date : juin 16 page de l'article : p.86-91 journaliste

6
Date : JUIN 16 Périodicité : Mensuel OJD : 41154 Page de l'article : p.86-91 Journaliste : Manuel Jover Page 1/6 HOTELCAUMONT 2678597400503 Tous droits réservés à l'éditeur Ci-dessus Johann Wolfgang von Goethe, Théorie des couleurs. 1808-1810 aquatinte, 29,2x22,5 cm WEIMAR GOETHE NAIONALMLSEIM

Upload: others

Post on 20-Jun-2022

3 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Date : JUIN 16 Page de l'article : p.86-91 Journaliste

Date : JUIN 16

Périodicité : MensuelOJD : 41154

Page de l'article : p.86-91Journaliste : Manuel Jover

Page 1/6

HOTELCAUMONT 2678597400503Tous droits réservés à l'éditeur

Ci-dessus Johann Wolfgang von Goethe, Théorie des couleurs. 1808-1810 aquatinte, 29,2x22,5 cm WEIMAR GOETHE NAIONALMLSEIM

Page 2: Date : JUIN 16 Page de l'article : p.86-91 Journaliste

Date : JUIN 16

Périodicité : MensuelOJD : 41154

Page de l'article : p.86-91Journaliste : Manuel Jover

Page 2/6

HOTELCAUMONT 2678597400503Tous droits réservés à l'éditeur

civilisation

Le vertige de la couleurselon TurnerAuteur dè fabuleux paysages,William Turner ( 1775-1851 )fut à la fois un peintre réalisteet le créateur de visionsinouïes, véritables gouffresde lumière. Une expositionà Aix-en-Provence se penchesur le rôle de la couleurchez ce peintre visionnaire.

Texte MANUEL JOVER

Tout au long du xxe siècle, WilliamTurner fut perçu comme un peintreradicalement moderne, un précurseur

de la peinture abstraite. Cette vision était fon-dée, il est vrai, sur un certain malentendu :les toiles considérées comme quasiment abs-traites, retrouvées dans l'atelier après la mortdu peintre, sont en réalité inachevées, sansqu'il boit possible de décider à quel degré cetinachèvement reflète la volonté de lartiste.

Ces dernières décennies, une approchecritique plus historiciste avait fait valoird'autres aspects essentiels de cet art : qu'ils'agisse de son réalisme, ancré dans la for-mation topographique de ses débuts, danssa pratique du voyage et de l'observationdirecte, et ressource à la tradition hollan-daise; de son étude constante des maîtresanciens, de Claude Lorrain et NicolasPoussin à Rembrandt et Watteau ; de l'im-portance des sujets, l'inspiration littéraireel la dimension symbolique de ses créa-tions ; ou encore de son rôle de premierplan dans l'affirmation de l'esthétique dusublime appliquée au paysage et conjuguéeà une approche naturaliste. En fait, on n'enfinit pas de mesurer l'incroyable richesse decet œuvre, véritable « millefeuille » qu'onne doit effectivement pas réduire à l'imagetrop simple, et fausse, d'un Turner «pré-abs-trait », mais dont on ne doit pas non plusgommer les avancées extrêmes.

Ci-dessus, en haut: Joseph Mallord William Turner, Calais, Santis at Low Water, Poissards,1830, huile sur toile, 73 x 107 cm MANCHES i ER sim ART MUSEUM)En bas: Saint-Denis, 1833, aquarelle, gouache et plume sur papier bleu, 14x 19,2cm(LONDRES TAIE)

Page 3: Date : JUIN 16 Page de l'article : p.86-91 Journaliste

Date : JUIN 16

Périodicité : MensuelOJD : 41154

Page de l'article : p.86-91Journaliste : Manuel Jover

Page 3/6

HOTELCAUMONT 2678597400503Tous droits réservés à l'éditeur

Ci-contre, en haut: lumièreet Couleur (la théorie de Goethe)- Le Lendemain du Déluge-Moïse écrivant la Genèse, 1843,huile sur toile, 78,7 x 78,7 cm(I ONDRES TAIE}

En bas : Ombre et Ténèbres- Le Soir du Déluge, 1843,huile sur toile, 78,7 x 78,1 cm(LONDRES TATE)

En ce sens, lexposition londonienne de2015, « The Lale Turner », consacrée à ladernière période de lartiste, avait remis lespendules à l'heure en rappelant la radicalitéde lartiste, l'absolu dont sa peinture s'em-brase, à la pointe de son œuvre, lorsqu'elleproduit ce grand éblouissement cosmiqueoù l'on doit reconnaître, culture protestanteoblige, la non-image de Dieu. Ceci, cetteradicalité moderne que lartiste quant à luieût peut-être appelée « poésie » et que l'onse plaît à situer dans une perspective quimène d'abord aux illuminations rimbal-diennes avant de cligner vers les abstrac-tions blanches des avant-gardes, peut et doits'articuler avec les autres facettes de son art.

Théories sur la couleurLa question de la couleur, traitée dans lex-position qui vient d'ouvrir à l'Hôtel de Gau-mont d'Aix-en-Provence, est évidemmentcentrale. Turner l'a longuement méditée etson art, plus que tout autre, est fondé surla couleur. Deux tableaux aux longs titresprogrammatiques, formant une paire,sont au cœur de cette réflexion : il s'agit deOmbres et Ténèbres-Lé Soir du Déluge, et deLumière et Couleur (la théorie de Goethe)-Le Lendemain du Déluge-Moïse écrivant laGenèse, peints en 1843. La référence au trai-té de Goethe Lumière et Couleur, traduit enanglais en 1840, donne la mesure de cetteréflexion théorique et pratique sur la cou-leur. Turner connaissait aussi les travaux del'entomologiste Moses Harris, qui présentale premier système chromatique complet(Le Système naturel des couleurs, 1776) etceux du chimiste George Field, auteur de La

Page 4: Date : JUIN 16 Page de l'article : p.86-91 Journaliste

Date : JUIN 16

Périodicité : MensuelOJD : 41154

Page de l'article : p.86-91Journaliste : Manuel Jover

Page 4/6

HOTELCAUMONT 2678597400503Tous droits réservés à l'éditeur

Ci-dessus: Déport pour/e bal (San Marino), 1846, huile sûr toile, 61,6 x 92,4 cm i LONDRES TAIE)

Chromatographie ou Traité des couleurs etpigments et de leur puissance dans la peintu-re (1835). L'exemplaire du traité de Goetheayant appartenu à Turner a été conserve, ilest plein d'annotations, parfois critiques,comme : « Rien sur l'ombre et l'obscurité entant que données picturales ou optiques ».

Mais la lecture de Goethe et son conceptde polarité entre les couleurs chaudes (lumi-neuses, gaies, actives, proches...) et lesfroides (obscures, mélancoliques, faibles,lointaines...), concept fondé sur la percep-tion des couleurs et non sur la physiquecomme cetait le cas chez Newton, sont, enpartie, à l'origine des paires que Turner pei-gnit dans sa dernière période, telle que celleprécédemment citée. Celle-ci illustre parfai-tement comment la pensée de Turner englo-bait la dimension naturaliste, rationnelle etthéorique, dans une perspective métaphy-sique : cette lumière qui est la hantise dupeintre et lobjet de sa quête, est celle-làmême qui fut créée au matin du monde.

Ci-contre:palette de

Turner, porcelaine,17,5 x 14,8cm (LONDRES

ROYAL ACADEMY OF ARTS;

Page 5: Date : JUIN 16 Page de l'article : p.86-91 Journaliste

Date : JUIN 16

Périodicité : MensuelOJD : 41154

Page de l'article : p.86-91Journaliste : Manuel Jover

Page 5/6

HOTELCAUMONT 2678597400503Tous droits réservés à l'éditeur

Ci-dessus: Les Tours vermillon, étude à Antibes, vers 1838, aquarelle et gouache sur papier. 14,4 x 18,8 cm LONDRES TAIE)

LES BALEINES PARADENTÀ NEW YORK

Grand peintre de marines. Turner excellaà rendre le mouvement des flots, lestourbillons d'écume, l'horreur et l'épouvantedes éléments déchaînés. Vers la fin desa vie, il réalisa une suite de quatre toilesconsacrées au thème de la pêche à labaleine, qui furent très admirées à la RoyalAcademy. Le thème avait tout pour luiplaire, alliant le combat titanesque de deuxmonstres, le bateau et l'animal géant,au spectacle des flots agités par la baleine.Ici, Turner rejoint son contemporain Hermannerville, l'auteur de Moby Dick (1851), etl'exposition du Met explore les liens entreles deux créateurs qui, de toute évidence,se connaissaient et peut-être se sontinspirés l'un l'autre. Autour des quatre toiles,des aquarelles, dessins et livres complètentcette passionnante exposition-dossier. M. J.

Mirages et sortilègesLa couleur, chez Turner, est à la fois levéhicule d'une saisie sensitive de la natureet de la réalité concrète, selon une tradi-tion remontant au moins aux Vénitiensdu xvie siècle, et la langue même à traverslaquelle se révèle la lumière. Letude achar-née et incessante, par le peintre, de cettelumière, le mène à la traquer dans ses subti-lités ineffables, ses apparitions prodigieuses,ses mirages, ses sortilèges les plus féeriques,jusqu'à l'éblouissement. Cest une peinturede l'éblouissement et l'historien Pierre Watévoque, à ce propos, l'histoire, et presquele mythe, du général romain Régulus, queles Carthaginois supplicièrent en l'attachantface au soleil, les paupières coupées... Tur-ner consacra à ce thème un important etfascinant tableau, en 1828, qui montre leterrible faisceau blanc du soleil s'étendantsur la mer jusquau malheureux héros. Cette

même blancheur irisée, irradiant des pro-fondeurs jaunes de lespace, ce jaune qu'ilaffectionnait tant, devait se répandre etenvahir toujours plus sa peinture, commesi le peintre s'était lui aussi coupé les pau-pières, afin de s'emplir de cet excès delumière par lequel le divin se manifeste,écartelant la nature.

Excessive par excellence, surtout danssa dernière période, la peinture de Turnerarracha à ses contemporains et aux géné-rations suivantes des cris, d'indignation oud'admiration, voire d'extase. Au chapitredes colères, le journal « The Spectator »parle de « manifestations monstrueusesde chromomania ». « IM couleur s'élève icijusqu'à la folie et plonge dans l'imbécihté »,fustige l'écrivain William Thackeray. « II futentraîné par une sorte de vertige. ll voulutcreuser l'infini, et il se noya dans l'atmos-phère, il tomba dans le délire... » (Charles

Page 6: Date : JUIN 16 Page de l'article : p.86-91 Journaliste

Date : JUIN 16

Périodicité : MensuelOJD : 41154

Page de l'article : p.86-91Journaliste : Manuel Jover

Page 6/6

HOTELCAUMONT 2678597400503Tous droits réservés à l'éditeur

Ci-contre, en haut: Ciel au soleilcouchant, vers 1825-1830,

aquarelle sur papier. 34,5 x 48,6 cm(LONDRES TAIE)

Au milieu : Coucher de soleil,vers 1840-1845, aquarelle et

gouache sur papier gris, 17,8 x 26,4 cm(CAMBRIDGE THE FITZWILLIAM MUSEUM)

En bas : Navire approchant du port deMargate par grosse mer (anciennement

connu sous le titre Plage deYarmouthl, 1840, mine de plomb,

aquarelle et grattage, 24,8 x 36,5 cm(YALE CENTER FOR BRITISH ART)

Blanc). Et ses hagiographes, à commencerpar John Ruskin, furent parfois hautementinspirés. Le journaliste Gabriel Mourey, ren-dant compte du legs laissé par le peintre àsa mort, parle des «fastes immémoriaux dela lumière, sa polyphonie permanente, sonchromatisme vertigineux [...], ses désagré-gations apocalyptiques... ». Décrivant untableau, Joris-Karl Huysmans, en 1887,évoque « un brouillis de rose et de terre brû-lée, de bleu et de blanc, frottés avec un chif-fon », et des «folies de clarté, ces torrents dejour réfractés par des nuages laiteux, tachesde rouge feu et sillés de violet [...], des pay-sages volatilisés, des aubes de plein ciel; cesont des fêtes, célestes el fluviales, d'unenature sublimée... ». Edmond de Goncourtvoit « de l'or en fusion, avec, dans cet or, unedissolution de pourpre » (1891). ThéophileThoré-Burger parle du « mélange universeldes choses », d'une « sorte de panthéismeoptique [...] Sa folie de la lumière lui a faitimaginer des combinaisons de couleur queles plus grands coloristes n'avaient point pré-vues... ». Et Paul Signac, pas en reste: « Cene sont plus des tableaux, mais des polychro-mies, des pierreries, la peinture dans le plusbeau sens du mot ». Que dire après cela ?

AVOIR••• « TURNER ET LA COULEUR »,à l'Hôtel de Gaumont Centre d'art,3, rue Joseph-Cabassol, Aix-en-Provence,0442207001, www.caumont-centredart.comdu 4 mai au 18 septembre.^ RÉSERVEZ VOTRE BILLETW SUR CONNAISSANCEDESARTS.COM

- L'EXPOSITION « TURNER WHALING'SPICTURES », Metropolitan Muséum of Art.1000 Fifth Avenue, New York, 212 535 7710,www.metmuseum.org du 10 mai au 7 août.

À LIRE- LE CATALOGUE, sous la direction de lanWarrell, éd. Hazan (192 pp., 130 ill., 29 €).- TURNER, MENTEUR MAGNIFIQUE, par PierreWct, éd. Hazan (2010, 160 pp.. 16,95 G).- LE HORS-SÉRIE de « Connaissancedes Arts » (n° 710, 44 pp., 9,50 €).