expériences spirituelles

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Expériences spirituelles G. HARRISON La " bénédiction de Toronto " : quelques réflexions פrsonnelles T. AUSTIN Les Chrétiens peuvent-ils être possédés par des démons ? 17 R. B. GAFFIN La cessation des dons ex1raordinaires 31 Question d'actua- La guérison : deux apprhes : - Approche biblico-théologique (Richard B. Gaffin) 55 - La médine et la guérison divine (David H. Barnhouse) 58 Un itaine de l'Égse Jules-Marcel NICOLE, Ruben Saillans (1855-1942), sa pensée et son œuvre 63 Des vres à lire W. BUHNE, " La troisième vague ... le plus grand réveil de l'histoire de l'Église . . (Daniel Bergèse) 71 J. CADIER, " Le matin vient " (Ch. Nicolas) 75 J. CALVIN, " Commentaire de !'Harmonie évangélique " (A.-G. Martin) 77 Méditation bibque Antoine SCHLUCHTER, Marc 10:17-31 : "Vivre sans masques.. 79 Réflexion théologique Gérald BRAY, Le Dieu trinitaire : ses personnes et sa nature 87 N° 188-1996/1-2 - JANVIER 1996 - TOME XLVII

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Page 1: Expériences spirituelles

Expériences spirituelles

G. HARRISON La " bénédiction de Toronto " : quelques réflexions personnelles

T. AUSTIN Les Chrétiens peuvent-ils être possédés par des démons ? 17

R. B. GAFFIN La cessation des dons ex1raordinaires 31

Question d'actualité - La guérison : deux approches : - Approche biblico-théologique (Richard B. Gaffin) 55 - La médecine et la guérison divine (David H. Barnhouse) 58

Un capitaine de l'Église Jules-Marcel NICOLE, Ruben Saillans (1855-1942), sa pensée et son œuvre 63

Des livres à lire W. BUHNE, " La troisième vague ... le plus grand réveil de l'histoire de l'Église .. (Daniel Bergèse) 71 J. CADIER, " Le matin vient " (Ch. Nicolas) 75 J. CALVIN, " Commentaire de !'Harmonie évangélique " (A.-G. Martin) 77

Méditation biblique Antoine SCHLUCHTER, Marc 10:17-31 : "Vivre sans masques.. 79

Réflexion théologique Gérald BRAY, Le Dieu trinitaire : ses personnes et sa nature 87

N° 188-1996/1-2 - JANVIER 1996 - TOME XLVII

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JSSN 0035-3884

La revue réformée publiée par

l..'.association LA REVUE RÉFORMÉE 33, avenue Jules-Ferry, 131 OO AIX-EN-P ROVENCE

C.C.P. Marseille 7370 39 U

Comité de rédaction :

R. BERGEY, P. BERTHOUD, P. COURTHIAL, J.-M. DAUMAS, H. KALLEYMEYN, A.-G. MARTIN, J.-C. THIENP ONT, et P. WELLS.

Avec la collaboration de R. BARILIER, W. EDGAR, P. JONES, A. P ROBST, C. ROUVIÈRE.

Editeur: P aul WELLS, D. Th.

LA REVUE RÉFORMÉE a été fondée en 1950 par le pasteur Pierre MARCEL. Depuis 1980, la publication est assurée par la Faculté libre de Théologie Réformée

d'Aix-en-Provence " avec le concours des pasteurs, docteurs et professeurs des Eglises et facultés de Théologie Réformées françaises et étrangères"·

LA REVUE RÉFORMÉE se veut " théologique et pratique ,, ; elle est destinée à tous ceux - fidèles, conseillers presbytéraux et pasteurs -

qui ont le souci de fonder leur témoignage, en paroles et en actes, sur la vérité biblique

Couverture : maquette de Christian GRAS

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,,. ,,.

LA « BENEDICTION DE TORONTO »

QUELQUES RÉFLEXIONS PERSONNELLES

Graham HARRISON*

Voilà moins d 'un an que « la bénédiction dite de Toronto »

a fait son apparition en Europe pour la première fois. Ce phé­nomène, dont le nom a été inspiré par l 'Eglise du Vineyard (située près de l 'aéroport) de la plus cosmopolite des vil les ca­nadiennes, s 'est propagé partout dans les Iles Britanniques et en Europe, manifestant une propension remarquable à se faire accepter par une large diversité de groupements ecclésias­tiques. I l a reçu un accueil positif, sinon général, dans les mi­l ieux charismatiques de toutes tendances et i l a aussi trouvé des défenseurs et des adeptes dans les Eglises plus tradition­nel les non charismatiques. Deux Eglises, en particulier, sem­blent avoir été les centres de sa diffusion et de son développe­ment en Grande-Bretagne : l ' une est anglicane, l ' Eglise de la Sainte Trinité à Brompton, l 'autre Baptiste à Wimbledon.

Quelle que soit la première réaction que l 'on puisse avoir en entendant des échos de ce qui se passe dans ces Eglises et ailleurs, i l serait imprudent de les ignorer et de supposer que, tout comme bon nombre de phénomènes rel igieux venus

• Graham Harrison est pasteur d e !"Emmanuel Evangelical Church à Newport, au Pays de Galles. Cet article a paru dans Fou11dario11s, publication du Conseil Evangélique britannique (B.E.C.). n° 34. printemps 1995.

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d 'Outre-Atlantique, cela ne fera pas long feu. Pour ma part, ayant entendu un ami (dont j 'ai de bonnes raisons de respecter le discernement théologique) vanter les bienfaits personnels retirés de sa participation à ce mouvement, j 'ai accueil l i avec joie l 'occasion de v isiter les deux Eglises citées plus haut pour me rendre compte par moi-même de ce qui s 'y passait. En plus de ces visites, j 'ai v isionné, d 'une part, les vidéo-cas­settes d 'El lie Mumford (la femme du pasteur de l ' Eglise du Vineyard à Putney, Londres) qui serait, paraît-i l , l ' instrument humain par lequel « la bénédiction » serait arrivée en Europe et, d'autre part, deux émissions de la télévision galloise qui lui ont été consacrées. J 'ai aussi assisté, en compagnie d'autres pasteurs, à une réunion qui s 'est tenue dans le sud du Pays de GaÜes, pour présenter toutes les activités associées au mouve­ment. Je me suis, par ailleurs, documenté le plus possible en l isant un large éventail de textes, depuis un des nombreux ou­vrages écrits par des adeptes enthousiastes, jusqu 'aux articles publiés par la presse écrite, religieuse et séculière, favorable ou non. C'est pourquoi je crois pouvoir me prononcer sur ce sujet.

Pour certains, sans doute, cet exercice est une simple perte de temps, puisque le moindre discernement théologique suffit pour comprendre que, dès le début, « la bénédict ion de Toronto » n'a pas son origine au ciel. Cependant, j ' ose avan­cer qu 'à certaines époques, i l s 'est produit des phénomènes étranges dans l 'histoire spirituel le du peuple de Dieu. Il y a eu, également, c 'est vrai, des faits extraordinaires, finalement imputables, de façon claire, à Satan, qui ont commencé par in­triguer et tromper des hommes de Dieu pourtant clairvoyants. En outre, l ' histoire de ce que Ronald Knox appelait « l 'en­thousiasme » est parsemée d 'exemples de personnes et de mouvements qui ont semblé tout emporter, mais qui ont fini par s 'enliser, laissant derrière eux des êtres brisés qui avaient eu la certitude d 'être conduits par la main de Dieu dans tout ce qu' i ls faisaient. Les paroles de Paul aux Thessaloniciens sont toujours à propos : « N 'éteignez pas l ' Esprit ; ne mépri­sez pas les prophéties ; mais examinez toutes choses, retenez ce qui est bon. » ( 1 Th 5: 1 9-2 1 )

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------------- «La bénédiction de Toronto»

J 'ai donc essayé de mener mon enquête sans naïveté, mais avec un esprit aussi bibliquement ouvert que possible, et de tenter une évaluation honnête de ce qui est devenu, à l ' heure qu ' i l est, un mouvement largement répandu. Qui oserait nier que nos pays auraient un urgent besoin d ' une visitation du ciel ? Les sujets d 'encouragement sont si peu nombreux dans bien des Eglises que ce serait une joie d 'apprendre qu 'un ren­versement de tendance est vraiment en train de se produire. Je me suis surtout méfié des réactions entières (pour ou contre) qui semblent caractériser certaines déclarations sur « la béné­diction de Toronto ». J ' ai souhaité également ne pas adopter une attitude à la manière de Gamaliel. Attendre le jugement du temps revient, en général, à éviter de se positionner sur le plan théologique.

Or, il s 'avère que l 'origine de ce qui s 'est passé à Toronto est à rechercher chez des personnes un peu bizarres apparte­nant au milieu hyper-charismatique/pentecôtiste en Amérique du Nord : Rodney Howard-Browne et Kenneth Copeland . Pour certains, inutile d 'al ler plus loin : cela est suffisamment éloquent. On ne peut pourtant pas court-circuiter la discussion de la sorte. C'est en agissant ainsi que certains ont remis en question l 'authenticité du Réveil de 1 859 au Pays de Galles, parce qu ' Humphrey Jones, l ' homme par qui le Révei l est venu des Etats-Unis, avait prophétisé que ! 'Esprit Saint des­cendrait, sous une forme corporelle, sur l ' une des colli nes près d' Aberystwyth (ville côtière du Pays de Galles). C 'est de discernement que nous avons besoin et non d 'une évaluation trop rapide fondée sur la présence ou non de personnalités plus ou moins l iées aux responsables du mouvement. I l ne se­rait pas difficile de montrer, à partir d 'exemples tirés de l 'h is­toire, que notre Dieu choisit parfois de l ire plutôt dans le coeur des hommes que dans leur tête, lorsqu ' i l daigne les uti­liser et les bénir.

1. Que se passe-t-i l réel lement ?

La réunion-type commence par quarante-cinq à soixante minutes de ce que l 'on appelle « l ' adoration ». Cela consiste invariablement en une suite de chants, type petits choeurs,

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chacun étant plutôt court et, par conséquent, répété à plusieurs reprises. Le chant est conduit par des musiciens ou des cho­ristes. La plupart des assistants restent debout, nombre d'entre eux les bras levés. La prière est presque toujours accompa­gnée d 'une musique douce en sourdine. Elle s 'exprime, par­fois, par le chant « en langues » sur un fond d 'accords harmo­nieux joués au clavier et/ou à la guitare. Dans les réunions auxquelles j ' ai assisté, une prédication a suivi (de quarante minutes pour l ' une d'entre elles) . Puis est arrivé le moment at­tendu par tous : l ' invocation du Saint-Esprit, qui s 'effectue, soit simplement par les mots « Viens, Saint-Esprit » ou par une phrase telle que « Nous t ' invitons à venir », soit par une prière plus longue et par l ' i ndication donnée à l 'assemblée qu 'elle va, sans doute, être témoin de choses extraordinaires. L'encouragement est donné de ne pas craindre les réponses ou les manifestations physiques et, le plus souvent, une série de citations bibl iques, validant ce qui va se produire, est faite.

Pendant ce temps, un espace est dégagé pour que les membres de l 'assistance puissent rejoindre les personnes dési­gnées comme faisant partie des « équ ipes ministériel les » (Ministry Teams) et identifiées par un badge, sage précaution pour empêcher que des personnes non-habil itées ne s ' infi l ­trent dans leurs rangs.

Dès ce moment, quelques personnes commencent à s 'avan­cer « pour bénéficier du ministère », qui a mis en oeuvre la même technique dans les centres où j 'ai été ; ce qui m 'a paru fascinant. Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'une imposi­tion des mains - du moins telle qu 'elle se. pratique chez les Pentecôtistes classiques. Il s 'agit plutôt d'une série de gestes curieux des mains effectués, par un membre de l 'équ ipe, à quelque distance de la tête, du visage, des épaules et du torse du destinataire. Dans certains cas, seulement, le front, la nuque ou l 'épaule est touché d'un seul doigt. I l n 'y a jamais la moindre pression de la main pour pousser le sujet en arrière ou pour qu ' i l tombe. Le plus souvent, les gens s 'effondrent plus ou moins rapidement. Cependant, quelques personnes ne s 'effondrent pas du tout ; la procédure est alors arrêtée et elles retournent à leurs places. Le mot d'« effondrement » n 'est pas

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vraiment approprié pour décrire ce qui se produit ; le mouve­ment de descente vers le sol est très doux, le sujet s 'affaissant lui-même peu à peu.

n y a des épisodes plus v iolents. Certaines personnes com­mencent par une sorte de jogging immobile, qui peut durer longtemps. Un jour, j 'ai eu l 'occasion de passer à l 'église du Vineyard de Putney, à Londres, quelque temps après la fin du culte du matin. La salle s 'était déjà passablement vidée, les musiciens ne jouaient plus et la plupart des personnes encore présentes bavardaient en buvant du café. Seule, une femme continuait à courir, en faisant du sur place tandis qu 'une autre vei llait sur elle, sans doute pour la soutenir lorsqu 'elle suc­comberait à la fatigue. Ai lleurs, j 'ai vu des gens se mettre à trembler fortement de tous leurs membres, ou bien à faire des bonds violents et répétés sur place. Dans la plupart des cas, ces exercices ont fini par épuiser ceux qui les pratiquaient. I l semble que les manifestations physiques varient selon les lieux qui ont, chacun, leurs propres caractéristiques.

C 'est, en général, lorsque les gens sont par terre que le rire commence. Ce rire peut varier en nature et en i ntensité. Certains s 'esclaffent discrètement, d 'autres rient à gorge dé­ployée tandis que d 'autres encore éclatent d 'un rire sonore à faire envie aux sorcières de Macbeth. L'animateur de la ré­union, à l ' Eglise de la Sainte Trinité à Londres, n 'arrêtait pas d'encourager les gens à s 'avancer pour bénéficier du « minis­tère » ou à lever la main pour qu'un équipier puisse aller vers eux. A un moment donné, il a lancé l 'exhortation suivante : « Ne soyez pas britanniques », c'est-à-dire, sans doute, aban­donnez le sang-froid et le flegme caractéristiques du tempéra­ment britannique - que l 'on pouvait s 'attendre à trouver chez les habitants huppés du quartier de Knightsbridge - et laissez­vous aller, si vous voulez que la bénédiction de Dieu descende sur vous.

Les personnes qui s 'avancent appartiennent aux différentes couches socia les et à toutes les tranches d ' âge. C ' est à Wimbledon que j 'ai vu la plus jeune : une petite fille de quatre ans tout au plus, qui a bénéficié du « ministère » de deux femmes qui, même à genoux, étaient plus grandes qu 'elle. Je

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dois avouer que la participation de plusieurs autres enfants, là et ailleurs, est ce qui m'a le plus touché.

Je pense avoir entendu, à l ' égl ise de la Sainte Trinité, deux « rugissements de lion », sans toutefois être certain qu ' i l ne s'agissait pas plutôt de bruits produits par le système de sono­risat i on. Quoi qu'i l en soit , ces rugissements et les cris d'autres animaux font partie intégrante des manifestations ty­piques de « la bénédiction de Toronto ».

I l est intéressant d'entendre les témoignages de ceux qui ont expérimenté « la benédiction ». Aucun ne dit avoir été in­conscient alors qu'il était prostré sur le sol . B ien au contraire, tous décrivent cette si tuation comme étant très agréable. Certains affirment avoir eu la vision d'un personnage beau et lumineux qu'ils ont pris pour le Christ. Nombreux sont ceux qui ont témoigné, à la suite de telles expériences, d'un plus grand amour pour Dieu et d'un intérêt renouvelé pour les choses spirituelles. Aussi, argumente-t-on, si tel est le fruit, pourquoi cette paranoïa' à propos des racines?

Tandis que certains considèrent l'ensemble du mouvement comme un réveil spirituel, ses adeptes les plus proches ne le désignent pas ainsi . I l s parlent plutôt d'un pré-réveil, une sorte de pré-dispensation, suggérant qu'y résister revient à ré­s i ster à l 'act ion du S a i nt-Espr i t . L'un des aspects les plus étonnants du mouvement est l'examen minutieux que ses adhérents ont fait de l'histoire de l'Eglise pour y trouver des exemples de mouvements, analogues à « la bénédiction de Toronto », qui se seraient produits dans des contextes diffé­rents et qui auraient été irréprochables sur le plan théologique. Au fond, cette démarche ne diffère en rien des tentatives plu­tôt naïves faites pour prouver que toutes les grandes figures de l'histoire de l'Egl ise sont des personnes qui ont parlé en langues.

Les « ancêtres spirituels » du mouvement seraient Jonathan Edwards2 et surtout sa femme, Sarah. El l ie Mumford, tout

1 . Selon le Petit Robert ( 1 988), fausseté du jugement avec tendance aux interpréta­tions.

2. Jonathan Edwards ( 1 703-1 758), théologien calviniste, prédicateur du Réveil en Nouvelle-Angleterre.

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particulièrement, ne tarit pas d 'éloges au sujet de cette der­nière, la citant comme une i l lustration impressionnante des manifestations du mouvement actuel, avec deux s iècles et demi d 'avance sur leur apparition à Toronto. Pourtant, une lecture attentive des récits de Jonathan Edwards, à propos des expériences spirituelles de sa femme, ne permet pas, à mon av is, une telle interprétation. En outre, il y a dans les récits d 'Edwards des éléments qui manquent, de manière flagrante, au mouvement d 'aujourd 'hui, comme nous le verrons.

Il. Une évaluation personnelle

Comment tenter une évaluation de ce mouvement ? I l faut, je crois, l 'examiner de façon minutieuse sous trois angles avant de l 'accepter ou de le refuser en bloc : l 'angle biblique et théologique, l ' angle historique et l 'angle psychologique. Chacun de ces domaines vaut qu 'on s 'y arrête avec attention. Il conviendra, en outre, de déterminer si l 'on n 'a que deux choix : tout accepter ou tout rejeter. Est-il possible d'affirmer que des personnes ont été bénies par Dieu lors de ces réunions sans rec onnaître l ' authent ic i té des procédés u t i l i sé s ? Essayons d 'éclairer cela par une analogie. Les Réformateurs ont été hautement critiques de ! ' Eglise Catholique romaine. I ls ne l 'ont généralement pas considérée comme une vraie Eglise de Dieu. Cependant, ils ne sont pas allés jusqu 'à jeter l 'anathème sur tous les catholiques romains ou à déclarer qu' i ls n 'étaient pas chrétiens. Ils ont plutôt reconnu ! 'oeuvre de Dieu chez des individus, affirmant que la bénédiction ac­cordée l 'avait été en dépit de l 'Eglise de Rome et non à cause d'elle. De même, il ne fait pas de doute qu'un homme comme Staupitz a aidé Luther à avancer sur la route qui le menait vers Dieu, même s' i l n 'est pas sûr qu ' i l l 'ait lui-même suivie jus­qu 'au bout.

A) Angle biblique et théologique

Certaines personnes auxquel les j 'ai parlé ont soutenu que, bien avant d 'entendre parler de « la bénédiction de Toronto », un profond sentiment de manque et d'échec les avait poussées

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à chercher le Seigneur. I l est bien vrai, n'est-ce pas, que Dieu visite ceux qui le cherchent, pressés par le désir d'être trans­formés ? Ces personnes auraient très bien pu interpréter de travers ce que le Seigneur a fait et commettre une simple er­reur de logique en supposant que la bénédiction leur était venue grâce aux réunions auxquelles elles avaient assisté. Il est donc inutile de dénigrer leur évident progrès spirituel pour critiquer un mouvement que l 'on juge gravement sujet à cau­tion, pour ne pas dire plus.

Il n 'est certes pas difficile de trouver des fail les bibl iques en considérant le mouvement et ses prétentions. Il me semble que l 'assimi lation simpl iste faite entre ce qui se produit lors de ces réunions et les diverses expériences physiques, relatées par ! 'Ecriture, que des hommes des deux Testaments ont vé­cues dans leurs rencontres avec Dieu, frise l ' absurde. Les exemples bibl iques les plus souvent cités sont les suivants : Ezéchiel ( 1 :28 ; 3 :23), Daniel ( 8 : 1 7 ; 1 0:9) et même le roi Saül ( 1 S 1 9:24) ainsi que Jean (Ap 1 : 1 7) et les soldats venus arrêter Jésus au jardin de Gethsémané (Jn 1 8 : 6) .

Même une lecture superficielle de ces textes devrait suffire pour mettre en évidence un monde de différences entre ce qui est dit dans la Bible et le type d 'expériences décrites plus haut. Ce qui frappe dans chacun des événements bibl iques, c 'est le sentiment de crainte respectueuse jointe à la convic­tion d 'une totale indignité. Que ces dispositions aient été pré­sentes dans les réunions où je me suis trouvé, notamment chez les personnes prostrées par terre, riant ou sautant, n 'était pas évident pour l 'observateur. L'ambiance était plutôt à l 'hi larité et à l ' insouciance, ce qui ne veut pas dire la légèreté.

Une enquête serait nécessaire pour mieux cerner le phéno­mène le plus typique de « la bénédiction de Toronto » : le rire. C'est cet élément qui a retenu l 'attention des médias séculiers avec le cynisme que nous sommes habitués à leur voir mani­fester dès qu ' i l s 'agit d'un événement plus ou moins l ié au christianisme. Le malheur, c 'est que, cette fois-ci, on leur a fourni amplement toutes les armes dont i ls avaient besoin. Je voudrais être très clair : je suis pleinement conscient qu ' i l existe, dans l 'histoire de l ' Eglise, des exemples d 'éclats de

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rire chez des personnes dont Dieu s 'est approché pour les bénir. Certains réveils ont été accompagnés par une telle ex­plosion de joie que celle-ci s'est, parfois, exprimée par le rire. Après tout, le Nouveau Testament ne parle-t-i l pas de « joie ineffable et glorieuse » ? Mais i l n 'est pas vraiment question de cela en l ' occurrence. Il s 'agit plutôt d 'un phénomène at­tendu, et donc invariable, de telle sorte que ce rire est devenu un moment capital dans les réunions.

A l 'objection que le Psaume 1 26:2 (« Alors notre bouche riait de joie et notre langue poussait des cris de triomphe ») en est une justification bibl ique, il convient d 'opposer un petit travail effectué avec une concordance et un lexique bibl ique. Les mots traduits par « rire » (le nom ou le verbe) se trouvent 80 foi s dans l ' Ancien Testament . M i s à part l ' exem ple d'Abraham et de Sarah à l 'annonce de la future naissance de leur fi ls Isaac, ces mots signifient presque toujours le dédain et la déri sion exprimés souvent par les ennemis de Dieu contre son peuple et, parfois, par le Seigneur lui-même contre ses ennemis. Le Nouveau Testament ne fait pas autrement. Le mot « rire » (nom ou verbe) n 'y apparaît que 6 fois. Par trois fois, ce mot décrit la suspicion ironique des auditeurs de Jésus lorsqu ' i l affirme que la fille de Ja'irus dort ; une autre fois se situe en Jacques 4:9 où il est dit que le rire se changera en deuil ; ce contraste se trouve deux fois dans l ' Evangile de Luc ( 6 : 2 1 et 2 5 ) . Auss i est- i l abus if de prétendre que, dans ! ' Ecriture, Je rire apparaît comme une manifestation de la bé­nédiction de Dieu, et plus encore d 'organiser des réunions dans l ' intention expresse de s'exprimer par le rire.

Le même ra isonnement serait de m i se pour l ' ébriété. Certains textes ( 1 S 1 : 1 3s ; Ac 2 : 1 3s ; Ep 5 : 1 8) sont cités pour prouver à tort que les manifestations d 'une haute spiritualité peuvent ressembler à l 'état d ' ivresse, et que les expressions physiques associées parfois à « la bénédiction de Toronto »

s ' inscrivent sur la même l igne. Ce qui suggèrerait virtuelle­ment que Dieu serait à leur origine. Mais, dans la Bible, les signes qui accompagnent une expérience profonde de Dieu et un changement de vie sont plutôt le remords face au péché, l ' humilité jointe à un intense sentiment d' indignité et non l 'hi-

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larité. Pourtant, dans les réunions placées dans la mouvance de « la bénédiction de Toronto » auxquelles j 'ai assisté, je n 'ai rien vu de tel .

Bref, ni par leurs références à ! ' Ecriture, ni par leur façon de s 'en servir (c'est-à-dire par leur herméneutique, pour uti li­ser le mot noble), les responsables ne réussissent à montrer qu 'un précédent ou un principe bibl ique justifie ce qui est de­venu la manifestation-type du mouvement.

B) Angle historique

L'histoire apporte-t-elle le soutien nécessaire ? Etant donné la place que Jonathan Edwards et sa femme Sarah occupent dans la défense du mouvement, on pourrait supposer q u ' i l ex iste un l ien d irect entre l e u r v i l le d e Nort hampton e n Nouvelle-Angleterre et l a cité moderne d u Canada. Si seule­ment des l iens théologiques plus substantiels pouvaient appa­raître un jour, qui sait si les écrits d ' Edwards sur le Grand RéveiP, devenus des best-sellers dans la région de Toronto, ne produiraient pas des effets inattendus ?

Pour le moment, le l ien entre les deux époques est pour le moins fragi le et flou. En vérité, les Edwards (M. ou Mme) et le mouvement de Toronto sont diamétralement opposés. li est certain que des phénomènes extraordinaires se sont produits d 'une façon générale lors du Grand Réveil, en particul ier au­tour d ' Edwards, qui n 'a cherché, ni à les expliquer, ni à les encourager, notamment en organi sant des ré u n i ons . En Nouvelle-Angleterre, on n'a vu ni « équipe ministérielle », ni conseil lers agréés pour faire des gestes sur des personnes vo­lontaires, avant que certaines s 'effondrent en faisant entendre un grand rire rauque. I l y a eu de nombreux cas de convul­s ions qui se sont produits sans avoir été recherchés. Certes Sarah Edwards a vécu des expériences étonnantes, même de lévitation, selon certains témoignages vrais ou faux ; dans les comptes-rendus de son mari, il est clair qu ' i l ne doutait pas

3. Une narration de conversions étonna/1/es, Traité des affections religieuses, La cha­rité et ses fruits, etc., réédités par Banner of Tru th Trust, Edimbourg, 1974, en deux vo­lumes.

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qu 'elles étaient d'origine divine. Mais cela n 'avait rien à voir avec ce qui se passe à Toronto.

Contrairement à ce qu 'Ellie Mumford et d 'autres soutien­nent , Sarah Edwards n 'a jamais été présentée comme ivre­morte plusieurs jours de suite . El le a vécu des expériences exaltantes de la majesté, de la gloire et de la compassion du Dieu souverain, devant lequel elle sentait sa profonde indi­gnité. Elle reste anonyme dans les récits de son mari, qui n'a pas cherché à multiplier les expériences de sa femme dans la colonie ou même dans la vi l le. Il est certain, si on peut se per­mettre une comparaison, qu ' i l conduisait en appuyant sur le frein plutôt que sur l 'accélérateur !

Les mêmes remarques peuvent s ' appl iquer au Révei l de 1 859 en Irlande du Nord. Il y a eu des cas de prostration et de personnes en transes, parfois pour de longues périodes. Mais, encore une fois, i l faut insister sur le fait que ces choses se sont produi tes d 'elles-mêmes et n 'ont pas constitué un élé­ment du programme du Révei l . En Irlande du Nord comme lors du Grand Réveil , du Réveil méthodiste et de beaucoup d'autres encore, une mult itude de personnes se sont conver­ties. C'est bien souvent en l iaison avec les troubles que peut causer ce grand mouvement de conversion que les phéno­mènes physiques les plus étonnants se sont produits.

C) Angle psychologique

Il est légitime de se demander si certains phénomènes ne s 'expliquent pas d 'un point de vue psychologique. Evoquer cette possibil ité ne rev ient pas à se ranger dans le camp de ceux qui pensent que proposer une description psychologique des phénomènes religieux, c'est leur enlever toute significa­tion pour des personnes intelligentes. Il s 'agit plutôt de recon­naître que de nombreuses manifestations religieuses relèvent plus du domaine de la psychologie que du domaine spirituel. Ne pas l 'admettre peut sérieusement nuire à la cause du Christ et avoir aussi des conséquences néfastes pour ceux qui se lais­sent porter par le courant, croyant à tort que c 'est par le Saint­Esprit . Beaucoup d'entre eux font un naufrage spirituel qui fait dire aux sceptiques: « Je vous l 'avais bien dit ! »

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Mais est-i l juste de charger ainsi ces activités et ceux qui les propagent ? Certains objectent aussitôt que ces éléments dangereux sont absents des réunions. Ils soulignent que, dans la plupart des cas, celles-ci se déroulent sur le mode charisma­tique normal et modéré : un moment d'adoration au début, des chants et des choeurs familiers, un accompagnement musical, etc. Je reconnais volontiers que mon propos a des implications qui débordent largement ce dérou lement particul ier. J ' af­firme, cependant, que ce style d 'adoration, même relativement calme et apparemment peu émotionnel ( le plus souvent) e t très puissant, subtilement, en raison de la pression psycholo­gique qu ' i l exerce sur les participants.

Considérez les facteurs suivants. L'ambiance est relaxe et décontractée. Les gens ne sont pas sur leurs gardes . La mu­s ique est répétitive ainsi que les paroles chantées, et n'exige qu'un faible effort de concentration. Le moment pendant le­quel l ' assistance reste debout les bras levés et les yeux clos est suffisamment long pour entraîner une certaine lassitude physique et psychologique. Le tout concourt à créer un état soporifique où chacun est tout à fait prêt à faire bon accueil à ce qui lui est proposé. Bien des personnes se rendent aux réunions avec un esprit prédisposé en faveur des phéno­mènes q u ' i l s escomptent y voir. Sans vou loir accuser les animateurs de ces réunions de la moindre mauvaise inten­tion, il faut néanmoins reconnaître qu'ils sont experts dans l ' art de d iriger les émotions col lectives. Ils savent contrôler le rythme de la réunion, discerner le moment propice pour le ralentir et pour l'accélérer, susciter une émotion en util i­sant adroitement la musique. I ls formulent de temps à autre des remarques fustigeant, parfois, ceux qui seraient suscep­t ibles de désapprouver ce qui se passe, suggérant que le Seigneur est présent d'une manière exceptionnelle et qu'il va fai re des choses remarquables . Tout cela contribue, même s i l'on ne veut pas l ' admettre, à créer une atmosphère intensément chargée d'émotion, qui pèse sur ceux qui com­mencent à se sentir spirituellement insuffisants et coupables d'avoir eu des réserves quant à la val idité des manifesta­tions.

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______________ « La bénédiction de Toronto »

De tels rassemblements sont propices à l a manipulat ion hypnotique. Dès lors qu 'on reconnaît que la pratique de l ' hyp­nose est loin d'être l imitée à l 'artiste de music-hall - ce per­sonnage moustachu en cape noire qui balance sa montre au bout de sa chaîne devant les yeux de sa v ictime pour la faire entrer dans un état de somnolence - cette affirmation est moins absurde qu ' i l ne paraît. Plusieurs psychiatres, chrétiens et non-chrétiens, l ' ont nettement attesté.

Considérons maintenant les gestes part icul iers de la main fa i t s par les équ i p ie rs au près d ' u n cand idat . Ces gestes étranges n 'ont aucun précédent bibl ique. Un article intéressant du Time Magazine a décrit ce qu ' i l a appelé la « thérapie du non-toucher » . I l n 'est pas fa i t a l l us ion au mouvement de Toronto, mais impossible de ne pas y penser.

« Tenant les mains à quelques centimètres du patient assis, l 'infir­mière fait des gestes autour de son corps, de la tête aux pieds, comme si elle ôtait des toiles d'araignées. A la fin de chacun de ces amples mouvements, elle fait, les yeux fermés, un geste brusque des mains, comme pour égoutter de l'eau. Tels sont les gestes de la « thérapie du non-toucher », une fom1e de thérapie très controversée qui gagne de plus en plus le monde médical : plusieurs dizaine de mille aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays. Selon ses partisans, cette thérapie est à même, non seulement de réconforter et de décontracter les patients, mais aussi de calmer la douleur, de produire des modifications au ni­veau du sang et de favoriser la guérison.

Ou bien, comme le prétendent ses détracteurs, cette thérapie est­elle une spécialité Nouvel Age, une sorte d'imposition des mains, sans contact physique, qui n'a pas de place légitime en mé­decine? »4

Autre facteur significat if : certaines personnes font l 'expé­rience de ce qui s 'appel le, je crois, « une régression hypno­t ique ». L'art iste hypnot iseur, après avoir mis le sujet en état d ' hypnose, implante dans son subconsc ient un mot ou une phrase. Lorsque le sujet sort de son état de transe, il suffit que ce mot ou cette phrase soit répétée pour le replonger dans un état d ' hypnose. El l ie Mumford raconte comment un pasteur

4. Ti me du 2 1 novembre 1 994. p.82. Je remercie mon ami le pasteur John Edmonds, de South Woodford. de m ·avoir remis cet anicle.

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES ______ G. Harrison

américain, ayant subi l 'effet Toronto, à l ' Egl ise du Vineyard (aéroport), au moment de l'invocation « viens Saint-Espri t », s 'est retrouvé de nouveau par terre au moment même où i l écrivait ces mots, e n rédigeant u n compte-rendu pour son journal paroissial . Ce réci t a été accue i l l i par un grand éclat de rire, qui n 'a fait que redoubler, lorsqu 'e l le a dit avoir fait la même expérience en inscrivant cet incident sur son agenda, alors qu 'e l le effectuait un vol avec Air-France au-dessus de l 'Atlantique.

Selon, aussi bien des témoignages publics que des conver­sations privées, il semblerait qu'après avoir vécu cette expé­rience, la plupart des gens cherchent à la renouveler, comme s ' i l n 'arrivait plus à s 'en passer. L'ayant vécue le dimanche précédent, i l s en ont de nouveau besoin. Quoi de mal à cela ? Ne recherchons-nous pas tous à mieux connaître la grâce de Dieu ? Sans doute. Mais je suis tout de même assai l l i par le doute. Où ai-je déjà entendu cela ? La réponse est : chez les drogués. Grâce à sa dose, le drogué atteint un état euphori­

que . . . pour un moment. Ensuite, une nouve l le dose est néces­saire, et ainsi de suite. Ce phénomène de « la bénédiction de Toronto » serait- i l une expression « chrét ienne » de dépen­dance ? Pour ma part, je n 'ai pas pu trouver, dans le Nouveau Testament, d 'exemple paral lèle pour justifier de tels usages.

Conclusion

A mon grand regret (en disant cela, je suis sincère), je n'ai rien trouvé pour me convaincre du bien-fondé des principes de « la bénéd ict ion de Toronto », bien que des m i l l iers de chrétiens l 'aient adoptée. Je ne mets pas en doute leur sincé­rité, et je ne trouve pas nécessaire d'affirmer que le Seigneur n 'a béni aucun d 'entre eux. En toute honnêteté, je n 'ai perçu rien de sinistre ou de satanique lors des réunions auxquel les j 'ai assisté. Je rappel le , pourtant, que les Ecritures d isent que Satan revêt l 'apparence d ' un ange de lumière et use de ruses et de machinations.

Je suis de plus en plus persuadé qu'à un certain moment, il faudra

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« La bénédiction de Toronto »

1 °) réparer d ' importants dégâts, secourir des chrétiens bles­sés et pleins de dés i l lusions, et présenter le véritable Evangi le à des non-croyants endurcis et

2°) qu 'heureusement un autre Grand Réve i l poussera dans l'obscurité de l 'oubli tout souvenir de ces soi-disant bénédic­tions5.

AVEZ-VOUS PENSÉ A RENOUVELER

VOTRE ABONNEMENT POUR 1996?

5. Plusieurs art icles ont déjà été publiés à ce sujer. Voir, par exemple, The Ch11rchma11 ( 109: 1 ,2) ou la brochure de J. McArthur. La hénédiclion de Toronto à la lumière de la pa­role de Dieu (Genève : Maison de la Bible. 1 995).

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IL FAUT VOULOIR CE QUE DIEU VEUT . . .

(prière du disciple)

Ô mon très miséricordieux Sauveur !

Accorde-moi ta grâce, qu 'e l le soit avec moi , qu 'el le travai l le en moi et qu 'e l le demeure avec moi jusqu 'à la fin.

Fai s q u e j e dés i re et que je veu i l l e toujours ce q u i t ' est agréable ; que je n 'aie point de volonté que la t ienne et que la mienne s'y conforme toujours.

Fais que je veui l le tout ce que tu veux, que j 'aime tout ce que tu aimes, que je rejette tout ce que tu rejettes ; en un mot, que ma volonté soit tel lement soumise à la tienne que je ne puisse vou­loir ce que tu veux, ou ne pas vouloir ce que tu ne veux pas.

Accorde-moi la grâce de mourir à tout, d 'aimer à être méprisé dans le monde pour lamour de toi et à n 'avoir pas de plus grand plais ir que d 'y être inconnu .

Fais, mon Dieu, que je me repose en toi, e t point en ce qu'on peut dés irer hors de toi . Fai s que mon cœur ne cherche de paix qu 'en toi.

Tu es la véritable paix du coeur, tu es son repos ; hors de toi , il n'y a que trouble et inquiétude. Je me reposerai et dormirai en paix, en toi , ô mon Dieu !

Notre bien unique, souverain et éternel. Amen.

Thomas A Kempis (c. 1 380- 147 1 ). lmiiation de Jésus-Christ (Paris : Grassan. 1 875), 1 95- 1 96 .

Mystique allemand, Thomas A Kempis a passé sa vie aux Pays-Bas. Son livre célèbre, qui magnifie la personne et l"œuvre de Christ et la communion avec lui. a fait l'objet de plus de deux mi l le éditions.

On dit que. pendant sa vie. Thomas. qui éta.it scribe. a copié la Bible plus de qualre fois.

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Page 19: Expériences spirituelles

LES CHRÉTIENS PEUVENT-ILS ÊTRE POSSÉDÉS

PAR DES DÉMONS ?

Tom AUSTIN*

Un nouveau mouvement a surgi récemment. On le nomme « le combat spirituel » ou, parfois, plus précisément, « le mi­

nistère de délivrance » . A vrai dire, le combat spirituel existe depuis la Chute. Aussi ce mouvement n ' est- i l rien d ' autre qu 'une nouvel le manière de faire face à un vieux problème : Satan. Je laisse à d 'autres le soin d 'en parler dans toute son ampleur ; pour ma part, je n'évoquerai q u ' un seul aspect spé­c i fique de ce mouvement , à savo i r la démon isa t ion des croyants.

Satan et ses démons sont bien réels, puissants et à l 'oeuvre dans le monde d 'aujourd ' hui . Il n 'est pas douteux que nous avons un adversaire redoutable et tenace. La B ible nous ap­prend beaucoup sur l 'autorité avec laquelle Satan gouverne le monde et ceux qui sont à lu i sur la terre. Mais qu 'en est- i l des humains qui ne lu i appartiennent pas ? Que peut-on dire de ceux d'entre nous qui sont régénérés, qu i sont de nouvel les créatures en Christ ?

Les fidèles de ce mouvement du « combat spirituel » sou­

t iennent que nous pouvons, nous aussi, être sous l 'emprise de

* Tom Austin est professeur à la Nairobi International School of Thcology (Kenya).

Cet article est traduit du Reforma/ion and Reviva/ Journal.

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EXPÉRIENCES SPIRIT UELLES T. Austin

Satan plus ou moins de la même manière que les autres'. I l y a là, de nos jours, une théorie très controversée dans différents mil ieux. Le mot « démoniser » est préféré à celui de « possé­der » pour parler du contrôle que les démons peuvent exercer sur les croyant , et cela pour plus ieurs raisons. La princ ipale est que le mot « posséder » suggère que la personne est sous le contrôle complet et absolu des forces sataniques, ce qui est jugé impossible pour les chrétiens. Pour parler de la « démo­nisation » des chrétiens, on recourt de préférence aux mots su ivants : contrôler, envahi r, attacher, entrer dans, habi ter, ré­sider, l ier et asservir. La défin ition de ces mots varie selon les auteurs, ce qui peut prêter à confusion, mais cela ne change pas grand chose.

Il n 'est pas faci le d ' ident ifier ceux qui croient à cette théorie. On peut avancer, cependant, que les auteurs qui la défendent et en font la promotion sont, pour la plupart, des « évangél iques » faisant part ie, ou sympath isants, du mouvement d i t de « La trois ième vague ». I l existe aussi des personnes isolées.

Il importe de noter qu ' i l n ' y a pas de modèle ou de méthode part icul ières agréés par tous pour « l ibérer » des croyants dé­monisés. Toutes les méthodes sont pragmat iques : ce qui réus­sit à un moment donné. I l est donc impossible de tenter une expl ication, une évaluation en s 'appuyant sur des pratiques spécifiques, puisque tous n 'opèrent pas de la même manière. Le seu l point commun minimum est la conclusion que « s i ce la réussit , c 'est que cela doi t ê tre vrai » . Différentes mé­thodes sont ut i l i sées pour la simple raison qu 'el les produisent les effets recherchés. Tel le est la norme qui décide de ce qu i est juste et vrai, non ! 'Ecriture . En conséquence, i l est impos­sible de travai l ler à partir d 'un corpus de doctrines, et il faut procéder à une évaluation à part ir des propos et des actions des adeptes du mouvement.

1. Cet article se réfère à de nombreux ouvrages, écrits en anglais. d'origine « Troisième vague » ou lui étant favorables, dont : éds. C.P. Wagner et F.O. Pennoyer. Wrestli11g with Dark A11gels (Tunbridge Wells : Monarch, 1 990) ; T.B . W hite. The Be/ievers Guide to Spiritual Watfare ( Ann Arbor : V ine, 1 990) : G. K innaman. Overcoming the Dominion of Darkness (Old Tappan : Chosen Books, 1 990) ; J . Wimber. u1 g11ériso11 par la p11issa11ce et L' éva11gélisation par la p11issa11ce (Rouen : Ed. Menor, 1 989) ; E. Christenson. Ba11lil1g the Prince of Darkness (Wheaton : Victor Books, 1 990).

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________________ Des chrétiens possédés ?

1. Les propos et les actions des adeptes

l i est généralement admis par les adeptes du « combat spiri­tuel » que le chrétien peut être démonisé au point d 'être habité par un ou plusieurs démons et de leur être asserv i . I l en est ainsi à partir du moment où i l choisit de pécher pendant une période de temps telle que des démons peuvent s ' installer en lui et contrôler au moins une part ie de son corps et de son es­prit . Il s ' agit là, de l 'aveu général , d ' un cas de démonisat ion extrême.

I l n 'est pas enseigné que le croyant démonisé aurait perdu son s a l u t . L'étern i té en Chri st es t assurée . Seu lement le croyant démonisé ne peut pas retrouver, tout seul , la voie du Seigneur ; il doit faire appel aux serv ices d ' un spécialiste qui recourra aux moyens et méthodes adéquats pour réprimander et chasser le démon. Ces méthodes comportent, le plus sou­vent plusieurs exercices d i fférents. Par exemple : « l ier Sa­tan », « chasser » Satan et les autres démons instal lés, « répri­mander » Satan, « faire appel au sang de Jésus » , « invoquer le nom de Jésus » et lutter longuement avec la personne dé­monisée. Ces exercices prévoient la répétition, selon des mo­dali tés particul ières, de mots spéciaux dans le but d 'obtenir le résultat voulu . Les praticiens croient q u ' i ls ont le droit et le pouvoir d 'exorciser ou de chasser les démons parce que Christ leur a accordé son autorité lors du mandat m i ss ionnaire (Mt 28: 1 8).

La plupart des adeptes affirmeront fermement leur adhésion aux doctrines de base du christianisme traditionnel et « évan­gélique ». Cependant, malgré leurs affirmations à ce propos, leur enseignement et leurs actes concernant « le combat spiri­tuel » sont en contradiction avec l 'enseignement biblique rela­t if à nombre de doctrines fondamentales de la foi chrétienne. I l est donc important de bien voir q u e cet enseignement concernant surtout la possession et ! ' asservissement du chré­t ien est faux et même dangereux pour la foi . En voici les rai­sons. Cet enseignement abaisse le caractère de Dieu, diminue l 'efficacité de l 'expiation effectuée par Christ, méprise le pou­voir du Saint-Esprit dans la vie du croyant, n ie la suffisance de ! ' Ecriture, et amoindrit la responsabi l i té du croyant d ' avoir

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à anéant ir les oeuvres de la chair et à marcher en obéissance au Christ.

Il. Le caractère de Dieu

Cet enseignement abaisse le caractère de Dieu en ce q u ' i l déprécie s a souveraineté et son omnipotence. L' Ecri ture at­teste que Dieu exerce sa souveraineté et son contrôle sur la création (qui comprend toutes choses, même Satan et son em­pire, Col l : 1 6) . Le Psaume 1 03 : 19 dit que « Le Seigneur a établ i son trône dans les cieux et son règne domine sur toutes choses » (voir Ep 1 : 1 1 ; Es 40:2 1 -26 ; Jb 38-4 1 ) . R ien ni per­sonne ne veut surpasser ou contrecarrer le plan et les décrets de Dieu ( Es 1 4:24 ; On 4:35 ; Pr 2 1 : l ). Même les déta i l de nos vies sont sous son contrôle et son attention (Gn 50:20 ;

Rm 8:28 ; 2 Co 1 2 :9 ; l P 5 :7). L'expérience si pénible de Job nous apprend que même Satan doit recevoir l 'autorisation de Dieu pour toucher l ' un des siens (Jb 1 et 2) .

Pourtant, bien que tout ceci ait une grande importance pour le chrétien engagé dans le combat spiritue l , l 'enseignemenl récent à ce sujet donne à pen er q u 'après nous avoir sauvés, Dieu se retire ou qu ' i l est indifférent et impuissant pour proté­ger ses enfants des attaques de Satan. Cet enseignement ou­blie que le combat ne se l ivre pas entre, d ' une part, des chré­t iens faibles et fai l l ibles et, d 'autre part, toutes les forces et les puissances démoniaques que Satan peut rassembler, mais plu­tôt entre notre Créateur omnipotent, omniscient et souverain et un ennemi qui est déjà vaincu et qui n 'agit que conformé­ment à l a volonté et au bon p la is i r du D ieu tout-pu i ssant (Ep 1 : 1 1 ) .

Un Dieu qui permettrait , ou ne pourrait pas empêcher, que ses enfants soient habités par le Malin et lu i soit asservi n 'est pas le Dieu de la B ible. Le Dieu de la Bible est Jehovah : per­sonne l , éternel , absolument autonome et n ' ayant besoin de rien ni de personne. Il est Elohim : le Créateur et le Recteur de ( 'univers, qui est fidèle aux promesses faites à son peuple. I l est El-Shaddai : le Dieu tout-puissant, omnipotent qui accorde à son peuple de mervei l leuses bénédictions. I l est Jehovah-

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-------------- Des chrétiens possédés ?

Jireh : le Dieu qui pourvoit abondamment, qui a donné son Fils unique comme sacrifice de propitiation pour nos péchés. Il est Jehovah-M' Kaddesh : le Dieu qui sanctifie son peuple, qui nous a mis à part pour lui et qui nous fait participant de sa nature divine, faisant de nous un peuple saint pour sa propre gloire. I l est Jehovah-Rohi, le Berger de son peuple qui nous accompagne j usque dans « la vallée de l 'ombre de la mort », et dont la houlette et le bâton nous réconfortent puisqu ' i l nous guide et nous protège.

I l est important de comprendre que le but u l time de Dieu est sa propre gloire (ceci est correct puisque lui seul est Dieu). Or, cet objecti f ne serait pas atteint avec un enseignement qui soutient que le peuple de Dieu, mis à part par le Dieu souve­rain pour être saint et avoir part à sa nature divine, et être pro­tégé, guidé et béni par lu i , pourrait être habité par des démons et leur être asservi . Puissions-nous, dans notre théologie et dans son appl ication, n ' avoir d 'autre souci que de glorifier son Nom majestueux et saint !

I l l . Les effets de l 'expiation par Christ

Cet enseignement du « combat spirituel » déprécie les ef­fets de l ' expiation de Christ et l 'efficacité de celle-ci pour la sanctification du croyant. Par impl ication, i l soutient que le sacrifice de Jésus assure notre justification et non notre sancti­fication ; aussi les croyants seraient-i ls susceptibles d 'être ha­bi tés et contrôlés par Satan. Selon cette théorie, un chrétien pourrait logiquement passer du salut à la g lorification en étant constamment habité et asservi par des démons.

Il est c lair que les Ecritures n'enseignent pas cela. Hébreux l 0: 14 affirme : « Car par une seule offrande, i l a rendu par­fai t s , à perpé t u i té , ceux q u i sont sanct i fiés » . Les v rais croyants sont sanct ifiés et le processus de sanctification se poursuit en eux. « Celui qui a commencé en vous une oeuvre bonne en poursuivra l ' achèvement jusqu 'au jour du Christ­Jésus » ( Ph 1 :6). Ce processus de sanctification est l 'oeuvre de celui qui a opéré notre salut, notre Seigneur souverain. Le plan de Dieu pour nous est accompl i en Christ tout au long

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du chemin qui va de la sanctification à la g lorification (Ep 2 :4- 1 0 ; 1 Th 5 : 24 ; Rm 8 :29-30). Sur la croix, Jésus a triom­phé pour nous du monde, de la chair et du diable ( Hé 2: 1 4-1 5) , et nous sommes comblés en Christ (Col 2 : l 0).

Colossiens 1 : 1 3- 1 5 est un texte crucial à ce sujet. Selon

l 'expl ication donnée par Pau l , dans ce passage, la dette de notre péché a été annulée par D ieu à cause de l 'oeuvre accom­

plie par Christ sur la croix . Non seulement, nos péchés y ont été pardonnés, mais les dominations et les autorité mauvaises ont été renversées (v. 1 5 ) . Christ a l ibéré le croyant de ces puissances. Satan n'a plus de contrôle légi time sur nous. Nous avons été transférés du domaine des ténèbres dans le royaume de son Fils bien-aimé (Col 1 : 1 3) .

Cette posi t ion ne fonde pas une doctrine du perfection­nisme, car nous savons que la vie chrétienne est une batai l le spirituel le et que le croyant est appelé à livrer un combat spiri­

tuel contre des pouvoirs et des principautés dans les l ieux cé­lestes (Ep 6: 1 2) . Cependant , l ' Ecriture enseigne que l 'oeuvre

rédemptrice du Christ sur la croix écarte toute possibi l ité que le vrai croyant soit soumis au contrôle, à l 'asservissement ou à la possession démoniaques, ou q u ' i l essuie des défaites spi­

rituelles de manière continue ou habituelle (Rm 8:30 ; 1 J n 3 :9). De plus, l ' Ecriture enseigne qu 'un vrai chrétien est ap­pelé à être semblable à l ' image du Christ (Rm 8 :29).

IV. L'union avec Christ

I I sera i t u t i l e de parler, mai ntenant , de l a doctr ine de l 'union du croyant avec Christ. John Murray dit que :

« L'union avec Christ est, à vrai dire, la vérité centrale de toute la doctrine du salut, non seulement dans son application, mais aussi dans son accomplissement, une fois pour toutes, grâce à l 'oeuvre parfaite de Christ »2•

Le texte qui explique notre union avec Christ porte un coup fatal à la théorie selon laque l le les chrétiens peuvent être habi­tés et asservis par des démons. Nous sommes en Christ et « si

2. J . Murray, Redemption Accomplished and Applied (Grand Rapids : Eerdmans,

1 955). 1 6 1 .

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quelqu ' un est en Christ, i l est une nouvel le créature . Les choses anciennes sont passées ; voici : toutes choses sont de­venues nouvelles » (2 Co 5: 1 7 ) . Christ est en nous (Ga 2 : 20) et « si Christ est en vous, le corps, i l est vrai, est mort à cause du péché , m a i s l ' e s pr i t e s t v i e à c a u se de l a j u s t i c e »

( Rm 8 : 1 0) . Cette union avec Christ a été décidée par Dieu bien avant que nous ayons entendu l ' Evangi le , bien avant notre naissance car « en lui, Dieu nous a élus avant la fonda­tion du monde, pour q ue nous soyons saints et sans défaut de­vant lui » (Ep 1 :4). John Murray l 'expl ique ainsi :

« Le Père a élu depuis l'éternité, mais il l'a fait en Christ. Nous ne sommes pas à même de comprendre tout ce que cela signifie, mais il est assez clair qu'il n 'y a pas d'élection du Père dans l 'éternité en dehors de Christ. Cela veut dire que ceux qui seront sauvés n'ont pas été au bénéfice de la prédestination aimante du Père, en son conseil secret, en dehors de l'union avec Christ ; ils ont été choisis en Christ. Aussi loin que nous puissions remonter vers la source du salut, nous trouvons « l 'union avec Christ » ; elle n'a pas été ajoutée, chemin faisant ; elle est là depuis le tout

début »3•

L' union du croyant avec Christ, te l le q u ' e l le est décrite dans ces versets et beaucoup d 'autres, garantit non seu lement notre j ustification passée et notre glorification future, mais aussi notre sanctification présente. L'union avec Christ sou­tient et parfait tout le processus. Murray explique qu 'en tout, le croyant est enrichi par son union avec Christ, car i l est sa j ustice et il le rend j uste (2 Co 5 : 2 1 ; cf. 3: 1 8). C 'est dans le processus de la sanct ification que nous manifestons, par la grâce de Dieu, notre union avec Christ. Cette sanctification progre s s i v e e s t déc r i te par A n t h o n y H oe k e m a c o m m e « l 'oeuvre d e Dieu par laque l le le Saint-Esprit renouvelle pro­gressivement la vie du croyant et le rend capable de vivre une vie de louange envers Dieu »4•

Pourtant les défenseurs du « combat spirituel » n ' ensei­gnent pas ainsi cet aspect part icu l ier de notre union avec Christ. I l s disent que la v ictoire du croyant sur Satan est pre-

3. Ibid . • 1 62. 1 63. 4. A.A. Hoekema, Saved by grace (Grand Rapids : Eerdmans. 1 989). 62.

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m ièrement son fai t à lu i . I l est évident que cette affirmation n 'est pas biblique. Dieu a promis de nous préserver en union avec Christ, non pas seulement jusqu'au jour du salut, mais au-delà. En Romains 8 : 26-39, Pau l explique comment Dieu nous secourt. Satan ne peut même pas formuler une accusa­tion contre les élus de D ieu (v.33) , encore moins habiter en nous ou nous asservir. Nous sommes vainqueurs en Christ (v.37) et non des esclaves de Satan. « Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l ' a l ivré pour nous tous, comment ne nous donnera+il pas aussi tout avec lui , par grâce ? »(v.32)

V. L' Esprit Saint qui habite en nous

Enseigner que des démons peuvent habiter et asservir des croyants, c 'est déprécier le pouvoir du Saint-Esprit dans la vie du croyant. Selon cet enseignement, les démons qui habitent une personne ne partent pas lorsqu 'el le devient chrétienne, et un chrétien peut être asservi aux démons ou contrôlé par eux, s ' i l fait régul ièrement Je choix de pécher. La conclusion de cela est qu ' un vrai chrétien, en qui habite le Saint-Esprit, est aussi la demeure (ou l ' esclave) de Satan. (Cela, bien sûr, ex­p l iquerait pourquoi tant de personnes ayant « répondu » à l 'offre de l ' Evangile ne marchent pas dans ! ' Esprit , ou ne sont pas contrôlés par 1 ' Espri t . )

En vérité, cet enseignement du « combat spirituel » n 'est ni bibl ique, ni respectueux. La B ible n 'enseigne nul le part cela et on n ' y trouve pas d ' exemple de chrétien né de nouveau sous le contrôle d 'un démon, ou exorcisé. Cependant, la B ible enseigne que « Je Seigneur, c ' est ! ' Esprit ; et là où est ! ' Esprit du Seigneur, là est la l iberté » (2 Co 3: 1 7) . Le Saint-Esprit ne permettrait pas q u ' u n chrétien soit l 'esc l ave d ' un démon. L'Esprit Saint qui habite en nous nous transforme de gloire en gloire (2 Co 3 : 1 8) . Les croyants sont donc en train de ressem­bler de plus en plus au Christ. Ezéchiel 36:27 dit : « Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous suiviez mes prescrip­tions, et que vous observiez et pratiquiez mes ordonnances » (italique de l 'auteur). Celui qui a l 'esprit du Christ est dans ! ' Esprit (Rm 8:9), et il affectionne les choses de ! ' Esprit (Rm 8:5) et i l est conduit par ! 'Esprit ( Rm 8 : 1 4) .

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Satan peut-i l tenter et tromper un chrétien ? Satan peut-il pousser un chrétien à pécher ? La réponse à ces questions est, bien sûr, oui . Cependant, cela ne signifie pas que Satan ait le droit ou le pouvoir de s ' installer chez le croyant, comme si le Saint-Esprit qui y habite déjà n 'avait ni droits, ni pouvoir dans la vie du croyant. La B ible enseigne que le croyant est le lemple du Saint-Espri t . Comment un chrétien peut-i l être à la fois le temple du Saint-Esprit et celui de Satan ? Ou selon la question de Paul :

« Quel accord entre Christ et Bélial ? Quelle part le croyant a-t-il avec le non-croyant ? . . . Car nous sommes le temple du D ieu vivant, comme D ieu l 'a di t : J ' habiterai et je marcherai au milieu d'eux ; je serai leur Dieu et i l s seront mon peuple. » (2 Co 6: 1 5- 1 6).

VI. La suffisance de ! ' Écriture

Cet enseignement du « combat spirituel » nie la suffisance de ( ' Ecriture et ceci pour quatre raisons principales. Pour commencer, bien que les adeptes du mouvement tentent de fonder leurs théories sur ! ' Ecriture, leurs prémisses - à savoir que le chrétien peut ê tre habité, contrôlé, asservi par les dé­mons - ne s 'appuient pas sur un passage net et clair. Cet en­seignement doit donc être plaqué sur ! ' Ecriture, car il ne se trouve pas dans la B ible. Pour ce faire, on part d 'expériences personnel les et on en tire des conclusions logiques. (A vrai dire, leur manière d ' ut i l iser ! ' Ecriture est plutôt hasardeuse, correspond à une exégèse capricieuse et à l 'emploi de textes hors contexte, etc . ) Ainsi, ce n 'est plus ! 'Ecriture qui fait auto­rité, mais plutôt l 'expérience personnel le .

Fred Dickason expose cette manière de procéder dans son livre intitulé La possession démoniaque et le chrétien5• Après avoir sondé la Bible et la théologie sans y trouver de preuves concluantes pour l 'un ou l 'autre argument, il se tourne vers l 'expérience et la raison, ut i l isant des méthodes cl iniques et des études de cas. A partir de là , i l tire la conclusion que les chrétiens peuvent être démonisés. B ien sûr, cette procédure,

5. F. Dickason, Demon Possession and the Christian (Chicago : Moody Press, 1 987). 1 27. 1 47s. 340.

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qui ne repose pas sur des principes herméneutiques sol ides, ne permet pas de découvrir la vérité. En recourant à cette métho­dologie pour appuyer sa théorie, i l a, selon Lloyd Jones, « ca­pi tu lé devant les phénomènes », leur permettant de fixer sa doctrine (comme font tous ceux qui avancent que le chrétien peut être contrôlé par des démons). li s 'agit là d ' une erreur sé­rieuse : « Le chrétien devrait plutôt chercher à interpréter les faits à la lumière de ! ' Ecriture. l i ne devrait pas permettre aux phénomènes de déterminer ce q u ' i l croit »6•

B .B . Warfield le dit de manière lapidaire :

« La vraie question, en un mot, est une question non pas nouvel le.

mais permanente : le fondement de notre doctrine est-il ce qu 'en­seigne la Bible ou ce qu'enseignent les hommes? »'.

En deuxième l ieu, les défenseurs de cet enseignement re­connaissent que ! ' Ecriture n 'est pas claire et q u ' i ls sont loin de comprendre tout ce q u ' i ls font. Cependant, leur souci n ' est pas de chercher la vérité dans les Ecritures, mais de « conti­nuer à expérimenter des méthodes différentes, pour découvrir ce qu i marche ; si ça marche, c 'est que c ' est vrai » . L'ex­périence est donc devenue source de vérité. Frederick Leahy conclut, à juste t itre, que si on accepte comme norme de vérité le fait qu ' i l s 'est passé quelque chose, il faut aussi reconnaître les expériences bien réel les, e l les auss i , des adeptes de la Science Chrét ienne, du S p i ri t i sme et même des H i ndous . Pourtant, d 'après le Psaume 1 1 9 : 1 60 : « Le princi pe de ta pa­role est la vérité, et toute ordonnance de ta just ice est éter­nelle.» La Parole de Dieu est la vérité, non pas ce qui marche. Si la B ible n 'enseigne pas q u 'une chose est vraie, ne la consi­dérons pas comme tel le .

En troisième l ieu, l 'exorcisme et la dél ivrance doivent obl i ­gato i rement se fa i re d ' un e certaine man i ère s i non ça ne marche pas. Les méthodes ut i l i sées ne sont pas basées sur un enseignement t i ré de ! ' Ecriture. E l les « marchent » , d i t-on, parce que certains mots (tels que « Jésus ») sont prononcés d ' une certaine manière. A l 'évidence, cela n ' est pas bibl ique .

6. F. Leahy, Satan l'aincu el chassé (Chalon s/ Saône : Europresse. 1 99 1 ), ch. 9 el l O. 7. B . B . Warfield , The Inspiration and A urhoriry of rhe Bible ( P h i l l i psburg :

Presbyterian and Reformed. 1 948). 226.

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_______________ Des chrétiens possédés ?

En fait , c 'est peut-être là une manière d 'enfreindre le troi­sième commandeme n t : « Tu ne prendras pas le nom de l ' Eternel ton Dieu en vain » (Ex 20:7) .

I l es t important de se rappeler que l a Loi a été donnée par Dieu à un peuple idolâtre qui avait vécu et qui al lait vivre parmi des nations idolâtres. L'expression « prendre en vain »

recouvre les idées de mensonge, fausseté, vanité ou vacuité, et dans plusieurs passages de l ' Ancien Testament, e l le est uti l i­sée pour parler de l ' idolâtrie ou des mensonges inuti les, vains et méchants des idoles et de l ' idolâtrie. Dans la Loi, e l le est ut i l isée pour évoquer le mauvais usage du Nom, d ' une ma­nière fausse, abusive et profane. Les rel igions idolâtres, à cette époque-là et encore maintenant, se servent de mots et de noms part icu l iers (des noms de pouvoir, comme on di t ) pour se concil ier les dieux.

Ces mots font partie des formules, incantations et rites, et sont encore en usage dans les rel igions animistes, tel les l 'hin­douisme et ses sectes ( les Hari Krishna répètent le nom de leur seigneur in lassablement pour être purifiés et éc lairés) . Les adeptes du « combat spirituel » qui insistent pour que le nom de Jésus soit prononcé à voix haute, afin que la dél i­vrance intervienne, courent le risque d 'employer le nom de Jésus de manière vaine, abusive et profane, comme si ce nom avait un pouvoir ou était un mot magique. ( Les fi ls de Scéva, en Actes 1 9, en ont fait autant, et i ls ont été attaqués par les démons. ) I l y a là une grave erreur, étant donné la sainteté ma­jestueuse du « nom qui est au-dessus de tout nom » et à la ment ion duquel « tout genou fléch i ra . . . et toute l angue confessera que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » ( Ph 2 :9- 1 1 ).

En dernier l ieu, les défenseurs de ces méthodes du « com­bat spirituel » affirment prendre comme modèle le ministère du Christ. I l s croient que, selon Matthieu 28: 1 8, les chrétiens ont reçu l ' autorité du Christ et peuvent donc faire ce que Christ a fait . Tout ce que cette affirmation impl ique ne peut être examiné dans ce trop bref article. Il importe, cependant, de dire que leur interprétation de ce verset est erronée. Jésus n ' a conféré son autorité à qui que ce soit, ni dans ce texte, ni

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES T. Austin

dans aucun autre. Nous travai l lons comme ses serviteurs, sous son autorité, selon sa volonté. Aussi prendre pour modèle le m i n i s tère du Chr is t e s t u n e man ière abus ive d ' u t i l i ser l ' Ecriture . Les miracles accompl is par Jésus ne constituent pas la total i té de notre doctrine ou de la vérité. Nous devons prendre tout le conse i l de Dieu, la B ible, pour notre norme en matière de foi et de vie. I l ne convient ni de sortir les textes bibl iques de leur contexte, ni d ' ignorer certains textes, ni de faire dire à des textes ce que nous voulons qu ' i l s d isent.

I l s devrait être évident, à partir de l ' analyse précédente que, pour les défenseurs du « combat spirituel » l ' Ecriture, en tant que corpus doctrinal, ne donne pas un enseignement suffisant à ce sujet et ne constitue pas non plus une autorité pour la vie pratique. Pourtant, depuis la fermeture du Canon, les chrétiens orthodoxes adhèrent fermement au Sola Scriptura , la doctrine selon laquelle l ' Ecriture seule est la source incontestable de la vérité et de la connaissance. Aussi devons-nous affirmer que c ' est l ' Ecriture et non l 'expérience qui est la seu le norme, l 'autorité u ltime pour la foi et pour la vie.

VII. La responsabil ité du croyant

Cet enseignement erroné sur le combat spirituel amoindrit la responsabi l ité du croyant d 'avoir à anéantir les oeuvres de la chair et à marcher en obéissance au Christ. Il affirme que le chrétien peut avoir, par exemple, un « esprit de concupis­cence» ou un « esprit de dépression » qui doit être exorcisé ou chassé par un tiers, ou même par un groupe de personnes. Ses partisans soutiennent q u ' un chrétien peut se l ivrer à tel ou tel péché au point de se rendre esc lave de Satan. I l s affirment que, dans ce cas, la confession et le repentir ne sont plus effi­caces, ce qui semblerait indiquer que le chrétien ne serait plus responsable de son état . I l est asservi irrémédiablement, l 'Esprit Saint étant, en quelque sorte, neutralisé, et le démon ayant pris le contrôle de la situation.

Cet enseignement est fau x pour deux raisons principales. D 'abord, il n'a aucun support scripturaire. En deuxième l ieu, la Bible indique aux chrétiens ce qu ' i l s ont à faire lorsq u ' i ls

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_____________ Des chrétiens possédés ?

pèchent : confesser leur péché et s 'en repentir, et cela quel le que soit la gravité du péché ou quelle qu 'en soit la fréquence ( 1 Jn l :9) . R ien ne permet de penser que Dieu ne veut pas par­donner ou qu ' i l est incapble de le faire et de rétabl ir une rela­t ion rompue par le péché. La B ible ense igne aux croyants à persévérer et à ne pas se soumettre à l 'emprise de l 'ennemi ( 1 Jn 3 :8- 1 0) ; e l le précise aussi que Dieu veut garder les siens et les préserver du Malin ( l Jn 5: 1 8).

VIII. Une perspective correcte

En conclusion, i l conv ient d 'affirmer avec force qu'un chré­t ien ne peut, en aucun cas, être habité par un démon, asservi ou contrôlé par un démon ou aucun autre être satanique. C 'est là une impo s ib i l i té pour une personne régénérée. Penser autre chose

- abaisse le caractère de Dieu le Père, le Seigneur souve­rain, ce lui qui sanctifie et protège les siens. l i est contraire à

sa personnal ité de permettre à Satan d 'asservir ses enfants ;

- revient à déprécier les effets de l 'expiation effectuée par Christ. Christ a accompli non seulement notre salut et notre glorification, mais aussi notre sanctificat ion ;

- méprise le pouvoir du Saint-Esprit dans la vie du croyant. Le Saint-Esprit habite en nous et nous transforme afin de nous rendre plus semblables à Christ ;

- nie la suffisance de l ' Ecriture . I l est c lair que la B ible n 'enseigne pas cette théorie du « combat spirituel » ; aussi uti­l i ser l ' Ecriture à cet effet est-i l abusif ;

- amoindri t , enfin , la respon abi l ité du croyant. Lorsque nou péchons, nous n 'avons pas à être délivrés des esprits mé­chants, mais à confesser nos péchés et à nous repentir. La res­ponsabi l i té des croyants est de marcher par ! ' Esprit et non d ' accomplir les oeuvres de la chair.

Le chrétien n 'a aucune raison de v ivre dans l ' incerti tude et la crainte au sujet des démons ou des esprits méchants, tapis dans des endroits obscurs et guettant le moment de l ' asservir dès q u ' i l commet un péché. Comme Frederick Leahy le dit :

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES T. Austin

« Le chrétien est en sécurité parce que le Sauveur victorieux ha-bite en lui. li est libéré du pouvoir et du contrôle de Satan ... En ce sens, le chrétien est à jamais hors d'atteinte du Malin . . . Le monde non-croyant est étreint par Satan, tandis que le chrétien est dans les bras du Sauveur. Le chrétien est né de Dieu, le Malin ne peut pas s 'en emparer »8•

Les enseignements récents sur « le combat spirituel » et le min istère de dél ivrance du croyant sont faux , manquent de soutien bibl ique et doivent être rejetés. Tous ceux qui partici­pent au ministère de délivrance auraient intérêt à écouter la re­commandation d 'Edward Gross : « Quiconque est habité par un démon ne peut pas être reconnu comme chrétien »9• Celui qu i est possédé par un démon a besoin de l ' Evangi le , non d 'un exorc isme. Car c 'est l 'Evangile qui est la « puissance de Dieu pour le salut de celu i qui croit » . Tout le reste est tempo­raire et peut être nuisible.

Pour le croyant, Satan est l 'ennemi vaincu . B ien sûr, nous devons cont i n uer à v ivre avec une nature pécheresse et à mener le combat qui en résul te que Paul décrit en Romains 7: 1 4-25 10• C 'est au moyen de notre nature pécheresse que Satan essaie de nous i n fluencer en nous tentant et en nous trompant. Mais le Seigneur nous a donné tout ce dont nous avons besoin pour être forts de sa force toute-puissante et pour tenir fermes contre les ruses du diable. I l nous a donné toutes les armes de Dieu (Ep 6: 1 4- 1 7) . Revêtons-les et résis­tons au M a l i n . Nous sommes l ' Eg l i se du Seigneur Jésus­Christ, son armée v ictorieuse contre laquel le même les portes de l ' enfer ne peuvent pas l ' e mporter. Et dans toutes ces choses, nous sommes plus que vainqueurs par le Christ qui nous a aimés (Rm 8 :37) .

8 . Leahy. ibid. 9. E. Gross. Miracles. Demo11s and Spiritual Warfare (Grand Rapids : Baker, 1 990).

1 67. 10. Ce passage n 'évoque ni le chrétien démonisé. ni le chrétien vaincu et charnel : il

décrit plutôt la lutte et le cri du chrétien normal qui aime son Seigneur et qui s'est engagé

à v ivre pour lu i .

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Page 33: Expériences spirituelles

LA CESSATION DES « DONS EXTRAORDINAIRES »

R ichard B . GAFFIN*

I l est couramment adm is aujourd ' h u i que tous les dons

ment ionnés en Romains 1 2, 1 Corinthiens 1 2 et Ephésiens 4,

ont été donnés à l ' Egl i se pour y être exercés jusqu 'au retour

de Christ. L'idée que certains dons auraient cessé est considé­

rée comme un stratagème misérable en désaccord flagrant

avec l 'enseignement bibl ique, une muti lation, une expl icat ion

a posteriori de la part des Egl ises embarrassées par ! 'absence

de ces dons en leur sein . Pourtant, plusieurs indications dans

! ' e ns e i g nement du Nouveau Te s tament condu isent à l a conclus ion que les dons de prophétie e t des langues étaient

dest inés à disparaître avant le retour de Christ, et que tel est

bien le cas. Dans cet article, ces indications seront analysées,

certaines plus longuement que d 'autres.

1 . La nature temporaire de l 'apostolat

Sans entrer dans le débat théologique sur le rôle d 'apôtre, i l

est permis d ' affirmer que, dans le Nouveau Testament, ce mot

concerne :

* Richard Gaffin est professeur de Théologie Systématique à Westminster Seminary. Philadelphie. Etats-Unis. Le présent article ainsi que le texte. ci-après, consacré à la gué­rison sont extraits de son livre Perspectives on Pemecost ( Phi l lipsburg. N.J. : Presbyterian and Reformed. 1 979) ch. V.

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES �����- R. B. Gaffin

- soit l e représentant d ' une Egl ise part icu l ière, délégué pour une tâche précise' ;

- soit, plus couramment, comme en 1 Corinthiens 1 2 : 28,29 et Ephésiens 4: 1 1 , les apôtres de Christ , c ' est-à-di re un nombre l im i té de personnes (ce nombre restant sujet de débat), appartenant à l a première génération de l 'histoire de l ' Eglise.

Ce caractère temporaire de /'apostolat ressort de plusieurs manières :

1 ) L'apôtre a vu et entendu le Christ ressuscité. C 'est pour­quoi, Paul s'estime qualifié à cause de l 'apparition du Christ qu ' i l a eue sur la route de Darnas2 ;

2) Paul estime qu ' i l est lu i-même le dernier apôtre3 ;

3 ) Les Epîtres pastorales indiquent c lairement que Pau l considère Timothée, autant que quiconque, comme son suc­cesseur personnel . Le ministère évangél ique commencé par Paul doit être repris par Timothée (et par d 'autres). Pourtant, Pau l ne donne jamais le t i tre d 'apôtre à Timothée'.

Malgré l 'aspect unique, voire prééminent de l 'apostolat, Paul le considère comme l ' un ( le premier) des dons accordés à l ' Egl ise5, qui , c 'est évident, ne subsisteront pas tous jus­qu 'au retour de Christ . La disparition d 'un (ou de plusieurs) de ces dons ne porte cependant pas atteinte à l 'autorité et à l 'actual ité de l ' Ecriture Sainte.

De plus, l a distinction entre l ' âge apostolique et l 'âge post­apostol ique n ' est pas imposée au Nouveau Testament ou à ( 'histoi re de l ' Egl ise, mais provient du Nouveau Testament lu i-même. Les Epîtres pastorales, en particul ier, sont écrites

1 . 2 Co 8:23 ; Ph 2:25 ; Ac 1 4:4. 1 4. 2. Jn 1 5:27 ; Ac 1 :8. 22 ; 1 0:4 1 et 1 Co 9: 1 ; 1 5:8s ; cf. Ac 9:3-8 ; 22:6- 1 1 ; 26: 1 2- 1 8. 3. 1 Co l 5:8s : « le dernier de tous . . . le moindre des apôtres . . . (avorton) » ; peut-êlre

aussi : « nous. apôtres. les derniers des hommes »(4:9). où le « nous » semble inclure

Apollos (v.6). mais se limite à Paul. puisque les expériences auxquelles se réfèrent le « nous » dans les versets suivants (9b- l 3) sont mieux comprises si elles sont celles de Paul lui-même.

4. D"après le Nouveau Testament. les mots de ! "expression « succession apostolique » pris dans un sens personnel seraient antinomiques ; c·est « une fois pour toutes » que les apôtres ont exercé leur activité dans !"Eglise.

S. 1 Co l 2:28s ; Ep 4: 1 1.

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La cessation des dons

pour subvenir aux besoins d ' une Eglise post-apostol ique. Par conséquent, la tâche de ceux qui reconnaissent l 'aspect tem­poraire de l 'apostolat consiste à déterminer quels éléments de la v ie de l ' Egl ise, décrits dans Je Nouveau Testament, sont étroitement associés au ministère des apôtres et ont disparu

avec eux, et quels sont ceux qui persistent au cours de la pé­riode post-apostol ique.

Il. Le témoignage apostolique comme fondement

L'activité la plus importante des apôtres est sûrement celle de témoins de Christ. Les apôtres - qual ifiés et fortifiés par le

Christ lui -même - rendent témoignage de sa résurrection en tant qu 'accompl issement de l 'histoire de l 'a l l iance6. Ce témoi­gnage est une interprétation approfondie de la personne et de I 'oeuvre du Christ dont la mort et la résurrection const ituent le

message central de l 'h istoire .

Leur témoignage ne se l im ite donc pas à la proclamation

des faits de l ' Evangi le aux non-croyants. l i présente l 'en­semble de la prédication et de l 'enseignement apostoliques, aussi bien écrit qu 'oral , à savoir rien de moins que « tout le dessein de Dieu » , dévoilé dans ! 'avènement du royaume de Dieu et la révélation du mystère de Christ pour le salut de son peuple et le renouvel lement de la création ent ière7•

C 'est en Ephésiens 2 : 1 9 que se trouve le mieux exposée cette tâche de témoignage. Paul décrit l ' Egl ise de la nouvel le a l l iance comme étant le résultat de l ' action de Dieu entre la résurrection et le retour de ChristK. C 'est ainsi que Paul qual i­fie les apôtres de fondement de l ' Egl ise, dont Christ est la pierre de l ' angle (v.20). I l n ' amoindrit, ni ne renie la personne de Christ et son oeuvre qui sont le seul fondement de l ' Egl ise.

li inclut seulement, dans ce fondement, les apôtres et leur acti­vité, à leur propre place9•

6. Jn 1 5:27 : Ac 1 :8: 1 3: 3 1 : Le 24:48 : Ac 1 :22; 2:32 : 4:33 : 1 0:39-4 1 . 7 . 2 Th 2: 1 5 : Ac 20:25.27 : R m 1 6:25 : 2 Co 5 : 1 7 : Ap 2 1 :5. 8. Cf. 1 P 2:4-8. 9. 1 Co 3 : 1 1 .

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES ____ R. B. Gaffin

L'apport des apôtres à ! ' oeuvre de Christ ne consiste pas à y ajouter quelque chose, mais à lu i rendre témoignage. Selon les termes de ce texte, les apôtres ne sont pas, comme le Christ, la cause de la réconci l iat ion des Ju ifs et des Gent i ls avec Dieu et entre eux (vv. 1 4- 1 6) . lis sont les porte-parole par lesquels le Christ exalté est venu prêcher la pai x et l ' un i té aux J u i fs et aux Gent i ls (v. 1 7 ) L'oeuvre un ique et fondatrice de Christ , c 'est-à-dire sa mort et sa résurrection, est accompagnée du té­moignage un ique et fondateur des apôtres. Ce témoignage est annoncé en Matthieu 1 6: 1 8 , où Jésus qualifie la confession de Pierre (v. 1 6) , représentant les autres apôtres, de pierre sur la­que l le il bât ira son Egl ise.

Les apôtres ne consti tuent pas une partie du fondement de l ' Egl ise en raison de leur priorité chronologique'0 ou de leur nombre déterminé, ou de leur race Uuive). Le but de ce texte est de sou l igner que l ' un i té entre Ju i fs et Genti ls dépend de la pierre de l 'angle, le Christ, qu i , avec les apôtres et les pro­phètes, constitue un seul fondement. Les apôtres ne font partie du fondement qu 'en ra ison de l 'exerc ice de leur fonct ion . Cependant, le caractère de leur témoignage ne peut pas être séparé de leurs personnes. Le choix entre une compréhension personnel le et impersonne l le du fondement est, du point de vue exégét ique, un faux problème. Le fondement est constitué par les apôtres qui témoignent, et par les apôtres qui ont reçu une révélat ion et en parlent" .

l i est important de comprendre que ce fondement est absolu et historique. Il n 'est pas lié aux situations part iculières dans les­quelles l ' Evangi le est annoncé pour la première fois, à n ' importe quel moment et en n ' importe quel l ieu. l i concerne plutôt ce qui a eu l ieu une fois au commencement de l 'histoire de l 'Egl ise, et qui ne se repète pas ; et i l const itue une partie - ceci est vrai pour les apôtres comme pour le Christ - de l ' histoire historico­rédemptive de l 'édification de l ' Egl ise. La période au-delà de cette époque fondatrice ne peut pas perpétuer ce lle-c i comme si le fondement devait être posé à nouveau ; elle est celle de la construction qui doit être élevée sur ce fondement immuable.

1 0. Si c"était le cas. la situation de Paul serait douteuse : cf. 1 Co 1 5:8. 1 1 . Ep 3:5.

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La cessation des dons

La nature fondatrice du témoignage apostolique nous per­met de comprendre l ' égale importance de la « trad i t ion » aposto l i q u e à m a i nten i r, d u « dépôt » à garder selon l es Epîtres pastorales et de la foi qui a été transmise aux saints une fois pour toutes. Cette i nsistance sur l 'autorité absolue du témoignage apostol ique ouvre la voie à l a consti tut ion du Canon du Nouveau Testament 12•

Ill. Le caractère fondateur de la prophétie

Ephésiens 2 :20 associe les « prophètes » aux apôtres dans l 'exercice du témoignage fondateur ou du ministère de la pa­role . L' ident i té de ces prophètes a é té souvent un sujet de débat 13 •

I l est peu probable q u ' i l s 'agisse d 'une référence aux pro­phètes de l 'Ancien Testament pour trois raisons :

- premièrement, le mot « prophètes » devrait précéder cel u i d '« apôtres », s ' i l s 'agissait d' une référence aux prophètes de l ' Ancien Testament ;

- deuxièmement, le contexte d ' Ephésiens 2 : 20 soul igne la nouveauté de la nouve l le a l l iance, qui inclut des Genti ls aussi bien que des Juifs ;

- t ro i s ièmement , on retrouve ce même ordre de mots quelques versets plus lo in (3 :5) où les « prophètes » sont ma­nifestement des membres de l ' Egl ise à laquel le Paul écrit et non pas des personnes vivant sous l ' ancienne al l iance 1•.

Certains croient que les « prophètes » seraient les apôtres :

« les apôtres qui sont aussi des prophètes ». Ceci est gramma­ticalement possible ; les apôtres exercent bien des fonctions prophétiques. Rien n 'exclut catégoriquement ce point de vue. Pourtant p lusieurs considérations obl igent à écarter cette hy-

1 2. 2 Th 2: 1 5 : 3:6 : 1 Tm 6:20 : 2 Tm 1 : 1 4 ; Jd 3 ; cf. 2 P 3: 1 6 dans lequel les lettres tle Paul sonl mises au même niveau que les « autres Ecritures ».

1 3. Selon une opinion encore répandue, ces prophètes seraient ceux de l ' Ancien Testament. L'expression « les apôtres el les prophètes » soul ignerait l 'unité de l 'ancienne el de la nouvelle alliances et marquerait que l 'Eglise csl fondée sur les deux.

14. « Ce mystère .. . n'avait pas été porté à la connaissance des fils des hommes dans les autres générations comme il a été révélé maintenant par ! 'Esprit à ses saints apôtres el prophètes ». Voir Ep 2:20 et 3:5. Cf. Rm 1 1 :25 ; 1 Co 1 5 :5 1 : 1 Th 4: 1 5 ; 1 Co l 4:6.

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES ������- R. B. Gaffin

pothèse15• L'explication la plus probable est que les prophètes mentionnés en 2 :20 et 3 :5 (cf. 4: 1 1 ) sont comme les apôtres : un don du Christ exalté à l ' Eg l i se , mais un don différent . Ainsi il est peu probable que les « apôtres et prophètes » men­t ionnés comme fondement de l ' Egl ise, soient autres que les « apôtres » et « prophètes » q u i servent à son éd i ficat ion (v. 1 2) . En fai t , s i l 'on considère le contexte, leur fonction de témoins-fondateurs est leur apport spécifique à l 'ensemble de ! 'oeuvre d 'édification décrite en Ephésiens 4: 1 1 - 1 6.

Ces obse rvat i o n s sont re n forcées par d ' a u t re s . E n 1 Corinthiens 1 2 :28, le seul autre passage où Pau l mentionne « apôtres et prophètes » ensemble, il les distingue nettement comme consti tuant deux groupes séparés 16• De plus, ce verset est placé dans un contexte semblable à celu i d ' Ephésiens 2-4 ; en 1 Corinthiens 1 2 , Pau l se préoccupe de l ' Eg l i se dans sa global i té ( le corps de Christ) qui est composée de Juifs et de Genti ls (v. 1 3) et équ ipée pour le service. Si Pau l avait eu l ' in­tention d ' identifier les apôtres et les prophètes en Ephésiens 2 : 20 et 3 : 5 , il aurait dû fournir une expl icat ion à ses lecteurs 17 •

Plus révélateur est l 'emploi du pluriel en Ephésiens 2 : 20 et 3 :5 . Les apôtres sont considérés comme un groupe. Ai l leurs, Paul ne désigne jamais les apôtres comme prophètes, ensei­gnants, ou par quelque terme désignant un autre ministère dis­t inct dans l ' Egl ise, car ce la aurai t été source de confusion. Certes, l 'act iv i té prophétique n 'était pas rigoureusement l imi­tée à un seul groupe d ' i ndividus dans l ' Egl ise. Ce don a pu être accordé, de façon temporaire, dans des s ituations particu-

1 5 . Tout d "abord. en Ephésiens 4 : 1 1 où Paul énumère cenains des dons faits à l 'Eglise

par le Christ exalté (v.7). les apôtres représentent un groupe nettement distinct de celui des « prophètes ». (« C'est lui qui a donné les uns comme apôtres. les autres comme pro­phètes. les autres comme évm1gélistes . . . » ). Dans la mesure où ce verset fait partie de l 'ensemble où Paul parle de ! "Eglise en tant que « nouvelle création » et corps de Christ (2: 1 1 - 4: 1 6). i l est fon peu probable qu ïl ait util isé. sans la moindre expl ication. le mot « prophètes » dans deux sens différents. En Ep 4:7- 1 6, Paul souligne l 'hannonie des dons divers que le Christ a donnés à son « corps ».

1 6. « Et Dieu a établi dans ! "Eglise premièrement des apôtres. deux ièmement des pro­phètes, troisièmement des docteurs . . . » : voir aussi la distinction faite en Ap 1 8: 20.

1 7. 1 Tm 2:7 : 2 Tm 1 : 1 1 . Il esl vrai que la ligne de séparation entre cenains des dons n'est pas toujours claire et nette. et que les apôtres ont exercé des fonctions de prophè1es et d'enseignants. Paul lui-même. en tant qu'apôtre. se dit prédicateur et docteur. mais i l ne revendique jamais, ni pour lui. ni pour aucun des apôtres. le titre de « prophète ».

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La cessation des dons

l ières à ceux qui n 'étaient pas prophètes 18• C'est précisément ce que nous voulons démontrer. L'emploi de ce terme dans le l ivre des Actes et dans l 'Apocalypse ainsi que chez Paul, in­dique clairement que le mot « prophète » désigne ceux qui, par l 'exercice fréquent ou régul ier de ce don, constituent un

groupe particulier à !' intérieur de ! 'Eglise, groupe qui se dis­tingue des apôtres, même lorsque ceux-ci exercent des fonc­tions prophétiques. C 'est pourquoi Paul n 'a pas utilisé ce mot de « prophètes » en Ephésiens 2:20 et 3 :5 autrement que dans le sens déjà famil ier à ses lecteurs ; et il poursuit de façon en­core plus nette (Ep 4: 1 1 ) .

Pour ces raisons, nous devons conclure, avec la grande ma­jorité des commentateurs, que les « prophètes » d 'Ephésiens 2:20 et 3 :5 sont ceux du Nouveau Testament et bien distincts des apôtres. Il devient donc évident que ! 'absence, dans ces deux versets, de l 'article défini avant le mot « prophètes » ma­nifeste combien Paul les associe aux apôtres dans l 'activité

fondatrice de l ' Egl ise en tant que témoins du Christ et du « mystère » révélé en lui 19 •

L' incorporation des Gentils dans l ' Eglise, soul ignée par ce passage (surtout en 3 :6) constitue un aspect important du mystère, et seulement un aspect. Le mystère n 'est rien de moins que Christ lu i-même dans toute sa plénitude salva­trice, l ' Evangile dans sa totalité20• Une conclusion majeure de notre étude d ' Ephés iens 2 : 20 est q u e l e s prophètes d u Nouveau Testament, avec les apôtres, constituent l e fonde­ment de l ' Eglise. I ls ont une fonction fondatrice, c 'est-à-dire temporaire, provisoire dans l ' histoire de l ' Eglise, et, selon le desse in de Dieu, ils sont destinés à disparaître, avec les apôtres.

1 8. Ac 1 9:6. 19. L"objeclion selon laquelle la révélation de ce mystère ne serait pas du même ordre

que celle donnée aux prophètes. est basée sur une mauvaise compréhension de ! "ensei­gnement de la prophétie dans le Nouveau Testament ainsi que sur une notion trop l imitée du « mystère ». Le cas précis d' Agabus (Ac 1 1 :20 ; 2 1 : 1 Os) est en faveur, et non ( ' inverse, du caractère fondateur de la prophétie.

20. Col 2:2s ; Ep 6: 19 ; cf Rm l 6:25s.

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES ������ R. B. Gaffin

IV. Arguments pour la cessation de la prophétie

A) Ephésiens 2:20 comme règle d'interprétation

Nous devons reconnaître la portée décisive de la significa­tion de ce passage comme règle d' interprétation. l i a un poids prédominant, sur le plan exégétique, que d'autres traitant de la prophétie, par exemple 1 Corinthiens 1 4, n'ont pas nécessaire­ment. Même si 1 Corinthiens 1 4 évoque des circonstances su­ceptibles de se produire en d'autres Eglises, les détai ls de ce passage l i m itent son appl icat ion préc ise à la s i tuation de Corinthe. L' Epître aux Ephésiens, par contre, était destinée à circuler dans d'autres Eglises que celle d 'Ephèse. Plus impor­tant encore est le fait que le verset 2:20 fasse partie d'un pas­sage qui analyse la nature de ! 'Egl ise en tant qu 'unité, de façon large et globale. Ephésiens 2 :20 considère, de l 'extérieur, l 'édi­fice de l 'Eglise dans son ensemble et marque la place qui y est réservée à la prophétie comme élément fondateur ; 1 Co­rinthiens 1 4 ainsi que d'autres passages considèrent la prophé­tie de l ' intérieur de l 'Eglise, comme l 'un de ses aspects.

Ainsi Ephésiens 2 :20, avec sa perspective large et englo­bante, occupe une place centrale et doit avoir un rôle directeur dans l a com préhen s i o n d e s autre s t e x t e s du N o u veau Testament, aux perspectives plus étroites, concernant la pro­phétie ; tous se réfèrent au même phénomène. Le texte d' Ephésiens 2 :20 recouvre toutes les affirmations du Nouveau Testament relatives à la prophétie.

B) Des prophètes aujourd'hui ?

Une position opposée à la nôtre, tout en admettant la dispa­rition des prophètes en tant que témoins/porteurs de la révéla­tion fondatrice de l ' Eglise, maintient que la prophétie devait continuer et, en fait , continue, dans l ' Egl ise actuel le sous d'autres formes, à l ' image de 1 Corinthiens 1 4.

La réponse à cet argument nous conduit à soul igner l ' im­portance de ce que nous avons déjà dit au sujet d 'Ephési-.:ns 2 :20 et de son « poids » herméneutique. Ce verset a un carac­tère général qui recouvre tous les aspects de la prophétie qui

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est appelée à disparaître. De plus, compte tenu de son carac­tère de révélation, la prophétie ne peut pas faire l 'objet d 'une compréhension dualiste, une partie ayant un caractère cano­nique pour toute l ' Eglise (révélation col lective, inscripturée, détaillant ce qui est nécessaire au salut) et une autre étant ré­servée à des croyants individuels ou à des groupes particul iers (étant « au-delà » de la Bible et traitant de situations, besoins ou soucis particul iers).

Une telle compréhension de la révélation contredit fonda­mentalement ce que la Bible affirme au sujet du caractère his­torique, all ianciel et rédemptif de toute révélation. Dieu ne se révèle pas sur deux plans, publ ic et privé. Tant que la révéla­tion est considérée de façon subjective, comme étant parole de Dieu pour moi en tant qu ' individu, avec toutes les réponses et les éclaircissements dont j 'ai besoin, elle sera l 'objet d'une in­compréhension fondamentale, et considérée comme inadé­quate pour être l ' unique guide de la vie.

Selon le témoignage global de ! ' Ecriture, toute révélation a au moins deux caractéristiques :

1 ) la révélation est l iée à la notion d'alliance. Dieu se révèle en tant que Dieu de l 'alliance. Il ne se révèle pas à n ' importe quel groupe d' individus, mais à son peuple, celui de l 'all iance, dans le but de l 'édifier et de le compléter. Sa révélation est toujours destinée au peuple de l ' alliance, même si sa portée exacte peut varier selon les individus et leurs circonstances ;

2) la révélation est de nature historico-rédemptive. A l 'ex­ception de la courte période qui a précédé la Chute, Dieu se révèle toujours en tant que Rédempteur de son peuple et Sauveur du monde. La révélation est donnée comme un élé­ment composant de l 'oeuvre que Dieu a accomplie, une fois pour toutes, dans l 'histoire en vue du salut de son peuple, le peuple de l 'all iance. La révélation appartient donc, à part en­tière, à l 'histoire de l 'all iance qui atteint son sommet avec les souffrances, la mort et l 'exaltation de Jésus-Christ. Elle rap­porte cette histoire et présente, en particul ier, Christ comme étant l 'accomplissement des promesses. Elle l ' interprète en en faisant ressort ir les impl ications pour que le peuple racheté de l 'all iance vive dans l 'obéissance.

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Puisque la rédemption est u n fait totalement achevé de l 'histoire, et puisque - depuis la Pentecôte - ses implications sont retardées jusqu'au retour de Christ, de nouvelles révéla­tions n'étant plus nécessaires, il n 'y en a plus. La révélation est donc intimement l iée à la notion d'alliance et à la rédemp­tion comme fait historique21 •

C) Des révélations privées

L'Ecriture Sainte ne laisse aucune place à des révélations privées pour des besoins ou des circonstances individuelles. Faire appel aux prophéties d' Agabus pour défendre ce point de vue est particul ièrement mal à propos. En effet, celles-ci entrent manifestement dans le cadre de l 'histoire de l 'alliance. En Actes 1 1 :28, la prophétie a pour objet la consolidation des l iens de communion fraternelle entre Juifs et Genti ls dans l 'Egl ise. La prophétie sert à persuader les Grecs à Antioche (v.27, cf v.20) de faire une col lecte pour les frères Juifs en proie à la famine en Judée (v.29). Autrement dit, elle est di­rectement l iée à un aspect important du mystère révélé en Christ. En Actes 2 1 : 1 Os, la prophétie a trait au déploiement du ministère apostolique de Paul auprès des Gentils. D 'une façon générale, la prophétie se rapporte à des « mystères »

qui, chez Paul, sont toujours de nature historico-rédemptive22•

2 1 . Certes, les Ecritures fournissent de mulliples exemples où la révélation s'adresse de façon personnelle à des individus. De même, celle-ci vise nos circonstances indivi­duelles, car el le est « une lampe à nos pieds et une lumière sur notre sentier »

(Ps 1 1 9: 1 05). Mais elle n'est cela que parce qu'elle est liée au déroulement de l 'histoire de l 'alliance jusqu'à son point culminant en Christ, lorsque « les temps furent ac­complis » (Ga 4:4 ). Elle est la révélation donnée aux pères par les prophètes et finale­ment, « en ces jours qui sont les derniers ». à nous par le Fils avec les apôtres et les autres (« ceux qui l 'ont entendu » : Hé 1 : 1 ; 2:3). La révélation n'est l 'autorité el le guide pour nos vies que dans la mesure où elle n'est rien de moins que « toutes choses », « toute la vérité » révélée aux apôtres et aux autres pour nous (Jn 1 4:26 ; 1 5 : 1 5 ; 1 6: 1 3). Elle nous parle de « vérité » : des choses de Christ (Jn 1 6: 14) ; de la vérité qu'il est, parole de Dieu

( 1 : 1 ). dite une fois pour toutes. De même, le salut, sujet central de la révélation, n'est pas limité à un aspect particu­

lier de la vie, ni même au coeur de notre existence ; i l affecte tout. I l n 'y a pas de place dans la vie du chrétien pour une révélation qui ne serait pas liée avec, ou qui irait « au­

delà » de ce qui est nécessaire pour le salut dans toute sa plénitude selon l 'alliance. 22. Cf. Ep 3:6 ; Ac 20:23 ; 1 Co 1 3:2.

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D) La prophétie et le Canon

Etroitement l ié à ce qui précède, se trouve le problème de la relation entre la prophétie et le Canon du Nouveau Testament. La période apostolique, fondatrice de l ' Eglise, est une époque où le Canon est ouvert, c 'est-à-dire au cours de laquelle le Canon de la nouvelle alliance est en formation. La prophétie est un des principaux éléments de la révélation verbale don­née pendant cette période. Et ceci de deux manières :

- en offrant ce qui sera éventuellement reconnu comme ca­nonique (par exemple, le l ivre de l 'Apocalypse) ;

- en répondant aux besoins de l ' Eglise l iés à sa situation spéciale, celle d 'une Eglise ne disposant que d'un Canon in­complet.

Cette même distinction s'applique au ministère des apôtres. Certes, plusieurs d 'entre eux, notamment Paul, ont écrit des textes, qui ont le statut de révélation en vue de l 'édification de l 'Egl ise, et qui constituent une partie du Canon nouveau. Mais la majorité des apôtres, comme les prophètes, ne formulent que des révélations destinées à l ' Eglise de leur temps, celui de sa fondation. A ce sujet, deux remarques s ' imposent :

1 ) I l est important de reconnaître la distinction qui existe entre le Canon et une révélat ion insp irée, même écri te . L'inspiration est une condition nécessaire, mais non suffisante de la canonicité. Ainsi Paul fait référence, en 1 Corinthiens 5 :9, à une lettre antérieure, dans laquelle il ordonnait que sa lettre aux Colossiens soit échangée avec cel le qu ' i l avait adressée sans doute aux Laodiciens23• Ces lettres sont placées au même niveau que les autres écrits canoniques, ayant la même autorité. Ceci montre qu 'à l 'époque des apôtres, la révélation faisant au­torité est plus vaste que ce qui est finalement inclus dans le Canon de ! 'Eglise. Ceci montre aussi le caractère spécieux des arguments selon lesquels les révélations des prophètes men­tionnées en l Corinthiens 1 4 n'ont pas eu la pleine autorité de Parole de Dieu, puisque justement elles ne sont pas dans le Canon du Nouveau Testament. En fait, il y a eu remplacement

23. De même Col 4: 16 el Ph 3: 1 fonc peut-être allusion à une lettre antérieure adres­sée aux Philippiens.

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d'une situation par une autre : dans un premier temps, le nou­veau « Canon » de l 'Eglise est l 'ensemble de la Parole de Dieu dite et écrite par les apôtres et les prophètes ( s ' ajoutant à l 'Ancien Testament) ; puis, au-delà de l 'époque des apôtres, le Canon est constitué définitivement par vingt-sept l ivres.

2) I l est également important de bien comprendre que ! 'Eglise, pendant la période fondatrice des apôtres et des pro­phètes, ne bénéficie pas d ' une Ecriture « suffisante » . Cela est d 'autant plus évident si on considère les impl ications énormes du salut en Christ pour la vie et le comportement de l 'Eglise. La comparaison avec l ' Egl ise d'aujourd'hui est, à cet égard, éclairante. A ! 'époque où Paul écrit 1 Corinthiens, ses lecteurs n'ont accès ni aux quatre Evangi les, par exemple, avec tout ce qu' i ls apportent - dans leur diversité - sur le ministère de Jésus et la formation des disciples, ni à la perspective si éclai­rante de ! 'histoire de l 'Eglise selon les Actes, ni à ! 'Epître aux Romains avec sa présentation magistrale de l ' Evangile, ni aux Epîtres écrites en prison, ni à l 'épître aux Hébreux ou à I 'Apocalypse. Nous devons nous demander si nous compre­nons vraiment l ' avantage profond qui est le nôtre de posséder le texte complet de la Parole de Dieu.

Quoi qu ' i l en soit, l ' idée que la prophétie puisse continuer, au-delà de la période fondatrice de l 'Eglise, au fil des généra­tions, ne peut que s ' inscrire en tension avec celle qui recon­naît le caractère achevé et complet du Canon apostol ique. Une telle continuation écarte, en fait, l ' idée d 'un canon réel lement complet. Elle autorise, au mieux, l 'existence d'un « canon »

dont l ' autorité, tout en étant réelle, ne serait que relative, puisque des révélations nouvelles devraient s'y ajouter, ce qui est exclu , comme nous avons essayé de le montrer, étant donné le caractère d'al l iance de toute révélation, selon l 'en­seignement de ! 'Ecriture.

E) Les apôtres comme source

Ephésiens 2 : 20, en assoc iant étroitement prophètes et apôtres , obl ige à nuancer que l que peu nos idées sur les apôtres et leur rôle . D ' un côté, les apôtres sont des « sur-

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doués », qui exercent la plupart, sinon l 'ensemble, des dons énumérés en Romains 1 2, 1 Corinthiens 1 2 et Ephésiens 4 ; ceci justifie que la période de fondation de l ' Eglise soit quali­fiée d 'âge apostolique. De l 'autre, il existe des personnes, comme les prophètes, qui sont associées aux apôtres et parta­gent avec eux un ou plusieurs dons.

Dans l 'ensemble, il apparaît que l ' apostolat est le centre ou la source, dans l ' Eglise, des dons accordés, pendant cette pé­riode, par le Christ exalté. Certains dons, apparemment plus frappants ou spectaculaires (comme celui des langues) sont appelés des « signes distinctifs de l ' apôtre ». Les dons de l 'Esprit distribués par Dieu selon sa volonté corroborent Je té­moignage rendu au salut qui est en Christ par les témoins-au­ditifs que sont les apôtres2•. Pourtant, chacun de ces dons, à l 'exception de l 'apostolat, est exercé par d ' autres que les apôtres. La raison pour laquelle ces dons peuvent être quali­fiés d'apostoliques, même chez ces autres, tient au fait que leur présence est étroitement liée à la présence et à l 'exercice vivant de l 'apostolat dans l ' Eglise25•

V. La cessation des langues

Nous sommes désormais en position de tirer une conclusion en ce qui concerne la cessation des langues. Dans le Nouveau Testament, les langues sont toujours intimement associées à la prophétie, dont elles assument, lorsqu'i l y a interprétation, la même fonction en tant que révélation divine pour édifier les autres. En fait, les langues sont une sorte de prophétie. Comme el le, el les contribuent au fondement de l ' Egl ise. Ainsi, les langues sont retirées de la vie de l 'Egl ise, avec la prophétie, et tous les autres dons liés à la présence des apôtres dans l 'Eglise.

24. 2 Co 1 2 : 1 2 ; cf. « ceux qui ont entendu » : Hé 2:3s.

25. Ac 2 ; 8 : 1 4- 1 9 ; I 0:44 ; 1 9:6. Ceci dit. i l faut éviter d'établir un lien trop formel ou mécanique .ntre les apôtres et les dons. comme si ceux-ci n 'avaient été accordés que

sur la décision d'un apôtre ou par l ' imposition de mains apostoliques. Le Nouveau Testament n'autorise pas une telle conclusion même si, dans le livre des Actes, du moins, l 'octroi de dons manifestes se produit toujours en la présence ou avec l 'approbation d'un apôtre. La situation correspond plutôt à une distribution systématique de dons effectuée par le Christ exalté, à la vue des apôtres qui. à cette époque fondatrice, sont les membres qui exercent une fonction centrale et vitale pour l 'Eglise.

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Cette conclusion est la suite logique de ce qui a été exposé précédemment. Elle n 'est pas contredite par ce que l 'on sait de l 'histoire de l 'Eglise des premiers siècles26• l Corinthiens 1 4 :20-25, que nous avons largement ignoré jusqu 'à présent, peut être évoqué pour appuyer la conclusion que les langues ont cessé.

Ce texte contient nombre de difficultés qui, cela n'a rien d 'étonnant, ont reçu des interprétations diverses tout au long de l 'histoire de l ' Egl ise. Même aujourd'hui, il n ' y a pas de consensus sur la pensée exacte de l 'apôtre. Un problème im­portant est ce l u i de l ' u sage que fai t Pau l de l ' A n c i e n Testament (Es 28: 1 l , 1 2b) a u verset 2 1 27•

Quelle compréhension Paul avait-il de ces versets ? Selon le contexte, Esaïe 28: 1 1 est, semble-t-il, une prophétie énon­çant les paroles étranges et mystérieuses qui seront entendues en Juda à cause du refus obstiné du peuple d 'écouter le mes­sage clair de Dieu - message de repos pour les fatigués -résumé et rappelé au verset l 2a. Habituellement, on voit l ' ac­complissement immédiat de cette prophétie dans la langue des envahisseurs étrangers (Assyriens et Babyloniens) qui ont été les instruments du jugement de Dieu contre Juda à cause de son apostasie28, exécutant la malédiction de l 'all iance pronon­cée en Deutéronome 28:49. Mais Paul semble suggérer que le message de repos du verset 1 2a (omis dans sa citation) est le contenu même du discours des étrangers qui, faute d 'avoir été écouté, entraînera le jugement et la destruction prophétisés au verset I 3b.

Une autre question concerne l ' identité de l 'auditeur qui ne comprend pas, évoqué aux versets 23, 24. Quel sens faut-il don-

26. Les données disponibles antérieures au 4e siècle, comme Marc l 6: 1 7 (un texte deuléro-canonique) et Contre les Hérésies d" lrénée (V.vi. I ), sonl trop isolées et obscures pour être décisives. De plus, il est impossible sur le plan exégétique de diviser les fonc­

tions des langues. comme celles des prophéties. en deux catégories - celles qui cessent et celles qui continuent au-delà de l'époque apostolique. La question du Canon el de sa clô­ture est inévitablement soulevée pour les langues el leur continuation.

27. Il y a divergence entre le texte des Massorètes et la LXX . qui esl le plus souvent citée par les auteurs du Nouveau Testament. Ceci vient peul-être du fait que Paul cite un autre texte que nous ne connaissons pas, ou parce qu'i l y donne sa propre interprétation

du passage. 28. Es 33: 1 9 ; Jé 5:5 1 .

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ner au mot grec (idiotès) ? Ce mot suggère-t-i l une description plus élaborée des « non-croyants » ou conceme-t-il un groupe distinct à la fois de ceux-ci et des membres de la congrégation ? Face à ces difficultés, i l est particulièrement important de bien préciser les points qui sont clairs et de vei l ler à ne pas les obs­curcir en insistant sur ce qui ne l 'est pas .

Pour commencer, i l fa ut rep l acer le pass age dans l e contexte plus large d u chapitre. Paul poursuit son propos sur la place des langues dans la louange publ ique, surtout par rap­port à la prophétie. Jusque-là, i l a démontré, de plusieurs ma­nières, que les langues non-i nterprétées n 'ont pas de place dans la louange publ ique, parce que les autres dans l ' assem­blée ne comprennent pas et qu 'ainsi le corps n'est pas édifié. Maintenant, avant de fixer la place à accorder à la prophétie et aux langues dans le culte public (vv.26ss) , i l considère les non-croyants qui ne sont pas membres de la congrégation. l i fait appel à l ' Ancien Testament et met en contraste le cas (hy­pothét ique) où toute l 'assemblée parlerait en langues (non-in­terprétées ) avec celui d ' une assemblée où tous prophétise­raient. Ces versets fourni sent l ' indication la plus expl icite de tout le chapitre au sujet de la raison d'être des langues.

Les langues, dit Paul , sont un signe pour les non-croyants (v.22a). S ' agit-i l , ici, de la correction d 'une fausse notion des chrétiens corinthiens ? Quoi qu ' i l en soit, la signification q u ' i l at tribue a u x langues comme s igne pour l e s non-croyants est manifestement négative. Les langues sont un signe contre eux :

1 ) Ceci se voit dans l ' uti l isation qu ' i l fait d ' Esaïe 28: 1 l s pour soul igner le caractère de signes qu 'ont les langues. C'est, en effet, dans le contexte d 'un jugement de Dieu contre Juda à cause de son apostasie et de son incrédul ité, qu'un discours in intel l igible sera pronrmcé ;

2 ) Ceci e voit également aux versets 23-25 où Paul dénie tout rôle posit if aux langues, notamment pour l 'évangél isa­tion. La prophétie et non le parler en langues attire les non­croyants à l ' Evangi le et les gagne au Christ. Le parler en langues les indisposent et les induit en erreur ( « vou s êtes fous ») ;

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3) Enfin, le ton solennel du propos introductif de Paul (v.20) - si souvent négligé - marque bien son intention de dire quelque chose de grave au sujet des langues, qui exige sagesse et maturité de la part de ses lecteurs.

Paul enseigne donc que les langues sont un signe du juge­ment de Dieu. Surtout lorsqu'el les sont inintell igibles (c'est-à­dire lorsqu' i l n 'y a pas d ' interprétat ion) , el les constituent une accusation contre les non-croyants. El les manifestent le rejet par Dieu de ceux qui l 'ont rejeté à cause de leur incrédul i té qui se trouve ainsi confirmée. El les indiquent que Dieu se dé­tourne de ceux qui ont méprisé le message clair et compréhen­sible de l ' Evangile. C 'est pourquoi Paul , tout en sou lignant cet aspect du don (v.2 l s) , avert i t contre son uti l isation en pré­sence des non-croyants : le parler en langues sans interpréta­tion ne peut que les endurcir dans leur refus de l ' Evangi le (v.23) . Aussi les croyants sains d'esprit (v.20) ne doivent-ils pas provoquer cet endurcissement chez les personnes qui re­cherchent quelque chose dans leurs assemblées. C 'est pour­quoi l 'exerc ice du parler en langues doit s 'effectuer avec ordre, dan le culte public, et toujours être suivi d 'une inter­prétation (v.27) .

Le souci de Paul est de bien avertir ceux qui parlent en langues sur ce que cela impl ique, surtout lorsqu ' i ls le font en publ ic (comme il se doit ) . Le caractère ou le rôle du parler en langues, en tant que signe, expl ique la spécificité (apparem­ment gênante) comme moyen de révélation : de même que la Parole de Dieu, les langues sont aussi un signe du jugement de Dieu sur l ' incrédulité.

l i existe des considérations qui conduisent à la conclu ion que Paul fait appel à Esaïe non seulement à titre d'analogie historique, mais bien comme étant une véritable prophétie concernant « ce peuple », c'est-à-dire les Juifs, le peuple de l 'ancienne all iance de Dieu.

Les langues sont /'ultime accomplissement de cette prophé­tie dans la nouvelle alliance. Comme signe pour les non­croyants, el les concernent surtout, mais non exclus ivement, l '/sraël non repenti . Ce point de vue est souvent rejeté comme trop subt i l . Pourtant i l est loin d 'être sans fondements et

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oblige à rester au moins ouvert à la possibi l i té que c 'est bien là, en fait , la pensée de Paul .

A) Un instrument de jugement

Les langues comme les paraboles de Jésus comportent un é lément de mystère . Les paraboles de Jésus sont presque ( 'équivalent des langues en tant que signes de j ugement. Les quatre Evangi les exposent qu 'un des buts de l 'enseignement de Jésus en paraboles est de voiler le sens de ses paroles. Les paraboles sont donc ut i l isées par Jésus comme un instrument de jugement à l ' adresse de ceux qui n 'appart iennent pas au cercle de ses disciples afin de les att irer à la foi ou à les re­pousser et les confirmer dans l ' incrédul ité29• Les Evangi les sy­noptiques accentuent cet aspect négatif. Matthieu rappel le le rôle des paraboles dans les termes et comme accomplissement de la prophétie d ' Esaïe 6:9- 1 0, en la c itant in extenso « afin que tout en regardant bien, i ls ne comprennent pas, de peur qu ' i ls ne se convert issent et qu ' i l ne leur soit pardonné » . Les paraboles du royaume de Dieu en révèlant aux disciples les mystères du royaume déjà présent , et l ' endurci ssement qu 'e l les entraînent, sont eschatolog iques ; el les montrent le rejet final et décisif de Dieu et de son a l l iance30•

Cette fonction di scri mi natoi re et j udiciaire des paraboles est exacte pour celles de Jésus. Endurcir ou renforcer l 'oppo­sition n 'est pas une caractéristique universel le des paraboles. Ce qui est dit des paraboles de Jésus ne s 'appl ique pas ai l leurs dans les Ecritures, ou en dehors d 'e l les. Les prédicateurs de l ' Evangi le ne cherchent pas, aujourd ' h u i , à imiter Jésus en s 'exprimant en paraboles pour que certains « entendant bien, ne comprennent pas » . Cetl� fonction des paraboles de Jésus est une marque dist inctive de son ministère terrestre. E l le est significative du contexte historico-rédempt i f dans lequel « il est venu chez les siens, et les siens ne l 'ont pas reçu »31 • E l le est l iée à la période transi toire entre l 'ancienne al l iance et la

2 9 . Mt 1 3 : 1 0- 1 5 e t parallèles ; Jn 1 0: 2 4 « d i s-nous ou vertemt'll/ • : J n 9: 39 et

Mc 4 : 1 1 . .10. Mc 4: 1 1 - 1 2 : Mt 1 3 : 1 1 . 1 8. 24. 3 1 -33 : 1 2 : 28 .

.1 1 . Jn 1 : 1 1 .

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nouve l le et dernière alliance, période qui débouche sur la fon­dation de l ' Eglise.

8) Israël incrédule

Normalement, les références à l 'Ancien Testament dans le Nouveau Testament ne se l imitent pas simplement aux mots cités, mais incluent leur contexte. Dans la citation d 'Esaïe 28 que fai t Paul , les versets 1 1 et 1 2 font partie du même en­semble que le verset 1 6. La prophétie d'un jugement sur Juda, par l 'usage d 'un langage étranger, est un é lément de la pro­phétie : « Me voici ! J 'ai mis pour fondement en Sion une pierre, une pierre éprouvée, (une pierre) angulaire de prix, so­l idement posée ».

Dans le Nouveau Testament, ce passage est central dans les textes relatifs au fondement de l ' Eglise. Il est cité en 1 Pierre 2:6 (cf. v : 4), et son sens transparaît dans l ' image d' Ephésiens 2 :20. Le Christ, comme fondement de l ' Egl ise, est l 'accom­pl issement de cette prophétie. La même citation se trouve aussi en Romains 9:33 où e l le s 'appl ique au rejet de Christ et de l ' Evangi le par l ' Israël incrédule . Le jugement sur Juda prévu par Esaïe - y compris l ' ut i l isation par Dieu d 'un lan­gage étranger - trouve son accompl issement dans l 'action de placer Christ, les apôtres et les prophètes comme fondement de l ' Eglise. La période de cette activité divine, durant laquelle a été posé, une fois pour toutes, le fondement, est aussi cel le du jugement final contre l ' incréduli té en Sion (que cette acti­vité a suscitée). La même combinaison de facteurs, à savoir la pose de la pierre ( fondement) par Dieu et l ' achoppement des incrédules , se retrouve au Psaume 1 1 8 : 22-23, ainsi q u ' en Esaïe 8: 1 4- 1 5 . Dans le Nouveau Testament, ces passages sont considérés comme accompl is dans le ministère de Christ et dans le rejet des non-croyants, surtout des Juifs32•

Dans cette perspective plus large de la prophétie et de son accompl issement, on comprend que Paul estime, en 1 Co­rinthiens 1 4: 22, que les langues sont le signe du jugement de

32. Mt 2 1 :42 : Le 2:34; Ac 4: 1 1 : Rm 9:32 : 1 P 2:4-8.

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Dieu à l ' inauguration de la nouvelle alliance et à la fondation de l ' Egl ise. Les langues sont le signe qui accompagne cette fondation et qui suscite (surtout chez les Juifs) l ' incrédulité et le jugement eschatologique qui s 'ensui t . Les langues mar­quent l ' accompl i ssement de la prophét i e , confi rmée par Siméon à la naissance de Christ, qui dit que « cet enfant est là pour la chute et le relèvement de beaucoup en Israël et comme un signe qui provoquera la contradiction »33• I l y a un argu­ment qui renforce cette conclusion si l 'on admet - comme le font beaucoup - que les passages cités de l ' Ancien Testament, dont Esaïe 28, font partie d ' une col lection de testimonia uti l i­sée par l ' Egl ise primitive dans son affrontement avec le ju­daïsme.

C) Et les Corinthiens ?

On pourrait objecter que les deux points précédents sous­entendent une compréhension compl iquée du passage, qui n 'est pas perçu par les lecteurs corinthiens de Paul. Mais cette objection tombe si l 'on considère l ' arrière-plan de l ' Eglise de Corinthe. Se lon le l i vre des Actes, l ' oppos i t ion j u ive à l ' Evangile et à Paul , élément permanent et important lors de ses trois voyages missionnaires, était aussi présente à Corinthe qu 'a i l leurs (Ac 1 8 : 1 - 1 7) . Apparemment l ' incrédul i té, ju ive mais pas uniquement, était, à cette époque, une réalité journa­l ière que les lecteurs de Paul connaissaient bien.

Aussi, le point de vue que nous avançons n ' impl ique-t- i l pas que le don des langues était un signe pour les incrédu les ju ifs seulement. 1 Corinthiens 1 4 :22a s ' appl ique à tous les non-croyants . Le fondement de la foi , à savoir le Christ cruci­fié, proclamé par les apôtres n'est pas une pierre d 'achoppe­ment uniquement pour les Ju ifs ; il est aussi fol ie pour les Grecs34• Cependant, il n'en demeure pas moins que c 'est spé­cifiquement l ' incrédul ité juive et son rejet de Christ qui ont déterminé la destruction de l 'ancienne al l iance et la pose du fondement de la nouvel le.

33. Le 2:34.

34. 1 Co 1 : 23.

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES R. B. Ga/fin

D) Conclusion

Si nous avons correctement analysé les intentions de Paul dans ces versets - surtout sa référence à l ' Ancien Testament -, i l est désormais clair que les langues ont été un don tempo­raire, retiré depuis à l ' Eg l i se comme les apôtres et les pro­phètes. De même que d ' autres événements de cette période charnière de ! 'h istoire entre les deux al l iances (qui commence avec la venue du Christ et qui se term ine à la destruction de Jérusalem), les langues marquent que le royaume de Dieu a été enlevé à ! ' I sraël endurci et incrédu le et donné à une nat ion qu i en produi t les fru its15 • De p l u s, i l ne fa ut pas oubl ier, quelle que soit la signification des langues en tant que signe, que Pau l enseigne c l a irement qu 'être un s igne est bien la fonct ion de ce don où qu ' i l soit exercé.

VI. 1 Corinthiens 1 3 :8-1 3

Ce passage, en particul ier le verset 1 0 ( « quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est part iel sera abol i » ), est souvent invoqué pour soutenir l ' idée que les prophéties et les langues continueront dans l ' Egl ise jusqu 'au retour de Christ. Pour cer­tains, il constitue l 'obstacle inébran lable contre l ' idée que les dons auraient cessé.

L'avènement du « parfait » (v. 1 0) et « ! 'alors » de la connais­sance du croyant (v. 1 2 ) se réfèrent, sans aucun doute, au temps du retour de Christ. L'opin ion selon laquel le ce passage décri­rait la période de la clôture du Canon du Nouveau Testament est exégétiquement indéfendable. Si cette opinion est correcte en ce qui concerne le l ien ex istant entre les dons de prophét ie et des langues avec la période de la fondation de l ' Egl ise et de la formation du Canon, il n 'en demeure pas moins vrai que cette interprétation fait violence au texte de Paul .

De même, l a conclusion selon laque l le c e passage ensei ­gnerait l a continuation des prophéties e t des langues j usqu 'au retour de Christ, est également gratuite, car el le s 'appuie sur une lecture du texte, visi blement trop influencée par la con-

35. M1 2 1 :43. cf. Ps 1 1 8:22. Dl 32: 2 1 .

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La cessation des dons

joncture actuel le . Dans les Epîtres pastorales où Paul se pré­occupe de la période post-apostol ique de l ' Egli se, il n 'établ i t pas de dist inctions entre la période présente, apostol ique et fondatrice, e t la période u l térieure . I l envisage p lu tôt l 'en­semble de la période qu i s 'étend jusqu 'au retour de Christ, sans tenir compte des discontinuités éventue l les qu 'el le peut comporter, cherchant à soul igner la qual ité durable de la foi , de l 'espérance e t , surtout, de l ' amour (vv.8, 1 3 ) .

Dan l 'ensemble, le chapi tre 1 3 traite de l ' importance capi­tale de l ' amour dans la v ie du chrét ien ( « la voie par excel­lence », 1 2: 3 1 b ), en le distinguant des divers dons mentionnés au chapitre 1 2 . Le versets 1 -3 opposent l 'amour à l 'exercice dépourvu d ' amour de ces dons. Les versets 4-7 énumèrent certaines des qual i tés parfaites de l ' amour. Au verset 8 , le sujet change et t ra i te , jusqu 'au verset 1 2 , l e thème de la connaissance. L'amour et les dons sont considérés en rapport avec ce thème et leur re lat ion est l iée au contraste entre la connaissance actuel le du croyant et celle q u ' i l aura après le retour de Christ (v.8, « . . . la connaissance . . . sera abolie . . . »; v.9, « car c 'est part ie l lement que nous connaissons »; v. 1 1 , le contraste entre le parler, la pensée et le raisonnement d ' u n adul te e t ceux de l 'enfant; v. 1 2, l e contraste entre la vue au moyen d 'un miroir, de manière confuse, et face à face; entre la connaissance part ie l le et le « comme j 'ai été connu ») . La connaissance actuel le est fragmentée et opaque (vv.9, 1 2) ; la connaissance future sera ent ière, claire et d i recte ( v. 1 2 ) . Le contraste entre le « part ie l » et le « parfait » est d 'ordre qual i ­ficatif et non pas quantitat if - entre ce qui const itue le présent ordre des choses (appelé à disparaître) et ! 'avenir avec sa plé­ni tude.

Dans ce contex te , l e s dons se t rouvent du côté de l a connaissance actuel le e t prov isoire du croyant. Les dons ne consti tuent pas en eux-mêmes un des côtés du contraste, mais i l font partie d 'un ensemble plus large. D 'où l 'affirmat ion spé­cifique du verset 8 ( « que ce soient les prophét ies, el les seront abol ies ; les langues, e l les cesseront ; la connaissance, e l le era abolie ») qui soul igne non seulement la nature temporaire

et prov iso i re de la connaissance présente du croyant, mais

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES ___ __ R. B. Ga.f/in

aussi corrélat ivement comment i l connaît. La prophétie et les langues sont considérées comme des « modes de révélation » l iées à l a conna issance act u e l l e du croyant ( même s i l a connaissance, a u verset 8 , n 'est pas u n troisième don, e n pa­ral lèle avec la prophétie et les langues ). Le desse in de Paul transparaît dans la s impl ification progressive qu ' i l opère de « la prophét ie, des langues et de la connaissance »(v.8) à « la prophétie et à la connaissance » (v.9), et à « la connaissance » tout court (vv. 1 0- 1 2) . Opposé à l 'amour d ' un côté, i l passe des dons de révélation exercés par quelques-uns dans l ' Egl ise à la connaissance actuel le de tous les croyants, connaissance pour laque l le la révélation est fondamentale.

La raison pour laquelle la prophétie et les langues sont signa­lées comme modes de révélation est, sans aucun doute, l iée à la situation à Corinthe replacée dans un cadre plus large, mais aussi à la grande préoccupation de Paul du bon emploi des dons, qui se trouve au chapitre 1 4. Le choix de ces dons doit aussi être évalué à la lumière de notre analyse de 1 3 :8 dans laquel le la re­lation entre l 'amour et le dons est considérée dans le cadre plus large du contraste entre les connaissances actuel le et future : l 'accent n'y est pas mis sur la cessation de certains dons spéci­fiques de révélation, mais sur l ' aspect temporaire et fragmen­taire de notre connaissance présente. Si cette analyse est cor­recte, il est important de remarquer qu 'étant donné son souci de la connaissance actuel le du croyant, Paul aurait pu mentionner l ' inscripturation comme mode de révélation. Nous avons ten­dance à oubl ier que toute la révélation spéciale, y compris les Ecritures (avec leurs perfections : autorité, caractère indispen­sable, suffisance et clarté) , est un « m i roir » pour la v ision confuse de notre ère, une aide temporaire qui disparaîtra (avec les autres éléments de notre connaissance ici-bas) au retour de Christ et lorsque nous verrons « face à face ». La B ible ouverte est un signe pour la congrégat ion qui est un congrégation de pé­lerins, pour l ' Eglise qui est un peuple « en route vers » . . .

Mais l ' inscri pturation a cessé. S i cela es t reconnu, i l est vain de croire que ce passage enseigne la continuation, dans l ' Egl ise jusqu 'au retour du Christ, des modes de révélat ion mentionnés : la prophétie et les langues. Pau l ne cherche pas à

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La cessation des dons

préciser le moment où s 'arrêtera un mode particulier de révé­lation. I l affirme plutôt la fin de la connaissance partiel le et présente, fondée sur des modes temporaires de révélation, lorsque ce qui est « parfait « arrivera. L'époque exacte de la cessation des prophéties et des langues, à partir de ce passage, reste ouverte et devra être déterminée en util isant d 'autres passages et d 'autres considérations.

Avant de quitter ce texte, nous pouvons remarquer briève­ment la portée du débat ci-dessus pour la concl usion expri­mée au verset 1 3 et évoquer la d i fficul té que beaucoup éprouvent en se demandant comment la foi et l 'espérance subsisteront après le retour de Christ . l i est probable q ue Paul ne déc lare pas qu 'elles continueront à fonctionner en quelque manière après le retour de Christ, même si cette opi­nion peut se défendre. Compte tenu de sa méditation précé­dente sur la connaissance, Paul semble pl utôt vouloir dire que la foi , l 'espérance et l ' amour vont « au-delà » de la connaissance actuelle du croyant, dans son aspect de « vue »

(v. l 2a). Ce n 'est pas que ces qual ités soient separées de cette connaissance ou dirigées par quelque principe étranger à la connaissance. C 'est plutôt qu 'elles saisissent et antici pent, d ' une manière autre que notre connaissance actuelle ne peut le faire (quels que soient nos dons spirituels), la perfection de l 'ordre qui sera introduit au retour de Christ. Cet « au­delà » eschatologique, en contraste avec la « vue » actuelle du croyant, est indiqué ail leurs. A noter aussi le contraste entre l 'amour et la connaissance actue l le du croyant - bien ou m a l u t i l i sée - q u i s t r u c t u re t o u t le c h a p i t re 8 d e 1 Corinthiens36•

Conclusion

Comment, en général, pouvons-nous déterminer quelles ac­tivités de ! ' Esprit ont été réservées à la période fondatrice de l ' Egl ise et lesquelles doivent subsister ultérieurement ?

36. Pour la foi, en 2 Corinthiens 5:7 (« nous marchons par la foi el non par la vue ») ; pour l 'espérance, en Romains 8:24,25 (« l 'espérance qu'on voit n'est plus l'espérance », " nous espérons ce que nous ne voyons pas ») ; pour l 'amour et la foi, en 1 Pierre 1 :8 (« vous l'aimez sans l'avoir vu; sans le voir encore, vous croyez en lui »).

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EXPÉRIENCES SPIRITUELLES ������ R. B. Gaffin

La réponse ne consiste pas à établir une distinction quasi­mécanique (dans la l iste des dons de Romains 1 2, 1 Corin­thiens 1 2 et Ephésiens 4) entre les dons extraordinaires qui ont cessé, et ceux qui subsistent, ou, ce qui serait pire, entre les dons surnaturels et naturels.

Une telle approche implique une manipulation incorrecte de ! ' Ecriture. Il est manifeste qu 'en 1 Corinthiens 1 2: 1 2-27 et Romains 1 2:4-5, les dons énumérés sont intrinsèquement liés à leur exercice. I ls font partie intégrante de la situation d'une Eglise v ivante, d ' une situation ecclésiale considérée comme une entité indépendante et, en quelque sorte, dégagée des conditions l iées à son caractère <l 'Eglise post-apostolique.

Dans le cadre global, unifié de la composition du Nouveau Testament, les Epîtres pastorales s 'adressent, principalement, à l ' Egl ise post-apostol ique, se distinguant ainsi des autres lettres importantes de Paul .

Cet équi libre continuité/discontinuité (des situations apos­tolique et post-apostolique de l ' Eglise) se dégage nettement de la perspective des Epîtres pastorales. Les instructions qu'on y trouve concernant la v ie de l ' Eglise et l 'organisation de son ministère fournissent ce qui est nécessaire pour déter­miner quels dons et quels ministères sont destinés à l ' Eglise d 'aujourd'hui. Pour ce qui est des dons verbaux subsistant au­jourd 'hui, le principe directeur est « ! 'Esprit avec la parole » .

Autrement dit , ! ' Esprit agi t pour convaincre et i l luminer conformément à la tradition ou au dépôt apostolique et, éven­tuellement, au Canon achevé37•

37. 2 Th 2: 1 5 ; 3:6 ; 1 Tm 6:20 ; 2 Tm 1 : 1 2, 14.

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QUESTION D'ACTUALITÉ

LA GUÉRISON ·

DEUX APPROCHES

1 . Approche biblico-théologique

Il y a actuellement un grand intérêt pour la question des guérisons et d 'autres dons spectaculaires.

Comment les conclusions de notre étude dans ce numéro influent-elles sur cette question et sur la place de ces dons dans la v ie de l ' Eglise ? La guérison et les dons apparentés se d i st inguent des dons verbaux comme la prophétie et les langues. I ls soulèvent d'autres questions que celles de la révé­lation et de la source de la Parole de Dieu pour l 'Eglise. La conclusion à tirer est que ces dons énumérés en 1 Corinthiens 1 2:9,29 et présents dans les Actes, surtout lorsqu' ils sont exer­cés régul ièrement par un individu, font partie de la structure de l ' Eglise au moment de sa fondation. I ls sont au nombre des « signes des apôtres » au sens large, qui ont disparu de la v ie de l ' Eglise.

Les ministères contemporains de guérison, exercés par ceux qui prétendent avoir ce don sont loin d 'avoir l ' ampleur et la puissance souveraine des miracles de Jésus et des apôtres (Mt 4:23 ; Le 8:43 ; Jn 1 1 :43 ; Ac 5 : 1 5 ; 1 9: 1 1 ). Il n ' y a que les âmes les plus charitables et sans discernement qui puissent admettre que les guérisons actuelles sont les « oeuvres plus grandes » que Jésus a promis à ses disciples d ' accomplir, parce qu ' i l s 'en allait auprès du Père (Jn 1 4 : 1 2). Cette pro­messe se réfère certainement à l 'évangélisation des nations du

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QUESTION D 'ACTUALITÉ

monde, à accomplir après l 'Ascension et la venue du Saint­Esprit (cf. Jn 4:34-38).

Ceci dit, il ne faut surtout pas négliger la volonté et la puis­sance souveraines de Dieu pour guérir les malades aujour­d'hui, particulièrement en réponse à la prière (Je 5 : 1 4, 1 5). I l n 'y a rien dans les Ecritures qui nous permette de nier la réa­l ité des guérisons. Ces interventions de Dieu continuent à tra­vers l 'histoire de l 'Eglise j usqu 'à présent. Il n 'y a pas de rai­son valable pour que les chrétiens aujourd'hui doutent de la possibilité de la guérison, même dans le cas de maladies mé­dicalement sans espoir. Ici encore, notre Dieu « par la puis­sance qui agit en vous peut faire infiniment au-delà de tout ce que nous demandons ou pensons » (Ep 3 :20).

Ayant souligné ce point, il convient de préciser que si Dieu guérit, en effet, des maladies jugées incurables par la méde­cine moderne, cela ne signifie pas pour autant que c 'est sa vo­lonté de guérir toutes les maladies, ou même un grand pour­c e ntage des m a l ades . A u t re m e n t , l a foi p re n drai t u n e importance anormale. C'est elle qui, finalement, constituerait le facteur décisif du succès ou de l 'échec de la lutte contre la maladie. Cette conception ne tient compte ni du .rôle de la ma­ladie dans la vie du croyant, ni du vrai caractère de la foi.

L'expérience de Paul lui-même, racontée en 2 Corinthiens 1 2:7-9, est révélatrice à cet égard. B ien que la nature exacte de « l 'écharde dans la chair » demeure mystérieuse, il s 'agit sûrement d ' une maladie ou d 'une infirmité physique. C 'était sans doute une affection persistante et douloureuse. Cette der­nière particularité est suggérée par l ' image d 'une « écharde » et par la description de ses effets avec le mot « souffleter » . Cette affection est évoquée plus loin comme accomplie par « un ange de Satan », Satan étant à l 'origine de la maladie et de la souffrance (Le 1 3 : 1 6), même si celles-ci sont envoyées ( « données ») par Dieu.

Paul affirme qu' i l a supplié le Seigneur « trois fois » de le débarrasser de cette épreuve. B eaucoup d 'exégètes anciens (dont Calvin) ont compris cette expression « trois foi s » comme une figure de style, signifiant que Paul a prié bien des fois ou longuement à ce sujet. Même s ' i l faut le comprendre

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La guérison : deux approches

littéralement, cette expression ne signifie pas « seulement trois fois », comme si l 'apôtre priait par intermittence ou sans ferveur. On pense i névi tablement à la prière d ' agonie que Jésus a prononcée à trois reprises à Gethsémané (Mt 26:44).

L'expression « trois fois » indique que la prière de Paul a été intense et répétée. Paul a cherché le Seigneur de tout son coeur, afi n d ' être dél ivré de son affect i o n . Pourtant, le Seigneur ne l 'a pas exaucé. Ce refus n 'est pas à attribuer à un manque de foi ou à un autre défaut chez Paul. L'ensemble du texte ne permet pas une telle conclusion. Au contraire, le refus du Seigneur d'accorder cette guérison a eu des raisons posi­tives : c 'est afin que la grâce suffisante du Christ puisse se manifester et que sa puissance s'accomplisse dans la faiblesse de l 'apôtre ; et aussi pour que Paul soit gardé de tout orgueil ou sentiment d 'auto-suffisance (cf. Ga 4: 1 3 où Paul indique que c 'est à cause d ' une maladie qu' i l a prêché l ' Evangile aux Galates pour la première fois).

Cette expérience est certai nement l iée aux révélations uniques qu'il a reçues en tant qu'apôtre (v.7). Néanmoins, il n'y a aucune raison de douter que la fonction de son « écharde dans la chair » est celle d 'un paradigme des souffrances phy­siques dans la v ie de tous les chrétiens.

Des slogans faciles comme « la guérison est pour aujour­d ' h u i » et « Dieu désire que toutes les m aladies soient guéries » tordent l 'enseignement biblique et peuvent ébranler gravement la foi de ceux qui sont déjà éprouvés par la douleur ou la souffrance. La confusion créée par ces idées prive les croyants de l 'une des grandes bénédictions de Dieu pour son peuple lorsqu' i l est dans la détresse, y compris la souffrance physique, à savoir la bénédiction d ' apprendre, au sein de l 'épreuve, ce qu ' a découvert Paul : « Quand je suis faible, c 'est alors que je suis fort » (2 Co 1 2: 1 0) .

R ichard B . GAFFIN

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Page 60: Expériences spirituelles

QUESTION D'ACTUALITÉ

2. La médecine et la guérison d ivine

Quatre idées-force sont l iées à la notion de guérison :

- Dieu participe activement à toute guérison ;

- la guérison doit conduire à la guérison de l 'être tout en-tier, l 'être intérieur tout comme le corps ;

- toute maladie a un aspect spirituel ;

- de temps à autre, Dieu peut court-circuiter les moyens or-dinaires de guérison et faire des choses étonnantes.

A) Dieu participe activement à toute guérison

Quand Jésus était sur la terre, il a eu à faire à des maladies de toutes sortes . Ses d isc ip les ont reçu miss ion de fai re comme lui : « Guérissez les malades, prêchez que le royaume des cieux est proche » (Mt 1 0: 7 ,8) . Il convient d 'éviter de s ' imaginer que la maladie est une punition de Dieu. Jésus n'a jamais infl igé de maladie à quelqu ' un pour le punir. Nul le part, i l n 'est écrit qu' i l a renvoyé chez lui un pécheur en sou­haitant q u ' i l ait une crise cardiaque ou une attaque d ' apo­plexie. La maladie n 'est ni une punition, ni une croix à porter que Dieu envoie pour accroître notre foi. Non, Jésus est celui qui guérit.

Toute maladie, tout chagrin, tout malheur, tout tourment qui accablent ce monde, la cruauté, la misère et l 'oppression qu'on y voit proviennent, directement ou indirectement, de ! 'Ennemi . Dieu désire la santé. I l est venu pour sauver. Sa vic­toire sur le péché, sur la mort et sur Satan a été accomplie à la croix ; elle est attestée par la résurrection du Christ. Dieu est celui qui donne la vie.

B) La guérison doit conduire à la guérison de l 'être tout entier, l 'être intérieur tout comme le corps

Des exemples de cette approche balistique, de cette union entre le sacerdoce de Jésus, le service de l 'autre et la guérison, se trouvent dans les Evangiles. Jésus a commencé par dire à l ' infirme descendu par le toit que ses péchés étaient pardon-

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La guérison : deux approches

nés. Jésus a, d 'abord, demandé au paralytique de la piscine de Béthesda s ' il désirait devenir sain. Jésus n 'a pas laissé partir la femme qui l 'avait touché du milieu de la foule et dont l 'hé­morragie avait été stoppée. B ien qu ' i l ait guéri quelquefois à distance, Jésus établ issait, en général, un contact direct avec les personnes et s 'adressait à chacune d 'elle d ' une manière différente.

Mais ce type d'approche demande du temps et de l 'énergie. Il est coûteux. Jésus savait que la femme l ' avait touché. Pour nous, nous ressentons cette perte d 'énergie lorsque nous nous trouvons confrontés aux problèmes intimes des personnes et à leur complexité. La compassion coûte. Ce coût est l 'un des in­vestissements à faire dès lors qu 'on exerce un ministère de na­ture médicale auprès des malades. I l est plus facile d'ensei­gner la soi-disant science qu'est la médecine que son art ! Or, comme le disait l 'un de mes professeurs, « la médecine est faite de 90 % d 'art et de 1 0 % de science » . Ce n'est pas moins vrai aujourd 'hui, même si les progrès technologiques ont été immenses depuis plus de trente ans. Toute guérison doit impliquer la personne tout entière, y compris son esprit, si l 'on veut que la guérison soit complète.

C) Toute maladie a un aspect spirituel

Cette affirmation découle de la précédente. S i chacun de nous forme un tout, si lorsque j 'ai mal à la tête, je me sens mal en général, si une longue maladie peut mener à la dépres­sion, cela vient de ce que l 'esprit aussi est impliqué. Le trau­matisme émotionnel causé à un enfant à la suite de sévices sexuels peut l 'empêcher, une fois adulte, d 'avoir un comporte­ment sexuel normal et sain.

« Nul homme n 'est une île pour lui-même », a-t-on dit. Et selon le Deutéronome, les enfants souffrent, en effet, des conséquences des péchés commis par leurs parents. Ceci est descriptif et non prescriptif : Dieu ne fai t pas souffrir nos en­fants ; nous, oui. Dieu est venu pour soulager la souffrance, pas pour l ' infl iger.

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QUESTION D'ACTUALITÉ

Considérons les trois derniers chapitres de l 'épître aux Ephésiens . I l s sont très terre à terre. Tout d 'abord, Paul a mené la vie qu' il faut mener. Puis, il évoque les relations avec autrui : en société, à la maison, avec le conjoint, les parents, les enfants, l 'employeur et les employés. Au chapitre 6, il ex­horte à porter l 'armure de Dieu dans la batai l le que nous avons à livrer. Spiritualiser cette bataille en pensant qu 'elle ne s 'applique pas aux questions matérielles, c 'est commettre une erreur. Les deux royaumes sont intimement liés.

Notre lutte est dirigée contre « les esprits du mal dans les lieux célestes » (Ep 6: 1 2). Ceci ne veut pas seulement dire lutte contre l 'orgueil ou tel autre péché, mais aussi résistance contre la souffrance et la maladie. La Bible affirme qu 'i l existe des êtres spirituels mauvais qui exercent une influence perni­cieuse sur l 'homme. C 'est en terme de jalousie paranoïde que nous décririons, aujourd 'hui , l ' attitude de Saül envers David. Les Ecritures font état, à son sujet, d 'un esprit malin ( 1 S 1 9:8- 1 0). D'après les descriptions de l 'Evangile, le dia­gnostic d'épilepsie peut être formulé pour certaines personnes. Ces diverses personnes ont été guéries par le simple fait de chasser les esprits démoniaques. En considérant un malade souffrant de col ite ulcérative, dont la maladie a totalement changé la personnalité, il est aisé de comprendre que l 'on puisse être spirituellement opprimé. Il est aussi impossible de dire que les maladies sont uniquement causées par des démons que d'af­firmer que les démons sont des inventions de l 'imagination.

Un l ivre intitulé Guérison, écrit par un prêtre catholique, distingue trois types de maladie ou malaise :

« Malaise de l 'âme causé par nos propres péchés. Malaise affectif et troubles causés par les blessures affectives dans le passé. Maladie physique causée par un microbe ou un accident, par exemple. Les trois peuvent être causés ou aggravés par l'oppression spirituelle.»

L'auteur suggère de se repentir par la prière dans le premier cas, de prier pour notre guéri on ou la guérison de nos souve­nirs dans le second cas (qui peut inclure le pardon), et de prier pour notre guérison physique dans Je troisième cas. Enfin, il conseille de prier pour que Je Seigneur nous aide dans le cas de maladie accompagnée d ' une oppre ion spirituelle.

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La guérison : deux approches

Les médecins chrétiens ont à être conscients que la guéri­son suppose autre chose que la médecine, la chirurgie ou J 'aide psychoJogique. I ls doivent savoir, en effet, que d 'autres forces sont à l 'oeuvre pour rendre ce monde plus misérable.

D) De temps à autre, Dieu peut court-circuiter les moyens ordinaires de guérison et faire des choses étonnantes

Dans un sens, i l n 'y a rien de miraculeux dans la transfor­mation de l 'eau en vin ! Cela se produit dans chaque vigne, à chaque vendange. Mais, en général, il faut à peu près trois mois à la pluie pour effectuer le trajet du ciel à la terre, puis au raisin et, enfin au vin. Ce qui est inhabituel, c 'est la rapi­dité de la transformation que Jésus a opérée aux noces de Cana (Jn 2). Dieu peut court-circuiter le processus de guérison habituel et il le fait de temps en temps, de façon heureusement imprévisible.

Il y a quelques années, une jeune femme a demandé que l 'on prie pour la guérison de la maladie de l 'utérus dont e l le était atteinte. A ma surprise, ces prières ont été exaucées. Sa guérison ne dépendai t pas, heureusement, de mes conv ic­tions ! Il est difficile à un médecin, qui a l 'habitude de voir des cancers, d 'entendre des souffles au coeur, de s 'affl iger sur J ' irrémédiabilité du S IDA ou de la schizophrénie, d 'envisager autre chose que le triste et inexorable cheminement de la souf­france. Pourtant, il doit apprendre à se reposer en Dieu, et le regarder agir. B ien connaître la pathologie présente un avan­tage. Cela permet de percevoir comment un corps malade se transforme, dans les mains du Seigneur, err tissu sain.

Dieu nous demande de prier dans toutes nos maladies afin qu ' i l nous soutienne dans l 'épreuve ; il est actif dans toute guérison, il guérit et, parfois, il le fait de façon surprenante. Ne le s o u s - e s t i m o n s p a s . Vivons d a n s } ' e s pé rance et louons-le.

David H. BARNHOUSE médecin à Pittsburgh

(Pennsylvanie), Etats-Unis

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Page 64: Expériences spirituelles

NOUS REPOSER EN TOI

Hélas ! Seigneur, nous ne sommes pas dignes que la terre nous soutienne, ni de jeter les yeux au ciel . . .

Mais veuille ne pas détourner ta face de nous ;

regarde avec pitié non pas à nous, mais en ton Fils Jésus-Christ ;

fais-nous ce bien que nous n'allions point à d 'autre dieux qu'à toi,

fais-nous ce bien d'observer ton saint repos en nous reposant de nos œuvres, afin de te laisser besogner en nous.

Amen.

Prière de Pierre Viret ( 1 5 1 1 - 1 57 1 ), dans Prières de tous les temps. la tradition calvi-

11ienne (C.L.D. : Chambray, s.d.), 4 1 . Viret, réformateur proche de Calvin, qui a travaillé

en Suisse et dans le Midi de la France, est connu pour son ouvrage Instruction chrétienne

en la doctrine de la Loi et /' Evangile ( 1 563).

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CARREFOUR THEOLOGIQUE 1 996 DE LA FACULTE LIBRE DE THEOLOGIE

REFORMEE D'AIX-EN-PROVENCE

Il aura lieu du 8 au 1 0 mars et le thème choisi pour cette année est :

Luther et/ou Calvin Parmi les intervenants : les professeurs J. ANSALDI,

F. GONIN, M. LIENHARD, P.E. METZGER, O. M ILLET, G. VAN DE GRAAF

ainsi que les professeurs de la Faculté d ' Aix.

Renseignements et inscriptions à la Faculté : 33 av. Jules-Ferry, 1 3 1 OO Aix-en-Provence. Tél. 42 26 1 3 55 ; Fax 42 93 22 63

AVEZ-VOUS PENSÉ A RENOUVELER

VOTRE ABONNEMENT POUR 1996 ?

Page 65: Expériences spirituelles

UN CAPITAINE DE L 'ÉGLISE

RUBEN SAILLENS ( 1 855- 1 942)

Sa pensée et son œuvre

Ju les-Marcel NICOLE*

Les soixante-huit ans du ministère exceptionnel lement fé­cond et varié de Ruben Sail lens ont pris fin en 1 942. Quel té­moignage reste-t-il de ce labeur inlassable ?

1. Le don l ittéraire

Une oeuvre l ittéraire appréciable par son ampleur, et plus encore par sa qua l i té . S ' i l s ' était consacré tout entier à l ' art comme i l s 'est consacré au serv ice de Jésus-Christ, R. Sai l lens aurait sans doute eu sa place au Parnasse, et son nom figurerait dans les manuels. Cependant, le nombre des personnes qui sauraient ses vers par coeur serait probablement moins grand qu ' i l ne l 'est. Des cent quatre-vingt cantiques qu ' i l a composés, combien figurent toujours, aujourd 'hui, au premier rang des plus populaires parmi le peuple chrétien !

• Le professeur Jules-Marcel Nicole, de l ' Institut Biblique de Nogent-sur-Marne, a été pendant de longues années le collaborateur de Ruben Saillens. Cel article publié dans La Revue de théologie el d' ac1ion évangélique en 1 942, dans un style sans doute de son époque. nous rappelle combien est grand, en Frdllce aujourd'hui, le besoin de voir se lever des ministres de la Parole de la trempe d'un Saillens ou d'un Spurgeon. Les sous­titres ont été ajoutés.

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UN CAPITAINE DE L 'ÉGLISE ______ J.-M. Nicole

Le chantre a quelquefois fait oublier le poète. Or, le can­tique est un genre très spécial où Sail lens a sans doute excellé. Mais le reste de son oeuvre poétique, moins connue, n 'est pas à dédaigner : d 'autant moins que la l ittérature française, si riche à tant d 'égards, est assez pauvre en poésie chrétienne, et très pauvre en poésie d' inspiration protestante. I l serait dési­rable que ces morceaux où l 'émotion la plus noble et la plus touchante s 'exprime dans une belle forme classique soient ré­imprimés; les recueils anciens, A mi-voix, Pour lui seul, étant depuis longtemps épuisés, et beaucoup de pièces n 'ayant paru qu' ici ou là, sur des feuil les volantes. Qui les connaît ?

En prose, i l nous reste quelques ouvrages de théologie, sur lesquels nous reviendrons plus loin. Mais il convient de men­tionner les Récits et allégories, et les Contes du dimanche. L' une de ses nouvel les, Le père Martin, traduite sans nom d'auteur dans une feuille religieuse étrangère, est tombée sous les yeux du romancier russe Tolstoï, qui la jugea si belle qu ' i l en publia, sous son nom, une adaptation à peine modifiée. Un plagiat de ce genre en dit plus long que tous les éloges. Sans doute, les autres nouvelles n'ont-elles pas toutes la valeur du Père Martin , mais dans toutes, il y a de la fantaisie, du charme, joints à un style étonnant de vivacité et de précision.

A ce propos, soulignons que ce bril lant orateur connaissait parfaitement la différence entre le langage écrit et le langage parlé. Dans ses l ivres, il savait éviter la verbosité qui sied au discours ; quand il lui arrivait de lire en public un travail ré­digé d'avance, invariablement il allégeait par quelques adjonc­tions improvisées une matière trop dense pour l 'attention d'un auditoire moyen.

I l . Sail lens avait une vision

Le pasteur Sail lens se distinguait par son esprit d 'entre­prise. Agé de quatre-vingt-six ans, exilé de son domicile habi­tuel, il songeait encore à grouper des élèves pour les former en vue du service évangélique ! I l laisse derrière lui plusieurs oeuvres qui lui doivent leur origine :

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- c'est une Eglise florissante, le Tabernacle de Paris, foyer de lumière dans un quartier populeux de la capitale, et dont l ' influence rayonne sur plusieurs vi l les de banlieue, et jusqu' à l 'étranger, e n Côte d'ivoire ;

- c 'est l ' Institut B ib l ique de Nogent, où de nombreux jeunes gens et jeunes fil les se sont préparés à un ministère qu ' ils exercent à ! 'heure actuelle dans quatre continents.

- c'est ! 'oeuvre des Conventions Chrétiennes en France et en Suisse. La première, celle de Chexbres-Morges, fondée en 1 907, constituait une innovation dans les pays de langue française. Pour la première fois, on voyait des pasteurs et des laïcs des di­verses églises et des assemblées dissidentes collaborer entre eux, et cela sur une base nettement évangélique. Plus tard, à Nîmes, à Lézan, des manifestations analogues furent organisées. La for­mule a fait école. Aujourd'hui, l 'on aurait de la peine à se repré­senter notre protestantisme sans ces rencontres qui contribuent largement au révei l des âmes et au rapprochement des croyants.

Mentionnons encore les Unions de Chrétiens Evangéliques, fi l les des Conventions de Lézan et de Morges. I l n 'est pas né­cessaire de rappeler le rôle que celle de France a joué dans le mouvement de fidél i té qui aboutit au maintien des Eglises Réformées Evangéliques Indépendantes en 1 938.

I l l . L'évangéliste

Chacune de ces oeuvres aurait suffi pour donner à leur or­ganisateur des droits à la reconnaissance du peuple chrétien. Cependant, si uti les qu 'el les aient été et soient encore, les oeuvres ne constituent probablement pas /' oeuvre la plus im­portante de R. Saillens.

Il y a la multitude des âmes qui se sont converties à son appel. On a pu critiquer la méthode des « cartes de décision ».

On n'est pas obligé de se sentir appelé à la pratiquer. Mais nul ne peut nier que le message ait été efficace pour des milliers de personnes. Un évangéliste qui a présidé des missions dans une soixantaine de paroisses en France et en Belgique pouvait rendre ce témoignage qu' i l n 'y en avait guère où il ne rencon­trât quelque fidèle venu à la foi par le ministère de R. Saillens.

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Et combien de chrétiens qui, par son intermédiaire, ont été édifiés, ramenés à la B ible, débarrassés de tel interdit ou de tel le erreur moderniste ! Plusieurs pasteurs ont été orientés dans un sens nouveau après l 'avoir rencontré.

A l 'époque de Saillens, la foi évangélique était bien grave­ment battue en brèche. Honneur à ceux qui ont eu le courage, dans ces temps mauvais au point de vue théologique, de main­tenir la saine doctrine et de la propager. Ils ont opéré la « sou­dure » entre les réveils d'autrefois et la foi évangélique d'au­jourd'hui .

Le secret d'un ministère si fécond est à chercher avant tout dans la grâce souveraine de Dieu. Il appelle qui il veut, pour la tâche qu' i l veut, et départit à chacun les dons comme il lui plaît.

Néanmoins, il y a la part du serviteur, lequel a consacré ses forces sans réserve au Maître, et n 'a reculé devant aucune souffrance, aucun opprobre, lorsque les intérêts du Royaume étaient en jeu. Ajoutons que l 'harmonie d 'une oeuvre variée et vaste comme celle que nous venons de décrire provient d'un solide travail de la pensée, sur lequel il faut maintenant que nous nous arrêtions.

IV. Des capacités extraordinaires

Ce travail a parfois été méconnu, et cela pour diverses rai­sons. D 'abord R . Sai l lens était autodidacte ; il n 'avait pas passé par la filière ordinaire des études supérieures ; et, dans sa grande humilité, il était prompt à déplorer des lacunes dans son instruction. Or, il a vécu dans un siècle hanté par l ' impor­tance des diplômes, où la culture la plus authentique risquait de ne pas être appréciée à sa valeur quand elle était dépourvue de l 'estampil le officielle. Surtout, c ' était Je _temps où une théologie prétendue libérale était seule censée digne d 'empor­ter l ' adhésion d ' un esprit éclairé, où les orthodoxes étaient gratuitement accusés d'être bornés et retardataires.

En réalité, ceux qui ont approché R. Sail lens de près ont pu constater que sa puissance intellectuelle ne le cédait en rien à ses dons oratoires ou l ittéraires.

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Rappelons qu ' i l avait acquis par ses efforts et ses lectures une érudition très supérieure. Peu de professeurs de lycée lu i auraient damé le pion en littérature ; dans sa jeunesse, i l pou­vait réciter des tirades de Victor Hugo pendant des heures ; et jusque dans la blanche vieil lesse, il se tenait au courant de ce que les auteurs contemporains produisaient de meilleur. Or, la littérature touche à tous les sujets et, grâce à son excellente mémoire, il avait accumulé une foule de notions dont il se ser­vait avec une parfaite aisance.

Ses connaissances h istoriques étaient, elles aussi, précises et étendues. Il savait tout ce qui s 'était passé dans les diverses rues de Paris, et rien n 'était plus intéressant que de traverser avec lui la capitale, sauf peut-être de se promener en sa com­pagnie dans les Cévennes.

Il avait une grande curiosité d'esprit ; il était porté à la spé­culation ; par exemple, il n 'aimait rien tant, dans la société de ses amis, que d'épi loguer sur les textes difficiles de la B ible.

Cette hardiesse de la pensée aurait pu devenir dangereuse si el le n 'avait été contrebalancée par une remarquable probité in­tellectuelle. I l faisait le départ entre les hypothèses et les certi­tudes. En chaire, il ne prêchait pas ce qui était problématique ; c 'est ce qui donnait à son message tant d 'autorité. Un de mes amis soul ignait qu ' i l aurait peut-être été malhabile à manier certains outils, mais qu' i l ne parlait jamais de n ' importe quel métier en termes inexacts. Quand il ignorait quelque chose, il l ' avouait sans ambages, mais quand il était affirmatif, c 'est qu' i l était sûr de son fait. On ne se le représente pas en train de bluffer. Aussi ne l 'ai-je guère entendu prononcer sur une question quelle qu 'elle soit un jugement téméraire, formulé sans connaissance de cause.

Son intelligence était prompte. I l saisissait la réalité d 'une manière intuitive, d 'un coup, et ne s 'embarquait pas dans de longues discussions ou des démonstrations fi landreuses. Cela apparaît dans son manuel de dogmatique, Le mystère de la foi, où l 'on chercherait en vain les subtilités théologiques qui plaisent à certains spécialistes (et l 'on peut se demander s ' i l n'entre pas dans ce plaisir un élément de curiosité imperti­nente et profane), mais q u i rebutent les âmes simples et

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pieuses. Dans ses prédications aussi, i l allait droit au but. Son argumentation était toujours aisée à suivre, et par là d 'autant plus convaincante. Il n'était jamais à court d' images sugges­tives. La vivacité de son intuition lui faisait en quelque sorte voir la vérité abstraite et lui permettait de la dépeindre sous une forme colorée et prenante.

Son intelligence alerte se manifestait par des sai l l ies, où, brusquement, l ' idée semblait éclater dans le feu du discours. Il faisait ressortir le caractère absurde de l 'erreur avec un hu­mour tantôt bonhomme, tantôt dramatique, qui rappelait celui des vieux prophètes.

Ajoutons qu ' i l possédait cet attribut éminemment français d 'une tête logique. Parmi les prosateurs, il accordait la préfé­rence à Pascal, dont la rigueur mathématique lu i convenait. I l sentait le l ien organique qui rattache entre eux les divers élé­ments de la révélation ; et cela le rendait absolu sur certains points de doctrine qui sans doute, il le reconnaissait volon­tiers, n 'étaient pas en soi une affaire de salut, mais dont l 'abandon pouvait, de déduction en déduction, compromettre la foi aux vérités essentielles.

V. La centralité de la croix

Ceci nous amène à tenter d'esquisser les grandes l ignes de la pensée de R. Saillens. Elle trouvait son pivot au point cen­tral de l 'Evangile, la rédemption par le sang du Fils unique. Le t itre de son prem ier ouvrage théologique, La croix de Jésus-Christ et l 'évangélisation, est significatif.

Une expérience personnelle profonde lui avait communiqué une vision dramatique de la perdition humaine et de la grâce divine, manifestée au Calvaire. Aussi, c 'est ce thème qu' i l a chanté dans ses plus beaux cantiques, qu' i l a prêché inlassa­blement pendant son long ministère, auquel il revenait sans cesse dans ses exposés doctrinaux . Quand il l 'abordait, son coeur l u i dictait des accents toujours i nédits ; on pouvait l 'avoir entendu v ingt fois, trente fois sur ce sujet, on était em­poigné comme si c 'eût été la première. Je l ' ai entendu dire :

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« Toutes les hérésies proviennent de l 'exagération d'une vérité ; mais je n 'en connais point qui ait exagéré la valeur du sacrifice expiatoire de Jésus-Christ ; car cette valeur ne saurait être exagé­rée.» « De même, disait-il encore, que dans chaque vi llage de France, il y a une route qui mène à Paris, de même, dans chaque verset de la Bible, il y a un chemin qui conduit à la croix.»

C 'est autour de ce pivot que viennent se grouper les traits caractéristiques d'un enseignement théologique simple et ro­buste.

R. Sail lens a laissé le souvenir de quelqu' un qui fut, dans toute l 'acception du terme, un homme de la B ible. Ce n 'est pas qu ' i l eût un respect superstitieux pour la lettre en elle­même. Mais la B ible, c 'est le Livre qui nous fait connaître le Crucifié ; c 'est aussi le Livre que le Sauveur, avant et après sa résurrection, a sanctionné sans réserve. Et par égard pour l 'au­torité du Maître, il était intransigeant sur la question de l ' ins­piration. I l lui fallait, selon une formule qui restera liée à sa mémoire, « le Christ tout entier dans la B ible tout entière » ;

et i l savait que toucher à l 'Ecriture, c'était porter atteinte au Fils de Dieu.

VI. L'unité évangélique

R. Saillens a été le vivant symbole du Réveil au début de ce siècle. A tous ceux qui n 'étaient chrétiens que de nom ou de forme, il a répété la nécessité de la conversion individuelle, du don complet de soi. S ' i l a tenu à ce message, s'il l 'a proclamé avec sévérité et avec tendresse, c 'est qu ' i l y voyait le corol­laire du sacrifice divin, le côté humain de la rédemption.

R. Saillens a été vivement préoccupé par les questions ec­clésiastiques, principalement à la fin de sa v ie. On trouve un écho de ces préoccupations dans son dernier opuscule, qu ' i l a publié à plus de quatre-vi ngts ans, Le mystère de / 'Eglise. C'est qu' i l voyait dans l ' Eglise invisible l 'objet de l 'amour ré­dempteur, dans l 'Eglise locale la messagère de cet amour, la fami lle spirituelle où le racheté doit se développer.

Enfin R. Saillens a travaillé plus qu'un autre au rapproche­ment entre chrétiens évangéliques de toutes dénominations.

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Cet effort pourrait surprendre chez un homme d 'Eglise, atta­ché à certaines formes d 'organisation. Mais il ne surprend pas chez un croyant qui mettait la Croix au-dessus de tout, et qui pouvait communier avec tous ceux qui se réclamaient du Sauveur crucifié et le proclamaient selon la vérité.

Conclusion

A l 'occasion de ses noces d 'or, quelqu'un soulignait que ce ministère exceptionnel avait eu sans doute son côté lumineux, connu du public, des succès, du fruit, des résultats ; mais qu ' i l ne fallait pas oublier l 'autre côté, plus caché, les épreuves, les animosités, les calomnies qui en avaient marqué les étapes. Lorsque le jubilaire fut appelé à prendre la parole, il ajouta qu' i l existait encore un côté à son ministère, et dont on n 'avait pas parlé : celui des chutes, des insuffisances, du travail non fait, ou mal fait ; et que ce côté-là se présentait plus souvent à son esprit que les deux autres.

11 ne faut donc pas avoir l 'air de croire qu' i l n 'y a pas eu d 'ombres au tableau. Cependant, l 'on ne peut que bénir « le Père des lumières », de qui v iennent « toute grâce excellente et tout don parfait », pour l 'oeuvre si féconde, pour la pensée si vraie que nous avons essayé d 'évoquer.

Puisse-t-i l nous rendre, les uns et les autres, fidèles à cette pensée, fidèles au Christ de la Bible, et par là capables de tra­vailler, dans la mesure de nos forces, à la même oeuvre, dans le même esprit.

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DES LIVRES A LIRE

Wolfgang Bühne : La troisième vague ... le plus grand ré­veil de l'histoire de l'Eglise (Genève : La Maison de la Bible/Christliche Literatur- Verbreitung, 1 994)

En Corée, une Eglise de plus de 700 000 membres ; partout sur la planète, de grands « shows » évangéliques réunissant plusieurs mil-1 iers, voire plusieurs dizaines de mil l ier de personnes ; la plus grande tente d'évangélisation du monde (34 000 places) . . . et 35 mil­lions de chrétiens qui se situent, aujourd'hui, dans cette mouvance qu'on désigne sous le nom de « troisième vague » ... voilà de quoi, en effet, susciter l 'examen de cette proposition inscrite en sous-titre du l ivre, et reprise des affirmations des leaders du mouvement : « nous sommes entrés dans le plus grand révei l de l 'histoire de l 'Eglise ».

Wolfgang Bünhe nous propose, tout au long des pages, de mieux connaître et de comprendre ce phénomène, de porter également un regard critique sur l 'enseignement et les pratiques des responsables, et aussi de recevoir quelques interpellations.

Le sujet est important ; toutefois l 'ouvrage n'est pas d'une grande qualité logique et littéraire. Les chapitres sont de proportions trop inégales, les thèmes ne sont pas toujours traités de manière ration­nelle et l 'on doit quelquefois démêler les véritables argumentations des simples opinions de l 'auteur. Le texte originel allemand est tra­duit de manière agréable ; cependant le choix fait par l 'éditeur de ne prendre qu'une partie de ! 'oeuvre d'origine et d'y ajouter quelques chapitres, du même auteur, puisés ail leurs est, sans doute, respon­sable d'une bonne part des nombreuses répétitions des idées, et donc du caractère un peu laborieux de la lecture.

Ceci dit, l 'analyse d'un phénomène aussi diffus n'est pas chose aisée. La « troisième vague » - c'est ainsi que les partisans du mou­vement aiment à définir leur mouvance - se situe dans la perspective du réveil de Pentecôte du début du siècle ( l '" vague) et dans celle du Renouveau charismatique des années 60-70 (2• vague). Autrement dit, nous avons à faire à la « troisième vague du Saint-Esprit », qui puise bien des caractéristiques dans les deux premières, mais qui se spécifie surtout par des manifestations de puissance et, en consé­quence, par une « évangélisation de puissance ».

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LIVRES A LIRE

Pour entrer plus à fond dans la pensée et les pratiques du mouve­ment, Wolfgang Bünhe nous entraîne à la découverte de quatre per­sonnages qui, chacun avec son style propre, ont une influence déter­minante quant au développement et aux orientations de cette « troisième vague ». Il s'agit des Américains Peter Wagner et John Wimber, du Coréen Paul Yonggi Cho et de I' Allemand Reinhard Bonnke.

Missionnaire et membre fondateur du Mouvement de Lausanne, Peter Wagner, autrefois dispensationnaliste et critique du pentecô­tisme, évolue dans les années 70 vers une conception selon laquelle l 'évangélisation classique ne peut réussir tant qu'elle n'est pas ac­compagnée de « signes et de miracles ». Ses recherches et ses nou­velles convictions furent mises en pratique avec succès (il reçut le pouvoir « par la prière, de rallonger les jambes des estropiés ») au sein d'une Eglise traditionnelle, dès les début des années 80.

John Wimber, amené à la foi en 1 962, pratique très tôt le « parler en langue » et fut, pendant un temps, pasteur assistant d'une assem­blée quaker. A la fin des années 70, les réunions de maison qu' i l a créées connaissent une telle affluence qu'i l fonde sa propre Eglise, la « Vineyard Christian Fellowship », qui est complétée, plus tard, par le « Vineyard Ministries International ». Avec sa femme, il fait l 'expérience de « la puissance qui sortait de leurs mains ». Quand ils touchaient les gens, ceux-ci tombaient à la renverse. John Wimber n'a pas vraiment de théologie ; il développe surtout une connais­sance expérimentale du pouvoir de ! 'Esprit, qui lui permet de récu­pérer, dans des audaces oecuméniques, les enseignements d 'un prêtre qui croit au pouvoir de guérison des sacrements et, même, les miracles de Lourdes.

Paul Yonggi Cho, le pasteur de la plus grande Eglise du monde et fondateur du « World Mission Center », se caractérise par des ensei­gnements - que l 'auteur stigmatise sévèrement - sur « la pensée po­sitive », sur « la visualisation » et « la quatrième dimension », ainsi que sur le pouvoir créateur de la parole exprimée. Ces procédés, qui ont pour but de rendre le Christ présent et efficace, ont été suggérés, à Yonggi Cho, par le mil ieu bouddhiste, qu' i l a connu avant sa conversion, ainsi que par les hypothèses d'un neurochirurgien.

Quant à Reinhard Bonnke, issu d'un milieu pentecôtiste, il est as­surément le plus enthousiaste (ou le plus mégalomane ! ) de tous les évangélistes. Il a révélé que le Seigneur lui avait communiqué ces paroles : « Le temps de la faucil le est révolu, voici venu le temps de la moissonneuse-batteuse ». Tout comme pour Yonggi Cho, son

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message rejoint celui de l 'évangile de la prospérité ; et, tout comme Wimber, il est convaincu d'avoir le pouvoir de transmettre des dons spirituels par imposition des mains.

Cette présentation, soutenue par des citations et des exemples, est fort instructive pour qui se reconnaît bien ignorant sur le sujet.

La partie critique, un peu disséminée dans le livre, est d'une in­égale qualité. Toujours très (trop !) brève - ce qui est inévitable, vu la palette de sujets à aborder - elle est souvent ponctuée de récapitu­lations ou de thèses.

- Les pensées et pratiques qui s'apparentent dangereusement au spiritisme sont justement relevées et dénoncées, mais ne font mal­heureusement pas l 'objet d'une réflexion théologique.

- Les quelques lignes sur « le baptême dans l 'Esprit » offrent une approche « historielle » du concept, à l 'opposé des conceptions exis­tentielles, non seulement des cercles pentecôtisants, mais aussi de la large mouvance évangélique à tendance piétiste. Ces dernières sont, néanmoins, rappelées et font l 'objet d'une petite bibliographie.

- La question des signes et miracles, et cel.le concernant les guéri­sons sont abordées de manière convaincante, même si quelques gé­néralisations demanderaient à être nuancées. On relèvera avec inté­rêt l 'argumentation visant à montrer que la guérison n'est pas inclue dans l 'oeuvre expiatoire de la croix.

- Les diverses pratiques d' imposition des mains font également l 'objet d'une recherche biblique, brève mais intéressante.

- Sont évoquées, aussi, les questions touchant à la possession et à l 'exorcisme, de même que les fameuses chutes désignées « repos dans ! 'Esprit » par les adeptes du mouvement.

- Sur « le parler en langue », on regrettera que l 'auteur n'ait pré­senté qu'une thèse qui ne rend justice qu'à un aspect des informa­tions bibliques sur le sujet ; ce qui entraîne à considérer, à tort nous semble-t-il, « le parler en langue » dont il est question dans la B ible comme étant toujours l 'énoncé d'une véritable langue étrangère.

- L'évangile de la prospérité est facilement combattu à l 'aide d'un grand nombre de passages bibliques. Par contre, l 'auteur passe trop rapidement sur le procédé, si en vogue dans le mouvement, de « la tactique spirituel.le ». On aurait souhaité qu'il soit plus théologi­quement et plus solidement examiné.

Ceci dit, on se méprendrait si on considérait cet ouvrage comme une production de nature polémique. Wolfgang Bünhe relève plu­sieurs fois les bonnes intentions, ou les côtés positifs de ces prédica-

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LIVRES A LIRE

teurs de « l 'évangile de puissance ». En réalité, son objectif est double : en premier lieu, bien entendu, il veut mettre en garde le monde évangélique contre cette d,érive possible (d'autant plus que « la troisième vague » se donne justement pour objectif d'amener au « plein évangile » ceux qui, jusque-là, ont résisté à la première et à la deuxième vagues), mais il souhaite également amener le monde évangélique à une prise de conscience de ses propres faiblesses et de son manque de consécration. Selon la logique (contestable quant à son fond !) qui consiste à dire que l ' hérésie apparaît toujours sur le terrain d'une Eglise infidèle ou endormie, il veut interpeller ses lec­teurs en brossant un tableau des faillites particulièrement mises en évidence par la spiritualité et la pratique des réveils charismatiques.

Chacun pourra puiser ce qu'il juge bon dans ce travelling critique sur l 'Eglise d'aujourd'hui, mais à l 'évidence, Wolfgang Bünhe aura atteint son but si chacun est conduit à faire son mea culpa .

Le l ivre se termine par un compte-rendu de la conférence tenue à Nuremberg, du 7 au l 0 novembre 1 99 1 , e n présence de Peter Wagner, du « Mouvement de croi ssance de l ' Egl i se » et d u « Renouveau spirituel de l ' Eglise protestante » .

Daniel BERGÈSE, animateur biblique, Nîmes

Jean Cadier : Le matin vient (Paris : Les Bergers et les Mages, 1 990)

Le livre de Jean Cadier, écrit au soir de sa vie, rapporte des évé­nements qui se sont déroulés au tout début de son ministère, entre 1 923 et 1 938.

Cet ouvrage a la forme d'un simple témoignage, avec l ' aveu des découvertes, des émotions, des échecs ; il a la forme d'un récit avec les anecdotes, les détails pittoresques et la trame des événements ; i l a la forme d ' une chronique avec les dates, les noms de l ieu (Dieulefit, Valdrôme, Crest, Mazamet, Montauban, Genève, . . . ), les noms de personnes (dont beaucoup sont connus).

C'est ainsi que l 'on prend conscience que ce réveil ne s 'est pas passé en Angleterre au siècle dernier ou sur quelque terre lointaine, mais dans la vallée de la Drôme, il y a à peine plus de 60 ans.

Les convaincus et les sceptiques ne pourront être que captivés par ces pages qui conjuguent Réforme et Réveil. C'est une démonstra­tion qui vaut par les fruits qu'elle a portés, dans les vies et dans la

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pertinence des écrits de l 'époque (notamment le mensuel Le matin vient) dont on trouvera de nombreuses citations. Une démonstration qui vaut aussi par le nom de celui qui la rapporte : jeune pasteur « entraîné dans les hypothèses les plus aventureuses de la critique moderne », contraint dès le premier contact avec le réveil « à refaire sa théologie sur le terrain », en priant et en prêchant : « C'est ainsi que je suis devenu calviniste sans le savoir ... », écrit Jean Cadier. Parmi les principaux artisans de « ! 'unité », de 1 933 à 1 938, puis professeur et doyen de la Faculté de Théologie de Montpellier, il sera encore Président de la Société Calviniste de France.

A ! 'heure où, une fois de plus, raison et émotion se font face dans les Eglises, le récit de Jean Cadier rappelle que l 'Evangile n 'est ni raisonneur, ni émotionnel : il est une puissance du Dieu vivant, dès lors que ses affirmations centrales ne sont pas accommodées ou atté­nuées. Proclamation ou appel, les grandes doctrines de la Réforme sont faites pour introduire ou encadrer le réveil venu de Dieu.

Pourquoi cela n'a-t-il plus été le cas après 1 938 ? . . . Pourquoi n 'est-ce pas le cas aujourd'hui ? Ce livre est aussi un appel à se lever.

Charles Nicolas, pasteur à Vauvert

Jean Calvin : L'Harmonle évangélique ' (Aix-en-Provence : Ed. Farel et Kerygma, 4 vol. , 1 995)

On a retrouvé, dans les archives du Gers, le catalogue de la biblio­thèque de l 'abbaye cistercienne de ! ' Etoile, sise à une trentaine de ki­lomètres à l 'est de Poitiers. Aujourd'hui, ce n 'est plus qu'une ruine qu'on essaie de restaurer. On se met à rêver, sur les vestiges d'une vie communautaire disparue et à ce qui s'y lisait. Dans ce catalogue daté de 1 759, on trouve, bien sûr, de vénérables ouvrages théolo­giques en latin et, ô surprise, deux commentaires de L' Harmonie évangélique de Jean Calvin (l 'un en français, l 'autre en latin).

Des moines lisaient donc Calvin ! Pour la polémique sans doute, mais l'abbaye de ! 'Etoile n 'est pas implantée dans une région pro­testante. Et puis L' Institution chrétienne aurait été plus adéquate ; on n'en trouve pas trace dans le catalogue, alors qu'il y a un autre ou­vrage protestant consacré au livre des Actes. Est-ce par polémique

1 . Il s'agit des commentaires, en parall�le et en français modernisé, des Evangiles de Matthieu, Marc et Luc.

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LIVRES A LIRE

ou pour l 'édification que ces moines l isaient Calvin ? Peut-être pour les deux !

Quand je suis sur les ruines de ! 'Etoile, je me mets à rêver à ces moines qui lisaient ce commentaire et me demande dans quels pres­bytères protestants on le fait encore.

Il me paraît rid icule de vouloir comparer un commentaire de Calvin avec un commentaire exégétique moderne : ils n'ont pas le même but. Un commentaire moderne s'intéresse principalement au texte lui-même ; c'est ce qui en fait la richesse et je n'émets aucun jugement de valeur. Les commentaires de Calvin sont d'une autre nature : ils s ' intéressent à la personne du Christ. Bien sûr, Calvin n'est pas et ne sera pas le seul à le faire ; bien des modernes le font et Calvin s'intéresse aussi au texte.

Il suffit, d'ai lleurs, de relire I 'Argument pour s'en convaincre en prenant deux exemples. En premier, Calvin note que le mot Evangile est d'un emploi spécifique : c'est une chose certaine que ces his­toires n'ont point reçu le titre d' Evangile par d'autres que par ceux mêmes qui en sont les auteurs . Le mot désigne un genre littéraire qui ne peut se comparer par ailleurs. En second, il exprime son désaccord avec l ' opinion, courante en son temps et fondée sur Jérôme, selon laquelle Marc ne serait qu'un résumé de Matthieu. Calvin souligne que Marc a une autre façon de traiter les choses. Il rapporte aussi quelques choses que /' autre ( Matthieu) avait omises, et même parfois en rapportant une même chose, il est plus long. Calvin redonne sa place à Marc, ce qu'on fera plus tard.

Calvin n 'est nullement troublé par les apparentes contradictions entre les trois Evangiles. Dans certains cas difficiles, il reconnaît qu'on peut hésiter, et il donne son avis personnel qui peut être dis­cuté. Souvent, on pourrait penser qu'il s'en tire facilement par une sorte de concordisme entre les textes. Mais ce qui domine en Calvin, c'est l ' idée de la cohérence de l ' Ecriture, laquelle est structurée par la personne même du Christ. Un tel commentaire nous raconte Jésus-Christ. Il est une autre forme de l ' Evangile ; il se veut Parole de Dieu au même titre que la prédication.

C'est pourquoi ces commentaires de Calvin gardent toute leur ac­tualité, tout comme certains commentaires des Pères de ! 'Eglise. I ls sont de tous les temps, même si certains ne les trouvent pas scienti­fiques (leur intention n 'est pas la même), même si d'autres trouvent dépassées les attaques contre les papistes et les sorbonnistes (c'est pourtant dans ces passages polémiques que le français Calvin est plein de verve et de saveur).

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Calvin est bien plus qu'un théologien partisan. Il est profondé­ment enraciné dans la tradition de l ' Eglise et dans la foi trinitaire. Ses commentaires sont, au plein sens du terme, oecuméniques, c'est­à-dire pour tous les temps et pour toute l ' Egl ise. Aux yeux de Calvin, respecter le texte n'est pas faire du fondamentalisme ; c'est refléter et exprimer la vie profonde du Christ envoyé par le Père pour le salut des hommes dans la vie de ! 'Esprit. Un commentaire est une forme de nourriture.

Des moines lisaient ce commentaire de Calvin ; il n'est pas inter­dit de le faire encore aujourd'hui. les Editions Farel et Kerygma viennent de terminer l 'édition en quatre volumes du commentaire sur L' Harmonie évangélique : que l 'on prenne « un temps de moine » pour savoir en profiter, s'en nourrir et en vivre.

Alain-Georges MARTIN professeur à la Faculté de Théologie Réformée d'Aix

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LA TERRE ET LE CIEL

Seigneur, Je vis ici, comme un poisson dans un bocaJ - juste assez d'eau pour rester en vie ;

mais au ciel, je nagerai libre, comme dans l 'océan. Ici, je n'ai que peu de souffle en moi - juste assez pour me maintenir en activité ;

mais au ciel, je respirerai les bouffées d'oxygène du paradis. Ici, un éclat de soleil éclaircit mes ténèbres - un rayon de chaleur pour dissiper la gelée ;

mais là-bas, je vivrai dans la lumière et la chaleur éternelles.

Mes désirs naturels, déformés, m'égarent

- dans ta miséricorde tu les fais mourir. Mes élans spirituels ont tous leurs racines en toi - tu les arroses et les fait croître. Fais que j 'ai faim et soif des choses d 'en-haut.

Ici, je peux posséder les choses du monde là, Jésus-Christ sera ma portion.

Ici, ma vie et ma prière sont comme incomplètes là, l'assurance est sans soucis, les requêtes exaucées.

Ici, que de conforts grossiers, plu fardeaux que bénédictions, là, la joie n 'est pas teintée de tristesse, les biens n'apportent pas l ' anxiété, l 'amour est sans inconstance, le repos sans le vide de la lassitude.

Accorde-moi la certitude que le ciel est tout amour, que l 'œil y vit en harmonie avec le cœur, que ta beauté y est constamment visible, que l ' âme y vit de délices sans déclin.

Permets-moi de savoir que le ciel est toute paix, qu'aucune erreur, aucun orgueil, aucune révolte, aucun manque ne peuvent en dérégler l 'harmonie.

Donne-moi la conscience que le ciel est toute joie, et qu'y sont abolis la foi, le jeûne, la prière, le deuil, la dégradation, l ' insatisfaction, la crainte, le dépérissement.

Seigneur, conduis-moi jusque-là sans trop attendre, Amen.

« Earth and Heaven » in Arthur Bennen, The Valley of vision. A collection of pu­ritan prayers and devotions (Edimbourg : Banner of Truth, 1 975), 203.

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MÉDITATION BIBLIQUE

MARC 1 0 : 1 7-3 1 :

« VIVRE SANS MASQUES »

Antoine SCHLUCHTER *

Cette rencontre de Jésus, rapportée par l 'Evangile de Marc, au chapitre 1 0, versets 1 7 à 3 1 , vous est famil ière. Marc parle d 'un homme, tandis que Matthieu précise qu' i l est jeune (Mt 1 9) et Luc, qu' i l s 'agit d 'un chef ( Le 1 8) .

Je vous propose, tout d 'abord, une petite prise de vue aé­rienne, afin de situer notre texte. Cela m 'amène à dire deux choses :

- la première : c 'est que Jésus est sur le point d 'arriver à Jérusalem. A deux reprises déjà, il a annoncé aux disciples ses souffrances, sa mort, et sa résurrection. Mais ceux-ci n ' arri­vent pas à comprendre, et encore moins à accepter cela ; et juste après notre h istoire, pour la troisième et dernière fois, Jésus leur révèle le mystère de sa passion et de sa résurrec­tion. Ce qui veut dire que suivre Jésus à ce moment-là, vers la fin de son ministère public, ce n 'est plus une question de mode . Nombreux sont ceux qu i l ' ont déjà abandonné, et même pour les douze, cela devient d iffici le . Voi là pour le contexte général par rapport à l 'ensemble de l 'Evangile.

• Antoine Schluchter est pasteur à Aix-en-Provence. Ce message a été prononcé de­vant 8 000 à 9 000 jeunes à Expia 9 1 . à Lausanne. Le style parlé a été conservé.

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MÉDITATION BIBLIQUE A. Schluchter

- la deuxième : notre texte se trouve dans un bloc qui a comme thème la question centrale de l 'entrée dans le royaume de Dieu. Juste avant, nous trouvons l 'épisode des petits en­fants, que vous connaissez. Jésus précise qu 'entrer dans le royaume, c 'est un don offert à tous ceux qui se savent sans force pour l 'obtenir par eux-mêmes. Au verset 1 5 de Marc 1 0, on peut l ire : « En vérité je vous le dis, quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant n ' y entrera point.»

Ce qui veut dire que chercher un autre moyen équivaut à passer comme à côté de la porte, ou à la trouver close. C'est précisément ce qu' i l lustre notre histoire de ce matin.

Le cadre ainsi posé, nous allons nous concentrer sur la ren­contre elle-même, c 'est-à-dire sur les versets 1 7 à 22 , et nous passerons plus rapidement sur les applications qui suivent.

1. La rencontre, v.1 7-22

Que se produit-il lors de la rencontre entre Jésus et notre homme ? Tout d 'abord, esquissons un portrait-robot de celui­ci à l ' aide des données du texte. Premièrement, c 'est un Juif, un Juif pieux qui observe les commandements depuis sa jeu­nesse. Deuxièmement, même si Marc ne dit rien sur son âge, il a les traits caractéristiques de la jeunesse : enthousiasme, zèle. Voyez comme il court se jeter aux pieds de Jésus, sans se soucier de la réaction des autres, réaction d 'autant plus inévi­table que, troisièmement, il était fortuné. Cet homme faisait partie de la classe supérieure. Enfin , il semble être en re­cherche très sérieusement, comme le prouve sa question, peut­être l 'une des plus importantes qui soient : « Que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? »

Un danger qui nous guette : c 'est de considérer cette per­sonne de l 'extérieur, comme on regarde des acteurs jouer dans un film, et de se dire « oui, ce n 'est pas mal mais, là, j 'aurais fait autrement ». On se fait sa petite opinion. N 'êtes-vous pas, vous au ss i , venu s pour rencontrer le Seigneur ? Et pour l 'écouter ? N'êtes-vous pas, comme lui, de bons pratiquants, des gens engagés qui essayent de vivre selon les directives bi-

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Marc 10:17-31

bliques ? N ' y a-t ' i l pas parmi nous une majorité de jeunes, et j 'espère une majorité absolue de jeunes d 'esprit, comme lui ? N 'êtes-vous pas enthousiasmés comme lu i de la rencontre qu' i l a avec Jésus ? Et puis, si vous êtes là, c 'est que vous êtes à peu près à l ' aise financièrement. Ceci, simplement pour si­gnaler qu'on oublie parlois qu'on jouit d 'un certain bien-être, ce q u i peut i nfluencer notre spiritua l i té , ou p lutôt notre manque de spiritualité. Enfin, j 'espère que vous êtes égale­ment en recherche. Alors ma proposition est simple : donnons notre prénom à cet inconnu pour vivre l ' histoire de l ' intérieur.

Sa grande question : hériter de la vie éternelle. L'expression était fami lière à l 'époque, et ceux qui aiment les réferences peuvent noter qu'elle est inspirée de Daniel 1 2 :2. Cette ex­pression est synonyme, comme dans notre texte, d 'entrer dans le royaume de Dieu, ou d'être sauvé. Notre homme, qui a déjà sa petite idée sur la réponse, est surtout intéressé par celle que Jésus va donner.

Voici un petit exemple personnel. Depuis quelque temps, je m ' intéresse à l 'acquisition d 'un lecteur de d isques compacts. Au lieu d'acheter le premier venu proposé dans une réclame, j 'ai décidé d 'al ler interroger des spécial istes, en leur posant toujours la même question : Entre tel et tel prix, qu'est-ce que vous me conseillez ? J 'avais une vague idée au départ, elle s 'est clarifiée au fil du temps, au point qu'avec les derniers, je n ' attendais plus qu 'un petit détai l . C 'est un peu la même chose pour notre homme.

Pour un Juif pieux, un fils d 'Abraham, c 'était tout à fait clair ! D'office, i l était, s i je puis dire, couché sur le testament. Il hériterait. Et puis, Jésus allait certainement se montrer in­dulgent, comme avec les petits enfants ; enfin, en bon rabbi , et bon maître, il allait juste proposer un petit quelque chose de plus. Aussi notre homme a-t-i l trouvé la force d 'adresser sa demande, parce qu' i l savait ses arrières assurés.

I l y a là une i l lustration très forte : celle des fausses sécuri­tés. Par exemple, celle de l 'appartenance à un pays ou à une confession chrétienne qui permettrait de se sentir au clair par rapport à Dieu ; ou bien la fausse sécurité due aux réponses un peu trop faci les faites en citant un verset bibl ique ou en réali-

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MÉDITATION BIBLIQUE _________ A. Schluchter

sant un petit schéma en trois points. Nous avons besoin de certitudes, mais notre Dieu veut aussi continuer à nous sur­prendre et à nous reprendre parfois. Oui, il aime poser des questions à nos réponses.

I l . La réponse de Jésus

Et Jésus dans tout cela ? Il va répondre, mais à sa manière, progressivement, pianissimo. On peut discerner trois éléments dans sa réponse.

1) Le premier (v. 1 8 ) a la forme d'une question : « Pourquoi m 'appelles-tu bon ? » Appeler quelqu 'un « maître » , « rab­bi », était fréquent, tandis que le qualificatif de « bon » était réservé exclusivement à Dieu dans la piété juive. Comme notre homme, contrairement à nous, ignorait la divinité de Jésus, i l attribuait ainsi à une créature humaine l 'honneur qui est dû au Créateur seul ; cela en disait long sur sa conception de Dieu et sur ses maîtres spirituels. Est-ce qu' i l ne nous ar­rive pas aussi, parfois, de nous attacher trop à un serviteur de Dieu, à une façon de vivre sa foi et de prier, à une traduction de la Bible, au point, peut-être, d 'en faire des filtres, des pas­sages obl igés, ou même des idoles comme en politique, en musique ou dans le spectacle ? On le sait, les Corinthiens ai­maient à se réclamer de Paul, d 'A pol ios, de Pierre ou d ' un autre, et créaient autant de partis opposés. Alors, veillons, certes, à respecter nos conducteurs, mais sans les encenser, et encore moins à les suivre aveuglément. C 'est là l 'origine de toutes les sectes et, aussi, de l 'esprit sectaire qui peut s ' infil­trer très facilement dans les communautés les plus évangé­l iques révei l lées et orthodoxes.

Jésus, lui, n 'accepte pas cet honneur, et il nous montre la voie. Il glorifie Dieu et se présente comme étant seulement son envoyé, celui qui agit en son nom avec une entière sou­mission. Voilà encore un sujet de réflexion, pour la pratique du témoignage : qui est au centre du nôtre ? Nous-mêmes, avec notre piété, etc. , ou ! 'oeuvre du Seigneur ? Si le fils par­fait de Dieu a fait preuve d'une telle humilité, nous devons, à notre tour, étant donné notre long catalogue d' imperfections

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Marc 10:1 7-31

en tous genres, faire preuve de modestie et d 'honnêteté dans le témoignage. C 'est très important. Oui, personne n 'est bon, si ce n 'est Dieu seul . Voilà le premier élément. Il est comme une remise dans l 'axe, une mise au point nécessaire. Dieu est Dieu, à lui tout l 'honneur.

2) Avec le deuxième é lément, nous entrons dans le vif de la réponse. Jésus va placer ce fils d ' Israël non pas devant une beUe révélation, mais devant ce qu ' i l connaît le mieux, à sa­voir la loi. Verset 1 9, « Tu connais les commandements », et suit toute une énumération, qui nous rappelle que Jésus n 'est pas venu abolir mais accomplir la loi.

Voici trois détails étonnants dans cette l iste de commande­ments :

- Tout d'abord, une partie seulement des dix paroles du Sinaï est citée par Jésus ; i l s 'agit de celle que l 'on appelle « la deuxième table » de la loi, qui traite des relations horizon­tales, avec autru i . C 'est un bon choix . Les préceptes sont clairs : le meurtre, l ' adultère, le vol. Il n 'y a pas besoin d 'un examen de conscience approfondi pour trouver la réponse.

- Deuxième détail : Comme un tiercé en désordre, Jésus ne cite pas les commandements dans l 'ordre habituel. Pourquoi Jésus a-t-il fait cela ? Est-ce une petite lubie ? Non ! Sa lo­gique est immense. Il part du commandement le plus grave sur le meurtre, celu i pour lequel on se sent le moins concerné, pour aboutir à la parole la moins sévère, la plus banale, sur le tort à ne faire à personne, l ' infraction la plus fréquente. Ainsi personne n 'échappe.

- Troisième détail : Il y a un intrus dans cette l iste : le tort. « Ne faire de tort à personne » est comme un onzième com­mandement, ou la cinquième roue du char, comme on dit . Etonnante, cette l iberté du Seigneur, dans l 'art de la citation ! Cela nous choque parfois. Mais quelle clairvoyance ! Pour une personne de condition aisée, i l est plus tentant de profiter, par exemple, de ses employés et de leur faire du tort que de convoiter ce que l 'on peut acquérir sans problème. Jésus omet d'évoquer la convoitise et met en évidence le tort causé à au­trui . Avec raison. Comment hériter la vie éternelle ? Eh bien, dit Jésus, en gardant les commandements.

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MÉDITATION BIBLIQUE -------- A. Schluchler

3) Mais ce n 'est pas tout. Troisième élément.

« Il te manque une chose : va, vends tout ce que tu as. Donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis­moi. Mais lui s 'assombrit à ces paroles et s 'en alla tout triste, car il avait de grands biens.» (v. 2 1 ,22)

Cette parole est dure, radicale. Certains pensent que c 'est une critique absolue de la possession de biens matériels. Mais non ! Cette parole est pour notre homme. Elle lui est destinée. Pourquoi ? Il garde les commandements principaux et devait prat iquer les trois p i l iers de la religion juive : le jeûne, la prière et l 'aumône (Mt 5) . On recommandait particul ièrement l 'aumône aux riches. Alors il est tranqui lle. En lui demandant de tout quitter pour le suivre, Jésus lui rappelle, en quelque sorte, l 'esprit de la première table des commandements, des premières paroles sur l 'amour de Dieu, « de tout ton coeur, de toute ta force, et de toute ta pensée ».

Et le masque tombe. Plus question de demi-mesures, de rai­sonnements subti ls. Le passage aux actes va révéler l 'état du coeur de notre homme : il ne peut pas. Autant il est arrivé vers Jésu , en courant, avec détermination, autant il repart tout petit, la queue entre les jambes, dirions-nous. La mine littéra­lement aussi dépitée qu'un ciel qui s 'a sombrit de nuages me­naçants. Le pauvre, oui . Il n 'arrive pas à réaliser que Jésus lui propose l ' affaire du siècle : troquer ses biens périssables contre un placement parfait et inattaquable, un trésor dans le ciel. L'Esprit de la loi, c 'est le deuxième élément de la loi, conduit à suivre Jésus, en toute confiance et sans retenue. C'est à cela qu 'elle nous amène. Et donc à hériter de la vie éternelle.

III . Les applications, v. 23-3 1

En bon pédagogue, Jésus profite de cet épisode pour faire quelques remarques pratiques.

Tout d'abord, l 'entrée dans le royaume est très difficile. Jésus prend le cas du riche qui était là, et i l l 'élargit à tous, à tel point que les d isciples commencent à se demander : « mais comment être sauvé ? » C 'est impossible aux hommes, mais

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Marc 10:1 7-31

tout est possible à Dieu. Tout a été rendu possible par la mort et la résurrection de son Fi l s . C 'est la grâce. C 'est notre unique espérance. C'est le seul chemin pour entrer dans le royaume.

Et puis le Seigneur promet à ceux qui l 'ont suivi une resti­tution au centuple. La promesse est mervei l leuse. Elle nous incite à ne pas être des calculateurs mesquins face à la grâce de Dieu et à ses exigences.

Conclusion

Je term i ne en re l è vant un ve rbe du verset 2 1 . J u ste avant l 'appel radical à le suivre, « Jésus ayant regardé (notre homme), l ' aima ». Comment a-t-il manifesté cet amour ? Nous l ' ignorons. Mais, le verbe grec employé nous renseigne sur la nature de cet amour. Il ne s'agit pas de l 'amour-amitié ou de l 'amour-affection, mais de l 'amour divin, l 'agapé, l 'absolu, qui culmine dans le don de la croix et le triomphe de la résurrec­tion.

Jésus pose sur chacune et chacun d'entre vous ce même re­gard d ' amour, un regard, il est vrai, auquel rien n 'échappe, m a i s u n amour t e l q u e , malgré l a v i s i o n de nos zones d 'ombre, de ce qui est encore sale en nous, le Seigneur peut tout de même nous dire : « Viens, et suis-moi » .

C 'est la grâce. Laissons tomber nos masques, même soi­gneusement confectionnés, et répondons à l 'appel du Seigneur avec reconnaissance et simplicité de coeur. Amen.

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PRIÈRE POUR LA MISÉRICORDE

Ô Dieu, dont la gloire est de toujours faire miséricorde :

Sois clément envers ceux qui se sont écartés de tes voies et ramène-les, le cœur pénitent à une foi plus solide ;

Qu ' i l s adhèrent à la vérité de ta Parole et y demeurent fermement attachés.

Par Jésus-Christ, notre Seigneur, qui vit et règne avec toi et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

Prière du Deuxième dimanche de Carême, dans u livre de la Prière Commune, le Prayer Book de l'Eglise anglicane traduit en français (New York, Church Hymnal Co., 1 983).

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Parution prochaine de

l 'i N D E X (1950-1995)

de LA REVUE REFORMEE

70 F franco, CCP : LRR, Marseille 7370 39 U

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RÉFLEXION THÉOLOGIQUE

LE DIEU TRINITAIRE : SES PERSONNES ET SA NATURE

Gérald BRAY*

Les théologiens d 'aujourd'hui ont une conscience accrue, tant théorique que pratique, de l ' importance de la Trinité dans la doctrine chrétienne. Il n 'y a pas si longtemps, la Trinité se trouvait reléguée au second plan, même par les croyants sin­cères. Elle n'a jamais été complètement perdue de vue, bien sûr, mais en dehors des formulations rituelles, à l 'occasion d 'un baptême par exemple, la Trinité était rarement mention­née en pratique. Les théologiens la prenaient pour cible, la trouvant irrationnelle et voyant en elle l 'expression ultime d ' u n néo-platonisme tombé dans le d iscrédit depuis long­temps. Quant aux chrétiens ordinaires, i ls n 'arrivaient pas à concevoir trois en un, et d 'ai l leurs ne s 'y essayaient guère.

Le Saint-Esprit qui, selon la doctrine trinitaire classique occi­dentale, est le lien qui unit les trois personnes, était presque ou­blié ; tout au plus subsistait-i l une sorte de conception de type

• Gerald B ray est professeur d ' H istoire de l ' Eg l i se à la Samford University (Birmingham, Alabama, Etats-Unis). l i est l'auteur de The Doctrine of God (Leicester : IVP, 1993).

Ce texte est traduit de la revue de Rutherford House, Edimbourg, Evange/, printemps 1986. Il est le premier d'une série d'articles publiés par cene revue. Un deuxième article sur la Trinité sera publié dans le prochain numéro de La Revue Réformée.

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RÉFLEXION THÉOLOGIQUE --------- G. Bray

plus ou moins binaire, selon laquelle Jésus serait plus ou moins, à la fois , Dieu et Père, et le Saint-Esprit un petit peu plus qu 'une puissance divine dépourvue de dimension personnelle.

Maintenant, cela a changé du tout au tout. Le « bin i ­tarisme » de même que l ' unitarisme n 'ont pas totalement dis­paru, mais il est certain que l 'accent mis sur la Trinité aurait surpris il y a seulement une génération. En théologie systéma­tique, la considérable contribution de Karl Barth a fait passer cette doctrine au premier plan de la théologie chrétienne avec, sans doute, une perspective christologique qui diffère de la tradition classique. Barth a été suivi par J ürgen Moltmann et, d ' une manière très différente, par Eberhard Jüngel qui, tous les deux, ont fai t de la Trinité un élément essentiel de leur conception de Dieu.

Dans les cercles catholiques romains, on note également le même fort mouvement d ' intérêt ; de Karl Rahner jusqu 'à Bernard Lonergan, tous cherchent à sonder le mystère. Même dans l ' Eglise orthodoxe orientale, des travaux récents, traduits depuis peu, ont été faits sur ce sujet, surtout par Vladimir Lossky et Dumitru Staniloae. Sur un tout autre plan, le déve­loppement du renouveau charismatique a souligné l ' impor­tance du Sa int-Esprit , ce qu i soulève inév i tablement de grandes questions sur sa personne et son oeuvre par rapport à ceux du Père et du Fils.

Pour comprendre la Tri nité, il convient de commencer, comme le font les Ecritures, avec Dieu. Au cours des siècles passés, on a beaucoup spéculé sur le point de savoir s ' i l y a, dans l 'Ancien Testament, une quelconque indication de plura­lité au sein de la divin ité ; dans leurs débats avec les juifs, les chrétiens l 'ont souvent affirmé. A vrai dire, le premier à sug­gérer que Yahweh pouvait être, d ' une certaine manière, trois personnes était lui-même juif : Philon d 'Alexandrie. Pour lui, l ' appari t ion des tro i s hommes en Genèse 1 8 , auxque l s Abraham s 'est apparemment adressé au singulier, par l e titre « Seigneur » permet de discerner en Dieu comme une sorte de triade.

Plus importante est l 'affirmation que le pluriel Elohim, ac­compagné de pronoms et de verbes également au pluriel - par

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Dieu, personnes et nature

exemple : faisons l 'homme à notre image (Gn 1 :26) - indique qu' i l y a, dans l 'Ancien Testament, la révélation d ' une divi­nité plurielle. A cela s 'ajoute l 'argument que les Ecritures hé­braïques parlent souvent de l a Parole d u Seigneur ou de l 'Esprit de Dieu en termes fondamentalement personnels, ce qui a, tout naturellement, façonné la base de la pensée néo­testamentaire.

A l 'encontre de ce point de vue se trouve le fait bien connu que le judaïsme a toujours rejeté une telle notion. La plupart des chercheurs en Ancien Testament s 'accordent pour affir­mer que l 'apologétique chrétienne traditionnelle se fonde sur l 'allégorie, ou sur quelque autre interprétation tendancieuse, qui ne peut au mieux qu'être considérée comme une interpré­tation parmi d 'autres. I l est possible qu'une telle idée soit présente dans l ' An c i en Testament, m a i s e l le n ' es t pas suffisamment définie pour servir de base à la doctrine de la Trinité.

Du point de vue purement dogmatique, cela est sans doute un peu décevant. Beaucoup de chrétiens le considèrent ainsi. En fait, nous allons voir qu ' i l y a une excellente raison pour récuser l ' idée d ' une révélation de la Trin i té dans l ' Ancien Testament.

Quelle était la conception juive de Dieu ? Il convient, ici, de faire très attention, puisque ce qui est révélé dans l 'Ancien Testament n'est pas forcément ce que l 'on pense en général . S i l ' israélite moyen avait eu la même notion de Dieu que celle qui ressort de la Loi de Moïse, le reste de l ' Ancien Testament n'aurait peut-être pas été écrit, ou au moins il n ' aurait pas pris la forme qu' i l a prise avec ses avertissements répétés contre l ' idolâtrie. En fin de compte, i l semble clair que la rel igion de l 'Ancien Testament considère Dieu, en général, de l 'extérieur. Israël est en relation avec lui, bien sûr, mais cette relation est celle du serviteur avec son maître, comme Paul le souligne dans ses épîtres . Les i sraé l i tes savaient que Dieu habitait parmi eux dans le Temple, mais i ls ne pouvaient pas entrer dans le Saint des Saints ; seul , le Souverain Sacrificateur le pouvait, et seulement une fois par an pour faire l 'expiation au nom de tout le peuple.

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RÉFLEXION THÉOLOGIQUE

Une religion qui aborde Dieu de l 'extérieur ne peut que dé­velopper un sens aigu de l ' importance des éléments extérieurs dans l 'adoration, et c 'est ce que nous trouvons. La relation entre Dieu et Israël est déterminée en termes de loi et de grâce aux bons soins des thélogiens juifs - des juristes au sens propre du terme - et cette loi est devenue de plus en plus com­plexe et détail lée.

La venue du Christ a mis fin au système juif d'adoration, non pas en déplaçant la dévotion du peuple vers un autre Dieu supérieur (comme Marcion l 'a tenté), mais en pénétrant dans la divinité. C'est ce que symbolise la déchirure du voile du Temple ; celui qui a offert l ' ultime sacrifice du Souverain Sacrificateur en s 'offrant lui-même a également ouvert la voie pour que nous entrions dans la présence de Dieu. Depuis lors, la perception de Dieu a changé chez le croyant, puisque ce qu ' i l a vu jusque-là de l 'extérieur comme un, i l le voit, de l ' intérieur, comme trois. En Christ, le même Dieu s'est révélé d ' une manière plus profonde et plus satisfaisante qu ' i l ne s 'était révélé aux prophètes de l 'Ancien Testament.

En termes théologiques, en distinguant l 'unicité et la trinité de Dieu, on évoque sa nature et ses personnes. Ces termes ont, en théologie, une histoire complexe que nous ne rappelle­rons pas ici ; nous n 'en retiendrons que certains éléments fon­damentaux.

En premier lieu, les chrétiens sont monothéistes et, par conséquent, tiennent fortement à préserver l ' unité de Dieu. En confessant la Trinité, nous n ' abolissons ni ne fractionnons l 'unité divine, qui est tout aussi importante. Mais, à cause de cela même, beaucoup de chrétiens sont tentés de penser à Dieu comme étant principalement une nature, ou substance, divine qui serait dotée de personnalité au sens d ' attribut (comme ceux de l 'omniprésence, l ' impassibilité, etc. ), mais pas comme une véritable Personne. Ou à l ' inverse, Dieu est bien conçu comme une Personne dont les deux autres dérive­raient. Jésus et l ' Esprit ne seraient ainsi que des éléments composants de Dieu, comme les enfants de Dieu, comme les êtres divins du même genre que les anges, situés à un niveau inférieur à Dieu. Ces croyances ne sont pas formulées de ma-

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Dieu, personnes et nature

nière cohérente, mais elles sont courantes chez ceux qui veu­lent croire que Dieu est une Personne, et qui veulent aussi pré­server le monothéisme.

La réponse chrétienne est que l ' unité de Dieu est bien réelle et n 'est pas un simple attribut. Il y a, certes, trois personnes en Dieu, mais elles ne constituent pas de simples composants ou éléments de Dieu. Chacune participe pleinement à la nature divine dans sa totalité et, de plus, révèle entièrement les deux autres. Telle est la signification de Jean 1 4:9- 1 1 et aussi de Jean 1 4:23, où Jésus dit que lui et le Père viendront habiter dans le coeur du croyant par la foi, bien que le contexte immé­diat concerne un des enseignements sur le Saint-Esprit : c 'est lui qui le fera.

En Dieu, il y a trois personnes ; chacune est pleinement Dieu et manifeste la plénitude de la nature de Dieu en puis­sance et en gloire. Il ne faut pas, cependant, les considérer comme autant de noms différents pour une seule et même chose. I l est séduisant de considérer le Père comme le Dieu créateur, le Fi ls comme le Dieu Rédempteur et le Saint-Esprit comme le Dieu qui sanctifie. Si ces distinctions ont une cer­taine valeur en ce qui concerne leur oeuvre, elles n'ont aucun sens en ce qui concerne leur nature. Les trois personnes de la Trinité sont personnel lement impliquées dans chacune de ces oeuvres ; il n 'y a entre elles aucune répartition évoquant un morcellement de la divinité. Jean 1 : 1 -3 et Colossiens 1 : 1 6- 1 7 parlent du rôle du Fils de Dieu dans la création et, en Jean 1 4 à 1 6, Jésus explique clairement que le Saint-Esprit viendra renforcer son propre témoignage.

Si donc, il n'existe pas d'égalité entre les Personnes de la Trinité et si la nature divine ne peut pas être divisée, comment concevoir un Dieu à la fois un et trine ? Une réponse possible consiste à faire de l 'une des personnes le principe d'unité des trois. Selon cette idée, l 'une des personnes possèderait la na­ture divine ou serait une hypostase divine plus explicitement que les deux autres. Cette personne serait le noeud assurant l 'unité de l 'ensemble.

Dans la théologie orthodoxe orientale, c 'est le rôle du Père qui est la source de la divinité du Fils et de ! 'Esprit. Dans la

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RÉFLEXION THÉOLOGIQUE

théologie occidentale, ce rôle est attribué généralement au Saint-Esprit qui assure l ' unité dans l 'amour du Père et du Fils. Dans l 'optique orientale, Dieu serait fondamentalement une seule personne qui se serait démultipliée, alors que du point de vue occidental, il serait une nature personnifiée (le Saint­Esprit), dont les composants révélés ont également pour ca­ractère d 'être personnel .

E n s 'exprimant ainsi o n simplifie inévitablement, mais cela fait bien ressortir la difficulté persistante qu 'éprouve la théo­logie chrétienne en essayant de garder distinctes les Personnes et la Nature. Affirmer, par exemple, avec Jüngel, que Dieu a i n i t i a l e me n t d é c i d é d ' ê tre t ri n i ta i re ne ré soud p a s l e problème ; nous voudrions savoir qui, au juste, a pris l a déci­sion. Il est impossible de remonter du caractère trine jusqu 'à l 'unité primordiale, de même qu' i l est impossible de fondre les trois en un. Les deux chiffres recouvrent des réalités égale­ment objectives, également éternel les, à des niveaux diffé­rents. Voi là ce que la d istinction entre personnes et nature ·cherche à préserver.

En outre, avec cette distinction, nous ne pouvons connaître Dieu qu'au plan personnel. Sa nature nous reste cachée. Cela est important, car cela explique comment Dieu peut être à la fois connu et inconnaissable. Dieu se révèle à nous dans ses personnes, et nous percevons son unité dans leur mutuelle harmonie, mais nous n ' al lons jamais jusqu ' à l 'essence du divin. Il faut dire que des branches de l ' Egl ise chrétienne n ' acceptent pas le caractère inconnaissable de la nature de Dieu ; tout au contraire, el les affirment avec insistance que le but même de la vie chrétienne est d 'être transformée au point de ressembler à la divinité non créée !

Cette position qui a atteint sa plus haute perfection dans la théologie mystique de l ' Eglise orientale, doit être rejetée car, malgré ses dénégations, elle place notre relation avec Dieu sur un plan qui n 'est pas personnel. I l nous est impossible de de­venir comme Dieu par nature ; nous pouvons seulement entrer en communion avec lui en tant que personnes. Nous revoilà, par un autre chemin, devant la différence entre la justice infu­sée et la justice imputée ; pour la première, nous devons nous-

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Dieu, personnes et nature

mêmes devenir comme Dieu ; pour la deuxième, nous comp­tons entièrement sur son mérite et sa grâce envers nous.

En même temps, il convient de reconnaître que les per­sonnes de la divinité ont en commun d 'être des Personnes , tout en ayant en plus des attributs qui les distinguent les unes des autres. Ces attributs en théologie Réformée sont dits com­municables. I ls peuvent être possédés par d 'autres êtres, éga­lement des personnes. Le premier de ces attributs est la sain­teté divine. La sainteté n 'est pas une caractéristique de la nature divine, en dépit de la conception populaire, mais est une caractérist ique comm une aux trois personnes de la Trinité. S ' il n'en était pas ainsi, nous serions incapables d'être ou de devenir saints nous-mêmes, sans pour autant être trans­formés en Dieu.

Il est vrai, néanmoins, que les chrét iens sont appelés à « participer à la nature divine » (2 P 1 :4). Mais attention, ce verset peut faci lement susciter une grande confusion s' i l n 'est pas interprété correctement. Le contexte, où il est question d'échapper à la corruption, peut suggérer, en effet, un change­ment d'état propre à soutenir l ' idée qu ' il faut devenir comme Dieu, ce qui, bien sûr, a souvent été interprété ainsi. Mais en regardant de plus près, on se rend compte que ce dont parle Pierre, ce n 'est pas d'état, mais de puissance, de force et des promesses divines.

C 'est le mystère de la foi chrétienne que nous tenions ce trésor dans des vases de terre . La texture du pot n 'est pas transformée par son contenu ; tout au contraire, le miracle consiste en ce que la puissance de Dieu est à ! ' oeuvre, bien que les instruments qu ' i l choisit d 'utiliser soient moins que dignes de lui ! C'est parce que nous avons une relation per­sonnelle avec lui qu' il peut se révéler à nous sous sa nature réelle. Nous n'avons ni à revendiquer quoi que ce soit auprès de Dieu, ni de raison de croirè que, d ' une manière ou d'une autre, nous nous sommes approchés de lui de telle sorte qu' i l soit dans l 'obligation de nous accorder sa grâce. Jusqu 'à la fin, nous dépendons de sa grâce, qu' i l nous offre gratuitement dans un contexte de foi personnel le. C 'est ainsi que nous connaissons Dieu et que nous le voyons à l 'oeuvre en nous.

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Le communiqué suivant 1 nous donne matière à réflexion sur la situa­

tion actuelle : locale, nationale et européenne. li est une illustration

de /' état du christianisme. Que faire ? Prier ?

LE CHRISTIANISME EUROPÉEN MENACÉ D'« EFFONDREMENT »

L'évêque Lesslie Newbigin, l 'un des chefs de file œcuméniques les plus importants de notre siècle, a déclaré Je 28 août 1 995 que Je christianisme européen était menacé d '« effondrement » à cause de son acceptation sans réserve de la philosophie des Lumières et de l 'économie de marché.

L'évêque Newbigin, qui a vivement critiqué les Eglises euro­péennes et leurs compromis avec le monde moderne, a rappelé qu 'en lisant les déclarations des Eglises, « on sait en général quels journaux les membres de l ' Eglise l isent, mais il est difficile de dire quels passages de la Bible ils ont lus ».

« En Europe, l ' image de l ' Eglise re semble plus à un reliquat du passé qu'à un pouvoir susceptible de façonner de manière efficace le présent et l 'avenir », a-t-il affirmé dan Je discours controversé qu'i l a adressé aux représentants des Eglises Réformées d 'Europe. Lesslie Newbigin a occupé les postes de secrétaire général du Conseil international des Missions et de secrétaire général adjoint du Conseil Œcuménique des Eglises.

« Dans leur désir de s ' intégrer dans Je monde moderne, les Eglises ont inévitablement participé à son effondrement », a-t-il déclaré avant d'ajouter que l 'Europe avait préféré prendre pour au­torité suprême ) 'économie de marché plutôt que l 'Evangile.

« Si c'est l 'économie de marché qui règne, si c'est l ' économie de marché qui est dieu et s ' i l n'y a d 'autre pouvoir que l ' économie

de marché, alors on va assister à une polarisation croissante . . . entre

1 . Assemblée de la région européenne de I' Alliance Réformée Mondiale (ARM), Edimbourg, 3 1/()8/1995, Bulletin ENI (Nouvelles Œcuméniques Internationales), N°18, septembre 1 995.

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les riches et les pauvres, et à une exploitation plus forte des res­sources de la planète, à un point tel que l 'humanité s 'en trouvera menacée », a-t-il lancé aux 1 1 8 délégués à l 'Assemblée de la ré­

gion européenne de l 'All iance Réformée Mondiale (ARM) lors de

l a ré u n i o n q u i se t ient d u 2 8 août a u 3 septembre 1 99 5 à Edimbourg.

« Le Eglises n'enseignent pas que le Seigneur Tout-Puissant a

dit : 'Tu ne convoiteras pas ' , parce que cela détruirait le système capitaliste d'un coup », a-t-il encore dit.

L'évêque Newbigin, qui est aujourd 'hui membre de l ' Egl ise Réformée Unie du Royaume-Uni , est né en 1 909 et a travai llé comme miss ionnaire presbytérien en Inde avant d 'être nommé évêque de l ' Eglise Unie de l ' lnde du Sud après la deuxième guerre

mondiale. Il a également été conseiller auprès de l 'Assemblée fon­

datrice du Conseil Œcuménique des Eglises en 1 948.

l i a déclaré le 28 août que la situation œcuménique actuelle était « décourageante pour quiconque avait consacré sa vie au mouve­ment œcuménique ».

Selon lui, les anciennes divisions entre Eglises catholique et pro­testantes ont été remplacées par une nouvelle division entre « ceux

qui croient que l 'Evangile nous a été confié et ceux qui ont, pour

des raisons pratiques, cessé de le croire ».

« Alors que le Eglises catholique et orthodoxes se sont inves­ties dans le mouvement œcuménique, elles persistent à revendiquer qu 'e l les sont ' l 'unique incarnation véritable ' de l ' Egl ise que le

Christ a fondée », a ajouté l 'évêque Newbigin.

Mais · les Eglises anglicanes et protestantes d 'Europe et d 'Amé­

rique du Nord, qui ont joué un rôle primordial dans la formation du Conseil Œcuménique des Egl i es, sont les confe sions « les plus lourdement touchées par la modernisation de l ' Evangi le, et il n 'est

pas étonnant que le Consei l Œcuménique des Eglises s ' intéresse peu à l 'évangél isation à ! 'heure actuelle », a-t- il déclaré.

L' « intransigeance » du pape Jean-Paul I l peut bien souvent mettre notre patience à ! 'épreuve, a assuré ! 'évêque Newbigin, qui

reconnaît cependant éprouver une « certaine reconnaissance » pour les positions prises par le chef de l 'Egl ise Catholique. « S' i l avait été moins sévère, l 'Europe n 'aurait-e lle pas été entraînée sur la

pente glissante du chaos moral encore plus qu 'elle ne l 'a été ? »

a-t-il demandé.

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A NOS LECTEU RS

Avec ce numéro, LA REVUE REFORMÉE fait peau neuve ! Mais changement de format et de présen­tation ne s ignifie pas changement de pol i t ique. La tâche commencée par Pierre Marcel sera poursuivie : former et informer pasteurs et fidèles désireux de ré­fléchir sur ce qui fonde l 'espérance certaine de la foi chrétienne.

Chaque numéro comportera, outre un article de fond sur le texte biblique, aisé à identifier (dans cette l ivraison, il s ' agit de l 'étude de Richard Gaffin sur « La cessation des ' dons extraordinaires' » ) , des ru­briques variées relatives à l 'actualité, les doctrines bi­bliques, l 'éthique, les l ivres, l 'h istoire, . . .

L'objectif est d 'aider à élargir u n oasis dans l e dé­sert spirituel et théologique où nous nous trouvons à l 'aube du 2 1 e siècle.

Tel est le projet pour la réussite duquel nous vous demandons votre aide. Celle-ci peut revêtir plusieurs aspects : prière , commentaires, suggestions et re­cherche de nouveaux abonnés.

Nous sommes heureux de vous inviter à relever avec nous le défi que constituent le maintien et aussi l 'essor de l ' Egl ise.

En Christ avec vous.

Paul WELLS

Rédacteur de LA REVUE REFORMÉE

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BELGIQUE : M. le Pasteur Paulo MENDES, Place A. Bastien. 2. 701 1 Ghlin-Mons.

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