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1 COMPETENCES DE VIE REGARDS CROISES D’EXPERTS Actes de l’atelier de réflexion Avec la participation de l’IIPE-UNESCO, l’OCDE et l’UNICEF Sèvres, 17- 18 Septembre 2019

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COMPETENCES DE VIE REGARDS CROISES D’EXPERTS

Actes de l’atelier de réflexion Avec la participation de l’IIPE-UNESCO, l’OCDE et l’UNICEF Sèvres, 17- 18 Septembre 2019

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Préambule Cette publication présente une synthèse des échanges issus du premier « Atelier de réflexion sur les compétences de vie » qui s’est tenu à Sèvres les 17 et 18 septembre 2019 et qui a rassemblé des praticiens, des responsables de projets, des bailleurs. A la lumière d’un partage d’expérience, il a permis de préciser les problématiques inhérentes à l’introduction des compétences de vie ou compétences transversales dans les systèmes éducatifs.

Deux objectifs spécifiques ont été retenus : dresser un panorama des approches conceptuelles, des méthodes, enjeux et besoins actuels et, à partir des problématiques définies, tenter de dégager des réponses visant la mise en application des compétences de vie à différents niveaux des systèmes éducatifs en tenant compte de la diversité de contextes.

En introduction, de la première journée, le directeur général de France Education international rappelle l’implication de l’établissement dans cette thématique et les raisons qui motivent la tenue de cet événement.

La première journée permet de proposer un cadrage conceptuel et de mieux appréhender les positions et approches portées par diverses institutions internationales intervenant dans ce champ transversal ; la deuxième journée présente plusieurs études de cas qui ont permis de faire émerger des axes structurants de réflexion. Ces problématiques ont été débattues en ateliers afin d’en repérer les bonnes pratiques et les enjeux au moment de définir leur mise en œuvre concrète.

Cette première rencontre est le point de départ d’une série d’ateliers et séminaires qui seront organisés par France Education international pour approfondir la réflexion et les articulations et complémentarités possibles des actions de chaque acteur de l’expertise internationale afin d’en augmenter l’efficience et l’impact.

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Table des matières Préambule ............................................................................................................................................... 2

Introduction ............................................................................................................................................. 4

Pourquoi France Education international s’implique-t-il dans la réflexion sur les compétences de vie ? ................................................................................................................................................................. 4

Allocution d’ouverture ............................................................................................................................ 5

I. Jour 1 - Cadrages conceptuels et approches institutionnelles. ....................................................... 6

1. L’action de France Education international dans le domaine des compétences de vie ............. 6

2. Table ronde 1 : Approches conceptuelles : qu’entend-on par compétences de vie ? .............. 10

2.1. Propos liminaires ............................................................................................................... 10

2.2. Le Cadre conceptuel et Programmatique de l’Unicef MENA. Vers une opérationnalisation des compétences de vie ................................................................................................................ 10

2.3. « OECD Approach to the issue of life skills”. Les compétences socio-émotionnelles ....... 12

Le mot de l’UNESCO sur les objectifs 2030 : Amélie Gagnon ........................................................ 14

2.4. « Compétences de vie » : quelles questions posées ? ...................................................... 15

3. TABLE RONDE 2 – Les champs d’intervention des organismes internationaux ........................ 17

3.1. Propos liminaires ............................................................................................................... 17

3.2. « Point de vue réflexif sur l’opérationnalisation des compétences de vie » .................... 17

3.3. « Assessment of social and emotional skills, a new tool for assessing skills” ................... 19

3.4. « L’incidence des réformes intégrant les compétences de vie sur la planification de l’éducation » - ................................................................................................................................ 20

Conclusion de la première journée - Michel Develay ....................................................................... 21

II. Jour 2 - Les approches concrètes de l’intégration des compétences de vie dans les pratiques pédagogiques ........................................................................................................................................ 22

1. Echanges, retours des experts sur les réflexions de la première journée ................................ 22

2. Etudes de cas ............................................................................................................................. 24

2.1. Le cas de la Finlande .......................................................................................................... 24

2.2. L’exemple de Haïti et du Burundi ...................................................................................... 25

2.3. L’exemple du Maroc et de la Tunisie ................................................................................. 25

3. Ateliers....................................................................................................................................... 26

Conclusions générales : Pour aller plus loin ...................................................................................... 29

Annexe ................................................................................................................................................... 35

« Compétences de vie » : quelles questions posées ? .......................................................................... 35

Roger-François Gauthier ........................................................................................................................ 35

Acronymes……………………………………………………………………………………………………………………………………….40

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Introduction Pourquoi France Education international s’implique-t-il dans la réflexion sur les compétences de vie ?

France Education international accompagne les réformes curriculaires dans le monde depuis près de vingt-cinq ans. Ses équipes ont ainsi développé une expertise reconnue dans la conduite de projets dans le domaine de l’élaboration de cadres d’orientation : curriculum, révision de manuels scolaires, formation des enseignants, intégration des compétences de vie dans les curricula…

Récemment, en décembre 2018, les activités d’assistance technique internationale menées en Tunisie, Egypte et Maroc ont abouti à l’attribution par l’Unicef, au groupement piloté par France Education international, d’un contrat-cadre visant l’opérationnalisation des compétences de vie dans les systèmes et contenus éducatifs de 15 pays de la région MENA. Ce contrat, qui place FEI comme l’un des partenaires clefs du bureau régional de l’Unicef, est l’occasion pour FEI de consolider son réseau d’experts associés francophones, anglophones et arabophones mais, au-delà, de s’interroger sur l’état de la réflexion d’acteurs et institutions internationales sur ce champ ainsi que sur les problématiques et perspectives associées. En effet, si la notion « compétences de vie » est utilisée depuis bientôt vingt ans par les spécialistes des réformes curriculaires, nul doute que leur place dans les curricula connaît un développement sans précédents. Pour autant, cette dynamique soulève un certain nombre de questionnements sur les définitions, les cadres conceptuels, les approches pédagogiques, les méthodes mais aussi sur les intentions poursuivies et le positionnement de l’expertise internationale.

Aires géographiques d’intervention de France Education international sur les compétences de vie

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Allocution d’ouverture Pierre-François Mourier, Directeur général, France Education international (FEi) Dans ses propos introductifs, le directeur général rappelle le développement exponentiel des actions de coopération éducative internationale de France Education international ainsi que son implication dans les réformes curriculaires dans le monde depuis vingt-cinq ans.

En effet, l’établissement intervient depuis 2013 sur la thématique compétences de vie - du préscolaire à l’enseignement supérieur- comme en témoigne le projet Extrasup financé par la Commission Européenne dont l’objectif a été de valoriser et reconnaitre les compétences des étudiants acquises hors du cursus formel, qu’il s’agisse de compétences de vie ou de compétences en lien direct avec leur domaine de formation, pour favoriser leur employabilité et leur développement personnel. Dans le cadre du programme Erasmus+, en partenariat avec 5 pays de l’UE, France Education international a conduit le projet CROSSCUT pour soutenir le développement des approches innovantes dans les systèmes éducatifs européens, permettant aux élèves et futurs citoyens européens d’acquérir des compétences clés transversales. Fin 2018, les projets menés en Tunisie, Egypte et Maroc depuis 2017 ont abouti à l’attribution par l’Unicef au groupement piloté par France Education international d’un contrat-cadre visant l’opérationnalisation des compétences de vie dans les systèmes éducatifs des quinze pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. La rencontre organisée en septembre 2019 par France Education international s’inscrit dans une dynamique de dialogue et d’échanges constants avec ses partenaires nationaux et internationaux ainsi qu’avec ses experts associés. Ainsi, France Education international se positionne désormais comme un acteur international de référence dans le champ des compétences de vie.

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I. Jour 1 - Cadrages conceptuels et approches institutionnelles.

1. L’action de France Education international dans le domaine des compétences de vie Stéphanie Ermini – Chargée de programmes – France Education international Chargée de programmes au département coopération en éducation, Stéphanie Ermini est impliquée dans de nombreux projets liés à l’intégration des compétences de vie dans les systèmes éducatifs et les réformes curriculaires, notamment en Méditerranée. Champs d’intervention de France Education International Depuis 2016, France Education international a eu l’opportunité d’accompagner divers ministères de l’éducation dans leur réflexion sur l’intégration des compétences de vie (Life skills) à divers moments de leur réforme éducative dans divers champs. Cela a permis à FEI d’accompagner les Ministères de l’éducation de Tunisie, Djibouti, Egypte, Maroc et Burundi et d’apporter une expertise internationale pointue sur les réformes curriculaires, la révision des pratiques enseignantes ou encore des manuels scolaires et outils pédagogico-didactiques. La présentation visait donc à retracer les actions menées dans ce champ par FEi dans plusieurs pays et à présenter les modalités d’appui au niveau systémique de divers ministères de l’éducation dans le champ des compétences de vie, à plusieurs moments de leur réforme éducative. Ainsi, l’appui apporté à Djibouti, au stade le plus en amont de la réforme éducative, FEi a accompagné le ministère de l’Education dans une phase de réflexion et de construction des orientations pédagogiques et politiques afin d’identifier les besoins, les priorités, les enjeux d’une réforme incluant le développement des compétences de vie. A partir d’un diagnostic, il s’agissait de mesurer les opportunités, potentiels, mais aussi les risques et contraintes afin de mieux identifier les leviers et les mesures d'atténuation pour un niveau de succès maximal. De cette réflexion collective, sont apparues plusieurs considérations, problématiques dont il convient de tenir compte au moment de penser l’intégration des compétences de vie dans les systèmes éducatifs.

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En Tunisie, à un moment où la réforme éducative s’enclenchait, s’est posée la question de comment intégrer les compétences de vie (CDV) dans le cadre curriculaire national alors en construction ; quelles modalités d'intégration des CDV dans le curriculum ? A quels niveaux ? Quels changements induirait cette nouvelle approche ?

Cette réflexion menée à un stade intermédiaire a l’avantage d’avoir une compréhension approfondie autour de ce qui est requis mais pas encore défini. Avoir suffisamment de temps pour échanger, collaborer avec les autorités nationales, construire avec les acteurs impliqués dans l'éducation le modèle le plus approprié pour le pays est un gage d’adhésion et d’appropriation. Ainsi, dans une perspective systémique, qui supposait de penser l’ensemble des axes du système éducatif impactés et impactant cette transformation, une analyse a été menée sur les prérequis nécessaires pour intégrer les 12 compétences de vie, afin de bien définir le champ et les conditions de cette intégration (au niveau des pratiques pédagogiques, du processus d’enseignement –apprentissage, des modalités d'évaluation). Par la suite, un nouveau référentiel de compétences des enseignants a été élaboré, afin que les acteurs même du changement puissent être formés et outillés pour porter cette transformation. L’intérêt de la démarche repose sur la méthodologie appliquée à l’ensemble de l’appui technique : une co-construction de l’ensemble des produits, et une formation-action, qui a permis de former des formateurs tunisiens, chargés dans un second temps de la dissémination des actions et productions réalisées. En Egypte, le Ministère de l’Education (MOETE) avait élaboré un cadre curriculaire pour l’ensemble de la scolarité, mettant en avant des valeurs ainsi que des problématiques qui leur semblaient essentielles puisque reflétant les attentes et défis de la société égyptienne. Sur cette base, France Education International a fourni une expertise technique pour l'élaboration des nouveaux programmes-cadres de la maternelle et des trois premières années du primaire, en s'appuyant sur le cadre conceptuel et programmatique de l’Unicef pour la région MENA. Une approche multidisciplinaire a été choisie afin d’intégrer, de façon transversale, les compétences de vie, puisque par sa typologie même, elle permettait d’articuler savoirs, compétences, attitudes et valeurs. Un travail a donc été mené sur les pratiques pédagogiques, le système d'évaluation ainsi que les programmes actuels de formation des enseignants pour les aligner sur le nouveau curriculum produit.

L’approche choisie par le Maroc pour penser et anticiper la réforme éducative est extrêmement intéressante. Puisque le changement passe par les acteurs de terrain, le projet Maharaty a donné l’opportunité à des enseignants et inspecteurs de travailler sur la conception de fiches permettant la mise en œuvre de pratiques pédagogiques renouvelées dans l’enseignement secondaire

collégial pour transformer de façon plus durable les modalités d’apprentissage des élèves. Les résultats et leçons tirées des expérimentations menées dans plusieurs académies du pays permettront de construire la réforme autour d’une démarche structurante et holistique pour assurer une intégration

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durable des compétences de vie à la fois dans les pratiques pédagogiques, les modalités d’évaluation et le curriculum. Une approche systémique Agir au niveau systémique implique de veiller à ce que les compétences de vie soient intégrées dans les curricula, dans les stratégies d'apprentissage et d'enseignement, qui sont au cœur du changement social. Quel que soit le maillon de la chaîne éducative concerné, tous les autres aspects, intimement liés, seront, d’une manière ou d’une autre concernés si l’on cherche à articuler les compétences transversales avec les savoirs académiques. En effet, la réflexion sur le savoir-faire, le savoir être, le savoir-apprendre et le savoir vivre ensemble est un processus qui place l’élève au cœur du changement et en ce sens, impacte tout le système. Cette démarche, qui induit des approches didactiques et pédagogiques plus novatrices correspondant au style d'apprentissage du jeune, favoriseront la motivation de l'enseignant et de l'élève. Méthodologie et démarche structurante L’un des principes structurants de l’approche de FEI est la co-construction. Dans la mise en œuvre des projets, l’assistance technique internationale fournie vise à apporter des outils et à structurer une réflexion collective, souvent menée en ateliers, et à faire alterner théorie et pratique. La co-construction avec les acteurs locaux est un gage d’appropriation et d’adhésion aux actions engagées, car elle permet de questionner l’existant, de le valoriser et de penser le changement de façon collective et en cohérence avec la réalité, les enjeux et besoins des pays d’intervention. Conditions de réussite L’intégration des compétences de vie dans les curricula est un processus long qui implique de changer de paradigme. Les projets menés nous ont permis de faire émerger les conditions de réussite suivantes :

• Une approche holistique : intégrer les compétences de vie, ce n'est pas insérer. Comme énoncé auparavant, c’est réformer l’ensemble du processus d’apprentissage-enseignement.

• Il est indispensable d’appuyer le processus en proposant un plan de formation solide pour les formateurs de formateurs, les inspecteurs, les directeurs d'école et les enseignants, pour permettre un changement durable dans les pratiques pédagogiques.

• Ne pas négliger la communauté éducative. Il convient de sensibiliser et engager le dialogue avec la société civile sur les compétences de vie afin de susciter l'intérêt et l’adhésion

• Assurer l'appropriation, la pertinence, la durabilité et le développement efficace des compétences par le suivi et l'évaluation de l'ensemble du processus.

Pourquoi cet atelier ? Lors de la mise en œuvre de nos projets, plusieurs problématiques ont émergé et nous ont amené à réfléchir : formation des enseignants, pratiques pédagogiques, évaluation, curriculum, planification, ressources humaines et financières… sensibilisation des acteurs et de la communauté… Ainsi, les compétences de vie ou compétences transversales sont un champ de réflexion holistique qui touche l’ensemble des axes structurants du système éducatif. Il s’inscrit naturellement dans l’ODD 4, qui vise à « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les

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possibilités d’apprentissage tout au long de la vie », sur lequel s’aligne la réflexion des grandes institutions internationales : l’Unicef, l’OCDE (Projet Education 2030) ou encore l’Unesco. Quel que soit la façon dont les institutions traitent et appréhendent la thématique des compétences de vie, elles poursuivent des objectifs communs :

• Doter les jeunes, les enfants et tous les apprenants des compétences dont ils ont besoin pour réussir dans la vie, à l'école comme au travail.

• Développer les compétences et les connaissances pour mieux faire face à la vie quotidienne et aux nouveaux défis et besoins de la société

• Donner du sens à l'école et aux processus d'apprentissage et d’enseignement Ainsi :

• Comment les systèmes éducatifs peuvent-ils permettre aux enseignants et aux élèves de développer et acquérir de façon pérenne ces compétences ?

• Quelle formation est nécessaire ? • Comment prendre en compte les spécificités des pays et contextes d’intervention ? • Comment assurer le changement en ne laissant personne de côté ? • Comment planifier de telles réformes ? • Quel rôle doit jouer l’expertise internationale ?

Tant de questions qui sont à l’origine de cet atelier de réflexion, qui ne vise pas à répondre à toutes mais plutôt à lancer une série de rencontres, débats, échanges qui donneront l'occasion de poursuivre et structurer la réflexion sur ce champ majeur, au cœur d’un changement de paradigme, visant à faire le lien entre réussite scolaire, réussite professionnelle et réussite dans la vie. Ainsi, pour poser un premier regard sur ces problématiques, les deux journées d’atelier sont pensées comme complémentaires. La première journée vise à dresser un panorama des approches conceptuelles et des champs d’intervention des grandes institutions intervenant dans les compétences de vie. L’idée n’étant pas de fixer une définition mais bien de pouvoir appréhender la thématique sous divers angles et mesurer les enjeux et défis inhérents. L’Unicef et l’OCDE présenteront chacun leur cadre conceptuel ; Roger François Gauthier les traitera depuis le prisme des politiques éducatives. La table ronde de l’après-midi sera l’occasion de penser, d‘ores et déjà, l’opérationnalisation des compétences de vie, leur mesure pour mieux planifier les réformes éducatives. La deuxième journée sera l’occasion de penser la mise en pratique de ces concepts : plusieurs études de cas seront présentées afin de faire émerger des problématiques qui seront, dans un second temps, discutées en ateliers. Ces ateliers proposeront des éléments de réflexion sur les modalités concrètes de mise en application, les implications et défis de l’intégration des compétences de vie à divers niveaux des systèmes éducatifs.

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2. Table ronde 1 : Approches conceptuelles : qu’entend-on par compétences de vie ? 2.1. Propos liminaires Extrait du discours de Michel Develay Professeur émérite en Sciences de l’éducation, intervient depuis 2016 dans plusieurs projets portés par France Education International ayant trait à l’intégration des compétences de vie dans les curricula. « Le monde évolue grâce aux extrêmes, mais il ne dure que par les modérés » écrit Paul Valéry dans Variétés ou Regards sur le monde. Je suis le modéré et en ce sens je dois faire durer cette première table ronde, ce qui me semble facile car nous sommes tous les quatre des personnes de bonne compagnie. Mais vous, avez-vous des regards, des conceptions, des principes extrêmes qui allez faire évoluer nos conceptions des compétences de vie. J’espère que c’est le cas car vos origines nationales, vos origines institutionnelles sont différentes et organisent je présume des regards variés sinon extrêmes.

Ainsi, l’atelier de réflexion sur les compétences de vie tentera d’identifier ce qui peut permettre à des élèves, des citoyens d’être mieux adaptés à une société de plus en plus complexe. Désormais, nous sortons d’une école qui fragmente pour aller vers une vision de l’école qui cherche la transversalité. »

2.2. Le Cadre conceptuel et Programmatique de l’Unicef MENA. Vers une opérationnalisation des compétences de vie1

Khalid Chenguiti – Spécialiste Education UNICEF Maroc. Mr Chenguiti rappelle que la réflexion sur les compétences de vie a été lancée en 2014 par le bureau régional pour la région MENA. A ce moment-là, le(s) concept(s) étai(en)t ambigu(s), pas précisément délimité(s) ce qui ne permettait pas de les rendre opérationnels. Le Cadre conceptuel et programmatique (CPF) a alors été élaboré en concertation avec tous les ministères de l’éducation de la région2 et propose, sur la base du rapport Delors (1996), un ensemble de 12 compétences interagissant avec quatre dimensions -savoir connaître, savoir-faire, savoir vivre ensemble, savoir être.

1 L’ensemble des documents de référence est disponible sur le site http://www.lsce-mena.org/ 2 Sauf le Soudan

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Le CPF a été pensé et adapté aux spécificités de la région MENA et découle d’un consensus créé avec tous les ministères de l’éducation de la région : des écarts d’apprentissage importants, des valeurs parfois mises à mal à cause d’évènements sociopolitiques, un effritement social, un manque de réformes … L’enjeu était donc de donner des outils à l’école pour qu’elle puisse être un vecteur de l’amélioration du capital social dans une dynamique de changement et dans une perspective de développement de la citoyenneté active.

Les douze champs de compétences ont été définis lors d’un atelier, et s’intègrent dans les quatre dimensions du savoir : savoir-faire, savoir être, savoir-apprendre et savoir vivre ensemble. Le terme « vie », quant à lui, reprend les concepts d’apprentissage tout au long de la vie, et fait référence aux interactions sociales. Si la question de l’employabilité était centrale au moment de la conception du CPF, puisqu’elle visait à proposer une réponse au problème du chômage des jeunes, l’Unicef rappelle que la dimension sociale est centrale : elle concerne le devenir d’un individu dans une société en constante évolution, son devenir en tant que citoyen, dans son interaction avec les autres. La deuxième étape de la conception du CPF a été de procéder à un benchmark dans onze pays, afin de comparer comment les compétences de vie sont intégrées dans l’enseignement et les systèmes éducatifs. Des approches très diversifiées ont été observées, comme en Colombie où des manuels spécifiques au développement des compétences de vie existent et permettent à l’enseignant de les intégrer dans son cours. De ces réflexions est né le cadre proposé, qui permet de poser les grandes lignes et contours mais laisse la possibilité aux pays de se l’approprier. Pour qu’il soit opérationnel et efficace, les enseignants doivent l’adapter et faire usage de pratiques pédagogiques « délibérées », volontaires. Aucun référentiel enseignant ne peut remplacer la motivation de l’enseignant et la posture enseignante. L’essentiel, in fine, est de ne jamais détacher ces compétences de vie des pratiques qu’on en fait.

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Extrait du cadre conceptuel et programmatique –

Résumé exécutif – « Les stratégies pédagogiques soutenant l’acquisition des 12 compétences de vie » p.9 Pour Mr Fouad Chafiqi, Directeur des Curricula au Ministère de l’Education au Maroc, l’école doit aider les élèves à prendre des initiatives et se pencher sur la question : que développe-t-elle à côté des savoirs disciplinaires ? 2.3. « OECD Approach to the issue of life skills”. Les compétences socio-émotionnelles Milos Kankaras, Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) – Coordinateur du projet d’étude sur l’évaluation des compétences sociales et émotionnelles au sein du département Education et Compétences L’atelier a donné l’occasion à Milos Kankaras de présenter pour la première fois le cadre conceptuel de l’OCDE relatif aux compétences et l’étude qui est actuellement menée « STUDY ON SOCIAL AND EMOTIONAL SKILLS ». Il convient de souligner que Milos Kankaras est contre le fait d’appeler ces compétences « compétences de vie » car cela reviendrait, implicitement, à dire que d’autres compétences, tout aussi importantes, ne seraient pas des compétences de vie. Le projet de l’OCDE a pour but de développer un langage commun dans les programmes scolaires nationaux. Il faut donc être conscient de la terminologie utilisée dans ce domaine et des différents types d’acteurs concernés (enseignants, chercheurs, universitaires, cadres…) Les compétences socio-émotionnelles ne sont pas nouvelles et de nombreux chercheurs et psychologues scolaires ont compris que ces compétences comptent pour le succès à l’école, au travail, dans la vie et dans toute sorte de situation. Les politiques ont pris conscience plus tardivement de l’importance des compétences socio-émotionnelles. Aujourd’hui nous pouvons percevoir cela dans plusieurs pays, même s’il reste certaines

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mauvaises conceptions dans les discours politiques, ce qui explique pourquoi cela a été négligé pendant plusieurs années. En effet, les politiques considéraient que ces compétences non-traditionnelles était trop liées à la personnalité - une personne est empathique ou non, sait communiquer ou non- et ne pouvaient se développer ou se travailler. Aujourd’hui, les nouvelles technologies modifient le paysage des compétences et nous réalisons que les compétences cognitives peuvent être remplacées par des machines, mais pas les compétences non-cognitives, propres à l’humain. Que sont les compétences sociales et émotionnelles ? La question de la terminologie est relativement complexe puisqu’il existe de nombreux termes différents pour nommer ces compétences et différentes compétences peuvent être nommées de façon identique. Néanmoins, il s’agit souvent des mêmes groupes de compétences, et malgré leur terminologie différente, il y a bon espoir qu’au fil des ans il existe une compréhension commune de ces compétences appliquées dans un large éventail de domaines. Milos Kankaras a ensuite développé quatre critères de base des compétences socio-émotionnelles :

- Elles suivent des schémas de comportement, de pensées et de sentiments relativement constants

- Elles sont le produit de l’interaction entre l’environnement et les gènes : une personne peut avoir un potentiel propre dans une compétence, mais son environnement aura une influence sur le développement de celle-ci (pour le meilleur ou le pire).

- Elles se développement continuellement par l'apprentissage formel et informel - Elles peuvent influencer les événements et les résultats importants de la vie

Ces compétences, qui se développent tout au long de la vie, sont agrégatives selon trois principes : 1. Principe de maturité Des changements agrégés visent généralement à améliorer la maturité personnelle, les compétences peuvent mûrir et s’améliorer avec le temps. 2. Principe de continuité cumulative Augmente la stabilité des compétences socio-émotionnelles tout au long de la vie 3. Le principe de disruption au cours de l’adolescence Quelques bouleversements peuvent avoir lieu dans le développement de ces compétences au cours de la période de transition qu’est l’adolescence. Les jeunes dessinent leur futur en même temps que leur compétences sociales et émotionnelles. Ces compétences sont donc malléables puisqu’au niveau personnel, les changements dans les compétences socio-émotionnelles sont causés par de nombreux facteurs reliés aux événements et faits majeurs de la vie : l’éducation, l’emploi, la santé, le bien-être personnel, l’intégration sociale. L’OCDE a conceptualisé ces compétences socio-émotionnelles qui ont débouché sur de nouveaux projets et études afin de fournir de l’information empirique. L’un d’entre eux, Education 2030, est un cadre conceptuel global pour les compétences du 21ème siècle, qui regroupe des valeurs cognitives et

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non-cognitives et des connaissances. L’enjeu est de mettre en avant les sujets importants que les disciplines du XXIème siècle devraient traiter afin qu’ils soient intégrés dans les curricula nationaux. Plusieurs autres études et évaluations menées par l’OCDE s’intéressent aux compétences transversales. Les compétences visées divergent selon le public cible, comme en témoigne le schéma ci-dessous.

Comme le souligne Michel Develay, une compétence peut être aussi bien cognitive que non-cognitive, c’est cette dualité qui permet le succès dans la vie. Les compétences sont importantes dans la vie et toutes les compétences sont importantes. Il ne faut donc pas les séparer en différentes catégories.

Le mot de l’UNESCO sur les objectifs 2030 : Amélie Gagnon « Pourquoi l’éducation ? Pourquoi apprendre, modérer, éduquer ? » L’Objectif de Développement Durable n°4 encourage à apprendre à être un citoyen au niveau local, national et global. Il existe trois domaines d’apprentissage :

- Socio-émotionnel - Cognitif - Comportemental

En identifiant ce qui est plus d’un côté que de l’autre, on définit les programmes, on met à disposition de tous les citoyens de tous les âges, les moyens d’assumer un rôle d’actif dans leur communauté.

Les institutions ont la même compréhension de ces compétences, mais que veulent-elles dire au niveau national ?

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Pierre-Yves Vicens : Lorsque l’enfant apprend à parler, il est impossible de distinguer les compétences cognitives / non-cognitives dans l’apprentissage d’une langue.

2.4. « Compétences de vie » : quelles questions posées ? Roger-François Gauthier, Expert international en politiques publiques éducatives, expert associé FEI. (Texte complet en Annexe). Parler de cognitif est une question forte. Ce n’est pas une question marginale, puisque l’on se trouve face à des problèmes centraux de l’éducation dans les prochaines décennies. Au moment d’intégrer les compétences de vie dans les politiques éducatives, il y a plusieurs questions à se poser : Est-ce révolutionnaire ? est-ce un aménagement ? Pour Roger François Gauthier, c’est révolutionnaire car les connaissances de l’école se sont peu préoccupées de la vie personnelle, professionnelle, sociale, de la vie de tous les jours. Or, les finalités de l’école, s’ancrent dans nos traditions culturelles et historiques. Pour Durkheim, l’école a été faite contre la vie, il s’agissait de se préparer à l’au-delà (compétences de mort). Ex : latin, grec ancien (langues mortes). L’école était tournée vers les livres et les abstractions, en instaurant un rapport contemplatif avec le monde. Nos grandes traditions scolaires sont enfermées dans des carcans, le carcan des disciplines. Les disciplines se sont constituées historiquement et ne visaient en aucun cas la vie. Ce sont des constructions intellectuelles remarquables. Changer les curricula, les programmes : qu’est-ce que ça change en termes de politiques éducatives ? Force est de constater qu’on est passé d’objectifs quantitatifs à des préoccupations plus fortes sur ce que l’école apporte aux élèves. Ainsi, l’école en tant que lieu de vie doit changer et enseigner la démocratie à l’école ou le vivre-ensemble. La vie scolaire ou encore le système de sélection et d’examens doit également changer. Il faut alors viser une école de l’inclusion sociale, sans quoi toute réforme sur les compétences de vie serait de l’hypocrisie. Les compétences de vie, si elles touchent à la vie, élément philosophique, permettent de ne pas transmettre des savoirs balisés dans des disciplines. Elles offrent la possibilité d’affronter les fondamentaux de l’être humain et en ce sens, permettent de traiter le complexe. Quel lien entre savoirs et compétences de vie ? L’école transmet des savoirs immédiats ; les compétences de vie doivent intégrer l’ensemble des savoirs que diffusent l’école pour que l’élève ait une conscience de cette culture qu’il est en train de créer. Or, les compétences de vie ne peuvent pas faire leur chemin dans des systèmes où on ne touche pas aux disciplines et où on ne considère pas qu’il y ait un travail sur la connaissance de la connaissance à faire. Il s’agit d’apprendre à vivre. Il faut toutefois reconnaitre le caractère imprécis des compétences de vie puisque cela dépend de la place marginale ou centrale que les systèmes éducatifs veulent leur donner. Il s’agit de choix politiques.

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Aujourd’hui, les politiques ne veulent pas changer l’école mais changer le produit de l’école. Réflexions / échanges des participants Fouad Chafiqi : Le modèle scolaire du XXème siècle est condamné. Soit on change de paradigme et de manière de penser l’école, soit d’autres sources qui se développent en parallèle de l’école vont la concurrencer. Le problème est que les politiques n’ont pas envie de changer l’école mais le produit de l’école afin qu’il soit employable, plus docile, avec moins d’idées tranchantes et extrêmes. Mathieu Hirtzig : Nommer les compétences de vie est un grand débat. Ce sont des combinaisons plurielles, mais le constat est que la vie est complexe, ce qui implique de modéliser, faire des choix. Tout est interrelié, il faut donc aborder les compétences de vie de façon pragmatique. François Gallice : Les compétences cognitives et non-cognitives sont liées. La modélisation a un intérêt car elle permet de nommer ces compétences. Toutefois, les compétences de vie sont extrêmement liées aux contextes. De quelle vie parlons-nous ? Sont-elles universelles et pérennes ?

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3. TABLE RONDE 2 – Les champs d’intervention des organismes internationaux

3.1. Propos liminaires Extrait du discours de Michel Develay Professeur émérite en Sciences de l’éducation, intervient depuis 2016 dans plusieurs projets portés par France Education International ayant trait à l’intégration des compétences de vie dans les curricula. « Nous nous retrouvons pour cette seconde table ronde de la journée. Ce matin nous avons dressé une carte mentale des compétences de vie, leur attribuant différents intérêts et quelques interrogations. Cet après-midi, dès lors que vous intervenez au titre des institutions que vous représentez, je m’autoriserais à vous demander pour quelles raisons vos institutions vous semblent s’intéresser aux compétences de vie. Tient-on avec celles-ci, pour vos institutions, la pierre philosophale qui transformera radicalement l’école et permettra la réussite de tous les élèves ?

On se souvient que pour les alchimistes, la pierre philosophale avait trois vertus : changer les métaux vils en métaux précieux, comme l'argent ou l’or, guérir les maladies et prolonger la vie humaine au-delà de ses bornes naturelles. Les compétences de vie vont-elles changer des pratiques du quotidien en pratiques si particulières que l’école en tant qu’institution sera transformée profondément et durablement, vont-elles guérir les élèves malades de l’école en élèves amoureux de l’école, vont-elles prolonger la vie des enseignants en rendant le métier beaucoup plus passionnant ?

Est-ce pour l’une ou l’autre ou ces trois raisons que vos institutions se sont intéressées aux compétences de vie ? »

3.2. « Point de vue réflexif sur l’opérationnalisation des compétences de vie »

Denis Paget, Expert international en Education, expert associé FEI

♦ Où est la « vraie vie », de quoi parle-t-on quand on parle de la vie ? Passer d’un modèle abstrait à la vie concrète n’est pas chose facile. Chacun voit la vie à l’aune de ses propres intérêts. Les compétences de vie peuvent donc être abordées d’un point de vue utilitaire. C’est une tentation forte, quand il y a une grande partie de la jeunesse au chômage, des problèmes de scolarisation aiguë, de se dire qu’on va substituer à l’enseignement disciplinaire, l’enseignement des compétences de vie. Toutefois il faut se méfier de ce penchant et considérer l’élève en tant que personne accédant à la complexité de la vie.

♦ Réflexions sur les 12 compétences de vie du Cadre conceptuel de l’Unicef Les quatre dimensions de l’Unicef ne sont pas à égalité, comme c’est le cas dans le système français où l’instruction devance l’éducation. Les références de ces compétences de vie sont multiples et pas égalitaires. Les savoirs savants et leur adaptation scolaire sont dominants.

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Denis Paget soulève quatre types de « cultures » qui fondent une culture commune :

Culture de l’engagement : s’insérer dans la longue durée, penser la progressivité des apprentissages. Lorsqu’on parle de formation de la personne, on parle d’individuation c’est-à-dire mettre de la distance par rapport à soi-même pour se former en tant qu’individu Culture de la sensibilité : il s’agit de la gestion des émotions. Dès la maternelle, une personne opère une réflexion spontanée de sa propre sensibilité. Il ne faut ni la nier, ni la négliger pour créer une conscience de l’individu par rapport à lui-même. Culture de l’action : il s’agit de créer une culture laborieuse, dans l’action. Culture de la curiosité : il s’agit de susciter l’envie d’apprendre, d’aller plus loin. Ces quatre domaines sont mobilisés pour chaque compétence de vie. Par exemple, l’employabilité implique le goût du bon travail, l’écoute, le dialogue, la responsabilité. Il soulève également des points de vigilance : pour intégrer les compétences de vie, il ne suffit pas de mettre l’étiquette de la compétence dans le programme. Il faut enseigner la capacité à problématiser avant de résoudre les problèmes. Les compétences de vie ne sont pas identifiables si elles ne font pas référence à des familles de situation : la vie sociale, la vie linguistique, environnementale, professionnelle.

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On s’aperçoit qu’il y a un tas de savoirs nécessaires à appréhender qui ne sont pas dans les disciplines scolaires. Ces dernières doivent alors se reconfigurer, et c’est un immense travail qui ne va pas de soi. Les compétences de vie obligent à inventer des situations qui vont permettre aux élèves d’expérimenter, de mettre à l’épreuve leurs savoirs. Elles permettent également d’élaborer une réflexion sur la nature de la connaissance scolaire. Appréhender les compétences de vie signifie de se rapprocher de pratiques de référence permettant de rapprocher les acteurs de leurs pratiques scolaires et quotidiennes. Exemple de pratiques de références pour enseigner la mesure du temps :

- Pratiques domestiques - Usage d’instruments courants de mesure du temps (horloge) - Emploi du temps à l’école - Agenda personnel - Datation historique

♦ Comment associer les acteurs ?

Il s’agit d’impliquer tous les acteurs de la vie scolaire pour développer le sentiment d’appartenance à l’école. Les compétences de vie doivent exister dans les établissements et pas seulement dans les enseignements, en initiant les élèves à la vie démocratique et à la citoyenneté par exemple. Il faut également comprendre la résistance des enseignants au changement. Les systèmes scolaires sont pyramidaux, la « bonne parole » vient d’en haut. Les enseignants sont secoués par des mutations liées aux changement de structures familiales, aux nouveaux outils. Plus le métier est difficile, plus le repli est grand. Les convictions éducatives finissent par diverger et ne plus faire consensus, ce qui créé de la souffrance professionnelle. Si la réforme pilotée avec les compétences de vie ne prend pas en compte ces questions et rajoute de la complexité à la complexité, les acteurs du changement ne se sentiront plus écoutés. D’autre part, il y a un réel besoin d’associer les parents et les élèves dans ce processus.

3.3. « Assessment of social and emotional skills, a new tool for assessing skills” Milos Kankaras, Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) – Coordinateur du projet d’étude sur l’évaluation des compétences sociales et émotionnelles au sein du département Education et Compétences. L’objet de l’étude d’évaluation des compétences sociales et émotionnelles est d’améliorer l’acquisition de compétences chez les élèves et de mesurer leur degré d’acquisition. Ce qui compte c’est la mesure des bénéfices pour l’avenir, c’est-à-dire de voir comment les compétences de vie sont liées au niveau de réussite ou d’employabilité par exemple.

Il y a quinze compétences socio-émotionnelles, suivant cinq grands domaines : performance, régulation émotionnelle, collaboration, ouverture d’esprit, engagement collectif.

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L’étude prend en compte différentes informations contextuelles sur les élèves, les parents, les enseignants, et les directeurs d’école. Menée selon une approche compréhensive, elle consistait en deux questionnaires : un premier contextuel, et un second sous forme d’auto-rapport, ou de rapport par les pairs. Elle concerne 3000 élèves âgés entre 10 et 15 ans, dans dix écoles différentes. L’étude a commencé en 2016/2017 mais les premiers résultats ne seront disponibles qu’en 2020. Chaque cohorte de données a permis d’évaluer des milliers de variables.

3.4. « L’incidence des réformes intégrant les compétences de vie sur la planification de l’éducation » -

Amelie Gagnon, Institut International de Planification de l’Education (IIPE) – Spécialiste sénior des programmes au sein du département Recherche et Développement. L’IIPE regroupe trois types d’activités qui englobent la planification :

- La formation - La coopération technique - La Recherche et Développement : Il s’agit de recherche appliquée à partir des enseignements

tirés des équipes locales, qui enrichissent les formations et la coopération technique. Les planificateurs sont des idéalistes pragmatiques, mais cherchent constamment à contextualiser les projets dans les pays d’intervention. Dans un premier temps, il s’agit d’établir un diagnostic sur les politiques en place, pour ensuite préparer le plan sectoriel, sa mise en œuvre, son suivi et évaluation. La question des compétences a été absente des diagnostics thématiques jusqu’en 2010. D’après le Global Partnership for Education, 90% des plans observés mentionnent la question des compétences comme importantes après l’édition des ODD, mais seulement 25% réussissent à s’appuyer sur des données fiables pour savoir ce qu’il se passe et ce qu’on peut espérer. Au sein des ODD pour l’éducation 2030, le mot « compétences » apparaît seulement cinq fois, dont trois fois dans l’ODD 4 spécifique à l’éducation. En ce qui concerne la planification, il est très important de comprendre l’histoire de chaque pays avant de travailler avec ses agents. Beaucoup de marketing est fait autour de la thématique des compétences de vie. Il est pourtant primordial de comprendre sur le terrain avec les collègues, l’archéologie politique du pays et se fixer ainsi sur les besoins nationaux. Lorsqu’on planifie, le cadre de référence reste les objectifs 2030, mais il faut qu’il y ait du sens par rapport aux besoins nationaux. Comment mieux planifier l’éducation en intégrant les compétences de vie ? Des informations manquent au niveau des politiques qui parfois sont trop à distance du terrain. S’il est difficile de mesurer ce qu’est la réussite et sur quoi elle repose, il est désormais indispensable d’identifier les compétences de vie à développer pour une meilleure insertion sociale et pour améliorer la transition entre l’éducation et le marché du travail. Aujourd’hui, les systèmes de gestion de données éducatives sont de plus en plus riches sur les conditions scolaires ; le défi reste de s’assurer de produire le bon type de données (rapport d’inspection, rapport psychomoteur…). Chaque système éducatif doit identifier ses propres besoins en éducation et produire les données qui lui sont nécessaires et pertinentes au regard de ses enjeux.

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Il faut tirer profit des examens nationaux, internationaux et utiliser toutes les données possibles pour tirer les conclusions nécessaires. Les évaluations d’apprentissages sont généralisées dans quasiment tous les pays, ce n’est donc plus excusable de ne pas utiliser ces données. Il s’agit de partir de l’échelle locale pour mieux identifier où se joue le développement des compétences. Comment les enseignants, formateurs, inspecteurs, peuvent-ils créer des données ? L’équipe développement de l’IIPE explore de nouvelles idées à partir des nouvelles informations disponibles. Une fois qu’il est possible de mesurer, que les données sont disponibles, on peut arriver à une planification plus solide et parler de qualification à compétences. Chaque phase de planification est une opportunité de saisir les compétences pour les intégrer. Amelie Gagnon souligne qu’au Canada, le curriculum est fondé sur les compétences transversales. Toutefois, ce qui change radicalement, ce n’est pas tant l’organisation du temps ou du rythme scolaire, mais la façon dont on enseigne. Certaines pratiques pédagogiques actives produisent de meilleurs résultats que d’autres. Le curriculum informel, invisible est ce qui compte le plus dans l’enseignement. Les enfants apprennent de ce qu’ils observent, donc tout ce qu’il y a autour du simple cours compte. Le groupe est la meilleure ressource pour apprendre, même à l’intérieur des disciplines.

Conclusion de la première journée - Michel Develay On peut parfois confondre civilité et citoyenneté. L’école est une micro-cité, une société. Les compétences de vie ne peuvent exister que par autrui, par l’universalité de l’humanité. Il faut mettre de l’ordre dans ces compétences, faire une modélisation en restant prudent car un mot cache toujours un enjeu. Les compétences bouleversent l’école à deux niveaux : l’enseignement et l’apprentissage. Une compétence regroupe le « savoir-agir » et « réfléchir », c’est-à-dire comprendre pourquoi j’agis comme ça. Cette dialectique de l’action et de la pensée est un changement radical dans l’école. Il faut partir de la classe, de l’apprentissage pour aller vers l’enseignement et non l’inverse. On part des compétences de vie, on arrive à compétences disciplinaires. Cela nous amène à penser quelque chose qui est de l’ordre de l’épistémologie des disciplines, c’est-à-dire ses fondations. On est dans un domaine qui lui-même recèle un ensemble de domaines et on ne peut pas penser compétences de vie sans penser système. Quelle culture scolaire ? Il faut penser le rapport à soi, le rapport aux autres, le rapport au monde. « Ce qui fait sens à chacun de nous » « le sens est dans le rapport à soi, dans le rapport aux autres et dans le rapport au monde ». « Ce qui unit et ce qui libère, le vivre ensemble ».

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II. Jour 2 - Les approches concrètes de l’intégration des compétences de vie dans les pratiques pédagogiques

Les riches échanges sur les approches conceptuelles menés la première journée ont été repris et discutés lors de la deuxième journée. Ces débats ont permis de mettre en lumière les apports de la veille et de discuter les modalités de mise en pratique, dans les systèmes éducatifs, de ces concepts. A travers la présentation d’études de cas, la deuxième journée a permis de faire émerger des problématiques, défis et d’identifier des bonnes pratiques pour intégrer les compétences de vie à divers niveaux des systèmes éducatifs.

1. Echanges, retours des experts sur les réflexions de la première journée Denis Paget : « Culture commune » liée aux dimensions de l’apprentissage

Le terme de « culture commune » émerge des quatre dimensions du CPF de l’Unicef et il permet de résoudre le problème de la circularité réelle des compétences. Une dimension en suppose une autre, elles sont toutes interreliées les unes entre les autres. En fixant une culture commune pour les élèves, ce dispositif peut permettre d’unifier la formation du citoyen, même s’il doit s’adapter aux cultures locales.

Amélie Gagnon reprend le schéma de Denis Paget en soulevant un point de méthode. L’apprentissage est décrit dans le schéma comme représentant une catégorie. Or, toutes les catégories soulevées sont des apprentissages en soi. Il faudrait donc renommer le concept.

Fouad Chafiqi souligne qu’il faut toujours partir de l’existant dans les systèmes éducatifs, se baser sur les réformes antérieures. S’agit-il d’une « nouvelle ère » de l’éducation ? En quoi l’approche par

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compétences est-elle différente des compétences de vie ? Le cadre empirique se construit autour de cinq familles de compétences :

• Positionnement dans l’espace et le temps, • Les compétences culturelles, • Méthodologiques, • Communicationnelles, • Technologiques

Marielle Brun souligne que les compétences de vie sont inhérentes aux pratiques pédagogiques de l’éducation physique et sportive. Une des compétences à acquérir est par exemple « savoir s’entraîner ». Elle implique la motivation personnelle, l’implication du collectif, savoir se fixer des objectifs, connaître son corps et ses limites… Selon Tamara Milosevic, le fait d’appeler les compétences de vie comme des « soft skills », peut leur donner un aspect peu/ moins important que les hard skills, les savoirs cognitifs. Il est donc préférable de les appeler compétences transférables, transversales puisqu’elles peuvent s’appliquer, s’enseigner, qu’elle que soit la discipline ou le domaine de la vie concernée. Les savoirs changent, évoluent rapidement. De quelle culture parle-t-on aujourd’hui pour former un citoyen ? Le monde évolue très rapidement, les référentiels culturels aussi.

Caroline Bélan-Ménagier ajoute que l’Union Européenne utilise le terme de « compétences clés » pour le développement de l’apprentissage tout au long de la vie. Il s’agit de dévier de l’évaluation pour s’orienter davantage vers la reconnaissance. Ce n’est pas à l’école de tout mettre en œuvre, co-construire des parcours d’apprentissage. L’apprentissage est un processus qui apparaît dans d’autres espaces qu’à l’école, dans tout autre environnement extérieur. Le système d’open-badge consiste à reconnaître les compétences de chacun, quel que soit le niveau de l’élève et promeut la dynamique collective de l’action. Selon Roger-François Gauthier, l’EPS a une place à part en ce qui concerne l’intégration des compétences de vie et toutes les disciplines ne sont pas aussi avancées. Les disciplines doivent être reconsidérées si l’on veut vraiment refonder l’école à partir des compétences de vie. Comment traiter autrement les disciplines ? Il faut davantage penser à la notion de « profil de sortie », comment équiper au mieux les élèves pour la vie ? Fouad Chafiqi rappelle qu’à l’origine, l’école ne préparait pas à la vie et c’est une carence dans la formation des enseignants. François Gallice interpelle les participants sur le fait qu’on évite le gros mot « performance », qui traverse notre culture professionnelle. Il faut commencer par convaincre les enseignants qu’il ne s’agit pas de performance et les encourager à penser différemment.

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2. Etudes de cas

2.1. Le cas de la Finlande Vilhelmiina Harju, Doctorante au sein du réseau d’apprentissage Cicero de la faculté de sciences de l’éducation de l’Université d’Helsinki, experte associée France Education International. En Finlande, les compétences de vie sont présentes à chaque niveau du curriculum, elles ne sont pas mentionnées comme telles mais sont sous-jacentes. Le tronc commun du curriculum général est élaboré par le ministère, mais il est révisé avec les chercheurs, enseignants, directeurs d’établissements, syndicats, parents, firmes… Chaque école, avec sa municipalité peut adapter son propre curriculum en prenant en compte les besoins spécifiques. Un nouveau curriculum a été mis en place en 2016, les médias internationaux et nationaux s’y sont beaucoup intéressés puisqu’il se fonde sur sept compétences transversales :

- Penser et apprendre à apprendre - Prendre soin de soi et des autres - Compétence culturelle, interaction, et expression - Multilinguisme - Compétence en TIC - Entrepreneuriat et préparation au monde du travail - Participation et implication dans la construction d’un avenir durable

Chaque professeur est autonome dans sa manière d’intégrer ces compétences transversales dans la classe, mais aussi en dehors. Ces compétences sont également développées (donc transférées en situation) lors de voyages scolaires, visites, projets multidisciplinaires. Outre les apprentissages disciplinaires, chaque école doit avoir des modules multidisciplinaires pour aborder plusieurs sujets ou matières. Les élèves sont impliqués lors de la phase de planification de ces activités, ils sont proactifs pour la réalisation de ces projets. Vilhelmiina Harju identifie plusieurs conditions de réussite pour l’intégration des compétences transversales dans les pratiques pédagogiques :

- L’école est une communauté d’apprentissage où tous les acteurs sont là pour apprendre et collaborer

- Les changements doivent être visibles par toute la communauté d’apprentissage, notamment les parents

- Des changements en profondeur doivent être opérés, au niveau systémique - La clef est de donner la joie d’apprendre et du sens à l’apprentissage

L’évaluation est une tâche très complexe, il n’existe à ce jour aucun système d’évaluation des compétences transversales dans le curriculum finlandais. Ces compétences sont intégrées dans les notes attribuées dans le travail disciplinaire de l’élève. S’il fallait développer un tel outil, il s’agirait de promouvoir davantage les feedbacks, l’auto-évaluation, l’évaluation par les pairs, les discussions interactives.

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Aujourd’hui, les enseignants gagneraient à avoir des définitions plus claires sur chaque compétence transversale. Il faudrait les aider à établir des articulations entre les compétences cognitives et transversales, car chaque enseignant peut interpréter le curriculum à sa manière, ce qui ne fonctionne pas forcément. Pour conclure, l’intégration des compétences transversales est essentielle. Certes les enseignants finlandais ont les moyens pour les intégrer, toutefois le problème repose dans la complexité du concept. Qui a le plus de légitimité pour les définir ? Davantage de recherche est nécessaire pour évaluer ces compétences et permettre d’en faire des méthodes pédagogiques efficaces. Par ailleurs, un soutien fort et une formation de qualité doit être garantie aux enseignants afin d’assurer une éducation de qualité pour tous les élèves.

2.2. L’exemple de Haïti et du Burundi Pierre-Yves Vicens, Inspecteur général honoraire, France, expert associé FEI. Pierre-Yves Vicens a présenté deux exemples, celui de Haïti, où un cadre d’orientation curriculaire a été élaboré, ainsi que celui du Burundi, où un projet visant à revoir les manuels scolaires de l’école fondamentale sur ordre du président de la République a été mené par France Education International en 2013. L’entrepreneuriat a été une nouvelle matière ajoutée au collège, de même que l’éducation à la paix et l’éducation sexuelle. Suite à la présentation, Tamara Milosevic souligne que l’école est un écosystème éducatif où coexistent plusieurs types d’acteurs qui agissent : la population locale, la communauté, la ville, le pays, le monde. Il s’agit de repenser cet écosystème dans son ensemble afin que les enseignants, les élèves mais aussi les familles et les sociétés participent au processus d’enseignement. L’apprentissage est intergénérationnel et doit impliquer la société. La responsabilité de l’éduction n’incombe pas seulement aux enseignants et aux élèves, il faut créer des expériences d’apprentissage dans la vie réelle. Un large capital culturel et interculturel peut être utilisé dans une situation de la vraie vie. Les élèves sont avant tout des personnes réelles appartement à un écosystème plus large que l’école en soi. En somme, il faut appréhender l’éducation comme un écosystème issu du monde réel.

2.3. L’exemple du Maroc et de la Tunisie Michel Develay, Professeur en Sciences de l'éducation, Université Lumière-Lyon 2, expert associé FEI Tahar Mathlouthi, Inspecteur général du Ministère de l’éducation tunisien, Directeur du Centre des Langues et d'Innovation Pédagogique, Tunis

La présentation faite par ces deux experts visait à croiser les projets menés par FEi au Maroc et en Tunisie. Ces deux projets, ayant pour objectifs l’intégration des compétences de vie, ont deux entrées différentes. Au Maroc, la focale est mise sur les pratiques pédagogiques des enseignants suivant une approche bottom-up. En Tunisie en revanche, la réforme curriculaire s’est faite par le haut, dans une

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approche top-down. Les experts ont débuté leur présentation en exposant la chronologie des actions conduites dans chaque projet, en y détaillant ensuite trois apports de leur expertise.

Michel Develay a d’abord insisté sur la distinction entre intégration, insertion et repérage de compétences de vie, puis a souligné l’importance de les définir clairement. Il a terminé son propos en soulevant huit principales vigilances à considérer lors de la rédaction de fiches pédagogiques.

Tahar Mathlouthi a soulevé trois points majeurs relatifs à l’intégration des compétences de vie dans le curriculum tunisien (via des référentiels pour les inspecteurs et les enseignants et des activités disciplinaires et interdisciplinaires, de même que dans la vie scolaire).

Les experts ont clos leur présentation en exposant les notions différentes et communes relatives aux compétences de vie présentes dans chaque projet. Ci-dessous, le champ notionnel commun aux projets tunisien et marocain.

3. Ateliers La dernière demi-journée a été consacrée à des travaux de réflexion en groupes. Il a été demandé aux participants d’identifier quelles étaient selon eux les 3 problématiques majeures / enjeux/ défis dans l’opérationnalisation des compétences de vie ?

Les champs suivants ont été identifiés.

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La question de l’évaluation, avec les enjeux/ axes suivants :

• Repenser l'évaluation, les modalités de validation et de valorisation des acquis

• Acquis des apprentissages

• Evaluation continue et formative

• Evaluation des curricula

Le lien et l’interaction entre les disciplines et les compétences de vie – quelques enjeux :

• Quelle modélisation des compétences de vie ? • Quelle interaction

entre le disciplinaire et le transversal ?

• Un apprentissage multidisciplinaire qui a du sens

• Intégration dans les disciplines des compétences de vie

• Repenser les disciplines

• Définir des compétences plus globales

• Quels objectifs assignés au développement des compétences de vie ? • Les compétences de vie : valeurs ou actions ?

L’école dans son lien avec le monde et son environnement

• Enquêter sur les besoins de la société • Citoyenneté, universalité • Rôle de l’environnement ? Comment mieux le prendre en compte ? • Contexte des élèves • Ouverture de l’école sur le monde et avec les autres • Vie à et dans l’école : comment la valoriser ?

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Formation des enseignants et posture pédagogique

• Formation des enseignants

• Pratiques pédagogiques

• Compétences professionnelles

• Démarche pédagogique

• Reconnaître (et développer) les compétences de vie des enseignants

• Elaborer des activités de classe

• Apprentissage et enseignement

• Ecouter la parole des élèves • Repenser les manuels scolaires

Sur la base de ces catégories, il a été demandé aux participants de repérer des bonnes pratiques dans chacun des axes de réflexion identifiés. Les questions suivantes ont guidé les ateliers :

• Quelle réflexion à mener ? • Comment prendre en compte le contexte ? • Quels éléments majeurs à prendre en compte (acteurs, moyens, étapes, pédagogique…) • Enjeux • Opportunités • Risques à mesurer • Points saillants

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Conclusions générales : Pour aller plus loin Bruno Curvale

Eléments pour poursuivre la réflexion

Il ne s’agit pas ici de conclure un atelier dont il était évident dès sa conception qu’il s’attaquait à une problématique vaste et essentielle. Les termes « compétences de vie » sont très forts. Ils allient dans un raccourci formidable, la compétence - ce sur quoi nous avons un pouvoir ; nous pouvons développer nos compétences -, et la vie, ce qui nous est donné et qui, même limitée à la vie en société, reste un mystère avec lequel il faut composer.

Pourquoi les compétences de vie deviennent-elles, semble-t-il, un objet central de la coopération éducative ?

Voilà une question qui vient naturellement à l’esprit quand on travaille dans un établissement dont l’une des missions est de répondre aux demandes d’appui pour l’amélioration des systèmes éducatifs. Est-il cependant nécessaire d’apporter une réponse à cette question ? Il suffit peut-être, dans le cadre des activités de coopération, d’en rester au constat : des Etats sont demandeurs et des bailleurs financent des projets destinés à permettre aux élèves de développer des compétences de vie. Face à cette demande, une expertise se développe : une expertise que nous mobilisons dans nos activités de coopération. Si nous en restions au constat, nous pourrions alors circonscrire notre réflexion autour des questions : comment répondre aux demandes et mettre l’expertise au service des demandeurs ?

Cependant répondre aux demandes suscite presque toujours des discours pluriels sur les besoins à satisfaire et sur les intentions sous-jacentes. Le projet de permettre ou de faciliter le développement des compétences de vie fait alors naître de multiples interrogations.

C’est ainsi qu’est née l’idée de ce séminaire : prendre le temps, en dehors de la conduite des projets de coopération, de réfléchir ensemble, de partager des expériences et d’échanger sur le fond ; avoir des échanges alimentés par la pratique sur un sujet qui est à la fois déjà opérationnel et en même temps un sujet qui, pour bien agir, suppose de le considérer comme un thème de recherche. Nous sommes, d’une certaine manière, « à cheval sur le tigre ». Il nous faut intensifier notre réflexion pour agir vite, comme l’impose le calendrier des demandeurs, et sagement comme l’impose l’éthique de l’action en coopération.

Les travaux de ces deux jours ont montré de manière évidente l’intérêt de se retrouver dans une formule de séminaire. Pour faire court, il y a bien une problématique des compétences de vie. Elle mérite d’être réfléchie ensemble à la lumière de ce que nous apprenons par l’action et la recherche.

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Quelques sujets d’interrogation

Il n’est donc pas question ici de tirer de grandes conclusions, mais plutôt de rester dans une dynamique de partage et de livrer quelques interrogations nées de la confrontation des demandes auxquelles nous répondons et des échanges d’aujourd’hui.

1. Les vertus supposées, peut-être « fragiles », des compétences de vie.

Avec beaucoup de prudence, il semble que l’on puisse classer en trois catégories les vertus attribuées aux compétences de vie.

- Les compétences de vie ont vocation à favoriser l’insertion dans la vie sociale et économique, et pour cela de favoriser la maîtrise de codes et de moyens de communication. Dans cet ordre d’idées on trouve ce qui concerne la capacité à communiquer, à écouter - les deux vont de pair -, rédiger un CV, écrire une lettre de motivation, reformuler une question pour mieux y répondre ;

- Certaines compétences visent plus spécifiquement le développement social et contiennent une dimension de développement social voire de transformation des relations sociales. Dans cet ordre d’idées, on peut nommer la valorisation du travail collaboratif, la capacité à prendre en compte des points de vue alternatifs dans un raisonnement, mais aussi savoir exprimer un désaccord et refuser un consensus (on parle rarement de cela, mais pourtant c’est bien utile pour soi et pour les autres) ;

- Enfin une partie des vertus attribuées aux compétences de vie est de contribuer au développement de la personne. On parle, en toile de fond et parfois explicitement de créativité et d’empathie comme s’il s’agissait de compétences. Mais qui peut dire comment ces traits de personnalité se construisent, où, quand et par quel processus ? S’expriment-ils toujours de la même manière dans différents contextes ou différentes situations ? Les différents aspects du développement de la personne doivent-ils alors tous être considérés comme des compétences à acquérir ?

Cette typologie est bien sûre sommaire et mérite d’entrer au débat critique. Cependant elle invite à la prudence, surtout quand la discussion sur les compétences de vie peut conduire à des jugements voire des pronostics sur les potentialités d’une personne ?

2. La réussite scolaire et la formation du citoyen sont deux objectifs qui structurent largement le projet éducatif.

Pêlemêle, une autre réflexion porte sur la mise en perspective de la réflexion sur les compétences de vie par rapport à celle sur les finalités des systèmes éducatifs. Quelles intentions sous-tendent l’inscription des compétences de vie dans les systèmes éducatifs ?

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La réussite scolaire sanctionne l’atteinte de résultats qui traditionnellement conduisaient à la bonne insertion sociale. Nous, les parents, raisonnons comme cela. La notion d’ « ascenseur social » repose en partie sur cette vision qui fait de la réussite aux exercices proposés par le système éducatif et de formation, une condition de bonne insertion dans le système économique.

Cela fonctionnait bien dans une économie nationale dont on peut dire qu’elle était relativement stable et confiante dans ses fondamentaux. Elle a été même planifiée dans certains secteurs industriels. Le citoyen conforme, dont les compétences ont été évaluées dans un référentiel normé, est/ était garanti de bien s’intégrer dans le système économique. Mais la société de plein emploi n’est plus et de nombreuses certitudes sont mises en question. L’éducation, telle que pensée jusqu’à présent, ne semble plus suffire.

Petit à petit, on constate que la formation de l’individu intègre des dimensions dont on dit qu’elles vont lui permettre de trouver sa place dans une société en perpétuelle transformation. Une société qui surtout s’interroge sur son devenir et sa capacité à se réinventer pour s’adapter sans pour autant perdre l’essentiel. Former le citoyen de demain c’est lui donner les codes pour savoir-vivre et surtout savoir vivre-ensemble.

Or, la société, au sens large, ou le système éducatif, s’engage de moins en moins sur le devenir professionnel et l’insertion sociale des individus. Les notions d’employabilité et d’entrepreneuriat que nous utilisons de plus en plus en témoignent probablement. La formation ne garantit pas l’emploi. Mais veiller à son « employabilité » et développer des compétences entrepreneuriales est essentiel pour aller vers l’insertion professionnelle.

C’est une difficulté que les sociétés, dans lesquelles la participation à l’économie est centrale pour exister socialement, doivent affronter. Si le travail se transforme et est de moins en moins le garant de l’intégration sociale, il est nécessaire de renforcer chez le citoyen ses capacités à faire société. Cette interprétation des faits, là encore dite avec prudence et soumise au débat, pourrait expliquer que les compétences de vie peuvent s’interpréter comme le reflet de valeurs, celles qui fondent le lien social ; de valeurs partagées ou à partager ; de valeurs qui permettent d’affronter la vie en société et donc de valeurs à développer et acquérir.

En parlant des compétences de vie nous sommes probablement en train de parler d’un projet de formation d’un individu mieux armé pour faire sa vie dans des contextes économiques et sociaux en transformation.

3. Que nous disent les compétences de vie sur les enjeux auxquels se préparer ?

Si on accepte l’idée que l’inscription des « compétences de vie » dans les cursus scolaires participe d’un projet de formation du citoyen, que nous disent-elles alors du temps présent et des enjeux auxquels il doit se préparer ?

Elles paraissent être le reflet de nos craintes européennes. Celle notamment de ne plus savoir innover (tant dans le domaine économique que dans le domaine social) et de voir nos sociétés se défaire.

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Développer la capacité à faire usage d’un jugement critique, savoir se repérer dans un flot d’informations, savoir exister dans différents systèmes de référence…Tout cela est assez vite présenté comme des éléments de réponses à la montée des populismes, des nationalismes, des particularismes, des contraintes des sociétés où coexistent différentes cultures.

En conséquence, les compétences de vie paraissent avoir la double fonction de protéger la société en armant le citoyen contre les tentations démagogiques, et à le protéger de la désocialisation en lui redonnant du pouvoir sur l’établissement des liens sociaux, à l’école et hors de l’école. L’intention première est bien d’agir sur la dimension sociale.

Il faudrait alors pour relever ces défis, un citoyen plus impliqué, plus actif et à qui l’on donne plus de moyens d’être une « partie prenante » du développement social. Pendant les débats nous avons entendus que la préoccupation pour les compétences de vie remonte à une vingtaine d’années. Cela paraît s’inscrire dans un courant de pensée dont le livre The stakeholder society de Bruce Ackerman et Anne Alstott en 1999 marque une étape notable.

Si cette lecture, une fois encore soumise au débat, paraît rendre compte des évolutions que nous constatons dans nos sociétés européennes, en quelle mesure ne pose-t-elle pas des questions d’ordre politique ? Les compétences de vie comme moyen ou objet politique ? C’est une question que l’on peut se poser quand nous pensons parfois que les compétences de vie ont une dimension universelle. Ne sommes-nous pas dans le risque de faire de l’européocentrisme ?

Qui décide de l’universel ? Même si nous sommes convaincus du bien-fondé de nos concepts, il faut savoir travailler en coopération dans des sociétés et des espaces culturels dont les enjeux immédiats ne sont pas les nôtres.

C’est un des acquis de ce séminaire : témoigner que nous sommes sensibles à ce que les compétences de vie dont nous faisons la promotion peuvent avoir de novateurs voire de déstabilisants chez nous et ailleurs.

Les risques existent. Ils tiennent à la nature des concepts et des ambitions que recouvre la notion de compétences de vie, mais aussi des intentions des institutions œuvrant dans ce champ. Ils tiennent aussi au choix des modalités utilisées pour en favoriser le développement.

Cette prudence s’est exprimée par la mise en avant de la co-construction comme relation de travail avec les bénéficiaires de nos actions. Cette co-construction, qui permet de contextualiser les approches, signifie que nous avons les moyens de prévenir certains risques. Pour aller plus loin, il faut nommer ces risques et identifier ceux sur qui ils pèsent.

4. Le risque d’instrumentaliser l’enfant

Les termes sont peut-être un peu forts mais puisqu’il s’agit de souligner un point sur lequel il faut faire preuve de prudence, ils peuvent constituer un bon signal de mise en vigilance.

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Nous savons que le projet éducatif est double. Au-delà de la contribution au développement de la personne, les systèmes éducatifs forment des citoyens. Cette formation du citoyen n’est pas sans intentions et cela peut être un danger. L’histoire de nos pays européens nous le dit avec force. Les grandes réussites, mais aussi les grandes catastrophes européennes qu’ont été les guerres, s’enracinent dans les systèmes éducatifs.

Les compétences de vie telles qu’elles sont nommées et décrites sont celles d’un citoyen apte à vivre dans des sociétés ouvertes et en tension. C’est dans cet environnement que peuvent coexister différents systèmes de valeurs personnels ou religieux pourvus que les conditions du vivre ensemble soient respectées.

Dans cette perspective, il faut sans doute réfléchir à ce que peut signifier pour un élève d’être invité à développer des compétences qui ne sont peut-être pas celles que la société ou sa famille attendent de lui aujourd’hui. En d’autres termes, les compétences à développer sont-elles celles nécessaires à son quotidien ici et maintenant ou bien celles d’une société à venir dont il est, sans que l’on puisse lui dire, un des instruments de l’avènement ?

Cette question n’est pas vraiment problématique dans nos sociétés européennes mais on peut pressentir qu’elle peut l’être ailleurs. Si l’élève est un agent de transformation des sociétés c’est aussi un enfant qu’il faut protéger. Il est probablement nécessaire de penser en conséquence. L’imbrication ou la juxtaposition des cultures, celle de l’école et celle de la famille, peut-être dans certains cas une source de tensions voire de conflits pour lui.

Pour apprécier cette difficulté potentielle, pensons à la diffusion de la langue française par l’école et contre les langues régionales dans notre pays pendant la première partie du 20ème siècle. Ou revenons quelques dizaines d’années en arrière quand l’enfant n’avait pas le droit de parler à table. Le texte de Victor Duruy cité par l’un des participants nous a rappelé la responsabilité de l’éducateur.

Ce qui est socialement et politiquement possible dans une société à un moment et à une époque donnée est-il transposable dans un autre espace géographique et à une autre époque ?

Il faut penser l’accompagnement de l’enfant et celui aussi des enseignants. Nous savons bien que dans certains espaces culturels, les enseignants sont en danger quand ils exercent leur mission d’éducateurs et notamment quand leurs enseignements visent directement l’émancipation des personnes.

5. Evaluer les compétences

Evaluer des compétences n’est pas aisé, cela a été dit. Pour certains la compétence ne peut se révéler que dans une situation réelle et dès lors, elle n’est pas évaluable en situation scolaire. Il y a débat mais rien n’empêche de former et d’apprécier des progrès. La difficulté n’est peut-être pas là.

Il y a une question que l’on peut se poser à la lumière des compétences de vie identifiées. On peut se demander s’il est sage de chercher à en mesurer le degré d’accomplissement. Il faut sans doute éviter d’entrer dans des domaines très personnels et de risquer de faire des pronostics aux conséquences imprévisibles ou de porter des jugements de valeurs sur ce qui relève plus de la personnalité que des compétences. Les contextes dans lesquels les compétences de vie vont s’exprimer sont déterminants pour leur révélation ou leur utilisation.

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Certaines compétences ne paraissent pas problématiques comme par exemple avoir le sens des proportions et de la mesure dans l’argumentation. D’autres peuvent probablement être sources de tensions :

- Le goût de la vérité : Mais savoir dissimuler est aussi très utile dans une société peu encline à accepter les remises en cause ;

- L’esprit critique : Mais il savoir aussi adapter son discours à son auditoire ; - La notion d’intelligence des situations : Mais peut-on envisager toutes les situations ou toute

la complexité des situations dans laquelle une personne peut se trouver.

Certaines compétences s’énoncent donc assez clairement mais se conçoivent en pratique plus difficilement, pour prendre Boileau à rebours.

Par ailleurs, évaluer c’est normer, dire la valeur. On évalue au regard d’une certaine idée préconçue de ce qui devrait être. Peut-on évaluer la créativité ? L’histoire des peintres surréalistes ou de Van Gogh montre que l’innovation peut tarder à trouver son référentiel. Être considéré comme bon ou mauvais en maths est le résultat d’un jugement qui porte sur quelque chose d’extérieur à la personne. En revanche, être considéré comme créatif ou non est un jugement beaucoup plus radical et peut être traumatisant surtout s’il est perçu et induit comme essentiel pour votre survie sur le marché du travail.

Ceci étant, la recherche, sans préconceptions, de solutions à des difficultés est un domaine dans lequel les ressources en imagination et la créativité peuvent être stimulées. A cet égard, la formation des élèves à la médiation qui peut se faire dans et pour le milieu scolaire pourrait être une piste à suivre. Elle permet une déclinaison pratique de compétences parfois abstraites et offre un vrai terrain d’application.

Faut-il évaluer ? Comment évaluer ? A quel moment faut-il évaluer ? Il faut parfois du temps et des circonstances particulières pour qu’une compétence se révèle. Pour certains, la compétence ne peut se constater qu’en situation réelle. Alors faut-il évaluer les produits plutôt que les dispositifs, les approches pédagogiques plutôt que les compétences développées ? Il est intéressant de réfléchir à ce que pourrait être l’évaluation de la capacité d’un système ou plus simplement d’un dispositif éducatif à favoriser le développement des compétences de vie.

Pour finir ce propos et ne pas conclure les débats de ce séminaire

Cette rencontre montre l’intérêt de croiser les activités conduites dans des projets avec le regard plus distancié du temps de réflexion et de la recherche. La variété des points de vue, des expériences et des préoccupations a permis des échanges stimulants. Nous avons plus de questions encore. La rencontre a ainsi confirmé une intuition : il est intéressant et utile de réfléchir à partir des projets qui sont conduits et de consolider ainsi l’expérience qui se construit à partir du terrain.

Ce travail commence et reste à continuer. Nous allons réfléchir à l’idée de poursuivre ces rencontres, dans un cycle, par exemple de séminaires ciblés sur des thématiques que les débats d’aujourd’hui ont aidé à préciser.

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Annexe « Compétences de vie » : quelles questions posées ? Roger-François Gauthier

J’aborderai les deux seuls points suivants :

1- La question des compétences de vie dans les systèmes éducatifs : peut-on considérer qu’elle est « révolutionnaire » ?

2- Comment définir simplement ce dont il est question ?

I. La proposition d’introduire les compétences de vie dans les systèmes éducatifs : peut-on considérer qu’elle est « révolutionnaire » ?

Il est de fait que depuis une vingtaine d’années, on voit dans des instances ou cercles internationaux divers se multiplier des références aux « life skills », expression traduite en français par « compétences de vie », comme étant un des objectifs, au moins, de la scolarité obligatoire, voire son objectif central ou unique :

• Des textes internationaux s’y réfèrent, explicitement ou non, comme la Convention internationale des Droits de l’Enfant de 1989, la Déclaration sur l’éducation pour tous de Jomtien en 1990, ou la Conférence mondiale sur l’éducation de Dakar de 2000. • Un certain nombre de texte nationaux ont déjà retenu les compétences de vie dans les objectifs des politiques éducatives. La plupart s’interrogent à leur sujet.

Si la référence aux life skills apparaît historiquement comme fortement liée aux deux domaines de la santé et de la définition internationale des droits de l’enfant, son arrivée explicite dans les politiques éducatives conduit à se demander si cette attention que les systèmes éducatifs devraient porter à la vie et aux compétences qu’elle requiert est quelque chose de radicalement nouveau.

Notre réponse serait plutôt oui.

Trop chargés en connaissances à transmettre et mémoriser, les savoirs scolaires oublieraient de développer leur usage et le pouvoir d’action qu’on attend de ces connaissances dans la vie personnelle, sociale, professionnelle des individus. Au pire, les connaissances enseignées seraient davantage choisies pour passer des examens et poursuivre des études que pour préparer à la vie.

1.1. La référence aux compétences de vie est une remise sur le métier substantielle des finalités mêmes de l’école. Certes sous beaucoup de cieux et à beaucoup d’époques on a reproché aux écoles d’être refermées sur elles-mêmes et de transmettre des savoirs éloignés des contingences et exigences du monde, incapables de préparer les jeunes à la vita activa (Rousseau dans L’Emile, dit bien de ce qu’il veut enseigner à son élève que « Vivre est le métier que je veux lui apprendre »). Les enseignements de l’école apparaissent selon ce cadre d’analyse trop chargés en connaissances à transmettre et

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mémoriser, les savoirs scolaires oublient de développer leur usage et le pouvoir d’action qu’on attend de ces connaissances dans la vie personnelle, sociale, professionnelle des individus. Au pire, les connaissances enseignées sont davantage choisies pour passer des examens et poursuivre des études que pour préparer à la vie.

Toutefois force est de reconnaître qu’en bien des pays ces reproches n’ont pas été entendus car la question de l’apprentissage de la vie et des compétences qu’elle requiert sont bien souvent étrangers aux finalités comme aux usages de l’école.

Certaines traditions scolaires parmi les plus influentes dans le monde et dans l’histoire se sont en effet explicitement constituées pour inviter les élèves à se détourner

1) de la vie sur cette terre, et de l’apprentissage de l’action humaine, pour lui préférer la préparation de la vie dans l’au-delà où

2) de la vie concrète et de l’expérience quotidienne pour lui préférer un univers d’abstraction et de valorisation de la vérité scientifique. Si certaines cultures, comme la culture scolaire protestante, en Occident, ont été plus ouvertes à la vie, nombreux sont les systèmes dans le monde qui aujourd’hui consacrent toujours la référence à divers ensembles d’abstractions, ainsi qu’un rapport contemplatif ou seulement analytique avec le monde. Les questions relatives à l’action sont souvent réduites à des règles morales limitatives, avec par exemple peu de place donnée à l’action politique ou même collective. Et les questions de la vie, dans sa complexité et son évolutivité ne sont pas suffisamment abordées, parce que l’essentiel des principes scolaire ne l’appelle pas. De fait encore aujourd’hui les voix ne manquent pas qui expriment une intention de sanctuarisation de l’école, de ses savoirs et de ses modes d’action pédagogique.

On peut en revanche se demander pourquoi poser cette question certes ancienne mais relativement ignorée se pose aujourd’hui plus fréquemment et plus nettement.

Plusieurs facteurs semblent jouer :

A) Les vieux débats et les tensions sur les missions et les formes des systèmes scolaires se trouvent ravivés dans la conjoncture mondiale actuelle de crises et d’interrogations, comme celles relatives aux identités nationales ou au sens des diverses mondialisations dérégulées ;

B) La crise profonde des systèmes éducatifs eux-mêmes incite les gouvernements à reconsidérer l’efficacité et les missions de ces systèmes, dans des contextes marqués :

1) par le développement d’un chômage des jeunes issus de l’école qui questionne le rapport à l’emploi,

2) par la montée d’extrémismes religieux, à partir d’interprétations intégristes par exemple des religions musulmane, hindouiste, ou du protestantisme chrétien,

3) par l’objectif de répondre aux aspirations démocratiques des peuples.

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C) Les modèles scolaires hérités des périodes coloniales, même s’ils ont été progressivement et partiellement transformés, ne sont pas facilitateurs d’une formation qui prépare réellement à la vie ; ils constituent même le plus souvent un obstacle dans la mesure où ils reposent davantage

1) sur des savoirs importés (comme la langue d’enseignement) et formels à l’excès, définis loin de la vie réelle,

2) sur des dispositifs de sélection que sur des principes de promotion des enfants des couches populaires, par exemple en multipliant les sauts d’obstacles et les systèmes d’examens de passage.

Il est de fait que ces questions sont actuellement davantage posées dans des pays soumis à ces remises en cause de la façon la plus urgente, plutôt que dans des pays dont les systèmes éducatifs rencontrent encore un consensus d’ensemble dans la population, qui les trouve efficaces et équitables.

1.2. La référence aux compétences de vie implique en fait un changement de perspective global des politiques éducatives elles-mêmes. La question de l’introduction des compétences de vie impose aux politiques éducatives de reconsidérer certains de leurs fondements, non seulement sur le sens des apprentissages (voir supra), mais aussi

1) En cessant de privilégier les objectifs quantitatifs de scolarisation ou de diplomation sur la qualité visée pour chaque élève : l’attention portée aux life skills, signifie en effet que l’école et la politique scolaire ne visent pas seulement l’enrôlement statistique d’élèves abstraits, mais posent la question de ce que l’école apporte de fait aux élèves en termes de savoirs, de compétences, y compris immédiates pour leur vie réelle,

2) En cessant de considérer les questions relatives à la vie dans l’école comme secondaires : les problèmes d’absentéisme, d’assiduité, de vivre ensemble au sein de l’école, et de réalisation d’une forme de vie démocratique dans l’école apparaissent sous un nouveau jour. Les compétences de vie amènent des changements dans la gouvernance de l’école comme système et de chaque école réelle ;

3) En se préoccupant de l’alignement des réformes sur tous les aspects des politiques éducatives (formation et recrutement des enseignants, examens et modalités de passage et de sélection, etc. ), car les life skills imposent (voir plus loin) cette intégration ;

4) En se préoccupant de la « vie », une politique éducative qui entend promouvoir les compétences de vie considère par définition l’égale importance et dignité des « vies » et appelle donc une politique scolaire inclusive socialement.

L’expertise internationale devra être performante sur les deux perspectives du sens des compétences de vie et de leur insertion dans une politique éducative efficace.

II. Comment définir simplement ce dont il est question ?

Plusieurs listes de « compétences », de « compétences pour la vie, de « hard skills », de « soft skills », de « compétences du XXIème siècle » circulent à l’échelle internationale et il existe un risque de flou,

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qui peut porter préjudice à l’ensemble, laisser croire à un effet de mode, soupçonnable d’être influencé par diverses idéologies, sans justification pédagogique véritable.

De fait l’expression « compétences de vie » est insuffisante si on s’en tient là, car on pourrait l’entendre comme définissant

1) Une école qui justement aurait abandonné l’ambition de proposer aux enfants un dépassement du cadre immédiat de leur vie,

2) Une école qui ne viserait qu’à adapter chacun de la façon la plus servile aux attentes des intérêts économiques ou la plus conforme aux souhaits des dirigeants politiques ou des meneurs d’opinion.

Il faut donc être au clair sur ce qui est visé : pourquoi au fond retenir ce projet d’ouverture de l’enseignement aux « compétences de vie », qu’entend-on par là ? Que deviennent dans les savoirs dans l’affaire ?

2.1. L’attention portée à la « vie » est d’abord une attention portée aux apprentissages attachés à la personne de l’élève

Ce point ne doit pas être négligé : l’école des compétences de vie s’ouvre à des apprentissages jusqu’ici peu présents, mais qui semblent désormais l’une des conditions de l’ensemble des apprentissages, en même temps que des apprentissages qui relèvent de « compétences d’ordre supérieur, psychosociales, transversales et transférables (…) permettant aux individus de développer des attitudes et des comportements pour faire face à la vie quotidienne, au-delà de la simple somme des habiletés nécessaires à la réussite au travail ou à l’école. » (Document de l’UNICEF, p.25-27).

Des dimensions comme "les capacités à s'affirmer, à dire non, à se fixer des objectifs, à prendre des décisions, et à gérer des situations émotionnelles" font partie des apports majeurs des compétences de vie.

La considération des compétences de vie conduit aussi à attacher une importance spécifique à ce qui relève de la protection de la Planète et de la vie.

2.2. L’attention portée à la vie comme lieu de la « complexité »

L’autre idée est que l’école, si on considère les compétences de vie, s’ouvre en fait à la complexité, au lieu de se limiter à la transmission pour eux-mêmes de savoirs bien identifiés, balisés et présentés analytiquement.

S’agissant de compétences, on ne se limite en outre pas à des compétences certes nécessaires, et que l’école visait traditionnellement, mais qui sont radicalement insuffisantes comme « lire, écrire, et compter ».

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On pense à tout ce qui, pour citer Edgar Morin, donne à l’élève « la possibilité d’affronter les problèmes fondamentaux et globaux de l’individu, du citoyen, de l’être humain. ». Cet ensemble de problèmes ainsi définis nécessite l’appel aux interactions entre des savoirs et des compétences d’un autre type.

Bien sûr cette approche ne peut pas se construire exclusivement à partir de ce qui s’enseigne déjà mais doit se référer à d’autres éléments qu’à des savoirs dits savants : il faut faire place à des pratiques à l’œuvre dans des situations réelles, désignées comme références, empruntées à des familles de situations (sociales, linguistiques, culturelles, artistiques, professionnelles…) repérées dans un environnement et une culture particulière. Cet ancrage dans le local est important, à condition qu’on évite de s’y restreindre.

2.3. Les « compétences de vie » ne s’opposent pas aux savoirs mais les valorisent

Si le focus est plus sur les valeurs, attitudes et comportements à faire évoluer, il ne s’agit pas de minorer les savoirs, mais de les penser dans le nouveau contexte d’apprentissage.

Il ne faut pas se cacher qu’existe une opposition potentielle, si on ne clarifie pas les choses, entre savoirs et « compétences de vie » :

1) or l’école a bien la mission de transmettre des savoirs qui ne visent pas nécessairement l’utilité immédiate, mais qui servent à représenter, modéliser, organiser, et conceptualiser, et sans lesquels l’individu reste impuissant devant le réel ;

2) les « compétences de vie » ne sont en aucun cas en opposition aux connaissances, mais visent à les intégrer dans le cadre plus concret, immédiat et complexe de la vie réelle évoquée explicitement en tant que telle.

Cela a notamment trois conséquences :

1) A partir du moment où l’école fait leur place aux « compétences de vie », les savoirs ne sont plus définis comme des entités abstraites mais n’hésitent pas à mettre en avant leurs implications en termes d’action, dans tous les domaines, technique, moral, politique etc. Les problématiques de l’action, individuelle ou collective ainsi que les questions « éducatives » font partie des questions qu’aborde l’école. La séparation instruction/éducation ne tient plus ; 2) Approcher les savoirs en s’intéressant à la constitution de la culture de chacun comme « rapport au monde » et en les associant aux capacités réflexives de la personne pose l’objectif ambitieux d’une épistémologie obligatoire intégrée à l’enseignement des connaissances. La connaissance de la connaissance devient une aide à l’intégration des savoirs aux compétences de vie ; 3) L’ensemble de ces réflexions sur les implications de l’introduction des compétences de vie montre la nécessité de repenser les curricula de façon globale.

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Acronymes CDV : Compétences de vie CPF : Conceptual and programatic framework - Cadre conceptuel et programmatique FEI : France Education International IIPE: Institut International de Planification de l’Education MENA : Middle East and North Africa OCDE : Organisation de coopération et développement économiques ODD: Objectifs de développement durable