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ECONOMIE, MATHEMATIQUES

& METHODOLOGIE

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E C O N O M I E ,

M A T H E M A T I Q U E S

& M E T H O D O L O G I E

Coordonné par Jean-Marie HURIOT

ECONOMICA

49, rue Héricart, 75015 Paris

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O Ed. ECONOMICA, 1994

Tous droits de reproduction, de traduction, d'adaptation et d'exécution réserves pour tous les pays.

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Sommaire

Jean-Marie Huriot : Prologue 7 Jean-Marie Huriot : Qui a peur des mathématiques ?

Histoire d'un faux débat 11

Yves Balasko : Mathématiques et économie : trois exem- ples 51

Alain Bienaymé : L'oeil des mathématiques et le regard des économistes 63

Alain Bonnafous : Mathématiques et scientificité dans les modèles économiques 81

Bernard Walliser : Les modèles économiques sont-ils ro- bustes ? 107

Jean-Yves Caro : L'attraction formaliste 117

Pierre Salmon : Les raisonnements non-mathématiques ont-ils encore une place dans l'analyse économique ? ......... 159

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Jean-Marie Huriot

Prologue

"SOCRATE Eh bien, à propos de la réthorique, dis-moi,

crois-tu qu'elle soit seule à créer la persuasion ou si d'autres arts la produisent également ? Je m'explique. Quand on enseigne une chose, quelle qu'elle soit, pe- suade-t-on ce qu'on enseigne, oui ou non ?

GORGIAS Oui, Socrate, on le persuade très certainement.

SOCRATE Revenons maintenant aux arts dont nous par-

lions tout à l'heure. L'arithmétique ne nous enseigne- t-elle pas ce qui se rapporte au nombre, ainsi que l'arithméticien ?

GORGIAS Certainement.

SOCRATE Donc elle persuade aussi.

GORGIAS Oui.

SOCRATE C'est donc aussi une ouvrière de persuasion que

l'arithmétique ? GORGIAS

Evidemment." (Platon, Gorgias)

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Quel rôle jouent les mathématiques dans la théorie économi- que ? Quelle place doivent-elles prendre dans la démarche scienti- fique de l'économiste ?

Ces questions ont été posées dès les premières apparitions de la formalisation mathématique en économie au XIXème siècle. Elles se placent aujourd'hui parmi les questions classiques de mé- thodologie économique. Rappelons que la méthodologie est l'étude de la manière dont les chercheurs élaborent et valident une connaissance scientifique (Walliser et Prou, 1988, 7).

Les deux positions les plus extrêmes, mais de plus en plus rares, relient l'usage des mathématiques en économie à la question tant débattue de la scientificité du discours, ou du critère de dé- marcation entre science et non-science. La première consiste à considérer l'usage des mathématiques comme une condition néces- saire (et parfois suffisante) de scientificité ; dans une version mo- dérée, les mathématiques rendent plus aisés à la fois le contrôle de la cohérence interne du discours et la confrontation avec les faits. La seconde, au contraire, refuse l'usage des mathématiques pour la raison qu'elles sont inadaptées aux exigences propres des sciences humaines -et en particulier de la science économique-, c'est-à-dire parce que les critères de scientificité ne sont pas les mêmes dans les sciences de la nature et dans les sciences humaines.

Une fois reconnue l'utilité des mathématiques en économie, ce qui est généralement le cas aujourd'hui, le débat se reporte sur les limites de la méthode. Quel réel progrès a été permis par les ma- thématiques ? Quels sont les rapports entre la forme mathématique et le fond -les concepts et les idées- ? Comment distinguer les mathématiques comme outil et les mathématiques comme fin ? C'est une autre démarcation que l'on recherche ici, celle qui sépare l'us de l'abus. On est alors amené à opposer l'efficacité de la mé- thode mathématique comme mode de démonstration et le danger du langage mathématique comme forme de rhétorique. La formali- sation, sortie de son rôle subordonné d'outil à usage limité, est alors accusée de créer l'illusion et de n'être qu'un moyen de per- suasion. Mais la rhétorique des économistes "littéraires" est-elle moins dangereuse ?

La position favorable ou défavorable aux mathématiques, ou plus concrètement la question de la pratique ou de la non-pratique de la formalisation, est fondée peut-être au moins autant sur une

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croyance que sur une justification parfaitement rationnelle. Les origines de cette croyance sont à rechercher assez largement dans le mode de fonctionnement de la communauté des économistes

académiques à une époque déterminée. Cette croyance s'explique d'abord par la formation reçue, et l'on retrouve ici la classique di- vergence de vue entre ceux qui savent manier les mathématiques et les autres. Mais elle se rattache également aux différentes règles formelles et informelles de diffusion et d'évaluation de la recher-

che, de recrutement et de promotion des enseignants et cher- cheurs, ainsi qu'à l'existence de groupes dominants. Cette

croyance n'est pas indépendante du désir d'un certain statut social dans la communauté scientifique. Plus généralement, c'est à toute la sociologie de la recherche qu'il faut faire appel pour mieux comprendre le débat sur l'usage des mathématiques en économie.

La controverse doit enfin se replacer par rapport au problème du pluralisme des méthodes. Je ne pense pas qu'il existe une mé- thode idéale qui permette de bénéficier de l'efficacité démonstra- tive des mathématiques, d'éviter les abus généralement dénoncés et dont le choix soit indépendant des dimensions psychologiques, sociales ou politiques. La meilleure façon d'éviter les pièges d'une méthode, c'est d'en pratiquer plusieurs, ou au moins d'en accepter plusieurs. La liberté du chercheur doit être totale et il faut admet- tre comme positif tout éclairage de la réalité susceptible d'être soumis à la critique formelle et d'être remis en cause par la réalité elle-même. Ces phrases, qui pourraient évoquer Feyerabend (1975), seraient de la plus grande naïveté et d'une parfaite inutilité si on se refusait de voir à quel point le dogmatisme méthodologi- que est bien installé dans notre communauté.

Les textes qui suivent ont pris naissance pour la plupart lors d'un colloque organisé par l'IME (Institut de Mathématiques Economiques, équipe du LATEC, URA du CNRS) et tenu à Dijon en novembre 1993. Notre texte "Qui a peur des mathématiques ?" est plus récent. S'il est présenté en premier, c'est uniquement parce qu'il se place sur le plan de l'histoire des idées.

Elisabeth Pénez a réalisé le fastidieux travail de mise en forme

de ces textes. Qu'elle reçoive ici mes remerciements cordiaux pour sa patience et sa rigueur.

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Bibliographie

Feyerabend P., 1975, Against method, Londres, New Left Books ; tra- duction française, 1979, Contre la méthode. Esquisse d'une théorie anarchiste de la connaissance, Paris, Seuil (Points-sciences).

Platon, 1967, Gorgias, traduction de Chambry E., Paris, GF- ' Flammarion.

Walliser B. et Prou C., 1988, La science économique, Paris, Seuil.

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Jean-Marie Huriot

Qui a peur des mathématiques ? Histoire d'un faux débat1

"Les mathématiques peuvent être définies comme une science dans laquelle on ne sait jamais de quoi on parle, ni si ce qu'on dit est vrai."

(Bertrand Russell)

Depuis l'apparition des premières utilisations significatives des mathématiques en économie, c'est-à-dire grosso modo depuis A. Cournot, les économistes ont tendance à adopter une position plus ou moins tranchée pour ou contre une telle démarche. Certes, la nature de la controverse a apparemment évolué. Particulièrement vive en France de 1860 à 1914 (Breton, 1986), elle est aujourd'hui tout en nuances. La question n'est plus maintenant d'être pour ou contre : à peu près tous les économistes reconnaissent une cer- taine utilité des mathématiques dans leur discipline. La question est plutôt de s'entendre sur les limites de la mathématisation et sur son degré de fécondité. Est-ce à dire que le débat est démodé et que nous faisons fausse route en ranimant des querelles oubliées ? Ce serait faire preuve de quelque naïveté. Si les termes du débat ont changé, le fond est d'une remarquable permanence. Walras choquait dans un monde où la plupart des économistes n'utilisaient pas de mathématiques et n'y comprenaient pratiquement rien. La

1 Je remercie L. de Mesnard, J. Perreur, E. Sadigh, P. Salmon et A. Zylberberg pour leurs remarques sur une version provisoire de ce texte. Je suis seul responsable de son état actuel.

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critique, qui se clamait haut et fort, faisait alors flèche de tout bois. Depuis la "révolution mathématique" de l'après-guerre, et maintenant que l'économie formalisée occupe une place dominante dans la hiérarchie de notre discipline2, l'opposition se fait plus discrète et plus prudente. Il n'empêche qu'elle reprend quasiment les mêmes arguments.

Pour ou contre ? Un observateur extérieur pourrait-il se faire une opinion claire en examinant attentivement les arguments des uns et des autres ? Il ne pourrait qu'être très dubitatif. Peu de rai- sons évoquées relèvent de la raison. Beaucoup ont un caractère polémique ou rhétorique. Certaines sont à la limite de l'honnêteté intellectuelle, et nous les mettrons par indulgence sur le compte de l'ignorance aussi bien de l'économie que des mathématiques. Faute d'argumentation suffisante, l'opposition glisse parfois vers d'autres objectifs, et ne pouvant s'en prendre aux mathématiques elles-mê- mes s'attaque à ce qui est mathématisé. L'obscurité de la contro- verse s'épaissit quand on découvre que les mêmes arguments sont parfois exploités aussi bien par les partisans que par les résistants à la mathématisation. La conséquence est qu'un véritable débat d'idées sur la mathématisation de l'économie a été et reste quasi- inexistant. Ce qui aurait dû être un débat scientifique sur les ap- ports respectifs vérifiables de la "méthode mathématique" et de la "méthode littéraire" est une façade qui cache des éléments psycho- logiques -en particulier une peur irraisonnée des mathématiques-, des rapports sociaux -en particulier une lutte d'hégémonie et de pouvoir à l'intérieur de la communauté disciplinaire- ou tout sim- plement des manières de penser différentes tenant à l'histoire de chaque individu.

Nous entendons présenter les arguments d'une controverse et montrer à la fois leur permanence et leur caractère souvent peu convaincant. Nous proposons un rapide historique, puis un exa- men des positions explicitées par les partisans et les résistants.

Précisons que nous traitons ici de la mathématisation de l'éco- nomie et non de sa quantification, ce qui exclut du discours la

2 Ceci n'est pas un jugement de valeur mais un fait admis par la commu- nauté scientifique, si l'on en juge par exemple par les termes du tout ré- cent Plan d'Action du CNRS concernant l'économie (1994, 54).

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simple utilisation de chiffres ou d'exemples arithmétiques, la sta- tistique et l'économétrie.

Qu'il soit également bien entendu qu'une appréciation de la

pertinence d'un argument n'est pas nécessairement une prise de position dans la controverse.

1. Petite histoire d'une grande peur

Essais et erreurs C'est certainement G. Ceva qui en 1711 utilise pour la pre-

mière fois le raisonnement mathématique en économie (Bousquet, 1958, 1963), mais on ne peut pas dire que cela ait profondément marqué l'histoire de la science économique. En 1781, A.-N. Isnard montre une assez claire vision de l'équilibre général et fait un essai timide pour le traduire sous la forme d'un système d'équations si- multanées. C'est également à titre de curiosité qu'on peut citer N.- F. Canard qui, en 1801, donne une formulation assez fantaisiste de la loi de la demande, mais se voit néanmoins couronné par l'Aca- démie des Sciences Morales et Politiques (Bronsard, 1993).

Au début du XVIIIe siècle, D. Bernoulli (1738) relie l'éco- nomie et les mathématiques par le biais de ses recherches sur le calcul des probabilités et les jeux de hasard. Dans le même sens, on oublie trop souvent de rappeler le nom de Condorcet. Certes, il n'est pas non plus économiste. Mais l'important, à l'époque, c'est l'introduction du raisonnement mathématique dans les sciences sociales. Or Condorcet n'est-il pas l'auteur d'une mathématique sociale (Granger, 1989) ? Très porté sur l'analyse des probabilités, il conçoit la science de l'homme comme celle de l'homo aleator, ou du choix des actions qui ont la plus forte probabilité de réaliser un objectif donné. Il est certainement un des premiers grands défen- seurs de la mathématisation des sciences sociales.

Même si D. Ricardo n'utilise pas l'algèbre, son raisonnement est potentiellement mathématique. Dès 1829 et 1831, W. Whewell traduit une partie de l'analyse ricardienne sous forme mathémati- que, mais sans retenir l'attention ni de ses contemporains ni des nôtres. Il est vrai que les classiques anglais manifestent une remar- quable résistance à l'usage des mathématiques (Zouboulakis,

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1993), en particulier sous la plume de J.-S. Mill et celle de Cairnes. Dans sa Logique (1843), J.-S.Mill écrit :

"Les principes [mathématiques] sont évidemment inappli- cables quand les causes dont dépend une classe de phénomènes [...] sont dans un état de fluctuation perpétuelle, comme c'est le cas en physiologie, et plus encore, si c'est possible, dans les sciences sociales." (cité par Zouboulakis, 1993, 161)

La résistance n'est pas moindre chez les classiques français. Un des premiers véritables acteurs de la mathématisation de

l'économie est von Thünen. Dans les trois parties de YEtat Isolé publiées entre 1826 et 1863, il utilise plusieurs fois la démonstra- tion algébrique et en prône explicitement l'usage (Huriot, 1994). Il est largement incompris, même s'il reçoit le titre de Docteur Ho- noris Causa de l'Université de Rostock. En France, il n'a droit qu'à la médaille d'or de la Société Nationale et Centrale d'Agriculture (pour un aspect tout à fait secondaire de son oeuvre) ! Si le Jour- nal des Economistes accepte de publier en 1856 un extrait de son oeuvre portant sur le salaire naturel, ce n'est qu'avec une note éditoriale très réservée sur la méthode mathématique employée (Breton, 1986). Lorsque parfois on oublie que von Thünen est un des premiers grands économistes mathématiciens, c'est parce qu'on le considère à tort comme un inductif : s'il accumule un grand nombre de chiffres, ce n'est que pour illustrer des lois dont la solidité est appuyée sur la déduction (Huriot, à paraître).

Le lecteur aura un panorama plus exhaustif des origines de l'économie mathématisée en consultant la bibliographie établie par S. Jevons et complétée par Walras (1878) ou en lisant Bousquet (1958, 1963).

Un vrai démarrage et une grande controverse Un départ plus solide et plus marquant, mais isolé, est celui

que donne Cournot en 1838 avec ses Recherches sur les principes mathématiques de la théorie des richesses. Cournot est générale- ment reconnu, aussi bien par L. Walras que par les économistes contemporains (Ménard, 1978), comme le véritable initiateur de l'utilisation des mathématiques en économie. Il a l'audace d'écrire un ouvrage d'économie où le raisonnement mathématique tient la première place, ce qui lui vaut d'être ignoré ou même violemment attaqué, par R. de Fontenay, en 1864, dans le Journal des

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Economistes, d'obédience ultra-libérale. R. de Fontenay affirme l'inadaptation des mathématiques à l'objet de l'économie politique et en particulier leur illusoire rigueur. L'esprit du temps, en France comme en Angleterre et en Allemagne, est dans l'incapacité d'ac- cepter une telle nouveauté. J.-B. Say, suivi par les libéraux fran- çais, a déclaré les mathématiques inaptes à l'étude des phénomènes sociaux. Il s'est exprimé clairement dans le Discours préliminaire ajouté en 1826 au Traité d'économie politique, où il évoque

"... les formules algébriques trop évidemment inapplica- bles à l'économie politique ..." (Say, 1826, rééd. de 1972, 17)

A. Cournot tirera les conséquences du rejet massif de ses Re- cherches, et abandonnera toute formulation mathématique dans les deux ouvrages qu'il publiera ultérieurement (Cournot, 1863, 1877). Il ira même jusqu'à une certaine forme de revirement, voire de reniement.

A. Cournot, bien que longtemps ignoré, ouvre la voie à l'éco- nomie mathématique et à L. Walras, mais en même temps à un rejet des mathématiques par la majorité des économistes. A. Cournot est aussi celui qui, en liaison avec les mathématiques, in- troduit en force l'analogie mécanique, reprise de façon non moins vigoureuse par L. Walras, dans une économie politique jusque là dominée par une conception organiciste et l'analogie biologique. Ceci est une des véritables raisons de l'irrecevabilité des raisonne-

ments mathématiques par la communauté scientifique du XIXe siècle ; nous y reviendrons.

Pour être équitables, nous devons encore citer J. Dupuit, pionnier du calcul économique appliqué aux investissements pu- blics, et ses mémoires publiés de 1844 à 1853, puis H.H. Gossen qui, dans ses travaux sur l'utilité (1854) soutient que la méthode mathématique est la seule rationnelle.

Les rapports tendus entre Léon Walras et les économistes li- béraux français sont très significatifs de ce qu'est cette soi-disant querelle de méthodes, qui cache en particulier une querelle politi- que (sur cette dimension politique, voir la section 5 : "Les dimen- sions cachées"). La situation est particulièrement bien analysée par H. Dumez (1985), par Y. Breton (1986, 1991) et par A. Zylberberg (1990) et nous ne ferons qu'en rappeler l'essentiel. L. Walras dérange, non seulement parce qu'il fonde l'économie pure sur les mathématiques, mais parce qu'il considère que c'est là le

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seul moyen de faire de l'économie une science. Il est à ce point de vue bien plus extrémiste que tous ceux qui l'ont précédé, y com- pris A. Cournot. Certes, pour lui, l'économie pure n'est qu'une partie de l'économie, mais elle fonde l'autre partie, la politique économique :

"La théorie pure est la lumière de la théorie appliquée." (Walras, 1898, Etudes d'économie appliquée, dans les textes choisis de Oulès, 1950, 199)

Pour L. Walras, les mathématiques doivent jouer un rôle pre- mier comme moyen de démonstration plus que comme moyen d'exposition :

"Je pense que l'économie politique ne sera une science que le jour où elle s'astreindra à démontrer ce qu'elle s'est à peu près bornée jusqu'ici à affirmer gratuitement." (cité par Zylberberg, 1990, 17)

Les conséquences ne se font pas attendre. Toutes les portes se ferment à lui en France, aussi bien dans l'enseignement -il ne peut obtenir de chaire d'économie politique et doit s'exiler à Lausanne-, que dans la diffusion de ses travaux -le Journal des Economistes lui est de plus en plus difficilement accessible, sur- tout lorsque G. de Molinari en devient le rédacteur en chef, après 1881-. L'attitude des opposants aux mathématiques passe d'une conspiration du silence à une intolérance déclarée, allant jusqu'au "torpillage net et sans bavure" (Dumez, 1985) réalisé par A. Ott dans son compte rendu des Eléments pour le Journal des Economistes. De L. Walras, ils ne peuvent rien accepter : ni sa position exclusive pour les mathématiques, ni l'analogie mécani- que, ni ses idées socialistes particulièrement évidentes dans sa théorie du rachat des terres par l'Etat (Walras, 1880). Au con- traire, L. Walras est bien accepté à l'étranger et sa notoriété s'étend en Europe et en Amérique. Sa collaboration à la Revue d'Economie Politique, créée en 1887, lui donnera sa revanche sur le Journal des Economistes.

Autre fervent partisan de la mathématisation, S. Jevons (1871) affirme que les relations économiques sont de nature ma- thématique :

"Il me semble que notre science doit être mathématique tout simplement parce qu'elle traite de quantités. Dès que les

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choses dont une science s'occupe sont susceptibles de plus ou de moins, leurs rapports et leurs lois sont de nature mathéma- tique. [...] ces lois sont mathématiques. Les économistes ne sauraient changer leur nature en leur déniant leur nom ..." (Jevons, 1871, cité par Walras dans sa propre traduction, 1909, Economique et mécanique, dans Walras, 1987, 330)

C'est la mécanique de l'intérêt personnel qui l'amène à la stati- que et aux mathématiques.

Sous son influence, F. Y. Edgeworth écrit en 1881 Mathema- tical Psychics, an Essay on the Application of Mathematics to the Moral Sciences. On trouve encore la trace de sa pensée chez I. Fisher -qui a été mathématicien avant d'être économiste- lorsque celui-ci publie en 1892 Mathematical Investigations in the Theory of Value and Prices.

A Lausanne, V. Pareto se montre le digne successeur de L. Walras. Mais s'il est partisan de l'usage des mathématiques, il n'est pas aussi extrémiste que L. Walras. Il ne considère pas que les mathématiques sont l'unique méthode scientifique :

"La logique courante suffit d'ordinaire pour les relations de cause à effet, tandis qu'il faut souvent employer pour les relations de mutuelle dépendance une forme spéciale de raison- nements logiques : à savoir les raisonnements mathématiques." (Pareto, 1909, 1, 42-43)

" Il n'y a donc pas lieu de parler d'une "méthode mathé- matique" qui s'opposerait à d'autres méthodes ; il s'agit d'un procédé de recherche et de démonstration qui vient S'AJOU- TER aux autres." (Pareto, 1909, 1, 146) [italiques et majuscu- les dans le texte]

Dans le Cours, Pareto reporte les développements mathéma- tiques en notes, et dans le Manuel en appendice. Cela révèle une position de repli qu'on retrouvera notamment chez A. Marshall et J. Hicks. Mais sa défense des mathématiques lui vaut tout de même d'être lui aussi la cible de M. Block (Dumez, 1985).

A. Marshall renvoie les mathématiques en annexe de ses Prin- cipes (1890). Il pense que la plupart des discours économiques peuvent être tenus en langage ordinaire. Les mathématiques gar- dent tout de même une utilité dans l'expression de relations géné- rales ou d'interactions mutuelles ; il défend l'analogie physique, mais pas de façon exclusive.

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Opinion et pouvoir 44 Bibliographie 46

Yves Balasko Mathematiques et économie : trois exemples 51

1. Introduction 51 2. La loi de l'offre et de la demande 52

Forme locale de la loi de l'offre et de la demande ou le signe de la derivee de la demande nette 53 Forme globale de la loi de l'offre et de la demande et les discontinues de l'équilibre 54

3. Fluctuations economiques et marches financiers selectifs 55 La theorie de l'équilibre general equivariante 56 Fluctuations economiques et acces aux marches financiers 57 Fluctuations economiques et politiques monetaires 58

4. Les cycles de Condorcet 58 La probability de cycles de Condorcet et les nombres euleriens 60

5. Conclusion 60 Bibliographie 61

Alain Bienayme L'oeil des mathematiques et le regard des economistes 63

1. De l'usage optimum des mathematiques 63 2. Les exces de langage 66 3. Les illusions de la logique 68 4. La predominance du mesurable 72 5. Theorie scientifique et comprehension de l'economie 76 Bibliographie 78

Alain Bonnafous Mathematiques et scientificite dans les modèles eco- nomiques 81

1. Un premier enjeu d'ordre moral et deontologique 81 2. L'horoscope du ministre 84 3. Deux ordres de criteres de scientificité ................................... 85 4. L'impossible verifiabilite ......................................................... 87

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5. La ruse de la falsifiabilite 89 6. L'attrait de la puissance 91 7. La ruse totalitaire 93 8. Que choisir ? 96 9. Un infirmationisme nuance mais exigeant 99 10. Le modele : un risque et une necessite 101 11. Une histoire de fantome 104 Bibliographie 106

Bernard Walliser Les modeles economiques sont-ils robustes ? 107

1. Introduction 107 2. Idealite des modeles economiques 108 3. Robustesse des modeles ideaux 110 4. Genericite des modeles economiques III 5. Robustesse des modeles generiques 112 6. Conclusion 114

Jean-Yves Caro L'attraction formaliste 117

1. La theorie de la scientificite 122 Principaux elements de la theorie de la scientificite 122 Dualite necessaire des rapports entre classes 125 Les professionnels de la distinction 130 La scientificite comme stratégie professionnelle et sociale .132 Les gains de la science pure 134 Les mathematiques pures: une quintescence de science pure 136 L'attraction formaliste 138

2. L'attraction formaliste en economie 139 Le handicap symbolique de la science economique 139 L'avantage ideologique de la science economique 140 Double jeu de l'economie pure 142 Les divisions de l'economie pure 145 Le champ du discours economique 147

3. Conclusion ........................................................................... 152 Bibliographie " " """""""""""" ' " " " """"""""""""""""" ' " 157