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FRAGILITÉ DES ÉTATS, INDICATEURS DE GOUVERNANCE ET RISQUE DE GUERRE CIVILE State Fragility, Governance Indicators, and the Risk of Civil Conflict James D. Fearon De Boeck Supérieur | Revue d'économie du développement 2011/4 - Vol. 25 pages 153 à 186 ISSN 1245-4060 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2011-4-page-153.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Fearon James D., « Fragilité des États, indicateurs de gouvernance et risque de guerre civile » State Fragility, Governance Indicators, and the Risk of Civil Conflict, Revue d'économie du développement, 2011/4 Vol. 25, p. 153-186. DOI : 10.3917/edd.254.0153 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.24.215.3 - 07/11/2012 13h58. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 195.24.215.3 - 07/11/2012 13h58. © De Boeck Supérieur

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FRAGILITÉ DES ÉTATS, INDICATEURS DE GOUVERNANCE ETRISQUE DE GUERRE CIVILEState Fragility, Governance Indicators, and the Risk of Civil ConflictJames D. Fearon De Boeck Supérieur | Revue d'économie du développement 2011/4 - Vol. 25pages 153 à 186

ISSN 1245-4060

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-d-economie-du-developpement-2011-4-page-153.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Fearon James D., « Fragilité des États, indicateurs de gouvernance et risque de guerre civile » State Fragility,

Governance Indicators, and the Risk of Civil Conflict,

Revue d'économie du développement, 2011/4 Vol. 25, p. 153-186. DOI : 10.3917/edd.254.0153

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La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Fragilité des États, indicateurs degouvernance et risque de guerre civile

State Fragility, Governance Indicators,and the Risk of Civil Conflict

James D. FearonDépartement des sciences politiques

Université de Stanford

Dans cet article, l’auteur examine si de faibles valeurs des indicateurs de gouvernance tels quel’indice CPIA (Country Policy and Institutional Assessment), les Indicateurs de gouvernancemondiale (WGI), et l’indice International Country Risk Guide (ICRG) prédisent un risque élevéde violence civile les années suivantes. L’existence d’une relation bidimensionnelle ne serait passurprenante, étant donné que les indicateurs de gouvernance sont significativement corrélés avecle revenu par tête et que la guerre civile est plus courante dans les pays pauvres. Les résultatsmontrent qu’un pays qui, une année, est jugé avoir une gouvernance plus mauvaise que celleattendue étant donné son niveau de revenu, court un risque plus important de déclenchementd’une guerre civile dans les cinq à dix années à venir.

In this paper, the author considers whether low values on governance indicators such as the CPIAindex, the World Governance Indicators (WGI), and the International Country Risk Guide (ICRG)predict an elevated risk of civil violence in subsequent years. The existence of a bivariate relationshipwould not be the surprising, as it is well known that governance indicators of all sorts are stronglyrelated to per capita income levels and well documented that civil war is much more common in poorcountries. The results show that a country that was judged in one year to have worse governancethan expected given its income level has a significantly greater risk of civil war outbreak in thenext 5 to 10 years.

INTRODUCTION

Le terme d’« État fragile » est sans doute l’euphémisme de politique de déve-loppement le plus réussi et le plus influent de ces dix dernières années. Il a étéadopté en tant que concept opérationnel important par la Banque mondiale, leComité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de déve-

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loppement économiques, le Département du développement international duRoyaume-Uni et l’Agence américaine pour le développement international,parmi tant d’autres agences donatrices gouvernementales et non gouverne-mentales.

« État fragile » est une manière délicate de dire qu’un pays est doté d’ins-titutions faibles ou dysfonctionnelles ou qu’il est caractérisé par une mauvaisegouvernance. Le terme est également utilisé pour évoquer la possibilité ouactualité d’une violence politique, que les agences d’aide ont longtemps consi-dérée comme ne relevant pas de leur domaine 1. Les États fragiles risquent dedevenir des États « en échec » ou « en faillite », avec de terribles conséquencessur le bien-être et le développement économiques.

Ce concept d’États fragiles sous-tend une théorie du développement éco-nomique devenue progressivement influente, après des années de projets et deprogrammes de prêts aux résultats souvent décevants. La théorie reconnaîtque la croissance économique nécessite avant tout de bonnes politiques ainsique de bonnes institutions pour les mettre en œuvre. Les conflits violents peu-vent être dus à de mauvaises politiques et institutions, et peuvent en retour sus-citer de mauvaises politiques, la destruction d’institutions et une pauvreté plusprononcée. Les États fragiles courent le risque d’être pris dans une « trappe deconflit » (Collier et al. 2003). Une question centrale de l’aide au développementconsiste à se demander si l’aide peut contribuer à l’amélioration des politiques etdes institutions dans un État fragile et, le cas échéant, quel serait le type d’aide.En effet, une autre dimension du terme « fragilité » évoque quelque chose quinécessite des soins/qui a besoin d’être protégé, en fournissant par exempledavantage d’aide. Mais certains auteurs peuvent soutenir qu’il est peu utile defournir de l’aide si un gouvernement est gangrené par la corruption et dirigépar une élite portant peu d’intérêt à la question du développement.

Au niveau conceptuel, l’idée d’un État fragile demeure vague. À quoi ren-voient exactement des « institutions faibles » ? Comment les reconnaître etles mesurer ? Néanmoins, malgré ce flou conceptuel ou théorique, les agencesd’aide ont réussi à mettre en place des critères opérationnels permettantd’identifier l’état de fragilité. Dans la plupart des cas, des États sont considéréscomme fragiles s’ils enregistrent un score inférieur à une valeur seuil pour desindicateurs de gouvernance élaborés par des experts. Par exemple, un État estdésigné comme étant fragile par la Banque mondiale si son score agrégé leclasse parmi les 40 pour cent les plus bas de l’indice Country Policy and Insti-

1 Dans le milieu des années 1980, il y avait plus de guerres civiles dans les pays en déve-loppement que maintenant, mais surtout, il n’y avait aucune discussion concernant lesproblèmes de développement qu’induisaient les conflits.

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tutional Assessment (CPIA). Il s’agit d’un ensemble d’indicateurs de gouver-nance reposant sur des enquêtes entreprises par les représentants de laBanque mondiale travaillant dans des régions ou pays particuliers 2.

Il n’y a quasiment pas de travaux de recherche portant sur la question desavoir si ces indicateurs de gouvernance, qui reposent sur des évaluationsd’experts, prédisent réellement la performance d’un pays pour les cinq ou dixannées à venir. Si l’allocation de l’aide et les décisions de style dépendent deces indicateurs, il serait intéressant de savoir si des mesures fondées sur desperceptions de concepts vagues vont réellement permettre d’identifier des élé-ments en rapport avec la performance et les résultats. Par exemple, est-il vraique les États fragiles, désignés comme tels par les indicateurs de gouvernance,courent un risque de conflit violent plus élevé ?

Dans cet article, j’examine si de faibles valeurs des indicateurs de gouver-nance tels que l’indice CPIA, les indicateurs de gouvernance mondiale (WGI ;Kaufmann, Kraay and Mastruzzi 2009), et l’indice International Country RiskGuide (ICRG) prédisent un risque élevé de violence civile les années suivantes.L’existence d’une relation bidimensionnelle ne serait pas surprenante, étantdonné que les indicateurs de gouvernance sont significativement corrélés avecle revenu par tête et que la guerre civile est plus courante dans les pays pau-vres. Ce qui est moins évident, c’est de savoir si, après avoir contrôlé l’effet duniveau de développement économique d’un pays, les perceptions de la qualitéde la gouvernance, fondées sur les observations des experts, peuvent prédire lesconflits à venir.

Je pense que c’est le cas. Un pays qui, une année, est jugé avoir une gou-vernance encore plus mauvaise que celle attendue étant donné son niveau derevenu, court un risque plus important de déclenchement d’une guerre civiledans les cinq à dix années à venir. Ceci est vérifié pour les trois ensemblesd’indicateurs de gouvernance considérés, quel que soit l’indicateur choisi :« l’efficacité des pouvoirs publics » (WGI), « le profil d’investissement » (ICRG),« la corruption » et « l’État de droit » interviennent tous. Les résultats de l’indi-cateur CPIA de la Banque mondiale sont les plus fragiles.

Ces résultats peuvent être pertinents vis-à-vis des débats actuels sur lescauses de la guerre civile. Les pays les plus pauvres sont-ils plus à même deconnaître une guerre civile en raison des effets directs du marché du travailqui rendent relativement plus attrayante l’idée de rejoindre un groupe arméau sein d’un pays pauvre ? Ou alors, un faible revenu peut-il être vu comme

2 La Banque mondiale considère aussi comme fragiles les États qui ont connu une opé-ration de maintien de l’ordre dans les trois années précédentes.

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une variable proxy d’une faible gouvernance, laquelle augmenterait le risquede guerre civile en raison des frustrations et mécontentements de la popula-tion par rapport au manque de services ou en raison du faible pouvoir admi-nistratif et coercitif de l’État, source d’opportunités pour les groupes rebelles ?Je trouve que lorsqu’on contrôle l’effet de la qualité de la gouvernance, leniveau de revenu a peu ou pas de pouvoir prédictif sur le déclenchement de laguerre civile. Mais lorsqu’on contrôle l’effet du revenu, les mesures de la qua-lité de la gouvernance prédisent l’expérience d’un conflit futur. Ces résultatssoulignent l’idée selon laquelle une faible gouvernance peut être approximéepar un faible revenu, même si d’autres études ont mis en évidence un effet cau-sal direct allant de la variable de bas revenu au risque de conflit.

En termes d’implications de politiques économiques, les résultats appuientl’idée d’après laquelle la portée de l’aide dans un pays en conflit doit aller au-delà de la simple tentative d’augmenter les revenus à travers des projets deprêts. Si la faiblesse des pouvoirs publics est à l’origine des problèmes de conflitset si la notion de développement dépasse celle de trappe de pauvreté, les interven-tions nécessiteraient une approche intégrée issue de l’expérience de consolida-tion de la paix et de l’État des Nations Unies, ainsi que d’autres opérations demaintien de la paix.

Dans la section suivante, je fais un examen rapide de la littérature traitantdes causes et corrélations des guerres civiles, en me focalisant sur l’interpréta-tion du résultat robuste selon lequel un faible revenu est corrélé avec un ris-que plus élevé de conflit violent. Dans la section suivante, j’introduis troisensembles d’indicateurs de gouvernance et étudie la façon dont ils sont liés lesuns aux autres et comment ils varient d’un pays à l’autre. Je discute égale-ment des défis qui se posent lorsqu’on tire des conclusions à propos de l’effetcausal d’une « bonne gouvernance » ou de « bonnes institutions » en utilisantles mesures reposant sur les perceptions des experts. Par la suite j’examine larelation entre les indicateurs de gouvernance et les conflits, avant de conclure.

1 CORRÉLATIONS ET CAUSES DE LA GUERRE CIVILE

Depuis la fin de la guerre froide, s’est développée une littérature non négligea-ble utilisant les données internationales pour étudier les corrélations de laviolence civile à grande échelle, et ce habituellement sur les 65 ans qui ontsuivi la fin de la Seconde guerre mondiale. On utilise typiquement un panelannuel de 160 pays environ (les micro-États sont souvent omis pour absencede données ou autres raisons) avec 35 à 45 observations par pays. Les cher-

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cheurs ont défini la variable dépendante de différentes manières, en prenanten compte (1) le déclenchement, ou début des épisodes de conflit violent ; (2)la durée des conflits pourvu qu’il y en ait un en cours et (3) l’incidence du con-flit, mélange du déclenchement et de la durée 3. J’insisterai sur le déclenche-ment du conflit.

Par la suite sont présentés quelques-uns des résultats les plus intéres-sants et les plus robustes de la littérature portant sur le déclenchement desconflits. Pendant la période qui court depuis la Seconde guerre mondiale (oudepuis le début des années 1960), les pays les plus à même de connaître uneguerre civile majeure, sont caractérisés par de faibles revenus, une forte popu-lation, des terrains montagneux, une éventuelle production pétrolière, unepart élevée des minorités ethniques exclues de la sphère politique et (peut-être) une inégalité des sexes plus marquée. Les nouvelles indépendances et leschangements récents du degré de démocratie augurent d’un risque accru dedéclenchements de conflits dans les années à venir. Pour tous les types de con-flits, dont les conflits à faible intensité, ces mêmes facteurs sont statistique-ment corrélés avec le déclenchement de conflits, tout comme les niveaux élevésde fragmentation ethnique. Les inégalités de revenus (mesurées par les coeffi-cients de Gini) et le niveau de démocratie font partie des facteurs qui sont peucorrélés avec la propension pour les guerres civiles violentes, même si quelqueséléments suggèrent que les pays anocratiques (partiellement démocratiques)sont les plus à même de connaître des conflits 4.

Pour la plupart, ces résultats de modèles statistiques internationaux doiventêtre vus comme étant plus descriptifs que structurels ou causals. Ils ont permisde clarifier quels facteurs politiques, économiques et démographiques sont asso-ciés à une plus grande propension à la guerre civile pendant les soixante derniè-res années, lesquels ne le sont pas et lesquels sont associés au déclenchementune fois qu’on a contrôlé l’effet des autres facteurs. Mais pour nombre desvariables de contrôle statistiquement et substantivement significatives dansces modèles, il est spéculatif d’interpréter les coefficients estimés comme deseffets causals. La plupart des facteurs mentionnés ci-dessus, tels que lerevenu, la diversité ethnique et les terrains montagneux, varient peu ou pas

3 Pour des exemples d’études sur le déclenchement des conflits, voir Hegre et al. (2001),Sambanis (2001), Fearon et Laitin (2003), Collier et Hoeffler (2004), et Hegre et Sambanis(2006) ; pour la durée, Balch-Lindsay et Enterline (2000), Collier, Hoeffler, et Soderbom(2004), Cunningham (2006), et Fearon (2004) ; pour l’incidence, Montalvo et Querol (2005)et Besley et Persson (2009).

4 Voir Fearon (2010) pour un examen détaillé et pour une reproduction de ces résultatsen recourant aux données de conflits utilisées dans cet article.

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dans le temps au sein des pays. Cela signifie que la plupart des résultats sontfondés sur des comparaisons de taux de déclenchement de conflits d’un pays àl’autre, et il est fort raisonnable de s’inquiéter quant au fait que les associa-tions observées relèvent de la fausse corrélation et non de la causalité. Il sepeut, par exemple, qu’un faible revenu n’entraîne pas directement un plusgrand risque de conflit mais qu’il soit corrélé avec un troisième facteur, quin’est pas mesuré mais qui lui cause un conflit. Dans certains cas, la simpleprévision d’un conflit pour des raisons non mesurées peut influencer un denos facteurs présumé causal, tel le revenu ou la diversité ethnique perçue,entraînant à nouveau de fausses corrélations. Aussi faut-il faire attention eninterprétant les modèles internationaux.

Pour plusieurs des facteurs qui varient beaucoup dans le temps et selon lespays, tels que les indépendances récentes ou les changements dans les façonsde gouverner, on peut se demander si une variation du facteur est forcémentsuivie par un plus grand risque de déclenchement de conflits (il s’agit de l’ana-lyse par effets fixes). Les indépendances récentes, les changements dans lesfaçons de gouverner et les débuts d’une démocratie partielle ont tous tendanceà prédire le déclenchement de conflits et ont donc plus de chance de traduiredes effets causals.

Jusqu’à présent dans la littérature, rares ont été les opportunités d’expé-riences naturelles ayant permis une meilleure identification des effets cau-sals. Miguel, Satyanath et Sergenti (2004) ont ingénieusement utilisé unevariation exogène des précipitations en Afrique subsaharienne afin d’estimerles effets des variations de revenu sur la propension au conflit civil. Toutefois,Bruckner et Ciccone (2010b) ont examiné les mêmes données et sont arrivés àune conclusion tout à fait différente. De la même façon, quelques articlesrecourent à la variation des prix internationaux des marchandises (Besley etPersson 2009 ; Bruckner et Ciccone 2010a). Cependant, ils ne permettent pasde comprendre pourquoi un effet est observé (à titre d’exemple, quel est lemécanisme causal qui lie les variations de revenu à la propension à la guerrecivile) et donc de savoir s’il peut être généralisé et si oui comment. Par consé-quent, les discussions à propos des causes des guerres civiles se traduisentgénéralement par des tentatives de poser un cadre ou une interprétation théo-rique pouvant expliciter les modèles complexes de corrélations observées pourles données internationales.

Dans les premières versions de leur article influent « Greed and Grievancein Civil War », Collier et Hoeffler (2004) comparent la forte corrélation qu’ilsont trouvée entre le déclenchement de la guerre civile et la dépendance vis-à-vis des exportations de produits de base et les faibles niveaux d’éducation,

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avec la faible corrélation entre le déclenchement de la guerre civile et la diver-sité ethnique, les inégalités de revenus et la démocratie. Ils avancent alorsque les groupes rebelles sont essentiellement motivés par les opportunités deprofit plutôt que par le désir de réparer les injustices subies. Ils suggèrent queles rébellions fondées sur les griefs font face à un problème d’action collectiveplus sévère que celles reposant sur l’avidité ou la recherche de butin. Danscette formulation initiale, on fait l’hypothèse implicite que les causes de laguerre civile trouvent leur racine dans les motivations des groupes rebelles.

Les versions suivantes de l’article rejoignent (au moins sur ce point-là)l’interprétation de Fearon et Laitin (2003) qui ont écrit « Il est certain que lesantagonismes ethniques, les sentiments nationalistes et les griefs motivent lesrebelles et leurs partisans. Mais ces facteurs sont trop généraux pour pouvoirdistinguer les cas où la guerre civile éclate. » (p. 76). L’idée est que les griefs quipourraient potentiellement motiver les rebelles sont malheureusement courants(et raisonnables) dans la majeure partie du monde, ainsi les variations interna-tionales dans les propensions à la guerre civile s’expliquent sans doute par lesvariations des facteurs qui affectent la viabilité ou l’opportunité d’une rébellion.

Très peu de guerres civiles depuis 1945 ont été, ou ont émergé, de révolu-tions populaires caractérisées par des manifestations ou actions de masse, tellela Révolution Française. La grande majorité des conflits civils violents durantcette période se présentent plutôt sous la forme de guérillas ou de combats demilices, où interviennent habituellement de petits groupes rebelles qui secomptent souvent par centaines, surtout pendant leurs premières années. Fea-ron et Laitin (2003) suggèrent que « dans la mesure où une insurrection peutparfaitement être conduite par des petits nombres de rebelles dans les bonnesconditions, il suffit d’un petit nombre ayant de graves griefs pour provoquer laguerre civile » (p. 76).

La prévalence de guérillas à petite échelle ou de combats de milicesn’exclut pas la possibilité que les variations du niveau des griefs sociaux d’unpays à l’autre puissent expliquer le risque de guerre civile. En principe, il sepeut que ce soutien social de la part de nombreux sympathisants soit néces-saire au succès des opérations d’un petit groupe rebelle. Si c’est le cas, il sem-ble néanmoins qu’une telle situation s’applique surtout aux rébellions dansles pays où le pouvoir central est relativement puissant. Quand il est moinspuissant, les groupes rebelles sont souvent capables d’agir sans un large sou-tien social, ou alors ils peuvent le contraindre5.

5 Voir Weinstein (2007). Grâce à une lecture approfondie des micro-facteurs de certainesguerres civiles, Kalyvas (2006) donne une myriade d’exemples pour montrer comment larésistance relative des rebelles et des forces du gouvernement façonne et organise le sou-tien local au profit des rebelles et au détriment du gouvernement, plutôt que l’inverse.

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Fearon et Laitin (2006) fournissent surtout des interprétations « d’oppor-tunité » pour expliquer les corrélations résumées ci-dessus. Par exemple,quand une colonie obtient l’indépendance, le pouvoir central subit un chocnégatif quant à sa capacité à dissuader et à combattre les rebelles, si et quandl’armée coloniale se retire. De même, l’instabilité politique peut traduire unefaiblesse du pouvoir central, tout comme l’anocratie (Hegre et al. 2001). Lespopulations de grande taille ont tendance à faciliter la rébellion en rendant lagouvernance plus difficile pour le pouvoir central. Il est plus compliqué dedévelopper des chaînes fiables de principaux et d’agents pour surveiller ce quise passe à l’échelle locale (l’Inde est plus difficile à gouverner que l’île Maurice,par exemple). Les terrains accidentés sont associés à de plus grandes opportu-nités de se cacher pour les groupes rebelles, et à un moindre développementhistorique des structures administratives centrales à travers une région.

De la même façon, Collier et Hoeffler (2004) trouvent des résultats signifi-catifs pour une variable mesurant la part des exportations de produits de basedans le produit intérieur brut (PIB). Dans la version de 2004, ils interprètentcela comme un indicateur de meilleures opportunités de financement pour desgroupes rebelles potentiels, principalement à travers l’extorsion des produc-teurs. Ils trouvent également qu’avoir une importante diaspora de minoritéaux États-Unis est associé avec une plus grande probabilité de reprise des com-bats, ce qu’ils interprètent comme une preuve que le financement par unediaspora procure aux groupes rebelles l’opportunité de reprendre les combats.

Comme indiqué ci-dessus, un revenu par tête plus faible est fortementcorrélé avec une plus grande propension à connaître des guerres civiles et desconflits d’un pays à l’autre, même si peu d’indices laissent à penser que lacroissance ou la récession économique au sein des pays prédit avec force unchangement du risque de conflit. Ceci est sans doute le résultat le plus robustequi émerge de la littérature statistique internationale (Hegre et Sambanis2006). Deux principales interprétations causales du modèle sont mises enavant. Collier et Hoeffler (2004) insistent sur une explication du point de vuedu marché du travail : ils font l’hypothèse qu’un faible revenu implique unejeunesse au chômage pour laquelle le coût d’opportunité de rejoindre ungroupe rebelle est faible. En revanche, Fearon et Latin (2003) mettent l’accentsur une explication ayant trait aux capacités de l’État. Selon cette approche, lerevenu par tête est en grande partie une variable proxy de la compétenceadministrative, militaire et policière de l’État, et donc de l’aptitude à dissua-der ou à contenir des insurrections naissantes6.

6 Les deux articles mentionnent l’alternative soulignée par l’autre comme une possibi-lité. Fearon (2008) développe un modèle de décisions individuelles pour rejoindre unmouvement rebelle, et constate que l’argument standard de coût d’opportunité néglige

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L’explication recourant aux capacités de l’État est probablement la pluscompatible avec l’absence d’une relation intra-pays robuste entre le revenu etla guerre civile. On pourrait ne pas s’attendre à une relation rigide entre lescapacités de l’État et le revenu, alors que les changements de revenu sur lecourt terme devraient affecter les conditions sur le marché du travail. L’expli-cation par le marché du travail serait plus compatible avec l’analyse deMiguel, Satyanath et Sergenti (2004) qui montrent qu’une variation exogènedes précipitations est corrélée avec le déclenchement de la guerre civile enAfrique subsaharienne. Ils argumentent qu’il est possible d’identifier un effetcausal direct du revenu sur la propension à la guerre civile en utilisant lavariation de revenu associée à celle des précipitations, sous l’hypothèse que lavariation des précipitations ne peut affecter la propension à la guerre civileuniquement à travers le revenu. Comme ils le constatent, il est possible que defortes précipitations entraînent un choc négatif sur les capacités de l’État enrendant les routes moins praticables. Mais ces effets transitent plus probable-ment par les canaux du marché du travail.

Un obstacle majeur pour évaluer l’importance relative des capacités del’État par rapport aux explications ayant trait au marché du travail a étél’absence de bonnes mesures directes des capacités de l’État. On ne peut pas toutsimplement utiliser, par exemple, la taille de la force de l’armée ou de la policedans un État car celles-ci sont endogènes vis-à-vis du conflit. L’Islande est dotéed’une armée et d’une police de petite taille, mais la compétence de l’État est tellequ’en cas de menace potentielle d’insurrection, il peut rapidement déployer sesressources et agir efficacement.

Ci-dessous j’oppose plusieurs mesures des capacités de l’État ou de la gou-vernance, qui sont fondées sur les perceptions d’experts, contre le revenudans des modèles de déclenchement de guerre civile. Ces mesures sont loind’être parfaites, mais apparaissent comme les meilleures données dont onpuisse disposer. En outre, elles sont de plus en plus utilisées par les donateurspour prendre des décisions d’allocation de l’aide, d’où l’intérêt de voir si ellespermettent de faire des diagnostics.

le fait que s’il y a peu à perdre à rejoindre un groupe rebelle dans un pays pauvre, il ya aussi peu à gagner. À moins de supposer un type particulier de préférences (avec unerelative aversion au risque croissante), la propension à rejoindre un groupe rebelle seraindépendante du revenu par tête dans le pays. Une autre explication mise en avantdans cet article est que, dans de plus en plus d’économies modernes, les groupes rebel-les ont plus de difficultés à extraire de la richesse en recourant à des méthodes typiquesde guérillas. En effet, il s’agit pour la plupart de richesse virtuelle détenue dans descomptes bancaires, sous forme du capital humain mais aussi dans des activités plusmobiles que ne le sont les agriculteurs dans les pays pauvres.

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2 LES INDICATEURS DE GOUVERNANCE

Cette section présente les trois ensembles d’indicateurs de gouvernance utili-sés dans l’analyse et discute des menaces potentielles pour la déduction cau-sale lorsque ces indicateurs sont utilisés comme des variables explicatives durisque de conflit.

La série ICRG, qui débute en 1984, est publiée et vendue par Political RiskServices. Les variables découlent d’enquêtes d’experts menées sur les condi-tions économiques et politiques dans 140 pays environ. Le projet WGI a com-mencé dans les années 1990 à la Banque mondiale. Kaufmann et Kraay ontréuni un large ensemble d’indicateurs de gouvernance reposant sur des évalua-tions d’experts et qui sont publiés chaque année par des groupes de réflexion,des groupes de recherches académiques, des organisations non gouvernemen-tales (ONG), des organisations internationales et par des entreprises. Par lasuite, ils les ont répartis suivant des ensembles qui correspondent selon euxaux six dimensions de la gouvernance : efficacité des pouvoirs publics, voix,instabilité politique, État de droit, corruption et qualité de la régulation7. Ilsont utilisé des techniques semblables aux analyses de facteurs afin d’extraireune dimension commune au sein de chaque groupe. Ceci a donné un panel de212 pays et territoires de 1996 à nos jours (en excluant 1997, 1999 et 2001).

Chaque année depuis 1977, l’équipe de la Banque mondiale code les paysclients de la Banque suivant 16 dimensions ou plus qui portent sur la qualité

7 Kaufmann, Kraay et Mastruzzi (2009, p. 6) décrivent ces six domaines comme suit :« (1) La voix et la responsabilisation (VA) indiquent dans quelle mesure les citoyensd’un pays peuvent participer à la sélection de leur gouvernement, mais apprécient aussila liberté d’expression, d’association et la liberté de la presse. (2) La stabilité politiqueet l’absence de violence (PV) estiment la probabilité que le gouvernement soit déstabi-lisé et renversé par des moyens anticonstitutionnels ou violents, ce qui comprend la vio-lence à caractère politique et le terrorisme. (3) L’efficacité des pouvoirs publics (GE)concerne la qualité de la prestation du service public, du service civil et son degréd’indépendance vis-à-vis des pressions politiques, la qualité de la formulation et de lamise en œuvre des politiques, et la crédibilité de l’engagement du gouvernement àl’égard de ces politiques. (4) La qualité de la régulation (RQ) traduit la capacité du gou-vernement à formuler et à mettre en œuvre des politiques et des réglementations judi-cieuses permettant de promouvoir le développement du secteur privé. (5) L’État dedroit (RL) indique dans quelle mesure les agents font confiance aux règles de la sociétéet les respectent, et traduit en particulier la qualité d’exécution des contrats, les droitsde propriété, la police, les tribunaux, ainsi que la probabilité de crimes et de violence.(6) Le contrôle de la corruption (CC) exprime l’abus de pouvoir public à des fins person-nelles, tout en incluant à la fois la petite et la grande corruption, ainsi que le détourne-ment des biens de l’État par les élites et les intérêts privés ».

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des politiques et des institutions. Ces codages sont ensuite agrégés pour formerun indicateur synthétique, l’indice Country Policy and Institutional Assess-ment (CPIA), utilisé à diverses fins, dont la prise de décisions pour l’allocationde l’aide. Cet indice agrégé varie de 1 à 6, un score élevé indiquant un meilleurcadre de politiques et de gouvernance, selon la perspective de la Banque. Mal-heureusement, l’indice CPIA n’est publié que pour les pays récipiendaires del’aide, d’où une série quasi-complète pour seulement 85 pays.

À ma connaissance, cet article est le premier à exploiter ces données pouranalyser le déclenchement de la guerre civile. Une première version de la sérieICRG, pour 1982 uniquement, a été utilisée comme mesure de la gouvernanceou de bonnes institutions dans un certain nombre d’études portant sur les déter-minants de la croissance économique, dont notamment les articles influentsd’Acemoglu, Johnson et Robinson (2001), de Knack et Keefer (1995) et de Mauro(1995). Toutefois, la série de plus longue durée dont je me sers dans cet articlene semble pas avoir été utilisée dans cette riche littérature sur la croissance.

2.1 Les problèmes de mesure et de déduction soulevés par les mesures de gouvernance reposant sur des évaluations d’experts

Que l’on cherche à expliquer la croissance ou le déclenchement de la guerrecivile, les mesures de bonnes institutions et de bonne gouvernance reposantsur des enquêtes d’experts font face à certain nombre de problèmes. Toutd’abord, on ne sait pas exactement ce que mesurent ces évaluations d’experts.Qu’appelle-t-on « bonne gouvernance » ou « bonnes institutions » ? En tantque témoins de l’efficacité relative, de la compétence et de la corruption desservices publics et des fonctionnaires dans divers pays, beaucoup de personnesont de bonnes intuitions à ce propos. En termes théoriques, depuis les travauxde North et Thomas (1973), on qualifie traditionnellement de bonnes institu-tions les institutions politiques formelles et informelles qui rendent peu pro-bable l’expropriation de la richesse et des investissements privés par les élitespolitiques. Dans le contexte de l’étude des capacités de l’État et de la guerrecivile, l’attention est portée sur l’efficacité et la compétence de la police, desforces armées et du pouvoir judiciaire (c’est-à-dire l’État de droit, en partie).

Mais la compétence en termes de gestion publique, le risque d’expropria-tion, l’exécution des contrats, ainsi que l’État de droit sont difficiles à observeret à mesurer. L’idéal serait d’avoir des indicateurs objectifs pour ces éléments,mais même dans ce cas, les concepts d’efficacité, de compétence et de risqued’expropriation restent des variables latentes devant être déduites de diversesobservations de choses différentes.

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Ceci fait des enquêtes d’experts une approche naturelle permettant demesurer la qualité de la gouvernance et des bonnes institutions, mais il estégalement difficile de savoir exactement ce que font les experts. Par exemple,émettent-ils véritablement des jugements sur la qualité de la gouvernance etdes institutions ou répondent-ils à la question générale « Comment pensez-vous que les choses vont actuellement dans le pays X (peut-être en comparai-son avec d’autres pays de la même région) ? ». Les réponses à cette dernièrequestion peuvent partiellement mesurer la qualité de la gouvernance ou desinstitutions, mais elles peuvent également contenir des considérations quel’on n’associe pas conceptuellement à la gouvernance et aux institutions. Enrésumé, il est tout à fait justifié de s’inquiéter quant à la validité et à la fiabi-lité des mesures de gouvernance reposant sur des enquêtes d’experts. Néan-moins, il n’est pas évident de proposer une meilleure approche 8.

Le second problème majeur rencontré en utilisant les indicateurs de gou-vernance pour évaluer les causes de la croissance économique ou du déclen-chement de la guerre civile est l’endogénéité. Si un indicateur est corrélé avecla croissance ou un déclenchement actuel de la guerre civile, on ne peut inférerune causalité, étant donné que l’observation de la croissance pourrait conduireles experts à penser qu’il y a une bonne gouvernance ou alors l’observation dela guerre civile pourrait les amener à conclure que la gouvernance ou les insti-tutions sont mauvaises.

Lorsqu’on ne dispose que d’une seule observation de la qualité de la gou-vernance pour un ensemble de pays ainsi que d’une seule observation duniveau ou de la croissance du revenu ou encore de la représentation du conflit,la seule solution faisable consiste à trouver un instrument pour la gouver-nance, c’est-à-dire une variable exogène qui affecte la croissance ou le conflituniquement à travers son impact sur la gouvernance. De telles variables sontdifficiles à trouver et la restriction d’exclusion n’est pas testable 9.

8 Un avantage de l’approche de Kaufmann et Kraay (2009) est que les mesures qu’ils pro-posent sont très fiables étant donné qu’ils font appel à un grand nombre de mesuresdifférentes fondées sur des évaluations d’experts.

9 Dans les études des institutions et de la gouvernance comme causes de la croissanceéconomique, Mauro (1995) utilise la fragmentation ethnique pour instrumenter la cor-ruption telle qu’elle a été mesurée lors des enquêtes d’experts. Toutefois, il n’est pasplausible de croire que la corruption est la seule variable à travers laquelle la fragmen-tation ethnique serait corrélée avec la croissance économique. Acemoglu, Johnson etRobinson (2001) ont utilisé, dans leur célèbre article, la mortalité des colons il y a unecentaine d’années comme instrument pour le risque d’expropriation en 1983 (ICRG).Knack et Keefer (1995) n’ont pas véritablement traité le problème de l’endogénéité.

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Avec des données commençant à la date t pour la gouvernance et à la datet+1 pour la croissance ou le conflit, on peut se demander si la première préditla seconde, et ce en contrôlant pour d’autres déterminants possibles de la crois-sance ou du conflit. Un intérêt majeur d’un tel modèle est que l’observation durésultat (la croissance ou le conflit à l’instant t+1) ne peut pas conduire lesexperts à coder pour une bonne gouvernance ou de meilleures institutions à ladate t car le résultat ne serait pas encore connu au moment où ils font de telsjugements. Par conséquent, si l’on dispose de suffisamment d’années pour lesdonnées sur la gouvernance et la croissance ou le conflit, on peut se demandersi les évaluations des experts au sujet de la gouvernance prédisent véritable-ment un conflit ou une croissance ultérieurs.

Une réponse positive ne permettrait toujours pas de régler la question dela causalité, car il se peut que des variables omises provoquent à la fois les éva-luations expertes de la qualité de la gouvernance à l’instant t et celles du con-flit ou de la croissance en t+1. En particulier, comme on le verra plus loin,tous les indicateurs WGI et ICRG sont fortement corrélés avec le revenu partête. Ce résultat est cohérent, pourvu que le revenu soit une variable proxydes capacités de l’État et qu’une bonne gouvernance et de bonnes institutionsentraînent une croissance économique sur le long terme. Toutefois, cela sou-lève la question de savoir comment distinguer l’impact causal de la gouver-nance sur le conflit ou la croissance de l’impact des autres déterminants d’unrevenu élevé.

L’approche adoptée consiste à contrôler l’effet des niveaux de revenus anté-rieurs, et donc à s’interroger sur la relation entre ce qu’on appellerait « unegouvernance de qualité étonnamment élevée » et le déclenchement de la guerrecivile. Un pays enregistre une gouvernance de qualité étonnamment élevéequand les experts lui attribuent de meilleurs scores comparés à d’autres paysayant le même niveau de revenu par tête. La tentative d’identifier l’impact cau-sal de la qualité de la gouvernance sur le conflit découle alors du constat selonlequel une gouvernance de qualité étonnamment élevée ou faible à une périodedonnée prédit le déclenchement ultérieur d’un conflit. Cette stratégie sera effi-cace dans la mesure où tout ce qui détermine une gouvernance de qualité éton-nement élevée ou faible à une période donnée influence le risque ultérieur deconflit, initialement à travers la gouvernance et les institutions, plutôt quepar d’autres moyens.

Avec les indicateurs ICRG et CPIA, la série est suffisamment longue et ondispose d’assez de variations temporelles au sein des pays afin d’aller plusloin. On peut considérer des modèles à effets fixes pour les pays, on contrôlealors l’effet des caractéristiques inobservées et invariantes dans le temps despays.

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Ici la stratégie principale peut être sujette aux problèmes qui se posentpour les « régressions de politiques » où le chercheur essaye d’obtenir desrésultats sur l’effet causal d’un choix de politique. Pour cela, il mesure diffé-rentes politiques selon les cas et les met à droite dans un modèle de régression(Rodrik 2005). Une gouvernance de qualité étonnamment élevée (GE) est aumoins en partie un choix de politique effectué par un parti ou un régime poli-tique. L’impact positif d’une bonne gouvernance sera sous-estimé si les déci-deurs ont tendance à choisir une meilleure gouvernance quand, pour desraisons inobservées, ils s’attendent à un risque de conflit élevé. Dans ce cas laGE sera en partie corrélée avec des facteurs inobservés qui seraient en faveurdu conflit, d’où des estimations des effets démobilisateurs de la GE qui serontbiaisés vers le bas. D’autre part, et si les décideurs arrivent mieux à mettre enplace la GE durant les années pour lesquelles, pour des raisons complètementindépendantes de la gouvernance, le conflit est peu probable ? Dans ce cas,l’impact causal d’une bonne gouvernance sur le risque de conflit sera surestimé.Il me paraît difficile de donner des exemples plausibles ; peut-être que certainestendances culturelles sont complètement indépendantes de la gouvernance,mais permettent une meilleure gouvernance, déterminant alors directement lapropension à la guerre civile. Cependant, en principe, le risque demeure.

L’efficacité de l’approche dépend des facteurs expliquant les variations dela GE. Si, ou dans la mesure où, les décideurs et les bureaucraties d’État« s’organisent et se comportent » suivant des raisons qui sont largement indé-pendantes d’autres causes exogènes de la lutte civile, les résultats ci-dessoussuggèrent que de bonnes gouvernances et institutions sont des facteursimportants pour réduire le risque de conflit au sein d’un pays. Par exemple, lagouvernance et les institutions peuvent s’améliorer lorsqu’un vieux dirigeantdécède et qu’il est remplacé par un nouveau dirigeant plus capable ou mieuxplacé d’un point de vue politique afin de mettre en place de meilleures politi-ques et de développer de meilleures institutions. Ou encore, la gouvernancepeut être relativement stable, mais avec un revenu qui varie à cause de chocsinternationaux ou d’autres caprices de la croissance économique. Dans ce casla GE mesurera correctement un effet causal. Je trouve que ces possibilitéssont plus plausibles que les arguments avancés pour dire qu’une telle appro-che entraîne une surestimation de l’effet de la gouvernance. Néanmoins, ilest indiscutable qu’il faut effectuer une recherche plus approfondie sur lesdéterminants d’une gouvernance de qualité étonnamment élevée.

Les problèmes soulevés jusque-là concernent les conclusions que l’on peuttirer sur la relation causale entre la qualité de la gouvernance et le risque deconflit ultérieur. Si une telle relation existe, des interrogations demeurentquant à la nature du mécanisme en jeu. Pour évaluer les interprétations en

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termes de capacités de l’État et de marché du travail discutées précédemment,il est important de déterminer si la gouvernance et les institutions affectent leconflit directement (par exemple, en baissant les perspectives militaires d’uneorganisation rebelle viable) ou indirectement (en améliorant l’économie etdonc en affectant l’offre de travail pour des rebelles potentiels). Une façon car-rée de traiter ce problème consiste à contrôler l’effet de la croissance économi-que actuelle, pour effectuer des comparaisons entre les pays ayant des niveauxsimilaires de revenus antérieurs ainsi que de des performances de croissanceactuelles semblables, mais des niveaux de qualité de gouvernance différents parle passé. Dans tous les modèles, l’ajout de la croissance actuelle a peu d’impactsur les estimations des mesures de gouvernance10.

2.2 Les indicateurs de gouvernance WGI, ICRG et CPIALe projet WGI publie des indicateurs pour six dimensions de la gouvernance :l’efficacité des pouvoirs publics, la voix et la responsabilisation, l’instabilitépolitique, l’État de droit, la corruption et la qualité de la régulation. Les indica-teurs de l’ICRG ont quelque peu évolué au cours des années. Dans cet article,je prends en considération les quatre indicateurs ICRG les plus anciens et cor-respondant le mieux aux catégories établies par les WGI : le profil d’investis-sement, la corruption, l’État de droit (ou l’ordre public) et la qualité de labureaucratie. La correspondance avec les indicateurs WGI est claire sauf pour leprofil d’investissement. Cette mesure est à prendre comme un indicateur géné-ral du climat des affaires et des risques politiques affectant les affaires dans unpays. Il succède aux variables du « risque d’expropriation » et d’« observationdes contrats » des données ICRG de 1982, utilisées dans un certain nombred’études sur la croissance.

Dans la mesure où ils découlent d’une technique semblable à celle de l’ana-lyse de facteurs, les indicateurs WGI sont tous caractérisés par une moyennenulle et un écart-type de 1, des valeurs élevées indiquant une meilleure qualitéde la gouvernance sur la dimension 11. Les indices ICRG de corruption et

10 Il s’agit d’un instrument peu pertinent, car la guerre civile entraîne clairement unecroissance plus faible, ce qui a tendance à surestimer l’effet de la croissance actuelle, etdonc à biaiser vers le bas les estimations de la gouvernance, étant donné que celle-ci peutêtre corrélée à la croissance ultérieure. (En fait, il y a peu de corrélations avec la crois-sance ultérieure, sauf pour les mesures WGI et pour la croissance du revenu dans lesannées 2000, mais ceci est un problème différent pouvant faire l’objet d’un autre article).

11 Un des problèmes posés par cette approche est que l’évaluation d’un pays peut varierd’une année à l’autre non pas parce qu’il y a eu un quelconque changement dans le pays,mais parce que d’autres pays ont connu des changements. Ces mesures ont plus de vali-dité pour une année donnée plutôt que pour une série temporelle.

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d’État de droit varient de 1 à 6. Les indices de profil d’investissement et dequalité de la bureaucratie varient respectivement de 1 à 12 et de 1 à 4, lesvaleurs élevées étant meilleures.

L’indicateur CPIA de la Banque mondiale varie de 1 à 6, les valeurs éle-vées traduisant une meilleure gouvernance. L’échelle de mesure correspond àune moyenne de plusieurs éléments qui, depuis 1997, ont été rassemblés dansquatre groupes à la pondération identique : la gestion économique, les politi-ques structurelles, les politiques en faveur de l’intégration/l’équité sociale,ainsi que la gestion du secteur public et les institutions.

Toutefois, pour ce qui nous concerne, un handicap majeur de l’indice CPIAest qu’il n’est codé que pour les pays bénéficiaires des prêts de l’InternationalDevelopment Association. Les pays peuvent quitter cette catégorie ou y entreren fonction de leur performance économique et de gouvernance. Par consé-quent, inclure les pays relativement pauvres tronque l’échantillon CPIA et ilexiste un biais de sélection intrinsèque qui entrave l’identification de l’impactde la gouvernance sur les résultats de conflit (ou de croissance). Autrementdit, les pays à bonne performance ont plus de chance de quitter l’échantillonCPIA, alors que ceux enregistrant une performance médiocre pourraientl’intégrer.

Le tableau 1 met en évidence des corrélations entre les différents indica-teurs de gouvernance ICRG et WGI d’une part, et le (logarithme du) revenupar tête d’autre part. On constate globalement de fortes corrélations entre lerevenu et les mesures de gouvernance, ainsi qu’au sein des mesures de gou-vernances elles-mêmes 12. Peu d’indications permettent de vérifier que lescorrélations parmi les indicateurs ICRG et WGI sont plus fortes pour unemême dimension, celle de l’État de droit, par exemple, dans les deux ensem-bles de données.

Le tableau 2 souligne les corrélations entre les résidus des indicateurs WGI,ICRG et CPIA après avoir régressé chacun d’eux sur le logarithme du revenupar tête. Elles demeurent importantes, ce qui est encourageant : cela signifieque les perceptions de la qualité de la gouvernance ou des institutions par lesévaluateurs ne sont pas entièrement déterminées par le niveau de développe-ment économique. Il existe plutôt un niveau d’accord sur une gouvernance de

12 Ceci reste mécanique dans une moindre mesure, étant donné que les indicateurs ICRGsont l’un des nombreux inputs utilisés dans les indicateurs WGI.

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Tableau 1 : Corrélations entre le revenu et les indicateurs de gouvernance

Note : Les six premières lignes correspondent aux indicateurs WGI :l’« efficacité des pouvoirs publics » (« eg »), la « voix », la « stabilité politique »,la « corruption », l’« État de droit » et la « qualité de la régulation ». Les quatrelignes suivantes désignent les indicateurs ICRG : le « profil d’investissement »(« pi »), la « corruption » (« corr »), l’« État de droit » (« ed ») et la « qualité dela bureaucratie » (« qb »). La dernière ligne du tableau renvoie à l’indicateurCPIA agrégé.

qualité étonnamment élevée ou faible. Toutefois, il y a peu d’indications per-mettant de vérifier que cet accord est manifestement plus important au seindes catégories elles-mêmes (telles que la corruption ou l’État de droit) qued’une catégorie à l’autre. Ceci suggère que ces diverses dimensions de la qua-lité de la gouvernance tendent en pratique à s’aligner étroitement, ou que lesévaluateurs experts ont en tête une notion générale du « pays qui est organiséet qui se comporte efficacement » plutôt que de distinguer véritablement lesdimensions de performance.

Tableau 2 : Corrélations entre les indicateurs WGI et ICRG, après prise en comptedu revenu (corrélations nettes du revenu)

Note : Les lignes correspondent aux indicateurs ICRG : le « profil d’investisse-ment » (« pi »), la « corruption », l’« État de droit » (« ed ») et la « qualité de labureaucratie » (« qb »), suivis par l’indicateur CPIA. Les colonnes renvoientaux indicateurs WGI tels qu’ils ont été décrits dans la note du tableau 1.

WGI ICRGrevenu eg voix stab. pol corr. État qual.reg pi corr. ed qb

eff. gvt 79voix 58 75stab. pol. 67 79 71corruption 74 94 72 77État de droit 77 95 79 83 94qual. reg 75 94 79 75 88 91prof. inv 72 82 73 73 79 83 88corruption 61 85 74 67 88 84 78 65État de droit 69 73 50 72 75 78 66 61 65qual. bur 77 89 77 66 82 85 83 72 76 63CPIA 51 78 58 47 62 67 82 73 51 39 62

WGI ICRG eg voix stab. pol État corruption qual.regpi 38 36 33 40 35 47corruption 60 51 41 61 66 52ed 42 14 42 55 46 33qb 67 54 27 58 53 57CPIA 61 41 24 51 47 64

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170 James D. Fearon

Avant de passer à l’analyse, il y a encore une autre statistique descriptiveconcernant ces indicateurs qui vaut la peine d’être présentée. Le tableau 3indique le pourcentage de variations de chaque indicateur qui est dû à desvariations inter-pays, par opposition aux variations intra-pays dans le temps.Les variations des indicateurs WGI sont quasiment toutes inter-pays, ce quiest logique vu que la période retenue est un peu plus d’une décennie et que lescapacités de l’État ne changent pas beaucoup d’une année à l’autre. En revan-che, les variations intra-pays sont plus importantes pour ICRG et CPIA dontles séries sont plus longues, et plus particulièrement pour l’indice ICRG deprofil d’investissement. C’est pourquoi on considérera un modèle à effets fixespour les données ICRG et CPIA.

Tableau 3 : Pourcentage de variation inter et intra-pays des indicateurs de gouvernance

Note : Voir le tableau 1 pour les abréviations.

3 LES MESURES DE GOUVERNANCE ET LE DÉCLENCHEMENT DE LA GUERRE CIVILE

La plupart des modèles internationaux les plus frappants de déclenchement de laguerre civile pourraient s’expliquer à partir d’une interprétation qui place lescapacités de l’État au cœur de l’histoire. Dans ce contexte, un faible revenu partête est fortement corrélé avec le déclenchement de la guerre civile, dans lamesure où c’est une variable proxy de la capacité du pouvoir central à dissuaderet à réprimer les détracteurs armés, ainsi que de sa capacité à fournir des servicespublics. D’autres interprétations prétendent qu’un faible revenu exerce un effet

Variable Inter % Intra %log(revenu) 85 15Déclenchement guerre ACD 6 94

WGI : 1996–2008eg 96 4voix 97 3stab.pol 91 9corruption 96 4État de droit 96 4qual.reg 94 6

ICRG : 1984–2006pi 41 59corruption 71 29ed 72 28qb 82 18

CPIA : 1977–2008CPIA 58 42

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Fragilité des États, indicateurs de gouvernance et risque de guerre civile 171

direct sur la propension à la guerre civile, à travers le canal du marché du travail.Plusieurs soutiennent ainsi que la pauvreté rend relativement attrayante, pourles jeunes hommes, la perspective de rejoindre un groupe rebelle.

Dans cette section, je présente des modèles de régression logistiques danslesquels la variable dépendante vaut 1 si une guerre civile ou un conflit de moin-dre niveau ont débuté dans le pays durant la période considérée, et 0 sinon. Pourles indicateurs de gouvernance ICRG et CPIA, il est possible d’exploiter desséries plus longues en construisant des panels par pays et année, et en retardantde deux années les mesures de gouvernance afin d’éviter que les jugements desexperts ne soient influencés par l’observation du déclenchement de la guerrecivile (ou d’une guerre naissante). Pour les mesures WGI, j’utilise directementdes données transversales, en prenant les premières variables WGI disponibles(pour 1996) pour prédire si une guerre civile a éclaté entre 1997 et 2008 13.

Les mesures de guerre civile et de conflit utilisées découlent du Pro-gramme Uppsala sur les Données de Conflits/Institut de Recherches sur laPaix à Oslo, Base de Données sur les Conflits Armés (ACD). Pour chaque payset année depuis 1945, on code la survenance ou non d’un conflit violent ayantfait au moins 25 morts et ayant éclaté entre un groupe armé non gouverne-mental reconnu et les forces du gouvernement 14. Je travaille avec la versiondes données utilisées lors de l’élaboration du Rapport sur le Développementdans le Monde, 2011 (WDR) qui estime approximativement pour chaque con-flit le nombre annuel de morts aux combats. Suivant les catégories du WDR, jedistingue d’une part les conflits majeurs, c’est-à-dire les guerres civiles quel’on estime avoir fait au moins 1 000 morts en moyenne par année pendanttoute la durée du conflit, et, d’autre part, tous les conflits, c’est-à-dire les con-flits ayant atteint le seuil requis d’au moins 25 morts par an. Dans la mesure oùles codages ACD ne font pas apparaître des épisodes de conflit distincts (eneffet, ils se contentent d’indiquer que tel conflit armé s’est produit dans tel paysà telle année), il faut des critères supplémentaires permettant de distinguer desépisodes, cette distinction étant nécessaire pour coder les déclenchements deconflit. Selon la convention standard utilisée pour le WDR, on considère qu’unnouvel épisode de conflit a commencé s’il est précédé d’au moins deux annéesde paix entre le groupe armé et l’État 15.

13 Les résultats sont similaires si la mesure des conflits débute en 1998 ou 2000, et si onutilise les mesures WGI de 1998 au lieu de celles de 1996.

14 http://www.prio.no/CSCWlDatasets/Armed-Conflict/UCDP-PR10115 Voir Fearon (2010) pour une discussion plus détaillée sur les règles de codage des conflits

et sur les implications des différents choix. Les résultats présentés ici ne semblent pas trèssensibles aux détails des règles de codage des conflits. Par exemple, ils sont très similairessi j’utilise une version actualisée de la liste des guerres civiles dans Fearon et Laitin (2003)au lieu des codages ACD.

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Le tableau 4 indique la répartition des déclenchements de guerres civiles etautres conflits par région et par décennie depuis les années 1960. On constateune baisse considérable des nouveaux conflits durant la dernière décennie, enparticulier pour les guerres civiles majeures, et même relativement aux annéesprécédant les années 1990 prédisposées aux conflits. L’Afrique subsaharienneet l’Asie ont connu le plus de conflits, à la fois en termes de déclenchement et demoyenne par pays d’années de guerre (ces dernières ne sont pas indiquées ici).

Tableau 4 : Déclenchements de guerres civiles et autres conflits par région et par décennie

Note : « E. Eur/FSU » renvoie à l’Europe de l’Est et à l’ex-Union Soviétique,« L. Am/Carib » à l’Amérique latine et aux Caraïbes, « MENA » au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord, « SSA » à l’Afrique subsaharienne, et « West » àl’Europe de l’Ouest, les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélandeet le Japon.

Les modèles statistiques ci-dessous comprennent également des variables decontrôle typiques pour les régressions de guerre civile. Plus important encore,pour les raisons vues précédemment, est le logarithme du revenu par tête(retardé d’une année). La mesure que j’utilise repose sur le Tableau Penn World6.3 qui a cependant été agrandi grâce aux taux de croissance de la Banque mon-diale et de Maddison, pour tous les cas où il a fallu avoir la couverture la pluscomplète possible 16. J’inclus également :

• Le logarithme de la population (retardé d’une année)

• Le logarithme du pourcentage du pays jugé montagneux

• Une muette pour les années pour lesquelles au moins le tiers du PIB provientde la production de pétrole ou de gaz (on se fonde sur une variable issue desIndicateurs de Développement dans le Monde, WDI, les cases manquantesétant complétées par des données spécifiques au pays concerné)

Déclench. Guerres civiles Tous conflits1960 1970 1980 1990 2000 Total 1960 1970 1980 1990 2000 Total

Asia 3 8 3 3 1 18 8 13 9 23 10 63E. Eur/FSU 0 0 0 10 0 10 0 0 1 21 6 28 L.Am/Carib. 2 4 1 0 0 7 8 6 6 3 2 25MENA 2 5 5 3 2 17 5 10 9 10 5 39 SSA 6 7 3 7 1 24 14 17 13 32 18 94 West 0 0 0 0 0 0 0 1 2 2 0 5World 13 24 12 23 4 76 35 47 40 91 41 254

16 La méthode « listwise deletion » est souvent un problème majeur dans les régressionsde conflits, dans la mesure où les pays qui sont les plus à même de connaître une guerrecivile n’ont souvent pas de données économiques.

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• Une mesure d’instabilité politique récente, qui vaut 1 s’il y a eu un changementdans le degré de démocratie l’année précédente

• Une mesure d’anocratie (démocratie partielle), qui vaut 1 si l’année précé-dente le pays a enregistré un score compris entre -5 et 5 sur l’échelle de mesurede la démocratie, qui elle varie de -10 à 10.

• Une mesure de la fragmentation ethnolinguistique, d’après les données prove-nant d’un atlas ethnographique soviétique de 1960, les pays manquants étantcomplétés à partir de sources spécifiques à chacun d’eux (Fearon et Laitin 2003)

• Une variable qui vaut 1 si une guerre civile (ou un conflit) s’est produitel’année précédente. Il convient de constater que la variable dépendante n’estpas retardée vu qu’elle capte un déclenchement de conflit plutôt qu’une inci-dence. La variable « guerre antérieure » est plutôt incluse comme variable decontrôle dans la mesure où la probabilité qu’une nouvelle guerre civile éclateest sans doute influencée par le fait qu’il existe déjà une guerre civile en coursdans le pays.

3.1 ICRGLes tableaux 5 et 6 donnent les résultats pour les quatre indicateurs de gouver-nance ICRG considérés : le profil d’investissement (une mesure générale du cli-mat des affaires), la corruption, l’État de droit et la qualité de la bureaucratie.Pour en faciliter la comparaison, ces variables sont telles qu’elles varient entrezéro et 1 17.

Dans le tableau 5, la variable dépendante correspond aux conflits majeurs,mais on n’en compte que 20 pour les années où les données ICRG sont dispo-nibles (soit environ 140 pays de 1984 à 2008). On trouve que les coefficientsestimés des quatre mesures de gouvernance traduisent des effets réels, tousétant statistiquement significatifs à l’exception de la qualité de la bureaucratie(le profil d’investissement et l’État de droit étant fortement significatifs). Pourle profil d’investissement, le passage du 75e au 25e percentile est associé à unehausse de 5,9 de la probabilité de connaître une guerre civile dans l’année. Lepassage du 75e au 25e percentile pour les indices d’État de droit et de corruptionentraîne une hausse de 4.6 et 1.9 (respectivement) de la probabilité de déclen-chement d’un conflit dans l’année. Il convient de constater que les estimationspour le profil d’investissement et l’État de droit sont plus importantes en ter-mes réels. Par comparaison, dans les modèles de conflit traditionnels, l’estima-

17 Les moyennes pour le profil d’investissement, la corruption, l’État de droit et la qualité dela bureaucratie sont respectivement de 0.57, 0.52, 0.61 et 0.53. Les écarts-types sont 0.21,0.23, 0.25 et 0.30.

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174 James D. Fearon

tion de l’impact du revenu implique que la probabilité de déclenchement d’unconflit dans l’année pour un pays situé au 25e percentile est le double de celled’un pays situé au 75e percentile.

Tableau 5 : Indicateurs de gouvernance ICRG et déclenchement de guerres civiles(conflits majeurs)

Écarts-types clustérisés par pays.

†Significatif à 10 %,* à 5 %, ** à 1 %, *** à 0,1 %.

Le modèle 1 du tableau 5 est identique au modèle 2 restreint aux annéespour lesquelles sont disponibles les données ICRG ainsi que celles des autresvariables. Il souligne que quasiment toutes les variables de contrôle de la guerrecivile sont plus faiblement corrélées dans cet échantillon que dans les analyseshabituelles, qui couvrent généralement la période allant de 1945 à 1999 ou2008, ainsi qu’un plus grand nombre de pays. Cependant, dans tous les cas,les signes demeurent toujours cohérents avec ceux trouvés pour des échan-

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4 Modèle 5pit-2 -5.99***

(1.41) corrupt t-2 -1.94†

(1.14) ed t-2 -3.53***

(1.02) qb t-2 -0.91

(1.25)log(gdp t-1) -0.13 0.33 0.04 0.23 0.04

(0.23) (0.24) (0.25) (0.24) (0.34) log(pop t-1) 0.23 0.30 0.21 0.27 0.25

(0.20) (0.19) (0.20) (0.21) (0.20) log(% montagnes) 0.11 0.04 0.14 0.13 0.10

(0.17) (0.17) (0.18) (0.18) (0.17) Producteur pétrole 1.34** 1.09* 1.18* 1.14* 1.23*

(0.46) (0.46) (0.51) (0.47) (0.49) Instabilité politique t-1 -0.02 -0.06 0.02 -0.11 -0.03

(0.58) (0.54) (0.58) (0.59) (0.59) Anocratie t-1 1.08* 1.05* 1.06* 1.08* 1.08*

(0.50) (0.45) (0.49) (0.47) (0.49) Fragmentation ethnique 0.92 1.55t 0.99 0.93 1.07

(0.87) (0.88) (0.87) (0.85) (0.88) Guerre précédente -0.06 -0.52 -0.13 -0.45 -0.13

(0.70) (0.76) (0.69) (0.69) (0.68) Constante -7.55** -9.25*** -7.92** -9.10** -8.73**

(2.83) (2.62) (2.86) (3.07) (3.12) N 2777 2777 2776 2776 2776

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Fragilité des États, indicateurs de gouvernance et risque de guerre civile 175

tillons plus grands et plus complets. Il convient de noter que le coefficient durevenu est négatif comme d’habitude, mais il n’est pas statistiquement signifi-catif. Une raison explicative est que les mesures ICRG ne sont généralementpas disponibles pour les pays à faible revenu ou fortement marqués par les con-flits (on n’a sans doute pas besoin de dire aux investisseurs que l’Afghanistan aun faible profil d’investissement). Si l’on considère l’intégralité de l’échantillonaprès 1983, le coefficient du revenu fait plus que doubler et la p value chute à0.14. Une autre raison est que les conflits sont peu nombreux quand on utilise cecritère qui implique un seuil relativement élevé pour les guerres civiles majeures.Par conséquent, même si le manque de données limite l’importance des résultats,il est intéressant de noter que les coefficients estimés du revenu par tête devien-nent positifs (mais sans être significativement différents de 0) lorsqu’on ajouteles indicateurs de gouvernance dans les modèles 2 à 4. Ceci est cohérent avecl’hypothèse soulignant l’importance du revenu car celui-ci est une approxima-tion des capacités de l’État 18.

Le tableau 6 est identique au tableau 5, à la seule exception qu’il couvrel’ensemble des conflits ACD. On trouve que les quatre indicateurs de gouver-nance ICRG sont significatifs et négativement corrélés avec le déclenchementdu conflit. Le profil d’investissement et l’État de droit enregistrent toujoursles effets les plus importants. Un faible revenu est significativement et néga-tivement corrélé avec le déclenchement du conflit dans ce sous-échantillon(modèle 1). Alors que les signes des coefficients estimés du revenu demeurentnégatifs quand on ajoute les indicateurs de gouvernance, ils tendent cepen-dant vers zéro et perdent de leur significativité dans plusieurs cas. Ce résultatva dans le sens de l’interprétation selon laquelle le revenu est largement unevariable proxy des capacités de l’État et de la compétence administrative etrelative aux politiques.

Est-ce que la gouvernance de qualité étonnamment élevée entraîne unecroissance économique plus rapide dans les années à venir et abaisse le risquede conflit par l’économie plutôt que par un effet direct des capacités de l’Étatplus importantes ? Quand j’ajoute le taux de croissance économique actuelaux modèles des tableaux 5 et 6, les résultats sont pratiquement tous identi-ques pour tous les conflits et très proches pour les guerres civiles majeures.Pour cette dernière variable, les coefficients estimés des indicateurs de gou-vernance diminuent légèrement, mais le profil d’investissement et l’État dedroit demeurent fortement significatifs.

18 L’effet est plus fort si l’on considère des modèles où l’on supprime d’autres variables decontrôle. Par exemple, on pourrait uniquement conserver les conflits antérieurs, lerevenu, la population et la fragmentation ethnique.

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176 James D. Fearon

Tableau 6 : Indicateurs de gouvernance ICRG et déclenchement de conflits (tous les conflits ACD)

Ecarts-types clustérisés par pays.Note : ip : profil d’investissement, corrupt : contrôle de la corruption, rol : État de droit, bq : qualité de la bureaucratie.†Significatif à 10 %, * à 5 %, **à 1 %.

Le tableau 7 reproduit le même exercice pour tous les conflits, maisrecourt au logit conditionnel à effets fixes, et donc contrôle l’effet des caracté-ristiques inobservées (mais stables dans le temps) des pays. Étant donné lenombre réduit de pays dans l’échantillon et l’absence relative de variations dela qualité de la gouvernance dans le temps, les quatre indicateurs ICRG pré-sentent des coefficients négatifs (même si la corruption est essentiellementnulle) et les estimations pour le profil d’investissement et l’État de droit sontstatistiquement significatives (les p values sont de 0.002 et 0.091 respective-ment). Le revenu par tête peut prendre le « mauvais » signe et n’est jamaissignificatif.

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4 Modèle 5pi t-2 -3.19***

(0.78) corrupt t-2 -1.09†

(0.62) ed t-2 -1.21*

(0.54) qb t-2 -1.14†

(0.64) log(gdp t-1) -0.45** -0.17 -0.37* -0.33† -0.23

(0.17) (0.15) (0.18) (0.20) (0.19) log(pop t-1) 0.30** 0.35*** 0.28** 0.32** 0.34**

(0.10) (0.10) (0.10) (0.11) (0.11) log(% montagnes) 0.12 0.09 0.13 0.13 0.10

(0.12) (0.12) (0.13) (0.13) (0.12) Producteur pétrole 0.91 ** 0.72* 0.83* 0.81 * 0.75*

(0.33) (0.32) (0.35) (0.34) (0.34) Instabilité politique t-1 0.12 0.10 0.12 0.07 0.11

(0.25) (0.26) (0.26) (0.26) (0.26) Anocratie t-1 -0.04 0.03 -0.06 -0.01 -0.03

(0.31) (0.30) (0.31) (0.30) (0.31) Fragmentation ethnique 1.23* 1.58*** 1.24* 1.24* 1.40**

(0.52) (0.47) (0.52) (0.52) (0.51) Guerre précédente 0.53 0.27 0.49 0.40 0.44

(0.34) (0.34) (0.33) (0.34) (0.36) Constante -3.71 * -5.02** -3.77* -4.19* -5.45**

(1. 75) (1.59) (1.81) (1.91) (1.84) N 2777 2777 2776 2776 2776

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Tableau 7 : Indicateurs de gouvernance ICRG et déclenchements de tous les conflits,avec effets fixes par pays

Note : ip : profil d’investissement, corrupt : contrôle de la corruption, rol : État de droit, bq : qualité de la bureaucratie.†Significatif à 10 %,* à 5 %, ** à 1 %, *** à 0,1 %.

Ainsi, dans les pays et dans le temps, le déclenchement de la guerre civile estun peu plus probable quand le profil d’investissement, la corruption et l’État dedroit ont été jugés pires pour les années antérieures récentes. Ce résultat corro-bore une interprétation causale de la relation entre la qualité de la gouvernanceet le déclenchement de la guerre civile, et ce de façon plus importante que dansles modèles précédents, étant donné que l’identification repose sur des compa-raisons intra-pays (et qu’il est quelque peu remarquable de trouver quoi que cesoit vu l’absence de variations intra-pays des indicateurs de gouvernance) 19.

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4 pi t-2 -2.735**

(0.896) corrupt t-2 -0.227

(0.918) ed t-2 -1.359†

(0.805) qb t-2 -0.946

(0.861) log(revenu t-1 ) 0.287 -0.166 0.015 -0.024

(0.541) (0.505) (0.512) (0.517) log(pop t-1) 0.517 -0.352 0.104 -0.429

(0.948) (0.901) (0.923) (0.894) Pétrole 0.528 0.441 0.383 0.239

(0.964) (0.976) (0.965) (0.982) Instabilité polit t-1 0.184 0.163 0.155 0.161

(0.324) (0.325) (0.326) (0.325) Anocratie t-1 -0.088 -0.131 -0.169 -0.126

(0.398) (0.396) (0.399) (0.398) Démocratie t-1 -0.587 -0.721 -0.746 -0.687

(0.478) (0.488) (0.487) (0.487) Guerre précédente -1.414** -1.271 ** -1.342** -1.295**

(0.359) (0.355) (0.362) (0.357) N (N pays) 956(44) 955(44) 955(44) 955( 44) Effets fixes pays oui oui oui oui

19 En ne considérant que les conflits majeurs, il y a trop peu de pays (uniquement 17) enre-gistrant un déclenchement de conflit majeur dans le sous-échantillon ICRG, pour pouvoirdéduire un résultat fiable de la méthode à effets fixes. Toutefois, le coefficient du profild’investissement est négatif et quasi significatif à 10 pour cent. Comme dans l’analyse surdonnées estimées en pooling, le fait d’ajouter le taux de croissance actuel ne change pasles résultats des mesures de gouvernance.

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178 James D. Fearon

On peut toujours prétendre qu’un retard de deux années est insuffisantpour écarter la possibilité que les experts effectuent leurs évaluations plus surla base d’observations de guerres civiles naissantes que sur celles de la qualitéde la gouvernance ou des institutions. J’ai construit un panel avec trois pério-des, les années 1980, 1990 et 2000, en me demandant si en moyenne les évalua-tions ICRG d’une décennie prédisent un conflit dans la prochaine décennie,tout en contrôlant l’effet des conflits antérieurs et les niveaux de revenus retar-dés. Les résultats trouvés sont largement similaires : les indicateurs ICRG pré-disent la survenance d’un conflit même dans la décennie suivante.

3.2 WGILa série WGI n’est disponible que sur la période 1996-2008, et il manque cer-taines données pour les premières années. En outre, il y a très peu de varia-tions dans le temps intra-pays et la méthode qui sous-tend l’élaboration de lasérie soulève des questions concernant la meilleure façon dont il faut s’y pren-dre pour la traiter en panel.

Néanmoins, comme quatorze années se sont écoulées depuis la construc-tion des premiers indicateurs WGI, on peut se demander si les évaluations desexperts sur les différentes dimensions de la qualité de la gouvernance en 1996ou 1998 prédisent véritablement un conflit dans la décennie suivante, tout encontrôlant l’effet du niveau initial du revenu et des conflits antérieurs. En uti-lisant la variable ACD de guerre civile, seuls 10 pays enregistrent des déclen-chements de conflits entre 1997 et 2009. En utilisant tous les conflits ACD,37 pays présentent un total de 63 déclenchements de conflits. Je contrôlel’effet du niveau du revenu en 1996, tout comme pour les conflits antérieurs etla fragmentation ethnique. Ainsi, la question est de savoir si les perceptionsd’une gouvernance de qualité étonnamment élevée peuvent toujours prédirela paix civile, relativement au niveau de revenu et aux conflits antérieurs.

Le tableau 8 indique que les perceptions de l’efficacité des pouvoirs publics,de la stabilité politique et de l’État de droit en 1996 sont en effet significative-ment corrélées avec les déclenchements de guerres pour les treize ans à venir.Ce résultat n’est pas très surprenant au regard de la variable de stabilité politi-que, qui repose sur des enquêtes d’experts destinées à capturer « les percep-tions de la probabilité que le gouvernement sera déstabilisé ou renversé par desméthodes anticonstitutionnelles ou violentes » (Kaufmann, Kraay et Mastruzzi2009, p. 6). Mais les résultats tiennent également pour l’efficacité des pouvoirspublics et l’État de droit. Les coefficients estimés sont négatifs et réellementimportants pour la corruption et la qualité de la régulation également. Il est

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Fragilité des États, indicateurs de gouvernance et risque de guerre civile 179

évident que l’ajout des mesures de gouvernance tend à rendre positif ou prochede zéro le signe du coefficient estimé du revenu, ce qui reste cohérent avecl’hypothèse selon laquelle le revenu approxime normalement la gouvernanceou les capacités de l’État. Le modèle demeure solide après l’ajout d’effets fixesrégionaux (malgré la perte relative de significativité de l’efficacité des pouvoirspublics), ou de variables de production pétrolière ou de population en 1996.

Tableau 8 : Indicateurs de gouvernance WGI en 1996 et déclenchement de guerresciviles ACD, 1997-2008

Variable dépendante : déclenchement de guerres civiles ACD après 1996. Logit,avec les écarts-types entre parenthèses.†Significatif à 10 %,* à 5 %, ** à 1 %, *** à 0,1 %.

Le tableau 9 reproduit cet exercice en prenant la variable dépendante detous les conflits ACD. Les résultats sont légèrement plus faibles, et l’inclusiondes mesures de gouvernance entraîne une réduction moindre des coefficientsestimés du revenu 20.

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4 Modèle 5 Modèle 6 Modèle 7

eff. gvt 1996 -0.97† (0.58)

voix 1996 -0.52 (0.44)

stab. pol 1996 -0.97* (0.44)

État de droit 1996 -1.40* (0.60)

corruption 1996 -0.96 (0.66)

qual. reg 1996 -0.73 (0.45)

Déclen. guerre 1997 0.50* (0.22)

0.46* (0.23)

0.43† (0.23)

0.24 (0.27)

0.38(0.23)

0.40† (0.23)

0.45* (0.23)

log(revenu) 1996 -0.42 (0.34)

0.11 (0.47)

-0.20 (0.38)

0.08 (0.42)

0.24 (0.45)

-0.02 (0.45)

-0.02 (0.41)

Fragmentation ethnique -0.71 (1.29)

-0.63 (1.28)

-0.46 (1.32)

-0.59 (1.30)

-0.60 (1.32)

-0.62 (1.28)

-0.60 (1.30)

Constante 0.60 (2.98)

-4.16 (4.17)

-1.51 (3.48)

-3.95 (3.81)

-5.57 (4.09)

-3.11 (4.02)

-2.95 (3.69)

N 156 156 156 156 156 156 156

20 Je mets sous forme logarithmique le nombre de déclenchements antérieurs (plus un)car certains pays ont plusieurs déclenchements de bas niveau et la distribution est rela-tivement biaisée. En outre, comme certains pays présentent une multiplicité de déclen-chements après 1996, un modèle binomial négatif peut être utilisé au lieu d’un logitselon lequel un pays aurait au moins un déclenchement en guise de variable dépendante.Les résultats sont plutôt similaires.

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180 James D. Fearon

Tableau 9 : Indicateurs de gouvernance WGI en 1996 et déclenchements de tous les conflits ACD, 1997-2008

Variable dépendante : au moins un déclenchement de conflit ACD postérieur à1996. Logit, avec les écarts-types entre parenthèses.†Significatif à 10 %,* à 5 %, ** à 1 %, *** à 0,1 %.

J’ai fait tourner les mêmes modèles en utilisant cette fois les indicateursWGI de 1998 et, en guise de variable dépendante, les déclenchements de con-flits ultérieurs à 1998. Les résultats sont similaires, ce qui réduit la probabi-lité qu’ils soient l’objet d’un pur hasard pour une année donnée de la sérieWGI (qui d’ailleurs, comme on l’a vu, est très stable dans le temps). J’ai égale-ment inclus le taux de croissance moyen du PIB par tête après 1996, trouvantencore peu de changements au niveau des indicateurs de gouvernance.

Très peu d’éléments témoignent du fait que les différentes dimensions dela gouvernance mesurées par WGI soient plus fortement ou faiblement corré-lées avec le risque d’un conflit ultérieur. La stabilité politique, supposée êtreune évaluation par les experts du risque de conflit, est la variable dont la cor-rélation est la plus forte ; tandis que la voix et la responsabilisation, variablereposant sur des évaluations de la démocratie, présentent la corrélation la plusfaible. (Ceci est cohérent avec un résultat standard en littérature des conflits,résultat selon lequel les mesures de la démocratie ne sont généralement pascorrélées avec le déclenchement d’un conflit lorsqu’on compare les pays pourdes niveaux similaires de développement économique). Après la stabilité poli-tique, les facteurs les plus prédictifs sont l’État de droit et l’efficacité du gou-

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4 Modèle 5 Modèle 6 Modèle 7

eff. gvt 1996 -0.62 (0.41)

voix 1996 -0.47 (0.30)

stab. pol 1996 -0.93** (0.30)

État de droit 1996

-0.67†

(0.38)

corruption 1996 -0.12 (0.41)

qual. reg 1996 -0.45 (0.33)

log(# déclen. conflit 1997 + 1)

1.26*** (0.35)

1.19*** (0.35)

1.15** (0.35)

0.72†

(0.39)1.12** (0.35)

1.22*** (0.37)

1.17** (0.35)

log(revenu) 1996

-0.55* (0.23)

-0.24 (0.31)

-0.40 (0.25)

-0.23 (0.27)

-0.27 (0.28)

-0.51† (0.29)

-0.34 (0.28)

Fragmentation ethnique

1.30 (0.87)

1.39 (0.88)

1.53† (0.89)

1.58† (0.91)

1.41 (0.88)

1.30 (0.87)

1.43 (0.88)

Constante 1.72 (2.07)

-1.13 (2.76)

0.18 (2.29)

-1.18 (2.37)

-0.89 (2.56)

1.29 (2.56)

-0.22 (2.54)

N 156 156 156 156 156 156 156

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Fragilité des États, indicateurs de gouvernance et risque de guerre civile 181

vernement. Kaufmann, Kraay et Mastruzzi (2009, p. 6) définissent cettedernière variable comme le fait de « capturer les perceptions de la qualité desservices publics, celle du service civil et son degré d’indépendance à l’égard despressions politiques, la qualité de la formulation et de la mise en place de poli-tiques, et la crédibilité de l’engagement du gouvernement vis-à-vis de tellespolitiques ». Mais globalement, tout comme on a vu que ces diverses « dimen-sions » de la gouvernance sont fortement corrélées, ces régressions ne permet-tent pas de tirer des conclusions solides quant à la dimension de la gouvernancequi serait la plus importante pour augmenter la probabilité d’une paix civile.

Cette stratégie d’identification n’est plausible que dans la mesure oùl’argument suivant est plausible également. Une fois qu’on a contrôlé l’effetdu revenu de 1996, les conflits antérieurs et d’autres facteurs, les variations dela qualité de la gouvernance d’un pays, telles qu’elles ont été évaluées par lesexperts en 1996, sont essentiellement aléatoires par rapport à tous les autresdéterminants inobservés du risque de guerre civile ultérieur. Il paraît difficilede trouver des variables omises entièrement distinctes de la gouvernance oudes institutions qui affecteraient à la fois les perceptions de la qualité de la gou-vernance et les performances d’un conflit sur les dix années suivantes. Maisceci est possible.

La stratégie d’identification ne permet pas ici d’estimer l’impact de longterme de la bonne gouvernance ou des capacités de l’État, étant donné qu’unepartie de ces variables peut être contenue dans le revenu par tête de 1996. Sui-vant l’effet causal que l’on souhaite estimer, soit l’impact de court ou de longterme de la gouvernance sur la probabilité de guerre civile, l’impact de longterme de la qualité de la gouvernance sera sous-estimé si l’effet indirect, tran-sitant par le niveau de développement économique, est omis.

3.3 CPIALe tableau 10 reproduit le modèle présenté ci-dessus pour les indicateurs ICRGmais en utilisant comme mesure de la gouvernance l’indice CPIA retardé d’uneou de deux années. Les coefficients estimés de l’indice CPIA retardé sont néga-tifs et significativement corrélés avec le risque de conflit malgré un échantillontronqué (exclusion des pays ne bénéficiant pas de l’aide), et les problèmes debiais de sélection. L’importance des estimations est plus réduite comparée àcelle des indicateurs WGI et ICRG. Toutefois le passage du 75e ou 25e percentilepour l’indice CPIA est associé à une hausse d’environ 40 pour cent de la proba-bilité de déclenchement d’un conflit dans l’année. Les résultats sont encore plusfaibles avec la méthode des effets fixes, et en considérant uniquement les con-

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flits majeurs. Les estimations changent à peine quand on utilise un retard dedeux années au lieu d’une seule, ce qui suggère que le CPIA code peu pour lesguerres civiles en cours. On a peu d’indications concernant le fait que l’indica-teur CPIA rivalise avec succès avec la variable revenu.

Tableau 10 : Indicateur de gouvernance CPIA et déclenchements de tous les conflitsACD

Ecarts-types clustérisés par pays.†Significatif à 10 %,* à 5 %, ** à 1 %, *** à 0,1 %.

4 CONCLUSIONS

Même en faisant des comparaisons de pays pour des niveaux similaires derevenu par tête, ceux qui sont jugés avoir la pire gouvernance courent posté-rieurement un risque plus élevé de déclenchement d’un conflit ou d’uneguerre civile. En outre, si l’on compare des pays ayant des notes semblables entermes de mesures de la gouvernance, les variations de revenu apparaissentpeu ou pas corrélées avec le risque de conflit. Pour les mesures ICRG du cli-

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3 Modèle 4cpia t-1 -0.31† -0.08

(0.16) (0.17)cpia t-2 -0.31†

(0.18)log(gdp t-1) -0.48** -0.37* -0.33* 0.01

(0.16) (0.16) (0.16) (0.42) log(pop t-1) 0.27* 0.31** 0.31 ** 0.27)

(0.11) (0.11) (0.10) (0.65) log(% montagnes) 0.17* 0.18* 0.18*

(0.08) (0.08) (0.09)Producteur pétrole 0.69† 0.58 0.65† 0.91

(0.37) (0.37) (0.37) (0.77) Instabilité politique t-1 0.03 -0.01 -0.00 0.11

(0.25) (0.25) (0.27) (0.29) Anocratie t-1 -0.04 -0.06 -0.08 0.11

(0.27) (0.27) (0.28) (0.37) Démocratie t-1 -0.01 0.04 -0.04 0.09

(0.34) (0.35) (0.35) (0.43) Fragmentation ethnique 1.22* 1.23** 1.32**

(0.49) (0.47) (0.45) Guerre précédente -0.16 -0.26 -0.14 -1.89***

(0.29) (0.27) (0.29) (0.35) Constante -3.09* -3.26* -3.62*

(1.55) (1.54) (1.45 ) N 3120 3120 3063 1652(61) Effets fixes pays Non Non Non Oui

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mat d’investissement et de l’État de droit, variables dont les séries sont lesplus longues et donc qui présentent le plus de variations intra-pays, on cons-tate que si la qualité de la gouvernance se dégrade, le pays court un risque deconflit ultérieur plus élevé, avec des estimations dont l’importance est sem-blable à celle des estimations issues des données de panel estimées en pooling.

D’autre part, il semble que la dimension de la gouvernance que l’on consi-dère importe peu. Les mesures de l’efficacité des pouvoirs publics, du climatd’investissement et de l’État de droit ont une faible tendance à enregistrer demeilleures performances que les mesures de la corruption ou de la qualité de labureaucratie. En outre, les mesures de la démocratie (souvent traduites commeune dimension importante de la bonne gouvernance) ne prédisent pas un risqueplus faible de conflit suivant un large éventail de catégories de revenu 21. Maisglobalement, à part la démocratie, les différentes mesures de la gouvernancereposant sur des évaluations d’experts sont fortement corrélées entre elles,même après élimination d’une dimension commune corrélée avec le revenu partête. Il n’est donc pas aisé de dire si telle dimension est plus ou moins importanteque telle autre, si les experts évaluent essentiellement une seule dimension com-mune quelle que soit l’appellation utilisée, ou si la bonne gouvernance et les bon-nes institutions constituent un syndrome selon lequel « toutes les bonnes choses(doivent aller) vont de pair ».

Ces résultats ont des implications pour les recherches sur le développementet la guerre civile. À titre d’exemple, ils peuvent affecter l’allocation basée surles performances (ABP) ainsi que la pratique de la Banque mondiale et de laplupart des bailleurs multilatéraux qui consiste à conditionner l’aide allouée àune évaluation de la qualité du cadre institutionnel et des politiques dans lepays concerné. La Banque mondiale a commencé à utiliser l’ABP en 1977 et aaugmenté, à la fin des années 1990, le poids donné aux évaluations de la gouver-nance dans ses formules d’allocation (Winters 2010). L’intérêt croissant pour lagouvernance dans l’ABP s’explique par les recherches statistiques internationa-les qui ont suggéré que l’aide soutenait la croissance dans les pays en dévelop-pement à bonne gouvernance contrairement à ceux caractérisés par unemauvaise gouvernance (Burnside et Dollar 2000). Mais ces résultats ne sont pasrobustes (Easterly, Levine et Roodman 2004) et la question de savoir si l’aidefavorise ou non la croissance économique, et si oui dans quelles conditions, ali-mente un débat qui reste d’actualité.

Même s’il se trouve que l’aide est plus productive dans les pays à meilleuregouvernance, l’ABP pourrait ne pas atteindre ses objectifs si les indicateurs

21 Il y a une certaine évidence, dans les données utilisées ici et dans d’autres études (Hegreet Nome 2010), que des niveaux plus élevés de démocratie sont corrélés avec un risquede conflit plus faible au sein des pays les plus riches.

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subjectifs de bonne gouvernance utilisés par les bailleurs, et qui reposent surdes évaluations d’experts, ne mesurent pas correctement la variable latentecorrespondante. Il est donc encourageant de constater que les mesures de lagouvernance, très liées à celles utilisées pour allouer l’aide, permettent de pré-dire des événements qui sont corrélés de façon plausible avec une mauvaisegouvernance, à savoir la guerre civile. Il est en revanche décourageant de voirque l’indice CPIA de la Banque mondiale est celui qui est le moins corrélé avecla propension à un conflit futur, bien que cela puisse s’expliquer par les restric-tions qui touchent l’échantillon CPIA, plutôt que par le fait que l’indice CPIAest moins valide que les mesures ICRG et WGI.

Une critique générale faite à l’ABP est que les individus, dans les États lesplus fragiles et connaissant la pire gouvernance, sont ceux qui nécessitent leplus des projets d’aide, même si celle-ci est déployée de façon moins efficace. Lesrésultats trouvés dans cet article vont dans ce sens, dans la mesure où ils suggè-rent que l’ABP n’alloue pas l’aide aux pays où le risque de guerre civile est le plusélevé. Cependant, une aide au développement accrue ne permet pas forcément deréduire le risque de guerre civile. Il est en effet possible qu’elle augmente ce ris-que, en moyenne, et peut-être spécialement dans les pays à mauvaise gouver-nance. Une préoccupation plus pressante est de savoir si l’ABP n’alloue pasl’aide aux pays post-conflit, où il existe peut-être une possibilité d’améliorer lagouvernance et où les retours sur investissements pourraient être élevés dans ledomaine social et économique ; tout cela rendrait le retour au conflit plus coû-teux pour les élites.

La guerre civile n’est qu’un indicateur objectif de mauvaise gouvernance oude fragilité. Les recherches futures devraient étudier si d’autres indicateursobjectifs de la performance des pouvoirs publics, par exemple, la quantité etla qualité de biens publics fournis dans les domaines de l’éducation, de lasanté mais aussi d’autres services, sont corrélés avec les mesures subjectivesélaborées dans le cadre d’enquêtes d’experts. Intuitivement, ce que l’on appelle« gouvernance » ou « institutions » est un déterminant essentiel de l’aide étran-gère et des résultats de développement économique. Mais il est inquiétant deconstater que les décisions majeures de politiques économiques sont motivéespar des évaluations d’experts alors qu’il est difficile de savoir ce que ces der-niers mesurent réellement.

Ces résultats ont également des implications sur les débats autour descauses du conflit et de la guerre civile. Ils soutiennent l’idée selon laquelle unfaible revenu est fortement corrélé avec le risque de conflit, non pas parce qu’ilexiste un effet direct du marché du travail, mais plutôt parce qu’un faiblerevenu est une approximation des faibles capacités de l’État. La croissance oula baisse du revenu dans un pays est peu corrélée avec les changements ulté-

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rieurs de la propension au conflit, alors que les variations de la qualité de lagouvernance perçue le sont (au moins pour les mesures ICRG). Il est intéres-sant, mais aussi malheureux, de constater qu’aucune dimension de la gouver-nance n’apparaît manifestement plus importante que les autres. Si cela avaitété le cas, les résultats auraient appuyé un ciblage plus marqué sur les politi-ques d’aide pour réduire la corruption, améliorer l’État de droit, la qualité dela bureaucratie ou toute autre dimension de la gouvernance qu’on aurait dis-tinguée en raison de sa forte corrélation avec la réduction du risque de conflit.Au lieu de cela, on trouve, en tout cas pour nos mesures actuelles de la bonnegouvernance ou des institutions, que toutes les bonnes choses vont de pair etque toutes semblent quelque peu corrélées avec un risque de conflit plus faible.Cela signifie peut-être qu’une bonne performance dans toutes ces dimensionsde la gouvernance est une retombée indirecte ou encore une fonction d’uneconfiguration ou d’une négociation politique sous-jacente, dont la nature resteincertaine et devrait faire l’objet d’une investigation (voir Besley et Persson2009, North, Wallis et Weingast 2009).

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