Serge Cosseron

Des Allemagnes à l'Allemagne

1945-1993

HATIER

© HATIER Paris janvier 1993 Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle,

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ISBN 2-218-05804-9 ISSN 1159 2249

En 1990, en se réunifiant sous l'impulsion du chancelier Kohl, l'Allemagne continue à être, pour les Français, une ques- tion, voire un problème. Ce fut le cas, déjà, lorsque l'unité alle- mande fut scellée, pour la première fois, en 1871, sur les ruines du Second Empire français et, plus récemment, aux lendemains des deux guerres mondiales.

Le référendum de septembre 1992 consacré à l'unification européenne et portant sur la signature du traité d'union poli- tique et économique de Maastricht a fait resurgir la « question allemande » avec son cortège de craintes et d'inquiétudes. Ainsi, aujourd'hui, alors que la réunification a redonné aux Allemands la quasi-souveraineté sur leur destin, on ne manque pas de se retourner sur leur passé le plus proche. Pour deux raisons. D'abord à cause de la situation géogra- phique de l'Allemagne au centre de l'Europe. Ensuite et sur- tout, pour la puissance économique qu'elle représente en Europe et dans le monde : troisième puissance économique au monde, elle est, en effet, de loin, la première puissance d'Europe.

Devenu juridiquement et politiquement un État comme les autres depuis la signature des accords de Paris en 1991, l'Alle- magne se voit perpétuellement rappeler son passé par ceux que sa puissance économique inquiète. Pour comprendre ce cas, il faut l'appréhender dans sa dimension historique, qui est à la fois internationale et nationale.

Depuis 1945 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, la question allemande a servi de révélateur de l'évolution des tensions entre les quatre vainqueurs. Plus celles-ci étaient graves, plus la situation était conflictuelle à Berlin. Elle a été tout d'abord le symbole de l'affrontement Est-Ouest. De 1945

à 1961-1962, les relations interallemandes et les relations inter- nationales, c'est-à-dire essentiellement les rapports entre les deux Grands, États-Unis et Union soviétique, ont connu les mêmes évolutions, les mêmes moments de tension. Cela tenait au fait que l'Allemagne était un des lieux possibles d'affrontement entre les Soviétiques et les Occidentaux comme ce fut le cas, en 1948, lors du blocus de Berlin par les Soviétiques.

À partir de 1962, si la question allemande reste lancinante et tient toujours une place importante dans le contentieux entre l'Est et l'Ouest, l'affrontement prend une dimension beaucoup plus tragique dans d'autres régions du monde : aux Antilles (crise de Cuba) et en Extrême-Orient (guerres du Vietnam puis de la péninsule indochinoise) sans parler du Proche-Orient.

Ainsi, en 1963, la mise en œuvre par le bourgmestre de Berlin, Willy Brandt, d'une politique de « changement par le rapprochement » (Wandel durch Annäherung) marque le début d'une prise en charge par les Allemands d'une politique interallemande non dictée par les grandes puissances. Cette démarche trouve son illustration dans la nouvelle Ostpolitik de Brandt, devenu, entre temps, ministre des Affaires étrangères puis chancelier de la RFA.

Elle atteint toutefois très vite ses limites à la fin des années 70, époque d'une nouvelle crispation des relations internatio- nales avec l'invasion de l'Afghanistan par l'Armée rouge, en décembre 1979.

La réunification allemande est le résultat le plus tangible de la nouvelle donne diplomatique inaugurée par le secrétaire général soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, et rendue inéluc- table avec la crise généralisée du monde communiste à partir de 1989.

Les relations internationales ont donc joué un rôle détermi- nant dans la mise en scène initiale du problème allemand après 1945 et aussi dans son dénouement. Entre ces deux périodes (1945-1961 et 1989-1990), les relations interalle-

mandes ont évolué en fonction de l'opposition Est-Ouest. Les deux États allemands avaient cependant réussi à fixer entre eux les règles d'un modus vivendi imparfait mais réel.

Cependant la question allemande n'est pas seulement une donnée internationale. Elle est devenue une question inté- rieure qui s'inscrit, aujourd'hui, dans l'histoire sociale des deux Allemagnes : car, si la réunification politique a été réus- sie, des différences sensibles subsistent dans les réalités sociales et culturelles entre l'ex-RFA et l'ex-RDA La division était devenue une blessure indolore au fil des années, car l'espoir de réunification semblait complètement illusoire. Para- doxalement, c'est au moment de cette réunification que la blessure s'est réveillée avec la brusque cohabitation de deux univers aussi différents que l'Ouest libéral et l'Est du socia- lisme autoritaire. C'est une blessure aux dimensions écono- miques, politiques, sociales et culturelles, que revêt l'expres- sion « le coût de la réunification » et elle se greffe sur l'ancienne blessure jamais cicatrisée de la défaite de 1945.

1945-1990 : le destin allemand s'inscrit dans une spirale où le passé rejoint le présent pour dicter les voies de l'avenir.

Être et s'unifier : toute la question allemande depuis ses origines. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Allemagne, ce fut deux États, deux histoires parallèles. Avec l'effondrement du communisme, elle se retrouve face à son passé éclaté, et à la recherche d'une histoire commune.

Serge Cosseron est historien, spécialiste de l'Allemagne au XXe siècle.

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