discours et représentations de l'au-delà dans le monde grec

271
Thèse présentée pour obtenir le titre de Docteur d’Université Paris-Est Spécialité : Histoire Par Thomas Reyser Discours et Représentations de l’Au-delà dans le Monde Grec Volume 1 Thèse soutenue le 5 février 2011, devant le jury composé de : Marie-Françoise BASLEZ, Professeur d'Histoire des Religions à l'Université de Paris Sorbonne, directeur Corinne BONNET, Professeur d'Histoire Ancienne à l'Université de Toulouse-Le Mirail, Institut Universitaire de France. Pierre ELLINGER, Professeur d'Histoire Ancienne à l'Université Paris Diderot-Paris 7. Vinciane PIRENNE-DELFORGE, FNRS, Directrice de Recherche du FNRS à l'Université de Liège. tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Upload: davo-lo-schiavo

Post on 12-Aug-2015

140 views

Category:

Documents


3 download

DESCRIPTION

Discours et représentations de l'Au-delà dans le monde grec.

TRANSCRIPT

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Thse prsente pour obtenir le titre de

Docteur dUniversit Paris-EstSpcialit : Histoire Par Thomas Reyser Discours et Reprsentations de lAu-del dans le Monde Grec Volume 1

Thse soutenue le 5 fvrier 2011, devant le jury compos de :Marie-Franoise BASLEZ, Professeur d'Histoire des Religions l'Universit de Paris Sorbonne, directeur Corinne BONNET, Professeur d'Histoire Ancienne l'Universit de Toulouse-Le Mirail, Institut Universitaire de France. Pierre ELLINGER, Professeur d'Histoire Ancienne l'Universit Paris Diderot-Paris 7. Vinciane PIRENNE-DELFORGE, FNRS, Directrice de Recherche du FNRS l'Universit de Lige.

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

2

Rsum

Les reprsentations de lau-del en Grce ancienne, depuis Homre jusquau IVe sicle aprs J.-C., posent la question de llaboration dun espace imaginaire et de la perception du temps dans une socit. Le choix de privilgier des cadres dtude limits mais suffisamment documents permet dtablir des strates successives de reprsentation de lau-del, toutes domines par langoisse du passage dans lautre monde. La comparaison des sources littraires et des sources pigraphiques met en lumire les sentiments par rapport lau-del et par rapport la tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 mort. Si le fatalisme domine largement travers les poques, lmergence progressive dun jugement des dfunts dans lau-del apporte lespoir. Par ailleurs, les pitaphes permettent de distinguer ce qui relve des reprsentations collectives et des reprsentations individuelles . Dans ces dernires, une large place est faite aux sentiments familiaux et lespoir de conserver une vie sociale dans lau-del. Les reprsentations labores par des groupes religieux accentuent cet espoir qui est la marque de liniti. Le judasme hellnis et le christianisme inscrivent cette attente de lau-del pour le fidle dans une thologie de la rtribution. Les strotypes tenaces associs lau-del, qui sont le plus souvent hrits de grands auteurs, de grands textes ou encore de liconographie attique se retrouvent fortement nuancs. Le voyage dans la barque de Charon ou la prsence de Cerbre ne sont que des reprsentations dune poque donne. Lau-del nest donc pas un espace fig mais, bien au contraire, il volue en fonction de circonstances sociales et culturelles.

3

Abstract

Representations of afterlife in ancient Greece, from Homer to the fourth century AD, raise the question of the elaboration of an imaginary space and time perception in a society. The decision to focus on limited but well documented specific studies allows the identification of successive layers of representation of afterlife, all dominated by the fear of crossing into the netherworld. The comparison between the literary texts and epigraphic materials highlights the feelings concerning tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 afterlife and death. If fatalism dominates throughout the ages, the gradual emergence of a judgment of the deceased in the afterlife brings hope. Moreover, the epitaphs make it possible to distinguish what belongs to the collective representations from what belongs to the individual. In those ones, emphasis is given to family feelings and the hope of maintaining a social life in the hereafter. Representations elaborated by religious communities emphasize that very hope, which is the mark of the insider. Hellenized Judaism along with Christianism engrave this expectation of the afterlife for the believers in a theology of retribution. Persistent stereotypes associated with afterlife - which are mostly inherited from great authors, great texts or Attic iconography - are highly qualified. The trip in Charons boat, or the presence of Cerberus are only representations of a given era. Afterlife is not a fixed space but, quite the opposite, it evolves according to social and cultural circumstances.

4

INTRODUCTION

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Mener une tude des reprsentations de lau-del dun groupe humain, cest videmment se poser la double question de la reprsentation du temps et de lespace (fut-il imaginaire). Si ces deux catgories constituent pour Kant les pr-requis de toute exprience humaine, il convient nanmoins de les distinguer car elles ninterviennent pas un mme niveau : la dimension temporelle de la perception de lau-del relve dune dimension individuelle puisquelle sinscrit dans le temps de la vie humaine alors que la dimension spatiale de lau-del relve la fois de limaginaire collectif et de limaginaire individuel. Dans son ouvrage paru en 2005, Herv Barreau distingue trois conceptions fondamentales du temps : circulaire, linaire et ramifie1

. La distinction

fondamentale entre le temps circulaire et le temps linaire repose sur la concidence ou non de lorigine et de la fin du temps. Le calendrier agraire o la fin correspond au dbut dun nouveau cycle en est le meilleur exemple. Le temps ramifi nest quune variante du temps linaire ; la ramification correspond un choix possible un instant prcis avant que le temps ne retrouve son cours normal. Natale Spineto, dans lintroduction du Temps et de la Destine humaine, a montr les implications possibles de cette conception dans le domaine religieux 2 . La ramification peut prendre forme, par exemple, lors du rite ; la possibilit de bien accomplir ou non

1 2

H.Barreau, Le Temps, 2005 N.Spineto, Religions et temps , Le temps et la destine humaine, Homo Religiosus, II, 6, 2007,

p.7-24

5

lacte rituel dtermine le futur de la communaut. Dans le champ mythique, cette conception ramifie du temps peut se manifester par la volont divine : la peste dans le camp des Achens au dbut de lIliade est le fruit de la volont de Zeus3. Ces perceptions du temps ne sont videmment pas exclusives ; plusieurs temporalits peuvent coexister dans une socit. Pierre Vidal-Naquet a mis en vidence que pour Hsiode temps linaire et temps cyclique cohabitent4. Le temps des dieux est linaire puisquil part du chaos pour aboutir au rgne de Zeus. Le temps des races humaines est lui aussi linaire : il correspond une dcadence alors que le temps vcu de lhomme est cyclique puisquil repose sur les travaux agricoles. Avant dvoquer le calendrier agraire, Hsiode donne comme conseil fais succder travail travail ce qui tmoigne dune vision circulaire du temps o la vie est une rptition des mmes gestes5. tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 Analyser les perceptions de lau-del du point de vue de la reprsentation temporelle conduit de fait trois grandes catgories. Si la vision de lau-del repose sur une conception cyclique du temps, la mort nest quune tape avant un recommencement ou une rincarnation. Dans le cadre dune vision linaire du temps, lau-del est une fin o le devenir du dfunt nest pas conditionn par sa vie. Par contre, une vision ramifie du temps ouvre la possibilit de dterminer le devenir post-mortem du dfunt en fonction des actes accomplis durant sa vie.

Les reprsentations de lau-del nont pas seulement une dimension temporelle, et lon ne saurait en rester la dfinition quen donne Jos Costa dans son tude consacre lau-del et la rsurrection dans la littrature rabbinique. Il propose la dfinition suivante : Lau-del correspond la dimension individuelle de leschatologie . Ce qui implique que toute conception de lau-del est une

3 4

Iliade, I, 5-6 P.Vidal-Naquet, Temps des dieux et temps des hommes, Essai sur quelques aspects de lexprience

temporelle chez les Grecs , RHR, 157, 1960, p. 55-80 O.Cullman et M.Eliade considraient que la conception du temps, en Grce ancienne, est cyclique comme dans toutes les socits primitives. Pour eux, la linarit temporelle est lapanage du Judasme et du Christianisme. O.Cullman, Christ et le temps, 1947. M.Eliade, Le Mythe de lternel retour, 19495

Hsiode, Les Travaux et les Jours, 382

6

projection dans le temps 6 . Pourtant lexpression au-del contient en elle une dimension spatiale. Par dfinition, cet espace nest pas expriment par les vivants, ce qui ne constitue pas une singularit dans le monde ancien : Arnaud Srandour a, en effet montr, que tout au long de lAntiquit, la reprsentation de lespace est reste essentiellement mentale, sans tre matrialise fut-ce graphiquement7. Faut-il considrer lau-del comme un espace imaginaire ? Cest peut tre un faux problme dans la mesure o la distinction entre espace rel et imaginaire est parfois fluctuante ainsi que la montr Christian Jacob8. Lespace vcu ne soppose pas des espaces imagins, ce sont ces derniers qui sont construits en fonction de lespace vcu sur des critres mathmatiques ou ethnographique. La reconstitution par Hrodote des cours de lIstros et du Nil, selon une symtrie parfaite mais aberrante, en fournit un exemple saisissant 9 . Cest dans cette optique quAnnie Bonnaf, Jean Claude tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 Decourt et Bruno Helly attirent lattention sur limportance de la situation gographique de lauteur dune carte ou dune description dun espace 10 . Si nous revenons au cas particulier de la reprsentation spatiale de lau-del, lauteur est toujours en situation extrieure par rapport lespace dcrit. On en dduit que le monde du descripteur et le monde dcrit sont lis par des lments rhtoriques quil convient de mettre en lumire ; le monde des morts est-il un dcalque du monde des vivants ou bien est-ce une image inverse de ce mme monde. Dcoule de ce constat ce quA.Srandour a soulign dans lavant propos de la table ronde consacre aux espaces et territoires du Proche Orient Ancien : Dans chaque culture, chaque socit ancienne, lespace est diversement peru selon les groupes sociaux et lintrieur mme de ces groupes une priode donne 11 . Ainsi, en termes6

J.Costa, Lau-del et la rsurrection dans la littrature rabbinique ancienne, Collection de la Revue

des tudes juives 33, Paris - Louvain, 2004, p.77

A.Srandour, Avant propos , Des Sumriens aux Romains dOrient, la Perception gographique

du monde : Espaces et Territoires au Proche-Orient Ancien, Actes de la table ronde du 16 Novembre 1996, Paris, 1997, p.11-198 9

Chr.Jacob, Gographie et ethnographie en Grce Ancienne, A.Colin, Paris, 1991 Chr.Jacob, Gographie et ethnographie en Grce Ancienne, A.Colin, Paris, 1991, p.50 A.Bonnaf, J.Cl.Decourt et B.Helly, Textes, cartes et territoires , Lespace et ses reprsentations,

10

TMO 32, Maison de lOrient, Lyon, 2000, p. 14-2311

A.Srandour, Avant propos , Des Sumriens aux Romains dOrient, la Perception gographique

du monde : Espaces et Territoires au Proche-Orient Ancien, Actes de la table ronde du 16 Novembre 1996, Paris, 1997, p.12

7

danalyse spatiale, la vision de lau-del que dveloppe une socit nest pas uniforme mais sadapte aux besoins de chacune de ces composantes. Cest ce qui rend vaine et inoprante toute recherche dune vision canonique . La question des reprsentations de lau-del dans le monde grec mrite aussi dtre reprise dans la mesure o elles reposent souvent sur des strotypess tenaces, qui demandent tre rvalus. Il sagit le plus souvent de quelques images hrites de grands auteurs et de grands textes ou encore de liconographie attique. Ainsi en va-t-il de lobole pour le passage sous la conduite de Charon dont Susan T. Stevens a pourtant montr que, si cette pratique existe dans lensemble du monde grec, elle est loin dtre frquente. A Olynthe, seules 10% des tombes contenaient des pices12.

La perception de lau-del nimplique pas seulement des reprsentations tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 spatio-temporelles, mais galement une vision sociale. Cest dans cette optique que se placent les travaux de Jean Pierre Vernant et Gherardo Gnoli qui dfinissent ainsi le concept didologie funraire: On rassemble sous le nom didologie funraire tous les lments significatifs qui, dans les pratiques comme dans les discours relatifs aux morts, renvoient aux formes de lorganisation sociale, aux structures du groupe, traduisent les carts, les quilibres, les tensions au sein dune communaut, portent tmoignage sur sa dynamique, sur les influences subies, sur les changements oprs. A travers la grille des questions qui lui est impose, le monde des morts se prsente comme le reflet, lexpression plus ou moins directs, plus ou moins mdiatise, travestie, voire phantasmatique, de la socit des vivants 13. Cette dfinition fait de toute vision de lau-del un reflet du monde de lorganisation sociale. A partir de ce constat les auteurs dressent une typologie des civilisations en fonction de leurs rites funraires14. Si ce genre dapproche semble beaucoup plus pertinent dans le cadre dune analyse interne dune communaut que dans un cadre comparatiste comme le fait Emilia Masson propos de la socit

12

ST Stevens, Charons obol, and other coins in ancient funerary practice, Phoenix, 45, 1991, 215-

22913 14

J.P.Vernant et Gh. Gnoli, La Mort, les Morts dans les Socits anciennes, Paris, 1982, p. 5-6 J.P.Vernant et Gh. Gnoli, La Mort, les Morts dans les Socits anciennes, Paris, 1982, p. 8-11

8

hittite15, cela conduit surtout rduire toute vision de lau-del des rites. Cest dans cette optique que se sont inscrits la plupart des travaux sur lau-del et notamment sur lvolution des conceptions. Par exemple, Eric Robertson Dodds considre que les difficults de lempire romain qui suivent le rgne de Marc-Aurle ont pouss les habitants de lEmpire romain a embrass leschatologie et les doctrines morales de la nouvelle religion en rponse un avenir anxiogne16. Ce point de vue a t fortement nuanc par Anitgone Samellas 17 , mais la question de limpact des vnements historiques sur la vision de lau-del reste nanmoins rgulirement pose, comme en tmoigne la controverse entre Ian Morris et Christiane Sourvinou-Inwood. Cette dernire a dvelopp lide que les changements de structures socio-conomiques ont induit des changements dans la vision de lau-del en Grce18. Se fondant sur une dmarche comparatiste, o sont convoqus les travaux de Philippe Aris et de Pierre tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 Chaunu19, Christiane Sourvinou-Inwood tente de dmontrer que lmergence de la polis a induit un changement dans la vision de lau-del dans le sens dune crainte croissante lgard de celui-ci. Ce changement de mentalits rsulterait de quatre lments concomitants : lclatement des petites communauts au profit de la polis, lmergence de lindividualisme, le dveloppement intellectuel de la priode

archaque et notamment de la pense philosophique ; enfin, un sentiment gnral dinscurit et de dsordre rsultant de lexpansion dramatique des horizons notamment socio-conomiques20. Ian Morris soppose cette thorie en partant de quelques remarques simples 21 . Tout dabord, la structure dmographique de la France mdivale et moderne diffre de celle de la Grce archaque. Ensuite, le peu15 16 17

E. Masson, Les Douze Dieux de lImmortalit, Paris, 1989 E.R.Dodds, Pagan and Christian in an Age of Anxiety, 1965 A.Samellas, Death in the Eastern Mediterranean (50-600 A.D.), Studien und Texte zu Antike und

Christentum 12, Tbingen, 200218

Chr. Sourvinou-Inwood, To Die and Enter the House of Hads: Homer, Before and After,

Mirrors of Mortality, d. J.Whaley, Londres, 1981, p. 15-39. Chr. Sourvinou-Inwood, A Trauma in Flux : Death in the Eighth Century and After , R.Hgg, The Greek Renaissance of The Eighth Century B.C., Stockholm, 1983, p.33-4919

Ph. Aries, Essais sur l'histoire de la mort en Occident : du Moyen ge nos jours, Seuil, 1975.

P.Chaunu, La Mort Paris (XVIe et XVIIe sicles), Paris, Fayard, 197820

Chr. Sourvinou-Inwood, Reading Greek Death To the End of the Classicla Period, Oxford,

1995, Page 413 444: Appendice , Death, Burial, and Model Testing21

Ian Morris, Attitudes toward death in archaic Greece, Classical Antiquity, 8, 1989, p.296-320

9

de tmoignages disponibles pour la priode archaque rend difficile toute approche globale de lvolution des mentalits. Consciente de cette faiblesse, Chr. SourvinouInwood concde que ses conclusions valent surtout pour les lites archaques. Enfin, Ian Morris critique svrement lusage fait du matriel archologique22. Plus gnralement, le problme que pose Ian Morris est celui de la gnralisation des conclusions de Chr. Sourvinou-Inwood ; il semble difficile dtendre lensemble de la socit grecque (si cette expression a un sens) des conclusions tires de sources littraires trs fragmentaires. Lusage de donnes archologiques en complment ne peut suffire dautant plus que le problme de la pertinence de ces sources est discutable. En effet, le lien entre rituel funraire et conception de lau-del nest pas vident ; la crmation et linhumation ninduisent pas forcment deux visions diffrentes de lau-del, mais elles tmoignent du statut tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 du dfunt. Ltude dEmilia Masson sur la socit hittite en apporte la preuve ; deux pratiques funraires coexistent (la crmation et linhumation) alors que la socit hittite ne semble avoir formul quune seule reprsentation de lau-del ; dans ce cas encore, les deux pratiques ne sont que lultime tmoignage du rang social du dfunt23. Ian Morris pose galement la question, qui semble essentielle, de savoir sil existe une attitude signifiante lgard de la mort en Grce ancienne. Les communauts grecques ont-elles un comportement qui tmoigne dune inquitude ou dun questionnement spcifique ? Si la mort est souvent reprsente ou mise en scne dans les mythes et les uvres littraires ou artistiques, lau-del napparat quen filigrane. Il ny a pas dquivalent en Grce du Livre des Morts gyptien. Cette dernire remarque amne reprendre le postulat que pose I.Assmann en introduction de son ouvrage intitul Mort et Au-del en Egypte ancienne. La dmarche de lhistorien repose sur le concept de culture et plus prcisment sur lide que la mort est gnratrice de culture24: cest la seule certitude humaine, les hommes conoivent le monde en sappuyant sur elle. De ce point de dpart dcoulent22

Ian Morris, Attitudes toward death in archaic Greece, Classical Antiquity, 8, 1989, p. 313: By

formulating explicit theories of the relationship between burial and society, Sourvinou-Inwood has gone beyond the traditionnal limitations of classical archeology, linking the material record to her case for a shift in attitudes toward death .23 24

E. Masson, Les Douze Dieux de lImmortalit, Paris, 1989 Jan Assmann, Mort et au-del dans lEgypte ancienne, 2003, p.19

10

deux conceptions possibles de lau-del : celle de type gyptien o la mort est une survie dans un cadre diffrent et celle de type msopotamien o la mort nest quune longue attente sans fin. Le cadre grec primitif semble plutt se rapprocher de la seconde catgorie, puisquUlysse rencontre, dans lHads, les morts, ttes sans force 25. Nanmoins, ce cadre nest pas fig dans la mesure o il coexiste, partir de lpoque classique au moins, avec des traditions o lau-del prend la forme dun sjour heureux pour le dfunt. Mais est-ce dire pour autant que la mort soit gnratrice de culture dans lunivers culturel grec ? Peu de tmoignages laissent transparatre un rel souci par rapport au sjour des morts. Si lHads est frquemment voqu, il est rarement dcrit. Lau-del napparat jamais comme une source dinspiration pour les auteurs et les artistes. Le constat vaut galement pour la documentation pigraphique, o la tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 trs grande majorit des inscriptions funraires nvoque pas le sjour infernal. Celles qui le dcrivent sont encore plus rares. La raison en tient vraisemblablement la reprsentation du monde quont dveloppe les Grecs. La tripartition du monde entre lespace des dieux, lespace des vivants et lespace des morts est oprante ds les textes primitifs. Si ces univers sont nettement spars, ils ne sont pas pour autant impermables les uns aux autres. Les dieux descendent parmi les hommes, et les hommes sen vont un jour ou lautre dans lHads. Le mode de dplacement normal entre ces trois espaces est descendant. Nos cimetires ne sont pas, non plus, les dpositaires de grandes rflexions sur la condition humaine. Dautre part, le tmoignage laiss sur les stles est adress aux vivants. Cest donc un acte mmoriel qui rappelle la place du dfunt au sein de la communaut.

Le travail de Ian Assmann ne pose pas seulement la question du rapport la mort et la culture, il soulve le problme des influences et des interactions culturelles. La reprsentation de lau-del en Egypte est un cas singulier puisquelle sest dveloppe de faon quasi autonome avec trs peu dapports extrieurs26. Le cas du monde grec est tout autre, o la documentation a pu donner lieu deux grandes tudes comparatistes. Au dbut du XXe sicle, Carlo Pascal sest intress

25 26

Homre, Odysse, XI, 29 Jan Assmann, Mort et au-del dans lEgypte ancienne, 2003

11

aux visions de lau-del dans les socits paennes27. Son tude se veut avant tout descriptive et considre lensemble culturel grco-romain. Il aboutit la conclusion que lmergence progressive de lide de rtribution dans lau-del conduit une structuration croissante du monde infernal pour aboutir aux reprsentations chrtiennes mdivales.. Franz Cumont reprend cette dmarche dans Lux Perpetua mais dpasse le simple cadre descriptif pour mettre en lumire les diffrentes stratifications qui ont conduit llaboration de la pense eschatologique chrtienne 28 . Dans les deux cas, la Grce nest considre que comme une tape transitoire avant laboutissement chrtien. Depuis, la question est reste quelque peu en suspend ; en effet, le reste des travaux sarticule en deux

catgories monoographiques ; dune part les ouvrages qui traitent de lau-del sur une priode ou dans un cadre gographique prcis, dautre part, les ouvrages qui tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 abordent un aspect prcis de lau-del. Appartiennent la premire catgorie, les tudes de Robert S.J. Garland ou de Christiane Sourvinou-Inwood qui portent sur la mort et les conceptions funraires de lpoque homrique la fin de lpoque classique29. Ces deux approches, bien que Robert .S.J. Garland se base avant tout sur un matriel attique et Christiane Sourvinou-Inwood sur liconographie, soulvent une mme difficult : en quoi la fin de lpoque classique marque-t-elle une rupture dans les conceptions de lau-del. La csure chronologique semble davantage reposer sur un priori que sur de rels changements dans les conceptions funraires. Le constat vaut galement pour le travail de Catherine Cousin qui sintresse au paysage infernal en limitant son enqute au IV sicle avant J.-C.30 La seconde catgorie douvrages couvre des champs plus vastes. Des tudes archologiques permettent dapprhender un aspect prcis de lau-del partir de ltude de coutumes funraires. Jan Bazant a mis en lumire le changement induit par le remplacement des stles par des lcythes fond blanc Athnes au Ve sicle avant27

C. Pascal, Le Credenze dOltretomba, Catane, 1912 republi en deux volumes en 1985 sous le titre

LOltretomba dei Pagani28 29

F.Cumont, Lux Perpetua, Paris, 1949 R.S.J. Garland, The Greek Way of Death, Londres, 1985 C.Cousin, La reprsentation de lespace et du paysage des enfers en Grce jusquau IV sicle

Chr. Sourvinou-Inwood, Reading Greek Death To the End of the Classicla Period, Oxford, 199530

avant J.-C. : tude littraire et iconographique, microforme, 1996

12

J.-C. et Ian Morris, en tudiant les cimetires, sest intress aux relations entre pratiques funraires et structures sociales dans le cadre des cits31. Certaines figures de lau-del ont galement t tudies : lme des dfunts par Erwin Rohde, Persphone par Gunther Zuntz, Charon par Francisco P. Diez de Velasco Abellan et le devenir des enfants morts par Anne-Marie Verilhac32. Mais larticulation entre ces diffrents acteurs et la figure centrale dHads nont pas suscit dintrt particulier, qquon attendrait pourtant. Hads est le grand absent de toutes ces tudes alors que la question de la reprsentation de lau-del sarticule autour de ce nom qui dsigne un dieu mais galement un lieu. Aussi bien M.Hjalmar Frisk que Pierre Chantraine soulignent labsence dtymologie claire de ce nom Hads 33 , malgr le rapprochement smantique qui existe avec le terme qui peut signifier odieux, destructeur, tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 invisible ou disparu. Antonella Alvino insiste sur ce dernier sens ; pour elle, le nom Hads drive d 34 . Si ces prcisions ne permettent pas de dterminer une tymologie, elles offrent des indications quant la perception et par consquent la dfinition de lau-del. Cet espace se caractrise par une dimension rpulsive (il est odieux et destructeur) mais avant tout par labsence de lumire, cest le lieu invisible et cach. Etudier lau-del cest tudier ce qui ne peut tre vu et qui relve limaginaire. La permanence du terme Hads suscite galement lintrt. Depuis les textes homriques jusqu la fin de lAntiquit, cest le mme terme inchang, qui dsigne lau-del. Ponctuellement, le lieu est dissoci du dieu, qui prend alors le nom de Ploutn. Cette permanence terminologique justife et lgitime une tude dans la31

J. Bazant, Entre la croyance et lexprience : le mort sur les lcythes fond blanc , BCH Suppl

14, 1983, Paris, pages, 37-44. I. Morris, Burial and Ancient Society. the Rise of the Greek City-State, CUP, 198732

E. Rohde, Psych, Le culte de lme chez les Grecs et leur croyance limmortalit, Payot, Paris,

1952. G. Zuntz, PERSEPHONE, Tree essays on religion and Thought in Magna Graecia, Oxford, 1971. F. de P. Diez de Velasco Abellan, El Origen del Mito de Caronte, Madrid, 1988. Anne Marie Verilhac, Paides Aroi, Athnes, 1982.33

M. Hjalmar Frisk, Griechishes Etymologishes Wrterbuch, s.v. . Ph. Chantraine, Dictionnaire

Etymologique de la Langue Grecque, s.v. 34

Antonella Alvino, Linvisibilita di Ades, SSR, 5, 1981, p.45-51. Cet article napporte pas de

solution au problme de ltymologie du terme Hads. Par ailleurs, la discussion a t relance par ltude des diffrentes formes du mot notamment en Thessalien. Voir ce propos Bulletin Epigraphique, 1987, 298

13

trs longue dure, cest--dire depuis la premire mention du terme chez Homre jusqu sa quasi-disparition la toute fin de lAntiquit. Cest encore le lexique qui dfinit le cadre spatial, ce quon dsigne comme lHads . Le relatif manque de sources qui dcrivent lau-del, ainsi quil la t soulign prcdemment, a conduit privilgier des cadres limits mais suffisamment documents pour pouvoir cerner chaque fois une reprsentation particulire et spcifique du monde des morts. Cette tude souvre donc par une approche chronologique des reprsentations de lau-del et se poursuit de faon diachronique dans le cadre de communauts humaines (professionnelles, gographiques, religieuses, ) afin de percevoir les nuances et les diffrences qui proviennent de situations vcues particulires. tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

14

CHAPITRE PREMIER : LAU-DELA DANS LES TEXTES FONDATEURS

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Les textes homriques sont domins par deux grands passages traitant de laudel : les nekuia des chants XI et XXIV. Outre ces deux textes majeurs, de nombreuses mentions de lau-del sont faites dans lIliade, lOdysse et les Hymnes homriques. Ainsi une cinquantaine de passages peut servir de sources dinformations directes. LIliade et lOdysse regroupent la majeure partie des occurrences ; les Hymnes Homriques offrent peu de tmoignages. Sur lensemble de ces textes, une vingtaine de passages ne sont quune simple mention de lau-del35 : le reste du corpus sarticule essentiellement autour de trois textes : les deux nekuia et lHymne Dmter. Lautre ensemble documentaire important est constitu par les textes hsiodiques mais aucune description du monde souterrain ny figure proprement parler : seuls des lments pars sont mentionns.

35

Homre, Odysse, VI, 831 ; X, 174 ; X, 490 ; X, 563 ; XI, 424 ; XI, 625; XI, 633 ; XII, 21 ; XII,

16 ; XII, 382 ; XIV, 207 ; XV, 346 ; XX, 208 ; XXI, 46 ; XXIV, 258. Homre, Iliade, XI, 277 ; XIV, 156 ; XV, 251 ; XXII, 52 ; XXII, 482 ; XXIII, 103 et 179

15

1 LES SOURCES

HOMERE

Dans lIliade (ainsi que dans les autres textes homriques), lHads est avant tout un lieu clos par des portes36. Ce lieu se situe dans les profondeurs de la terre37. Une indication de localisation nous est donne : la mme distance spare le Ciel de la Terre que lHads du Tartare38. Il en dcoule que le Tartare ne peut tre considr comme une partie de lHads. Sur ce lieu rgne Hads (expression les demeures dHads), le monarque des morts. Le dieu est monstrueux, seul, implacable, inflexible et accompagn de la froce Persphone39. Hads est logiquement : un dieu ha des hommes40. Les autres tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 personnages qui peuplent lHads sont le chien dHads (son nom napparat pas), lErinye qui marche dans la brume et vient du fond de lHads et les mes41. Le souverain infernal nest pas compltement passif : cest le dieu aux illustres coursiers42, il aurait t bless par Hracls Pylos43. Ces deux lments donnent, en creux, une image de lau-del o il ne se passe rien. En effet, la rfrence aux illustres coursiers rappelle le rapt de Persphone. Or celui-ci, comme le combat contre Hracls, se situe dans le monde des vivants. Le dieu nagit que lorsquil est en dehors de son royaume. Dans lHads, le dieu nagit pas. Deux lments, dans lIliade, concernent la gographie infernale. Il faut passer des portes pour entrer dans lHads 44 . Le franchissement du Styx est obligatoire pour pntrer dans ce lieu doubli45.

36 37 38 39

LHads aux portes bien closes, Homre, Iliade, VIII, 366; IX, 312 Homre, Iliade, XXII, 482 Homre, Iliade, VIII, 13 Homre, Iliade, XV, 251 ; XXII, 52 ; XXII, 482 ; XXIII, 103 et 179. Homre, Iliade, XV, 181.

Homre, Iliade, V, 395. Homre, Iliade, IX, 158. Homre, Iliade, IX, 569.40 41 42 43 44 45

Homre, Iliade, IX, 158 Homre, Iliade, VIII, 366, IX, 569,V, 664 Homre, Iliade, V, 664 Homre, Iliade, V, 395 Homre, Iliade, V, 644 et XXIII, 55 Homre, Iliade, VIII, 366 et XXIII, 75. Homre, Iliade, XXII, 389

16

La premire nekuia est prcde au chant X de la description de litinraire suivre pour atteindre lau-del. Les indications de Circ sont trs prcises : Ton vaisseau va dabord traverser lOcan. Quand vous aurez atteint le Petit Promontoire46, le bois de Persphone, ses saules aux fruits morts et ses hauts peupliers, chouez le vaisseau sur le bord des courants profonds de lOcan ; mais toi, prends ton chemin vers la maison dHads ! A travers le marais, avance jusquaux lieux o lAchron reoit le Pyriphlgthon et les eaux qui, du Styx, tombent dans le Cocyte. Les deux fleuves hurleurs confluent devant la Pierre : cest l quil faut aller47. Le chant XI apporte quelques lments gographiques complmentaires. Lentre des Enfers se situe prs de lendroit o les Cimmriens ont leurs pays et tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 ville 48. Le seul autre lment topographique est la mention du pr de lAsphodle49 qui semble tre le sjour des morts dans lHads. Cette gographie sappuie la fois sur des lments ralistes (lOcan, un promontoire, le pays des Cimmriens) et sur des lments relevant de limaginaire (le pr de lAsphodle, les fleuves infernaux). Les premiers font partie du monde des vivants tandis que les seconds sont des lments de lau-del. Ce changement de registre marque la rupture entre lespace du vivant et lespace des morts, entre un espace vcu et un espace imagin. Mais le chant XI est surtout loccasion de rencontres pour Ulysse. Celles-ci relvent de lespace social du hros. La premire est celle dElpnor qui na pas t enterr. La seconde est celle de Tirsias qui est lobjet de sa visite. Puis Ulysse entre en contact avec sa mre Anticleia 50 . Les autres rencontres sorganisent en trois temps : les femmes 51 , les hros compagnons darmes dUlysse (Agamemnon, Achille, Patrocle, Antiloque et Ajax)52, et enfin une srie de personnages mythiques (Minos, Orion, Tityos, Tantale, Sisyphe et lombre dHracls)53. Larticulation de

46 47 48 49 50 51 52 53

Pour V. Brard, le Petit Promontoire serait le cap de Baes Homre, Odysse, X, 505-540 Homre, Odysse, XI, 14 Homre, Odysse, XI, 539 Homre, Odysse, XI, 152-224 Homre, Odysse, XI, 235-327 Homre, Odysse, XI, 387-567 Homre, Odysse, XI, 568-626

17

cet espace social se fait en fonction de la proximit : tout dabord ce qui relve de son cadre de vie quotidien, puis ce qui le dfinit dans ces relations avec les autres grecs (des hros, des souverains), enfin des personnages de rfrence (positive ou ngative) qui ont une valeur difiante. Ainsi, apparat une dfinition de lhomme grec comme membre en premier lieu dune famille, puis dune communaut (politique ou guerrire) et enfin dun ensemble culturel. Cela correspond ce que F. de Polignac qualifie de juxtaposition horizontale des structures propres aux sicles obscurs 54. Les appartenances sembotent suivant une logique centre priphrie.

La seconde Nekuia narre litinraire et le dbut du sjour dans lau-del de lme des prtendants. LHerms du Cyllne (Arcadie) y tient une fonction de psychopompe. Le point de dpart du voyage semble tre un antre divin. Les mes tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 suivent55 : Le cours de lOcan, puis passent le Rocher Blanc, les portes du Soleil et le Pays des Rves. Elles atteignent alors la Prairie dAsphodle, o les ombres habitent. La suite du rcit est constitue dun long dialogue entre les mes des prtendants et des hros (Agamemnon, Achille, ).

Lhymne Dmter se singularise des autres rcits car il ne comporte ppas de description de lau-del puisque son sujet est le rapt de Persphone. Il sagit du sseul mythe o Hads est aacteur central. Ce texte offre donc peu dinformations sur lau-del. Les principaux renseignements qui peuvent tre fournis par cet hymne proviennent des qualificatifs donns Hads, comme lindique le tableau suivant. Qualificatifs attribus Hads dans lHymne Dmter Vers 2 Vers 9 Vers 17 Vers 18 Vers 31-32 Aidneus Poludektei anax poludegmon Kronou polunumos huios Polusmantor poludegmon [] Kronou polunumos huios54 55

F.de Polignac, Naissance de la cit grecque, 1984, p.153 Homre, Odysse, XXIV, 11-14

18

Vers 84 Vers 347 Vers 357

Polusmantor Aidneus Haid kuanochaita kataphthimenoisin anassn anax enern Aidneus

Le premier enseignement, cest la filiation avec Kronos qui est rappele par deux fois alors quelle est absente de lIliade et de lOdysse. Le deuxime lment est linsistance sur le fait que Hads rgne sur un trs grand nombre de sujets56 . Troisimement, Hads possde plusieurs noms, mais Homre nen mentionne que deux : Hads et Aidoneus.

Il y a de nombreuses autres mentions de lHads dans le reste de lOdysse, domines par lide quil sagit dun lieu 57 . tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 Hads nest nulle part mentionn

comme une divinit agissante ; il se contente de rgner (expression les demeures dHads)58. La seule divinit qui soit prsente active est Persphone ; Ulysse craint quelle ne lui envoie la tte de la gorgone pour le faire fuir59. Deux fois, une oppisition perment de dfinir lHads : lHads est oppos au soleil. Cest le lieu o le soleil ne pntre jamais60. Les deux dernires mentions prsentent lHads comme un lieu clos61 : LHads aux puissantes charnires et les portes de lHads. La vision que nous offre Homre de lHads est relativement succincte malgr le nombre doccurrences. Lors des deux nekuia, lauteur donne peu de dtails sur le paysage et la topographie infernale. Homre voque plus quil ne dcrit cet espace.

HESIODE La Thogonie contient peu de mentions concernant lHads ou Hads. Les seuls passages rellement importants sont carter dans un premier temps car il

56 57 58 59 60 61

Hymne Dmter, 9, 17, 31 Homre, Odysse, XII, 382 ; XI, 424 ; XI, 625; XI, 633 ; XII, 21 ; XII, 16 ; XXI, 46 Homre, Odysse, VI, 831 ; X, 174 ; X, 490 ; X, 563 ; XIV, 207 ; XV, 346 ; XX, 208 ; XXIV, 258 Homre, Odysse, XI, 633 Homre, Odysse, VI, 831 ; XII, 382 Homre, Odysse, XI, 277 ; XIV, 156

19

sagit dinterpolations62. Hads a une place insignifiante ; il napparat pas dans la prsentation. Le reste du pome ne lvoque deux fois : Le puissant Hads, qui a tabli sa demeure sous terre, dieu au cur impitoyable. 63 Zeus entra aussi au lit de Dmter la nourricire, qui lui enfanta Persphone aux bras blancs. Aidoneus la ravit sa mre, et le prudent Zeus la lui accorda 64.

Le second passage surprend puisque Zeus semble craindre Hads. Les liens entre ces deux souverains semblent par ailleurs complexes et tendus puisquHsiode met en parallle deux couples : sur terre Zeus et Dmter sont unis, sous terre, Hads et Persphone sont unis. tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 Un degr dabstraction supplmentaire semble franchi par rapport Homre. Hsiode mentionne une personnification de la mort65 : Nuit enfanta lodieuse Mort, et la noire Kre, et Trpas. Elle enfanta Sommeil et, avec lui, toute la race des Songes et elle les enfanta seule sans dormir avec personne. Le texte hsiodique apporte des renseignements intressants sur les personnages supposs appartenir lau-del. Cerbre est mentionn au vers 310. Il nest pas prsent comme le gardien de lau-del mais comme le chien dHads. Cerbre est le fils de Typhon et dEchidna et a pour frres et surs : Phix, le Lion de Nme, Orthos, lHydre et la Chimre. Hsiode le dcrit de la faon suivante66 : Le chien quon ose peine nommer, le cruel Cerbre, le chien dHads, la voix dairain, aux cinquante ttes, implacable et puissant.

62

Hsiode, Thogonie, 767-806. P. Mazon dans la traduction des CUF considre que ces vers sont

constitus de deux interpolations. S.Sad rejette ce point de vue en se fondant sur des arguments tant structurels que stylistiques. S. Sad, Les combats de Zeus et le problme des interpolations dans la Thogonie dHsiode , REG, 90, 1977, p.183-210. Ces vers concernent principalement Styx et seront repris ultrieurement.63 64 65 66

Hsiode, Thogonie, 455 Hsiode, Thogonie, 912-914 Hsiode, Thogonie, 211-213 Hsiode, Thogonie, 310-312

20

La prsentation qui est faite de Styx aux vers 383-404 retient lattention car Hads ny est nullement mentionn. Dailleurs les enfants de Styx nont aucune dimension macabre puisquil sagit de Zle, de Victoire, de Pouvoir et de Force. Styx est prsente comme le grand serment des dieux 67 . Cette vision de Styx est conforme la vision homrique : Styx nest pas envisage comme une divinit infernale. Enfin, aux vers 620 et suivants, Hsiode voque le sort de Briare, Cottos et Gyes qui sont : Relgus sous la terre aux larges routes . Ils sont en proie la douleur dans leur demeure souterraine. Rien ne prouve que la rsidence o sont relgues ces divinits soit partie intgrante de lau-del. La mme remarque est valable pour lIle des Bienheureux tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 dont il est question dans les Travaux et les Jours68. Enfin, deux passages voquent le destin infernal de deux des races hsiodiques : celui de la race dargent, ceux que les mortels appellent les Bienheureux des Enfers sur la terre 70.69

, et celui de la race de Bronze, dont les

membres partirent pour le sjour moisi de lHads frissonnant, sans laisser de nom

2 HADES EST-IL UN DIEU OU UN LIEU ?

NOMMER LAU-DELA : LHADES, LES DEMEURES DHADES, LEREBE

Trois faons de dsigner lau-del coexistent : lHads, les demeures (domos) dHads et lErbe. Se pose donc la question de leur valeur relative les unes par rapport aux autres. La plus frquemment utilise des trois est la seconde ; elle apparat plus dune dizaine de fois71. Cette dsignation de lespace sur lequel rgne un dieu na rien dexceptionnel ; elle est employe dans le cas de Zeus par

67 68 69 70 71

Hsiode, Thogonie, 400 Hsiode, Les Travaux et les Jours, 171 Hsiode, Les Travaux et les Jours, 140 - 142 Hsiode, Les Travaux et les Jours, 152 - 155 Homre, Odysse, VI, 831 ; X, 174 ; X, 490 ; X, 563 ; XIV, 207 ; XV, 346 ; XX, 208 ; XXIV, 258

21

exemple72. Chez Homre, le terme domos recouvre principalement quatre sens : la maison ou le palais 73 , le temple 74 , la demeure dun dieu et un abri pour les animaux75. Il ne semble pas quil faille voir dans cette dsignation une particularit propre lau-del. Le terme Hads, utilis seul, pourrait bien tre une formulation raccourcie de lexpression les demeures dHads. Le terme Erbe est employ plus rarement dans les textes. Il est synonyme dHads mais comporte une dimension supplmentaire : il souligne la profondeur du lieu76.

OU SE SITUE LAU-DELA ?

Homre aussi bien quHsiode donnent quelques renseignements sur la tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 localisation du monde infernal. Au chant VIII de lIliade, Homre crit 77 : moins que je ne le saisisse et ne le jette au Tartare brumeux, tout au fond de labme qui plonge au plus bas sous terre, o sont les portes de fer et le seuil de bronze, aussi loin au-dessous de lHads que le ciel lest au-dessous de la terre. Un passage de la Thogonie est assez similaire : aussi loin dsormais au-dessous de la terre que le ciel lest au-dessus : une enclume dairain tomberait du ciel durant neuf jours et neuf nuits, avant datteindre le dixime jour la terre ; et, de mme, une enclume dairain tomberait de la terre durant neuf jours et neuf nuits, avant datteindre le dixime jour au Tartare78. Ces deux passages permettent de localiser la terre par rapport au ciel et lHads par rapport au Tartare. Les deux nekuia homriques laissent supposer que la Terre et lHads sont en contact puisque le passage de lun lautre se fait en traversant le cours dOcan. Ds lors, la vision cosmologique dHomre et dHsiode72 73 74 75 76 77 78

Homre, Iliade, VIII, 375 et XV, 85 Homre, Iliade,, II,513 et XVIII, 60 Homre, Iliade,, VI, 89 ; Odysse, VII, 81 Homre, Iliade,, XII, 169 ; 301 Homre, Iliade, VIII, 368 ; Odysse, XI, 37 Homre, Iliade, VIII, 13 Hsiode, Thogonie, 720 - 723

22

se caractrise par un espace central rserv lhomme (Terre et Hads) et deux espaces extrmes rservs au divin (Ciel et Tartare). Le Tartare est un lieu pour des dieux morts (des dieux qui ne rgnent plus) alors que lHads est un lieu pour des hommes morts. Le Ciel est un lieu pour les dieux vivants (des dieux qui rgnent) et la Terre un lieu pour des hommes vivants. Le schma suivant rsume cette vision sphrique du cosmos.

Ciel Espace du vivant Terre tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Hads

Espace de la mort

Tartare

Deux sphres organisent lespace cosmique : une sphre humaine, qui englobe la Terre et lHads, et une sphre divine, compose du Ciel et du Tartare. Le tmoignage dHsiode permet de dissocier lHads du Tartare79 : Sous des masses sombres de traits ils (Cottos, Briare, Gys) crasrent les Titans ; puis ils les dpchrent sous la terre aux larges routes, et l, ils lirent de liens douloureux les orgueilleux quavaient vaincus leurs bras, aussi loin dsormais au-dessous de la terre que le ciel lest au-dessus : une enclume dairain tomberait du ciel durant neuf jours et neuf nuits, avant datteindre le dixime jour la terre ; et, de mme, une enclume dairain tomberait de la terre durant neuf jours et neuf nuits, avant datteindre le dixime jour au Tartare. [] Cest l que les Titans sont cachs dans lombre brumeuse, par le vouloir de Zeus, assembleur de nues.79

Hsiode, Thogonie, 716 - 730

23

Le Tartare apparat comme un lieu de lespace des morts mais rserv aux dieux ; physiquement, les Titans sont vivants mais le fait quils naient plus de pouvoir en fait des dieux morts . La vision archaque du cosmos est donc la fois bipolaire et symtrique. Le monde se divise en deux sphres, la sphre divine et la sphre humaine, et en deux espaces, celui de la vie et celui de la mort. Cette symtrie se manifeste, comme cela a t mentionn prcdemment, par une opposition qui repose sur la lumire. Lespace des vivants est le lieu du soleil alors que lHads est le lieu de lombre.

LES CONDITIONS DE LACCES DANS LHADES tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Homre est notre seule source sur les accs de lHads. A deux reprises, il dcrit les lments topographiques qui marquent la proximit de ce lieu. Au chant X, lauteur mentionne les lments suivants : la traverse dOcan, le petit promontoire, le bois de Persphone et Les lieux o lAchron reoit le Pyriphlegthon et les eaux qui, du Styx, tombent dans le Cocyte. Les deux fleuves hurleurs confluent devant la Pierre. Au chant XXIV, le cadre topographique est sensiblement diffrent : lantre divin, le cours dOcan, le rocher blanc, les portes du soleil et le pays des Rves. Le cadre gnral de ces deux textes appelle quelques remarques. Le premier tmoignage est litinraire indiqu par Circ Ulysse avant la premire nekuia. Il sagit donc du chemin emprunt par un vivant qui ne sera que de passage dans laudel. Le deuxime texte est la descente des mes des prtendants. Celles-ci sont conduites par lHerms de Cillne. Il sagit donc de morts rejoignant leur place normale dans le monde. Lors des deux nekuia, le passage dOcan est obligatoire et il se situe au dbut du voyage. Ocan se voit ainsi confrer une dimension de frontire entre le monde de la vie et le monde de la mort. Mais cette frontire est doublement permable puisque Ulysse la franchit dans les deux sens. Ocan ne marque donc pas lentre de lau-del mais seulement celui de la sphre de la mort80. A. Ballabriga,

80

Il est entendu par sphre de la mort, lespace mental mis prcdemment en vidence. Cet espace

contient les entits qui nagissent plus dans le quotidien des hommes. Il comprend lAu-del : le sjour des morts humains, mais le dpasse largement.

24

la suite de W. Burkett, lexplique par le fait que les tages se rencontrent aux extrmits du monde81 : les Enfers, la Terre, la Mer et le Ciel se rejoignent en ces lieux et le soleil y entre en contact avec locan. Les deux nekuia diffrent par les directions empruntes. Les mes des prtendants partent vers lOuest ; les Portes du Soleil sont le lieu par o le Soleil quitte la sphre cleste. Ulysse, lui, vogue vers le Nord : Laisse faire au souffle du Bore qui vous emportera82 Nous atteignons la passe et les courants profonds dOcan, o les Kimmriens ont leurs pays et ville83 Les prtendants, une fois passe cette tape, touchent au terme de leur voyage en entrant dans le Pays des Rves (ou Pays des Songes) qui par lvocation du sommeil annonce la mort. Cette vocation du sommeil et donc de la mort est tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 renforce par la direction gnrale de litinraire qui est celle de louest, direction du soleil couchant. Dans la Thogonie, ce rapprochement entre les songes et la mort est clairement exprim par la descendance de Nuit84 : Nuit enfanta lodieuse Mort, et la noire Kre, et Trpas. Elle enfanta Sommeil et, avec lui, toute la race des Songes et elle les enfanta seule, sans dormir avec personne. Le petit promontoire mentionn par Circ est associ par V. Brard au cap de Baes 85 . Mais est-il rellement ncessaire de rechercher une ralit gographique dans ce cas ? Vingt-trois occurrences du terme akt apparaissent dans les pomes homriques 86 . A plusieurs reprises, le terme nest pas employ pour donner une indication gographique prcise mais comme lment descriptif dune nouvelle terre :

81

W. Burkett, Le mythe de Gryon : perspectives prhistoriques et tradition rituelle , Il Mito greco

Atti del Convegno Internazionale, Urbion, 7-12 maggio 1973, Rome, 1977. A. Ballabriga, Le Soleil et le Tartare : limage mythique du monde en Grce archaque, Paris, 1986, p.5082 83 84 85 86

Homre, Odysse, X, 507 Homre, Odysse, XI, 13-14 Hsiode, Thogonie, 211-213 V. Brard, Les Navigations dUlysse, Paris, 1928 Homre, Iliade, II, 394 ; XI, 628 ; XII, 281 ; XIII, 321 ; XVIII, 67 ; XX, 47 ; XXI,76 ; XXIII, 125 ;

XXIV, 97 ; Odysse, V, 81 ; II, 355 ; V, 151; V, 404 ; V, 424 ; X, 88 ; X, 140 ; X, 508 ; XII, 11 ; XIII, 97 ; XIII, 234 ; XIV, 427 ; XV, 36 ; XXIV, 80

25

En approchant dIthaque aborde au premier cap87. Nous gagnons Aiaie, une le qua choisie Circ, []. Nous arrivons au cap, et, sans bruit, nous poussons jusquau fond du mouillage88. Ainsi, ce promontoire du chant X pourrait ntre quune indication narrative marquant larrive dUlysse sur une nouvelle terre. A partir de ce moment le hros entre dans la sphre de la mort. Deux autres passages dHomre viennent conforter cette ide. A deux reprises, un cap est le lieu o est enterr un hros, car cest un lieu facilement identifiable : Au plus haut du cap, nous le brlons, pleurant chaudes larmes ; Larme des guerriers achens rigea le plus grand, le plus tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 noble des tertres, au bout du cap o souvre lHellespont : on le voit de la mer 90. Le terme akt peut alors prendre une connotation lie la mort et ne dsigne pas seulement larrive sur une nouvelle terre ou dans un nouveau monde. Il prend dans les deux cas prcdents, la dimension de marqueur paysag qui fait office en mme temps de marqueur mmoriel. La dernire tape de cet itinraire est la traverse du bois de Persphone. Le terme alsos dsigne un bois sacr consacr un dieu (Athna91, Apollon92). Ulysse doit donc franchir un espace sacr avant dentrer dans lHads. A un autre moment de ses aventures, Ulysse doit traverser un bois similaire93 : Sur le bord du chemin nous trouverons un bois de nobles peupliers : cest le bois dAthna. Cet pisode se situe lorsquUlysse chemine avec Nausicaa avant datteindre la ville et le palais. Le bois apparat encore comme un lieu de passage. Celui de Persphone prcde lentre dans lHads. Celui dAthna prcde le retour la vie87 88 89 90 91 92 93

89

Homre, Odysse, XV, 36 Homre, Odysse, X, 140 Homre, Odysse, XII, 11 Homre, Odysse, XXIV, 80 Homre, Odysse, VI, 291 Homre, Odysse, IX, 200 Homre, Odysse, 6, 291

26

civilise. Le passage dUlysse du monde des vivants au monde des morts se fait sous le patronage de Persphone et non pas sous celui dHerms comme dans le cas des prtendants. Ulysse nest pas mort et Persphone, par sa mythologie, (Cf. lHymne Dmter) passe du monde des vivants au monde des morts et vice-versa. Elle est la seule divinit chez Hsiode avoir cette capacit. Il est donc normal quelle prside au passage dUlysse. Athna, quant elle, est la protectrice dUlysse. Il est donc logique quelle accompagne cette deuxime naissance du hros, ce retour la vie civilise.

LHADES COMME ESPACE

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Aprs avoir localis lau-del dans lorganisation cosmique gnrale, il convient de sintresser lorganisation spatiale de lHads. Homre est peu prolixe sur le sujet ; il donne nanmoins quelques renseignements. Il sagit en premier lieu dun espace clos94 : LHads aux portes bien closes, LHads aux puissantes charnires, Les portes de lHads. Il est facilement envisageable de penser que cette clture de lHads nait pas pour but de protger les morts des vivants mais linverse. Les deux espaces (celui des vivants et celui des morts) sont ainsi clairement spars. Le deuxime lment descriptif majeur fourni par Homre concerne le sjour propre des morts95 : A peine avais-je dit que, sur ses pieds lgers, lombre de lEacide grands pas sloignait : il allait travers le Pr de lAsphodle. Ils eurent vite atteint la Prairie dAsphodle. Une constatation simpose immdiatement : il y unicit du sjour des morts. Lau-del se voit ainsi confrer une dimension galitaire ; les critres sociaux ninterviennent pas dans le devenir du dfunt. La conclusion qui en dcoule, en se

94 95

Homre, Iliade, VIII, 366 ; Odysse, XI, 277 ; XIV, 156 Homre, Odysse, XI, 538-539 ; XXIV, 12

27

rfrant la dfinition donne en prambule de lau-del, cest que les hommes qui ont produit cette vision de lHads ont une conception communautariste de la mort. Les dfunts, et donc les vivants, appartiennent une mme communaut. Cette communaut se dfinit dans un sens restreint puisquUlysse ne rencontre dans laudel ni barbares, ni Troyens.

LE PEUPLE DES MORTS

Les deux principales sources sont les deux nekuia de lOdysse. Pour dcrire lensemble des dfunts, Homre utilise lexpression : ethnea nekrn 96 . Cette expression sous-entend que les morts forment une communaut au mme titre que tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 tout peuple la surface de la terre. La caractristique premire de ce peuple est dtre des ttes sans forces 97. Le sang semble redonner vie aux dfunts. Aprs en avoir consomm, les morts peuvent parler Ulysse. Ils retrouvent la possibilit dtablir un contact avec les vivants. Cependant, entre eux, les morts paraissent avoir la capacit de communiquer comme le montre le dialogue entre les mes des prtendants dune part et Achille et Agamemnon dautre part lors de la seconde nekuia. Ce dialogue est rendu possible par le fait que les morts nont pas perdu leurs souvenirs. Les prtendants racontent la vengeance dUlysse et Anticlia donne des informations son fils sur les vnements survenus Ithaque depuis le dpart de ce dernier pour Troie. Le second lment relever est la possible interaction entre les morts et les vivants98 : Moi, du long de ma cuisse, ayant tir mon glaive pointe, je massieds ; moi, jinterdis tous les morts, ttes sans force, les approches du sang.

96 97 98

Homre, Odysse, XI, 34 Homre, Odysse, XI, 29 Homre, Odysse, XI, 47-50

28

Les morts craignent le glaive dUlysse mais on ne peut pas expliquer si cest la crainte de la douleur provoque par larme ou le souvenir de celle-ci qui les tient loigns. LHads dcrit par Homre ne semble pas un lieu doubli et dabsence de sensations comme en tmoignent les lamentations dAchille99 : Oh ! Ne me farde pas la mort, mon noble Ulysse ! Jaimerais mieux, valet de bufs, vivre en service chez un pauvre fermier, qui naurait pas grand-chre, que rgner sur ces morts, sur tout ce peuple teint ! LHads semble galement tre un lieu o persistent les hirarchies de la communaut sociale 100 : Jadis, quand tu vivais, nous tous guerriers dArgos, tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 thonorions comme un dieu : en ces lieux, aujourdhui, je te vois, sur les morts, exercer la puissance ; pour toi, mme la mort, Achille, est sans tristesse ! Cette persistance des hirarchies sociales se double dune persistance des rapports sociaux puisque Minos rend la justice dans lHads101 : Minos, tenant le sceptre dor, ce roi sigeait pour rendre aux dfunts la justice ; assis autour de lui ou debout, les plaideurs emplissaient la maison dHads aux larges portes. Ici, le rle attribu Minos est celui de juge des morts. Ce jugement ne se fait pas lentre de lHads mais dans lHads. Il ne sagit donc pas de juger la vie des dfunts, mais de rgler des problmes au sein de la communaut des morts. Ces jugements induisent une vie civile des morts ; il y a des litiges, il y a des plaideurs : il y a des relations humaines entre les morts. Mais, si au niveau cosmologique la sphre de la vie et la sphre de la mort sont symtriquement inverses, dans le cas du jugement des dfunts, il y a un paralllisme entre les deux sphres. Ce qui se passe chez les vivants est reproduit lidentique chez les morts. Eva Cantarella voit ainsi dans la fonction dvolue Minos dans lAu-del, un hritage de la royaut mycnienne102. Mais, il est vraisemblable que la prsence dun99

Homre, Odysse, XI, 488-491 Homre, Odysse, XI, 484-486 Homre, Odysse, XI, 568 - 571 E. Cantarella, Ithaque : De la vengeance dUlysse la naissance du droit, p.283, Paris,2003 :

100 101 102

29

juge dans lau-del soit dorigine trangre. Que ce soit en Msopotamie ou en Egypte, des juges sont prsents dans le monde des morts. Le cas gyptien ne correspond pas au modle grec puisque tous les morts sont jugs et ce, avant leur entre relle dans lau-del. Le cas msopotamien est plus intressant103 : La reine Ereskigal est assiste de sept juges infernaux, les Anunnaki. Ils ninterviennent pas pour dcider du sort des dfunts en fonction de leur vie passe, mais pour trancher les cas judiciaires qui peuvent se prsenter dans le monde des morts, limage de ce qui se passe chez les vivants. La fonction attribue aux juges infernaux en Grce et en Msopotamie est la mme. Cela rvle vraisemblablement une influence msopotamienne sur la vision tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 de lau-del des Grecs. Homre donne une vision des dfunts trs particulire puisquils conservent de nombreuses caractristiques humaines et sorganisent en socit humaine avec ses propres rgles de fonctionnement et son souverain en la personne dHads.

A la diffrence des autres juges uniques, dans les pomes, Minos rend la justice dans un palais, le Palais aux grandes portes de lHads, qui voque clairement un palais royal. Les morts qui sattroupent autour de lui donnent limpression dtre des sujets, apeurs par la prsence et le pouvoir dun souverain beaucoup plus autoritaire que le faible basileus homrique. Enfin, Agamemnon est appel anax (wanax) en tant que chef militaire, mais aussi dans lexercice de sa fonction de juge (Iliade, IX, 96). Bref, il semble que lon puisse reprer chez Homre des allusions divers stades dans lhistoire de ladministration de la justice : depuis le moment o, dans le palais mycnien, elle tait rendue par un souverain aux pouvoirs forts, tel que le wanax, jusquau moment o, dans la polis naissante, le basileus, dont la souverainet tait encore institutionnellement fluide, joue un rle de juge et de pacificateur, appel trancher les conflits dintrt des membres mmes de la communaut. Mais il est investi dun pouvoir public, qui lui vient de son rle politique 103

Dictionnaire de la Civilisation Msopotamienne, sous la dir. de Fr. Joanns, s.v. Ereskigal, Paris,

2001

30

LHYDROGRAPHIE INFERNALE

Au chant X de lOdysse, Homre dresse une carte hydrographique de lHads104 : Prends ton chemin vers les demeures dHads ! A travers le marais, avance jusquaux lieux o lAchron reoit le Pyriphlgthon et les eaux, qui du Styx, tombent dans le Cocyte. Les deux fleuves hurleurs confluent devant la Pierre : cest l quil faut aller. Cette description, bien que courte, permet dapprhender une partie de limaginaire sur lau-del car chaque lment est porteur de sens. Il sagit bien, en premier lieu, dune vocation de lespace en termes gographiques ; lusage dune pierre comme marqueur spatial renvoie au monde marin. Elle opre de la mme tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 faon que le cap (voir prcdemment) pour le navigateur. Elle sert de point de repre dans lespace. Ce point de repre constitue un point central, ou du moins remarquable, de lHads puisquil se situe la confluence des fleuves infernaux. Ceux-ci sont porteurs dune charge symbolique importante. Le Pyriphlegethon, quasi absent de la littrature posthomrique, est tymologiquement un fleuve de feu ou un fleuve qui brle . Les rapports symboliques entre leau et le feu ont t tudis par A.Moreau dans le cadre des lgendes de Mde et de Clytemnestre105. Lassociation de leau et du feu a des effets positifs ou ngatifs suivant la disposition des lments. Ainsi, Mde, en plongeant certains humains dans son chaudron, les rend plus forts106. Dans un cadre plus simple et plus familier, cette disposition de leau et du feu permet de cuisiner. Dans le cas de Clytemnestre, lassociation du feu et de leau se matrialise dans lpe quelle utilise pour tuer son poux. Or, lpe est en feu quand le forgeron la plonge dans leau pour la rendre solide donc utilisable. Le Pyriphlegethon renvoie ce thme densemble de lassociation des deux lments. Le feu se situe sur leau, c'est--dire dans une situation qui appelle la mort. Le fleuve apparat, ds lors, comme un marqueur symbolique de lentre dans le monde des morts.104 105

Homre, Odysse, X, 513-515 A. Moreau, Leau sur le feu, le feu dans leau : la marmite de Mde, lpe de Clytemnestre et

lordre cosmique , Leau et le feu dans les religions antiques, Colloque du 18-20 Mai 1995 dit par G.Capdevilla, Paris, 2004, p.26-35106

M. Halm-Tisserant, Cannibalisme et immortalit. Lenfant et le chaudron en Grce ancienne, 1993

31

Styx revt une dimension symbolique tout aussi forte mais sans doute plus importante aux yeux des Grecs : elle est la fois une desse et un fleuve et elle est prsente chez Hsiode et Homre. Le premier passage de la Thogonie107 o Hsiode voque la figure de Styx s'inscrit dans un ensemble plus vaste qui numre la descendance des enfants d'Ouranos et de Gaia108. Ces vers font suite la description des Ocanides (les enfants d'Ocan et de Tthys109) dont Styx fait partie. Ce premier passage ne dcrit pas la desse elle-mme, mais un des pisodes o elle s'est illustre: la Titanomachie. Hsiode nous prsente son comportement et sa relation avec Zeus lors de cet vnement. A cette fin, il met en scne, en plus des deux personnages prcdemment nomms, les enfants de Styx qui rejoignent le dieu. En rcompense, ce dernier fait delle le Grand Serment des dieux. Le second passage de la Thogonie o Styx est voque, est d'une nature tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 toute autre. Plus que la description d'une divinit, il s'agit de l'vocation d'un lieu110 : L rside une desse odieuse aux Immortels, la terrible Styx, fille ane d'Ocan, le fleuve qui va coulant vers sa source. Elle habite, loin des dieux, une illustre demeure que couronnent des rocs levs et que de tous cts des colonnes d'argent dressent vers le ciel. La fille de Thaumas, Iris aux pieds rapides, y vient rarement, sur le large dos de la mer, signifier un message : il faut qu'une querelle, un discord se soit lev parmi les Immortels. Alors, pour savoir qui ment parmi les habitants du pays de l'Olympe, Zeus envoie Iris chercher en ce lointain sjour le grand serment des dieux . Dans une aiguire d'or elle rapporte l'eau au vaste renom, qui tombe glace, d'un rocher abrupt et haut. C'est un bras d'Ocan, qui, du fleuve sacr, sous la terre aux larges routes, ainsi coule, abondant, travers la nuit noire. Il reprsente la dixime partie des eaux d'Ocan. Avec les neuf autres, en tourbillons d'argent, Ocan s'enroule autour de la terre et du large dos de la mer, avant d'aller se perdre dans l'onde sale. Celle-l vient seule dboucher ici du haut d'un rocher, flau redout des dieux. Quiconque, parmi les Immortels, matres de l'Olympe neigeux, rpand cette eau pour appuyer un parjure, reste gisant sans souffle une anne entire. Jamais plus il107 108 109 110

Hsiode, Thogonie, 383-403 Hsiode, Thogonie, 336-616 Hsiode, Thogonie, 336-370 Hsiode, Thogonie, 775-806

32

n'approche de ses lvres, pour s'en nourrir, l'ambroisie et le nectar. Il reste gisant sans haleine et sans voix sur un lis de tapis : une torpeur cruelle l'enveloppe. Quand le mal prend fin, au bout d'une grande anne, une srie d'preuves plus dures encore l'attend. Pendant neuf ans il est tenu loin des dieux toujours vivant, il ne se mle ni leurs conseils ni leurs banquets durant neuf annes pleines ; ce n'est qu' la dixime qu'il revient prendre part aux propos des Immortels, matres du palais de l'Olympe : si grave est le serment dont les dieux ont pris pour garante l'eau ternelle et antique de Styx, qui court travers un pays rocheux. Homre souligne galement cette double nature de Styx ; elle est voque plusieurs reprises dans l'Iliade et l'Odysse soit comme fleuve infernal, soit comme garante des serments111 : tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 Jure-moi donc par l'eau inviolable du Styx, en touchant d'une main le sol nourricier et, de l'autre, la mer tincelante afin que les dieux d'en bas entourant Cronos nous servent de tmoins. Et qu'ici m'en soient tmoins et la Terre et le vaste Ciel sur nos ttes, et les ondes du Styx dans leur chute aux enfers, le plus grand, les plus terribles des serments pour tous les dieux bienheureux. Comme chez Hsiode, Styx apparat comme une puissance cosmique. Par contre les deux auteurs divergent sur un point : si Hsiode conoit Styx comme une desse, il n'en va de mme chez Homre o il semble que ce soit avant tout un lieu gographique. En effet, le terme Styx n'est jamais employ seul ; l'expression est toujours: stugos udr. J.Bollack met sur ce point lhypothse que Styx pourrait bien tre l'origine sa propre demeure112 ; demeure situe dans le monde infernal. Cette localisation aurait pour but de souligner le caractre exceptionnel du recours la desse. Leau du Styx peut donc tre considre comme une image de la mort absolue puisquelle affecte galement les dieux. Enfin ce fleuve donne naissance au Cocyte qui, tymologiquement, renvoie au registre de la douleur et de la lamentation. Toutes ces eaux confluent dans lAchron qui, dans les textes ultrieurs, est le fleuve infernal par excellence, au point de se substituer parfois au terme Hads. La

111 112

Homre, Iliade, XIV, 771-774 ; XV, 36-38 ; Odysse, X, 514 J.Bollack, "Styx et Serments", REG, LXXI, 1958, p 1-41

33

particularit de lAchron, dans les rcits primitifs, est quaucun lment symbolique ne permet de le caractriser. On peut ds lors penser quil incarne dj le fleuve infernal par excellence. Le fait quil soit aliment par les autres fleuves infernaux permet de percevoir une certaine ide de la mort : celle-ci est apparente au dprissement (Pyriphlegethon), la douleur et aux lamentations (le Cocyte) et elle est implacable puisquelle touche tout le monde (Styx). Mais cette hydrographie infernale dvoile un champ de perceptions encore plus tendu. LHads est non seulement un lieu de dprissement et de lamentations mais cest galement un espace bruyant ( les deux fleuves hurleurs ), et cest un espace humide (le marais et les fleuves).

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

3 EXISTE-T-ILFONDATEURS

UNE VERITABLE VISION DE LAU-DELA DANS LES TEXTES

?

UNE ECHELLE DES VALEURS CENTREE SUR LAFFECTIF

Il convient de revenir tout dabord sur la premire nekuia et le systme de valeurs quelle induit. La hirarchie des valeurs lorsquUlysse est dans lHads semble inverse par rapport celle du monde des vivants. Les personnages rencontrs se groupent en trois catgories. Il y a tout dabord les femmes, menes par Anticlia. Puis viennent les hros, compagnons darmes dUlysse (Agamemnon, Achille, Patrocle, Antiloque et Ajax) et enfin les divinits (Orion, Tityos, Tantale, Sisyphe et lombre dHracls). Lordre dentre en scne des personnages dpend de leur proximit au hros ; sa mre, ses compagnons, les dieux. Les rencontres se placent sur une chelle sentimentale, de ce qui touche le plus le hros ce qui le laisse presque indiffrent. Il faut vraisemblablement voir dans lentre en scne des femmes avant les compagnons darmes une inversion des valeurs communautaires. Dans le monde du vivant, lchelle de valeurs morales va des dieux loikos, en passant par la cit. Si lon admet que les femmes, et notamment Anticlia, symbolisent loikos, et que les compagnons darmes symbolisent la cit, alors lchelle de valeurs est inverse. Aux

34

valeurs morales de la communaut sont substitues des valeurs affectives dans laudel. La consquence directe est que le modle politique ne concerne pas le monde des morts. La communaut des morts est organise puisque Minos rend la justice et quHads rgne sur cet espace.

UN DIEU SANS MYTHOGRAPHIE

?

Dans les divers textes dHomre et dHsiode, aucune mention dlments mythologiques concernant Hads nest faite. Le dieu apparat comme une divinit sans aventure, comme une divinit morte. La seule exception provient de lHymne tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 homrique Dmter. Hads aurait ravi Persphone pour lemmener dans lau-del113

.

Lappartenance du dieu la sphre des morts explique vraisemblablement cette absence de mythologie. Il est toutefois surprenant de voir que, mme avant le partage du monde par les Olympiens, Hads est un dieu sans histoire. Se pose ds lors la question de lorigine du dieu puisque, aussi bien Homre quHsiode napportent aucun clairage sur ce point. Il faut envisager un modle antrieur et peut-tre extrieur qui explique labsence de mythologie pour Hads. Si ce dieu tait une cration rcente au VIIIe sicle avant J.-C., Hsiode ou Homre aurait eu besoin de laisser quelques tmoignages donnant des renseignements sur ce dieu. Il nen est rien. Ce qui suppose donc quHads est une divinit familire aux hommes de cette poque. Dans la Thogonie, les trois frres (Zeus, Posidon et Hads) sont dfinis de la faon suivante114 : Rhia subit la loi de Cronos et lui donna de glorieux enfants [] le puissant Hads, qui a tabli sa demeure sous la terre, dieu au cur impitoyable ; et le retentissant Ebranleur du sol ; et le prudent Zeus, le pre des dieux et des hommes, dont le tonnerre fait vaciller la vaste terre.

113 114

Hymne Dmter, 10-25 Hsiode, Thogonie, 453-458

35

Les trois frres sont dfinis par un mme lment : leur rapport la terre. Hads se situe sous terre, Zeus au dessus de la terre et Posidon, au niveau de la terre. Sachant quHads, comme cela a t montr prcdemment, rgne sur la sphre de la mort et Zeus sur celle de la vie, il est lgitime de se demander si Hads nest pas simplement une image symtrique de Zeus. Dans ce cas, cette symtrie se fait par rapport au sol. Or M. Jost, la suite de F. Schachermeyr, a mis en vidence le caractre chthonien de Posidon115. Un dernier lment taye cette ide dune symtrie entre Zeus et Hads : des liens matrimoniaux existent entre les deux frres. Dans la Thogonie et dans lHymne homrique Dmter, Hads est lpoux de Persphone, la fille de Zeus et de Dmter. Ce lien entre les deux frres est la fois un lien de symtrie et dopposition. Le couple Zeus Dmter a une descendance : Persphone, tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 contrairement au couple Hads Persphone. Cette distinction indique bien lappartenance deux univers diffrents, le premier appartient la sphre de la vie, le second, celle de la mort. Il semble ainsi quHomre et Hsiode envisagent Zeus et Hads dans une position symtrique qui les oppose. Le fait que les deux auteurs soient avares de dtails et dexplications sur cette rpartition des rles peut laisser penser que cette vision est largement rpandue parmi leurs contemporains mais en plus quelle est institue dans lordre du monde (elle na pas tre justifie). Il faut alors admettre lide que cette vision est bien antrieure aux deux auteurs. Walter Burkett propose de rapprocher cette division du monde prsente chez Hsiode et Homre116, de celle dcrite dans le pome dAtrahasis : En outre, cette triade des fils de Kronos et de leurs royaumes ne joue aucun rle dans le reste de luvre dHomre et elle ne senracine dans aucun culte grec. Au contraire, le passage correspondant dAtrahasis est capital pour le dveloppement narratif de lpope et il y est constamment fait rfrence. Il est difficile de trouver chez Homre un autre passage qui ait autant lair dtre la traduction dun pome pique akkadien. Certes, il ne sagit pas dune traduction pure et simple, mais dune

115

M. Jost, Sanctuaires et cultes dArcadie, Etudes Ploponnsiennes, IX, Ecole franaise dAthnes,

1985, p.279-296. F. Schachermeyr, Poseidon und die Enstehung des griechischen Gtterglaubens, 1950, p.50-60116

Homre, Iliade, XV, 190-193

36

rlaboration dans laquelle, cependant, on entrevoit toujours larmature du rcit tranger 117.

Le rapprochement avec la Msopotamie ne concerne pas seulement larchitecture cosmologique, mais galement lAu-del. Dans les deux traditions, grecque et la msopotamienne, un couple rgne sur le monde des morts : Hads Persphone dans la premire et Nergal Ereskigal dans la seconde. Mais contrairement la tradition grecque o Hads est le souverain originel des morts, cest la desse Ereskigal qui rgne lorigine118. Dans les deux cas, il sagit dune alliance voulue et force par le souverain des morts. Hads enlve Persphone et la force rester une partie de lanne en lui faisant manger des ppins de grenade. Ereskigal obtient de lassemble des dieux que Nergal lpouse aprs avoir couch tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 avec lui. Il ny a aucune preuve dcisive qui permette de dceler une origine msopotamienne dHads. Par contre, les convergences entre les deux traditions sont telles quil faut convenir dune influence importante des traditions msopotamiennes sur la vision cosmologique grecque et donc sur la vision de lAu-del.

CONCLUSION : LAU-DELA ET LE MYTHE DU DELUGE, LE ROLE DE LELEMENT LIQUIDEDANS LES RECITS COSMOLOGIQUES

La vision cosmologique dont procde lau-del peut-tre rapproche dun mythe grec en apparence assez loign : celui du dluge de Deucalion. Dans les deux cas, leau joue un rle de frontire entre une humanit vivante et une humanit morte. Lau-del appartient la sphre de la mort qui est symtriquement oppose la sphre de la vie. La sparation entre les deux sphres est assure par llment liquide. Soit Ocan joue ce rle et sa traverse est ncessaire pour atteindre lau-del,

117 118

W. Burkett, La Tradition orientale dans la culture grecque, Paris, 2001, p.28 Dictionnaire de la Civilisation Msopotamienne, sous la dir. de Fr. Joanns, s.v. Ereskigal, Paris,

2001

37

soit Posidon tient cette position, comme cela a t montr prcdemment. Mais dans les deux cas, cet lment liquide qui fait office de frontire ne peut, normalement, que se franchir dans un sens, du monde des vivants au monde des morts. Les mmes remarques sont valables dans le mythe du dluge de Deucalion. Llment liquide, le dluge, fait office de frontire entre une humanit dfunte et une humanit vivante. Cette frontire nest franchissable que dans un sens, celle du temps qui passe, donc de la vie vers la mort. Le seul hros qui puisse franchir cette frontire dans lautre sens, cest dire survivre au dluge, est un protg dun ou plusieurs dieux. Le mme constat vaut pour la Nekuia dUlysse. Mais le parallle va plus loin. Lhumanit dtruite par le dluge est lie la nouvelle humanit comme les dfunts le sont aux vivants. Ce lien, cest lhistoire et la mmoire. Il y a certes une altrit entre les deux mondes, mais celle-ci nest que tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 temporelle, pas culturelle.

Il convient pour conclure de se demander si lHads est un dcalque du monde des vivants. La description faite par Homre des morts semble aller dans le sens dun dcalque du monde des vivants. Les morts communiquent entre eux. Ils ont des souvenirs et le vers 389 du chant XXII de lIliade ne soppose pas cette ide en qualifiant lHads de lieu doubli , si est accepte lide que cet oubli est celui des vivants lgard des morts. Les hirarchies sociales et les diffrends subsistent galement. La seule relle diffrence tient linversion du systme de valeurs morales. LHads fonctionne comme une image symtriquement inverse du monde des vivants. Mais la communication entre les deux mondes ne peut se faire naturellement. Pour quelle soit possible, il faut un acte cultuel comme celui effectu par Ulysse au chant XI (la consommation du sang des victimes permet dtablir la communication). La communication entre ces deux mondes fonctionne comme celle qui relie le monde des hommes au monde des dieux. Quand il sagit dune communication descendante (des dieux vers les hommes ou des hommes vers les morts), elle se fait naturellement par la parole. Quand il sagit dune communication ascendante (des morts vers les

38

hommes ou des hommes vers les dieux), il faut un acte cultuel. Ainsi, Ulysse tablit une communication ascendante puisquil veut entendre Tirsias. Ds lors, il semble bien que lau-del soit envisag comme une image du monde des vivants. Cette image est fige et inverse (en termes de valeurs) comme celle produite par un miroir

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

39

CHAPITRE II : LAU-DELA DANS LA PHILOSOPHIE PRESOCRATIQUE

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Au VIe sicle avant notre re apparat un nouveau type de personnages dans le monde grec : les philosophes. Ces penseurs, par leurs nouvelles dmarches intellectuelles, vont ouvrir de nouveaux champs de rflexion. Il est donc logique de sinterroger sur la vision de lau-del quils ont pu dvelopper. Se sont-ils inscrits dans la tradition hrite des sicles prcdents ou bien ont-ils formul une nouvelle vision ? Deux ditions des fragments des philosophes prsocratiques seront utilises cette fin, celle de H. Diels et W. Kranz et celle de J.-P. Dumont119. Dans ces recueils de fragments, les documents attribus Orphe ont t laisss de ct ; ces sources feront lobjet dune tude ultrieure portant sur lorphisme. La mise en perspective de la documentation parat encore plus ncessaire ici quailleurs avant mme de passer la critique interne du corpus. Le peu de fragments prsocratiques ayant pour sujet lau-del rend difficile llaboration dune vision propre ces penseurs. Nanmoins deux groupes se dtachent nettement : ceux qui restent fidles aux traditions primitives et ceux qui tentent dlaborer une nouvelle vision de la mort. Ce panorama dress, il sera alors temps de sinterroger sur le peu dintrt des philosophes pour lau-del.

119

H.Diels et W.Krantz, Die Fragmente der Vorsokratiker, 6edition, 1952. J.P.Dumont, Les

Prsocratiques, La Pliade, 1989

40

1 LES SOURCES

Seuls vingt tmoignages nous sont parvenus : rapports lensemble des fragments prsocratiques, ils constituent, en ralit, un corpus trs mince. Et encore convient-il dapporter des nuances ; les tmoignages peuvent tre regroups en deux catgories, les tmoignages biographiques au nombre de onze, et les tmoignages philosophiques au nombre de huit. Le nombre de sources capables de nous renseigner sur la ou les visions de lau-del des auteurs prsocratiques apparat trs faible. Cette faiblesse est encore accentue si on la rapporte au nombre dauteurs ; onze philosophes diffrents sont concerns. Il semble ds lors trs alatoire de vouloir reconstituer une pense philosophique dans ces conditions, si lon souhaite tenir compte des diffrences tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 chronologiques et gographiques. Le tableau suivant vient confirmer ce morcellement documentaire :

TABLEAU 1 : NOMBRE DE DOCUMENTS POUR CHAQUE PHILOSOPHE PHILOSOPHES NOMBRE DE DOCUMENTS Empdocle 4 Anaxagore 3 Hraclite 3 Philolaos 2 Ecole pythagoricienne 2 Pythagore 2 Protagoras 1 Cerkops 1 Dmocrite 1 Parmnide 1 Critias 1 Aucun des philosophes ne simpose par limportance de ses tmoignages sur lau-del. Ces documents, sur le plan de la frquence, apparaissent donc anecdotiques.

Un point est essentiel dans lapprhension de ce corpus documentaire : la gographie des sources et la rpartition de celles-ci en fonction des coles

41

philosophiques. Derrire ce point transparat la question des influences allognes et des proccupations locales. Les sources se rpartissent en quatre zones gographiques bien distinctes : lAsie Mineure (Ephse, Clazomnes et Ele), la Sicile et lItalie du Sud (Agrigente, Crotone et Mtaponte), la Thrace (Abdre) et Athnes. La plupart des sources proviennent donc des marges de lhellnisme, cest--dire de zones de contact avec dautres civilisations. Il convient dans un second temps de dpasser le simple cadre de la localisation des sources pour sintresser leur appartenance une cole de pense. Le tableau 2 en dresse un panorama :

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

TABLEAU 2 : CLASSEMENT DES SOURCES PAR ECOLES PHILOSOPHIQUES ECOLES PHILOSOPHIQUES120 PHILOSOPHES PRESENTS DANSCORPUS

LE

Les coles dIonie Les pythagoriciens

Les Elates Les Abdritains Athnes Les Sophistes Non class

Hraclite Pythagore Empdocle Philolaos Auteurs inconnus Parmnide Dmocrite Anaxagore Protagoras Cercops

Ce tableau vient confirmer limpression dparpillement mise en vidence prcdemment. Il met nanmoins en lumire limportance de la tradition pythagoricienne : la moiti des sources se rattache cette cole. Le peu de tmoignages notre disposition pour les philosophes prsocratiques est trs dispers tant au niveau de lappartenance des coles quau niveau gographique. Nanmoins, la tradition pythagoricienne de lItalie du sud et de la Sicile reprsente une part du corpus trs importante.

120

La nomenclature adopte est celle de ldition de la Pliade

42

Le dernier pralable avant daborder ltude des sources proprement parler, est la question des filiations philosophiques. Il ne sagit pas de reprendre ici lensemble des philosophes prsocratiques pour dresser un panorama exhaustif des influences, mais de se limiter aux philosophes ayant voqu lau-del. Notre principale source est, pour cette question, Diogne Larce121. Deux grandes filiations philosophiques transparaissent des sources comme lindique le schma suivant122 : Schma 1 : les deux principales filiations philosophiques

Anaximne

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

Anaxagore

Leucippe

Mages

Dmocrite Xnophane Aminias

Protagoras Pythagore Parmnide

Empdocle

121

Pour Anaxagore : Diogne Larce, Vies, II, 6. Pour Dmocrite : Diogne Larce, Vies, IX, 34. Pour

Protagoras : Diogne Larce, Vies, IX, 50 Pour Parmnide : Diogne Larce, Vies, IX, 21 Pour Empdocle : Diogne Larce, Vies, VIII, 54-55122

Les noms en caractre gras sont ceux des philosophes du corpus tudi.

43

Trois philosophes ne sinscrivent pas dans ces filiations : Hraclite, Cerkops et Philolaos. Soit ils ont dautres matres, Philolaos aurait eu pour matre Lysis (A loccasion de la mort de son matre Lysis, il se rendit Thbes pour lui offrir les libations funbres123), soit aucune mention nest faite (dans le cas de Cerkops, par exemple). La mise en vidence des filiations semble des plus importants compte tenu de la faiblesse de la documentation ; elle est le prliminaire ncessaire toute reconstitution ventuelle de traditions. Puisque aucun document suffisamment long ne permet dapprhender aisment le sujet, il est ncessaire denvisager lhypothse de reconstituer la vision de lau-del partir de traditions philosophiques.

tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012

2 LES DIFFERENTS TEMOIGNAGES

PYTHAGORE, PARMENIDE ET EMPEDOCLE : ENTRE TRADITION ET NOUVEAUTE

Deux passages des uvres de Pythagore voquent lau-del. Le premier tmoignage traite des migrations de lme du philosophe124 : Herms lui avait dit quil lui accorderait tout sauf limmortalit ; il avait donc demand de conserver, aussi bien aprs sa mort que pendant sa vie, le souvenir des vnements [] et il racontait comment stait droule la migration de son me [] quelles preuves elle avait connues chez Hads et tout ce que les autres mes y endurent. Ce passage semble sinscrire dans la droite ligne de la tradition homrique ; lau-del est le sjour des mes des dfunts et nul ny chappe. Mais, lide mme dune migration des mes dtre en tre, travers les ges, est une nouveaut puisque chez les auteurs primitifs, lHads est le sjour ternel des mes des dfunts125. Cette migration des mes saccompagne de la perte de la mmoire puisque le fait de conserver le souvenir des vnements est prsent comme un privilge accord au

123 124 125

Platon, Phdon, 61 e, scholie Diogne Larce, Vies,VIII, 4 Homre, Odysse, X, 530

44

seul Pythagore. Enfin, une dernire remarque simpose : cest Herms qui accorde Pythagore le privilge de conserver la mmoire des vnements. Le dieu se retrouve ici dans sa fonction de psychopompe tel quil est prsent dans la tradition homrique. Le deuxime tmoignage pythagoricien vient confirmer cette impression de forte influence homrique126 : Il affirmait que lme est immortelle. Ce document, bien que trs court, mis en parallle avec le prcdent nest quun rappel de la vision communment admise la priode archaque, savoir que le corps est mortel mais que lme sjourne ternellement dans lHads127. Un seul tmoignage nous est parvenu de Parmnide, mais celui-ci est considr comme douteux par les auteurs modernes 128 . L encore, il sagit dun tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 tmoignage inspir en partie dHomre et plus prcisment des deux nekyia de lOdysse129 : Minces, dit-il, sont les mystres de linfernale Persphone. Touchant ces mystres et la voie qui conduit l-bas, large et plaisante , et qui porte vers Persphone ceux qui ont pri, le pote dit encore : Et sous la terre encore il est un dur sentier, Escarp, creux, fangeux. Il est pourtant celui Qui peut le mieux conduire au bocage charmant De la sainte Aphrodite. La rfrence lau-del est particulirement intressante car elle ne fait pas intervenir Hads mais Persphone. Cette intervention est loccasion dun parallle avec Aphrodite. Faut-il y voir une simple opposition entre la vie, symbolise par Aphrodite, et la mort, incarne par Persphone ? Ce passage tant incertain, il est possible que cette vision ne soit quune transposition de la doctrine. J-P. Dumont souligne, en effet, que ces propos, dans luvre dHippolyte, seraient tenus par un gnostique anonyme130. Persphone symboliserait ainsi la mort et le moyen de vaincre cette mort serait lamour symbolis par Aphrodite.126 127 128 129 130

Porphyre, Vie de Pythagore, 19 Homre, Odysse, XXIV, 14-15 JP.Dumont, Les coles prsocratiques Hippolyte, Rfutation de toutes les hrsies, V, 8 JP.Dumont, Les coles prsocratiques, note 2 de la page 361

45

Quatre fragments dEmpdocle, qui aurait t llve de Pythagore et de Parmnide, nous sont parvenus. Le premier sinscrit dans la tradition des auteurs primitifs131 : Tu sauras faire remonter de chez Hads lme dun mort . Ce passage sinscrit dans la ligne dHomre et plus particulirement du chant XI de lOdysse, o Ulysse fait venir, du fond de lHads, les mes des morts pour communiquer avec elles. Il ne sagit pas, ici, dune rsurrection mais plutt de ncromancie. Le second tmoignage mentionne Hads sans voquer lau-del132 : Empdocle dAgrigente, fils de Mton, pense quil existe quatre lments : le feu, lair, leau et la terre, et deux puissances archaques, lAmiti et la Haine, dont la premire est unifiante et la tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 seconde sparatrice. Il dclare : Connat premirement la quadruple racine De toutes choses : Zeus aux feux lumineux, Hra mre de vie, et puis Aidoneus, Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels sabreuvent. Par Zeus, il dsigne leffervescence et lther ; par Hra, mre de vie, lair ; la terre par Aidneus ; et par Nestis, aux pleurs dont les mortels sabreuvent, la semence et leau. Llment intressant nest pas tant la vision cosmologique que llment attribu Hads. Pour la premire fois dans la littrature grecque, Hads est assimil au sol. Mais, il faut noter que dans deux passages similaires, Hads nest pas assimil la terre mais lair133 : Empdocle appelle du nom de Zeus leffervescence et lther ; du nom de Hra, mre de vie, la terre ; lair du nom dAidneus, parce quil na pas de lumire qui lui soit propre et quil se trouve clair par le Soleil, la Lune et les astres ; du nom de Nestis, aux pleurs dont les mortels sabreuvent, la semence et leau. Des quatre lments est form le Tout ; leur nature est forme partir des contraintes : le sec et lhumide, le chaud et le froid. Le Tout rsulte du

131 132 133

Diogne Larce, Vies, VIII, 59 Aetius, Opinions, I, 3, 20 Stobe, Choix de Textes, I, 10, 2b. Hippolyte, Rfutation de toutes les hrsies, VII, 29

46

mlange proportionnellement dos de ces lments ; il supporte des changements partiels, sans que cela implique une dissolution du Tout. Cette source, quelle que soit la version retenue, prsente Hads hors de son domaine dlection traditionnel : lau-del. Le dieu apparat dans ces tmoignages comme un des quatre piliers fondamentaux de la cosmologie dEmpdocle. Un troisime document qui nous est rapport par Sextus Empiricus confirme ce point de vue134 : Connat premirement la quadruple racine de toutes choses : Zeus aux feux lumineux, Hra mre de vie, et puis Aidoeus, Nestis enfin, aux pleurs dont les mortels sabreuvent. Mais quel que soit llment fondamental attribu Hads, le nom du dieu, tel-00692081, version 1 - 27 Apr 2012 mme pour les philosophes, voque avant tout lau-del. Cela pose le monde des morts (ou la Mort) comme un lment fondamental du cosmos dans la pense philosophique. Un dernier tmoignage dEmpdocle subsiste mais ltat du papyrus sur lequel il se trouve en rend difficile la comprhension135 : Car il naura jamais le bonheur de connatre ni de, Zeus porteur de lgide, le palais couvert dun toit, ni jamais la demeure dHads, et pas non plus celle de loracle qui pleure. Dans ce passage, Hads retrouve, semble-t-il, sa fonction traditionnelle de souverain des morts ; cette expression demeure dHads est la faon dont Homre dsigne traditionnellement lau-del. Avant de conclure ce point, il reste deux documents tudier. Ils sont attribus lcole pythagoricienne sans que leurs auteurs soient connus. Ils sinscrivent dans la ligne des tmoignages prcdents136 : Une fois chasse de son sjour terrestre, lme vagabonde dans lair, avec lapparence du corps. Cest Herms lintendant des mes ; et si on lappelle le conducteur , le passeur et le souterrain , cest prcisment parce que cest lui qui, leur sortie

134 135 136

Aetius, Opinions, I, 3, 20 ; Sextus Empiricus, Contre les mathmaticiens, X, 315 Papyrus dHerculanum, n1012, col.18 Diogne Larce, Vies, VIII, 31

47

du corps, conduit les mes hors du sjour terrestre et des profondeurs marines. Et si les mes pures sont conduites dans la rgion la plus leve, les mes impures, elles, ne les approchent pas ni se frquentent entre elles, mais sont enchanes par les Erinyes dans des liens infrangibles. Dailleurs lair est plein dmes : on pense quil sagit l des dmons et des hros ; et137 : Et si le tonnerre est fait pour menacer les habitants du Tartare, en les remplissant de terreur, comme laffirment les pythagoriciens. Ces deux textes reprennent la vision traditionnelle hrite dHomre, comme en tmoigne le rle de psychopompe attribu Herms. Mais dans ce cadre, une distinction est pose sur la valeur des mes. Il ny a plus dunicit du sjour dans tel-00692081,