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5 ELOGE DU PAPIER QUADRILLE Henri LOMBARDI Irem de Besançon REPERES - IREM . N° 45 - octobre 2001 INTRODUCTION La géométrie de l’espace peut être conçue comme l’étude des dispositions spatiales des objets solides. La géométrie plane est alors une géomé- trie des puzzles. La pièce de puzzle la plus élémentaire est un triangle. Les deux premiers cas d’égalité des triangles peuvent dans ce cadre être compris comme des axiomes raisonnables que doit véri- fier toute géométrie des puzzles. Et ils peuvent ser- vir à fonder aussi bien la géométrie plane euclidienne que ses concurrentes, hyperbolique et sphérique (ou elliptique). Pour faire le partage entre ces trois géo- métries, une figure fondamentale est donnée par le carré. Si les carrés ont des angles droits, on peut assembler quatre petits carrés iden- tiques pour en faire un plus grand, deux fois par le coté, et quatre fois par la surface, ce qui n’échappa pas à Socrate ni à l’esclave admis dans la discussion, qui était donc bel et bien un être humain doué de raison. Ainsi était mise en évidence de manière prémonitoire la fabu- leuse carrière à venir du papier quadrillé, assemblage indéfini de carrés tous identiques, un puzzle absolument dingue sur lequel se lit sans effort toute la géométrie euclidienne, avant de devenir le lieu où des générations d’élèves couchent leurs devoirs, leurs angoisses et parfois leurs enthousiasmes. Voir le papier quadrillé en filigrane de la feuille blanche, telle fut la conquête de Descartes, qui réduisit la géométrie à des arguments de comptage, redonnant toute sa dignité à l’esclave convo- qué par Socrate. Résumé : Nous plaidons ici en faveur d’un usage plus systématique du papier quadrillé comme source d’évidence en géométrie euclidienne. Celui-ci constitue une sorte de pré calcul sur les coordonnées tout en donnant à voir ce qui se passe, au sens fort du mot voir. L’usage systématique du papier quadrillé pourrait constituer ainsi une réalisation visuelle directe du programme de Descartes, lequel voulait dissiper tous les mystères. Sans doute joue en sa défa- veur la trop grande simplicité de cette mise en évidence : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué, comme diraient Euclide, Bourbaki et tous les pédants.

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ELOGE DUPAPIER

QUADRILLE

Henri LOMBARDIIrem de Besançon

REPERES - IREM . N° 45 - octobre 2001

INTRODUCTION

La géométrie de l’espace peut être conçuecomme l’étude des dispositions spatiales des objetssolides. La géométrie plane est alors une géomé-trie des puzzles. La pièce de puzzle la plus élémentaireest un triangle. Les deux premiers cas d’égalité destriangles peuvent dans ce cadre être compriscomme des axiomes raisonnables que doit véri-fier toute géométrie des puzzles. Et ils peuvent ser-vir à fonder aussi bien la géométrie plane euclidienneque ses concurrentes, hyperbolique et sphérique (ouelliptique).

Pour faire le partage entre ces trois géo-métries, une figure fondamentale est donnéepar le carré. Si les carrés ont des angles droits,on peut assembler quatre petits carrés iden-tiques pour en faire un plus grand, deux fois

par le coté, et quatre fois par la surface, ce quin’échappa pas à Socrate ni à l’esclave admisdans la discussion, qui était donc bel et bienun être humain doué de raison. Ainsi était miseen évidence de manière prémonitoire la fabu-leuse carrière à venir du papier quadrillé,assemblage indéfini de carrés tous identiques,un puzzle absolument dingue sur lequel se litsans effort toute la géométrie euclidienne,avant de devenir le lieu où des générationsd’élèves couchent leurs devoirs, leurs angoisseset parfois leurs enthousiasmes. Voir le papierquadrillé en filigrane de la feuille blanche, tellefut la conquête de Descartes, qui réduisit lagéométrie à des arguments de comptage,redonnant toute sa dignité à l’esclave convo-qué par Socrate.

Résumé : Nous plaidons ici en faveur d’un usage plus systématique du papier quadrillécomme source d’évidence en géométrie euclidienne. Celui-ci constitue une sorte de pré calculsur les coordonnées tout en donnant à voir ce qui se passe, au sens fort du mot voir. L’usagesystématique du papier quadrillé pourrait constituer ainsi une réalisation visuelle directe duprogramme de Descartes, lequel voulait dissiper tous les mystères. Sans doute joue en sa défa-veur la trop grande simplicité de cette mise en évidence : pourquoi faire simple quand on peutfaire compliqué, comme diraient Euclide, Bourbaki et tous les pédants.

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1 LE QUADRILLAGE DU PLANEUCLIDIEN

1.1 Libre mobilité des figures

Un déplacement d’une figure dans unplan est caractérisé par l’image d’une demi-droite liée à la figure, laquelle image peut êtren’importe quelle demi-droite. Ce fait est un axio-me naturel des géométries planes régulières,et correspond à l’idée que l’espace est «lemême» en tout point et dans toutes les direc-tions.

Dans ce cadre une translation de A à Bpeut être décrite comme le déplacement quienvoie la demi-droite d’origine A portée par(AB) et passant par B sur la demi-droite d’ori-gine B portée par (AB) de même orienta-tion : on fait glisser la figure de A à B lelong de la droite (AB).

Plus généralement on peut s’intéresser auxdéplacements d’une figure dans l’espace.Après avoir fait sortir une figure plane deson plan on peut l’y ramener «à l’envers» eton obtient alors son image par une isométrieindirecte du plan. On peut alors caractériserune isométrie, directe ou indirecte, par l’image

qu’elle donne d’une demi-droite et de l’un desdeux demi-plans correspondants. Cela cor-respond aux dessins suivants

Pour caractériser un demi tour de centreA, on dira qu’il envoie une demi-droite d’ori-gine A sur la demi droite opposée. En pre-nant le carré de cette transformation, onobtient un déplacement qui envoie la demi-droite de départ sur elle-même, ce qui donnebien l’identité. Il y a peut-être cependant unléger mystère : pourquoi le demi-tour construità partir d’une demi-droite d’extrémité A nedépend-il que de A et pas de la demi-droitechoisie ? Cela a quelque chose à voir avec lastructure du groupe des rotations de centreA (il n’y a qu’un demi-tour autour de A). C’estpeut-être le sentiment de ce léger mystère (for-mulé pour les quarts de tours) qui conduisaitEuclide à mettre en axiome que tous les anglesdroits sont égaux.

1.2 Du carré au quadrillage

Lorsqu’on part d’une appréhension intui-tive et locale de la géométrie et qu’on cherchela meilleure définition possible du carré, onest sans doute contraint de le définir commele quadrilatère le plus régulier possible, quatre

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��������������

��������������

BAtranslation de A à B

∆FigureFigure

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rotation autour de J

J

∆’

∆Π’

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demi-tour autour de A

A

M

M’

Π

Π’

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B

M’�������������� Π’

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symétrie par rapport à ∆

∆A��������������

A

symétrie glissée de A à B

M��������������

M�������������� ∆

M’��������������

ΠΠ

Π’

O’

O

ϕ

isométrie indirecte

O’

O

ϕ

isométrie directe

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cotés égaux et quatre angles égaux. La meilleu-re manière de générer une telle figure n’estpas de partir d’un coté (car quel angle prendre ?),mais de la considérer comme fabriquée à par-tir d’un centre de rotation O et d’un sommetA, auquel on fait subir trois fois une rotationd’un quart de tour autour de O pour donnerles sommets consécutifs A, B, C et D.

Le carré ainsi construit est invariant parquart de tour, et donc a ses cotés égaux et sesangles égaux. Si par bonheur le carré qu’onobtient a des angles droits, et si on a bien ledroit de déplacer librement les figures solides(les pièces de puzzle) alors on peut assemblerdes carrés en un quadrillage. En supposantpar commodité que le prolongement indéfinidu quadrillage ne conduit jamais à revenir surses pas, on a les bases visuelles de la géomé-trie euclidienne.

Certains déplacements du plan euclidienlaissent globalement invariants le quadrilla-ge ci-dessus, et leur action sur le quadrilla-ge admet une description très simple. Ce sontd’une part les deux translations horizontalesou verticales d’un carreau, d’autre part unerotation d’un quart de tour autour d’un som-met du quadrillage. On peut ensuite rajoutertoutes les transformations obtenues en com-posant les précédentes. La structure du grou-pe obtenu est déjà très révélatrice de la géo-métrie euclidienne, mais ce n’est pas notrepropos pour le moment.

Le plus important pour nous est qu’on peuttoucher du doigt un grand nombre de dépla-cements de figures liées au quadrillage, et quecela nous donne directement accès aux théo-rèmes de base de la géométrie des puzzles eucli-diens, encore appelée géométrie euclidiennedes figures ou géométrie euclidienne toutcourt.

O

A1/4

B

C

D

Figure 1. Le carré commequadrilatère régulier

Figure 2 Neuf carrés «identiques» disposés cote à cote

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Nous commencerons par le plus simple àdémontrer, le théorème de Pythagore.

1.3 Théorème de Pythagore

Preuve par puzzle soustractif (cf. figure4 au verso)

Lorsqu’un triangle rectangle a ses cotésde longueurs a et b le long du quadrillage

et ses sommets sur le quadrillage, on peut faci-lement obtenir l’aire du carré construit surl’hypoténuse (morceau 1 dans la partie gauchede la figure 4).

Si on veut se convaincre que le cas par-ticulier examiné est général, on peut produi-re une autre manière de remplir le grandcarré de coté a+b, ce qui donne une preuvegénérale «soustractive» du théorème de Pytha-gore : les deux aires égales sont obtenues en

Figure 3 Quadrillage plus complet : nous ne traçons pas les horizontales et les verticales, mais pensez qu’elles sont bien présentes.

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soustrayant à l’aire du grand carré quatre foisl’aire du triangle.

Quand on essaye de comprendre pour-quoi Euclide a caché cette preuve élémentai-re au profit d’une construction obscure, on seperd en conjectures. L’explication la plusplausible est que, voulant faire montre degrande sagacité, il avait imaginé dès le départce qu’il pensait être une méthode universel-le (la méthode dite des aires), comme cadrede travail incontournable. Le but du traité n’estpas la géométrie, mais la méthode des aires.Dès lors l’important n’était plus de donner unepreuve simple du théorème de Pythagore,mais de trouver la manière la plus «élégan-te» de démontrer ce théorème en utilisant laméthode des aires.

De la même manière, dans Bourbaki,Groupes et Algèbres de Lie, on peut voir unesomme finie déguisée sous forme d’une inté-

grale sur un espace fini, de manière à pouvoirfaire valoir un théorème d’intégration sur lesgroupes compacts, ce qui est plus savant quede faire une addition sur un groupe fini. Dela même manière que les auteurs de Bourbakifont semblant d’oublier que l’intégrale n’estjamais qu’une addition sophistiquée, de mêmeEuclide fait semblant de ne pas comprendreque sa mirifique méthode des aires est avanttout un jeu de puzzle, présenté de manière unpeu sophistiquée.

Preuve par puzzle additif

Il est remarquable que la figure précédentesi simple qui prouve Pythagore «par sous-traction» ne semble pas avoir eu cours audébut de l’histoire de ce théorème. Il y a eude nombreuses preuves de type puzzle, notam-ment en Chine et au Japon, mais c’étaient despuzzles additifs. Les deux aires égales doiventêtre alors obtenues comme deux assemblages,

1

4

5

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4

5

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72

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Figure 4 Pythagore soustractif sur un papier quadrillé

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de deux façons différentes, desmêmes pièces.

Voici l’un de ces puzzles (figu-re 5) , qui fournit une vérificationtout aussi convaincante de Pytha-gore, certainement plus convain-cante en fait, mais cependant unpeu plus compliquée. Les surfacesdes deux petits carrés sont cou-vertes par A + e + (en grisé) a +b + c + d tandis que la surface ducarré sur l’hypoténuse est couvertepar A + e + (en blanc) a + b + c+ d. Les morceaux a, d sont sim-plement translatés, tandis queles morceaux b, c doivent enoutre être tournés d’un quart detour.

Voici un autre de ces puzzles(figure 6), qui a à la fois le méri-te de la simplicité et celui de l’addi-tivité. Le petit carré est placé dansle coin nord est, le moyen dans lecoin sud est. Les surfaces de cesdeux carrés sont couvertes par A + c + (en grisé) X + Y tandisque la surface du carré sur l’hypo-ténuse est couverte par A + c +(en blanc) X + Y. Les morceauxX, Y sont simplement transla-tés.

1.4 Alignement et parallélis-me dans un quadrillage

Si nous considérons des pointsrégulièrement espacés sur le qua-drillage, que nous voyons alignés,pour quelle bonne raison sont-ilseffectivement alignés ? (par exemple

d

Aa

ba

b

cd

ce

X

X

Y

Y

A

c

Figure 5 Pythagore additif sur un papier quadrillé

Figure 6 Pythagore additif sur un papier quadrillé (bis)

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les points A, B, C, D, E de la figure 7). Laraison la plus naturelle serait de voir que latranslation de A à B le long de la droite (AB)envoie B sur C. Mais il faudrait savoir com-ment cette translation opère sur le quadrillageet pour cela commencer par montrer qu’elleopère bien sur le quadrillage.

Il est plus simple d’utiliser les demi-tours.On remarque en effet que le demi-tour autourd’un sommet du quadrillage a une action faci-le à décrire sur tous les sommets du qua-drillage. Par exemple en considérant l’imagedu rectangle BMAN on voit que le point Cest l’image de A par le demi tour de centreB, donc le point C est bien sur la droite(AB). En répétant l’argument, les points A,B, C, D, E sont bien alignés.

Sur un papier quadrillé, certaines trans-lations opèrent de manière évidente, ce sontles translations horizontales ou verticalesqui envoient un sommet du quadrillage surun autre sommet. On voit par exemple que latranslation de A à N le long de la droite (AN)envoie L en C, et qu’elle peut aussi bien êtredéfinie comme la translation de L à C le longde la droite (LC). Ce résultat est faux engéométrie hyperbolique ou en géométrie sphé-rique. Il est typique de la géométrie eucli-dienne, et il est clair sur le quadrillage.

Nous allons maintenant nous assurerque les translations «en biais» opèrent biencomme nous le sentons. Lorsque trois pointsA, M, B sont dans une position analogue à cellede la figure 7 (M sur la verticale de A et

A

B

C

D

E

L

H

N

M

Figure 7 Alignement de points dans un papier quadrillé

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sur l’horizontale de B), rien ne dit a priori quela translation de A à M (le long de (AM))suivie de la translation de M à B soit égaleà la translation de A à B. La composée j desdeux translations est certainement un dépla-cement, mais il faut se convaincre que c’estbien la translation t de A à B. Pour celaon remarque que j conserve la droite (AB)et son orientation puisque j(A) = B et j(B) = C.Donc les déplacements j et t opèrent de lamême manière sur la demi-droite issue de Apassant par B. Ils sont bien égaux.

Les translations d’un sommet du qua-drillage à un autre opèrent donc bien sur laquadrillage comme nous le ressentons. Onobtient alors les conséquences suivantescomme fruits d’une évidence visuelle (voir la

figure 8) , et qui ne sont cependant vraies nien géométrie hyperbolique ni en géométrie sphé-rique :

primo : si U, V et U’ sont trois sommetsdu quadrillage, et si la translation de U àV le long de (UV) envoie U’ en V’, alorsla translation de U à V le long de (UV)coïncide avec la translation de U’ à V’ lelong de (U’V’)

secundo: si U, V et W sont trois sommetsdu quadrillage, la translation de U à V (lelong de la droite (UV)) suivie de la trans-lation de V à W est égale à la translationde U à W, en outre le résultat est le mêmesi les deux translations sont effectuées dansl’ordre inverse.

U

V

U’

V’

Figure 8 Droites parallèles : existence et unicité

•W

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En fait on a aussi comme résultat le pos-tulat des parallèles au moins pour ce quiconcerne les droites joignant deux points duquadrillage : la droite (U’V’) est parallèle àla droite (UV) (elles ne se coupent jamais) ettoute autre droite passant par U’ et par unautre sommet du quadrillage se rapproche dela droite (UV) (lorsqu’on se déplace dans lesens convenable) jusqu’à passer de l’autrecoté, ce qui implique une intersection, mêmesi elle n’est pas forcément en un sommet duquadrillage. L’intersection peut d’ailleurs êtrelocalisée assez précisément, ou calculée à lamanière de Descartes.

De la construction des parallèles, ondéduit la construction des parallélogrammeset nous obtenons donc des «pavages par desparallélogrammes» du plan à partir de pointsrépartis régulièrement sur le quadrillage. Onpeut aussi obtenir, en rajoutant les diago-nales dans une direction, un «treillage» : pava-ge du plan par des triangles obtenus pardemi-tour ou translations à partir de l’und’entre eux.

1.5 L’évidence visuelle du théorème deThalés, réduit au comptage

Une fois que nous avons vu commentconstruire des parallèles dans le quadrillage,le théorème de Thalès devient assez évident,au moins pour ce qui concerne les droites joi-gnant deux points du quadrillage. Par exempledans la figure 10 les parallèles régulièrementespacées notées 1, 2, …, 8 découpent sur ladroite (AB) des segments égaux (déduits lesuns des autres successivement par la trans-lation de A à B, et le même phénomène seproduit sur la droite (A’B’).

Figure 9 Du pavage par des carrés aupavage par des parallélogrammes

ou par des triangles

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1.6 Intersection des médianes surpapier quadrillé et sur papier treillé

Si on prend un triangle dont les sommetssont sur le quadrillage espacés par des mul-tiples de 6 carreaux (cf. figure 11 page suivante)les théorèmes de la droite des milieux et del’intersection des médianes au tiers de leur lon-gueur résultent d’un simple comptage descarreaux.

Sur papier treillé on obtient mieux l’essen-ce du théorème : un triangle peut être vucomme la juxtaposition de 36 petits triangleségaux, obtenus à partir de l’un d’entre eux pardemi-tours et translations.

1.7 Quart de tour, droites orthogo-nales

Avec les pavages par des parallélogrammes,on a en fait l’évidence visuelle de toute lagéométrie affine, et l’évidence algébrique si onapplique la méthode des coordonnées puisquel’équation d’une droite est clairement de la formeax + by + c = 0 (si on se limite aux droites pas-sant par deux sommets du parallélogram-mage, il faudra prendre les paramètres a, bet c entiers).

Avec un quadrillage on a un peu mieuxpuiqu’on voit les quarts de tour, soit autourd’un sommet du quadrillage, soit autour du

A

B

B’

C

D

C’D’

A’

1

2

34

5 6

7

8

Figure 10 Thalés sans mystère

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Figure 12 Droite des milieux, intersection des médianes en leur tiers,comptez donc les triangles!

Figure 11 Droite des milieux, intersection des médianes en leur tiers,comptez donc les carreaux !

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centre d’un carré. On peut donc obtenir direc-tement le tracé de la perpendiculaire à unedroite donnée passant par un point donnécomme dans la figure 13.

La droite D monte de 2 carreaux chaquefois qu’on se déplace de 5 carreaux vers la droi-te. La direction perpendiculaire est donc obte-nue en descendant de 5 carreaux chaque foisqu’on se déplace de 2 carreaux vers la droite.

On pourra donc «voir» sur un quadrilla-ge suffisamment fin que les hauteurs sont

concourantes ou voir la droite d’Euler d’un tri-angle, et réduire le théorème correspondantà un comptage de carreaux, ou à un calcul algé-brique élémentaire.

1.8 Quadrillages dans le quadrillage

Nous laissons maintenant le lecteur com-menter lui même les figures suivantes…

A

∆∆

Figure 13 Droites orthogonales dans le quadrillage

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Figure 14 Agrandissement

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Figure 15 Similitude

Notez qu’en composant deux similitudes «du quadrillage», on est capable d’additionner deux angles «du quadrillage».

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2 INTERLUDE : SUPERPOSEZ DEUX QUADRILLAGES IDENTIQUES AVECUN LÉGER DÉCALAGE

décalage de 5 degrés

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décalage de 10 degrés

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3 QUADRILLAGE DUPLAN HYPERBOLIQUEPAR DES PENTAGONESRÉGULIERS À ANGLESDROITS

Les isométries qui conser-vent un quadrillage du planeuclidien bâti sur un carréABCD de centre O sontengendrées par trois symé-tries orthogonales, par rap-port au coté (AB), à la média-ne (OJ) et à la diagonale(AO) (figure 16). Les produitsdeux à deux de ces symé-tries sont trois rotations ρA(d’un quart de tour autour deA), ρO (d’un quart de tourautour de O), ρJ (d’un demitour autour de J). Ces rota-tions engendrent le groupeG des isométries directesqui conservent le pavage.On a ρJ•• ρA•• ρO = Id. Onpeut montrer que toute rela-tion entre ρJ , ρA et ρO estune conséquence des quatrerelations :

ρO4 = ρA

4 = ρJ2 = ρJ•• ρA•• ρO = Id

Les propriétés géométriques du qua-drillage sont reflétées dans la structure du grou-pe G, et nous avons vu que les propriétés géo-métriques du quadrillage reflètent l’essentielde la géométrie euclidienne.

Il est tentant de faire le travail analogueavec un plan hyperbolique.

Dans le plan hyperbolique, il existe en effetun pentagone régulier à angles droits, et donc

un pavage du plan par des copies de ce pen-tagone. Le groupe des isométries qui conser-vent le pavage bâti sur un pentagone ABCDEde centre O est engendré par trois symétriesorthogonales, par rapport au coté (AB), à lamédiane (OJ) et à la diagonale (AO) (figu-re 17). Les produits deux à deux de ces symé-tries sont trois rotations ρA (d’un quart detour autour de A), ρO (d’un cinquième de tourautour de O), ρJ (d’un demi tour autour deJ). Ces rotations engendrent le groupe G desisométries directes qui conservent le pavage.On a ρJ•• ρA•• ρO = Id . On peut montrer que

Figure 16 Trois symétries orthogonales qui engendrent le groupe du quadrillage

1/4

1/4

1/2

A B

CD

O

J

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REPERES - IREM. N° 45 - octobre 2001

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ELOGE DU PAPIERQUADRILLE

toute relation entre ρJ , ρA et ρO est uneconséquence des quatre relations :

ρO5 = ρA

4 = ρJ2 = ρJ•• ρA•• ρO = Id

Dans la figure 17, on montre, dans ledisque de Poincaré, un pentagone régulierABCDE de centre O et les dix pentagones adja-

cents obtenus à partir du premier par symé-trie par rapport à un coté ou par demi tourautour d’un sommet..

Il reste donc à développer la géométrie dece pavage et à en déduire quelques proprié-tés essentielles du plan hyperbolique. ... uneaffaire à suivre donc.

Figure 17 Trois symétries orthogonales qui engendrent le groupe du pavage du plan hyperbolique par des pentagones réguliers à angles droits