Éléments de cadrage académique et administratif de l'université

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1 SEMINAIRE DE PEDAGOGIE UNIVERSITAIRE UNIVERSITE DE DSCHANG, 28-29 MARS 2016 *************** ELEMENTS DE CADRAGE ACADEMIQUE ET ADMINISTRATIF DE L’UNIVERSITE Par Moïse TIMTCHUENG, Agrégé de droit privé et sciences criminelles, Maître de conférences à la FSJP/UDS L’Université est définie comme un établissement public d’enseignement supérieur, comportant plusieurs établissements facultaires ou professionnels. Mais, la notion d’université a beaucoup évolué avec le temps. Historiquement, on situe l’avènement de l’université au Moyen âge (Ve – XIIe siècle), sous l’impulsion du clergé. Elle était alors une émanation de l’Eglise et ne pouvait à ce titre revêtir que la forme d’une organisation privée. Sous l’Ancien régime (15 e – 17 e siècle), c’est le Roi qui créait les universités. Dans les temps modernes, l’université est passée sous le contrôle de l’Etat qui, même lorsqu’il en permet l’ouverture à l’initiative des privés, conserve un pouvoir de tutelle à travers le ministère en charge de l’enseignement supérieur. La mission qui lui est assignée, d’accomplir au nom de l’Etat, le service public de la formation des cadres supérieurs de l’Etat et des élites intellectuelles pour la société dans sa globalité, en fait une institution spéciale, qui ne peut fonctionner de manière anarchique. A cet égard, au fil de l’histoire, un certain nombre de principes de fonctionnement des universités s’est développé et s’est imposé universellement, indépendamment des considérations politiques, religieuses ou environnementales. C’est dans cet ordre d’idées, qu’est apparu le concept de l’éthique et de la déontologie universitaires qui englobe un ensemble de principes généraux initialement non écrits, jugés cependant nécessaires à l’accomplissement harmonieux des missions dévolues à l’université. Les notions d’éthique et de déontologie universitaires regroupent en général six principes que sont : l’intégrité et l’honnêteté ; la liberté académique (dont les franchises universitaires constituent le moyen de protection) ; la responsabilité et la compétence ; le respect mutuel ; l’exigence de vérité scientifique, d’objectivité et d’esprit critique et enfin l’équité. Chaque Etat s’efforce de relayer dans des textes particuliers, ces principes, en essayant parfois de les adapter à son contexte. Le Cameroun s’inscrit dans cette mouvance, le statut de l’enseignant-chercheur étant encadré par une kyrielle de textes, dont les principaux sont : le décret n° 76/472 du 10 octobre 1976 portant certaines dispositions applicables aux personnels du cadre de l’enseignement supérieur ; le décret n° 93/035 du 19 janvier 1993 portant statut spécial des personnels de l’Enseignement supérieur ; le décret n° 2000/049 du 15 mars 2000 fixant l’échelonnement indiciaire du corps de l’enseignement supérieur ; le décret n° 2000/050 du 15 mars 2000 fixant les modalités de rémunération du personnel assistant des universités, le décret n° 2005/390 du 25 octobre 2005 portant création des postes d’attachés d’enseignement et de recherche, les arrêtés du 16 novembre 2010 fixant les critères de recrutement et de promotion dans les

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SEMINAIRE DE PEDAGOGIE UNIVERSITAIRE UNIVERSITE DE DSCHANG, 28-29 MARS 2016

*************** ELEMENTS DE CADRAGE ACADEMIQUE ET ADMINISTRATIF DE L’UNIVERSITE

Par

Moïse TIMTCHUENG, Agrégé de droit privé et sciences criminelles,

Maître de conférences à la FSJP/UDS

L’Université est définie comme un établissement public d’enseignement supérieur, comportant plusieurs établissements facultaires ou professionnels. Mais, la notion d’université a beaucoup évolué avec le temps. Historiquement, on situe l’avènement de l’université au Moyen âge (Ve – XIIe siècle), sous l’impulsion du clergé. Elle était alors une émanation de l’Eglise et ne pouvait à ce titre revêtir que la forme d’une organisation privée. Sous l’Ancien régime (15e – 17e siècle), c’est le Roi qui créait les universités. Dans les temps modernes, l’université est passée sous le contrôle de l’Etat qui, même lorsqu’il en permet l’ouverture à l’initiative des privés, conserve un pouvoir de tutelle à travers le ministère en charge de l’enseignement supérieur. La mission qui lui est assignée, d’accomplir au nom de l’Etat, le service public de la formation des cadres supérieurs de l’Etat et des élites intellectuelles pour la société dans sa globalité, en fait une institution spéciale, qui ne peut fonctionner de manière anarchique. A cet égard, au fil de l’histoire, un certain nombre de principes de fonctionnement des universités s’est développé et s’est imposé universellement, indépendamment des considérations politiques, religieuses ou environnementales. C’est dans cet ordre d’idées, qu’est apparu le concept de l’éthique et de la déontologie universitaires qui englobe un ensemble de principes généraux initialement non écrits, jugés cependant nécessaires à l’accomplissement harmonieux des missions dévolues à l’université. Les notions d’éthique et de déontologie universitaires regroupent en général six principes que sont : l’intégrité et l’honnêteté ; la liberté académique (dont les franchises universitaires constituent le moyen de protection) ; la responsabilité et la compétence ; le respect mutuel ; l’exigence de vérité scientifique, d’objectivité et d’esprit critique et enfin l’équité. Chaque Etat s’efforce de relayer dans des textes particuliers, ces principes, en essayant parfois de les adapter à son contexte. Le Cameroun s’inscrit dans cette mouvance, le statut de l’enseignant-chercheur étant encadré par une kyrielle de textes, dont les principaux sont : le décret n° 76/472 du 10 octobre 1976 portant certaines dispositions applicables aux personnels du cadre de l’enseignement supérieur ; le décret n° 93/035 du 19 janvier 1993 portant statut spécial des personnels de l’Enseignement supérieur ; le décret n° 2000/049 du 15 mars 2000 fixant l’échelonnement indiciaire du corps de l’enseignement supérieur ; le décret n° 2000/050 du 15 mars 2000 fixant les modalités de rémunération du personnel assistant des universités, le décret n° 2005/390 du 25 octobre 2005 portant création des postes d’attachés d’enseignement et de recherche, les arrêtés du 16 novembre 2010 fixant les critères de recrutement et de promotion dans les

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divers grades de l’enseignement supérieur, etc. Pour rester dans le cadre du thème qui nous a été confié, il importe, pour la simplicité de la présentation et la clarté du propos, de distinguer successivement l’encadrement au plan académique de l’encadrement au plan administratif.

I. AU PLAN ACADEMIQUE

Il faut envisager d’abord les obligations de l’enseignant-chercheur avant de s’appesantir sur ses droits.

A. Les obligations de l’enseignant-chercheur

L’enseignant-chercheur doit être une référence en termes de compétence, de

moralité, d’intégrité et de tolérance. Il doit donner une image digne de l’université. L’enseignant-chercheur est, au même titre que les autres membres de la communauté universitaire, également responsable du respect des principes d’éthique et de déontologie universitaires énoncés ci-dessus.

La responsabilité principale de l’enseignant-chercheur est d’assurer pleinement

ses fonctions d’enseignant-chercheur. En tant qu’enseignant d’abord, il doit remplir sa charge annuelle de travail telle

qu’énoncée par le décret n° 2000/048 du 15 mars 2000 qui la fixe à 150 heures de cours pour les professeurs, 175 heures de cours pour les maîtres de conférences, 200 de TD, exercices ou travaux pratiques ou éventuellement de cours pour les chargés de cours et à 200 heures de TD ou TP pour les assistants.

Dans le cadre de ses enseignements, l’enseignant doit exposer clairement les

objectifs pédagogiques de ses enseignements, et respecter les règles pédagogiques de la progression (périodicité, durée, barème de notation, etc.) Il doit veiller à mener l’enseignement en conformité avec les normes éthiques et professionnelles universelles, loin de toute forme de propagande et d’endoctrinement. L’enseignant-chercheur est ainsi tenu de dispenser un enseignement aussi efficace que le permettent les moyens mis à sa disposition par l’administration, dans un esprit de justice et d’équité vis-à-vis de tous les étudiants sans distinction aucune, en encourageant le libre échange des idées, et en se tenant à leur disposition pour les accompagner.

L’obligation d’enseignement emporte celle d’évaluer les étudiants et de participer

aux jurys. Cette obligation se dédouble d’une autre qui consiste à veiller au respect de la confidentialité du contenu des délibérations et débats tenus au sein des différentes instances dans lesquelles il siège.

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En tant que chercheur, l’enseignant doit produire de la science pour contribuer à l’évolution des connaissances dans son domaine de spécialité. C’est une exigence indispensable pour sa promotion d’abord, mais elle conditionne aussi le bénéfice de la prime de recherche semestrielle, et peut-être dans un proche avenir, de la prime pour la modernisation de la recherche. Dans le cadre de ses recherches, l’enseignant doit respecter le travail d’érudition de ses collègues universitaires et les travaux des étudiants et en créditer les auteurs en les citant. Aussi, le plagiat constitue une faute majeure et inexcusable pouvant conduire à la révocation.

L’enseignant est enfin appelé à encadrer les travaux de recherche des étudiants,

en contribuant lui-même au respect des libertés académiques des autres membres de la communauté universitaire et accepter la confrontation loyale des points de vue différents.

B. Les droits de l’enseignant-chercheur

Comme les autres membres de la communauté universitaire, l’enseignant

bénéficie des libertés académiques, ferments de l’imagination et de l’innovation dont la garantie est assurée au travers des franchises universitaires. L’enseignant bénéficie ainsi d’une protection accrue de son intégrité intellectuelle et physique. Dans cet ordre d’idées, l’article 42, alinéa 2 du décret n° 93/027 du 19 janvier 1993 portant dispositions communes applicables aux universités énonce que « aucun membre des forces de l’ordre et aucun huissier de justice ne peut pénétrer au sein de l’institution universitaire pour constater un cas de délit ou pour exécuter un mandat de justice contre un étudiant, un enseignant, le personnel non enseignant sans l’autorisation du chef de l’institution universitaire ». L’article 46 ajoute spécialement ce qui suit : « dans le cadre du respect de la personne et des nécessités de dialogue et d’ouverture, les égards dus à l’enseignant sont particulièrement exigés au sein de la communauté universitaire. Nul ne peut dans ce contexte, faire violence ou proférer des menaces à l’encontre d’un enseignant sans encourir les sanctions disciplinaires… ».

En dehors des ATER dont le statut est figé par le décret du 25 octobre 2005,

l’enseignant du supérieur bénéficie d’un traitement en rapport avec le niveau d’exigence qui lui est imposé. Ainsi, outre sa solde indiciaire et ses accessoires statutaires, des avantages spécifiques lui sont accordés :

- Des frais d’heures complémentaires conformément à l’article 17 du décret 76/472 du 10 octobre 1976 ;

- La prime de recherche semestrielle fixée par le décret n° 2002/041 du 4 février 2002 ;

- L’allocation spéciale pour la modernisation de la recherche instituée par le décret n° 2009/121 du 8 avril 2009 ;

- Des frais d’encadrement des travaux de recherche et de participation aux jurys de soutenances contenus dans la circulaire n° 00/0005/MINESUP/CAB du 30 juin 2000.

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- En fonction des prévisions budgétaires, l’enseignant peut aussi prétendre aux matériels et équipements de préparation et de dispensation des cours, aux frais de mission de recherche, aux appuis à la mobilité académique, à la finalisation des travaux de recherche, à la publication d’ouvrages didactiques et à d’autres primes ou indemnités ponctuelles.

II. AU PLAN ADMINISTRATIF

On a affaire ici à la carrière et à la discipline.

A. La carrière

Trois axes méritent d’être abordés relativement à la carrière des enseignants. On examinera successivement le recrutement, l’avancement et le changement de grade.

S’agissant d’abord du recrutement, les conditions sont fixées aussi bien par le

décret n° 93/035 du 19 janvier 1993 que par les arrêtés ministériels du 16 novembre 2010 pour ce qui est des assistants et par le décret du 25 octobre 2005 pour les ATER. Pour ce qui est du premier texte, l’article 14 alinéa 2 prévoit notamment que les candidats à un poste d’assistant doivent être âgés de 30 ans au premier janvier de l’année de recrutement. Les arrêtés de 2010 précisent les exigences de diplôme (art. 9), la composition du dossier à soumettre et les instances intervenant dans le processus (art. 6). Le classement indiciaire est défini par le décret n° 2000/050 du 15 mars 2000 qui fixe trois échelons pour les assistants non titulaires d’une thèse de doctorat allant de l’indice 465 à l’indice 605 et trois autres échelons pour les assistants titulaires d’une thèse de doctorat, allant de l’indice 605 à l’indice 715.

L’avancement a lieu normalement tous les deux ans, sauf sanction disciplinaire.

Toujours est-il que les assistants sans thèse plafonnent à l’indice 605, tandis que ceux ayant une thèse de doctorat plafonnent à l’indice 715.

Les assistants ne sont pas membres du corps de l’enseignement supérieur. Ils ne

peuvent y accéder que par changement de grade, suivant les modalités définies par les arrêtés du 16 novembre 2010. Les assistants sont recrutés par contrat à durée déterminée de deux ans renouvelable au plus deux fois. Il en résulte que le séjour au grade d’assistant ne devrait durer au maximum que de six ans. A défaut d’être promus au bout de la 6e année, l’article 24 du décret n° 93/035 du 19 janvier 1993, repris par l’article 1er, alinéa 2 du décret n° 2000/050 du 15 mars 2000 énonce qu’au terme de six années de probation, les contrats des assistants ne remplissant pas les conditions de recrutement au grade de chargés de cours, sont résiliés d’office. Exceptionnellement, le décret de 2000 laisse aux recteurs, le loisir d’accorder aux assistants recrutés sans thèse de doctorat, une période supplémentaire de deux ans, non pas pour soutenir leur thèse de doctorat, mais uniquement pour produire les publications devant meubler leur

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dossier de changement de grade. C’est dire que les assistants recrutés sans thèse doivent l’avoir soutenue au plus tard à la sixième année, tandis que ceux recrutés avec un doctorat doivent impérativement changer de grade après six ans, sinon, c’est le renvoi.

A cet égard, le décret de 1993 offrait une triple option : le licenciement pur et simple, le reversement au corps des personnels d’appui ou la remise à son administration d’origine. Cette option n’a pas été reprise par le décret de 2000 tel qu’on peut raisonnablement penser qu’en cas de résiliation de contrat, les assistants concernés sont pratiquement voués au chômage.

Avant même d’avoir atteint la sixième année, l’assistant peut aussi voir sa carrière

être affectée par des soucis disciplinaires. B. La discipline

Le chapitre VII du décret n° 93/035 est tout entier consacré à la discipline des

enseignants. Ce chapitre traite aussi de la faute disciplinaire, que de la procédure et de la sanction.

Concernant la faute disciplinaire, l’article 51 énumère les attitudes et faits susceptibles d’être punis au plan professionnel. Il cite :

- Les manquements aux règles de police générale dans lesquels on peut ranger : la perturbation des activités d’enseignement et de recherche ; les atteintes aux libertés académiques ; les atteintes aux personnes et aux biens ; la violation des textes en vigueur ; les attitudes contraires à la dignité universitaire (ivresse) ;

- Les manquements aux obligations professionnelles tels que : la non assiduité aux enseignements ; les absences injustifiées au lieu de service ; la non-participation aux activités de recherche ; le refus d’encadrement des chercheurs et étudiants ; le refus d’évaluer, de surveiller, de corriger ou de participer aux jurys d’examens ; la violation du secret des anonymats et des délibérations ;

- La participation à la fraude aux examens ou à la complicité ou à la tentative de complicité aux mêmes faits ;

- Les infractions de droit commun ; - La participation aux activités subversives et - La participation à toute activité incompatible avec la dignité et à la déontologie

universitaire (plagiat ; corruption ; harcèlement sexuel ; discrimination, etc).

Les faits ci-dessus énumérés sont traités suivant une procédure protectrice de la dignité de l’enseignant : ainsi, sur plainte de la victime, sur dénonciation d’un tiers ou sur rapport du supérieur hiérarchique, le recteur prend une décision traduisant l’enseignant devant le conseil de discipline. Une instruction, conduite par le secrétaire général est ensuite ouverte. Elle est menée à charge et à décharge, sans l’implication d’un membre de la communauté universitaire autre qu’un enseignant.

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Le conseil de discipline lui-même est composé avec notamment la participation du chef de l’établissement auquel appartient le mis en cause et celle du représentant de son grade au conseil d’administration. L’enseignant a le droit d’accès à son dossier et le loisir de se faire assister par l’un de ses pairs ou un conseil de son choix.

La comparution devant le conseil de discipline peut se solder par un acquittement.

Mais il est rare qu’il en soit ainsi. L’article 52 du décret n° 93/035 prévoit une multitude de sanctions variant en fonction de la gravité de la faute. Ces sanctions vont de l’avertissement à la révocation avec déchéance de droits à pension, en passant par le blâme, la réprimande emportant incapacité d’être élu au conseil d’administration d’une université pendant une année, le retard d’un an à l’avancement, l’abaissement d’échelon, la radiation de l’inscription sur la liste d’aptitude au grade supérieur, la censure emportant incapacité d’être membre du conseil d’administration pendant deux ans, la suspension temporaire de fonctions, le déplacement d’office pour un emploi hors de l’université, l’interdiction d’enseigner, la rétrogradation, la révocation avec maintien des droits à pension et la révocation avec suspension des droits à pension.