février 20comment le cerveau gère notre sexualité

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  • 8/10/2019 fvrier 20Comment le cerveau gre notre sexualit

    1/452SCIENCES ET AVENIR - FVRIER 2009

    DOSSIER Plaisir sur ordonnance

    Point G, clitoris, vagin si vous croyez quele secret du dsir et du plaisir de votre com-

    pagne rside l, vous vous trompez ! Lorga-ne central de la sexualit fminine cest lecerveau. Cest pour cette raison quon ob-serve tant de diffrences entre les femmes,explique Francesco Bianchi-Demicheli, res-ponsable de la consultation de gyncologiepsychosomatique et sexologie de lHpitaluniversitaire de Genve. Les mmes stimu-lations peuvent engendrer des rponsestrs variables dune femme lautre, maisaussi chez la mme, dun jour, dune heure lautre, selon son tat desprit, son hu-meur, son cycle hormonal. Le cerveau gre donc tout, du dsir jus-

    quau ressenti des stimulations, dtermi-nant la rponse ou labsence de rponsesexuelle. De plus en plus dtudes en neuro-imagerie renforcent cette thorie. Lune despremires a t publie en 1992 dans la re-vueArchives of Sexual Behaviourpar Be-verly Whipple, clbre sexologue de luni-versit du New Jersey (Etats-Unis). Elleprsentait le cas de femmes dclenchant unorgasme pic du plaisir sexuel avec con-tractions rythmiques des muscles du pri-ne et des organes pelviens simplementpar la pense, par autosuggestion dimages

    rotiques, sans aucun contact physique !Orgasme en tous points identique (param-tres de pression sanguine, rythme cardia-que, diamtre de la pupille) celui provo-qu par une stimulation manuelle.Un mot, un regard, une voix, un parfum etle cerveau senflamme. Le dsir sexuel peuttre dclench par des facteurs extrieursqui affolent les cinq sens, mais aussi par desfacteurs internes comme une motion, larminiscence de souvenirs agrablesQuels quils soient, ces stimuli dclenchentsous le crne fminin une vritable temptede neurotransmetteurs et dhormones qui

    modifie le cerveau. Quand le dsir nat, le cerveau fmininadopte un profil dactivation caractristi-

    quequi se traduit par lactivation de zonescrbrales particulires, en partie diffren-

    tes de celles de lhomme ,explique Stpha-nie Ortigue, directrice du Laboratoire dlec-trodynamique de luniversit de Californie Santa Barbara (Etats-Unis). Avec, par exem-ple, lactivation du lobe parital infrieurgauche, une plate-forme dintgrationmultisensorielle et de haut niveau cognitifqui peut, entre autres, engendrer la produc-tion de penses relies au corps, de con-cepts ou fantasmes sexuels haute dose.Pour Francesco Bianchi-Demicheli et St-phanie Ortigue, lmergence du dsirsexuel dans le cerveauest quasi instanta-ne, plus rapide quun clin dil.

    Et ils le prouvent ! En novembre 2008, leschercheurs ont publi dans la revueNeu-roImageune tonnante tude. Treize fem-mes volontaires quipes de 128 lectrodes(pour enregistrer un lectroencphalo-

    gramme de haute densit, EEG 4D) ont tinvites visionner des photos de person-

    nes classes dsirables ou non, et signalersi elles prouvaient ou non du dsir en ap-puyant sur un bouton (voir en bas page ci-contre). En observant leurs rponses, ainsique les EEG 4D correspondants, les cher-cheurs ont tabli pour la premire fois la chronoarchitecture en temps rel du d-sir sexuel. Surprise : si les volontaires met-taient quelques secondes se dterminer,les EEG montraient que leur cerveau faisaitson choix instantanment ! Entre 142 et 187millisecondes seulement, avant mme quele dsir narrive la conscience Ces r-sultats suggrent que le dsir sexuel fmi-

    nin fait appel des associations mentalesnon conscientes qui ont t intgres dansle cerveau au fil des expriences personnel-les, et qui peuvent tre ractives par unsimple indice visuel.Le cerveau active deux voies simultan-ment : lune instinctive, lautre cognitive.Pour la premire, le rseau limbique (in-cluant notamment lamygdale et hippo-campe) est recrut, comme lors de nom-breux comportements instinctuels (faim,soif) , explique Francesco Bianchi-De-micheli. Deux structures profondes, la

    substance noire et laire tegmentale ventra-le (ATV) (voir schma p. 54)scrtent dela dopamine, un neuromdiateur qui vainonder le cerveau et crer une sensationplaisante. Ce rseau dopaminergique, pilierdu dsir, a dj t mis en vidence par lephysiologiste James Olds en 1954. Le cher-cheur avait implant une lectrode dans lesystme dopaminergique dun rat, qui pou-vait lactiver volont en appuyant sur unlevier. Rsultat : le rat a cess de salimen-ter tant il tait occup se faire plaisir !Plus rcemment, en 2006, limportance dela dopamine dans la sexualit a t confir-

    me, chez lhomme comme chez la femme.En examinant lADN de 148 tudiants enbonne sant et en leur soumettant LA

    URABERG/

    PICTURETANK

    Emanuele Jannini, de luniversit

    de LAquila (Italie), affirme avoir

    trouv la premire preuveanatomique de lexistence du point G,

    zone qui provoquerait chez certaines

    femmes des orgasmes vaginaux

    puissants et qui fut baptise ainsi en

    1950 par Ernst Grfenberg, un

    gyncologue allemand. En examinant

    30 femmes par chographie, le

    docteur Jannini a dcel une

    diffrence entre les orgasmiques

    vaginales et les autres : le tissu entre

    le vagin et lurtre est nettement plus

    fin dans le premier groupe. Jannini

    cherche prsent dmontrer que

    lon peut entraner cette zone rpondre mieux aux stimulations.

    Le point G rvlpar lchographie

    Comment le cerveau gre

    notre sexualitDe la naissance du dsir lpanouissement du plaisir, le cerveau gre toutchez la femme. La preuve par limagerie crbrale.

  • 8/10/2019 fvrier 20Comment le cerveau gre notre sexualit

    2/4FVRIER 2009 - SCIENCES ET AVENIR 53

    Lamour se voitFrancesco Bianchi-Demicheli(universit de Genve) et StphanieOrtigue (universit de Californie)ont montr que plus une femme estamoureuse plus le gyrus angulairegauche de son cerveau est actif (voirimagerie IRM ci-dessus).Amour et dsir empruntentdes circuits neuronaux distincts,

    cependant, plus cette zone est active,plus le dsir sexuel est intense.

    Le dsir sexuel survient en moins de 200 millisecondes

    Lors dune exprience mene aux Etats-Unis, 13 volontaires ont regard des photos dindividus dsirables ou non. Rsultat: le dsir (cerveau de gauche)

    active plus de zones du cortex que le non dsir (cerveau de droite). La courbe de lactivit lectrique crbrale montre elle que le dsir (barre bleue) ou lenon dsir (barre verte), surviennent majoritairement entre 142 et 187 millisecondes. Bien avant que linformation ne parvienne la conscience!

  • 8/10/2019 fvrier 20Comment le cerveau gre notre sexualit

    3/454SCIENCES ET AVENIR - FVRIER 2009

    DOSSIER Plaisir sur ordonnance

    L

    e dsir nat de stimuli

    exognes (cinq sens) ou

    endognes (penses,imagerie mentale). Il se

    caractrise par lactivation du

    systme dopaminergique : la

    substance noire et laire

    tegmentale ventrale scrtent de

    la dopamine, crant un sentiment

    plaisant et une attente de

    rcompense. Lorsque le dsir

    est sexuel, lhypothalamus produit

    de la GNRH (Gonadotropin

    Releasing Hormone), ou

    lulibrine, qui active lhypophyse.

    Celle-ci scrte son tour deuxhormones dans le sang, la LH

    (Hormone lutinisante) et la FSH

    (hormone folliculostimulante)

    qui se fixent sur les ovaires. En

    retour, ils produisent de la

    testostrone qui va entretenir la

    boucle dopaminergique et

    stimuler le cortex. Celui-ci va

    gnrer encore plus dimagerie

    mentale, de fantasmes sexuels

    Issue des noyaux du raph, la

    srotonine est aussi implique

    dans les humeurs et les

    motions. On suppose que ledsir sexuel y est trs sensible.

    Au commencement,il y a le dsir...

    un questionnaire informatif sur leursexualit, Itzhak Ben Zion, de luniversitBen Gourion du Negev (Isral), a dmontrquil existait une corrlation entre les varia-tions du gne du rcepteur de la dopamineappel D4 et le dsir sexuel. Plus les rcep-teurs D4 sont nombreux, plus le niveau de

    dsir et lexcitation sexuelle sont levs. Ledsir sexuel aurait donc aussi une compo-sante gntique.Lautre substance qui rythme le dsir sexuelfminin est, paradoxalement, une hormonemasculine, la testostrone. On observequune chute de testostrone pour uneraison ou une autre (ovarectomie, chimio-thrapie) entrane immanquablement unechute du dsir sexuel. Ce sont notammentles ovaires, aux ordres de lhypothalamus,qui produisent cette hormone un dosagesuprieur aux strognes qui, avec la pro-

    gestrone, sont les hormones typiquementfminines.Simultanment la voie instinctive, lautre

    voie mobilise dans lmergence du dsirsexuel est cognitive. Cest elle qui fait toutela diffrence entre avoir envie de quelquun

    et avoir envie dun gteau au chocolat Ledsir active des zones crbrales cognitivessuprieures. Les tudes en neuro-image-rie montrent que ce rseau cortical com-plexe est sollicit,explique Francesco Bian-chi-Demicheli. Ces zones sont impliquesdans lestime de soi, la reprsentationmentale de soi en fonction des expriencespersonnelles passes et prsentes et la ca-pacit intgrer lautre en soi. Et pluslamour sen mle, plus le dsir fminin de-

    vient cognitif ! Nous avons dmontr dans une tude en2007, que lamour et le dsir empruntentdes rseaux neuronaux diffrents, quondistingue aisment en imagerie crbra-le , note Stphanie Ortigue. Un indice per-

    met mme aux chercheurs dvaluer le de-gr damour dune femme : plus elle estamoureuse, plus son gyrus angulaire gau-che zone coude en arrire du cortex sactive fortement lvocation de ltreaim. On peut dsirer une personnequon naime pas et aimer une personne

    sans la dsirer. Mais quand les deux serencontrent, cest le jackpot ! Plus le gy-rus angulaire gauche est actif chez unepersonne, plus son dsir sexuel est fort. Des diffrences entre hommes et femmesont t observes lors de lmergence du d-sir. On remarque chez les premiers une plusgrande activation au niveau du thalamus, delhypothalamus, de lamygdale, de linsula etaussi du gyrus cingulaire antrieur, orbi-tofrontal, parahippocampe. Ce qui laisserait penser que les hommes nprouvent pas lemme niveau de dsir sexuel que les fem-

    mes dune manire gnrale. Mais les fem-mes nprouvent pas non plus le mme de-gr de dsir selon leur ge et leur cyclemenstruel ! Une activation plus pronon-ce est aussi observe au niveau du sys-tme limbique, du cortex temporal et

    Le dsir active des zonescrbrales cognititivessuprieures, impliquesdans lestime de soi

    BETTYLAFON

  • 8/10/2019 fvrier 20Comment le cerveau gre notre sexualit

    4/4FVRIER 2009 - SCIENCES ET AVENIR 55

    parital chez les femmes en priode prm-nopause par rapport la priode post-m-nopause. Ces rsultats renforcent lhypo-thse selon laquelle les femmes traitent lesstimuli rotiques avec une organisationcrbrale diffrente en fonction de leur cy-cle menstruel , affirment Francesco Bian-

    chi-Demicheli et Stphanie Ortigue. Faitcorrobor par une tude en IRM de Elke Gi-zewski de lUniversit hospitalire dEssen(Allemagne) qui montrait, en 2006, que lecerveau fminin est plus rceptif aux stimu-li rotiques en priode postovulatoireMais ce nest pas fini. Quand le dsir laisse

    place une excitation sexuelle, cest tou-jours le cerveau qui garde le cap. Il va alorsmettre en musique les zones rognes.Chez la femme, ces zones sont multiples :nimporte quelle partie du corps peut tresource dexcitation sexuelle alors que chez

    lhomme, il semblerait quelles soient da-vantage centres autour du pnis. Leur sti-mulation renforce chez la femme lactiva-tion des rseaux dopaminergiques ethormonaux, dj mises en route lors du d-sir, mais vient ajouter dautres substancescomme la srotonine (humeur, motions),ladrnaline (gestion des dfis, rgulationdes battements cardiaques), locytocine(lhormone qui favorise le lien), etc. Toutes

    jouent leurs rles damplificateur ou de mo-drateur. Lhypothalamus scrte, lui, dumonoxyde dazote qui, transport au ni-

    veau des organes gnitaux, induit laugmen-

    tation locale de lafflux sanguin.Cest notamment le cas dans le clitoris, re-connu aujourdhui comme lorgane gnitalcl du plaisir fminin. Les organes gnitauxstimuls entretiennent alors ces bouclesneurophysiologiques, viales nerfs de lamoelle pinire, mais galement viadautres voies : les travaux de Barry Komi-saruk et Beverly Whipple, de luniversitRutgers (Etats-Unis), ont ainsi rvl quedes femmes victimes de lsion de la moellepinire navaient pas perdu leur capacit prouver du plaisir sexuel. Ils ont mis en

    vidence limportance du nerf vague, situ lextrieur de la moelle pinire, qui trans-met lui aussi des informations au cerveau,ce qui en fait dsormais une cible thrapeu-tique pour llaboration de traitements chezdes femmes anorgasmiques.Ces activations de toutes sortes ont poureffet final dexciter lectriquement les neu-rones du cortex pour parvenir lorgasme,ce pic du plaisir sexuel souvent compar une crise dpilepsie partielle entranant,

    pendant quelques secondes, la perte totaledu contrle de soi. Ce phnomne est ca-ractris par 3 15 contractions involontai-

    res du tiers externe du vagin et de fortescontractions de lutrus et des sphinctersexternes et internes de lanus.

    Au niveau crbral, des zones sactivent,dautres sinhibent. Barry Komisaruk a ain-si montr que les centres de la douleursteignaient pendant lorgasme, ce qui enfait un puissant analgsique. Janiko Goer-giadis, de luniversit de Groningue (Pays-Bas), a quant lui montr en 2006 danslEuropean Journal of Neuroscience, quon

    pouvait observer une baisse de lactivit decertains noyaux de lamygdale, impliquedans la peur et lanxit, lors de lorgasme.

    Pour que les impulsions parviennentaux centres du plaisir et dclenchent lor-gasme, il faut que lamygdale, centre de lapeur et de lanxit, ait t pralablementdsactive. Auparavant, toute vocation la dernire minute dun souci proposdes enfants, du travail, du dner prpa-rer peut interrompre la progression verslorgasme , crit ainsi Louann Brizendin,neuropsychiatre de luniversit de Califor-nie, dans les Secrets du cerveau fminin(Grasset 2008)Lorgasme fminin est donc tout sauf un r-flexe, il sapprivoise, se construit. Le cer-

    veau en module la qualit et la dure. Selonles spcialistes, la sexualit fminine estde ce fait un domaine complexe, difficile

    apprhender. En cas de baisse du dsir oudu plaisir, une molcule qui reste vali-der pourrait certes intervenir. Mais jamaissans un bilan complet et attentif. Carsi une femme nprouve pas de dsir ou deplaisir, cest souvent un mcanisme dfen-sif, une faon de dire quelle a peur,quelle ne veut pas sexposer. Donner untraitement sans comprendre le contextecognitif qui y est associ naboutiraqu renforcer cette angoisse , explique

    Francesco Bianchi-Demicheli.Est-ce plus simple chez lhomme ? Sre-ment pas. Certes, le plus souvent le probl-me dplor par lhomme nest pas une bais-se de dsir (comme chez la femme) maisune baisse de lexcitation (rection). Lesmolcules de type Viagra savent restaurercela. Pour autant, la sexualit masculinenest pas gale lrection, explique Fran-cesco Bianchi-Demicheli. Cest un prjugsocial et culturel. Lhomme dsire et jouitaussi avec son cerveau. Il est grand tempsde sortir de la dimension gnitale et den-trer dans une dimension beaucoup plus

    complexe la fois motionnelle et crbra-le de la sexualit humaine.

    Elena Sender

    P

    ar des baisers, des caresses,

    le dsir se mue en excitation

    sexuelle. La dopamine et latestostrone sont toujours luvre

    (voir ci-contre).Lhypothalamus, sur

    lequel se fixe une autre hormone, la

    mlanocortine, scrte du

    monoxyde dazote qui entrane la

    vasodilatationdes des organes

    gnitaux. Clitoris et vulve se gorgent

    de sang. Le vagin se lubrifie et

    slargit. La stimulation des zones

    rognes entrane lexcitation des

    nerfs priphriques et du nerf

    vaguequi active plusieurs noyaux

    crbraux; londe se propage denombreux rseaux neuronaux,

    dchanant une tempte lectrique.

    Cest le pic du plaisir sexuel,

    lorgasme. Le cerveau, en

    pilepsie partielle , envoie un

    message aux organes gnitauxvia

    la moelle pinire qui entrane une

    srie de contractions vaginales,

    utrine et anales. Ce phnomne

    est suivi par lmission docytocine

    (attachement, confiance) et

    dendorphines (dlassement).

    ...puis le pic duplaisir, lorgasme

    BETTYLAFON