière de prendre place dans l'espace urbain. Un

engagement du corps qui après s'être dé-placé, se place pour en effectuer les mesures. Et cette manière de se

positionner dans la réalité de l'espace urbain, à la recherche d'un point de vue qui rende visible des confgurations

particulières, devient une manière de réaliser l'espace. Ce positionnement se fait directement par l'utilisation de

l'outil spécifque qu'est la chambre photographique grand format. Un outil contraignant et pourtant nécessaire :

comme le géomètre n'est rien sans son théodolite, Basilico n'est rien sans sa chambre. « Avec l'avidité de

l'alpiniste qui regarde la voie par laquelle il va attaquer le sommet, Basilico scrute chaque détail, avec une excitation

extrême (…). La chambre 4 x 5 de Basilico est de la lignée des camera obscura, pour laquelle Basilico ne renierait

pas la formule du photographe américain Ansel Adams parlant à propos de son propre appareil photographique

d'un “instrument d'amour et de révélation“. Sous le morceau de tissu noir, le photographe sort de son rapport au

monde naturel, pour un face à face intime avec l'image de ce monde que lui renvoie l'appareil ; il est dans une

53 Gabriele Basilico, in, « Conversation autour de Scattered City », op. cit.

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relation que lui-même a décrite comme métabolique avec l'espace à photographier »54. Prenons le temps

d'analyser les implications d'une pratique photographique de la chambre. Volumineux ; encombrant ; obligeant

l'utilisation stable du trépied ; n'ayant que des réglages manuels ; sans cellule interne de mesure de la lumière ;

sans viseur ; utilisant des plans flms ; ... c'est l'exact opposé de l'appareil 35mm : un appareil qui ne permet pas la

prise de vue sur le vif ou improvisée car bien trop long à mettre en œuvre. En fait, un appareil qui impose un autre

rapport au monde. « Cet isolement physique crée un rapport phénoménologique particulier avec le monde

extérieur. Basilico est sous sa cape comme l'homme dans la caverne en forme de camera obscura naturelle ; il est

protégé, en position de voir le monde sans être vu (…). La spécifcité du regard photographique de Gabriele

Basilico tient en partie au moins à cette conséquence phénoménologique de la posture de l'homme sous la cape.

Débarrassé de la mission de capture acrobatique de l'instant, sa vision est celle de la lente épiphanie, où le monde

se révèle sans artifces, sans violences ou manipulation »55. En fait cette position particulière due à l'utilisation d'une

chambre grand format n'est pas spécifque à Gabriele Basilico. En effet, nous pourrions clairement parler d'une

esthétique contemporaine du grand format dans la pratique photographique du début des années 70 jusqu'à

aujourd'hui. C'est presque même devenu un lieu commun de la photographie de paysage. Et contrairement à ce

que l'on pourrait imaginer, ce n'est pas d'abord pour la qualité d'image que procure la chambre photographique

que les pratiques paysagères l'utilise56, mais plutôt pour ses contraintes physique et le « rapport

54 Jean-Michel Bouhours, « Les images profondes de Gabriele Basilico », in, Basilico Montecarlo, Arles, Actes Sud, 2007.55 Ibid. 56 À l'ère du tout numérique, la photographie “digitale“ a quasiment atteint le niveau de qualité de la chambre grand format mais en la dépassant

largement pour sa facilité d'utilisation, de manipulation et de traitement. D'ailleurs il est rare aujourd'hui qu'une photographie ne transit pas par un processus de numérisation. Andreas Gursky ou Jeff Wall pour ne citer que les plus évidents, ne peuvent concevoir leurs images sans l'outil

41

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phénoménologique particulier avec le monde extérieur » qu'elle impose. Pour ne citer qu'un seul exemple, déjà

développé, mais clairement signifcatif ; sur les vingt-huit photographes ayant participé à la mission de la DATAR,

plus de la moitié ont utilisé une chambre grand format. En fait, quand il s'agit de représenter “l'espace“, de

l'étudier, qu'il soit extérieur ou intime, la chambre photographique se pose en tête des pratiques photographiques.

Probablement parce qu'elle se présente comme une manière particulière d'appréhender l'espace qui nous

entoure : à la fois détachement mais aussi, et paradoxalement, acuité57.

numérique mais travaillent cependant à la chambre.57 L'analyse des enjeux d'une pratique de la chambre photographique aujourd'hui mériterait une étude plus approfondie, d'autant plus à l'époque des

images numériques et de leurs effets directs sur les pratiques artistiques.

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1.3. Interprétation

Mais revenons au cas particulier de Gabriele Basilico afn de prolonger notre analyse de sa posture à travers

ses choix pratiques et leurs enjeux. Et attardons nous désormais sur son choix du noir et blanc pour représenter la

ville, un choix inséparable de sa pratique de la chambre photographique. Gabriele Basilico ne photographie que en

noir et blanc58. Et ce choix peut paraître inadapté quant à sa thématique. En effet, la ville est faite de couleurs,

d'enseignes lumineuses criardes, d'affches tout autant tape-à-l'œil, d'une signalétique brillante,... et même si les

murs des grandes villes occidentales sont ternies — sauf dans les recoins cachés de l'urbanité où les “tags“ et

autres “graffs“ s'étalent et se superposent dans un indéchiffrable amas de couleurs — ils n'en restent pas moins

discrètement teintés. Ainsi, pourrions nous nous demander si le choix de cette esthétique banale, n'est pas d'une

certaine manière paradoxale lorsqu'il s'agit de représenter la ville contemporaine. En fait, choisir le noir et blanc,

c'est faire le choix d'un certain détachement face à une réalité momentanée ; c'est faire le choix d'évacuer les

anecdotes pour ne se concentrer que sur la présence effective des divers éléments. C'est faire le choix du jeux de

contrastes entre l'ombre et la lumière débarrassée du “bruit“ de sa longueur d'onde sans en éliminer sa vibration.

Car les noirs et blancs de Basilico sont remplis d'une riche densité et d'une grande qualité de lumière. « Je trouve

que le noir et blanc est plus lyrique que la couleur. Il m'aide à transcender le réel que, par instinct, je recherche

naturellement (…). J'ai la sensation qu'il est bien plus réel, même si nous percevons la vie en couleurs. En fait le

58 Par souci d'objectivité nous sommes bien obligé de constater qu'il apparaît dans ses livres Beyrouth (1991 / 2003), Interrupted City (1999) et Silicon Valley (2007), quelques images en couleur, mais que celle-ci tiennent plutôt place d'introduction que de véritable analyse.

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noir et blanc me correspond physiquement (...) »59 nous dit Basilico. Ces propos peuvent être nuancés au vu de sa

pratique la plus récente où le lyrisme et le projet transcendantale sont moins développé et laisse place à un projet

plus modeste — qui est en soi tout autant, voir plus intéressant — de lecture et d'analyse pointue de l'espace

urbain. En fait le choix du noir et blanc vient aussi du fait que c'est en photographe-architecte qu'il travaille sur

l'espace urbain. Et le noir et blanc en plus d'éliminer l'anecdote, est aussi un moyen effcace pour retranscrire une

mesure de celui-ci, d'en faire ressortir des qualités mesurables, ses mensurations. Il est une interprétation, une

fguration au sens fort du terme, nous donnant de la scène représentée une vision caractéristique, singulière.

Comme nous le dit Achille Bonito Oliva : « L'Archi-fgure (l'architecture fgurée) est le point focal de l'œuvre

photographique de Gabriele Basilico ; elle est au centre de son langage, car porteuse de l'intention et du désir de

puissance d'un imaginaire qui tend toujours à une intervention formalisante et nécessairement constructive »60.

59 « Gabriele Basilico, l'espace dans sa totalité, dans sa diversité », propos recueillis par Brigitte Fitoussi, in L'Architecture d'aujourd'hui, n° 292, avril 1994, pp. 50-54.

60 Achille Bonito Oliva, « L'Opus de Gabriele Basilico... », op. cit.

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[ DÉCOUPER / FRAGMENTER ]

Dans le texte qui accompagne le livre-rétrospective sur les différents travaux de Basilico (Carnet de travail

1969-2006, 2006)61, Achille Bonito Oliva décrit l'acte photographique de Gabriele dans ces termes : « Ici, G.B.

découpe, dans l'ensemble urbain (...), une partie, la soustrayant à l'ensemble du contexte. Cette opération est

aussi le fruit d'une philosophie de la vie, d'une conscience culturelle du fait que l'art, et la photographie, est

pratique de l'arrachement à la réalité, une soustraction aussi juste que indispensable sur le plan linguistique qui ne

veut pas effacer les choses, tout au plus accélérer un processus de connaissance et de reconnaissance »62. Cette

idée de découpe soustraite à un ensemble plus vaste semble à première vue nous rapprocher de la notion de pièce

que nous voulons attribuer au travail de Basilico. En effet, cet acte de construction d'une image pourrait tout à fait

se présenter comme une découpe, une soustraction à la réalité. Et pourtant dire que Basilico “découpe“ et

“arrache“ par l'entremise de son appareil photographique, nous semble trop excessif. En effet, découper fait

référence à l'idée d'une image complètement autonome, qui n'aurait plus aucune relation avec son référent. Une

image qui coupe les fls la reliant à l'univers pour mieux les nouer à soi. Une image qui ne pourrait être considérée

qu'en tant qu'œuvre unique. Or son geste nous semble être plus subtil. En équilibre entre la découpe et la copie ; à

la fois construction minutieuse d'une image qui pourrait gagner une certaine autonomie d'objet — puisqu'il est

possible de regarder chacune d'elle séparément — et portion d'espace référencé — parce que malgré tout, il fait

61 Achille Bonito Oliva, « L'Opus de Gabriele Basilico... », op. cit. 62 Ibid.

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référence à un endroit spécifque. Cet équilibre paradoxal est à placer du côté de la fragmentation. Une opération,

propre au médium photographique et qui est singulièrement représentée dans la pratique de Basilico. D'ailleurs, en

paraphrasant Regis Durand nous pouvons dire que « l'opération photographique [de Gabriele Basilico] introduit du

discontinu, cela est clair. Mais en même temps, elle garde ou simule des traces du continuum dans lequel elle

prélève. Plus, elle tente même d'y réinscrire sans cesse ce qu'elle en extrait »63. Une fragmentation qui chez

Basilico tient plus du détachement que de l'arrachement, mais du détachement incomplet, qui reste lien lâche, en

fottement. La fragmentation est propre à l'expérience de la ville selon Anne Cauquelin, « la ville est bribes et

fractions, encombrements de signes qui tirent à hue et à dia, vides et blancs, diversité des lieux et des mémoires,

des comportements, impossibilité de défnir une unité par son extension (qu'est ce qu'un quartier, un monument en

dehors de l'usage ?) »64. Et d'ajouter plus loin, « La pratique de la ville comme fragment est une pratique artiste.

Une construction poétique. En tant que telle, elle fait pièce à cette autre pratique dite esthétique, dont se prévalent

les constructeurs »65.

63 Regis Durand, « Sculptures/fragments », Habiter l'image, Essais sur la photographie, 1990-1994, Paris, Marval, 1994, p.31.64 Anne Cauquelin, « La ville-fragment », in « La ville inquiète », Le temps de la réflexion, VIII, Paris, Gallimard, 1987.65 Ibid.

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2. POUR UNE LENTEUR DU REGARD

Les trois aspects pratiques de sa posture, formant une grille de lecture adaptable aux différentes

confgurations urbaines, posent les bases d'une certaine pratique de la lenteur. Une pratique, qui depuis Milan

Kundera et plus récemment Pierre Sansot66, est à la mode. D'autant plus dans la photographie contemporaine, qui

a depuis longtemps accepté la caducité de « l'instant décisif » comme geste à valeur artistique. Aussi ce choix de

la lenteur, est particulièrement évident dans la pratique photographique de Basilico. Non seulement dans sa

manière de faire mais aussi dans l'image résultante. Choisir le temps lent du processus à l'époque de la rapidité de

“l'info“67, fait aussi bien fgure d'un privilège que d'un engagement68. Toutefois cette pratique de la lenteur est à

comprendre dans le travail de Basilico comme une nécessité, une attitude à effet “thérapeutique“ : « Se servir de la

lenteur comme d'un antidote à la pollution et à la surreprésentation du monde »69.

2.1. Contemplation

Selon Jean-Christophe Bailly70, contempler est le mode de regard et de pensé qui se détache de

66 Milan Kundera La lenteur, Paris, Gallimard 1995 ; Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, Paris, Payot & Rivages, 2000.67 Avec Twitter comme dernière mode, où l'information devient “texto“ et se légitime sous cette forme “grâce“ aux censures politiques.68 Pour ce qui est du privilège de la lenteur, notons qu'il pourrait même s'agir d'un luxe. Par exemple le tourisme de croisière n'est pas réputé pour

sa rapidité de traversée. Dans le cas de Basilico, le privilège serait plutôt celui du cadre de la commande institutionnelle (voir supra). 69 Gabriele Basilico, « Une ville “quand bien même“... », op. cit. 70 Jean-Christophe Bailly, « (Contempler) », in, Infra-mince, n°4, Arles, Actes Sud, novembre 2008. pp. 42-49

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l'indifférencié et de l'absence d'intention sans toutefois aller jusqu'à l'articulation et à la performance d'un discours.

La contemplation est un mode lent, ralenti, que nous pouvons défnir comme une dilatation. Et « la photographie

naît de la contemplation et comme contemplation »71. Et là où se joue la nature intrinsèquement contemplative de la

prise de vue photographique, c'est dans sa capacité à l'immobilité. Ainsi contempler, c'est regarder à distance,

entre le distrait et l'attentif, et cet manière d'être au monde, en équilibre, se concrétise à travers l'image

photographique comme une immobilisation du fux temporel. La contemplation est un moyen de faire abstraction

du fux rapide du temps, de le ralentir jusqu'à sa dilatation. Et dans ce processus, la photographie joue un rôle

particulièrement effcace. « “Contemplation“ : mot qui pendant des années n'a signifé que sentimentalisme et

désengagement, et qui pour moi aujourd'hui signife vision directe et consciente, pure, sans acrobatie

d'interprétation. Il ne sert plus à rien de construire la photographie de manière particulière ou artifcielle, car si l'on

se donne un point de vue “exceptionnel“, il sufft de regarder de manière “normale“ renonçant aux perversions des

objectifs : la photographie devenant moins lourde de signes interprétatifs, laisse à la nature et à la lumière le soin de

s'exprimer et de s'auto-représenter »72. Cette façon d'être au monde et de le penser est pour Basilico un moyen de

le révéler, de le voir avec plus d'acuité. Ou plutôt de laisser se montrer l'espace de la ville dans son existence

même et comme dans un équilibre temporel, entre le plein et le vide et créer, ainsi, les conditions d'une respiration

du regard.

71 Ibid., p. 42.72 Gabriele Basilico, « Pour une lenteur du regard », Bord de mer, Paris, Le Point du Jour, 2003 (réed.)

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2.2. Vacance

Dire des images de Basilico qu'elles « montrent très bien la ville comme le faisait De Chirico »73, c'est ne pas

dire grand chose et être assez réducteur quand au travail de l'un comme de l'autre. Certes vouloir faire un

rapprochement entre leur manière de traiter l'espace, sans pour autant réduire l'approche de Basilico à une

réitération de l'œuvre de De Chirico, peut donner une piste de réfexion. Toutefois c'est trop souvent dans une

volonté de simplifcation quant à l'absence de personnages dans les photographies de Basilico qu'il est fait appel à

cette comparaison. L'absence dans les peintures de paysages urbains74 de Giorgio De Chirico — plus juste serait

de dire la présence solitaire dans l'immensité de ces espace — cherche à rendre l'espace étrangement inquiétant75

à travers une représentation quasi onirique et atemporelle. Or, Gabriele Basilico ne fait pas œuvre d'imagination ;

son projet n'est pas de projeter la ville dans un état onirique inquiétant, ni même dans une fction post-

apocalyptique dans laquelle un cataclysme, ou mieux une étrange maladie aurait transformé les êtres humains en

vampires fardé ne pouvant sortir qu'une fois la nuit tombée76. C'est “uniquement“ à réaliser des documents qu'il

s'attache. Et même si ses images peuvent avoir un certain “effet de fction“, c'est plutôt dans la force énonciative

qu'il faut comprendre cette absence de personnages. En fait cette absence de personnages est assez paradoxale

73 Yona Friedman, in, « Conversation autour de Scattered City », op. cit. 74 Souvent dans cette comparaison, n'est pris qu'une petite partie de l'œuvre de De Chirico, c'est à dire ses premiers paysage urbains. Or son œuvre

ne se réduit en rien à ces tableaux ou à cette période. Pour preuve l'exposition rétrospective qui s'est tenue au Musée d'Art moderne de la Ville de Paris du 13 février au 24 mai 2009.

75 Nous ne faisons aucunement référence au « Unheimliche » de Freud, qui est mal traduit par « inquiétante étrangeté ».76 Nous faisons référence au film Le Survivant, 1971 (The Omega Man), avec Charlton Heston, cité dans, Walead Beshty, « La ville sans qualité :

photographie, cinéma et ruine post-apocalyptique », in, Trouble, n°5, Paris, Les Presses du réel, été 2005, pp. 42-58.

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en soi. En effet, les vues de Basilico sont effectivement sans personnes, sans passants, ou quand il y en a, c'est au

loin, trop loin ou trop fou pour y voir un visage. Une absence qui a l'avantage d'évacuer l'anecdotique de la ville,

mais que nous pouvons, aussi expliquer en partie par nos modes contemporain d'habiter et de concevoir l'espace

urbain : des modes diffus, « des constructions dispersées et hétérogènes, expressives des fragments minuscules

de notre société (la famille, le petit commerce, la frme, le magasin, le club, et ainsi de suite), toutes délibérément

détachées du sol et avec mépris pour toutes règles d'interrelation»77. Mais, dans cette urbanisation diffuse où

l'espace extérieur de la ville est plus fait pour les véhicules que pour les piétons78, l'absence de personnage n'est

qu'un thème secondaire du projet de documentation de Gabriele Basilico. En effet, il ne cherche pas tant à pointer

la vacance effective des espaces qu'il photographie, qu'à considérer l'espace urbain comme une construction,

comme une confguration d'éléments architectoniques constituant un contexte particulier. Et cette absence du

corps humain visuellement c'est bien aussi un moyen pour lui de mettre en évidence la ville comme objet et non

comme sentiment, la ville comme présence physique plus que comme sensation. Ainsi cette absence du corps

dans la ville, autant qu'un moyen d'évacuer l'anecdote et de se concentrer sur l'espace, est aussi une commodité,

qu'il force parfois en préférant photographier lors des temps de pause. En effet, en regardant avec attention ses

images, nous pouvons observer qu'il lui arrive souvent de photographier lorsque les boutiques sont closes, les

chantiers interrompus, la nuit, ou encore en fn ou début de journée. En fait choisir ce temps de pause urbaine est

un moyen effcace pour voir les édifces dans leur présence, dans leur immobilité. Et pourtant, ce quasi “acte“ de

77 Stefano Boeri, « Eclectic Atlases », in Documents 3, Kassel, 1997.78 Et croire qu'un changement est en cours avec les projets d'évacuation du “centres-villes“ des voitures, c'est oublier que la ville ne se restreint pas

à son “centre“.

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vider ces espaces urbains d'une certaine manière déjà vacants, n'est pas une façon d'annihiler l'humain, et c'est

bien là le paradoxe. Car ces fragments de ville qu'il photographie n'en restent pas moins intrinsèquement occupés,

bien que Basilico photographie la vacance, ses images semblent toutefois pleine de vie. Les espaces ne sont pas

abandonnés, mais pratiqués. Autant parce que derrières les fenêtres, sous les rideaux on peu prévoir la présence

d'hommes et de femmes affairés à leurs tâches, mais aussi parce que dans chaque détail est “dit“ les pratiques de

l'espace urbain, qu'il s'agisse de cette fenêtre éclairée, de cette voiture stationnée ou même de ce pont autoroutier

ou de cet entrepôt industriel. En effet, nous pouvons clairement lire, derrière chaque élément de l'image, derrière

chaque trace visible, la présence des “pratiquants“. Non pas identifable comme des personnes individuelles et

reconnaissables, mais une présence déchiffrable sans être montrée. Une activité intérieur en fait : une ville

contenant.

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2.3. Temporalités

Et cette contemplation, cette immobilisation du fux temporel urbain, comme cette vacance urbaine

pourraient nous faire croire que les images de Basilico montrent la ville de manière atemporel, hors du temps

comme dans une vision fantasmée de la ville, une vision ou l'espace urbain n'aurait plus aucune présence

temporelle, comme un décor construit dans un gigantesque studio cinema79. Mais c'est avoir une vision trop

fantasmagorique des images de Gabriele Basilico. Mais alors comment la temporalité entre-t-elle en jeu ?

Décrivons une image80. L'image a été réalisée au moment où tombe la nuit, à ce moment indistinct et incertain où

les lumières du jour laissent placent à celles des lampadaires qui se dressent un peu partout. Au fond de l'image,

une série d'immeubles disent la présence d'un quartier d'habitations et deux grues. Au premier plan, juste devant,

trois voitures garées côte à côte sur le terrain non bitumé qui borde un vaste carrefour. Nous sommes d'abord saisi

par une certaine sérénité dans la tranquillité de cette image. Quelque chose de calme, de silencieux, d'immobile.

Quelque chose qui nous dit que cette ville est comme ça : une suite d'immeubles, deux grues au loin, et trois

voitures devant, déposées, comme en panne pour toujours. Mais en prêtant plus d'attention à la scène nous nous

rendons vite compte que la lumière qui émane du carrefour n'est pas “normale“ et soudain, cette immobilité

comme quasi immuabilité est chamboulée. Et cette luminosité de la route qui juste avant n'était qu'un éclairage

fâcheusement exagéré mais propre à toute ville, vibre étrangement et deviens densité. Et c'est un fot de véhicules

79 Comme dans le film The Truman Show, réalisé par Peter Weir (1998).80 Lérida, 1995 in, Cityscapes, op.cit., p. (illustration de la page 56)

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que nous devinons dans cette lumière spectrale. Des véhicules dessinés en fligrane qui n'ont pas pris le temps de

s'arrêter. Et tout chavire. De cette scène silencieuse et pleine de sérénité, émane maintenant un brouhaha

assourdissant : celui d'un carrefour routier en fn de journée, lorsque que tous rentrent chez eux. En fait, cet effet

spectral dû à un trop long temps de pose n'est pas quelque chose de fondamentalement nouveau en

photographie, c'est même plutôt un poncif. Un effet qui, si au début des procédés photographiques était une

contrainte, est aujourd'hui parfois utilisé comme moyen “d'esthétisation“. Mais, ce qui nous intéresse tout

particulièrement ici, ce n'est pas tant la réussite esthétique de cet effet visuel, mais plutôt la densité temporelle qui

est mis en évidence par l'image ; le fait qu'existent et cohabitent dans la ville des temporalités urbaines différentes :

celle de la vitesse du mouvement et celle de la lenteur des choses. C'est donc par un ralentissement de la posture

et du mode de regard que cette coexistence devient possible, compréhensible, observable. Contempler comme

pour mieux voir, pour révéler les temporalités urbaines existantes. Mais cette coexistence, dans cette image, n'est

pas simplement due à l'utilisation de cet effet fou — effet qui d'ailleurs n'est pas suffsamment utilisé pour être

spécifque à sa pratique photographique. Et bien que dans le cas de cette photographie décrite, les temporalités

s'entrecroisent de manière évidente au sein de la même image dans un moment étrangement dilaté ; le jeux des

cohabitations n'est pas toujours si directement pointé. En effet, souvent le mouvement, la rapidité des véhicules

n'est pas même montrée. En fait, cette coexistence de la vitesse et de la lenteur est souvent plus subtile. Là c'est

une autoroute qui, dressée sur une série de pylônes de béton, survole la ville ; ici, une voie ferrée qui se taille un

passage entre les immeubles ; là encore c'est un bout de rond point ; ou encore un carrefour avec ses panneaux

directionnels, ses feux tricolores, ses lignes et fèches au sol ; ou même un vaste port avec ses grues, ses

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containers, ses ferry en transit ; et puis toutes ces voitures stationnées,... Et tout cela nous dit le mouvement, et

tout cela nous dit le temps de la traversée, plus ou moins longue, tout cela nous dit la vitesse. Aussi montrer les

infrastructures dans l'espace urbain, c'est d'une certaine manière parler de la temporalité qui leur est propre, c'est

inclure dans la densité de la lente contemplation la cohabitation des temps urbains. Ainsi, et de manière paradoxale

en fait, dans cette mise en état d'intemporalité de la ville, dans ce ralentissement du regard par la photographie,

existe aussi la densité temporelle urbaine.

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[ PARADOXE ]

Parce qu'il s'agit bien ici d'un paradoxe. Autant est-il possible de considérer les images de Basilico par leurs

qualités de constructions, de cadrages ; autant ne s'en tenir qu'à ces qualités formelles tient de l'incompréhension.

Car malgré le travail minutieux d'approche, de cadrage et de mise en scène dont fait preuve Basilico, il est

réducteur de voir dans ses images un avatar de plus de cette forme convertis en genre photographique que Jean-

François Chevrier a développé et théorisé sous le vocable de « forme-tableau »81. Un modèle qui se caractérise par

trois critères essentiels : un plan clairement délimité, frontal et qui se constitue comme un objet autonome82. Un

modèle qui est souvent à rapprocher d'une pratique de la chambre. Or, outre leurs qualités internes, les

photographies de Gabriele ne peuvent être uniquement considérées comme des objets autonomes, se sont des

images qui d'une certaine manière appartiennent aussi à la ville, des fragments de la ville. Tentons d'exprimer plus

clairement ce paradoxe. Les photographies de Basilico sont des photographies parfaitement construites et qui

pourraient sans problème dire ou plutôt nous permettre de lire une confguration urbaine hors contexte : elles

déréalisent, elles énoncent quelque chose en soi (la place de ce bâtiment coincé entre deux autres...). Mais aussi

ses images, appartiennent à plusieurs ensembles dans lesquels elles construisent un discours particulier, un

discours malléable : d'abord l'ensemble de la ville dont il est question (ici Milan, là Palerme, là...) ; ensuite

81 Voir notamment à ce sujet le texte qui accompagne le catalogue de l'exposition Une Autre objectivité (1989), op. cit., ; aussi, Jean-François Chevrier, « Documents de culture, documents d'expérience », in, Communications, n°79, Paris, Seuil, 2006, pp. 63-88. Lire aussi les explications de Michel Poivert dans le chapitre « Autorité de la photographie », in, Michel Poivert, La photographie contemporaine, op. cit., pp. 87-137.

82 L'un des plus éminent représentant de cette pratique est Jeff Wall.

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l'ensemble de l'archive qui rend l'image disponible, et qui par extension lui permet de se présenter dans le sous-

ensemble du livre. Nous retrouvons donc l'ambiguïté de la notion de pièce, à la fois objet qui peut être considéré

comme un tout, mais aussi partie constitutive d'un tout.

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3. MONOTONIES

Il est courant, dans le langage commun, de considérer la monotonie de manière péjorative et de l'associer à

l'ennui. Aussi parler d'une chose monotone c'est, de prime abord, en donner une lecture négative. Cela est encore

plus fagrant lorsqu'il s'agit de parler d'un travail artistique, qui selon d'autres idées reçues serait sensé être

divertissant. Et pourtant sans chercher l'arrogance d'un jugement dédaigneux — ce qui serait un comble pour une

étude dédié à cet artiste —, nous pouvons dire que la pratique de Basilico a quelque chose de “monotone“. Et cela

sans avancer un quelconque jugement de valeur artistique. En effet si nous considérons la monotonie dans son

acceptation première, comme quelque chose qui est toujours sur le même ton, invariablement, nous pouvons dire,

face aux images de Gabriele Basilico, qu'elles sont riches d'une “qualité“ monotone. Non pas parce que son projet

est de nous ennuyer mais plutôt parce que, dans son projet de dire sans emphase l'architectonique de la ville, c'est

l'espace de la ville dans sa banalité concrète qui ressort. Il détruit la rhétorique auto-célébrative de l'architecture

parce qu'il ne part pas d'elle mais de l'espace urbain. Et même lorsqu'il photographie les bâtiments réalisés par

des architectes reconnus, ceux-ci ne prennent pas plus d'importance que le contexte urbain ou que les autres

édifces plus modestes et plus ordinaires.

3.1. Quantité

Et d'abord ce qui vient directement argumenter dans le sens d'une certaine monotonie dans son travail,

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c'est la quantité impressionnante d'images dont il est l'opérateur. Une quantité qui tient plus de la profusion en fait.

En effet, aucun des livres qu'il a publié, qu'il s'agisse d'un ouvrage traitant d'une ville en particulier ou d'une

“compilation“, ne contient moins d'une centaine d'images. Et si l'on observe par exemple le livre Cityscapes (1999,

2008), c'est plus de 300 images que nous pouvons dénombrer. Et cette quantité visible au travers de ses différents

livres, n'est probablement que la partie émergée de l'iceberg83. Or cette profusion d'images qui peut parfois

atteindre l'indigestion, est assez paradoxale en soi. En effet, nous avons mis en évidence son utilisation d'une

chambre photographique grand format. Un outil qui, en plus d'être encombrant et lent dans sa mise en œuvre, ne

permet pas de réaliser de prise de vue rapide ou sur le vif. Un outil qui suppose voire contraint, à l'inverse du

35mm84, à une pratique “distillé“ quasiment à l'extrême. Et c'est bien là le paradoxe de sa profusion d'images.

Aussi ne pourrions-nous pas parler d'une infation quand à son traitement photographique ? Une infation qui

viendrait chambouler l'économie d'images propre à la photographie grand format ? En effet, il est diffcile de prêter

toute son attention face à une telle profusion et une telle quantité d'informations. Car malgré la quantité, chaque

image est riche d'une grande qualité visuelle. En fait cette profusion d'images n'a rien d'une infation ou d'une perte

de sens. Au contraire. Elle est en parfaite adéquation avec son sujet et son projet. En effet, la ville est faite d'une

profusion d'objets, de situations, d'images, de moments... elle est un “brouhaha de signes“. Et cette quantité

photographique est un moyen pour Basilico de prendre le “pouls“ de la ville, d'en donner une compréhension et

une lecture appropriée. Et c'est dans cette paradoxale “profusion qualitative“ qu'il y parvient. La quantité devient

83 Lors de son séjour à Berlin, il réalisa plus de 2000 images. cf. Josep Vincent Monzó, « La ciudad observada », in, Milan Berlin, Valencia, Actar, Barcelone, 2001.

84 Un des gages de qualité technologiques dans les caractéristiques des appareils de type reflex, est la quantité d'images possible par secondes.

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donc plus le moyen d'une vision “juste“ de l'expérience urbaine sans pour autant perdre en qualité discursive ni

tomber dans une profusion insignifante ; en équilibre donc. En fait cette profusion d'images, n'est pas à

comprendre uniquement comme la recherche d'une adéquation entre la représentation de l'espace urbain et sa

complexité. En effet, cette abondance d'images de villes propre au travail de Gabriele Basilico, est aussi à

comprendre comme la constitution d'une archive. Mais une archive malléable, ouverte et défaite de toute volonté

classifcatrice. Parce que contrairement à une collection, cette profusion d'images n'est pas créée dans le but de

réunir des séries exemplaires organisées pour leur points communs, mais plutôt dans le but de créer un fonds

iconique utile, comme une “mine“. Une archive non taxinomique d'une certaine manière et qui se remodèle au fur et

à mesure de ses utilisations. « Cette “élasticité“ restitue aux images — considérées dans leur ensemble et à travers

ce milieu naturel que sont, pour elles, les archives photographiques — une surprenante autonomie. J'aime à voir

les archives non comme quelque chose de statique, le réceptacle d'une accumulation systématique, mais plutôt

comme un lieu de mémoire et d'histoire propice au questionnement et au dialogue »85. Ses images n'ont ni “place“

prédéfnie, ni ordre préétabli, ni sens prédéterminé, elles sont disponibles, prêtes à être montrées, montées en

association avec d'autres sites, d'autres zones urbaines. Chaque image est partie de cette archive ouverte, qui

depuis le début des années 70 récolte des “documents-denses“ sur l'espace urbain européen, créant ainsi un

fonds iconique. Gabriele Basilico « est devenu une iconopolis, une véritable cité pelliculaire d'archifgures capables

de représenter leur propre condition urbaine, et en même temps, d'occulter tout état psychologique »86.

85 Gabriele Basilico, « Pour une lenteur du regard », Bord de mer, Paris, Le Point du Jour, 2003, (Première édition, Udine, Art&, 1992)86 Achille Bonito Oliva, in, « L'Opus de Gabriele Basilico... », op. cit.

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3.2. Neutralité

Attardons nous un instant sur cette notion de neutralité et surtout sur la façon dont elle entre en jeu dans la

pratique de Basilico. En fait cette esthétique du neutre, cette notion de neutralité est à comprendre en

concomitance de celle de document : une notion qui fait l'ambiguïté de la photographie depuis toujours. Mais sans

vouloir ici faire l'historique de cette ambiguïté il nous semble important toutefois, de rappeler la place qu'a tenue le

document dans la légitimation artistique de la photographie. En effet, comme nous l'explique Michel Poivert87, c'est

au tournant des années 80-90, dans un processus de révision moderniste — à la suite de la faillite critique du post-

modernisme — que la photographie s'est vue intégrée dans l'art contemporain par une ambitieuse entreprise de

légitimation. Une légitimation qui, passant par l'institution et la critique d'art, a consisté à transformer l'ambiguïté de

la valeur d'usage qu'est le document en une valeur artistique. Parmi ces “œuvres“ de légitimation Poivert cite

notamment la mission photographique de la DATAR dont « la stratégie critique a consisté à rappeler l'existence

d'une histoire de la peinture comme fguration utile, établissant une tradition documentaire et paysagère de la

peinture, de la gravure et de l'estampe ». « Démontrer cela, c'est démontrer qu'une fonction documentaire n'est

pas antinomique avec l'art, qu'il y a histoire et donc légitimité à introduire le paysage photographique dans la

tradition d'un art descriptif historiquement fondé »88. Mais elle n'est pas la seule à être venue œuvrer à la

reconnaissance institutionnelle de la photographie. Citons aussi et entre autres, toujours en suivant les propos de

87 Michel Poivert, La photographie contemporaine, Paris, Flammarion, 2002.88 Ibid., p. 92

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Michel Poivert, l'exposition Une autre objectivité, organisée par Jean-François Chevrier et James Lingwood89, qui

elle aussi se lance dans une stratégie de légitimation à travers la révision du modernisme. Dans l'essai qui

accompagne le catalogue d'exposition, les deux théoriciens s'appliquent également à une relecture du rôle de la

photographie dans l'art conceptuel : ils en évacuent la fonction critique qu'elle avait pu développer justement

contre le modernisme pour ne célébrer que son usage comme “fait enregistré“. « En un mot, cette relecture tend à

conférer à la photographie sa puissance esthétique sous le sceau de la description. Et, sur le plan historique, à

infrmer sa légendaire critique moderniste »90. Mais il serait abusif et erroné d'associer Basilico à une telle

conception de la notion de document. Car son travail documentaire n'est pas à considérer comme une recherche

de légitimation artistique. Ni comme une tentative de ré-activation des théories modernistes, tel qu'un auteur

comme Jeff Wall peut le faire. En fait Basilico ne cherche pas à se situer dans l'Histoire de l'art. Il ne tient aucun

discours sur celle-ci. « L'art dans l'indifférence de l'art »91, d'une certaine façon. La notion de document n'a cessé,

au cours des années 90, de s'émanciper jusqu'à s'imposer comme l'alternative à l'autorité acquise dans le champ

artistique. En effet, comme nous l'explique Michel Poivert, vient au cours de cette décennies, une remise en cause,

par de nombreux photographes, des valeurs culturellement attachées à l'art comme à l'information. Et cette remise

en cause que nous pouvons comparer à une exigence éthique, « a cherché dans une notion aussi générique et

historique que celle de “document“, les moyens de sortir des symétries modernistes comme de l'aporie des

89 L'exposition s'est tenue à Paris et à Prato en 1989, Une autre objectivité, cat. expo., Jean-François Chevrier et James Lingwood (dir.), Paris, Prato, Idea Books, 1989.

90 Michel Poivert, La photographie contemporaine, op. cit., p.104.91 Jean-Claude Moineau, L'art dans l'indifférence de l'art, Paris, PTT, 2001.

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discours critique »92. Ainsi, « il y a bien une éthique documentaire dans le recours à des formes d'image proposant

un concentré d'humilité, de distance réféchie et d'audace à privilégier une forme parée des vertus du fond. Le

document est une réponse au monde des images sur le terrain même des images, l'unique moyen peut-être de

s'opposer au règne sans partage du spectacle »93. Dans le cadre de cette conception éthique du document venant

remettre en cause les principes qu'avait fondé la révision du modernisme, la neutralité fait ressortir la nature

utopique du document. Car hors de toute fn communicationnelle , « l'image documentaire, est précisément nulle

part (utopique), et propose, paradoxalement à la photographie contemporaine la première expérience d'une dé-

neutralisation de ses ambiguïtés par l'affrmation même du neutre »94. Ainsi ce travail du neutre vient comme un

moment de refondation de l'originalité de la photographie et non plus de revendication d'autonomie. Aussi, « ce qui

distingue la neutralité documentaire de l'objectivité comme “retrait expressif“ [propre aux photographes qui ont

participé au projet de l'autorité de la photographie], c'est précisément le refus de la distanciation qui fge les

modèles et les espaces »95. Le neutre n'est donc pas une donnée stylistique en soi, mais « la somme des refus qui

fait retour sur l'exigence des formes »96. Enfn, « le neutre comme distance “juste“ — entre le retrait de l'artiste et

l'implication de “l'auteur“ — peut procéder aussi bien d'une rhétorique de l'amateurisme que du reportage social et

de ses mises en scènes didactiques »97. Aussi c'est dans ce contexte qu'il faut voir et comprendre la pratique du

92 Michel Poivert, La photographie contemporaine, op. cit., p. 14093 Ibid., p. 140.94 Ibid., p. 14595 Ibid., p. 156.96 Ibid., p. 156.97 Ibid., p. 156.

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document chez Basilico. Car la neutralité en jeu dans ses images n'est pas à situer dans une esthétique froide,

objective et impersonnelle mais plutôt à comprendre comme une posture empathique face à l'espace qu'il

considère, une entente, une compréhension de l'espace. « Chaque forme de communication transmet,

nécessairement, un message. Par conséquent, il faut agir sur le langage, sur l'instrument à la base de la

communication. Je me considère comme “documentariste“, conscient de l'inévitable subjectivité de ma façon de

raconter. Je m'efforce donc de comprendre le paysage comme il se présente à mes yeux, de photographier sans

juger. Cela ne signife aucunement absence de jugement, mais une suspension provisoire, pendant le temps

nécessaire pour entrer en harmonie avec la réalité »98. Aussi cette apparente neutralité du regard qui est lisible dans

ses images, est moyen de « distance juste » et qui met en évidence une attitude démocratique par rapport à la ville

qu'il arpente. Une attitude qui lui permet d'accepter les paradoxes propres à la pratique documentaire de la

photographie et de s'en jouer. « L'image n'est dès lors plus une description-objet — comme le propos moderniste

tend à la défnir — mais une forme poétique dans laquelle la description s'ouvre à la disruption »99 (p. 162)

98 Gabriele Basilico, in, Beyrouth 1991 (2003), Paris, Le Point du Jour, 200399 Michel Poivert, La photographie contemporaine, op. cit., p. 162.

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3.3. Sans qualités

Vue frontale, parmi les voitures stationnées aux pieds. Deux bâtiments qui font mur. Deux immeubles dont

on peut imaginer les vies intérieures à la vue des détails visibles en façade (balcons chargés de plantes, linge qui

sèche, volets ouverts, rideaux tirés...). Dans l'espace qui sépare les deux bâtiments viens s'immiscer la forme d'un

autre immeuble plus éloigné et oblique. Vue bouchée donc100. À voir les endroits représentés dans les images de

Basilico, une rapide impression de banalité nous gagne. D'une certaine manière, ces confgurations pourraient

appartenir à n'importe quelle ville, se trouver partout et nulle part. Aucun élément n'est clairement reconnaissable.

Et bien qu'une lecture plus attentive pourra nous aider à donner une situation géographique plus restreinte grâce

aux signes discrets de l'espace urbain (telle plaque minéralogique nous dira quelle communauté d'Espagne, telle

publicité nous dira quelle langue et donc quelle pays...), si l'on considère les images comme des vues d'ensembles

— ce qu'elles sont —, il n'est jamais question d'un bâtiment en particulier ou d'un contexte urbain comme signe

d'une appartenance identitaire101. Dans les images de Basilico, nous sommes dans une certaine ville un peu

comme dans toutes. Cette impression est notamment due aux espaces urbains auxquelles il s'intéresse. Zones

industrielles, zones commerciales, périphéries urbaines, banlieues,... Il semblerait que Basilico ait une prédilection

pour ce type d'espaces impersonnels et somme toute plutôt sans intérêt esthétique. Dans ses images nous

sommes loin du “centre-ville“, loin de cet espace urbain qui est appelé “centre“ et qui trop souvent est reconnu

100 Vue de Milan, 1997, in, Dominique Baqué, La photographie plasticienne, l'extrême contemporain,Paris, Éditions du Regard, 2004. p. 156.101 Nous aurons l'occasion de revenir sur cette annulation de l'identité des espaces.

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comme la ville elle-même en opposition à un supposé pourtour moins digne mais qui n'en est pas moins ville. Nous

sommes loin de cette zone où les touristes se retrouvent pour cultiver une idée consacrée, préconçue et

reconnaissable de la “Ville“ : il est rassurant qu'au centre d'une ville soient des monuments. La ville que donne à

voir Basilico n'est pas faite de monuments. Et même lorsque, à la demande de l'Agence pour le Patrimoine Antique

de la région PACA, il photographie les monuments antiques de cette région, c'est sans nostalgie du passé qu'il les

observe ; sans chercher à les découper de leur réalité urbaine qu'il les photographie ; sans tenter d'éliminer les

éléments de signalisations qui entourent et organisent l'espace actuel de ces bâtiments qu'il les cadre. Ces

monuments ne sont pas hors du temps mais bel et bien contemporains. Et c'est avec la même considération qu'il

photographie leurs refets “immondes“ que peuvent représenter, selon certain canons esthétiques, les industries,

parkings, voies d'accès, barres d'immeubles, ponts autoroutiers,... En fait, Basilico ne fait pas de différences

esthétiques entre le centre et la périphérie, et il a bien compris que l'enjeu urbain contemporain se situait bien plus

dans ces espaces “ingrats“ que dans les « cœur de ville ». Et en s'intéressant plus particulièrement à ces zones qui

construiraient une « ville sans qualités » — pour paraphraser abusivement Robert Musil102 —, ce serait en fait les

espaces de la ville contemporaine même, celle que l'habitant côtoie quotidiennement, qu'il pratique, qu'il habite,

que Gabriele Basilico viendrait documenter. Ces espaces qui forment selon Bruce Bégout la « suburbia », un

espace que nous ne pouvons pas simplement envisager comme une simple extension périphérique : « la suburbia

n'est plus simplement ce qui ceinture la ville et constitue ses abords interminables et honteux, ses marges obscurs

102Abusivement parce que l'homme sans qualités de Musil n'est pas véritablement un homme sans “qualités“ bien au contraire, c'est un personnage lucide et intelligent, mais sans “titre“ et sans ambition.

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et sans intérêt, elle devient une nouvelle manière de penser et de constituer l'espace urbain »103. Un espace illimité

et qui s'étend à perte de vue. Mais surtout, un espace qui, sans être une nouvelle utopie urbaine — bien au

contraire —, est la “place“ des enjeux urbains et sociaux contemporains. Et Basilico, en se situant clairement dans

ces espaces urbains, nous montre une réalité sans fard, qui fait de son travail un véritable travail d'archéologie

contemporaine. Un travail fondé sur une approche réféchie et sur l'acuité d'un regard neutre tel celui de l'analyste

afn de produire les bases visuelles d'une réfexion sur la ville contemporaine et ses enjeux. Un travail qui crée des

documents-utiles et des outils de comparaison nécessaires.

103Bruce Bégout, « Suburbia, du monde (urbain) clos à l'univers (suburbain) infini », in, Airs de Paris, (dir.) Christine Marcel & Valérie Guillaume, Paris, Centre Pompidou, 2007, pp. 82-86.

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[ (RE)COUDRE / TISSER ]

Ce paradoxe de la pièce photographique, de ce morceau délicatement prélevé du tissu urbain, qui ne

cherche pas à se constituer comme tableau, comme objet autonome consacré, accroché, fxé, exposé, mais plutôt

comme document parcellaire, à la fois représentant un contexte particulier et s'en détachant, ouvrant ainsi la

possibilité d'une narration. Acte de mise en pièces-fragments, et de re-couture, de tissage discursif, narratif, qui dit

autant qu'il contredit. Œuvre de tapissier. Quand nous parlons de pièces, se n'est pas tant les pièces d'un puzzle

qu'il faut s'imaginer, mais plutôt les pièces d'un patchwork : « Il ne s'agit pas de construire un puzzle ou de

permettre la naissance d'un nouveau monstre urbain, mais de la volonté de faire couler l'énergie sur l'élan d'un

désir d'égalité et d'intégration, contre toute séparation, où l'identité d'un lieu ne soit pas écrasée par le devenir d'un

paysage globalisant, mais se poursuive en exerçant la nécessité de diversité et de propriété »104.

104 Gabriele Basilico, « Carta a Josep Vincent Monzó », in, Milan Berlin Valencia, Barcelone, Actar, 2001.

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4. MISES EN PAGES

Il est une chose qui nous semble évidente au regard de l'ensemble des travaux de Gabriele Basilico, c'est la

place centrale que prend la publication de ses images. Non seulement par rapport à la quantité d'ouvrages qu'il a

publiés105, mais aussi pour sa manière particulière d'utiliser le médium qu'est le livre. Et cette particularité nous

amène à penser que, plus que dans la présentation sous la forme d'une exposition, c'est dans la mise en page que

les images prennent leur plus grande force discursive. Voire même, c'est sous la forme éditoriale que son travail est

le plus parlant. D'ailleurs la grande majorité des ouvrages qu'il a publié ne sont pas la conséquence d'une

exposition ; au contraire, ses livres ne sont que rarement des catalogues d'expositions, ou ils le deviennent à

posteriori106. D'une certaine manière, l'exposition est secondaire quant il s'agit de présenter ses recherches

photographiques. Cet intérêt que cultive Basilico pour la forme du livre, n'est pas pour autant un moyen de

s'opposer ou de s'insurger contre l'exposition. Car il ne refuse aucunement d'exposer ses images. A l'inverse, la

liste de ses expositions, personnelles ou collectives, est même plus longue encore que celle de ses ouvrages

publiés107. En fait ce qui fait l'intérêt de ses livres c'est qu'ils ne vont pas dans le sens d'un regroupement de

photographies-à-exposer. Dans ses livres, les images prennent une dimension esthétique qui n'est pas celle du

105 Dans Gabriele Basilico, Carnet de travail 1969-2006, op. cit., sont dénombrés 50 ouvrages personnels, et 68 collectifs. Il a d'ailleurs été publié un catalogue raisonné regroupant l'ensemble de ses ouvrages publié (pour chacun d'eux, la couverture, quelques photos et un texte extrait du livre sont présenté), plus de 120 ouvrages y sont présentés : Italo Rota (dir.), Gabriele Basilico : Photo Books, 1978-2005, Mantoue, Corraini, 2006.

106 Par exemple le livre Cityscapes, est d'abord publié en 1999, ensuite, une exposition du même nom aura lieu au CPF de Porto en 2001, et au MART de Trento la même année (voir biographie en annexes)

107 De manière générale il est “normal“ d'avoir exposé plus que publié.

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tirage photographique grand format proprement encadré et religieusement accroché au mur108. En effet,

remarquons d'abord que ses images y sont toujours109 présentées en plein format, sans la moindre marge blanche,

remplissant tout l'espace de la page. Celles-ci y semblent comme découpées, comme rognées — il arrive d'ailleurs

qu'il coupe certaines images par souci de mise en page. Ainsi, ses photographies, bien que réalisées à la chambre

grand format — avec ce que cela implique de qualités techniques et pratiques —, se retrouvent présentées là,

comme dans un catalogue commercial ou comme dans un magazine publicitaire. C'est donc, à priori, en

contradiction avec l'idée d'une photographie d'une grande qualité de cadrage et de construction que les images

sont ainsi présentées. Dans ses livres, les photographies ne semblent pas être posées sur la page comme elles

seraient posées sur le mur, ce que pourrait faire penser une présentation avec marges blanches encadrant l'image ;

elles sont la page, autant que les mots alignés qui remplissent une page et forment un texte, une histoire, dans un

livre, sont la page110 ; les images ne sont pas détachable du livre, de l'ensemble du livre, elles y appartiennent et le

font. Pas même un espace est aménagé pour une légende à proprement parler111. Une autre caractéristique de la

présentation, notable bien que minime, est son emploi du format paysage. Ce choix est certes dû au fait qu'il

réalise la majorité de ses images en format paysage. Mais lorsque vient une image faite verticalement, celle-ci se

retrouve renversée, comme couchée, mise à plat, et ce, indépendamment de son sens de lecture. Privilégiant ainsi

la mise en page globale de l'ouvrage avant la compréhension, ou plutôt la reconnaissance de l'image. De sorte que

108 Je me réfère à l'exposition personnelle qui a été présenté à la Maison Européenne de la Photographie, Paris, en 2006, une exposition rétrospective et à l'accrochage, comme toujours pour la MEP, (presque trop) soigné.

109 Sauf certaines images de Cityscapes qui jouent plus sur l'espace de la page.110 Du moins dans une utilisation “classique“ du texte, celle qui qui est la plus répandue.111 Nous allons revenir en détail sur cette caractéristique qui finalement diffère quelque peu selon les ouvrages.

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cette image ainsi retournée se détache, se délie d'un rapport trop direct et trop contraignant d'avec son référent112.

Elle se présente de manière plus formelle. Et cette manière de privilégier la mise en forme de l'image plutôt que sa

“référentialité“, délie l'image d'un certain aspect documentaire et, sans pour autant devenir une complète fction,

elle ouvre la possibilité d'une lecture “oblique“, d'une lecture de l'image comme fgure d'un contexte “fottant“ entre

référent et paradigme. En fait cette brèche ouverte par cette image couchée, est à extrapoler à l'ensemble des

images mises en pages, à l'acte même de mettre en page de Basilico. En effet, ces manières de présenter sont

des moyens de désacraliser, de faire de l'image un matériel plus propice à la lecture qu'à la mise en évidence d'une

“belle“ image. En fait, un moyen de construire une narration, s'étirant par une suite d'images montées ensemble,

associées ; une narration comme un monologue qui tire un fl. C'est donc la raison pour laquelle l'utilisation du livre,

dans le projet de Basilico, est quelque chose de fondamental. C'est le moyen pour lui de mettre en évidence la

malléabilité de son archive113, et puisque les images n'ont pas de “place“ attitrée, prédéterminée, ni d'organisation

prédéfnies, les possibilités d'associations sont comme autant de possibilités de discours, de discussions, de

contacts, de réfexions. Le livre est un espace de travail pour ses images.

112 Sans pour autant se découper, cf, supra.113 Voir supra, “Quantité“

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4. A. TYPOLOGIE

Parmi les ouvrages publiés par Gabriele Basilico114 et que nous avons pu étudier au cours de nos

recherches, nous avons distingué trois types. Trois types qui, sans s'opposer fondamentalement, nous permettent

de mettre en évidence certaines spécifcités qui ne sont pas systématiques dans son travail et qui se trouvent plus

ou moins développées selon les publications. Tout d'abord l'idée du livre compilation, qui, sans être le fruit d'une

commande photographique, ni d'un projet particulier, réunis différentes images réalisées au cours de différentes

campagnes photographiques. Ainsi se présentent Scattered City (Paris, Le Point du Jour, 2005) ; et Cityscapes

(Milan, Baldini Castoldi Dalai, 2008, première édition 1999). Ensuite, le livre comme projet, c'est à dire un ouvrage

qui n'est pas le résultat d'une commande sur une ville en particulier, mais qui se présente comme un projet

spécifque réalisé de manière conjointe avec un architecte. Le livre Italy, Cross Sections of a Country (Zurich, Scalo,

1998, première édition 1997), réalisé avec l'architecte Stefano Boeri est l'exemple le plus probant. Enfn, le livre

spécifque, qui est le type de livre qu'il a le plus publié, toujours résultant d'une commande sur une ville ou une

zone urbaine déterminée en particulier. De manière générale, le livre est titré d'après le nom de la zone en question.

Par exemple l'ouvrage Interrupted City (Barcelone, Actar, 1999).

114 Quand nous parlons des livres qu'il a publié, nous nous référons uniquement aux ouvrages monographiques.

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4.1. Compilations

a. Scattered City

« L'horizon suburbain ne débouche pas sur la non-ville — désert, campagne ou montagnes — mais sur un

autre espace suburbain qui repousse sans cesse ses bornes vers l'inimaginable. Il n'y a plus de point de fuite dans

la perspective suburbaine. La suburbia ouvre sur une autre suburbia, et ce indéfniment »115. La ville éclatée dont il

est question dans le livre de Basilico est comme cette suburbia que décris Bruce Bégout. Un espace sans limites

qui continue à s'étendre au delà de l'horizon. Et c'est bien ce qui est visible dès les premières images du livre : des

vues en hauteur dans l'espace urbain qui débouchent sur des villes au loin encore. Au mieux une colline ou une

mer, peu importe, cela reste urbain116. En fait, une ville éclatée aussi, parce que le livre est composé d'un

assemblage de fragments de diverses villes mises en pièces. Mais pouvons-nous alors vraiment parler d'une ville

éclatée, alors qu'il semble évident que l'ensemble des images n'appartiennent pas à la même ville ? N'est-il pas

paradoxal que Basilico représente avec une acuité particulière les qualités spécifques des sites qu'il arpente, et

qu'ensuite ceux-ci se retrouvent compilés de façon qu'aucun repère ne nous permette de localiser les espaces

photographiés ? C'est justement à partir de ce paradoxe que le livre de Basilico prend toute son ampleur. En effet,

les images sont présentées dans le livre sans légendes, pouvant se situer partout et nulle part, dans n'importe

115 Bruce Bégout, « Suburbia, du monde (urbain) clos à l'univers (suburbain) infini », op. cit.116 Voir le projet du laboratoire d'architecture Multiplicity, Solid Sea, voir supra, note 12.

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quelle ville européenne117. La seule information disponible sur la page est un code incompréhensible118. Et cette

manière de détacher l'image de sa situation géographique, est un moyen, propre au livre, pour créer une narration,

pour rendre l'image non plus dépendante du nom propre de la ville, mais ouverte à une lecture sans le bagage trop

lourd de sens de la dénomination et de la localisation. Scattered City se présente donc comme une narration qui se

décline par fragments d'un espace urbain sans limite, qui s'étire, se répand et s'éparpille. D'ailleurs décrire chaque

image serait un exercice assez intéressant pour apprécier cette ville éclatée racontée. Toutefois, la narration en jeu

dans le livre n'est pas une narration qui annihile les spécifcités des espaces urbains ici compilés car, par un certain

souci documentaire la liste des villes photographiées est présentée à la fn de l'ouvrage. En fait cette façon de

“retarder“ la légende, de “retarder“ la localisation, est un moyen d'ouvrir la potentialité narrative de ses images, de

les voir comme fragments d'une suite interrogative sur la confguration spatiale d'une ville européenne quelconque ;

de ne plus juste poser les images de villes déterminées en comparaison les unes avec les autres, mais en

comparution comme appartenant à un même espace urbain. Mais cela sans pour autant tomber dans une fction

monstrueuse car ses images ne sont pas fondamentalement accusatrices, mais posent plutôt un constat. Celui de

voir comment nous construisons et comment nous habitons nos villes aujourd'hui. Mais cette présentation en

équilibre entre le fctif et le documentaire, se comprend plus comme l'empathie d'un modeste arpenteur, que

comme le cri d'un juge désespéré.

117 Malgré la présence d'images de Buenos Aires, nous préférons maintenir le terme européen car comme le prétendent certains commentateurs, Buenos Aires est une ville qui regarde l'Europe pour s'y reconnaître, une ville qui se veut européenne.

118 Un code qui maintiens le mystère, par exemple : 03B7-91-2 pour la première image. La clef de ce code est expliqué dans Berlin (2002), les deux premiers chiffres pour l'année, la lettre pour le reportage, le chiffre suivant pour le numéro de reportage, et les chiffres suivant pour le numéro de négatif au sein de ce reportage.

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b. Cityscapes

Ce livre réunit plus de trois cents images réalisées entre 1984 et 1999. Et la première impression que nous

avons est qu'il s'agit là d'une anthologie, d'un recueil rassemblant toutes ses images depuis 1984 jusqu'à 1999.

Depuis les plages de Normandie jusqu'aux rues de Palerme en Sicile. Mais à bien observer, parler d'anthologie

n'est pas tout à fait exact. Même si les deux premiers ensembles qui entament le livre119 et celui qui le termine120

sont présentés de manière compacte, comme des groupes non séparables, le reste du livre n'est pas construit de

la même façon. En effet, outre ces introductions et cette conclusion, comme pour cadrer le propos, les images qui

remplissent l'ouvrage ne semblent plus suivre la moindre organisation. Car c'est à un voyage à travers le temps et

l'espace, à travers son archive d'images des espaces urbains que nous convie ici Basilico. Un voyage qui ne

dépend pas de l'arrangement selon des ensembles temporels ou géographiques et qui ne cherche pas à recréer

un déroulement linéaire, mais qui rapproche les villes et les époques de manière éclaté. « Ce n'est pas censé être

une anthologie mais plutôt une “tranche“ dans le temps, un voyage factice dans un paysage imaginaire fait

d'endroits réels qui partagent une affnité »121. En fait un voyage qui n'en est plus vraiment un, ou qui ne peut en

être un qu'à condition de faire abstraction des légendes. Et pourtant celles-ci sont bien présentent à l'image, au

bas de chaque page, discrètes mais bien là. Et elles nous permettent de localiser la zone urbaine d'où est tirée

119 De la page 9 à 38, se sont les photographies réalisées lors de la mission de la DATAR, et de la page 40 à 61, se sont les images réalisées dans le centre de Beyrouth après les conflits du début des années 90 : les deux commandes les plus célèbre qu'il réalisa.

120 Son dernier travail de l'époque, à Palerme. 121 Gabriele Basilico, in, Cityscapes, op. cit.

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l'image présentée. Mais ce voyage en aller et retour ininterrompue dans le temps et dans l'espace qui se construit

au fur et à mesure du livre, nous détache du contenu informatif du nom de ville, faisant de celui-ci non plus un nom

propre mais un nom commun. Et il en est de même pour la date qui perd son ancrage trop direct au passé pour

devenir vaguement actuelle122. En fait le livre Cityscapes, se présente comme une mise en interaction de son

archive, un moyen de construire un nouveau récit documentaire : « Cityscapes est peut-être aujourd'hui une

occasion de reconstruire une nouvelle histoire, d'un seul trait, en faisant revivre quinze ans d'archives

photographiques »123.

122 Et puis les années 80 sont elles suffisamment loin pour être considérées comme “passé“ ? Quand par exemple nous voyons que l'éclatement urbain est de mode dans les discours urbanistique, alors que c'est un phénomène qui date au moins des années 60, voir, selon Bénédicte Grosjean (in La “ville diffuse“ à l'épreuve de l'Histoire, Urbanisme et urbanisation dans le Brabant belge, thèse de doctorat, 2007, synthèse en ligne sur http://www.metropolisation-mediterranee.equipement.gouv.fr), depuis beaucoup plus longtemps quand il n'y a pas eu de projet planificateur.

123 Gabriele Basilico, in, Cityscapes, op. cit.

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4.2. Projet

Italy, Cross Sections of a Country

Ce projet a été réalisé conjointement avec Stefano Boeri dans le cadre de la Biennale de Venise / VI ème

Exposition Internationale d'Architecture, en 1996, pour le pavillon de l'Italie. Celui-ci se présente comme une étude

du paysage urbain italien à travers six “coupes“ réalisées dans le territoire : de Milan à Côme ; de Venise-Maestre à

Trévise ; de Rimini-Riccione au Montefeltro ; de Florence à Pistoie ; de Naples à Caserte ; de Gioia Tauro à Siderno.

Ces six coupes se présentent comme la délimitation d'un espace de travail pour Gabriele Basilico. Six rectangles

de territoire de 50 km sur 12 km, et qui se caractérisent par le fait qu'elles comportent toutes des zones

suburbaines massivement peuplées à l'extérieur d'une zone urbaine consolidée ; chacune d'elles est infuencée par

une orographie signifcative ; chacune, aussi, est traversée par au moins une grande voie de communication ; et

toutes présentent les signes d'une intense transformation récente de l'espace habité. En fait, par cet aspect

contraignant, il s'agit de mettre en place un cadre afn d'étudier la complexité actuelle du paysage urbain : un

espace qui se diffuse de plus en plus en plus, qui s'étend et se répand jusqu'à devenir diffcile de mesurer et

d'appréhender. Ainsi, sans chercher à proposer une étude exhaustive du territoire urbain italien, cette méthode

permet de constituer des exemples particuliers qui, autant qu'ils acceptent leurs limites, ouvrent la possibilité d'une

compréhension à plus grande échelle. Mais revenons au livre comme projet. Car bien que ce projet de coupes

dans le territoire italien ait été réalisé pour une exposition, il nous semble que le livre vient plus clairement en

concrétiser les enjeux. Il ne s'agit pas de soutenir que l'exposition à la Biennale de Venise ait été un échec, bien au

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contraire, nous pensons qu'elle fut parfaitement scénographiée124. Mais le livre vient ici construire un discours qui

n'était pas présent dans l'exposition ou bien de manière momentanée. En effet, le livre réunis 108 images de

Basilico, un texte théorique de Boeri et les six plans de situation des six coupes. Créant ainsi ce que Stefano Boeri

a appelé un atlas éclectique. Les atlas éclectiques sont des moyens d'observer et de penser l'espace

différemment, de se défaire de la vue à distance, zénithale et qui fnalement ne donne aucune connaissance de la

réalité de la confguration urbaine. « Ils ont tendance à prendre la forme d'un atlas, car ils cherchent de nouvelles

correspondances entre les choses logiques spatiales, les mots que nous utilisons pour les nommer et les images

mentales que nous projetons sur eux. Et ils ont tendance à être éclectiques, car les critères sur lesquels sont

basées ces correspondances sont souvent multidimensionnels, faux et expérimentaux »125. Et ces atlas éclectiques

se caractérisent par quatre nouvelles façons d'observer l'espace urbain : « un regard de détective », « un regard

oblique », « un regard échantillonné » et « un regard mobile »126. Et c'est bien là le travail qu'à réalisé Gabriele

Basilico, arpentant, errant sur les bords de route dans ces portions de territoires, dans les espaces de l'étalement

urbain. Et si le livre prend une dimension plus importante que l'exposition, c'est d'abord pour son contenu : 108

photographies et un texte qui vient comme appoint théorique nous donnant une lecture critique de l'espace urbain

italien et européen par extension. Mais aussi parce que comme un atlas il est diffusible et consultable : « Recueil de

124 « L'installation était composée d'une grande image satellite de la péninsule sur le sol de laquelle émergeaient, comme des extrusions, des maquettes de plexiglass et de magnésium et les six coupes du paysage duquel les six séquences de photographies avaient été prises. Les images recouvraient entièrement les murs de la salle, entourant les visiteurs et les incitant à rechercher des connexions et de se déplacer dans trois “représentations“ de l'espace habité », Stefano Boeri, « The Italian Landscape : Toward an “Eclectic Atlas“ », Italy, Cross Sections..., op. cit..

125 Stefano Boeri, « Eclectic Atlases », op. cit.126 Ibid.

90

Page 91: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

cartes utiles pour repérer nos déplacements, un atlas aide à résoudre ces questions de lieu. Égarés, nous nous

retrouvons grâce à lui »127.

127 Michel Serres, Atlas, Paris, Julliard, 1994.

91

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Page 93: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

4.3. Sur une ville

Interrupted City

Une ville interrompue, arrêtée, suspendue dans le temps d'abord. Une ville dont la continuation aurait été

rompue. Nous pensons à Babel et sa tour qu'une main divine est venue stopper, par la confusion, en plein chantier.

Ou à Beyrouth et toutes les autres villes victimes, qu'une guerre forcément injuste est venue détruire. Ou encore à

cette supposée ville à venir, qu'un cataclysme aura suspendue dans un inquiétant état de léthargie. La ville

interrompue c'est d'abord, dans notre imaginaire, une ville désertée, abandonnée, où l'être humain n'existe plus

qu'il soit parti ou qu'il en ait été éradiqué. Il n'y a plus d'or ici, la fèvre tombe. La ville deviendrait ainsi le simple

décor d'une histoire passée, un reste fgé dans une attitude particulière. Mais une ville interrompue c'est aussi une

ville brisée, coupée dans l'espace. Une ville qui aurait perdue son uniformité, sa continuité : faite de plein et de vide.

Nous pensons alors peut-être plutôt à Berlin avec ses grands espaces vides. En fait dans l'idée commune que

nous nous faisons d'une ville, dire “ville interrompue“ sonne comme un oxymore. Car interrompre une ville,

semblerait aller contre l'expérience de sa temporalité continue, contre l'expérience de son tissu continu. Dans ce

livre, c'est de Milan, capitale économique de l'Italie du nord, dont il s'agit. La ville originaire de Gabriele Basilico,

qu'il aime et admire aussi bien dans ses beautés que ses laideurs : « Elle possède une beauté et une laideur

propre, externes et visibles, qui sont l'incarnation de son histoire, qui s'expriment dans leurs caractères physiques

et qui acquièrent un sens plus important encore comparés avec d'autres villes »128. « Cette ville ressemble à un être

128 Gabriele Basilico, « Carta a una ciudad », Interrupted City, Barcelone, Actar, 1999.

93

Page 94: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

vivant ; c'est un organisme qui respire et qui se dilate au dessus de nous comme une couverture protectrice qui

nous enveloppe et nous désoriente en même temps »129. L'explication alors de ce titre est donc peut-être a

chercher par ici, à travers cette relation qui unie Basilico à Milan. Et comme la flle du potier Dibutade qui dessine

l'ombre de son amant sur le mur, Basilico donne ici une image momentanée de cette ville, en interrompt le fux le

temps d'un récit. « C'est très diffcile — bien que la tentation ait été toujours présente — de raconter une grande

ville, grande comme Milan, dans sa totalité. Le risque est de tomber dans un travail épuisant et incomplet dont la

tension narrative peut se diluer dans une mosaïque — ambitieuse mais incontrôlable — de fragments »130. Dans ce

livre, Basilico nous propose une narration partielle construite à partir de trois zones distinctes : d'abord une zone de

densité compacte qui s'étend entre la gare Milano Centrale et la gare Garibaldi ; puis la zone de la ville du

Novecento, traitée de manière sporadique ; et enfn celle de la périphérie. En fait si nous avons choisi de présenter

ce livre plus que tous les autres dans le type de livre “sur une ville en particulier“, c'est parce que Milan n'est pas

juste à comprendre comme sa ville natale, comme la ville de son cœur... Mais plutôt comme la ville prisme. La ville

à travers laquelle il observe toutes les autres villes qu'il a explorées. Milan comme point de départ mais aussi

comme point de retour. « Un port ; c'est à dire un lieu stable où s'accumulent les échantillons prélevés, les

découvertes et les estampes des lieux les plus éloignés »131.

129 Ibid.130 Gabriele Basilico, « Nota informativa sobre el trabajo », Interrupted City, op. cit.131 Gabriele Basilico, « Carta a una ciudad », Interrupted City, op. cit.

94

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FERMETURE

Nous avons donc cherché à mettre en évidence le fait que la pratique photographique de Basilico se

présente comme une mise en pièces de l'espace urbain contemporain. En effet, tout d'abord, par l'utilisation de la

chambre photographique, il prend place dans l'espace et agit comme un scénographe, construisant ainsi l'image

comme une scène. Et l'utilisation de cet outil lui permet de fragmenter l'espace sans limite de la ville ; fragmenter

plus que découper puisque l'image réalisée n'est pas arrachée à son référent : elle s'y reporte toujours. Du moins

c'est là un paradoxe puisque tout en étant toujours en relation avec son référent comme un document, l'image

gagne aussi un potentiel narratif détaché de ce même référent, elle devient l'image d'une ville, d'une confguration

urbaine particulière sans pour autant être nécessairement dénominative. En fait, c'est grâce à cette ambiguïté de

l'image que Basilico peut ensuite recomposer une narration, recoudre une continuité perdue dans l'objet livre

principalement. Une recomposition où chaque image constitue une phrase, et, mises bout-à-bout un poème

complexe, fait de jeu de mots, de redondances, de rythmes... C'est d'ailleurs l'impression qui ressort de la plupart

de ses livres, qu'il s'agisse d'un livre compilation, d'un livre projet ou d'un livre sur une ville. Cette manière de

mettre en pièce est chez Basilico un geste amoureux, il ne cesse de mettre en pièce le corps informe de la ville

contemporaine pour ensuite le recoudre, le reformer. Parce que le travail de Basilico n'est pas un travail pessimiste

qui chercherait à se plaindre sans arrêt des maux de l'espace urbain. Il identife certes ces points malades comme

un médecin diagnostique un patient, mais il dépasse aussi ce simple constat clinique pour tenter de redonner une

place à ces espaces. Parce qu'il a bien compris que cette ville qui nous échappe nous y vivons et il faut bien

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Page 97: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

chercher par tous les moyens à l'habiter. Aussi, ce geste de reconstruction deviens véritablement un geste

d'amour, mais d'un amour platonique132. « Puisque l’amour ne s’attache jamais à telle ou telle propriété de l’aimé

(l’être blond, petit, tendre, boiteux), mais n’en fait pas non plus abstraction au nom d’une fade généricité (l’amour

universel) : il veut l’objet avec tous ses prédicats, son être tel qu’il est. Il désire le quel uniquement en tant que tel -

c’est ainsi que s’affrme son fétichisme particulier. La singularité quelconque (l’Aimable) n’est jamais dès lors

intelligence de quelque chose, mais elle n’est que l’intelligence d’une intelligibilité. Le mouvement, que Platon décrit

comme anamnèse érotique, est celui de l’anaphore qui transporte l’objet non pas vers autre chose ou vers un autre

lieu, mais vers son propre avoir-lieu, vers l’idée »133. C'est bien de cet amour là dont il est question dans le travail de

Basilico, d'un amour qui extrait les “singularités quelconques“, Basilico considère la ville contemporaine telle qu'elle

est dans son être.

Mais ne pourrions nous pas nous demander si cet amour platonique qui ressort de sa relation avec la ville

contemporaine européenne n'est pas fnalement le résultat de l'amour originel qu'il a pour sa ville natale ? Milan

qu'il n'a jamais cesser de photographier, d'arpenter et qu'il a fni par imaginer comme une ville portuaire. C'est

donc peut-être toujours Milan qu'il photographie à Berlin, à Valence, à Beyrouth,… C'est peut-être fnalement

toujours et encore le corps de la ville aimée qu'il reconstruit. Aussi c'est peut-être là-bas qu'il faudrait aller pour

mettre le point fnal à notre recherche.

132 Qui n'est pas à comprendre dans le sens commun d'un amour sans consistance, mais plutôt d'un amour au plus haut degré, celui de l'idée.133 Giorgio Agamben, « La communauté qui vient. Théorie de la singularité quelconque », in, Futur Antérieur, n°1, Printemps 1990.

(http://multitudes.samizdat.net/La-communaute-qui-vient-Theorie-de.html)

97

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Page 99: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

BIOGRAPHIE DE GABRIELE BASILICO

Gabriele Basilico est né le 12 août 1944 à Milan.

En 1978, il commence une longue recherche sur la zone urbaine industrielle de Milan. Il obtient son diplôme

d'architecte à l'Institut polytechnique de Milan en 1973.

En 1981, En collaboration avec Fulvio Irace, il réalise un travail sur l'architecture milanaise du XXe siècle, Immagini

del Novecento. Milano, architetture 1919-1939.

En 1982,il participe au premier projet collectif de type public: Napoli, città di mare con porto.

En 1983, il expose ses recherches sur les zones industrielles de Milan, Milano, ritratti di fabbriche, au Padiglione

d'Arte Contemporanea de Milan ; et publie aux éditions Sugarco, Milan le catalogue au titre éponyme.

En 1984, il participe à l'exposition collective Viaggio in Italia, née d'un projet de Luigi Ghirri sur le paysage italien

contemporain. Et il est invité, aux côtés de photographes européens et américains, à participer à la fameuse

Mission photographique de la DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et l'action régionale), grande

campagne sur le paysage français contemporain.

En 1986, il publie le livre Italia & France, vedute 1978-1985, aux éditions Jaca Book, Milan. En 1985, il publie les

recherches photographiques qu'il avait réalisés sur l'architecture milanaise du XXème siècle, Immagini del

Novecento. Milano architetture 1919-1939, editions Mazzotta, Milan.

Entre 1984-1987, il réalise de nombreux projets individuels et collectifs dans divers sites d'Europe (Milan, Trieste,

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Rotterdam, Genève, le Lac Trasimène, Hambourg, Barcelone, Anvers).

Entre 1984-1987, il réalise de nombreux projets individuels et collectifs dans divers sites d'Europe (Milan, Trieste,

Rotterdam, Genève, le Lac Trasimène, Hambourg, Barcelone, Anvers).

En 1989, Il travaille à Milan, Barcelone et Vigo. En 1988, il débute une collaboration avec la Province de Milan, dans

le cadre du projet Progetto Beni Architettonici e Ambientali, qui lui vaut une série de commandes. En 1987, il

présente une exposition personnelle Italia-France aux Rencontres internationales de la photographie à Arles.

En 1990, Il reçoit le Grand prix International du Mois de la Photographie à Paris pour l'exposition et le livre Porti di

mare, qui présente une recherche photographique personnelle portant sur différents ports maritimes d'Europe. Le

livre du même titre est publié aux éditions Art&, Udine, avec une introduction d'Aldo Rossi et un texte de Roberta

Voltorta. Il expose également son travail personnel Bord de mer à la galerie Ar-Ge Kunst de Bolzano.

En 1991, il participe avec un groupe de six photographes internationaux (Raymond Depardon, René Burri, Josef

Koudelka et Fouad Elkoury), à la Mission photographique sur la ville de Beyrouth, organisée par la Fondation Hariri

et les éditions du Cyprès. Mission qui avait pour but de documenter et constater l'état du centre ville de beyrouth

après les bombardements.

En 1992, réalise divers projets à Barcelone, Francfort et Florence. et travaille sur l'architecture de Jean Renaudie

en France. Il expose au Musée de l'Élysée de Lausanne son travail Porti di Mare. Il publie aux éditions Art&, Udine,

le livre Bord de mer, qui reprend ses recherches personnelles réalisées durant la mission de la DATAR ; le livre est

introduit par un texte de Bernard Latarjet.

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Page 101: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

En 1993, il participe à une commande collectives sur le port de Bilbao, initiée par Bilbao-Metropoli 30, et sur la ville

de Madrid, à l'invitation de la Fundación Cultural Banesto. Pour le compte des Ferrovie dello Stato et de l'éditeur

Peliti Associati, il travaille sur les paysages autour des passages ferroviaires, entre l'Italie et l'Europe ; en sera publié

le livre In treno verso l'Europa, édition Peliti Associati, Milan. Il présentera également une exposition personnelle au

Printemps de Cahors.

En 1994, il travail, sur commande, sur les villes de Nice (ses photographies seront exposées au musée Matisse de

Nice), Modène et Gémone. Une importante exposition rétrospective est présentée à la Fondazione-Galleria

Gottardo de Lugano , L'esperienza del luoghi, 1978-1993, à cette occasion un catalogue est publié aux éditions

Art&, Udine. L'exposition sera ensuite itinérante ( Lisbonne, 1996 ; Arles, 1997 ; Palermo et Cardiff, 1998).Il publie

aux éditions La Chambre Claire, Paris, ses recherches personnelles sur Beyrouth, Basilico Beyrouth.

En 1995, il participe à la commande collective de la ville de Lérida sur le rapport entre le centre historique et les

frontières de la ville (Lleida Panorama). Il expose ses recherches personnelles sur Beyrouth, Beyrouth 91, au Teatro

Sociale de Bergame. Il entame un nouveau travail de recherche personnelle sur Milan qui l'amènera, en 1999, à la

réalisation du livre The Interrupted City, Actar, Barcelone.

En 1996, il participe à la commande collective sur Fos-sur-Mer (grand pôle industriel à l'ouest de Marseille), avec

les photographes, Jean Louis Garnell, John Davies et Lewis Baltz. D'autre part, à l'occasion de la Biennale de

Venise/Vlème Mostra Internazionale di Architettura, il reçoit deux commandes : l'une du Bureau Fédéral de Culture

Suisse, pour lequel il conduit une recherche sur Monte Carasso dans le canton du Tessin à l'occasion de

l'exposition sur l'oeuvre de Luigi Snozzi, au Pavillon de la Suisse, Montecarasso, la ricerca de un centro. Un viaggio

101

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ftigrafco di Gabriele Basilico con Luigi Snozzi ; d'autre part, il présente, dans la section italienne, un important

travail photographique sur l'état du paysage urbain italien d'après un projet conçu avec Stefano Boeri, Sezioni del

paesaggio italiano. Lors de cette même Biennale, il reçoit le prix Osella d'oro pour la meilleure photographie dans le

domaine de l'architecture contemporaine. Il participe aussi, à l'invitation de la Kunsthaus de Zurich, à une

campagne collective sur la zone du quartier industriel.

En 1997, il réalise plusieurs commandes publiques sur la ville et paysage à Valence, Marghera (zone industrielle),

Riva del Garda, Alberobello, Gênes. Il travaille de nouveau sur Nice (cette fois, sur l'architecture de la Belle Époque),

dans la montagne San Gottardo, à Arras, en Lombardie et à Bolzano. Il est invité à présenter l'exposition Beirut'91

à la Biennale d'art de Kwangju (Corée) où il reçoit, dans la section Space, le Kwangju Biennale Award.

En 1998, Il réalise un vaste travail de représentation de Palerme (Palermo città) et sur Bergame (Attraversare

Bergamo). Il présente dans la Basilique Palladiana à Vicence, Italie, le diaporama Nelle altre Città qui met en relation

des vues de milan avec des vues d'autres villes européennes. De ce diaporama est publié un livre éponyme aux

éditions Art&, Udine. Il publie également le livre-catalogue Italy, cross-setions of a country, aux éditions Scalo,

Zürich, accompagné d'un texte de Stefano Boeri. Livre qui fait suite au projet présenté en 1996.

En 1999, À l'invitation du CPF (Centro Português de Fotografa) de Porto, il photographie la faculté d'Architecture,

oeuvre d'Alvaro Siza. Et pour la ville de Sesto San Giovanni, il commence un long travail sur la zone désaffectée du

complexe sidérurgique Falck. Il publie le livre Cityscapes aux éditions Baldini &Castoldi, Milan (réedition en 2008),

et Thames &Hudson, Londres. Ouvrage qui réunit plus de trois cents photographies réalisées entre 1984 et 1999,

avec une introduction d'Alvaro Siza et un entretien entre Gabriele Basilico et Filippo Maggia. Il publie aussi aux

102

Page 103: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

éditions Actar, Barcelone, le livre-hommage à la ville de Milan, Interrupted City,

En 2000, à la demande de la DAAD (Deutsche Akademischer Austausch Dienst) et en collaboration avec

Siebenhaar/art project/Frankfurt, il travaille trois mois à Berlin pour documenter les différents aspects de la ville. Il

photographie également la ville de Valence à l'invitation de l'IVAM (Institut Valencià d'Art Modern). À Amsterdam, au

Stedelijk Museum, est présenté l'exposition personnelle Urban Views, et un catalogue du même titre, mettant ses

images en rapport avec celle de Beat Streuli est publié aux éditions NAI Uittgevers, Rotterdam. Il participe aussi à

l'importante exposition collective Mutations, au centre d'architecture Arc en rêve à Bordeaux.

En 2001, il débute une recherche photographique de grande envergure sur les sites archéologiques de la région

Provence-Alpes-Côte-d'Azur pour le compte de l'Agence pour le patrimoine antique. Il commence aussi à travailler

sur les zones désaffectés de la région Emilie-Romagne, en Italie, dont la publication du livre et l'exposition

personnelle homonyme, LR 19/98. lluoghi delta riqualifcazione urbana in Emilia Romagna, dans l'ancienne église

San Mattia à Bologne ; en seront l'aboutissement. Il présentera aussi une série d'expositions itinérantes,

Cityscapes, au CPF (Centro Português de Fotografa) de Porto ; au MART (Museo d'Arte Moderna di Trento e

Rovereto) de Rovereto et au MamBA (Museo de Arte moderne de Buenos Aires). Une exposition personnelle,

Berlino, est présenté à la galerie Oliva Arauna de Madrid. Et une autre exposition personnelle, Milan, Berlin,

Valencia, à l'IVAM (Institut Valencià d'Art Modern) de Valence ; suite à l'étude photographique sur la ville de Valance

réalisé pour l'IVM. Un catalogue de l'exposition est d'ailleurs publié aux éditions Actar, Barcelone à cette occasion.

Il participe aussi à deux expositions collectives Instant City, au Centro per l'Arte Contemporanea Luigi Pecci de

Prato, et Le repubbliche dell'arte Germania au Palazzo delle Papesse de Sienne. Enfn il publie le livre Berlin, aux

103

Page 104: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

éditions Baldini & Castoldi, Milan ; Actes Sud, Arles (2002) et Thames & Hudson, Londres (2002), avec un entretien

entre Gabriele Basilico, Stefano Boeri et Hans Ulrich Olbrist ; livre qui fait suite à ses recherches de 2000. Il publie

aussi aux éditions Phaidon Press,Londres, une monographie Gabriele Basilico dans la collection 55.

En 2002, Est présentée une rétrospective à la Galleria d'Arte Moderna de Turin, dont sera édité un catalogue. Et

dans le cadre des XXXlllème Rencontres internationales de la photographie à Arles, est présentée l'exposition

personnelle, Provincia Antiqua, à la Chapelle du Méjan, qui fait suite à une commande passée en 2001 par

l'Agence pour le patrimoine antique. De ce projet est édité le livre Provincia Antiqua, aux éditions Actes Sud, Arles,,

avec des textes d'introduction de Bernard Millet et Christian Caujolle.

En 2003, à l'invitation du Centre régional de la photographie et de la ville de Cherbourg, il retourne dans le nord de

la France pour un nouveau travail sur Cherbourg et publie une version augmentée de Bord de mer aux éditions

Baldini & Castoldi et Le Point du Jour. Il retourne aussi à Beyrouth où il photographie, pour la revue Dornus, la

partie centrale de la ville, aujourd'hui reconstruite, avec les mêmes points de vue que ceux de son travail de 1991.

À cette occasion, est publié aux éditions Baldini & Castoldi et Le Point du Jour, Beyrouth 1991 (2003), une

sélection de plus de cent trente photographies, des ruines à la reconstruction. Au Portugal, il réalise, un travail de

documentation sur les architectures récentes auquel fait suite l'exposition Disegnare la città, présentée à la Ve

Biennale d'art de San Paolo puis au Palazzo dell'Arte, dans le cadre de la Triennale de Milan. Il est également invité

à participer au projet du ministère des biens culturels (DARC), Atlante Italiano. Ritratto dell'Italia che cambia, qui

donnera lieu à une exposition collective au MAXXI de Rome. Enfn, il travaille, avec d'autres photographes, à Saint-

Jacques de Compostelle sur un projet de recherche initié par le Centre Galego d'art contemporain.

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Page 105: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

En 2004, il réalise deux campagnes photographiques sur les villes de Mantoue et de Barcelone pour le projet

Postcard City, Mantova-Barcelona, Città della Cultura qui est exposé au Palazzo della Ragione de Mantoue. Il

participe à deux expositions collectives : Italia. Doppie visioni, aux écuries du Quirinale à Rome, et Sguardi

Contemporanei. 50 anni di architettura italiana, à la IXème Biennale internationale d'architecture de Venise. Et est

aussi invité par Germano Celant à participer à la grande exposition du Palazzo Ducale à Gênes, Arti e Architettura

1900-2000. Est aussi publié un catalogue personnel par le Centre Galego d'art contemporain de Saint-Jacques de

Compostelle, suite à son travail de 2003.

En 2005, la Soprintendenza per i Beni Architettonici et le Paesaggio di Napoli l'invitent à produire une série de

reconductions de la ville de Naples pour l'exposition Obiettivo Napoli. Luoghi memorie immagini, présentée au

Palazzo Reale. Il se voit aussi confer, par la IXème Biennale internationale d'Istanbul, la réalisation d'un travail de

documentation sur la ville. Il conclut également le travail, débuté en 2004, sur les transformations de la zone

urbaine de Turin que lui avait confé la Galleria d'Arte Moderna, en vue d'une exposition collective pour les Jeux

Olympiques de 2006. Sur le quai de la gare de Vanvitelli du métro de Naples, est inauguré une installation

permanente d'une oeuvre photographique de grand format (27 x 1,90 mètres), commandée par la Metropolitana di

Napoli. Exposition personnelle, Miradas Urbanas, dans le nouvel espace de la galerie Oliva Arauna à Madrid. Et

puis, publication aux éditions Baldini Castoldi Dalai et Le Point du Jour du livre-compilation Scattered City, avec

une discussion entre Gabriele Basilico, Yona Friedman, Stefano Boeri et Hans Ulrich Obrist. Le livre regroupe des

photographies inédites réalisées entre 2001 et 2005 dans différentes villes du monde et d'où sera tiré le matériau

d'une exposition personelle au titre éponyme au Studio Dabbeni de Lugano.

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Page 106: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

En 2006, il est invité à photographier la ville de Lisbonne par la Fondation Calouste Gulbenkian où il exposera et

dont un catalogue sera publié. Il collabore avec Amos Gitai et Ennio Morricone pour la réalisation de la

manifestation Free Zone, organisée par la revue Domus, au théâtre Manzoni, Milan, à l'occasion du Salone del

Mobile di Milano. Entre autre exposition, une rétrospective est présenté à la Maison Européenne de la

Photographie, Paris, à l'occasion de l'ensemble d'expositions Un été Italien. Il publie Photo Books 1978-2005 aux

éditions Corraini, Mantoue, avec une introduction d'Italo Rota ; livre qui se présente comme un catalogue raisonné

répertoriant la quasi totalité des ouvrages personnels et collectifs publiés jusque là (plus de 120) ; chacune des

couvertures des ouvrages est reproduite et une citation ainsi que quelques images en donnent une courte

présentation. Il publie aussi aux éditions Actar, Barcelone, le livre Disegnare nella città. Architettura in Portogallo, qui

fait suite à l'exposition de 2003.

En 2007, Il est invité par le Nouveau Musée National de Monaco à photographier la ville de Monte Carlo, cela

aboutira à une exposition dans le dit musée et le catalogue de l'exposition sera publié chez Actes Sud avec un

texte de Jean-Michel Bouhours. En avril, il est invité au SFMOMA de San Francisco pour travailler sur la Silicon

Valley

En 2008, est publié le catalogue de l'exposition Silicon Valley, aux éditions Skira, avec notamment une discussion

entre Basilico et Filippo Maggioa. Est aussi réédité le livre Cityscapes, aux éditions Baldini Castoldi Dalai.

106

Page 107: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

LÉGENDES DES ILLUSTRATIONS

> p.8 / Buenos Aires, 2000-2005, in, Scattered City, p.23

> p.14 / Istanbul, 2000-2005, in, Scattered City, p.73

> p.20 / Naples, 2000-2005, in, Scattered City, p.30

> p.25 / Le Touquet, 1984 & Calais, 1984, in, Cityscapes,

p.32-33

> p.28 / entre Milan et Como, 1996, in, Italy Cross Sections

of a Country, s.p.

> p.31 / Reggio Calabre, 2000-2005, in, Scattered City, p.51

> p.33 / entre Rimini et Montefeltro, 1996, in, Italy Cross

Sections of a Country, s.p.

> p.39 / Zurich, 1996 & Nice, 1997, in, Cityscapes, p.124-

125

> p.43 / Milan, 1995-1996,in, Interrupted City, s.p.

> p.46 / entre Naples et Caserta, 1996, in, Italy Cross

Sections of a Country, s.p.

> p.49 / Valencia, 1998 & Milano, 1996, in, Cityscapes,

p.230-231

> p.52 / Turin, 2000-2005, in, Scattered City, p.87

> p.56 / Lérida, 1995, in, Cityscapes, p.97

> p.60 / Milan, 1995-1996, in, Interrupted City, s.p.

> p.63 / Vevey, 2000-2005, in, Scattered City, p.103

> p.67 / Palermo, 1998 & Palermo, 1998, in, Cityscapes,

p.350-351

> p.72 / Milan, 1995-1996, in, Interrupted City, s.p.

> p.76 / entre Gioia Tauro et Siderno, 1996, in, Italy Cross

Sections of a Country, s.p.

> p.78 / Genova, 1985 & Hamburg, 1988, in, Cityscapes,

p.122-123

> p.85 / Saint Jacques de Compostelle, 2000-2005, in,

Scattered City, p.137

> p.88 / Rotterdam,1989 & Paris, 1997, in, Cityscapes,

p.210-211

> p.92 / entre Milan et Como, 1996, in, Italy Cross Sections

of a Country, s.p.

> p.95 / Milan, 1995-1996, in, Interrupted City, s.p.

> p.98 / Milan, 1995-1996, in, Interrupted City, s.p.

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Page 108: Gabriele Basilico, la ville contemporaine mise en pièces

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Perec Georges, Espèces d'espaces, Paris, Galilée, 1974

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