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« BLEU CONFIDENTIEL » Roman de P hilippe du Caurroy CHAPITRE 1 Confidentiel. Avons découvert sauvegarde partielle d’un dossier EdF dans lequel Aimé Jacquet est en pleurs ; référence 17/20 juin 2010 CM-AFS. Pourquoi ? Auriez-vous des précisions ? Sommes intéressés. Dans le bus qui menait l’équipe de France de football au stade où devait se dérouler la finale de la Coupe du Monde 2006, Zinedine Zidaine, sortant d’une légère rêverie, trouva dans sa poche un bout de papier roulé en boule qu’il déplia et où étaient griffonnés ces quelques mots : « Fais gaffe à Matérazzi, tu vas y filer un coup de tête. Fais attention, Yazid. » Surpris, il leva les yeux : qui avait pu mettre un tel mot dans sa poche, c’était simplement ahurissant ! Il regarda autour : tout semblait pareil aux autres fois, personne ne lui prêtait spécialement attention. Il croisa le regard de Fabien Barthiez qui fit une moue du style ça va aller. 1

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« BLEU CONFIDENTIEL » Roman de Philippe du Caurroy

CHAPITRE 1

Confidentiel.Avons découvert sauvegarde partielle d’un dossier EdF dans lequel Aimé Jacquet est en pleurs ; référence 17/20 juin 2010 CM-AFS.Pourquoi ?Auriez-vous des précisions ?Sommes intéressés.

Dans le bus qui menait l’équipe de France de football au stade où devait se dérouler la finale de la Coupe du Monde 2006, Zinedine Zidaine, sortant d’une légère rêverie, trouva dans sa poche un bout de papier roulé en boule qu’il déplia et où étaient griffonnés ces quelques mots : « Fais gaffe à Matérazzi, tu vas y filer un coup de tête. Fais attention, Yazid. »Surpris, il leva les yeux : qui avait pu mettre un tel mot dans sa poche, c’était simplement ahurissant !Il regarda autour : tout semblait pareil aux autres fois, personne ne lui prêtait spécialement attention. Il croisa le regard de Fabien Barthiez qui fit une moue du style ça va aller.Aller… ? En admettant, ouais, acceptons-en l’augure, se dit Zidaine. Puis, après avoir parcouru une seconde fois le message, se tourna vers Frank Ribiri : « C’est toi ? »« Quoi, moi ? » ne comprit pas Ribiri.« Ca, ce mot » montra Zidaine.« Qu’est-ce que… ? »« Ben, justement je voudrais savoir. »Ribiri prit le papier que tendait plus ou moins Zidaine et, commençant à le lire, se mit à siffler.

Notes confidentielles.Aux questions concernant affaire EdF et la décennie glorieuse 1996-2006, ainsi que la période de décadence qui s’en suivit, ne pouvons répondre de but en blanc.

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Ouvrons enquête et proposons comme angle d’attaque de nous concentrer dans un premier temps sur les mécanismes qui ont permis à RD de devenir le sélectionneur comptant le plus grand nombre de rencontres à son actif à la tête de l’EdF.

Dans le bus de la finale 2006, donc, Ribiri, à la lecture du papier, s’était mis à siffler.« Quoi ! »fit Zidaine.« C’est du lourd » commenta Franki en faisant la moue, « Je comprends que ça te… »« N’est-ce pas ? »« En tout cas, c’est pas moi. »« Tu es sûr ? »« Zinedine, j’te jure ! »Ribiri le fixa avec inquiétude.« C’est pas moi. »Et même parut peiné que son capitaine puisse penser cette chose de lui : d’accord, il aimait les farces, oui… mais ce truc-là, jamais, surtout dans le bus, surtout à ce moment.« Je te jure » insista-t-il.Zidaine prit conscience de l’importance que son opinion revêtait aux yeux de Ribiri.« Okay » le rassura-t-il.« Tu me crois ? »« Oui, Frank, c’est bon je te crois, t’inquiète. »Ribiri se détendit d’un bloc. Comme s’il avait poussé un soupir de soulagement de tout son corps. Et pareil à Zidaine relut les trois lignes. Pour un même résultat : ça ne changeait rien, les mêmes mots délivrant toujours le même message. Sauf que le terme avertissement lui traversa l’esprit.« Ca fait avertissement, tu trouves pas ? »Zidaine haussa les épaules en signe d’ignorance.« Tu veux qu’on se renseigne ? »« Heu… » commença Zidaine, « Peut-être que »Mais avant qu’il ait pu terminer sa phrase, Ribiri s’exclamait déjà : « Hé, les gars ! les gars ! »… tout en se levant comme un zébulon pour passer de rang en rang et taper sur les épaules de ceux qui avaient leurs écouteurs vissés sur les oreilles, « Y’a Zizou qu’a trouvé un bout de papier avec des conneries ! »Ce qui, une fois lesdites conneries explicitées, ne manqua pas de provoquer un concert de réactions diverses allant de la mauvaise surprise à

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l’incompréhension la plus complète au milieu de dénégations pures et simples au fur et à mesure que l’info avançait dans les rangées.« Mais c’est quoi ce truc ? » résuma Willy Saignol.« Ben c’est ce que justement Zizou veut savoir » revint au point de départ Ribiri.Il y eut un blanc. Sans jeu de mot aucun.Dans le bus, tout le monde se regarda… staff, joueurs, aucune explication, personne ne semblait y être pour quoi que ce soit... et tout le monde continuait à se regarder ainsi, dans une attente chargée de stress négatif.Il fallait une intervention.Raymond Domenach demanda à Vikash Dhorassou s’il avait filmé la montée.« Dans le bus, coach ? Bien sûr. »« Montre » lui dit le sélectionneur.« La montée ? » s’agita Dhorassou, « Attendez, faut que je la retrouve. »Le Substitute procéda à quelques manips et : « Là, voilà, c’est là. »Domenach s’empara sans un mot du caméscope et se mit à visionner sur l’écran de contrôle des images qui ne dataient que d’une dizaine de minutes.Cet incident ne lui plaisait pas : rien n’était un hasard avant un évènement d’une telle importance et rien ne devait être laissé au hasard.Scrutant avec attention la vidéo il n’y remarquait aucun geste suspect, aucune main ne rentrait en contact avec la poche. Non, rien, vraiment que des comportements normaux pour des sportifs de haut niveau à l’approche d’une échéance majeure.Ce qu’il voyait c’était Zidaine s’avançant vers le bus, Zidaine montant dans le bus du pied droit, Zidaine allant à sa place, Zidaine se grattant, Zidaine s’asseyant à sa place habituelle, Zidaine assis, Zidaine baillant, Zidaine avec un vague sourire.C’était passionnant, icônant même, mais absolument pas déterminant pour sa recherche d’indices : tout le groupe était là sur les images, et tout le monde finissait par se retrouver assis de la façon la plus naturelle qui soit alors que le bus démarrait comme le prouvait le paysage défilant derrière les vitres.Rien, il n’y avait rien. Le bus roulait. Zidaine se trouvait toujours assis sur son siège, puis Dhorassou avait coupé l’enregistrement à la demande du capitaine des Bleus. Fin.RD regarda l’écran vide de sens.Décemment, Domenach ne se sentait pas de reprocher à Dhorassou d’avoir accédé à cette demande ; décemment…Parce que décemment ne signifiait pas qu’on… car, con ou pas con, on pouvait tourner les choses comme on voulait, il manquerait toujours plusieurs minutes avant la découverte du papier… largement le temps de… et la faute à qui !

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Même si, une fois Zidaine assis, cela semblait difficile, voire impossible, de glisser sans se faire remarquer un papier dans sa poche.Seulement ça, on ne le saurait jamais. Et grâce à qui ? Dho-dho-dho-dho-dho-le-match-bon-Dieu-le-match ! ne penser qu’au match ! se rappela d’un coup Raymond Domenach ; car celui ou celle qui avait monté cette opération ne cherchait qu’à perturber la concentration du groupe et déstabiliser l’équipe à travers son leader emblématique.Frustré, RD rendit le caméscope à Dhorassou.« T’aurais quand même pu filmer jusqu’au bout : c’est quoi ces façons de faire à moitié ? »« Coach… »Dhorassou était décontenancé, ne sachant plus quoi penser, quoi dire, ni quelle attitude adoptée : filmer, s’excuser de vivre, se taire ?Domenach l’ignora et se mit à discuter avec son adjoint, Pierre Mankouski, de l’incident.Bruno Martigni, l’entraîneur des gardiens, se rendant vite compte que cet échange allait tourner en boucles improductives, proposa de visionner lui-même l’intégralité de la vidéo, depuis le matin dans le hall jusqu’au moment où Zidaine avait demandé à Dhorassou de couper, histoire d’en avoir le cœur net, ou d’essayer d’en avoir le cœur net, mais surtout afin de libérer l’esprit du sélectionneur de toutes pensées parasites.Domenach observa son groupe ; ce n’était pas une mauvaise idée: les joueurs discutaient entre eux et sortaient de leurs rituels de concentration.« Ca suffit ! » cria-t-il pour être entendu dans ce brouhaha.Le silence se fit en quelques secondes, tel un volume sonore baissé graduellement.« Ecoutez-moi tous. Bruno va regarder la vidéo de Vikash pour trouver le petit malin qui a fait ça. Et si c’est l’un de vous, je vous préviens : les plaisanteries les plus courtes… Vous connaissez la suite. »Une absence affligeante de réaction suivit la causerie.« Le coach a raison » intervint Lilian Thurom, « Nous avons un match à gagner. »« Alors ? » reprit Domenach.Personne ne se déclara d’avantage.Willy Saignol s’approcha et demanda à Zidaine qui avait récupéré le papier des mains de Ribiri : « Tu permets que je… ? »Il voulait voir de ses yeux. Et Zidaine lui tendit le mot.« A haute voix, si ça ne te dérange pas » l’invita Domenach, « Que tout le monde entende. »Saignol s’éclaircit la voix et lut le message.

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« Voilà, on n’en parle plus » déclara Domenach une fois la lecture terminée.« Vous ne trouvez pas que ça ressemble à un avertissement plus qu’à une blague ? » demanda à nouveau Ribiri.Zidaine le regarda, Franki y tenait, et machinalement se réappropria le papier que triturait Saignol.« Rien du tout, des conneries comme tu disais tout à l’heure » trancha Domenach.Il serait toujours temps, une fois le match gagné, de découvrir le traître. Si toutefois cela intéressait encore quelqu’un à ce moment-là.« Et nous allons les étouffer et les priver de ballons » conclut-il avec un grand sourire, faisant comme si une chose avait à voir avec l’autre.« Heu… » lâcha doucement Zidaine, « Y’a quand même un truc qui me chiffonne. »Il fixait le mot avec attention.« Lequel ? » s’en alerta immédiatement Domenach.« C’est que… » hésita Zidaine, les yeux toujours rivés sur le message.« Vas-y » l’encouragea Mankouski.« Oui, bé… c’est que je me disais que je connaissais cette inquiétude. »« Quelle inquiétude ? » entonna de plus belle en canon Domenach : c’était quoi cet avant-match !« Non, non, écriture, pas inquiétude : que je connaissais cette écriture. »« Hé bien ? » retrouva un peu d’espoir Domenach, « Oui ? »« Ben… C’est la votre, coach. »« Quoi ! » s’étrangla Domenach, « Quoi ! »« La sienne ? » voulut confirmation Ribiri qui regarda par-dessus le bras de Zidaine qui pour sa part faisait oui, l’air désolé, de la tête.« Comment ça, la sienne ? » s’enquit Mankouski.Raymond Domenach se précipita et arracha le papier des mains de Zidaine et commença à le… il en resta bouche bée : putain, pas besoin de lire pour reconnaitre son écriture, c’était son écriture !Tout le monde l’observait.RD se sentit devenir petit, très petit, tout petit… et très central aussi, lui l’ancien latéral… et très seul… qu’est-ce qu’il allait pouvoir raconter ? Parce qu’il allait devoir dire quelque chose, cela s’avérait un minimum syndical vu la tournure des évènements. Rien ne venait.« Hé bien, c’est très clair » commença-t-il…Plus tard, peu de temps avant le match, après les explications technico-tactiques de Domenach qui avaient tourné autour d’un complot médiatico-italien, Pascal Chibonda, à la porte du vestiaire, s’approcha de Zidaine et lui

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glissa à l’oreille : « Moi aussi j’ai eu un bout de papier qui me demandait de t’avertir. »« Hein ! » fit le meneur de jeu français.« Absolument, Zinedine. »« De la main de Raymond ! » l’agrippa Zidaine, « De sa main ? »« Non, Zinedine, de la mienne… dans ma poche tout comme toi, mais de mon écriture… et je n’en ai aucun souvenir. »Zidaine secoua la tête.« Mais qu’est-ce qui se passe ici… ? » murmura-t-il en regardant autour.

Confidentiel.Suggérons d’éplucher principaux évènements de la décennie 96-06 afin de mettre en lumière liens éventuels avec la finale 06 et interactions possibles avec la période de décadence qui s’en suivit.

Sur le terrain de la finale 2006, Zidaine était tendu. Il lui tardait que ce match débute. Et cette Marseillaise, sa dernière en tant que pro.Depuis l’Espagne, en huitième, il s’était préparé à cette éventualité de la der des ders. Sans en être obnubilé. Mais là, à présent, quoiqu’il se passe, il s’agissait de sa dernière Marseillaise ; et bientôt de son dernier coup d’envoi, de son dernier premier contrôle, de sa dernière première passe, sa dernière première course, son dernier premier but espérait-il.L’Italie.Il entendait Lilian massacrer l’hymne. Existait-il une loi contre ça ? Au moins ponctuelle. Pour le repos auditif des joueurs l’entourant de près comme de loin. Car non-content de massacrer, il massacrait qui plus est de façon tonitruante, intimement persuadé de souder le groupe avec son vacarme.Il perçut Fab pas très relax et, cette fois, imperméable au numéro du capitaine vocal de l’équipe (en 98 il se bidonnait)... un effet du papier trouvé ? Peut-être. Et peut-être n’aurait-il pas dû en parler. Surtout à ce moment-là, juste avant le match. Mais se faire appeler Yazid, justement dans ce contexte, l’avait surpris, déstabilisé… et d’avantage encore lorsqu’il avait reconnu l’écriture du sélectionneur.On dépassait les mugissements de ces féroces soldats que Lilian surclassait.Un journaliste, brésilien croyait-il se souvenir, avait écrit, après le quart de finale, au sujet de la façon dont il faisait la bise avant la rencontre à certains joueurs adverses qui avaient été ses coéquipiers à la Juve ou au Réal : « Le dieu Zidaine, d’abord il t’embrasse, ensuite il te tue. »Toutes ces conneries lui manqueraient, c’était sûr.

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Voilà ! Fin de La Marseillaise. Une nouvelle page de tournée. Les deux équipes allaient défiler l’une devant l’autre afin que chaque joueur serre la main de chacun de ses adversaires, sportivité oblige.Lilian lui broya le deltoïde. Claude Makélilé afficha son éternel sourire inquiétant : il serrerait toutes les mains italiennes qu’on voudrait avec une même civile et agréable férocité.Soudain, Zidaine leva la tête, prenant conscience des cris des supporters. Il regarda autour : le stade, les tribunes, cette énergie qui brûlait sans compter ni rien abîmer dans le monde.Il se rappela qu’une fois, petit, il avait lu que Platini, au Mondial 78, en plein match contre l’Argentine, avait pris la peine de lever la tête quelques instants pour voir, ressentir, prendre en pleine figure la joie du peuple argentin en train de comprendre que leur Kempes, Ardiles, Tarentini et consort avait réglé l’affaire des français.Zidaine s’aperçut qu’il serrait des mains italiennes. Arrivait le tour de Materazzi. Domenach lui avait conseillé de laisser tomber car, de toute façon, Materazzi n’y était pour rien dans cette histoire de papier contrefait… « une victime innocente » avait un peu forcé le trait, Raymond ; ce qui avait fait doucement rigolé ceux qui avaient déjà croisé sur un terrain le pauvre agneau.Voilà, il se tenait devant Materazzi qui tendait la main.Zidaine se sentit partagé entre la possibilité de soit lui faire la bise, soit lui déclarer son admiration pour sa technique en mouvement. Il opta pour la seconde alternative.« Va te faire mettre ! » suggéra en retour Materazzi.Le tout dans la langue de Dante.L’arbitre se tourna vers eux, alerté par le ton de l’échange, attentif au tour que cela pouvait prendre.« Ca va ? » vint demander Claude Makélilé.« Impec » fit Zidaine, « Oui. »Makélilé fixa Materazzi avec toujours le même sourire.Lilian Thurom se jeta contre Zidaine pour la traditionnelle accolade ; une force terrible se dégageait de sa personne.« Un match, Zizou, plus que ce match ! » hurla-t-il à son oreille.Ces mots résonnèrent curieusement dans son esprit. Il lui sembla que quelque chose lui échappait, et pas seulement sa vie de joueur pro. Ou était-ce cela qui colorait tout ce qu’il voyait, entendait, ressentait ?

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Une dizaine d’années avant, Eric Cantoma reposa son verre. Assis en face de lui, à cette table pour deux d’un restaurant, Aimé Jacquet le regardait et attendait sa réaction.« Je vois… » lâcha Cantoma.« Je tenais à t’en parler de vive voix. »« Oui. »Un silence s’installa. Silence que le sélectionneur ne voulait pas rompre : il était d’autant plus patient qu’il savait que Cantoma finirait par donner une réponse claire et nette.Jacquet, quelques jours auparavant, au terme d’une longue réflexion, avait pris une décision et fait un choix : il confierait dorénavant le soin de mener le jeu en équipe de France au jeune Zidaine, voilà ce qu’il venait d’annoncer à Cantoma ; dépositaire du jeu, voilà ce qu’il venait de dire, retrouvant au passage une expression qu’il employait aux Girondins de Bordeaux pour Alain Giresse.Zidaine mènerait le jeu et non Cantoma.Décision terrible qu’il avait eu un mal fou à prendre. Décision qui allait à l’encontre de la pensée dominante. Décision qui ne pouvait que blesser Cantoma. Décision qui l’engageait, lui, Aimé Jacquet, corps et âme. Décision qui, du coup, allait mettre une pression terrible sur les épaules du jeune Zidaine avec tous les risques que cela comportait. Décision qui n’était pas seulement due à des considérations liées au jeu, car, si tel avait été le cas, il ne l’aurait jamais prise.Non, d’autres raisons présidaient : en 93, durant les éliminatoires du Mondial 94, alors qu’il occupait le poste d’adjoint à Gérard Houiller, il avait senti que l’évidence et le consensus autour de la composition de l’équipe devenaient contre-productif et constaté qu’au premier danger, sans doute à cause de ce confort dans lequel staff et joueurs baignaient, personne n’avait su rectifier le tir ; Dieu sait pourtant qu’il y avait des joueurs talentueux et expérimentés dans ce groupe.Jacquet ne laisserait pas la chose se reproduire. Il réagirait avant qu’il ne soit trop tard. Il anticiperait même, quitte à passer pour injuste. Un sacrifice, un gambit comme on dit aux échecs, un sacrifice aux dieux du football.« Je vois… » répéta Cantoma dont le cerveau tournait à mille à l’heure.Il voyait, bien sûr qu’il voyait. Un poème qu’il avait lu lui vint à l’esprit : Mais je suis pauvre (ce qui le fit intérieurement sourire vu ce qu’il gagnait à MU) Mais je suis pauvre Et je n’ai plus que mes rêves Que je déroule à tes pieds comme un tapis Aussi fais attention Parce que tu marches sur mes rêves.Un instant il fut tenté de le réciter à jacquet qui, savait-il, ne se serait pas moqué et aurait très bien compris.« Je vois… Et concrètement, cela implique quoi ? »

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« De jouer avant-centre, seul en pointe » énonça Jacquet.« Oui, ouais… »Cantoma semblait dubitatif.Pourtant Jacquet, lorsqu’il fermait les yeux, voyait fonctionner cette organisation. Vision contre vision. Il la voyait comme si les joueurs évoluaient sur le terrain. Pourquoi n’arrivait-il pas à lui communiquer cette évidence ? Sa vision à la place de sa vision.Deux monstres axiaux, Zidaine-Cantoma, un aux abords de la surface, l’autre dans l’entrejeu, avec un frelon tourbillonnant, Djorkayef.Paradoxalement, Jacquet misait sur le relatif manque de mobilité de Cantoma pour en faire une plaque tournante au cœur même de la défense adverse, pivot qui accaparerait la charnière centrale avec son jeu de tête et ses toujours probables coups de génie.Plus les soucis que causeraient Zidaine aux milieux défensifs avec soit des passes soit des dribles.(Platini-Giresse avaient joué côte à côte, Papin-Cantoma avaient joué côte à côte, Zidaine-Cantoma joueraient l’un devant l’autre)Et Djorkayef qui finirait d’affoler son monde, tournant autour non pas d’un joueur mais de deux.Plus également les frappes lointaines, les espaces dégagés pour les courses rectilignes d’un Karombeu ; Vincent Guirin en relayeur apportant sa contribution.Plus les montées des latéraux.Ca fonctionnait, dans sa vision ça fonctionnait. C’était simple, rationnel, équilibré : une équipe avec un énorme potentiel athlétique et technique.Dans le combat, dans la spontanéité, dans la créativité, dans les airs, dans les duels, où qu’il se tourne, Jacquet ne voyait que des avantages : il avait devant lui, assis de l’autre côté de cette table de restaurant, l’avant-centre parfait pour l’équipe qu’il voulait construire en vu de l’Euro 96.« Ouais… » répéta à nouveau Cantoma.

Confidentiel.Pourquoi l’éviction de Cantoma en 95 viendrait-elle faire lien avec Jacquet en pleurs en 2010 ?

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Sur le terrain de la finale de la CM 2006, les mots de Lilian résonnaient dans la tête de Zidaine : plus que ce match, plus que ce match, plus que ce match… écho où l’on croit deviner autre chose.

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Okay, okay, Materazzi, d’accord ! D’accord mais de quoi, sur quoi ?Voilà : en place pour la dernière photo d’avant-match en équipe de France.L’appareil prit en rafale une dizaine de clichés.Rituel décalé à notre époque où tout se voyait filmé, photographié, enregistré 24 heures sur 24, que de faire venir un photographe devant eux leur demandant de prendre la pose, alors qu’ils auraient pu se regrouper et se fixer un court instant sans l’attendre et ce à n’importe quel moment depuis leur entrée sur la pelouse.D’un autre côté, cette habitude les rattachait à l’ensemble des matchs de l’équipe de France joués génération après génération… album où 24 équipes par seconde animent l’histoire.Voilà, ils éclataient aux quatre coins du terrain, photo prise.Ensuite se diriger seul vers le rond central, centre pile de son monde depuis qu’il avait six ans, fanion à la main, pour accomplir les ultimes formalités d’usage avec l’arbitre et le capitaine adverse.Plus que ce match…Et pourquoi avait-il trouvé ce papier ? Et Pourquoi Pascal en avait-il trouvé un autre ?Ce n’était plus le moment d’y penser.Et pourquoi ces mots « Plus que ce match » sonnaient-ils faux à son oreille ?Le match, rien que le match, et tout le match.

* *

Mai 1998. Clairefontaine.Aimé Jacquet, dans cette salle du camp de base de l’EdF, assis derrière une table, recevait les six joueurs qu’il avait décidé de ne pas retenir sur sa liste des vingt-deux pour la Coupe du Monde 98.Il venait de leur annoncer cette décision. Sa décision, avait-il tenu à préciser : en dernière analyse cela avait été sa décision.Sabri Lamouichi, se tenant debout devant la table, lui faisait face et demandait les raisons qui l’avaient poussé à faire ces choix.Jacquet savait vaines ce genre d’explications. Il donnerait quelques motifs. Motifs qui ne convaincraient aucun des exclus. Exclus qui continueraient de le fixer. Aussi ne pouvait-il rien faire d’autre qu’être clair et concis.De toute manière, des six, seul Lamouichi s’accrochait encore, tel un joueur qui conteste inutilement les décisions de l’arbitre.Martin Djitou était groggy, sonné debout comme un boxeur refusant d’aller au tapis, et Jacquet ne voulait absolument pas voir ça. Il refusait de le regarder car Djitou était le prototype de joueur qu’il adorait : s’il l’avait observé à ce à ce

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moment-là, bras ballants derrière cette table… cela n’aurait rien modifié bien entendu, à part peut-être une cicatrice de plus.Toute cette scène lui rappelait par trop cette soirée au restau où trois ans avant il avait fait de Cantoma le premier des exclus.Nicolas Anielka, jeune attaquant fantastique, l’air absent, semblait indifférent à la situation. Comprenait-il qu’il venait d’être écarté ? Evidemment. Mais il faisait comme si. Comme si ça n’avait pas d’importance, comme s’il passait déjà à autre chose, comme s’il allait donner le plaisir à quelqu’un de voir sa peine. Il évitait surtout de réfléchir au fait que ses deux potes, au nom d’une complémentarité monégasque, se trouvaient eux bel et bien sur cette putain de liste de merde définitive !Ibrahim Bia, lui, ne s’était absolument pas préparé à ce qui était en train de se dérouler. Ca ne l’avait même pas effleuré : il était déjà sur les affiches, placardé en géant dans les villes, il allait se réveiller, et répétait à Pierre Liagle et Lionel Litizi qui ne répondaient pas, eux-mêmes secoués : « Je ne suis pas pris ? Je ne suis pas pris ? » comme un automate.Jacquet, constatant que Lamouichi ne lâcherait pas, ne pouvait pas lâcher de lui-même, déclara au six : « J’ai sacrifié Cantoma. »Sous-entendu…Cantoma qui était allé jusqu’à stopper sa carrière afin qu’aucun crève-cœur médiatique ne vienne perturber qui que ce soit.Sacrifier Cantoma. Lamouichi savait ce que cela signifiait. Il se tut. C’était fini. Les six sortirent du bureau.

* *

Automne 2005. L’Irlande en Irlande. Match qualificatif au Mondial 2006. Premier match officiel depuis les retours en équipe de France de Zidaine, Thurom, Makélilé. Match qu’ils ne doivent pas perdre : s’ils perdent, fin de l’histoire.Au premier ballon, comme il l’avait annoncé par voix de presse, Roy Keane tacle sévèrement le numéro dix français.Aux commentaires, Thierry Gilardi et Jean-Michel Liarqué hurlèrent à l’attentat.Zidaine se regarda de suite la jambe. Il était touché, il le sentait : cet enfoiré l’avait proprement séché, il n’allait pas pouvoir continuer.Quelle merde !Un instant, Zidaine se trouva en équilibre instable sur une jambe.QUELLE MERDE !!Tout ça pour ça… Il n’appelait pas ça un destin.

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Autour de lui, tous le fixaient : partenaires et adversaires. Il vit les visages catastrophés de ses coéquipiers ayant immédiatement compris qu’il allait devoir sortir vu sa façon de faire.Puis, inexplicablement, il ne ressentit plus de douleur. C’était net, il n’avait plus mal. D’un coup, il n’avait plus mal.Il posa prudemment son pied et commença à répartir équitablement son poids… Ca allait.Il mit tout son poids sur la jambe blessée… Ca allait encore.Il frappa doucement le sol avec son pied… Ca allait toujours.Il frappa de plus en plus fort… C’avait l’air d’aller, force était obligé de le constater : ça allait, ça allait même très bien. Quelques secondes avant il s’apprêtait à demander au banc le changement et là il pouvait reprendre. Il frappa une dernière fois le sol du pied. Ca tenait.Il leva la tête. Claude, Lilian, Pat, l’entouraient.« Ca va » leur dit-il, « Ca va, je continue. On ne perd pas ce soir. »« Hé, mec, on gagne même » fit Makélilé.

* *

11 juillet 2006, sur le terrain.A côté du rond central, en échangeant les fanions avec le capitaine italien, Zidaine repensait à toutes ces bizarreries qui l’avaient mené jusqu’ici, en finale du Mondial 06… A ce match en Irlande où blessé, parce qu’il en était sûr, séché il l’était, il connaissait trop ce genre de sensations, et où donc miraculeusement (comment définir cela autrement) il avait guéri… A ces péripéties entourant son retour en équipe de France durant l’été 2005… Aux petits bouts de papier, à tout, au reste…« Bah, te casse pas, Zizou… »Il sursauta. Qu’est-ce que c’était ? On avait parlé, il aurait juré qu’on lui avait parlé.Il jeta un rapide coup d’oeil sur sa droite et sur sa gauche.« Te casse pas, j’t’dis… »Et s’entendit pousser un petit gémissement. C’avait recommencé. Qu’est-ce qui se passait ? Personne visiblement ne lui avait parlé.L’arbitre et le capitaine adverse le regardèrent.Il se mit à réfléchir à toute allure : des voix, des voix à présent, des voix dans sa tête ! Et non pas des voix, une voix. Une voix haute et claire, et pas n’importe quelle voix bordel : celle de Didier Deschomps, il en était presque sûr.Putain, putain… murmura Zidaine entre ses dents, ça va pas, ça va pas du tout…

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Sur la pelouse de la finale du Mondial 06.Patrick Viera se sentait en forme. Son corps répondait comme il le souhaitait. C’était son année, sa Coupe du Monde.Ce match contre les italiens il l’avait joué une fois dans sa tête, une seule, et se promettait d’appliquer très exactement ce qu’il avait vu : dévorer et régner sur le milieu de terrain.A côté du rond central, son capitaine parlait avec l’arbitre.Un instant, Viera chercha du regard Gatuso, Pirlo… aucune importance, il les croiserait bien à un moment où un autre dans les deux prochaines heures.Cette pensée le fit sourire, les croiser…A côté du rond central, Zidaine échangeait les fanions.Bon qu’ils se grouillent les deux capitaines, y’avait assez eu de poignées de main pour aujourd’hui.Allez ce coup d’envoi, allez !Il prit de grandes inspirations et vérifia pour la énième fois son flottant. Ferma les yeux. Se redressa. Se tint droit comme un i. Puis il ouvrit les yeux, absorbé dans une ultime concentration, une ultime remémoration des consignes.De toute façon, se dit-il, c’était simple : il leur rentrerait dans le lard avec ou sans ballon… jaillir se replacer ; se replacer jaillir ; jaillir se replacer jaillir ; se replacer jaillir se replacer ; faire gaffe à ne pas s’asphyxier ; les empêcher de développer leur jeu ; soigner ses tacles, ses contrôles, sa relance, ses frappes ; être là ; être présent toujours ; être plusieurs Viera ; les écoeurer ; et monter, venir apporter du surnombre ; les écoeurer encore plus. C’était simple.

Sur le terrain, Zinedine Zidaine n’entendait plus Didier Deschomps. Ce qui le soulagea : le match allait débuter.Une dernière phrase avait résonné dans son crâne : « Ecoute la voix de ton maître… » Des conneries Ladèche pur jus. Pourquoi son subconscient lui jouait-il ces tours ?« Pile ou face ? » avait indiqué l’arbitre.Après s’être mis d’accord avec le capitaine italien, la pièce avait été jetée en l’air.Un de ses amis, le lendemain du huitième contre l’Espagne, lui avait téléphoné qu’en voyant son but définitif marqué à Casillas, il n’avait pu s’empêcher de songer au film « Gladiator »… à ce moment où le héro dit : « Mais pas maintenant… Pas maintenant… » parce qu’il va continuer à vivre.Zidaine, à la fin du quart contre le Brésil et de la demi contre le Portugal, s’était surpris à le répéter bas pour lui-même : pas maintenant, pas ce soir… il était toujours vivant… pas maintenant. Les autres l’avaient regardé, partenaires et adversaires vaincus : non, pas maintenant, échangeons nos maillots.

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Mais ce soir, quoiqu’il fasse, il repensa au bout de papier, quoiqu’il se passe, il avait lu l’avertissement, parce que ç’avait tout l’air d’un avertissement, Frank avait raison, ce serait maintenant.Et pareil à Platini en Argentine, Zidaine prit le temps de contempler les travées : comme il avait aimé cette vie.

Frank Ribiri finissait sa prière d’avant-match. Il nageait en plein rêve. Il passa ses mains sur son visage, puis fut prêt à la joie du corps en mouvement.

Sur le banc, RD tenait serré dans son poing le papier découvert par Zidaine.Le sort en était jeté.Bruno Martigni n’avait rien remarqué d’anormal dans la vidéo de Dhorassou.Qu’est-ce que cela annonçait ?Il serra encore plus fort le papier. Son écriture, sa propre écriture, c’était à n’y rien comprendre. Une incompréhension qui tournait au cauchemar répété car ce n’était pas la première fois que cela lui arrivait : lors de sa première conférence de presse en tant que sélectionneur des A en été 2004, il avait trouvé inscrit sur un tableau une phrase rédigée de sa main. Et pas n’importe quelle phrase, une prise de rendez-vous pour le jour de la finale du Mondial 06. Phrase qu’il n’avait aucun souvenir d’avoir écrit sur ce tableau. Phrase qui s’étalait devant les journalistes. Phrase qui le piégeait. En effet, avouer que cette phrase n’était pas de lui, très mauvaise idée, et la confirmer, fausse bonne idée…Et là, à présent, ce maudit bout de papier avec une écriture ressemblant à s’y méprendre à la sienne… ha-ha-ha ! ha-ha-ha ! ha-ha-ha !... même si, dans le bus, face à ses joueurs, il avait fait bonne figure, balayant d’un geste large de la main l’incident ; chacun faisant ensuite comme si et retournant dans sa concentration.Il vit Zidaine sursauter près du rond central, regarder fébrilement autour de lui, et se taper plusieurs fois l’oreille de la paume. Y’avait-il un problème ? De l’eau dans le conduit auditif, un bouchon de cérumen, quoi… ? C’était la première fois qu’il se comportait ainsi.Pourtant, depuis le huitième, tout avait été tellement simple, évident, tout avait l’air de si bien s’enchaîner : les péripéties de matchs, ses causeries, les fautes d’arbitrage, les résultats… la presse elle-même le laissait tranquille, l’oubliait ; l’oubliait au point d’ailleurs qu’il n’entrait apparemment en aucune part dans les succès du groupe : car quand le ciel n’était pas bleu c’était la faute à Raymond, mais si d’aventure le soleil brillait et une seconde étoile se mettait à luire, alors là, oui, peut-être se souvenait-on qu’un certain, comment dites-

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vous, Raymond, Raymond Domenach, oui Raymond Domenach, habitait la face cachée de la Lune.Zidaine sursauta à nouveau. Qu’est-ce qu’il avait ?« Tu t’inquiètes pour Zizou ? » s’approcha Robert Duvergne.RD fit oui de la tête sans quitter des yeux le numéro dix.« Ca va aller » lui dit Duvergne, « Ca va aller. »Seulement, ça allait tellement aller que Duvergne s’était senti obliger de venir en parler, car lui aussi avait vu le manège.« Qu’est-ce qu’il a ? » l’interrogea Domenach.« C’est son dernier match. »Le sélectionneur grimaça : il ne savait pas son préparateur physique aussi fataliste ; et se tournant vers Martigni demanda : « T’es sûr de n’avoir rien remarqué de suspect sur la vidéo ? »Que pouvait dire de plus Martigni ? Oui, j’ai vu quelque chose. Est-ce que cela aurait rassuré son monde ? Quitte ensuite à s’expliquer autour du champagne de la victoire.« Raymond, je t’assure que ça va aller » intervint Duvergne, « Ils sont tous à bloc. »De toute façon, pensa Martigni, à présent ce ne serait plus crédible et ne ferait qu’embrouiller encore plus la situation.Domenach inspira profondément et le match commença.Puis…Puis…Puis…C’est pas possible, il allait l’expulser, c’était… il allait l’expulser.Domenach serra de toutes ses forces le bout de papier dont il n’avait pas réussi à se défaire. Il avait su d’entrée que ce papelard foutrait le bordel, et tel un superstitieux qui passe exprès sous les échelles pour conjurer le mauvais oeil avait conservé ce maudit message.Il l’expulsait, c’était fait, le carton rouge venait d’apparaître. Putain, on peut le croire ça, il l’avait expulsé !Domenach, fou de rage, sortant de sa zone technique, se mit à crier après l’arbitre central : encore une fois en tant qu’entraîneur la victoire lui échappait. Il avait tout accepté pour enfin gagner, fait semblant de ne rien voir, et là, non, c’était trop bête, trop…« Vous n’avez pas le droit ! » hurla Domenach, « Pas le droit : c’est de l’arbitrage vidéo ! Vous n’avez pas le droit, c’est scandaleux ! »Le coach italien l’observait et buvait du petit lait : ces circonstances étaient inespérées pour son équipe… après la blessure de Viera, Zinedine qui avait craqué… et aujourd’hui que le sort tournait en leur faveur, il n’allait pas bouder

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son plaisir : à eux ce coup-çi de vivre ce qu’ils avaient vécu lors de la finale de l’Euro 2000, à eux le goût amer de la défaite que l’on trouve injuste.Il se rappelait ce moment où Thierry Hinry, juste après l’égalisation de Sylvain Weltord dans la dernière minute, leur avait ordonné de se taire en mettant son index devant sa bouche et de s’asseoir d’un geste déplaisant de la main. A eux maintenant de s’asseoir.

Confidentiel.Les faits suggèreraient-ils que le vrai geste déplaisant de la main est celui de l’Euro 2000 et non celui de novembre 2009 ? Et si oui, quels liens proposez-vous ?

Lipi vit Raymond Domenach jeter un regard dans sa direction (sûr que cela devait l’emmerder de perdre devant lui) et ne pût s’empêcher de le gratifier d’un sourire ; puéril mais tellement tentant.La fureur du sélectionneur français redoubla. Il se remit à crier, toujours plus fort, et le quatrième arbitre le pria de retourner dans sa zone technique et de se calmer.Zidaine sortait déjà du terrain ; l’équipe de France n’avait pas encore perdu, le score étant toujours de un à un, mais le combat venait de changer d’âme.

* *

Une dizaine d’années plus tôt, Cantoma répondit à Jacquet. Et Jacquet comprit que c’était mort : son rêve d’avant-centre parfait pour son équipe venait de passer.Cantoma reprit son verre.Et, à cet instant, dans ce restaurent, il se passa quelque chose.

Confidentiel.A la question de savoir pourquoi les noms des principaux protagonistes sont modifiés et pas celui de Jacquet, hasardons l’hypothèse suivante : parce qu’on ne touche pas à Jacquet.

* *

En juillet 2006, dans le couloir qui menait au vestiaire, Zinedine Zidaine n’en revenait pas : se faire expulser pour son dernier match, en finale mondiale qui plus est. Mais qu’est-ce qu’il avait dans le ciboulot ? Qu’est-ce qu’il avait eu à le narguer avec son maillot ? Qu’est-ce qu’il lui avait pris d’écouter ce mec et de

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disjoncter ? On l’avait provoqué des centaines de fois avec des propos pire encore. Qu’est-ce qu’il croyait ? Que l’autre allait rester là sans rien faire et dire merci monsieur Zidaine. Putain de bordel de merde !C’était fait.Tête basse, il sentait la sueur dégouliner le long de son nez et goutte à goutte tomber et, de fait, marquer son chemin. Tu parles d’une perfusion, tu parles d’un petit poucet… expulsé, bordel, expulsé… !Il marchait comme un automate… fatigué, beaucoup plus fatigué que sur le terrain… toute la fatigue du monde sur les épaules.Ce couloir n’en finissait pas. Le vestiaire s’éloignait à chaque pas. Il allait s’arrêter. Ca suffisait. Au prochain pas, il s’arrêterait. Faire un dernier pas…Bon, allez, stop.Les personnes qui se trouvaient dans le couloir le virent ralentir, comme s’immobiliser, puis, dans le même mouvement, repartir, marcher, accélérer le pas, prendre une grande inspiration et rire, rire aux éclats ; le fou-rire, un fou-rire inquiétant.Tout le monde s’écarta.

CHAPITRE 2

Dans le bus qui menait l’équipe de France au stade où devait se dérouler la finale de la Coupe du monde 2006, Zinedine Zidaine demanda à Vikash Dhorassou d’arrêter de filmer.On entrait dans cette zone non-visible sur l’enregistrement qui ennuiera tant Raymond Domenach.Dhorassou avait obtempéré et était allé se rasseoir en rangeant son caméscope.Le bus roulait tranquillement. Chacun dans ses pensées s’appliquait à ne rien changer, rien modifier, attentif à ne pas sortir des rituels qui avaient si bien réussis jusque là.Zidaine, les yeux dans le vague, se souvint de la finale 98, du trajet vers le SdF suivi en direct à la télévision, de ce peuple sur le bord des routes qui les accompagnait… là, il avait été impossible de faire comme d’habe… de ses deux buts de la tête, des ces sensations ressenties, de sa façon tel un gosse de se mettre à genoux sur la banquette arrière afin de mieux voir en perspective les bords de la route et le point de fuite, de cette équipe dont il ne restait plus que lui, Lilian, Fabien, et, à un degré moindre, Pat, Titi, et David.

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A quoi pouvait songer Fabien ?Il se tourna pour le chercher du regard.A quoi ?A 98 ? A 2000 ? Au goût de la victoire finale ? Pour lui aussi il s’agissait sans doute de sa dernière campagne.Le bus roulait prudemment. Zidaine fixait sans voir un extérieur qui ne l’intéressait pas. Il se laissait porter, flottant, faisant la planche sur ses souvenirs, ses sensations.Et, à cet instant, il se passa quelque chose.

* *

Dans le bus qui menait l’équipe de France au stade où devait se dérouler la finale de la Coupe du Monde 98, Aimé Jacquet tenait serrer dans ses mains le petit calepin qui lui servait à ne pas oublier aux moments chauds les grandes idées directrices qu’il s’était forgé sur son équipe match après match : untel avec untel, tel remplacement dans telle circonstance, tel système de jeu de rechange suivant la partie avec changement ou sans changement, telle organisation en infériorité numérique, en supériorité, etc…Il observa Laurent Blunc qui ne laissait rien paraitre de l’immense déception qu’il était en train de vivre.Lui, qui nous avait sauvé la mise en huitième avec un but en or qui avait envoyé au sol, bras en croix, les joueurs paragayens et éloigné le spectre des tirs au but ; Chilavert, seul debout, relevant un à un ses coéquipiers.Un ami, ensuite, avait téléphoné à Jacquet pour lui décrire la façon dont cet évènement avait été vécu dans le pays : c’était un dimanche, et en ville, dans les villages, dans les campagnes, pas de bruit… une ville, un village, une campagne de plus en plus silencieuse, comme si ce silence se condensait, se compressait… les fenêtres étaient ouvertes, les rues désertes, et du silence, du silence, du silence… attente et inquiétude tellement grande que l’on n’entendait même plus le commentaire ni le fond sonore des télés ou des radios… seul du silence épais, engluant, avec Chilavert trônant en son milieu, immense, tentaculaire, sérial keeper faisant de plus en plus peur, jusqu’à ce but en prolongation, de l’or blanc. Et là, dans la ville, dans le village, dans la campagne, un cri… non pas une clameur qui monte crescendo, non : un cri global, total, instantané, à son intensité maximale d’entrée comme à la naissance d’un bébé, de l’air délivré d’un coup, la vie.Jacquet, donc, regardait Blunc qui comme à son habitude assurait son rôle de leader psychologique.

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Une personne ignorant sa suspension pour la finale n’aurait jamais deviné qu’une telle fatalité était en train de s’accomplir. En demi, le joueur croate avait fait ce qu’il avait à faire et Blunc avait juste eu le petit geste qui l’exposait ; effet papillon… Minute papillon, disait-on autrefois pour essayer d’arrêter le cours des choses… dixième de seconde papillon.Jacquet jeta un regard à l’extérieur : que de monde sur le bord des routes… avant de revenir vers Laurent Blunc.Par tempérament, Jacquet se sentait plus proche des personnes se tenant simplement immobile sans rien dire et manifestant ainsi leur soutien par la vertu de leur seule présence. Il lui semblait que chacune d’elles lui confiait doucement son rêve : je suis vivant, j’espère, faites au mieux.Faites au mieux… Il arrêta de regarder Laurent Blunc qui venait de lui sourire et de faire oui de la tête plusieurs fois.Oui à quoi, d’ailleurs ?Au sort, à la victoire tant désirée, aux divers sacrifices, à lui sur le banc et les autres sur le terrain, à quoi ?

* *

Didier Deschomps, avant même de quitter la pelouse, discutait avec le sélectionneur Roger Lemerce. Ou plutôt écoutait-il ce que ce dernier avait à dire : « J’ai besoin de toi, Didier, l’équipe a besoin de toi : ton équipe, elle a besoin de son capitaine. »Equipe qui venait de remporter l’Euro 2000 en battant en finale les italiens au terme d’un suspense insoutenable et d’un retournement de situation ahurissant.Battre ? Non, assassiner, poignarder en pleine lucarne d’une reprise parfaite de Tréziguet, crime parfait.Et, justement, suite à pareille perfection, Deschomps voulait avoir la sagesse de s’en aller et la force de ne pas changer d’avis.Mais Roger Lemerce ne l’entendait pas ainsi. Surtout après la démonstration que venait de faire capitaine Deschomps, quand, en pleine tempête, au bout du bout suspendu par un ongle, les muscles gorgés d’acide lactique, en continuant de jouer et voyant du coin de l’œil des préparatifs de changement sur le bord de la touche, lui avait simplement dit : non, c’est Robert qu’il faut… sous-entendu Pieres, Robert Piries… ce qui avait tout changé et nous avait donné le titre.Deschomps avait eu la lucidité, Lemerce avait eu l’humilité. Aussi…Alors Lemerce n’arrêtait pas d’essayer de convaincre son capitaine, se servant tour à tour d’arguments objectifs, d’arguments affectifs. Il l’empêchait

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littéralement, physiquement, de quitter le terrain, se postant entre lui et les vestiaires, car une fois sorti de ce rectangle vert il savait qu’il serait trop tard. Il empêchait Deschomps au sens propre comme au figuré.Et la plupart des supporters de l’équipe de France, restant dans les tribunes, retardant d’autant le moment d’aller faire la fête à l’extérieur, suivaient de loin, fascinés, cette plaidoirie.Et les caméras de télévision, avant de rendre l’antenne pour quelques pages en couleurs, cadraient les deux hommes.Et Deschomps souriait doucement, faisant non de la tête, Lemerce revenant et revenant et revenant sans cesse à la charge.Et, à cet instant, il se passa quelque chose.

* *

Dans la tête de Laurent Blunc, debout dans le bus qui menait l’équipe de France à la finale 98, se déroulaient des souvenirs de 93, des questions… l’incompréhensible façon dont ce groupe avait implosé, n’avait pas supporté la pression : y’avait Didier, y’avait Marcel, y’avait Manu… et là, maintenant, avec eux comme à l’époque, en route pour… il regarda Jacquet et ne put s’empêcher de sourire, de hocher la tête.Les mains dans les poches, il détailla ses coéquipiers qui allaient donc jouer sans lui. Curieuse impression. Curieux statu que le sien. Curieux ressenti. Il regarda à nouveau Jacquet qui échangeait à présent quelques mots avec Lemerce. A quoi pouvait penser le coach dans un moment pareil ? A quoi peut penser un coach ?Et ce monde sur le bord des routes, cette sortie au pas de Clairefontaine, bientôt sa carrière de joueur pro s’arrêterait, et pas uniquement l’équipe de France, ça, tout ça, le foot.Il scruta une fois encore Jacquet.

* *

En 98, dans les tribunes, David Ginolia regardait cette équipe de France.Il l’avait regardé jouer et gagner.Gagner en poule. Gagner en huitième. Gagner en quart. Gagner en demi.Il l’avait regardée et il n’en pouvait plus.Il n’en pouvait plus de loucher sur cette aile gauche qui lui tendait les bras. Il aurait voulu être plus âgé qu’il ne l’était, de quatre ou cinq ans, et que la question ne se pose pas d’elle-même dans sa tête. Il l’entendait. Et qu’elle ne se lise plus dans les yeux des personnes qui le croisaient.

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On est ! On est ! On est en finale ! hurlaient dans les rues, dans le stade, partout, à se faire péter les cordes vocales, les supporters.Le cri de vie du but en or des huitièmes n’en finissait pas de porter la vague bleue.On chantait, on exultait, mais tout sonnait creux en lui, sonnait mal.La Marseillaise l’emmerdait, la fête l’emmerdait, le sexe l’emmerdait.MEEEEERRRRR ! credi.Ce qui lui avait fait le plus mal, c’est quelques temps auparavant, un employé de l’aéroport de Paris qui, l’ayant reconnu et voulant manifestement se montrer aimable, lui avait demandé ce qu’il devenait et s’il jouait toujours. Alors qu’il alignait semaine après semaine de grosses performances en Angleterre.Aussi pourquoi venir s’asseoir en tribune comme un simple spectateur ? Quel besoin le poussait à se torturer ainsi ? Et que lui avait demandé l’autre abruti de journaliste, s’il souhaitait que la France gagne !Enfoiré, son problème, c’était ce putain de couloir gauche sans lui, le voilà le problème ! Là, où il voyait tout ce qu’il aurait apporté au jeu de l’équipe. Ca lui crevait les yeux, la tête, le cœur. Ca le crevait. Et il n’avait même pas eu la chance d’être un des exclus de Clairefontaine !Dieu du ciel, qu’est-ce qu’il déblatérait : la chance d’être un des exclus…Il aurait voulu… qu’est-ce qu’il aurait voulu ? Il aurait voulu avoir la force de faire comme Canto, tiens.Et puis non, même pas.La finale allait commencer. La finale ! Avec l’équipe de France. Au Stade de France. En France. La finale du Mondial bordel !Combien de fois, petit, avec ses copains, avait-il joué rejoué rejoué rejoué la finale de la Coupe du Monde où, au bout de la fatigue, il inscrivait le but qui faisait que… ? Et là, ça lui passait devant le nez !Il aurait voulu être gros et âgé. Il aurait voulu ne plus savoir jouer au football. Il aurait voulu que plus personne ne le reconnaisse, que tous ces regards cessent, toutes ces questions, ces mots d’encouragements, de consolations.Il aurait voulu être réparé.Et, à cet instant, il se passa quelque chose.

* *

Sur le terrain de la finale 98, après les hymnes, Laurent Blunc trouva le moyen d’aller claquer une bise au crâne lisse de Fabien Barthiez, tachant de sauver ainsi ce qui pouvait encore l’être du rituel des victoires.

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Plus loin, Franck Lebieuf, celui qui le remplaçait en défense centrale avait la conviction qu’ils allaient gagner : son itinéraire s’avérant par trop incroyable pour qu’il en soit autrement.En premier, il avait appris qu’on songeait à lui, que son nom circulait (lui qui était passé par toutes sortes de galères et qui avait failli ne même pas être pro) ; en second, il s’était vu sur la liste élargie ; en troisième, sur la liste définitive ; et en quatrième cette touche finale, lui sur le terrain sur le point d’affronter les brésiliens ; plus le parcours inespéré avec son club cette saison… alors oui, il savourait la certitude au cœur cette évidence que c’était sa saison, son année.Qu’avait déclaré Deschomps, la veille, à la conférence de presse, suite à une question concernant le remplaçant de Laurent Blunc (car pour l’instant il n’était pas Franck Lebieuf mais le remplaçant de Blunc) ? Oui ! Que la seule inquiétude qu’il avait c’était la perspective de devoir entendre tout le match les orchestres de samba si le public du Stade de France ne s’y mettait pas un peu plus.Ca l’avait fait rire… les orchestres… et quand bien même : qu’ils chantent, qu’ils fournissent la samba, on dansera sur eux.Lebieuf chercha du regard Ronaldo.Il savait que les brésiliens allaient très certainement appuyer leurs attaques dans sa zone… qu’ils viendraient le plus possible le percuter et essayer de le pousser à la faute, espérant qu’il serait déstabilisé avec toute cette pression sur les épaules : rentrer dans l’équipe pour la finale.Jacquet lui avait recommandé de jouer comme d’habitude… et surtout de ne pas forcer son naturel parce qu’il l’avait choisi pour ses qualités propres et non pour tenter d’imiter celles d’un autre. Sous-entendu…Alors, ne pas se livrer, rester debout, s’opposer, ne pas faire faute, rester concentré, s’opposer, empêcher de jouer, rester simple, être là pour juste gagner le match, s’aider du collectif, relancer simple.Et, à cet instant, il se passa quelque chose.

CHAPITRE 3

Eté 2005.Zidaine se reposait dans sa chambre. Dehors il faisait chaud. La saison avait été longue et il goûtait à un repos bien mérité cet après-midi là.Le matin, léger footing, et après un déjeuner en famille, il était allé faire une sieste.

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La pénombre, le calme, la fraîcheur de la pièce, l’amenait doucement à une agréable somnolence.Il ferma les yeux, se sentant plonger. Il aimait ce moment de basculement dans le sommeil.« Hé ! Hé ! » entendit-il.Ce qui le fit sursauter : on parlait dans sa chambre, une voix d’homme. Il ouvrit les yeux et, du même coup, instantanément, ouvrit la bouche car sa mâchoire venait de se décrocher seule : à deux mètres de lui, là, là, devant le lit, debout… je vais me réveiller se dit-il, je rêve… il referma les yeux pour sortir du sommeil.« Hé ! » entendit-il à nouveau, « Hé ! » de façon plus insistante.Non je n’ouvrirai pas les yeux, non : si je veux me réveiller, je n’ouvrirai pas les yeux.Pourquoi, à cet instant, commença-t-il à conjuguer dans sa tête « Ne pas ouvrir les yeux » ? Mystère. L’esprit…En tout cas : je n’ouvrirai pas les yeux, tu n’ouvriras pas les yeux, il n’ouvrira pas les« Hé ! »yeux, nous n’ouvrirons pas les yeux, vous n’ouvri – et là il faillit s’étrangler : on venait de lui secouer le pied droit. Ce qui arrêta net son exercice de conjugaison.Quoique… Je vais ouvrir les yeux, tu vas ouvrir les yeux, il va ouvrir les« Allez, ouvre les yeux. De toute façon, tu vas les ouvrir » secoua-t-on plus fort son pied.Zidaine ouvrit les yeux à contre cœur. Mais même en y mettant toute la mauvaise volonté du monde, il ne pouvait pas ne pas voir ce qui était.« Je sais, tu es surpris. »Ca, c’était le moins que l’on puisse dire.Adolescent déjà, il s’était inquiété pour sa santé mentale : à un moment il avait craint d’être schizo avec des hallucinations. Au moins, à présent, il n’avait plus à s’inquiéter pour ça, le stade de la crainte se trouvant largement dépassé.« Je… Je… Je… » bégaya-t-il.« Je sais. Juste, écoute-moi, c’est important. »Zidaine s’assit en tailleur sur le lit. La raison lui commandait de se lever et de quitter la chambre séance tenante, mais il savait qu’il n’en ferait rien, la curiosité étant la plus forte : devant lui, debout, se tenait lui-même, Zidaine, un autre Zinedine Zidaine.On l’avait cloné ! Ca y est, il comprenait : les raëliens l’avait cloné.« Et non, je ne suis pas un clone » lui dit le Zidaine.Il lisait dans ses pensées.« Et non, je ne lis pas dans tes pensées » rajouta le Zidaine.

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C’était affreux.« Vous êtes qui ? » demanda Zidaine.Ce qui déclencha un sourire chez le Zidaine : « A ton avis ? »« Je sais pas, bordel, je sais pas ! » explosa Zidaine.Le Zidaine fit non de la tête plusieurs fois, l’air très désaprobateur : « Et tu devrais te méfier de tes accès de colère, un jour tu pourrais bien le regretter… »Il lui faisait la morale, qui plus est, le faux clone lui faisait la morale.« Ne vous inquiétez pas pour moi » lâcha-t-il, « Je gère. »Le Zidaine le regarda : « Et dis-moi tu. C’est stupide de te vouvoyer. »Il se rappela d’un film où un mathématicien très intelligent, qui avait développé des équations très utiles à la compréhension du réel, passait son temps à discuter le bout de gras avec des personnages inexistants.Il avait beau se creuser la cervelle, jamais il n’avait lu que Platini ait un jour mentionné de quelconques personnages inexistants. Cantoma peut-être, Cantoma sûrement, mais pas Platini. Et encore moins Enzo Francescoli.« Qu’est-ce que vous voulez ? »« Tu as compté le nombre de points qu’a l’équipe de France au compteur, et le nombre de matchs qui restent à jouer ? » dit le Zidaine, « A ce rythme, jamais nous ne nous qualifions pour l’Allemagne. »« Ca ne me concerne plus. »« Ca ne te concerne plus ! Ben voyons… A d’autres. »Il en revenait pas. C’était…Normalement, d’après tout ce qu’il avait entendu, une apparition ne parlait pas de cette manière. Ca délivrait un message et basta. Du style : derrière le rideau, il y a la lumière. Voilà, ça, ç’aurait été une déclaration logique pour une apparition normale. Alors qu’un lui-même venant discuter le coup, c’était…« Incroyable, non ? » compléta le Zidaine.L’horreur.« Qu’est-ce que vous voulez ? »Le Zidaine lui sourit à nouveau.« Ho, c’est simple : que tu rejoues en équipe de France. »« Hein ! »« Maintenant. Et avec Claude et Lilian. Et que nous nous qualifions pour le Mondial 2006. »« Mais… ? »« Y’a pas de mais. Tu es Zidaine, tu prends ton téléphone, tu appelles Claude, puis tu appelles Lilian, et vous appelez qui de droit. Un match amical en août pour se régler, puis direction l’Irlande. »Zidaine secoua la tête : « Ca va être galère… »

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Le Zidaine se mit à le fixer durement : « Hé, Yazid ! On n’entre pas comme ça dans la gloire des corps. »Ce qui soulagea Zidaine : au moins, ça, c’était un langage digne d’une apparition dans un rêve.

CHAPITRE 4

Il s’était donc passé quelque chose, plusieurs fois quelque chose.

Ailleurs, Didier Deschomps, micro à la main, se bidonnait.« C’est génial, ce truc ! » s’exclama-t-il.Il se tourna vers Zidaine assis à côté de lui sur le canapé : « Tu ne trouves pas ? »Si l’un s’amusait comme un petit fou, l’autre semblait plutôt dans l’expectative.« Je ne sais pas. »« Quoi, tu trouves pas ! »Deschomps n’en revenait pas : que Zizou fasse à ce point la fine bouche le surprenait. Parce que, quand même, prenait-il conscience de la situation ?Ils se trouvaient tous deux devant, ou autour, ou dans l’image s’il le voulait, à leur choix, d’un espace maxi géant 3D et assistaient en direct relatif à la retransmission de la finale de la Coupe du Monde 2006. Eux, joueurs de 1998, joueurs qui s’apprêtaient à disputer la finale du Mondial 98, joueurs qui foulaient déjà la pelouse du Stade de France quand il se passa quelque chose, et qui à présent regardaient une finale qui pour leur part ne se déroulerait que dans huit ans…Mince, que lui fallait-il de plus pour s’exciter !Et ce n’était pas tout, car Didier Deschomps, depuis l’Ailleurs, en parlant dans un micro, venait de se faire entendre du Zinedine Zidaine de 2006 en train de marcher à côté du rond central vers l’arbitre et le capitaine italien, et, inévitablement, cette nouvelle faculté ne pouvait que le mettre en joie : « T’as vu la tête qu’il fait quand il me capte ? »Zidaine observait l’image et voyait. Il vit surtout que Deschomps reprenait le micro pour faire à nouveau résonner sa voix dans la tête de Zidaine 2006.« Attends, tu vas pas continuer ! »« Pourquoi ? »

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« Non, j’ai… j’avais… j’aurai… ho je sais pas comment dire… Il a sûrement pas envi de t’entendre toute la partie. »Parce que même s’il n’arrivait pas à considérer le Zidaine qu’il voyait en 3D comme… même si ce n’était pas lui, pas encore… cette façon de le chambrer ne lui allait pas.Ladèche le regarda.« Alors, ça te fait pas marrer… » déplora-t-il.« Non. »« Hé ! Zizou 006 ! » ne put s’empêcher de gueuler dans le micro Deschomps ; ce qui fit sursauter une nouvelle fois Zidaine 2006.« Arrête, merde ! » lui arracha le micro des mains Zidaine.« Ho ! ho ! ho ! » fit en entrant Robert Simack, « Ce n’est pas un jouet ce micro, où vous croyez-vous ? »Où se croyait-il ? Bonne question : où étaient-ils au juste ? Où ?Ailleurs, leur avait-on dit.Ailleurs ! Comment ça, ailleurs ? Qu’est-ce que ça veut dire, ailleurs ?Parce que la vérité est ailleurs, se fouta-t-on de prime abord de leurs gueules.Etaient-ils tombés entre les mains de terroristes humoristes ? C’était ça ?Non.Alors ?Hé bien, alors, au commencement, si toutefois ce mot conservait une signification, après qu’il se soit passé quelque chose sur la pelouse de la finale 98, chacun des membres du groupe Jacquet s’était retrouvé seul.L’instant d’avant, staff, joueurs, allaient participer à la finale du mondial 98, les brésiliens faisaient face à l’EdF et prenaient position, et… ça : seul, pour diverses raisons d’ordre psychologique, de vérifications physiologiques, leur avait-on précisé (de toute façon on pouvait leur raconter ce qu’on voulait).Et donc, ailleurs, s’ils avaient bien compris, comportait aussi sa mise au vert.Quand Didier Deschomps s’était retrouvé seul (car il ne voyait pas d’autre mot que retrouvé) dans une pièce bleutée alors qu’il marchait avec ses coéquipiers sur la pelouse de Stade de France, il commença par ne pas y croire ; ce qui s’avère très déstabilisant de ne pas croire à ce que l’on voit, entend, respire, touche.Et un canular de cette ampleur de la part de « Surprise sur prise » à une minute du coup d’envoi de la finale du Mondial 98 était inenvisageable.Pourtant, un court moment, il avait été tenté de s’y raccrocher ; question de tempérament, garder la tête froide en toutes circonstances : derrière un air rigolard se cachait un général spartiate.

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Puis, d’un coup, dans son isolement bleuté, il prit conscience qu’il était à poil. De crampons chaussettes il s’était retrouvé (encore ce mot) en costume d’Adam.Adam !Comme quoi, il existait bel et bien un commencement.

* *

Ailleurs, Aimé Jacquet ne saisissait pas : « Mais, à la fin, de quel match parlez-vous ? »Robert Simack soupira. Il venait pourtant de l’expliquer.« Il s’agit de purger une bonne fois l’ensemble des questions » pontifia-t-il.Aimé Jacquet ouvrit grand les yeux, encore plus ébahi.« De toute façon, en sport, seul le palmares fait foi au bout du compte » intervint l’adjoint de Jacquet, Roger Lemerce.« De votre point de vue, oui, bien sûr » pinailla Simack, « Mais il y a d’autres façons de voir. »« Lesquelles ? » demanda Jacquet.« Je ne sais pas si… » laissa en suspens Simack.Lemerce et Jacquet le regardaient. Puis il se décida : « Je vais prendre un exemple : vous connaissez l’histoire de la guerre de Troie ? »Cette fois les deux entraîneurs se regardèrent : qu’est-ce que c’était que ce type ? Mais, Troie, oui, ils connaissaient ; surtout trois à zéro s’ils avaient bien suivis.« D’accord » fit Simack, « Alors Achille et Hector. Achille tue Hector. »« Et ç’a à voir quoi avec le football ? »Simack ignora la remarque de Lemerce et poursuivit : « Et donc Achille est plus fort qu’Hector, point final si je vous écoute. »« Heu… au moins à ce moment-là » tint à préciser Jacquet.« Et comme y’a pas de match retour possible… » rajouta Lemerce.Robert Simack balaya de la main la tentative rhétorique des deux hommes qui n’avait d’autre but que de prouver qu’en dernière analyse on ne pouvait se fier qu’au palmarès.« Seulement, si vous lisez avec attention le passage du combat entre Achille et Hector » continua Simack, « Le texte de l’Iliade. Hé bien, vous constaterez que les dés sont pipés et qu’il y a matière à porter réclamation : Achille lance son javelot qu’Hector évite. Je tiens à préciser que chaque combattant dispose d’un et un seul javelot. Donc, après un quart d’heure de jeu, Hector possède toujours son épée, son bouclier, et son javelot, alors qu’Achille n’a plus que son épée et son bouclier. Légère domination d’Hector. »

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« Il nous prend pour des pommes, Aimé » souffla Lemerce.« Et d’un coup, miraculeusement, Achille a de nouveau un javelot. Ce qui ne manque pas d’étonner Hector, d’ailleurs. En fait, une déesse invisible aux yeux de tous a redonné à Achille son javelot.Ca ne vous laisse pas songeur ? Cela n’ébranle pas vos convictions ?Et pour la pierre qui détruit la mobilité d’Hector, idem : intervention divine.Alors, Achille meilleur qu’Hector ? »Visiblement, Simack n’était pas mécontent de sa petite démonstration. Les deux entraîneurs restaient silencieux, pensifs.Puis : « Poteau rentrant » finit par déclarer Lemerce.« Heureux homme » conclut Simack en levant les bras au ciel. « Il veut dire : heureux les simples d’esprit, Roger. »« Merci, Aimé, j’avais compris. »Et Lemerce de se tourner vers Simack : « De toute façon, vu comment les »« Attends, Roger » l’interrompit Jacquet, « Pourquoi nous avez-vous raconté cette histoire, monsieur Simack, la véritable raison ? »

* *

Ailleurs, Raymond Domenach tempêtait.Nu, seul dans une pièce bleutée, il tournait en rond insensible à l’ambiance apaisante du lieu.« J’exige des explications ! » hurla-t-il à la cantonade, s’exaspérant de ne trouver aucune porte où tambouriner, « Y’a quelqu’un qui entend, y’a quelqu’un ? »Il écouta. Personne ne répondait.L’instant d’avant il se tenait au milieu de son groupe dans le bus qui les menait au stade où devait se dérouler la finale du Mondial 06.10 juillet 2006, finale de la Coupe du Monde, avait-il trouvé écrit d’une écriture ressemblant à s’y méprendre à la sienne sur le tableau de la salle où il s’apprêtait à donner sa première conférence de presse en tant que sélectionneur des A nouvellement nommé.Le faussaire avait eu du talent et de la malice. Et, passée la surprise, la plaisanterie l’avait amusé. Ce qui l’avait décidé à la récupérer à son avantage. Et brillamment du reste puisque quelques instants auparavant il était en route pour le rendez-vous, la finale.Puis, de toute façon, qu’aurait-il pu faire d’autre que d’endosser la paternité de cette phrase ?Oui, ça l’avait amusé, mais, là, à poil, baigné de bleu, la blague maintenant frisait le mauvais goût.

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Coupe du Monde 1958, en Suède, demi-finale.Sur le banc, Albert Batteux, vu la tournure du match, comprit que son équipe ne battrait pas ces brésiliens. Elle n’accèderait pas à la finale. Kopa, Fontaine, Piantoni, avaient beau se démener, le Brésil était trop fort ; surtout à onze brésilien contre dix français : Joncquet, jambe cassée, avait tenu à rester à cloche-pied sur le terrain mais n’arrivait même pas à jouer les utilités ; en ce temps-là aucun remplacement d’aucune sorte n’était autorisé, on commençait à onze et on finissait comme on pouvait.On commençait aussi comme on pouvait : Just Fontaine (Premier poteau, premier servi) avait dû emprunter une paire de crampon à un de ses partenaires pour disputer cette demi-finale mondiale.Batteux secoua la tête. Il ne pouvait rien y faire. On devrait toujours, que l’on perde ou que l’on gagne, avoir la possibilité de sortir d’un terrain sans regret.Batteux, entraîneur du grand Stade de Reims et de l’équipe de France, pleurait intérieurement devant le courage de ses joueurs.

* *

Sur un stabilisé des années 60, Jean Snella dirigeait une séance en appliquant des principes de son maître à penser le football, Albert Batteux.Sous ses ordres, il avait notamment un jeune joueur nommé Aimé Jacquet qui, lui-même, plus tard…Longue chaîne, mémoire longue, et apprentissage.

Confidentiel.Auriez-vous trace dans vos dossiers d’une quelconque étude historique sur la filiation Batteux-Snella-Jacquet-Blunc qui inclurait Raymond Domenach et 2010 ?

* *

Ailleurs, Zidaine reprit ses esprits dans une petite pièce bleutée où se tenait debout la silhouette translucide d’un homme grand, barbu, tout habillé de blanc, qui lui souriait paisiblement.L’instant d’avant il était dans le bus qui le menait au stade où devait se dérouler la finale du Mondial 06.Putain, je suis mort ? se demanda Zidaine, on a eu un accident ?

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« Cher monsieur Zinedine Zidaine » commença la silhouette transparente, « Vous ne pouvez pas sa voir quel plaisir j’ai à vous rencontrer. »Je suis mort, se confirma Zidaine ; à force de se dire et de s’entendre dire que ç’allait être son dernier match, il avait dû le prendre au pied de la lettre et faire une rupture d’anévrisme.Ou peut-être ne suis-je que dans le coma, essaya-t-il de se rassurer.« Vous êtes une vraie légende vivante pour nous. »Le mot « vivante » lui causa un grand soulagement ; malgré l’expression « vraie légende » car il avait déjà lu, vu, et entendu cette formule s’appliquer à son encontre.« Je suis vivant, alors ? » réussit-il à formuler.Ce qui fit rire la silhouette : « Mais oui, oui, bien sûr ! »La question semblait follement l’amuser.« Bien sûr que vous êtes vivant, et même en parfaite condition physique. Et rassurez-vous, eu égard aux circonstances c’est une question logique à poser. »La silhouette le regardait avec bienveillance. Que fallait-il répondre : merci, pas de souci, tranquille, prenez soin de vous… ?Il ne pouvait s’empêcher de penser à l’instant d’avant, assis dans le bus, et… putain la finale !« Heu… » fit Zidaine, « Et le match ? »« Quel match ? »« Comment, quel match ! »« Je plaisante… » rigola le transparent qui, visiblement, était ravi, ravi, de se retrouver en présence de Zinedine Zidaine, « Vous le jouerez, croyez-moi, ce match contre les italiens, vous la jouerez cette finale 2006… »« Bon. »Au moins un point d’acquis. A condition que le transparent dise la vérité cela allait de soit. Mais quel intérêt aurait-il eu à mentir sur ce point ?« Alors c’est quoi tout ce truc ? Et si je ne suis pas mort, où je suis, dans les vapes ? » demanda Zidaine d’une traite : Ronaldo, en 98, avait bien eu une crise l’après-midi même de la finale.La silhouette se voulut rassurante : « Je vous le répète : ni mort, ni dans le coma, ni évanoui, mais en parfaite santé, apte à jouer, et vous allez jouer. Seulement, avant, une petite formalité nous attend : vous allez devoir vous convaincre de revenir en équipe de France pour le match contre l’Irlande en automne 2005. »Zidaine prit le temps d’assimiler l’info : pour lui, on était en juillet 2006 et le transparent causait d’aller en 2005 comme s’il s’agissait de rendre visite à des amis… le passé… il avait vu des films sur ça… non seulement causait d’aller en 2005, mais aussi de se convaincre… aussi, si tout cela était vrai, il…

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« Alors je n’avais pas rêvé… » murmura Zidaine.« Hé non » sourit le translucide.

* *

Ailleurs, Robert Simack libéra Didier Deschomps de sa mise au vert bleutée.« Voici de quoi vous habillez, monsieur Deschomps. »« C’est gentil à vous. »Deschomps se vêtit rapidement.« Etes-vous prêt ? » demanda Simack.« A ? »« Mais à rejoindre vos coéquipiers. »« Parce qu’ils sont ici ? »« Oui. Tout le groupe France du Mondial 98, joueurs et staff. »Deschomps le regarda du coin de l’œil. Qu’est-ce que c’était que ce zouave qui parlait d’eux comme du groupe France du Mondial 98 ?Simack, après avoir fait sortir Deschomps de la petite pièce, lui fit parcourir un couloir de couleur jaune tournesol, et lui demanda d’entrer dans une nouvelle pièce, verte celle-là (décidément ces gens aimaient les couleurs) où se tenait déjà assis sur un canapé Zinedine Zidaine.« Didier ! » se leva Zidaine.« Zizou ! » s’exclama Deschomps.« J’étais sur la pelouse du stade de France et »« Je sais, Zinedine, je sais » l’interrompit Deschomps, « Moi pareil. »« Il m’avait dit que t’étais là mais je voulais te voir avant de le croire. »« Ca, t’as raison » approuva Deschomps, « Vu les… »« Parce qu’on allait donner le coup d’envoi, tu te rappelles, et »« S’il vous plaît, s’il vous plaît ! » attira leur attention Simack, « Vous confronterez vos impressions plus tard : j’aimerais d’abord que vous regardiez ceci. »Un léger tremblement de l’air se matérialisa dans la pièce et une image 3D apparue.Deschomps se mit à rire : « Je ne sais pas toi » fit-il à Zidaine, « Mais moi j’ai pas trop la tête à regarder un film. »« Evidemment » acquiesça Simack, « Mais je suis sûr que vous n’aurez rien contre le fait d’assister à la finale de la Coupe du Monde de football 2006. »« Deux… deux mille six ? » répéta Zidaine.« Oui. »

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Zidaine et Deschomps, joueurs qui, quelques heures auparavant, s’apprêtaient à disputer la finale du mondial 98, s’assirent comme un seul homme sur le canapé.« Et vous pouvez changer de point de vue » continua Simack, « En vous déplaçant dans la pièce comme il vous plaira, comme si vous étiez dans le stade. Mieux même, vous pouvez aller au milieu des joueurs si vous voulez voir comme si vous étiez sur la pelouse. »Ils firent oui de la tête sans un mot.« Par contre, ne touchez surtout pas à ce micro » leur montra Simack.Ils continuèrent de faire oui de la tête sans un mot. Et la retransmission de la finale 06 démarra.« Ha oui, j’oubliais un détail» rajouta Simack avant de sortir, « Cette rencontre oppose les italiens aux français. »« Quoi ? » fit Zidaine.« Bon match ! » finit-il de sortir.Les deux joueurs de 98 se levèrent comme un seul homme transformé en zombi.« Putain, mais c’est toi… » montra l’image, Deschomps.Puis…Puis…Puis…La tentation de toucher à ce micro ainsi que de se faire entendre de Zizou 006 se fit le plus forte pour DD 98.

CHAPITRE 5

Confidentiel.Vous rappelons que l’enquête portant sur la décennie 96-06, ainsi que sur la période de décadence qui s’en suivit et le record de RD, découle de la découverte d’Aimé Jacquet en pleurs à la référence 17/20 juin 2010 CM-AFS.Rien pour l’instant dans vos investigations ne lie les évènements comme vous le laissez sous-entendre en les collants ainsi bout à bout.Serions très désappointés si votre rapport n’apportait pas d’éclaircissements…

Ailleurs, l’adjoint de Jacquet, Roger Lemerce avait beau l’avoir demandé, redemandé, n’en revenait toujours pas : alors c’était sûr, cette finale qu’ils

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étaient sur le point de jouer, c’était ça, il ne s’était pas trompé sur les propos de Simack ?« Et combien va-t-on passer aux brésiliens, avez-vous dit ? » redemanda une nouvelle fois Roger Lemerce, ne s’en lassant pas et heureux comme un gosse de le réentendre.« Trois. Trois à zéro. »« Alors c’est bien pour ça que vous nous avez parlé de la guerre de Troie… mais, vous savez, y’avait pas besoin de prendre toutes ces précautions pour nous l’annoncer : c’est le genre de nouvelles que nous supportons sans problème, pas vrai Aimé ? »Jacquet resta silencieux.« Trois à zéro… Tu te rends compte, Aimé ? »« Pas bien » fit Jacquet, « Et je pense que tu te trompes. »« Sur quoi ! » s’inquiéta Lemerce, « Sur le fait qu’on va battre les brésiliens ? »« Je ne pense pas qu’il nous ait parlé de la guerre de Troie pour illustrer le soit disant score... parce que les battre, on les battra… trois à zéro, je sais pas… mais gagner, on gagnera. A condition bien sûr que nous puissions jouer cette rencontre. »« Vous la jouerez. »« A la santé d’Albert Batteux, Aimé » leva son verre Lemerce, « Et à la santé de Michel Hidalgo. »« Bien sûr » approuva Jacquet qui ne pouvait se dérober à pareil toast, même s’il estimait que ce n’était absolument pas le moment.« A ce propos… » commença Simack.« Oui ? » l’encouragea Lemerce.« Non, rien » se ravisa Simack.Jacquet le regarda, méfiant, sentant plein de non-dit dans les discours de Simack : « Y’aurait-il des détails que nous ignorons ? » demanda-t-il.« N’en sommes-nous pas tous là… ! » se mit à rire Simack.« Oui » dit Jacquet, « En tout cas, vous ne nous avez toujours pas expliqué le pourquoi de cette histoire sur Achille et Hector. Car vous n’arriverez pas à me persuader que c’est pour nous annoncer de façon originale un hypothétique score de trois zéro. »

* *

Un match en 1999.Thierry Rollond, en revenant dans la cabine des commentateurs, était très pâle.« Qu’est-ce que tu as ? » s’alarma Jean-Michel Liarqué.

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« Tu ne vas pas me croire, mais je viens de croiser Albert Batteux » fit d’une voix blanche Thierry Rollond : Albert Batteux étant décédé depuis longtemps.« Exact » rigola Liarqué, « Comment as-tu deviné ? Je ne te crois pas. »« Et il était avec Jean Snella » reprit Thierry Rollond en se mettant la main devant la bouche comme pour s’empêcher de parler.« Snella ? »Thierry Rollond fit oui de la tête, lucide quant à l’énormité de ses propos : Jean Snella étant lui aussi décédé.« Assieds-toi » lui dit doucement Liarqué qui n’avait plus envi de rire, « Nous sommes en quelle année, Thierry ? »« 1999. »« Oui, 99. »Tout juste si Liarqué n’avait pas rajouté : c’est bien.« 1999. Et Batteux et Snella sont ? Sont… ? »« Morts, oui, je sais, j’suis pas gâteux ! » cria Thierry Rollonds, « Mais tu comprends, je n’aurais vu que Batteux ou que Snella, à la rigueur j’aurais pu me dire… non, je me serais dit qu’il s’agissait d’un sosie… mais là, les deux en même temps ensemble, quoi ? Deux sosies ? Tout comme je te vois. »« Calme-toi. Tu prends des médicaments, quelque chose ? »« Et je les ai entendu discuter d’une liste des 23… »Jean-Michel Liarqué regarda Thierry Rollond.« C’est fou, non, Jean-Michel ? »En effet, c’est terrible les ravages de l’âge. Et justement il lui demanda : « Tu es sûr que tu vas pouvoir commenter la deuxième mi-temps ? »

* *

Soudain, Ailleurs, dans son isolement bleuté, Raymond Domenach prit conscience d’un manque.« Mes couilles ! » hurla-t-il à pleins poumons, « Où sont mes couilles ! »Car, suite à une subite envi de se gratter, ses doigts ne venaient de rencontrer qu’un grand vide angoissant.« Putain, où sont mes couilles ? »A moitié plié en deux, les yeux lui sortant de la tête, il se regardait l’entrejambe, incrédule, quant une voix douce sortant des murs se fit entendre : « Ne vous inquiétez pas, monsieur Domenach. »« Que je ne m’inquiéte pas ! » s’écria-t-il au plafond en se redressant d’un coup ; puisque que l’on a toujours tendance à s’adresser au ciel lorsqu’on se voit frapper par une cruelle injustice.

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« Oui, bien sûr, tout va bien, monsieur Domenach » poursuivit la voix doucereuse.« Comment tout va bien ? Mais rien ne va, putain de merde ! » encadra-t-il et montra-t-il des mains la pénible absence, « Et vous êtes qui d’abord ? »« Professeur Robert Simack » s’exécuta la voix.« Professeur en quoi ? » voulut savoir Domenach, logiquement hanté par des préoccupations d’ordre chirurgical.« En histoire » précisa Simack, « Professeur d’histoire. »« D’histoire ! »« Oui. »« Et mes couilles ? » revint à ses moutons, Domenach.Simack, satisfait d’avoir à dire ce qu’il avait à dire, prit le temps de soigner son effet : « Hé bien, ma foi… »… puis s’exprimant sur le ton de celui qui annonce une bonne nouvelle : « Vos parties génitales se trouvent là où elles se doivent d’être. »C’est pas une bonne nouvelle, ça !« Quoi ! » s’étrangla Domenach en se reregardant à nouveau l’entrejambe, « Quoi ! »Y’avait rien à l’endroit où il devrait y avoir quelque chose. Qu’est-ce que cet historien de ses deux avait fichu ?C’était un cauchemar.

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Ailleurs, Roger Lemerce, le sélectionneur de l’Euro 2000, successeur de Jacquet à la tête des Bleus, découvrait un résumé de ce qui allait se passer pour lui et son groupe à la Coupe du Monde 2002 en Corée.Incroyable, il n’en revenait pas… impensable… que l’équipe de France… non… avec les joueurs qui constituaient ce… le meilleur buteur du championnat d’Italie, le meilleur buteur du championnat d’Angleterre, le meilleur buteur du championnat de France… et ça !Bien sûr, il n’avait finalement pas réussi à convaincre Didier de continuer (quelques heures auparavant il se tenait sur le terrain en train de travailler au corps son capitaine) mais, tout de même, un tel échec, une telle débâcle.« Vous savez » dit Simack, « On se trompe souvent sur les causes qui amènent une réussite ou une non-réussite. »Lemerce continuait de visionner le résumé. Comment l’équipe allait-elle s’en remettre ?« Prenez par exemple Achille et Hector. »« Qui ? » demanda Lemerce sans le regarder.

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« Achille, la guerre de Troie, le combat contre Hector... »Le sélectionneur hocha la tête, toujours sans quitter des yeux le troisième match. Il écoutait le commentaire en voix off que faisait un historien de ces évènements soulignant les effets qu’avaient engendré la blessure de Robert Piries et son forfait pour le Mondial 02 alors que ce joueur tenait la plus belle forme de sa carrière et arrivait à plénitude.Inimaginable…« Oui, peut-être le moment est-il mal choisi pour discuter d’Hector… » énonça Simack.Et puis voir son futur comme s’il s’agissait de son passé, rien ne prépare à pareille expérience. En quelques heures passer de la pelouse de l’Euro 2000 en poche, d’un corps à corps avec Didier, à, plaf comme un flash ! cette cellule bleutée où il avait progressivement repris connaissance avec une curieuse sensation désagréable au bas ventre durant son demi-sommeil agité pour finir par apprendre…Oui, tout ça le dépassait.

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Ailleurs, Raymond Domenach, toujours seul et se sentant de plus en plus isolé dans sa cellule bleutée, recommandait chaudement à Robert Simack de faire gaffes à ses parties génitales : « Vous entendez ! »Il le martelait à une dizaine de centimètres du mur, là, où, estimait-il, se concentrait la voix. Voix qui ne comprenait ni cette colère ni que le sélectionneur prenne mal cette préparation basique de match.« Mais parce que ! » explosa Domenach.A qui il sembla que la tessiture de son organe était légèrement plus aigue qu’à l’ordinaire… ce qui le fit flipper encore plus… se voyant déjà au centre du terrain en train de chanter seul à capella la Marseillaise avec un timbre d’ange devant les yeux attendris, et navrés pour lui, des spectateurs et téléspectateurs.« Parce que… ! » se força-t-il à reprendre un ton plus bas et plus grave comme l’heure.Parce que si cet olibrius ne comprenait pas de lui-même, inutile d’expliquer le… la… ce qu’on pouvait ressentir. D’où sortait-il ?« Je vous assure, monsieur Domenach, que nous n’avons fait que suivre à la lettre les préceptes véhiculés par tout compétiteur de la décennie 96-06 » se justifia Robert Simack, « Maintes et maintes fois apparait nommément le concept couille. »« Le concept… » articula lentement Domenach.

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Ce type était pas bien.« Concept… » répéta-t-il.La discussion prenait un tour surréaliste.« Mais enfin qui êtes-vous ? »« Je vous l’ai dit : professeur Ro »« Oui, je sais » le coupa Domenach, « Robert Simack, prof d’histoire. Non, ce que je vous demande c’est ce que vous avez foutu, bordel, pas votre état civil ! »« Je comprends » fit Simack.Raymond Domenach n’en était pas du tout convaincu.« Dans quantité d’interviews » poursuivit Simack, « Vous-même, ainsi que beaucoup d’autres, avez déclaré ou tenu des propos signifiant tous la même chose : à savoir qu’il fallait avoir des couilles, qu’il fallait le montrer et les mettre sur le terrain. »« Peut-être, oui, et alors ? » haussa les épaules Domenach.« Et alors ? Mais c’est capital ! » s’excita Simack, « Parce qu’elles y sont, nous les y avons mises : elles sont toutes sur le terrain. »« Co ! Co ! Co ! »Ca, ça ne passait pas : cela lui restait là, en travers.« Comment ! » finit-il par expulser.« Ho, une magnifique reconstitution historique… » s’extasia Simack.« Jésus Marie Joseph, faites que je me réveille, faites que ce soit un mauvais rêve… ! »Imperturbable, Simack, tout à son extase, continua sa description pour terminer de le convaincre : « Quatre listes de 23 ou 22 plus les staffs » se mit-il à compter gaiement, « Soit une bonne centaine de paires de testicules disposées harmonieusement sur le terrain suivant les lois de fen-chui afin d’optimiser le rendement des équipes. »« Mais vous êtes des malades ! » glapit Domenach, « De grands malades ! »La vision l’horrifiait : imaginer toutes ces couilles, et notamment les siennes, alignées suivant les pointillés de méridiens énergétiques…« Des malades ! » cria-t-il à nouveau.« Pourtant, monsieur Domenach, nous nous appuyons sur des documents historiques formels irréfutables » reprit, étonnée, et même légèrement peinée, la voix de Robert Simack, « Mettre ses couilles sur le terrain s’avérait un principe de base. »Raymond Domenach prit une longue inspiration d’air bleuté puis relâcha lentement par petits volumes son souffle. Il renouvela l’opération et constata, cette fois il en était sûr, que cela ne lui procurait aucune amélioration.

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Ailleurs, Simack prit le micro des mains de Zidaine qui venait de l’arracher à son capitaine.« Je vous avais demandé de ne toucher à rien ! »« Alors fallait pas en parler » fit Deschomps, « Nous ne l’aurions même pas remarqué votre fichu micro. »Dans la pièce, la retransmission 3D de la finale 06 suivait son cours.Simack se tourna vers Zidaine : « Et vous, monsieur Zidaine, je pensais que vous vous montreriez plus raisonnable que monsieur Deschomps. »« Non, mais attendez, vous rigolez ou quoi ! » dit Zidaine , « Et d’abord pourquoi il est réglé que sur lui ? » se désigna-t-il sur les images.« Bon, le mieux » trancha Simack, « C’est que vous visionnez avec les autres groupes ce match et que vous en discutiez ensuite entre vous. »« Quels groupes ? » s’informa Deschomps.« Les groupes France de 2000 et de 2006 et le votre, celui de 98. »Zidaine et Deschomps se regardèrent. A cet instant, ils ne virent donc pas Flaurent Maloudia s’écroulant admirablement dans la surface italienne.Avant le Mondial 98, le journal L’Equipe avait sorti une pleine page où trônait un grand panneau triangulaire style signalisation routière avec un point d’exclamation et la légende suivante : « Attention : Chute d’italiens dans la surface. »Avant l’Euro 2000, Youri Djorkayef avait déclaré que, s’il avait une occasion de trébucher sur une pâquerette dans la surface, il ne la manquerait pas.Avant le Mondial 2010, Thierry Hinry conforta la qualification de l’EdF d’une main.« Suivez-moi » dit Simack, « Allons les rejoindre. »L’historien, précédant Deschomps et Zidaine, sortit de la pièce 3D.A l’extérieur, dans le couloir jaune tournesol, la porte rouge de la pièce qu’il venait de quitter s’ornait de l’inscription argentée : Extension 2 de l’Outil Temporel.Zidaine donna un coup de coude à Deschomps et lui demanda : « Tu crois vraiment pas que c’est une embrouille des brésiliens ? »« A ce propos » déclara Simack qui l’avait entendu, « Dorénavant, par commodité, et si vous n’y voyez pas d’inconvénients bien sûr, vous, monsieur Zidaine, serez monsieur Zidaine 98, et vous, monsieur Deschomps, monsieur Deschomps 98. »« Ben voyons » sourit Deschomps, « Quand on peut faire plaisir… »

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Ailleurs, on se calme, pensait Domenach, on reste calme.Il s’accrochait encore au vague espoir que la voix blague et qu’il s’agisse en fait d’un trucage beaucoup trop réaliste à son goût.On reste calme, bien qu’on n’arrive pas à se calmer.Il essaya de décoller la couche de silicone qui, l’espérait-il, gâchait le point de vue, et n’arriva qu’à s’arracher un lambeau de peau. Comme s’il n’avait pas subi suffisamment d’ablation pour aujourd’hui.« D’accord, d’accord » fit-il, « J’ai compris. Vous êtes une espèce de savant fou qui a réalisé une expérience sur moi… »« Pas fou, non, et pas que sur vous, monsieur Domenach. »« D’accord. »… pas le moment de le contrarier ; et du coup Domenach était prêt à concéder tout ce que l’on voulait… tiens, même à rappeler Robert Piries, et, ô que c’était bon, ô que c’était doux à visualiser : Robert Piries, ici, à sa place, en train de subir l’expérience… ça, oui, ça le, pffouou, oui ça le détendait vraiment.

CHAPITRE 6

Ailleurs, Thierry Rollond et Jean-Michel Liarqué, assis dans un confortable canapé Chesterfield, assistaient à l’impossible.« Quand je te disais, Jean-Mimi, qu’il y avait quelque chose… que c’était Batteux et Snella. »Liarqué regardait les deux entraîneurs mythiques en grand conciliabule avec Aimé Jacquet.« Faut le voir » commenta Liarqué, « Oui, faut le voir… », baba justement de le voir.Aimé Jacquet leur ouvrait son petit carnet et les deux autres le feuilletaient en approuvant.« Tu les as touchés ? » demanda Liarqué, « C’est eux, c’est bien eux, ils existent ? »Thierry Rollond fit oui de la tête : « En chair et en os. »Il était aux anges.« Tu sais » continua-t-il, « Que je fais ce métier à cause de 58 ? »Il ne posait pas réellement la question : il en informait pour la millième fois depuis qu’ils se connaissaient Jean-Michel Liarqué qui, du reste, en tant que partenaire du vieux couple qu’ils formaient, n’y prêtait plus attention.

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« Faut le voir… » se contentait de radoter l’ancien Vert.« Crois-le. »Liarqué secoua la tête, ne sachant plus sur quel pied dribbler.« Moi » poursuivit Thierry Rollond, « J’ai décidé d’en profiter, de ne pas me poser trop de questions : on est là, ils sont là, et ça ne devrait pas être… je m’en fous, quel spectacle : tant que durera l’illusion ce sera vraiment épatant. Hasta la vista, baby ! » conclut-il, hilare.

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Ailleurs, Marcel Dissailly, apprenant la façon dont il serait traité suite à ses performances mitigées en Corée et plus encore deux ans après à l’Euro Portugais, pensa qu’il aurait dû faire comme Didier.Simack, toujours dans sa fixette sur l’Iliade, lui dit qu’il était tel Ajax : vivant, on craignait sa force, mort, on lui crachait dessus d’avoir été vaincu.Ce qui effraya Dissailly : qu’est-ce qu’il avait à voir avec l’Ajax d’Amsterdam, est-ce qu’il allait finir sa carrière à l’Ajax d’Amsterdam, ho non pas ça, pas le port d’Amsterdam avec des marins qui boivent…A sa décharge, Simack venait de lui faire un commentaire des plus sibyllins, ne mentionnant ni Hector, ni Achille, ni Troie ; aussi Ajax, dit comme ça tout à trac dans ce contexte de football, d’étrangeté, et de future désillusion internationale, n’avait pu qu’obliger Marcel Dissailly à aller puiser dans sa mémoire un Ajax d’Amsterdam déprimant.

Notes confidentielles.Tenons à votre disposition anecdotes significatives concernant chaque joueur de chaque groupe EdF CM et Euro de l’année 96 à 2010.Avons jugé superflu de surcharger notre rapport en les accumulant.Disponible où vous savez.

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Ailleurs, Raymond Domenach, ayant retrouvé l’intégralité de ses moyens une fois dissipé le malentendu glandulaire, entra, précédé de Simack, dans la grande salle où l’attendait le staff et la plupart des joueurs du groupe 2006.Repérant Robert Duvergne, il se précipita vers lui, car la question qui lui brûlait les lèvres relevait, lui semblait-il, de sa compétence : « T’as tes couilles, Robert, t’as tes couilles, tout le monde à ses couilles ! » se cramponna-t-il à son cou.Robert Duvergne eut un net mouvement de recul.

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« T’as tes couilles ? » continua Domenach, fermement décidé à ne pas se laisser décrocher du cou de son préparateur physique.Evidemment, dans l’assemblée, le silence se fit.« Hein ? » implora Domenach, « Hein ? »Duvergne se demanda quoi faire et regarda les autres tout aussi stupéfaits que lui.« Mais oui, Raymond, oui » finit-il par dire, n’osant préciser d’avantage.« Tu es sûr que ça va, Raymond ? » s’approcha Bruno Martigni.« Mais alors quoi » se tourna Domenach vers Simack, « Y’a donc que moi qui me suis retrouvé sans couille ici ? »Autour, les membres du groupe étaient de plus en plus catastrophés.« Non, tout le monde s’est retrouvé sans » fit Simack sur le ton de celui qui ne demande qu’à s’expliquer, ce qui vu la teneur de l’explication jeta un froid dans l’assistance, un froid attentif, « Mais vous avez été le seul à vous en apercevoir puisque vous vous êtes réveillé avant l’horaire prévu. »L’ange qui s’en suivit ayant fini par passer, chacun se vérifia fébrilement.Une fois établi que tout-allait-ouf-très-bien-tout-était-là, chacun s’intéressa à la suite de l’éclaircissement. Parce que, tout de même, l’idée de s’être retrouvé sans à un moment était perturbante, ce n’était pas ce qui s’appelait une bonne préparation de match.Simack vit que l’on attendait de lui d’avantage qu’une sèche description objective des évènements.Tout y passa donc : le désastreux malentendu, le concept pris au pied de la lettre, les lois du fen-chui, les alignements païens sur le terrain, l’empressement avec lequel lui et ses collaborateurs avaient recollé les morceaux, et des excuses des excuses des excuses, et l’assurance qu’il n’y aurait bien sûr aucune conséquence quant à leur santé future, la radioactivité s’arrêtant comme chacun le sait aux frontières.Ribiri leva la main.« Oui, monsieur Ribiri ? »« Comment on est sûr que vous avez bien remis les bonnes testicules ? »« Ben déjà » se marra Thurom, « Si c’était les miennes, tu remarquerais une différence… »« Rigole ! » renchérit Ribiri, « J’ai pas envi de faire un petit Fabien ou un petit Mankouski. »« Aucun risque, monsieur Ribiri » intervint Simack, « Tous les organes ont été testés, garantis, certifiés conforme : the right man at the right place. »« Et les buts seront bien gardés » approuva Barthiez.Ce qui finit de détendre l’atmosphère et fit rire tout le monde.

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Ailleurs, Youri Djorkayef, un verre de bière à la main, discutait avec Robert Simack.« Et qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à nous ? »« Je vous l’ai dit, nous sommes historiens, et la période de la décennie glorieuse de l’équipe de France de 96 à 06, nous passionne. »« 2006 ? » s’étonna Djorkayef.« Oui. »« Voyons » calcula-t-il, « 96, c’était l’Euro… 2006, ce sera… un Mondial ! »« Oui, le Mondial 2006 en Allemagne. »« Qui fera partie de la décennie glorieuse ? »« Oui. »Djorkayef 2000 prit le temps de digérer l’info : 2006… dans six ans… une éternité.Puis il en conclut : « Les jeunes auront bien pris le relais, alors. »Simack rejeta doucement la tête en arrière en faisant la moue : « C’est un peu plus compliqué… Et c’est justement ce qui nous passionne. »Un peu plus compliqué… Djorkayef sirotait son verre… Pourquoi plus compliqué, que voulait-il dire par là ?« Mais il y a longtemps que je voulais vous poser une question, monsieur Djorkayef » reprit Simack, « En fait, deux questions : pour vous, quel est votre but le plus important et quel est votre plus beau but ? »« En équipe de France ? »« Oui. »Djorkayef ne prit même pas le temps d’y réfléchir et répondit sans hésitation : « C’est le même. »« Pardon ? »« Le même : le plus important et le plus beau, c’est un seul et même but. »« D’accord. Et c’est lequel dans ce cas ? »« Il est tout récent, il a à peine quelques jours : en quart de l’Euro, contre l’Espagne, la frappe que je mets… ça, c’est un but terrible, terrible… et qui change le cours du match et le sort de l’équipe. »Simack approuva : « Comme celui que vous inscrivez pour le PSG en Coupe d’Europe quand, relevant de blessure, Luis Fernandez vous fait entrer et que vous marquez. »« Il était beau, c’est vrai… »« Luis Fernandez, avant la rencontre, vous aurait dit : tu rentres et tu marques ; vous le confirmez ? »« Vous êtes bien documenté » observa Djorkayef.

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« Et vous l’avez fait. »« Oui. »Djorkayef en même temps faisait oui de la tête, « Oui. »Simack le regarda.Il repensa à ce que Michel Platini lui avait répondu à la même question et à la surprise qu’il en avait éprouvé : pour le numéro dix c’était un but inscrit sur coup franc contre la Hollande et qui qualifiait l’EdF pour le Mondial 82, car, disait-il, sans ce but le destin de cette équipe se serait arrêté là : les buts cruciaux aux grandes occasions voilà ce qui faisait d’un bon joueur, un grand joueur.Il continuait de regarder Djorkayef qui buvait tranquillement sa bière. Ce qu’il avait lu, vu, entendu sur eux s’avérait donc exact : dites que j’ai vécu aux temps d’Hector, dresseur de chevaux, dites que j’ai vécu aux temps d’Achille…

CHAPITRE 7

Ailleurs, autour de la retransmission en direct relatif de la finale du Mondial 06, tout le monde se sentait tendu, les trois groupes ; à savoir, celui de 98, celui de 2000, et celui de 2006, auxquels s’étaient joints Batteux et Snella.La confrontation entre ces trois périodes n’avait pas manqué d’être surprenante ; surtout pour ceux qui se retrouvaient en plusieurs exemplaires, soit deux, soit trois.Trizéguet 98, Trizéguet 2000, et Trizéguet 06 s’étaient observés en silence, chacun se demandant lequel était le titulaire du poste. Puis ils s’étaient installés pour assister au match à distance respectable les un des autres, en un drôle de jeu en triangle.Par contre, Lizarozu 98 et Lizarozu 2000 s’entendirent d’entrée comme larrons en foire, se parlant en basque et se bidonnant comme des baleines en se moquant de ceux qui ne se trouvaient qu’en un seul format.Sur le terrain, avant le coup d’envoi, Zinedine Zidaine marchait à côté du rond central lorsque tout à coup il sursauta.Ailleurs, Domenach se retourna vers Zidaine qui portait un polo où se voyait floqué « 2006 ! » avec un point d’exclamation gros comme une chute d’italien dans la surface et lui demanda : « Qu’est-ce que t’as ? »« Et comment veux-tu que je le sache ! » répondit Zidaine 06 qui se regardait sursauter.

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Deschomps 98 se pencha à l’oreille de Zidaine 98 : « Qu’est-ce que c’est que ce foutoir, Zizou ? »« Ben, c’est quand t’as déconné avec le micro… »« Je sais ! Mais, ho, là je suis pas en train de déconner avec… et on regarde en direct d’après eux. »« En direct relatif. »« Oui, bé, relatif ou pas, c’est quoi ? »Sur le terrain, Zinedine Zidaine sursauta à nouveau, jetant des regards affolés autour de lui en se tapant plusieurs fois l’oreille du plat de la main.« Tu vois ! » continua à voix basse Deschomps 98.Zidaine 98 voyait.Il se voyait exécuter dans huit ans une danse de Saint Gui quelques minutes avant son dernier match et ça ne lui disait rien qui vaille… une danse provoquée par Ladèche, une danse venue d’Ailleurs.« Tu vois, encore ! »Et que oui qu’il voyait, et ce, parfaitement : car ce que Ladèche s’était amusé à faire s’était inscrit dans la réalité… d’une blague on était passé à de l’histoire nouvelle ou ancienne, en tout cas indubitable, archivée.« Ce que je ne comprends pas » reprit Deschomps 98, « C’est pourquoi dans ce cas Simack nous a laissé la possibilité de foutre le bordel. »« Ouai, ça… » fit Zidaine 98.Sur le terrain, Zidaine se fracassait l’oreille.« T’avais parlé autant de fois ? » demanda ZZ 98, « Aussi longtemps ? »« Je me rappelle plus. »Ce qui embêtait DD 98.« Mais il me semble que non. »« A moi aussi » approuva Zidaine 98.« Mais c’est pas forcé que je te parle, que je lui parle en ce moment : il peut juste être en train de s’exciter parce qu’il a pas envi que ça recommence. »Malgré la justesse de l’observation, l’argument ne le convainquait pas outre mesure, car lui, se disait-il, aurait tout simplement été soulagé de ne plus entendre le zigue dans sa tête, heureux que ça lui fasse des vacances… et puis surtout parce que la remarque de Ladèche ne changeait rien au fond de l’affaire.En tout cas, ç’allait bientôt commencer.Jacquet, Batteux, et Snella, s’étaient mis dans un coin, accompagnés des deux Laurent Blunc et de DD 2000.Lemerce 98 et Lemerce 2000 se tenait en retrait et parlaient entre eux.

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Domenach, au premier rang, entouré de Martigni et Mankouski, était hypnotisé par l’image 3D… voir ce qu’il allait vivre, voir ce match dont il avait tant rêvé, tant espéré, voir ! Et Zidaine qui piquait une crise, qui lui piquait une crise…Il ne put s’empêcher de penser que l’étrange réaction de Zidaine se trouvait liée à Simack et sa clique. Il n’avait pas aimé le ton de l’historien pour lui dire de se préparer à assister à la finale, votre finale avait-il tenu à préciser, un match palpitant, mémorable, que vous suivrez comme en direct : Simack, fier de revenir inlassablement sur les prouesses techniques du direct relatif.Direct relatif, Domenach quant à lui n’y voyait aucun intérêt, puisqu’il ne connaissait pas le résultat (ayant été prélevé comme les autres juste avant) et pour les historiens qui, eux, le connaissaient où était l’avantage ?Pourtant, il remarquait que tout ceci les intéressait. Pourquoi ?Regroupés dans un coin de la salle ovale, ils observaient, ravis : quel plaisir en retiraient-ils, quel bénéfice y trouvaient-ils ?Fait de suivre la rencontre avec les principaux intéressés ? Ca pouvait. Ou pas.Fait d’avoir mené à bien leurs travaux de recherche ?Fait de savourer l’instant présent ? Oui, ça, il pouvait comprendre. Mais cela ne signifiait pas que c’était ce qui était en train de se passer ; et même si tel était le cas, cela ne voulait pas dire que c’était la seule et unique raison.Enfin bref, cet ensemble d’incertitudes le poussait à être circonspect quant aux grands sourires que lui infligeaient à bout portant les divers historiens et aux petits mots d’encouragements d’avant-match. Déjà qu’en 2006 il en avait soupé du sourire perpétuel de la bonne com, alors ici… !Raymond Domenach se tourna vers Mankouski : « Tu sais qu’ils peuvent nous montrer n’importe quel trucage avec les moyens dont ils disposent. »« C’est vrai » fit Mankouski, « Mais quel intérêt ? Puisque de toute façon ensuite nous ne nous en rappellerons plus, ils effaceront tout de notre mémoire. »« Je ne sais pas » avoua Domenach, « Je… »Il secoua la tête. Quelque chose n’allait pas, c’était comme ça, il le ressentait ainsi et ne pouvait rien contre.Il s’absorba dans l’image, ayant choisi un siège correspondant à l’endroit du banc de touche. S’il avait pu entrer plus que physiquement dans ces images… La présence comme réelle de son équipe lui donna le tourni.Sur le terrain, Zinedine Zidaine échangeait les fanions et les dernières poignées de main.Ailleurs, Domenac se retourna à nouveau vers Zidaine 06 pour le voir en train de se regarder : à quoi pouvait-il penser ? Pensait-il la même chose que celui sur le terrain ? Cela paraissait impossible.

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Cette fois, c’était son dernier match. Il voyait. Il le vivrait en spectateur avant de le vivre en acteur ; Un avant-goût des futures rencontres auxquelles il assisterait assis dans les tribunes. Zidaine en tribune ! Zidaine spectateur ! Ca aussi ça paraissait surréaliste à Domenach, encore plus impossible.Plus loin, il croisa le regard de Jacquet qui hocha la tête. Derrière ce dernier, dans l’ombre, Batteux et Snella.Domenach se remit droit sur sa chaise et ferma les yeux. C’allait commencer.Aux commentaires, on entendait les voix de Thierry Rollond et Jean-Michel Larquié.« Comment ça se fait » fit observer quelqu’un dans l’assistance, « Que Thierry Rollond commente ce match ? »Domenach ouvrit les yeux. C’était juste comme remarque : la mélodie de la bande-son était tellement familière que personne jusque là n’avait prêté attention à cet anachronisme : Thierry Rollond ne commentait plus avec Jean-Michel Liarqué.Domenach chercha Simack.« Monsieur Simack ! » appela-t-il.« Je suis là. »Simack agitait la main.« Qu’est-ce que c’est que cette histoire de Thierry Rollond ? » demanda Domenach.« Oui, Rollond… Hé bien, mes collaborateurs et moi-même avons pensé qu’ainsi l’ambiance sonore serait plus coucoune pour vous. »Ce que Thierry Rollond aux commentaires prouva in petto en confiant à Jean-Michel Liarqué : « En tout cas, on pourra dire ce qu’on veut de Raymond Domenach, mais jamais on ne pourra lui retirer le fait qu’il a sauvé les parties en danger. »« Allons, Thierry, allons… » enchaîna Liarqué, « Cette affaire de testicules ne nous regarde pas. »« Rollond est au courant ! » s’exclama Domenach.« Heu… » dit Simack.« C’est le bouquet » s’affligea Domenach : il n’avait pas fini d’en entendre parler.Aux commentaires : « Je ne sais pas ce que vous en pensez, Jean-Michel, mais naïvement j’avais toujours cru qu’un sélectionneur dans l’exercice de son métier ne risquait que sa tête. »« Allons Thierry, allons… »Sur le terrain, le coup d’envoi allait être donné. Domenach se concentra sur l’évènement.

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Dans son coin, par habitude, jacquet s’apprêtait déjà à prendre quelques notes sur son petit carnet.Robert Simack détaillaient les trois groupes réunis dans cette pièce : deux Pieres, trois Hinry, un Diamède…Trois groupes qui attendaient de voir quel tour prendrait en 2006 l’aventure commencée il y a une dizaine d’années.Il regardait ses collaborateurs excités eux-aussi.Il adorait ces moments où il prenait pleinement conscience d’avoir fait ce qu’il fallait pour son époque.

* *

Ailleurs, Eric Cantoma avait encore en bouche le goût du vin qu’il était en train de boire dans ce restau, assis en face de Jacquet.Il venait de lui dire non ou comme.Et là, il était… après ce qui lui avait semblé être un flash… il ne savait pas où il était ni comment il s’était retrouvé dans cette petite pièce bleutée.

* *

Ailleurs, Raymond Domenach, dans un de ces paradoxes du temps relatif, contemplait sur écran une nouvelle surprise concoctée par Simack.Il découvrait Eric Cantoma, ailleurs lui aussi, venir devant les bâtiments où logeait le groupe 98… s’arrêter à une vingtaine de mètres de la porte d’entrée et se mettre à hurler : « Zidaine ! »Qu’est-ce qu’il vient foutre, pensa Domenach.D’autant plus qu’après un temps de silence Cantoma réitéra son appel : « Zidaine ! » le plus fort qu’il pouvait. Et recommença : « Zidaine ! ». Recommença encore après une nouvelle pause silencieuse: « Zidaine ! ».Dans le bâtiment, Aimé Jacquet fut le premier à l’entendre. Il se dirigea vers la fenêtre.« Zidaine ! » hurla dehors Cantoma.« Qu’est-ce qui se passe, Aimé ? » s’approcha Lemerce.« On y est » répondit Jacquet.Devant l’écran, Domenach dit à Mankouski : « De quoi parle Aimé ? »« Aucune idée » avoua son adjoint.« Zidaine ! »Cantoma continuait.« Par contre » fit Domenach, « Ca ne te rappelle pas un truc ? »« Si » approuva Mankouski, « Mais je n’arrive pas à savoir quoi. »

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Dans le bâtiment, Laurent Blunc jeta un coup d’œil à l’extérieur.« Zidaine ! »Puis se retournant vers Jacquet et Lemerce : « Vous avez vu qui est là ? »« Oui » l’informa Lemerce.« Et ça ne vous surprend pas ? » poursuivit Blunc.« Zidaine ! »« Tu crois qu’il accepterait une invitation au restau, Aimé ? » plaisanta Lemerce.« Très drôle, Roger. »« Zidaine ! »« En tout cas, il a l’air vachement remonté » fit remarquer Christophe Dougarry qui, lui aussi, été venu regardé, attiré par le hurlement répété du nom Zidaine.« Bon, on va pas rester comme des pignoufs » dit Deschomps, « Où est Zizou ? »« On sait pas. Avec Simack sans doute. » déplora Lemerce.« Zidaine ! »Et devant l’évidence que la situation n’allait pas se résoudre d’elle-même, Deschomps se décida : « Bon, i’fait chier Canto, je sors. » « Bon courage » lui glissa Emmanuel Pitit.« C’est ça, c’est ça… A moins que tu ne préfères… »Deschomps lui désigna l’extérieur.« Zidaine ! »« Non, non, t’es le capitaine, l’honneur t’en revient. » lui assura Pitit.« Ouai… »Et Deschomps sortit.A peine dehors, il fut accueilli par un : « C’est pas toi que je veux voir, Didier. »« Bonjour, quand même. »« Oui, oui, bonjour » concéda Cantoma, décidé à ne pas oublier le goût du vin qu’il avait encore en bouche quelques heures auparavant.« Alors, dis-moi, qu’est-ce que tu fiches ici ? » demanda Deschomps.Devant l’écran : « Je sais ! » s’écria Mankouski, « Je sais ce que cela me rappelle : le film Troie, quand Achille vient gueuler comme un âne Hector aux pieds des murailles de la ville. »Domenach regarda l’écran.« T’as raison » fit-il, se souvenant de la scène, « T’as raison. Parce qu’en plus, incidement, Simack a fait allusion à la guerre de Troie. »« A moi aussi, il en a parlé ! »« Ha bon ? »Sur l’écran, Deschomps et Cantoma se faisaient face.Qu’est-ce que c’était ce binz ?

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* *

Confidentiel.Incérer la vidéo sécurisée de la finale 06.La passer en boucle afin d’avoir à tout moment point de référence absolue permettant d’illustrer notre rapport et corroborer nos conclusions : suggérons dès à présent que finale 06 constitue nœud gordien de la décennie 96-06 avec extension vers 2010.

Ailleurs, dans la salle ovale, un grand silence suivit le tir au but de Trizéguet.Juste à l’instant où le ballon avait fracassé la transversale, avait rebondi devant la ligne, et s’était éloigné du but, des hurlements sans mots et des jurons hurlés avaient retentis. Trizéguet 06, lui, en était resté figé, pétrifié sur son siège, comme s’il avait vu quelque chose d’interdit. Puis le silence.Zidaine 06, tête dans les mains, fixa le sol.Egalité, sauf qu’il restait un tir au but italien.Viera 06, sur le point de briser son fauteuil tellement il serrait et écartelait les accoudoirs, se tenait assis raide de rage essayant vainement d’avaler sa salive.Le groupe 98 s’était levé d’un bond, tous plus livides les uns que les autres, prenant conscience que c’était son histoire à lui aussi qui se jouait ; bien qu’un nouveau match n’en efface jamais un ancien quel que soit le résultat. Mais, là, sous l’effet de l’adrénaline, c’était une seule et même continuité qu’ils vivaient, éprouvant pour un temps des sentiments de supporters.Le tireur italien inscrivit comme prévu son tir au but.Barthiez 06 regarda Barthiez 98 l’air navré, l’air de dire j’ai rien pu faire, rien, tu parles d’une chierie.Thurom 06, visage défait, se leva et marcha comme un automate.Makélilé comprit qu’il ne serait jamais champion du Monde et fit un petit oui sec de la tête, puis entreprit de réconforter ses coéquipiers.Trizéguet 98 alla voir Trizéguet 2000 et, à cette occasion, commencèrent à dialoguer. Deschomps 2000 se mordit la langue pour ne faire aucun commentaire sur la gestion de la rencontre et le coup de tête. Il se retourna seulement vers Zidaine 98 et lui indiqua de la main le chiffre deux.Zidaine 98 se pencha vers Deschomps 98 afin de se faire traduire ce que lui signifiait le grand frère.DD 98 prit le temps d’y réfléchir et finit par dire : « A mon avis, il te félicite pour ta deuxième expulsion en phases finales de Mondial. »« Ha… ! Ha d’accord, d’accord… »

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Expulsé, expulsé deux fois… plus les suspensions… à ce stade ce n’était plus de l’amour…ZZ 98 hocha la tête : voilà, c’est ça : ça se finissait et c’était insupportable. Et, soudain, il se perçut tête dans les mains, non il l’aperçut tête dans les mains, il se perçut en train de penser pour lui, ZZ 06.Deschomps 2000 alla voir Thurom 06 qui lui demanda : « T’aurais fait quoi, Dédé ? »Ladèche 2000 lui attrapa la nuque de la main et serra juste ce qu’il faut en disant : « T’es un champion, Thuthu, un champion. »Jacquet et Lemerce 2000 rejoignirent Raymond Domenach pour témoigner de leurs soutiens.Ribiri tournait dans la salle et ricochait contre les murs.« Merde ! » gueula Gallias, « Meeerde ! »Plusieurs extras, porteurs de plateaux de boissons et d’amuse-gueules, entrèrent dans la pièce, suivis de journalistes temporels spécialisés en sport qui se dirigèrent droit sur RD qui, au début, tant que perdura le bonsoir ravi de vous rencontrer, encore sonné, ne comprit pas bien à qui il avait à faire.Ca ne dura pas.A la première question : « Comment analysez-vous votre relative déception ? », Raymond Domenach retrouva ses esprits.« Relative ! » explosa-t-il.« Calme-toi, Raymond » intervint Jacquet, « Je pense que nos experts footballistiques parlent en termes relatifs dus au direct relatif. »Le regard de Domenach passa rapidement des journalistes à Jacquet puis à Lemerce 2000 et revint sur les journalistes.Jacquet devait avoir raison.Article un, Jacquet avait été champion du Monde, donc il avait raison.Mentalement, il soupira. Les représentants de La Presse, temporelle ou pas, relative ou pas, voulait du commentaire, ils auraient du commentaire.« Comment je l’analyse ? » déclara-t-il, « Hé bien, l’équipe progresse et nous préparons dans les meilleures conditions l’Euro 2008. »Les journalistes s’entreregardèrent. Ils avaient beau avoir potassé leur Petit Raymond illustré (le fameux PRI), se confronter au véritable Raymond Domenach en direct absolu, c’était autre chose qu’interviewer une vulgaire sim.Thierry Rollond, flanqué de Jean-Michel Liarqué, qui venait de les rejoindre s’esclaffa en entendant les propos du sélectionneur national.« Sacré Raymond ! » énonça-t-il.« Rollond ! » fit Domenach, « Thierry Rollond ! »« Pour vous servir, mon Seigneur et maître… »

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« Notre défaite semble te mettre d’excellente humeur » constata Domenach.En retrait, Liarqué paraissait embêté. En fait, cette inévitable et mutuelle opposition systématique le fatiguait.« Dans d’autres circonstances, je ne dis pas » expliqua Thierry Rollond, «Mais là, c’est tellement… »Il laissa la suite en suspend avec un large geste de la main.« Depuis que Thierry a parlé avec monsieur Batteux, il n’est plus vraiment dans son état normal » tint à préciser Liarqué.« C’est marrant » persiffla Domenach, « A chaque fois que je vous vois ensemble, j’ai toujours le sentiment que vous êtes en train de commenter au lieu de vivre. »Liarqué fixa Domenach… nous venons de perdre une finale mondiale, et dans quelles conditions !... de plus, impossible d’oublier le pied pris en huitième et en quart à voir ces rencontres, c’était de grands moments de football… de très grands moments… Il décida de laisser courir.« C’est parce que vous êtes trop émotif comme garçon, monsieur Domenach » renchérit Thierry Rollond.La discussion démarrait sur de bonnes bases. Les journalistes s’en trouvaient ravis et savouraient par avance la suite.Un peu trop visiblement ravis du reste : Domenach en prit conscience.Il détailla l’assemblée.Ca tournait au complot, personne ne le comprenait… hormis Jacquet peut-être, et Lemerce… ou plutôt tout le monde faisait semblant de ne pas comprendre… ce qui était pire, relativement ou pas.« Faites chier ! » conclut-il.Ailleurs il pouvait se permettre de l’exprimer. Et il s’éloigna en repoussant la presse.

* *

Ailleurs, Batteux et Snella dirigeaient une séance d’entraînement.Thierry Rollond, au bord du terrain, n’en perdait pas une miette : il avait tenu à tout prix à y assister.Le ballon circulait de mieux en mieux. Quatre joueurs devaient en conserver la maîtrise face à six joueurs essayant de le récupérer, avec une zone située en arrière du camp attaquant interdite à la défense, ce qui permettait par le placement de compenser le surnombre défensif.A côté des deux entraîneurs se tenait Omar Shanoun.(à la question : qui est Omar Shanoun ? cliquez maintenant)

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Thierry Rollond, le sourire aux lèvres, regardait ces trois hommes et murmurait : « Merveilleux, merveilleux… »Un ballon en profondeur millimétré attira son attention.Omar Shanoun, mains dans les poches de son survêtement du FC Nantes, se sentait des fourmis dans les jambes. Il serait bien allé sur la pelouse participer à cette opposition et ne pouvait s’empêcher d’avoir de petits mouvements du corps à chaque action un peu chaude.« Ca va ? » lui demanda Snella.Shanoun, tout en faisant oui de la tête, dit sans quitter le terrain des yeux : « J’aimerais en être, coach. »Snella eut un rictus qui signifiait qu’il comprenait.« Passe la balle plus vite ! » s’énerva Batteux.« Hé, Albert, doucement ! » se marra Thierry Rollond, « Il essaie seulement de jouer comme Kopa pour te faire plaisir. »Le ballon se remit à circuler.« Serrez les rangs, la défense : c’est pas parce que vous êtes deux de plus qu’il faut vous disperser. »Thierry Rollond pensa « bloc équipe » et songea à Jacquet.Omar Shanoun qui suivait la séance avec attention n’osait pas intervenir. Pour lui, il était toujours un footeux en activité, et se retrouver ainsi bombarder en un éclair homme de terrain l’inhibait plus qu’autre chose.Thierry Rollond s’approcha de lui, tapa dans son dos, et fit : « Il aurait sa place, pas vrai monsieur Batteux ? »« En tout cas dans les quatorze » répondit Albert Batteux qui, depuis qu’il allait avoir la possibilité de remettre le couvert avec trois remplacements autorisés en cours de partie, ne manquait plus une occasion d’exploser ce chiffre magique qui l’avait tant torturé en Suède : onze et on finissait comme on pouvait.D’ailleurs, Rollond avait essayé de l’interroger sur ça, sur cette peine d’une génération. Mais le vieil entraîneur était resté silencieux.« Sauf que là, tu peux pas, Omar » tint à préciser Snella, « Tu peux pas en être de cette équipe. »« Hé oui… » fit Shanoun, prenant conscience que, malgré le rêve éveillé qu’il était en train de vivre, les regrets avaient quand même leur place.

* *

Ailleurs, dans la salle ovale, Aimé Jacquet hocha la tête. Domenach venait de quitter la pièce. Toute cette déception lui rappelait 82, le sentiment qu’il avait eu à l’époque, plus le fait d’assister en le sachant à l’avance au dernier match

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d’un dix de légende. Ce que devait avoir ressenti ceux qui avait contemplé le dernier récital de Raymond Kopa en bleu.Que pouvait-on se dire après de telles rencontres ? Que plus rien ne sera comme avant ? Sûrement. Qu’on cherchera et désignera un successeur pour faire comme si ?2006 compressait les sentiments de 82 et de l’après Kopa : une immense déception plus une immense nostalgie.Jacquet se rappelait la demi de 58, le ballon relâché par le gardien français dans les pieds du brésilien, face aux buts à moins de six mètres, goooo…oool ! avaient dû hurler les commentateurs sud-américains, go-go-go-go-go-goooo…oool !Aimé Jacquet se tourna vers Batteux : « Il y avait déjà des orchestres de samba en 58 ? »Snella, devant l’incongruité de la question dans cette salle ovale d’après-finale 06, haussa les sourcils : « Des orchestres ? »« En tout cas, ils ont dansé sur nous sans vergogne » déclara Batteux.« Quand on a été à dix, Albert » tint à nuancer Snella.« Oui. Et ils ont eu bien raison. »… puis après un bref instant de silence, le vieil entraîneur rajouta : « J’ai eu le même sentiment que devant le Réal… »Les grands matchs, pensa Jacquet… avoir le droit de jouer de tels matchs impliquait d’avoir déjà escaladé des montagnes … ensuite, c’était seulement dans ces territoires extrèmes que votre destin vous était révélé… et c’était seulement parce que vous aviez conscience du chemin déjà parcourru que vous trouviez la force de surmonter un sort contraire.« Contre la Juve, avec les Girondins, au match retour… » commença Jacquet.« Oui ? » dit Snella.« Ils vous ont péchés à quelle date ? » demanda AJ.« Juste après la demi-finale » l’informa Snella.« Vous savez que vous avez fini troisième et que Just en a marqué 13 au bout du compte ? »« Oui, on a appris » fit Batteux.« Et que son record tient toujours » se réjouit Snella, « Et tiendra pour l’éternité. »« Pauvre Just Fontaine » déplora Jacquet, « Qui s’est fait cassé et recassé la jambe ensuite. Quel crève-cœur… »Batteux et Snella restèrent silencieux.« Puis après, ç’a été à Kopa de tirer sa révérence et s’en suivit une longue descente aux enfers jusqu’au milieu des années 70. »« Hé, Aimé ! » s’écria Snella, « Joie ! Tu vas gagner la Coupe du Monde. »

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« Qu’y a-t-il de plus triste que des soirs de défaites ? » déclara Batteux, « Peut-être les soirs de victoires. »« Mince, vous êtes gais, les amis… ! » fit Snella.« C’est dans Guerre et Paix » continua Batteux.Blunc 2000 pensa qu’il comprenait ce que voulait dire Batteux, et qu’il fallait être encore plus prudent et vigilant après une victoire.DD 2000, les mains dans le poches, demanda à Blunc 98 : « Qu’est-ce qui t’apprendra le plus : Bilic qui s’écroule ou le fait de soulever le trophée en 2000 ? »« Même lui » dit Blunc 98 en montrant Blunc 2000, « Ne le sait sûrement pas encore. »« Mais, là, à l’instant : la culture de la gagne ou les leçons de la défaite ? » insista DD 2000.Blunc fit non de la tête, plusieurs fois, trop longtemps pour un simple non.

CHAPITRE 8

Ailleurs, y’avait match.« Alors, Thierry, cette rencontre ? »« Hé bien, Jean-Michel, voilà un évènement que je ne pensais jamais avoir à commenter. »« Surtout qu’il va s’agir d’un vrai grand match et non d’une rencontre au rabais. »« Je ne vous le fais pas dire. Mais, à part ça, vous ne vous pincez pas, Jean-Michel ? »« Si, Thierry, je l’avoue… »Lorsque Simack avait expliqué, après maints détours, les tenants et les aboutissants du projet de recherche historique, Rollond et Liarqué s’étaient senti presque déçus : c’était donc ça, tout ça pour ça, ce genre de match…Mais ce type de match ne fonctionnait jamais.Au mieux atteignait-il l’intensité d’une rencontre amicale ; mais le plus souvent restait au niveau d’un jubilé ou d’un gala de bienfaisance.Parce que si la question en elle-même ne posait pas de problème, était même naturelle… contre les lois de la nature et du temps qui passe mais pas contre les lois du jeu et de ce fait naturelle… savoir qui, quel groupe, quelle équipe de France était la meilleure sur la décennie 96-06… question qui ne pouvait

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qu’enflammer les imaginations et les bistrots du pays… elle n’en était pas moins sans réponse absolue.Même si avec la technologie dont disposait Simack, cela abolissait l’obstacle du temps impitoyable pour les sportifs de haut niveau : chaque équipe pouvant être prélevé à son sommet… 98, 2000, et 2006… à sa plénitude athlétique, technique, tactique.Seulement, ça ne suffisait pas.Voilà ce que tentait d’expliquer Liarqué à Simack qui s’étonnait de leur manque d’enthousiasme. Ca ne suffirait pas à cause de la dimension psychologique, et plus précisément de la motivation : aucun ne mettrait le pied comme dans un vrai match.Liarqué le savait et Thierry Rollond partageait son opinion : les joueurs, le voudraient-ils, n’auraient quand même pas cet engagement si propre à la compétition officielle.Simack était resté silencieux.« Ca ne marche pas ainsi » avait regretté Liarqué qui lui aussi aurait aimé voir ça, « Mais vous n’allez pas nous dire que vous le découvrez ? »« Bon » avait fait Simack, « Bon. »Rollond et Liarqué s’étaient regardés : il en prenait acte sans plus ; puis l’avaient regardé sortir.Plus tard dans l’après-midi, l’historien avait réuni l’ensemble des protagonistes dans la grande salle ovale. Les trois groupes, agrémentés de Batteux, Snella, Shanoun, Rollond, Liarqué.Et Simack prit la parole.« Tout d’abord, merci d’être là. Ou plutôt je devrais dire, merci d’exister. »« Je sens qu’on va encore atteindre des sommets… » souffla Dhorassou à Chibonda.« Vous avez tous lu le mémo qui se trouvait sur vos sièges en arrivant, je suppose. »Topo qui précisait le but des divers prélèvements temporels et permettait à Simack d’aller directement au cœur du problème.« Jean-Michel Liarqué, ici présent, m’a donc fait part de ses craintes quant aux rencontres que nous comptons organiser entre vous. A savoir qu’elles ne seraient pas digne de foi et n’apporterait aucune vraie réponse à notre question : quelle équipe de France était la meilleure sur la période de la décennie glorieuse 96-06 ? »« Pour une fois, je partage son avis » était intervenu Raymond Domenach.« Dont acte » avait poursuivi Simack, « Aussi que les choses soient bien claires : premièrement, il est absolument inenevisageable que nous renoncions à notre projet de recherche ; deuxièment, il est inacceptacle que l’un d’entre vous ne

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soit pas à deux cent pour cent d’implication quant à son physique, sa technique, et son mental. »Les deux Deschomps, assis côte à côte, s’étaient marrés.« Oui, messieurs Deschomps ? »« Vous nous imaginez nous échangeant les fanions avant le match ? » avaient mimé la scène Deschomps 98 avec Deschomps 2000.« Je vois… Qui partage leur opinion ? »Toutes les mains s’étaient levées.« D’accord… »Simack avait observé cette forêt brusquement apparue et avait déclaré : « Beaucoup trop de mains pour des footballeurs… mais puisque nous en sommes là, au fond les choses deviennent plus simples… et je ne vois pas d’autre moyen de m’assurer de votre totale et irréprochable implication, aussi bien individuelle que collective. Bien sûr, mes collaborateurs et moi-même espérions encore l’éviter, mais ce n’est pas la première fois que nous nous heurtons à ce genre de contretemps. »Il avait alors marqué une pause, ménageant ses effets.« Comment le dire afin qu’il ne subsiste aucune ambiguïté ? »Et avait fait semblant d’y réfléchir.« Oui. Jusqu’ici la vie vous a gâté… Vous aviez tous un talent au départ et vous avez bossé dur pour y arriver, et, donc, légitimement vous estimez que le travail paie, ce qui est tout à fait logique.Vous gagnez des sommes considérables, vous roulez dans des voitures somptueuses, et de superbes créatures vous courent après, quoi de plus normal ?Dites-moi, aimez-vous cette vie ? L’appréciez-vous ? Ne trouvez-vous pas qu’il s’agisse de la plus belle des vies possibles ?Bien sûr que oui. Ne boudez pas votre plaisir, profitez, vous l’avez mérité. »Lemerce 2000 qui d’abord avait levé le doigt s’était mis à agiter la main.« Oui, monsieur Lemerce ? »« Heu… Voilà, il y a que j’ai l’impression de ne pas correspondre au tableau décrit. »« Excepté pour les créatures de rêve, Roger ! »avait lancé un plaisantin.Ce qui avait déclenché une vague d’hilarité dans l’assistance, heureuse de cette diversion.« Vous avez raison » avait repris Simack une fois le silence revenu, « Je parle en effet d’avantage aux joueurs, à chaque joueur, qu’aux membres des staffs. Parce que, comme on dit, au bout du compte ce seront eux, un par un, un plus un plus un etc… qui seront sur le terrain… et que cette situation illustre bien le fait que le football est aussi un sport individuel.

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Rien d’autre ? »Et devant l’absence de questions formulées, il avait continué.« Donc, nous disons une vie merveilleuse, un destin envié par La Société. Qui désire perdre cela ? Levez la main. »Lemerce 98 avait levé la main au milieu de nouveaux rires.« Amusant, monsieur Lemerce, amusant… vous envisagez de faire concurrence à notre célèbre duo de comiques ? »Il avait désigné du geste les deux Deschomps.« Non » avait expliqué Lemerce 98, « Je voulais dire que pour la Corée ce n’est pas juste : Roger m’a appris et ce n’est pas possible de se faire éliminer au premier tour alors que deux ans avant on avait gagné. »« Ca, c’est un autre problème » avait fait légèrement agacé Simack, « Mais croyez-moi des équipes qui se font éliminer au premier tour alors que deux avant elles étaient au top, ça s’est vu.Rien d’autre ? »« C’est pas juste. »« Donc, personne ne désire perdre cette vie enviée. Logique, normal » avait repris Simack, « Et j’en viens à ce à quoi vous vous exposeriez si d’aventure vous tentiez de nous tromper, car, soit vous jouez pleinement ces matchs et tout ira bien pour vous, soit vous vous y soustrayez et en subirez toutes les conséquences. »« On s’en fout ! » avait crié quelqu’un dans la salle.« Hé bien, cela m’étonnerait » avait enchaîné Simack, « Parce que même s’il est impératif que, pour des raisons historiques et de continuité dans la trame temporelle, chacun de vous continue la vie qu’il a eu, vous apprendriez à vos dépends qu’au niveau technologique où nous nous situons, il n’y a aucune incompatibilité entre le fait que votre vie se déroule comme prévue et le fait de vous en trouver privé… une sorte de prison sophistiquée qui ne pénalisera en rien La Société de votre époque et nous, l’avenir, puisque vous avez tenu une place de choix : un parfait clone vous remplacera avec toute votre mémoire, votre histoire, vos qualités, vos défauts, votre travail qui paie, et vous la recette originale, celui qui m’écoute en ce moment, absolument conscient de tout ce qui se passe, sera enfermé dans une confortable cellule d’où il assistera impuissant aux plaisirs de sa vie vécue par un autre, vie qu’il ne vivra donc pas, vie diffusée 24 heures sur 24 : tel match, tel club, telle sélection, tel contrat, telle femme aimée, tel enfant qui naît, telle admiration, telle reconversion, telle nouvelle passion… et même les déceptions auxquelles vous assisterez en spectateur particulier, en fantôme, vous manqueront et feront progressivement un gros trou, là, dans votre poitrine, dans la région du plexus. »

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Simack s’était tu pour mesurer l’effet produit. Et il en fut satisfait.« Ha oui, un dernier point » avait-il rajouté, « N’espérez pas non plus pouvoir vous cacher sur le terrain : nous possédons tous les scans nécessaires qu’il faut pour juger de votre implication à deux cent pour cent aussi bien mentale que physique avant et pendant les rencontres… tentez l’expérience et vous verrez bien… mais souvenez-vous par exemple de vos testicules : pas de caprice de star ici, ni de contrat non respecté ; et en cas d’implication insuffisante, même conséquence que pour un refus de jouer : aller simple en cellule de réflexion éternelle où vous tournerez en rond dans votre propre histoire.Merci de votre attention. »Sur ce, dans un silence de mort subite, il avait quitté la salle.Aussi, ailleurs, y’aurait match.

CHAPITRE 9

Ailleurs, la discussion filait bon train.Le consensus général se fit autour de l’équipe de l’Euro 2000, certainement cette équipe était la meilleure, et c’était justement ce certainement que Simack voulait bannir de la phrase, ces : sûrement, probablement, sans doute, de toute évidence, à coup sûr…Par curiosité, Shanoun demanda à monsieur Batteux ce qu’aurait pu faire l’équipe de 58 face à un des groupes ici présents.« Rien » répondit Batteux, « Trop d’écarts, autre époque. »Snella approuva de la tête : cela l’ennuyait de ne pouvoir qu’approuver. Mais il tint à apporter une précision : « Seulement on peut les mettre dans le même chapeau par les résultats obtenus : des têtes de série »… parce que ce n’était pas tant le fait que son équipe de 58 soit surclassée qui l’embêtait, non, ça c’était logique, c’était le fait que des joueurs comme Kopa, Fontaine, puissent passer pour inférieurs à Zidaine ou Trizéguet pour l’unique raison qu’ils n’avaient pas gagné ; ça, oui, ça l’ennuyait, et même pour être clair le faisait carrément chier.Trois hommes, deux femmes, pour discuter autour d’une table ronde, puisque dans le coin on avait du goût pour les références et allusions mythiques.

* *

Ailleurs, y’a du foot.

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« Alors, Thierry, ce match ? »« Hé bien, Jean-Michel, voilà une rencontre que je ne pensais jamais avoir à commenter, les 2000 contre les 2006. »« Surtout qu’il va s’agir d’un vrai grand match, une vraie rencontre de football, et non d’un match au rabais. »« Dites-moi, Jean-Michel, vous ne vous pincez pas ? »« Si. Mais nous pourrions peut-être abandonner le vouvoiement télévisuel de rigueur vu les circonstances. »« T’as raison, Jean-Mimi. Alors, ce rêve ? »« Une réalité, Thierry. »Deschomps 2000 échangeait les fanions avec Zidaine 06. Deux joueurs à la fin de leur carrière mais au sommet.« T’évite les coups de boule, Zizou, tu seras gentil » sourit Deschomps 2000.« Messieurs, messieurs, s’il vous plait » fit l’arbitre.ZZ 06 jeta un regard vers ZZ 2000 : que pouvait-il penser de la provoc de Ladèche ?Aux commentaires, Liarqué demanda : « Qui est l’arbitre ? Ce n’est… Mais oui, Thierry, regarde, c’est monsieur Wurtz ! »« Non ! »« Si, si, je t’assure, regarde : il entame déjà une polka. »« Mais oui, tu as raison… Ha ça, c’est une superbe idée » déclara Thierry Rollond, « Monsieur Wurtz… Ha, si je m’attendais ! »« Tu sais qu’un jour, après avoir sifflé faute, je l’ai vu prendre la balle, continuer l’action, et marquer le but. »« Et il l’a validé ? » se marra Thierry Rollond.« C’aurait été sublime, mais non. »« Dommage. Parce qu’au moins avec lui les erreurs d’arbitrage nous faisaient rire, on en avait pour nos zygomatiques. »« C’était une autre époque, Thierry. »« Tout à fait, Jean-Michel. »Sur le terrain, Frank Ribiri finissait sa prière d’avant match. Il voyageait encore en plein rêve. Il passa ses mains sur son visage, puis fut prêt comme toujours à laisser couler le football de source.Viera 2000 observa Viera 06 et se dit qu’il allait lui montrer : pas question que quelqu’un lui vole sa vie. Tous deux savaient que petit frère ou grand frère, ils partageaient cette même détermination… déjà par caractère… et ils avaient entendu cette question posée à l’un des historiens sur ce qui se passerait pour Zidaine 2000 et Zidaine 06 au cas où Zidaine 98 refuserait de jouer le jeu.En réponse, Simack avait cité un poète français du XIXème, Arthur Rimbaud : « Je, est un autre. » Et débrouillez-vous avec ça ! Les historiens ayant

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inventé une dissuasion réactualisée avec à la place d’armes nucléaires des armes génético-temporelles où le pire cas de figure plane toujours.Viera 2000 vit Ribiri piaffer. Il l’enviait : tout était simple, il jouerait comme il aimait jouer sans autre préoccupation ; d’ailleurs le tenir à l’œil et lui démontrer d’entrée que l’espace allait se raréfier pendant 90’ ou plus selon affinités.Sur le banc, Djorkayef 2000 avait son regard noir des grands rendez-vous, attendant avec une impatience maîtrisée l’instant où il entrerait pour marquer le but décisif puisque le coach venait de décider au dernier moment de l’utiliser dans le rôle d’un joker de luxe.Aux commentaires, Thierry Rollond fit remarquer qu’il n’apercevait pas Raymond Domenach… ni sur le banc, ni debout, ni dans les tribunes, ni nulle part ailleurs.« En effet, Thierry. »

Et, en effet, ailleurs, Simack avait rejoint Domenach qui ne décolérait pas : il s’en foutait du match contre ceux de l’Euro 2000, ce n’était pas son match, cette question de suprématie décennale ne le concernait pas.Ce qui l’obsédait c’était la finale, sa finale, sa finale à lui, celle atteinte contre vents et marées, la finale du Mondial 06, comprendies amigo ! Et ça ne passait pas.Du temps s’était pourtant écoulé depuis le direct relatif, mais ça, c’était resté bloqué.Aussi, Simack, ses menaces, qu’il se les mette là où il avait du désir, car plus rien ne lui faisait peur : il tournait déjà dans cette histoire, son histoire, comme un casper furieux.Bloqué. Arrêté. Voilà comment il se sentait. Comme si la trotteuse avait continué sans lui. Il respirait, mais le temps se détruisait au contact de sa rumination.« Monsieur Domenach, s’il vous plait, votre équipe va jouer » disait Simack, « S’il vous plait… »Avait-on idée de rester dans un état pareil : la bienséance ne commandait-elle pas que l’on se désespère un moment puis que l’on n’embête plus les autres avec sa souffrance ?« S’il vous plait… »Après la menace, il essayait la corde sensible.« S’il vous plait, votre équipe a besoin de vous… »Mais l’ennui, c’est que plus rien de ce que l’on disait ne plaisait à Domenach, plus rien ne trouvait grâce à ses yeux, et surtout pas cette perspective de

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devoir dans quelques jours aller affronter cette finale 06 ; même s’il savait qu’il aurait tout oublié, Simack le lui avait affirmé.« S’il vous plait… »Seulement, à cet instant qui ne cessait pas, cela lui paressait insupportable. Et pas insurmontable relativement, non, insupportable tout court, haut et court, à se pendre.« Merde ! » répondit-il en hurlant.« Monsieur Domenach… » continua de le courser Simack.

Ailleurs, autour du terrain, dans les tribunes, les amateurs d’Histoire étaient venus en masse, la foule des grands jours : ils avaient la chance de pouvoir vivre les passions de leurs ancêtres et d’assister grandeur nature aux réponses à des questions qui agitèrent des milliers de centres culturels durant des années, les bistrots.Comment manquer ça ? On ne savait pas vivre si on manquait ça.Faire la queue, c’était formidable. Etre fouillé avant d’entrer, c’était extra. Ne pas trouver sa place, c’était délicieux. Avoir un hurluberlu devant soi qui agite une immense banderole, c’était exaltant. Attendre confirmation des compos, c’était titillant. S’impatienter que le match débute enfin, ho oui ça c’était une trouvaille. Observer l’échauffement des équipes, valait tous les préliminaires. La pelouse et l’éclairage, c’était magnifique. Les lignes blanches, les piquets, les cages, c’était si simple dans la conception et si riche en rebondissements.Y’allait avoir match, sacré match : France 2000 vs France 06.Autour du stade, d’autres amateurs d’Histoire goûtaient aux joies de l’hooliganisme. Il faisait tout leur possible pour perturber l’évènement mais auraient préféré crever plutôt que l’évènement n’ait pas lieu.

Ailleurs, autour de la table ronde, la discussion s’était recentrée sur l’essentiel.« Bon, réglons une bonne fois la question des gardiens et de leur hiérarchie » déclara Batteux.« Nous sommes obligés de prendre 23 joueurs ? »Shanoun regarda Snella qui venait de poser cette question. Cela lui déplaisait cette idée que l’on puisse écarter par commodité trois ou quatre êtres humains, même si, de fait, le concept de liste débouchait inévitablement sur des choix et donc des déceptions.Combien de merveilleux joueurs en avaient-ils fait les frais ? Et à quoi cela tenait-il parfois ? A rien, trois fois rien : une méforme passagère, une blessure au mauvais moment, un quiproquo, une incompatibilité d’humeurs, une mauvaise passe, un faux rebond, une idée toute faite, un schéma tactique ne correspondant pas, etc, etc…

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Un arsenal de réponses qui se résumait à ceci : s’il vous plait par ici, vous vous mettez une main devant une main derrière, oui comme ceci ça va vous aider, au plaisir, on est de tout cœur avec vous, par ici, ayez confiance, par ici s’il vous plait, par ici, et hop porte refermée, enfermé dehors.Parce que c’était bien cela l’ironie cruelle de l’affaire : pour certains, aussi méritants, aussi talentueux, peut-être même plus méritants, plus talentueux, le travail n’avait pas payé au seuil de leur rêve d’enfant.Bien sûr ils continueraient de signer de bons contrats dans de bons clubs. Bien sûr on entendrait parler d’eux. Bien sûr ils feraient encore de bons matchs. Bien sûr on reparlerait d’eux. Bien sûr…« Coach… » dit Shanoun, « Nous n’allons pas en exclure nous aussi… ? »Aimé Jacquet qui suivait cette réunion sur écran depuis sa chambre plissa le front en levant les sourcils, et, fermant les yeux, eut quelques petits oui lents de la tête.Autour de la table ronde, les trois hommes et les deux femmes se regardèrent.« Les gardiens » fit Batteux.

« Merde ! merde ! merde ! » poursuivait en substance Domenach.« Mais enfin, monsieur Domenach… » faisait de temps à autre Simack pour en placer une.« Pourquoi nous avoir montré ça ? Vous êtes sadique ou quoi ! »« Je vous assure… »« Non. Merde. »« Si vous preniez la peine d’écouter, vous verriez que »« J’en ai marre de vous écouter ! » l’interrompit Domenach, « Renvoyez-nous, réimplantez-nous dans notre époque, peu importe comment vous dites, mais faites-le et point barre. »« Monsieur Domenach… »« Vous pouvez changer le résultat du match ? Non. Alors au moins que j’oublie ça quelques temps le plus vite possible. »Simack se dit que puisqu’il avait pratiqué la menace, fait vibrer l’affectif, tenter d’en appeler à la raison, et que rien n’avait mordu par rapport à Domenach, il ne lui restait plus qu’à abonder dans son sens et voir ce que cela donnerait : « Non, bien sûr, rien ne peut être changé » fit-il avec l’air du visiteur encore plus patraque que l’agonisant.Raymond Domenach se détournait déjà quand Simack rajouta sans y prendre garde : « C’est interdit », emporté par sa stratégie d’empathie.Le sélectionneur entendit immédiatement, totalement, vertigineusement, ce que venait d’énoncer l’historien : c’était interdit.Sous le choc des mots, il avait sursauté, électrocuté.

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Ailleurs, sur le terrain, Deschomps 2000 comprit que ça n’allait pas pour eux.Le score était toujours zéro zéro, mais il n’avait pas envi de blaguer comme son homologue de 98 sur Zizou 006, ce dernier prenant beaucoup trop au sérieux son permis de tuer ; un Zizou qu’il trouvait encore meilleur que celui de 98 ou de 2000, en fait un Zizou qu’il trouvait simplement comme le meilleur joueur qu’il ait jamais eu à croiser sur une pelouse.Capitaine Deschomps regardait de plus en plus souvent vers la touche : que faisait Lemerce ? Ne s’apercevait-il pas de la même chose que lui ? Il le vit debout en train d’observer.Il se rappela de Dunga, le capitaine brésilien de 98, lors d’un match avant la finale, qui, constatant que son équipe n’était pas en place, le fit remarquer à certains joueurs qui se cachaient, et s’était mis à hurler après eux, devant leur manque de bonne foi évident, et le banc qui laissait s’installer la situation.Le pire, se dit Deschomps 2000, c’est que, là, il sentait ses coéquipiers à bloc sans que cela ne change rien à l’affaire qui se présentait bien mal. Ce n’était pas possible, son équipe ne pouvait pas perdre : elle ne savait pas perdre.Deschomps 2000 chercha du regard Jacquet dans les tribunes.Encore un ballon millimétré de ZZ 06 pour Florent Malouba que Deschomps coupa.Il se releva et trouva Jacquet, assis droit au premier rang, attentif, à l’endroit où il s’attendait à le voir.Il s’était rappelé qu’en 96, Jacquet lui avait dit que si par impossibilité il ne pouvait pas être dans sa zone technique, il serait dans ce coin des tribunes.Aux commentaires, Thierry Rollond commençait à s’inquiéter pour cette équipe championne d’Europe et s’étonnait : de l’avis général l’équipe de l’Euro 2000 était la meilleure de toutes. Ce, à quoi Liarqué répondait que c’est sur le terrain que les choses se démontraient.Un instant, Deschomps 2000 se demanda ce que son ancien sélectionneur… il fit un énième tacle et se remit très vite sur ses jambes… ce que son ancien sélectionneur ressentait, en quels termes considérait-il cette équipe, celle en train de se débattre sur le terrain ?Une nouvelle énième fois il coupa le jeu adverse grâce à son sens du placement : le ballon passant comme par miracle le plus souvent là, où, comme par hasard, il veillait.Alors, Jacquet, que ressentait-il ? Même si officiellement il ne s’agissait plus de son équipe, et bien qu’il ait toujours pensé avoir cette équipe en charge et non qu’elle lui appartenait, que pouvait-il se dire ?L’équipe, son équipe, stékip ? Dont il n’avait plus la responsabilité, ce qui n’empêchait pas les sentiments et forçait à les dissimuler.

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Déjà, Michel Hidalgo, à l’époque, avait quitté, comme Jacquet, en pleine gloire, après un Euro victorieux en 84, et n’était pas allé au bout de l’histoire, au Mexique en 86.Jusqu’à quand Michel Hidalgo s’était-il senti inextricablement lié à cette équipe ? Jusqu’au soir de la deuxième défaite en demi avec des Allemands qui gagnent à la fin ? Jusqu’à la retraite internationale du dernier des joueurs qu’il avait lancé dans le grand bain ? Jusqu’à ce que son carré magique ait perdu tous ces côtés ? Quand ?But ! But ! Buuuut !Le terrain venait de délivrer une part de certitude, gâteau dont on ne se lasse jamais.Aux commentaires, Thierry Rollond hurla le bonheur simple de la surprise.Les 2000 venaient d’inscrire un but par Djorkayef entré quelques instants auparavant. Une frappe lointaine, soudaine, alors que le jeun commandait de donner. Barthiez 06 en était resté planté sur ses appuies.Contre le cours du jeu ? A coup sûr. Le genre de but préféré du Snake, celui d’un humaniste qui n’aime pas faire souffrir trop longtemps son adversaire.« C’était bien tenté, les gars » assura Deschomps 2000 aux 2006.« C’est pas fini, Didier… » fit en souriant Makélilé.

Ailleurs, autour de la table ronde, les trois hommes et les deux femmes au sujet des gardiens.« Non, non » tint à préciser Albert Batteux, « Litizi à la place de Sébastien Fré, ce n’est pas réaliste. Litizi est un bon gardien, mais, d’après mes observations, Fré lui est supérieur. »Devant des positions irréconciliables, Hélène de Troie proposa de voter.« Absolument, votons ! » s’exclama Marie-Georges Buffet, partisane de Litizi et très remontée : Simack l’avait prélevée en plein conseil des ministres et donc plus question pour elle de faire de la figuration.« Et toi, Omar, tu n’as rien dit ? » demanda Snella à Shanoun, « Pour qui es-tu en numéro un, Litizi ou Fré ? »Shanoun secoua la tête : « Aucun des deux, coach : je vote pour Bernard Liama. »Batteux eut une expression chagrine.« Ha oui, bien sûr » acquiesça Snella, « C’est peut-être le meilleur de tous, Barthiez y compris. »« Sauf que Bernard Liama dans cette équipe » fit Batteux, « Ce n’est pas possible. »Aimé Jacquet, dans sa chambre, devant l’écran, entendant ces mots, se replongea dans ses doutes quant à la décision qu’il avait prise concernant

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Barthiez Liama… doutes qui, s’il voulait être honnête avec lui-même, ne s’étaient jamais levés : il avait seulement fini par ne plus y penser, les résultats s’enchaînant à merveille.Jacquet avait écarté Bernard Liama sans l’écarter, et maintenant Liama allait être privé de revanche par le fait que, compétiteur (car désireux de participer au Mondial, désireux d’être là au cas où, présent à deux cent pour cent aux entraînements, y réalisant des prouesses) et conscient de l’intérêt du groupe, il avait accepter de jouer les doublures de grand luxe.Jacquet comprit pourquoi il n’allait pas continuer, et pourquoi ce serait Roger en 2000.Devant cet écran, devant ses maîtres Batteux et Snella, il sut ce qui allait se passer en lui… bien sûr la campagne de L’Equipe, mais, après tout, il lui aurait été facile de les prendre de très haut… non, il sut qu’il ne pourrait plus gérer émotionnellement le regret d’avoir à écarter de grands joueurs, qu’il n’aurait plus jamais les idées tranchées du Jacquet 96-98… et il en fut soulagé. Un profond soupir s’échappa de sa poitrine : si ce que Simack avait dit était vrai, il allait donner au foot français le titre suprême, puis ensuite il allait se donner la paix ; et ses joueurs étaient grands maintenant…

Ailleurs, aux commentaires, Thierry Rollond cria le bonheur simple de la perfection.Les évènements venaient de se précipiter. Du un zéro pour les 2000, on était passé à deux à un en dix petites minutes pour les 06. Un retournement de situation ahurissant, invraisemblable, un pied de nez aux 2000 qui l’avaient fait subir il y a quelques jours aux italiens. Le second but des 2000 inscrit par Ribiri.Jean-Michel Liarqué parla d’un jeu à trois à montrer dans toutes les écoles de foot.A la suite d’une accélération, Ribiri passa à Zidaine 06 qui en une touche de balle décala Hinry 06 qui, attendant le bon moment, redonna en retrait plein axe à Ribiri qui, ouvrant son pied, trouva le petit filet ; le tout au cœur de la plus belle défense que la France ait jamais connue, une défense mise hors de position par la fluidité de la circulation, le tempo de l’action, et les angles de passe.C’était…C’était.Deschomps 2000 voyant sauter en l’air Viera 06 et Thurom 06, se pinçant d’une telle joie fratricide, se dit qu’on n’était trahi que par les siens.Derrière lui, il entendit Thurom 2000 hurler.Il se tourna vers Liza 00 qui lui fit signe : allez on y va.Sur ce, ils retournèrent au combat.

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Ailleurs, Raymond Domenach dit à Simack : « Répétez-moi ça. »« Quoi ? »« Ce que vous venez de dire au sujet du résultat. »« Bien sûr. »Simack ne se fit pas prier, dès fois que cela arrangerait les relations : « C’est interdit. »Voilà, Domenach l’avait à nouveau entendu, il en fut sûr, il avait bien entendu… enfin une bonne nouvelle dans cet océan relatif de désolation : interdit, ô le joli mot, interdit, fallait le dire plus tôt, interdit, comme cela sonnait doux à l’oreille, deux petits i riquiquis tout mignons, in-terdit.Et puis, interdit, dites-moi, si c’est interdit la-la-la-youpi c’est donc que ce n’est pas impossible : les interdits ne sont-ils pas faits pour être transgressés, les contrats ne sont-ils pas signés pour être dénoncés, les promesses pour être non-tenues, les… bref, il se sentit soudain dans d’excellentes dispositions d’esprit.Il est gentil ce Simack, pensa Domenach.« Dites m’en plus » rajouta-t-il à voix haute.Simack fut quelque peu surpris d’un tel revirement, surtout si brusque : il avait à présent devant lui un Domenach affichant l’expression d’un brave chef scout persuadé que la Sainte Trinité aide chacune et chacun dans la grande course d’orientation qu’est la vie.« Je vous écoute » l’encouragea Domenach, y ajoutant le sourire engageant qui allait avec.Simack se décida donc puisque la tête de mule avait enfin l’air prête à écouter : « Cher monsieur Domenach… »Et, à cet instant, il se passa quelque chose.

CHAPITRE 10

Raymond Domenach se retrouva à la FFF.

Confidentiel.Percevons genèse du projet domenachien.Souhaitons que vous repériez lien(s) entre dossier « Jacquet en pleurs CM2010-AFS » et dossier « Projet domenachien ».

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Autorisons fouilles pour mettre à jour tout artéfact susceptible d’éclairer la période historique de décadence : ballons flottants, morceaux de la vraie barre transversale, poils de sourcil, etc… ainsi que tout agissement des divers protagonistes du Projet De Recherche Sur La Décennie Glorieuse (PDRSLDG).

Ailleurs.Sur le terrain, Thurom 2000 (ce qui le faisait marrer de s’intituler Thorom 2000 : ça lui rappelait les panoplies de son enfance, le petit chimiste de l’an 2000, le petit électricien de l’an 2000… seulement là, il ne riait pas : deux à un pour les 2006) Thurom 2000 donc, hurlait. Une colère noire, totale, du fond de l’être : il venait de se faire casser les reins par la remise en retrait plein axe de Titi 06 pour Ribiri et but. But comme à la parade. C’était quoi ce cirque ?Le premier, soit, passe encore… un coup franc direct, puissant, lumineux, de Zizou qui avait contourné le mur et était allé se loger au ras du poteau, rien à redire : nous n’avions qu’à pas faire faute dans cette zone. Mais ce second but dans le cours du jeu, et si rapidement après le premier...En quart, déjà, l’ailier gauche espagnol (pour lui ce match contre les 06 faisait parti de l’Euro 2000, ç’avait été sa façon de se motiver) l’ailier espagnol donc, l’avait mis à l’agonie. Quoiqu’il fasse, il passait ; où qu’il se tourne, il passait ; il l’attendait, il passait ; il anticipait, il passait ; il le collait, il passait. Un cauchemar : il avait même eu l’impression que par moment il lui passait entre les jambes. Et là, ç’avait recommencé.Les quatre de la défense se regardèrent.Deschomps gueula quelque chose et se dépêcha de ramener le ballon vers le rond central.

Ailleurs, la polémique concernant les gardiens se prolongeait.Simack, depuis la salle de contrôle où il surveillait entre autre cette réunion du Comité de Sélection, ne tenait plus en place : en perdait-il du temps.Il leur avait pourtant fourni une pré-liste de 69 joueurs dans laquelle puiser pour arriver à la fameuse liste des 23, où était le pébé ?Ils avaient seulement choisi 13 joueurs qui n’arrêtaient pas de s’entraîner en attendant le reste du groupe.Simack n’appréciait pas cette pratique consistant à faire venir au compte goutte les joueurs.Autour de la table, les cinq s’observaient.« Enfin, ce n’est pas si compliqué que ça » fit la voix de Simack à travers les murs, n’en pouvant plus de se taire et de les voir se disperser, « Trois gardiens, huit défenseurs, huit milieux, et quatre attaquants, par exemple. »

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« Et si nous proposons un nom pertinent qui ne soit pas dans la pré-liste… » demanda Marie-George Buffet.« Pas sur la pré-liste ? » dit Simack, « Hé bien, ma foi, nous serions curieux de le connaître. »Hélène de Troie toussota puis prit la parole : « Comme vous le savez, je n’aime pas semer la zizanie » commença-t-elle par déclarer, « Mais je souhaiterais savoir pourquoi à Anielka il n’y a que le nom et pas le prénom sur la pré-liste ? »« Y’ pas Nicolas ? » s’étonna Marie-George Buffet.« Non, non, pas de Nicolas » vérifia Omar Shanoun, « Juste Anielka. »« Remarquez, c’est comme pour Hector ou Achille » minauda Hélène de Troie, « Juste Hector, juste Achille, croyez-moi ça suffisait. »« Comme pour Fontaine » dit Snella ; ce qui fit sourire Batteux : juste, Just Fontaine.Dans la salle de contrôle, devant les écrans, Simack se tourna vers ses collaborateurs : « Je savais que c’était une mauvaise idée d’accepter Hélène de Troie dans le Comité : elle va nous mettre un bordel homérique… » Puis après un temps pris à secouer la tête en signe de désappointement : « Mais pourquoi j’ai accepté, pourquoi j’ai dit oui ? »Il regarda ses collaborateurs qui avaient l’air également navré.« Alors ? » insista-t-il auprès d’eux.« Tu estimais que cela aplanirait les difficultés consécutives à la reconstitution du combat entre Achille et Hector » lui rappela-t-on.« Hé bien, j’ai eu tort : il n’y avait qu’à la perfuser au Tranxène 50, voilà tout. »

Raymond Domenach, seul, désorienté, reconnut la salle de la FFF où se tenait les conférences de presse ; qu’est-ce qui s’était passé ?L’instant d’avant Simack était sur le point de lui expliquer jeux interdits.Seul et désorienté ! Ca se mit à sonner l’alarme dans sa tête : la même sorte de désorientation que lorsqu’il s’était réveillé dans la cellule bleutée : il se vérifia rapidement.Tout allait bien.Il détailla la pièce, connaissant parfaitement les lieux.Le problème, se dit-il, c’est qu’avec ces zouaves ce n’est pas où qui s’avère prioritaire, surtout si l’on sait où l’on est, mais quand.Machinalement, pour se donner une contenance, il mit les mains dans ses poches et, à droite, sentit une boulette molle, qu’il sortit : une boule de papier qu’il déplia sur laquelle se trouvaient quelques lignes écrites, divisées en deux passages distincts.

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Le premier venait trop tard : « Faire attention car Zidaine va donner un coup de tête à Materazzi et se faire expulser. »… il savait, merci, et se rappela cette formule : l’art de la prédiction est difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir.Le second le surprit mais expliquait bien des choses : « Ecris sur le tableau la phrase que tu as trouvé lors de ta première conférence de presse en tant que sélectionneur des A. »A quoi jouait Simack ? Ou plutôt à quoi le faisait-il jouer, dans quel serious game l’entraînait-il ?En tout cas, d’après le papier, c’était l’été 2004. L’EdF, peu de temps auparavant, s’était fait sortir en quart de l’Euro portugais par des grecs futurs vainqueurs de l’épreuve à la surprise générale. Jacques Santini avait comme prévu quitté ses fonctions. Et Zinedine Zidaine se posait des questions en tant que numéro dix d’une équipe qui venait de perdre successivement, et son titre de championne du Monde, et son titre de championne d’Europe.« Ha, c’est vous monsieur Domenach ! Je savais que j’avais entendu du bruit. »RD se retourna. Devant lui se tenait un agent de sécurité.« Heu… oui, je suis là. »Et dans de jolis draps encore. Espérant ne pas s’y vautrer trop longtemps.L’agent de sécurité semblait ravi de le voir : il souriait à pleines dents.Que faire ? Que dire ?Si la situation s’éternisait, il risquait fort de se retrouver nez à nez avec lui-même et, se connaissant, il savait que le « Je-étant-un-autre » allait en faire un foin du diable.Au fond, ses détracteurs avaient peut-être raison, peut-être était-il simplement chiant comme la mort, c’était à envisager. Du moins il se sentait prêt à examiner les diverses possibilités du moment, et surtout en ce moment, où cela lui attirerait les faveurs des instances supérieures du football divin.« Je… » continua-t-il, « Je prenais la température. »Rien d’autre ne lui était venu à l’esprit.« Je comprends » assura l’agent de sécurité visiblement pas pressé de repartir.Il restait encore à Domenach à écrire cette phrase. Et, après tout, au point où ç’en était, il pouvait le faire devant cet homme.Il prit donc un marqueur qui traînait sur la table et se dirigea vers le tableau.Curieusement, un sentiment de culpabilité l’envahit. Peut-être le fait de sentir le regard de l’agent de sécurité posé sur lui.Il allait écrire cette phrase puisqu’il l’avait trouvé en arrivant deux ans auparavant… enfin, dans quelques minutes…Il haussa mentalement les épaules : Simack voulait ça, il l’aurait.Et il commença à écrire.

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David Ginolia, après une brusque sensation d’étourdissement, se retrouva au milieu de supporters français.Il n’était plus dans les tribunes mais à l’extérieur, et ne reconnaissait pas ces alentours du Stade de France.Autour, ça criait, ça chantait : « On est les champions ! On est les champions ! On est ! on est ! on est les champions ! »La finale était donc finie ? Qu’est-ce qui… ?« On a gagné ? » demanda-t-il à une jolie brunette au visage peinturluré en bleu blanc rouge.Elle le regarda surprise.« On a gagné ? » insista-t-il.« Mais d’où tu sors, toi, beau gosse ? » fit-elle.« Bien sûr qu’on a gagné » rigola un type, « On est les champions ! » tendit-il les poings vers le ciel.Ce qui fit reprendre en chœur à l’ensemble des personnes proches : « On est les champions ! On est les champions ! On est ! on est ! on est les champions ! » suivi de hurlements de joie et de sauts sur place.La France était donc devenu championne du Monde.Il lui fallut un instant pour assimiler l’info.Incroyable. Magnifique. Grandiose…Grandiose, oui, magnifique, oui, mais sans lui. Car désormais, quoiqu’il fasse, il avait manqué le rendez-vous : il y aurait un avant et un après 12 juillet 1998… et il n’avait pas fait partie de l’aventure… il avait loupé ça… on lui avait fait louper.« Et le score ? » demanda-t-il machinalement.« Trois zéro ! » lui gueula-t-on aux oreilles.Ce qui déclencha un autre refrain reprit en chœur : « Et un ! et deux ! et trois zéro ! Et un ! et deux ! et trois zéro ! »La vague explosait de joie sans se briser ; d’une joie immédiate, instinctive, enfantine, une joie qui, une fois démarrée, se nourrissait d’elle-même ; une joie joyeuse, s’emballerait un commentateur emporté par l’enthousiasme et les qualificatifs.« Et un ! et deux ! et trois zéro ! Et un ! et deux ! et trois zéro ! »Ginolia n’avait aucun souvenir du match.Il se rappelait seulement être assis en tribune avant le coup d’envoi, les brésiliens et les français face à face sur le terrain, et puis plus rien, ici, au milieu de cette foule ivre de bonheur.Il avait vraiment tout loupé.« Et comment s’est passé le match ? » voulut-il savoir.La jolie brunette se marra : « Mais qu’est-ce que t’as pris ? »

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Elle-même le regardait avec des yeux aux pupilles dilatées.« Hein, qu’est-ce que t’as pris ? »

L’agent de sécurité était ressorti de la salle des conférences de presse.Domenach avait écrit sur le tableau la phrase qu’il avait à écrire. Et il se demanda quoi faire à présent ?Il s’était attendu, une fois sa tâche accompli, à être ramené au près de Simack, mais rien, et l’heure tournait. Dans pas longtemps les premiers journalistes se pointeraient et le trouveraient. Et…Essayer d’annuler la conférence de presse ?Essayer de se planquer dans un placard ?Essayer l’humour ?Qu’est-ce qu’il foutait Simack, bordel !Essayer de sortir discrètement du siège de la FFF sans se faire remarquer ?Espérer qu’un tremblement de terre, une alerte à la bombe, essayer d’espérer ?Essayer d’aller au devant des journalistes en signe de bienvenue et les retenir dans un autre coin du bâtiment ? Ils lui demanderaient pourquoi, ne seraient pas satisfaits de ses réponses, ne se le tiendraient pas pour dit, feraient chier, quoi.Domenach avait de plus en plus de mal à résister à la tentation de fuir à toutes jambes et advienne que pourra.Essayer de faire croire à un tour de magie ? Ta-tan ! deux Domenach pour le prix d’un… voilà comment je compte mener mon équipe jusqu’en finale : deux en un.Essayer… ?Ca n’allait pas.Un court instant, il se prit à regretter la cellule bleutée.Ce qui, ça, était un réel signe que ça n’allait pas du tout.

Ailleurs, pendant qu’Eric Cantoma gueulait devant le bâtiment du groupe Jacquet, cherchant ZZ, Zinedine Zidaine 98, en compagnie de Simack, réceptionnait un jeune, victime d’un accident de la route.Il attendait que ce dernier sorte de la légère désorientation consécutive au prélèvement temporel.Lorsque le jeune ouvrit les yeux, il se croyait encore dans la voiture devenue folle.Il vit à peine partir la gifle qu’il reçut en pleine figure.« Non, mais ! » se leva-t-il de son fauteuil, en n’en prenant une seconde qui le rassit.

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« T’es content de toi ! » entendit le jeune, « T’es content ? »Zidaine 98 était en colère. Il lui en aurait bien collé une troisième. Le jeune se frottait la joue.« Vous êtes dingue ou quoi ! » gueula l’accidenté, « Et où je suis ? »Simack fit monter la lumière à la normale.Le jeune les regarda.« Mais… mais… » bégaya-t-il.« Hé oui » approuva Zidaine 98, « Comme tu dis. »« Mais… »« Nous allons vous expliquer » intervint Simack, « En fait, il s’agit d’une histoire qui débute sur un accident de voiture et qui progresse jusqu’au paroxysme final en 2006. »« T’inquiète pas » rajouta Zidaine 98, « Ce type a une âme de blagueur professionnel… pire que Ladèche. »« Merde, t’es qui ? » demanda Zidaine 96 que Simack venait de prélever en plein accident de voiture, juste avant l’Euro, afin que sa carrière ne s’arrête pas sur cette route.« Toi » dit Zidaine 98, « Enfin, moi plutôt, ou presque. Toi dans deux ans. Nous. »Zidaine 96 ouvrit des yeux effarés : « Quoi ? »« Je sais, au début c’est difficile… mais ce type, là, il s’appelle Robert Simack… c’est une sorte de savant du futur qui maîtrise les voyages dans le temps… et aussi… »Zidaine 98 montra de la main les alentours comme si cela éclaircissait l’horizon. Zidaine 96 regarda à la suite de Zidaine 98 les environs.Putain mais c’était pas le type savant, là, qui posait problème, mais l’espèce de bouffon ressemblant qui déblatérait des conneries ! Toi, moi, nous… il le draguait ou quoi ?« Hein ? » insista Zidaine 98, balayant toujours de la main le panorama.« Et c’est une raison pour me filer des torgnoles ? » conclut Zidaine 96. Parce que si c’était un tordu qui prenait son pied à cogner, il allait goûter aux joies de la réciproque.« Ben… » commença Zidaine 98, « Avec cet accident, oui. »« Oui ! » s’indigna Zidaine 96.Simack les observait. Qu’allait-il sortir de ce face à face ? Des vérités historiques, des anecdotes inconnues, les processus de pensée de Zinedine Zidaine ?En tout cas, ZZ 96 ne digérait pas les gifles : « Oui ! » réitéra-t-il.Zidaine 98 se contenta de le regarder.

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«Parce que si tout ce que tu dis est exact et que t’es bien celui que tu prétends » reprit Zidaine 96 qui s’avérait à lui seul plus loquace que Zidaine 98, Zidaine 2000, et Zidaine 06, réunis, « Tu me files des tartes pour un accident que tu as eu… T’es pas gonflé comme mec ! »« T’étais pas dans une voiture qui partait en vrille ? »« Si, oui » admit Zidaine 96, « Et j’ai cru que… »« Justement » dit Zidaine 98, « T’as cru que. Et sans monsieur Simack » qu’il désigna du pouce, « Tu aurais plus que cru : c’était mort, terminé… game over, ducon. »Zidaine 96 hocha la tête plusieurs fois en faisant la moue de la certitude dégoutée.« Au fond, tu te prends pour un grand frère… » fit-il.« Voilà, c’est ça » sourit Zidaine 98, « Un grand frère qui a fait ses propres conneries et qui voudrait que son petit frère en évite quelques unes… justement parce que lui les a faites et qu’il sait que ça ne lui a valu que des emmerdes. »Ouf, il avait parlé pour des années, espéra-t-il.Simack, pour sa part, en déduisit que Zidaine parlait sans problème à la condition expresse de parler à d’autres lui-même.« Tout ça, bien sûr, si vous ne vous foutez pas de moi tous les deux » tint à préciser Zidaine 96, pas encore totalement convaincu, ou ne voulant pas l’être, tellement cette histoire était folle.« Non, Yazid, on se fout pas de toi, non. »Et à cet instant, comme pour donner raison à ZZ 98, apparut dans une lumière bleutée, un troisième Zidaine, Zidaine 05, blessé en Irlande.« Ben merde… » commenta Zidaine 95, se reconnaissant plus vieux et surtout trop chauve.« Ben merde… » compléta Zidaine 98, rejoignant son avis.« Ne vous préoccupez pas de lui » déclara Simack (il était marrant), « Nous allons le retaper et le réimplanter pour qu’il poursuive son match et il ne se rappellera de rien. »Zidaine 05, un peu désorienté, ayant mal à sa jambe, jeta un coup d’œil dans leur direction, et, les voyant vaguement, se voyant même deux fois cette fois, se dit, après ce qui s’était passé l’été dernier dans sa chambre pendant la sieste, que définitivement il n’y couperait pas : il lui faudrait tôt ou tard consulter.La couchette sur laquelle il se trouvait glissa et l’emporta par une ouverture venant de se matérialiser dans l’un des murs… plutôt tôt que tard se promit-il… et comme au train fantôme se cramponna tant bien que mal aux armatures.

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« Ca va aller » affirma Simack, « Tout va bien se passer : votre ligne temporelle est tendu comme l’arc de la victoire. »Les deux Zidaine se regardèrent.« Et vous en avez fait beaucoup des interventions comme celle-là ? » demanda Zidaine 96.Simack prit un petit air malin et resta silencieux.« Oui » renchérit Zidaine 98, « Au fond, vous voulez nous prouvez que nous vous sommes redevables. »Simack hocha la tête : « C’est que vous n’êtes pas facile, monsieur Zidaine, non, pas facile… »

David Ginolia, au milieu des supporters, toujours suivi par la jolie brunette, ne voulait pas y croire. Il ne pouvait pas, ne voulait pas, ne pouvait pas : ce à quoi il était en train de participer n’était pas la finale de la Coupe du Monde 98 mais la finale du Mondial 2006 en Allemagne, victoire trois à zéro de la France contre l’Italie.« On est les champions ! On est les champions ! On est ! on est ! on est les champions ! »Les faits, se raccrocher aux faits.Il se tenait assis dans les tribunes du Stade de France pour assister à la finale 98.Puis d’un coup debout dehors aux alentours du stade, d’un stade.A la rigueur, bon, ça pouvait s’expliquer par une absence, une amnésie passagère à condition d’être toujours en…Mais pas ça, pas en 2006.« Et un ! et deux ! et trois zéro ! Et un ! et deux ! et trois zéro ! »Ils lui cassaient les oreilles ces excités et l’empêchaient de réfléchir.Ou alors une amnésie qui aurait duré huit ans d’une finale à l’autre ? Le premier choc de ne pas avoir fait parti de cette aventure, choc qui aurait causé l’amnésie, effacé par un second choc, cette nouvelle finale, second choc qui lui aurait fait retrouvé ses esprits et sortir de sa sidération… ?« En 98, on a gagné ? » demanda-t-il à la brunette.« Hou la la que t’es mal… ! » fit-elle en secouant la main.Honnêtement, il ne croyait même pas à ce dont il essayait de se convaincre, une amnésie. Seulement l’alternative n’était pas plus… était…Non, tout ça était impossible, rigoureusement impossible. Il se le répétait comme une incantation qui va changer la réalité. Impossible.Il s’éloigna à grandes enjambées du stade, espérant que, dépassée une certaine limite, la supercherie se termine faute de figurants complices.

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Au bout d’une trentaine de minutes de marche soutenues passée à refuser de regarder autour, il entra dans le premier bar venu.Il regarda. On était toujours en Allemagne. Une télé allumée diffusait un Zidaine plus âgé qu’il ne le connaissait, tout sourire, répondant à des questions le trophée mondial entre les mains… un Zidaine qui portait un maillot que quelqu’un du staff lui avait donné et où se trouvaient floquées deux étoiles.C’était… ?C’était donc vrai. Même si c’était impossible c’était vrai. Une nouvelle incantation chassant l’ancienne ; sauf que celle-çi avait pour but de conforter sa foi en la réalité.Ginolia s’assit. La brunette essoufflée l’avait rejoint.« Ca va ? » lui demanda-t-elle.Il fallait digérer : deux étoiles, cela signifiait victoire en 98 et victoire en 2006… deux victoires mondiales à assimiler d’un coup après… après quoi d’ailleurs ? Un méchant coup de moins bien, un sacré trou noir inquiétant pour sa pomme.« Ca va ? » redemanda-t-elle, « T’es tout pâle. »Et pour cause.Tout à l’heure, aux alentours du stade, quand il avait remarqué ce groupe de supporters abattus, drapeaux italiens en berne, ça l’avait étonné : pourquoi des italiens, sortis aux tirs au but en quart, auraient-ils l’air de supporters venant de perdre un match ? Il voulait bien croire qu’ils aient pris fait et cause pour les brésiliens suite à la déception infligée par les français, mais de là à se retourner les sangs y’avait une marge.De plus, aucun des supporters français présents n’avaient l’air de se rendre compte qu’il parlait à David Ginolia. Il voulait bien croire aussi que sa notoriété n’était pas d’ordre planétaire, mais des supporters français… ils auraient quand même dû le reconnaître… au moins un peu… au moins quelques uns… c’était pas le genre de blague qui allait arranger son image narcissique et son estime de lui.Ca ne collait pas, avait-il pensé.Evidemment que ça ne collait pas. Ca ne pouvait pas coller. Et maintenant il savait pourquoi : 2006, deuxième titre de Champion du Monde pour l’équipe de France.Ginolia prit conscience que la brunette se tenait debout à côté.« Qu’est-ce tu veux ? » demanda-t-il, énervé.« Je ne sais pas… Tu as l’air… »« Quoi ? »« Perdu » dit-elle.

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CHAPITRE 11

Raymond Domenach fut transféré au moment où il devenait impossible pour lui de se dissimuler plus longtemps des journalistes, du personnel, et de son alter égo : cette salle de conf, de toute façon, il ne l’avait jamais aimé et ce n’était pas cette péripétie qui allait le faire changer de sentiment.Du reste, plus tard, de bonnes âmes feront remarquer qu’à chaque point presse il semblait aux aguets cherchant quelqu’un dans l’assistance.Quand RD sortit de la légère désorientation due au transfert spatio-temporel, la première vision qu’il eut fut des supporters français écœurés d’avoir été battus par les italiens en finale, écœurés par les péripéties, tellement écœurés qu’ils ne prêtaient pas attention à lui… et la seconde, des supporters italiens fous de bonheur qui exultaient… puis évidemment le stade de cette finale 06 et les alentours qu’il reconnaissait.Qu’est-ce qu’il venait faire là, qu’est-ce qu’il avait à y faire ? Se tourner le couteau dans la plaie ?Mais avant qu’il puisse y réfléchir, il se passa à nouveau quelque chose.Et lorsqu’il sortit de l’inévitable désorientation, il constata que c’était un endroit inconnu de lui et que Simack brillait toujours par son absence.Bon sang, où je suis encore, maugréa-t-il.Ailleurs ?Deux déplacements en un bref instant, à quoi cela rimait ?Il venait de perdre une finale mondiale, il venait d’écrire sa fameuse phrase à la noix, et on le transbahutait encore et encore : merde, quoi merde, ça suffisait ! Il avait l’impression d’être à l’intérieur d’un shaker où lui-même et ce qui faisait sa vie étaient secoués puis s’écoulaient.« Coach ! » entendit-il derrière son dos.Domenach se retourna.« D’accord… » dit-il, « D’accord… »« Je suis aussi azimuté que vous, coach. »Et, effectivement, David Ginolia ne paraissait pas très frais.« J’étais dans les tribunes juste avant la finale et… »« Oui » approuva Domenach.« Et je me suis retrouvé au milieu de »« Quelle finale, au fait ? » l’interrompit Domenach, parce qu’entre 98, 2000, et 2006, y’avait du stock.« En 98. »

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« D’accord. Quel merdier… » Domenach secouait la tête, « Et tu as vu Simack ? »« Qui ? »« Simack ! Un putain de grand barbu à la barbe blanche ! » s’excita Domenach.« Un grand bar… » reprit lentement Ginolia, « Bu-u-u… ? »« Non, non » fit Domenach, « Pas dans ce sens, c’est pas Dieu le père ou saint Pierre, et on est pas mort. Car se faire arracher les couilles d’entrée aux portes du paradis ce n’est dans aucun texte sacré, sois-en sûr. »David Ginolia était à présent tout à fait inquiet. De quoi parlait Raymond ? On allait les torturer, les punir, mais de quoi ? Tout de même pas pour son coup franc de l’automne 93…« A moins que ce soit l’enfer… ? » hasarda Ginolia.« Oui, non, je veux bien que ça en enchanterait certains et que pour beaucoup je représente tous les péchés du monde, mais non. »Domenach marchait de long en large.« Coach, on m’a demandé de vous dire… »Mais Domenach ne l’écoutait pas, il était reparti dans son soliloque contre l’incroyable injustice.« Je les ai là, je les ai là ! » montrait-il sa gorge.« On m’a demandé »« J’arrive pas à la digérer cette finale. Les enfoirés ! On s’est bien fait mettre sur ce coup-là. »Mettre ? Ce qui surprit Ginolia. De quoi parlait Domenach : ils avaient gagné, et ça faisait deux Coupes du Monde en huit ans, c’était exceptionnel.Il avait vérifié, revérifié, contre-vérifié, le lieu, l’époque, et le résultat avant d’être moins têtu que la réalité et d’accepter le fait… et même d’accepter les faits puisqu’il avait dû apprendre une mais deux victoires. Alors à quoi était due cette colère ?« Coach, avant d’arriver ici, je me suis retrouvé en transit à l’extérieur du stade de la finale 2006. »« 2006 ! »Ca, Domenach l’avait entendu cinq sur cinq, y’a des mots-clés comme ça.« Et tout le monde était fier et content, aussi je vois pas ce que vous avez » continua Ginolia.« Tu vois pas ! » hurla RD, « Mais putain de merde, t’as vu le match ! »« Après, oui, en différé, et c’était parfait ; même si je connaissais déjà le résultat. »Domenach se retint de lui sauter au visage et de lui refaire sa jolie petite gueule d’ange.

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« Je suis pas d’humeur, David, je te préviens, pas d’humeur du tout » se contint-il les mâchoires serrées.Ginolia vit en effet que Domenach frisait la crise de nerf et comprit qu’à nouveau ça clochait : il ne pouvait tout simplement pas se mettre dans cet état quel que soit les faits de match ou entourant le match : la gagne c’est la gagne, il était bien placé à contrario pour le savoir.« Attendez, coach, je crois kia un twist. »« Lequel ? »« Parce que je vois bien que vous avez la rage… mais quand je me suis retrouvé au milieu des supporters après la finale 2006… »« Hé bien ? »« Eux étaient contents parce qu’on avait gagné. »« Hein ! »Domenach avait bondi.« Trois zéro contre les italiens. »« C’est pas possible, pas possible… ! »Domenach faisait non de la tête.« Pas possible… »« Quoi, coach ? »RD continuait à faire non non non de la tête.« On a bien gagné, non ? » affirma, en questionnant, Ginolia.« Pas possible… »« J’ai vérifié. »Mais devant les yeux dans le vague de Domenach, Ginolia ajouta : « Vous pensiez quoi ? »Et devant l’absence de réponse de Domenach, il rajouta : « Moi aussi je disais que c’était impossible, mais pour d’autres raisons. »Domenach se mit à hocher la tête, de petits oui secs : « Non, c’est pas possible parce que, un, je sais qu’on a perdu » fit RD faisant signe à Ginolia de ne pas l’interrompre, « J’y étais. Ou comme. Et deux, dans mes périgrinations, moi aussi j’ai fait un tour autour du stade après la finale 2006, et je peux t’affirmer qu’on avait bel et bien perdu. »« Mais non ! »« Si. Aux tirs au but. Comme prévu. »C’était au tour de Ginolia de faire non de la tête : « Comment ça se peut ? »Domenach se mordit les lèvres. Deux résultats, qu’est-ce que cela voulait dire ? Et Ginolia ne mentait pas : il était aussi ébahi que lui.Alors quoi ?

Notes confidentielles.

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Avons découvert au moins deux RD d’un même temps t se manifestant Ailleurs dans une forme d’ubiquité lors d’une même séquence d’extension temporelle.Soupçonnons que le fait se produise également pour d’autres protagonistes.Apportons preuve immédiate de nos dires :

Ailleurs.… merde, quoi merde, ça suffisait ! Domenach avait l’impression d’être à l’intérieur d’un shaker où lui-même et ce qui faisait sa vie étaient secoués puis s’écoulaient.« Coach ! » entendit-il derrière son dos.Domenach se retourna.« D’accord… » dit-il, « D’accord… »« Je vous cherchais. »Un Chibonda n’ayant pas l’air étonné de me voir, remarqua Domenach.« Pourquoi vous êtes parti comme ça ? » continua l’arrière droit.

Ailleurs, une voix féminine se fit entendre.« David ! »Domenach regarda Ginolia.« David ! »« C’est toi qu’on appelle ? »« Oui, chérie, je suis là » répondit Ginolia.Domenach re-regarda Ginolia.« Mais c’est qui ? » demanda-t-il, « C’est ouvert aux familles ? »« David ne vous a pas expliqué ? » dit en entrant la jolie brunette.

Ailleurs.« Pourquoi tu me cherches ? » demanda RD à Chib, voulant savoir où et quand il se trouvait.« Si vous aviez vu Aimé Jacquet prendre votre défense… il a renvoyé les journalistes dans leur camp comme il faut avec leur relative déception. »D’accord, en conclut Domenach, on est juste après la retransmission de la finale. Pourquoi Simack le renvoyait-il à ce moment ? Que voulait-il lui faire comprendre ?

Ailleurs : hé non, David n’avait pas expliqué à Raymond.Aussi, lorsque la jolie brunette se présenta en tant qu’Hélène de Troie, ex-madame Sparte, Domenach se tourna rapidement vers Ginolia qui, lui, recevait l’information sans sourciller.

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Non que Domenach mette en doute qu’il s’agisse effectivement d’Hélène de Troie : il avait décidé que tout était possible, certainement pas tout profitable, mais tout possible, oui, assurément.« Et elle te l’avait dit ? » demanda-t-il.« Ben… »« Elle te l’avait dit oui ou non ? »« C’est-à-dire que quand je me suis retrouvé à l’extérieur du stade, y’a une belle brune qui s’est collée et qui m’a plus lâché » expliqua Ginolia.« Et alors ? »« Ben après, ici, oui, elle m’a dit qu’elle s’appelait de Troie. »De Troie… RD leva les yeux au ciel ; et s’il avait eu d’avantage d’yeux, puisque maintenant tout était possible, il les aurait levé aux cieux : de Troie… putain, les footeux et la culture générale… !« Et elle a fait tout un foin » continua Ginolia, « Sur un certain Achille et Hector qui se seraient foutus dessus. »Houiller remonta dans l’estime de Domenach.« Ha ! Elle a aussi parlé de Zidaine et Cantoma par rapport aux deux autres. »Effectivement ça recoupait ce qu’il avait vu sur écran quand Canto était venu gueuler devant l’immeuble.« Et puis qu’elle n’est pas du tout contente parce que cette reconstitution avait fait que son jules était mort alors qu’il ne devrait pas l’être. »« Paris ! » s’étonna Domenach.« Oui, je crois, un nom dans le genre. »« Et qu’est-ce que t’en as pensé ? »David Ginolia battit des bras latéralement sans arriver tout à fait à l’horizontale, une seule fois, plutôt lentement, et les laissa retomber le long du corps. Le genre de mouvement qui, dans toutes les langues, signifie une profonde et totale absence de prise sur les évènements en train de se dérouler.Oui, autant demander à un cormoran ce qu’il compte faire contre les marées noires, se dit Domenach.Son humeur virait au maussade. Il sentit à nouveau le besoin d’être injuste l’envahir. Car se retrouver bloqué à des années-obscures de la finale 06 et devoir se dépatouiller avec la guerre de Troie en ayant comme adjoint Ginolia le traitre (celui qui avait privé Piapin, Souzé, Martigni, Bioli, Cantoma, la France entière, l’éternité, de Mondial 94) le faisait… on sait quoi.

Ailleurs.« Tout ça n’est pas normal, tu es d’accord ? » insista RD.« Sur quoi, coach ? » demanda Chibonda.

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Parce qu’effectivement au vu des évènements étranges qui s’enfilaient les uns à la suite des autres, y’avait de quoi se demander à laquelle des bizarreries on se référait.« La finale, ce n’est pas normal que l’on perde cette finale… y’a un truc. »Chibonda le regarda.« Ce n’est pas normal qu’on l’ait perdue » enfonça le clou Domenach.« Contre les italiens ? »« Bien sûr contre les italiens, pas à la Playstation ! »Chibonda soupira : « Peut-être, oui… mais d’un autre côté, coach, des matchs on en gagne on en perd… on en perdra d’autres… même si c’est rageant de perdre une finale, c’est le foot. »« Quoi le foot, ho ! T’as regardé autour ? On a visionné une finale avant de l’avoir jouée… Et puis t’as vu la faiblesse des genoux de Materazzi, faut qu’il consulte le garçon je m’inquiète pour lui. »Chibonda ne semblait pas très convaincu.« Quoi ? » s’insurgea Domenach.« Heu, coach… Zizou y met quand même un bon coup de boule. »« Allez, les grands mots de suite ! » leva les bras au ciel RD, « Tu me déçois, Pascal, je te le dis, tu me déçois. »Chibonda ne savait pas trop quoi dire à Domenach. Il concevait que cela l’emmerde de perdre, surtout devant des italiens, mais bon…« Coach… »Domenach tournait en rond dans cette pièce se demandant en quoi cela servait les intérêts de Simack de l’avoir renvoyé à la source de sa colère : en quoi voulait-il qu’il se charge ? Parce que même s’il ne risquait pas d’oublier, visiblement cela ne lui suffisait pas : il le voulait en rogne permanente, en éruption.« Coach… Je sais, c’est difficile, mais c’est le foot : y’a que les fous qui déclarent qu’une finale ça ne se joue pas ça se gagne. »« Et quand dans les tribunes tu entends des cris de singe, c’est le foot aussi ? »« Coach… »… Chibonda secoua la tête, « Ne mélangeons pas tout. On a perdu, on a perdu. »Mentalement, Raymond Domenach fit non, toute sa cervelle en était secouée… Simack et l’incendie qu’il avait provoqué avec son interdit… Donc plusieurs cris possibles après le « On est en finale ! » : soit « On est les champions ! », soit un cri de silence… « Sauf » reprit-il à haute voix, « Que toi, moi, on a encore à le jouer ce match, non ? »Chib le fixa perplexe.« Quand ils nous renverront » continua RD.« Qu’est-ce que vous voulez dire ? »

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« Que j’ai eu des discussions instructives… » fit Domenach avec un petit air malin.« Oui. Et ? »« Avec Simack, avec Ladèche. »« Lequel ? »« Deschomps 98 » précisa Domenach.« Et alors ? »« Alors… Alors Ladèche m’a dit qu’à un moment avec je sais pas quoi il avait réussi à parler d’Ailleurs à Zizou 06 pendant que celui-çi était sur le terrain de la finale et que cela avait modifié l’histoire. »Chibonda ouvrit des yeux énormes.« Tu me suis… ? »« Quand Deschomps vous a-t-il dit ça ? »« Après que je me sois retrouvé en 94 dans la salle de conférence de presse, j’ai été réexpédié et… enfin peu importe : ce qui importe c’est que ça a modifié l’histoire. »« Ca a… oui… » commenta Chibonda, « Comme Louis, Louis Sa-ha, quand vous l’avez fait rentrer en finale. »« Putain, mais t’as pas de soucis à te faire pour ta reconversion : t’es un grand comique. »« Ladèche vous charriait. »Chib ne veut pas comprendre, pensa Domenach : il sait où je veux en venir mais ne veut pas y aller. Volonté de sélectionneur contre volonté de joueur, qui a le dernier mot ?« On a perdu, coach, va falloir vivre avec ça, point final. »« Non ! » hurla Domenach en flanquant un coup de pied dans une chaise qui valdingua : si on continuait à lui affirmer qu’on avait perdu et qu’il fallait l’acceptait, il n’arriverait jamais à mettre de l’ordre dans ses idées : s’il se retrouvait ici…« On a perdu… »Chibonda venait de poser sa main sur l’épaule de son coach.Domenach décida d’aborder le problème sous un autre angle : Chibonda devant représenter un passage obligé de sa compréhension.« Pascal, quel âge t’avais en 82 ? »« En 82 ! »« Oui, de toute façon tu étais trop jeune. 82, Coupe du Monde en Espagne, demi-finale à Séville contre l’Allemagne, nous menons 3 à 1 en prolongations. »« Je sais, coach. »« Et on se fait sortir aux tirs au but. »« Je sais tout ça. »

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« Non, tu ne sais pas ! »Chibonda eut une moue du style okay et laissa RD poursuivre son délire.« Après le match, je suis sorti… j’avais encore en tête le visage retourné de Max Bossis accroupi près du point de pénalty se tournant vers le banc, c’était terrible, affreux que ce soit lui qui manque le tir au but qui nous éliminait… il avait été tellement énorme… il était pas là à simplement se pincer le nez en se demandant ce qu’il allait déclarer aux journalistes… »« C’est pas juste, coach, ça, vous en savez rien… » intervint Chibonda.Mais Domenach ne l’écoutait pas.« J’étais dans la rue, je marchais sans… je croisais des gens… on se regardait… tout un pays en pleurs… à part quelques uns qui ricanaient dont on se foutait… et des larmes aux fenêtres, aux balcons… et là, ça, cette finale, ça me fait le même effet. »« Excepté que personne à l’époque n’a parlé de magouilles. »« Ben i’z’ont eu tort ! Parce qu’à y réfléchir, c’est même pire de pas l’avoir envisagé, vu qu’on s’était fait entubé, et qu’au moins ç’aurait été consolant de mettre ça sur le compte d’une magouille… ! »Domenach ferma les yeux.« En 82 » s’efforça-t-il de reprendre calmement, « Un gars comme Marius Trésor, un costaud de chez les costauds, avec des lunettes noires à la sortie des vestiaires tellement il avait pleuré. »RD regarda ce que cela faisait résonner chez son joueur. Chibonda, lui, attendait la suite. Ils restèrent comme cela un instant. Puis :« Et ça ne te donne pas envi de pleurer, là ! »Domenach n’en revenait pas.« Mais vous êtes fait en quoi, vous, la nouvelle génération ? »« Je ne sais pas » dit Chibonda, « En tout cas, nous n’avons pas grandi avec cette fascination morbide de la défaite. »« Putain, tu sais qui tu insultes, là ! » bondit le sélectionneur, « Piantoni, Fontaine, Janvion, Genghini… C’est pas Dieu possible… »Chibonda fit à nouveau non de la tête.« J’insulte personne, coach, personne. Je dis simplement que perdre me fait chier, que je déteste, que je fais tout pour que ça n’arrive pas, mais que si ça arrive j’attends que ma peine passe sans en faire une tragédie. »« Ouai, ouai, c’est ça… »« Oui. »« T’attends le chèque. »« Vous avez pas le droit de dire ça, coach : nous respectons le maillot autant que vous… y’a que des règles ont changé. »

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Domenach prit conscience que sous le coup de l’énervement il était allé trop loin… (jusqu’en 2010 diront des mauvaises âmes)« D’accord, c’est vrai… C’est que ça fait trop chier, Pascal… Surtout devant Lippi. »« Je sais. »« Oui, ça me fait trop chier. »Domenach se tut et resta ainsi les yeux dans le vague, le regard dans cette zone située pas loin de soi, un peu vers le bas, et qui représente l’avenir incertain.Au bout d’un moment, Chibonda essaya d’attirer son attention.« Coach, s’il vous plait… ! »« Pardon ? » fit Domenach, sortant de ses ruminations.« Vous savez qu’ils vous attendent pour parler de la finale… »Ha oui, bien sûr, ligne logique pour Chib parti à la recherche du Domenach ayant quitté les journalistes… et RD se dit que son alter égo devait peut-être déjà y être… en une sorte de version déformée de ce qui lui était arrivé il y a quelques instants en 94 à la FFF… et songea qu’il aurait été marrant de trouver écrit sur un tableau de la salle ovale : « Rendez-vous pour la victoire du 12 juillet 2006 »… conférence d’après-match sur la relative déception illuminée de cette phrase.« Ca va sans doute te paraître étrange, mais… » commença Domenach.« Au point où on en est… » souligna Chibonda.Ce qui arracha un sourire à Domenach : « Oui. »Raymond Domenach marqua une nouvelle pause, puis parut se décider : « Bon, je vais te demander de faire une chose qui va sans doute t’étonner, mais comme tu dis : au point où on en est. »Rd venait de prendre la décision de suivre son instinct. La clique à Simack le trimballait de lieu en lieu, d’un temps à l’autre, la FFF 94 plus l’extérieur du stade 06 plus ici, et voulait qu’il danse : hé bien il les entraînerait dans cette danse ; parce que sans instructions précises et surtout explications, il ne lui restait plus que cette option proche du coup de boule dans la fourmilière.« Si je peux vous aider, coach… »« Voilà. Au moment où ils vont nous renvoyer »« En 2006 ? » l’interrompit Chibonda, tenant à bien se faire préciser les consignes.« Oui. En 2006, avant la finale, dans le bus. Hé bien, juste avant qu’ils nous renvoient, je voudrais que tu glisses pour moi quelques bouts de papier dans la poche de joueurs »… puisqu’il avait retrouvé dans sa propre poche un bout de papier après avoir été transplanté en 94 à la FFF, c’est donc que c’était juste interdit n’est-ce pas… y’en a là-dedans…« Pourquoi faire, coach ? » demanda Chibonda.

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Pffuu, toujours s’expliquer…« Parce que j’espère, qu’une fois le transfert opéré, nous retrouverons dans nos poches des indications sur ce qui va se passer pour cette finale. »« Mais Simack a dit que tout serait effacé » objecta Chibonda.« A dit, a dit… d’abord c’est pas Jacques a dit. »« Ben, un peu quand même… »« Il a parlé des vidéos, des enregistrements, de nos disquettes, de nos souvenirs, de nos mémoires, de nos têtes, de nos mails » s’entêta Domenach, « Aussi peut-être que quelque chose d’aussi primitif que le support papier passera entre les mailles… Pour eux ça n’a plus la dimension de preuves historiques, tu comprends ? Alors ça mérite d’être tenté. »« Je ne sais pas. Nous ne risquons pas de nous mettre en infraction ? »« Mais qu’est-ce qu’on s’en fout ! »De quoi il s’inquiétait ? Ca le sciait.« T’as déjà entendu » reprit RD, « Que le petit carnet de Jacquet se soit retrouvé vierge ? »« Non » concéda Chibonda.« Et pourtant il l’a avec lui, là, et donc avant et après en 98. »« Oui. »« Et avant, ailleurs, après, le carnet reste écrit de ce qu’il écrit. »« Ca, on ne peut pas en être sûr. »« Si ! C’est pour ça qu’il n’a jamais voulu qu’il soit édité : on l’aurait pris pour un fou… Parce que tu imagines le nombre d’exemplaires qu’il aurait vendu, ça lui aurait rapporté plus que sa pub pour les restos. »« En admettant. C’est justement parce qu’il n’a plus rien compris à ce qu’il avait écrit qu’il ne l’a pas édité : ça ne correspondait plus à aucun souvenir qu’il gardait. »Domenach fit non de la tête : « Dans toutes les mémoires, même effacées, surtout dans nos esprits, il reste des traces, et j’espère que ces petits bouts de papier nous ferons nous rappeler : on partira prévenu, ça peut que nous aider. »Génération après génération, on part prévenu, pensa Chib.« En fait » se rendit-il à l’évidence, car arrivé à ce stade il ne pouvait plus faire semblant d’ignorer les intentions du sélectionneur, « Vous espérez changer le résultat du match… »« Un peu, oui ! un peu ! » ne se défendit même pas RD.Chibonda était catastrophé. Il avait vu plein de films sur ça. Notamment un, où le simple fait de ramener à notre époque un insecte écrasé du Crétacé avait rayé de l’évolution la race humaine, et donc le football.« Coach… »

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Plus de football, se rendait-il compte ? Pas de football et donc pas de Di Stefano, pas de Pelé, pas de Cruyff, pas de Maradona… Rien que des T Rex pratiquant le rugby… quoique ce soit déjà le cas… ou jouant à gagne terrain en rattrapant au vol des météorites, et plus du tout de football.« Coach… » répéta Chibonda.

Ailleurs, devant l’immeuble du groupe Jacquet, Eric Cantoma, face à Deschomps 98, répondit à la question de savoir ce qu’il était venu faire.« Je viens tuer Zidaine. »DD 98 se marra.« Tu peux rigoler » enchaîna Cantoma, « Tu lui diras que c’est pour demain soir. »« Carrément ? »Mais Canto repartait déjà.« Ho, camarade ! » le rappela Deschomps 98, « Tu sais que t’es devant le groupe Jacquet ici, et que si tu persistes tu vas te prendre une biscotte. »Ce qui ne fit ni rire, ni s’arrêter Cantoma qui continua de s’éloigner droit comme un king.« Et même un carton rouge, ducon ! » poursuivit Deschomps 98.

Confidentiel.Lien des divers artefacts avec AJ en pleurs ?

Notes confidentielles.Les mauvaises âmes.

CHAPITRE 12

Ailleurs, ils avaient ouvert un bistrot.Ils ?Qui annonçait la couleur à la devanture : « Café du Football-GQG ».Exit le Sport et autre esprit œcuménique, on s’était recentré sur l’essentiel : le foot, les discussions, la guerre.Foot arrosé, guerre arrosé, discussions arrosées. Et volutes de tabac, beaucoup de volutes de tabac, énormément de volutes de tabac, encadrées de panneaux interdiction de fumer datant du XXIème siècle accrochés aux murs.Le foot ? On savait.

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Les discussions ? On connaissait.Mais la guerre, quelle guerre ? Dans ce bistrot où trônait un comptoir sans tabouret… avec une première salle à peu près claire meublée de tables en bois, de bancs en bois… plus une arrière-salle séparée par une double porte battante, irrespirable, où tout le monde murmurait… et dans un coin de cette seconde salle, Pascal Chibonda en train de tousser.Un Chibonda qui, quelques secondes auparavant, trottinait encore tranquille lorsque, plaf ! transfert hors mercato, en pleine inspiration goulue d’air pur… inspiration poursuivie dans cette arrière-salle à l’atmosphère polluée, d’où sa toux.Et personne pour lui prêter la moindre attention, personne pour lui demander si ça allait.Il toussait donc, toussait… quand, soudain, tous se tournèrent vers lui et scandèrent à l’unisson : « Et un ! et deux ! Evin zéro ! » une seule fois. Puis, ceci fait, retournèrent aussi sec à leurs discussions chuchotées, enfumées, arrosées.Chibonda s’en étrangla d’autant, la quinte contrarié par la surprise, l’étouffement augmenté de la stupeur : c’était quoi cette équipe !

Sur le terrain de la finale 06, Patrick Viera se tint la cuisse.

Ailleurs, dans l’arrière-salle, Chibonda se rendit compte que la plupart des fumeurs regardaient chacun un écran et parlaient seul : ce qu’il avait prit au premier abord pour des discussions murmurées étaient surtout une accumulation de monologues.

Sur le terrain de la finale 06, Patrick Viera se trouvait presque à l’arrêt, quand soudain une vive douleur… c’était… ça ne venait pas à la réflexion ce genre de coup de poignard : ça venait en plein effort… qu’est-ce qu’il avait ?Il jeta un regard affolé vers le banc, il était blessé, méchamment blessé. Blessé à ne pas pouvoir continuer, blessé de façon incompréhensible.Putain de merde ! hurla-t-il.Ses coéquipiers l’entourèrent. Eux aussi ne comprenaient pas ce qui se passait. Florent Malouba lui demanda ce qu’il avait.« Je sais pas » avoua Viera qui grimaçait plus de désarroi que de douleur.« Tu vas sortir ? » s’inquiéta Makélilé.A quelques mètres, Zidaine l’observait.Domenach, debout sur le bord de la touche, l’observait.Viera vit Alou se lever du banc et partir s’échauffer.Les supporters français dans les tribunes l’observaient.Les supporters italiens l’observaient.

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Viera aperçut Gatuso, mains sur les hanches, qui l’observait aussi.Ca ne pouvait pas se passer ainsi : ils étaient en train de prendre le dessus, de leur marcher dessus… quoi, merde, quoi ? A quoi ça servait de s’être senti en pleine forme, au meilleur, cette dernière quinzaine ; était-ce les kilomètres accumulés depuis le début du tournoi et ce troisième match de poule joué à bloc qui pesaient à présent ?Il avait mal. Mal à sa jambe. Mal à son cœur. Mal.Tout son mental lui hurla de se battre. Il dévora le terrain des yeux, immense tout à coup.Ses coéquipiers attendaient le verdict.Le doc fit signe au banc que c’était fini. Il lui fallut se rendre à l’évidence. Il dut se rendre à l’évidence. Cela ne servait à rien de les faire attendre d’avantage puisque ses partenaires ne le croiraient que de sa propre bouche.« Je peux pas continuer » dit-il.« D’accord » fit très vite Makélilé, « D’accord. »Maké accusait le coup.« D’accord » refit-il.Viera le vit regarder autour, regarder ce milieu de terrain sur lequel jusqu’à cette minute ils avaient régné tous deux. Puis Makélilé rajouta : « T’inquiète, ça va aller, je me charge du reste. »

Ailleurs, sur le terrain d’entraînement, Albert Batteux secoua la tête : Eric Cantoma ne s’avérait pas le joueur qu’il attendait. Lors des oppositions il n’avait pas le rendement escompté.Pourtant, il l’avait personnellement supervisé plusieurs fois, et, à chaque fois, l’avait toujours trouvé très bon, parfois même fantastique.Aussi, pourquoi ici, au milieu d’autres grands joueurs, n’y arrivait-il pas ?« Qu’est-ce qu’il y a, Albert ? » demanda Snella.« Comment tu trouves Cantoma ? »« Bien. Pourquoi ? »« Vraiment ? »Jean Snella regarda Batteux.« Qu’est-ce que tu veux dire ? »Batteux ne répondit pas, c’était inutile.« Laisse-lui le temps de s’y faire, ça ira » continua Snella.Mais suite à un contrôle un peu long, Cantoma perdit le ballon.

Ailleurs, ils avaient donc ouvert un bistrot.Et dans l’arrière-salle enfumée, alors qu’il reprenait son souffle, Pascal Chibonda décida d’écouter sans piper mot les explications d’un type qui s’était

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avancé et venait de se présenter à lui de cette curieuse manière : « Bonjour, je suis Simack mais en mieux » avait-il dit en tendant la main.Why not, pensa Chibonda devenu philosophe depuis qu’il jouait en Première Ligue.Simack-en-mieux lui secoua vigoureusement le bras, style shake hand Blake et Mortimer.« Pierre Rimet. Ravi de vous rencontrer monsieur Chibonda. Je représente… en fait, non, je suis d’avantage le porte parole que le représentant d’un groupe rival à celui de Robert Simack… groupe que vous nommerez entre vous Second Groupe… appellation que nous avons adoptée la jugeant commode. »Pascal Chibonda s’aperçut qu’ils étaient toujours en train de se démonter mutuellement l’articulation de l’épaule et que Rimet continuait de le noyer sous un flot ininterrompu de paroles.« …Second Groupe qui s’efforce de contribuer au bien-être des populations victimes des agissements irresponsables et totalement »Ho ! ho ! ho ! Simack-en-mieux… !« …puisque notre propos »duquel Chib décrocha, ne se sentant pas disposé à faire« …l’effort tout particulier que nous apportons à »cette causerie qui ne faisait que l’embrouiller« …car »les phrases devenaient un doux ronron« …hors de propos »et pendant que Simack-en-mieux se demandait« …où est donc Orni »Chibonda sourit, faisant oui de la tête aux soporp, aux popors, aux psopro, enfin aux… il sourit, quoi, faisant de plus en plus oui au fur et à mesure du psoporo afin de ne pas compromettre ses dernières chances de titularisation.Bref, Chibonda entendait Rimet comme un second coach qui proquopro avant une rencontre.

Sur le terrain de la finale 06, Zinedine Zidaine donne un coup de tête à Materazzi.Plus personne sur le banc n’écoute Viera expliquer que sa blessure n’est pas logique, pas normale, plus qu’injuste, et qu’elle est en train de changer le cours du match.

Ailleurs, Eric Cantoma, enfermé dans une cellule bleutée, venait d’assister sur écran à la scène selon laquelle, pour tout le monde, il avait gueulé devant l’immeuble du groupe 98.

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« Et alors ? » s’adressa-t-il aux murs.Si Simack pensait que l’emprisonner et l’obliger à voir ainsi sa vie défilée était le genre de rétorsion qui allait le faire plier, il se trompait : il l’emmerdait lui et le clone ! car le placer devant un soit disant fait accompli n’y changerait rien : que le clone vive sa vie, il ne cèderait pas ; plutôt s’enfoncer dans cette contemplation sur écran du monde.Et avec le temps, Cantoma se sentait sûr d’arriver à fermer les yeux… puis de les ouvrir sur ce qu’il déciderait de voir ou de ne pas voir.

Ailleurs, sur le terrain d’entraînement.« Joue plus simple, Eric, ne complique pas ! » cria Shanoun du bord de la touche.[Notes confidentielles : sans donc savoir qu’il encourageait un clone.]Batteux continua de secouer la tête.« Plus simple ! »Snella se dit qu’il allait devoir faire preuve de diplomatie pour assurer la liaison entre Albert et le joueur.

Ailleurs, dans la cellule bleutée, Cantoma commença à entraîner son esprit à choisir ce qu’il désirait voir : des mouettes… une salle qui applaudit à autre chose que des frasques… l’autoportrait de Van Gogh à l’oreille coupée… des logements décents pour tout un chacun…

Confidentiel.Prenons acte de l’existence du Second Groupe ; pièce recevable et convaincante.Listons dossiers à mettre en résonance : dossier « Plusieurs RD »dossier«Cantoma»dossier«Finale 06»dossier«Second Groupe»dossier«Ginolia» dossier « 2010 » dossier « Le Bistrot »dossier « Blessure Viera » dossier « Chibonda » dossier « Possible plusieurs Chib » dossier « Simack »

Ailleurs, Hélène avait fini par proposer d’aller boire un coup afin de se détendre, vu que Raymond n’en démordait pas et voulait à tout prix que David explique comment ils avaient gagné ce Mondial 2006.« Mais je sais pas, coach ! Comment voulez-vous que je sache ? Tout ce que je sais c’est qu’on avait gagné et que les supporters faisaient la fête, rien d’autre. »« Tu m’as dit que t’avais vu le match à la télé après. »

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« Oui. »« Et on avait toujours gagné ? »« Ouiii ! »Ginolia ne pouvait mieux faire que raconter ce qu’il avait vécu.« Je le savais, putain je le savais ! » gueula Domenach en marchant de long en large.« Quoi ? » dit Ginolia.Le sélectionneur se tourna vers Hélène de Troie : « Nous avons gagné, voilà le vrai résultat. Simack nous a entourloupés. »« Coach » voulut le tempérer Ginolia, « C’est sans doute plus compliqué que ça. »« Compliqué ! Pourquoi plus compliqué ? »« Parce que David a raison » fit Hélène, «Avec eux c’est toujours plus compliqué que ce que l’on croit. »« Mais non » refusa d’entendre RD, « Comment ça s’est passé ? »« Quoi ? » demanda Ginolia.« Ta naissance. »Ginolia eut une expression d’incompréhension.« Le match, merde ! De quoi on parle à ton avis, David ? »« Evidemment. »« Comment s’est passé cette finale, les péripéties… ? »« Bé… bien : vous avez gagné trois à zéro » résuma l’ailier gauche.« Les italiens n’ont pas marqué ? »« Si, oui, un but de la tête refusé pour faute. »« Et Zizou a pas mis un coup de tête ? »« Un… ? Non, il a pas marqué de la tête. »Domenach leva les yeux en rejetant la sienne en arrière, de tête : pas vraiment de but italien, pas de coup de boule…« Ha non, si ! » réalisa Ginolia, « A Matérazzi vous voulez dire. »Ca s’avérait trop beau.« Oui » approuva Domenach en soufflant, « Je veux dire… »« Mais tout le monde s’en est tamponné, c’était à la fin, ça n’a rien changé, nous menions déjà trois à zéro. »« Et Zidaine a été exclu ? »« Oui. »Hallucinant. Comme si les mêmes causes n’avaient pas produits les mêmes effets, pensa Domenach, puisqu’apparemment dans cette version nettement plus aboutie à son goût tout le monde s’en battait les décorations fen chui de ce léger détail crânien.« Mais on a quand même gagné ? » redemanda-t-il.

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« Ho, coach, vous êtes pénible vous savez… » soupira Ginolia, « En quelle langue il faut vous le dire : oui, nous avons gagné… ga, gé a, gné, gagné… on est les champions. »C’était… pffouou, fou, foot.« Bon. Et quoi d’autres comme faits de match ? » reprit RD.« Vous voulez savoir qui a marqué ? »« Par exemple, oui. »« Le premier but, Zidaine sur pénalty. »« Consécutif à une faute sur Malouba ? »« Faute, faute… c’est vite dit » fit Ginolia.« Non, mais ho, pour qui t’es, là ! » s’indigna Domenach.« C’est pas ça » se défendit Ginolia, « Vous me demandez de dire ce que j’ai vu, je vous dis. »Oui, tout semblait pareil… ce qui était encore plus troublant… sauf les trois buts… et donc il avait bien fallu qu’à un moment cela diverge.« Et par rapport à Titi, il ne s’est rien passé ? »« Si, il s’est fait séché d’entrée, un coup de coude ? »« Et le joueur italien a été exclu ? »« Non. »C’était temporellement correct.« Et le second but ? »« Un certain Chibonda. »« Pascal ! »Domenach secoua la tête.« Tu es sûr ? »Ginolia s’insurgea : « A quoi ça sert que je me décarcasse à vous répondre si chaque fois que je vous dis un truc vous me demandiez si c’est vrai ? »« Non, parce que Pascal… »Domenach faisait non de la tête : pour diverger ç’avait divergé, cent vergers, mille vergers, drôles de fruits…« Quoi, ça vous étonne ? »« Oui, pas qu’un peu. Et le troisième but ? »« Le troisième… ? Je l’ai pas vu, j’étais occupé avec, heu… »… Ginolia jeta un bref regard vers Hélène qui resta très digne, « Enfin bon, heu… mais marqué aussi par Chibonda. »« Encore ? »« Sur une passe de Dhorassou. »« Hein ! »Comment sur une passe de Dhorassou… ?

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Il avait voulu des faits, il était servi, il les avait : sa Vérité prenait des allures de… deux buts de Chib qui leur avait fait une Thurom… cela lui sembla impossible comme faits de match : la vérité historique ne pouvait pas dépendre de… ho, bordel, ayez pitié… qu’avait-il bien pu se produire pour qu’il fasse entrer et Pascal et Vikash ? Une pandémie, des suspensions à tire-larigot, une grève ?« Qu’est-ce que vous voulez savoir d’autres, coach ? » reprit Ginolia plein de bonne volonté.« Rien ! Rien ! »Ils avaient gagné, voilà qui suffisait à son juste ressassement. Fini les péripéties, de la hauteur, du point de vue froid et rationnel. Où se trouve la complication dès lors que nous avons gagné ? Donc, de la vue d’ensemble et tout ira bien.Car, que font les oiseaux sur la branche ? Cui-cui ; mais que font les sélectionneurs sur leur chaise éjectable ? Coué-coué.

Sur le terrain de la finale 06, dix français ne lâchant rien continuent de croire en leur chance.

Ailleurs.« D’accord, buvons-le ce coup » fit Domenach conciliant, « On pourra reparler calmement de tout ça après. »Et Raymond de se mettre à expliquer à Hélène de Troie comment les Grecs les avaient battus de façon inexplicable en quart de l’Euro 2004. Ce qu’elle comprenait très bien, voyait fort bien.Il en causait d’autant plus aisément qu’à cette époque il n’occupait pas le poste de sélectionneur et que cela le changeait agréablement de rencontrer enfin quelqu’un qui acquiesce spontanément à ses explications.Au fond, elle était plutôt sympathique cette Hélène de Troie, pas du tout la faiseuse d’embrouilles qu’on pouvait s’imaginer : elle écoutait, elle compatissait, et mieux même elle proposait de les aider ; il se demandait bien comment, mais cela faisait toujours plaisir à entendre.« Bon ! »David Ginolia s’était levé d’un bon.« Où vas-tu, chéri ? » demanda Hélène.Ce qui était l’un des derniers trucs qu’RD n’arrivait pas encore à assimiler : qu’Hélène de Troie appelle David Ginolia chéri.Les trois étaient installés autour d’une table de la première salle du bistrot.

Ailleurs, Eric Cantoma, dans sa cellule bleutée, après une longue séance de méditation, ouvrit les yeux, souhaitant voir des étincelles.

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A défaut de chandelles magiques, une minuscule bille noire flottait dans l’air autour de sa personne.Et allez ! pensa-t-il, encore une nouveauté…Bille qui, à son insu, enregistrait ses faits et gestes, et les diffusait aux regards attentifs de personnes qui chuchotaient.

Ailleurs, Chibonda expliquait à Domenach (pour insister sur l’irréfutabilité du fait objectif constitué par leur défaite) qu’il avait entendu Batteux dire à Laurent Blunc, à l’écart des journalistes : « Quand Viera se blesse, nous tenions tellement bien le ballon, que j’aurais été partisan de le remplacer par Trizéguet… Quitte ensuite, si l’équipe est trop déséquilibrée, à faire entrer Diairra… Mais je ne crois pas… En tout cas, fallait jouer, fallait sortir de ce terrain sans regret. »« Et de quoi i’s’mêle… ! » fit Domenach, « Est-ce que je lui en pose des questions sur les tannées qu’il a pris avec Reims ? »« Coach… »« Quoi ! J’ai pas besoin d’un pue-la-défaite dans mon coin. »« C’est avec des réflexions de ce genre que vous vous faites mal voir. »

Ailleurs, Zinedine Zidaine tomba sur un bâtiment trapu, avec des colonnes sur le devant et un escalier aux marches douces occupant la totalité de la façade, au frontispice duquel se trouvait inscrit en lettres dorées : « BOURSE DU TEMPS ».Surpris, il vérifia l’adresse.Oui, c’était bien à cet endroit que Simack avait fixé le rendez-vous sans d’avantage de précisions.Bourse du Temps…Zidaine, sans s’être posé la question, s’était attendu à un lieu de rendez-vous plus conventionnel : un restau, un Siège quelconque, des studios… mais, ça, qu’est-ce que cela voulait dire ?Perplexe, il commença à gravir l’escalier : un bâtiment de cette importance, au cœur de la ville, avait forcément son utilité.

Sur le terrain de la finale 06, David Trizéguet place le ballon sur le point de pénalty. Une fois cela fait, il recule afin de prendre plusieurs pas d’élan. Arrivé à la bonne distance, il s’immobilise face aux buts et, pendant quelques instants, immobile, regarde Buffon, le ballon, la cage, le ballon, Buffon qui le connait par cœur-qu’il connait par cœur-qui sait qu’il sait qu’il sait, la cage, le ballon, puis s’élance.

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Ailleurs, Ginolia, ayant ressenti une envi pressante, avait abandonné Hélène et Raymond à leur discussion sur les Grecs, et entra dans l’arrière-salle du bistrot à la recherche de toilettes.« David Ginolia ! » entendit-il d’une voix marquée du ton de la surprise.Il se retourna et se trouva face à un individu vêtu d’un survêtement, capuche sur la tête.« Oui ? » demanda-t-il méfiant.« Pascal Chibonda » se présenta l’homme qui l’avait interpelé et qu’il n’avait pas reconnu sur le coup.« Le héro de la finale ! » s’extasia Ginolia tout sourire.« Hein ? » fit Chib.Les discussions chuchotées s’arrêtèrent.

Notes confidentielles.Dossier « Automne 2009-match retour des barrages CM2010AFS contre l’Irlande ».A la fin de la mi-temps, dans le couloir qui mène des vestiaires à la pelouse du Stade de France, apparition d’un Lilian Thurom temporellement non-déterminé à Thierry Hinry et qui spontanément lui fait une longue accolade en lui rappelant que tout ira bien.Artefact abimé et donc brouhaha de mauvaises âmes qui disent qu’ils disent : « Mise en place pour l’hommage de Titi au football gaélique. »Enquêtons.

Ailleurs, Raymond et Hélène, à la recherche de David qui ne revenait jamais des toilettes, entrèrent à leur tour dans l’arrière-salle du bistrot.« Pascal ! » s’étonna le sélectionneur, « Qu’est-ce que tu fiches ici ? »« Ben je sais pas bien, coach… ils ont commencé à m’expliquer, mais »« Qui ? » le coupa Domenach.Chibonda montra donc ceux qu’ils nommeraient le Second Groupe : « Eux. Un Second Groupe à les entendre… »« Pardon, quel Second Groupe ? »« Et je viens de voir aussi Ginolia. »« Ca, c’est normal. »« Il m’a appelé le héro de la finale avant d’aller pisser. »« Oui, c’est normal aussi. »« Ha bon ? »« Je t’expliquerai… nous sommes venus avec lui » commença de le renseigner Domenach, « Et tant que j’y pense, je te présente Hélène de Troie. »

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« Hélè… »… ce qui fit se marrer Chibonda, « Ha ouai, ouai… »… puis tendant la main histoire d’en secouer cinq, « Moi, c’est les Beatles, jolie meuf. »« Les-Beatles-jolie-meuf ? » demanda Hélène qui regardait de toute sa superbe cette main tendue.« Non, non » intervint Domenach, « C’est vraiment Hélène de Troie. Alors fais gaffe à ce que tu dis et comment tu le dis. »« Coach… ! »Où on allait là. « Et puis tu pourrais… » continua Domenach.« Quoi ? »« Tu… t’incliner. »Chib plissa les yeux et eut ce qui pourrait ressembler à un vague sourire.« Ha bon ? »Domenach faisait oui de la tête. Chibonda trouva qu’elle ne ressemblait pas à l’actrice du film.« Vrai ? » voulut-il être sûr.« Je t’assure, Pascal, que je n’ai plus du tout le cœur à compliquer les situations… »« Ben mince… »Il la regardait : après la découverte d’un Second Groupe, Hélène de Troie… si c’était exact, ça le trouait.« Enchanté » dit-il du ton de celui qui s’excuse d’une bévue.« Et où est David ? » demanda-t-elle.Domenach jugea utile de prévenir discrètement Chibonda : « Faut que tu saches aussi que David et elle… elle et David… »« Non ! »« Si. »Domenach opinait à nouveau.« Ben mince… » conclut Chib. Puis, réalisant à la lumière de ses souvenirs cinématographiques : « Mais, et Paris ? »« Hé oui, Paris… » soupira Domenach, « Non, parce que y’a pas que la finale qui a merdé : à ce qui parait, la guerre de Troie aussi. »Hélène approuva de la tête sans autre forme de commentaires.« Ben mince… »

Sur le terrain de la finale 06, David Trizéguet frappe le ballon pour son tir au but.

Ailleurs, dans l’arrière-salle du bistrot, le sélectionneur, qui jusque là n’y avait pas prêté attention, occupé qu’il était par la discussion avec Chib et Hélène, se

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rendit compte que l’ensemble des personnes présentes dans la pièce formaient le cercle autour d’eux, et même, plus précisément, autour de lui.Qu’est-ce qu’ils voulaient… !Personnes dont les yeux brillaient et qui se mirent à psalmodier : « Raymond Domenach… Raymond Domenach… »Et qui, semblant envoutés par sa présence, cherchaient à le toucher… bras, dos, thorax… à qui effleurerait le plus des morceaux de la vraie croix.« Raymond… Raymond… Raymond… »Pratique qui commença à l’inquiéter sérieusement : qu’est-ce qu’ils foutaient, bordel !Chibonda, observant la scène, lui fit remarquer sa grande popularité dans le coin, sans prendre conscience de l’indélicatesse de la réflexion.« Arrêtez, ça suffit ! » se débattit et tapa sur des mains baladeuses le sélectionneur, « C’est quoi cette embrouille ? »Il n’en revenait pas.« Je sais bien qu’ici » continua-t-il, « Vous êtes de grands malades, mais justement faudrait que ça cesse. »« Ils sont pas méchants, coach » l’informa Chibonda.« Moi, si ! Moi, si ! » tint-il à faire savoir.« Ils s’intéressent vachement à notre cas à ce que j’ai compris. »« On est les champions ! On est les champions ! » se mirent-ils à scander en chœur, « On est ! on est ! on est les champions ! » prouvant instantanément les dires de Chibonda.Ce qui, sous le choc de la surprise, fit reculer les deux 2006.« Enfoirés… ! » souffla Domenach, qui, prenant appui sur une des tables, se tint prêt à envoyer des volées de coups de pied à qui se présenterait à sa portée.« C’est rien, vous inquiétez pas : ils m’ont fait le même coup tout à l’heure, mais pas avec le même refrain. »« Dégage ! »Domenach venait de mettre une semelle en pleine tête d’un audacieux.« Second Groupe, tu disais ? Putain, je vais te les entraîner, moi ! » moulina-t-il des jambes.« Chéri ! » appela Hélène, toujours à la recherche de David, « Chériii ! »« Non, non, y’a du foot ! » hurla l’ensemble vocal comme un seul homme ; faisant preuve au passage d’une remarquable connaissance de la culture du début du XXIème siècle.« Oui, le Second Groupe, coach » confirma Chibonda, puisque la chose irait d’elle-même.Et là, la chorale fit la hola… hola… hola… pendant que Ginolia sortait des toilettes.

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« Oui ? » demanda-t-il.

Ailleurs, Zidaine entra dans le bâtiment de la Bourse du Temps, une vaste salle aux plafonds hauts emplie de tumultes.Il chercha Simack du regard.A première vue, pas de traces de l’historien. Mais il pouvait l’avoir manqué au milieu de cette foule.Il repéra un mur d’écrans, curieusement déserté, qui retransmettaient les images d’un match de foot.Il s’approcha.En fait de plusieurs matchs… tous de l’équipe de France… certains qu’il reconnut dès le premier abord… d’autres qu’il ne…C’était quoi ?Et alors qu’il commençait à les détailler, il se rendit compte que le lieu ne résonnait plus d’échos. Il se retourna. Des gens avaient formé un demi-cercle autour de lui et l’observaient.« Oui ? » demanda-t-il.

Ailleurs, alors que RD commençait à fatiguer à force de mouliner des jambes, le Second Groupe en finit avec la hola.Sur le terrain de la finale 06, le ballon volait dans les airs et se dirigeait vers le but de Buffon après la frappe de Trizéguet.Ailleurs, à la Bourse du Temps, sur un des écrans, cette image du ballon entre ciel et terre, entre le point de pénalty et les cages, s’afficha plein zoom.Sur la route, dans la voiture qui avait cessé de virevolter et s’était immobilisée, ZZ 96 sortit de l’habitacle indemne ou presque, se demandant ce qui était arrivé en constatant l’état de sa caisse.Ailleurs, sur le terrain du match 2000 vs 2006, l’arbitre s’apprêtait à siffler la fin de la rencontre.Et dans le bus de l’EdF, il était en train de se passer quelque chose.

CHAPITRE 13

Ailleurs, Batteux, Snella, et Jacquet discutaient.« Alors ce match, allons-nous le disputer finalement ? » questionna Jacquet.« Oui. Vous n’allez pas nous faire faux bond, Aimé ? » voulut savoir Batteux.

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« Non, loin de moi cette idée… Et puis au fond, peu importe les raisons de Pierre Paul Jacques et Jean, nous avons l’occasion de faire du grand foot, alors faisons-le. »Snella souriait.« Si vous saviez » continua Jacquet en regardant Batteux, « Combien je… »« On sait, Aimé » fit Snella.« D’accord. Alors vous êtes sûrs que vos joueurs sont prêts à affronter mon rouleau compresseur ? »« Rendez-vous demain à l’aube sur le terrain… » dit Batteux.« Avec tes témoins, Aimé » renchérit Snella.« D’accord, d’accord… » apprécia Jacquet.Ils trinquèrent.« Au foot ? »« Au foot ! »« Au foot ! »

Ailleurs, dans l’arrière-salle du bistrot, une fois l’ambiance adoratrice et belliqueuse retombée de plusieurs crans, les explications suivirent. Et Domenach n’en démordait pas.Chibonda s’était remis à secouer la tête comme lors de leur précédente discussion après la séance des tirs au but… car, bien qu’il n’ait pas eu cette fois-là un échange avec la même version de RD (détail appris en cours de route), l’air de la chanson restait identique et les paroles sonnaient plus qu’approchantes… de plus y’avait chériii David qui le poussait du côté où il tombait, le tout sous le silence souriant et indulgent d’Hélène et l’incompréhensible neutralité bienveillante de Rimet.« Si vous pensez » venait de dire RD, « Que je vais m’inquiéter d’un quelconque paradoxe temporel alors que j’ai des chances de gagner ce match… que je l’ai gagné en fait !... et que je veux juste dès lors remettre les choses dans l’ordre… vous vous foutez le doigt dans l’œil, compañeros. »Chibonda se tourna vers Rimet : toujours pas de réaction.« David, redis-leur toi puisqu’ils sont durs d’oreilles ou que c’est moi qu’ils ne veulent pas croire : tu as vu, nous avons gagné. »« Bien sûr » sortit de sa réserve Rimet, estimant sans doute avoir assez observé.« Bien sûr… ! » s’étonna Domenach.« Oui » poursuivit Rimet, « M’avez-vous entendu remettre cela en cause : bien sûr que monsieur Ginolia a vu votre victoire. »Chibonda n’en crut pas ses oreilles. Il se demanda s’il n’y avait que lui pour appréhender la situation avec exactitude.

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Domenach regarda tout le monde, de droite à gauche, d’un mouvement rapide : ça tournait à vitesse grand v dans son esprit, en ronds de victoire de plus en plus tsunamiesques.« Alors, où est le problème ? » demanda le sélectionneur.« Monsieur Rimet… » se plaignit Chibonda.« Commence pas, toi » fit Domenach.« C’est même nous, le Second Groupe, qui avons expédié monsieur Ginolia en 2006. »« On est les champions ! On est ! on est ! on est les champions ! » corrobora in petto la chorale.Les yeux de RD s’éclairèrent : « Bien, dans ce cas, on est d’accord » en un sourire qui se dessinait déjà sur ses lèvres.« Non » dit Rimet.« Non… ! Comment, non ? »Domenach regarda à nouveau tout le monde, décontenancé : « Je comprends plus bien, là… je comprends plus : vous êtes contre Simack, vous êtes pour nous, vous savez que David a vécu notre victoire, mais vous dites que nous ne sommes pas d’accord ! Sur quoi, sur le paradoxal ? Alors dans ce cas, pourquoi avoir expédié David là-bas ? C’était plus simple de ne rien nous dire… fin du risque et de la polémique : je râlais tranquille jusqu’à épuisement du stock de bile sans ce poison d’espérance. »Hélène se serra contre David.« Coach » intervint Chibonda, « Ce que vous tenez pour normal c’est de faire une nouvelle manipulation pour contrer celle de Simack… mais ça reste une manip… ce que je veux dire c’est que vous rajoutez une faute à une faute… et que ce que vous reprochez à Simack, vous vous l’autorisez sans problème… seulement, n’est-ce pas, vous c’est pour le bien alors que lui c’est pour le mal… en gros, non ? »« D’abord, restaurer la Version Originale, ça ne s’appelle pas une manipulation » affirma RD.« Ha oui, oui… »souffla Chibonda, « Hé ben, moi je vous dis que ça me rappelle méchamment des trucs de chez nous de notre époque qui nous ont foutus dans la merde épaisse et collante. »« Sois pas vulgaire » dit Domenach.« Sans compter » continua Chib, « Qu’encore une fois, on prend le sport en otage. »« Le foot » intervint Rimet.« Et alors, c’est pas du sport ? Coach, votre avis… »« Plus uniquement » fit Rimet.

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Ailleurs, à la Bourse du Temps, Zinedine Zidaine avait donc reconnu plusieurs rencontres de l’EdF sur ce mur de trente-six écrans.Déjà quatre finales : 84, 98, 2000, 2006. Ensuite cinq demi-finales : 58, 60, 82, 86, 96. Ainsi que ce cauchemardesque France Bulgarie de l’automne 93.Plus étranges étaient ces rencontres qui, selon toute vraisemblance invraisemblable, se dérouleraient dans l’avenir. Dont une… il se rapprocha de l’écran… Titi, William, Nico, contre des Irlandais au SDF… donc dans un avenir proche.« Ce match est particulièrement intéressant » entendit-il dans son dos, « Et présente de remarquables opportunités pour qui sait les saisir. »Il se retourna. Un type lui faisait face.« France Irlande, match retour des barrages pour le Mondial 2010 en Afrique du Sud » continua le type qui souriait en énonçant posément les références, « Match auquel vous assisterez assis en tribune aux côtés de Fabien Barthiez… que vous vous commenterez mutuellement à voix basses… ce qui fera un drôle d’effet à la France du foot de voir ainsi rendu à une place de spectateurs deux des présences éternelles de son équipe.Nous pensons d’ailleurs que c’est à ce moment-là que votre époque a définitivement cessé de croire que les grandes équipes ne meurent jamais. »Zidaine ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil furtif à l’écran concerné. Geste que ne manqua pas de souligner le type : « Vous pouvez vous voir, si vous le désirez… »ZZ le fixa. Il parlait sérieusement.« Cela ne pose aucun problème, je vous assure. »Pour qui, se demanda Zidaine ? Le type ressemblait à un vendeur de voiture.« Ou peut-être un autre match ? Voyons… »A un maître d’hôtel dans un grand resto.« Je vous suggère le mémorable France »« Vous aussi vous êtes historien ? » l’interrompit Zidaine.« Grands Dieux, non ! »« Et eux ? » désigna-t-il de la main les badauds qui commençaient à retourner à leurs activités.« Pas d’avantage. »Zidaine hocha la tête.« Attention, je ne dis pas que nous ne nous intéressons pas à l’Histoire… c’est utile et nécessaire, parfois même indispensable dans notre branche… mais historiens, non. »« Et monsieur Simack ? »

Ailleurs, dans l’arrière-salle du bistrot.

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« Monsieur Domenach » résuma Rimet, « Vous avez gagné, c’était un fait… et il faut que cette certitude soit consolante pour vous… mais maintenant vous avez perdu, c’est un autre fait, et vous devez l’accepter. »« Des conneries ! »« Regardez votre équipe qui a battu les 2000. »« Ca, ça ne me concerne pas. Et puis, dites-moi, les matchs organisés par Simack vous intéressent donc ? » persifla RD.« Bien sûr : je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas intéressés par des rencontres de cette valeur. »« Ha ouai… ! »« Oui. Mais, rassurez-vous, cela n’empêche en rien que nous le combattions. »« Ha bé alors tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes… moi qui m’inquiétez bêtement, me voilà beaucoup plus tranquille. »Rimet pinça les lèvres.« Oui » dit-il, « Je comprends… »« J’espère. »« Bon. Alors, à votre époque, lorsqu’une famille habitait pendant des années une maison en tant que propriétaire, mais que pour une raison donnée cette famille vendait cette maison, ne pensez-vous pas que certains membres de cette famille pouvaient revenir devant, une fois la vente faite, en disant c’est ma maison ? Et peut-être même sonner à la porte pour qu’on leur ouvre et qu’ils voient ? »« Quel rapport ? » demanda Domenach.« Le rapport ? Hé bien, nous, Second Groupe, avons frappé pour vous et vous avons ouvert cette porte afin que vous voyiez. Seulement, comme cette famille dont je vous ai parlé, vous n’avez plus le droit d’y habiter. »« Oui oui, je sais » commenta négligemment le propos, RD, « Vous fatiguez pas, je sais que c’est interdit. »

Confidentiel.Autorisons sortie de son écrin de la v o du Mondial 2006 et suggérons de procéder à diverses analyses afin de déterminer si cette oldy-but-goldy finale 06 est bien, comme vous le laissez entendre, le point focal de la décennie élargie jusqu’aux larmes d’AJ en 2010 et au record du nombre de matchs à la tête de l’EdF détenu par RD.Insistons pour que le ou les liens avec les pleurs de Jacquet se fassent sans contestation possible.Vous rappelons que le but de ce rapport est en premier lieu d’établir une causalité.

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Demandons aussi, par pure curiosité morbide, vérification du fait que dix, vingt, trente, quarante ans après, Alain Giresse stoppait toujours la vidéo de la demi 82 juste après le troisième but français pendant les prolongations, 3 à 1 pour l’équipe de France.

Ailleurs, dans l’arrière-salle du bistrot, Hélène expliquait ce qui s’était passé pour son époque.« Troie n’existe plus » insista-t-elle.« Sûr » acquiesça Domenach, « Ce n’est pas un scoop : toute la culture occidentale est au courant depuis belle lurette. »« Non, ce n’est pas ce que je dis : Troie, mon époque, n’existent plus ! Fini… Vous comprenez ? »Les membres de la chorale faisaient tous oui de la tête, à l’unisson, d’accord avec ce que tentait d’expliciter Hélène de Troie.« A force de faire, de refaire, de refaire… même si ce n’est pas le bon mot comme vous l’apprendra Pierre. »« Pierre, tu appelles monsieur Rimet, Pierre ? » souligna Ginolia.« Oui » confirma Hélène.« Et entre toi et monsieur Pierre Rimet, il y a… ? » voulut savoir Ginolia.« David… »« Oui, c’est pas le moment d’être jaloux » fit remarquer Domenach, « On a une finale à rétablir. »« Surtout que ce n’est pas du tout ce que tu crois : le Second Groupe m’a contactée dès qu’ils ont su que je faisais partie du Comité de Sélection. »« Le quoi ? » releva RD, « Quel Comité ? »« Avec Albert, Jean, Omar, et Marie-George. »« Qui ? » dit Domenach, « Je ne… »« Albert Batteux, Jean Snella »« Non, ça oui, j’avais percuté » coupa Domenach, « Albert et Jean plus Comité de Sélection égale Batteux et Snella… non, c’est les deux autres. »« Ha ! » fit Hélène, « Hé bien, Omar Shanoun et Marie-George Buffet. »« Buffet ! » s’exclama le sélectionneur.« Shanoun… ? » secoua doucement la tête Ginolia.« Tu sais qui c’est ? » demanda Pascal Chibonda.« Incroyable… » Puis se tournant vers Chibonda : « Oui, je sais qui c’est. »« Je ne te l’avais pas dit, mon chéri ? »« Non » dit Ginolia.« Mais pourquoi Marie-George Buffet s’est-elle retrouvée ici ? » demanda Domenach.

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« D’après ce que j’ai compris, au titre de servante de la déesse de la jeunesse et des sports » l’informa Hélène de Troie.« Ministère pas déesse » rectifia le sélectionneur, « Et pas servante non plus : secrétaire d’état au ministère de la jeunesse et des sports… ou ministre même, ça change tout le temps. »« Ministre » précisa Ginolia, « En 98, elle est ministre. »« Parfait. Et donc ? » attendit la suite Domenach ; parce que tout ceci était fort joli mais ne faisait pas terriblement avancer son schmilblick.

Notes confidentielles.Venons de tomber sur nouvelles traces d’ubiquité : dossier « Plusieurs versions d’Hélène et David » à disposition.Conseillons consultation.Poursuivons investigations.

Ailleurs, après avoir assisté à la défaite des 2000, le groupe 98 s’apprêtait à partir s’entraîner, quand, soudain, ils se retrouvèrent dans une grande salle, un temps désorientés, et se demandant ce qui arrivait encore.Devant eux, David Ginolia ; et, à côté de ce dernier, une très jolie brunette.Lorsqu’ils prirent conscience de qui se trouvait là faisant coucou de la main, il y eut quelques flottements dans les rangs.« David ? » finit par dire pour tout le monde DD 98.Après Canto venu brailler, le spectacle se développait et tournait au barnum.D’ailleur Deschomps n’avait rien compris du baragouinage de Cantoma : Hector, Achille Talon… du chinois au milieu de formules fumeuses… un javelot, un duel truqué, des conneries, du canto pur jus… et maintenant David. Ca gavait.« Alors ce match ? » fit Ginolia.« Lequel ? » répondit Ladèche, « Celui que tu as raté, celui que tu as manqué, ou celui que tu as loupé ? »Ginolia souffla. La discussion comme prévu promettait d’être compliquée.« Et d’abord, qu’est-ce que tu fous là ? » demanda Emmanuel Pitit.D’accord… Il avait pourtant prévenu Rimet que sa présence face à des survivants de 94 poserait des problèmes et qu’il aurait mieux valu envoyer quelqu’un d’autre ; remarque qui n’avait pas été entendu, sans doute parce qu’Ailleurs on aimait les courts-circuits.

Ailleurs, dans l’arrière-salle du bistrot, JPP qui venait d’être prélevé juste avant le match contre la Bulgarie, à l’automne 93, essayait de comprendre : « On va

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perdre ? » demandait-il à qui voulait l’entendre, « On va se faire éliminer ? » refusant d’y croire.« On s’en fout, merde, de son élimination ! » finit par s’emporter Domenach qui s’indignait d’un pareil égoïsme : 94 par rapport à sa finale, ça pesait quoi ?« Raymond, permets… » s’offusqua JPP.« Ca pèse Jacquet » fit Rimet.RD faisait non de la tête.« Mais enfin, vous êtes sourd ou quoi, Raymond ! » s’énerva Hélène de Troie, « Ou idiot ? Vous ne voyez pas les conséquences pour votre époque ? »Domenach la fusilla du regard… sous tant de morts sous Troie on aurait dû l’achever… comment avait-il pu la trouver sympathique ?« A force de faire, de refaire, et de refaire le combat entre Achille et Hector, ils ont usé, appauvri, desséché le temps de mon époque. »« Comme une matière première surexploitée » intervint Rimet, « Comme pour vous l’eau, le gaz, le pétrole… »« Et ç’a été terrible » continua Hélène de Troie, « Les instants d’avant, nous étions dans un palais, les instants suivants en train de faire du fromage de chèvre… »« Oui, bon, peut-être… » dit le sélectionneur, se demandant comment il avait même pu commencer à la trouver sympathique, « Seulement, j’ai un match à préparer. »« Nous aussi » fit JPP.« Mais d’abord, qu’est-ce que Jean-Pierre vient faire Ailleurs ? » s’enquit Domenach.« C’est pas vrai, tous les mêmes… » se désola Hélène, « Même Hector s’est entêté : ha ça, lorsque les couilles sont en jeu… »Réflexion qui arrêta quelque peu dans son élan Raymond vu l’écho que le propos faisait résonner en lui. Ce dont profita pascal Chibonda pour revenir à la charge : « Coach, elle a raison, je crois… on focalise trop sur la finale, on se restreint : faut voir plus grand, plus loin… »RD regarda Chib : quelle soupe populaire lui servait-il ?« Plus haut… ? » suggéra-t-il d’un ton doucereux.« Oui ! » se réjouit Chibonda, « Absolument. »« Ouiiii ! » reprit en frappant dans ses mains comme une otarie, Domenach, « Ouiiii ! »« Ha d’accord… ! »Chibonda quitta la banquise : « J’avais pas… »Le sélectionneur se tourna vers la chorale qui le fixait toujours comme le messie.

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« Alors que les choses soient claires » énonça-t-il, « Je n’ai ni l’intention de finir sur une croix, ni d’être le président du syndicat des loseurs. »Ce qui, par rapport à David, Jean-Pierre, ou même Hélène, était d’un goût…« Heu, coach… » fit Chibonda, « Nous aussi on a perdu. »RD se dit qu’il comprenait certains entraîneurs ayant envi de tuer certains de leurs joueurs… on se retenait, on se retenait, et on finissait avec une crise cardiaque sur le bord du terrain.« Même si ce n’est pas de votre faute, nous aussi on a perdu maintenant comme vous a expliqué monsieur Rimet. »Faut pas se retenir, faut plus. Et puisque personne ne saisissait ou ne voulait pas, Domenach sentit ses humeurs se gorger d’acide didactique : « Deuxième chose qui doit être tout à fait claire dans vos p’tites têtes aux visées grandioses, on a pas perdu… j’articule comme sur Radio Londres : Nous ! N’avons ! PAS-PERDU ! »« Et nous ? » demanda JPP.« Vous, oui » lui dit Domenach, « Par définition, tous les 93 perdent. »

Ailleurs, à la Bourse du Temps.« Je vous assure, monsieur Zidaine, que vous avez tort de ne pas porter d’avantage d’attention à nos offres exceptionnelles. »« Que voulez-vous : il semblerait que ces temps-ci je fasse pas mal d’erreurs… »« Ici, la seule erreur rédhibitoire consiste à ne pas tirer partie des erreurs. »Le type avait réponse à tout et réponses toutes prêtes.« Prenez par exemple notre promotion sur le match contre l’Irlande en novembre 2009 au Stade de France… un des joueurs français y participant dira beaucoup plus tard, une fois devenu vieux : on ne savait pas, mais c’était notre finale, c’était notre dernier match… »Il indiqua de l’index l’écran concerné.« Où vous serez assis en tribune avec monsieur Barthiez. »Zidaine plissa les yeux. Ca commençait à le chauffer cette façon de lui rappeler qu’il allait disputer sa dernière rencontre lors de la finale 06.« Cela vous amuse ? » demanda-t-il.« Quoi ? » dit le courtier.« De… Rien, continuez. »Invitation qu’il ne se fit pas dire deux fois : « Vous connaissez l’expression s’en moquer comme de l’an quarante. Hé bien, nous ne nous moquons d’aucun an quarante qui soit, car tous les ans quarante nous concernent. Vous me suivez ? »« Pas bien. »« Pas de problèmes, que des solutions » enchaîna-t-il.

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Zidaine se demanda quand ce type prenait un instant pour respirer.« Avec cet exemple la réalité va vous apparaître dans toute sa force : considérez donc ce match contre l’Irlande qui permet de générer diverses transactions… »Mais devant l’expression d’un total manque d’intérêts de Zidaine, un doute affreux lui traversa l’esprit : « Monsieur Simack vous a bien entretenu des Subtimes ? »« Non. » Ce qui, visiblement, l’ôta d’un grand poids : « Alors je comprends mieux… vous ne pouvez pas… il faut dans ce cas que je vous explique en quoi cela consiste. Bien… »Les petits imprévus lui permettent de respirer, constata Zidaine.Le courtier avait retrouvé son air de raideur épanouie.« Les Subtimes… » savoura-t-il le mot, « Hé bien, les Subtimes sont des produits financiers temporels qui font gagner de l’argent. »

Ailleurs, dans sa cellule bleutée, Eric Cantoma, plongé dans une énième séance de méditation destinée à ouvrir son œil intérieur afin de lui permettre de voir, se mit à entendre des voix, plusieurs voix même, et, bien que ce ne soit pas le but recherché, se dit qu’il avançait sur le chemin.« Déconne pas, Eric » lui fit-on, « Arrête de cantoner. »Cantoner ? Il en fut heureux : cette nouvelle sérénité lui permettait de forger de nouveaux vocables.« Arrête, merde, on te dit : c’est pas toi qui te parle, c’est pas tes voix habituelles ! »Merveilleux… il accédait à un nouveau stade d’éveil.« Putain, il est trop ce mec… »« Attends, je vais essayer, donne-moi le micro. »« Voilà, tiens : moi, j’abandonne. »« Hé, compère ! C’est Jean-Pierre, Jipépé… »Cantoma, à présent, sentait sur ses lèvres fleurir le sourire du Bouddha.« Vous êtes fous de l’avoir choisi. »« Nous ne l’avons pas choisi, c’est Simack qui l’a prélevé. »Le tohu-bohu qui s’orchestrait dans sa tête possédait une telle intensité libératrice que contrairement à l’ordinaire il faisait vibrer les os de son crâne.« Ben forcément, tête d’œuf : on te dit que c’est pas toi qui te parle, c’est nous. »« Vous êtes sûr qu’il entend ? »« T’entends ? »

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Cantoma consentit à faire une concession et à ouvrir un œil… un de ses deux yeux organiques… et vit sur un des écrans de sa cellule son clone rater un contrôle et perdre le ballon lors d’une séance d’opposition. Ce qui le fit tiquer.« Qui, nous ? » finit-il par demander à haute voix.« Youpi, il a compris ! »« Expliquez-lui le principe du direct relatif. »« Non, non, y’a d’autres priorités avant. »« Il faut l’interroger sur ce que lui a proposé Simack. »« Alors qui, nous ! » gueula Cantoma qui avait maintenant tout à fait saisi qu’il n’était pas sur le point de s’ouvrir le nirvana.« Vous ne comptez pas me le donner comme adjoint, j’espère : je préfère encore David. »« Qui parle, là ? » voulut savoir Cantoma, cette voix lui rappelant quelqu’un, il n’arrivait pas à déterminer qui.« Dites, faudrait pas le laisser trop longtemps ainsi, c’est assez déstabilisant comme expérience lorsqu’on n’y est pas préparé. »

Notes confidentielles.Ajoutons au rapport : Dossier « Diverses propositions à RD ».Ajoutons également : Dossier « Diverses propositions à ZZ ».

Ailleurs, Batteux, Snella, et Jacquet.« Pourquoi, personne ne nous propose quoi que ce soit ? » s’interrogea Snella, « Qu’est-ce qu’on a, on pue de la gueule ? »« On est vieux, Jean » fit Batteux, « Au rebut. »« Moi, le prochain match me suffit » dit Jacquet.« Et puis, ils savent qu’on ne marcherait pas » renchérit Batteux.« Mais quand même… » déplora Snella, « Ca m’aurait réjoui de leur dire non. »« On pourrait tout de même faire une chose… » commença Jacquet qui pensait de plus en plus que sa phrase sur le prochain match sonnait comme une parole toute faite.Les deux autres attendirent la suite.« Oui… » continua Jacquet, « On pourrait leur demander de faire venir Michel. »« Henry ? » dit Snella.« Non, Michel Hidalgo… ce serait normal… et puis, tu as raison, Henry Michel aussi ce serait logique. »Batteux et Snella approuvèrent de la tête.« Au foot ? »« Au foot ! »

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« Au foot ! »Ils trinquèrent.

Ailleurs, dans l’arrière-salle du bistrot, un des membres du Second Groupe, regardant son écran, s’exclama : « Zidaine est à la Bourse ! » ; alors que JPP s’apprêtait à expliquer à Canto qu’ils allaient le délivrer et ce qu’ils attendaient de lui.« Comment à la Bourse ! » dit Rimet qui se pencha sur son propre écran.« Avec un courtier… »« David, Hélène » ordonna Rimet, « Préparez-vous : vous partez immédiatement réceptionner le groupe 98 pour les avertir des risques encourus. »Préparatifs qui ne prirent que quelques instants.« Prêts ? » leur demanda-t-il, une fois tout checké.« Prête. »« Prêt. »« Mort aux Grecs ! » lança Hélène juste avant le transfert.« Elle me fait un peu peur cette Hélène de Troie » commenta Rimet une fois le transfert exécuté.« Et moi, qu’est-ce que je fais ? » s’enquit RD.« Oui, vous… »« Et moi ? » demanda JPP en montrant le micro.« Oui. On envoie Cantoma à Batteux et ensuite on verra. »« Alors ! » s’impatienta Domenach, « Faut plus hésiter, faut me transférer aussi… je vois bien kia un pébé… briefez-moi puis transférez-moi ! »« Heu… » réfléchissait Rimet.« Si. Voyez-moi comme une sorte d’envoyé spécial » insista Domenach, « Vous vouliez que je sois consolé, hé ben, ça, ça me consolerait énormément, j’accepte votre proposition. »« Vous êtes sûr, coach » s’en mêla Chibonda, « Vous n’avez pas peur que ça fiche encore plus la pagaille ? »« Justement. Faut faire comprendre à Simack ce qu’il risque avec moi. »« Qu’est-ce que vous en pensez ? » se tourna vers Rimet, Chibonda.Ce qui fit trépigner d’impatience le sélectionneur : « Allez ! »« Bon, d’accord » dit Rimet, « C’est peut-être une solution pour surprendre Simack, en effet. Etant bien entendu que vous n’y allez pas pour… »RD prit l’air profondément peiné. Chib ferma les yeux. Et Rimet briefa Domenach.

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Une fois cela fait, tout était prêt pour que le sort en soit jeté avec l’eau du bain : Rimet, le doigt sur la détente, voulut savoir une toujours inutile dernière fois : « Pas de blagues, alors ? »« Oui, oui, transférez-moi : faut faire feu de tous bois. »

CHAPITRE 14

Dans le bus qui menait l’équipe d’Italie au stade où devait se dérouler la finale du Mondial 2006, Marcelo Lippi eut la frayeur de sa vie.Un court instant il avait fermé les yeux pour se relaxer, puis, reprenant contact avec la réalité, trouva assis sur le siège à côté Raymond Domenach.Il referma les yeux, les rouvrit, toujours Raymond Domenach.Mama mia !Affolé, il regarda autour et se rendit compte que les autres, tour à tour, s’apercevaient de la présence ahurissante du sélectionneur français. Ce qui en soit s’avérait une bonne nouvelle quant à la question de sa santé mentale, mais, revers de la médaille, provoquait un début de panique.Des exclamations fusèrent, des jurons, de l’agitation.« Ray… Ray… Ray… » hoqueta Lippi, blême.Plusieurs joueurs s’étaient levés d’un bond, faisant de grands gestes démonstratifs.Domenach adressa une courte prière de remerciements aux Instances Supérieures : avoir pu assister à cela et en être la cause… rien que pour des secondes pareilles il n’aurait laissé sa place à personne.Dans le bus, la situation se dégradait à vitesse grand v : les joueurs, l’encadrement, tout partait à vau l’eau ; jusqu’au chauffeur qui conduisait en se retournant.A ce rythme, si le sélectionneur italien ne réagissait pas d’extrême urgence, ce ne serait même plus la peine d’aller au stade… si toutefois ils y arrivaient vu l’unique doigt que le conducteur conservait encore sur le volant.Seulement que faire, que dire, qu’entreprendre ? C’est comment qu’on freine ? Jamais dans sa carrière, pourtant déjà longue et mouvementée, Lippi ne s’était retrouvé confronté à pareil cas de figure.Le foot rend fou, entend-on souvent : il en avait l’illustration.Aussi, devant l’adversité, Marcelo Lippi s’en référa aux questions fondamentales : « Comment t’es là ? » demanda-t-il à un Domenach qui

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souriait aux anges, « Où ? Quand ? Pourquoi ? » avala-t-il péniblement sa salive.Domenach sourit aux archanges.« Hein ? » poursuivit Lippi, en le touchant timidement, « Hein ? ». Car il devait se rendre à l’évidence, oui, Raymond était bel et bien réel, il existait.Le sélectionneur français savoura ce pur moment de perfection : Lippi ayant besoin de lui, Lippi quémandant des explications, ses explications, Lippi à la merci de son bon plaisir, Lippi constatant enfin craintivement sa présence en ce Mondial… lippippi hourra ! putain que c’était bon… merci ! merci !... il étira au maximum l’instant de justice.« Hein ? » répéta Lippi.Merci pour cet instant même fragile, puisque, malheureusement, il avait trois ou quatre bricoles à annoncer et peu de temps pour le faire : la finale étant dans quoi, deux heures à tout casser, et plus l’évènement se rapprochait plus cela restreignait des marges de manœuvre déjà étroites.

Ailleurs, Simack terminait son exposé devant le directoire KIC.« Comme vous le constaterez, nos bénéfices net en pourcentages, dans la délicate période que nous traversons, sont hélas passées de trois chiffres à deux chiffres… »Dehors, autour du building en verre, des éclairs zébrèrent un ciel soudain devenu noir dans un bruit assourdissant de tonnerre.Simack était particulièrement satisfait de cet effet qu’il venait de s’offrir pour célébrer son dixième milliard. Il lui revint en mémoire une blague des années 80 du XXème siècle : quel âge avez-vous ? j’ai trois millions de dollars.« Résultats qui je le conçois s’avèrent inacceptables » ajouta-t-il dans un souffle chargé de contrition et d’arômes de toast à la baleine du XIIème siècle.Des grognements approbateurs s’en suivirent dans l’assistance : bonne attitude et bonne haleine grâce aux toasts à la baleine.« Inacceptables et donc temporaires puisqu’heureusement sujets à Subtimes ! »Cette fois, un concert d’applaudissements accompagna sa déclaration. Simack en profita pour déclencher un bouquet d’arc-en-ciel dont les couleurs changeaient aléatoirement accompagné d’une zique syncopée de pop-corn peup-peup-pant dans une casserole sur le feu ; choix d’ambiance sonore qui lui fit se demander si, un de ces jours, il ne devrait pas plutôt prélever Lully afin qu’il compose des musiques inédites de circonstance sur fond de pop-corn.« S’il vous plait, s’il vous plait, mes chers Intéressés ! » leva-t-il la main en signe de demande d’un retour au calme, « S’il vous plaît ! Merci. Dernier point : vous n’êtes pas sans ignorer que l’Opération Décennie Glorieuse en cours génère

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déjà de nombreux bénéfices, malgré tout encore non-consolidés en version définitive. »Quelques acquiescements parcoururent l’auditoire autour de la table.« Et comme nous l’avions prévu le groupe Rimet s’est mis en tête de nous compliquer la tâche… Mais rien d’insurmontable. »« Il semblerait quand même que vous ayez perdu le contrôle de Raymond Domenach » intervint le Quatrième Intéressé.« Pour mieux m’assurer celui de Zinedine Zidaine » répondit Simack, « Et perdu n’est pas le mot adéquat : je me suis immédiatement rendu compte des divers transferts de Domenach… et avec le poison de l’espérance qu’involontairement je lui ai inoculé et qui donc l’habite à présent, il va se mettre en quête du chemin d’Ithaque de façon si désordonnée qu’il compliquera à l’extrême les plan de Rimet. »« Et les nôtres aussi ! »« C’est sans importance » assura Simack, « Domenach ne fera que couvrir nos traces, et, au besoin, nous pourrons toujours lui faire une contre-proposition et le retourner par rapport à Rimet. »« Quel genre de contre-parti ? » voulut savoir le Deuxième Intéressé, « Car, de votre propre aveu, ce n’est pas quelqu’un de facile. »« Je ne sais pas… Nous trouverons quelque chose d’alléchant. »« Pas la victoire en 2006, j’espère : vous savez que nous sommes très exposés sur cette version-là. »« Bien sûr. Par exemple, en lui faisant miroiter le poste de sélectionneur de l’équipe de France jusqu’en 2010… »Quelques rires distingués fusèrent autour de la table.« Pas mal… » fit le Quatrième Intéressé, « Oui, pas mal… »« Qu’est-ce qu’ils disaient déjà à l’époque à propos de pas mal ? » demanda le Septième Intéressé.« Même pas mal » fit Simack.

Dans le bus qui menait l’équipe d’Italie au stade où devait se dérouler la finale du Mondial 2006, RD se dit que l’ennui pour les êtres merveilleux (sous-entendu lui-même) qui apparaissent aux simples mortels effrayés (sous-entendu ces crédules transalpins) réside dans cette crise de temps que constitue la délivrance pressée d’un message obligé.De plus, continuer à passer pour un personnage prodigieux et l’ouvrir font rarement bon ménage.D’où, comment le dire ? Puisque dès qu’il entamerait son explication, Lippi quitterait à coup sûr, vu l’énormité du propos, l’état de sidération mystique dans lequel l’avait plongé son arrivée.

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Domenach se trouvait en plein dilemme : soit rester divin et être aussi efficace que le dalaï lama soit parler et perdre son statu de trésor vivant.Aussi, pourquoi n’avait-il pas pensé à demander à Rimet, avant d’atterrir dans ce bus, de le faire apparaître plusieurs fois et, ce, à divers endroits, afin de marquer encore plus l’esprit superstitieux du joueur avant le match.Dans le même registre, Domenach s’interrogea sur le bien-fondé d’exécuter vite fait bien fait de vagues bénédictions urbitantes et orbitantes de la main : le pape du foot français se penchant avec bienveillance sur sa fille cadette… quel effet, quel couronnement de carrière !Il résista à la tentation.Ce fut dur mais il y renonça, n’étant pas là pour un quelconque épanouissement personnel.Il se racla la gorge. Le silence se fit. Chut, chut, entendit-il voleter dans le bus. Putain, c’était vraiment jouissif…Domenach se remémora la totalité de ses notes prises lors d’un stage de formation en communication (une bonne accroche, une bonne formule, de la bonne soupe) et attaqua.« Je vous ai compris ! » leva-t-il en v les bras au ciel.Pas de réaction. Rien. Aucune.Des incultes.Et si j’essayais le Québec libre, se dit-il… Mais c’est ça lorsqu’on s’adresse à un public ne possédant pas les références culturelles.Lippi le regarda d’une curieuse façon. Il fallait rectifier le tir. Rapidement. Par exemple, faire vite entrer une phrase remplaçante. Il se rappela qu’autrefois les substitutes avant de rentrer sur le terrain étaient tout frétillant d’impatience, de vrais poissons hors de l’eau pressés d’aller dans le grand bain.« Et si je vous disais… » commença-t-il.

Ailleurs, à la Bourse du Temps, Zinedine Zidaine écoutait les explications du courtier au sujet des Subtimes. Et au fur et à mesure qu’il se mettait à mieux comprendre de quoi il en retournait, ZZ se sentait envahit d’un vertige : ces personnes avaient mis en pratique un de ses rêves d’enfant : petit, et même jeune ado, et ado tout court d’ailleurs, pourquoi se le cacher, il… et il se perdit dans ses pensées.Il regarda l’écran de la demi-finale 82. Match découvert quelques années en retard. Platini tenant la main de Battiston sur la civière… Christian Lopez écoutant à peine son capitaine et prêt à débarquer sur les plages de Normandie… Alain Giresse hurlant de joie en revenant vers son camp, le visage retourné, la figure exorbitée, le corps en pleine éternité… Thierry Rollond annonçant la France en finale… Michel Hidalgo replongeant dans 58… et

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Marius, et Gérard, et Bernard, et Dominique, et Manuel, et Jean, et Philippe, et Christian, et Jean-Luc, et René, et Jean-François, et Maxime, et Bruno, et Didier…Zidaine se rappela qu’un de ses potes lui avait raconté que son père, après cette demi, était resté pleurer sur son balcon toute la nuit malgré les supplications de son épouse.Zidaine se souvint que quand il avait vu, vu, et revu encore et toujours, cette rencontre, il se prenait à espérer, à rêver de façon déraisonnable : la partie se dirigeait inévitablement vers son dénouement, et lui, jeune supporter en différé, se demandait s’il ne serait pas possible que Didier Six marque son tir au but… le marque enfin, le marque au moins une fois, deux fois, trois fois, de temps en temps, à chaque fois…Et là, à présent, ce courtier qui, en substance, parlait justement de ça, de ce rêve d’enfant, d’un enfant qui éprouvait le besoin de vérifier la victoire et d’espérer que la défaite ne soit plus.

A bord du bus de l’équipe d’Italie en route pour la finale 06.Même si le Second Groupe, avec Rimet en tête, l’avait briefé avant son départ, le sélectionneur français n’en éprouvait pas moins des difficultés à mettre de l’ordre dans son message divin.Pourtant, dans cette arrière-salle de bistrot, l’atmosphère aidant et les consos défilant, tout lui avait paru simple, clair, précis, et facile à répercuter.Un, le bistrot était le QG du MAKI : Mouvement Anti Kapitalistic Intemporel.Deux, Simack représentait les intérêts de Kapitalistic Intemporel Corporation : KIC pour les intimes (« Les Salauds » avait catégorisé Rimet) ; et lorsqu’il s’agissait de leurs intérêts aussi vaste que méandreux : i-KIC.i-KIC ! i-KIC quoi, i-KIC qui ? Et JPP ayant fait remarqué qu’i-KIC lui rappelait un joueur yougo, on lui avait précisé : rien à voir. Bon, s’il ne pouvait même plus hasarder une hypothèse de conversation…Trois, les politiques de KIC étaient les suivantes : petit a, développer i-KIC ; petit b, se servir de tout évènement historique pour i-KIC ; petit c, promouvoir tout ce qui favorise i-KIC (exemple le tournoi des différents groupes France de 96 à 06) ; petit d, neutraliser tout ce qui peut porter préjudice à i-KIC.RD en avait été satisfait : il avait trouvé que l’ensemble ressemblait à ses consignes d’avant-match et donc était souverainement confiant quant à sa faculté à les reproduire.Quatre, y’avait un pébé avec des Subtimes, sortes de produits financiers temporels qui permettent de spéculer sur le Passé (dans le bus transalpin il avait commencé par faire un premier lapsus en énonçant « persécuter le Passé ») ; produits qui, au bout du compte, modifiaient au gré du volume des

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transactions de… comment avait-il dit déjà… transactions de gré mal gré de, putain de merde il s’en rappelait plus ! Mais ce qui était sûr, c’est que ça merdait : ça, c’était sûr puisque ç’avait fait que la France avait perdu, voilà ce qui comptait. Et, ha oui ! plus y’avait de Subtimes sur la défaite des Bleus, plus dans la réalité ça se passait : ils perdaient, la France perdait, la dette augmentait, le moral des ménages plongeait, les virus se multipliaient, etc… même si la vérité ! il n’avait pas perdu… quelque chose dans le genre en plus compliqué, plus mathématique comme modèle.Cinq, cinq… y’avait un cinq. Bon, cinq, il verrait bien !« Et si je vous disais… » avait-il donc recommencé.RD vit Lippi se gratter les joues.

Ailleurs, depuis l’arrière-salle, Chibonda, suivant sur écran la « mission Domenach » dans le cadre de l ’ « Opération Feux de tous bois », s’inquiétait de plus en plus : non seulement il avait appris que dans une des versions (de la bouche murmurante de RD collée tout contre son oreille juste avant son transfert) il devrait marquer deux buts lors de cette finale (ce qui déjà ne s’annonçait pas simple pour l’arrière droit physico-physique qu’il était), mais surtout il ne pouvait s’empêcher de se demander si son exploit n’allait pas abimer celui de Lilian Thurom en demi-finale 98 : les choses étant rarement gratuites et la coïncidence vraiment grosse.Ca partait mal cette affaire, car, malgré toutes les recommandations que Rimet avait expédié au coach avec AR, il avait bien senti à la qualité du souffle chaud dans son cou (et l’emploi chuchoté de l’expression : c’est nous qui auront le final cut, Pascal ! final et finale devant sonner pareil dans son esprit) que le coach fondait de grands espoirs sur la version aux deux buts.C’avait mal commencé, ç’avait mal continué, et ça finirait mal, se disait-il en secouant la tête.En même temps, il suivait sur un second écran la « mission Ginolia ».En même temps, il suivait sur un troisième écran la « mission Cantoma ».Puisque, comme avait dit Hélène : Mort aux Grecs !Il continua de secouer la tête.Pourtant, il avait bien tenté de dissuader RD… mais autant suggérer à une chenille de ne pas devenir papillon… chenille qui de plus avait flairé une ampoule électrique allumée et enclenché la procession.« Coach… » avait fait Chib, « Vous ne pensez pas que… »« Non. »« C’est pas risqué de vouloir se mêler de choses qui nous dépassent ? »« Y’a qu’un seul truc de risqué, Pascal, c’est de se contenter de regarder en spectateur la version où tu marques deux buts. »

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« Ho, coach… De toute façon on a perdu. »« Aussi faut multiplier les chances » avait-il bouclé son ceinturon.Et donc, sus à l’ampoule électrique allumée, parce que lui, monsieur, il anticipe il prévoit il gère les désirs du papillon excité !Chibonda secoua la tête ; geste qu’il avait un court instant suspendu.En même temps, il suivait sur un quatrième écran Zidaine.Et le souvenir de cette discussion le navrait, et tout en repensant à cela, en même temps, il suivait… en fait, on lui avait conseillé de garder également un œil sur l’écran 11/06/2010/nouvelle génération… il se pencha… qu’est-ce que… ? Contre qui est-ce qu’ils jouaient ?Puis conseillé aussi, sans rire tout en riant, de suivre l’écran 11/07/2010/génération finale… vu que, lui avait-on assuré, Saint Barnabé et Saint Benoît priaient sans sourciller pour nous, pour vous, pour eux, pour la France.Fin de citation ou presque.Car en même temps garder un œil sur… et merde, merde et merde ! ce n’était plus possible : tous ces conseils, ces impératifs, tout ces écrans lui filaient le tournis… il n’était pas taillé pour un poste de réalisateur… deux buts, deux buts… saint Lilian, priez pour lui, saint Lilian, ouvrez votre icône, saint Lilian, entre confrères.

Ailleurs, devant le groupe 98, David Ginolia faisait front.Sa question anodine sur le match entre les 2000 et les 06 avait provoqué une réponse peu amène : indéniablement sa présence mettait mal à l’aise les survivants de la catastrophe de l’automne 93 et il sentait poindre une odeur de cannibalisme comme pour cette équipe de rugby perdue dans les Andes. Ou était-ce une parano qu’il développait chaque fois que des circonstances le plaçaient face à un des ex-futurs 94 ?Parait-il que Platini, dix, quinze, vingt ans après, à chaque fois qu’il croisait un des joueurs allemands ayant participé à cette demi à Séville, pâlissait comme un mort ; mais à un tel point que ses anciens adversaires avaient fini par s’inquiéter pour sa santé.Ginolia se demanda si cette France 82 avait eu l’occasion simackienne d’être réparée… avec Tigana si intenable que les défenseurs allemands n’avaient eu d’autre choix que de sortir (comme l’avait souligné Jean-Michel Liarqué aux commentaires) les épuisettes pour le stopper.« Le match ? » fit Youri Djorkayef, parlant de celui entre les 2000 et les 06, ce qui ramena Ginolia à la réalité, à propos de la défaite surprise des champions d’Europe, « Hé bien, nous avons pensé qu’il faudra faire gaffe, parce que les

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amis Zizou, Tutu, Titi, Pat, et Fab, ont de beaux restes »… ce qui déclencha l’hilarité des futurs intéressés qui commencèrent à se charrier.Devant le tour que prenait la discussion, Ginolia se dit qu’il devait immédiatement revenir au cœur des choses.« D’abord, qui vous a affirmé que vous allez les jouer ? » asséna-t-il.« Comment ? » s’étonna Vincent Candila, pendant que les rires s’estompaient.« Oui, qui vous dit que vous allez jouer les 2006 ? »Les 98, perplexes, se regardèrent.« Mais parce que c’est évident… » finit par dire Stéphane Guivorch.« Sauf qu’il faudra le mériter avant » les informa Ginolia.« Heu, David… » intervint Deschomps, « Au risque de te remuer le couteau dans la plaie, je te signale que question mérite nous sommes champion du Monde… »« Dans l’absolu, vous ne l’êtes pas encore : vous avez été prélevés sur le terrain avant que la finale ne démarre… et à votre avis, est-ce un hasard ? »« Qu’est-ce que ça change, on va gagner » déclara Frank Lefœub.« Peut-être, oui, qui sait ? »« Comment qui sait ! »« Oui : qui sait même si vous allez jouer ? »David Ginolia souriait de toutes ses dents.« David, David ! » s’interposa Hélène de Troie qui jusqu’alors s’était tue, « Je ne sais rien des problèmes qui existent entre vous, mais vu le ton je devine qu’il y en a ; et là c’est stérile comme façon de faire : nous ne sommes pas ici pour ça. »« Ben moi, si ! » s’excita-t-il à la stupéfaction des 98 car il avait l’air de comprendre ce que la jolie brunette racontait.Ginolia ne souriait plus. Il sentait même une colère monter en lui. Son visage venait de changer : ça suffisait, ils ne lui avaient personnellement rien fait, mais ça suffisait.Dougarry le regardait et se demanda ce que lui aurait ressenti à sa place, en dindon de la farce.« Bien sûr que vous allez jouer et que vous êtes ici aussi pour jouer » reprit Hélène en se tournant vers le groupe Jacquet, « Seulement, ce n’est pas aussi simple : il y a divers intérêts en jeu. »Les 98 ouvraient de grands yeux, l’affaire devenant aussi compliquée et emberlificotée qu’un transfert. Surtout lorsque celle qui se chargeait de la résoudre discourait en grec ancien.« Heu, madame… » fit Deschomps, « Moi français, françouzitch, moi pas comprendre… Tu comprends, toi, Youri ? »« C’est pas parce que je suis d’origine arménienne que je percute son patois. »

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« Y’a quelqu’un qui comprends ? » s’adressa au groupe, Deschomps, « Liza, c’est pas du basque ? »« Fume, c’est du belge » répliqua Lizarazou.Et à cet instant, David Ginolia s’exprima dans le même dialecte inconnu au bataillon avec la jolie brunette.« Mince… ! C’est quoi ce binz ? » se marra nerveusement Barthiez.Puis suite au conciliabule, les deux se mirent à parler français : on se serait cru dans un mauvais film jouant sur les langues.« Excusez-moi, j’avais oublié de paramétrer le traducteur universel » expliqua-t-elle sans plus, « Je me présente : Hélène de Troie. »Ce qui, avait-elle remarqué non sans plaisir, provoquait toujours son petit effet…Les 98 se regardèrent.

Ailleurs, Batteux attendait.Ailleurs, Chibonda s’embrouillait avec les écrans.Ailleurs, Cantoma retrouvait le plaisir du terrain.Ailleurs, Batteux, Snella, et Jacquet, continuaient leur tour d’horizon : « Et ce tournoi, Aimé, t’en penses quoi ? »

Dans le car des italiens, Raymond Domenach s’étaient emmêlé les pinceaux et brossait maintenant un tableau guère divin, se retrouvant en train de tenter de convaincre les transalpins de perdre le match sous prétextes qu’ils en tireraient de grands bénéfices, moulto moulto moulto, bons bénéfices pour tout le monde.« Qu’est-ce qu’il veut dire ? » fit Pirlo à Lippi, « Il essaie quand même pas d’acheter la finale du Mondial… ! »« Raymond » se tourna Lippi vers Domenach, « De quels bénéfices tu parles ? »

Ailleurs, à la Bourse, sur l’écran activé de la finale 06, Viera blessé s’arrête sur le terrain, désemparé.Les porteurs du Subtime « Viera Se Blesse Lors De La Finale 06 » hurlèrent de joie, sautant comme des cabris. La plupart d’entre eux pourtant portaient, négligemment jeté sur les épaules, un maillot de l’équipe de France de football. Et certains, même, vinrent montrer à ZZ le fameux maillot aux deux étoiles… collector… collectorissime… maillot que Zidaine trouva d’autant plus de mauvais goût qu’il ne connaissait pas encore cette version de l’Histoire.Pour i-KIC, l’affaire s’annonçait profitable.Les matchs promotionnels organisés par Simack et sponsorisés par KIC, à savoir le tournoi des Groupes France de la décennie 96-06, avaient comme prévu

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attiré la foule des grands jours et rabattu vers les produits financiers un nombre toujours plus croissant de clients ; car voir en chair et en os les héros antiques déclenchait leur désir d’en être et leur besoin de possession immédiate.De plus, la rencontre 2000 vs 2006 avec la surprise que l’on sait (et qui serait lors de sessions ultérieures sujette à Subtime vu la charge émotionnelle) finissait de jeter dans les diverses succursales, à la sortie du stade, une foule pressée de s’enivrer encore plus.Tout le monde aimait aime aimera le football et on recommencera, on recommence, on recommença.Lors de l’arrêt de jeu dû à la blessure de Viera se lança immédiatement sur le Second Marché le Subtime « Viera Obligé De Sortir Eternellement Sur Blessure Lors De La Finale 06 ».Subtime qui se mit à remporter un succès considérable. Les porteurs du maillot bleu double star étant les premiers à se précipiter, puisque susceptibles d’y gagner sur tous les tableaux. En effet, en cas de défaite de la France et de sortie de Patrick Viera, leur Subtime « Italie Championne Du Monde 2006 » acquis par principe en début de compétition dans un package « Cinq Favoris Logiques » prendrait une gentille valeur couplé à celui de la sortie de Viera ; puis, surtout, ce maillot bleu aux deux étoiles deviendrait dès lors hors de prix (c’est-à-dire qu’il trouverait toujours acquéreur) car en série limité : ce que l’acheteur pouvant mettre virtuellement sur le tapis étant le seul plafond au bout de l’abîme.Zidaine observait cette frénésie.« Alors, qu’en pensez-vous, monsieur Zidaine ? »Il se retourna : Simack, sourire aux lèvres.« Pourquoi vous ne soignez pas Pat comme vous l’avez fait pour moi en Irlande ? »« Oui, c’est un problème » acquiesça Simack.

Dans le car des italiens, RD était en train d’énumérer les bénéfices qu’ils en retireraient tous ensemble-tous ensemble-tous-tous s’ils acceptaient de perdre le match :

- un, le rétablissement de la Vérité Historique ;- deux, le fait d’anéantir tous les Subtimes faisant peser une menace sur le

temps de notre époque dont les cordes s’amenuisent dangereusement à force d’être exploité aveuglément en tant que matière première non-renouvelable ;

Est-ce qu’ils comprenaient ?En réalité, ce n’était pas tout à fait exact, puisqu’en cas d’acceptation transalpine de la Vérité Vraie, cela ne réduirait à la valeur zéro en les rendant

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donc inopérants que les Subtimes concernant la défaite française au Mondial 06, mais bon, pourquoi les ensevelir sous des détails et brouiller de ce fait son message.Est-ce qu’ils comprenaient ?A ces mots, l’italien ne se tint plus de joie, tout le groupe se bidonna même : au fond c’était un grand comique le Raymond, doté d’une imagination grandiose, car vouloir truquer un match en prétextant le risque de la disparition du XXIème siècle, il fallait oser, Roberto Bégnigni en personne aurait hésité.Enfin, existait un troisième bénéfice : la satisfaction de savoir que l’on avait accompli l’action juste.Est-ce qu’ils comprenaient ?Pirlo se boucha les oreilles pour ne plus entendre tellement il avait mal aux abdos.Lippi tapota l’épaule de Domenach.Materazzi demanda à Gatuso si les consignes psy du coach tenaient toujours.Peu importait à présent de découvrir qui-où-comment était là, dans leur car, cela devenait accessoire : ils décidèrent qu’ils ne se quitteraient plus, à la vie à la mort !

Ailleurs, devant ses écrans, Chibonda se demanda s’il n’y avait que lui pour voir combien l’Histoire se barrait en couille.Petit à petit, dans cette arrière-salle, sous l’effet de l’alcool, chacun s’était mis à parler du match à venir des 98.Basile Boli, qui venait d’apparaître, et un costaud du Second Groupe entamèrent un bras de fer après que le défenseur central eut fini de lui raconter comment, un soir de printemps, de ce coin précis du crâne, il avait propulsé l’OM au paradis.Y’a coup d’boule et coup d’boule, ne put s’empêcher de penser Chib, s’en voulant presque ; et se demandant pourquoi il s’en voulait : parce que c’ était Zinedine Zidaine et que dès lors cela devenait difficile de penser clairement, sainement ?

Dans le bus transalpin, ça se précisait : Raymond Domenach, maillot italien sur le corps, n’arrêtait pas d’appuyer sur le bipper donné par Rimet.A n’utiliser qu’en cas d’extrême nécessité avait-on souligné, car cela entraîne des complications dans le Continuum et augmente le risque de se faire repérer par la partie adverse ; seulement, être transformé en supporter italien lui sembla être déjà une complication en soi ainsi qu’un cas d’extrême nécessité.Il appuyait mais rien ne venait : qu’est-ce qu’ils foutaient, bordel !

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Ailleurs, Rimet, plein comme une huitre, expliquait à Jipépé qu’il avait toujours été un fervent admirateur de son jeu d’attaquant, de sa spontanéité, et de sa combativité.Il percevait bien au loin comme une mélodie, mais parlons du match des 98 plutôt, qu’est-ce qu’il en pensait, son point de vue l’intéressait.Parce que, bizarrerie de la nature humaine, Rimet avait beau s’opposer à Simack et le détester cordialement, il le rejoignait au moins sur ce point : quelle EdF avait été la meilleure ?Et le fait que Simack se servent de ces rencontres comme vecteur de communication pour i-KIC avec les dangers que les Subtimes faisaient peser sur les époques passées, n’empêchait pas Rimet de vouloir à tout prix voir ces matchs (pas question de râter ça !)… juste, se dédouanait-il en faisant remarquer que le Second Groupe depuis son kop ne manquait pas une occasion d’insulter le kop KIC… preuve qu’ils étaient bel et bien leur ennemi, les combattaient, ne les cautionnaient pas, et que la morale était sauve, non ?« Tu bois un coup, Jean-Pierre ? »

Raymond Domenach, à présent habillé en mascotte italienne, s’entendit interpréter l’hymne italien la main sur le cœur.C’était plus fort que lui : il avait insisté pour revêtir la tenue porte-bonheur de la Squadra et chantait en une irrésistible pulsion au milieu du vestiaire, à la grande joie des joueurs et de Marcelo Lippi qui l’applaudissait la mine ravie.Tout le monde était affreusement content.Seigneur, pourquoi m’avez-vous abandonné ? Il promit de ne plus se livrer à aucune activité païenne, exemple l’astrologie ; mais Seigneur, si je puis me permettre, vous n’avez rien compris car, si je développais ces horoscopes impies, c’était pour accrocher une deuxième étoile à notre maillot…Bip ! Bip ! Bip ! Biiip ! Fonctionnait-il, oui ou merde, ce bidule ! Biiip ! Mais il ré-entonnait déjà l’hymne italien depuis le début.Tout le monde le fêta.

Ailleurs.« De quoi parlait-on ? » fit Rimet en tanguant debout devant la table, « Oui ! ça y est… »JPP attendit la suite.« Ce serait bien… » s’approuva Rimet de la tête, l’air convaincu.

Bip ! Bip ! Bip ! (en vost : AU SECOURS !!!)RD, horrifié, se mettait à trouver entraînante la mélodie de l’hymne italien.

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Ailleurs, à la Bourse du Temps, le courtier proposa à Zidaine des Subtimes sur la finale 06, se servant de l’argument suivant lequel ce dernier se trouvait bien placer pour juger de la qualité du produit.« Vous rigolez ! » dit Zidaine.Ca, ça ne le faisait plus songer à son rêve d’enfant.Simack se pencha vers lui et commença à déverser ce qui peut se transformer en espérance.Au Second Marché, on introduisit des Subtimes sur les diverses possibilités qui s’ouvrent alors à ZZ… plus personne ne s’inquiétant de savoir si l’on était en direct, en relatif, en modifié, en original, ou en série limitée, personne ne vérifiant plus rien : ça saignait, fallait investir, fallait lécher.Zidaine écarquilla les yeux : non seulement Simack avait éludé sa demande d’explication quant au fait de savoir pourquoi il ne soignait pas Pat (son : « faut quand même penser à l’Ed’Italie » ne l’ayant pas tellement convaincu), sans parler qu’il n’était pas historien ou historien comme lui, voilà surtout qu’il le tentait comme le diable.« Comment ? » dit-il.« Comment, comment ? » fit Rimet, « Comment est-ce possible, ou, comment, je n’ai pas compris ce que vous me proposez et ce que vous attendez de moi en contrepartie ? Ce ne sont pas du tout les mêmes comment dans l’un ou l’autre cas. »

Ailleurs, un grand dégingandé entra affolé dans l’arrière-salle du bistrot et expliqua à qui pouvait encore l’entendre vu l’état général qu’un Subtime « RD mascotte des italiens à la finale 06 » venait d’être lancé sur le marché et remportait un foudroyant succès, commençant à annexer une après l’autre des versions du continuum. Ce qui éveilla dans l’esprit embrumé de Rimet quelques étincelles de… de… ?... quoi ?... yellow subtime domenach… la mélodie du bonheur dans les oreilles… mascotte… bip… acouphènes ?... bip… spoutnik ?... biiip… le bipper ! le bipper de Domenach !Rimet se précipita tant bien que mal.« Où tu vas ? » lui demanda JPP.« Laisse » lui dit Rimet qui, croyant à tort dans son état que la ligne droite est le meilleur chemin, renversa toute l’installation.« Des amateurs… » bougonna Chibonda.« Parce que » continua le dégingandé tout en remettant en ordre l’installation, « Cela signifie que KIC est au courant que nous avons envoyé monsieur Domenach voir les italiens voir les magiciens voir les comédiens qui arrivent au loin. »

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« Boris, c’est pas le moment avec tes conneries de blagues pataphysiques ! » fit le grand costaud.« C’est comme ça qu’on le branche ? » l’ignora Boris.« On sait pas, c’est toi l’ingénieur. »Chibonda leva les yeux au ciel, un plafond jauni de fumées.« Et s’ils savent pour monsieur Domenach, ils nous tiennent autant qu’on les tient sur la fraude Viera » commenta le juriste du Second Groupe, « Sans parler des autres missions… »« Ho non ! » s’exclama Boris devant une console, « Y’a encore un nouveau Subtime, « RD chante l’hymne italien à la finale du Mondial 2006 » ! »« Hein ? » fit Chib.Tout le monde regarda l’écran.« C’est pas lui… ! » ne voulait pas se rendre à l’évidence le grand costaud.« Le Marché s’amuse ! » prit peur Rimet, « My COB ! Le Marché s’amuse… »… qui se tenait la tête à deux mains (si vous le voulez bien, murmura Boris terminant le rétablissement des connex…).

Ailleurs, David Ginolia avait repris la parole devant les 98.« Je sais, c’est difficile à comprendre ces histoires de Subtimes, de Temps Détruits, de Passés à Taux Fluctuants… »« Tu nous prends pour des abrutis, David ? » demanda Marcel Dissailly.« C’est surtout difficile à croire » compléta Emmanuel Pitit.« Ben, on est là » dit Ginolia, « C’est déjà incroyable en soi. »Les 98 se regardèrent.« En admettant » reprit Deschomps, « De toute façon, en quoi nous pouvons »« Tu ne te sens pas concerné par la finale 2006 ? » l’interrompit Ginolia.« C’est pas ça ! Mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? Tu veux qu’on fasse quoi, grève ! »Ginolia fixa Deschomps.« Alors, c’est comme ça, Didier : chacun pour sa pomme comme d’habe… »« Tu nous oublies, David, tu seras gentil » rétorqua Ladèche.« Non, parce que quand même » revint à la charge Emmanuel Pitit, « Tout le monde avait pourtant l’air d’accord sur le fait que Zizou a striké l’italien… Aussi pourquoi des personnes censées en feraient-ils un enjeu financier : où est le doute, le suspens, où est le risque, et dès lors comment débouche-t-on sur un bénéfice ? »« Parce que c’est du foot » répondit simplement Ginolia, « Du foot, les gars… »« De plus » renchérit Hélène de Troie, « Ce que vous ne mesurez également pas c’est que, pour eux il y a enjeu : ils achètent de l’Histoire, ils achètent l’Histoire qu’ils veulent ou qu’ils pensent que la majorité voudra… seulement tout le

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monde ne veut pas de la même Histoire, ou pense qu’il ne s’agit pas de cette Histoire-là que veut la majorité, et ce, continuellement… c’est une forme de vos paris qui a évolué, ou de vos sondages, ou de vos votes, peu importe, un peu de tout ça… et les Ordinateurs tournent 24 sur 24 en Direct Relatif pour les majoritaires et donc au bout du compte pour i-KIC… le Second Groupe a d’ailleurs une expression à ce sujet : se faire KICquer. »Il y eut quelques esclaffements, mais Hélène resta imperturbable et poursuivit.« Et deux, si nous venons demander votre aide, c’est parce que vous êtes directement concerné : les chocs en retour vers le proche passé et le proche futur que produisent les Subtimes sur le Mondial 06 ne vous épargneront pas ; car si la structure du Temps s’écroule pour 2006 suite à une surexploitation, l’effet domino sera catastrophique : on pourrait même assister à une décadence. »Hélène jeta un coup d’œil rapide à David ; qu’est-ce qu’il attendait ?« Je sais » continua-t-elle, « Cela vous semble impossible, mais qui sait… ? »« Bref » commenta Youri Djorkayef, « Nous avons le choix entre la cellule bleutée de Simack ou une évaporation… »« Dis-leur, chéri. »Les 98 regardèrent Ginolia puis Hélène puis re-David.« Oui, dis-nous, chéri… » l’encouragea Deschomps tout sourire, « N’attends pas le dégel. »« En fait » commença Ginolia qui s’en voulait de se sentir ridicule, « C’est un peu plus… »« Quoi ? » se marra Barthiez, « Complicate… ? »« Non, chéri, ne me dis pas ça… ! » fit Deschomps.

RD s’apprêtait à de nouveau appuyer sur le bipper avec, cette fois, la ferme intention de laisser la touche enfoncée jusqu’à ce que les tympans de ce fumiste de Rimet éclatent, lorsqu’il se passa quelque chose.Où était-il ?Quand ?Encore un transfert imprévu.Il tournait sur cette mer temporelle, balloté.Il regarda autour.Assis sur le banc avec lui, Mankousky, Martigni, Duvergne… plus loin Greg Coupiet, Bomsong, Chibonda… ça va, il avait compris… il reconnaissait le stade, les deux équipes sur la pelouse : la finale.Est-ce que cela signifiait qu’il avait enfin trouvé le chemin ?

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Puis un court instant, il paniqua. Il vérifia : non, ça allait, il était en un seul exemplaire, pas d’autre Raymond Domenach en vue (au passage se demanda où était ce RD en ce moment ?) et de plus était à nouveau habillé décemment.Il se pencha en direction du banc italien : tout allait aussi de ce côté-là, leur ridicule mascotte habituelle trônant à sa place habituelle.« Les hymnes, ça s’est bien passé ? » demanda-t-il d’un ton dégagé à Mankouski.Mankouski pivota vers lui. On était en deuxième mi-temps, cela signifiait quoi cette question : l’équipe faisait un match formidable, Viera entrait dans cette défense italienne comme dans du beurre, la mettant au supplice et la désarticulant un peu plus à chaque montée, cette finale étant vraiment sa finale, cette année, son année.« Les hymnes… ? »« Laisse tomber, c’est que ça va alors. »Car dans le cas contraire, Mankouski aurait su de quoi il parlait.Le sélectionneur essaya de se remémorer à quel moment de la partie on se situait… à priori non loin de la blessure de Pat… ce qui lui sembla logique d’avoir émergé dans ces eaux-là…Qui donc disait que l’on meurt parce que l’on croit à la mort ? Et il décida de ne pas croire à la blessure de Viera.

Notes confidentielles.Ajoutons en annexe, dossier « Money time ».

A présent, RD, sur ce banc de la finale 06, partageait l’avis d’Albert Batteux : l’instant-clé était la blessure de Viera et il aurait dû tenter autre chose… Trizéguet.Sur le coup, énervé, frustré, les propos rapportés par Chib l’avait non seulement agacé mais aussi vexé : on le prenait encore pour une bille ! Comment un entraîneur d’une autre époque, d’un autre football, pouvait-il affirmer qu’avec Trizéguet y’aurait eu un meilleur dénouement ? Et il essaya de ne pas croire à la blessure de Viera.« Le score, on en est où ? » demanda-t-il.La mâchoire de Martigni se décrocha.« Raymond, ça va ? » fit Mankouski.RD regarda le tableau lumineux : 1-1 ! Il n’était pas dans la version débitée par David… ce qui lui sembla assez logique également.« Qu’est-ce que vous diriez de faire s’échauffer Chib et Vikash ? »« Dhorassou et Chibonda, Raymond ? » voulut confirmation Martigni.« En vue du remplacement de Viera, oui. »

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Martigni et Mankouski se regardèrent : Viera… ? Qui au même moment transperçait une énième fois le cœur du dispositif défensif adverse… Ils ne comprenaient plus : c’est-à-dire qu’ils comprenaient encore moins que d’ordinaire.« Comment Pat ? » finit par dire Martigni.En fait, celui qu’il faudrait, songea Domenach, c’est Djorkayef : il rentrerait et but du Snake, bonsoir tout le monde, ravi de vous avoir battus…Bien sûr que Batteux avait raison, doublement raison. Non seulement je m’étais trompé de...D’un autre côté, existaient Chib et Vikash…« Pourquoi ne sait-on pas perdre simplement ? » formula RD à haute voix, « 58, 82, 96, 2006… »Renforçant ainsi le désarroi de ses adjoints : c’est-à-dire qu’ils s’inquiétaient encore plus que d’ordinaire.Oser Trizéguet… ?Domenach se dit qu’il était sûrement sur le chemin, que de toute façon il n’avait d’autre choix que de se le répéter et patauger : osez osez Joséphine, osez osez Jos’et à cet instant, il se passa quelque chose.

Ailleurs, à la Bourse, Zidaine vit sur l’écran activé de la finale 06 Alou Diairra qui s’apprêtait à entrer sur le terrain.Depuis la retransmission en direct relatif dans la salle ovale, il avait eu le temps de repenser à tout ça.Il mesurait à présent combien Didier avait été un grand capitaine et ce que sa génération lui devait. Ce que Ladèche avait fait en finale de l’Euro 2000, lui n’avait pas su le faire… avait-il même envisagé un autre changement… !De toute façon, il n’avait rien fait. Chez Didier c’était sorti comme de l’air expiré. Il se tourna vers Simack.« Est-ce que j’ai le droit de lancer un Subtime ? »Simack le regarda surpris. Puis dit lentement (on voyait bien qu’il pesait le pour et le contre) : « Je ne… »« Oui ou non ? »Simack observa les écrans, puis jeta un œil à droite, à gauche : autour, l’info commençait déjà à filtrer.« Et quel Subtime voudriez-vous lancer ? » demanda-t-il très vite.« Gouvou Remplace Viera Blessé En Finale 06 »Simack hocha la tête.« Bien sûr, Sydney Gouvou… »« Alors ? » s’impatientait Zidaine.Un signal sonore retentit.

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« Désolé » fit Simack, « La question est réglée, c’est hors délais. »Sur l’écran, Diairra entrait, changement effectué.« Mais ça va repasser, non ? » dit ZZ, « C’est le principe même du direct relatif. »« Pas repasser, non » corrigea Simack, « C’est plus… »« Compliqué, oui, on sait. »

RD se réveilla en sursaut. Où était-il ?Il faisait nuit, assez clair grâce à une lumière de Lune, fenêtre ouverte, moustiquaire, air presque frais… quel affreux cauchemar, se dit-il.Il ne reconnaissait pas cette chambre.Il se leva et alla sur la terrasse.Dehors, dans l’obscure clarté, s’étendait en pente douce une pelouse agrémentée de massifs et de quelques arbres contenus à taille humaine.Sur la droite, une cour, sorte de parking visiblement, où se trouvaient garés plusieurs véhicules, dont un bus.Partout, en fond sonore, le chant perpétuel des insectes qui répétait sans cesse dans son esprit : voilà tu y es… voilà-tu-y-es… voilatuyé… comme lorsqu’en train on se met à associer involontairement au rythme répétitif du ramdam des roues une courte expression lancinante.C’était quoi ce cauchemar ?Il tenait en équilibre au bout d’une planche placée à une trentaine de mètres de hauteur, occupé à regarder un match… mais chose étrange voyait la rencontre comme s’il était assis sur le banc… l’équipe adverse composé de Schumacher dans les buts et en défense centrale de Matérazzi alors que lui ne disposait que de 23 Joncquet jouant à la marelle, sans compter Lippi qui lui souriait en gros plan depuis sa zone technique… lorsqu’il s’entendit déclarer à une meute de journalistes apparue il ne savait comment, comme flottant dans les airs : « Nous étions au bord de l’abîme, mais nous avons fait un pas en avaaaaaant !».A ce moment-là, il s’était réveillé, la respiration courte, de grosses gouttes de sueur à son front, avec cette idée en tête que jusqu’ici ça n’allait pas.« Tu ne dors pas, Raymond ? » fit-on dans son dos.Il se retourna.« Non, je… je profitais du calme… »« C’est beau l’Afrique du Sud, hein ? » lui dit Duvergne, s’accoudant à la balustrade.AFS ! CM 2010…Ca y est j’y suis, se dit-il, ça-y-est-j-y-suis, çaïéjissui, çaïéjissui… ils n’avaient pas menti : ça y était, il y était.

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Et plutôt 975 mille fois qu’une, entendit-il une voix dans sa tête.

Sur le terrain de la victoire de l’Euro 2000, Deschomps et Lemerce continuèrent leur discussion, un peu ivres, mettant cela sur le compte des péripéties de la finale.Le groupe 2000 venait d’être réimplanté à leur point de départ, dans ce qu’ils connaissaient le mieux : la gagne.« C’est marrant, j’ai un drôle de goût… la bouche… » fit Deschomps.Quelques joueurs trouvèrent dans leurs poches des petits bouts de papier avec dessus des messages sibyllins qu’ils jetèrent en haussant les épaules.« Didier, quand un ancien meurt, c’est une bibliothèque qui disparait. »Il était gai le Roger, la victoire le rendait joyeux, y’a pas à dire ; Ladèche se félicita de la décision prise : s’arrêter avant de gâtifier son football.

Confidentiel.Ne saisissons pas le sens de l’expression « et plutôt 975 mille fois qu’une ». Avons vérifié et avons trouvé l’expression approchante « et plutôt dix fois qu’une » qui s’employait aux XXème et XXIème siècles.Auriez-vous des précisions ?

Ailleurs, sur le terrain, deux équipes se mettaient en place.Aux commentaires, Thierry Rollond et Jean-Michel Liarqué ne se lassaient pas de parler du onze concocté par Albert Batteux.« Depuis quand monsieur Batteux n’a-t-il pas dirigé une équipe de France, Jean-Michel ? »« Je l’ignore, Thierry. Un bail, en tout cas… quoique chronologiquement parlant, il arrive direct de Suède. »« Et elle a de l’allure, non ? »« Absolument, Thierry. »« Je ne sais pas si tu partages mon avis, Jean-Michel, mais c’est une superbe idée que ce quatrième groupe participe au tournoi 96-06. »« Les Revanchards. »« Oui, les Revanchards : ça donne à voir ce que des joueurs formidables, écartés pour diverses raisons, auraient réalisé… une revanche, une réparation, une revanche sur le destin. »« Sans doute, Thierry. »« A ce propos, Jean-Michel, cette finale de Glasgow, vous ne l’avez jamais… ? »« Quoi, rejouée ! »« Oui. »

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« Impossible de te répondre, je ne m’en rappellerais plus de toute manière. Mais dans nos têtes, oui. »« Tu sais ce qui m’a fait le plus mal ? C’est après le match quand Beckenbauer a déclaré que sur le terrain il n’avait pas douté une seule seconde du résultat. »« Hé oui, Thierry… c’est ça la culture de la gagne. »« Je pense surtout qu’on avait pas vu le même match avec l’ami Franz. Enfin… Bon, écoute, vu les circonstances, je te propose que pour une fois nous détaillions d’abord le banc des remplaçants, qu’en penses-tu ? »« Oui. Alors comme gardien remplaçant… d’ailleurs il n’y en a qu’un… Litizi, Lionel Litizi. »« Cela semble logique, Jean-Michel, il y deux match au mieux à disputer. »« Ensuite, comme défenseurs remplaçants, nous avons Luc Sonor, Bruno N’Gotty, Julien Escudé. »« Albert Batteux a privilégié la polyvalence, non ? »« En partie, Thierry. Au milieu, il y a Vincent Guirin, Benoit Cauet, Sabri Lamouichi, Pierre »« Excuse-moi, Jean-Michel » le coupa Rollond, « Mais on me signale qu’il y aurait un changement de dernière minute au poste de milieu droit offensif pour l’équipe des Revanchards : Ludovic Giuly remplacerait Ibrahim Bia. »« Ha bon ? C’est confirmé, Thierry ? »« Ecoute… je… d’après ce qui se dit, il semblerait. »« Il est vrai que je trouvais l’échauffement d’Ibrahim Bia très prudent, pour ne pas dire inexistant… »« Oui, c’est confirmé, Jean-Michel : Giuly à la place de Bia. »« D’accord, c’est logique. »« Bon, Jean-Michel, continuons ce banc si tu veux bien : la suite des milieux remplaçants. »« Pierre Liagle, Yohan Micoud, et donc Ibrahim Bia. »« Une ligne de trois toute trouvée au besoin. »« Effectivement. Et pour finir les attaquants : Djibril Cissé, Tony Vairelles. »« Je ne sais pas si tu partages mon avis, mais c’est une liste qui permet de parer à grand nombre d’éventualités. »« Tout à fait, Thierry. »« Bien ! » entendit-on, rien qu’au ton, Thierry Rollond se frotter les mains, « Bien… ! Ce onze de départ, Jean-Michel, dis-nous tout… »Sur le terrain, à côté du rond central, DD 98 demanda à Maurice Guigue : « C’est quoi, ça, monsieur l’arbitre, ils sont deux capitaines, maintenant ? »En face de Deschomps se tenaient Eric Cantoma et David Ginolia.« Et alors, Didier, ça te dérange ? » fit Cantoma.

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ZZ 98 s’approcha : « Il parait que tu me cherchais, Eric ? »Du bord de la touche, Aimé Jacquet observait la scène. Comme il avait dit à son adjoint Roger Lemerce, on y était. Il se tourna vers Batteux, heureux de le voir là.« De toute façon, c’est avec ton grand frère Zizou 06 qu’on a rendez-vous au prochain match » répondit, à la place de Cantoma, Ginolia.« Hola hola, camarades ! » intervint Deschomps, « Doucement… Parce que ça, ça voudrait dire que j’aurais perdu deux fois… une fois en version 2 point trois zéro, et une fois maintenant… vous rigolez ou quoi ? »

Notes confidentielles.Nous trouvons confronté à des documents extrêmement parcellaires et dégradés, ainsi qu’à certains dossiers convenablement référencés stockés mais numériquement vides.Sommes d’ailleurs très étonnés.

Ailleurs, à la Bourse, RD avait rejoint Zinedine Zidaine et Simack, suite à un transfert.« Et à vous, qu’est-ce qu’on a fait miroiter, coach ? »« A ton avis ? » fit Domenach.« Je ne sais pas… de gagner… ? »« Oui, bien sûr, c’est ce qui parait évident… mais… ça n’aurait pas été assez »« Je sais » le coupa ZZ, « Compliqué. »« Juste avant votre venue, monsieur Domenach » intervint Simack, « Monsieur Zidaine s’interrogeait quant au bien-fondé d’introduire un Subtime. »« A ce sujet, c’est à vous que je dois ma performance de chanteur d’opéras italiens ? »Simack se mit à rire : « Non, ce n’est pas moi, c’est le Marché qui vous faisait marcher… ! L’occasion était trop belle. Mais, avouez, c’était cocasse, non ? Profitable et cocasse… »« Cocasse-couilles… ! »ZZ se marra.« Ca te fait rire, Zinedine ? »« Oui, coach, parce que je comprends que ça vous ait filé les boules. »RD regarda en arrière-plan le mur d’écrans… tous ces matchs de l’équipe de France… il se rapprocha de la demi de 1960… cette défaite à domicile… l’incroyable retournement de situation en faveur de la Yougoslavie… l’absence de Fontaine, le meilleur avant-centre du monde à ce moment-là… l’absence de Kopa… ça faisait beaucoup… beaucoup… notre gardien qui panique… Batteux à nouveau impuissant… beaucoup…

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« Ecoutez-moi bien, Simack : je n’ai pas abandonné l’idée de gagner la finale. »« Mais nous en sommes sûrs, monsieur Domenach. Nous en sommes même ravis, car tout dépend de quelle finale on parle… »RD se détourna de ce mur d’histoire : « Pardon ? »« En étant sélectionneur jusqu’au Mondial 2010, si vous acceptez nos conditions de vente, non seulement vous deviendriez le détenteur du record de nombre de match à la tête de l’équipe de France, avec au passage une qualification cadeau de bienvenu pour les phases finales de l’Euro 08, mais en plus, rien n’empêche d’envisager la victoire en 2010… »Zidaine regarda les écrans.« En option… » précisa Simack.« Lequel est-ce ? » voulut savoir ZZ.« Oui, où est-ce ? » renchérit RD qui louchait sur un RD sautant de joie.Simack leur sourit… il se rappela qu’en CM 74, Pelé dans les tribunes avait eu envi de rentrer sur le terrain pour aider ses compatriotes en pleine difficulté… et songea que le syndrome du revanchard fonctionnerait toujours.

En 2004, un Raymond Domenach indéterminé commença à effacer la date du rdv (rdv comme raymond-domenach-vainqueur insinueront des mauvaises âmes) sur ce tableau de fin juillet dans la salle des conférences de presse de la FFF (et non FFF ne signifie pas Forces Françaises Finalistes).

Ailleurs, à la Bourse, Zidaine comprit que Domenach était sur le point d’accepter, allait accepter, même s’il n’en disait rien… et que lui-même se retrouverait devant le fait accompli, embarqué dans… dans quoi au juste ?

Sur le terrain d’une finale, David Trizéguet ne savait plus : avait-il un tir au but à frapper… avait-il à rentrer à la place de Viera… avait-il à marquer… avait-il à…Et quelque chose d’imprévu arriva. Quelque chose de beaucoup plus grave, de beaucoup plus énorme, de beaucoup plus catastrophique que ce que le groupement Intemporel d’Ecologie du Continuum (GIEC pour les intimes) avait annoncé :le foot se mettait à fondrele fou se mettait à fondle fo se mettait au vraileWRI-WRI-WRIIIII… ! Un énorme coup de sifflet retenti dans l’Ailleurs et ailleurs et l’écho. Comme une fin de récréation.

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Parce que, okay, le Temps qui s’épuise comme du Pétrole, on peut s’en remettre, mais le vrai au fo au fou LE FOOT, ça, niet !

Notes préparatoires confidentielles concernant les points à négocier avant la Conférence sur la décennie 96-06 et ses conséquences sur le Temps.

1) David Ginolia et Hélène de Troie : peut-on les laisser convoler ? Ils s’aiment, d’accord, c’est bien joli, mais Paris ? Paris ! Y’a qu’à lui dire qu’il n’est plus le centre du monde.

2) Doit-on laisser Cantoma recruté par Rimet faire semblant de jouer le jeu de Simack, alors qu’en fait il compte retourner au resto tout déballer à Jacquet (serait-ce cause des pleurs) ?

3) Doit-on remettre dans son écrin la v.o. 2006 ? Et doit-on signaler les effets secondaires dus à trop de visionnages ?

4) Doit-on entériner l’annonce faite à Zidaine par Simack d’une dernière saison relative où il pourra jouer à son gré les matchs de son choix en dédommagement ? Ô le Brésil en quart et les passements de jambe du premier ballon… mais nous nous égarons.

5) Doit-on continuer à toujours parler du Temps alors que c’est de Foot dont on a envi de parler ?

6) Peut-on laisser gagner les Revanchards comme cela semble se dessiner au travers des diverses projections sans risquer d’envoyer le message que la revendication paie ?

7) Que faire de JPP et de Basile Boli, sachant que les recours au Tribunal Pénal Intemporel concernant les Subtimes 93-94 sont recevables ?

8) Doit-on intenter action envers Simack ?9) Doit-on intenter action envers Rimet ?10) … … …

Ailleurs, Hélène fit à David : « Chériii… »Mais David répondit : « Non, non, y’a du foot ! » FIN

Ailleurs, dans un canapé Chesterfield, canettes de bière à portée.« Mais jamais ! jamais ! j’aurais accepté » faisait la main sur le cœur RD, « Jamais… »ZZ le regarda.« Moi non plus, tu penses » dit Zidaine, « La perspective de pouvoir jouer, rejouer, et rejouer sans cesse sans me souvenir du résultat les matchs de mon choix, quelle horreur… ! »Les deux hommes se marrèrent.

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« Au foot ? »« Au foot ! » FIN

Les italiens fêtèrent leur victoire : ils avaient enfin vaincu leur bête noire, l’équipe de France, et redevenaient vingt-quatre ans après de méritoire champion du Monde.Dans un coin sombre, lunette foncée sur le nez, sourcils en bataille, chapeau sur la tête, col de gabardine remonté, un homme murmura : « Ca fait quand même chier… » pensant : j’ai parlé un peu vite. FIN

Ailleurs, à la Bourse, RD, dos au mur des écrans, était de toute façon coinçé. FIN

Ailleurs, le match Revanchards vs 98 débutait.Dans les buts : FreyEn défense : Angloma, Mexes, Alain Roche, Di MécoMilieux défensifs : Martin Djitou, Olivier DacourtCouloir droit : GiulyCouloir gauche : GinolaAttaquants : Cantoma, Anielka.Hélène, depuis des remparts, se dit que leur équipe avait fière allure.Et Batteux s’assit comme en Suède sur le banc (même s’il ne s’agissait plus de bancs).On leur avait dit que tout recommencerait. FIN

Ailleurs, Rimet, en contepartie de son abandon de l’activisme temporel, eut le droit d’organiser des Finales Mondiales Intemporelles (FMI pour les intimes). FIN

Ailleurs.« Putain, Raymond, t’avais raison » hurla Simack que l’on éjectait manu militari de la Bourse, « Ca fait vachement mal ! »« Quoi ? »« De se faire niquer ! » FIN

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Ailleurs, Pascal Chibonda, sous d’amicales pressions, ayant été choisi pour être le catalyseur temporel sous le double chaperonnage séparé de Simack et de Rimet, dut faire écrire des tas de petits mots et veiller à ce qu’ils se retrouvent dans pleins de poches afin que la loi de l’évolution fasse le reste.Et durant l’hiver 2006, pour être bien sûr qu’il serait à même de tenir ce rôle de catalyseur, on mit sur le bureau de RD un mot où était griffonné : « Surtout ne pas prendre Pascal Chibonda dans la liste des 23 ». FIN

En vente Subtimes.

Conclusions confidentielles à l’attention des Instances Supérieures.Attendu qu’il semble nécessaire un assainissement de la case 10 juillet 2010,Attendu qu’à la lueur de plusieurs sources, le coup de tête de Zidaine ne serait qu’une diversion de KIC destinée à faire croire que l’équipe de France a perdu suite à ce fait de match,Attendu que, même si éthiquement parlant le procédé de suggestion aux moyens d’indices troublants, tels des petits papiers, induisant chez le sujet une prédisposition au coup de tête, est moralement condamnable,Attendu qu’i-KIC possède des ramifications trop nombreuses et vitales pour notre propre cohérence spatio-temporelle,Attendu l’extrême tentation de concentrer notre attention sur Simack,

Ailleurs, Simack vit ses mémoires placées sous séquestres.

Conclusions confidentielles à l’attention des Instances Supérieures.Attendu, parallèle trop évident entre période de décadence et établissement du record RD,Attendu, autre parallèle qu’un fait refuse de disparaitre malgré les corrections automatiques et semble être plus têtu que la réalité majoritaire,Attendu que

Ailleurs. Urgent.Prise d’otages à la Bourse, stop. RD, main sur l’écran du 11 juin 2010, stop. Menace de tout chambouler, stop. Pied de Domenach sur écran finale 98, stop. Tête de Domenach sur écran 18 novembre 1981 et deuxième main sur écran 18 novembre 2009, avec menace de court-circuit, stop. Deuxième pied de Domenach sur écran Euro 2008, stop. Quéquette de RD sur écran finale 06, stop.

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Revendication Domenach : je m’en fous débrouillez-vous j’y étais j’ai gagné, stop et fin.

Confidentiel.Question : comment Raymond Domenach fait-il pour tenir sur ce mur lisse, glissant, et vertical, sans appuis ? Il lévite ou quoi ?

Clignota dans l’air du Temps : ATTENDONS VOS INSTRUCTIONS ATTENDONS VOS INSTRUCTIONS ATTENDONS VOS INSTRUCTIONS ATTENDONS VOS INSTRUCTIONS …

Zinedine Zidaine, donc, était sur le point de s’arrêter dans ce couloir le menant aux vestiaires après son expulsion, ça suffisait. Il allait faire un dernier pas et s’arrêter, basta !

Confidentiel.Nous préparons à renoncer à savoir pourquoi Aimé Jacquet est en pleurs.Acceptons.

Ca y est : ZZ s’arrêtait.« Hé Yazid, pourquoi tu t’arrêtes ? »Il sursauta. C’était dans sa tête. Comme tout à l’heure en début de match. Il se figea.Puis tout lui revint… l’Ailleurs, le tournoi, l’accident de voiture, les…« C’est bon, c’est okay » continua la voix dans sa tête, « C’est bon : bons matchs, que des bons, à ton choix… »Ils acceptaient !Sans même s’en rendre compte, il repartit aussi sec d’un pas décidé vers le vestiaire, ne prenant pas garde à l’image qu’il renvoyait et la façon dont cela pouvait être interprété.Dites à nos cœurs que nous marchions dans la légende pour qu’ils continuent de battre.Et il entra

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