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Conférence sur le burn-out Jeudi 17 novembre 2016
M. Laborde.- Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bonjour. Pensez à éteindre vos portables
ou à les mettre sur vibreur. Maintenant que cette habitude moderne est prise, je tiens à vous
remercier d’être venus si nombreux. Cela manifeste l’intérêt que vous portez à ce sujet. Je tiens
à saluer la présence de Madame la secrétaire générale adjointe de la préfecture qui représente
ici le préfet des Yvelines. Je salue aussi la présence – que j’espère instructive – d’une bonne
trentaine d’élèves de Master II RH. C’est très féminin. J’espère que vous allez en tirer beaucoup
d’intérêt.
Le handicap est une des préoccupations importantes de la CFE-CGC. Le burn-out peut conduire
parfois au handicap. Nous avons fait en sorte de placer ce colloque dans la semaine du handicap.
Le café d’accueil était d’ailleurs servi par un ESAT.
D’ailleurs, cette séance est sous-titrée pour que vous puissiez suivre le débat. Beaucoup de choses
ont été dites sur le burn-out. Il y a beaucoup de langue de bois également. J’espère que nos
intervenants ne vont pas avoir la langue de bois sur le sujet. J’espère qu’ils vont pouvoir nous
éclairer sur le burn-out, ses causes, ses conséquences, la façon de le prévenir, et au travers de
témoignages, de voir la façon dont des personnes en situation de burn-out y sont rentrées.
La conclusion sera menée par l’intervention de M. Jean-Frédéric Poisson et M. Benoît Hamon qui
vont parler de ce que notre représentation nationale est en train de faire pour parvenir à faire
progresser l’action menée globalement sur le burn-out et en particulier le fait de l’inscrire au
tableau des maladies professionnelles référencées.
Voilà le programme de notre matinée.
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Je passe la parole au Dr Martine Keryer, secrétaire nationale CFE-CGC.
Pourriez-vous nous donner une définition clinique du burn-out et les facteurs qui conduisent à ce
syndrome d’épuisement professionnel ? Votre tableau clinique sera complété par un psychologue
du travail.
Martine Keryer.- Bonjour. Merci à l’union départementale du 78 d’avoir organisé ce colloque.
Pour moi, le thème du burn-out est primordial. C’est pour cela que j’ai voulu être élue en tant que
secrétaire nationale santé au travail. Quand je me suis fait élire il y a quatre ans à mon premier
mandat de secrétaire nationale, dans mon premier discours d’élection, j’ai dit que dans trois ans,
le burn-out serait reconnu en tant que maladie professionnelle et que je ferais tout pour y arriver.
Les trois ans ont été échus. Il y a eu un nouveau congrès en juin de cette année. J’ai fait une partie
du chemin. Le mot « burn-out » est entré à l’Assemblée nationale. C’est déjà une première. Mais
nous sommes très loin de la déclaration de maladie professionnelle. On dira tout à l’heure
pourquoi.
La CFE-CGC est très investie sur le thème. Dès que l’on parle de burn-out, l’ensemble des médias
et des journalistes viennent vers nous. Nous sommes le syndicat qui se bat le plus pour que le
burn-out soit mis sur la sellette. Pour nous, à la CFE-CGC, syndicat des cadres et techniciens, dans
notre société, il y a un mal silencieux et sournois qui ne déclenche pas autant d’émotion qu’un
suicide. Il y a dans nos entreprises et nos administrations un broyeur silencieux qui laisse tout le
monde sans voix. On n’en parle pas. Le sujet est éludé la plupart du temps.
Dans l’entreprise, on a vu un agent – le plus investi, le meilleur – avec un comportement étonnant
depuis un certain temps. Mais personne n’a réagi. Il a été absent, puis absent longue maladie.
Tout à coup, il a disparu des listes du personnel. Les collègues, surtout ceux du CHSCT, avaient
remarqué que son comportement avait changé. Mais les élus du CHSCT n’avaient rien de factuel
à se mettre sous la dent pour pouvoir discuter en réunion. Il n’y avait pas de déclaration
d’accident de travail ou de maladie professionnelle. Quand ils ont essayé d’en parler dans
l’entreprise, on leur a dit que c’était un facteur individuel et qu’il était déprimé. Cela a empêché
la régulation par le collectif de travail.
Dans nos entreprises, c’est ce qui se passe. Les gens – les meilleurs – partent comme ça. Comme
il n’y a pas de régulation qui se met en place, d’autres personnes tombent en burn-out. On
demande la mise en lumière de ces cas d’épuisement professionnel pour trois raisons. La plus
importante est pour le salarié, pour qu’il puisse se reconstruire et se dire que ce n’est pas lui qui
est un « maillon faible », que ce n’est pas lui qui a une fragilité psychologique, mais que c’est le
travail qui l’a rendu comme ça. Je l’ai vécu en tant que médecin du travail. Le simple fait de dire
à un salarié qu’il ne doit pas s’inquiéter, qu’il n’est pas le premier, que c’est le travail qu’il l’a fait
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tomber, qu’il est quelqu’un de bien et en bonne santé physique et que c’est le travail qui l’a rendu
comme ça, lui permet de commencer à se reconstruire.
J’avais un peu abordé la deuxième raison tout à l’heure : c’est pour le CHSCT. C’est pour que le
collectif du travail et le CHSCT puissent s’emparer de ces nombreux cas dans les entreprises.
Quand quelqu’un a des troubles musculo-squelettiques (TMS), il y a une déclaration de maladie
professionnelle, et le CHSCT peut travailler sur le sujet. Quand c’est sur les risques psychosociaux
et que les personnes sont juste absentes, c’est difficile pour un CHSCT d’aborder le sujet et de
commencer à travailler sur la charge de travail.
La troisième raison est le coût pour la société. Ces pathologies sont prises sur le compte de la
sécurité sociale. Le coût est énorme en maladie non professionnelle. On estime qu’il y a 4,4
milliards de pathologies qui ne relèvent pas des pathologies psychiatriques habituelles qui sont
payées par la sécurité sociale. Ce sont des pathologies liées au travail. Les statistiques de la
sécurité sociale montrent qu’il y a entre 10 et 20 % des salariés qui ont un arrêt supérieur à six
mois qui sont en arrêt de travail pour des troubles psychologiques liés au travail. Cela a un coût
énorme. Je suis syndicaliste, donc je pense en tant que syndicaliste qu’il est tout à fait illogique
que seule la sécurité sociale paie le prix de ces pathologies. Il y a des moyens pour que ces
pathologies soient prises en charge par la sécurité sociale. Ces moyens sont très compliqués. On
a parlé de maladies professionnelles. À la date d’aujourd’hui, il n’y a pas de tableau de maladies
professionnelles. Il y a un système de reconnaissance élémentaire. Il est possible, lorsque la
personne sera atteinte d’une incapacité permanente de 25 %, ce qui est énorme, pour le médecin
de la sécurité sociale, de faire passer cette maladie au comité régional de reconnaissance de
maladie professionnelle. C’est un parcours du combattant. De plus en plus de dossiers sont
acceptés comme ça. En 2015, il y a eu 500 dossiers sur toute la France qui sont arrivés dans ces
comités, et il y a eu 250 reconnaissances de maladie professionnelle. Ce n’est pas énorme, mais
on part de zéro. C’est la façon que souhaite le législateur pour faire reconnaître ces maladies
professionnelles.
Les professionnels de la santé au travail, que ce soit les médecins au travail qui connaissent le
sujet ou les spécialistes des consultations de souffrance au travail ont une autre approche. C’est
la déclaration en accident de travail. C’est quelque chose qui est faisable, à condition que le début
du burn-out soit bien identifié, que ça a eu lieu à un moment précis pour une raison précise. Dans
ce cas, on peut faire une déclaration d’accident de travail. Les petites astuces qu’ont les
professionnels à condition qu’il y ait un fait évident qui a provoqué la chute. Ce sont des choses
que l’on fait, mais c’est très rare.
Pour la CFE-CGC, je pense que l’on va pouvoir faire reconnaître cette pathologie professionnelle.
Mais pour l’instant, nous en sommes très loin. Aujourd’hui, la direction générale du travail est
consciente de cette problématique. Ils ont conçu un guide que vous pourrez télécharger sur
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Internet qui s’appelle : « le guide de prévention du syndrome d’épuisement professionnel ». On
a francisé le terme de burn-out ; on parle de syndrome d’épuisement professionnel (SEP).
Ce guide n’a pas été fabriqué par les partenaires sociaux, mais par les institutionnels. Il a été
présenté aux partenaires sociaux environ trois semaines avant la sortie de la loi Rebsamen. On
savait que ce rapport était dans les tiroirs et qu’il ne sortait pas. Il est sorti par miracle au moment
de la loi Rebsamen. On a dit aux partenaires sociaux qu’on leur donnait un guide, qu’ils ne
pouvaient rien modifier, mais que l’on aimerait bien que ce que l’on avait écrit sur le syndrome
d’épuisement professionnel soit porté par les partenaires sociaux. Donc, les employeurs (Medef,
CGPME et UPA) et quatre organisations syndicales (CGT, CFTC, CFDT et nous) ont donné un avis
favorable à la sortie de ce guide. Cela signifie que ce guide existe. Il sort quand même de la
Direction générale du travail, donc du Ministère du Travail. En tant que CFE-CGC, j’estime que ce
qui est écrit dans ce guide à la date d’aujourd’hui est la vérité, vérité que l’on peut transporter
dans nos entreprises. Donc, sur la petite plaquette bleue que l’on vous a remise à l’entrée, vous
avez les définitions et je m’en sers aujourd’hui. Comme cela a été validé par le Medef, j’estime
que ce sont des sujets que l’on peut aborder dans les entreprises en disant à nos employeurs que
le Medef a ratifié ce qui est dans cette plaquette.
Je vais lire la définition du syndrome d’épuisement professionnel, car j’estime que chaque mot à
sa valeur. Il a été acté et accepté par l’ensemble des partenaires sociaux que le syndrome
d’épuisement professionnel se traduit par un épuisement physique, émotionnel et mental qui
résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan
émotionnel.
Là-dedans, vous avez tout : un épuisement physique, émotionnel – on va voir que le rôle des
émotions est important –, mental – c’est la première fois que l’on parle de santé mentale en
entreprise – dû à un investissement prolongé dans les situations de travail exigeantes.
Quelles sont les étapes qui mènent au burn-out ? Dans la vie, quand on arrive au travail, on y va
d’abord avec plaisir. On a des objectifs. On se dit que l’on est compétent. Parfois, on peut avoir
du plaisir au travail. Quand on est en phase de plaisir au travail, on stimule le lobe frontal du
cerveau et l’on secrète l’hormone du plaisir, l’ocytocine. On arrive donc au travail motivé. C’est
ce que l’on devrait tous faire au travail. Puis, petit à petit, la personne se rend compte ensuite
que les objectifs vont être difficiles à tenir, que la charge de travail est trop importante. Le salarié
va devoir travailler plus. Il va se dire que sa charge de travail est trop importante et qu’il ne va pas
y arriver. C’est à ce moment-là que le salarié passe du côté « plaisir » au fait de se dire qu’il ne va
pas y arriver et donc être en stress. Son cerveau analyse qu’il ne va pas y arriver. Quand on est en
stress, on sécrète du cortisol, l’hormone du stress, et l’on commence à avoir tous les effets
négatifs du stress. Vu que sa charge de travail est excessive, la première façon de réagir du salarié
est d’augmenter son temps de travail. Il va travailler sur des journées de 10 à 12 heures. On
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commence à voir que c’est au détriment de sa vie familiale, mais il tient quand même. On va
arriver à la troisième étape : l’acharnement. Le salarié qui est investi et perfectionniste n’arrive
plus à se déconnecter du travail, car il veut prouver, à lui-même et à son entreprise, qu’il va y
arriver. Il est obsédé par l’atteinte de ses objectifs. Il devient « work addict », accro au travail.
C’est à ce moment-là qu’apparaissent tous les signes de stress chronique.
Le cortisol va se mettre dans l’ensemble de l’organisme. Il va être délétère dans l’ensemble du
corps. En premier, avec des manifestations que vous verrez, ça va atteindre le cerveau. Le cortisol
se mettant dans les neurones, 20 % des neurones vont éclater. La personne va avoir des troubles
de la mémoire, de la concentration et de la créativité. Elle va faire plein d’erreurs. Plus elle va
faire des erreurs, plus elle va passer du temps au travail et plus elle va être en angoisse et en
inquiétude, car elle arrivera encore moins à faire son travail. Elle va avoir des manifestations
d’émotions. Elle sent qu’elle n’y arrive pas. Elle va être irritable et agressive. Elle va ensuite
s’isoler. Elle va avoir des manifestations sur l’ensemble du corps dues à toutes les pathologies du
stress. Le cœur va s’emballer. Elle va avoir des troubles cutanés, des troubles musculo-
squelettiques… Elle va passer en effondrement. C’est la dernière étape. Le salarié n’y arrive plus.
Il est hyper investi. Il va avoir un choc émotionnel. Il va y avoir une situation injuste et humiliante
qui va faire craquer le salarié. Quand le salarié craque, ça peut être de façon suraiguë. Il ne va
plus pouvoir se lever ou il va faire un AVC. De toute façon, il va aller vers une non-possibilité de
travailler.
Combien de personnes sont atteintes ? Les chiffres varient. Nos amis de Technologia disent que
potentiellement, il peut y avoir 3 millions de personnes. Selon l’INSEM, il y a 150 000 personnes
qui sont atteintes aujourd’hui. C’est quand même beaucoup. Les partenaires sociaux essayent
d’avancer pour créer un tableau de maladies professionnelles. À la date d’aujourd’hui, il y a une
commission qui s’est réunie le 15 septembre qui me fait croire qu’il n’y aura pas de création de
tableau de maladies professionnelles, mais que l’on va pouvoir diminuer le taux d’incapacité
permanente, qui était de 25 %. Il va peut-être pouvoir passer à 10 %. On va élargir la facilité pour
être déclaré en maladie professionnelle. Mais ce n’est pas une réussite en soi. Il vaut mieux faire
la prévention du syndrome d’épuisement professionnel. C’est notre devoir. C’est notre obligation.
Nous avons tous un rôle collectif. Syndicalistes, sachants, DRH, nous devons tous faire de la
prévention en entreprise. Cela veut dire qu’il faut en parler, regarder autour de soi ce qui se passe,
en parler pour les syndicalistes, en parler pour les directions, et surtout, faire de la prévention
primaire, c’est-à-dire regarder dans le travail ce qui a mis les personnes en burn-out : la charge
de travail trop importante, la charge émotionnelle trop importante, la connexion permanente.
C’est problématique pour les cadres. Ils doivent amener leur travail à la maison, donc ils peuvent
travailler au bureau, à la maison, presque 18 heures sur 24. Ce sont les choses principales à voir.
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Le dernier sujet que je veux aborder est de faire le rapport avec le handicap psychique. On voit
les dégâts que fait le burn-out. Les entreprises vertueuses commencent à se poser la question du
retour à l’emploi. Elles sont peut-être dans le déni sur la raison qui a fait que la personne est
partie de l’entreprise. Mais quand la personne a été mise en invalidité et que l’on parle de retour
en emploi, il faut se demander à quel emploi et voir comment faire pour remettre ces personnes
en emploi. On travaille donc maintenant sur le thème du handicap psychique. C’est une nouvelle
façon d’aborder la prévention du burn-out avec la prévention du handicap psychique. C’est
possible, mais c’est très compliqué quand on voit l’état cognitif dans lequel se trouvent ces
personnes au bout de six mois, un an voire deux ans d’arrêt de travail. C’est ce que l’on demande
de plus en plus par ce que l’on appelle du « job coaching ». Pour remettre en entreprise un salarié
victime du burn-out, il ne faut pas qu’il y ait la même charge de travail. Il faut surtout qu’il soit
accompagné auprès de ses collègues, auprès du manager et de la direction pour que son poste
soit vraiment aménagé.
Je pense que l’on reprendra le débat avec les députés. Je ne suis pas optimiste après avoir été
auditionnée à la commission des affaires sociales –, mais j’espère que les députés nous diront le
contraire. Je pense que les débats actuels vont accoucher d’une souris. Seuls les médias vont nous
permettre de mettre le sujet au cœur de l’entreprise. C’est un sujet qui ne doit pas être tabou. Il
faut en parler. Il faut regarder ce qui se passe dans l’entreprise. Et c’est ensemble que l’on pourra
venir au bout de ce fléau, ou tout du moins faire de la prévention pour qu’il y en ait le moins
possible et que le monde du travail soit un peu moins cruel avec l’ensemble du personnel et
personnel d’encadrement et de direction. En tant que médecin du travail, c’est quelque chose
que je vis. Ce sont en majorité les directeurs d’établissements qui sont victimes de burn-out. Mais
ça ne se voit pas du tout, parce que quand on est directeur d’établissement, on est forcément le
meilleur et le plus fort.
M. Laborde.- Vous allez avoir l’occasion de poser des questions à nos intervenants. Deux
personnes au fond de la salle ont des micros. Il suffira de lever la main pour intervenir.
Je vais d’abord poser une première question : j’ai souvent vu des salariés qui affirmaient qu’ils
étaient en burn-out. En apparence, ils ne répondent pas aux descriptions que vous faites du burn-
out. On ne va pas faire de langue de bois. Il y a des salariés qui rentrent chez eux. Ils se sont un
peu engueulés avec leur chef l’après-midi. Madame n’est pas disponible. Le lendemain, quand il
retourne au bureau, ils disent qu’ils font un burn-out. Y a-t-il burn-out et burn-out ? Où se trouve
la frontière ? Et quelle conséquence peut avoir cette confusion de galvauder le terme de burn-
out ?
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Martine Keryer.- Il ne faut pas confondre burn-out et pétage de plomb. Quelqu’un qui fait un
burn-out va être en arrêt pendant six mois, un an, deux ans, voire ne reprendra jamais le travail.
Le burn-out n’est pas juste un moment difficile. C’est très délétère d’employer le mot trop
facilement. C’est comme le terme de harcèlement. Avant, seuls les médecins du travail et les
sachants parlaient de harcèlement. Maintenant, on parle de harcèlement dès qu’il y a une
réflexion désagréable. Le burn-out est une maladie très grave dont on se relève très difficilement.
Quelqu’un qui a fait un burn-out ne revient jamais dans le même état qu’avant et ne reviendra
jamais à son emploi précédent.
M. Laborde Y a-t-il des questions ?
Intervenante.- Bonjour. Je voulais savoir comment faire la différence entre le burn-out et une
dépression. Est-ce que des personnalités à caractère dépressif sont plus sujettes au burn-out ?
Martine Keryer.- Dans le burn-out, c’est le travail qui a mis la personne dans cet état et
uniquement le travail. Quand j’ai quelqu’un devant moi, je ne me pose jamais la question. La
personne n’est pas forcément triste. Elle est épuisée. Elle vous décrit qu’elle n’y arrive plus,
qu’elle est fatiguée, qu’elle est pleine de douleur, qu’elle n’arrive plus à faire son travail. J’en ai
vu une hier. Elle ne m’a jamais dit qu’elle était déprimée. Il n’y a aucune ressemblance entre un
syndrome dépressif et un syndrome d’épuisement professionnel.
M. Laborde.- Y a-t-il d’autres questions ?
Intervenant.- Bonjour. Je travaille dans le groupe Nexans. Je suis délégué syndical CFE-CGC et
actuellement délégué du personnel. J’ai été confronté au problème suivant. J’ai une collègue
proche, qui travaille dans le même service que moi, qui est arrivée il y a à peu près un an et demi
ou deux ans. Depuis ce temps-là, elle a un travail extrêmement prenant. Elle est là tous les matins
à 7 heures le matin et le soir elle part aux alentours de 19 heures. Mais elle part aussi parfois à 22
heures. Un jour, j’ai soupçonné que l’on était dans les premières phases que vous avez décrites.
Je me suis permis – sans avoir eu son autorisation – d’évoquer son cas lors d’une réunion de
délégués du personnel. Elle m’en a fait le reproche en disant qu’elle s’en était très bien sortie
toute seule. Elle m’a dit qu’elle avait déjà connu des situations de surcharge de travail. Elle ne
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voulait pas que l’on évoque sa situation dans des instances comme des réunions de délégués du
personnel. Aujourd’hui, la situation ne s’est pas arrangée. Ça risque de s’aggraver dans les mois
qui viennent. Comment réagir ?
Martine Keryer.- A priori, votre collègue est en stress chronique, parce qu’elle n’y arrive pas. Pour
qu’il y ait vraiment le passage en burn-out, il faut qu’il y ait un facteur émotionnel très important.
Par exemple, pour votre collègue qui travaille comme une folle, elle va rendre un dossier à son
n+1 et il va lui dire que c’est un « dossier merdique ». Ce jour-là, elle va prendre une claque. C’est
à ce moment-là qu’elle va passer en burn-out. Il y a beaucoup de gens qui roulent en stress
chronique éternellement. Ils peuvent avoir des problèmes cardiaques. Mais pour être en burn-
out, il faut vraiment le facteur émotionnel.
Il est logique que votre collègue n’ait pas apprécié que vous en parliez en DP. Il faut quand même
l’accord des personnes. Il faudra peut-être l’envoyer auprès du médecin du travail. Ça m’arrive
souvent de voir des personnes en état de burn-out et de les mettre en arrêt du travail.
Intervenant.- Le conseil est de demander aux médecins du travail de la recevoir.
Martine Keryer.- C’est plus compliqué. Grâce à la loi travail, la visite médicale du travail n’existera
plus à partir du mois de janvier. Le médecin ne peut pas convoquer les gens. Il faut s’arranger
pour que la personne aille voir le médecin du travail. L’employeur peut le demander. Si
l’employeur est conscient qu’elle a un comportement voisin du burn-out, il peut demander au
médecin du travail de la convoquer.
M. Laborde.- Si je peux me permettre un complément de réponse qui s’adresse aux élus et
partenaires sociaux dans la salle, je vous rappelle que si vous avez connaissance d’un état de
risque physique ou psychique pour des salariés, vous avez l’obligation d’en informer l’employeur.
L’employeur a une obligation de moyens et de réussite. Là, tu as fait en partie ton travail, sauf
que les DP n’étaient peut-être pas le cadre idéal, car c’est ouvert. Sans l’accord du salarié, on peut
procéder comme je viens de vous le décrire. C’est mentionné dans le Code du travail. Merci,
Martine.
Je passe la parole à Danièle Lemeunier. Vous êtes en arrêt de travail depuis 30 mois suite à un
burn-out. Vous avez tenu à témoigner, afin d’illustrer ce que le Docteur Keryer vient de nous
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indiquer. Merci de nous raconter ce qui vous est arrivé : l’enchaînement des situations et des
faits, vos premiers jours et semaines d’arrêt de travail, vos difficultés pour obtenir un classement
en maladie professionnelle individuelle et la façon dont vous envisagez l’avenir.
Danièle Lemeunier.- Bonjour. Merci d’avoir répondu présent si nombreux à l’invitation sur un
sujet qui me touche beaucoup. Ce matin, il était important pour moi de venir vous raconter mon
histoire de burn-out. J’ai 54 ans. J’ai une vie privée très équilibrée. J’ai démarré dans une
entreprise il y a 35 ans. J’arrivais de Brest. Cette entreprise avait des valeurs et des possibilités
d’évolution qui étaient extrêmement porteuses. J’ai décidé de postuler. J’ai passé de très belles
années dans cette entreprise avec des évolutions de poste, des encouragements, de la
reconnaissance, des rencontres incroyables que ce soit au niveau national et international. J’ai
fait des rencontres humaines, des gens bien qui m’ont appris beaucoup. J’ai grandi joliment dans
cette entreprise pendant 29 ans. J’ai vécu des restructurations. Ce n’est pas forcément négatif
pour moi. Ça permet d’évoluer, d’apprendre et de rencontrer d’autres personnes.
En 2009, on annonce une énième restructuration et je plonge dans un monde de silence. Plus
personne ne me parle ou ne m’accompagne. Personne ne me dit qu’il n’y a rien pour moi. J’ai
commencé à perdre pied. Je me disais que ce n’était pas possible, parce que j’aimais cette
entreprise. J’ai attendu. J’ai essayé d’aller dans d’autres entités à l’intérieur de l’entreprise. J’ai
partagé mes valeurs encore et encore. En 2010, cela faisait 18 mois que j’attendais une
proposition, et rien n’est venu. Fin juillet, on m’a proposé d’exercer un nouveau métier avec une
réduction de salaire de 16 %. Je me suis dit que ça n’était pas grave, que j’avais envie d’apprendre
autre chose, que j’allais travailler dans un secteur d’activité que je ne connaissais pas. J’ai signé.
J’ai rencontré le médecin du travail à ce sujet. Il m’a alerté. Il m’a demandé si j’étais sûre de vouloir
aller dans ce service. Il m’a indiqué que tout ce service avait été en burn-out pendant une semaine
deux ou trois mois avant que je l’intègre. Il m’a dit que ce service était très soudé. Je lui ai dit que
j’avais l’habitude, que j’aimais aller vers les gens et partager. Donc, j’ai signé et cela a été le début
de ma fin. J’exerçais un nouveau métier et personne ne m’accompagnait. La formation consistait
à s’asseoir à côté d’un bureau et à regarder un ordinateur. L’équipe était en surcharge de travail.
Elle n’avait pas le temps de me former correctement. C’est un univers de travail très bruyant. Il y
avait des allées et venues de salariés constantes. L’outil informatique était défaillant. Je me disais
jour après jour qu’il fallait que j’y arrive. Je voulais prouver que j’étais capable. Mais je n’étais pas
capable. J’ai occulté le fait que je n’étais pas capable, parce que j’étais fatiguée. J’étais fatiguée
d’un nouveau travail que j’avais du mal à intégrer dans une équipe qui était performante, mais
aussi très fatiguée.
J’ai tenu un an. Une nouvelle personne est venue en tant que responsable du service. Une
nouvelle personne est arrivée aussi. Je me suis dit que ça allait redémarrer. Ce n’est pas venu.
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2012 est passé, et ça n’est pas venu. En 2013, je ne sais pas pourquoi, mais je me suis sentie à
l’aise dans le travail. Il y avait deux personnes en moins. On s’est retrouvé à deux à assurer le
travail. C’était un travail fou. Je me suis dit que j’arrivais. On m’a même donné une prime. Je me
suis dit que j’avais enfin la reconnaissance.
En 2014, ça n’allait plus. Je ne sais pas pourquoi. Le travail était de plus en plus lourd. Un soir, en
rentrant, au mois de mai 2014, j’avais la tête ailleurs et j’ai freiné à temps, parce que je basculais.
Je me suis dit que j’allais devoir faire quelque chose, que ma vie était plus importante que ce
travail. Je suis rentré chez moi, j’ai pleuré et je suis allé voir mon médecin. Il m’a arrêté sur-le-
champ. Il m’a dit que ça n’allait pas. Il a constaté que j’avais perdu du poids. Je ne dormais plus.
Il m’a arrêté pour un burn-out, épuisement professionnel profond. Je me suis dit que mon
médecin me connaissait. Souvent, on associe le burn-out à un déséquilibre privé. Ce n’est pas le
cas. J’ai demandé à mon médecin traitant de me donner le nom d’un psychiatre. J’avais besoin
de cette écoute externe. J’ai rencontré un psychiatre en juillet 2014. J’ai compris qu’un psychiatre
était de l’écoute. Ce psychiatre m’a donné la carte de visite d’une psychologue qui travaillait à la
maison « Souffrance et travail ». J’ai appelé au mois d’août 2014. J’ai compris le travail d’un
psychologue. C’était un accompagnement. J’en avais besoin. J’avais ma famille, mais quand on
est dans un tel épuisement, la famille entoure, mais elle ne peut pas entendre. On est seul dans
cette situation. La psychologue m’a accompagnée.
Quand je me suis arrêtée, j’ai développé des troubles importants. J’avais des problèmes de peau.
Je suis allé voir un dermatologue. Trois mois après, on m’a dit que c’était un psoriasis. Je n’avais
pas retrouvé le sommeil et l’appétit. En septembre 2014, j’avais de petits fourmillements dans
une cheville. Le médecin m’a fait passer un scanner lombaire. Il n’y avait rien. Il m’a envoyé à la
clinique du rachis à Neuilly-sur-Seine. Avec le neurologue, ça a duré plusieurs mois. Il a fait
beaucoup de recherches (prise de sang, IRM). En juillet 2015, il m’a fait une ponction lombaire.
On s’est rendu compte que le système nerveux avait été abîmé. Le travail avait abîmé mon
système nerveux. J’ai eu des traitements.
Pour moi, il est important de témoigner. C’est ma thérapie de vous dire que l’on n’a pas le droit
d’avoir mal au travail. Je pense que je suis une personne correcte. On m’a manqué de respect
dans ma santé et dans mon travail. J’ai aperçu les visages de personnes qui sont aussi touchées
et qui ont envie de se battre. Il est important pour moi de le dire. Ma psychologue qui m’a
accompagnée. Un psychologue est un accompagnement. Elle m’accompagnait pour ne plus avoir
honte. Je me semblais nulle. Aujourd’hui, je suis fière de moi. Cela signifie que j’ai avancé.
Ma psychiatre continue de me voir tous les mois. En septembre 2014, elle a décidé de faire une
demande de reconnaissance en maladie professionnelle de mon burn-out. Il est important pour
moi de parler. Il est important de dire aux gens qui sont touchés qu’il faut y croire toujours. La
reconnaissance en maladie professionnelle prend du temps. Mon dossier a commencé en
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septembre. J’ai été vue par un inspecteur. Il a rencontré l’entreprise et la direction. J’ai reçu un
premier courrier de la commission. Ma demande en maladie professionnelle a été rejetée trois
fois. Finalement le 19 octobre 2015, j’ai reçu un courrier. J’ai tremblé en ouvrant la lettre. J’ai vu
que la commission reconnaissait mon burn-out en maladie professionnelle. J’ai encore pleuré. Je
me suis dit que je n’avais pas affabulé, que le mal était là. Nous ne sommes pas des menteurs.
Nous sommes de belles personnes. C’est important.
J’ai encore un médicament pour dormir. C’est difficile de retrouver le sommeil. C’est un sommeil
sans rêves. Cela fait 30 mois que je ne rêve plus. Cela me manque beaucoup. Je n’ai pas d’autres
médicaments importants à part pour soigner mon système nerveux. Je n’ai pas le choix. Il faut
que je me soigne. Je chante aussi. Ça fait partie de ma thérapie. C’est mon moment à moi. J’arrive
à voir des gens qui vont moins bien que moi. Je ne veux pas rentrer dans la vie des gens. Mais je
suis attentive. Si les personnes veulent me parler, elles me parlent. Je peux les orienter vers la
maison « Souffrance au travail », leur raconter mon histoire et leur dire qu’il faut de la force pour
avancer, mais que, quand on est bien accompagné, on peut y arriver. Aujourd’hui, j’ai envie de
dire que je vais moins mal. J’ai envie d’aller très bien. Je n’y suis pas encore. Je pense que je vais
y arriver. J’ai de belles personnes autour de moi. Vous êtes là ce matin. C’est extrêmement
important. Ça veut dire que le sujet est grave. Il est porteur aussi de positif. Il faut y croire. Que
l’on soit chef d’entreprise ou salarié, on n’a pas le droit d’avoir mal au travail. Merci.
M. Laborde.- Merci de saluer son courage et le fait qu’elle parvienne à retourner sa situation
profit des autres. Je vais passer la parole à James Brault qui est en arrêt de maladie depuis 23
mois. Il va vous raconter son histoire.
James Brault.- J’ai été salarié dans la même entreprise pendant 30 ans. Elle vendait de la
nourriture en gros à une clientèle de boulanger et de restaurateurs. C’était une société de 35
personnes. J’ai été embauché comme télévendeur en 1985. J’ai travaillé pendant 10 ans. En 1995,
j’ai été promu cadre comptable. Responsable financier des ressources humaines pendant 10 ans,
au déménagement de la société en 2006, j’ai été promu cadre de l’organisation jusqu’en
septembre 2011, puis directeur adjoint jusqu’à mon arrêt maladie le 8 décembre 2014.
À l’époque du déménagement en 2005, les trois dirigeants de la société étaient de la même
famille. Ils étaient propriétaires de la société et salariés dirigeants de l’entreprise. Suite au
déménagement, la société s’est retrouvée en perte, car l’activité commerciale a été moins bien
supervisée. La responsable de la société a décidé d’une augmentation de salaire généralisée qui
a aggravé la perte. J’ai chiffré l’augmentation et ses répercussions. Je lui ai dit que les salaires
étaient déjà convenables. Je lui dis que je n’étais pas d’accord, parce que cette décision était
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suicidaire. Elle a répondu qu’elle était la patronne, qu’elle décidait, qu’elle ne voulait plus que je
m’occupe des salaires et qu’elle s’en occuperait avec la responsable des ressources humaines. J’ai
été également en désaccord avec le directeur général et le directeur adjoint des achats. Il devait
s’occuper des achats. Souvent, il ne demandait pas les prix d’achat et les cachait quand ils étaient
mauvais. Quand je leur disais que les achats étaient primordiaux et que la société allait finir dans
le mur, ils me disaient qu’ils étaient les patrons et qu’ils décidaient. Tous les jours, j’ai essayé de
les convaincre que leur gestion finirait mal et que la société allait s’écrouler.
Deux commerciaux avaient menacé de partir s’ils n’étaient pas promus directeurs commerciaux.
La dirigeante a accepté. Mais ils ne suivaient que leurs clients et ne supervisaient pas les autres.
J’ai dû m’occuper avec les autres commerciaux et télévendeurs de la supervision des autres
clients pour ne pas les perdre. Quand la société était en difficulté à cause de décisions de gestion
des dirigeants, à chaque fois, je m’angoissais et je m’inquiétais. Je dormais mal. Devant leur
inconscience, je ne voulais pas laisser la société s’effondrer alors je m’investissais à leur place, en
venant tôt et en partant tard, de 7 heures à 19 heures. En 2011, des spasmes incontrôlés liés au
stress au travail, remarqués par mes proches, les dirigeants de la société et les salariés, ont
entraîné une visite médicale. En octobre 2012, la dirigeante a décidé d’une augmentation
généralisée des salaires qui a entraîné une perte en 2013-2014. Quand je lui ai dit qu’elle était
inconsciente, elle m’a répondu qu’elle commandait. En fait, je n’avais aucun pouvoir. Je n’étais
qu’un adjoint très seul. Je l’ai prévenue que la société allait finir dans le mur. En 2014, la société
était au bord de la cessation de paiement : blocage des livraisons par les fournisseurs, banque qui
supprime le découvert…
En octobre 2014, je suis allé voir mon généraliste qui m’a prescrit des anxiolytiques, car j’étais
angoissé, je dormais à peine et j’étais épuisé. Une collègue m’a fait remarquer que j’avais des tics
et des tremblements nerveux alors que jusqu’à présent j’étais quelqu’un de calme et que cela ne
m’était jamais arrivé. Mes proches me prévenaient régulièrement que la société finirait mal à
cause des anciens dirigeants et que cela me retomberait dessus. Mais je ne voulais pas baisser les
bras. Je n’arrivais pas à prendre de la distance.
Fin novembre 2014, les dirigeants ont vendu leur société en quelques jours. J’ai dit au nouveau
directeur que c’était bien qu’il reprenne la société, car je me sentais seul à régler tous les
problèmes. Il m’a demandé pourquoi la société était en perte. Je lui ai expliqué mes désaccords
avec les décisions des anciens dirigeants. Il m’a répondu que j’aurais dû démissionner et que si
j’étais le directeur adjoint d’une société en perte, c’est, parce que j’étais incompétent. Pour lui,
j’avais profité des anciens dirigeants. Je lui ai dit que je n’avais jamais demandé ni promotion ni
augmentation. Un soir, nous avons fait le tour de l’entrepôt qui venait d’être nettoyé et il m’a dit
que s’il ne restait pas ainsi tous les jours, il me virerait. Un vendredi, il m’a dit qu’il faisait le point
sur les dossiers que je ne maîtrisais pas et qu’après, je verrais. J’ai très mal dormi. Je suis revenu
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le samedi pour mettre à jour mes dossiers. Je me suis fait peur. Je n’avançais plus. Je suis revenu
le dimanche, car je n’ai pas réussi à bien travailler le samedi, mais c’est encore pire. Je n’avais
pratiquement pas dormi la nuit. J’étais épuisé. Je sais ce que je faisais. Je suis rentré, et je me suis
écroulé. Mes proches m’ont dit que j’étais au bout du rouleau et que j’allais finir hospitalisé. Je
ne voulais pas m’arrêter, parce que je voulais faire mes preuves avec le nouveau directeur. Le 8
décembre 2014, j’étais incapable de travailler. Je suis retourné voir mon médecin. Le médecin
m’a arrêté trois semaines. Je lui dis de me donner un arrêt plus court en lui expliquant que je
devais faire mes preuves avec le nouveau directeur, que les absents avaient toujours tort et que
je n’avais jamais été arrêté. Le médecin m’a dit que mon arrêt serait probablement beaucoup
plus long et qu’il envisageait même une hospitalisation. À partir de ce moment, j’ai été arrêté. Je
prenais des antidépresseurs, des anxiolytiques. J’ai vu un psychiatre toutes les semaines. J’ai vu
une assistante sociale. J’ai été suivi par Docteur Jaworski en consultation souffrance au travail à
l’hôpital de Garches. J’ai également fait des séances avec des psychologues.
Pour la difficulté de la reconnaissance de la maladie professionnelle, avec le psychiatre, on a fait
une demande de reconnaissance de maladie professionnelle pour dépression, épuisement,
surmenage professionnel, en septembre 2015. La nouvelle direction m’a licencié le 10 octobre
2015. J’ai engagé une procédure prud’homale. Le jugement aura lieu en septembre 2017. Le 11
mars 2016, il y a eu un refus de prise en charge de ma demande de reconnaissance, car le comité
régional de reconnaissance de maladies professionnelles n’avait pas rendu sa décision. Le 9 mai
2016, j’ai contesté ce refus. Le 13 mai 2016, avec le Docteur Jaworski de la souffrance au travail,
je fais une demande de dossier à la maison départementale des personnes handicapées. Le 11
juillet 2016, j’ai contesté le refus de ma reconnaissance. Le comité n’avait pas rendu sa décision.
Le 1er août 2016, j’ai reçu un courrier m’informant que ma maladie était reconnue comme maladie
professionnelle. C’était un grand soulagement. Le 26 octobre 2016, j’ai eu rendez-vous à la
maison des personnes handicapées avec une psychologue. J’en suis là. Je ne me rendais pas
compte que je n’arrivais pas à prendre de la distance avec la société. Dans mon cas, ça n’était pas
un refus, mais c’était que la décision n’était pas prise. La reconnaissance m’a beaucoup soulagé.
Depuis, je commence à aller mieux.
M. Laborde.- Merci beaucoup James. Je sais que cette séquence est un moment très dur à revivre
pour toi. Comment vois-tu l’avenir aujourd’hui ?
James Brault.- J’envisage une démarche de reconversion. J’ai fait un bilan de compétence. Je suis
prêt à reprendre un autre métier, même à la base. Je suis encore un peu ralenti, mais cette
démarche de reconversion m’aide aussi.
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M. Laborde.- Les deux personnes qui ont témoigné devant vous sont des personnes courageuses :
courageux avant, courageux dans l’épreuve et courageux pour témoigner.
Je passe la parole à Françoise François. Vous êtes psychologue du travail et experte agréée à la
cour d’appel de Versailles. Vous êtes très impliquée dans une association qui a été citée à
plusieurs reprises. Vous commencez à être connus sur le milieu qui milite et qui combat pour
prévenir et amener les compensations et les prises en charge sur le burn-out. Pouvez-vous
compléter le tableau que nous a présenté le Dr Keryer ?
Françoise François.- Je vais peut-être dire des choses un petit peu différentes. Cela prouve aussi
que le sujet est en débat parmi nous. Il n’y a pas de vérité. Personne ne la détient. Je vais dire
aujourd’hui des choses pour lesquelles c’est une intime conviction, mais je ne détiens pas la
vérité.
En ce qui me concerne, si je devais définir le burn-out, je dirais que c’est la maladie des courageux.
Bien souvent, les victimes sont des personnes extrêmement fiables dans le travail. Ils ne comptent
pas leur temps. Ils sont extrêmement investis. Ils veulent absolument être les meilleurs. Ils veulent
être inscrits dans la société avec une reconnaissance sociale et mettent tout en œuvre pour cela.
C’est légitime. On aime le travail bien fait. Vous ne comptabilisez pas votre temps. Vous êtes
souvent en quête de reconnaissance. C’est peut-être en lien avec votre propre histoire. Cela reste
légitime. Il s’agit d’une reconnaissance de l’investissement que vous avez eu au travail et du bon
travail que vous avez fourni. Et pourquoi pas, être reconnu comme étant des meilleurs ? Mais
c’est la quête du Graal. La reconnaissance va peut-être venir de vous-même. Vous pouvez être
fiers du travail que vous fournissez et de sa qualité. N’attendez pas de l’autre qu’il vous apporte
la reconnaissance.
Tout cela arrive à cause de la surcharge. Il y a la difficulté du « toujours plus ». Il faut faire avec. Il
y a moins de collègues. Les collègues sont partis. Ils n’ont pas été remplacés. Vous allez occuper
un, puis deux, puis trois postes. Vous allez faire, mais on vous dit que c’est transitoire. Vous vous
dites que le chef a raison : cela va s’arranger. Mais la surcharge continue. Alors vous retournez
voir le hiérarchique et vous lui dites que ça ne s’arrange pas. Là, on vous dit que vous avez
problèmes d’organisation.
Alors vous allez finir par croire ce que l’on vient de vous dire : que vous ne savez pas vous
organiser. Petit à petit, vous allez passer de compétent à incompétent. Vous devenez coupables
de ne pas y arriver. Or ça ne fait pas partie de nos schémas. Vous deviez y arriver, parce que c’est
inscrit. Vous êtes en quête de reconnaissance, d’être le meilleur. Votre père vous a dit qu’un jour
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vous seriez le meilleur. Vous finissez par ne plus pouvoir travailler. Ce que l’on vous demande est
insupportable, insurmontable. Tout à coup, la peur s’installe. Vous avez peur que l’on vous dise
que vous êtes nuls, que vous êtes en faute. Après 30 ans de loyaux services, vous vous dites que
vous faites des fautes et que l’on pourrait bien vous licencier. On se dit que l’on va se retrouver
au chômage à 57 ans.
Tout à coup, on se dit que l’on va redoubler d’efforts. Il reste quand même une petite lueur
d’espoir. On décide d’arriver plus tôt au travail et de mettre tout en œuvre. On essaie aussi de
rester plus tard, de travailler chez soi, quand les enfants seront couchés. La nuit, c’est mieux. Sauf
que l’on se lève à six heures, parce que l’on a décidé d’aller plus tôt au travail. C’est un cercle
infernal.
Tout à coup, le stress s’installe. On a ce que l’on appelle des troubles cognitifs, des oublis. On
retrouve les clés de la voiture dans le frigo. On a mal partout. On n’arrive plus à dormir. On n’a
plus de patience. Les enfants vous énervent. Ce n’est pas bon pour les enfants. Tout se
désorganise à la maison. C’est plus pareil. On n’a plus de libido. On n’a plus de désir. Quand on
est en couple, le couple commence à battre de l’aile. Quand on est seul, on se met à avoir des
idées noires. De plus, on ne dort plus, car on rumine la nuit à chercher des solutions pour le
lendemain. Il faut continuer à prouver que l’on fait du beau et bon travail. Mais même si vous ne
le savez peut-être pas, votre destin est d’être renvoyé. Vous avez mal au dos. Vous êtes de plus
en plus fatigué. Vous faites des oublis. Le docteur nous parlait tout à l’heure de troubles cognitifs.
En réunion, on vous fait remarquer ces oublis devant tout le monde. C’est très humiliant. Vous
avez l’impression d’avoir la maladie d’Alzheimer. On fait des tests neurologiques pour vérifier.
Vous apercevez que vous pleurez pour un oui ou pour un non. Ça vous trouble, car cela ne vous
ressemble pas. Ce n’est pas vous. Vous vous désocialisez. Vous ne parlez plus à vos collègues.
Vous êtes ignorés des autres. Plus rien n’a l’importance. Vous oubliez vos activités annexes. Cela
fait longtemps que vous n’avez plus de temps à consacrer aux loisirs.
Vous passez de l’amertume à la colère. Vous avez des vertiges. Vous perdez ou vous prenez du
poids. Alors on ne se parle plus. Plus personne ne se comprend. On ne va plus voir la hiérarchie
pour dire que ça ne va pas. On a honte de ce que l’on est, de ce que l’on est devenu. On a peur.
On se demande ce qui va nous arriver. On se dit que l’on ne peut pas s’arrêter. Beaucoup sont
dans cette situation, mais ne sont pas conscients de là où ils en sont. Parfois, c’est pendant la
consultation que l’on peut poser la question d’arrêt de maladie. L’arrêt maladie est parfois très
compliqué à obtenir, pas tant du côté du médecin que de celui du salarié.
On s’enferme de plus en plus. On décide de prendre des médicaments pour tenir. Pour certains,
la dépression s’est installée. Il y a bien une perte de l’élan vital. On n’y arrive plus. On ne peut plus
se lever. On ne peut plus démarrer la voiture. Quelque chose s’installe. On va prendre des
médicaments. Pour certains, ce sont des stupéfiants qui vont permettre de retourner au travail.
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Pour d’autres, on commencera les antidépresseurs, les anxiolytiques et les somnifères. Certains
vont prendre un peu de cocaïne. Ça donne un sacré coup de fouet. On peut fumer davantage,
prendre un petit verre d’alcool le soir, puis plusieurs. Puis, il y a la désillusion. On se dit que l’on
est inutile, que l’on a plus de plaisir, que l’on ne ressent plus rien. On ne comprend plus ce que
l’on nous demande. On ne sait plus où l’on en est. On se dit que c’était mieux avant. Quand vous
le dites à vos collègues, ils vous font remarquer que vous avez vieilli. Et là, c’est la panique, les
sanglots, c’est la prise en charge qui peut aller jusqu’à l’hospitalisation en psychiatrie. Et vous êtes
en burn-out.
Comment est-ce que l’on traite un burn-out ? Le premier traitement est l’arrêt maladie. C’est
l’éloignement du travail. Il faut couper court avec l’ordinateur et le téléphone. Pour ne pas se
mettre en difficulté avec l’employeur, il faut prévenir par un petit e-mail que vous êtes dans un
état tel que vos spécialistes ont demandé que vous preniez un peu le large et que cela va durer
un certain temps. Là, miracle : vous obtenez des réponses qui vous disent de bien prendre soin
de vous.
Ce qui est important et même vital, c’est cette notion du temps. Au début, vous vous dites que
cela fait déjà un mois que vous êtes arrêté et que vous n’allez pas mieux. C’est normal. Pour
certains, on commence à aller mieux après six mois d’arrêt maladie. Pour certains, c’est un an ou
deux ans. Pour certains, le retour au travail sera impossible. Pour d’autres, la reconversion
professionnelle est la meilleure solution. Pour ceux qui ont un certain âge, on envisage d’invalidité
de deuxième catégorie avec la sécurité sociale et la couverture prévoyance. La personne se
retrouve ainsi avec un salaire correct jusqu’à la retraite.
Pour que cela aille bien, il faut que le salarié accepte sa situation. Ça demande du temps. Ce n’est
pas du jour au lendemain. Pour arriver aux résultats de Danièle ou de James, il faut du temps. Il
faut aussi pouvoir accueillir ces moments d’incertitude et ces moments de grande peur. C’est un
état. C’est certainement un état très déconcertant et angoissant. Mais il va vous amener à autre
chose. Vous allez guérir, parce que l’on en guérit. Ensuite, on est plus fort. On a des petits
clignotants à l’intérieur. On est capable de dire si ce que l’on demande est faisable ou non. On est
capable de poser des limites.
En 2013 a émergé l’idée d’ouvrir une maison à Poissy. Son titre est non équivoque. C’est la maison
de la Souffrance au travail. C’est une association loi 1901 qui n’a absolument aucune subvention
de l’État, parce qu’il n’y a pas de souffrance au travail. C’est pour ça que vous êtes tous ici
aujourd’hui. Ce n’est pas tellement le travail qui fait souffrir, mais je remarque que la majorité
des souffrances détectées à la maison de la souffrance au travail sont des souffrances liées aux
relations au travail. C’est entre nous que l’on se fait du mal. L’objectif de cette maison est le
suivant : quand vous rentrez, vous êtes cassés, et quand vous sortez, vous êtes réparés.
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M. Laborde.- Merci pour cette présentation qui aboutit au garagiste de l’âme et du corps que
vous êtes. J’ai une question à vous poser. Depuis 2013, avez-vous constaté une évolution du
nombre de cas ? Quelle pourrait en être la cause ?
Françoise François.- Maintenant, comme on sait qu’il y a une maison qui est unique en son genre,
on voit de plus en plus de gens venir nous voir. Je ne peux pas dire que c’est le reflet de la société
en général. Par ailleurs, les cas que nous rencontrons sont extrêmement graves. Ça nécessite des
prises en charge très longues. L’équipe est pluridisciplinaire. Il y a sept spécialistes au total. Je ne
me souviens plus de votre question. C’est le stress.
M. Laborde.- J’ai été secrétaire de CHSCT pendant des années. Dans mon expérience, à mon sens,
nous avons vu arriver deux facteurs principaux qui voient un accroissement du nombre de cas de
burn-out. Le premier est la crise économique qui met des entreprises en difficulté. Ce sont les
courageux qui rentrent dans cet engrenage. L’entreprise est en difficulté et ils se surinvestissent
pour sortir l’entreprise de la situation.
Le deuxième facteur d’accroissement est l’arrivée des téléphones portables, des tablettes et des
ordinateurs portables à la maison. Il y a une intrusion entre la vie professionnelle et la vie
familiale. Quel est votre avis ?
Françoise François.- Pour tout ce qui est matériel informatique, il existe un article dans le Code
du travail (article 41-21-2). Si ces outils posent problème, l’entreprise doit mettre des moyens de
prévention contre cela. Il n’y a peut-être pas besoin d’une nouvelle loi à la déconnexion.
M. Laborde.- Aujourd’hui, un des rares points que l’on peut reconnaître à la loi travail est qu’il
apparaît un article précisant que le droit à la déconnexion doit être négocié dans l’entreprise. On
ne précise pas davantage comment cela est négocié. C’est la première fois que cette question
s’est posée et c’est un point positif. Avez-vous des questions dans la salle ?
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Intervenant.- Concernant l’introduction du numérique dans la vie privée, il y a aussi le numérique
qui introduit la vie privée au travail et qui engendre beaucoup de mensonges. On fait croire que
l’on travaille, mais c’est faux. C’est très polluant.
M. Laborde.- Malgré cela et les 35 heures, la France est reconnue comme un pays où les
travailleurs sont très productifs.
Intervenant.- Nous sommes une fédération de PME. En tant qu’élus, on cumule notre travail et
notre fonction d’élu. Nous sommes nombreux à être dans ce cas là. En tant que cadre, on ne nous
allège pas la charge de travail. Nous sommes tous de bons candidats pour vous.
Françoise François.- Vous serez les bienvenus.
Intervenant.- Comment peut-on combattre cette situation ?
Martine Keryer.- Les élus sont à risque. On veut tous faire du bon travail. On a un travail syndical
que l’on fait également bien. On reçoit énormément d’émotions quand on est face à des
personnes en difficulté. Il faut en être conscient. Je pense que nous avons un rôle collectif dans
notre section syndicale. Il faut être tous vigilants envers nos collègues. Il faut apprendre à se
protéger, à ne pas faire l’éponge. Vous et moi le faisons, parce que nous l’avons appris. Mais pour
les syndicalistes, c’est un danger. Il faut apprendre à se protéger et regarder ce qui se passe dans
notre section syndicale. C’est dans notre collectif qu’il faut être attentif. Aborder le sujet dans
une section syndicale est déjà une bonne chose, car cela veut dire que l’on fait attention aux
autres.
Intervenant.- Bonjour. Ma question s’adresse à Françoise et Martine. Vous avez parlé des
courageux tout à l’heure. J’aimerais savoir s’il y a des tranches d’âge particulièrement concernées
ou s’il y a un lien avec l’ancienneté dans une même entreprise et un même poste.
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Françoise François.- Votre réponse est dans la question. Tout le monde est concerné. Il n’y a pas
de tranche d’âge. Pour les plus jeunes, je parlerai des personnels hospitaliers. Les jeunes
soignants qui arrivent à l’hôpital sont peut-être des candidats bien plus exposés, car il y a la
désillusion, la déshumanisation. Cela fait un choc sur leurs espoirs de réussir à aider les autres.
Dans la consultation, il y a des médecins, des notaires, des sachants, tous types de professionnels
dans tous les secteurs. C’est pour ça que des journées comme aujourd’hui existent. Je veux bien
venir et ne pas être en consultation, parce que nous sommes face à un problème.
Intervenante.- Est-ce que les femmes sont plus touchées ?
Françoise François.- Les femmes osent peut-être plus parler. Chez les hommes, c’est peut-être
difficile. Il y a souvent une affaire d’ego. C’est très compliqué. Quand les hommes tombent,
souvent, c’est grave.
Intervenant.- Bonjour. Il y a un point que je voudrais soulever. Je suis d’accord sur l’intrusion de
la vie professionnelle dans la vie privée, mais il y a un facteur de stress important dont on n’a pas
parlé. Je ne sais pas comment on peut le gérer. C’est l’inondation des e-mails que l’on reçoit toute
la journée dans notre cadre professionnel. Les gens voient des e-mails à tout le monde. Nous
sommes noyés. Quand on essaye de répondre, on n’y arrive pas.
Françoise François.- Cela fait partie de la surchauffe. C’est tout ce qui vient polluer. Je n’ai pas
fait un exposé exhaustif, car on m’a dit que mon intervention ne devait pas durer plus de 20
minutes. Donc, j’ai dû trier ce que j’allais dire. Mais je voulais en parler.
M. Laborde.- Il y a plusieurs réponses possibles. Certaines entreprises ont décrété un jour par
semaine sans mails.
Je voudrais faire part d’une inquiétude que nous avons à la CFE-CGC de l’arrivée d’une
organisation de travail particulière : le « lean ». Nous vous avons remis un fascicule en forme de
bandes dessinées qui décrit le lean. Appliqué en bureau d’étude, c’est ce que Toyota a imaginé
pour améliorer le travail à la chaîne, le taylorisme. Le travail à la chaîne génère des troubles
musculo-squelettiques. Dans le bureau d’étude, le lean dépersonnalise le travail des concepteurs.
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Nous dénonçons le lean. C’est une organisation qui génère du stress et de la dépersonnalisation
et qui peut être contributrice du burn-out.
Françoise François.- Toutes les entreprises ne sont pas mauvaises. Nous avons beaucoup
d’entreprises qui nous contactent pour des conseils et du soutien, parce qu’il y a des lois qui
sortent. Mais les entreprises ne savent pas comment les mettre en œuvre. Tout à l’heure, vous
parliez de l’article 41-21-1 du Code du travail qui dit que l’employeur a obligation de maintenir en
santé physique et mentale. Il n’y a plus de caractère d’obligation à réussir sa mission, mais il y a
une obligation de moyens renforcés depuis le 25 novembre 2015. Il y a des entreprises qui ne
savent pas faire. Parfois, il y a d’autant plus de souffrance parce que l’on croit bien faire et l’on
ne fait pas bien. Il faut peut-être se tourner vers les gens qui sont en capacité de répondre à
certaines questions d’entreprise.
La maison de la Souffrance au travail a ouvert le 1er mars 2013. Un journaliste du Parisien nous a
demandé le nombre de passages. Depuis le 1er mars jusqu’au 30 novembre. Il y a eu 800 passages.
On a voulu calculer le nombre de passages pour 2014. Nous avons compté à peu près 3000
passages. Nous avons voulu savoir pour 2015. Il y a eu pratiquement 5000 passages. Cela pose
question. Nous sommes devenus observatoire pour la sécurité sociale pour le pôle du 78. Nous
mettons en place un logiciel avec une équipe de bénévoles pour comptabiliser sérieusement tout
ça et faire des statistiques.
M. Laborde.- Merci beaucoup. Je passe la parole à M. Christophe Roth. Vous êtes issus de la
fonction publique et vous allez nous dire en quoi la fonction publique n’est pas épargnée par le
burn-out.
Christophe Roth.- Merci d’avoir invité les fonctions publiques dans mon rôle de délégué
confédéral. Je demanderai votre indulgence, car c’est une première prise de parole sur le sujet
du burn-out. Je suis plutôt axé sur le handicap. Mais si je suis en burn-out, j’ai la chance d’être
bien soigné, parce que je travaille en binôme et en complémentarité avec le Dr Martine Keryer.
Ce matin, quand je me suis réveillé, je n’aurais pas pensé vivre autant d’émotion. Les deux
témoignages m’ont vraiment touché au plus profond du cœur. Ce matin, j’ai reçu un SMS de la
secrétaire générale du syndicat national des administratifs et techniques de la police nationale.
Elle m’a indiqué que Versailles était une ville sombre, car une collègue attachée de police s’est
suicidée il y a deux jours. Elle était en burn-out depuis déjà quelque temps. Je rends hommage à
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mon collègue, son époux, qui reste seul avec deux enfants. Je voulais avoir cette pensée
particulière avant de commencer mon discours.
Ce discours a été construit de manière photographique pour présenter les trois versants de la
fonction publique : fonction publique d’État, fonction publique hospitalière, fonction publique
territoriale. Aujourd’hui, nous sommes en restructuration : on ne peut plus parler vraiment de
fonction publique, mais de service public. J’ai associé les services de l’AFPA, les services d’Orange
et les services de la poste.
Je vais commencer par parler d’un sujet que je connais, car je suis policier. Je ne suis pas un
délégué syndical détaché à temps complet. J’exerce encore mes fonctions à Caen. Je voulais vous
parler de la police nationale, la gendarmerie, le Ministère de la Défense. En France, entre risques
d’attentat, état d’urgence et manifestations sur la sécurité, les forces de l’ordre sont sur tous les
fronts. Les fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur, mais également de la Défense cumulent les
heures supplémentaires et les week-ends travaillés au péril de leur santé physique et psychique.
Qu’ils soient policiers, gendarmes, personnel pénitencier, pompiers ou militaire, ils sont de plus
en plus nombreux à souffrir du burn-out. 25 gendarmes et 45 policiers se sont suicidés en 2015.
Ce sont des suicides qui cachent le malaise d’une profession. Ce malaise commence
heureusement à se faire connaître. Avant de pousser les policiers au suicide, ce stress et ce
malaise en plongent beaucoup dans les affres du burn-out. Pour comprendre pourquoi, nous
allons faire un petit tour d’horizon.
Plusieurs problèmes majeurs sont mis à jour. Sur le plan du management, le malaise est réel. Le
supérieur hiérarchique ne se positionne pas comme un véritable manager, c’est-à-dire comme un
leader capable de fédérer ses équipes, de les aider et de les former. Nombre de policiers ne se
sentent pas soutenus dans leur mission dans l’organisation. Par ailleurs, ils souffrent du sentiment
d’être incompris, mal considérés par l’opinion publique à 59 % ainsi que par la justice et les
médias. 85 % des policiers estiment que les juges déprécient leur travail tandis que 87 % se
sentent dévalorisés par la presse. À cela, on peut ajouter un décalage déstabilisant entre l’idéal
poursuivi et la réalité du terrain. Entre-t-on dans la police comme dans les ordres ? La vocation a
son mot à dire, mais on n’est pas au ministère de l’Intérieur comme on est prêtre. Ce choix de
métier est dangereux, mais il parle à certains idéalistes. Chez ces corps de métier, les valeurs sont
des valeurs fermes au sens du devoir affûté. Il s’agit pour beaucoup d’améliorer le sort du monde.
Quand on parle de policiers aujourd’hui, la désillusion vient. Vous êtes sensibles à tout ce qui se
passe dans la rue actuellement et qui peut nous inquiéter. Sur le terrain, c’est très dur, bien plus
que ce que l’on attendait. On s’aperçoit que presque rien ne change. On prend aussi conscience
d’autres réalités : le détachement avec lequel on traite de plus en plus de situations dramatiques
pour se protéger, la hiérarchie qui pèse plus que prévu, la mesure de l’efficacité à laquelle on ne
s’attendait pas. Le stress n’est pas au coin des rues que l’on surveille. Il existe dans le service. Il
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ne se loge pas uniquement dans les situations dangereuses auxquelles on est confronté. Il
s’insinue un peu partout, y compris au niveau des strates administratives de notre ministère. Les
plus engagés deviennent démotivés. Les plus engagés sont aussi ceux qui sont le plus victimes de
l’épuisement professionnel. Ils se donnent corps et âme à leurs fonctions, surmontent les
obstacles, affrontent les difficultés avec vaillance. Ils sont encore plus confrontés au stress
incessant à cause de leur surinvestissement, ce qui les force finalement à se blinder. Pour se
protéger, ils ont une sorte d’indifférence et de détachement aux situations rencontrées. Ils se
sentent physiquement à bout et deviennent cyniques. Le burn-out les attend. On peut aussi
pointer les conditions de travail difficiles, les réformes qui se sont succédé. On peut également
parler des moyens inadaptés par rapport à la dangerosité du métier, des faibles rétributions
financières, et de toutes les fatigues émotionnelles. La fonction unique publique est aujourd’hui
un véritable corps malade.
Pour prolonger mon propos, je vais vous parler de l’Éducation nationale. En France, le monde de
l’Éducation nationale est surmené et bien peu valorisé. Alors que l’on respectait autrefois le
maître d’école, il est aujourd’hui remis en question dans l’exercice de sa fonction, de sa
profession, de sa déontologie. Les parents sont passés maîtres dans cet art. On rappelle au
professeur les programmes. On regarde les cours et on les juge. Comme partout, on vérifie pour
mieux consommer. Si un élève a réussi, c’est un génie. Mais s’il peine à décoller, c’est, parce que
son professeur n’est pas pédagogue, parce qu’il n’est bon à rien. Quand on interroge un
enseignant sur son travail, il va répondre qu’il ne passe que quelques heures devant sa classe.
Théoriquement, cela laisse du temps pour la préparation des cours et la correction des copies
qu’il devrait boucler en une journée. Mais ce n’est que théorique. Aujourd’hui, l’Éducation
nationale semble parfois s’acharner sur eux. Ils sont peu soutenus. Réunion à profusion,
paperasse à remplir, organisation de voyages scolaires, organisation de conseil de classe, etc. Le
plus souvent, ce ne sont pas les élèves qui fatiguent des enseignants, mais les exigences de
l’institution. Les professeurs ne sont pas tous des planqués. Ce sont souvent des personnes
surmenées, déconsidérées, dévalorisées. De nombreux enseignants sont démotivés, voire
épuisés. Ce sont des très bons candidats au burn-out : 17 % sur les 1 million de fonctionnaires de
l’Éducation nationale sont aujourd’hui en situation de burn-out.
Il ne faut pas oublier que les personnels hospitaliers ont comme charge de travail la violence, la
maladie, la souffrance et la mort. Cette confrontation conduit au mal-être des personnels
hospitaliers. On a pu apprécier ce mal-être regardant certaines statistiques. L’absentéisme est le
miroir de la pénibilité au travail. Tous les indicateurs sont au rouge dans la fonction publique
hospitalière. Le congé maladie ordinaire augmente de 34 %, le nombre d’accidents du travail de
35 %, les maladies professionnelles de 400 %, les congés longue maladie de 39 %. Quelles en sont
les principales causes ? On demande au personnel hospitalier de faire 35 heures alors qu’ils
faisaient 39 heures. Les rapports annuels de la fonction publique font ressortir que les salariés de
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l’hôpital expriment l’impression de ne plus pouvoir faire face à leur mission, à leur charge de
travail. Ce sentiment est exprimé par tous. Chaque semaine, plus de la moitié des infirmières et
45 % des aides-soignantes ne croient plus à leur métier. Les emplois précaires représentent 18 %
des personnels dans l’hospitalier. Il a été établi sans ambiguïté qu’un état de stress survient quand
il y a un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son
environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face.
Le management est un vrai poème. À quoi se résume le métier de DRH à l’hôpital ? Le DRH a eu
peu de formation avant d’arriver à son poste. Ensuite, ils sont interchangeables. Ils travaillent à
la fois aux finances, aux affaires médicales, à la logistique, aux travaux… Par simple décision du
directeur général, sans outils et sans formation, ils se retrouvent DRH et les notions de gestion
des communications transversales entre les services et les équipes sont à peine abordées. Tout
ce qui concerne les problèmes internes à l’hôpital est de la sensiblerie.
Parlons de l’absence de dialogue social. Il y a un refus systématique de traiter les problèmes
exposés par le représentant du personnel en CTE et CHSCT. Cela conduit les agents et les
représentants du personnel à s’y pencher encore plus et à dénoncer par les voies de presse. Le
désinvestissement au travail, le burn-out, les départs prématurés et les arrêts de travail font
partie de ces moyens. En dehors de la réforme du financement de la sécurité sociale pour donner
des moyens supplémentaires aux hôpitaux, afin de recruter les personnes nécessaires, il faut une
réforme des services de santé au travail autonomes des directions avec des psychologues. Il faut
investir dans la prévention des risques professionnels avec un véritable CHSCT dévolu et la
création dans tous les hôpitaux de plus de 1000 agents d’une structure de développement social,
afin de notamment faciliter le reclassement des personnes sur des postes plus légers au fur et à
mesure que l’on s’approche de la fin de carrière.
Environ 5300 infirmiers ont été victimes de violences en 2014, soit 15 par jour. Ce sont des chiffres
tirés du rapport de l’observatoire national des violences en milieu de santé. À l’hôpital, les
nouvelles formes de management et d’organisation de travail amènent à une déshumanisation.
Non seulement l’institution ne prend plus soin de ceux qui soignent, mais les maltraite. Le travail
infirmier est envahi de tâches administratives qui éloignent du cœur de métier. Cela oblige les
gens à s’occuper davantage des procédures et de la traçabilité des actes accomplis. Aujourd’hui,
l’infirmier est envahi par la paperasse et ne se concentre plus sur son corps de métiers.
Avec la mise en place politique des groupements hospitaliers de territoires début juillet, la
mutualisation des moyens va se traduire par la suppression de 16 000 lits et 22 000 postes. La
situation de burn-out ne va pas s’améliorer pour les personnels hospitaliers. Aujourd’hui, 20 %
des personnels hospitaliers sont en situation de burn-out. Le nombre de suicides évolue chaque
jour.
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Je vais à présent aborder le sujet de la fonction publique territoriale. Il y a eu le fameux « big-bang
territorial » : on est passé de 23 régions à 13. Certains services ont donc subi des restructurations.
12,6 % des actifs de la fonction publique territoriale ont un risque élevé de burn-out. Il touche
toutes les catégories socioprofessionnelles et particulièrement les femmes. On constate une
explosion des cas d’inaptitude professionnelle à cause d’un épuisement professionnel. Les
chiffres constatés dans différents pays européens sont également alarmants. Les critères qui
doivent alerter sont de plusieurs ordres, entre autres le repos qui ne résorbe plus la fatigue, le
recours à des produits addictifs tels que les psychotropes, un travail compulsif à cause
notamment des profondes mutations du monde du travail. La pression du chômage conduit à un
travail compulsif chez les travailleurs stables qui ont intégré l’idée d’une précarité subjective.
Dans la fonction publique territoriale, ce sont surtout les cadres et l’encadrement qui sont
menacés en raison des nombreuses réorganisations en cours avec le fameux big-bang territorial
qui est sans moyen d’accompagnement pour les personnels qui y travaillent.
À travers mes propos, j’ai pu vous démontrer que le monde du travail de la fonction publique
n’était pas « le monde des bisounours ». C’est un véritable grand corps malade. On vit le burn-
out dans la fonction publique. 19 % des cadres et de l’encadrement cumulent une forte charge
de travail avec un travail compulsif. On constate que c’est chez eux que l’épuisement est le plus
fort.
À la CFE-CGC, on souscrit à l’appel pour la reconnaissance du syndrome d’épuisement
professionnel au tableau des maladies professionnelles. Depuis plusieurs années, les études
réalisées par la CFE-CGC et les nombreux témoignages reçus dans les fédérations vont dans le
même sens. La CFE-CGC a fait la démarche de reconnaissance en maladie professionnelle qui va
mieux indemniser les intéressés. Elle sera une incitation financière pour les entreprises et les
administrations de la santé publique à développer la prévention. Il est nécessaire de mettre en
place des groupes de travail au niveau du conseil d’orientation des conditions de travail sur cette
thématique le stress et le burn-out auront toute leur place. La première approche pourrait être
de prendre en compte les dépressions en rapport avec l’épuisement professionnel par surcharge
cognitive et/ou émotionnelle. La CFE-CGC souhaite que les conditions de travail sociopsychiques
aient le même statut que les conditions de travail psychique (bruit, chaleur, poussière, charge
physique) pour les techniciens, les cadres, les agents de maîtrise, les ingénieurs et les agents de
la fonction publique.
Aujourd’hui, les solutions sont d’apprendre à dire non. Mais dans la fonction publique, si l’on dit
non, c’est le conseil de discipline. Il faut se ménager des plages qui soient rien qu’à vous. Dans la
fonction publique, il y a également l’hyperconnexion. Vous recevez entre 150 et 200 mails par
jour. Et puis vous avez également votre chef qui se permet de vous donner des instructions par
mail plutôt qu’en personne. Pourtant, la fonction publique doit être exemplaire. Au cours de la
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journée, on devrait s’octroyer de vraies pauses. Cinq minutes peuvent être salutaires.
Aujourd’hui, il y a des systèmes où la pointeuse existe. Il faut relativiser les problèmes rencontrés.
On fait de notre mieux, et il faut apprendre à déculpabiliser. Le seul conseil que l’on pourrait se
donner est de ne pas s’isoler, de parler des soucis à vos amis et votre famille et de s’aérer l’esprit.
J’ai aussi la chance de travailler avec Martine Keryer qui est médecin du travail. Si je fais un burn-
out, elle aura un fonctionnaire à soigner.
Merci de votre attention.
Intervenante.- Vous avez abordé le sujet de la paperasserie au travail. Je suis en arrêt maladie
suite à un burn-out. Aujourd’hui, on ne reconnaît pas la valeur de la personne. On est dans des
fiches métiers. Vous devez correspondre à ces fiches métiers au niveau de votre travail qui disent
exactement ce que vous devez faire et ne pas faire. On va vous juger sur cela. C’est une réflexion
que je me fais suite à cet arrêt et à une analyse. On ne voit plus dans les entreprises l’intérêt
personnel de la personne. Or la personne amène ses propres atouts de l’entreprise et pas
simplement le fait de correspondre à une fiche métier. Elle correspond et elle est quelque chose
de plus qu’il faut prendre en compte dans le travail. Or dans mon ressenti, il n’y a plus cela.
Intervenante.- Bonjour. Je suis salariée d’une grande entreprise du CAC 40 actuellement en arrêt
maladie suite à un burn-out. Je fais écho à l’intervention de Madame. Je voudrais rajouter quelque
chose qui me tient à cœur. Je pense qu’aujourd’hui, les salariés ne possèdent plus leur poste.
J’entends par là que quand on vous recrute sur un poste, on vous vend du rêve. On vous dit ce
que vous allez faire. Vous trouvez que ça correspond tout à fait à vos qualités intrinsèques et que
vous allez forcément arriver à faire votre travail, puisque vous correspondez à ce poste. Au fil du
temps, vous vous apercevez que l’on vous rajoute des choses qui n’ont rien à voir avec la fiche de
poste que l’on vous avait donnée au départ et qui sont des choses pour lesquelles vous n’êtes pas
fait. Je suis une personne très ouverte. C’est peut-être pour ça que je suis arrivée à cette situation.
Je créais des formations dans le domaine de la santé et sécurité pour l’entreprise et j’aimais
beaucoup ça, jusqu’au jour où je suis devenue une simple opératrice de saisie. Je me suis dit que
mon poste m’échappait. On me demandait tous les jours de faire des choses pour lesquelles je ne
suis pas faite. Quand je l’ai exprimé, on m’a dit que je ne savais pas m’organiser. Je pense qu’il y
a vraiment un réel problème. Actuellement, les postes – nos postes – échappent aux salariés.
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M. Laborde.- Merci. Je retiens comme complément de votre intervention que vous avez apporté
une définition du mal qu’apporte le lean : le poste vous échappe, vous n’avez plus une vision
globale de votre activité et vous devenez une simple opératrice.
On ne va pas avoir le temps pour d’autres questions. Je voudrais passer la parole à M. Jean-Claude
Colesse. Vous êtes directeur d’établissement de l’entreprise Messier Bugatti à Vélizy dans le
groupe Safran. Il nous manquait le point de vue d’un employeur. Quand nous avons préparé ce
colloque, vous nous avez dit que vous alliez aborder la solitude du directeur d’établissement face
à ce syndrome et comment vous alliez réinsérer le salarié dans votre entreprise. Tout d’abord,
vous allez nous expliquer ce que vous mettez en place en termes de prévention.
Jean-Claude Colesse.- Merci. On ne peut pas rester insensible à ce qui a été dit. En tant que
directeur d’un établissement de 1600 personnes, la solitude est peut-être un mot un peu fort,
mais je suis représentant de l’employeur et je suis aussi un salarié et un être humain. Dans cette
situation tricéphale, il y a des moments où l’on a le sentiment d’exigences contradictoires. C’est
l’un des facteurs de stress que l’on reconnaît et c’est ce qui peut faire penser que notre position
en tant que représentant de l’employeur et des salariés n’est pas toujours confortable.
Je remercie aussi le Dr Keryer de la précaution oratoire que vous avez eue tout à l’heure. Je ne
souhaite pas que le mot burn-out soit galvaudé au point de mettre sous ce vocable ce qui est juste
une situation de tension temporaire, un accrochage avec un collègue ou avec son manager. Le
burn-out répond à une définition que je ne reprendrai pas. J’ai dans la salle le directeur du CHSCT
de l’établissement que je dirige. Vous avez le droit de me contredire. Je ne pense pas que dans
l’établissement que je dirige depuis cinq ans nous soyons dans une situation aussi critique que
celles qui ont été décrites.
Mais on ne va pas nier la réalité. Notre établissement n’échappe pas à la règle des situations de
tension, des situations de pression, des situations dans lesquelles les salariés sont plus ou moins
à l’aise un moment donné dans le poste qu’ils occupent. Je ne pense pas que les gens aient le
sentiment de voir disparaître leur poste ou de se sentir dépossédés de leurs fonctions. Pour
autant, le site de Vélizy est un centre industriel et aussi un siège social. La proximité de certaines
instances de direction – le corporate – ne facilite pas toujours la prise de décision. Ça peut allonger
les processus. Ça peut rendre frileux certains qui voudraient agir. Pour autant, les choses se font.
Mais c’est un premier facteur qui peut créer du malaise dans l’entreprise. Comme nos grandes
entreprises sont maintenant organisées, on connaît le management à distance, le management
matriciel, et la transversalité. Voilà trois caractéristiques d’organisation d’entreprise qui ne
facilitent pas forcément la communication, la prise de décision et l’identification du management
auquel on doit répondre. Bien souvent, on se trouve face à deux managements. Je n’ai pas parlé
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du management de projet qui est aussi de nature à créer. Quand on a sa mission hiérarchique à
remplir ainsi que sa mission dans un projet, vous imaginez bien les tensions que cela peut créer.
On se retrouve face à des situations d’exigences contradictoires sans parler des exigences liées à
la gestion du temps.
Il a été évoqué tout à l’heure la puissance de l’amoncellement des mails, des suggestions
multiples auxquelles nous sommes tous soumis, y compris un directeur d’établissement. C’est un
sujet qu’il va falloir réussir à traiter. Je ne parle pas de la déconnexion qui est un sujet que nous
prendrons en compte dans l’entreprise.
Un siège social a aussi des fonctions supports. On met beaucoup de choses derrière ce terme. On
met toutes ces situations qui concourent au fonctionnement de l’entreprise, mais qui sont
considérées comme des « fonctions improductives ». C’est un terme que je n’ai jamais voulu
utiliser. On utilise parfois le terme de « fonctions non spécifiques » ou d’autres termes moins
pénalisants pour les gens qui contribuent à ces activités. Les fonctions supports ont aussi cette
caractéristique d’être dans le viseur de la recherche d’un peu plus de productivité et de
rentabilité. Ce n’est pas forcément toujours bien vécu. Parfois, on se trouve dans des
contradictions, parce que les fonctions supports alimentent souvent l’information dont on a
besoin pour piloter l’entreprise.
J’ai parlé de fonctions supports, de siège social, de corporate, du poids des décisions parfois un
peu lentes à prendre. Au milieu de tout cela, il y a une organisation où il y a des fonctions
opérationnelles : la pression du client et parfois même l’intrusion du client dans nos opérations.
Quand un programme pour Airbus est urgent, il y a aujourd’hui une pression temporelle qui
consiste à développer un programme en cinq ans là où mettait sept à huit ans il y a 15 ans. Pour
les collaborateurs qui contribuent à ce programme, la pression du temps veut dire quelque chose.
On connaît aussi d’autres soucis avec des activités d’essais soumises à de plus en plus de
demandes avec deux exigences contradictoires. D’un côté, on a une direction qui nous dit qu’il
faut faire tourner nos moyens de production au mieux de leurs capacités, et de l’autre côté, on a
les partenaires sociaux et les salariés qui aimeraient bien que l’on préserve leur vie personnelle
et qui aimeraient bien éviter de travailler la nuit ou le week-end.
Le dernier facteur qui caractérise le monde dans lequel nous évoluons est le suivant : une
entreprise a des clients et les clients sont exigeants. On a dans notre organisation à Vélizy un
service client avec des demandes qui tombent 24 heures sur 24. Heureusement, nous sommes
installés dans le monde entier et nous avons deux autres pôles, un à Toronto et un à Singapour,
qui sont sur les plages horaires qui ne sont pas les nôtres pour résoudre et répondre aux
questions. Néanmoins, nous avons une population qui se trouve face aux clients avec les
difficultés que l’on connaît dans la relation entre le client et son fournisseur. L’un attend une
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réponse urgente à sa demande, et parfois, le salarié doit attendre que la réponse lui soit donnée
par d’autres.
Dans toutes ces situations, il n’y a pas un monopole de la pression qui serait sur les épaules du
management ou des collaborateurs. Chacun partage le fardeau. Dans nos organisations, il n’y a
pas de manager épargné ou de collaborateur assailli. L’organisation doit faire en sorte que la part
dont je parle soit la moins lourde possible.
Que retiennent les observations que l’on fait dans une organisation comme la nôtre ? Nous nous
interrogeons régulièrement sur ce qu’est la pression et le stress tel que ressenti par les salariés.
On mène régulièrement des campagnes d’interview et d’analyses du ressenti des salariés face
aux facteurs de stress. Depuis deux ans, on les mène de manière régulière. Par le passé, nous
menions des campagnes ponctuelles. Aujourd’hui, le service santé au travail, régulièrement (à
chaque visite des salariés dans le service de santé), interroge les salariés sur la base d’un
questionnaire. Sur la base de 640 questionnaires sur 1200 salariés, 66 % des salariés interrogés
disent qu’ils subissent une pression qui devient difficile à maîtriser. 47 % ont le sentiment de
travailler trop vite, donc au détriment de la qualité. 62 % ressentent un malaise du fait que leur
activité est souvent perturbée, interrompue par des sollicitations diverses et variées. Enfin, on a
un chiffre important qui reflète un malaise sociétal : 31 % des répondants expriment vivre des
relations de tension dans les relations interpersonnelles. Il y a bien d’autres facteurs de risque.
J’ai dessiné là un tableau à peu près honnête de ce qu’est la situation dans un site de 1200
personnes (site tertiaire, mais aussi industriel et opérationnel).
Que fait-on face à ça ? Que mettons-nous en place en termes de prévention des risques
psychosociaux ? On met en place un dispositif d’écoute, d’observation, d’interrogations et de
sollicitations de tous les acteurs (management, direction, collaborateurs, ingénieurs). Tous les
services y passent, car heureusement, à ce jour, nous avons des visites médicales. Je pense que
chez Safran on prendra le choix de continuer ses visites médicales, parce que l’on nous demande
d’organiser notre service santé au travail. Aujourd’hui, les questions sont posées. L’observation
est faite. Il y a l’aspect médical des choses, mais il y a aussi le climat social dans l’entreprise. On
ne se contente pas des indicateurs de santé. On s’inquiète aussi du climat social en général dans
l’entreprise. Y a-t-il plus d’absence, d’accident de travail, de visites aux services de santé au
travail ? Ça peut aussi être des facteurs qui illustrent une dégradation ou au contraire une
amélioration. Globalement, l’observation est faite.
Que fait-on de ces observations ? Je ne pense pas que l’on soit très original en la matière. Bien
d’autres entreprises doivent faire comme nous. Nous avons mis en place volontairement, avec le
concours des partenaires sociaux dans le cadre d’accords signés au niveau du groupe Safran, des
instances de pilotage indépendantes du CHSCT qui incorporent en leur sein des membres du
CHSCT. Ce sont des comités de pilotage.
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Je me suis fait la réflexion assez récemment que ce comité de pilotage a au moins un mérite. Il
permet aux gens qui sont à l’intérieur de ce comité de parler, d’évoquer des situations et de
chercher des solutions. Cela permet au moins de communiquer et d’inciter à communiquer sur
ce qui se fait. J’ai observé que l’on est capable dans nos organisations de trouver et de chercher
des solutions, mais que l’on oublie de communiquer dessus. Il y a de la communication, mais on
oublie de communiquer sur l’essentiel. On oublie d’objectiver auprès du corps social le fait que
des solutions existent, qu’elles sont mises en œuvre et qu’elles sont à leur disposition.
Il faut se réunir, libérer la parole, communiquer et permettre à tous de communiquer (pas
seulement les partenaires sociaux, mais aussi aux managers, aux responsables des ressources
humaines, à la communauté RH). Je ne dis pas que cela solutionne tout. Il reste un certain nombre
de cas qui ne sont pas solutionnés ou qui sont solutionnés dans un autre cas. Je rejoins les sujets
de situations individuelles sur lesquelles la communication ne peut pas agir. Ces situations sont
analysées avec sérieux par notre service de santé au travail. Malheureusement, le nombre de ces
situations croît aujourd’hui. Aujourd’hui, notre service de santé au travail entretient environ une
trentaine de dossiers en permanence. Heureusement, ce ne sont pas toujours les mêmes. Des
gens entrent et sortent de cette cohorte, parce que des solutions sont trouvées. Mais pour moi,
c’est le révélateur d’une situation qui se tend. Il n’y a pas forcément de zone privilégiée, d’où
l’intérêt de continuer dans cette voie de l’observation régulière, de ces enquêtes, de ces
observations au fil de l’eau. Ces observations peuvent être à l’initiative de chacun. Manager,
responsable RH de proximité, tout le monde dans l’entreprise est sollicité pour remonter les
difficultés, afin d’éviter que l’on en vienne à une difficulté collective. Dans les contraintes qui sont
les nôtres, qu’elles soient internes ou externes, les difficultés et les tensions sont presque
inévitables. Ces situations sont le plus souvent vécues collectivement. L’intérêt de ces démarches
de prévention est de faire en sorte qu’au milieu de ce collectif qui vit une difficulté, il ne faut pas
abandonner celui qui ne se retrouve pas dans ce collectif et qui risque de perdre pied. C’est
quelque chose d’important. Nous ne le faisons peut-être pas assez. Ce que j’ai entendu ce matin
peut peut-être m’inciter à aller dans ce sens.
Restent les cas individuels. Ce que j’ai entendu ce matin m’a peut-être incité à revoir ce que j’ai
écrit. Vous disiez tout à l’heure que les situations de burn-out n’ont pour cause ou pour origine
que la situation professionnelle. Ce sera peut-être le seul point de désaccord que j’aurai avec vous
ou du moins dans lequel j’instillerai un peu de nuances. Je ne veux pas polémiquer. Je ne suis pas
certain que dans tous les cas, 100 % de la cause se trouve dans l’entreprise. Les deux cas que je
connais mettent en évidence que la situation personnelle de l’individu doit probablement être à
l’origine d’une part, même minime, du syndrome d’épuisement professionnel. À partir du
moment où l’on dit « syndrome d’épuisement professionnel », le mot personnel disparaît. Les
deux cas que j’ai en mémoire sont des cas de quasi-burn-out, voire de burn-out vu que les
personnes ont été hospitalisées. Heureusement, c’était pour les périodes moins longues que les
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personnes qui ont témoigné et ils ont pu reprendre une activité. Ils ont été pris en charge par
notre service de santé au travail, puis orientés vers des spécialistes. Je ne peux pas insister sur
cette période de prise en charge et de reconstruction personnelle qui se passe loin de nous. Je
veux insister sur la capacité de l’organisme de l’organisation de l’entreprise et de l’établissement
à réintégrer les personnes. Les deux exemples que j’ai en tête, ce sont des exemples inverses de
l’un de l’autre. Dans un cas, parce que la personne a accepté au bout de quelques semaines
qu’elle était dans cette situation un peu désespérée, elle s’est reconstruite, mais l’entourage
professionnel s’est peu ou prou préparé à la réintégrer et intéressé à ce qu’il serait possible de lui
donner à faire le jour où elle reviendra. Ça ne s’est pas passé du premier coup. La vision que nous
avions de l’état de santé de la personne quand elle reviendrait n’a pas été celle que nous avons
constatée quand elle est revenue. Il a fallu s’y reprendre à deux fois pour trouver le bon poste, le
bon environnement managérial et de collègues dans lequel la personne pourrait s’épanouir.
Aujourd’hui, j’estime que ce cas est résolu. Je pense que pour quelqu’un qui a été en burn-out ou
dans une situation d’extrême difficulté psychologique, le risque de rechute existe. Je pense que
les personnes sont fragilisées et qu’il faut être vigilant à la reprise ainsi que dans la durée.
Le deuxième cas est un « cas raté ». Ce n’est pas un échec que je porte personnellement, parce
que je pense qu’il est collectif, mais cela tient à plusieurs choses. C’est en cela que je dis que la
personnalité et la vie personnelle de l’intéressé peuvent aussi avoir un impact. La personne a été,
pendant dans de longues années, maintenue à son poste et reconnue. Elle s’est investie. Elle avait
une estime de soi réelle. Pour une décision qui a été prise, sans doute maladroite, la personne a
vu s’effondrer l’ensemble de son contexte relationnel. Personnellement, il n’y avait rien pour la
soutenir. Il y avait aussi un drame personnel derrière. Je pense que l’on ne peut nier que l’effet
sur la vie professionnelle de l’intéressé soit peu ou prou impacté par son contexte personnel. Si
en plus le contexte personnel est défaillant, on va à la catastrophe. C’était le premier facteur. Le
deuxième facteur a été notre incapacité collective à imaginer la bonne solution avec une
personne qui en a tiré beaucoup de griefs, qui n’a pas compris notre compréhension, qui n’a pas
non plus voulu faire le deuil de la période passée qui d’évidence ne pouvait pas revenir. Trois ans
après, on commence à voir le bout de cette situation. Néanmoins, pour nous, c’est un constat
d’échec.
Cela me fera dire en guise de conclusion que le burn-out est diagnostiqué, il est reconnu, il est
pris en compte par le corps médical, mais il y a une population qui n’est pas préparée à la face de
retour : c’est l’entourage professionnel, le management, les collègues. S’il y a quelque chose à
faire en plus de tout qui est déjà fait et qui peut être perfectionné, c’est de préparer, dans
l’entreprise, le contexte professionnel dans lequel le salarié revient à l’accompagnement de la
personne dans sa reprise d’activité. Aujourd’hui, je vis mal cet échec. Je pense que nous
manquons là-dessus d’outils et peut-être même parfois de clairvoyance. En tout cas, il y a quelque
chose à faire.
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M. Laborde.- Je vous remercie pour votre conclusion qui ouvre un point de réflexion pour nous,
les représentants syndicaux, le corps social en général.
Intervenante.- Je suis fonctionnaire. Je suis contrôleur des finances publiques depuis 1981. Dans
la fonction publique, beaucoup de gens se taisent, car on leur dit de se taire. Certaines personnes
ne se rentent pas compte que, dans les services de base, c’est la « pagaille ». On fait tout et
n’importe quoi. En plus, on est considéré comme rien.
On est fragile. Mais on n’est pas fragile parce que l’on a un caractère fragile, mais parce que l’on
nous a fragilisés, on nous a cassés. Je suis administratif depuis 1981. Il s’avère que mon burn-out
est arrivé deux mois. En deux mois, j’ai été cassée de plus de 30 ans d’expérience. Pourtant, j’étais
très bien notée. J’ai de très bonnes notes et de très bonnes appréciations. Mais je suis tombé sur
un chef de service qui voyait son intérêt personnel. Je suis quelqu’un qui est passionné par son
travail. Parfois, on a besoin d’être passionné. Un jour, cet agent de service m’a cassé au niveau
de mon équipe. J’étais contrôleur de secteur sur sept agents. Il fallait que je gère. Je n’ai jamais
eu de formation. Mon mari travaille dans le privé et il a les mêmes soucis. Je rejoins une chose
que Mme François a dit : en général, ce sont les courageux qui tombent. On casse les courageux.
On les plie. Je voulais également préciser qu’il y a des raisons personnelles au burn-out.
Finalement, on a du caractère, on a nos convictions, on a nos envies. On s’habille, on va travailler.
On essaie d’être bien. Ce caractère a été interprété comme caractériel par le psychiatre.
Finalement, les mails, c’est chronophage. On en reçoit de tous les côtés. On n’avance plus.
Ensuite, l’intéressement de notre travail se traduit par le fait que l’on est un peu imbu de notre
personne.
M. Laborde.- Merci. Mais le temps nous est compté.
Intervenante.- Je voulais juste ajouter que j’ai eu cette reconnaissance grâce à Mme François. Elle
m’a donné l’envie de me battre pour avoir cette reconnaissance et je l’ai eue.
M. Laborde.- Merci. Est-ce qu’il y a une question précise et courte pour M. Colesse ?
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Intervenante.- Bonjour à tous. Je voulais vous dire que tout le monde a des problèmes personnels
aujourd’hui, que ce soit avec son couple, ses enfants, les parents en maison de retraite, mais ce
n’est pas pour ça que tous les gens dans la salle vont s’écrouler. Je me suis écroulée. Sachez une
chose. Quand vous commencez à avoir la pression au travail et que vous commencez à perdre
pied, quand dans votre famille vous avez aussi de grosses charges, comme c’est le cas de
beaucoup de femmes, on va avoir un conjoint qui va commencer aussi à vous mettre la pression.
Pour beaucoup de femmes, c’est comme ça. En tant que responsable ou que chef d’entreprise,
vous allez avoir le sentiment que cette femme a des problèmes personnels. Mais elle est comme
tout le monde. Elle a les mêmes problèmes que n’importe qui. Ces problèmes vont être
accentués, parce qu’elle ne va plus avoir de point d’ancrage. Quand elle est au travail, elle est
sous la pression et le stress, et quand elle rentre, c’est la même chose.
Jean-Claude Colesse.- Je partage votre point de vue. Je voulais dire que si le contexte personnel
ne permet pas à une personne qui souffre au travail de se ressourcer, on est dans une spirale et
cela peut mener au burn-out.
M. Laborde.- Nous allons laisser la place à M. Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines. La CFE-
CGC étant un syndicat apolitique, nous avons des députés des deux bords aujourd’hui. Vous avez
été il y a quelques années un rapporteur d’une commission parlementaire sur les risques
psychosociaux. Je vous remercie au nom de toute la salle, parce que vous avez accepté
aujourd’hui de venir malgré votre emploi du temps chargé. Cela montre l’intérêt important que
vous portez au sujet d’aujourd’hui.
Jean-Frédéric Poisson.- Merci beaucoup. Je voudrais saluer Madame la représentante du préfet.
Je ne peux pas ne pas saluer mon voisin et collègue Benoît Hamon. Nous jouons dans la même
équipe de rugby au Parlement. Il est ailier et je suis pilier. Cela veut dire qu’il court plus vite que
moi, mais que je pousse plus fort que lui. La dernière fois que nous avons évoqué ce sujet avec
Benoît Hamon, c’était lors d’une conférence de presse organisée à l’Assemblée nationale. Je lui
avais dit que ce serait mal pris que je signe sa proposition de loi. Mais j’ai quand même tenu à
participer à sa conférence de presse pour dire mon soutien à cette orientation et que s’il doit y
avoir des sujets transpartisans, c’est bien celui-là.
Je suis là aussi, parce que j’aime bien les organisations syndicales. Elles sont indispensables dans
le paysage social français. Je refuse l’idée qu’il faudrait renier leur liberté et leur expression. Je ne
partage pas un certain nombre de méthodes, mais je suis attaché à la représentation des salariés
33
et au droit imprescriptible des salariés à défendre leurs intérêts, en particulier sur les sujets qui
nous occupent. Ces sujets sont complexes. Ils ont une très grande actualité et nécessitent
extrêmement de doigté. Je suis moi-même un ancien DRH de la métallurgie. À l’époque, le
phénomène n’était pas aussi prégnant que ce que nous en connaissons maintenant. Je voudrais
partager avec vous certaines réflexions.
D’abord, depuis que je suis arrivé, j’ai entendu des choses semblables à ce que nous entendons
quand nous nous réussissons pour travailler sur cette question. On voit que la violence de ce
phénomène du burn-out qui ne peut plus être niée ou ignorée. Faire prendre de conscience aux
différents acteurs que cette réalité existe et qu’elle a un poids personnel et collectif qui devient
insupportable est un travail de longue haleine. Ce poids est insupportable pour les personnes,
mais également pour les organisations.
D’autre part, je constate que petit à petit, la prise de conscience est de plus en plus partagée et
l’on identifie mieux les outils et les solutions que l’on peut mettre en œuvre. Mais je vois encore
énormément d’organisations syndicales, d’organisations patronales, de responsable des
ressources humaines, de chef d’établissement, de patrons et même de médecins qui ne savent
pas très bien comment on traite cette question. On ne sait pas très bien comment on la traite. Je
l’avais expliqué il y a quelques années en rendant l’Assemblée nationale le premier rapport sur la
pénibilité au travail : nous n’avons pas en France la culture de la prévention. Il y a un décalage
important entre la gravité de la situation et la pauvreté des dispositifs qui permettraient d’éviter
ces situations. Nous ne savons pas encore très bien ce qu’est ce phénomène. Nous n’avons pas
encore très bien identifié les causes. L’échange que nous avons eu à l’instant l’exprime bien. On
ne sait pas très bien d’où ça vient. Je suis membre de l’observatoire national du suicide. Je connais
très bien le Dr Jean-Michel Debout qui est un des spécialistes du suicide et qui est le premier à
dire et qu’il est incapable de dire les causes d’un suicide.
Mais une autre chose manque dans le paysage français. Il est clair qu’il y a deux types
d’organisation de travail. Il y a des organisations pathogènes et d’autres qui ne le sont pas. Tant
que l’on ne le reconnaît pas, on ne peut pas progresser sur cette question. Je ne dis pas que toutes
les organisations sont pathogènes. Mais par déficit d’écoute ou d’échange, par manque de lieu
où traiter ces questions de façon institutionnelle et officielle, on provoque – volontairement ou
pas – des organisations qui deviennent des machines à broyer. Mais pour l’ancien DRH que je suis,
il est clair qu’il faut une attention spéciale, en particulier dans les organisations tendues et en
particulier dans les périodes qui sont tendues dans ces organisations. S’il n’y a pas cette capacité
à moduler sa présence, son écoute, les instances dans lesquelles, s’il n’y a pas cette souplesse qui
permet de prendre en charge des situations nouvelles, on risque de passer à côté de certaines
des causes qui provoquent ces phénomènes.
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Je reste frappé d’entendre que pour beaucoup de chefs d’entreprise, l’investissement sur la santé
est encore considéré comme une charge et pas comme un investissement. Cela provoque chez
moi un abîme de perplexité. Les salariés ne demandent pas autre chose que de venir travailler
agréablement dans un environnement qui leur convienne. Il n’y a pas de présomption de
mauvaise volonté à avoir à l’égard des salariés. Cette année aux journées parlementaires de la
santé au travail, tout un chapitre sera consacré à l’approche économique du retour sur
l’investissement sur la santé des salariés sur les postes de travail ou sur l’environnement de
travail. On a quand même un ennemi culturel. Je parle de nos systèmes de protection sociale.
Quand on leur explique que certains dispositifs de prévention sont mis en place dans des
organisations et que cela va générer des gains de productivité, puisqu’il n’y a pas de philanthrope
dans l’économique, un certain nombre d’organismes de protection sociale refuse ces dispositifs,
car ils sont orientés vers un objectif productiviste. Il faut non seulement convaincre que sur le
plan humain, il y a cette nécessité, mais il faut aussi convaincre tous les acteurs que la productivité
n’est pas un gros mot, que la profitabilité existe. Évidemment, si des mécanismes de prévention
de santé peuvent y contribuer, c’est tant mieux. Cela signifie qu’il y a un intérêt commun et
objectif entre l’entreprise et la situation personnelle des salariés. Il faut s’en réjouir et il faut tout
faire pour que les choses aillent dans ce sens.
Quatrièmement, nous sommes encore loin, dans les écoles qui forment les cadres de notre pays,
d’apprendre au moment de la formation initiale ce qu’est le management, que sont les besoins
d’une personne humaine au travail, ce à quoi servent les organisations syndicales, ce que sont les
fonctions d’un DRH, etc. Tant on aura dans ces écoles d’ingénieurs et de commerce une priorité
massive affichée pour les disciplines de gestion, de finance, de tableaux de bord, tant que l’on ne
leur enseignera pas cette priorité-là (et je suis un des seuls à avoir exercé cela dans la vie), tant
que l’on ne les formera pas à l’ordre des priorités, c’est-à-dire à ce que les salariés attendent de
leur chef… Ils attendent qu’on leur rappelle le sens de leur mission, qu’on leur relise ce qu’est la
culture d’entreprise et ce que sont les règles de fonctionnement collectif, qu’on leur donne de la
considération, que l’on réponde à leurs questions et que l’on ne les prenne pas pour des pions
interchangeables. Une dame disait tout à l’heure qu’on lui avait volé son poste en termes de
contenu. Mais cela, ça s’apprend. Quand j’ai posé la question au directeur de Polytechnique il y a
quelques années, il m’a dit qu’il était une maison sérieuse et qu’il faisait des sciences dures. Je
l’ai remercié de sa réponse, parce que c’était l’une des clés du mal français.
Je regarde de près la société canadienne. Nous avons beaucoup à apprendre. Il y a à l’université
au Québec des kilomètres de littérature sur le management et les besoins des personnes en
entreprise. Il y a un monsieur qui s’appelle Jean Brin qui s’intéresse beaucoup à ce sujet. Il a incité
des accords passés entre des organisations d’État et un certain nombre d’entreprises privées. Il y
a eu une tradition universitaire dans ce pays. Elle n’existe pas, ou très peu, chez nous. En tout cas,
elle existe très peu dans les écoles qui forment les futurs cadres. J’ai eu la même réponse de la
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part de HEC et d’autres grandes écoles. Tant que vous ne provoquerez pas une irruption dans leur
programme de formation de modules de management, de psychologie et de relations sociales
pour leurs futurs cadres, vous n’y arriverez pas à vous prémunir contre ce risque. Personne n’aura
formé ces personnes qui deviendront, sans le vouloir, des machines à broyer. On les forme assez
peu à ce genre de responsabilités.
Il y a quelques années, quand j’ai présenté à la commission des affaires sociales ce rapport sur les
risques psychosociaux, un de nos collègues, Alain Vidalis, avait dit que je devrais obliger les écoles
à installer des cellules de management et de relations sociales. J’étais peut-être un peu naïf à
l’époque. Je lui dis que ce n’était pas ma conception des choses et que je préférais que les choses
se fassent de façon incitative. Il m’a dit que je n’y arriverai pas, parce qu’ils ne comprendraient
pas. Je suis sur le point de changer d’avis. Je crois que nous allons devoir obliger les organismes
de formation des grandes écoles à inclure cela comme une matière de premier rang, avec de forts
coefficients, et non optionnelle. C’est la seule façon de former durablement et en profondeur les
chefs d’équipe qui seront un jour en situation de devoir prévenir des situations comme celle-ci.
Je pense que le burn-out est une pathologie du don. Il y a deux manières d’être vidé de soi. La
première est que l’on vous prenne ce qu’il y a à l’intérieur de vous par des circonstances qui
peuvent être multiples. Puis il y a aussi le fait que l’on soit en situation de donner tout ce que l’on
a sans limites. L’encadrement sert justement à fixer aussi cette limite et à ralentir quelqu’un qui
en donne trop ou au contraire, à veiller à ce que chacun puisse continuer à être habité par la
mission qu’il a. Cet équilibre varie d’une personne à l’autre. Monsieur, vous aviez raison. Je garde
ma ligne. Quand on porte le nom que je porte, c’est le moins que je puisse faire. Il est très difficile
de démêler les choses des causes qui conduisent à cet épuisement. La sémantique invite à
considérer malgré tout que l’environnement professionnel est la principale cause.
Le Code du travail nous invite à considérer dans la tradition française qu’en raison des articles sur
l’obligation de résultat de l’employeur en matière de santé des salariés, il n’y a pas d’autre endroit
vers lequel tourner son regard dans ce genre de situation. Je sais que c’est compliqué. Je pense
que le texte est déséquilibré et mal écrit. Je ne sais pas comment on pourrait l’écrire autrement.
C’est juste la situation d’aujourd’hui.
Je suis vraiment très étonné que l’on puisse encore dans le contexte socioprofessionnel remettre
sur la table la durée hebdomadaire du travail. On n’en parle pas et c’est extrêmement fâcheux.
On a un très grand nombre de familles qui doivent faire des contorsions, particulièrement en Île-
de-France, mais pas uniquement, pour faire en sorte que leur vie quotidienne soit possible
matériellement, qui ont trouvé des équilibres en termes d’organisations qui sont extrêmement
compliquées. Il y a des systèmes presque industriels de covoiturage entre les familles. Je n’ai
jamais rien compris. Prenons en compte la vie quotidienne des familles avant de modifier
durablement des équilibres extrêmement sensibles qui ont un impact sur la santé psychologique
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des salariés et sur leur confort personnel. C’est difficile pour un chef d’entreprise ou pour le chef
des ressources humaines, mais la première chose à faire est de se mettre d’accord dans une
entreprise sur deux choses. Il y a des accords qui ont été signés dans cette direction. Il y en a
même qui ont été signés sur le site de Vélizy. Il y a un accord sur la prévention des risques
psychosociaux. La première chose qu’il doit dire est la répartition des tâches entre les différents
niveaux de décision de l’entreprise. Il faut qu’il y ait une définition précise de ce que doivent faire
les uns et les autres. Que doivent faire la direction générale, la direction des ressources humaines,
le chef de service, les organisations syndicales, etc. ? Il faut que cela s’écrive. Je crois qu’il y a là
un excellent exercice d’identification des rôles. Savoir comment les choses vont se passer rassure.
La deuxième est cette capacité à intégrer, dans les modes de fonctionnement, les pics et les creux.
Il n’y a pas que les tensions de charges supplémentaires qui provoquent cela. Il y a aussi les creux
d’activité. Les variations brutales d’activité sont aussi une charge possible apportée par les
salariés. Je vais m’arrêter là, parce que c’est un sujet qui me passionne. D’autres orateurs doivent
parler.
M. Laborde.- Je vous remercie. Je retiendrai une phrase : « Le burn-out est la pathologie du don. »
C’est une synthèse des propos qui ont été tenus depuis le début de la matinée.
Intervenante.- À vous entendre tous, j’ai l’impression d’un immense gâchis, de beaucoup
d’énergies très positives au départ qui se retournent contre les personnes. On dit que c’est la
maladie des courageux, que ce sont des gens investis. Comment faire pour que cette énergie reste
acquise à l’entreprise et au bien-être de la personne ? À quel niveau faudrait-il dépister des
troubles qui pourraient être possibles et qui pourraient virer à une marche vers le burn-out ?
M. Laborde.- Qu’y a-t-il aujourd’hui dans les tuyaux dans notre représentation nationale pour
que l’on garde cette énergie ?
Jean-Frédéric Poisson.- Il y a au moins deux députés qui s’y intéressent. Ils sont en face de vous.
Même si je ne suis pas tout à fait convaincu du fait que ça aboutira, car cela touche aussi à
l’organisation de notre protection sociale et de notre système de santé, c’est la reconnaissance
du burn-out comme maladie professionnelle. J’ai signé le manifeste de Technologia il y a quelques
années. J’étais le premier député à le faire et je ne le regrette pas. Je ne sais pas si cela aboutira.
Je présiderai pour la septième année en février prochain les journées parlementaires de la santé
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au travail. Il faut d’abord parler. C’est encore une maladie honteuse pour beaucoup. C’est quelque
chose que l’on n’arrive pas à reconnaître pour soi-même. Il n’y a pas de maladie valorisante, mais
c’est quelque chose que l’on a du mal à porter pour soi. Ça ne donne pas une image positive de
soi. Je suis frappé par le fait que c’est le dialogue qui règle ça. Les systèmes d’écoute permettent
de propager l’information. Je suis en train de mettre en place, dans la communauté
d’agglomération de Rambouillet que je préside, un conseil de santé mentale avec une
interrogation qui porte sur la manière dont on pourrait avoir, partout dans le territoire, des
personnes qui seraient des interlocuteurs « d’aiguillage ». Quand on s’adresse aux médecins
généralistes ou au corps médical en général, on se rend compte qu’ils sont assez peu équipés
pour repérer les situations dans lesquelles on commence à entrer dans un mécanisme dépressif.
Il y a une forme de méconnaissance. Cela passe par les élus qui sont corvéables à merci, mais
comment les rendre attentifs à cette réalité-là ? Il y a quelques années, je me suis battu pour que
l’on accepte l’idée de mettre en place un questionnaire en 10 questions pour que toutes les
personnes qui exercent une responsabilité médicale puissent repérer s’ils ont en face d’eux une
personne qui est en train de tomber dans une spirale dépressive. C’est simplement une aide pour
tirer des signaux d’alerte. Mais cela réclame d’abord de l’attention et de l’écoute. Tous les
dispositifs de droit existent. Tous les mécanismes de représentation et de dialogue dans
l’entreprise existent. Il n’y a pas une ligne à ajouter au Code du travail sur cette question. C’est la
conclusion à laquelle nous étions parvenus avec Marisol Touraine. Ce n’est pas un problème de
texte, mais de culture des acteurs. La raison pour laquelle il faut que les organisations patronales
s’en saisissent. Les organisations syndicales de salariés s’en sont saisies. Ça patine, parce que le
sujet est difficile. Il faut qu’ils se parlent et qu’ils aient quelques outils de diagnostic. Voilà ce que
je peux répondre à ce stade.
M. Laborde.- L’objectif essentiel de ce colloque est de sortir de cette situation de déni. Parlons-
en ensemble ?! Merci d’avoir apporté cet éclairage.
Je passe la parole à Mme Sophie Thierry de la mutuelle AESIO. Elle va nous dire ce qu’il fait dans
son groupe pour aider les entreprises et les salariés en situation de burn-out, pour aider les
entreprises à faire de la prévention, et aussi pour nous parler du coût financier du burn-out sur
les mutuelles et sur nos caisses d’assurance maladie. M. Hamon milite pour faire reconnaître le
burn-out en maladie professionnelle pour faire transférer ces charges, afin qu’elles ne pèsent pas
uniquement sur les soins publics.
Sophie Thierry.- Je suis très flattée de passer entre M. Poisson et M. Hamon. Je suis encore sous
le coup de l’émotion des témoignages de tout à l’heure qui ont vraiment incarné ce sujet. C’était
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très fort. J’étais aussi très marquée par la présentation de Mme François. Dans cette montée en
puissance progressive des étapes par lesquelles on passe, on a tous réagi et l’on a tous pu se
projeter. Nous sommes sur des sujets sensibles qui nous concernent tous personnellement ou
dans notre entourage très proche.
AESIO est une toute nouvelle structure. C’est une union mutualiste de groupe qui est née cet été.
Elle regroupe trois mutuelles, ADREA, APREVA et EOVI MCD, qui ont une longue expérience dans
la protection santé et prévoyance. Ce nouveau groupe représente à peu près 4000 collaborateurs
et 3 millions de personnes protégées en France. Ce regroupement s’est fait sur la volonté de ces
trois mutuelles. Outre la solidarité financière créée pour résister, elles voulaient développer une
offre de services auprès des entreprises, soit directement pour les grosses entreprises soit à
travers des accords de branche pour les PME. Ce regroupement s’est créé autour de cette volonté
d’apporter une protection auprès des salariés.
M. Poisson, je suis aussi membre du conseil économique, social et environnemental. Dans le
rapport sur la culture du dialogue social que nous avons rendu, nous avons fait exactement la
même préconisation : rendre obligatoire dans les formations supérieures des modules sur le
management et le dialogue social pour améliorer la culture du dialogue social en France. Sur la
protection sociale, je partage votre inquiétude. Notre position n’est pas du tout celle de dire que
ce sujet ne nous regarde pas. Bien au contraire ! En tant que mutuelle, il y a une sorte d’empathie
naturelle par rapport aux personnes que l’on protège. En tant qu’assureurs, nous avons un souci
d’équilibre de l’activité. Un assureur a tout intérêt à minimiser les risques, et quand ils sont
avérés, à aider à leur réparation pour qu’ils ne se reproduisent pas. Il y a un intérêt commun à
agir ensemble pour la prévention et l’accompagnement du burn-out.
La question que vous m’avez posée était de savoir combien cela coûtait. C’est très compliqué de
trouver des réponses. Au-delà du chiffre de 4,4 milliards d’euros annoncés ce matin comme coût
pour la sécurité sociale, j’ai trouvé très peu chose. On n’a pas de données suffisantes, même dans
le monde de la Mutualité, pour avoir des statistiques sur ce sujet.
J’ai trouvé une étude européenne qui a été faite par l’agence européenne pour la sécurité et la
santé au travail qui annonce un coût de 617 milliards au niveau européen. Au-delà du coût déjà
colossal, cette étude détaille les différentes lignes de ce coût. Il y a des coûts qui sont portés par
l’entreprise. L’intérêt a aussi intérêt à prévenir ce risque. Il y a le coût de l’absentéisme, mais aussi
le coût du présentéisme. Quand on vient le samedi et le dimanche et que l’on n’y pas arrive, c’est
aussi du coût pour l’entreprise. La perte de productivité est également un coût pour l’entreprise.
Les frais de santé des allocations pour inaptitude représentent 37 % de ces 617 milliards. Dans
l’étude, on n’a pas évalué le coût que ça représente pour les personnes qui ont en général une
baisse de rémunération, de façon temporaire ou très prolongée, mais cela mérite d’être évalué.
Par contre, l’étude a fait une analyse des différentes politiques de prévention qui existent dans
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les différents pays de l’Union. Elle a fait une analyse qui montre qu’un euro investi en prévention
en permettait 13 euros d’économie à la fois pour le système de santé publique et pour les
entreprises.
La deuxième étude intéressante a été réalisée en France par la Fédération des intervenants en
risques psychosociaux. Elle ne parle pas de coût, mais elle évalue qu’il y a entre 30 000 et 150 000
personnes aujourd’hui en France dont on peut dire qu’elle souffre de cette pathologie. C’est un
rapport de 1/5. 30 000, c’est quand on a une vision extrêmement restrictive. 150 000, c’est quand
on prend aussi les dépressions aggravées par une situation de travail. Il y a aussi un chiffre de 3
millions de personnes. Un cabinet qui a sorti une étude sur ce sujet. On y indique que 3 millions
de personnes sont identifiées en stress chronique. Cela veut dire qu’elles sont explosées. Tant
qu’il n’y a pas l’élément émotionnel, elles ne sont pas dites en burn-out.
Pour finir avec les chiffres, ça se chiffre en milliards. Cela coûte aux entreprises, aux organismes
de santé publique, aux individus. Nous sommes surtout avec un phénomène assez mal identifié,
donc assez mal évalué et mesuré. Cependant, toutes les études montrent qu’il y a une croissance
très forte du nombre de cas. Cette croissance importante est liée à la crise et à ce que l’on a vu
tout à l’heure. Elle est peut-être aussi liée au fait que les personnes en parlent plus et déclarent
plus la maladie. En tout cas, il y a une croissance très forte. Il y a effectivement des catégories qui
sont plus exposées que d’autres. Les femmes le sont plus (peut-être pour les raisons que l’on a
évoquées tout à l’heure). L’isolement est aussi un enjeu majeur. On a dit que les facteurs
personnels pouvaient aggraver des maladies dont l’origine est professionnelle. Les ménages avec
une seule personne sont en général des femmes. Il y a aussi certaines catégories. Les cadres sont
les premiers touchés par le burn-out. Il y a également certaines professions comme l’agriculture,
la santé, l’éducation et le monde des assurances, des banques et de la finance en général.
Que peut faire une mutuelle ? Trois axes peuvent être mis en place. Le premier est la prévention.
Dans les trois mutuelles composant notre groupe, chacune a un service de prévention. Ces
services sont assez mal connus à la fois des chefs d’entreprises et des adhérents. Aujourd’hui, ces
trois mutuelles représentent 40 000 entreprises. On pense à la mutuelle pour faire de la
prévention sur des éléments comme l’hygiène alimentaire, le tabac ou l’alcoolisme, voire des
maladies un peu plus importantes comme le cancer du sein avec les dépistages. Mais quand il
s’agit de parler des risques psychosociaux, il est beaucoup plus difficile de faire appel à une aide
extérieure même quand beaucoup de responsables expriment leur désarroi par rapport à la façon
de traiter ces sujets. C’est peut-être, parce que cela oblige le chef d’entreprise à remettre en
cause la façon dont il gère le travail. Des choses peuvent être faites en termes de sensibilisation
des collaborateurs. Il y a des signaux visibles que vous pouvez voir chez vous, mais également
chez vos collègues. Il faut apprendre à ne pas tout mélanger. Il vaut mieux galvauder un peu, mais
ne pas passer à côté. C’est comme pour les situations de harcèlement. Il faut apprendre à parler,
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à définir ce que c’est. Il faut sensibiliser des collaborateurs, former les dirigeants, les CHSCT, mais
surtout la chaîne managériale, et faire du coaching quand la situation est avérée. Il faut faire des
diagnostics sur l’analyse du travail et la répartition de la charge. Le sens donné au travail est un
élément fondamental. Donc, il faut faire de la prévention de l’isolement qui peut être un facteur
aggravant.
Les mutuelles peuvent également avoir un rôle en réparation. C’est encore peu, voire pas
développé. Or, comme on l’a vu, l’accompagnement du retour à l’emploi des personnes en
situation de burn-out n’est pas facile. Sur les personnes qui sont en burn-out, un tiers ne
reprendront jamais le travail, un tiers environ feront une reconversion totale de l’emploi et un
tiers vont retourner dans leur entreprise. Mais ce n’est pas imaginable que ce tiers revienne dans
le même service avec exactement la même charge de travail, le même manager… Comment
travailler là-dessus ? Comment conduire des « pré-visites » médicales de reprise ? Comment
associer les différents managers ? Comment aménager le temps ? Il faut travailler sur
l’accompagnement au retour à l’emploi soit directement soit en partenariat avec des intervenants
référencés.
Enfin, il faut travailler ensemble et conduire des études pour mieux connaître le burn-out, en
analyser les causes et la façon de le prévenir et de l’accompagner. Il s’agit de faire cela de façon
humble. Notre rôle en tant qu’acteur de la protection sociale et de la prévention est de participer
avec vous au dialogue sur ces sujets, éventuellement de soutenir des démarches de l’observatoire
et de construire des outils pour faciliter l’aide au retour. C’est vraiment notre état d’esprit. Sur
ces risques croissants sur lesquels nous avons un intérêt commun à faire de la prévention, il s’agit
de réfléchir ensemble.
M. Laborde.- Y a-t-il des questions ? Vous avez été particulièrement convaincante.
Je vais passer la parole à M. Benoît Hamon qui va nous parler du combat qu’il mène pour faire
reconnaître le burn-out au tableau des maladies professionnelles.
Benoît Hamon.- Bonjour à tous. Merci pour cette invitation. J’ai beaucoup de points d’accord
avec beaucoup d’intervention à cette tribune et notamment avec Jean-Frédéric Poisson qui a de
bonnes raisons d’avoir un peu de stress sur les épaules. Il a quand même un grand débat ce soir.
Nous sommes effectivement coéquipiers au rugby. Je suis ailier droit et il est le pilier gauche.
Quand on connaît le rugby, le pilier gauche ne peut tourner la mêlée que vers la droite et l’ailier
droit ne peut que repiquer à gauche quand il essaye de passer son adversaire. En plus d’être tous
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les deux soucieux de battre les Anglais au rugby, on a comme point commun cette question
centrale de la souffrance au travail.
Je voudrais commencer par faire quelques commentaires sur la confusion qui existe autour du
burn-out. Ce n’est pas une maladie. C’est un syndrome qui conduit à une pathologie psychique,
qui peut être une dépression, un stress post-traumatique ou un état d’anxiété généralisée. C’est
autour de cette confusion que celles et ceux qui ne sont pas pressés de voir reconnaître
l’imputabilité de ces dépressions au travail jouent pour que nous n’avancions pas en matière de
lutte contre ces pathologies psychiques imputables au travail. Il est vrai que l’on peut avoir une
dépression et qu’elle peut être multifactorielle. Ce n’est pas nouveau dans les maladies
professionnelles. Il n’a pas fallu attendre que les pathologies psychiques existent et se
développent pour constater qu’il existe des maladies professionnelles qui sont multifactorielles.
Un exemple très connu est le cancer du poumon lié à la respiration des poussières d’amiante. Il
est multifactoriel. Quand des personnes ont été longtemps exposées à l’amiante, leur cancer du
poumon peut être reconnu comme maladie professionnelle. Pourtant, on peut imaginer que, si à
côté de ce travail dans un environnement extrêmement toxique, une personne fumait deux
paquets par jour, deux facteurs pouvaient concourir à un cancer du poumon. Pour autant, un
premier facteur imputable au travail justifie la reconnaissance comme maladie professionnelle.
De la confusion existe. Le burn-out n’est pas une maladie. L’Académie de médecine a raison de le
dire. C’est un syndrome avec des signaux faibles au départ qui conduit à des pathologies
psychiques qui sont imputables au travail, dont l’importance de les reconnaître comme maladie
professionnelle.
La deuxième remarque que je voulais faire est le déni qui entoure ces pathologies. J’ai été à
l’origine d’une proposition de loi qui visait à améliorer la reconnaissance du burn-out comme une
maladie professionnelle. Quand on a avancé sur ces questions à l’Assemblée nationale, plus de
80 parlementaires avaient cosigné cette proposition de loi, mais elle n’a jamais été mise à l’ordre
du jour. Il y a beaucoup de choses à faire sur l’amélioration de notre démocratie. 80 députés, ce
n’est pas négligeable. Ça représente quand même beaucoup de monde. En comptant 100 000
habitants par circonscription, près de 8 millions d’habitants étaient représentés par 80 députés.
Pourtant, ce texte n’a jamais été examiné.
Quand on avait travaillé là-dessus, j’avais multiplié les entretiens et les rendez-vous avec des
managers, des chefs d’entreprise, des victimes du burn-out. Qu’ai-je constaté ? Nous sommes
tous égaux devant cette pathologie. Salariés du public comme du privé, métier faiblement qualifié
comme top management des entreprises, tout le monde peut être tôt ou tard victime du
syndrome d’épuisement professionnel. Ce qui explique ce syndrome d’épuisement professionnel
est le trop-plein de travail. Il conduit à tout donner pour finalement lâcher prise et à être broyé
par le travail. Cette réalité concerne aussi les chefs d’entreprise. Une remarquable étude a été
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faite par un chercheur de l’université de Montpellier sur les patrons de PME. Elle montre que l’on
est longtemps dans le déni. Ne pas être à la hauteur du travail est comme une faute
professionnelle. On n’impute pas ce qui nous arrive à la pression au travail, mais à sa vulnérabilité,
d’où la perte d’estime de soi, etc. C’est seulement très tard que des personnes faisant des
dépressions liées au travail reconnaissent que c’est le travail qui explique la situation dans
laquelle ils sont. Nous avons du déni et de la confusion.
Jean-Frédéric Poisson et d’autres insistaient sur la nécessité de faire de la prévention. Il est
indispensable que les managers de demain intègrent l’impératif de la bienveillance dans
l’organisation du travail. La bienveillance n’est pas une position laxiste, trop généreuse et naïve.
C’est le fait de considérer qu’un salarié en bonne santé est un salarié plus productif. En
conséquence, investir dans une organisation de travail bienveillante est un bon investissement
pour l’entreprise au regard de ces objectifs économiques. Demain, dans les écoles de commerce
et tous les diplômes qui préparent à diriger des entreprises, il faudra intégrer cette notion de
bienveillance au travail. Au passage, le mot travail est associé à une signification latine assez
inquiétante. Il est associé au mot trépalium qui est un instrument de torture. Le travail n’est
évidemment pas que la souffrance, mais dans son étymologie latine, il est associé un instrument
de torture. On peut souffrir dans le travail. On peut s’épanouir dans le travail, y trouver une utilité
ou une reconnaissance, mais on peut également citer. C’est ce qui se passe aujourd’hui avec le
développement des risques psychosociaux et de toutes les pathologies psychiques liées au travail.
Madame avait raison de rappeler le chiffre assez effrayant qui estime qu’il y aurait aujourd’hui 3
millions de Français qui seraient exposés à une menace sévère de burn-out. Ce n’est pas rien. Cela
concerne toutes les catégories professionnelles et tous les niveaux de hiérarchie dans l’entreprise
comme dans le secteur public. Les secteurs qui sont aujourd’hui particulièrement exposés sont
l’hôpital et les grandes administrations qui se transforment et mutent avec des méthodes de
management inspirées du secteur privé et donnent à beaucoup de fonctionnaires l’impression de
perdre le sens de leur travail. Il y a des secteurs plus exposés, et il faut les surveiller.
L’objet de notre proposition de loi était d’avancer vers une meilleure prise en charge et
reconnaissance de ces maladies professionnelles. Pour se reconstruire, tous les professionnels de
santé disent qu’il vaut mieux verbaliser ce qui vous arrive. Reconnaître que ce qui vous arrive est
imputable au travail et non pas à votre propre fond ou à votre vulnérabilité vous aide à vous
reconstruire. La reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle est d’abord un
objectif de santé publique pour aider celles et ceux qui en sont victimes. Cela a évidemment des
conséquences sur la prévention. Si l’on transfère la charge de la réparation non plus à la branche
assurance maladie, mais à la branche accidents du travail, c’est un puissant incitatif à ce que les
entreprises modifient leur organisation du travail. La branche accidents du travail et maladies
professionnelles est financée essentiellement par les cotisations des entreprises. Ce qui a été fait
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dans le passé pour faire baisser les accidents du travail dans des secteurs à forte sinistralité peut
être fait dans le domaine des maladies professionnelles dans les entreprises où l’on constate
énormément de burn-out. Le secteur du bâtiment a changé quand on a calculé le montant des
cotisations payées à la branche accidents du travail en fonction du nombre de personnes victimes
des accidents du travail. C’est ce que nous voulons faire dans le domaine des pathologies
psychiques.
Comment faire cela ? La première voie pourrait être d’inscrire dans le tableau des maladies
professionnelles le burn-out. Mais comme ce n’est pas une maladie, il est compliqué d’inscrire ce
qui n’est pas une maladie. Dans ce domaine-là, il y a des querelles qui sont légitimes sur le plan
scientifique et médical et qui amènent les spécialistes de chaque organisation (organisations
patronales, salariées, médecins) à tomber d’accord pour dire qu’il est très difficile de dire de
quelle manière on pourrait inscrire le burn-out au tableau des maladies professionnelles, sachant
que plusieurs pathologies sont associées à ce syndrome d’épuisement professionnel.
Si nous ne pouvons pas avancer très vite dans ce domaine-là faute de consensus, il existe une
deuxième loi. Il s’agit de la possibilité pour chacun d’entre nous de faire reconnaître sa pathologie
psychique comme directement imputable au travail devant les C2RMP (Comités régionaux de
reconnaissance des maladies professionnelles). Mais aujourd’hui, pour que votre dossier soit
simplement instruit, il faut que vous puissiez démontrer un taux d’incapacité permanente de 25 %
pour une pathologie qui est variable sur la manière dont elle vous atteint. Si vous perdez un bras,
votre taux d’IPP ne changera pas. Pour une pathologie psychique, il varie. 25 % est un taux
quasiment impossible à atteindre pour une pathologie psychique. C’est un seuil si élevé qu’il
élimine l’immense majorité des dossiers déposés devant les C2RMP. En 2014, seuls quelques
centaines de burn-out ont été reconnus comme des maladies professionnelles par les C2RMP.
Quand on compare la réalité du syndrome d’épuisement professionnel en France et en Belgique
qui est un pays beaucoup plus petit, il y a un écart incroyable. Quand nous n’en reconnaissions
que quelques centaines, en Belgique, on reconnaissait des milliers de burn-out. Sauf à considérer
qu’en Belgique, ils sont plus stressés que nous, on peut imaginer que notre système est un
système qui ne veut pas reconnaître les pathologies psychiques comme maladie professionnelle.
Nous avons essayé de pousser, tant dans la loi travail que la forme d’une proposition de loi, à faire
tomber ce seuil à 0 %, donc de considérer que tous les dossiers devaient être instruits, charge
ensuite aux comités de déterminer ceux qui relevaient véritablement d’une imputabilité au travail
et ceux qui n’en relevaient pas. On confond souvent le burn-out et le harcèlement. Le
harcèlement peut construire au burn-out. Mais tout cela est parfois mélangé. Il s’agissait de
donner une responsabilité aux C2RMP pour accélérer le nombre de reconnaissances du burn-out
comme maladie professionnelle. Hélas, à cette étape, nous n’y sommes pas parvenus. Le seul
point positif de la loi travail, adoptée dans les conditions que vous connaissez, est d’inscrire le
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principe d’un droit à la déconnexion, facultatif. Si les contraintes sont obligatoires et les progrès
facultatifs, on sait à peu près ce qui va advenir. Mais c’est quand même un petit progrès. On
reconnaît qu’il existe aujourd’hui un problème, notamment pour les cadres, directement lié à
cette espèce de laisse électronique qui vous relie en permanence au travail. Un cadre sur trois
déclare travailler entre 20 heures et minuit et trouve cela presque normal, comme de travailler
le week-end. Quand il est cadre, il répercute des instructions sur ses propres collaborateurs. Par
ruissellement, on a une forme de pression qui déborde largement le temps de travail légal et les
heures supplémentaires que l’on peut faire et vous amène à travailler avec vos tablettes et vos
Smartphones bien au-delà du temps de travail avec une pression dont vous ne vous débarrassez
jamais.
Comme l’a dit une dame tout à l’heure, quand on est malheureux au travail, quand on est sous
pression, notre vie personnelle se dégrade immédiatement. Il faut avoir une famille sacrément
robuste pour absorber le stress et la dépression d’un membre de la famille. Quand on regarde le
cheminement qui a précédé le suicide de certaines personnes qui étaient en dépression, en même
temps que les problèmes professionnels, il y a eu un couple qui s’est abîmé, une famille qui s’est
séparée, cela s’enchaîne et cela conduit parfois au suicide. Les pathologies psychiques tuent. Si
ces pathologies psychiques sont liées à une organisation du travail, certaines organisations du
travail tuent. C’est de cela que l’on parle. L’importance de la prise en charge de ces pathologies
psychiques par la branche accidents du travail conduit à renverser l’impératif de prise en charge
de cette maladie vers l’entreprise qui doit modifier son organisation du travail de façon à être
moins prédatrice en matière de souffrance au travail et de pathologies psychiques.
Jusqu’à présent, nous avons échoué. Le gouvernement a considéré que c’était trop compliqué.
Nous n’avons pas eu le soutien des organisations patronales. Il y a aujourd’hui encore beaucoup
de confusion et de déni autour de cette réalité. Néanmoins, nous avons progressé. Il faut toujours
enregistrer les victoires que l’on a obtenues. Le grand progrès est que sur ces questions de
souffrance au travail, il y a une vraie prise de conscience qui monte et qui tôt ou tard nous
conduira en matière de protection des salariés à avoir une législation aussi moderne qu’il faudrait
l’avoir. Il fut un temps où « moderne » signifiait « meilleur ». Quand on parle de droit du travail
et de modernité, on n’est pas certain que ce soit toujours meilleur. Là, quand je parle de
modernité de notre droit du travail et de notre protection sociale, c’est au sens meilleur, parce
que cela nous protégera mieux de ces pathologies psychiques.
Voilà où nous en sommes. Ces batailles se poursuivent. Elles sont transpartisanes. Jean-Frédéric
Poisson soulignait tout à l’heure : sur ces questions-là, on peut se retrouver au-delà de nos
appartenances politiques.
Je voudrais saluer le rôle éminent de la confédération et de la CFE-CGC dans ces questions de
reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. C’est sans doute le syndicat le plus
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en pointe sur ce sujet. Il nous a beaucoup aidés au moment où nous avons préparé cette
proposition de loi. Il est très précieux d’avoir des organisations syndicales qui se nourrissent de
l’expérience vécue concrètement et qui cherchent à construire des réponses qui permettront de
mettre en œuvre des organisations du travail beaucoup plus bienveillantes à l’égard de la santé
des salariés, et donc de la santé économique des entreprises. Je vous remercie.
Martine Keryer.- On a participé il y a peu de temps à une audition dans le cadre de la commission
des affaires sociales. Un rapport va être rendu en janvier 2017. J’ai bien peur que cela accouche
d’une souris. J’aurais voulu avoir un avis plus optimiste que le mien.
Benoît Hamon.- Je ne suis pas non plus très optimiste. Je pense que l’on a raté le coche. Un
moment, j’ai cru que la Ministre du Travail comprendrait qu’eu égard au déséquilibre de sa loi,
elle avait tout intérêt à avancer sur un sujet comme celui-là qui parle à tous les salariés. Aucun
d’entre nous n’est à l’abri de cela. La performance peut être totalement déconnectée du travail.
Parfois, on peut travailler beaucoup et ne pas arriver à votre objectif et vice versa. On dit que ces
questions de risques psychosociaux sont le mal du siècle. Notre avantage est que je crois que les
chefs d’entreprise sont eux-mêmes beaucoup plus conscients qu’ils peuvent partager avec leurs
salariés et leurs collaborateurs des risques, ce qu’ils ne mesuraient pas forcément directement
auparavant. À partir de là, il y a une prise de conscience.
Intervenante.- On a vu la difficulté du burn-out. En politique, on n’en parle jamais. Qu’en est-il
en politique ?
Benoît Hamon.- C’est la même chose qu’ailleurs. On est dans un pays où en politique, on a le
culte de la virilité. Ce culte de la virilité s’accommode assez peu de la reconnaissance d’une
dépression. C’est également valable dans le monde de l’entreprise. J’ai évoqué l’étude de
l’université de Montpellier. Une des phrases qui revient le plus souvent est : « Je ne suis jamais
malade. » Finalement, on n’est jamais malade au travail, mais on tombe malade quand on est en
vacances. Aujourd’hui, quand on est défaillant, c’est une faute. On développe de la culpabilité à
l’égard de cette dépression. C’est ce qui est terrible. Il faut d’abord débarrasser les salariés ou les
individus de cette culpabilité.
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Intervenant.- Bonjour. J’ai vu bon nombre de managers tomber dans des durées d’arrêt de travail
de six mois et plus. Par rapport aux réflexions et aux propos qui ont été abordés ce matin, en tant
que président d’un syndicat de cadres, je m’interroge sur le propre respect qu’ils ont vis-à-vis
d’eux-mêmes, sachant qu’ils sont impliqués dans une entreprise. Pour revenir sur les propos de
Mme Lemeunier, elle aspirait à retrouver ses rêves. Il existe des alternatives. Il existe des pays où
des ostéopathes et des psychologues interviennent dans les entreprises et les gens vont consulter
librement. Je pense que si les salariés ont besoin de rêve, c’est, parce que les patrons ont besoin
de dormir. S’ils ne dorment pas, ils ne pourront pas se recréer.
M. Benoît Hamon, je suis originaire de la même ville que vous, vous êtes un homme politique.
Vous êtes donc pétri d’utopie. On a l’impression de se retrouver dans des schémas d’organisation
entrepreneuriale. Vous encourez des difficultés tous les jours. Est-ce qu’il n’y a rien pour influer
sur les décideurs d’entreprises ?
Benoît Hamon.- Une dame parlait de la situation des femmes qui avaient une double charge de
travail qui consiste à travailler et à assumer l’essentiel des tâches domestiques (éducation des
enfants, l’entretien du foyer, etc.). Mais quand on regarde les déclarations des hommes, ils disent
qu’ils font les courses et qu’ils amènent les enfants à l’école. Personnellement, je suis dans cette
moyenne-là. Mais la réalité est que l’on constate que les femmes sont plus exposées. Dans le
monde du travail, on nous dit que ce sont elles qui craquent et l’on trouve ça normal, parce qu’une
femme, c’est fragile. Mais l’idée selon laquelle les femmes seraient fragiles à l’égard du travail est
une idée préconçue. Je vais vous répondre très vite. Je milite pour le revenu universel d’existence
pour donner aux personnes plus d’autonomie par rapport au travail. Dans la période qui s’ouvre,
il n’y aura plus de carrière linéaire et l’on passera par plusieurs statuts. Comment faire en sorte
que les femmes ne soient pas surreprésentées dans les postes faiblement qualifiées ? Je crois au
revenu universel d’existence. Il faut qu’il y ait un impôt qui soit plus juste et qui prenne plus à
Mme Bettencourt qu’à quelqu’un d’autre. Nous avons ici un dirigeant de Safran. Il peut reconnaître
qu’il se passe aujourd’hui quelque chose de formidable. L’humanité produit ce dont elle a besoin
avec de moins en moins de travail humain. Ça nous libère du travail. Mais on n’a pas l’impression
que cela améliore les conditions de travail de ceux qui travaillent et l’accès au travail de ceux qui
n’en ont pas. Quand on regarde la façon dont est financée notre protection sociale, qui s’est créée
au lendemain de la guerre, notre idée est de se dire que les gens qui sont revenus d’Allemagne
ont fait la sécurité sociale, la protection contre les maladies et les retraites. À l’époque, cela pesait
lourd dans le choix politique qui était fait. Sur le travail, il y a moins de cotisations des employeurs
et moins de cotisations des salariés, mais notre espérance de vie augmente et nous sommes
exposés à des maladies chroniques nombreuses. Comment financer cette protection sociale ?
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Cette opportunité technologique fait que l’on a besoin de travail humain, quoi que l’on en dise.
Comment fait-on pour financer une meilleure protection sociale ? Si l’on n’envisage pas demain
de fixer un salaire fictif pour l’algorithme qui vous remplace à partir duquel il y aurait une
cotisation pour fixer la protection sociale des êtres humains, nous n’arriverons pas à pérenniser
nos systèmes sociaux. On peut nous raconter plein d’histoires sur la réduction du nombre de
médicaments remboursés et la manière dont l’hôpital public est soumis à des économies de
gestion. On dit que tout ce qu’il faut est de faire faire des économies à la sécurité sociale. Mais si
le travail se raréfie, nous n’y arriverons pas. Quand j’étais à la consommation, j’ai reçu les patrons
du groupe Auchan qui ont dit qu’ils expérimentaient pour la première fois les portiques sous
lesquels vous passez avec votre caddie. On va gagner peut-être 30 minutes dans notre samedi.
Mais il manque la personne. La théorie économique dit que c’est de la destruction créatrice. Mais
crée-t-on autant d’emplois que l’on détruit ? Quand ces emplois faiblement qualifiés sont
détruits, où se retrouvent-ils ? Nous avons des équations lourdes. Mon utopie est le revenu
universel d’existence. Il est démontré aujourd’hui que l’activité physique vous évite la maladie et
les récidives de cancer. Si à l’école, au travail, pour les personnes âgées, on généralisait la
gymnastique, les activités physiques légères, ça coûterait moins à la collectivité et ça contribuerait
au bien-être. Pour qu’on l’exerce, il faudrait que la sécurité sociale reconnaisse que l’activité
physique peut être remboursée, même si c’est au début symbolique, pour pousser à une société
qui soit bienveillante. Je me résoudrai à ce que l’on avance concrètement dans ces domaines dans
les années à venir.
M. Laborde.- Merci pour cette utopie. Je pense que le dernier point que vous avez abordé est
expérimenté dans l’est de la France depuis quelques années.
Benoît Hamon.- Exactement.
M. Laborde.- Nous arrivons au terme de ce colloque. Je vous demande d’excuser l’absence de
M. André Legault. Mais avant de vous dire ce qu’il m’a chargé de vous faire part, je voudrais
d’abord remercier la petite équipe de bénévoles qui travaille sur ce sujet à l’union
départementale CFE-CGC des Yvelines.
(Applaudissements)
Je souhaite que vous en sortiez de cette matinée porteurs d’un message. Le burn-out, il faut en
parler. Le fait d’en parler, d’échanger autour de vous, de militer est à mon sens le point le plus
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important pour faire progresser notre société sur ce sujet. Madame la sous-préfète, Madame la
secrétaire nationale CFE-CGC, Monsieur le délégué national CFE-CGC, Messieurs les présidents
départementaux et les syndicats, je voudrais d’abord remercier les organisateurs de cette
conférence-débat ainsi que les députés qui nous ont fait l’honneur de débattre sur un sujet
important pour notre organisation syndicale qui est le burn-out. Je vous remercie pour la qualité
des débats sur cette thématique qui est une composante importante au quotidien et dont les
causes sont multiples. Elles doivent être analysées entreprise par entreprise entre les DRH et les
représentants du personnel. Au-delà des incidences sur la productivité de l’entreprise, cette
maladie génère des coûts estimés environ 3 % du PIB. Ces coûts sont subis par notre collectivité.
Cette maladie, cette situation, détruit des femmes et des hommes qui mettent parfois très
longtemps pour se reconstruire.
La CFE-CGC est précurseur dans ce domaine. Elle milite pour que le burn-out soit reconnu pour
une maladie professionnelle. D’autre part, nous avons la volonté que les partenaires sociaux dans
les entreprises s’emparent de cette problématique d’amélioration de la qualité de vie au travail.
Au nom de l’union régionale Île-de-France CFE-CGC, nous sommes investis pour soutenir nos
militants dans les entreprises. Je voudrais vous saluer tous chaleureusement pour vous être
déplacés si nombreux, concourant à la réussite de cette matinée en espérant que vous avez pu
trouver une réponse à vos questions et interrogations. Merci à tous.