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La revue étudiante de la faculté des arts de l'UQAM Dossier art ancien, Dossier sujets d'actualités, In visu, et compte-rendus d'expositions Auteurs: Jasmin Cormier Anne-Marie Dubois Marie Ferron Destautels Gabriel Gosselin Maude P.Hénaire Marie-Ève Leclerc-Parker Lydia Martineau Alexia Pinto Ferreti Marie-Lise Poirier Karolane Ratelle Julie Richard Ingrid Valent Aurélie Wanderwynckele Artistes: Fannie Bisson Les enfants de chienne Cassandre Boucher Fanny Latreille-Beaumont Émilie Marchand Simon Morin-Plante Shanie Tomassini Mathieu Cardin

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La revue étudiante de la faculté des arts de l’UQAM

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Numéro vingt-deuxAutomne 2012 — Hiver 2013

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Numéro vingt-deux Automne 2012 — Hiver 2013Revue créée par les étudiant(e)s en Histoire de l’art en hiver 2002, la revue se donne pour mission, en premier lieu, d’offrir aux étudiants de publier des réflexions théoriques sur l’art ainsi que des comptes-rendus d’exposition ou d’ouvrage. Elle vise ainsi à faire valoir leurs acquis et intérêts en dehors du contexte universitaire.

CoordinationJohanne Marchand

Assistance À La CoordinationJulia Borderie

ÉditionAlizée Millot

CorrectionMarie Ferron-Desautels Marie-Ève Leclerc-Parker Maude Nadeau Ingrid Valent

Communication + DistributionAnne-Marie Santerre

Responsable des commanditesSteve Génin

TrésorerieMarsha Bazile

LancementHéloise Guillaumin Ingrid Valent

Graphiste : conception d’affiche + webmestreÈve Brunet-Marx

Identité + design graphiquestudio a&awww.studioaeta.com

Page couvertureCassandre Boucher, Petit papa Noël, 2012, acrylique sur masonite, env. 61 x 91.5 cm. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

ContactModule d’histoire de l’art, J-1415A.S. Revue Ex_situC.P. 8888 Succ. Centre-VilleH3C 3P8

Pour nous faire part de vos commentaires sur le contenu de la revue ou pour tout renseignement, veuillez écrire à l’adresse suivante : [email protected] Blogue : http://revueexsituuqam.wordpress.com/

Remerciements à :L’association étudiante du module d’Histoire de l’art de l’UQAM, (AÉMHAR)L’association étudiante facultaire étudiantes des arts de l’UQAM (AFÉA)Le département d’Histoire de l’art de l’UQAM,La galerie de l’UQAM,La RIAPLa Librairie FormatsLe studio a&aet nos commanditaires.

ISSN 1710-3193Ex_situ, numéro 22, avril 2013Dépôt légal : Bibliothèque et Archives Nationales du Québec, 2013, Médiathèque du Musée d’art contemporain de Montréal, 2013,Biliothèque des arts de l’Université du Québec à Montréal, 2013,COOQ UQAM, Pavillon Judith-Jasmin, Montréal, 2013

La reproduction totale ou partielle des textes, photos et illustrationspubliées requiert l’autorisation de la revue Ex_situ. Les auteur(e)s conservent l’entière responsabilité de leurs textes.

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Sommaire

Éditorial

Dossier art ancien

Alizée Millot

Edwin Holgate et une nouvelle esthétique du nuMarie Ferron-Desautels

John Martin : saisir le regard Gabriel Gosselin

Fantasmes orientaux, ou la sentimentalité romantique au service d’une représentation idéalisée de l’Orient Marie-Lise Poirier

La cohabitation complice du texte et de l’image dans Le poème de l’âme de Louis Janmot Ingrid Valent

Photographie de l’invisible, une nouvelle voie pour l’art photographique du XXIe siècle ? Jasmin Cormier

Le cas Koranic Inlay 2010 : généalogie d’un faux scandale Alexia Pinto Ferretti

Galeries hors circuit Karolane Ratelle

Cassandre Boucher, créatrice de la page couverture : l’éclatement de la matière, quand la peinture ne suffit plus Johanne Marchand

Dossier artistes : la relève de l’UQAMFannie Bisson, Myiam Dion, Les Enfants de Chienne, Fanny Latreille-Beaumont, Émilie Marchand, Simon Morin-Plante, Shanie Tomassini et Mathieu Cardin

Le dernier lancement d’Ex_situ : un événement-performanceNancy Belhumeur

La création du nouveau logo de l’AEMHARJasmin Cormier

Queer portraits de l’inspécificité du genre Anne-Marie Dubois

Zidane — des images qui démontent Maude P. Hénaire

La RIPA : émergente et diversifiée, à l’image de ses artistes Marie-Ève Leclerc-Parker

La lenteur et autres soubresauts : espace de réflexion sur la mémoire, la filiation et la passation du temps Lydia Martineau

Sigalit Landau : du corps poétique au corps politiqueJulie Richard

Les passages de Babette Mangolte Aurélie Wandewynckele

Dossier sujets d’actualité

In_Visu

Comptes-rendus

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Éditorial

Alizée [email protected]

« Ce qui est malade, ce n’est pas l’art québécois, mais sa diffusioni », dénonçait Serge Lemoyne en 1986. Force est d’admettre que cette dénonciation est toujours d’actualité. Le domaine culturel souffre des coupures qui mettent à mal plusieurs organismes, le gouver-nement conservateur projetant réduire de près de 200 millions de dollars le budget de Patrimoine canadien d’ici deux ansii. En effet, l’art est dévalorisé dès que se font sentir les premiers symptômes d’un essoufflement financier. Qu’y comprendre, sinon que l’État lui-même réitère l’inévitable question à laquelle se trouve tôt ou tard confronté tout étudiant en art : l’art est-il donc optionnel ?

À en croire une étude de Hill Stratégies, une firme de recherche canadienne, l’art aurait un impact substantiel sur le développe-ment cognitif des enfants à long termeiii. À l’avenant, de nouvelles perspectives en éducation considèrent le critère de la créativité comme signe d’intelligenceiv, l’art cultivant de telles compétences. Outre ces exemples, il suffit de prendre connaissance des articles du présent numéro d’Ex_situ pour constater la nature positive du discours artistique. Qu’ils relèvent du Dossier art ancien, du Dossier sujets d’actualité ou des Comptes rendus, ils affirment l’ouverture d’esprit et le regard critique qu’aiguillonne l’art, que ces réflexions soient rétrospectives ou qu’elles portent sur l’actualité.

Dans son analyse postcolonialiste, Marie-Lise Poirier lève le voile sur la distorsion représentationnelle de l’Orient au XIXe siècle par les Occidentaux. Les articles d’Alexia Pinto Ferretti et de Julie Richard attirent également notre attention sur des sujets internationaux, discutant respectivement du scandale de l’artiste franco-marocain Medhi-Georges Lahlou et de l’exposition israélienne de Sigalit Landau présentée à la dernière Biennale de Venise. Anne-Marie Dubois explore quant à elle la différence identitaire propre à la réalité queer via le travail de J.J. Levine. Cette étude de l’individu est poursuivie par Maude P. Hénaire qui, traitant d’une œuvre vidéo de Douglas Gordon et de Philippe Parreno, incite à être lucide vis-à-vis des repré-sentations biaisées des icônes contemporaines. Tout aussi dignes d’intérêt sont les articles de Jasmin Cormier, Marie Ferron-Desautels, Gabriel Gosselin, Marie-Ève Leclerc-Parker, Lydia Martineau, Karolane Ratelle, Ingrid Valent et Aurélie Wandewynckele, qui portent sur des sujets aussi variés que le sublime martinien, les performances de la RIPA et les bars-galeries, pour n’en nommer que quelques-uns.

i Serge Lemoyne, cité dans Jocelyne Lepage, « La parole est aux artistes », La Presse, 18 février 1986, n.d.ii Simon Jodoin, Steve Proulx, Anabelle Moreau et Pedro Despouy, « Art-peur », Voir, En ligne, 6 février 2013. <http://voir.ca/societe/2013/02/06/dossier-art-peur/.> Consulté le 14 avril 2013.iii Isabelle Paré , « L’éducation aux arts est un facteur de réussite scolaire et sociale », Le Devoir, Montréal, En ligne, 18 octobre 2012. <http://www.ledevoir.com/culture/actualites-culturelles/361675/l-education-aux-arts-est-un-facteur-de-reussite-scolaire-et-sociale >. Consulté le 14 avril 2013. iv Cette idée est défendue par plusieurs auteurs. Pour un aperçu de cette approche, voir Sir Ken Robinson, « Ken Robinson nous dit en quoi l’école tue la créativité », TED Talks, Conférence en ligne, juin 2006, 19.29 min. <http://www.ted.com/talks/ken_robinson_says_schools_kill_creativity.html>. Consulté le 14 avril 2013.

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La section centrale, In_visu, est consacrée aux artistes émergents de l’UQAM. Johanne Marchand présente Cassandre Boucher, l’artiste élue pour notre page couverture, tandis que Nancy Belhumeur récapitule les œuvres performatives qui ont ponctué le dernier lancement. Le tout nouveau Dossier artistes : la relève de l’UQAM donne quant à lui l’occasion aux artistes de s’exprimer sur leurs pratiques artistiques. Y sont à l’honneur Fannie Bisson, Myrian Dion, le collectif Les Enfants de Chienne, Fanny Latreille-Beaumont, Émilie Marchand, Simon Morin-Plante et le collectif formé de Shanie Tomassini et Mathieu Cardin.

Les œuvres et les articles publiés dans cette édition d’Ex_situ sont teintés par la même ambition d’une régénérescence sociétale. Acceptation de l’altérité, alternatives créatives à différents dilemmes sociaux, réflexions sur le rapport entre le passé et le présent, etc. : l’art, parfois cathartique, souvent réflexif, sert de relais introspectif à notre rapport au monde et à l’individu. Ce dialogue nous exhorte à nous améliorer continuellement, à défendre collectivement nos valeurs. Dès lors, les retombées d’un système de l’art sain et d’un accès démocratique à la culture sont salutaires à l’ensemble de la société.

Bonne lecture.

Alizée Millot

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Dossier art ancien

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Odalisque à l’esclave, 1839, huile sur toile, 72,1 x 100,3 cm. Harvard Art Museum / Fogg Museum, Cambridge.

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Marie Ferron-Desautels [email protected]

Edwin Holgate et une nouvelle esthétique du nu

Edwin Holgate (1892-1977), peintre, dessinateur, graveur et muraliste d’origine ontarienne, a côtoyé autant la communauté montréa-laise francophone qu’anglophone. Il a également fait partie de nombreuses associations d’artistes d’art moderne dont le Groupe des Sept, le Groupe de Beaver Hall et le Groupe des Peintres cana-diensi. Holgate, qui a reçu une formation académique à Paris, a toujours été intéressé par le nu féminin. Son maître, Adolf Milman, ainsi que Randolph Hewton et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté l’ont particulièrement influencé en ce qui a trait à ce thème qui, au début du XXe siècle, demeure particulièrement controversé. En 1927, l’exposition du nu Une fantaisie moderne, de l’artiste ontarien John W. Russell, provoque un scandale sans précédentii. Durant les premières décennies du XXe siècle, une lutte profonde sévit entre une vision progressiste et moderne de la peinture et une vision traditionnelle et conservatrice, qui ne parvient pas à différencier le nu esthétique du nu érotique. Ce contexte particulier dans lequel Edwin Holgate a évolué et développé son art marque le passage de la société canadienne à la modernité. L’artiste et ses contemporains sont parvenus à instaurer un art proprement moderne qui n’est pas sans déranger les visions les plus conservatrices de l’époque. Les nus de Holgate ont contribué à façonner une nouvelle approche de ce sujet polémique et sont représentatifs d’une nouvelle conception du nu dans l’art moderne canadien.

La rupture avec la vision puritaine et académique de l’art

Durant la première moitié du XXe siècle, c’est essentiellement la pein-ture de paysage qui définit l’art et l’identité nationale. Les paysages du Groupe des Sept participent à la création d’un art nationaliste canadien ayant pour sujet la nature du pays. Le nu se révèle être à l’opposé de ce nationalisme et de cette volonté de se définir comme peuple. À travers plusieurs de ses œuvres, Holgate est cependant parvenu à harmoniser le nu et le paysage, jugés incompatibles à l’époque. Dès 1913, les nus sèment la controverse auprès du public et des critiques canadiens qui craignent que le désir ne soit éveillé à la vue d’un corps nu. D’ailleurs, ils perçoivent ces représentations de la nudité comme un non-respect de l’étiquette selon laquelle « un corps habillé selon le bon goût peut transgresser les classesiii ». Au cours des années 1920, apparaissent une certaine libération des mœurs et une émancipation de la femme, qui rendent possible un affaiblissement de la censure à l’égard des vêtements de celle-ci. Le nombre de nus présentés dans les expositions s’accroît, mais malgré tout, un mode de pensée traditionnel perdure iv. La valeur esthétique et artistique du nu demeure incomprise. Jean Chauvin, journaliste à La Revue populaire, dénonce l’oppression de la puissance morale catholique au Québec et cet excès de pruderie en affirmant que le nu dans l’art est dénué de sexualité et d’érotismev. Il soutient qu’il est fondamental de différencier « l’interprétation picturale et l’objet

i Benezit Dictionary of Artists, Oxford Art Online, Holgate, Edwin Headley, En ligne, Oxford University Press, 2007, <http://www. Oxfordartonline.com.proxy. bibliotheques.uqam.ca:2048/subscriber/article/benezit/B00088869#B2137010>. Consulté le 2 décembre 2012.ii Brian Foss, Rosalind M. Pepall et Laura Brandon, Edwin Holgate, Catalogue de l’exposition présentée au Musée des beaux-arts de Montréal du 26 mai au 2 octobre 2005, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 2005, p. 46.iii Michèle Grandbois, Anna Hudson et Esther Trépanier, Le nu dans l’art moderne canadien 1920-1950, Catalogue de l’exposition présentée au Musée national des beaux-arts du Québec du 8 octobre 2009 au 3 janvier 2010, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, 2009, p. 83-84.iv Ibid., p. 38-41.v Ibid., p. 57-61.

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représentévi ». Edwin Holgate partage cette conception moderne du nu qui est parfaitement perceptible dans son œuvre.

Une nouvelle esthétique du nu

Dès 1920, chez les artistes canadiens, l’iconographie et le rapport au corps se modifient profondémentvii. Les nus féminins répondent aux canons de beauté et à la réalité sociale de l’époque. Ils sont désormais à l’image d’une femme moderne plus libérée, dynamique, portant les cheveux courts et possédant un corps mince et athlé-tique. La toile Les baigneusesviii, exposée au Musée des beaux-arts de Montréal, est un parfait exemple de cette représentation moderne de la femmeix. Tous les artistes modernes canadiens, à l’instar de Holgate, ont étudié le nu d’après des modèles vivants, suivant une conception académique. Pourtant, ils apportent au genre une esthé-tique nouvellex. Les artistes du Groupe de Beaver Hall, entre autres inspirés par Cézanne, portent une attention particulière à l’aspect formel des nus et à l’unité de la surface peinte. Pour ces peintres, le rapport des formes et des couleurs prime sur le sujet figuré. Cette approche, propre à plusieurs artistes tels que Marc-Aurèle de Foy Suzor-Côté, Kathleen Munn, Prudence Heward et Randolph Hewton, prend part à l’émergence d’une nouvelle esthétique corporellexi. Également, la présence de la pilosité chez ces nus témoigne d’une rupture avec la vision académique : le corps n’est plus objet d’idéa-lisation, mais est plutôt abordé dans sa matérialitéxii.

La relation entre le nu et le paysage

Même s’ils dégagent parfois une certaine sensualité, les nus de Holgate sont en général beaucoup moins critiqués que les œuvres de certains de ses contemporainsxiii. La représentation des corps féminins dans un décor en plein air a largement favorisé leur plus grande acceptationxiv. Chez Holgate, les courbes de la femme s’har-monisent parfaitement à celles de la naturexv. Pour le peintre, le nu est un prolongement de l’environnement dans lequel il est placé. Ainsi, chacune des parties du corps rappelle un élément de la nature. Holgate définit d’ailleurs les femmes comme ses paysages, c’est-à-dire par leur matérialité. L’adéquation formelle entre elles et la nature métamorphose ces femmes en paysages vivants et confère aux toiles un aspect transcendant qui va bien au-delà du simple érotismexvi. Les sujets féminins de Holgate, dont les formes et les couleurs s’associent avec la nature, sont à la fois sculpturaux et gracieuxxvii.

vi Esther Trépanier et Charles C. Hill, Le paysage au Québec, 1910-1930, Catalogue de l’exposition présentée au Musée du Québec du 30 janvier au 11 mai 1997, Québec, Musée du Québec, 1997, p. 19.vii Michèle Grandbois, Anna Hudson et Esther Trépanier, op. cit., p. 38.viii Tiré de Musée des beaux-arts de Montréal, Site officiel du Musée des beaux-arts de Montréal, 2012. <http://www.mbam.qc.ca/>, Consulté le 7 decembre 2012.ix Michèle Grandbois, Anna Hudson et Esther Trépanier, op. cit., p. 142.x Ibid., p. 82.xi Ibid., p. 140.xii Ibid., p. 145.xiii Brian Foss, Rosalind M. Pepall et Laura Bandon, op. cit., p. 48.xiv Ibid.xv Ibid., p. 50.xvi Ibid., p. 49.xvii Ibid., p. 151

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Edwin Holgate, Nu dans un paysage, c.1930, huile sur toile, 73,7 x 92,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa.

Cette approche particulière du nu dans l’art témoigne du rôle que Edwin Holgate a joué quant au développement d’une nouvelle conception du nu dans l’art moderne canadien. À l’époque, le nu féminin, genre particulièrement subversif, se fait à l’image d’une femme libérée dont le corps est dénué d’idéalisme et abordé à travers son aspect formel. Holgate intègre même le corps nu de femmes à des paysages auxquels elles se mêlent parfaitement. Cet apport de Holgate et de ses contemporains a permis au nu d’évoluer et de transgresser les limites de la censure et de la morale omniprésentes dans le Canada de la première moitié du XXe siècle.

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Gabriel [email protected]

John Martin : saisir le regard

Dans une Grande-Bretagne bousculée par la révolution industrielle, John Martin (1789-1854) a, par le biais de son art, gagné une noto-riété étonnante. Il s’agit ici de montrer comment l’interprétation particulière qu’avait Martin de thèmes liés à l’Histoire a marqué l’imaginaire du public de l’époque. L’étude prendra comme point de départ le Belshazzar’s Feast, exposé à la British Institution en 1820.

Ce tableau a été reproduit maintes fois par Martin, mais aussi contrefait par des faussairesi. Le passage du Belshazzar’s Feast, exposé dans tous les centres urbains britanniques, a été publicisé dans les journaux où l’on vendait l’œuvre comme du jamais vuii. L’invention de l’éclairage au gaz a aussi permis de voir les œuvres avec une lumière plus stable, uniforme et plus puissante que celui aux chandelles. Martin Myrone avance même que cette innovation a probablement exacerbé l’impact qu’a eu John Martin à son époque puisqu’il était possible d’exposer tard le soir, élément essentiel pour attirer un public ouvrieriii. Le cas du Belshazzar’s Feast est représentatif chez Martin : ses peintures et gravures ont été largement diffusées. À titre d’exemple, le triptyque du Last Judgement (1851-53) a voyagé posthumément de l’Amérique du Nord à l’Australieiv.

Devant le Belshazzar’s Feast, le spectateur se trouve devant une pléthore d’information formelle et iconographique. Il s’agit d’un thème tiré de l’Ancien Testament, où Balthasar, dernier roi de Babylone, vit durant un banquet apparaître une phrase en hébreu. Ne sachant la lire, il fit venir le prophète Daniel qui reconnût l’écri-ture de Dieu annonçant la chute du royaume. C’était un thème qui avait été traité dans la peinture à plusieurs reprises. Par exemple, la version de James Gillray, où Napoléon était le nouveau Balthasar, était connue de tous les Londoniens. Même si peu d’années séparent la version de Gillray de celle de Martin, ce sont deux interprétations différentes. Martin disait de sa toile qu’elle allait faire du bruit comme aucune autre n’avait jamais faitv, et avec raison : le regard du spectateur se perd devant une composition tourbillonnante et monumentale et l’utilisation accrue du rouge ajoute de la flam-boyance à la mise en scène. Si une telle peinture peut étonner les spectateurs aujourd’hui, ceux de l’époque devaient être saisis face à ce paysage sublime.

Le processus de représentation et de production de signes iconiques a été analysé par Umberto Ecovi et les philosophes Jean-Pierre Cometti, Jacques Morizot et Roger Pouivetvii. Ceux-ci se questionnent sur le rapport qu’entretiennent art et réalité : ils tentent de situer la perception entre instinct et convention, mais aussi de voir à quel point une œuvre qui représente un motif, un personnage, une histoire ressemble à la réalité, à la personne, à l’événementviii. Si le Belshazzar’s Feast de Martin se démarquait totalement de ce que les amateurs d’art connaissaient du sujet, l’artiste ne l’a pas dénaturé.

i Thomas Balston, John Martin, 1789-1854. His Life and Works, London, Gerald Duckworth, 1954, p. 176-177. Martin, après avoir poursuivi plusieurs lithographes et marchands pour vente de copies de ses gravures, a plaidé pendant plusieurs années pour la mise en place de Copyright Laws en Grande-Bretagne.ii Martin Myrone, John Martin. Apocalypse, London, Tate Publishing, 2011, p. 101.iii Ibid., p. 104iv Ibid., p. 174-175.v « [...] the picture shall make more noise than any picture ever did before. » (Traduction libre en français dans le texte) Balston, op. cit., p. 54.vi Umberto Eco, « Vers une sémiotique des codes visuels » in La structure absente, Paris, Mercure de France, 1984, p. 174-189.vii Jean-Pierre Cometti, Jacques Morizot et Roger Pouivet, « Art et réalité » in Question d’esthétique, Paris, PUF, 2000, p. 95-114.viii Ibid., p. 103-104.

 

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Les écritures divines à la lumière aveuglante de même que les figures de Daniel et de Balthasar sont rapidement repérables.

Martin a par ailleurs mis en relief un élément très important dans cette histoire : Babylone. Il faut préciser que ce que les Occidentaux connaissaient de cette cité à cette époque consistait en un répertoire d’images bibliques. La plus connue d’entre elles est celle de Pieter Bruegel l’Ancien, La tour de Babel, réalisée en 1563. La filiation entre les deux motifs devait être perceptible pour les contemporains de Martin. Par ailleurs, les nuages en vortex, l’éclair, les flammes, la terre qui se fend sont récurrents dans la plupart de ses œuvres dramatiques et lui ont valu une réputation de peintre apocalyptique. On lui a d’ailleurs reproché d’utiliser cette iconographie par simple volonté de spectacle.

 John Martin, Belshazzar’s Feast, 1820, huile sur toile, 160 x 249 cm. Collection privée (Image tirée de Martin Myrone [Ed.], John Martin. Apocalypse, London, Tate Publishing, 2011, p. 102)

Quoi qu’il en soit, il faut pousser plus loin cette récurrence de motifs apocalyptiques en questionnant la véracité des représentations. L’imagerie populaire de fin du monde tourne en général autour de la tempête ou de la déflagration. Il s’agit ici de conventionnalisme à la Nelson Goodmanix. Effectivement, l’entente tacite entre un artiste et ses spectateurs serait d’imaginer la fin du monde comme une série de cataclysmes naturels qui détruiraient tout sur leur passage. Or,

ix Ibid., p. 96-97.

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il y a aussi une part de réaction instinctive devant une image forte : pour reprendre l’exemple de Cometti, Morizot et Pouivet, si la truite essaie d’attraper un hameçon qui ressemble à une mouche, elle ne le fait pas par conventionx. Ce n’est après tout qu’un animal. C’est probablement pour cette raison que les motifs de tempêtes ont été adoptés comme images de l’Apocalypse, car elles ont toujours effrayé l’homme. En s’attardant en revanche à la tradition académicienne, il est évident que Martin ne s’est pas inspiré du Jugement dernier à la manière de Michel-Ange, où l’homme reste toujours la mesure de référence de la représentation artistique.

Cherchant à expliquer la source d’inspiration de Martin pour ses œuvres apocalyptiques, William Feaver a avancé dans The Art of John Martin que le comté du Northumberland, où Martin est né et a grandi, était l’une des plus stimulées par la révolution industrielle. C’est dans la vallée du Tyne qu’ont été creusées les premières mines de charbonxi. L’art de Martin a un aspect géologique fort prononcé. La roche, concassée ou en fusion, y est omniprésente et les motifs empruntés aux technologies minières se retrouvent souvent dans ses œuvres.

En somme, John Martin a gagné sa notoriété en développant un style visuel qui lui était propre, traitant d’Apocalypse de manière grandiose. Le vocabulaire formel qu’il utilisait n’était cependant pas emprunté aux règles académiques, ce qui lui a valu de sévères critiques. Au cœur de la révolution industrielle, il a puisé des stra-tégies de diffusion et des motifs nouveaux. À son tour, l’imagerie sublime martinienne a été absorbée et surtout matérialisée par les spectateurs du XIXe siècle, où on citait le nom de l’artiste pour décrire les paysages sublimes qu’ils rencontraient dans leurs voyagesxii.

x Ibid., p. 97-98.xi William Feaver, op. cit., p. 4.xii « Travellers throughout the nineteenth century recalled Martin’s name, whether looking at the valley of Kashmir, modern Jerusalem, or the landscape of South Africa or of Australia, with everything of the Mammoth Cave in Kentucky to the amazed crowds witnessing an eclipse in Vienna, to smoke blowing over a village in Central Africa, or the extraordinary geology of the Hebridean Isles being compared to his images. » Martin Myrone [dir.], op. cit., p. 11.

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Marie-Lise [email protected]

Fantasmes orientaux, ou la sentimentalité romantique au service d’une représentation idéalisée de l’Orient

Que ce soit par la richesse de ses étoffes luxueuses aux motifs bordés d’or; que ce soit par l’opulence des atours ornant les décolletés aguicheurs de ses femmes à la chair pâle lascivement installées sur de moelleux coussins; que ce soit par la dimension sauvage et hostile de ses paysages; que ce soit par ses parfums entêtants d’aloès, d’ambre gris ou d’encens, l’Orient a su s’ancrer profondément dans l’imaginaire collectif par la force de son lyrisme.

Cet intérêt pour l’altérité des cultures n’est certes pas une excen-tricité récente puisqu’il apparaît dès l’Antiquitéi. Toutefois, ce n’est que bien plus tard, dans la Serenissima du XVIe siècle, que se déve-loppe cet attrait immodéré pour l’Orient; car Venise, ville portuaire d’influence à partir du Moyen Âge, est la seule ville d’Europe à accueillir les nombreux navires provenant des pays orientauxii. Il n’est donc pas étonnant que des peintres comme Gentile Bellini et Vittore Carpaccio fassent référence à l’Orient dans leurs œuvres. En France, l’étude des pays orientaux naît au XVIIe siècleiii, mais il faut attendre près de deux cents ans pour que se concrétise l’orientalisme comme genre picturaliv.

Les peintres du XIXe siècle sont effectivement nombreux à s’amoura-cher de la culture orientale : elle devient même, selon Victor Hugo, une « préoccupation générale » chez les intellectuelsv. Parmi ces artistes, on retrouve Eugène Delacroix, Jean-Léon Gérôme, Hippolyte Lazerges, Jean-Joseph Benjamin-Constant et Jean-Auguste-Dominique Ingres. Pour Delacroix, sa découverte du Maroc et de l’Algérie en 1832 est particulièrement décisive pour sa carrière. Accompagnant le comte de Mornay dans le cadre d’une mission diplomatique et militairevi, le peintre confie ses impressions à ses carnets de voyage : il y documente assidûment ses trouvailles et y ajoute plusieurs centaines d’esquisses et d’aquarelles. Il les utilise ensuite comme source d’inspiration pour ses nombreux tableaux, mais en proposant une version quelque peu modifiée de la réalitévii.

Cette idéalisation peut s’expliquer par la littérature : les contes des Milles et Unes Nuits (traduits pour la première fois entre 1704 et 1717viii), bien que manifestant une profonde spiritualité, marquent les lecteurs par la prédominance de divers thèmes, dont la sexualité, la violence et l’amour. Ces derniers nourrissent ainsi la transmission d’une image déformée par la poésie, la brutalité et la voluptéix. Outre ces contes, les Lettres persanes de Montesquieu, Zaïre de Voltaire et Les Orientales de Victor Hugo perpétuent la propagande d’un Orient plus poétique que véridique.

Jusqu’en 1830, l’orientalisme est un genre fantaisiste dans lequel les peintres se soucient peu de l’exactitude de leurs sujetsx. En effet, ces derniers optent pour une représentation théâtrale, faisant souvent appel à une sentimentalité prisée par le romantismexi qui

i Gérard-Georges Lemaire, L’univers des orientalistes, Paris, Place des Victoires, 2000, p. 20.ii Musée Fabre, Delacroix et l’orientalisme, En ligne, < h t t p : / / m u s e e f a b r e - e n . montpellier-agglo.com/pdf.php/?filePath=var/storage/original/application/0ecc376ceb2b9d77424141c8bb9d1fb3.pdf>. Consulté le 9 janvier 2013.i i i H e n r y L a u r e n s , « L’orientalisme français : un parcours historique », Penser l’Orient. Traditions et actualité des orientalismes français et allemand, En ligne, Youssef Courbage et Manfred Kropp (sous la dir.), Beyrouth, Institut français du Proche-Orient, Coll. « Contemporain publications », 2004. <http://ifpo.revues.org/206>. Consulté le 14 janvier 2013.iv Musée Fabre, Delacroix et l’orientalisme, op. cit.v Victor Hugo, Les Orientales, En ligne, Paris, E. Michaud Éditeur, 1844, p. xii <http://books.google.ca/books?id=JQ2G9CtS4wwC&printsec=frontcover&dq=les+orientales&hl=en&sa=X&ei=0MjtUPbNK-m40QG06oCIBg&ved=0CD4Q6AEwAQ#v=onepage&q&f=false >. Consulté le 9 janvier 2013.vi Christine Peltre, Les orientalistes, Hazan, Paris, 1997, p. 111-112.vii Ibid.viii Jean Lepage, L’Orient fantasmé, Paris et Narbonne, Somogy Éditions d’art et Musées de Narbonne, 2011, p. 8.ix Lynne Thornton, La femme dans la peinture orientaliste, ACR édition Courbevoie, Coll. « Les orientalistes », 1985, vol. 3, p. 6.x Lynne Thornton, Les orientalistes peintres voyageurs, Paris, ACR Edition, Coll. « PocheCouleur », 1993, p. 6.xi Christine Peltre, op. cit. p. 107.

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privilégie l’enchantement par le pittoresque, le rêve par l’exotisme et l’érotisme par le voyeurisme ou la sensualité sous-entendue. Les inexactitudes historiques sont ainsi particulièrement fréquentes dans les tableaux orientalistes.

Prenons par exemple le Charmeur de serpents (c.1879) peint par Jean-Léon Gérôme : la mosaïque bleue très complexe provient du palais de Topkapi à Istanbul; les dalles de pierres, quant à elle, sont issues de la mosquée de Amr ibn al-As au Caire; et finalement, l’art de charmer les serpents est une tradition exclusivement égyptiennexii. En mélangeant les sources historiques, Gérôme parvient à inspirer une vision plus fantasque que réaliste, mais qui représente parfai-tement l’imagerie populaire de l’Orient à l’époquexiii.

Cet éclectisme semble encouragé. Même si plusieurs peintres préfèrent être témoins des beautés pittoresques de l’Orient, d’autres optent plutôt pour la peinture d’atelier. Ces artistes peignent ainsi à partir de textes ou de gravuresxiv. Ingres, pour son Odalisque à l’esclave (1839), a utilisé ces diverses sources d’inspiration : les objets d’origine turque se marient harmonieusement au décor inspiré des miniatures persanesxv.

xii James A. Ganz et Richard R. Brettell, Chefs-d’œuvre de la peinture française du Sterling and Francine Clark Institute. De l’école de Barbizon à l’impressionnisme, Paris, Skira-Flammarion, 2011, p. 40xiii Ibid.xiv Christine Peltre, Les orientalistes, op. cit., p. 186.xv Gérard-Georges Lemaire, L’univers des orientalistes, Paris, Place des Victoires, 2000, p. 202.xvi Emmanuelle Peyraube, Le harem des Lumières. L’image de la femme dans la peinture orientaliste du XVIIIe siècle, Paris, Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, Coll. « Temps & espace des arts », 2008, p. 43-46.

Jean-Léon Gérôme, Charmeur de serpents, c.1879, huile sur toile, 82,2 x 121 cm. Sterling and Francine Clark Art Institute, Williamstown.

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La thématique accentuant la fantaisie de l’Orient et la plus utilisée par les peintres est sans doute le harem. Projection des plaisirs charnels, des coquetteries indécentes, des frasques amoureuses, des mœurs hédonistes et des passions effrénées, le harem appa-raît comme l’incarnation de l’exotisme des idéaux romantiques et suscite une fascination partagée entre hommes et femmes de la haute société. Alors que certaines femmes, comme Lady Mary Montaguxvi, rêvent de la douce liberté octroyée aux odalisques, les hommes fantasment plutôt sur la jouissance que leur procureraient ces multiples concubines.

Il s’agit toutefois d’une image erronée, encore une fois façonnée par le romantisme. Synonyme d’esclavage, de jalousie, d’aversion menant à la dépravation des mœurs et à l’éclatement de la cellule familiale occidentale typiquexvii, le harem est un espace clos emprisonnant quelques dizaines, parfois même quelques centaines de femmes souvent destinées assouvir les désirs d’un sultan, d’un pacha, ou de tout homme suffisamment fortuné pour se permettre ce privilège onéreux. Le harem étant exclusivement réservé à ce dernier ainsi qu’à ses occupantes, les peintres ne pouvaient y pénétrerxviii. Il devient ainsi, sous le pinceau de l’artiste, un cliché qui, alliant luxe et luxure, se trouve aux antipodes de l’étiquette de la bourgeoisie occidentale.

Inaccessible, hermétique et mystérieuse, l’imagerie du harem renforce l’atmosphère voluptueuse qui l’entoure et intensifie l’engouement de la collectivité occidentale bordée dans une vision romantique alimentée par l’exotisme d’une fantaisie de faux-semblants. Les peintres orientalistes semblent ainsi s’attacher à la superficialité des apparences. Puisque l’orientalisme est une création de l’Occi-dent, cette représentation dissimulerait-elle, sous le voile de cette frivolité, le miroir de leur société ?

xvii Ibid.xviii Gérard-Georges Lemaire, L’univers des orientalistes, op. cit., p. 270.

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Ingrid [email protected]

La cohabitation complice du texte et de l’image dans Le poème de l’âme de Louis Janmot

Le Poème de l’âme est un projet personnel de longue haleine de Louis Janmot (1814-1892). S’écoulant de 1835 à 1881 à travers le chemine-ment spirituel et religieux de cet artiste lyonnais, il se compose de trente-quatre œuvres visuelles accompagnées chacune d’une œuvre poétique. Confectionné dans le secret et l’intimité de l’atelier de l’artiste, il découle d’un besoin de répondre à un questionnement existentiel spirituel et d’un désir d’apporter sa contribution à la peinture religieuse de sa région natale. Janmot utilise à la fois l’art visuel et la poésie pour décrire dans les moindres détails les composantes intimistes et émotionnelles. La narration, ainsi traduite par la peinture et la poésie, puise dans chacune d’elles des modes d’expressions caractéristiques et particuliers. Contrairement à la peinture religieuse conçue à partir de textes, le Poème de l’âme mêle le texte à l’image, donnant à chacun des pendants artistiques sa propre dimension réflexivei. Les expositions du Poème de l’âmeii dans les Salons officiels des beaux-arts a souvent été problématique en raison du nombre important de tableaux, ainsi Janmot limitait le nombre d’œuvres exposées ou avait recours à des expositions privées. Puis, vers 1881, Janmot décida de publier à quelques exemplaires son Poème de l’âme sous forme de livre comprenant les œuvres visuelles et les poèmes.

Unicité et communication des émotions

L’expression de Delacroix « [la] peinture est un pont jeté entre les âmesiii » ancre précisément le concept de l’introspection en art chez les artistes. Ces « âmes » évoquent les affects personnels et suggèrent que la peinture peut ainsi créer une communion entre les artistes et les spectateurs à travers les diverses émotions transmises. Le Poème de l’âme sous-tend cette idée d’unicité des « âmes » humaines par la naissance de leur essence pure dans le Monde céleste. De plus, depuis l’essor de l’individualisme, l’artiste est davantage enclin à exposer ses émotions dans ses œuvres, participant à une prise de conscience commune.

Dans Le Poème de l’âme, chaque personnage représente une allégorie. Cette métaphore littéraire, souvent rencontrée dans les fables, repose sur les stéréotypes associés à certains types de personnalitéiv. Elle facilite la compréhension du message en raison des caractéristiques émotionnelles portées par chacune des allégories et par le sentiment éprouvé par le « héros » lorsqu’il les rencontre. Ainsi, chez Janmot, le rythme poétique tout autant que l’intensité des mots, associés au lyrisme du tracé, participent au partage communicatif des émotions humaines tout en permettant une profondeur dogmatique.

i Louis Janmot est reconnu pour ses nombreuses commandes de peintures religieuses pour la décoration des paroisses. ii Les poèmes étaient souvent distribués individuellement lors de la visite pour permettre une lecture personnelle. iii René Huyghe, L’art et l’âme, Paris, Flammarion, 1960, p. 77.iv Le voyageur, nomade et indécis, le lys, symbole de chasteté et de pureté, le fantôme, porteur de mauvais présages, etc. sont des exemples de personnages utilisés dans le Poème de l’âme, et dont le rôle se réduit aux stéréotypes évoqués par leur nom.

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Le tracé intime et personnel

Les deux pratiques artistiques utilisées par Janmot, liées par la délicatesse du trait manuscrit, dessiné ou peint, permettent aux œuvres visuelles et aux poèmes de se répondre mutuellement. Le tracé de l’écriture peut ainsi se lier au tracé formel de ses œuvres visuelles jumellesv. La dimension manuscrite, après son impression tardive, reste toujours vivante par le rythme poétique et se retrouve en cohabitation de vis-à-vis avec sa dimension jumelle visuelle. Ainsi, une fois imprimé sous forme de livre, le Poème de l’âme renvoie à l’intimité spirituelle et au processus de création effectué dans le secret et l’isolement de l’artiste par la lecture personnelle du livre.

Louis Janmot, Sur la montagne (nº 14 dans Le Poème de l’âme), s.d., Huile sur toile, 113 x 145 cm, Musée des beaux-arts de Lyon, Lyon.

v Ce terme « jumelle » est utilisé ici pour souligner le lien organique qui lie un texte et son image, les deux portant le même titre et étant conçus sous le même thème.

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Par ailleurs, Lessing, s’appuyant sur le concept reconnu et débattu de l’Ut Pictura Poesis, avance que l’expression des émotions possède des codes spécifiques en fonction du médiumvi. Ainsi, l’écriture permettrait la liberté expressive des émotions, alors que le dessin, la peinture et la sculpture devraient respecter une esthétique bien-séante. Afin de conserver cette dernière, l’expressivité est maintenue à travers un travail formel se traduisant par l’élaboration d’un langage corporel qui se substitue aux mimiques du visage, lesquelles, selon la fidélité des émotions transmises, risquent sinon d’échapper aux règles de beauté prônées par la peinture.

Le livre ou le théâtre illustré ?

La publication du Poème de l’âme vers 1881, date présumée de la fin de la conception du corpus, rapproche ainsi sa lecture de celle des livres illustrés. Ceux-ci ont commencé à apparaître dès le XVIIIe siècle avec l’essor de l’imprimerie. Cependant, les textes y prévalent au détriment des images qui ne renvoient qu’une idée fixe et inerte, limitant ainsi l’interprétation du lecteurvii. Au contraire, dans l’œuvre de Louis Janmot l’image définit et précise les idées développées dans les poèmes par sa construction formelle, permettant un enrichis-sement idéologique doublement articulé. Il s’avère que les poèmes ont été créés pour la « déclamationviii » plus que pour la simple lecture. Effectivement, la présentation scénique des personnages dans les œuvres visuelles semble répondre aux formes expressives — descriptions et dialogues — choisies pour les poèmes. Ces choix esthétiques, autant textuels que visuels, renforcent l’idée d’un assemblage des domaines artistiques, et même de ceux qui ne sont pas explicitement présents, tels que le théâtre. Certes, le dialogue des poèmes — à moins d’une lecture orale — est muet et le jeu des personnages se solde par des gestes inertes, mais la sensation de l’action théâtrale se ressent par l’utilisation subtile de la lumière, des positions des personnages, des termes et des concepts évoqués à travers les vers des poèmes.

À travers ses juxtapositions de poèmes et d’œuvres visuelles, Louis Janmot a tenté d’accroître l’intelligibilité de sa série. Par la simple association de poèmes et d’œuvres visuelles, il parvient à libérer le spectateur des limites des médiums utilisés et le pousse à une synthèse vivante et exaltante de l’histoire exposée par le Poème de l’âme.

vi Rensselaer W. Lee, Ut pictura poesis. Humanisme et théorie de la peinture : XVe-XVIIIe siècles, Paris, Macula, 1991, p. 48.vi i Christophe Martin, « Dangereux suppléments », L’illustration du roman en France au dix-huitième siècle, Paris, Éditions Peeters Louvain, 2005, 222 p. viii Elisabeth Hardouin-Fugier, Le Poème de l’âme par Louis Janmot. Étude iconologique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1977, p. 22.

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Dossier sujets d’actualité

Georges-Mehdi Lahlou, Biblical Inlay 2010, 2010, photographie, 125 x 145 cm. Photographies : Cprint.

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Jasmin [email protected]

Photographie de l’invisible, une nouvelle voie pour l’art photographique du XXIe siècle ?

Au tournant du dernier millénaire est apparue une nouvelle tendance en art photographique : une sensibilité visuelle s’exprimant à travers l’utilisation de procédés d’imagerie scientifique. Cette approche émergente donne naissance à diverses images de l’invisible et de l’invisible. À mi-chemin entre abstraction et indexicalitéi, ces photo-graphies rendent accessible l’imperceptible, nous sortant alors de la proverbiale caverne et permettant d’appréhender le réel d’une façon inhabituelle. Les réalités que rendent visibles ces pratiques photographiques sont multiples, mais ont toutes en commun d’être rendues possibles par divers processus scientifiques.

  Timo Arnall, 20 December, 16.57, 2010, Image numérique, tout droits reservés Timo Arnall.

i Rosalind Krauss, « Notes sur l’index » (1977), L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993, p. 63-91.

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Afin d’illustrer cette tendance, trois œuvres paraissant exemplifier de façon paradigmatique cette approche seront présentées :

On pensera, tout d’abord, à l’autoportrait réalisé par imagerie rayons x de Damien Hirst en 2008. L’œuvre, usant de techniques de photographie médicale, révèle un portrait interne de l’artiste. Les os, camouflés sous sa peau et autrement inaccessibles au regard, sont rendus perceptibles tout comme dans une image médicale. Cependant, plutôt qu’être vouée à des fins cliniques, l’image appa-raît plutôt être une appropriation de l’imagerie médicale à des fins artistiques.

Pensons aussi aux photographies de paysages wi-fi du groupe TOUCHii, réalisées en 2011. À l’aide d’un appareil de leur propre invention et de la technique photographique du lightpainting, les membres du groupe de recherche ont produit des images rendant possible de voir la puissance des réseaux wi-fi dans un lieu donnéiii. Ces images se présentent comme des paysages nocturnes auxquels sont superposées des colonnes de lumière représentant la force du signal à cet endroit. Véritables compositions schématiques, ces paysages éthérés permettent au regardant d’appréhender visuel-lement ces ondes invisibles et désincarnées.

Finalement, cette tendance est aussi présente dans la série Traces de Shimpei Takedaiv. L’artiste, originaire de Fukushima, articule son œuvre autour d’un sujet nippon d’actualité : l’accident nucléaire ayant eu lieu dans cette préfecture en 2011. Grâce à la sensibilité du film photographique à la radioactivité, Takeda a pu faire apparaître visuellement les traces de cette présence radioactive en exposant le négatif à de la terre contaminée. La composition presque abstraite qui en résulte rend manifeste au plan visuel la contamination des lieux et permet de voir la radioactivité, généralement imperceptible.

Comme ces trois exemples le démontrent, ce paradigme de l’invi-sible révélé par un mariage d’art photographique et de science s’actualise de façons variées. Cette pratique artistique est apte à créer tant une image médicale (Hirst), des schémas visuels (TOUCH) que des constructions abstraites (Takeda). Considérant la relative nouveauté de cette approche, les œuvres présentées ici ayant été produites récemment, il existe fort probablement d’autres appli-cations possibles de cette pratique ainsi que de nouvelles réalités imperceptibles à révéler à travers elle.

ii Ibid.iii Ibid.iv Shimpei Takeda, « Traces », Shimpei Takeda, En ligne, 2012. <http://www.shimpeitakeda.com/trace/>. Consulté le 28 décembre 2012.

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Alexia Pinto [email protected]

Le cas Koranic Inlay 2010 : généalogie d’un faux scandale

L’écrivain David Lodge déclarait en 2001 que « les médias représentent la plus grande puissance de notre société contemporainei ». L’artiste franco-marocain Medhi-Georges Lahlou se confronta justement à ce pouvoir lorsqu’il fut la cible, à la fin de septembre 2011, d’une campagne d’information mensongère de la part des médias isla-mistes marocains. L’objet de ces critiques était une photographie appartenant au diptyque Biblical et Koranic Inlay 2010, mélangeant nudité et religion. Elle devait être, selon les médias, exposée par la galerie parisienne DIX9 lors de la Foire internationale d’art moderne et contemporain de Marrakech qui se tint du 30 septembre au 3 octobre 2011. Pourquoi et comment ce scandale médiatique prit-il forme ? Il sera tenté d’élucider ces questions en les liant au contexte actuel qui caractérise certains pays musulmans où les tensions sont de plus en plus marquées entre le dogme religieux et la création artistique.

Avant d’aborder le cœur de la controverse, portons notre attention sur le sujet de ces critiques : Mehdi-Georges Lahlou et son diptyque Biblical et Koranic Inlay 2010. La démarche artistique de Lahlou se traduit par des installations picturales et des performances où il utilise son corps comme vecteur pour illustrer ses préoccupations portant sur l’identité, le croisement culturel et les interdits religieux dans l’Islam. C’est dans cette optique qu’il créa le diptyque Biblical et Koranic Inlay 2010, qui est composé de deux autoportraits distincts juxtaposés l’un à l’autre. Le titre de l’œuvre s’explique par le fait que Lahlou projette sur son corps nu, grâce à un jeu de lumière, des versets de la Bible sur la photographie Biblical Inlay et des versets du Coran sur Koranic Inlay.

La controverse entourant l’œuvre Koranic Inlay 2010 se déroula dans les semaines précédant la deuxième édition de la Foire internationale d’art moderne et contemporain de Marrakech. Les critiques sur la présence de l’œuvre à la foire apparurent les 13 et 14 septembre sur des forums et des revues électroniques marocaines, puis dans plusieurs quotidiens imprimés du pays. Plus particulièrement, c’est le journal islamiste Attjadid dans un article datant du 13 septembre intitulé Scandale à Marrakech : invitation d’un « pseudoartiste » qui utilise des versets coraniques dans des projets à caractère sexuelii qui suggéra le premier que l’œuvre serait présentée à la foire. Les diffé-rents journalistes étaient choqués par le contenu de cette photogra-phie qu’ils considéraient blasphématoire puisqu’ils croyaient que les versets du Coran sur le corps de Lahlou n’étaient pas dus à des jeux de lumière, mais étaient plutôt des tatouages.

Devant cette contestation, Lahlou publia le 21 septembre un commu-niqué à l’attention de la presse où il expliqua que le diptyque compre-nant Koranic Inlay 2010 est un autoportrait illustrant sa double appartenance religieuse. Il y précisa aussi que les inscriptions sur

i Macha Séry, « Entretien avec David Lodge », Paris, Le monde l’éducation, nº 278 (février 2000), p.16-21.ii Attjdid magazine, « Marrakech : invitation d’un « pseudo-artiste » qui utilise des versets coraniques dans des projets à caractère sexuel ». Attajdid, En ligne. <http://www.attajdid.ma>. Consulté le 24 octobre 2012.

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son corps n’étaient pas des tatouages. L’artiste en profita pour critiquer qu’une « certaine presse ait publié des écrits infondés sur [ses] propos, [son] travail artistique et [sa] propre personneiii » puisqu’il n’avait jamais eu l’intention d’amener l’œuvre à la Foire de Marrakech. Les organisateurs de l’évènement confirmèrent cette version en rappelant aux médias que le 8 septembre 2011, lorsqu’ils présentèrent à la presse nationale la programmation officielle, l’œuvre controversée de Lahlou n’en faisait pas partie. Malgré les rectifications de l’artiste et des organisateurs de la Foire, les médias n’informèrent jamais le public que le scandale avait peut-être été causé par un malentendu ou par une simple erreur journalistique.

Selon les observateurs de la scène artistique marocaine, même s’il n’est pas possible d’identifier la cause exacte de ce mauvais traite-ment médiatique, il existe cependant deux hypothèses. Lahlou avait déjà été au centre d’une controverse semblable en 2009, lors de l’exposition en Belgique d’une de ses installations intitulée Cocktail, ou autoportrait en société portant sur les interdits en Islamiv. Il serait donc possible que le controverse entourant Koranic Inlay 2010 soit un simple règlement de compte de certains islamistes envers l’artiste. Le scandale fut peut-être aussi le résultat de la volonté de certains groupes d’extrémistes musulmans de gâcher la Foire de Marrakech, qu’ils considéraient comme un évènement subversif, en salissant sa réputation au niveau international.

Au point de vue esthétique, la raison qui explique que Koranic Inlay 2010 ait été victime d’une mauvaise réception est qu’elle mélangeait deux mondes incompatibles, soit le domaine du sacré et de la corpo-ralité. Dans la tradition islamique, c’est historiquement le mélange de textes sacrés à la nudité, au sexe ou à la féminité dévoilée qui serait à ce point explosifv. Dans l’essai Le corps en l’Islam, l’auteur Malek Chebel a une position très intéressante sur le cas présent puisqu’il définit le corps musulman comme un corps textuel. Il serait ainsi soumis à l’acte de prière et aux incantations religieuses, mais aussi à de nombreuses pratiques, dont le tatouage, qui se rapproche par sa nature et son esthétique aux Écritures saintesvi. Notons cependant que les phrases calligraphiées sur le corps selon différents rituels ne proviennent jamais directement du Coran, sauf quelques exceptions faisant partie de traditions communément acceptées. Le problème avec Lahlou était donc que les inscriptions du Coran sur son corps ne faisaient partie d’aucun rituel qui aurait permis cette transgression.

Le cas Lahlou image bien la situation paradoxale dans laquelle se retrouvent les pays musulmans qui sont encastrés entre des vecteurs de modernité et des traditions culturelles et religieuses qui laissent peu de place à la création. Existe-t-il un printemps de l’art arabe ? Le scandale Koranic Inlay 2010 semble plutôt confirmer une incom-préhension ou un certain malaise dans ces pays vis-à-vis d’un type d’art contemporain qui répond plus spécifiquement à des valeurs occidentales. L’impasse où se retrouve l’art dans ces pays reflète ainsi à mon avis le cul-de-sac social et politique que vivent actuelle-ment certains pays du monde musulman après le printemps arabe. L’espoir est cependant de mise, car n’oublions pas que la liberté d’expression peut prendre différentes voies. L’existence d’artistes prônant un Islam modéré ayant un « message tout en nuances, voilé si l’on peut direvii » s’avère une belle promesse pour le futur.

iii Site internet de Mehdi-Georges Lahlou, En ligne. <http://www.mehdilahlou.com/>. Consulté le 23 octobre 2012.iv Cette installation était jugée provocante par la communauté musulmane de Bruxelles, car elle consistait en une reconstitution grandeur nature d’un espace de prière où étaient étalés sur le sol une dizaine de tapis de prière et des chaussures masculines. Ce qui avait été considéré comme un blasphème était la présence parmi les chaussures masculines d’une paire d’escarpins à talons aiguilles de couleur rouge. v Julie Crenn, « Cocktail : autoportrait contrarié », Afr i cu l tures , En l i gne . <http://www.africultures.c o m / p h p / i n d e x .php?nav=article&no=10376 >. Consulté le 24 octobre 2012.vi Malek Chabel, Le corps en Islam, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 84.vii Judith Benhamou-Huet, « Un printemps arabe de l’art », Le point, En ligne. <http://www.lepoint.fr/arts/le -pr intemps-arabe-de- l -art-04-08-2011-1361447_36.php>. Consulté le 8 décembre 2012.

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Georges-Mehdi Lahlou, Koranic Inlay 2010, 2010, photographie, 125 x 145 cm. Photographies : Cprint

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Karolane [email protected]

Galeries hors circuit

Les bars, restaurants et cafés qui exposent des œuvres d’art pour les vendre ou qui organisent des expositions sont peu abordés par les théoriciens, car ils ne sont pas intégrés au champ de l’art. Leur exclusion est notamment flagrante dans l’ouvrage intitulé Système de classification des activités de la culture et des communications du Québeci publié en 2004 par l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ). Celui-ci dresse une liste des endroits liés à un domaine culturel (les arts visuels, les arts de la scène, le patrimoine, le cinéma, etc.) en les regroupant selon leur vocation (la création, la production, la diffusion ou la formation). Dans ce recensement, aucune catégorie n’est associée aux systèmes parallèles dont feraient partie les bars-galeries. En fait, dans sa description, l’OCCQ spécifie que la fonction principale du lieu doit être en lien avec un élément de la culture. Par conséquent, tous les endroits qui n’ont pas cette mission première, dont ceux liés à la restauration, sont automatiquement exclus et leur apport non considéré.

Toutefois, une éclosion de ces derniers dans le paysage québécois est perceptible et leur importance est quantifiable. Une étude statis-tique menée en 2010 sur les lieux d’exposition de prédilection des artistes en arts visuels incorpore la catégorie « autre lieu public ou commercial » qui englobe les restaurants et les barsii. Ceux-ci détiennent la troisième position pour héberger autant les exposi-tions collectives qu’individuelles. Ces lieux alternatifs devancent en popularité les centres d’artistes et se situent derrière les galeries privées et les maisons de la culture.

Cette notoriété marquée et cette absence d’analyse rigoureuse sur le sujet engendrent de nombreuses interrogations entourant ces galeries hors circuit, notamment autour de la figure de l’artiste, du statut de l’œuvre ainsi que de leur rapport aux lieux étatisés et reconnus du champ de l’art. Pour répondre adéquatement aux interrogations qu’ils suscitent, il faut insérer ces bars-galeries dans leur contexte d’émergence. Présentes depuis plusieurs décennies, les expositions se déroulant dans des lieux non institutionnali-sés revêtent une signification différente dans tous les pays qui en possèdent et les raisons de leur existence divergent d’une époque à une autre, d’où l’importance de contextualiser. Le Québec est actuel-lement constitué de divers réseaux artistiques. Conséquemment, il faut considérer leur imbrication cas par cas.

En se basant sur la typologie du Québec, le Ministère de la Culture, de la Communication et de la Condition féminine (MCCCF) a formé quatre territoires culturels en regroupant les régions administratives en fonction de leur proximité avec les centres culturels dominantsiii. Donc, il y a les régions centrales, périphériques, intermédiaires et éloignées. Toutefois, le MCCCF ne fait que délimiter le Québec en fonction de l’espace territorial occupé sans se préoccuper des

i Gouvernement du Québec, Institut de la statistique du Québec, L’Observatoire de la culture et des communications du Québec (Québec), 2004, Système de classification des activités de la culture et des communications du Québec, Bernier, Serge (sous la dir.), 141 p.ii Gouvernement du Québec, Banque de données des statistiques officielles sur le Québec, « Lieux d’exposition », En ligne, 2010, <http://www.bdso.gouv.qc .ca/p ls /ken/KEN263_RECHR.p_tratr_rechr>. Consulté le 6 décembre 2012.iii Gouvernement du Québec, Ministère de la Culture, de la Communication et de la Condition féminine (Québec), février 2012, Portraits statistiques régionaux en culture : Lanaudière, Steve Simard, 102 p.

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institutions artistiques ou des réseaux présents. Fortin et Harveyiv, sociologues du territoire qui s’intéressent à la culture en région, ont davantage abordé cet aspect en proposant un schéma avec des regroupements similaires où ils leur accolent toutefois un fonc-tionnement culturel. Par exemple, les régions centrales possèdent selon eux une « concentration de la création, de la production, de la diffusion et / ou l’appareil d’Étatv ». Les suivantes, qu’ils nomment les régions satellites, sont caractérisées par leur « proximité aux grands centresvi », mais sans toutefois posséder « d’infrastructures culturelles complètesvii ». Ensuite, les régions intermédiaires et éloignées se définissent par des « ressources et des infrastructures variéesviii » tout en possédant une distance plus au moins importante avec les pôles urbains.

À partir de ces délimitations, les problèmes dans le fonctionnement du champ de l’art en région et dans les métropoles sont plus aisément mis en relief. Une fois ces lacunes soulevées, les raisons d’existence de ces bars-galeries deviennent plus évidentes. Par exemple, Meggie Savardix, en prenant le cas du Saguenay-Lac-Saint-Jean, énumère les difficultés auxquelles doivent faire face les musées de cette région qui ne répondent pas nécessairement aux besoins des habitants. Ils sont situés physiquement loin de leur communauté et en voulant se tourner vers l’internationalisation de la pratique artistique, ils perdent leur vocation de rejoindre la population. Finalement, les musées saguenéens sont pénalisés de prime abord à cause de leur situation géographique. Effectivement, se trouvant loin des centres culturels forts, les divers paliers gouvernementaux ne leur accordent pas beaucoup d’importance et, par extension, moins de subventions leur sont allouées. Cette situation muséale problématique a des répercussions sur le réseau artistique de cette région. Il est possible d’amener l’hypothèse que les endroits d’exposition alternatifs sont centraux dans ce système-ci, car ils deviennent pratiquement les seuls lieux de diffusion de l’art accessibles.

Par comparaison, à Montréal, ville qui détient deux des trois musées-rois québécois, une forte vie culturelle est présente par le pullulement et l’accessibilité des espaces donnant une visibilité aux créations artistiques. Ainsi, la fonction des lieux marginaux diverge et peut être associée à l’idée de démocratie culturellex, soit une ouverture des pratiques aux néophytes. À titre d’exemple, Les Foufounes électriques ont organisé une exposition conjointement avec la Maison Benoît Labre, qui est un refuge pour sans-abri, le 4 février 2012. Les itinérants prenaient des clichés de leur réalité qui par la suite, constituaient l’exposition.

À partir de ces exemples, l’hypothèse que ces galeries hors circuit répondent à des problèmes propres au système culturel dans lequel ils se déploient semble juste. En quelque sorte, les bars-galeries viennent pallier les manques apparents de la région dans laquelle ils éclosent, que ce soit relatif à la diffusion, à la reconnaissance ou à la démocratie culturelle. Ainsi, il s’avère impossible de faire ressortir une définition claire et globalisante du rôle de ces lieux d’exposition tant ils sont attachés aux particularités régionales où ils se trouvent. Bref, ces endroits, quoique peu étudiés, sont bien ancrés dans la réalité québécoise et doivent faire l’objet d’analyses poussées pour comprendre leur apport dans l’évolution du champ de l’art actuel dans le contexte précis du Québec.

iv Andrée Fortin et Fernand Harvey (sous dir.), La nouvelle culture régionale, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 1995, p. 30.v Ibid., p. 30.vi Ibid., p. 30.vii Ibid., p. 30.viii Ibid., p.30.ix Meggie Savard, « Les musées en région au Québec : essai de définition », Muséologies : les cahiers d’études supérieures, vol. 6, nº 1, 2012, p. 119-135.x Lise Santerre, « De la démocratisation de la culture à la démocratie culturelle », in Démocratisation de la culture ou démocratie culturelle ? Deux logiques d’action publique, (sous la dir. de) Guy Bellavance, Sainte-Foy, Éditions de l’IQRC, 2000, p. 47-63.

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Shanie Tomassini et Mathieu Cardin, Chaise filante, 2013, chaise et pigment, dimension variable. Photo : avec l’aimable autorisation du collectif.

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Johanne [email protected] / [email protected]

Cassandre Boucher, créatrice de la page couverture : l’éclatement de la matière, quand la peinture ne suffit plus

« Pourquoi faire comme tout le monde ? La peinture manque d’origina-lité et de spontanéité, c’est une chose qu’on peut faire par l’actioni », déclare Cassandre Boucher, finissante au Baccalauréat en arts visuels et médiatiques à l’UQAM. Celle-ci insiste sur le fait qu’elle ne désire ni correspondre à un certain type d’artistes ni avoir une pratique spéci-fique. Pour ce faire, sa pratique mélange peinture et art d’impression tout en ajoutant parfois d’autres médiums qui lui tombent sous la main. L’improvisation, l’imprévisibilité, l’action et la destruction dans ce type d’œuvres renvoient au processus même de la création tout en demeurant complexes, car il ne s’agit pas seulement d’un art pictural, mais également d’un art d’investigation, expressive en tout point.

Sa démarche s’oriente vers l’imprévu du résultat en procédant de manière à la fois méthodique et hasardeuse. En effet, Boucher mentionne « [qu’à] mi-chemin entre l’intuition et l’improvisation, c’est dans l’action que s’élaborent des compositions où la matéria-lité cohabite avec la représentation. [Elle conçoit] l’image en tant que vecteur mémoriel, par opposition au geste, qui s’inscrit dans l’instant présent.ii »

En ce qui concerne l’aspect mémoriel, il faut noter que l’inspira-tion majeure de l’artiste demeure la photo, soit une image liée à la tradition, à l’icône et au souvenir et offrant un potentiel visuel. L’image est déconstruite afin de créer un mouvement visuel qui se combine bien avec les médiums choisis. C’est ce qu’on observe dans son œuvre Une souris verte, qui courait dans l’herbe, Je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieursiii de 2011, qui se situe entre peinture et sérigraphie. Dans cette œuvre, la figure humaine provient d’un cliché sur lequel un jeune garçon sembler poser. Cette photo comporte des défauts, c’est-à-dire des points lumineux et des zones ombragées, qui sont mis en relief par sa reproduction sérigraphique et des touches de peinture. Cette stratégie de décomposition de la photo fait en sorte que les composantes formelles impersonnelles deviennent des éléments de contemplation.

L’action comme empreinte de l’artiste

L’intervention physique dans l’œuvre bidimensionnelle témoigne de l’implication corporelle de la créatrice, produisant une matérialité pendant le processus. Ainsi, Lieux mnémoniquesiv (2011) est la repro-duction sérigraphique d’une pièce significative pour l’artiste, qui devient cependant un arrière-plan banalisé au profit de la masse de peinture qui s’impose au premier plan. Les éclats et fissures dans cet amas d’époxy et d’acrylique matérialisent l’implication vive de Boucher. La trace de l’artiste et la corporéité de l’œuvre sont devenues au fil du temps ses préoccupations charnières. Elles correspondent à son souci de la virtuosité de l’artiste et à son implication corporelle dans l’œuvre d’art.

i Cassandre Boucher, « La démarche artist ique de Cassandre Boucher », Entrevue réalisée par Johanne Marchand lors de l’exposition Architecture des possibles à l’église Sainte-Brigide de Kildare du 15 au 24 mars 2013, Montréal, 20 mars 2013, durée 44 min 13 sec. Format MP3ii Ibid.

 

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Cassandre Boucher, Une souris verte, qui courait dans l’herbe, Je l’attrape par la queue, je la montre à ces messieurs, 2012, acrylique sur masonite, env. 91.5 x 122 cm. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

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C’est ce qui l’a amenée à déployer une multitude de modes artistiques hybrides combinant plusieurs pratiques, savoir-faire, techniques et médiums. En vertu de cette préoccupation envers le visible, la trace met au premier plan « le processus de création artistique et puise à même l’héritage des pratiques improvisées, dites intermédiaires et conceptuelles, qui sont des pratiques axées sur le processus.v » Ainsi, dans l’œuvre de Boucher, l’improvisation, la fragmentation et la destruction sont génératrices d’un mouvement libre, réel et dynamique à même une surface plane. L’altération de ses œuvres ne signifie pas le malheur lié à la perte de la mémoire, mais bien la nostalgie qui détruit l’unité statique des œuvres bidimensionnelles.

L’anticonformisme de cette artiste l’inscrit dans une zone grise. Ceci nous amène à nous questionner sur la validité de l’association entre la création et l’art et sur la valeur de la destruction comme non-art ou comme nouvelle forme d’art. C’est l’idée que soulève le critique d’art André Fortin :

[…] il faut y voir aussi une mutation de la conception de l’art et de l’artiste. L’art n’apparaît plus tant comme un objet que comme un processus. L’œuvre est dans le faire et non dans l’objet qui en résulte, celui-ci devenant simple trace de ce faire. L’objet perd ainsi de son importance et l’œuvre peut être aussi bien dans le « défaire » que dans le « faire »; […] Mais si on déclare que ce geste (de destruction) est lui-même une œuvre, c’est qu’on conçoit l’art comme geste.vi

Cette mutation dont parle l’auteur explique la fusion des pratiques, provoquant ainsi un regain d’intérêt pour la matière de la part de l’artiste, tel qu’en témoignent les exemples précédents.

La destruction, caractère dynamique sur une surface

À partir de cette notion de destructionvii, le caractère dynamique du geste produisant des craquements, brisements, tiraillements, etc., produit une tridimensionalité. C’est notamment le cas de Palimpsesteviii (2013), une œuvre imprimée sur du plâtre, soit un matériau normalement utilisé en sculpture, qui est ensuite brisé de sorte qu’il prenne la forme de l’angle formé par le mur et le sol. Boucher affirme qu’elle occasionne quelque chose de nouveau sur les plans perceptif et formel à partir de craquements au moment de la création. Cette action fait partie intégrante de la démarche de l’artiste puisque la déformation permet la formation d’éléments dynamiques détruisant l’homogénéité de la composition :

Je n’hésite pas à cacher, altérer, voire détruire les images que je crée ou des parties de celles-ci. Le support est un objet. Je le perce, le casse, saute dessus à pieds joints, le maltraite. L’image d’origine y est immolée. […] Naissent alors de nouveaux effets visuels, oscillants de l’iconoclasme soigné à l’édification saccagée.ix

iii Amelia Jones, « Les traces matérielles, la temporalité et le geste en art contemporain », Essai, Galerie Leonard & Bina Ellen, Université Concordia, exposition, Les traces matérielles, la temporalité et le geste en art contemporain. 2013, Édition et impression, Quadriscan, Galerie Leonard & Bina Ellen p.34vi Andrée Fortin, « Détruire le mythe », Revue Inter : art actuel, n° 75, Montréal, 2000, p. 30-31.vii La destruction qui consiste à détruire, à altérer, voir à réduire à néant un objet ou autre. : Par Andrée Fortin, « Détruire le mythe», Revue Inter : art actuel, n° 75, Montréal, 2000, p. 30-31.viii Palimpseste, 2013, sérigraphie et transferts sérigraphiques sur plâtre, 48 x 72 pouces, photo : courtoisie de l’artisteix Cassandre Boucher, « La démarche artist ique de Cassandre Boucher » Entrevue réalisé par Johanne Marchand, lors de l’exposition Architecture des possibles, Montréal, mercredi le 20 mars 2013, durée 44 min 13 sec. Format MP3

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Cassandre Boucher, Lieux mnémoniques, 2012, sérigraphie et époxy sur plâtre, env. 122 x 122 cm. Photo : avec l ’a imable autorisation de l’artiste.

Dès lors, la pluralité des styles formels et l’exécution deviennent complexes étant donné les multiples directions que peut prendre l’œuvrex.

En fin de compte, ce type de tension nous oblige à réfléchir sur la définition même de l’art, car il existe actuellement un pluralisme esthétique dont témoignent les œuvres de Cassandre Boucher. Ses réalisations artistiques sont à la fois porteuses de mémoire et d’action et visent une exploration ne pouvant pas, pour le moment, se voir accoler une seule étiquette, mais plutôt plusieurs. Cette artiste explore les contraintes fonctionnelles du médium, ce à même la surface par les arts d’impressions et par le corps. De ceci résulte un autre langage visuel faisant appel non pas à la peinture, mais à une prise de position.

Cassandre Boucher, Palimpseste, 2013, sérigraphie et transferts sérigraphiques sur plâtre, env. 122 x 183 cm. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

x Voir l ’œuvre : Lieux mnémoniques, sérigraphie et époxy sur plâtre, 48 x 48 pouces, photo : courtoisie de l’artiste

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Dossier artistes : la relève de l’UQAM

Fannie [email protected]

Une femme / Une enfant Force tranquille Le fragile, le délicat

L’éphémère au sein de la pérennité.Le potentiel Ce qui mijote en secret L’étincelle de vie. Le fertile / Le stérile.

L’imprévisible.Lâcher prise Laisser aller laisser venir Le beau

dans le rêve / Le beau dans le réel La semence en dormance dans le sol, masse

brute et sombre, et qui germe un jour dans un éclat de vie.

La puissance de la vie. Les formes qui la protègent. Ses maisons. Ses nids.

 

Fannie Bisson, (O)o, 2013, 90 x 60 cm., photographie; autoportrait de l’artiste. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Myriam Diondion.myriam.2.courrier.uqam.ca

J’investis le papier d’un savoir-faire, d’un processus lent et minutieux; je le cisèle, le dissèque, le recycle. Je m’engage sur la page, je dentelle le temps. Ma démarche est en marge d’une société de consommation, de rendement, de vitesse, de technologie et d’ef-ficacité. J’agis à contre-courant, je prends le temps de prendre mon temps. La répétition offre une dimension méditative; je m’installe dans un espace psychique où j’alimente une obsession pour les motifs et les détails. Mon travail est un refuge, il est un outil de distan-ciation face à une société qui m’essouffle.

 

Myriam Dion, Démontage; un coussin de ce qu’il en reste, 2012, papiers journaux découpés a l’exacto, 56 x 56 x 65 cm. Photo : Flavie Dion, avec l’aimable autorisation de l’artiste.

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Les enfants de [email protected] / www.lesenfantsdechienne.com

Les Enfants de Chienne (EDC) est un collectif d’artistes bums du Québec qui se rapproche, dans sa structure interne, des groupes de motards criminels. EDC est une œuvre en soi, qui oriente ses productions vers l’infiltration et l’événementiel : il assure sa visibilité dans toutes les sphères, milieux et communau-tés qu’il juge dignes de sa présence. Pour chacune de ses apparitions, le groupe tisse des liens avec le public et des artistes afin d’infiltrer les sphères culturelles et sociales. Plus qu’une simple infiltration, EDC est une invasion perpétuelle. Ses manœuvres d’au-topromotion font partie intégrante de son concept artistique.

Les Enfants de Chienne — ART CLUB, sans titre, n.d., photographie d’une apparition du groupe, dimensions inconnues. Photo : Antoine Benhini, photographe officiel des Enfants de Chienne, avec l’aimable autorisation du collectif.

Fanny [email protected]

Ma pratique a une allure à la fois ludique, naïve et teintée de cynisme. Je travaille avec l’erreur de la transmission, la distorsion de l’information, la superposition et le détour-nement de sens.

Foirer est une vidéo composée d’images tour-nées lors d’un long séjour en France. Sous le décor ludique et festif de la fête foraine, elle met en lumière les préjugés entretenus en France et en Europe par l’assemblage de phrases tirées de conversations diverses avec des amis d’origines différentes. La foire révèle un microcosme où l’on retrouve les rejeté de la société française, soit les Magrébins et les gitans, souvent propriétaire de ces attractions.

Fanny Latreille, Foirer, 2011, capture d’écran de la video, 2m52. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

 

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Émilie [email protected]

Je vis où je me sens interpellée et travaille à partir de ces lieux. J’ai complété des études en théâtre, mais m’en suis vite lassée. Le décor et la scène m’apparaissaient trop petits comme terrain de jeux. Je travaille principalement la performance et la vidéo. Le dépaysement, le mouvement et la rencontre sont mes moteurs d’inspiration premiers. Je me questionne essentiellement sur l’humain : son rapport à l’autre, voire aux autres, à son environ-nement et à sa solitude. Les contradictions et ambivalences qui émergent de ces rela-tions (ou absence de relation) m’interpellent particulièrement.

Émilie Marchand, sans titre, photographie tirée d’une série d’actions réalisées à Bogota avec les Gafas de cimento, 2011. Photo : avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Simon Morin-Plantemorin-plante.simon@courrier.uqam.cawww.marlonstudio.com

La recherche d’identité, le deuil, l’échec et la difficulté de communication verbale pour ma génération imprègnent mon œuvre. Je travaille en série et cette méthode me permet de toujours reconduire une nouvelle étape de matérialité. Je fais le constat hérétique de la société de mon époque. J’explore et ques-tionne la relation de l’humain face au deuil. Ambiguïté corollaire pour moi-même, rési-lience pour d’autres. J’illustre les rituels qui l’accompagnent par des estampes monotypes de linceuls, évoquant ainsi le moment précis du passage de la vie à la mort. La perceptibi-lité de la trace et la documentation tangible sont les principales sources de la pérennité de mon œuvre et de mon propos.

Simon Morin-Plante, In Situ 01 (série Quantum), 2012, épreuve photographique numérique. Photo : avec l ’ a imab le autorisation de l’artiste.

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Shanie Tomassini et Mathieu [email protected]@gmail.com

Ce qui marque nos collaborations relève d’une réécriture de notre quotidien à travers l’objet expressif. Un glissement souvent ludique de la forme qui en altère la fonction. C’est dans la frontière entre réalité et fiction que nous prenons plaisir à articuler ces synopsis. Nos sculptures sont le fruit de réflexions autour du comportement de l’humain, spécialement en lien avec l’objet qui l’entoure. Nous aimons composer des images simples et calculées qui manipulent et déforment le réel pour créer une sorte de quiproquo visuel.

Exposition à venir :

π Ultramoderne (MFA Show Concordia), du 23 mars au 6 avril à Art mûr

Shanie Tomassini et Mathieu Cardin, Balai royal, 2012, balai, couronne de métal, 150 x 50 x 25 cm. Photo : avec l’aimable autorisation du collectif.

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Nancy [email protected]

Le dernier lancement d’Ex_situ : un évènement-performance

Montréal, 27 avril 2012 — À la suite du succès de l’évènement de son 10e anniversaire (numéro 20), Ex_situ a réitéré l’expérience d’un lancement avec pratiques performatives pour son 21e numéro.

Par la présentation d’artistes actuels principalement issus de l’UQAM, ces événements permettent une conjugaison des aspects tant théo-rique que pratique de cette revue scientifique. D’ailleurs, une des ambitions d’Ex_situ est d’encourager le réseautage entre les différents étudiants se regroupant dans la sphère de l’art et de la culture. Les pratiques artistiques présentes tendaient vers l’interdisciplinarité et se déclinaient sous plusieurs formes : musique, vidéographie, danse et projection.

Les lancements coïncident généralement avec la fin de session étudiante. Fait d’exception, cette soirée, tout comme la revue, s’est inscrite dans un contexte distinct de revendication étudiante et sociale désigné sous le terme de « printemps érable » au Québec.

L’espace du Vinyl Lounge, situé au 2109, rue de Bleury, a permis de créer une configuration particulière en deux étapes, ce parcours artistique étant marqué par une ambiance festive. Notre collègue Guillaume Turenne, l’un des responsables de la soirée du lancement, a joué le rôle de platiniste et a rythmé cette soirée ponctuée de performances. Après les remerciements protocolaires, la soirée a débuté par la projection des différentes œuvres proposées par des artistes de l’UQAM pour faire la page couverture de la revue, la gagnante de ce concours, Sophie Aubry, s’étant également mérité d’être le sujet d’un article dans la section In folio.

Le premier artiste à monter sur la scène fut P∆T∆CLOW qui, discutant des origines de ses intérêts audiophiles, a déclaré qu’ils étaient nés « sur une batterie de cuisine. BEDING BEDANG ping ting ping BOUM et VLAN !i ». Touche-à-tout musical, il nous a offert deux prestations de multivocalismeii qui intégraient tout son corps d’un point de vue sonore et visuel. Il s’exhibait seul ou avec son harmonica, tel un personnage coloré et bruyant qui interpelle les foules.

À sa suite, nous avons assisté à Freeze chorégraphique, une perfor-mance alliant lumière et mouvement. Chorégraphiée et interprétée par Violaine Morinville en compagnie de quatre danseurs, elle était soutenue par un bruiteur qui apportait une ambiance particulière à la scène. Cette danse était inspirée des « mobilisations geliii », ici sur le thème de la lumière. Les interprètes, tout près des specta-teurs, encourageaient une intimité avec eux dans leur tourbillon lumineux et étrange.

Le duo constitué de Sébastien Lafleur et de Francis Pineau, artistes multidisciplinaires, proposait quant à lui un univers singulier alliant

i Propos recueilli à partir du dossier de l’artiste.ii Tout en considérant la politique éditoriale de la revue concernant les anglicismes, nous tenons à respecter le propos de l’artiste qui présente sa pratique comme étant du « beatbox », traduit par « multivocalisme » en français.iii La mobilisation éclair (« flash mobs ») est un phénomène encouragé et propulsé par les réseaux sociaux. Elle consiste en une action collective ou en une performance artistique d’une foule, d’un rassemblement à un même endroit pour un court laps de temps et qui se disperse ensuite rapidement. La mobilisation gel (« flash mobs freeze », terme utilisé par l’artiste) se distingue quant à elle par le fait que les gens rassemblés s’arrêtent de bouger à un moment donné pour quelques instants. Plusieurs évènements de ce genre sont répertoriés à travers le monde.

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audio et visuel. Il mélangeait autant l’« animation traditionnelle et la vidéo expérimentale, la musique « noiseiv » et les rythmes futuristesv ». Les spectateurs étaient invités à s’imprégner de l’ambiance et de cette quête exploratrice sur l’évolution et le mythe de la création.

Le deuxième espace situé à l’arrière de la salle a permis de créer un lieu plus intime offrant l’occasion de prendre une pause et d’apprécier une variété de vidéos d’art expérimental. Les artistes présentés étaient Simon Bouchard (Onarisme, Semer S’aimer), Viviane Archambault-Lavigne (Cru-Haut, Pore, O), Ariane Deschênes (Je suis une esclave pour toi, Couleur moi ta couleur, Portrait Schizo), Philippe Internoscia (Me Tube [3 en 1]), ainsi qu’une vidéo promotionnelle du collectif les Enfants de chienne.

Finalement, l’intérêt du public et la créativité des artistes encou-ragent la mise en place de tels événements-performances ancrés dans la contemporanéité montréalaise et mettent en valeur les talents d’ici.

P∆T∆CLOW Facebook https://www.facebook.com/pages/PACLOW/350661921687404?fref=tswww.myspace.com/pataclow

Violaine Morinville20-20interarts.blogspot.comwww.dansecouleur.com

Liens :Entrée Vinyl Lounge, 27 avril 2012, Évènement d’art perfomance : lancement du numéro 21 d’Ex_situ, Vinyl Lounge, Montréal. Photo : Yannick Giguère, avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Ariane Deschênesarianedeschenes.blogspot.com

Philippe Internosciawww.philippeinternoscia.comdeutschlandmegastar.de

iv « Musique bruitiste » en français.v Propos recueilli à partir du dossier de l’artiste.

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Violaine Morinvi l le (et s e s danseurs ) , F reeze chorégraphique, 27 avril 2012, Performance, évènement d’art perfomance: lancement du numéro 21 d’Ex_situ, Vinyl Lounge, Montréal. Photo : Yannick Giguère, avec l’aimable autorisation de l’artiste.

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Jasmin [email protected]

La création du nouveau logo de l’AEMHAR

C’est suite à un concours lancé par l’Association étudiante du module d’histoire de l’art (AÉMHAR) à l’hiver 2012 pour renouveler son logo que je me suis décidé à tenter ma chance. Ceux que j’ai conçus, ainsi que d’autres réalisés par divers graphistes, ont été soumis à une assemblée générale des étudiants et étudiantes en histoire de l’art. Je ne m’attendais pas à voir ma création devenir le logo officiel de l’association à hiver 2013.

Si j’ai principalement réalisé ma proposition de logo par plaisir créatif, il y avait cependant une réflexion derrière sa création. Mon objectif premier fut d’actualiser le précédent, c’est-à-dire d’en reprendre l’idée, mais d’en changer la forme. Il me paraissait aussi important d’inclure des éléments faisant référence aux arts.

Le premier élément à se voir transformé a été la typographie. J’ai choisi d’opter pour une police qui me semblait plus moderne. Inspiré par les expérimentations plastiques du début du 20e siècle (notam-ment celles des mouvements futuristes et constructivistes), j’ai disposé les éléments textuels de façon à les esthétiser et à en faire des éléments plastiques de l’image. Le carré qui encadre et définit les limites du logo est une reprise conceptuelle du cadre présent dans son ancienne version. Évidemment, la forme du carré n’est pas sans rappeler l’un des symboles notoires de la lutte étudiante.

De manière plus générale, mon objectif fut de créer une icône pour l’AEMHAR annonçant tant sa nature, celle d’une association étudiante, que son champ d’intérêt, l’histoire de l’art.

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Comptes-rendus

J.J. Levine, Rae Spoon (Queer Portraits), 2012, épreuve chromogénique, 50 x 60 cm, Montréal

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Anne-Marie [email protected]

Queer portraitsDe l’inspécificité du genre

Que doit-on faire du genre ? A-t-on toujours besoin du genre ? La série photographique Queer Portraits, de l’artiste montréalais.e genderqueer J.J. Levine, donne à voir ce que le discours hétéronor-matif garde jalousement sous silence : l’utopie du genre.

La pensée queer

La castration du genre vient de ce que notre vocabulaire, affublé d’un handicap grammatical flagrant, nous contraint à restreindre le genre à une binarité factice. Les identités queers mettent à mal ce discours polarisant sur les genres, empêchent de nommer, car à la fois ceci et cela, ni ceci, ni cela. Ce qui est problématique, ce n’est pas la soi-disant nature différente des identités queers par rapport à cette humanité qui constitue arbitrairement la norme, mais plutôt l’impossibilité de nommer cette non-conformité. Ainsi, ce n’est pas le fait d’une différence, mais plutôt d’une différencei, si je puis emprunter au néologisme derridien. En ce sens, les identités queers n’ont pas la volonté de substantialiser l’identité comme sujet ontologique, mais elles tentent plutôt d’évoquer l’impossibilité d’une telle matérialisation. L’humanité dont dépend la viabilité des identités queers repose donc sur la reconnaissance de critères de lisibilité définis par l’hégémonie de la norme de genre. Ni homme, ni femme, femme et homme à la fois, les identités queers se voient grammaticalement dépossédées de genre, n’ayant pour être qu’une bicatégorisation descriptive obsolète.

Queer Portraits met à mal notre sacro-sainte manie de tout vouloir catégoriser, de vouloir mettre des F et des M là où il n’y a que des identités insaisissables et impermanentes. J.J. Levine évoque l’im-possibilité pour le genre d’être ce qu’on lui demande, à savoir une entité déterminée, fixe, immuable. Ce qu’illeii montre à voir, c’est l’utopique matérialisation du genre, cette incarnation factice des codes qui légitiment et maintiennent le genre. Les sujets, ami.e.s de l’artiste, sont saisi.e.s dans l’intimité, dévoilé.e.s à l’intérieur d’espaces aux évocations rococo. Les effets chromatiques sont soulignés par l’utilisation appuyée de motifs floraux sur les sofas et les literies ou encore par la présence d’éléments décoratifs kitsch.

Conjuguée à la planéité colorée des murs près desquels elles se tiennent, la centralité des figures photographiées accentue la sensa-tion de proximité entre le spectateur et les sujets des œuvres. Notre regard ne peut ainsi échapper à ces corps hybrides, métis. La fronta-lité des figures contraint le regard à un face à face ambigu sur la vali-dité même de la bicatégorisation genrée. Les poses sont désinvoltes, mais franches, affirmatives d’une identité qui ne saurait se fixer, qui ne saurait se réduire à ce qui est montré. L’iconologie de Levine n’est pas accidentelle au foisonnement d’identités rhizomiques et

i Jacques Derrida, L’écriture et la différence, Paris, Seuil, 1967, p. 436.ii Se revendiquant genderqueer, J.J. Levine souhaite privilégier le contractile ille en référence à son nomadisme de genre.

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fait écho aux narrations qu’ille installe dans chaque photographie comme autant de témoignages visuels de la vacuité du genre.

La fiction du genre

Avec la série Queer Portraits, tout un univers de reconfiguration identitaire devient possible. Par le truchement du métissage des genres, Levine dévoile la caducité du système de représentation binaire homme / femme. Les codes représentationnels des genres polarisés, clé de voûte de la reconnaissance unisexuée, sont ici brouillés, les frontières catégorielles effacées. Le genre queerisé devient la fiction d’une réalité en composition, insaisissable puisque performatif. L’entité queer se réinvente sa propre histoire aux limites de la norme, se construit une grammaire propre pour se dire et se renouveler sans cesse. Sa langue n’a pas de langage, son corps étant la tour de Babel du discours hétéronormatif. Les portraits de Levine concourent à enrichir ce dialecte en construction, à façonner ces identités en mutation. Ils en sont la preuve tangible, réhabilitation d’une langue disparue, premier pas linguistique vers une syntaxe qui permet enfin d’articuler l’hybride, le multiple. Qu’est-ce que l’identité par ailleurs, sinon qu’une des fictions du corps ? Bien que lieu privilégié de l’identité, le corps n’est-il pas davantage le théâtre de la « performativité du genreiii », incessant travail de reconfigu-ration et de réitération des codes hétéronormatifs ? Caricature de lui-même, le corps, pour exister, se doit d’enfiler les costumes de cette tragédie schizoïde où tous les actants miment la grande fiction du genre. Quoiqu’au service d’une esthétique étudiée, les mises en scène de Levine pour Queer Portraits enrichissent la réflexion autour des identités multiples, baroques, queers.

Corps transcyborgiens

Que les modèles soient photographiés par Levine presque exclusive-ment sur des lits et des canapés n’est pas, à mon sens, accidentel. L’iconographie du canapé est marquée du sceau psychanalytique, véritable lieu sacrificiel de l’inconscient pathologique. Ainsi offert à l’œil inquisiteur du psychanalyste, le sujet, laissé à la vulnérabilité du divan freudien, voit son identité sexuelle scrutée à la loupe hété-ronormative. Toutefois, les sujets de Queer Portraits échappent à ce diagnostique, au régime hétérosexuel « vanilleiv ». Ce que le travail de Levine propose, c’est plutôt l’affirmation d’une communauté en périphérie de la normativité hétérosexuelle, les corporalités hybrides et androgynes exhibées par les œuvres de l’artiste dévoilant la teneure fictive du genre.

Ces corps queers sont aux limites de l’humanité, avatars de l’hype-rhétérosexualité. La bicatégorisation du genre, artefact anthropolo-gique de la modernité, échoue à sa production polarisée. Le genre n’est finalement que la fiction d’une féminité et d’une masculinité utopiques. Minotaure du genre, la figure genderqueer apparaît dès lors être le mariage consanguin de notre future humanité. En réponse à l’hyperféminisation et à l’hypermasculinisation des corps contem-porains produits aux stéroïdes, hormones, pilules, implants, liftings, prothèses, etc., le corps queer revendique une libre expression de l’inspécificité du genre.

iii La performativité du genre est un concept issu des théories de Judith Butler qui réfère au caractère répétitif et social du genre à l’intérieur du processus hétéronormatif de réitération et de maintien des normes de genre. Judith Butler, Gender Trouble : Feminism and the Subversion of Identity, New York, Routledge, 1990, p. 272. iv Terme qui réfère à une pratique sexuelle hétéronormative et qui exclut d’emblée toutes autres formes de sexualités dites « non-conventionnelles » tels le fétichisme ou les pratiques sadomasochistes (BDSM).

BibliographieFOUCAULT, Michel, Histoire de la sexualité 1 : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1997. 211 p.HARAWAY, Donna, Manifeste cyborg et autres essais : Sciences, fictions, féminismes, Paris, Exils, 2007, 333 p.PRECIADO, Beatriz, Testo Junkie : Sexe, drogue et biopolitique, Paris, Grasset, 2008, 389 p.RUBIN, Gayle, Surveiller et jouir : Anthropologie politique du sexe, Paris, EPEL, 2010, 484 p. WITTG, Monique, La pensée straight, Paris, Amsterdam, 2007, 119 p.

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J.J. Levine, J’avlyn (Queer Portraits), 2012, épreuve chromogénique, 50 x 60 cm, Montréal

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Maude P. Hé[email protected]

Zidane — des images qui démontenti

Zidane, un portrait du 21e siècleGalerie de l’UQAM1400, rue Berri, Pavillon Judith-Jasmin, Local J-R120, MontréalDu 28 février au 14 avril 2012

Il y a de ces réalisations cinématographiques qui stimulent nos réflexions sur les rapports que nous entretenons avec l’histoire. Présenté à la Galerie de l’UQAM au printemps dernier, le film documentaire intitulé Zidane, un portrait du 21e siècleii, réalisé par Douglas Gordon et Philippe Parreno, soulève plusieurs éléments qui transforment nos concep-tions de l’histoire ainsi que notre rapport au temps. Les partisans de Zidane qui visionneront le film seront sans doute servis : toutefois, une analyse plus approfondie du portrait tend à démontrer qu’il s’agit d’une proposition parallèle au mode de consommation qui prévaut actuellement chez les férus du sport. Le film travaille la décomposition du mythe entourant le joueur de soccer Zinédine Zidane en s’attardant à la « relation symbiotique entre le sujet et sa représentationiii ». Ainsi, les réalisateurs déconstruisent, dans le fond comme dans la forme, le culte voué à la célébrité par une suggestion alternative au schème de représentation historique de l’épique.

La réalisation du film a nécessité tout un attirail cinématographique. Au total, dix-sept caméras disposées à des endroits stratégiques à l’intérieur du stade espagnol Santiago Bernabéu lors du match du 23 avril 2005 ont permis au duo d’artistes d’immortaliser tout en nuances la figure de Zidane et de reporter ses actions en temps réeliv. Car ce n’est pas le match en tant que tel que les artistes exposent au spectateur, mais bien la figure de Zidane à travers ses actions, ses gestes et ses tics. Du très gros plan aux vues d’ensemble du terrain, chaque image présente le sportif sous un angle particulier à travers un langage qui diffère de celui développé par les médias sportifs. Les artistes ont, par exemple, fréquemment inséré des plans où les clairs-obscurs viennent modeler et esthétiser le visage de Zidane, suggérant alors certains traits de sa person-nalité. Les moments où il attend la passe d’un confrère ou la reprise du jeu sont donc présentés avec le même intérêt que ceux durant lesquels il a le contrôle du ballon. La décentralisation de l’action et de l’histoire, c’est-à-dire le fait de présenter « les événements, sans distinction entre les grands et les petitsv », est révélée par le schème de monstration développé par les réalisateurs, qui diffère de l’habituel programme télévisuel sportif. Walter Benjamin explique que cette déhiérarchisation permet d’exhiber la « vérité d’un temps refoulé de l’histoirevi ». Ainsi, plutôt que de créer l’histoire sur le mode de l’épique, plutôt que de montrer un enchaînement rapide de passes et de tirs spectaculaires en plusieurs reprises consécutives, les réalisateurs présentent les moments les plus anodins qui tendent à faire de la figure de Zidane celle d’un antihéros. Ce qui tient du mythe cesse alors d’être monolithique et quasi impénétrable pour faire place à une figure profonde et plurielle, moins singulière — humaine, au fond.

i Georges Didi-Huberman, « L’image-malice », in Devant le temps, Éditions de Minuit, Paris, 2000, p. 120.ii Douglas Gordon et Philippe Parreno, Zidane, portrait du 21e siècle, France, DVD, 2006, 90 min.iii Emmanuelle Lequeux, « Questionner ce qui survit à l’image. Philippe Parreno, artiste », Le Quotidien de l’Art, En ligne, nº 178, mercredi 27 juin 2012, p. 1. <http://doc.airdeparis.com/docs/press/PARRENO%20Philippe/pp_12LeQuotidiendel’Art.pdf>. Consulté le 17 septembre 2012.iv Le match de soccer ainsi que le film durent chacun 90 min.v Walter Benjamin, « Thèses sur la philosophie de l’histoire » (1940), trad. Maurice de Gandillac, L’Homme, le langage et la culture, Paris, Denoël-Gonthier, 1974, p. 184.vi Georges Didi-Huberman,op. cit., p. 106.

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Une bulle temporelle

Cela donne au film un rythme d’une lenteur atypique. L’action mainte-nue à l’écart, les gros plans isolant Zidane de ses mouvements, les vues en viennent à se ressembler toutes et les repères se font plus rares. Le spectateur en perd le fil, ne sachant jamais vraiment où en est la partie. La puissance réflexive du documentaire naît de son exploitation de la bulle temporelle qui émane du match de soccer : le rapport au temps se trouve falsifié et les règles qui gouvernent le monde sont mises en suspens. Le sport possède ses propres règles de fonctionnement, un système autonome qui s’exerce véritablement, mais en parallèle à la vie réelle. À ce sujet, les réalisateurs ont ajouté quelques propos tenus par Zidane, qui passent de manière ponctuelle par écrit dans le bas de l’écran : « The game, the event, is not necessarily experienced or remembered in “ real time ” vii ». Ne sachant pas exactement quel point de vue est priorisé — les joueurs et les spectateurs vivant l’expérience de concert et y contribuant chacun à leur manière —, il appert important de spécifier que la partie existe en dehors de toute perspective, qu’elle existe en tant que telle. Le temps et la durée du match convergent en une commune expérience qui tend vers l’événementiel, qui transcende la perception : il s’agit d’un rapport au temps de l’ici et maintenantviii, qui varie selon le flux du match et l’intensité avec laquelle chacun y prend part. La phrase de Zidane implique une part de virtualité, qui est mise de l’avant par les images d’archives qu’ont insérées les réalisateurs à la mi-temps : une compilation d’événements de toutes natures ayant eu lieu le jour où le match a été filmé défile à l’écranix et met en relief la bulle temporelle propre au match, ses limites.

En dyschronie avec son temps

Chacun des matchs prend donc l’aspect d’une bulle où le rapport au temps et au monde est transformé, s’apparentant ainsi au concept d’hétérotopie. Selon Michel Foucault, les hétérotopies sont des lieux localisables : des « sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réaliséesx » ayant la possibilité d’offrir une alternative à ce qui a préséance. Le film, qui immortalise l’événement et arrive à tenir compte du modèle qu’il propose, recrée ce concept d’hétéroto-pie en engageant le spectateur dans une réflexion sur son rapport au temps. Plutôt que de se projeter dans un futur imagé ou dans le culte irréel d’une célébrité, le film axe son sujet sur la « pause » immersive qu’offre le match de soccer; il met en lumière les états du monde et offre un certain recul à l’égard des modes de consommation qui prévalent. L’histoire du film est construite à partir d’une multitude de petits éléments, de rebutsxi qui, combinés ensemble, offrent à voir une réalisation qui s’éloigne du modèle d’une histoire érigée par des faits monumentalisés.

La version installative du film qui a été présentée à la Galerie de l’UQAM intensifie encore davantage ce sentiment d’immersion : la projection à double canaux, réalisée sur l’ensemble du mur de la salle d’exposition, jointe à la force du son, concourt à rendre l’expérience du spectateur proche du sublime. Ainsi, le cinéma que font Gordon et Parreno devient un dispositif par lequel ils arrivent à créer une résistance au présent, à « produire un choc sur la pensée xii ». Le documentaire est donc un espace où penser et transformer notre rapport au monde — il est une production en césure avec son propre tempsxiii.

vii On ne se souvient pasforcement d’un match commed’une expérience en « tempsréel ». (Traduction libre en français du film). Douglas Gordon et Philippe Parreno, Zidane, portrait du 21e siècle, vers 31 min 25 sec. viii Expression qui théorise une certaine forme de rapport au temps développé par Nicolas Bourriaud. Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle (extraits), Dijon, Les Presses du réel, 1998, p. 7-35.ix Douglas Gordon et Philippe Parreno, Zidane, portrait du 21e siècle, vers 41 min 15 sec.x Michel Foucault, « Des espaces autres » (1967-1984), Dits et écrits II, 1976-1988, Paris, Gallimard, 2001, p. 1574-1575. xci Le terme « rebuts » provient de la théorie sur l’archéologie matérielle de Walter Benjamin. Georges Didi-Huberman, op. cit., p. 108.xii Gilles Deleuze, Cinéma II. L’image-temps, Éditions de Minuit, Paris, 1985, p. 203.xiii À ce sujet, lire la définition que donne Giorgio Agamben du rapport au monde et au temps. Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, Trad. par Maxime Rovere, Paris, Éditions Rivages, Coll. « Rivages Poche / Petite Bibliothèque », 2008, 64 p.

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Marie-Ève [email protected]

La RIPA : émergente et diversifiée, à l’image de ses artistes

RIPA Centre Culturel Georges-Vanier 2450, Rue Workman, Montréal 28 avril 2012

Prochaine édition :RIPASalle polyvalente (SH-4800) du pavillon Sherbrooke de l’UQAM 200, rue Sherbrooke Ouest, Montréal20 avril 2013

La première édition de la RIPA (Rencontre interuniversitaire de performance actuelle) s’est déroulée le 28 avril dernier au Centre Culturel Georges-Vanier à Montréal. Initiée par trois artistes et étudiants de l’UQAM, soit Catherine D’avril, Marilyne Fournier et Francis O’Shaughnessy, la RIPA est un événement visant à dévelop-per les réseaux de l’art au Québec entre les diverses institutions universitairesi. Les organisateurs ont su rassembler, le temps d’une soirée, des étudiants du Québec et de l’Ontario afin de favoriser les rencontres et les échanges, mais aussi dans le but d’offrir une vitrine aux artistes émergents ainsi qu’à l’art performatif.

Les artistes invités étaient Gabriel Morest (UQAM), Olivier Lavoie (UQAC), Maryline Fournier (UQAM), Les Abramovique (UQAM), Maxime Bisson (UQAC), Nicolas Lapointe (uOttawa), Sarah Poirier (L’UL) et Snövit Hedstierna (Concordia). Aux performeurs de la relève s’est ajouté Étienne Boulanger, un artiste déjà bien établi sur la scène artistique locale et internationale. Les organisateurs affirment que l’idée derrière cet événement consistait à réunir des artistes émergents afin de présenter « un art actuel dans toutes ses différencesii ». C’est ce que l’on retient d’ailleurs de cette soirée, qui se caractérisait par l’éclectisme et la diversité des performances présentées.

« Un art actuel dans toutes ses différences »

Joignez les troupes de Gabriel Morest constituait la première d’une série de neuf performances qui se déroulèrent dans une salle presque comble. Coiffé d’un tapis de tourbe, Morest y enfonçait violemment des baguettes avant de se coucher au sol entre deux structures de bois reliées par une corde, de laquelle pendaient des clochettes et des balles blanches chargées de vin. À l’aide d’un couteau, l’artiste réussit à trancher ces dernières pour s’asperger de leur contenu. La fougue de Morest ainsi que la multiplicité des matériaux utilisés caractérisent la pratique de l’artiste, qui se « questionne sur les conditions et les conséquences d’une fascination pour la vitesse, la surproduction et ses dégâtsiii ».

i Catherine D’avril, Rencontre interuniversitaire de performance actuelle, Communiqué de presse, Montréal, 27 février 2012, 2 p.ii Ibid, p. 1.iii Gabriel Morest, Gabriel Morest, En ligne, 2012. <http://www.gabrielmorest.com/>. Consulté le 25 janvier 2012.

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La violence des gestes de Morest s’opposait aux actions posées et calculées d’Olivier Lavoie. Entouré d’un sac de plastique, l’artiste était face à un aspirateur, enveloppé lui aussi d’un sac. La performance, qui faisait partie d’une série de l’artiste intégrant la technique du sous-vide, consistait au transfert de l’air d’un sac à un autre, jusqu’à ce que le sac de Lavoie en soit vidé. La performance de Maryline Fournier suivit l’œuvre angoissante de Lavoie. L’artiste entra dans la pièce, vêtue d’un manteau de fourrure en poussant un panier d’épicerie. Après avoir lancé des pommes aux spectateurs, Fournier prit place dans une poubelle métallique, trop petite pour elle, en se cachant les yeux. Munie d’une carabine à plomb, son assistante tira sur la tête de l’artiste, provoquant l’éclatement d’un ballon de peinture verte enfoui sous sa chevelure.

Par les mouvements théâtraux et les costumes, la performance des Abramovique revêtait un aspect irréel qui relevait du rituel. La salle était illuminée par un éclairage ultraviolet, mettant ainsi l’accent sur les accessoires fluorescents des artistes qui se promenaient à la

Gabriel Morest, Joignez les troupes, 2012, performance, 15 minutes, RIPA, Montréal. Photo : Mathieu Grenier. Contact artiste : [email protected]

Sarah C. Poirier, Do you ?, 2012, performance, 15 minutes, RIPA, Montréal. Photo : Mathieu Grenier. Contact artiste : [email protected]

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file indienne sous un drap, en hurlant. L’humour et le dynamisme du collectif se distinguaient de l’œuvre conceptuelle de Maxime Bisson, qui consistait en une « tentative de déconstruction de l’intention-nalité du processus performatifiv ». À la gauche de l’artiste stoïque, on voyait la projection de l’enregistrement des moments de Bisson qui précédaient immédiatement sa performance.

Nicolas Lapointe abordait l’intensité du moment par la courte durée de sa performance. Vêtu d’une combine kaki, d’une cagoule blanche, d’un chapeau en fourrure et muni d’un trop long fusil, l’artiste marchait rapidement dans la salle en hurlant « ONE, TWO ». Le public constituait un agent essentiel de cette performance, où Lapointe visait avec son arme, tant bien que mal, la tête des spectateurs. L’ironie avec laquelle l’artiste traita de l’uniforme et des traditions militaires se distinguait de la performance de Sarah Poirier, qui poussa plutôt les limites de son corps.

Poirier débuta sa performance en buvant de la vodka qu’elle parta-geait avec les spectateurs, pour ensuite enlacer tendrement quelques volontaires. Avant de s’enduire l’intérieur de la bouche de vaseline, l’artiste tenta de boire une bouteille de vin complète, pour ensuite se dévêtir. À sa taille, on découvrait une ceinture de poissons morts attachés à l’aide de ruban gris. Poirier vida finalement un bac de citrons sur le sol pour les dévorer. Par son interaction avec le public, son comportement animalesque ainsi que l’odeur de poisson et de vin qui régnait dans la pièce, l’artiste ne testait pas seulement ses propres limites, mais aussi celles des spectateurs qui la regardaient, dégoûtés.

La performance d’Étienne Boulanger et de Francis O’Shaughnessy précéda celle de Snövit Hedstierna, alias Snowhite. Quelques mètres séparaient Boulanger, les pieds attachés à deux chaises, des deux tréteaux sur lesquels O’Shaughnessy avait déposé une porte de bois. Au rythme des bruits de son partenaire au micro, Boulanger se rendit à la porte, sans broncher. Le parcours du performeur paraissait long et fastidieux, puisque chaque pas menaçait la stabilité de l’artiste. Par l’équilibre précaire de la porte, mais surtout celle de Boulanger, cette performance était à l’image du travail d’O’Shaughnessy qui « étudie le rôle de l’indétermination déstabilisant le performeurv ». C’est avec la performance de Snowhite et de son compagnon, à la lumière de deux chandelles et sous la forme d’un rituel, que la soirée s’est terminée.

Une seconde édition au printemps

Une deuxième édition de la RIPA est attendue en avril prochain, avec une programmation tout aussi variée que la première, rassemblant environ sept universitaires québécois et ontariens. Quatre étudiantes de l’UQAM, Katherine-Josée Gervais, Fanny Latreille-Beaumont, Laurence N. Béland et Valérie Nadon, composent la nouvelle équipe de l’événement qui accueillera cette année des étudiants de la School of the Museum of Fine Arts de Boston. L’artiste d’envergure internationale, Julie-Andrée T., s’ajoutera également aux performeurs émergents. Il est intéressant de noter que la RIPA participe d’une tendance internationale d’événements qui misent sur l’échange, l’expérimentation et la réflexion, dans le but de promouvoir l’art de performancevi.

iv Maxime Bisson, Descriptif de performance, RIPA, 2012, p. 1.v Francis O’Shaughnessy, Francis O’Shaughnessy, En ligne, 2012. <http://francisoshaughnessy.wix.com/performance#!bio>. Consulté le 25 janvier 2013.vi En effet, un regain d’intérêt pour l’art performatif est observable depuis les dix dernières années, autant sur la scène artistique locale qu’internationale, comme nous pouvons le voir avec la création d’événements tels que la Biennale d’art performatif de Rouyn -Noranda , l a Rencontre internationale d’art performance de Québec et de Chicoutimi, le Festival de performance de New York, ainsi que le Festival international d’art performance de Giswil.

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Lydia [email protected]

La lenteur et autres soubresauts : espace de réflexion sur la mémoire, la filiation et la passation du tempsLa lenteur et autres soubresauts Galerie Trois Points. Espace contemporain372, rue Sainte-Catherine Est, Espace 520, MontréalDu 12 janvier au 16 février 2013

À un moment où tout semble filer à un rythme effarant, où les communications sont effervescentes et où les lieux de communion s’effacent les uns après les autres, l’exposition La lenteur et autres soubresauts force un ralentissement brutal du temps dans l’espace. Elle propose de réunir par les thématiques du deuil, de la passation du temps, de la filiation et de la collectivité les travaux de trois artistes femmes de la scène montréalaise. Outre les réalisations de Nathalie Grimard, artiste représentée depuis déjà près de deux décennies par la galerie, cette exposition permet d’exposer pour la première fois les travaux d’Anne-Renée Hotte et d’Erika Kierulf. L’état de contemplation semble détenir un rôle clé dans le proces-sus réflexif de chacune des pièces articulées autour des médiums papier, vidéo et photographique présentées dans l’exposition que propose la Galerie Trois Points, laquelle est tournée vers les pratiques émergentes de l’art contemporain.

Le rituel

Dans une première salle baignée d’une lumière statique et forte, notre attention est vite portée vers une intéressante série de « toiles » de papier adossées au mur et surélevées du sol par un étroit rayon-nage fait de bois. Un texte écrit de la main de Grimard, révélateur de sa démarche, figure à gauche de cet arrangement. Ainsi, l’accrochage propose douze représentations picturales, succédées d’une treizième œuvre, qui elle, est séparée des autres, comme mis sur un autel. La disposition particulière de ces toiles n’est pas sans évoquer le rituel catholique de la procession ou encore celui consistant à « faire un chapelet » afin de s’expier d’un mal ou d’une faute. Cette impres-sion est renforcée par l’utilisation d’une technique particulière à l’artiste, développée en 2007 avec l’exposition Vertige, qui consiste à perforer et percer le papier à la manière d’une broderie afin de créer des formes régulières et physiquement senties à même le matériau privilégié.

C’est en prenant connaissance du texte laissé par l’artiste que nous comprenons qu’elle faisait état du douloureux processus du deuil. L’artiste a récemment vécu la perte de son père malade et explique comment la forme circulaire maintes fois reprise dans ces toiles réfère à un héliport qu’elle pouvait apercevoir depuis sa chambre d’hôpital. Manifeste et significatif, l’écrit nous apprend aussi que les fils observés dans chacune de ses toiles proviennent de la déconstruction du dernier pyjama revêtu par son père. La série Nœuds 71, nommée ainsi en référence au nombre de nœuds compo-

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Anne-Renée Hotte, vue de l’exposition Lenteur et autres soubresauts, 2013, épreuve numérique, Galerie Trois Points, Montréal. Photo : Anne-Renée Hotte.

sant les toiles, évoque le sentiment de la fragilité et de l’éphémérité des relations entretenues avec nos proches. C’est certainement en raison de la proximité du vécu évoqué et du fort caractère de la matérialité de l’œuvre de Grimard que l’affect se fait si fermement présent. En positionnant l’observateur comme agent essentiel à la communication et à la compréhension du thème du deuil induit dans cette série, l’œuvre ne s’en trouve que plus significative.

Continuité et filiation

Dans le deuxième espace de la galerie, consacré à l’œuvre d’Anne-Renée Hotte, évolue le destin d’une famille anonyme. Ce lieu, dont la couleur foncée des murs crée une atmosphère enveloppante, présente en boucle une vidéo et deux photographies couleurs, La lignée 1 et La lignée 2. L’ensemble laisse voir un groupe de personnes de tous âges, possiblement une famille — vraie ou fictive cela ne pourrait être déterminée —, dans une zone forestière figée dans

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l’espace et le temps par l’immensité de la blancheur hivernale. Au cœur de ces trois œuvres, nous décelons les mêmes thèmes de la lenteur, du rôle important de la mémoire, de la répétition et du rythme suggérés par l’œuvre de Grimard. Toutefois, Hotte pousse plus loin son exploration du thème de la filiation, en faisant inter-venir chacun des « acteurs » ou membres de cette famille dans un parcours infini et indéterminé, sous l’apanage de la passation, de l’héritage et de la tradition. Ces caractéristiques sont insinuées par une série de séquences où la gestuelle et le symbolisme donnent tout son sens à l’ensemble. Par ailleurs, la délicatesse des scènes présentées fait montre de l’investissement personnel et émotif de la jeune artiste dans sa production, où nous devinons une réflexion sur le sublime et le poids inévitable du phénomène de succession des traditions familiales.

Temporalité et association

Erika Kierulf propose une série de huit photographies inspirées de motifs organiques, nommée Cosmos en raison de l’effet stellaire qui y est suggéré accompagnée de deux courtes vidéos présentées en boucle. L’une présente un groupe d’oiseaux en interaction sautant d’une cime à l’autre à un rythme trop rapide pour être naturel, et la seconde montre un nid d’insectes voilé et gigantesque, presque immobile dans une nature sauvage. Au centre de la pièce se posi-tionnent les huit photographies de la série Cosmos, immuable et lointaine. Ces travaux semblent les moins éloquents du collectif quant à la proposition du phénomène de la mémoire, notamment en raison de l’absence de mise en contexte ou de note explicative les concernant. Néanmoins, ils favorisent la conciliation des trois différentes pratiques exposées dans La lenteur et autres soubresauts, en mettant en perspective la dimension de la temporalité et de la collectivité. Kierulf propose la mise en parallèle de diverses échelles de temporalités, soit de l’infiniment petit à l’infiniment grand.

Ce qui donne à cette exposition toute sa force, ce sont ses caractères contemplatifs et d’intimité qui invitent les visiteurs au question-nement. Les différentes œuvres abordent ainsi tour à tour l’indivi-dualité, les rapports filiaux et collectifs, mais aussi la construction de la mémoire.

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Julie [email protected]

Sigalit Landau : du corps poétique au corps politique

One man’s floor is another man’s feelingsPrésentée à ILLUMInations, Biennale de Venise 2011, 54e édition Pavillon israélien, Giardini, VeniseDu 4 juin au 27 novembre 2011

À l’occasion de la 54e édition de La Biennale de Venisei, Sigalit Landau (1969 —) présentait One man’s floor is another man’s feelings dans le pavillon israélien. Le commissariat de cette exposition fut assuré conjointement par Jean de Loisy et Ilan Wizgan. L’exposition fut conçue comme une seule œuvre dont les pièces présentées ponctuent un programme poétique. Les principaux thèmes traités dans le pavil-lon israélien étaient ceux du partage des ressources naturelles, des frontières, de la mémoire, du corps, du rituel et de la communauté. Cette exposition s’inscrit en continuité avec le travail qu’effectue Landau sur les rives de la mer Morte. Artiste multidisciplinaire et engagée envers sa communauté, Landau pose ici un regard critique sur des réalités sociales et environnementales. Une critique tangible, puisque matérialisée dans des objets concrets, s’impose physique-ment et prolonge sa réflexion bien au-delà des murs du pavillon.

La démarche de l’artiste

L’œuvre de Sigalit Landau traite majoritairement d’enjeux qui se rapportent à la réalité politique, sociale et géographique d’Israël. La figure humaine, plus particulièrement celle de la femme, occupe une place importante dans la production de Landauii. Ce motif incarne la collectivité, un thème cher à l’artiste, conférant un caractère universel, tant à des sujets de nature personnelle qu’à d’autres liés aux problèmes géopolitiques et sociaux du Proche-Orient. Par ailleurs, Landau emploie une variété de médiums tels que la sculp-ture, l’installation, la vidéo et la performance. Les sujets récurrents de son œuvre sont la circulation de fluides (l’eau et le sang), le corps humain (ses pulsions, ses douleurs, sa violence) ainsi que la mer Morte.

La démarche de Sigalit Landau s’inscrit dans une perspective fémi-niste de la nouvelle génération. Ses œuvres à portée universelle soulèvent des enjeux se rapportant au corps de la femme, un corps politique. Ainsi, la mer Morte, principal sujet du travail de l’artiste, est portée vers des considérations plus larges : cet étendu d’eau se rapporte à une réalité féminine, devenant le ventre porteur de préoccupations environnementales. Cette « mer » devient alors une « mère » à laquelle on associe de manière naturelle la vie. Ce milieu fertile est ici dépeint par Landau comme un environnement pourtant stérile. Cet état en continuelle détérioration, semble faire appel à la mémoire d’une activité passée, pourtant éteinte de manière irréversible aujourd’hui.

i La 54e Édition de la Biennale s’est déroulée du 3 juin au 23 novembre 2011.ii Il suffit de penser à l’œuvre Barbed Hula présentée au MoMa en 2008, jouant sur les notions de souffrance mentale et physique du barbelé, un motif présent dans le paysage quotidien du peuple israélien, par l’oppression de son peuple et ses guerres de pouvoir.

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Sigalit Landau, Salt Crystal Fishing Net, 2011, filet de pêche suspendu dans les eaux de la mer Morte, 75 x 162 x 40 cm, propriété de l’artiste, Tel-Aviv, Israël. Photo : Studio Sigalit Landau

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En effet, Sigalit Landau s’est engagée depuis plusieurs années à témoigner de la catastrophe écologique de la mer Morte, dont l’existence est menacée par la rapide diminution de son niveau d’eauiii. Depuis l’exposition Project 87 tenue au Museum of Modern Art de New York en 2008, cette masse d’eau constitue la principale source d’inspiration de sa production. L’artiste utilise cette problé-matique non seulement en tant que sujet de réflexion, mais en tant que matière au sens littéral. De cette manière, Landau profite de la haute salinité de 33 % du site pour y plonger ses sculptures de métal, puis les laisse reposer tout au fond durant quelques jours afin que des cristaux de sel s’y agglutinent. Ainsi, cette matière-parasite transforme les objets, tant leur aspect physique que leur signification usuelle, en plus de poser un regard différent sur le sens de ce même objet au cours de l’histoireiv.

One man’s floor is another man’s feelings

Dans cette exposition, Landau présente une installation composée d’un filet de poisson sur lequel un amas de cristaux de sel a adhéré. Cet instrument de pêche, symbole de la fertilité, incarne ici l’infer-tilité. Au sujet de ces œuvres qui portent une réflexion sur la mer Morte, Chantal Pontbriand remarque :

Le réel devient sous son regard et à travers ses interventions un lieu d’investissement sensible et de transformation. Elle développe un regard autre sur les enjeux, une différence qui s’affirme par une logique qui ne passe pas par les solutions habituellesv.

En effet, le message de Landau passe par l’efficacité de ses représen-tations esthétiquement simples, dont le sens est pourtant chargé et complexe.

L’exposition One man’s floor is another man’s feelings, représentative de la démarche poétique et engagée de Sigalit Landau, se carac-térise par l’importance des enjeux soulevés dans chaque œuvre présentée, mais également par la qualité des réflexions engendrées par la poésie de l’ensemble. Le commissaire Jean de Loisy observe l’« extrême condensationvi » caractérisant les réalisations de l’artiste de Tel-Aviv : « une image, un plan, un objet transformé, suffisent souvent à véhiculer un feuilleté de significations ou à fixer une méta-phore qui résonne immédiatement dans nos espritsvii ». Le travail de Landau substitue le pouvoir des slogans à celui d’images, dont le renouvellement de la sémantique conscientise le spectateur tant sur des réalités du Proche-Orient, que sur des conditions humaines sur le plan universel et social. Ainsi, l’œuvre de l’artiste israélienne pose des questions existentielles, sans pour autant adopter un ton moralisateur ou faire une démonstration dont on pourrait critiquer l’esprit volontaire. L’action de Sigalit Landau sur les mentalités est progressive, convaincue, sensible et fait preuve d’une efficacité indéniable.

iii Chantal Pontbriand, « Construire un monde différent : une esthétique de la fluidité », in One man’s floor is another man’s feelings, Dossier de presse de l’exposition tenue au Pavillon israélien lors de la 54e Exposition internationale d’art à Venise du 4 juin au 27 novembre 2011, En ligne, Venise, Production Kamel Mennour, 2011, p. 7. <http://www.kamelmennour.com/media/exhibition/s3/id252/dossier-de-presse-slandau.pdf>. Consulté le 16 octobre 2012.iv Nous pensons ici aux imposants tuyaux situés à l’entrée du Pavillon israélien. Ils représentent de manière concrète les installations présentes dans le paysage désertique du sud de l’Israël. Cette véritable sculpture monumentale symbolise ici plus que le partage des ressources naturelles, mais une « nature assoiffée » et insatiable. Voir Jean De Loisy, « Extrait de l’interview de Sigalit Landau », Ibid., p. 6.v Chantal Pontbriand, op. cit., p. 7.vi Jean de Loisy, « Ensemble », One man’s floor is another man’s feelings, Catalogue de l’exposition tenue au Pavillon israélien lors de la 54e Exposition internationale d’art à Venise du 4 juin au 27 novembre 2011, Venise, Éditions Kamel Mennour, 2011, p. 179.vii Jean de Loisy, Ibid., p. 179.

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Aurélie [email protected]

Les passages de Babette Mangolte

Babette Mangolte : Une exposition et une rétrospective de filmsVOX, Centre de l’image contemporaine2, rue Sainte-Catherine Est, MontréalDu 25 janvier au 20 avril 2013

« Je suis fascinée par les images d’une chose appelée à disparaîtrei. »— Babette Mangolte, 2013

Du 25 janvier au 20 avril 2013, le centre Vox présente le travail de l’artiste franco-américaine Babette Mangolte. Arrivée à New York en 1970, elle est considérée comme une des premières à avoir axé sa démarche artistique autour du processus de documentation de la performance, de la danse et du théâtre de la scène New Yorkaise. Un corpus de photographies et de vidéos ainsi que des proposi-tions plus récentes comme des installations in situ sont présentés. L’opération de sélection des archives est issue de la collaboration entre la commissaire Barbara Clausen et l’artiste. Cet ensemble met l’accent sur la perception du temps et de l’espace au sein de pratiques performativesii.

i Babette Mangolte, « Éloge du vert », texte accompagnant l’exposition présentée au centre Vox du 25 janvier au 20 avril 2013, livret édité par Vox, janvier 2013, 10 p.ii Barbara Clausen, « Babette Mangolte : une exposition et une rétrospective de films », texte accompagnant l’exposition présentée au centre Vox du 25 janvier au 20 avril 2013, livret édité par Vox, janvier 2013, 10 p.

Babette Mangolte, Looking and Touching, 2007, Installation : 46 épreuves à la gélatine encadrées; 129 épreuves numériques; collage; vidéo, 28 min 16 sec. Photo : Aurélie Vandewynckele.

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La scénographie permet de constater dès l’entrée dans la salle princi-pale d’exposition comment le rapport entre les médiums se fait avec intelligibilité. Ils sont en effet reliés dans la pratique de Mangolte, les photographies ayant tout d’abord été un préalable au support filmique avant de devenir médium à part entière. Cependant, son travail est bien plus qu’une simple documentation photographique de la performance. Ses vidéos, photographies et installations inter-rogent notre rapport au temps, aux archives et à la réinterprétation possible de celles-ci par le spectateur et par l’artiste elle-même.

À travers le diaporama Movement and Still (2010), Mangolte exprime la dualité entre les sauts de la danseuse Trisha Brown et l’immobilité du support photographique. Cette composition numérique interroge notre expérience entre l’espace et la trace du temps, en d’autres termes notre perception du mouvement. La lumière, l’espace et l’importance de la perspective sont également des éléments sur lesquels l’artiste met l’accent pour « nous raconter des histoiresiii ». Ce sont donc les archives photographiques des mouvements de la danseuse dans sa chorégraphie Accumulation (1973)iv, qui, assemblées trente ans plus tard, créent un nouveau rythme et une nouvelle production.

Avec Rushes Revisited (2012) revisite son installation How to look, proposée en 1978, au PS1, un centre d’art contemporain new-yorkais. La réactualisation — qui s’articule autour de photographies dans une vitrine, d’une projection et de deux courts textes — est une compo-sition entre ces éléments et ceux, connexes, présents à l’intérieur même de l’archive vidéo. Celle-ci, volontairement muette, incite le spectateur à se rapprocher de l’écran pour lire un texte placé juste à côté. On y découvre en fait le script s’y attachant. À travers les éléments de Rushes Revisited, Mangolte raconte une histoire, elle nous permet d’accéder à son souvenir tout en l’interrogeant.

Looking and Touching (2007) interroge également la position du public. Elle se compose de quarante-six épreuves photographiques, accrochées sur trois murs adjacents, formant ainsi un arc de cercle. Cet espace est délimité par de simples barrières et l’on trouve devant celles-ci une table sur laquelle sont disposées des photographies et des planches de tirages personnelles mises à la disposition du public. Cette installation, que l’on peut par son agencement qualifier de théâtrale, impose au spectateur une distance dans la visibilité des œuvres. Elle permet également de s’approprier une époque et un contenu grâce à la manipulation de tirages et au fond sonore des vidéos.

La photographie Roof Piece (1973), qui fait partie de cette installa-tion, est considérée comme l’oeuvre emblématique de la carrière de Babette Mangolte. Celle-ci ayant traversé les époques, constitue le quasi-paradigme du document et traite de thèmes qui sont chers à Mangolte. « Il s’agissait aussi de révéler la splendeur et l’intimité des toits du centre-ville et l’effet quasi sculptural des châteaux d’eau s’y trouvantv ». En effet, la figure du toit, espace citadin par excellence, offre une vue sur la ville tout en isolant son occupant. Selon Mangolte le toit est un espace de liberté, c’est ici une scène semi-privée, semi-publique.

iii Babette Mangolte, citation extraite de la conférence donnée dans le cadre du Programme de conférences ICI à l’UQAM, 23 janvier 2013, 1h30min. iv Babette Mangolte, « Dance », Babette Mangolte, En ligne. <http://www.babettemangolte.com/maps3.html>. Consulté le 1er février 2013.v « It also was about revealing the majesty and privacy of downtown roofs and the sculptural effect of its water towers. » (Traduction libre en français dans le texte) Babette Mangolte, « Maps », Babette Mangolte, op. cit. Consulté le 27 janvier 2013.

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Enfin, avec L’éloge du Vert (2013), on accède à une installation in situ se trouvant dans une deuxième petite pièce. Comme son titre l’indique, cette oeuvre se concentre autour de la couleur verte, dans l’optique plus précise de son changement entraîné par le réchauffement climatique. L’artiste a capturé un ensemble de décli-naisons de verts au moyen de photographies prises en Californie, dans la vallée du Douro ou encore en Normandie. La vision que nous avons de la couleur varie, notamment si notre regard capture une image statique ou non. Dans cette recherche, l’artiste propose ainsi des photographies — qui peuvent être floues — et des vidéos. Ces dernières constituent l’unique source lumineuse de la pièce, notre perception des photographies est donc reliée au mouvement du support filmique.

Mangolte a également installé un « intrus » au centre de la pièce. Ainsi, on découvre trois photographies noir et blanc dans un espace triangulaire qui ne peut être saisi en un seul coup d’œil. Par la mise en avant du mouvement dans la photographie, de la trace et de la mémoire, cet accrochage renvoie directement à Eadweard Muybridge et à son travail de décomposition photographique. En utilisant implicitement la référence aux archives des productions d’un autre artiste, Mangolte démontre bien que cette exposition n’est pas une rétrospective sur sa carrière, mais bien une réflexion entre traces historiques et installations contemporaines. Une façon de comprendre le présent à travers le passé.

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