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172 - JOURNAL DES AFRIC,Q,~~ SIRAN, Jean-Louis 1987. <( Signification, sens, valeur. Proverbes et no&% propres en pays Vouté D, Poétique 72 : 403-429. - 1993. t( Rhetoric, Tradition and Communication : the Dialectics I> of Meaning in Proverb Use Africaine. Man 28 : 225-242. TEMPELS, R. P. Placide 1949. La philosophie bautoue, Paris, Présencc Edmond BERNUS* De L.-G. Binger à Jules Verne Si on ignore souvent le prénom de Binger, Louis-Gustave, dont le patronyme est plus souvent précédé de son grade de Capitaine, lors de célèbre mission du Niger au golfe de Guinée et plus tard de son titre & Gouverneur lors de son séjour en Côte d’Ivoire, Jules Verne possède un prénom indissolublement lié à son nom. Tout chercheur africaniste, intéressé à l’Afrique de l’Ouest, a lu, consulté, suivi Binger dont la route a souvent croisé la sienne. Le récit de son voyage est une admirable chronique, riche en descriptions de paysages, en portraits d’hommes - souverains, paysans, commerçants ou esclaves - en observations sur les marchés ou les routes commerciales. Du Niger au gave de Guinée par le pays de Kong et le Mossi constitue un chef d’œuvre majeur. Si on pousse plus loin son investigation, on s’aperçoit que Binger, avant son célèbre ouvrage publié en 1892, avait déjà publié des travaux fort sérieux sur la langue Bambara (1 886)’ une note sur le commerce entre le Niger et la Côte d’Or (1889-1890) et un ouvrage sur Esclavage, islamisme et christianisme en 1891. Après Du Niger au go& de Guinée, il publia encore Le péril de 1 ’Islam en 1906. Mais ce qui est moins connu, c’est que cet homme qui avait consacré sa vie à établir des rapports entre l’Afrique et la France, qui avait cherché à conquérir sans violence des pays en établissant des traités entre les royaumes africains et son pays, est l’auteur d’un roman, Le serment de l’explorateur, publié en 1903, qui se déroule en Afrique de l’Ouest, dans un cadre qu’il connaissait parfaitement. Jules Verne a parfois donné l’Afrique comme cadre à ses romans d’aventures et il est souvent allé chercher des renseignements aux meilleures sources, celles des récits des explorateurs. Un des derniers romans publiés sous son nom, L’étonnante aventure de la mission Barsac, paru en 1919, est I‘œuvre non pas de Jules, mais de Michel I Directeur de recherches à I’ORSTOM. Journaldes Africanistes67 (2) 1997 . 143-182 - .- 107 -- ___ - Fonds Documentaire ORSTOM a DOCUMENTS son fils, qui est l’aut r en forme d’un scém BE Le serment de l’explor~ de 1’Ecole polytechniq ère militaire ; son ami ’Ouest, n’a pas donné dl et à la sœur de son i ’il va partir à la 1 n’acceptera d’être sa (( Eh bien ! alors mêm me que vous auriez ac affirmer, je ne serais votrc ang !... n Roger, l’exploratc Roger s’embarque POI herche du commandant Sam à Kong, pour consc du sa trace dans la régi es se trouvaient dans aire du Nord vers le blie au Soudan qu’en 1 tures de Roger qui suit du Sénégal, à travers ’occasion, de soigner une f nnaissance de l’arabe, da fants de femmes esclavc abjurer sa religion u’il avait sauvé d’i evenu captif des arab On peut voir s’affic exemplaires d’un jeune connaissance du pays et dl affirmation de sa culture défendre et répondre aux violence par la violence. homme à deux doigts de ro d’un Anglais grossier, mép son ton est insultant pou] propos sont insupportable: animal, une bête de somn s’envenimant l’Anglais tri est inévitable ; mais Rag( 1” Journal des Africanistes 67 (2) 1997.

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172

- JOURNAL DES A F R I C , Q , ~ ~ ’

SIRAN, Jean-Louis 1987. <( Signification, sens, valeur. Proverbes et no&% ‘ propres en pays Vouté D, Poétique 72 : 403-429.

- 1993. t( Rhetoric, Tradition and Communication : the Dialectics I > of Meaning in Proverb Use

Africaine.

Man 28 : 225-242. TEMPELS, R. P. Placide 1949. La philosophie bautoue, Paris, Présencc

Edmond BERNUS*

De L.-G. Binger à Jules Verne Si on ignore souvent le prénom de Binger, Louis-Gustave, dont le

patronyme est plus souvent précédé de son grade de Capitaine, lors de célèbre mission du Niger au golfe de Guinée et plus tard de son titre & Gouverneur lors de son séjour en Côte d’Ivoire, Jules Verne possède un prénom indissolublement lié à son nom. Tout chercheur africaniste, intéressé à l’Afrique de l’Ouest, a lu, consulté, suivi Binger dont la route a souvent croisé la sienne. Le récit de son voyage est une admirable chronique, riche en descriptions de paysages, en portraits d’hommes - souverains, paysans, commerçants ou esclaves - en observations sur les marchés ou les routes commerciales. Du Niger au gave de Guinée par le pays de Kong et le Mossi constitue un chef d’œuvre majeur. Si on pousse plus loin son investigation, on s’aperçoit que Binger, avant son célèbre ouvrage publié en 1892, avait déjà publié des travaux fort sérieux sur la langue Bambara (1 886)’ une note sur le commerce entre le Niger et la Côte d’Or (1889-1890) et un ouvrage sur Esclavage, islamisme et christianisme en 1891. Après Du Niger au go& de Guinée, il publia encore Le péril de 1 ’Islam en 1906.

Mais ce qui est moins connu, c’est que cet homme qui avait consacré sa vie à établir des rapports entre l’Afrique et la France, qui avait cherché à conquérir sans violence des pays en établissant des traités entre les royaumes africains et son pays, est l’auteur d’un roman, Le serment de l’explorateur, publié en 1903, qui se déroule en Afrique de l’Ouest, dans un cadre qu’il connaissait parfaitement.

Jules Verne a parfois donné l’Afrique comme cadre à ses romans d’aventures et il est souvent allé chercher des renseignements aux meilleures sources, celles des récits des explorateurs. Un des derniers romans publiés sous son nom, L’étonnante aventure de la mission Barsac, paru en 1919, est I‘œuvre non pas de Jules, mais de Michel

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Directeur de recherches à I’ORSTOM.

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Verne, son fils, qui est l’auteur du roman et non pas l’adaptateur ou le metteur en forme d’un scénario existant.

BINGER ROMANCIER

Le serment de l’explorateur est l’histoire d’un jeune homme, Roger, sorti de 1’Ecole polytechnique, qui se destine aux sciences et non à la carrière militaire ; son ami d’enfance, Léon de Sartane, parti en Afrique de l’Ouest, n’a pas donné de nouvelles depuis six mois. Rendant visite à la mère et à la sœur de son ami, Germaine, dont il veut faire sa femme, il déclare qu’il va partir à la recherche du disparu. Sa fiancée lui dit alors qu’elle n’acceptera d’être sa femme que sous condition :

(< Eh bien ! alors même que vous nous ramèneriez mon frère, alors même que vous auriez accompli des exploits, jamais, je dois vous l’affirmer, je ne serais votre femme si ... - Si ... ? - Si vous aviez versé du sang !... )) Roger, l’explorateur, prend le départ apr6s avoir prononcé ce serment.

Roger s’embarque pour retrouver son ami, lui-même parti à la recherche du commandant Ménard, qui avait pris la route de Grand- Bassam à Kong, pour consolider l’influence française ; fin 1891, on avait perdu sa trace dans la région de Séguéla, l’époque où Samory et ses armées se trouvaient dans le nord de la Côte d’Ivoire. Roger suit un itinéraire du Nord vers le Sud, car la domination franqaise est mieux établie au Soudan qu’en Côte d’Ivoire. Nous ne décrirons pas les aventures de Roger qui suit des Maures du cap Blanc jusqu’à Bake1 sur les bordsdu Sénégal, à travers le désert. Au cours de son voyage, Roger eut l’occasion, de soigner une femme malade, de rendre la justice, grâce à sa connaissance de l’arabe, dans un conflits entre Maures ; il permit à des enfants de femmes esclaves de ne pas être séparés de leurs mères; il refusa d’abjurer sa religion et d’embrasser l’islam. Enfin il racheta un Ubou qu’il avait sauvé d’un naufrage sur la côte mauritanienne et qui était devenu captif des arabes.

On peut voir s’afficher, au cours de ces aventures, les vertus exemplaires d’un jeune explorateur venu de France : courage, connaissance du pays et de l’arabe, défense des faibles et des esclaves, affinnation de sa culture et de sa religion. Mais pour s’affirmer, se difendre et répondre aux attaques, il faut bien souvent répondre à la violence par la violence. De multiples événements mettent íe jeune homme deux doigts de rompre son serment. C’est d’abord la rencontre d’un Anglais grossier, méprisant, imbu de sa supériorité de Britannique : son ton est insultant pour l’homme mais aussi pour la France et ses ProPos sont insupportables : <<Le nègre n’est pas un homme, c’est un ?mal, une bête de somme faite pour porter le bât ... B. La discussion

envenimant l’Anglais traite Roger de <( daned Frenchman ! D un duel est inévitable ; mais Roger sauve l’Anglais en maîtrisant un cheval

’ J*l des Apicmisies 67 (2) I997 : I43-182

1 74 JOURNAL DES AFRICANI-

emballé et acquiert sa reconnaissance : le duel n’a pas lieu et l’honneur est sauf.

L’itinéraire de l’explorateur prend la route du Niger et de Bamako par les vallées du Bafing et du Bakoy; par Kayes et Kita, en suivant le tracé du chemin de fer en cours de réalisation : il utilise les plate-forme découvertes jusqu’à Bafoulabé, où se termine alors la ligne qui n’est pas encore ouverte à l’exploitation. II visite les chutes du Bafing et il voit déjà l’usage possible de cette source d’énergie : <( N’est-ce pas là de ia houille liquide que l’industrie saura transformer en électricité, centuplant ainsi l’activité et développant le bien-être ? )) s’exclame Roger.

De Bamako, plus exactement de Sotuba à Mopti, l’expédition utilise le Niger, faisant ainsi successivement appel à la piste, au rail et à la voie fluviale. Au cours de ce voyage, la fl otille croise une pirogue avec dem femmes et cinq enfants attachés avec des liens : ce sont des prisonnies des sofas de Samory, sujets de Tieba, rival et adversaire malheureux. (( Pauvres êtrs humains, grelottant de terreur, comme s’ils attendaient le coup suprême ! ... Heureusement, c’était un Français qui était là, qui les rassurait de ses gestes doux ... ))

De Mopti, la caravane se dirige vers Douentza ; en cours de route, la petite troupe est cernée par plusieurs centaines de Habés (Dogons) armés de flbches et d’arcs. Les deux africains de l’escorte, seuls armés de fusils, épaulent, prêts à tirer. Roger, calme et maître de la situation, s’approcha de l’homme le plus âgé qu’il salua et évita ainsi des morts inutiles qu’aurait pu entraîner une méprise lourde de conséquences : ces chasseurs, croisés par hasard, étaient armés pour tuer du gibier et non pour attaquer des voyageurs de rencontre.

Sur les conseils d’un devin et sur des informations données par le vieux chef des Habés, ils se dirigèrent vers Bobo-Dioulasso où ils sont reçus par une vielle femme qui a été informée par des Dioula de Kong que Sardane était vivant dans un village nommé Moudina dans le Wataradougou, éloigné seulement de 12 à 15 jours de marche. Dès lors ils se dirigent vers la Comoé et traversent des pays ruinés par Samory. (( Ce Samory et ses hordes passaient partout comme des cyclones, ne laissant sur leur route que mort et silence B. Ils traversent alors un pays, <( sorte de marche ou région frontière successivement dévastée par les Mboïn, les Tagoua et des Pallaga, razziés eux-mêmes à leur tour par les sofas de Samory )) (p. 207).

N’arrivant pas à se faire comprendre et méfiant sur les traductions des interprètes, Roger, ayant appris que la langue parlée dans le pays était le mandé, se mit à l’apprendre. ((Roger était à la fois un travailleur acharné et un méthodiste soigneux : il séria son étude, apprenant d’abord le nom des objets et les choses les plus usuelles, puis les qualificatifs, en

prochain. Et, détail très intéressant, il constata que les mots étaient le I opposant contraire à contraire, petit à grand, large à long, éloigné 5

plus souvent identiques, sauf adjonction d’une négation, bon et pas bon, I >

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etc. Les verbes ont deux temps - l’impératif qui commande, signe social curieux à noter - et le présent, d’où on tire le passé avec hier et le futur avec demain. ))

I1 se dirige alors vers Ferkessedougou et vers l’ouest et la zone forestière : c’est Man qu’il retrouve Sartane. C’est la traversée de la forêt vers la côte et, encore une fois, la violence évitée de justesse, en particulier un duel avec un canadien insultant : le serment est sauvé et, au retour, Sartane retrouvé peut dire : (< Je te jure, ma sœur, que I’explorateur a respecté son serment. ))

L’EXPLORATEUR IDBAL ou LA MORALE DE L’EXPLORATEUR

H Le Serment de l’Explorateur est un roman &rit sur les instances du Directeur du Journal des Voyages et publié dans ses colonnes au cours de cette année. I1 reflète les idées de bonté, de justice et d’humanité qui ont aidé et soutenu Binger dans sa carrière. Pendant qu’il lira ce récit passionnant, le lecteur se rappellera que celui qui l’a écrit a conquis à la France tout un empire colonial sans effusion de sang, par son Bnergie, sa diplomatie, ses hautes qualités, et il se souviendra aussi que nos coloniaux d’aujourd’hui ne croient pouvoir mieux qualifier leurs doctrines et leurs actes qu’en disant : “Nous sommes les élèves de Binger !” Un pays qui compte de tels serviteurs peut en ressentir une légitime fierté D. Ainsi se termine l’avant-propos de l’éditeur à ce roman peu connu.

Dans ce roman se dégagent les vertus cardinales souhaitées au jeune français ouvrant la route à son pays dans des contrées inconnues ou mal connues. On oublie et on efface la funeste mission Voulet-Chanoine en respectant un code rigide qui n’accepte aucune circonstance atténuante. On exalte ici les vertus de la conquête par la persuasion, par l’exemple e t jamais par la force brutale. C’est un peu l’image d’Épinal du parfait explorateur qui protège les femmes et les enfants, sauve les victimes de l’esclavage et sait gagner la reconnaissance et la fidelité de compagnons obligés.

Le roman permet de traverser l’Afrique de l’ouest du Nord au Sud e t Binger trace un itinéraire sorti de sa riche expérience. Cela lui permet de nous montrer des Maures, des Habés, de retrouver la trace du Dr Crozat chez une vieille femme de Bobo-Dioulasso, de décrire des commerçants dioula et des courtiers qui échangent des marchandises venues de la côte et de l’intérieur ; bref de faire revivre avec des personnages imaginaires ses propres souvenirs d’explorateur.

DE BINGER À JULES VERNE

Plusieurs romans de Jules Verne ont l’Afrique pour cadre. Cinq Semaines en ballon est un de ses premiers romans, paru en 1862, qui

. engage une longue collaboration avec I’éditeur Hetzel. Le voyage du

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176 JOURNAL DES A F N C A N I ~

docteur Fergusson décrit avec précision des pays déja par cour^^ par &F..

nombreux explorateurs. Son discours devant les membres de la societe i Royale de Géographie de Londres, le 14 janvier 1862, fut applaudi pour sa concision : il ne comportait qu’un mot, Excelsior )) ; d’où un tel enthousiasme qu’on (( réclama l’insertion ‘intégrale’ du discou Fergusson dans the Proceedings of the Royal Geographical Society of London D. Par contre, le docteur Fergusson fut plus prolixe au Travel]erk club, au cours d’un festin qui suivit la séance de la Société Royale Géographie : (( De nombreux toasts furent portés avec des vins de Frace aux célèbres voyageurs qui s’étaient illustrés sur la terres d’Afrique. on but à leur santé ou à leur mémoire, et par ordre alphabétique on énuméra 129 noms, de A jusqu’à Z. Dans un article publié le lendemain, le Daily Telegraph pouvait écrire : <(Le docteur Barth, en suivant jusqu’au Soudan la route tracée par Denham et Clapperton ; le docteur Livingstone en multipliant ses intrépides investigations depuis le cap de Bonne-Éspérance jusqu’au bassin du Zambezi ; les capitaines Burton et Speke, par la découverte des Grands Lacs intérieurs, ont ouvert trois chemins à la civilisation moderne (...). Or les travaux de ces hardis pionniers de la science vont être renoués par l’audacieuse tentative du docteur Samuel Fergusson ... )) Si on prend pour référence ce qui concerne les Touaregs de l’Air, on s’aperçoit que Jules Veme a lu H. Barth, mais qu’il n’évite pas quelques inexactitudes en citant les Kailouas (Kel Ewe) qu’il compare (( à leurs dangereux voisins les Touareg D.

On mesure à quel point Jules Verne s’était informé aux meilleures sources dès son premier roman d’aventures se déroulant en Afrique. II récidive de nombreuses années plus tard (1905)’ avec un roman moins connu, L ’invasion de la mer, le dernier à être publié de son vivant. En somme ces deux romans se situent au début et à la fin de sa prolifique carrière d’écrivain. L’irzvasion de la mer relate un projet grandiose de creusement d’un canal pour mettre en eau les dépressions des chotts et des sebkhas du sud tunisien et algérien ; c’était la création d’une mer saharienne qui serait alimentée par le golfe de Gabès. Pour les (( indigènes D de ces contrée, nomades ou sédentaires, ces travaux apportaient pour eux (( la fin de leur sécurité, de leur fortune hasardeuse et de leur indépendance. L’invasion de la mer dans leurs solitudes, c’en était fait d’une domination archi séculaire. Aussi une agitation sourde se manifestait-elle, parmi les tribus, sous l’empire de l’appréhension d’une atteinte à leurs privilèges ... >>. Ces nomades, que Jules Verne décrit avec précision, étaient des Touaregs : leur présentation montre qu’il s’est renseigné auprès des bons auteurs, sans doute auprès d’Henri Duveyrier en lisant son ouvrage Les Touareg du Nord (1 864) : il signale ainsi que les Touaregs ne mangent pas de poissons, que les femmes sont plus instruites que les hommes dans la connaissance des caractères tifinagh, mais il les décrit comme de (( redoutables pirates )) sans vanter leurs valeurs morales comme le fait Duveyrier, chantre des Touaregs courageux, respectant

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UN ROMA

Mort en 1905, (< Juli blies dans la collectic

paraissant à intervalles r décès de l’auteur. Des liv de Hetzel, des livres e1 laissées par le maître, 01

Michel Verne >) (Lothm2 Le phare du bout

L’agence Thompson ai météore, Le Pilote du (1909) et Le secret de A remaniés ou augmentés. paru en 1919, toujours comme le dernier Voyugt de Michel Verne, qui utili père, Voyage d’études. histoire qui, dans sa pren une Afrique connue grâc récit, ensuite, par la desc désert, nous introduit da déceler, nous le verrons,

La correspondance le premier demande au dépasse pas l’année 1 l’impression que son peri mort en 1905, aucune d (Lottman, 1996 : 376).

La mission Barsac l’Afrique qu’elle visite voter. Une jeune anglais

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JOURNAL DES AFRICANtSTES

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pour référence ce qui concerne ules Verne a lu H. Barth, mais citant les Kailouas (Kel Ewe)

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ins vanter leurs valeurs mor ‘ouwegs courageux, respect

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leur parole et ne connaissant ni le mensonge, ni le vol domestique. Le roman de Jules Verne a été Ccrit après le drame de la mission Flatters qui, en 1881, chargée d’ouvrir la route vers le Niger et d’étudier les possibilités d’établir une voie ferrée, est attaquée et massacrée par les Touaregs de l’Ahaggar. Jules Verne, au courant de ces événements dramatiques, tempèrent les enthousiasmes de H. Duveyrier sur les vertus des Touaregs. En revanche, leur présence dans le chott Melrir et dans l’oasis de Zenfig est une invention commode pour l’histoire. Jules Verne les fait vivre dans une région qui est bien au nord de leur territoire réel.

Dans ces deux romans, Jules Verne, s’il écorne un peu la réalité pour les besoins de la cause, a consulté les bons auteurs : H. Barth pour l’Air, et H. Duveyrier pour le Maghreb.

UN ROMAN APOCRYPHE DE JULES VERNE

Mort en 1905, (( Jules Verne allait survivre, avec de nouveaux récits publiés dans la collection si aisément reconnaissable et appréciée, e t paraissant à intervalles réguliers pendant les dix années qui suivirent le décès de l’auteur. Des livres corrigés par son fils Michel sous la direction de Hetzel, des livres en grande partie réécrits, ou d’après des notes laissées par le maître, ou même largement - entièrement ? - écrits par Michel Verne )) (Lothman, 1996 : 372).

Le phare du bout du monde (1905), Le volcan d’or (1906), L’agence Thompson and Co (1907), L’île à hélice, La chasse a u météore, Le Pilote du Danube (1908), Les Naupagés du Jonhatan (1909) et Le secret de Michel Storitz (19 1 O ) font partie de ces romans remaniés ou augmentés. L ’Étonnanté Aventure de la mission Barsac, paru en 1919, toujours sous la signature de Jules Verne, est présenté comme le dernier Voyage extraordinaire. Ce livre est cependant l’œuvre de Michel Verne, qui utilisa la première partie d’un roman laissé par son père, Voyage d’études. Mais c’est Michel Verne qui a imaginé cette histoire qui, dans sa première partie se déroule de Conakry à Sikasso, dans une Afrique connue grâce à de nombreux voyageurs du XIX“ siècle. Le récit, ensuite, par la description d’une cité imaginaire construite en plein désert, nous introduit dans un (( monde perdu D, où cependant on peut déceler, nous le verrons, des réminiscences historiques.

La correspondance entre Michel Verne et I’éditeur Hetzel révèle que le premier demande au second une documentation sur l’Afrique qui ne dépasse pas l’année 1905. (( Autrement dit, il souhaitait donner pimpression que son père avait écrit le livre et, puisque Jules Verne était mort en 1905, aucune donnée ne devait être postérieure à cette date B

ion Barsac se rend en Afrique occidentale pour vérifier si elle visite possède une maturité politique suffisante pour

e se joint à la mission pour prouver que son frère

desA)icanncstes 67 (2) 1997 : 143-182

I :

l !

178 JOURNAL DES A F M C A M ~

n’a pas trahi son pays comme on l’en accuse après sa mort en La mission Barsac est victime de mystérieux actes de sabotage : tentative d’empoisonnement des chevaux, prédiction de malheur, conduite douteuse de certains guides, abandon d’une fausse escorte milibire. Lorsque la mission s’engage vers le nord, elle est faite prisonnière p a inquiétant despote qui a créé une ville moderne en plein désert, Blackland, construite par un savant génial et fou. Cette ville, bénéficie de techniques modernes avec I’utilisation de l’énergie électrique, d’appareils volants appelés (( planeurs D, d’une agriculture irriguée performante et de torpilles télécommandées, fonctionne grâce g l’esclavage. Blackland est situé (t au point situé par un degré quarante minutes de longitude Est et par quinze degrés cinquante de latitude Nord D. ((Au delà (de Gao) dit encore Jules Verne (1919: 262-263), commence le grand-Désert, qui se continue, dans le Nord, jusqu’au Maroc, l’Algérie et la Tripolitaine, dans l’est, jusqu’à 1’Egypte et la Nubie, dans le Sud, jusqu’aux possessions européennes de 1’Afiique centrale, dans l’Ouest, jusqu’à l’Océan. Les oasis les plus voisines de Gao- Gao, l’Adrar, au Nord, l’Air, à l’Est, en sont encore séparées, la première par par quatre cents, la seconde par neuf cents kilomètres de sable. Sur les cartes de géographie les plus exactes et les plus récentes, cette immense étendue de trois cent soixante mille kilomètres carrés n’est représenté que par un espace entièrement vierge 1). Autre précision sur cette ville : ((Bâtie en terrain parfaitement plat, sur la rive droite de l’oued Tafasasset, rivière éternellement à sec... D (ibid. : 266).

Blackland (6808 habitants) était composé de plusieurs quartiers. L’un d’eux était habité par l’aristocratie et ses habitants, dont le nombre était fixe, vivaient aux ordre du dictateur ; un autre abritait également des blancs qui n’avaient pu entrer dans le quartier précédent et étaient dans l’attente de cette promotion ; entre ces deux quartiers se trouvait le quartier des esclaves, recrutés par la force, qui chaque matin, sous contrôle, allaient se livrer aux travaux agricoles. Au total, 1030 blancs pour 5778 nègres.

La destruction de la ville met un point final à cette histoire imaginaire qui, cependant, s’appuie sur certaines réminiscences historiques que nous avons tenté de déceler.

BLACKLAND : REFLET DU MYTHE DE LA MISSION VOULET-CHANOINE ?

Si cette ville est bien située dans l’espace, elle n’est pas du tout fixée dans le temps : la mission Barsac, en effet, débarque du paquebot Touat le 27 novembre à Conakry, et l’histoire s’achève le 10 juin par le départ de la mission de Blackland détruite, mais on ignore de quelle année il s’agit. En revanche, cette cité intemporelle se trouve, d’après les précisions données, dans Ia région de Ménaka, dans l’Ouest de l’actuel Mali, région

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cuse après sa mort en Afrique. ux actes de sabotage : tentative iction de malheur, conduite l’une fausse escorte militaire. elle est faite prisonnière par un \le moderne en plein désert, ;énial et fou. Cette ville, qui lec l’utilisation de l’énergie (< planeurs D, d’une agriculture Immandées, fonctionne grâce à nt situé par un degré quarante :grés cinquante de latitude Nord des Veme (1919 : 262-263)’ itinue, dans le Nord, jusqu’au IS l’est, jusqu’à 1’Egypte et la ons européennes de l’Afrique :s oasis les plus voisines de Gao- .ont encore séparées, l :en& kilomètres de sabl les plus récentes, cette omètres carrés n’est Autre précision sur c sur la rive droite D (ibid. : 266). composé de plusieurs q et ses habitants, dont le .; un autre abritait égalem uartier précédent et étaient dans :s deux quartiers se trouvait le force, qui chaque matin, Sous

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179 NOTES ET DOCUMENTS

moins désertique que ne l’affirme l’auteur et peuplée de très nombreux nomades touaregs.

Dans ce roman se mêlent deux histoires, celle d’une mission parlementaire et celle de deux Anglais qui s’y joignent en ne révélant pas leurs buts : retrouver la trace d’une mission anglaise dont le chef est mort après qu’il ait été accusé d’avoir commis de graves exactions sur les populations des régions traversées. La mission Barsac est ainsi accompagnée, sans le savoir, par la mission Buxton qui compte profiter dans la première partie de l’itinéraire de l’aide et de la protection d’un convoi officiel : elle est menée avec énergie par Jane Buxton, qui veut savoir la vérité sur la mort de son frère et découvrir s’il n’a pas été victime de calomnies qui entachent l’honneur de la famille et pèsent sur les dernières années de son vieux père. Sans entrer dans les détails du roman, la double mission est enlevée par le tyran et conduite dans la cité interdite. Ils découvrent alors que le despote n’est autre qu’un des membres de cette mission du capitaine Buxton ; il est, en fait, le fils d’une veuve que le père de Jane a épousé en seconde noce : son nom de William Ferney s’est transformé à Blackland en Harry Killer : c’est lui qui a trahi et a tué le capitaine Buxton, avant de se réfugier dans le désert pour construire cette cité avec l’aide du savant fou et naïf qui l’accompagnait. L’honneur est sauvé pour le capitaine, mais également pour un autre Buxton compromis dans le hold-hup d’une banque dont il était le directeur.

Si ce roman tire de Binger une grande partie de sa documentation dans son parcours jusqu’au nord de Sikasso, l’histoire elle-même semble prendre sa source dans le drame de la mission Voulet-Chanoine qui avait eu un grand retentissement en France à la fin du siècle. On se rappelle que cette trop lourde mission qui devait se ravitailler sur le pays, commit de nombreuses atrocités dans les villages conquis, au point qu’on envoya le colonel Klobb pour enquêter et, au besoin, remplacer le capitaine Voulet, chef de mission: celui-ci, refusant de céder le commandement, tue le colonel le 14 juillet 1899 et, devant ses compagnons d’armes, s’écrie : (( D’ailleurs j e ne regrette rien de ce que j’ai fait. maintenant, je suis hors la loi, je renie ma famille, mon pays, j e ne suis plus Français, je suis un chef noir. L’Afrique est grande; j’ai un canon, des munitions, 600 hommes qui me sont dévoués corps et âmes. Nous allons nous créer un empire en Afrique, empire fort, imprenable que j’entourerai d’une grande brousse sans eau ; pour me prendre il faudra 10.000 hommes et 20 millions. Jamais on n’osera venir m’attaquer )) (Joalland, 1930 : 84). - La version officielle donnée par le général Joalland dans son livre Le

e de Dankori fait état de la mort de Voulet, tué par une sentinelle, Chanoine, qui l’avait suivi, par des tirailleurs. Une légende a surgi

Ur de Voulet et on a souvent prétendu qu’il s’était installé quelque dans cette Afrique où il avait proclamé qu’il allait se tailler un

1 so JOURNAL DES AFRICAN^^ royaume : on a parfois cru le reconnaître ici et là SOUS des habib africains.

C’est d’abord la veuve du colonel Klobb, insatisfaite de la version Joalland - n’aurait4 pas surtout chercher à se blanchir ? - publia en 1931 la dernier carnet de route de son mari, avec des souvenirs de Meynier. (( La préface confirme que l’ancien chef de poste de Dosso, le lieutenant Cornu, grand défenseur de Voulet, n’a jamais admis la mort du capitaine. Des voyageurs lui avaient effectivement assurés qu’un Blanc était devenu chef de tribu dans une brousse ignorée. Rentré en France, Cornu prétendait même que des résidents connaissaient l’existence de ce chef blanc et avaient apprécié ses services dans le recrutement des indigènes au cours de la guerre 1914-1918 )) (Rolland, 1976 : 266). Dernière hypothèse : Voulet ne serait-il pas le célèbre marabout Cheikh Kounta Baye, mort en 1929 dans l’Adrar des Ifoghas ? Le fait que ce saint personnage ait toujours fui le contact des Européens et qu’il n’ait jamais laissé voir son visage et ses mains apporte quelques présomptions, mais non des preuves à une thèse peu crédible. C’est le mythe de Voulet qui devient alors la réalité et enflamme bien des imaginations.

Le parallèle entre les deux histoires apparaît donc. George Buxton, le fils et le frère disparu, (( sillonnait pour le compte d’une compagnie, à la tête de troupes plus ou moins régulières qu’elle avait réuni, le territoire des Achantis, lorsqu’on apprit tout à coup que, se muant en chef de bande, il s’était mis en révolte ouverte contre son pays. À l’époque, la nouvelle parvint avec la brutalité d’un coup de foudre. On connut en même temps la rébellion et son implacable châtiment. On connut à la fois la trahison du capitaine Buxton et de ses hommes transformés en .

aventuriers, leurs pillages, leurs exactions, les actes de cruauté dont ils s’étaient rendus coupables, et la répression suivant de près le crime )) (Verne, 1919 : 49-50). Plus tard, arrivés dans Blackland on apprend que le tyran de la ville avait pris le commandement aux dépens du capitaine Buxton, et c’est alors seulement que ({ la colonne devint une troupe de bandits. Des villages furent incendiés par elle, des hommes massacrés en grand nombre, des femmes éventrées, des enfants coupés en morceaux D (ibid. : 360).

I1 reste que cette histoire étonnante a laissé des traces dans la mémoire collective et que Voulet s’est transformé en héros, en martyr ou en convict qui s’est infligé lui-même cette mise à I’écart du monde. On peut imaginer alors que Michel Verne a trouvé dans cette étonnante aventure du capitaine Voulet, qui brise volontairement toutes ses attaches, pour entrer dans une légende, l’idée de son Harry Killer: ce créateur de Blackland s’est aussi banni lui-même après avoir commis des exactions qui l’ont fait rejeter de sa communauté pour pouvoir, en toute impunité, poursuivre son oppression sur des populations sans défense.

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181 NOTES ET DOCUMENTS

CONCLUSION

Binger et Jules Verne ont écrit des romans qui se déroulent en Afrique. Pour Binger, il s’agit de montrer un excellent jeune homme, fleuron de la société française qui se conduit en Afrique en respectant scrupuleusement les principes que lui ont inculqué sa famille et sa religion. C’est un roman à l’eau de rose où les violences se défont par miracle devant le calme, la bonté et la force de caractère.

Binger prend le parti d’une mission légère pour son voyage << Du Niger au golfe de Guinée B de 1887 à 1889. Si l’on veut une escorte de protection dit-il, <( il n’y a pas de milieu : 20, 30, 50, 100 hommes d’escorte ne sont pas suffisants: si les indigènes ne veulent pas vous laisser passer, cette force sera impuissante pour lutter )) (Binger, I892 : 354). ((Mieux vaut marcher seul avec le personnel nécessaire au transport de marchandises d’échange et n’emporter que deux ou trois fusils, juste pour faire voir aux indigènes que tout en marchant pacifiquement il faut pouvoir résister à quelques voleurs à l’occasion. C’est le système pour lequel j’ai opté )) (ibid. : 355). II faut prévoir un poids d’une tonne à transporter, en se nourrissant dans le pays, ce qui exige de connaître une ou deux langues indigènes. Autrement dit, selon le pays traversé il faut prévoir 5 chameaux (5 conducteurs et 2 domestiques), ou 10 bœufs (10 conducteurs et 2 domestiques), ou 20 ânes (10 cpnducteurs et 2 domestiques), ou enfin 40 porteurs (40 hommes et 2 domestiques). De plus, Binger est seul avec ses guides et ses porteurs e t c’est lui qui communique avec les populations et les autorités visitées : il n’a pas d’intermédiaires.

Chez Jules Verne, puis chez Michel son fils, l’histoire coloniale permet de pénétrer un monde où la violence accompagne des missions conduites par les mêmes occidentaux nourris des mêmes principes. La mission aux petits effectifs de Binger est remplacée par des armées pléthoriques qui ne pourront survivre qu’en dévastant les pays traversés, en s’appropriant les puits et en réquisitionnant les vivres. Au départ de Say (en janvier 1899, la mission Voulet-Chanoine comporte 1700 personnes (tirailleurs, domestiques, porteurs, femmes, divers) et 8 O0 animaux. Or dit Joalland (1930 : 36-37), <( ce chiffre au lieu de diminuer, ne fera 9ue s’accroître considérablement par I ’annexion de nombreux chevaux et aussi, dois-je le dire, d’une quantité innombrable de femmes et de prisonniers. Au lieu de 200 femmes, nous arrivons rapidement au chiffie de 800 H ! La violence et la catastrophe finale sont inscrits dans ces chiffres et dans la saison chaude (février à juillet) qui rend insupportable la marche de cette immense cohorte et décuple les besoins en eau. Voulet et Chanoine, contrairement à Binger, ne peuvent communiquer avec les populations et les chefs qu’à travers l’écran et Parfois sous la pression des autres officiers, des sous-officiers ou même

I des tirailleurs indigènes.

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C’est évidemment la mission lourde et ses drames qui excitent l’imagination. Voulet nous donne la fascination d’un (( monde perdu )), thème de nombreux romans. <( Quelque part sur le globe, en un lieu retiré, isolé du monde moderne et du reste de l’humanité dans une enclave préservée de l’histoire, au bout,d’un étroit défilé que barrent de hautes parois rocheuses, un groupe d’hommes et de femmes vit sa vie propre, dans l’ignorance la plus totale de ce qu’il est advenu ailleurs: cette communauté est un rameau détaché des civilisations occidentales disparues ou un isolat échappé à l’anéantissement et situé un stade antérieur de I’évolution (....). Telles sont, dans leurs grandes lignes, les composantes du monde perdu )) (Boyer, 1991 : 3). La cité de Blackland ne correspond pas à cette analyse qui évoque le plus souvent un éden oublié, resté à l’écart d’un monde corrompu et pollué : il s’agit ici d’une Tour de Babel artificielle, construite par la volonté d’un seul ; ce n’est pas un paradis perdu, mais un enfer annonçant peut-être tous les camps d’extermination et les goulags du XX” siècle. Si ce roman n’a pas la verve de ceux de Jules Verne, s’il ne nous fait pas rêver, il nous interroge.

Bibliographie

BINGER, Cne, 1892. Du Niger au Goye de Guinée par le pays de Kong et le Mossi (1887-1889,HachetteY. Paris, 416 p (2ème édition, 1980, Paris, Société des africanistes)..

BINGER, L.-G., 1903. Le Serment de I ’Explorateur, Librairie illustrée, J. Tallandier, éditeur,.Ppis, 294 p.

BOYER, A..-M., 199 1. << Introduction, Mondes perdus, cités oubliées et retrouvées D, in Mondes Perdus, Travaux de recherches sur les Modernités, Université de Nantes, textes réunis par A.-M. Boyer, Presses Universitaires de Bordeaux, 172 p.

JOALLAND, Général, 1930. Le drame de Dankori, Nelles Éditions Argo y

Paris, 1 carte h.t., 253 p. KLOBB, Madame, 193 1. Un drame colonial : À la recherche de Voulet

(Mission Klobb-Meynier , Nelles Éditions Argo , Paris, 237 p. LOTTMAN, Herbert R., 1996. Jules Verne, Flammarion, Paris, 430 p ROLLAND, J.-F., 1976. Le grand capitaine. Un aventurier inconnu de

1 ’époque coloniale,Grasset, Paris, 270 p. VERNE, Jules, 1863. Cinq semaines en ballon. - 1901. L ’invasion de la mer. - 1919. L’étonnante aventure de la mission Barsac.

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* &

COMPTES-RENDUS

Lamara BOUGCI origines à nos jou de Lionel Galand,

Les langues berbl s’étendant des îles Cani rives du fleuve Sénégal parlers touaregs du Ni parlées par plusieurs I dominantes de la régio siècle sont nombreux, I La dernière bibliogral (Langue et littérature 1 et le besoin d’une 1

bibliographies parues suffire à satisfaire. C’t avec reconnaissance intellectuels berbères ( leur culture. Et ce d’ai proches de nous et a disposition du public L’auteur a utilisé les lesquelles il est sans d d’ouvrage. Le résulta1 présentation extrêmer système d’indexation 1

par ce qui est, bea présentation de l’histc

Chants touareg. Introduction de I

Les Poésies successivement en 1’ depuis longtemps et sacrifices financiers, rigueur, le Père de traductions, l’une liti

Journal des Africanistes L

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tis Mallart Guimera, Paulme

Africanistes : et du Centre rue.

Journal des Africanistes TOME 67 - FASCICULE 2

TOME 67 - FASCICULE 2 Sommaire

ETUDES ET RECHERCHES

Mahir SAUL Islam et appropriation mimétique c o m e ressource historique de la religlonbobo . . . . , . . 7 Pascal BACUEZ Honneur et pudeur dans la société swahili de Zanzibar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25 Paul PANDOLFI L'installation du Père de Foucauld dans l'Ahaggar ............................................ 49 Patrick PARIS &'i ngmnyka ou les taureaux de l'Alliance . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . _. . . .7 1 Olivier KYBURZ La fabrication de la foulanité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . _. . . . , . . . . . . . . . . . .. . . . .. 10 1

MELANGES

Des arts d'Afrique Michde COQUET : Penser en (( objet )) ou les voies de l'esthétique . . .. . . . . . . . Anthropologie visuelle Corine WABLE : Chroniques cinématographiques . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . .. . . 13 5 Notes et documents Dominique CASAJUS : Le manuscrit trouvé à Tamanrasset ........................... 143 Alain ROUAUD : Les belles images ............................................................... 159 Jean-Louis SIRAN : La parole est une fête .... ............................................. 166 Edmond BERNUS : De L.-G. Binger à Jules Verne .......................................... 172 comptes rendus .................................................................................... 183 &formations ........................................................................................ 193 Préparation du numéro 68 (2), appel à contributions ......................................... 193 C E A : Rencontres sur l'Afrique Noire ............................................................ 194 Mcga-Tchad : L'homme et l'animal dans le bassin du Tchad.. ._. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . 2 10

Exceptionnellement, ce numéro ne publie que des varia. Cela ne signifie pas pour autant que nous ayons renoncé à publier des dossiers thématiques. Simplement, nous avons jugé bon de consacrer un numéro aux nombreux articles hors-thème, quelques-uns de très bon niveau, qui s'accumulaient dans notre liste d'attente. Nous renouerons dès Ics prochains numéros avec les dossiers thématiques, puisque le numéro 68-1 comprendra un dossier intitulé (( Parcours de conversion )) et IC numéro 68-2 un dossier intitulé (( L'objet ethnographique )) (voir à ce sujet la lettre de Michble Coquet, responsable de ce dossier, h la fin du présent volume, dans la rubrique (( informations D). La qucstion nous étant souvcnt posde, il nous paraît utile de rappeler que, quoi qu'il cn soit, le Joitrnnl des Afiicmistes continucra à publier aussi des articlcs hors-thimc.

La rédaction

',rai byzantin, originaire de réprima la sédition Nika" a Justinien" lui ayant confié le contre les Vandales. il battit quit l'Afrique du Kord (533 li.des Ostrogoths, en 540. Les e Mineure et en Italie provo- Procope", qui fut son sec1-6- leu flatteur dans son Histoire

idonésie, située entre les î1c.s 1'. Env. 180 O00 hab. Port dc

Iduras-Srifanniqoe 6 Pays d'X11ii.- lab. (Bdliziens). LANGUES : i l I l -

garifuna. POPULATION : I l l f i t is. e espagnole. RELIGION : CatIlO- Alize. CAPITALE : Belmopan. RE- : pays est divisé en 6 disti-ids. ~os i t ion géographique. lu He. Jue vers l'Amérique centixli~. i l Community), zone de libre! inglophones et le Guyana. La ;es du S.) et la canne ii SUC:IY ,Irent l'essentiel de l'activi t 6 irincipalement avec les l i t als- juil. et nov., la côte est f'rtip- ussi Belize City, detruite ~ ' n tatut d e capitale au pi-of'it cic "erres. La première rest e ce- u pays, la seconde n'étant RE. Plusieurs sites archéolo- m t que les Mayas occupaient . Les Espagnols l'ayant négli- y établirent, dès le n Y s., des ute l'époque coloniale ils ré- nols pour les en chasser. En 5 limita l'activité des pirates 1862, SOUS le nom de Hondu- rentières reconnues par le ]me a partir de 1963. le Hon- d ize en 1973 et accéda a l'in- 'ommonwealth, en 1981. Le

Bel I ange. Po rlrai t equestre 1 d'Henri I I de Montmorency.

Musée Conde, Chantilly. Pliof cy Gireiidori

BELLANO (Bartolomeo) 0 Sculpt.eur il.a.Iien (Pacioi~c v . 14:M id v 149;) Élève d e I3onntcllo, i l xc(:nt.ua Iii manibre dct son 11iaiti.c e obtint un style expressif' et rapide dtms ses piiniieiius d e re- l j ,fs e n bronze ( d k o i - u t ion poui- la basiliclue Saint-Antoine ou Santo. Padoue).

BELLARMIN - R.ohert Bellarmin (saint) BELLAVITIS (comte Giusto) 6 Mathkmaticien italien (Bassano

1803 e T?zzt?, prov. de Vicence 18001. Au teu r de nonibreus travaux en giométrie algébrique. il formula notamment la théorie des (( équipollences '), qui est a l'origine du calcul vectoriel.