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Reconnue d’utilité publique DIAGONALES VIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA : JE T’AIME MOI NON PLUS ? N° 8 – Mai 2009

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Fondation Caisses d’Epargne pour la solidaritéReconnue d’utilité publique par décret en Conseil d’Etat le 11 avril 2001

5, rue Masseran – 75007 Paris Reconnue d’utilité publique

www.fces.fr

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DIAGONALESVIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA :

JE T’AIME MOI NON PLUS ?

D I A G O N A L E S

VIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA :JE T’AIME MOI NON PLUS ?

N° 8 – Mai 2009

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COUVDIAGO-8 16/10/09 17:12 Page 1

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Une Fondation au cœur des solidarités

Son statut

• Fondation reconnue d’utilité publique par décret du 11 avril 2001• Fondateurs : les Caisses d’Epargne et la Caisse Nationale des Caisses d’Epargne• Objet : agir contre toutes les formes de dépendance et d’exclusion sociale• Dotation initiale : 15,24 millions d’euros• Conseil d’administration présidé par François Pérol

Ses modes d’intervention

• Opérateur à but non lucratif du secteur sanitaire et médico-social en qualité de gestionnaire d’établissements et de services

• Acteur direct de la lutte contre l’illettrisme• Financeur de projets innovants• Organisateur de débats publics• Hébergeur de fondations sous égide

Chiffres clés

Au 31 décembre 2008, la Fondation c’est :

• 89 établissements et services gérés ;

• 5 800 places d’accueil ;

• 4 205 salariés ;

• 222,9 millions d’euros.

La Fondation est désormais le premier réseau privé à but non lucratif de résidencesaccueillant des personnes âgées dépendantes.

Dans ses actions de lutte contre l’illettrisme, la Fondation Caisses d’Epargne pour lasolidarité a développé le dispositif «Savoirs pour réussir », qui comptait, au 31 décembre 2008,19 centres accueillant plus de 730 jeunes de 16 à 25 ans fragilisés par la vie, pour leurpermettre de reprendre goût à la lecture, à l’écriture et au calcul.

www.fces.fr

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p. 6 OuvertureDidier-Roland Tabuteau, directeur général de la FCEs

p. 12 Table ronde 1VIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA : INDIFFÉRENCE OU DÉSAMOUR DES MEDIA ?

p. 14 Présidée par Denis Piveteau, conseiller d’Etat

p. 17 Accueil des personnes âgées, handicapées : un traitement exclusivement « fait divers », comment se remettre de la mauvaise presse ?Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au servicedes personnes âgées

p. 21 Personnes âgées, handicapées, malades, des sujets qui ne fontpas vendre ? Les raisons de leur disparition dans les mediaRobert Namias, ancien directeur de l’information de TF1, dirigeant chez Publicis

p. 24 Choix des sujets et angle d’attaque dans les faits diversEric Favereau, rédacteur en chef du service santé au journal Libération

p. 30 Interventions

p. 37 Conclusion de Denis Piveteau

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Cette Diagonale a été animée par Claire Hédon, journaliste santé à RFI

p. 38 Table ronde 2VIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA :SUJETS DE SOCIÉTÉ, DES RÉALITÉS AUX REPORTAGES

p. 40 Présidée par Maryvonne Lyazid, adjointe du directeur général de la FCEs

p. 42 Photographies et reportages presse : comment aborder les personnes âgées, malades, handicapées avec un appareil photo ?Quelle attitude et quel regard possible pour le photographe ?Samuel Bollendorff, photographe à l’Œil Public

p. 47 Vieillissement, handicap : le traitement en presse quotidienneSandrine Blanchard, chef de service adjointe au journal Le Monde

p. 50 Interventions

p. 55 Conclusion de Maryvonne Lyazid

p. 56 Table ronde 3VIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA :UNE IMAGE RÉNOVÉE

p. 58 Présidée par Jean-Yves Ruaux, rédacteur en chef de Seniorscopie etprofesseur d’université

p. 60 A tous les âges, plus belle la vie sur le petit écran de télévision ?Comment un feuilleton transgénérationnel devient la coqueluchedes Français ?Michelle Podroznik, producteur délégué de la série de France 3, Plus belle la vie

p. 63 Prise de conscience de l’opinion grâce aux media, un casexemplaire : la myopathie et le TéléthonPierre Birambeau, cofondateur du Téléthon

p. 66 Stratégie d’influence auprès des media pour la défense dugrand âgeJacqueline Gaussens, directrice de la communication de la Fondationnationale de gérontologie

p. 71 Interventions

p. 74 Conclusion de Jean-Yves Ruaux

p. 76 ConclusionDidier-Roland Tabuteau, directeur général de la FCEs

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Elle intervient en tant qu’opérateur à but non lucratif du secteur sanitaire etmédico-social puisqu’elle est gestionnaire de près d’une centaine d’éta-blissements et services pour personnes âgées en perte d’autonomie et depersonnes handicapées ou malades.

La Fondation est également un acteur de la lutte contre l’illettrisme, avecune vingtaine de sites dans les différents départements ou villes partenai-res, qui accompagnent des jeunes de 16 à 25 ans en sérieuse difficulté auregard des savoirs fondamentaux. La FCEs les aide à reprendre le cheminde ces apprentissages.

Enfin, la Fondation finance des projets présentés par des associationsdans les domaines d’activités qui sont les siens.

Le thème de la relation entre les media, le vieillissement, le handicap et lamaladie est essentiel et délicat. La question que nous abordonsaujourd’hui tient à la relation paradoxale qui s’établit entre les thèmes quisont les nôtres et le traitement qu’en font les media. Ces sujets quotidienssont au cœur des préoccupations du public, des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs ; ils concernent onze millions de personnes âgéeset cinq millions de personnes handicapées, sans compter celles quiconnaissent la maladie grave. Cependant, ils nous semblent assez large-ment absents des media. C’est du moins l’impression que beaucoup deprofessionnels en ont. Il faut une canicule, un drame sanitaire, une discri-mination inédite ou une situation de maltraitance pour que la une des jour-naux s’en empare. C’est pourquoi il nous a semblé utile de réunir lesacteurs du secteur et un certain nombre d’intervenants des media pourdébattre de cette situation. Au cours de cette journée, nous suivrons troislignes directrices à travers trois tables rondes : ce que l’on ne voit pas dansles media, ce que l’on y voit et ce que l’on pourrait y voir.

Ce que l’on ne voit pas. Qui peut citer un film récent et grand public, unroman ou une pièce de théâtre dont un personnage principal est très âgé,malade ou handicapé ? Sans doute quelques titres peuvent venir à l’esprit,mais ils sont en général accompagnés d’un commentaire. Ce sont des

Mesdames, Messieurs.

Bienvenue et merci d’avoir répondu à l’invitation de laFondation Caisses d’Epargne pour la Solidarité. Je vou-drais tout d’abord remercier le président Axel Kahn qui

nous accueille dans ses locaux.

Merci également à Claire Hédon qui a accepté d’animer cette journée etaux équipes de la Fondation qui ont organisé cette manifestation.

Pourquoi ce thème « Vieillissement, handicap, maladie et média : je t’aimemoi non plus » ? Les Diagonales se tiennent désormais une fois par an etpermettent à la Fondation de traiter avec ses partenaires et ses invités desujets qui sont au cœur de ses préoccupations et de ses missions. LaFondation est une fondation d’utilité publique dont l’objet est la luttecontre toutes les formes de dépendance ou de perte d’autonomie. Elle atrois grands types d’interventions.

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Ouverture

Didier-Roland Tabuteau, directeur général de la FCEs

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livres ou des films « à thèse », comme si ces sujets étaient exceptionnelspar nature, comme si l’écran de l’art ou des media ne devait les représen-ter que dans la singularité et, trop souvent, dans l’apitoiement ou la sim-ple révolte. Depuis « l’Homme de fer », la télévision n’a guère participé aurapprochement de la fiction et de la réalité dans ce domaine.

Ce voile pudique des media n’est-il pas l’expression plus profonde d’unesociété qui refuse de donner sa place à la maladie, au handicap ou à lamort ? Les media ne nous renvoient-ils pas à nos regards détournés,quand nous sommes, individuellement, confrontés à ces situations, dansla rue, dans un hôpital ou dans une maison de retraite ? Dans la vie quoti-dienne, rencontrons-nous davantage de personnes traumatisées crâniens,atteintes d’autisme ou de la maladie d’Alzheimer que l’on ne lit d’articlesdans la presse concernant ces mêmes personnes ? Quelle est notre réac-tion au restaurant, au cinéma, dans l’avion ou dans le train lorsque nouscôtoyons des personnes différentes en raison d’une maladie ou d’un han-dicap ? La presse est-elle en marge de nos réactions ? En est-elle, aucontraire, le reflet ? On peut s’interroger sur la place de ces questions dansla société, tout autant que dans les media.

Ce que l’on voit. Il faudra revenir sur le choc de la canicule de l’été 2003,sur les 15 000 décès de personnes âgées et sur la chape de mauvaiseconscience qui s’est abattue sur notre communauté. Qui ne s’est pas inter-rogé sur un voisin qu’il n’avait pas vu, un parent à qui il n’avait pas téléphonéou un ami dont il ne s’était pas préoccupé ? Le choc de ces émissions surl’intolérable maltraitance dans certains lieux supposés prendre en chargenos aînés, notamment celles diffusées cet automne, a profondément mar-qué notre secteur. Avec les directeurs des établissements de la Fondation,nous avons eu l’occasion d’en parler. Ces investigations sont salutaires ;elles sont même une nécessité morale, mais elles peuvent aussi briser les

efforts de centaines de milliers de professionnels et de bénévolesqui, tous les jours, remettent sur le métier la bientraitance, assu-rent les soins, préparent et servent les repas, organisent desanimations, des soirées jazz, des ateliers mosaïque, des matinéesavec les enfants de l’école voisine ou des après-midi de souvenirspartagés.

Le projecteur des crises révèle sans doute autant nos angoissesque nos défaillances. Quand il ravive les consciences, réactiveles programmes de formation et de vigilance, justifie que denouveaux moyens soient mobilisés par la collectivité et leGouvernement, il est incontestablement précieux. S’il décou-rage les bonnes volontés, s’il fait douter le secteur profession-nel, s’il fait de la politique du parapluie l’alpha et l’oméga del’action des équipes, il déstabilise profondément un secteursanitaire et médico-social déjà fragile.

Vous me direz que les trains qui arrivent à l’heure n’intéressentpersonne. Permettez-moi d’en douter. Chaque progrès sur lamaladie, chaque maîtrise du handicap, chaque moment de bon-heur gagné sur la vie, peut inspirer les plus grands artistes et sus-citer des articles et des émissions de qualité. J’aimerais que l’onparle de « prouesses sociales » comme on parle de « prouessesmédicales ». Les intervenants des media qui ont accepté de par-ticiper à cette journée ont souvent donné la preuve de la possibi-lité de traiter ces sujets sous un angle qui ne soit pas simplementcatastrophiste. Il faut s’interroger sur ce qui est à voir, à dire, àmontrer, à exprimer, sur les belles histoires de ceux qui, confron-tés au vieillissement, à la maladie ou au handicap, donnent toutesa mesure à la vie, quelles que soient ses contraintes.

“ Il faut s’interroger

sur ce qui est

à voir, à dire,

à montrer,

à exprimer...”

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La question est d’autant plus importante que les évolutions démographi-ques vont accroître, dans la population et la société, la part de ceux quisont confrontés au vieillissement et sans doute, dans une proportion moin-dre, aux maladies chroniques et au handicap. Les chiffres sont connus detous les acteurs du système. Le nombre de personnes de plus de 75 anspourrait doubler d’ici 2050 et représenter près de 16 % de la population*.C’est un changement démographique historique.

Pourquoi s’inquiéter de cette évolution démographique et la ressentircomme une échéance menaçante ? Comme le disait un pensionnaired’une maison de retraite il faut, pour que la nature soit belle, des fleursmais aussi des fruits. Il faut, pour qu’une société soit belle, des jeunes,mais aussi des personnes âgées, des vieux comme on n’ose plus le dire,malgré la beauté de ce mot.

Cette transformation démographique devrait nous conduire à considérerles secteurs de la santé et du médico-social comme des secteurs d’ave-nir, de croissance économique, d’innovation technologique et de partageentre générations. Ils représentent déjà près de 3 millions d’emplois et 15 %de la richesse nationale. Ce sont des secteurs d’innovations médicales et pharmaceutiques évidentes, des secteurs porteurs de nouvelles techno-logies de l’information, des secteurs créateurs d’objets du quotidien. Se souvient-on que l’indispensable télécommande de nos téléviseurs a étéinventée par le secteur du handicap ? La Fondation est fière d’avoir sou-tenu le projet de boîtier électronique Easymétros, sorte de GPS du métroparisien destiné aux personnes non voyantes ou malvoyantes qui vientd’obtenir le prix du président de la République et le prix du handicap de laMairie de Paris au concours Lépine international 2009.

Cette transformation sera d’abord et surtout source d’innovations socia-les, de refondation de liens entre les générations, de réorganisation desterritoires et, au final, d’inventions du futur. Il suffit de rencontrer, dans lesrégions, les innombrables initiatives associatives qui, dans un contexte dif-ficile, trouvent des solutions tous les jours aux problèmes traditionnelscomme aux situations inédites que l’évolution de notre société provoque.La présence de Denis Piveteau qui va présider cette première table ronde,et son travail à la CNSA salué de tous, montrent combien cette innovationsociale peut être porteuse d’espoir. C’est cette vision du vieillissement, dela maladie et du handicap qui sera évoquée aujourd’hui et qui vient encontrepoint des angoisses et des drames que connaît ce secteur. Ce sontces réalités qui s’offrent aux media, dans un face-à-face délicat et désta-bilisant, mais particulièrement passionnant et tout simplement humain.

Telles sont les interrogations que nous voulions poser au début de cettejournée. Certains connaissent la devise de la Fondation parce que nous larépétons inlassablement. Ce proverbe africain que nous avons fait nôtre : « seul, on va plus vite, mais à plusieurs on va plus loin ». C’est aussi vraidans la réflexion.

* INSEE Première N°1089-Juillet 2006.

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1Vieillissement, handicap, maladie et media : indifférence ou désamour des media

Denis Piveteau • Robert Namias • Eric Favereau • Pascal Champvert

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tracas que cette journée, pas toujours chômée pour tout le monde, créaitdans la vie économique. De ce fait, on laissait de côté l’essentiel.

On peut regretter que le seul registre possible de l’expression sur cessujets soit l’information choc, fracassante. Je ne dis pas qu’il faut faire del’information irénique ou apaisante. On peut d’ailleurs difficilement imagi-ner plus subversif et dérangeant que d’être confronté à l’invalidité, à lamaladie, à la vieillesse ou à la mort.

Mais c’est un scandale à mèche lente, qui travaille tout au long des exis-tences, qui use, qui épuise, qui est l’occasion de combats, de victoirespour les personnes, leur famille, leur entourage et pour les professionnelsqui les accompagnent dans la durée. Bref, un sujet où l’extraordinaire nefait pas beaucoup de bruit au jour le jour. Or, les media ont besoin, pourdes raisons compréhensibles, d’événements à mèche rapide, qui s’allu-ment vite et qui se dispersent aussi vite.

Le regard n’est attiré que par l’événement ; on le sait bien pour les sujetspolitiques, sportifs ou sociaux, domaines où l’événement est d’ailleurs unthermomètre qui agit comme un assez bon révélateur. Mais est-ce aussivrai dans les sujets du handicap, de la perte d’autonomie, du grand âge etde la maladie ? L’extraordinaire – car il se vit dans l’extraordinaire – s’y jouedans la durée. C’est un extraordinaire « au long cours », au fil des jours. Cen’est pas l’extraordinaire « événementiel » de tel scandale de maltraitanceou de tel exploit sportif d’un paraplégique.

Mon premier souhait est que nos échanges n’éludent pas les conditionsde vérité. Pour parler de ces sujets de manière attrayante, au sens étymo-logique du mot – qui attire la lecture, le regard, l’écoute – peut-on en parlerde travers ? Nous devons aborder cette dimension du métier. Métier deceux qui ont quelque chose à exprimer – ce sera la position de PascalChampvert – et métier de ceux qui portent l’information – c’est le sens dela présence à cette table de Robert Namias et d’Eric Favereau.

Durant mon mandat à la Caisse nationale de solidaritépour l’autonomie (CNSA) quand j’ai eu à décrire le rôle del’institution que je dirigeais et j’expliquais que c’était l’or-

ganisme répartiteur de l’argent de ce lundi de Pentecôte, décrété jour fériéredevenu depuis travaillé, les gens comprenaient ce dont il s’agissait. Cesont là les avantages et les travers de la médiatisation. Cette journée dePentecôte a eu pour effet bénéfique qu’une fois par an, pendant 24 heu-res, voire 48 heures, on parle des besoins et de la situation des personnesâgées, des personnes handicapées et des malades chroniques.

A contrario, la médiatisation a eu pour effet pervers d’inciter les journalistesà s’intéresser non pas à la réalité dérangeante et subversive de la situationdes personnes âgées et des personnes handicapées mais aux multiples

Denis Piveteau, conseiller d’Etat et ancien directeur général de la CNSA

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Communiquer avec la presse est un exercice. Alors comment fait-on pourbien communiquer ? Il faut d’abord savoir qui on est, puis qui est l’autre.Je reprendrai la formule des Américains : « Think global, act local ». Il fautcommuniquer au plan global quand il s’agit de réponses nationales, régio-nales ou départementales et au plan local, lorsqu’il s’agit des résidenceset des personnes.

Accueil des personnes âgées, handicapées : un traitement exclusivement « fait divers »,comment se remettre de la mauvaise presse ?

Un deuxième vœu est que nos échanges nous aident à saisir non seule-ment des conditions d’ordre technique, pour savoir comment faire pour enparler, mais aussi la question du pourquoi. A quoi cela sert-il d’en parler ?Pourquoi notre société doit-elle entendre parler de ces sujets et pourquoifaut-il montrer et faire entendre la réalité de vie des personnes âgées, despersonnes handicapées, des malades chroniques, de leur entourage etdes professionnels qui sont auprès d’eux ?

Il y a d’abord, à l’évidence, un enjeu de visibilité de défense des droits etde reconnaissance des besoins. L’occupation de l’espace médiatiquealerte les dirigeants et entraîne la décision politique. En démocratie, sefaire entendre fait partie du combat normal et nécessaire.

Il y a ensuite vieillissement, maladie et handicap. Ils ont pour point commund’être des sujets d’exclusion sociale. Or, on ne sort jamais tout seul d’unesituation d’exclusion sociale. La vraie reconnaissance, dans le regard del’autre, dans le regard de tout le reste de la société des gens ordinaires, estquelque chose que l’on ne peut pas arracher à la force du poignet.

Cela fait partie des choses qui se donnent, qui se reçoivent mais qui nes’exigent pas sinon on les dénature. D’où le rôle fondamental de l’imagemédiatique dans le processus de reconnaissance sociale des « exclus ».

Les personnes handicapées, les personnes âgées et les malades chroniquessont considérés ou déconsidérés, dans le regard des autres, à l’aune del’image qu’en donnent les media. On ne peut dissocier la parole des mediade l’attitude générale d’une société. Elle en est l’expression et le reflet.

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Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées

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Claire Hédon > Vous avez dit qu’il fallait essayer d’être encontact, entre autres avec la presse locale, avant qu’il y aitun problème. Comment parvenez-vous à intéresser lapresse locale et à garder le contact ?

La ténacité est une composante importante de la communi-cation. Il nous a fallu beaucoup de temps pour faire venir lesjournalistes, spécialisés ou grand public. Il nous a fallu com-prendre le fonctionnement des media. Il faut répéter sanscesse ; parler des initiatives innovantes, même s’il s’agit depetites initiatives, mises en place par un établissement ou unservice à domicile. On est parfois surpris de ce qui, à un momentdonné, va intéresser les media. Aujourd’hui, je crois savoirmener une relation avec les media, mais lorsque l’ADPA faitun communiqué, nous ne savons jamais s’il sera repris. Parceque les media ont leurs propres stratégies et leurs propresagendas.

Notre rôle social nous donne des choses à dire et il est fon-damental en termes d’aide aux personnes âgées et aux per-sonnes handicapées ; on ne peut pas ne pas intéresser lesmedia. En revanche, il faut accepter que l’angle à traverslequel on vous interroge ne soit pas toujours celui que vousauriez voulu.

Lorsque Jean-Pierre Elkabbach disait à Georges Marchais quece n’était pas sa question, il lui répondait : « Mais c’est maréponse ». La première chose est de savoir ce que l’on a à direet de s’y tenir. Un grand nombre de collègues qui passent à latélévision se plaignent de ce que l’on a déformé leurs propos.Si l’on parle quarante minutes pour dire des choses qui n’ontrien à voir avec le cœur du message que l’on souhaite fairepasser, le journaliste pioche et prend ce qui l’intéresse.

Il existe deux types de communication : la communication de crise et lacommunication courante. Nous ne sommes pas là pour parler de commu-nication de crise, mais lorsque l’on a des responsabilités, l’un des moyensde prévenir les difficultés en cas de crise est d’avoir communiqué préala-blement avec les journalistes locaux. Lorsqu’un problème survient, unjournaliste qui connaît votre structure, votre service à domicile ou votreétablissement a une vision plus large de la question et il vous connaît, cequi lui évite de tomber dans les stéréotypes habituels.

Qui est l’autre ? Les media sont un intermédiaire. Ils peuvent déformer,amplifier, avoir leur propre regard ; ils s’engagent par la façon dont ilsdisent les choses. Communiquer c’est renoncer au projet de changer unepersonne et l’accepter telle qu’elle est. Accuser les media d’être respon-sables de la mauvaise image de ce secteur et de ce que l’on n’en parlepas assez ne changera rien. Seuls les professionnels des media peuventchanger les media. A nous de changer notre image.

La communication impose quelques règles :

• se plier à l’agenda des media et renoncer à partir en week-end le lundide Pentecôte, par exemple ;

• être souple sur l’angle d’approche et sur les accroches. Il est agaçant den’entendre parler d’établissements pour personnes âgées qu’à l’aune desscandales. Il est insupportable de n’entendre que des sujets de maltrai-tance dans les maisons de retraite quand Alma* rappelle que 80 % des mal-traitances ont lieu à domicile. La critique systématique des media n’étantpas productive, mieux vaut s’interroger sur la façon dont les responsablesd’établissements peuvent collectivement faire évoluer cet état de fait ;

• s’adapter sur la forme, être bref, parler par images, avoir des discoursclairs et simples.

En revanche, le fond de ce que l’on veut dire n’est pas négociable. Il faut direavec sincérité qui l’on est et ce que l’on porte et le double langage est à exclure.

“ ... Il faut accepter

que l’angle à

travers lequel on

vous interroge ne

soit pas toujours

celui que vous

auriez voulu. ”

* Allo maltraitance des personnes âgées.

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Si je réfute le terme de « vendre », je ne suis pas hypocrite pour autant.Vendre, c’est un terme tout à fait journalistique employé par tous, surtoutdans la presse écrite parce que tel sujet fait « vendre du papier » ou pas.Ces sujets font-ils fuir ou non ? La question reformulée me semble plusappropriée. Pour un journal télévisé, une émission ou un magazine de télé-vision, la question qui se pose est de savoir si les gens vont s’intéresser àce que vous montrez. Le contenu du programme fera-t-il fuir ou non ? Cen’est pas une interrogation nulle.

Personnes âgées, handicapées, malades : des sujets qui ne font pas vendre ? Les raisons de leur disparition dans les media.

> Quand il y a eu un scandale, un fait divers, comment se remet-ond’une mauvaise presse ?

Il s’agit là de communication de crise : l’incendie dans un établissement,un dysfonctionnement dans un service à domicile. Pour éviter la mauvaisepresse, lorsqu’un problème survient, le premier réflexe doit être de com-muniquer. Un collègue dont l’établissement avait connu un gros problèmen’a pas pris le temps de répondre aux journalistes. Le journaliste a fait unarticle très négatif le lendemain dans la presse locale. Pour remonter lapente, il lui a fallu donner de l’information et démontrer aux journalistesque tout, dans toute situation, n’est pas noir ou blanc. Si l’on ne communiquepas, d’autres le feront à notre place.

En cas de difficultés, les pompiers communiquent toujours. Ils ont deuxpréoccupations : arriver vite pour éteindre le feu et faire en sorte que cetteinformation circule, elle aussi, très vite. Ils expliquent toujours qu’ils sontarrivés vite mais que les problèmes étaient dans l’établissement. Si celui-cin’a pas pris le temps de communiquer, le journaliste reprendra les phrasesde celui qui lui aura répondu, son impératif étant de rapporter à sonmedium, quel qu’il soit, une information.

Lorsque nous avons eu de grosses difficultés, faut-il communiquer pourdémentir ou faut-il se taire ? Il existe différentes stratégies qui méritentchacune d’être approfondies.

Robert Namias > En ce qui concerne la communication de crise, il n’y aqu’une attitude possible : la transparence. Aujourd’hui, le manque detransparence est tout à fait contre-productif et, dans les jours qui suivent,il retombe sur ceux qui n’ont pas voulu jouer la transparence. Avec tous lesmoyens de diffusion dont nous disposons, notamment Internet, tout sesait, tout se décortique et tous les mécanismes sont mis à jour dans lesheures et les jours qui suivent. Notre société n’assume plus grand-chose,mais, si le directeur d’un établissement a commis des erreurs, il faut qu’ilassume et qu’il joue lui-même la transparence sur ses propres erreurs.

Il ne peut y avoir d’ambiguïté. Tous ceux qui continueront de penser que l’onpeut biaiser avec la transparence et la vérité, dans des affaires de toutes natu-res, perdront. Cela prendra deux jours ou dix jours, mais ils perdront.

Robert Namias, ancien directeur de l’information de TF1, dirigeant chez Publicis

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Claire Hédon > Traiter un tel sujet sur une minute ne ferait pasfuir et le traiter sur une heure pourrait faire fuir ? La différencen’est-elle pas à penser dans ce sens plutôt qu’en termesd’actualité et d’information ?

C’est exact. En principe, un journal télévisé bien fait a pour voca-tion de donner les informations du jour. S’il y a, dans ces infor-mations, une question touchant au handicap, à la maladie despersonnes âgées ou aux personnes âgées, le journal doit la trai-ter. Un sujet de cette nature dans le journal n’a jamais entraîné lafuite massive de téléspectateurs. En revanche, lorsqu’il s’agitdes programmes, on est en droit de se demander si on peut sansrisque, en termes d’audience, traiter du handicap et de la vieil-lesse dans des émissions magazines. Les statistiques indiquentque ce ne sont pas ces émissions qui font le plus d’audience.

J’ai fait pendant très longtemps une émission médicale Santé àla une et nous avons été les premiers à traiter de la maladied’Alzheimer dans les années quatre-vingt-dix. J’ai toujoursconsidéré qu’il fallait en parler. Tout réside ensuite dans la façondont on en parle.

Dans tout sujet de cette nature, il existe une tentation de noircir,de dramatiser et de faire peur, attractive parce que spectacu-laire, mais il est possible de montrer une réalité qui dégageraitce qui peut être positif dans le sujet choisi. Cela dépend dusujet que l’on traite. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, il est totalement négatif dene montrer que des personnes en phase terminale. Cela n’ap-porte rien, tout le monde sait ce qu’est Alzheimer. En revanche,montrer l’accompagnement, la prolongation des personnes dansune vie quasi normale, parler des traitements, est une entréepositive. C’est un choix, une subjectivité et c’est de cette manièrequ’il faut procéder.

Sans esquiver la question, il est un fait que les personnes handicapées, lespersonnes âgées, en particulier très âgées, le quatrième âge, représententdes images qui renvoient à beaucoup de choses chez le téléspectateur.Les personnes âgées renvoient à ce que pourrait être le propre devenir dechacun et l’on n’a pas toujours envie de voir ce que l’on pourrait être dansles trente années qui suivent. Ces images peuvent faire fuir, donner enviede tourner le bouton et de voir d’autres images plus attractives.

A la télévision, ce sont aujourd’hui et ce seront encore demain, des formesdifférentes de contenant. Ce n’est pas le même exercice de parler du journaltélévisé, quelle que soit la chaîne, de parler des magazines qui ont uneapproche et une entrée différentes sur un sujet ou même des émissionsspéciales qui sont vraiment focalisées sur une question particulière.On n’aborde pas de la même façon le traitement audiovisuel du handicap,de la vieillesse et des personnes âgées, selon que l’on compte faire unreportage d’une minute trente dans le cadre du journal télévisé, un repor-tage de fond dans le cadre d’un magazine médical, un magazine santé,une émission de société, ou consacrer toute une soirée à ces sujets,comme cela a été le cas, à la télévision, dans le passé. Lorsque, dans le journal télévisé, on aborde le sujet de la maltraitancedans les maisons de retraite ou des faits divers relatifs à ces sujets, lorsquel’on évoque, de manière brève, la question de la maladie, de la vieillesse –examens, maladies neurologiques – l’approche est ponctuelle, factuelle,en général liée à une information.

La question qui se pose, à ce moment-là, est de savoir si on fait bien ounon. Lorsqu’une information concerne la maltraitance dans une maison deretraite, il paraît légitime, après avoir enquêté, de la traiter dans un journaltélévisé. Il en va de même pour les informations médicales particulières etspécifiques, notamment un traitement nouveau, concernant une maladiede la vieillesse ou le handicap et cela se fait de manière très régulière.

Il ne s’agit pas de savoir si cela fait vendre ou pas. Il s’agit de couvrir uneinformation et de donner des informations d’actualité.

“ ... il est possible

de montrer

une réalité qui

dégagerait ce

qui peut être

positif dans

le sujet choisi. ”

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Une première remarque : il est invraisemblable de constater que, dans lemonde du travail, avant 30 ans, on est à peine stagiaire et, après 40 ans,on est senior. Il y a quelque chose de malade dans cette société. Les mediaen sont le miroir. Or, l’image de la société sur la vieillesse est ahurissante.

La deuxième chose, amusante et agaçante à la fois, concerne le prétenducatastrophisme des media. Il ne faut pas confondre communication etinformation. C’est d’ailleurs le problème des formations, dans les écolesde journalisme. Il ne s’agit pas d’apprendre à un jeune à bien écrire, celas’apprend assez vite. Il s’agit d’arriver à saisir, à sentir ce qu’est une « info ».

Troisièmement, la presse a des soucis. Elle va très mal, tout particulière-ment la presse écrite. On ne peut pas faire l’impasse sur cette situation,qui, si elle se poursuit, verra disparaître les journalistes de presse écritepuisque les quotidiens ne se vendent plus ou quasiment pas.

Quatrièmement, pour revenir sur le titre « Indifférence ou désamour desmedia », je rappellerais qu’il y a trente ans, on ne parlait jamais des vieux,des malades ou des handicapés, dans les media. Pour en parler assezsouvent, je constate que l’émergence de l’information médicale est unphénomène nouveau qui date de vingt ou trente ans. Auparavant, tous lesgrands quotidiens ne parlaient que de politique et de thèmes très particuliers.

Ce qui me trouble dans cette discussion, c’est que n’apparaissent dans lemonde de la vieillesse et du handicap que des sujets comme la maltrai-tance. Il faut tout de même rendre grâce à la canicule car elle a révélé uncoup d’actualité magnifique et extrêmement positif sur cet univers. Depuiscinq ans, on en parle beaucoup plus.

En écoutant les uns et les autres, je pensais que le but, dans la vie, n’estpas de passer dans les media. Le but d’un vieux n’est pas obligatoirementque l’on parle de lui. Le paradoxe de notre société est que le seul élémentd’existence est d’apparaître dans les media. La vieillesse, surtout dans sesdifficultés, est aussi très intime et très privée. D’une certaine façon, êtrepréservé du regard des media n’est pas fatalement une tare ou un défaut.

Il est très étonnant de constater que le discours sur les media est remplide clichés. Quelques idées générales sur la presse et les media : les mediasont conformistes, s’ils ne l’étaient pas, ils se vendraient encore moinsqu’aujourd’hui et les télévisions se regarderaient moins.Leur fonction est de rendre compte de l’air du temps, ils sont un reflet par-ticulier qui met en scène les clichés du moment. Le talent de certainsdirecteurs de journaux ou de chaînes est d’être un peu en avance, maispas trop, ou il n’y aura pas de lecteurs ni de spectateurs. Ne reprochonspas à la presse de renvoyer l’image de la société.

Choix des sujets et angle d’attaquedans les faits divers

Eric Favereau, rédacteur en chef du service santé au journal Libération

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vieux. En tant que journaliste, j’ai du mal à trouver les mots justes et àdécrire ce qui est en jeu. Cela va plus loin que la ritournelle sur les scan-dales, sur les maisons de retraite, bien que le scandale ne soit pas toujoursinutile, comme on l’a vu lors de la canicule.

Robert Namias > Pour prolonger ce qui vient d’être dit, je pense que lesmedia ont été extrêmement positifs à l’égard des personnes âgées et dela vieillesse. Je m’inscris en faux sur l’idée que, de façon générale, onn’aime pas les vieux mais que l’on a chacun son vieux que l’on aime bien.La canicule a montré le contraire. En réalité, la dislocation sociale actuellefait que nos vieux, dans nos propres familles, sont relativement mis àl’écart. Mis à part la fête de famille annuelle ou Noël, la tendance est à lesoublier, en particulier pendant les périodes de vacances. La canicule l’aparticulièrement démontré. Depuis une vingtaine d’années, les media ont souligné les difficultés etparfois le tragique de la solitude des personnes âgées, voire de leur exclu-sion des milieux familiaux. Le rôle des media est souvent noirci et ils sontaccusés de tous les maux. Or, lorsque l’on observe les rapports de cesvingt dernières années, entre ces questions et les media, ceux-ci ont eu unrôle central et extrêmement positif pour mettre à jour ce que sont la soli-tude et l’exclusion.

Pascal Champvert > Je ne fais pas la même analyse que Robert Namiassur la canicule de 2003. Je ne crois pas que cette canicule ait démontréque les familles étaient « abandonnantes ». D’ailleurs, aucun homme poli-tique n’a tenu ce discours, ni le président de la République, ni le Premierministre de l’époque, ni le secrétaire d’Etat aux personnes âgées. Le seulà avoir tenu ce discours et à critiquer familles, médecins et professionnelsn’était sans doute pas à l’aise sur certaines choses et au lieu de jouer latransparence, il a rejeté la responsabilité sur les autres. Il s’agissait de

Claire Hédon > C’est tout de même un bon moyen d’interpeller lespouvoirs publics.

Oui, mais dans ce cas, c’est une lecture politique des situations. A côté de mon travail à Libération, je fais aussi des travaux dans des mai-sons de retraite et je trouve qu’il y a des questions essentielles qui ne sontpas abordées dans la société, y compris dans les media. Est-ce une bonneidée que de rassembler les vieux dans des maisons de retraite ou vaut-ilmieux les maintenir à domicile ? Cette question émerge un peu, mais ellen’a été posée ni par les politiques ni par les media.

L’autre question fascinante et intellectuellement passionnante est celle del’autonomie ou du consentement, surtout en ce qui concerne les patientssouffrant de maladies dégénératives. On est confronté à une questionredoutable : comment faire en sorte que des gens qui n’ont plus tout à faitleur tête puissent encore donner leur consentement ? Ces questions n’ap-paraissent pas mais le but dans la vie n’est pas de faire un débat public.Et peut-être ne faut-il pas regarder de façon négative le fait que les mediavous laissent en paix.

Par ailleurs, la vieillesse, le handicap et la maladie ne sont pas des sujetsidentiques, y compris pour nous, dans la presse. Pour la vieillesse, le faitqu’elle soit un peu médicalisée est une façon d’apparaître. Même si ellerappelle la maladie, la médecine reste quelque chose de positif. La vieil-lesse a des mauvais côtés, mais elle permet de faire émerger des sujets deréflexion.

Enfin, de façon plus générale, la grande vieillesse met la société face àquelque chose de particulier et ne dispose pas des mots pour le dire. Onne sait pas comment parler de ces personnes qui n’ont plus tout à fait leurtête et qui vivent dans des institutions. Lorsqu’on s’y rend, la premièreréaction est de penser que le monde est fou de rassembler tous les très

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ticulièrement en retard. C’est la stratégie de l’ADPA, dans son souhait detravailler avec les media au niveau national ou local. Quand il rentre danssa circonscription, chaque député ou chaque sénateur lit le journal local.Ce travail est celui de l’ensemble des professionnels, des retraités, despersonnes âgées et des familles.

Denis Piveteau > Ces premières interventions extrêmement riches n’ontpas été convergentes et ont nourri la réflexion. Dans quelle mesure lesmedia peuvent-ils interpeller la société ? Comment passe-t-on du choc quidérange au choc qui fait réfléchir ? Robert Namias disait que le journalistedoit dire les choses dans la transparence. Eric Favereau affirme que lejournaliste prend « l’info » parce qu’elle est là et qu’il est de son métier dela traduire. Pascal Champvert dit qu’il faut être réactif et présent, mêmependant les conflits.

Dans une réflexion générale déjà esquissée dans les réponses des uns etdes autres, comment passe-t-on du premier choc de l’événement boule-versant au second choc du débat de société ? Comment traiter le sujet enprofondeur et plus fondamentalement ? Ce deuxième choc peut aussi pro-voquer un discours positif. Comme dans la vie, le premier choc de laconfrontation au handicap ou à la vieillesse est toujours négatif. Ensuite,en travaillant, il devient possible de dégager des réponses. Comment pas-ser de l’événement à des éléments politiques responsables ?

Jean-François Mattei et, politiquement, son sort a été réglé dans les sixmois qui ont suivi, alors qu’Hubert Falco, qui avait mis en avant la solida-rité des Français et le professionnalisme des intervenants du métier, estdevenu ministre. La canicule de 2003 a révélé à la société française lenombre de vieux et de très vieux en France, ce que personne ne voulaitvoir ou que tout le monde préférait ignorer en dehors des professionnelset des personnes concernées. De plus, elle a révélé le problème de l’insuffisance de l’accompagnementde ces personnes âgées. S’il y a une baisse du lien social, elle est liée àl’évolution des familles et notamment au fait que l’habitat intergénération-nel n’existe plus, ce qui est l’élément déterminant.

Quant au discours d’Eric Favereau sur les maisons de retraite, il est fort.Très peu de pays au monde ont entamé un débat sur cette question : faut-il qu’il y ait des maisons de retraite ? Ce débat n’a pas eu lieu en France.Certains estiment qu’il faut y aller au dernier moment, quand on ne peutplus faire autrement. Par ailleurs, on sait que l’établissement est, dans denombreux cas, une vraie réponse adaptée. Nous avons réussi à convaincreles récents ministres que la liberté de choix était préférable au maintien àdomicile à tout prix. Le Danemark est le seul pays au monde qui a eu ce débat et cela lui a faitfaire un bond en avant colossal. Dans les années quatre-vingt-dix, leDanemark a légiféré et décidé de ne plus créer de maisons de retraite. Seslois sont évaluées tous les cinq ans, au terme de ce laps de temps, il adécidé d’en reconstruire, mais il n’a pas refait les mêmes établissements. Ce débat est indispensable.

Enfin, il est clair que passer dans les media ne peut pas être une fin en soi,cela doit aider à faire avancer la société sur un sujet sur lequel elle est par-

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En revanche, sur la question centrale de la solitude et de l’exclusion, leschoses ont-elles bougé depuis cinq ans dans la société ? Je l’ignore. Letravail des media était d’y revenir et de faire des émissions spécialesautour de ces thématiques. Est-ce que pour autant cela a fait bouger leschoses ? C’est très difficile à évaluer.

Eric Favereau > Je fais un parallèle entre « l’effet canicule » et l’effet « sangcontaminé ». Ils ont été deux chocs majeurs. Le sang contaminé a eu uneffet dans le domaine médical et sur la sécurité sanitaire. La canicule a euun effet très révélateur et très compliqué. A-t-elle révélé que les gensabandonnent leurs vieux ou pas ? Je l’ignore. Elle a eu, en tout cas, poureffet de nous faire prendre conscience d’une chose particulière et para-doxale : les vieux pouvaient mourir et ils pouvaient avoir des accidents.Aujourd’hui, cinq ans plus tard, je ne sais pas ce qu’il en reste.

Quitte à continuer dans la provocation, je dirais que malheureusementpour les handicapés, il n’y a pas eu de catastrophe de cette nature. Onparle beaucoup des maladies, dans la presse, même si on a parfois du malà trouver le ton. On parle des vieux, même si des débats essentiels et pas-sionnants ont du mal à émerger. En ce qui concerne les handicapés, mis àpart les problèmes de trottoir et d’accessibilité, je trouve qu’on est très endeçà du minimum. On peut parler de non-assistance à situation.

Pascal Champvert > La canicule a été l’occasion d’une prise deconscience et d’une prise de parole de la société, des responsables politiqueset des responsables administratifs. Mais, au fond, qu’y a-t-il de changé ?Quelques plans, quelques crédits supplémentaires et la création de laCNSA, élément fondamental dans la capacité à rassembler les personnesresponsables des secteurs de l’aide aux personnes âgées et personneshandicapées. Peu de changements pour autant sur la place des person-nes âgées et des personnes très âgées dans la société. En 2003, nous

Jean Bonneman > Un démographe, Monsieur Pison, disait que l’on peutconsidérer que les personnes âgées ont été mieux prises en charge grâceà la canicule et que l’effet a été socialement positif. Les chiffres étaient si importants que l’analyse des suites de la caniculeaurait peut-être mérité un travail des media. Il aurait été important de sedemander, cinq ans plus tard, s’il n’y avait pas eu des suites positives et siau fond, nos vieux, comme on l’a dit, n’étaient pas si mal pris en charge.Les media et les représentants de la profession ne pourraient-ils pas seposer cette question aujourd’hui ?

Robert Namias > Je ne peux parler que pour la télévision. Au cours del’année qui a suivi la canicule, à TF1, dès les mois de mai et juin et l’été,de nombreux reportages ont été réalisés pour vérifier les leçons et lesconséquences tirées de la canicule de 2003 sur les chambres climatiséeset pour vérifier si, dans chaque maison de retraite, il y avait des endroitsfrais. Toute crise et toute tragédie produisent, fort heureusement, deseffets positifs a posteriori. Sur le plan médical, les choses ont beaucoupprogressé après ce qui a été dit, montré et mis en exergue très fréquem-ment. On revient sur la canicule chaque année maintenant.

Interventions

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espérance de vie médicale décrite. Au-delà de 80 ans, on considèreque la mort est au bout de la vieillesse, c’est tout à fait naturel. Les accompagnements de fin de vie décrits et montrés à la télé-vision concernent souvent des personnes de moins de 60 ans.Cela reflète une réalité : on se préoccupe assez peu de l’accompa-gnement de fin de vie des personnes de plus de 75 ans, de 80 ans.Il ne faut pas se tromper d’enjeu. Il ne s’agit pas de trouver scan-daleux qu’un vieux meure à 85 ans, cela fait partie de la vie.

Pascal Champvert > La difficulté de la place de la personneâgée dans la société est aussi liée à la difficulté de nos sociétésà penser la relation à la mort. Le fait que la mort d’une personnetrès âgée est statistiquement plus probable que la mort d’unepersonne jeune, modifie le regard de la société. En été 2003, lamort de 15 000 personnes est un événement fondamentalcomme la mort de 6 000 personnes en janvier 2009.

De la salle > Dans les articles sur le handicap ou la vieillesse, jeconstate que les journalistes vont chercher leurs sources à 90ou 95 % auprès des responsables associatifs et très peu chezles particuliers. Cela introduit un biais dans l’analyse que lasociété fait des problèmes correspondants. Les associations etles organismes ont leurs motivations propres qui ne sont pasobligatoirement l’image exacte des réalités du terrain.

Robert Namias > C’est une très belle question parce qu’elle esttrès complexe. Quand on traite un sujet quel qu’il soit, sur leplan journalistique, on cherche les sources et les vecteurs d’in-formation. C’est notre métier, c’est notre pratique.

avions engagé un mouvement de contestation à propos de crédits endiminution. Peu après, un interlocuteur m’a fait remarquer que les vieuxavaient trouvé la solution pour se faire entendre : mourir de façon suffisam-ment groupée pour que cela se voie. On parle beaucoup des soins palliatifs et personne n’ignore qu’ils sontréservés aux jeunes. Le Conseil économique et social a rendu récemment un rapport sur la finde vie des moins de 60 ans. Ce rapport a été voté à l’unanimité, ce qui estsuffisamment rare pour être souligné. Tous étaient d’accord pour dire queles morts importantes étaient celles des jeunes. En revanche, que les vieuxne meurent pas isolés à leur domicile, mais qu’ils aient le mauvais goût demourir ensemble, était inadmissible. C’est pourquoi la maison de retraiteest insupportable : c’est le seul endroit de la société où l’on voit les vieuxque l’on ne veut pas voir et les vieux gênent quand ils meurent nombreuxparce que c’est visible.

Autre exemple, l’INVS* nous a appris que 6 000 personnes âgées étaientmortes de la grippe cet hiver, ce qui n’a fait que quelques lignes dans lesjournaux. Deux cents personnes sont mortes de la grippe aviaire dans lemonde et l’on nous en parle tous les jours parce que cela touche les moinsde 50 ans. L’INVS a diffusé cette information le week-end de l’affaire de lapetite fille, issue d’un mariage franco-russe : 80 % de l’information étaitconcentrée autour d’elle ! La lutte contre les discriminations passe aussipar cela. La vie d’un vieux vaut la vie d’un jeune et la société doit en prendreconscience.

Robert Namias > On ne peut pas s’étonner que la mort soit au bout de lavieillesse. Nous sommes un certain nombre à le savoir et ce n’est ni uneinformation ni un scandale. La mort d’un enfant ou la mort d’un jeune estun véritable scandale par rapport à une perspective de vie et à une

* Institut national de veille sanitaire.

“ La difficulté de

la place de la

personne âgée

dans la société

est aussi liée

à la difficulté

de nos sociétés à

penser la relation

à la mort.”

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Libération, personne ne l’achète, sans doute parce que les gens sont déjàinformés par la radio et par la télévision. L’information est assez particulièrepour la presse écrite.

Robert Namias > Je suis d’accord avec Eric Favereau, mais j’apporteraisune nuance parce que les moyens d’expression ne sont pas les mêmes.La presse écrite a ses vocations et ses cibles. Elle connaît ses lecteurs etelle travaille pour eux. Une grande chaîne généraliste ne connaît pas sestéléspectateurs. On reproche à la télévision de ne montrer que les chosesqui vont mal, qui sont sinistres et dépriment le téléspectateur ; on pensequ’il finira par ne plus la regarder. Il est de fait que la vie et l’actualité ne sontpas roses, que l’on n’a pas inventé la crise économique ni les 7 millions depauvres. C’est un débat sans fin et c’est une question de curseur, la questionest de savoir où l’on place le curseur. Où est le rose ? Où est le noir ?

Olivier Collet > Je suis journaliste à la radio Vivre FM, radio spécialiséesur les questions de handicap. Il y a 11 millions de personnes âgées et 5 millions de personnes handicapées, ce qui représente pratiquement unquart de la population française. Cette population a besoin d’informationsspécialisées, que ce soit sur les nouvelles techniques pour se soigner ousur les nouvelles techniques d’accessibilité. Comment les rédactionsprennent-elles en compte ce public qui ne s’informe pas uniquement viales media spécialisés, qui regarde aussi TF1, qui lit Libération et qui par-fois n’a que cette occupation dans la journée, quitte à stigmatiser le journalde 13 heures de TF1 ?

Robert Namias > Je suis frappé de constater que, depuis que nous sommesensemble, c’est la première question sur le handicap, alors qu’il était apparem-ment au cœur de la thématique. La question du handicap est tragique enFrance, ce n’est pas le cas ailleurs dans le monde et cela prouve bien que noussommes absolument responsables : les politiques, les media et les particuliers.

Or, dans tous les secteurs, des associations, des syndicats professionnelset des corporations existent, porteurs de nombreuses informations. Lesjournalistes se tournent vers ces structures institutionnelles, plus ou moinsreprésentatives, mais porteuses d’informations. L’information est restituée àtravers le prisme de ces associations qui défendent des intérêts. Or leprisme peut être déformant, c’est vrai, y compris par la subjectivité dujournaliste. Aller vers le particulier et dépasser le cadre de la structure ins-titutionnelle n’est pas le propre de la télévision. Le risque est de céder aucompassionnel, à l’émotion ou au trop particulier qui n’est plus représen-tatif que de lui-même. Les media oscillent en permanence entre la volontéde restituer une forme d’universel, à travers des structures et une restitu-tion du particulier qui est peut-être plus intéressante, mais qui est toujoursplus contestable.

Thérèse Clerc > Je représente la maison des Babayagas et je remercie lesmedia. Nous travaillons à ce projet depuis dix ans et nous avons gagné lasemaine dernière, parce que les media nous ont aidés à créer un rapport deforce avec les institutions et les politiques. La représentation de la sociétésur les vieux est désastreuse et ne reflète pas la réalité. Nous serons 17 mil-lions dans dix ans et représenterons le tiers de tous les pays industrialisésdans 50 ans. Il est important que les media poursuivent la route de l’utopie.

De la salle > Mon optimisme est moindre que celui de Thérèse Clerc. Sil’on veut changer notre vision des vieux, il faut les laisser de côté et ne pastrop en parler. Les media n’ont-ils pas pour rôle de positiver et de parlerdes expériences qui fonctionnent ? Il existe des journaux spécialisés quidécrivent des expériences réussies et parlent des vieux et des handicapésautrement que comme des légumes.

Eric Favereau > Je disais que les media étaient conformistes, cela dépendaussi de l’air du temps. Pendant des années, le sida était très « vendeur ».Aujourd’hui, toute information un peu négative et sombre n’est absolument pasvendeuse, du moins dans la presse écrite. Si l’on voit du sang à la une de

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E n conclusion de cette table ronde, on peut dire qu’il y a aumoins à cette table et dans l’hémicycle une militance trèslargement partagée : ce sont des sujets dont il faut parler.

Les réticences, les peurs, pour reprendre l’expression de Robert Namias,sont chez les lecteurs, chez le téléspectateur qui vote avec sa télécom-mande et qui choisit son émission. Certains sujets font peur de loin ; onpréfère ne pas en entendre parler et on les fuit. En revanche, quand le sujetfait peur de près, on devient attentif et on écoute parce qu’il inquiète.

Nous avons eu ce matin un débat rempli de convictions et de solutionstechniques et pratiques pour montrer quelles sont les voies qui permettentde passer de ce qui fait peur de près – caricatural, mais dont on parlemoins – à ce qui fait peur de loin – les réalités lourdes, de peines et de joiesmêlées qui doivent pousser à se poser des questions sur ce qui est vrai-ment essentiel.

Je suis très satisfait que, grâce à une question de la salle, on ait pu revenirsur la question du handicap parce qu’elle avait été insuffisamment traitée,ce qui révèle que même lorsqu’il n’y a ni indifférence ni désamour, il peuty avoir du silence. Un silence social qui dépasse de beaucoup la questiondes seuls media.

Conclusion

Denis Piveteau, conseiller d’Etat et ancien directeur général de la CNSA

Je reconnais que le handicap est un sujet qui reste très difficile. Faut-il lemontrer et montrer les personnes handicapées, les faire parler, à quellesfins ? Avec quels objectifs ? Pour dire quoi ? C’est la volonté individuelle d’un patron de chaîne, d’un patron de rédactionou d’un patron de journal, qui fait que l’on parle ou que l’on ne parle pasde ces questions. Je n’ai pas d’autre réponse. La pression des associationsest utile. Le fait qu’il y ait des porte-drapeaux, notamment des gens connus,qui portent un certain nombre de questions sur le handicap, est indispensable.Comment faire mieux ?

La meilleure façon de familiariser la société avec le handicap est de lemontrer, ce que les télévisions n’ont pas fait parce que c’est considérécomme insupportable. Ne jamais voir un handicapé dans un métier de latélévision ne familiarise pas avec le handicap. Je vais dire quelque chose que je ne devrais pas parce que j’ai été diri-geant d’une chaîne pendant vingt ans et je ne l’ai pas fait : je pense qu’iln’y a pas d’autre intégration possible que la représentation.

Eric Favereau > Depuis plus de vingt-cinq ans que je suis à Libération, per-sonne n’a eu le dossier handicap. Dans mon journal, j’ai beaucoup plus traitéde la folie que du handicap. On a toujours cette idée très foucaldienne quece sont sur les marges que se jouent les gros enjeux de la société. Il se jouequelque chose avec le handicap, qui pourtant continue de tomber dans untrou noir.

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2 Vieillissement, handicap, maladie et media : sujets de société, des réalités aux reportages

Maryvonne Lyazid • Samuel Bollendorff • Sandrine Blanchard

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incontestable qu’une prise de conscience a eu lieu, qui a permis qu’unautre sort soit réservé à ces personnes. Au cours des trente dernièresannées, une vie plus digne a été offerte aux personnes de très grand âge,ainsi qu’aux personnes polyhandicapées.

Aujourd’hui, on sauve des enfants de 500 grammes et l’étude Epipage* montreque 30 % de ces enfants seront dans des situations de polyhandicap. Undébat de société s’impose pour offrir à ces enfants le meilleur accueil pos-sible pour la vie qu’ils pourront vivre. A l’autre bout de la vie, comment nouspréparons-nous par exemple à l’émergence de la surdi-cécité du très grandâge ? Il existe un moyen de former les professionnels aux techniques decommunication, notamment la langue des signes et le toucher pour que lespersonnes très âgées, sourdes et aveugles, ne soient pas dans cette doubleprison de la surdité et de la cécité. Les media peuvent, je crois, concourir àouvrir les débats publics sur ces problèmes de société.

Le débat public peut-il aider à faire comprendre à l'opinion publique ques'intéresser à toutes ces questions est une richesse pour tous ?

L’outil Easymétros, conçu par Jérôme Adam, permettra à chacun d’entrenous et pas uniquement aux personnes qui ont une déficience sensorielle,d’être moins handicapé dans le métro. C’est ce qu’on appelle le design for all. La manière dont on parle des personnes accompagnées dévalorise lesprofessionnels dans leurs compétences, leurs aspirations et leurs projec-tions dans l’avenir.

Qu’y a-t-il de commun entre l’aide ménagère d’il y a trente ans et la personnequi, à l’heure actuelle, intervient dans les services à domicile et agit commel’auxiliaire de vie sociale des personnes accompagnées ? Qu’y a-t-il de commun entre les conditions d’exercice d’un directeur ou d’unedirectrice d’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendan-tes, aujourd’hui, et la situation existante en 1996, où un élu expliquait qu’ilpouvait à la fois diriger une maison de retraite publique de cent places, touten étant secrétaire général de mairie et directeur de l’école primaire !

P ermettez-moi de saluer l’arrivée de Jérôme Adam qui estle concepteur d’Easymétros* et le lauréat du concoursLépine.

Je souhaiterais poser quatre questions à nos invités. Le débat public peut-il aider chacun d’entre nous à porter l’intime de notrepropre mort, de notre propre fin de vie ? Comment accepter un corps limitédans ses capacités, alors que notre société est tournée vers le jeunisme etla beauté ? Le débat public peut-il aider à faire mûrir les réponses aux ques-tions de société ?

Au siècle dernier, dans les hôpitaux publics, on trouvait plus de quarantepersonnes dans une même salle. La question portait sur l’humanisationdes hospices et l’amélioration des conditions de traitement des enfantspolyhandicapés, rétractés sur des lits d’hôpitaux psychiatriques. Il est

* Easymétros est un petit boitier qui permet d’obtenir vocalement et sur écran son itinéraire dansle métro parisien et le temps estimé du trajet.

* Enquête épidémiologique sur les grands prématurés en France, Inserm.

Maryvonne Lyazid, adjointe du directeur général de la FCEs

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psychiatrie à Ville-Évrard et quinze nuits aux urgences de l’hôpital nord àMarseille. Aux urgences, la confiance s’établit progressivement et la prised’images est mieux acceptée. Cela s’est avéré difficile dans le service depsychiatrie, où la confiance ne s’est installée qu’au fur et à mesure que jeprenais des photos ; j’ai rapidement apporté les tirages pour les montreraux personnes qui, pour une grande part, ne se reconnaissaient pas surl’image. Le plus important était d’établir une communication.

Claire Hédon > Pour être bien accueilli, le secret est le temps. N’est-cepas également la qualité du regard ?

D’un côté, il faut convaincre les personnes que nous porterons un regard pudi-que sur elles, car elles vivent, en général, des situations de détresse. Mes paro-les leur prouvaient que ces images seraient utilisées d’une façon qui ne pouvaitpas leur nuire et que notre agence les contrôlait jusqu’au bout de la chaîne. Del’autre côté, la presse consomme des images déjà réalisées et ne se donne pasle temps de la réflexion. Si, dans un service de psychiatrie, je ne dispose que de trois heures ou d’unepetite journée pour faire des images, cela me rendra plus incisif, plus brutal. Siune situation forte se produit dans les cinq minutes suivant mon arrivée, je mesentirais obligé d’obtenir des images. J’ai vu des scènes incroyables, durantces premiers jours aux urgences et j’ai eu le luxe de ne pas être obligé de lesphotographier, ce qui m’a permis de gagner cette complicité et d’avoir ensuitetout le loisir de faire des photos plus tranquillement. Le service de gériatrie de cet hôpital était performant et le résultat de mon tra-vail sur l’établissement était positif. Or, les journaux me demandaient régulière-ment des photographies pour illustrer une énième double page sur le scandaledes maisons de retraite ou un article qui n’allait ni dans le sens de mon proposni sur la réalité dans cet établissement. J’ai eu affaire à des iconographes agres-sifs qui ne comprenaient pas que je puisse leur montrer ces images puisqu’ilsne pouvaient pas les utiliser. Ils rejetaient l’idée qu’une image puisse avoir dusens et ne serve pas à illustrer un article de fond. C’est la raison pour laquellele contrôle de la diffusion des images est si important : les « petits vieux » pho-tographiés auraient pu, plusieurs fois, être utilisés pour illustrer des horreurs.

> Comment faites-vous pour convaincre les rédactions de montrer uneautre image, celle que vous voulez montrer, et y parvenez-vous ?

Nous réussissons parce qu’il reste parfois encore une place pour les pho-tographes. J’en suis convaincu sinon je ne ferais pas ce métier.Le photographe se trouve obligé d’inventer lui-même ses propres momentsde diffusion. C’est ce qui s’est produit, lors du partenariat avec la Fondation,en 2004 : l’exposition « Silence » était accompagnée d’une série de tablesrondes qui ont permis à des professionnels de venir discuter du sujet posépar les images. Ce n’est pas le rôle naturel du photographe que d’être àl’origine de ce genre d’événement.

Je suis photographe documentariste. L’hôpital de Houdan, dans lesYvelines, m’avait demandé de réaliser le portrait de chacun de ses rési-dents pour les préparer à leur déménagement dans l’établissement. Lesexpériences, les échanges que j’ai eu avec les résidents et la tentative decet hôpital et de toute l’équipe pour maintenir ce lieu comme un lieu de vieet non pas simplement comme un endroit où l’on attend la fin et la mort,m’ont passionné. Le film a été produit par MK2 mais nous avons ensuiteeu beaucoup de mal à le diffuser. Le temps est un facteur essentiel pour gagner la confiance des gens. J’ai fait des images sur le système hospitalier pendant six ans. J’ai passéun an dans un service de gériatrie, six mois dans différents services de

Photographies et reportages presse : comment aborder les personnes âgées, malades et handicapées avec un appareil photo ? Quelle attitude, quel regard possible pour le photographe ?

Samuel Bollendorff, photographe à l’Œil Public

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Six mois au service psychiatrique de l'hôpital de Ville-Évrardoù précarité sociale et précarité mentale sont liées – Neuilly-Plaisance – 1999

Urgences de l'hôpitalAvicenne pendant lacanicule de 2003 –Bobigny, Seine-Saint-Denis – 2003

Chambre d'isolementdans les services psy-chiatriques de l'hôpitalde Ville-Évrard – Neuilly-Plaisance, Seine-Saint-Denis – 1999

Image extraite du film« Ils venaient d’avoir80 ans », chroniqued'un an de la vie du service de gériatriede l'hôpital locald’Houdan – Houdan,Yvelines – 2002

Quinze nuits dans leservice des urgences del'hôpital nord deMarseille, où se rencon-trent les maux de lasociété et ceux de laprécarité – Marseille,Bouches-du-Rhône –2000

Johanna, patiente de l'hôpital local d'Houdan, hospitaliséeen service de longséjour, nous montre ses petits-enfants –Houdan, Yvelines– 2002

Ces photos résultent d’un travail de 6 ans pendant lesquels SamuelBollendorf est allé en milieu hospitalier, aux urgences et en psychia-trie poser un regard social sur le système hospitalier en France.

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et nos clichés. Il faut porter un regard sur le cliché et lui faire faire un pasde côté. La démarche qui a conduit à ce supplément du Monde était, mani-festement, d’essayer de faire parler les images et je crois que le rôle duphotographe est de montrer l’image voisine. Nous sommes souvent face àdes interlocuteurs qui refusent les autres images que nous voulons lui pré-senter car ils ont déjà leurs propres représentations en tête et ils y tiennent.Soit on consomme l’image, soit on décide qu’elle est un élément de discussion.

Sandrine Blanchard > J’aimerais citer deux exemples. Nous avons fait,un jour, le gros titre du journal sur la question des personnes handicapéesvieillissantes. Ce sujet est resté six mois au « frigo » – c’est l’endroit où lesarticles réalisés sont en attente de diffusion – or la publication de cettemanchette nous a valu de nombreux retours. Le second exemple est plus ancien. Il date de l’époque où à la première pagedu journal on avait un « ventre de une ». Ce papier, en milieu de première

Sandrine Blanchard, chef de service adjointe au journal Le Monde

Je souhaiterais rebondir sur ce que disait Samuel Bollendorff, à propos dela photo. Nous avions réalisé un supplément « handicap » et nous avionschoisi les thèmes qui seraient abordés. La directrice du service photo del’époque avait décidé que les photos de ce supplément seraient un sujetà part entière et non des images illustrant chacun des papiers. Un seulphotographe a réalisé le reportage dans un centre de travail qui accueillaitdes personnes handicapées mentales. Le service photo a fait son choix enaccord avec nous.

L’habitude n’est pas de voir ces photos dans un quotidien, pas plus quede voir des photos de personnes handicapées mentales. Cela a donné lieuà un débat après la parution. Certaines personnes trouvaient que les photosdonnaient un aspect trop dur au supplément. Il y a eu des retours positifs,de personnes satisfaites que l’on ait pu montrer ces gens-là. En effet laquestion était d’actualité : comment montrer le handicap ?

Claire Hédon > Samuel Bollendorff vous avez peut-être envie de réagir,parce que votre film a été différemment accueilli ?

Samuel Bollendorff > Le visage de la femme, en gros plan, a pu sembleragressif, ce qui a créé une difficulté pour trouver un diffuseur. Les chaînesde télévision hésitaient à l’idée de montrer ce visage et le film a été diffuséde façon confidentielle sur une chaîne du câble. J’ai réalisé ce travail sur l’hôpital en couleurs parce que je pensais qu’il fallaitl’ancrer dans la vie. Le noir et blanc aurait apporté une dimension dramatiquequi sortait de la stricte réalité. Lorsqu’un photographe réalise son travail ennoir et blanc sur des handicaps très forts, j’ai toujours peur qu’il se fasseplaisir. Il fait de belles images mais les sujets se raccrochent-ils à la viequotidienne, à la réalité dans laquelle on doit les réintégrer ? Nous sommes comme tout le monde, nous avons tous nos idées reçues

Vieillissement, handicap :le traitement en presse quotidienne

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Les temps forts, les projets de loi, les manifestations, les demandes derevalorisation financière, une actualité nationale forte permettent alors de trouver de la place et d’en parler de manière significative. Le dernierexemple en date a été le projet de loi de 2005.

> Arrivez-vous, à présent, à faire le suivi de cette loi ?

Difficilement, car cette loi est abondante mais il ne faut pas trop noircir letableau : on trouve des papiers en page 3, Europe/France, en page Débats,en page Entreprises. L’aspect relatif à l’insertion professionnelle est relati-vement bien couvert ainsi que la question de la scolarisation. Tout commeil est plus aisé de défendre un sujet concernant le dépistage, en amont dela question du handicap. L’affaire « Perruche » a provoqué un raz-de-maréemédiatique. Certaines pathologies, l’autisme ou la maladie d’Alzheimer,émergent de cette façon de manière très forte.

Le recours à des témoignages, à des histoires et à des parcours de viesont de bonnes entrées pour parler du handicap. Ce sont des sujets consi-dérés comme lourds. Je parle pour Le Monde, mais je suppose qu’il en estde même pour de nombreux journaux. La façon dont on aborde ces sujetsmériterait une réflexion en interne.

La prise en charge des bébés grands prématurés, qui ont des risques élevésd’avoir des handicaps, plus tard, fait partie des sujets que l’on peut facilementtraiter parce qu’il touche à l’enfance, à la naissance. Le sujet des personneshandicapées vieillissantes est un peu plus décalé et l’on n’a pas l’habitude dele voir à la une des journaux. Si on le fait, on s’aperçoit que l’on entre dans laproblématique des gens et des familles qui se posent ces questions.

Les grands événements solidaires ou caritatifs autour de ces questions « marchent » bien, surtout lorsqu’ils sont portés par des gens connus, eux-mêmes confrontés à ces questions. La dernière campagne avec JamelDebbouze était une bonne idée mais à double tranchant car par la façon dontelle a été traitée et l’angle choisi, le sujet a été publié dans la rubrique media.

page, racontait l’histoire d’une jeune femme, lourdement handi-capée physique qui suivait une formation à laquelle elle étaittrès attachée. Elle vivait en banlieue, la formation avait lieu àParis et, en raison d’une histoire d’administration, elle n’avaitplus le financement lui permettant d’assurer le transport entreson domicile et son lieu de formation. Après la publication decet article, j’ai reçu de nombreux courriers accompagnés d’argentpour aider cette jeune femme.

Quand je suis allée consulter la base documentaire du journalpour connaître la façon dont on traitait du handicap, j’ai trouvé,sur une période de vingt ans, plus de mille papiers et points devue sous l’entrée « personnes handicapées ».

La première difficulté dans le traitement du handicap résidedans le fait qu’il s’agit d’un sujet transversal ; dans des journauxcomme Le Monde, les articles sont rubriqués ; nous sommesdes journalistes rubricards. Or, on ne sait pas à qui donner la rubrique « handicap » et per-sonne n’en est titulaire en propre, le journaliste qui s’occupe dela santé ? celui qui s’occupe de la famille ? Il faut y ajouter lesapproches sociétales, économiques, éducatives.

Ces derniers temps, la tendance était de confier le « handicap »aux journalistes du service santé, avec les conséquences quecela entraîne sur la façon de traiter le sujet. On privilégiera alorsl’angle du dépistage du handicap ou celui de la prise en chargemédicale. L’intégralité du sujet n’est pas abordée comme il le fau-drait. Le « handicap » pourrait également se trouver dans larubrique « insertion-exclusion ».

Le handicap renvoie à des choses que l’on craint, que l’on a du malà regarder en face, qui font peur. Il n’est pas très « vendeur » enconférence de rédaction. Lors des choix de contraintes de pagina-tion et de place, le sujet du handicap en fait le plus souvent les frais.

“Le handicap renvoie

à des choses que

l’on craint, que l’on a

du mal à regarder en

face, qui font peur.”

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Le débat sur la fin de vie et l’euthanasie n’a cessé de monter ces dernièresannées et il a beaucoup intéressé le public. Il a fallu beaucoup de tempspour que l’on obtienne deux pages dans le journal pour raconter l’accom-pagnement dans une unité de soins palliatifs.

Ce fut un papier d’une très grande humanité. Je l’avais proposé dans lafoulée de l’affaire Imbert. Un chef de service m’avait accueillie et, accom-pagnée d’un photographe, j’y suis restée une semaine. Immanquablement,la réponse de la rédaction était : « C’est trop triste ». Le temps a passé etun sujet de ce type a été publié.

C’est triste en soi et personne n’a envie d’aller dans une unité de soins pal-liatifs, mais il s’y passe des choses passionnantes. Ce sont des momentsde vie très forts pour les professionnels et pour les familles. Il faut, à unmoment donné, le raconter. C’était un très beau sujet, qui a pris beaucoupde place dans le journal. Les choses finissent toujours par se faire à forcede patience et de conviction.

Samuel Bollendorff > Imaginer que la vie puisse être si proche de la mortest terrorisant, d’autant plus que ce sont des sujets qui sont devenustabou. Est-ce le fait d’un athéisme grandissant ? On n’en discute plus ; il n’ya plus d’éducation sur l’après et même, tout simplement, sur la fin que l’onne veut pas voir arriver, une échéance que l’on ne veut pas affronter.

Claire Hédon > Je donne la parole à Jérôme Adam pour qu’il explique l’ou-til Easymétros. Voulez-vous nous raconter la façon dont il fonctionne ?

Je voudrais commencer par réagir à la dernière intervention. J’ai écrit unlivre intitulé Entreprendre avec sa différence, qui est sorti il y a trois ans.Lorsque je me suis adressé aux media ou aux éditeurs, j’ai eu des réflexionssurprenantes et qui sont dans la droite ligne de ce qui vient d’être dit. Entreprendre avec sa différence commence par l’idée « à chacun son handicap ». J’avais pris pour exemple des managers qui connaissaient un

De la salle > Pensez-vous que les media parleront un jour du grandâge, de la maladie et du handicap sans être dans la dramaturgie ?Nous sommes dans une société d’âgisme où, dès lors que l’on sort del’image habituelle de la personne jeune et en bonne santé, on est mar-ginalisé, voire discriminé.

Sandrine Blanchard > On parle plus souvent des trains qui arrivent enretard que de ceux qui arrivent à l’heure, c’est une réalité. Vous parliez desprofessionnels, or, les associations qui relaient ces questions sont organi-sées par pathologie et cela ne facilite pas non plus la vue d’ensemble.Il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que l’on nous sollicite davantagepour les choses qui ne vont pas bien que pour celles qui vont bien. Il fautdédramatiser, certes, mais nous sommes là aussi pour pointer les problè-mes et les dysfonctionnements et faire avancer le débat.

L’essentiel de notre métier consiste à observer comment les politiques sedéveloppent, comment les promesses sont ou non tenues, comment lespersonnes qui en ont besoin sont prises en charge ou pas. C’est la basedu métier. Il nous arrive aussi de parler des succès. Le journal n’est pas,de la première à la dernière page, une succession de malheurs. Une réus-site est aussi une information, on la traite, on ne s’en prive pas.

Interventions

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porte, en plus, le nombre de stations et il est bilingue français/anglais. La philosophie est de partir de besoins très simples, identifiés grâce auhandicap et de les transformer en une amélioration de la vie pour le plusgrand nombre, sans se focaliser sur le handicap.

De la salle > La presse pour enfants aborde-t-elle ces questions ? Ne serait-il pas important qu’elle le fasse, pour rendre ces sujets habituels et normaux?

Sandrine Blanchard > Ce serait une bonne idée. Il faut être conscient quela scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire n’est pas simple.Tout le monde est a priori d’accord, à condition que cela ne soit pas dansl’école de ses propres enfants. Ce n’est pas simple, non plus, pour les pro-fesseurs et les directeurs d’école.

Didier-Roland Tabuteau > Je m’interrogeais sur la question de la « rubrique ».Etant un observateur attentif de ces thématiques dans les journaux, j’aitoujours l’impression que la rubrique handicap ou dépendance « écrase »le reste. J’aimerais qu’il y ait plus d’articles ou plus de thématiques autourde ces questions, mais aussi que, dans les articles généraux, on envisageles conséquences de ce qui se passe pour les personnes handicapées,pour les personnes très âgées.

On parle de l’impact des politiques économiques, des politiques socialeset des événements généraux sur la population, sans envisager leur impactsur les personnes handicapées et sur les personnes âgées.

Comme l’Europe essaie de mettre de la santé dans toutes les politiques, onpourrait envisager que les questions sociales, liées au handicap, à la mala-die et au vieillissement, soient insérées dans toutes les rubriques des jour-naux et que, tout du moins, l’on se pose de temps en temps les questionsquand elles ont un impact particulier ou particulièrement significatif. Est-ceune réflexion en cours ?

Sandrine Blanchard > Si la transversalité nous pose un problème, c’est

deuil, qui étaient déboussolés et avaient perdu leurs repères. J’avais envoyé ce livre à un certain nombre de maisons d’édition, sansbeaucoup de succès. Dès les deux premières pages, on me disait qu’onne croyait pas à l’idée de « A chacun son handicap ». Quand j’insistais, on me disait que ce n’était pas le goût du lecteur. A quoi je répondaisqu’eux-mêmes ne voulaient pas l’entendre mais que le lecteur avait peut-être envie de le lire. On me rétorquait que l’on attendait de moi un livre oùje raconterais ma cécité, où je parlerais vraiment de mon handicap.

Je sais qu’il y a les contraintes des lignes éditoriales mais il y a un blocageet une façon de voir les choses qui n’aident pas à parler du sujet de façonnouvelle et innovante. On s’installe dans des schémas de pensée et onimagine, de façon préconçue, ce que veut le lecteur ou le téléspectateur.Une amie journaliste qui travaille à France 5 m’avait fait la même remarque :elle voulait que je lui parle de mon handicap, en disant que le sujet de monlivre n’intéresserait pas les lecteurs. Or, j’ai reçu de nombreux témoignagesrelatifs au fait que mon handicap n’était pas le seul sujet de mon livre etque chacun d’entre nous pouvait être concerné. De nombreuses personnesse sont reconnues et m’ont écrit pour me faire part de leur handicap :c’étaient des Rmistes, des Smicards, des marginaux ; ils s’étaient identifiésau livre et l’avaient aimé.

La transition est toute trouvée pour parler d’innovation. La Fondation Caissesd’Epargne pour la solidarité a su regarder les choses autrement.

Florence Daumas, mon associée, m’avait parlé, il y a deux ou trois ans,d’un plan de métro vocal qui remplacerait le plan en braille qui pèse un kiloet demi et qui est très volumineux dans les transports en commun.

Chez les seniors, les touristes ou les personnes handicapées, trois ques-tions reviennent systématiquement, à propos des transports en commun.Quelle ligne dois-je prendre ? Quelle direction emprunter ? Où dois-je fairema correspondance ? Enfin, combien de temps va durer le trajet ?

On a donc décidé de développer Easymétros pour répondre de façon sim-ple à ces trois questions. Easymétros est un petit boîtier qui tient dans lamain. Il répond vocalement aux questions des personnes qui ne peuventpas lire ou qui ont des problèmes de dyslexie. La nouvelle version com-

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P our conclure, je reprendrais trois termes qui ont été trèsutilisés. Le premier terme est le temps. On a vu l’importancede l’apprivoisement des personnes par le photographe,

le temps du témoignage et de la restitution.

Le deuxième terme est l’angle d’approche. On le voudrait plus transversalde manière à représenter davantage la diversité de la vie. Jérôme Adamnous dit qu’il faut aborder ces questions par les compétences plus que parles incapacités.

Enfin, je reprendrais le titre du livre et du film d’Anna Gavalda, Ensemble,c’est tout. La façon dont cela nous permet de construire collectivement duvivre ensemble. Il faut souhaiter que les media soient dans la constructiondu vivre ensemble et que, de manière interactive, les lecteurs puissent lesy pousser, avec notamment les nouveaux moyens que sont les « blogs ».

Conclusion

Maryvonne Lyazid, adjointe du directeur général de la FCEs

sans doute parce que le sujet ne doit pas constituer une rubrique à partentière. Chaque rubrique devrait comporter cette dimension.

Olivier Collet > Le Monde a fait, il y a quelques semaines, deux très beauxdossiers sur le handicap : une série de portraits de personnes aveugles etun reportage sur un groupe de musiciens handicapés, à Kinshasa. Les deuxdossiers se trouvaient dans la rubrique Culture. C’est souvent le cas parceque les questions de fragilité et de vulnérabilité ont inspiré les créateurs,que ce soit dans le domaine de la musique, du théâtre ou du cinéma.

Vivre FM est la radio dédiée aux questions du handicap. Quand on regardel’actualité à travers ce prisme, il n’y a pas de quoi être si pessimiste.

Aujourd’hui le Secrétariat d’Etat aux Solidarités n’est plus rattaché au ministèrede la Santé mais à celui de l’Emploi. Les personnes handicapées ne sont plusréduites simplement à une déficience dans le domaine de la santé.

Je voudrais poser une question à Samuel Bollendorff : il y a eu un dossiersur le handicap dans L’Express et Le Figaro, il y a quelques semaines.Quatre des six photos représentaient des fauteuils roulants, or, 2 % despersonnes handicapées sont en fauteuil roulant aujourd’hui. Je supposeque l’on vous demande uniquement des photos de fauteuil roulant pourillustrer le handicap. Comment peut-on sortir de cette représentation ?

Samuel Bollendorff > Je ne sais pas qui a choisi ces images mais quelqu’uns’est dit que pour illustrer le handicap, de façon la plus basique possible,il fallait montrer des fauteuils roulants. A partir du moment où l’on cloisonneet où l’on a peur de montrer des images de personnes trop âgées et dehandicaps trop agressifs visuellement, on fait disparaître tous ces individusdu paysage médiatique. Si l’on part du principe que le handicap est repré-senté par un fauteuil roulant et qu’il n’y en a jamais dans le journal, alors,le fauteuil peut être une très bonne illustration.

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3 Vieillissement, handicap, maladie et media : une image rénovée

Jean-Yves Ruaux • Michelle Podroznik • Pierre Birambeau • Jacqueline Gaussens

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Le roman à succès Millenium, qui vient d’être adapté au cinéma, est tri-générationnel. Il met en scène un homme de 50 ans, divorcé, qui fouille lesvieux secrets de famille pour un industriel de 80 ans.

Deuxièmement : qu’appelle-t-on une image rénovée ? Celle qui rendraitacceptable l’image de la vieillesse et du handicap ? Avons-nous progressédans ce domaine ? J’observe que des magazines comme Psychologies etNotre Temps ont, en couverture, des personnes plus âgées que par le passé.Simone de Beauvoir dans son livre sur la vieillesse (Gallimard, 1970) écrivaità peu près qu’une vieillesse anonyme n’est pas « vendable ». Une vieillessequi a une histoire que l’on peut raconter et qui, mieux encore, est portée parun leader d’opinion, l’est. Les ethnologues prétendent que ceux qui réussis-sent à survivre à leur carrière, à leur vieillesse, sont soit le guerrier ou la guer-rière, soit le chamane. Dans CSI Experts Las Vegas, le héros principal a 56 ans et l’héroïne, très belle,a une cinquantaine d’années. On déplace les paramètres mais je ne sais passi « on ne pousse pas plus loin la poussière et la vieillesse sous le tapis ».

Ma dernière question est la suivante : l’image rénovée de la vieillesse et duhandicap n’est-elle pas, en réalité, une image banalisée ? Quand on parledu scandale de la mort de la jeunesse aujourd’hui, par rapport à la mortdes vieux qui ne serait pas un scandale, on établit une hiérarchie de valeur.Au contraire, les Japonais disent que toute particularité est équivalente etégale en droit. Etre vieux est une particularité, tout comme être handicapéou mère de famille ; donc faisons ce « design universel », qui puisse cor-respondre à tout le monde. Des outils comme Easymétros ou des ciseauxqui coupent facilement ne seront pas réservés aux seniors ou aux handi-capés, mais faciles à utiliser par tous.

Je voudrais aussi interroger les différents intervenants : comment PierreBirambeau, cofondateur du Téléthon, rendrait-il « sexy » la maladied’Alzheimer de sorte qu’on puisse y consacrer un Téléthon ? Je demande-rais à Michelle Podroznik comment elle traiterait de la question del’Alzheimer, de la dépendance ou de Parkinson dans Plus belle la vie et leferait-elle ? A Jacqueline Gaussens, qui représente la Fondation nationalede gérontologie (FNG), comment réussit-on à « vendre » aux media la FNG,qui est moins « sexy » que Plus belle la vie ?

Je ferais trois observations et poserais trois questions.Premièrement : on a parlé de l’information, des journauxtélévisés, des magazines, mais les media ne forgent pas

seuls l’image et la représentation de la vieillesse et du handicap : il y a unepart d’affectif qui passe par des événements exceptionnels, du type duTéléthon ainsi que par les fictions. Au cours de ses quarante ans de carrière, l’acteur Jack Nicholson a traverséles principales préoccupations de notre époque. Quand dans les annéessoixante-dix, on s’interrogeait sur les traitements neuropsychiatriques, il étaitle personnage principal de Vol au-dessus d’un nid de coucou (1975). Quand à la fin des années quatre-vingt-dix, on s’interrogeait sur les messieursd’un certain âge qui s’intéressaient à des jeunes filles beaucoup plus jeunesqu’eux, il était le héros d’une comédie avec Diane Keaton au cours delaquelle il devient amoureux d’une femme de son âge (Tout peut arriver, 2003).Dans les séries comme West Wing (1990-2006, Warner Bros TV), qui sepasse à la Maison-Blanche, on traite, sur deux ou trois épisodes, del’Alzheimer du père de la directrice de la communication du président desEtats-Unis.

Jean-Yves Ruaux, rédacteur en chef de Seniorscopie et professeur d’université

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Nous avons traité de la maladie d’Alzheimer dans Plus belle la vie maissous la forme de la comédie, ce qui est une façon de faire passer des mes-sages. La mère d’une des héroïnes de Plus belle la vie resurgit dans la viede sa fille après l’avoir abandonnée ; elle essaye tous les moyens pour quesa fille s’intéresse à elle et simule la maladie d’Alzheimer. On s’est inter-rogé pour savoir si ce n’était pas brutal par rapport aux personnes ou auxfamilles. On a montré tous les symptômes de l’Alzheimer, alors que lepublic savait que l’héroïne n’en souffrait pas. Cette « arche » a fonctionné

A tous les âges, plus belle la vie sur le petit écran de télévision ? Comment un feuilleton transgénérationnel devient la coqueluche des Français ?

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Michelle Podroznik, producteur délégué de la série de France 3, Plus belle la vie

de façon formidable. Nous avons fait prendre conscience à beaucoup dece que pouvait être leur représentation de la maladie. Pour que le publics’intéresse à des sujets douloureux et que les messages passent, il fautque les sujets de société difficiles que nous traitons soient interprétés pardes personnages aimés et déjà connus du public.

Nous avons des « héros récurrents » qui sont là depuis le début de la sérieet qui sont transgénérationnels. Il y a une fille de 14 ans et le personnagejoué par Colette Renard a 84 ans. Ces personnages sont là tous les joursdepuis cinq ans. C’est à travers ces personnages que nous parlons denombreux sujets de société. Nous sommes fiers d’avoir parlé d’homo-sexualité masculine et féminine ; nous l’avons banalisée. Nous avons reçude nombreuses lettres de personnes qui avaient changé leur regard et leurpoint de vue sur le sujet. La volonté de Plus belle la vie a été de faire unesérie proche des gens et, à travers elle, de parler de sujets de société.

J’avais déjà commencé ce travail comme productrice de la série PJ. Ellese passait dans un commissariat de proximité. Il n’y avait pas de meurtre,mais des histoires de commissariat de quartier ce qui nous permettait deparler des problèmes concrets du quotidien. Il y avait des handicapés, desaveugles et nous avions construit des histoires autour de ces handicaps.Pendant une douzaine d’épisodes, le père du commandant Fournier, inter-prété par Bruno Wolkowitch, souffrait d’un cancer. On montrait commentun fils de 40 ans peut accompagner son père dans ses derniers moments.Ces épisodes ont beaucoup touché les gens.

Claire Hédon > Pour en revenir à Plus belle la vie, pourquoi ça marche ?Pourquoi y arrivez-vous, alors que d’autres n’y arrivent pas ?

Plus belle la vie est une histoire de quartier. On traite de sujets extrêmementdifférents suivant qu’il s’agisse de comédie, de drame ou de policier ; onoblige les gens à écouter ce que disent les personnages. Je vais repren-dre l’exemple de cette femme interprétée par Pascale Roberts qui est unecomédienne de plus de 70 ans. Elle simule Alzheimer. Plus personne dansle quartier ne l’écoute. En accompagnant sa fille à un rendez-vous médical,

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Il y a vingt-cinq ans, il ne se passait rien avec les media. Les myopathiesétaient considérées comme inexistantes. J’étais allé, à l’époque, à unelibrairie de l’école de médecine pour chercher un livre sur les myopathies ;le libraire disposait de 10 000 livres de médecine dont un seul sur les myo-pathies.

Plus ou moins confusément, le mot myopathie évoquait une maladie géné-tique, rare, paralysante, évolutive et secrète. Le mot « paralysie », en soi,est déjà terrible et le terme génétique était inconnu à l’époque ou associéà la notion de tare ou de « manipulation génétique ». Tout cela était tropcompliqué, trop triste, trop rare pour les media qui savaient – ou croyaient– que leurs lecteurs ne seraient pas intéressés.

Prise de conscience de l’opinion grâce aux media, un cas exemplaire : la myopathie et le Téléthon

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on lui découvre un cancer du sein qu’elle dissimule à tous ; on a vouluaussi parler de médecine – j’ai une mère qui, à 92 ans, n’a jamais fait demammographie. Ce sont des petits messages que nous devons faire passer.Nous travaillons avec de nombreux organismes, notamment avec le ministèrede la Santé, qui nous a demandé de parler du vaccin contre le cancer ducol de l’utérus. Nous avons des héros jeunes et un public très jeune aussi :nous parlons du sida et des préservatifs, de la drogue, du GHB, de larecrudescence des grossesses de jeunes filles de 15 ans, des interruptionsde grossesse. C’est une volonté : à travers ces arches narratives, desgrandes histoires d’amour ou des histoires policières, nous évoquons tou-jours un fait de société. Je suis producteur depuis plus de quinze ans. J’ai fait toute ma carrière àl’ORTF et à France Télévision et je me sens un devoir citoyen. Nous avonsun problème de représentation des minorités à la télévision : il n’y avait pasd’acteur noir, ni d’acteur arabe, ni d’acteur chinois. Plus belle la vie et PJsont un « melting-pot ». Il faut forcer les choses et se battre.

> Y a-t-il des sujets liés au vieillissement, au handicap et à la maladie dontvous n’avez pas encore osé parler, qui vous paraissent trop délicats ?

Nous n’avons pas encore abordé le sujet extrêmement délicat de l’eutha-nasie mais nous y viendrons. Nous l’avions effleuré dans une intrigue déjàdiffusée à l’antenne : un étudiant en médecine aide à « débrancher » uncamarade en phase terminale. Nous sommes en train de faire un castingen liaison avec une association de handicapés qui a des activités théâtraleset cinématographiques pour trouver la bonne personne. En partant de sonhandicap – nous ne choisissons pas lequel –, nous allons écrire une« arche longue » pour fabriquer une histoire d’amour et montrer commentune personne handicapée la vit. Dans le monde de la diffusion, des annonceurs et des sponsors, l’argentrègne en maître. On nous demande de mettre en avant ce qui fait gagnerde l’argent. Il y a dix ans, c’étaient les grands mannequins qui faisaientgagner de l’argent aux magazines et aux publicités. On constate une légère évolution et, lorsque l’on a des convictions, il fautoser mettre en avant des sujets qui, encore récemment, étaient cachés etdont on ne voulait pas entendre parler.

Pierre Birambeau, cofondateur du Téléthon

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Claire Hédon > Comment avez-vous réussi à convaincre France 2 avecle Téléthon ?

Il nous fallait faire quelque chose de fou, parce que c’étaient les débutsd’une nouvelle forme de recherche génétique et que d’immenses investis-sements seraient nécessaires à cette nouvelle discipline. Je suis allé auxEtats-Unis, pour voir comment ils procédaient et quel était ce « Téléthon »que je ne connaissais que par une brochure, avec Jerry Lewis qui grima-çait, un orchestre, des comédiens d’un certain âge et un tableau de pro-messes. J’en ai rapporté les principes de base, qui ont évolué au fil desans. Cette folie a été comprise par le directeur des programmes, LouisBeriot, et nous avons tout fait et en particulier démarché des partenaireset développé un réseau relationnel pour « emporter le morceau ».

Je crois aussi que ce qui a marqué Antenne 2 était que nous venions lessolliciter avec notre sincérité et notre foi de parents dont les enfants étaienten danger de mort imminente. Même si l’expression est banalisée on peutdire qu’Antenne 2 a eu un « coup de cœur » pour l’AFM alors qu’à l’époqueles « experts » jugeaient l’opération impossible en France.

> Qu’est-ce qui a changé dans le regard de l’opinion ?

Auparavant, le regard se détournait et, tout à coup, les gens ont osé regar-der. Encore aujourd’hui, lorsqu’une personne en fauteuil se trouve à côtéd’une personne debout, les gens évitent le regard de la personne en fau-teuil qui est plus bas. Il y a toutefois une évolution : un chauffeur de taxi quiauparavant n’embarquait pas de personnes handicapées peut accepter àprésent de mettre le fauteuil dans le coffre et la personne dans la voiture.

Les choses ont changé, en particulier pour les malades eux-mêmes, quiétaient privés d’identité ; ils se sont sentis exister. Il y a eu interaction entrela recherche, la médecine et la société ; il en résultait une prise en charge

meilleure et une vie sociale totalement différente. Le résultat le plus spec-taculaire, pour ce qui me concerne, je le trouve à travers mon fils Damien.Il y a trente ans, Le Figaro Magazine avait écrit, rompant le silence desmedia : « Sans un miracle, je n’aurai jamais 20 ans » en parlant de mon filsqui, à l’époque, en avait 6. Damien a aujourd’hui 37 ans, il passe sa viedans un fauteuil électrique très performant, il a une trachéotomie et une sondegastrique... et perdu toute force musculaire. Pourtant il a créé une associa-tion qui s’appelle « J’accède », qui fonctionne à partir des informations surles lieux accessibles donnés par les internautes eux-mêmes.

Jaccede.com est un site interactif qui compte quatre salariés et qui reçoitplus de 20 000 visites par mois. Damien est la personne la plus heureuseque je connaisse. Certes il est doué d’une volonté incroyable mais il est lereflet des extraordinaires changements induits par le Téléthon.

> Pour répondre à la question que vous posait Jean-Yves Ruaux, àquand la même chose pour la maladie d’Alzheimer ?

Bernard Barataud et moi avons réfléchi pendant des années et expéri-menté quantité d’initiatives avant de trouver la solution du Téléthon etencore, sommes-nous allés l’emprunter aux Etats-Unis Je suis prêt à fairele voyage à nouveau pour l’Alzheimer. Mais je me garderais bien de promettre des résultats spectaculaires. Je suis certain, cependant, quel’Alzheimer sera un jour vaincue.

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recensement, qui n’est pas exhaustif, des émissions de télévi-sion que nous avons enregistrées au cours des cinq dernièresannées : une centaine d’émissions supérieures à dix minutesont traité des problèmes du vieillissement.Les sujets ont changé au cours du temps. Nous sommes passésdes problèmes qui touchaient la santé, les maisons de retraiteet les scandales, à des sujets qui concernent le bien vieillir. Enmême temps que nous assistons à l’arrivée des seniors, nousvoyons la génération des baby-boomers être dans une logiquetotalement différente des personnes âgées. Cette génération neveut pas vieillir. Son slogan est : vieillir jeune, rester jeune.

Je m’occupe de gérontologie depuis très longtemps et je croyaisque les choses avaient évolué. J’avais constaté, par le passé,l’évolution des messages autour du vieillissement en voyantapparaître des émissions de radio qui traitaient de l’incontinence.Dans les années 1985, lors d’une l’émission du Téléphone sonne,une journaliste avait osé aborder ce problème, ce qui avait été unvéritable scandale vis-à-vis de sa hiérarchie et des auditeurs. J’aiconnu la période où le mot « ménopause » était interdit dans cer-tains quotidiens, le mot semblait ne pas pouvoir être dit. Les pro-blèmes hormonaux, les problèmes d’utérus, étaient tabous.

La Fondation nationale de gérontologie est également produc-trice d’événements et nous sommes amenés à rencontrer desjournalistes. Nous avons choisi une méthode que j’appellerais laméthode de l’évitement ou la méthode du judo, qui consiste à nepas aborder le problème de front. Parler du vieillissement aux adultes et aux journalistes est trèsdifficile. Leur vécu personnel entre en résonance avec le sujet.Impossible alors de modifier le regard qu’ils portent sur les vieux.

Les gérontologues de la FNG ont osé faire une chose inatendue :s’adresser aux enfants. Nous avons pensé qu’en nous adressantaux jeunes, nous aurions la chance de modifier le regard qu’ilsporteront sur leur propre parcours de vie, sur le vieillissement.

Stratégie d’influence auprès des mediapour la défense du grand âge

Merci de ne pas avoir utilisé le mot « sexy ». J’aurais été très embarrasséeparce que, s’il y a un sujet éminemment difficile à présenter, c’est biencelui du vieillissement. Il concerne personnellement et individuellement lesjournalistes, les lecteurs et les téléspectateurs. On peut parler de la fontedes glaces, de l’énergie nucléaire, mais parler du vieillissement qui tou-chera chacun d’entre nous demeure très difficile.

La Fondation nationale de gérontologie fonctionne sur un mode particulierdans le sens où elle est productrice d’informations. Nous sommes unmédium à travers nos publications et notre service audiovisuel. J’ai fait le

Jacqueline Gaussens, directrice de la communication de la Fondation

nationale de gérontologie

“ Nous avons

pensé qu’en nous

adressant aux jeu-

nes nous aurions

la chance de

modifier le regard

qu’ils porteront sur

leur propre parcours

de vie, sur le

vieillissement. ”

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J’aimerais qu’au Mistral, Roland et les autres personnages plus âgés ouplus jeunes puissent remplir les trois phrases que nous faisons remplir auxenfants : j’ai le bon âge pour, je suis trop vieux pour, je suis trop jeune pour.

Michelle Podroznik > Il y aura un épisode dans lequel on fait élire la « mamieen or ». Nous sommes très sensibilisés sur ce que je n’ose même plus appe-ler le troisième âge. Le grand combat que nous avons à mener auprès desdiffuseurs serait d’arrêter de dire « la ménagère de moins de 50 ans ». Ondevrait parler à présent de « la ménagère de moins de 75 ans ». Cette ména-gère de moins de 50 ans a en réalité 30 ans dans la hiérarchie des valeurs.

Claire Hédon > Est-ce que vous réussissez à parler des personnes âgéeset des personnes handicapées parce que ce n’est pas le sujet central ?

Michelle Podroznik > C’est, en effet, une façon de contourner la difficulté.Dans un quartier, dans des familles, on impose les grands-parents, lesarrière-grands-parents – Colette Renard est arrière-grand-tante. Les pro-blèmes du quotidien se posent à tous les niveaux et de ce fait les gens lesacceptent parce qu’ils se reconnaissent au travers des personnages. Quiregarde Plus belle la vie ? Des parents, des grands-parents, des petits-enfants,des arrière-grands-parents, des oncles, des tantes. Ils voient leurs propresproblèmes qu’ils n’osent pas exprimer et qui sont représentés, résolus ounon, à travers une fiction. Notre public, ce sont les ados et les personnesde plus de 65 ans. Nos histoires croisées ont créé des liens d’entraideentre la génération des plus de 70 ans et la génération des 15-18 ans.

Jacqueline Gaussens > Les ados découvrent les problèmes affectifs deRoland qui a 65 ans. Il a des problèmes de cœur, parle de Viagra. Les adoles-cents ont d’autres problèmes et les âgés de la famille découvrent les « galères » que vivent ces jeunes. Je pense que ces découvertes transgé-nérationnelles sont essentielles, quitte à passer au-dessus de la généra-tion des parents, des actifs qui sont, eux, dans une logique de réalisationpersonnelle et souvent de jeunisme.

Nous avons créé un prix littéraire, car nous avons constaté l’impossibilitédans le face-à-face entre jeunes et enseignants, entre jeunes et parents,d’évoquer la question du vieillissement, des vieux, de la mort et de la mala-die d’Alzheimer. Les enfants sont demandeurs. Ils posent des questions. Mais les adultesqui s’en occupent, au niveau scolaire ou au niveau familial, sont tétaniséspar une mise en parole de ces sujets. Pour ce prix littéraire, les enfants ensont les jurés, en lisant des livres qui ne parlent que des vieux. Depuis1996, près de 42 000 enfants lisent des livres sur la mort, la transmission,la maladie d’Alzheimer et ils sont passionnés. La difficulté ne commence pas avec le contact des enfants des écoles oudes centres de loisirs, mais au moment où les parents découvrent queleurs enfants lisent des livres sur ce thème. Les enseignants ont les plusgrandes difficultés à convaincre les parents que leur enfant de maternelleva lire un album sur ces thèmes. Nous avions organisé un tournage avec une chaîne de télévision et des enfantsde maternelle pour annoncer les résultats du prix Chronos, où 12 000 lecteursvotent à bulletin secret. Au moment où nous avions préparé l’émission, nousne connaissions pas le lauréat choisi par les tout-petits de maternelle.Cette année-là, les enfants avaient choisi un livre intitulé Bonjour madamela mort : un grand album très explicite avec un squelette, une faux et unegrand-mère qui meurt. Lors de l’annonce du résultat, les journalistes ontblêmi et déclaré « Ce n’est pas possible ». Pour eux c’était « indicible ».

Ce tabou est permanent. Notre démarche de contournement consiste àpenser qu’un enfant est en relation avec ses deux parents et avec ses qua-tre grands-parents et que cette sensibilisation au « grandir-vieillir » va sefaire par les enfants qui introduiront cette thématique dans les familles,dans les débats et dans les échanges. Il faut « ruser » en permanence.Cette démarche demande beaucoup de patience. Lorsque nous laissons aux journalistes le temps de s’exprimer et qu’onpeut entamer un dialogue avec eux, ils arrivent tout à fait à s’approprier lesujet. Un journaliste, c’est un fils, c’est un père, c’est un petit-fils. Il est ousera un parent et un grand-parent. Si l’on prend le temps de passer plusde cinq minutes avec lui et d’aborder ce problème, il raconte sa vie. J’aimerais que l’enseignante de Plus belle la vie participe au prix Chronos.

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Monique Bragard, cofondatrice de la maison des Babayagas > De nombreux journalistes viennent nous voir et rien ne nous fait plus plai-sir qu’en partant, ils disent qu’ils sont réconciliés avec la vieillesse. J’ai 77 ans, j’ai vécu mai 68, j’ai travaillé, j’ai eu des responsabilités. Je suiscomme tout le monde. Simplement, je suis plus âgée que beaucoup d’autres. Ils sont surpris de voir que ces vieilles peuvent penser. Ils sontadorables à la fin, mais, au départ, ils se demandent ce qu’ils vont posercomme question à ces pauvres vieilles que nous ne sommes pas !

Jacqueline Gaussens > L’éclatement géographique et sentimental desfamilles amène les enfants à être parfois loin de leurs grands-parents,même s’ils ne sont pas totalement coupés d’eux grâce aux nouveauxmoyens de communication. Dans les villes, les cités, les jeunes ne viventqu’avec leurs parents ; les grands-parents et a fortiori les arrière grands-parents sont rares. Les « vieux » de la famille et ceux de la société ne sontpas présents dans ces zones. Or, l’enquête que nous avions menée nousa montré que ces jeunes, coupés des vieux de leur famille ou de lasociété, sont incapables de se projeter dans l’avenir. Leur projet de vies’arrête à 18 ans, l’âge du permis de conduire qui est la marque socialede l’indépendance. Ils n’ont pas de futur parce qu’il n’y a pas de vieuxprésents. Ils découvrent parfois avec surprise et stupéfaction, demanière positive, ces personnes âgées qu’ils n’ont jamais rencontréespour des raisons sociétales, familiales, sociologiques.

Interventions

C’est par ces découvertes et les passerelles entre les différentesgénérations que l’on peut créer, nous avec le prix Chronos etvous avec cette émission, ces solidarités dont la Fondations’occupe. Les solidarités ne se déclarent pas, ne se déclamentpas. Elles se préparent, elles se construisent par la découvertede la valeur de tous les âges de la vie. Parmi les stratégies que la Fondation nationale de gérontologiemet en place pour arriver à faire passer ses messages, je me suisrendue compte qu’il était plus facile de parler de vieillissementdes personnes âgées dans des media qui sont hors des mediatraditionnels. C’est ainsi que nous avons fait plusieurs émissionsavec Les Maternelles sur France 5. Nous sommes bien tolérés etacceptés dans cette émission traitant des jeunes enfants et desjeunes parents. Nous intervenons souvent le 1er novembre pourrépondre à la question : faut-il parler de la mort aux enfants ?Notre réponse est oui, bien sûr, avec les bons moyens.

Claire Hédon > Je retiens une chose dans ce que vous dites,Jacqueline Gaussens et Michelle Podroznik, pour garantir laréussite, il ne faut pas se polariser.

Michelle Podroznik > Présenté de cette façon, ce serait unrefus. Quand je suis devenue producteur, j’ai repris la série desCordier avec le grand acteur Pierre Mondy. Quand on écrit desséries pour Pierre Mondy, il y a toujours un petit enfant, unepetite-fille, une belle-fille. Vous ne montrez pas un film avecJeanne Moreau toute seule, même au cinéma. Dans Plus belle la vie, aucun acteur n’a de « Botox ». Tous ont leurvrai visage. Ce n’est pas 60 ans, l’âge difficile dans le métier ;pour les actrices, c’est 40 ans et, pour les acteurs, c’est 45 ans.C’est une bataille qu’on ne peut pas avoir avec tous les diffu-seurs. On ne gagne pas avec tous. Dans Plus belle la vie, nous sommes absolument libres de nossujets et de nos scénarii. Nous sommes même encouragés àtraiter les sujets que nous voulons puisque c’est le service public.

“ Les solidarités ne

se déclarent pas,

ne se déclament

pas. Elles se

préparent, elles

se construisent

par la découverte

de la valeur

de tous les âges

de la vie.”

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nous essayons de développer dans Plus belle la vie. Elle passe évidem-ment par les gens plus âgés que soi, mais elle ne passe pas seulementdans un seul sens : dans Plus belle la vie, les jeunes de 18 ans donnentdes leçons à leurs parents. Nous essayons de montrer que l’expériencesolitaire n’est jamais bonne.

Jacqueline Gaussens > Notre phrase clé c’est de faire découvrir à toutesles générations que grandir, c’est vieillir et que vieillir, c’est grandir.

De la salle > Nous accueillons souvent, dans notre établissement, des sta-giaires, des jeunes en formation, des lycéens qui se dirigent vers des car-rières médico-sociales et je suis surprise que des jeunes filles de 15 ou 16ans disent, après avoir fait plusieurs stages dans des crèches, qu’ellespréfèrent travailler avec les personnes âgées car la communication est debien meilleure qualité. C’est plutôt encourageant.

Jacqueline Gaussens > Il est un fait que les familles sont parfois caused’isolement des personnes très âgées, des personnes dégradées et despersonnes malades. Au nom de la protection de l’enfant, on interdit lesvisites aux personnes très âgées ou aux personnes malades, ce qui créede la souffrance au sein des jeunes générations.

La Fondation nationale de gérontologie a conduit, avec ses équipes dechercheurs, une étude sur la maladie d’Alzheimer. Sur les quatre généra-tions d’une famille étudiée, nous avons constaté que, dans les trois quartsdes cas, les jeunes générations, arrière-petits-enfants et petits-enfants,étaient exclues de la relation au malade.

C’est très négatif pour les enfants qui grandissent dans un silence total surles pathologies familiales. En termes de non-dit et de secret de famille,c’est terrible. L’aidant principal est épuisé, isolé, faute de liens avec l’en-semble des générations et le malade lui-même n’a même plus ce contactavec les enfants. Nous avons essayé d’insister sur l’importance du main-tien des liens, quelles que soient la pathologie et la maladie, mais lestabous sont trop bien installés.

Marguerite Azcona, directrice de la mission communication de la FCEs >J’ai le sentiment, à vous entendre, madame Gaussens et madame Podroznik,qu’il y a une très grande confusion entre le fait d’atteindre un très grandâge et le fait de vieillir. Vous évoquez, l’une comme l’autre, une peur duvieillissement qui vient plus des quadragénaires et des quinquagénairesque des très jeunes ou au contraire des très âgés.

Jacqueline Gaussens > Les enfants sont lucides sur le rôle et la place desvieux. Les adolescents détestent les parents qui jouent les jeunes ou lesmères qui s’habillent comme leur fille. Les vieux qui escaladent l’Himalayane les intéressent pas. Ils sont capables d’accepter la présence et de pas-ser du temps avec des très vieux en fauteuil roulant, ou qui ont la maladied’Alzheimer et avec lesquels la conversation peut être difficile. Les jeunessont capables de comprendre qu’un vieux a une valeur, non simplementdans ce qu’il fait mais dans ce qu’il est.

J’avais été sollicitée, il y a déjà un certain temps, par un lycée de la péri-phérie d’une grande ville. Le proviseur du lycée voulait recevoir, pour lesélèves de 1re, un couple de « vrais vieux ». Le couple de vieux a passél’après-midi avec ces élèves.

On a interrogé les jeunes sur les trois heures passées ensemble. En fait, dequoi ces jeunes avaient-ils envie ? Ils voulaient rencontrer de vrais vieux.Que recouvrait le terme de vieux pour eux ? C’était une personne de plusde 80 ans, qui avait connu une guerre ou deux, qui avait connu le chô-mage, la maladie, des problèmes de couple, des problèmes d’éducationdes enfants, les problèmes de la vie. Ces vrais vieux de 80 ans montraientà ces jeunes – très certainement programmés pour le chômage, la délin-quance ou une vie de galère – qu’ils étaient capables de choisir, qu’ilsavaient un futur.

A quoi servent ces vrais vieux ? Ils sont des passeurs de vie. Tant que l’onn’arrivera pas à établir des passerelles et des liens avec ces vieux, nouspasserons à côté d’une fonction importante de nos responsabilités d’édu-cateurs, de parents, de producteurs.

Michelle Podroznik > Les périodes de crise et le retour à une cellule fami-liale montrent que l’expérience est quelque chose d’important et qui nes’acquiert pas instinctivement, y compris par Internet. L’expérience despersonnes qui ont vécu des choses différentes a son utilité et c’est ce que

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nes de plus de 50 ans et nous avons lancé un concours de mannequinsqui compte deux catégories : des personnes d’une cinquantaine d’annéeset des gens plus âgés. Question de culture, en effet, dans le magazineVi Over 60, en Norvège, les mannequins peuvent avoir 75 ou 80 ans. L’enfant me semble important pour parler de la vieillesse. Il n’y a pas letabou ni la retenue qui peut exister chez les personnes de 40 ans.

• « Jeunisme ». La vieillesse est toujours vécue en termes de pertes, alorsque la jeunesse l’est en termes de progrès. Je renvoie à Alexis Carrel et àL’Homme, cet inconnu, ouvrage qui prônait l’eugénisme. Les écrits courantsdes médecins en France, dans les années trente, promouvaient la jeu-nesse. Le contexte de l’après-guerre de 14-18 incitait le pays à se refaire.Cela a conduit le démographe Alfred Sauvy, notamment, à promouvoir lejeunisme longuement, la métaphysique de la jeunesse triomphant duvieux, qui doit laisser sa place aux autres. Ces textes extrêmement popu-laires ont durablement forgé les mentalités.

• « People ». Le succès du Téléthon n’existerait pas, nous a dit PierreBirambeau, s’il n’avait pas trouvé sa source avec Jerry Lewis aux Etats-Unis. Nous avons besoin, pour faire passer l’image de la vieillesse et duhandicap de manière positive, de leaders d’opinion qui sont vieux, maisqui ont une histoire, une pulsion de vie et aident à faire avancer les dossiersdans ce domaine.

• Dernier mot : « sexy ». Eros est la pulsion de vie. Beaucoup de Françaissont exposés, trois à quatre heures par jour, à la télévision. En faisant ledécompte, il y a une heure d’information de journaux télévisés, et 75 % sontdes émissions plateau-rencontre ou des fictions. La question est donc desavoir où il faut regarder, en termes d’images, pour arriver à positiver levieillissement, si ce n’est pas aussi à travers les fictions.

Enfin, il ne faut pas oublier que même la maladie d’Alzheimer peut êtreintégrée dans une fiction et très directement cette fois. Je renvoie à l’undes derniers épisodes de la série Sex and the city où l’une des héroïnes etson compagnon accueillent à la maison sa mère qui souffre de cette maladie.La bonne image déclenche une émotion. L’émotion fait parfois passer beau-coup plus de choses qu’un discours rationnel.

E n guise de conclusion, je reprendrais quelques mots-clésqui ont surgi au fil du débat.

• « Accessibilité ». Il a fallu une image forte pour que le chauffeur de taxiaccepte de prendre un handicapé dans sa voiture. Les choses sont beau-coup plus simples à Londres ou à Edimbourg, où la plupart des taxis estaccessible aux fauteuils roulants. Ce serait le rôle des politiques de faireen sorte que le handicap, la vieillesse et la maladie soient réellement bana-lisés, faisant de nous tous des gens à particularités et que toutes ces par-ticularités soient prises en compte dans l’universel.

• « Acceptabilité ». Les parents n’acceptent pas que leurs enfants regardentdes livres sur la maladie et la mort, de même qu’ils les excluent de la relationavec les arrière-grands-parents âgés ou atteints de la maladie d’Alzheimer.Cette question d’acceptabilité est centrale et elle se trouve également chezces parents de 50 ou 60 ans à propos de la sexualité de leurs aînés qui sont enmaison de retraite ; ils sont, à cet égard, plus répressifs que le corps médical.

• « Age ». Lorsqu’en 1949 la jeune journaliste Françoise Giroud, rédactrice enchef de Elle, lança une enquête sur la sexualité des Françaises, elle concernaitla sexualité des Françaises de moins de 50 ans. De ce point de vue, nousavons fait quelques progrès.

• « Culture ». Bayard édite une dizaine de magazines destinés aux seniors.Les couvertures ne sont pas les mêmes dans les pays latins et dans lespays du nord de l’Europe. Nous avons des sujets mode avec des person-

Conclusion

Jean-Yves Ruaux, rédacteur en chef de Seniorscopie et professeur d’université

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Je voudrais tirer trois enseignements de ces débats, qui étaient, commenous l’avions souhaité, disparates dans leur nature. Le handicap, la vieil-lesse, la maladie chronique peuvent se cumuler, mais sont différents. J’aientendu trois principes d’action derrière les paroles des intervenants decette belle journée.

Le premier principe : « comprendre l’autre », se poser la question de l’au-tre, essayer de comprendre qui il est, avant de se poser la question de larelation avec l’autre. Cela a été évoqué d’emblée, par Pascal Champvert,à propos des journalistes : prenons-les tels qu’ils sont. N’essayons pasde changer l’autre dans la relation qui va s’installer. Cela a été le propos

de l’approche des media pour le Téléthon. Il faut les accepter, les rencon-trer, les connaître, faire l’effort de se faire connaître, d’expliquer qui l’on est,comment on travaille, quelles sont les contraintes et les difficultés pourque l’autre puisse comprendre et se faire comprendre.

Le deuxième enseignement : « interpeller les autres ». Le mot « volonté » estrevenu régulièrement. « Arrêtons de nous plaindre » a-t-on entenduaujourd’hui. Si on ne se mobilise pas pour faire parler de certains sujets c’estque l’on n’en a pas envie. Cette interpellation, cette lutte contre les sujets quifont fuir, comme le disait Robert Namias, je l’ai entendue à travers la volontéd’imposer des thèmes auprès du grand public, sur l’agenda politique,comme l’a souligné Sandrine Blanchard. Samuel Bollendorff a eu pour sapart une très jolie expression : « Montrer l’image d’à côté ». Cela résume bienla difficulté et la problématique abordées au cours de cette journée. MichellePodroznik l’a confirmé : si l’on veut que les scénarii ou les émissionsreprennent ces thèmes à la télévision, c’est une question de volonté.

Un des grands plaisirs de cette journée a été la réhabilita-tion du mot « vieux ». Au fil de la discussion, on a oubliéles personnes âgées et l’on a parlé des « vieux » parce

que c’est plus simple et que le mot est beaucoup plus joli, et je dirais res-pectueux, que « personnes âgées ». Je me suis d’ailleurs toujours demandépourquoi le mot « vieux » paraît péjoratif, alors que toutes les expressionsqui le comportent sont sympathiques. Les vieux amis, les vieux souvenirs,les vieux sages, les vieux alliés, sont toujours des expressions positives.

Conclusion

Didier-Roland Tabuteau, directeur général de la FCEs

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Ces trois conseils sont à la fois simples à exprimer et difficiles à mettre enœuvre. On le sait tous et tout particulièrement au sein des équipes de laFondation qui accompagnent les personnes les plus fragilisées par la vie.C’est ce qui explique l’inévitable complexité des relations entre les mediaet les sujets dont nous nous occupons.

Pour surmonter le paradoxe et résumer ce défi, je reprendrais la phrase deDenis Piveteau : « Ce que l’on a du mal à faire et ce qui est notre enjeu,c’est d’essayer de passer de ce qui fait peur de près, de ce qui concernenos proches, de ce qui nous concerne directement, de ce qui nousconcernera demain quand on a peur du vieillissement ou de la mort, à cequi fait peur de loin, c’est-à-dire ce à quoi l’on peut s’atteler collectivement ».Les media sont un maillon indispensable pour y parvenir. C’est pour celaqu’il faut accepter cette relation difficile et nécessaire avec eux.

Le troisième enseignement : « respecter l’autre ». Eric Favereau s’est inter-rogé sur le besoin de faire parler de soi dans les media : « Respecter l’au-tre dans son équilibre, dans ce qu’il souhaite, entre l’intime et le public.Que souhaite-t-il montrer ou faire apparaître ? Recherche-t-il le projecteurmédiatique ? Souhaite-t-il être montré, ou souhaite-t-il, au contraire, gar-der cette part d’intimité » Ce respect n’est pas simple dans une attitudevolontariste.

Maryvonne Lyazid a suggéré de « respecter les personnes et les profes-sionnels parce qu’ils partagent les uns et les autres à la fois l’image et laréalité des choses ». Il ne faut pas oublier que, dans le secteur, les profes-sionnels sont main dans la main, dans le même camp. Ils ne sont pas faceà face avec les personnes qu’ils aident et qu’ils accompagnent.

Samuel Bollendorff l’a exprimé également : « Respecter les autres en pre-nant le temps de nouer la relation ». Il ne faut pas imaginer que c’est dansl’instantané que l’on peut entrer dans des questions aussi difficiles quecelles du handicap, de la maladie chronique et du vieillissement qui onttoutes les trois en commun le fait de durer jour après jour, de s’inscriredans le temps long.

Enfin, dans la dernière table ronde, Jacqueline Gaussens a proposé de « respecter les peurs de l’autre, de parler des parcours de vie aux enfants ».Elle a terminé par : « Je suis handicapé, je suis malade, je suis vieux. C’estma personnalité, c’est mon être et il faut l’accepter ».

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Les Diagonales du 19 mai 2009 se sont déroulées à l’université deParis-V-Descartes, 12, rue de l’Ecole de Médecine, 75006 Paris.

Les actes VIII des Diagonales de la Fondation Caisses d’Epargne pour la solidaritéTirage : 2 000 ex. • Edité par Graph Imprim • Adresse de la Fondation : 9, avenue René Coty– 75014 Paris • Publication : directeur de la publication : Didier-Roland Tabuteau, directeurgénéral de la Fondation • Coordination : Marguerite Azcona, directrice de la mission communication • Ensemble des interventions synthétisées avec l’accord des participants :Mary Sills • Secrétariat de rédaction, relecture et corrections : Myriam Kimmel,Benjamin Poulard, La Machine à mots • Mise en pages : Emmanuelle Valin • Créditsphotos : Valérie Couteron • Diffusion : [email protected]

www.fces.fr

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Fondation Caisses d’Epargne pour la solidaritéReconnue d’utilité publique par décret en Conseil d’Etat le 11 avril 2001

5, rue Masseran – 75007 Paris Reconnue d’utilité publique

www.fces.fr

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DIAGONALESVIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA :

JE T’AIME MOI NON PLUS ?

D I A G O N A L E S

VIEILLISSEMENT, HANDICAP, MALADIE ET MEDIA :JE T’AIME MOI NON PLUS ?

N° 8 – Mai 2009

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