etude relative aux freins et leviers - cget.gouv.fr · sylvie siffermann sous-préfète sous...

23
Monographie : Territoire Bassin de vie de Limoux (Aude) Action ACILAB, un chantier d’insertion dans un FabLab Juin-juillet 2017 S o c i é t é Coopérative d É t u d e s e t d e C o n s e i l 113, rue Saint Maur 75011 Paris Tél 33 (0) 1 49 29 42 40 www.geste.com Société coopérative SARL à capital variable RCS Paris B 324 420 835 SIRET 324 420 835 00047 – APE 7320Z N° TVA FR 19 324 420 835 d’agrément organisme de formation 11 752 718 775 Etude relative aux freins et leviers pour l’accès des femmes à l’emploi dans les territoires ruraux

Upload: nguyenminh

Post on 17-Sep-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Monographie :

Territoire

Bassin de vie de Limoux (Aude)

Action ACILAB, un chantier d’insertion dans un

FabLab

Juin-juillet 2017

S o c i é t é C o o p é r a t i v e d ’ É t u d e s e t d e C o n s e i l 1 1 3 , r u e S a i n t M a u r 7 5 0 1 1 P a r i s T é l 33 ( 0 ) 1 49 29 42 40 w w w . g e s t e . c o m S o c i é t é c o o p é r a t i v e SARL à cap i t a l v a r i ab l e RCS Paris B 324 420 835 SIRET 324 420 835 00047 – APE 7320Z N° TVA FR 19 324 420 835 N° d’agrément organisme de formation 11 752 718 775

Etude relative aux freins et leviers pour l’accès des femmes à l’emploi

dans les territoires ruraux

Monographie ACILAB

2

Sommaire

1. La liste des acteurs(trices) rencontré(e)s 3 1.1 Les entretiens réalisés 3 1.2 L’observation réalisée 3

2. La Haute Vallée de l’Aude, un territoire rural au sein du dynamique département de l’Aude 4

L’Aude, un département dynamique au fort potentiel touristique… 4 …mais une population active en difficulté 6 Une situation préoccupante des femmes à l’égard de l’emploi 6

3. Des dynamiques territoriales intégrées en faveur de l’accès à l’emploi des femmes 7

4 Une action qui offre de nouvelles perspectives pour les femmes bénéficiaires 19

La filière numérique : une piste pour favoriser l’accès à l’emploi des femmes en milieu rural grâce à une approche intégrée 21

Monographie ACILAB

3

1. La liste des acteurs(trices) rencontré(e)s

1.1 Les entretiens réalisés

Prénom, Nom Fonction Institution/organisme

Acteurs porteurs/opérateurs

Florence Tholly Co-gérante Scic SAPIE

Peter Wollny Référent projet Scic SAPIE

Aurélie Lagarde Co-présidente Trait d’union accompagnement

Mélanie Alins Accompagnatrice socio-professionnelle

Mise à disposition par le CFPM

Partenaires

Sylvie Siffermann Sous-préfète Sous préfecture de Limoux

Isabel De Moura Responsable de l’UT Aude

Direccte

Véronique Adreit DDFE DDFE

Alice Goncalves et Vincent Aribaud

Chef de service Territorial insertion Animateur du PTI

Conseil Départemental de l’Aude

Evelyne Roche Directrice de l’agence de Limoux

Pole Emploi

Julien Peyre Coordinateur PTCE 3.Eva

Catherine Cros Coordinatrice Lieu Ressource Insertion de Limoux

Bénéficiaires Virginie et Marina 2 des 3 femmes salariées du chantier

d’insertion

1.2 L’observation réalisée

La visite dans les locaux d’ACILAB a été l’occasion d’assister à un Repair Café. Cette action est portée par la SCIC SAPIE dans le cadre du contrat de ville. Elle a pour objectif d’autonomiser les habitants du quartier prioritaire dans leurs compétences à procéder à des petites réparations sur leur équipement du quotidien dans un souci de réparer plutôt que de jeter. Le repair café étant organisé au sein du Fab Lab du Tiers lieu numérique de Limoux tous les jeudis, à cette occasion encadrants et salariés du chantier d’insertion peuvent épauler les personnes.

Monographie ACILAB

4

2. La Haute Vallée de l’Aude, un territoire rural au sein du dynamique département de l’Aude

L’Aude, un département dynamique au fort potentiel touristique…

L’Aude, département du sud de la France de plus de 365 000 habitants, appartenant à la région Occitanie, est un territoire doté d’un paysage particulièrement riche et attractif : situé entre les Pyrénées et le Massif Central, il est également bordé à l’Est par la mer Méditerranée. D’une densité faible (environ 90% de la population réside sur 5% du territoire1), le département de l’Aude se caractérise en revanche par une croissance démographique dynamique. Entre 2007 et 2012, la croissance démographique de l’Aude est deux fois supérieure à celle de la France métropolitaine, et équivalente à celle de la région2. Entre 2009 et 2014, elle se rapproche de celle de la France (+0,6%). Ce dynamisme est principalement dû à un solde migratoire élevé (0,7% pour 0,1% à l’échelle nationale, entre 2009 et 2014)3, qui compense un solde naturel faible (-0,1% entre 2009 et 2014). Les deux unités urbaines principales du département de l’Aude sont Narbonne et Carcassonne4. En lien avec ces caractéristiques paysagères, l’Aude est un territoire à l’économie particulièrement tournée vers le développement d’une activité résidentielle, en témoigne notamment :

• Une population plus âgée dans le département de l’Aude qu’à l’échelle nationale : 31% des habitants de l’Aude ont plus de 60 ans en 2014, contre 24,4% en France métropolitaine la même année5. Les femmes sont plus âgées que les hommes (25,7% d’entre elles ont plus de 65 ans, contre 21,5% chez les hommes). La part des retraités est importante : elle représente 40,4% des ménages de l’Aude en 2014 (contre 32,9% à l’échelle nationale la même année) ;

• L’importance des secteurs d’activité des commerces, transports, services (41% des emplois en 2014) dans l’activité du département ;

• Une forte saisonnalité de l’emploi, avec une hausse de l’emploi pendant la période de l’été, notamment dans les secteurs de l’agriculture et du commerce, hébergement, restauration6 ;

Limoux : une ville caractéristique de la Haute Vallée de l’Aude

La Haute Vallée de l’Aude (HVA) correspond à un « sous territoire » du département, une réalité géographique qui transparait dans le Pays de la Haute Vallée de l’Aude7 (porté par le

1 Insee, Draaf, Portrait socio-économique de l’Aude, 20 juin 2014 2 Insee Analyses Occitanie, Panorama de l’Aude – croissance démographique et difficultés économiques, 2016 3 Insee, état civil en géographie au 01/01/2016 4 Insee Analyses Occitanie, Panorama de l’Aude – croissance démographique et difficultés économiques, 2016 5 Insee Analyses Occitanie, Panorama de l’Aude – croissance démographique et difficultés économiques, 2016 6 Insee, Portrait socio-économique de l’Aude, 20 juin 2014 7 Selon la loi fondatrice des Pays, de février 1995, il s’agit d’un territoire présentant une « cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale, à l'échelle d'un bassin de vie ou d'emploi » afin d'exprimer « la communauté d'intérêts économiques, culturels et sociaux de ses membres ».

Monographie ACILAB

5

Syndicat Mixte de la vallée de l’Aude et des Pyrénées Audoises, et comprenant 8 communautés de communes).

La commune de Limoux est la principale ville de la Haute Vallée de l’Aude (HVA). Elle est la ville-centre d’une aire urbaine moyenne du territoire de l’Aude et est située dans l’aire d’influence de l’aire urbaine de Carcassonne. Sa densité est intermédiaire (317 habitants au km2, avec 10 275 habitants en 20148). Entre 2009 et 2014, la commune de Limoux enregistre une hausse démographique (+0,4%). Les caractéristiques socio-démographiques et économiques de Limoux rejoignent celles du département de l’Aude (cf. supra). La commune a une population âgée puisqu’en 2014 55,2% de la population a plus de 45 ans. Ce phénomène se trouve amplifié chez les femmes, dans la mesure où 58,2% d’entre elles ont plus de 45 ans en 2014. Entre 2009 et 2014, cette structure d’âge tend à se renforcer, avec une croissance de la population des plus de 60 ans, et une baisse de la part des jeunes. En lien avec l’âge de la population, la part de ménages composés d’une personne seule est importante : en 2014, 37,1% des ménages sont composés d’une personne seule (contre 35% en France métropolitaine9). La part des femmes seules est plus importante que celle des hommes : 20,6% contre 16,5% des hommes10. Parmi les ménages avec familles, la commune se caractérise également par une part importante de couples sans enfants (31% contre 26,4% à l’échelle nationale),11, et donc par un solde démographique naturel faible. Enfin, la part des familles monoparentales est élevée sur ce territoire (16,5% à Limoux contre 14,8% en France Métropolitaine) et notamment des femmes seules avec enfants(s), qui représentent 14,3% des familles à Limoux contre 12,2% à l’échelle nationale. La population de la commune étant plutôt âgée, la part de retraités dans la population totale est également importante: ils représentent 39,2% de la population en 2014. C’est particulièrement le cas chez les femmes, dont 42,3% sont retraitées12. Cette particularité

8 Insee, RP2014 exploitation principale, géographie au 01/01/2016 9 Insee, RP2014 géographie au 01/01/2016, exploitations complémentaires 10 Insee, RP2014 géographie au 01/01/2016, exploitations complémentaires 11 Insee, RP2014 géographie au 01/01/2016, exploitations complémentaires 12 Insee, RP2014 géographie au 01/01/2016, exploitations complémentaires

Monographie ACILAB

6

explique en partie un taux d’activité faible de la population en âge de travailler (autour de 68% en 2014) au regard de la situation nationale la même année (73,5%)13.

…mais une population active en difficulté

L’Aude est le troisième département d’Occitanie le plus touché par le chômage, le quatrième de France métropolitaine14, avec un taux d’activité bas de la population en âge de travailler, notamment chez les jeunes. L’Aude se caractérise également par le revenu disponible médian le plus bas de la région, le troisième plus bas de France métropolitaine15, et par un taux de pauvreté de 21,4% en 201416. Ces difficultés se sont accrues avec la crise de 2008, qui a particulièrement affecté les secteurs de la construction et de l’agriculture. Le territoire de la Haute Vallée de l’Aude est également confronté à des difficultés importantes, comme en atteste les données relatives à la ville de Limoux. Le taux de pauvreté y était de 20,4% 2014, et touche particulièrement les moins de 30 ans (37,6% à Limoux en 2014)17. En 2014, le taux de chômage s’élève à 19,9% à Limoux18, contre 14% à l’échelle nationale19. Ce sont les jeunes âgés de 15 à 24 ans qui sont le plus touchés par le chômage, avec un taux de chômage proche de 40%. Le faible niveau de qualification de la population peut constituer un frein important à l’emploi : 41% de la population n’est titulaire d’aucun diplôme (ou au plus d’un BEPC, brevet des collèges ou DNB) à Limoux, et cette part s’élève à près de 45% chez les femmes.

Une situation préoccupante des femmes à l’égard de l’emploi

A l’échelle du département, les femmes sont plus touchées que les hommes par les difficultés liées à l’emploi : le taux d’activité des Audoises est faible (67,5% contre 74,2% pour les Audois en 2014), de même que leur taux d’emploi (53,9% contre 61,4% pour les Audois en 2014). Le taux d’activité des femmes à Limoux est particulièrement faible (65,% à Limoux contre 70,3% à l’échelle nationale chez les femmes en 2014)20. Sur le bassin d’emploi de Limoux21, 52% des demandeurs d’emploi sont des femmes en mai 201722, un nombre qui a progressé de 3% en 1 an, tout comme à l’échelle de l’Aude. Si au niveau départemental, les jeunes femmes sont particulièrement touchées par le chômage, qui touche 42% d’entre elles (contre 36,8% pour les jeunes hommes en 2014)23, les moins de 26 ans ne représentent que 13% de la DEFM sur le bassin d’emploi de Limoux.

13 Insee, RP2014 géographie au 01/01/2016, exploitations complémentaires 14 Insee Analyses Occitanie, Panorama de l’Aude – croissance démographique et difficultés économiques, 2016 15 Insee Analyses Occitanie, Panorama de l’Aude – croissance démographique et difficultés économiques, 2016 16 Insee, RP2014 exploitation principale en géographie 01/01/2016 17 Insee-DGFiP-Cnaf-Cnav-Ccmsa, Fichier localisé social et fiscal en géographie au 01/01/2016 18 Insee, RP2014 géographie au 01/01/2016, exploitations complémentaires : taux de chômage au sens du recensement 19 Insee, RP2013 exploitation principale 20 RP2014, exploitation principale en géographie au 01/01/2016 21 Dont le périmètre équivaut à celui de la Haute Vallée de l’Aude 22 Source : Pole emploi Occitanie, mai 2017 23 Insee, RP2014 exploitation principale, géographie au 01/01/2016 : taux de chômage au sens du BIT

Monographie ACILAB

7

Les femmes demandeuses d’emploi sur le bassin sont 35% à avoir plus de 50 ans, et nombreuses à être peu qualifiées (53% de niveau V ou moins). La proportion de demandeurs d’emploi de longue durée et de très longue durée est plus importante chez les femmes qu’à l’échelle de l’ensemble de la DEFM (respectivement 45% et 28%). D’autre part, les conditions d’emploi des femmes se caractérisent par une plus grande précarité : à l’échelle du département si une part importante d’entre elles sont salariées (85,3% contre 76,5% pour les hommes en 2014), elles sont aussi une part plus importante à être salariées en CDD (11,9% contre 8,2% pour les hommes en 2014), et à être salariées à temps partiel (34,1% contre 9,4% pour les hommes). Les conditions d’emploi des femmes de la Haute Vallée de l’Aude se distinguent de celles des hommes, et rejoignent en partie les constats généraux sur l’emploi des femmes en France24 :

• Les femmes en âge de travailler sont principalement employées (22,1% à Limoux en 201425), alors que les hommes sont principalement ouvriers (21,3% en 2014)26 ;

• Les femmes salariées sont plus souvent à temps partiel que les hommes : 37,7% à Limoux pour les femmes en 2014, contre 10,3% pour les hommes la même année ;

• Les femmes en emploi à Limoux sont 87,9% à être salariées en 2014, plutôt dans des conditions d’emploi sûres (70,1% d’entre elles sont titulaires de la fonction publique27, ou en Cdi, à Limoux). En revanche, elles sont une part moins importante que les hommes à occuper des activités non-salariées, notamment en tant qu’employeurs : plus de 10% des hommes sont employeurs à Limoux, contre moins de 5% des femmes28.

3. Des dynamiques territoriales intégrées en faveur de l’accès à l’emploi des femmes

3.1 L’accès à l’emploi des femmes en limouxin, une problématique travaillée localement

Une action en faveur de l’emploi des femmes intégrée dans des actions en faveur du développement du territoire

Il n’existe pas sur le département de l’Aude, et encore moins sur la Haute Vallée de l’Aude, de portage d’une politique en tant que telle en faveur de l’accès à l’emploi des femmes sur le territoire. En matière de droits des femmes et d’égalité, il est à relever que l’ex région Languedoc Roussillon ne faisait pas partie des territoires d’excellence29 et la vacance pendant deux années de la fonction de déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité (du fait d’un congé maladie) n’a pas permis de développer des actions en la matière. Cette absence explique également la non déclinaison du PIEP sur ce territoire.

24 Insee, RP2014 exploitation principale, géographie au 01/01/2016 25 RP2014, exploitation principale en géographie au 01/01/2016 26 RP2014, exploitation principale en géographie au 01/01/2016 27 L’administration publique, l’enseignement, la santé et l’action sociale représentent 51,8% des postes salariés à Limoux, suivi par le commerce, transports, services. (source : Insee, CLAP en géographie au 01/01/2016) 28 Insee, RP2014 exploitation principale, géographie au 01/01/2016 29 A la différence de l’ex Région Midi-Pyrénées, signataire d’une convention avec l’Etat en 2013.

Monographie ACILAB

8

Les quelques dynamiques existantes sur l’accès à l’emploi des femmes avant le départ de la DDFE semblent ne pas s’être poursuivies sans pilote territorial selon cette dernière30, qui aujourd’hui reprend une activité dans un premier temps centrée sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Néanmoins, à l’échelle de la Haute Vallée de l’Aude, l’accès à l’emploi des femmes est porté comme un sujet transversal, intégré dans des actions en faveur du développement territorial, du soutien à l’entreprenariat ou encore relatives à la mobilité au travers de :

• Le Pôle territorial de Coopération Economique (PTCE) 3.Eva, a vocation à participer de part les actions soutenues, à l’émergence de métiers « ouverts aux femmes » et à favoriser la création d’entreprises comme modalité de retour à l’emploi.

Le PTCE 3.Eva

Le PTCE 3.Eva est un regroupement d’acteurs (entreprises et réseaux de l’ESS, entreprises, collectivités locales et centres de recherche et organismes de formation) au service du développement du territoire sur le périmètre de la Haute Vallée de l’Aude. Ses missions sont d’identifier des axes de développement et de favoriser les coopérations : « Il s’agissait donc de fédérer l’ensemble des acteurs autour d’un projet qui réponde concrètement aux besoins des entreprises et des populations et qui soit porteur d’une ambition collective : revitaliser en imaginant collectivement des solutions durables et responsables. »31 Cette démarche initiée en 2014, a été retenue dans le cadre de la deuxième édition de l’appel à projet national en faveur du développement des PTCE sur l’ensemble des territoires. Elle est née d’une initiative de la sous préfète de Limoux, « sous préfète développeuse » ou « catalyseur d’énergie » selon les qualificatifs des acteurs du territoire, qui en 2014 a souhaité engager une concertation avec les femmes dirigeantes du territoire (élues, chefs d’entreprises, présidentes d’associations). Il s’agissait de leur donner la parole dans le cadre d’une démarche de démocratie participative afin de questionner l’avenir du territoire. S’en est suivi plusieurs réunions collectives d’octobre 2014 à juin 2015 avec des acteurs variés, comme le donne à voir la figure ci-dessous.

Source : dossier de présentation du PTCE 3.Eva

30 Exemple du dispositif « parcours genre » sur Castelnaudary en faveur de l’élargissement des choix professionnels. Financé par le FSE en partenariat avec le CIDFF, l’organisme de formation CFPM, le SDSF et la Ville de Limoux, l’action n’a pas été renouvelée après ses 4 ans d’existence. 31 Dossier de présentation du PTCE de la Haute Valée de l’Aude

Monographie ACILAB

9

Cette succession de réunions initiées par l’Etat a permis de réactiver la dynamique institutionnelle des acteurs locaux déjà existante32 et d’aboutir à l’identification d’axes de coopérations entre les acteurs du territoire. C’est en 2015, que plusieurs acteurs locaux fondent une personne morale afin de répondre à l’appel à projet national des PTCE. Le nom de l’association 3.EVA, porteuse du projet, évoque la dimension numérique du projet (l’expression « Web 3.0 » est utilisée pour désigner le Web), les trois « E » de : Ensemble, Expérimenter et Entreprendre, la Vallée de l’Aude, ainsi que le prénom féminin « Eva » en référence à la place des femmes dans le projet initié par un groupe de femmes. A cette époque, il existe une vraie personnification du projet au travers des 3 femmes porteuses de la candidature (une représentante de l’ESS, une professeure, une élue/chef d’entreprise). Le PTCE 3.Eva poursuit le plan d’actions suivant, organisé autour de quatre axes :

Source : dossier de présentation du PTCE 3.Eva

Deux ans après sa création le PTCE 3.Eva a dressé un premier bilan positif de son activité et continu à créer des synergies entre des acteurs aux horizons variés. On notera que si la situation des femmes sur le territoire est souvent mise en avant comme au fondement du PTCE, aucune action dédiée n’est inscrite au plan d’action, cette préoccupation est en revanche présente selon les interlocuteurs rencontrés de manière transverse.

• Des acteurs locaux développent des actions de soutien à l’entrepreneuriat féminin. Certaines d’entres elles, visent spécifiquement les femmes entrepreneuses du territoire. C’est le cas du travail d’intermédiation réalisé par la sous-préfecture dans le cadre d’une exposition du travail de femmes bénéficiaires du RSA dans ses locaux, ou encore du groupe « Les audacieuses » initié par la CCI qui réunit des artisanes ou conjointes d’artisanes et organise des événements. D’autres dispositifs en faveur de la création d’entreprise participe de fait à développer l’accès à l’emploi des femmes sans qu’elles ne soient un public prioritaire :

32 « A l’instar de nombreux territoires de montagne, la Haute Vallée de l’Aude est historiquement marquée par des pratiques coopératives et des pratiques d’entraide fortes. » dossier de présentation du PTCE

Monographie ACILAB

10

o « Osez l’entreprise » est une action portée par la chambre des métiers et de l’artisanat de l’Aude qui a pour objectif d’accompagner à la création ou à la reprise d’entreprise des porteurs de projet dans les domaines du commerce, de l’artisanat et des services. Après un travail collectif et individuel sur les conditions de réussite du projet, les personnes peuvent s’immerger en entreprises « tutrices » ou tester leur activité au sein d’une boutique éphémère en centre ville. Déjà mise en œuvre en 2016, cette action a été reconduite en 2017 ;

o Une convention entre la chambre des métiers et de l’artisanat (CMA) et la ville de Limoux dans le cadre du contrat de ville, engage la réalisation d’un diagnostic des locaux commerciaux vacants afin de revitaliser le centre ville, Il s’agit là d’une action dont les bénéficiaires finaux pourraient être majoritairement des femmes, souvent à la tête de commerces susceptibles de s’y réinstaller.

• Le contrat de ville de Limoux33, qui fait de l’égalité hommes/femmes un sujet transversal, prévoit notamment la création d’une plateforme de mobilité inclusive, qui pourrait en particulier lever des freins périphériques d’accès à l’emploi des femmes34. Il s’agit là d’une réflexion globale afin de répondre aux problématiques de mobilité sur la ville très étendue de Limoux : offre nouvelle de moyens de mobilité privilégiant les modes doux de déplacement, mise en place d’une boucle de transport collectif, location de vélo issus du réemploi (association Parchemin), réfection de pistes cyclable, conseiller en mobilité pour des accompagnements individualisés…

Une offre d’insertion limitée au regard des problématiques d’accès à l’emploi des femmes sur le territoire

Si le territoire du limouxin est doté de plusieurs structures d’insertion par l’Activité Economique selon la Direccte (en 2016, l’Aude comptait 33 SIAE dont 23 ACI et 7 sur la HVA35), il est régulièrement rappelé dans le cadre de dialogue de gestion que l’équilibre femmes/hommes dans les ACI est rarement atteint. Malgré une légère augmentation, les femmes représentent seulement 34% des salariés en chantier d’insertion en 2016 (31,5% en 201436). Une tendance confortée sur le bassin d’emploi de Limoux, où au 30 mai 2017, les femmes représentaient 34,8% des agréments délivrés. L’offre d’insertion à destination des femmes les plus éloignées de l’emploi apparait donc restreinte :

- les chantiers d’insertion sont concentrés sur des activités vues comme masculines : en 2016, sur la HVA, sur 6 ACI en activité, 4 portaient sur la rénovation de patrimoine, 1 sur la recyclerie-vente-aménagement paysager. On notera la présence d’un chantier sur l’aide à la personne créé en 2016.

- les ACI du territoire du fait de leur localisation (en périphérie de Limoux) et de leurs horaires d’activité ne répondent pas à des problématiques

33 Limoux fait partie des nouveaux entrants dans la politique de la ville, avec un quartier prioritaire Aude qui s’étend principalement sur le centre ville. 34 Une étude a été commandité par l’agence Pôle Emploi de Limoux sur les conditions de mobilité des demandeurs d’emploi sur le territoire afin de pouvoir mieux appréhender le public concerné et les leviers à engager. 35 Bilan d’activité 2016, Unité Départementale de l’Aude, Direccte 36 Données du Conseil Départemental

Monographie ACILAB

11

prépondérantes chez les femmes bénéficiaires du RSA (mobilité et garde d’enfant). Sur le territoire, les femmes qui fréquentent le Lieu ressource Insertion de Limoux sont le plus souvent seules avec 1 ou plusieurs enfants, ont entre 35 et 54 ans et ne sont pas véhiculées.

- les modalités d’information à destination des femmes cibles de l’IAE sur le territoire n’apparaissent pas assez convaincantes selon plusieurs acteurs de l’insertion : des informations collectives peu efficaces et des modalités d’orientation qui par exemple ne permettent pas lever les freins psychologiques des femmes victimes de violences conjugales.

Cette tendance a conduit les acteurs de l’insertion (Direccte, Conseil Départemental et Pôle Emploi) a engagé une réflexion sur le développement de supports d’activité de chantiers d’insertion favorable à l’insertion des femmes de la Haute Vallée de l’Aude. La Direccte en identifie 3 à ce jour :

- l’ACI d’USSAP (Union sanitaire et sociale Aude Pyrénées) lancé en 2016 est un chantier d’insertion « en emploi », les salariés sont intégrés dans l’équipe d’EPHAD. Ce chantier cible prioritairement les femmes bénéficiaires du RSA. Après un premier CDDI de 4 mois, pour adaptation et intégration dans l’équipe, un second CDDI de 8 mois compte une formation d’une semaine par mois au CFPM, avec pour objectif de passer le diplôme d’assistante de vie. En 2016, 100% de réussite pour les 6 salariées.

- l’ACI porté par la mairie d’Alet-les-bains sur de la rénovation de patrimoine déploie une formation aux techniques des métiers d’art (ferronnerie, sculpture sur pierre/bois, décorateur enduit à la chaux…), facteur d’attrait pour les femmes.

- et enfin ACILAB (action qui fait l’objet de cette monographie). Récemment, l’agence de Pôle Emploi de Limoux a mis en place la prestation « Activ’insertion » avec le Centre de Formation Professionnelle du Midi (CFPM) comme opérateur afin de répondre à la carence de place en ACI. Ce dispositif vise à dynamiser, sur une durée de 3 à 6 mois, les demandeurs d’emploi orientés en chantier d’insertion mais qui n’ont pas obtenu de place, afin de commencer à lever des freins périphériques à l’emploi. La faible qualification des femmes demandeurs d’emploi sur le bassin de Limoux conduit les acteurs du territoire à travailler sur ce point. En ce sens, Pôle Emploi a engagé une réflexion sur la promotion de l’élargissement des choix professionnels. Des informations collectives en présence de l’AFPA veilleront à présenter les compétences transversales mobilisables dans des formations « par tradition masculines » (menuiserie, électricité). L’éloignement des formations peut également être un frein à la qualification des femmes qui rencontrent des problématiques de garde d’enfant et de mobilité, c’est pourquoi :

- une expérience de formation d’aide à domicile délocalisée sur un territoire où il existait un fort besoin a été montée

- Pôle Emploi travaille à la signature de conventions avec les EAJE (établissements d’accueil du jeune enfant) pour réserver des places à des femmes en recherche d’emploi, pour se rendre à des entretiens d’embauche ou suivre des formations.

Globalement, Pôle Emploi note le paradoxe de disposer de nombreux dispositifs à destination des jeunes, alors qu’ils sont peu nombreux dans la DEFM sur le territoire (13% de moins de 26 ans), et à l’inverse de peu d’actions à destination des séniors et des femmes.

Monographie ACILAB

12

3.2 ACILAB : l’expérimentation d’un chantier d’insertion sur le numérique favorable à l’accès à l’emploi des femmes en territoire rural

Alors que les ACI se développent beaucoup dans les domaines des espaces verts, du bâtiment, de l’agriculture et des services à la personne, la SCIC (Société Coopérative d’intérêt collectif) SAPIE a souhaité appliquer ce dispositif d’Insertion par l’Activité Économique au domaine attractif qu'est la Fabrication Numérique, en développant un Chantier d’Insertion baptisé « ACILAB». Il vise principalement à proposer à des publics éloignés de l’emploi du Bassin de Limoux un parcours d’insertion sociale et professionnelle ayant pour support d’activité la création et la fabrication numérique ainsi que l'assemblage d'imprimantes 3D auto-replicables.

ACILAB : un projet d’abord de développement territorial

Le projet ACILAB est né d’une dynamique locale initiée par la SCIC SAPIE, qui depuis 2012 porte un Tiers Lieux37 à Limoux, afin de répondre à plusieurs enjeux :

- Le souhait d’utiliser le tiers lieu pour conduire des actions auprès des demandeurs d’emploi et des bénéficiaires du RSA et de développer la formation au numérique des jeunes pour développer ces compétences sur le territoire ;

- Le besoin de répondre aux interrogations des entreprises du territoire qui rencontraient des difficultés à se projeter dans le numérique alors que « l’exploitation des nouvelles fonctionnalités conférées par le numérique pourrait être un outil de redynamisation des activités traditionnelles »38 ;

- La nécessité de donner un modèle économique au Fab Lab.

SCIC SAPIE : porteur originel du projet ACILAB La SCIC Sapie a été créée en 1989 sous forme de SCOP (Société Coopérative de Production). Initialement adossée à l'expérience des fondateurs dans le domaine forestier et agricole, l’activité s’est rapidement diversifiée. C’est ainsi que le développement local, l’aménagement du territoire, l’insertion par l’activité économique, les technologies de l’information et de la communication, ou encore l’expérimentation de dispositifs innovants ont pu constituer autant de champs investis par cette entreprise. Après plus de 25 ans de conseil en développement local, la coopérative a décidé de mettre ses compétences au service de projets locaux et de développer de nouvelles activités associant collaboratif et numérique. De SCOP, l'entreprise est passée en SCIC en août 2013. Plus de 40 sociétaires(personnes physiques, usagers, partenaires, entreprises, associations…) sont parties prenantes du projet coopératif de l'entreprise. Depuis 2010, SAPIE a développé une offre de co-working, proposé des temps d’échange de compétences (des ateliers qui sont devenues des formations), a lancé une Coopérative d’Activité et d’Emploi, définit un catalogue de formation commun en 2016 orienté sur le champ du numérique. Alors que l’écosystème de la SCIC SAPIE se rapprochait d’un « tiers lieu », le choix a été fait d’installer un Fab Lab après l’achat d’équipements (imprimante 3D…) et d’organiser des tiers lieux éphémères pour informer et sensibiliser les acteurs du

37 L’expression « Tiers-lieux » est une traduction de la notion de « Third Place » issue de l’ouvrage de Ray Oldenburg, The Great Good Place, paru en 1989. Selon la Coopérative Tiers Lieux, « ils peuvent prendre la forme d’espace de travail partagés (appelés aussi « coworking »), d’ateliers partagés, de fablab (laboratoire de fabrication) et accueillir des services hybrides tels que des salles de réunions, des jardins partagés, des boutiques partagées, des cafés, des épiceries, des ressourceries, des espaces de méditation culturelle et bien d’autres. » 38 Dossier de présentation du PTCE 3.Eva

Monographie ACILAB

13

territoire à la valeur ajouter de ces machines. Le montage du projet d’un chantier d’insertion adossé au Fab Lab a trouvé écho dans le travail initié par le PTCE 3.Eva. En effet le projet ACILAB s’inscrit dans deux actions du PTCE :

- Action 6 : école numérique à la campagne, avec le souhait de coordonner les acteurs de la formation pour le développement de formation numérique ;

- Action 8 : atelier de prototypage mutualisé afin de susciter l’opportunité des nouvelles technologies pour les entreprises.

Le PTCE a été co-financeur de l’étude de faisabilité en s’associant au programme fonds de confiance de France Active39 et a financé l’étude sur la filière numérique en Haute Vallée de l’Aude qui a conduit à accompagner la labellisation « Grande Ecole du Numérique » du projet ACILAB. Les porteurs du projet au sein de la SCIC SAPIE se sont dans un premier temps rapprochés d’autres chantiers d’insertion le champ du numérique suite à une table ronde sur l’IAE et l’innovation organisée en Languedoc Roussillon. C’est dans ce cadre qu’ils sont allés à la rencontre de Colombbus, seul chantier d’insertion en France sur le métier de développeur web. En 2016, un comité de pilotage de l’étude de faisabilité du chantier ACILAB (financé dans le cadre du programme Fonds de Confiance) réunit les partenaires de l’insertion du territoire. A cette époque aucun ACI ne s’appuyait sur un Fab Lab et il était difficile d’appréhender la viabilité du projet car les besoins sur le territoire permettant d’assurer un financement propre étaient méconnus, ce qui rendait nécessaire une étude de ce type. Plus globalement, il existait une méfiance des acteurs membres du CDIAE (Comité Départemental de l’Insertion par l’Activité Economique) du fait de la méconnaissance de chantiers sur des métiers du numérique, d’autant plus sur un territoire rural : « des métiers qu’on imagine comme très qualifiés et pour des personnes autonomes ». Cette instance, était donc aussi l’occasion de déconstruire les aprioris et de donner à voir que « le numérique est valorisant pour des personnes en insertion » (co-présidente Trait d’Union Accompagnement). La Direccte a par exemple questionné ses collègues d’Ile de France, territoire qui comptait un ACI sur le numérique, qui l’ont conforté sur le caractère « hors sol » de l’activité, en dehors de la nécessité du haut débit. En parallèle, une étude sur le numérique dans la Haute Vallée de l’Aude a été lancée par le PTCE 3.Eva et réalisée par l’ancienne interlocutrice chez Colombbus, de juin à octobre 2016. La mission a permis de dresser un état des lieux du numérique dans la HVA et de repérer les leviers et les pistes d’actions pour le développement de métiers et de formations dans ce champ. Elle a dressé le constat du faible nombre d’entreprises du territoire (majoritairement des TPE et PME) faisant l’usage du numérique et du peu de formation autour des métiers du numérique en dehors de celle d’infographiste (pour laquelle l’organisme de formation porteur disposait de peu de moyens de développement) et du projet engagé par SAPIE. Au regard des potentiels identifiés, la mission consistait par la suite à accompagner une action dans une labellisation Grande Ecole du Numérique. Choix qui s’est porté sur l’action ACILAB car il s’agissait de la plus avancée (en cours de validation par le CDIAE).

39 La programme Fonds de Confiance de France Active accompagne les création d’entreprises sociales par l’expertise du projet et la prise en charge d’un salaire le temps de l’étude de faisabilité.

Monographie ACILAB

14

Etude –Action « Ecole du numérique en Haute Vallée de l’Aude » Source : restitution de l’étude-action, le 5 octobre 2016 Avec comme questionnement de fond « Est-ce que ce territoire au passé industriel et agricole peut rebondir avec le numérique ? », l’étude a mis en exergue des problématiques récurrentes sur le territoire :

- Nécessité de former aux « usages » du numérique, tant les particuliers que les professionnels, à tous âges ;

- Le manque de mobilité/le coût de la mobilité ; - La difficulté à capter les jeunes NEET, la typologie du public sans activité ; - Le manque de temps des TPE/Artisans pour se former et s’adapter/effectuer la

transition ; - Un territoire vieillissant et les jeunes qui partent se former ailleurs ; - Le manque de réseau Internet ou téléphone ; - Comment attirer les entreprises (du numérique) sur le territoire, comment

accompagner la transition ? Ce diagnostic des besoins en compétences liées au numérique a conduit à l’identification de 5 métiers d’avenir pour la HVA. Une commission numérique créée au sein du PTCE a suivi la réflexion sur les pistes identifiées et travaillé à la construction de réponses par les acteurs locaux. Le PTCE 3.Eva a notamment accompagné la candidature d’ACILAB à la labellisation Grande Ecole du Numérique en 2016 et par la suite l’organisme de formation Batipole au développement d’une formation d’intégrateur web. Selon le bilan d’activité du PTCE 3.Eva à mi 2017, 4 des 5 métiers identifiés ont fait l’objet d’actions sur le territoire (en dehors des métiers de la domotique) :

- Forgeur numérique : création d’ACILAB - Développeur Web/Applications Mobiles: accompagnement de Batipole dans

l’évolution de sa formation et labellisation à la GEN - Métiers de la fibre optique : développement d’un plateau technique et formation

diplômante par le CFPM - Médiation numérique : projet de bus numérique en cours de construction par l’UDAF

de l’Aude, Sapie et les EPN Sélectionnée comme une des actions de la filière numérique par le PTCE 3.Eva, ACILAB a bénéficié d’un soutien d’une chargée de mission afin de concourir au label Grande Ecole du Numérique40 à la session de septembre 2016, que la formation « Forgeur Numérique » a obtenu en décembre. Le dossier la présentait comme une formation favorable « au développement économique et social de ce territoire rural en pleine mutation ». C’est ce même mois, qu’ACILAB obtient le conventionnement par la Direccte pour son dossier de structure d’insertion par l’activité économique. Le projet d’ACILAB se trouve à la croisée de l’action de multiples partenaires :

- L’Etat au travers de l’implication forte de la Sous Préfète de Limoux dans l’émergence du projet de PTCE sur le territoire qui a été un support pour ACILAB (voir supra) ;

- La Direccte et le Conseil Départemental de l’Aude, qui souhaitaient travailler à la création d’un chantier d’insertion dont le support soit « unisexe » ;

40 Lancée en 2015 par le président de la République, la Grande Ecole du Numérique regroupe des formations aux métiers du numérique labélisées dans le cadre d’appel à projet.

Monographie ACILAB

15

- Le Pole Emploi, la Mission Locale, le Lieu Ressource Insertion de Limoux en tant qu’orienteurs et prescripteurs vers les chantiers d’insertion du territoire ;

- Limoux étant entré récemment dans la Politique de la Ville, le projet d'insertion reçoit également le soutien de la Ville pour que ce projet bénéficie aux habitants du quartier prioritaire ;

- La Chambre des Métiers et de l’Artisanat de l’Aude, dont un des dispositifs (« Osez l’entreprise », voir infra) a permis de commercialiser les productions des salariés du chantier ;

- Les porteurs du projet ont pu s’appuyer sur le réseau de la SCIC SAPIE, acteur depuis longtemps présent sur le territoire et qui a un temps porté le Dispositif Local d’Accompagnement, notamment en se rapprochant de personnes ressources de l’IAE.

Lors de la candidature à la Grande Ecole du Numérique (GEN), ACILAB a présenté un budget prévisionnel de 218 645€, financé de la manière suivante :

Direccte UD Aude 74 100 € (dont 64 100€ d’aide au poste)

Conseil Départemental Aude 75 045 €

Fondations (Agir pour l’emploi et Caisse d’épargne) 15 000 €

Vente de produits et marchandises 7 500 €

Subvention GEN 47 000 €

ACILAB : un chantier d’insertion novateur dans son support, un Fab Lab et la formation dispensée, Forgeur numérique

Le chantier d’insertion ACILAB, porté par l’association Trait d’Union Accompagnement, a débuté en janvier 2017 avec 6 salariés. Le portage par l’association Trait d’Union Accompagnement s’explique par l’impossibilité administrative pour une SCIC de porter un chantier d’insertion. Le choix de cette structure s’est fait naturellement car en tant que structure porteuse du DLA sur le département elle disposait d’une forte connaissance des ACI et qu’elle disposait d’une proximité avec SAPIE de qui elle partage les bureaux. Les personnes recrutées sont salariées du chantier d’insertion en CDD-Insertion (CDDI) de 12 mois, 26 heures par semaine. Le chantier d’insertion ACILAB a deux activités principales :

• La fabrication numérique sur la base de création des salariés ou à partir des commandes de prestations passées par les entreprises, collectivités, établissements scolaires ;

• L’assemblage d’imprimantes 3D auto-réplicables pour la vente. Elles permettent aux salariés d'aborder et d'acquérir de nombreuses compétences numériques mais également des savoir-faire et savoir-être transposables dans de nombreux métiers et secteurs. Si initialement le chantier devait principalement s’adosser à la fabrication d’imprimantes 3D en kit disponibles en open source à destination des écoles, collectivités ou entreprises, l’activité des salariés en cours d’emploi qui ont su faire preuve de créativité a réorienté le chantier sur la vente de ces produits. La deuxième saison des boutiques éphémères (dans le cadre de l’action « Osez l’entreprise ») accueille les produits réalisés par les salariés de l’ACI et permet leur commercialisation. La durée du contrat comprend également 350 heures de formation « pour avoir les clés du métier de forgeur numérique », comme précisé dans le dossier de candidature à la Grande

Monographie ACILAB

16

Ecole du Numérique. La première période d’activité a été marquée par un temps de formation dense, afin que les salariés apprivoisent les outils.

Durant la durée de leur contrat, les salariés sont encadrés par des professionnels de la fabrication numérique et par une personne en charge de l'accompagnement social et professionnel. Des périodes de stage/d’immersion auprès d’entreprises, des formations certifiantes et qualifiantes sont possibles pour les salariés qui le souhaitent. L’accompagnatrice socio-professionnelle souhaite les mettre en place avec certaines personnes sur de la découverte ou une confirmation de métier hors numérique. S’il était envisagé pour les salariés les plus en difficulté ayant besoin d'une remise à niveau, de s’appuyer sur la formation Compétences clés proposée par CFPM, le niveau de qualification des salariés du chantier d’insertion ACILAB ne laisse pas présager ce type de mobilisation.

ACILAB : une nouvelle offre d’insertion pour les femmes du territoire et une opportunité d’élargir leurs choix d’orientation

Le public cible du chantier d’insertion ACILAB est défini selon une triple entrée : - Les bénéficiaires du RSA, très nombreuses dans la Haute Vallée de l’Hérault (4

personnes sur 6) ; - Les publics peu ou pas qualifiés : on notera que si aucun pré-requis n’était

nécessaire à l’entrée sur le chantier, les candidats devaient faire preuve d’« un intérêt certain pour le numérique, l’informatique et la technologie »41. De fait, les personnes orientées, comme dans le cas du Lieu Ressource Insertion de Limoux42, disposaient souvent d’une qualification. L’ASP confirme que les salariés du chantier savent a minima lire et écrire, ils disposent majoritairement d’un niveau IV (du CAP pour l’un d’entre eux au BTS) ;

- Le profil : des jeunes de moins de 30 ans et les femmes. 41 Dossier de candidature Grande Ecole du Numérique 42 Porté par la branche sociale du CFPM et entièrement financé par le Département, il s’agit d’une structure d’accueil et d’orientation des bRSA

La formation « forgeur numérique » Le montage du dossier Grande Ecole du Numérique a permis de structurer la formation proposée : « La formation au métier de Forgeur Numérique s'appuie sur la présence du Fab Lab à Limoux et sur les caractéristiques rural du territoire où le métier de Forgeron se doit d'évoluer pour répondre aux besoins économiques locaux. » La formation prépare à 3 métiers: assistant de valorisation numérique du territoire, assistant de valorisation des usages numériques responsables et modeleur 3D. Les modules sont les suivants :

- Conception et modélisation numérique (182 heures) - Fabrication numérique (91 heures) - Le processus de fabrication : de la conception à la réalisation (32 heures) - Communiquer et animer un réseau (35 heures) - Entreprendre et créer son activité (17 heures)

La formation est sanctionnée par une attestation de fin de formation. Sur ce point, les porteurs du projet espère voir la formation inscrite au RNCP ou faire l’objet d’un CQP à l’avenir afin qu’elle puisse être éligible à une prise en charge par l’OPCA.

Monographie ACILAB

17

La cible féminine est présente depuis la création du projet, comme on peut le constater dans le dossier de candidature à la Grande Ecole du Numérique : « Il ciblera les publics peu ou pas qualifiés, notamment les jeunes de moins de 30 ans et les femmes, souvent exclues des dispositifs d'insertion et peu représentées dans les métiers du numérique ». ACILAB se veut en effet être « une réponse innovante en direction d’un public féminin pour lequel l'offre en matière d'insertion est peu diversifiée sur le territoire ». Une attractivité qui s’expliquerait selon plusieurs acteurs par « le caractère créatif et artistique de la formation ». Les porteurs du projet en accord avec les partenaires ont fait le choix de la parité hommes/femmes pour assurer un groupe équilibré en se fixant l’objectif d’un recrutement de 3 femmes. Pour se faire, ils ont conduit un travail de sensibilisation des prescripteurs/orienteurs à la réalité du métier de forgeur numérique afin de limiter les aprioris qui conduisent à le caractériser comme un métier masculin du fait de l’aspect mécanique qui le compose. Une invitation au Fab Lab avait notamment vocation à les renseigner sur les conditions d’exercice du métier et à les sensibiliser sur les compétences transposables, notamment la créativité. Un tiers des candidatures reçues par Trait d’Union Accompagnement était celles de femmes, ce qui a permis d’en retenir 3. ACILAB, de part son organisation est un chantier d’insertion qui permet de répondre à des problématiques fortes des femmes en recherche d’emploi sur le territoire :

- La localisation du chantier en centre ville de Limoux répond au frein de mobilité que rencontre les habitants de la Haute Vallée de l’Aude, d’autant plus les femmes seules en recherche d’emploi. Les déplacements en formation43 ne sont également pas source de difficulté, puisqu’elle est dispensée au sein du Fab Lab. Une salariée, anciennement positionnée sur un autre chantier d’insertion en périphérie de Limoux, rend compte des difficultés qu’elles rencontraient à s’y rendre à pied chaque jour par temps froid comme chaud, sans véhicule.

- L’activité du chantier d’insertion, organisée sur 4 jours (hors mercredi) et sur des horaires de 9h à 17h, est compatible avec les modes de gardes d’enfants, ce que les deux mères célibataires salariées d’ACILAB plébiscitent. La question de l’emploi du temps de travail peut être cruciale pour le suivi du parcours d’insertion par les femmes salariées. Des ajustements ont pas exemple du être fait sur l’ACI de l’USSAP où le travail le dimanche rendait complexe la garde d’enfant pour les mères seules, qui en sont aujourd’hui exemptées, selon la Direccte.

La temporalité du projet ACILAB, qui a débuté en janvier 2017, ne permet pas un recul suffisant pour rendre compte des résultats du chantier d’insertion en matière de retour à l’emploi « classique ». On notera, que la création de ce chantier a pu « faire évoluer la vision peu valorisante que les acteurs du territoire pouvait avoir des chantiers d’insertion », selon le coordinateur de l’action. Cependant il est possible de donner à voir les effets perçues de l’action à ce jour sur les salariés bénéficiaires. A ce stade, les interlocuteurs ne notent pas de distinction entre hommes et femmes.

43 Dans le cas de l’ACI de l’Ussap, pour lequel la formation d’assistant de vie était dispensée à Carcassonne, il a été nécessaire de mettre en place un plateau technique de proximité.

Monographie ACILAB

18

• Les professionnels du chantier se réjouissent de l’assiduité des salariés, qui poursuivent tous leur parcours 8 mois après leur entrée, alors que le contenu de l’activité et de la formation n’était pas forcément clair pour eux à leur candidature.

• L’activité, au travers de l’utilisation d’outils comme l’imprimante 3D ou la fraiseuse numérique, apparait valorisante pour les salariés : « il y a quelques chose qui se joue au travers de la technologie innovante que sont les imprimantes 3D. Parfois les salariés se retrouvent à expliquer le fonctionnement de ces imprimantes à des personnes mieux inséré qu’eux, ca peut être très valorisant. » (coordinateur du projet) Une salariée revient sur une expérience depuis son entrée sur le chantier : « la première fois que je suis arrivée dans le Fab Lab, je me suis dit que je n’arriverai pas à utiliser les machines … et après je me suis retrouvée face à l’imprimante 3D en train d’imprimer mon travail, je me suis dit « Waouh c’est moi qui est fait ça », même si c’était vraiment petit et pas très utilisable ! » ; Une salariée évoque en revanche « ne pas utiliser les appareils par peur de les casser », elle apprécie en revanche les sessions de formations sur des logiciels qu’elle ne connaissait pas, bien que cela demande des notions en maths et en physique : « ce qui est dur pour moi c’est que je n’arrive pas à me projeter en 3D, vraiment pour moi le monde c’est en 2D et c’est tout ! (rire) ».

• Le chantier d’insertion, permet de rapprocher les salariés de l’emploi, qui mis en situation de travail se confrontent à des situations de travail en équipe, aux attentes de production, aux contraintes d’une entreprise… ACILAB apparait comme une voie de transition, où l’apprentissage entre pairs (d’où l’importance de profils aux compétences variées quand à l’informatique) et l’articulation permanente entre théorie et pratique est favorable à l’insertion professionnelle des salariés : « tu apprends en pratiquant, pour moi c’est la meilleure manière d’apprendre » ; « c’est la première fois que je viens sur mon lieu de travail avec envie ».

• Les salariés disposent d’un contrat de 12 mois, la question de leur sortie du chantier d’insertion se posera donc en décembre. A la différence d’un chantier d’insertion classique, qui est un support d’insertion, ACILAB apparait également comme un « chantier métier » selon la Direccte, d’autant plus qu’une formation « forgeur numérique » y est dispensée. Ainsi les sorties dites « positives » du chantier peuvent être de deux types :

- Sortie en emploi ou en formation dans le secteur du numérique ; - Sortie en emploi ou en formation dans un autre secteur d’activité.

Néanmoins, les perspectives d’accès à l’emploi numérique reste restreintes à ce jour sur le territoire, malgré l’orientation souhaité par le PTCE 3.Eva. , Cependant certains métiers devraient connaitre un élan notamment avec le déploiement fibre optique. La ruralité du territoire sur lequel est implanté le chantier ACILAB conduit ainsi les porteurs et partenaires à envisager des sorties autres qu’en emploi de proximité dans le secteur :

o Des salariés qui engagent une mobilité géographique dans une entreprise du numérique ou dans un autre Fab Lab ;

o Certains métiers émergents dans le secteur ne correspondent pas à une logique classique d’emploi et conduiront les salariés du chantier à créer leur propre activité une fois sortis. La création d’activité est une voie de sortie comme deux salariés l’envisagent, l’un dans l’entretien informatique et l’autre dans la création de bijoux avec les équipements du Fab Lab. La CAE portée par SAPIE pourrait être un support pour ces futurs entrepreneurs. On notera, que la création d’entreprise est un sujet travaillé avec les salariés du

Monographie ACILAB

19

chantier qui ont participé à un Hackathon à Quillan. Du 29 septembre au 1er octobre, une quarantaine de créatifs, développeurs et entrepreneurs ont travaillé à la création d’applications web sur le thème « inventer ensemble la ruralité de demain ». Les salariés du chantier ont a cette occasion rencontré des professionnels et ont eu l’occasion de travailler en équipe dans une situation de travail contrainte en temps.

o La poursuite de formation, il en existe deux sur le territoire : une formation infographiste proposée par un organisme de formation et une formation de technicien réseau proposée par la chambre d’industrie de Carcassonne.

Les poursuites de parcours dans le secteur numérique des salariés du chantier d’insertion ACILAB, que ce soit en emploi ou en formation, interrogent la réalité de l’élargissement des choix d’orientation des femmes en recherche d’emploi sur le territoire. Un des acteurs rencontré s’interroge en ce sens : « est ce que les femmes salariés trouveront un emploi sur le territoire, est-ce qu’elles seront prêtes à le quitter ? »

4 Une action qui offre de nouvelles perspectives pour les femmes bénéficiaires

Selon le coordinateur du chantier, la venue des trois femmes sur ACILAB renvoie à des trajectoires personnelles différentes, si l’une d’elle n’a jamais travaillé suite à l’obtention récente d’un bac professionnel « laboratoire contrôle qualité », les deux autres sont des mères de famille aux parcours de vie, de formation et professionnel heurtés. Il apparait que deux d’entre elles, orientées respectivement par la Mission Locale de Limoux et par le Lieu Ressource de Limoux, ont candidaté au chantier d’insertion « sans savoir trop à quoi s’attendre », ce qui s’explique notamment par l’aspect novateur de l’action. On peut cependant donner à voir des raisons de recours à l’action assez diverses :

- L’intérêt pour l’informatique : « le mot numérique m’a interpellé car j’aime bien tout ce qui touche à l’informatique » (une salariée) ;

- L’intérêt pour le contact humain, rendu possible du fait de l’adossement du chantier d’insertion au Fab Lab ;

- La possibilité de faire valoir son agrément IAE en cours sur un chantier d’insertion nouveau sur le territoire.

Au cours des échanges, les femmes salariées du chantier ont mentionné différents freins rencontrés au cours de leur parcours : - La difficulté de poursuivre des formations sur le territoire de la Haute Vallée

de l’Aude. Une femme, qui suivait le dispositif Garantie Jeunes avant d’entrer sur le chantier, évoque un bilan de compétences qui avait mis en évidence des possibilités de poursuite de parcours dans l’informatique, le webdesign, l’infographie ou la photographie. Cependant, il n’existait pas de formation sur le territoire, or cette jeune femme n’envisageait pas de quitter son domicile. Une autre salariée n’est équipée d’un véhicule que depuis sa première expérience en chantier d’insertion qui lui avait permis de solliciter le dispositif Auto du cœur afin de bénéficier d’une voiture à coût réduit.

- Les difficultés à identifier des opportunités d’emploi. Une salariée regrette que « dans les petites régions rurales, on ne nous laisse pas l’opportunité de montrer ce

Monographie ACILAB

20

qu’on vaut » : « Les femmes se disent « je ne mérite pas ce poste parce que je n’ai pas le profil ni les compétences ». Moi par exemple j’ai toujours eu du mal dans mes recherches d’emploi car vu le nombre de portes fermées j’avais du mal à me persuader que je pouvais faire les choses attendues dans le métier »

- La maitrise des outils numériques dans la recherche d’emploi. Une salariée évoque une expérience alors qu’elle recherchait des missions d’intérim, l’agence d’emploi l’a invité à faire les démarches par internet. Elle n’était pas équipée et n’a commencé à se familiariser avec l’outil que récemment au côté de sa fille ainée lorsqu’elle a pu obtenir un ordinateur d’occasion à moindre coût.

- Les modalités et le coût de la garde d’enfant pour des mères célibataires. Alors qu’elle était en formation de secrétariat à Narbonne, une des actuelles salariées, explique avoir pensé à plusieurs reprises y mettre fin au regard du coût de la garde de sa fille alors en bas âge.

Les salariées rencontrées n’ont pas évoqué de besoin qui ne serait pas couvert dans le cadre de l’action.

Monographie ACILAB

21

La filière numérique : une piste pour favoriser l’accès à l’emploi des femmes en milieu rural grâce à une approche intégrée

Une approche intégrée du soutien à l’emploi des femmes dans un territoire rural en transition

Comme le résume la co-présidence de l’association Trait d’Union Accompagnement, porteuse du chantier d’insertion, « ACILAB c’est un support de développement du numérique sur le territoire qui associe les femmes. » Si l’accès à l’emploi des femmes n’est pas le constat initial au projet ACILAB, les acteurs de l’insertion y ont vu une possibilité de développer l’offre d’insertion à destination des femmes sur la Haute Vallée de l’Aude. Ainsi, on ne peut pas dire qu’il existe une dynamique partenariale spécifique à l’accès à l’emploi des femmes, mais il en existe une approche intégrée à la démarche de développement territorial engagée. En ce sens, le Pôle Territorial de Coopération Economique (PTCE) 3.EVA, lauréat 2015 de l'appel à projet national des PTCE, a été un facteur dynamisant pour le montage du projet ACILAB tel qu’il est mis en place aujourd’hui en faisant converger des problématiques diverses : demande de compétences en numérique, transition numérique des entreprises du territoires et offre d’insertion insuffisante à destination des femmes… ACILAB s’inscrit donc dans une dynamique locale, dynamisée par la création du PTCE qui en fait une action coordonnée entre l’Etat, le Service Public de l’Emploi et les acteurs du territoire. Si cette action née d’une dynamique d’acteurs locaux, la présence de femmes à des postes clés sur le territoire (sous préfecture, gendarmerie, agence Pole Emploi, union des commerçants et artisans de Limoux) ou représentantes institutionnelles (SPEP, cellule économique) a pu être mise en avant comme un terreau fertile au développement d’un tel projet.

Utilisation de la filière numérique comme support novateur d’insertion des femmes en milieu rural : une expérimentation porteuse d’enjeux

La valeur ajoutée du projet ACILAB pour l’accès à l’emploi des femmes dans le territoire rural de la Haute Vallée de l’Aude s’inscrit dans le support même du chantier, lui-même novateur dans le champ de l’insertion : la filière numérique. Le chantier d’insertion adossé à un Fab Lab et enrichi de la formation « forgeur numérique » (labellisée Grande Ecole Numérique) permet de proposer à des femmes éloignées de l’emploi un nouveau métier support pour se réinsérer. A ce jour, ACILAB fait cependant face à plusieurs défis pour confirmer sa valeur-ajoutée et sa capacité à élargir le choix d’orientation des femmes du territoire :

- La formation « forgeur du numérique » n’étant pas certifiante ne peut être prise en charge par l’OPCA de l’ACI, ce qui peut peser sur le modèle économique du chantier. A ce jour, les postes d’encadrants techniques/formateurs sont financés par le biais du conventionnement en tant que chantier d’insertion et via la subvention obtenue par la labellisation Grande Ecole du Numérique. A l’avenir, l’OPCA pourrait prendre en charge partiellement l’intervention des encadrants sur le temps de formation suivant un taux de subvention par stagiaire, qui reste encore à définir ;

- L’activité de production et de vente d’imprimantes 3D en kit mériterait d’être développée pour conforter le financement propre du chantier. Si le

Monographie ACILAB

22

coordinateur du chantier juge atteignable le budget prévisionnel de vente (7 500€) d’autant plus que l’équipe souhaite développer la prospection, il s’agit d’un point de vigilance avancé par l’ensemble des partenaires du projet. Plusieurs axes pourraient être travaillés : conduire une étude pour préciser les secteurs d’activité où il existe un besoin pour prospecter auprès des entreprises et artisans ; possibilité de travailler en partenariat avec la faculté de Toulouse afin de disposer de plus de moyen et d’un rayonnement plus important, une possible collaboration avec un BTS sur Lycée Ruffié de Limoux pour la vente des produits et services ;

- Développer les poursuites de parcours dans le numérique sur le territoire et élargir le nombre d’entreprises susceptibles de solliciter l’ACI pour des commandes. Cela nécessite que la transition numérique soit effective sur la Haute Vallée de l’Aude. En ce sens, un projet d’implantation d’un laboratoire sur la fabrication additive, initié par Eric Andrieu, professeur du Centre Inter-Universitaire de Recherche et d’Ingénierie des Matériaux (CIRIMAT), est actuellement en étude.

Un projet dont le caractère quasi-expérimental nécessite d’en tirer des enseignements en vue d’un potentiel essaimage

ACILAB équivaut à une expérimentation, étant le premier chantier d’insertion adossée à un Fab Lab en France selon les acteurs rencontrés, qui plus est dans un territoire rural. Sa transferabilité potentielle nécessite de mettre en exergue les conditions qui ont permis l’émergence de ce dispositif :

- L’ancrage territorial fort et les compétences multisectorielles de la structure porteuse du projet : développement territorial, stratégie économique, connaissance de l’IAE et approche technologiques. Le projet est en effet né d’une volonté de la SCIC SAPIE, alors même que la Direccte ne peut appuyer la création de ce type d’action du fait d’un manque de crédit d’aide à l’émergence de projet.

- L’existence préalable d’un Fab Lab, dont le matériel (notamment les imprimantes 3D) et le fonctionnement (ouverture au public et utilisation par les acteurs du territoire) sont supports de l’activité du chantier d’insertion;

- La dynamique en faveur du développement territorial à l’œuvre sur la Haute Vallée de l’Aude dû à une convergence des facteurs : une sous préfète initiatrice d’une concertation multi acteurs, la mise en place de nouveaux modes de partenariat avec l’entrée du territoire dans la politique de la ville et l’existence d’un contrat de ville dans le quartier central d’une ville rurale, les relations partenariales existantes du fait d’un territoire enclavé et historiquement sinistré. Le Conseil Départemental note à ce titre « une vraie démarche de développement territorial » dans un territoire qui s’est emparé du sujet « numérique » pour créer une filière. La convergence d’intérêts et des partenariats actifs ont favorisé la conscience de la nécessité de travailler ensemble pour faire émerger des projets.

- Mobilisation des acteurs institutionnels de l’insertion pour développer l’offre de supports de chantiers d’insertion sur le territoire et possibilité de redéployer les postes existants.

- L’existence d’un chantier d’insertion sur le métier numérique de développeur web en Ile de France, dont l’expérience est venue nourrir le déploiement du projet et répondre aux interrogations des acteurs du territoire.

- L’opportunité de l’appel à projet de la Grande Ecole du Numérique qui a permis d’assoir la légitimité de la formation proposée et de financer une partie de l’équipement matériel nécessaire.

Monographie ACILAB

23

Ainsi ACILAB reste à ce jour une expérimentation dont il faudra valider la viabilité et évaluer les effets avant de la transposer. Si s’appuyer sur la filière numérique comme support d’insertion, en particulier pour les femmes, apparait pertinent, se pose la question de la pertinence de la forme ACI. En effet les chantiers d’insertion font face à de multiples enjeux (exigence de certification, nécessaire autofinancement, avenir des contrats aidés…). Le modèle économique d’un ACI sur les métiers du numérique reste à construire puisqu’il n’est pas possible de s’appuyer sur une commande publique, au stade où les clauses d’insertion en la matière dans les marchés publics sont rares, et que les prestations auprès de clients privés sont variables. Par ailleurs si le numérique a un intérêt en terme de remobilisation de public éloigné de l’emploi, les exigences de fonctionnement d’un chantier conduise à attendre des salariés qu’ils soient en capacité de production et donc de moins en moins éloignés de l’emploi.