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L'ÉCOLE
DES VACANCES
DU MÊME AUTEUR
Intimité, roman (Calmann-Lévy).
Où SONT NOS AMOUREUSES ? (Illustrations de J.-M.Prassinos (Stock).
AMOR (Fontaine, L'Age d'or).
IL FAIT BEAU, poèmes pour les enfants (Arts et Tech-nique).
Traductions
Lewis Caroll LA CANNE DU DESTIN (G. L. M.)Lewis Caroll ALICE AU PAYS DES MERVEILLES et
DE L'AUTRE Côté DU MIROIR (Stock).
J. Swift: LES VOYAGES DE GULLIVER (Stock).
En préparation
HISTOIRES RACONTÉES PAR DES ENFANTS, préface deGaston Bachelard.
ET TOUT CE QUI SERA, roman.
L'ÉCOLE
VACANCES
ANDRÉ BAY
DES
roman
nrf
GALLIMARD
2» édition
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Il a été tiré de cet ouvrage cinquante-quatreexemplaires sur vélin pur fil Lafuma-Navarre,dont cinquante numérotés de i à 50, et quatre,
hors commerce, marqués de A à D.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays, y compris la Russie.
Copyright by Librairie Gallimard, 1950,
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A la treizième lettre
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Que je meure ce soir, j'aurai assez nettementl'impression d'un abîme pour que, dressée sur sonbord, ma vie prenne quelque allure. Mais demain.
MARCEL ARLAND.
J'étais comme un bateau coulant dans l'eau fermée
Comme un mort je n'avais qu'un unique élément
PAUL ELUARD.
Suave mari magno turbantibus aequora ventis.LUCRÈCE.
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Savez-vous si on peut voyager en
wagon-lit avec un billet de deuxièmeclasse ? demanda Jérôme à son porteur.
L'homme étalait un triple menton sous lavisière de sa casquette d'employé subal-terne. Un pigeon égaré.dans la gigan-tesque volière se posa sur l'horloge. Pour-quoi ne pas transformer en volières les garesde Paris ? Les grands-ducs logeraient dansla cheminée des locomotives rouillées et
les porteurs, devenus gardiens, ouvriraientdes valises pleines de maïs. Jérôme atten-dait la réponse du gros homme.
A.
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Je n'en sais pas tant, dit celui-ci, enessuyant du revers de la main une grossegoutte de sueur. Jusqu'à hier soir, j'étaispâtissier de mon métier. Vous êtes monpremier client.
Jérôme regarda ses valises, la jaune, pres-que une malle, en simili-cuir, la noire enfibrane qu'il avait trimbalée pendant laguerre, celle de sa femme, qu'elle tenaitde sa mère, authentiquement bourgeoise.Ce n'était pas précisément ce qu'on ap-pelle des vol-au-vent. Jérôme se sentitplein de compassion.
Merci quand même, dit-il.Le couloir était déjà obstrué. Ils avaient
loué leurs places. Edith avait fait la queuependant deux heures. Elle avait failli s'en
aller. Mais après avoir multiplié la durée du
voyage par trois elle s'était convaincue qu'ilvalait mieux aller jusqu'au bout de sapatience. Car ils étaient quatre, le père, lamère et deux enfants. On ne pouvait louerqu'une place pour les deux enfants. Pour-quoi cela lui avait-il rappelé sa premièreleçon de musique, une blanche vaut deuxnoires. Elle avait abandonné la musiquetrès tôt.
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Quand le porteur eut installé les bagagesdans les filets, il se frotta les mains d'un air
satisfait. Jérôme lui glissa un gros pour-boire et les trois plis du pâtissier s'épa-
nouirent en un triple sourire.
Il y a du chômage dans la pâtisserie,dit Jérôme.
L'homme était si heureux qu'il ôta sacasquette. Jérôme lui fit un clin d'œil.N'était-il pas heureux lui aussi ? Nadiaet Daniel l'étaient moins. Ils avaient
compté sur des couchettes. Il y avait mal-donne mais on s'en accommoderait. Jérôme
respirait. Aussi longtemps qu'il n'était pasassis, il ne croyait pas à la réalité du dé-part, le train ne l'attendrait pas. Il y aune fatalité de l'acte manqué dont l'heuredu train supporte tout le poids. S'asseoirdans son compartiment, c'est gagner unepremière étape. Il regarda sa montre, laconfronta avec l'horloge, puis l'heure dutrain; il avait le temps. Deux pigeons sepoursuivaient autour de l'horloge.
Trois voyageurs entrèrent, reconnurent
leurs numéros. Ils étaient suisses. Ça se
voyait à leur costume, aux étiquettes de
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leurs valises, ça s'entendait à leur accent.L'hostilité d'Edith ne put rien contreleur bon droit. Jérôme redescendit sur lequai. Du tabac, des cigarettes, des oreillersde papier, une bouteille d'eau, des jour-naux, il acheta tout cela avec une aisance
de grand seigneur. Du gris de vacances, desjournaux de vacances, ça ne ressembleguère à l'âcre fumée quotidienne, aux maus-sades nouvelles du jour. Il allait en rouelibre. La gare sentait la marée.
Les compartiments se remplissaient.Edith n'y pouvait rien. Une figure deveuve joyeuse embrumée de tulle noir vint
occuper la dernière place vacante. Elleparla à la cantonnade on ne voyageraitpas trop confortablement mais c'était
mieux qu'en Pologne où elle était alléereconnaître le corps de son mari. Elle ôtason chapeau et ménagea aux pieds deDaniel, avec beaucoup de gentillesse, uneplace derrière son propre postérieur. Ilfaut bien s'arranger. Surtout avec des en-fants. Entre deux pages de son magazineaméricain la jeune Suisse regardait la damed'un air intéressé.
Est-ce qu'on part ? demanda Daniel.
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Qu'est-ce qu'on attend pour partir ?demanda Nadia.
Il n'est pas encore l'heure, dit Edith.Les trains partent à l'heure. C'est trop
tôt pour ceux qui les manquent, c'esttrop tard pour ceux qui prennent placelongtemps à l'avance. Il n'y a que les ro-manciers pour faire partir les trains quandils veulent. Mais c'est un fait contre lequel,à moins d'être chef de gare ou mécani-cien, on ne peut rien. C'est cette fatalité
de l'heure du départ qui pousse, presse,bouscule le voyageur, le fait jurer, souf-fler, disputer, mélanger le contenu de sespoches et perdre son mouchoir tant il apeur d'égarer ses billets. Désinvolte, maisde cette désinvolture qui sait que le tempslui est compté, Jérôme déambulait sur lequai. Il alla tourner autour des wagons-lits.Les inspecteurs des chemins de fer sontgens puissants. « Deus ex machina ». Ilcomprit qu'il aurait pu voyager en wagon-lit et maudit son porteur. A cause des in-nombrables lampadaires qui illuminaient.la gare, on sentait que la nuit s'était poséesur les verrières.
Une jeune fille, mi sur le marchepied,
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mi sur le quai, partagée donc, se laissaitmanipuler les doigts par un jeune homme.Une mère qui partait avec ses enfantsdisait à son mari « Et surtout, tu n'ou-
blieras pas la chasse d'eau. »
Jérôme se souvint d'un départ à Vie-
toria, une Anglaise criait à sa fille au mo-ment où le train démarrait « Et n'oublie
pas de manger des grenouilles et des escar-gots. » Jérôme en avait rougi.
S'il n'y avait pas l'heure pour faire par-tir les trains, ils ne partiraient jamais, àcause de la douleur des séparations, des
mains qui se nouent, des recommandationset des retardataires, de la haine et des ja-lousies, des hésitations, des remords.
« En voiture », les portières claquent,un coup de drapeau, un coup de sifflet, àl'éloquence des phrases succède celle desregards. On part et on n'y peut rienqu'épiloguer et, selon sa foi, penser quepartir c'est mourir ou revivre un peu.
Les flancs du train se mirent à battre
grâce à cette vapeur blanche et fade quiest le sang du siècle. Ils sortirent lentementdes feux de la gare pour entrer dans la
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nuit, abandonnant à leur immobilité cha-virée les toits de Paris.
Jérôme ouvrit un journal et en com-mença la lecture avec cette avidité du ban-
lieusard abruti qui rentre chez lui après une
longue journée et se repaît de la mort dumonde. Mais il n'y avait rien à lire. Ce bul-letin de santé de l'espèce humaine ne leconcernait pas, il le mit de côté, fit un clind'œil à Edith.
Les voyages ont de multiples causes, onva enterrer une grand'mère, visiter une
tombe, assister à un mariage. Edith etJérôme partaient en vacances. Ils n'au-
raient rien à faire que reprendre des forces,changer de peau. Et puis, l'amour conjugal,pour se survivre, se renouveler, durer, de-
mande des loisirs. Ils savaient que leuramour était usé par le quotidien, l'impossi-bilité qu'il y a pour un couple astreint auxmisères du travail, de l'argent, du temps,à défendre victorieusement l'amour des
amants. Mais ils s'étaient assez aimés pours'aimer encore et ces vacances devaient
leur permettre non seulement d'effacer lesinjures passées mais d'économiser pourl'année à venir. Ils étaient décidés à jouir
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du moindre grain de sable, à ne pas laisserau seul vent l'odeur des algues. Les enfantsseraient si fatigués le soir qu'ils s'endor-miraient sur un baiser. Ainsi les vacances
même comportaient un sérieux pro-
gramme. Jérôme le savait sans trop vouloirle préciser.
Son regard se porta sur la vitre. La nuitbrouillait les paysages. Contre cette froideobscurité çà et là maculée par l'éclat d'uneampoule électrique, il tendit le soliderideau de la S. N. C. F. et se retrouva dans
l'intimité de son compartiment. Bercés parles roues, insouciants, les enfants s'étaientmis en règle avec le rythme du train etdormaient. Le train roulerait sur des cen-
taines de kilomètres de rails parallèles quiattendaient le moment où la locomotive
viendrait les laminer.
La Suisse lisait, affectait de lire. Jérômereprit son journal. On jouait La fiancéede Lammermoor. Un beau titre. Il rejetale journal, bâilla ostensiblement, commepour manifester contre la bonne tenue de
ses compagnons. L'éducation suisse avait
du bon. Dans leur coin, malgré la longueurde leurs jambes et de leurs bras, ils sau-
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