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La Corse du jeune Bonaparte Manuscrits de jeunesse Présenté par Antoine Casanova

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Manuscrits de jeunesse

En couverture : Portrait de Napoléon Bonaparte, vers 1792.J. B. Greuze. Coll. particulière.

I L EST CLASSIQUE DE RAPPELER que Napoléon Bonaparte eutune enfance corse et une jeunesse française… Ses goûtspersonnels le portaient dans ses jeunes années vers l’his-toire, les sciences et les lettres, au-delà des arts de la guerrequi lui furent enseignés dans les écoles militaires qu’ilfréquenta.Le regard tourné vers son île natale, la Corse, il désiralongtemps que sa destinée lui fut mêlée.Les textes réunis ici, de sa plume, révèlent ces facettessouvent ignorées de la personnalité du futur empereur. Onpeut y lire les premières lignes d’un roman personnel, auxforts élans épiques, unique en son genre.

Antoine Casanova est docteur d’État. Il a longtemps

enseigné l’histoire à l’université de Franche-Comté.Directeur de la revue La Pensée, il est l’auteur deNapoléon et la pensée de son temps (Albiana/La Boutique de l’histoire, 2008).

12 €ISBN : 978-2-84698-324-2

Présenté par Antoine Casanova

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Note de l’éditeur

LES RAPPORTS DU JEUNE BONAPARTE à sa Corsenatale, les ef fusions sentimentales, parfoislyriques, aux dimensions complexes, qui parcou-

rent les écrits présentés ici, les transformations qui nemanqueront pas de se développer à partir de 1793, puisles récurrentes réminiscences teintées de nostalgie desannées d’exil à Sainte-Hélène, ne peuvent secomprendre et s’apprécier que replacés dans lescontextes historiques et personnels inédits et mouvantsde leur auteur. C’est là ce que permet, en partie, de situerla petite chronologie des années qui précèdent l’ascen-sion bien mieux connue du jeune lieutenant-colonel desvolontaires corses présentée dans les premières pagesde ce recueil.

Cependant, celle-ci ne saurait se substituer à l’ana-lyse qui se doit de replacer, au-delà de l’événementiel,la véritable profondeur , l’impact, la puissance del’ensemble des facteurs personnels, familiaux et cultu-rels qui furent à l’œuvre dans l’élaboration de l’hommeNapoléon Bonaparte et que laissent entrevoir sespremiers écrits. C’est Antoine Casanova, auteur d’unremarquable Napoléon et la pensée de son temps , quia bien voulu proposer une lecture fine de l’univers desexpériences sociales et intellectuelles qui semble avoirenveloppé la rédaction de ceux-ci : un univers fait depassions juvéniles souvent contradictoires, propres auxspécifiques fractures adolescentes de ce temps-là, maisenchâssé entre la période post-paolienne, pour la Corsevaincue, et pré-révolutionnaire pour la monarchiefrançaise d’Ancien Régime vivant ses dernières années.

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C’est ainsi dans une effervescence croissante, intense,mouvante et sur lui réellement incidente que ce jeuneCorse est alors pensionnaire des écoles militaires royalescontinentales, celle de Brienne, puis celle de Paris.

Nous avons par ailleurs choisi de reproduire lestextes proposés par Masson et Biagi dans l’édition de1927 des Manuscrits inédits – 1786-1791 en les expur-geant des notes archivistiques qui les accompagnent etdes variantes qu’ils ont répertoriées avec précision.Certains écrits qui ne concernent pas la Corse se trouventpar ailleurs dans l’original ; nous les avons aussi ôtés.Le lecteur pourra se référer avec profit à l’édition enquestion. Certains, lorsqu’ils ne portent pas de titredonné par le jeune Bonaparte, sont intitulés simplementpar leur phrase d’entame.

Enfin, nous n’avons pas inséré la correspondanceconnue qui émaille ces années de jeunesse (lettres à samère, son oncle, ses frères,…), laissant la part belle àces textes qui, à vrai dire, manifestent une nette unitédans leur diversité même : celle qui se lit dans l’intérêtréel que porta Napoléon à son île natale, passionnelle-ment, et dans l’énergie qu’il développa à sa défense…avant de poursuivre le cours de sa vie en des espacesimmensément élargis et dans le contexte des années1789 à 1815, soit – pour reprendre les mots deChateaubriand – « un quart de siècle équivalent àplusieurs siècles ».

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Quelques dates

17698 mai : Ponte Novu, les troupes de Pascal Paoli sont

défaites par les armées du roi de France. Paolis’embarque quelques semaines plus tard pour sonpremier exil en Angleterre. La Corse passe sous ladomination de la France monarchique, absolutiste etaristocratique.

15 août : Naissance de Nabulione au foyer de CharlesBuonaparte et Letizia Ramolino.

177113 septembre : La famille Bonaparte obtient sa

reconnaissance de noblesse.

17778 juin : Charles Bonaparte est élu député de la

noblesse, représentant de la Corse à Versailles.

177815 décembre : Charles le père, Joseph et Napoléon

les fils et Joseph Fesch le jeune beau-frère embarquentà Bastia pour le continent : Charles rejoint Versailles,les deux frères doivent aller dans les collèges pourlesquels des bourses ont été demandées. Fesch entreraau séminaire d’Aix.

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177915 mai : Après un passage par le collège Autun, puis

celui de Tiron, le jeune Napoléon entre à l’Écolemilitaire de Brienne, en classe de septième. Il n’a pasencore dix ans. Il y restera jusqu’en 1784.

1784Octobre : Napoléon arrive à l’École militaire de Paris.

178524 février : Décès de Charles Bonaparte.28 septembre : Après les examens de sortie (42e sur

58 promus), Napoléon est affecté au régiment d’artilleriede La Fère à Valence.

178626 avril : Premier écrit connu du jeune Bonaparte

« C’est aujourd’hui que Paoli … » (I).3 mai : « Toujours seul au milieu des hommes… » (II).9 mai : Il rédige une réfutation de Roustan, en

défense de Rousseau (III).15 septembre : Retour en Corse où il s’occupe des

affaires de famille.

178712 septembre : Napoléon repart de Corse pour Paris.22 novembre : Rédaction de la relation avec une

personne « du sexe ».

17881er janvier : Prolongation de congé obtenue pour six

mois ; Napoléon revient en Corse.

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QUELQUES DATES

Mai : Retour à Auxonne où son régiment estcantonné.

Octobre : Dissertation sur l’autorité royale.

1789Mars :– « Je n’ai d’autre ressource que le travail » (lettre

à son oncle Lucien).– Mémoire militaire sur l’artillerie.12 juin : Il écrit à Pasquale Paoli « Je naquis quand

la patrie périssait… »Septembre : Il quitte Auxonne pour un nouveau

séjour en Corse (nouveaux congés).31 octobre : Adresse à la Constituante pour « rétablir

les Corses dans les droits que la nature leur a donnésdans le pays ».

7 novembre : Le jeune officier d’artillerie se trouveà Bastia lors de l’insurrection populaire.

30 novembre : Saisie de l’adresse d’Ajaccio etinformée de l’insurrection bastiaise contre le comman-dant militaire qui veut maintenir l’Ancien Régime dansl’île, la Constituante, sur motion de Saliceti, vote ledécret qui proclame la Corse « partie intégrante del’empire français ». Elle décrète aussi, sur propositionde Mirabeau, l’amnistie pour Pascal Paoli et pour tousceux qui ont défendu l’indépendance de la Corse à sescôtés. Décrets annoncés à Bastia le 18 décembre.

1790Janvier-mars : Il participe à la campagne électorale.12 avril : Il est présent avec Joseph à l’assemblée

d’Orezza.

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16 avril : Demande de prolongation de congés.25 juin : Il rédige le mémoire justificatif de la mairie

à l’occasion de troubles.17 juillet : Retour d’exil de Pasquale Paoli, amnistié

par la Constituante. Le jeune Napoléon participe à sonaccueil.

Septembre : Il est présent à Orezza pour l’électiondes autorités insulaires.

1791Janvier : Il participe au club Globo opposé à

Buttafuoco, adversaire de Paoli.23 janvier : Il rédige sa « Lettre à Buttafuoco » (X).Février : Il rejoint Valence alors que son congé est

expiré depuis trois mois.8 février : Le jeune homme rédige ses « réflexions

sur l’amour ».Fin février : Il fait imprimer sa « Lettre à

Buttafuoco ».14 mars : Le lieutenant écrit à Pascal Paoli pour lui

adresser cette lettre et lui demander des documents pourrédiger une « Histoire de la Corse » : « L’histoire nes’écrit pas dans les années de jeunesse » lui répondraPaoli…

Septembre : Nouveau retour en Corse (pour lesélections à l’Assemblée législative ?)

16 octobre : Décès de l’oncle Luciano, l’archidiacre,qui laisse un héritage important.

30 octobre : Il ef fectue une demande pour obtenirle grade d’adjudant-major au sein d’un bataillon devolontaires corses.

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179215 février : Il rencontre Volney à Corte.22 février : Sa demande acceptée, Bonaparte doit

être versé dans le bataillon de la Garde nationale volon-taire. Mais un décret l’oblige en réalité à rejoindre sonunité dans l’armée avant le 1er avril.

Début mars : Il décide de se présenter au poste delieutenant-colonel du 2e bataillon de volontaires corsesdit « d’Ajaccio et de Tallano », notamment pour éviterd’avoir à réintégrer son unité (les lieutenants-colonelsen sont dispensés).

15 mars : Napoléon défie Jean Peraldi, son rival auposte, en duel.

31 mars : Napoléon fait enlever le commissaire dudépartement, chargé de la tenue des élections, et leséquestre chez lui.

1er avril : Napoléon est élu lieutenant-colonel ensecond.

8 avril : Ajaccio est le théâtre d’échauffourées. Lesvolontaires paysans veulent investir la citadelle, ce queleur refuse le commandant de la place.

16 avril : Napoléon rédige un mémoire justificatifsur les événements. Il se rend ensuite à Corte où sonbataillon est désormais cantonné. Joseph lui conseillede rentrer en France.

Début mai : Départ de Corse pour tenter de se faireréintégrer dans son arme, l’artillerie, et dans son régiment.

10 juillet : Il est réintégré avec le grade de capitaine.Fin août : Il décide de revenir en Corse pousser à la

candidature de Joseph à la Convention.15 octobre : Arrivée à Ajaccio en compagnie de sa

sœur Marianne. Il retrouve son bataillon à Corte.

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QUELQUES DATES

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179318 février : Début de la catastrophique expédition

de Sardaigne.28 février : Retour à BonifacioDébut mars : Tentative d’assassinat sur Napoléon

par des marins de l’expédition.Napoléon s’oppose à Paoli sur la question de la

séparation de la Corse d’avec la France révolutionnaire.2 avril : Paoli est déclaré hors la loi par la

Convention.27 avril : Nouveau complot pour tuer Napoléon.3 mai : Il est prévenu qu’il risque d’être arrêté s’il

se rend à Corte comme il en a l’intention. Une lettredans laquelle Lucien son frère se vante d’être à l’ori-gine du décret contre Paoli a en effet été interceptée.

5 mai : Il retourne à Bocognano ; arrêté, il réussit às’échapper avec l’aide de Santu Ricci (Bonelli).

6 mai : Il se cache à Ajaccio.9 mai : Il part clandestinement pour Bastia rejoindre

les commissaires de la Convention.Mai-juin : Tentative (infructueuse) pour reprendre

Ajaccio par la force, avec Saliceti, Lacombe Saint-Michel et Joseph.

23 mai : Départ de Letizia et mise à sac de la maisonBonaparte.

11 juin : Départ de Napoléon et des siens pourToulon.

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Rêveries, romances,raison et Révolution

dans les textesde Napoléon Bonaparte

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« Lorsque j’entrais au service 1, je m’ennuyai dansmes garnisons ; je me mis à lire des romans, et cettelecture m’intéressa, vivement. J’essayai d’en écrirequelques-uns, cette occupation mit du vague dans monimagination, elle se mêla aux connaissances positivesque j’avais acquises, et souvent je m’amusais à rêver ,pour mesurer ensuite mes rêveries au compas de monraisonnement. Je me jetais par la pensée dans un mondeidéal, et je cherchais en quoi il différait précisément dumonde où je me trouvais. J’ai toujours aimé l’analyse,et, si je devenais sérieusement amoureux, je décompo-serais mon amour pièce à pièce. Pourquoi et commentsont des questions si utiles, qu’on ne saurait trop se lesfaire2 ».

Ces paroles sont prononcées par NapoléonBonaparte au début du Consulat, à l’époque du campde Boulogne, devant Claire de Rémusat au cours

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RÊVERIES, ROMANCES, RAISON...

1. À la fin du mois d’octobre 1785, Napoléon Bonaparte âgé d’unpeu plus de seize ans reçoit son brevet de lieutenant en secondd’artillerie. Il quitte alors l’École militaire de Paris où (venantdu collège militaire de Brienne) il était arrivé le 19 octobre1784. Il « entre alors au service » en des garnisons ; à Valenced’abord.

2. Mémoires de Madame de Rémusat 1802-1808. Paris, 1880(3 volumes), vol. I, p. 267-268. Claire de Rémusat, jeune femmede la noblesse ralliée avec son mari à la France nouvelle, faitalors partie de l’entourage de Joséphine et du Premier Consul.

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des soirées où parfois, ils dînent en tête-à-tête 3. Lesremémorations du Premier Consul renvoient aux années1785 à 1789. « Rêveries » qui projettent le jeune hommedans un « monde idéal » et hors de l’ordre social «féodal» dominant, analyses critiques, confrontation de ces« rêveries » au « compas » du raisonnement, et parailleurs essais d’écriture romanesque s’entrelacent enun mouvement complexe.

Ces processus vont, de manières diversifiées, semanifester dans les textes qu’écrit le jeune officier danscette deuxième moitié de décennie 1780 puis dans lecontexte de l’émergence et du cours de la Révolution.Il en va ainsi sur le terrain des types de construction et,par ailleurs, des modes d’écriture de notre personnage.Ils sont visibles (j’y reviendrai) de toute autre façon,dans ses paroles. Les premiers de ces textes de jeunessede dimensions littéraires, ethno historiques, philoso-phiques ou politiques ont été écrits par le lieutenant ensecond entre 1786 et 1791. D’autres sont de 1793 ( LeSouper de Beaucaire), de 1794 (la célèbre Note sur laposition politique de nos armées) ou de 1795 (l’ébaucheromanesque Clisson et Eugénie).

Ces manuscrits ont été retrouvés et publiés parFrédéric Masson4 à la fin du XIXe siècle. Parmi les dix

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3. Au camp de Boulogne, écrit-elle « à six heures Bonaparte entraitet alors il me faisait appeler . Quelquefois il donnait à dîner àquelques-uns des militaires de sa maison ou au directeur desponts et chaussées qui l’avaient accompagné. D’autres fois nousdînions en tête-à-tête et alors il causait d’une multitude dechoses ».

4. Frédéric Masson et Guido Biagi, Napoléon inconnu, Papiersinédits (1786-1793). Accompagnés de notes sur la jeunesse deNapoléon (1769-1793) par Frédéric Masson. Paris, 1895 tomeI

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textes présentés ici au lecteur, huit5 ont été rédigés entrele printemps 1786 et 1789. Les deux autres6 sont écritsdans un contexte de plus en plus profondément marquépar le développement et l’accentuation multiforme etcomplexe des contradictions et conflits entre Révolutionet Contre-Révolution.

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RÊVERIES, ROMANCES, RAISON...

(510 pages) ; tome II (535 pages). Le tome I présente lesmanuscrits I à XXVI ; le tome II, les manuscrits XXVII à LX.Clisson et Eugénie , essai romanesque rédigé en 1795, n’a pasété publié par Masson. On le trouvera notamment in J. Tulard,Œuvres littéraires et écrits militaires de Napoléon. Paris, 1968,tome II. Cf. aussi les analyses de Nadia Tomiche, Napoléonécrivain. Paris, 1952, p. 96-98. Une première édition de cet essairomanesque avait été publiée en 1929 et une seconde en 1955(dans le Nouveau Femina). En 1979, A. Coelho in NapoléonBonaparte. Œuvres littéraires (Clisson et Eugénie, Dialogue surl’Amour, Le Souper de Beaucair e, Nouvelles et autr es textes).Éd. Le Temps Singulier, présente aussi en annexe le texte deClisson et Eugénie avec les ratures de Bonaparte. Réédition en2007 par Émile Berthet et Peter Hicks. Paris. Éd. Fayard.

5. Citons ces manuscrits avec les titres sous lesquels ils ont étépubliés par F. Masson. Soit ici le manuscrit I (Sur la Corse, 30avril1786) ; II (Sur le suicide, 3 mai 1786) ; III (Réfutation de la« Défense du christianisme » par M. Roustan, le 9 mai 1786); V(Sur l’histoire de la Corse, novembre 1787) ; VI (Parallèle entrel’Amour de la Gloire et l’Amour de la Patrie, novembre 1787) ;VII (Théodore à Milord Walpole ; Milord Théodore, fin 1787 ouannée 1788) ; XXXV (Nouvelle Corse, 1789). Le texte XXXVIest de nature différente. Il s’agit d’une véritable lettre adresséepar Bonaparte à Giubega (greffier en chef des états de Corse) enjuin 1789. Espérance (face aux développements inattendus quisurviennent avec les États généraux) et colère (avec la crainte dene voir rien changer en Corse) s’y mêlent. Cf. NapoléonBonaparte, Correspondance générale publiée par la FondationNapoléon, tome I « Les apprentissages 1784-1797 ». Paris, 2004(1460 pages), lettre n° 28.

6. Soit le manuscrit XXXVII (Lettre sur la Corse à l’abbé Raynal.Deuxième moitié de l’année 1789-1790) et le manuscritXXXVIII (Lettre à Buttafuoco, janvier 1789).

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La gamme des lectures, des pôles d’intérêt, desthèmes et des contenus auxquels renvoie l’ensembledes manuscrits de ces années est très vaste. De dimen-sions conceptuelles multiples, cet ensemble est marquépar les apports des dif férentes facettes de la philoso-phie des Lumières. L ’influence de Rousseau y estlongtemps prépondérante, non exclusive et inséparablede réélaborations personnelles7.

Cette très nette prédilection pour Rousseau n’estcependant pas exclusive, soulignons-le encore, de lalecture d’autres auteurs (Montesquieu notamment) et dutravail sur d’autres chantiers. Les cahiers du lieutenanten second le montrent8 : l’histoire ancienne de l’Orient,de la Grèce, de Rome, celle des peuples d’Europe (ceuxde France, Angleterre, de Florence, de Corse) au Moyen-Âge et aux XVe, XVIe, XVIIe et XVIIIe siècle ; l’histoire aussides peuples et des civilisations du monde arabo-musulman, d’Asie, d’Amérique, des deux Indes 9. Seschantiers de lectures, de réflexion, de notes, sont alorsaussi ceux de la biologie (particulièrement autour duproblème du vivant), de la balistique, sans oublier , lesquestions d’économie, de politique ou de philosophie10.

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7. Sur ces aspects et ces attitudes, cf. A. Casanova, Napoléon et lapensée de son temps. Une histoir e intellectuelle singulièr e.Réédition Paris Ajaccio, 2008. Éd. Albiana-La Boutique del’Histoire (324 pages). Cf. aussi A. Casanova, « Un adolescentcorse et J.-J. Rousseau : Napoléon Bonaparte dans les années1780 » in Actes du colloque de Bastia « Rousseau, la Corse etla Pologne (5 et 6 octobr e 2007) », Études corses, n° 66, juin2008, p. 197-211.

8. Cf. A. Casanova, Napoléon et la pensée de son temps , op. cit.,première partie, chapitres I, II, III et IV.

9. Ibidem, chapitres II et III.10. Ibidem.

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Ces manuscrits des années 1785 à 1789 mêlent etassocient, sur des modes très inégalement accentués d’untexte à l’autre et dans le même texte, un complexeéventail de thèmes et références. Il en va ainsi des écritsqui sont présentés ici : rêveries et méditations person-nalisées (tels les manuscrits I et II), analyses et démons-tration de dimensions philosophiques et politiquesconduites avec précision, rigueur et ampleur de vue (lemanuscrit II est ici éclairant), références diversifiées, etaux traits mouvants, à la Corse (cf. les manuscrits I, II,V, VI, VII, XXXV). Une place notoire revient aux pagesde prises de notes qui se prolongent en réflexionscritiques du système social, politique et idéologique« féodal » (cf. le manuscrit VI). De manière plus large,on voit cheminer et s’amplifier , au long des feuilles etdes années, la mise en cause des systèmes politiques,des hiérarchies sociales, des idéologies théologiques,matrices et supports de l’inégalité des droits dans lesmondes de l’Antiquité, des « deux Indes » (Asie etAmérique), des sociétés et des civilisations arabo-islamiques, de l’Europe et de la France médiévale etmoderne. Réflexions, « rêveries », lectures et prises denotes peuvent aussi se prolonger en se transformant enesquisse11, ou en véritable essai, de constructionromanesque12.

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RÊVERIES, ROMANCES, RAISON...

11. C’est ainsi que le manuscrit VI écrit en novembre 1787,développe une comparaison critique entre l’amour de la gloireféodale, aristocratique et l’attitude héroïco-civique (dansl’Antiquité, pendant ka Révolution anglaise ou dans la Corse dePaoli) inspirée par l’amour désintéressé de la patrie. Il y a enmême temps dans le texte une esquisse de roman par lettres àl’instar de la Nouvelle Héloïse.

12. Il en va ainsi dans le manuscrit XIX (Le comte d’Essex. Nouvelleanglaise) écrit en liaison avec les prises de notes (du livre deJ. Barow, Histoire d’Angleterr e nouvelle et impartiale .

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De 1789 (et plus nettement, on le verra, à partir dumois de juin) à 1791, ces entrelacements de thèmes etde références ne disparaissent pas. Ils sont cependantmarqués d’inflexions neuves. Elles s’ancrent dans lesinterrogations, les renouvellements de perspectives liéesà l’intensification des processus de la Révolution,notamment en 1791. Puis aussi à l’amplification consi-dérable de leurs enjeux et dimensions de 1792 à 1795,et, dans les années ultérieures, à l’échelle de la France,de l’Europe et de la Méditerranée.

** *

Il ne s’agit guère dans les pages qui suivent derésumer ou de paraphraser les thèmes et les contenusdes dix textes du jeune Napoléon Bonaparte présentésici. Chacun pourra en prendre connaissance. Je voudraisplutôt essayer de permettre aux lecteurs de mieux cerneret percevoir les racines et les cheminements des niveauxet des types d’expériences inséparablement biogra-phiques et historiques qui se condensent et s’entrecroi-sent dans les manuscrits qu’écrit cet adolescent corse,devenu lieutenant en second d’artillerie, dans le contexteirréductiblement spécifique des années 1785 à 1791.

La recherche sur ce chantier et l’étude même desdocuments évoqués plus haut doivent, autant que fairese peut, éviter le piège d’une lecture des textes, desmots et des traits même de la vie des sujets humainsde ce temps, qui soit inconsciemment habitée par des

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Traduction française, Paris, 1772 (12 vol.), objet du manuscritXVIII. Ou encore, sur d’autres modes, des nouvelles, « Lemasque prophète » ou « Nouvelle Corse » (manuscrit XXXV).

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modes anachroniques de compréhension. Il en vad’autant plus ainsi qu’au cours du XVIIIe siècle, et, plusintensément encore après 1789, s’opèrent des transfor-mations historiques et anthropologiques profondes.

La recherche dispose ici de trois ensembles dif fé-rents de sources historiques.

Soulignons d’emblée l’irremplaçabilité du premierensemble. Il s’agit des cahiers évoqués plus haut et surlesquels l’adolescent lieutenant en second, prend desnotes (souvent assorties de commentaires) sur les textesqu’il lit. Il y présente parfois aussi, ses propres réflexions,ou même on l’a vu d’assez brèves productionsromanesques.

Le deuxième ensemble est constitué par les parolesdes conversations de notre personnage : celles desannées d’avant l’exil, puis celles 13 de Sainte-Hélène.Ces documents, sont les seuls 14 qui permettent (et il y

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RÊVERIES, ROMANCES, RAISON...

13. Sur la relation de ce type de conversations avant 1815, cf. notam-ment Claire de Rémusat Mémoires (publiés en 1880 par sonpetit-fils). Paris. Éd. Calman-Levy (3 vol.). Cf. aussi Mémoiresdu général de Caulaincourt . Paris, 1933. Éd. Plon (3 vol.).Données parfois aussi éclairantes in Mémoires de MarchandL’île d’Elbe et les Cent Jours (vol. I). Paris, 1952. Éd. Plon. Levolume II (publié en 1955) concerne les années de Sainte-Hélène.Sur les conversations et paroles de ces années de 1815 à 1821,nous renvoyons aux principaux mémorialistes qui ont été présentsà Sainte-Hélène : Las Cases (Emmanuel), Mémorial de Sainte-Hélène. Paris, 1983. Éd. Flammarion (ces textes vont de juillet1815 à décembre 1816 –seulement). O’ Méara (Barry), Napoléondans l’exil, nouvelle édition avec présentation de notes de PaulGanière. Paris, 1993. Fondation Napoléon (2 vol.). Ce journalva d’août 1815 à la fin de juillet 1818. Gour gaud (Gaspard),Journal de Sainte-Hélène (1815-1818). Paris, 1847 (2 vol.).Général Montholon, Récits de la captivité de l’emper eurNapoléon à Sainte-Hélène . Paris, 1847 (2 vol.). Les récits

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a là une nette différence avec les textes dictés par l’empe-reur et destinés à la publication 15) de cerner et decomprendre les caractéristiques des positions deNapoléon Bonaparte au niveau philosophique, ou encorecelles de ses réflexions en matière de compréhensionde l’histoire des sociétés humaines. L’écoute attentive,la compréhension historique et critique de ces parolesrapportées par Las Cases, O’Meara, Gour gaud,Montholon, Marchand et (sur un mode de distanciation

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de Montholon sont plus lacunaires et incertains que ceux desautres mémorialistes. Bertrand (Henri-Gratien), Cahiers deSainte-Hélène, vol. I (1815-1817). Manuscrit déchiffré et annotécomme ceux des autres volumes par Paul Fleuriot de Langle.Paris, 1951. Éd. Sulliver. Volume II (1818-1819) et volume III(janvier-mai 1821). Paris, 1959, Éd. Albin Michel. Ces cahiersdu général Bertrand n’ont été déchiffrés qu’après 1945. Ils sontceux qui relatent les paroles de Napoléon (qu’elles concernentdes objets de portée philosophique ou politique ou des sujetsd’apparence futile ou d’allure délirante) sans apprêts ni mise enscène littéraire et avec le plus de précision. Cela sur un modeoù Bertrand (même lorsqu’il s’agit des fantasmes sexuels del’Empereur, y compris ceux qui portent sur Madame Bertrand)note les paroles avec clarté… et distanciation. Ce que n’osefaire aucun des autres témoins lorsqu’ils relatent les paroles deNapoléon. Sur ces différents types de sources, cf. A. Casanova,Napoléon et la pensée…, op. cit. p. 7-20.

14. Nous citerons les mémorialistes de Sainte-Hélène avec lesabréviations suivantes : Las Cases : LC I ou II ; O’ Méara : OM Iou II ; Gourgaud : G I ou II ; Bertrand : B I, II ou III ; pourMontholon : Mo I ou II ; pour Marchand : Ma I ou II.

15. Cf. Mémoire pour servir à l’histoire de France sous Napoléon,écrits à Sainte-Hélène par les généraux qui ont partagé sa capti-vité et publiés sur les manuscrits entièr ement corrigés de samain. Paris, 1823 &1824. Tome 1 à 6. Une grande partie destextes publiés dans ces Mémoires a été reprise dans les Œuvresde Napoléon I er à Sainte-Hélène in Correspondance deNapoléon Ier publiée par ordre de l’Empereur Napoléon III.Imprimerie nationale, 1859, tomes XXIX, XXX, XXXI, XXXII.

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désintéressée et de précision dans l’enregistrement ànul autre comparable) par Bertrand, peuvent tout à lafois compléter, prolonger et éclairer les données quenous procurent le troisième et composite ensemble desources. Entendons les notes de lectures, les écrits (histo-riques, stratégiques, politiques). Et enfin la correspon-dance16 qui se rattache à la jeunesse, puis aux autresépoques de la vie de notre personnage.

Les « impressions de ma jeunesseme restent ancrées et fort tenaces »Les significations conscientes et inconscientes qui

tout à la fois entrent en interactions et se cristallisent(au sens stendhalien du terme) dans les textes dès ladécennie 1780 et (jusque fort tard) dans les paroles deNapoléon Bonaparte condensent trois types d’expé-riences personnelles, sociales et ethno-historiques.

Premier niveau qui (infléchi, modifié) réapparaîtsans cesse dans les références à la Corse : celui desannées de l’enfance en Corse. N’en évoquons rapide-ment17 ici que quelques traits majeurs.

Les séquences et les thèmes des paroles entenduesdans l’enfance seront objet de réélaborations et parailleurs d’une durable et multiforme prégnance dans le

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16. Outre l’édition de la Correspondance du Second Empire citéeci-dessus, cf. récemment Napoléon Bonaparte Correspondancegénérale, publiée par la Fondation Napoléon en plusieursvolumes à partir de 2004. Pour la période de l’enfance, de l’ado-lescence, de la Révolution, cf. tome I, Les apprentissages 1784-1797. Paris, 2004 (1460 pages). Tome II, La campagne d’Égypteet l’avènement 1798-1799. Paris, 2005 (1270 pages).

17. Pour une approche plus spécifique, cf. A. Casanova, « Unadolescent corse et J.-J. Rousseau », art. cit.

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cours des évolutions de Napoléon Bonaparte de 1779 à1789, puis de 1789 à l’exil. « Les impressions que j’aireçues dans ma jeunesse me restent ancrées et forttenaces » observera l’empereur devant Bertrand 18 le12 décembre 1818. En ses retours de réflexion et d’ana-lyse vers les dif férents moments de son existence (cequ’un jour de juin 1816, il appellera le « roman de savie19 »), Napoléon situe dans son enfance à Ajaccio, dansles paroles alors entendues et dans l’expérience alorsvécue, certaines des racines de ses ultérieures capacitésà comprendre les réalités ethno-historiques les pluscontrastées : « J’ai été très bien élevé par ma mère, diraNapoléon à Bertrand un jours de mars 1819, je lui doitbeaucoup. Elle a sagement influé sur mon caractère […].Elle me donnait l’orgueil et me prêchait la raison […].La guerre civile de Corse et ensuite la française, aumilieu de laquelle j’ai été élevé et dont j’ai tant entenduparler dans ma jeunesse m’ont donné beaucoup d’idéessur les peuples conquis. Cette île de Corse, si éloignéde la civilisation de l’Europe, si différente de la barbaried’Afrique [c’est-à-dire au sens d’alors “la Berbérie”,l’Afrique du Nord], a ouvert des fenêtres dans mon intel-ligence et m’a fait entrevoir d’autres rapports20 ».

C’est un autre versant de cette globale et tenaceprégnance qui se trouve associée à la figure du grand-oncle, le chanoine Luciano. Tard et longtemps, lesparoles du chanoine remontent aux lèvres de Napoléon.À Sainte-Hélène, elles apparaissent maintes fois dans

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18. B II, 12 XII 1818.19. « Et Napoléon a gardé le silence quelques instants, la tête appuyée

sur une de ses mains. Puis se réveillant “Quel roman pourtant mavie !!” » a-t-il dit en se levant. L.C.I. 30 VI 1816, p. 893.

20. B II, 12 III 1819.

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les conversations que relatent Las Cases, Bertrand,Gourgaud « Mon grand-oncle chanoine, contrôlait notrefortune », dit-il à Gour gaud le 27 juin 1817.« Heureusement, ajoute-t-il, car mon père qui voulaitfaire le grand seigneur eût tout dépensé. Il faisait desvoyages à Paris fort dispendieux ». Un net écart s’ins-taurera plus tard entre les manières de penser duchanoine et celles du jeune Napoléon, élève of ficierpuis lieutenant en second, devenu témoin, observateur,acteur, qui participe en réflexion et en action auxprocessus immenses et intenses qui traversent leroyaume dans ces années de crise rebondissante etprérévolutionnaire. Mais le grand-oncle Luciano a étéaussi comme un père et grand-père, celui qui berçaitl’enfant de contes et d’histoires à l’arrivée de la nuit.C’est cette figure que dans la pénombre de la tombéedu jour, revoit l’adulte de Sainte-Hélène : « L’empereur,observe Bertrand, reste ordinairement sans lumière,une demi-heure ou une heure et quelquefois plus, aprèsla chute du jour . Il continue ainsi la conversation. Ilaime ce défaut de jour . Cela lui rappelle le temps deson enfance, où son vieil oncle, entre chien et loup, luicontait des histoires de soldat21 ».

« Quel roman pourtant que ma vie ! » (Sainte-Hélène,30 juin 1816) : Histoire sociale et roman familialLes traits, les étapes du mouvement historique

d’ensemble et leurs rapports avec la Corse dans ladeuxième moitié du XVIIIe siècle, et le royaume deFrance ne peuvent être ici que très allusivementrappelés. C’est dans le contexte de ce mouvement telqu’il s’est déroulé avant 1769 que Napoléon Bonaparte

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21. B II, 1820, p. 453.

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vient au monde. Ce contexte22 devient par ailleurs celuidu développement puis de l’intensification de la crisemultiforme (et aux traits spécifiques en Corse) dusystème social et politique aristocratique et absolutiste.C’est dans le cadre de cette évolution que se déroulentl’enfance et l’adolescence de notre personnage. Dansces vingt années il sera acteur , revenons-y, sujet etspectateur de trois types d’expériences.

Le premier type d’expérience est celui de l’enfanceà Ajaccio, avant le départ en décembre 1778 et notam-ment des rapports de ce gamin avec les séquences deparoles entendues dans l’environnement familial. Àtravers ce premier type d’expérience, l’enfant entre enl’un de ses premiers modes de connaissance et de parti-cipation aux mouvements des rapports sociaux (enCorse, dans le royaume), notamment, ceux qui ontprécédé sa naissance et, par ailleurs ceux qui accom-pagnent son adolescence. Cette entrée en rapports seconstitue jusqu’à neuf ans à travers les deux versantsde la médiation familiale. Celui des paroles qui tout àla fois relatent, qualifient les personnes et/ou les actes,et infléchissent les données et les significations desprocessus ; celles aussi des traits des figures despersonnes qui se dessinent dans l’écoute et la récep-tion par l’enfant des mots, des propos, des récitsd’actes, des scènes, relatés dans le cours de l’histoirefamiliale ; ou de son « roman familial », pour reprendre

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22. Pour une approche d’ensemble cf. notamment A. Rovere etA. Casanova, Peuple corse, Révolution et Nation française(1789-1830). Paris, 1979. Éd. Messidor ; A. Casanova etA. Rovere, La Révolution française en Corse . Paris, 1989,Bibliothèque historique Privat (316 pages) ; A. Casanova, Identitécorse, outillages et Révolution française . Paris, 1996. Éd. duCTHS (539 pages).

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une notion et des termes qui, originellement, nousviennent de Freud. Ils ont été l’objet plus tard desréflexions de Jacques Lacan23. Cette problématique estaujourd’hui de plus en plus envisagée hors des facilitéset des illusions des projections anachroniques tropsouvent en œuvre. Elle est mise en constantes relationsavec la connaissance de l’ethnohistoire des rapportssociaux où se situent les sujets humains et leursfamilles. Dans ce cadre, cette problématique peuts’avérer profondément éclairante. Les recherches deMarc Soriano 24 l’ont montré. Les études de cesdernières années le confirment25.

L’importance des paroles entendues par Napoléondans le cours de son enfance a été perçue avec finesse

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23. Voir le texte de Sigmund Freud – à comprendre lui-même dansle contexte historique de son temps – « Le roman familial desnévrosés », in Névrose, psychose et perversion. Paris, 1973. Éd.PUF, p. 157-160. Voir aussi les réflexions de Jacques Lacan,« Le mythe individuel du névrosé », conférence de 1953 publiéedans Ornicar, 1979, n° 17-18, p. 290-306.

24. Marc Soriano Les contes de Perrault. Culture savante et culturepopulaire. Paris, 1977. Éd. Gallimard.

25. Sur le renouvellement des recherches sur ce chantier cf. parexemple les études sur le cas de Freud lui-même en son temps(celui du système social, politique, idéologique dominant dansl’empire austro-hongrois), ses découvertes et, inséparablement,ses traumas ; et aussi des élaborations profondément éclairantessur les processus inconscient de pensée de Freud lui-même dansle contexte de son temps, notamment ses lettres des années 1930sur Napoléon (à Thomas Mann et à S. Zweig) ; ou encore dansses rêves et dans les différents niveaux de ses interprétations deses propres rêves, cf. ici notamment Carl E. Schorské « Politiqueet parricide dans l’interprétation des rêves de Freud » in Viennefin de siècle . Paris. 1983. Éd. du Seuil (p. 177-197) ; NicolasRand et Maria Torok, Questions à Fr eud. Paris, 1998.Éd. Flammarion ; et Bernard Doray , « Un événement éthique

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