essai sur le régime juridique des fondations

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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) (Droit-Economie-Sciences sociales) THESE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Droit-Economie-Sciences sociales DISCIPLINE : DROIT PRIVE présentée et soutenue publiquement par VALERIE GUEDJ le 22 Novembre 1999 TITRE : ESSAI SUR LE REGIME JURIDIQUE DES FONDATIONS Prix de thèse de droit de la Ville de Paris (attribué en liaison avec l’Association Nationale des Docteurs en Droit) Prix de thèse de l’Université Panthéon-Assas (Paris II) Directeur de la recherche : M. Laurent LEVENEUR, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) JURY M. Gérard CHAMPENOIS, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) M. Yves LEQUETTE, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) M. Laurent LEVENEUR, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) M me Dominique FENOUILLET, Professeur à l’Université Paris-Sud (Paris XI) M. Hervé LECUYER, Professeur à l’Université Paris XII Val-de-Marne

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  • UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) (Droit-Economie-Sciences sociales)

    THESE pour obtenir le grade de

    DOCTEUR DE LUNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II) Droit-Economie-Sciences sociales

    DISCIPLINE : DROIT PRIVE

    prsente et soutenue publiquement

    par

    VALERIE GUEDJ le 22 Novembre 1999

    TITRE :

    ESSAI SUR LE REGIME JURIDIQUE DES FONDATIONS

    Prix de thse de droit de la Ville de Paris (attribu en liaison avec lAssociation Nationale des Docteurs en Droit)

    Prix de thse de lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    Directeur de la recherche : M. Laurent LEVENEUR, Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    JURY

    M. Grard CHAMPENOIS, Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    M. Yves LEQUETTE, Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    M. Laurent LEVENEUR, Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    Mme Dominique FENOUILLET, Professeur lUniversit Paris-Sud (Paris XI)

    M. Herv LECUYER, Professeur lUniversit Paris XII Val-de-Marne

  • SOMMAIRE

    PREMIERE PARTIE : LA CREATION DES FONDATIONS

    TITRE I- ETUDE DES PROCEDES CREATEURS DE FONDATIONS EN DROIT POSITIF CHAPITRE I- AFFECTATION DE BIENS SANS CREATION DUNE PERSONNE MORALE NOUVELLE CHAPITRE II- AFFECTATION DE BIENS PAR CREATION DUNE PERSONNE MORALE NOUVELLE

    TITRE II- APPRECIATION CRITIQUE DES PROCEDES CREATEURS DE FONDATIONS ET PROPOSITIONS DAMELIORATIONS CHAPITRE I DES IMPLICATIONS DE LA FINALITE DE LAFFECTATION SUR LES PROCEDES CREATEURS CHAPITRE II- EXISTENCE DUNE AFFECTATION DE BIENS ET ACTE DE FONDATION : DE LOPPORTUNITE DE CONSACRER UN ACTE DE FONDATION SPECIFIQUE

    DEUXIEME PARTIE : LA VIE ET LA DISPARITION DES FONDATIONS

    TITRE I- EXPOSE DU DROIT POSITIF CHAPITRE I- REGLES DE FONCTIONNEMENT DES FONDATIONS PERENNES CHAPITRE II- REGLES DE FONCTIONNEMENT ET DE DISSOLUTION DES FONDATIONS DENTREPRISE

    TITRE II- APPRECIATION CRITIQUE DU DROIT POSITIF ET PROPOSITIONS DAMELIORATIONS CHAPITRE I- INADAPTATIONS DU REGIME DE FONCTIONNEMENT DES FONDATIONS PERENNES ET PROPOSITIONS DE REMEDES CHAPITRE II INADAPTATIONS DU REGIME DE FONCTIONNEMENT ET DE DISSOLUTION DE LA FONDATION DENTREPRISE ET PROPOSITIONS DE REMEDES

    2

  • INTRODUCTION

    Il y a un temps pour tout, et chaque chose a son heure sous le ciel. Il est un temps

    pour natre et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour draciner ce

    qui tait plant 1.

    1. Faute de pouvoir chapper sa destine, lhomme tente depuis toujours de laisser

    une trace de son existence terrestre. Il peut satisfaire sa volont dimmortalit par la

    procration. Mais le dsir dimmortalit est mieux abouti encore lorsquil passe par le

    patrimoine de ltre humain, son avoir . Dabord, parce que les biens laissent deviner la

    personnalit de leur propritaire. Ils portent la marque de ses gots, de ses aspirations. En

    ce sens, ils sont la projection de la personnalit de lhomme. Ainsi, en transmettant ses

    biens aux siens (ce que lui permet la libert testamentaire), lindividu transmet un peu de

    lui-mme2. Ensuite, parce que les choses la diffrence des tres vivants sont doues

    dimmortalit3. Aussi, en dterminant la destination de ses biens sa mort, lhomme se

    donne lillusion de se survivre. Dans le mme temps, en organisant la transmission de ses

    biens, lindividu dispose de moyens de contrler le devenir de ceux qui lui survivront4. On

    ne pourrait voir dans ces motivations que la marque de la vanit humaine ou, avec un peu

    1 LEcclsiaste, III, 1 et 2. 2 V. M. Grimaldi, Droit civil, Successions, 5me d., Litec, 1998, n 31, qui note que le fait de transmettre ses biens sa famille fait esprer chacun que son souvenir perdurera dans lesprit de ceux qui recueilleront les biens. 3 En ce sens, J. Carbonnier, Flexible droit, 7me d., L.G.D.J., 1992, p. 282, 283. Pour M. Carbonnier, la perptuit de la proprit passe ncessairement par la proprit familiale, tant entendu que cette perptuit ne peut dpasser quatre gnrations, car au-del, tout est brouillard et nuit, quoi le droit ne doit plus sa garantie . Voy. galement, M. Grimaldi, op. cit., n 31, selon lequel dans une certaine rflexion philosophique sur la relation de lavoir et de ltre, la proprit se justifie, elle-aussi, comme soutien ncessaire lexistence de lhomme. Celui-ci nexiste que par son objectivation dans les choses auxquelles, parce quelles lui appartiennent, il sidentifie . 4 Cest particulirement net lorsque le legs est assorti de conditions ou de charges : en ce sens, M. Grimaldi, Les dernires volonts, in Droit civil, procdure, linguistique juridique, Ecrits en hommage Grard Cornu, P.U.F, 1994, p. 177 et s. et spc., p. 186, qui fait valoir que le testateur en insrant des conditions ou charges caractre personnel use du pouvoir de largent pour brider la libert dautrui ; il prennise au moyen de ses biens son autorit sur les siens .

    3

  • plus dindulgence, une manifestation de langoisse de lhomme devant la mort1, si la

    destination imprime aux biens par leur propritaire ntait pas parfois tourne vers la

    satisfaction dautrui. Tel est lesprit qui anime depuis toujours les fondations.

    2. La plus lointaine parent quon puisse trouver aux fondations rside en effet dans le

    culte des morts2. Ainsi, sous lAntiquit grecque et romaine, les fondations sont

    intimement lies la religion. Par la suite, ce culte des morts se transforme en un culte de

    la commmoration. Ainsi, en uvrant pour les vivants le souvenir des morts se

    perptuera3.

    Lhistoire des fondations est galement celle de la conqute progressive de lautonomie,

    tant politique que juridique. Elle est la conqute de lautonomie juridique en ce que les

    fondations non dotes de la personnalit juridique ont prcd les fondations

    personnalises. On trouve ainsi des fondations non personnalises ds lantiquit. Les

    premires traces des fondations grecques se font jour ds le dbut de lpoque

    hellnistique. Les fondations romaines apparatront plus tardivement et seront le produit

    du droit vulgaire et non de la jurisprudence ou de la lgislation romaine4. Le mcanisme

    juridique employ sous lantiquit grecque et romaine est celui de la fondation

    dpendante , qui se ralise invariablement par le don ou le legs fait une personne

    juridique prexistante, collectivit ou personne physique5. En fait, il faudra attendre

    lpoque de Justinien pour trouver les premires traces de la personnalit juridique

    propos des glises, monastres et hpitaux. La personnalit juridique se manifeste sous la

    1 Lapaisement de langoisse de la mort est une des justifications traditionnelles de la libert testamentaire. 2 En ce sens, T. Sauvel, Les fondations, leurs origines, leur volution, R.D.P. 1954, p. 325 et s. et spc., p. 327 ; J.L Mestre, Les Fondations dans lhistoire, in Les fondations, un mcnat pour notre temps, Economica, 1987, p. 11 et s. et spc., p. 11. Il semble que cette ide na pas entirement disparu des esprits. Ainsi, on a pu proposer lemploi de la fondation, plus prcisment de la fondation-personne morale, pour lentretien dune concession centenaire ou perptuelle concomitamment la poursuite dune uvre dintrt gnral : v. P. Haraoui, Concessions funraires : leurres ou certitudes, J.C.P. 1995, d. N, I, p. 1079 et s. et spc., n 27. 3 V. E. F. Bruck, Les facteurs moteurs de lorigine et du dveloppement des fondations grecques et romaines, Revue internationale des droits de lAntiquit, 3me srie, II, 1955, p. 159 et s. et spc., p. 162-163. 4 Ibid, p. 165. 5 V. R. Feenstra, Le concept de fondation du droit romain classique jusqu' nos jours : thorie et pratique, Revue internationale des droits de lAntiquit, 1956, p. 245 et s. et spc., p. 251 ; J. Imbert, Aperu historique sur les fondations en droit franais, in Le droit des fondations en France et l'tranger, Notes et tudes documentaires, n 4879, Documentation franaise, 1989, p. 21 et s. et spc., p. 22 ; J.L Mestre, loc. cit., p. 11 ; R. Saleilles, De la personnalit juridique, Histoire et thories, 2me d., Paris, Rousseau, 1922, p. 135. Ainsi en ira-t-il, par exemple, dpoux (Ursinus Rufinus et Domitia Severa) qui donnent un collge de jeunes gens 400 deniers avec le modus dorner chaque anne de roses la tombe de leur fille.

    4

  • forme de la reconnaissance des attributs de la personnalit juridique des hpitaux

    chrtiens, dans le but de les distinguer des autres biens ecclsiastiques1. Au Moyen-Age,

    le souci de lEglise romaine de mettre fin aux droits des seigneurs sur les biens

    ecclsiastiques situs sur leurs terres est, par ailleurs, relay par la notion de personne

    juridique ; les seigneurs se voient ainsi dots de prrogatives trs rduites. Mais ce nest

    quau 13me sicle quun canoniste, le pape Innocent IV, cre le concept de personnalit

    juridique2.

    3. Le Moyen-Age est une priode fconde pour les fondations. Ainsi, cest cette

    poque (1443), quest cr par Nicolas Rolin, chancelier de Bourgogne, lHtel-Dieu de

    Beaune. En fait, cette poque, les fondations de messes et les fondations de charit sont

    lgion. Ce succs sexplique par la peur de lau-del : le dpouillement du testateur la

    veille de sa mort lui donne une assurance pour lternit. Ainsi que lexplique M. Aris,

    le testament a t le moyen religieux et quasi-sacramental de gagner les aeterna sans

    perdre tout--fait les temporalia, dassocier les richesses luvre du salut. Cest, en

    quelque sorte, un contrat dassurance conclu entre lindividu mortel et Dieu, par

    lintermdiaire de lEglise... 3. Mais, le Moyen-Age est galement une poque propice

    laccomplissement dabus. Ces abus servent dailleurs de prtexte lintervention du

    pouvoir royal, dont lemprise tend stendre et que la puissance conomique des

    fondations inquite. Linfluence de lautorit royale sexerce dabord sous la forme dune

    surveillance des juges royaux tablie par un dit de dcembre 1543 et portant sur les

    fondations de maladreries et de lproseries. Toutes les personnes morales, y compris les

    fondations, sont ensuite vises par les ordonnances de 1659 et de 1666, qui interdisent la

    cration dun nouvel tablissement sans une autorisation royale4. Ldit dAguesseau

    daot 1749 a t le point daboutissement de cette volution. Sous couvert de ralentir la

    cration dtablissements de mainmorte et de protger lintrt de la famille des

    fondateurs, ldit tablit une distinction fonde sur lutilit publique entre deux catgories

    de fondations. Ainsi, les fondations qui nont pour objet que la clbration des messes,

    la subsistance dtudiants, ou de pauvres ecclsiastiques ou sculiers, des mariages de

    1 V. J. Imbert, loc. cit., p. 22 ; J.L Mestre, loc. cit., p. 12. 2 V. R. Feenstra, loc. cit., p. 259 ; J.L Mestre, loc. cit., p. 13. 3 P. Aris, Lhomme devant la mort, Seuil, 1977, p. 90. 4 Contra, H. Souleau, Lacte de fondation en droit franais, thse Paris, dactyl., 1969, n 9, pour lequel ces textes ne visaient que les groupements de personnes et non les fondations.

    5

  • pauvres filles, coles de charit, soulagement de prisonniers, ou incendies, ou autres

    uvres pieuses de mme nature, et galement utiles au public (article 3) sont dispenses

    dautorisation du monarque. Pour ce qui est des autres fondations (collges, hpitaux et

    chapelles), elles ne peuvent tre cres par testament et lorsquelles sont cres par

    donation, elles doivent obtenir une permission du roi dlivre par des lettres patentes aprs

    examen de lutilit de ltablissement et des biens qui lui sont affects. Laugmentation du

    patrimoine des fondations est en outre strictement rglemente : celles-ci ne peuvent

    recevoir cause de mort et leurs autres acquisitions sont subordonnes lobtention de

    lettres patentes.

    Ces mesures ont sans doute constitu un frein lexpansion des fondations mais le

    vritable coup darrt lessor des fondations a t port par la tourmente rvolutionnaire.

    Ainsi, les fondations religieuses sont dabord la cible des rvolutionnaires, qui par un

    dcret du 2 juillet 1790 mettent leurs biens la disposition de la Nation. La loi du 19 mars

    1793 prescrivant que les biens des hpitaux, fondations et donations en faveur des

    pauvres seront vendus dans la forme qui sera rgle par le comit dalination (des biens

    nationaux) fait connatre le mme sort aux fondations hospitalires1.

    La rsurrection des fondations date du Consulat qui entreprend de restaurer les

    fondations de lits dans les hpitaux. Devant la multiplication des nouveaux tablissements,

    le Ministre de lintrieur sollicite lavis du Conseil d'Etat, conseiller du gouvernement.

    Celui-ci, par un avis approuv par dcret du 17 janvier 1806, dcide que tout nouvel

    tablissement doit tre autoris par dcision impriale rendue en Conseil d'Etat aprs

    rapport du Ministre de lintrieur. Cette autorisation est encore aujourdhui inscrite dans

    les articles 910 et 937 du Code civil, qui soumettent autorisation pralable les donations

    et legs adresss aux hospices, pauvres dune commune ou tablissements dutilit

    publique. Ce sont dailleurs les seules dispositions que les rdacteurs du Code civil

    consacreront aux fondations. Le dsintrt des rdacteurs du Code civil lgard des

    fondations na cependant pas entrav leur dveloppement.

    Ainsi, grce leffort conjugu de la pratique administrative et de la jurisprudence

    civile, la catgorie des fondations sest progressivement prcise. Celles-ci ont dabord t

    distingues des tablissements publics par laffirmation de leur caractre priv. Le Conseil

    1 Il nest pas inintressant de relever les motifs qui ont dcid les rvolutionnaires nationaliser les fondations hospitalires : la vente des biens des fondations hospitalires est destine permettre lattribution de secours aux plus dshrits. Il sagit par-l de protger les proprits des particuliers : en ce sens, A.M Patault, Introduction historique au droit des biens, P.U.F, 1989, n 161.

    6

  • d'Etat a, ensuite, veill les distinguer des associations1. Les fondations ont eu subir,

    quoiqu'indirectement, les rpercussions de la loi du 30 octobre 1886 qui interdit aux

    communes dentretenir et de subventionner les coles dispensant un enseignement

    religieux et de celle du 9 dcembre 1905 relative la sparation des Eglises et de l'Etat2.

    La loi du 23 juillet 1987 portant dveloppement du mcnat modifie en 1990 a constitu

    la dernire tape de lvolution du droit des fondations.

    4. Ce bref rappel historique met en exergue ltroite imbrication du Droit public et du

    Droit priv dans la matire des fondations. Se situant au carrefour du Droit priv3 et du

    Droit public, les fondations illustrent leur faon que la distinction Droit public/ Droit

    priv a tendance sestomper4. La diversit daspects rend cependant la question des

    fondations rebelle la synthtisation et est source de complexit5.

    5. En dpit de sa relative complexit, la matire des fondations connat lheure

    actuelle un regain dintrt. Comme si lon venait den dcouvrir les bienfaits, les

    colloques consacrs aux fondations se sont multiplis ces dernires annes6. La

    reconnaissance par lopinion publique et les pouvoirs publics de limportance du secteur

    non lucratif nest sans doute pas trangre cette situation.

    1 Louis Canet dans son article (Le rgime franais des fondations, Livre jubilaire du Conseil d'Etat, 1952, p. 433) observe que cest aprs la promulgation de la loi du 1er juillet 1901 qui a isol la notion dassociation de celle plus gnrale dtablissement dutilit publique qua t prcis le concept de fondation. 2 Sur la question, cf. A. Trasbot, Conditions et charges confessionnelles dans les libralits aux personnes morales publiques, Mlanges Capitant, Dalloz, 1938, p. 839 et s. 3 Ltude des fondations est traite dans les ouvrages sur les libralits : F. Terr et Y. Lequette, Droit civil, Les successions, Les libralits, 3me d., Dalloz, 1997, n 589 et s. ; J. Flour et H. Souleau, Droit civil, Les libralits, par H. Souleau, coll. U, Armand Colin, 1982, n 365 et s. ; H.L.J Mazeaud, Leons de Droit civil, tome 4, vol. 2, Successions, Libralits, 5me d., par L. Leveneur et S. Leveneur, Montchrestien, 1999, n 1413 et s. ; P. Malaurie et L. Ayns, Droit civil, Les successions, Les libralits, 4me d., par P. Malaurie avec le concours de P.J Claux et N. Gouzigou-Suhas, Cujas, 1998, n 333 et s. ; A. Sriaux, Les successions, Les libralits, coll. Droit fondamental, P.U.F, 2me d., 1993, n 67, 68. 4 Savatier (Du Droit civil au Droit public, A travers les personnes, les biens et la responsabilit civile, 2me d., L.G.D.J, 1950, p. 85) y a mme vu un terrain dpreuve pour les rapports du droit civil et du droit public . V. galement, F.X Testu, La distinction du droit public et du droit priv est-elle idologique ?, D. 1998, chr., p. 345 et s. 5 Peut-tre est-ce la raison pour laquelle les thses consacres aux fondations se sont le plus souvent limites ltude dun seul aspect du sujet. Ainsi la thse de doctorat dHenri Souleau tait-elle consacre lacte de fondation en Droit franais. Avant lui, Henri Paihl faisait porter son tude sur les fondations autonomes en droit franais (La cration des fondations autonomes en droit positif franais, thse Grenoble, 1939). 6 Cf. par ex. Groupe de recherche Droit du patrimoine culturel et naturel : le rle de la fondation et du trust dans la gestion du patrimoine culturel et naturel, Paris 25 juin 1998 ; 92me Congrs des Notaires de France, Le monde associatif, Deauville 12/15 mai 1996 ; Colloque de la Fondation Hugot du collge de France, in Le droit des fondations en France et l'tranger prcit.

    7

  • A ce regain dintrt fait, de plus, cho une mutation de la sociologie des fondations.

    La vocation traditionnelle des fondations dans les domaines religieux et charitables tend

    sestomper au profit des fondations caractre culturel, scientifique ou pdagogique.

    Ainsi, parmi les fondations cres entre 1977 et 1997 (soit 89 fondations), peine 21

    fondations interviennent dans le domaine de lassistance et de la bienfaisance1. Au cours

    de cette mme priode, il est possible de dnombrer 17 fondations intervenant dans le

    secteur culturel ou artistique2, 17 fondations agissant dans le domaine de la sant et de la

    recherche mdicale3 et 10 fondations se consacrant la formation et lenseignement4.

    Cette volution correspond dailleurs une volution du profil du fondateur. Les

    fondations recouvrent dsormais des ralits sociales fort diffrentes. Ainsi, la fondation

    n'est plus seulement le moyen pour un mcne fortun de perptuer sa mmoire ; elle est

    galement le fait d'entreprises, qui, dsireuses d'amliorer leur image de marque auprs du

    public, dcident d'associer leur nom une uvre d'intrt gnral. La fondation se

    prsente alors comme le support d'une action de communication d'entreprise. Il peut

    galement se faire que la fondation soit cre par des personnes morales de droit public.

    1 Il sagit des fondations suivantes : la fondation Bersabe, la fondation Abb Pierre, Pierre-Franois Jamet, La Fondation abb Pierre pour le logement des dfavorises, la Fondation Agir contre lexclusion, la Fondation Borel-Maisonny, la Fondation daction sociale et culturelle du pays de Montbeliard, la Fondation des orphelins Vitagliano, la Fondation des uvres hospitalires franaises de lordre de Malte, la Fondation Don bosco-Marseille, la Fondation Don bosco-Province de Paris, La Fondation du bnvolat, la Fondation du grand Orient de France, la Fondation Elf, la Fondation Jean et Jeanne Scelles, la Fondation Julienne Dumeste pour linnovation sociale et humanitaire, la Fondation La bonne Jeanne, la Fondation Lucien Dreyfus, la Fondation MAIF, la Fondation Pasteur Eugne Bersier, la Fondation pour le logement social, la Fondation solidarit Lorraine Sainte-lisabeth de Nancy, Institution Protestante Saint-Jacques. 2 Ce sont les fondations suivantes : Fondation Abbaye de la lucerne doutre-mer, Fondation Albert Gleizes, la Fondation Angladon-Dubrujeaud, Fondation Bettencourt, Fondation Carzou, la Fondation Daniel et Florence Guerlain, Fondation des pays de France, Fondation Dina Vierny, Fondation Georges Bemberg, Fondation Georges Rouault, Fondation Guy et Louise, Henri et Diane, Jean et Marie-Blanche de Polignac, Fondation Hans Hartung et Anna-Eve Bergmann, Fondation Jacques Toja pour le thtre, Fondation Meyer pour le dveloppement culturel et artistique, Fondation pour lintgration, Fondation Renaud, Fondation Francis et Mica Salabert. 3 Fondation Bon Sauveur de Begar, Fondation Bon-Sauveur de Saint-L, Fondation Christian Aurenche, Fondation de lavenir pour la recherche mdical applique, Fondation franaise pour la recherche sur lpilepsie, Fondation Hpital Saint-Joseph, Fondation-Hpitaux de Paris, Fondation Jean Dausset-Centre dtude du polymorphisme humain, Fondation Lonie Chaptal, Fondation Martine Midy, Fondation Mdecins sans frontires, la Fondation mtallurgique et minire contre la tuberculose, Fondation pour le dveloppement des techniques de supplance des fonctions vitales, Fondation Ren Touraine pour la recherche en dermatologie, Fondation Serge Dassault, Fondation Sophia France pour le rayonnement mondial du gnie biologique et mdical, les Villages de Sant et dhospitalisation en Altitude. 4 Il sagit de la Fondation communautaire pour lenseignement et lducation, de la Fondation Lacombe, de la Fondation de lcole Polytechnique, de la Fondation des maisons familiales rurales dans le monde, de la Fondation cole polytechnique fminine, de la Fondation entreprise, russite scolaire, de la Fondation Feron-Vrau, de la Fondation irlandaise, de la Fondation Jean-Baptiste Gagne, de la Fondation Jeunesse Avenir Entreprise.

    8

  • Ainsi, linstitut Curie, fondation reconnue dutilit publique en 1921, qui se consacre aux

    recherches scientifiques portant sur les radiations ionisantes et les corps radio-actifs a pu

    voir le jour grce des fonds publics. Le fameux Institut Pasteur, fondation reconnue

    dutilit publique en 1887, a galement bnfici dune aide financire de lEtat.

    6. Ce changement de la physionomie des fondations nest peut-tre pas sans lien avec

    lengouement pour les fondations dont semble stre pris le lgislateur de cette fin de

    sicle. Ainsi, en lespace dune dizaine dannes, il est possible de dnombrer pas moins

    de trois lois sur les fondations. La loi du 23 juillet 1987 portant sur le dveloppement du

    mcnat a, pour la premire fois, dfini la notion de fondation. Le lgislateur a repris son

    ouvrage en 1990 aux fins dapporter des modifications la loi de 19871. A cette occasion,

    il cra un nouveau type de fondation, la fondation d'entreprise. Enfin, par une loi du 2

    juillet 1996, le lgislateur a donn naissance une nouvelle fondation, la Fondation du

    patrimoine.

    7. De la loi du 23 juillet 1987, il est rsult une dfinition de la fondation.

    Etymologiquement, la fondation du latin fundo, btir, est lacte de construire, driger.

    Cette signification premire nest dailleurs pas inconnue de notre Droit positif o il est

    question, par exemple, de fondateurs dune socit pour dsigner les initiateurs, les

    promoteurs de la socit2. Ce nest videmment pas dans cette acception trop gnrale que

    le terme de fondation a t dfini par le lgislateur en 1987. Larticle 18 de la loi du 23

    juillet 1987 caractrise en effet la fondation comme lacte par lequel une ou plusieurs

    1 Pour un commentaire de ces lois, cf. Y.L Ggout, Fondations : la cration dune institution juridique nouvelle, Petites Affiches 10 nov. 1989, n 135, p. 4 et s. ; J. Vacherot, Commentaire sur la loi sur le dveloppement du mcnat du 23 juillet 1987, Vie sociale 1989, p. 141 et s. ; P. Legrand, Aperu du rgime des fondations en droit franais, Petites Affiches, 4 mai 1990, n 54, p. 23 et s. ; A. Couret, La loi sur le mcnat, Bulletin Joly, Doct., p. 753 et s. ; E. Alfandari, La loi du 4 juillet 1990, R.T.D. Com. 1990, p. 608 et s. ; E. Baron et X. Delsol, Vers une expansion des fondations, Juris-Association 1991, n 59, p. 37 et s. ; A. Gobin et J.L Monnot, Fondations : la nouvelle donne, Aspects juridiques et fiscaux de la loi du 23 juillet 1987, J.C.P. 1987, d. N, p. 344 et s. ; A. Gobin, La loi du 4 juillet 1990 sur les fondations d'entreprise et fondations d'utilit publique, seconde bauche du statut des fondations en France, J.C.P. 1990, d. N, I, p. 449 et s. ; C. Debbasch, Le nouveau statut des fondations : Fondations d'entreprise et fondations classiques, D. 1990, chr., p. 269 et s. ; M.H Maleville, Premires remarques sur la fondation d'entreprise, J.C.P. 1990, d. E, II, 15901 ; M.H Maleville, Remarques complmentaires sur la fondation d'entreprise, J.C.P. 1990, d. E, I, 98 ; Y. Streiff, La loi du 4 juillet 1990 crant les fondations d'entreprise et modifiant les dispositions sur le Mcnat, Bulletin Joly 1990, p. 835 et s. ; J. Vacherot, Les fondations franaises, dutilit publique, des origines la loi du 23 juillet 1987 sur le dveloppement du mcnat, Juris-Association 1991, n 59, p. 20 et s. ; F. Znati, La loi du 23 juillet 1987 sur le dveloppement du mcnat, R.T.D.C 1987, p. 803 et s. 2 Le terme de fondation a galement t utilis par Hauriou pour dsigner lopration juridique qui donne naissance aux institutions corporatives (La thorie de linstitution et de la fondation, Cahiers de la nouvelle journe, La cit moderne et les transformations du Droit, 1925, n4, p. 35). Ce nest pas dans cette acceptation que le terme de fondation sera retenu.

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  • personnes physiques ou morales dcident laffectation irrvocable de biens, droits ou

    ressources la ralisation dune uvre dintrt gnral et but non lucratif . Lorsque

    lacte de fondation a pour but la cration dune personne morale, poursuit le mme article

    dans son alina 2, la fondation ne jouit de la capacit juridique qu compter de la date

    dentre en vigueur du dcret en Conseil d'Etat accordant la reconnaissance d'utilit

    publique. Elle acquiert alors le statut de fondation reconnue d'utilit publique.

    Il nest pas difficile de remarquer la seule lecture de cet article lambivalence du

    terme de fondation. En effet, il apparat immdiatement que le terme de fondation

    recouvre lacte crateur et la personne morale cre cet effet1. Est ainsi distingu le

    procd crateur dun des rsultats possibles de cet acte, savoir la cration dune

    personne morale nouvelle. Cette terminologie lgale est ncessairement imparfaite en ce

    quelle rduit le rsultat de laffectation la personnalisation de luvre dintrt gnral

    alors mme que la fondation peut reprsenter la masse de biens non personnalise.

    8. En dpit de son imperfection, la dfinition lgislative de la fondation laisse pressentir

    limportance du concept daffectation. Lide daffectation, qui se dfinit comme la

    dtermination dune finalit particulire en vue de laquelle un bien sera utilis 2, est

    tellement lie la notion de fondation quelle a pu tre confondue avec elle. Cest ainsi

    que le domaine public a pu apparatre certains comme relevant du mcanisme juridique

    de la fondation3. Il est vrai que la domanialit publique est caractrise par laffectation

    publique des biens (quil sagisse de laffectation des biens lusage du public ou un

    service public), mais elle nemprunte la technique fondative que ce caractre. On

    chercherait en vain la prennit - qui constitue, nous le verrons, un lment de dfinition

    de la fondation - dans le rgime domanial. Laffectation des biens du domaine public est,

    1 Sauf considrer que le lgislateur na pas employ le terme acte au sens dacte juridique mais comme substantif dsignant laction, la volont de fonder. Une telle interprtation semble cependant tre condamne par la lecture des travaux prparatoires de la loi du 23 juillet 1987. Il apparat, en effet, que le lgislateur a voulu entriner la dfinition des fondations donne par le Conseil d'Etat : cf. par ex., G. Trmge, rapport au nom de la commission des finances de lAssemble nationale, J.O 1986-1987, A.N, Doc., n 836, p. 153 et s. 2 Vocabulaire juridique, association H. Capitant, sous la direction de G. Cornu, P.U.F, 7me d., 1998, v Affectation. 3 V. C. Lavialle, Droit administratif des biens, P.U.F, 1996, n 7 et du mme auteur, Des rapports entre le domaine public et le rgime des fondations, R.D.P. 1990, p. 469 et s. Contra, P. Yolka, La proprit publique, L.G.D.J., coll. bibliothque de droit public , tome 191, 1997, prface Y. Gaudemet, p. 475. Lassimilation de la domanialit publique au mcanisme des fondations rvle chez les tenants de cette opinion le refus de concevoir une proprit publique.

    10

  • au contraire, minemment contingente1. Ainsi, le changement daffectation dun bien peut

    tre librement dcide par la collectivit publique propritaire de ce bien dans la mesure

    o il intervient dans le cadre des comptence de cette dernire.

    Si la fondation ne se confond pas avec laffectation, celle-ci ne constitue pas moins un

    lment essentiel de celle-ci. Plus particulirement, en ce quelle dsigne lutilisation dun

    bien un usage dtermin2, laffectation implique un certain degr de prcision dans

    lemploi des biens. Cest la condition dindividualit de laffectation. Lorsque luvre

    dintrt gnral a vocation tre personnalise, lindividualit de laffectation nest pas

    douteuse. Elle est plus dlicate, en revanche, lorsque luvre se fond au sein dautres

    activits dun organisme. Il ne sera alors possible de parler de fondation que pour dsigner

    un service dintrt gnral individualis3. Bien que le degr de prcision requis soit le

    plus souvent affaire despce, il est nanmoins possible de poser un critre. Ainsi, si le but

    dintrt gnral dsign par le fondateur est tellement gnral (pauvret, recherche

    scientifique...) quil est susceptible dtre atteint de multiples manires, le fondateur devra,

    par ailleurs, prciser les moyens daction de luvre. Il ne lui suffira donc pas de dcider

    que ses biens seront destins aux pauvres pour faire acte de fondation ; il lui faudra, en

    outre, prvoir de quelle manire il entend secourir les pauvres (cration dun foyer,

    distributions de secours...)4.

    9. La poursuite dune uvre dintrt gnral est galement de lessence de la

    fondation. Longtemps, la question fut dbattue5. Ainsi, tait-il fait tat des fondations de

    famille qui, frquemment usites sous lAncien Rgime, taient affectes aux intrts de la

    1 En ce sens, P. Godfrin, Droit administratif des biens, coll. U, 5me d., Armand Colin, 1997, p. 47 ; A. de Laubadre et Y. Gaudemet, Trait de droit administratif, tome 2, 11me d., L.G.D.J., 1998, n 126 : C. Lavialle, Droit administratif des biens, op. cit., n 73 et s. 2 En ce sens, S. Guinchard, Laffectation des biens en droit priv franais, L.G.D.J., coll. bibliothque de droit priv , tome 145, 1976, prface R. Nerson, n 2. 3 En ce sens, H. Souleau, Les libralits adresses la Fondation de France, Rp. Df. 1990, n 29521, n 6 ; E. Coquet, Les fondations prives d'aprs la jurisprudence franaise, thse Poitiers, 1908, n 6 et 7. 4 Coquet (thse prc., n 7) semblait ajouter cette condition de prcision des moyens, celle de prcision dans le but, savoir dans les destinataires de la fondation. Ainsi, expliquait-il que le legs adress un bureau de bienfaisance pour tre distribu en aumnes serait susceptible dtre considr comme une fondation si les distributions devaient tre priodiques et rgulires par lemploi des seules rentes dun capital et si elles devaient tre faites au profit dune catgorie de pauvres dtermine (cest nous qui soulignons). Toutefois, sa dfinition de la fondation non autonome parat trop restrictive pour tre accepte. 5 Dans le sens de laffirmative, cf. M. de Vareilles-Sommires, Les personnes morales, Paris, Cotillon, 1902, n 1404 ; G. Baudry-Lacantinerie, Trait thorique et pratique de droit civil, tome 1, 3me d., par M. Colin, Librairie de la socit du recueil gnral des lois et des arrts, Paris, 1905, n 342 ; dans le sens de la ngative, J. Dabin, Le Droit subjectif, Dalloz, 1952, p. 153, note 3.

    11

  • famille du fondateur. On dsignait aussi sous le vocable de fondation de messes 1

    laffectation dun capital pour la rmunration des messes clbres pour le salut de lme

    du fondateur. Certaines lgislations trangres, comme celle de la Suisse, connaissent

    dailleurs encore aujourdhui des fondations destines servir les intrts dune famille. Il

    est nanmoins permis de penser que la remise en cause de la finalit dintrt gnral ne

    serait pas opportune. Le lien entre fondation et intrt gnral est en effet trop ancr dans

    les mentalits franaises pour pouvoir tre abandonn.

    10. En fait, si le but de laffectation donne matire discussion, cest en raison de son

    contenu2. La notion dintrt gnral, concept fourre tout dont on connat lutilit

    puisquelle constitue le soubassement du Droit administratif3, se prte mal la

    dlimitation4. Limprcision du concept dintrt gnral ne peut surprendre dans la

    mesure o celui-ci doit pouvoir sadapter aux besoins du moment du corps social.

    Il est toutefois possible de poser en matire de fondations quelques lments de

    dlimitation. Ainsi, la notion dintrt gnral, rapproche de lide dordre public, exclut

    les activits qui seraient contraires aux bonnes moeurs, lordre public. La notion

    dintrt gnral prohibe galement la poursuite dintrts personnels aux fondateurs (ce

    que, dailleurs, interdit prcisment le but non lucratif de la fondation), ou dintrts trop

    particuliers (c'est--dire spcifiques aux membres dun groupe)5. Une fondation ne

    1 Sur les fondations de messes, cf. G. Euzet, Nature juridique de la fondation de messes, thse Aix, 1906 ; F. Dejust, Des fondations de messes, thse Paris, 1908. 2 Sur la question, cf. J.M Pontier, Lintrt gnral existe-t-il encore ?, D. 1998, chr., p. 327 et s. ; Rapport public du Conseil d'Etat 1999, Lintrt gnral, Documentation franaise, 1999. 3 Ainsi, dans son rapport public de 1999, le Conseil d'Etat recensant les fonctions de lintrt gnral y voit le fondement des grandes constructions jurisprudentielles ainsi quune norme de rfrence pour laction administrative. Dautres ont pu dire quil tait impossible de renoncer lintrt gnral puisquil constitue une composante de notre culture, un mythe porteur (J.M Pontier, loc. cit., p. 332). On a pu enfin voir dans lintrt gnral une construction idologique (J. Chevallier, Rflexions sur lidologie de lintrt gnral, in Variations autour de lidologie de lintrt gnral, P.U.F, 1978). Ce qui nempche pas que le concept dintrt gnral fasse lobjet de critiques idologiques, sociologiques ou conomiques (sur les critiques mises, cf. J.M Pontier, loc. cit., p. 27-328). Sur les diffrentes approches de lintrt gnral (approche utilitariste qui conoit lintrt gnral comme la somme des intrts particuliers ou approche volontariste pour laquelle lintrt gnral dpasse les intrts particuliers), cf. Conseil d'Etat, Rapport public 1999, op. cit., p. 253 et s. 4 On a pu proposer, dans un but de clarification, dexclure de la notion dintrt gnral les intrts territorialement rduits et au contenu troit. On reconnatrait ainsi quil existe entre les intrts particuliers et lintrt gnral une catgorie intermdiaire dintrts (J.M Pontier, loc. cit., p. 333). 5 En ce sens, Conseil d'Etat, Rendre plus attractif le Droit des fondations, La Documentation franaise, 1997, p. 21. Ainsi, pour le Conseil d'Etat, aujourdhui, la limite la reconnaissance d'utilit publique tient essentiellement ce quelle doit se distinguer des intrts particuliers (Conseil d'Etat, Rapport public 1999, op. cit., p. 307).

    12

  • pourrait, pareillement, avoir un but conomique. Ainsi, un projet de Fondation de la

    Foire internationale de Nice dont lobjet tait lorganisation de manifestations

    destines dvelopper le commerce, lindustrie, lartisanat, lagriculture et le tourisme et

    contribuant, dans lintrt gnral, au rayonnement conomique et culturel de la ville de

    Nice et de la rgion Provence-Cte dazur a-t-il t rejet1.

    Du caractre volutif de la notion dintrt gnral2, le droit des fondations offre, par

    ailleurs, une bonne illustration. Ainsi, la notion dintrt gnral a russi englober les

    domaines dactivit caractre politique3 voire connotation religieuse. Des fondations

    caractre religieux (Fondation des monastres ou Fondation du judasme franais) ont

    ainsi pu tre cres. Il apparat toutefois quelles ne peuvent avoir pour objet de propager

    1 J. Vacherot, Les fondations franaises, dutilit publique, des origines la loi du 23 juillet 1987, loc. cit., p. 26 ; E. Baron, X. Delsol, loc. cit., p. 40. 2 En ce sens, J.M Pontier, loc. cit., p. 332. On a pu reprocher lintrt gnral sa variabilit et stonner quelle puisse tre utilise avec autant de constance par le juge administratif (Conseil d'Etat, Rapport public 1999, op. cit., p. 310, qui dfaut de reconnatre en lintrt gnral le critre central de dlimitation du droit administratif en fait un principe dinterprtation permettant au juge administratif de juger de laction administrative).

    Sur lutilisation de la notion dintrt gnral par le Conseil d'Etat, voy. D. Truchet, Lintrt gnral dans la jurisprudence du Conseil d'Etat, retour aux sources et quilibre, in Conseil d'Etat, Rapport public 1999, op. cit., p. 361 et s. Selon cet auteur, lintrt gnral constitue pour le Conseil d'Etat une norme de mesure des pouvoirs de lAdministration en ce quil lui permet dtablir un quilibre entre des considrations opposes ou de complter les textes applicables. Il est galement pour cet auteur une norme de contrle des actes de lAdministration. Sil nest possible de trouver dans la jurisprudence du Conseil d'Etat une dfinition abstraite de la notion dintrt gnral, il est nanmoins loisible de constater que pour le Conseil d'Etat, lintrt gnral nest pas lintrt des personnes publiques et quil nentre pas ncessairement en contradiction avec les intrts privs. 3 Ainsi, le Conseil d'Etat a reconnu en 1991 (rapport public du Conseil d'Etat 1991, Documentation franaise, 1992, p. 63) quun tablissement dutilit publique pouvait avoir un objet politique. Voy. galement, Les fondations dmocratiques vocation politique en France, Rapport au premier ministre par J. Oudin, Paris, La Documentation franaise, 1997. Ce rapport propose la cration de fondations dmocratiques vocation politique dont lobjet serait de promouvoir la dmocratie lintrieur comme lextrieur en dveloppant la rflexion et la prospective politiques, en encourageant et diffusant les recherches sur les doctrines et mouvements de pense de nature politique, conomique et sociale, en concourant la formation civique des citoyens et lamlioration de la connaissance des institutions dmocratiques franaises et europennes, en conservant les archives des mouvements politiques et en soutenant les dmocraties naissantes, y compris par la coopration avec les institutions trangres. Le rapport met en valeur les diffrents avantages que peut prsenter la cration de fondations reconnues dutilit publique. Ainsi, la fondation reconnue d'utilit publique pourrait amliorer limage des mouvements politiques, garantir la permanence dun courant de pense politique et assurer lindpendance idologique de la fondation par rapport aux partis politiques. Toutefois, le rapport propose de procder une adaptation du rgime de droit commun des fondations vocation politique en leur faisant obligation de faire contrler leur compte par un commissaire aux comptes, ainsi que par la commission nationale des comptes des campagnes et des financements politiques (commission dj comptente pour la vrification des comptes des partis politiques) (article 8 de la proposition de loi), en instituant une incompatibilit lgale entre certaines fonctions excutives dans le parti et le mandat dadministrateur dune fondation politique (article 5 de la proposition de loi), en cartant de la composition du Conseil d'administration les membres de droit (article 5 de la proposition de loi) et en proposant quune aide publique soit accorde aux fondations politiques par le Parlement en fonction de leur reprsentativit.

    13

  • les prceptes dune foi et quil leur est seulement permis de soutenir financirement ou

    moralement des institutions religieuses ou des membres des collectivits religieuses. Cette

    exclusion, qui sexplique peut-tre par lexistence dautres structures juridiques permettant

    la propagation des principes religieux, nenlve cependant rien la souplesse de la notion

    dintrt gnral.

    11. La prennit de laffectation ne peut se voir reconnatre cette mme vertu. Elle est

    dailleurs le critre le plus discut du concept de fondation. Elle ne signifie pas - ce serait

    pure fiction - que la fondation connatra immanquablement limmortalit ; elle nen a que

    la prtention. Car, dans la fondation, selon lheureuse formule dun auteur, se trouvent

    en comptition la statique de laffectation et la dynamique de la fondation 1. A lide de

    prennit ne peut donc au mieux qutre associe celle de dure indfinie.

    12. La loi du 23 juillet 1987 na pas pris explicitement position sur la question de

    savoir si la prennit, telle que prcdemment dfinie, tait une composante de la notion

    de fondation : elle se contente, dans son article 18, de dfinir la fondation comme

    laffectation irrvocable de biens. Irrvocabilit nest videmment pas synonyme de

    perptuit. Lirrvocabilit de laffectation interdit simplement aux fondateurs de prvoir

    le retour des biens affects dans leur patrimoine. Sans doute lirrvocabilit de

    laffectation conforte-t-elle la prennit de laffectation. Mais, il peut tre aisment

    imagin des formules qui ne combineraient pas ces deux lments. Ainsi, il se pourrait que

    les biens de la fondation soient consomms au fur et mesure, luvre dintrt gnral

    disparaissant une fois le capital de la fondation consomm.

    13. En fait, la prennit de luvre dintrt gnral doit correspondre la prennit de

    la structure juridique lincarnant, sauf mconnatre lexigence de prennit. Linstitution

    de la fondation d'entreprise offre une parfaite illustration de cette ide. Personne morale

    but non lucratif cre par des socits civiles ou commerciales, des tablissements publics

    caractre industriel et commercial, des coopratives ou des mutuelles en vue de la

    ralisation dune uvre dintrt gnral (article 19 de la loi du 23 juillet 1987), la

    fondation d'entreprise est cre pour une dure dtermine lexpiration de laquelle ses

    ressources subsistantes sont attribues un tablissement poursuivant un but analogue. On

    a cru pouvoir fonder la prennit de laffectation sur la dvolution des biens de la

    1 J.F Barbiri, Perptuit et perptuation dans la thorie des droits rels, thse Toulouse, 1977, p. 332.

    14

  • fondation d'entreprise dissoute un organisme poursuivant une activit dintrt gnral

    analogue1. Cette opinion ne nous parat cependant pas justifie. Il nous est apparu, en

    effet, que la fondation se caractrise par laffectation individualise de biens quelle

    ralisait2. Or, du fait de la dvolution des biens de la fondation d'entreprise dissoute une

    entit distincte lindividualit de laffectation est obre ; il sest produit, en quelque sorte,

    un changement daffectation. Par consquent, laffirmation selon laquelle luvre

    dintrt gnral perdure travers la nouvelle structure ne ralise quune fausse

    apparence, un schma en trompe loeil.

    Pourtant, linstitution de fondation ad tempus est de plus en plus souvent souhaite par

    les praticiens3 et thoriciens4. Elle revt une signification diffrente selon ses partisans.

    Ainsi, pour les publicistes, la proposition dinstituer une fondation dure temporaire

    procde de la dfinition quils donnent de la fondation. Celle-ci reprsente pour eux la

    personne morale, la structure fonctionnelle personnalisant le service dintrt gnral5, la

    forme juridique incarnant un service semi-public 6. Les tenants de cette opinion

    paraissent toutefois ignorer que la personnalit morale nest quune technique juridique

    parmi dautres de ralisation de fondations et nen incarne pas lessence. Si des privatistes

    se montrent, pour leur part, particulirement hostiles lide de prennit, cest

    essentiellement dans le souci dviter de figer ad aeternitatem les relations juridiques7. A

    ces considrations de thorie juridique se mlent galement des motivations plus pratiques

    tenant pour lessentiel la volont de dmocratiser les fondations en les rendant plus

    accessibles financirement.

    1 V. par ex., H. Mignon, rapport n 1368 fait au nom de la commission des affaires culturelles et sociales de lAssemble nationale, J.O 1989-1990, Doc., A.N, p. 57. 2 Cf. supra, n 8. 3 Cf. par ex. 92me Congrs des Notaires de Deauville, op. cit., p. 544-545 ; M. Pomey, Le mcnat et les fondations, notes et tudes documentaires, n 3334, nov. 1966, Documentation franaise, p. 3 et s. et spc., p. 20 ; Conseil d'Etat, Rendre plus attractif le Droit des fondations, op. cit., p. 32 et 33. 4 J.F Barbiri, thse prc., p. 318 ; F. Terr et Y. Lequette, Les Successions, Les libralits, op. cit., n 476. 5 V. M. Pomey, Le mcnat et les fondations, Rapport tabli pour A. Malraux, op. cit., p. 21. 6 J. Carbonnier, tome 1, Les personnes, 20me d., P.U.F, 1996, n 220. 7 Sur lapprhension du temps par le Droit civil, cf. P. Hbraud, Observations sur la notion de temps dans le droit civil, in Etudes offertes Pierre Kayser, P.U.F dAix en Provence, 1979, tome 2, p. 1 et s.

    15

  • Dans lesprit de ceux qui en rclament la cration1, la formule de la fondation

    temporaire pourrait revtir deux expressions : la premire sentendrait de laffectation

    dun capital dont lpuisement conciderait avec la ralisation de luvre voulue par le

    fondateur. Le fondateur pourrait galement - et cest la seconde expression de la fondation

    temporaire - assigner ab initio une dure dtermine la fondation (qui correspond dans

    son ide la dure ncessaire pour atteindre le but dintrt gnral) : le montant des biens

    affects serait alors fix en fonction de la dure projete de la fondation. Si toutefois,

    larrive du terme fix, il venait en rester, le reliquat ferait retour au fondateur ou ses

    hritiers ou serait affect une nouvelle destination.

    14. Loin dtre un archasme inutile, la prennit nous apparat au contraire comme une

    ncessit de la plus vivante actualit. La prennit de luvre est consubstantielle la

    notion de fondation ; elle lui est aussi indispensable que lest laffectation dlments

    patrimoniaux qui lui sert de base.

    Sur le plan psychologique, la notion de fondation na de raison dtre pour son crateur

    que parce quelle lui permet de se survivre, de laisser une trace aprs sa mort.

    Sur le plan de la technique juridique, elle ralise un lment de discrimination entre la

    fondation et dautres structures juridiques, comme lassociation pour laquelle elle nest

    quune modalit conditionnelle au choix des socitaires2.

    Enfin, les fondations perptuelles peuvent faire sentir leur intrt, sur le plan de lutilit

    sociale, car du fait de leur prennit, elles peuvent prendre en charge des besoins sociaux

    qui nattirent pas ou plus la gnrosit publique. Elles sont mme dans certains domaines

    lunique mode dexpression de certaines activits dintrt gnral. Ainsi, les fondations

    dont lobjet est de perptuer le souvenir dune poque ou dun vnement qui a marqu

    lhumanit ne peuvent esprer raliser leur objectif que par le biais dune structure

    juridique prenne. Ainsi en est-il de la Fondation pour la mmoire de la dportation qui

    sest donne pour objet de perptuer le souvenir et la mmoire de la rsistance, de la

    dportation et de linternement ou de la Fondation Charles de Gaulle qui a pour but de

    diffuser en France et ltranger les enseignements du gnral de Gaulle.

    1 92me Congrs des notaires, Le monde associatif, compte-rendu des travaux des commissions, p. 145-146 ; Conseil d'Etat, Rendre plus attractif le Droit des fondations, op. cit., p. 32, 33. 2 En ce sens, G. Sousi, B. Thvenet, Les associations, Dalloz, 1985, n 1246 ; ; A-S Mescheriakoff, M. Frangi, M. Kdhir, Droit des associations, P.U.F, 1996, n 148, p. 200.

    16

  • 15. Il est vrai, toutefois, que notre Droit positif connat dj une fondation temporaire,

    la fondation d'entreprise. Mais la fondation d'entreprise, fondation temporaire, altre, si ce

    nest dnature, la dfinition de fondation. En faveur des fondations temporaires, il pourrait

    nanmoins tre argu que, par souci de cohrence, devrait tre institue une fondation

    dure temporaire calque sur le modle de la fondation d'entreprise ouverte tous les

    candidats-fondateurs, peu important quils soient ou non des entreprises. Cet argument

    nest cependant convaincant quautant que les raisons qui ont justifi la cration dune

    fondation temporaire au bnfice des entreprises peuvent tre invoques par les autres

    fondateurs. Or, nous verrons que la temporalit de la fondation d'entreprise est motive par

    des impratifs propres la stratgie de communication des entreprises1.

    Puisque la suppression pure et simple de la fondation d'entreprise parat illusoire, il

    convient au moins de limiter lexception que constitue la fondation d'entreprise aux seules

    entreprises2. On finira de sen convaincre lorsque lon constatera que linstitution de la

    fondation d'entreprise na pas produit une augmentation notable du nombre de fondations3.

    16. Cest donc dans le sens de prennisation dune uvre dintrt gnral que le but

    originel et original de la fondation peut tre apprhend. La dfinition du but de

    laffectation ne suffit toutefois pas rendre entirement compte du concept daffectation et

    donc de celui de fondation. Celui-ci recouvre galement la technique de laffectation c'est-

    -dire la technique de ralisation du but4.

    17. Cest sur la technique daffectation prenne de biens un but dintrt gnral en

    Droit franais c'est--dire sur le rgime juridique des fondations que nous avons choisi de

    faire porter ltude. Il sagit, selon nous, de laspect le plus important de la question des

    fondations, car le but naccde la vie juridique que par le biais de la technique juridique.

    Or, le rgime juridique des fondations demeure trs peu connu, et ce malgr les rcents

    travaux5 et colloques organiss sur ce thme par les praticiens du droit. Le thme semble,

    en revanche, avoir moins attir les thoriciens puisque la dernire thse de doctorat a t

    1 Cf. infra, n 683. 2 Contra, J.P Margunaud, Les fondations, in Droit patrimonial de la famille, Dalloz Action, 1998, n 4071, pour lequel le lien entre fondation et perptuit a t clairement rompu avec la fondation d'entreprise. 3 Cf. infra, n 714. 4 En ce sens, S. Guinchard, thse prc., n 15. 5 Cf. notamment, Conseil d'Etat, Rendre plus attractif le Droit des fondations prcit.

    17

  • crite en 1969 par Henri Souleau1. Et il nest pas discutable que depuis lors, la ralit

    sociologique et historique des fondations a sensiblement volu. En particulier, lentre en

    scne des entreprises dans le secteur des fondations ne connaissait pas lampleur quelle a

    aujourdhui. Ceci na pas t sans consquence sur le plan de la technique juridique

    puisquune nouvelle personne morale, la fondation d'entreprise, a t cre, renouvelant

    ainsi lanalyse juridique. Il est par ailleurs impossible dignorer que lapproche du sujet

    par le Professeur Henri Souleau ntait que partielle puisque lminent auteur avait choisi

    de faire uniquement porter son tude sur lacte de fondation, lexclusion du rsultat de

    laffectation. Or, il est indniable que la connaissance des rgles de fonctionnement des

    fondations prsente un grand intrt pour le juriste. La connaissance de ces rgles prsente

    une importance particulire en matire de fondations du fait de leur vocation agir

    pendant une dure indfinie.

    On peut trouver un autre motif dtudier la question du rgime juridique des fondations

    dans le fait que la technique juridique est fort dcrie lheure actuelle. On lui impute

    notamment le faible nombre de fondations franaises. De fait, la France ne compte gure,

    lheure actuelle, que 450 fondations reconnues d'utilit publique. Et parmi elles, un

    nombre non ngligeable de fondations reconnues d'utilit publique (de lordre de 80

    fondations) ont t cres au sicle dernier. Cest dautant plus regrettable que les

    fondations offrent dimportantes potentialits pour lavenir. Ainsi, elles pourraient rendre

    dminents services la socit en prenant en charge des besoins sociaux qui n'attirent pas

    ou peu le secteur marchand ou en sadressant une catgorie dindividus exclu du march.

    Au surplus, les fondations peuvent galement apporter aux pouvoirs publics une aide fort

    apprciable dans les domaines de linnovation et de la prospective. Le dveloppement de

    ces secteurs dactivit dont lutilit est incontestable ne peut, de fait, tre assur par la

    puissance publique, en raison de la lourdeur des services publics ou des contraintes

    budgtaires.

    18. Le faible nombre de fondations en France contraste avec la profusion de fondations

    ltranger (50 000 fondations en Sude, 85 000 aux Pays-Bas et prs de 30 000 aux

    Etats-Unis2) dont la renomme de certaines (Fondation Carnegie, Rockfeller ou encore

    1 Dans sa thse, Henri Souleau (thse prc, n 5) recensait dailleurs seize thses sur les fondations entre 1888 et 1911 et seulement une seule thse en 1939. 2 H.L.J Mazeaud, tome 4, vol. 2, Successions, Libralits, 5me d., par L. Leveneur et S. Leveneur, op. cit., n 1414.

    18

  • prix Nobel) est internationale. L'originalit du modle anglo-saxon tient l'institution du

    trust, qui permet l'affectation d'un patrimoine un but particulier sans crer de personne

    morale. Cette structure permet une personne, le settlor , de se dessaisir de tout ou

    partie de ses biens en les confiant une ou plusieurs personnes de confiance, les

    trustees , qui doivent grer lesdits biens au profit d'un ou plusieurs bnficiaries

    dans les conditions dtermines par le trust deed . Lorsque le trust vise lintrt

    gnral, il prend la dnomination de charitable trust. Les trusts de ce type dsignent des

    structures sans personnalit morale pouvant rassembler des biens donns ou lgus, qui

    sont grs par des personnes de confiance (trustees) dans un intrt gnral au profit dune

    catgorie de bnficiaires.

    La qualit de charity, propre aux trusts visant lintrt gnral, est dlivre par une

    commission de surveillance (la Charity Commission) qui tient le registre des charities, les

    inscrit, les radie et assure leur contrle sans jamais intervenir dans leur fonctionnement. Le

    droit amricain offre galement le cadre juridique de la non-profit corporation ou socit

    but non lucratif, qui est dote de la personnalit morale. Quelle que soit la forme juridique

    emprunte, le Droit amricain tablit, en outre, une distinction entre les public charities et

    les private fundations : les premires collectent publiquement des fonds (fund raising)

    pour les affecter aussitt aux buts poursuivis ; les secondes possdent un capital, dont les

    revenus financent les activits. Ces deux structures de fondation connaissent un succs

    quivalent.

    19. Mais, ce serait aller trop vite en besogne que dattribuer la russite des fondations

    amricaines la technique juridique du trust. Car, quelle que soit limportance de la

    technique juridique, la clef de lessor des fondations ne se rduit pas cela. Des

    considrations sociologiques, historiques prennent en la matire une importance de

    premier plan. Les habitudes de mcnat varient selon les poques et les lieux. Elles sont

    troitement lies la tradition historique et aux mentalits des opinions publiques. Ainsi,

    le modle amricain du mcnat fond sur la gnrosit des particuliers, elle-mme lie

    la rapidit de constitution des fortunes prives et une tradition de civisme bien ancre, ne

    peut gure tre compar avec le systme franais fortement marqu par la longue tradition

    interventionniste de lEtat, notamment dans le domaine culturel et de laction sociale.

    Entre ces deux modles opposs volue dailleurs toute une gamme intermdiaire de

    formules o se ctoient les pays dans lesquels les entreprises jouent un rle trs actif

    (Japon, Italie) et ceux dans lesquels le mcnat individuel prime.

    19

  • Ainsi, sans aller jusqu' considrer, comme la crit M. Carbonnier, que linvocation

    de la lgislation compare nest souvent quinstrument de propagande 1, la rfrence

    des systmes juridiques trangers ne peut donc tre faite quavec rserve et prudence.

    Cest la raison pour laquelle il ne sera pas entrepris une tude systmatique des diffrents

    rgimes juridiques trangers2.

    20. Mme ainsi dlimit, le sujet demeure encore trs vaste : les fondations franaises

    ne sont pas toutes soumises au mme rgime juridique. Ainsi, les fondations situes en

    Alsace et en Moselle sont rgies par les dispositions du Droit local, qui reproduisent

    presque lidentique les dispositions du Code civil allemand3.

    Il arrive, par ailleurs, que des fondations soient soumises des rgles spciales soit en

    raison de leur mode particulier de constitution (fondations cres par une loi, comme la

    Fondation du patrimoine ou fondations cres par une ordonnance comme la Fondation

    des sciences politiques), soit en raison du domaine particulier dans lequel elles ont

    vocation intervenir (comme le secteur de la sant4 ou celui des monuments historiques5).

    Les fondations soumises ces dispositions spcifiques et drogatoires nentreront pas dans

    le champ de notre tude qui portera exclusivement sur le rgime de droit commun des

    fondations franaises. Si dans le cadre de notre tude nous aurons loccasion dvoquer le

    cas de la Fondation du patrimoine, il ne sagira pas pour autant dtudier en dtail son

    organisation. Le cas de la Fondation du patrimoine ne sera voqu que parce que sa

    1 J. Carbonnier, Essais sur les lois, 2me d., 1995, Rpertoire du notariat Dfrenois, p. 237. 2 Sur ce sujet, cf. notamment E. Alfandari, Les Associations et fondations en Europe, rgime juridique et fiscal, Juris-Service, 1994 ; Snat, service des affaires europennes, cellule de lgislation compare, Le rgime juridique des fondations ltranger, Snat, Paris, nov. 1989. 3 Sur ces fondations en Alsace-Moselle, cf. G. Struss et R. Beckers, Les lois locales en vigueur dans le ressort de la Cour dappel de Colmar, Colmar, 1954 (2 volumes), red. Partielle 1974 ; J. Duquesne, Rpertoire pratique de droit et de jurisprudence dAlsace et de Lorraine, V Fondations ; P. Mangin, Les fondations en Alsace et en Lorraine de 1870 nos jours, thse Strasbourg, 1927 ; E. Sander, Jurisclasseur civil, article 774 783, 1996. 4 Ainsi, les fondations intervenant dans le domaine de la sant sont-elles soumise la loi du 31 juillet 1991 portant rforme hospitalire (cf. art. L. 715-1 L. 715-5 du Code de la Sant publique). Cf. par ex., pour les mesures de contrle spcifiques pesant sur les tablissements hospitaliers privs but non lucratif, E. Rossini, Les tablissements de sant privs but non lucratif, L.G.D.J., coll. bibliothque de droit public , tome 165, 1992, prface F. Babinet et J. Waline, p. 211 et s. 5 Ces fondations doivent respecter les rgles poses par la loi du 31 dcembre 1913 sur les monuments historiques ou par la loi du 2 mai 1930 ayant pour objet de rorganiser la protection des monuments naturels et des sites de caractre artistique, scinetifique, lgendaire ou pittoresque. Ainsi, en vertu de l'article 18 de la loi du 31 dcembre 1913, les objets classs appartenant la fondation ne peuvent tre alins quaprs autorisation du ministre de la culture et seulement au bnfice de lEtat, dune personne publique ou dun tablissement dutilit publique. Sur ce sujet, voy. A. Kornmann et V. dAurne de Vernon, Lexonration des droits de mutation titre gratuit sur les biens classs : la fin des fondations ?, G.P. 1988, 2, p. 618 et s.

    20

  • cration de cette fondation est symptomatique dune tendance ltatisation des

    fondations reconnues dutilit publique1.

    21. Dans la mesure o les fondations franaises forment lobjet de la recherche, il nest

    pas sans intrt de connatre le critre de nationalit des fondations. La nationalit dune

    fondation sapprcie, en application des rgles de droit international priv, selon la loi de

    son sige social2. Cest, en effet, la loi du lieu du sige social qui rgit la constitution de la

    fondation3. Cest, dit-on, celle qui est la mieux mme dassurer la permanence et

    lunit de laction 4 tant entendu que le sige social doit tre rel et srieux pour tre

    retenu5.

    Toutefois, sagissant de la constitution de fondations directes par testament, la

    comptence de la loi du sige social est discute. Nous verrons6 que jusqu une priode

    rcente, larticle 906 du Code civil prohibait la disposition testamentaire faite au profit

    dune fondation future au motif quun legs nest valable que sil est adress une

    personne existante au jour du dcs du testateur. La question stait donc pose de savoir

    si cet article sopposait lacquisition par une fondation rgie par la loi trangre de biens

    faisant partie dune succession soumise la loi franaise lorsque la loi trangre

    considrait, par la grce de la rtroactivit de lautorisation administrative de la fondation,

    1 Cf. infra, n 679 et s. 2 Sur les controverses qui ont fait jour propos du critre de la nationalit des associations rgies par le dcret-loi de 1939 compltant la loi du 1er juillet 1901, cf. L. Julliot de la Morandire, Rpertoire de droit international priv, 1969, v Fondation, n 13 et s. Cette disposition, qui rputait associations trangres non seulement les associations qui avaient leur sige ltranger mais galement celles qui taient diriges par des trangers, a t abroge par la loi du 9 octobre 1981. 3 Il doit tre prcis quen Droit franais, il y a ncessairement concidence entre le pays de constitution de la fondation et celui de son sige social (P. Mayer, Droit international priv, Montchrestien, 6me d., 1998, n 1073 ; C. Gavalda, note sous Paris, 16 mai 1960, affaire de la Fondation Potocki, J.C.P. 1960, II, 11763). 4 L. Julliot de la Morandire, loc. cit., n 10 ; cf. pour la critique de cette conception, P. Mayer, op. cit., n 1079, qui propose pour dterminer la loi du sige de tenir compte du lieu o sont situs les biens, de celui o sexerce lactivit et de celui de la finalit daffectation des biens en allguant de la nature de groupement de biens des fondations qui rend le lieu dlaboration des dcisions peu probant. La proposition nest gure convaincante dans la mesure o le lieu de situation des biens et les centres dactivit de la fondation peuvent tre plurielles et rendre pratiquement impossible la dtermination du lieu du sige. Il parat donc prfrable de sen tenir au lieu o la fondation possde son sige administratif. 5 La ralit du sige social de la fondation se vrifie, comme en matire de socits, par la prsence en ce lieu des organes de direction et de contrle. V. ce sujet, T. civ. Bruxelles, 14 nov. 1911, Fondation Niederfullbach, Rev. crit. dr. int. priv. 1913, 178, note C. de Visscher propos duquel il a t jug que luvre navait pas, en ralit, son sige social en Allemagne mais en Belgique. 6 Cf. infra, n 269.

    21

  • comme existant ltre moral au jour de louverture de la succession. Les tribunaux1

    staient prononcs en faveur de lapplication de larticle 906 du Code civil franais,

    considrant par l-mme que la rgle pose par larticle 906 du Code civil relve du statut

    successoral et non du statut personnel2. Quoique justifie, la solution fut vivement

    critique. Puisque ce qui est cause cest lexistence de la fondation, celle-ci, a-t-on dit,

    devrait tre apprcie au regard de loi du sige social. De ce fait, ces dcisions judiciaires

    ne pourraient sexpliquer que par lide dordre public3, ce qui ne convainc gure. Selon

    une autre opinion, si la comptence de la loi successorale franaise pour rgir la situation

    nest pas discutable, la rgle pose par larticle 906 du Code civil ne viserait pas les

    personnes morales4.

    De toute faon, la controverse parat prive dintrt pratique depuis que le lgislateur a

    expressment valid le legs une fondation future sous rserve que soit dpose une

    demande de reconnaissance dutilit publique dans lanne de louverture de la succession

    (article 18-2 de la loi du 23 juillet 1987 modifie). Cette disposition se prsente donc

    comme une exception la rgle de larticle 906 du Code civil et la cration de fondations

    par testament ne parat plus heurter lordre public.

    22. A linstar de la constitution, la dure, la transformation5 et les causes de dissolution

    de la fondation relvent de la loi du sige social6 dans la mesure o constitution et

    fonctionnement1 sont indissolublement lis2.

    1 Paris, 26 juin 1981, Rev. crit. dr. int. priv. 1982, 547, note B. Ancel et rejet du pourvoi Civ. 1re, 15 fv. 1983, Bull. I, 1983, n 61, Rev. crit. dr. int. priv 1983, 645, 2me espce, note B. Ancel, G.P. 1983, 2, somm., 195. Le pourvoi a t rejet sur le fondement de linterprtation souveraine de la volont de la testatrice par les juges du fond. Ainsi que la not M. Ancel dans son commentaire de larrt du 15 fvrier 1983 lapplication de la loi franaise c'est--dire de larticle 906 du Code civil posait un problme de substitution et non de qualification. Pour lapplication de larticle 906 du Code civil aux associations ayant leur sige ltranger, cf. Cass. Civ., 7 dc. 1912, International Arbitration and Peace Association, S. 1914, 1, 305, note L. Hugueney, Rev. crit. dr. int. priv. 1913, 454, note H. Donnedieu de Vabres, D. 1914, 1, 433. 2 Le statut successoral rend applicable la loi franaise pour les immeubles situs en France ou pour tous les biens mobiliers du de cujus lorsque celui-ci tait domicili en France. 3 V. J.M. Bischoff, Jurisclasseur droit international priv franais, fascicule 526, 1984, n 84 ; L. Julliot de la Morandire, loc. cit., n 32. 4 C. Gavalda, note prc. 5 Il a ainsi t jug quune fondation yougoslave dote en 1947 par le Ministre de la Marine de Yougoslavie dun nouveau statut continuait la fondation yougoslave cre en 1926 (Civ. 1ere, 3 juin 1969, Rev. crit. dr. int. priv., 1971, 743). Sur la prise en compte de la loi du sige pour apprcier la possibilit et les modalits de transfert du sige social, cf. Paris, 9 juill. 1975, Journal du droit international priv 1977, 86, note T. Treves, qui dcide cependant dcarter la comptence de la loi du sige pour des motifs dordre public. 6 Pour une application aux fondations de la Convention de Bruxelles du 27 sept. 1968 relative la comptence des tribunaux et deffets des dcisions, cf. Paris, 17 nov. 1993, Rev. crit. dr. int. priv. 1994, 115,

    22

  • 23. En fait, les difficults rencontres par les fondations dont le sige social se situe

    ltranger sont lies la reconnaissance de leur existence auprs des autres pays. Quoique

    ces questions nentrent pas dans le cadre de notre tude, il nest pas sans intrt den faire

    brivement tat.

    Lorsquelle est rgulirement constitue au regard de la loi de son sige social, la

    personne morale peut faire valoir son existence auprs des autres pays3. Il nest plus gure

    question, pour sy opposer, dinvoquer la thorie de la fiction des personnes morales, dont

    lapplication stricte conduirait admettre que les personnes morales ne peuvent avoir

    dexistence que dans les limites du territoire qui les a vues natre4. Toutefois, la

    note H. Gaudemet-Tallon et sur pourvoi, Civ. 1re, 3 juill. 1996, D. 1998, somm., 281, obs. B. Audit, Journal du droit international priv 1997, 1016, note A. Huet, Rev. crit. dr. int. priv. 1997, 97, note H. Gaudemet-Tallon. Il a t dcid quune fondation domicilie dans lEtat de New-York ne peut bnficier de la convention de Bruxelles parce quelle nest pas domicilie dans un territoire dun Etat partie la Convention et que laction ne porte pas sur un droit rel immobilier mais quelle a pour objet la rparation dun prjudice moral rsultant dune obligation de faire. Il sagissait en effet dune action en excution force des charges de la libralit adresse une fondation-personne morale. Cette action avait t intente par les hritiers du donataire de nationalit amricaine mais domicilie en France et la fondation se dfendait en invoquant lincomptence des juridictions franaises et en se fondant sur certaines stipulations de la Convention de Bruxelles. En application de larticle 2 de la Convention de Bruxelles, les personnes morales domicilies dans un Etat contractant sont attraites devant les juridictions de cet Etat. Or, la Fondation prtendait avoir un sige secondaire en Italie, car elle tait immatricule dans ce pays. La Fondation arguait galement de larticle 16-1 qui donne comptence au tribunal du lieu de situation de limmeuble. Aucun des arguments invoqus par la fondation na t retenu. Les annotateurs de ces arrts jugent la solution parfaitement orthodoxe en droit mais pratiquement fcheuse car faire juger par un tribunal franais une action dirige contre une fondation dont le sige est aux Etats-Unis propos doeuvres dart situes dans un palais vnitien, nest pas trs satisfaisant (H. Gaudement-Tallon, note sous Paris, 17 nov. 1993 prc., p. 120). 1 Agissant sur le territoire franais, une fondation trangre est redevable des mmes impts et taxes que les fondations franaises : cf. Conseil d'Etat, 26 janv. 1990, G.P. 1990, 1, 306, conclusions O. Fouquet qui soumet limpt sur les socits prvu par l'article 206-1 du C.G.I une fondation de nationalit liechtensteinoise propritaire en France dun immeuble quelle avait mise par elle gratuitement la disposition de tiers. Pour ce faire, le Conseil d'Etat relve que la fondation qui avait pour objet aux termes de ses statuts le placement et ladministration du patrimoine de la fondation et de ses produits dans lintrt des bnficiaires ainsi que laffectation des ressources aux bnficiaires navait pas fait la preuve du caractre non lucratif de lopration de mise disposition gratuite des biens des tiers. La qualit de fondation au sens o lentend le droit franais ntait pas tablie puisquil ntait pas prouv que les ressources procures par le placement du patrimoine de la fondation devaient tre affectes une uvre dintrt gnral. Or, ainsi que le relve le commissaire du gouvernement, M. Fouquet, la gestion du patrimoine peut constituer une opration caractre lucratif si ce patrimoine est gr dans le seul intrt des personnes prives. 2 Une autre loi que celle de la loi du sige peut, titre exceptionnel, tre comptente. Ainsi, laction en rvocation de la libralit constitutive de la dotation initiale de la fondation-personne morale pour inexcution des charges est rgie par la loi dautonomie (cf. affaire de la Fondation Potocki, Paris, 16 mai 1960, J.C.P. 1960, II, 11763, note C. Gavalda). 3 En ce sens, P. Mayer, op. cit., n 1028 ; J.M. Bischoff, loc. cit., n 85. 4 V. par ex., H. Lalou, note sous T. civ. Seine (ordonnance du Prsident), 14 nov. 1936, D.P. 1937, 2, 33 ; R. Savatier, note sous Paris, 21 juin 1935, D.P. 1936, 2, 17. On notera en outre que, quand bien mme on adhrerait cette thorie, la reconnaissance de la personnalit juridique des fondations serait impose par le

    23

  • reconnaissance de la personnalit juridique nest pas complte ; elle ne confre en fait

    quun strict minimum vital de droits 1. Il est, en effet, coutumier de distinguer, linstar

    des solutions retenues pour les associations, lexercice dune activit ou dun acte

    ponctuel de lexercice dune activit permanente2. Laccomplissement par la fondation

    trangre dun acte isol, comme par exemple le droit dester en justice, nest pas discut

    ds linstant que ces droits lui sont reconnus par la loi de son sige3. Par exception, il est

    interdit aux fondations trangres dacqurir en France des biens titre gratuit4 mais il ne

    sagit l que dune manifestation de lordre public interne (et plus prcisment dune loi

    de police), qui pourrait toutefois tre supple plus efficacement par lapplication de

    larticle 910 du Code civil soumettant autorisation administrative le droit de recevoir des

    libralits5. Lapplication de l'article 910 du Code civil aux personnes morales trangres6

    se justifie en effet galement par la protection de lEtat franais contre les biens de

    mainmorte et par la crainte de puissance concurrente lEtat.

    24. Pas plus quelle ne peut recevoir des libralits, une fondation trangre ne peut

    exercer en France une activit permanente sans obtenir au pralable la reconnaissance

    principe du respect international des droits acquis. 1 C. Gavalda, note sous Paris, 16 mai 1960, prc. Cf. toutefois la distinction opre par M. Mayer entre lexistence de la personne morale et lautorisation dexercer une activit. Selon cet auteur, lexistence de la personne morale dpend exclusivement de la loi du for et lexpression reconnaissance de la personnalit morale dsigne lexercice et la jouissance des droits en France. 2 La distinction se fonde sur lassimilation du rgime de la fondation avec celui des associations pour lesquelles lobligation dobtenir une autorisation ministrielle pralable pour exercer une activit tait exige jusqu' la loi du 9 octobre 1981. Il faut prciser que lactivit permanente dun groupement consiste en laccomplissement par lui dactes rpts qui constituent par leur nature son vritable objet : en ce sens, M. Revillard, Les conventions internationales relatives aux associations, Journal du droit international priv 1992, p. 299 et s. et spc., n 27. 3 Pour le droit dester en justice, cf. par ex., T. civ. Saint-Julien, 21 nov. 1912, Rev. cr. dr. int. priv. 1913, 87 ; Req., 24 nov. 1914, D.P. 1916, 1, 193. 4 cf. par ex., T. civ. de la Seine, 26 fv. 1958, Journal du droit international priv 1959, 430, note A. Ponsard, G.P. 1958, 1, 325 et sur appel Paris, 16 mai 1960, J.C.P. 1960, II, 11763, note C. Gavalda. Contra, propos dassociations de sige tranger juges capables dacqurir titre gratuit, cf. Req., 24 nov. 1914, D.P. 1916, 1, 193 ; T. civ. de la Seine, 14 nov. 1936, D.P. 1937, 2, 33, note H. Lalou ; Paris, 21 juin 1935, D.P. 1936, 2, 17, note R. Savatier ; avis du Conseil d'Etat du 12 dc. 1854, D. 1856, 3, 16. 5 En ce sens, C. Gavalda, note sous Paris, 16 mai 1960 prc. ; J.M. Bischoff, loc. cit., n 92. M. Gavalda fait en outre valoir que linterdiction de recevoir titre gratuit faite aux fondations trangres est dautant plus inacceptable que pour les fondations, lacquisition de biens est une condition de leur existence. 6 En ce sens, H. Lalou, note sous T. civ. de la Seine 14 nov. 1936 prc. ; C. Gavalda, note sous Paris, 16 mai 1960 prc. Lavis du Conseil d'Etat du 12 dcembre 1854 prcit a affirm la ncessit pour une personne morale trangre dtre autorise par le gouvernement pour acqurir des biens titre gratuit situs sur le territoire franais ; il se fonde sur le droit de souverainet du chef dEtat qui lui permet de refuser dautoriser une libralit portant atteinte lintrt de lEtat ou lintrt des familles. Cette solution est galement admise par lordonnance du prsident du tribunal civil de la Seine du 14 nov. 1936.

    24

  • d'utilit publique. Cette opinion ne sappuie, il est vrai, sur aucun texte ni sur aucune

    dcision judiciaire. Elle se fonde en fait sur la volont de lutte contre la fraude. En effet, la

    cration dune personne morale nouvelle est en France subordonne loctroi dune

    autorisation administrative ; il sagit par-l dviter que les fondateurs potentiels soient

    tents de se placer sous lauspice dune lgislation plus favorable aux fondations pour

    chapper la ncessit dobtenir une autorisation administrative pour ensuite faire

    pratiquer leur fondation une activit en France.

    25. Lexigence dune autorisation pralable lexercice dune activit permanente en

    France peut constituer une relle gne pour les fondations uvrant dans plusieurs pays1.

    Cest cette proccupation que rpond la convention de La Haye du 1er juin 1956 relative

    la reconnaissance de la personnalit juridique des associations, socits et fondations

    trangres. Celle-ci, signe et ratifie par la France en 1962 mais non encore entre en

    vigueur faute des ratifications ncessaires, reconnat, en principe, la personnalit juridique

    de ltablissement tranger2, condition que celle-ci ait t acquise conformment la loi

    o elle a t constitue et o se trouve son lieu statutaire. Il nen demeure pas moins que

    ltablissement, le fonctionnement et lexercice permanent dune activit sur le territoire

    de lEtat de reconnaissance sont rgis par la lgislation de cet autre Etat (article 7 de la

    Convention). La Convention europenne sur la reconnaissance de la personnalit juridique

    des organisations internationales non gouvernementales ouverte la signature des

    membres du Conseil de lEurope le 24 avril 1986, entre en vigueur le 1er janvier 1991,

    signe par la France le 4 juillet 1996 et ratifie par la loi du 18 dcembre 19983 fait preuve

    de davantage de libralisme. Cette convention sapplique aux associations, fondations et

    autres institutions prives qui ont un but non lucratif dutilit international4, ont t cres

    par un acte relevant du droit interne dune Partie, exercent une activit effective dans au

    1 En ce sens, J.M Bischoff, loc. cit., n 89. 2 Le contenu de la notion de personnalit juridique tant susceptible de varier selon les pays, la convention prcise que la personnalit juridique doit au moins comporter la capacit dester en justice, de possder des biens et de passer des actes juridiques pour entrer dans le champ dapplication de la convention (article 1 de la Convention). Il est noter de plus que le statut des groupements trangers est calqu sur celui des groupements nationaux du pays de reconnaissance. Ainsi, lautorisation administrative de l'article 910 du Code civil pour recevoir les libralits est galement exige pour les groupements trangers. 3 J.O Lois et dcrets, 22 dc. 1998, p. 19349. 4 Le prambule de la Convention prcise que la notion dutilit internationale sentend dune contribution la ralisation des buts et des principes de la Charte des Nations Unies et du Statut du Conseil de lEurope dans les domaines scientifique, culturel, charitable, philanthropique, de la sant et de lducation .

    25

  • moins deux Etats1 et ont leur sige statutaire sur le territoire dune Partie et leur sige rel

    sur le territoire de cette Partie ou dune autre Partie. Elle prvoit la reconnaissance de

    plein droit de la personnalit ainsi que de la capacit dune organisation non

    gouvernementale telles quelles sont acquises par la partie dans laquelle son sige

    statutaire se situe. Sans doute la convention rserve-t-elle lEtat de reconnaissance le

    droit dappliquer aux organisations non gouvernementales tablies dans un autre Etat les

    restrictions, limitations ou procdures spciales prvues par sa propre loi pour lexercice

    des droits dcoulant de la capacit juridique mais seulement si ces limitations, restrictions

    ou procdures sont dictes par un intrt public essentiel2. De la mme faon, lexception

    reue lapplication de la convention aux organisations non gouvernementales, qui par

    leur objet, leur but ou par leur activit relle contreviennent la scurit nationale, la

    sret publique, la dfense de lordre et la prvention du crime, la protection de la

    sant ou de la morale ou la protection des droits et liberts dautrui ou encore qui

    compromettent les relations avec un autre Etat ou le maintien de la paix et de la scurit

    internationales ne peut, en raison de la gravit des agissements quelles visent, remettre

    srieusement en cause la porte de la convention.

    Mme si cette convention constitue une avance relle dans la dfinition dun cadre

    juridique pour les fondations europennes vocation internationale, on est encore loin

    dun rgime juridique europen des fondations qui serait susceptible de sappliquer aux

    fondations franaises comme trangres.

    26. Il est vrai quune telle entreprise est ardue du fait de la diversit des lgislations des

    diffrents pays europens. Un bref expos de certaines lgislations europennes permettra

    de sen rendre compte. Ainsi, les modles se rattachant la tradition romano-germanique,

    sopposent au modle anglo-saxon dj voqu (Angleterre3, Etats-Unis). Si lon sen tient

    aux fondations de tradition romano-germanique, on constate que les fondations

    europennes sont, en principe, rgies par le Code Civil. Ainsi, les fondations allemandes

    sont soumises au droit fdral (articles 80 89 du Code civil et articles 26 31 et 42 du

    Code civil relatif au droit des associations). Si chaque Land possde des dispositions

    1 Peu importe que ces deux Etats soient ou non membres du Conseil de lEurope : en ce sens, M. Revillard, loc. cit., n 41. 2 Pour Mme Revillard (loc. cit., n 46), lautorisation administrative pralable lacquisition de biens rpond cette exigence dintrt public essentiel. 3 Ainsi, en Grande-Bretagne, les fondations utilisent la technique juridique du trust ou de la personnalit morale.

    26

  • lgislatives particulires (Siftungsgesetz), elles sont dans les grandes lignes comparables.

    La fondazione italienne est galement rgie par des dispositions gnrales du Code civil de

    1942, tout comme la fondation hollandaise (Stichting), dont le rgime a t dfini par une

    loi de 1956 incorpore en 1976 dans le second livre du Code civil. En Espagne, le droit de

    crer des fondations d'intrt gnral (fundacion) est mme reconnu dans le texte de la

    Constitution de 1978.

    Si dans ces pays la fondation dsigne en gnral laffectation de biens, des disparits

    apparaissent lorsquil est question de la finalit de laffectation. Ainsi, la fondation peut

    navoir quun intrt priv en Italie ou en Allemagne o elle est perue comme un

    complment au Droit successoral ou aux rgles du Droit des affaires. Aux Pays-Bas, la

    poursuite dun but spcifique suffit galement caractriser la fondation. Au Portugal

    comme en Espagne, en revanche, la ralisation dun but dintrt gnral est de lessence

    de la fondation.

    27. La mme diversit caractrise le mcanisme juridique employ. Ainsi, dans certains

    pays, le terme fondation dsigne la fondation non personnalise alors que dans dautres, il

    est rserv aux fondations-personnes morales.

    Si lon se limite au mcanisme de la fondation-personne morale, on constate nanmoins

    quelques similitudes dans le contenu des actes de cration dune personne morale dans les

    diffrents pays europens. Ainsi, lacte de fondation comporte presque toujours la

    dtermination du but et des biens de la fondation projete. La cration dune fondazione

    exige ainsi deux actes distincts pouvant tre runis dans un mme document : la dcision

    de fonder et la dotation des biens. Au Portugal, lacte de fondation, qui doit indiquer le but

    et prciser les biens qui lui sont destins, peut aussi donner des instructions sur

    l'organisation et le fonctionnement de la fondation. Pour sa part, l'acte de fondation

    allemand doit prciser quels sont le fondateur, le nom de la fondation, le but poursuivre

    et les biens dont elle sera dote.

    28. La manifestation de volont exprime dans lacte de fondation est gnralement

    complte par un acte des pouvoirs publics. Toutefois, le rle jou par la puissance

    publique dans la cration de fondations dotes de la personne morale diffre sensiblement

    dun pays lautre. Ainsi, en Allemagne, la naissance de la Siftung dpend dune

    autorisation administrative donne, sous forme crite, dans la plupart des Lnder par le

    Regierungsprsident de la rgion (sorte de super prfet). Loctroi de cette autorisation

    administrative est subordonn la runion de certaines conditions, comme lexistence

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  • dun patrimoine suffisant ou la conformit du but de la fondation l'ordre public et la

    loi. La fondazione italienne et la fondation portugaise acquirent galement la personnalit

    juridique par la reconnaissance de lEtat ou de la rgion. La fundacion espagnole acquiert,

    en revanche, la personnalit morale ds sa constitution par acte notari et son inscription

    au registre des fondations, lexception toutefois des fondations culturelles prives qui

    doivent obtenir la reconnaissance pralable du ministre de l'Education et de la Science.

    De la mme faon, aucune intervention de l'autorit publique nest requise pour la

    Stichting hollandaise ; linscription de l'acte constitutif sur un registre tenu par les

    Chambres rgionales de commerce suffit.

    Dans ces pays, une surveillance administrative, dont lobjet et les modalits varient

    selon les pays, est gnralement institue par les textes. En Allemagne, elle a pour but

    dviter les carences des institutions de la fondation et de contrler les actes les plus

    importants de la fondation au moyen dune autorisation administrative pralable. Pour le

    reste, elle ne sexerce que lorsque lautorit de surveillance est avertie de lillgalit de la

    gestion ou du non-respect des statuts. Lautorit de surveillance dispose alors d'importants

    pouvoirs d'information et d'intervention pour rtablir l'ordre lgal ou statutaire. En

    Espagne, est institu un protectorat , sorte de tutelle souple, qui est exerce par le

    Ministre dont relve la fondation et veille au bon fonctionnement de la fundacion et au

    respect de son objet. Ce protectorat autorise toutefois lautorit de surveillance intervenir

    directement auprs des organes dirigeants.

    29. La varit des lgislations europennes rend improbable, au moins dans un avenir

    prochain, llaboration dun cadre juridique commun aux pays de lUnion europenne.

    Nous en voulons pour preuve lchec de la proposition de rsolution sur les fondations et

    lEurope labore par le Parlement europen1. Cette instance europenne stait en effet

    donne pour objectif de faciliter lactivit des fondations oprant lchelle europenne.

    A cette fin, tait propos ltablissement dun registre des fondations oprant en Europe, la

    cration dune reconnaissance dutilit europenne accorde aux fondations en

    fonction de leur objet et de leur rsultat et source davantages