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Education & Devenir

N° SIRET 38010107100047

Code APE/NAF 913E

Siège social :

35 rue du Puits Fouquet - 76113

SAHURS

Présidente :

Marie-Claude Cortial

[email protected]

Secrétariat général :

Monique Rollin

José Fouque

4, rue René Cassin

13620 Carry le Rouet

[email protected]

Trésorier :

Jean-François Delporte

Lycée Les Bruyères

76300 Sotteville Lès Rouen

Site : http://

www.educationetdevenir.fr

Coordonnateur des Cahiers :

Bruno Siour

Responsable du Cahier N° 23

Le bureau

Mise en page et graphisme :

José Fouque

Monique Rollin

Problématique : E&D ................................................................................................................. p. 03

Ouverture, Marie Claude Cortial, Présidente E&D .......................................... p. 04

Allocution d’Alain Picquenot, IA-IPR,

représentant Mme la Rectrice de l’académie de Rouen ............................................ p. 06

Les Conférences

Philipe Joutard, Une école de la défiance, une originalité française ........ p. 09

Choukri Ben Ayed et Claude Azema, DISPUTATIO ............................................ p. 14

Bernard Toulemonde, Reconstruire la confiance, sortir de la spirale de la défiance. Le rôle du territoire ............................................... p. 29

Marie- Christine TOCZEK, Construire une école inclusive et exigeante.

Le rôle des situations et des acteurs sur les apprentissages. .................................. p. 35

Atelier 1 - Faire confiance aux élèves

Alexandra Leyrit, Laurent Lescouach, Maryan Lemoine, ................. p. 41

Atelier 2 - Faire confiance aux équipes des établissements Emmanuel Berenguer, Alain Bollon, .......................................................................... p. 46

Atelier 3 - Faire confiance au territoire

Catherine Duvallet, Rémi Rouault ................................................................................ p. 48

Atelier 4 - Faire confiance aux parents

Bruno Masurel .................................................................................................................................... p. 53

Vues d’ailleurs

Alain Bollon, Gérard Heinz, Alioune Koné, Cathy Marret, .............. p. 60

Grand témoin, Claire Heber-Suffrin, La confiance .......................................... p. 80

Conclusion : Marie Claude Cortial ............................................................................... p. 83

Bibliographie : Françoise Chapron.............................................................................. p. 87

Faire confiance - Une nécessité pour l’école et ses acteurs

SOMMAIRE

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PROBLEMATIQUE

FAIRE CONFIANCE

UNE NÉCESSITÉ POUR LE SYSTÈME ÉDUCATIF ET SES ACTEURS ___________________________

D u débat sur la refondation de l'école émerge régulièrement la question de la confiance, ou plutôt

celle du déficit de confiance dans une école présentée comme anxiogène, fondée sur un enseigne-

ment vertical qui limite initiative et autonomie, accrochée à un système de notation qui trie et sépare

plus qu'il ne regroupe et valorise.

Quel état des lieux peut-on faire ?

L'école française est-elle une école de la défiance parce qu'elle s'est construite en lutte, lutte contre les

féodalités mais aussi les particularités locales, lutte face à l'emprise religieuse, et qui n'a su que se

« sanctuariser » face à un monde de dangers ? Certains lui opposent un modèle anglo-saxon ou nordique

plus confiant dans l'apport social, plus respectueux du cadre local.

Mais le problème est-il celui de l'école seule, ou celui d'une société qui a tendance à substituer procédu-

res et juridisme aux rapports de simple confiance ? La confiance n'est pas qu'une relation de réciprocité

entre deux acteurs, elle est un moteur systémique. Lorsque la défiance s'installe c'est à tous les niveaux :

absence de confiance dans la capacité de l'élève à progresser par lui-même, doute sur l'aptitude des ac-

teurs locaux à trouver des solutions adaptées, soupçon face aux intentions cachées d'une autorité cen-

trale et, le plus grave en terme d'éducation, la difficulté pour les élèves à développer la confiance en soi

indispensable à la réussite scolaire.

Il y a donc bien nécessité à sortir d'un cercle vicieux qui hypothèque l'efficacité du système éducatif et

par là-même le devenir des élèves.

Pour cela il faut d'abord considérer que la confiance n'est pas seulement un mot abstrait caractérisant

une relation, mais qu'elle doit être un mode d'action : il faut faire confiance. L'intention ne suffit pas, elle

doit se prolonger par des pratiques.

Dans le domaine des apprentissages, comment apprendre à faire confiance à l'autre, comment prendre

confiance en soi en évitant le piège du narcissisme. Mais aussi comment passer de l'estimation à l'esti-

me, se distancier de données qui, parce qu'elles se veulent objectives, supportent difficilement la discus-

sion pour adopter un positionnement plus subjectif mais partagé.

Quelles voies favoriser pour que chaque acteur fasse confiance et soit objet de confiance ? Dans le ré-

seau de réciprocités qu'est le système éducatif, la notion d'acteur ne peut se réduire aux seuls profes-

sionnels et institutions de l'éducation. Les élèves sont des acteurs de première ligne : la confiance dont

ils bénéficient et celle qu'ils accordent, aux autres et à eux-mêmes, sont le fondement des réussites. Au-

tour des élèves agissent leurs familles, dont l'action permet à l'enfant de déplacer la confiance originelle

qu'il a en ses proches vers une confiance qui s'applique aussi à l'école. Autour de l'école agit le cadre ter-

ritorial dont l'apport des ressources est largement sous-estimé.

Faire confiance est bien une nécessité du système éducatif et de ses acteurs, l'enjeu pour sortir de l'im-

pression de blocage souvent ressentie. Un véritable défi ?

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DISCOURS D’OUVERTURE

La Présidente salue les personnalités présentes et l’ensemble du public. Elle remercie :

Alain Picquenot, IA-IPR, qui représente Madame la Rectrice,

Nicolas Mayer Rossignol, Président de Région,

Frédéric Sanchez, Président de la CREA,

Les intervenants et compagnons de route : Philippe Joutard, Bernard Toulemonde,

Les Amis d’E&D, le groupe académique de Rouen avec Jean-François Delporte, le trésorier

d’E&D, qui nous accueille pour deux jours dans son établissement, Jean- Noel Taché notre

correspondant académique, et tous les bénévoles.

Marie- Claude CORTIAL, Présidente d’Education & Devenir

________

N otre association a toujours eu beaucoup d’intuition dans le choix du thème de ses colloques. Comme vous le savez tous, ce sont nos adhérents qui, lors de ce que nous appelons « les journées

d’Avignon », choisissent le sujet de nos colloques. Pour celui-ci nous étions en octobre 2012, lorsqu’ ont émergé les idées de bienveillance et de confiance. Pendant la concertation, engagée par le ministre, sur la refondation, lors des débats souvent très vifs et riches, ces termes sont souvent revenus. Ils sont éga-lement mentionnés dans le rapport final et figurent à trois reprises dans la loi. Quant à nos publications, si nous reprenons nos Cahiers sur l’accompagnement, le terme confiance apparaît 17 fois dans la paru-tion de 2008 et 31 fois dans celle de 2013 ! Ajoutons à cela des parutions récentes, en 2012 la fabrique de la défiance de Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg, le rapport Pisa, et plusieurs études qui montrent que nos élèves, même s’ils réussissent, n’ont pas confiance en eux ! La confiance est donc à l’ordre du jour …

Nous nous sommes donc posé un certain nombre de questions sans oublier le contexte historique : il faut toujours rappeler que l’école française a une histoire très particulière dont elle garde encore des traces -notre cher Philippe Joutard va le rappeler-. Elle s’est construite contre le poids de l’église, des particularismes régionaux, pour former un peuple républicain, mais aussi de manière plus insidieuse pour garantir le pouvoir des élites. Elle n’a donc pas été démocratique au départ et certainement pas bâtie sur la confiance, rappelons-nous que les instituteurs étaient appelés les hussards noirs de la répu-blique et que les lycées napoléoniens étaient calqués sur le système militaire.

Qu’en est-il en 2014 ? Si l’école pèche par manque de confiance, c’est aussi parce qu’elle reflète une société hyper individualisée où l’autre est regardé avec défiance, sauf s’il est notre alter ego. Mais aussi parce que notre institution fonctionne trop souvent à la peur et au mépris, souvent d’ailleurs de manière involontaire !

Il est donc intéressant de s’interroger sur la notion de confiance et plus précisément de faire confiance, car nous passons du concept (confiance) à un mode d’action entre deux partenaires.

Vous savez tous par ailleurs qu’E&D s’intéresse à tous les acteurs éducatifs, d’où le titre retenu : faire confiance, une nécessité pour l’école et ses acteurs. N’y a-t-il pas une nécessité urgente à passer de la défiance ou du mépris à la confiance, si nous voulons que tous nos élèves réussissent ? A reconnaître tous les talents, y compris ceux développés à l’extérieur de l’école et dont l’école doit tenir compte si elle veut que l’estime de soi des élèves passe aussi par une adhésion à l’école.

Ce colloque va donc nous amener à réfléchir sur cette notion de faire confiance.

Quelques informations sur le déroulement de nos trois journées :

Il aurait été anormal que nos élèves ne participent pas à un colloque les concernant au premier chef : les

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DISCOURS D’OUVERTURE

interventions seront annoncées et rythmées par la projection de courts-métrages documentaires réalisés par les élèves du BTS audiovisuel du lycée Jeanne d’Arc, accompagnés par leur professeur Philippe Hé-douin que j’ai le plaisir de retrouver, nous les en remercions.

Claire Hébert-Suffrin qui a crée les échanges réciproques de savoirs sera notre grand témoin. Elle nous permettra de rassembler les apports de ce colloque, avec son talent d’analyse mais aussi avec l’humanité et l’empathie qui sont les siennes .

Dans un premier temps, Philippe Joutard nous replacera dans le contexte historique très particulier dans lequel s’est créée notre école, ensuite nous inaugurerons un nouveau type de débat que nous appelons la « disputatio » ou dispute, qui nous a été proposé par Philippe Goemé lors des réunions de notre conseil scientifique : deux acteurs de l’éducation débattront et seront interpellés par un public privilégié. Nous espérons ainsi solliciter la controverse et la contradiction source de réflexions fécondes!

Demain matin, nous irons voir du côté des territoires avec Bernard Toulemonde. Ses nombreuses fonc-tions, et variées, dans le système et hors du système lui ont permis d’avoir une analyse large et critique sur notre Ecole. Puis nous entrerons dans le cœur du sujet avec le regard sur l’élève apporté par Marie- Christine Toczek, professeur de psychologie sociale.

Lors des ateliers du samedi après-midi, le public sera invité à faire des propositions avec l’aide de deux personnes ressources, chercheur et praticien.

Dimanche matin, Claire Hebert-Suffrin fera une synthèse sur ce colloque, elle sera suivie d’un débat pers-pectif auquel nous tenons beaucoup : et ailleurs comment font-ils ?

Nous terminerons ce colloque en vous présentant les propositions qu’E&D aimerait voir appliquer pour que faire confiance ne soit plus une nécessité, mais une réalité.

Je vous souhaite à tous un bon colloque !

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ALLOCUTION D’OUVERTURE DE

Alain PICQUENOT,

Inspecteur d’Académie, Inspecteur pédagogique régional Etablissements et Vie scolaire

Représentant Madame Claudine Schmidt-Lainé, Rectrice de l’académie de Rouen,

Chancelier des universités

________

Monsieur le Président du Conseil régional, Monsieur l’Inspecteur général, Chers Collègues, inspecteurs, personnels de direction, conseillers principaux d’éducation, enseignants-chercheurs, enseignants, Mesdames et Messieurs , avec un salut particulier aux parents d’élèves,

M adame le Recteur ne peut être présente, elle m’a chargé de la représenter et de vous transmettre ses vœux pour des réflexions fructueuses et des échanges prospectifs sur un thème, la confiance,

qui est la clef , ou une des clefs, de nos réponses aux défis lancés au système éducatif en ce début de XXIème siècle. Je le fais, très institutionnellement, très solennellement et très chaleureusement. Nous sommes déjà dans notre sujet : « institutionnellement » et « chaleureusement » ne sont pas incompati-bles. Si nous voulons que les acteurs aient confiance en l’Institution, elle ne doit pas se comporter com-me un monstre froid !

En tant qu’Inspecteur d’Académie, je souhaite vous parler du Projet académique, actuellement en cours d’élaboration et montrer que la confiance y figure en bonne place. Ensuite, en tant qu’Inspecteur péda-gogique régional, je vous ferai part de quelques réflexions à propos de paramètres à mes yeux in-contournables.

Le Projet académique est structuré autour de quatre axes :

l’ambition pour chaque parcours, former un élève connecté et participatif, l’éducation dans un monde ouvert, des réseaux, des chaînes d’action au service d’une stratégie.

Dans une présentation nécessairement succincte, j’ajoute quelques caractéristiques :

dans une académie qui a été pionnière dans la mise en place d’une politique de bassins et d’une réflexion sur le pilotage pédagogique, la démarche privilégie les bassins,

chaque bassin élaborera un projet spécifique, elle se veut autant ascendante que descendante. Dans cet esprit, il a été demandé à chaque bas-

sin de définir des mots-clefs adaptés à sa réalité, les BEF (bassin d’éducation et de formation) sont pilotés par une équipe pluri-catégorielle

(personnels de direction, inspecteurs), aux 8 bassins territoriaux s’ajoute un neuvième constitué par les services.

Que faut-il dire ?

Les services ne sont qu’un bassin parmi d’autres ? Ou : les services accèdent au statut de bassin dans une nouvelle organisation ? Je privilégie, bien sûr, cette seconde solution.

Le Projet académique fait rimer « confiance » et « gouvernance ». La rime n’est pas riche en termes de versification, mais elle l’est si nous considérons ces deux notions en tant que telles, elle l’est davantage encore dans une approche politique.

Que dit ce Projet ? Il répète « je fais confiance à l’élève et aux acteurs qui l’accompagnent »,

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pour qu’il construise et suive son chemin (ni une filière, ni une orientation subie…) dans une dé-marche si possible personnalisée, pour une formation tout au long de la vie. Les acteurs se doi-vent d’être attentifs aux liaisons : école-collège, collège-lycée, lycée-enseignement supérieur,

pour qu’il devienne un citoyen qui maîtrise l’information dans une démocratie délibérative,

pour qu’il apprenne la complexité dans un monde d’incertitude, ce qui passe par le développe-ment de partenariats notamment avec les parents d’élèves,

pour que, au service de ces ambitions, des acteurs et des unités de fonctionnement (notamment les unités éducatives) s’inscrivent dans un esprit nouveau, la flexibilité des réseaux se substituant aux structures figées, les chaînes d’action aux chaines de commandement, l’initiative à l’exécu-tion…

Il s’agit bien de gouvernance même si nous n’en retiendrons, ici, que deux aspects : d’une part le poly-centré (« la gouvernance, c’est le multi » écrit A. BOUVIER), d’autre part l’horizontalité, exprimée notam-ment par le mot « réseaux ».

Pour sortir du « cercle vicieux qui hypothèque l’efficacité du système éducatif et par là-même le devenir des élèves » présenté dans la problématique des journées, la confiance et la gouvernance peuvent cons-tituer un cercle vertueux. La confiance rend possible la gouvernance, la gouvernance ne peut s’exercer sans la confiance. Sans entrer plus avant dans une réflexion sur les questions de « gouvernementalité » et de gouvernabilité dans une démocratie (« société des individus » selon l’expression de N.ELIAS), nous pouvons confirmer le titre du colloque : la confiance est une nécessité au sens où elle ne peut pas ne pas être, « c’est comme ça » dans le monde d’aujourd’hui. La gouvernance est une nécessité à partir d’un même constat. Mais il nous faut aller plus loin et utiliser le terme « obligation », ce drôle de mot à la fois juridique et moral que nous emploierons dans ce dernier sens. La confiance est une obligation pour les éducateurs que nous sommes. Nous postulons l’éducabilité et la perfectibilité de l’apprenant même si, parfois, nous devons nous forcer (mais, justement, nous nous forçons !). La gouvernance est une obliga-tion dans la démocratie aujourd’hui.

Complexité, incertitude, interaction, risque…les réponses sont du côté de la confiance et de la gouver-nance. Dans cette perspective, en tant qu’Inspecteur pédagogique régional Etablissements et Vie scolai-re, je souhaite évoquer quatre thèmes-clefs de nature « transversale ».

1) Confiance et gouvernance appellent une éthique, ou plutôt plusieurs, encore plus dans les profes-sions de l’éducation et de la relation. La psychanalyste M. CIFALI en distingue trois :

celle de la responsabilité : je réponds de mes actes, des personnes qui dépendent de moi, des conséquences de mes actions et même, dans un monde placé sous le signe de la complexité, de leurs effets,

celle de la conviction : elle porte sur l’éducabilité et de la perfectibilité déjà évoquées,

celle de la discussion : je n’ai jamais raison tout seul !

Dans le quotidien, l’articulation entre ces trois dimensions peut faire débat, bien sûr !

2) Est-ce vraiment un hasard si les mots de « confiance » et de « gouvernance » mais également de « politique éducative » prennent tant d’importance en même temps ? Le référentiel des personnels de direction déjà ancien distinguait politique pédagogique et politique éducative. Plus près de nous, l’Ins-pection générale Etablissements et Vie scolaire a publié un rapport (coordonné par P. SAGET) sur le su-jet, l’expression et celle de « volet éducatif du projet d’établissement » sont très présentes dans le « référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation», dans la partie consacrée aux CPE. Pour les professionnels, il s’agit d’expliciter, de faire partager des valeurs qu’ils incarnent (c’est le thème de l’exemplarité) et font vivre dans une démarche active. Le rapport Morale laïque. Pour un enseignement laïque de la morale insiste sur les dimensions « vie de la classe » et « vie scolaire ». L’éducation ne se décrète pas, elle se vit dans l’action.

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3) Dans le monde mondialisé et dans la société complexe qui est la nôtre, les mots « territoires » (le sujet sera traité par B. TOULEMONDE), « espaces » et « temps » ainsi que « temporalités »s’écrivent tou-jours au pluriel. La réalité bouscule les linéarités et les frontières intangibles auxquelles nous étions habi-tués. La pédagogie n’échappe pas à ce bouleversement. Par exemple, le professeur documentaliste qui parle (souvent en binôme avec un CPE) des pratiques et des usages d’internet des jeunes le sait. Il lui faut transformer le jeune en élève pour traiter d’une réalité vécue dans d’autres espaces (dans le groupe de pairs, dans la famille, dans la chambre qui est connectée au monde…) et dans d’autres temps (de jeux, de travail personnel, tard le soir, hors de la surveillance des parents…). Pour une animation réussie (le mot est laudatif), le professeur documentaliste a confiance en ses savoirs et pas seulement en ses savoir-faire, en sa pratique pédagogique, il a confiance en ses élèves, eux-mêmes lui font confiance pour accep-ter que, finalement, des certitudes soient remises en question. Ils ont également confiance, mine de rien, en leur perfectibilité. La pédagogie se pratique dans un esprit semblable à celui de la gouvernance : à propos d’internet, la verticalité seule est au mieux inefficace et, plus souvent contre-productive, la paro-le de l’élève (descriptive et réflexive) y est nécessaire…obligatoire… Insistons sur ce point : par essence, l’école qui prépare à un « ailleurs-plus tard » dans son « ici-maintenant » est, plus que d’autres institu-tions, sensible à l’accélération qui caractérise le temps aujourd’hui (H. ROSA), notamment comme effet des nouvelles pratiques sociales des élèves.

4) La confiance est impossible si « les sujets qui fâchent » ne sont pas abordés. Le médiateur académi-que en cite trois : l’orientation, la sanction, l’évaluation avec, souvent, en facteurs communs, manque d’explicitation et sentiment d’injustice.

Pour conclure, je vous propose un constat et une réflexion.

Le dernier numéro de la revue Administration et Education, coordonné par A. BOUVIER et B. TOULE-MONDE est consacré à la décentralisation. Une citation du Cardinal de RETZ conclut l’éditorial : « on est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance ». Un ouvrage récent sur l’autonomie de l’établis-sement signé par D. MALLET et M. BERRARD, valorise la « dynamique de la confiance » et la confiance collective. La confiance n’est pas une mode, réjouissons-nous de ces convergences entre acteurs diffé-rents sur des thèmes complémentaires.

L’expression « vivre ensemble » est de plus en plus couramment utilisée. Elle est trop souvent incantatoi-re et anesthésiante, comme si tout n’était qu’harmonie et long fleuve tranquille, alors que la vie en géné-ral et la vie démocratique en particulier sont faites de débats, voire de conflits, qui ne sont pas des com-bats. Peut-être de manière provocatrice, en évoquant les temporalités différentes des acteurs, J.-Y.ROCHEX affirme : « nous ne sommes pas à l’école pour vivre ensemble mais pour nous quitter ». Il nous le rappelle à sa façon : c’est quand nos élèves nous ont quittés, lorsqu’ils ne sont plus élèves, quand ils sont débarrassés de ce possessif parfois étouffant, qu’ils peuvent réellement, raisonnablement, dire s’ils ont eu raison (ou non) d’avoir eu confiance (ou non) en nous.

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UNE ÉCOLE DE LA DÉFIANCE, UNE ORIGINALITÉ FRANÇAISE

Philippe Joutard, Professeur des universités honoraire, ancien Recteur

___________________________

V ous me permettrez en introduction de mon intervention d’évoquer un souvenir qui me lie à votre

association. J’ai connu Education &Devenir, il y a maintenant dix-huit ans en 1996, quand, recteur

de l’Académie de Toulouse, j’eus le plaisir de vous accueillir pour votre colloque annuel dont le sujet

était La loi et l’Ecole¸ je me rappelle encore du sujet que j’avais traité sur l’ambigüité du mot discipline

dans notre système scolaire français évoquant à la fois le respect des règles et les différents domaines de

connaissances enseignés. Cette confusion n’est –elle pas encore de notre sujet d’aujourd’hui sur l’école

de la défiance ?

Défiance et pessimisme

Cette année, vous fêtez le trentième anniversaire de vote fondation en 1984 par un Toulousain le regret-

té Maurice Vergnaud. Je suis très heureux et très honoré d’introduire votre thème qui vient à son heure :

Faire confiance, une nécessité pour l’école et ses acteurs. Je ne peux m’empêcher de remarquer la

concordance avec un livre de trois jeunes économistes Yann Argan, Pierre Cahuc et André Bilberberg, La

Fabrique de la défiance et comment s’en sortir (Albin Michel, 20121. Ce livre fait d’ailleurs partie de vos

références et vous en rendez compte. Il met en valeur un trait constitutif de notre culture la défiance. Il y

déjà plus de dix ans, ce trait culturel avait été déjà été signalé par Alain Peyrefitte, lorsqu’il avait évoqué

la société de défiance française s’opposant à la société de confiance caractéristique de la culture anglo-

saxonne (La Société de confiance, Paris Odile Jacob, réed.2005).

Lié à cette défiance, le pessimisme. Le pessimisme français est bien connu, toutes les enquêtes le mon-

trent et sur la longue durée. Les Français sont parmi les peuples les plus inquiets sur leur devenir. La cri-

se, réelle, n’en est pas la cause : ce pessimisme apparaît bien avant, dans des périodes de croissance éco-

nomique et d’amélioration du niveau de vie. Inutile de dire que ce sentiment est démobilisateur, à plus

forte raison en temps d’extrêmes difficultés. Ici la comparaison avec les Etats-Unis est cruelle : « Yes, we

can », oui nous pouvons, La formule bien connue de la campagne électorale d’Obama ne fait que re-

prendre le dicton très populaire « We can do it » Nous pouvons le faire. Inutile d’insister sur l’optimisme

fondamental américain et sa capacité de rebondissement qu’entraine cette conviction

L’Ecole reflète parfaitement cette défiance et elle en est même peut-être à son origine. Est-ce un hasard

si la publicité répétée de l’une des principales entreprises de soutien scolaire, est fondée sur ce thème :

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« Hugo est excellent en échec, mais comme il n’a pas confiance, il est en échec en Math » ?

Toutes les comparaisons internationales (en particulier faites par PISA) convergent. L’élève français se

sous-estime toujours. Une enquête de 2001 sur le niveau des enfants quatre ans après le début de l’ap-

prentissage en lecture, le situe pour la confiance en ses capacités au trente et unième rang sur trente-

cinq, à douze points au-dessous de la moyenne de tous les pays concernés. Cette absence de confiance

conduit l’élève français à ne prendre aucun risque : il ne répond ‘qu’à coup sûr, à plus forte raison dans

les questions ouvertes. Son taux de non réponse est parmi les plus élevés. Elle explique son angoisse et

son mal être à l’école. Le plus élevé des pays développé, 55% des jeunes Français s’y sentent mal alors

que la moyenne des pays testés est de 19%. C’est aussi lui qui éprouve le plus d’angoisse dans la résolu-

tion des problèmes mathématiques (à 75%).

L’évaluation et le refus de la pédagogie

Cette défiance apparait clairement dans le statut de l’erreur et la pratique de l’évaluation. L’erreur est

toujours une faute ; elle traduit l’imperfection fondamentale de l’élève et non une faiblesse provisoire à

corriger. Quant à l’évaluation, André Antibi en a fait la démonstration avec ce qu’il appelle la constante

macabre2 Les participants d’Education & Devenir connaissent bien sa démonstration puisqu’ils ont décidé

de soutenir son mouvement Pour être considérée comme valable en France, une évaluation doit obliga-

toirement comprendre un nombre significatif de mauvaises notes, au moins un tiers, et ceci quel que soit

par ailleurs le niveau des élèves, la classe serait-elle composée de futurs prix Nobel .Un professeur qui

donne une majorité de notes élevées ou très élevées est considéré comme laxiste et mauvais ensei-

gnant. Paradoxalement, plus le niveau d’exigences est grand, plus la constance macabre joue : l’exemple

le plus significatif est celui des concours de recrutement d’enseignants où nombre de candidats sont re-

çus avec des notes inférieures à la moyenne ! Pour sélectionner, il n’est pas besoin d’humilier des candi-

dats honorables en leur donnant des notes de 0 à 5 sur 20 !

Ainsi, la notation, loin d’aider l’élève à progresser en mettant en valeur le chemin déjà parcouru, le dé-

courage en montrant tout ce qu’il reste à faire, même quand il a déjà fourni de gros efforts. « Peut mieux

faire », chacun connaît la fortune de cette appréciation dans les bulletins scolaires, formule qui est le

meilleur moyen de décourager et d’aboutir au résultat inverse. La dérive est complète et l’évaluation

devient le moyen privilégié pour faire perdre confiance à la majorité des élèves et générer leur échec : on

connaît en effet le lien étroit entre estime de soi et réussite. L’enfant et l’adolescent se modèlent sou-

vent sur l’image que l’adulte renvoie de lui : « tu es nul » engendre la nullité, « tu es bon » donne

confiance et permet de progresser.

Une part importante des résultats médiocres obtenus par notre système éducatif, en décalage avec les

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moyens mis en œuvre et la qualité des enseignants français, trouve sa source dans cette tendance forte

à la dévalorisation du travail fourni. Le problème ne réside pas, en effet, dans les scores des meilleurs

élèves, parfaitement au niveau des pays les plus performants, mais dans ceux des mauvais et des plus

fragiles, ceux qui très tôt, ont subi de plein fouet ce jugement lapidaire et définitif. Ici, d’ailleurs, nous

retrouvons pleinement en œuvre le critère socioculturel. Les catégories socio-professionnelles élevées

savent mieux gérer le système de défiance qui structure notre enseignement en rassurant leurs enfants,

alors que les parents modestes se sentant déjà eux-mêmes dévalorisés, acceptent spontanément cette

image négative.

Il suffit de connaitre d’autres systèmes éducatifs pour se rendre compte qu’il s’agit bien d’une

spécificité française qui se reproduit d’une génération à l’autre. Ainsi la tendance spontanée aux Etats-

Unis d’encourager la plus petite réussite, est certainement l’une des origines de la confiance étonnante

des Américains envers eux-mêmes A l’inverse des Français, ceux-ci se surestiment toujours. Mais les

Québécois francophones prennent aussi soin de ne pas décourager leurs élèves. D’ailleurs le phénomène

est bien connu : avec le développement des échanges internationaux d’étudiants, les professeurs fran-

çais lorsqu’ils envoient leurs meilleurs élèves dans de grandes universités étrangères sont obligés de re-

lever systématiquement la note de ceux-ci, s’ils veulent leur conserver une chance d’être acceptés.

Tout indique l’ancrage de longue durée de cette école de la défiance Les traits rapidement esquissés ici

existaient déjà pour les générations précédentes. Il suffit d’ailleurs de prendre connaissance des nota-

tions anciennes où l’on retrouve les traces de la « constante macabre ». Les origines de cette défiance

persistante n’ont jamais été réellement étudiées ; elles mériteraient de l’être. Voilà un beau sujet pour

les historiens de l’éducation ou plus largement de l’histoire culturelle française.

Un phénomène plus récent qui est aussi une des originalités françaises est le mépris d’une large partie

de l’opinion intellectuelle pour la pédagogie qui apparait comme un gros mot. « La pédagogie ne doit pas

l’emporter sur les savoirs » », comme si les deux étaient antagonistes et en concurrence. Que veut dire

une pédagogie sans contenu et des savoirs qui ne peuvent être transmis ? On a honte de rappeler ces

évidences. C’est au nom de cette phobie anti- pédagogique qu’a été conduite la désastreuse réforme de

la formation des maîtres confiés aux Universités qui, en France, n’ont jamais eu de vocation à assurer la

formation des enseignants sinon sur le plan de la qualité scientifique. Le niveau scientifique n’assure

malheureusement pas la capacité d’enseigner. Même au niveau du lycée, c’est une condition nécessaire,

mais pas suffisante. Evidence, pour ne pas dire banalité, mais dont on ne tire aucune conséquence.

Pour certains, le seul endroit où il ne faut pas faire de pédagogie, c’est l’école. Pourtant, il existe une

grande tradition pédagogique francophone qui s’enracine, très tôt, au cœur de l’humanisme de la Re-

naissance avec Montaigne préférant choisir selon sa formule célèbre un guide « qui eut la tête bien faire

que la tête bien pleine ». Ce guide doit faire confiance à son élève «lui faisant goûter les choses, les choi-

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sir et discerner d’elle-même quelquefois lui ouvrant chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux

pas qu’il invente et parle seul » et Montaigne poursuit : « Je veux qu’il écoute son disciple parler à son

tour. Socrate et depuis Arcesilas faisaient premièrement parler leurs disciples, et puis ils parlaient à

eux »3

Les conditions de réussite d’une école de la confiance

Notre combat pour une école de la confiance s’insère dans une belle lignée et n’obéit pas à une marotte

moderniste ! Puis-je en rappeler, pour terminer, quelques- uns des grands axes que, j’en suis sûr, nous

sommes ici, très nombreux à partager ?

Une école de la confiance se fonde sur la confiance accordée aux trois composantes de la communauté

éducative : élèves, enseignants et parents. Elle a confiance dans la faculté d’apprendre de chacun des

élèves, ce qui conduit à créer en chacun d’entre eux une véritable estime de lui –même, un des moteurs

de la réussite scolaire. Elle fait confiance au corps enseignant dans son aptitude à suivre chacun des élè-

ves et à éveiller en eux le goût et la soif s’apprendre. Elle fait confiance aux parents pour accompagner

leurs enfants dans une éducation.

La confiance est étroitement liée au plaisir d’apprendre, un plaisir d’apprendre qui n’hésite à se confron-

ter avec la complexité dès le plus jeune âge, qui lutte contre le savoir éclaté, accueille positivement la

révolution numérique sans nier ses dérives possibles, qui sait, enfin, combiner culture scolaire et culture

extrascolaire.

Cela suppose de revoir complètement le système d’évaluation qui aujourd’hui décourage, trie et exclut ;

facteur d’échec et non de réussite partagée et qui a pris une place démesurée dans le système éducatif

français. Il est nécessaire d’habituer l’élève à une auto-évaluation régulière, allégeant d’autant les éva-

luations externes qui doivent mesurer les progrès accomplis.

Cette école de la confiance doit savoir mettre en valeur la diversité des réussites à la fois à l’intérieur de

l’école comme à l’extérieur. A l’intérieur de l’école, il faut reconnaître, à côté des réussites traditionnel-

les, les réussites plus originales en matière d’expressions artistiques, sportives, ou techniques. A l’exté-

rieur de l’école, il faut prendre en compte des responsabilités (arbitrages sportifs, ou encadrement de

camarades plus jeunes), plus tard, gestion d’associations ou soutien scolaire.

Le recrutement des professeurs ne doit pas s’effectuer selon le seul critère de leur intérêt pour un savoir

disciplinaire, ce qui est le cas aujourd’hui, au moins pour le second degré mais pour l’acte même d’ensei-

gner et de faire réussir leur élèves.

Votre colloque se tient à un moment stratégique important. Le diagnostic que je viens de faire, est de

plus en plus partagé à tous les niveaux. L’écho rencontré par André Antibi et le mouvement qu’il a fondé

en est une preuve parmi d’autres. De plus en plus d’enseignants ont pris conscience de ce rôle de la

12

confiance dans la réussite scolaire. Quelques jours après notre rencontre, le 5 février, le ministre Vincent

Peillon dans un entretien au Monde ne déclarait-il pas : « Nous voulons construite une école de la

confiance et de la bienveillance ». Dans la circulaire de rentrée de 2014, son successeur Benoit Hamon

évoque aussi cette « école bienveillante ». Mais les structures mentales sont longues à évoluer. Et même

très minoritaires, les professeurs qui se défient de leurs élèves, peuvent détruire l’action largement ma-

joritaire de leurs collègues. C’est dire combien Faire confiance est une cause nationale qui suppose de

notre part à tous un effort permanent.

___________________________

1. Voir aussi le site de ce livre : ww w.sciencespo.fr/lafabriquedelaconfiance. On y retrouve nombre d’indicateurs sur cette école de la défiance que j’évoque un peu plus loin

2. André Antibi, La Constante macabre, edition Math adore 2003 . Voir aussi le site du Mouvement contre la cons-tante macabre : http://mclcm.free.fr/

3. Il faut relire les chapitres 24 et 25 du premier livre des Essais qui montrent l’étonnante actualité de Montaigne.

13

DISPUTATIO

Choukri Ben Ayed, Sociologue, Professeur des Universités - Université de Limoges, chercheur

au GRESCO (Groupe de Recherche et d’Études Sociologiques du Centre Ouest)

Claude Azema, Secrétaire général adjoint de la ligue de l’enseignement

___________________________

CHOUKRI BEN AYED

La confiance : un analyseur du fonctionnement du système éducatif ?

La confiance est-t-elle un bon analyseur du fonctionnement du système éducatif ? Dans la littérature so-

ciologique la confiance constitue une sorte de fil conducteur depuis les travaux fondateurs de Pierre

Bourdieu et Jean Claude Passeron, jusqu’aux recherches les plus récentes consacrées aux relations entre

l’école et son environnement. Dans Les héritiers1, Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron nous expli-

quaient que les relations entre les milieux populaires et l’école sont biaisées en raison d’un important

déficit de confiance. La raison de ce déficit est la suivante : l’école n’évalue pas que ce qu’elle enseigne,

mais un ensemble de dispositions et de savoir-être hérités dans la famille. En d’autres termes, l’école

n’enseigne pas : elle coopte. Alors que les élèves issus de classes supérieures entretiennent une certaine

familiarité avec l’école, et une certaine connivence avec les agents scolaires, ceux de milieux populaires y

sont plus étrangers et beaucoup plus éloignés des normes implicites de l’institution scolaire. En faisant

passer une culture classe comme une culture universelle, l’école trahit ontologiquement la confiance

dont elle devrait être parée dans un système démocratique. Forts de ce postulat Pierre Bourdieu et Jean-

Claude Passeron, se sont efforcés de formuler des propositions en vue de réduire l’ampleur des inégali-

tés. Selon eux, les élèves de milieux populaires sont en droit d’attendre des enseignants : « qu’ils vendent

la mèche, à savoir qu’ils explicitent et exhibent les mécanismes et les techniques au principe de la réussite

scolaire, et se fassent ainsi les agents d’une démocratisation réelle de la culture ». La notion de confiance

est donc bien fondatrice d’un certain raisonnement sur l’école. Ce champ de la sociologie de l’éducation

des années 1960-1970 se désigne d’ailleurs comme « sociologie du doute », « du doute radical », « du

soupçon », « critique ».

La confiance est apparue dans des recherches plus récentes dans une perspective théorique différente.

Dans le contexte anglo-saxon notamment, elle est mobilisée pour caractériser les normes et les réseaux

de la société dite « civile ». La notion de « capital social », développée par Robert Putnam de l’Université

d’Harvard, vise à montrer que la confiance participe de la « performance institutionnelle »2 : « R.D. Put-

nam introduit la notion de capital social. Il considère que la performance institutionnelle est meilleure

dans une société qui a hérité d’un élément substantiel de capital social, sous la forme de confiance, de

normes de réciprocité et de réseaux d’engagement civique, qui peuvent améliorer l’efficacité d’une socié-

té en facilitant la coopération volontaire. La coopération volontaire est favorisée par le capital social »3.

(Thiébault 2003). Au-delà des débats théoriques internes au champ scientifique, la confiance constitue

bien une notion clé de l’analyse des institutions, comme celle de l’institution scolaire. Pour la période ré-

cente, cette notion apparait souvent en creux dans l’analyse des processus éducatifs. Pour décrire l’usa-

ge qui pourrait en être fait, nous avons choisi d’organiser notre propos autour d’un ensemble de

« scènes » où la notion de confiance nous paraît en jeu.

Scène 1 : les relations familles-établissements scolaires

La première scène est celle qui concerne les relations entre les familles et les établissements scolaires.

14

Les travaux de recherche font apparaître que ces relations sont souvent sources de tensions et de défian-

ce. Les motifs en sont nombreux. Ils concernent par exemple les pratiques de notation. Dès lors que l’en-

fant connaît des difficultés scolaires, il n’est pas rare que certains parents mettent en doute le jugement

de l’enseignant. Nous avons ainsi pu observer, dans des recherches antérieures, que cette remise en cau-

se du jugement scolaire pouvait paradoxalement être source d’une forte mobilisation scolaire, notam-

ment en milieu populaire. Nous qualifions alors ce processus de constitution d’une « disposition criti-

que » à l’égard de l’école4. Dans l’analyse des biographies scolaires, ces temps de tensions apparaissent

souvent comme des moments charnières pouvant engendrer la recherche de soutiens auprès de tiers,

voire un changement d’établissement.

La remise en cause des pratiques de notation peut également prendre une forme totalement différente,

notamment dans les situations de forte concurrence scolaire. Ces situations se caractérisent en effet par

une hiérarchisation des établissements scolaires. De « bons » résultats scolaires obtenus dans ceux situés

dans « le bas » de la hiérarchie sont discrédités par les parents d’élèves, par les responsables des autres

établissements, voire dans certains cas par l’administration scolaire elle-même. Ces pratiques de nota-

tion sont soupçonnées de laxisme, voire de clientélisme en vue de retenir les élèves. Un autre domaine

de déficit confiance, toujours dans des contextes concurrentiels, concerne la vision de certaines familles,

voire de certains personnels scolaires, de la composition sociale des établissements scolaires. Plusieurs

recherches ont en effet montré que la composition sociale des établissements scolaires constitue le pre-

mier motif de « choix » des établissements scolaires5. Au-delà de la composition sociale, ces motifs de

défections témoignent d’un doute profond dans les vertus de la mixité sociale à l’école. La mixité inquiè-

te, l’entre - soi rassure, alors qu’aucune recherche n’est parvenue à en démontrer la portée effective sur

les résultats scolaires6.

À travers la crainte de la mixité sociale, c’est plus globalement la question des affectations scolaires et de

la gestion des dérogations qui apparaît ici en filigrane. Certaines familles sont en effet soupçonneuses

quant à l’équité des décisions prises, face à ce qu’il faut reconnaître une certaine opacité. Ces soupçons

sont renforcés par un sentiment diffus selon lequel l’administration scolaire cache la « valeur » réelle des

établissements scolaires. La publication récurrente des « palmarès » des établissements vient renforcer

ce sentiment dans la mesure où leurs modalités de calcul ne sont pas aisément accessibles. Le fait égale-

ment que les enseignants ne scolarisent pas systématiquement leur enfant dans l’établissement où ils

exercent est également très mal perçu par les familles qui les soupçonnent souvent de « délits d’initiés ».

Elles leur reprochent de ne réserver les informations relatives aux « bonnes » filières ou aux « bons »

établissements qu’à eux-mêmes ou à certaines familles triées sur le volet. Cette tension globale à l’égard

des procédures d’affectation scolaire a été confirmée par la publication du rapport de 2013 du Média-

teur de l’Éducation nationale. Elles constituent en effet le premier motif des réclamations enregistrées.

Ces réclamations se sont multipliées depuis l’assouplissement de la carte scolaire de 2007 qui a instauré

un climat « d’insécurité » et de désinformation. Le rapport recommande d’améliorer l’information aux

familles et d’introduire davantage « d’humanité » dans les procédures de gestion des dérogations et des

affectations. Les conséquences de ces déficits de confiance entre les familles et l’école sont nombreu-

ses : outre le climat délétère, elles renforcent les concurrences interindividuelles ainsi que les tensions

sur les personnels scolaires dont la légitimité et les jugements sont remis en cause.

Scène 2 : Les relations institution scolaire – chercheurs

Une idée de sens commun laisserait à penser que les relations entre l’institution scolaire et les cher-

cheurs sont harmonieuses. Orientés vers un même objectif, celui de la réussite de tous, institution scolai-

re et chercheurs iraient de pair pour améliorer le fonctionnement du système éducatif. Pour séduisante

15

qu’elle soit, cette représentation est cependant éloignée de la réalité. Les relations entre institution sco-

laire et chercheurs sont souvent faites de défiance, de rapports de force et de tensions. Comment inter-

préter cette situation ? Elle renvoie selon nous au statut même de la recherche en éducation. Nul ne son-

gerait en effet à disqualifier la recherche médicale par exemple. Qu’en est-il de la recherche en éduca-

tion ? Si les enjeux éducatifs peuvent paraître proches de ceux la santé, le statut de la recherche en édu-

cation est différent. Elle est tout d’abord mise en doute quant à ses fondements. Comment l’éducation

pourrait constituer un objet scientifique ? La recherche en éducation : c’est de la pédagogie ? Pour une

partie de l’opinion publique, voire pour certains responsables éducatifs, la recherche en éducation est

assimilée à des combats idéologiques. Les lignes de partage politiques constitueraient des ressources

plus lisibles pour appréhender les options des chercheurs que des savoirs objectivés et rigoureusement

construits.

Le malentendu est donc considérable entre la rigueur des travaux menés et les représentations de la re-

cherche en éducation au sein de l’opinion publique, journaliste, et de certains responsables éducatifs. Ce

malentendu est renforcé par la nature même des travaux menés par les chercheurs. Pour une grande

partie d’entre eux, la recherche en éducation n’a pas pour vocation d’éclairer directement la relation

éducative et l’activité enseignante. En s’intéressant plus largement au fonctionnement de l’institution

scolaire, en mobilisant parfois des analyses macrosociologiques, ou en s’attachant à décrypter certaines

dimensions implicites de l’activité pédagogique (génératrice d’inégalités), sa contribution à l’améliora-

tion du fonctionnement du système scolaire est de fait indirecte. Ceci, sans omettre que la recherche

poursuit également des intérêts propres partiellement autonomes des urgences immédiates. Le propre

de la recherche est d’assumer cette distance car sa fonction est d’éclairer des mécanismes diffus, com-

plexes, qui appellent des réflexions sur la durée.

Revenons sur la façon dont un pan de la recherche en éducation s’auto-désignait dans les années 1960-

1970 (et s’auto-désigne encore), de « sociologie critique », « du doute », « du soupçon », « du dévoile-

ment ». Sur quoi portaient précisément ces doutes ? Sur le fait que le fonctionnement ordinaire de l’éco-

le est en contradiction avec son message officiel, notamment lorsqu’elle prétend lutter contre les inégali-

tés. Si ce décalage est si problématique, c’est parce qu’il agit doublement comme un effet d’occultation

et de naturalisation des inégalités. L’occultation concerne à la fois l’ampleur des inégalités et les méca-

nismes par lesquels elles agissent. La naturalisation des inégalités désigne la façon dont l’institution se

dédouane de sa mission de correction des inégalités, en faisant reposer la responsabilité des échecs es-

sentiellement sur les familles et les élèves dans une vision déficitaire. En adoptant un recul historique on

ne peut que constater que la contribution de la recherche, notamment sur ce dernier point, a été mani-

feste. En déconstruisant les schèmes d’une approche déficitaire de l’échec scolaire, et en insistant davan-

tage sur ses causes sociales, la frange des élèves dits « déficients » a considérablement diminué 7. La

plus grande majorité des élèves dits en échec scolaire est considérée aujourd’hui comme victime d’iné-

galités et de dysfonctionnements chroniques de l’institution scolaire. La recherche a ainsi beaucoup œu-

vré à ce déplacement essentiel : l’école n’enregistre pas seulement des inégalités externes, elle les ren-

force et les produit.

La plupart des analyses développées par la sociologie de l’éducation dans les années 1960-1970, concer-

nant la réalité de la reproduction sociale et scolaire est aujourd’hui globalement admise. Une partie de la

sémantique qui a accompagné ces travaux a intégré le langage de l’institution. Ce n’est pas le lieu ici de

développer une analyse spécifique sur les aspects performatifs (faibles) de ces éléments de langage. Ac-

tons cependant que ce que démontrent ces évolutions, c’est que la perspective critique adoptée par la

recherche, n’est en rien nihiliste, mais bien heuristique et constructive. En ne se satisfaisant pas de juge-

ments simplistes et définitifs, elle pousse l’institution dans ses retranchements et ses contradictions, et

participe ainsi d’évolutions progressistes8. Soulignons également qu’une partie de ces rapports de dé-

16

fiance entre recherche et institution scolaire est liée à l’absence d’espaces institutionnels permettant des

rapprochements et une meilleure interconnaissance. Bien que les relations entre recherche et institution

scolaire semblent à présent plus apaisées, elles perdurent sous différentes formes toujours selon les mê-

mes temporalités : critique, mise en doute, occultation de la réalité des faits incriminés, puis reconnais-

sance plus ou moins appuyée.

Prenons un exemple tout à fait significatif : celui des ségrégations scolaires. La découverte des ségréga-

tions scolaires durant les années 1980 a agi comme un révélateur puissant des dysfonctionnements du

système éducatif. Après une période de contestation et de mise en doute des observations des cher-

cheurs par l’institution scolaire, leur reconnaissance a été pour le moins timide et tardive. Quand bien

même la rhétorique des ségrégations a pénétré le vocabulaire de l’institution, nous ne relevons toujours

pas à ce jour de dispositions institutionnelles de nature à en infléchir les causes, lorsque les décisions

prises ne contribuent pas au contraire au renforcement des processus ségrégatifs (autonomie des éta-

blissements, assouplissement de la carte scolaire)9. Plus récemment la problématique de la concurrence

scolaire, comme mécanisme amplificateur des inégalités, a été mise au jour par les chercheurs dans un

contexte où les doxas étatiques ne lui prêtaient que des vertus. Il a fallu la reconnaissance par les acteurs

de terrain, la légitimation des méfaits de la concurrence par les instances d’évaluation internationales

comme l’OCDE, pour que ce problème gagne en visibilité et en reconnaissance. Les relations de défiance

entre l’institution scolaire et les chercheurs ont donc de nombreuses conséquences. L’occultation des

problèmes limite ou retarde la conception et la récolte de données permettant une meilleure connais-

sance des phénomènes. Lorsque les données sont existantes, ce sont davantage des défauts de transmis-

sion et de mise à disposition qui sont à déplorer parfois davantage au plan local que national. Comment

ne pas y voir une certaine réminiscence de la « culture du secret » qui renforce les logiques de défiance ?

Scène 3 : la scène locale : décentralisation – territorialisation

La scène locale constitue un espace particulièrement fécond pour appréhender la question de la confian-

ce. Les mesures récentes de décentralisation et de déconcentration ont eu pour effet de rapprocher

considérablement les administrations et les collectivités locales10. Or les « cultures » de ces institutions

sont très différentes. Alors que les administrations délocalisées indexent leurs prérogatives sur des at-

tentes et des exigences nationales, les collectivités locales agissent davantage en fonction d’impératifs

locaux. Si ces institutions sont situées dans le même espace physique, elles n’ont pas la même concep-

tion du territoire. Pour les premières, il est perçu dans une visée plutôt fonctionnelle, comme le vecteur

d’une action publique normée et standardisée, alors que pour les seconds, il est érigé en finalité politi-

que. Sans mettre en rivalité ces deux institutions quant à leur conception du service public, force est de

constater qu’elles n’ont pas la même approche quant à la façon de le délivrer. Ces différences de concep-

tions sont sources de hiatus, de tensions, voire de conflits de légitimité11. La source des tensions est sou-

vent la même : le bon degré d’adaptation des normes nationales aux réalités locales. Ces tensions se dé-

veloppent sur fond de procès d’intentions. Les acteurs des collectivités « soupçonnent » parfois les res-

ponsables d’administrations délocalisées de vouloir conserver un leadership sur les questions éducatives

pour des raisons corporatistes, tout en étant peu sensibles aux spécificités locales. Les responsables des

administrations locales craignent quant à eux que les élus instrumentalisent les questions éducatives à

des fins électoralistes. Ce faible niveau de confiance entre administrations et collectivités impacte la qua-

lité du service rendu, comme en témoignent notamment les lourdeurs et les craintes quant à la circula-

tion de l’information. Ces dysfonctionnements sont en contradiction avec les mots d’ordre des politiques

éducatives locales qui prônent la coopération et l’adhésion à des objectifs partagés. Au cours des enquê-

17

tes de terrain, il n’est pas rare de relever que, pour certains responsables d’administrations locales, la

maîtrise de données jugées « sensibles » (statistiques notamment) est perçue comme le symbole de la

préservation d’une certaine « souveraineté » et indépendance. La décentralisation éducative n’a ainsi

pas abouti à une réelle mutualisation des données mais à la multiplication de services statistiques exploi-

tant les mêmes sources mais avec des tutelles différentes.

Les relations entre éducation prioritaire et politique de la ville constituent également un espace dans

lequel les relations de défiance sont particulièrement marquées. Comme l’a montré Dominique Glas-

man12 les discours convenus à propos du partenariat masquent de nombreuses tensions entre profes-

sionnels en raison à nouveau de « cultures » professionnelles différentes. Les enseignants ne sont en

effet pas « naturellement » disposés à coopérer avec des acteurs extérieurs à l’institution scolaire, no-

tamment parce qu’ils revendiquent un certain monopole, une certaine expertise pédagogique. Reconnaî-

tre que d’autres acteurs, moins qualifiés, puissent intervenir auprès des élèves, c’est admettre un certain

échec de l’action pédagogique. De fait les pratiques d’accompagnement scolaire en dehors de l’école

revêtent potentiellement une vertu critique de nature à jeter le discrédit sur l’action enseignante13. On

comprend alors qu’il soit si difficile de construire des instances et des espaces de dialogue et de circula-

tion de l’information sur les difficultés des élèves. Ces relations de défiance ne concernent pas unique-

ment les acteurs en relation directe avec les élèves, mais également les instances de pilotage des disposi-

tifs éducatifs territorialisés. Il est un fait que l’institution scolaire a toujours été réticente à œuvrer dans

des dispositifs de compétence municipale. Difficile également de concevoir des instances à prérogatives

réellement partagées entre Éducation nationale et villes. C’est pourquoi le développement des politiques

éducatives territorialisées a donné lieu à de nombreux doublonnages institutionnels14.

Quelques soient les termes employés : « comité de pilotage », « de suivi », « comité exécutif », partout

ont émergé des instances aux contenus proches (accompagnement scolaire, lutte contre le décrochage,

réussite éducative, etc…), avec des leadership institutionnels différents. Ces doublonnages, outre leur

coût, contribuent à dilution des responsabilités et induisent des effets pour le moins pervers. Le partena-

riat institutionnel, censé constituer un moyen, en est venu progressivement à devenir une fin. Comme si

le fait d’apprendre à des professionnels à communiquer, se comprendre, se faire confiance et échanger

était devenu le but à atteindre, occultant les finalités des actions à mener en direction des élèves eux-

mêmes. Les sujets de l’action se sont progressivement transformés en objet, avec bien évidemment des

variations locales qu’il convient de prendre en compte.

Conclusion

Au terme de cette analyse, la confiance apparaît bien comme une grille pertinente de lecture du fonc-

tionnement du système éducatif et des relations entre le système éducatif et son environnement. Mal-

gré la mise en place de dispositifs de concertation, d’échange et de coopération, les déficits de confiance

sont prégnants. Parmi les façons possibles de les endiguer il nous paraît nécessaire en matière éducative

de clarifier les niveaux de décision et de responsabilité passablement perturbés au cours des trois der-

nières décennies en raison de réformes nombreuses et parfois contradictoires. Le levier de la formation

initiale nous paraît également un champ à investir. Celle-ci pourrait insister davantage qu’aujourd’hui

sur le fait que l’école n’est pas « hors sol », qu’elle est liée à un ensemble d’acteurs et d’institutions au

plan local comme national. Les relations de l’école avec son environnement doivent à présent être consi-

dérées comme l’une des dimensions essentielles des professionnalités enseignantes et de l’ensemble des

personnels de l’Éducation nationale. De même l’accompagnement des équipes sur site, sur le temps

long, constitue une perspective de levée des déficits de confiance. Ces actions seraient cependant vaines

si elles n’aboutissaient pas à une réelle réduction des inégalités de scolarisation dont les effets dépassent

18

à présent le seul destin des élèves et contribue à une déstabilisation globale de l’ensemble du système

éducatif.

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1. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Minuit, 1964

2. Voir notamment Jean-Louis Thiébault, « Les travaux de Robert D. Putnam sur la confiance, le capital social, l'engagement civique et la politique comparée », Revue internationale de politique comparée, 2003/3 (Vol. 10)

3. Thiebault 2003 op. cit

4. Choukri Ben Ayed, « Familles populaires de l'enseignement public et privé, caractéristiques secondaires et réalités locales », in « Les inégalités d’éducation : un classique revisité », Éducation et Société. Revue internationale de sociologie de l’édu-cation, n°5, 2000

5. Christelle Chausseron, « Le choix de l’établissement au début des études secondaires », Note d’information, Ministère de l’Éducation nationale, 2001,01.42 ; Agnès van Zanten, « Le choix des autres. Jugements stratégies et ségrégations scolai-res », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 2009/5 (n° 180) ;

6. Voir notamment : Sylvain Broccolichi, Choukri Ben Ayed, Danièle Trancart, et al, École : les pièges de la concurrence. Com-prendre le déclin de l’école française, Paris, La découverte, « Cahiers libres », 2010

7. Bertrand Ravon, L'« échec scolaire ». Histoire d'un problème public, Paris, In Press éditions, 2000

8. Rappelons ici ces termes de la conclusions de l’ouvrage Les Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron en 1964 : « La recherche sociologique se doit de suspecter et de déceler méthodiquement l'inégalité culturelle socialement condition-née sous les inégalités naturelles apparentes puisqu'elle ne doit conclure à la "nature" qu'en désespoir de cause. Il n'y a donc jamais lieu d'être certain du caractère naturel des inégalités que l'on constate entre les hommes dans une situation sociale donnée et, en la matière, tant qu'on n'a pas exploré toutes les voies par où agissent les facteurs sociaux d'inégalité et qu'on n'a pas épuisé tous les moyens pédagogiques d'en surmonter l'efficacité, il vaut mieux douter trop que trop peu ».

9. Pour approfondir ce dernier point : Choukri Ben Ayed, « La mixité sociale dans l’espace scolaire : une non-politique publi-que », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n°180, décembre 2009, « L’école et les ségrégations urbaines et scolaires 1986-2013 », Diversité, n°174, 2013

10. Andrada M., Ben Ayed C., Buisson-Fenet H., Mons N., Pons X., Van Zanten A., (dir), Étude sur la décentralisation éducative en France, ESEN, OSC-CNRS, 2006

11. Ben Ayed C., « La décentralisation éducative entre jeux d’acteurs et conflits de légitimité », Pouvoirs locaux, n°79, décem-bre 2008

12. Glasman D. (dir), « L’école réinventée. Le partenariat dans les zones d’éducation prioritaire», L’harmattan, 1992

13. Rappelons que cette opposition est absurde car ce qui est en jeu n’est pas la compétence mais la complémentarité des cadres d’action. L’accompagnement scolaire se fonde en effet davantage sur une approche individualisante difficile réalisa-ble dans l’espace de la classe.

14. Voir notamment : Joly-Rissoan O., Glasman D. (dir.), Le programme de réussite éducative : mise en place et perspectives, rapport pour la Délégation interministérielle à la ville, université de Savoie, juin 2006 ; Lorcerie F., « Projet éducatif, terri-toire et habitants après treize ans de politiques prioritaires ville-école », Ville-École-Intégration Enjeux, hors-série no 7, septembre 2003, pp. 141-167 ; Ben Ayed C. « Rénovation urbaine, rénovation scolaire ? Les impensés du volet éducatif de la politique de la ville », Revue AGORA débats/jeunesse, n°63, mai 2013.

19

CLAUDE AZEMA

________ 1. Quels sont les effets du déficit de confiance reposant sur les interactions de

tous les acteurs ?

A cette question, en me fondant sur mon expérience de terrain, je répondrai abruptement par une ré-

ponse lapidaire, c’est « l’Ere du soupçon », à savoir, une défiance généralisée, diffuse mais discontinue,

tant verticale par sa composante hiérarchique qu’horizontale quant à ses modalités collectives. Défiance

extrême des décideurs à l’égard de l’opinion publique et ou des lobbies divers qui aboutit à des compro-

mis boiteux. Défiance inversement, des administrés, des utilisateurs de l’école envers les décideurs. Dé-

fiance des parents à l’égard des enseignants et vice et versa. Idem pour la relation élèves- enseignants.

Pourtant, fondamentalement tout le monde s’accorde sur le constat que l’école peine à faire réussir tous

ses élèves. Les évaluations PISA le montrent depuis des années car la performance de la France se res-

treint aux élites en perdant son image démocratique. Cependant, il n’y a pas d’accord global sur le

« comment faire ». Avec le même objectif, faire réussir les élèves, les différentes lois contribuent au sen-

timent que tout change, du moins dans les mesures ponctuelles, mais que rien ne bouge profondément

dans les faits. Le terrain c’est-à-dire les enseignants mais aussi les parents soupçonnent chaque nouveau

ministre de l’Education de désirer marquer son passage par « sa » loi.

Plusieurs facteurs objectifs grèvent le changement. En amont des lois, une concertation non suivie

d’effets sensibles. Rappelons le « Nouveau contrat pour l’Ecole » en 1994, qui, après plusieurs grands

débats thématiques et régionalisés, n’a pas changé fondamentalement l’opinion générale : de grandes

« messes » avec un piètre résultat. Considérons, plus récemment, le rapport « Pour la réussite de tous

les élèves » en 2004, véritable exploit d’organisation sous l’égide de Claude Thélot en termes de débats

démocratiques car ouvert cette fois à l’ensemble de la population mais dont les conclusions ont été vili-

pendées immédiatement par les conservateurs de tous bords.

Le gigantisme de l’éducation nationale génère une lenteur médiatique accentuée par le type de modè-

le de gestion choisi.

La première explication relève à la fois du quantitatif et de la psychologie sociale car le nombre de per-

sonnes touchées étant donné l’obligation de scolarisation au moins jusqu’à 16 ans, est plus considérable

que le nombre de personnes obligées d’avoir recours quotidiennement au système de santé ! Et c’est

heureux !

L’EN emploie environ près d’un millions de personnes ce qui en fait, paraît-il la deuxième entreprise pu-

blique mondiale derrière les chemins de fer indiens !

Si l’on considère les utilisateurs de l’école, les élèves, au premier chef, concernés par les réformes, l’éco-

le touche plus de 12 millions de jeunes (hors étudiants), « consommateurs captifs » du système.

Si l’on agrège les parents d’élèves très préoccupés de la réussite de leurs enfants, y compris et surtout

ceux qui, d’après les enquêtes et contrairement aux idées reçues, appartiennent à des catégories dites

défavorisées, on constate pratiquement, que presque la moitié de la population française se sent concer-

née en tant que population captive, dans les faits, du système et touchée émotionnellement, chacun en

outre jugeant aussi l’école à l’aune de ses propres réussites ou échecs scolaires!

20

La deuxième explication provient de la lourdeur de la mise en application des réformes qui implique à

la fois des aspects médiatiques et un type de gouvernance.

Le manque de transparence et de lisibilité font obstacle pour les utilisateurs non spécialisés.

Le texte de loi apparaît sous sa forme juridique dans une présentation qui opère par ajouts, suppres-

sions, et reformulations du texte en vigueur précédemment inscrit dans le Code de l’Education. Sa lectu-

re déjà difficile pour les spécialistes, est inabordable par le profane. Elle nécessite une comparaison ter-

me à terme, des insertions suppressions et ellipses, voire une étude poussée de la ponctuation ! L’emploi

d’un synonyme peut devenir révélateur d’une intention politique sous-jacente, l’occurrence ou non des

mots clés donne aussi une indication de l’ampleur des propositions. Par exemple dans la dernière loi le

mot « Associations » n’apparaissait dans sa première version qu’une fois, signe implicite du poids confé-

ré à leur rôle et à celui du périscolaire en général !

Ensuite, il faut attendre la publication des décrets d’application pour que l’on commence à appréhender

le concret des mesures. Certains d’ailleurs ne paraîtront jamais effacés dans le temps par une nouvelle

loi…

La lenteur du cheminement hiérarchique grève l’application sur le terrain

Les personnels d’éducation attendent que les circulaires « descendent » des rectorats dans les établis-

sements. Une autre difficulté surgit alors : l’interprétation des circulaires. Si elles sont brèves elles lais-

sent des marges d’incertitudes mais aussi de liberté pédagogique, toutefois cela peut induire paradoxale-

ment la tendance à l’exhaustivité à cause de l’appréhension de chaque enseignant de ne pas faire « au-

tant et aussi « conforme » que les autres collègues, risquant ainsi de rompre l’égalité républicaine qui en

France reste dans la tradition « uniformisante ». Inversement, les circulaires peuvent être très circons-

tanciées- on peine à les lire- et in fine c’est la fameuse « circulaire de rentrée » qui va être véritablement

appliquée dans les établissements. Parfois même les mesures ne sont pas appliquées du tout par la hié-

rarchie elle-même ! Une mesure, contenue dans la réforme du « Lycée pour le XXIème siècle » sous le

ministère de François Bayrou, mesure qui accordait une heure de concertation aux enseignants et qui

figurait en toutes lettres dans le « Bulletin officiel » du Ministère, n’a pas été appliquée sur le terrain car

refusée par le rectorat au motif que des crédits n’avaient pas été provisionnés pour son application. !

Comment ne pas être méfiant ?

Toutefois, cette lenteur qui crée un espace entre le temps règlementaire et le temps éducatif pourrait

être utilisée positivement pour former les personnels, systématiquement en amont de l’exécution et

permettre l’accompagnement sur le terrain des nouveautés, particulièrement si elles impliquent d’adop-

ter une autre manière de faire. Ce n’est pas le cas ! Nous venons d’en avoir un exemple récent avec le

socle commun de compétences qui supposait déjà de donner au mot « compétence » la même significa-

tion alors que le sens du mot est diversement interprété encore à ce jour et recouvre d’ailleurs un conflit

de pensée d’ordre idéologique. Pour les uns la compétence n’ est pas du domaine de référence du mon-

de de l’école (les connaissances qu’il s’agit d’évaluer) mais de celui du monde du travail. Ce concept

paraît à certains inapproprié à l’enseignement général. Pour d’autres heureusement, la compétence est

la capacité à réinvestir ses connaissances dans d’autres situations que celles factuelles de la matière en-

seignée. Cependant, l’habitude de la notation de 0 à 20 quasiment inhibée en soi avec « sa constante

macabre » (1/3 de bonnes notes, 1/3 de moyennes et 1/3 de mauvaises) jointe à la non connaissance

d’un autre type d’ évaluation « en acquis ou non acquis » (système formation continue) génèrent un

travail personnel profond pour appréhender l’évaluation de la compétence. Sans formation préalable,

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l’enseignant se retrouvant seul face à sa classe fera d’abord pour assurer la maîtrise de son cours, ce qu’il

sait le mieux faire c’est-à-dire ce qu’il faisait déjà avant. !

L’empilement des dispositifs est un autre obstacle à la lisibilité et à la faisabilité. La tendance malheu-

reusement, en France est à la superposition des mesures. On pourrait développer longuement sur ce

thème l’exemple des ZEP…Ce fonctionnement lent qui manque d’efficacité est d’autant plus curieux à

constater que l’éducation nationale a déconcentré ses services pour alléger ses processus et les rendre

plus efficaces.

En fait, l’Education nationale, dans son fonctionnement, ressemble plus à une administration qu’à un

service public, autrement dit à une administration de gestion plutôt que de missions. Le poids de l’admi-

nistration centrale reste toujours prépondérant. Ce qui correspond à une vision encore centralisée et

jacobine du pouvoir politique, induisant une gouvernance intermédiaire très hiérarchisée (descendante),

à l’inverse du pilotage nécessaire à la dynamique de mise en œuvre collective de projets.

On peut à ce stade se demander si les politiques publiques d’éducation, sont de fait très différentes d’un

gouvernement à un autre quand on sait que la préoccupation majeure, incontournable à chaque rentrée

scolaire, est d’abord de mettre en place l’enseignant adéquat (en terme de spécialité) face à la classe

d’élèves, ce qui n’est pas rien quant au nombre ! Mais bien loin d’être tout au regard de la qualité. !

2. La défiance est-elle imputable au seul système ou existe-t-il d’autres causes ?

Pour répondre à cette question, il est utile d’évoquer d’autres systèmes éducatifs. On fait souvent réfé-

rence à l’école finlandaise dont on reconnait les mérites en termes de réussite scolaire tout en jugeant

que la différence culturelle et la taille du pays rendent son succès difficilement exportable. Cependant un

autre pays, plus proche linguistiquement mérite aussi comparaison, l’école québécoise.

Selon l’enquête PISA 2009 dans les trois domaines, (maths, sciences, compréhension de l’écrit), les ré-

sultats sont meilleurs pour les jeunes québécois que pour les nôtres. En mathématiques surtout. A 15

ans, l’écart entre les compétences des plus faibles en France et celles des plus faibles au Québec est

énorme (64 points) ce qui correspond sur l’échelle de PISA (qui compte une progression de 40 points par

an) à un an et demi de scolarité de retard pour les français alors même que la scolarité des enfants qué-

bécois dans le pré élémentaire est moins développée !

J’aimerais le plus brièvement possible et « à la hache »vous présenter une analyse comparative extrême-

ment fine, complexe, dense et scrupuleusement honnête de l’évolution des deux systèmes éducatifs,

français et québécois, depuis 1960 jusqu’en 2012. Elle est l’œuvre de Denis Meuret professeur émérite

de l’université de Bourgogne, chercheur à l’IREDU et a été publiée en novembre 2012 au PUF de Rennes.

Je ne pourrais que survoler et j’espère sans le trahir, ce livre qui s’intitule « Pour une école qui aime le

Monde » Il permet d’appréhender pourquoi ces deux systèmes à partir d’un même constat, sensible-

ment, à la même époque et avec des réformes parfois comparables ont pu aboutir à des résultats diffé-

rents en matière de réussite scolaire.

Dans les années 60, pour répondre à la nécessaire modernisation de l’école et l’ouverture au plus grand

nombre d’élèves, deux évènements majeurs marquent l’histoire de l’éducation au Québec et en France :

la commission « Parent » au Québec qui siégea de 1960 à 1963 et « le Colloque d’Amiens » en France

durant l’année 68. Denis Meuret confronte ces deux tentatives pour essayer de comprendre pourquoi

l’une a réussi et l’autre non. Je vais essayer de résumer cela à grands traits loin de l’analyse nuancée de

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l’auteur.

Première remarque : les conclusions de ces rapports n’ont pas la même postérité. Alors que les deux

tentatives, française et canadienne, ont le même souci et font le même constat critique, le colloque d’A-

miens, selon Antoine Prost, a été reçu comme un brûlot révolutionnaire à cause de sa proximité avec les

acteurs politiques de l’époque. Récemment encore, en 2008, les plus hauts responsables politiques ont

stigmatisé l’esprit de 68 comme ayant engendré la crise d’autorité frappant le système éducatif français

et la destruction des valeurs culturelles patrimoniales…Rien que cela !

En revanche le rapport Parent, lui, reste toujours une référence plus de 40 ans après et s’est constitué

comme le rapport fondateur qui a insufflé l’esprit et la dynamique des réformes suivantes.

Les buts que le colloque d’Amiens et le rapport Parent fixent à l’école sont souvent identiques et les

deux rapports convergent quant aux qualités ou capacités que l’école doit développer : curiosité, créati-

vité, goût et capacité d’apprendre tout au long de la vie, capacité de faire face au changement, etc… mais

le premier tout en présentant ce changement comme une rupture radicale, propose une vision moins

large et aboutie des changements du monde. En revanche, le « nouvel humanisme » auquel invite le rap-

port Parent offre une perspective plus large associant davantage l’ensemble de la population.

Sur la forme de l’Ecole, les deux rapports développent l’idée que l’Ecole doit, être moins élitiste, accueil-

lir plus d’élèves dans l’enseignement secondaire et s’ouvrir sur l’extérieur. Il faut la concevoir comme la

première phase d’une éducation permanente et par conséquent, il faut donner aux élèves plus que des

connaissances vite obsolètes. Il faut donner l’envie d’apprendre et la méthode pour le faire. Il faut aussi

accroître la place faite par l’école aux parents.

L’école doit être plus souple, il importe de réduire les cloisonnements entre disciplines et entre années

scolaires. Les deux rapports préconisent effectivement un enseignement par cycles plutôt que par an-

nées/degrés, une diminution de la fréquence des redoublements et une individualisation du rythme des

apprentissages. Les élèves doivent travailler en groupe et les enseignants en équipe.

L’école doit être plus proche de la vie, moins livresque, organisée davantage autour d’activités, d’obser-

vations, de recherches personnelles ou en groupe. L’enseignant doit devenir un animateur qui utilise

aussi les méthodes audiovisuelles. L’enseignement doit être moins intellectualiste, moins encyclopédi-

que et favoriser les contacts avec le monde du travail.

De vraies différences cependant sont relevées par Denis Meuret : l’enthousiasme moins marquée du

colloque d’Amiens qui évoque la nécessité « du passage à une éducation secondaire et supérieure de

masse ». Il décèle plus de volonté dans le rapport Parent de s’éloigner de la hiérarchisation entre ensei-

gnement intellectuel et enseignement pratique, entre disciplines ainsi que plus de netteté quant à l’in-

troduction des cours pratiques ou technologiques dans l’enseignement général avec des écoles polyva-

lentes dans le secondaire.

L’égalité dans la distribution des connaissances est traitée différemment. Là où le colloque d’Amiens

propose de réserver aux élèves doués la diffusion des avancées les plus récentes de la science, le rap-

port Parent préconise que les élèves très doués reçoivent « un enseignement enrichi de notions non

essentielles aux programmes ». Là où une seule commission du Colloque d’Amiens évoque un « tronc

commun », non repris d’ailleurs dans la déclaration finale, le rapport Parent parle d’un enseignement

secondaire unifié avec une formation générale commune qui comprend quatre domaines : langues,

sciences, arts, techniques plus un jeu d’options dans le temps qui permettra une orientation plus souple

dans les filières. Le colloque d’Amiens reste plus flou en parlant d’options libres sans relier la question à

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l’orientation et sans critiquer les filières.

L’articulation de l’école avec la société, fait apparaître une différence significative. Si les deux rapports

pensent que l’école a mission de socialiser les élèves, une divergence apparait quant à l’idée de progrès.

Le colloque d’Amiens affiche l’accord d’une élite administrative et universitaire ayant une vision plus

durkheimienne du progrès tandis que le rapport Parent, ouvre sur l’idée deweyenne que le progrès pro-

cède de la délibération démocratique.

Les évolutions sociales et les transformations de la société, longuement développées dans le rapport

Parent se limitent au contraire dans le colloque d’Amiens aux dimensions techniques, économiques,

scientifiques et ne fait aucune mention de changements liés à l’égalité des genres, à l’immigration, à l’in-

ternationalisation.

Peut-on s’en tenir à l’analyse de deux rapports des années 60 pour juger de la situation actuelle ?

Pourquoi cette différence entre les deux pays pourtant partis d’une interrogation fondamentale sur l’é-

ducation, de réflexions proches, de réformes souvent ressemblantes au long des années 70 et 80. Une

partie de la réponse est à rechercher en France dans un substrat culturel quasi inconscient hérité du mo-

dèle durkheimien d’éducation fondateur en France. L’Ecole est conçue comme un lieu de déssillement

(esprit critique), plutôt que de confiance dans l’empowerment (pouvoir d’agir et de développer ses capa-

cités) du modèle deweyen.

L’école française reste coupée du monde, changeant pour s’adapter plutôt que pour s’améliorer, organi-

sée par la hiérarchie binaire entre les élèves qui peuvent « suivre » et les autres. Le savoir est conçu

comme compréhension de lois pas comme le résultat d’une expérimentation fragile : On apprend du

maître, pas du monde. L’effort est conçu comme un renoncement et non comme une mobilisation. L’au-

torité du maître procède de sa position institutionnelle.

Corollairement ce modèle aboutit à la sacralisation de la classe, du cours et des disciplines, l’orientation

par défaut, la difficulté de concevoir la prise en charge des élèves faibles, l’absence de responsabilité vis

à vis du public et donc de la mise hors-jeu des utilisateurs de l’école : les élèves et plus largement les pa-

rents.

De toute cette construction historique de l’école en France il reste des traces tenaces en dépit des

grands rapports marquants pour en réformer l’esprit et corriger les défauts. Par exemple, l’objectif

« L’élève au centre » du rapport québécois concrétisé dans la loi de 89 en France, reste encore aujourd-

’hui, une thématique potentiellement conflictuelle, voire objet de dérision parfois...

3. Pourtant s’il faut répondre à la question : « Peut-on encore faire confiance ? », je répondrai positivement dans le domaine de la pratique de l’enseignement et de l’éducation parce que

là existent des marges qui ne dépendent pas forcément du système. Il y a possibilité de faire autrement,

d’avoir confiance et de faire confiance.

La confiance est fondée intuitivement sur la proximité supposée de l’autre par rapport à soi. Même âge,

même milieu social, mêmes études, même sexe, c’est bien pour cela que les chefs d’entreprise, de partis

politiques, recrutent plutôt des hommes et des « alter ego » et qu’il a fallu passer par l’utilisation de quo-

tas pour faire place aux femmes. La proximité des milieux sociaux étudiée par Bourdieu et Hamon perdu-

re dans le phénomène de reproduction, L’habitat ne joue plus son rôle de brassage, il est devenu ségré-

gatif et la politique de la ville est insuffisante à remonter la pente.

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Les établissements scolaires et universitaires demeurent le dernier lieu de brassage possible puisqu’obli-

gé de la population mais il existe des démarches d’évitement de la carte scolaire et, à l’inverse, des dé-

marches de regroupements particuliers dans les grandes écoles où la relation fondée sur le mérite joue

à plein et permettra de créer un réseau indispensable ensuite dans le monde du travail tant l’image de

certains métiers prend l’aspect d’une « caste ».

La preuve par soi est un mécanisme à l’œuvre assez banal. Nous faisons confiance intuitivement à ceux

qui nous ressemblent et nous avons tendance à juger les autres à l’aune de ce que nous sommes nous-

mêmes et de ce que nous avons pu réaliser. C’est la « preuve par soi » qui, dans l’argumentation, se

constitue en généralisation pour prouver par exemple que parti de rien, on réussit dans la vie profession-

nelle à force de volonté ! Or la preuve par soi qui a longtemps bercé d’illusions l’idée de « l’ascenseur

social » n’est ni rationnelle ni exportable. Elle biaise même l’idée qu’on se fait de l’école. Ce n’est pas

parce que les enseignants sont majoritairement d’anciens bons élèves, sans difficultés dans leurs études,

que cela légitime quoi que ce soit dans ce qu’ils peuvent attendre des élèves. Il s’avère impérieux de se

débarrasser de la preuve par soi qui n’illustre que la situation unique.

Ensuite il faut dépasser le confort de « l’entre soi » dans le domaine de l’éducation. Il est bon d’ouvrir

l’école à des personnes extérieures et de ne pas se limiter à un projet ou un travail collectif fondé sur

l’affinité des personnes. Beaucoup d’expérimentations se délitent à la suite de mutations de personnels

qui travaillaient en équipe (cela a été montré dans certains cas au sein des ZEP.) Etablir des rapports de

confiance avec les autres est une nécessité parce que la réussite de l’éducation d’un enfant est éminem-

ment collective. Il faut faire confiance aux autres, nous n’avons pas le choix car on apprend des autres. La

tendance française à l’attitude critique se fait encore sentir significativement dans le fait que la France

en adoptant les 8 compétences européennes, en ait supprimée une, jugée superflue en tant que telle,

celle d’ « apprendre à apprendre » !

Or nous sommes plus intelligents à plusieurs et plus efficaces. Pour illustrer cette idée, nous pouvons

revenir sur la comparaison avec le Québec faite par Denis Meuret, en ce qui concerne l'aide pédagogique

aux élèves en difficulté. C’est toute une équipe plurispécialisée qui est mobilisée au Québec: ensei-

gnants, psychothérapeute, orthopédagogue, technicien en éducation spécialisée… En 2009-2010 on

comptait au Québec, un spécialiste pour 18 enseignants du premier et second degré ! Evidemment on

peut réfuter cet exemple au regard du manque de moyens français mais au-delà, il faut pointer, le mode

d’intervention de cette équipe consigné dans « un plan d’intervention » élaboré pour chaque élève. Pa-

rallèlement nous possédons nous aussi un dispositif équivalent dans le « plan personnel de réussite édu-

cative » mais au Québec, à chaque moyen, est associé un responsable de sa mise en œuvre qui peut-être

un personnel de soutien mais aussi l’enseignant, un proche ou un membre de l’entourage de l’élève.

C’est dans ce dernier élément que réside la différence ! On imagine mal en France, sauf cas exception-

nel, la participation active d’un membre de la famille avec un rôle de pleine responsabilité au sein de

l’équipe scolaire ! Certes, la relation parents –enseignants est assez proche en France dans les maternel-

les et le primaire, mais la distance se creuse encore en collège puis en lycée où elle reste ponctuelle :

avec réunions trimestrielles, conseils de classe, très codés en termes d’échanges verbaux, et insatisfai-

sants (on y rencontre beaucoup plus les parents des élèves qui réussissent que l’inverse). Nous sommes

loin de la réalisation du concept de coéducation ou d’éducation partagée réclamés par les associations

de parents d’élèves. C’est dommage, les signes avant-coureurs de dysfonctionnements préjudiciables à

une bonne scolarité seraient mieux cernés et surtout plus vite. Par exemple, l’avis des infirmières quand

elles sont présentes dans les établissements secondaires est rarement requis. Or elles possèdent des

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connaissances plus fines qui peuvent éclairer l’a priori porté hâtivement sur l’élève qui fréquente l’infir-

merie : « élève simulateur et paresseux ». Pourquoi paresseux ? Ce qualificatif commode qui renvoie

l’explication à la « nature » du jeune est l’une des façons d’externaliser l’échec de l’enseignement en re-

jetant la responsabilité sur l’élève voire sur le milieu social, sans rechercher de considérations plus fines

pouvant expliquer la situation.

Faire confiance c’est déjouer les pièges du raisonnement analogique qui nous ramène au déjà connu

alors que le raisonnement par différence ouvre, agrandit le champ des possibles. Ainsi chaque enfant,

(toutes choses égales par ailleurs : milieu social, attention des parents, santé etc..), est unique dans son

développement et chaque enseignant le sait quand il a eu à travailler avec les membres d’une même fra-

trie. Cependant dans notre système éducatif règne le mirage de l’uniformisation et parce que nous sa-

vons par ailleurs qu’un redoublement en CP (sauf raison grave de santé) équivaut en terme d’avenir sco-

laire à une chance sur 20 d’obtenir le bac ultérieurement, nous doutons déjà du pouvoir pédagogique à

modifier radicalement ce qui apparaît statistiquement comme un véritable destin et nous nous inscri-

vons alors volontiers dans les pas de Bourdieu.

Or cette démarche méconnaît le fonctionnement du cerveau humain et ne s’interroge pas sur ce que

nous devons et pouvons attendre du cerveau d’un enfant qui selon les scientifiques semble toujours en

construction jusqu’à l’âge de 20 ans ! Les recherches en cours sur le cerveau ainsi que sur sa plasticité

continuent à nous étonner quant à son fonctionnement. Une équipe de l’Inserm de Lyon vient à l’occa-

sion de recherches sur l’épilepsie de mettre en évidence la communication des zones impliquées du cer-

veau dans l’action de lecture. La lecture mobilise de nombreux neurones dans des aires éloignées du cer-

veau, les unes, dans la région frontale, impliquées dans le simple déchiffrage des mots, les autres tempo-

rales, impliquées dans la compréhension du sens des mots. Il n’est donc pas très étonnant que ce proces-

sus complexe de lecture présente des résultats si contrastés chez les enfants et même fragiles sur le long

terme chez des adultes.

Plus simplement, il y a une décennie déjà, lors des travaux que nous avons au CESE effectués pour les

avis du conseil « Favoriser la réussite scolaire » et « Contribution à la loi d’orientation sur l’avenir de

l’école » nous avions entendu en audition M. Jean- Marc Monteil, professeur des universités, spécialisé

dans les sciences cognitives. Il nous a décrit un phénomène simple à l’œuvre dans les comportements

quotidiens qu’il appelle la « la familiarisation »

Plus les éléments nouveaux à appréhender sont nombreux, plus les signes sont nombreux, plus l’atten-

tion de la personne se disperse sur ces éléments. Inversement, plus les éléments sont déjà familiers, plus

la potentialité d’attention se focalise vite sur l’essentiel. Ceci rend compte en partie de la

« lenteur » constatée dans le travail de certains élèves au moment de l’entrée à l’école puis au collège et

ensuite au lycée, lenteur qui peut amorcer l’effet de rupture que l’on connaît. En Finlande d’ailleurs les

enfants restent avec bénéfice, dans le même établissement au long de leur parcours scolaire. Cette expli-

cation peut aussi éclairer en partie la réussite plus marquée des enfants de professeurs qui baignant de-

puis la petite enfance dans un contexte familial scolaire, s’adaptent presque « naturellement ». Il serait

bon de s’intéresser davantage aux neurosciences et aux sciences cognitives pour aller au-delà de la psy-

chologie élémentaire notamment dans la formation des enseignants.

Nous ne sommes pas sûrs actuellement de pouvoir répondre à la question : que peut-on raisonnable-

ment attendre de tout enfant à tel ou tel âge ? Au regard de la difficulté ? Au regard de la lourdeur des

programmes ? En fonction de notre expérience d’adulte, combien de temps d’attention soutenue pou-

vons-nous demander raisonnablement à un élève, combien d’heures assis sans bouger ? Certes nous

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avons démocratisé l’école en ouvrant le second degré, mais par un effet de structures sans changer pro-

fondément la lourdeur ni l’équilibre dans des contenus juxtaposés, ni les méthodes pour les aborder.

Enfin une relation de confiance entre un enseignant et ses élèves se construit. D’emblée il faut énoncer

le principe fondamental, le respect réciproque, qui doit régir la communauté sans aucune concession sur

ce point. Montrer plutôt que l’enseignant et la classe forme une équipe d’individus nécessairement soli-

daires pendant le temps des cours et qui pourront ensemble surmonter les difficultés et vivre au moins

pendant l’année scolaire dans des relations respectueuses des différences. Commencer par la présenta-

tion transparente du parcours aux élèves, des objectifs - où l’on va, comment on y va et annoncer la mé-

thode. Indiquer clairement la disponibilité de l’enseignant hors horaire scolaire et les moyens effectifs de

le joindre pour qu’il puisse conseiller et rectifier en cas de besoin.

Préférer la création de groupes de besoins à géométrie variable dans le temps, plus affinés dans le dia-

gnostic que les groupes de niveaux qui, réintroduisant une hiérarchie, induisent le jugement des pairs.

Avec l’aide aux devoirs nous abordons un point essentiel de la pédagogie qui devrait être régie par un

principe simple : les prescripteurs des devoirs sont les enseignants, il est donc de leur responsabilité d’en

assurer l’efficacité sans externaliser cette responsabilité à des soutiens familiaux ou à des organismes de

soutien scolaire. Quand on considère la réussite d’Acadomia au regard de sa cotation en bourse, on me-

sure l’étendue du problème des devoirs dans la nation ! Dans le second degré (les devoirs étant théori-

quement interdits dans le primaire), l’aide à distance par ordinateur est extrêmement efficace car les

jeunes sont familiarisés à son utilisation soit chez eux soit dans l’établissement et pas seulement pour se

mettre en scène sur Facebook ! Plutôt que de vilipender la propension des jeunes à se surinvestir dans

ces médias, il est plus habile d’en détourner la pratique à des fins pédagogiques en partant d’un constat

positif. Depuis l’utilisation du SMS les élèves se sont réhabitués à communiquer par écrit. L’aide aux de-

voirs peut donc s’effectuer par ordinateur, les questions simples des élèves peuvent arriver par SMS. Au-

tre gain quand ils s’adressent aux professeurs, les jeunes abandonnent leur code de transcription phoné-

tique des mots pour le code orthographique ! L’enseignant peut les aider à chercher. L’ordinateur est

une banque de données encore faut-il apprendre aux élèves à chercher et sélectionner les données ! Là

encore plutôt que de vilipender le recours au plagiat, de stigmatiser le coupé/ collé, mieux vaut recon-

naître dans un premier temps que, ce faisant, ils ont au moins fait preuve de compétence dans ce qu’il

fallait chercher et sélectionner ! Il faut alors dans un deuxième temps travailler avec eux sur l’appropria-

tion des idées par la reformulation personnelle.

Corollairement, il faut savoir faire rire les élèves, l’école peut et doit être heureuse. Le rire, s’il n’est pas

provoqué par la moquerie vexatoire totalement contreproductive, est libérateur et bénéfique pour la

bonne santé de la classe : il diminue les tensions, repose le cerveau, segmente l’effort et génère l’aptitu-

de à poursuivre le travail. Le rire libère des endorphines qui accompagnent de façon dynamique l’effort

et donnent envie de continuer. L’école peut et doit être heureuse !

Rassurer sur l’évaluation, et dédramatiser le statut de l’erreur : pas de contrôles à l’improviste ou de

questions pièges dans les contrôles. Insister en outre sur le fait que l’erreur participe de la production

intellectuelle, c’est un processus normal et fructueux même dans le domaine de la recherche scientifi-

que. On apprend de ses erreurs, elles contribuent à l’évaluation formative. Quand un élève conteste la

justice d’une notation qui lui a été attribuée, au lieu d’avoir recours à l’autorité de l’erreur, il est plus

profitable d’inverser le processus et de saisir l’occasion de l’obliger à argumenter lui-même sur le fond

de son erreur pour prouver qu’il aurait raison.

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Corollairement, faire évaluer par les élèves les cours dispensés quant à la répartition de la charge de

travail, au rythme suivi, à la clarté des explications, à l’intérêt et à la difficulté des sujets, à la nécessité de

revenir sur certains points déjà abordés. Cette méthode outre qu’elle aide l’enseignant à construire un

cours, comporte aussi un résultat implicite celui de susciter chez les élèves, distanciation et confiance en

leurs propres capacités de jugement.et d’amorcer une évaluation formative. Cela ne s’institue pas facile-

ment car les élèves se méfient plus encore de cette proposition d’évaluation (par crainte de vexer le pro-

fesseur et de la possible rétorsion conséquente), que de leur auto-évaluation redoutée par peur de mon-

trer leurs faiblesses ! L’évaluation est un vrai problème français qui a été pointé lors d’une précédente

enquête PISA. Il en ressortait qu’une des particularités notables des jeunes français était qu’ils préfé-

raient s’abstenir de répondre à une question du test et perdre d’emblée le point plutôt que de prendre

le risque d’une réponse erronée !

Tout ceci bien sûr s’inscrit dans une perspective résolument persuadée qu’il faut mettre les « jeunes au

centre ». Ils sont certes au centre de la parole des adultes : sociologues, psychologues, enseignants, pa-

rents etc…? Tous les adultes parlent des jeunes et parlent sur les jeunes mais la plupart du temps sans

les jeunes ! Les jeunes sont « objets d’études », et ne deviennent « sujets » que pour porter la responsa-

bilité de leur échec. L’école continue à être construite par les adultes pour les adultes. L’exemple des

rythmes scolaires est révélateur. On sait depuis longtemps qu’il vaut mieux étaler davantage les heures

de cours dans la semaine. Quelle réponse est apportée ? Concentration possible sur quatre jours de

classe pour libérer le week-end des adultes ? Certes l’avis des jeunes est sollicité dans diverses instan-

ces, (le parlement des enfants, les conseils de vie lycéens, collégiens, les conseils municipaux d’en-

fants…). S’ils sont écoutés, sont-ils véritablement entendus avec des résultats tangibles dans la prati-

que ?

Quand Ils disent que les programmes sont trop lourds, l’effort mal réparti dans la semaine de travail et

qu’ils s’ennuient à l’école, nous trouvons cela normal. Nous aussi on s’ennuyait ! Preuve par soi ! S’ils

disent qu’ils sont contents : on ne cherche pas plus loin. On ne se demande pas pour quelles raisons ils

sont contents ? Peut-être parce qu’ils constituent avec leurs congénères une cité dans la cité établisse-

ment ? Ils mènent toute une vie sociale secrète qui nous échappe, celle qui leur permet de supporter les

contraintes de l’école et les rend heureux pour des raisons bien extérieures au savoir !

Faire confiance, c’est aussi privilégier le travail collaboratif de co-construction sur un espace éducatif

local autrement dit apprendre à travailler collectivement avec des personnes pour lesquelles nous n’a-

vons pas forcément de sympathie, pas forcément la même culture, pas le même profession etc…car la

confrontation engendre une autre démarche plus enrichissante et productive que celle construite sur

une relation d’affinités réductrice par rapport à l’éventail des possibles. Nous touchons là à l’enjeu du

travail commun, enseignants, personnels d’éducation, parents d’élèves, associations, établissements et

collectivités territoriales (et peut-être quelques jeunes ?). Ce travail collaboratif nécessaire, formalisé et

réalisé au travers des projets éducatifs territoriaux doit être développé davantage. Fondamentalement

il s’agit de décloisonner l’école qui se vit encore sur le mode de la forteresse contraignante, de réaffirmer

que l’éducation est l’affaire de tous, enfin de pratiquer une véritable coéducation dans une configuration

démocratique de pouvoir partagé ainsi que citoyenne de participation active à la collectivité.

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RECONSTRUIRE LA CONFIANCE, SORTIR DE LA SPIRALE DE LA

DÉFIANCE. LE RÔLE DU TERRITOIRE

Bernard Toulemonde, Inspecteur général de l’Education nationale honoraire

___________________________

I l est vrai que la méfiance est partout et une enquête récente du Monde le démontre1. Le poids de

l’Histoire de notre société dans toutes ses dimensions est à cet égard déterminant. Mais des évolu-

tions sont aussi à l’œuvre, la décentralisation est en marche et nous voudrions montrer qu’en ce qui

concerne le système éducatif, la reconstruction de la confiance passe par les territoires 2.

I. Les poids de l’Histoire

En réalité, c’est notre système social, administratif et politique qui est fondé sur la suspicion et la défian-

ce. Une suspicion qui puise ses racines dans notre Histoire, qui est en quelque sorte constitutive de la

France, de longue durée, une culture profonde, comme le disait hier Philippe Joutard.

A cet égard, il est bien vrai que la Révolution ne marque pas une vraie rupture entre l’Ancien Régime, le

bonapartisme et la République. Après le coup d’Etat du 18 brumaire, Bonaparte prépare une Constitu-

tion dont il souhaite qu’elle soit « courte et obscure ». C’est tout dire, et pour que les choses soient clai-

res, il s’inspire de l’abbé Siéyès qui lui souffle que « l’autorité vient d’en haut et la confiance d’en bas »,

avec le fameux système des « listes de confiance » successives pour la désignation des assemblées… Ain-

si, on peut accoler ces deux mots contradictoires : « la confiance règne » ! Par la suite, ne l’oublions pas,

la France, au travers de ses différents régimes, s’est plus d’une fois donnée à un sauveur, a ponctué sa

vie politique de « plébiscites » et depuis 1958, la V° République a institué un « monarque républicain »,

un « hyper-président » a-t-on pu dire récemment…

Le système administratif n’a pas été mis en place sur une autre base, bien au contraire. Celui-ci repose

initialement sur la loi de Pluviose an VIII : un quadrillage du territoire par des préfets tout puissants, as-

sistés par des services de l’Etat devenus au fil du temps omniprésents (directions départementales de

l’équipement, etc.), muselant les collectivités locales (le préfet est l’exécutif du conseil général), tout cela

jusqu’au début des années 1980…

Le système éducatif est lui-même un modèle du genre. Sur la plan institutionnel d’abord : En 1806/1808,

un système purement napoléonien est institué avec ses trois grandes caractéristiques : étatique (les col-

lectivités n’y ont aucune place, sauf pour l’école primaire), centralisé (tout se décide au sommet) et auto-

nome (par rapport à tous les pouvoirs extérieurs, y compris les préfets). La machinerie administrative

exécute les décisions du « Grand Maître », les recteurs « gouvernent » leur académie, inspecteurs et

chefs d’établissement appliquent les instructions. En 1896, on crée une université par académie

(jusqu’alors il n’y avait que des facultés isolées), mais on a tellement peur qu’elle prenne de l’autonomie

que la loi confie au recteur, fonctionnaire d’autorité, la présidence du conseil de l’université (partout

dans le monde, le terme de recteur désigne le président de l’université dont il est l’élu). Un modèle ad-

29

ministratif d’une exceptionnelle durée qui a marqué et marque encore les esprits, même si depuis 1968

certains progrès ont été accomplis. Sur le plan pédagogique aussi, le modèle est un modèle ecclésiasti-

que, qui puise son origine dans les institutions d’Eglise du Moyen-Age : du haut de sa chaire, le maître

dispense ses enseignements (« ex cathera »). A la différence des protestants qui lisent directement la

Bible, les catholiques attendent l’interprétation qui en est donnée par les clercs…Il est curieux de consta-

ter que si les « chaires » ont été supprimées dans les universités en 1968, dans l’enseignement secondai-

re on s’y réfère encore (professeur de « chaire supérieure », heure de « première chaire »….). Là encore,

si les pratiques pédagogiques ont évolué, elles restent marquées par ce passé : par exemple, le statut de

« l’erreur » (au détriment de la réussite) dans les évaluations ou la préférence des élèves pour le silence

(plutôt que de donner une réponse dont ils ne sont pas sûrs), relevés par l’enquête PISA comme des sin-

gularités françaises en témoignent…

Cette profonde méfiance à l’égard de « la France d’en bas » vaut aussi alentours. IL est bien connu que

l’école républicaine de la fin du XIX° siècle s’est construite comme une « principauté indépendante »,

contre tout ce qui l’entourait : contre l’Eglise catholique certes, mais aussi contre les parents (illettrés et

de surcroit, pour les mères, catholiques…), contre le monde économique (l’apprentissage) et contre les

élus locaux. Sur ce dernier point, la loi Falloux de 1850 (dernière tentative des conservateurs pour do-

mestiquer l’enseignement public, avec ses petits recteurs, sa soumission aux préfets, aux notables et aux

évêques), qui n’a pas duré 4 ans, est restée un cruel souvenir (10 000 instituteurs révoqués) et l’école

n’aura de cesse de se libérer des élus locaux : cette libération est accomplie lorsque, en 1889, les institu-

teurs obtiennent le statut de fonctionnaires de l’Etat (et leur gestion assurée exclusivement par l’éduca-

tion nationale en 1944). L’école « sanctuaire » marque encore les esprits, et les débats actuels, par

exemple, sur les rythmes scolaires et les activités éducatives organisées par les communes, en sont une

illustration. De même, les transferts de compétences aux régions et aux départements au fur et à mesure

des actes I, II et III de la décentralisation suscitent d’emblée l’hostilité au sein des personnels de l’éduca-

tion (exemple récent : les services d’orientation) ; de même pour toute avancée dans le domaine des

droits des parents (ex : en matière de décisions d’orientation, le projet de loi Peillon remettait ce droit

aux parents, mais le texte final ne l’accorde qu’à titre expérimental dans quelques établissements).

La méfiance est tellement ancrée dans les esprits que les « sujets » veulent parfois le rester ! Le thème

de l’autonomie illustre cette attitude : lorsqu’il s’est agi de confier aux lycées le soin de décider eux-

mêmes des « demi-groupes », la principale organisation syndicale s’est élevée contre l’autonomie ainsi

accordée ; de même, tout récemment, elle a rejeté toute idée de « curriculum » qui laisserait une liberté

de choix aux équipes pédagogiques quant aux rythmes d’apprentissages à l’intérieur d’un cycle…Ne par-

lons pas du crédit accordé par les universitaires aux masters qu’ils délivrent puisque certains d’entre eux

veulent évaluer à nouveau le niveau des connaissances des candidats, titulaires d’un master, aux

concours (CAPES…), plutôt que de jauger leurs qualités professionnelles.

Enfin, il est un phénomène que les chefs d’établissement connaissent bien : la méfiance des enseignants

à leur égard, puisqu’ils ont quitté les fonctions pédagogiques pour embrasser des fonctions

« administratives »…

Et pourtant, les choses changent çà et là, la confiance nait, renait par ci par là : dans les relations des ser-

vices académiques avec les établissements autour d’un vrai projet académique ; au sein des établisse-

ments scolaires, entre le chef et les personnels grâce à un conseil pédagogique performant ; entre les

enseignants et les élèves, à l’occasion d’enseignements, des TPE ou de l’ECJS ; avec les collectivités terri-

toriales et nous allons centrer notre analyse sur cette relation.

30

II. Des évolutions majeures au niveau local

Ce qui se joue depuis une trentaine d’années, ce sont de petites révolutions qui donnent des marges de

liberté au niveau local (qui n’est plus un simple exécutant) et posent les bases d’un nouveau système de

gouvernance au niveau territorial. Ces petites révolutions sont bien connues3 : ce sont les mouvements

de décentralisation territoriale, de déconcentration et d’autonomie des établissements scolaires qui ont

été entrepris depuis le début des années 1980. Si les deux premiers sont d’incontestables succès, le troi-

sième reste à construire tant l’autonomie des EPLE reste dans notre pays balbutiante…

En ce qui concerne la décentralisation, qui nous occupe ici, on peut noter trois faits saillants :

1. Une pénétration croissante des collectivités territoriales au sein des lycées et collèges : le mouve-

ment s’est accéléré de l’acte I (1983/1985) à l’acte II (2004). Alors que les collectivités avaient pour l’es-

sentiel reçu des obligations financières concernant les bâtiments, l’équipement et le fonctionnement

(« la plomberie et le chauffage », résumaient amèrement certains parlementaires), en 2004 elles recueil-

lent des missions de service public (accueil, restauration et hébergement, entretien général et techni-

que), avec les personnels qui les assument ; elles deviennent ainsi les « autorités organisatrices » de ser-

vices publics qui sont assurés au sein des établissements. Et pour faire bonne mesure, les collectivités

interviennent spontanément, au-delà de leurs obligations, dans quantités de domaines (aides sociales,

manuels, sport, culture…), y compris des domaines qui accompagnent la pédagogie (CDI, langues…) et en

particulier dans le domaine des nouvelles technologies, à tel point que l’acte III (loi Peillon) leur transfère

le « numérique » (équipement et maintenance).

Cette pénétration croissante a quatre conséquences :

une amélioration incontestable du cadre de travail des élèves et des professeurs et de la situation

des TOS ;

un travail en commun, un apprivoisement réciproque (la méfiance tend à s’estomper), même si

se produisent des incidents de frontière, des escarmouches sur divers sujets ;

une part de financement croissante des collectivités (25% de la Dépense intérieure d’éducation)

qui, de ce fait, veulent avoir leur mot à dire et ne plus se contenter de financer en silence…

une porosité de la frontière pédagogie (réservée aux pédagogues)/questions matérielles, frontiè-

re qui n’est plus infranchissable.

2. La mise en place d’un système de double commandement des établissements et du système éducatif

Les établissements connaissent désormais une double tutelle, d’ordre juridique, sur leurs actes et sur

leur budget. Les chefs d’établissement connaissent aussi une double hiérarchie : à côté de la hiérarchie

traditionnelle exercée par les autorités académiques, les présidents des collectivités s’adressent directe-

ment aux chefs d’établissement, leur fixent des objectifs que ceux-ci doivent mettre en œuvre et dont ils

doivent rendre compte (art.L.421-23 II du code de l’éducation), et cette voie véhicule de plus en plus

d’instructions (achats, économies d’énergie, fonds de roulement, contenu de l’assiette, etc…).

Au niveau du système, les collectivités et, parmi elles, la Région disposent de pouvoirs d’orientation de

plus en plus développés : schéma prévisionnel des formations, CPRDF et carte des formations profession-

nelles, orientation, numérique, décrochage scolaire, schéma de l’enseignement supérieur et de la recher-

che, etc…Les compétences de pilotage sont désormais partagées avec les autorités académiques,

contraintes de travailler avec les collectivités locales, et, comme l’indiquent des responsables des Ré-

gions et des Départements, c’est une « co-éducation » qui s’installe peu à peu 4.

31

3. La régionalisation

On assiste à une montée en puissance rapide et inexorable du niveau régional dans notre pays, où elle

constitue un profond bouleversement de la tradition (alors que le pays a été fondé, dès la Constituante,

sur le département) et où elle suscite naturellement des résistances.

Au niveau des collectivités territoriales, une spécialisation fonctionnelle tend à s’installer : à la Région les

compétences stratégiques (aménagement du territoire, emploi, formation, enseignement et recherche),

au Département les lourdes tâches de gestion (sociales en particulier). La position de « chef de file » de

la Région s’affirme, à tel point que l’avenir du Département est discuté depuis plusieurs années, avec

une tendance, sinon à le faire disparaître, du moins à l’arrimer à la Région (comme avec la loi de 2010,

remise en cause ensuite) ou à l’effacer en zone urbaine au profit des « métropoles » (loi de 2014). La Ré-

gion est donc devenue un interlocuteur de poids face à l’Etat.

Au niveau des administrations d’Etat, l’acte essentiel a consisté à ériger le préfet de région en responsa-

ble de la conduite des politiques de l’Etat dans sa circonscription, à lui donner un pouvoir hiérarchique

sur les préfets de départements (en 2010) et à recentrer les services déconcentrés autour du préfet de

région, au détriment du préfet de département dépouillé de l’essentiel de son administration. A cet

égard, la position des services de l’éducation, organisés dès l’origine à un niveau supra-départemental,

l’académie (qui coïncide grosso modo avec les régions), est également renforcée : le décret de 2012

confie au recteur la conduite de la politique éducative et tous les pouvoirs délégués par le ministre ; il est

assisté d’une équipe académique composée d’une série d’adjoints, les DASEN (directeurs académiques

des services de l’éducation nationale dont le titre est substitué à celui d’ inspecteurs d’académie- direc-

teurs des services départementaux de l’éducation nationale).

Tout est donc en place pour qu’une nouvelle gouvernance s’installe au niveau local.

III. Comment, dans ces conditions, construire la confiance ?

Pour renouer les fils, introduire de la confiance dans les relations de ceux qui, au niveau local, concou-

rent à l’éducation des jeunes, différentes voies sont possibles. Deux semblent se dessiner, selon des mo-

dalités différentes.

1. La contractualisation : pourquoi ne pas substituer le contrat à l’injonction, à la décision unilatérale ?

Depuis la fameuse circulaire Rocard de 1989 sur la rénovation du service public, cette voie a été emprun-

tée, mais bien souvent sans les ressorts du contrat : à savoir une autonomie de la volonté des contrac-

tants et des engagements réciproques5. A cet égard, les précédents ne sont guère probants : les

« contrats d’objectifs » prévus depuis 2005 entre l’autorité académique et les établissements, lorsqu’ils

existent, se résument souvent à un ou quelques objectifs sans réelles contreparties en termes de

moyens, comme l’a montré l’Inspection générale6 ; les « conventions » entre les EPLE et la collectivité

oscillent entre le catalogue de bonnes intentions et le listing de prescriptions méticuleuses.

Or, une chance est à saisir : la loi Peillon a ouvert la possibilité de « contrats tripartites » (art.L.421-4 du

code de l’éducation) : le contrat d’objectifs peut être passé désormais entre l’EPLE, l’autorité académi-

que et la collectivité. Certes le texte n’est guère précis ni sur la méthode d’élaboration (par les trois ac-

teurs ou par deux d’entre eux ?), ni sur la source (le projet d’établissement, un diagnostic partagé ?) ni

sur le contenu (contrat d‘objectifs ou contrat d’objectifs et de moyens ?). En réalité, ce contrat sera ce

que les acteurs en feront, et pourquoi pas, çà et là, un « contrat de confiance » ? Plusieurs facteurs sont

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favorables à un « ménage à trois apaisé » : le contrat substitué aux instruments habituels de commande-

ment (tutelle, hiérarchie) ; un contrat particulier, propre à chaque établissement (ce qui impliquera un

dialogue de gestion) ; un contrat de proximité, tant il est vrai qu’il n’y a pas de relation de confiance qui

ne soit de proximité.

2. La nouvelle gouvernance : Dans l’état actuel des choses, il n’existe guère d’instances de dialogue et

de concertation entre les responsables et entre les acteurs. Pour les responsables, les relations sont

abandonnées aux personnes, à leur égo, à leurs préoccupations politiciennes, à leur caractère et par

conséquent les aléas sont trop importants pour que les relations soient harmonieuses. Pour les acteurs,

les CAEN et CDEN sont devenus des instances non pas de dialogue, mais de monologues successifs. C’est

pourquoi il importe de mettre en place des instances de dialogue et de travail en commun (il y en a qui

se sont installées spontanément, notamment avec les chefs d’établissement). Si l’on écarte le statu quo

et différents autres scénarios deux voies sont envisageables 7.

La première intègrerait dans une structure commune les responsables et les acteurs : l’établissement

public régional d’enseignement. Cette idée n’est pas nouvelle, elle a été avancée à plusieurs reprises de-

puis 2004, sans recueillir l’assentiment des responsables et des personnels de l’éducation nationale. Il

s’agit d’ériger les services académiques en établissement public, avec un conseil d‘administration

(composé des présidents des collectivités, de représentants des parents, des personnels, etc…sous la

présidence du recteur), des compétences (la politique régionale de l’éducation, la répartition des

moyens) et un budget (les emplois attribués par l’Etat, les subventions des collectivités). Cette solution

constitue un bouleversement pour des services académiques qui ont toujours été indépendants et elle

supposerait une forte volonté politique pour l’imposer, à tout le moins des solutions intermédiaires qui

la prépareraient.

C’est pourquoi, une solution « soft » parait, dans l’immédiat, plus facile à mettre en œuvre. Il s’agit des

« conférences territoriales ». La loi de 2014 sur la modernisation de l’action publique institue une nouvel-

le instance réunissant les responsables des collectivités territoriales dans chaque région : la conférence

territoriale. Cette instance ne comprend pas de représentants de l’Etat, sauf s’il s’agit de discuter de

transfert de compétences de l’Etat. Pourquoi ne pas imaginer une « conférence régionale de l’éduca-

tion » où les responsables élus et académiques définiraient le projet éducatif territorial et harmonise-

raient leur action ?

Le temps est venu de fédérer les acteurs : dans un système de compétences partagées (et même imbri-

quées !), la cohérence de l’action suppose concertation et objectifs communs. En somme nouer un ré-

seau de confiance. Est-ce utopique ? « Sans l’espérance, écrit Edgar Morin, vous ne trouverez pas l’ines-

péré » !

___________________________

1. L’extrême défiance de la société française, Le Monde 22 janvier 2014

2. Pour reprendre là aussi un titre du Monde à l’occasion d’un Colloque « Reconstruire la confiance », 19

novembre 2013

3. B.Toulemonde : La décentralisation du système éducatif, in Le système éducatif en France (sous la

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direction de Ch.Szymankiewicz), La documentation française, 4° éd. 2013 p. . « La décentralisation »,

Administration et éducation (Revue de l’AFAE), n°4, 2013

4. P.Kanner, président du CG du Nord : » Nous ne sommes pas que des fournisseurs de beaux collèges et de repas, nous sommes aussi co-éducateurs » (AEF, 6 septembre 2013). « Osons la pédagogie dans nos politiques éducatives locales », Thème du congrès 2013 de l’ANDEV (association des directeurs de l’éducation des villes).

5. Code civil, art.1101 : « Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obli-gent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire, ou à ne pas faire quelque chose ».

6. « Les contrats d’objectifs conclus entre les établissements scolaires et les autorités académiques », Juillet 2009

7. Alain Bouvier : « Décentralisation et gouvernance académique », Administration et éducation, n°4/2013, déjà cité, p.17.

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CONSTRUIRE UNE ÉCOLE INCLUSIVE, JUSTE ET EXIGEANTE.

LE RÔLE DES SITUATIONS ET DES ACTEURS SUR LES APPRENTIS-SAGES.

Marie- Christine TOCZEK, Enseignant Chercheur, ESPE Clermont, Laboratoire ACTÉ

Transcription de Benoît BECQUART , E&D

___________________________

E n répondant positivement à l’invitation d’Education & Devenir à participer à son colloque national « Faire confiance : une nécessité pour l’école et ses acteurs », Marie-Christine Toczek a apporté aux

participants le regard de la psychologie sociale sur cette problématique.

Ses travaux ont pour objectif d’étudier les processus d’action des enseignants en adoptant une visée pré-dictive. Ils cherchent à mettre en évidence les facteurs jouant le rôle de déterminants des apprentissages des élèves, et répondent, d’une certaine manière à des constats déjà anciens :

« Pour que soient favorisés les plus favorisés et défavorisés les plus défavorisés, il faut et il suffit que l’éco-le ignore dans le contenu de l’enseignement transmis, dans les méthodes et les techniques de transmis-sion et dans les critères de jugement, les inégalités culturelles entre les enfants des différentes classes so-ciales : autrement dit, en traitant tous les enseignés, aussi inégaux soient-ils en fait, comme égaux en droits et en devoirs, le système scolaire est conduit à donner en fait sa sanction aux inégalités initiales devant la culture » (Bourdieu 1966, pp. 336-337). »

Mue par ce souci d’équité, Marie Christine Toczek étudie les caractéristiques psychosociales des situa-tions d’enseignement les plus favorables aux acquisitions des élèves. « En somme, en matière d’éduca-tion, l’exigence de justice devrait se traduire par un souci d’équité permanent. Puisque certains dispositifs pédagogiques sont susceptibles de créer, d’augmenter ou de réduire les différences entre les élèves, il pa-rait indispensable d’identifier l’impact réel des situations et des acteurs en présence sur les performances ou sur les apprentissages des élèves. » (Note de synthgèse HDR – MARIE CHRISTINE TOCZEK p20)

Au travers d’un exposé passionnant, M. C. Toczek nous a invités à ne pas considérer les processus cogni-tifs impliqués dans les processus d’apprentissage indépendamment de leurs conditions sociales d’élabo-ration. Il semble, en effet, que les élèves, dès leur plus jeune âge, apprennent à être préoccupés par la valeur sociale qu’ils vont devoir montrer au sein de la classe et à leurs parents. L’intégration des différen-tes expériences vécues de réussites et d’échecs vont progressivement structurer la dimension cognitive du soi. Le concept de soi serait profondément enraciné dans l’image que les autres renvoient à l’individu apprenant qu’est l’élève. Ainsi, les réactions des autres fournissent un feed-back, et s’intériorisent pro-gressivement pour structurer ce soi. Nous sommes ce que les autres nous montrent de nous même. Evi-demment, l’enseignant est une source privilégiée lors de cette construction.

Qu’il s’agisse des besoins physiologiques, du besoin de sécurité, d’appartenance, d’estime ou d’accom-plissement personnel (selon le modèle de Maslow), chaque individu cherche à préserver chacun de ses besoins fondamentaux.

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Or, par définition, l’acte d’apprendre est une menace potentielle pour l’estime de soi. En cas de diffi-culté, l’individu met en œuvre des stratégies de protection pour garantir une perception de ses compé-tences, comme une représentation de soi auprès des autres, toutes deux positives.

Ces conduites auto-protectrices sont inconscientes, sans effet lorsqu’elles sont sporadiques, dangereu-ses lorsqu’elles deviennent régulières.

Parmi elles, MC Tocezk propose une liste :

Le biais d’auto-complaisance : éviter de s’attribuer la responsabilité de son échec, et ne s’attri-buer que celle des réussites. Cette attitude a des conséquences désastreuses sur la motivation de l’élève (cf. les travaux de Roland Viau)

L’auto-handicap : se créer des obstacles sur le chemin de la performance permet de justifier plus facilement une non-réussite.

L’attribution au génie : une réussite justifiée par des compétences hors du commun de l’autre protège bien l’estime de soi de celui qui constate ses mauvais résultats.

La comparaison favorable : tous les élèves connaissent et utilisent fort bien la stratégie qui consiste à se comparer de manière favorable, c'est-à-dire à un camarade moins bien loti que soi.

Ne plus accorder d’importance aux disciplines scolaires menaçantes pour son estime de soi.

Chercher à être respecté par et pour son échec. L’essentiel pour ces élèves serait alors d’être res-pectés par les autres membres du groupe.

Si ces conduites s’avèrent redoutablement efficaces et protègent efficacement l’estime de soi des élèves, elles font également considérablement obstacle aux processus d’apprentissages.

Au-delà des constats et des résultats des recherches effectuées concernant le rôle des situations ou des acteurs sur les performances, les travaux de Marie Christine Toczek sont d’une incroyable actualité. Ils nous invitent à mettre les pratiques pédagogiques au cœur de notre réflexion et à identifier ce qui, dans chacune de nos classes, contribue à accroître les inégalités plutôt que de les compenser.

Car, se donner comme ambition de créer une école juste pour tous et exigeante pour chacun, reconnaî-tre par et dans la loi le principe d'une École inclusive, imposent que l’on puisse identifier et mettre en œuvre des pratiques pédagogiques adaptées.

Quelles pistes d’action ?

Certaines stratégies didactiques connues semblent par nature plus inclusives que d’autres et seraient propices à la prise en compte de la diversité des besoins des élèves. La lecture de différentes publica-tions mises en lien ci-dessous laisse transparaître des points de convergence complétant avec pertinence les pistes d’action suggérées par Mme Toczek. Ainsi, voit-on (ré)apparaître des pratiques et des disposi-tifs connus : « On peut tout d’abord mentionner quelques grands pédagogues précurseurs, tels Montesso-ri, Decroly, Freinet qui se sont attachés à l’élaboration de méthodes dites « nouvelles » qui soient profita-bles à tous les élèves et favorisent leur développement tant social que cognitif. Ils les ont expérimentés dans divers contextes, aussi bien avec des enfants valides qu’avec des élèves présentant un handicap et défendent l’idée de l’existence d’une seule pédagogie, valable pour tous les enfants. [2] » Et n’oublions pas d’ajouter à cette liste de pédagogues, le nom de Fernand Oury et la Pédagogie Institutionnelle.

Inclusion, didactique et processus d’apprentissage

Selon Brigitte Belmont (dans l’article Intégration, inclusion et pédagogie), deux axes de recherche se dis-tinguent concernant les orientations pédagogiques :

La différenciation pédagogique : Projets individuels, prise en compte du développement des com-

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pétences de chacun, parcours individualisés, mise en place des cycles, groupe homogène, hétéro-gènes, groupe classe, groupe multi-âge, personnalisation…

Une approche pédagogique centrée sur les processus d’apprentissage : interaction, hétérogénéi-té, autoévaluation, métacognition, sens des apprentissages et des situations, coopération tutorat, initiative et réflexion active.

Loin d’être anecdotique et commun, ce dernier point me semble fondamental car il pose la question de la valeur et de l’efficacité des pratiques professionnelles, de nos choix didactiques et pédagogiques. De la responsabilité de ce qui se passe en classe dans la construction de l’iniquité scolaire. Il nous invite à met-tre la question des processus d’apprentissage au cœur de notre métier d’enseignant.

But de performance ou but de maîtrise ?

Il est des pratiques (dont la pédagogie de la bonne réponse [3]) qui prennent soin de ne pas permettre aux élèves les plus fragiles, les plus différents, d’entrer dans un processus d’apprentissage. Comme est-ce possible ?

Les travaux de Marie Christine Toczek convergent avec des ressources diffusées par ailleurs (DGESCO, R VIAU, A GUERRIEN) pour caractériser quelques invariants à propos des élèves en réussite ou en difficulté.

Il semble que l'élève en réussite : penserait qu'il faut écouter, comprendre et réfléchir ferait la distinction entre exercices et objets d'apprentissage pourrait préciser ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas s’autodéterminerait : attribue ses performances à des facteurs internes.

Quant à l'élève en difficulté :

Il aurait tendance à se focaliser sur les règles et les rituels, à s'en remettre entièrement à l'ensei-gnant qu'il désigne comme « celui qui apprend », qui dit ce qu'il faut faire.

Il penserait que réussir c’est « trouver la bonne réponse » aux exercices. Il serait enclin à attribuer à des facteurs externes ses réussites comme ses difficultés et erreurs Il préférerait « ne pas faire » plutôt que de montrer qu’il a échoué, et ne ferait que ce qu’il est cer-

tain de réussir. Il ne saurait pas gérer son activité : ne pas savoir comment planifier, ne pas savoir réguler, utiliser

des stratégies stéréotypées, ne pas savoir évaluer ses performances ...

En outre, Marie Christine Toczek met en évidence le rôle négatif de la réputation d’infériorité sur l’esti-me de soi, donc sur les apprentissages. Si cet élément exige de tous les adultes d’agir avec éthique en portant sur chacun un regard positif et ambitieux, il nécessite de réussir à trouver des pratiques pédago-giques qui incarnent, au delà du seul discours, le principe d’éducabilité.

Les populations d’élèves victimes de cette réputation d’infériorité, parce qu’en quête d’une reconnais-sance, seraient notamment davantage enclines à adopter une représentation de l’intelligence stable. Celle-ci les amènerait à se focaliser sur un but de performance pendant que l’élève en réussite se centre-rait sur un but de maîtrise. Avec une pression évaluative plus forte, ces élèves échapperaient ainsi davan-tage aux apprentissages.

N’ayant rien à prouver, les élèves non sujets à cette réputation d’infériorité et ayant construit une estime de soi positive peuvent plus facilement concentrer leur attention sur la valeur de vérité des propositions, sur l’analyse et la compréhension des procédures et se décentrer de la pression des « bonnes réponses » à trouver pour mener une activité métacognitive favorable aux apprentissages.

D’abord mise en œuvre avec l’intention d’aider et d’accompagner les élèves, la pédagogie de la bonne réponse tend alors à inscrire durablement les élèves déjà centrés sur un but de performance dans leur

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rapport faussé aux apprentissages et à l’école.

Il paraît au contraire essentiel de valoriser dans nos classes les pratiques pédagogiques qui :

permettent aux élèves de se sentir compétents, luttent contre les sentiments d’infériorité, soient non menaçantes, aident les élèves à se fixer des buts de maîtrise et non des buts de performance, aident les élèves à apprendre à expliquer leurs comportements, engagent l’élève dans une réflexion sur ses procédures, son travail, ses efforts et développent

l’autodétermination.

Des pratiques pédagogiques au service de l’autodétermination

Si apprendre est à considérer comme une modification réussie des représentations du réel et des moda-lités d’appréhension et d’interprétation de celui-ci, comment prétendre aider les élèves à apprendre sans se donner les moyens de les intégrer. Lorsque, à propos des représentations, A.GIORDAN exprime l’idée qu’il faut « faire avec pour aller contre », c’est bien la notion d’obstacle qui est sous-jacente, et en particulier son caractère ambigu.

Les obstacles sont les structures cognitives qui résistent à l’apprentissage tout en permettant à l’individu de se construire une vision du monde qui le satisfasse. Reprenant les théories de Bachelard, M. Fabre définit l’obstacle par l’existence de six caractéristiques :

1. L’intériorité de l’obstacle : il est la conséquence même de l’acte de penser.

2. La facilité de l’obstacle : notre cerveau cherche la facilité et préfère la pensée naturelle à la pensée rationnelle, bien moins confortable pour l’esprit.

3. La positivité de l’obstacle : l’esprit a tendance à s’en tenir à ce qui lui convient. Il est en effet plus facile et confortable de traiter le réel grâce à un paradigme dogmatique qui nous permet de défor-mer la réalité afin qu’elle demeure conforme à notre vision du monde particulière. Le cerveau se complait du sens commun qui s’oppose aux traitements rationnels des faits.

4. l’ambiguïté de l’obstacle : il empêche la construction de connaissances mais peut en même temps être utile à la compréhension selon la situation.

5. La polymorphie de l’obstacle : « il ne se limite pas au domaine rationnel, mais pousse des ramifica-tions au plan affectif, émotif, mythique ». En d’autres termes, il empêche aussi le sujet d’appren-dre parce que cet acte le conduirait à une remise en question des pensées de celui-ci. En effet, surmonter un obstacle c’est souvent passer d’une vision du monde confortable à une autre. Et ce passage a souvent un coût en termes de sécurité affective.

6. La récursivité de l’obstacle : l’obstacle ne peut être identifié qu’à partir du moment où il a été franchi et où le sujet est capable de comprendre ses erreurs. Le sujet peut donc commettre indéfi-niment les mêmes erreurs sans pour autant s’en apercevoir.

Olivier HOUDE ne dit rien d’autre lorsqu’il affirme [4] « Penser c’est refuser » « Penser, c’est penser contre les autres, contre soi-même » « Penser, c’est rechercher la vérité contre ses croyances » *…+ Ap-prendre, pour un enfant, consiste à a développer des stratégies d’inhibition, à résister à ce qui remonte « naturellement » en mémoire, à avoir une attitude réflexive par rapport à ce qu’il croit logique »

Si apprendre peut se définir comme les processus qui permettent à l’individu de cheminer vers une mo-dification de ses conceptions du réel, alors il est tout à fait évident que nous (enseignants, pédagogues) devons préférer, défendre et valoriser les dispositifs pédagogiques qui sont en mesure d’accueillir les représentations des élèves, et de « leur donner droit de cité ». « Il reste à travailler à partir des concep-tions des élèves, à entrer en dialogue avec elles, à les faire évoluer pour les rapprocher des savoirs sa-vants à enseigner. La compétence est alors essentiellement didactique. Il s’agit de prendre appui sur les

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connaissances des élèves sans s’y enfermer, de trouver un point d’entrée dans leur système cognitif, une façon optimale de les déstabiliser juste assez pour les amener à rétablir l’équilibre en incorporant des no-tions et des hypothèses nouvelles. » [5]

« Vos erreurs m’intéressent ! » disait Astolfi. Mais réussir à être et rester pédagogiquement en phase avec ce(s) principe(s) est difficile car cela induit une modification du statut de l’enseignant.

Il n’est en effet pas naturel et aisé : [6]

deretrouver le chemin de la connaissance et admettre qu’une évidence puisse résister à l’ap-prentissage,

d’accepter de renoncer aux réflexes naturels du maître qui souhaite que ses élèves réussissent car ceux-ci engendrent une pédagogie de la bonne réponse,

de donner à l’erreur toute la place qu’elle mérite à l’école. Rien ne bloque davantage un élève (et en particulier les plus fragiles (ou différents)) qu’un contrat didactique qui ne laisse pas place au droit de se tromper. Il ne suffit pas de dire son accord avec les thèses du socio- constructivisme. Il faut ensuite accepter de ne plus corriger (avec tout ce que le mot peut comporter de réducteur), pour aider à conscientiser (plus ambitieux).

derenoncer au rôle du maître pour construire celui du médiateur. Et je ne résiste pas à l’envie de citer à nouveau Ph. Perrenoud : « Ce n’est pas à l’évidence seulement une question de compéten-ce, mais d’identité et de projet personnel autant que professionnel. Cependant, tous les ensei-gnants passionnés ne donnent pas à voir leur passion, tous les enseignants curieux ne parviennent pas à rendre leur goût du savoir intelligible et contagieux. La compétence visée ici concerne donc la communication, l’établissement d’une complicité dans la quête du savoir. Cela passe par un renon-cement à défendre l’image de l’enseignant « qui sait tout », par l’acceptation ouverte de ses pro-pres errances et ignorances, par la volonté de ne pas jouer constamment la comédie de la maîtrise et de ne pas placer toujours le savoir du côté de la raison, de la préparation de l’avenir et de la ré-ussite. »

Les élèves de BEP, les élèves en difficulté ou les élèves les plus éloignés de la culture scolaire ont des conceptions qui nécessitent indiscutablement qu’on s’y attarde. Donnons-leur la parole, ouvrons des espaces de liberté de penser. Permettons et aidons les élèves à faire l’expérience de la parole sociale, du discours argumentatif et du conflit sociocognitif grâce (en particulier) à la pratique du débat.

Avec cette ambition de construire une école inclusive, juste et exigeante pour tous, il me semble impor-tant de recentrer les dispositifs pédagogiques sur les processus cognitifs et user des principes posés par les thèses de la psychologie sociale et du socio- constructivisme.

« Une seconde théorie représentant l’importance de la dimension sociale correspond à l’œuvre de Vygots-ki. Selon cet auteur, l’apprentissage est un processus avant tout social, l’individu ne devient pas social, il l’est dès la naissance. Dans cette perspective, l’apprentissage suppose une interaction du sujet apprenant avec un tiers plus avancé que lui dans la maitrise de la compétence à apprendre. Plusieurs travaux à l’heure actuelle, comme ceux de Bruner, s’inscrivent dans la lignée des travaux de Vygotski. Ils intègrent la dimension sociale aux processus d’apprentissage et suggèrent le développement de dispositifs pédago-giques qui favorisent les interactions sociales. » Note de synthèse HDR – MARIE CHRISTINE TOCZEK p17.

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RESSOURCES EN LIGNE :

Diaporama : Pratiques d'enseignement et difficulté scolaire

Synthèse de travaux de recherche, diaporamaMEN-DGESCO, septembre 2013

Livrets publiés par l’IFÉ : Livret repères et livret en classe : livret repères - livret en classe

Une pédagogie éclectique au service des élèves qui ont le plus besoin de l’école - Roland Goigoux, 2011

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Individualisation et différenciation des apprentissages—Dossier d’actualité n°40 – décembre 2008, INRP

Conférence sur la motivation en classe - Rolland Viau, from CRDP CONF

École et handicap : de la séparation à l’inclusion des enfants en situation de handicap - Dossier d’ac-tualité n°52 - Veille scientifique et technologique, INRP.

L’élève extraordinaire dans l’école ordinaire : difficultés des élèves ou difficultés de l’école ? - Dossier des cahiers pédagogiques n°459, "l’école à l’épreuve du handicap"

De l’intégration à l’inclusion,la spécificité française - éduscol ; publications : actes des séminaires et uni-versités d’été

Intégration, inclusion et pédagogie - éduscol ; publications : actes des séminaires et universités d’été

Le rapport des Inspections générales 2009, Vers une école de l’inclusion.

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[1] Cf. : § 2.1 du dossier n°52 Ecole et handicap publié par l’INRP ;

[2] Houssaye, 1994. Cité par Brigitte Belmont dans l’article : Intégration, inclusion et pédagogie.

[3] “À l’inverse, après avoir donné un temps de recherche à ses élèves, le maitre peut croire qu’il est de son devoir de remettre au plus vite les choses en place. il conçoit alors la mise en commun comme l’occa-sion privilégiée de communiquer à l’ensemble du groupe classe (enfin !) "la" bonne solution, celle qu’il a prévue depuis le début de la séance. Mais, ce faisant, il se substitue totalement aux enfants dont il dénie le travail et la parole. Il distribue les critiques et les compliments, et confond, de fait, la mise en commun avec une correction" (avec tout ce que le mot peut comporter de réducteur, voire de punitif). En imposant trop vite, ou en accueillant d’un regard trop bienveillant une procédure particulière, l’enseignant court-circuite, souvent même à son insu, l’intérêt majeur d’une mise en commun mais aussi, et ceci est certaine-ment plus grave, le travail d’élaboration de connaissances visé par la situation problème.” extrait de Ap-prentissages numériques et résolution de problèmes. Hatier. ERMEL. Partie 1, 3.1 Les mises en commun

[4] Extrait de l’article du café pédagogique intitulé : Le cerveau apprend en inhibant.

[5] Ph Perrenoud, Organiser et animer des situations d’apprentissage, 1997

[6] (re)Lire le chapitre "Nos conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement", et en particulier : Les fonctions de l’écrit, Les mises en commun, L’argumentation, les débats. Apprentissages numériques et résolution de problèmes. Hatier. ERMEL.

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LES ATELIERS

ATELIER 1 - FAIRE CONFIANCE AUX ÉLÈVES

Personnes ressources invitées

Alexandra Leyrit, Maître de conférences - Université de Saint-Etienne.

Laurent Lescouach, Maître de conférences en Sciences de l’Éducation à l’Université de

Rouen et Chercheur au laboratoire CIVIIC.

Maryan Lemoine, Maître de conférence – Francophonies, Education et Diversité, Direc-

teur du Département de Psychologie et de Sciences de l’éducation de la Faculté des Let-

tres et des Sciences Humaines. Université de Limoges.

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Alexandra Leyrit

Pourquoi et comment faire confiance ? Le bien-être des enfants est une préoccupation centrale de l’école depuis de très nombreuses années, et encore aujourd’hui (journée nationale de la réussite éducative : un moment clé pour de nouvelles pers-pectives de la politique de réussite éducative, 15 mai 2013).

Plus précisément, l’estime de soi des enfants, définie par un sentiment de valeur sur soi, est une variable sociale qui se construit particulièrement en contexte scolaire. Selon Mead (1934), l’approbation ou la désapprobation des autres est incorporée dans cette évaluation du soi. Cooley(1902) évoque les autres comme des « miroirs de soi ». L’estime de soi des enfants et des adolescents se construit ainsi à travers les évaluations des autrui significatifs (professeurs, parents et pairs).

Or, la théorie de la valorisation (Leary, 2007) tend à montrer que chaque individu agit pour préserver ou rehausser son estime de soi. Chaque individu est de ce fait amené à investir les domaines dans lesquels il peut se valoriser. Or qu’en est-il des jeunes en contexte scolaire ? Tous les élèves peuvent-ils se valoriser à l’école ? Comment l’élève va-t-il agir pour préserver son estime de soi dans un milieu où il est parfois mal évalué, et où il a connu une succession d’échecs ? Les évaluations négatives en contexte scolaire et le redoublement fonctionnent comme des éléments objectifs de valeur de soi et peuvent donc avoir des effets néfastes sur l’estime de soi des adolescents. Nous avons constaté à travers nos travaux que les jeunes utilisaient de façon inconsciente des stratégies pour préserver leur estime de soi : le (dés)engagement à l’égard du domaine scolaire qui se définit par la dévalorisation du domaine scolaire et l’auto-handicap qui se traduit en termes de comportements et qui consiste à fournir le moindre effort ou à agir négativement à l’école. Ces stratégies permettent d’amoindrir l’effet parfois néfaste du domaine scolaire sur l’estime de soi. Le fait, par exemple, de ne pas faire ses devoirs, de ne pas travailler, ou de dire que l’école ne sert à rien, pourrait être une façon pour les jeunes de préserver leur estime de soi mise en jeu à l’école, notamment à la suite de mauvaises notes successives ou d’un redoublement. Nous présentons les données d’une enquête menée auprès de 870 jeunes âgés de 14 à 17 ans. Cette étude avait pour objectif d’analyser la relation entre estime de soi et facteurs scolaires (moyenne générale dé-clarée par le jeune et redoublement), en considérant d’une part l’estime de soi scolaire et d’autre part les stratégies de protection de soi (comportements et attitudes à l’égard du domaine scolaire).

Les résultats montrent que les facteurs scolaires orientent significativement l’estime de soi scolaire alors qu’ils n’influencent pas l’estime de soi globale des jeunes. L’estime de soi scolaire augmente ainsi linéai-rement en fonction de la moyenne scolaire déclarée par le jeune, et les jeunes qui n’ont jamais redoublé

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ont également une estime de soi scolaire plus valorisée par rapport aux jeunes redoublants dont l’estime de soi scolaire est plus faible. Cependant, les jeunes en situation d’échec tendent à avoir une estime de soi globale comparable aux jeunes en réussite scolaire. L’estime de soi globale semble avoir été protégée de l’influence néfaste de l’échec scolaire pour ces jeunes. Ces résultats montrent ainsi que les élèves en échec mettent en place des stratégies de protection de soi.

Ainsi, concernant les jeunes à faible estime de soi scolaire, nous constatons que ceux qui s’auto-handicapent en fournissant le moindre effort à l’école, ont par exemple une meilleure estime de soi glo-bale que les autres. Cependant, le (dés)engagement psychologique ne permet pas de modérer l’effet de l’estime de soi scolaire sur l’estime de soi globale. Il semblerait que les jeunes ont plus de difficultés à se désengager du domaine scolaire qui est particulièrement valorisée dans notre société. Cette variable est particulièrement influencée par la communication entre les parents et les adolescents. Ces résultats ten-dent ainsi à montrer l’importance d’une relation éducative bienveillante pour que les jeunes puissent adopter des stratégies adaptées à la réussite scolaire.

Pour les jeunes ayant une estime de soi scolaire valorisée, ils n’ont pas besoin de mettre en place de stratégies puisqu’ils se retrouvent dans une situation favorable, le domaine scolaire leur permettant de se valoriser. Cependant, nous constatons que plus ces jeunes grandissent, moins l’estime de soi scolaire explique l’estime de soi globale. L’influence de l’estime de soi scolaire sur l’estime de soi globale existe chez les plus jeunes (<14ans ; r=.30 ; p<.001) alors qu’elle est non significative chez les plus grands (≥14ans). Il semblerait donc que même les élèves ayant une estime de soi scolaire valorisée, tendent à se détacher du domaine scolaire. Ces résultats suggèrent que ces élèves, en grandissant, pourraient investir des domaines dans lesquels ils peuvent se valoriser de façon plus aisée, montrant le poids de l’école dans la construction identitaire de ces jeunes adolescents.

Nous nous proposons ainsi de discuter de l’effet du contexte scolaire et de la relation éducative sur l’esti-me de soi et la réussite scolaire des adolescents.

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Maryan Lemoine

Elaboration de l’autorité et de la confiance dans la classe Une formation comme analyseur des conceptions de la confiance, pour les enseignants en voie de titularisation

Initié dans le cadre de la formation d’enseignants du secondaire en voie de titularisation, un dispositif, mis en œuvre dans une ESPE, envisage, à la rentrée 2013, un travail de réflexion collective sur « L’élaboration de l’autorité et de la confiance dans la classe». Il s’inscrit, pour 12h, dans la nouvelle ma-quette des Master MEEF second degré, comme une proposition alternative au cours, intitulé précédem-ment, « Gestion de classe».

Pour le mettre en œuvre et le mener, les participants ont d’abord été invités à exprimer individuellement des éléments de définitions personnelles sur ces notions d’«autorité» et de «confiance». Puis, au fil des quatre séances de 3h, ils ont élaboré, confronté, partagé des analyses, à partir de textes (Platon, Kant, Goethe, Arendt, Foucault, Houssaye, Prairat, Robbes, notamment) et d’apports issus d’enquêtes de ter-rain relatives à la vie de classe, à des monographies d’établissements, à la réussite des élèves, à la mobili-sation des enseignants, à l’analyse du décrochage, de l’exclusion scolaire... Progressivement, ils ont ainsi été amenés à décanter, interpréter et travailler collectivement, leurs expressions initiales, à la lumière d’apports plus théoriques ou scientifiques, ainsi qu’en fonction des premières expériences rencontrées dans leurs établissements d’exercice.

Cette phase d’objectivation et de réflexion à la fois personnelle et collective, a, de plus, permis aux un(e)s et aux autres d’exprimer leurs craintes, leurs difficultés, mais aussi les éléments de réussite, les appro-priations des apports du cours, des conseils venus d’autres collègues. Il leur a enfin été demandé, dans l’avant dernière séance, d’envisager des propositions et certains ajustements qu’ils expérimenteraient avant d’en faire un retour analytique lors de l’ultime rencontre.

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C’est sur la base des observations, échanges, verbatim et productions, recueillis durant les séances de travaux dirigés, que s’élabore cette proposition de réflexion. Si ces données ne font donc apparaitre les élèves, les configurations scolaires (espaces et temps scolaires, collègues…) et les pratiques, qu’au tra-vers des dires des enseignants en voie de titularisation, il nous semble qu’elles permettent néanmoins de pointer un certain nombre d’éléments de compréhension de ce qui est en jeu, et s’opère quand il s’agit de viser à élaborer conjointement autorité et confiance dans la classe. Comment, avec qui et à partir de quelles conditions cela se met-il en œuvre, ou pas? Qu’est ce qui participe des représentations initiales de la confiance, et des choix des nouveaux enseignants ? Quels autres déterminants influencent, facili-tent ou entravent les démarches ?

Nous ne présenterons ici, qu’à gros traits, les éléments constitutifs du groupe, puis nous pointerons dans les définitions initiales, certains apports qui attirent plus particulièrement l’attention pour ce qu’ils révè-lent à l’analyse. Enfin, nous distinguerons, dans ce qui a été entrepris, ce qui participe des ressorts indi-viduels et collectifs d’une part, et d’autre part, ce qui a été facilitateur ou obstacle dans les configura-tions scolaires.

Le groupe considéré ici se compose de 21 enseignants en voie de titularisation, inscrits en Master 2 MEEF (transitoire, du fait de la réforme). S’il présente plusieurs traits qui invitent à tenir compte de la diversité qui le compose (discipline, âge, sexe, origine, implantation professionnelle), il rassemble d’a-bord ses membres par le fait qu’ils entrent tous dans la carrière, ont subi les aléas des formations anté-rieures, et se disent « en demande de solutions ».

Les terminologies mobilisées pour définir et circonscrire « autorité » et « confiance » montrent une assez grande variété, mais elles peuvent cependant être assez aisément regroupées au sein de quelques en-sembles signifiants, à partir desquels s’est développé de manière filée le travail d’élaboration partagée et de conception des ajustements.

Nous nous centrons ici sur la notion de « confiance » pour pointer qu’à côté des éléments relatifs aux sujet eux-mêmes, donc en lien avec ce qui est évoqué comme la « confiance en soi », s’organisent, de manière assez ordinaire, des conceptions de l’autre et de la relation, relativement ouvertes et humanis-tes qui, sont liées essentiellement à des figures d’élèves, selon les explicitations des participants. Mais nous observons aussi, même si les occurrences sont minoritaires, deux autres ensembles qui pourraient apparaitre plus surprenants et ont donc fait l’objet d’une attention soutenue.

L’un, relatif aux contextes, évoque notamment la notion de « climat », celles de « collectif » et d’ « environnement », et a amené progressivement le groupe à s’interroger sur les déterminants de la confiance, au-delà des interactions avec les élèves et à l’interne de la classe. L’autre regroupe des anto-nymes, des formes « euphémisées » ou ce qui pourrait s’en rapprocher, exprimés de manière directe ou par la négative : « prudence », « pas de méfiance », « pas d’insécurité ». Notons que ces termes ont d’a-bord été rapprochés par les participants, du fait qu’ils ne pouvaient être inscrits dans les autres ensem-bles. Néanmoins, en fin de séquence ce sont les antonymes pour eux-mêmes, qui furent réinterrogés, notamment quand il s’est agi de réfléchir à l’élaboration de la confiance, à la lumière des micro-expériences et ajustements réalisés en contexte d’exercice.

En effet la présentation des expérimentations, puis les analyses personnelles et collectives des partici-pants, ont fait apparaitre, au travers des réussites et des difficultés, des tensions et des déterminants, jusqu’alors non mobilisés. Nous les présentons sous forme de questionnements.

Le premier questionnement est relatif aux objets de la confiance. S’agit-il d’enjeux pédagogiques ?, édu-catifs ?, relationnels ?, hybrides ? Et en quoi ces distinctions sont-elles facilitantes ou non ? Le deuxième est lié à ce que l’on entend quand on parle de classe : la salle de cours ?, le niveau du cursus ?, la sec-tion ?, ou bien encore des compositions de ces divers éléments ? Le troisième dépend des variations et potentialités d’imbrications de différentes échelles : ce qui s’opère dans la classe (murs, niveau, section) est-il en lien ou relayé, ou encore en échos avec ce qui se passe dans les autres classes, avec les autres enseignants, ainsi qu’à l’échelle de l’établissement ? Bref cela fait-il partie de, ou contribue-t-il à la cultu-re ?, peut-il y être intégré ?, ou bien encore cela lui est-il étranger ?, contradictoire…? Ce qui amène à considérer un quatrième questionnement, celui relatif au collectif. Les participants ont fait le constat que

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rien ne pouvait s’opérer, ou plutôt se produire dans la durée, si l’on est seul. Est-il pour autant nécessaire d’atteindre l’unanimité ?, la majorité ? Ou bien s’agit-il d’intégrer des minorités mobilisées pour faire bouger les lignes ?

Les discussions ont été , sur ce sujet, menées bon train et elles ont fait apparaitre enfin, que des acteurs, dans les établissements, pouvaient à eux seuls, faciliter, entrainer ou bloquer des initiatives relatives à l’élaboration de la confiance, non seulement par leur statut, leur ancienneté, leur fonction, mais aussi par une capacité à autoriser ou non, entraver ou pas les démarches de leurs collègues à ce sujet. A cet effet, les enseignants en formation ont donc été amenés à différencier collectif, dynamique, crédibilité, légitimité et capacité d’enrôlement, et à se confronter aux représentations professionnelles qui l’empor-tent parfois sur toute autres considérations quand il s’agit d’initier ou de participer au changement.

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Laurent Lescouarch

Pourquoi faire confiance et comment ?

Dans un climat scolaire tendu où la question centrale pour de nombreux praticiens est d'abord devenue celle du contrôle de l'élève, poser la question de la confiance à lui accorder peut paraître surprenante au premier abord mais apparaît comme une nécessité si l'on veut repenser le contrat pédagogique scolaire pour le rendre plus pertinent, pour faire évoluer le rapport au savoir et à l'apprendre.

Pour ces ateliers, deux dimensions nous paraissent essentielles à envisager : avoir confiance dans la ca-pacité de l'élève à apprendre dans la structuration de la relation pédagogique et instaurer un cadre de confiance permettant à la dynamique pédagogique de se développer.

Avoir confiance dans la capacité des élèves à apprendre

Les travaux de Rosental et Jacobson sur l'effet pygmalion ont pu mettre en évidence l'importance de la dimension de « prophétie auto-réalisatrice » liée aux attentes et préjugés des enseignants sur les élè-ves. Réfléchir à cette question de la confiance nous renvoie donc au regard que l'on peut porter sur l'élè-ve, sur sa capacité à apprendre, à se positionner par lui même dans son projet d'apprenant et sur la na-ture de la relation éducative qui peut être construite avec lui.

Par conséquent, porter un regard bienveillant sur ses productions, lui signifier qu'on a confiance dans ses capacités à apprendre, à se développer et grandir peut être le point de départ d'une dynamique pédago-gique positive à articuler dans la tension mise en évidence par Philippe Meirieu entre principe d'éducabi-lité et principe de liberté : « Tout le monde peut apprendre et nul ne peut jamais décider pour une per-sonne donnée, qu’un apprentissage est définitivement impossible : c’est le postulat d’éducabilité ; L’ap-prentissage ne se décrète pas… et rien ne permet de l’imposer à quiconque. Tout apprentissage s’effectue pour chacun à sa propre initiative et requiert de sa part un engagement personnel : c’est le principe de liberté. (p.80-82)1

Travailler dans la perspective de l'éducabilité implique donc faire confiance aux élèves, de croire en eux et cette vision n'apparait pas toujours partagée par l'ensemble des acteurs de la communauté éducati-ve. Au nom de cette confiance, l’éducateur est invité à ne pas entrer dans une résignation fataliste par rapport à des enfants ne maîtrisant pas encore les savoirs et les attendus du métier d'élève. Toutefois, cette visée est à articuler avec le principe de liberté qui nous rappelle la part d'engagement nécessaire et irréductible du sujet dans ses propres apprentissages. Nous pouvons le mettre en relation avec la ré-

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flexion de Freinet « On ne fait point boire le cheval qui n’a pas soif »2 mettant en évidence la difficulté à mobiliser un sujet si le désir n’est pas le moteur de l’action. Si l’apprentissage ne se décrète pas et que nul ne peut contraindre quiconque à apprendre et à grandir, la personne peut donc ne pas s’enga-ger dans la démarche d'apprentissage si elle n'a pas elle même confiance dans ses propres capacités. L’expérience de la réussite constitue un élément essentiel pour construire ce « désir d’apprendre » et développer cette confiance en soi. Il apparait donc essentiel pour le pédagogue de construire un espace de travail permettant de contribuer à créer cette dynamique positive dans un cadre de confiance.

Une confiance qui s'inscrit dans un cadre d'accompagnement

Faire confiance à l'élève, croire en ses potentialités est donc une dimension constitutive de la visée d'une éducation qui ne se restreindrait pas à un dressage et caractérise les projets des grands pédagogues de l'éducation nouvelle mais n'est pas exempt de risque de malentendus si l'éducateur est amené renoncer au principe d'éducabilité au nom d'une « admiration béate des aptitudes qui s'éveillent » (Meirieu). Ain-si, l'histoire de la pédagogie est remplie de malentendus à ce sujet car l'enjeu est de « faire confiance » mais dans un cadre qui n'est pas le « laisser faire » de certaines pédagogies libertaires mais la construc-tion d'un environnement permettant d'étayer ces apprentissages…. Le cadre est ce qui soutient et struc-ture mais également ce qui pose des limites et la confiance à accorder à l'élève s'inscrit pour nous dans la perspective de recherche de construction d'un environnement accompagnement qui lui laisse une pla-ce mais pas toute la place.

Cela implique un déplacement de posture pour les adultes qui se situent de fait dans une perspective d'accompagnement de l'élève au sens de Paul comme « cheminer avec », en ouvrant des espaces de li-berté pour l'élève sans perdre de vue la dimension d'éducabilité et l'asymétrie constitutive de la relation éducative.

Dans la perspective de « faire confiance », l'enseignant, l'éducateur sont donc confrontés à la double question de la construction d'un cadre permettant les apprentissages et émancipateur et d'une posture d'accompagnement des apprentissages permettant le développement de l'élève. Structurer des modèles pédagogiques d'action prenant en compte ces deux dimensions dans une volonté de refondation des pratiques constitue donc l'enjeu d'une telle réflexion dans le cadre de ces ateliers.

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1. Célestin. Freinet, Les Dits de Mathieu : donner soif à l’enfant,« Œuvres pédagogiques », tome 2, p.114

Éditions du Seuil.

2. Philippe Meirieu, Pédagogie : Le devoir de résister. ESF Editeur

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ATELIER 2

FAIRE CONFIANCE AUX ÉQUIPES DES ÉTABLISSEMENTS

Emmanuel Berenguer, Professeur d’histoire-géographie, Lycée Val de Seine

Alain Bollon, Enseignant honoraire en sciences de l’éducation à Grenoble 2, Expert UNESCO

en évaluations des systèmes et des apprentissages, Accompagnant d’équipes d’établissements

en France et dans plusieurs pays

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Emmanuel Berenguer,

Je souhaiterais présenter une " étude de cas " autour d'un projet que j'ai mené à l'échelle de mon éta-blissement (la mise en place d’une convention éducation prioritaire avec Sciences Po Paris) pour s’inter-roger sur le rôle structurant de la confiance dans l’édification d’un projet pédagogique qui associe la communauté éducative d’un établissement. Je pars de l’idée que la confiance n’est pas un donné mais un processus (vision constructiviste). Il faut donc construire la confiance (à quelles conditions s’établit-elle, comment fédérer autour d’une ambition commune …) La confiance est aussi une relation (le rôle des acteurs, leur légitimité, les représentations parfois antago-nistes, les freins à la relation de confiance…) La confiance s’entretient et se diffuse et même peut se célébrer (nourrir et partager la confiance…). Avec l’évaluation partagée du projet, la communication autour du projet à l’échelle de l’établissement et en dehors (parents, académie…), transférer ce qui a bien fonctionné, célébrer les réussites pour donner une ambition partagée à l'établissement (élèves, parents, professeurs, personnels de direction, agents…)

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Alain Bollon,

De quelles équipes va-t-on parler ? Qui doit leur faire confiance ? Pourquoi leur faire confiance ?

pour les élèves : cohérence, continuité des apprentissages, pluralité des regards, transversalité

des objets…

pour les équipes : légitimité des compétences, croisement des entrées sur les thématiques,

questionnements ponctuels, espaces partagés de travail, régulation du système contrôle-

évaluations, validation des socles, positionnement des compétences individuelles et collectives…

pour l’établissement : pilotage pédagogique, gestion des compétences, accompagnements, projet

d’établissement, compétence collective, ressources, système apprenant…

pour la communauté éducative : image du système, éducation partagée, ouvertures…

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Comment faire confiance ?

Une équipe projetée

Des hypothèses d’évaluations plurielles avec élèves, enseignants, pilotes, établissement, image

Des traces continues exploitables

Des formes diverses d’accompagnements, d’auto accompagnements

Des visées inter établissements

Un pilotage pédagogique partagé

Une éthique de la complexité, de l’incertitude, de l’imprévisible

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ATELIER

ATELIER 3

FAIRE CONFIANCE AU TERRITOIRE

Catherine Duvallet, Adjointe au maire de Val-de-Reuil.

Rémi Rouault, Professeur émérite en géographie, Université de Caen. , Membre de l’équipe

ESO-Caen.

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Catherine Duvallet,

Exprimer une ambition éducatrice, ensemble, pour que tous les enfants de Val-de-Reuil réussissent

C’est par cette phrase et dans cet esprit-là que la Ville a ouvert sa réflexion sur la mise en place du PEDT (Projet Educatif Territorial). Loin des clichés et des belles lettres, c’est une réflexion nourrie sur la néces-sité d’équité de Réussite Scolaire quelque soit le territoire où l’enfant, l’élève, évolue et sur les besoins d une meilleure adéquation des moyens mis en œuvre pour faciliter cette réussite éducative.

Déjà engagée dans des actions de partenariats école/ collectivité territoriale, Val-de-Reuil a souhaité dé-velopper un cadre formalisé au sein duquel tous les acteurs de la sphère éducative peuvent s’inscrire dans des missions et des responsabilités communes :

De façon conjointe, cohérente

Avec toujours en ligne de mire le bien-être et le développement de l’enfant.

Bien sûr, l’école garde son rôle prépondérant dans l’éducation et le développement de la connaissance, bien sûr les parents conservent leur droit à l’éducation. La collectivité territoriale est là pour apporter une complémentarité nécessaire à la continuité éducative, aider à lisser les inégalités et partager des valeurs comme la laïcité, la solidarité, et la démocratie.

La confiance c’est garantir le respect de l’intérêt général et celui de tous les élèves. Comment œuvrer ? En fédérant tous les acteurs sur des projets communs, faciliter la mise en réseau des partenaires, amener des moyens humains et financiers pour compléter l’offre éducative.

Les grands axes mis en exergue sont :

Une école pour tous en essayant (et c’est loin d’être facile) d’avoir un découpage des secteurs scolaires où la mixité sociale est un atout.

Un plan stratégique d’actions partagées et la mise à disposition d’intervenants municipaux pour appuyer les projets pédagogiques. (près de 5000 heures annuelles ainsi apportées pour faciliter, accompagner les professeurs des écoles dans leur tâche éducative quotidienne).

Un parcours éducatif cohérent et de qualité sur le temps péri- scolaire. Sur ce point-là, une des difficultés majeures est de ne pas assister à la mise en place d’un millefeuille mais bien de créer une synergie entre les projets d’écoles et les activités proposées en dehors de ce temps scolaire obligatoire.

Pour réussir cela, la ville de Val-Reuil a la chance de travailler en confiance avec l’ensemble des partenai-res associatifs (culturels, sportifs…), des parents d’élèves et de leurs représentants, de la communauté

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éducative. Pour acquérir cette confiance, il a fallu travailler la concertation, le respect de chacune des institutions et de leur savoir-faire. Il a fallu s’appuyer sur les bonnes expériences de chacun et de leur savoir-être. Cela a demandé et çela demande encore beaucoup de réunions, de réflexions, de la mise en place d’outils d’analyse, d’aller-retour entre tous les partenaires. C’est énormément chronophage mais c’est porteur à long terme.

Je suis consciente que ce qui a pu se faire sur la Ville et se développer c’est parce que nous travaillons dans cet esprit depuis longtemps, que le dialogue a toujours été la priorité, que notre assise commune est maintenant bien stable et que nous pouvons travailler dans la confiance et non dans la défiance. Nous devons maintenir cette synergie pour être efficace et crédible quelque soient les mouvances politi-ques.

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Rémi Rouault

Faire confiance au territoire

La question de la confiance qui est placée au centre des débats du colloque « Faire confiance : une né-cessité pour le système éducatif et ses acteurs », est une question qui se retrouve forcément au centre de l’analyse géographique des questions scolaires, telle que j’ai pu l’entreprendre avec Patrice Caro dans le cadre de l’Atlas des fractures scolaires, une école à plusieurs vitesses» Faire de la géographie c’est pro-poser une lecture de l‘espace à travers les différences. Faire une géographie de l’école en France c’est analyser les accommodements entre une offre et une demande scolaires, à travers entre autres les mo-bilités des élèves, qu’elles soient légales ou clandestines. L’offre scolaire, à travers ouvertures et ferme-tures, de classes, d’options ou d’établissement, relève d’une certaine façon de la confiance ou non dans la pertinence et l’efficacité des investissements en moyens immobiliers, matériels et humains destinés à accueillir une population scolaire. L’inertie de certaines municipalités pour ouvrir ou rouvrir une école publique en Loire-Atlantique, en Vendée ou dans le Morbihan, comme l’ouverture d’antenne universitai-re délocalisée de telle ou telle UFR de l’université de Caen à Alençon, d’un département d’un IUT dans une ville de moins de 30 000 habitants relèvent de la confiance ou de la défiance. L’adaptation de la de-mande à l’offre est aussi pour partie un indicateur de confiance, de la maternelle aux grandes écoles en témoignent à travers les mobilités des élèves. Ici c’est en fin de CP que nombre d’enfants quittent pour un an ou deux l’école communale quitte à y revenir une fois évitée la classe menée par un enseignant en qui on n’a pas confiance. Là, les parents de certains collégiens refusent telle ou telle option pour leur enfant voire préfèrent un changement d’établissement par dérogation, si possible, ou par d’autres moyens de contournement de la carte scolaire : recours au privé, fausse domiciliation…

Ce qui intéresse le géographe c’est la connaissance et la compréhension des mécanismes à l’œuvre dans ces choix qui pourraient être considérés comme individuels mais qui relèvent aussi de logiques collecti-ves, tant du côté des parents ou des élèves que de celui des professionnels de l’enseignement ou des représentants de l’état ou des collectivités territoriales. Bien évidemment les facteurs à prendre en compte sont multiples et renvoient aux trois grands types de rapports que les individus et les groupes entretiennent à l’espace : usage / aménagement / appropriation.

Je ne me risquerai pas à revenir sur l’état des lieux en fonction du couple confiance/défiance, si j’ai ac-cepté l’invitation ce n’est pas pour remettre en cause les hypothèses qui cadrent la réflexion de ce collo-que. Effectivement, y compris au cours de mes travaux, je peux constater que dans certaines régions et dans certaines grands villes la question de la confiance vis-à-vis de l’enseignement public se pose de ma-nière massive (Vendée, Morbihan, Finistère) et que dans d’autres elle ne se pose que très marginale-ment (moins de 1% d’élèves dans le privé en Creuse). La question de la confiance dans le choix d’un éta-

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blissement peut relever des valeurs, d’un type de projet éducatif non limité seulement au champ scolai-re, ou de la représentation de l’efficacité de l’établissement. Autrement dit les parents qui souhaitent être actifs dans la construction des parcours de formation de leurs enfants agissent en essayant de met-tre en cohérence leur projet pour l’enfant et leurs représentations des établissements scolaires.

Aménagements et dispositifs Etablissements scolaires Cartes des formations Cartes scolaires Dispositifs dérogatoires

Appropriations dont représentations Service public Tutelles Associations de parents d’anciens élèves...

Exemples : Conflits d’usage = concurrence entre options sélectives Conflits d’aménagement = fermetures/ouvertures de classes / options / filières Conflits d’appropriation = refonte des secteurs scolaires

Possibilités de convergence, de concurrence, de conflits

Usages Scolarisation de droit commun, Dérogations et contournements

La réponse à l’interrogation portant sur le périmètre du problème des responsabilités peut être brève. Le périmètre n’est pas seulement celui de l'école, il découle des rapports que la société entretient avec le système éducatif, en fonction des représentations et idéologies que parents, élèves, enseignants, éduca-teurs… utilisent comme cadre de référence évaluer leur satisfaction au regard de leurs objectifs, de leurs projets, de leurs attentes.

L’une des pistes, de mon point de vue, est l’analyse de la contradiction forte entre la mission attribuée à l’école d’assurer l’avenir de la société à travers l’éducation et la formation intellectuelle, culturelle, pro-fessionnelle et citoyenne des jeunes, c’est-à-dire d’assurer la reproduction de la société, et le désir d’as-cension sociale éprouvé par des parents, dont certains, pour ne pas dire beaucoup considèrent que la reproduction sociale se fait au mieux à l’identique.

En quelque sorte, mais là il faudrait que je fasse une déclaration d’intérêts, les parents et les élèves at-tendent de l’école un apport (plus-value ? émancipation ?) en matière d’avenir personnel, qui découle-rait de fait d’une mission de service à la personne, alors que dans sa conception même l’enseignement est une mission de service public. On ne peut attendre ni des acteurs, ni des institutions la résolution de cette contradiction. Reste à savoir si compte-tenu des attentes collectives ou individuelles le système éducatif est vraiment inefficace ou au contraire si en assurant cette reproduction sociale à l’identique il contribue à un fonctionnement social autre que celui prévu par le législateur. Se pose ici d’une autre fa-çon la question de la définition de ce qui est appelé « territoire » : est-ce l’exécutif politique de la collec-tivité territoriale ? Est-ce la population-société locale vivant sur le territoire de la collectivité ? Est-ce le secteur de recrutement de l’établissement scolaire ? Ce qui a été constaté est que la diversité sociale du secteur de recrutement défini par la carte scolaire est toujours plus importante que celle de la popula-tion résidente ou de la population accueillie. Le choix des parents induit donc une réduction de la diversi-

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té lorsqu’ils choisissent un établissement hors-secteur dans lequel ils ont plus confiance. La mobilité a des conséquences aussi bien sur les établissements évités que sur les établissements recherchés.

Aussi bien dans les établissements scolaires que dans les collectivités territoriales on ne peut se conten-ter d’attendre un changement de société ou de législation et c’est dans l’interaction entre les acteurs que s’expérimentent les solutions alternatives fondées sur l’échange et l’interaction entre les différents acteurs de l’éducation, le plus souvent dans des instances partenariales, dans le respect de la spécificité des missions de chacun mais aussi dans la connaissance et le respect des représentations des uns et des autres. Il en découle un changement de regard et donc une meilleure compréhension des discours et des actes de chacun à travers des interactions locales accompagnées, facilitées, favorisées par les collectivi-tés locales, qui sont des collectivités territoriales.

A chaque fois que quelqu’un, élu, technicien territorial, parent, enseignant, chef d’établissement, parle du territoire il risque de n’en retenir qu’un seul sens oubliant celui que retiennent les autres acteurs de l’éducation. Ils risquent d’oublier les autres « territoires » tout aussi légitimes qui entrent dans le systè-me des acteurs de l’éducation. C’est un mot valise que l’on substitue à au moins 3 réalités : _ l’espace ou la maille administrative gérée par une instance politique, c’est-à-dire pour la France au moins 3 territoires commune/département/région/ (à l’exception de quelques communes cantons, le plus souvent des îles) _ la société qui vit dans un espace _ l’instance politique elle-même. Le paradoxe étant que les politiques éducatives territorialisées, à destination des élèves les plus en diffi-culté et sans doute les moins en confiance dans les établissements scolaires, ne s’appliquent qu’excep-tionnellement sur la totalité d’un des échelons territorial et s’inscrivent généralement dans les découpa-ges de la politique de la ville inférieurs au territoire communal. Par ailleurs la référence spatiale officielle reste le secteur scolaire ou le bassin d’éducation concerté, même si dans les faits celui-ci est largement ignoré par les parents ce qui contribue à la forte différenciation des établissements scolaires. En conséquence, sans vouloir clore l’échange et le débat avant qu’ils n’aient lieu, il me semblerait utile d’abandonner l’usage du mot « territoire » quand on réfléchit aux questions éducatives, mais sans doute aussi pour beaucoup à d’autres questions. En effet chaque utilisateur de ce terme exclut potentiellement le sens retenu par les autres et d’autre part, parents et élèves en tant qu’acteurs pensent plus l’espace en fonction de leur espace vécu. A la différence des territoires-espaces continus, les espaces vécus sont des espaces discontinus et individualisés au sein même des familles et parfois même pour les enfants des couples séparés en garde alternée.

L’établissement : un lieu, une équipe, une institution, instruments De l’aménagement *scolaire+ du territoire

(Cadre national/Carte scolaire

Différences territoire-secteurs scolaires / Bassin de vie-espace vécu

Un prestataire de ser-vice choisi ou imposé ? (Parents /élèves)

Une pratique de service Public ou de service à la personne

L’établissement instrument de l’aménagement (du ou

des) territoire(s)

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1. P. Caro, R. Rouault, Atlas des fractures scolaires, une école à plusieurs vitesses ? Editions Autrement, 2010

2. Ce n’est pas une pratique courante des chercheurs en Sciences Humaines et Sociales, qui effectivement ne ris-quent que très rarement le conflit d’intérêts financiers (les propos qui vont suivre ne sont pas sans lien avec des engagements syndicaux passés ou présents)

3. Deuxième déclaration d’intérêt : je suis impliqué dans un des 23 projets « En associant leurs parents, tous les enfants peuvent réussir » portés au niveau national par les Pupilles de l’Enseignement Public–PEP- la Fédéra-tion des centres sociaux, ATD ¼ Monde, FCPE, Prisme, l’Association des Collectifs Enfants Parents Profession-nels et l’Inter-réseau du Développement Social Urbain).

L’établissement : d’interaction humaines De la coprésence, cohabitation, concurrence, au conflit

Différence territoires-secteurs scolaires / Bassin de vie-espace vécu

Une population environnante Une population accueillie

L’établissement instrument de l’aménage-ment (du ou des) territoire

Une équipe de fonctionnaires au service de missions définis par la loi

Discordances population accueillie/population environnante Convergence ou divergence sur les objectifs, les contenus, les méthodes

Dérogations sortantes / dérogations entrantes

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ATELIER 4

FAIRE CONFIANCE AUX PARENTS Bruno Masurel, Volontaire-permanent du Mouvement ATD Quart Monde

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Comment faire confiance aux parents les plus éloignés de l'école, et d'abord leur redonner confiance dans leur capacité d'agir pour la réussite des enfants ? Je suis volontaire-permanent du Mouvement ATD Quart Monde, depuis 1978, et je travaille plus spécifi-quement depuis 15 ans sur le sujet des relations du monde de l’Éducation avec les familles en situation d’exclusion, dans le but de combattre les inégalités d’accès au savoir et à la culture. Pour ATD Quart Monde cette question est tout à fait primordiale, car pour faire cesser l’exclusion socia-le, deux points sont déterminants :

Donner à tout enfant les moyens de s’insérer, en tant que personne utile à elle-même et aux au-tres, et cela suppose évidemment que chacun accède au savoir et à la culture,

agir contre l’exclusion suppose de s’appuyer en priorité sur l’expérience des personnes qui vivent cette exclusion, « faire avec » elles, au lieu de« faire pour » elles, c’est à dire les assister.

Appliquer ces points déterminants à l’École, cela signifie deux choses :

L’École a une grande responsabilité pour faire reculer l’exclusion : rendre le savoir et la réussite accessible à tous,

L’École ne saurait faire réussir tous les enfants sans faire appel à l’expérience et aux savoirs des familles en situation d’exclusion. La réussite de tous les enfants ne peut pas se faire en ignorant ou en rejetant l’expérience de vie de ces familles, car les savoirs, pour être accessibles à tous, doi-vent se construire avec l’intelligence de tous.

Bien entendu, cela suppose que tous les parents puissent avoir confiance en eux, dans leur capacité de contribuer par eux-mêmes à la réussite, non seulement de leurs enfants, mais aussi de tout enfant. Et cette confiance, qui a souvent été malmenée par la vie, pour ceux qui ont vécu l’exclusion, dépend aussi du « regard des autres », car avoir confiance en soi suppose aussi qu’on vous fasse confiance, qu’on ne vous juge pas comme quelqu’un de déficient, démissionnaire, comme un « mauvais parent ». Ce texte a pour but d’expliquer, car cela ne va pas de soi, quelles sont les conditions et les étapes pour permettre aux parents, et notamment à ceux qui ne se sentent pas d’emblée attendus, de reconquérir leur "pouvoir d’agir". Durant le projet1 que nous avons mené dans le quartier de Maurepas à Rennes, de 2007 à 2011, nous avons touché du doigt beaucoup de freins qui font que certains parents, du fait de leur histoire, vivent des blocages pour se croire autorisés à participer, à dire ce qu’ils pensent dans les échanges avec les au-tres : « Vos réunions, c’est pas pour moi ! », dit d’emblée Monique2, maman de 4 enfants, quand qu’elle vient à l’école pour une préparation de fête, alors que se tient à ce moment une réunion de parents. Elle met-tra effectivement plus d’un an avant de venir dans un « groupe de parents », où l’on parle de l’avenir des enfants…

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Charlotte (parent d’élève) nous dit qu’à l’école, enfant, on lui a surtout dit qu’elle ne sait rien faire, et c’est bien plus tard, dans un atelier d’activités manuelles pour adultes, à l’hôpital, qu’elle s’est sentie elle-même capable de faire de belles choses de ses propres mains. Cela explique pourquoi il lui a fallu des années, avec des rencontres entre parents, où elle a vu que d’autres parents sont comme elle, pour oser dire à la maîtresse qu’elle ne comprenait pas quand elle lui parle de "cursus", à propos de sa fille… Marine (parent d’élève) explique qu’elle n’aimait pas l’école, enfant, et c’est beaucoup plus tard, en tant que parent, que la maîtresse de sa fille l’a "délivrée". Elle la pensait inabordable, pensant l’enseignante enfermée dans son « rôle professionnel », et c’est en parlant de la vie du quartier qu’elle a compris que « c’est possible de se parler d’un humain à un humain », avec un enseignant. (voir extrait de l’outil de formation « Familles école grande pauvreté : Quand parents et enseignants s’en mêlent », dans « les peurs réciproques », http://crdp2.ac-rennes.fr/blogs/familles-ecole-grande-pauvrete/ .) « Ma mère m’a toujours dit que je suis la reine des nulles », et c’est ce qui me bloque encore aujourd’hui pour dire ce que pense. Ça n’est pas juste quand les parents font des différences entre leurs enfants, en-couragent les uns, au détriment des autres. Mais c’est peut-être parce qu’ eux-mêmes ont été dévalori-sés qu’ils le répètent, souvent inconsciemment, sur leurs enfants. C’est Marine aussi, qui arrive à une rencontre du groupe de parents avec des notes qu’elle a prises lors d’une conférence publique sur la confiance en soi ; elle propose que nous prenions ce sujet pour une prochaine rencontre, et je lui demande ses notes pour qu’elles nous servent de base de départ, dans une réunion des parents qui aura pour thème la confiance et soi. Notes de Marine, sur une réunion publique à propos de la confiance en soi Le 3 décembre 2008, à « CCI » A l’origine des manques de confiance en soi : Manque de nourriture affective dans la petite enfance, Manque d’encouragement dans les premières actions Manque d’affirmation provient de traumatismes répétés dans les premières relations (à l’école par exem-ple) Les jugements personnels : je pense que je suis nul (ou le sera, au vu des autres) je pense que je ne suis pas capable d’agir si je manque d’affirmation, je dépends du « regard des autres » Nous avons donc repris ses notes et travaillé sur la confiance en soi, d’abord celle des parents, et ensui-te, en lien avec elle, celle de nos enfants : Si un parent manque de confiance en soi, qu’est-ce que ça peut entrainer pour ses enfants ? Cette question est aussi apparue rapidement dans un groupe d’expression des enfants, animé par Ma-rie : celle-ci découvre que les enfants expriment d’abord ce qu’ils pensent que leurs parents attendent d’eux, voire ce que la maîtresse attend d’eux : bien faire ses leçons, être sage… Erwan va bientôt avoir trois ans et vient d’entrer dans une classe passerelle. Après un accident (jambe cassée) survenu dans sa famille, les services sociaux ont suspecté une situation de maltraitance, et cela a donc failli provoquer le placement d’Erwan et de son petit frère, mais a finalement entrainé la décision d’une aide éducative renforcée. La maîtresse et l’éducatrice d’Erwan remarquent que le comportement d’Erwan, dans la classe passerelle, est très lié à sa mère : Quand elle amène Erwan dans la classe avec confiance, celui-ci est serein et participe bien. S’il ressent l’anxiété de sa mère, à cause d’une remarque qu’on lui a faite la veille, ou simplement d’un regard qui lui a paru malveillant, alors Brandon est instable dans la classe passerelle, il fait pipi sur lui, il n’est pas à l’aise avec les autres enfants, est agité. Ainsi, même très petits, les enfants perçoivent bien si leurs parents ont confiance en eux, dans leur rap-

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port à l’école, s’ils font confiance à l’école, et cela les met eux-mêmes en confiance. A l’inverse, la mé-fiance de la mère est perçue par l’enfant, et son comportement en est complètement transformé, il se trouve dans une insécurité qui empêche tout apprentissage et toute confiance dans les autres. Ces faits me sont revenus en mémoire, et je pourrais en énumérer beaucoup d’autres, et parfois retrou-ver les paroles exactes des parents et des enfants. Car nous avions bien pressenti ce travail à faire sur la confiance en soi, pour que les parents participent, et que cela permette ensuite que leurs enfants fassent plus confiance à l’école… Nous avons pris dès le début des moyens pour permettre déjà aux parents de se rendre compte de la richesse de leur réflexion sur l’éducation et la réussite des enfants ; nous avons enregistré toutes les ré-unions, qui ont ensuite été transcrites, servant ainsi de base à la suite du travail : Ces transcriptions ont servi à préparer des rencontres parents-enseignants. Nous avons vu l’étonnement de tel parent, qui découvre que ses propres paroles ont été reprises, telles quelles : « Mais ce qui est écrit là, c’est moi qui l’avait dit ! » Par la suite, voir que ses propres paroles ont un impact sur les autres, qu’elles font l’objet d’un travail avec les enseignants, c’est découvrir que ma réflexion intéresse les autres ! Cela nous a fait comprendre qu’un parent ne voudra vraiment participer à l’école que s’il peut pressen-tir que ce qu’il y apporte peut avoir une influence sur ce qui se passe à l’école, être pris en compte ré-ellement par l’enseignant (qui le lui dit), et donc favoriser la réussite des enfants. Cela m’a remémoré des choses vécues 25 ans plus tôt, à Marseille, quand une militante, Dolorès3 parle en public pour la première fois, devant 100 personnes, lors d’un évènement public ; elle s’arrête, après quelques minutes, stupéfaite que, pour la première fois, tant de gens l’écoutent parler, elle, alors qu’elle avait toujours pensait que ce qu’elle peut dire n’intéresse personne ! Je ressens la même chose quand Marine, qui intervient dans une rencontre des enseignants du lycée professionnel de sa fille, où 20 professeurs et le principal l’écoutent, elle, alors que d’habitude ce sont les profs qui expliquent aux parents, pas le contraire ! Ça l’avait même interloquée, le simple fait d’être le seul parent qui s’exprime, et tous les professeurs qui écoutent, c’était "le monde à l’envers", pour elle. D’où l’importance de tout ce travail à mener pour que les parents retrouvent cette confiance qui leur a été confisquée, parfois depuis leur enfance. :

Ils parlent mieux que moi, je ne vais pas être comprise, j’aurais honte, ils vont se moquer de moi, mes enfants ne seront pas fiers de moi »,

sont des expressions que nous avons entendues souvent dans le groupe de parents. Mais nous avons mesuré aussi que, de pouvoir déjà en parler à d’autres parents, se rendre compte qu’on n’est pas seuls à manquer de confiance en soi, c’est déjà le début de l’émancipation. S’autoriser à donner son avis, ne pas se dévaloriser soi-même, est quelque chose qui n’est donc pas ac-quis, pour bon nombre de parents, surtout si les modalités de rencontre ne le favorisent guère : Par exemple, lorsqu’un père de famille turc, qui vient rarement à l’école, voit le professeur de sa fille, et qu’en 15 minutes d’entretien, les seuls mots prononcés par ce père sont "Oui, monsieur". L’échange a pourtant duré 15 minutes, a été observé à distance par un autre enseignant, qui a vu son collègue "tenir la conversation", sans laisser aucune occasion au père de dire ce qu’il pense bon pour sa fille. L’ensei-gnant de s’en serait pas rendu compte si son collègue, témoin de l’échange, ne lui avait pas fait remar-quer, une fois le père parti, qui ne reviendra peut-être pas avant un moment. Récemment, lors d’une formation de formateurs, j’entends évoquer une situation qui a fait l’objet d’une analyse très intéressante, par Jean-Yves Rochex : Une maman immigrée, qui ne sait pas lire ni écrire, a sa fille en classe de CP.

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A la maison, elle prend sa fille sur ses genoux, lui présente un livre et l’encourage à le lire. Rochex y voit un processus de triple autorisation (inter)subjective :

que le jeune s’autorise à devenir autre que ses parents,

que ses parents l’autorisent en retour, symboliquement, à ce qu’il ne soit pas tenu de reproduire leur histoire

que le jeune reconnaisse la légitimité de l’histoire et des pratiques de ses parents dont il veut s’é-manciper.

Pour qu’un enfant s’émancipe de sa famille, il faut qu’il s’y autorise et se sente autorisé à le faire par sa famille, en même temps qu’il lui faut apprécier ses parents, tels ils sont. Cela implique une reconnaissance par chacun, enfant et parents, que l’histoire de l’autre est légitime, sans être la sienne. L’école joue un rôle dans ce processus si elle reconnait et respecte la place de chacun, et permet à cha-cun de comprendre ce qui se joue à l’école. Cet exemple très simple permet en effet de comprendre des gestes qui, trop souvent, du fait d’un regard extérieur, tendent à déposséder des personnes de leur pouvoir d’agir ; devant un maman analphabète, parfois, l’attitude de l’école, ou d’autres acteurs de l’éducation, n’est-elle pas de dire : « Madame, vous ne savez ni lire, ni écrire, nous allons apprendre cela à vos enfants à votre place, et on va trouver des ai-des pour votre fille, puisque vous ne pouvez pas l’aider ». Cette attitude, si la mère se laisse convaincre, aboutit surtout à la déposséder de son propre pouvoir d’aider sa fille à apprendre. Et je pense qu’il faudra déployer plus d’énergies, par des aides diverses pour qu’elle apprenne à lire et à écrire, à cause de l’incapacité supposée de la mère d’aider sa fille. On contourne alors les trois autorisa-tions entre la mère et la fille, qui sont à mon sens plus importante que toute autre action pour que cette fille sache lire et écrire. La maman, heureusement, pressent bien que d’encourager sa fille, en l’invitant à lire sur ses genoux, fait un geste important pour qu’elle apprenne à lire et écrire, car c’est d’elle d’abord que dépend d’abord la mobilisation de l’énergie de sa fille pour apprendre, comme les autres enfants de sa classe, pour appren-dre à lire et à écrire. On devine quand même que si cette maman maghrébine a su faire ce geste avec sa fille, c’est sans doute qu’elle possède une force, qui lui permet de savoir que le fait de ne pas savoir lire et écrire ne lui enlève pas sa légitimité de mère, qui n’est pas tant dépendante du fait de savoir lire et écrire. Dans des pays de tradition surtout orale, une culture forte permet de transmettre des connaissances et valeurs, depuis de nombreuses générations, par d’autres voies que nos formes d’apprentissages scolaires. La question me semble plus dure encore pour des familles qui, depuis longtemps, se sentent jugées par d’autres de manière péjorative : Etre "la reine des nulles", dépendre du jugement des autres, qui vous voient comme une personne à aider, mais dont on n’attend rien. Avoir vécu tout son parcours scolaire "au fond de la classe", comme l’ont vécu un grand nombre d’adul-tes en grande pauvreté, fait qu’on n’a guère confiance qu’on puisse être écouté, comme parent d’élève. Le regard des autres, qui semblent penser que si des enfants n’apprennent pas bien à l’école, c’est parce que leurs parents sont sans doute démissionnaires, qu’ils ne font pas bien leur travail de parents, volon-tairement, et acceptent donc que leurs enfants ne fassent aucun effort. Cela casse la confiance en eux des parents, qui ne se croient plus capables d’aider eux-mêmes leur enfant, l’encourager à faire confian-ce à cette école. Comment faire en effet confiance à l’école, si elle les humilie, en les dépossédant de ce qu’il pourraient faire par eux-mêmes pour l’avenir de leurs enfants ?

Comment restituer à ces parents leur confiance en eux, et surtout leur confiance dans leur rô-le d’éducateurs de leurs enfants ? Quelles sont toutes les "autorisations" dont ces parents, les plus éloignés de l’école, doivent s’outiller

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pour s’associer à d’autres, et qu’ensuite leurs enfants eux-mêmes puissent s’ouvrir au monde, s’investir dans les apprentissages, et trouver du plaisir à apprendre ? Il y a en effet tout un chemin à parcourir, d’autant plus complexe que l’on a, depuis longtemps, le senti-ment que son propre sort dépend plus des autres que de sa propre volonté. Chacun doit être réhabilité dans sa dignité même, qui lui permet "d’agir pour son propre bien et pour celui des autres"4, à commencer par ses propres enfants. Pour trouver comment permettre à des personnes en grande pauvreté de regagner cette confiance en eux, l’expérience que le Mouvement ATD Quart Monde a acquise est importante : Quels sont les che-mins qui ont permis à ces personnes, issue de la misère, de se remettre debout et devenir ensuite mili-tants ? La première motivation qui leur a permis de retrouver leur dignité et de lutter pour reconquérir leurs droits sont leurs enfants : « Notre vœu le plus important, c’est que nos enfants ne répètent pas la même misère que nous avons vécue nous-mêmes ». C’est en premier pour leurs enfants qu’ils se sont mobilisés, ce qui s’est incarné par des bibliothèques de rue, qui ont redonné à leurs enfants le plaisir d’apprendre. Et aussi parce qu’ATD Quart Monde leur a proposé d’agir eux aussi pour faire cesser l’exclusion, et non pour les assister. Cela s’est fait notamment dans le cadre des Universités populaires quart monde, qui montrent combien l’expérience de ces familles vivant dans l’exclusion est essentielle pour chercher com-ment enrayer cette exclusion. Pour redonner confiance aux parents, l’école, l’ambition de la réussite de tous les enfants, est sans doute la meilleure chance de les mobiliser, car on rejoint leur souhait que leurs enfants aient un avenir, qu’ils grandissent bien et puissent devenir des adultes respectés. Et on leur restitue leur légitimité de premiers éducateurs de leurs enfants, en sollicitant leur participation. Reconnaître chacun dans sa propre histoire : Cela peut sembler étonnant de l’extérieur, mais lorsque la vie que l’on a eue a été très dure, on a sou-vent le sentiment d’être seul dans cette situation, car on n’a pas de recul. Ainsi, les gens dans la misère se sentent souvent très seuls, ils ne s’imaginent pas que d’autres gens vivent la même exclusion qu’eux, proches d’eux ou très éloignés, à l’autre bout du monde. Un des premiers chemins pour avancer, c’est de pouvoir sortir de cet isolement, rencontrer d’autres, et notamment se rendre compte que les situations très dures que l’on a vécues ne sont pas une sorte de calamité qu’on subit et qu’on subira toujours, mais arriver, avec d’autres, dans des conditions de parité d’estime, à comprendre ce qu’on vit. Regagner confiance en soi : Je suis tout à fait capable d’aider mon enfant à réussir sa vie. De l’encourager, même si je ne peux l’aider à faire certaines choses, comme celles qu’il apprend à l’école, je peux tout à fait l’y encourager » Comme on le devine avec cette expression, la confiance en soi est très dépendante du "regard des au-tres". Il faut donc créer les conditions pour que tous les acteurs éducatifs adoptent une attitude bienveillante, se forment pour comprendre comment redonner aux parents qui ont été dépossédés une légitimité re-connue pour regagner cette confiance en eux. Cette compréhension de ce sentiment d’impuissance, qui se conjugue souvent de honte, nous vient d’a-bord du fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski : Se représenter ce que veut dire se sentir "compté pour nul", dépendre du jugement des autres, "être à la merci des autres", sont des sentiments qu’il nous a maintes fois expliqués. Je me souviens de formations vécues avec lui, entre animateurs de bibliothèques de rue, où il nous di-sait : « S’il y a une seule chose à transmettre aux enfants que vous rencontrez durant la bibliothèque de rue, apprenez-leur à être fiers de leurs parents. Et il expliquait : si un enfant est fier de ses parents, de ses racines, il peut apprendre, il peut s’ouvrir au monde, alors qu’un enfant qui grandit dans la honte ne peut

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pas apprendre, car on ne peut pas se construire, évoluer, s’ouvrir aux autres, si on vit dans la honte. » D’où l’importance de cette notion de fierté, qu’il s’agit de développer : Rendre l’enfant fier de ses parents, c’est commencer à développer sa propre estime de soi, c’est redon-ner confiance aux parents, qui ressentent cette estime que leurs enfants ont pour eux. Dans l’autre sens, aussi, rendre les parents fiers de leurs enfants est aussi important, car l’enfant grandit d’abord pour faire plaisir à ses parents, et sentir que ses parents sont fiers de lui est le premier stimulant de la confiance en soi dont l’enfant a besoin pour s’émanciper. C’est donc une question importante, à intégrer dans les formations de tous ceux qui travailler à l’éduca-tion des enfants. La fierté ne se joue pas dans une relation bilatérale entre le(s) parent(s) et l’enfant, elle dépend aussi beaucoup du " regard des autres". Les familles les plus pauvres nous le disent souvent, et comme Joseph Wresinski nous aider à le com-prendre : « Dans la misère, ce qui est le plus dur, ce n’est pas de manquer de tout, c’est d’être déconsidé-ré, de se sentir méprisé par les autres ». Je citerai encore une façon de définir le savoir et la culture, venant de son expérience : « Savoir, c’est comprendre ce qu’on vit, et pouvoir le partager avec les autres. C’est connaitre ses raci-nes, appartenir à une communauté. Savoir, c’est vivre des expériences dont on ne sort pas humilié mais fier. » Comment un enseignant peut-il rendre un enfant fier de ses parents, surtout si cet enfant n’a pas trop confiance en lui, car la fierté de ses racines va lui redonner cette confiance ? Fier des savoirs de ses pa-rents, ce qui aura de surcroit l’avantage de faire entrer à l’école des savoirs et compétences qu’elle ne reconnaît pas toujours : valoriser des savoirs manuels, comme le jardinage, la menuiserie, la mécanique, ou prendre en compte les savoirs des enfants qui viennent de leur famille, comme une langue maternelle autre que le français. Comment rendre les parents fiers de leurs enfants, de ce qu’ils font à l’école, par exemple ? Les parents disent bien que lorsqu’ils sont "convoqués" à l’école, ils appréhendent d’y aller, s’ils antici-pent un jugement négatif sur leur enfant, cela ne les encourage pas à venir à l’école, alors que si l’ensei-gnant sait montrer les progrès de l’enfant, les valoriser, c’est le meilleur moyen de faire venir les parents. Il est donc très important que les parents puissent découvrir et comprendre ce que les enfants vivent et font en classe, qu’ils aient conscience de ce que cela apporte à leur enfant. Prendre en compte tous les savoirs, et notamment ceux que les parents peuvent transmettre à leurs enfants, que l’école doit prendre en considération : Pour nous, apprendre à un enfant ne signifie pas « remplir une tête vide ». Bien au contraire, pour ouvrir un enfant sur le monde, il s’agit de partir de ce qu’il sait déjà, car c’est de là qu’il pourra donner sens à ce qu’il apprend à l’école. Il nous semble donc que « croiser des savoirs », entre ceux que l’enfant apprend de sa famille, de son expérience de la vie, et les savoirs nouveaux que l’École lui propose. Si les parents ont gagné en confiance en eux, ce qui leur permettra qu’ils fassent aussi confiance à l’école et aux enseignants, c’est que l’École reconnaisse les savoirs que les parents transmettent à leurs enfants. Les enfants s’ouvriront d’autant mieux à des savoirs nouveaux, étrangers à leur histoire, s’ils sentent que les savoirs de leur milieu sont reconnus et appréciés à l’École. Etant fiers de leurs parents, y compris dans l’École, les enfants pourront d’autant mieux s’émanciper. Cette coopération culturelle, en construisant les savoirs à partir de l’apport de tous, ouvrira la porte à une plus grande coopération dans les classes, puisque les savoirs de toutes les familles sont appréciées à l’École, c’est donc aussi que les enfants peuvent aussi apprendre vraiment les uns des autres. Mais c’est une démarche, nouvelle, inhabituelle, car ils n’ont pas vraiment été formés pour cela, que de demander aux enseignants de prendre en compte les savoirs, de rendre chaque enfant fier de ses pa-rents, pour construire les savoirs de cette manière. Pouvoir d’agir et démocratie participative :

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Je ne développerai pas beaucoup ici l’étape suivante, qui a été rendue possible par ce long travail pour redonner à chacun confiance dans ses propres capacités, à commencer par la compréhension de sa pro-pre vie, et des voies et moyens pour s’émanciper, développer sa propre créativité, et par la suite cons-truire des rapports humains où chacun est capable de reconnaître la place de l’autre, puisque lui-même a regagné confiance en soi, reconnaissance par les autres. Je dirai juste que nous avons mesuré l’interdépendance entre le fait de savoir et assumer sa propre iden-tité, on pourrait dire « être bien dans sa peau », et le fait de reconnaître et d’aider à acquérir cette pro-pre possibilité à tous les autres, autour de soi. C’est ce que nous avons appelé, à Maurepas, l’éducation partagée, tout le travail mené en 5 ans aboutis-sant principalement à créer les conditions de cette éducation partagée : Que chaque acteur de l’éducation sache au mieux quelle est sa propre responsabilité, pour la réussite des enfants, car il est indispensable de trouver sa juste place, pour aussi reconnaître celle des autres. Cela ne peut se faire dans le cadre de relations de méfiance, de culpabilisation des uns par les autres. Pour travailler ensemble correctement, il faut que chacun puisse être reconnu, et donc donner le meil-leur de lui-même. La culpabilisation, les peurs réciproques, sont le plus grand obstacle à une éducation vraiment partagée :

Lorsque le parent pense que les enseignants le voient comme un "mauvais parent", Lorsque les enseignants sont en difficulté dans leur classe, et pensent que les parents leur repro-

chent de laisser certains enfants, sans avoir l’ambition de les faire réussir, cela empêche de se comprendre, car chacun pense que l’autre le juge négativement, et c’est souvent plus un pressentiment qu’une réalité vécue, et cela empêche de se connaître et de se comprendre. La réussite d’un enfant dépend largement de la confiance que parents et enseignants se font, car sa pro-pre émancipation sera autorisée, dès lors qu’il sait que chacun des adultes qui l’entourent veulent en-semble son émancipation, en travaillant ensemble, en « parité d’estime ». Suite à ce travail mené à Maurepas, qui a permis de mieux comprendre les enjeux de la confiance entre parents et enseignants, pour la réussite de tous les enfants, nous avons voulu restituer cela sous la forme d’un outil qui serve à la formation des enseignants, et aussi des parents, et tous les autres professionnels de l’éducation :

« Familles école grande pauvreté : Quand parents et enseignants s’en mêlent » Deux ans après, cet outil de formation est terminé, et accessible aujourd’hui sur le site du CRDP de Bre-tagne, à l’adresse suivante : http://crdp2.ac-rennes.fr/blogs/familles-ecole-grande-pauvrete/ Nous espérons beaucoup qu’il serve, s’il est largement repris dans les plans de formation des ensei-gnants, à faire en sorte que l’ensemble des acteurs de l’éducation comprennent l’importance de la confiance qu’ils peuvent faire aux parents les plus éloignés de la culture scolaire, confiance qui permettra que tous les enfants trouvent eux aussi la confiance qui leur est indispensable pour réussir. 1. En associant leurs parents à l’école, tous les enfants peuvent réussir ! ». voir http://crdp2.ac-rennes.fr/blogs/familles-ecole-grande-pauvrete/

2. Les prénoms de tous les parents ont été changés.

3. Les prénoms des personnes ont été changés.

4. Extrait des options de base du Mouvement ATD Quart Monde.

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LE GRAND TEMOIN DU COLLOQUE

LA CONFIANCE

Claire Heber-Suffrin, Docteur en psychosociologie des groupes en éducation et en formation

Cofondatrice des réseaux d'échanges réciproques de savoirs (RERS)

___________________________

Avant-propos

Je trouve toujours intéressant de s’appliquer à soi-même, par un retour réflexif complexe, les questions à

travailler avec les autres.

Avant de venir participer (dans ce rôle difficile et porteur de grand témoin et qui témoigne, de votre part

d’une grande confiance : un pari ?), j’ai donc réfléchi à partir de mes peurs et inquiétudes devant ce rôle

pour lequel, en me le proposant, vous me signifiez cette confiance risquée.

Mon inquiétude, avant de venir, est positive. Si elle est le signe de l’importance que j’accorde à cette

rencontre, ce rôle et à votre un projet. Elle pourrait être négative si elle inquiète trop, si elle inhibe, si

elle restreint, si elle affole, et, si donc, pour en sortir à ses propres yeux, elle fait entrer dans une logique

d’échec, de trop grande humilité ou d’arrogance, de dogmatisme, de diminution de ce dont on peut être

porteur (Vous restreindre, vivre petit ne rend pas service au monde, affirmait Nelson Mandela dans son

discours d’intronisation comme Président de la République).

J’ai ressenti, alors, que j’avais vraiment, comme tout un chacun, besoin, pour oser affronter votre propo-

sition, de sécurité physique, affective/relationnelle et cognitive suffisantes : d’audace vis-à-vis de vous et

de confiance suffisante en vous, en moi et dans la situation organisée qu’est ce colloque.

Aujourd’hui je suis « entre » :

La sollicitation qui m’a été faite : si la personne que je connais et reconnais, Marie-Claude (je ne

connaissais pas les autres : grande inconnue pour moi, donc) me l’a proposé, c’est qu’elle est

intéressée, c’est qu’elle m’en croit capable, c’est qu’elle a l’intuition que je vais y arriver, c’est

que j’ai fait ou dit ou pensé des choses pour lesquelles elle voit le lien ou les liens possibles…

L’espoir de « votre » bienveillance. Il est fondé par quoi ? Sans doute, par la conscience que j’ai

que nous sommes dans la même histoire. Ma confiance en M.C. et les organisateurs. Votre pro-

pre bienveillance : si on le veut, on peut apprendre de tous et chacun.

Ma conviction que vous ne pouvez qu’être bienveillants, en tant que personne, puisque votre

organisation, E &D annonce que la bienveillance et la confiance sont au cœur de son projet.

Le fait que je me sais vulnérable à autrui et que j’ai besoin de confiance : s’accepter vulnérable

ne se peut sans confiance expérimentée. Et c’est alors une force.

Un travail personnel pour me mettre à distance de moi et me rendre disponible à vous. Disponi-

bilité et confiance. Disponible à ce que vous êtes, à ce que vous faites, à vos expériences et vos

questions. Disponible au voyage que vous m’invitez à faire et pour lequel, c’est vous qui condui-

sez, qui me conduisez.

Dès avant de venir, j’étais gagnante dans cette aventure.

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Introduction

Me présenter

1. Par mes « métiers »

J’ai été quinze ans institutrice, dont trois comme remplaçante, trois années pendant lesquelles aucun

enseignant ne m’a jamais rien transmis, ne m’a jamais aidée ! Douze ans à Orly où, affrontée à de telles

stigmatisations, je ne pouvais m’en sortir qu’en m’appuyant sur un regard constructif sur les élèves, leurs

parents, le quartier (où j’habitais).

J’ai été maître formateur.

J’ai été seize ans secrétaire générale ou responsable national de formation dans le mouvement d’éduca-

tion populaire que j’ai contribué à créer.

J’ai été six ans, en convention avec l’Université de Tours, formatrice dans une maîtrise en Sciences de

l’éducation.

2. Par mes formations

Ma première et plus cohérente formation professionnelle : des formations réciproques (sur le jour de

congé de la semaine) entre enseignants du groupe Freinet local.

Quelques années de formation universitaire (licence et maîtrise en Sciences de l’éducation ; doctorat en

psychosociologie des groupes en éducation et en formation.

Toutes les formations que j’ai animées ou co/animées ont été de formidables vecteurs de multiples ap-

prentissages pour moi.

3. Par mes productions

Créations d’associations, projets collectifs, section syndicale locale…

Création des réseaux d’échanges réciproques de savoirs

Organisations de colloques, universités d’été…

Ouvrages comme auteur, co/auteur ; coordinatrice… (Voir bibliographie : www.heber-suffrin.org

4. Par le projet dans lequel je m’investis depuis plus de quarante ans : les réseaux d’échanges récipro-

ques de savoirs, projet qui me donne mes principales clés d’écoute.

(Petites notes transversales)

Vous avez beaucoup évoqué la question de l’évaluation. Evaluer, mot qui vient du latin : valere. Valere = être fort ! Evaluer : faire ressortir, rendre visible… en quoi une personne, un travail, un collectif, un projet « est fort », rend fort, augmente les forces…

Deuxième « petite note » : l’encre rouge. Jacques Perriault, bien connu pour ses travaux sur les Outils de communication qui raconte que c’est Marco Polo qui a rapporté l’encre rouge de Chine où elle ne peut être utilisée que par l’empereur parce qu’elle est le signe du pouvoir absolu !

Le statut de l’erreur comme étape de l’apprentissage : voir les travaux de Daniel Favre et d’’André Giordan)

Présenter les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs®

Un postulat : chacun sait beaucoup de choses ; chacun est ignorant.

Une proposition : chacun est invité à demander des savoirs et à en offrir.

De l’action, un engagement : chacun peut apprendre et enseigner, transmettre, partager ses savoirs (ou apprendre à le faire).

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Exemples

Dans une ville : Jean-Pierre transmet son savoir en conversation allemande à Martine et Yann. Yann en-seigne la chimie de niveau 3ème à Mathilde et Raphaël. Martine partage ses compétences en cuisine avec Juliette et Benoît. Benoît enseigne le violon à Eric. Eric (19 ans) offre l'anglais à douze personnes, enfants, jeunes et adultes, qui l'avaient demandé ou que l'offre a intéressés. Parmi elles, Brana (35 ans) offre la natation…

Dans un établissement scolaire : Ugo, Grégoire, Julie, Hacen et Christophe apprennent le Russe avec Ma-thieu qui, lui-même, reçoit de l’informatique de Ludovic et Selma. Cette dernière s’initie, avec sept au-tres élèves de sa classe, au Basket avec Marie, Hafida et Sandrine qui demandent, les deux premières, une aide en Mathématiques à Thomas et, la seconde, une initiation aux échecs à Julien et Isabelle, etc.

Echanges réciproques de savoirs en cours de grammaire1 : Maxime demande une aide sur l’emploi de la cédille qu’il ne maîtrise pas à Anne, tandis qu’il peut expliquer parfaitement à Clara, Issa, Benoît et Ma-rion le fonctionnement du COD. Anne, quant à elle, si elle a effectivement compris depuis longtemps l’emploi de la cédille, reste un peu fébrile sur les lettres finales avec lesquelles Pauline jongle très aisé-ment. Clara est plus experte sur l’accord du participe passé employé comme adjectif et pourra éclairer alors Aurélie et Audrey sur ce point. Quant à Lucile et Siwert, plus “ en avance ” que leurs camarades, ils s’aventurent sur les chemins plus ardus de l’accord des participes passés avec les verbes pronominaux…

Trois fondements Tous les savoirs « de » tous, « pour » tous, « par » (l’intermédiaire possible) de tous. Une réciprocité formatrice dans ses dimensions complexes de droit et pouvoir de donner et rece-

voir pour chacun et tous ; de parité comme a priori (Rancière), de parité instaurée, de parité effet du processus ; de réciprocité efficace pour apprendre ; de réciprocité des rôles qui permet d’ap-prendre chacun d’eux ; de réciprocité coopérative : construire ensemble le système par lequel on se forme ; le développement de la conscience de réciprocité ainsi que de la force de celle-ci.

Un système organisé « en réseaux » et créateurs de réseaux et de proximités multiples.

Un développement de cette démarche en France : dans le tissu social résidentiel (villes, quartiers, can-tons…) ; dans des établissements scolaires ; en formation professionnelle, en entreprise (La Poste…). Et dans différents pays d’Europe et d’autres continents.

VOUS

Enormément de choses intéressantes ! J’ai tout noté ! Mais j’ai du choisir ! Et, « d’une partie seulement » de mes notes sur vos propos, est né ce plan.

Introduction : ils apprennent ce qu’ils vivent

1. Au cœur du système : niveau des personnes et de leurs interactions

Elèves Enseignants Parents

2. Niveau de l’institution scolaire

Des objets : les savoirs Une démarche : apprendre ; réciprocité Un système organisateur : l’organisation en réseau

3. Niveau du territoire environnant

Création collective et coopération

4. Niveau du social, culturel, politique… englobant. Toute la société : ensemble des citoyens, État…

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Ce niveau ne sera traité en tant que tel. Il l’a été par les historiens, sociologues, responsables institutionnels représentants de l’État. La question de la confiance en l’avenir (qui nécessite de croire en sa société et en son amélioration possible) traverse toutes les parties précédentes.

Pour conclure

Deux histoires qui continuent à donner du sens à ce que je veux faire. Apprentissages analogi-

ques de conditions de la confiance

Le schéma qui suit visualise l’organisation mon témoignage

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Quid de la confiance, des différentes formes de confiance, à ces différents niveaux et dans ces différents pôles

4. Niveau s-du social global Rôles des instances politiques de l’État Confiance dans l’avenir :

personnel

collectif

3. Niveau du territoire Coévolution, coopération, pour faire un territoire apprenant

1. Niveau des person-nes :

Élèves

Enseignants,

Parents

administrateurs

2. Niveau de l’institution scolaire et de ses missions

A. Un système fonc-tionnel

Réseaux :

de pairs

d’enseignants

d’institutionnels

etc.

B. Une démarche

apprendre

pédagogie

réciprocité

A. A. Des objets Tous les savoirs de tous, pour tous, par tous

Ils apprennent ce qu’ils vivent !

Tous, nous apprenons ce que nous vivons !

La confiance donc, elle aussi, s’apprend en se vivant, vous l’avez tous dit.

En apprenant des connaissances, des savoir-faire… on apprend le système par lequel et dans lequel on apprend.

Le risque n’est-il pas, dans notre système scolaire tel qu’il fonctionne – et dans notre société telle qu’elle s’oriente – d’apprendre :

1 la compétition (la rivalité, les classements, la comparaison avec autrui…) ? 2 le conformisme (les catégorisations qui uniformisent et dans lesquels on se moule : sur-

tout « être comme les autres ») ? 3 la consommation (l’écoute – apparente – passive, un être présent sans implication, sans

questions…) ?

1’ à compétition, préférer, opposer, pratiquer : coopération, solidarité. 2’ à conformisme, préférer, opposer, pratiquer : esprit critique, autonomie de pensée,

émancipation. 3’ à consommation, préférer, opposer, pratiquer contribution, co/construction, création

coopérative, citoyenneté, responsabilité.

1’’ coopération fondée sur la confiance en soi, en autrui. 2’’ esprit critique et émancipation (des modes…) fondés sur confiance en la capacité de cha-

cun de penser le réel. 3’’ création collective, citoyenneté fondées sur confiance en l’avenir, en l’institution, en la

capacité de l’institution de s’améliorer, en la société de devenir plus juste, y compris pour soi.

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1. Compétition 2. conformisme 3. consommation

1'. Coopération

Solidarité

2'. esprit critique

Émancipation

3'.création collective Citoyenneté Res-

ponsabilisation

1''. Confiance en soi, estime

de soi/confiance en autrui

2''. Confiance en la capacité

de penser le réel de tout un

chacun

3''. Confiance en l'avenir, en l'institu-

tion : en la société et leur capacité de

changement pour devenir plus justes

Entendu dans les films faits par les jeunes du lycée dans lequel nous sommes : « On a gardé toutes les formes de confiance qui ont été évoquées » : autrement dit, ils ont partagé avec nous, d’emblée, un regard complexe, un regard capable de saisir la complexité du réel.

Ils ont manifesté leur compréhension (et donc appris) de la complexité des systèmes vivants.

Les personnes Je ne « rebondirai » ici que sur : les élèves, les enseignants, les parents, faute de temps. Il est tout aussi important de réfléchir sur les personnes qui administrent, entretiennent, interviennent, coopèrent (en différents partenariats : psychologues, chercheurs, associations…).

Les élèves

Je ne fais encore que reprendre autrement tout ce dont vous êtes porteurs. Tout ceci vaut aussi pour les adultes de et autour de l’institution.

Les élèves à considérer tous comme étant de la même humanité.

Toujours partir de l’a priori de l’égalité des intelligences (Jacques Rancière) ; l’a priori de la capacité de chacun à devenir capable, à se rendre capable d’apprendre, de comprendre, de créer, de contribuer… ; de la capacité, pour chacun, de mouvement, d’évolution, de coévolution…

Chaque élève est à considérer dans son besoin de beau : je reprends ici l’introduction de M. le proviseur de ce lycée qui indique l’importance du beau : cet établissement et son alentour sont beau ; non seule-ment tout un chacun a besoin de beau pour construire son estime de soi et la confiance en soi, mais tout un chacun « mérite » du beau.

Tout un chacun a besoin d’eau, d’air… pour vivre. Mais il a, tout autant, besoin de :

sens. C’est-à-dire comprendre, donner valeur, savoir où il va et souhaite aller, quelles significations il choisit de donner à sa vie et au monde, voir ses sensibilités prises en compte, pouvant s’exprimer positivement. Bruno Bettelheim propose comme un des signes de l’éducation réussie : « avoir suf-fisamment de relations durables et donner ainsi un sens à sa vie ». Voici un « et » bien impression-nant. Et qui remet la confiance au cœur de la construction du sens. En effet, les relations durables se construisent-elles sans suffisamment d’estime de soi et de confiance en soi, de confiance en autrui… ?

reconnaissance. « Le « Je » se construit de tous les « Tu » qui l’ont nommé » rappelait Albert Jac-quard. Phrase terrible quant à la responsabilité des adultes éducateurs ! Banalité extrême, surtout devant vous, que de dire que nous avons tous besoin de reconnaissance pour nous construire, pour grandir, pour apprendre, pour nous relier, pour créer… une reconnaissance justement régu-lée par la reconnaissance de chacun des autres. Une reconnaissance qui permet à chacun d’être renommé par tout ce dont il est porteur : re/nommé, nommé à nouveau… Chacun, rappelle Marie-Christine Toczek, a besoin d’être considéré comme quelqu’un de bien !

affection. Ça se traduit à l’école par : « je suis intéressé, moi enseignant, moi administrateur… à ce que tu réussisses… ». autres mots possibles : bienveillance, respect Etc. encore que… « tout acte d’éducation est un acte d’amour, donc un acte de courage » affirme Paulo Freire…

justice. C’est-à-dire avoir confiance dans une école qui serait une chance pour chacun, c’est-à-dire pour « moi » tout autant que pour chacun des autres : ce qui casse autrui me fait craindre pour moi-même… casse aussi ma confiance dans une institution qui signifie ainsi qu’elle me met en dan-ger et m’oblige à essayer différentes stratégies (contribuer à la casse d’autrui ; me séparer de celui-là ; me fondre dans la masse…).

Monsieur le Ministre, au début de cette rencontre, a utilisé l’expression « avoir foi ensemble ». Donc, aussi, avoir foi ensemble et singulièrement en chaque enfant, chaque jeune (chaque enseignant, chaque parent…). Avoir foi en lui comme être d’une absolue singularité, imprévisible, indéterminé, indétermina-ble. Cela nous rappelle notre vigilance nécessaire envers les catégorisations (CSP, fiches de début d’an-née dont la nocivité a été relevée dans l’atelier N° 1…) ; et d’une absolue complexité. « Je ne me résume pas à l’école » dit une élève dans un des films. Rêvons : l’école comme un lieu où l’on pourrait faire émerger, mettre en valeur, partager… cette complexité !

Besoin Plus que nous adultes, les enfants et les jeunes ont besoin d’avoir confiance en un présent où ils aient,

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en un avenir où ils auraient (je m’appuie, ici, sur des apports de Fernand Deligny, éducateur) : des relations qui leur conviennent ; des activités qui leur conviennent ; un monde psychoaffectif qui leur convienne.

On mesure bien, alors, la nécessité de la coopération entre tous les adultes et toutes les institutions qui se préoccupent d’éducation, d’instruction et de socialisation des enfants et des jeunes.

Chacun – et tous – porteur de savoirs et de besoins et de désirs d’apprendre Vous avez, à plusieurs reprises, rappeler ce pari de l’éducabilité nécessaire dans vos métiers. Tous capa-bles d’apprendre, d’apprendre à apprendre, d’accompagner l’apprentissage d’autrui et/ou d’apprendre à le faire, de transmettre et/ou d’apprendre à le faire. (Repérer ses savoirs, c’est – l’apprentissage étant toujours le résultat d’un apprentissage – repérer que l’on a déjà su apprendre (de multiples façons, par de multiples chemins, dans de multiples situations de vie, en s’appuyant sur de multiples relations…) et donc se faire confiance, commencer ou recommencer à se faire confiance pour apprendre. Un « mouvement » est possible ! Se dire et dire : « je sais… ceci ou cela », c’est prendre de la distance avec le « je suis nul ». C’est pouvoir se dire « je ne sais pas… encore ». Posture nécessaire pour sortir de l’humiliant « je suis en échec scolaire = je suis un échec scolaire »…

pour réduire les humiliations, pour refuser d’intégrer ce qui est dit de vous sans vous (Marie Balmary : le sujet annule tôt ou tard ce qui se fait en lui sans lui »).

Chaque enfant, chaque jeune (chaque adulte) est un être de relation (nouvelle banalité !) Rappelons-nous Martin Buber1 indiquant l’importance pour les « Je » d’être en relation avec un « Tu » et non un « cela ». Le Je du Je/Tu n’est pas le même que celui du Je/cela (ou l’autre, inter-prété est constitué comme un objet). Un Je singulier, donc, mais relié, par une multitude de liens différents. Liens qui peuvent libérer ou ligoter ! « Je venais de l’autre rive » dit Rahil dans un des films. Oui, l’autre est toujours sur l’autre rive. Porteur d’inconnus pour nous, pour moi. Deux exemples me viennent à l’esprit :

avec une trentaine de mes anciens élèves (de 1968 à 1975), nous avons écrit l’ouvrage « Plaisir d’aller à l’école. J’ai rencontré D., coiffeuse dans une ville des Alpes. Son témoi-gnage est très émouvant mais, évidemment très incomplet et tant mieux. Ce qu’elle m’a raconté de ce qu’elle vivait à l’époque (j’avais bien sûr compris, alors, que sa vie n’était pas un chemin semé de roses) m’a effarée. Je m’autorise ici à citer ce que cela m’a donné envie d’écrire dans l’ouvrage cité ci-dessus compris que sa vie n’était pas un chemin de roses) m’a effarée. Je m’autorise ici à citer ce que cela m’a donné envie d’écrire dans l’ou-vrage cité : « L’extrême nécessité pour les enseignants d’être extrêmement bienveillants a priori pour chaque enfant et jeune dont il a la responsabilité ! Bienveillance à élargir, enri-chir, nuancer extrêmement. Dans la mesure où une grande part de ce que peuvent vivre ces enfants et ces jeunes comme souffrances lourdes et permanentes est souvent extrême-ment ignorée de leurs enseignants. Les enfants se taisent sur ces souffrances. Elles n’appa-raissent pas non plus dans les lettres et témoignages précédents où il n’est pas question, pour qui que ce soit, de mettre à nu son intimité ni de « revenir » sur des choses surmon-tées. Sans cette bienveillance absolument inconditionnelle, on ne peut ni comprendre pourquoi certains enfants ne sont pas disponibles pour apprendre ; ni donc assurer positi-vement la fonction d’enseignant. »

Grand écrivain, brillant intellectuel, fils d’une femme qui a exercé l’emploi de femme de ménage, originaire d’une famille très pauvre, Michel Ragon indique, dans une interview au journal Télérama « qu’il s’est toujours senti mal à l’aise sur la rive des érudits » ; comme s’il y avait, dans sa présence au milieu de ces érudits, une mystification qui allait être découverte !

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Les enseignants On pourrait dire, ou redire avec des nuances, tout ce qui vient d’être dit. Mais avec quelques outils de distanciation puisque l’enseignant, lui, a fait le choix d’accompagner, d’instruire, d’éduquer, cet enfant, ce jeune.

Vous avez souvent évoqué la question de la formation des enseignants. Quid de la formation récipro-que entre enseignants ? Apprendre à l’autre, apprendre de l’autre ? De la mutualisation des pratiques, des expériences, des outils ? Ne sont-elles pas, trop souvent, bloquées par la défiance, la peur d’être considéré comme « faisant du zèle », voulant « donner des leçons », « se mettre en avant » ? Or, les enseignants (au moins ceux qui s’interrogent…) sont, eux aussi, beaucoup plus porteurs de savoirs utiles pour enseigner qu’ils ne le savent, qu’ils ne se le disent à eux-mêmes, qu’ils ne le montrent, que leur institution ne le sait. Ils ont, également, beaucoup plus de besoins et de désirs d’apprendre, de continuer à apprendre –et ceci à tous les niveaux des institutions scolaires : niveaux au sens de la maternelle à l’université : ne faudrait-il pas d’ailleurs davantage de croisements entre ces niveaux là, d’informations réciproques ?) ; niveaux au sens des hiérarchies fonctionnelles : on voit, là, un lien nécessaire entre responsabilité et apprentissa-ge : tout changement et/ou accroissement de responsabilité nécessite de nouveaux apprentissages !

La question de votre légitimé a, plusieurs fois, surgi dans vos débats Certes, l’enseignant est légitimé par ses connaissances. Pas question, sous prétexte d’une parité de faux-semblants de faire comme s’il n’en savait pas plus que l’élève. De faire comme si l’élève pouvait tout re-trouver. De faire celui qui n’a rien à transmettre. De confondre disparité cognitive (évidente) , disparité dans la responsabilité (évidente) et parité comme être humain capable d’apprendre. Mais, à un moment de notre histoire commune où nous voyons bien que les enfants et les jeunes (mais c’était déjà le cas ! C’est mieux reconnu. Et les outils d’accès, au moins techniques, aux savoirs sont plus diffusés) apprennent beaucoup en dehors de l’institution, cette légitimité-là leur semble quelquefois mi-se en question, contestée. D’où une crise de confiance qu’’ils vivent mal, et ils ont raison. Il leur est donc nécessaire de voir reconnues d’autres sources de légitimité. En voici quelques-unes émises par tel ou tel d’entre vous :

Sa cohérence : cohérence entre le dire et le faire…) Son quotient… relationnel (voir les travaux d’Olivier Clerc) Son inscription dans une équipe faite d’acteurs multiples et porteuse de projets ambitieux et ré-

alistes Son ouverture vers le milieu environnant Son empathie Ses choix éthiques et ses outils pour les faire advenir concrètement, pour les faire réussir (et ils le

savent ! et ils les voient), mais pas seul. Tout cela dans un temps de l’enfant ou du jeune qui oriente les temps institutionnels, qui est respecté. Comment ? Parce que l’enseignant « fait équipe » et que, grâce au projet d’équipe porté par cette équi-pe, il peut y avoir continuité dans le temps de l’enfant, continuité horizontale et transversale (à travers les disciplines) continuité verticale (à travers la succession dans les différentes classes et les liens créés

ainsi par le projet d’établissement.

Vous avez également évoqué, à plusieurs reprises, la question de la défiance Plusieurs intervenants ont magnifiquement montré les sources de cette défiance réciproque : entre en-seignants ; entre les enseignants et l’institution représentée par son administration à plusieurs niveaux de territoire ; défiance parents et enseignants ; défiance vis-à-vis des collectivités territoriales ; défiance entre l’école et le monde associatif ; entre l’école et la société… Les raisons historiques et sociologiques vous ont été présentées. Vous savez que cela peut conduire à l’impuissance. Qui suis-je, moi, enseignant de terrain, qui, ainsi, prend conscience de toutes ces défiances construites et renforcées par l’histoire, pour affronter ce monstre ? Cela peut, certes, et en partie, me déculpabiliser : oui, cette défiance a été intériorisée depuis longtemps par tous les acteurs concernés. Mais cela peut écraser. Il n’y a rien à faire !

Mais, vous avez aussi noté que cela bouge un peu. Et que cela peut valoir le coup de s’appuyer sur ces pas à pas pour les potentialiser, les prendre comme tremplin… :

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La confiance (en soi mais, nous parlons surtout ici de la confiance dans l’évolution que nous espé-rons de notre institution scolaire) peut se nourrir de :

grandes utopies petites avancées non négligées (négliger = ne pas relier).

Il y a du courage à refuser la désespérance.

Enfin, autre parole entendue : « on reste dans les lieux dits difficiles si on y trouve une équipe créative ». Formidable encouragement à créer ! Créer. François Plassard2 (créateur de projets collectifs) propose, pour aider à comprendre quand advient la création collective coopérative un schéma où ces trois pôles - des contraintes affron-tées, une volonté et un ou des éléments catalyseurs- sont liés. Revisitons ce schéma à partir, justement de ce qu’affrontent des enseignants en arrivant dans ces territoires identifiés toujours (et seulement !) comme difficiles.

1. Ils sont stigmatisés. Et leurs habitants intériorisent tous cette dévalorisation. Il y a effectivement des formes de violences. Une hétérogénéité qui est vécue comme difficulté Etc. Vous savez tous cela. Pas question de se voiler la face. Comme dans les ateliers d’écriture, la contrainte, l’obstacle peut être source de créativité, à quel-ques conditions cependant.

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1. Obstacles Contraintes Difficultés

2. Ça suffit Colère Volonté Refus Non consentement

actif à ce qui dégrade autrui

3. Elément catalyseur Rencontre Formation Partenariat Autres expériences

2. D’où nait un jour un « ça suffit » ! Vis-à-vis de quoi ? Comment est-il partagé ? vécu, non comme « empêchement mais comme stimulant. Source de volontés partagées ; de construction d’une vi-sion commune de la réalité, d’une envie d’essayer… 3. et souvent un événement catalyseur ouvre la piste de la création collective : une rencontre, une formation, le récit d’une autre expérience, l’arrivée d’une personne fédératrice d’énergies… une idée où l’on retrouve ce qu’on a déjà vécu ; une idée qui donne envie de la tester… Alors, Ces lieux deviennent les laboratoires de l’école à venir, de l’école qu’il nous faut à tous : les ac-teurs - enseignants, élèves, parents…- se savent-ils les « laborantins » de la création de l’école ? Pas sûr ! En tout cas, ils partagent de la fierté créatrice de confiance en soi, de confiance récipro-que, de confiance en l’école, de confiance en l’avenir. Ils sont les inventeurs de la pédagogie bon-ne « pour tous » (vous avez donné des exemples : j’ai retenu l’expérience du portfolio…).

Les parents Commencer par les considérer comme porteurs de beaucoup d’expériences que nous ne connais-sons pas : sur le plan de leur histoire personnelle, culturelle, professionnelle, sociale…

Ils peuvent être des alliés. Dans mes débuts d’enseignante, à Orly, « j’ai eu besoin des autres et, en particulier, de ces mères, pour réussir dans mon métier. Dès le début de mon activité profession-nelle à Orly, j’invitais les parents à venir me voir (je ne les ai jamais « convoqués ») pour qu’ensem-ble nous aidions leur enfant, « mon » élève, à mieux réussir. Ce n’était pas d’abord une stratégie de pédagogue mais une véritable conscience de mon impuissance à faire avancer tel élève vers sa ré-ussite, vers des formes d’excellence, sans coopération parents/enseignante. Nous avions des pers-pectives (eux comme parents/éducateurs, moi comme enseignante/éducatrice) différentes et com-plémentaires. On se devait de les articuler. Ils m’ont beaucoup appris. Attention, je ne dis pas qu’il en était ainsi avec tous les parents. *…+.3»

Ils sont aussi des personnes qui savent et ne savent pas. Comment croiser nos savoirs ? Comment apprendre ensemble ?

Humiliation. Les parents d’enfants en difficulté scolaire (ou pour lesquels l’école est en difficulté parce qu’elle ne sait pas comment faire) le vivent comme une humiliation. Ils vivent l’humiliation vécue par leur enfant (je l’ai vécue pour un de mes quatre enfants, alors que j’avais des branches auxquelles me raccrocher). Voir à ce sujet les travaux de Rosine Debray montrant à quel point fonctionne ce cercle vicieux lorsqu’il s’agit d’enfants qui ont du mal à vivre heureux : la mère vit qu’elle n’a pas su rendre son enfants compétent ; lui vit qu’il n’a pas su rendre sa mère compéten-te comme mère ; en arrivant à l’école, si, comme on peut le penser, ça ne marche pas, encore une fois, l’enfant ressent qu’il n’a pas su rendre son enseignant compétent, celui-ci vit qu’il ne peut faire réussir cet enfant, etc.

Monsieur le Ministre propose de tenter de se regarder comme alliés. C’est fort ! Il a raison. Oui. Mais, c’est qui, qui commence ? On voit, là, la nécessité de travailler, de part et d’autres, sur nos représentations ; elles-mêmes enracinées dans nos histoires personnelles (y compris scolaires) relationnelles, institutionnelles… Elles sont à réinterroger sans cesse.

Pour toutes personnes Madame Toczek a partagé avec les participants du colloque une analyse fondée sur des expérien-ces passionnantes de psychosociologie expérimentale. Nous avons été nombreux, je crois, à voir se renforcer ce que nos expériences et nos analyses nous ont appris ; à recevoir des mots pour les dire ; à comprendre des dimensions de la confiance ou de la défiance, de l’échec et des stratégies pour conserver l’estime de soi… qui vont nourrir les regards que nous porterons sur les réalités que nous avons à vivre.

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« Nous avons tous besoin de nous considérer comme quelqu’un de bien. » C’est dit simplement. C’est dit clairement. Nous savons que c’est vrai. Nous avons à en faire quelque chose. Une des difficultés pour cela : c’est toute la question de la surestimation de soi ou de la sous-estimation de soi. Le niveau du « je suis quelqu’un de bien » est difficile à travailler. La surestimation de soi (ou son besoin) peut conduire à la rivalité (cette chose si peu travaillée à l’école, dans la faille, dans les institutions, dans les associations…). A l’écrasement de l’autre. A son humiliation. A la séparation d’avec celles et ceux qui ne sont plus tout à fait « fréquentables » ! Elle entraine la sous-estimation d’autrui. D’où arrogance ; compassion ; dévouement ; rejet ; agressivité… La sous-estimation de soi, c’est évident, entraine insuffisance de confiance en soi, de tension vers autrui, de confiance dans les institutions (les trois mouvements nécessaires pour être responsa-ble). Surestimation et sous-estimation sont incompatibles avec une véritable coopération ! Elles re-créent des rapports de domination/soumission. D’où l’intérêt, à mon sens, de la réciprocité positive : parité/altérité : chacun (et ça vaut pour tous) est savant et ignorant, mais pas des mêmes choses ; peut offrir et recevoir, mais pas les mêmes choses, ni de la même façon, etc. Chacun, en expérimentant ces deux rôles (être accompagné pour apprendre et accompagner un autre ou d’autres pour qu’il réussisse à apprendre) comprend mieux les deux rôles et garant (en partie) que, peut-être des rapports de domination et de soumis-sion ne se recréeront pas. Une construction réciproque de la confiance. Equilibrer et ré/équilibrer sans cesse ces risques de sur et sous estimation. Ça vaut la peine de nous inviter à travailler sur le passage de l’estimation à l’estime (voir Daniel Hameline 4).

Les savoirs On ne peut que s’appuyer sur ce qu’ils savent déjà ! Qui le sait ? Eux-mêmes ? Ils sont assez peu habitués à repérer, nommer, décrire leurs savoirs. Souvenir d’une fin de matinée, en juin dernier, avec deux classes (CE2, CM1). Les deux enseignants nous avaient demandé de proposer les échanges réciproques de savoirs à cette soixantaine d’enfants : temps par sous-groupes pour repérer et nommer des savoirs et des ignorances ; temps de formulation par chacun d’offres et de-mandes ; temps de mises en relation ; temps d’échanges ; et, en fin de matinée, tous ensemble, invités à répondre à ma question : « qu’avez-vous à dire de cette matinée ? La première petite fille qui parle (environ 8 ans) : « c’était bien parce que c’est la première fois de ma vie que je me demande ce que je sais et ce que je ne sais pas ». Vous ? Oui. Pas tout. Heureusement d’ailleurs. Leurs parents ? Oui. Pas tout. Heureusement d’ailleurs. Leurs pairs ? Camarades, frères et sœurs… Un autre enseignant ? (Intérêt de faire équipe.) On ne peut que s’appuyer sur leurs questions ! Peut-être ensemble un peu plus : intérêt de faire des réseaux ouverts et hétérogènes.

Donc Nous devons reconsidérer nos conceptions des savoirs Quels savoirs à acquérir, à construire dont ils ont besoin, dont ils auront besoin ? Et pas seulement pour avoir un emploi ! Pour être heureux ; pour aimer, créer ; pour avoir des amis ; pour avoir les activités qui leur conviennent ; pour participer aux débats démocratiques ; etc. banalité encore ! Vous savez tout cela bien mieux que moi.

Les savoirs sont toujours le résultat d’un apprentissage. Les aider à les repérer, c’est leur donner la preuve qu’ils ont déjà réussi à apprendre et le peuvent encore. Certains ne le savent pas, ne l’ont jamais su, ne le savent plus.

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S’appuyer sur cette affirmation, c’est les aider à repérer, nommer, décrire, inventer… des multi-ples chemins de l’accès aux savoirs. D’identifier que cette multiplicité concerne bien les méthodes, les outils, les postures, les personnes, les formes d’intelligence, les temps, les lieux, les applica-tions… Ils ne savent pas les repérer, les nommer « apprentissages », les décrire, donc les réutiliser… Un enseignant peut les y aider mais les enseignants sont-ils bien formés à cela ?

Les savoirs comme tissés Un enseignant peut les aider à voir que chaque savoir est :

relié à d’autres savoirs (exemple dans un réseau territorial : constatant lors des échanges « cuisine » que le pois-chiche était commun dans toutes les cultures des pays du pourtour médi-terranéen – et même jusqu’à Ceylan – des participantes au réseau se posent des questions qui les amènent à faire de l’histoire ancienne et de l’histoire contemporaine, de l’archéologie, de la litté-rature (de Homère à…), de l’histoire de l’alimentation, de la géographie, de le recherche en lan-gues (rapport du mot pois chiche en latin « cicer » et du nom de Cicéron qui avait sur le nez une grosse verrue comme un pois-chiche), de la découverte de sculptures, de l’herboristerie et de la diététique… !

Résultat d’une activité mentale complexe (voir, chez Michel de Certeau, qui compare les activités mentales de la cuisinière dans sa cuisine à celles du chercheurs dans son laboratoi-re : s’appuyer sur le patrimoine culturel ; construire une problématique ; faire une hypothè-se, la vérifier ; si elle est infirmée, on en fait une autre ; si elle est confirmée, on la partage dans la communauté des cuisinières amies ou des chercheurs du même domaine…).

Tissés de savoirs multiples : connaissances, savoir-faire, intuition, savoirs de l’ordre du sen-sible, de l’émotion, des sentiments, savoir-être : gérer son temps, repérer ses erreurs…

Tremplin pour d’autres apprentissages. Alors, la danse ; ou les cocottes en papiers, ou le roller ; qui donnent confiance en soi, qui donnent le goût de la relation ; qui… ; qui… ; qui… ne sont plus des « détours » mais le vrai chemin qui a conduit tel ou tel vers un autre savoir qui lui était moins accessible.

Et l’on pourra alors, tranquillement, remettre en question la classification savoirs formels et savoirs informels. Je ne remets pas en question cette catégorisation intéressante. Mais elle ne doit pas s’appliquer ainsi : le formel serait ce qui est appris dans une institution formelle ; l’informel, ce qui est appris en dehors (n’importe comment ?). Ce qui serait encore une fa-çon de hiérarchiser les savoirs alors que nous pourrions les considérer comme incommensu-rables. Il y a, bien sûr, dans l’institution scolaire, des acquisitions de savoirs formels, de sa-voirs informels et de savoirs non formels ; idem dans la vie sociale autre que celle de l’école ; et, dans tous les cas, il est sans doute plus intéressant de les penser en continuité que sépa-rés.

Je vous propose une classification autre, qui s’applique tout autant à des savoirs acquis dans l’école qu’à des savoirs construits hors de l’école. Elle est utilisée par Pascal Galvani 5 pour présenter les savoirs qui circulent dans les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs® : 1. Les savoirs formels et contenus théoriques 2. Les compétences pratiques et les savoirs d’ac-tion 3. La connaissance existentielle.

Elle pourrait s’enrichir encore de la proposition de Gérard Malglève 6 de considérer que les savoirs sont « en continuité » : un savoir qui se pratique, « savoir pratique » ; en prenant conscience que l’on en dispose, que l’on peut l’utiliser ici et là, le transmettre, on en fait un savoir-faire ; il est constitué de savoirs procéduraux ; et si l’on se pose, à son propos la ques-tion du « pourquoi » (pourquoi faire ainsi, par exemple), on théorise.

Une raison d’avoir confiance dans notre époque et dans l’histoire de l’école : elle a vu s’opérer une triple laïcisation des savoirs7

les savoirs ne sont plus ni des objets sacrés, ni seulement dignes des « élites » ; ils sont des biens communs, « de droit » pour tous. Reste à le réaliser !

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Ou encore, posés autrement : comment faire pour que des porteurs de savoirs différents se ren-dent plus proches les uns des autres ? Plutôt que d’attendre que naisse une motivation improba-ble pour tel savoir (ça nait d’où ?), réaliser que souvent, les motivations, l’appétence à apprendre, la curiosité nécessaire pour questionner et avoir des chances d’apprendre, de réinterroger ses conceptions, tout cela nait souvent des relations. Baudouin Jurdan, alors professeur d’épistémologie à Strasbourg, se préoccupe de l’accès aux sa-voirs scientifiques et techniques pour les citoyens. Dans le Réseau d’échanges réciproques de sa-voirs qu’il a contribué à créer, en apprenant la cuisine, il éveille la curiosité de participantes à des questions scientifiques auxquelles il peut répondre ; devant des fours à micro/ondes, il leur en ap-prend l’histoire scientifique. Elles sont, alors, avec lui, dans une sécurité psychoaffective et cogniti-ve suffisante. Elles peuvent poser des questions sur des champs (l’histoire des sciences, l’épisté-mologie) dont elles ne savaient même pas qu’ils existaient.

Tout cela réinterroge, et cela a été dit pendant ces journées, la forme scolaire. Les clercs sont dé/saisis de leur pouvoir de rétention et de maîtrise, ils ne sont plus les seuls pos-

sesseurs des savoirs et les seuls maîtres de leur transmission : tout le monde est suffisamment di-gne de cette transmission, chacun (et tous) peut apprendre à transmettre ses savoirs, chacun (et tous) peut tenter d'apprendre, sans qu'aucun savoir ne lui soit interdit ; reste à le réaliser ! Ce fai-sant, en se proposant d’accompagner autrui dans ses apprentissages, chacun progresse dans ses apprentissages. Tous les enseignants qui ont mis en place du tutorat entre élèves (disons qu’ils sont bien déjà dans une posture de confiance donnée) reconnaissent que l’enfant tuteur progresse dans la matière où il est tuteur. Alors ? Qu’attendons-nous pour qu’ils soient tous tuteurs dans toutes les matières ?

L’enseignant alors ? Non, il ne perd ni son rôle à jouer, ni son autorité… il devient le garant de ce que, là, les élèves apprennent vraiment. De ce qu’ils apprennent à apprendre, à chercher les sa-voirs, à interroger les sources, du fait qu’ils interagissent positivement, qu’ils pensent, qu’’ils se renforcent, qu’ils s’éduquent à l’entraide et à la coopération, qu’ils vivent des valeurs justes. Et qu’ils acquièrent, de surcroît, mais n’est-ce pas tellement essentiel, de la confiance en eux, en au-trui, en l’école, en l’intérêt d’apprendre, dans les savoirs parce qu’ils aident à comprendre, à vi-vre… ? L’enseignant a bien du être présent ! Rien, jamais, aucune technologie de la distance, ne le remplacerait dans ces rôles-là !

Tout cela réinterroge la forme scolaire.

Enfin, chacun est jugé capable et digne de contribuer à la définition de l'humain et d'apprendre ainsi à construire du sens. La confiance. La pédagogie. Les institutions. Les stratégies. Le sens, ici, n'est pas donné à l'avance. C'est le cheminement de chacun, en lien avec les autres, qui laïcise la construction du sens. Une laïcité en pédagogie qui laïcise la construction du sens ! Beau projet pour des humains, beau projet pour être humain ! Reste à le réaliser ! C’est une ambition forte pour les enseignants, les élèves… les parents, ensemble. Vous vous êtes posé, par exemple, la question de « l’heure de vie sociale ». Une éducation humanisante. Nous avons été véritablement émus par la présence forte, digne, in-telligente, aussi bien des élèves dans le film que de l’élève qui était discutant dans la disputation du premier jour. Ils en sont capables ! Dès tout- petits ! A quel point les sous-estimons-nous ! Il ne s’agit pas de les faire grandir plus vite qu’il ne faut. Mais si, toujours, nous les considérions (pas vous ici, vous le faites ; mais il faudrait que vous soyez – de ce point de vue-là – contagieux) com-me capable de penser sur la vie, leur vie, ils le feraient avec joie.

Les savoirs « sur » la confiance Ils existent. Ils bougent. Ils peuvent nous bouger. Vous nous en avez donné une belle preuve et en de multiples disciplines qui se sont tissées ici : histoire sociale, histoire des institutions, connaissances sur d’autres institutions ; la confiance dans des institu-tions d’autres pays ; des connaissances apportées par la psychosociologie expérimentales ; des savoirs d’expériences, des outils méthodologiques… Vous nous confirmez ceci, que nous partageons bien évidemment avec vous : il est nécessaire de tou-

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jours relier action – formation – recherche –éthique.

Et chacun est responsable de ce lien. Les enseignants-chercheurs de métiers (universités ; laboratoires de recherche) ; les praticiens-chercheurs que tous les enseignants pourraient être ou devenir ; les pa-rents associés à des recherches expérimentales ; les élèves auxquels seraient toujours proposés à la fois recherches dans le patrimoine existant, appropriation, tâtonnement expérimental, construction de pro-jets… Alors, ce qui nait de cela, c’est la fierté de l’intelligence partagée. Confiance. Estime. Reconnaissance.

Mais savoir ne suffit pas. Voir les travaux d’Eric Maurin : Le ghetto français. Enquête sur le séparatisme social, La République des idées / Seuil, 2004. Nous voulons soutenir, faire vivre, réinventer, valoriser l’école de la république. En travaillant, en parti-culier, sur la confiance dans ses multiples dimensions. En tentant d’être cohérents. Mais si nos enfants (ou petits-enfants) rencontrent des soucis, nous les changeons de secteur, ou même les inscrivons dans le privé (y compris le privé qui n’est pas sous contrat avec l’Etat). Il ne s’agit pas de culpabiliser qui que ce soit ! Chacun fait au mieux. Cela signifie que nous n’avancerons sur cette question de la confiance, par exemple, que nous ne pour-rons sortir de nos contradictions, qu’ensemble. Peut-être, je le crois, je l’espère, sommes-nous dans un bon moment pour cela, pour que cette école de la bienveillance progresse. En choisissant ce thème pour votre colloque de vos trente ans d’existence, vous donnez un signal fort. Je n’ai qu’un regret ! Mais un gros. Un regret « général » : il aurait fallu que des centaines d’enseignants soient présents. Un regret sur ma propre attitude : mais pourquoi donc n’en ai-je parlé à personne dans nos propres Réseaux ! Un espoir : que l’idée d’Université permanente entre les associations membres du CAPE8 permette de vrais croisements entre nos travaux, nos points de vue, nos thèmes de travail.

Apprendre Pour pouvoir apprendre, il faut :

suffisamment de désir, d’appétence, de curiosité. Tout cela nait, nous l’avons dit, plus souvent qu’on ne le croit, des belles relations, des reconnaissances reçues et dans lesquelles on peut se reconnaitre (pas pour faire du bien). Donc de la confiance…

suffisamment se croire capable d’apprendre. Sentiment de capacité fondée sur les expériences vécues de confiance reçue.

des possibilités réelles d’apprendre. Penser qu’on peut avoir poids sur les institutions. Qu’on y a sa place. Qu’on y a droit. Qu’on peut les mettre à sa main. Qu’on peut les améliorer. La responsabili-té considérée comme la quête éthique la plus essentielle à l’être humain (Ricœur) ; et elle se fon-de sur trois mouvements :

suffisamment d’estime de soi (comment nait-elle si ce n’est pas la confiance reçue ?) ; suffisamment de tension vers autrui (comme nait-elle si ce n’est par la confiance parta-

gée, réciproque ?) ; suffisamment de désir de vivre dans des institutions justes (comment nait-il si ce n’est

par la confiance co/construite qu’elles peuvent s’améliorer en justice et en justesse ?).

La réciprocité pour apprendre

Je ne vais pas, ici, imposer nos façons de voir la réciprocité formatrice comme une bonne démarche pour l’école dans une pédagogie plurielle où ces « bonnes » démarches pourraient davantage se tisser. Je l’é-voque très vite. Une réciprocité des dons. Que chaque personne se sache attendu pour ce qu’elle peut apporter dans sa société. C’est un antidote à la seule assistance. Une réciprocité égalitaire : principe d’égalité essentiel :

1. En démocratie, un humain égale une voix (vote). Mais, dans nos sociétés, certains sont sans voix.

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2. Pour des raisons pédagogiques. « Je n’entends ce que me dit l’autre que s’il me parle comme à un égal » dit le philosophe Emmanuel Lévinas. Si cette égalité est postulée, ce que l’autre m’enseignera, je pourrai me le redire, le reconstruire en moi, le relier et le confronter à mes savoirs et à mes questions.

Une réciprocité pédagogique

L’offreur, quand il désire instruire autrui, apprend lui aussi à plusieurs moments : lorsqu’il refait le par-cours de son apprentissage, lorsqu’il explore son propre savoir ; lorsqu’il reformule ses savoirs ; lors-qu’enfin il répond aux questions de l’apprenant. Le demandeur se constitue intérieurement comme chercheur de savoir : il entreprend d’apprendre.

Une réciprocité dans les rôles

Enseigner et apprendre : vivre ces deux rôles permet de mieux apprendre chacun d’eux.

Une réciprocité coopérative

Ce sont les offreurs et demandeurs qui construisent ensemble leurs façons d’apprendre.

Une conscience de réciprocité

Enfin, la réciprocité n’existe vraiment que si chacun a conscience qu’il est dans une relation de réciproci-té.

« En réseaux » Des réseaux ouverts, transversaux, où chacun est considéré comme centralement intéressant par où il est centralement intéressé. Et qui peut ainsi, cheminer dans des intérêts qu’il n’imaginait pas. Il me semble que c’est la posture que vous avez tous eu pendant ces trois jours. Recevoir des autres ce qu’ils ont construits par et dans leur histoire, leur métier, leurs pratiques, leurs recherches. Vous avez vécu trois jours de butinages réciproques où chacun a fait son miel de ce que l’autre acceptait si volontiers de partager. Merci.

Territoire et réseau Beaucoup de choses ont été dites qui seront sûrement dans vos actes et qui sont déjà dans vos notes. Elles m’ont fait penser à deux points de vue :

Celui d’Ivan Illich Poser à quelqu’un, dit-il, la question « Où habites-tu ? » c’est lui demander : « D’où est-ce que ton exis-tence façonne le monde ? ».

Nous avons besoin d’être enracinés dans des territoires. Qui renvoient de la fierté, de la dignité, du beau, du possible, des valeurs… L’école comme territoire elle-même peut-elle le faire ? Certes ! Peut-elle être considérée par les habitants du territoire comme une des richesses du territoire ? Certes. J’aurais aimé que toutes les classes de France aillent voir le très beau film « Le chemin de l’école » ! Ce que j’ai vécu à Orly, c’est que l’école a pu être comme un foyer de savoirs, de créations et de rela-tions. Et avoir ce rôle intéressant de contribuer à constituer le territoire de vie comme un territoire ap-prenant : on apprenait partout !

Nous avons besoin de réseaux. Réseaux interpersonnels. Réseaux entre institutions. Réseaux entre insti-tutions et associations. De réseaux qui élargissent, pour chacun de ses centres (toutes les personnes, tous les collectifs) d’accroître en nombre et en diversités ses territoires :

territoires sociaux : « je connais beaucoup plus de monde » ; je connais des personnes que je « n’avais pas l’habitude de rencontrer » ;

territoires culturels : apprentissages divers, accès à des savoirs ignorés ; découverte de lieux cultu-rels (bibliothèques, musées, théâtres, etc. ; découverte d’autres cultures ; de la sienne propre ;

territoires topologiques : je me déplace plus, ailleurs, autrement… ; territoires institutionnels : j’ai moins peur des institutions ; d’aller voir les enseignants de mes en-

fants… ;

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territoires symboliques : je suis mieux reconnu….

L’école a bien un rôle à jouer. Elle a eu, dans l’histoire, en partie, ce rôle de faire travailler ensemble des élèves originaires de différents milieux sociaux. Ne pourrait-elle apprendre aux élèves à se constituer des réseaux sociaux (au vrai sens du terme de social : socius=allié) et d’apprendre à les alimenter et à y pui-ser les ressources en connaissances et outils de perspectives multiples dont ils auront besoin ?

Plus l’on dispose de réseaux sociaux larges, ouverts, hétérogènes… plus l’on développe la confiance en soi : plus l’on développe des dimensions différentes de soi-même, les « personnes dans la personne dont parle l’écrivain malien Amadou Ampathé Ba.

Et plus le numérique se développe, plus l’on a besoin de construire des réseaux sociaux « en présence », de proximités.

Voilà un extrait d’un de nos ouvrages sur cette question : « La proximité. Cette question nous permet d'aborder celle de notre besoin de proximité. Certes les ré-seaux de communication facilitent les interactions à distance. Ces interactions sont-elles toujours des relations ? Ces réseaux ne suppriment pas la nécessité de relations de face à face, de côte à côte. E.T. Hall9 a montré comment la façon d’occuper l’espace en présence d’autrui est un des marqueurs de l’i-dentité. Grâce à ses nombreuses observations, Hall a identifié quatre types de distance interindividuel-les : la distance intime (zone qui s’accompagne d’une grande implication physique et d’un échange sen-soriel élevé) ; la distance personnelle (celle qui est utilisée dans les conversations particulières) ; la dis-tance sociale (elle est utilisée au cours de l’interaction avec des amis et des collègues de travail) ; la dis-tance publique (celle qui est utilisée lorsqu’on parle à des groupes). Ces distances nous permettent de construire les territoires symboliques qui entourent chacun de nous.

Qu'en est-il lorsque des enfants, des jeunes, des adultes ne sont plus, ou sont de moins en moins, dans la construction de ces territoires symboliques nécessaires ? Quand ils ne se construisent plus grâce à la pré-sence de l'autre, aux regards des autres, à des formes de reconnaissances incarnées par « quelqu'un » qui est « là » proche, présent, attentif et bienveillant ? Plus on développera les outils de communication et de formation à distance, plus on en développera l'accès, plus on travaillera sur l'accès aux savoirs en ligne et plus il nous faudra travailler sur les situations, les systèmes, les méthodes, les projets, les prati-ques qui créent des relations de proximités à la fois physiques, topologiques, affectives et cognitives.10»

La confiance est bien fondée sur des proximités positives. Madame Azéma, à juste titre, souligne le ris-que de l’« entre-soi ». Recherché parfois lorsqu’on n’a pas eu suffisamment de « cocon ».

Ne faut-il pas cultiver ce paradoxe d’avoir des lieux un peu cocon, où l’on peut réalimenter son capital narcissique lorsqu’il a été ébréché (ou pire) et des réseaux ouverts, faits de réseau de réseaux, de proxi-mités qui se diversifient au fur et à mesure qu’on les vit :

Réseaux ouverts de personnes qui se retrouvent autour de questions communes, d’intérêts communs, de projets à construire…

« Faire de l’hétérogénéité une chance » : ça s’apprend à l’école si cela se vit à l’école.

L’école comme lieu d’apprentissage de la construction de réseaux sociaux diversifiés où l’on apprend à partager les savoirs, et à puiser les savoirs dont on a besoin (voir les travaux de Michel Pinçon et Moni-que Pinçon-Charlot sur la façon des « riches » de fonctionner ainsi en multiples réseaux 11). L’école, alors, comme matrice de savoirs qui donne les forces d’aller au-delà d’elle. Et de continuer après elle.

Cela pose bien la question des apprentissages tout au long de la vie : si c’est tout au long de la vie : ça commence à l’école maternelle (avant, dans la famille, bien évidemment) et l’école doit en faire acquérir les capacités, le désir et en dévoiler toutes les possibilités…

La création collective – La coopération « Créer ensemble ou renoncer » (François Perroux12)

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Dans le nom même de votre association : « Éducation & devenir », vous annoncez que vous ne renoncez pas, que vous ne renoncerez pas !

Vous avez parlé décentralisation, déconcentration, projets d’établissements, pédagogie différenciée, coopérative, institutionnelles, travaux personnels encadrés, recherches expérimentales, recherches en sociologie…

Si « chacun a une responsabilité dans le déficit de la confiance » (autour de et dans l’école), comme le dit l’élève questionneur dans la Disputation, chacun a donc une responsabilité dans la construction de la confiance et de la coopération.

Dans le re/questionnement de ses représentations.

Dans l’obligation pour tous, personnes et organisations de ces différents niveaux de territoires, de mieux comprendre les conditions de la coopération.

Reprenant une expression africaine, Madame Clinton rappelait ceci : « il faut tout un village pour élever un enfant ». Comment mieux dire la responsabilité de tous ?

Une culture de réciprocité à développer pourrait être un bon ferment de cette responsabilité partagée et à mieux partager. Travailler ensemble les conditions de la coopération ?

Des conditions :

De l’ordre de la compréhension : compréhension réciproque, compréhension partagée de la complexité des territoires.

De l’ordre de la définition et du choix du bien commun.

De l’ordre de la formation : se former ; se former réciproquement ; apprendre ensemble ; mutualiser des savoirs différents et complémentaires…

De l’ordre de l’action : prendre le temps de construire la vision commune, l’importance de chacun…

De l’ordre de l’évaluation : au sens faire ressortir ensemble en quoi ça nous rend chacun et tous ensem-ble, plus fort en humanité…

Nous avons vu, pendant trois jours la confiance comme processus, comme posture, comme volonté et choix, comme pratique, comme théorie, comme pari, comme don, comme ambition, comme obligation morale, comme chance, comme chaine d’action, comme concept, comme mode d’action…

On peut donc la voir :

comme culture : au sens façon de dire d’être et de faire ; et au sens de Paulo Freire : la culture, c’est la façon dont des groupes sociaux s’organisent pour répondre ensemble au défi de l’histoire, de leur histoire.

comme chemin de coévolution, de co/humanisation, de coéducation, de co/instruction, de cohabi-tation, de coopération de co/création.

Deux histoires Deux histoires qui continuent à donner du sens à ce que je veux faire

Caroline

L’histoire

« Cette enfant, crispée sur un refus complet et violent de l’école, avait été placée dans ma classe : ma directrice (très attentionnée à chaque personne) avait pensé que « [ma] pédagogie serait bonne pour elle ». Lorsqu’un soir, en classe de neige, Caroline se révéla douée pour la danse – et alors même que d’autres élèves de la classe étaient venues danser autour d’elle « comme pour l’aider à naître à elle-

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même », suscitant l’émotion du reste de la classe et de l’enseignante que j’étais –, je lui proposai de l’inscrire à un cours afin qu’elle développe ce talent en lui permettant d’acquérir les techniques de la danse. Ce fut fait. Quelques semaines plus tard, je lui demandai si elle accepterait de devenir notre mo-nitrice en danse et d’aider, ainsi, toute la classe à préparer un spectacle de fin d’année. Je me souviens de la fierté de son « oui » ! Et, dès ce moment, Caroline a pu travailler sur les autres matières. L’aide et l’entraide lui sont devenues tolérables, acceptables. J’ai compris alors qu’il est insupportable d’être tou-jours et seulement celui ou celle que l’on aide. Que l’on ne peut se sentir membre d’un groupe que si l’on est aussi celui ou celle qui lui apporte quelque chose, qui est reconnu comme essentiel au projet du groupe, qui compte pour les autres et sur qui le groupe et chaque membre du groupe peuvent comp-ter. » (Dans l’ouvrage Plaisir d’aller à l’école).

Que s’est-il passé ? Je l’ai beaucoup plus précisément compris en vous écoutant.

un climat de confiance, de coopération, fondé sur l’entraide, sur la reconnaissance des personnes comme singulières, uniques au monde ; des notes quand l’institution l’exige : peu souvent. Des règles construites ensemble et dont je suis garante. Classe Freinet. Ce n’est pas suffisant pour Bri-gitte.

Elle a confiance en moi, son institutrice. Mais en moi seule. Pas dans l’école, pas dans ses camara-des, pas en elle, pas beaucoup en ses parents, pas dans l’apprentissage : et moi, je suis démunie !

Un décadrage, la classe de neige. Ça lui (nous ?) a permis de sortir des situations dans lesquelles sa conduite était figée.

Un événement. La soirée. La danse. La reconnaissance. L’admiration qu’elle accepte parce qu’elle s’y reconnait. Les autres avec et pour elle. Une proposition pour apprendre à partir de là.

Un partenariat. Mairie : petit conservatoire municipal, prof de danse. Les parents pour leur accord. Le club de prévention (par lequel je connais la prof de danse qui, par ailleurs, est éducatrice de rue).

Accord reçu de la famille. On (à travers moi, l’école, et ce n’est pas rien !) voit leur fille autrement. Et eux-mêmes.

Une sollicitation à donner elle-même : des bouts de savoirs en danse. Elle découvre qu’elle est attendue pour ce qu’elle peut apporter.

Elle accepte. Ne pas négliger ce moment. C’est elle qui fait, à ce moment-là, le plus grand chemin !

Elle vit la réciprocité formatrice et contribue, par ses talents, à un projet enthousiasment, un spec-tacle de fin d’année, la mise en scène par la classe de L’Enfant et les sortilèges : elle aura le rôle principal, l’enfant. J’ai vu un public de plus de 500 personnes pleurer d’émotion !

Ça la fait bouger sur les savoirs à acquérir à l’école. Elle accepte d’apprendre. elle accepte d’ap-prendre, aidée par d’autres dans le scolaire. Elle propose une recherche. Ce n’est pas du miracle !

Ça me fait bouger à mon tour : et je me pose cette question qui reste pour moi permanente : qu’est-ce que ça fait à l’autre de n’être jamais attendu pour ce qu’il peut apporter ; de n’être vu que par ce qu’il n’est pas, ne fait pas, ne sait pas, ne peut pas ?

Elle participe, elle agit, elle s’engage. Elle fait un exposé sur la girafe. Nouvel événement : elle as-sure toute la classe que, si la girafe a des sabots, c’est en raison d’un changement de climat et donc de la boue qui a séché aux pieds de la girafe. Malgré ma présence et mes précisions « contraires », elle n’en démord pas ! cela pose bien la nécessité de construire toujours en soi : suffisamment de confiance et suffisamment de capacité à douter !

Elle entrera dans une école du spectacle à Paris. Elle ira deux ans. Ça s’arrêtera pour des raisons de santé… peut-être de poids social non surmonté. Ça aide à rester humble dans ce qu’on arrive à faire.

Sa famille se met à s’engager pour l’école. La maman reçoit chez elle des enfants pour fabriquer des objets pour la vente qui nous donnera les moyens d’aller huit jours à Cannes (aucune subven-

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tion) chez nos correspondants. La grand-mère nous accompagnera pour faire la cuisine- (la famille avait été défaillante dans le passé et les enfants placés).

Je la revois en 1999. Ces deux ans, assure-t-elle, lui ont été, lui sont, essentiels.

Quarante ans après, celles que je rencontre de sa classe en parle avec fierté : il y avait bien de la création collective dans la création de Brigitte par elle-même.

Edison et son apprenti Cette anecdote (rapportée par un ami) dit le lien nécessaire entre la science (la connaissance), la créa-tion de soi par soi et avec l’autre pour chaque humain et la création d’un monde juste. Le lien nécessaire entre la raison, la conscience et la relation.

Mais aussi la place essentielle de la confiance pour l’éducation et la formation.

Edison vient d’achever la mise au point de la première lampe à incandescence. C’est dire qu’il vient d’a-chever une prouesse technique : obtenir le vide dans une ampoule de verre, faire passer le courant élec-trique, obtenir l’incandescence éclairante.

C’est un apport au Bien commun.

Donc, alors qu’il vient de faire aboutir un projet difficile – et incertain au départ –, Edison remet cette ampoule entre les mains d’un très jeune apprenti pour qu’il la porte à l’autre extrémité de l’atelier.

Le jeune homme, très conscient de la prouesse réalisée par Edison et très ému de cette confiance, laisse tomber l’ampoule qui se casse.

Quand l’opération technique réussit une seconde fois, ce qui aura demandé de nouveau beaucoup de soin, de travail, de temps, d’énergie, c’est à ce même apprenti qu’Edison confie cette seconde ampoule pour la déposer où elle devait l’être.

Vous n’êtes pas des naïfs. Je pense ne pas être naïve.

Nous savons que les forces opposées à la justice, à l’égalité, la solidarité, la coopération, l’émancipation de chacun, à l’excellence pour tous plutôt qu’à la confirmation d’élites… la confiance comme culture, sont toujours très vivaces.

Nous mesurons – je mesure ces forces. Nous mesurons – je mesure – les contraintes, les stratégies, les attitudes… faites pour casser la créativité, la coopération, la confiance, les solidarités…

J’ai éprouvé durement, dans ma propre vie, à quel point est violente la confiance trahie.

Mais nous savons au moins deux choses importantes :

que nous pouvons nous relier (comme nous le sommes dans le CAPE)…

et ceci, que nous a rappelé, en début de rencontre, Monsieur l’Inspecteur d’Académie IPR, en ci-tant le cardinal de Retz :

« On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance ».

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1. Martin Buber, Je et Tu (1935), Aubier-Montaigne, 1992. A noter : une magnifique préface de Gaston Bachelard.

2. Ingénieur agronome, docteur en économie et agent de développement social, rural, etc.

3. Plaisir d’aller à l’école

4. Retravaillé dans : Claire et Marc Héber-Suffrin, les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs – Vers une société apprenan-

te et créatrice, (savoirs et réseaux), Ovadia, 2012 (2009).

5. Professeur en sciences de l’éducation (à Tours, d’abord, puis au Québec). Pascal Galvani et Daniel Hazard, « Réciprocité,

autoformation et lien social », in Claire Héber-Suffrin é Gaston Pineau (coordination), Revue Education permanente, N° 144,

2000, p. 126.

6. Gérard Malglève, Enseigner à des adultes, PUF, 1990.

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7. Daniel Hameline, « Introuvable réciprocité », in Claire Héber-Suffrin & Gaston Pineau (coordination), Réciprocité et réseaux en formation, Revue education permanente N° 144, 2000.

8. Collectif des associations partenaires de l’école : http://collectif-cape.fr/

9. Edward Twitchell Hall, 1978, La Dimension cachée, Paris, Seuil. 10. Claire et Marc Héber-Suffrin, Les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs, Ovadia, 2012.

11. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Les Ghettos du Gotha, Comment la bourgeoisie défend ses espaces, Seuil, 2010.

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La Violence des riches, Zones, 2013.

12. François Perroux (économiste), Le Pain et la parole, Cerf, 1969.

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VUES D’AILLEURS

Alain Bollon, Membre de la Ligue de l’enseignement, expert auprès de l’UNESCO,

Gérard Heinz, Principal de collège

Alioune Koné, Professeur agrégé de Sciences-Economiques,

Cathy Marret, Principale de collège.

Cet atelier apporte un témoignage sur deux types de systèmes éducatifs, en Europe (Allemagne et en Fin-lande), et une approche des systèmes éducatifs de pays émergents : l’Algérie et les pays d’Afrique noire.

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Alain Bollon

Rappel de la notion de confiance telle qu’elle est définie par l’UNESCO : il s’agit de l’estime de soi éten-due aux autres : « je sais que je suis là, pour que les autres m’apprennent à grandir ».

Les tests PISA ont montré qu’en ce qui concerne la confiance en soi des élèves, la France est au dernier rang sur 47 pays !

L’Allemagne a considéré qu’il fallait s’y prendre autrement sans changer le système d’orientation préco-ce, mais a procédé dans les Länder à une réorganisation des cours. L’Espagne et le Portugal se sont atta-chés à modifier la formation et l’organisation du système scolaire.

Quant au Luxembourg, au Québec, à la Belgique et à l’Australie, ils ont choisi de centrer leur système éducatif sur la personne de l’élève. Au Luxembourg, les professeurs prêtent serment sur l’éducabilité de leurs élèves, dans d’autres cas, il y a respect d’une charte éthique.

Au Québec, les enseignants doivent développer 9 capacités de la maternelle au Baccalauréat, telles que : développer le jugement critique, mettre en œuvre une pensée créatrice, structurer son identité, et coo-pérer !

Gérard Heinz

L’Allemagne

Le poids historique du 3ème Reich a favorisé dans la constitution allemande, les rôles respectifs donnés aux pouvoirs en place et aux contre-pouvoirs. Chaque Land a donc son propre système scolaire. Mais les Allemands ont confiance dans leur système et dans le poids des contre-pouvoirs.

En Allemagne, le chef d’établissement garde une activité d’enseignement, ce qui favorise la confiance des enseignants à son égard et vice-versa. Par ailleurs, les parents d’élève ont un rôle institutionnel, avec le conseil parental qui bénéficie d’un budget et de possibilités d’actions et de rencontres ! En outre, le conseil des délégués-élèves a un droit de veto dans le pilotage pédagogique de l’établissement. Tout fonctionne en réseau et la confiance circule entre les différents acteurs de l’école : enseignants, élèves, parents, collectivité qui donne son accord lors de l’affectation des chefs d’établissement.

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Alioune Koné

A Berlin, comme dans le reste de l’Allemagne, il y a eu un « choc Pisa » en 2001, la découverte que les élèves allemands maîtrisaient moins bien les fondamentaux que beaucoup d’élèves des pays voisins. La profonde remise en cause des méthodes d’enseignement amenée par cette découverte a aussi nourri la création de nouvelles écoles privées où l’établissement choisit ses enseignements, ses curricula, et ses méthodes d’enseignements ainsi que les enseignants. Dans l’une de ces écoles nées de la désaffection des familles de classe moyenne fortement dotées en capital culturel, située au cœur de l’ex Berlin-Est, le coût de la scolarité varie entre 150 € et 800 € par mois. Au départ ces écoles correspondent à un projet des parents, soucieux de trouver pour leurs enfants une école qui encourage, stimule la créativité et l’é-tude plus active des langues vivantes et une ouverture sur le monde. Il est remarquable que les autorités berlinoises, responsables de la politique éducative, aient décidé de faire confiance à ces nouvelles écoles, les subventionnant en retour d’un contrôle sur les programmes, partant de l’idée que ces nouvelles structures pouvaient changer de méthodes mieux et plus vite que les écoles publiques.

La gouvernance de ces établissements privés est assurée par un conseil de gestion qui regroupe les pro-fesseurs, les élèves, l’administration et les parents. C’est ce conseil qui définit les objectifs stratégiques mis en œuvre par le chef d’établissement qui présente son travail une fois par mois devant le conseil de gestion. Il s’agit en fait d’un pilotage concerté.

Cathy Marret

En Finlande, dont le système éducatif est sous le feu des projecteurs, les enseignants ont pour tâche d’aider l’élève à devenir une personne complexe, connaissant ses limites, assumant la responsabilité de ses actes et de ses sentiments, conscient de sa propre personne. L’enseignant doit faire preuve d’empa-thie !

Pour devenir enseignant, le candidat participe à un entretien au cours duquel il explique pourquoi il veut être professeur, pourquoi il fait le choix de travailler avec des enfants. Il existe aussi des écoles d’applica-tion, des enseignants-chercheurs, les enseignants travaillent de manière coopérative, les inspecteurs n’existent pas ! Par ailleurs, les enseignants jouissent d’une très bonne image dans la société, sont valori-sés, sont payés correctement, et, en outre, il n’y a pas de notion de concurrence entre les établisse-ments.

Alain Bollon

Les pays émergents.

Certains pays ont besoin de reconnaissance, cela leur permet d’exister dans le regard des autres. On constate également le reste de l’influence française dans les anciennes colonies.

Des exemples : chez les Touaregs, il existe des écoles du désert qui regroupent les enfants. Au préalable, tout le village explique aux enfants qu’il faut partir pour avoir une meilleure vie que les parents, mais pas pour changer le monde. Les écoles andines et au Mexique sont dans le même cas de figure : les parents jouent un rôle important.

En Algérie, la situation est catastrophique, il y a un triple flux d’élèves dans la journée, avec du co-apprentissage, de la coopération pour faire face au manque criant d’enseignants. Les enseignants algé-riens souhaitent notre présence pour que nous puissions témoigner de ce qu’il se passe en Algérie. Le salaire d’un enseignant est inférieur à celui d’un policier (le smic est à 150 €). Les élèves sont dans le mê-me registre que les adultes, confrontés eux aussi à la violence quotidienne, à la peur que font régner les groupes islamistes insoumis, et aux difficultés qu’affronte le système éducatif algérien.

Partout, en Afrique noire, au Maghreb, en Syrie, au Liban, les enseignants nous attendent, pour témoi-gner de ce qu’ils font. Ils souhaitent un partage du sens.

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Dans tous les cas, un certain nombre d’invariants préexistent :

On n’apprend que ce qui a du sens, on apprend souvent seul, que si on a une chance de réussir, si l’esti-me de soi existe, et la confiance permet d’aller plus loin en prenant des risques.

On se doit de préparer les élèves à 3 données fondamentales qui caractérisent le monde actuel : la com-plexité, l’imprévisibilité, et l’incertitude (cf Edgard Morin dans « Les 7 savoirs »).

Un ouvrage à lire : Ces écoles qui rendent nos enfants heureux. Antonello Verdani. UNESCO.

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ALLOCTION DE CLÔTURE

Marie Claude Cortial, Présidente E&D

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L e thème de ce colloque consacré à la confiance a irrigué ces deux très belles journées marquées par des interventions de très haute qualité et d’une grande sensibilité. Que tous nos intervenants en

soient remerciés.

Lorsque nous avons réfléchi en Assemblée Générale au sujet de ce colloque 2014, nous avons hésité en-tre bienveillance et confiance, mais nous avons finalement opté pour ce dernier et nous y avons ajouté le verbe faire, car nous sommes persuadés que la confiance est une interaction et doit être réciproque. Ain-si Claire Hébert-Suffrin nous a invités au voyage de l’apprentissage qui passe par la découverte de l’autre, et les élèves que nous avons entendus, que nous ont-ils dit : qu’ils veulent rendre fiers leurs parents et qu’il faut les écouter.

Tout au long de ces deux journées, une évidence s’est imposée, la posture de faire confiance doit d’a-bord s’exercer entre les parents et les éducateurs pour que la confiance s’établisse ensuite avec les élè-ves. Mais savons-nous faire confiance aux parents et réciproquement ? Leur donne t- on la place qui est la leur, celle de premiers éducateurs de leurs enfants ? Fait-on avec eux et non pour eux, car les enfants n’auront confiance en eux et dans leur réussite scolaire que si les parents ont confiance en eux mêmes et en leurs enfants ? On touche là à des éléments très sensibles, car bon nombre de familles sont loin de l’école, parce que l’école s’est éloignée d’eux. C’est à nous qu’il revient de travailler avec ces familles en les considérant comme des éducateurs premiers pour leurs enfants, en leur reconnaissant des savoirs et des compétences pour que l’enfant soit dans une position de fierté par rapport à ses parents. Rappelons-nous ce qu’a écrit Albert Camus dans « Le premier homme »

« …. Un enfant n’est rien par lui-même, ce sont ses parents qui le représentent. C’est par eux qu’il se défi-nit, qu’il est défini aux yeux du monde. C’est à travers eux qu’il se sent jugé vraiment, c’est à dire juger sans pouvoir faire appel…. Comment faire comprendre d’ailleurs qu’un enfant pauvre puisse avoir parfois honte sans jamais rien envier… »

En réponse à cette inquiétude et détresse, le père Wresinski, fondateur d’ATD quart-monde disait : « S’il y a une seule chose à transmettre aux enfants que vous rencontrez durant la bibliothèque de rue, appre-nez-leur à être fiers de leurs parents. Et il expliquait : si un enfant est fier de ses parents, de ses racines, il peut apprendre, il peut s’ouvrir au monde, alors qu’un enfant qui grandit dans la honte ne peut pas ap-prendre, car on ne peut pas se construire, évoluer, s’ouvrir aux autres, si on vit dans la honte. »

D’où l’importance de cette notion de fierté, qu’il s’agit de développer chez l’enfant, le rendre fier de ses parents, c’est lui permettre de développer sa propre estime de soi. Mais il s ‘agit aussi de rendre les pa-rents fiers de leurs enfants, car l’enfant grandit d’abord pour faire plaisir à ses parents, et sentir que ses parents sont fiers de lui est le premier stimulant de la confiance en soi dont l’enfant a besoin pour s’é-manciper.

C’est donc une question essentielle, à intégrer dans les formations de tous ceux qui travaillent à l’éduca-tion des enfants, il faudra ensuite trouver les moyens concrets pour réaliser de travail de confiance avec les parents : créer des lieux d’écoute et de parole des parents (café des parents), impliquer les parents dans des projets concrets et les associer au parcours éducatif de leurs enfants, travailler avec les parte-naires qui rencontrent ces parents dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, leur donner enfin la décision finale en matière d’orientation. C’est donc à une profonde transformation de nos représenta-tions que nous devons procéder.

Quant à nos élèves, l’objectif prioritaire devrait être de développer leur confiance, leur bien-être, d’avoir une attitude de bienveillance à leur égard, comportements qui sont des préalables à tout acte pédagogi-que. Le respect absolu de l’élève comme individu est du même ordre. Il s’agit là d’une position éthique

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que tout éducateur devrait adopter Cette attitude de confiance va de pair avec l’optimisme : Alain Bra-connier psychiatre et psychanalyste, consultant au CHU de la Pitié-Salpétrière déclare qu’il y a « deux facteurs essentiels dans le développement ou non de l’optimisme. D’une part, un facteur affectif qui inter-vient dès la naissance : la capacité de l’enfant à trouver un attachement sécurisant et donc une vision plutôt agréable de ce qui se passe autour de lui. Une des caractéristiques des personnes qui ont un profil optimiste est leur goût du contact et la confiance en l’autre. D’autre part, un facteur éducatif qui permet à l’enfant, à mesure qu’il grandit, d’accéder de façon plus ou moins efficace à l’estime de soi au sens des responsabilités et au plaisir de vivre » (Le Monde, janvier 2014).

Deux éléments sont essentiels : donner des bases à nos futurs enseignants lors de leur formation initiale et surtout changer les pratiques pédagogiques de manière à être des pédagogues au sens propre : quoi de plus fort que d’accompagner un élève, marcher à ses côtés au lieu d’être devant lui, en lui bouchant l’horizon ? Tant reste à faire : mettre en place de véritables pédagogies de projet, co- construire les sé-quences avec les élèves, favoriser la coopération, la mutualisation des forces, le travail entre pairs, le travail de groupe … Mais cela sous-entend un système qui fait confiance à ses enseignants, ne leur de-mande pas de répondre à des programmes irréalisables et surtout un système où l’évaluation ne doit plus être une sanction. On sait trop comment l’évaluation marque profondément nos élèves et constitue, plus souvent qu’on ne le croit, un empêchement à leur réussite.

Mais cette confiance entre les individus n’est possible que si le système éducatif fait confiance aux équi-pes pédagogiques et aux établissements scolaires

Quelle relation de confiance réciproque peut-elle s’établir entre un établissement et l’institution ou la hiérarchie, quand on sait qu’une défiance quasi structurelle existe en France entre les différentes com-posantes du système, que les modes d’administration ou de gestion (n’osons pas utiliser le mot gouver-nance) ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’agit de l’enseignement primaire ou secondaire, des professeurs des écoles ou des professeurs de l’enseignement secondaire : pensons au blocage quasi « automatique » lorsque qu’une idée (jusqu’alors revendiquée par les personnels) ou une structure expérimentale (donnée en exemple) devient la règle, la norme : l’institutionnalisation induit des réactions de rejet, de refus de mise en œuvre et/ou de détournement … comme si toute innovation ou changement étaient digérés et annihilés par un système qui s’autoalimente. Défiance aussi vis à vis des hiérarchies qui empê-chent l’existence d’un pilotage pédagogique et qui induisent un fonctionnement en « profession libérale ou libertaire » de nombreux professeurs et autres personnels, hiérarchies vues uniquement comme pourvoyeur – ou « dépouilleur » - de moyens. Mais l’institution fait-elle confiance aux établissements souvent suspectés d’être source de désordre, de dépenses, simples transmetteurs de circulaires dont les contenus ont été mûrement réfléchis sur le plan administratif mais peut-être moins en terme de pédago-gie ?

Alors, que faire pour restaurer cette confiance ?

Dans les établissements scolaires :

Utiliser le contrat d’objectifs... et lui donner un véritable contenu avec la certitude d’une certaine pérennité des moyens et des ressources. Sinon, il n’y pas possibilité de contrat et donc impossibili-té de se faire confiance.

Passer de la mise en place des réformes « à marche forcée » à une véritable pédagogie de la réfor-me : communiquer, former, donner, reconnaître une véritable autonomie administrative, pédago-gique avec une globalité des moyens attribués à l’établissement

Mettre fin à la suradministration de notre système éducatif et créer enfin un pilotage et un cadre national qui déterminent la politique éducative, favoriser enfin une véritable décentralisation et non pas une déconcentration qui ne fait que renforcer le sentiment de défiance….

Par rapport aux équipes pédagogiques : que disent-ils, ces professeurs qui n’ont pas confiance dans le système « si on n’a pas confiance les uns par rapport aux autres, c’est parce qu’on n’a pas les mêmes intérêts : le chef se focalise sur la gestion, et la pédagogie, c’est la prérogative du prof (qui se débrouille avec ses classes) … on n’a pas l’impression de travailler ensemble, en tous cas, pas dans le même registre

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… »

Finalement, c’est quoi un établissement ? … des équipes, certes interdépendantes, mais qui fonctionnent chacune dans son domaine propre et, le plus souvent, dans la défiance réciproque... »

Que peut-on proposer ?

Construire une reconnaissance mutuelle, c’est :

Revisiter les instances : conseil pédagogique, conseil d’administration (qui n’est souvent pas un lieu de débats), conseils d’enseignement, conseils de classe.

Déléguer des missions à des « leaders » intermédiaires ou chefs de projet, sans retomber dans un système de relations hiérarchisées, mais dans le cadre d’un pilotage partagé) avec des entretiens de progrès qui doivent permettre d’installer une confiance réciproque qui peut s’installer dans la durée et qui légitime le rôle pédagogique du chef d’établissement. L’établissement scolaire est alors maillé comme une toile d’araignée où tous les acteurs concourent à la réussite de leurs élè-ves.

Revoir le rôle des IPR (référent d’établissement ou de bassin, par exemple) qui pourraient devenir des accompagnateurs des professeurs dans leurs réflexions pédagogiques. En Finlande, cette fonc-tion n’existe pas ….

Favoriser aussi des pratiques réflexives qui permettent aux enseignants de revenir sur leur métier, dans un échange constructif avec leurs pairs et avec la présence de chercheurs qui valorisent l’ex-périence des praticiens qu’ils sont.

Faire de l’établissement scolaire, le lieu des possibles où le pilotage partagé s’accompagne de confiance et permet à chacun de se former en continu.

Pour finir, construire la réciprocité, la reconnaissance mutuelle, le gagnant-gagnant, aussi bien à l’interne de l’établissement, que vis-à-vis de l’institution pour restaurer la possibilité de « faire confiance » …

Mais l’éducation n’est pas un monde clos, elle appartient à tous et donc cette confiance réciproque doit aussi s’exercer au niveau du territoire et des partenaires. Il s’agit alors de repenser le fonctionnement des établissements pour rendre possible le travail en commun : quelle place donner aux élus et aux par-tenaires dont les parents, dans les conseils d’école ou d’administration ? Ne peut-on pas prévoir des contrats tripartites pour les EPLE avec les Collectivités territoriales et l’Institution), ils sont un autre moyen d’installer la confiance dans les établissements scolaires : leur existence serait la reconnaissance de l’établissement scolaire comme « organisme vivant », de la confiance faite à l’action des praticiens, maîtres de leurs projets avec des engagements pluriannuels. Antoine Prost dit fort bien comment Jean Zay, ministre de l’éducation du Front populaire avait mis en œuvre l’Education Nationale en faisant confiance aux acteurs de terrain et en leur donnant le droit à l’expérimentation. Le contrat tripartite pourrait être au 21ème siècle, la version des projets de ce grand ministre.

Mais cela exige une formation des personnels à la connaissance du territoire, au moment de la formation initiale, mais aussi en formation continue : la mise en place de la réforme des rythmes scolaires qui de-vrait déboucher sur la création des PEDT, est l’opportunité d’une reconnaissance réciproque des compé-tences des uns et des autres, des savoirs acquis hors et dans l’école, et donc d’une confiance qui doit apparaître entre tous les acteurs.

Le chantier est ouvert, il est vaste, demandera du temps, car il s’agit de changer les représentations, et cela ne se décide pas en jour, mais demande une appropriation par tous de la nécessité de changer dans l’intérêt de tous et en particulier des élèves.

Je vous propose pour ne pas conclure un extrait des lettres échangées entre Albert Camus et son institu-teur Monsieur Germain.

« Cher Monsieur Germain,

J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout

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mon cœur. On vient de me faire un bien trop grand honneur, que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé … » Albert Camus. 19 novembre 1957.

« Le pédagogue qui veut faire consciencieusement son métier ne néglige aucune occasion de connaître ses élèves, ses enfants et il s’en présente sans cesse. Une réponse, un geste, une attitude sont amplement révélateurs. Je crois donc bien connaitre le petit bonhomme que tu étais, et l’enfant, bien souvent, contient en germe l’homme qu’il deviendra…» Louis Germain, 30 avril 1959.

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POUR ALLER PLUS LOIN, QUELQUES RESSOURCES

Bibliographie, Françoise Chapron

1. Mutations de l' Ecole- Refondation, structures innovantes -Textes officiels

Barrère, Anne. L'éducation buissonnière: quand les adolescents se forment par eux mêmes .

A.Colin, 2008

Ben Ayed, Choukri, (dir) L'école démocratique:vers un renoncement politique . Armand Colin, 2010

Ben Ayed, Choukri. Le nouvel ordre éducatif local: mixité, disparités,luttes locales. PUF, 2009

Bernardin, Jean. Le rapport à l'école des élèves de milieu populaire. De Boeck, 2013

Broux,Nicole, Saint Denis, Eric. Les micro lycées:accueillir les décrocheurs, changer l'école .ESF,

2013

Ce qui fait changer un établissement Cahiers pédagogiques décembre 2013 n°509

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Des situations complexes pour apprendre Cahiers pédagogiques janvier 2014, n° 510

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5. Démarches et dispositifs pédagogiques

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Lecocq, Yves. Accompagner au lycée, construire des parcours scolaires personnalisés. CRDP

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Perrenoud, Philippe. L'organisation du travail : clé de toute pédagogie différenciée ESF, 2012

6. Parents et Ecole

Renforcer la coopération entre les parents et l' école dans les territoires circulaire 2013-142 du

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Senore, Dominique. Parents et profs d'école: de la défiance à l'alliance. Chronique sociale, 2010

7. Décentralisation, Collectivités- PEL, Partenaires

Bier, Bernard, Chambon, André, De Queiroz, Jean-Manuel Mutations territoriales et éducation . De

la forme scolaire vers la forme éducative ?De Boeck, 2010. Pédagogies

La décentralisation Administration et éducation 2013, n°4

Ecoles et territoires Cahiers Education et Devenir 2014 n° 21 (à paraître)

Ecoles et territoires Administration et éducation 2015, n°3

Enquête sur les projets éducatifs territoriaux MEN. Actualités Eduscol 25/10/2013

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Projet éducatif territorial . Circulaire 2013-036 du 20/2/2013, BOEN 21/3/2013 n° 12

Projet educatif de la ville de St Etienne du Rouvray (Seine Maritime )

http://www.ville-saintetiennedurouvray.fr/pages/projet-educatif-local

Pour une relation de confiance entre l'État et les collectivités territoriales : vers une nouvelle géné-

ration de contrats. Rapport d'information n°27(2012-2013) de M.Georges Labazée fait au nom de

la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 9 octobre 2012

Vers l’égalité des territoires : Dynamiques, mesures, politiques Rapport pour le ministère de l'éga-

lité des territoires et du logement : dirigé par Eloi Laurent , Documentation française , 2013

8. L'école ailleurs

L'école ailleurs Cahiers pédagogiques Hors série 12 janvier 2008

Meuret, Denis. Pour une école qui aime le monde Les leçons d'une comparaison France-Québec

(1960-2012). Presses universitaires de Rennes, 2014

Robert, Paul. La Finlande: un modèle éducatif pour la France : les secrets de la réussite. ESF, 2010

89

9. Quelques sites à visiter régulièrement

Sites du Ministère de l'éducation nationale http://www.education.fr

Site Scéren-cndp centre de documentation pédagogiquehttp:// www.cndp.fr

Site de l'Institut français d'éducation Ifé ex INRP http://ife.ens-lyon.fr/ife

Site AFAE http:// www.afae.org

Site Ecole changer de cap www.ecolechangerdecap.fr

Site du CAPE collectif des associations partenaires de l'école http://collectif-cape.fr/

on y trouve les liens avec les associations participant au collectif :

AFEV | AFL | CEMÉA | CMR | CRAP | EEDF | E&D | FESPI | FFCU | FOÉVEN FRANCAS | GFEN | I

CEM | LÉO LAGRANGE | LIGUE DE L'ENSEIGNEMENT | OCCE | LES PEP | PEUPLE ET CULTURE |

PLANNING FAMILIAL | RERS

Site de Jacques Salomé psycho-sociologue http://www.j-salome.com

Site de Jacques Nimier http:// www,pedagopsy.eu

Site d'André Giordan http:// www,andregiordan.com

Site de Philippe Meirieu http://www.Meirieu.com

Site de la faculté de psychologie et d'éducation, l'université de Genève . www.unige.ch/fapse/

index.htm

Site du réseau des villes éducatrices. http://www.villeseducatrices.fr/

EDUCATION & DEVENIR www.educationetdevenir.fr

UN REFERENTIEL POUR L' EDUCATION PRIORITAIRE AVEC 6 PRIORITES

1 - Garantir l’acquisition du "Lire, écrire, parler" et enseigner plus explicitement les compétences que

l’école requiert pour assurer la maîtrise du socle commun

2 - Conforter une école bienveillante et exigeante

Projets et organisations pédagogiques et éducatives

Toutes les classes respectent le principe de l’hétérogénéité. L’ accompagnement du travail personnel

des élèves est organisé. Il vise à renforcer l’explicitation des démarches d’apprentissage des élèves et

leur engagement dans le travail scolaire. Les projets d’école, d’établissement et de réseau visent le bien

-être des élèves et un bon climat scolaire. La continuité école-collège est au cœur du projet de réseau

en appui sur le cycle de consolidation grâce au conseil école-collège.

Dans le cadre de la lutte contre l’absentéisme, l’école et le collège s’organisent pour limiter les retards

et prévenir les absences des élèves. Une politique d’orientation est traduite dans des mesures concrètes

relatives au parcours individuel d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et

professionnel. Le réseau accueille des enfants de moins de trois ans dans des conditions adaptées à leur

âge.

Evaluation des élèves

L’erreur est considérée comme une étape de l’apprentissage, nécessaire et source d’enseignements

pour tous. L’évaluation des élèves, conduite avec bienveillance, repose sur des objectifs exigeants. Des

modes d’évaluation valorisant l’investissement, le travail et les progrès des élèves sont mis en œuvre à

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tous les niveaux et dans toutes les classes. Les bulletins scolaires explicitent les acquis, les améliorations

attendues et les compétences encore à acquérir. Des évaluations diagnostiques sont mises en œuvre

prioritairement dans les années d’entrée dans un nouveau cycle (CP/CM1/5e). Ces évaluations sont éla-

borées et corrigées par plusieurs enseignants de domaines d’enseignement et/ou de niveaux différents.

Des projets collectifs et des devoirs communs, organisés en équipe, sont mis en œuvre sur des disciplines

et/ou des niveaux jugés pertinents par le réseau.Des brevets blancs sont préparés et organisés deux fois

dans l’année de troisième.

Suivi des élèves

1. Un groupe de prévention contre le décrochage scolaire (GPDS) est mis en place dans les établisse-

ments. Il doit intervenir le plus précocement possible lorsque les signes de décrochage se manifestent

chez un élève.Une commission de suivi des élèves en grande difficulté ou difficiles est opérationnelle

au sein de chaque école et dans le cadre du lien avec le collège. Un coordonnateur par niveau est mis

en place dans le second degré.

2. Le suivi des élèves en difficulté est assuré en priorité dans la classe. La co-présence en classe est pri-

vilégiée pour l’intervention d’autres personnels (RASED, personnels supplémentaires). Des tutorats

pour les élèves sont organisés en fonction des besoins. …...

3. Mettre en place une école qui coopère utilement avec les parents et les partenaires pour la réussite

scolaire...

4. Favoriser le travail collectif de l’équipe éducative

5. Accueillir, accompagner, soutenir et former les personnels

6. Renforcer et animer les réseaux

http://www.education.gouv.fr/cid76427/refonder-education-prioritaire.html#Conforter_une%20%C3%

A9cole%20bienveillante%20et%20exigeante

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