dossier bluma janvier 2013

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BLUMA /// Janvier 2013 6 /// VIE DU PARLEMENT DOSSIER DU MOIS SPÉCIAL SÉCURISATION DE L'EMPLOI L e contexte dans lequel s’inscrit l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 est d’abord évidemment marqué par le chômage, les destructions d’emplois et les perspectives mauvaises économiques. Il est également marqué par les politiques européennes de développement de la flexibilité et, dans notre pays, par le pesant héritage de 5 années de déni de démocratie sociale. Il est aussi dominé par une pensée dominante, une petite musique, des arguments d’autorité, selon lesquels « des réformes courageuses sont nécessaires ». Le terrain est bien miné. Culturellement, la gauche rame à contre-courant de vents forts. Pour libérer ce terrain miné, le Gouvernement a fait le choix d’ouvrir une vaste négociation sociale et de s’engager dans ce débat en le cadrant précisément. Une fois l’étape de la négociation sociale passée, la seconde étape appelle l’invention d‘un nouvel équilibre entre démocratie sociale et démocratie politique. Cet accord, bien que minoritaire parmi les organisations syndicales (les 3 organisations signataires représentant moins de 40% des salariés) doit être respecté. De même l’avis de la CGT et de FO, pleinement partie-prenantes de la négociation doit être respecté. Enfin l’orientation politique du peuple français et la démocratie représentative, qui en est S'ENGAGER POUR LA SÉCURISATION DE L'EMPLOI par Delphine Mayrargue DOSSIER SÉCURISATION DE L’EMPLOI L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a conclu trois mois d’une négociation ouverte à la demande du gouvernement, conformément à un des engagements de campagne du Président F. Hollande, sur la sécurisation de l’emploi. Nous revenons dans ce dossier sur un décryptage de l’accord qui, s’il comporte quelques avancées, présente également de nombreux points inquiétants.

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Sécurisation de l'emploi

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BLUMA /// Janvier 20136 ///

VIE DU PARLEMENT

DOSSIER DU MOIS SPÉCIAL

SÉCURISATION DE L'EMPLOI

Le contexte dans lequel s’inscrit l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 est d’abord évidemment

marqué par le chômage, les destructions d’emplois et les perspectives mauvaises économiques. Il est également marqué par les politiques européennes de développement de la flexibilité et, dans notre pays, par le pesant héritage de 5 années de déni de démocratie sociale. Il est aussi dominé par une pensée dominante, une petite musique, des arguments d’autorité, selon lesquels « des réformes courageuses sont nécessaires ». Le terrain est bien miné. Culturellement, la gauche rame à contre-courant de vents forts.

Pour libérer ce terrain miné, le Gouvernement a fait le choix d’ouvrir une vaste négociation sociale et de s’engager dans ce débat en le cadrant précisément. Une fois l’étape de la négociation sociale passée, la seconde étape appelle l’invention d‘un nouvel équilibre entre démocratie sociale et démocratie politique. Cet accord, bien que minoritaire parmi les organisations syndicales (les 3 organisations signataires représentant moins de 40% des salariés) doit être respecté. De même l’avis de la CGT et de FO, pleinement partie-prenantes de la négociation doit être respecté. Enfin l’orientation politique du peuple français et la démocratie représentative, qui en est

S'ENgAgER POUR LA SÉCURISATION DE L'EMPLOIpar Delphine Mayrargue

DOSSIER SÉCURISATION DE L’EMPLOI

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier

2013 a conclu trois mois d’une négociation ouverte à la demande du gouvernement, conformément

à un des engagements de campagne du Président F.

Hollande, sur la sécurisation de l’emploi. Nous revenons dans ce dossier sur un décryptage de l’accord qui, s’il comporte quelques avancées, présente

également de nombreux points inquiétants.

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l’émanation, doivent être respectés. C’est donc bien un équilibre démocratique, mais aussi politique dans son contenu, qu’il convient de bâtir sur la base des engagements présidentiels, du cadrage gouvernemental et de l’accord issu de la négociation. Or la difficulté fondamentale réside dans le décalage de nature entre des avancées sociales qui devront être précisées par le législateur, et les remises en cause de notre ordre public social. Si cet accord crée de nouvelles protections (indemnisation chômage, extension de la couverture santé, formation, représentants de salariés dans les CA des grandes entreprises…) il crée aussi de nouvelles précarités. Parmi celles-ci, l’une des plus graves est induite par les accords dits « maintien dans l’emploi » lesquels autorisent une baisse des salaires supérieurs ou égaux à 1,2 SMIC. L’idée que le droit du travail serait un outil de gestion

de l’entreprise se trouve ainsi accréditée. De même, et tout aussi dangereusement, cet accord fait sienne l’opinion du MEDEF, selon laquelle la « judiciarisation » de la relation du travail créerait de l’instabilité, du fait d’une jurisprudence inconstante, ce qui est faux, de délais procéduraux longs, peut-être, mais la faute à qui ? Ce discours rappelle cruellement celui d’un grand patron italien, Berlusconi, qui ne cesse de tonner contre le « pouvoir des juges ». En s’en prenant au droit et à la justice, c’est notre modèle républicain que le MEDEF cherche ainsi à écorner. C’est aussi notre modèle social qui est mis à mal avec, par exemple, la création d‘un contrat intermittent, alternance de périodes travaillées et non travaillées sans indemnisation chômage. C’est enfin un certain modèle culturel qui est attaqué quand on permet le licenciement pour motif personnel quand bien même la cause en serait non inhérente à la personne (refus d’une

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mobilité imposée à la suite de la négociation d’un « accord mobilité » au sein de l’entreprise).Ce sont ces interrogations que nous voulons porter dans le débat. Bien sûr une négociation réussie se conclue par un compromis impliquant des concessions de la part des parties-prenantes. Nous ne saurions remettre en cause, en soi, cette démarche. Mais quand le contexte est aussi défavorable à l’une des parties-prenantes, il est de la responsabilité de l’acteur politique de s’engager. C’est le sens du débat parlementaire, à travers les amendements qui seront indispensables pour préciser certains dispositifs, mais aussi pour vérifier leur cohérence avec notre modèle républicain, social et culturel. C’est également, le sens du débat public qui doit se poursuivre ces prochaines semaines pour assurer, réellement, la sécurisation de l’emploi.

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Le récent accord sur la sécurisation de l’emploi repose sur le présupposé que le droit français du travail

pêche par un manque de flexibilité. A l’aune des possibilités offertes aux employeurs installés en France, on peut pourtant en douter.Si les entreprises françaises ne sont pas suffisamment compétitives, ce serait en grande partie parce que les règles en vigueur les empêcheraient de procéder en temps et heure à la nécessaire adaptation de leur effectif aux évolutions de leur activité. Le droit du licenciement est ici particulièrement visé mais ce n’est pas le seul.Pourtant, les mouvements de salariés enregistrés en France métropolitaine permettent de douter de la réalité des difficultés d’adaptation invoquées : en 2011, en France métropolitaine, le taux de rotation (moyenne des taux d’entrées et de sorties) des salariés est de 50,2 % (source : Darès). Un pourcentage qui laisse songeur.

Un droit français du licenciement économique moins rigide que celui des Etats-Unis et du Royaume UniLa prétendue rigidité du droit du licenciement économique est mise à mal par les études comparatives de l’OCDE sur le caractère contraignant des législations nationales en la matière qui placent la France parmi les pays les moins contraignants : 29ème place sur 40 états étudiés.Notre pays se classe derrière l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse ; mais aussi le Royaume Uni et les Etats-Unis ou encore derrière la Pologne, le Mexique et - l’Estonie.Il est vrai que la principale obligation faite à un employeur qui souhaite licencier se résume à la nécessité d’avoir un motif « réel et sérieux ». Est-il réellement outrancier d’exiger qu’un salarié ne puisse pas perdre son emploi sans qu’il y ait une bonne raison à cela ?

Le licenciement non motivé n'est pas interdit, il est plus coûteuxD’autant que l’absence de motif réel et sérieux n’empêche en aucun cas de licencier. La Cour de cassation l’a récemment rappelé dans l’arrêt « Viveo » : l’absence de motif économique n’annule pas la procédure de licenciements. Cette carence fait simplement courir à l’employeur le risque de devoir payer a posteriori des indemnités au salarié injustement licencié, si celui-ci demande réparation devant les juges. Ce qui arrive rarement : selon les statistiques du professeur Evelyne Serverin, 2 % seulement des licenciements économiques donnent lieu à une contestation judiciaire.

Plan de départs volontaires et rupture conventionnelle : deux merveilleux outils de flexibilitéPar ailleurs, d’autres dispositifs permettent à

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PEU fLExIbLE LE DROIT DU TRAvAIL ? vOUS vOUS TROMPEzpar Nathalie boisson zyskind

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l’employeur de se soustraire à son obligation de motiver les réductions d’effectif. Ainsi, les plans de départs volontaires, très en vogue depuis quelques années, exonèrent de facto l’employeur d’avoir à justifier sa décision de restructuration : le plus souvent les représentants des salariés se battent plus sur les mesures d’accompagnement des départs que sur la réalité du motif invoqué. On peut encore citer les ruptures conventionnelles qui permettent de se séparer d’un salarié sans avoir à avancer de motif. Un dispositif qui connaît un réel succès : plus d’1 million de ruptures depuis l’entrée en vigueur de la Loi de juin 2008.

L'arsenal des contrats précairesAu delà des réductions d’effectifs, les employeurs ont en France un foisonnant terreau de contrats précaires dans lequel ils peuvent piocher pour adapter le volume de leur effectif à leurs besoins. 15 % des emplois en France contre 13,8 % en Allemagne (Alternatives économiques) sont des contrats précaires.A commencer par les CDD classiques dont la

durée peut aller jusqu’à 18 mois (parfois 24) renouvelable une fois. Des CDD auxquels on peut recourir pour remplacer un salarié absent ou un salarié parti en attendant la suppression du poste laissé vacant pour répondre à un surcroît temporaire d’activité (18 mois !), pour occuper un poste en attendant l’arrivée de son titulaire, pour exercer des travaux saisonniers par nature. Des possibilités qui restent trop larges et participent à la précarisation de l’emploi.

Il faut également citer les contrats à objet définis créés en 2008. Réservés aux ingénieurs et aux cadres, ces contrats permettent d’engager un salarié pour une mission précise pouvant durer jusqu’à 36 mois. Une fois la mission accomplie, le salarié peut être licencié sans autre motif.

Citons encore l’intérim ou les contrats intermittents, ces CDI qui permettent de ne faire travailler un salarié que pendant certaines périodes de l’année tout en lui interdisant le bénéfice des allocations de chômage pendant les périodes non travaillées.

Durée du travail et clauses contractuelles : la flexibilité interneN’oublions pas non plus les possibilités de flexibiliser l’emploi des salariés en poste.En matière de durée du travail, l’annualisation qui permet de moduler le temps de travail sur l’année avec des périodes hautes et basse que l’on peut modifier sous réserve de prévenir le salarié et de l’avoir prévu par voie d’accord. Le forfait jour grâce auquel le temps de travail du salarié est décompté en jours travaillés (et non en heures) auxquels les seules bornes posées sont les maxima horaires.

Citons enfin, les nombreuses clauses de mobilité (lieu, durée, fonction) que les salariés sont bien obligés d’accepter en même temps que l’emploi au moment de leur embauche. Clauses que l’employeur peut activer à tout moment à la seule condition de respecter la vie familiale de son salarié.

La question paraît donc bien se poser : le droit français du travail pèche-t-il réellement d’une absence de flexibilité ?

vous avez dit lenteur judiciaire ?Egalement dans le viseur des employeurs : la justice française du travail.

En effet les décisions de justice nuiraient à l’activité entrepreneuriale en remettant en cause des décisions patronales, des années après qu’elles aient été prises. Le fort climat d’insécurité juridique ainsi généré serait lui aussi une des raisons des difficultés des employeurs français

Sans entrer dans un débat de fond, notons que cette lenteur – au demeurant partagée par tout le système judiciaire français -, est ici bien souvent accrue par les stratégies patronales. Notamment, deux pratiques bien connues leur permettent de gagner un temps précieux : les demandes de renvoi d’audience présentées lors de la première comparution devant les bureaux de jugement des prud’hommes ; et surtout l’exploitation des voies de recours que sont la Cour d’appel puis la Cour de cassation. A titre d’information, différentes statistiques, dont celle du professeur Serverin, révèlent que les décisions prud’homales font l’objet de deux fois plus d’appel que celles des autres juridictions sans que pour autant, les jugements des conseils de prud’hommes soient plus souvent infirmés ou cassés que ceux de ces autres juridictions.

Il est un principe du droit qui dit que « nul ne peut invoquer sa propre forfaiture ». Il semble que certains tenants de l’assouplissement des contraintes judiciaires ont oublié cet adage.

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DÉCRYPTAgE DE L'ACCORD NATIONAL INTERPROfESSIONNELpar Sophie binet

« Accords maintien dans l'emploi » : le chantage à l'emploi légaliséNicolas Sarkozy avait lancé en janvier 2012 une négociation baptisée « accords compétitivité-emploi ». Les négociations n’ayant pas abouti dans le délai de deux mois fixé par N.Sarkozy, les syndicats ont décidé le 16 mai du report de cette négociation dans l’attente de rencontrer le nouvel exécutif. Lors de la conférence sociale, Jean-Marc Ayrault déclare : « La négociation compétitivité-emploi, mal engagée, n’est plus à l’ordre du jour ».

L’ANI réintroduit par la fenêtre ce que nous avIons sorti par la porte. Il prévoit en effet, que dans les entreprises en difficultés « prévisibles ou déjà présentes », des négociations puissent être ouvertes pour trouver « un nouvel équilibre dans l’arbitrage global temps de travail/salaire/emploi, au bénéfice de l’emploi ».

• Ce qui est garanti : Cela sera un accord majoritaire valable pour une durée maximum de 2 ans qui ne pourra remettre en cause les dispositions légales (SMIC et temps de travail maximum).

• Ce qui sera possible : la baisse des salaires supérieurs à 1,2 SMIC, la suppression des RTT, la baisse du temps de travail, des suppressions d’emploi, ainsi que la remise en cause de tous les autres acquis sociaux gagnés par les

salariés dans leur entreprise. • Rien n’est prévu pour prouver la difficulté

rencontrée par l’entreprise• Rien n’est prévu pour garantir le retour au

contrat de travail initial à la fin de la durée de l’accord

• Rien n’est prévu pour empêcher la distribution de dividendes pendant la durée de l’accord

• Le salarié qui refuse l’application de l’accord fait l’objet d’un licenciement économique sans aucune des obligations y afférant : l’employeur n’a pas à prouver la cause réelle et sérieuse du licenciement.

Ainsi, dans un contexte de crise où le chômage explose, c’est le chantage à l’emploi pour les salariés et leurs organisations syndicales qui sont légalisés. Cette disposition ouvre la voie à des régressions sociales majeures !

En guise de mobilité, la flexibilité imposée aux salariésAujourd’hui un salarié qui refuse un changement de poste ou de lieu de travail est licencié pour motif économique, avec l’obligation pour l’employeur de prouver la réalité du motif économique. Par ailleurs, lorsque le contrat de travail prévoit une clause de mobilité elle doit définir de façon précise sa zone géographique d’application et elle ne

peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée.Avec l’application de cet ANI, dans le cadre d’un accord mobilité, seul le salaire est garanti. Par contre le salarié n’a plus le droit de refuser le changement de poste ou de lieu de travail (sans aucune limitation géographique), quelque soit la situation de l’entreprise. Si le salarié refuse, il est licencié pour motif personnel, sans aucune obligation pour l’employeur ni de prouver la nécessité économique du changement de poste ou de lieu de travail, ni de reclasser le salarié. Il s’agit d’une flexibilisation très importante du contrat de travail.

La protection contre les licenciements collectifs court-circuitée Les règles inscrites dans le code du travail sur le licenciement collectif pour motif économique pourront être contournées par 2 moyens :• Accord majoritaire d’entreprise• Homologation de l’inspection du travail

dans un délai de 21 joursCette disposition introduit une inversion de la hiérarchie des normes en faisant primer les dispositions contractuelles négociées dans l’entreprise sur la loi. L’ordre des licenciements, le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, les délais, les documents à produire…seront donc désormais négociés entreprise par entreprise, sans norme légale. Pire, l’employeur bénéficie

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d’un moyen de pression très important sur les élus du personnel : s’ils ont des exigences trop importantes, il peut agir de façon unilatérale, sous réserve d’homologation par l’inspection du travail. C’est là que le bas blesse : l’inspection du travail ne dispose que de 21 jours pour examiner le plan, et son absence de réponse vaut avis positif. Quand on sait qu’il n’y a que 2200 inspecteurs et contrôleurs du travail pour plus de 20 millions de salariés, on comprend qu’il s’agit là d’une homologation de fait, qui permet de contourner l’ensemble des protections légales obtenues par les syndicats.

CDII, un coup de canif dans le CDIL’ANI permet, dans les entreprises de moins de 50 salariés de 3 branches professionnelles, d’avoir recours au CDI Intermittent (CDII). Ce type de contrat permet l’alternance de périodes travaillées et non travaillées avec une annualisation des horaires et du salaire sur l’année. Résultat : pas de prime de précarité (c’est un CDI) et pas d’indemnisation chômage sur les périodes non travaillées ! L’ANI prévoit une nouvelle négociation en 2014 entre les signataires, en vue d’une éventuelle généralisation.

Une nouvelle réduction des délais de prescriptionAlors que les délais de prescription sont déjà dérogatoires en droit du travail (ils ont été ramenés en 2008 de 30 ans à 5 ans), ils sont encore réduits : le salarié ne dispose plus que de 2 ans pour saisir le juge, délai ramené à 1 an pour les licenciements économiques. Quant aux rappels de salaires ou d’heures supplémentaires, ils sont limités à 3 ans, contre 5 auparavant. Si cet accord ne sécurise pas vraiment les salariés, le patronat obtient lui une quasi immunité judiciaire pour les entreprises !

QUELQUES AvANCÉES À PRÉCISERComplémentaire santéL’ANI institue un dispositif conduisant à la généralisation des complémentaires santé d’entreprise financées à 50% par les employeurs. Ceci répond à un vrai besoin : 4 millions de personnes n’ont pas de complémentaire santé.Cependant :• Ceci sera seulement effectif en 2016• Le choix de l’ « organisme assureur »

est effectué par l’employeur. Un marché juteux s’ouvre pour les assureurs

• L’employeur est exonéré de cotisations sociales sur la partie qu’il finance

• Le panier de soin minimal est faible, inférieur à celui de la CMU C.

• Le dispositif retenu ne garantit pas la couverture des salariés des entreprises de moins de 50 salariés.

Surtaxation des CDD ? Comment gagner 40 millions L’ANI prévoit que la cotisation assurance chômage sera majorée pour certains CDD : • + 3 points (7%) pour un contrat de

moins d'un mois • + 1,5 point (5,5%) pour un contrat de

1 à 3 mois • + 0,5 point (4,5%) pour les CDD d’usage

de moins de 3 mois Cette disposition se limite aux CDD très courts. En outre, les plus gros utilisateurs de contrats courts sont exclus : les contrats saisonniers et agences d’intérim ne sont pas concernés, et

les CDD d’usage le sont de façon cosmétique.

Total de cotisation supplémentaire 110 millions d'euros.En compensation les employeurs seront exonérés des cotisations assurance chômage pour toute embauche en CDI d'un jeune de moins de 26 ans. Cette exonération sera de 3 mois pour les entreprises de plus de 50 salariés et de 4 mois pour celles de moins de 50 salariés.

Total des exonérations de cotisations 150 millions d'euros. En conclusion l’UNEDIC, qui avait déjà des difficultés de financement, perd 40 millions d’euros

Des droits rechargeables à l'assurance chômageL’ANI permet que le salarié conserve tout ou partie du reliquat des droits à l'assurance chômage non utilisés, ce qui permettra dans certains cas d’allonger les durées d’indemnisation. Aucune augmentation de cotisation n’étant prévue, ce nouveau droit sera financé à budget constant. Notons que, du fait de l’explosion du chômage et des exonérations de cotisations sociales, le déficit prévisionnel de l’UNEDIC s’élève pour 2013 à -4,1 Mds d’€ , avec un déficit cumulé de -17,7 Mds d’€. C’est cette situation financière qui conduit à ce que plus d’un demandeur d’emploi sur deux ne soit pas indemnisé. Le droit rechargeable ne pourra donc être financé qu’en baissant le

montant des indemnisations. CQFD !

La transférabilité de la formation L’ANI permet que les droits accumulés à la formation soient conservés malgré les changements d’employeur. Cette avancée est cependant limitée par le fait que le Droit Individuel à la Formation reste à 20h par an plafonnées à 120 heures, avec une utilisation conditionnée à l’accord de l’employeur

Temps partiel : un minimum de 24 heures mais de nombreuses dérogations L’ANI instaure enfin un minimum de 24 heures hebdomadaires pour les temps partiels, ce qui est une bonne chose. Cependant :• Ce minimum est annualisé, ce qui permet

une grande flexibilité• De nombreuses exceptions sont créées• Ceci ne rentrera en vigueur qu’en 2014

Un strapontin dans les Conseils d'AdministrationLes syndicats ont arraché au MEDEF la possibilité qu’un à un à deux salariés participent au conseil d'administration de l'entreprise avec voix délibérative. Cependant ceci n’est valable que pour les 229 entreprises françaises de plus de 5000 salariés.

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DES SALARIÉS PRÉCARISÉS

par Eric Polian

Pour analyser cet ANI, il est nécessaire de prendre en compte le contexte dans lequel il s’inscrit, celui d’un rapport de

forces entre salariés et employeurs qui s’est dégradé depuis de nombreuses années. Le chômage de masse, la précarisation crois-sante et l’individualisation des relations de travail ont contribué à affaiblir les salariés et leurs organisations syndicales. Les évolutions du droit du travail, droit qui a pour fonction première d’instituer des protections pour les salariés dans leur relation par nature inégale avec les employeurs, ont été à la fois le produit de la dégradation de ce rapport de forces et le moyen de modifier les relations sociales dans un sens encore plus défavorable aux salariés. Le présent accord contient ainsi des disposi-tions qui vont avoir pour effet d’accentuer ce déséquilibre en faveur du patronat.

La philosophie de ce texte est de faire primer l’accord, en particulier au niveau de l’entreprise, sur la loi, inversant ainsi la hiérarchie des normes, pilier du droit social français. Or, c’est au niveau des entreprises que le rapport de forces est le plus défavorable aux salariés. Au-delà des cas de PME en difficulté (notamment quand elles sont étranglées par les grands groupes), l’actualité est féconde en entreprises qui pratiquent un véritable chantage social afin d’accroître en-core leurs marges pour rémunérer davantage leurs actionnaires. A ce niveau de négociation, la peur des licenciements permet de faire ac-cepter par des organisations syndicales des reculs au nom de la sauvegarde de l’emploi. Ajoutons que dans de nombreuses entreprises l’absence de section syndicale conduira, pour signer ces accords, à la création de syndicats maison à l’initiative de l’employeur. Ces reculs

porteront, avec les accords dits de maintien dans l’emploi, sur les salaires, le temps de travail, et évidemment sur les conditions de travail, avec toutes les conséquences à prévoir sur la santé physique et mentale des salariés. Et ce sans aucune garantie sur la pérennité des emplois après un délai de deux ans.

Au-delà de ces mesures dont chacun peut com-prendre les impacts, d’autres sont à prendre en considération. Par exemple, il sera possible en cas d’accord d’entreprise d’obliger les sala-riés à être reclassés sur d’autres postes. Les salariés refusant cette mobilité seront alors licenciés « pour motif personnel », sans pou-voir bénéficier des garanties liées à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Il est important que les parlementaires socialistes puissent en-cadrer précisément cette mobilité.

En ce qui concerne les PSE, l’accord introduit des nouvelles règles permettant de déroger à la loi et réduisant de manière drastique les moyens dont disposent les représentants du personnel pour s’y opposer. De quels moyens s’agit-il ? Il s’agit des règles de procédure, des délais légaux, des possibilités de recours en justice. Tous ces moyens rendent possible la mobilisation des salariés, qui demande du temps. Du temps pour discuter, élaborer col-lectivement, ne pas céder au fatalisme et au découragement, pour construire un mouve-ment et un rapport de forces. Des exemples montrent par ailleurs que la résistance aux li-cenciements permet dans certaines situations de sauver des entreprises en empêchant une saignée destructrice des savoir-faire et po-tentiellement mortelle pour les capacités de rebond. Cette capacité de résister repose éga-lement sur l’accès à l’information, le recours

à des experts mandatés par les représentants du personnel, possibilité de recours qui est gravement limitée par l’ANI.

L’ensemble de ces moyens permettent d’ar-ticuler mobilisation collective, construction d’alternatives et recours devant les tribunaux quand l’employeur ne respecte pas la loi. L’ANI, en l’état, réduit donc ces moyens au risque de développer l’impunité des délits commis par les employeurs. Contrairement aux refrains patronaux, il n’est pas impossible de licencier en France. Les millions de licenciés de ces dernières années peuvent en témoigner… Le problème, pour le MEDEF, c’est que parfois cela peut contraindre à un dialogue social dont il ne veut pas et coûter un peu d’argent en justice aux dirigeants qui ne respectent pas leurs obli-gations légales.

La question en cause est in fine l’existence de règles encadrant le pouvoir de l’employeur sur le contrat de travail (salaire, mobilité, rupture du contrat…). La fragilisation des salariés a des conséquences sociales dans de nombreux domaines. Devant se soumettre au pouvoir accru de l’employeur, les salariés ne sont pas en situation de contester les décisions qui leur porteront préjudice : acceptation de risques sur leur santé et leur sécurité, horaires variables d’un jour sur l’autre, heures supplé-mentaires non payées… Ces trente dernières années la montée de la précarité, la réduction des droits des salariés ont été de pair avec la croissance inexorable du chômage. Cet ac-cord, s’il devait être transposé dans la Loi en l’état, contribuerait à rendre la société encore plus dure avec les faibles et douce avec les forts et à accentuer le chacun pour soi.

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PORTER DE NOUvEAUx DROITS POUR LA MObILITÉ DES SALARIÉSpar Marion Commault

La situation économique en France exige des réformes à la hauteur. Faire progres-ser les droits des salariés en fait partie.

Un droit du travail garantissant une formation tout au long de la vie, une amélioration des savoir-faire, des lois permettant un maintien de notre outil économique, et marquent une préférence pour les revenus du travail à ceux du capital sont des engagements de François Hollande.

Un droit réel à la formationLa création d’un compte individuel de formation contenu dans l’accord est certes une avancée par rapport au dispositif du Droit Individuel à la Formation (DIF), mais elle ne peut être jugée comme suffisante. Ce compte individuel recèle les mêmes failles que le DIF : le salarié, s’il veut utiliser ses heures pour se former, doit demander l’accord de son employeur qui a toute liberté de le lui refuser. Aussi, le nombre d’heures cumulées, limitées à 20h par an, identique pour tous, ne permet pas de répondre aux inégalités d’accès à la formation professionnelle bien connus : les salariés qui bénéficient le plus de formation professionnelle dans le cadre de leur emploi sont les cadres et tous ceux ayant déjà suivi une bonne formation initiale.

La formation professionnelle et le recours au compte individuel de formation doivent garantir un réel accès à la formation professionnel aux salariés qui en ont le plus besoin. Il s’agit de s’adresser aux salariés des secteurs fortement fragilisés mais pas seulement. L’ouverture à de nouveaux postes, à des progressions de carrière doit pouvoir bénéficier aux plus grand nombre. Permettre au salarié, au bout de deux ans de cumuler des heures de formation, qu’elles soient à sa disposition exclusive, sans accord de l’employeur, renforcer et enrichir le processus de consultation du CE sur le plan

de formation, impliquer les pouvoirs publics constituent quelques pistes. L’accord renvoie la mise en place de ce compte à un accord sur les modalités de financement entre les partenaires sociaux, les régions et l’Etat : aux parlementaires d’améliorer ce nouveau dispositif !

Des droits transférablesLa transférabilité des droits à la formation est un des piliers de la sécurité sociale professionnelle, mais il n’est pas le seul : la définition d’un socle de droits, comme la qualification, l’accès à la protection sociale, pourra assurer à chaque salarié une garantie de conditions de travail, de niveau de rémunération, quel que soit son employeur. Renforcer le compte individuel de formation, enrichir les droits transférables sont de réelles avancées pour la mobilité sociale.

Une gouvernance d'entreprise rénovéeC’est également la gouvernance des entreprises qu’il faut réformer, en impliquant encore davantage les salariés et les Institutions Représentatives du Personnel (Comités d’entreprise, Délégués du personnel…). La voie délibérative au sein de Conseil d’administration de grandes entreprises ne pourra suffire. La procédure d’information-consultation des CE sur tout projet impactant l’emploi et l’avenir économique de l’entreprise doit être améliorée afin de garantir une bonne information de la part de l’employeur dès le début et des délais minimums. Trop souvent les élus salariés doivent rendre un avis consultatif en moins d’un mois sur des décisions complexes et déterminantes pour l’avenir dans l’entreprise. L’accès aux informations issues

des maisons mères, notamment au sein de groupes internationaux, est extrêmement difficile ; il s’agit aussi d’y remédier. Un dispositif de notation sociale obligeant les entreprises de plus de 500 salariés à faire certifier annuellement la gestion de leurs ressources humaines au regard de critères de qualité de l’emploi et de conditions de travail. C’était un engagement de campagne de François Hollande qui doit être un outil indispensable d’amélioration de la gouvernance et de l’information au service des salariés.

Une Loi permettant les reprises de sites et la lutte contre les licenciements boursiersLa reprise des sites industriels est abordée dans le texte de l’accord mais c’est à la loi de le rendre effectif. Une entreprise qui envisage la fermeture d’un site industriel au sein de son groupe, devra examiner les procédures de reprise qui lui sont soumises, mais aussi céder le site si l’une des offres proposées reçoit la validation du tribunal de commerce et un avis positif des instances représentatives du personnel. Et n’oublions pas la nécessité de renchérir le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions et de donner aux salariés qui en sont victimes la possibilité de saisir le tribunal de grande instance dans les cas manifestement contraires à l’intérêt de l’entreprise.

Œuvrer pour la mobilité sociale, œuvrer pour l’amélioration des compétences, œuvrer pour des décisions managériales au bénéfice de l’économie, ce sont ces objectifs qui seront également déterminants dans cette période de crise économique.

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