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Corpus documentaire Famille Résal © Résal Lettre n°1 Bordeaux - 14-18 octobre 1914 JULIE à MERIEM Je reçois ta bonne lettre de lundi, et ce matin j’en ai eu de mon grand Salem, dimanche. Son capitaine venait de lui apprendre la mort de votre pauvre frère, et lui a dit gentiment que lorsqu’il en aurait envie, qu’il vienne causer avec lui comme à un ami.. On sent qu’il a du chagrin, mais il nous donne de bonnes paroles réconfortantes, et on le sent plein de courage. Il est à Craonne. De Paul aussi, j’ai une lettre toujours bien gentille,. Nous avons passé la soirée de samedi et tout dimanche à causer longuement, et j’en étais revenue remontée. Ton Papa est parti hier soir pour Orange, après avoir télégraphié pour être sûr d’y trouver l’adjudant de Younès qui le renseignera sur la mort de notre pauvre fils. Tu ne peux te faire une idée de la quantité de lettres et de marques touchantes que nous recevons, mais tout cela ne nous enlève pas notre chagrin. Vous n’êtes pas trop toutes deux avec vos grands-parents. Certainement que je serais heureuse de vous revoir, mais de vous savoir réunis là-bas, me tranquillise, en attendant que les circonstances permettent que nous nous retrouvions.

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Corpus documentaire

Famille Résal © Résal

Lettre n°1

Bordeaux - 14-18 octobre 1914

JULIE à MERIEM

Je reçois ta bonne lettre de lundi, et ce matin j’en ai eu de mon grand Salem, dimanche. Son

capitaine venait de lui apprendre la mort de votre pauvre frère, et lui a dit gentiment que

lorsqu’il en aurait envie, qu’il vienne causer avec lui comme à un ami.. On sent qu’il a du

chagrin, mais il nous donne de bonnes paroles réconfortantes, et on le sent plein de

courage. Il est à Craonne.

De Paul aussi, j’ai une lettre toujours bien gentille,. Nous avons passé la soirée de samedi et

tout dimanche à causer longuement, et j’en étais revenue remontée.

Ton Papa est parti hier soir pour Orange, après avoir télégraphié pour être sûr d’y trouver

l’adjudant de Younès qui le renseignera sur la mort de notre pauvre fils. Tu ne peux te faire

une idée de la quantité de lettres et de marques touchantes que nous recevons, mais tout

cela ne nous enlève pas notre chagrin.

Vous n’êtes pas trop toutes deux avec vos grands-parents. Certainement que je serais

heureuse de vous revoir, mais de vous savoir réunis là-bas, me tranquillise, en attendant que

les circonstances permettent que nous nous retrouvions.

Ce matin, j’ai encore eu un mot bien gentil de Salem, qui me dit de ne pas me tracasser si je

ne reçois rien de lui, qu’ils sont au calme, qu’il a reçu un canon tout neuf, et qu’ils ne

peuvent pas toujours écrire comme ils le voudraient.

Après déjeuner, nous avons eu la visite de Georges Maringer, de passage à Bordeaux. Il

repart demain pour sa triste mission ; lui et ses collègues, ont visité la Marne et la Seine et

Marne. Il frémit encore des horreurs qu’ils ont constaté avoir été commises dans certaines

localités, surtout dans les villages où le feu a été mis systématiquement par les Allemands

qui s’enfuyaient , quand ils en avaient le temps. Mais nous, disait-il, ce qu’il y a de

réconfortant, c’est de voir le calme des populations, résignées et dignes. Personne ne se

plaint, ne gémit, ne demande quoi que ce soit, mais tous ceux qui le peuvent se remettent à

travailler. Les soldats français vont à tour de rôle dans les tranchées, où ils s’installent pour

vingt quatre heures, puis sont relevés la nuit, et s’en vont en arrière où ils sont cantonnés

dans des sortes de gourbis que leur ingéniosité rend presque confortables. Ils sont bien

nourris et ils n’ont pas de malades ; les autobus leur rendent de grands services pour le

ravitaillement, les routes sont encore très bonnes malgré tous les véhicules qui ont passé

dessus.

T’ai-je dit que le capitaine Lanrezac, qui est à l’Etat-Major de ...(Chérifa le sait), a comme

secrétaire un simple soldat que nous connaissons tous bien : HANSI ! Henri et lui, sont deux

amis, pleins d’espoir et de résolution.

Jean Descubes est blessé ; il a écrit à Paul, de Dijon, où il a pu être transporté chez ses

parents.

Lettre n°2

Bordeaux - 4 Novembre 1914

JULIE à SALEM

Ta longue lettre de douze pages m’est arrivée hier et m’a fait un plaisir que tu devines. Je

n’ai pu t’écrire hier et causer avec toi comme tu me le dis si gentiment, mon pauvre grand.

Quand donc ce plaisir de causer ensemble autrement que par lettre nous sera-t-il

donné ?Mais ne nous plaignons pas, il nous sera accordé un jour. Je te disais que je n’ai pu

t’écrire, c’est que j’ai reçu par Lili à qui son frère l’a envoyée pour me la remettre, une petite

carte si touchante que j’en suis émue et ébranlée à un point que je ne peux exprimer. Sur ce

petit carton est dessiné une petite Lorraine à genoux, priant devant une tombe placée sur le

haut et au bord d’une colline. Sur cette tombe surmontée d’une inscription et du képi de

celui qu’elle renferme, est posée une couronne de fleurs liée avec un ruban tricolore. Au bas,

la plaine très étendue et dans le fond, au-delà des bois qui forment l’horizon, les premiers

rayons d’un soleil levant. Dans le ciel, au milieu de ces rayons, on aperçoit, comme une

apparition, la cathédrale de Strasbourg sur laquelle flotte un drapeau français. Sur

l’inscription de la tombe on lit :

Ci-gît le sous-lieutenant Younès RESAL

mort pour la France

Septembre 1914

et au bas de ce petit paysage paisible et si émouvant, la signature de Hansi 1914.

Que te dire de plus ? J’ai écrit à Henri Lanrezac1 comme je l’ai pu, pour lui dire mon émotion,

mais comment remercier d’une chose semblable. Je lui envoie la photographie de Younès,

qu’il la remette à Hansi, ainsi qu’une lettre de notre pauvre disparu écrite le 7 août à André

Boucher et que celui-ci très affectueusement m’a envoyée ces derniers jours, car elle

contient des pensées si hautes qu’il a tenu à ce que je les lise. Il y parle de toi et des craintes

qu’il a à ton sujet et finit en disant : « Si Hansi pouvait aller voir son vieux père en terre

française ! ». J’ai donc envoyé cette lettre qui sera certainement ce qui touchera le plus cet

homme si sensible qu’est Hansi, mais nous l’avons copiée afin de la garder cette lettre de

notre pauvre enfant. (…)

Je relis ta lettre, tu me dis que tu aurais du plaisir à serrer la main à Hansi ! Si il a le bonheur

de retourner à Colmar en terre française et nous de vivre encore, je te promets que j’irai lui

faire une visite là-bas, et je compte bien que tu m’accompagneras.

Lettre n°3

Bordeaux - ( ?) novembre 1914

JULIE à PAUL

Je reviens de chez Lili Grivot* qui, venue pendant que j’étais sortie, m’avait priée d’aller la

voir, et j’en rapporte un petit dessin de Hansi, envoyé par Henri** Lanrezac. Je ne puis te

dire combien j’en suis émue.

Une petite Lorraine prie sur une tombe, où elle vient de déposer des fleurs liées avec

un ruban tricolore, un képi surmonte le poteau ; dans le fond, la plaine d’Alsace, et dans le

ciel, la cathédrale de Strasbourg, surmontée d’un drapeau français, vue dans les rayons d’un

soleil levant.

1 Le commandant Henri Lanrezac est le fils du général Charles Lanrezac, à la tête de la Vé armée en août 1914,

et limogé en septembre 1914 en raison de sa mésentente avec le général Joffre

Pauvre Younès, s’il avait pu voir cette carte, qu’on ne peut regarder sans pleurer, quelle

émotion il en aurait éprouvée, lui qui terminait sa lettre écrite le 7 août à André Boucher,

par ces mots : « Si Hansi pouvait aller voir son père, en terre française ! »

* Fille du Général Lanrezac.

** Fils du Général Lanrezac

Lettre n°4

Chaumes 10 novembre 1914

MERIEM à JULIE

Hier, j'ai reçu un télégramme de Paul Latouche me disant que le chauffeur de l'auto, sur

lequel je comptais, ne voulait aller que jusqu'à Sens seulement. Alors, j'ai expédié Chérifa

hier soir sur Paris, elle a du y arriver aujourd'hui. Elle ira de suite trouver mon oncle Jean

Resal et lui demandera s'il lui est possible de nous conduire avec son auto de Sens à la Ferté

comme il avait proposé de le faire. Si ça va , c'est parfait. Si ça ne va pas, je me débrouillerai

autrement et me tirerai toujours d'affaire.

Si tout va comme je le voudrais, nous partirions donc après-demain à 6 h du matin dans une

bonne auto fermée. Nous arriverions à Sens vers midi et nous serions à la Ferté vers 4 h du

soir.

Je pense sans cesse au petit dessin de Hansi et à notre cher Youyou. C'est si touchant une si

jolie pensée !

Lettre n°5

Au front - 14 novembre 1914

SALEM à JULIE

Je reçois ta lettre du 4 novembre, bien longue et émouvante, bien longue et émouvante.

Ah ! ma pauvre Maman, je t’en prie, ne pense pas trop à ce pauvre Younès... Ce dessin de

Hansi est admirable, et je n’ai pu y tenir ; mais mets-le bien de côté, ce dessin, tu le

retrouveras ensuite avec plus de calme, ça t’aviverait trop les souvenirs. Ne penses pas trop

à moi, non plus ; nous sommes très heureux, presque, sauf la bile qu’on peut se faire ; on a

quelques suppléments de ravitaillement, on peut même se procurer du camembert et du

chocolat, à un petit village : Moulin, prés de Paissy, et on ne maigrit pas, on engraisserait

plutôt. Ne pense à moi que quand tu m’écriras. (…)

Lettre n°6

Bordeaux - 19 Novembre 1914

JULIE à SALEM

(…) Je t’avais dit qu’en remerciant Henri Lanrezac je lui ai envoyé une lettre de Younès ainsi

que sa photographie pour Hansi, car dans sa lettre du 7 Août il m’en parlait. Henri m’a écrit

longuement me disant que cette phrase avait beaucoup touché son ami qui le chargeait de

me rendre cette lettre mais gardait la photographie. Son petit dessin est près de mon lit avec

la photographie de notre pauvre Younès et tu ne peux te figurer combien cela me fait du

bien de les regarder. Ce petit dessin est si réconfortant, on sent que notre pauvre disparu n’a

pas donné sa vie inutilement. (…)

Lettre n°7

Bordeaux - 26 Novembre 1914

JULIE à SALEM

(…)Depuis hier, nous recevons par les journaux d’excellents nouvelles des Russes, le rouleau

à vapeur semble bien écraser les Allemands, cela va peut-être les obliger à déloger de chez

nous.

Mériem m’a apporté de La Ferté la dernière carte que mon pauvre Younès m’a écrite ; à la

fin il me dit qu’il vient de recevoir de moi une carte et une lettre, et ajoute-t-il : « j’ai donc

de vos nouvelles à tous et cela me fait un bien grand plaisir ! ». Tu n’as pas idée de ce que

cette dernière phrase m’a fait du bien, j’étais si navrée que mes lettres ne lui parviennent

pas. Chérifa est inquiète de la carte postale avec photo de Hansi que je t’ai adressée. Elle me

charge de te demander de la jeter et déchirer car si tu étais blessé et fait prisonnier, en

voyant cette brave figure sur toi, les Allemands te tueraient. Je connais quelqu’un que tu sais

bien, la marraine de notre pauvre Youyou et son frère qui vont faire ce qu’ils pourront pour

obtenir qu’on lui donne la Légion d’Honneur. Je ne doute pas qu’ils y réussissent. (…)

Lettre n°8

Au front - 30 novembre 1914

SALEM à MERIEM

Ah ! cette photo du dessin de Hansi ! Tu ne peux t’imaginer combien de fois j’ai pensé à lui

depuis que nous sommes partis, et combien, après le vide de ce pauvre Younès, ça m’émeut

de voir ce dessin ; et c’est peut-être parce que j’ai dit à Maman de ne pas trop le regarder

que vous avez supposé que je doutais de son courage. En ai-je manqué à ce moment ? Mais

j’ai pleuré, et je n’y pense toujours qu’avec émotion.

Tu sais, j’en ai vu des types anéantis par ces sacrées marmites, et vraiment, le devoir bien

accompli, il n’y a qu’à s’en remettre à la destinée. J’ai eu peur aux premières, il y a

longtemps, mais quand on n’y peut rien, on est d’une indifférence extraordinaire, obus ou

balles, pourvu qu’on soit à son poste pour avoir la conscience tranquille. Pour le reste, je

disais à Maman qu’il ne fallait pas trop se tracasser sur mon compte, car, sauf le risque et la

vie rude, on n’est pas malheureux, on vit sales comme des brutes à bons sentiments, et on

attend avec une patience inaltérable, mais on se dit toujours : est-ce pour aujourd’hui,

demain ou plus tard, la poussée en avant, et la fin ?

Lettre n°9

Bordeaux - 19 Décembre 1914

JULIE à SALEM

(…) Mme Lanrezac m’a apporté il y a deux jours, envoyé par son fils, une image prise dans le

livre de Mon Village, avec la signature de Hansi dans la marge et au-dessus : « A Madame

Resal, Hommage affectueux » et sur le côté, toujours dans la marge il a dessiné une tête

d’Allemand et écrit dessous : Celui qu’on ne verra plus dans mon village. - Je ne sais s’il se

doute le brave homme du plaisir qu’il me fait et je ne sais comment l’en remercier, mais ce

que je sais bien c’est que ma visite sera une de celles qu’il recevra dans les premières,

lorsqu’il sera chez lui dans son village, après la paix. Il faudra avoir de la patience, ce sera

long. (…)

Lettre n°10

Bordeaux 15 janvier 1915

JULIE à SALEM

(…)Tu fais bien de parler de Hansi et de le faire connaître ; je te crois qu’il a lutté et souffert

de vexations odieuses, c’est je crois plus pénible que de se battre, et depuis la mobilisation il

s’est engagé dans l’armée française comme simple troupier et est à Epinal. Il vient de passer

adjudant. Pour le faire connaître aussi et répandre ses bonnes pensées j’ai envoyé à Jules

deux livres de Mon Village en lui demandant, après les avoir lus, d’en porter un à chaque

école d’Etang, en demandant au directeur des garçons et des filles de le lire à leurs élèves et

de leur faire voir les images. J’ai reçu deux lettres, l’une de l’institutrice et l’autre de

l’instituteur me remerciant chaudement. (…)

Lettre n°11

Bordeaux 28 Février 1915

JULIE à SALEM

(…)Je t’envoie aussi les statuts de la ligue contre les Allemands et Autrichiens dont ton Papa

et moi nous mettons. J’oubliais de te dire que le n° de « L’Illustration de Noël

habituellement, a paru seulement il y a huit jours, consacré entièrement à la guerre et très

joli avec photographies et dessins. L’un est de Hansi, c’est la bataille de la Marne

transformée en jeu d’enfants, entre petits Allemands et Français où ces derniers bousculent

ferme les premiers. (…)

PS (…) Si tu savais comme le joli dessin d’Hansi me fait du bien à regarder quand j’ai tant de

chagrin en pensant à mon pauvre Younès !...

Lettre n°12

Bordeaux - 5 Mai 1915

JULIE à SALEM

(reprise le 6 mai)

(…)J’ai reçu une bien gentille lettre de Jeanne Gratiot aujourd’hui, mais comme tu es en

correspondance avec Boulot, tu dois être au courant de ce qu’elle me raconte. Je n’ai plus de

nouvelles de Hansi car Henri Lanrezac a quitté Epinal. Mériem m’a écrit qu’il est du côté de

Pont-à-Mousson. Récemment pendant une reconnaissance je crois, il a tué un officier et fait

prisonnier les deux hommes qui l’accompagnaient. (…)

Lettre n°13

Bordeaux – 31 mai 1915

CHERIFA à JULIE

(…)Ton cadre pour le dessin de Hansi est arrivé cet après-midi, je le trouve tout à fait

bien ; on n’a pas laissé la facture, j’irai donc demain en demander le prix.(…)

Lettre n°14

Bordeaux - mercredi 3 Juin 1915

CHERIFA à SALEM

Mon vieux Salem,

Je suis honteuse quand je pense que je t’écris si rarement ; mais tu sais, je pense à toi quand

même et c’est parce que je suis toujours par monts et par vaux et que lorsque je rentre il est toujours

tard que je trouve difficilement le temps d’écrire. Mais tiens, je t’ai fait ces jours derniers des papiers

de photos prises par Louis et des suppléments de tes pellicules pour tes hommes afin qu’ils en aient à

peu près tous pour envoyer chez eux. A ce propos, maintenant que je sais tirer des papiers, lorsque

tu en désireras de certaines photos, ne te gènes pas pour me le demander. Parmi celles que je joins à

cette lettre se trouve la photographie du beau petit dessin de Hansi que Louis a pris il y a 8 jours. Il

est à peu prés une fois et demi plus grand que cette photo, et il manque les couleurs ; mais tu verras

quand même combien il est beau et touchant. Regarde bien et tu verras la cathédrale de Strasbourg

et le petit drapeau au-dessus de la tour coupée. (…)

Lettre n°15

Bordeaux – vendredi 5 juin 1915- matin

CHERIFA à JULIE

Ma chère maman,

Je te remercie bien de ta bonne grande lettre. Oui, cela me fait bien du chagrin de

savoir que ce pauvre Jean Borne vient d’être tué. Voir tous ces braves garçons qu’on a

toujours connus disparaître, c’est dur. Mais ne te préoccupe pas de moi, je suis très prise et

n’ai pas un instant : à ce propos j’ai envoyé à Salem ses souliers avec des affaires dedans ; je

lui ai écrit et ai mis quelques photos dans ma lettre dont celle du dessin de Hansi. (…)

Lettre n°16

Bordeaux – vendredi 11 juin 1915

CHERIFA à JULIE

(…) Donne de ma part cette photo du petit Hansi à Mériem en l’embrassant bien fort

pour moi ; Je n’ai pas encore pu lui écrire parce que je suis très bousculée ; je ne peux pas

arriver à faire tout ce qu’il faudrait. (…)

Lettre n°17

Au front - 14 juin 1917

LOUIS à JULIE

(…)Le pays d’Hansi est extrêmement beau et séduisant. On se demande comment il y a eu des gens

assez fous pour donner ce pays aux Boches en 70, car s’il y a un pays bien français c’est celui-là. Je

reconnais constamment les paysages d’Hansi : un petit village avec chaque maison entourée de son

jardin ou verger, et avec le clocher tout fin et très pointu ; et autour la plaine, avec des arbres pas

mal, et les Vosges violettes qui dessinent leur profil assez arrondi sur le ciel embrasé par le coucher

du soleil. (…)

Lettre n°18

Au front - 15 juin 1917

LOUIS à MERIEM

Je t’écris pour te dire deux choses : la première c’est que je désirerais vivement recevoir mes souliers

et mes bandes molletières si tu les as reçus ; la seconde, c’est que je t’ai envoyé par Renon un petit

mouchoir en dentelle de Luxeuil que je trouve très joli et que j’ai acheté à ton intention : voudras-tu

me dire si tu l’as reçu et comment tu le trouves ? Ecris-moi aussi si Paul a été opéré et si maintenant

il est guéri.

Tu ne peux pas te faire une idée de ce que le pays d’Hansi est beau.. Je le savais beau mais je ne me

l’imaginait pas aussi séduisant. Il me plaît dans les détails ; il est vert ; dans les villages les maisons

ont des grands toits qui dépassent de beaucoup les murs et sont très inclinés, ce qui leur donne une

allure très gracieuse. Les maisons sont placées très irrégulièrement par rapport à la route, et toutes

sont entourées de jardins, séparés de la route par une barrière ou un mur d’un mètre de haut à peine,

si bien qu’on voit très bien dedans. Il y a des acacias et du chèvrefeuille qui embaument, et toute

cette verdure entoure tellement bien les maisons qu’on croirait chacune d’elle au milieu d’un parc.

Musée Hansi © Musée Hansi

Les images de Mon village ceux qui n’oublient pas (images de 1 à 7)

Les images numérisées sont tirées du fac-similé réalisé d’après l’exemplaire de luxe N°97 de l’édition

de 1913.

© Editions L Nuée Bleue / DNA, Strasbourg

Image 1

Image 2

Image 3

Image 4

Image 5

Image 6

Image 7

Image 8

Mon village, ceux qui n’oublient pas, Henry Floury, Paris, 1913

332 x 244, reliure cartonnée toilée, 35 pages. Il existe une édition de luxe tirée à 100 exemplaires

numérotée avec double suite des gravures en noir sur papier de Chine ; en feuilles sous emboitage. A

été réédité en 1920 avec un épilogue.

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 9

Illustration dans Histoire d’Alsace racontée aux petits enfants de France et d’Alsace par oncle Hansi,

page 13, 1912,

Pierre-Marie Tyl, Marc Ferro, Tomi Ungerer, Georges Klein, Le grand livre de l’oncle Hansi, 1982,

Editions Herscher, Paris et S.P.A.D.E.M. pour les illustrations de Hansi

Image 10

Carte postale « La prière en Alsace à la mémoire d’un ami mort», 1915

(P.et J Gallais éd., Paris)

Pierre-Marie Tyl, Marc Ferro, Tomi Ungerer, Georges Klein, Le grand livre de l’oncle Hansi, 1982,

Editions Herscher, Paris et S.P.A.D.E.M. pour les illustrations de Hansi

Image 11

Cartes postales. Celle du heut « Gretel » celle du

bas « Lorraine », 1916

Edité par P. et J. Gallais – musée Hansi

Pierre-Marie Tyl, Marc Ferro, Tomi Ungerer, Georges Klein, Le grand livre de l’oncle Hansi, 1982,

Editions Herscher, Paris et S.P.A.D.E.M. pour les illustrations de Hansi

Image 12

Carte postale, « Ils sont morts pour la patrie », 1918

(P.et J Gallais éd., Paris)

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 13

Le piou-piou mal ficelé, 1914 - Musée Hansi

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 14

Portrait photographique de Hansi, 1915

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 15

Hansi posant en uniforme, Epinal 1915 Musée Hansi

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 16

Hansi dans les tranchées à la Chapelotte (Vosges), 1915. Photo parue dans l’hebdomadaire

L’Illustration

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 17

Hansi fait officier de la Légion d’honneur, Colmar, 1920

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 18

L’Histoire Alsace racontée aux petits enfants par l’oncle Hansi, Henry Floury, Paris, 1912

280 x 353, reliure cartonnée toilée, 100 pages, images par Hansi et Huen. Il existe une édition de

luxe tirée à 50 exemplaires sur vélin d’Arches avec double suite des gravures en noir sur papier de

Chine ; en feuilles sous emboitage. A été réédité en 1913 et en 1919 sous un format réduit, 208 x

266, 107 pages. Les cinq premières planches couleur de l’ouvrage ont été légèrement modifiées

entre l’édition de 1912 et celle de 1913.

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 19

Lithographie « Prière en Alsace à la mémoire d’un ami mort », 1915 Format de l’image : 363 x 256

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

Image 20

Avis à la population, Hansi engagé dans l’armée française est déclaré traitre à la patrie (allemande).

Toute personne qui tentera de lui prêter main forte sera fusillée, 1914

Reproduite dans l’ouvrage de Yannick Scheibling et Roland Muller, Tout Hansi, La nuée bleue, DNA

Strasbourg, 2009

L’Illustration, 17 juillet 1914 (article et dessin)

Le procès de « Mon village »

La condamnation à un an de prison de Hansi, coupable d’avoir, selon les termes du jugement,

« excité les Alsaciens contre les sujet d’origine allemande qui habitent les pays annexés », par la

publication de son charmant album Mon village, vient de montrer, une fois de plus, à quel point les

Allemands sont incapables non seulement de s’assimiler ou d’attirer, mais même de comprendre les

populations alsaciennes et lorraines sur lesquelles pèse leur joug : la voix de ceux qu’ils oppriment

n’éveille en eux qu’une rage forcenée, une aveugle fureur. Qu’une Haute Cour de justice ait frappée,

avec cette dureté, un dessinateur pour des images dont le sens et l’esprit lui manifestement

échappé, qu’un procureur ait présenté leur auteur « comme un apache professionnel de l’insulte »,

que la vengeance germanique se soit exercée de cette basse manière, cela nous paraît véritablement

stupéfiant. Il nous semble que Hansi, le bon Hansi à la verve si fine et si plaisante, a été jugé par de

lourds Barbares qui ne l’ont point entendu.

C’est l’arrêt d’incompétence prononcé le 17 mai dernier par la chambre correctionnelle de Colmar,

qui a amené le 9 juillet, l’artiste alsacien, inculpé de haute trahison, devant le Tribunal d’Empire de

Leipzig. La haute trahison, les magistrats la cherchèrent péniblement durant les longs et confus

débats du procès, qui fut le procès de Mon village. Ils avaient sous les yeux des exemplaires de

l’album de Hansi, dont un interprète, assis en face d’eux à une petite table, traduisait le texte. Et

pendant plusieurs heures, on les vit, penchés sur les feuillets, examinant laborieusement chaque

dessin dont d’insignifiants détails parfois les arrêtaient, s’acharnant à y trouver des intentions

dangereuses, à y découvrir les preuves du « crime » imputé à l’accusé…

Dans son réquisitoire, le procureur impérial déclara abandonner le chef de haute trahison ; mais il

retint le délit d’offense au peuple allemand, et d’excitation à la révolte, tombant sous le coup de

l’article 131 du Code pénal, qu’on n’avait encore jamais appliqué aux Alsaciens-Lorrains. En vain, les

deux avocats de Hansi, Me Paul Helmer, de Colmar, et Me Drucker, de Leipzig, demandèrent-ils

l’acquittement. Le tribunal dont l’opinion était faite, condamna l’auteur de Mon village à un an de

prison. « L’ouvrage du caricaturiste alsacien disait le jugement a été publié à un moment où

l’opinion était fort surexcitée dans le pays d’empire, et où la moindre impulsion pouvait provoquer

des incidents graves… L’accusé est aussi coupable d’insultes aux corps des instituteurs et aux

gendarmes ».

Hansi avait quelques jours de liberté avant de se constituer prisonnier. Las, épuisé physiquement et

moralement, mais non découragé, le vaillant artiste a gagné la France. « La jurisprudence établie à

présent par la Haute Cour de Leipzig, écrivait-il, cette semaine, dans une lettre douloureuse,

adressée de Belfort, au Figaro, rend impossible la lutte telle que je la menais en Alsace… Ce jugement

nous supprime nos dernières libertés et il est plus grave par ses conséquences que n’importe quelle

loi d’exception. Des épreuves plus cruelles, plus dures que les précédentes sont réservées à notre

pauvre pays. On vient de serrer le billon jusqu’à l’étouffement. Chez nous ce sera le silence – et c’est

d’ailleurs qu’il nous faudra dire à l’Europe notre souffrance, notre douleur, notre révolte contre

l’injustice et la barbarie ».

La bataille de la Marne, par Hansi, 25 février 1915

L’impartial, 22 mai 1914