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I l y a quelques jours, tombait l’an- nonce des sept milliards d’habi- tants que compte désormais l’hu- manité. Après un XX e siècle où la violence a déferlé comme jamais, l’espoir nous habite encore qu’en ce présent siècle, davantage de sagesse puisse nous préserver du malheur. Cha- cun est convoqué, mais tout particulière- ment la jeunesse, car c’est d’elle que dépend cet avenir. Sa force de vie, sa capa- cité d’imagination, son courage, sa généro- sité naturelle peuvent-elles ouvrir de nou- velles voies lorsqu’il s’agit des immenses questions que rencontrent les hommes et auxquelles la science doit apporter sa part de solutions : santé, climat, énergie, ali- mentation, démographie, inégalités majeures ? Car ce sont bien ces jeunes gens qui, en 2050, seront en première ligne. Cette année encore, le jury du Prix du Monde de la recherche universitaire récompense cinq de ces jeunes qui, portés par une passion souvent née dès l’enfan- ce, ont choisi de s’engager dans la voie de la recherche : ils débutent leur vie profes- sionnelle par la préparation d’un doctorat dans ces sciences que l’on qualifie de dures. Ce doctorat atteste que le travail pré- senté se situe, avec excellence, sur la ligne de front de la recherche dans le domaine abordé. Le Monde offre à ces jeunes, sélec- tionnés parmi plusieurs dizaines de candi- dats, la possibilité de communiquer, en un court essai, ce moment essentiel de leur vie où ils ont affronté l’inconnu. Leur quête n’a connu d’autres limites que cel- les des moyens de travail alloués et de l’éthique qui doit guider tout chercheur. En 2009, c’est autour de la complexité du monde que nous regroupions les thè- mes abordés. En 2010, nous proposions de lire dans les témoignages présentés la pro- fondeur d’un humain aux multiples dimensions. En 2011, chacun des travaux primés témoigne de ces enjeux majeurs de l’avenir dont se saisit la science. Entre paludisme et tuberculose se joue la santé d’immenses populations : que des molé- cules inattendues traitent l’un, que l’autre possède un terrain génétique à déchiffrer, voici deux thèses qui dessinent de nou- veaux espoirs. La démographie nous confronte à une autre évolution majeure de ce siècle : les Nations unies annoncent un taux d’urbani- sation impliquant 70 % de la population mondiale en 2050, tandis que, dès aujour- d’hui, un demi-milliard d’hommes vivent dans des mégapoles de plus de 10 millions d’habitants. C’est pourquoi un travail de mathématiques appliqué à l’étude des mouvements de foule, notamment dans ces mégapoles, a paru au jury d’une extrê- me actualité. Comme il le fit en 2010, ce jury prime à nouveau un travail lié au climat ter- restre : ici plus qu’ailleurs encore, le monde scientifique doit témoigner sans relâche que la confiance qui lui est faite est méritée et qu’il s’applique à la conserver. Ce travail de paléoclimatologie, qui explore ces moments soudains et rapides de bascule cli- matique découverts au Groenland, montre qu’une lecture rigoureuse du passé peut éclairer l’avenir. Enfin, nous avons retenu parmi les lau- réats un remarquable travail de sciences cognitives : la distance prise ici n’est plus avec le passé, mais avec l’homme, en étu- diant les comportements de chimpanzés et de macaques autour des concepts de don, d’intentionnalité et d’échange, ces traits qui fondent la science économique appli- quée aux sociétés humaines. Les crises qui secouent notre temps mettent cette scien- ce à rude épreuve, et peut-être ce regard sur l’animal pourrait-il contribuer à la sagesse si nécessaire : après tout, ne retrouvons- nous pas ici, autour de cette monnaie de sin- ge, le grand La Fontaine ? Les Académies des sciences sont répu- tées pour leur sagesse parfois, pour l’âge cer- tain de leurs membres souvent. Mais se sou- vient-on que l’Accademia dei Lincei, la pre- mière Académie du monde moderne, fut fondée à Rome en 1603 par Federico Cesi, un jeune patricien de 18 printemps qui en écrivit des statuts d’une étonnante actuali- té. Force de la jeunesse. Et voici qu’aujourd’hui fleurissent, à l’ini- tiative de nos confrères allemands, bientôt relayée dans nombre de pays, des Young Academy rassemblant des jeunes scientifi- ques choisis pour y appartenir pendant qua- tre années. Ces structures se regroupent au sein d’une Global Young Academy. Cette flo- raison toute récente témoigne d’un fait nouveau : dépassant leur spécialité étroite ou l’objectif d’une carrière personnelle à réussir, ces jeunes veulent être les acteurs globaux d’une science capable d’interdisci- plinarité et soucieuse de la complexité du monde, d’une science au service de l’éduca- tion et, peut-être, de la sagesse. Souhaitons donc aux lauréats du Prix 2011 de porter, eux aussi, ces grandes ambitions ! p Force de la jeunesse et enjeux de l’avenir Echanges, démographie, climat, santé : cinq lauréats présentent leurs travaux en sciences exactes « Dépassant leur spécialité étroite, ces jeunes veulent être les acteurs globaux d’une science capable d’interdisciplinarité » Pierre Léna Académicien, président du jury du Prix sciences exactes et si, les élèves communiquaient avec un expert et aidaient un océanographe à découvrir une nouvelle espèce. et si, les voyages scolaires emmenaient les enfants là où aucun bus ne pouvait les conduire. et si, chaque moment passé en classe devenait une expérience en immersion. grâce à l’interactivité et plus seulement l’observation, les professeurs inspirent et préparent aujourd’hui une nouvelle génération d’élèves. ensemble, apprenons différemment. cisco.fr Cahier du « Monde » N˚ 20 772 daté Jeudi 3 novembre 2011 - Ne peut être vendu séparément

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Page 1: Forcedelajeunesseetenjeuxdel’ · PDF fileI lyaquelquesjours,tombaitl’an-nonce des sept milliards d’habi-tantsquecomptedésormaisl’hu-manité.AprèsunXXesiècleoùla violenceadéferlécommejamais,

Il y a quelques jours, tombait l’an-nonce des sept milliards d’habi-tants que compte désormais l’hu-manité. Après un XXe siècle où laviolence a déferlé comme jamais,l’espoir nous habite encore qu’en

ce présent siècle, davantage de sagessepuisse nous préserver du malheur. Cha-cun est convoqué, mais tout particulière-ment la jeunesse, car c’est d’elle quedépend cet avenir. Sa force de vie, sa capa-citéd’imagination, son courage,sa généro-siténaturelle peuvent-elles ouvrir de nou-velles voies lorsqu’il s’agit des immensesquestions que rencontrent les hommes etauxquelles la science doit apporter sa partde solutions : santé, climat, énergie, ali-mentation, démographie, inégalitésmajeures ? Car ce sont bien ces jeunesgens qui, en 2050, seront en premièreligne.

Cette année encore, le jury du Prix duMonde de la recherche universitairerécompense cinq de ces jeunes qui, portéspar une passion souvent née dès l’enfan-ce, ont choisi de s’engager dans la voie dela recherche : ils débutent leur vie profes-sionnelle par la préparation d’un doctoratdans ces sciences que l’on qualifie dedures.Ce doctoratattestequele travail pré-senté se situe, avec excellence, sur la lignede front de la recherche dans le domaineabordé. Le Monde offre à ces jeunes, sélec-tionnésparmi plusieurs dizaines de candi-dats, la possibilité de communiquer, enun court essai, ce moment essentiel deleur vie où ils ont affronté l’inconnu. Leurquête n’a connu d’autres limites que cel-les des moyens de travail alloués et del’éthique qui doit guider tout chercheur.

En 2009, c’est autour de la complexitédu monde que nous regroupions les thè-mes abordés. En 2010, nous proposions delire dansles témoignages présentés la pro-fondeur d’un humain aux multiplesdimensions. En 2011, chacun des travauxprimés témoigne de ces enjeux majeursde l’avenir dont se saisit la science. Entrepaludisme et tuberculose se joue la santéd’immenses populations : que des molé-cules inattendues traitent l’un, que l’autrepossède un terrain génétique à déchiffrer,voici deux thèses qui dessinent de nou-veaux espoirs.

La démographie nous confronte à uneautre évolution majeure de ce siècle : lesNationsuniesannoncentuntauxd’urbani-sation impliquant 70 % de la populationmondiale en 2050, tandis que, dès aujour-d’hui, un demi-milliard d’hommes vivent

dans des mégapoles de plus de 10millionsd’habitants. C’est pourquoi un travail demathématiques appliqué à l’étude desmouvements de foule, notamment dansces mégapoles, a paru au jury d’une extrê-meactualité.Commeillefiten2010,cejuryprimeànouveauuntravailliéauclimatter-restre: ici plus qu’ailleurs encore, le mondescientifique doit témoigner sans relâcheque la confiance qui lui est faite est méritéeet qu’il s’applique à la conserver. Ce travailde paléoclimatologie, qui explore cesmomentssoudainsetrapidesdebasculecli-matique découverts au Groenland, montrequ’une lecture rigoureuse du passé peutéclairer l’avenir.

Enfin, nous avons retenu parmi les lau-réats un remarquable travail de sciencescognitives : la distance prise ici n’est plusavec le passé, mais avec l’homme, en étu-diantlescomportements dechimpanzés etde macaques autour des concepts de don,d’intentionnalité et d’échange, ces traitsqui fondent la science économique appli-quée aux sociétés humaines. Les crises quisecouent notre temps mettent cette scien-ce à rude épreuve, et peut-être ce regard surl’animal pourrait-il contribuer à la sagessesi nécessaire : après tout, ne retrouvons-nouspasici,autourdecettemonnaiedesin-ge, le grand La Fontaine?

Les Académies des sciences sont répu-téespourleursagesseparfois,pourl’âgecer-taindeleursmembressouvent.Maissesou-vient-on que l’Accademia dei Lincei, la pre-mière Académie du monde moderne, futfondée à Rome en 1603 par Federico Cesi,un jeune patricien de 18printemps qui enécrivit des statuts d’une étonnante actuali-té. Force de la jeunesse.

Etvoiciqu’aujourd’huifleurissent,àl’ini-tiative de nos confrères allemands, bientôtrelayée dans nombre de pays, des YoungAcademy rassemblant des jeunes scientifi-queschoisispouryappartenirpendantqua-tre années. Ces structures se regroupent auseind’uneGlobalYoungAcademy.Cetteflo-raison toute récente témoigne d’un faitnouveau: dépassant leur spécialité étroiteou l’objectif d’une carrière personnelle àréussir, ces jeunes veulent être les acteursglobaux d’une science capable d’interdisci-plinarité et soucieuse de la complexité dumonde, d’une science au service de l’éduca-tion et, peut-être, de la sagesse. Souhaitonsdonc aux lauréats du Prix 2011 de porter,eux aussi, ces grandes ambitions!p

Force dela jeunesse et enjeuxde l’avenirEchanges, démographie, climat, santé: cinq lauréats présentent leurs travaux en sciences exactes

«Dépassantleurspécialité étroite,

cesjeunes veulentêtrelesacteurs globaux

d’unescience capabled’interdisciplinarité»

PierreLénaAcadémicien, président du jury

du Prix sciences exactes

et si, les élèves communiquaient avec un expert et aidaient un océanographe à découvrir une nouvelle espèce.

et si, les voyages scolaires emmenaient les enfants là où aucun bus ne pouvait les conduire.

et si, chaque moment passé en classe devenait une expérience en immersion. grâce à l’interactivité et plusseulement l’observation, les professeurs inspirent et préparent aujourd’hui une nouvelle génération d’élèves.ensemble, apprenons différemment.

cisco.fr

Cahier du « Monde » N˚ 20 772 daté Jeudi 3 novembre 2011 - Ne peut être vendu séparément

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Marcher,ce n’est pas seulement mettre un pied devant l’autreEthologie «Etude et modélisation du comportement collectif des piétons et des mouvements de foule»

A La Mecque, le 12 janvier 2006, lepèlerinage religieux est le théâtred’un gigantesque mouvement de

foule. Sans aucune raison apparente, leflux massif de millions de pèlerins perdsoudainement sa fluidité pour devenirchaotique et irrégulier. Des vagues debousculades apparaissent et se propagentdans la foule, déplaçant des centaines depersonnes sur des dizaines de mètresdans des directions aléatoires. Vue du des-sus, la foule ressemble alors à une mer enpleine tempête… Ce phénomène extrêmeappelé « turbulence » provoqua la mort decentaines de personnes et fut depuisobservé à plusieurs reprises, comme aucours de la Love Parade de Duisbourg en2010.

Pourtant, dans notre vie quotidienne,la foule fait preuve de remarquables capa-cités d’auto-organisation. Dans les ruescommerçantes des centres-villes, parexemple, le trafic piétonnier se structurespontanément : les personnes se dépla-çant en sens opposés se partagent l’espacedisponible en constituant deux flux, cha-cun occupant une moitié de la rue. Cette« autoroute de piétons » s’avère être uneorganisation collective particulièrementefficace qui améliore la fluidité du trafic,sans nécessiter aucun contrôle centralisé.

Quels sont les mécanismes comporte-

mentaux à l’origine de ces phénomènescollectifs ? Pourrait-on à l’avenir prédireces mouvements de foule, éviter les dra-mes et stimuler l’intelligence des foules ?Pour répondre à ces questions, l’objectifinitial de mes travaux était de modéliserce système. Pour cela, il me fallait décriremathématiquement les mouvementsd’un piéton, de manière à reproduire etcomprendrel’émergence deces comporte-ments collectifs.

D’après la littérature existante, laméthode est très simple : il suffit de consi-dérer le piéton dans une foule comme uneparticule dans un gaz, et de formaliser sesmouvementsà l’aidedes outilsde la physi-que newtonienne. Ainsi, les modèles lesplus utilisés aujourd’hui sont fondés surcette analogie, considérant que le mar-cheur est soumis à des forces d’attractionet de répulsion qui l’attirent vers sa desti-nation, tout en le repoussant des autresindividus et des obstacles environnants.

Mais jusqu’à quel point peut-on consi-dérer un piéton comme une simple parti-

cule ? En multipliant les observationsempiriques, mes premiers résultats ontrapidement mis en évidence certainescaractéristiques comportementales diffi-cilement compatibles avec cette analogie.D’une part, le déplacement des piétons esten partie régi par des normes culturelles :lorsque deux personnes se croisent enFrance, elles choisissent, dans 80 % descas, de s’éviter par la droite. D’autre part,les piétons, contrairement aux particules,sont des êtres sociaux, et, dans 70 % de nosobservations, ils se déplacent en petitsgroupes de deux ou trois personnes.

Ces observations me conduisirentalors à élaborer une nouvelle base demodélisation, cettefois inspirée des scien-ces cognitives. Que voit un piéton immer-gédans unefoule?Commenttraite-t-il cet-te information visuelle pour adapter soncomportement ? A partir d’une représen-tation de son champ visuel, j’ai montréque le mouvement d’un piéton pouvaitêtre décrit par deux règles simples.

Tout d’abord, il s’oriente en directionde l’espace libre où l’encombrement deson champ visuel est minimisé. Ensuite, ilajuste sa vitesse de manière à conserverune distance de sécurité par rapport auxautres piétons qu’il perçoit. Et ces deuxrègles suffisent pour reproduire une largevariété de comportements collectifs

connus, de manière simple et réaliste.Conceptuellement, la différence avec lesmodèles précédents est fondamentale : lepiéton n’est plus considéré comme uneparticule passive soumise à un champ deforces maiscomme unagent doué decapa-cités cognitives, qui adapte son comporte-ment en fonction de ce qu’il voit, de saculture ou des personnes qui l’accompa-gnent.

Mais, dans les foules massives, la dyna-mique change soudainement. Lorsque ladensité atteint un palier critique, situéautour de 6 personnes par mètre carré, lemodèle n’est plus capable de prédire lecomportement des piétons de manièresatisfaisante. Or c’est justement autourde cette limite qu’apparaissent les mouve-ments de turbulence décrits précédem-ment. Compressés les uns contres lesautres, les piétons subissent involontaire-ment les pressions physiques exercées

par leurs voisins, et perdent leur liberté demouvement pour ressembler de plus enplus… à des particules !

Au final, c’est en combinant desconcepts de sciences cognitives et de phy-sique fondamentale que j’ai pu obtenirun modèle complet, reproduisant lesmouvements de turbulence observés àLa Mecque.

Il apparaît donc à travers ces travauxqu’une foule est un système interdiscipli-naire par essence, liant les sciences physi-ques, sociales et cognitives. Aujourd’hui,ces modèles servent à développer desoutils de prédiction utilisés par les archi-tectes pour adapter notre environnementurbain autour des stades, dans les garesou dans les centres-villes. Les études exis-tantes montrent par exemple qu’un sim-ple poteau placé quelques mètres devantune sortie permet d’augmenter de 30 % lefluxsortant,en réduisant les contacts phy-siques entre les piétons. A l’avenir, cesrecherches permettront sûrement deminimiser les risques d’accidents durantles grands rassemblements. p

Lequel d’entre nous n’ajamais donné de la fari-ne à sa voisine, fait unedemande de prêt à sabanque ou surenchérisur eBay ? De tels com-

portementspeuventnousapparaî-tre anodins car ils font partie inté-grante de notre quotidien ; cepen-dant, le don et l’échange représen-tent bel et bien une pierre angulai-re des sociétés humaines tellesque nous les connaissons aujour-d’hui. L’échange de biens et de ser-vices est la base de ce qui apparaîtcomme l’une des principales acti-vités humaines : l’économie.L’homme se différencie ainsi desautres espèces animales par sonaptitude à troquer, à passer destransactions, à commercer, etmême à spéculer sur des biensimmatériels.

Chez les animaux, cependant,des individus peuvent s’engagerdans des interactions sociales demanière réciproque. Par exemple,chez les chauves-souris vampires,destransferts réciproques denour-riture ont été rapportés. Ainsi, cer-tains individus régurgitent dusang pour le transmettre à descongénères afin que ces derniersne meurent pas de faim. Des servi-ces peuvent également être ren-dus.C’est lecas desantilopes impa-las qui se toilettent réciproque-ment, ce qui permet d’éliminer lescharges parasitaires affectant lasanté des animaux.

Toutefois, l’observation de tel-les interactions ne permet pas deconclure sur l’intentionnalité oule calcul des coûts et bénéficespotentiels des individus qui s’en-gagent dans ces interactions.Adam Smith écrivait : « On n’ajamais vu de chien faire, de proposdélibéré, l’échange d’un os avec unautrechien. On n’a jamais vu d’ani-mal chercher à faire entendre à unautre, par sa voix ou ses gestes : ceciest à moi, ceci est à vous ; je vousdonnerai l’un pour l’autre. » Ilposait implicitement la questionde l’origine des compétencesnécessaires à la mise en place des

relations d’échange ayant conduità l’émergence des activités écono-miques humaines.

Passionnée depuis le plus jeuneâge par le comportement animal,je me suis peu à peu orientée versun domaine bien particulier del’éthologie : la primatologie. Deschercheurs ont montré chez lessinges le caractère réciproque decertains comportements commeletoilettage, le partagedenourritu-re ou le soutien dans les conflits.

Certains auteurs ont suggéréque la réciprocité observée pou-vait être calculée, ce qui correspon-drait alors au fonctionnement desrelations d’échange de biens ou deservices telles que nous lesconnaissonschezl’homme. Cepen-dant, mener à son terme un échan-ge de biens ou de services avec unpartenaire suppose de multiplescompétences telles que l’estima-tion des biens échangés, la recon-naissance du partenaire ou encorela détection d’une éventuelle tri-cherie. De plus, la réciprocité desdons n’étant pas toujours immé-diate, les individus doivent êtrecapables de soutenir le délai entrele don et le retour.

Après avoir effectué plusieursrecherches en primatologie, j’ai eul’opportunité, au cours de mondoctorat, d’étudier les conditionsnécessaires à la réciprocité calcu-lée, et ceci en testant si les singesintégraient le coût temporel asso-cié à un échange, en étudiant leuraptitude à prendre en compte lerisque inhérent à une telle situa-tion, et, enfin, en recherchant s’ilspouvaient s’engager avec uncongénère dans des échanges detype calculé.

Pour cela, j’ai testé des singesdans différents exercices consis-tant à leur demander de s’engagerdans des échanges de nourriture

avec un partenaire humain. Enreproduisant chez des capucins,des macaques et des grandssinges,l’acte de troc observé chez l’hom-me, j’ai pu appréhender au plusprèsla capacitédecesespècesàréa-liser des transactions de type éco-nomique. J’ai ainsi montré que lessinges sont capables de s’engagerdans des échanges de type risqué,où le retour n’est pas certain, et desupporter des temps d’attente del’ordre de la minute dans deséchanges de nourriture avec unpartenaire humain.

Enfin,testésparpaires,deschim-panzés, des orangs-outangs, desbonobos, des gorilles mais égale-ment des macaques de Tonkean etdes capucins ont dû échangerentre eux des objets afin d’obtenirde ma part une récompense ali-mentaire. Chez les orangs-outangs,des transferts réciproques et calcu-lés ont pu être mis en évidenceentre deux adultes : un mâle, Bim-bo et une femelle, Dokana, élevésau zoo de Leipzig, en Allemagne.Lesdons d’objetsd’abordbiaisésenfaveurde Bimbo se sont parla suiteéquilibrés lorsque Dokana réduisitses dons vers Bimbo, encourageantcedernierà êtreplus coopératif etàdonner à son tour. Les deux indivi-dus ont alors abouti à du marchan-dage, montrant leur intentionnali-té et leur capacité à calculer lavaleur des biens.

Cette observation est la premiè-re, et jusqu’à maintenant, l’uniquepreuvequedesanimauxsont capa-bles de comportements de typeéconomique. Bien que l’échangespontané de biens soit rare cheznos proches cousins, ceux-ci sem-blent posséder certaines des facul-tés qui sont autant de mécanismesàlabase des transactions économi-ques chez l’être humain. p

MariePeléUniversité de Strasbourg

prix de la recherche universitaire

Mehdi MoussaidToulouse-III

Catégories Le Prix Le Monde de la recher-che universitaire comporte deux catégo-ries: les sciences exactes et humaines. Lapremière est présidée par l’académicienPierre Léna, la seconde par le philosopheEdgar Morin. Les deux jurys désignent cha-que année cinq lauréats chacun.

Session 2012 Les candidats de la 15e édi-tion sont invités à nous adresser leursdossiers entre le 1er janvier et le 1er mars2012. [email protected]

Lauréats en sciences humaines Cinqdoctorants en sciences humaines ont étéprimés pour l’édition 2011 par Le Monde etEdgar Morin: Nicolas Chaignot (Institutuniversitaire européen, sciences politi-ques et sociales) «Esclavages et moderni-tés: la servitude volontaire comme problé-matique du capitalisme contemporain»;

Antoine Destemberg (universitéParis-I-Panthéon-Sorbonne, histoire)«L’honneur des universitaires au MoyenAge: étude d’imaginaire social. Autour del’exemple parisien (XIIe-XVe siècle)»; EricFourneret (université de Picardie, philoso-phie) «L’euthanasie: à la croisée des scien-ces humaines et sociales. Pourquoi fait-elle toujours débat?» Raphaël Jozan (uni-versité Paris-Est, sociologie) «Les débor-dements de la mer d’Aral. Qu’apporte lasociologie de l’acteur-réseau à la sociolo-gie du développement?» Sébastien Mou-ret (AgroParisTech, sciences sociales)«Le sens moral de la relation de travailentre hommes et animaux d’élevage:mises à mort d’animaux et expériencesmorales subjectives d’éleveurs et de sala-riés». Des versions abrégées de ces thè-ses seront publiées en mars2012 aux Pres-ses universitaires de France.

Dela monnaie de singe?Etpourquoi pas!Ethologie «Etude comparative des facultés d’échangechez les primates non humains»

«Lesdeux singesont aboutiàdumarchandage, montrantleur

intentionnalitéet leur capacitéàcalculer la valeurdes biens»

¶Thèse soutenue

le 29 janvier

2010

Directeurde recherche :

Bernard Thierry

¶Thèse soutenue

le 18 juin 2010

Directeurs de recherche :Guy Theraulaz et Dirk Helbing

«Lorsquedeux personnessecroisenten France,

elleschoisissent,dans80% des cas,

des’éviter par la droite»

Le Prix «Le Monde» de la recherche universitaire

STÉPHANE TRAPIER

II 0123Jeudi 3 novembre 2011

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prix de la recherche universitaire

AurélieCobatParis-XI

Dans laglace des pôles se cachel’histoire denotre climatPaléoclimatologie«L’airpiégédanslesglacespolaires:contrainteschronologiquesetcaractérisationdelavariabilitéclimatiquerapide»

L’armoise etle moustiqueChimie«Rôle des métaux dans le mécanismed’action de peroxydes antipaludiques»

FatimaBousejra-ElGarah

Toulouse-III

¶Thèse soutenue le 18 mars 2010

Directrice de recherche :Anne Robert

¶Thèse soutenue

le 30 septembre

2010

Directeurde recherche :

Alexandre Alcaïs

I lest minuit,cette nuit d’août 2009, et ilfait grand soleil sur le site de forageNEEM au Groenland. Dans le cadre de

mes recherches, je vis une expérience uni-que, tant scientifique qu’humaine, surune calotte de glace qui réagit déjà auréchauffement global touchant notre pla-nète.

Comprendre et prévoir l’évolution descalottes polaires représente un enjeumajeur puisqu’elles réagissent et partici-pentauchangementclimatique. Desques-tions se posent quant à leur contributionsur le niveau des mers, ou leur impact surla circulation océanique par des apportsd’eau douce.

Au cours de ma thèse effectuée au Labo-ratoire des sciences du climat et de l’envi-ronnement (LSCE), j’ai regardé le lien entreclimatduGroenlandetclimatdel’Antarcti-que à partir de l’étude des climats passés,la paléoclimatologie. Pour cela, j’ai utiliséles forages effectués dans les deux calottespolaires puisqu’ils permettent de remon-ter le temps grâce aux couches successivesformées par accumulation de la neige. Ilsenregistrent ainsi les variations passéesdu climat et de l’environnement, et contri-buent au débat sur leur évolution futureen plaçant le changement climatiqueactuel dans le contexte plus large de lavariabilité climatique naturelle.

Les forages groenlandais montrent quedes réchauffements de l’ordre de 8 à 16˚Cen quelques décennies, suivis de refroidis-sements progressifs, se sont produitsdurant la dernière période glaciaire. Cesévénements abrupts étaient accompa-gnés de fontes massives d’icebergs dansl’océan Atlantique Nord, engendrant defortesmodifications de l’intensitéde lacir-culation océanique. Ils témoignent de lagrandeinstabilité duclimat. Ilestdonccru-cial de comprendre comment ils se sontdéclenchés, quelles ont été leurs répercus-sions globales et si ces événements sont

uniquement liés à l’instabilité de calottesaujourd’hui disparues ou s’ils pourraientse reproduire dans le contexte présent.

Mes résultats apportent des informa-tions inédites grâce à des mesures sur l’airpiégé sous forme de bulles lors de la trans-formation de la neige en glace. En particu-lier, je me suis intéressée à la quantité etaux différentes formes (appelées isoto-pes) de molécules d’azote et d’oxygène età la concentration en méthane dans cesbulles d’air.

Quand les pôles jouent à la basculeL’exploitation de l’air dans la glace est

périlleuse : son extraction et son analysese font en évitant tout contact avec l’airambiant ! Pour ce travail, j’ai utilisé destechniques développées au LSCE et auLaboratoire de glaciologie et de géophysi-que de l’environnement (LGGE).

Mes mesures m’ont permis de mettresur une même échelle de temps123 000 ans d’enregistrements climati-ques au Groenland et en Antarctique.Remontant ainsi jusqu’au tout début de ladernière période glaciaire, j’ai pu compa-rer l’évolution du climat aux pôles pen-dant une période de temps où le niveaudes mers était proche de l’actuel.

J’ai identifié des épisodes où le Groen-landse réchaufferapidement,au moinsde5˚C en un siècle, puis se refroidit de façonaussi rapide ! Les variations simultanéesde la concentration atmosphérique enméthanedanslesbullesd’air,dontlessour-ces d’émission se situent en majorité enzone tropicale, me permettent d’affirmerque ces événements affectent au moinsune large partie de l’Hémisphère Nord.

Il y a une dizaine d’années, des étudespionnières ont montré qu’un mécanismede bascule climatique existe entre lespôles pendant une période glaciaire : lors-qu’il fait froid au Groenland, l’Antarctiquese réchauffe doucement, environ 2 ˚C en1 000 ans, tandis qu’il amorce un lentrefroidissement lorsqu’un réchauffe-ment abrupt se produit au Groenland.Mon étude, plus détaillée, révèle que cettebascule bipolaire se produit à une échelleplus brève, à l’échelle du siècle et pendantl’entrée en glaciation. La bascule climati-queestla preuvequ’à l’échelledu millénai-re, voire du siècle, des échanges thermi-ques entre les hémisphères se produisenten lien avec la circulation océanique enAtlantique, et ce, dans un contexte prochedu climat actuel.

Mes résultats représentent un éventail

inédit de tests possibles pour les scientifi-ques qui évaluent le réalisme des modèlesde climat en les appliquant sur les condi-tions passées. Ces modèles sont ensuiteutiliséspour faire des prédictionssur lecli-mat futur, et savoir quels rôles jouent lesinstabilités rapides dans le démarrage desglaciations. Les données issues des archi-ves prélevées au fond des lacs, des océanset dans les grottes viennent compléter lesinformations issues des forages polaires.Notre représentation de l’évolution du cli-mat sur Terre s’améliore ainsi petit à petit.L’ensemble de ces travaux sont au cœurdes recherches sur lesquelles se base leprochain rapport du Groupe d’expertsintergouvernemental sur l’évolution duclimat.

Il est minuit, cette nuit de novem-bre 2011 et, désormais au sein du BritishAntarctic Survey, je participe au foraged’unenouvelle carottedeglace. J’ai la chan-ce d’admirer une fois de plus le soleil deminuit, mais cette fois-ci depuis l’immen-se et fascinant Antarctique !p

NEEM : http://neem.nbi.ku.dk/; LSCE :www.lsce.ipsl.fr/: LGGE : http://www-lgge.ujf-grenoble.fr/; GIEC : www.ipcc.ch/; BAS :www.antarctica.ac.uk/

M aladie infectieuse chronique, la tuberculoseest causée par une bactérie appelée Mycobac-terium tuberculosis (Mtb). En dépit de l’exis-

tence d’un traitement antibiotique souvent efficace etd’une couverture vaccinale élargie par le BCG, la tuber-culose reste un problème majeur de santé publiqueavecplus deneufmillions denouveauxcas et deuxmil-lions de décès rapportés chaque année dans le monde.Au cours de la dernière décennie, l’augmentation dra-matique du nombre de souches de Mtb résistantes auxantibiotiques a rendu indispensable le développe-mentdenouvellesstratégiespréventiveset thérapeuti-ques pour lutter contre la maladie.

La transmission del’agent pathogène se fait par voieaérienne, les individussainsse contaminantpar l’inha-lationde bactériesexcrétéeslorsdela toux pardes indi-vidus atteints de la forme pulmonaire de la maladie.Après avoir ainsi été exposé à la bactérie, trois évolu-tionssont possibles: 1) l’individuvalui-même dévelop-per unetuberculose ; 2) l’individuva seulement s’infec-ter, c’est-à-dire que la bactérie va être présente dansson organisme mais qu’il est capable de contrôler samultiplication et sa dissémination ; 3) l’individu va éli-miner rapidement la bactérie sans qu’elle puisse l’in-fecter. On estime qu’environ 10% des personnes expo-sées vont développer une tuberculose, 60 % à 70 %vont présenter une infection asymptomatique et 10 %à 20% vont être capables d’éliminer la bactérie.

La stratégie laplus efficacepour prévenir la tubercu-lose est de diminuer le risque d’exposition des sujetsnon atteints. Par exemple, en isolant les malades et enaméliorant les conditions de vie afin de diminuer lapromiscuité et l’intensité du contact entre malades etnon-malades. Cette stratégie, associée au dépistageactif et au traitement systématique des nouveaux cas,explique la diminution spectaculaire du nombre demalades observée dans les pays dits développés aucours des cinquante dernières années. Malheureuse-ment, cette stratégie est, en pratique, irréalisable dansles pays actuellementles plus touchéspar latuberculo-se qui sont, dans leur grande majorité, les plus pauvresde la planète.

En revanche, l’observation dans ces zones d’endé-mie tuberculeuse d’une proportion remarquablementconstante (environ 20 %) de sujets résistants à l’infec-tion malgré une exposition répétée et intense à Mtbcontient une information majeure jusqu’ici ignorée :la capacité à éliminer rapidement la bactérie pourraitêtre génétiquement déterminée. Une idée était née :prévenirla tuberculosecheztousenexpliquantlarésis-tancenaturelle decertains. L’objectifde ma thèse,réali-sée au sein de l’unité Inserm 980 codirigée par Jean-Laurent Casanova et Laurent Abel, a donc consisté àidentifierces facteursgénétiquesderésistanceàl’infec-tion tuberculeuse.

Les personnes infectées par Mtb ne présententaucun signe de maladie, et il n’existe aucun moyend’établir avec certitude la présence de bactéries dansl’organisme. Les tests diagnostiques de l’infectiontuberculeuse sont donc indirects. Ils reposent sur ladétection d’un mécanisme de défense de l’organismetémoignant d’une rencontre passée avec Mtb mais nepeuvent pas préciser si la mycobactérie a été ou nonélminée. Le test le plus ancien et encore le plus répan-du est l’intradermoréaction (IDR) à la tuberculine. Leprincipe consiste à injecter de la tuberculine (unesolution contenant des extraits de Mtb) à l’intérieurde la peau de l’avant-bras. Chez les individus qui ontété infectés par Mtb, une réaction cutanée de taillevariable se manifeste en 2 à 3 jours autour du pointd’injection. A l’inverse, chez les individus naturelle-ment résistants à l’infection par Mtb, aucune réac-tion ne sera observée.

Nous avons étudié la réponse à l’IDR à la tuberculi-ne dans des familles massivement exposées à lamycobactérie résidant dans une banlieue du Cap(Afrique du Sud) où le nombre de nouveaux casannuel de tuberculose est le plus élevé au monde. Encollaboration avec l’équipe du Pr Schurr (université

McGill à Montréal, Canada) nous avons cherché àidentifier chez ces familles la ou les régions du géno-me impliquée(s) dans le contrôle de la négativité perse de l’IDR, c’est-à-dire la résistance naturelle à l’infec-tion par Mtb. La caractérisation chez ces familles deplusieurs milliers de marqueurs couvrant l’ensem-ble du génome et l’utilisation d’outils statistiquesspécifiques développés au cours de ma thèse nous apermis d’identifier une petite région sur le bras courtdu chromosome 11 (dénotée TST1) effectivementimpliquée dans le mécanisme de résistance à l’infec-tion par Mtb.

Les retombées attendues sont remarquables.D’abord, ces résultats fourniront un moyen de sélec-tionner les individus qui doivent être inclus en priori-té dans tout essai vaccinal sur la base de leur profilgénétique de susceptibilité à l’infection. De façonsimilaire, la stimulation des cascades physiologiquesresponsables de la résistance à l’infection tuberculeu-se ou la modulation des cascades responsables de lasusceptibilité ouvriront des voies nouvelles dans lecontrôle de la maladie. Enfin, la compréhension finede la fonction de TST1 permettra le développementde molécules qui pourraient prévenir l’infectiontuberculeuse. De telles interventions immunologi-ques devraient être efficaces dans la prévention de latransmission de bacilles multi-résistants puisque, àl’image de l’insuline du diabétique, elles sont fondéessur la restauration d’une fonction immunitaire défi-ciente et non sur l’antibiothérapie. p

«Ces résultatsfourniront un moyen desélectionnerlesindividus qui doivent être inclus

danstout essai vaccinal et ouvrirontdes voiesnouvellesdans lecontrôle de lamaladie»

¶Thèse soutenue

le 27 septembre 2010

Directrices de recherche :Valérie Masson Delmotte

et Amaëlle Landais

L epaludismeestunemaladieinfectieu-se qui affecte l’humanité depuis lanuit des temps. Cette maladie, due à la

présence d’un parasite (le plasmodium)dans le sang de la personne infectée, provo-que chaque année plus d’un million dedécèsdanslazoneintertropicale.Faitinquié-tant, ce parasite résiste maintenant auxmédicaments qui étaient autrefois effica-ces, tels que la chloroquine (Nivaquine), cequi les rend inutilisables.

Un produit permet à l’heure actuelle detraiter efficacement le paludisme: l’artémi-sinine. Cette molécule est extraite d’uneplante, une armoise, Artemisia annua, utili-sée dans la médecine traditionnelle chinoi-se. Mais l’artémisinine est un médicamentrelativement cher, en raison de son originevégétale.Deplus,l’apparitionfuturedepara-sites résistants à l’artémisinine n’est pasexclue. Il est donc urgent de concevoir desmoléculesqui soient aussi efficacesque l’ar-témisinine, mais faciles à synthétiser et peucoûteuses,cequipermettraitundéveloppe-ment industriel à grande échelle.

C’est le défi qu’ont relevé les deux équi-pes de recherche au sein desquelles j’ai tra-vaillé pendant ma thèse : une au CNRS deToulouse,qui aconçules«trioxaquines»,etune à l’Université de Liverpool, à l’originedes «tétraoxanes». Ces deux projets se sontappuyés sur ce que l’on savait du mécanis-me par lequel l’artémisinine tue le parasite.L’efficacitéde l’artémisinine est due àla pré-sence, dans sa molécule, d’un enchaîne-ment de deux atomes d’oxygène (unperoxyde). Ce peroxyde réagit avec l’hème,le colorant rouge de l’hémoglobine, princi-pal constituant du sang. Les produits de cet-te réaction provoquent la mort du plasmo-dium.Lefragmentperoxydedel’artémisini-ne est donc essentiel.

Couplage avec l’hèmeLes deux équipes ont synthétisé un

grand nombre de molécules contenant unperoxyde. L’idée originale de l’équipe deToulouse était de préparer des moléculesqui contiennent non seulement le peroxy-de, mais également une quinoléine, frag-mentresponsabledel’efficacitédelachloro-quine. En quelque sorte : deux médica-ments dans une même molécule. Ces molé-cules hybrides, appelées trioxaquines, sonttrès efficaces pour guérir des souris attein-tes du paludisme. La société Palumed a étécréée pour le développement industriel deces molécules.

Les tétraoxanes, quant à eux, développéspar l’équipe de Liverpool, contiennent deuxperoxydes, ce qui leur confère une grandeefficacité. Dans les deux cas, ces moléculessont faciles à synthétiser, et les résultats despremières études biologiques sont trèsencourageants. Il faut ensuite estimer si tel-le molécule a davantage de chances d’êtreefficace que telle autre, et sélectionner, par-mi les dizaines de molécules fabriquées, cel-les qui feront l’objet d’études plus poussées.

Ce fut l’objet de mes travaux de thèse àToulouse et à Liverpool, travaux financéspar le programme européen Antimal(www.antimal.eu). J’ai étudié la réactivité deces nouveaux peroxydes synthétiquesvis-à-vis de l’hème, à la fois in vitro (sur unepaillasse de chimiste) et chez la souris infec-tée. A Liverpool, j’ai préparé plusieurstétraoxanestrès actifset j’ai mis au pointunprotocole pour étudier in vitro leur réactivi-té avec l’hème. J’ai montré que, grâce à leurperoxyde, les tétraoxanes forment des pro-duits de couplage avec l’hème (comme lefaitl’artémisinine).J’aiégalementmisenévi-dence une corrélation entre la capacité deces molécules à réagir avec l’hème et leuractivité antipaludique. Autrement dit, plusles tétraoxanes réagissent in vitro avec l’hè-me,plusilssontefficacespourtuerleparasi-te en culture.

J’ai ensuite étudié le mécanisme d’actionde ces molécules in vivo. Nous avons suiviunetrioxaquinedanslesangdesourisinfec-tées traitées avec cette molécule : les pro-duits de la réaction entre l’hème contenudans le sang et la trioxaquine étaient pré-sents chez les souris malades, alors qu’ilsn’apparaissent pas chez les souris saines. Cerésultat montre l’importance de l’hèmecomme cible thérapeutique de ces nou-veaux peroxydes synthétiques.

Un autre mode d’action de l’artémisini-ne,étudiéces dernières années, inhiberait lefonctionnement d’une protéine vitale duPlasmodium (PfATP6), provoquant ainsi lamort du parasite. Pour examiner le rôleéventueldecetteprotéine,j’aiétudiél’affini-té de diverses molécules antipaludiquespourcette protéine parasitaire. Les résultatsont montré que, l’affinité n’étant pas cor-réléeà l’efficacité surdes parasites, la protéi-ne parasitaire PfATP6 n’est probablementpas directement impliquée dans le moded’action de l’artémisinine.

Ces résultats, en contribuant à unemeilleure compréhension du mécanismed’action des proxydes antipaludiques, per-mettrontd’améliorerlesmoléculesexistan-tes et de concevoir de nouvelles moléculessynthétiques,satisfaisantauxcritèresd’effi-cacité et de prix requis.p

EmilieCapronVersailles - Saint-Quentin-en-Yvelines

Existe-t-ilun gène anti-tuberculose?Génétique«Génétique épidémiologique de l’infection tuberculeuse»

III0123Jeudi 3 novembre 2011

Page 4: Forcedelajeunesseetenjeuxdel’ · PDF fileI lyaquelquesjours,tombaitl’an-nonce des sept milliards d’habi-tantsquecomptedésormaisl’hu-manité.AprèsunXXesiècleoùla violenceadéferlécommejamais,

Fondation de l’économie sociale,

la Fondation Crédit Coopératif ne pouvait être

que différente. Vouloir mettre l’économie au

service de l’homme est un vaste chantier qui

demande des femmes et des hommes d’action

et de réflexion.

La Fondation Crédit Coopératif soutient

les actions qui font progresser les

connaissances comme le Prix Le Monde

de la recherche universitaire.

Grand Mécène de la Culture, partenaire

historique du Festival d’Avignon, elle travaille

à tracer de nouvelles voies d’accès

à la citoyenneté. Fondation entreprenante,

elle croit à la jeunesse du monde : partenariat

avec le Programme Jeun’ESS, partenariat

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Au total, ce sont 80 partenariats qui mettent

en lumière ce que de jeunes humains peuvent

entreprendre pour le meilleur et pour demain.

La Fondation Crédit Coopératif ne se résigne

pas à l’indifférence.

Sa différence, c’est l’optimisme.

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