construire sa mort v2 attias-donfut

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1 Construire sa mort ou la mort sublimée Par Claudine Attias-Donfut Avec les contributions de Sophie Bobbé, Majda Cherkaoui et Michèle Fellous Etude réalisée pour la Fondation des Services Funéraires de la ville de Paris Novembre 2015

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Construiresamortoulamortsublimée

Par

ClaudineAttias-Donfut

Aveclescontributionsde

SophieBobbé,MajdaCherkaouietMichèleFellous

Etuderéaliséepourla

FondationdesServicesFunérairesdelavilledeParis

Novembre2015

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TabledesMatièresRemerciementsIntroductionetsynthèseClaudineAttias-DonfutLesimmigrésAfricainsetlamortC.Attias-DonfutLesMusulmansdeFranceetlamortMajdaCherkaouietC.Attias-DonfutLamortdanslemondeJuifC.Attias-DonfutCourantsmodernistesdanslemondecatholiqueC.Attias-DonfutetMichèleFellousLesprotestantsetlesritesfunérairesenFranceClaudineAttias-DonfutLamortdansl’universdesBahà’ìsClaudineAttias-DonfutRitesfunérairesdanslesikhismeClaudineAttias-DonfutHindouismeSophieBobbéBouddhismeSophieBobbé

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RemerciementsCette étude a été réalisée, dans le cadre du centre EdgarMorin, pour la Fondation des Services Funéraires de laVille de Paris. Notre gratitude va au Directeur de laFondation,FrançoisMichaudNérardpoursonsoutienàsaréalisation, ainsi qu’aux membres de son équipe qui ontapportéuneaideprécieuseàlaréalisationdesentretiens.Edgar Morin a apporté son appui à ce projet, qu’il soitchaleureusementremercié.Notrereconnaissancevaà tousceuxquinousontaidésàmeneràbiencetteétudeetànousouvrir lesportespourentrer en contact avec des acteurs des différentescommunautés, et en particulier Glynis Cousin, SophieMénard, Sophie Nizard, Ranjit Singh, Alain Rozenkier,FlorenceTaubman.MerciégalementàJocelyneOhana,duCentreEdgarMorin,pour sa contribution à enrichir la documentation de cetravail.Enfin nos remerciements s’adressent à toutes lespersonnes,dedifférentshorizons,quisesontprêtéesauxentretiensetgrâceauxquellescetteétudeapuêtremenéeàbien.

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ConstruiresamortoulamortsubliméeClaudineAttias-DonfutIntroductionLesétudesmodernesautourdelamortsesontmultipliéesauXXIesiècle,alimentéesparlesquestionsd’actualité, levieillissement de la population, la médicalisation de lamort, les soins palliatifs, les débats sur l’euthanasie… cedéveloppement concerne autant ses dimensionsontologiques et bio-anthropologiques que socioanthropologiques 1 , et témoigne d’une véritable«révolution de la mort», comme la nomme FrançoisMichaud-Nérard2.L’abondancedelalittératureàsonsujetdémontre, s’il en était besoin, que l’on ne peut guère‘évacuer’ la mort, ni la dénier, selon la thèse largementrépanduedanslesannées1973,sansqu’elleneressurgisseavec force et s’impose à la réflexion. La mort reste unthèmeomniprésent.«Le rite funéraire pourrait bien constituer la brècheanthropologique,ceparquoil’hommeaccèdeàl’humain»écritLouisVincentThomas4.Laritualisationdelamortestuniverselle, elle représente un des signes les plus1Voirparmid’autres‘L’encyclopédiedelamort’,s/DirF.LenoiretJPdeTonnac,Lamortetl’immortalité,Bayard,2004;etGaëlleClavandier,Sociologiedelamort,ArmandColin,20092François-MichaudNerard,LaRévolutiondelaMort(2007).3PhilippeAriés,1977,L’hommedevantlamort,Paris,Seuil4L.V.Thomas,1975Anthropologiedelamort,Paris,Payot

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archaïquesde l’humanité5.Communsà toutesociétémaisd’uneextrêmediversité,lesritesetrituelssetransformentaucoursdutempssous l’effetdesnombreuses influencesqui les traversent. Ainsi les coutumes antérieures àl’implantationdesreligionsdominantesontplusoumoinspersisté dans les traditions imposées par ces religionsmalgrélachassedesgardiensdesdogmesauxsurvivancespaïennes.Cestraditionssesontconstammentenrichiesdenombreuxemprunts culturelsdonton retrouveencore latrace.Maisjamais,aucoursdel’histoire,ilnes’étaitproduitceàquoi on assiste aujourd’hui au sein des sociétésdémocratiques, laïques et plurielles, à savoir cetteconcentration des diversités religieuses et rituelles dansunmême espace, et qui se dévoile particulièrement dansles pratiques funéraires. Ce phénomène historiquementnouveau tient à la globalisation et à l’intensification desmouvements migratoiresen Europe qui ont produit auXXIe siècle une co-existence inédite de multiples ritesreligieuxetethniques,originairesd’unegrandepartiedelaplanète, une juxtaposition dans un même espace dediverses formes de sépultures, une concentration desmythes et symboles autour de lamort, venus de tous lescontinents.Cekaléidoscopefunéraireaétérendupossiblepar la laïcisation des sociétés démocratiques etl’instaurationdelalibertédeculte.Enmême temps, un changement important se manifestedans la progression rapide de la crémation:Demoins de1%en1980,lacrémationaconcerné20%desobsèquesen5L’acted’enterrerlesmortsestundescritèresdedatationdel’apparitiondel’Homme.Lespremièressépulturesdupaléolithiqueremontentà100000anssouslaformed’untumulusdepierres.

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2002, et 33% en 2012 et représente en 2015 plus de lamoitié des préférences des Français pour leurs propresfunérailles.EnEuropeduNord,lacrémationconcernaiten2003 plus de la moitié des décès avec unmaximum de72%auDanemarkCe phénomène s’inscrit dans le contexte d’unetransformationdespratiquesetdescroyancesreligieusesetdurapportàlamortquis’exprimenotammentdansunemutationdurapportaucorpsmort:«Amicheminentrelapersonneetlachose,juridiquementdotéd’uncaractère«sacré»,objetd’appropriationconcurrentesentreclergé,pouvoirpublicetfamille, lecadavreestcetêtrecomplexequifaitl’objetdelaprestationdesservicesfunéraires»6Ce thème a été développé dans un récent volume de larevue Communications consacré aux traitements etreprésentationsdes corpsmorts. Ces «chairs disparues»ontuneprésence«quenousnevoulonsplusvoir,maisquineselaissepassiaisémentoublier»7Cevolumedévoiledemultiples faces de l’ambiguité et l’ambivalence despratiques dont font l’objet les dépouilles mortelles, dansleurs modalités traditionnelles ou contemporaines. Ils’inscrit dans l’abondante littérature modernequestionnantleschangementsactuelsdurapportàlamortet puisant aux sources anthropologiques, pour y trouverdusens.OnpeutylireparexempleuneanalysedesfaitstragiquesdeLampedusa,oùsesontéchouésdenombreuxcadavresde migrants naufragés 8 . Son traitement médiatiqueillustrebien,selonsesauteurs, l’étroiteinterdépendance

6«lesservicesaudéfunt»PascaleTrompetteinLalettredelaMire,avril20047ValérieSouffron,2015,«Chairsdisparues»Communicationsn°97,p7-158GuidoNicolosietkettyPanebianco,2015,«LesmortsdeLampédusa»,Communicationsn°97p.161-176

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entre d’une part les éléments matériels de la mort (lebiologique)etsesélémentsimmatériels(lesymboliqueetleculturel)quicaractérisedetouttempslaréactionfaceàla mort, conformément à ce qu’avait mis en évidenceRobertHertz9,audelàdesesévolutions.Les décès surviennent de plus en plus fréquemment àl’hôpital; en 2004 on évalue à 70% la proportion desmortsàl’hôpital.Lesprofessionnelsdesantésontdeplusenplusconfrontésàlagestiondelamortetdescadavres.Les hôpitaux ont généralement recours aux servicesd’aumôniersdedifférentesreligionspourassister les finsdevieEn outre avec le vieillissement de la population, la mortconcernedeplusenplusmajoritairementlegrandâge.Envieillissant, les individus ont davantage tendance àanticiper et préparer leur fin de vie et leurs obsèques.Quand les boomers atteindront le grand âge, autour desannées2030-2040(ceuxquisontnésen1945parexempleauront 90 ans en 2035)le nombre relatif de décès seramultiplié;alorsquel’oncomptait520000décèsen2004,onenprévoitenviron700000en2020.Cette étude socio-ethnologique traite des changementsdanslesritesetrituelsfunéraires10,portantsurdespoints9Hertz,1907,«Contributionàuneétudesurlareprésentationcollectivedelamort»,l’AnnéeSociologique,n°10,p;48-13710Onutliseindifféremmentlestermesderitesetrituels,quiontpourtantdesacceptionsdifférentes,commelerappelleMichelHanus:«Lesritessontdescomportementscodifiés,dontledéroulementetlamiseenœuvresontrégisetordonnésparlerituel.Sileriteestl’expressiondanslesconduitesd’unouplusieurscodes,lerituelestgarantdelafidélitédecelle-ciàlatradition,qu’ellesoitoraleouécrite.Ausensstrict,leritueldésignelelivreoùsontconsignéslesrèglesetl’ordrededéroulementdescérémonies»10Leritueln’estpourtantpaslamêmechosequelerite,ilestplusopératoirequesymbolique,ils’intéressedavantageàlarépétition,éventuellementstéréotypée,maisdetoutesfaçonsordonnée,desséquencescomportementales.(p.15).Lorsquel’effcacitéduritedécroitdufaitdel’évolutiondesvaleurs,desnormes,desréférences,lerituelveutfairecroireàl’éfficacitédelalettre,del’icöne,ducryptogramme,delaformule.Leriteétaitsymbolique,lerituelquil’adéchun’estplusqu’illusionmagique».(Hanus,M.,«Paroles,pratiques,ritesetrituels»,Etudessurlamort,1998,n°114,p.5-16,p.5op.citp.16)

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spécifiques dont le choix du lieu et des modes desépulture, l’anticipation des obsèques, le choix desfunérailles décidé par les proches ou prévues parl’intéressé(e),seul(e)ouenconcertationaveclesproches,l’organisationdelacérémonie…Elleenglobedesmembresde communautés d’origines diverses qui résident en Ile-de-France, et qui pratiquent différents rites et rituelsfunéraires.Ceux ci présentent à la fois des traits communs (ou desinvariants)etuneextrêmevariété,reflétant lesdiversitéssocioculturelles et religieuses des communautés enprésence.C’est cette diversité même dans l’espace national et enparticulierenIledeFrancequiconstituel’objectifgénéraldenotreétude:analyserlapluralitédesritesetpratiquesfunérairesenFrance,leurssignificationsetleurinscriptiondansladiversitésociale,culturelleetreligieuse;cecinousconduiranotammentàquestionnerlaparticipationdecesrituels aux processus de différenciation et d’intégrationsociale des principales composantes de la sociétéfrançaise. En effet, donner aux populations d’origineétrangèrelerespectduauxmortsc’est,commelesouligneFrançois Michaud-Nérard, leur «ouvrir la voie d’uneintégrationréussiequibénéficieraàtous»11LadiversitéreligieuseenFranceLa France connaît depuis quelques décennies unediversificationreligieusesansprécédent.Unaperçuenestdonnépar lepanoramareligieuxétablien2006par Jean-

11Larévolutiondelamort,op.cit.

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Pierre Machelon dans son rapport au Ministre del’Intérieursurlesrelationsentrelespouvoirspublicsetlescultes,reproduitdansl’extraitci-dessous12:LepanoramareligieuxFaute de statistiques publiques recensant l’appartenancereligieuse des Français (le dernier recensement officieldate de 1872), il est toutefois difficile de quantifier cettemutation. En croisant les diverses estimations etprojectionsquedonnenthabituellementlesenquêteursetexperts, qui s’appuient sur les chiffres avancés par lesgroupes religieux eux-mêmes, on peut néanmoinsesquisserletableausuivant:– Le catholicisme demeure largement majoritaire, mêmes’il connaît, enproportion, unebaisse sensible depuis lesannéessoixante-dix.En 2006, selon un sondage IFOP-La Croix, 65 % desFrançaissedéclaraientcatholiques,alorsqu’ilsétaient,audébutdesannéessoixante-dix,plusde80%àlefaireet90%en1905.Silescatholiquespratiquantsrégulierssontdemoins en moins nombreux, leur identité s’est affermie,grâce notamment aux « communautés nouvelles » et auxmouvementscharismatiques.– L’agnosticisme progresse. Le nombre des personnes nes’identifiantàaucunereligion(plusde25%desFrançais)augmente,enparticulierchezlesjeunes.Toutefois,sedire«sansreligion»nesignifiepasnécessairementquel’onse12Extrait p 5 du rapport au ministre de l’intérieur sur «"Les relations des cultes avec les pouvoirs publics" (2006), par le professeur Jean-Pierre Machelon

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senteathéeouquel’onsedésintéressedesquestionsdites«spirituelles».Parailleurs,cettetendancen’empêchepaslaprogressionparallèledeformesdesacralitédiffusesousectaires.–L’islamestglobalementdevenu ladeuxièmereligiondeFrance, non sans présenter une grande diversitéd’expressions.Onestimeactuellementàenviron4millionslenombredepersonnesdetraditionmusulmane,soit6%de la population (mais 14 % des 18-24 ans), liées pourbeaucoupauMaghreb,maisaussiàl’AfriquenoireouàlaTurquie.–Leprotestantismedemeurestableennombre,maisvarieen composition. Représentant environ 2 % de lapopulation (4 % des 18-24 ans), soit 1,2 million depersonnes, les protestants ont vu croître le nombre desévangéliquesetdespentecôtistesenleursein:onestimait,en2005,qu’ilsétaient350000(395000encomptant leséglisesévangéliquesdediasporasétrangères),soitprèsde30%.–Leschrétientéshistoriques(environ750000personnes)connaissentunélargissementnotable,toutengardantunereprésentationéclatée.Àl’Égliseorthodoxe(estiméeà300000 membres), et à l’Église apostolique arménienne(même ordre de grandeur), il faut ajouter les fidèles quecomptentlesdiversesÉglisesorientalesindépendantesouuniesàRome(copte,syriaque,chaldéenne,maronite,etc.).– Le judaïsme a traversé une indéniable périoded’expansion. Il compte environ 600 000 personnes quisont, pour une notable majorité, d’origine séfarade à lasuitedel’arrivéeenmétropoledesjuifsd’AfriqueduNorddans les années soixante. Un fort mouvement derenouveau de l’identité, des études et de la pratiquemarquelejudaïsmefrançais.

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-Lebouddhismeaquittélamarginalitédanslaquelleilaété confiné en France. Il dépasse d’ailleurs enrayonnement sa stricte importance numérique puisquel’onestimelenombredesesfidèlesà300000,originairespour l’essentiel d’Asie, auxquels il faut ajouterun groupefluctuantdepratiquantsvenusd’autreshorizons,estiméà100000membres,soituntotalde400000personnes.– Les mouvements religieux atypiques connaissent, endépitdespolémiquesqu’ilsdéclenchentetquelquesoitlestatut qu’on leur attribue, une certaine vitalité. On leconstate, par exemple, chez les témoins de Jéhovah, quirevendiquent près de 140 000 « proclamateurs », dontplusde20000Outre-mer.Ce panorama religieux est incomplet, il n’inclut pasnotamment des cultes importants représentés enFranceparunnombrecroissantdefidèlesetauxquelsnousavonsélarginotreenquête,àsavoirl’hindouisme,etdesreligionsmonothéistesvenusd’Orient,lesikkhismeetlebaha’isme,quiontétéinclusdanscetteétude.Les religions dominantes n’étant plus en situation demonopole, l’âgeséculierquiest lenôtre, remarque AnneGotman, citant Charles Taylor, «… se singularise par lefaitque la religionn’yestpluspartoutmais se trouvedeplus en plus cantonnée, «dans des endroits spécifiés etdélimitésdefaçonprécise».Peut on considérer que la mort en constitue un espaceprivilégié?Desurcroit,lamortestdevenueunterraindeconfrontationetdecoexistenceentredifférentesreligionset aussi entre croyants et incroyants, confirmant ce

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qu’avaitobservéCharlesTaylor:«mêmepourlecroyant,l’espacede sareligiona largement cesséde coïncider [...]avecl’espacedelareligiontoutcourt,qu’ilacceptedevoiroccupé par d’autres religions». Et, comme le souligneAnne Gotman, de ce paysage religieux à la fois limité etmultiple procède une autre transformation plusimportanteencore, à savoirque la religionducroyantnecoïncidepasnonplusavec l’espacede la spiritualitéqu’ilest dès lors «capable de partager sans conflit avec bonnombre d’incroyants». La religion à l’époque séculière,autrementdit, se caractérisepar son interpénétration (etsacommunication)aveclemondenonreligieux.»13Il est bien entendu que cette évolution n’existe que dansun contexte de tolérance religieuse, aujourd’huiprincipalement limitée aux pays démocratiques. Dans denombreux pays de par le monde, où persiste ladiscrimination, voire la persécution, de minoritésreligieuses, l’intolérance se traduit en particulier par lerefusdepartager l’espacedesmortsetpar l’atteinteet laprofanation des morts issus des minorités discriminées.Dans notre enquête, les représentants de plusieurscommunautés religieuses témoignent d’atteintes subiesaux pays d’origine, dans le présent14ou dans un passéproche. On a pu constater trop souvent au cours del’histoire, que les intolérances qui s’exercent dans lasphère religieuse, s’attaquent à la fois aux vivants et auxmorts; cela s’est passé aussi en France dans l’ancienrégime,l’histoiredelamortchezlesJuifsetlesprotestants

13TaylorCh.,2007,ASecularAge,CambridgeMass.&London,TheBelknapPressofHarvardUniversityPress(trad.fr.Paris,L’âgeséculier,Seuil,2011)p.12,citéparGotmanAnne,«Commentlareligionvientauxgens.Linéamentsfamiliauxdelafidélitéreligieuse»,Archivesdesciencessocialesdesreligions3/2013n°163,p.217-236.14Actuellement,enIran,lescimetièresBaha’iscontinuentdesubirdenombreusesattaques,dégradationsetprofanationssouslerégimeislamisted’Iran

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en conserve la trace. Par contraste avec ces intolérancesmillénaires, le phénomène contemporain inédit decoexistence non conflictuelle demultiples religions dansl’espace de la mort prend tout son sens et sa valeur.L’étudeanthropologiquedesritesfunérairesconduitdoncàintégrerdesaspectsdesocio-anthropologiereligieuse,lamortétantundesprincipauxchampsdeconservationdespratiquesreligieuses.Notreterrainderecherche,larégionIledeFrance,compteleplusgrandnombred’immigrésetlaplusgrandevariétéde communautés religieuses du territoire. Elle se prêteparticulièrement bien à l’étude de la diversité des rituelsfunéraires. Pour mener ce travail, nous avons distinguédeuxdimensionseninteraction:-Une étude anthropologique auprès de communautésreligieuses et ethniques parmi les plus importantes,explore la façon dont elles composent avec le contextenationalets’adaptentàleurenvironnement.-La secondedimensionporte sur lesanticipationspar lesindividusdedifférentsaspectsde leursmodeset lieuxdefunérailles, en relation avec leurs appartenances,autrement dit la construction individuelle de sa propremort.Danscetteperspective,desentretiensontétémenésavecdes responsables communautaires, sur les pratiques deleurcommunauté,etavecdesindividusdediversgroupessur les anticipations de leurs propres funérailles. Leschapitres de ce volume rendent compte des résultats deces entretiens, pour différents groupes ethniques oureligieux.Ont été étudiés les rituels funéraires parmidesoriginaires d’Afrique Sub-Saharienne, des Juifs, des

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Musulmans, des Catholiques, des Protestants, des Sikhs,desBaha’is,desHindousetdesBouddhistes.De surcroit, chacune de ces communautés présente unepluralitéinterne,danslestendancesreligieusesetdanslacompositionethnique, rassemblantà la foisdes immigrésetdesautochtones,des fidèlesdetoujoursetdesadeptesplusrécemmentconvertis.Loind’épuisertouteladiversitéethnique et religieuse de la population française, cetteétudeporte,ainsiqu’ilaétémentionné,surlesadaptationsdes pratiques des différentes communautés au contextenational, en relation avec les questions d’intégration etd’acculturation des immigrés tels qu’elles se révèlent aumomentdelamortetparlamort.‘L’espacedelamort’dansles‘sociétésplurielles’Laquestiondeladiversitéetdupluralismereprésenteundes défis majeurs des sociétés contemporaines, dont lesacteurss’affirmentàdifférentsniveaux,de l’individuelaucollectif,dulocalauglobal,mettantàl’épreuvel’individu,saconstructionidentitaire,sonterritoire,sesrelationsàlasociétéoù il vit. Le rapportde l’individuà lamort révèleces changements et y participe. Du point de vueanthropologique,larelationentrelavieetlamortestuneconstructionéminemmentculturelle.Silamortestpenséedans les sociétés modernes comme un événementponctuel, elle est conçue dans d’autres traditionsculturelles comme une étape, un franchissement, unpassage.Ellenes’opposepasalorsàlavie,maissesitueencontinuité avec elle, dans uneprogression, faisantpartieintégrante d’une longue évolution, qui débute et évolue

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depuis leplus jeuneâgede l’êtrehumainetparfoisavantsa naissance: «Cette continuité dans le processus vie-mort,particulièrementexplicitedansl'hindouismeetdansle bouddhisme, se retrouve aussi dans certaines culturesafricaines et chez les Indiens d'Amérique du Nord et duSud.» 15 Dans les sociétés plurielles, où ces traditionscôtoientdenombreuxautrescultes,ces conceptionssontreprésentées, juxtaposées et parfois interpénétrées. Tousles individus, de quelque obédience à laquelle ils serattachent,sontcependantconfrontésàl’individualisationdominante dans les sociétés modernes. Louis Dumont16avait établi une distinction féconde, et souvent reprise,entre sociétés individualistes et sociétés holistes, dontMaurice Bloch a montré la pertinence pour analyser lesdifférences dans les conceptions de la mort. Dans lessociétés‘holistes’,legroupel’emportesurl’individu,etlamortestunesourcederégénérescencedugroupe17.Lesmobilités internationales provoquent un choc de cescultures. Les migrants se trouvent confrontés à denouveaux‘espacesdemort’.Alors que, dans les sociétés ‘holistes’, les traditionsfunérairess’imposentàtous,ilenvadifféremmentquandleurs ressortissants sont installés en France, et peuventdésormaischoisirlibrementleursmodesdefunérailles,cequi ne manque pas leur provoquer de véritablesdilemmes.Beaucoup d’immigrés sont partagés entre le choix defunérailles en France et le retour du corps au pays

15RobertHertz,1907,«Contributionsàuneétudesurlareprésentationcollectivedelamort»,Sociologiereligieuseetfolklore,Paris,PUF16LouisDumont,Essaisurl’individualisme(1985)17MauriceBloch,«Lamortetlaconceptiondelapersonne»,Terrain,n°20,1993,p.7-20

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d’origine ou encore à une solution intermédiaire 18 .L’anticipation par les individus de la façon dont sedérouleront leursobsèquesestune liberténouvellequiaété rendue possible par la laïcisation de la société et ledéclindespouvoirsreligieux;cette libertéparticipede lamodernité,delavalorisationetdurespectdel’autonomieindividuelle, celle-ci restantbienentenduencadréepar lalégislation funéraire et soumise aux contrainteséconomiques. Certes, le choix reste aussi socialementconditionné par les appartenances sociales et familiales,autant que religieuses, ethniques ou culturelles. Cetteindividualisationdeschoixfunérairesestsignedelapertedes pouvoirs formels des églises mais non de leurinfluence spirituelle. En effet, commeon le voit à traverslessondages(présentésplusloin)labaissedelapratiquereligieusen’empêchepas lerecoursà lareligion,quandilestquestiondelamort,selondesmodalitésplusoumoinsréaménagées.Présenterunesynthèsemêmesuccinctedeladiversitédespratiques funéraires des diverses communautésreligieuses et ethniques en France est un véritable défi,compte tenu de la pluralité de la société française. Noustenterons néanmoins de dégager ici les points communs,lesdifférencesetleséventuelsproblèmes.Des points communs et des différences entrecommunautésenprésenceLesanalysesanthropologiquesconvergentpourconstaterla présence de points communs, voire d’invariants, à18Commelavalisemortuairecontenantleseffetsdudéfuntenvoyéeauxprochesdupaysd’originetandisquelecorpsestinhuméenFrance,cfAgathePetit

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travers le temps et les cultures dans le rapport deshommes à la mort, malgré la grande diversité de sesexpressions.L’essaiséminaldeRobertHertzécritilyaplusd’unsiècle,garde sa pertinence pour aider à comprendre lesmutationsactuelles.Laportéegénéraledesestravauxsurdes sociétés apparemment très éloignées des nôtres fontdire à Maurice Blochque «..nous sommes sans doutebeaucoup plus proches des Somalis ou des Tibétains quenousnelepensons...»La mort nous rapproche même de nos plus lointainsancêtres, quand on découvre que «Les premièressépulturespaléolithiques,vieillesdeplusde100000ans,présentent des caractères qui nous semblent encore denosjourscompréhensibles.Lavariétédesritesfunéraires,inscritedanslalonguedurée,révèleladiversitésocialeetculturelledes réactionsdesvivants faceà lamortde l’undes leurs, mais aussi une certaine continuité decomportementtypiquedel’espècehumaine.»19Selon une représentation à peu près universelle, ladestinée desmorts et leurs interactions éventuelles aveclesvivantssonttrèsfortementconditionnéesparlesritesdont ils sont l'objet. Rien ne serait plus dangereux qu'unmort "mal passé"20. Les morts font peur et il faut s’endébarrasserenévitantleurretour.Lesritesfunérairesontpartout et de tout temps une fonction essentielle deséparation entre les vivants et les morts, voire deprotection des vivants contre la crainte qu’inspirent, nonpas tant la mort elle-même, que les morts. Avec des19Jean-PierreMohen,2004«Lepropredel’espècehumaine»,inLamortetl’Immortalitéop.cit.p.286-322,p.32020Hertz,op.cit

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modalités différentes, quatre rites fondamentaux sontcommunsàtouteslessociétés:- l’oblation, par laquelle ondonneune apparence apaiséeaucadavre;-laséparation,quiétablitladissociationdel’âmeetdesonenveloppecharnelle;-l’intégration,quisignel’appartenanceàunecommunautéparlaprièredel’endeuillé;-lacommémorationdupremieranniversairedudécès.21Pour Edgar Morin22, deux grandes croyances alimententtous les systèmes religieux, celle du double et celle de lamort–renaissance,ourésurrection,l’hommeayantdetouttempsrefusél’idéedesadisparitionetaspiréàuneformed’immortalité.MauriceGodelierdesoncôtéobserveque,danstouteslesreligions, la mort n’est pas la fin de la vie, mais l’entréedans d’autres modes d’existence23. «Tout se passe donccomme si l’Humanité, depuis qu’elle existe, avaitinconsciemment et consciemment dénié la mort…(…)L’affirmationquelamortnes’opposepasàlaviemaisàlanaissance et que l’on retrouve dans toutes les culturesconstitue donc à chaque fois un élément clef de ce qu’onappelledesreligions.»24Notre analyse des divers rituels funéraires en Ile deFrance, fait bien apparaître des éléments communs auxdifférentes traditions, conformément aux donnéesanthropologiques. On observe par exemple des21Marie-FrédériqueBacqué,1997,Mouriraujourd’hui,lesnouveauxritesfunéraires,Paris,OdileJacob.22MorinE.«L’hommeetlamort»,Eresed195123GodelierM.(dir)Lamortetsesau-delà2014,CNRSEditions24Godelieropcit.p.46

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correspondancesd’élémentsrituelsprésentsàlafoisdansles rites de naissance et dans les rites de mort: l’eaubénite,danslechristianisme,lesymboliquedublancdansle judaïsme, lareprésentationducycledenaissanceetdemortdanslebaha’isme,…Onretrouvecetterelationentrel’avantvieetl’aprèsmortdans la philosophie de Schopenhauer, telle que l’analyseRobertMisrahi.:«Cenesontpastoutàfaitdesnon-êtres(celuid’avantlanaissanceetceluid’aprèslamort),carilssont immergés dans ce qu’on pourrait appeler le GrandEtre,quiestl’absoluensoietqueShopenhauernommelevouloirvivre. Il s’agit d’une immense force cosmique, à lafois aveugle, nécessaire et tragique, une sorte demécaniqueàvivre,àmultiplierlavieetdontlesindividushumainsouanimauxsontl’expression.Aussi,lorsquenousmourrons, nous rejoignons ce grand être.»25 Dans lavisiondeSpinozadel’hommelibre,laphilosophieestuneméditation non de la mort mais de la vie «la réflexionphilosophiquedoitnousaideràorganisernotrevie en ladirigeant vers la plus grande joie possible, ce qui estincompatibleavecuneréflexionsurlamortquilasitueraitaucentredelamorale»26Le lavage rituel du corps du défunt, que préconisent laplupartdes traditions, évoque l’idéede ledébarrasserdel’’impureté de la mort, comme l’analyse Louis-VincentThomas: «Laver les défunts ne répond pas seulementaux exigences de l’hygiène et de la convenance; celarevient,auregarddel’imaginaire,àéliminerlasaletédelamort. Les rituels religieux ont pris en compte cette

25RobertMisrahi,«lesuicide»inRuthScheps,«LaFabricationdelaMort»1998,Paris:Lesempêcheursdepenserenrond,p.102-117,p.10426Misrahi,op.cit.p.103

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symbolique de la purification et confèrent à la toilettefunéraire une porte sacrée: elle conditionne le destin del’âme du défunt» 27 Parmi d’autres points communs àplusieursrituels,lesétapessuccessivesdudeuilsuggèrentdes cheminementsparallèlesdudéfuntetdes survivants,selondesinterprétationsvariées.Il n’en demeure pas moins au delà de caractéristiquescommunes ou semblables, une réelle diversité au niveaudes formes rituelles entre les communautés étudiées,commeauseindechacuned’elles.En situation d’immigration, le respect des ritestraditionnelsestunenjeuimportantpourlacontinuitédel’identitéculturelledugroupeetl’équilibrepsychiquedesindividus.Descompromisetadaptationssontnécessairesmaispastoujoursaisésàmettreenplace.Oncitesouventle cas exemplaire des Hmongs venus d’Asie du Sud-Est,pour lesquels il est impossiblede respecter certains ritestelsquefairedessacrificesd’animauxougarderledéfuntchez soi pour plusieurs jours. Ils vont alors élaborer uneséried’adaptations, avec l’aidede leurparentédemeuréeenThailande,danslescampsderéfugiés,quiprocèderaausacrifice rituel, devenant ainsi une base arrière de latradition.28Au cours de nos entretiens nous avons relevéquelquesobservationsdanscesens,notammentdelapartdes communautés hindoues et sikhs, qui pratiquent lacrémationetl’immersiondescendres,soitdansunfleuve(le Gange étant hautement recherché pour sa valeursacrée)soitdanslamer.Silelieuprivilégiédedispersiondescendresdoitêtrepourcertainslepaysd’origine,raressont les familles qui ont recours aux rapatriements descorps pour y pratiquer des obsèques conformes aux27Louis-VincentThomas,op.cit.28JacquesBarou,«Lesrituelsfunérairesenimmigration»L’écoledesparents,juin,2000.

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traditions, car cela demande des moyens financiersimportants 29 . L’ambassade et le consulat Indiens leurapportent dans ces cas des informations et des facilitéspour le retour du corps ou des cendres au Penjab, letransport international des cendres nécessitant desautorisationscomplexes.Ilrestequelaquestiondulieudedispersiondescendresn’estpastoujoursfacileàrésoudre,l’importantétantdelefairedansuneeaucourante(fleuve)ou dans la mer. Le respect des rituels de deuil estprimordial et la mort doit être prise en charge par lesvivants,dansunpartagederesponsabilitéentrelafamilleet la communauté30.Les communautés vivant en Francedoivent trouver desmodalités de dispersion des cendresenserendantdanslesbordsdemer,oudansunfleuveetentenantcomptedel’interdictiondelaparcellisationdescendres,quiempêcheladoubledispersion.Pour les musulmans, la crémation est proscrite,l’inhumationdevantintervenirrapidementaprèsledécès.Leprincipalproblèmequ’ilsrencontrentenFrancepourlerespect des prescriptions funéraires est celui de la duréelimitéedesconcessionsdanslescimetières,quiseheurteàl’interdictiond’exhumerlescorps.Commel’écritChaib, lasépultureest"unhébergementprécairedesdéfuntssouslaformede latombe locative" cequi renverrait à «la viedel’immigréfaitedeprécarité.Iln’estnid’icinidelà-bas»31.En effet, comme le développe le chapitre consacré àl’Islam, il existe une différence entre la sépulturemusulmanedanslepaysd'origine,quiestàduréeillimitéeetcelleenFranceàduréedéfinieetrarementperpétuelle;

29Dansl’enquêtePRI,seuls12%desimmigrésoriginairesd’Asieexprimentunepréférencepourleretourducorpsaupaysd’origine30VoirleschapitresconsacrésauxSikhsetauxHindous31CHAIB, 2008 op. cit. voir le chapitre ‘les musulmans et la mort.’

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c’est une sépulture à durée déterminée, ce qui conduitChaib à la qualifier de tombe locative. Il se réfère enparticulierauxconditionsdéfiniespar l'articleR361-8duCode des Communes, c'est-à-dire au régime appliqué aubout d'une période d'inhumation de cinq ans (durée des‘terrains communs’, autrefois nommés ‘carrés desindigents’); en quelque sorte pour l'immigré, celal’interroge sur son identité et renvoie, selon Chaib, à unprolongement du "provisoire qui dure". Sur les autresquestions relatives au funéraire et objets de débats, lesavissontpartagés:l’obligationd’inhumerdansuncercueil(et nondansun linceul àmême la terre) ou l’absencedeparcellesdédiées(cequ’onappellelescarrésmusulmans),n’empêchent pas, selon plusieurs avis autorisés, depratiquer les rituels funéraires dans le respect descommandementsdel’Islam.C’est néanmoins parmi les émigrésmusulmans vivant enFrance que se comptent le plus grand nombre depersonnes préférant, pour leurs propres funérailles, leretour du corps au pays d’origine: selon l’enquête PRI32,plus de 58%des originaires duMaghreb et plus de 68%desoriginairesdeTurquieexprimentcettepréférence.Etdans les pratiques, les rapatriements des corps sont eneffet très fréquents, facilités par les mesuresgouvernementales d’aide administratives et financières,notamment de la part du gouvernement tunisien quifinance les transports aériens du corps et d’unaccompagnateur, suivi récemment par l’état algérien et

32EnquêtesurlevieillissementetlepassageàlaretraitedesimmigrésenFrance(PRI)traite,entreautresquestions,duchoixdulieudesépulturedesimmigrés,CNAV,2003.ClaudineAttias-Donfut,2006,L’enracinement.EnquêtesurlevieillissementdesimmigrésenFrance,Paris,ArmandColin;voiraussiC.Attias-Donfut,François-CharlesWolff,«Lelieud’enterrementdespersonnesnéeshorsdeFrance»,Population,60(5-6),2005:1-24.

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sansdoutebientôtparleMaroc.Danscedernierpays,untémoignage sur les cimetières rapporte qu’on y repèrefacilement les «rapatriés» qui sont inhumés dans leurcercueildansunemplacementquasidédié, cequiprouvebien que l’usage du cercueil n’est pas contraire à latraditionmusulmane,sidesconditionsdetraitementetdepositionducorpssontrespectés.Conséquencesde cespratiques, lepaysd’originedevientpour certains immigrés, comme le déclare une personned’origine marocaine, «un pays de mort»: les séjourssupposent l’obligation d’aller se recueillir sur les tombesde sesmorts, quand ils ne sont pas directementmotivéspar le décès d’un proche et l’assistance à ses obsèques,qu’ilsoitdécédésurplaceourapatrié.Lepaysd’origineestaussi la destination de l’ultime retour de l’émigré. Amesure du vieillissement et de la succession de deuils,l’association entre mort et pays d’origine ne fait que serenforcer: « C’est une terre angoissante, la terre duretour,laterredemort,d’unemortnonintégrée.»Les Africains originaires de pays Sub-Sahariens, de toutereligion, catholique, protestante ou musulmane, sont àpeinemoins nombreux que les Maghrébins à préférer leretour du corps aupays d’originepour rejoindre la terredes ancêtres, surtout quand leurs croyances restentassociéesaumaintienducultedesancêtres.LesautrescommunautésprésententenFranceoptentbienplus rarement pour le transport des corps aux paysd’origine. Ce transport post mortem n’a pas la mêmesignificationoubienreprésenteuncoûtdissuasif.

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Les Juifs regroupent les descendants de ceux dont laprésence en France est millénaire et des juifs immigrésoriginaires de pays d’Europe, d’Orient ou du Maghreb.Pourtous,despériodesdediscriminations,persécutionsettolérances ont jalonné l’histoire, entrainant desrestrictions sur la liberté de pratiquer les rituelsconformesauxprescriptionsreligieuses.LesJuifsd’origineimmigréen’expriment jamaisdedésirderetourducorpsaux pays de naissance, dans lesquels ils ont étégénéralementdescitoyensdesecondezone,persécutésouinterdits.Unetrèsfaibleminoritéexprimeunepréférencepour une inhumation en Israël, ce qui suppose un coûtélevé. En France, ils font souvent appel à l’assistance desociétés d’entraide qui se sont progressivementspécialisées dans l’organisation des funérailles (alorsqu’elles avaient à l’origine des missions diversifiéesd’entraide). L’inhumationestpréféréeà la crémation,quiest néanmoins tolérée au sein de la tendance libérale. Lechoixdu lieude l’inhumationpeut seporterounondansles parcelles dédiées (les carrés Juifs), ou au sein destombesdetoutesconfessions,danslescimetières.LacrémationestproscritechezlesBaha’is,quidisposentaussidedeuxparcelles(carrés)enFrancemaissontplusgénéralement inhumés aumilieudes autres tombesdanslescimetièresgénéraux. Ilscontinuentdesubirdegravesattaques des cimetières en Iran, pays d’origine de la foiBaha’ie au XIXe siècle, faisant l’objet d’intolérance de lapartdel’Etatislamiqued’Iran.Les chrétiens orthodoxes de diverses obédiences sontégalement opposés à la crémation, à la différence descatholiques,pour lesquels l’interdictionde lacrémationaétélevéeen1963parlesautoritésdel’Eglise.

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Leprotestantisme aautorisé la crémationdès1887, soitdès sa légalisation. Sur une base commune de grandesobriétédanslesprescriptionsdesritesfunéraires,leculteprotestant recouvre une variété d’Eglises donnant lieu àune grande diversité dans les cérémonies funéraires. Ungrand nombre d’églises ethniques mêlent au riteprotestant des éléments des cultures mortuairestraditionnelles, propres aux pays d’origine, souventantérieures à l’adoption du protestantisme, qui s’estdéveloppé sous l’action des nombreuses missionsprotestantesdanslespayscolonisés.Ilenrésulteunerichemosaïquede rituelsparmi les communautésprotestantesvivantenFranceetenparticulierenIledeFrance.Même si des régularités et des points communstranscendent les appartenances identitaires oucommunautaires, il nous semble que les études desociologieetd’anthropologiede lamortdans les sociétésmodernes ont eu par trop tendance à négliger lesdifférences communautaires dans les analyses desattitudesetcomportementsfaceàlamortetenmatièredepratiquesfunéraires.Dans son importante ‘sociologie de la mort’, GaëlleClavandier dégage, à partir des récents travaux desciences sociales, trois principaux modèles d’analyse despratiques funéraires; aucun d’eux n’intègre en effet lecontexte pluraliste de la société moderne dans leurinterprétationdestransformationsactuellesdespratiquesfunéraires33:-Unpremiermodèle,danslalignedesdiscoursenvigueurdesannées1970, consisteenuneredéfinitionde la thèse

33Clavandierop.cit.chapitre 8

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du ‘dénide lamort’,avecdesvariantesdans lesanalyses,plus formellesque significatives: sont considérés commesignes se rattachant au déni, les façons de minimiser,simplifieroudiminuerlespratiquesfunéraires,cequ’onaappelé laminiaturisationdelamort, lefaitderéduirelescorps en cendres, de réduire les épitaphes à leur plussimpleexpression,ouencorelaréductiondumouriràdestechniques34.-Par contraste, d’autres travaux mettent en valeur unregain de la ritualité funéraire; il se manifesteprincipalementsousformedenéo-ritualisationdelamort,selonlaquelle,famillesetopérateursfunérairess’adaptentaux changements de mœurs et aux nouvellesconfigurations.Parmilesvariantesdecemodèle,uneplacedominante est donnée aux professionnels, en tant quenouveauxordonnateursdesrites35.-Selon un troisième modèle36, un nouveau rapport à lamortsemanifesterait,révélantunereconfigurationdulienindividu/société. La socialisation de lamort a changé devisage pour prendre la forme d’un contact authentiqueavecsoi,quifaitintervenirlasubjectivité,uneintimisationde la mort, ou la mort en soi selon l’expression de JeanHugues Déchaux 37 , qui précise que ce rapport ne

34ysontassociésnotammentdesauteurstelsqueP.Baudry,J.D.Urbain,J.M.Brohm,H.P.JeudyetR.-W.Higginscfp.19835YsontassociésnotammentM.Vovelle,P.Trompette,M.Hanus,cfp.19836proche de la conception anglosaxonne de Tony Walter et Clive Seale et défendue en France par J.H. Déchaux et M. Castra .37«Neutraliserl’effroi»,JHDéchaux,InLaMortetl’Immortalité.Encyclopédiedessavoirs,souslaDirectiondeFredericLenoiretJeanPhilippedeTonnac,Bayard,2004,p.1153-1171

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s’affranchit pas pour autant des normes sociales, cespratiquespouvant«débouchersurunmodèledelabonnemort».Cette dernière perspective est proche de l’analyse parNorbertEliasduprocessusd’individualisationdelafindevieetauquelondoitunrenouveaudelapenséedelamortdans lamodernité.En insistantsur l’extrêmesolitudedesmourants, surtoutparmi lespersonnesâgées, il dénoncela tendance, propre à notre époque, à marginaliser, etmettreàpart,lesvieux,lesmaladesetleshandicapés.Eliasse démarque d’une vision nostalgique du passé, selonlaquelle lamortauraitété«apprivoisée»ou«acceptée».Comme il le dit pertinemment, «…le refoulement et ladissimulationdelafinitudedelaviehumaineindividuellene sont sûrement pas, comme on l’a parfois affirmé, uneparticularitéduseulXXesiècle.Ilssontprobablementaussivieux que la conscience de cette fin elle-même –que laprévision de sa propre mort. [...]La dissimulation et lerefoulementdelamort,c’est-à-direducaractèreuniqueetfinidel’existencehumaine,sontdesfaitstrèsanciensdanslaconsciencedeshommes.Mais lamanièredonts’effectuecettedissimulations’estmodifiéeaufildutempsdefaçonspécifique. À des époques antérieures, des désirsfantasmatiques collectifs prédominaient, en tant quemoyen de surmonter le savoir humain sur la mort.[...]Aujourd’hui, au cours d’une pousséed’individualisationparticulièrement forte, lesphantasmesd’immortalité des individus, tout à fait personnels etrelativement privés, qui sont issus de la masse desphantasmes d’immortalité collectifs, sont devenusprépondérants»38.38NorbertElias,Lasolitudedesmourants,2012Bourgois,p.51-52,citéparJHDéchaux(2004)

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NotreépoquesecaractériseaussiparcequeNorbertEliasa qualifié de ‘dé-formalisation’, de la mort, suivant latendance moderne des individus à se défaire desformalismes qui ne présentent pas de sens poureux;“toute une série de schémas de comportementstraditionnels, parmi lesquels l’usage de formules rituelles”s’est détaché de la mentalité de l’individu, qui connaitdésormais une autre configuration. Des émotions sontintériorisées, comme désormais l’idée demourir seul, dene pas en parler, de ne pas évoquer avec les personnesconcernéesleursdifficultésphysiques,leurdégradationouenvisagerleurmortprochaine.Loindes“bienportants”,lamédecine hospitalière et les maisons de retraite, évacuelesmourants de la sphère sociale. “Le faitque l’isolementprématurédesmourants, sans être particulièrement voulu,soit fréquent justement dans les sociétés développées, estl’unedesfaiblessesdecessociétés”souligneNorbertElias.Cetteévolutionaugmente-t-ellelesentimentdenostalgieàl’égard des obsèques d’antan, chantées par GeorgesBrassens? Un sondage39avait révélé en 1997 le souhaitdesFrançaisdetrouverouretrouver lesrituelssuivants:le repas en famille après la cérémonie (43%), l’envoi defaire part de décès (39%),mais seulement 20% citent lecortège à pied, 19% la veillée du défunt et 4% le portvisibledudeuil(crêpenoiraubras;tenturessombressurles maisons). Dans ce même sondage, 50% déclarentfleurirlestombeslejourdelaToussaint.Il n’y a pas pour autant dé-ritualisation de la mort,remarqueJ.H.Déchaux,enparticulierdansledéroulementdes obsèques et des commémorations. Notre enquêteauprèsdesdiversescommunautésleconfirme,mêmesile

39SondageSOFRESpourleFigaroMagazineetFunéraire97.

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deuil ne fait plus objet d’institutionnalisation dans lasphère publique. (le port du noir, l’obligation pour lesveuvesdeporterledeuiltouteleurvie,lestenturesnoiresentourantleportaildanslamaisondudéfunt,…n’ontpluscours).Rappelonsque leriteestdéfinicomme«unensembledeconduites individuelles ou collectives relativementcodifiées, ayant un support corporel (verbal, gestuel, deposture), à caractère répétitif, à forte charge symboliquepour les acteurs et les témoins.»40Il se déroule selon«une séquence d’actions ou de comportements plus oumoins conformes à un programme préétabli etidentifiable… par ceux qui le pratiquent ou en sont lestémoins»41.Deplus,ces«actionsdébordentlecadredelaseule rationalité pragmatique.» En cela, le rite sedifférencie «des actes ordinaires par ses motivations etsuggèredessignificationssanslesexpliciter.»42L’efficacitésymboliqueduriteDanslamesureoùelleaspireàlapérennité,«lasociéténeperd pas seulement une unité,quand un homme meurt;elleestatteintedans leprincipemêmede savie,dans safoi en elle-même», selon Robert Hertz 43 . Les ritesfunérairesontalorspourfonctionderétablirunéquilibre,unenormalitéquiviseàséparerdéfinitivement lesmortsdumondedesvivants.Aussi faut-ilprendresoindumortpar un ensemble de rites. La mort n’est pas une affaire

40MartineSegalen[1998],Ritesetrituelscontemporains,Paris,Nathan,coll.128,2009:26.41Jean-PierreAlbert,«Lesritesfunéraires.Approchesanthropologiques»,Lescahiersdelafacultédethéologie,1999:4.42Ibidem.43HertzR.,1907,op.cit.CitéparM.Bloch,1993,Lamortetlaconceptiondelapersonne,Terrainn¨20,p.7-20

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strictement privée, indépendante de la société 44 ; lafonctionpremièreduriteestsonefficacitésymboliquesurle sujet lui-même, sur son entourage et enfin surl’ensemblede la communauté.De façonsymétrique,pourquel’ordresymboliquesoitassuré,ilincombeauxvivantsderespecterdesritesdeséparation,dedeuil(etparfoisderéparation lorsdemortviolente,mortconsidéréecommeprématurée,ouenl’absenceducorpsdumort…).Il semble donc que «le bon usage des morts (et parconséquent unemotivation essentielle de la croyance enleur survie) soit de les ériger en créateurs de liens entreles vivants (réification des liens de parenté, constructionde la filiation,commémorationdesancêtres).Leursimplesouvenir peut y suffire, mais le registre des rites estautrement plus efficace, dans la mesure où il impose àl’évocationdesmortsdesmoments,deslieux,desobjetsàmanipuler, des occasionsde communication sociale. Toutse passe, d’une certaine manière, comme si les ritesdonnaient auxmorts leur véritable existence, c’est-à-dire«leur efficience d’acteurs sociaux.»45 Prendre soin desmortsrevientàleurreconnaîtreuneplace,àlesconfirmerdanslerôledecréateurdelienssociaux.Par conséquent, pour que la mort puisse être assumée,dépassée et que le deuil puisse être vécu, la ritualisationest une opération essentielle; elle est tout aussidéterminante pour celui qui s’inscrit dans une pratiquereligieusequepourceluiquiaprisdesdistancesavec lesreligions existantes. Évoquant l’efficacité symbolique depratiques chamaniques de populations amérindiennes àdes fins médicales, Claude Lévi-Strauss soulignait44lechampdujuridiquel’illustrebien:l’encadrementjuridiquepermetdereconnaîtrelesdroitsetdevoirspourlesvivants(héritage,obligations…)distinctdeceuxdesmorts(constatdudécès,delanaturedelacause…).45Jean-PierreAlbert,op.cit.,1999p.7.

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l’importance du langage rituel (dans ce cas précis, larécitationd’unmythe)pourexprimerdesétatsinformulés,etautrementinformulables(desaffects,unesouffrance,…).Autrement dit pour le patient et par extension pourl’endeuillé,lepassageparlelangagerituelpermetdevivresous une forme ordonnée une expérience de crise, etcontribueàlaréorganisationdelaséquenceévitantqu’ellene soit vécue de façon anarchique et inconséquente. Lerecours au langage rituel vise ainsi à définir, cadrer lesrôles différenciés de chacun (la famille, l’entourage, lasociété), les rapports conventionnels, à identifier lesformeslégitimesd’expressiondesaffects…À l’efficacité symbolique s’ajoute l’efficacité sociale, lesrites funéraires étant des révélateurs des solidarités; lesobligations d’entourer les endeuillés qui s’imposentgénéralementsontautantde«témoignagesvolontairesouobligés de l’appartenance à leur communauté.»46Autantde fonctions qui démontrent que les rites funéraires nepeuventpasêtrecirconscritsàlaseulesphèreprivée.Dans une approche plus fonctionnaliste, à partir de sapratique de célébration des obsèques, le père ChristianBiot dégage quatre fonctions principalesdes rites: « ilssignifient l’appartenance du défunt à une Eglise, desgroupesfamiliaux,professionnelsoudeloisirs.Ilsdonnentàchacunlapossibilitéde‘réglerdescomptes’,derépareràtravers les fleurs, lesplaquesdemarbreque l’onoffre,cequi n’a pas pu être fait pour le défunt de son vivant. Ilspermettentd’ouvrirletempsdudeuil,dedirelaréalitédelaséparation.Enfinilsapportentaumortunelocalisation-dans le caveau, l’urne.»47 Ces fonctions sont variables46J.-P.Kervella,«Lesritesfunéraires,révélateursdessolidarités»inPennec(éd.),Desvivantsetdesmorts,Brest2004.47ChristianBiot,Lacélébrationdesfunérailles,DescléedeBrouwer,1996

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selonlescultes,ladernièrefonctionenparticulierdivergeselonlestraditions,parexemple,danslesikkhismeoudel’hindouisme,quandl’immersionducorpsoudescendresnedonnepaslalocalisationdumort,maisilestvraiquelatrace peut se situer rituellement dans des lieux réservés,séparésdel’emplacementducorpsoudescendres.Ilpeutse créer plusieurs localisations de traces, en dehors ducimetière, comme les lieux où est survenue la mort,l’accidentdelarouteouunaccidentdemontagne,quel’onpeut repérer par des pancartes, des signes, des fleurs.DanstoutParis,onpeutvoirdesplaquescommémorativesapposées là ou des résistants ont été tués pendant lalibération de Paris, à la fin de la deuxième guerremondiale.Evolutiondespratiques:analysedessondagesPréparer ou anticiper des éléments de ses obsèques estdevenuunepratiquecourante, largementencouragéeparlesprofessionnelsdufunéraire:«Laritualitéfunérairenesebornepasqu’auxobsèques.Ellefaitdéborderl’intensitédesfunéraillesau-delàdel’espacetemps.Ons’yprépareetl’on s’en souvient. Ni cette préparation ni ce souvenir nesont exacts. (…) elle fait écho jusque dans l’oubli qui larecouvre et la transforme» 48 La perte de foi et lasécularisation rendent d’autant plus essentielle latransmission le longde lachaînedesgénérations.Laisserune trace aux survivants et aux descendants devient laforme de continuité ou d’immortalité qui reste quands’émousseouseperdlacroyanceenlasurviedel’âme.Lasurviese joueauprèsdesvivants, supplantant le rôledes

48PatrickBaudry,«Laritualitéfunéraire»,2005Hermès43,pp189-194p.193

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ancêtres, dont les doubles se sont évanouis dans lapostmodernité. Selon une enquête des pompes funèbresde2009,75%desobsèquessontencorereligieuseset25%civiles,tandisquelescérémonieslaïquesaccompagnent47%des crémationsenmoyenne (64%en Ile-de-France)et15%des inhumations (25%en Ile-de-France). Face audéclindespratiquesreligieuses, lesFrançaisconfrontésàlamort d'un proche ont en effet de plus en plus recoursauxcérémonieslaïquesetàleursnouveauxrituels.Des sondages montrent des évolutions différentes de lapratiquereligieuseselonlaconfessionenFrance.Parmi les catholiques, les plus nombreux en France, lareligiosité n’a cessé de diminuer:Selon une étude del’IFOPde2009, lesFrançaissedéclarantcatholiquessontpassésde87%delapopulationen1972à64%en2009(soit41,5millions)etlespratiquantsde20%à4,5%danslemêmetemps.Lenombredepersonnessedéclarantsansreligion,passantde21%à28%entre1987et2009. En2013, les sans religion constituent le groupe le plusimportant chez lesmoins de 35 ans, et près de lamoitiédes18-24ans.D’après une enquête de 201449, les réponses concernantles religions d’appartenance se repartissent ainsi:Catholiques 48%, sans religion 41%, musulmans 6%,protestants 2%, Juifs 1%, bouddhistes autant, 1%, etl’ensemble des autres religions également 1%. Les sansreligion seraient donc à peinemoins nombreux que lescatholiques

49Donnéesdel'Observatoire France Sociovision 2014-2015.

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Comptetenudel’importancenumériquedesmusulmans,ilestpossibled’enévaluerstatistiquementlaproportiondepratiquants,comparéeàcelledescatholiques:ComparaisonReligioncatholique/Religionmusulmane Religion

catholiqueReligionmusulmane

Pratiquants 12% 48%Croyantsnonpratiquants 65% 43%Rattachés à une communautésansêtrecroyants

23% 9%

Riendetoutcela 0% 0%Les musulmans sont 4 fois plus pratiquants que lescatholiques(48%contre12%)Lastructuredesâgesestquasi inversée descatholiquesaux musulmans selon cette enquête de 2014, comme lemontre le tableausuivant: les jeunesdemoinsde30ansreprésentent 41% des musulmans50 , contre 19% descatholiques, tandis que les plus de 50ans sont 43% descatholiqueset14%desmusulmans.Laplus fortenatalitédes musulmans d’une part, la perte d’appartenance aucatholicisme des jeunes d’autre part, contribuent à cettefortedifférencederépartition

Religioncatholique

Religionmusulmane

Moinsde30ans 19% 41%

50En2006,selonunrapportauministredel’intérieurparlePrJ.P.Machelon,onévaluaità6%letauxdemusulmansdansl’ensembledelapopulation,mais à 14 % la proportion des musulmans parmi les 18-24 ans.

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30à49ans 38% 45%50ansetplus 43% 14%

Lespratiquesreligieusesévoluent,lespratiquesfunéraireségalement. Ces dernières connaissent des mutationsimportantesencoursdepuisplusieursdécennies.Onpeutles suivre grâce à des sondages réguliers, dont lebaromêtre IPSOS réalisé pour la Fondation des servicesfunéraires de la ville de Paris. Il permet d’observer leschangements d’attitudes sur plusieurs questions,notammentsurleschoixanticipésparlessondésentrelacrémationoul’inhumation,poureuxmêmesoupourleursproches.Sic’estlechoixdelacrémationquiestdésormaisplus fréquent, un retournement de tendancemontre unelégère remontéede lapréférencepour l’inhumationdansl’enquête IPSOS de 2015: En 2008, 47% choisissaientl’inhumationet53%lacrémation,eten2015,lechoixdel’inhumation remonte à 49%, contre 51% pour lacrémation. La préférence pour l’inhumation dominelargement parmi ceux qui se déclarent croyants etpratiquants(80%descroyantsetpratiquantset54%descroyants non pratiquants préfèrent l’inhumation). Elle amêmeaugmentéde5pointsparrapportà2008parmilescroyants. Elleestplusmarquéechezlesmoinsde35ans(60%;+6parrapportà2008)quisemblentsetournerversla tradition. Chez les 60 ans et plus, le choix de lacrémation l’emporte toujours assez nettement (57%:proportionstableparrapportà2013mais+14pointsparrapportà2008).On décèle dans ces résultats l’existence d’effets degénérations assez paradoxaux. Alors que dans les

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décenniesprécédenteslesplusâgésétaientplusattachésàlacroyanceetà lapratiquereligieusequelesplusjeunes,c’est le rapport inverse qui apparaît aujourd’hui. La plusforte pratique religieuse se retrouve aussi parmi lesfranciliens,lesmoinséduqués,lespersonnesayantdeplusfaiblesressources.Il semble que l’effet générationnel se combine à un effetdémographique et social, du fait de la différence dans lacomposition sociale des générations : les plus jeunescomptent un plus grand nombre d’immigrés et d’enfantsd’immigréset enparticulieruneplus forteproportiondemusulmansetd’originairesd’AfriqueSubSaharienne,quisontàlafoispluscroyantsetpratiquantsetgénéralementopposés à la crémation. Ce changement démographiquegénérationnelnejouecertainementpasseuletilfautdoncs’interroger sur les éventuelles évolutions du rapport aureligieuxdesjeunesgénérationsdediversesobédiences.Parmi les autres résultats notables de ce dernierbaromêtre IPSOS, relevons le fait qu’une forte majoritéexprime le choix d’anticiper eux mêmes leurs propresobsèques.Près des quatre cinquièmes des sondés prévoient lefinancement des obsèques, associé ou non à leurorganisation. Plus du tiers des sondés de tous âgespréfèrent prévoir à la fois le financement et ledéroulement détaillé de leurs propres obsèques. Faitsurprenant, il n’y a pas de différences notables selon lesâges.Cette préparation est estimée relever plus de laresponsabilité des familles pour les jeunes (53% desmoinsde25ans)etdelaresponsabilitéindividuellepourles plus âgés (45% des plus de 60 ans et seuls 18% des

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moins de 25 ans estiment que cette responsabilité leurincombe)Finalementunpeuplusd’uncinquièmedessondés(22%)déclarenerienprévoirdutout.Cettenonanticipationestplus fréquente parmi ceux qui n’ont pas de préférenceentre l’inhumation ou la crémation (48%), ceux qui neveulentaucunecérémonie(34%),ceuxquiestimentquelefinancement en incombe aux pouvoirs publics (36%),parmilesathéesounoncroyants(25%)L’enquêteduCrédocde2007avaitconcluquelesFrançaisdélèguent de moins en moins à leurs prochesl’organisation de leurs funérailles. Ils choisissent deprévoireuxmêmesl’organisationdeleursfunérailles,soitpar le biais d’un contrat obsèques soit en laissant desinstructions à leurs proches. Les auteurs de l’étude sedemandaient alors si en soulageant les proches del’organisation d’une cérémonie douloureuse, on ne lesprive pas d’une étape préalable au travail de deuil. 51L’enquête IPSOS 2015ne confirmepas cette tendance, laresponsabilitédesobsèquesparaissantpartagéeentre lesindividusetleursfamilles.Anticiperses obsèques : construire sa mort ou sefondredanslacommunauté?Rappelons la distinction établie par Louis Dumont entresociétésindividualistesetsociétésholistes.Ellesévoquentles deux tendances suivantes évoquées par les auteurs

51CREDOC,Consommationetmodesdevie,n°206,octobre2007.

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comme antagonistes et exclusives52, mais qui paraissentquelquepeustéréotypées:1. Lapremièretendanceconfirmeledésirdemaintenirle plus longtemps possible la maîtrise de sa vie enrevendiquantledroitàconstruiresamort.Assumerlapossibilité de choisir ses obsèques, se révéler unedernière fois par ses choix d’ordre idéologique,religieux, esthétique, poétique, témoigne bien de laconscience de sa finitude.53Qu’elle s’inscrive ou nondansuncadrereligieuxpréexistantetquecechoixseconcrétise (ou non) par un contrat obsèques, cettetendance s’illustre par les modalités de prises dedécision des cérémonies funéraires pourpersonnalisersesobsèques(intimesoumunificentes,formellesouinformelles,religieusesouciviles,sobresoufastueuses),pouraffirmersapropresingularité,etpourmaintenir une cohérence identitaire au-delà desapropreexistence.Cettepersonnalisation répondàun souhait d’authenticité; la cérémonie funérairedevientuneultimemiseenscènedesoi,unevéritablefabrication de sa propremythologie. En récapitulantcequel’onest,cequel’onaété,onconstruit l’imageque l’on souhaite laisser à ses survivants; on seprolongedans«l’après»enredessinant lescontoursde «l’avant». Un témoignage d’un individualismes’accomplissantdanslamortestdonnépar‘l’histoirede Claude’, rapportée dans le chapitre consacré aucatholicismeréformiste.

52IsabelleDubois,«Lesnouvellesattentesdesfamillesàl’égarddelamortetdesobsèques»,Jean-HuguesDéchaux,MichelHanus,FrédéricJésu(eds),Lesfamillesfaceàlamort,Paris,L’espritdutemps,1998:57-68.53BérangèreVéron,«Planifiersesobsèques:raisonsetenjeuxidentitairesd’unepratiquerituelle»,Sociologie,010/2,vol1,199-213.

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Associé à la montée de l’individualisme, ce choix del’anticipationestprésentécommesymptomatiquedenotresociété postmoderne. Il aurait partie liée avec unéloignement des grandes religions et de leurs rites jugésparcertainscommetrophermétiquesetdogmatiques.2. la seconde tendance est caractérisée cette fois par ledésirde«fairecommunauté»,deredirepubliquementsonappartenance communautaire en recourant à un cadrereligieux et spirituel, en se lovant dans les rituelstraditionnels existants. Si, comme le notait Lévy-Bruhl,«vivre c’est précisément appartenir intimement à songroupe», il ne manquait pas d’ajouter que «vivants oudécédés, les membres du clan appartiennent intimementau groupe, au clan.»54En poursuivant la thèse de Lévy-Bruhl, on pourrait donc considérer que «fairecommunauté» permet de redire ses appartenances,confirmersesliens(tantfiliauxqued’alliances),réaffirmersesattachementsens’inscrivantdefaçonpérennedansdenombreux collectifs, confirmant ainsi sa place dansl’ensemble de ces réseaux (horizontalité) commedans safiliation (verticalité). «Faire communauté» appelle plusmassivementuneritualisationpublique«dufaire»qu’uneinvention privée «du dire». Bien que des exemplescontrairesexistent (lespatchworksdesvictimesduSIDA,l’art funéraire in memoriam des victimes des gangsjuvénilesnew-yorkais55),ons’enremetalorsàlafamille,à

541949,Carnets,Paris,PUF.55Jean-HuguesDéchaux,MichelHanus,FrédéricJésu,«Lamortdanslenouveaupaysagefamilial»,Jean-HuguesDéchaux,MichelHanus,FrédéricJésu(eds),Lesfamillesfaceàlamort,Paris,L’EspritduTemps,1998:12.

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la communauté pour organiser rituellement lesobsèques.56L’anticipation de l’organisation des obsèques ne signifiepaslerenoncementaucadrerituelétabli.Onobservetourà tourdesposturesqui se situentàmi-cheminde cequel’onprésentesouventcommedeschoixexclusifs.Nos témoignages sur les pratiques individuelles et leurstransformations semblent confirmer l’importance del’anticipation des funérailles, révélée par les sondages. Ilestremarquablequedanscetteanticipation,cesont trèssouventdesconsidérationsrelativesaumondedesvivantsqui sont exprimées: avec qui être inhumé, par qui seravisitée la sépulture, quelle mémoire laisser auxgénérationssuivantes,voireledésirderesterintégréàcemonde, par delà la mort. Ne sont guère évoquées lesconsidérationssurlepassageluimêmeousurl’au-delà.Ondécèleparfoisune inquiétudeenrapportavec lasolitude,la peurdemourir seul. Les considérationsd’ordre social,familial et intimeprennent le pas sur les rapports à l’au-delà,ycomprisparmilescroyantsdedifférentesreligions.Mais le respect des prescriptions religieuses, signe fortd’appartenance, reste une exigence partagée, surtoutparmilespluscroyants,etenparticulierlesMusulmans.La tendanceholisteestplusaccentuéeparmi leshommesAfricains, pour lesquels lamort représente le passage aumonde des ancêtres, et contribue par conséquent à la,pérennitédugroupe,commelemontrelechapitresurlesimmigrés africains. Les femmes expriment rarement unetelleattitudeet évoquentplutôt lesoucid’être inhuméesprochesdelàourésidentenfantsetpetitsenfants.D’aprèsnos entretiens auprès d’immigrés africains, la différence56cequin’empêchepasdeprendreencomptelechoixdulieudesépulturedudéfuntlorsqu’ils’agitd’unepersonneimmigrée.

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degenresemblerecouperaumoinsenpartieladifférenceentrelatendanceholisteetindividualiste.Plusgénéralement,etaudelàdesdifférencessexuellesetdes appartenances culturelles, unepenséeholiste etunepensée existentielle (propre au rationalisme occidental)peuvent être tour à tour convoquées selon les besoinsaffectifs, idéologiques des divers choix et décisions quiprésidentà l’organisationdescérémonies funéraires(quenous en soyons le sujet ou qu’elles concernent nosproches). Les attitudes holistes se mêlent àl’individualisme. La dimension religieuse du rituel estsouvent réduite à quelques signes, symboles, une prière,unebaguerituelle,unobjetdanslatombe.Ellenesemblepaslaplusimportante,sansdouteenraisondufaitqu’ellene pose généralement pas problème (dans notre sociétélaïque), et va souventde soi, au seinde la famille oudesproches. Il peut y avoir des exceptions dans des cas deconversionquipeuvent introduisentdesrupturesauseindu groupe familial, comme cela a été évoqué dans lacommunauté Baha’ie. Affirmer son appartenance dans lamortdevientalorsd’autantplusessentiel.Dans le cas des couples mixtes, cas très fréquents enFrance, il peut se créer des cérémonies syncrétiquesassociant les symboles des religions originaires,produisantdesinnovationsrituelles,commeentémoignel’anticipation de rituel judéo-chrétien présentée dans lechapitreconsacréàlamortdanslemondeJuif.Ilenestdemême en situation de conversions, qui entrainent desmembres d’une même famille dans des identitésdifférentes. Ces conversions pourraient certes favoriserdes échanges et des innovations, mais elles risquentsouvent au contraire de se heurter à l’intolérance etdevenirsourcesdeconflits.

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Avecquiêtreassociépourl’éternité?Une dimension d’une importance primordiale se révèledanstouslestémoignagesrecueillis:ils’agitdeprévoirlaou les personnes avec qui être inhumé ou conserver sescendres et, parfois aussi important,avec qui ne pas êtreassocié.Lesanecdotessuivantessontsignificativesàcetégard.UncourtarticleestparudansLeMondedu14aout2015,intitulé ‘Au cimetière de Montmartre, Siné a son petitparadis’, avec en sous titre: ‘Tombes d’artistes. Lecaricaturiste a déjà acheté sa sépulture, qui s’orne d’undoigt d’honneur’. Siné, 86 ans et Delepine, 56 ans ontacquis une concession à perpétuité au cimetière pouvantaccueillir jusqu’à 60 urnes funéraires, «où ne seraiententerrés que «des potes»dans le but ‘de rester entrenouspour l’éternité, même si on n’y croit pas.» Et aussi pouréviter «de retrouver autour de soi quelques uns ‘des cons’que l’onvoitpartoutquandviendra l’heured’êtremis sousterre»Cettepréparationsouslesignedel’humouretdelaprovocation récèle une dimension majeure de lapréparation: auprès de qui reposer? C’est un aspectessentiel des choix des obsèques qui se retrouve cheztoutes les personnes interrogées dans cette enquête,indépendamment du contexte religieux.. Pour lespersonnessansconjoints,lechoixs’avèresouventdifficile.On l’a vu tout au long de l’enquête, l’anticipation desfunérailles dit beaucoup de la vie et des attaches de lapersonne qui l’exprime. Quand il y a couple, le problèmeest généralement résolu; Un antillais veuf a inhumé sonépouse décédée enMartinique, s’était réservé une placeauprèsd’elledans le caveau.Mais il s’est remariéet s’estinstallé en Métropole auprès de sa nouvelle épouse,

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française non antillaise; Son choix sera sans doutedésormais, non sans un certain déchirement, uneinhumationenmétropoleauprèsdesanouvelleépouse.Laquestionde savoir avecqui les restesdoivent reposerou ne doivent pas reposer dans le caveau risque d’êtresource de conflits familiaux, aggravés par la législationcomplexe en matière de transmission des concessionsfunéraires, et qui se complique encore dans le cas defamillesrecomposées57Eviterlaproximitédeceuxqu’onneveutpas«retrouver»estparfoisaussiimportantquedechoisiravecquireposer.Le film«Floride»dePhilippeLeGuay, paru en2015, enprésente une illustration sur le mode de la comédie. Unindustrielretraité,présentantquelquessignesdetroublescognitifs,interprétéparJeanRochefort,estveufetprévoit,le temps venu, de rejoindre le caveau de son épouse. Ilapprendavec colèrequ’unancienamiqui l’avait trahi, etauquel il en veut beaucoup, vient de décéder et serainhumédanslemêmecimetièreetàproximitédelatombedesonépouse. Il refusequece traitre«luigâchesamortcommeilluiagâchésavie».Iltentedesoudoyerlamairie,puis la famille du défunt, pour que cette inhumation sefassedansunautrecimetière;ilvamêmejusqu’àimaginerde fairedéterrer clandestinementdenuit, le corpsde cetamitraitre,pourledéplacerdansunautrecimetière.Autre exemple, celui deMélanie: elle ne sait pas où ellevoudrait être inhumée, ellen’y apas vraiment réfléchi et

57Voirsurcettequestionlerapportrelatifàlalégislationfunéraire,établien2012,parlegroupedetravailréuniparleDéfenseurdesDroits

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cela l’angoisse. Elle pourrait rejoindre le caveau de sesparents,mais elle s’y oppose. «J’ai eu assez demal àmelibérerd’eux,jeneveuxpasmeretrouverfinalementaveceuxdanslatombe».Avec la crémation, le problème demeure, carl’emplacement des cendres garde une puissancesymbolique. Un vieux couple très uni, ayant décidé pourchacun d’eux le recours à la crémation, a ainsi planifiél’uniondeleurscendres:lesurvivantconservelescendresde celui ou celle parti(e) en premier et, à son décès,consigneestdonnéeà la familledemêler lescendresdesdeuxurnesetdelesdisperserensemblesdanslamer.Leurvolonté a été respectée par leurs descendants, qui ontrenduhommageà ce coupleunidans la vie etdésormaisaussidanslamort.Est ce signe d’une croyance en une certaine formemystérieuse de survie, à travers les corps et même lescendres,ycomprischezceuxquisedisentagnostiquesouathées? Le témoignage suivant rapporté par AnneGotmanle laisseraitpenser:«Lesmortscertesneparlentpasauxvivants, ilssontbienmortspourlesvivants,pourautant, entre eux, ils ne cessent pas d’exister: «Moi jecrois clairement que je ne mourrai pas plus tard parexemple,expliquecette fidèle,que jeretrouverai lesgensque j’aime encore que je ne sais pas sous quelle forme,mais j’y crois complètement, ça. Donc c’est essentiel, çadonneunsensàlavie,onn’estpaslàletempsqu’onpassesurcetteterre,maisonestlàpourplusqueça.»58Par ailleurs, ceux qui hésitent à opter pour la dispersiondescendres,sedisentquelquepeugênésparl’absencedetraces.C’estcommesiledéfuntdevenaitunsansdomicile.

58Gotman,op.cit.

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Qu’il y ait anticipation ou désir de faire communauté, iln’en demeure pas moins qu’il y a toujours une exigencerituelle. Comme le souligne Catherine Le Grand-Sebille,aucunesociéténelaisselesprochesseulsàcotéducorps;etsidesritesancienssontabandonnés,ilfautrepenserdenouveaux rites, car le rite donne du sens. Il accompagne,pourquelepassageaitlieuetquechacunresteàsaplace:le vivantdans la vie, lemort intercesseur et lamort à saplace,ultime.59Qu’elles soient ou non être érigées au rang de rite, lesnouvelles pratiques peuvent et doivent remplir lesfonctions qu’assuraient les rites traditionnels, etcorrespondent à des exigences sociales, éthiques ousymboliques, qui s’affirment toujours. On conçoit lanécessité de préciser leurs fonctions au regard des ritestraditionnels. Selon Claude Javeau, les nouvellescérémonies qui accompagnent la crémation ne diffèrentpointdecellesquiserapportentàdesmodesd’obsèquesplus traditionnelles. «C’est qu’il s’agit toujours, pourreprendre la belle expression de Patrick Baudry, de«construirel’espacedesmorts»…Lecadavre,mêmeréduitàunepoignéedecendres,n’estpasdépourvudetoutrested’humanité»60.Les rites funéraires ont également des fonctionspsychologiques, ils contribuent à l’accomplissement du«travaildudeuil», àpréserverlasantémentaleetéviterlestroublesd’un«deuilpathologique».Cette contribution des rituels funéraires au bondéroulementdutravaildudeuildoitêtrepriseencomptedans le cadrede la transformationoude l’adaptationdes59EntretienavecA.deVivie,Agevillage,5mai2003.60ClaudeJaveau,«Crémationetnouvellesritualités»,RevuePrévenir,1ersemestre2000,p.217-222.

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traditions aux exigences de la société moderne. Laritualisationaeneffetdesfonctionsquivontbienau-delàde la socialisation 61 : «La socialisation des pratiquesfunéraires est le témoignage devant le groupe du videlaissé par le défunt… Tandis que la ritualisation a unimpactprofondetsurtoutinconscientsurlesdeuilleurs.Lathéâtralisationde lamortpermet l’expressiond’émotionsbanniesdelasociété.»62Il se crée par ailleurs des rites funéraires virtuels,l’internet permettant aux internautes d’assister en directaux obsèques. Leur diffusion peut être réservée auxproches,éloignésgéographiquement,commeellepeutêtretrès large ou même publique, offrant au défunt unecérémonie digne des plus grandes princesses, comme lesouligneJean-PhilippeWagner63.Ilyaaussilescimetièresvirtuels, sur le modèle japonais: «L’une descaractéristiquedecepays(le Japon)c’estsonmanquedeplace.Alors,fautedelieuréel,onencréeunvirtuel.Unlieuvirtuel qui relève, nonpasde la sphèrepublique, commec’est traditionnellement le cas du cimetière, mais de lasphèreprivée;pouraccéderàcessites,ilexistedescodes,des systèmes de sécurité qui empêchent la consultationpublique…Lecimetièrevirtuel s’inscritavecunecertainelogique dans les rites locaux et tend à confirmer lanécessité d’un lieu».64Les multiples jardins du souvenirtémoignent de cette nécessité. «La sépulture des morts,selon les crématistes, c’est le cœur des vivants.»65Les61Marie-FrédériqueBacqué,«Apportspsychologiquesdesritesfunéraires»,Étudessurlamort,1998,n°114,pp.41-53.62Marie-FrédériqueBacqué,op.cit.,p.42.63«Versdesritesfunérairesvirtuels?»,CahiersdelaFNADEPA,n°57,mars1999.64Jean-DidierUrbain,1998,L’archipeldesmorts,Paris,Payot.65Jean-DidierUrbain,op.cit.

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nomseux-mêmessontporteursd’uneâme,selonunusagemillénaire des Inuits. Les nouveaux-nés reçoivent le nomd’une personne décédée, ce qui tiendrait plus d’un‘recyclage de l’âme’ que de la réincarnation, comme lemontrelereportagedelajournalisteAnnickCojean66.Lesnoms de l’âme ne périssent jamais, chez les Inuit, ce quiparaîtdifficileàfairecomprendreàl’étatcivilcanadien.

****Parmi les conclusions de cette étude, soulignons laplasticité dont font preuve les différentes communautés;elles sont amenées àmodifier quelque peu leurs rites etrituelsfunérairespours’adapter.Ellestémoignentainsideleurscapacitésàintégrerdenouveauxempruntsculturels,commecelas’estrégulièrementproduitaucoursdutemps.l’existence de symboles et de significations partagés partoute communauté humaine face à la mort, au delà desréelles diversités, contribue certainement à cetteadaptation. L’apprentissage de la tolérance que la laïcitéimposeàtous,yparticipeégalement.Leurintégrationimpliqueàlafoislareconnaissanceetlerespect de l’identité de toutes les communautés etl’obligationfaiteàchacunedepratiquerlatolérance67auxautres,d’accepterenretourladiversité.S’ilestnécessairedeprendreencompteautantquepossible desexigencesspécifiques, il est aussi souhaitable de mener une actiond’information et d’échanges entre communautés, pourenrichir leurs dialogues. Peut on alors imaginer quel’espace de mort devienne un modèle d’espace detolérance?66AnnickCojean,«RencontreaveclesInuits»,LeMonde,le27août1998.67Cequin’estpastoujourslecasaujourd’huid’aprèslestémoignagesrecueillis.

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LesimmigrésAfricainsetlamortClaudineAttias-DonfutL’Afrique est un terrain privilégié pour l’observation desrites et rituels funéraires. Il est significatif que l’ouvrage,‘L’anthropologie de lamort’, qui a révolutionné le regardscientifique sur la mort68, soit l’œuvre d’un africaniste,Louis Vincent Thomas, et comporte de constantesréférencesauterrain.EnAfrique,lesanciensontunstatuttraditionnel privilégié, lié à leur position dans lareprésentationducyclevital,quienglobelavie,lamortetles ancêtres69. Par exemple, dans l’univers des Ambuns(dans larégionKwilude l’exZaire),«l’éternitédevieestenvisagée sous la forme d’unmouvement circulaire, allantde la naissance à lamort et de lamort à la naissance. Demêmeque l’enfant est destinéà devenir adulte, l’adulte unvieillard, le vieillard un ancêtre, l’ancêtre esprit vitalrenaitrapourreprendre lecercledeviede l’univers…Aprèsla mort commence la vie invisible des esprits, celle desancêtres. Ce monde invisible est la résidence de la forcevitalequelesancêtrescommuniquentauxanciens…»70ImmigrationafricaineenFranceLes ressortissants d’Afrique Sub-saharienne présents enFrance sont évalués à environ 570 000 en 2010 par

68GaelleClavandier‘sociologiedelamort’,ArmandColin,200969Attias-DonfutC.etRosenmayrL.(Dir.)‘VieillirenAfrique’,Paris:PUF,199570N.O.Kabwasa,1982,UNESCO,Journéedesjeunespourlesdroitsdel’homme

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l’INSEE. Ils représentent la plus nombreuse populationd’AfricainsenEurope,quinecompteraitautotalque900000 dans l’ensemble des pays de l’union Européenne.L’immigration africaine enEuropene représenteque2%de la population du continent africain Sub-Saharien. Cetaux aurait tendance à augmenter avec les problèmespolitiques et les guerres que connaissent plusieurs paysafricains,maisilestfreinéparlafermeturedesfrontièreset les difficultés et drames que connaissent les migrantsvenant d’Afrique et dont la presse se fait régulièrementl’écho.Contrairement à une image répandue dans le public, lesimmigrésafricainsenEuropeontunhautniveaud’études:d’après l’OIM, le nombre de ceux qui possèdent undiplômed’étudessupérieuresvariaitde37%à69%parmilesmigrantsentrantsen2000.Onretrouvecephénomènedès l’originede lamigration sub-saharienne71. Les jeunesvenus étudier en France après la décolonisation ont eutendance à y rester. Par ailleurs les difficultés sociales etpolitiques que rencontrent les pays africains entrainentune perte de leurs élites. C’est en Afrique que lephénomènedu‘brain-drain’(fuitedescerveaux)estleplusimportant ,ainsique le ‘care-drain’ (fuitedespersonnelssoignants), faisant suite aux besoins croissants de maind’œuvre dans le secteur médico-social et en particulierdanslessoinsauxpersonnesâgéesdespayseuropéensauvieillissement accéléré, en France en Angleterre ou enItalienotamment.ConceptiondelamortenAfrique71CfBarouJ.(Dir)2011«Del’AfriqueàlaFrance,d’unegénérationàl’autre»ArmandColinetAttias-DonfutC.etal.,2003‘L’Enracinement’,ArmandColin

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Lamortduvieillardestunebonnemort,elleestnaturelleet désirable, dans le sens où elle représente unaccomplissement.SelonlesobservationsdeLouisVincentThomas72lamort n’est ni destruction ni séparation,maispassage. Cette conception est illustrée par un des récitsqui concerne lesMina (Bénin): «Bomenon, être spirituels’est vu confier parMawur (Dieu) la tache d’envoyer leshommes sur la terre. Ces derniers, en attendant,préexistent dans un lieu prénatal invisible, le Bomé.Périodiquement Boménon dépose l’homme en réductiondans le ventred’une femmequi endeviendra lamère; ilnaitra ici bas puis vivra le temps nécessaire pour qu’ilmurisse. Quand Mawu le jugera opportun, un messagerviendra le chercher pour qu’il retourne dans le Boméinitial. Alors il se purifiera, se revêtira de son plus beaupagne, dira adieu aux siens et, le sourire aux levres,quitterasonvillage,chargédecommissionspourceuxqu’ilva rejoindre.» La mort prend ici selon LV Thomas ladimensionmystiqued’unprocessusnaturel,inscritdansleprojethumain,relevantdeladécisiondivinepourlepleinaccomplissement de l’Homme. «L’homme vient faire lemarché sur terre». ‘Le pays des morts est notre paysd’origine‘ dit un proverbe Mina». En affirmant quel’hommeretourneauBoméd’oùilvient,poursuitThomas,le mythe souligne que l’homme ex-siste (sistere: êtreplacé) vraiment en deça de sa naissance terrestre et au-delàdesontrépas.»73

72LVThomas,VieillesseetmortenAfriquein‘Attias-DonfutetLRosenmayr,«VieillirenAfrique»,Paris:PUF,1995,p.161-16773LVThomasop.cit.p.154

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ChezlesBambaras,auMali,LéopoldRosenmayrarecueilliauprès du guérisseur Tiefing, le récit de la mort de sonpèrequ’ilaassisté:Aprèsluiavoirdemandédel’allongersurlanattefaceàlaporte,leregardtournéverslaporte,sonpère,sentantqu’ilallaitmourir, luia faitsesadieux,en touteconscience,enlui transmettant des enseignements et en lui racontantbeaucoup de choses sur sa vie et sur les autres. Il estsignificatifquelepère «…nesetournepasverslepasséenmourant. Au contraire, il regarde vers l’avant, vers laportedesamaison,entantquesymboled’ouvertureversles générations futures. Il souhaite, même au momentprécédent immédiatement sa mort que la porte de samaisonne se ferme jamais,qu’elle resteouvertepour lesenfantsdesenfants.»74Tiefingtiresapuissancedeguérisseurdesonpère,etaussidesamèrequ’ilaégalementassistéeàsamort,etdesesancêtres, comme il le confie: «Quand tu es présent à lamort d’un parent, il te transmet ses forces au-delà de lamort.Etquandtuasdesproblèmesetquedesangoissestetourmentent,ilt’aide.Situl’invoques,ilrépondtoujoursàtonappelet tonproblèmeest résolu.Ledéfuntque tuasassisté au moment de sa mort répond toujours à tonappel»75RapportàlamortdesimmigrésafricainsenFrance7674LéopoldRosenmayretGaoussouTraoré««Alorssonpèreluiademandéunegouttedelait.DialogueavecTiéfingBoaré»,inAttias-DonfutC.etRosenmyrL.«VieillirenAfrique»paris:PUF,1995,p.169-176,p.17675RosenmayretTraoréop.cit.76Cettepartieestbaséesurdesentretiensauprèsd’immigrésafricainsdedifférentesconfessions,vivantenIledeFrance,quiontétéinterrogésdanslecadredelaprésente

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Plus que les autres immigrés, les originaires d’Afriquetémoignentd’unpuissantattachementàlaterrenatale.Cetattachementestd’ordrespirituel,iltienttrèscertainementaux liens indéfectibles qu’ils entretiennent avec leurslointainsancêtresquipeuplenttoujourslaterrenatale.Lesmorts en Afriquemaintiennent leur présence auprèsdesvivants.Hubert,untechniciende50ans,originaireduTogo, bien installé et acculturé à la société française, entémoigne:«Lepèredefamilleestparfoisenterréprèsdesamaisonmême, mais cela est devenu interdit en raison desrisques de contamination de la nappe phréatique. Maismême si son tombeau est éloigné de sa maison, le mortcontinue d’y habiter. Les maisons des vivants sont aussihabitées par lesmorts. C’est pourquoi on doit veiller à lesrespecter:onnebalaiepaslamaisonpendantlanuitpouréviterd’envoyerdespoussières,dessaletéssurlesespritsdesmorts.Lesespritsdesmortssonttoujoursdanslamaison.Lamortc’estquelquechosequ’ondoithonorer,sanctifier.Ilyadescérémoniesenhommageauxmorts,etsidescérémoniessepassent lanuit, elles tiennent comptede laprésencedesmorts.»D’après l’enquête statistique, 44,5% des immigrésoriginaires d’Afrique Sub-Saharienne souhaitent êtreinhumésdansleurpaysd’origine,27,2%enFranceet0,5%dans un autre pays. Il reste que 24,4% se disentindifférentset3,4%nesaventpas77.Lucie, qui est entourée de toute sa famille proche enFrance, parents et enfants, mais garde des relationsenquêteetaussisurlesentretiensrecueillisaucoursd’uneprécédenteenquête,cf‘Attias-Donfut,2011«Audelàdelavieillesse»inBarou(dir.)opcit.p.139-16077Attias-Donfut,2006,op.cit

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étroites avec sa famille élargie au Togo, hésite entre unenterrement au Togo et en France et abandonnefinalementlechoixàsafamille:«Non[pasauTogo]parceque … mes enfants sont ici… Après, ils feront ce qu’ilsveulent,s’ilsveulentm’emmenerlà-bas,silafamilleréclamelecorps,çac’estautrechose.».Ilenvaautrementpoursesparents: «S’ilsdécèdent ici, jenepeuxpasdire"jevais lesenterrerici!",saufs’ilsm’ontditdelesenterrerici.Mais,s’ilsnedisentrien,ousi la famillemedit:"Ahnon, il fautnousramenerlecorps"jesuisobligéederamenerlecorps.Parceque…poureux,c’estsacré».La question des obsèques est parfois discutée en famille.Lesvolontésdesparentsà cet égard sont transmisesauxenfants et s’imposent de façon absolument impérative,commeleraconteEmilieparlantdesonpère:«c'estlà-basqu'ilatoujoursvoulu,etilnousadéjàprévenus:"moijesuispas enterré ici, c'est là-bas!". C'est comme le père à monbeau-frèrequifaitpartiedespremiersmigrantsiciManjak:ilestarrivé lui justeaprès laguerre, ila toujoursditàsonfils "Non,moi vousm'enterrez là-bas, pas ici". Et pourtantvoilà:lagrandemajoritédesesenfants…sontdesmétisquisontici,ilatoujoursdit"non,moijeseraienterrélà-bas".Iladéjàprévenu.Monpère,voilà,ilsaitqueçaserapasici.Ilafait : "si vousme faites ça, je vous porte la poisse" (rires).Non,ilnousadéjàprévenus…».La dimension religieuse est certes importante, on le voitbien dans les multiples lieux sacrés à travers le monde,associant rites funéraires et territoires, objets depèlerinage et investis de pouvoirs surnaturels. Mais plusque la religion, c’est la tradition culturelle qui s’impose,comme l‘explique Hubert, qui est catholique, maisconsidère que la tradition n’est pas une question dereligion:

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«Jenepeuxpasoubliermonorigineafricaine,mêmesijevisau milieu des Français, l’intérêt est aussi d’avoir deséchangesculturels.NouslesAfricains,commemel’aditmonprof,onnepeutpasselibérerdesestraditions,mêmequandon vit en France, on reste entre deux mondes: ‘ce que tamère a mangé, au cours des cérémonies qu’elle a reçuesquand tu étais dans son ventre, est entré dans son sang etdanstaconstitution,danstesgènes.Onvientaumondeaveccertaineschoses,tunepeuxpast’enlibérer,c’estcequinousaconstitués,danstoncorps,danstonâme».Pourappuyerson argumentation il raconte l’anecdote suivante: «Dansun village du Sénégal, un grand arbre, l’arbre des vieux,l’arbre sacré, abrite régulièrement le grand conseil duvillage qui se réunit sous cet arbre, on y fait descérémonies…, on s’y réunit quand un enfant vient aumonde…, tous les membres du village sont passés à unmomentou l’autresouscetarbre fétiche.Unjeunehomme,quidevaitpartirenEuropepourétudier,aétécélébrésouscet arbre par le groupe qui lui souhaitait bonne chance.Quand il est revenu quelques années plus tard, un bondiplômed’ingénieurenpoche,ilaentreprisdemoderniserlevillage. Ila tracéune routequipasseparcetarbre,qu’iladécidé de faire abattre. Il a rencontré une vive oppositiondes sages, qui ont tenté de lui faire comprendre que cen’était pas possible d’abattre l’arbre sacré, mais ce jeunediplômén’avoulurienentendre…deces‘bêtises’.L’arbre fétiche fut donc abattu et la route tracée. Maisquelques temps après, le jeune ingénieur a eu descomportements bizarres, répétant: ‘les morts ne sont pasmorts,ilssontdanslesarbresquifrémissent,dansl’eauquicoule, dans le vent qui souffle’. Il a finalement montrédessignesde folie. Il semblaitque lesmortss’étaientretournéscontre lui, que la coupe de l’arbre avait libéré un monde

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invisiblequis’estretournécontre lui…»Lamoraledecettehistoire,selonHubert:«Onnedoitpas«déconner»aveclatradition, cela ne concerne pas que l’individu,mais tout lecercle dans lequel il est inscrit. S’il déroge, il se met endehorsducercle,ils’enexclut,ilattirelamalédiction.»Alaquestiondesapréférencepoursespropresfunéraillesil lui paraît évident que la famille doit se «débrouiller»pourqu’ilreçoivedesfunéraillesdignesenAfrique:«La famille est obligée de se sacrifier pour offrir desfunéraillesdignes,elledoitsedébrouiller.Jevoudraisrevenirauprèsdesanciensquisontmorts.Cen’estpasunequestionde religion, je suis catholique, mais c’est une question decoutume sacrée, quelle que soit la religion, catholique,protestanteoumusulmane.Oncroit toujoursauxmorts…Situesmisenterreàl’étranger,tun’espasdanslafamilledesmorts.Lesespritsdesmortssonttoujoursàlamaison.»L’exemple douloureux de sa mère, morte au cours d’unvoyagemontrebien la forcede l’obligationde la famille:«Mon frèrequihabiteauCanadaa souhaité faire soignernotre mère, qui était malade du coeur et l’a fait venir duTogo.Maiselleestmorteenarrivant.Ilafalluorganiserleretour du corps pour lui faire des funérailles dignes, enmobilisanttoutelafamille.Celaacoutétrèscheretçaaprisdes mois avant que son corps revienne, elle a du êtreconservéedansunechambrefroide.»La croyance en la réincarnation est forte: «Dans lescérémonies mortuaires, un enfant n’a pas le droit deregarderlemort,il luiestinterditdevoirlecorps,mêmesic’est celui de sa mère, car il (le mort) peut prendrepossessionde l’enfant,dont l’espritestencore faible etquinepeutpassedéfendrecontrel’espritdumort.

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Onamêmedescérémoniesaucoursdesquellesondonneàmangerauxmorts;onpeutaussinettoyerlestombes,sortirlesrestesdesmorts, lesnettoyer, leurapporterunnouveaulinceul…. Les mêmes croyances sont partagées par unepopulation s’étendant dans une région recouvrant unepartieduallantduTogo,Ghana,Benin.»Selon Hubert, la crémation n’est pas envisageable enAfrique:«Incinérersonpèreousamèreestuneinjureàlafamille, le corps est sacré, on est maudit si on le fait. UnTogolais,retournéaupaysavoulucréeruncrématoriumetimporterlacrémationenAfrique.Çan’apasmarché,ilaétéconsidérécommeunfou,onl’amisàl’écart.»Il y a néanmoins des évolutions dans les pratiquesfunéraires: «Aujourd’hui il y a toujours de grandescérémonies pour les funérailles, mais elles sont moinsprestigieuses qu’autrefois. Les familles font moins dedépensesdeprestigeetfontappelàdespompesfunèbresquis’occupent de préparer le corps, d’ériger des tentes pouraccueillirceuxquivontveiller lemortavec lesproches,quivontparticiperaucérémonialdudeuil.»Dans sa description d’un spectacle offert lors desfunérailles,dansunvillagedel’ouestduCameroun,parlesassociations culturelles de danse traditionnelle, FranckBeuvier78 relèvedesélémentsdemodernisationassociésaux pratiques rituelles. Chants, danses, comportementsexcentriques, parfois contestataires, et performances ysontaniméspardescadetsbamiléké,desjeuneshommesexclus de la chefferie, ce qui déroge à la tradition qui78« Danser les funérailles. Associations et lieux de pouvoir au Cameroun » Editions de l’Ehess, 2015

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supposequelesofficiantsdecérémoniesmortuairessoientdes sages, des anciens. Les performances de ces groupesde jeunesqui ‘dansent les funérailles’duchef’mettentenévidencel’intricationprofondedesvaleursdelamodernitéet du legs du passé. Si selon la tradition, «Lesmorts nesont pas morts et réclament leurs funérailles», laconditiondecadetauseindelachefferiefaitl’objetd’uneaffirmation nouvelle, tout à fait moderne.Binta,originaireduMali,expliquequelacoutumeveutqueles femmes soient enterrées aux côtés de leurmari. CelaposeunvraidilemmeàJuliette:«C’estunequestionquimepréoccupe beaucoup. J’aimerais bien un jour être enterréeau pays à côté de mes parents. Malheureusement, c’estimpossiblecarj’aitousmesenfantsicienFrance.Jesouhaiteun jour être enterrée en France pour que mes enfantspuissentserecueillirsurmatombe.».

Qu’ilyaitsentimentd’attachementoudefidélitéauxlieux,aux gens ou à la lignée, le dilemme n’est pas facile àrésoudre.Soumisàdesexigencescontradictoires, lechoixpeutalorss’orienterversdescompromis,desinnovationssous forme de "bricolages rituels". On en trouve unexempleparmi les immigrésManjakàMarseille, qui sontcatholiquesetinhumentmassivementlesmortsenFrance,tout en procédant à un rapatriement symbolique auvillage. Une "valise mortuaire", contenant des effetspersonnelsdudéfunt, est renvoyéeauvillagepour servirdesupportàdesfunéraillesdestinéesàclorelecycleritueldanslepaysd’origine7979AgathePetit,‘Mourirenterred’immigration’,inFrédéricLenoiretJean-PhilippedeTonnac(dir)2002.Lamortetl’immortalité.Encyclopédiedessavoirsetdescroyances.Bayard,p.1173-1186

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Dans les casde rupture totale avec la famille et lemilieud’origine, quand il n’y a plus de réconciliation possible,même au delà la mort, la tombe n’a plus d’importance.Charlotte, qui n’a que des souvenirs d’humiliation et demaltraitancedanslepaysdesonenfance,leTogo,etquiavécu en France au milieu de Bouddhistes dont elle aadopté la foi, se définit comme citoyenne du monde etsouhaitepourelle la crémationetque ses cendres soientdispersées aux quatre vents: «Non, je ne veux pas êtreenterrée,nienAfrique,nienFrance…J’yaipensédéjà. J’aiditauxenfantsqu’ilsmebrûlent,etpuisilsmemettentdansunpotetpuis ilsme jettentunpeupartoutdans lemondeentier».C’est une attitude rare. Pour la plupart des immigrésafricains, le lieu de l’enterrement est important, il a deprofondes résonances à la fois dans le système decroyances et dans le sentiment d’appartenance à ungroupehumainetàunterritoire.L’affaiblissementdulienavec les ancêtrespeut engendrer, dansunmécanismedecompensation, un attachementplus fort au lieud’origine,ce que Déchaux nomme un ‘déplacement’ de la filiation,dontl’effetestde‘restaurerunecertainecontinuitéavecletempsdesorigines’80Cedéplacementpeutseportersurlalocalité d’origine ou sur d’autres objets, comme lacommunauté ou le groupe ethnique. Le sur-investissement des lieux d’origine peut donc conduire àvouloirs’yfaireenterrer, quandparadoxalementlelienàlafamilled’origine,auxancêtres,s’estdistendu.C’estalorsmoinslecimetièrelui-mêmequelaterredesalocalisationgéographique,quifaitl’objetd’investissement.

80Jean-HuguesDechaux,2002‘Neutraliserl’effroi’inF.LenoiretJPdeTonnac,opcit.p1153-1172,p.269.

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Cestémoignagescontiennentlesélémentsprincipauxpourcomprendrelapratiquedesrapatriementsdescorps, trèscourante entre la France et les pays du Maghreb etd’Afrique Sub-saharienne. En plus de la dimensionfamiliale et religieuse de l’inhumation, en plus du critèred’appartenance collective qu’elle représente, il y a certesdes considérations d’ordre économique, qui dépendentbienentendudesaidesquipeuventêtreapportéesparlesadministrations des sociétés d’origine. Les pays duMaghreb prennent en charge le couts du transport ducorpsparavionetlevoyaged’unaccompagnateur.Cen’estpaslecasdespaysd’AfriqueSub-Saharienne.Maisiln’estpas rare que les immigrés africains organisent desépargnes collectives, des tontines, pour payer leursobsèquesavecretourducorpsaupays.L’anticipationde lavieillesseetde lamortmeten jeu lesattachementslesplusprofondsetlesplussignificatifsdesindividusdans leur vie intime, familiale et collective. Ellemetlesmigrantsfaceàunevéritableetdernière"épreuvede vérité", faisant surgir des sentiments souventambivalents à l’égard de leur expérience migratoire, deleurs attachements, du degré de leur enracinement enFrance.Laconfrontationàlavieillesseetàlamortréactivelesquestionnementssurlesappartenances,lesidentitésetleslienstransgénérationnels.La préférence sur le lieu d’enterrement est néanmoinssous-tendue par un choix difficile entre les ancêtresdisparus reposant en terre africaine et les enfants vivanten France et que lamigration a éloignés ou coupés de la

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tradition. Les familles transnationales sont ainsiconfrontéesàcedilemme,unepartiedelafamilleétantici,uneautrelà-bas.Leshésitationsrévèlenttoutel’ambiguïtéde leurs identités et appartenances multiples.Paradoxalement, les immigrés africains rencontrés sedéterminent plus clairement sur la mort que sur laretraite.Leshésitationssontplusfréquentesquandils’agitde savoir où vivre sa retraite que dans la décision de sefaireenterrerenFranceouenAfrique,mêmesilesoptionsdivergentàcetégard.SiladécisiondevivresaretraiteenFrancea finalement la faveurde laplupart (quitteà fairedes allers et retours avec l’Afrique) et semble attesterd’unebonneinsertiondanslasociété,elleestaussisourced’incertitudes sur l’avenir. La garantie de bénéficier demeilleurs services de santé en restant en France estcontrebalancéeparlacraintederisquesaccrusdesolitude.Mais tandis que le choix de rester en France estmajoritaire, le souhait d’être inhumé en Afrique domine,signe d’unpuissant attachement au pays et d’une fidèlitéauxancêtres.Lelieudureposéternelestson"chezsoi"leplusintimeetmarquelaforcedulienavecsesracines.Vieillir et mourir en France, puis "reposer" dans le paysd’origine,cetéternelbalancementsembleponctuertoutleparcours desmigrants. Seul l’au-delà de lamort apportefinalementdesélémentsderéponseà laquête identitairequi, comme le dit une jeune africaine établie en France«estlaquestiondetouteunevie…»81.81citéeparRémiGallouetSabrinaAouici,inJ.BarouDir.,2013,Del’AfriqueàlaFrance,d’unegénérationàl’autre,op.cit.

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LesmusulmansetlamortMajdaCherkaouietClaudineAttias-Donfut«Leshommessontendormis, ilsneseréveillentque le jourdeleurmort.»82Musulmans de France: Un ensemble important, trèsdiversifiéLes musulmans représentaient environ 1,7 milliardd’habitants dans le monde en 2010 et leur nombreaugmenteraitrapidementaucoursdesprochainesannéespour atteindre environ 2,8 milliards à l’horizon 2050,égalantlenombredeschrétiensquiatteindraitenviron2,9milliards83.En France l’Islam a pris une grande importance, à la foisdémographique et culturelle, en l’espace de quelquesdécennies et fait désormais partie intégrante du paysagereligieux français. Selon le ministère de l’intérieur, il yaurait en France entre 5 et 6 millions demusulmans en2010, ce qui en fait la deuxième religion en importance,après le catholicisme. Ce développement historiquementinédit s’inscritdansunmouvementgénérald’affirmation,au cours du siècle, d’une diversité religieuse sansprécédentdans l’hexagone.Lesquatrecultesreconnusen1905(catholicisme,protestantismesréforméet luthérien,82D’aprèsunaphorismeduprophète,citéparGhalebBencheikh,«LamortenIslam,unefatalitémaisnonunefin»,inD.Favre(dir.)Lamortenquestions.ApprochesanthropologiquesdelamortetdumourirEres,2013,p.76-9083Selonl’institutdesondagesetd’étudesPewResearchCenter,

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judaïsme) côtoient aujourd’hui de nombreuses religions,venant de toutes les parties du monde.L’installation depopulations musulmanes en France correspond auxvagues d’immigration, qui ont jalonné le XXe siècle, ellesuit les mouvements de colonisation, puis dedécolonisation. L’immigration musulmane, venantd’Afrique du Nord et du Sud, a culminé dans les années1960, en même temps que les immigrations de paysasiatiquesetduPortugal.Danstoutel’Europe,laprésencede l’Islam est directement liée aux flux migratoires enprovenancedessociétésmusulmanes,quisesontsuccédéssurtout depuis les années 1960. Désormais entré dans lacitoyennetéeuropéenne,l’islamestparmilesreligionslesplusjeuneschronologiquementdansl’espaceeuropéen.En Europe, c’est la France qui compte le plus grandnombre de musulmans, de juifs et de bouddhistes. Cettediversité est encore plus significative Outre-mer, commel’illustre l’île de la Réunion où coexistent chrétiens,hindouistesetmusulmans.Diversitéauseindel’IslamLoin d’être homogène, l’Islam inclut une pluralité decourants et de tendances. Les deux principaux grandscourants sont les Chi’ites et les Sunnites. Leur divisionhistorique84 remonte à l’originemême de la constitutionde la religion, à la mort du prophète Mahomet, en 632,quand s’est posée la question du successeur le pluslégitimepourdirigerlacommunautédescroyants:-les futurschiitesdésignentAli,gendreet fils spiritueldeMahomet,aunomdesliensdusang;

84http://www.lavigerie.org/fr/contenu/grcourantsisl.html

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-les futurs sunnites désignent Abou Bakr, un hommeordinaire,compagnondetoujoursdeMahomet,aunomduretourauxtraditionstribales.Une majorité de musulmans soutiennent Abou Bakr, quidevientlepremiercalife.Depuis,lessunnitesonttoujoursétémajoritaires.Ilsreprésententaujourd’huienviron85%desmusulmansdumonde.Lesseulspaysàmajoritéchiitesont l’Iran, l’Irak, l’Azerbaïdjan et Bahreïn, maisd’importantesminorités existent auPakistan, en Inde, auYémen,enAfghanistan,enArabiesaouditeetauLiban.Lesmusulmans «sunnites» représentent la plus nombreuseminoritéreligieuseenFrance,ellemêmecomposéed’unegrandediversitéd’originesetdetendancesAu dela et au sein de ces deux grands courants, ondistinguecinqtendances85:L'islampopulaireavecsestraditionsetpratiquesrituellesestunislamdelaconvivialité.L'islam laïcisant (moderne) : des intellectuelsréformateurs revisitent le Coran et d'autres textesfondateurs pour un Islam moderne. Ils proposent unecritique historique et font une analyse littéraire(l'Hijtihab). En général, ils résident dans les pays nonmusulmans(enEurope,enAmérique)L'islamconventionnelquiestsouventl'islam"officiel"desrégimes politiques (Arabie Saoudite, Etats pétroliers duGolfe,Iran...).L'influencedeswahhabites,courantferméàla modernité, s'y fait sentir douloureusement. Cet islamdisposed'un important réseaubancaire et financierpouraideràconstruiredesmosquéesdansletiersmonde.

85cfLepointsurl’IslamenFrance,ladocumentationfrancaise,2000

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Le terme d’islamisme recouvre d’autres tendances, quisont considérées comme instrumentalisant l‘islam à desfins politiques avec deux orientations, radicalisme, etviolencetoutesdeuxfaisantappelaudjihadetaumartyr.Ils cherchent à promouvoir un Etat par la violence et leterrorisme.IlsprennentdesformesvariéesselonlespaysParexempleleGIAenAlgérie,lesTalibansenAfghanistan,Al Qaida, le Hamas au Liban, et à Gaza, l'AyatollahKhomeinyenIran86Enfin,lesoufisme,àl’opposédel’islamisme,représentelatraditiondel’islamspirituel,néauVIIIesiècle,représenténotammentpar la tradition soufiepopulaire, les ritesdusamâ (danse rituelle), les chants et les musiques. Il estreprésenté par le festival des musiques sacrées qui sedéroule annuellement à Fès, au Maroc, réputé comme lehaut lieu du soufisme. Considéré par certains commeminoritaireoumarginal,pard’autresaucontrairecommeune tendance à part entière de l’islam, il est centré ettourné vers un savoir-être inspiré d’un humanisme un"islamdepaix"etunstyledevieentièrementimprégnédelaspiritualité87.DesformesdereligiositéàgéométrievariableEnplus de la diversité des courants et des tendances, defortes disparités coexistent sous la catégorie de«musulmans de France», en fonction du degré dereligiosité. Ainsi on peut distinguer entre croyants,86 http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/06/20/au-fait-quelle-difference-entre-sunnites-et-chiites_4442319_4355770.html#eUVrjMcEyVPmV1ss.99 87Ensavoirplussurhttp://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/03/04/le-soufisme-un-rempart-a-la-barbarie-des-extremistes

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pratiquants etmilitants cequeWEIBEL (2000)88appelle"l’islam-action"plusieursstrates:lescroyants,pratiquantsseulement les aspects festifs, les croyants non ou peupratiquants, les personnes relevant d’une appartenancemaissanscroyancenipratiques,etenfinlesnon-croyantset les non-croyants militants. Néanmoins, au-delà de cesstratesinteractionnelles,malgréundiscoursuniformisantsurles«musulmans»,voire«lesmusulmansfrançais», ilyaunefortedistinctionquis’observeàtraverslapratiquereligieuse dans ces pays ou plutôt la religiosité selon ladéfinition que lui donne GLOCK (1964)89, la religiositépossède cinq dimensions différentes: la croyance, lapratique, la connaissance, l’expérience, l’appartenance;Cesdimensionssontrelativementindépendantes lesunesaux autres. Dans l’enquête que nous avonsmené sur lesimmigrésdeplusde45ansenFrance(enquêtePRI,voirsadescription plus loin), il apparaît que ce sont lesmusulmans qui déclarent la pratique religieuse la plusimportante comparés aux immigrés des autresconfessions,catholique,protestanteoujuive.Mêmesilesstatistiquesofficiellesnefontsouventétatqued'un faible nombre d'athées dans les pays arabes, unchangementdegénérationseproduit :deplusenplusdegenstournentledosàlareligion,selonAhmedBenchemsi,quiparled’«athéesinvisibles»90;maisladissuasionque

88WEIBEL(N.B);2000,"Pardelàlevoile:«femmesd’islamenEurope»,Paris,ÉditionsComplexes,p.14

,

89 GLOCK (C.Y); 1964 “Toward a Typology of Religious Orientation”, New York,ColumbiaUniversityPress.

90articlepubliéparTheNewRepublic(23avril2015)

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représententlespeinespourlesapostatsdansunpaystelque l'Arabie saoudite, par exemple, ne permet pas desavoirquelleproportionilsreprésentent.Beaucoup de non-croyants préfèrent dissimuler leurabsence de convictions religieuses pour ne pas choquerleur famille et pour éviter des ennuis. «Dans le mondearabed'aujourd'hui, cen'estpas tant lareligiositéquiestobligatoire que l'apparence de celle-ci», résumeBenchemsi. La situation est encore plus délicate pour lesfemmes, qui ne peuvent se dire «athées», sans sediscréditer,athéismeetimmoralitéétantsouventassociésdanslaperceptionpublique.La diffusion d'Internet ouvre de nouvelles voies à lapropagationdel'athéismeetàl'établissementdecontactsentrepersonnespartageantdes vues semblables. Commepartout,desdoutespersonnelsmarquentsouventlepointde départ d'un itinéraire conduisant à la perte de la foi.Dessituationspersonnellesoppressantesliéesàlareligion(ou à des personnes religieuses) constituent un autrefacteurassezclassique.Enrevanche,lerejetdudjihadismene représenterait pas une cause majeure de cesdémarches,àencroireBrianWhitaker91,auteurd'unlivresur l'athéisme dans le monde arabe: les athées rejettenttouttypedereligion,etpassimplementlesformeslesplusextrêmesdecroyance.Admettre son athéisme fait courir le risque d'êtreconsidérénonseulementcommeunennemidelareligion,mais aussi de l'État. Bien que leur démarche ne soitsouvent pas politique au départ, il est difficile pour lesathéesdespaysarabesd'éviter ladimensionpolitique, lareligion n'étant pas considérée commeune affaire privée91BrianWhitaker,ArabsWithoutGod:AtheismandFreedomofBeliefintheMiddleEast,2014,210p.disponibleuniquementsurAmazon

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et parce qu'ils plaident pour des sociétés séculières.«Quandlafoidesgensestpolitique,monmanquedefoiledevient également par définition», conclut l'historienégyptienAbdel-Samad,ancienmembredumouvementdesFrèresmusulmans.Les principales tendances au sein desmusulmans enFranceSelon un aumônier musulman interrogé, on peutdistinguerenFrance4principalesgrandes communautésmusulmanes, chacune ayant des spécificités culturellespropres : les communautésmaghrébine, africaine, turqueetPakistanaise.Lesoriginairesd’AfriqueduNord,lesplusimportants et les plus connus, parmi les musulmans deFrance, sont généralement d’obédience sunnite; ceuxvenus de Turquie, incluant les kurdes peuvent êtresunnites ou chiites et représentent aussi une forteminorité, tout comme ceux issus de pays d’Afrique Sub-Saharienne qui se divisent entre les musulmans et leschrétiens.Lesautresoriginessontmoinsreprésentées,lespays sunnites du moyen orient, l’Iran chiite, les paysd’extrêmeorient,PakistanouAfghanistan.Parmi les Pakistanais, se trouvent les Sri Lankais, lesBangladeshis. Groupes très fervents, qui ont eux aussileursresponsables.(ParmilesBangladeshisilyaaussideshindouistesetdesbouddhistes.).Lacommunautéindienneest subdivisée en trois grandes communautés avec desresponsabilitésparticulières:-taoudibora(quiasesproprestoiletteursdemort),

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-khoja(islamchiite),-ismaélienne(islamchiite).Au sein d’un même pays, d’une même religion, demultiples variantes régionales sont autant de modèlesculturels renvoyant à des histoires, des influencesexternes,desévolutions.Sionprendl’exempleduMaroc,onytrouved’importantesdifférences régionales, entre le Nord et le Sud, desdifférences entreBerbères et arabes et aussi à l’intérieurdes communautés régionales, entre montagnards eturbains,entrerichesetpauvres,maisonretrouveunfondcommun de rites islamiques, notamment en matièrefunérairequisontcomparablespartout.Enoutre,lesimmigrésvenusenFrancesontsouventfixésàl’époqueàlaquelleilsontquittélepays,orcelui-cis’esttransformédepuisleurdépart.Lesémigrésonttendanceàseréféreràdestraditionsséculaires,qu’ilsontconnuesetqu’ils imaginent pérennes, puis, quand ils retournent, ilsprennent conscience que ‘ce n’est plus comme autrefois’,que‘beaucoupdechosesontchangé.’LaconceptiondelamortChez le musulman, la mort est considérée comme uneétapenécessaireversDieu:«Lejouretl’heuredelamortest décrété par Dieu. Le défunt assisterait à ses propresfunérailles et voit la tombe qui se referme. Commencealors le questionnaire de la tombe: deux anges posent

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trois questions, portant sur la seigneurie de Dieu, laprophétieMohammadienne;lareligionembrassée»92Faceàlavie,coexistentdesenviesdevieetdemort;ilfautse battre contre ses propres envies pour cheminer versDieuourenonceretsedistancierdeDieupourvivredanslavie.Cescontradictionssont l’expressiond’unperpétueldésir très profond oscillant entre transgression,permission,dérogation,etdépassementdelaculpabilité.L’islamestprobablementunereligionoù lamortest trèsprésente, dans la mesure où elle est rappelée tous lesjours,notammentà travers lescinqprières.Mais,au-delàde la simple considérationde l’existenced’une vie futureaprès la mort, les musulmans considèrent qu’il estimportantpourchacundepréparercetteviefuture,quiestunesecondevie,dumieuxqu’ilpeut,enayantlameilleureconduitedans lavieprésente.Plusieursversetsducoran,relatent le jour de la mort (Maout’) dans la vie de l’êtrehumain, comme l’avènement d’une date fatidique, quenulle fortuneouéchappatoirenepourront repousser. Lecroyantmusulmann’aqu’àconsentiraudécretdivin.Quecesoitdansdessouratescourtesoulongues,laplupartdecesversetssesuccèdentsouventsuruntonfortalarmant,pour mettre en garde l'homme et le rappeler à saprincipale vocation qui est l’adoration deDieu, qui est lebut de sa création, ainsi que sa condition d’être morteldontlesactionsdanslemondeicibasontunimpactsursaviefuture.Dansl’islam,lamortdoitêtreenvisagéechaqueinstant,onnedoitpasladissimuler,ondoitluidonnerun«sens» , se rappelerque l’hommen’estpas immortel,demanière à ne pas la rendre étrangère à nos vies et àl’apprivoiser. La martyrologie, dont Galeb Bencheik

92Bencheik,op.cit.

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dénonce l’exploitation politique, est controversée. Lestatut du martyr n’apparaît pas bien explicite dans leCoran. «C’est la sunna-traditionprophétique-quidétaillelesconditionsetprivilègesdustatutdumartyr.Ilyadoncunedifférenceentrelestatutdumartyrausenscoraniqueet celui développé par la sunna»93. Il existe une autreformedevieaprèslamort,demêmequ’ilenexistaitavantlanaissance:soit lesjardinsparadisiaques,soit l’enferoulafournaise94«Unecontinuitéspatialeentre lemondedesvivantset lemondedesmortsse traduitdans le ritueldes funérailles,dans les croyances nombreuses qui concernent lesdialoguesentrelesmortsetleursproches,lesprédictions,lesadmonestations, lesplaintesdesdéfunts,maisaussi lesentimentambivalentque suscite la tombe. «Lamort estbienencadréeparleritereligieux,pardesprescriptionsetdes proscriptions, mais celles ci laissent toute une zoned’interprétationsetlapossibilitédevariantes.CommelerappelleJambet«sansêtreobsédéparlamortle fidèleestprisdansunréseaudereprésentationsoùsafamiliarité ne le quitte jamais…..Il sait que l’ascèse, lemépris du monde, des honneurs, des richesses,…. sonthautement prisés, et que le témoignage du serviteur deDieu culmine dans le sacrifice consenti de la vie dans uncombat perpétuel entre les forces alliées de Dieu et lesennemisdeDieu….Enconclusion,nouspouvonsmettreenévidencel’ambivalencedustatutdelamortenislam»95.A la différence du judaisme et du christianisme qui sontdes religions de l’alliance entre Dieu et les hommes, lanotion d’alliance est absente de l’Islam, il n’y a pas dans93Bencheik,op.cit.p.8894Bencheik,op.cit.p.8295Jambet,inGodelier,M.,«LamortetsesAu-Delà»op.cit

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l’Islam de dialogue avec Dieu. l’Islam traditionnel insistesur la volonté toute puissante du divin qui s’impose àl’homme.Lelibrearbitredel’homme,fondamentaldanslejudaïsme et dans les autres religions monothéistes,christianisme,sikhismeoubaha’isme,estabsentdel’islam.Lamortencontexted’immigration:unenjeusocialetpolitique.Lesrituelsdemortdansl’islamfontl’objetd’unensemblede prescriptions et proscriptions de base, relativementsobres, communs aux diverses tendances religieuses seréclamant du Coran. Ils sont associés à de nombreusesformesdepratiquesvariables selon les cultures, lesairesgéographiques,lesrégions,lestendancesreligieuses,voireles familles. Notre étude se limite à analyser lesinterprétations individuellesdes rituels etdes rapports àlamort, tels qu’ils sont attestés par des fidèles vivant enFrance. Ils peuvent certes différer des interprétationsérudites,quisontparailleurspluriellesetdontcetteétudeneprétendpasrendrecompte.Lestraditionsfunérairessontmultiples,ellessontfonctiondes cultures des pays d’origine et des enseignementsreligieux auxquels elles se rapportent. Au-delà de lavariabilitédescoutumes, ilexistedesconstantesdans lesinterprétationsetlesprescriptionsquisontrapportéesparlesindividus.Les rites funéraires des musulmans de Francereprésentent un enjeu important à plusieurs égards. S’ilsfont partie des éléments et signes d’intégration desimmigrés musulmans en France, ils forment aussi etsurtoutunsymbolebienplus fondamental: laplacedesmortsmusulmansenterredeFrancerenvoieàlaplacede

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l’Islam lui-mêmedans lasociété française.C’estdumoinscequiressortdesdiscoursquisonttenustantparcertainsreprésentantsducultemusulmanquepardesassociationsd’immigrés, associations cultuelles ou d’usagers etd’intellectuels musulmans qui se sont penchés sur laquestion de la mort. Ils expriment parfois une fortecontestation des réglementations françaises sur lescimetièresetlescérémoniesfunérairesquileurparaissenten inadéquation avec les préceptes de l’Islam. Cetteinadéquationportenotammentsurlaneutralitéreligieusede l’espace des cimetières et sur la fin des concessionsperpétuelles. C’est ce qui motive en partie, selon cesdiscours, l’importance de la pratique des rapatriementsdesdépouillesmortellesdemusulmansaupaysd’origine,pouryrecevoirdesfunéraillesetuntraitementconformesaux exigences coraniques. Notre enquêtemontre que lesmotivations des rapatriements ne se réduisent pas auxmotivations religieuses, souvent moins importantes quelesmotivations familiales.L’anticipationet lapréparationdesfunéraillescorrespondentàunedynamiquecomplexedans laquelleprédominent les liens familiaux, les liensdefiliationetlesquestionsidentitairesqui,enoutre,évoluentavecletempsetlesévénementsducycledevie.LaquestiondelamortetdesfunéraillesdesMusulmansenFranceafaitl’objetdenombreuxécritsetdébats,depuislaparution de l’étude pionnière de Yassine Chaïb. Il estsignificatifqu’il aitdonnéàsonouvrage le titre ‘L’émigréetlamort’.(EDISUD,2000)C’est principalement à travers la pratique très répanduedesrapatriementsdescorpsaupaysd’originequel’auteurtraite des rituels funéraires des musulmans. Deuxcaractéristiques sont ici entremêlées, l’appartenance

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religieuse et la condition d’émigré. Ainsi qu’il précise lebutdesontravail:«Lesensquedonnelemigrantàsamortdoitêtreprisenconsidérationparlepaysd’accueiletladécisiondemourir‘ici’ou‘là-bas’est,ànotresens,leressortfondamentaldelamigration,lenégatifdelaviedel’immigréquitémoigne,…,desprocessuspar lesquels lesmigrantspassentetquifontapparaîtrelesévolutionsouchangementssurvenusauseindel’immigration.»96Ainsi l’étude des comportements funéraires donneraitaccès à la compréhension des modes d’intégration desimmigrés.«Lamortestunindicateurauplusprèsde l’immigrécar,plusquetoutautreaspectdesavie(letravail,lemariage,etc.), elle est à la fois une intimité du monologue del’immigré et aussi un collectif, même si elle relève del’ordre du non-dit collectif. Lamort réelle et symboliquerévèle, plus que tout autre élément, les liens complexesentretenusentrel’immigréaveclui-même,avecsafamille,sa communauté dans un sens large, d’avec les paysd’origineetd’accueil.»L’émigration étant placée sous le signe de l’absence etparfois du provisoire, c’est la mort de l’émigré qui faitdécouvrir,commeleditAbdelmalekSayaddanssapréfaceau livre de Chaib, que son existence a été «toute entièrefaite d’équivoques, de simulations et de dissimulations,toute entière placée sous le signe de l’incertitude desappartenances» 97 . Le rituel de rapatriement desdépouilles funèbres aurait –il une fonction réparatrice,commelesuggèreSayad?96Chaib,op.cit.p.2897SayadA.PréfaceinChaib,op.cit.p.8

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Ouaucontrairepeut-onconsidérer,avecChaib,quelefaitde «mettre en terre les morts à proximité des lieux devie»serait«signedesédentarisation,etd’intégration,unlieu où se brise enfin «le provisoire qui dure»» (p.29),«Oui,ilssontlàpourresteretpourquoipaspourmourir»(p. 29) Ce qui consacrerait un fort symbole, uneéquivalence symbolique des deux processus:«Enracinement par la mort, intégration par la mort».(p.29)Préférencespourdesfunéraillesaupaysd’origineLes funérailles des immigrés musulmans se distinguentparlagrandefréquencedesrapatriementsdescorpspostmortem aux pays d’origine. Le rapatriement de ladépouillemortelleverslepaysd'origineareprésentéuneoption privilégiée dans les années soixante-dix, avec ledébutdesvaguesmigratoiresenprovenanceduMaghreb.Cettemodalitéavecl’enracinementdesmigrationsdevientune option relevant des choix de la descendance et de lafamille comme nous le verrons plus loin à partir desdonnéesde l’enquêtePassagesàlaRetraitedesImmigrés(PRI) 98 et donne lieu à des stratégies de prévoyanceindividuelle (assurance contractée avec les banques) oucollective,àdesformesdiversesd'anticipation,ouàdéfautnécessiteunetrèsfortemobilisationdugroupefamilialou

98Cette enquête a pour objet de mieux connaître les conditions et les modalités de passage à la retraite des immigrés en France. Il s’agit d’observer la façon dont s’opère la fin du travail dans une vie marquée par la migration. Cette période de la vie est l’occasion d’effectuer un bilan et d’explorer l’intrication des effets liés à la culture héritée du pays d’origine et de ceux liés à la scolarisation, à la catégorie professionnelle, au statut social et au niveau de vie dans le pays de résidence. En étant centrée sur le vieillissement et le passage à la retraite, l’enquête PRI se différencie de la majorité des études sur la migration, dont la problématique porte principalement sur l’étude de l’intégration. En ce qui concerne le thème qui nous intéresse dans le présent article, à savoir les préférences relatives au lieu d’enterrement, la question suivante a été posée aux enquêtés : « Où préféreriez-vous être enterré ou incinéré ? En France ; dans votre pays d’origine ; dans un autre pays ; cela vous est égal ».

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social. Quoi qu’il en soit la solidarité est une conditionquasinécessaireàsaréalisation.Ainsi,lamiseenplacedestructures de solidarités visant à la collecte des fondsnécessaires au rapatriement permet aux migrants dereconstruire un certain type de lien social et d'exprimerdesformesdesociabilitéetdesolidaritéquisontautantdesignedechangementsdanslesconduitesfaceàlamort.Les frais de rapatriement d’un défunt dépendent surtoutde la destination et du mode de transport. D’autresfacteurs peuvent influencer le tarif99: choix du cercueil,embaumement,cérémonieensurlelieuenFranceet/ouàl’étranger, transport de proches accompagnants,obligations administratives et autres critères ou souhaitsspécifiques.Le rapatriement du corps peut s’avérer moins couteuxqu’une concession en France. Les facteurs économiquesorientent donc les choix des individus. L’interprétationdemeure néanmoins complexe, compte tenu des coûtsvariables des obsèques en France et dans les différentspays.Silerapatriementd’uncorpsestcoûteux,ilfautaussimettreenbalanceleprixdesobsèquesenFrancequipeutêtre plus élevé que dans certains pays, comme ceux duMaghreb(8). Ilexisteune tendancegénéraleà l’élévationdes dépenses consacrées aux obsèques, en rapport avecl’élévation du niveau de vie, en même temps qu’unetendance à plus de simplicité et d’austérité dans le choixdes cercueils et des monuments funéraires. Le transportducorpsaupaysd’origineimpliqueunecertainedépenseetexclutlesfunéraillestrèsbonmarchéouquasigratuitesdontpeuventbénéficierlesfamilleslespluspauvres.99Il faut compter entre 3000 € à 5000€. Ce tarif peut varier en fonction de la prise en charge des gouvernements des pays d’origine.

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Chaouiteobservequedans l’expressionconsacrée faire«rapatrier » un corps, l’usage dumot fait référence à uneterritorialitéd’appartenance,auxattachessymboliquesquilient l’individuà sonpays.Rapatrier a aussiun sensplusancien de réconcilier, de réparer la rupture (et laculpabilité d’être parti) et d’acquitter la dette qui enrésulte100.L’attachementaulieud’originepeutconduireàvouloirs’y faireenterrer,mêmequand le lienà la familleou aux ancêtres s’est distendu. C’est alors moins lecimetièrelui-mêmequesonenvironnementgéographique,nationalouethnique,quifaitl’objetd’investissementYassineChaib (2000, p. 23) a souligné l’importancede lapratique de rapatriement auprès des originaire duMaghreb, non seulement parmi les immigrés de lapremière génération, mais aussi ceux de la deuxièmegénération.Siledésird’accomplirlesrituelsreligieuxdansde bonnes conditions peut inciter à préférer uneinhumationaupaysd’origine,lechoixpeutégalementêtrecontraint par des considérations d’ordre économique,juridiqueouécologique,liéesauxconditionsdesobsèqueset des sépultures (Auby, 1997; Barrau, 1992). PourSamaoli(1998),l’unedesexplicationsrésidedanslararetédes cimetières musulmans en France ou d’espacesconcédés dans les cimetières communaux, même si leurproportionaugmentedanslesgrandscentresurbains.Lacirculairede2008101affirmeàlafoislecaractèrepublicdescimetièresetleurneutralité,garantissantégalementlalibertéfunéraireauxmusulmans.Pourcesderniers,iln’yadonc pas d’incompatibilité entre le respect d es100Chaouite,Abdellatif2011,Lesobsèquesetledeuil,JALMAV,n°105p.17-22.101Circulaire de INTA080038C du 19 février 2008 raltive à la police des lieux de sépulture : aménagement des cimetières – Regroupements confessionnels des sépultures

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prescriptionsreligieusesetl’inhumationenFrance,maisilexiste une pénurie de cimetières musulmans, selonAggoun102.Leritemusulmanestd’autantplussusceptibled’être respecté en différents lieux qu’il est empreint desobriétéetqueledéfuntdoit,enprincipe,êtreenterréauplusvite.Silamortauloin,cellequisurvientloindechezsoi et de ses proches, est traditionnellement considéréeune « mauvaise mort », selon Louis Vincent Thomas,mourir et être inhumé en France n’a pas nécessairementcetteimagenégativepourlesimmigrés.EntrelaFranceetlepaysd’origine:Oùêtreinhumé?«Chezlemusulman,c'estmoinslamortquiposeproblèmeque la représentation qui entoure la mort et qui estpensée.Celledenepasêtreaccompagné(e)danssaphaseultime par les siens et c'est également la peur de ne paspouvoirbénéficierdesritesfunérairesancestraux»103Lamortengénéralestunévénementtragiquequiébranlela société qu'elle touche. Les pratiques funéraires ontsouventunefonctionexpiatoire:ellespermettentdegéreret prévenir l'angoisse des survivants grâce à la mise enplacedeconduitesdesolidaritéetd'apaisementdelapartdelacommunauté.Ellessontdoncd'uneimportancevitale

102AtmaneAggoun.LesmusulmansfaceàlamortenFrance,2006,VuibertPréfacedeDalilBoubakeur

103Thèse de doctorat Majda Cherkaoui 2011 « L'intégration des immigrées marocaines vieillissant seules en France et en Belgique. : Quelle perception ont-elles de leur vie et de leur avenir, au regard des politiques publiques mises en œuvre dans les deux pays d'accueil ?

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pour le migrant. Elle est doublement perturbatrice, toutd'abordpourlafamillerestéeaupaysd'originequin'apastoujours les moyens de récupérer la dépouille mortelle,mais également pour la communauté qui craint que ledéfunt ne puisse bénéficier de la totalité des rites de sacultureetdesareligion.Événementtragique,"lamortauloin" occasionne donc des désordres supplémentaires ausein de la communauté des migrants et imposel'intervention de pratiques spécifiques à la distancespatiale, telles que le rapatriement post mortem, parexemple. Les croyances et pratiques liées à la mort nedoivent pas être négligées, ils sont en rapport avec larecherche d'un équilibre symbolique et social auquel lesdeux parties de la communauté "ici et là-bas" sontattachées.Si lesouhaitde laplupartdesmigrantsestdemourirsursaterrenatale,mêmesiilsanticipentlagestiondelamortauloin,parfoisendépitd'unesédentarisation,aujourd’huicechoixcommenceàêtrenuancécommeleconfirmeplusloinl’enquêtePRI.Or, un décès peut survenir brutalement ouaccidentellement.Ainsi,desmigrantsdetoutâgeetparfoismêmelesenfantsmeurentsurlesoldespaysd’accueil.Cesdécès, le plus souvent prématurés, font surgir de réellestensionsentre lesdeuxpôlesde lamigration, c'est-à-direentrelaterred'origineetlepaysd'accueiloùilestdifficiledetrouverlescarrésmusulmans.Faceàundécèsenterred’accueil, les migrants ont le choix entre plusieursmodalitésconcernantl'enterrement:soitl'inhumationsurplace, sipossibledansuncarrémusulmansi telleétait laconfession du défunt, soit l'inhumation sur la terre desancêtres ou auprès de la famille dans le pays d'origine

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après un rapatriement de la dépouillemortelle. Le choixdu lieu de sépulture paraît chargé d'enjeux matériels etsurtout symboliques. Il est généralement sous-tendu pardes logiques identitaires et révèle le lieu par rapportauquelsedéfinit lemigrant.Eneffet, l'enterrementsur lelieu de résidence est généralement le choix de ceux quiconsidèrent leurmigration comme définitive; tandis quel'inhumation sur le lieu de naissance témoigne d''unevolontédeserelier,avecsoietsadescendance,àlalocalitéetaupaysd'origine.De plus, les populations migrantes partagent le plussouvent un système de références culturelles concernantla conception et le traitement de la mort qui diffère deceluidupaysd'accueil.Lesenjeuxliésàlaréalisationdesrituels funéraires, sont intenses car directement liés àl'identité collective. Les populations immigréesmaintiennentcesrituelsquiconstituent,selonl'expressionde SCHNAPPER (1992), une sorte "noyau dur" desprocessusd'acculturationàvenir.Les travaux de recherches de CHAIB104sur la mort ensituation d'immigration, montrent que la présence decarrémusulmandanslescimetièreslaïcsestl'ultimegesterévélateur de l'intégration, une intégration «sousterre»105Lecimetièreestungarantconfirmantqu'"onestd'ici". Le lieu d'enterrement constitue le dernier repèremigratoire.Icioulà-bas,l'entréedel'immigrédanslamortest le paramètre radical d'appréciation des attitudesd'insertiondans lespaysd'accueil. Si leprojetmigratoirese termine souvent par le retour post-mortem, le

104«l’immigréetlamort»Edisud,2008.105Séminaire deKhadiyatoulah Fall, Professeur titulaire de la Chaire de recherches interethniques et interculturelles de l’Université du Québec à Chicoutimi (CERII) et chercheur au Centre interuniversitaire (CELAT).

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rapatriement de la dépouille mortelle est une affairecommerciale avant même qu'elle soit cultuelle puisquedans l’islam, il s’agit d’enterrer le défunt dans les heuresquisuiventlamort.Toutefois,cequiposeproblèmedanslespaysd’accueil,cesont les cimetières. S'agissant des cimetières français, lestombes sont des concessions à durée limitée. Lesconditions de sépulture des musulmans en France sontdonc à durée limitée. Elle est "un hébergement précairedesdéfunts sous la formede la tombe locative"106, cequirenvoieàtouteviedel’immigréfaitedeprécarité. Iln’estnid’icinidelà-bas.En effet, il existe une différence entre une sépulturemusulmane dans le pays d'origine et celle dans le paysd'accueil. La première nécessite le rapatriement dedépouillemortelleverslepaysd'originequ'estlaterredesancêtresoùlasépultureestàduréeillimitéetandisquelaseconde est une «tombe locative» selon l’expression deChaib,pourunesépulturedansundélaitemporel.Lafosseindividuelle du carré musulman est une tombe locative,emplacement qui sera géré dans les conditions dues parl'article R361-8 du Code des Communes, c'est-à-dire lerégime appliqué au bout d'une période d'inhumation decinq ou dix ans, en quelque sorte pour l'immigré, celal’interroge sur son identitéet renvoieàunprolongementdu"provisoirequidure".Ilestclairqu’ilestfaitallusioniciaux‘caveauxcommuns’,accessiblesgratuitement.Carilesttoujourspossibled’acquérirdesconcessionspourdepluslonguedurée,maisàconditiond’enpayerleprix.LestravauxdeCHAIBmontrentquelamortestaussiuneoccasion de la réouverture du roman familial, une lente

106CHAIB,2008

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réapparition et réappropriation de l'itinérairebiographique de l'immigré d'origine musulmane. Elle estl'occasiondetoutuntravailderemaniementpsychiqueetdereniementquelesujetopèreafindesupportercequ'ilest devenu et d'amoindrir la distance avec ce qu'il auraitpuêtre.Lerapatriementducorpsconstitueuneséquencedeviegéréeparlafamilleouungroupedepersonnesetserévèle d'un point de vue sociologique, une entrepriseincontournablede"lucidité"quirévèlecequelapersonneadû«endurer»danslepaysd'accueil.Eneffet,pourdonnerunsensàcettevie,ilfautunlieuàlasépulture et le rôle du corps est primordial: il estl'illustrationdesaprésence-absence.«Lerituelderetouràlaterrenataledisparaîtdansunmodèledecirculationd'uncorpsmarchandise.C'estuneopérationd'expropriationducorpsimmigréindissociabled'unemiseencirculationdeladépouille.Lafamilled'origineréclamelasépulturepourlaspécifierselon"unevalorisationontologique"etenmêmetemps préserver ses prérogatives sur la parure dumort,c'est-à-diresursesbiensetseseffetspersonnels.Àtraversle rapatriementde ladépouillemortelle, les "deuxcorps"del'immigrédécédésontune"désincorporation"entreuncorps biologique,matière en putréfaction, chosifié par lecercueil et un corps économique que la famille d'originerécupère dans la parure du mort. C'est le retour postmortem avec ses effets et biens personnels sous formed’unevalise.La récupérationdecettevalise souvent faitede quelques biens, la consistance biographique del'immigréestl'histoired'uncorpsautravail,lesdocumentsmédicauxetlestémoignagessurl'épuisementdececorpsconfrontent la famille à tout un combat juridique pourrecouvrer les droits de l'immigré décédé. Pour elle,l'immigré n'est jamais mort. Le travail du deuil ne

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s'effectue qu'à travers cette confrontation. Lesindemnisations et les réparations proviennent d'untriomphe sur lamort: la liquidation de sa succession. Lamobilisation de la famille via la procuration aux servicesdu consulat est juridique: le respect des droits desimmigrés.Poureuxlamortnepeutcréerquedesdroits.La mort en situation d'immigration crée également unedéchirure,unefracturedanslafamille.Ilyad'uncôtélesaînésetde l'autrecôté les enfants.Chaquemembrede lafamille peut se trouver à un stadedifférent d'élaborationdu deuil de l'objet perdu. Une desmodalités de deuil estl'enterrement pur et simple des morts nés dans le paysd'accueil. Les enfants se portent garants pour assurer lerapatriement de leurs parents, mais sont enquestionnementpourleleur.Ilyaégalementaujourd’huidesmortsintrouvablesetsanssépultures,ceuxquenousneremémoronsqu’àtraverslessouvenirs: le casdesmarins et ceuxdes crashsd’avions.Nous pensons ici aux cas où la mer reste ainsi le lieud’authentiquestragédies,quisuscitentlaterreurchezceuxquiensontlestémoins,quitémoignentdesdramesetdesmortsqui se jouentdans l’espaceconfinéet restreintdesnavires,dansuneconcentrationspatio-temporelle.La mort en mer a une forte charge symbolique dans lesreprésentations collectives. C’est une situation qui necorrespond à aucun des schémas auxquels le croyant seprépareàterre.Sidanscertainescultures,lorsqu’unmarindisparaitenmer,safamilleréagit,commesilecorpsétaitprésent, organise une veillée funèbre et fait célébrer unsimulacre d’enterrement pour le repos de son âme, dansl’islam, il n’en est rien de tout cela, c’est strictementinterdit.Lecorpsabandonnéàlamerest«condamnéàne

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pasjouirdureposd’unesépulturedigne»107demêmelamort par noyade semble être une mort sans visage, unemortquiprive ledéfuntdesmoyensde le reconnaître etdesonidentité.Lamerresteunespacededésolationetdemort.L’angoissedeceuxquirestentestextrêmeetnepeutêtreapaisée. Beaucoup de musulmans redoutent et craignentdemourir dans des circonstances sans possibilités d’êtreenterrés, craintes liées à l’absence de sépulture. Il estmanifeste que le rituel des funérailles et le soucid’accorder à tout homme une sépulture jouent un rôledéterminant.Unecraintedémesuréequesuscite l’idéedelamort enmer ou en guerre : lamort enmer oblige eneffetàopérerunedistinctionentrelelieudel’inhumation,nonidentifiélaplupartdutemps,etlelieudelamémoire.Certainsmarins semblent préparés à lamort si bien quemusulman ou non, la préférence va vers l’inhumation enmer « vaut mieux que notre corps nourrissent lespoissons,quedenourrir lesverres sous terre» confieunmarin.Aux représentations culturelles et religieuses solidementancréesdansnosmentalitésdel’horreurdelamortenmerpour l’entourages’ajouteaujourd’hui laréalitéde lamortanonyme qui frappe ceux qui tentent par dizaines demilliers chaque année de fuir leur pays pour rejoindrel’Europe.Ladifficultéd’anticiperpeutêtreaussiliéeàuneambiguïtéperçue de son identité. Le cas de Malika en est uneillustration. Entre sa mère inhumée en Kabylie alors107Lecorpsintrouvable.Mortetculturemaritime(xvie-xixesiècles).Histoire,économieetsociété.1990,vol.9,n°3,p.321-336.

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qu’elleétaitencorejeune,etsonpèrequireposeenFranceet avec qui elle n’avait pas de grandes affinités, entre laFranceoùelles’estaccomplieet l’Algérie,sonberceauunpeumythique,Malika ne sait pas quel lieu de funérailleschoisir,sesentantdésormaisquasiétrangèredelaKabylie,éloignéedesonpère,plutôtfrançaise,maispastoutàfait,nevoulantpasreniersesorigines,tirailléeentreplusieursidentités, ne sachant quelle terre elle voudrait que soncorpsaillerejoindre.Ellen’ariendécidéetaainsiexpliquésonrefusdeseprêterànotreenquête.ConséquencesdecesrapatriementssurlatopographiedescimetièresLes témoignages recueillis font état d’un impact del’importance des transports des corps aux pays d’originemêmes.AuMaroc,unepartiedu cimetièredeCasablancaest occupéede tombesd’émigrés: «ACasa, les immigrésrapatriés ont leur cimetière. La moitié du cimetière estconsacréeauxcorpsdesrapatriésdansdescercueils.Celaseretrouvedanschaquecimetière.Quandonpénètredansun cimetière on sait où sont les rapatriés. Ceux quidécèdent au Maroc sont ensevelis dans un linceul etemportés sur une planche et transférés dans le sol. Lesrapatriés venant dans un cercueil, c’est généralement lecercueil qui est mis en terre. Rien n’empêche d’enterrerdans un cercueil, ce n’est pas interdit, c’est la crémationquiestinterdite.»Lepaysd’originedevientuneterredemort(s)

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L’importance de ces rapatriements a aussi commeconséquence de créer une association entre le paysd’origineetlestombes:Aucoursdesvisites,desvacances,desva-et-vient,lepremieractedesmigrantsc’estd’allerserecueillirsurlestombesdesproches.Ainsiqueleconfieunjeune franco-tunisien, né et installé en France, se faireinhumer enTunisie c’est une garantie que sa tombe seravisitée à chaque séjour des descendants. Ils sont plusdisponibles et ontunvéritable sentimentd’obligationdedevoirvisiteretd’honorer leursmortsqui lesaccueillentau pays. S’ils sont enterrés en France, les tombes sontmoinsvisités:«onestprisparlaquotidienneté,letravail,les obligations, ce n’est pas une priorité d’aller aucimetière. En Tunisie, c’est la première chose que nousfaisonsenarrivant»Ledilemmeentreêtreinhuméicioulà-bas,nesignifieplusalors de choisir entre deux ruptures, ‘rompre avec lesvivants» ou «rompre avec lesmorts». Il est ainsi résoluen cas de visites régulières et de va-et-vient: Il n’a doncpasledilemmedelasépultureicioulà,l’immigréviticietles tombes de ses proches sont rassemblées là-bas,maisc’estdansunepartiedeson territoiredevie,deson lieudevacances,ilya‘reterritorialisation’etspécialisationdeslieuxdedépart et d’arrivée. Le pays d’origine est associéauxmorts.Lepaysd’originedevientliéàlamort,lieudesouvenirsdetant de funérailles, peuplé de tombes des êtres chers:«C’estuneterreangoissante,laterreduretour,laterredemort,d’unemortnonintégrée.»«Unecontinuitéspatialeentre lemondedesvivantset lemondedesmortsse traduitdans le ritueldes funérailles,dans les croyances nombreuses qui concernent lesdialoguesentrelesmortsetleursproches,lesprédictions,

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lesadmonestations, lesplaintesdesdéfunts,maisaussi lesentimentambivalentquesuscitelatombe108.Lasépultureest très importante.Lamortc’est lepassagedansl’au-delàLeursbesoinssontidentifiésetbienstructurésQue la tombe soit ici ou ailleurs, ces dynamiques sontsusceptibles d’illustrer de manière non exhaustive desprocessusenactestellelareconfigurationdescimetières,larévélationdesidentitéscitadinescontemporaines,enfindesenjeuxd’appartenancedevant lamort.Lescimetièresont évolué dans leur forme géographique, leurcomposition et également les valeurs qu’elles exprimentpour les vivants et se trouvent imprégnées de valeursoccidentales.ParexempleauMaroc,onvoitémergerdanslescimetièresdes espaces verts et des concessions réservées pour lesfamillesrichesetdesespacespourlescercueilsrapatriés..Siautrefois,lescimetièresétaientdesespacessansencloset dispersés, aujourd’hui les espaces sont limités par desmurs, structurés où les sépultures qui autrefois étaientnominativesetnondatées,aujourd’huilecimetièreestdemieux enmieux arrangés façonnés et organisés dans lesgrandesvilles,ensalléesdatées.108 JambertChristian,«LamortenIslam»p.159-177,inMauriceGodelier(s/dir.)Lamortetsesau-delà,CNRSEdition,2014,p.173

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III-lesfunéraillesenFrance,cequichangeSelonletémoignaged’unaumônierdel’hôpital:«L’accompagnement à la mort est très encadré par lareligionmusulmane. Pour lemourant, je lui expliquequ’enquittant la vie terrestre, il est préférable de prononcer laprofessionde foimusulmane (2phrases).Aumomentde lamort,si l’aumônierestlà, ilassisteenrécitantleschapitresduCoranenpsalmodiantleschapitrespourfairepenseraumourant à professer sa foi; «on suggère mais pas plus».L’aumôniern’apas ledroitde souffleraumourant cequ’ildoit faire.Lorsque lecorpsestencoredans lachambre:ondemande à la famille de fermer les yeux du défunt car leglobeoculaireatendanceàsuivrel’âmequiquittelecorps.En aval, la famille exprime aussi des demandes quiconcernent la ritualisation. On explicite les rites: toilette,linceul,pompesfunèbres…Les trois parties de la personne: l’esprit; l’enveloppecharnelle: la religionmusulmanene reconnaîtpas lamortcliniquequandilyaencéphalogrammeplat.Maisquandilyaarrêtcardiaqueetrespiratoire.l’âme n’entre pas par les narines et ne sort pas par lesnarines (catholique) mais entre et sort par la tête(musulman)cequiestconfirméparlebasculementduglobeoculaire qui bascule pour suivre l’âme; l’âme remonte duboutdesorteilsjusqu’auhautducrâne.1°acte:Lafamillefermelespaupièresdumourant.2°acte:auxsoignantsrevientdenettoyer l’anuscaronnepeutenterreravecdesrestesdanslerectum(onnes’occupepas du gros intestin). Donc il y a unemanière de nettoyer

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puis on met une grosse couche sur la partie intime. Icis’arrêtelafonctiondel’aumônierEnsuiteonvaversuneautreétape:latoilettefunéraire.RitesfunérairesLafamilleprendencharge lecorpsunefoisqu’ilsortde lachambrede l’hôpital.Dans lachambremortuaire; lecorpsrestesacrédoncondoitluiréservertouteladignitépossible.Silecorpsesttraitépardesagencesfunéraires,ilpeutêtreexpatrié. La thanatopraxie se charge d’enlever les eaux.Pendantquelecorpsestflexible,onvidelerectum,lafamilledoitmettrelemortsurlesfessespourviderlerectum.C’estlafamillequileprendenchargeouquitrouveunepersonnequi a l’habitude de faire cela. Sinon il cherche des pompesfunèbresmusulmanesquisontspécialisés.PourunSDF,c’estmoientantqu’aumôniersafamille2° jour: le toiletteur fait les toilettesmortuaires (il lave lecorps en entier à grande eau avec du savon deMarseille).Unefoisfait,lecorpsestpropre,onfaitlestoilettesrituellessoit l’ablutionducorps.Lecorpsdudéfuntdoitêtrepurifiésans délai afin de permettre un prompt ensevelissement.Cette toilette purificatrice est effectuée – par un(e)musulman (e) - suivant un rite très précis. Le plus souventdeux hommes pour les hommes et deux femmes pour lesfemmes. Après avoir placé le corps dont la tête est dirigéeverslaMecque,lecorpsestlavétroisfois,puisessuyéavantd’être enveloppé dans des pièces de tissus blancs sansaucunecouture.Pour nous lemourant n’est pasmort (son corps l’estmortmais pas la personne), il est toujours vivant mais ne peut

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plus communiquer avec l’extérieur (sa langue est collée)mais il entend et il sait. Donc il est vivant mais noncommuniquant vers l’extérieur. Comme il n’est pasmort, ildoitfaireses5prièresparjour.C’estpourcelaquel’onfaitl’ablutionducorpsmourantetonbrosse sesdents,on lavelesmains,lespieds,lesoreilles.Unefoisl’ablutionterminée,le corps est purifié car on romprait l’ablution. Le corpsdevientintouchable.Onl’enveloppeaveclelinceulavecundrapblancnoncousuet lemoins cher possible (c’est la famille qui achète). Pourtouteslesfamilles,cedoitêtreletissulemoinscher,pasdedisparité,dejalousie,defrustration.Lelinceulestcomposéde3piècespourl’homme:1°piècedunombriljusqu’augenou;2°pièceducouaugenou;3°piècelecorpsentieretl’onficèlelecorpspourfixerlelinceul.Pourlesfemmes,5piècespourlesfemmes:4°piècepourlesexefémininet5°piècepourlachevelure.Cetenveloppementestfaitparquelqu’undelafamille.Silafamille est démunie, les pompes funèbres cherchentquelqu’undeconfiance;cen’estpaslerôledel’aumônier.Lecorpsdanslelinceul,onneletoucheplus.Avant que le corps soit inhumé, on célèbre la prièrefunéraire qui est prescrite et obligatoire. Cette prière estgénéralement célébrée par un Imam au cimetière, justeavant l’inhumation. Elle peut aussi être célébrée dans unlocalneutre,sanssignereligieux.Ilestfortementdéconseilléque cette prière se fasse à l’intérieur d’unemosquée. Cetteprièrespécialedoitêtreaccompliepourtoutmusulmanquivientdemourir,qu’il soit jeuneouvieux, etmêmepour lesbébés morts à la naissance et les fœtus morts avantl’accouchement. Les femmes ont tout à fait le droit departiciper à la prière funéraire. Afin que le délai entre ledécès et l’enterrement soit réduit le plus possible, la prière

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devrait être accomplie dans lamême ville ou région où lapersonne est décédée. Il n’est pas nécessaire d’envoyer lecorpsdansunautrepays.Laprièrefunérairedoitêtrefaiteencongrégation.C’estunactepourlequelDieurécompenselecroyantetcelui-cinedoitjamaishésiteràparticiperàuneprière funéraire qui a lieu alors qu’il se trouve dans unemosquée,mêmes’ilneconnaîtpas lapersonnedécédée.Leprophète Mohammed a encouragé ses fidèles à participerauxprières funérairesenaffirmantqueceluioucellequiyparticipaitrecevraitunerétributionaussiimposantequ’unemontagne.Lenombredeparticipantsàuneprièrefunéraireapporteégalementunbienfaitaudéfunt.LeProphèteaditque si un musulman meurt et que quarante musulmanspieux prient pour lui lors de la prière funéraire, Dieuacceptera leurs invocations. Après la prière funéraire, ledéfuntest transportédansuncimetièremusulmanoudansla sectionmusulmaned’un cimetière local.Transporterouaccompagner le corpsà son lieud’enterrement estunacterecommandéetrétribuéparDieu.L’enterrementL’enterrement doit être organisé le plus rapidementpossibleetundélaisupérieurà48heuresentrelamortetl’enterrement ne peut être dépassé (sauf en cas de forcemajeure).ilfauttoutefoissavoirqu’ilyacertainsmomentsoùilestinterditd’enterrerunmort.Cesmomentssontledélaientrel’aubeet le leverdusoleil, lorsquelesoleilestauzénithetlorsquelesoleilcommenceàdéclinerjusqu’aucrépuscule. Après l’enterrement, les croyants peuventrester dans le cimetière pour faire des invocations, carc’est à cemoment que la personne décédée commence àêtreinterrogéeparlesanges.

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L’enterrement selon les préceptes islamiques est uneobligation, iln’yapasd’incinérationchez lesmusulmans.Lesmusulmansensevelissentlemortdirectementdanslaterre,quiestinclinésursoncôtédroitdefaçonàfairefaceà la Mecque. L’islam prévoit donc un enterrement sanscercueil dans une tombe qui doit correspondre à unedirection bien précise et qui doit avoir une profondeurminimalede1,5m.Avec l’immigration, pour le rapatriement du défunt versson pays d’origine le cercueil devient une nécessité etdevienttoléré,essentiellementpourdesraisonsd’hygièneetdesantépublique.Pourhonorerledéfunt,beaucoupdefamilles mettent des pierres tombales coûteuses etsophistiquées,monuments funéraires,mausolées, statues,etautrespratiquesdumêmetype,ordansl’islam,ellesnesont pas autorisées. Aussi, tant que l’utilisation d’uncercueilestlégalementprescrite,onutiliseuncercueiltrèssimple et léger, afin de favoriser une décompositionrapide.Dans certains pays, comme la Suisse, la collectivitémusulmanedisposedeparcellesislamiquespourenterrerles défunts. La planification de cette parcelle prend encomptel’orientationspécifiquedestombesetpermetausside réaliser une autre obligation religieuse, qui est unregroupementdesdéfuntsmusulmans.Cesparcelles sontséparéesavecleresteducimetièreparunesimplehaieouuncheminpourlesdistinguer.La profondeurminimale de la tombe est de 1,5m et elledevra être orientée selon l'axe 34º- 214°. Une foisrecouverte,ladélimitationdelatombepeutsefaireparunsimple cadre et on prévoit une petite plaque indiquant

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l’identitédudéfunt.Ilfautentoutcaspouvoirreconnaîtreles emplacements des tombes afin d’éviter que lespersonnespuissentmarcherdessus.Ilestimportantderappelerquedansl’islam,l’exhumationest interdite, il faut donc prévoir une concessionperpétuellepourunetombed’undéfuntmusulman.Sicecin’est pas possible la durée de la concession doit êtresupérieure au temps de décomposition totale du corps(aucun reste d’ossements ne doit être visible). Le tempsminimal de la concession dépend donc aussi de lacompositionduterrain.Danslareligionmusulmane,leCoranimposedetoucherlaterre.Unefoisenterré,onnebougepluslemort.Lebougerestunblasphème.Incinération:onpeut le fairemais lareligionmusulmanene le voit pas d’un très bon œil. L’islam n’autorise pasl’incinération car le corps d’Adam n’a pas été brûlémaislaisséauventpourledurcir.Voilàpourquoionnepeutpasincinérer.Mêmedescentainesd’annéesaprès lamort,onn’ytouchepas.L’incinérationfaitdisparaîtrelecorpsavecbeaucoupdeviolence.Enislam, lestombeset lescimetièressontdisposésd’unemanièreparticulière,quidénotebeaucoupdesimplicitéetd’humilité. Tous les musulmans, qu’ils soient riches oupauvres,roisououvriers,sontenterréssuivantlesmêmesprocédures. Enprincipe, il n’est paspermisd’enterrer ledéfuntdansuncercueil,àmoinsquecenesoitobligatoiredanscertainspaysoucertainesrégions.Ilfautattendre40joursd’attentepourconstruirelapierretombale après le décès, cela correspond à la transitionpouraccéderauciel,paradisouenfer,c’estaussiuntemps

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dedeuildesproches, le tempsdese libérerdudéfunt,derenforcersaproprepratiquereligieuse.D’après les entretiens recueillis, l’expérience ou le projetd’enterrement a été lui aussi transformé au cours de latrajectoire dans l’exil. Les rites funéraires ne sont pasvécusdelamêmefaçon.Le lienauréseau familialn’estplus lemême.Siautrefois,tout le monde se déplaçait aujourd’hui les condoléancespeuventêtreprésentésàlafamillepartéléphone.On doute également de l’approche de l’endeuillé: faut-ilallerlevoir?oubienfaut–illelaissertranquille,ilasansdoutebesoinderepli.Le partage et le deuil qui dure 40 jours dans la culturen’est plus possible dans les pays d’accueil. Chacun a sesobligationsetadumalàserendredisponiblepourl’autre.Cettesituationsemanifestedeplusieursmanières:Lorsque la personne est seule, le corps estsystématiquement rapatrié. Que la personne ait eu uneassuranceounon.Touslesprochesetamiscotisentaveclamosquéepourassurerl’expatriationducorpsetrendreundernierhommageaudéfunt.Sileretourdesonvivantn’apaseulieudanslaterrenatale,l’expatriationpostmortemfaitpartiedeceprojettantdésirépourlaplupart,celuiduretourdanslepaysd’origine.Ceuxquinedisposentplusd’attachesniicinilà-bas,s’ilsn’ontpasinvestidansuneconcession,appréhendelafossecommuneycomprislacommunauté.Toute personne enterrée dans un caveau commun (cequ’on appelé la fosse commune) est ressentie comme unéchecde la solidaritéetunéchecsurtoutdevantDieu. Ilestgénérateurd’angoisseetdepeur.Echecégalementparrapportàlavieetauxprojetsmatériels:vivreloindechez

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soi pour s’enrichir et voilà la réalité les rappelle à leurprécaritéàleurincapacitéd’enterrerl’undesleursdansladignité.En revanche, tous ceux qui ont des enfants, surtout lesfemmesinterviewées,enfonctiondeladuréedanslepaysd’accueil,ellessouhaitentêtreinhuméeprochedesleurs.Leshommessontplustournésverslepaysd’originequ’ilsaientounondesattaches.L’anticipation de la mort, est peu manifeste. Une fortecroyancechez lemusulman, lamortnegénèrepasautantd’angoisse, elle est appréhendée chaque instant etapprivoisée.Elle faitpartiede lavie,elleest intégréeà lavie.Penser la mort est liée au décès de l’un de ses proches«c’estaudécèsdemagrand-mèrequej’aientendupourlapremière fois de lamort, ….ensuite lamort dema petitesœur morte à la naissance que mes parents ontdissimulés…je l’aiapprisbienplus tardparhasardenmepromenantdansleschampsavecunecousine…».Il existe une certaine banalisation de lamort, que la viecontinue: le fait que cela passe par une certainebanalisation,celarendlamortunecertainefamiliarité.«Du côté de mon père, il y a un cimetière où tous lesmembresdesa famillesontenterrés.C’estune familledenotables stables. On peut retrouver les carrés, ils sontutilesuniquementpour l’enterrement..Cheznous lamortfait partie de la vie: plusieurs tantes ont perdu leursenfants, elles ont fait avec, comme ils sont enterrés àproximité,pourelles,lesenfantssontvivants.»«C’est une rupture avec le quotidien: la mort rempli lamêmefonctionquecelledesfêtes;unemortderiche.»

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«Onconstruitsamortavecsesproches:ilsirontlàoùlesparents iront.La sienneen findecompteest liéeà cellesdesautres.»L’engagementetlaprised’uneassurancederapatriementdu corps traduit l’évolution de la perception d’une mortterritorialisée,c’estuneévolutionquiresteindividuelleetleplussouventliéeàdesévènementsouàdesaccidentsdelavie:«Pourmonpère, le rapatriementducorpsest important,d’ailleurs l’ensemble de ma famille a une assurance derapatriementducorps.Lorsdurapatriementducorpsdema sœur, ma mère n’a pas pu y aller pour des raisonsfinanciers,ilafallufaireunequêtepourassurerlevoyage;alors que pour ma nièce, j’ai le souvenir que toutes lafamille est partie au Maroc accompagner le corps. Monassurance, je l’ai prise l’année dernière, pour des raisonsde discriminations au travail. J’ai décidé d’ouvrir uncompte bancaire marocain avec une assurance, parrapport à mes sœurs et mes frères, ils ont des comptesdepuisl’âgede16ans.Onpensequenosviessontici,onafait des études, on a travaillé sans fautes de parcours, etvoilàqu’ondécouvre leplafonddeverrequi freinentnosambitions: ce qui doit nous revenir de droit, ne nousrevientplusdedroit.»«Jenepensaispasunjourêtrerenvoyéeàmonétrangeté,alorsj’aiprisuneassurance.Pourlesparentsc’estunedespriorités, que l’on ait les moyens ou pas, c’est uneassurancepsychologique,unesécurité,qu’ellesoitutiliséeoupas.C’esttrèsimportantpoureux,c’estlelienentreicietlà-bas.Ilslefontvolontiersetpaientàtousleursenfantscette assurance alors qu’ils n’ont peu demoyens.Mais ils’agitd’uneprioritéaveclaquelleonnedérogepas.

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Lagestiondesamortestaussiunequestionéconomique«Ici,au-delàdemonhistoire, ilya laquestion financièrequi se pose: il faut acheter un caveau, assurer les ritesfunéraires par les pompes funèbres (prestation deservices), personnellement, j’aimerai être rapatriée auMaroc dans le village maternel, être enterrée dans lechampenpleindeverdureauprèsdemapetitesœur…enface d’une montagne, un champ libre où il y a despassages,desvivantsaumilieudesoliviers.Onnesesentpasisolé.»Un autre témoignage démontre que l’anticipation de lamortdevientuneaffaireindividuelleplutôtquefamiliale.«Jemesouviensquandonétaitàchargedemesparents,chaqueannéemonpèrecontractéuneassuranceauprèsdelabanqueChaabipourlerapatriementducorpsencasdedécèsdevaleurde20€parpersonne.Maintenantquenousavons grandi et que chacuna construit sa vie…Chacunasonpropreprojetdemourirlàoùcelaluisemblebon!.Quant àmoi, jeme sens françaisedans l’âme, j’ai vécuetj’aigrandiici,maperceptionparrapportaupaysd’originen’estpluslamême.Jesuismariéeetj’aiunenfant.»L’attitude à l’égard de la mort et de l’anticipation desfunéraillesévolueaucoursducycledevieLa mort soulève la question de l’identité et d’autresquestions d’ordre politique. La faiblesse de lareprésentationdesmusulmansparlescultesetlesimams.«La France a d'énorme problèmes avec l'islam, et dereconnaissance de la religion sur son territoire. J'espèrequ'aumoins lamosquéehonorera lesritessi jamais jenepourrais pas avoir une concession musulmane. Leproblèmeestencoreplusprofondquecela,iln'yapasde

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représentativité de la communauté musulmane, ni dereprésentativitépolitique. Il n'y apasde leader enqui jepourrai m'identifier et me reconnaître... Les imams quiaprèslesattentatsdejanvierontprislaparolepourenfaitne parler que d'eux-mêmes. A peine s'ils savaient parlerfrançais. Comment veux tu qu'ils nous représentent!.Quand je te parlais des modalités des différentesconcessionsdesmusulmansdeFrancequej'ignorais,c'estla preuve qu'on a besoin d'information et probablementc'est là qu'ils pourraient jouer leur rôle. Toute cetteorganisation est certainement question d'ordreéconomique. Le problème des carrés musulmans devrafaireensortequeles imamsdont lesdivergencessontdeplus en plus effacées par les manipulations etl'instrumentalisation politiques devraient écoutés lescommunautés musulmanes et non les communautéspolitiques et faire un plaidoyer auprès des pouvoirspolitiques. L'immigration en France est aujourd'hui uneimmigration musulmane (puisqu'on ne parle plus del'immigréeuropéen)sanscompterlesfrançaismusulmansont tous des besoins et comment expliquer que malgréleurprésencesousleprincipedeneutralité,lenombredecarrésmusulmansestinfime?.Ilfautfairedel'informationet de la formation pour des jeunes de la secondegénération,commemoncas.Mesparentssontmigrants,ilssont attachés à leur terre d'origine et aimeraient êtreenterrésdanslepaysd'originetandisquemoiayantvécusur la terre d'immigration,mon cas comme celui demescinq frères, notre souhait est d'être enterrés en France,proches de nos enfants. Tandis que je vois avec mesneveux, c'est à dire la 3ème génération, ils n'ont pas lemêmerapportaveclaculture,niavecl'islam.Toutdépenddelaviequemènentlescouples,certainscouplesdansma

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famille sont très pratiquants et je pense que leurs ritesfunérairesdoiventêtrepratiquéscommelespréceptesdel'Islam.Jeprendsl'exempledemonfrèreaîné,mariéàunemauricienne. Leurs enfants ont aujourd'hui 18 et 19 ans,leurmèreesttrèspratiquante,plusquemonfrère,etbienaujourd'huileursenfantssontenpériodederevendicationdel'Islametdoncpoureuxledeuilnepourrasefairequesi il y a respect des préceptes. Il est évident que lemétissage ou le mariage mixte influe beaucoup sur lapratique religieuse, autant de brassages, autant depratiques.»«On ne pense pas toujours à la mort mais nous vivonsavec. Notre problème est que nous ne laissons aucuneconsigne.Ilyaplusieurscas.Parexemple,monpèreetmamère, on va respecter leur choix, il n'y a pas denégociations.QuantànousvivanticienFrance,c'estsûrilvafalloirypenser.Danstoutemafamillec'estàl'approchede la mort qu'on a une exacerbation et une reprise ducontactaveclereligieux,commelecasdemonbeau-frèrequi avait un cancer, c'est après un parcoursmédical trèsintense qu'il a découvert la religion et est devenu trèspratiquantjusqu'àsafin.»«Tu vois, c'est parce que nous prions que nous écartonsles problèmes et nous sommes portés à faire le deuilrapidement.Onnepourrapasnous enlever la religionnilespratiquesmaissansdoutenousseronsobligésdenousadapteroudelesadapter.»Ainsi, les représentations et la construction de la mortdépendentdechaquepersonneetdel’imagequechacunaconstruitouluirenvoiesociétéd’accueiletlesinteractionsqui en découlent «vont régenter la restructuration dechacun dans un nouveau cadre de référence. Ces

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conditions subjectivesquidéfinissent lapositiondu sujet(lesdifférentesréactions),nesontpas indépendantesdesconduitessociologiquesliéesàl’institution,àl’âge,ausexeentre autres. Elles ne le sont pas non plus vis-à-vis dessignifications culturelles et des systèmes de valeurs ducadre de référence. Elles sont interdépendantes eninteraction dynamique.» Si bien autant de personne,autantdeperceptionetdereprésentation.Iln’endemeurepasmoins,,ilyaunfilconducteurd’uneidentitésocialeoucollectiveàd’uneidentitépersonnelle,d’individuation.Lareligionestimportante,lechoixdeslieuxdessépulturesestmoinsliésaufaitd’alleroupasaupaysd’originemaisc’est la prise en compte des rites funérailles. Dans unemêmefamille, ilyadiversitédespratiquesreligieuses,etunéclatementdes sépultures.Làoùonmeurt, ondoit sefaireenterrer»LerapportàlamortRapportpopulaireàlamortPlusieurs propos renvoient à la démystification de lacrainte de la mort. Elle est consciente et non niée.Lorsqu’unmusulmanprie,ilypenseaumoinscinqfoisparjour,laduréedelaprière.Cela n’empêche pas que la séparation définitive avec unêtre aimé est une épreuve bouleversante. La mort esttoujours vécue comme injuste même chez le musulmanpourquilamortestunepréparationversleretouràDieu.Faceà lamort, letempsn'existeplus... Ilyaunepertedecontact avec la réalité. Les personnes sont sidérées et nepeuventcroireàlamort..

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«Ilexistedestabous.Jenepeuxpasparleràmonpèredelamortdemasœur(quivientdemourir) Ilestchoquantde lui (à mon père) demander ce qu’il souhaite pour samort, celareste tabou.Les jeunesenparlentmaispas lesvieuxMektoubIl faut vivre le tps présent, c’est très important. Ne pasvivre dans le temps, dans les projets à long terme, maisdansl’immédiat.LetermeInchAllah,exprimelefatalisme,vivrecommesiondevaitmourirdemain,(ouencoreonnesait pas si on sera vivant demain) , il appelle à larésignation, «les choses sont déjà inscrites, il y a undestin».C’estunenotionparticulièrementforteauMaroc.Faut il l’accepter ou se rebeller? «Mektoub» c’estl’inéluctable.Ils’ymêleaussiune«Peursuperstitieused’évoquer l’idéedesamortoude lamortd’unproche»«Penser lamort, ce n’est pas très simple. J’y ai pensé enfévrier,quandj’étaisàplat. J’aiuneassurancemaisil fauts’occuperdespetites choses,de la transmissiondebiens,des cartes bancaires, des codes. De laisser des consignessurquiprévenir.Vivre seul(e) en pays d’immigration, loin de sa famille,implique tout une organisation complexe pour préparerlesaspectsmatérielsdesesobsèquesetdelatransmissiondesesdirectivesetdesesbiensOnnepenseàrien,c’estocculté,onrepousse..çanesefaitpas.. on ne parle pas de lamort, plus on est âgé plus onrepousse

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Jedonneunexemplepourillustrermonpropos:Quandj’aiposélaquestion:commentvamatante?Onm’aréponduparlenomdonnéàsanièce,néelasemainedelamortdematante.C’estainsi,dufaitquesonnomaitétéattribuéàunnouveaunédelafamille,quej’aicomprisquematanteestmorte.Quandunepersonnedécède,ilfautsedébarrasserdetousses objets, les distribuer hors de la famille c’estcontradictoireavecnospratiquesreligieusesoùils’agitdesepréparerà lamort.Distribuer tous lesbiensdudéfuntc’estunemanièredechasserlamorthorsdechezsoi,horslafamille.Jenepeuxpasporterlesbijouxdemamèreetdemasœur,maisdematante,Oui.Lesbijouxsontuneprolongationdelaviedelapersonne,celaréveillebeaucoupd’angoisse.»Cimetière le choix familial: cimetière familial, le choixderetouraupaysmotivépardeschoixfamilial«Personnellement, j’ai déjà anticipé mon enterrement, ils’avère que nous avons une personne de la famille quiarrive à un âge très avancé, nous avons donc acheté uneconcession dans un cimetière au sud de la France sansaucunedifficulté.Une concessionavecunnombrepotentiel, c’est la famillequidécide.L’accèsauxconcessionsdépenddesvillesdanslespetitesvilles cela est encore possible par rapport aux grandesvillesquisetrouventsaturées.»;«EtreenterréenFranceestassortidemoyens,etavoirlapossibilitéd’entretenirlasépulture. Il faut bien tenir compte des désidératas de lapersonneetexécutersavolonté.En pensant à la famille et les proches, quel que soitl’endroit choisi, ils souhaiteraient avoir un lieu de

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sépulture pour se recueillir: c’est l’expression de leursouhaitquiprime.«Monsouhaitestd’êtreenterréeenAlgériemaisplusletempspasséenFrance,cesont lesenfantsquidécident».«Je souhaiteraiêtreenterréeenparfaiteosmoseavec lesritestraditionnelspouraccomplirlavie.Quandonpeutappliquer lesritesouic’estunecontinuitéde la pratique religieuse qui sont l’expression même demessouhaits.Les cimetières en France nécessitent que chacun ait saconcession alors que dans nos pays, chacun est enterrédansuncimetière.En Algérie, les cimetières sont un peu chaotiques, onenterrelàoùilyadel’espace.Parfois,onpeutréserverunlopindeterrepourenterrerunemêmefamille,enfonctiondesdisponibilitésalorsqu’auMaroc,et lesespacesoù lespersonnes sont enterrées sont organisés par date (jour,mois,etannée)dedécès.De même pour les rapatriés: le cimetière est divisé endeux,parexempleceluideAinDiabàCasablanca,prochede la mer où sont enterrés les autochtones (à même laterre) et les immigrés rapatriés en cercueil. Quand lescercueils arrivent par avion, on ne va pas en retirer lescorps, c’est le cercueil avec le corps à l’intérieur qui estinhumé.Si bien que l’on peut rapidement distinguer ceux quiviennentdel’étranger.etrepérervitesatombeenfonctiondesadatederapatriement.Lerapportaucorpsaévoluésicertainesdesinterviewéesétaientfavorablesaudond’organe,ellesontchangéd’avisdu fait de la nouvelle loi qui le permet sauf déclarationcontrairedel’intéressédûmentconfirmée.Cetteloirebute

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plusieurs personnes, qui refus de don site refus de dond’organe:«S’ils’agitd’unchoixpersonnel:jedonneraimoncorpsàla science. Or une fois qu’on est plus là, comment vas’organisercedon.»«Avantj’aipenséaudond’organes,ilnemeposaitaucunsoucis.Ilsuffisaitdes’inscrire.Depuisqu’enFrancelaloiestpasséepourrenforcerledond’organesetestdevenueobligatoiresaufsi lespersonnessont désinscrites, cela m’a profondément dérangé, d’êtreobligée de donner mes organes. Avec tous ces traficsd’organes,actuellement,onassisteàunemarchandisationducorps,qu’onleveuilleounon,lecorpsseratoujoursendéplacement.» «j’aipenséplus àmesparents et je les aidésinscritssurlesite»Jepréfèrequ’ilsrestentintacts»PréparatifsetimpréparationsLes pratiques funéraires ont souvent une fonctionexpiatoire: elles permettent de gérer et prévenirl'angoisse des survivants grâce à la mise en place deconduites de solidarité et d'apaisement de la part de lacommunauté.Ellessontdoncd'uneimportancevitalepourlemigrant.Commentsepréparentous’anticipentlesfunérailles.?Ilyaplusieursniveauxdepréparation:réserverlasommepour couvrir les frais ou contracter une assurance est leniveaudelaprévoyancebasique.«Quandilyauneexpatriationducorps,c’estl’expressiond’une volonté, du respect du choix du mort par sonentourage.Enfait,mêmesionchoisitd’êtreexpatrié,c’estla famille qui a le dernier choix, même si le choix est

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douloureux. C’était au départ, un arrangement personneletpuisestdevenuunepratiquegénéraliséedepuisquelesimmigrés se sont installés. Ce qui était privilégié àl’époque,c’était leretourdans lepaysd’originemalgré lecoûtquecelareprésente.Jemesouvienslorsquemonbeaufrère est mort, nous avons emprunté de l’argent pourassurer le rapatriement du corps. C’était financièrementtrèslourddanslesannées70.Aujourd’hui le gouvernement algérien a annoncé depuis2014,qu’ilparticiperaàlapriseenchargedurapatriementducorpsdesesconcitoyensimmigrés.»Evolution des funérailles: simplification etperméabilitéàlaculturedupaysd’accueilLa personnalisation des cérémonies funéraires marqueune profonde rupture par rapport aux attitudesantérieures, il y a le souci de la permanence, de lacontinuité,delalignée,brefd’unecommuneappartenanceàlacommunautéquisevitcommeéternelle,s’imposeàsoiet parvient à transcender le temps de l’existenceindividuelle.Enclair, leritedes funéraillesprocèded’unelogiquede l’affiliation. Les funérailles sont synonymesderendre un dernier hommage au défunt. Ce dernierhommage est aussi l’occasion des considérationséconomiques, d’exhiber la réussite sociale du défunt. Lacérémonie est à l’image de l’appartenance sociale dudéfuntetàl’imagedesonréseau.Ceuxquiparticipentàlacérémonie,sontàl’imagedecequ’ilaété,sontsouventlesproches,lescollèguesetlafamilleélargie.

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Quecesoitdanslepaysd’origineoudanslepaysd’accueil,aveclamodernisationiln’yaplusletempsdeslonguesetcouteuses célébrations. La tradition change évidemment,autrefois les gens restaient les 40 jours, Aujourd hui, ilrepartentviteaumaximum3joursetencore!Iln’yaplusde«festin»,mêmesi lafamilleprépareunrepas, iln’yapasdefêteautour,justedesprières.«Chez nous, la cérémonie dure trois jours, on reçoit lescondoléances, on s’affaire, préparer les repas, préparer àmanger,àl’époque,il n’yapasd’eaucourante,cequifaitqu’il faut aller à la source le chercher, faire la vaisselle,ranger, faire dormir les proches… Les souvenirs que j’engarde des trois jours, c’est beaucoup d’amusement entremes proches, cousins et cousines même si c’est unecérémonie triste. On ne dormait pas, on veillait…. Laveillée mortuaire consiste à lire le coran par les«oulémas»etlesCheikhduranttoutelanuit.On doit tellement s’occuper des convives, on n’a plus letempsdepenserauxmortsparcequ’ilsrestentvivants.C'est une période de grande vulnérabilité et derapprochementdeDieu,deprièresetdesolidarité.Unmouvementspontanécollectif,solidairedesprochesetdesamis,pousseàvouloiraider la familleendeuillée,quisouffreetamal.Cemouvementestuninstinctquipousseàprotégerl’autre,àfairedesdonsdémesurés,etconduitpartouslesmoyensàtenterderemédieràcettedouleurdontlespectaclecréeunsentimentd’urgence.Lesoffrandessontunsymboled’investissementpourl’au-delà.Tousceuxquiviennentausecoursdel’endeuillé,sesbiens et ses gestes seront décuplés lors du jugement,devantDieu.Cependant,ilfautsavoiravanttoutquel’aideapportéedoitêtrecontinueetdurabledansletempscarla

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douleurdevientplusfortequelquesmoisaprèsledécès.Etc’estàcemomentqu’ilfautêtreprésentethélaspersonnen’estlà.Ilfautégalementlaisserlapersonneendeuilfaireson propre chemin, sans chercher à l’influencer, sans luidirede réagiroude se « ressaisir » alorsqu’ellen’enestpascapable.Enfin, chacunessaierade fairedesonmieuxcar iln’yaaucunebonneoumauvaiseattitudeàadopter.L’importantestd’êtrelà.Laréception,c’estaumoinstroiscentpersonnesLerepasquelesamisetvoisinageconfectionne,souventlecouscous: «le couscous desmorts» en principe ce sontles voisins et les proches qui doivent préparer les repas.Mais souvent, c’est la famille malgré sa douleur qui seremetau travail.»; «Les condoléances sont l’occasiondescellerdesliens.Toutepersonneamèneàlaveuve1painde sucre, en fonction de leurs richesses, peuventcontribuer au frais, en amenant, unmouton, une chèvre,deslitresd’huilesd’olives,descrêpes,dumielauthentique,delasemoule,etc.Les femmes préparent du pain, la cérémonie peut sedérouler comme une cérémonie demariage en fonctiondesmoyensinvestis.Les 3 jours, c’est long pour les proches et la famillechagrinée.Souventdanslevillage,touslesveufsetveuvessedéplacentpourprofiterdepassertroisjoursenfamillejusqu’àlaséparation.»Danslepaysd’accueil, iln’yaplusautantdepréparation.Laplupartdescérémoniesréuniesuniquementlesenfantsetlafamilleprochequisetrouventsurlesol.Lesamis,etcollèguesdudéfuntsedonnentrendez–vousau cimetière sans doute lié à l’exiguïté des lieux (les

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domicilesnepermettentpasd’accueillirdumondesaufsilamosquéeouvresesportesetpermetdedéjeuneraunomdudéfunt.Les condoléances se font parfois uniquement par simplemessage téléphoné, Condoléances à distance, ex;télévision comme pour l’enterrement du roi; Pasd’internetcommeauJapon.Lespectacledelamort:On pleure beaucoup, on crie la douleur. A chaque visite,c’est l’occasionderéactivercettedouleurlatente.Pleurer,c'est important.Unedouleurpartagée,onpleureavec lesprocheset les amis.Tout lemonde reste lemomentqu’ilfautprochedudéfunt,personnenetouchelecorpssauflesplusproches.Selonlespays(AlgérieetTunisie)onveillelecorps.Onprotègeaussibienqu’onpeutlesenfants,onneleurpermetpasd'assister à l'enterrement.Tous ces ritessont importants. Ils insèrent la mort dans lavie, permettent de s'accoutumer à la séparation. Ilsfavorisent le lien social, amical, diminuent l'isolement. Ilspermettent aussi aux autres de reconnaître la souffranceaffligéeàl’endeuillé.Lejourdel’enterrementC'est une étape très difficile, car la souffrance y est trèsforte,exacerbéeparcette injustice faiteaux femmes.«Cequimetoucheleplus,c’estlaprofondeinjusticeenverslesfemmes. Les femmes n’ont pas le droit d’accompagner lecorps au cimetière le jour de l’enterrement. On dit aurevoir en bas de la porte. C’est très dur de s’en séparer.

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Cetteinjustice,jelarevisàchaquefois:avecladisparitiondemonpèreetcelledemonfrère.J’aiassistéàd’autresenterrementsenFrance, iln’yapasde différence, c’est la même chose mais cette fois, lesfemmesontdroitd’alleraucimetièremaisàconditiondegarder une certaine distance de la tombe. On reste enretraitjusqu’àcequelecorpssoitenterréselonlesrituels.Etcen’estqu’ensuitequ’onpeutserapprocher.Les femmes le ressentent comme une profonde injusticed’être présentes dans le cimetière mais avec un tempsd’écart.LedeuilCequi est trèsdur à supporter c’est après l’enterrement,oùlesprochesrentrentdanslaphasedeprofondetristessequi intervient à distance du décès, lorsque la vie de sonentourage, si présent aumoment du drame, a repris sonrythme quotidien, alors que le rythme de la personneendeuilléeesttoujoursauralenti.Aprèslechocdelaséparation,ondisposede40jours.Onse met en place une période nouvelle. Onrecherchelapersonne décédée dans tous les actes du quotidien : onessaie de nettoyer son espace, sa chambre ou samaison.On range les vêtements, on les donne aux nécessiteux.Parfois, on se partage les biens laissés (bijoux, argent,provisions,etc.)Peuàpeu,letravaildedeuils'installe.Lesamismobilisésaudépartsontreprisparleursoccupationsquotidiennes, etpourbeaucoup,la tristessen'estplusdemise."Ilfautfaireface"La religiosité aide à dépasser cette période et donneuneleçondevie:querienn’estéternel.On peut aussi éprouver de la colère, envers soi-même,envers les soignants lorsque ce dernier a été hospitalisé

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justeavant sondécès.Leverdictdumédecinn’est jamaisaccepté(ilsontfaitdeserreurs,enversledéfunt«ilnousaabandonné», ou encore envers Dieu, le destin? C'est larévolte, un sentiment d'injustice qui peut s'accompagnerd'une grande agressivité. On se remémore les joursheureux et on se dit : "il n'est plus, ces jours-là nereviendrontpas".Enrevisitantsessouvenirs,ondécouvrequelarelationaveclapersonnedisparuen'apastoujoursété simple. On peut éprouver de la culpabilité. Cesentiment est toujours présent dans le deuil. On sereprochedenepasenavoirassezfaitouassezdit.Il fautdu tempspouraccepter la réalitéde laperteetdel'absence.Peuàpeu,onintériorise ledéfunt.Onl'idéaliseaussi,etc'estnormal...Ilestperçucommeuntrésor"doux-amer".On recommenceà vivre, sanspourautantoublier.Les inhibitions diminuent. On se repositionnedifféremment par rapport au monde. Si la blessure nesaigne plus, elle reste indélébile. Elle peut se rouvrir àl'occasion d'un anniversaire, d'une nouvelle perte, d'unpassageàvide...Conclusion: Débat politique autour de la législationdescimetièresLes positions sur la nécessité d’établir des parcellesspécifiques («des carrés» ) réservé au culte musulmandans les cimetières publics en France ne fait pasl’unanimitéauseindesmusulmanseuxmêmes.

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Selon Galeb Bencheikh, «il n’y a aucune raison d’avoirnécessairementuncarréditmusulmandansuncimetière.Pourpeuquecertainesrèglessoientobservées,tellesquel’orientationdelatombeverslakaaba,cetempledeDieu,vêtu de noir, qui se trouve à la Mecque, ainsi que lareconnaissancede la tombeparunestèle caractéristique,la mise sous terre peut se faire dans n’importe quelcimetière»109Pour d’autres, la mort musulmane en contexted’immigration,enjeuscientifiqueetsocial,estunimpenséde la recherche sur l’immigration, elle reste à sonbalbutiement. Le discours social dominant interpelle leplussouventl’Islamautourdequestionsàl’intégrationdel’Islamdansunespacepublicplurielmarquéparlalaïcité,à la visibilitédes signesde l’Islamdans l’espacepublic, àl’intolérancereligieuse,àlaplacedelafemmedansl’Islam,surdesquestionsquiconvoquentplutôtlavie,l’existence,lasurvivanceparfois.«Alorsya-t-ilpertinenceàparlerdecequin’estplus,àparlerdedisparition,àparlerdelanonvie?»Fall(2012)110Il ressort des travaux de Fall et al que la réflexion sur laprésence des musulmans doit, aujourd’hui, également sepenser dans une perspective gérontologique et s’inscriredanslesquestionnementsglobauxactuelsdesociétésoùlavieillesse s’installe de plus en plus. Et où le « mythe duretour » au pays d’origine pour y vieillir et y mourirs’estompe.

109Bencheikop.cit110Séminaire2012sur«lamortetl’islamaucanada»KhadiyatoulahFall,ProfesseurtitulairedelaChairederecherchesinterethniquesetinterculturellesdel’UniversitéduQuébecàChicoutimi(CERII)etchercheurauCentreinteruniversitaire(CELAT).

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L’immigration musulmane passe d’une immigrationindividuelleàuneimmigrationfamiliale.Ellesecaractériseégalementparl’émergenced’unesecondegénérationetunprocessus d’inscription territoriale. Cette immigrationrentre dans un processus d’installation définitive. Lemythedu retour se fissureet l’immigré se trouvepris au«piège de l’immigration». C’est la fin du provisoire quis’éternisait.L’immigrationestàsaphased’enracinement.«De plus en plus, on part pour rester. Mentionnonségalement que plusieurs nationaux de ces payshistoriquement non musulmans se convertissentaujourd’hui à l’Islam. On observe les prémisses d’uneinversion du projet migratoire de départ de la premièregénération. Cette première génération est dans un «processusdesacralisationde la terred’accueil lorsqu’elleaccepte de se désintégrer sous terre d’immigration. Lesspécialistes de l’immigration parlent « d’intégration sousterre », d’intégration dans la mort » et nous utilisonsl’expression « d’intégration dans la désintégration sousterred’immigration»Fall(2012).Le discours tenu par Fall pose toute la question de lacompatibilité entre l’Islam et la promulgation des loisrelatives aux cultes, entre la réalité qu’est la mortmusulmane et l’adaptation des dispositifs juridiques,administratifs, sociaux, hospitaliers: Comment vieillirimmigré musulman? Comment préparer sa mort ?Comment mourir dignement ? Comment mourir dans lerespect des normes du rituel préconisé par l’Islam ?Commentmourirde la «bonnemort », de lamorthallal,c’est-à-dire dans les recommandations de l’Islam, maisausside«labellemort»,c’est-à-diredansdesconditionsde dignité, d’affection, de solidarité et de bonaccompagnement ? Comment, interroge Fall, les pays

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d’accueil des minorités musulmanes peuvent-ils parlerd’intégrationalorsquesouvent lerapatriementdescorpsse présente comme obligation parce que les conditionsd’inhumationetladisponibilitédeslieuxdecultepourlesmusulmansposentproblème?Plusieursanglesd’étudedela relation entre la mort et l’Islam se focalisent sur: -lacomparaisondesnormesdurituelde lamorten Islametcelles préconisées par les pays d’accueil; Lesrevendicationsdecimetièresoudecarrésmusulmans; ledéfidelapréservationdelamémoiredesrites,doncdelatransmission de la mémoire des symboles aux nouvellesgénérationsdansuncontextedefortesécularisation.(Surcepoint, l’Islamest confronté auxmêmesproblèmesqueles autres religions); la rencontre et la négociation entrelesnormesdel’Islam,lacultured’origineetlesidentités.Des avancées importantes ont été faites: « afin derépondre à la demande des musulmans de pouvoirbénéficier d’espaces d’inhumation propres, a-t-il éténécessaire de trouver des accommodements avec lalégislation de 1885 qui fait des cimetières des espacespublics et laïcisés dans lesquels tout regroupement parconfessionesten théorie interdite.Celaapuêtre faitparvoie de circulaires qui prévoient la possibilité de carrésconfessionnels musulmans dans les cimetièrescommunaux.»111Iln’endemeurepasmoinsquepourFallet lestenantsdel’incontournabledébat sur la contextualisationde l’Islam,il faut rappeler que l’Occident est, dans une certaine

111p.105-106Fregosiop.cit.

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manière,unechancepour l’Islam. Ils soulignentqu’il fautreconnaîtrequesalaïcitéapermisàl’Islamd’yexister.LaréussitedesmusulmansàvivreunIslamquis’intègreàl’Occident sera le pont qui reliera l’Occident et lemondemusulmanetquidiscréditeralediscoursalarmisteduchocdes civilisations. Comme le dit l’intellectuel AbdeslamSinaceur,l’Islamn’estpaslasécuritédel’acceptation,maislerisqueetlespérilsdel’interrogation,delarecherche,dudébat,del’explicationTraiterdelamortsoulèvetoutelaquestiondelaplacedel’Islamen terreoccidentaleetdesacapacitéàvivredansdes sociétésqui opèrent la séparationde la société civiledelasociétéreligieuse.Laquestionposéeàl’Islam:cettereligiona-t-elle lacapacitédes’intégrerdansdessociétésqui ont leurs propres caractéristiques et cette religionpossède-t-ellelepotentielpourréagirauxdéfislancésparces contraintes ? C’est le défi d’une capacité à réfléchir(ijtihad) en contexte de minorité, d’une ijtihad qui reliel’agir musulman et les demandes d’accommodement desmusulmans au besoin nécessaire de la socialisation, del’identificationetdel’appartenanceàlasociétéd’accueil.Sil’Islam ne peut, dans le cadre d’un projet du vivreensemble,permettre,àmêmesarelecture,decontribueràsolutionner les problèmes des minorités musulmanes enOccident, l’Islam ne peut se prétendre un messageuniversel.

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ANNEXEAUCHAPITRELesmusulmansetlamortReposericioulà-bas?Donnéesstatistiques:lesmultiplesfacteursduchoixRappelonsquelquesrésultatsdel’enquêtemenéeen2003surlespréférencesdespersonnesimmigréespourleslieuxde sépulture, selon la religion, le rapport populaire à lamort utilisant une enquête effectuée auprès d’immigrésâgésde45à70ans112.Les résultats montrent que la question du futur lieud’inhumation ne laisse pas indifférent, et d’autant moinsquand l’âge augmente. Les déterminants du choix d’êtreenterré en France ou au pays d’origine sontmultiples etcomplexes. Les femmes font moins que les hommes lechoix du pays d’origine. Ceux qui sont arrivés jeunes enFrance tendent à préférer y être enterrés. La géographiedelafamillejoueégalementunrôlemajeurdansleschoix.Mais le facteur le plus déterminant reste l’appartenance

112Cette enquête a pour objet de mieux connaître les conditions et les modalités de passage à la retraite des immigrés en France. Il s’agit d’observer la façon dont s’opère la fin du travail dans une vie marquée par la migration. Cette période de la vie est l’occasion d’effectuer un bilan et d’explorer l’intrication des effets liés à la culture héritée du pays d’origine et de ceux liés à la scolarisation, à la catégorie professionnelle, au statut social et au niveau de vie dans le pays de résidence. En étant centrée sur le vieillissement et le passage à la retraite, l’enquête PRI se différencie de la majorité des études sur la migration, dont la problématique porte principalement sur l’étude de l’intégration. En ce qui concerne le thème qui nous intéresse dans le présent article, à savoir les préférences relatives au lieu d’enterrement, la question suivante a été posée aux enquêtés : « Où préféreriez-vous être enterré ou incinéré ? En France ; dans votre pays d’origine ; dans un autre pays ; cela vous est égal ». Cette information n’est en revanche pas disponible pour leur éventuel conjoint(4). Le lieu d’enterrement des parents, lorsque ces derniers sont décédés, a également été recueilli à partir de la question suivante, posée respectivement pour le père et pour la mère : « Dans quel pays votre père (votre mère) a-t-il(elle) été enterré(e) ou incinéré(e) ? ». On sait également où ceux-ci ont passé la principale partie de leur vie et leurs vieux jours, en France ou au pays d’origine.

Cf C.Attias-Donfut, et al. 2006, L’Enracinement. Enquête sur le Vieillissement des Immigrés en France.Paris :,Armand Colin

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religieuse: à durée de migration égale, les musulmanssouhaitent toujours plus que les autres confessions êtreinhumés dans leur pays d’origine. Celui qui est partiaccomplit ainsi symboliquement son désir de garder saplace et celle de sa famille au sein de son groupe sociald’origine,enchoisissantdereposeraucôtédeLes personnes nées hors de France forment unepopulation hétérogène, originaire de pays aux culturesdifférentes et présentant des profils migratoiresspécifiques Toutes les origines ne peuvent faire l’objetd’une analyse spécifique en raison de la faiblesse decertainseffectifs.LamajoritédesimmigrésnésenEuropedéclarent préférer être enterrés en France (dans 55,5%des cas), alors que l’on observe un attachement au paysd’origine très fort (57 % des cas) pour les migrantsoriginaires d’Afrique. Le souhait d’être inhumé au paysd’origine est aussi trèsmarqué parmi les originaires despaysduMoyen-Orient,tandisquelesmigrantsnésenAsiepréfèrent être enterrés en France. Néanmoins, cesrésultats sont bruts et ne tiennent pas compte del’ancienneté du séjour en France qui varie selon lesgrandeszonesd’origine.Ceci explique sans doute les spécificités que l’on peutmettre en évidence à un niveau plus détaillé. Parmi lesimmigrés des pays d’Europe du Nord, la volonté d’êtreenterré en France est fréquemment exprimée alors quepeuoptentpourlepaysd’origine(autourde10%)(11).Ilen est demême pour les immigrés d’Espagne et d’Italie,près de 7 enquêtés sur 10 désirant un enterrement enFrance. Seuls les originaires du Portugal se distinguent :34,4 % souhaitent être inhumés dans leur pays denaissance contre 31,5 % en France. Les personnes néesdanslespaysd’Europedel’Estsontlesplusnombreusesà

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vouloirêtreenterréesenFrance,plusde6enquêtéssur10ayantexprimécettepréférence.(12)Cettequestionaétéexaminéedansl’enquêteMobilitégéographique et insertion sociale (MGIS) de 1992, endifférenciant les courants migratoires selon lesprovenancesgéogra-phiques, avec l’hypothèsequ’iln’y apas unmodèle unique,mais desmodèles spécifiques auxdifférentscourantsmigratoires(Tribalat,1996,p.134).Lacomparaisonentrelesrésultatsdel’enquêtePRIetceuxdel’enquêteMGISnepeutêtrequepartiellecar l’échantillonMGIS est limité à 7 pays ou groupes de pays (Algérie,Maroc, Espagne, Portugal, Turquie, Sud-Est asiatique,Afriquesub-saharienne)etauxpersonnesde20à59ans,excepté pour les originaires d’Espagne (âgés de 25 à 59ans),duSud-Estasiatiqueetd’Afriquesub-saharienne(de20à39ans).Desdifférencesassezsignificativesapparaissententre leshommes et les femmes. Les hommes déclarent moinssouvent que les femmes vouloir être inhumés en France(38,3 % contre 45,6 %). Les femmes sont quant à ellesmoins favorables à un enterrement au pays d’origine(respectivement 31,4 % et 37,5 %). La proportiond’individusindifférentsouneseprononçantpasestàpeuprèsidentiquepourlesdeuxsexes.Les originaires duMaghreb souhaitent enmajorité avoirleur sépulture au pays d’origine : qu’ils soient natifs duMaroc,d’AlgérieoudeTunisie,prèsde6enquêtéssur10expriment cette préférence. Néanmoins, les migrants deTunisiesontunpeuplusfavorablesquelesautresauchoixdelaFrance.Uneautreparticularitéconcernelesenquêtésnés en Turquie. Ils se caractérisent par une très forte

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volontéd’êtreenterrésdans lepaysd’origine,dans68%descas.Àl’inverse,cechoixrestetrèsminoritairepourlespersonnesd’origineasiatique.Comparéesàcesrésultats, lesdonnéesde l’enquêteMGISindiquentdespréférencestrèssimilairespourlespaysougroupes de pays étudiés (Tribalat, 1996, p. 130-133):Ainsi, en 1992, les préférences pour un enterrement aupaysd’origineétaientexpriméespar53%deshommeset48%des femmesvenantd’Algérie,52%deshommeset56%desfemmesduMaroc,48%deshommeset45%desfemmesd’Afriquesub-saharienne,63%deshommeset70%desfemmesdeTurquie,33%deshommesduPortugal(letauxd’ensemblepourlesfemmesmanque).Ces résultats globaux suggèrent qu’il n’y a guère eud’évolution en ce domaine en l’espace de dix ans. Lesécarts suivant le pays de naissance révèlent que le coûtfinancier du rapatriement des corps ne constituecertainement pas un facteur décisif dans les préférencessurlelieud’enterrement,àl’inversedesfacteursculturels.Dans l’enquête PRI, les musulmans souhaitent trèsmajoritairementuneinhumationdansleurpaysd’origine,dans68%descas.La pratique religieuse, qu’elle soit régulière ouoccasionnelle, a une influence significative sur lespréférences.Ceciapuêtrevérifiépour lesdeuxreligionsregroupant la grande majorité des enquêtés, lecatholicisme et l’islam. Ainsi, 27 % des catholiquespratiquants réguliers souhaitent une inhumation au paysd’originecontre22%despratiquantsoccasionnels,15%desnon-pratiquantsayantunsentimentd’appartenanceàla religion et 12 % des non-pratiquants sans sentimentd’appartenance. Les différences sont encore plusprononcées parmi les musulmans. Pour ces derniers, les

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taux de ceux qui optent pour un enterrement au paysd’origine selon l’intensité décroissante de la pratiquereligieusesontrespectivementégauxà75%,68%,49%et20%.L’attachementplusfortdespratiquantsaupaysd’origineest certes dû à l’importance que l’observance des rituelsrevêtàleursyeux,maiscen’enestpasl’uniqueraison.Eneffet,lesrituelspeuventaussiêtrepratiquésenFrance,enparticulierpourlescatholiques.Lapratiquereligieusedoitêtreinterprétéecommeunélémentdesystèmesdevieetdepenséequivalorisentlesattachesauxtraditionsetauxancêtres.L’influencedelafiliationL’enquête PRI donne de l’information sur le lieud’enterrement des parents et beaux-parents décédés. Lesdonnéesfournissentaussilelieudenaissancedesparentsdesenquêtés.Plusde80%desparentsdécédés(pèreoumère) sont enterrés dans leur pays d’origine. Assez peusurprenant, ce résultat traduit simplement le fait quel’échantillon correspond à une première générationd’immigrés en France. Moins de 15 % des parents sontenterrés en France, tandis que la proportion de ceux quisontinhumésdansunautrepaysestdel’ordrede5%.Lelieud’inhumationdesparentsdiffèreselonlelieuoùilsont fini leur vie. 95,5 % des mères qui ne sont jamaisvenuesenFrancesontenterréesdansleurpaysnatal.MaisparmilesmèresayantvéculaplusgrandepartieoutouteleurvieenFranceetquiyontfinileursjours,83,5%sontenterréesenFrance,contre14,7%aupaysd’origine.Pourlesparentsdécédés,lepaysoùilsontfinileurvieestle plus souvent celui où ils reposent, et il s’agitmajoritairement de leur pays natal. À la génération

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suivante, les enquêtés ont davantage déclaré souhaiterêtreenterrésenFrance.Considérons tout d’abord le cas où les deuxparents sontdécédés. Lorsque le père et la mère sont enterrés enFrance,plusde9enquêtéssur10désirentêtreeux-mêmesinhumésenFrance,contreseulement1,4%dansleurpaysdenaissance.Quandlesdeuxparentssontenterrésdanslepays d’origine, alors le désir d’un enterrement au paysd’origineestbeaucoupplusfréquent:cechoixestcitépar42,5%desenquêtésParallèlement,lesenquêtéssontplusnombreux à rester indécis, alors que les préférencesétaient bien établies dans le cas où les parents sontenterrésenFrance.Danslescasoùseulementl’undeleursparentsestdécédéet enterré en France, les enquêtés déclarent égalementtrès souvent préférer être inhumés en France : lesproportionssontde91,4%s’ils’agitdelamèreetde88%s’il s’agit du père. L’enterrement des parents en Franceconduitdoncàunefortereproductiondecechoixpar lesenfants.Lorsquelepèrevittoujoursetapassélamajeurepartieoutoute sa vie enFrance, 60,1%des enquêtés veulent êtreenterrés en France. Cette proportion diminue lorsque ladurée du séjour du père en France a été plus brève,atteignantseulement26,1%silepèren’estjamaisvenuenFrance.Parallèlement, lapréférencepouruneinhumationaupaysd’originecroîtfortement,passantde17,1%pourlesenquêtésdont lepèreapassé toutesavieoupresqueenFranceà47,5%lorsquelepèren’estjamaisvenu.Desrésultats analogues sont obtenus pour l’influence du lieude vie de la mère, qui apparaît encore plus marquéelorsque celle-ci a vécu aumoins enpartie en France. Les

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femmesontdavantage tendanceàopterpour le choixdulieudesépultureenFrancequeleshommes.Il y a une reproduction forte des choix entre lesgénérations. Lorsque les parents vivent en France, cecidiminue de manière très significative la probabilité quel’enquêté préfère être inhumé au pays d’origine plutôtqu’enFrance.Àl’inverse,cetteprobabilitéestunpeuplusforte(auseuilde10%)lorsquedesparentsviventaupaysd’origine. La présence d’autresmembres de la famille aupays d’origine, essentiellement des ascendants, accroîtaussi la probabilité que les enquêtés préfèrent êtreinhumésaupaysd’origineplutôtqu’enFrance.L’enquêtePRI souligne aussi le rôle de la localisation desdescendants. Les enquêtés déclarent beaucoup plussouvent vouloir être enterrés au pays d’origine lorsqu’ilsont des enfants qui y vivent, tandis qu’avoir des enfantsvivantenFrancen’exercepasuneffetsignificatif.Lapropriétédulogementprincipalesttrèsdéterminante.Par rapport aux immigrés non propriétaires, lespropriétaires désirent beaucoup plus souvent unenterrementsurlesolfrançaisqu’aupaysd’origine.Cettevariable s’apparente plus à un indicateur d’intégrationqu’à un indicateur économique, le patrimoine immobilierétant faiblement liquide. Les locataires comptent selontoutevraisemblancedavantagedepersonnesquidésirentrentreraupaysàunmomentdonnédeleurvieoubienquieffectuentdefréquentsaller-retouraveclepaysd’origine.En revanche, l’acquisition de son logement principalatteste de la volonté des individus de passer leurs vieuxjoursenFranceetd’yêtreenterrés.Cette dernière variable suggère que la trajectoiremigratoire exerce un fort impact sur le choix du lieu

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d’enterrement. Une question porte sur la période àlaquelle l’enquêté a quitté son pays d’origine pour venirs’installer en France. Il s’agit ici d’une installationdéfinitive, qui exclut les voyages et les séjours de courtedurée, et l’on en déduit l’ancienneté de la migration (ouduréedeséjour).L’acquisitiondelanationalitéfrançaiseaaussi une influence : après contrôle des effets liés àl’originegéographique,onobserveque,parrapportàceuxquisontdevenusfrançais,lesimmigrésn’ayantpasacquisla nationalité française désirent bien plus souvent êtreinhumésdans leur pays d’origineplutôt qu’en France. Ilssontaussiplusnombreuxàsedéclarerindifférents.

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CourantsmodernistesdanslemondeCatholiqueClaudineAttias-DonfutetMichèleFellousPrière

CharlesPéguy113

Lamortn’estrien,Jesuisseulementpassédanslapièceàcôté.CequenousétionslesunspourlesautresNouslesommestoujoursDonnezmoilenomquevousm’aveztoujoursdonné.Parlezmoicommevousl’aveztoujoursfait.N’employezpasuntondifférent.Neprenezpasunairsolenneloutriste.Continuezderiredecequinousfaisaitrireensemble.Priez,souriez,Pensezàmoi.QuemonnomsoitprononcéàlamaisonCommeill’atoujoursété,Sansemphased’aucunesorteetsanstraced’ombre.Laviesignifiecequ’elleatoujourssignifiéEllerestecequ’elleatoujoursétéLefiln’estpascoupé.Pourquoiserais-jehorsdevospenséesSimplementparcequejesuishorsdevotrevue?

113Merci à Jean Gouriou qui m’a fait connaître ce beau texte.

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Jevousattends.Jenesuispasloin.Justedel’autrecôtéduchemin114.Lescatholiquescomptentprèsdedeuxmilliardsdefidèlesdans le monde, représentant environ 17, 5% de lapopulationmondiale (soit entre 1/5 et 1/6) et près d’unquart de la population européenne. Si ce tauxdemeure àpeuprèsstabledanslemonde,iln’enestpasdemêmeenFrance.Selonuneétudedel’IFOPde2009,lesFrançaissedéclarantcatholiquessontpassésde87%delapopulationen 1972 à 64% en 2009 (soit 41,5 millions) et lespratiquantsde20%à4,5%danslemêmetemps.D’aprèsl’INSEE,Lenombredecatholiquespratiquantsétaitde3,2millionsen2012.Cettebaisse importante tientà la foisàuneperted’influencedel’Egliseetàunerecompositiondela population, sous l’effet de l’immigration. En effetd’autresreligionsvoientleurreprésentationaugmenterausein de la population française, l’islam en particulier,tandis qu'augmente rapidement le nombre de personnesse déclarant sans religion, passant de 21% à 28% entre1987 et 2009. En 2013, les sans religion constituent legroupeleplusimportantchezlesmoinsde35ans,etprèsdelamoitiédes18-24ans.Ces statistiques témoignent de la perte d’influence del’Eglise catholique en France qui reste néanmoins

114Il s’agit de la traduction par Charles Péguy du texte original anglais du chanoine Scott-Holland.

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largementmajoritairedanslapopulation.Sondéclinrelatifa suscité des réactions et transformations de la part demembres du clergé et de fidèles rénovateurs, à l’écoutedesbesoinsdelapopulation.Ilssesontengagésdansunedynamique de refondation des pratiques et rituels, plusproches des gens, répondant à une demande qui semanifeste aux étapes importantes de la vie, et enparticulierfaceàlamort.On observe ainsi que, malgré une distance vis à vis del’Eglise,leshéritiersdelatraditioncatholiquesetournentle plus souvent vers leur culte d’origine au moment dudécès.Ce chapitre est consacré à des rites funéraires librementinspirésdelatraditioncatholique115.Latraditionfunérairecatholique

Le rite funéraire célébré à l’église fait traditionnellementréférence au rite du baptême par lequel le chrétien estidentifiéàlapersonneduChrist.Onyretrouvelesfiguresduritedubaptême,signedecroix,cierges,l’eau,lalecturedes textes bibliques, la prière de Notre Père. A traversl’adhésionàcettesymbolique,lavieetlamortdesfidèlessont prises dans une même perspective qui transcendel’un et l’autre, tout en leur conférant sens et cohérence.ToutenétantunrappeldelavieetdelamortduChrist,lerite d’adieu est centré sur le disparu et préfigure sonpassage dans l’au-delà. «Célébrer les funérailles d’undéfunt, c’est célébrer la mort et la résurrection du Christauxquellesledéfuntprendpart.»

115Cechapitreestbaséàlafoissurlesdonnéesdelaprésenteenquêteetsurlesrésultatsd’uneenquêteprécédentesur‘lesnouveauxrites’,etreprendcertainesdesanalysesquienontététirées.cfFellous,2001,p.187-22O

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Rappelonsbrièvementlesélémentsdecettetradition,bienconnueenFrance:

La tradition, qui a prévalu jusqu’à unepériode récente, aportél’accentsurladramatisationdel’existencehumaineetcentréleritesurle jugementdernieret lademandedepardonpourledéfunt.Leritueldébuteavantlamort,parle sacrement donné au mourant, à sa demande, par unprêtrequi,aprèsavoirentendusesconfessions,prononce:«Par cette onction sainte, que le Seigneur, en sa grandebontévousréconforteparlagrâcedel'EspritSaint.Ainsi,vousayantlibérédetouspéchés,qu'ilvoussauveetvousrelève».C’estl’extrêmeonctiondontl’origineremonteauxonctionsd’huileappliquéesaumaladesurlefront,pourlebien du corps. Le corps fait l’objet d’un profond respect,car il est considéré comme l’expression de la personnetoute entière. Après le décès, sa prise en charge estassumée par les soignants et les collaborateurs desservices funéraires. A eux d’effectuer la toilette,d’appliquer au corps les soins de présentation ou deconservation qui s’imposent ou qui sont souhaités par lafamille. En 1963, les autorités catholiques ont levél’interdiction de la crémation, tout en indiquant unepréférence pour l’inhumation. Si les catholiqueschoisissent traditionnellement l’inhumation, ils sont deplusenplusnombreuxàpréférerlacrémationdepuisquel’Église l’a autorisée. La cérémonie religieuse a lieu enprésence du cercueil, jamais en présence d’une urne. Lacrémation elle même n’intervient qu’après que soientcélébrées les obsèques. De plus en plus on épargne à lafamille et à l’assistance d’assister à la mise au four ducorps et de rester pendant la durée de la crémation,comme cela se faisait il y a peu. L’urne contenant les

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cendresn’estrécupéréequeplustard,parfoisunanaprès.Ledond’organesestvucommeunactedegénérosité,desolidarité avec ceux qui souffrent. Même si l’Eglisecatholiquen’interditpas ledonducorpsà lascience,elleémet des réserves sur cette pratique, car la famille estdépossédéedesondéfuntquiest lui-mêmesouventprivéd’unlieudemémoire.

Une profonde transformation s’est opérée depuis leConcileVaticanII(1962-1965)etseprolongeaujourd’hui.L’accent s’est déplacé de la demande de pardon à uneattentionenverslesendeuillésetàleursoucideconserverlamémoiredudéfunt.LepréambuleduRituelpromulguéà la suite du Concile, fixant le déroulement des ritescatholiques, stipule:«Encélébrant lesobsèquesdeleursfrères,leschrétiensontàaffirmerleurespérancedanslavieéternelle,sansnégligerpourautant lamentalitéet lesréactions de leur époque et de leur pays au sujet desdéfunts.Qu’ils’agissedetraditionsfamiliales,decoutumeslocales, ilsapprouvent tout cequiestbon (…).Tousceuxqui appartiennent au peuple de Dieu doivent se sentirconcernés par la célébrationdes funérailles (…) unepartde responsabilité revient aux parents et aux proches dudéfunt(…)Onveilleraàdécideraveceux,chaquefoisquec’estpossible,lesélémentsàchoisirpourlacélébration.»

La célébration des obsèques n’est plus un monopoleclérical. Dans de nombreuses paroisses, se sontmises enplace des « équipes de funérailles », constituées de laïcs.Elles accueillent les familles, écoutent leurs demandes,préparentlacélébrationavecelles.S’iln’yapasdeprêtrepourofficier,unmembredel’équipeprésidelacérémonie.Celle-ciestrarementune«messe»,saufsi ledéfuntétait

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trèsengagésurleplanreligieux.Lacérémoniecommenceparuntempsd’accueil,oùlesprochesévoquentledéfunt,savieet latracequ’il laisse.Lacélébrationdébuteparungestesolennel, lesignede lacroix,quirappelle lamortetla résurrection du Christ,: «AunomduPère, du fils et duSaint Esprit. Amen.» Elle se poursuit par la lecture de laParoledeDieu,Soixante-dix-huit extraits bibliques sont proposés. Danscertaines paroisses, on accepte d’y ajouter un texteprofane. La « prière universelle » est unmoment fort departicipation:lesprochesdudéfuntpeuventcontribueràsa rédaction ou en partager la lecture. La célébrations’achève sur le « dernier adieu », qui marque le départdéfinitifdudéfuntpourl’au-delà.Ladépouilleestaspergéed’eau bénite, en rappel du baptême. Le fait de l’encenserestunemarquederespect.Quand il y a présence d’un prêtre, une messe peut êtrecélébrée avant l’inhumation, au cours de laquelle unhommageestrenduaudéfuntparleprêtreetlesproches.Avant la cérémonie, le prêtre et la famille choisissent lesprières,lecturesetchantsquiviendrontlaponctuer.Au cimetière, l’inhumation s’accompagne d’une courtecérémonie en présence du prêtre (ou d’un officiant laïc)qui procède à la bénédiction du défunt. Il y récite unebrève prière (toujours en rapport avec la résurrection),suivie en général du « Notre Père ». Souvent un ultimegesteestproposé:bénédictionducercueilparchacunousimplemainposéedessus,ensigned’adieu.Pour le monument funéraire, aucune contrainte n’estimposée.

L’Eglise a connu de grands changements au cours dudernierdemi-siècle.La languelatineaétéabandonnéeau

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profitde la languedesfidèles,cequiarenduaccessibleàtous lacompréhensiondes textesetdesprières.Lesritessont devenus plus simples, moins pompeux. Les rituelssont davantage tournés vers les familles et les prochesL’éventaildestextesderéférenceetdesprièresproposéespour la célébration des funérailles est plus large et plusadapté à la personne du défunt. Quelle que soit leurdistance vis à vis de l’Eglise, les fidèles peuvent ainsiajouter au cérémonial des éléments qui renvoient àd’autres valeurs et croyances personnelles, tout en sesituantdanslacontinuitécultuelleetculturelle.Lesclercs,àleurtour,s’adaptentauxdemandesetrecomposentleurrôleetlessignificationsqu’ilsattachentauxsymboles.

Commel’écrit l’aumônier JeanKammerer, l’enjeudecetteévolution de l’église catholique est de taille: ‘il s’agit denouveauxrapportsdel’égliseaveclasociété,elle-mêmeenévolution constante, un rapprochement avec les gens,quellequesoit lasituationoùilssetrouvent.Etenmêmetemps un retour à l’essentiel dans le contenu des rites:l’amourdeDieupourtousetl’espéranced’unau-delàdelamort fondé sur la résurrection de Jésus, annoncé commefrèreetsauveurdetous’116

LesfunéraillesdeViviane

La cérémonie composée pour les funérailles d’une jeunefemme,Viviane,illustrecettetendance.Cesfunéraillesontétépréparéesparquatrepersonnesqui sesontassociéespourlefaire,samère,soncompagnon,unmusicien,ancienami de la défunte, accompagnés de l’aumônier Christian

116KammererJean,«Lesritesfunérairesetleurpriseencompteactuelledansl’églisecatholique’,inEtudessurlamort,1998,n°114,(23-28)p.28

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Biot117,unhommeengagéquiacceptedecélébrerunritenontraditionnelrépondantàlademandedesfamillestouten s’inscrivant dans une culture catholique. Ils ont étéguidéspar ledésirdefaireunecérémoniequireprésentela personne de la défunte, de construire un rite «pourelle»afindeluirendreunhommagefidèle.

Lesfunéraillesonteulieudansunechapelle,lacérémoniea été accompagnéede chants,de chansonsqu’elle aimait.Une chanson de Jane Birkin a été choisie car c’est ladernière vedette qu’elle était allée voir, des chansons deJaques Higelin, qu’elle admirait, un texte lu de JeanDelacroix,surlequelelleavaitmédité.Sonamimusicienajoué du djembé, sorte de tam tam africain qu’il avaitl’habitudedelui jouer.Leparfumhabitueldeladéfunteaétéaspergédanslasalleetsursoncercueilpourressentirsa présence.Une bougie a été posée sur le cercueil, l’eaubénite a été remplacée par des pétales de roses. Lacérémonie devient alors unmoment unique, à l’imagedel’unicité de chaque être. On se place délibérément horsnormes canoniques pour que les gestes accomplisrappellentceluioucellequ’oncélèbre.Lasingularitédelapersonne, l’expérience émotionnelle font ici figure devaleurs sacrées. A cet égard, le choix des textes lus ouchantéslorsdelacérémonieestrévélateur.Danslaliturgiecatholique commune, les textes bibliques font figure derécits fondateurs qui enracinent le fidèle dans lesparabolesetévénementspassés,structurent leprésentetouvrent sur l’avenir,donnantainsi sensà sadestinée.Aucours des funérailles de Viviane, d’autres textes ont été

117auteurde«Lacélébrationdesfunérailles.Propositionsetperspectives»,DescléedeBrouwer,1993

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lus,quicorrespondaientàlapersonnalitéetàlamémoiredeladéfunte.

De l’imaginaire au symbolique. Cérémonies etcélébrations

Christian Biot admet pouvoir célébrer des cérémoniessansquementionsoit faitede la foichrétienne,sicellecin’est pas signifiante pour les sujets du rite. Il distingue àjuste titre la cérémonie de la célébration, celle-cis’inscrivant dans un ordre symbolique. Par exemple lescérémonies que les pompes funèbres proposent dans lecadred’un contrat passé avec les familles endeuillées, nesontpastoujoursporteusesdesenspourelles.Quelleestla signification de telles cérémonies? Les rites religieuxquantàeux,sonttoujoursporteursd’unesymboliquedeladestinée humaine, d’une foi, de valeurs essentiellespartagéesparlacommunautédecroyants.Parleurchargesymbolique, les éléments du rite, les textes religieuxchoisis diffusent le message chrétien qui dépasselargementlasingularitédeceluiquivientdedécéder.Lesservicesrendusparlessociétésfunérairesnepeuventpasavoirlamêmeportée.Lesassistantsfunérairesoumaitresde cérémonies formés à cette fin, ont pour tâched’accompagner les familles démunies dans leursdémarches, mais aussi, si elles le souhaitent, lors desobsèques. Il s’agit alors d’aider les familles à prendre letemps,marquerchaqueétapedelaséparation(fermeturedu cercueil, descente de celui-ci dans la fosse, gestesd’adieu, ...) faire en sorte qu’une parole circule: «Ce quirevienttoujoursc’est‘qu’ilnepartepascommeunchien!’.‘Ilfaut que quelque chose se dise’» déclare un chargé de lacommunicationdespompesfunèbres.

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La perte de pouvoir et d’influence de l’Eglise catholiquesurlasociétéestmanifestedanslagestiondelamort.Elleest imputable, selon Jean Lamblot à l’affaiblissement deplusieursdesespointsd’appui,dont«-l’au-delàauquelonnecroitplus(entoutcaspasdelamanièrechrétiennequinécessitaitdesprièrespour lereposdesâmes).–lecorpsmort (indispensable dans le symbolisme de lamort elle-même) qui ne fait plus partie de la communauté desvivants; - une individualisme trèsparticulierpuisqu’il nes’agit pas de l’individualisme des particuliers mais desgroupes sociaux; - l’absence de lieux symboliques àinvestir. C’est la transformation des cimetières qui enréduitconsidérablementl’importancesociale.»118

Mêmequandilyatransmissionintergénérationnelledelafoi catholique, il s’opère un changement profond durapport à l’univers religieux, d’une génération à l’autre,comme l’illustre le cas de cette catholique pratiquanterapporté par Anne Gotman 119 : «Catho» comme sesparentsdont les règlesde vie se voulaient en conformitéavec les règlesmorales et les commandements religieux,cette fidèleestdésormaisune«catho» libéralequi inclutdansl’amourdeDieutous lesêtreshumains,qu’ilssoientpratiquants,croyantsouathées.UnDieuaussiquirequiertde ses fidèles qu’ils troquent leur antique austérité pourun langage plus avenant et plus communautaire,désormais indispensablepourdéjouer lesvieuxclichésetretenir de nouveaux adhérents.» L’âge séculier qui

118JeanLamblot,«L’Eglisecatholiquedevantlamort»,inFaivreD.(dir.)«Lamortenquestions»,Erès,2013,p.92-145,p.95

119AnneGotman«Commentlareligionvientauxgens»Archivesdesciencessocialesdesreligionsn°163,2013/3p.217-236.

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caractérise la période contemporaine, est marquénotamment par une interpénétration entre les mondescroyantetnoncroyant.

Bien que ce soit autour de la mort que les pratiquesreligieuses semaintiennent leplus, les croyancesen l’au-delàsontennetdéclin.Selonunsondageréaliséen2003,àlaquestiondecroires’ilyaquelquechoseaprès lamort,39% des personnes interrogées répondent ‘il n’ya rien’ ,33%‘Jenesaispastrop’,soitautotal72%desceptiques.Ilne demeure qu’un quart (26%) qui croit à une forme desurvie, 16%, à l’immortalité de l’âme, 6% à laréincarnationet4%àlarésurrection.Selonautresondageréaliséen2010120,71%déclarentpenserlemoinspossibleàlamortpourmieuxjouirdelavie,cetauxétantde61%parmi les catholiques pratiquants. Cette attitude‘hédoniste’ ne résiste cependant pas au vieillissement.Pourceuxquisontarrivésàunâgetrèsavancéetquiontvumourirautourd’euxlaplupartdeleursamis,deceuxdeleur génération et même des plus jeunes qu’eux, lesentimentde fairepartiedes«derniers» fait craindredemourir seul, surtout quand il n’y a pas d’enfants et depetitsenfants:quiviendraàleursobsèques?Lapeurqu’iln’yaitpluspersonnepouryassister révèle l’importanceattachée à l’anticipation des funérailles. La présence auxobsèques est en effet une manière d’honorer le défuntcommel’exprimeunancienprofesseurdelycéede85ansqui a assuré des fonctions au «Souvenir français»,consacréaucultedesmortspour lapatrie121:«Pourmoi,oui,lecultedesmorts,c’estsacré,c’estrendreunhommage,c’est lemoment le plus important, le départ. Je trouve que120SondageTNS/sofres,parudans«Philosophiemagazine,n°44,Nov2010,citéparJeanLamblot,op.cit.p.320121rapporté par Serge Clément«Lediscourssurlamortàl’âgedelavieillesse»,RetraiteetSociété,n°52,0ct2007,p.64-81,p.66

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c’est l’événement leplus importantde lavie….jetrouvequec’est honorer par sa présence et souffrir en quelque sorteaveclafamille»

Les rénovateurs engagés dans le courant où se situeChristianBiotserendentàl’évidence:leritecatholiquenecorrespond plus aux croyances ni à la réalitéd’appartenance d’une majorité de gens. Il est devenuformel, figé dans une répétition routinière; le senspremierdelagestuelles’estperdu.Sil’onneveutpasqueleslieuxdecultesoientdésertés,ilfaut,disentils,quelesrites reprennent force dans ce que sont les gensaujourd’hui.Cecisupposedelapartdesclercsderenoncerà une emprise et unpouvoir sur les fidèles, d’accepter laponctualité de la demande, de ne plus vouloir encadrertoutleparcoursdelavie,delanaissanceàlamort.

La réponsedeChristianBiot à lademandede ritequi luiestfaites’inscritdansuneculturechrétienneséculariséeetmondanisée mais qui par ses références implicites restecatholique tout en s’adaptant à une réalité socialemouvante. Il y a en fait rencontre sur un malentendufécondquilibèrelacréativité.Leprêtrereprendettraduitchaque acte de la célébration afin de faire glisser lasignification émotionnelle et imaginaire vers unesignification symbolique plus vaste; il répond ainsi à cequ’ilperçoitcommeunefortedemanded’inscriptiondansunordrequidépasseladimensionprivéeetaffective.

Onaparléde«déchristianisation»pourqualifier lacrisequetraverselecatholicismecontemporainetquiaamenél’Eglise à réajuster régulièrement et redéfinir ses

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positions.Denombreusesanalysesyontétéconsacrées122,selon lesquelles deux tendances s’opposent en vue d’une‘rechristianisation’: le courant dit «intégraliste» et celuides«pluralistes».Lepremier, sans rejeter lesvaleursdela modernité, notamment les idéaux de la démocratie,considérés comme des valeurs chrétiennes, refusentnéanmoinsl’idéequelasociétépuissefonctionnersurdesvaleurs séculières. A l’inverse, les croyants ouverts aupluralisme attachent une grande valeur à l’analyse de cemondeainsiqu’àl’autonomiedessphèresdelaviesociale.La religion est selon eux une des multiples sourcespossiblesdesens.LeurDieuprendlafigured’uneforceoud’un esprit impersonnel. Croyants sceptiques, ils sontassezindépendantsdel’Eglise,maisnonpointdétachésetvalorisent l’autonomiedel’homme.Pousséà l’extrême,cecourantprendla formed’unhumanismeathée,valorisantl’éthique comme principe immanent à l’homme etfondateur de l’humain. Cette religion éthiciséemet àmall’ordre hiératique 123 catholique et sa distinctionclercs/laïcs.

Leslaïcschrétienssontlargementhabilitésàcélébrerlesfunérailles, ce qui tout à la fois pallie la diminution dunombre de clercs et apporte une nouvelle impulsion àl’Eglise: plus proches des gens, ils jouent unpeu le rôlesocial local qu’avait autrefois le prêtre auprès de sesparoissiens; ilssontaussiplusàmêmede faireéchoà ladiversitédesniveauxdecroyances,n’étantpaseuxmêmesauréolésdesacré.Ilsparticipentainsidelanonséparation122VoirnotammentD.Hervieu-LégeretF.Champion,1988,«Versunrenouveauduchristianisme?»,EditionsduCerf.123définiparF.A.Isambertcomme«unordrecomprenantàlafoisunensemblederèglesdeconduitesprécises(rites)etl’organisationdepouvoirsayantcompétencejusquesurlavéritéàattribuerauxcroyances.Lalégitimationdecetordreestqu’ilsefondesurlacroyancemêmeenlanatureexceptionnelledel’êtreoudesêtresquiensontlasource.»Lesensdusacré,ed.deMinuit,1985

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dusacréetduprofane,quimarquel’évolutionactuelledesrites.

Diversitédesritesfunérairescatholiques

Entred’unepartceuxquinesepréoccupentpasdeprévoirleurs obsèques, laissant à leurs proches toute laconception et l’organisation et d’autre part ceux qui enpréparenttouslesmoindresdétails,ilexisteunevariétédeformes de funérailles rendues possibles par la souplessequelaréformedel’Egliseaintroduiteàcetégard.

LacérémoniepourlesfunéraillesdeViviane,décritesplushaut,aétéimaginéeetorchestréeparsesproches,quionteuainsilapossibilitéd’exprimerleursliensàladéfunte,etderecréerdesélémentsdesamémoireetdesonsouvenir,quiresterontdéfinitivementliésàcequ’elleaété.Viviane,elle,n’avait laisséaucunedirective.A l’opposédecelledeViviane,voicil’histoiredeClaude.

HistoiredeClaude

Claude a organisé une planification minutieuse de sapropre mort, dans une maitrise totale des traces et dessouvenirsdesoiàlaisseràsesproches,oudumoinsdansune volonté manifeste d’une telle maitrise. La traditioncatholique peut ainsi laisser toute liberté dansl’anticipationetl’organisationdesespropresfunérailles.

Claudeapréparé,seuleetensecretsasuccession,samort,et ses funérailles. Elle a écritpour chacunet chacunedeses très proches, de sa famille, de ses amis, une lettreaccompagnant les objets qu’elle laissait à chacun. Unmeuble,untableau,unesculpture,deslivres,desbijoux,…Ses lettres d’adieu, souvent pleines de douceur,

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témoignaient plus de sérénité que de désespoir. Chaqueobjetléguéavaitunepuissantevaleursymboliqueadaptéeà chaque destinataire, une signification particulière,individualisée, un rappel de souvenirs, un lienintersubjectifspécifique.

Claude a soigneusement rangé et débarrassé sonappartement, préparé et annoté des paquets selon leurdestination.Toutétaitbouclépoursongranddépart.Elleaaussi mis en ordre ses affaires et ses finances, latransmission de ses biens à ses neveux, puisqu’elle étaitcélibataireetsansenfant.Elles’estappliquéeàfaciliteraumaximum la tache qui incomberait nécessairement à quiauraitàgérerlesdétailsdesasuccession,àsavoirsasœuretsesneveux,

Poursesfunérailles,Claudealaissédesconsignespréciseset détaillées: elle a demandé la crémation et que l’urnecontenant ses cendres soit placée dans la tombe de samère. Elle a préenregistré les morceaux de musiqueclassique à faire entendre durant le processus decrémation,ainsiqueletexted’adieuqu’elleavaitpréparépour être lu (à faire entendre) à l’assistance lors de sesfunérailles.

Avantdesedonnerlamort,elleavaittéléphonéàsestrèsprochespourleurdirequ’elles’absenteraitpourquelquesjours et qu’elle serait injoignable. Elle a ensuite écrit unelettre à sa sœur dans laquelle elle lui annonçait samort,avecsesconsignesetlesclefsdesonappartementdefaçonà ce qu’elle vienne faire enlever son corps. Elle s’estarrangéepourque la lettre luiparvienneassez tardpourqu’onneviennepaslasecouriretpastroptardpouréviterla décomposition avancée du corps. Précaution

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supplémentaireaucasoùquelqu’unentreraitchezelleetlatrouveraitdanslecomas,unelettreposéesursatabledechevetdemandaitde la laissermourir, dansune sortedesupplique.

Elleaétéretrouvée,deuxjoursaprèssamort,allongéesursonlit,commeendormie.

Ses consignes ont été respectées par la famille qui aorganisé des funérailles catholiques et a fait appel à unprêtre. La cérémonies s’est déroulée au crématoriumselon des modalités qui se sont depuis transformées:l’entouragepouvaitassisteràlamiseducercueilaufour;puis, pendant toute la durée de la crémation, l’assistancedemeurait dans la grande salle de cérémonie. Avant lacrémation, le cercueil, disposé au sous sol, sur une table,dans la petite salle attenante au four, a reçuduprêtre laprière traditionnelle, une prière demandant l’absolutionpourlespéchés,invoquantlecombatentrelesangesetlesdémons, éloignant les feux de l’enfer, une prière dontl’ampleur dramatique était décuplée par la proximité dufeu.Ensuite, labouchedufours’estouverteetahappé lecercueil dans un grondement de tonnerre. Puis unronflement sinistre s’est fait entendre pendant deuxheures,letempsderéduirelecorpsdeClaudeencendres.Lamusique de Beethoven n’a pas réussi à le couvrir et,durant tout le temps de la crémation, les notes se sontmêléesauxgrondementsdufour.

Aprèslacérémoniefunéraire,sesamislesplusprochessesont réunis autour de verres d’un excellent sancerrequ’elle avait elle même rapporté de ses séjours dans larégion.

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Personne n’avait soupçonné ce qu’elle avait préparépendantuneannéeentière;elles’étaitmiseauchômageetavait consacré son année ‘sabbatique’ à voyager, às’abreuver de culture, visites d’expositions artistiques,spectacles, concerts, à faire des cures de santé, à passerdesséjoursdevacancesavecsesplusprochesamis,…sansjamais rien laisser filtrer de ses intentions funestes. Elleétait au cœur d’un réseau amical qu’elle entrainait dansune vie sociale et culturelle dynamique, et qui s’estdésintégré en son absence. Un de ses amis, Frédéric,astrologue amateur, lui avait dit, en analysant saconfiguration astrale, qu’elle allait ‘vers sonaccomplissement’. Elle avait alors déclaré que Frédéricavait vu juste, qu’elle allait vers son accomplissement.C’étaitunmoisavantsongranddépart.Elleavait47ans.

Nouveauxritesetindividualismes

Claude a construit samort commeachèvementde sa vie,ausensnonseulementdelafindesaviemaisaussidesonaccomplissement. Un accomplissement d’unindividualismeultime,indissolublementliéàcequ’ellefutdésormais.Elleaaussiédifiéchacundessouvenirslaissésà ses proches, dans une quête désespérée de resterprésente.

LamortdeViviane,sisoncaractèredramatiques’estaussiimposéàsesproches,leuralaisséaucontraireunespacepourconstruireeuxmêmes lesouvenirqu’ilsconserventd’elle.Lerited’adieuqu’ilsontorganisé s’inscritquantàlui dans le courant moderniste catholique, mais il ledéborde: prenant acte de la désaffection vis à vis des

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dogmesetvéritéstotalisantes,lereligieuxs’yrecomposeàpartir de valeurs propres aux classesmoyennes de notreépoque: valorisation de l’expérience personnelle,concentration sur soi et sur le groupe convivial,permanencedudoute.Denouveauxritessontélaborésencohérenceaveccesvaleursàl’initiativedeclercssoucieuxdepréserverladimensionspirituelledel’êtrehumainetlapertinence dumessage chrétien. Comme le fait ChristianBiotquandilseréfèreàLévinas,ils’agitalorsdepenserlesens de la mort, non pas la rendre inoffensive, maisessayer de montrer le sens qu’elle confère à l’aventurehumaine. Les nouveaux rites contiennent un paradoxe:les sujets s’obligent eux-mêmes, ils formulent pour euxmêmes l’injonction de les effectuer. Mais on peut sedemandersilesindividusaccèdent,danscesconditions,àune symbolique qui les dépasse, ou s’ils ne font ques’identifieràun imaginairecollectif,projectionspéculaireetmythifiée d’eux-mêmes qui ne peut leur survivre. Cecipose la question de l’individualisme. Dans son essai à cesujet,LouisDumont124distingue l’individu«commesujetempirique, échantillon indivisiblede l’espècehumaine telqu’on le rencontredans toutes les sociétés», et l’individu«comme être moral, indépendant, autonome et ainsiessentiellement non social, tel qu’on le rencontre avanttout dans notre idéologie moderne de l’homme et lasociété.». Il oppose l’individualisme à l’holisme qui, àl’inverse,valoriselatotalitésocialeetnégligel’individu.Leparadoxe est que la conception de la vie sociale commesommed’individualités peut être le terreaud’une sociétéholiste,masse où se fondent les individus. LouisDumontmontre ainsi comment la société totalitaire nazie est un

124DumontL.Essaissurl’individualisme.Uneperspectiveanthropologiquesurl’idéologiemoderne,Ed.duSeuil,1991

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avatarde l’individualisme.HannahArendt,elle,dresseunconstat cinglantde l’unificationdes individualitésau seindelasociétédemasse,quipeutconduireà«…lapassivitéla plus inerte, la plus stérile que l’Histoire ait jamaisconnue.»125

C’estuneautreformed’individualismequiestrecherchéeparlespromoteursdesnouveauxrites.Poureux,laquêted’unMoipurestunleurre.Individualismeetcollectiviténes’opposentpas:toutensauvegardantlalibertéetl’égalitédesindividuscommevaleursfondamentales,ilsjugentquelaquêtedesoiimpliquenécessairementlareconnaissancede l’autre et la confrontation à une instance instituante.L’individuneseconstruitpasàpartirderien,maisàpartirdevaleursquiluipréexistentetparrapportauxquellesilse situe. Le sens se trouve ailleurs qu’en soi-même.L’individuation s’étaye sur la sociabilité et la sociabilitépermet l’individuation. Sont renvoyés dos à dosl’individualismequiserait larecherched’unmoipur,toutcomme le retour à une société traditionnelle qui seraitfusion dans une collectivité. La valorisation de l’individun’est pas contradictoire avec la valorisation de lacollectivité,maislaviesocialesupposeunedésacralisationdel’individu.Defaitnotreexistenced’individusocialiséestune existence en tension, faite d’une juxtapositiond’obligationetdeliberté,deliaisonetdeséparation126.Les«nouveaux»ritestémoignentde lanécessitéhumainededonner du sens à nos existences. Si les rites opèrent unereclassificationpériodiquedelaréalitéetdesrelationsdeshommesàlasociété,ilsnesontparpourautantfigésdansune reproduction; pour paraphraser Claude Levi-Strauss125H.Arendt,Laconditiondel’hommemoderne.126CfWatierPatrick,«Individualismeetsociabilité»inG.Simmel,Lasociologieetl’expériencedumondemoderne,WatierP.Dir.Ed.MeridiensKlincksieck,coll.Sociétés,1986

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selonqui,«onnediscutepaslesmythesdugroupe,onlestransforme en croyant les répéter»127, il en est demêmedesrites,onlestransformeencroyantlesrépéter.Resteàsavoir si ces «nouveaux rites» échappent eux mêmes àune fonction de consolidation des collectivités qui lessécrètent.

Tout rite, funéraire ou autre, est destiné à tomber endésuétude quand il devient répétition et non plus re-commencement. D’autres apparaissent alors, témoignantde «la nécessité qu’il y a toujours à donner du sens auxactivitésetauxgroupesquelsqu’ilssoient,carsanscelailn’y aurait que des individus face à face, dépourvus derelations à autrui, c’est-à-dire qu’il n’y aurait que del’impensable,del’invivable»128

Célébrer des funérailles non religieuses ne met pas leprêtre Christian Biot en contradiction avec sa foireligieuse: lesritesdemortsontlesignedenotrequalitéd’être humain, quelles que soient nos croyances et nosconvictions profondes. Il cite un protestant (le pasteurAndré Dumas) et un juif (le philosophe EmmanuelLevinas).Del’unilreprendlerefusd’enracinerlereligieuxdansl’irrationnel,quecesoitl’angoissedemortoul’extasedu corps- et l’on sait par ailleurs le refus duprotestantisme, comme du judaisme de sacraliser toutordre intermédiaireoumédiationentre l’hommeetDieu-de l’autre, il reprend la distinction lévinassienne entresacréetsainteté:contrairementausacréquiestpuissancedanslaquellelalibertédel’hommes’aliène,lerapportàlaSainteté de dieu est tension permanente et conscience,

127C.levi-Strauss,L’Hommenu128FrançoiseHéritier-Augé,Delamortetdelanaissancedesrites,

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relation singulière et distanciée, dans le cadre d’unereligion d’adultes, comme l’enseigne Emmanuel Lévinas:« Pour le judaisme, le but de l’éducation consiste àinstituerunrapportentre l’hommeet lasaintetédeDieu,et àmaintenir l’homme dans ce rapport (…..) l’éducationdel’hommedemeure«actionsurunêtrelibre».Nonpasque la liberté soit un but en soi. Mais elle demeure laconditiondetoutevaleurquel’hommepuisseatteindre.Lesacré qui m’enveloppe et me transporte est violence…Lemonothéisme marque une rupture avec une certaineconceptiondusacré.Iln’unifieninehiérarchisecesdieuxnumineuxetnombreux;illesnie.Al’égarddudivinqu’ilsincarnent,iln’estqu’athéisme.»129

LamortdanslemondeJuif

ClaudineAttias-Donfut

129EmmanuelLevinas,DifficileLiberté.

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«Tuviensdelapoussièreetturetournerasàlapoussière»

UneprésencejuivemillénaireenFrance

La présence juive sur le territoire français date de lapériodeGauloise, elle est antérieureà l’établissementdecequi constitue laFrance.L’essorde l’archéologiede cesdernières décennies a révélé de nombreux vestigestémoignantde laviedecommunautés juivesenFranceeten Europe de l’antiquité au moyen âge. «On a ainsiretrouvéuneépitapheduIIesiècleàAntibesetunelampeà huile du IIIe siècle, décorée d’une menora, près deCognac.» 130 Comme le notent les archéologues AstridHuser et Claude de Mecquenemes, ces découvertes"contribuent à recomposer un passé plus complexe,échappant à la réécriture strictement chrétienne (...) dessociétés médiévales européennes", En effet, la présencejuive dans la France médiévale est presque absente desreconstitutions historiques sur le Moyen Age. LaurenceSigal-Klagsbald et Paul Salmona font remarquer que lessynthèses d'histoire de l'art et les grandes expositions,fontl'impassesurlesmanuscritsjuifsmédiévauxfrançais,admirables par l'originalité de la calligraphie et lasingularité du rapport de l'image au texte. Il en est demême«dessommesd'histoireculturellequiignorent,parexemple, le nomdeRachi, lemaître champenoisdont lescommentaires monumentaux sur la Bible et le Talmudconstituent,dèssonvivantetjusqu'àaujourd'hui,l'accèsleplus indispensable à la compréhension de ces textes. Sa130Hadas-LebelMireille,«Les juifs en Europe dans l’Antiquité »

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méthode l'a conduit à insérer dans l'hébreu de sescommentaires des traductions en langue romane destermes rares ou difficiles à une époque où la langue deslettrés chrétiens reste le latin. Rachi rassemble ainsi unthésaurus de cinq mille mots qui constitue le premiertémoignagedel'ancienfrançais.»131

L’histoire des Juifs en France est aussi celle despersécutionsquileurontétéinfligéesaucoursdessiècles,jalonnées d’expulsions, de rappels moyennant finances,suiviesdespoliationsetdenouveauxbannissements132.

Pour tenter de comprendre la récurrence de cespersécutionsmillénaires,enterreschrétiennes(commeenterres musulmanes) rappelons très brièvement quelquesdonnées sur le judaïsme et ses rapports avec les deuxmonothéismesquiensontissus,lechristianismeetl’Islam.

Lejudaïsme,àl’originedesreligionsmonothéistes

Lejudaismeestlaplusanciennedesreligionsactuelles,etlapremièrereligionmonothéistedel’histoire.Ilestfondésur la bible hébraique (appelée ancien testament par leschrétiens), incluant la thora, qui prescrit la loi morale(dont font partie les dix commandements) et l’amour du

131LesJuifsenFrance,uneprésenceoubliéeLEMONDE|16.01.2010|ParLaurenceSigal-KlagsbaldetPaulSalmona132Le premier édit d’expulsion a été pris par Philippe Auguste en 1182, suivi de décrets d’expulsion par Philippe le Bel en 1306, Philippe V en 1322 et Charles VI en 1394. De Provence, les juifs ne seront chassés qu'en 1501, tandis qu'ils demeureront sous la protection des papes dans le Comtat Venaissin, et que des communautés de "nouveaux chrétiens", d'origine hispano-portugaise, renaîtront à Bayonne et à Bordeaux au XVIe siècle.

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prochain(tuaimerastonprochaincommetoimême),ainsique les écrits de Moïse, des juges, des rois et desprophètes. D’après les textes, le judaïsme a pour originel’alliance entre Dieu et Abraham, alliance renouvelée parMoïse(quel’onévaluepourlapremièreà1800avantJCetpour lasecondeà1300avant JC).La traditionoraleaétéconsignéeplustardivementdanslesécritsquicomposentle Talmud. Loin d’être figés, ces textes font l’objetd’interprétations et de réinterprétations permanentes.Leur étude et leurs commentaires font partie desprescriptionsreligieuses.

Ces textes et traditions ont inspiré les deux grandesreligions monothéistes, le christianisme et l’Islam. Lechristianisme s’est érigé en véritable Israël autour de lafigure de Jésus de Nazareth, issu du peuple juif etconsidéré comme le messie (christus en grec) annoncédans la bible. Les Juifs, n’ayant pas reconnu la naturedivine du Christ, l’Eglise les a combattus, calomniés etdémonisés,créantainsidepuissantsmythesanti-juifs133.

Plus de Six siècles plus tard, l’islam s’est constitué dansl’héritaged’Abraham,autourduprophèteMahomet(570-632). L’Islam se présentant comme étant la véritablerévélation divine, a combattu les Juifs qui refusaient dereconnaîtresasupériorité.Ainsilesdeuxgrandesreligionsrévélées nées du judaisme ont développé en retour unanti-judaismequis’estmétamorphoséaucoursdessièclesenantisémitisme,àl’originedepersécutionsetmassacresdepopulationsjuives134.

133IsaacJ.«JésusetIsraêl»,1950(compléter)134Cetanti-judaisme,,s’estmanifestépardesalternancesdepériodesdepersécutions(ponctuéesdepogroms)etderelativetolérance,cantonnanttoujourslescommunautésjuivesdansunstatutinférieur(obligéesdevivreàl’écart,dansdesghettos,etayantle

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Au XXe siècle l’antisémitisme est devenu un mouvementpolitiqueprônénotammentparlesnazis,quiontentreprisla destruction systématique des Juifs d’Europe, sousl’euphémisme de ‘solution finale’. Plus de 6 millions deJuifsontétéassassinés,fusillésouconduitsdanslescampsde la mort, pour y être gazés et brulés dans les fourscrématoires.

Larecherchesystématiquedesnomsdeshommes,femmeset enfants assassinés, a contribué à instituer descérémonies en leur souvenir. Chaque année, à la dateanniversaire de la libération des camps, leurs noms sontcités l’unaprès l’autre,aucoursde journéesentières.Cesjournées du souvenir témoignent de l’importance de lamémoiredesmorts,cultivéedanslejudaïsmecommedanslaplupartdesreligionsettraditions

La présence juive en France au XXIe siècle: Uneminoritépartagéeentreplusieurstendances.

La guerre a considérablement réduit le nombre de Juifsvivant en Europe et en France. Après la guerre, avecl’immigration de Juifs venus de pays arabes, surtoutd’Afrique du Nord et aussi d’Egypte, d’Irak et des autrespaysdumoyenOrient,ladémographiejuives’estquelquepeu développée et on évalue actuellement à près de 600000lenombredeJuifsvivantenFrancesoitmoinsde1%de la population totale. Bien que peu nombreux, ils

statutdedhimmidanslespaysmusulmans).Siaucoursdel’histoireilaétéunpeumoinsvirulentenmilieumusulmanquechrétien,ilestaujourd’huiplusviolentdansbeaucoupdepaysmusulmansoùlesJuifsnesontguèretolérés,voireinterditsdeséjour.

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représententlaplusimportanteminoritéjuiveenEurope.On y observe plusieurs tendances confessionnelles, quisont autant d’héritages historiques. Pour les décrirerappelons brièvement l’histoire de ces deux dernierssiècles.

Lesghettossonttombésen1791enFrance,etenvironen1871 dans les autres pays européens135; les juifs sontdevenus citoyens des communautés dans lesquelles ilsvivaient.Dansleghetto,lavieétaitrégieparlaLoiJuiveetsouslepouvoirdurabbin,cequiafavorisélatransmissiondes rituels à travers les siècles. Si dans le ghetto, il n’y apas d’autre choix que de suivre la loi juive (la Halakha),avec l’intégration, la fidélité aux traditions a relevédésormais de choix personnels. Certains ont reconstituédes ‘frontières invisibles», comme les Juifs orthodoxes etles hassidiques, veillant à perpétuer les communautéshistoriques,tandisqued’autresontabandonnélareligion.Beaucoup ont concilié la vie citoyenne et une certainefidélitéà la tradition.Unnouveaumodèledevie juiveestapparuavec le sionisme,qui s’estdéveloppéà la suitedel’affaire Dreyfus en France, pour lutter contrel’antisémitismeetpermettre leretouren Israël, cequienfaitlepremiermouvementdelibérationnationaledanslemonde. La création de l’Etat d’Israël, fait historiquemajeur,amarquéuneruptureavecladiasporamillénaireet entrainé l’apparition d’une nouvelle figure de citoyenJuif,hébraïqueethébraïsant,sursaterre.L’antisémitismen’apasdisparupourautant:àl’antisémitismetraditionnels’est ajouté un nouvel antisémitisme plus ou moinsmasqué derrière certaines formes d’hostilité à l’égard135En Allemagne les juifs ont du lutter pour leurs droits civiques durant tout le 19ème siècle alors qu’en France les juifs ont été émancipés bien plus tôt, sous Napoléon

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d’Israël ou dans les courants ‘antisionistes’ ou pro-palestinistes136.

Le judaïsme libéral est né en Allemagne137au début du19ème siècle avec l’avènement de la modernité, l’époquedes Lumières et la fin des ghettos qui avaient coupé lesjuifsdurestedumondeet lesavaientmaintenusà l’écartdesmouvements intellectuels. Ilest fondésurunevisiondynamiquedumessageprophétiquetoutenrestantancrédans les textes fondamentaux. Il se différencie del’orthodoxie notamment par l’institution d’une totaleégalité entre hommes et femmes, ces dernières pouvantêtrerabbins.Ellesontlesmêmesfonctionsliturgiquesqueleshommesetcomptentdelamêmefaçondanslesprièreset quand il y a exigence d’un quorum. La conversion aujudaïsmeestplusaiséeàobtenirdans le judaïsme libéralquedans l’orthodoxie, toutenexigeant l’étudedes textes.Danstouteslestendancesleprosélytismeestinterdit.En rupture avec la foi religieuse, le mouvement pour unjudaisme laïque est né également au XIXe siècle, dans lecadre des Lumières et de la modernité, en Allemagne etdans lespaysde l’Est; ils’estdéveloppéenFrance,aprèsla2eguerremondiale.Ilrassembleceuxqui,toutenayantrompu avec les croyances et pratiques religieuses,revendiquentetcultiventune identité juiveséculariséeetplurielle. Selon Izio Rosenman, membre fondateur del’Associationpourun judaïsmehumanismeet laïque«Undesaspectslespluspassionnantsdel’identité juiveoudujudaïsmecontemporainestsacomplexité,…Eneffet,dans136Pierre-AndréTaguieff(citationàcompléter)137Le philosophe juif allemand Hermann Cohen, considéré comme le précurseur de la philosophie Kantienne, en est un des premiers grands théoriciens, tout comme Moise Mendelsohn.

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l’identité juive, plus encore que dans les autres identités,coexistent des aspects historiques, géographiques,linguistiques, religieux, nationaux ou ethniques, culturelsetéthiques.»138.Sesmembresnerejettentpaslatraditionmais affichent au contraire une volonté de la continuerdanssonpluralismeetsonhistoricité.Etrejuifdevientunchoix actif, ouvert à tous ceux qui, sans adhérer auxcroyancesreligieuses,s’identifientaudestindupeuplejuifet à ses valeurs universelles, choix élargi à tous, qu’ilssoientounonnésjuifs.Despratiquesfunérairesancestrales

«Tuviensdelapoussièreettureviendrasàlapoussière»Ce célèbre verset biblique, qui rappelle auxhommes leurinexorable destin de mortels, accompagne toujours lesmortset lesendeuillés, à toutes lesépoquesetdans tousles continents. L’expression hébraïque qui désigne leservicefunèbresignifie"acceptationdelavolontédivine".L’historienne, Patricia Hiridoglou, souligne la placeconsidérable que tient la mort dans les sociétés juives:«Lejudaismeadéveloppédepuislestempsbibliques,dansles mondes polythéistes, puis en terres de chrétienté etd’islam, un large éventail de représentationseschatologiques sur l’immortalité de l’âme, l’espérancemessianique ou la résurrection des morts.»139. Ainsi laprière juive «Beni sois tu seigneur qui fait revivre lesmorts» aundoublesens,ellesignifiequeDieufaitvivre138CitéparMichèleFellous,«Alarecherchedenouveauxrites»,2012,L’Harmattan,logiquessociales,p.158139HiridoglouP.‘Nourrituredesvivants,mémoiredesmortsdanslessociétésjuives»,Ethnologiefrançaise,XLIII,2013,4,p.623-632,p.623

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lesmortelsquesont leshommes,etaussiqu’un jour,auxtempsmessianiques, il ferarevivre lesmorts.L’idéede larésurrection des morts, répandue dans le christianisme,estprésentedanslejudaisme.Selonlatradition,autempsdelarésurrection,lespremiersressuscitésserontceuxquisontenterrésenterresainte.

EnFrancelespratiquesfunérairesdesJuifssontàlafoislereflet de l’histoire et des nombreuses prescriptions serapportantà l’inhumation,à l’entretiendescimetières,audeuiletàlamémoiredesmorts,traditionsquelesjuifssesontefforcésdemainteniraucoursdessiècles,malgrédesconditions adverses. Les communautés juivesmédiévalesonteneffetgénéralementdisposéd’uncimetièrequi leursoit propre et assuré des inhumations conformes auxprescriptions religieuses, avec des tombes individuelles.Elles respectaient de ce fait, et malgré leurs conditionssouvent misérables, des règles d’hygiène, généralementignoréesenFrancepourlesgensdupeuple,enterrésdansdes fosses communes où s’entassaient les uns sur lesautres, les corps enveloppés dans des serpillières140. LaplupartdescimetièresJuifsdeFranceetd’Europeontétédétruits, mais il en reste quelques témoins, tel celui dePrague,undesplusvieuxcimetièresJuifsd’Europeàavoiréchappéauxdestructions,etquiestdevenuunecuriositétouristique, avec ses pierres tombales superposées,

140PatriciaHidiroglou(1999)citeàcesujetlalettredel’IntendantdeBordeaux,enréponseàuneplainteducurédeStEtienne,accusantlesJuifsdetroublerleservicedel’Egliseparleurscérémoniesfunéraires,l’intendantestimantcesplaintes«aussipeufondéesquelereprochefaitàcesJuifsden’ensevelirqu’unseulmortdanslamêmetombe;cetusagequiestconformeàleurritenepeutêtrenuisible,ilestàsouhaiterqu’onl’observâtpartout,encequelesvapeursquis’exhalentdelaputréfactiondescadavresenrouvrantunetombe,peuventcorromprelasalubritédel’airetilestmêmeàcraindrequecelan’arrivedanslesgrandeschaleurs,surtoutlorsquelatomberenfermeplusieurscadavres….»p.26-27

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caractéristiques des cimetières exigus où il fallaitcomposer avec le manque de place. Ces cimetières sontappelés habituellement «maison de vie» (Beit Hayyim,)ou maison d’éternité (Beit Olam) ou encore en judeo-alsacien«Bonendroit» (GütOrt)141. Ces appellationsquipeuvent étonner sont révélatrices de l’ethos juif qui faittriompherlaviesurlamort.Toutaulongdessiècles,cestraditions ont pu être à peu près maintenues grâce àl’achatpar lescommunautésrégionales juivesde terrainsvouésà l’inhumationde leursmembres,enconcluantdesaccordsplusoumoinsprécairesaveclesautorités.

A la révolution de 1789, les Juifs ont accédé à lareconnaissance officielle de leur appartenance au peuplefrançais et en 1791 à la citoyenneté. Le changementdécisif a été apporté par Napoléon qui a imposé unelégislation aux cultes reconnus de l’époque (catholique,protestant, juif). A la suite de cette législation, unconsistoire142aété institué pourorganiser lavie juive, ladéfenseet les intérêtsdu judaïsme, lapratique religieuse(dont les rituels alimentaires, les rites funéraires),l’entretien des synagogues et les fonctionnaires du culte(rabbins,déléguésrabbiniques..).

Lalaïcisationdescimetièress’estensuiteprogressivementaffirmée avec les lois laïques des années 1880. SelonHidiroglou,lefaitqueles«carrés»juifs,commelescarrésprotestants soient tolérés a sans doute contribué à lapérennitédecertainsritesd’inhumationetcettetolérances’est étendue aux musulmans et a permis l’instaurationd’un cimetière musulman à Bobigny en 1931, faisant141Hiridoglou,op.cit.p.25142Terme qui désignait à l’origine une assemblée de calvinistes et qui a été appliqué plus largement à une assemblée confessionnelle. (Hidiroglou, op.cit)

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exception à la loi de 1881. La réglementation garantit laliberté des rituels religieux funéraires, tout en édictantcertaines contraintes ou limites. Elle tend à étendrel’obligationdurespectdesmortsàl’ensembledesFrançaiset en particulier aux masses pauvres. Les pratiquesreligieuses en ont été influencées et ont dû s’adapter,parfoiseninventantdenouvellesformesderitualisation.

Déroulementdesritesfunéraires

Les rites funéraires sont généralement assez suivis, ycompris par les non pratiquants. Ils sont caractérisés,toutestendancesconfondues,parunegrandesimplicitéetsobriété,l’exigenced’enterrementrapideaprèsledécès,laréticenceàlacrémation,lesouciimportantd’entourerlesendeuillés par les proches, un accompagnement du deuilqui se fait par étapes successivesde7 jours, unmois, unan.

Le respect du corps et le soutien aux endeuillés sedéclinentselonunensemblederèglesdeconduites.Aprèsle constat du décès, l’enterrement doit suivre le plusrapidementpossible.Selonl’interprétationdonnéeàcetteprécipitation, le corps doit rester le moins longtempspossiblesanssépulture,carilestl’enveloppedel’âme.Lesnombreuses prescriptions dont fait l’objet le corps dudéfunt traduisent le caractère fondamental de ce respectdumort.

La toilette funéraire est prescrite, elle estaccompagnée de versets bibliques et se fait avec unegrandedécenceenvers ledéfuntpar les femmespour lesfemmes, par les hommes pour les hommes. Ceux quiprocèdent à la toilette sont soit des proches, soit des

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bénévoles appartenant à une institution chargée duservice de la mort et du deuil, «Hevra Katicha» (quisignifie la confrérie sainte) qui s’occupe aussi bien dedispenser des informations à la communauté qued’assurer la toilette du défunt et l’inhumation. La toilettepeut se faire, suivant le lieudedécès, à l’institutmédico-légal, en clinique, ou à domicile. «La solidarité estprescrite, tous les morts devant être traités de la mêmemanière, le cercueil est simple, sansornement, lamêmebière (mittah) porte riche ou pauvre, érudit ou simplefidèle.»143Puis avant d’être placé dans le cercueil, le corps estrecouvert d’un linceul, un drap blanc, les hommes avecleur talith (châledeprière).Onévite autantquepossiblede regarder le visage du défunt et toute exposition ducorps.Lecadavrenedoitpasêtreexposé,visageetcorpsrestent entourés du linceul. La mort ne doit pas setransformer en un spectaclemortuaire. Souvent on placesous la têteou sur le corpsunpeude terred’Israelpoursignifierl’attachementdechaquejuifàlaterred’IsraelLesbougiesalluméesautourducorpstémoignentdelafoien lapérennitéde l’âme.Cesveilleuses,«lumièrescontrel’oubli», sont allumées dans les maisons des proches aumomentdudécèsetparlasuiteaussidanslessynagoguespourperpétuer lesouvenirdesdisparus,avecuneplaquecomportantlenomdudéfunt:"Lesouffledel'hommeestunelampedel'Éternel"Ilestd’usagequelafamilledemandepardonaudéfunt..

Le corps ne doit faire l’objet d’aucune dégradation.Toutefoisledond’organesestlégitimé,par«égardpourlavie»,maisavecdesréservespourlecœur.Aufondement143Hidiroglou,1999,.p.28

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de ces règles de conduite il y a l’idée que l’homme nedispose pas de son corps, comme s’il n’en était qu’unlocataire. Maisà l’inverseiln’existepasdansle judaismedecultedesmorts,nideculturedereliques.

Alamaison,commeàl’hôpital,quandcelaestpossible, lecorpsestveilléjouretnuitparlalectureenboucledulivredes psaumes. Il n’est pas laissé seul. La cérémonie desfunéraillesse faità lamaisonetaucimetière.Desprièrespeuventêtreditesàlasynagoguemaislecorpsdudéfuntn’yentrejamais.

Lesrabbinsn’accompagnentpaslesmourantsdelamêmefaçonquelesprêtreschrétiens.Enfindevie,lafamillealerôleleplusimportant,etiln’yapasl’obligationd’avoirunrabbinpendant cette période. Les juifs ne pratiquent pasdepardon,d’extrêmeonctioncommeleschrétiens.Iln’yanul besoin de religieux au côté du mourant, le Judaïsmeétant plus une religion de pratique que de foi, à ladifférenceducatholicisme

Le rabbin n’intervient donc qu’au cimetière, il récite desprièresetprononceuneoraisonenhommageaudéfunt,ildoit évoquer sa vie, sa personnalité, insister sur sesbonnesactionsettoujoursajouter«quel’évocationdesonsouvenirsoitpournoussourcedebénédictions»Alamiseen terre, chaqueassistant verse audessusdu cercueil unpeudeterreenvertuduverset,selon lequel l’hommeestpoussière et retourne à la poussière. Puis on récite leKaddish144. Cette prière est dite de façon systématique le144LeQaddishestl'unedesprièresjuiveslesplusconnuesdontonasoulignélasimilitudeavec«notrepère»chrétien.SanctificationdunomdeAdonaï,elleestconstruiteàpartirdeversetstirésdesPsaumes,deJob,deDaniel,elleestenparticulierrécitéeparlespersonnesendeuil;ellesignifiealorsquel'oncontinueàhonorerl'Éternelmalgrélasouffranceetledeuil.Lemotqaddishestaraméenetsignifie"saint"(commeQaddoshenhébreu);laprière,trèsancienne,esteneffetécriteencettelangue,etdéploieunchantàlagloiredel'Éterneletnecomporteaucuneallusionàlamort.DansLe"Qaddishdesorphelins"

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jour du décès et elle est récitée aussi par la suite ensouvenirdudéfunt.Maisenréalité,lesjuifspratiquantsneprient pas davantage à la mort de proches, puisqu’ils sedoiventdepriertouslesjours,cependantilestd’usagedeliredestextesspécifiquesdanslespériodesdedeuil:despsaumesoudespoèmes(piyoutim).

A la sortie du cimetière, il est coutume de se laver lesmains,cequiaaussiuneportéesymbolique,lamortétantuneimportantesourced’impuretérituelle,dupointdevuedelaHalakka.

Lacérémonies’achèveparunrepasfrugal, faitd’alimentsronds, olives, œufs, lentilles, petits pains ronds, etc. enraisondeleursignificationsymbolique:«Cesaliments,depar leur forme circulaire, sont «sans bouche ouverte»,comme doivent être les endeuillés, sans parole, bouchefermée. Ils sont «sans fin» évoquant le cycle de la vie.L’œufdurestunemétaphoredelasituationdel’endeuillé:ce dernier doit en effet se durcir face à l’épreuve, maisl’œuf est autant symbole de mort que de vie …Lessymboles de mort et de retour à la vie représentés parl’œufetlepainsontreconnuspartous..»145Lesymboleducycle de la vie qui tourne, rejoint une idéemaitresse du

(Kaddishyatom)récitéparlefilsdudéfunt,lesdéfuntsn’ysontjamaisévoqués.Eneffetlatraditionhébraïqueneconnaissaitaucuncultedesmorts,etlaprière"pourl’élévationdel’âme"esttardive(aprèsl’exildeBabylonie).Enfait,lebutdeceqaddish,commelesautresritesdecettecirconstanced’ailleurs,estd'aiderlesenfantsàfaireledeuildel’êtreaiméetàréintégrerlechemindelavieenacceptantledécretduciel;commeditleTalmud:"L'hommeesttenudebénirDieuaussibienpourlebonheurquepourlemalheur".Larécitationduקדישexprimedoncicil’acceptationdelajusticedivine,lagrandeurdeיהוה-Adonaï,commepourl'inviteràprendresoindudéfunt,etàl'accueillirdansunmondesanstourments.Ilaétémisenspectacleaufestivald’Avignonde2013parlechorégrapheNigérian,QudusOnikeku,comme«unquestionnementuniverseletcontemporainsurlafiliation,lamémoireetl'amnésie,lavieetlamort»145Hidiroglou,2013opcit.p.626

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judaisme, la vie et l’espérancedevant s’imposer contre laconceptiontragiquedel’existence.

Lacrémation,toléréemalgrétout

La crémation est proscrite, en raison du commandementd’enterrerlesmortsavecprécautiondufaitdelacroyanceen la resurrection des morts à partir des ossements. Deplus la réticence des Juifs à recourir à la crémation pourleurs funérailles se retrouve même parmi les Juifs nonpratiquants et en particulier parmi les descendants dessurvivantsde la Shoah, en raisonde la sinistre évocationque récèle la crémation. Mais il arrive aussi qu’aucontraire, il se trouve justement chez les juifs survivantsou descendant de survivants, laïques, des demandes decrémation,commes’ils’agissaitderejouerlamortdeleursproches dans les chambres à gaz, avec une culpabilitéd’avoirsurvécu.Larecherchesystématiquedesnomsdeshommes, femmes et enfants assassinés, a contribué àinstituerdescérémoniesenleursouvenir. Chaqueannée,à la date anniversaire de la libération des camps, leursnoms sont cités l’un après l’autre, au cours de journéesentières. Ces journées du souvenir témoignent del’importance de la mémoire des morts, cultivée dans lejudaïsme comme dans la plupart des religions ettraditions. Dans les caveaux des sociétés il y a les nomsdes personnes déportées et assassinées faisant partie decessociétés(créesavantlaguerre)oufaisantpartiedelavilled’originepour lessociétéscrééesaprès laguerre.Ledimanchequiséparelesfêtesderochachana(jourdel’an)etkippur(jourduGrandPardon),etpendantunejournée,à l’anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet onrécitelesnomsdesfrançaisjuifsassassinés.

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La crémation n’est donc pas toujours catégoriquementrefusée, elle est pratiquée par une minorité et elle estmêmetoléréeparlejudaismelibéral,ainsiquelepréciselereprésentantdumouvement libéral interrogé,«…Quoiquecenesoitpas interdit, lacrémationresteextrêmementmalvue par la tradition. Le corps fonctionne ensemble avecl’âme; Après la mort l’âme du défunt quitte le corps etretourne au créateur. L’âme n’est pas seulement l’identitéspirituelle;l’âmen’estpasjustel’unedesdeuxentités;c’estlasommedetoutcequ’onafait(lesbonnesetlesmauvaisesactions) c’est lié à l’égo, au corps, à toutes les expériencesqu’onavécu,etc.Maisonfaitunecérémoniequandlesgensveulentunecrémationetpourcelalerabbinsedéplace».

Nosinterlocuteursinterrogésdansl’enquêtesoulignentlescorrespondances entre tous les rites marquant lesmoments décisifs du cours de la vie, la naissance, lemariage, la mort. Le traitement de la mort évoque celuiréservé à la naissance. On s’occupe immédiatement desenfantsquandilssontnés,etons’occupeimmédiatementdelapersonnequivientdemourir.Ons’assureaussiquele corps est propre, habillé, etc. «Il doit être présentablecommeau jourdesanaissancepourcerendez-vousavecDieu». Le linceul blanc de coton ou de lin, rappelle leshabits du grand prêtre le jour de Kippour. Selon unresponsable du consistoire, il existe aussi une analogieavec le jour du mariage «… considéré comme un petitKippour car c’est l’entrée dans une vie nouvelle (c’est unepagenouvelle).Onsemarieavecsonlinceul(sic);onpassesous le dais nuptial (ce que faisaient beaucoup les juifspolonaisetallemands)...»

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L’observancedudeuil, une longueduréemarquéedeplusieursétapes«Nemeprécipitezpasàmeconsoler».Isaïe,ch.2,verset4

Ceux qui portent le deuilsont les très proches, conjointsparents,enfants.Avantl’enterrementilssontdispensésdetoute activité et de tout commandement religieux, car ilssont considérés comme trop affligés. Ces endeuillés nedoivent pas être laissés dans une solitude morbide, ilsreçoivent la visite des proches, famille, amis, qui ont ledevoir de les entourer et de les nourrir pendant les septjoursquisuiventl’inhumation.Laconsolationestdélicate,elleimpliquedereconnaîtreladouleurdelaperteetdelapartager sans la minimiser. Elle se doit de respecter letemps du deuil, ni chercher à l’annuler, ni le prolongerindéfiniment. Pour ceux qui ne savent pas quoi dire, ilsuffitd’êtreprésentsetdesetaire.

Letempsdudeuilsedérouleenplusieursétapescodifiées.Expressionducaractèreprogressifdudeuil,chaquetemps,la semaine, le mois, l’année, représente une étape del’adieu, de la séparation intérieure entre le défunt etl’endeuillé:cesritestémoignentdurespectdumortautantqu’ils marquent des limites à la souffrance. Ce qui nesignifie pas oublier le mort, mais choisir la vie, encontinuantlàoùnosprochessesontarrêtés.

Les sept premiers jours, les proches qui entourent lesendeuillés, doivent les dispenser des activitésquotidiennesenlesprenantencharge.Cetteduréedeseptjours(shiva)estfondéenotammentsurl’épisodebiblique

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où Josephpleura sept jours lamortde sonpère (Genèse,10)Cette pratique n’est plus guère suivie actuellement, saufdanslesmilieuxorthodoxes,comptetenudesexigencesetdes rythmes de la vie moderne et de l’éloignement desproches.ElleacependanttoujourscoursenIsrael146.Pendant lemois suivant ledécès, ledeuil sepoursuitpardes interdits, pas de distractions, on n’achète pas denouveauxvêtements…Puiscedeuilquiestlevéauboutdes30 jours pour les frères et soeurs, et une cérémoniecommémorative a lieu généralement à la synagogue, enprésencedelafamilleélargie,desproches,desamis.Maisles enfants récitent le kaddish pour leurs parents ets’abstiennent de participer à des évènements heureux(mariages…), tout au long de l’année, marquant le lienfilial.Au bout d’un an, se déroule une autre cérémonie,marquantlafindudeuil.C’estenprincipeàcettedatequela pierre tombale doit être posée (dans la réalité, elleintervient souvent plus tôt en fonction des traditionsrégionales)

Puischaqueannéeàladateanniversairedelamort,lesfilsetfillesdudéfuntorganisentunofficeàsamémoire.

La coutume de couvrir lesmiroirs de lamaison, durantces sept jours (la shiva) veut signifier l’idée que l’âme aquitté le monde du paraître pour s’élever au niveau del’êtreauthentiqueetimmatériel.

146Voiràcesujetlebeaufilmisraëlien«Lesseptjours»,quiretracelapériodededeuildansunefamille.

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Une autre coutume consiste à déchirer les vêtements:cette déchirure va canaliser la douleur du deuil sur unobjetetnonsur lecorps, toutensoulignant laséparationdéfinitive,ladéchirurequis’estproduiteentreledéfuntetlesvivants;c’estaussiunemanièrededireauxendeuillés,séparez vous de la mort, choisissez la vie, car la vie dudéfuntcontinueàtraversvous.

Ilestdecoutumededéposerunepetitepierrelorsdesesvisites sur les tombes (des saints comme de toute autrepersonne). Cette pratique peut être simplement signe dupassage de ceux qui visitent la sépulture. Une autreexplication a été donnée par un jeu de mots147: le mot«pierre»s’écritenhébreupartroislettresquipermettentd’écrireaussi lesmotsde«père»etde«fils»; le faitdeposerunepierrepourraitsignifierquel’onsesituedanslafiliationetlamémoiredudéfunt.

Au fond, comme le soulignent tous les textes et tous lestémoignages, le judaïsme est une religion qui faittriompherlaviesurlamort.

Lechoixdulieudel’inhumationD‘après les responsables communautaires, la grandemajorité de juifs veulent être enterrés en France parcequ’ils sont très attachés à la France; s’ils ne sont pasoriginairesdeParisouIle-de-France,ilsveulentretournerdans la région de France dont ils se sentent appartenir.147Orcestroislettresquicomposentenhébreulemot‘pierre’permettentd’écrirelesdeuxmots«père»et«fils»;ainsicesdeuxmotsécritsensembleformentlemot«pierre»,

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ParmilesJuifsoriginairesd’unautrepays,trèsraressontceux qui souhaitent être enterrés dans leur pays denaissance. Mais certains, moins de 10%, veulent êtreenterrés en Israël. Cette tendance apparaît bien dans lesstatistiques tirés de l’enquête PRI148. Selon une enquêtemenéeparHidiroglouen2012, l’ensembledescimetièresen Israel accueillent environ 1500 défunts par an del’extérieurdupays,venantdetouspays,cequiresteassezlimité.Ladifficultéd’obtenirdesconcessionsperpétuellesen France (sauf dans les vieux cimetières juifs en Alsacenotamment) incite les plus pratiquants à vouloir êtreinhumésenIsraël,cardéterrerunmortestproscritparlaHalakha.Le Consistoire est en rapport avec la mairie et lapréfecturedeParisainsiquelesinstitutsmédicaux-légaux.De temps en temps, il y a des exhumationsadministrativesmais pour le Consistoire, c’est contraireauxprescriptions.Le service du Consistoire s’occupe de 1500-1700personnesparanenmoyennepourParis,Ile-de-Franceetparfois en régions (Rennes, Troyes, Bourges, Brest)notamment dans les régions où il n’y a pas de présencesynagogale,avecunemoyennede25décèsparsemaine.Ily a aujourd’hui un problème à Paris parce qu’on n’a pasaugmentélescapacitésdescimetières.En complément et en lien avec le service du consistoire,interviennent de nombreuses sociétés et amicales qui sesont spécialisées dans l’organisation solidaire desfunérailles.Lemaintiendesymbolesd’appartenanceetde148Attias-DonfutetWolff,2005,op.cit.Pour la minorité de Juifs, très pieux, organisant des obsèques en Israël, le coût en est décuplé, en raison du prix élevé des billets d’avion pour la famille, achetés en urgence, qui s’additionne au cout du transport du corps.

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traditionsculturellesdans ledéroulementdes funérailles,malgré laperted’observance fréquenteparmi les juifsdeFrance, doitbeaucoupà lapermanenceetaudynamismedecessociétésLerôleimportantdessociétésetamicalesLa population juive de France est composée à la fois defrançais de longue ascendance et de juifs originaires dedifférents pays d’Europe, d’Afrique duNord et duMoyenOrient, arrivés en France au cours de différentes vaguesd’immigration,principalementauXXesiècle.LespratiquesfunérairesdujudaïsmefrançaisontévoluéàpartirduXIXesiècle sous l’influence du catholicisme et dudéveloppement de la laïcité, s’éloignant des traditionspratiquées dans les ghettos, qui étaient encore vivantesdans les autres communautés juives récemmentimmigrées.Cellesciontconstituédessociétésdesecoursmutuels regroupant lespersonnesd’unemêmerégionouparfois d’une même ville, à la fois pour des motifséconomiques,pourdesbesoinsdesolidaritéetaussipourgarantir à leurs membres les usages religieux, quin’avaientpluscoursdans le judaïsme français laïcisé.Cessociétés ont ainsi assuré l’indépendance de leursmembres 149 . Elles ne se chargeaient pas seulementd’acquérir de caveaux collectifs et d’assurer les ritesd’inhumation pour leursmembres, elles avaient à la foisdes activités cultuelles, culturelles et d’éducation, enparticulierdepréservationduyiddish,pourceuxquisontvenus d’Europe. Elles ont joué un rôle d’entraide et desociabilité au moment ou les gens arrivaient au pays.

149VoirladescriptiondecessociétésinHiridoglou,1999op.cit.P.218-224

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Contribuaient à s’insérerdans la vie sociale, économique,trouver du travail, secours pour les périodes difficilesParmi les plus sociétés les plus importantes importantes,onenrelèveaumoinstroisdecellesconstituéesaudébutdu XIXe siècle: l’une s’adresse aux Juifs originaires deVarsovie, l’autredeRussieetlatroisièmeestl’associationséphardite150, regoupant des Juifs venus de Salonique, dePalestine, de Bulgarie, Yougoslavie, Egypte, Afrique duNord, Galicie..Dans les caveauxdes sociétés sont inscritsles noms des personnes déportées et assassinées faisantpartie de ces sociétés, pour celles créées avant la guerre,ou faisant partie de la ville d’origine pour les sociétéscréées après la guerre. Chaque année, une journée estconsacrée à réciter les noms de ces Français Juifsassassinés,àl’anniversairedelalibérationdescamps.

Cessociétéssonttoujoursvivantesetsurtoutdynamiquesdanslapriseenchargedesfunéraillesetdesinhumationsdeleursmembres.Ainsimêmeceuxquiétaientéloignésdelareligion,ycomprisd’anciensmilitantscommunistes,quiy sontaffiliés, tous sontassurésdebénéficierd’obsèquesdanslatraditionjuive.Parmi les personnes interrogées dans le cadre del’enquête,décritsonactivitéderesponsabled’unesociété,dontilaprislasuiteàlamortdesamèrequienassumaitlacharge.

150séphardiestletermehébraiquepour‘espagnol’

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«Je fais partie d’une société, J’ai accepté a priori de m’enoccuper,mesparentsyappartenaientetsontinhumésdanscescaveauxdelasociété,ças’estfaitnaturellement.Mes parents sont venus de Pologne et étaient d’abordpréoccupés par ce qui est important pour les migrants,travail, vivre, solidarité, trouver un logt, et éventuellementaller ailleurs, donc quitter éventuellement la France. Ils nepercevaientpaslaFrancecommelieud’inhumation.Doncilyaeudescaveauxcollectifs,avec les femmesd’uncoté, leshommes de l’autre, soit mélangés en fonction de l’ordred’inhumation. On ne peut être assuré d’être à coté de safemme, de son ou ses enfants. Les noms figurent avec lesdatesdesdécès,cen’estpasuncaveauanonyme,lesfamillespeuventindividualiser.Aufuretamesure, lesmembresonteu recours a des caveaux familiaux, ils ont acheté desparcelles tout en continuant ounona faire partie de cettesociétéetauxprestationsdeservicesquileursontproposéespourdescaveauxindividuels.Comment les individus anticipent ou imaginent leursobsèquesEnmatièred’anticipation,onobserve,commeonpeuts’yattendre, une grande variété de prédispositions etd’attitudesenfonctiondessituationsfamilialesetsocialesetdespersonnalitésindividuelles.Commepourleplupartdesconfessionsétudiéesici,l’observancedelareligionellemêmeestassezpeuévoquéedanslesdécisions,s’ilyena,pour le choix de tel ou tel type de funérailles. Ce sontprincipalementlesdonnéesfamilialesetl’insertionsocialequipriment.

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Auprèsdequireposer?Auprèsdequireposerdanslatomberevêtuneimportancefondamentale, plus encore que le lieu de l’inhumation, etcela se vérifie pour tous, croyants ou non, observant oupas.Ilyaceuxavecquiontientàpartagerlecaveau,maisaussi ceuxdont onne veut surtout pas la proximité.Uneveuveseplaintqu’iln’yaitplusdeplacedanslecaveauoùse trouve la tombe de son époux. Elle a donc réservé, àdéfaut, saplacedansunautrecaveaufamilial,situédansun autre cimetière parisien. La possession d’un caveauconfère une certaine tranquillité et l’assurance que lessurvivants, généralement les enfants, n’auront pas à s’enpréoccuper et verront leur tache et leurs frais allégés.Comme l’exprime Mathilde qui a prévu une concession:«Alatristessedelamortqu’onn’aitpasenplusàs’embêterdesavoiroualler»Nepassavoiravecquipartagerlasépulturepeutaccroitrel’angoisse de la mort. Cette situation se rencontre plutôtparmilespersonnesseules,sansconjointsignificatif,qu’ilsoitvivantoudécédé;ellesn’ontpasd’idéesurcequ’ellessouhaiteraient pour leurs propres obsèques et n’ont engénéralrienencoreprévu.Ilestplusdifficiledesavoiroùreposer,sanssavoiravecqui.Danscertainscas,iln’yaquedes choix négatifs: on sait avec qui on ne veut pas seretrouver.Unresponsabled’unesociétérapporteavoireuune telle demande: une femme, veuve, dont le mari estinhumédanslecaveaucollectifgéréparlasociétéluiàfaitsavoirqu’ellenevoulaitsurtoutpasêtreinhuméeprésdelui.

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D’autres refusent de reposer à côté de leurs propresparents, commecette jeuneretraitéequidéclare:«J’aieuassez de mal pour me libérer de la dépendance de mesparents,cen‘estpaspouryretournerdanslatombe!»Ne rien anticiper est fréquent chez les personnes encorejeunes, pour qui la mort est un horizon lointain, ou quin’ont pas été confrontées à la mort de personnes trèsproches.Maisàmesurequelaperspectivedesafindevientclaire, avec l’âge ou en cas demaladie, les personnes s’ypréparent et en parlent plus volontiers, balayantd’éventuellescraintessuperstitieuses.Unetellesuperstition(commesiévoquerlamortlaferaitapparaître), est assez fréquente parmi les orientaux, detoutes religions, par exemple parmi des originaires duMaghreb,juifsoumusulmans.FacteurséconomiquesetsociauxduchoixLes couts différentiels des obsèques sont des élémentsimportants du choix. La crémation est légèrement pluséconomiquequel’inhumationetlefaitdedisposerounond’un caveau familial fait toute la différence avec lesinhumationspourlesquellesilfauttoutorganiseretpayerau moment du décès. La multiplication, et le succès desassurancesobsèquesentémoignent.A l’inverse les rapatriements des corps en Afrique duNordpour les ressortissants musulmans peuventbénéficierd’aidesdel’étatdespaysd’origine:lespouvoirspublics tunisiens par exemple prennent en charge lestransports en avion du corps et d’une personne quil’accompagne151. Le terrain au cimetière et l’inhumationsurplacesontensuitegratuitsoutrèspeuchers.151cettepratiquedel’Etattunisiens’estétenduedepuispeuauMarocetilestquestionqu’ellesedéveloppeaussienAlgérie.

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En France le cout des obsèques est beaucoup plus élevé,tout en variant très fortement, selon le cimetière,l’emplacement du caveau, sa durée, la stèle éventuelle, lapierre, etc. Il peut donc être parfois plus économique deprocéderàdes funérailles enAfriqueduNord,mêmeencomptantletransportducorpsetdela famille.Lechoixducimetière,ducercueil,delapierretombaleoudelastèlesontaussidesélémentsdustatutsocial;s’iln’ya plus les classes d’enterrements d’autrefois, il demeurenéanmoinsdesformesdedistinctionsocialedanslamort.LescimetièresparisienscommeceluideMontparnasseparexemplesonttrèsrecherchés,onyrencontrelestombeauxde nombreuses célébrités. L’anticipation et le choix desmodes de funérailles relèvent aussi de la distinctionsociale.Quandlesfamillesoulesprochesn’ontpaslesmoyensouneveulentpaspayerlesobsèques(pourdesquestionsdeconflitsouderessentimentouautreraison),ildemeurelasolution du carré commun appelé autrefois le carré desindigents que la commune réserve aux personnes sansressources, aux SDF et aux corps non réclamés. Lessépultures sont individuelles, une plaque est apposée, laconcessionestd’uneduréedecinqansauboutdesquelslamunicipalité exhume les corps pour laisser la place àd’autresdéfunts.Anticipersamort

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«La mort est donc ce qui est toujours anticipé –concrètement par la mise en œuvre des moyens de ladifférer»152Il est fréquent d’anticiper et de préparer activement sesfunérailles en vieillissant et surtout au grand âge; celaconcernedoncuneproportioncroissantedelapopulationet il faut s’attendre, compte tenu des prévisionsdémographiques,àundéveloppementdecephénomène.Ilyauracertestoujoursdespersonnesquines’occupentderienet laissenttoutà faireauxenfantsouauxsurvivants,mais plus nombreux sont ceux qui prévoient euxmêmeslesdispositionslesconcernant.Celles-ci peuvent être plus ou moins précises: depuis laseulesouscriptionàuneassurancejusqu’àladéfinitiondudéroulementdelacérémoniefunérairedanssesdétails,enpassantparlechoixducaveau,ducercueil,delastèle,del’épitapheouencoredelafuturepierretombale…Des funérailles judéo-chrétienne pour une famillemixteAprès ledécèsde samère,Mathilde s’est retrouvée, avecson mari, Olivier, en tête de lignée, toute la générationprécédenteétantdésormaiséteinte.Femmehyperactiveetbienorganisée,elleaprévuavecsonmarilesdétailsprécisde leurs funérailles. Cette anticipation vadepair, commesouvent,avecungrandsoucideréglerlatransmission,àlafois matérielle, familiale, professionnelle, intellectuelle…152Lafabricationdelamort,sousledirdeRuthScheps,PUF(Lesempecheursdetournerenrond)p.192

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La gestion anticipée de «l’après-soi» est une véritabletache, une tache assez ardue qui attend ceux quiparviennent à la retraite. Il s’agit à la fois de prévoir sesobsèques et de faire place nette, de «débarrasser leplancher»Maistoutpréparern’estpasseulementmotivéparlesoucidenepaspesersur lesenfants;cela faitpartied’untout,d’unevolontédesedéfaireprogressivementdesesbiens,desestravaux,desabibliothèque,desesbijoux,sesrobes,lessouvenirsdesancêtres,d’uneentreprisequitteruneàuneleschosesdesavie,de«débarrasser leplancher»etpuis,«Onaenvied’avoirnotretrou»Mathilde a acheté un caveau avec son mari, à quelquesmètresdeceluidesonpère,quiadéjàaccueilliplusieursmembres de la famille. Sa sœur en a un à proximité,encoreplusprochedeceluidupère.Ilyamêmeuneautretantequisetrouvepasloin.C’esttoutelafamilleétenduequiestdisposéedansuneplaceducimetièredeBoulogne.Dans l’emplacement réservé de Mathilde et Olivier, lapierretombaleestdéjàposée,ainsiqu’unestèleoriginale,quiattirel’attentiondespromeneurs.Elleaétéérigéeparun sculpteur de leurs amis, et évoque l’art asiatique, enréférenceàl’enfancedumari,OliviernéenChine.Pourlecouple, préparer le caveau, la pierre tombale, a étéquelquechosedeludiqueLesparentsd’Oliviersont inhumésséparément, lamèreàMontparnasse avec ses propres parents et le père enBretagneavecsonproprepère.Ainsi c’est à la famille de Mathilde que le couple serattache, les sépultures sont proches mais distinctes. Laconfigurationdans l’espaceducimetière,autantquedansles régions de France témoigne de la formation desréseauxfamiliauxdistinctsdans lavie.Oliviers’est inséré

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danslafamilledeMathildeetaétéheureuxdefairepartied’unegrandefamilleunie;ilyatrouvéuneappartenance,uneidentité.Olivier choisit pour lui une cérémonie catholique, tandisquesonépouseprévoitpourelleunecérémoniejuive.Ellesouhaite que le kaddish soit dit par son petit fils Juif, etveut aussi faire participer son petit fils catholique, quirécitera à son tour un ‘notre père’ ou une prière de sonchoix.Enplusdelacérémoniefamiliale,Oliviervoudraitrecevoircelled’uneassociationd’ancienscombattantsdontilaétélongtemps président, et qui organise des cérémonies quiaccompagnent les funérailles. Bien entendu cela supposeque l’association soit toujours en fonction, malgré ladisparitionprogressivedesesmembresdisparaissent.Lesassociations dont les membres ne se renouvellent pas,deviennenteneffetdesassembléesderetraitésetfinissentpar ne fonctionner finalement que pour enterrer leursmembres, les annonces de morts se succédantrégulièrement,jusqu’àladisparitiondesderniers.Oùplacerl’épitaphe?Vient inévitablement la question de qui va partir lepremier,danslecouple,carc’estceluioucellequirestequiva exécuter les volontés de l’autre: on en parle, on sepousseàchoisir:oùveuxtuplacerl’épitaphe,lenometlesdatesdenaissanceetdemort,enhautouenbasdelastèlechinoise?FinalementMathildeaprévutoutcequipeutl’être:

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«moij’aiorganiséjusqu’aucimetière,Jen’aipasorganisélepot aprèsmamort, on verra, non,moi je ne verrai pas, ilsferontcommeilsvoudront…»

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LesprotestantsetlesritesfunérairesenFranceClaudineAttias-DonfutDonnéesdémo-historiques

Leprotestantismefaitpartiedesreligions parmi lespluslargement répandues dans le monde, si on inclut lesmultiplestendancesdontilsecompose.Lenombreestiméde ses fidèles varie fortement, entre environ trois centcinquantemillionsàplusdecinqcentsmillions, selon lestendancesquel'onprendencompte.EnFranceilyauraitenviron 1,7 million de protestants, d’après un sondageIFOP de 2010. Ils se répartissent selon différentessensibilités : L’église protestante unie de France (EPU)regroupantdepuis2013l'ÉgliseréforméedeFrance(ÉRF),d'originecalviniste,etlesLuthériens,estmajoritairemaisendécroissance;leséglisesEvangéliquesquireprésententaujourd'huiuntiersdesprotestantsdeFrance,sontdepuisquelques années en croissance numérique rapide; lesPentecôtistes, et les «charismatiques » sont trèsminoritaires.

La foi protestante commune à ses diverses composantess'articule autour de trois axes fondamentaux :

-l'autoritésouverainedelaBibleetdesévangiles

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- le salut gratuit par la foi, en particulier aumoment demourir-laforcedutémoignageintérieurduSaint-Esprit.

Troisconvictionséthiques:

Lalibertédeconscience,LaresponsabilitédeseschoixLe sacerdoce universel (il n’y a pas de médiateur entreDieuetleshommes)L’éthique protestante a été popularisée par une desœuvresfondatricesdelasociologie,L'Éthiqueprotestanteet l'esprit du capitalisme, de Max Weber, l’un despionniers de la sociologie moderne. Dans cet ouvrage,l’auteur explique le développement du capitalisme parl’influence de l’éthos protestant, et en particulier par lepuritanismequ’ilprône.Lescomportementséconomiquesétantinfluencésparlesvaleursetlesmentalités,l'éthiqueliée à la religion des différentes sensibilités protestantescalvinistes américaines a des "affinités électives" avec ledéveloppement du capitalisme. Le retour aux sourcesbibliques rapproche le protestantisme du judaisme; ilencourage le libre arbitre, il favorise une formeparticulièrede rationalité, instrumentale,qui s'éloignedela pensée magique, de l'idolâtrie.. Le protestantisme estaussicaractériséparl’éliminationdelamagie,cequeMaxWeber a appelé un « désenchantement » [Entzauberung]du monde. C’est une pensée moderne, qui prend sesdistancesaveclesaffects,lesémotions,lescoutumesetlestraditions et favorise les comportements utilisant lesmoyens et les ressources disponibles pour "parvenirrationnellement aux fins propres, mûrement réfléchies,

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qu'on veut atteindre". Toute tournée vers son objectif,l'actionhumaines'éloignedesimpératifsoudesexigencesque la morale ou la religion imposent dans certainessociétés. Selon la thèse de Weber, le calvinisme favorisedonc le développement d'une certaine forme decapitalisme,durableetorganisé,carreposantsurdeschoixméthodiques en matière de gestion et de méthodes deproduction.LathèsedeMaxWeberasoulevédenombreusescritiquesetadonnélieuàd’innombrablesdébatsquiontcontribuéàladiffuser

Aujourd’hui,enFrance,Lesdeuxgrandscourants,l’EPUetlecourantévangélique, diffèrentassezfortementauplanspirituel.

Le protestantisme uni est caractérisé par la lecturecritique des sources bibliques, dans une religionintériorisée, hors institutions, laissant une grande libertéaux fidèles. Il comporte peude prescriptionsmais donneunegrande importanceauxpsaumesbibliques. Iln’existepas de lieux sacrés, ni dans le temple, ni dans la terre. Ilreprésente une forme de sécularisation, correspondant àcequeMarcelGauchetqualifiede«sortiedelareligion»,ausensd’unedésinstitutionalisation.Deplus,beaucoupde‘fidèles’ se détachent de la religion et ne suivent plusaucunepratique.

Les divers mouvements évangéliques opèrent un retourauxsourcesplus fondamental. Ils illustrent le«retourdureligieux», tendanceopposéeà lasortiede la religion. Ilslaissent plus de spontanéité à la liturgie et témoignentd’une piété plus profonde. Ils sont si divers qu’il estdifficile de les caractériser globalement. Ils se composent

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d'Églises de dénominations différentes telles que lesbaptistes , les adventistes, lesméthodistes, les darbystes,les pentecôtistes, les libristes... Plusieurs de ces Églisessont de type charismatique (courant de renouveauspirituelinstituantdenouvellespratiquesmettant l’EspritSaint au centre de son action) tandis que d'autres sontplutôt évangéliques classiques ou traditionnelles. Ils sontrépandus à travers le monde et plus particulièrementreprésentésparmi leschrétiensd’Afriqueetd’Asie.Cellesqu’onappelleleséglisesethniquesenFrancesontsouventévangéliques.

Les missions protestantes françaises ont été très activespendant la période de la colonisation, établissant denombreuses églises en Afrique et en Asie. Ladécolonisationaproduitune rupturemais les églisesontété conservées dans les missions. Des relationsinternationales suivies ont permis de recréer des liensavec les églises mères en France. L’ animationinterculturelle de la mission protestante entretient desliens avec les nombreuses églises ethniques, notammentchinoises, coréennes, malgaches, camerounaises,pakistanaises…, ayant leurs propres sensibilitésspirituelles,leurschants,leurlangue,leurpiété…

Les immigrés en France originaires d’Afrique et d’Asiecomptent une proportion significative de protestants dediverscourants

Lerapportàlamort

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Selonlecourantmajoritaire,représentéparl’EPUF,Iln’yaguère de dualisme, corps/âme. L’idée d’immortalité del’âme ou la représentation de l’au-delà, sont absentes decette interprétation du protestantisme. La création de lavie est donnée par le souffle de Dieu dans le corps. Lasurvieestassuréeparlasuccessiondesgénérations.Basésur la référence à la bible, d’où sont absentes les visionsmanichéennes et gnostiques qui ont influencé lesconceptions du paradis, de l’enfer et du purgatoire, leprotestantisme rejette toutes ces croyances intervenuesplus tardivement dans le christianisme. Il demeurenéanmoinslacroyanceenlaréincarnation,quiasasourcedans les textes bibliques. La grâce est donnée ici etmaintenant,ellefaitagirleshumains.Maissilemystèredelamortresteentier,ilnesignifiepaslenéant.

La Réforme a introduit l’idée que le lieu d’ensevelissementest indifférent. Elle répudie tout culte rendu aux morts.Aucunecérémonie funèbren’estprévue, lepasteurn’assistepasà l’ensevelissement. Si certains cimetières ontménagédes ‘carrés protestants’ qui se sont maintenues jusqu’àprésent,leursignificationestàrechercherdansl’exclusiondesprotestantsdeslieuxd’inhumationcatholiquesetnondans leurs revendications de parcelles propres, d’autantplusqu’iln’yapasdesacralisationdelaterredansleculteprotestant. Il n’y a pas non plus de «lieu saint», aveccependantunlienparticulieràJérusalemetàGenève,lieude naissance du protestantisme Calviniste. Aujourd’hui,disposer de parcelles dédiées aux inhumationsprotestantes ne correspond nullement à desrevendications et ne semble pas avoir de sens pour lesprotestantseuxmêmes.

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L’histoire des cimetières protestants est néanmoinsrévélatricede leurhistoireauseinde lasociétéfrançaise,comme la reconstitue Pierre-Yves Kirschleger153, dontnousreproduisonsicil’analyse:

«Lescimetièresprotestantssesontorganisésensuivantlesdifférentes phases de l’histoire de la minorité protestante.Lescimetièresordinairesleurétantinterdits,lesprotestantsdurent s’organiser autrement et créer des cimetièresspécifiques. A l’intérieur de ces premiers cimetièresprotestants on ne trouve pas de tombeaux, pas de signedistinctifd’une inhumationcommedans tous lescimetièresdutemps.Laspécificitédecescimetières,parrapportàuncimetière catholiqueestdoncd’être situé sans lienavecunlieu de culte. L’Edit de Nantes généralise cette séparationdanslamortdansunbutdepaixcivile:séparésmaiségaux.La révocation de l’Édit deNantes en 1685 interdit le culteprotestant:exclusdesemploispublics,de leurstemples, lesprotestants sontexclusde leurscimetières.Les instructionsduconseilduRoisontclaires:«SaMajesténeveutpasqu’ilyaitd’endroitmarquépour lesenterrementsdeceuxde ladite religion et chacunpourra les faire enterreroùbon luisemblera». Les ordonnances royales exigent de plus qu’ilssoient enterrés de nuit et sans rassemblement. Pendant leslonguesannéesdu«Désert»,lesprotestantsquirefusentdese convertir vont ensevelir leurs morts clandestinement,«danslesterres»,dansunchampappartenantàlafamilledu décédé (ce qui ne fait que confirmer le dégoût descatholiquesvis-à-visdecette«religiondéformée»).

153Voir:http://www.museeprotestant.org/notice/les-lieux-denterrement-des-protestants-3/

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Ainsiestnéelatraditiondescimetièresdefamille:quelquestombesdansunjardin,unpré,unespacenoncultivé,enclosounonpardesmurs:lescimetièresdepleinchampéloignésdesmaisonsparaissentavoirétéclosdèsleurcréation,alorsque ceux proches des habitations étaient plus souventouverts. Les régions à forte densité protestante sontlittéralementtrufféesdetelscimetières,lescyprèsmarquantlestombesprèsdesmas.Unecertainetolérances’installantà partir de 1760, les communautés réformées peuventréaffirmer leur foi publiquement. Elles créent de nouveauxcimetières, dès 1761 à Royan, 1779 à Nîmes. Mais il fautattendre l’Édit de tolérance de 1787 pour que l’existenceciviledesprotestantssoitreconnue. Ilprescritquelesvillesetvillagesdevrontavoir«unterrainconvenableetdécent»pour l’inhumation de ceux auxquels la sépultureecclésiastiqueestrefusée.Lestroublesde laRévolutionunefois passés, Bonaparte rétablit définitivement la libertéreligieuseet l’égalitédescultesdans lecadreduConcordatet des articles organiques de 1802. La nouvelle législationorganisel’existencedescimetièresprotestants.Ledécretdu23 prairial an XII (12 juin 1804) précise: «Dans lescommunes où l’on professe plusieurs cultes, chaque cultedoitavoirunlieud’inhumationparticulier;etdanslecasoùil n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par desmurs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y aura decultesdifférentsavecune entréeparticulièrepour chacuneetenproportionnantcesespacesaunombred’habitantsdechaqueculte».LecimetièreprotestantdeMontpellierouvreen1809danscecadre.

Cettehistoiremouvementéeexplique les troiscatégoriesdecimetières protestants que l’on trouve aujourd’hui enFrance:

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1. Les grands cimetières protestants dans les régions àforteminoritéprotestante:Nîmes,Royan,Montpellier,Castres,Mazamet.PropriétésdesÉglises,cescimetièressont restés privés et n’ont donc pas étédéconfessionnaliséslorsdelalaïcisationde1881.Quantaux cimetières communaux laïcisés, ils n’ont pastoujoursappliquélenouvellelégislation:laséparationde la partie protestante persiste, les famillesprotestantesconservant l’habitudedese faire inhumerdanscetendroit.

2. Les cimetières familiaux, dans les régions où lesprotestants n’étaient pas admis dans les cimetièrescatholiques: CharenteMaritime, Deux Sèvres, Vendée,Cévennes.

3. Les carrés protestants dans l’enceinte des cimetièrescommunaux:malgré la laïcisation de 1881, beaucoupde cimetières communaux n’ont pas appliqué demanièrestrictelanouvellelégislation:laséparationdela partie protestante persistant, les famillesprotestantes ont conservé l’habitude de se faireinhumerdanscequartier(Vaucluse,Gard,Hérault…).

L’Alsace-Moselle, annexée par l’Empire allemand en1871 et rendueà la France en 1918, n’a pas connu cettelégislation laïcisatrice et a donc conservé l’organisationnapoléoniennedecimetièrespartagésselonlesconfessions:on trouvedoncdes cimetières communauxavecunepartieprotestante.»154

Lesritesfunéraires

154Pierre-YvesKirschlegerop.cit

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Le rituel funéraire dans le protestantisme est très sobre.La description qui en est donnée par les Eglisesprotestantesinsistesurlalecturedespsaumes.

«Aumomentdumourir, lesmembresde la familleetde lacommunauté pourront avec le malade :1. lire et prier 2. partager la sainte cène.: Dans leprotestantisme,c'estdanslefaitdereproduirelesgestesdeJésus et de les faire ensemble que Jésus manifeste saprésence.Ainsi,contrairementaucatholicisme,apporter"lacommunion" au lit du malade n'au aucun sens pour leprotestant. Ce qui a du sens, c'est de partager la cène auchevet du malade.3. faire une onction d'huile en union avec la communautéprotestante.Lavieéternellen'estpasunevieautreaprèslamort.Elleestdéjà engagée aujourd'hui. Elle est une relation déjà àl'œuvre, vécue.

Lorsdelatoilettemortuaire,onpeutcroiserlesdoigtsoulesmains du défunt mais il n'y a aucune prescription.Danslachambre,ilconvientd'évitertoutornementfunèbreautre qu'une simple croix nue ou une croix huguenote. Eneffet,lareligionprotestanterefusetoute"image"duChrist,elleprôneunesobriétéextérieurepouraffirmer larichesseindividuelle intérieure. Une bible ouverte peut être poséedans lachambre, cequi rappelle l'importancede laparolebiblique dans la vie du protestant.Lareligionprotestantenes'opposeniàlacrémation,niauprélèvementd'organes.Ceschoixsontlaissésàl'initiativede

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la famille ou de la personne elle-même, lors de son vivant.Les prières dans la religion protestante sont destinées auxvivants,pasaudéfunt.Pourlesprotestants, ilestinutiledeprierpourledéfuntpuisquelesalutluiestaccordéàpartirdumomentoùilavaitlafoi.Lagrâceneseméritepas.Touthomme a reçu la proposition de la grâce. Il en découle :1. Temps simple de prière pour la mise en bière 2.Compassion dans la rencontre de la famille. Le souciprimordial est le rassemblement communautaire pour nepas laisser seules les personnes en deuil. 3. Le rite estentièrement tourné vers le vivant.Pendant lacérémonie lecercueiln'estpasprésentoù ilestmis sur le côté – dans certains temples, dans l'entrée.Toutefois,deplusenplus,à l'instardescatholiques, ilpeutêtremisaumilieudel'assemblée.»

Le cercueil est déposé dans le funérarium, jamais ouexceptionnellement dans le temple. Une cérémonie aégalement lieu au cimetière lors de la mise en terre ducercueil. On privilégie, demanière générale, largement laparoleauxactes : lescérémoniesdefunéraillessontdonctrèssimples,ils’agitdelecturesdelaBible,desÉvangiles,desprédicationsouencoredeschantsliturgiques.

En effet, comme le souligne la femme pasteur interrogéedansl’enquête,lerôledelaparoleyprenddel’importance.Laparoleestportéepar lepasteur,et devientplus libre.Pas d’éloge funèbre,mais on parle du défunt. Le pasteurécoutecequelesprochesluidisentdudéfunt,desdétails

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desavie; ils’exprimeensuiteàsonsujet,témoignantdeson écoute attentive et répondant aux demandes de lafamille.Ilproposeuntextebibliqueenrapportaveccequilui a été dit. Il n’y a pas de sacrement, mais lecture depsaumes.

L’art de bienmourir consiste à s’y préparer, à régler sesaffairesetàêtreenpaix.

Chez les protestants, le défunt est remis àDieu lors d’unculte qui est destiné à rassembler les survivants. Lesprochesetlafamilleseréunissentpourprier,ils’agitd’unacte de foi et d’espérance, non une intercession pour lereposdel’âmedudéfuntcommechezlescatholiques.Ainsileculten’estpasrenduaudéfuntmaispermetauxvivantsd’écouter laParoledeDieu, cellede l’amourdépassant lamort. Les églises protestantes disposent en effet chacunedeleur liturgiepourleservicefunèbre.Certainesfamilleschoisissentdeprocéderà l’inhumationdudéfuntavant leculte.Cettepratiques’accordeavecl’unedestraditionslesplusanciennesde laRéformeetpermetprobablementdevivrepluspaisiblementletempsderecueillementquisuit.

La crémation est autorisée et fréquente. Elle ne fait pasproblème.

Dans les cas d’inhumation, les pierres tombales sontsimples,comportantparfoisunecroixhuguenote(croixdeMalte et colombe) ou un verset biblique. Il n’y a pasnécessairement de croix (et jamais de crucifix, c-à-d decroixreprésentantlacrucifixion)

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Iln’yapasnonplusderituelsdedeuilàl’exceptiond’unerécentepratiquequi consiste à lire, le jourdesmorts, aulendemaindelatoussaint,lesnomsdespersonnesquisontdécédéesdans l’année.Cettepratiqueesthéritéede cellequiaétéétabliepardesassociationsjuivespourrappelerlamémoiredesmortsdelashoah,enlisantchaqueannée,leurs noms à haute voix et en public. Il est aussi d’usaged’entourer les proches, sans que cela soit ritualisé. Jean-Sébastien BACH avait composé plusieurs morceauxdestinésàaccompagnerlaméditationetlaconsolationlorsd’unservicefunèbre.

Cesfunéraillesd’unegrandesobriéténesontpastoujoursde rigueur parmi les fidèles des églises ethniquesprotestantes. En témoigne le récit de funérailles d’unefemmed’origineafricainerapportéparlafemmepasteur:

L’inhumationdevaitavoirlieuenAfriqueetunecérémonieen présence d’un pasteur se tenait avant le rapatriementdu corps. La défunte reposait dans son cercueil, vêtued’une robe de soie blanche, entourée de fleurs, le visagedécouvert. Elle étaitmaquillée, avec du rouge à lèvres etduroseauxjoues.Lesassistantsquiarrivaientsefaisaientphotographier avec la défunte, certains s’exclamantqu’«ellen’avaitjamaisétéaussibelle».

Ilestclairquelesritesfunérairescombinentdesélémentsculturels pré-chrétiens et les pratiques religieuses duprotestantisme.Lesyncrétismedesritesestfréquentdanstouslesdomainesdelavieetenparticulierdanslesritesdemort.Cesyncrétismeestsansdouteplusfréquentdanslecatholicismequedans leprotestantisme,quisemontreplus exigeant à cet égardpour combattre les survivancesdes cultes «païens». Il se retrouve néanmoins de façon

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plus ou moins évidente dans la plupart des pratiquesreligieuses.

L’anticipationdesfunérailles

Il est assez peu fréquent que des demandes anticipéessoient adressées au pasteur par des personnes voulantprévoir les détails de leurs propres obsèques, mais celaarrive:ils’agitalorsdechoisirteloutelpsaumeouversetbiblique, tel cantique que la personne souhaiterait à sesfunérailles.

Les témoignages recueillis montrent surtout que lespersonnes n’aiment pas aborder ce sujet, même quand,malades,elles reçoivent lavisited’unpasteur à l’hôpital.Lamort, surtout la sienne, est le plus souvent déniée. Lafamillecontribuelargementàcedéni.

Parexemple, lorsdesavisiteàune femmemourante sursonlitd’hôpital, lafemmepasteurs’estvueécartéeparlafamille présente autour d’elle, et qui prétendait, contretoute évidence, que lamalade «se porte bienmieux», decrainte que la vue d’un pasteur lui fasse prendreconsciencedel’imminencedesamort.

******

Comme dans la plupart des religions et notamment dansles grandes religions historiques, on observe au sein duprotestantisme, à la fois et de façon paradoxale, undétachementdelareligiond’unepartiedesesmembresetune plus forte religiosité d’une autre partie des fidèles,attirésparune interprétationplus «fondamentaliste», et

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se rattachant à diverses tendances, notamment dans lecourant évangéliste. Sur une base commune deprescription rituelle caractériséeparunegrande sobriétédanslesritesfunéraires,leculteprotestantrassembleunevariété d’Eglises dans lesquelles s’exprime une grandecréativitéetinventivitédanslescérémoniesfunéraires.Ungrand nombre d’églises ethniques, mêlent au riteprotestant des éléments des cultures mortuairestraditionnelles pré-chrétiennes ayant cours aux paysd’origine.Ilenrésulteunerichemosaïquederituelsparmiles communautés protestantes vivant en France et enparticulierenIledeFrance.

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RitesfunérairesdanslesikhismeLamortrévèleledivinElémentsd’histoireQuisontlesSikhs?LesSikhsdeFrancesontprésentssurleterritoirefrançaisdepuisenvironunsiècle,ilsreprésententdel’ordrede30000personnesprincipalementconcentréesdanslarégionde l’ile de France. Ils sont organisés en plusieursassociations culturelles, regroupées autour du ConseilReprésentatifdesSikhsdeFrance.LapopulationdesSikhsdans le monde est évaluée à environ 30 millions depersonneset1,2millionenEurope.Lamajoritédessikhsse trouve encore aujourd’hui au Pendjab, sur leur terred’origine.LesSikhssesonteneffetconstituésauXVesiècle,danslePendjab.IlssontrépartisdanstoutlemoyenOrientetenAfghanistan. Ils ont subi au cours de leur histoire, despersécutions religieuses principalement de la part desMoghols,desMusulmans,maisenIranchi’ite,ilsontétéunpeumieux tolérés. Ils ont surtout eude bonnes relationsavec les Soufis, tendance minoritaire et mystique del’Islam, considérée même à certaines périodes, commehérétique.LesSikhsontsubidesmassacresenInde:entre1978 et 1984, on estime que 100 000 Sikhs ont été

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massacrés,à la suiteàde leur revendicationd’autonomieetdeleurrefusderatifierlaconstitutionindienne.L’obligationdegarderlescheveuxlongs,enveloppésdansun turban et de porter une barbe longue, les rend trèsreconnaissables. Ils se distinguent aussi par leurs noms :Singh (qui signifie « lion ») pour un homme, et Kaur («princesse ») pour une femme. Si les Sikhs ont parfoisl’impressiondesusciterunpeudecuriosité,ilssesententgénéralement bien acceptés en France, excepté danscertainsquartiersdelarégionparisienneoccupéspardesfondamentalistes islamistes qui ne les tolèrent pas. Ils sedisent (et semblent en effet) bien intégrés en France,malgré cependant quelques difficultés résultant del’obligationdeporter un turban; le problèmeduport duturbanàl’écolepublique,pourlesenfants,aétérésoluparunchignonsymboliquementnoué.Pour fairedesphotosd’identité conformes aux exigencesde police, tout en conservant le turban, il a aussi fallutrouver une solution: un arrangement à été trouvé endégageantlefrontetlescotésduvisage,pourprendrelesphotos.CroyancesetéthiqueLesikhismeestunereligionrévélée,monothéiste,distinctedes trois monothéismes, que sont le judaisme, lechristianismeet l’Islam.Elle a été révélée en1469par leprophète Gurũ Nănak au Penjab, en Asie du Sud Est155.155«Fils d’hindous, le Gurû Nânak, est né dans une famille de caste marchande, près de Lahore au Pakistan. En contact permanent avec l’hindouisme comme l’Islam, il n’en est pas moins convaincu ni converti bien que fasciné par la spiritualité... Au cours d’un voyage spirituel qui a duré 20 ans, il a parcouru l’Inde, le Népal, le Tibet, le Sri Lanka, pour ensuite se rendre à la Mecque, en Perse, et en Afghanistan. À son retour, le Gurû Nânak fonde Kartarpur « la ville du créateur », réunissant une communauté où « il n’y a ni musulman ni hindou », en Punjabi, sur la rive droite du fleuve Ravi dans l’actuel Pakistan. Le Gurû Nanak fonde la philosophie sikhe après

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Leur religion a été interprétée comme se situant entrel’hindouismeetl’islam156.Cetteinterprétationfaitl’objetdedébats,elleestcontestéedufaitqu’elles’opposepardenombreuxaspectsàcesdeuxcultes.Le mot Sikh vient du sanskrit «shishya», qui signifie,étudiant, disciple spirituel. La langue d’origine est lepenjabi,inspiréeduPerse.Les Sikhs se rattachent à des clans guerriers, qu’ilsexpliquent par l’obligation de se défendre, face auxpersécutionssubiesdelapartd’HindousetdeMusulmans,mais ils se disent opposés à la peine demort (en dehorsdesnécessitésdelaguerre)LesikhismeestbasésurLelivresacré,GuruGranthSahibJi, renfermantlesrévélationsdesprophètesainsiquedespsaumesdesaintshindousetmusulmans.Les valeurs fondamentales sont des valeurs d’égalité detous et en particulier l’égalité entre les hommes et lesfemmes. Aucune discrimination n’est permise sur la basedelacaste, larace,lesexe,lareligion,l’origine,lacouleurou le statut social. Signe de cette égalité, les hommesportent tous pour nom de famille SINGH (lion) et lesfemmesKAUR(princesse).Unegrandeimportanceestdonnéeàlaméditationetaussià l’étude. Sikh signifie celui qui étudie, les Sikhs doiventapprendre. Le Guru est l’enseignant, le maitre, letransmetteur;

une révélation de Waheguru (Dieu). Véritable enseignement spirituel, né à l’intérieur du courant hindouiste de la « bahkti » (dévotion), le gourou réunit, autour de lui, des disciples n’adorant qu’un seul Dieu suprême et absolu qui représente la Vérité. Un dieu créateur, à l’origine de l’espèce humaine, sur Terre non pas à la suite du péché originel, mais pour « se réaliser » à l’aide des principes sikhs ». Currien, Le Journal International, 10 Juillet 2013 156LaureCurrien,LejournalInternational,10Juillet2013

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il doit transmettre le savoir, les paroles: Shabut(enseignement.Cettecompilationest leGURU,c’estd’ellequ’onapprend)La religion nait dans un contexte d’oppression etd’ignorancedansune sociétéoù le savoir estmonopolisépar les castes Indiennes supérieures. Ils subissentégalement l’oppression des Moghols, musulmans, etoppresseursviolents.Elleprône l’abolitionde toutes lesdifférenceset l’égalitémorale entre tous les êtres humains et institue uneremarquable égalité entre hommes et femmes,exceptionnelledanslesreligionsconnuesEllecultive la libération,plutôtque la liberté,carc’estunprocessusdelibérationnonseulementpolitiquemaisaussidel’espritLe père créateur est unique, donc chacun est mon frère(lesnomssontidentiquespouréviterleshiérarchiesentrelesfamillesparl’héritagedunom.)Lepremierprophètedatede1469,annéedenaissancedel’idéologiedesSikhsIlsdéveloppentuneforceguerrièrepourêtrecapablesdesebattreetdesedéfendre.Végétariens, les Sikhs ne consomment pas d’alcool ni detabac.Le baptême se fait à l’âge adulte, quand l’individu estcapable de choisir sa croyance. Une fois baptisé, il doitpréserver les cinq articles de foi, les «panj kakkar» , à

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savoir les kesh (longue chevelure sacrée et non coupée,protégée par un turban, le Dastaar; khanga, peigne enbois; kara, bracelet d’acier; kirpan, dague protectrice etcérémoniale et kachera, marque de pureté). Les lieux decultesenommentGurdwara,lademeureduGuru,ilssontconstituésd’unesalledeprière,Sangat,etd’unesallequisert de cantine ouverte et gratuite, Pangat. Le repasgratuitetvégétarien, leLangar,est l’occasionderappelerlafraternitéhumaineentretous,hommesetfemmes.Les officiants ne sont pas des aumoniers, ils sontconsidérés comme des interpretes (granthi (penjabi), enchargedelalecture.L’officiantpeutêtreunefemmeouunhomme.Hommesetfemmesportentl’épée,s’initientàl’artguerrieretmontentàcheval.Cettefonctionsetransmetparformationàlalectureetàlacompréhensiondu textesur labasedessaintesécritures.Cellesciontétéécritesàdeuxreprises,pendantlapériodedesGurus;le10eetdernierGuruenafaitunecompilationcomplèteet a créé un recueil sacré, le 11e guru en étantl’accomplissement.Cetexteestdevenuobjetdeculteetderespect,c’estunespritàtravers10corps:l’importanceestdansleverbe.Leplusimportantdanslesikhismeest laconsécrationdubaptême. Il fait l’objet de processions à Bobigny et àDrancy. Le baptême est ouvert à tous, c’est un choixpersonnel.Ennovembre,unegrandefêtedeslumièrescommémorelalibération du 6e prophète, qui a été prisonnier desMoghols,ainsiquel’anniversairedu1erprophète.Au cours de la table ronde organisée par le ConseilReprésentatifdesSikhsdeFrance(CRSF),le11avril2015ilaétésouligné l’accordprofondentre laDevisedesSikh

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et celle de la république de la France, Liberté EgalitéFraternitéMort,ritesetrituelsLa vie et lamort sont étroitement liéesdans le sikhisme,elles font partie d'un cycle jusqu'à la libération l'unitécomplète avec Dieu, l'illumination pour les hindous. Lamort amène selon les sikhs à une réincarnation. Lesikhismeserapprocheplusdel’hindouismequedel’islam,puisqu’il retient les théories hindoues du karma et de laréincarnation, même si le fondement du sikhisme serapprochedelareligionmusulmaneparlemonothéisme.LesÉcrituresSaintesdisentque«Lamortestdéterminéeà l'avance — personne qui vient, ne peut rester ici. Lecroyant doit donc chanter et méditer sur le Seigneur etresterdanslesanctuaireduSeigneur».Les sikhs croient à la renaissance et pour eux la vieprésenten'estpasladernière.Lamortrévèleledivin.Alamort,l’esprits’échappeducorpsLa mort est comme passer d'une pièce à l'autre à unmomentdelajournée.Lamort est la progression de l'âme sur son chemin versDieu. La prière est importante pour briser le cycle desrenaissances; tout comme dans l'hindouisme avec lebhaktiyoga.Lespleurs, lescrissontdéconseillés lorsdesfunérailles; la crémation est le mode qui doit prévaloir,même si l'immersion ou l'enterrement ne sont pas

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interdits. Le corps n'est que l'enveloppe, l'âme est lavéritableessence.Le psaume de la paix, le Sukhmani Sahib, doit être lu,psaume composé par le cinquième guru, Guru Arjan. Lenom de Dieu sous sa forme Waheguru doit être aussichanté.Le Guru Granth Sahib stipule aussi «Les douleurs de lanaissanceetdelamortsontsuppriméesenchantantetenméditantsurleNaam,lenomduSeigneur»3.Lecorpsestlavéunjourgénéralementavantlacrémationenchantantdesprières;ilestensuitehabillésuivantlarègledesCinqKs. Le corps peut reposer dans un cercueil soit augurdwara soit chez le défunt, avant d'être emmené à lacrémation. Là des prières, des hymnes sont récités. Aumoment de la crémation en elle-même des shabads sontchantés,undiscourspeutêtreditsurlapersonnedécédée.la prièrede lanuit le SohilaKirtan et l'ArdasAntim sontlus soit par le fils ainé soit par un proche parent. Lacérémonieduregénéralemententre30et60minutes.Lescendressontensuiteéliminéesen lesplongeantdansunerivière.Après tout celaunedernière cérémoniepeutêtrediteau temple. Ilestaussid'usagederéciteruneAkhandPathdanslasemainequisuitlacrémation.Le Guru Granth Sahib parle aussi de la mort. Il estécrit«parlaGrâceduSeigneur,chacunsecomprendsoi-même;decettefaçon,ondevientmortbienquevivant…Lefaux esprit est chassé par le Messager de la mort; iltransportesesfaillesoùqu'ilaille;L'espritsetournealorsvers l'intérieur et se confond avec lui-même, lorsqu'il estaveclavertu».

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Desprièresaccompagnentleprocessusdecrémation.Etlalecturecontinuedeprièressepoursuitpendanttroisjoursaprèsledécès.Les cérémonies et les prières se font dans les lieux decrémationetdansleslieuxdecultes.Ilenexiste7danslarégionparisienne,ilssontfinancésparlacommunauté.Certaines cérémonies jettent directement le corps dansl’eauL’information sur les obsèques peut être diffusée parinternet: la cérémonie est filmée et la video conservéecomme souvenir. Le défunt est lavé et habillé, il a sonturban.Leursprincipes:travailhonnête,méditationetpartage.Plus une armée et une préparation guerrière en réponseaumartyrdu5eprophèteLes sikhs croient à la renaissance et pour eux la vieprésenten'estpas ladernière.Lamortestcommepasserd'unepièceàl'autreàunmomentdelajournée1.La vie et lamort sont étroitement liéesdans le sikhisme,ellesfontpartied'uncyclejusqu'àlalibération(MokhDu-aar), l'unité complète avec Dieu, l'illumination pour leshindous. La mort amène selon les sikhs à uneréincarnation.Les Écritures Saintes disent «La mort est déterminée àl'avance — personne qui vient, ne peut rester ici. Lecroyant doit donc chanter et méditer sur le Seigneur etresterdanslesanctuaireduSeigneur».Lamort est la progression de l'âme sur son chemin versDieu. La prière est importante pour briser le cycle desrenaissances; tout comme dans l'hindouisme avec le

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bhaktiyoga.Lespleurs, lescrissontdéconseillés lorsdesfunérailles; la crémation est le mode qui doit prévaloir,même si l'immersion ou l'enterrement ne sont pasinterdits. Le corps n'est que l'enveloppe, l'âme est lavéritableessence.Le psaume de la paix, le Sukhmani Sahib, doit être lu,psaume composé par le cinquième guru, Guru Arjan. Lenom de Dieu sous sa forme Waheguru doit être aussichanté.LeGuruGranthSahibaffirmeaussi: «Lesdouleursde lanaissanceetdelamortsontsuppriméesenchantantetenméditantsurleNaam,lenomduSeigneur»3.Lecorpsestlavéunjourgénéralementavantlacrémationen chantant des prières; il est ensuite habillé suivant larègledesCinqKs.Lecorpspeutreposerdansuncercueilsoitaugurdwarasoitchezledéfunt,avantd'êtreemmenéàlacrémation.Làdesprières,deshymnessontrécités.Lafamillecontinuederéciter lesSaintesÉcritures jusqu'à lacrémationet laprièredusoir, leKirtanSohila,estrécitéeaumoment-mêmede la crémation.Deplus,on récitedesardas-unesortedeprièrededemande-pourledéfuntetlafamille.Au moment de la crémation en elle-même des shabadssont chantés, un discours peut être dit sur la personnedécédée. la prière de la nuit le Sohila Kirtan et l'ArdasAntim sont lus soit par le fils ainé soit par un procheparent. La cérémonie dure généralement entre 30 et 60minutes. Les cendres sont ensuite éliminées en lesplongeant dans une rivière. Après tout cela une dernièrecérémonie peut être accomplie au temple. Il est aussi

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d'usagederéciteruneAkhandPath157danslasemainequisuitlacrémation.LeGuruGranth Sahibparle aussi de lamort. Il est écrit:«parlaGrâceduSeigneur,chacunsecomprendsoi-même;de cette façon,ondevientmortbienquevivant…Le fauxespritestchasséparleMessagerdelamort; iltransporteses failles où qu'il aille; L'esprit se tourne alors versl'intérieuret se confondavec lui-même, lorsqu'il est aveclavertu»Finalement en ce qui concerne les rituels funéraires, lesfidèles peuvent prendre contacts avec l’ambassade del’Inde à Paris. Le consul peut accorder des facilités pourtransporterlescendresenIndeoudonnerdessubventionspourlacrémation.Il demeure aussi une certains souplesse pourl’aménagementdes rituels funéraires.La crémationest lerite funèbre privilégié mais d'autres formes, telles quel'enterrement ou l’immersion, sont acceptables selon lescirconstancesparticulières.

157 L'Akhand Path, est la récitation ininterrompu du livre saint des sikhs, le Guru Granth Sahib, de son début jusqu'à la fin. Cette lecture se fait normalement en 48 heures. Les saintes Écritures sont présentées généralement sous la forme d'un livre de grande taille de 1430 pages. Ce rituel est censé apporter la paix et la consolation aux lecteurs comme aux auditeurs Akhand se traduit par: ininterrompu; path par: lecture. Pour se placer sous la dénomination de Akhand Path, la lecture doit se poursuivre jour et nuit, sans cesser. L'attention des lecteurs qui se relayent doit être portée sur la continuité parfaite du texte sacré. Les jours de célébrations importantes, des Akhand Path sont spécialement dits. Les familles sikhes en organisent à divers occasions comme des mariages, des anniversaires de décès, l'installation dans une nouvelle maison… L'origine de l'akhand path semble remontée au XVIIIe siècle. Les temps étaient incertains et afin d'unir les pensées et d'établir une force spirituelle, l'akhand path était de vigueur. De telles lectures ont des comparaisons dans l'hindouisme3, et dans le christianisme.

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Lamortdansl’universdesBahà’ìsDonnéesdémo-historiques158LafoiBahà’ieserait,d’aprèsl’encyclopédieBritannique,ladeuxième religion la plus largement disséminée,géographiquement, après le christianisme. Bien que peunombreux,del’ordrede5à7millionsdanslemonde,sesfidèlesseretrouventeneffetdans218paysetterritoiresàtraverslescontinents.NombreuxenIndeetdanslespaysasiatiques, ils comptent près de 300 000 fidèles en Iran,paysdenaissancedecettereligion.On les trouveenplusgrand nombre aux USA et en Afrique qu’en Europe. EnFrance, ils ne sont que quelquesmilliers de fidèles,maissontbien implantésetdisposentnotammentdeparcellesquileursontaffectéesdansdeuxcimetières.C’estàParis,à la finduXIXesiècle,que naît lapremièrecommunautébahá’íed’Europe.

158www.bahai.fr

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La foi Bahà’ie est récente, elle date de 1844 et s’inscritdans la ligne des religions monothéistes révélées. Sonfondateur, Bahà’u’llàh (1817-1892), noble persan,originairedeTéhéran,estconsidéréparlesfidèlescommele dernier en date des messagers de Dieu, comparable àAbraham,Krishna,Moïse,Zoroastre,Bouddha, leChristetMuhammad. Tous ces prophètes et leursmessages sontreconnusdanslavisionbahà’ie,unifianteetuniverselle,del’humanité.Bahà’u’llàh aproduit,desonvivantlestextesfondateurs159,enpersanouenarabe,dontcertainsontététraduits dans plus de 800 langues. L’unité est le thèmecentral du message et des pratiques religieux: pas dedivisions internes, accueil de fidèles de toutes origines,sociales, ethniques, nationales, confessionnelles, visantunehumanitémondiale,pacifiqueetégalitaire,défendanten particulier l’égalité entre les hommes et les femmes.C’estuneunitédans ladiversité,baséesur latoléranceetle rejet de tout prosélytisme. Le dialogue interreligieuxavec toutes confessions est recommandé et pratiqué.Selonlaprofessiondefoibaha’ie,«Ilestincontestablequeles peuples du monde, à quelque race ou religion qu’ilsappartiennent,tirentleurinspirationspirituelled’unemêmesource céleste et sont les sujets d’un seul Dieu. Lesdifférencesquiexistententrelesloisauxquellesilsobéissents’expliquent par la diversité des conditions et des besoinspropres aux époques où ces ordonnances ont été révélées.Toutes ces lois, à l’exception de quelques-unes qui sont lerésultat de la perversité humaine, ont été ordonnées parDieu,etsontunemarquedesaVolonté. Levez-vous et, armés du pouvoir de la foi, chassezlesdieuxdevosvaines imaginations,sourcesdedissensions159«Lesparolescachées»,«lelivredelacertitude»,«lesseptvallées»,«Lelivreleplussaint»ensontlesplusimportants.

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entre vous. Attachez-vous à ce qui vous rapproche les unsdesautresetvousunit.»(Baha’u’llah)L’éducation est un des commandementsessentiels dubaha’isme:«L’hommeestconsidérécommeuneminericheengemmecélestemaisseulel’éducationpeutenrévélersestrésorsetpermettreàl’humanitéd’enprofiter»(Baha’u’llah/préjugés/recherchedevérité)Les pratiques consistent essentiellement en prières,observance du jeun, rejet de l’alcool et des drogues. Lesrites sont sobres, réduits au minimum. Les prièresprescritessontflexibles,uneparjouràchoisirentretroisprières recommandées.Laprincipaleprescriptionsembleêtrelejeunde19jours,duleveraucoucherdusoleil,sansnourritureniboisson,unefoisparan.L’accentestmissurl’éducationde touspour tendrevers leperfectionnementhumain et la paix universelle. La croyance dans le librearbitreentrainelaresponsabilitédetousdansl’avènementd’un monde meilleur. Un certain individualisme seconjugueà laconsciencede lanécessitédu liensocial.Lareligion se doit aussi d’être en accord avec la science,rejeter lespratiquesquiparaissentcontrairesà la raison,êtreenperpétuellerecherchedelavérité.Le siège de la religion a été érigé, selon les vœuxde sonfondateur dans la région de Haifa, à l’époque sousdominationottomane,aujourd’huiauNordd’Israel.C’estlàquesetrouventlemausoléecontenantlesrestesdeBab,leprécurseur du bahaisme, qui avait fondé le mouvementbabietannoncélemessagerdivin,Bahahullah,ainsiquelestombeauxdecedernieretdesonfilsainé,Abdu’l-Baha,désignépartestamentcommel’héritierdumessageret lecontinuateurdelafoi.

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AuxoriginesdesBahà’is:Au commencement, un mouvement précurseur, lemouvement bàbi, fut fondé en 1844, et s’est rapidementrépandu en Iran: son texte principal, le Bayàn, abrogeaitdes lois islamiques pour les remplacer par de nouvelles,incluantnotammentlalibérationdesfemmesetannonçantla venue imminente d’un nouveaumessager deDieu. LesBabiontétépourchasséspar lepouvoir; leur leader,Bab(signifiant la porte en arabe) a été arrété et exécuté en1850. Puis est venu Bahahullah, considéré comme lemessager annoncé par Bab; sans doute en raison de salargeaudienceauseindelapopulation,ilaétéàsontourarrêté par les autorités iraniennes, jeté dans «une fossenoire», qui deviendra ‘le berceau d’une nouvellerévélation’,puisbannidesonpaysnatal.IlvivraàBagdadpuisenTurquieoùilserafaitprisonnieretenvoyéàSaintJeand’Acre,villepénitentiairesousdominationottomane,où il écrit la plus importante de sesœuvres etmeurt en1892. Son fils, Abdu’l-Baha (1844-1921) a pris sasuccessioneta jouéunrôleclédans lapropagationde lafoihorsdumoyenorientoùelleétaitétouffée.Lepetit-filsde Abdu’l-Baha, Shoghi Effendi (1897-1957) a pris enchargeledevenirdelafoiBahà’iequidevientavecluiunevéritable religion mondiale, aujourd’hui rattachée à uneinstitution internationale, «La Maison Universelle deJustice».En Iran, dans la constitution adoptée après la«Révolution»quiavul’arrivéeaupouvoirdesAyatollah,l’article 12 définit l’Islam – et spécifiquement la branchedushiismeduodécimain-commelareligionofficielledela

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Républiqueislamiqued’Iran.L’article13estconsacréauxdroitsdesautresminoritésreligieusesdupays:«Les zoroastriens, les Juifs et les chrétiens d’Iran, sont lesseulesminoritésreligieusesqui,danslalimitedelaloi,sontlibresdepratiquerleursritesreligieuxetleurscérémoniesetd’agir selon leurs propres règles en matière d’affairespersonnellesetd’éducationreligieuse.»LesBahaissontdoncexclusdesminoritéstolérées,etsontconsidérés comme des «infidèles sans protection», lescrimesdontilssontvictimesbénéficiantdel’impunité..Lesbahais ont été exclus des cimetièresmusulmans160et ontété obligés d’organiser leurs propres parcellescommunales.Ilsontpuenterrerleursmortsdansunepaixrelative jusqu’à la propagande anti-baha’ie soutenue parl’Etat islamiste au cours de ces dernières années qui asuscité une augmentation des attaques contre lecimetièresetleslieuxsaintsbahais.PersécutésenIran161,c’estdans lespaysnonmusulmansquelesbahà’isconnaissentplusfortementdésormaisunecertaineexpansion.

160Lescimetièresysontsacrés,commedanstoutlemoyenorient161Lapersécutiondesbahaisetdesbabiss’estaccruesouslerégimeislamisted’Iran,«cherchant

désespérémentàcréerpourl’Iranunfuturàreligionunique»selonleprofesseurTavakoli-Targhi.D’après

lesrapportsdelacommunautéinternationaleBaha’ie,d’Octobre2011,etdemars2013,lesbaha’isd’Iran

fontl’objetd’unepropagandehaineuse,sontaccusésdedérivessectaires,leursreprésentantssont

détenusdanslesprisons.Desmembresduclergéchiiteontétéinvitésàfairedesprésentations

calomnieusessurlafoibaha’iedanslesécoles;lesenfantsbahaissontdénoncésdanslesécolespubliques.

DesétudiantsmusulmansontétéencouragésàfrapperdesétudiantsBaha’is.Calomniés,démonisés,ils

sontaccusésentreautresdeliensavecle«sionisme»,sontprivésdedroitsetdetravail,quandilsnesont

pasmassacrés.Despropriétésbahaiesontétéincendiées,lescimetièresbahai’isdeplusd’unedouzainedevillesetvillagesontétévandalisés,rasésaubulldozerouatteintspardesbombesincendiaires,au

coursdecesdernièresannées.Cf«Laviolenceentouteimpunité:lesactesd’agressioncontrela

communautébahà’ied’Iran»Mars2013

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Lavieaprèslamort,danslavisionbahà’ie«Lanaturedel’âmeaprèslamortnepeutpasêtredécrite»Baha’u’llahSi la vie après lamort demeure unmystère, la croyanceque l’âme ne meurt pas, qu’elle est éternelle, est bienétablie. Lorsque le corps meurt, l’âme est libérée de sesliens physiques avec le corps et avec le monde quil’entoure. Elle commence alors progressivement sonvoyage à travers les mondes spirituels. D’après lesenseignements de Baha’u’llah, le monde spirituel est unprolongement intemporeldenotrepropreuniversetnonpasunlieuphysiquementéloigné.Ilcomparelamortà lanaissance: «Lemondede l’au-delà est aussi différent dumondeterrestrequecelui-cidiffèredumondequeconnaîtl’enfantdansleseindesamère».Lesbaha’isconsidèrentlaviecommeunesorted’atelieroùl’onpeutperfectionneret développer les qualités qui seront nécessaires dans lavie future:«Sacheenvéritéquesielle(l’âme)asuivi lesvoiesdeDieu,elleretourneraàDieuetserarecueilliepourla gloire du Bien-Aimé. Par la justice de Dieu! Elle seraélevée à un état que ne saurait peindre aucune plume niaucunelanguedécrire»écritBaha’u’llah.Il n’y a pas de notion de résurrection des morts, pas deparadisnid’enfer,mais lapossibilitédeprogressionpostmortem demeure grâce aux prières et aux actions desvivants, et aussi par la vie spirituelle en elle même quicontinuedeprogresseraudelàdelamort.Lamortestunemessagèredejoie

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Leparadispeut êtredéfini enpartie comme laproximitéavecDieu, l’enferétantquantà lui, l’éloignementdeDieu.L’enfer représente alors un état. Chaque état dépend desefforts entrepris par les êtres humains pour développerleurspiritualité.Laclédupouvoirspirituelestdesuivrelavoie indiquée par les manifestations de Dieu. AinsiBaha’u’llah décrit l’existence d’une âme autonome etrationnelle..LesrituelsfunérairesLe corps est inhumé et non incinéré. La crémation estconsidéréecommeunmanquederespect.Onnepratiquepasl’inhumationrapidemaislecorpsdoitêtretransportéàmoinsd’uneheuredulieududécès.Lapratiquedesdonsd’organe est laissée à la liberté de chacun. Après lapréparation du corps, la toilette funéraire, le corps, nonembaumé, est entouré d’un linceul blanc en soie ou encoton.Levisagepeutêtreexposé,maisildoitêtreentourédulinceul.Ledéfuntporteunebaguemortuairesurlaquelleestgravéleversetsuivant:JeviensdeDieuetjeretourneàlui,détachédetoutsaufdelui,metenantfermementàsonnom,lemiséricordieux,lecompatissant.Ces bagues mortuaires peuvent être achetées dans lescentresbahaisetdans la librairiequise trouveaucentrebahai parisien. Il en existe aussi à Nice, Marseille, Lyon,Strasbourg.

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Lecercueildoitêtreenboisdur,iln’yapasd’obligationdepierretombale.Dansletombeau,lespiedsdudéfuntsontorientésverslelieuleplussaintdesbahais,lemausoléedeBaha’u’llah,àAcre,enIsrael.Lesfamillesyinscriventdescitations ou mettent une étoile à 9 branches, symbolefacultatif.Lesprières sont laissées aux choixdes familles, seule estprescrite une prière consacrée aumoment de lamise enbière.Il n’y a guère de ritualisation des pratiques de deuil. Ils’agit de prier beaucoup et librement, au choix desfamilles.En France, la communauté baha’ie regroupe, en plus desBahai’s venus d’Iran, une diversité d’origines, ainsi quedes Français convertis qui étaient précédemmentcatholiques,juifs,musulmans,athées...Maisonnedisposepas de données sur le nombre et la composition desfidèles, en l’absence d’études et de recensement à leursujet,.Certains fidèlesconvertissont,du faitde leurconversion,endehorsde lareligionquicontinued’êtrepratiquéeparleur famille et leurs proches. Quand la famille tient à lesassocier à ses propres rites et traditions, ils peuvent setrouver isolés dans leur demande de recevoir les rituelsfunéraires conformes au rite Baha’i, même si celui-ci estsimple et aisé à suivre. Les responsables baha’is sontparfois ainsi confrontés à des demandes de fidèles quisouhaitents’assurerqueleursfunéraillescomporterontauminimumlaprièrebaha’iconsacréeouqu’ilsaurontbienla bague mortuaire au doigt. Une solidarité de la

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communautébaha’iesemetgénéralementenœuvre,danscescirconstances,maisildemeurelaquestiondesfamillesetdeleurouvertureàcesrites.Ilyauneforteentraideautourdesfunérailles;cependant,comme le souligne notre interlocuteur l’esprit collectifd’entraides’appliqueàtouslesêtreshumainsetn’estpaslimité aux Bahais. Cet esprit collectif est associé à uncertainindividualisme.Iln’yapasdeclergé,personnen’adepouvoir.L’assembléespirituellenationaledesBahaisdeFranceestcomposéede9membresélusannuellement,etexerçant un pouvoir collégial. Il n’y a donc pasd’enterrement religieux proprement dit, à l’exceptiond’uneprièreaumomentdelamiseenbière.Ilestrarequ’ily ait demande de rapatriement des corps dans un autrepays, excepté dans le cas où la famille est d’une autreobédienceque ledéfunt etquand c’est ellequi impose lerapatriement.LesfidèlessontencouragésàanticiperleursfunéraillesetàfaireuntestamentpourlapréparationdesobsèquesIl existe déjà dans les cimetières deux parcelles dédiéesaux Baha’is à Créteil et à Rouen. Mais les Baha’issouhaiteraient pouvoir disposer de plus de parcelles quileur soient consacrées ne serait ce que pour des raisonspratiques: on se perd dans les grands cimetières trèsétenduspourretrouverlestombesoùserecueillir.

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L’HINDOUISMESophieBobbéMalgré le foisonnement religieux et la diversité despratiques religieuses dans notre monde contemporain,nouspouvons toutefoisconsidérer,à l’instarde Jean-PaulGuetny, que le fleuve Indus traceune frontière religieused’importance:à l’ouestdecette lignedepartagesontnésles grands monothéismes162, à l’Est se trouve le berceaudes «religions d’Extrême-Orient» soit les religionsindiennes-l’hindouismeetlebouddhismeprincipalement-auxquellespeuventêtreajoutéslesreligionschinoises,leconfucianisme et le taoïsme, qui constituent, avec lebouddhisme, les “troisVoies” traditionnellesde l’“Empiredu Milieu”». 163 Cette partition géographique de lanaissance de ces religions rend compte de différencesradicales quant aux représentations de la mort, à lacroyance en l’existence de l’âme et son devenir, autraitementducorpsdumortetdesondevenircommeentémoignentlespratiquesprescriptivesliéesaufunéraire.Anciennementnommébrahmanisme, l’hindouismeapourfondementlesquatreVédas,recueilsliturgiquesrédigésensanskrit.Transmisparlatradition,lesVédasordonnentlavie sociale comme le chemin individuel. Adossée à deuxpiliers que sont le sacrifice et la réincarnation, cettereligionpolythéisteprône,parlapratiquedelaméditationet de la prière, une façon de trouver un équilibre de vie162Malgréleurprogressivemigrationàl’EstpuisquecommelenoteGuetny«l’Indonésieestaujourd’huilepaysaumondelepluspeuplédemusulmans»,«Religionsetcrémation»,Etudessurlamort,n°140,2011,pp.81-90.163Jean-PaulGuetny,«Religionsetcrémation»,Etudessurlamort,n°140,2011,pp.81-90.

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conformeaux loisquirégissentetassurent lacohésionetl’harmonie du monde en favorisant la recherchepersonnelle de la foi en l’existence et de l’équilibrespirituel.1. Desmigrationsindiennespluriséculaires

Lorsque l’on évoque la migration indienne, force est deconstater qu’elle se conjugue au pluriel. En France, ladiaspora indienne, hétérogène socialement etculturellement, compte actuellement 150.000 à 170.000migrants selon les estimations. Elle se compose depopulations venues de différents pays que l’on peutdistinguer suivant leur origine et suivant l’histoire dupays:- Le1ergrouperegroupe lesPondichériensqui,venantd’un ancien comptoir français, ont adopté lanationalité françaiseàpartirde1956164.Qualifiésde«vieux nationaux» pour reprendre l’expression deBastenier165,leureffectifestestiméentre50.000166et70.000167suivant les sources bibliographiques. Bienintégrés, ces Français d’origine pondichériennen’apprécient pas d’être assimilés, de par leurproximité phénotypique, aux Tamouls srilankais.168(ousri-lankais)

- Le 2ème groupe, estimé à 100.000 personnes, estconstitué de Pakistanais, Mauriciens, Bengalis et

164Rappelonsquelaprésencefrançaisedanscettevillefutpluriséculaire(1671à1962).165AlbertBastenier,2004,Qu’est-cequ’unesociétéethnique?Ethnicitéetracismedanslessociétéseuropéennesd’immigration,Paris,PUF. 166AnyBourrier,«L’hindouismeserépandenFrance»,RadioFranceInternational,26janvier2006.167ClaireLesegretain,«LeshindouistesdeFranceenquêtedevisibilité»,LaCroix,30août2012.168AnthonyGoreau-Ponceaud,«LaChapelle:unthéâtremonde»,E-Migrinter,2009,n°4,p.67.

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TamoulsduSriLanka.Vivantpour laplupartdans larégion francilienne, cedeuxièmegroupesesubdiviseen3sous-groupes:

§ Le 1er sous-groupe est composé de 30.000Tamouls d’Inde (environ) originaires du TamilNadu(desVellalar);

§ LesTamoulsduSriLankadontl’effectifavoisineles 50.000 personnes constituent le 2ème sous-groupe;

§ Enfin un 3ème sous-groupe est composé dedizaines de milliers d’Indo-Réunionnais etd’Indo-MauriciensinstallésenFrancedepuislesannées 1970, et des Népalais arrivés plusrécemment.

Rappelons l’histoire de ces vagues de migrationpluriséculaires.

1.1.Destrajectoiresmigratoiresàlaconstitutiond’unediasporatamoule

La présence de populations originaires du sous-continent indien pourrait de prime abord apparaîtrecommele fruitd’unemondialisationrécentedonnant lieuàdesmigrationsendehorsdel’histoirecoloniale.Or,nonseulementcetteprésenceindienneestdéjàanciennemaiselle a aussi donné lieu, par le passé, à une installation,forcée ou volontaire, notamment au temps de lacolonisationdanslesterritoiresd’outre-mer.ÀpartirduXVIIèmesiècle,ontrouvetracedelaprésencedepopulationd’origineindiennetantàParis(1739)qu’enIle-de-France et dans les villes portuaires de La Rochelle(1719), Bordeaux (1723), Nantes (1740), sans oublier

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Marseille, Saint-Malo, Brest et Lorient – ce sont pour laplupartdesnobles,desgrandsbourgeois,desmarchands.Mais on trouve aussi à cette époque des couturiers,charpentiers, perruquiers, corps de garde pour lesmonuments publics. Puis, dès 1838, les expositionscoloniales et universelles offrent l’opportunité aumondeindiende se produire en spectacle. En1883, des troupescinghalaises (magiciens, équilibristes, prestidigitateurs,…)présentent des animations au Jardin d’Acclimatation quiontunfrancsuccès.UntempledeBouddhaestérigéàleurintention dans l’enceinte du parc zoologique. L’opérationserarenouveléeàplusieursreprises:en1902eten1906,date d’arrivée d’une nouvelle caravane hindoue d’unecentainedepersonnes.Plusieursdécidentdes’installerenFrance où ils occupent des emplois dans le monde duspectacle (cirque, music-hall). La fin du XIXème siècle estmarquéeparl’arrivéedefigurescharismatiquesdumondedelapolitique,desartsetdeslettres.Le début du XXème siècle marque l’arrivée d’hommesd’affaires, installés dans le 9ème arrondissement parisien(Cadet), venus faire commerce de pierres précieuses(diamants et perles de cultures) et de textiles (soie etdentellespourlaconfectiondesaris);souventoriginairesde Bombay; ils créent l’Indian Professionnal Association(IPA).En1920,unecinquantainede familless’établissentetcréentdesentreprisesdansl’industriepharmaceutique(Cooper),leséquipementsdesécurité(Shah,Sarkar,Patel,Bhumgara), la vente de brevets, le commerce de textile(Bhavsar)etd’argenterie(Kapadia,Kansara).LorsdelaGrandeGuerre,auxcôtésdesAlliésdesarméesindiennessebattentenAfriqueduNordetenItalie(mont

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Cassin).En1954,laFrancecommeex-puissancecolonialepropose la nationalité française à ses anciensressortissants des comptoirs de Pondichéry,Chandernagor, Karikal, Mahé et Yanaon. Plus de 5.000familles Tamoules, soit et (?) 20.000 à 40.000 personnesoriginaires des anciens comptoirs viennent résider enFrance.C’est à partir des années 1960 que la diversification dumonde Indien se traduit par l'«arrivée des Pakistanais(50.000) et des Indo-Mauriciens (50.000) durant lesannéessoixante-soixante-dixdansleSentier[qui]détrôneles Pondichériens et les Karikalais (25.000) qui, dès lors,nesontplusmajoritairessurlesolfrançais.»169L’arrivée des Sri Lankais, majoritairement tamouls, estétroitementliéeàlaguerrecivilequiadébutédès1972,aofficiellement duréde1983 à 2009, et n’est toujours pastotalementterminée.Leurvenuesedérouleendeuxtemps:- Au cours de la décennie 1970-1980, un premiergroupe de migrants Indiens Tamouls s’installe enrégion parisienne. Provenant de zones rurales etsemi-urbaines de la région de Jaffna, ce sont despropriétaires terriens Vellalar de haute caste deconfessionhindoue.Ilss’installentdanslequartierdeLa Chapelle dans le Xème arrondissement de Paris,entre le Faubourg Saint-Denis et le Boulevard de laChapelle.

169CatherineServan-Schreiber,VasoodevenVuddamalay,«LesétapesdelaprésenceindienneenFrance»,HommesetMigrations,n°1268-1269,2007,pp.8-23.

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- C’estdansun second temps, au coursde ladécennie1990-2000, qu’un second groupe rejoint le premier.Ce sont des Karaiyar, principalement catholiques170issusdumilieuurbaindelapéninsuledeJaffnaetdelarégiondeVanni.Toutaulongdecettedécennie,desfemmes et des enfants rejoignent leur conjoint. «Àpartir des années 1980, ces Tamouls sri-lankais nepouvantplusserendreenGrande-Bretagnedufaitdudurcissement des lois sur l’immigration, se sontinstallésenFrance.»171

RetenonsquelacommunautéTamouledelapéninsuledeJaffna ou de l’Est diasporique est multiconfessionnellepuisqu’un tiers est catholique et deux tiers sont hindous.En France, les Sri-Lankais musulmans sont trèsminoritaires.172Pour la seule année 1991, on dénombre 145.000demandes d’asile. Cette année-là, l’Office français desréfugiésetapatrides(OFPRA) régularise tous les dossiersen attente sous le statut de réfugié. Grâce à ladocumentation du Haut Commissariat des Nations Uniespour les Réfugiés (HCR), on sait que, depuis 1983, lesdemandes d’asile émanent très majoritairement de lacommunauté Sri Lankaise.173 Ils bénéficient d’un solideréseaudesolidaritécommunautairegrâceauxmigrantsdela Chapelle et s’installent majoritairement dans lesmunicipalités franciliennes du Nord de Paris - Sarcelles,170Aproposdel’arrivéedesmissionnairescatholiques,cf.InesG.Zupanov,«Missionlinguistique:l’indigénisationduverbeenpaysTamoul(XVI°-XVII°siècles)»,ArchivesdeSciencessocialesdesReligions,n°103,1998,pp.43-65.171AnthonyGoreau-Ponceaud,«L’immigrationsrilankaiseenFrance.Trajectoires,contoursetperspectives»,HommesetMigrations,2011/3,n°1291,pp.26-39.172AnthonyGoreau-Ponceaud,id.,note4.173LesRéfugiésdanslemonde.50ansd’actionhumanitaire,HautCommissariatdesNationsUniespourlesréfugiés(UNHCR),annexe7,2000citéparAnthonyGoreau-Ponceaud,op.cit.

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Garges-lès-Gonesse, La Courneuve, Villiers-le-Bel, LeBourget,LeBlanc-Mesnil,Saint-Denis,Aubervilliers–etdel’Estdelacapitale-Montreuil,Chelles,Boissy-Saint-Léger.En région, Strasbourg et Lyon sont les villes deprédilection.Soucieux de s’insérer dans la société française, ilsdemandent la naturalisation, «droit auquel ils peuventprétendre lorsqu’ils ont un statut de réfugiés et qui peutaider leur insertion professionnelle et celle de leursenfants». 174 À la naturalisation s’ajoute un autreindicateur, la pratique de leur culte religieux, qui rendégalement compte du désir d’intégration dans le paysd’accueiletdusouhaitd’uneinstallationpérenne.

174AnthonyGoreau-Ponceaud,op.cit.,2011,p.32.

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1.2.Lapratiquedel’hindouismeensituationdemigrationC’estàpartirdesannées1980quel’immigrationdusous-continent indienestdevenuevisible.Mais comme lenoteVasoodeven Vuddamalay, d’autres «courantsmigratoiresprécédant le tournant tamoul [l’exilTamoulestprovoquépartroisdécenniesdeguerre]sonttoujoursméconnus,enl’occurrence les migrations pakistanaise, bangladaise,gujeratie, punjabie».175 À leur arrivée sur le territoirefrançais les premiers Tamouls sri-lankais ont investi leSacré-Cœur pour compenser l’absence de templeshindous: «Situé au sommet d’une petite montagne, elledemande une ascension pour y accéder; large et visible,elle s’impose à la vue comme la maîtresse de Paris; sescoupoles volumineuses et blanches rappellent aussi bienles stupas bouddhistes par leur rondeur que les églisesceylanaisesparleursfaçadesvastesetblanches.»176Outre la naturalisation, la construction de lieux de cultevient elle aussi témoigner du désir, et de la consciencepartagée, de ces hindous de penser leur installation enFrancecommedurable(notammentàcausedesdifficultéspour les Tamouls à retourner au Sri Lanka). Bâtir untemple pour la communauté, installer les dieux sur unnouveau territoireet fairevenirdesprêtresparticipentàla création d’un haut-lieu de vie. Ce faisant, la religionparticipe très largement du processus d’intégration deshindous en situation de migration. Ce constat vaut

175VasoodevenVuddamalay,«Lesdiasporasoriginairesdusous-continentindienenFrance»,Migrationsetmutationsdelasociétéfrançaise.L’étatdessavoirs,MariePoinsot,SergeWeber(eds),Paris,LaDécouverte,2014,pp.131-140.176GérardRobuchon,«PratiquessocialesetpratiquesreligieusesdesTamoulsauSacré-CœurdeParis»,inMarcH.Piault(ed.)Versdessociétéspluriculturelles:étudescomparativesetsituationenFrance,Paris,ORSTOM,1987,pp.332.

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également pour d’autres diasporas hindoues et tamoulesinstalléessurd’autrescontinents.177Enunedécennie,plusieurstempleshindouistessontérigésà Paris et en Ile-de-France; les seize sacrements quimarquent lesdifférentesétapesde lavieà lamortysontcélébrés - le premier est destiné au fœtus lors de sa vieintra-utérine,ledernierestadministréaudéfunt.Parmilesquatorze templeshindouistes franciliens,11ontétébâtispar lacommunauté tamouleréfugiéeenFrance lorsde laguerre civile du Sri-Lanka.178Ainsi, «en construisant untempledanssonpaysd’accueil,lacommunautétamouleensituation de diaspora bâtit-elle non seulement un lieureligieux, mais également un des principaux élémentsconstitutifsdesonidentité.»179L’érectiondecesquatorzetemples témoigned’une installationdurable dans le paysd’accueiletd’uneferveurquantausouhaitdesmigrantsdepratiquerleurreligion.

1.2.1.LesTamoulsdeSri-LankaEn situation de migration, l’intensification de «la

pratique religieusedesTamoulsest considéréecomme lerésultat de l’appartenance à un groupe minoritaire dansunesociétéquel’onditsouventlaïque…ouilestimportantde se distinguer pour exister en tant que groupesingulier».180Toutefois, l’intensification de cette pratique177ÀproposdutempledeMurugandeMontréalconstruitparlestamoulshindous,cf.MarkBradley,Pierre-YvesTrouillet,«Letempleetlesdéfunts»,Hommesetmigrations[enligne],1291|2011,misenlignele31décembre2013,consultéle21janvier2015.URL:http://hommesmigrations.revues.org/687178Ceconflit(1983-2009)opposelamajoritécinghalaisebouddhiste(74%delapopulation)àlaminoritétamoulehindoue(18%),dontl’organisationséparatiste(LiberationTigersofTamilEelam,LTTE)luttepourunÉtatindépendantdanslenord-estduSriLanka.Ceconflitacauséplusde70.000mortsdepuis1972.179MarkBradley,Pierre-YvesTrouillet,op.cit.180AnthonyGoreau-Ponceaud,op.cit.,2011,p.36.

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religieuse n’interdit pas l’intégration d’élémentssyncrétiquescommeentémoignentlesautelsdomestiquesérigéspar lesmigrantsdeLondres,deParisoud’ailleurs.Aux côtés des représentations de divinités hindoues,trônent en bonne place une effigie de la Vierge Marie(rapportéed’unpèlerinageeffectuéàLourdes,ChartresouLisieux)ouencoreunexemplairede laBible.Honoréeenvéritable déesse locale, figure de la déification de laféminité, l’Immaculée Conception représente la puretévirginale de la futuremariée en devenir dematernité.181«LesmigrantsIndienssesonttrèsrapidementappropriés,sil’onpeutdire,laViergeMarie.Ilsvouentégalementunculteà la Vierge de Velankanni à laquelle ils attribuent denombreuxdons.»182Despèlerinagessontorganisésausanctuairede laViergede Velankanni dénommée Arokkiya Mata (Mère de laBonne santé), dans ce village multiconfessionnel(catholicisme, hindouisme, islamisme) qualifié de«Lourdes of the East». La réputation de cette Vierge estbâtiesurl’authenticitéde[ses]apparitionsenInde,surlareconnaissance [de son] pouvoir thérapeutique ainsi quesur la forte fréquentation pèlerine… la basilique possèdeunedimensionnationaledufaitqu’ellereçoivelavisitedeschrétiens et des hindous de toutes castes et de toutesrégions…»183Construiten1985dansleXèmearrondissementparisienaumilieud’un territoire investipar lesTamoulsSri-Lankais,

181GérardRobuchon,«Étagèresàbonsdieux.Autelsdomestiquestamoulsenimmigration»,Textesd’anthropologieurbaineoffertsàJacquesGutwirth,réunisparColettePétonnetetYvesDelaporte,Paris,L’Harmattan,1993,pp.127-38.182Extraitsd’entretien,Paris,2015.183BrigitteSébastia,«Mariayamman-Mariyamman»,https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00278291

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le temple tamoul Sri Manicka Vinayakar Alayam, estaujourd’hui installé rue Pajol dans le XVIIIèmearrondissement. Il est l’un des premiers lieux de cultehindouiste fréquentés par les Sri-Lankais. Son fondateurgérant et propriétaire, le Sri-Lankais VaitililgamSanderaskaram,estarrivéenFranceen1975.Surplusde100m2, les statues des trois principales divinités (Shiva,Ganesh, Murugan) sont installées; au centre de la pièceune colonne de bois (koderamam) «transmet les prièresauxdivinités»(VaitililgamSanderaskaram); troisprêtres(pûjârî) brahmanes sri-lankais y officientpouruneduréedetroisansavantderepartiràJaffna,MaduraiouChennai.Ce n’est pas sans fierté que Vaitililgam Sanderaskaramaimeàpréciserqu’ilestleseulàavoireul’autorisationdelaPréfectured’organiser la fête annuelle en l’honneurdeGanesh.

1.2.2. Les hindous d’origine mauricienne etcomorienne

Unsecond lieudecultehindouisteparisienestportéparL’associationDharmaSangh, soit le termedharmaquisignifie en sanskrit «soutien», et le terme sangh quisignifie la «communauté». Cette association a pourobjectif la diffusion de la culture indienne, dans sesdimensions religieuse, spirituelle et culturelle. Situé ruedesPetitsÉcuriesdansleXèmearrondissementdeParis,lecentre spirituel a été fondé il y a 25 années par PanditVishwanath Shastri, brahmane originaire de la région deVârânasî (Bénarès), initiateur et responsable del’Association depuis plus de 25 ans. De nombreusescérémonies (puja) y sont célébrées, des enseignementsspirituelsetculturelsysontdispensés.

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Dansunesalled’unetrentainedemètres2situéeensous-sol, lesstatuesdenombreusesdivinitéssont installéesdefaçonàpermettreàchacundes’ytenirpouruntempsdeprièreoudeméditation.PanditVishwanathShastriexerceune fonction de guide, d’accompagnateur et d’enseignanttoutau longde la semainedans l’enceintedu temple; enfinde semaine, il se rendaudomiciledesmembresde lacommunautéenfonctiondeleursdemandesetdesbesoinsnotammentàl’occasionderituelsfunéraires.Sa profonde connaissance de la tradition hindoue (Veda,Pûrana, Tantra, Bhakti…), de ses textes sacrés et de sessciences traditionnelles, est à la disposition de tous ceuxqui souhaitent réfléchir aux choix et orientations de leurvie. Tous au long de la journée, lors de nos temps deprésencedans le temple,desmembresdescommunautésmajoritairementd’origineindienneetmauricienneoudesconvertisviennentserecueillir,prendreconseilauprèsduprêtreouencore fairedesoffrandesauxdivinitésde leurchoix. Rappelons que selon la conception hindoue, unedivinitéestvivanteetdece faitnécessited’êtretraitéeetnourriecommeunepersonnehumaine.D’autreshindous,ainsi que des personnes d’autres confessions, viennentpourserecueillirouencoredespersonnesquiapprécientles valeurs des quatre livres sacrés védiques ou qui sontséduites par l’ouverture et la liberté que l’hindouismeprodigue. «Au temple, il y a aussi des bouddhistes, desmusulmans,desgensdetouteslesconfessions.Tousceuxquiveulent prier, méditer ou demander de l’aide, unaccompagnement individuel sont les bienvenus» nousconfie Pandit Vishwanath Shastri, prêtre brahmaneresponsabledutemple.

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1.2.3. Fête de Ganesh, une occasion de redire les

appartenancesComme nous l’avons dit précédemment, en situation

de migration la communauté hindoue, dans toute sadiversité, réitère à l’occasion des fêtes religieuses sesappartenances identitaireetculturelle (lepaysd’origine),religieuse (hindouisme) et politique (l’appartenance à unmouvement de revendication notamment pour lesTamoulsSri-Lankais).LafêtedeGaneshenoffrel’occasion.Depuis1996,leparcoursdelaprocession,commesadate,restent inchangés (dernier week-end d’août). Toutes lesrues autour du métro La Chapelle sont décorées deguirlandesdefleursenpapier;lescommerçantss’affairentautourdeleurboutique,installantdestablesetdeschaisessur les trottoirspour la famille, les amis et les clients. Lamusiquebatsonplein;touslesvingtmètres,lesenceintesrelaient chants et discours du commentateur. Après untemps de recueillement au temple, de bénédictions etd’offrandesàGaneshenmilieudematinée,de11hà15h,des danseurs et danseuses ouvrent le passage devant lechardudieuGanesh,leplusvénéréenInde.Ledieuàtêted’éléphant est le dieu de la sagesse, de l’intelligence, del’éducationetdelaprudencequiaideàleverlesobstacles.Il est le patron des écoles et des travailleurs. Le dieuGaneshestpromenédanslesruesquiavoisinentletemple,des rues investies par les commerces dont les nomsreprennentceuxdedivinité,delieuxoudetempsfortsdel’histoiredel’Inde:«Letempsdelafête,letempsritualiséde la procession permet une délimitation sanctifiante de

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l’espaceetdutempsetpermetdesortirdeladiscrétionetdeserendrevisibleauxyeuxdetous.»184

(Source: Anthony Goreau-Ponceaud,

2009:60)Au-delà des divisions, la fête exprime une appartenancecommunautaire qui rassemble l’ensemble des Tamouls,quelle que soit leur identité confessionnelle: s’yretrouvent des catholiques, des hindous, desmusulmans,desSriLankais,desPondichériens,desMauriciensoudesRéunionnais.2. Hindouisme et rituels funéraires dans les paysd’origine

184AnthonyGoreau-Ponceaud,«LaChapelle:unthéâtremonde»,E-Migrinter,2009,n°4,p.65.

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Comme nous l’avonsmentionné en introduction de cetteétude,c’estbienàl’Estdel’Indusquesetrouveleberceaudesreligionsd’Extrême-Orientparmilesquellesoncomptel’hindouismeetlebouddhismequitoutesdeuxprônentunrituel funéraire centré autour de la crémation.L’hindouismeconsidèrequelacrémationpermetledépartdu Soi (l’un de trois corps de l’individu, aussi appelé«âtman») 185 du défunt, dans l’essence universelle,autrementdit «dans les cinqéléments»que sont l’éther,l’air, le feu, l’eau et la terre- le Soi («âtman») quittel’enveloppe corporelle pour renaître dans une autreenveloppe corporelle. Notons que les spécialistes del’hindouisme insistent sur le fait que les textes sacrésprécisent que l’«âtman» (le Soi) ne meurt pas; seul lecorpspérit.Danslapenséehindoue,c’estparlacrémationque l’homme fait de lui-même«sadernièreoffrande».186Suivant les sources que nous avons pu consulter et lesentretiens réalisés, au-delà des temps forts que sont lapurification du corps du défunt, la crémation, lescérémonies de prières et de méditation, il existe unegrande diversité dans le déroulement des rituels suivantqu’il est pratiqué dans tel ou tel pays, dans telle ou tellerégiondusous-continentIndienouencoredansunezoneruraleouunezoneurbaine;c’estprécisémentl’empreinteduculturelsurlereligieux.Danslatraditionhindoueanciennetellequ’elleestdécritedans les textesvédiques (etplusprécisémentdans leRig185Rappelonsquel’hindouismereconnaîtenchaqueêtrehumainl’existencedetroiscorps:lecorpsgrossier(quidésignel’organismephysique),lecorpssubtil(quicorrespondàl’énergievitale)etlecorpscausal(l’«âtman»,leSoi).186YséTardan-Masquelier,L’hindouisme.Desoriginesvédiquesauxcourantscontemporains,Paris,Bayard,1999.

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Veda),lamortn’estpasunefinmaisunétattransitoire.Dece fait, elle n’est pas une préoccupation au sens où lacroyanceveutqueledéfuntrenaisseailleurs,qu’ilaitdéjàune pré-existence. La mort est pensée comme unedisparition momentanée de la terre dans la mesure où«l’âtman, le “Soi” s’en va revivre ailleurs».187Ainsi dansles textes anciens, le défunt «rejoint ses ancêtres auprèsde Yama, le dieu de la mort, qui est aussi le premierhumainàêtreentrédanslamort».188Les historiens des religions considèrent que les idées denaissance et de réincarnation n’apparaissent dans latraditionhindouequ’auxVIIèmeetVIèmesiècleavantJésus-Christ. Aussi pour un croyant, l’important est alors deparveniràbriserlachaînedesrenaissances,às’émanciperdelavie,àsortirdel’existenceterrestre.Ainsilesacrificeoccupe une place centrale dans l’hindouisme dans lamesure où par sa naissance, l’homme naît «comme unedate due à la mort… autrement dit, se racheter etdisparaîtrenefontqu’un».1892.1.Descriptiond’unecérémoniefunéraireàSriLankaDanslespaysdusous-continentIndien,ledécèsintervientdansunelargemajoritédecasàlamaison,etledéfuntestentouréparsafamille.Pourlesvivantsetparticulièrementpour la famille, le corps du mort est source d’impureté.Pour s’enprotéger, une sériedegestes etdeprièresdoitêtreaccomplieparlesprochesdudéfunt.

187BrigitteTison,«Lamortdanslatraditionhindoue»,Lamort.Cequ’endisentlesreligions,PhilippeGaudin(dir.),Paris,Leséditionsdel’Atelier,2001,p.117.188BrigitteTison,op.cit.,p.119.189BrigitteTison,op.cit.,p112.

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Parmi eux, un responsable (kartta) est désigné pourassurer lebondéroulementde toutes lesétapesdurituelfunérairequis’écoulentsurquatresemaines,soitbienau-delàdutempsdelacrémation.Lekarttaestunmembredela famillenucléaire, cepeutêtreundescendant (filsainé,fille),unmembredelafratrie(frère),ouencoreleconjoint.Par cette fonction, il devient le «responsable duperfectionnementdel’âmedudéfunt…ilaccomplittouslesactesprescritsaunomdetouslesendeuillés»190.C’estàlafamille que revient la charge de procéder à la toilette ducorps, à sa purification et à son enveloppement dans unlingeblancpourleshommesetlesfemmesquisontveuveset dans un linceul rouge pour les autres femmes. «Lasemainedernièrej’aidurentrerenIndepourlesfunéraillesde mon père. Mon frère ainé a tout organisé. Nous avonsoffert à ma mère un grand sari blanc, vêtement de deuil.C’estnotrefaçondeluidirequec’estànotretourdeprendresoind’elle.Nousavonsfaituneveilléeautourdeladépouilledemonpère.»191Lafamillerécitedesprièresauchevetdudéfuntquinedoit jamaisêtrelaisséseul:«Desparentsetdes proches sont venus prier et lui rendre un dernierhommage. Vêtue de son sari blanc,mamère a déposé sonalliancedansunrécipientdelait.Maintenant,jemesouviensdecegesteanodinmaisétrangedemamère;surlemomentje n’ai pas pensé à lui en demander la signification».192Pendantun jouroudeux, le tempsque toute laparentèleseréunisse,onnecuisineplusettoutelanourriturequiestconsomméedanslamaisonprovientdel’extérieurcarlesfeuxnepeuventêtreallumés.190MarkBradley,Pierre-YvesTrouillet,«Letempleetlesdéfunts»,Hommesetmigrations[enligne],1291|2011,misenlignele31décembre2013,consultéle21janvier2015.URL:http://hommesmigrations.revues.org/687191AravindAppadurai,sri-lankais,extraitsd’entretien,2015.192Ibidem.

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Le jourde lacrémation, lacérémoniedébuteà l’extérieurde la maison du défunt – le kartta procède à lasanctificationdel’âmedudéfuntparuneoblationaufeuàcôtédu cercueil ouvert. Lesparentsprochesdéposentdel’huile de sésame sur le front du défunt. Les croyantsconsidèrent que l’âme se tient à l’extérieur du corps dudéfunt; elleobserve la cérémonie grâce àunmiroir tenuau-dessusducercueilparunassistant.Autourducercueil,les proches portent des flambeaux tandis que leresponsable se tient près du foyer sacrificiel, un grandpilon à lamain au dessus d’unmortier rempli d’huile desésame et de curcuma. L’assistance chante des hymnesmortuairesentrelescouplets,leresponsablefrappedesonpilonlecontenudumortier.Chacunvientfairesesadieuxau défunt avant le départ du corps sur le terrain decrémation.C’estprécisémentàcetinstantquelafemmedudéfunt dépose son collier de mariage entre les mainsjointesdesonmari.Alorsquelecortègeprendladirectiondufoyersacrificiel,deslaizesdecotonblancsontétenduesdevantlecercueil;aussitôt franchies, elles sont récupérées puis de nouveauétenduesdevantlecercueil.L’opérationestrenouveléesurtoute ladistancequisépare lamaisondu foyer.Certainesfamilles rémunèrent un orchestre de musiciens et depercussionnistes.Arrivésàl’emplacementdulieudelacrémationsituéprèsd’une eau courante (fleuve, rivière), les porteurs en fonttrois fois le touravantdedéposer le cercueil.En IndeduSud,leprêtreproposeàplusieursreprisesauxprochesderegarderunedernièrefois levisagedudéfuntavantdelerecouvrird’unlingeblanc.

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AuSri-Lanka,c’estaukarttaquerevient laresponsabilitéd’embraser le brasier. Chacun jette des bâtons d’encens,des fleurs, des bougies dans le foyer. Ce responsables’exécute de dos sans regarder le foyer et sans seretourneravantdequitter les lieuxet tout le cortège faitde même. En Inde, l’homme (dom) qui allume le feuappartient à une caste particulière. Le brahmane retiretrois morceaux de bois du bûcher tout en récitant cesvœux,extraitsdesupanishads:«Quel’œilailleausoleil,lesouffleauvent,vadanslecieldanslaterreconformémentaux règles, va dans les eaux si telle est ta destinée, entredanslesplantesavectesmembres».193Lefeuestravivépardesaspersionsdebeurreclarifié.Puis,lekarttas’écarteauprofitducrémateurquis’assureradudéroulement complet de la crémation. En Inde, lesossements non consumés sont lavés avec de l’eau, ducurcumaetdulaitdecoco;ceuxquinesontpasjetésdansla rivière sont placés dans l’urne avec les cendres. Lesbijouxdumortsontrécupéréssurlesol.Le kartta doit ensuite collecter les cendres qu’il répartitdansdeuxrécipientsdeterrecuitedetaillesdifférentesetauquel il prend soin d’ajouter quelquesmorceaux d’os. Ilavancedansl’eaupuislaissetomberpardessussonépaulele plus grand des deux pots cinéraires. Le plus petit estapportédanslamaisondudéfuntoùilestconservétoutletempsquedurelapériodededeuil.Ainsiladispersiondescendressefaitendeuxtemps.Arrivésàlamaison,deuxritesrestentàaccomplir:193Cesontdestextesanciens,écritsauVIIèmeetVIèmeav.Jésus-Christ,oùmentionestfaitedelaréincarnation.

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- Des ablutions d’eau sont pratiquées par les prochesdu défunt ainsi que le change de vêtements car lecorps du mort est considéré comme impur. Il s’agitdonc d’actions de nature purificatrice et nonhygiénique. Pour certains hindous, il participe ausside la nécessité de se «purifier des actionstransgressivesetdechasserlemauvaisœil».

- Au Sri Lanka, la famille doit également enjamber lepilon (utilisé lors de la crémation) qui a été posé ausol, de franchir un seuil symbolique. Pour lacommunautédesvivants,cesdeuxactionsontvaleurderited’intégration.

Puis, les dix jours suivants, des cérémonies d’offrandessont pratiquées par la famille: «offrir une boule de rizreprésentantunepartieducorpsaunomdudéfunt;unefoisquelecorpsestreconstitué,onyinsufflel’espritvitalet on lui fait des offrandes de nourriture. Ainsi on luipermetderejoindrelesancêtresetlesdieux».194ÀSriLanka,unecérémonied’offrandesalieule30èmejoursuivant le décès. À proximité d’un cours d’eau, cettecérémonied’adieux est orchestréepar leprêtrequi, avecdes herbes sacrées, confectionne une représentationsymbolique du défunt. Après la récitation de prières, leprêtremélange lescendresdecetteeffigiebruléeàcellesdudéfunt,déjàplacéesdanslepetitrécipientdeterrecuiteconservéàlamaison.Puislekarttapratiqueunenouvelledispersiondescendres, cette foisavec la secondeurne. Ilpénètredansl’eauetlaissechoirlerécipientaudessusdeson épaule (comme il l’avait fait après la cérémonie decrémation).

194BrigitteTison,op.cit.,p107.

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Unanplus tard, le jouranniversairedudécès,onprévoitune cérémonie d’offrandes en souvenir du mort. Desossements du défunt conservés sont alors purifiées avecde l’eau parfumée. C’est ainsi que le défunt devient unancêtrebienveillant.Pendantplusieursannées,desprêtresserontinvitéspourunecérémonied’offrandesderepas.2.2. Déroulement du rituel funéraire contemporain(HimalayaindienetSudcôtier)195Les rituels funéraires sont organisés de telle sorte qu’ilss’adressent respectivement aux trois composantes quiconstituent la personne et que les rituels viennentdisjoindre. Chacune de ces composantes fait l’objet d’untraitement spécifique: le corps (sharir), l’âme-image (jiv-atman),lesouffle(prana).Aucoursdel’agonie,lesprochesviennentl’entourerpourl’encourageràprier,àméditer,àeffectuer dix dons qui visent à reconnaître et neutraliserles effets négatifs de ses actes passés, à le préparer aupassage.Lesdernièresparolesdelapersonnesontnotées.Unefoisdécédé,ledéfuntestposéàterre; lescuisinesettouslesfeuxdelamaisonsontéteints.Toutelamaisonestalors frappée d’impureté. Les femmesmariées qui viventdans lamaisoneffectuent le lavageducorps, l’onctiondufront avec de la pâte de santal et de safran; ellesappliquentdubeurreclarifiédanstouslesorificesdesonvisageavantdel’envelopperdansunlinceul.

195Jean-ClaudeGaley,«LamortenInde»,Lamortetsesau-delà,MauriceGodelier(éd.),Paris,CNRSéd.,2014,pp.241-274.

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Puis le corps est porté sur une litière jusqu’au limite duvillageaccompagnédeslamentationsdetous,entouréparles femmes qui sont nées dans lamaison du défuntmaisqui l’ont quittée pour rejoindre celle de leur mari. Unprêtre accompagné du fils aîné se placent en tête ducortège, suivis desmusiciens, puis du reste des hommes.Ils se rendent jusqu’au lieu de crémation; la litière estdéposée sur le bûcher. Portant une torche enflammée, lefils aîné fait trois tours dans le sens inverse des aiguillesd’une montre autour du bûcher auquel il met le feu.Quelquesminutesplustard,avecuneperchedebambouleprêtrefrappelaboîtecrâniennedudéfuntpourpermettreà l’espritdudéfuntd’en sortir sous la formed’unepetiteflammebleue.Unefoislibéréedesonenveloppephysique,cetteâmedoitêtrenourrie,abreuvée,refroidieavantderéincorporeruneautreenveloppephysique.Siteln’étaitpaslecas,ledéfuntserait condamné à demeurer un spectre errant etdangereux.C’estauprêtrequerevientcettefonction:pourcefaire,ilentretientlaflammed’unelampeàhuilealluméepour la capter, réapprovisionner une cruche percée etrenouvelerlesnourritures.En signe d’impureté lesmembres de la famille du défuntontlecrâneraséparunbarbierpuisnouéd’unturbanparleprêtre.Lescendressontrecueilliesetplacéesdansuneurne puis, par la suite, sont dispersées dans une rivière.Lesos àdemi calcinés sont récupéréspour être inhumésderrière la maison dans le même emplacement où sontenterrés les placentas des nouveau-nés. Sur le site decrémation,lefilsaînérécupèreunepierrequ’ildéposeraàla limite des terres cultivées du village dans unemplacement appelé «pierres des ancêtres». Sur le

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chemin du retour du lieu de crémation, les membres ducortège brouilleront les pistes qui mènent au village enabandonnant derrière eux des branches d’épineux et desfils de coton blanc pour tromper l’âme qui pourrait êtretentéedelessuivre.Puis un ensemble de rituels qui constitue le «cycle de laconfiance» est organisé au cours de la semaine ou destreize joursquisuivent ledécès. Ils’agitdeconstruireuncorpsd’ancêtrepourredonneraumortunnouveaustatutde personne, pour le faire passer de l’état de spectreimmatériel(prêt)àceluidemâne(pitr).Onconstruitunenouvelle composante corporelle destinée à recevoir etabriter cette ombre-esprit incomplète et dangereuse; ilfautàtoutprixéviterqu’ellenes’échappeetnedevienneune puissance maléfique qui pourrait être captée par lasorcellerieetutiliséepourpersécuter lesvivants.Pourcefaire, le fils aîné offre trois boulettes aux trois aînésascendants immédiats et masculins de son lignage. Cesboulettes sont composées de riz cru et concassé ou defarined’orge.Unequatrièmeboulettereprésenteledéfunt.Cette boulette est divisée en trois puis chaque tiers estmiseàcôtéd’unedestroisautresboulettesdestinéesauxascendants. Enfin toutes les boulettes sont amalgaméespour n’en faire qu’une; celle-ci sera ensuite immergéedansunerivière.Ce faisant, lemort rejoint lesmorts (lesascendants) au cours de cet ensemble de séquencesintitulé«rendrelemort»quiviseàreconduirelarelation,le liend’appartenanceà lamêmesubstancequecelledesascendantsconsanguinsdisparus.Jusqu’à présent, le fils aîné était identifié au mort et àl’impureté qui marque la famille. Aussi prend-il son

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premierbainrituelpours’endisjoindre.Lespréparationsalimentaires sont encore proscrites pour toute la famillequi est nourrie par les voisins; un Brahmane vientégalement cuisiner pour la famille qui ne peut alorsconsommerquedesingrédientsnon-grasetnon-salés.Lesvêtements et affaires du défunt sont donnés à desbrahmanes qui les acceptent en échange d’unerémunération. Pendant plus d’un an, aucune fête nimariage ne peut être célébré dans le village. Un repasoffertparlafamilleauxBrahmanesvientmettreuntermeàcetteinterdictioncommeàlapériodededeuil.3. Adaptation des rites funéraires hindouistes ensituationdemigration

Voyons maintenant ce qu’il en est des cérémoniesfunérairesensituationdemigrationsurlecontinentnordaméricain. Grâce à une fine observation ethnographiqueréalisée Mark Bradly et Pierre-Yves Trouillet à Montréallorsd’unecérémoniefunérairedeSri-Lankais,nousavonspuprendreconnaissancedudéroulementduritefunérairepratiquéensituationmigratoireparunefamillehindouistequébecoise.196Danscetteétude,leschercheursmettentaujour lesmodalitésde transformationduriteauregarddela législation québécoise; les matériaux apportéspermettent de mettre au jour les continuités etdiscontinuitésdesactesquicomposent l’ensembledurite

196NousempruntonsàMarkBradlyetPierre-YvesTrouilletcettedescriptiondecerituelfunérairequis’esttenuàMontréal,«Letempleetlesdéfunts»,Hommesetmigrations[enligne],1291|2011,misenlignele31décembre2013,consultéle21janvier2015.URL:http://hommesmigrations.revues.org/687

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funéraire réalisé à Québec au regard de ceux effectuésdanslepaysd’origine.3.1. Adaptation des rituels funéraires hindous en situationmigratoireàQuébecLorsqueledécèsalieuaudomiciledelapersonne,c’estàla famille, souvent accompagnéed’unprêtre (pujari), querevient le premier traitement du corps qui correspond àceluidécritprécédemment.Toutefois,certainsservicesdepompesfunèbresmettentàladispositiondelafamilleunesallepourlatoiletterituelledudéfuntetlapréparationducorpsenvuede sonexposition.La législationquébécoiseimpose un directeur de funérailles ainsi quel’embaumement systématique du corps, obligation àlaquelle les hindous en situation de migration doiventdonc se plier bien que cette obligation soit totalementétrangèreauxritesfunéraireshindous.Onnoteégalementun déplacement du rituel de sanctification du défunt quin’a plus lieu au domicile du défunt mais dans le salonfunéraire.À proximité du cercueil, le prêtre officiant circonscrit unespaceoùseradisposéundrapblancrappelant les laizesdecoton.Leprêtreutilise«touslesproduitsnécessairesàl’oblationpar le feu: foyer,noixdecoco,beurreclarifié…etparfoiségalementducamphre,desherbesetdel’encensàbrûler… l’applicationd’huile sur le frontestmaintenue,demêmequel’usagedumiroir.Parentsetamisdéposentdes guirlandes dans le cercueil et du riz jaune sur labouchedudéfunt.Lespiècesdemonnaiesurlespaupièresontétéremplacéespardespétalesdefleur,etlapréséance

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des hommes n’est plus respectée.»197 Les chants sontentonnés et, à chaque couplet, le responsable (kartta)frappesonpilondansunmortier;lesprochessetiennentautourducercueil,avecàlamainunbâtond’encensouunfeudeBengaleplutôtqu’unflambeau.Uneautremodification tient au fait que«les visiteursneprennent plus systématiquement soin de se déchausserdans le salon mortuaire, que le kartta n’a plus la têtesystématiquement rasée et enfin qu’il est parfoisaccompagné d’acolytes avec lequel il se partage lestâches».198Cette modification a notamment été observéechezdesmembresde la jeunegénération,moins ferventsdanslerespectduculte.Le parcours du cortège est réduit au passage du salonfunéraire à la salle où se trouve le four crématoire. Lesporteurs sont parfois desparents oudes amisdudéfunt.Le lancer de pétales sur le cercueil à son passage estmaintenuets’ilnepeutplusêtreportétroisfoisautourdubucher comme c’est le cas à Sri Lanka, les porteurstournent trois fois le cercueil devant la porte du fourcrématoire. À la demande des familles qui ne souhaitentpas que des cendres de bois soient mêlées à cellescinéraires, la dépouille est parfois transférée dans uncercueildecarton.Certains crématoriumsautorisent lekartta à actionner leboutond’allumagedufour,respectantainsisonrôledansl’allumage du foyer dans le pays d’origine. Toujours parrespect de la tradition, il arrive que le personnel du197MarkBradlyetPierre-YvesTrouillet,op.cit.198MarkBradlyetPierre-YvesTrouillet,op.cit.

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crématoriumautorise la familleàdéposerunepastilledecamphresurlecercueilavantsalenteintroductiondanslefour. Le camphre représente l’âme qui dans le feu de laconnaissance s’immerge dans l’Absolu. Il symbolise lemental de l’individu tant au niveau conscientqu’inconscient.«La coutume de disposer des restes en deux temps neparaîtpassouventsuivie»etlacollecten’estplusl’affairedu kartta mais bien celle du responsable del’établissement. Il semble que certaines familles laissentl’urneendépôtpendantplusieursmois,espérantpouvoirprofiterd’un séjour au Sri Lankapour lesdisperserdansuncoursd’eau.Maisdans lamajoritédescas, les famillesorganisent la dispersion des cendres dans le port deMontréal. Précisons que chaque municipalité québécoisepeut édicter sa propre réglementation quant à ladispersiondescendres.À Montréal, la cérémonie d’adieux incluant la secondedispersiondescendrescinéraires(mélangede l’effigiedudéfunt et des cendres contenues dans le plus petitrécipient)estfaiteparlekarttaquiverselescendresdansuncoursd’eau.3.2.AdaptationdesritesfunéraireshindouistesensituationdemigrationenrégionfrancilienneLorsque le décès survient au domicile de la personne, lafamille fait appel au prêtre (pujari) qui vient réciter desprières.ChezlesTamouls,ondistinguedeuxcatégoriesdepujari, le premier officie uniquement dans l’enceinte dutemple (gorin en langue tamoule) et n’est pas destiné àaccomplirdesprièresà l’extérieurdece lieu– ilporteun

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fil blanc sur sonvêtement en guisede signedistinctif. Lesecondsortdutemplepourserendreaudomicilepourycélébrer des cérémonies, notamment des cérémoniesfunéraires, pour lesquelles il a reçu une formationparticulière.Lorsqueledéfuntmeurtàsondomicile,latoiletterituelleestassuréeparlefilsainélorsqueledéfuntestlepèredefamille;enrevanchec’est lebenjaminde la fratriequisechargedelatoiletterituellelorsqueladéfunteestlamèredefamille–notonsquelesfemmesneprennentjamaisenchargecerituel.Lecorpsestlavéavecdeseauxparfuméesetointdebeurreavantd’êtreenroulédansunlinceulblancourouge.Pourpurifierlecorps,ondéposedescendressurle front ainsi que des gouttes d’eau. Sur sa bouche, sesyeux, ses oreilles et ses narines des feuilles de basilic(«tulasi») sont déposées. On reconnaît au basilic lapropriété d’ouvrir le cœur et l’esprit, d’augmenterl’énergie de l’amour et de la dévotion. Consacrée àVishnou,cetteplanterenforcelafoi, lacompassionetlaclarté intellectuelle.Précisonsqu’ilnes’agitenaucuncas d’un traitement de conservation du corps quirelèverait de la thanatopraxiepuisque le corpsdudéfuntdoit être brûlé pour permettre la libération de l’«âme»par le dessus du crâne, raison pour laquelle la tête dudéfunt est rasée. On dépose sur les pieds des fleurs, etentresesmainslecollierdemariageoffertlorsdumariagesitelétaitlestatutmatrimonialdelapersonne.Une fois purifié, le corps est couché sur le côté le visagetournéverslesudetunebougieestplacéederrièrelatêtepourattirerl’âmedudéfuntàl’extérieurducorps;devantsonvisage,oninstallel’effigiedesadivinitépréférée.Tout

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est fait pour apaiser le défunt, lui éviter toute pensée etémotion qui viendraient le perturber et qui auraient uneincidencenéfastesurledevenirdesonâme.Uneveilléeestorganisée en présence du prêtre. Pour pouvoir êtreexposé, il est impératifque le corpsaitétépurifié,que leprêtre ait pu accompagner le défunt par des prières.Parfois la famille loue une salle où sera organisée uneveilléeautourducercueil.«Lorsquelecorpsaétémisdanslecercueiletqu’iln’apuêtrepurifiéavantquelecercueilnesoitfermé,c’estsurlavitrequisertdecouvercleaucercueilque le rituel de purification sera réalisé dans le salonfunéraireducrématorium».199Lorsqueledécèsalieuàl’hôpital,unepremièretoiletteestassurée par le personnel médical. Puis le corps esttransféréaudomiciledudéfuntoùunetoiletterituelleesteffectuéeparleprêtre(pujari).L’annonce du décès se fait par voie d’affiche dans lesmagasins du quartier du défunt ainsi que sur des sitesinternet–leplusconnuétantLankasriNoticequiregroupedesannoncesdetousleshindousàtraverslemondeetquiesttrèsconsulté.Quisepromèneavecunœilavertidanslequartier de La Chapelle pourra observer ces nombreusesaffichescolléessurlesvitresdescommerces.Pourchaquepersonne,untexteestpubliéentamoule(lorsqu’ils’agitdeson groupe d’appartenance) annonçant le lieu du décès,sesdatesdenaissanceetdemort.En Inde, l’annonceparvoie d’affichage est très pratiquée dans les quartiers debassecaste.

199Extraitsd’entretien,Charmasa,Sri-lankaise,juin2015.

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La crémationdu corpsa lieudans l’undes crématoriumsde la région francilienne (Paris, Nanterre, Villetaneuse,Montfermeil,…). Aujourd’hui, à la différence de ce qui sefaisait traditionnellement où la cérémonie de crémationétait uniquement réservée aux hommes, les femmes etenfantssontprésents.Danslecrématorium,unephotodudéfuntestplacéeàcôtéducercueil,ainsiqu’uneguirlandede fleurs. Des bâtons d’encens brûlentmais il ne semblepas que le camphre soit utilisé lors de la crémation elle-même. Il ne semblepasnonplusque soit rendupossiblel’allumage du four par le responsable de la cérémoniedésignéeparlafamille(karrta).Lecalculrituelquiorchestrelescérémoniesàvenirsefaitàcompterdujourdel’incinération.Pendantles7premiersjours, la famille ne quitte pas le domicile; l’interdit depréparation culinaire est respecté - la nourriture estapportée par les proches. Des cérémonies se tiennentpendant 13 jours après le décès. Le 28ème jour, l’urne estrapportée au domicile et le 31ème jour, la dispersion estorganisée.Auregarddel’interdictionjuridiquerécentedepratiquerlaparcellisationdescendresdudéfunt,ladoubledispersion ne peut, en principe, être pratiquée. Puis le41ème jour, une nouvelle cérémonie est organisée enprésence du prêtre en l’honneur du défunt; d’autrescérémonies seront organisées chaquemois du calendrierlunaire.Aucoursdecesdifférentescérémonies,deschantsetdesprières sont récités par les participants pour soutenirl’âmedudéfuntetpouraccompagneretprotégerlafamillecar«Quandunepersonnedelafamilledécède,pournousleshindous, nous considérons qu’il y a un risque pour qued’autres personnes de son entourage meurent à leur tour.

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C’est la raison pour laquelle nous devons faire descérémonies,desprières»200.Aucoursdel’annéequisuitledécès, de nombreuses cérémonies sont organisées par lafamilledudéfunt;duranttoutecettepériode,lafamilledudéfuntnepeutniserendreautemple,niparticiperàunequelconque cérémonie festive (comme les mariages parexemple). Le jour anniversaire du décès, une nouvellecérémonieestorganiséeaudomiciledelafamille(commeau 31ème jour) et cela, chaque jour anniversaire durantplusieursannées.

3.2.1.Pratiquesfunéraires,devenirdelatradition,lieudesépultureensituationdemigration

Danslagrandemajoritédescas,lesfamilleslesmoinsfortunéesorganisent la crémationenFrance etprévoientladispersiondescendressurleterritoirefrançaisenmerouàl’embouchured’unfleuve.Cetteinformationnousestconfirmée par la responsable d’une agence de PompesfunèbrestravaillantsurParisquisetrouveencontactavecla communauté hindoue d’Ile-de-France: «Il est très rareque des rapatriements soient demandés; en revanche, lesfamilles organisent la dispersion des cendres comme lepréconise leur religion. Généralement, la dispersion se faiten Normandie notamment à Trouville ou au Havre».201L’unedenosinterlocutricessesouvientdelacérémoniededispersion des cendres d’une membre de sa famille:«Pourmatante,noussommespartispourlacoted’Azur.Ladispersion des cendres s’est fait en mer méditerranée àpartird’uneembarcation.Onn’auraitpaspulefaireàpartir

200Extraitsd’entretien,PanditVishwanathShastri,prêtre,2015.201Extraitsd’entretien,responsabled’agencedePompesFunèbresdeParis,2015.

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dubord,delacôte.C’étaitimportantquel’onaillevraimentenmer».202Selon Pandit Vishwanath Shastri, prêtre brahmaneresponsable d’un temple hindou parisien dans le Xèmearrondissement parisien, «il est rare que la familleorganiselerapatriementdescendrescarlecoûtestélevé».Toutefois, lorsqu’elle a conservé des attaches familialesdans son pays d’origine, et qu’elle en a les moyensfinanciers, elle privilégie le rapatriement de l’urnecinéraire après avoir effectué toutes les formalitésadministratives auprès de la mairie et de l’ambassadenécessaires à la levée de l’interdiction du transfert descendrespar lesservicesde l’État– rappelonsquechaquepays survolé au cours du voyage doit fournir uneautorisation de survol des cendres au dessus de sonterritoire. Le rapatriement de l’urne peut aussi êtreorganiséparl’agencedesservicesfunéraires.Grâce aux résultats d’une analyse réalisée parl’Observatoire national de la fin de vie à partir descertificats de décès effectués sur une période de 15 ans(1993-2008), on sait qu’en 2008 par exemple 57% desdécèssontsurvenusàl’hôpital,27%àdomicile,11%dansune maison de retraite et 5% dans d’autres lieux. Parconséquent, on conçoit aisément que la présenced’aumôniers des différents cultes dans les hôpitauxfranciliens puisse être d’une grande importancenotammentpouraccompagnerlesfamilles.Siletravailesten cours dans les hôpitaux franciliens, en revanche, lesétablissements en région semblent moins bien dotés

202Extraitsd’entretien,Mahaledchumy,Sri-lankaise,juin2015.

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comme en témoigne Nadine Weibel une anthropologuetravaillant en Alsace qui constate que les praticienshospitaliersconfrontésàdespatientshindousenfindeviene bénéficient d’aucune proposition de présence d’unreprésentantdeleurconfessionreligieuse(pujari).203Rappelons toutefois qu’il n’existe pas de cérémonieéquivalant aux derniers sacrements (confession,communion, onction) dans la religion hindoue. 204 Ceconstat vaut également pour les hôpitaux franciliensinterrogésquinotentque, s’il existeune aumôneriepourplusieursreligions,cen’estpaslecaspourleshindouistes.Cette réalité nous a également été confirmée par l’imamaumônier de l’hôpital d’Avicenne lors d’un entretienréaliséaveclui.Aussi,lorsqueledécèssurvientàl’hôpital,cesont lesservicesde l’hôpitalquisechargentdemettrelafamilleenrelationavecuneagence:«lorsquelemaridemon amie est décédé à l’hôpital Avicenne, c’est l’assistantesocialequiafournitouteslesinformationsnécessairespourcontacteruneagence».205Outreuneagenceparisiennequisemble proche de la communauté indienne, aucune desfamillesoudespujarisrencontrésn’ontévoquéuneagencefunéraire.QueladispersiondescendresaitlieuenFranceoudanslepaysd’origine, ellenepeut se faire sans l’autorisationdumairederemettrelescendresàlafamille.EnFrance,iln’ya pas de lieu spécifique réservé aux urnes cinéraires deshindous; aussi sont-elles provisoirement déposées dans

203NadineWeibel,«SpiritualitésindiennesenAlsace»,Diasporasindiennesenville.-HommesetMigrations,n°1268-1269,juill-octobre2007.204ElsaGisquet,AlbertineAouba,RégisAubry,EricJougla,GrégoireRey,«Oùmeurt-onenFrance?Analysedescertificatsdedécès(1993-2008)»,Bulletinépidémiologiquehebdomadaire,n°48,11décembre2012,p.547.205Extraitsd’entretien,RajkumarBahn,mai2015.

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un funérarium en attendant l’obtention de l’autorisationdelamairieoul’organisationd’unprochainvoyage.SelonPandit Vishwanath Shastri, «Après la cérémonie decrémation, lescendressontplacéesdansuncrématoriumàcôtédecellesd’autresdéfunts.D’ailleurs,nousnecherchonspasàinstallerlescendresdespratiquantshindousdécédésàl’écart de celles des défunts croyants d’autres confessionsreligieuses».206Danscecas, ladispersiondescendresse faitdans lamerou dans un des deux fleuves sacrés de l’Inde: le Gangedans lenordde l’Inde (ainsiquecertainsdesesaffluentscomme la Yamuna) ou le Krishna dans la région duMaharashtra située au Sud du Pays – les hindousattribuent au fleuve sacré la vertu de libérer l’âme desdéfunts.Lorsqueledéfuntappartientàunefamilletrèsaiséeetn’apasdeparentsprochesenFrance,ilarriveégalementquelecorps,lui-même,soitrapatriéenIndeetquel’ensembledesrituelsfunérairessoientréalisésdanslepaysd’origineselon les règles décrites précédemment mais cela nesemble pas courant: «Dans ce cas, le rapatriements’organiseavecundépartducorpsdel’hôpitalàdestinationdelavilled’origine».207Silestraditionssontunpeudifférentesentrelenordetlesuddel’Inde, l’entraideesttoujoursderigueur.Ilyaunedizaine d’années une association a été créée par le chefd’un temple de la Courneuve pour permettre lerapatriementducorpsdespersonnes isoléesdécédéesen206Extraitsd’entretien,mai2015.207Extraitsd’entretien,Charmasa,Sri-lankaise,juin2015.

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France:«cetteassociationafaitunequêteauseindetoutelacommunautépourpouvoirrapatrierlescorpsdePenjâbisans domicile fixe décédés en France de façon à ce que lacrémationetladispersionaientlieuauPendjab.»208Au cours de notre terrain, nous avons également eul’opportunité de rencontrer des catholiques convertis àl’hindouisme.Danstouslescas,cetteconversioneutlieuàlasuited’unerencontreamoureuseetd’unmariagemixte.Dans l’une des familles, le mari converti est décédé àl’hôpital:«Monami[ledéfunt]avouluquelacrémationaitlieuenFrancemaisqueladispersiondesescendressefassedans leGange. Il estdécédé il yapeuet j’aide sa femmeàrécupérer toutes les autorisations nécessaires aurapatriementdel’urnecinéraire».209L’ensemble des observations et analyses évoquéesprécédemment ont été faites grâce à des entretiens depersonnes rencontrées dans les lieux de culte, descommerces (agences de voyage, traducteur officiel,réalisateur de film, restaurateurs…) et dans notre réseaud’interconnaissance. Ces analyses ne valent que pour lescroyants qu’ils soient ou non convertis; elles concernentégalement des personnes non pratiquantes mais quirestent attachées à la tradition, à leur culture familiale.Cela ne signifie pas que ces propos valent pour tous lesmigrants Indiens. Ilnousaaussiétédonnéderencontrerdes Indiensnon croyants. L’und’entre eux est issud’unefamille de brahmane. Après ses études supérieures il adécidé de s’installer en France avec son épouse qui estFrançaise: «Je me considère agnostique bien que je sois208Extraitsd’entretien,RajkumarBahn,juin2015.209Extraitsd’entretien,RajkumarBahn,juin2015.

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d’une famille de brahmane. Mes grands-parents maternelsn’étaient pas religieux mais cela n’empêchait pas qu’unprêtre vienne à lamaison pour faire des incantations touslesmatins.Maismesgrands-parentsallaient très rarementau temple. Quant à mes parents, ils étaient croyants maispasreligieux.Monpèreétaitunhautfonctionnaire.Doncona beaucoup bougé et très tôt je suis allé dans un internattenu par des frères irlandais où tous les enseignementsavaientlieuenanglais.LaseulefêtedontjemesouviensestcelledeDiwali, la fêtedesLumières;elleesttrèspopulaireen Inde. Mais je neme souviens pas avoir été emmené autemple.Monpèreestdécédéet ilaétécrématisécommeleveut la tradition. En ce qui me concerne, je n’ai aucunevolontéet jepourraismêmedirequecelam’est totalementégal»210.** *Dans la communauté hindoue, il n’existe aucuneanticipation dans l’organisation administrative desobsèquessicen’estl’énoncédessouhaitsquantaulieudedispersion des cendres, notamment dans le cas deconvertis– il s’agit leplussouventd’occidentauxqui lorsd’un mariage mixte inter-religieux font le choix de laconversion.Touslesinterlocuteursinterrogésontexpriméunvéritablemalaiseàimaginerquel’onpuisseanticipersapropremort..Lesargumentsavancésnerelevaientnidelasuperstition ni d’une pudeur mais plutôt du fait quetraditionnellement on n’évoque pas sa propre mort par

210Extraitsd’entretien,Dilip,indienagnostique,2015.

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anticipation,ni celled’unprochede lamême façonqu’onn’enévoquepasledéroulement.Cettequestionn’apasdesensdanslamesureoùlesrituelsfunéraires hindous sont très normatifs – nosinterlocuteursnefontjamaismentiondequelqueformedepersonnalisation ce qui serait même considéré commeimpensable. Nous pouvons ici nous référer au modèleproposé par Tony Walter 211 . Rappelons que l’auteurdistingue des rituels funéraires traditionnels – que nousqualifionsdenormés -où lemortest«objetdurite»,derituels funéraires à la carte, personnalisés où lemort est«sujetdurite».212Lerituelhindouestavanttoutaffairedefamille et de communauté. Les instances religieusesorchestrent et accompagnent, la communauté socialesoutient la famille par sa présence, ses cadeaux et sesprières; la famille soutient l’âme du défunt dans sonvoyage durant une longue période de deuil. Les rituelss’adressenttoutautantaumortqu’auxvivants.Accomplirla toilette rituelle, désigner un kartta, respecter lesinterdits alimentaires et festifs et enfin préparer lesfunéraillessontautantd’étapesàaccomplirpar la famillepourassureraudéfuntunpassagesereinetpermettreàlafamilledepoursuivresontravaildedeuil.Grâceaurespectde la geste opératoire funéraire (lavage du corps,purification, prières, crémation…), le Soi («âtman») dudéfunt,aprèsavoirquittél’enveloppecorporelle,partdansl’essence universelle pour renaître dans une autreenveloppe corporelle. Ce qui prime est le processus derenaissance du Soi dans un temps qui semble davantagepensé sur le mode cyclique que sur le mode linéaire. La

211TonyWalter,1994,Therevivalofdeath,London,Routledge.212TonyWalter,ibidem.

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crémation marque la dernière offrande du défunt auxdivinités.Si les funérailles concernent ceux qui survivent, notonsqu’ils ont aussi pour fonction de «guider le défunt danssondestinpostmortem»commelesouligneLouis-VincentThomas.213Ici parler de samort, anticiper ses funéraillesestvidedesensouplutôtvaàl’encontrenonseulementdela pratique religieuse mais plus généralement despratiquesculturellestraditionnellesaussidiversessoient-elles.Onestbienloindetoutepossibleconstructionoumiseenscènedesaproprefinitude.Mêmechezlesagnostiques,lapréoccupation d’organiser ou de personnaliser ledéroulement de ses funérailles ne semble pas du toutrentrerdansleursystèmedepensée.

Bien qu’il existe une agence de pompes funèbres quitravaille plus particulièrement avec la communautéhindoue, il ne semble pas que cela résulte d’unesystématicité qui aurait donné lieu à unconventionnement,oumêmeàunepratiquegénéralisedecontrats obsèques – toutefois nous n’avons pu en avoirconfirmation car l’agence en question n’a pas souhaiténous rencontrer. Les familles, les responsablesd’associations comme les pujaris rencontrés n’ont jamaisévoquédetellespratiquesauseindeleurcommunauté.Silelieudedispersiondescendresdoitêtrepourcertainsle pays d’origine, l’important reste celui de la dispersiondans une eau courante (fleuve) ou dans la mer. La213Lamortenquestion.Tracesdemort,mortdestraces,Paris,L’Harmattan,1991,p.91.

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communauté vivant en France n’a jamais évoquél’interdictiondelaparcellisationdescendresquiempêcheladoubledispersion.Enrevanchelamortdoitresterpriseenchargeparlesvivants,lafamilleetlacommunautéetlepartage des rôles (celui dukartta) comme le respect desrituelsdedeuilsontprimordiaux

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LEBOUDDHISMESophieBobbéRappelons en préambule l’historique de la création dubouddhisme ainsi que sa spécificité au regard del’hindouisme dont il fut question dans le chapitreprécédent. L’Hindouisme est aussi le terreau dans lequelestnéleBouddhismeilyaenviron2500ansenInde,c’estpourquoi le bouddhisme est fortement imprégné desconcepts hindous. Néanmoins, ces deux religions sontvraiment différentes. Le bouddhisme est une religionhistoriqueavecunfondateurSiddhartaGautama(BouddhaSâkyamuni).CesontlesdieuxhindousIndraetBrahmâquiauraient demandé au Bouddha d’expliquer aumonde lesvéritésqu’ilvenaitdedécouvrirlorsdesonillumination.Pourlebouddhisme,lesVédasnesontpasd’originedivine,contrairementàcequeposel’hindouisme.Deplus,mêmesi le bouddhisme a conservé les notions védiques deKarma et de Samsara, il rejette énergiquement la notiond’«âtman»(leSoi):pourSiddhartaGautama,iln’yapasde Soi, ni au plan individuel ni au plan universel.Autrementdit, l’absencedeSoi, l’«anatta»(quienpâli214signifie littéralement «absence d’âtman») est tout à fait

214LepāliestlalanguedesanciennesÉcrituresdubouddhismeméridional,aujourd’huiencorepratiquéàSriLankaetdanslespaysoccidentauxdelapresqu’îleindochinoise:Birmanie,Laos,Thaïlande,Cambodge(Kampuchea).C’estunelanguelittéraire,composite,detypehautmoyen-indienoccidental,quicependantintègreunassezgrandnombredeformesorientales(«magadhismes»).Aureste,«pāli»signified’abord«ligne»,«norme»;parsuite,le«texte»sacréducanon;c’estàpartirduXVIIèmesièclequ’onvoitletermeappliquéàlalangueduvastecorpusqueconstituentlesÉcriturescanoniquesdesbouddhistestheravādin,deleurscommentairesetdestraitésquis’yrattachent.

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spécifiqueaubouddhismequidéfendl’idéed’une«fusiondansl’Un-tout».215AprèssonapparitionenIndeetavantsonexpansionetsamigrationdansd’autresrégionsasiatiques,lebouddhismeavaitdéjàcommencéàsetransformer.C’estainsiquel’onrepère trois branches qui correspondent à des èresculturellesetdesépoquesd’implantationdifférentes:- unebranchedemigrationversleSriLankaetdanslaplupart des pays d’Asie du Sud-Est (Thaïlande,Birmanie,SriLanka,Cambodge,Laos,Viêtnam).Cettebranche,nomméeLeTheravâda (ÉcoledesAnciens)seraitlaplusfidèleàl’enseignementduBouddha(lePetitVéhicule);

- une branche de migration vers la Chine où ils’implanteaucoursdu1ersièclede l’èrechrétienne.On nomme cette branche le Mahâyâna (le Grandvéhicule) qui développera son extension en Coréepuis au Japon au VIème siècle de notre ère. CettebranchedonneranaissancenotammentauxécolesdebouddhismeZen216etàl’Amidisme.

- unebranchedemigration vers lemondehimalayenpuisversl’Extrême-Orient(Mongolie,TibetetNépal)où se développe un bouddhisme de traditionhimalayennedanslequelonretrouvelebouddhismetantrique, nom d’un ensemble de textes existant enIndeetqui sedéveloppeàpartirduVIIème siècledenotreère.

215Louis-VincentThomas,Anthropologiedelamort,Paris,Payot,1975,p.501.216AlainW.Watts,1960,Lebouddhismezen,Paris,Payot.

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Grâce à sa grande plasticité et à son caractère a-dogmatique, le bouddhisme s’est nourri des traditionsculturelleslocalesdonnantainsinaissanceàunediversitéde pratiques suivant les aires d’implantation. Pour cetteraison il ne revêt pas tout à fait les mêmes pratiquessuivantlestraditionsconcernées.Aujourd’hui,onobserveunegrandediversitédetraditionsdubouddhisme.Ce constat apparaît de façon remarquable dans lebouddhisme de tradition himalayenne, le bouddhismetantrique qui est très ritualisé et introduit certainesnotions absentes ou quasi absentes du bouddhismeoriginel.Toutefoisces troisgrandes tendancespartagent lesbasesfondamentalesdeladoctrinepourcequel’onappelle«lesTrois Joyaux», soit leBouddha, sadoctrine (saLoi) et sacommunauté(lesreligieux).1. Historique de la migration de communautés sino-asiatiques(paysd’AsieduSud-Est,Japon,SriLankaetdel’airehimalayenne)Leschangementspolitiquesquionteucoursentre1975et1982ontcontraintlespopulationsduCambodge,duLaoset du Vietnam à migrer vers l’Occident. S’ils avaient eul’opportunitédemigrerversunautrepaysd’AsieSud-Est,ilestfortprobablequecesmigrantsl’auraientfait.Comptetenu de l’accueil limité que peuvent proposer Singapour,Hong-Kong comme Taïwan, les migrants chinois setournent vers d’autres terres, notamment vers «… la

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France(qui)occupaitlatroisièmeplacederrièrelesÉtats-UnismaisdevantleCanadaetl’Australie.»217LapopulationdelanguechinoisedeFrancemétropolitainese développe durant plus d’un siècle; les parcoursmigratoires varient selon les contextes historiques. C’esten 1911 que le recensement national français enregistrepourlapremièrefoislapopulationchinoiseestiméeà283ressortissants218.Pendantlapremièreguerremondiale,lapénuriedemain-d’œuvre dans les usines françaises oblige les pouvoirspublics français et le corps expéditionnaire anglais basédans le nord de la France à recourir à l’aide des paysétrangers. Grâce à un accord entre le gouvernementchinois et la Grande-Bretagne, la France et la Russie,35.000 travailleurs (ouvriers en provenance de la Chinerurale et des marchands travaillant dans les ports) sontrecrutés et envoyés en France entre 1916 et 1920.219Lapremière partie du 20ème siècle, notamment la décennie1925-1935 est marquée par l’immigration de Chinoisoriginaires du Zhejiang, une province du Sud-Est de laChine qui fuient la pénurie alimentaire (riz et blé), lafaillite dans lesmines de pierres précieuses et la densitédémographique220; ils migrent vers les pays frontaliers(Cambodge, Laos, Thaïlande, Vietnam) et les paysoccidentaux.À lamigrationéconomiqued’entredeuxguerres, succèdeune migration politique dans les années 1940 avec la

217Jean-PierreHassoun,YinhPhongTan,Lesréfugiésdel’AsieduSud-Estdelanguechinoise,RapportpourlaMissiondupatrimoineethnologique,1986,p.8.218JacquelineCosta-Lascoux,LiveYu-Sion,Paris13e:Lumièresd’Asie,Paris,Autrement,1995,p.41. 219Véronique Poisson, Franchir les frontières: le cas des Chinois en diaspora, thèse de doctorat sous ladirectiondeNancyGreen,Paris,EHESS,2004,p.12. 220VéroniquePoisson,op.cit.,2005,p.7.

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Francecommeterred’accueil.L’intensificationdesdépartsdechinoisqui rejoignent lesmembresduKuoMingTanginstallés à l’étranger est à l’origine de la création d’unediasporaenFrance.Les derniers recensements nationaux nous permettentd’estimer l’effectif de ces différentes vagues et deconnaître l’effectif des migrants qui ont fait le choix des’installer en France. Bien que les données de l’Insee nenous apportent pas de précisions en ce qui concerne lesmigrants chinois, on notera que 39%migrants venus duCambodge, du Laos et du Vietnam résident en Francedepuis20-29ans.Afin de contextualiser l’enquête réalisée auprès depopulations sino-asiatiques, de dessiner les contours deleur parcours migratoire, nous avons extrait quelquesdonnées statistiques des recensements existants. Cesdonnées statistiques rendent compte de l’effectif despopulations dont il est ici question, de leur statut socialainsiquedelapyramidedesâgesdesmigrantsinstallésenFranceaujourd’hui.Pays denaissance

Anciennetéd’arrivéeenFrance

Effectifs(enmilliers)

Moinsde 10ans(%)

10-19ans(%)

20-29ans(%)

30-39ans(%)

40anset+(%)

Europe

2030 25 13 8 18 36

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dontEspagne

260 8 12 3 10 75

Italie 320 9 4 4 7 76Afrique 2270 32 5 18 18 14dontMaghreb

1600 27 19 17 21 18

Asie 760 33 21 26 17 3dontTurquie

240 28 22 27 20 2

Cambodge,Laos,Vietnam

160 12 11 39 31 6

Autrespaysd’Asie

360 46 25 20 8 3

Amérique,Océanie

280 47 23 19 8 3

SourceInsee,France,Portraitsocial,2011221Les migrants sino-asiatiques vivent très majoritairementen famille comme l’illustre ce tableau qui recense lesménages immigrés par type de ménage et pays denaissancedelapersonneréférenteouduconjoint222.

221 PascaleBreuil-Genier,CatherineBorrel,BertrandLhommeau,Portraitd’ensemble–Portraitdelapopulation,Insee,novembre2011,pp.33-39. 222TableauMF38,Insee,2008.

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Pays denaissanceèType deménage

Chine

Taïwan

Laos

Vietnam

Cambodge

Singapour

Macao

Total

Hommevivantseul

3789

232 1730

3877

2151 75 1 11855

Femmevivantseule

4767

472 1199

5051

2070 75 0 13634

Ménagedeplusieurspersonnes sansfamille

2894

124 6023

1485

955 51 3 11535

Famillemonoparentalehommeavecenfant(s)

422 6 397 603 503 10 0 1941

Famillemonoparentalefemmeavecenfant(s)

1281

69 1799

2980

2499 27 0 8655

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Couple:hommeet femmeactifsoccupés

12981

475 8658

12817

11227

192 0 46350

Couplehommeactifoccupéetfemmeautre

6155

445 4136

6898

6228 285 10 24157

Couplefemmeactiveoccupéehommeautre

1605

72 1303

2697

1986 29 0 7692

Couple:hommeet femmeautres

4822

149 1972

6122

3683 99 1 16848

Ensemble 38715

2044

21818

42531

31303

844 14 137269

Source:Insee,recensementdelapopulation2008Concernant la pyramide des âges des migrants, on noteque les immigrés chinois de 60 ans et plus sont peunombreuxauregarddeseffectifsdesCambodgiensetdesVietnamiens. En revanche, la population en âge d'activité

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est bien représentée dans les communautés chinoise etvietnamienne.223Homme etFemme

17 ans etmoins

18-59 60 etplus

Total

Cambodge 1356 39827 11313 52497Chine 5616 79814 4556 89987Laos 177 28397 5696 34271Singapour 146 924 73 1143Taiwan 97 2928 157 3182Vietnam 7582 50199 16936 74716

Source:Insee,Lesimmigrésparsexe,âgeetpaysdenaissance,2010Parmi les immigrés arrivés adultes en Francemétropolitaine et qui y séjournent encore en 2008, lesmigrantsenprovenancedespaysd’AsieduSud-Estontunstatut de célibataire lors de leur arrivée en France.Toutefoisl’enquêteTrajectoiresetOriginesmetaujourunedifférence genrée dans ce constat qui vaut pour leshommesmais pas pour: «les femmes venues… de l’Asiedu Sud-Est… [qui] sont le plus souventmères avant leurmigration(aumoinsquatresurdix)».224En ce qui concerne leur répartition socioprofessionnelle,les migrants du Cambodge, Laos, Vietnam sont plusqualifiés que les migrants des autres pays extra-européens.Graceauxdonnéesdel’INSEE,onsaitque31%d’entre eux relèvent des catégories «Cadre, profession

223Tableaurp2010IMG1Bn2Metrodom1,Insee,2010.224 Populationimmigrée,fichesthématiques,Insee,2012,p.120.

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intellectuelle supérieure» et «Profession intermédiaire»,9% appartiennent à la catégorie «Agriculteur, artisan,commerçant, chef d’entreprise» tandis que60% relèventdescatégories«employés»et«ouvrier».225Entre1999et2010,l’évolutiondel’effectifdemigrantsparpaysdenaissancenecessed’augmenterprogressivement.Parmilesquatreprincipalespopulationsd’immigréssino-asiatiques, on note qu’au regard de l’ensemble desmigrants venus dumonde sino-asiatique, les populationsvenues du Cambodge, du Laos et du Vietnamdeviennentde moins en moins importantes (en %) alors que cellesissues de Chine augmentent considérablement. On peutainsidirequ’en2010un immigré sino-asiatique sur troisestoriginairedeChinecontrairementàl’année1999oùlapopulationmigranteétaitsurtoutoriginaireduVietnam.Paysdenaissance

Cambodge

Chine Laos Singapour

Taiwan

Vietnam

Total

1999 50675(27%)

30932(16%)

36838(19%)

72237(38%)

190682(100)

2004-2006

53000(24%)

63000(28%)

36000(16%)

73000(32%)

225000(100)

2010 52497

89987

34271

1143(0,5

3182

74716

255796

225Situationsurlemarchédutravail,fichesthématiques,Insee,2012,p.193.

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(20,5%)

(35,2%)

(13,5%)

%) (1,2%)

(29,2%)

(100)

Source: Enquêtes annuelles de recensement 1999, 2004 -2006,2010,Insee.De ces données nous pouvons retenir que, depuis deuxdécennies,lesfluxmigratoiresissusduCambodge,duLaosetduVietnamdiminuentalorsquelamigrationoriginairede Chine a doublé. Parmi les immigrés venus de Chine,nous comptons plus de femmes que d’hommes. Voyonsmaintenant ce qu’il en est des différentes pratiquesfunérairesselonlepaysd’origine.2. Rituels funéraires bouddhiques (branche

Theravāda,PetitVéhicule)danslespaysd’AsieduSud-Est

Dans les pays dont sont originaires les migrants sino-asiatiques mentionnés dans le tableau ci-dessus), lebouddhisme prédomine très largement au Cambodge(95%),enChine(80%),auLaos(96%environ),Singapour(entre55%et61%selon lessources),àTaïwan(environ90%delapopulation),auVietnam(85%)etàHong-Kong(90%)etauJapon(96%).Larecensionbibliographiqueetlesentretiensmenés226nenouspermettentpasderenseignerdefaçonégalechacune226PrécisionsméthodologiquesPlusieurssourcesd’informationnousontpermisdenourrircetteétudequis’adosseàuntravail de terrain et d’observation ainsi qu’à une série d’entretiens qualitatifs semi-directifs. Une recension de la bibliographie scientifique existante portant sur descommunautésmigrantes franciliennes et sur les pratiques funéraires en général a été

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des pratiques funéraires des pays précédemment cités;toutefois nous avons choisi d’insister tant sur leréalisée;lalittératurejuridiqueaétéconsultéeainsiqueladocumentationfournieparlesdifférenteséglisesconcernées.Àtitrecomparatif,quandlesmatériauxscientifiquesexistaient, nous avons également examiné des exemples d’adaptation de pratiquesfunéraires de populations en situation de migration dans d’autres pays (plusparticulièrementleCanada).DenombreuxentretiensontétéeffectuésauprèsdepopulationsmigrantesinstalléesenFrance, originaires de Pays d’Asie du Sud-Est, de Chine, du Cambodge, du Laos, deTaïwan, du Japon, d’Inde, de l’île Maurice, du Sri-Lanka, de Grèce, d’Arménie et deRussie. Ils ont été menés auprès de membres de ces communautés et auprès desreprésentantsetpersonnesenchargederesponsabilitédescommunautésdecroyants(UnionBouddhiquedeFrance).Lesreprésentantsdeséglisesconcernéesontégalementété rencontrés (pope, brahmane, pujari, vénérable, moine, moniale) ainsi que desaumônierstravaillantenétroitecollaborationavecleshôpitauxdel’Assistancepublique(Bichat, Avicennes) et des personnes occupant des responsabilités à la Pagode deCréteil.Ce travail de terrain nous a également menée vers des pistes imprévues, nousconduisant au-delà de notre aire géographique d’enquête initiale (zone francilienne)pourpoursuivreuntravaildeterrainsupplémentaireenrégions(Loir-et-Cher,Puy-de-Dôme) où nous avons réalisé des entretiens auprès de représentants etmembres decommunautésbouddhistesmonastiques(migrantsetconvertis).Les fondateursdecescommunautés vivent en permanence dans les monastères bouddhiste tibétain deDhagpo Kundreul Ling en Puy-de-Dôme et bouddhiste Zen au Centre et Temple deDenshinjien Loir-et-Cher. Concernant le premiermonastère, les pratiquants convertisséjournentouontséjournéuntempspourdesretraitesdeduréevariable(parfois3ans)au sein de cesmonastères; lesmoines et lesmoniales y résident en permanence. LeTempleDenshinjiorganisedesretraitesetdesenseignementssansquelesmembresn’yrésidentdefaçonpermanente.C’est en région francilienne que nous avons été amenée à rencontrer la communautéhindouiste originaire d’Inde, de l’Ile Maurice et du Sri-Lanka. Les orthodoxes auprèsdesquelsnousavonsmenénosentretiensviventàParisetenIle-de-France.Des entretiens ont également été réalisés auprès des personnels des agences desServicesFunérairesdelaVilledeParis,desbénévolesdelaPastoraleCatholiquechargéspar le diocèsedes cérémonies sedéroulant au crématoriumduPère Lachaise.Malgrénosdemandes,uneagencedeServicesFunérairescontactéeàplusieursreprisesn’apassouhaitérépondrepositivementànosdemandesd’entretien.Touslesentretiensqualitatifsetsemi-directifsd’uneduréemoyenned’uneheureontétéréalisés en face à face. Pour des raisons méthodologiques (respect des énoncés dechacun,évitementdescontre-sens),certainsontétéenregistrés,toujoursavecl’accorddenosinterlocuteurs;certainsn’ontpassouhaitéqueleursproposlesoient.

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déroulement du rituel funéraire que sur le contextepolitique des pays concernés notamment lorsque lespolitiques poursuivies visaient la mise en œuvre devéritables réformes funéraires comme ce fut le casnotammentenChineetauVietnam.2.1. Diversité culturelle et rituels funéraires dans les paysd’origineÀchaque traditionbouddhiquecorrespondentdes rituelsqui eux-mêmes sont pratiqués différemment d’un pays àl’autre, d’une région à l’autre et varient également enfonctiondustatutsocialdudéfuntetaussidelapolitiquesuivieparlesgouvernementsdespaysconcernés.Rappelons que les textes bouddhiques comme les textespâlinefournissentaucuneindicationquantautraitementdu corps du défunt ou quant au déroulement desfunérailles.Lacrémationesttraditionnellementpratiquéepourraisonsclimatiquesouculturelles(à l’instardecelleduBouddha)mais les textesnedictentniprescriptionniinterdit. Quelle que soit la tradition bouddhique, lesbonzes occupentuneplacedepremierplan au coursdesrites funéraires. Leur rôle est d’accompagner l’âme dumort et de se tenir aux côtés des endeuillés pour lessoutenir,leuroffriruneprésenceconsolanteetapaisante.Le choix du mode funéraire relève plus de la dimensionculturelle,destraditionsdelacommunautéavantl’arrivéedu bouddhisme dans la région, et aussi du choix de la

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famille. Cela explique la diversité des choix de modefunéraire – l’inhumation, la crémation, ou encore ledécharnement de la dépouille par les vautourstraditionnellement pratiqué chez les Parsis - qui nes’accompagned’aucunerécitationdetextessacrés.Les bouddhistes chinois accordent souvent une grandeimportance à l’intégrité physique du corps227tandis quelesbouddhistesvietnamienspratiquentlacrémation;c’estégalement le cas pour les Cambodgiens pour lesquels lebouddhismetheravādaestunereligiond’Étatdepuis1989.À l’inverse, lesParsi exposent le corpsqui seradécharnépar des vautours. Ce faisant, les os sont purifiés. Si cettemodalité nous est bien étrangère et parfois difficilementcompréhensible, il fort conserver à l’esprit le fait qu’unecrémation nécessite une grande quantité de bois. Touteslescommunautésetlesfamillesn’ontpastoujoursaccèsàcebois,ledécharnementducorpspardesvautoursestdecefaitunesolutionadhocpourrépondretantàlapénuriede cematériau qu’à l’impossibilité de s’en procurer pourdesraisonsfinancières.Quellequesoitlamodalitédetraitementducadavre,deuxcérémonies seront ensuite organisées par la famille - 7jours puis 100 jours après le décès – en présence dereligieux qui se chargeront de renouveler les éloges desmérites du défunt. Les mérites accumulés par lesparticipants aux cérémonies de la fête des morts dubouddhisme theravāda (Sri Lanka et pays d’Asie du Sud-Est)bénéficierontégalementauxdéfunts.227NousfaisonslechoixdenepasexposericilesmatériauxdesecondemainrapportésparMarcelMaussàproposdesritesfunérairesenChinedanslamesureoùilsreposentdavantagesurdescroyancesetdesinterprétationsquinesontpasopératoirespouréclairernotrepropos,cf.«RitesfunérairesenChine»,Annéesociologique,n°2,1899,pp.221-226.

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Dans lespaysbouddhistes,c’estessentiellementpourdesraisons culturelles et non religieuses qu’apparaissent desfêtes des morts annuelles. Comme le note VéroniqueCombré, celles-ci sont en «contradiction totale avec leconceptdenon-existenced’une“âme”[anatta],lesdéfuntssontcensés, l’espacedequelques jours,revenirvisiter lesvivants.» 228 Ces transformations rituelles viennents’adosser à de nouveaux concepts philosophiques etreligieux.Cequiestcommunàcesdifférentestraductionsculturellesestl’installationd’unestatuedeBouddhaàcôtédudéfunt.Desbâtonsd’encenssontbrûlés;des fleursetduboisdesantal sont déposés autour du corps du défunt. Le corpsest placé sur le côté droit, la main gauche posée sur lacuisse gauche, la main droite placée sous le menton,fermant la narine droite (position du «lion couché»,posture de Bouddha lorsqu’il expira). Il est toujoursconseillédepastoucher lecorpspendant leprocessusdel'agonieetmêmeaprèsque la respiration se soit arrêtée.Lorsqu’ondoitbougerlecorps, il fauttoucherenpremierlieulesommetducrânepourpermettreàlaconscience,siellen’estpasdéjàpartie,dequitter lecorpsparsapartiesupérieure. Des bonzes viennent réciter des prièresextraites des enseignements du Bouddha – appeléDhamma(termepali)ouDharma(sanskrit).

2.1.1. Déroulement du rituel funéraire traditionnel auCambodge(brancheTheravāda,PetitVéhicule)

228VéroniqueCrombé,op.cit.,2001,p.138.

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Àpartir de l’analysede traités anciens cambodgiens,d’ordonnancesroyalesetdedécretsroyauxpromulguésàdifférentesépoquesàl’occasiondesfunéraillesdesprinceset aussi d’observations de terrain, Adhémard Leclèrepublie, au début du XXème siècle, un essai sur les rituelsfunérairescambodgiens.229Ilyrelateavecforcedétailslesdernières instructions données par Bouddha pour sespropres funérailles: «Quandun roi suzerainmeurt, voicice que l’on fait: on enveloppe son corps dans une finetoile, toute neuve, on l’entoure d’une petite épaisseur decoton vierge, on l’enveloppe dans une seconde toile puison répète cinq cents fois cette opération. Le corps étantainsi enseveli, on le place dans une bière ouverte,recouverted’uneplaqued’orfin,onversedanscettebièredel’huiledeboisparfuméejusqu’àcequetouteslestoileset lecotonsoientbienimprégnés.Enfinonfermelabièreavecuncouvercleégalementplaquéd’or,puison leplacesurunbûcherdeboisde santal et onymet le feu…plustard, quatre sortes de gens devront être incinérés ainsi:lesbuddhas,lessemi-buddhas,lesreligieux,etlesrois».230Outrelesrichessesetmatériauxprécieuxquiétaientalorsutiliséspourlescérémoniesfunérairesdeclasseroyale,lastructure du rituel a été conservée et généralisée àl’ensembledelacommunauté.C’estainsiquelarécitationde prières en pâli devait accompagner le passage dumourant.Siundescendantdirectconnaissaitsesprières,ilsechargeaitde leurrécitation; si cen’étaitpas lecas,unprêtre ou un laïc se chargeait de le remplacer. Vêtu d’unhabitblancetportantuneécharpeblanchesursonépaule229AdhémardLeclère,1906,Cambodge.LaCrémationetlesRitesFunéraires,Hanoi,imprimeur-éditeurF.-H.Schneider.http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5834751q/f30.image230AdhémardLeclère,op.cit.,1906,p.3.

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gauche passée sous son aisselle droite, il consolait lemourantenprononçantcesparoles:«Ohvous…nepensezpasàvosfrères,àvosenfantsetpetits-enfants,àvosmèreetpère, à vos aînés, à vos biens, car tout cela doit rester ici,n’irapasoùvousallez…personnenepeutéviterlamort,etnul n’emporte ses biens avec lui, nul n’emmène ses enfantsousesparentsavec lui.Donc,au lieudepenseràtoutcela,faites mieux et pensez aux vertus nombreuses du PréasBuddha, du Préas Dhamma [la Loi] et du Préas Sangha[l’Assemblée des religieux], nos maîtres, pensez aussi auxactesdepiété,auxlibéralitésquivoustiendrontcompagnieau cours de vos existences futures».231Des prières sontrécitéesàl’oreilledumourantlevisagetournéendirectionduNord-estpourdemanderaudieud’aiderl’âmedumortà sortirdesoncorps.Puison joint lesmainsdumourantsur sa poitrine entre lesquelles on dépose une fleurd’aréquier, des bâtonnets odoriférants et une bougie decired’abeille.Deuxbougiesde10cmsontdéposéesautourde lui dont l’une sera marquée de trois encoches; unefeuille de figuier (végétale ou stylisée en or) est déposéesur ses lèvres tout en ayant soin de ne pas toucher soncorps.Lesbougiessontalluméesjusteaprès lamortdansun silence absolu - l’uned’elle est placée au-dessusde latêtedudéfunt.L’expression de la douleur et l’effleurement du corps nepeuventdébuterqu’unefoisquelapremièreencochedelabougie marquée est atteinte par la flamme. Une fois ladeuxièmeencocheatteinte,lecorpspeutêtrelavéavecdel’eauparfuméepréalablementbénieparunreligieux.Puisle corps est déposé dans la bière lorsque la troisièmeencoche est atteinte par la flamme. C’est alors que le

231AdhémardLeclère,op.cit.,1906,p.11.

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religieux exécute le «bângskaul»: la récitation d’uneprière tout en ayant soin de tenir par un angle l’étoffeblancheposéesurlecadavre,labièreoulafosse;unefoislaprièreachevée,iltirel’étoffequ’ilconserve.Les objets déposés autour de la tête du défunt avant samort sont autant de souhaits, de cadeaux dédiés auxreligieux présents qui accompagnent le mourant. Deuxprièresécritessontdéposéessuretsouslecorpsdudéfuntlui-même enveloppé dans des étoffes blanches; d’autresprières sont déposées sur son front, sur la paume dechacunedesesdeuxmainsetsoussonoreilledroite.Puislecortègesedirigeverslelieuréservéàlacrémationrituelle. Devant le corps du défunt, un parent (appelé«religieuxdevant le feu»ou«religieuxdevant lemort»)marcheentêtetoutenjetantauloindurizgrillé.Unlingede coton blanc est enroulé autour de sa tête et l’autreextrémité de l’écharpe est posée dans le cercueil. À sasuite, marchent les religieux, puis la bière et enfin lafamille. Tout au long du chemin qui mène sur le lieu decrémationducorpsenforêt,desprièressontrécitéesparun parent du défunt. La bière est posée au-dessus dubûcher, soutenue de quatre pieux; à côté de chacun despieux se trouve une corbeille remplie de riz à des finspropitiatoires.Après avoir récité la dernière prière, le religieux coupel’écharpe,marquantainsilalibérationdumortdetoussespéchés. Dans sa main gauche, il tient le «drapeau del’âme»dudéfuntetdans samaindroiteunebêche.Touten récitant une prière, il tourne trois fois autour ducadavredanslesensinversedesaiguillesd’unemontre.Letroisième tourachevé, leporteurde«drapeaude l’âme»allumelebûcher.

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Aprèslacrémationducorps, lescharbonsdubûchersontarrosés d’eau; le religieux récupère les ossements et lescharbons de façon à les disposer pour confectionner uneforme humaine couchée dont la tête est orientée versl’Ouestetlespiedsversl’Estaprèsavoirunenouvellefoisfaittroisfoisletourdufoyer.Pouréloignerlemalheur,leriz cuit déposé dans les quatre corbeilles est jeté toutautourdufoyer.Celafait, lereligieuxdéformelafigurinepuislarefaçonneen repositionnant les os, les charbons et les cendres,plaçantcettefoislatêteversl’Estetlespiedsversl’Ouest.De nouvelles prières sont alors récitées après quoi lesossementssontramassésetdéposésdansl’urnecinéraire.Les cérémonies funéraires nepeuvent être célébrées quelesdimanche,mercredietvendredietaucunautrejour.•CommémorationetcérémoniesdudeuilChaqueannéeunefêteestcélébréeensouvenirdudéfunt.Il ne s’agit pas d’un anniversaire mais plutôt d’unecommémoration. À cette occasion des religieux sontconviésdanslamaisondudéfunt.L’urnedanslaquellelesossementssontconservésestplacéedansunlieuàl’écartdelamaisonappelélacabanedeséléments.Cetteurneesttransportéedansun lingedecotonblancetapportéeauxreligieux qui sont priés de réciter des prières en pâli. Àcôtéde l’urneunplateaud’aliments est déposé ainsi quedes bougies et des bâtonnets odoriférants. L’un desparents, généralement le frère du défunt plutôt que sonfils, prend un récipient d’eau qu’il verse sur le plateauarrosant les aliments au nom de toute la famille quis’incline vers lui. À cet instant tous les membres de la

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famille s’avancent pour le toucher marquant ainsi leurunion à ce geste rituel. Du riz est donné aux religieux.Après leur départ, l’urne est replacée dans la cabane deséléments.Il arrive que chaque année ce soit un enfant différent dudéfunt qui célèbre cette cérémonie rituelle. Dans ce cas,elle se reproduit une fois l’an aussi longtemps qu’il y ad’enfants.Maisdans les familles trèsdémunies,uneseulecérémonie se tientavec tous lesenfants.Cette cérémoniesedérouledurantlestroisansdedeuil.Cette période achevée, une nouvelle cérémonie estorganisée, plus importante que les précédentes, enprésence des religieux; c’est au cours de celle-ci qu’encortège tous les présents accompagnent l’urne qui seraalorscassée; lesossontalors jetésdansun lac,unétangou un fleuve, ou parfois enterrés. La cérémonie s’achèveparledonderizcuitauxreligieux.À partir de cette longue description d’un rituel funérairetraditionnel bouddhique cambodgien, onpeut ainsi noterla résistance de la structure même du rituel dans lacontemporanéité.Lagrandediversitédesdescriptionsquenous avons pu recueillir lors de nos entretiens tient enpartie aux variations culturelles des régions et paysconcernés;c’estlaraisonpourlaquelleilnousestapparuimportantd’enrendrecomptedanslamesureoùellepeutpermettre de comprendre des demandes exprimées, àl’occasiondel’organisationd’unecérémoniefunéraire,quiseraient quelquepeudistinctes selon le pays et la régiond’originedenosinterlocuteurs.

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Voici un témoignage d’un cambodgien dont l’un desparentsestdécédéilyapeu–rappelonsqu’auCambodge,le bouddhisme représenté est celui de la branchetheravāda (Petit Véhicule): «Unautelest installéavecunportrait du défunt, des bougies qui l’entourent de chaquecôtéetunencensoir.Desrideauxblancsencadrentl’auteloùsont présentés des mets salés et des fruits afin de nourrirl’âmedudéfunt.Unefoislacérémonieterminée,pendant49jours,desbonzeschantentpour l’âmedudéfunt.La familleporteledeuilavecdesvêtementsblancs;dejourcommedenuit, lesenfantsparticipentà laveilléeducorpsautourducercueilouvert.Celui-ciestmaintenuouvertpourpermettreauxparentsprochesetpluséloignés,auxvoisinsetamisdevenirlesaluerunedernièrefoisetdedéposerdesbilletsduDieudel’enferdanslecercueilenguisedesouhaitspourledéfunt. La famille veille à ce que l’encens brûle enpermanence dans l’encensoir. Le jour de la cérémonie, lecercueil est ferméet tous l’accompagnentdans sondernierlieude repos; lesbonzes chantent toutau longduchemin,suivisdel’aînédesenfantsquiportel’encensoir,puisvientlesecond avec le portrait du défunt dans ses bras et enfin lereste du cortège constitué de la famille, des voisins etamis».232Voyons maintenant ce qu’il en est de la pratiquebouddhique chinoise et vietnamienne en matièrefunéraire.Nousavonssouhaitéévoquécesdeuxsituationsdans la mesure où l’incidence du politique a largementorientélespratiquessociales.

232Extraitd’entretien,cambodgienbouddhiste,2015.

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2.1.2. Le bouddhisme Mahâyâna (Grand Véhicule) enChineetauVietnam

C’estaucoursdu1er siècleaprès J.-C.que labranche

Mahâyâna, dit aussi celle du Grand Véhicule, s’estdéveloppée en Chine et au Vietnam. Déjà transformée, ladoctrine rebondit enCoréeet auVIème au Japon soitprèsd’un millénaire après la prédication du Bouddha. Cettebranche donna naissance au mouvement Amidisme –Amida étant le nom japonais d’un Bouddha dont lesenseignements ont connu une grande popularité enExtrême-Orient. Cette branche du bouddhisme est doncégalement appelée «Amidisme». Des rites funéraires luisont spécifiques comme notamment celui de relier lesmainsdumourantàunereprésentationsculptéed’Amidaàl’aided’uncordon.Àsonchevet,desmoinesrécitentdestextessacrésetonfaitrépéterjusqu’auderniersouffleaumourantlenenbutsu,uneformuled’invocationàAmida.Une autre branche est celle du bouddhisme zen. Lebouddhisme du Grand Véhicule accorde une placed’importance aux bodhisattva, des êtres de purecompassion (équivalents aux saints de la chrétienté) qui,avancésdans leurprogressionspirituelle, font lechoixderepousser leurpropresalutpourseconsacrer totalementausalutdesautres.L’undespluscélèbresest le japonaisJizô dont l’image est celle d’un moine portant dans unemainunjoyauetdansl’autrelesceptremonastique.Peinteousculptée soneffigieestomniprésentedans lesédificesreligieux et dans les nécropoles. Dans les pagodesvietnamiennes,ilveillesurlesurnescinéraires.

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• Incidence du politique en matière funéraire en Chine(branche,leGrandvéhicule)À l’instar de la prise du bonnet viril à l’adolescence, dumariage et du culte des ancêtres, les rituels funérairesfaisaient partie des rituels familiaux. Ces rituels étaientrégis par une norme prescriptive et les modes dedispositions du corps étaient réglementés par l’Étatimpérial jusqu’en 1911. La liturgie confucianiste fondéesur le manuel des jiali (1130-1200), constituait en lamatière lanormeet touteautrepratiqueétait considéréecomme déviante. À l’exception du clergé bouddhique quijouissaitduprivilègedepouvoirfixersespropresrègles,lacrémation était, depuis le Xème siècle de notre ère,strictementinterditeparl’État.Seulel’inhumationdansuncercueil était légale; la crémation a toutefois continuéd’être pratiquée mais de façon marginale par les plusdéfavorisés.Pouréviter l’accumulationdescercueilsdansles temples, l’État interdisait également les enterrementsdifférés (dus à l’attente d’une date propice dans lecalendrier ou emplacement géomantiquement favorablepour le défunt). Il n’en demeure pas moins que là oùcoexistaient rituels bouddhiques et taoïstes d’une part etliturgieconfucianisted’autrepart. lesréformesfunérairesdesannées1950visentàimposerlacrémation.233Lesrituelsfunérairess’organisentautourdutraitementducorps du défunt (habillage, mise en bière, offrandessacrificielles), de la procession et de l’inhumation, et desrègles du deuil pour les proches (vestimentaires,alimentaires…).Outrelesélémentsprécédemmentcités,lecyclefunérairecomprendégalement laconsécrationdela

233LingFang,VincentGoossaert,«Lesréformesfunérairesetlapolitiquereligieusedel’Étatchinois,1900-2008»,Archivesdessciencessocialesdesreligions,n°144,2008,pp.51-73;PatriciaBuckleyEbrey,«CremationinSungChina»AmericanHistoricalReview,n°95,1990,pp.406-428.

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tablette funéraire (siège des âmes éthérées) qui seraconservéeàlamaison.Avecl’avènementdelaRépubliqueen1912,l’Étataccordelapratiquedecinqreligions(catholicisme,protestantisme,islam, bouddhisme, taoïsme) et combat avec virulence laliturgie confucianiste dans laquelle se retrouvent lesrituelsfamiliauxetlesculteslocaux.234L’Étatencourageunmouvement anti-ritualiste comme le bouddhismehumanistedumoineTaixu,audétrimentd’unbouddhismefunéraire: «… c’est-à-dire contre l’importanceprépondérantedesrituelsfunérairesdanslesactivités,lesrevenus et la représentation sociale du clergébouddhique». 235 Dans le même temps, une éliteintellectuelle d’avant-garde, fortement sécularisée, remeten question la liturgie confucianiste et les rituelsfunéraires. Ce mouvement que l’on appelle CultureNouvelle (1915-1924) défend l’adoption de la famillenucléaire, les conceptions et pratiques de piété. 236 Unbureaudesprotocolesetcérémoniesrédigeunmanueldescérémoniesfunérairespourl’ensembledelapopulation.Àson arrivée au pouvoir en 1927, le Parti Nationaliste(KMT) poursuit la politique anti-superstition avec desréformes funéraires de grande ampleur contre tous lesrituels traditionnels: les processions disparaissent, «lesoffrandes au défunt sont limitées (encens, fruits, liqueur,mais pas de sacrifice); les proches offrent des gerbes defleurs,portentunbrassardnoiretlescommémorationsetmisesenterresontrythméespardelamusiquemilitaire…234RebeccaAllynNedostup,2001,Religion,Superstition,andGoverningSocietyinNationalistChina,Ph.Ddissertation,ColumbiaUniversity.235LingFang,VincentGoossaert,op.cit.,2008,p.54.236SusanL.Glosser,ChineseVisionsofFamilyandState,1915-1953,Berkeley,LosAngeles,London,UniversityofCaliforniaPress,2003.

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les monnaies d’offrande, les rituels bouddhiques ettaoïstes, ainsi que les tablettes funéraires sont interdites(elles sont remplacées par des portraits ouphotographies)».237Leprojetnationalisted’uniformiseretde moderniser s’applique à promouvoir des cimetièrespublics gratuits. Ces réformes ont davantage affecté lespopulationsurbaines(davantagecontrôléesparlesagentsde l’État) que les populations ruralesmais il semble quec’est sur le mode inventif et cumulatif que les rituelsfunéraires s’organisent combinant des rituels anciens etdes prescriptions étatiques. Les réformesmises en placepar le régime communiste s’inscrivent dans la continuitédecellesduKMT.Ainsi,danslesannées1950, lasobriétédesrituelsfunérairesestdemiseenmatièreliturgique.Laréférenceà l’existencede l’âmecommeàsondestinpost-mortem est considérée comme une superstition. Copiéesur celle jusqu’ici réservée auxhéros et hauts dignitairesdu régime, la réunion de commémoration est le cœur durituel funéraire.Orchestréepar le supérieurhiérarchiquedudéfunt,lorsdesonenterrementoudesacrémation,ellese déroule dans l’espace public et non au domicile dudéfunt. Ce faisant, en monopolisant l’organisation desfestivités publiques comme privées, l’État prive ainsi lesfamillesdetoutepossibilitédepersonnaliserlacérémonie,des’inscriredansdesdonsetcontre-dons(offrir,recevoir,rendre) avec la famille comme avec l’ensemble de lacommunauté. Cette nouvelle liturgie empêche que lesrituelsfunérairesnecréentduliensocialdansetautourdela famille. Inscrite dans le droit fil des précédentesréformes nationalistes, cette vaste réforme funérairecommuniste a pour objectif de lutter contre les lignages

237LingFang,VincentGoossaert,op.cit.,2008,p.56.

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(les biens fonciers), les spécialistes du religieux(bouddhistes, taoïstes…), la circulation de l’argent, lahiérarchisation sociale et enfin la notion de destin. En1956,lacrémationdevientunobjectifnational,mettantfinauxcroyancesenlagéomancie,auxcultesdesancêtres;cen’est que dans les années 1980 que la majorité desdistricts se dotent d’un crématorium. Sous la RévolutionCulturelle,lescrémationssontcollectivesempêchanttoutepossible récupération des cendres par les parents dudéfunt, provoquant des émeutes et des destructions decrématoriums. Il faut attendre 1978 pour que desprocessions, des banquets et des enterrements sepratiquent à nouveau sauf l’usage demonnaie d’offrandequiresteinterdite.Laconstructionetlareconstitutiondescimetières de lignages sont interdites. Après le contrôledes naissances, l’application de la crémation reste lasecondemissionassignéeauxcadreslocauxdel’État.Hors de la République Populaire de Chine, la crémationpeut ne pas être complète ce qui permet aux familles derécupérerlesos.ÀHong-Kongcommedansl’ensembledela région de Canton, et par contraste avec le reste dumonde chinois, le «double enterrement est courammentpratiqué: après quelques années (entre cinq et dix), lecorpsestexhumé,lesossontnettoyésetré-enterrésdansune urne; dans ce cas, les os jouent un rôle proche descendres de crémation; on considère d’ailleurs que lescendressontlerésidudesseulsos.L’attentionportéeauxosest liéeaufaitqu’ilsreprésentent lamatièreagnatiquetransmiseparlepère,biendulignage,paroppositionàlachair,issuedelamèreetétrangèreaulignage».238

238FangLing,VincentGoossaert,op.cit.,2008,p.61.

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Si,commelenotentFangetGoossaert,touteslesréformesfunéraires mises en place pendant plusieurs décenniesn’ontpasdonnélesrésultatsescomptésdanslamesureoùelles ne furent pas systématiquement appliquées ou lefurent de façon très disparate suivant les régions et leszonesconcernées(urbaineoururale).Iln’endemeurepasmoinsqu’ellesontprofondémenttransformélespratiquesrituelles funéraires, les traitements du corps dumort, etles représentations de mort. Aujourd’hui, de fortesdisparités existent entre les régions ainsi qu’entre leszonesruraleseturbaines.Les habitants des zones rurales inhument souvent leursdéfunts à l’extérieur des cimetières; les autorités locales(notammentdelavilledeWenzhou)réagissentenlançantdes campagnes anti-tombes, obligeant les familles àdissimuler les tombes en nivelant les tumuli, supprimantles stèles et autres marqueurs visibles de loin. En zonerurale, se pratiquent encore les rituels funérairestraditionnelsaveclesalutdel’âme(pourdesbouddhistesetdestaoïstes), lebanquetoffertpar la famille, lesrèglesdu port du deuil, la procession et l’enterrement sur unemplacement repéré par un géomancien et enfinl’organisationde l’ensembledes rituelspar le lignage - lafamille chercheà regroupersesdéfunts, età reconstituerlelignagedanslescimetières.Lagéomancieaprisunessorconsidérable et permet aux familles de personnaliser lerituelfunéraireenaménageantlamaisonetlatombe.239

239OleBruun,2003,FengshuiinChina:Geomanticdivinationbetweenstateorthodoxyandpopularreligion,Copenhangen,NIASPress.

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En milieu urbain, le rituel funéraire traditionnel estimpossible faute de place. Les rituels bouddhiques outaoïstes sont interdits hors des temples en centre-villecomme les processions. Pour déjouer les interdictions, laréunion de commémoration qui se tient au crématoriumestsouventsuivied’unrepasoffertparlafamilledansunrestaurant de la ville, permettant ainsi le maintien durituel d’échange de cadeaux entre proches du défunt quirentre dans les échanges de don et contre-don mis enévidenceparMarcelMauss.La crémation est largement pratiquée. À Hong-Kong, denombreux temples accueillent lesurnes funéraires cequin’est pas encore le cas dans le reste de la RépubliquepopulairedeChine.ToutefoislespratiquesfunérairesdanslesgrandesvillesdeChinepopulaireserapprochentpeuàpeu de celles deHong-Kong et de Singapour et dans unemoindremesuredeTaïwanoùlacrémationsedéveloppe,non par obligation mais en raison de contrainteséconomiques(70%àHong-KongetSingapour,env.50%àTaïwan240).En Chine continentale, de grands columbariums seconstruisent pour accueillir les urnes. Certaines famillespréfèrent garder chez elles l’urne funéraire qui remplacelestablettessurl’autelfamilial.Ainsilecultedesancêtresest redevenu fréquent. Les familles sont de plus en plusnombreuses à placer une lampe à la mémoire de leursdéfuntsdansun templebouddhique lorsquecelui-cioffrecetteprestation.Ysontalorsorganisésdesrituelsdesalut.

240FangLing,VincentGoossaert,op.cit.,2008,p.67.

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Actuellement l’enterrement de l’urne dans unemplacement dans un cimetière public est très répandu(concessiondevingtansrenouvelable).Certainesfamillestrès aisées vont même jusqu’à placer l’urne dans uncercueil en bois précieux avant de l’enterrer. Danscertaines régions, des entreprises funéraires sedéveloppentetvendent fortchers leursservices,vendantdesemplacementsdansdenouveauxcimetièresdontellesvantent les qualités géomantiques des sites. Pour freinerlesabuspratiquésparcertainscrématoriumsdontlesprixsont prohibitifs (encourageant l’enterrement sauvage),l’État envisage d’imposer un statut non lucratif auxentreprises de pompes funèbres. Si l’État impose lacrémation, certains politiciens prônent également ladispersiondescendresenmermaislecoûtenestélevé.Ilnousasemblédepremièreimportancededéveloppercecontexte politique dans la mesure où les contraintesfinancièresentraînentbiensouventdeschoixpardéfaut.Notons également que, dans la ville de Wenzhou, desassociations de migrants chinois installés dans les paysoccidentaux sont parvenues à négocier avec les autoritéslocales,moyennantdessollicitationsfinancièresélevées,lapossibilitéd’êtreinhumésdansleurpays.Biensûriln’estpaspossibledechiffrercespratiquesofficieuses.•Vietnam(Mahâyâna,leGrandvéhicule)LasituationvietnamienneaététrèssemblableàcelledelaChine, exceptée pour la crémation que les autoritésvietnamiennes n’ont jamais imposée. 241 Les politiques241ShaunKingsleyMalarney,«Thelimitsof“StateFunctionalism”andthereconstructionoffuneraryritualincontemporarynorthernVietnam»,AmericanEthnologist,n°23-3,1996,pp.540-560.

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visant à homogénéiser les enterrements tout en confiantl’organisationàdesagentsde l’Étatontégalementétédemise;làaussilamiseenœuvredecesmesuresdonnalieuàdesoppositionsmassives.

2.1.3.Déroulement du rituel bouddhisteTheravâdaauSriLanka

Dès qu’un décès survient, la date des funérailles est

fixéeetuneinvitationesttransmiseàunmonastèrecarlesritesexigentaujourd’huilaparticipationdesmoines;leurrôle est essentiellement celui de réconforter la famille etdonner aux vivants l’occasion d’effectuer des actionsméritoirespar lebiaisdesdonsqui leursont faits; ilsnesontpasprésentsentantqu’officiants.Au Sri Lanka, les funérailles se déroulent l’après-midi àl’extérieurdelamaison.Àcetteoccasion,lesprochesfontdes offrandes aux bonzes. Une étoffe est posée sur lecercueilplacédevantlesmoines;ellesymbolisecellesquerevêtaient les moines et qu’ils récupéraient parfois dansles cimetières. La cérémonie débute par la récitation partous les proches du défunt de textes en hommage auBouddhapuissepoursuitpardesrécitationsdetextesenvers par les bonzes. Toutes les paroles, sermons, élogesfunèbresquiserontditesdevrontservir le«processusderedevenir» du défunt. 242 C’est ici que prend fin laparticipationdesreligieuxàlacérémoniefunéraire;ilsneparticiperontpasaucortègequi conduit ledéfuntvers lelieudecrémation.

242VéroniqueCrombé,op.cit.,2001,p.138.

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Dans les trois grandes traditionsdubouddhisme, lamortestpenséecommelagrandehistoiredelavie,c’est-à-direle sens que l’on veut donner à sa vie. La mort est vuecommeladissolutiondetoutcequinouslimite,cequel’onappellel’éveil;lemomentdelamortestlecouronnementde tout ce qui a été travaillé au cours de la vie. Soncaractèreinéluctablenepeutêtreocculté.3. Rituels funéraires des disciples bouddhistes ensituationdemigration

Arrivés en France dans les années 1950-1960 où le fluxmigratoire venu des pays du Sud-Est asiatique est arrivéenFranceavecsonclergé;cescommunautésasiatiquessesontinstalléesdefaçontrèsdiscrèteetontreproduitleurschémaetleurtradition.En France, 85% des pratiquants bouddhistes sontoriginaires de pays d’Asie, les 15% restants sont desOccidentaux (données de l’Union Bouddhiste Européenne,2014). De grands enseignants de toutes les traditions(Theravāda, Zen Sôtô, tradition tibétaine) sont venus enOccident et notamment en France pour enseigner leurspratiquesbouddhiquesdeméditation.EnFrance, ilexistedesmilliers de lieux de pratique tant dans les villes quedans les villages. Beaucoup de Français ont décidé deprendre refugedans lebouddhisme.Desmaîtres françaissontdevenusdesenseignantsbouddhistes;onestdoncàla deuxième génération de transmission. A partir de lacompréhension vivante, le bouddhisme est appelé à

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évoluer,às’adapter-lebouddhismeaunegrandecapacitéd’adaptationcommeentémoignesonhistoire.Si la diversité doit beaucoup au type de bouddhismepratiqué dans le pays d’origine, aux pratiques culturelleslocales, elle s’enrichit également du choix personnel dechaque personne: «Chacun décide d’accepter et depratiquer ou pas. On ne force pas, quand on peut, onpratique. Il y a des jours saints et on va pratiquer à laPagode. Il faut comprendreque c’estpour sonbien.Onn’apasdeprescriptionsetd’obligations».243AuchevetdumourantBien qu’il n’existe pas d’extrême onction dans lebouddhisme, il n’en demeure pasmoins que le temps del’agonie, du trépas est très important dans la penséebouddhiste. Quelle que soit la tradition bouddhiqueconvoquée, toutes «s’accordent à reconnaître l’extrêmeimportance de la dernière pensée du mourant pour larenaissanceultérieure».244Le bouddhisme a d’ailleurs approfondi une réflexion surles différentes étapes du processus de l’élaboration de lapensée du mourant. L’entourage doit donc éviter touteexpression émotionnelle qui viendrait troubler cetterecherche de sérénité. Il arrive également que la famillesoitmaintenueàl’écartdumourantdefaçonàcequ’ilnesoit pas affecté par l’expression émotionnelle de sesproches.Aussilafamilleprévoitlaprésenced’unmoineauchevet de la personne. Son intervention auprès dumourantdoitpermettreàlapersonnedevivresamorten«pleine conscience de façon à partir l’esprit apaisé et243Extraitd’entretien,vice-présidentdelapagodedeCréteil,2013.244VéroniqueCrombé,op.cit.,2001,p.135.

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positivement orienté». 245 Ainsi en va-t-il pour cecambodgienquitémoignedudécèsdesonpèreenFrance:«Nousavons invitéunebonzeàvenirrencontrermonpèreavant qu’il ne parte. Ensuite elle est revenue avec sonassistante,lejourdelamortdemonpère.»246Pour les bouddhistes qui vont connaître leur fin de vie àl’hôpital,voiciplusieursannéesque l’UnionBouddhistedeFrance en liaison avec l’administration hospitalières’occupe à organiser un service d’aumônerie pouraccompagner le mourant bouddhiste jusqu’à son décès.Celui-ci va aider la personne à trouver calme etclairvoyance en récitant des mantras à l’oreille dumourant. Ilvaégalement luiremémorerdessouvenirsdeson existence. Il en va de même lorsque la personneeffectue sa fin de vie à son domicile. Ainsi nous pouvonsconsidérer ce temps d’accompagnement au cours del’agoniecommepartieintégrantedesrituelsfunéraires.TraitementducorpsEn France, bien que la littérature bouddhique ne donneaucune prescription relative au traitement à réserver aucorpsdudéfunt,lacrémationsemblemajoritaireenmilieubouddhiste en France. «En se faisant crématiser, leBouddhahistoriqueasuivi lacoutumedumilieu(indien)qui était le sien».247 C’est la raison pour laquelle, parimitation, «En France, presque tous les bouddhisteschoisissentlacrémation,parcequ’après,l’âmepart,lecorps245VéroniqueCrombé,«Lamortdanslebouddhisme»,Lamort.Cequ’endisentlesreligions,PhilippeGaudin(dir.),Paris,Leséditionsdel’Atelier,2001,p136.246Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2015.247VéroniqueCrombé,Lamort.Cequ’endisentlesreligions,PhilippeGaudin(dir.),Paris,LesÉditionsdel’Atelier,2001.

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n’a plus de signification, et le Bouddha a été aussiincinéré».248Suivant la branche bouddhique à laquelle il appartientainsi que son aire culturelle d’origine, le pratiquantbouddhique optera pour un mode funéraire particulier.Les bouddhistes chinois accordent souvent une grandeimportance à l’intégrité physique du corps. LesVietnamiens pratiquent la crémation et les urnes sontdéposées dans une des pagodes franciliennes; c’estégalement le cas pour les Cambodgiens pour lesquels lebouddhismeest une religiond’État depuis1989. «Quandonvaaucrématoriumondemandelaprésenced’unbonze.Lemaîtredecérémonie faitofficed’intermédiaireentre lesbonzesetlafamilledudéfunt.»249Après le décès, à la demande des familles, les bonzesrécitentlesenseignementsduBouddha(Dharma).«Onfaitbrûler des bâtons d’encens dans la pièce où se trouve ledéfunt. Lorsque la personne décède à l’hôpital, c’est plusdifficiled’installerdesbâtonsd’encensoumêmeunestatuedeBouddha».250Enprésenced’une statuedeBouddha, lafamilleaccompagnéed’unbonzevientfairelesprièrescaron doit tous les jours réciter les prières devant le corpsjusqu’àlacrémation;cesprièressontconsidéréescommeune transmission sacrée aumourant, un don des vivantspourlasérénitédel’âme.«Lejourdelamortdemonpère,labonzeestrevenueavecsonassistante;messœursetmoiavons veillé sur son corps toute une nuit pour un dernieradieu.Mamèreestrentréechezelleafindepréparerl’autel248Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2013.249Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2013.250Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2013.

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et faire imprimer un portrait de papa. La bonze est venuepourlamiseenbière,toutenotrefamilleétaitprésenteetàla demande de la bonze nous avons chanté avec elle.»251L’important est de respecter le triptyque entre les troisélémentsquesontleBouddha,ledharmaetlesbonzes.L’entourage doit faciliter le départ, en ne retenant pas lemourantparsondésespoir,qu’ildoitmettreensourdine.Ill’aide à «repérer» au cours de l’agonie les différentsprocessus qui se déroulent dans son corps et à seconcentrer sur un support de méditation (tantra).L’entouragel’aide,aumomentmêmedelamortàsortirdesoncorps.Enfin,aprèsledécèsmême,lalectureduBardoThödol252peutêtre faiteauchevetdumortafindeguiderson principe conscient dans les différentes expériencespsychiquesqu’iltraversedefaçonàl’aideràsortirducyclederenaissances.Letermebardo(littéralement intervalle)désignelapériodede49joursquiséparelesrenaissances.Aumomentdelamort,l’espritestenproieàtoutessortesdephénomèneshallucinatoires. Lemourant vit une sortede rêve,mais il prend pour réel ce qui lui apparaît et, leplussouvent,ilenconçoitdelafrayeuretdelasouffrance.Les apparences qui se manifestent ne dépendent pas desescroyances,maisdesonkarma,c’est-à-diredelaqualitépositiveounégativedesactesqu’ilaaccomplis.Mêmes’ilnecroitpasquelesenfersexistent,s’ilacommisdesactesnégatifs qui en engendrent la manifestation, son espritproduira, le moment venu des apparences trompeusessourced’immensessouffrances.251Extraitd’entretien,chinoisbouddhiste,2015.252Cetouvrage,quel’ondoitàl’undes«pères»fondateursdubouddhismetibétain,esttraduitenfrançaissousletitreLivredesMortsTibétainsdateraitduXIVèmesiècle,siècleaucoursduquelilfutdécouvert.

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Lafamilleoulebonzemetlecorpsdansunepositionbienspécifique. Il n’y apasde traitement spécifiquedu corps,pas d’embaumement. «Il n’yapasde rites spécifiquesquiconcernentlecorps;quelquefoisonfaitlatoiletteouonmetdes fleurs autour du corps avec du bois de santal et lessenteurs des bois et fleurs se dégagent au moment de lacrémation».253Le cercueil est ensuite amené au crématorium. Lemaîtredecérémoniequiestunpratiquantbouddhisteattachéàlapagode(cepeutêtreunefemme),faitl’intermédiaireentrelesbonzesprésentset la familleendeuilléeaucoursdelacérémonieaucrématorium.Onorganiseuncortègedurantlequel les bonzes récitent les prières. Puis ils expliquentauxparticipantscequiestentraind’avoirlieu,lesensdesprières par eux récitées. Après ce petit sermon, les pluspratiquants des croyants attachés à la pagode entonnentune musique funéraire choisie par la familleavantl’introduction du cercueil dans le four. «Nous avionsréservéunedemi-journéeaucrématoriumpourlesobsèquesetmamèreademandéàdesamiscambodgiensdepréparerunautelpourmonpèreetde ledécorer. Ils l’ontdécorédecouleurblancetbleu».254Le maître de cérémonie fait partie des hakas; ceux quisont lespluspratiquantsparmi lescroyantsetpratiquentleTheravâda.Ceshakass’habillentencivilmaissuiventlesmêmes préceptes que les bonzes. Ils ne boivent pasd’alcool;ilsprennentleurdernierrepasàl’heuredemidi.Après l’heure de midi, ces pratiquants ne boivent plus253Extraitd’entretien,vice-présidentdelapagodedeCréteil,2013.254Extraitd’entretien,chinoisbouddhiste,2015.

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hormisdel’eau;ilsnemangentplus.Onchantedeschantsquiracontentcomments’estpassélavie.Généralement lemaîtrespirituelde lapagoderegarde lescendres avant de les mettre dans l’urne car ellestémoigneraientdelasagessedudéfuntaucoursdesavie.Puis l’urne est installée dans le stupa (bâtiment conique)qui faitofficede caveauà lapagode. «Traditionnellementnous gardons l’urne à la maison mais on sait bien qu’enFrance ce n’est pas possible. Donc on dépose l’urne à lapagode c’est bien car cela permet de continuer à faire descérémonies d’accompagnement». 255 Certaines famillespréfèrent profiter d’un voyage pour amener l’urne dansleur pays ; dans ce cas, l’urne n’est pas installée dans lestupamaisestprovisoirementconservéeaucrématorium.La famille vient la chercher lorsque le voyage estprogrammédansl’année.ChezlesTaoïstes,lapratiqueestde disperser les cendres sur sa propriété aussi n’y a-t-ilaucundépôtd’urnedansunepagode.TempsdedeuilL’esprit ne meurt pas, il se réincarne. Pendant unequarantainedejoursaprèslamort,ilestdansle«bardo»,état intermédiaireentre lamortet larenaissance.Durantles trois premières semaines, l’esprit reste identifié aucorps mental, celui qu’il vient de quitter. Avant larenaissance,ilentrevoitcequ’ilrevivradanssonnouveaucorps. Juste après le décès, quand on quitte son corps, lavérité sur sa nature profonde apparaît. Sans un

255Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2013.

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cheminement spirituel, cette nature profonde nouséchappe. D’où l’importance de ce travail, pour éviter deretomberdanslesmêmesornières.Aussiquandlapersonnedécède,«…pendant49jours,ilestessentiel d’accompagner par la prière cet esprit qui prendconscience de la mort de l’enveloppe corporelle. Ces septsemaines visent à accompagner cette conscience qui peutavoir des tendances naturelles, des excès vers lesquelles ilpourrait avoir envie d’aller. On reconnaît une grandefragilité à cette conscience d’être sensible au flot desafflictionscommedansuncauchemar.»256Cequiesttransversalauxdifférentestraditions«c’estquel’espritalesqualitésdelasagesseultimemaisilestinstable,ilestconstammentattirépardesémotionsquipeuventêtrepositivesounégatives.La fragilitéest là, laconsciencedoitresterconcentréepourconserverunegrandestabilité.Maissouventl’espritesttrèssensibleauxstimulationsouàcequel’esprit peut lui-même engendrer comme auto-stimulation.»257Selon la pratique du Theravâda, les prières et lescérémonies sont pratiquées selon les mêmes périodesdans le pays d’origine comme en France. Pendant les 7premiers jours,onconsidèrequel’âmeadumalàquittersesattachesdoncondoitluiapportertoutenotreattentionpardesprières: «Onfête le7° jourparcequec’est le jouroù l’âme part tranquille, paisible. On continue del’accompagner pendant qu’elle cherche pourune autre vie.Mais la période de deuil dure 100 jours - c’est le nombre

256Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2015.257Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2015.

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moyen de jours pendant que l’âme cherche une nouvelleenveloppecorporelledanslatraditioncambodgienne».258PourlesbouddhistesChinois,àpartirdu49èmejour,l’âmepeut commencer à trouver une enveloppe corporelle.Autrefoisondisaitquecechiffrede49correspondaità7semaines,oncomptaitensemaines.Pour lesbouddhistescambodgiens, on compte une période large de 100 joursquicorrespondàladuréedelaretraitedesenseignementsduBouddhaquiest100jours.Puisarriveunepériodederetraitequidure3mois.Àtourderôle,chaquefamillereçoit tout lemonde.Et ledernierjour,onfaitunetrèsgrandefête.Puischaqueannée,unecérémoniedecommémorationestorganiséeparlafamillelejouranniversairedelamortdeleurproche.4. PratiquesbouddhistesdesconvertisenFrance

LaFrancecompteaumoinsunecentainedelieuxdecultebouddhistequ’ilssoientde traditions indienne, japonaise,tibétaine ou encore vietnamienne. Nous avons souhaitérencontrer des membres de ces communautés. Certainssont des bouddhistes venus du Tibet, du Vietnam, d’Indeou du Japon. Pour la plupart ils sont les maîtres et lesfondateurs des centres; d’autres sont des Françaisconvertis. Pour ce faire, nous avonsmené des entretiensauprès de pratiquants et maîtres du bouddhisme detraditiontibétained’unepart,etdespratiquantsconvertisetmaîtresdubouddhismezend’autrepart.Onestimeque

258Extraitd’entretien,bouddhistecambodgien,2015.

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l’effectifdesdisciples seraitunmillionenFrance, lepaysoccidentaloùceteffectifestleplusimportant.

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4.1.CommunautédesconvertisoccidentauxaubouddhismetibétainCréé dans les années 1980,DhagpoKundreulLing est uncentre de Bouddhisme Tibétain qui accueille égalementd’anciensretraitantsconvertis.Cecentreviseàpréserverla transmission des enseignements du Bouddha. Lacongrégation monastique bouddhiste Karma TarchineLunroup a été reconnue par décret du Ministère del’Intérieuren1992.Installé en Auvergne dans les Combrailles, ce centre setrouve à une cinquantaine de kilomètres de Clermont-Ferrand. Il regroupe une communauté de pratiquantsrépartisendeuxermitagesmonastiquesauxquelssontliésdix centres de retraite de trois ans et plus, et unecommunautélaïque.CesdeuxermitagessontsituéssurlacommunedeBiolletaulieuditLeBost(pourleshommes)et sur celle de Laussedat (pour les femmes) à troiskilomètres de celui des hommes. Ils hébergent les lamas,lesdrouplas(pratiquantmoine/monialeoulaïc/laïquequia effectué une ou deux retraites de trois ans dans cecentre). Depuis 1998, le centre n’est plus accessible aupublic.Unautre lieu, leDhagpoKagyuLing, a été crééenDordogne sur la commune de Saint-Léon sur Vézère. Ysontdispensésdesconférencesetdesenseignementstouslesjoursdel’été,desstageslesweek-endsetunejournée«portes ouvertes» entre chaque retraite de trois ans oùtoute personne peut venir poser des questions – plus de2.000à3.000visiteursàchaqueoccasion.Desretraitesenindividuelouencouplesontorganiséesetleurduréevariede 3 mois à 3 ans. N’ayant pas eu l’autorisation deconstruire des centres de retraite à côté du Dhagpo, lacommunautéainvestilesiteduBostpuisquelquesannéesplus tard celui de Laussedat, donation d’un moine de la

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communauté. Au total il existe aujourd’hui 10 centres: 4centres pour les hommes, 3 centres pour les femmes, 1centrepourdesretraitesdelongueduréepourlesfemmeset 1 centre pour les retraites de longue durée pour leshommes, 1 centre pour des retraites de laïques (retraited’unesemainejusqu’à3ans).Au cours de leur retraite, les retraitants reçoivent desenseignements sur les fondements de la pensée deBouddha (Darma) et pratiquent la méditation:«Cettetransmission inclut les trois véhicules, ou niveaux depratique, enseignés par le Bouddha: le Hinayana quiconstitue la base par le développement d'une conduiteéthique juste et l'abandon de la saisie égoïste; leMahayana qui développe l'amour universel et la sagessedubodhisattva;leVajrayanaquipermetaupratiquantdedévelopper la vision pure d'un Bouddha». 259 «Noustravaillonsautourdel’éveiletdel’expulsiondelaconscienceaucoursdepratiquesdeméditationautrementdit,oupourledireunpeuvulgairement:ils’agitdepréparersapropremort». Le bouddhisme étant orienté sur l’offrande et ledon,ils’agit«d’apprendreledétachement,apprendreàtoutdonnerdecequenousappelons lesobjetsd’attachement»,quecesoitdesobjetsd’amour,d’affectionetbiensûrdesobjets matériels. Les pratiques (rituels, récitations demantra, méditations…) et enseignements visent àapprendre à se détacher de la vie et notamment de soncorps puisque «c’est ce que nous avons chacun de plusvivant et qui nous caractérise». Cela passe par unelibération de la conscience par le sommet de la tête.D’ailleurs, lors du traitement du corps du défunt, les

259TextedeprésentationduCentre.

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orifices naturels sont obstrués de façon à permettre à laconsciencedequitterlecorpsmortparlafontanelle.Aussi,bien avant l’heure de la mort, l’enseignement dudétachementestpratiquédefaçonàlibérersaconscience.Dans la tradition tibétaine, lors de sa crémation on acoutumed’installerledéfuntenpositionassise,celledelaméditation «pour favoriser le passage de la conscience, laposture assise permet plus de vigilance». Notreinterlocutriced’ajouterqu’auTibet, lesgrandsmaîtresnesontbrûlésqu’auboutde49joursaprèsleurdécès–leurcorpsétantconservédansdusel.Selon lesenseignementsdeBouddha, ledevenirducorpsnedépendquedelavolontédudéfunt.Aussi,lecentredeBouddhisme Tibétain Dhagpo Kundreul Ling a prévu unemplacement funéraire sur son site accessible à tous,quelle que soit la religion, la culture et l’identité de lapersonne.260Dans le JardinduSouvenir,depetitsédificesde deux mètres de hauteur (tsupa) sont construits pouraccueillir les cendres de ceux qui en ont fait la demandedans le respect de la tradition bouddhiste. Un tsupa estréservéauxlaïques, l’autreauxmonastiques.C’estunlieuderecueillementetdeprières:«Cesédificessontàlafoisunsupportd'éveilpourl’espritdesdéfunts.Ilssontaussiuneaide pour les familles en deuil». Un lieu est réservé auxfamillesquipeuventvenirserecueillir,déposerdesfleurs,prier. Le premier lama de Dhagpo Kundreul Ling avaitprévu d’installer un crématorium sur le site même dumonastèremaispourdesraisonsadministratives,celan’apasétépossible.260Lademande,expliquantlechoixdulieudedépôtdel’urnecinéraire,doitêtrefaiteparécritetdéposéechezlenotaireoutransmiseàlafamilleetaucuneréservationdeplacen’estnécessaire.

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Lors d’un décès, le nom et la photo de la personne sontcommuniquésàtouslesmembresdescentresderetraites,àd’anciensretraitantscommeauxcentresmonastiquesdeLaussedat et du Bost: «Il m’arrive très régulièrement derecevoir par internet le nom et la photo d’une personnedécédée. Dans ce cas nous exprimons des souhaits pour ledéfunt et prions pour lui».261Ces prières et ces souhaitssont faits chaque jour pour soutenir la libération de laconscience du défunt, éviter que des obstacles viennentcompliquersoncheminement.Parconséquent, cesrituelsontprioritairementpourfonctiond’accompagnerl’âmedudéfunt; ces prières comme ces rituels funéraires sontd’abord pour le défunt. Le jour de la crémation, un ouplusieurs lamas peuvent se rendre au crématorium poursoutenir la famille et pour prier. Puis les cendres sontplacées dans le tsakang dans le Jardin du Souvenir pourune durée illimitée. Toutes les tsakang sont déposées lesunessur lesautresdans lestupamaisonnemélangepaslescendresdedeuxpersonnesdelamêmefaçonquel’onnemorcellepaslescendresd’unepersonnedansplusieursurnescinéraires(tsakang).Le10èmejourdechaquemois,leslamasetlesdrouplasducentreDhagpoKundreulLing effectuent un rituel (DordjéSempa)quifaitofficederitedepassageetaucoursduqueldesoffrandes sont réalisées. Il s’agitdeguider l’espritdudéfuntetdeluiévitertouttroubleémotionnel,raisonpourlaquellecettecérémoniemensuellen’inclutpas la famille.AumomentdelaToussaint,leCentreorganisedesrituelsetaccueillelesfamillesquiontunparentdansleJardindesSouvenirs.

261Extraitsd’entretien,uneancienneretraitanteconvertie,avril2015.

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Plusieurs convertis interrogés nous ont confié qu’ilsavaient déjà pensé aux modalités funéraires et avaientchoisi la crémation. La raison principale est qu’ilssouhaitentque leurs funérailles soient à l’imagede cellesdu Bouddha pour, à leur tour, bénéficier de semblablesfunérailles. La crémation se fera dans le pays où ilsrésideront et leurs cendres seront déposées dans untsakang dans le Jardin du Souvenir du centre DhagpoKundreulLing,celuiqu’ilsfréquentent.Si en revanche, le défunt a choisi d’être inhumé (ce peutaussiêtre le casdemoinesetdemoniales), c’est souventparce qu’il existe un caveau de famille. Dans ce cas, descérémoniesd’accompagnementetdesoutienaux famillesseferontaucimetièreenprésencedelamas.4.2.CommunautédesconvertisoccidentauxaubouddhismeZenSôtôLe Bouddhisme Zen Sôtô, l’une des quatre branches dubouddhismehéritéduMahâyâna(leGrandvéhicule)quiamigréenCoréepuisauJaponauVIèmesiècledenotreère.IntroduitenOccidentetnotammentenFranceen1967parmaître-zen Deshimaru, le bouddhisme zen est pratiquédansplusieurscentresrépartisdans toute laFrance.L’undecesdixcentresestceluidirigéparRévérendKenganquiacrééleTempleDenshinjiàBloisen1992etfaitpartiedel’UnionBouddhiquedeFrance(UBF).MaîtreKenganestundisciple de Taisen Deshimaru arrivé en France en 1967.Son centre est fréquenté par des occidentaux qui seconvertissent au bouddhisme. C’est au cours d’unecérémonie rituelle publique que le disciple vient prendrerefuge.Al’issuedecetteheureetdemie,lediscipledevient

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aspirant à l’éveil. Véritable rite de passage, le maître luicoupeunemèchede cheveuxqui est conservéedansuneenveloppe remise au nouveaudisciple. Cet acte rituel estégalement pratiqué dans les autres branches dubouddhisme.Zensignifielittéralement«recueillement»;lapratiquedubouddhisme zen est fondée sur le Recueillement enpostureassise(zazen)fidèleàl’enseignementduBouddhaShakyamuni et décrit dans le «Sutra» du Recueillement.Respectueuse de la tradition Sôtô, cette pratique, aussiappelée «Tradition du Recueillement de l’illuminationsilencieuse»(mokushôzenenjaponais),s’esttransmisedegénération en génération. Ainsi s’agit-il de «seulements’asseoir» (shikantaza), «être immobile», laissant lechamplibreàl’expressiondelanaturenon-duelle(uniqueavecl’univers)delapersonne,commel’attestelapratiquede Bouddha. Il ne s’agit ni d’atteindre un but, ni dechercher à obtenir un résultat, ni de faire appel à un «…artifice de cogitation, méditation, récitation, prière, niautrecomportementouattitudementale».262Au moment du trépas, l’esprit est «privé de toutconditionnement,etilsetrouvealorsdanssonétatlepluspur».263Autrement dit, commente le maître-zen Kengan,«ce n’est pas ce qui se passe après lamort qui importe,mais le fait d’arriver ou non à avoir l’esprit en paix aumomentultimedelavie…lorsdesatoutedernièrepensée,autoutderniermomentdesavie».262PrésentationsurlesitedubouddhismezenSôtôDenshinji.263Maître-zenKengan,conférenceMourir,commentfairefaceàcetteétapedelavielapluspersonnelleetintime?,mai2005.

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L’altruisme,cherauZen,sedéclineenquatreattitudesquisont recherchées– ledonsans retour (lagénérositéet lacharité), parler avec amour, agir pour le bien d’autrui,l’empathie. La résultante de ces quatre attitudes est lacompassion. Il s'agit de trouver la paix de l’esprit pouraborder sa propre mort. Le Révérend Kengan, par sesconférences, s’attache à expliciter les modesd’accompagnement des mourants. Lors d’un de nosentretiens, il expliqua que le rapport à la mort et auxfunérailles du bouddhisme zen était commun aux autresbranchesdubouddhisme. Iln'yapasdeprescriptionparrapport au devenir du corps du défunt. Sinon la possibleprésenced’unbonzeauprèsdumourantàquiilattribueraunnouveaunom,etuntempsdeméditationaucôtédelapersonne. De même, il n’y a pas de règle en matière defunéraillespuisquel’inhumationcommelacrémationsontpossibles.** *Auregarddesfondementsmêmedelareligionbouddhiste,lamortestunsujetquiestaucœurmêmede lapratiquebouddhiste. Toutes les techniques deméditation visent àpermettreausujetdevivrelepassagevie/mortenpleineconsciencedansunétatapaisé.Toutel’attentionestportéeau tempsdutrépasetauxquelquesheuresquisuivent lamort, tempsaucoursduquel la consciencedoitquitter lecorps.L’UnionBouddhiquedeFrances’estd’ailleursdonnépour mission de développer dans tous les hôpitaux lapossibilité de faire appel à un vénérable quiœuvrera entant qu’aumônier auprès desmourants qui le souhaitent.Rappelons que ce service existe déjà pour d’autres

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religions (notamment catholique chrétienne, protestante,juive,musulmane).Lamortn’estnullementoccultée,bienaucontraire,etparlerdesonanticipationn’apaslamêmeconnotationquepourunpratiquanthindouiste.En France comme dans d’autres pays occidentaux,l’importance des conversions est remarquable. Denombreuses communautés bouddhistes installées enrégion sont massivement composées d’occidentauxconvertis au bouddhisme. L’engouement et le succès des«Journées Portes Ouvertes» des Temples, comme lagrande fréquentationdesséminairesquisedéroulentsurune journée en témoignent. Ainsi la pratique bouddhisteenFrancefaitapparaîtreunegrandediversitésociologiquedesesmembres.Enfinonnoteraunegrandeplasticitédesritesfunéraires.Chacunatoutelibertédechoixquantaulieudesépulture;libertéestégalementdonnéedechoisirentrel’inhumationoulacrémation,l’enterrementdel’urnecinérairedansuncaveau familial, sondépôtdansun «stupa» ou encore ladispersiondes cendres. Chacun est libre dedécider et cechoixrestepersonnelmêmesilesfunéraillesduBouddhasontpourbeaucoupunmodèle.Ensituationdemigrationdans des pays qui légifèrent sur le lieu d’inscription desmorts (inhumésou crématisés), les croyants bouddhistesdéposentl’urneaucimetière,aufunérariumouautemple.