[fr] le monde diplomatique - noiembrie 2009

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NOVEMBRE 2009 LE

MONDE diplomatique

2COURRIER DES LECTEURS

COURRIER DES LECTEURS

Michel Foucault et les nouveaux philosophes Larticle de Michael Christofferson Quand Foucault appuyait les nouveaux philosophes (Le Monde diplomatique, octobre 2009) inspire M. Hamid Mokaddem les rexions suivantes (extraits) : 1. [Michel] Foucault avec [Jean-Paul] Sartre et [Maurice] Clavel taient soucieux de la vracit et du pouvoir de linformation dans les annes 1970 en France et sont lorigine dun organe dinformation, Libration. Je ne pense pas quon puisse faire passer Foucault pour un intellectuel machiavlique calculant le succs mdiatique d[Andr] Glucksmann pour investir des capitaux de prestige servant sa propre carrire. Contrairement ce qucrit et soutient Michael Christofferson, Foucault navait pas besoin de gagner une clbrit mdiatique pour obtenir un poste au Collge de France en 1970. L assemble des professeurs du Collge de France napprciait gure les collgues mdiatiss. Foucault succde son matre Jean Hyppolite et convertit la chaire dhistoire de la pense philosophique en chaire dhistoire des systmes de pense. Il est soutenu non sans rticences par son ancien condisciple Normale suprieure et luniversit de Clermont-Ferrand, Jules Vuillemin, reconnu en France comme un minent philosophe des sciences. On peut affirmer galement que llection de Foucault devait beaucoup lappui discret et efficace de Georges Dumzil. Plutt que la piste des mdias, les rseaux des anciens normaliens dUlm et de la franc-maonnerie seraient explorer pour comprendre la carrire acadmique fulgurante de Foucault.

2. En 1976-1977, Foucault bifurque vers de nouvelles investigations remettant en cause les conceptions classiques du pouvoir. Christofferson a raison de souligner quil contestait le modle classique de la souverainet. Notamment la conception des appareils idologiques dEtat de son ancien matre et ami Louis Althusser. Foucault critiquait alors non seulement le marxisme mais galement la psychanalyse, notamment sur la rduction des multiplicits des pouvoirs la logique du signifiant de [Jacques] Lacan. (...) Son soutien au livre mdiatis Les Matres penseurs [de Glucksmann] est certes rel mais jy vois un quiproquo. Foucault pistait les signes actuels dune radicale nouveaut des pouvoirs. A tort, sans doute. Il avait commis la mme mprise avec la rvolution chiite iranienne, croyant lire une autre manire de faire la politique et soutenant le soulvement spirituel du peuple iranien en 1979. 3. Christofferson a raison de souligner que le philosophe critiquait le totalitarisme notamment sous la forme du rgime sovitique. Mais Foucault remettait alors en cause galement le statut de lintellectuel universel et son engagement dont le modle franais tait la figure de Sartre. (...) Ce qui le fascinait dans le livre de Glucksmann est la drision des systmes de pense vouloir intgrer la singularit des faits. La colre des faits , tel est le soutien prcis que Foucault apportait et saluait la sortie en 1977 du livre de Glucksmann. Foucault se dissociait du structuralisme parce quil refusait quon lassimile ses doubles, les matres penseurs . (...) Je vois dans le soutien de Foucault au livre de Glucksmann moins une tactique quune mprise ou un quiproquo. (...)

Comprendre Tarantino ?M. Mathias Reymond ragit larticle de Mehdi Benallal LArme du crime face aux btards sans gloire (Le Monde diplomatique, octobre 2009), qui critiquait le dernier lm de Quentin Tarantino (Inglourious Basterds) en le comparant celui de Robert Gudiguian, LArme du crime : Si LArme du crime relate une histoire vraie (celle du groupe de rsistants conduit par Missak Manouchian), Inglourious Basterds est une pure ction, dconnecte de la ralit. Dailleurs, la premire phrase du lm nest-elle pas : Il tait une fois... dans la France des annes 1940 ? Et nannonce-t-elle pas le dbut dun conte ? Comparer ces deux lms na pas de sens, puisque le cinma de Quentin Tarantino est truff de rfrences aux lms de genre (les westerns de Sergio Leone et de John Ford, Les Douze Salopards de Robert Aldrich, Quand les aigles attaquent de Brian G. Hutton, etc.), et ne se sert que dune toile de fond (ici, la France pendant la seconde guerre mondiale) pour raconter non pas lHistoire mais une histoire, somme toute triviale, o des Juifs vont tuer le plus de nazis possible. Lintrt du cinma de Tarantino rside dans son mode de narration : chapitrage du lm, choix des acteurs, dialogues interminables et hilarants, musique dcale... Et si lultraviolence nest pas absente ici, elle nen demeure pas moins distancie (contrairement son premier lm Reservoir Dogs) et jubilatoire. Scalper des nazis en plaisantant ou assassiner [Adolf] Hitler et [Joseph] Goebbels la mitraillette, cest un peu se servir du cinma pour se venger, non ?

Cinphile boulimique, Tarantino est amateur de lms dhorreur, de guerre et de western. Son cinma est gnreux, il est fait pour rire, pour sursauter, pour pleurer... Et dans tous les cas, il stimule lexcs les sens, sans avoir dautre prtention que cela. Et cest tant mieux. Vouloir lintellectualiser, le politiser ou le contextualiser, cest ne pas le comprendre.

Cest, me semble-t-il, ne pas se montrer capable denvisager toutes les perspectives, les pires comme les meilleures, que cette convergence technologique ouvre pour la premire fois peut-tre dans lhistoire de lhumanit. Je crois et tout un mouvement international de pense, qui rassemble scientiques, philosophes, sociologues, artistes et bien dautres partageant ce point de vue quil nest ni sain ni raisonnable de sinterdire a priori dexaminer ce cauchemar . Au contraire, il faut lenvisager le plus srieusement du monde parce que, sil met en question ce qui se trouve au fondement de notre humanit, il ouvre peut-tre aussi des perspectives qui nous permettraient de raliser notre humanit. (...) Avant toute condamnation ou toute clbration , il faudrait rchir collectivement ces questions essentielles... Quest-ce que lhumain ? Si lhumain est un tre en devenir, sil est en mesure dintervenir lui-mme sur sa propre volution en tant quespce, quest-ce qui dirigera ses choix ? Si nous devons demain choisir d augmenter lhumain, ou bien de renoncer l augmenter , quelles en seront les raisons ? Pourquoi, et pour quoi faire ?RECTIFICATIFS Dans larticle A Gladstone, lemploi contre lenvironnement publi en octobre dernier, la citation attribue M. Beers : Je suis arriv Gladstone en 1967-1968... tait de M. Frank Chambers, un autre syndicaliste de lAustralian Workers Union (AWU). Contrairement ce que suggrait le titre de larticle Et La Ciotat construit toujours des bateaux , paru dans notre dition doctobre, les chantiers de La Ciotat sont dsormais spcialiss dans la rparation navale.Edit par la SA Le Monde diplomatique Socit anonyme avec directoire et conseil de surveillance Actionnaires : SA Le Monde, Association Gunter Holzmann, Association Les Amis du Monde diplomatique Directoire Serge HALIMI, prsident, directeur de la publication (secrtariat : 01-53-94-96-78), Alain GRESH, directeur adjoint (secrtariat : 01-53-94-96-01), Bruno LOMBARD, directeur de la gestion (secrtariat : 01-53-94-96-07) Responsable des ditions internationales et du dveloppement : Dominique VIDAL (01-53-94-96-21) Rdaction 1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris Tl. : 01-53-94-96-01 Tlcopieur : 01-53-94-96-26 Courriel : [email protected] Site Internet : www.monde-diplomatique.fr Directeur de la rdaction : Serge HALIMI (9678) Rdacteur en chef : Maurice LEMOINE (9612) Rdacteurs en chef adjoints : Martine BULARD (9604), Philippe RIVIRE (Internet, 9618), Anne-Ccile ROBERT (9624) Rdaction : Laurent BONELLI (9609) Mona CHOLLET (Internet, 9679) Alain GRESH (9608), Evelyne PIEILLER (9628) Pierre RIMBERT (9671), Dominique VIDAL (9621) Cartographie : Philippe REKACEWICZ (9619) Site Internet : Guillaume BAROU (9620) Conception artistique : Alice BARZILAY (9602), Maria IERARDI (9610) Rdacteur documentaliste : Olivier PIRONET (9615) Mise en pages et photogravure : Jrme GRILLIRE (9614), Didier ROY (9611) Correction : Pascal BEDOS (9627), Xavier MONTHARD (9603) Diffusion numrique : Vincent CARON (9629) Contrle de gestion : Zaa SAHALI (9682) Secrtariat gnral (9601, 9607) : Anne CALLAIT-CHAVANEL (9678) Sophie DURAND (9607), Joseline FLEURY (9605), Monique SALOM (9601) Fondateur : Hubert BEUVE-MRY Anciens directeurs : Franois HONTI (1954-1972), Claude JULIEN (1973-1990), Ignacio RAMONET (1990-2008) Publicit : Nedjma LIASSINE (01-57-28-38-67) et Amlie LEBOUCHER (01-57-28-39-34) Secrtariat : Dominique AYMARD (01-57-28-39-66) Tlcopieur : 01-57-28-21-83 Diffusion, mercatique : Brigitte BILLIARD, Jrme PONS, Pascale LATOUR, Marie-Dominique RENAUD Relations marchands de journaux (numros verts) : Diffuseurs Paris : 0805 050 147 Dpositaires banlieue/province : 0805 050 146 Service relation abonns G Depuis la France : 0825 800 174 (0,15 /min) www.monde-diplomatique.fr G Depuis ltranger : (33) 3 44 62 52 74 Abonnements en Suisse : (0041) 22 850 84 01 Courriel : [email protected] Abonnements en Belgique : (0032) 70 233 304 Courriel : [email protected] Abonnements aux Etats-Unis et au Canada : (514) 355 3333 Courriel : [email protected] Reproduction interdite de tous articles, sauf accord avec ladministration ADAGP, Paris, 2009, pour les uvres de ses adhrents.

Optimisme technologiqueA la suite de larticle de Mateo Cueva Bits, atomes, neurones et gnes font BANG (Le Monde diplomatique, octobre 2009), M. Marc Roux, prsident de lAssociation franaise transhumaniste, nous crit : Si lauteur rappelle quelques-uns des progrs attendus des nanotechnologies dans le domaine informatique ou mdical, il met rapidement laccent sur les dangers quelles nous font courir : utilisations militaires cauchemardesques, dtournement des investissements mdicaux au dtriment des besoins de premire urgence, risques induits par une go-ingnierie irresponsable, drives capitalistiques en tout genre, notamment celle de la marchandisation du vivant... Nous pourrions penser que lauteur fait l uvre utile en attirant notre attention sur un sujet mconnu jusque-l et en tirant la sonnette dalarme. Mais, en multipliant systmatiquement les prsentations catastrophistes, il nous enferme dans une vision univoque, trique, plus que frileuse, luddite, ou plutt noluddite, qui voit dans le progrs technique la source de toutes nos souffrances venir.

Colloques et rencontresDERRIRE LE MUR. Roger Heacock, professeur dhistoire luniversit de Birzeit (Palestine), donnera une srie de confrences sur La Palestine, un kalidoscope disciplinaire , tous les jeudis du mois de novembre, 16 heures, au Collge de France, 11, place Berthelot, Paris 5e. (Renseignements : 01-44-27-12-11 ou www.college-de-france.fr) OUTRE-MER. A linitiative de la revue Diffrences, le 13 novembre, 19 heures, projection du lm Les 16 de Basse-Pointe, suivie dun dbat sur les rapports entre la France et loutre-mer ; en prsence de la ralisatrice, Camille Mauduech. Au centre culturel La Clef, 21, rue de la Clef, Paris 5e. (Renseignements : www.mrap.fr) GOGRAPHIE ET ANARCHISME. Le 19 novembre, 14 heures, organise par luniversit inter-ge de Chelles (salle Albert-Caillou), confrence sur Elise Reclus, avec Philippe Pelletier, enseignant-chercheur luniversit LyonII. (Renseignements : 01-64-26-61-40.) RPUBLICAINS ESPAGNOLS. Le 26 novembre, 20 h 30, lAssociation des amis du Temps des cerises (64, rue du Port, Clermont-Ferrand) projettera le documentaire de Jean Ortiz et Dominique Gautier, Fils de Rojo, dans le cadre dune semaine sur la Retirada espagnole de 1939. (Tl. : 04-73-92-13-45 ; amistempsdescerises@ yahoo.fr) EAU. Le 28 novembre, 15 h 30, confrence sur leau organise par Attac Paris nord-ouest, avec Marc Laim. Au Lavoir moderne parisien (35, rue Lon, Paris 18e), suivie dun concert congolais lOlympic Caf (20, rue Lon). (Renseignements : www.local.attac.org/parisnw) Avec Le Monde diplomatique PROCHE-ORIENT. Dans lle de la Runion, deux confrences, avec Alain Gresh. Le 4 novembre, 18 h 30, Saint-Pierre, au Conservatoire rayonnement rgional, centre Jules-Joron, 1, rue Victor-le-Vigoureux : Nouveaux enjeux gostratgiques au Proche-Orient aprs llection du prsident Obama . Le 5 novembre, Saint-Denis, dans le salon dhonneur de lancien htel de ville, rue de Paris : Isral-Palestine, quelles conditions pour un rglement ? (Association musulmane de la Runion [AMR] : 02-62-41-71-74 ou 06-9287-01-60 ; [email protected] ou amr.arpc@ wanadoo.fr) Le 18 novembre, 20 heures, IsralPalestine , Genve, Maison des associations, salle Gandhi, 15, rue des Savoises, avec Alain Gresh et les Amis du Monde diplomatique. (Tl. : 022-346-69-40 ; 022-341-23-90.) AMRIQUE LATINE. A linitiative du collectif Amrique latine rsistances !, confrencedbat le 12 novembre Genve : LAmrique latine lheure dObama , lInstitut des hautes tudes et du dveloppement (IHED), rue Rothschild 20, 19 h 30. (Tl. : 0041-26-322-74-61.) Le 21 novembre, Bruxelles, de 14 heures 19 heures, dans le cadre de la journe Alerta Venezuela ! La rvolution plus que jamais , dbat, ateliers et esta latina. Salle Dom-HlderCmara, rue Pltinckx 19. (Tl. : 0479-25-77-35 ; venezuelasolidaridad.blogspot.com) Dans les deux cas, avec Maurice Lemoine. PALESTINE. Le 19 et 20 novembre, luniversit de Bourgogne consacre un colloque sur le thme Quel Etat palestinien ? , dans lamphithtre Guitton de la facult de droit (4, boulevard Gabriel, Dijon). (Contact : 03-80-39-53-63 ; [email protected]) A linitiative de lassociation Solidarit MarocPalestine, en collaboration avec lAssociation marocaine pour la recherche historique, Lhistoire revisite : comment Isral expulsa les Palestiniens, 1947-1949 . A Casablanca, le 25 novembre, 18 heures, la Fondation du roi Abdul Aziz Al-Saoud (boulevard de la Corniche, An Diab, Anfa) et Rabat, le 26 novembre, 17 h 30, la Bibliothque nationale (5, avenue Ibn Batouta). (Tl. : [212] [0] 6-69-58-56-18.) Dans tous les cas, avec Dominique Vidal.

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w w w. m o n d e - d i p l o m a t i q u e . f r

3DONNER VOIR, MAIS PAS REFLCHIR

LE MONDE diplomatique NOVEMBRE 2009

Apocalypse ou lhistoire malmeneDifficile de ne pas se rjouir quand des millions de tlspectateurs suivent prs de six heures dmissions sur la seconde guerre mondiale. Pourtant, avec la srie documentaire Apocalypse , leur esprit critique fut peu... mobilis. Car le l rouge des programmes le combat contre tous les totalitarismes frappe par son caractre consensuel. Et il carte nombre de contradictions relatives au rle des dmocraties. La mme musique idologique accompagne le vingtime anniversaire de la chute du Mur.

PA R L I O N E L R I C H A R D *N SEPTEMBRE , un grand battage publicitaire annonait sur France 2 la diffusion dApocalypse, un documentaire de plus de cinq heures, en six pisodes, sur la seconde guerre mondiale (1). L accueil du public na pas failli. Six sept millions de tlspectateurs ont regard la srie.

E

bruit et fureur rptition, les phrases percutantes du commentaire. Car cest lui, ce commentaire, qui permet de xer son attention sur les images, qui leur donne sens ou contresens. Dbut de la srie ; titre indiqu : Berlin, 1932 . Quelques secondes dune scne de LAnge bleu, le lm de Josef von Sternberg. Aucune source. Il est annonc que Marlene Dietrich chante Berlin, Alexanderplatz . Vraiment ? Depuis 1928, cabarets et revues sont termins pour elle. LAnge bleu a t tourn en 1929-1930. En 1932, Marlene se trouve Hollywood, o elle joue dans le nouveau lm de Sternberg, Blonde Vnus. Afin de prolonger lillustration de linsouciance alors cense rgner Berlin, fondu enchan sur les terrasses de caf des beaux quartiers : Thomas Mann savoure son prix Nobel de littrature sous les tilleuls dUnter den Linden... Tiens donc ! Cet crivain habite Munich, o il ne cesse, en dehors des vacances, de travailler avec acharnement. Cest en 1929 que le prix Nobel lui a t dcern, pour son roman Les Buddenbrook. Berlin ? Il ne sy trouve, en 1932, que le 18 mars, pour tenir un discours devant lAcadmie prussienne des arts, en lhonneur du centime anniversaire de la mort de Goethe. Insouciant, Thomas Mann ? Tout le contraire. A la n de son allocution, il invite les hritiers spirituels de Goethe, les ls de la classe bourgeoise , prendre en main la dfense de la dmocratie, an dengager lAllemagne sur un ordre rationnel , un rgime qui soit conforme au stade atteint par lesprit de lhumanit . Lavant-veille, interrog par un journal de Vienne propos de la victoire du marchal Paul von Hindenburg llection prsidentielle, il a dclar quil est heureux de voir Hitler battu, et avec lui le fascisme allemand . Maintenant le plus important est, son avis, de dsintoxiquer latmosphre (2).

A compt pour beaucoup, dans cette publicit, le retentissement donn ce quil fallait absolument dcouvrir : une masse dimages souvent inconnues , rsultat dune traque dans les archives internationales. Sur ces documents dpoque, les bruits des moteurs davion et des pilonnages ont t sonoriss. De plus, an que la vrit des oprations militaires sur tous les fronts soit apprhendable au mieux, les images ont t partiellement soumises une colorisation ou plutt, conformment la formulation des auteurs, une restitution des couleurs . Orange, les ammes sur les dcombres. Gristres, les joues dAdolf Hitler. Bien roses, celles de Joseph Staline. Bref, tout dans le spectaculaire. Il et t regrettable que les jeunes gnrations fussent en dcalage avec ce quelles ont lhabitude de voir dans les films de fiction. Pour reprendre la prose des experts en communication de France Tlvisions : un scnario haletant , rythm par une musique originale qui parfait la splendeur dun programme hors du commun . Effectivement, le spectacle a de quoi captiver. Dune bataille lautre, alors que tout le monde connat lpilogue, le montage parvient susciter une attente. Encore faut-il, an dentrer dans le jeu, accepter un truisme comme postulat : la guerre est la guerre. Pour la moiti des squences au moins, les soldats succdent aux soldats. Chars, bataillons, escadrilles, bombardements, ruines fumantes, cadavres. De lEurope au Pacique, le regard souffrirait vite de saturation si ne passaient en voix off, sur cette frnsie de

ADAGP

LOUIS LEDOUX. La Vrit (2000)

nous plonge ainsi dans une simplication caricaturale archaque. En ce qui concerne la participation du Parti communiste franais la Rsistance, la querelle a t rgle depuis une dcennie par les spcialistes. Si sa direction a recherch, lt 1940, un modus vivendi avec loccupant, le parti sest progressivement engag dans la Rsistance. Et plusieurs documents prouvent, par exemple, la mise sur pied sous son gide dun Front national de lutte pour lindpendance de la France au printemps 1941. Cette absence de respect intellectuel envers les tlspectateurs se traduit galement par les multiples approximations, contradictions, erreurs portant tant sur les vnements que sur leur chronologie. Par exemple, larme allemande na pas t lance sur la Pologne le 3 septembre 1939, aprs la dclaration de guerre du Royaume-Uni : les Stuka, au matin du 1er septembre, bombardent la bourgade de Wielun mille deux cents morts sur seize mille habitants. A la suite de lchec de la conjuration du 2 juillet 1944, Hitler fait arrter, et pas assassiner , cinq mille suspects, dont deux cents vont tre condamns mort. Mme la date de la capitulation signe Berlin par le marchal Wilhelm Keitel est fausse. Ce nest pas le 8 mai 1945, comme indiqu en gros caractres, mais le lendemain. Do ladoption du 9 mai comme fte nationale par les Sovitiques, pour clbrer la victoire sur lAllemagne nazie. Pour ce qui va de lantismitisme, des camps et de lextermination des Juifs, la prsentation est confuse, le massacre tant dit programm seulement lorsque lissue de la guerre deviendra incertaine . A croire quen 1941, dj, les dirigeants nazis doutaient de lissue de la guerre. Mais le comble de lembrouillamini est atteint avec lvocation de la rencontre de Yalta, du 4 au 11 fvrier 1945 ; on explique que laffaiblissement physique de Franklin D. Roosevelt lamne cder Staline, sur tous les points. Dans le l dune lgende tenace, la photographie archiconnue o sont runis Winston Churchill, Roosevelt et Staline est suppose marquer le vritable dbut de la guerre froide . En ralit, les Allis mettent alors au point la campagne nale contre Hitler ; loptimisme rayonne et les bases de lOrganisation des Nations unies (ONU) sont poses pour limmdiat aprs-guerre. Churchill parlera dailleurs un mois plus tard, au sujet de Staline et de ses vues sur la Pologne, dun danger de rupture de lesprit de Yalta . Cest le premier ministre britannique qui, en octobre 1944, loccasion dun accord secret, a procd avec le marchalissime sovitique au partage de lEurope (3). Chaque fois que le commentaire dborde du contenu des images pour oser une digression, le texte aboutit des allgations calamiteuses. Aux premiers jours de septembre 1939, les Polonais attaquaient-ils cheval et la lance les chars de lAllemagne nazie ? Une bataille dun autre ge est alors livre par les lanciers polonais, qui se font massacrer en chargeant les tanks allemands , est-il affirm. Pareille affabulation, construite sur un trucage, sort vraisemblablement des services de Joseph Goebbels pour railler ltat retardataire de la Pologne (4).

La plupart de ces images darchives relvent de la propagande, et il est comprhensible quil ne puisse en tre autrement. En dehors de quelques prises de vues en provenance de cinastes amateurs, elles manent doprateurs professionnels au service des armes en lutte. Supercherie que de les proposer comme un reet able des phnomnes de la guerre ! Elles exigent dtre replaces dans leur contexte. Leur insertion dans une combinaison de squences reconstruites, comme il advient dans Apocalypse, redouble leur manque intrinsque de vrit. Le procd vire la dsinvolture pour toutes celles qui sont tires des kilomtres de pellicule tourns par les nazis. La vision du front de lEst sous lil russe est inme. Une vingtaine de secondes pour la vie de la population de Leningrad, montre charriant des pierres, alors quelle a t assige pendant prs de neuf cents jours, du 8 septembre 1941 au 27 janvier 1944. A quoi bon une nouvelle composition documentaire si elle vise, avant tout, sduire visuellement ? Sous peine de racolage mdiatique, lessentiel est dobtenir que les images en question, sorties de leur fonction initiale de propagande, compltent impartialement, pdagogiquement, les connaissances dj solidement acquises. Apocalypse en est loin. Les recherches universitaires sont la fois plus sres et plus avances que les donnes apportes par lensemble de ses pisodes. Du reste, aucun historien, en qualit de conseiller ou consultant, ne gure son gnrique. Oui, trop dentorses aux faits dans cette srie, dinsinuations non justies,

domissions, pour quon puisse admirer sans rserve la somme dinformations quelle vhicule. Mais qui se permet de critiquer ce lm darchives, ses dfenseurs ont beau jeu de rtorquer quil na pas t ralis lintention des spcialistes , que son but tait de toucher le grand public. Or les tlspectateurs ont t ravis, clame-t-on, de sinstruire sur une priode dont ils navaient en tte que des lments fragmentaires. Sen prendre une production de haute ambition comme celle-ci, magistral cours dhistoire en images , selon Tlrama, entranerait les directeurs des programmes tlviss ne plus se risquer hors de lhabituelle et efficace mdiocrit. Intimidante mise en garde !... Autrement dit, enterrons toute rexion critique au bnce de dithyrambes ou darguments de rclame. Ce que prne un tel raisonnement, cest la rsignation, par crainte du pire, aux choix intellectuels des dcideurs.(1) Apocalypse. La 2e Guerre mondiale, une srie de Jean-Louis Guillaud, Henri de Turenne, Isabelle Clarke et Daniel Costelle, six films dIsabelle Clarke et Daniel Costelle, musique originale de Kenji Kawai. Diffusion en trois DVD par France Tlvisions Distribution. Daniel Costelle a galement tir un livre de cette srie tlvise, sous le mme titre, aux ditions Acropole. La publicit de ces ditions le prsente ainsi : Un livre pdagogique et bouleversant, qui passe le tmoin de la mmoire toutes les gnrations. (2) Thomas Mann, Ein Appell an die Vernunft. Essays, 1926-1933, Fischer, Francfort, 1994, p. 341342 et p. 495-496. (3) Cf. Charles Zorgbibe, Histoire des relations internationales, 1945-1962, Hachette, coll. Pluriel , Paris, 1995, p. 8-18 et p. 24. (4) Lire, par exemple, Andrzej Nieuwazny, Lanciers contre Panzers ? A voir... , Revue historique des armes, no 249, Vincennes, 2007, http://rha.revues.org

Un chapelet de poncifsentre le limage Lde cesdont fonctionnetexte etla srie deux squences dnissent la manire touteES DISTORSIONS

Apocalypse. Les plans sont dtourns pour tre soumis un discours prconu, o se condensent les poncifs que les mdias vulgarisent depuis un demi-sicle. Axe central autour duquel tout saccroche : lhistoire contemporaine a t domine par deux totalitarismes , incarns par Hitler et Staline. Face eux, les dmocraties ont t paralyses. En vertu de ce schma, le prambule de la premire mission souvre en mai 1945 sur les troupes sovitiques Berlin. Trompeuse libration . Actionnes par la haine , ces troupes violent non pas certaines Allemandes, mais systmatiquement, nous dit-on, les femmes allemandes . La dernire mission se conclut, elle, sur ces mots : Cette srie est ddie aux victimes de tous les totalitarismes. Peu importe, travers un tel encadrement, de retracer les prmices du conit mondial. Tout bascule en Europe le 30 janvier 1933, signale le commentaire, avec Hitler la tte de lEtat en Allemagne. Comment y est-il arriv ? Grce son exceptionnel pouvoir de conviction sur les masses et au totalitarisme oppos : Les communistes allemands sont aux ordres de Moscou, pour qui les socialistes sont les vrais adversaires. Pas dalliance avec eux. Alors, les communistes allemands chantent une dernire fois LInternationale... * Professeur honoraire des universits, dernier livre paru : Goebbels. Portrait dun manipulateur, Andr Versaille diteur, Bruxelles, 2008.

Sur larrire-plan conomique et social de lAllemagne, rien. Sur lengrenage du systme rpressif mis en place ds fvrier 1933, lappui des grands intrts industriels du pays au systme nazi, llimination des opposants, le mouvement dmigration de milliers dAllemands, leurs appels lutter contre le nationalsocialisme, rien. Laide allemande et italienne aux partisans de Francisco Franco en Espagne, lAutriche avant son annexion en 1938, et notamment lassassinat du chancelier Engelbert Dollfuss, les tergiversations des gouvernements franais et britanniques, la trahison de la France lgard de la Tchcoslovaquie, les indcisions du gouvernement polonais ? Les tlspectateurs nont pas besoin den tre informs. En effet, cest l alliance des deux principaux totalitarismes , le 23 aot 1939, qui enclenche la catastrophe. Les Occidentaux, malgr leurs craintes du communisme, comptent sur lURSS , affirme le commentaire, oubliant leur refus obstin du projet de scurit collective propos par Moscou. Mais, poursuit-il, Hitler va les prendre de vitesse en passant contrat avec Staline. Ce qui, en soi, nest pas surprenant, puisque lui aussi fait jeter des millions de malheureux dans ses camps . La fourberie de Staline a dessill universellement les yeux : Pour le monde entier, le pacte germano-sovitique, cest le signal de la guerre. Consquence, les communistes en Europe, franais entre autres, ne rejoindront la lutte que le 22 juin 1941, aprs lattaque contre lUnion sovitique . Pour non ngligeables que soient les responsabilits de Staline, Apocalypse

APPEL AU CONGRS MARX INTERNATIONAL VIUNIVERSIT DE PARIS X DU 22 AU 25 SEPTEMBRE 2010

La double crise, conomique et cologique, qui secoue aujourdhui le monde, est-elle seulement un nouveau maillon dans la longue chane des craquements qui jalonnent lhistoire du capitalisme moderne ? Ouvre-t-elle une nouvelle re ? Les rvoltes sont-elles au rendez-vous que le marxisme avait x la rvolution ? Comment lutopie, prise en positif, dans sa crativit subversive, sociale, politique et culturelle, peut-elle devenir ralit ?Linformation safchera progressivement sur notre site : http://next.u-paris10.fr/ Prsidents du Congrs : Jacques Bidet, Grard Dumnil et Stphane Haber Contact : [email protected]

CRISES, RVOLTES, UTOPIES

NOVEMBRE 2009 LE

MONDE diplomatique

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Une ammche obstine a embras la GuadeloupeMme si le bras de fer nest pas termin aux Antilles, le contraste est saisissant. Au dbut de lanne 2009, dls massifs et conits sociaux se succdent en France mtropolitaine ; dpourvue de dynamique, la mobilisation seffiloche. Au mme moment, 6 700 kilomtres de distance, une grve gnrale contre la vie chre embrase la Guadeloupe. Peu sensibles aux chimres de lactivisme mdiatique, les animateurs du Liyannaj kont pwotasyon (LKP) vont rcolter les fruits dun travail militant opinitre, dune volont dunit et de la conviction quun solide rapport de forces ne nuit jamais la ngociation... PA RN OT R E

Cest si important, pour vous, le tractage ? Essentiel. Quand tu distribues un papier, larticle compte peine. Cest grce la poigne de main, grce lchange autour que lon persuade lentement, que nos ides se distillent dans le corps social. Et surtout, quand tu diffuses avec ton tee-shirt de lUGTG, cest un bon thermomtre. Tu prends la temprature, et parfois tu sens que les gens sont chauds. Tandis quon sirote un chocolat martiniquais , M. Mri savance vers la piste de danse. Un-deux, un-deux. Sa serviette de bain autour du cou, il teste le micro. Semblez, camarades, semblez. La musique sinterrompt dans la nuit, les spots uo aussi, et les camarades , plus leurs femmes, plus leurs enfants, se rassemblent . Devant un cran improvis, le jeune dlgu de lUGTG commente les photographies : Nous tions tous rquisitionns par les gendarmes, alors nous avons dormi chez des amis. Nous nous sommes cachs dans les bois nous nallons pas vous rvler notre jardin secret ! Nous avons fait comme les esclaves : du marronnage. Au clich suivant apparat un camion renvers, on ne sait pas pourquoi, une concidence, juste devant la CCI les rires fusent. Jusqu la ngociation nale, qui accorde des annes dheures supplmentaires non payes, entre 17 000 et 25 000 euros net . Et grce qui ? Jappelle Eddy Damas, conseiller de lUGTG. Sous les applaudissements lui est remis, en cadeau, une montre Eurogold. Idem pour llance Liliane Gaschet, de lUnion nationale des

ENVOY SPCIAL

FRANOIS RUFFIN *

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A FILLETTE sur les genoux, M. Oli-

vier Mri parle de lutte de classes et d action de masse , du sorbet la goyave plein la bouche. Des termes prims, en mtropole. Pas ici, au bord de la mangrove le marais ctier plant de paltuviers. Pas aujourdhui, en ce samedi daot o les pompiers de laroport ftent leur victoire. Un midi-minuit , douze heures de zouk fond et de plats maison (gratin de christophines sorte de courgettes , riz forcment crole, mangues volont) pour rcompenser six mois de grve en continu avec occupation de la chambre de commerce et dindustrie (CCI), recours au tribunal administratif, mdiation du prfet. On est parti de presque rien, hein, au dpart ? M. Mri se tourne vers son mentor Eddy Damas, salari de France Tlcom et cadre de lUnion gnrale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), qui fume une cigarette en retrait : En 2006, le conseil syndical de lUGTG ma donn lordre de relancer lunion locale des entreprises de laroport. Ctait un point stratgique, et pourtant en sommeil. Nous navions alors quun seul syndiqu parmi les pompiers. A force de runions, denqutes, de tractage, nous en avons aujourdhui dix-sept sur trente-deux...* Journaliste.

syndicats autonomes (UNSA). Et pour le barbichu Fred Pausicls, de Force ouvrire (FO). La crmonie acheve, les amplicateurs hauts dun mtre crachent nouveau leurs dcibels. On fait les choses dont on a toujours rv, braille M. Pausicls. Auparavant, quand on disait quon appartenait FO, ctait sans cesse : Ah, le syndicat des patrons. On sloigne pour chapper aux enceintes gantes. Quitte abreuver de sang les nues de moustiques. Mais quand mme, la locomotive de ce mouvement reste lUGTG, non ? Ah, mais lUGTG est un syndicat unique ! , sexclame ce cadre de FO, fonctionnaire au ministre de la dfense. Un syndicat unique, pas par le nombre de ses adhrents, pas par la couleur de son drapeau, pas par lhomme qui le dirige, mais par son fonctionnement. Nous, on dit gentiment bonjour au patron, on crit une premire lettre, une deuxime, une troisime, rien ne revient. Pour eux, le problme ne se rglera qu travers un rapport de forces. L UGTG pose un pravis : On bloque et ensuite on discute. Depuis sa cration, grce une poigne dhommes de conviction, de nationalistes, elle a obtenu des succs foudroyants. Pas seulement dans les urnes. Dans des secteurs en souffrance, comme la canne sucre, o les travailleurs taient pays 25 % en dessous du smic, ils ont gagn 30 % dun coup. a marque les mmoires, reprend M. Pausicls. Quand ils disent un patron : Vous capitulez, il capitule. Ou alors, en rentrant chez lui, il a le secrtaire gnral de lUGTG devant sa barrire, avec une sono, pour laider dormir. Et le lendemain, quand le patron fait ses courses, il a le secrtaire gnral qui le suit dans les alles. Il va la messe ? Il est sur le banc ct, qui lui fait signe. A un banquet ? Il la comme voisin de table. On se prend sinterroger. Il y a quelque chose de la lgende dans ce rcit. Demandez au patron dOrange Carabes si cest une lgende ! Cest un cauchemar, oui ! Et ce syndicat-l, de lutte, puissant, dtermin, a lintelligence de ne pas agir seul : en dcembre, et mme avant, cest lUGTG qui a initi la dmarche commune. Donc, bien sr quil reste la locomotive.

Mme constat pour les autres syndicats. Ils ngocient des places dans des commissions, au Conseil conomique et social [CES], dans tous les CES rgionaux, et a les rapproche de lestablishment. Leurs nances dpendent de plus en plus des dotations dEtat. Cest un des aspects qui nincitent pas la combativit. E n dcembre 2008, alors que dj le volcan grondait, Le Monde nvoquait la Guadeloupe que pour ses crivains carabes (2) . Mme la presse engage ne voyait rien venir, hormis la Carabe en musique (3) . Un mois plus tard, pourtant, un sigle se rpand dans les journaux : LKP Liyannaj kont pwotasyon (Rassemblement contre les prots abusifs et lexploitation). Trois lettres qui reviennent jusque dans les manifestations en mtropole, qui envahissent les conversations : Quel est leur remde secret ?, sinterroge-t-on dans les dls. Est-ce grce la chaleur des les ? A cause des prix excessifs ? Ou leur dirigeant charismatique ? Dans les mdias, comme toujours, l vnement a surgi de nulle part, subit, soudain, avant quune autre nouvelle (la grippe mexicaine , devenue porcine , puis lanonyme H1N1 , etc.) ne chasse cette colre de lactualit. Ce mirage mdiatique du surgissement pouse alors, au printemps, la mme illusion politique : lesprance, rpandue dans la gauche militante, que de la crise natra forcment une rvolte. Que les foules se mobiliseront spontanment. Quil suffirait dattendre pour que le fruit libral, non plus mr mais pourri, tombe de lui-mme. Le mouvement aux Antilles est scrut laune de cette croyance, qui comporte bien sr sa part de vrit : lintervention du peuple dans lhistoire, un mois de juillet 1789, de fvrier 1917, de mai 1936, de dcembre 1995 ou de janvier 2009, relve toujours un peu du mystre. Mais ne doit pas masquer une autre histoire, souterraine, humble, laborieuse, dhommes qui construisent pas pas une organisation, qui diffusent patiemment leur propagande, qui resserrent les mailles de leur let militant, qui nouent des alliances pour fortier le front bref, qui rendent le prodige possible : sans lUGTG, pas de LKP. Qui, certes, ne se rduit pas lUGTG. S silon jan ou bity ou kapab rkolt saw plant , se donnait pour maxime lUGTG son congrs de 2008 citant peu prs la Bible en crole : Nous rcolterons ce que nous aurons sem. Et dans le mouvement LKP, on repre en effet bien des graines plantes plus tt : ds 1997, sur ses tee-shirts, ses affiches, ses tracts, lUGTG pourfend la pwotasyon mot dordre qui parat, dsormais, une invention littraire venue den bas . De mme, habitus des piquets de grve, parfois virils, les militants allis ceux de la CGT Guadeloupe (CGTG) ont vite reconverti leur savoir-faire pour installer et encadrer les barrages. Quant aux fermetures contraintes de magasins, les bras taient galement entrans : chaque 26 mai, une tradition, en ce jour o Victor Schlcher ajouta, en 1848, sa touche nale aux combats pour labolition de lesclavage, des manifestants bouclaient manu militari les boutiques de Pointe--Pitre jusqu obtenir, en 2003, une journe frie.

OLTANT REV

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en plus du Monde

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Ds jeudi 29 octobre,

Condorcet,

Rflexions sur lesclavage des NgresTolrer une injustice est un crime.

CONDORCET

Suffirait-il dattendre que le fruit libral tombe de lui-mme ?gons de LDans lesattend. Une piqres, onunrentre. assiettes en plastique, vivaneau grill question demeureES PIEDS

Tous les jeudis en plus du Monde

Manifestes, traits, dclarations ou confessions, ils ont chang le cours de lHistoire. Scandaleux ou visionnaires, ils ont transform les consciences, suscit des controverses, fond des disciplines, dclench des rvolutions.

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en suspens. Pendant ce long conit qui a paralys la Guadeloupe partir du 20 janvier 2009 (1), comment ont ragi FO et son secrtaire gnral Jean-Claude Mailly ? M. Pausicls sourit. La confdration nous appelait rgulirement : si eux avaient pu choisir, il aurait fallu quon sorte du conit. a ne sert rien, Vous naurez jamais 200 euros, Il y a dj vingt jours... Ils nous tenaient des propos comme a, pas trs encourageants. Bref, on ne montrait pas le bon exemple.

5Implantation. Tractage. Du muscle, loccasion. Nul remde secret . Enquter sur cet hiver guadeloupen revient ds lors, pour beaucoup, enfoncer des portes ouvertes. A assner des vidences, qui nen sont plus chez nous : pour lUGTG, le syndicalisme est ncessairement de lutte . La ngociation, indispensable, se droule avec un rapport de forces . L ennemi de classe nest pas devenu un partenaire social . Quon y ajoute une revendication d indpendance , et voil pour la ligne. Avec ces recettes simples, lUnion a gagn en audience jusqu craser le paysage syndical de lle : le 3 dcembre 2008, et la date compte, lUGTG emportait la majorit aux lections prudhomales, avec 52 % des voix. Deux jours aprs cette victoire, son appel, syndicats et associations se runissaient et programmaient une premire manifestation... niser. On ne le fera pas votre place, mais on vous aidera. Ils taient enthousiastes, quon les ait si bien compris, dans le dtail. Un exemple de cette attention au terrain : pays la tche, les coupeurs de canne devaient abattre quatre cent dixsept paquets, comportant chacun douze tronons. Quatre cents paquets correspondaient leur journe, et les dix-sept supplmentaires payaient le loyer de la case. Comme si elle ntait pas rembourse depuis longtemps... Ctait une de nos premires revendications, avec lgalit de salaire entre ouvrier agricole et ouvrier industriel. Et on la obtenue. Trs vite, malgr lassassinat dun dirigeant, lUnion des paysans de Guadeloupe (UPG) et lUnion des travailleurs agricoles (UTA) ont remport des succs considrables : sur le smic, sur la part de rcolte que laissaient les colons, puis sur la lutte pour la terre... Grce un style, une libert de ton, la langue crole, on sest vite tendu toute lle. Grce une mthode, aussi : un, enquter et avoir raison. Deux, par laction de masse, transformer les rapports de forces. Trois, garder la mesure : ne pas vouloir aller tout de suite trop loin, jusquau bout, mais plutt accumuler les russites. Que les travailleurs prennent conance en eux, quils lvent leur niveau de conscience... En 1973, lUGTG nat sur ces fondations. Cette histoire surprend peine : chaque organisation connat, surtout ses dbuts, des heures hroques et douloureuses. L encore, pas de surprise en 1975. Mais que ce texte soit republi, tel quel, sans un ajout, sans une notice explicative, en 2005 ! Que, sans rougir, M. Damas concde des approximations , et affirme nanmoins : Nous utilisons ce document comme base pour nos formations , trois dcennies plus tard ! Il faut alors imaginer linimaginable : que la Confdration gnrale du travail (CGT) rimprime, pour sen inspirer, les motions de ses congrs passs, bourres de lutte des classes aussi, d adversaire patronal , de combat contre le capitalisme quand, aujourdhui, les documents dorientation de la centrale, pour son congrs de 2006, ne mentionnaient plus ni ouvriers ni travailleurs . Ou mieux, mme, que la Confdration franaise dmocratique du travail (CFDT) sen retourne telle tait sa terminologie une stratgie offensive tendant, travers la lutte des classes, hter linstauration de la socit socialiste . M. Franois Chrque stranglerait-il avant dachever la phrase ? On a longtemps minimis notre descente aux enfers, parce quon restait majoritaire aux lections prudhomales. Dans les locaux de la CGTG, Pointe-Pitre, sur LCI, un musicien gardien de la paix parade. Le secrtaire gnral JeanMarie Nomertin coupe la tlvision. En 1997, lUGTG sest prsente pour la premire fois : elle nous a mis une racle. Ctait agrant. A plate couture. Soit on se remettait en cause, soit notre syndicat disparaissait. Lucide, son dirigeant

LE MONDE diplomatique NOVEMBRE 2009

dcesseur, un monsieur bien droite, dfilait aux cts des lus et du Medef [Mouvement des entreprises de France] ! Choisi comme successeur, M. Evariste se tient bien sagement pendant quelques annes. Et puis, un jour, je voyais les autres ensemble, lUGTG qui ptait tout aux prudhommes, jai pens : Je suis jeune, jai envie den dcoudre, pourquoi on ne monterait pas nous aussi la bataille ? Au 1er Mai de 2005, FO rallie le dfil unitaire et, comme lancien secrtaire linsulte, M. Evariste rpond, sur Radio France Outre-Mer (RFO), devant une camra : Est-ce quon va reprocher un mdecin de soigner les patients ? Est-ce quon va reprocher un syndicaliste de dfendre les intrts des travailleurs ? a frise la folie !

Engranger prudemment de petites victoires 4 4 font demi-tour dans la cour, des camionnettes aussi, celle de La Poste, pour apporter un sac, une cl, des colis. Le portable sonne, en plus, pour rgler des affaires . Cest que M. Louis Thodore est devenu, ses amis en sourient, un propritaire terrien . Un planteur dananas bouteille, notamment, une varit pour le march local.

Si la base dborde, cest que la direction na pas tout saisi na pas les reproches, pour , des L trahisonessuy lesautres organisations. Tout de suite, autres syndicatsUI

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Aprs des tudes de lettres en mtropole, aprs des punitions au service militaire, aprs avoir rencontr Mao Zedong Pkin, Ernesto Che Guevara Santiago, Mehdi Ben Barka Alger, plant des arbres fruitiers Cuba, etc., ce militant rentre sur son le, la Guadeloupe, dans les annes 1960. Cest l quon a fond le GONG [Groupe dorganisation nationale de Guadeloupe]. Ctait une priode o, aprs lAlgrie, le Maroc, la Tunisie, lAfrique noire, on croyait lmancipation. La grve des ouvriers du btiment, en mai 1967, clate dans ce contexte, mais le mouvement est aussitt cras. Plus de cent morts. Le premier tu par larme franaise, Jacques Nestor, est un militant du GONG, comme nombre des victimes. Dans le mme temps, le gouvernement procde des arrestations en France ( Bordeaux), et emprisonne tout le monde Fresnes. Ils nous recherchaient, mais on stait prpar au pire : on est entr dans la clandestinit. Pour moi, elle sest acheve huit ans plus tard... De son temps de cache-cache, M. Thodore a conserv un surnom : camarade Jean . Sur le mur court un lzard. Qui se rfugie, lui, derrire un cageot de melons. On a enterr nos morts. On a dfendu les militants emprisonns. Et puis, on a dress un premier bilan : que faire aprs cette dfaite ? Un, pour entraner le peuple, il ne fallait pas se cantonner au politique mais le lier lconomique, au culturel, au syndicalisme surtout. Deux, aucun peuple ne lutte pour des ides dans la tte dune minorit dintellectuels, donc il nous fallait comprendre les aspirations de notre peuple. Trois, la lutte serait de longue dure. Mme si, prcise camarade Jean , deux sicles desclavage ont produit une musique, une langue, une gastronomie, la Guadeloupe na pas de prcdent historique ; elle ne fut jamais indpendante. Donc, nous devions engranger, prudemment, de petites victoires comme des pas vers lautonomie. On sest install Sainte-Rose, en plein pays de la canne. Limplantation dmarre avec un l tnu : Un garon qui faisait du thtre nous a conduits vers son pre. Lui avait travaill dans toutes les usines, et exprimait des sympathies communistes. On la revu, rgulirement, le soir : ctait notre phase de prenqute. Ce l a conduit vers un faisceau. Il nous a ensuite emmens chez des amis, et tandis quon faisait le jardin ensemble, on discutait, on apprenait beaucoup de choses. Un questionnaire est tabli et, laide dun petit magntophone, pendant trois mois, est collecte une masse dinformations. Jusqu drouler toute la pelote. A la n, on a effectu notre restitution devant trois cents ou quatre cents paysans : Quand nous sommes venus vous voir, leur avons-nous dit, on ne savait rien. Vous tes nos professeurs. On va vous faire un compte rendu et, aprs, vous nous direz si vous voulez vous orga-

nous ont accueillis bras ouverts, sans rancune, sans reproche, nous ont installs une bonne place alors quon tranait des casseroles. Avant ce 1er Mai, dj, lanne prcdente, une grve avait dmarr chez Gnral Bricolage, un magasin de M. Bernard Hayot, le bk membre de la clase dirigeante blanche qui tient la distribution sur lle. On avait reu lappui solide de lUGTG et de la CGTG. Parce que nous, FO, jappelle a des militants talons hauts et il ny a pas que des filles : les manifs, les piquets de grve, les tractages, cest pas pour nous. Ils me le disent, certains, dailleurs : Je paie ma cotisation, mais tu me fous la paix ! Tandis que lUGTG, ou la CGTG, cest un autre degr dengagement : les militants viendront. Et si les responsables ne viennent pas, ils vont sauter. M. Evariste sourit, prpare son paradoxe : Malgr nos faiblesses, si le LKP existe, cest grce nous. Eh oui ! Le patronat le disait : Le jour o FO se mettra avec eux... Donc, en un sens, si le mouvement du LKP ne sest pas fait auparavant, cest cause de nous : on divisait. Et l, si a a march, on peut dire que cest grce nous ! Il clate de rire. Au mur, le poster en noir et blanc de Lon Jouhaux (4) nest pas soulev dhilarit. Sest ainsi forge, au l des conits et des 1er Mai, une complicit la base et une proximit au sommet. Entre ces dirigeants, tous dune nouvelle gnration, le liyannaj tait dj tiss. Et lintersyndicale ne se runirait pas pour se runir, rchissant rchir, mais avec dj ce socle commun : lutte, terrain, rapport de forces. Et un dirigeant...

Proche de lUnion gnrale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG) Antoine Nabajoth, artiste plasticien, a ralis ces uvres en 2007. Elles font partie dune srie intitule La Priode rouge .

Quant au discours, masse , travailleurs , niveau de conscience , cest celui dune poque o, du tiers-monde jusquen Occident, le socialisme avanait, conqurant, au moins dans les esprits. Etonnent davantage, en revanche, la dlit cette histoire, la continuit du propos. Qui ne sont ni renis ni rogns.

Soit on se remettait en cause, soit notre syndicat disparaissait

concde qu il ny a pas de miracle : pour se faire respecter, il faut tre sur le terrain. La CGTG lavait abandonn pendant une dcennie. Avec de jeunes camarades, comme moi, nous avons repris ce travail de fourmi, darrache-pied, dans les entreprises, aux cts des salaris. Nous en sommes revenus au rapport de forces, avec des conits, et des conqutes, La Poste, la cimenterie, dans la banane o nous avons obtenu, par exemple, 4 000 francs comme prime de n danne. Les liens de la CGTG se renforcent aussi avec les autres organisations : quand, en dcembre 2003, elle mne une grve de trois mois dans les banques, lUGTG lui apporte son soutien, avec quatre mille cinq cents personnes en manifestation. Et chaque anne, depuis 2002, on participe au cortge unitaire du 1er Mai. Le liyannaj [rassemblement], pour nous, il se noue depuis dix ans... Le retour au terrain , au rapport de forces savre payant : On avait dj arrt lhmorragie de militants, regagn pas mal dadhrents. Et l, en six mois, nos effectifs ont doubl. A la suite de lUGTG, dsormais dominante, tout le champ syndical bascule dans la lutte. Mme Force ouvrire, cest dire ! Cest M. Max Evariste, son secrtaire dpartemental, qui le remarque en riant. Il rigole tellement quon a limpression quil vient, avec les quarante-quatre jours de grve gnrale, de russir une grosse farce. On avait la rputation dtre le bras arm du patronat. Et on ne la volait pas, cette rputation : mon pr-

Domota stan nou ! Son nom est inscrit sur les routes, les panneaux de signalisation : Domota nous appartient ! Contre des Domota facho ! dans la zone industrielle (sans industrie) de Jarry, en territoire bk, l o sigent les banques franaises, le Caribbean World Trade Center et les hypermarchs. Des cris denfants rsonnent : le premier tage de limmeuble est occup par le cabinet dun pdiatre. Au second se trouve le local, sans faste, de lUGTG et le bureau de son secrtaire gnral, M. Elie Domota. Quand on entend quil faut domestiquer le capitalisme ! Mais nous sommes des descendants de lesclavage, qui fut la forme la plus barbare du capitalisme. On a tu, pendu, brl, coup des mains, des jarrets, des ttes, ici, pour le prot. Comment nous faire croire, aujourdhui, que le lion va manger de lherbe ? Pas dordinateur dans la pice. Des tracts... Rien ne remplace le terrain. Surtout pas les sondages. Entre le 17 dcembre et le 20 janvier, dbut de la grve gnrale, on a fait le tour de la Guadeloupe, avec des tracts, des meetings. Nous sommes passs dans toutes les communes. Calendrier : le samedi aux ronds-points devant les grandes surfaces , le dimanche la sortie de la messe , la Toussaint lentre des cimetires et, pendant le Tour cycliste de la Guadeloupe, nous tractions aux villes darrive. Il faut toujours retourner la base, maintenir ce va-et-vient. Les dirigeants syndicaux ont une vision, mais cest le peuple qui la valide ou linrme .

Exemple : pendant les ngociations avec le LKP, le prfet a tent une entourloupe avant que laccord ne soit dfinitif, il avait annonc une reprise des cours, dans lducation. On a eu une discussion entre nous, et un collgue tait prt cette concession : Puisque le protocole est sur la bonne voie... LUGTG souhaitait, bien sr, maintenir la pression jusquau bout : les coles ne devaient pas rouvrir. On lui a dit : Si tu nes pas convaincu, va dehors et annonce leur. Il est sorti. Devant le mcontentement, il est rentr : OK, cest bon, jai compris. Si la base dborde, cest que la direction na pas tout saisi. La presse a beaucoup lou M. Domota et sa personnalit en sen mant : dot de charisme , intelligent , malin ... Peut-tre. Peut-tre aussi, simplement, ses qualits retent-elles la maturit de son organisation, le niveau de conscience de ses cadres. Le soir de cette rencontre (5), zapping sur i-Tl, la chane dinformations en continu. Avant de capituler , les ouvriers de New Fabris ont invit dans leur usine les travailleurs de Continental, dAubade, de Renault, qui ont fait le dplacement jusqu Chtellerault. En revanche, note le reportage, aucun dirigeant syndical national ntait prsent .

D

CLIO de M. Damas, le coffre contient une brochure : Rsolution de la commission : Organisation, style et mthodes de travail . Dcembre 1975. Rdition pour lUGTG, fvrier 2005. A lintrieur, la rhtorique se fait vigoureuse, voire grondante : LUGTG nest pas une organisation de vendeurs de cartes syndicales, lUGTG est une organisation de lutte de la classe ouvrire... LUGTG a besoin de dirigeants qui soient des hommes daction, fermes, capables de conduire les autres la lutte. LUGTG na pas besoin de bavards qui rcitent le code du travail longueur de journe ni de bureaucrates incapables de se lier aux masses... Le peuple, le peuple seul, est la force motrice et le crateur de lhistoire universelle. Nous luttons pour les intrts de la grande majorit et non dune minorit... ANS LA

FRANOIS RUFFIN.(1) Lire Fabricie Doriac, Lame de fond la Guadeloupe , Le Monde diplomatique, mars 2009. (2) Le Monde des livres, 5 dcembre 2008. (3) LHumanit, Paris, 5 dcembre 2008. (4) Secrtaire gnral de la CGT de 1909 1947, il la quitte en dcembre de cette anne pour fonder la CGT-FO avec les militants non communistes de la vieille confdration. (5) 30 juillet 2009.

NOVEMBRE 2009 LE

MONDE diplomatique

6UN PARTI TRAVAILLISTE LA REMORQUE DE LA DROITE

La gauche isralienne en dshrenceLes tentatives du prsident Barack Obama de relancer le processus de paix au Proche-Orient senlisent, malgr les navettes diplomatiques de lenvoy spcial amricain George Mitchell. Le refus de M. Benyamin Netanyahou de geler la colonisation entrave la reprise de ngociations srieuses avec une Autorit palestinienne affaiblie par les divisions. La longue agonie du Parti travailliste, ralli au nolibralisme et la politique de conqute de la terre , contribue au blocage.

PA R Z E E V S T E R N H E L L *

Cette longue descente aux enfers ne relve pas tant de lusure du pouvoir ou de lvolution gnrale de la socit que de limpuissance de la gauche grer dabord la victoire de juin 1967 contre lEgypte, la Syrie et la Jordanie, puis la perce historique des accords dOslo de 1993. Confronte cette tche gigantesque, elle a manifest non seulement son conformisme et son conservatisme, mais aussi sa faiblesse intellectuelle et morale. Le mouvement nationaliste juif sest x demble lobjectif douvrir la Palestine une immigration illimite, de la coloniser et nalement den arracher lindpendance. Lentreprise sioniste est une entreprise de conqute, affirma en 1929 Berl Katznelson, lidologue du mouvement travailliste. Et je veux quon comprenne bien que, pour moi, la dnition de cette entreprise en termes militaires nest pas une formule rhtorique. Pour lgitimer cette conqute, le mouvement invoquait les droits historiques des Juifs sur le pays de leurs anctres. Ds la n du XIXe sicle, tous les courants du sionisme estimaient que les Juifs dEurope se trouvaient au bord de la catastrophe. La seconde guerre mondiale allait leur donner raison. La victoire de 1948-1949 consacra un demi-sicle de prparatifs acharns, dirigs par les travaillistes au pouvoir depuis le dbut des annes 1930. Eclate le coup de tonnerre de juin 1967 : comment linterprter et quen faire ? Etait-ce le fruit dun mauvais calcul gyptien, quil convenait dexploiter pour faire la paix en utilisant les territoires conquis comme monnaie dchange, ou sagissaitil dune suite logique de la guerre dind* Historien, auteur notamment de louvrage Aux origines dIsral. Entre nationalisme et socialisme, Gallimard, coll. Folio Histoire , Paris, 2004.

Pour noncer ce principe vritablement rvolutionnaire et reconnatre la ligne verte de 1967 comme la frontire dnitive du territoire national, il et fallu que la gauche soit nourrie de valeurs universelles, et pas seulement du particularisme culturel et politique du nationalisme. Et ce principe universel, les lites politiques travaillistes, quelques rarissimes exceptions prs, ntaient pas armes pour le poser. Les quelques intellectuels qui tentrent de sengager en politique aprs 1977, an de reconstruire le parti sur des bases nouvelles, furent acculs la dmission ou abandonnrent la suite de la premire guerre du Liban (1982). Quant aux tnors du mouvement, ils ninventrent rien, se contentant de suivre la voie trace par les deux idologues de la gauche de la premire moiti du XXe sicle, Aharon David Gordon et Katznelson. Le dbat qui traversa les gouvernements travaillistes, entre 1967 et 1977, puis dans les annes 1990, neut jamais pour objet de rviser la vieille doctrine de la conqute du sol ni la ncessit de fonder enfin lavenir du pays, non plus sur les droits historiques des Juifs la terre dIsral, mais sur les droits naturels de tous les peuples se rendre matres de leur destin. La seule discussion concerna et concerne encore la meilleure

GALLERIA PACK/MILAN

L

drame de la gauche travailliste et, au-del, de toute la socit isralienne rside dans son impuissance. Les raisons en sont inscrites dans la dbcle lectorale de fvrier 2009, mais ne diffrent pas fondamentalement de celles de la dfaite historique de 1977, lorsque la droite prit, pour la premire fois, le pouvoir. Elles tiennent avant tout aux structures idologiques dun mouvement incapable doffrir une perspective davenir pour sortir dun double enlisement dans le nocolonialisme et le nolibralisme. Nombre dIsraliens prennent conscience quils se trouvent au chevet dun malade gravement atteint, sinon mourant.E VRAI

pendance ? Fallait-il y voir une occasion de poursuivre luvre inacheve en 1949, ou au contraire dannoncer la face du monde arabe que, le sionisme ayant atteint ses objectifs dans les lignes du cessez-lefeu de 1949, la conqute de la terre et sa colonisation, ncessits existentielles jusqu la cration de lEtat, avaient cess de ltre aprs ? Les Juifs disposaient dun toit et pouvaient devenir un peuple comme les autres.

OFRI CNAANI. Terre promise II (2008)

manire dexploiter la situation ne de la faiblesse arabe. Le principe selon lequel on nabandonne pas de territoire moins dtre contraint par une force suprieure reste toujours en vigueur. Cest sous les gouvernements travaillistes successifs, entre 1967 et 1977, que commence la colonisation, avec des mthodes encore luvre : on consque des terres sous nimporte quel prtexte, on tourne et contourne la loi, on rige en norme lingalit entre Juifs et Arabes. En dpit des accords dOslo, rien dessentiel ne change sur le terrain quand les travaillistes reviennent au pouvoir de 1992 1996 et de 1999 2001. Au contraire : ils font tout pour ne pas se confronter la colre des colons et de la droite tout entire contre cette trahison que constitue, leurs yeux, la reconnaissance des droits des Arabes une partie de la Palestine louest du Jourdain. Or la seule manire dendiguer leur rvolte consiste faciliter la poursuite de la conqute du sol.

lide selon laquelle la libert du march garantit la libert individuelle. Son objectif fondamental est de librer le capital des contraintes de lEtat. Certes, tous les travaillistes nacceptent pas les principes thoriques du nolibralisme. Mais la plupart en approuvent la pratique. A lexception dune minorit, ils ne comptent pas la justice sociale au nombre des constituants fondamentaux de la libert. En ralit, lensemble de la gauche participe de la cueillette des fruits pourris de la primaut absolue des valeurs nationales depuis toujours grave dans leur culture politique : tous les Israliens ont appris depuis trois gnrations que lidentit nationale et culturelle primait toujours sur les intrts matriels. La socit isralienne nest pas la premire exprimenter ce phnomne, dont on ne saurait exagrer limportance dans lhistoire contemporaine : les divers groupes sociaux votent contre leurs intrts conomiques et de classe au nom de valeurs nationales, culturelles ou religieuses (6). En loccurrence, il sagit dune norme dicte par les fondateurs eux-mmes sur la base du dnominateur commun tous les conqurants de la terre dIsral, quels que soient leur statut social, leur histoire, leur religion et leur objectif politique suprieur : lEtat-nation juif. Une fois les intrts de classe rejets au nom de lunit nationale, quoi de plus ais que de convaincre ceux qui se trouvent au bas de lchelle sociale que toute amlioration du niveau de vie passe ncessairement par la libert des marchs, la privatisation et la drgulation, sans oublier labaissement des impts sur le revenu ? On parvient persuader la majorit des Israliens que le travail constitue une marchandise comme une autre et la exibilit le secret du succs. Face ces ides classiques du nolibralisme, le travaillisme affiche son impuissance. Incapable dune critique globale du capitalisme de march, il sadresse un lectorat vieux et dmoralis, qui continue voter pour lui moins par conviction que par habitude. Avec le temps qui passe, cette clientle se rtrcit comme une peau de chagrin : en fvrier 2009, elle sest rduite 10 % des suffrages, reprsents par treize dputs. Les jeunes ont fui le parti. Des Palestiniens, puis des Chinois ou des Thalandais remplacent depuis longtemps les travailleurs manuels jadis encadrs par le syndicat (Histadrout) et le Mapa. Dans les universits, le militantisme travailliste est insigniant. Lancien dirigeant Prs, battu aux primaires de 2005 par le syndicaliste Amir Peretz, a dsert pour rejoindre Kadima, le parti cr par M. Ariel Sharon. Nombre dlecteurs travaillistes en ont conclu que, si aprs un demi-sicle au parti, un ancien premier ministre pouvait du jour au lendemain rejoindre le camp adverse, cette formation navait dcidment ni ides ni objectifs stratgiques pour lesquels il vaille la peine de voter, a fortiori de com-

battre. Pourtant, en mars 2006, 15 % des suffrages staient encore ports sur le Parti travailliste, et les dix-neuf siges ainsi obtenus avaient permis M. Peretz daccder au ministre de la dfense dans le gouvernement de M. Ehoud Olmert, transfuge centriste du Likoud et successeur de M. Sharon, victime dune hmorragie crbrale. Porte-parole des petits et moyens salaris, proche de ce que fut jadis le mouvement La Paix maintenant, habitant de la petite ville de Sderot, face Gaza, issu de cette priphrie que le travaillisme navait jamais su pntrer, M. Peretz incarnait lespoir dun renouveau social-dmocrate. Pouvaient se reconnatre en lui les migrants venus dAfrique du Nord au dbut des annes 1950 et leurs descendants, longtemps fascins par les grandes gures de la droite nationaliste, de Menahem Begin M. Sharon. Aprs le refus du premier ministre Olmert de lui coner le ministre des nances, poste-cl pour une politique conomique un peu plus quilibre gauche, M. Peretz accepta la dfense. Quelques semaines plus tard, la seconde guerre du Liban le balaya. Devenu entre-temps un homme daffaires prospre, M. Barak, nettement plus laise dans les salons du nord de Tel-Aviv que dans les quartiers pauvres du sud de la ville, sans parler des petites villes de province, lui succda. La chute travailliste de 2009 comporte toutefois un lment positif pour lavenir. Quil sagisse de la dfaite dun parti dirig par un militaire enrichi au lendemain dune victoire Gaza dont beaucoup dIsraliens se sentent honteux ou du succs de Kadima, formation conduite par une femme, Mme Tzipi Livni (et non son concurrent acharn, lancien gnral Shaul Mofaz), les indices saccumulent dune certaine maturit du corps lectoral : les gros bras ne sortent plus automatiquement vainqueurs dune confrontation politique. Reste un autre problme, qui ronge aussi les partis sociaux-dmocrates europens : le manque dun leadership denvergure. Labsence la fois dides et dhommes dEtat nannonce pas prcisment des lendemains qui chantent. Les Israliens ne sont pas les seuls concerns ; mais, pour eux, le temps presse, comme nulle part ailleurs.

Obama, tournez-vous vers la Bible intellectuellement Mincapables de et avaientcolonisation, freiner la les travaillistes nen pas moinsORALEMENT

amorc un tournant avec les accords dOslo. Leur signataire isralien, le premier ministre Itzhak Rabin, vainqueur de la guerre de juin 1967, assassin en 1995 par un nationaliste religieux, restera, en un demi-sicle, le seul leader politique avoir dpass les ides reues de son temps. Mais il lui fallut vingt ans et laventure de 1982 au Liban pour comprendre que la guerre isralo-palestinienne ne prendrait n que si les deux peuples acceptaient de reconnatre mutuellement leurs droits nationaux. Cette prise de conscience, Rabin la paye de sa vie. Mal penss et mal mis en uvre, les accords dOslo auraient peuttre pu tre sauvs par sa prsence : il tait trop intelligent et trop pragmatique pour accepter den appeler indniment largument-massue : un droit de proprit trois fois millnaire, grav dans lun des premiers grands livres du genre humain. Obama, tournez-vous vers la Bible , clame une fois de plus le vtran du journalisme isralien, Yoel Markus, proche depuis un demi-sicle de la droite du Parti travailliste (1). Confronts une politique amricaine moins indulgente face au dsastre de la colonisation, lactuel ministre de la dfense Ehoud Barak et ses proches ne trouvent toujours pas de principe opposer aux colons mme sils essaient et parfois russissent dmanteler quelques petites implantations dites sauvages . Ils reculent rapidement devant les menaces de guerre civile brandies chaque fois que lon ose parler dun repli territorial. Ne leur reste plus qu se rabattre sur les ncessits de la politique internationale, autrement dit les pressions amricaines.

Les travaillistes israliens apprciaient le prsident George W. Bush et ses idologues noconservateurs autant que les vanglistes de lAlabama et les colons de Cisjordanie. Cest pourquoi le naufrage travailliste de 2009 nest pas politique, mais moral et intellectuel. Et les lecteurs de gauche ont bien senti que, faute dide neuve, le parti a perdu sa raison dtre. Car si tout ce que le travaillisme pouvait offrir restait lemploi de la force et lappel lhistoire, point ntait besoin dinvestir dans une ple copie quand on pouvait soffrir loriginal en la personne de M. Benyamin Netanyahou. M. Barak, qui pensait cueillir les fruits de sa victoire aprs lopration de Gaza de lhiver dernier, a fait les frais de ce choix. Il en va de mme en ce qui concerne lautre versant du vide idologique : la politique conomique et sociale. En ralit, le Parti travailliste, comme le vieux Mapa constitu en 1930 (2), na jamais t un parti socialiste comparable ses frres europens. La primaut des impratifs nationaux en a fait, ds sa fondation, une formation assez spcique, loigne non seulement des partis de Lon Blum, Rudolf Hilferding (3) et des austromarxistes (4) comme Otto Bauer, mais mme du Parti travailliste britannique, qui, en 1931, amorce un virage vers le socialisme. Le Mapa a toujours banni le marxisme, mme le plus dulcor, et jug le capitalisme et la proprit prive en fonction des seules exigences de la construction nationale. Le grand modle de M. Barak, comme celui de son prdcesseur Shimon Prs, reste M. Anthony Blair, que les noconservateurs amricains considrent comme lun des leurs (5). Et les dirigeants travaillistes ont gliss avec une tonnante facilit vers le nolibralisme, fond sur

La Fondation Res Publica, reconnue dutilit publique, fonde par Jean-Pierre Chevnement,on vite s vous in lloque : me o 50 c

O va ? lIran

Lundi 23 novembre 2009 18 heures

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(1) Haaretz, Tel-Aviv, 17 juillet 2009. (2) Fond par David Ben Gourion et Golda Mer, le Mapa Parti des ouvriers dEretz Isral fut au pouvoir jusquen 1977 sous diffrentes appellations. (3) Socialiste allemand dorigine autrichienne. (4) Laustromarxisme fut un courant inuent de la social-dmocratie avant la premire guerre mondiale. Il prvoyait lautonomie nationale-culturelle pour les minorits. Il a exerc une inuence sur le Bund et sur une partie de lextrme gauche sioniste. (5) Cf. sa contribution dans The Neocon Reader, sous la direction dIrwin Stelzer, Grove Press, New York, 2004. (6) Lire, sur le cas amricain, Thomas Frank, Pourquoi les pauvres votent droite, Agone, coll. Contre-feux , Marseille, 2008.

7A LOMBRE DE LA PENSE AMRICAINE

LE MONDE diplomatique NOVEMBRE 2009

Quelle rf lexion stratgique europenne ?LInstitut de recherche stratgique de lEcole militaire, qui vient dtre cr sous le patronage du ministre de la dfense, ne fait que concrtiser la pauvret de la rexion franaise dans ce domaine. Le peu de moyens dont disposera cet organisme et ses orientations vers les tudes internationales plutt que vers la qute dune doctrine indpendante laissent penser que le retard de lEurope ne sera pas combl, et que les think tanks amricains continueront xer le cadre des analyses occidentales. PA R P I E R R E C O N E S A *vous rendre le pire des services, nous allons vous priver dennemi ! , avait prvenu en 1989, ds la chute du mur de Berlin, le diplomate sovitique Alexandre Arbatov. Lennemi sovitique avait toutes les qualits dun bon ennemi : solide, constant, cohrent. Militairement, il nous tait semblable, construit sur le plus pur modle clausewitzien; inquitant certes, mais connu et prvisible (1). Sa disparition plongea les experts en stratgie (ou stratgistes) des dmocraties occidentales dans un profond dsarroi. Ils plaidrent pendant quelque temps quil ne fallait pas baisser la garde, ni engranger trop vite les dividendes de la paix, mais le cur ny tait plus. Il fallut attendre vingt ans pour que la Russie soit de nouveau dnie comme une grave menace. mentaux restent proches du terrorisme (Arabie saoudite, Pakistan). Toutefois, dsigner le risque ne suffit pas, il faut aussi le rendre menaant. Les stratgistes rutilisrent donc trois mthodes classiques : lhypertrophie de la menace, lirrationalit de ladversaire et sa sauvagerie. Sy ajoutrent la thmatique du secret et du complot ( guerre secrte , archives secrtes ), celle de la diabolisation (spectre, nbuleuse islamiste, zombie , fanatique , ennemi invisible ), une partie de lancien vocabulaire de la guerre froide tant recycl ( Internationale islamiste , troisime totalitarisme , axe du Mal ...). Un an avant le 11-Septembre, on ne parlait pourtant pas de terrorisme, et encore peu dislamisme : Bruce Hoffman, expert amricain de la Rand en matire de terrorisme, dplorait mme la diminution de ses effectifs de recherche. La stratgie du fort au fou nonce par Franois de Rose (8) permet de terroriser autour de la prolifration nuclaire. Certains pays voulant disposer de larme nuclaire sont dcrits comme les fous (Iran, Core du Nord) contrairement aux pays amis (Isral, Pakistan) et servent dpouvantails pour expliquer les menaces. Voire, comme en Irak, de bouc missaire, lorsque les faux rapports de renseignement, amricain et britannique, annonant lexistence de programmes darmes de destruction massive furent utiliss pour attaquer le pays. En une dcennie, la stabilit plantaire assume par deux superpuissances a fait place des crises stricte dimension rgionale (Yougoslavie, Somalie, Timor, Hati). Mais qui hirarchise les crises et les risques ? Qui a dcid que la Somalie tait une crise en 1993? Qui dcouvre que lIrak de Saddam Hussein est tout coup devenu une menace imminente? Dresser lagenda, cest tablir les termes du dbat. LEurope a plus suivi les Etats-Unis quelle na mri son identit stratgique. Devenue un acteur important des crises, la Commission nest pas un Etat et ne dispose daucun service de police ou de renseignement, pas plus que dun ministre des affaires trangres susceptible de linformer en propre. Pour lanalyse de la situation internationale, elle dpend donc totalement de lexpertise extrieure ouverte. Or de quoi dispose-t-elle ? LInstitut dtudes de scurit de lUnion europenne (IES), cr en 2002, compte peine une dizaine de chercheurs temps plein. Son approche est fonde sur une vision europenne, mais on remarque dans les missions qui lui sont assignes un fort tropisme amricain puisquil a vocation, selon la charte fondatrice (9), runir des universitaires, des fonctionnaires, des experts et des dcideurs des Etats membres, dautres pays europens, des Etats-Unis et du Canada en vue de procder une analyse prospective des questions de dfense (...) et enrichir le dialogue transatlantique sur toutes les questions de scurit . Le monde militaro-intellectuel europen est atteint dontologie atlantiste, incapable de penser la globalisation autrement que comme une projection de sa propre image, un centre amricain et une priphrie plus ou moins distante.

Neutralisation ou destruction, prospective stratgique E europennelaquestionssecentrales : les devrait concentrer autour de quatreN RALIT

N

OUS ALLONS

Corporation, emploie prs de mille cinq cents personnes cinq bureaux dans le pays, et quatre ltranger et dispose dun budget de 130 millions de dollars (3). Rien de comparable nexiste dans les autres dmocraties : la dlgation aux affaires stratgiques du ministre de la dfense franais compte peine une centaine de personnes et un budget dtudes de 4 millions deuros environ pour animer le milieu de lexpertise universitaire ; le Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), en Sude, se contente dune cinquantaine de chercheurs, et lInternational Institute for Strategic Studies (IISS), au Royaume-Uni, dune quarantaine, pour un budget de 9,2 millions deuros. Les dbats stratgiques occidentaux sont donc pour lessentiel formuls par les cercles stratgiques amricains, puis retraits par les autres. Aprs la libration du Kowet, on crut la menace du Sud pour remplacer celle de lEst . Une simple rorientation gographique aurait permis de conserver un cadre stratgique et des moyens identiques. Mais le Sud, trop htrogne, se prtait mal cette gnralisation jusqu ce quapparaisse la thse du choc des civilisations , sous la plume du professeur de science politique amricain Samuel Huntington (4). On sinquita aussi des zones grises et des Etats faillis (failed states) qui chappaient au droit. Le Grand Echiquier, de M. Zbigniew Brzezinski (5), un ancien conseiller du prsident James Carter, devint le brviaire de la vision unilatraliste des dirigeants amricains. Limportant nest plus lennemi mais le maintien de la suprmatie : Puisque la puissance sans prcdent des Etats-Unis est voue dcliner, la priorit est donc de grer lmergence de nouvelles puissances mondiales de faon ce quelles ne mettent pas en pril la suprmatie amricaine (6).

Etats-Unis, responsables de la crise nancire, stratgique et civilisationnelle, auront-ils demain la mme lgitimit assurer un leadership mondial ? Ceux-l mmes qui avaient aveuglment soutenu les excs de la priode Bush se retrouvent aujourdhui dans la dnonciation radicale quen fait M. Barack Obama, comme hier les communistes orthodoxes se ralliaient au rapport Khrouchtchev (une critique radicale du stalinisme) pour prouver que Moscou avait toujours raison. Continuer noncer que la dmocratie apporte la paix et que seules les dictatures sont bellicistes parat un peu insuffisant en termes de scurit internationale, au regard des crises afghane, irakienne et pakistanaise. Emptre dans ses problmes institutionnels, lEurope peut-elle et doit-elle devenir une puissance ? Si oui, selon quels termes ? Penser les relations internationales exclusivement comme le font les(1) Gnral Eric de La Maisonneuve, Agir, no 11-12, Paris, octobre 2002. (2) Paul Dickson, Think Tanks, Atheneum, New York, 1971, p. 133 (3) Les donnes sont extraites de la thse de JeanLoup Samaan, Contribution une sociologie de lexpertise militaire. La Rand Corporation dans le champ amricain des tudes stratgiques depuis 1989, document dactylographi, universit Paris-I, 2008. Le budget de la Rand parat toutefois presque misrable ct de ceux dAerospace (6 milliards de dollars), de lInstitute for Defense Analyses (IDA, 8 milliards de dollars) ou de Mitre (204 milliards de dollars), des organismes rattachs lune ou lautre des armes ou institutions de dfense. (4) Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Odile Jacob, Paris, 1997.

stratges amricains, alors que les institutions europennes se sont construites sur le consensus et la ngociation, relve de lhmiplgie intellectuelle. LEurope doit disposer de sa propre capacit dvaluation des crises. Quelles sont celles qui pourraient la menacer et quels moyens, militaires ou non militaires, employer pour les rsoudre ? Doit-elle avoir des concepts stratgiques propres privilgiant la neutralisation de la menace plutt que sa destruction ? Nombre de stratgistes europens se demandent ce que pensent les Amricains dun problme plutt que ce que lEurope doit en penser. Ainsi en est-il de la monte en puissance de la Chine ou du rapport la Russie. Le dernier sommet de lOrganisation du trait de lAtlantique nord (OTAN) de juin 2009 na pas apport de vision stratgique europenne claire, si ce nest la garantie de la survie de la seule organisation militaire intgre de la plante dans laquelle lEurope na pas les moyens militaires de peser.(5) Zbigniew Brzezinski, Le Grand Echiquier. LAmrique et le reste du monde, Hachette, Paris, 1997. (6) Cit dans Olivier Zajec, Les Secrets de la gopolitique. Des cls pour comprendre, Tempora, Paris, 2009. (7) C5I, acronyme pour command, control, communications, computers, collaboration and intelligence . (8) Franois de Rose, Pour une dissuasion du fort au faible , Relations internationales et stratgiques, o 12, IRIS, Paris, 1993, p. 101. n (9) Action commune du Conseil du 20 juillet 2001 relative la cration dun Institut dtudes de scurit de lUnion europenne, Journal officiel des Communauts europennes du 25 juillet 2001.

Ds lors, peu importe que le crime organis italien tue davantage que son homologue russe, cest ce dernier qui inquite. Dans le mme registre, le pass de M. Vladimir Poutine, qui fut un modeste lieutenant-colonel du Komitet Gossoudarstvenno Bezopasnosti (KGB) le Comit de scurit de lEtat de lexURSS , intresse bien plus que laccession la prsidence des Etats-Unis de M. George H. W. Bush (1989-1993), pourtant ancien directeur de la Central Intelligence Agency (CIA)... Dans cette construction de limage dun ennemi, les instances de rexion stratgique occupent un rle central. Cest mme lune de leur trois raisons dtre : identier un Autre menaant ; justier le systme de dfense en dressant la hirarchie des risques ; lgitimer lemploi de la force. L crivain Paul Dickson parlait dj en 1971 de complexe militaro-intellectuel (2) pour dcrire cette norme machinerie hrite de la guerre froide. Aux Etats-Unis, on compte entre cinq cents et mille cinq cents think tanks (institutions prives ou publiques de recherche), dont le plus clbre, la Rand

Globalisation de la peurpar noconservaLteursmarqueinstanceslesessentielle.strade ces de rexion tgique une tape EnA RECONQUTE

1997, ceux-ci fondent le Project for the New American Century (PNAC), dni comme une organisation dducation qui pose en principe fondamental pour le XXIe sicle que le leadership amricain est la fois bon pour lAmrique et bon pour le monde . Le rapport Rebuilding Americas defenses ( reconstruire les dfenses de lAmrique ), rdig par les membres du PNAC avant le 11 septembre 2001, pose les principes de la lgitimit de la guerre prventive et de lacceptabilit de lusage de larme atomique avec les minibombes nuclaires. Dans les dmocraties, les stratgistes sont tenus une certaine transparence et un discours public, officiel ou quasi officiel : Livre blanc sur la dfense, en France, en 1994 et en 2008 ; Strategic defence review (SDR) de 1998 et SDR new chapter de 2002, au Royaume-Uni ; Towards a grand strategy for an uncertain world. Renewing transatlantic partnership , aux Etats-Unis (2007), etc. Tous ces documents expliquaient quil ny avait plus dennemis majeurs mais que leffort de dfense devait tre maintenu, sappuyant sur une smantique stratgique et des lgitimations diversies : lennemi, les menaces, la destruction de la plante ont t remplacs par des ds , des incertitudes , des crises , des risques , des mutations ou des intrts .*Ancien haut fonctionnaire, auteur, notamment, de louvrage Les Mcaniques du chaos. Bushisme, prolifration et terrorisme, LAube, Paris, 2007.

Faute dennemis, la rexion stratgique amricaine sest essentiellement consacre un ftichisme technologique : la rvolution dans les affaires militaires (RMA), lance par lOffice of Net Assessment, de M. Andrew Marshall, privilgie les armes dites de prcision et tente de rendre la guerre acceptable en prtendant limiter les effets collatraux et rduire le nombre de morts. Puis apparat la thmatique de la cyberguerre (dont le bogue de lan 2000 sera la version publique), la dfense antimissile, les approches C2I, puis C3I, puis C4I, puis maintenant C5I (7), la transparence du champ de bataille, larchitecture des systmes de systmes, etc. A cette tendance a correspondu la prdilection pour le renseignement dorigine technique au dtriment du renseignement humain, dont on a pu mesurer les limites lors des attentats du 11 septembre 2001, puis des guerres en Afghanistan et en Irak. Toutes ces avances technologiques ciblaient un adversaire qui aurait accept un combat traditionnel. Il ne sen trouva quun : Saddam Hussein dans la premire partie de la guerre dIrak (20 mars 1er mai 2003). Par la suite, les belligrants refusrent le combat frontal. Les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone sont venus globaliser la peur. Le prsident George W. Bush a donc dclar la guerre... des concepts : une guerre globale contre le terrorisme et la prolifration . Il a dni de manire arbitraire les ennemis : Iran, Irak, Core du Nord (qui nont pourtant rien voir avec les attentats du 11-Septembre), en oubliant les allis prolifrants (Isral, Pakistan, Inde) ou dont certains secteurs gouverne-

Dans les coulisses de Wall Street et des banques europennes...

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Hannah

NOVEMBRE 2009 LE

MONDE diplomatique

8LES ETATS-UNIS SINTERROGENT

Surprenante souplesseAlors que larme pakistanaise a lanc une grande offensive dans le Waziristan sud, le dbat sintensifie aux Etats-Unis sur lavenir de lengagement en Afghanistan. Nombre de commentateurs dressent un parallle avec lenlisement amricain au Vietnam (lire, ci-dessous, larticle de William R. Polk). Sur le terrain, les troupes trangres affrontent un ennemi qui, au-del de sa rhtorique religieuse, fait preuve de pragmatisme tant sur le plan tactique que politique. PA R PAT R I C K P O R T E R *dissiperaient le brouillard de la guerre et rendraient cette puissance invincible. L Irak et la rsurgence des talibans ont brutalement discrdit ces ides. Aussi la rvolution culturelle, le retour lidentit et au sang, la terre et la foi comme sources de conit sonnent-ils comme un coup de semonce contre ce fantasme. Mais le culturalisme, tout autant que la foi aveugle dans la technologie, peut conduire lerreur. Lhypothse de la similitude peut tre dangereuse, tout comme une xation sur le bizarre, l orgueil arabe ou l honneur musulman. Et la conviction que nous connaissons un ennemi intimement ou que nous gnrons une connaissance systmatique de sa culture peut engendrer une conance fallacieuse et des dfaillances analytiques. Qui peut oublier ce spcialiste chevronn de lIran, agent de la Central Intelligence Agency (CIA), qui faisait lloge du gouvernement et de la stabilit du chah dIran en 1978, six mois avant la rvolution islamique ? Sil est un lieu dpeint par ces analyses comme un nid dennemis exotiques culturellement gs, cest bien le creuset Pakistan-Afghanistan. Depuis 2001, la littrature strotypes fait rfrence lternel cimetire des empires . Cette terre dossements a refoul dans le pass plus dun envahisseur, dAlexandre le Grand aux Sovitiques. Pour les commentateurs, les talibans ne peuvent tre compris quen des termes trangers la pense occidentale , et la guerre se rsume un choc culturel entre une thocratie archaque et une grande puissance riche et ultramoderne. Renverss lautomne 2001, les talibans mnent une rvolte que beaucoup considrent comme avant tout culturelle... Il est tentant de traiter les Afghans euxmmes comme prisonniers de leurs traditions. Certains soutiennent que les tribus(1) Taliban from outer space : Understanding Afghanistan , New York Post, 3 fvrier 2009. (2) Lire William O. Beeman, L anthropologie, arme des militaires , Le Monde diplomatique, mars 2008.

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les Etats-Unis combattentils ? Des extraterrestres ? Ralph Peters en est persuad. Ce polmiste, lieutenant-colonel amricain la retraite, redoute que les talibans ne soient des sauvages prfrant leurs modes de vie rudimentaires et leurs cultes impitoyables dbarqus dune autre plante. Le combat contre eux se rsumerait une collision frontale entre civilisations de diffrentes galaxies (1) .UI

W. Bush visant remodeler le monde limage des Etats-Unis. Dsormais, lopinion penche en faveur de la diffrence, et Huntington peut sourire dans sa tombe. Comme le dclare un gnral amricain, les Etats-Unis sengagent aujourdhui dans des conits culturels en marge de lempire. Pour intervenir sur ces terres tranges, que ce soit dans des missions de stabilisation ou des oprations militaires de reconstruction nationale , larme cherche user de la culture comme dune arme. Le programme Human Terrain Teams du Pentagone (2) et le nouveau manuel de contre-insurrection FM3-24 redcouvrent lanthropologie coloniale; on observe un regain dintrt pour des travaux classiques sur l esprit arabe . Historiquement, des crises impriales telles que la rvolte indienne des cipayes en 1857 ont stimul le renouveau de lethnographie et des traditions tribales. En 1940, aprs des guerres contre des peuples tranges au Nicaragua et dans les Carabes , les marines ont produit leur Small Wars Manual recommandant ltude des particularits raciales des autochtones. Cest un vieux rexe. La culture sert dantidote larrogance technologique amricaine des annes 1990. Des visionnaires croyaient