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1 Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en constellations à partir de et autour de son album La terre tourne. Nelly Delaunay Sous la direction de Mmes Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau Juin 2011 Université du Maine

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Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser

en constellations à partir de et autour de son album

La terre tourne.

Nelly Delaunay

Sous la direction de Mmes Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau

Juin 2011

Université du Maine

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2

REMERCIEMENTS :

Un grand merci à Anne Brouillard pour ce magnifique cadeau,

à Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau pour cette merveilleuse rencontre, leur ensei-

gnement et leur soutien sans failles,

à ma famille, mes amies et amis pour leurs encouragements et leur présence de chaque instant,

aux élèves, enseignants, chercheurs, auteurs et éditeurs qui ont répondu à mes demandes,

m’ont lu, encouragé et accompagné tout au long de ce travail de recherche et d’écriture.

Que tous ceux et celles qui ont croisé mon chemin tout au long de ce parcours universitaire et

professionnel soient remerciés.

Ce résultat est l’œuvre de tous.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION Page : 7

Présentation de l’auteure Ŕ illustratrice Anne BROUILLARD Page : 10

I) Circuler d’un album à l’autre à partir de La terre tourne Page : 12

A) Présentation de l'album La terre tourne Page : 16

1) Au fil de la lecture Page : 20

2) La description des illustrations Page : 21

a) Les portes Page : 22

b) Les illustrations de pleine page Page : 24

c) Les vignettes de bas de page Page : 31

3) Le fil de la narration : le texte Page : 35

B) Quelques résonnances lexicales et thématiques Page : 42

1) Les résonnances lexicales page par page Page : 45

2) Les différents types de narrateurs textuels Page : 61

a) Les textes impersonnels Page : 61

b) Les textes à la troisième personne Page : 62

- « on » Page : 62

- « il, elle, on ; ils, elles » + dialogues discours direct Page : 63

- 3ème

personne + échanges oraux ou écrits « je » Page : 66

- 3ème

personne et « je » Page : 69

c) Les textes à la première personne « je » Page : 70

3) Comment La terre tourne est évoquée à travers les sens ? Page : 74

a) L’ouïe Page : 74

b) La vue Page : 74

c) L’odorat Page : 74

4) La rotondité Page : 75

5) Les éléments Page : 76

a) L’air Page : 77

b) L’eau Page : 77

Page 4: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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c) La terre Page : 77

C) Quelques résonnances imagières Page : 78

1) Les personnages Page : 79

a) Les animaux Page : 79

- Le chat Page : 79

- Le chien Page : 84

- Le corbeau ou la corneille Page : 89

- Le canard Page : 90

b) Les êtres humains Page : 92

- L’homme en rouge Page : 93

- La fille en bleu et rouge Page : 95

- La dame en vert Page : 95

- L’enfant Page : 96

2) L’environnement Page : 100

a) La neige Page : 100

b) Le paysage lacustre Page : 101

c) Les éléments Page : 103

- L’air Page : 104

- L’eau Page : 104

- Le feu Page : 105

- La terre Page : 106

d) La ville Page : 107

3) Les objets Page : 108

a) Le ballon rouge Page : 108

b) La valise Page : 109

c) La cafetière Page : 111

d) Le chemin de fer Page : 112

4) La rotondité Page : 115

D) Un exemple de continuité narrative Page : 118

1) Le pêcheur et l’oie Page : 120

- Le mouvement de la première de couverture Page : 121

- Le mouvement de la quatrième de couverture Page : 122

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- Le rythme des illustrations et la mise en page Page : 122

2) Le voyageur et les oiseaux Page : 125

- Le mouvement de la première de couverture Page : 126

- Le mouvement de la quatrième de couverture Page : 127

- Le rythme des illustrations et la mise en page Page : 127

3) La famille foulque Page : 130

- La première de couverture Page : 131

- La quatrième de couverture Page : 132

- Les pages de garde Page : 133

- Le cheminement dans l’espace Page : 133

- L’évolution dans le temps Page : 135

4) La vieille dame et les souris Page : 137

- La première de couverture Page : 138

- La quatrième de couverture Page : 139

- Les pages de garde Page : 140

- Le cheminement dans l’espace Page : 141

- L’évolution dans le temps Page : 146

5) De l’autre côté du lac1 Page : 148

- La couverture Page : 150

- Les pages de garde Page : 151

- Le narrateur imagier Page : 152

- Le narrateur textuel Page : 154

6) Les liens et les résonnances entre eux Page : 156

a) Les personnages Page : 156

b) Les objets Page : 162

c) Le temps qui passe Page : 165

d) L’espace, le cadre, l’ambiance Page : 166

7) Les liens et les résonnances avec La terre tourne Page : 168

CONCLUSION Page : 171

1 « À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi inspiré de

l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du

31/01/2011.

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ANNEXES Page : 174

BIBLIOGRAPHIE détaillée Page : 175

BIBLIOGRAPHIE sélective Page : 191

Quelques pages du carnet de croquis de l’album Page : 198

Quelques illustrations et gravures sur le journal La tribune de Bruxelles Page : 203

Le chemin de fer de La terre tourne Page : 206

Paroles de la chanson de Jacques Prévert En sortant de l’école Page : 212

Paroles de la chanson de Grand Corps Malade Les voyages en train Page : 212

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INTRODUCTION

Anne Brouillard2

est « l’un des très grands talents de cette décennie » comme

l’annonce son éditeur de chez Grandir, René Turc quand il publie son album L’orage en 1994.

Album qui est d’ailleurs le préféré d’Anne Brouillard car elle y a réussi « l’équilibre imagier »

à son goût. Dans le catalogue des dix ans de Pastel (1998), Michel Defourny écrit : « Anne

Brouillard est sans conteste l’une des grandes figures de l’album contemporain. Son itinéraire

l’a menée chez de nombreux éditeurs. » En effet, si Anne Brouillard est reconnaissante envers

Marie Wabbes qui lui a offert ses premiers contacts éditoriaux, son style est maintenant re-

connu et chaque éditeur la choisit pour ses qualités et son talent. Réciproquement, quand elle

travaille sur un projet de livre, elle sait quel éditeur va être intéressé pour le publier. Car, elle

est « toute vouée à la création des plus beaux albums qui soient. »3 Elle est « l’artiste née, (…)

celle qui existe pour créer … celle pour qui la vie est la substance de l’art ; et l’art est le re-

gard qui plonge au cœur de la vie. ».4

Les amateurs de ses œuvres ne tarissent pas d’éloges. Cependant, chacun constate

qu’elle n’est pas appréciée à sa juste valeur. Pourquoi ? Est Ŕ ce dû à la « frilosité 5» de cer-

tains éditeurs, comme cela fut le cas pour Voyage par exemple. Ou bien parce que ses albums

sont tout simplement « trop méconnus 6» du grand public d’après Sophie Van der Linden. Ou

encore parce qu’ils seraient « hermétiques 7» pour certains lecteurs selon Patrick Joole.

La lecture de ses albums8 demande du temps et de l’attention mais aussi, plusieurs re-

lectures9 qui se complémentent et s’enrichissent. Le lecteur doit refaire le cheminement

10 de

la création. Anne Brouillard lui laisse un grand champ de liberté et d’expression interprétative

2 « À mon sens, l’album sait véritablement mobiliser l’ensemble de ses capacités expressives à l’exact point médian de ces

deux pôles, lorsque le rapport entre texte, image et support s’équilibre tout à fait. Anne Brouillard, (…) sont quelques-uns de

ceux qui maîtrisent ce délicat équilibre. » Sophie Van der Linden, in L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles

formes, nouveaux lecteurs ? Textes réunis et présentés par C. Connan-Pintado, F. Gaiotti et B. Poulou, Modernités 28, PUB,

2008, p. 12. 3 Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 59. 4 Stefan Zweig, préface de Romain Rolland, Amok, Livre de poche, 2001, p. 9. 5 Extrait de l’échange par e-mail avec René Turc du 31/10/2010. 6 http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html 7 Patrick Joole, Les albums d'Anne Brouillard, un miroitement aquatique, communication sur son travail lors du colloque sur

l'album de Clermont dont les actes sont à paraître aux Presses Blaise Pascal. 8 « Si l’écrivain est également l’illustrateur. Il est alors possible d’imaginer que dans ce cas le rapport texte / image / page n’a

pas de meilleure adéquation. Dans un même mouvement l’auteur va chercher le trait, la couleur, le cadrage qui exprimera son

récit (…) et répartir ainsi lui-même les effets de sens entre son texte et ses images. » Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne

Audureau, Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, p. 8. 9 « L’idée d’une lecture plurielle s’est substituée à une lecture univoque. » Ibidem., p. 5. 10 « Explorer une page comme on explore un nouveau territoire, y chercher son chemin, les chemins possibles, relier des

repères, en déduire une signification. » C. Connan Ŕ Pintado, F. Gaiotti, B. Poulou, L’album contemporain pour la jeunesse :

nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, PUB, 2008, avant Ŕ propos, p. 10.

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et imaginative.11

« La littérature est l’œuvre autant de l’auteur que du lecteur lui Ŕ même

puisqu’ils tissent ensemble ce que va être l’histoire. »12

Elle construit ses livres avec passion

et patience, elle s’investit pleinement dans chacun.

« Elle reprend, retravaille la matière, sans cesse réaccorde les rapports, les forces. Longue patience,

longue obstination. Ce qu’elle recherche, ce n’est pas juste une suite d’images mais une partition

d’images qui sonnent juste. (…) Ce ne sont pas des tranches de vie qu’Anne Brouillard nous

donne à voir, ce sont des moments choisis pour leur particularité, où la perception du banal saute

dans une autre dimension mentale. À travers la réactivation ou la réinvention des souvenirs

d’enfance, c’est avec le phénomène des épiphanies (épiphanie, du grec epiphania, apparition)

qu’elle renoue spontanément, magnifiquement. (…) Chaque album est une expérience nou-

velle. »13

Quand elle l’édite, elle l’offre au lecteur qui y retrouve cette atmosphère. La lecture de

l’un interpelle la lecture d’autres. C’est la découverte de ces résonnances qui déclenche le

plaisir de la lecture complice avec cette auteure Ŕ illustratrice. Son œuvre mérite d’être con-

nue et savourée.

Cette modeste étude « résonnante » « à partir de » et « autour de » La terre tourne

voudrait lui offrir une juste reconnaissance comme elle l’a fait en dédicaçant son premier al-

bum à Marie Wabbes. L’organisation de ce mémoire s’apparente donc à son style « en

boucle » et en images.

Malgré son aveu à Nicole Nachtergaele en 1996, pour le numéro 2 de la revue Alice :

« je n’aime pas quand on écrit sur moi, ce qu’on écrit sur moi … », suite à notre coup de cœur

pour son album La terre tourne, nous avons cherché à la rencontrer via Aude Marin, attachée

de presse aux éditions Seuil jeunesse Ŕ Le Sorbier. Elle a répondu à notre demande avec joie.

C’est avec beaucoup de patience et de ferveur qu’elle a accompagné notre travail de recherche.

Avec elle, nous avons recrée son univers en constellations « à partir de » et « autour de » La

terre tourne. Elle fait partie des artistes qui « créent leur Cosmos entier, leur univers propre

avec ses espèces et ses lois propres de gravitation … 14

».

Ainsi, ce mémoire souhaite mettre en valeur la richesse de l’œuvre, l’artiste et la

femme qu’est Anne Brouillard.

La terre tourne est un album majeur dans l’œuvre et la vie d’Anne Brouillard. À notre

niveau de lecteur, c’est cet album qui a tout déclenché : la rencontre avec l’œuvre et la per-

sonne. En effet, par ses résonnances, la lecture de cet album appelle la découverte des autres.

11 « Quant à l’imaginaire, il ne s’oppose nullement à la réalité : il n’en est ni le contraire ni l’adversaire, mais constitue lui

aussi une réalité Ŕ une réalité différente, fertile, mélancolique, complice de tous nos souvenirs. » Michel Pastoureau, Les

couleurs de nos souvenirs, éditions du Seuil, 2010, p. 13. 12 Édwige Chirouter, MASTER 2 LIJE, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse. Apprendre à philosopher dès

l’école primaire grâce à la lecture de récits, 2010-2011, p. 7. 13 Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles", 1994. 14 Stefan Zweig, préface de Romain Rolland, Amok, op. cit., p. 12.

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Il est infini … Notre étude est aussi une amorce, une incitation à la lecture de son œuvre et

une introduction à un autre travail de recherche peut être.

La première partie présente l’album La terre tourne au fil de la lecture. Cet album

étant « très complexe », les trois styles illustratifs sont minutieusement décryptés, l’un après

l’autre, avant d’aborder l’analyse du texte au fil de la narration. Le chemin de fer de l’album

présenté en annexe permet une vue globale sur ses rouages et ses ligatures. Les copies du car-

net d’Anne Brouillard en annexe montrent le cheminement créatif au fil des pages. Le lecteur

y voit comment les liens s’y construisent grâce aux possibilités offertes par l’album.

Dans le cadre de la deuxième partie, le travail sur les résonnances entre les albums à

partir de La terre tourne commence par le texte. Le lecteur de ce mémoire y trouve mis en

lumière des résonnances lexicales dans un premier temps. Ensuite, cette analyse lexicale est

suivie d’une présentation des différents narrateurs textuels dans les albums d’Anne Brouillard

et d’une étude de quelques résonnances sensorielles et thématiques parmi les plus représenta-

tives de son œuvre.

La troisième partie s’attache à l’étude des résonnances imagières. Chacun des huit per-

sonnages présents dans La terre tourne y est analysé à travers l’ensemble de l’œuvre d’Anne

Brouillard. Ensuite, cette partie met en valeur quelques résonnances environnementales et

quelques objets récurrents dans l’univers illustratif d’Anne Brouillard.

Dans la dernière partie, afin de revenir dans l’univers de La terre tourne, le lecteur fait

un détour « résonnant » par Bruxelles et Paris où il rencontre de nouveaux personnages. Les

cinq albums analysés ici sont doublement résonnants. Dans un premier temps, notre analyse

montre comment ils se complémentent entre eux, pour ne former presque qu’un seul album

finalement. Enfin, ce mémoire montre comment ils permettent le retour du lecteur dans

l’univers de La terre tourne.

Ainsi, le lecteur découvre les fils qui s’entrecroisent et se tissent entre les albums « à

partir de » et « autour de » La terre tourne. Au rythme de ces résonnances, cette étude incite

le lecteur à voyager d’un album à l’autre. Comme nous sommes dans l’univers d’Anne

Brouillard, il est tout à fait naturel de cheminer tranquillement, d’aller voir ailleurs, mais aussi,

de revenir où on est bien. Notre écriture part donc de La terre tourne pour y revenir.

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Présentation d’Anne Brouillard : auteure Ŕ illustratrice

Anne Brouillard est née le 12 juillet 1967 à Leuven en Belgique, d’un père

belge et d’une mère suédoise, elle y grandit et suit des études artistiques à l'Institut Saint-Luc

à Bruxelles.

« J’ai fait des études d’illustration, après avoir fait une année d’institutrice maternelle.

Mais, j’avais une idée du métier pas juste ! et aussi j’avais besoin de comprendre qui j’étais vrai-

ment ! C’était l’idée de la façon dont les gens me voyaient de l’extérieur.

J’avais l’idée de faire quelque chose en rapport avec les enfants mais pas de faire un livre pour

les enfants. Et pourtant, j’ai choisi illustration et pas peinture dans mes études !

Le côté narratif15

… travailler pour mettre l’image au service de quelque chose de littéraire,

l’image qui raconte quelque chose, j’avais envie de faire des livres mais j’avais l’impression d’y

voir une limite, hors, il n’y en a pas, c’est sans fin16

J’aime dessiner naturellement depuis toujours et je ne me suis jamais arrêtée. Tout le monde des-

sine dans ma famille, j’ai plusieurs sœurs et c’était comme un jeu entre nous … je passais beau-

coup de temps à dessiner, même en classe ! J’ai une sœur peintre : elle, avec son chevalet posé

dans la nature, on voyait nos différences déjà enfant. C’est le dessin qui ne va pas dans la même

direction, dessin plus utilisé dans des choses imaginaires, j’utilisais le dessin pour représenter ça.

Je fais des livres pas spécialement pour les enfants mais pour les enfants aussi, ce n’est pas si

simple à expliquer … le créneau est d’une grande liberté, les possibilités sont énormes en fait. »17

Elle a quatre sœurs. Elle passe ses vacances en Suède, chez ses grands parents maternels. « La

fiction littéraire n’est donc pas seulement de l’ordre de l’imaginaire mais elle dispose aussi

d’une « fonction référentielle » qui dévoile des dimensions insoupçonnées de la réalité. (…) Il

existe une corrélation intime et profonde entre le monde de l’enfance et les mondes de la fic-

tion et l’imagination. »18

Les souvenirs de leurs maisons lui inspirent l’album Le pays du rêve

et L’orage notamment et la Suède lui inspire les albums La terre tourne, Mystère, Il va neiger

et De l’autre côté du lac entre autre. « En 1990, elle publie son premier album pour la jeu-

nesse : Trois chats19

, très vite reconnu. Il est annonciateur du talent d'Anne Brouillard.

L'œuvre d'Anne Brouillard, poétique et visuelle20

, est une multitude d'invitations à des pro-

15 « Le rôle de l’image, langage plus facile d’accès pour les jeunes enfants, n’est plus seulement descriptif ou explicatif, il est

narratif. » Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau, Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, p. 1. 16 « L’album est le lieu de tous les possibles. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants, l’analyse des

livres d’images, N° 214, décembre 2003, p. 63.

Édwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse, op. cit., p. 5, « Je peux vivre à travers la fiction

littéraire, des expériences que je ne connaîtrai jamais dans la vie réelle. Elle m’ouvre ainsi à tous les possibles. Elle constitue

à ce titre une expérience vivante, authentique, singulière et universelle à la fois, par laquelle les hommes vont pouvoir appré-

hender le réel. La fiction permet d’expérimenter de nouveaux rapports au monde. Elle apporte des points de vue inédits.

L’imaginaire est comme un immense laboratoire où les hommes peuvent modeler, dessiner, redessiner à l’infini les situations,

les dilemmes. » 17 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse lors du salon vivons-livre, le 07/11/2010. 18 Édwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse, op. cit., p. 6. 19 Dédicacé à Marie Wabbes, une auteure illustratrice de 76 ans. Elle travaillait chez Archimède, « pomme, miel, chocolat »

J’étais étudiante en 2ème ou 3ème année en illustration et j’ai rencontré Marie Wabbes. Je lui ai montré mon travail. Elle m’a

donné des conseils d’une préciosité sans égal. Elle a été mon prof en 5 minutes … Elle m’a donné sa carte et m’a dit de

l’appeler … J’ai fait les 3 chats après, si j’ai pu les faire comme je l’ai fait c’est grâce à ses conseils. Après mes études,

j’avais sa carte de visite, je lui ai téléphoné, viens … ! Elle m’a reçu avec tant de chaleur et de générosité. Elle m’a donné

deux adresses. Parce que c’est grâce à elle que j’ai pu réaliser ce livre, c’est une reconnaissance justifiée … : Ibidem. 20 Les sujets de mes livres sont liés à des choses vues, observées, dans la vie, dans la rue, le côté promenade de la vie. Je vois

… ça me donne toutes mes histoires qui sont presque toutes là … : Ibidem.

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menades imaginaires21

. Le dessin d'Anne Brouillard22

n'évoque pas pour autant le mouvement.

Il y a des plans larges et fixes, qui lorsque l'on s'y arrête, entraînent dans un univers riche. Un

univers aux richesses exaltées, d'une forte poésie23

créant un rythme singulier et envoûtant. Le

crayon noir alterne avec de remarquables couches de peintures, faisant naître des espaces

d'expression superposés, comme autant de sens possibles. »24

Tout au long du travail de créa-

tion, ses idées qui deviendront ses futurs albums se croisent et s’enrichissent car elle travaille

toujours plusieurs projets à la fois. « Elle remplit le moindre vide de ses carnets, des cahiers

d’écolière, noircis consciencieusement, comme autant de blocs alignant leurs masses régu-

lières, pour ne laisser que la respiration de la marge imposée. Un espace qui disparaît même

dans les albums terminés où la peinture a tendance à couvrir l’ensemble de la surface. 25

»

C’est ainsi que les résonnances se construisent tout naturellement au sein même de ses carnets.

« Sa personnalité se prête tout particulièrement au thème du canal et de l'eau Ŕ fleuve,

rivière ou lac. Par son rapport à la nature, omniprésente et toujours habitée, par son art, toute

son œuvre pourrait s'intituler « Passages », à l'image de l'eau26

qui passe. Tout chez elle est

mouvement lent, transformation silencieuse. Tout s'accomplit imperceptiblement, mais tout

bouge, évolue.

La nature est très présente dans vos livres. Quel est votre rapport aux éléments qui vous entou-

rent ?

Anne Brouillard : « C’est très difficile d’expliquer une chose qui pour moi est évidente : je vis

avec les éléments. Ils sont là, ils font partie de ma vie, la nature EST mon élément.27

Le change-

ment de lumière, le passage des saisons28

, la tombée de la nuit, l’arrivée de la neige ou d’un

orage… Tous ces « événements » sont pour moi de véritables sujets d’albums … J’utilise alors des

déambulations d’un lieu à un autre pour raconter à la fois le temps qui passe et la météo. Il peut y

avoir un rapport encore plus concret entre les albums et la nature : quand j’ai fait La terre tourne,

je campais au bord d’un lac dans la forêt (en Suède). Ce livre est donc peint exclusivement à l’eau

du lac. Les fourmis et les blaireaux ont goûté à la peinture (à l’œuf). Le vent a certainement em-

porté l’un ou l’autre brouillon. Et les pinceaux oubliés dans la bruyère ont rouillé sous la pluie et

la neige…. »

On retrouve de nombreux thèmes propres au nord : le pays plat, les canaux, la couleur

du ciel, des conditions climatiques difficiles (nuages, vents, neige, orage, brouillard) face à

21 La maison de Martin, Promenade au bord de l’eau … Par exemple. 22 Elle porte fièrement son nom prédestiné. Je peints et je dessine au crayon en masse, je ne fais pas de contours, je peints en

masse d’ombre et de lumière, pas au trait. Ce n’est pas pour rien que je m’appelle « brouillard », c’est parce que je

m’appelle ainsi que je suis ainsi !!! Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/10/2010. 23 Dans son article L’album en liberté, Sophie Van der Linden écrit à propos de l’album : « La narration… ne prend pas

nécessairement la forme d’un récit et s’aventure davantage vers une expression poétique. » in Littérature de jeunesse, incer-

taines frontières, colloque de Cerisy, Gallimard Jeunesse, 2005, p. 93. 24 Source : http://www.ricochet-jeunes.org/auteurs/refid/229 25 Jean Perrot, Pictogénèse de l’album contemporain pour la jeunesse et conversation du patrimoine, in L’image pour en-

fants : pratiques, normes, discours, études réunies et présentées par Annie Renonciat, éditions La Licorne, PUR, 2007, p. 33 26 Lire à ce sujet la communication de Patrick Joole lors du colloque sur l'album de Clermont-Ferrand en 2010 : Les albums

d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique, actes à paraître aux Presses Blaise Pascal au printemps 2011. 27 « J’ai compris pourquoi Monsieur René Turc m’avait proposé de travailler avec Anne Brouillard : c’est un paysage qui lui

parlait, un paysage dans lequel elle aimait être et travailler, un paysage qui l’inspirait… La nature et ses éléments lui par-

lent. » Extrait du courrier du 15 novembre 2010 reçu de Mr Gilles Auffray, Le gardien des couleurs, depuis Londres. 28 Quelle est votre saison préférée ? « Toutes les saisons et le déroulement des saisons parce que ça change et elles sont

toutes particulières.» Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.

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des intérieurs chaleureux, apaisants, dont la cafetière rouge29

pourrait en être le symbole.

Anne Brouillard complète son approche picturale par une approche cinématographique. La

double page sans fond perdu, sans marge, s'apparente à l'écran de cinéma.

On peut regarder L'orage30

et La terre tourne comme de beaux objets esthétiques.

Mais à y regarder de plus près, ces albums ont demandé beaucoup de temps dans leur cons-

truction. Et notre travail, en tant que lecteur, notre jeu, consiste à reconstruire l'espace et le

temps de l'écriture. Pour y parvenir, il faut plonger dans ces albums, aller à la rencontre des

petits motifs que sont les êtres humains, les animaux, les objets31

, pour les retrouver d'une

page à l'autre et même d'un album à l'autre.32

Ces petits motifs représentent des fils à tirer. Ces

albums représentent une invitation à l'exploration, à la recherche d'un trésor : le plaisir de la

construction d'une histoire. Le plaisir réside dans l'aspect esthétisant mais surtout dans le plai-

sir intellectuel de la découverte. On peut lire et relire les albums, on trouvera toujours de nou-

veaux indices, de nouvelles pistes.33

On peut les lire et les relire, aussi, pour le plaisir de son

écriture très poétique. »34

I) Circuler d’un album à l’autre à partir de La terre tourne

Ce choix de présenter les résonnances à partir de l’album central de La terre tourne est

justifiable au regard de différents paramètres. Tout d’abord, c’est ce sujet de devoir proposé

par Mesdames Claire Segura Ŕ Balladur et Evelyne Audureau qui est à l’origine de cette idée

de mémoire (professionnel) de Master 2 Littérature pour la Jeunesse. Une fois ce projet et

cette soutenance acceptés par Mme C. Segura Ŕ Balladur, il a été soumis à l’acceptation de

Mme Anne Brouillard. Plusieurs esquisses leur ont été proposées et elles ont trouvé cette idée

29 « C’est celle de mes grands parents qui m’a servi de modèle ! » Ibidem. 30 « J’aime beaucoup dessiner les maisons, les imaginer. Le rapport intérieur / extérieur avec la maison se trouve dans un

paysage. Être dehors et imaginer dedans ou au contraire être dedans et voir l’extérieur. Expliquer le cheminement des mai-

sons : par exemple dans L’orage, qui est mon livre préféré : Commence à l’intérieur, on a la véranda, dès la première page

on voit l’intérieur et l’extérieur (miroir). Petit à petit on va visiter la maison, on en fait le tour puis on y revient. Cet album

est autant l’histoire de la maison que celle de l’orage et du temps qui passe. Je fais le plan, je construis les maquettes des

maisons. » Extrait de la conférence du 06/11/2010 à Toulouse. 31 « Cafetière, théière, réveil, petits pots … sont l’expressions du temps. Dans l’univers des maisons habitées : trace, pré-

sence, souvenirs … Les objets sont importants, comme un décor de théâtre. Ils révèlent quelque chose de la personne qui y

habite. » Ibidem. 32 « L’homme est dans son environnement qu’il comprend, il connaît sa juste place, en contemplation paisible. La terre

tourne, on tourne en rond. C’est mon interprétation de la vie, la façon dont je ressens l’existence, une relation familière à

l’animal, en harmonie, pas d’hostilité, dans ce monde cohabité, tout fonctionne ensemble … » Ibidem. 33 « J’ai fait mon premier livre quand j’avais 9 ans : « une ferme à la campagne ». Le côté objet livre, c’est quelque chose

qui j’aime faire. À 13 ans « pas de titre ». On est déjà qui on est, très lié à ce que j’ai fait plus tard, sans texte : « un paysage

l’été – un château : Zoom sur le château, une entrée secrète, on entre … Zoom dans château, on circule, on rencontre des

lutins, des sorcières … Et on ressort du château, et c’est l’hiver … j’avais déjà le truc en boucle et l’évolution dans

l’espace ! » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 34 Extrait d'une interview d'Anne Brouillard donnée lors des rencontres 2009 de « Livre comme l'air ». (Propos recueillis par

Pascal Broutin lors d'une conférence de Sophie Van der Linden).

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de plan organisé en constellations à partir de La terre tourne originale et intéressante. Dans

une vision chronologique de sa bibliographie, il s’agit de son douzième album sur ses vingt Ŕ

cinq édités en tant qu’auteure Ŕ illustratrice. Il est donc central dans sa bibliographie au regard

de ses œuvres réalisées en amont et en aval. Sur un plus large, au regard de la « cosmogo-

nie 35

», Anne Brouillard a écrit et illustré son album « à l’échelle du tout grand et à l’échelle

du tout petit dans l’ordre de l’univers » pour célébrer l’attente d’un enfant à naître. Ce mé-

moire se voudrait générateur d’énergie en faveur du talent36

d’Anne Brouillard, comme la

terre tourne et nous entraîne tous dans sa ronde, petits et grands, à l’image de sa conception de

la vie « unitaire ». Aux yeux d’Anne Brouillard, nous sommes tous égaux : les êtres humains,

les animaux et la nature qui est accueillante et protectrice dans son univers. Ainsi, le lecteur

peut y découvrir un message de protection de notre environnement. Elle parle du respect du

cycle de la vie que l’on peut rapprocher de la théorie des cinq éléments. Tant par le texte que

par les illustrations, elle sollicite les cinq sens. Autant de résonnances qui se retrouvent dans

ses autres albums. La terre tourne est un album complexe, tant au niveau de la mise en page

qu’au niveau des techniques approchées (album, Bande Dessinée, cinématographique), avec

des séries d’images séquentielles37

et d’illustrations à fond perdu en pleine page, son style

d’écriture, une véritable prose poétique … Autant de techniques et d’effets qui se retrouvent

dans ses autres albums. Ses thèmes sont d’une portée universelle, tout le monde est concerné.

Le lecteur se déplace « autour de la terre » dans des lieux différents38

, y rencontre des person-

nages humains et animaux, y découvre des objets, des environnements, au fil des saisons …

qui sont autant de résonnances à savourer et à partager, au rythme de la terre qui tourne, sur

elle Ŕ même et autour du soleil, entraînant ses satellites dans sa ronde à l’instar des autres al-

bums d’Anne Brouillard. Ce travail d’écriture depuis La terre tourne vers ses autres œuvres

correspond aussi à son style « en boucle ». L’organisation de ce mémoire se présente « à la

35 Théorie de la formation de l’univers. 36 Pour Sophie Van der Linden, (aussi), « cette œuvre ne rencontre pas le succès, qu’elle mériterait auprès du public. »

http://esaatcdi.canalblog.com/archives/2009/05/28/13887764.html

Elle a publié vingt-cinq albums qui séduisent autant qu’ils déconcertent. Elle précise également que le point de vue, le ca-

drage, l’ordre séquentiel des images est toujours un gros travail, et que le lecteur doit aussi faire un effort de reconstruction

de l’espace et du temps pour entrer dans son univers. http://webetab.ac-bordeaux.fr/Primaire/64/Orthez/CR/brouillard.pdf

« C’est précisément là que se situe le problème du spectateur lecteur : il ne parvient pas à faire les liens entre des illustrations

que son cheminement a contribué à isoler, éprouve des difficultés à identifier des personnages aux traits souvent flous et ne

saisit pas la cohérence narrative. » Patrick Joole, Les albums d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique. 37 « Les images séquentielles sont articulées iconiquement et sémantiquement. » La revue des livres pour enfants, N° 214, op.

cit., p. 64. 38 Contrairement à l’analyse de Christian Poslaniec et Christine Houyel : « Que va-t-il se passer ? L’auteur va-t-il choisir de

nous montrer une itinérance, comme, le suggère l’image ? Ou des personnes qui « restent toujours au même endroit » ? C’est

ce second choix qui prévaut, mais pour s’en rendre compte, les lecteurs doivent regarder soigneusement chaque image et

conclure qu’il s’agit toujours du même lieu : on voit le viaduc par la fenêtre, dans la scène om l’homme et le chien sont atta-

blés ; le viaduc est encore présent dans de nombreuses scènes ou, quand il n’y est pas, on voit des éléments présents dans les

images précédentes. En même temps se construit, dans cette histoire statique (même lieu), une double relation. … » Activités

de lecture à partir de la littérature de jeunesse, Hachette éducation, 2000, p. 215.

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manière de … ». Ainsi, il se lit à partir de La terre tourne, autour de La terre tourne pour re-

venir à La terre tourne.

De plus, La terre tourne est la source d’inspiration pour l’histoire sur laquelle elle tra-

vaille depuis quelques années et qu’elle appelle « le livre de ma vie » qui reprend tous ses

personnages (avec le magicien rouge entre autre) et même d’autres encore. Ce futur album

illustre comment l’imagination de son enfance, avec ses sœurs, se concrétise à l’âge adulte, en

tant qu’auteure Ŕ illustratrice de renom. (On y trouve une carte des mondes « à la Tolkien »,

un message écologique avec un risque de dérèglement climatique et une nécessaire biodiversi-

té dans l’écosystème. Nous y sommes tous interdépendants, les animaux humanisés sont de la

même taille que les êtres humains, on y découvre des inventions futuristes et écologiques

comme pouvoir voler avec un batteur à main qui crée des petits nuages quand on l’active …

« en tout cas, ça a l’air de fonctionner ! » reconnaît Anne Brouillard avec un large sourire

communicatif. La mise en page s’approche du roman graphique avec beaucoup de texte, des

phylactères, des illustrations encadrées et certaines de pleine page, surtout en noir et blanc …)

Il sera prêt dans deux ou trois ans, avoue t Ŕ elle. Le lecteur a hâte de le découvrir.

Et puis, tout simplement, parce que nous sommes des êtres humains, à l’image des

êtres vivants sur cette terre parmi et avec tous les éléments y circulant au rythme de cette terre

qui tourne au même rythme pour tous. « J’aime que l’on mesure que l’on ne mesure pas, rap-

peler ce dilemme que l’on est une si petite chose dans un univers en mouvement perpé-

tuel … ».39

Cette déclaration évoque au lecteur un autre dialogue entre Thomas et le Voyageur

où Thomas déclare que « l’Homme cosmique est considéré comme la deuxième vision

d’Hildegarde. 40

» Ici, le lecteur participe à cette circularité et l’homme fait partie de

l’univers.41

39 Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 3. 40 Gilles Clément, Thomas et le Voyageur, éditions Albin Michel, 2011, p. 95. 41 « L’homme n’est plus au centre du monde. (…) Il est quelque part dedans, tombé dedans, il est tout petit, il fait partie de

lui comme la feuille et le bambou, le grain de sable, le grain de lumière. Il est fragile, sa force est d’aller avec les autres

grains, sa faiblesse d’aller contre. (…) L’avenir dépend de cette force. Il n’a plus besoin de soumettre l’univers à lui-même, il

lui suffit de le comprendre. » Ibidem., pp. 97-98.

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A) Présentation de l’album : La terre tourne

(Quelques pages du carnet de croquis de l’album en annexe)

Dans son album, La terre tourne, Anne Brouillard établit des correspondances entre

l'espace proche, familier, et l'univers en mouvement, le tambour d'une machine à laver est par

exemple une métaphore de la terre qui tourne... Au rythme du temps qui passe, les gestes du

quotidien deviennent de véritables rites. »42

« Le texte est une poésie en prose avec des répétitions qui en créent le rythme. Les

doubles Ŕ pages sont organisées de manière similaire, exceptées les trois dernières. De haut en

bas sur la page de gauche : une grande vignette, un texte et une série de petites vignettes en

bas de la page. Sur la page de droite : une illustration à fond perdu… faite à la peinture à

l’œuf.43

Les couleurs44

sont très saturées. La narration par l’image est complexe. Elle raconte

un grand voyage, plus vaste que celui décrit par le texte seul. »45

Cet album fut édité pour la première fois par les éditions Le sorbier, en 1997. Étant

épuisé mais toujours recherché, il fut réédité en 2009 avec une retouche graphique au niveau

du titre.46

L’édition de 1997 présente un titre plat et horizontal de couleur verte alors que

l’édition de 2009 présente un titre légèrement arrondi de couleur rouge évoquant davantage le

mouvement de la terre. La première particularité de cet album est son format.47

En effet, nous

sommes face à un objet Ŕ livre quelque peu mystérieux car, pour reprendre les termes de So-

42 Source : http://www.livrejeunesse82.com/IMG/pdf/anne_brouillard_artiste-2.pdf 43 « Peinture à l’œuf ou « tempera » faite maison » in Citrouille n° 38 ; « produire une peinture en utilisant la technique pictu-

rale qu’elle utilise elle-même pour la réalisation de ses albums. A savoir un travail avec des pigments, de l’eau et un jaune

d’œuf. » http://webetab.ac-bordeaux.fr/Primaire/64/Orthez/CR/brouillard.pdf ; « Elle privilégie une technique ancestrale,

présente dès l'Egypte Ancienne "la Tempera", qui, pour elle, rend le mieux la lumière. Devant nos yeux, elle nous a préparé

ce mélange dont le jaune d'œuf représente le médium pour lier les pigments, naturels ou chimiques. L'art consiste à séparer le

jaune du blanc, de passer plusieurs fois le jaune d'une main à l'autre pour enlever complètement le blanc, puis de pincer la

peau du jaune pour la retirer. Il suffit ensuite d'ajouter des pigments et quelques gouttes de vinaigre blanc. »

http://esaatcdi.canalblog.com/archives/2009/06/12/14050595.html

« Par le fait que Rembrandt utilisait un mélange non pâteux de tempera et de couleur à l’huile, il obtenait des textures qui

rayonnent d’une extraordinaire puissance suggestive de réalité. La couleur chez Rembrandt devient une puissance lumineuse

matérialisée, à tensions multiples. » Johannes Itten, Art de la couleur, Dessain et Tolra, 1961, p. 14. 44 « Pour moi les couleurs sont des êtres vivants (…), les véritables habitants de l’espace. La ligne, elle, ne fait que le parcou-

rir, que voyager au travers. Elle ne fait que passer. » Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, op. cit., p. 116. 45 E. Audureau et C. Balladur, L’album de littérature de jeunesse, point de vue graphique et iconographique, Master LIJE 2,

2009-2010, p. 28. 46 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « À la demande de l’éditeur. Entre temps, les

éditions Le Sorbier ont été revendues aux éditions de la Martinière et l’équipe de graphistes a changé. Par un accord de con-

fiance, je laisse ce créneau à l’éditeur car il connaît mieux « ce qui marche pour vendre ». Ce sont les graphistes qui choisis-

sent la mise en forme et le choix de la typographie. J’ai juste un droit de regard mais ce n’est pas si important que ça. » 47 Ibidem. : « Parce que je ne pouvais pas faire un rond ! Alors, le cercle va atterrir dans le carré, c’est plus pratique et quand

on l’ouvre en plein, le livre donne un très long rectangle. » Michel Defourny constate que « relativement peu fréquent anté-

rieurement, le format carré connaît une grande vogue dans la dernière décennie du XXe siècle. » Voyage en littérature jeu-

nesse, Lire les images, Institut suisse Jeunesse et Médias, p. 36.

« Il faut être fidèle à la réalité du livre et non à celle de la réalité chaotique. » Elle a besoin de travailler directement dans le

format de la publication. « Je sens mieux le rythme, je sens plus vite ce qui ne fonctionne pas, le découpage en petit ne pré-

pare pas aux vraies difficultés. » Anne Brouillard pour Daniel Fano in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles".

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phie Van der Linden, La terre tourne est un album qui nous parle de « rondeur et circularité

pour un format carré … ».48

Ce format fut choisi pour ses qualités matérielles et sa tenue en

main. C’est un « format calme et sans tension … et le livre carré ouvert à l’avantage d’offrir

une double page panoramique »49

espace pleinement exploité par Anne Brouillard. La couver-

ture est cartonnée et l’album est non paginé. Pour la suite de notre analyse, nous avons paginé

l’album pour une lecture plus aisée. La première page sera la page de garde, page vierge de

texte dans les tons terre ocre - orangé. Ainsi les pages de droite ou belles pages seront im-

paires et les pages de gauche ou fausses pages seront paires. La page de titre portera le numé-

ro 3 et la narration commencera à la page 4. Cet album est dédicacé à Théodore, Maximilien

et Kitty. (Il s’agit de son amie Kitty Crowther, Maximilien son mari et Théodore leur premier

fils).50

L’effeuillage51

des vingt-huit pages de l’album s’organise de gauche à droite, dans le

sens de la lecture occidentale.

Après la page de titre, nous trouvons neuf double-pages presque régulières (le nombre

des vignettes en bas des fausses pages varie de quatre à sept). Hormis cette variation gra-

phique, l’organisation est stable :

- La page de gauche est partagée en trois parties dans le sens de la hauteur :

au centre du premier tiers en haut : une porte vitrée dans un cadre

au centre du deuxième tiers : le texte (de plus en plus court)

sur toute la longueur du dernier tiers : une bande de vignettes

- La page de droite est une illustration de pleine page à fond perdu.

Les liens et les relations entre ces différents éléments (illustrations et textes) seront l’objet des

sous Ŕ parties trois et quatre.

Les deux doubles Ŕ pages suivantes (pages 22 à 25) cassent ce rythme car nous sommes en

présence de deux doubles Ŕ pages muettes et illustrées à fond perdu. Notre rythme de lecture

s’en trouve perturbé « à la tourne » de la page 22.

En effet, « la lecture est doublement rythmée, par ses mouvements internes et par les

variations dans la succession des images. L’accumulation d’images accélère le rythme ciné-

tique mais ralentit la lecture du texte. Le fait de proposer à un moment du récit une grande

48 Sophie Van der Linden, Lire l’album, éd. L’atelier du poisson soluble, mai 2006, p. 138. 49 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 13 ; 17. 50 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 51 « Le montage s’apprécie dans un premier temps en fonction de l’effeuillage du livre. » La revue des livres pour enfants, N°

214, op. cit., p. 66.

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image, freine le rythme en stoppant le récit sur une pause longue ; il y donc un effet d’attente

… Les planches illustrées « ralentisseurs de lecture » rythment le parcours en répétant ou va-

riant les compositions, les couleurs, les cadrages. »52

- La dernière double-page reprend le rythme des premières pages avec une variation de

mise en page graphique, narrative et symbolique. La porte vitrée se retrouve non plus sous

forme de vignette en haut de la page de gauche mais en arrière plan de l’illustration pleine

page à droite. Qui plus est, un jeune enfant l’ouvre afin de passer pour s’avancer vers le lec-

teur.

- La page de gauche est partagée en trois parties dans le sens de la hauteur :

le premier tiers en haut est vierge et de fond blanc

au centre du deuxième tiers : le texte (qui renvoie au premier texte)

sur toute la longueur du dernier tiers : une bande de vignettes (la dernière renvoyant à

la première de l’album et au visage de l’enfant)

- La page de droite est une illustration de pleine page à fond perdu.

« Ici, comme dans tous les albums d’Anne Brouillard, c’est le cheminement vers la

résolution qui s’avère finalement plus passionnant que la solution elle-même. »53

Quel est-il

donc ce cheminement qui nous guide tout au long de cet album ? Car, finalement, qu’on le

découvre pour la première fois ou bien qu’on le parcourt à nouveau, La terre tourne inexora-

blement … et ceci est vrai pour tout lecteur. Que l’on se place à l’échelle de l’univers (macro-

cosme) ou d’une vie humaine (microcosme), la terre nous entraîne dans sa ronde. Anne

Brouillard « réussit à traduire avec art ce regard54

emprunt de métaphysique qu’elle porte sur

les êtres et les choses. Auteur, elle parle de cette ronde de la vie qui ici ou là fait naître, vivre

et mourir les humains que nous sommes. Metteur en page, elle donne une dimension cosmo-

gonique à son propos grâce aux vignettes illustrées ouvrant sur l’infini. Peintre, elle recourt à

des images chaleureusement colorées pour incarner la simultanéité de ces gestes accomplis

par les personnages que l’on suit de page en page : des humains et des animaux. … Pour par-

ler de la terre, ronde, et de la ronde de la vie, elle convoque ici et là dans ses images des

formes rondes bien sûr … Texte et image dansent en parallèle et se rejoignent pour nous

communiquer une vision de la vie à la fois douce et grave, comme apaisée. »55

52 Christine Plu, L’illustration littéraire et les relations « texte-image », Master LIJE 2, p. 15. 53 Sophie Van der Linden, op. cit., p. 138. 54 « Le paysage a changé, en effet. (…) L’important est-il dans le regard ou la façon de regarder ? … » Thomas et le Voya-

geur, op. cit., p. 17. 55 Source : http://librairielautrerive.hautetfort.com/archive/2009/04/18/la-terre-tourne-d-anne-brouillard.html

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À la lecture des pages de croquis de son carnet présentées en annexe, le lecteur se rend

bien compte du cheminement intellectuel suivi par Anne Brouillard pour réaliser cet album.

« Au départ, dans la construction de l’album, tout concourait vers la fête placée au centre du

livre. Je voulais représenter l’année, les mois, les jours et les moments d’une journée précis …

c’était un travail de représentation du temps trop complexe et impossible finalement ! 56

» Cet

album a une portée philosophique sur la temporalité car, au fil des pages, le lecteur peut sentir

le temps qui passe (dans l’espace et dans le temps). La terre tourne tout le temps, tout

l’univers est en perpétuel mouvement même si l’on ne bouge pas … on bouge quand même.

Quoi qui se passe, quoi qu’il arrive, la terre tourne et rien ne peut l’empêcher de tourner.

Qu’on le veuille ou non, le temps passe et il se passe tout le temps quelque chose.57

Le temps

se mesure aussi par le déplacement spatial et l’album est riche en déplacements : les gens

voyagent ou regardent les autres voyager, le train est omniprésent, le viaduc nous guide d’une

page à l’autre, le vocabulaire est riche de moyens de locomotion.58

Aussi, cet album riche des cinq sens alterne les passages forts avec d’autres plus

calmes. Toutes ces émotions donnent un rythme à la lecture : le quotidien, la fête, les saisons,

les couleurs, les jours et les gens qui passent … l’arrivée d’un enfant.

La terre n’est pas déserte, où que l’on se trouve, le monde est habité et l’on n’y est

jamais seul. Anne Brouillard nous entraîne dans un monde animiste où chaque élément est

vivant. Les êtres humains partagent leur vie et leur quotidien avec des animaux anthropomor-

phiques. Par touche, l’album nous raconte ce qui se passe dans la vie (naissance, mort, fête,

ville, campagne, mer, rencontres, voyages …). Nous assistons au cycle de la vie, un cycle

mystérieux, circulaire et sans fin. Cette dynamique rappelle l’album Tout change tout le temps

de Joël Guenoun.

Tout l’album tend vers une fête, une célébration et l’accueil d’un jeune enfant sou-

riant. « Les personnages s’assemblent sous l’arbre ou dans le pré autour de la table

d’anniversaire ou simplement du repas quotidien. La convivialité inclut les animaux et

l’environnement. Si intime soit-elle, la maison, grâce à ses nombreuses verrières, est large-

ment ouverte sur l’extérieur. Le temps devient palpable. Ses images reflètent l’harmonie uni-

56 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 57 « On ne dessine pas le temps. Mais le paysage est fait du temps comme il est fait de son érosion. Notre travail pourrait

commencer par là : laisser à l’image, à toute image quelle qu’elle soit, un champ libre pour se transformer, une chance

d’évoluer… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 15. 58 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « J’ai mis l’échantillonnage disponible des modes

de locomotion dans l’album. »

Page 20: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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verselle. »59

Tous les éléments de l’album prennent leur force symbolique en se retrouvant sur

la table à la fin. La chaise vide attend « la tourne de page » pour accueillir le jeune enfant à

table. Le lecteur participe à cet accueil et à cette célébration. Cet album est un éloge à la vie.

1) Au fil de la lecture

Le chien noir60

(personnage récurrent chez Anne Brouillard) est omniprésent. Il est là,

assis, présent, il attend ou accompagne les personnages tout au long de l’album. Progressive-

ment, nous allons faire la connaissance des dix personnages61

présents sur la première de cou-

verture,62

et finalement, nous allons découvrir ce qu’ils préparent : un repas festif pour célé-

brer l’arrivée d’un enfant. Le texte et les illustrations participent de ce cheminement vers la

droite (nous suivons les moyens de locomotion, nous enjambons les pages avec le viaduc et

les vignettes connectent les pages précédentes et suivantes). Nous tournons les pages comme

la terre tourne perpétuellement car, une fois la dernière page tournée, nous retournons au dé-

but … car d’autres enfants vont naître et d’autres vont partir (en voyage ou mourir).

Le personnage vêtu de rouge fait un signe de la main : les roulottes continuant leur

chemin, nous supposons qu’il arrive. Le lecteur va suivre le fil conducteur de la caravane, du

train et du viaduc jusqu’au petit garçon. Le texte parle de bébés qui naissent et, finalement, on

voit ce petit enfant arriver. Cette dualité dedans/dehors, rester/partir, renforce ce mouvement

circulaire qui nous entraîne avec la rotation de la terre. Nous naissons pour grandir et

l’homme évolue avec son temps (les caravanes à cheval vont devenir des trains à grande vi-

tesse). Ainsi, cet album nous parle aussi de notre évolution pendant que la terre tourne et que

les enfants grandissent. Tout ne serait que recommencement…

Les personnages arrivent les uns après les autres. Tout d’abord discrets, en arrière plan

à droite de l’illustration de pleine page, ils prennent leur place dans la page et dans l’histoire.

Seul ou par deux, c’est selon mais, finalement, nous pouvons les réunir par paire car la sépara-

tion humain Ŕ animal n’a pas de sens ici, tous partagent la vie et les voyages.

59 Source : http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 60 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « Ce chien de fauteuil est très ami avec le person-

nage en rouge. Il a même un nom maintenant, il s’appelle Killiok dans l’album sur lequel je suis entrain de travailler en ce

moment. » 61 Ibidem. : « À cette époque, je travaillais sur une exposition en « 3 D » et j’ai repris les dix personnages de l’exposition

dans mon album. » Ils se retrouvent d’ailleurs tout au long de son œuvre et vont par paire (humain / animal ou animal / ani-

mal). 62 Ibidem. : « Je réalise toujours les premières de couverture de mes albums. C’est la partie sur laquelle il y a le plus

d’échanges avec l’éditeur. J’ai crée celle-ci pour cet album précisément. Elle reflète le contenu de l’album et veut attirer le

regard et l’intérêt du lecteur. »

Page 21: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

21

Une fois réunis à la page quinze, ils vont cheminer vers la table dressée à la page

vingt-trois. C’est autour de cette table que nous les retrouverons assis63

et c’est sur cette table

que nous retrouverons les objets qu’ils ont préparés et collectés tout au long de l’album.

Pendant ce temps, au fil des saisons, un cycle de vie passe et l’enfant paraît. L’eau

symboliserait le liquide amniotique et nourricier (comme la terre est nourricière), l’écluse

serait le lieu de passage ou de délivrance et le bateau représenterait le cheminement d’un état

à l’autre. La lumière illustrerait l’éveil à la vie et l’enfant devient acteur de ses faits et gestes.

Maintenant, le lecteur peut prendre la main du petit enfant (le seul à avancer vers la

gauche) pour relire l’album comme une chasse aux indices : qui a préparé quoi ?

Cet album nous offre une double lecture. Les illustrations se complètent et

s’interpellent tout au long d’un cheminement alternant voyages, rencontres et pauses. Le texte

peut se lire comme une poésie en prose, narration en randonnée car la dernière phrase renvoie

au début du texte dans un mouvement circulaire « encore » tout comme la dernière et la pre-

mière vignette de bas de page de gauche. Par de subtiles résonnances, le texte et les illustra-

tions évoquent ce monde ressenti de l’intérieur ou de l’extérieur. Ainsi, même si les deux pos-

tures peuvent être autonomes, la lecture visuelle et la lecture narrative s’enrichissent et

s’embrassent dans de subtils va-et-vient que nous allons étudier pas à pas.

2) La description des illustrations

(Chemin de fer de l’album en annexe)

Anne Brouillard dessine et peint directement sur la page blanche de façon à laisser les

traits apparents. Ainsi, les cadres ne sont pas nets et, dans un esprit esthétique, le lecteur peut

voir les traces de son travail graphique.64

63 « Il en est de même à la fin de l’album La famille foulque où tous les personnages, humains et animaux, présentés dans le

cadre des quatre albums édités au Seuil, se retrouvent réunis autour d’un pique nique au bord de l’étang. » Ces deux images

résonnent et illustrent le thème de la convivialité, cher à Anne Brouillard et les résonnances entre ses albums, particularité

qu’elle peaufine tout particulièrement. 64 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 22: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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a) Les portes

Dès la première de couverture, la grande porte vitrée occupe une place centrale. Nous

la retrouvons dans une vignette rectangulaire, dans le premier tiers supérieur de toutes les

pages paires (de la page 4 à la page 20), puis, après une pause organisée par les deux doubles

Ŕ pages illustrées, elle prend la place centrale à la dernière page de l’album pour laisser passer

le petit enfant.

La porte symbolise un espace de passage d’un lieu à un autre : on passe une porte pour

entrer ou pour sortir. Elle permet d’ouvrir ou de fermer son espace. Elle est un symbole

d’accueil ou de protection. Cette porte étant vitrée, elle permet de voir à l’intérieur et à

l’extérieur et elle laisse passer la lumière.

« La porte symbolise le lieu de passage entre deux états, entre deux mondes, entre le

connu et l’inconnu, la lumière et les ténèbres, le trésor et le dénuement. La porte ouvre sur un

mystère. Mais elle a une valeur dynamique, psychologique ; car non seulement elle indique un

passage, mais elle invite à le franchir. C’est l’invitation au voyage vers un au-delà … Le pas-

sage de la terre au ciel s’effectue, par la porte du soleil, qui symbolise la sortie du cosmos, au-

delà des limitations de la condition individuelle. … En Chine, l’ouverture et la fermeture al-

ternatives de la porte expriment donc le rythme de l’univers. … Dans les traditions juives et

chrétiennes, … c’est elle qui donne accès à la révélation ; sur elle viennent se refléter les har-

monies de l’univers. … La porte est le symbole d’une cosmogonie. »65

65 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont / Jupiter, novembre 1996, p. 779-782.

Page 23: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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Ainsi, la porte illustrerait le titre de l’album car la terre est une planète qui tourne sur

elle-même, autour du soleil et participe de l’univers. « Elle s’entrouvre parfois puis se re-

ferme. Il va se passer quelque chose … un évènement s’annonce à travers cette porte. »66

Elle

est fermée au début de l’album et ouverte à la fin : l’enfant s’ouvre à la vie et est accueilli par

les personnages et le lecteur.

Sur la première de couverture, les personnages attendent à l’extérieur de la porte qui

est éclairée de l’intérieur. Elle est peinte des mêmes couleurs que le gros cercle lumineux. Elle

occupe toute la moitié droite de la page.

Les rectangles qui entourent la porte ne sont pas bien délimités, quelques traits de

crayons ou de peinture dépassent. Anne Brouillard ne veut pas enfermer l’espace et le cadre

reste ouvert sur le fond de page blanc.

Les couleurs de la porte, du cadre et de la lumière changent au gré des couleurs des

grandes illustrations des pages impaires en vis-à-vis. Accompagnant l’histoire et le récit, au

rythme des saisons, des jours et des nuits, des évènements et des lieux.

- Page 4 : les couleurs du cadre et de la porte rappellent les rochers au premier plan. Nous

sommes en « hiver » et la lumière qui filtre de l’extérieur est blanche rappelant la lumière se

réfléchissant sur la neige. La porte est fermée et dessinée en gros plan.

- Page 6 : les couleurs du cadre et de la porte évoquent les tons rouges et bruns de la ville.

Nous sommes en plein jour, « des petits coins de soleil » et la lumière qui filtre de l’extérieur

est jaune comme le soleil. L’œil du lecteur s’est un peu éloigné car on voit le reflet de la lu-

mière au sol.

- Page 8 : les couleurs du cadre et de la porte reprennent celles du décor nocturne, « la nuit est

tombée » sur le lac. La luminosité de la lune passe à travers et se reflète au sol par taches.

L’œil du lecteur s’éloigne un peu plus et la porte donne un effet de profondeur, comme si l’on

avait opéré un zoom arrière.

- Page 10 : les couleurs du cadre et de la porte renvoient à celles du train et de la fête foraine.

La lumière électrique du « manège » illumine à travers la porte. On se rapproche de la porte

légèrement entrouverte.

- Page 12 : les couleurs du cadre et de la porte sont les mêmes que celles de la maison Ŕ bis-

trot. C’est le « matin » et la luminosité est blanche. L’œil s’est à nouveau éloigné et le reflet

au sol reprend de l’importance. La porte semble entrouverte.

66 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 24: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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- Page 14 : la vignette est dans les tons rouge et orange. C’est « l’après-midi » et « la lumière

derrière la porte vitrée » est jaune et orange. Nous voyons l’intérieur de la pièce : de chaque

côté de la porte se trouve une table avec une chaise posée dessus.

- Page 16 : la vignette porte les couleurs de la salle de cinéma. Une lumière jaune filtre à tra-

vers : celle du soleil (vignettes de bas de page) ou celle du projecteur de cinéma (illustration

page 17). Devant la porte coupée (on ne voit pas le haut), deux fauteuils vides sont posés au

sol, face à face.

- Page 18 : les couleurs du cadre et de la porte sont celles du « train ». Un peu de vert évoque

la campagne traversée par le train. La lumière jaune du soleil filtre à travers les carreaux.

- Page 20 : le cadre et la porte ont les couleurs du paysage de la page 21. C’est le « lever du

jour » et une lumière jaune passe à travers. La porte est légèrement ouverte et laisse passer un

rai de lumière.

- Page 27 : en arrière plan, la porte occupe la moitié droite de la page. Par ses couleurs, elle se

fond dans le décor boisé. Une lumière jaune intense vient de l’intérieur et se reflète sur le sol

de l’allée. La luminosité passe d’autant plus que la porte est ouverte par un petit enfant qui

vient vers le lecteur. Il pousse un battant de la porte de la main gauche et a franchi le seuil de

la porte. Il a ouvert le passage, il est souriant, il s’ouvre à la vie.

Ainsi, la porte illustre bien ce passage entre l’intérieur et l’extérieur. Dans cet album,

elle laisse passer la lumière d’un lieu à l’autre, c’est un espace ouvert et chaleureux (le jaune

est la couleur la plus chaude67

). C’est devant la porte que les personnages attendent l’enfant

avec les présents et c’est par la porte qu’il s’avance vers eux, heureux et confiant. Le dessin

est statique mais évoque le passage du temps : par l’effeuillage de l’album car la porte ac-

compagne le cheminement des personnages et de la lecture.

b) Les illustrations de pleine page

Les illustrations de pleine page, dessinées à fond perdu, nous content l’histoire d’une

quête d’objets « symboliques » pour accueillir un enfant. Comme un album en randonnée,

elles s’enrichissent au rythme de cette ronde de la vie et de la terre. Les personnages arrivent

les uns après les autres des pages 5 à 13 pour ensuite vivre des évènements, voyager ensemble

(à différents moments de la journée et dans toutes sortes de lieux sur un an)68

et collecter. À sa

façon, chacun prépare la fête ou la célébration qui les rassemblera tous autour de la table

67 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 535. 68 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

Page 25: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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pages 24 Ŕ 25. De manière récurrente, les personnages arrivent tout d’abord discrètement, en

arrière plan : au centre pour les corbeaux puis à droite pour les autres, entraînant le lecteur à la

page suivante.

Les illustrations de pleine page occupent les pages de droite, les belles pages, celles où

l’œil du lecteur se pose en premier quand il tourne la page avec une rupture pour les deux

doubles Ŕ pages (22 Ŕ 23 et 24 Ŕ 25) où la lecture est uniquement iconographique. Le chemi-

nement s’organise entre des illustrations fixes (pages 7, 13, 15, 17, 21) à côté d’images de

déplacements (pages 5, 9, 11, 19).

L’effeuillage se fait d’autant plus naturellement que nous suivons le « train69

» sur le

pont70

, nous entraînant à tourner les pages vers la droite (dans le sens de la lecture occiden-

tale). Les personnages et les moyens de locomotion s’orientent et se déplacent de même vers

la droite de la page. « Tourner la page, c’est aller plus loin, ailleurs, changer de temps. »71

À la fin de notre lecture, nous reviendrons à la première de couverture et chaque élé-

ment trouvera sa signification au fil des pages, dans le cheminement de l’histoire. Les pein-

tures (à l’œuf) sont mates mais pleines de lumière et d’ombres. Anne Brouillard a choisi cette

technique aqueuse car le résultat est plus gras que l’aquarelle.72

Les images peuvent se lire à la façon d’un album muet mais, la compréhension

s’enrichit par le texte et réciproquement.

Première de cou-

verture73

Sur la première de couverture, un gros cercle lumineux évoque le soleil

et les traits de pinceaux illustrent le mouvement circulaire. Nous

sommes à l’extérieur (présence d’arbres) et les dix personnages regar-

dent le lecteur. Ce regard est une invitation à la lecture. Anne Brouil-

lard cherche à rendre le lecteur actif, elle nous interpelle. Ils ont l’air

heureux et ils semblent attendre (la majorité est assise). Ils sont comme

en pose devant un appareil photo. Les objets (gâteau74

, coffret, fleurs,

ballon rouge) évoquent une fête ou une célébration à venir. Les hu-

mains et les animaux sont traités de la même façon et vivent en harmo-

nie. Au nombre de dix, ils vont par paire. On trouve des animaux do-

mestiques (chat, chien) et des animaux plus sauvages (corbeaux).75

69 (Anne Brouillard a une véritable passion pour les trains. Petite, elle voulait être conductrice de train …). 70 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 777 : « Le symbolisme du pont, comme permettant de passer d’une rive à

l’autre, est l’un des plus universellement répandus. » Il représente donc le passage d’un lieu à l’autre, d’un état à l’autre. 71 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 22. 72 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

73 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 17 : La couverture « transmet l’atmosphère du récit. » 74 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « C’est un gâteau de fête. Ils attendent l’arrivée

du petit pour le manger ensemble car il est assez grand pour manger du gâteau ! C’est un gâteau traditionnel suédois (ma

mère est Suédoise) qui se fait par couches avec des fruits écrasés entre les couches, recouvert de crème fraîche et décoré de

fruits. »

75 Ibidem. : « J’ai une grande affection pour les oiseaux … et aussi pour tous les animaux en général. »

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Page 5

L’histoire commence en « hiver » dans un décor de neige76

. Les dépla-

cements orientent le regard vers la droite (le train sur le viaduc77

, la

caravane) et incitent le lecteur à tourner la page car l’histoire continue.

À l’origine, nous sommes des nomades : « Des gens s’en vont et s’en

viennent de par le vaste monde. Certains ne s’arrêtent jamais parce

qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le tournant du chemin. » Cette

idée de voyage est illustrée par les roulottes au centre de la page. Puis,

nous deviendrons sédentaires (la maison en arrière plan) : « D’autres

restent toujours au même endroit parce qu’ils sont très bien là. » ;

comme le chien noir78

assis. La présence des deux corbeaux79

symboli-

serait cette évolution. Ainsi, l’homme en rouge est descendu avec sa

valise, il est arrivé à destination et nous salue de la main. Plus l’œil du

lecteur s’approche du premier plan et plus les personnages sont sta-

tiques. Le chien noir attendait l’homme en rouge mais le lecteur aussi

(il nous regarde comme une invitation à le rejoindre). L’arbre peut il-

lustrer nos racines et le sol est plus chaud (il n’y a pas de neige sur les

rochers). Le chien est le compagnon de l’homme, c’est lui le fidèle qui

garde la maison et attend le retour de son maître. Il est aussi le guide

qui l’accompagne sur les chemins de la vie.

Page 7

Nous sommes maintenant dans un décor urbain « tout le bruit d’une

ville ». L’évolution de l’homme nous a conduits à l’ère du nucléaire

(deux cheminées de centrale nucléaire en arrière plan). Dans la ville,

des êtres vivants (animaux domestiques, animaux sauvages, être hu-

mains) s’animent. La femme en bleu et son chat jaune80

attendent

d’entrer dans le déroulement de l’histoire et nous regardent à la fenêtre.

Les corbeaux81

entrent par la fenêtre entrouverte. Les grandes vitres

laissent passer toute la lumière du soleil82

dans un lieu chaleureux : « la

fête qu’on prépare » (dessin et gâteau). Les animaux anthropomorphes

ont des activités humaines : le chien noir prépare le gâteau avec ses

pattes antérieures devenues des mains. Dans une vision animiste du

monde, chaque être est animé de vie. Les couleurs83

de premier plan

(rouge, bleu, jaune, noir, blanc) sont puissantes et contrastent avec les

couleurs de l’arrière plan (orange, marron, jaune, vert) plus mates. Cela

donne un effet de profondeur à l’image et le nuage blanc des cheminées

nucléaires ressort d’autant plus en arrière plan. Anne Brouillard joue

sur les complémentarités des couleurs pour donner cet effet d’harmonie

(les gens sont paisibles) et de contraste (les activités de la ville).

Page 9 L’histoire continue « au fil de l’eau ». « La nuit est tombée » et les six

personnages vont à la rencontre de la femme en vert qui les attend en

76 Neige que l’on trouve dans son univers dès ses premiers albums Petites histoires, 1993, Il va neiger, 1994. 77 Le train, le pont et ses arcades, motifs et décors récurrents dès son album Voyage, 1993. 78 Personnage récurrent que l’on rencontre dès ses premiers albums Petites histoires, 1993. 79 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 286 : « Il semblerait que son aspect positif soit lié aux croyances des peuples

nomades, chasseurs et pêcheurs, tandis qu’il deviendrait négatif avec la sédentarisation et le développement de

l’agriculture. » 80 Personnages principaux de l’album Mystère, 1998. 81 Animal « domestique » et anthropomorphe que l’on croise souvent dans l’univers imagier d’Anne Brouillard. 82 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 891 Ŕ 896 : « Le soleil est la source de la lumière, de la chaleur et de la vie. » 83 Couleurs et ambiance (nappe, chaise, lumière …) que l’on retrouve dans la maison de Kÿt, Mystère, 1998.

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haut du viaduc avec sa valise, près d’une charrette de paille (trace de

l’activité agricole dans « un endroit si calme ») : le train « bruyant » est

devenu une charrette « silencieuse ». La valise (sur le bateau et sur le

pont) illustre toujours cette idée de voyage : l’homme est toujours prêt

à partir quelque part (« où »). Par des jeux d’ombre et de lumière au

clair de lune, « on regarde les étoiles briller dans l’eau d’un lac ». Les

touches lumineuses (blanc et jaune) et les couleurs sombres donnent

une scène apaisante. Les personnages sur les bateaux ressortent par

cette luminosité et la femme sur le pont se fond dans l’arrière plan. La

Lune84

est le satellite naturel de la Terre qui l’accompagne dans sa rota-

tion permettant l’alternance des jours et des nuits dans un mouvement

perpétuel. Comme l’animal domestique pour l’homme, elle est sa com-

pagne fidèle. En regardant cette scène lacustre, on peut penser aux

« nymphéas de Monet » car on ressent les vibrations de la lumière dans

l’eau du lac.

Page 11

Nous retrouvons l’animation de l’activité humaine avec la lumière élec-

trique (le manège et le train). Tout est mouvement et rondeur : le ma-

nège et les avions tournent, le virage du train, l’arrondi des arbres. Les

objets aussi sont ronds : le ballon rouge85

, le manège86

, la tasse, les

verres, le dossier de la chaise, la table, les arcades du pont. Tout évoque

que « la terre tourne toujours dans les ronds … » qui l’accompagnent

dans sa ronde. Les deux canards87

apparaissent sur le pont, le chat

jaune accueille (comme un ami humain) la femme en vert avec une

poignée de « mains ». Elle arrive aussi avec une valise. La femme en

bleu a trouvé le ballon rouge et le montre joyeusement à l’homme en

rouge (tout sourire sur le manège). Les adultes et les animaux sont heu-

reux à la fête foraine (symbole de jeux enfantins). Les deux corbeaux

occupent le premier plan et boivent du champagne (boisson festive)

dans une posture anthropomorphe. Ils sont d’ailleurs les seuls à

l’intérieur alors que ce sont des oiseaux de plaine. Les deux coupes de

champagne et la tasse de café illustrent la convivialité et le plaisir

d’une boisson partagée.

Page 13

Nous revenons dans le quotidien, « dans l’air frais d’un matin de fin

d’été » et les neuf personnages sont installés tranquillement « dans l’air

doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café, dans les gouttes

de rosée et les pétales de roses ». Le chien est assis comme un humain

et lit le journal. Le chat jaune choisit des fleurs avec la femme en bleu.

Nous sommes toujours dans un monde anthropomorphe et les animaux

ont des compétences humaines. La cafetière rouge88

illustre cet instant

84 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 589 Ŕ 595 : « La lune est liée à la terre dans son essence même et c’est en

corrélation avec celui du soleil que se manifeste le symbolisme de la lune. Elle est symbole de transformation et de crois-

sance. La lune symbolise le temps qui passe, le temps vivant, dont elle est la mesure, par ses phases successives et régulières.

Passive et productrice de l’eau, elle est source et symbole de fécondité. » 85 Il se promène un peu partout dans l’univers visuel d’Anne Brouillard, dès le début, dans Promenade au bord de l’eau, 1996,

par exemple. 86 On le retrouve dans Voyage. 87 Personnage récurrent aussi dès Cartes postales, 1994. 88 Objet quotidien et présent dans de très nombreux albums dès Le pays du rêve, 1996.

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chaleureux et convivial du matin. La luminosité vient de l’intérieur de

la maison89

maintenant et nous réalisons que la porte récurrente (page

de gauche) est celle de la maison où ils se retrouvent. Le mouvement

s’exprime par « le premier train du jour », « l’écluse » et la péniche qui

est aussi une invitation au voyage sur l’eau avec « le reflet des nuages

qui tourne avec la terre. ». Même en pause, l’invitation au mouvement

et au voyage est toujours présente. Les personnages ont leur valise90

posée à côté d’eux et le reflet des nuages rappelle le mouvement perpé-

tuel de la terre. « Le chat » noir attend son tour « près de l’écluse ».

Page 15

Après l’hiver … l’été, la montagne, la ville, le lac, la campagne, …

nous sommes dans un village. L’alternance d’une saison à l’autre, d’un

lieu à l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur est illustrée par la femme en

vert, à l’extérieur de la maison91

mais regardant à l’intérieur par la fe-

nêtre.92

Où que l’on soit, quoi que l’on fasse, « la terre tourne même

quand on n’y pense pas » et le train traverse toujours et nous entraîne.

Les nuages93

dans le ciel sont étirés sous l’effet du vent qui les trans-

porte. Le mouvement est toujours présent même si l’on reste statique.

Les dix personnages sont maintenant rassemblés pour continuer

l’aventure ensemble. L’homme et l’animal vivent aussi dans un esprit

d’entraide illustré par l’échelle rouge. Comme pour les fleurs (page

précédente), la femme en bleu demande l’avis du chat jaune pour choi-

sir un petit gilet jaune.

Page 17

Statiques, nous le sommes dans une salle de cinéma (plan serré), bien

installés dans nos fauteuils devant l’écran. Le lecteur face au livre oc-

cupe la place de cet écran par le regard des personnages, mis à part le

chien noir qui lit le journal « pendant que les images défilent »94

. La vie

se déroule comme une bobine de film, avec un début « les bébés nais-

sent » et une fin « des gens s’en vont » alors que la terre poursuit sa

ronde. Le film cinématographique serait une métaphore de la naissance

et de la mort dans un éternel recommencement alors que la terre conti-

nue de tourner. Mais aussi, on se rassemble au cinéma pour partager la

vie des autres, une vie par procuration alors que nous sommes protégés

derrière ces portes. Dans cet espace clos, la lumière vient tant de

89 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « C’est un bistrot du bord du canal ouvert aux

aurores … 90 La valise représente bien le cheminement qui continue. »

91 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « Je dessine des maisons verticales et étroites car

ça fonctionne mieux dans le format de la page. Je suis aussi influencée par mon univers visuel familier car on trouve ce genre

de maisons hautes à Bruxelles. A l’époque, j’habitais dans une maison avec un œil de bœuf au grenier mais, on trouve beau-

coup ce genre de maisons avec des fenêtres rondes aux deux bouts du grenier en Belgique. » On les retrouve dans de nom-

breux albums : La maison de Martin, L’orage, par exemple.

92 « Je suis attirée par leur côté mystérieux … Elles signifient ce passage entre intérieur et extérieur, non ? Les fenêtres font

rentrer la lumière du dehors, la lumière et tout le paysage ; et de l’autre côté, quand on est dehors, on peut se demander ce

qu’il y a derrière … Le soir, quand elles s’allument, on voit des morceaux de vie … Dans les livres, elles sont pratiques pour

raconter les histoires, les gens et leurs lieux : elles permettent de passer, l’air de rien, d’un monde à l’autre. » Anne Brouillard

pour Ulrike Blatter, in Parole, 3/07, novembre 2007, p. 2. 93 Élément très important dans d’autres contextes imagiers tels que La maison de Martin, L’orage. 94 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « C’est comme une toile qui se déroule derrière

une vitre. À cette époque j’avais peint de grandes toiles de 12 mètres de haut qui se déroulaient à l’aide d’une manivelle. J’ai

repris le concept de cette exposition dans l’album. »

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l’arrière (hublots des portes et projecteurs) que de l’avant (lumière de

l’écran). Si le lecteur accepte cette posture active, il apporte aussi sa

part de lumière à l’album car il est vivant, lui aussi et participe donc à

cette ronde. Cette illustration provoque une cassure dans le rythme de

lecture : il n’y a pas de train ! Le lecteur s’arrête pour le chercher …

« le train passe peut-être à l’écran »95

? Par cette surprise, l’intérêt du

lecteur est relancé.

Page 19

Le train prend toute l’illustration et déborde même … Les dix person-

nages sont dans le mouvement maintenant. Ils sont « les voyageurs

dans le train qui voient passer le pays » et ils se dirigent vers le lecteur.

La ligne de la voie ferrée illustre la ligne de fuite vers un voyage sans

fin. Le point de fuite correspond aussi à la maison (ou la gare) : lieu où

l’on s’arrête. Les traits de construction de cette image guident l’œil

vers ce point et donnent une profondeur à cette surface plane qu’est la

page. La cime des arbres est inclinée vers la droite, nous incitant à

tourner la page pour découvrir où va le train. Le wagon du train sort du

cadre de la page, plongeant le lecteur dans cet espace ouvert (lumière et

ombres des fenêtres du train qui reprend la rythmique des rails à

l’arrière plan). Nous sommes entraînés dans ce voyage vers une desti-

nation que nous ne connaissons pas encore. Dans le train, les person-

nages vivent : certains discutent ensemble, d’autres regardent le pay-

sage, les chats boivent dans un « mug ».

Page 21

C’est « le lever du jour » et le soleil se lève à l’horizon derrière la mon-

tagne. Les personnages sont arrivés au bord de la mer et le train a repris

sa traversée de la page sur le viaduc, le voyage continue même si nous

assistons à « l’arrivée d’un bateau ». Même si nous sommes arrivés

quelque part, le mouvement est toujours présent. Les vagues illustrent

ce « va-et-vient de la mer ». L’homme et l’animal vivent toujours en

harmonie : le chien noir tient les chaussures de la dame en vert et le

canard aide à collecter des coquillages96

dans le coffre. Sont-ils partis

pour une chasse aux trésors ?

Toute cette symbolique participe d’un cheminement vers l’accueil d’un enfant : le so-

leil et la lune, les jours, les nuits et les saisons qui passent, la terre qui tourne, l’eau, la collecte

de présents, le voyage à travers le temps et l’espace …

Le rythme de lecture s’est organisé autour de cette alternance d’une page sur deux et le

va-et-vient entre les deux. Nous avons maintenant une rupture, une pause narrative. Le lecteur

est surpris. Les quatre pages illustrées vont permettre la mise en place du décor de la fête. La

lecture est uniquement visuelle et chaque élément de l’album prend sa signification.

95 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 96 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 283 Ŕ 284 : « La coquille, évoquant les eaux où elle se forme, participe du

symbolisme de la fécondité propre à l’eau. » Le coquillage est ce que l’on ramène en souvenir ou en cadeau, d’un séjour en

bord de mer.

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« Le livre carré ouvert a l’avantage d’offrir une double Ŕ page panoramique. »97

Pages 22 Ŕ 23

Le décor évoque les ciels tourmentés de Van Gogh. Tous les mouvements concourent vers la

droite, vers la table sur l’île. Le viaduc s’arrête en haut à gauche et tous les voyageurs sont

descendus du train, c’est le terminus. Les dix personnages arrivent en bateau sur l’île où les a

précédé le chien noir qui les attend avec une valise. Ainsi, le chien représente bien le guide

de l’homme. La table est vide mais prête à recevoir le banquet. C’est une table pour la fête

avec une nappe rouge et les chaises vides attendent les convives. La femme en vert tient aussi

une valise. Nous pouvons penser que les valises contiennent les couverts et tous les éléments

nécessaires au repas. L’homme en rouge apporte le gâteau et le bateau de la femme en bleu,

les fleurs et le ballon rouge. Les deux canards tirent le coffret sur un petit radeau. Chacun

participe à la préparation de la fête à sa façon. Au centre du tableau, le rouge98

vif de la

nappe et le vert99

brillant de la pelouse tranchent avec les tons mats du décor et les eaux du

lac100

participent de cette tranquillité du lieu. Le rouge et le vert sont des couleurs complé-

mentaires.

Le cheminement s’oriente vers une fête mais aussi vers l’accueil d’une nouvelle vie.

Pages 24 Ŕ 25

La table est dressée et les regards des convives convergent vers la droite, incitant le lecteur à

tourner la page pour découvrir qui est le dernier invité, celui qui va occuper la chaise encore

vide. Le paysage est boisé101

et la ligne d’horizon est lumineuse. La vue en plongée attire

l’œil du lecteur sur la table où sont déposés les objets collectés tout au long de l’album qui

prennent valeur de présents (le journal serait un carnet de voyages) et de partage (le gâteau

97 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 17. 98 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 831 Ŕ 833 : « Le rouge est universellement considéré comme le symbole

fondamental du principe de vie, avec sa force, sa puissance et son éclat … jetant comme un soleil son éclat sur toute chose

avec une immense et irréductible puissance. Le rouge vif … incite à l’action ; il est image d’ardeur et de beauté, de force

impulsive et généreuse, de jeunesse, de santé, de richesse … Ainsi, il est associé à toutes les festivités populaires, et spécia-

lement aux fêtes de … naissance. Au Japon, lorsque l’on veut souhaiter du bonheur à quelqu’un : anniversaire, … on colore

le riz en rouge. » Ainsi, cette nappe rouge augure un heureux évènement. 99 Ibidem., p. 1002 Ŕ 1007 : « Le vert entre avec le rouge dans un jeu symbolique d’alternances. Chaque printemps, la terre se

revêt d’un nouveau manteau vert, qui rapporte l’espérance, en même temps que la terre redevient nourricière. Verte est la

couleur du règne végétal se réaffirmant, de ces eaux régénératrices et lustrales, auxquelles le baptême doit toute sa significa-

tion symbolique. Vert est l’éveil des eaux primordiales, vert est l’éveil de la vie. Le vert est couleur d’eau comme le rouge est

couleur de feu, et c’est pourquoi l’homme a toujours ressenti instinctivement les rapports de ces deux couleurs comme ana-

logues à ceux de son essence et de son existence. » Le vert représente donc la nature vivifiante et la jeunesse ou la renais-

sance à la vie. 100 Ce lac, cette ambiance lacustre, est quelque chose de « très fort » chez Anne Brouillard. 101 Les arbres, la forêt, les allées arborées … font partie d’un paysage familier dans l’univers d’Anne Brouillard. « Je m’y

sens protégée », avoue t’elle.

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…). Le repas attend le dernier personnage car les assiettes sont vides et le gâteau est entier,

contrairement à la page de titre où il en manque les trois-quarts. Les illustrations sont organi-

sées en boucle comme la terre tourne inlassablement. Les postures des animaux jouent sur les

deux registres : naturelles et anthropomorphes.

Page 27

La dernière page de droite comble l’attente du lecteur : le petit enfant

se dirige vers les personnages de l’album qui se retrouvent à gauche

mais aussi vers nous qui sommes face à lui. Il ouvre la porte et sort de

la pleine lumière. Nous retrouvons la porte de la première de couver-

ture et nous comprenons l’objet de l’attente des dix personnages : la

boucle est bouclée. Ils sont venus pour accueillir cet enfant (qui a déjà

grandi) et célébrer un heureux évènement (anniversaire ou goûter) avec

lui. (Les enfants mesurent le temps qui passe au rythme de leur anni-

versaire car c’est un moment important et heureux pour eux). En reve-

nant à la double-page précédente, nous pouvons nous aussi lui offrir ses

cadeaux et partager le gâteau.

Une nouvelle lecture nous permettra de profiter du temps qui passe car l’enfant a déjà grandi

et la terre continue de tourner à la même cadence au fil de l’eau et des évènements.

c) Les vignettes de bas de page

Sur la page à fond blanc, ces vignettes sont peintes à l’encre et le trait est rehaussé par

des crayons de couleurs gras.102

Par quatre, cinq, six ou sept elles occupent invariablement le dernier tiers, en bas des

pages de gauche ou fausses pages. Par une volonté de ligature,103

la première vignette (à

gauche) reprend un élément de la page impaire précédente et la dernière vignette (à droite)

reprend un élément de la page de droite en vis-à-vis (sauf pour la première et la dernière). Par

sa mise en page originale, « Anne Brouillard veut montrer comment dans le « tout grand » on

trouve le « tout petit » et réciproquement. »104

Ainsi, le sens de la lecture se déroule de gauche

à droite et l’on passe d’une vignette à l’autre par un procédé qui s’apparente au « morphing »

cinématographique.

En effet, dans chaque bande séquentielle, chaque vignette est une évolution,105

une

transformation106

ou un changement de point de vue107

de la vignette précédente. Lors de

l’effeuillage de l’album, nous assistons au passage de ces bandes séquentielles à la manière du

102 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 103 Anne Brouillard utilise une technique similaire dans son album Le pays du rêve notamment, pour signifier le passage

d’une dimension à l’autre : du rêve à la réalité et réciproquement. La couleur s’incruste dans les vignettes en noir et blanc

vice et versa. Ainsi, à la tourne de page, le lecteur bascule naturellement d’un univers à l’autre. 104 Ibidem. 105 Technique reprise dans d’autres albums : Le sourire du loup, Promenade au bord de l’eau, par exemple. 106 Technique reprise dans d’autres albums : La grande vague, Voyage, par exemple. 107 Technique reprise dans d’autres albums : Le chemin bleu, Le temps d’une lessive, par exemple.

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déroulement d’une bobine de film cinématographique et la mise en page évoque des planches

ou « strips » muettes comme en Bande Dessinée. C’est « la succession des pages qui forment

le « film » de l’histoire. »108

Le contour des vignettes n’est pas net tout comme celui « des portes » pour les mêmes

raisons graphiques et symboliques. D’autant plus que chaque vignette découle de la précé-

dente.

Ainsi, ces vignettes de bas de page accompagnent le fil de la lecture du début à la fin

comme un guide. Ce cheminement est bien une boucle car, la dernière vignette de l’album (n°

55) renvoie à la première par un effet de travelling et de zoom : le visage de la dernière est un

gros plan sur celui du bébé de la première.109

Elles s’organisent aussi en écho avec le texte narratif et complètent ainsi les autres

illustrations. Les vignettes sont donc solidaires et ordonnées dans leur bande mais peuvent se

détacher pour imager un élément du texte.

Page 4

Cette première bande de cinq vignettes illustre la naissance :

- Celle d’un enfant dans le ventre maternel « de tout petits bébés grandissent bien au

chaud dans le ventre de leur mère ». Tout comme la terre est ronde, le bébé est dans un

cercle.

- Naissance de l’univers et des planètes « dans l’univers, entre les étoiles, elle se dé-

place lentement »

- Naissance de la matière et des éléments naturels

« tout est en tout » dans une conception philosophique d’unité du vivant.

Par un effet de « travelling » arrière, l’œil s’éloigne de plus en plus pour une vue d’ensemble.

Page 6

De la matière brute (le rocher ou la pierre) naît la civilisation urbaine. La société évolue avec

ce que lui propose le sol. Cette évolution prend du temps et « les ombres s’allongent » pour

finalement se redresser (les immeubles). « Des petits coins de soleil » permettent des cou-

leurs plus lumineuses au fil des vignettes.

108 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 19. 109 Technique reprise dans d’autres albums : L’orage, Le pays du rêve, Le rêve du poisson, De l’autre côté du lac, par

exemple. Le point d’arrivée correspond au point de départ, le lecteur revient sur ses pas, tout comme les personnages.

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Page 8

Par un jeu de formes et de couleurs, nous passons de fleurs blanches sur fond rouge au reflet

de la lune sur l’eau. Puis, par un changement de point de vue (en contre plongée) nous regar-

dons la lune dans le ciel. L’abstrait devient concret sous l’effet du pinceau.

Page 10

« La terre tourne toujours » et le reflet de la lune dans l’eau qui tourne, tout tourne dans un

immense tourbillon. Par un jeu de couleurs et de travelling avant et arrière, l’image repré-

sente le tourbillon du linge dans la machine110

(dessinée en 3D) ou du café dans la tasse.111

Ici, tout est rond et fait des ronds.112

Page 12

Par un changement de point de vue, on regarde le train défiler de trois - quart, puis devant

nos yeux. Par un effet de zoom arrière, les montants des fenêtres du train deviennent des pi-

quets d’une clôture puis, un portail d’entrée. Ces quatre vignettes expriment bien que la terre

tourne et qu’ainsi notre vision des choses évolue même sans bouger.113

Page 14

Le reflet des nuages dans l’eau bleue se transforme en branches d’arbre par un jeu de formes

évocatrices et de couleurs de plus en plus foncées. Les éléments de la nature sont représentés

par des effets d’ombre et de lumière.

110 Cette image renvoie à l’album Le temps d’une lessive, en écho. 111 Cette image renvoie à l’album Voyage, en écho. 112 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « Par des dessins fantaisistes, j’ai voulu passer

du reflet de la lune dans l’eau qui tourne, à la machine à laver qui brasse l’eau, au café comme il est remué dans la tasse. »

113 Cette idée renvoie à l’album Voyage où la fillette narratrice voit les gouttes de pluie et les paysages évoluer à travers la

vitre du compartiment du train dans lequel elle se trouve assise.

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Page 16

Chaque vignette enferme un élément rond : l’œil de bœuf d’une maison, fenêtres rondes114

de

portes de cinéma ou d’un bateau puis, par un effet de travelling avant, nous nous rapprochons

jusqu’à regarder le soleil. Dans les deux dernières vignettes, les traits de crayons de couleurs

renforcent le mouvement circulaire.115

Page 18

Nous retrouvons des inventions de l’homme qui invite à la circulation et au voyage :

l’écriture116

et le train. Le graphisme se déforme, la page d’écriture devient un tronc117

d’arbre et ce jeu de traits horizontaux et verticaux finit par donner naissance à une voie fer-

rée. Un autre élément de la nature exploité par l’homme : le bois.

Page 20

Cette séquence s’organise autour d’un travelling avant (les deux premières vignettes), une

transformation (la vignette centrale) et un travelling arrière (les deux dernières vignettes).

Ainsi, par ces changements de points de vue, le « mug » devient un phare.

Page 26

Par un zoom avant progressif, le nœud d’un arbre devient un visage souriant qui renvoie à

celui de l’enfant (page 27) mais aussi à celui de l’enfant de la première vignette (page 4).

Ainsi, la boucle est bouclée et « La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient

bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. … Pendant ce temps, d’autres bébés

grandissent bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la terre tourne encore. »

114 Ces images renvoient aux portes à hublot dans l’album Le pays du rêve. 115 Extrait de l’entretien téléphonique du 01/07/2010 : « Ces portes avec des fenêtres arrondies se trouvent sur les bateaux de

traversée, pour passer sur le pont, ou bien, au bout de certains wagons des trains français, pour passer d’un wagon à l’autre

par une double porte. On peut les trouver aussi à l’arrière des trains ou sur les portes des salles de cinéma. »

116 Cet aspect picto Ŕ graphique est tout particulièrement développé au fil des pages de l’album Cartes postales. 117 Troncs de bouleaux caractéristiques des forêts suédoises telles que le lecteur les découvre dans Mystère, 1998.

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3) Le fil de la narration : le texte118

« Le texte peut être lu indépendamment des illustrations comme une poésie en

prose.119

Il ne parle jamais directement des personnages des illustrations de pleine page. »120

Par touches, avec une alternance de phrases courtes et longues, nous cheminons au rythme de

la terre qui tourne. Nous avançons au rythme des saisons, des jours et des nuits, nous voya-

geons avec des moyens de transport, nous nous arrêtons pour vivre des évènements ou tout

simplement le quotidien … mais, quoi que l’on fasse, la terre tourne toujours et, à la manière

d’une ritournelle, chaque paragraphe (ou strophe) commence par cette vérité universelle « la

terre tourne ». Le verbe « tourner » est répété seize fois tout au long de l’album. Le vocabu-

laire comme la ponctuation, la narration s’organise autour de répétitions. À l’image des illus-

trations qui renforcent cette symbolique du temps qui passe, tout nous évoque ce mouvement

inexorable.

Avec une intention résolument optimiste, la narration nous parle de la vie qui va et

vient comme une ronde où tout le monde est entraîné, vers des lieux inconnus ou de nouvelles

rencontres car, même ceux qui restent sur place vivent dans ce mouvement imperceptible

mais visible dans toute chose qui bouge ou se déplace. Cette vision philosophique de la vie

nous entraînant, « au fil de l’eau121

», est illustrée par l’image du « pont » nous permettant de

passer d’un lieu à l’autre, d’une rencontre à l’autre. Nous sommes tous de passage sur terre.

La narration est écrite au présent.122

Ce choix temporel permet justement l’expression

du temps qui passe. Par le présent, le temps passe pareillement pour tout le monde et le quoti-

dien participe de ce présent de vérité générale : « la terre tourne ».

Cette force du voyage nous poussant toujours en avant s’interrompt par une pause nar-

rative de deux doubles Ŕ pages (pages 22 à 25). Nous sommes « arrivés à bon port 123

», tout

comme les personnages, nous pouvons « poser nos valises 124

» le temps d’une lecture visuelle

avant de retrouver le rythme narratif de la terre qui tourne à nouveau car, « de nouveaux bébés

vont naître » et nous continuons notre ronde de la vie. Ainsi, la prose revient pour nous rame-

118 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « J’écris comme ça me vient … ce que je res-

sens. »

119 Le lecteur peut aussi apprécier ce style de narration dans les albums Sept minutes et demie et Voyage, notamment. 120 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 121 Cet élément narratif est tout particulièrement à l’honneur dans l’album Promenade au bord de l’eau. 122 Anne Brouillard se place dans l’instant présent dans l’essentiel de son œuvre. Ainsi, le lecteur vit avec et au rythme des

personnages. Le lecteur participe au mouvement « ici et maintenant ». Chaque instant est unique. 123 Cette idée rappelle l’album De l’autre côté du lac, entre autre. Une fois arrivée, les personnages profitent pleinement de

l’instant avant de … repartir. 124 Cette idée rappelle l’album Le chemin bleu, où le personnage est parti puis revient « poser sa valise ».

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ner à la réalité du quotidien. Les quatre saisons sont passées et l’enfant est devenu acteur de sa

vie tout comme le lecteur est actif dans son interprétation.

La pause illustrative a occasionné un changement de mise en page aussi. En effet, des

pages 4 à 20, le texte se trouve invariablement au centre des pages de gauche, ou fausses Ŕ

pages, inséré horizontalement entre « la porte » et « les bandes séquentielles illustratives »

alors que la dernière page redonne toute sa force au texte : il est central et reprend l’ampleur

du début. Après avoir été réduit à deux lignes (page 20), le lecteur reprend un rythme de lec-

ture longue qui renvoie à la première page (4).

Ainsi, tout participe de ce rythme à la fois tranquille et fort. À la manière des illustra-

tions (premières et dernières vignettes) et de l’orientation des personnages des premières (vers

la droite) et de la dernière page (vers la gauche) en vis-à-vis, le dernier texte commence par la

même phrase que le premier « la terre tourne tranquillement » et les évocations sensorielles

s’interpellent : « vent d’hiver, porte claque, le va et vient … ».

Page 4 :

« La terre tourne tranquillement. Dans l’univers, entre les étoiles, elle se dé-

place lentement. Pendant ce temps, de tout petits bébés grandissent bien au

chaud dans le ventre de leur mère. Le vent d’hiver souffle dans la plaine. Les

arbres grincent. Une porte claque. Des gens s’en vont et s’en viennent de par

le vaste monde. Certains ne s’arrêtent jamais parce qu’ils veulent voir ce

qu’il y a derrière le tournant du chemin. D’autres restent toujours au même

endroit parce qu’ils sont très bien là. »

La première phrase reprend le titre de l’album. Les adverbes nous pose dans un uni-

vers calme : « tranquillement, lentement » et annonce le rythme de lecture. Cependant, la pré-

sence de phrases très courtes et de verbes sonores « grincent, claque »125

annonce des pauses

fortes dans ce rythme universel. Nous sommes tous entraînés au même rythme de la terre mais

nous faisons chacun des choix : « aller-venir, partir ou rester ». Le texte est en prose mais on y

trouve des sonorités récurrentes : « terre, univers, mère, hiver » ; « tranquillement, lentement,

pendant, temps, ventre, vent, gens, s’en, tournant » qui donnent une tonalité poétique au texte.

Le lecteur lit mais ressent aussi la narration. De part son vocabulaire, Anne Brouillard solli-

cite nos sens et nous interpelle sur le temps qui passe au même tempo mais que nous vivons

au rythme des cycles humains et naturels.

Page 6 :

125 Ambiance sonore que le lecteur retrouve dans Sept minutes et demie, Le chemin bleu, par exemple.

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« La terre tourne et avec elle, des mots et des sons mélangés, des petits coins

de soleil, des avions qui passent haut dans le ciel, le bourdonnement d’une

mouche, l’autobus qui démarre, les chemins qui ne s’arrêtent pas, les bébés

qui grandissent, les ombres qui s’allongent, la fête qu’on prépare, tout le

bruit d’une ville. »

La terre entraîne tout dans sa ronde. Rien n’y personne n’y échappe, la vie avance et le

temps passe : « les bébés grandissent, les ombres s’allongent …» sans s’arrêter : « les che-

mins qui ne s’arrêtent pas ». Le soleil accompagne toujours la terre dans sa ronde. Cette

longue phrase énumérative qui semble ne jamais s’arrêter sonne par ses noms évocateurs de

bruits : « sons, avions, bourdonnement, autobus, fête, bruit, ville ».

Page 8 :

« La terre tourne encore quand la nuit est tombée et qu’on entend partir le

dernier train du soir. On regarde les étoiles briller dans l’eau d’un lac, dans

un endroit si calme qu’on entend chaque bruit, le clapotis de l’eau, le cra-

quement d’une branche, les mots d’une conversation. On se demande où s’en

va le soleil, où vont les gens du train, où sont ceux qui sont morts, ce que de-

viennent les endroits qu’on ne voit plus, où sont ceux qu’on ne connaît pas

encore. »

La terre est personnifiée et sa ronde est inéluctable : « encore ». Par la récurrence du

pronom indéfini « on »126

tout le monde est concerné par ces questions métaphysiques autour

de la vie et de la mort. Ce texte se lit en résonnance : la nuit / le soleil ; calme / bruits ; aller /

mourir ; passé / avenir. Que ce soit dans le temps « quand » ou dans l’espace « où », nous

cherchons à comprendre le monde alors que « la terre tourne encore » car elle ne s’arrête ja-

mais même si l’on s’arrête pour « entendre et écouter ».

Page 10 :

« La terre tourne toujours dans les ronds de fumée, dans les bruits des cou-

verts et les tintements des verres, dans les gouttes de pluie qui font des ronds

dans l’eau, dans les roues d’un vélo, au son d’un manège, dans le claque-

ment d’une porte. »

L’adverbe « toujours » renforce l’idée que cette ronde est éternelle. Tout ce qui nous

entoure nous évoque cette ronde, même les sonorités, même les bruits secs et nets : « claque-

ment ». L’allitération en « r » accompagne musicalement cette ronde perpétuelle : « terre,

tourne, toujours, ronds, bruits, couverts, verres, roues, porte » présente « dans » notre envi-

ronnement car cela nous la rend perceptible.

126 Pronom personnel sujet récurrent dans Voyage aussi.

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Page 12 :

« La terre tourne dans l’air frais d’un matin de fin d’été, dans l’air doux où

traînent quelques paroles et l’odeur du café, dans les gouttes de rosée et les

pétales de roses. Et le reflet des nuages tourne avec la terre. Et les bébés qui

vont naître, et le chat près de l’écluse, et le premier train du jour, tournent

avec la terre. »

Le temps et les saisons passent. Le présent prend une valeur de futur proche « les bé-

bés qui vont naître » et la répétition de « et » accumule les preuves de ce temps qui passe car

tout « tourne avec la terre ». L’assonance en « é » adoucit ce tourbillon qui nous entraîne :

« été, café, rosée, pétales, reflet, bébés, écluse ».

Page 14 :

« La terre tourne même quand on n’y pense pas, quand l’après-midi

s’annonce doux, au coin d’une rue, à l’ombre d’un arbre, à l’abri du vent qui

ne cesse de transporter des nuages d’un bout à l’autre du pays. Elle tourne

dans l’odeur de l’asphalte au soleil, dans la lumière derrière la porte vitrée.»

Ce mouvement de la terre est inévitable. Même si nous l’oublions, il existe et nous

entoure. Nous ne pouvons pas maîtriser le temps qui passe127

, il nous accompagne partout. La

nature est là pour nous le rappeler : « le vent, les nuages, le soleil » par toute sorte de sensa-

tions : « douceur, chaleur, odeur ». « Même » « à l’abri » nous ne pouvons lui échapper.

Page 16 :

« Elle tourne, la terre, dans des lieux où les bruits sont étouffés par de gros

tapis moelleux. Elle tourne au son d’une musique qu’on entend derrière la

porte. Pendant que les images défilent, les bébés naissent, les arbres grandis-

sent, des gens s’en vont, les voitures s’arrêtent aux feux rouges dans la nuit

orange des villes. La terre tourne dans un moment de silence. »

Par une mise en apposition de la terre, ce texte casse le rythme de lecture. Le lecteur

est surpris et la narration reprend un nouveau souffle. Ce paragraphe est toujours sonore

« bruits, son, silence » mais aussi visuel et coloré « rouges, orange ». Que l’on soit à

l’intérieur ou à l’extérieur, dans un lieu bruyant ou calme, en mouvement ou arrêté, la vie con-

tinue au rythme de la terre qui tourne. Maintenant, « les bébés naissent », ils sont prêts à en-

trer dans cette ronde. Nous pouvons y lire le temps qui passe : « les bébés grandissent dans le

ventre de leur mère, les bébés grandissent, les bébés vont naître, les bébés naissent ».

Page 18 :

127 Même quand le réveil s’est arrêté dans la maison abandonnée dans Le pays du rêve, le temps passe et continue son érosion

inéluctablement.

Page 39: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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« Pendant que la terre tourne dans un sens, un train roule dans l’autre sens.

Les voyageurs dans le train voient passer le pays, les habitants du pays re-

gardent passer le train. »

Même la simultanéité n’enraye pas cette ronde. Nous ne pouvons pas remonter le

temps. Que l’on aille dans un sens ou dans l’autre, que l’on soit en voyage ou sur place, la

terre tourne pareillement pour tout le monde. Pour Anne Brouillard, « le train 128

» symbolise

ce cheminement. « Par la fenêtre du train, nous voyons défiler le paysage tel un film.129

La

fenêtre du train s’apparente à un écran de cinéma. »130

Page 20 :

« La terre tourne avec l’eau des rivières, le va-et-vient de la mer, le souffle

du vent, le lever du jour, l’arrivée d’un bateau. »

La rotation de la terre accompagne toute vie.

Page 26 :

« La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient bien au chaud

dans le ventre de leur mère sont nés. Ils claquent les portes, écoutent le vent

d’hiver. Ils vont et viennent de par le monde, attendent la lune la nuit au bord

d’un lac, écoutent la mer, la musique derrière la porte, l’autobus qui ralentit,

le craquement d’une branche, le son d’une cloche. Pendant ce temps,

d’autres bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la

terre tourne encore. »

Ce dernier texte est une incitation à une relecture car, chaque proposition rappelle un

passage antérieur. Nous retournons au début : « la terre tourne tranquillement ». Ainsi, la nar-

ration devient une ronde, au rythme de la terre qui continue de tourner sans jamais s’arrêter, et

toujours au même rythme, quoi qu’il se passe. Ainsi, le passé « grandissaient » ; « sont nés »

nous positionne après la naissance, et, comme les enfants vivent le monde, nous allons relire

le texte à la lumière de notre première lecture. Par un changement de point de vue, les bébés

deviennent acteurs et sujets :

- Ils claquent les portes / une porte claque (p. 4) ; le claquement d’une porte (p. 10)

- écoutent le vent d’hiver / le vent d’hiver souffle (p. 4)

- Ils vont et viennent de par le monde / des gens s’en vont et s’en viennent … (p. 4)

128 Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, op. cit., p. 961 Ŕ 963 : « Le train s’inscrit parmi les symboles de l’évolution. Le réseau

de Chemin de Fer, assurant le transport des voyageurs et des marchandises, met ainsi en liaison toutes les régions d’une

nation, voire de plusieurs continents, et permet toutes les communications et tous les échanges. Il s’affirme comme une image

du principe cosmique impersonnel, imposant sa foi et son rythme inexorables. C’est l’image de la vie collective, de la vie

sociale, du destin qui nous emporte. » Tout le monde partage la vie sur Terre dans l’unicité de sa ronde. 129 L’album Voyage illustre parfaitement ce défilement du paysage alors que les voyageurs sont assis dans le train qui passe. 130 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010.

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40

- attendent la lune la nuit au bord d’un lac / la nuit est tombée … l’eau d’un lac (p. 8)

- écoutent la mer / le va-et-vient de la mer (p. 20)

- la musique derrière la porte / une musique qu’on entend derrière la porte (p. 16)

- l’autobus qui ralentit / l’autobus qui démarre (p. 6)

- le craquement d’une branche / le craquement d’une branche (p. 8)

Ils sont entrés dans cette ronde qu’est la vie. La terre continue de tourner « encore » et

le cycle de la vie perdure simultanément « pendant ce temps, d’autres bébés grandissent bien

au chaud dans le ventre de leur mère ». Ce ne sont pas les mêmes bébés, car tout se renouvelle

dans le changement au rythme de la terre qui tourne, nous entraînant, toujours dans le même

sens et toujours à la même cadence.

Sous Ŕ conclusion

Le projet initial d’Anne Brouillard était de réaliser un album qui traiterait parallèle-

ment du déroulement d’une année entière (la terre tourne autour du soleil en une année) et

d’une journée (la terre tourne sur elle-même).131

Ainsi, la narration commence et finit en hiver

avec des pauses et des évènements à différents moments de la journée. « Tout commence par

une histoire, … qu’elle soit spontanément proposée par l’auteur - illustrateur. »132

Ici, un coup

de téléphone de Kitty Crowther lui annonçant sa première grossesse, alors qu’elle-même se

trouvait en plein centre de Paris, dans un univers bruyant et lumineux, en a été le déclen-

cheur.133

Elle voulait montrer la dualité dans la globalité (le « tout petit » dans le « tout grand »,

l’intérieur et l’extérieur, le côté chaotique face au silence134

) alors que le cheminement conti-

nue : des gens voyagent de par le monde à des endroits différents, et la terre tourne toujours,

imperturbablement.

Le texte et les images sont presque indépendants. Cependant, par le voyage, au rythme

des relectures, les liens se tissent et se croisent. Nous mesurons le temps qui passe par les dé-

placements (textuels et visuels) et les évènements. Par son phrasé, ses vignettes, le train, le

pont … Anne Brouillard nous montre que tout bouge tout le temps au rythme de départs, de

pauses et d’arrivées.

131 Ibidem. 132 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 7. 133 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 134 Ibidem.

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Cet album est l’œuvre d’une auteure Ŕ illustratrice mais nous trouvons deux narra-

teurs. Les vignettes, en suggérant « l’avant et l’après, les similitudes entre les choses proches

et les choses lointaines »135

, illustrent le fil de la narration de « mise en page » par ces liga-

tures entre les pages. Le narrateur visuel montre les personnages (humains et animaux en-

semble) qui se rejoignent, voyagent un peu partout, à différents moments, utilisent différents

moyens de locomotion, collectent des objets et préparent la fête du jeune enfant. Le narrateur

textuel, omniscient, écrit une poésie en prose sur le temps qui passe, quoi que l’on fasse, où

que l’on soit, la terre tourne invariablement pour tous et partout, tout le temps, de la même

façon. Chacun prend son train et passe le pont.

Par cet album emprunt de questionnements métaphysiques, nous cherchons à com-

prendre le monde, celui qui nous entoure et celui qui nous échappe. « Le lecteur interprète

l’œuvre, lui donne un sens plus particulier selon ses propres schémas de pensées, ses attentes,

ses questionnement du moment. Cette nouvelle conception de la lecture a elle-même généré

de nouvelles manières d’écrire et de publier pour les enfants. »136

« Pendant que les bébés poussent dans le ventre de leur mère », cet album interroge la

notion de tout ce qui se passe en même temps tout autour, par ces bruits de toutes ces vies

entrecroisées et le silence137

. « L’album sert de support, … pour apprendre aux enfants non

seulement à lire, mais aussi à structurer leur pensée, à comprendre le monde, les autres. »138

Ainsi, cet album, « dans sa singularité esthétique, invite ses lecteurs à une expérience littéraire

inédite, une expérience de l’intranquillité. »139

dans ce monde qui peut être tranquille parfois,

bercé par la terre qui tourne.

135 Ibidem. 136 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 5. 137 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010. 138 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 6. 139 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 40.

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B) Quelques résonnances lexicales et thématiques

Analyser et comparer les résonnances « textuelles » à partir du texte de La terre

tourne et en tenant compte des seuls textes, indépendamment des illustrations est justifiable

par la déclaration d’Anne Brouillard qui avoue « travailler le texte indépendamment, pour le

texte en lui-même, le texte en tant que texte à part entière. Dans Le rêve du poisson, il y a

beaucoup d’informations dans le texte, je n’ai pas la même liberté que pour les textes poé-

tiques comme La terre tourne, Sept minutes et demie par exemple. »140 Cependant, les textes

entrent en résonnance par constellations entrecroisées aussi. Ainsi, par exemple, la lecture

d’un texte comme Le chemin bleu (avec le cheval blanc141

) va évoquer le cheval blanc dans

Le rêve du poisson. Le silence est aussi un thème évoqué dans de nombreux albums tout

comme le mystère … Ce travail est d’une telle ampleur que la place nous manque ici. Cette

amorce reste donc une invitation à lire et relire les albums d’Anne Brouillard à la lumière de

tous ses albums.

Son premier album avec texte est Voyage et date de 1994. Il s’agit de son cinquième

album édité. Au regard de sa bibliographie en tant qu’auteure Ŕ illustratrice, elle a réalisé

quinze albums avec texte sur vingt cinq albums en tout.

Anne Brouillard reconnaît, que le texte prend de plus en plus de place dans ses al-

bums :

« - Vous donnez beaucoup de place à l’écriture. Maturation naturelle ou envie secrète depuis long-

temps?

- Cela dépend du genre d’histoire. Dans Le pays du rêve et Le chemin bleu il y avait déjà pas mal

d’écrit. Le rêve du poisson avait besoin de passer par l’écrit, car il y a des choses que je ne pouvais

pas mettre dans les images uniquement. J’aime écrire et je sens bien aussi qu’il y a une évolution

dans mon travail.

- L’alternance du récit en images et de l’écrit libère des pages entières traitées en bande dessinée,

assez proches du roman graphique …

- C’est ce que je sens évoluer dans mes projets qui ne sont pas encore aboutis. J’aimerais intégrer

des passages en vraie bande dessinée, avec des bulles et du texte, des dialogues. Mais ce n’est pas

calculé d’avance, cela vient naturellement dans la façon de travailler qui est, une fois de plus, liée

à l’histoire. »142

En effet, au regard de ses premiers et de ses derniers albums, le narrateur textuel est de

plus en plus prolixe, fort, voire prédominant parfois. « Le texte et les illustrations sont plutôt

140 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 03/12/2010. 141 À ce propos, lors de son exposé, « Les albums d’Anne Brouillard, un miroitement aquatique », Patrick Joole remarque très

justement que « la présence récurrente d’un cheval blanc est l’indice de ce Pays où l’on n’arrive jamais (André Dhôtel) ainsi

que l’image de ce paradis perdu, objet d’une quête impossible. Mais, chez Anne Brouillard, l’objet de la quête est moins

important que le caractère circulaire de l’itinéraire qui permet au promeneur de participer à sa manière à la marche du

monde. » Car, elle reconnaît avoir été marqué par cette histoire qu’elle a entendu sous forme de feuilleton radiophonique

dans son enfance. « C’est l’ambiance mystérieuse qui m’a marqué et dont je garde un profond souvenir. Par contre, je crois

que Gaspard est le prénom du garçon. Dans l’album, c’est le chat qui s’appelle Gaspard », comme chez Claude Roy … 142 http://www.hebdodesnotes.com/analyse/auteur.php/auteur/719868/BROUILLARD-Anne

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complémentaires dans Le temps d’une lessive par exemple. Les autres, sont plutôt indépen-

dants. »143

Cependant, la mise en page de l’album ménage presque toujours des doubles pages

d’illustrations de pleine page à fond perdu car, nous restons dans le domaine de l’album144

avec une illustration narrative à part entière aussi.

« J’ai choisi illustration et pas peinture dans mes études ! Le côté narratif … travailler pour mettre

l’image au service de quelque chose de littéraire, l’image qui raconte quelque chose, j’avais envie

de faire des livres mais j’avais l’impression d’y voir une limite, hors, il n’y en a pas, c’est sans fin

… Je fais des livres pas spécialement pour les enfants mais pour les enfants aussi, ce n’est pas si

simple à expliquer … le créneau est d’une grande liberté, les possibilités sont énormes en fait. »145

Le texte explique, éclaire, guide le lecteur qui pourrait s’égarer dans diverses interpré-

tations non voulues par le narrateur visuel. Comme le dit Catherine Tauveron,146

« tout n’est

pas permis dans l’interprétation » ainsi, la lecture du texte est une lecture à part entière, la

lecture des illustrations en est une autre et les deux associées s’éclairent pour générer d’autres

lectures texto Ŕ imagières, celles de l’album, « puisque le système narratif de l’album pour

enfants (…) est fondé sur un dispositif qui entremêle de manière spécifique textes et

images. »147

Mais aussi Anne Brouillard précise quand le texte devient nécessaire :

« - Le texte vient quand ?

- Je les commence en parallèle, j’ai tendance à terminer par le texte, point final après les images.

J’ai eu un problème d’emplacement dans Le grand murmure, de part la limite de la place laissée

pour le texte … En fait, chaque album a son histoire, cela dépend du sujet, de ce qui est raconté.148

Le grand murmure par exemple est plus sobre, c’est une conversation téléphonique entre deux en-

fants, l’espace entre les deux cabines téléphoniques, le déplacement des personnages, le rapport

entre le texte et les images, les enfants ne voient pas ce qui se passe dans les images. Ici, le texte

fait partie du paysage. Un livre est une perpétuelle construction, tout n’est pas conçu avec un dé-

but et une fin et des suites logiques. Une histoire dans un espace, ce qui est raconté dans texte et

image, c’est cet espace. Dans Le rêve du poisson, Le pays du rêve, c’est vraiment une histoire avec

des données, il y a des choses qui doivent être expliquées dans le texte pour situer les actions. La

terre tourne, encore plus libre, ce texte là …

- Tous les thèmes de tous vos albums sont en germe dans la première page ?

C’est l’histoire des chemins, des gens qui ne s’arrêtent jamais.

- Revenir au point de départ, il y a beaucoup de tendresse, dans l’harmonie, pas d’agressivité. On

croise toujours l’homme dans un environnement qu’il comprend, il connaît sa juste place, même

l’orage n’est pas dévastateur, et l’homme se sent rassuré, dans une contemplation paisible.

- Dans La terre tourne, je pense que c’est vrai. Le rond amène à la boucle, la douceur.

- La forme ronde dans vos livres.149

Le côté boucle, tout tourne en rond, on tourne en rond.

- C’est mon interprétation de la vie, ce qu’on va mettre dans un livre, la façon dont on ressent

l’existence. On revient au même endroit souvent, on ne peut pas s’échapper de soi où qu’on aille.

Le retour, on est, on vit, on meurt, ça continue et c’est sans fin. » 150

143Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 03/12/2010. 144 J. F. Massol, in Texte et images dans l’album et la bande dessinée pour enfants, Scérén, CRDP Académie de Grenoble,

2007, p. 11 : « … dès que l’on a tenté de mettre en lumière l’unicité de l’album, on est obligé de laisser leur place aux diffé-

rences, la première et la plus centrale se situant dans le rapport entre textes et images. » 145 Rencontre au salon « vivons Ŕ livre » à Toulouse le 07/11/2010. 146 Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Hatier, 2002, p. 31 : « Les droits du lecteur ne peuvent outrepasser les

droits du texte. » 147 J. F. Massol, op. cit., p. 27. 148 Chez Anne Brouillard, la technique tout comme le texte sont au service de l’histoire racontée. 149 Ne serait-ce que par cette construction en boucle qui se réitère à l’infini, de fait, il y a des répétitions logiques, avec une

idée d’histoires sans fin. Style d’écriture qui lui tient à cœur depuis son enfance. 150 Rencontre au salon « vivons Ŕ livre » à Toulouse le 6 novembre 2010, extrait de l’interview par Nicole Folch.

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Cette structure en boucle se retrouve aussi au niveau de ses textes. Par une lecture or-

ganisée en cercle certes, mais, tout comme ses images ne sont pas cernées et les bordures de

ses cadres sont floues, au rythme des lectures successives, les cercles s’élargissent par

couches superposées. L’analogie peut se faire aussi avec sa technique artistique plastique car

ses peintures sont réalisées par des couches fines, transparentes les unes sur les autres avec du

crayon de couleurs par ci par là afin de rehausser les couleurs ou donner des effets de lumière.

Ainsi, le narrateur textuel incite le lecteur à revenir au point de départ, au début du texte et

cette lecture circulaire s’apparente à des spirales de plus en plus larges jusqu’à … l’infini. Par

ces cercles concentriques, le lecteur ne repart jamais vierge mais plus riche pour une nouvelle

lecture, une nouvelle histoire à redécouvrir par ces « petits fils à tirer »151

, petits détails à dé-

nicher à chaque lecture pour savourer ces résonnances qui s’installent progressivement et

s’enrichissent mutuellement.

Les personnages aussi reviennent sur le lieu de départ, le lieu de leur enfance, enrichis

par leurs expériences, leurs aventures, leurs rencontres, leurs voyages …, ils peuvent revivre

leur enfance avec leur point de vue d’adulte, avec le recul sur leurs souvenirs. « Quand on part

en voyage et qu’on revient après, on est toujours un peu différent. On ne revient jamais tout à

fait le même. »152

Eux aussi, tout comme le lecteur, ils vont et viennent au rythme de la terre

qui tourne inexorablement, toujours au même rythme pour tous, où que l’on soit et quoi que

l’on vive. « On est tous de passage sur terre et pourtant, elle tourne, la Terre, sans jamais

s’arrêter, quoi qu’on fasse toujours au même rythme ! »153

Cette structure en boucle peut s’observer à différents niveaux :

- La première phrase renvoie à la dernière phrase :

La terre tourne

Le grand murmure

Il va neiger

Sept minutes et demie

La maison de Martin

- D’un point de départ à une arrivée qui propose un nouveau départ :

La terre tourne

Voyage

De l’autre côté du lac

151 http://esaatcdi.canalblog.com/archives/2009/05/28/13887764.html : « Et notre travail, en tant que lecteur, je dirais plutôt

notre jeu, consiste à reconstruire l’espace et le temps de l’écriture. Pour y parvenir, il faut plonger dans ces albums, aller à

la rencontre des petits motifs que sont les êtres humains, les animaux, les objets, pour les retrouver d’une page à l’autre et

même d’un album à l’autre. Ces petits motifs représentent des fils à tirer. On peut ne pas les tirer, mais, alors, on passe à

côté de l’œuvre. Ces albums représentent une invitation à l’exploration, à la recherche d’un trésor : le plaisir de la construc-

tion d’une histoire. » 152 Op. cit. Le 07/11/2010. 153 Ibidem.

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- Le point de départ correspond au point d’arrivée :

Il va neiger

Mystère

Reviens sapin

- Du lieu de l’enfance au retour sur le lieu de l’enfance :

Le chemin bleu

Le pays du rêve

Le rêve du poisson

- D’un lieu point de départ au même lieu après un changement ou un bouleversement :

Le bain de la cantatrice

La maison de Martin

- Une communication : questions / réponses :

Conversation : Le temps d’une lessive

Correspondance : Cartes postales

L’étude tente de s’attacher aussi à mettre en lumière les sonorités, les jeux de mots et

de sons, les thèmes, les formes narratives (à la première personne ou à la troisième personne,

poétique, épistolaire …) cependant, il en existe bien d’autres encore à découvrir et à explorer.

1) Les résonnances lexicales page par page

Ici, il s’agit d’abord de dégager les résonnances lexicales à partir de La terre tourne

afin d’en apprécier leurs effets sur le lecteur.

Au fil de la narration textuelle, quelles résonnances peut apprécier le lecteur ? Quels

effets cela évoquent Ŕ ils en lui ? Au rythme de cette terre qui tourne, encore et toujours. Le

mouvement perpétuel de la terre donne le « la » comme un diapason. Chaque album devient

un instrument que le lecteur Ŕ musicien accorderait sur ce mouvement harmonieux.

La terre est considérée dans plusieurs de ses acceptations car ce mot est polysémique

en langue française. Le dictionnaire « Littré » répertorie 27 définitions. Parmi ces définitions,

douze items intéressent La terre tourne :

1) Sol sur lequel on marche, et qui produit les végétaux. Un tremblement de terre.

2) Sous terre, sous la superficie de la terre. Creuser une habitation sous terre. Mettre des conduits sous

terre.

3) La couche qui produit les plantes, la substance même d'un sol arable. Terre forte, légère, grasse. Terre à

blé. Terre végétale, terre naturelle, répandue partout en épaisseur inégale, et propre à la végétation, dite

aussi terre franche.

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4) La terre considérée relativement à sa composition et comme une matière ou substance particulière.

Terre calcaire. Terre siliceuse.

5) Nom donné par les anciens philosophes à l'un des quatre éléments qu'ils supposaient dans les corps. La

terre, l'eau, l'air et le feu.

6) Planète qui fait sa révolution annuelle autour du soleil en trois cent soixante-cinq jours, six heures et

quelques minutes, et qui tourne sur elle-même en vingt-quatre heures. ♦ Que l'homme contemple la

nature entière dans sa haute et pleine majesté.... que la terre lui paraisse comme un point au prix du

vaste tour que cet astre [le soleil] décrit, PASC., Pens. I, 1, éd. HAVET. ♦ La terre elle-même est

emportée avec une rapidité inconcevable autour du soleil, LA BRUY., XVI ♦ La terre est soumise,

comme les autres planètes, aux lois des mouvements, MONTESQ., Lett. pers. 113 ♦ Il n'est plus

possible de douter que cette même terre si grande et si vaste pour nous ne soit une assez médiocre

planète, une petite masse de matière qui circule avec les autres autour du soleil, BUFF., Théor. terr. part.

hyp. Oeuv. t. IX, p. 302 Le premier résultat que l'on peut admettre comme vérité, c'est que la terre a été

originairement fluide ; ses parties, animées par la pesanteur et liées par la cohésion, n'auraient pas obéi à

la petite force centrifuge, si elles n'avaient été molles ou plutôt liquides et capables de glisser facilement

ou de couler les unes sur les autres, BAILLY, Hist. astr. mod. t. III, p. 42 M. Cassini estime qu'un

homme à pied, marchant, par un beau chemin et du même pas, douze heures par jour, ferait le tour de la

terre en deux ans, BAILLY, Hist. astr. anc. p. 146 ♦ Tout porte à croire que la masse intérieure du globe

est encore douée maintenant de sa fluidité originaire, et que la terre est un astre refroidi, qui n'est éteint

qu'à sa surface ; ce que Descartes et Leibnitz avaient pensé, CORDIER, Instit. Mém. scienc. t. VII, p.

538

- Le globe terrestre. Que savons-nous si la terre entière n'a pas des causes générales, lentes et impercep-

tibles de lassitude ?, MONTESQ., Lett. pers. 113 ♦ Une partie du globe se prend au figuré pour toute la

terre ; on dit que les anciens Romains avaient conquis la terre, quoiqu'ils n'en possédassent pas la ving-

tième partie, VOLT., Dict. phil. terre. - Être sur terre, vivre, exister. - Enfant de la terre, homme. - On

ne voit ni ciel ni terre, se dit quand on est dans une profonde obscurité. - Fig. et fam. Remuer ciel et

terre, employer toute espèce de moyens pour arriver à son but.

7) Il se dit, tant au singulier qu'au pluriel, des pays.

8) La terre ferme, partie du globe distinguée des eaux, soit continent, soit île. Terre ferme, se dit en

géographie par opposition à île.

9) La Terre (on met une majuscule), personnification divinisée de la terre, chez les anciens. Les géants

étaient fils de la Terre.

10) Fig. Les habitants de la terre.

11) Fig. et par grande hyperbole, toute la terre, les gens d'un pays, d'une ville, d'une société.

12) Fig. La vie présente. Vous ne songez qu'à la terre. Les plaisirs de la terre.

L'album La terre tourne orchestre :

la lecture hélicoïdale chez le lecteur

la circulation des autres albums autour de la terre qui tourne

le mouvement, le déplacement des personnages

le passage du temps

Page 4 :

La terre tourne tranquillement. Dans l’univers, entre les

étoiles, elle se déplace lentement. Pendant ce temps, de tout

petits bébés grandissent bien au chaud dans le ventre de leur

mère. Le vent d’hiver souffle dans la plaine. Les arbres

grincent. Une porte claque. Des gens s’en vont et s’en

viennent de par le vaste monde. Certains ne s’arrêtent jamais

parce qu’ils veulent voir ce qu’il y a derrière le tournant du

chemin. D’autres restent toujours au même endroit parce

qu’ils sont très bien là.

C’est autour de la Terre que je veux tourner,

le globe terrestre : Le chemin bleu

D’un autre côté de la terre, monde, tout le

monde : Le pays du rêve

Sous la terre, dans le monde, le grand mur-

mure du monde : Le grand murmure

Voir le monde : Mystère

Planète : Le temps d’une lessive

Planètes inconnues, monde, des terres, la

Terre, la terre : Le rêve du poisson

Tranquillement : Le pays du rêve, Le rêve du

poisson

Lentement : Le rêve du poisson

L’univers : Le chemin bleu, Le temps d’une

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lessive, Le rêve du poisson

Étoiles : Il va neiger

Chaleur des intérieurs : Le pays du rêve

Le ventre : Le bain de la cantatrice

Le vent d’hiver pouvait courir de tout son

souffle : Le pays du rêve

Le vent : Mystère

Le vent : Le grand murmure, Le rêve du

poisson, Le bain de la cantatrice

Le vent traverse en courant : La maison de

Martin

Les arbres : Le pays du rêve, Le rêve du

poisson, Mystère, De l’autre côté du lac

La porte : Le pays du rêve, Le rêve du pois-

son, Mystère, De l’autre côté du lac

Une porte grince : Le grand murmure

Une porte claque : Sept minutes et demie

« clac » : Le rêve du poisson

Des gens : Mystère ; Voyage / les gens : Le

temps d’une lessive, De l’autre côté du lac

Des gens s’en vont et s’en viennent : Voyage

Voir : Le rêve du poisson ; « allons voir » :

De l’autre côté du lac

Chemin : Le chemin bleu, Le pays du rêve,

Le rêve du poisson, Le grand murmure,

Reviens sapin ; « Le chemin bordé d’arbres

tourne autour du lac dans l’ombre et la lu-

mière » : De l’autre côté du lac

Voir ce qu’il y a derrière le tournant, « con-

tinue en courbe » : Le chemin bleu, Le pays

du rêve

D’autres restent toujours au même endroit

(chacun chez soi) : Voyage

Ces endroits : Le pays du rêve

Les autres : Il va neiger, Le rêve du poisson

La terre*154

tourne, la terre est ronde, elle a une forme propice à l'évasion, au voyage,

comme une proposition à en faire le tour car, comme le chemin, la terre n'a pas de « bout » il

est donc envisageable de vouloir « faire le tour de la terre », comme elle tourne autour du so-

leil, l'homme veut tourner autour de la terre. De la même manière qu’il est possible de suivre

le chemin afin de faire le tour du lac pour aller voir ce qu’il y a de l’autre côté. Rien ne

semble pouvoir perturber ce mouvement tranquille sauf le rêve d'un poisson car, « dans l’eau

profonde des océans », dans l’eau du lac, « les poissons sont tranquilles » mais sur la terre, ils

ne sont plus à leur place maintenant. Ainsi, tout tourne « tranquillement » jusqu'au jour où

survient quelque chose d'inhabituel à l'exemple du rêve du poisson ou du bain de la cantatrice.

Mais, même dans ces moments là, tout se passe « lentement ». Le lecteur prend toujours le

temps de la contemplation comme le dit Anne Herbauts155

, « le lecteur va toujours au rythme

du marcheur dans l'univers des albums d'Anne Brouillard. » La terre fait partie de l'univers

154 Voir la partie sur les éléments. 155 Conférence de Toulouse Vivons Ŕ livre, du 6 novembre 2010.

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comme le rappelle Le temps d'une lessive mais, cet équilibre pourrait se retrouver dérégler

comme dans Reviens sapin car le cycle de la vie, où chacun dépend de tout, est fragile. Ces

deux adverbes « tranquillement » et « lentement » incitent le lecteur a prendre le temps d'une

lecture attentive et en profondeur. Que le narrateur s'interroge sur l'existence d'autres planètes

accueillantes dans Le temps d'une lessive ou inconnues dans Le rêve du poisson, d'autres

mondes imaginaires dans Le chemin bleu, oniriques dans Le pays du rêve, qu'il observe les

étoiles dans Il va neiger, le lac et son environnement dans De l’autre côté du lac, dans le ciel,

dans l’eau, sur terre ou sous terre, le monde continue sa ronde comme dans Le grand mur-

mure et l'univers garde ses mystères. La précipitation n'existe pas dans les albums d'Anne

Brouillard à l'image de Martin qui part à la recherche de sa maison envolée mais l'équilibre de

la terre est fragile comme l'illustrent les Cartes postales. La naissance est évoquée unique-

ment dans La famille foulque mais, dans les autres albums, la chaleur des intérieurs rappelle

ce monde intra utérin, protecteur et berçant. Comme le rythme de la terre berce la vie sur terre.

Encore une fois, cet équilibre est précaire à l'image du « ventre » des nuages prêt à éclater.

Ces mêmes nuages bénéfiques qui sont apportés ou chassés par le vent.

Le vent*156

est l'élément qui accompagne ce mouvement perpétuel de la terre. Rien ne

semble pouvoir l'arrêter. Car, même si la terre est ronde, elle offre de vaste plaine où il peut

courir librement (La maison de Martin, Le grand murmure). La plaine offre cet horizon infini

propice au rêve et à l'évasion (Le pays du rêve). Le vent d'hiver illustre ce « dehors » froid

contrastant avec ce « dedans » chaud et rassurant, métaphore du ventre maternel, (Mystère, Le

pays du rêve). Le vent réveille la nature. Il déplace les nuages selon son gré, il anime les

branches des arbres. Ces arbres qui peuvent se rassembler en forêt, invitant à la balade (Mys-

tère, Il va neiger, Le pays du rêve), à la rêverie (Le grand murmure), à l'imaginaire (Le rêve

du poisson). Les arbres qui peuvent aussi protéger un lieu mystérieux et caché (Le pays du

rêve, De l’autre côté du lac). Les arbres grincent sous le vent comme ils grandissent dans Le

chemin bleu au rythme de la terre qui tourne et du temps qui passe. Le bois est vivant et le

vent le réveille, lui permet de s'exprimer.

Que se passe-t-il quand une porte claque ? Un homme sort, une femme entre, la pluie

tombe … dans Sept157

minutes et demie d'une vie urbaine. Que l'on soit dedans ou dehors,

156 Voir la partie sur les éléments. 157Le 7 est le nombre de la "perfection". In : http://rinumero.lbgo.com/symbolique_nombre.html

Le 7 symbolise l'analyse intérieure et la recherche de la perfection. C'est un nombre sacré et éminemment spirituel. Il est

synonyme de repos, de méditation, d'études, de spiritualité, de philosophie, de religion, de foi. Il est en rapport avec les élé-

ments eau et terre... in : http://www.signification-prenom.com/symbolique-nombre.html

Mais alors, pourquoi 7 min ½ ? : « par rapport au temps pour aller jusqu’à la boîte aux lettres !!! Sept minutes et demie,

c’est très précis, c’est plus drôle que 7 minutes tout simplement. J’aurais pu être encore plus précise, j’aurais pu dire sept

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d'un côté ou de l'autre d'une porte qui claque, la terre tourne et la vie continue des deux côtés

de la porte.

C'est ainsi que la vie sur terre est une invitation au « voyage »,158

ici, ailleurs, en mou-

vement ou sur place. Que l'on soit actif ou passif, acteur ou spectateur, la rotation de la terre

met toujours le monde en mouvement.159

Des gens passent, restent un instant, laissent une

trace de leur passage puis repartent, des gens passent, se rencontrent, se croisent, jouent à

cache - cache comme dans Mystère, vont et viennent en train dans Voyage, à pied ou en

barque dans De l’autre côté du lac. Les gens sont aussi les autres que nous dans Le temps

d'une lessive. Certains veulent aller voir le monde (Mystère, Le chemin bleu), de l’autre côté,

puis ils reviennent car le chemin n'a pas de bout, derrière le tournant, il continue. La terre est

ronde, elle tourne ; le monde est vaste, il est attirant. Qu'y a t'il de l'autre côté de la terre ? Au

bout du chemin ? La maison de Martin ? Le sapin d'Antoine ? Everud Syapel ? La balançoire

de Thomas ? Un objet non Ŕ identifié ? Le chemin mène toujours quelque part et, comme la

terre est ronde, on revient toujours au point de départ comme la terre qui tourne sur elle même.

Le chemin n'a pas de fin à l’image de la terre qui tourne dans l'univers, parmi les étoiles à

l’infini. S'en aller et s'en venir, ne jamais s'arrêter, dans un sens ou dans l'autre, des gens font

le tour de la terre, « tout autour de la terre »160

. Quand on a trouvé un lieu d'accueil, en endroit

paisible où l'on peut dire « je suis bien » (Le chemin bleu), où attendre les autres (Il va neiger),

on y reste ou on y revient. On le quitte pour y revenir plus tard (De l’autre côté du lac). Ou

bien, on va le rechercher jusqu'au bout (La maison de Martin).

Par son mouvement lent et tranquille, la terre offre tous les choix possibles. Certains

choisissent de partir, de revenir, de rester en voyage, de rester sur place. Le but est de trouver

sa place parmi ces gens sur terre.

Page 6 :

La terre tourne et avec elle, des mots et des sons mélangés,

des petits coins de soleil, des avions qui passent haut dans le

ciel, le bourdonnement d’une mouche, l’autobus qui

démarre, les chemins qui ne s’arrêtent pas, les bébés qui

grandissent, les ombres qui s’allongent, la fête qu’on

prépare, tout le bruit d’une ville.

Des mots : Le pays du rêve, Le grand murmure,

Mystère, Le chemin bleu

Des sons : Le pays du rêve, Le bain de la canta-

trice

Un petit reste de soleil : Il va neiger

Rayon de soleil : Le bain de la cantatrice, Le

temps d’une lessive

Soleil d’hiver : Mystère ; soleil doré, taches de

soleil : Le pays du rêve

Soleil coule : Le chemin bleu

Lumière du soleil : Le rêve du poisson

Dans l’ombre et la lumière : Le pays du rêve, Le

minutes et 37 secondes par exemple ! » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31 janvier 2011.

L’humour et l’imagination permettent toujours de se sortir d’une situation inextricable … 158 « Toujours imaginer sera plus grand que vivre‖, Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, PUF, 2004. 159 « Comme si le propre du monde n’était pas de bouger et de se transformer … » Claude Simon, Le vent, Les éditions de

minuit, 1975, p. 25. 160 Chanson de Jacques Prévert (voir Annexes).

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chemin bleu, De l’autre côté du lac

Un avion : De l’autre côté du lac

Le ciel : Le pays du rêve, La maison de Martin,

Reviens sapin, Le chemin bleu, Le rêve du pois-

son, Le bain de la cantatrice, De l’autre côté du

lac

L’autobus : Le temps d’une lessive

Le chemin n’a pas de bout : Le chemin bleu

Les chemins qui ne s’arrêtent pas : Le chemin

bleu

Le long d’un pays long qui n’en finit pas ; conti-

nue son chemin : Voyage

Les ombres qui s’allongent : Il va neiger, Voyage,

Le pays du rêve

L’ombre tourne autour de l’arbre : Le chemin bleu

Ombres franches : Le rêve du poisson

La fête : Le temps d’une lessive, Voyage

Le pique nique qu’on prépare : De l’autre côté du

lac

Les bruits « de la brasserie », « galopant d’un

train », sous les bruits : Le grand murmure ;

bruits : Le pays du rêve

Tous les bruits ordinaires ; le bruit de la pluie ;

sans bruit ; aucun bruit : Le rêve du poisson

La ville : Sept minutes et demie

Tout ce qui vit, bouge, vibre, accompagne le mouvement circulaire de la terre, à l'inté-

rieur comme à l'extérieur :

- Les mots dits, entendus, écrits, lus ;

- Les sons de la nature, familiers, quotidiens, « envoutants »,

tout circule au rythme de cette révolution terrestre.

Elle tourne autour du soleil, son étoile. Il éclaire, illumine, réchauffe la terre et ses habitants.

Le soleil :

- réveille (Le bain de la cantatrice)

- engage au voyage (Mystère, De l’autre côté du lac)

- évoque de beaux souvenirs (Le pays du rêve, Le chemin bleu)

- tire d'un cauchemar (Le rêve du poisson)

La terre fait la ronde autour du soleil qui joue avec les reliefs du globe, générant des

jeux d'ombres et de lumières (Le pays du rêve, Le chemin bleu, De l’autre côté du lac). Le

soleil rend visible le tournement de la terre. Le lecteur ne rencontre pas d'avions dans le ciel

des autres albums mais :

- des nuages (Le pays du rêve, Le chemin bleu, Le bain de la cantatrice …)

- la lune (De l’autre côté du lac)

- des sapins (Reviens sapin)

- une maison (La maison de Martin)

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- une « pellicule » aqueuse qui le recouvre (Le rêve du poisson)

- un autobus dinosaure (Le temps d'une lessive)

tout est possible sur la terre d'Anne Brouillard.

Pour ceux qui décident de prendre la route, le train, le bateau, … le « voyage » est sans

fin. Il y a toujours un autre voyage sur les « chemins qui ne s'arrêtent pas » (Le chemin bleu),

qui tournent « autour du lac » (De l’autre côté du lac), à l'image de la terre qui tourne sans

s'arrêter. Si nous sommes de passage sur terre, elle continue son voyage indéfiniment dans

l'univers.

Quelle meilleure illustration de la rotondité que l'ombre qui tourne autour de l'arbre

(Le chemin bleu) pour symboliser ce mouvement circulaire, tel un gnomon indiquant le temps

qui passe au rythme de la terre qui tourne. Ainsi, les ombres s'allongent, accompagnant la

courbe du soleil dans le ciel (Il va neiger, Voyage, Le pays du rêve), le jour et puis la nuit. Les

arbres grandissent aussi, accompagnant ce passage du temps. Les années, le temps atmosphé-

rique se ressentent aussi à la forme des ombres (Le rêve du poisson). Pendant que la terre

tourne inexorablement, toujours à la même cadence, le temps passé sur terre peut s'accélérer à

l'occasion d'une fête (Le temps d'une lessive, Voyage), d’une promenade et d’un pique nique

improvisés (De l’autre côté du lac), devenir bruyant (Le grand murmure, Le pays du rêve, Le

rêve du poisson …) ou, au contraire, être insonore, comme en suspens (Le rêve du poisson, Le

pays du rêve). En ville (Sept minutes et demie), le bruit est permanent, il ne s'arrête jamais,

comme la terre.

Page 8 :

Et la terre tourne encore quand la nuit est tombée et qu’on

entend partir le dernier train du soir. On regarde les étoiles

briller dans l’eau d’un lac, dans un endroit si calme qu’on

entend chaque bruit, le clapotis de l’eau, le craquement

d’une branche, les mots d’une conversation. On se demande

où s’en va le soleil, où vont les gens du train, où sont ceux

qui sont morts, ce que deviennent les endroits qu’on ne voit

plus, où sont ceux qu’on ne connaît pas encore.

La nuit est tombée : Mystère ; quand la nuit

tombe : Le grand murmure

Une nuit aqueuse descendait : Le rêve du pois-

son

Dans la nuit : Voyage, Mystère

La nuit : Sept minutes et demie, Le chemin

bleu

Le soir tombe : La maison de Martin, Le pays

du rêve « la nuit »

La lune brille dans le ciel et dans l’eau : De

l’autre côté du lac

Lumière brille : Sept minutes et demie, Mys-

tère

Quelque chose brille : Le pays du rêve, De

l’autre côté du lac

L’eau : Le bain de la cantatrice, Le rêve du

poisson, Le pays du rêve, Cartes postales

Si calme : « le silence » : Mystère, Le pays du

rêve, Le rêve du poisson, Le chemin bleu, Le

grand murmure

Eau calme et tranquille : De l’autre côté du lac

Branche (d’arbre) : Le chemin bleu, Mystère

Les mots d’une conversation, des gens bavar-

dent (où passent les mots ?) : Le grand mur-

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mure

Conversations : Le pays du rêve

Train : Voyage, Le grand murmure, Le pays

du rêve

Ce que deviennent les endroits qu’on ne voit

plus : Voyage, Le chemin bleu, Le pays du

rêve, Le rêve du poisson

Où on voit des choses que personne d’autre ne

voit ; des choses qui n’existent que là ; on ne

sait pas qui ils sont (les gens) : Voyage

Où vont les mots : Le grand murmure

Où les gens qui passent …, où je suis, où donc

m’emmènent ces pas : Mystère

Où s’arrêtera cette eau : Le bain de la canta-

trice

Où que j’aille … ; qu’allais Ŕ je trouver de-

hors : Le rêve du poisson

Où était passé le globe terrestre : Le chemin

bleu

Où chacun se coule en hiver … ; un endroit

qu’on ne connaissait pas ; où on pouvait accé-

der ; où je me promenais : Le pays du rêve

Une de leurs planètes : Le temps d’une lessive

« … encore ... », même le soir, la nuit, le mouvement de la terre, la vie et les activités

sur terre continuent (Voyage, Mystère, De l’autre côté du lac) promettant un autre matin (Le

rêve du poisson, De l’autre côté du lac). Quand le soir tombe (La maison de Martin), quand la

nuit tombe (Le grand murmure), quand la nuit est tombée (Mystère), la terre tourne encore au

même rythme, invariablement, alors que les habitants de la terre vont dormir. La terre ne se

repose jamais, elle. L'ombre qui tourne autour de l'arbre dans Le chemin bleu illustre ce mou-

vement perpétuel, même lorsqu'il devient invisible à l'œil, la nuit. Certains préfèrent sortir la

nuit (Sept minutes et demie) car alors, la vie est plus calme, la vie, la nuit, s'adapte mieux à la

rotation lente et tranquille de la terre qui berce les hôtes terrestres. La nuit est propice aux

rêves (Le pays du rêve), un autre monde s'éveille sur terre.

Le premier train du matin ; le dernier train du soir (Voyage) scandent cette alternance

jour / nuit. Les trains passent (Le grand murmure, Le pays du rêve) circulent, transportent,

font voyager, même quand la nuit est tombée. Ils peuvent ralentir leur activité, la terre, elle, ne

le peut pas, elle est comme le balancier d'une horloge perpétuelle. La nuit, la lune brille dans

le ciel et dans l’eau (De l’autre côté du lac), les étoiles brillent dans le ciel, se confondant

avec les flocons de neige (Il va neiger). La nuit, une lumière brille, guidant les pas des pro-

meneurs (Sept minutes et demie, Mystère), annonçant une visite, un ami, un lieu accueillant …

L'eau*161

est un autre élément très présent dans les albums d'Anne Brouillard. Elle est

vitale, nécessaire mais pas toujours aussi paisible que l'eau d'un lac. Parce qu'elle manque

161 Voir la partie sur les éléments.

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cruellement aux plantes chez Pimpinelle162

, son ami Marin lui en envoie par « oiseaux voya-

geurs ». La mer, l'océan, accueille La maison de Martin et les poissons y vivent protégés du

bruit des activités humaines (Le grand murmure). Elle annonce une autre saison humide et

froide où l'on vit à l'intérieur dans Le pays du rêve, elle tombe sur commande musicale pour

répondre au caprice d'un bain de cantatrice, elle recouvre la terre le temps d'un rêve de pois-

son. L'eau forme des flaques où se reflètent les nuages, elle coule tout au long des rivières, sur

les vitres du train … son cycle ne s'arrête jamais. L'eau déclenche aussi la rêverie, l'imagina-

tion (Voyage)163

, elle est nécessaire à la terre, à la vie sur terre. À l'origine, elle recouvrait

toute la surface de la terre (Le rêve du poisson). Élément du cycle de la vie, le cycle de l'eau

est aussi perpétuel et circulaire. Cependant, contrairement au rythme de la terre qui tourne,

l'eau peut être paisible, violente, angoissante … élément non maîtrisable, en perpétuelle trans-

formation, présent dans tous ses états, l'eau tourne et fait des ronds.

Le soir, quand tout se calme, après le passage de la pluie (De l’autre côté du lac), dans

la forêt (Il va neiger), dans le compartiment du train (Voyage), en ville (Sept minutes et de-

mie), dans la neige (Mystère), dedans les maisons (Le pays du rêve, Le rêve du poisson), dans

l'eau (Le grand murmure), les bruits s'adaptent à l'ambiance. À la tombée de la nuit, les con-

versations, les murmures, les bavardages se distinguent mieux dans le calme d'un espace clos,

à l'intérieur des maisons chaudes, dans la forêt « endormie », le long des fils téléphoniques,

quand le rythme du monde se calme alors que la terre tourne encore et toujours au même

rythme parmi les étoiles. La nuit est un environnement propice aux rêves et aux questionne-

ments. La rotation de la terre dans l'univers, parmi les étoiles est une source d'inspiration iné-

puisable. Les albums d'Anne Brouillard proposent aux lecteurs de multiples questionnements

sur la marche du monde et ses états d'âme : « on se demande ... ». Par l'utilisation du pronom

personnel indéfini « on », tout le monde et chacun se sent impliqué. Les réponses uniques

n'existent pas. Elles sont à la fois individuelles avec une portée universelle. Car, tant que la

terre tournera, le cycle de l'eau continuera, les chemins n'auront pas de bout, le soleil se lèvera

d'un côté de la terre et se couchera de l'autre, les paysages défileront derrière la vitre du train,

des gens voyageront, se croiseront, d'autres resteront, certains rêveront, des mots circuleront,

l'inconnu attirera, la terre gardera ses mystères, l'univers restera infini, le temps passera et la

mort restera sans réponse.

Page 10 : Les bruits des couverts et les tintements des

162 Nom donné par Adanson à la pimprenelle. Nom donné au genre boucage, ombellifères. Dictionnaire Le littré. 163 « On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. On ne

regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve. » Gaston Bachelard, L’eau et les rêves,

Le livre de poche, Librairie José Corti, 1942, p. 11.

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Et la terre tourne toujours dans les ronds de fumée, dans les

bruits des couverts et les tintements des verres, dans les

gouttes de pluie qui font des ronds dans l’eau, dans les roues

d’un vélo, au son d’un manège, dans le claquement d’une

porte.

verres : « bruits de vaisselle » : Le pays du

rêve

Pluie : Sept minutes et demie, Le pays du rêve,

Le chemin bleu, Le grand murmure, Le rêve

du poisson, Voyage, De l’autre côté du lac

Gouttes de pluie : Le pays du rêve

Flaques : Sept minutes et demie, Le pays du

rêve, Le chemin bleu, Le bain de la cantatrice

« Petit bassin tout rond » : Le temps d’une

lessive

« Ventre rond » : Le bain de la cantatrice

Roues : Le temps d’une lessive

Vélo : Le chemin bleu

La fête foraine : Le temps d’une lessive,

Voyage

La balançoire : De l’autre côté du lac

Le claquement d’une porte : Le pays du rêve

La terre est ronde et tourne en rond :

- sur elle Ŕ même : tout ce qui est rond : gouttes de pluie, roue, rond de fumée

- autour du soleil : tout de qui tourne rond : vélo, manège, porte sur ses gonds

mais aussi dans les sons et les bruits.

Que l'on soit dedans :

- bruits rassurants, familiers du quotidien : couverts, verres, piano, mélodies ...

Que l'on soit dehors :

- le manège, la balançoire, la fête, la rue …

Que l'on passe d'un espace à l'autre :

- bruits de porte …

La terre tourne toujours invariablement, rythmant le quotidien, quoi qu'il se passe, sa

cadence ne change pas.

Page 12 :

La terre tourne dans l’air frais d’un matin de fin d’été, dans

l’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du café,

dans les gouttes de rosée et les pétales de roses. Et le reflet

des nuages tourne avec la terre. Et les bébés qui vont naître,

et le chat près de l’écluse, et le premier train du jour,

tournent avec la terre.

Vent et puis air ; des souvenirs de l’été : Le pays du rêve«

L’air frais d’un » joli matin : Le bain de la cantatrice

Un matin : Voyage, De l’autre côté du lac

Après midi d’été : Le rêve du poisson,

L’air doux où traînent quelques paroles et l’odeur du ca-

fé : « une bise tiède » Le pays du rêve, « des effluves de

café » Le rêve du poisson ; « petit café » : Reviens sapin

« Des gens bavardent, la machine à café vrombit » : Le

grand murmure

Odeur « bizarre, désagréable, d’eau stagnante » : Le rêve

du poisson

Odeur « froide de l’hiver » : Il va neiger,

« Fleurs » : Le temps d’une lessive

« Les oiseaux bleus, les oiseaux blancs tournent dans l’air

du soir un peu rose » : Le pays du rêve

« Un miroir reflétait le ciel » : Le pays du rêve

Nuages : La maison de Martin, Le bain de la cantatrice, Le

rêve du poisson, Il va neiger, Le pays du rêve

Le chat : Il va neiger, Le pays du rêve, Reviens sapin

« D’autres trains … un matin ou un soir » : Voyage

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La nuit passée, le matin arrive, les journées et les saisons passent. Quand le vent ne

souffle plus, quand il a chassé les nuages, l'air est frais et doux, sensation que la terre tourne.

Son mouvement amène un déplacement d'air, le souffle de la terre qui vit. Le matin, le monde

se réveille :

- des humains : paroles, café

- de la nature : rosée, roses

La terre qui tourne génère ce nouveau réveil chaque matin. Le déplacement circulaire

de la terre emmène les nuages avec lui. Ils bougent et jouent avec le soleil, le vent dans le ciel.

Sur terre, on peut voir leur reflet dans les flaques d'eau, dans l’eau du lac, comme dans un

miroir. La mobilité des nuages illustre ce tournement, leur reflet offre des jeux d'ombres et de

lumières, la rotation de la terre devient visible.

Le chat164

, animal au sixième sens, celui qui sent l'orage arriver, ressentirait Ŕ il que la

terre tourne ? Celui qui en sait plus que tout le monde (Le pays du rêve), celui qui parle (Mys-

tère, De l’autre côté du lac) malgré lui ?165

Quand la nuit tombe, le dernier train du soir circule ; quand le matin se lève, le pre-

mier train du jour part. Les départs et les arrivées des trains matérialisent cette activité quoti-

dienne diurne sur terre. Sa révolution permet cette alternance jour / nuit. Le rythme de la vie

sur terre est dépendant de ce mouvement régulier, immuable et perpétuel.

Page 14 :

La terre tourne même quand on n’y pense pas, quand

l’après-midi s’annonce doux, au coin d’une rue, à l’ombre

d’un arbre, à l’abri du vent qui ne cesse de transporter

des nuages d’un bout à l’autre du pays. Elle tourne dans

l’odeur de l’asphalte au soleil, dans la lumière derrière la

porte vitrée.

Même quand on n’y pense pas : « temps avait

décidé qu’il ne passait plus » : Le pays du rêve ;

« le temps passait » : Le chemin bleu ; « at-

tendre quelque chose ; un instant ; combien de

temps ; temps arrêté » : Le rêve du poisson

Les habitants ont oublié le temps : Le bain de la

cantatrice

« Ils prennent tout leur temps » : Il va neiger

« Où l’automne se coulait tranquillement dans le

soleil doré » : Le pays du rêve

« Après midi d’été » : Le rêve du poisson

« Au coin d’ » une rue : Voyage

À l’ombre d’un arbre : Le chemin bleu

L’ombre de la forêt : De l’autre côté du lac

« Dans l’ombre et le soleil » : Le pays du rêve

Des nuages d’un bout à l’autre du pays : Le bain

de la cantatrice, La maison de Martin, Il va

neiger, Mystère, Le pays du rêve, Le rêve du

poisson

Le vent chasse les nuages : De l’autre côté du

lac

« Portes à hublots » : Le pays du rêve ; « les

164 « … le chat a démontré une faculté extraordinaire pour pressentir des choses. Grâce à son comportement anormal et inha-

bituel dans certaines situations, des gens ont pu échapper à un grave danger ou être sauvés de la mort. Il y a autour du chat un

mystère que les parapsychologues ont de la misère à expliquer. En effet, le chat perçoit des choses que les gens ne discernent

pas, et essayent par toutes sortes de façons de nous les communiquer ... » in http://www.cyberanimaux.com 165 Claude Roy.

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fenêtres, les vitres » : Voyage

Porte : De l’autre côté du lac

« Dans l’ombre et la lumière » : Le chemin bleu

« Le soleil, la lumière » : Le chemin bleu ; Le

rêve du poisson « porte d’entrée, fenêtre »

On n'a pas besoin d'y penser, d'agir, d'attendre, de s'arrêter … même quand les hor-

loges sont cassées, les maisons inhabitées (Le pays du rêve), les chemins plus empruntés (De

l’autre côté du lac), même quand le temps est décompté (Sept minutes et demie), oublié (Le

bain de la cantatrice). Que l'on soit tranquille, inquiet, occupé ou parti, le temps passe inva-

riablement, les choses s’érodent, les souvenirs s’estompent, mais la terre tourne toujours pa-

reillement. L'après midi sépare le réveil du coucher mais la terre tourne sans s'occuper de ces

détails. L'après midi passe de la même façon, au même rythme, tout comme le matin se lève et

la nuit tombe. L'après midi passe où que l'on soit, quoi que l'on fasse, quel que soit le temps.

L'ombre de l'arbre tourne toujours, que l'on soit dessous ou ailleurs, le vent continue de dépla-

cer les nuages tout autour de la terre, au dessus du lac, il ne s'arrête jamais lui non plus, ils

vont toujours ensemble. Que l'on soit dehors ou dedans, la terre tourne toujours sur elle même

et autour du soleil qui la réchauffe. Ce rythme est nécessaire à toute vie sur terre. L'homme

pourrait Ŕ il en profiter sans s'en préoccuper ? Qu'y a t'il derrière les portes à hublots ? (Le

pays du rêve) Qui se trouve derrière la porte qui s’ouvre ? (De l’autre côté du lac) Même s'il

n'y pense pas, elle tourne mais, attention aux dérèglements car, même si elle tourne quand

même, l'équilibre est fragile (Le rêve du poisson, Le bain de la cantatrice, Reviens sapin,

Cartes postales).

Page 16 :

Elle tourne, la terre, dans des lieux où les bruits sont

étouffés par de gros tapis moelleux. Elle tourne au son d’une

musique qu’on entend derrière la porte. Pendant que les

images défilent, les bébés naissent, les arbres grandissent,

des gens s’en vont, les voitures s’arrêtent aux feux rouges

dans la nuit orange des villes. La terre tourne dans un

moment de silence.

« son du piano, mélodies » : Le chemin bleu

« Les flocons étouffent leurs voix » : Il va neiger

« derrière les portes à hublots » ; « derrière les

portes jaunes » : Le pays du rêve

« devant la porte » : Mystère

Le pays défile ; « on voit … une image » :

Voyage

La télévision : Le temps d’une lessive

« Leurs images intérieures » « les images de

BD »: Le rêve du poisson

« Le soleil se glissait et dessinait des ombres en

mouvement » ; « les oies derrière le mur » : Le

chemin bleu

Les arbres, les mots secrets des enfants grandis-

sent : Le chemin bleu

« On est parti » ; « Des gens » ils s’en vont :

Voyage

« Il s’en va » ; « elle s’en va » : La maison de

Martin, Mystère

Allons voir : De l’autre côté du lac

Depuis, j’ai voyagé : Le chemin bleu

« prendre le train » : Le grand murmure

La nuit orange des villes : Le pays du rêve

« Derrière la ligne où se couche le soleil » ;

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« une ligne de lumière orange. La trace du jour

qui s’en allait d’un autre côté de la terre » : Le

chemin bleu

La nuit : Le temps d’une lessive, Le rêve du

poisson, Le pays du rêve, Le grand murmure

La ville : Sept minutes et demie

Silence : Mystère, Le chemin bleu, Le rêve du

poisson, Le grand murmure

« Les nuages silencieux » : Il va neiger ;

« vies silencieuses » : Mystère

La grande paix du soir : De l’autre côté du lac

Quelque soit le lieu, quoiqu'il se passe, quoique l'on entende, que les bruits soient rete-

nus, contenus, camouflés … la terre tourne quand même, sa musique est toujours la même,

pendant que :

la vie passe (Le chemin bleu, De l’autre côté du lac)

les paysages, les images, les pays défilent (Voyage)

la nature, les arbres, les plantes poussent (Cartes postales, Le chemin bleu, Le

rêve du poisson), le bois se désagrège166

(De l’autre côté du lac)

des gens partent en voyage (Voyage, De l’autre côté du lac, Le chemin bleu)

des véhicules s'arrêtent un moment avant de repartir (Voyage, Le chemin bleu,

Le temps d’une lessive)

L'horizon prend une teinte orangée quand le soleil se couche (Le chemin bleu, De

l’autre côté du lac), cette même couleur orange qui évoque la lumière des villes, la nuit, alors

que les activités, la vie continuent après la tombée de la nuit. La nuit devient orange du fait

des éclairages artificiels167

(Le pays du rêve). La nuit est aussi favorable au sommeil, au si-

lence, à la grande paix. La terre tourne invariablement dans le bruit, dans le silence ; à la ville,

à la campagne, autour du lac ; le matin, l'après midi, le soir ou la nuit ; dans un instant bref,

166 « … une autre dimension du paysage : érosion. C'est-à-dire le temps. » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 84. 167 « Le noir lui est propice, il l'affole, la chauffe, la livre crue et brutale, les contours acérés quand l'intérieur se trouble de

milliers de lueurs rivales, il la divulgue orange, effervescente, pastille de vitamine C jetée dans un verre d'eau trouble, bocal

de fioul posé dans une cuvette, distributeur d'oxygène, de speed et de lumière. » Maylis de Kerangal, naissance d'un pont,

éditions Gallimard, 2010, p. 161.

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pendant que les actions sont simultanées ou en pause ; que l'on entende ou que l'on voit

quelque chose … la terre tourne toujours au même rythme sans s'en préoccuper.

Page 18 :

Pendant que la terre tourne dans un sens, un train roule

dans l’autre sens. Les voyageurs dans le train voient passer le

pays, les habitants du pays regardent passer le train.

Un train roule dans l’autre sens : Voyage, Le

grand murmure, Le pays du rêve

Voient passer le pays : Voyage

Le train : Mystère

Le long de la voie ferrée : Il va neiger

De l’autre côté de la voie ferrée … : Le pays

du rêve

Regardent les gens : de l’autre côté du lac

Aiguillages … : Le chemin bleu

Pendant que la terre tourne unidirectionnellement, les trains roulent et les chemins

continuent, dans l'autre sens. Ces oscillations de va et vient, d'un côté et de l'autre, voir et être

vu … évoquent un miroir (Le pays du rêve) dans lequel l'un et l'autre se reflètent. Le chemin

continue de l'autre côté (Voyage), où l’on peut apercevoir des gens (De l’autre côté du lac).

- Ceux qui voyagent observent le paysage, en imaginent un autre, regardent les gens

chez eux, dehors … (Voyage)

- Ceux qui restent regardent le train et imaginent l'autre bout du voyage, la vie des

uns et des autres … (Le pays du rêve, Le chemin bleu)

Tout au long de la voie ferrée, du chemin, la terre tourne toujours au même rythme

pour tout le monde, que l'on aille dans le sens de rotation de la terre ou dans le sens inverse,

que l'on voyage pour regarder le paysage ou que l'on reste pour regarder les voyageurs. Le

temps passe pareillement, la terre tourne, dans le même sens et à la même cadence. Les voies

choisies sur terre peuvent être :

- parallèles : le long de la voie ferrée (Il va neiger)

- perpendiculaires : le chemin continue (Voyage), de l'autre côté de la voie ferrée (Le

pays du rêve)

- entremêlées : les carrefours, les aiguillages (Le chemin bleu)

- circulaires : autour du lac (De l’autre côté du lac) par le chemin mais aussi, à

travers le lac, par barque

Il s'agit de choisir son chemin, sa voie, dans un sens ou dans l'autre, de choisir sa di-

rection (Mystère). Par le fait de tous ces mouvements, les gens se croisent, se rencontrent, se

regardent, qu'ils aient choisis de partir ou de rester. Les habitants de la terre ont le choix, la

terre, elle, n'a pas ce choix, elle tourne toujours au même rythme et dans le même sens.

Page 20 :

La terre tourne avec l’eau des rivières, le va-et-vient de la mer,

le souffle du vent, le lever du jour, l’arrivée d’un bateau.

L’eau : Cartes postales, Le pays du rêve, Le

chemin bleu, Voyage, Le temps d’une les-

sive, Le rêve du poisson, Le bain de la canta-

trice

L’eau des rivières : Le chemin bleu

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Le va-et-vient de la mer : Le grand murmure,

Le bain de la cantatrice, La maison de Mar-

tin

Le souffle du vent : La maison de Martin, Le

chemin bleu, Le pays du rêve, Voyage, Il va

neiger, Mystère, Le grand murmure, Le rêve

du poisson, Le bain de la cantatrice

Le lever du jour : Le chemin bleu, Le rêve

du poisson, Le bain de la cantatrice, Le pays

du rêve, Mystère

L’arrivée d’un bateau : Le pays du rêve, La

maison de Martin

La barque : De l’autre côté du lac

Le cycle de l'eau est tel que l'eau des rivières qui ne s'arrête jamais (Le chemin bleu).

Les marées se succèdent régulièrement et animent les mers168

, le vent amène la pluie, il

souffle, vent et puis air (Le pays du rêve), l'aurore réveille la nature169

avec la rosée du matin

et les rayons de soleil (Le bain de la cantatrice), l'arrivée du bateau annonce Le pays du rêve

pour Éloïse, une nouvelle vie pour Martin, un nouveau périple pour Tante Nadège, Lucie,

Thomas, Toka et Alpha ... Le tournement de la terre accompagne tous ces mouvements régu-

liers ou occasionnels, à l'endroit ou à l'envers, dans un sens et dans l'autre. Si l'eau vient à

manquer, on l'appelle (Cartes postales, Le bain de la cantatrice). Le cycle de l'eau est circu-

laire, infini, perpétuel, comme la rotondité terrestre.

Page 26 :

La terre tourne, tranquillement. Les bébés qui grandissaient

bien au chaud dans le ventre de leur mère sont nés. Ils

claquent les portes, écoutent le vent d’hiver. Ils vont et

viennent de par le monde, attendent la lune la nuit au bord

d’un lac, écoutent la mer, la musique derrière la porte,

l’autobus qui ralentit, le craquement d’une branche, le son

d’une cloche. Pendant ce temps, d’autres bébés grandissent

bien au chaud dans le ventre de leur mère, et la terre tourne

encore.

Claquent les portes : Sept minutes et demie

Le vent d’hiver : Mystère

Vont et viennent de par le monde : Mystère,

Voyage, Le chemin bleu

La lune : Sept minutes et demie

Écoute la pluie tambouriner, la rivière, regarde

la lune briller dans le ciel et dans l’eau : De

l’autre côté du lac

Écoutent la mer : La maison de Martin, Le grand

murmure

Le son d’une cloche : Le pays du rêve, Le rêve

du poisson (le réveil de la terre ?)

Un autre train … : Voyage, Le pays du rêve

Les bébés ont grandi dans l'univers des autres albums, ce sont des enfants ou des

adultes maintenant, ils agissent sur leur monde, ils ont des souvenirs. Avec ou malgré tout ce

qui se passe, la terre tourne toujours aussi « tranquillement ». Rien ne perturbe sa ronde per-

pétuelle. Comme sourde aux bruits, insensible au temps à l’échelle humaine, aux odeurs,

aveugle aux couleurs … elle tourne « tranquillement ». Cette dernière strophe pose le passé,

installe le présent et annonce le futur. Les protagonistes sont actifs, leurs actions sont volon-

168 « C'est le roulis du monde sur l'océan du ciel » Victor Hugo, Œuvres complètes, volume 1, p. 236, Odes, Rêves III, Socié-

té typographique belge, 1837. 169 « C’est près de l’eau et de ses fleurs que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odo-

rant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur. (…) … accompagner le ruisseau, marcher le long des berges, dans le

bon sens, dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui mène la vie ailleurs … » Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, op. cit.,

pp. 14 Ŕ 15.

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taires. Dans les autres albums aussi, les personnages sont acteurs pendant que la terre continue

de tourner :

- je vais aller voir ce qui se passe dans le monde … : Mystère

- allons voir : De l’autre côté du lac

- j'ai voyagé, … je m'installe … : Le chemin bleu

- ils sont partis, … ils vont revenir … : Il va neiger

- on est parti … on est arrivé … : Voyage

Le son de la cloche, dernière vibration170

citée par le narrateur textuel de La terre

tourne symbolise le réveil de la terre, le signal attendu par la nature « toute entière » (Le rêve

du poisson), par le narrateur Ŕ personnage pour réagir (Le pays du rêve). Le son de la cloche

donne l'alerte, le signal du rassemblement171

, le souffle du vent172

qui la fait tinter. Ce sym-

bole est donc très fort de part sa position finale dans La terre tourne et de part sa force dans

ces deux autres albums. Même si la terre tourne toujours tranquillement, la nature peut se

mettre en pause, changer, attendre un signal pour offrir ses mystères. Le temps et l'espace sont

des données qui échappent à tout contrôle humain tout comme ils « sont indissociables dans

l'organisation de l'univers. »173

Pendant que la terre continue de tourner encore, d'autres trains partiront, d'autres gens

voyageront, vivront ici ou ailleurs (La maison de Martin, le bain de la cantatrice), dans l'es-

pace sur une autre planète (Le temps d'une lessive), d'autres … chercheront un endroit où

s'installer pour « être bien » sur terre (Le chemin bleu, De l’autre côté du lac).

Sous Ŕ conclusion

Les mots résonnent entre eux. D’une page à l’autre, du début à la fin et réciproque-

ment, d’un album à l’autre … Ils s’interpellent et se répondent. Par ces jeux d’échos, le lec-

teur chemine et savoure ces tissages langagiers. Par l’intermédiaire de la mémoire lexicale du

lecteur, tel un messager épistolaire, les personnages et les narrateurs communiquent entre eux.

Le lecteur a donc un rôle primordial dans leur construction littéraire. Comme le souhaite ar-

170« Le symbolisme de la cloche est surtout en rapport avec la perception du son. En Inde par exemple, elle symbolise l'ouïe

et ce qu'elle perçoit : le son qui est reflet de la vibration primordiale. En Chine le bruit de la cloche est en rapport avec le

tonnerre et s'associe à celui du tambour. Mais la musique des cloches est musique princière et critère de l'harmonie

universelle. » in http://www.cleomede.com/article-1298506.html 171 « Elle convoque les fidèles autour du prêtre pour recevoir de sa bouche la Bonne parole. La cloche, à la fois maternelle et

spirituelle, relie par ses ondes tout l’espace humanisé au sanctuaire, maison cosmique, lien entre le ciel et la terre. » in

http://www.liturgiecatholique.fr 172 « La cloche apparaît comme symbole bouddhiste et lamaïste, notamment la petite cloche à main … On en voyait égale-

ment pendues aux avant Ŕ toits des temples, les « cloches à vent », car leur son ferait fuir les esprits malfaisants. » Maurice

Louis Tournier, L'imaginaire et la symbolique dans la Chine ancienne, p. 382, éditions L'harmattan, 1991. 173 http://equizen.free.fr/cinqele.html

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demment Anne Brouillard, ils continuent de vivre en dehors de leur livre support. Grâce au

lecteur, ils peuvent se rencontrer, le lecteur leur donne « une plus longue vie » à travers les

albums. Pour ce faire, le lecteur adapte aussi son rythme de lecture au style du narrateur tex-

tuel. En effet, selon les propos de l’histoire, le narrateur adapte son style d’expression.

2) Les différents types de narrateurs textuels 174

a) Les textes impersonnels

Certains textes, comme La terre tourne sont impersonnels et poétiques. Ils prennent

une valeur de vérité générale, raconté au présent. Pour ceux ci, Anne Brouillard avoue avoir

plus de liberté pour s'exprimer au fil de son inspiration. Au cours de ces textes, le narrateur

textuel raconte tout ce qu'il sait, voit et ressent. Sa parole n'est pas remise en cause par le lec-

teur qui est invité à partager sa prose riche en sonorités et en sensations. La lecture défile

comme des tableaux émouvants tous ses sens. Ainsi, La terre tourne raconte tout ce qui se

passe, pareillement ici et ailleurs, pour tous et chacun, au rythme de la terre qui tourne perpé-

tuellement et invariablement, quoi qu'il arrive.

Que signifie ce 7175

accompagné d'un ½ ? Rien n'est parfait sur terre, la perfection n'est

pas de ce monde ? Ce petit ½ détail rend ce moment, ces minutes uniques et différentes des

autres. Ce sont ces petits détails, ces petites précisions, qui rendent la vie appréciable.

Sept minutes et demie est une ode176

à la pluie, à la ville, à la nuit. Un temps : Sept mi-

nutes et demie, un espace : une ville, que s'y passe-t-il ? Pendant que la terre tourne tranquil-

lement, encore et toujours. La ville est personnifiée, comme La terre tourne, le texte com-

mence et se termine pareillement (anaphore / épiphore) avec une petite variante d'ordre syn-

taxique :

« Mouillée, la ville …

… la ville mouillée » (emphase par une mise en apposition avec une inversion adjec-

tif/nom)

donnant une sonorité féminine au texte. Cette prosodie donne un effet d'insistance sur cet as-

pect de la ville. Cela donne une luminosité particulière à cette ville mouillée. Elle réfléchit les

lumières, elle luit.

174 « Intransigeante par rapport à ses dessins, elle commence à le devenir par rapport à ses textes qui sont, (…) d'une grande

qualité poétique. Elle a confiance en ses mots et elle pense à juste titre que l'on a chacun son vocabulaire pour exprimer les

mêmes choses… » http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html 175 « Associant le nombre quatre, qui symbolise la terre (avec ses quatre points cardinaux) et le nombre trois, qui symbolise le

ciel. sept représente la totalité de l'univers en mouvement. » in

http://gnese.free.fr/Projects/PingouinManchot/PingouinManchot/sept/sept.html 176 « poème musical », définition Le Littré.

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Comme La terre tourne, ce texte présente beaucoup de répétitions et de rimes. Des al-

litérations en « q » et en « p » par exemple et des assonances en « a » et en « i » majoritaire-

ment. Les phrases sont courtes et certains sujets elliptiques : « claque ses pas entre les

flaques », demandant un effort d'imagination au lecteur. Il doit s'impliquer dans sa lecture. Le

narrateur lui offre une part de création comme dans cette phrase non verbale : « sous la lune,

dans la ville mouillée ». Qui marche sous la lune, en évitant les flaques, dans cette ville

mouillée, la nuit ? Par une phrase interrogative, rédigée affirmativement : « qui chuchote les

secondes qui passent », le lecteur se demande à « quoi » fait référence ce « qui ». Est Ŕ ce la

terre qui tourne ? Une horloge ou un appareil qui décompte le temps qui passe, illlustrant ce

mouvement de la terre ? Cette phrase présente l'inexorabilité du temps qui passe, décompté

par sa plus petite unité, sans aucun temps d'arrêt, les secondes passent les unes après les autres.

Par opposition au titre Sept minutes et demie, qui représente un temps très court, face au

temps cosmogonique. Les choses sont interdépendantes les unes des autres. À l'exemple de :

« la lumière brille et fait briller le toit » / la terre tourne et fait tourner le monde. Le tout petit

entraîne le tout grand et réciproquement, l'immense englobe le minuscule et le groupe l'indi-

viduel.

Au fil de la lecture de ces deux textes, le lecteur partage les sensations ressenties par le

narrateur. Les répétitions, le mouvement, la structure textuelle et poétique (les sonorités) en

font des textes riches de sens et hauts en couleurs. Par ces textes, le narrateur fait vivre des

émotions au lecteur. Le narrateur textuel part d'une chose vue, entendue, vécue …177

pour

exprimer ce moment particulier à la manière d'un haiku178

dans Sept minutes et demie ; à la

manière d'une ronde pour La terre tourne.

b) Les textes à la troisième personne

Voyage : histoire racontée à la troisième personne du singulier, par l'utilisation du

pronom indéfini « on », il prend une valeur descriptive.

Le narrateur est un des personnages et l'histoire est racontée à travers son regard. Ici,

le narrateur part en voyage avec d'autres partenaires. Il voit des paysages, il imagine des dé-

cors, des « choses », des personnages …, il croise d'autres gens … Tout cela se passe en train,

177 « … s'imprégnant de touches, de détails qui deviendront plus tard, grâce au travail de mémoire, des images. Ses idées

naissent, (…) d'un savant mélange de réalités entre aperçues, de bribes de mémoire et d'effluves de rêves et d'imaginaire.

Pour mettre en forme ses idées, elle a besoin de calme. » « L'aspect narratif des albums avec ou sans image relève, aussi,

souvent de l'anecdote. » http://esaatcdi.canalblog.com/archives/livre_comme_air/index.html 178« Il peut faire partager, des émotions, des sensations, des impressions en puisant son essence dans les images de la nature.

(…) de l'ensemble doit se dégager ce que certains appellent un "esprit haïku". Indéfinissable en tant que tel. Il procède de

vécu, de ressenti, de choses impalpables. » in http://haiku.dumatin.fr/definition-haiku.php

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dans le train, de son départ à son arrivée, à travers la vitre du train, dans la gare, le long de la

voie ferrée … Le mouvement circulaire, le va et vient, les allers retours, les questions existen-

tielles, l'espace dedans / dehors, tout l'univers de cette narration évoque sans conteste celui de

La terre tourne. Ici, le narrateur vit les évènements décrits dans La terre tourne. Il fait les

mêmes constatations. Par l'emploi du pronom personnel indéfini de la troisième personne

« on », le lecteur se sent embarqué dans ce voyage à bord de ce train. Il participe lui aussi au

mouvement du monde.

- Les histoires racontées à la troisième personne « il », « elle », « on », « ils » … avec des

dialogues au discours direct et des pensées intimes.

Reviens sapin

De l’autre côté du lac

Comme des apartés au théâtre, le narrateur se parle à lui-même, il pense à voix haute de façon

à ce que le lecteur l’« entende » tel un spectateur.

La maison de Martin179

Mystère

Reviens sapin180

Ici, le lecteur découvre l'histoire du sapin de noël181

racontée à l'envers : le sapin retourne

décoré dans la forêt. Les personnages, Antoine, ses parents, son chat, les habitants du village

vont vivre un événement extraordinaire la veille de noël. L'histoire se déroule donc dans un

lieu précis, en un temps court et défini. Il se passe quelque chose sur terre, à un moment spéci-

fique, pendant que la terre tourne pareillement à son habitude. La fin est ouverte avec trois

points de suspension. Cependant, pour pleinement savourer le message de respect de l'envi-

ronnement de cet album, le lecteur a besoin des deux narrateurs textuels et imagiers. En effet,

l'ironie182

exprimée par la réplique de la maman : « quelle charmante promenade » a besoin du

179 « … l’opposition horizontalité/verticalité se résout dans la confusion entre l’eau et le ciel, l’un prenant la place de l’autre

dans un univers s’avérant parfaitement réversible. (…) terre et mer finissent par se confondre, (…) la maison devient navire.

Cet échange dynamique entre deux principes (… ciel et eau …) anime les histoires de manière circulaire. » Patrick Joole. 180 « C’était une commande de la ville de Nanterre pour offrir un album aux enfants à noël via la maison d’édition du Sorbier.

Je les ai faits plus vite. On a dû me les demander vers janvier Ŕ février et je les avais terminé l’été ! Puis, ils sont sortis pour

les fêtes de fin d’année. J’avais présenté plusieurs projets : la ville de Nanterre a choisi Reviens sapin mais la maison

d’édition a pris aussi Cartes postales. Dans ce projet retenu pour Nanterre : Reviens Sapin, j’ai fait aussi une version tout

public et l’éditrice en a pris deux avec Cartes postales. Par la suite, pour le Sorbier j’en ai fait deux autres : La maison de

Martin et Promenade au bord de l’eau. » Extrait de l’entretien téléphonique du 15/11/2010. 181« c'est peut-être en Alsace qu'il faut chercher l'origine de l'arbre de Noël. Dans ce pays, les charmes de la poésie ont enve-

loppé tous les actes de la vie publique et privée. Si la tradition rapporte que dès 1521 on décorait avec des branches coupées 3

jours avant Noël, on n'avait pas encore recours au sapin entier. En 1546, la ville de Sélestat en Alsace autorise à couper des

arbres verts pour Noël, au cours de la nuit de la Saint Thomas. Cependant nous trouvons la plus ancienne mention de l'arbre

de Noël comme sapin entier dans une description des usages de la ville de Strasbourg, en 1605 seulement. » in

http://www.france-pittoresque.com/faune/50.htm 182« Raillerie particulière par laquelle on dit le contraire de ce que l'on veut faire entendre. » dictionnaire Le littré

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narrateur imagier pour être saisie visuellement. La fin suggérée par le narrateur textuel est

illustrée par le narrateur imagier afin que le lecteur voie et comprenne la portée de ce message

écologique.183

Pour que la terre puisse continuer de tourner sans problèmes, les arbres doivent

être respectés dans leur environnement.184

Ainsi, les ombres s'allongent au rythme de la terre

qui tourne. Le chat semble les avertir avec son « miaou », les adultes baissent « les bras » et

« les yeux » tandis qu'un enfant comprend la situation. Dans l'univers d'Anne Brouillard,

chaque élément est important et chacun a sa place. Le tout se retrouve dans chacun et récipro-

quement. L'équilibre vient de l’interdépendance de tous dans le respect de l'indépendance de

chacun. Ici, le départ et l'arrivée de l'histoire se déroule dans le même espace visuel.

De l’autre côté du lac

« C’est une histoire de points de vue. Une fille, sa tante et leurs chats habitent d’un côté du lac. Cet

album est aussi inspiré de la Suède, le même lac que la terre tourne ! C’est sa lumière … Ici, remis

dans un contexte plus réel, un enfant ne va pas habiter seul ! Donc, j’ai mis sa tante et leurs deux

chats … au départ, une histoire d’observation de l’autre côté du lac : quelque chose qu’ils voient

mais qu’ils n’identifient pas … ils partent voir … De l’autre côté, ils voient leur maison et quelque

chose qu’ils n’identifient pas …

J’ai fait un trajet plus long, plus détaillé, car c’est quelque chose d’important dans le cheminement

de l’histoire.

Quelque chose d’autre sur le plan humain de l’autre côté du lac, j’ai mis une « plaine » aire de jeu

avec un toboggan, des balançoires … et un autre enfant qui habite dans une des maisons qu’ils

voient, celle avec une barque jaune et d’ailleurs, cela leur permet de revenir en barque sur le lac

car ils vont sympathiser …

Les chats et les humains parlent aussi, les chats font leurs commentaires mais on ne sait pas réel-

lement s’ils parlent, comme si on ne pouvait pas s’imaginer qu’ils parlent car les humains ne ré-

pondent pas directement au chat. Par exemple au moment de faire les sandwichs : « plus de jam-

bon, pas de cornichons avec le pâté parce que j’aime pas ça … » On ne sait pas s’il le dit réelle-

ment ou pas, ce sont des commentaires drôles. Il est intéressé uniquement par le panier à pique-

nique ! »185

Le narrateur textuel entretien l’ambiguïté.186

Par deux fois, les chats sont intégrés au

discours sans que le lecteur puisse décider si « oui ou non » les chats ont réellement parlé et si

les êtres humains les ont entendus : Page 16 « décident-ils tous ensemble » et page 34

« Oh oui ! Quelle bonne idée ! ». Qui parle ? Le lecteur est libre de son interprétation. Tout au

long de leur balade, les chats demandent à faire une pause mais les êtres humains répondent

autre chose. Les ont Ŕ ils entendus ? Est Ŕ ce une réponse ou une autre réplique sans rapport ?

L’effet est à la fois désorientant et enthousiasmant pour le lecteur qui cherche les indices tex-

183« Écologie : Science qui étudie la dynamique des populations et des peuplements (animaux, végétaux ou microbes) et le

fonctionnement des écosystèmes et des paysages (cycle de matière, flux d'énergie) » in http://www.futura-

sciences.com/fr/definition/t/developpement-durable-2/d/ecologie_133 184 À ce propos, lire par exemple : Irène Frain, La forêt des 29, éditions Michel Lafon, 2011. 185 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 186 Doute que le lecteur ne ressent pas quand il « entend » le chat Mystère dire « bonjour » à Kÿt.

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tuels pour délibérer … décision qui semble impossible mais la lecture prend une tournure de

chasse aux mystères de la langue « de chat » !

« Les points de vue, j’y ai pris énormément de plaisir, je l’ai fait de façon concentré de l’été à no-

vembre 2010. Pendant cette période, dans les dessins, des choses ont bougé mais je n’ai pas pu al-

ler plus loin … ! Je n’ai pas encore le recul, de cet album, mais il s’en dégage de l’énergie car je

l’ai fait dans un temps moins dilué. Je suis très attachée à ces lieux et à ces personnages. » 187

La maison de Martin188

Une maison qui s'envole, comme les sapins, tout est possible sur cette terre qui tourne.

C'est le vent qui est responsable et Martin n'y peut rien. Comme le texte de La terre tourne,

l'incipit et l'excipit de cette histoire sont identiques avec une variante : l'environnement a

changé : la plaine est remplacée par l'océan. La terre est devenue l'eau189

, le cycle de création

est inversé. Martin a changé d'élément de vie mais pas de lieu de vie. Sa maison s'est trans-

formée en bateau. « Martin habite une haute maison rose dans une vaste plaine que le vent

traverse en courant / Martin habite un haut bateau rose sur un vaste océan que le vent traverse

en courant. »

Ici aussi, le narrateur imagier est nécessaire pour comprendre le jeu de mots du narrateur tex-

tuel.

Mystère

Kÿt fait partie de ceux qui vont « voir le monde », ceux qui « vont et viennent de part le

monde » pour voir ce qui s'y passe. Ici aussi, le point de départ et le point d'arrivée est le

même lieu : la maison de Kÿt. Entre les deux, la terre a tourné, une nuit est passée, pendant ce

temps, elle a voyagé. Elle ne suit pas un chemin mais des traces de pas, elle est guidée par …

un chat qui parle. Ici, le chat est son guide, il lui fait découvrir la forêt, la neige, les oiseaux, le

refuge … le monde puis la reconduit et l'accueille chez elle. Il fait bon chez soi, à l'exemple

de « ceux qui restent parce qu'ils sont bien là ». La maison est toujours là, elle attend le retour

de son hôte. Dans Mystère, le lecteur avance au rythme des pas de Kÿt, au rythme de la terre

qui tourne. Afin de répondre sans ambiguïté à la question : « où donc m'emmènent ces pas ? »

que se pose Kÿt, le narrateur imagier est nécessaire. Le lecteur voit en effet le chat Mystère

assis avec deux tasses de thé ou de café attendre le retour de Kÿt. Les deux narrateurs appor-

tent leur complément d'informations. D'ailleurs, Kÿt et Mystère sont deux personnages de La

terre tourne.

187 Extrait de la rencontre avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse. 188 « Elle s’est vraiment envolée, sa maison … Il ne l’a pas rêvé ! » Extrait de l’entretien téléphonique du 03/12/2010. 189 Comme dans Temps de chien, « la mer tombant du ciel » : Gérard Genette, Figures I, éditions du Seuil, essais, 1966, p. 15.

« … si le reflet se révèle un double, (…) l’envers vaut l’endroit, le monde est réversible. » Ibidem., p. 14.

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Dans ces quatre albums, nous pouvons dire que le narrateur imagier a un point de vue

omniscient car, il sait par avance jusqu'où il amène le ou les personnages de l'histoire.

- Les histoires racontées à la troisième personne (singulier et pluriel) et échanges oraux ou

écrits : dialogues ou correspondances au discours direct et à la première personne du singulier

« je ».

Le temps d'une lessive190

Le grand murmure

Pour chaque carte, le narrateur est un des personnages de l'album qui se fait scripteur et le

contenu de la carte est rédigé à travers son point de vue de rédacteur.

Cartes postales191

Le temps d'une lessive

Comme une pièce de théâtre, Le temps d'une lessive s'organise autour de dialogues ou « ti-

rades »192

entre cinq personnages, majoritairement entre la grand Ŕ mère et le voisin. « Cet

album est à part » avoue Anne Brouillard, « c'est un délire déclenché par une scène que j'ai vu

dans un lavoir. » Cet album, édité en l'an 2000, corrobore avec « la peur de l'an 2000 et des

extra Ŕ terrestres » car, comme ils le disent « les gens ont peur de tout » mais il faut bien re-

connaître que « nous sommes bien plus dangereux avec notre pollution. » Comme dans l'al-

bum Reviens sapin par exemple, le lecteur retrouve ici un message en faveur du respect de

l'environnement. Ici, la terre est une planète de l'univers, une parmi tant d'autres, « elle tourne

dans l'univers, parmi les étoiles » et les gens sont « tout petits » au sein de ce cosmos

« géant ». Dans cet album encore, pour contrebalancer la dénonciation des dangers d'un désé-

quilibre encouru à cause des activités humaines, l'humour et les propos « loufoques » en appa-

rence désamorcent la gravité par le rire ou le sourire complice. La légèreté des propos n'est

jamais anodine chez Anne Brouillard. Une lecture en profondeur permet d'en saisir la portée

universelle. Qui a dit que l'être humain pensait d'abord à bien manger, où qu'il se trouve ?193

190 « Un album à part des autres ? C’est un livre de martiens celui-là ! Par l’ambiance et la technique. Ce sont des formes

dessinées mises en couleurs. J’ai fait mes crayonnés sur mon cahier de peinture mais à cause du grain et avec beaucoup de

crayon, les feuilles devenaient toute grise, à force de dessiner, d’effacer et de recommencer ! Avec l’encre et l’aquarelle, ça

ternissait fort. J’ai fait le crayonné sur du papier de croquis, le grain du papier est plus fin puis je l’ai passé à la photocopieuse

avec mon aquarelle. L’encre laisse une trame mais ça rigidifie le dessin. Il n’y a que sur la page de garde, j’étais enfin assez à

l’aise pour le faire directement à la plume. Sur l’album, ça a donné ce côté très raide. C’est un délire déclenché par un « la-

voir ». Il s’y passe des tas de choses, et on y passe beaucoup de temps. J’aurais aimé un dessin plus souple, plus à l’aise, faire

le dessin juste en direct. » Extrait de l’entretien du 07/11/2010. 191 « Les illustrations, sont comme un renvoie en vis-à-vis, de gauche à droite. » Extrait de l’entretien téléphonique avec

Anne Brouillard du 31/01/2011. 192« Ce qu'un personnage débite sans être interrompu. » Dictionnaire Le Littré. 193« Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. » L’Avare (1668), Citations de Jean-Baptiste Poquelin, dit Mo-

lière.

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Le narrateur imagier apporte une autre dimension au texte. Sans les illustrations, le

lecteur assiste à une conversation « décousue » mais suivant une progression à thème linéaire

malgré tout :

lessive → couleurs → séchage → nuit → lune : « pleine lune »

plantes → jardin → bassin : « peur »

univers → pollution → planètes : « manger »

pâte à crêpes → mari (TV, manège, mousse) : « renversant »

essorage → séchage → humidité → rentre en autobus → papy / crèpes !

Les personnages s'écoutent et se répondent, une idée en amenant une autre et ainsi de

suite. Cependant, les répliques des enfants : « Au revoir petits poissons, disent les enfants. -

Bon retour les habits. » interpellent le lecteur. D'où viennent ces poissons ? Y a t'il un aqua-

rium dans ce lavomatique ? Afin de profiter pleinement de cet album, le narrateur imagier est

nécessaire. Il donne à voir ce qu'imaginent les enfants dans leur tête au fur et à mesure que les

adultes progressent dans leur conversation et selon le linge (couleurs, motifs ou uni) qui

tourne dans les machines à laver. L'imagination des enfants est déclenchée par les propos des

adultes qu'ils entendent alors qu'ils regardent le linge tourner à travers les hublots. Ici, les

deux narrateurs imagiers se retrouvent parallèlement : La terre tourne : page 10 / Le temps

d'une lessive : le hublot de la machine à laver. Où la rotation du tambour de la machine est

comparée au mouvement de la terre qui tourne.

Ici, le livre se retourne pour suivre le mouvement de la lecture comme dans La maison de

Martin par exemple. La terre tourne, tout tourne avec elle, suivant son mouvement, parfois, le

lecteur doit faire de même avec le livre, imitant le mouvement de la terre qui tourne.

Le grand murmure

L'excipit renvoie à l'incipit, l'entrée et la sortie dans l'histoire se réfléchissent comme dans

La terre tourne. Le narrateur présente le cadre extérieur et sous marin afin de mieux mettre en

valeur, par contraste, les bruits sur terre. Ici aussi, comme dans Le temps d'une lessive, l'his-

toire se déroule le temps d'une conversation, téléphonique cette fois Ŕ ci.

Kÿt se demande où vont ses pas ? Martin où est sa maison ? Antoine où sont allés les sa-

pins de noël ? Etc … Ici, les deux interlocuteurs, un enfant et son correspondant, se deman-

dent où vont les mots qu'ils disent, par où passent Ŕ ils ? Comme les chemins, ils ne s'arrêtent

jamais, tout comme la terre dans l'univers, ils circulent librement, comme l'air, ils passent à

travers tous les obstacles.

Que se passe-t-il sur terre, ailleurs, le long des fils téléphoniques, le temps de leur conver-

sation ? C’est le rôle du narrateur imagier, il sait lui, ce qui se passe, où, comment et pour qui

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… il le montre au lecteur. Comme dans Le temps d’une lessive, il donne à voir l’imagination

des enfants. Ici, il illustre aussi cet intervalle temporel et spatial. Comme dans La terre tourne,

le monde bouge, vit, est animé. Le vent souffle, le train passe … le bruit et le silence vont de

paire « le silence est rempli de voix », tout comme la terre tourne « sans qu’on y pense », les

deux faces d’un même élément sont complémentaires et interdépendants. Comme le « plus »

et le « moins », le « yin » et le « yang », ils s’équilibrent. On apprécie le silence par opposi-

tion au bruit ; le bruit casse le silence.

Cartes postales

La correspondance est écrite ici. C’est un album épistolaire en chaîne, rédigé et expédié

tout autour de la terre. Les deux enfants, Pimpinelle et Marin s’écrivent une carte postale par

oiseaux voyageurs. Pimpinelle194

Saxifrage195

manque d’eau pour ses plantes, Marin196

, lui,

en a trop. Elle lui demande donc son aide qu’il accepte, le « trop » va équilibrer le « pas as-

sez ». Ce sont les oiseaux noirs, corbeaux ou corneilles, qui transportent les cartes postales, le

soleil et la pluie. Les oiseaux font la pluie et le beau temps.197

Les animaux aussi participent à

cet équilibre, tout comme les êtres humains, ils vivent aussi sur terre et chacun est dépendant

de son milieu environnant, le biotope. Ainsi, tout au long de l’album, le lecteur découvre la

série de cartes postales questions Ŕ réponses suivantes :

Pimpinelle écrit à Marin qui lui répond : soit Pimpinelle ↔ Marin

Chien → oiseaux → chats → serpents → canards → écureuils → poissons → chien

Le narrateur « graphique » a un point de vue omniscient. Il sait « à qui écrivent les ca-

nards ». Le narrateur responsable des « pictogrammes » a une vue d’ensemble. Ici, le narra-

teur textuel adapte son graphisme198

selon l’émetteur, le récepteur, l’espace de vie et les be-

soins naturels : « les plantes ont besoin d’eau pour pousser. » Cet album illustre la circulation

du temps qui passe, des saisons, tout autour de la terre, qui tourne dans l’univers. Les sys-

tèmes de communications sont différents mais les propos et les préoccupations sont com-

munes : vivre sur terre en préservant l’équilibre sur cette même terre. Comme dans Mystère,

les traces peuvent être visuelles « traces de pas » ou symboliques « traces sur le papier », les

194 « Nom donné au genre boucage, ombellifères. » dictionnaire Le Littré. 195 « Nom donné à une ombellifère. » Ibidem. 196 « Qui est de mer. » Ibidem. 197 « Cette expression qui date de 1732 fait une possible référence aux dieux mythologiques qui avaient le pouvoir de maîtri-

ser les éléments et, selon leur bon vouloir, de rendre le ciel éclatant ou très menaçant au-dessus des simples mortels. Mais,

croyance évoquée par Voltaire dans "Réflexion pour les sots", on ne peut oublier aussi qu'à Paris, Sainte-Geneviève était

supposée avoir le pouvoir d'interrompre les pluies torrentielles ou les sécheresses les plus graves. » in

http://www.expressio.fr/expressions/faire-la-pluie-et-le-beau-temps.php 198 « L’icône correspond à la classe des signes dont le signifiant entretient une relation d’analogie avec ce qu’il représente,

c'est-à-dire avec son référent. Un dessin figuratif, (…) représentant un arbre ou une maison sont des icones dans la mesure où

ils « ressemblent » à un arbre ou une maison. » Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, Nathan Université, collec-

tion 128, 1993, p. 27.

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unes guident les pas sur les chemins sans fin, les autres conduisent les mots entre les êtres

d’un lieu à l’autre. Chacun a besoin des autres, les mots circulent, les traces restent, pendant

que la terre tourne toujours.

- Texte raconté à la troisième et à la première personne.

Le bain de la cantatrice : Une chanson pour un caprice balnéaire.

Premier couplet avec une incise à la première personne du singulier « je » : « je m’en vais

… » avec le point de vue de la cantatrice.

Deuxième couplet descriptif raconté à la troisième personne, elle raconte ce qu’elle déclenche

dans la vallée.199

Troisième couplet : dénouement, la fin de la chanson qui renvoie au premier couplet.

Un autre album pour illustrer combien l’équilibre de la vie sur terre est fragile. Même

si la terre tourne même si on n’y pense pas, le temps passe, change, bouge et peut basculer

même si on l’a oublié. C’est ainsi que, pendant que la terre tourne pareillement, pendant que

la cantatrice chante pour faire tomber la pluie, des gens doivent quitter leur espace de vie en-

glouti sous les eaux. À chacun sa méthode pour avoir de l’eau ! Ici, au moment du bain mati-

nal, le temps qui se réveillait tranquillement s’affole tout à coup, en réaction au chant de la

cantatrice. La pluie se déchaîne, l’eau monte encore et encore, pendant que la terre tourne

lentement, imperturbable, les nuages eux, accélèrent le rythme. Tout comme le vent peut

n’être qu’air, la pluie une brume, les éléments peuvent se déchaîner sur terre, dans le ciel mais,

la terre tourne toujours au même rythme et dans le même sens.

Le texte est musical par sa présentation (sur une portée200

) et par ses sonorités (rimes,

répétitions et onomatopées). Il présente de nombreuses répétitions. Ces insistances permettent

au lecteur de prendre conscience de l’ampleur des dégâts car, « une flaque d’eau est devenue

un océan ». Le comique de la situation est accentué par ces répétitions. L’effet voulu est de

dénoncer tout ce qu’un caprice d’une seule personne peut déclencher comme catastrophe pour

tant d’autres. Ici, le « ridicule ne tue pas ».201

Cette cantatrice et son caprice rappelle la Casta-

fiore202

et les siens. L’une énerve les nuages avec son chant, l’autre brise les vitres avec ses

vocalises et réveille ses comparses. Le narrateur imagier participe aussi de cet humour. En

effet, pendant qu’elle prend son bain dans l’océan, les gens partent sur des bateaux mais, ils

199 « C’est elle qui raconte, toujours elle qui chante. D’ailleurs, c’est cette chanson qui provoque cette pluie. » Extrait de

l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 200 « J’ai fait de la musique, je suis capable d’écrire une portée, une partition … malheureusement, je n’ai plus le temps de

pratiquer la musique ou un instrument. » Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 201 Louis Gauthier "Le ridicule ne tue pas, mais il met mal à l'aise." Les grandes légumes célestes vous parlent (1973). 202 Les bijoux de la Castafiore, Hergé, éditions Casterman, 1963.

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continuent de : regarder la télévision, faire sauter des crêpes, lire le journal … comme si de

rien n’était. Ils n’ont pas l’air affolé du tout. Tout comme le voisin du Temps d’une lessive,

tout ce qui semble importer à ces gens, c’est de bien manger, pouvoir vivre tranquillement

quelque part dans l’univers. Si La terre tourne tranquillement, les habitants de la terre aspirent

au même rythme de vie. Où qu’ils aillent, ils veulent « être bien » car, quoiqu’il arrive, La

terre tourne toujours inexorablement.

c) Les textes à la première personne « je » 203

:

l’histoire est racontée à travers le regard d’un personnage

Il va neiger

Le narrateur est le héros de l’histoire qu’il raconte.

Le pays du rêve204

Le rêve du poisson

Le chemin bleu205

Il va neiger

À la manière de La terre tourne, le texte commence et se termine par une même phrase avec

une variante :

- « Il n’y a plus personne (sous entendu dedans la maison). Si, le chat … »

- « Il n’y a plus personne dehors. Si, les oiseaux … »

« Certains partent, d’autres restent parce qu’ils sont bien là. » Pendant que La terre tourne,

la nature vit, le monde est animé, chacun a son propre rythme, tout doucement, le jour devient

la nuit, les flocons des étoiles206

… imitant le rythme de la terre qui tourne. Le chat est encore

présent, il attend « près de l’écluse », dans la maison, dans le jardin, protecteur réceptif aux

vibrations de la terre, aux ondes émises par le mouvement circulaire de la terre dans l’univers.

203 « … narrations dans lesquelles narrateur et personnage ne sont qu’une seule et même personne. (…) prennent la forme

d’un monologue intérieur, d’une confession ou d’un témoignage. (…) Ce choix narratif provient, … de la tendance … à

privilégier l’identification du lecteur au héros, au moyen d’une écriture intimiste. Il s’agit, pour le narrateur, d’être au plus

près de la parole de l’enfant ou de l’adolescent … mais aussi de mettre en place une stratéfie apte à capter ou à séduire en

limitant la distance énonciative. » Marie Ŕ Hélène Routisseau, Des romans pour la jeunesse ?, Belin, 2008, pp. 95 Ŕ 96. 204 « Certains albums sont associés à une musique, Le pays du rêve est associé à Bobby Mc Ferrin. » Extrait de l’entretien du

07/11/2010. 205 « En tant qu’adulte, il se voit enfant. Je voulais réaliser un album sans ligne du temps. Des époques différentes sont en-

tremêlées. Impossible dans l’écrit mais possible dans l’image. C’est le point de vue de l’adulte qui se voit enfant qui devient

le point de vue de l’enfant. On échange les points de vue. La même personne à deux époques différentes qui se croiseraient.

L’adulte revient et se voit enfant… ce que tu as vécu n’a pas complètement disparu, tu reviens sur les chemins, tu te revois

enfant. » Extrait de l’entretien téléphonique du 31/01/2011. Le lecteur peut aussi penser au roman graphique d’Olivier Ka et

Alfred, Pourquoi j’ai tué Pierre. 206 « Chez Anne Brouillard, (…) les flocons de neige sont devenus des étoiles. Dans ses albums, la lumière vibre et se colore

selon les heures du jour, » et de la nuit, « au fil du temps qui passe. Froide et bleutée quelquefois, orange et chaleureuse, à

d’autres moments. Anne Brouillard excelle à rendre les atmosphères. » Michel Defourny :

http://www.litteraturedejeunesse.cfwb.be

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Les troncs d’arbres aussi sont immobiles, La terre tourne, Le chemin bleu, tout comme la

maison, ceux qui restent, les arbres ne bougent pas, ils attendent le retour des autres. Comme

la porte, la gare sont des lieux de passages sur terre, les chemins, la voie ferrée sont des lieux

de voyages tout autour de la terre. Le texte s’apparente à une réflexion, une pensée intime du

personnage. Quand « il » ou « elle » se retrouve seul(e), « non », avec le chat pour compa-

gnon, il laisse s’échapper son esprit, il laisse voyager ses divagations, il voit en imagination

les autres qui sont partis, où ils sont et ce qu’ils font pendant que la neige et la nuit tombent.

Les autres sont des enfants qui sont partis faire de la balançoire dehors. Le rythme semble

ralentit, feutré, les répétitions renforcent l’effet de cette cadence calme et ralentie.

Le narrateur imagier montre le paysage, l’espace de vie intérieur, les autres qui sont

partis : un couple, un chien, deux enfants, le chat noir mais, jamais le narrateur textuel. Qui

parle ? Le lecteur doit imaginer d’après les indices textuels et imagiers qui lui sont offerts. Ici

comme ailleurs, il a neigé, la terre tourne et le soir, chacun rentre dans la chaleur des inté-

rieurs car l’hiver, on vit au-dedans comme l’annonce le narrateur du pays du rêve. Au rythme

de la terre qui tourne, les bébés grandissent bien au chaud, dans le ventre de leur mère, nais-

sent et un nouveau cycle recommence. Ainsi, l’intérieur chaud des maisons symboliserait

cette matrice ronde et chaude :

- le ventre maternel pour les bébés

- la terre pour les habitants terrestres

- la maison pour les êtres humains (et les animaux)

Le pays du rêve

La terre tourne dans l’alternance des jours et des nuits. Suivant ce rythme binaire, le narra-

teur vit dans deux mondes, d’un rêve à l’autre, d’une réalité à l’autre. Son rêve est tellement

fort qu’il devient réel. Comme Dorothy207

, elle revoit dans ses rêves les gens, les choses

qu’elle connaît, son environnement mais, différemment. Un autre monde à l’envers, de l’autre

côté du miroir, comme le monde d’Alice208

. « À l’envers de l’eau » comme l’annonce la

chanson d’accueil. Si la terre tournait dans l’autre sens, le monde serait Ŕ il à l’envers ? Sur

terre, l’eau tombe du ciel, le cycle de l’eau accompagne le cycle de la terre qui tourne. Au

pays du rêve, l’eau semble venir d’en bas, de la terre. Comme dans Le rêve du poisson, le

narrateur découvre qu’avant, le globe terrestre était recouvert d’eau, d’ailleurs, on l’appelle

encore « la planète bleue ». Ici, le temps s’écoule en jour et en nuit avec des ellipses plus ou

moins longues car :

207 Le magicien d’Oz. 208 Alice au pays des merveilles.

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- de l’automne → l’hiver approche

- la pluie → devient de la neige

La narration est au passé car le présent est celui de l’adulte qu’Éloïse est devenue.

La ligne de chemin de fer représente le passage d’un pays à l’autre, la porte

l’intermédiaire dedans / dehors et l’entrée de la propriété l’accès d’un monde à l’autre. Au fil

des jours et des nuits, le narrateur textuel raconte sa vie (en police normale), ses rêves (avec

un lettrage en italique), le mouvement de la terre qui tourne. La narration à la première per-

sonne du singulier rend crédible le récit, le narrateur prend le ton de la confidence. Le lecteur

partage ses doutes pour enfin y croire. Mais, était Ŕ ce vrai ? Le narrateur imagier donne à

voir ce pays du rêve, en pleine page et en couleurs. La terre tourne toujours au même rythme

mais, la nuit, les images défilent plus lentement tandis que le jour, les évènements, les actions

se succèdent les uns après les autres sur un rythme plus rapide alors que la terre tourne tou-

jours au même rythme, le jour comme la nuit. La terre est notre monde … en existe-t-il un

autre ? Comme semblent le suggérer la grand-mère et son voisin ?

Le rêve du poisson209

Si Éloïse rêve d’un autre monde et le cherche, Colin bascule dans un autre monde sans s’y

attendre. Pour ces deux narrateurs textuels, l’autre monde, l’autre dimension existe, ils en ont

fait l’expérience. Cependant, si Éloïse doute de son existence, qu’a-t-elle vu au juste ? Colin

n’en doute pas, il subsiste des traces réelles. Ce monde210

parallèle tourne t’il parallèlement à

la terre, dans l’univers ? Le fait que Colin ait vécu cette expérience, puis sa sœur, son retour

bien plus tard sur les lieux, cette maison qui a une âme, tout concourt vers l’idée que sur terre,

tout est vivant. Chaque élément a une âme211

. Comme dans Le chemin bleu, les murs gardent

des traces, des souvenirs, de notre passage sur terre, à l’exemple du carnet de voyage dans

Mystère. Les traces de son mouvement sont matérialisées par l’ombre des arbres qui tournent

et s’allongent au sol. L’eau et le vent sont toujours les éléments nécessaires à la vie sur terre.

Cependant, trop d’humidité dans l’air empêchent la vie terrestre. Les poissons vivent dans les

profondeurs de l’océan (Le grand murmure). Les gens vont et viennent sur terre, comme les

209 « Anne a un univers particulier, une façon de traiter l’image et la narration propre, elle a un esprit particulier, une façon

de regarder les choses qui la rend reconnaissable, qui lui est propre, elle a ce qui s’appelle un « style » en littérature. Dans

cet album, elle a une dimension plus large, il n’est pas facile d’accès, elle bouge les codes, les frontières, il a une atmosphère

angoissante, presque malsain mais elle le traite avec beaucoup de légèreté et d’intelligence. Il y a pas mal de mystère,

l’univers de cet album est étrange, dérangeant, suintant, humide, verdâtre. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Frédéric

Lavabre, du 17/11/2010. 210 « Les hommes ont besoin de dire le monde et de le penser. (…) Pour donner forme et sens aux mystères du monde, à son

« inquiétante étrangeté ». Édwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse, op. cit., p. 13. 211 « Le principe immatériel de la vie. » Dictionnaire Le Littré.

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nuages dans le ciel et le vent dans la plaine. Chaque élément a sa place dans l’univers et dans

le cycle de la vie.

Le narrateur imagier dépeint ce monde humide et verdâtre, il donne leur apparence aux

poissons et à l’environnement. Par ces illustrations à la plume et à l’encre, le narrateur imagier

montre au lecteur ce que le narrateur textuel vit et raconte. Il donne à voir l’incroyable, attes-

tant ainsi les dires du narrateur textuel.

Le chemin bleu212

Ce narrateur fait partie des gens qui « veulent aller voir ce qu’il y a derrière le tournant du

chemin ». Il veut faire le tour de la terre. Comme le narrateur de Voyage, il a vu des pays.

Comme le narrateur du Rêve du poisson, il est revenu sur les lieux de son enfance. Comme le

narrateur de Mystère, il rentre chez lui, il est bien « là où il est », maintenant, dans le présent.

La terre elle a continué, continue et va continuer de tourner toujours dans le même sens et au

même rythme, même si le narrateur voyage dans l’autre sens, comme le train ou les mots qui

passent dans les fils. Le chemin bleu213

symbolise ce chemin qui n’en finit pas, sur terre mais

aussi dans le ciel « bleu », sur la mer « bleue », sous l’océan « bleu ». Il illustre aussi le mou-

vement circulaire de la terre, l’ombre tourne autour de l’arbre, comme l’eau des rivières,

l’ombre ne s’arrête jamais, la terre tourne encore et toujours, imperturbablement. Si dans La

terre tourne le bébé est devenu un enfant, dans Le chemin bleu, Le rêve du poisson, Le pays

du rêve, le narrateur enfant est devenu un adulte, il a voyagé, il a grandi, il est revenu. L’arbre,

la maison … restent toujours. La terre, elle, tourne toujours quoi qu’il arrive, quoi qu’il se

passe, que le narrateur voyage longtemps ou pas, grandisse ou reste sur place.

Le narrateur imagier grave le monde imaginaire du narrateur enfant. Mais aussi, le narrateur

imagier joue avec le regard du lecteur. En effet, le texte est elliptique sur toute la période des

« voyages » du narrateur, les illustrations superposent les deux narrateurs enfant et adulte sur

une même image, matérialisant ainsi cette ellipse temporelle entre le départ et le retour du

narrateur dans le même espace, sur le même lieu. Une belle façon d’accélérer le temps et de le

montrer au lecteur en un clin d’œil.

212 « J’ai découvert une mélasse rousse dont je me sers désormais pour chauffer l’ombre bleue portée par les maisons et cer-

tains arbres clairs. (…) L’ombre est insécable. (…) Je me heurte à la texture de l’ombre. La multiplicité des parcelles entrela-

cées, l’enchevêtrement des feuilles si fines, oscillantes, en perpétuel mouvement… » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 160.

168-169. 213 Ce titre et l’image qu’il évoque au lecteur rappelle l’univers du roman de Jean Hansen, Hubert ou le chemin bleu, La

bougie du Sapeur, 1991.

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3) Comment La terre tourne est évoquée à travers les sens ?

a) Le lecteur entend la terre tourner (elle est sonore)

b) Le lecteur voit la terre tourner (elle est en mouvement perpétuel)

c) Le lecteur sent la terre tourner (elle est odorante)

a) Si le mouvement de la terre qui tourne ne fait pas de bruit, la vie sur terre est

bruyante, bruissante, claquante, tintante … brisant le silence de cette terre qui tourne encore et

toujours. Le silence se retrouve au fond des océans, des forêts, de la nuit ; dehors, dans la

neige, sous le soleil. Car, la terre tourne silencieusement, « dans un moment de silence »

comme dans l’agitation des hommes, de la nature ou des animaux. Les bruits peuvent être

doux ou étouffés, secs et nets, quotidiens, rassurants ou inquiétants, inhabituels. Les bruits

interpellent et le silence laisse songeur, parfois, les bruits informent d’évènement que les per-

sonnages ne voient pas. L’univers sonore sur terre se retrouve dans le lexique utilisé et dans

l’arrangement musical des mots. Par une lecture à haute voix, le lecteur peut savourer à

l’oreille la prosodie des histoires. Les textes résonnent entre eux214

et riment, ils s’interpellent

comme une musique autour de son refrain « La terre tourne ».

b) Le jour alterne avec la nuit, l’ombre avec la lumière, la ville avec la vaste plaine …

Le narrateur voit le chemin, l’autre bout de la terre, la ligne d’horizon, des pays sans fin …

Au rythme de la terre qui tourne, le lecteur voyage avec le narrateur, il voit tous ces paysages,

les couleurs de l’aube, du crépuscule, les couleurs des saisons qui passent. Il est possible de

voir le mouvement de la terre qui tourne grâce aux nuages, grâce à leur reflet, grâce aux

ombres qui s’allongent … Même si le déplacement de la terre ne peut pas se voir depuis la

terre, les étoiles, la lune, le soleil, l’observation de ce qui se passe tout autour montre que la

terre tourne inlassablement. Que les images qu’il voit défilent comme dans un train215

, que le

narrateur aille voir le monde, le tournement de la terre est modélisable depuis la terre, visible

depuis l’univers. Il existe et continue invariablement.

c) Le souffle du vent fait ressentir le mouvement de la terre, l’air circule toujours, per-

mettant la vie sur terre. Les odeurs216

accompagnent le rythme quotidien : les aromes du café,

214 Et avec d’autres aussi … Par exemple, « la pluie qui tambourine » sur le toit de la véranda De l’autre côté du lac évoque

au lecteur l’atmosphère de Tove Jansson dans Le livre d’un été. En effet, cette auteure a bercé l’enfance et la jeunesse d’Anne

Brouillard … « c’est encore quelque chose de profond en moi … » 215 « Être nulle part mais y être vraiment (comme les trains). » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 62. 216 « Les odeurs sont importantes, elles évoquent tout ce qu’on a vécu, elles sont comme une enveloppe de souvenirs et de

sécurité. » Tove Jansson, Le livre d’un été, Albin Michel, 1978, p. 111.

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les odeurs de la ville, le parfum de la rosée du matin … Les odeurs permettent aussi de ressen-

tir les saisons : froides en hiver, elles sont chaudes en été. Les odeurs connues et rassurantes

accompagnent ce rythme lent et régulier de la terre qui tourne. Les odeurs inconnues et désa-

gréables annoncent une perturbation dans ce rythme, suscitant un malaise ou un déséquilibre.

Par ces trois sens, le narrateur exprime la régularité, l’ordre naturel et normal de la terre

qui tourne. Quand un des sens détectent quelque chose d’inhabituel, d’étrange, de désagréable,

alors, La terre tourne toujours « même quand on n’y pense pas » mais, le narrateur se re-

trouve en décalage par rapport à ce rythme régulier. Le lecteur s’implique d’autant plus dans

sa lecture qu’il a envie d’aider le narrateur à retrouver ce rythme berçant et rassurant de la

terre tournant.

Correspondances : un art poétique idéaliste217

La Nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L’homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent

Dans une ténébreuse et profonde unité,

Vaste comme la nuit et comme la clarté,

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,

Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,

ŕ Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,

Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,

Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

4) Le mouvement / La rotondité

Tout tourne, tout tourne rond,218

à l’image de La terre tourne autour d’ « un tout petit

monde 219

». Le « o » est rond, le « r » l’arrondi, les mots deviennent « ronds », tout autour de

la terre220

. Car, la terre est ronde et tourne en rond. Les crêpes sont rondes, les roues, les ronds

de fumée, les gouttes d’eau, les points d’eau, la lune, le soleil, la tasse à café, les hublots …

Le chat ronronne, les rimes sonnent … Les gens, les chemins, les trains … tout circule tout

autour de la terre formant une grande ronde.

217 Baudelaire, Les Fleurs du Mal, IV. 218 « Le rond : qui évoque la douceur, le calme, la paix. Sans commencement, ni fin il renvoie au temps. C’est une forme

ludique non agressive. » Les différentes symboliques de la publicité in http://strat-pub-tpe.e-monsite.com 219 David Lodge, Un tout petit monde, éditions Rivages, 1992. 220 Jacques Prévert, En sortant de l’école.

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Ce tournement lent, tranquille et régulier de la planète est permanent. Que le narrateur

parte en voyage ou reste sur place, le lecteur chemine dans l’espace et dans le temps, toujours

selon cette même circulation perpétuelle.

Ce mouvement est aussi oscillatoire car la narration se déroule dans deux espaces :

l’intérieur et l’extérieur. Le narrateur textuel promène le lecteur, au rythme de la terre qui

tourne mais aussi selon un balancement binaire : dedans / dehors, jour / nuit, été / hiver, chaud

/ froid, lumière / ombre, rassurant / inquiétant.

Ce double mouvement, linéaire et circulaire se retrouve dans l’écriture. Les phrases

sont horizontales mais les répétitions amènent une lecture circulaire, « intra » et « inter » Ŕ

textuelle, par des jeux de connivence avec le lecteur. Les textes sont appréciés à travers la

musicalité de la langue, les sonorités, les résonnances qui demandent au lecteur de les lire

avec des allers Ŕ retours afin de savourer leurs effets. La fin d’une phrase, d’un paragraphe,

d’un texte renvoie généralement au début.

Aussi bien textuellement que visuellement ou sonorement, la fin d’une histoire réflé-

chit le commencement dans un mouvement spiralaire infini. Comme un miroir reflète une

image, la dernière page reflète la première et une histoire en rappelle une autre.221

La lecture des albums est donc à la fois linéaire et circulaire, à l’image de la terre qui

est ronde et la plaine plate. Illustrant la terre qui tourne dans l’univers qui est infini.

« Le symbole indien par excellence est le cercle. La nature veut la rondeur des choses. Les corps

des humains et des animaux n'ont pas d'angles. En ce qui concerne les Indiens, le cercle est le

symbole des hommes et des femmes rassemblés autour du feu de camp, parents, amis réunis en

paix pendant que la pipe passe de main en main. Le camp dans lequel chaque tipi avait sa place

forme aussi un cercle. Le tipi est le cercle où l'on s'assoit en cercle. La nation est seulement une

partie de l'univers, en lui-même circulaire et fait de la terre qui est ronde, du soleil qui est rond, des

étoiles qui sont rondes ; et la lune, l'arc-en-ciel, l'horizon sont aussi des cercles insérés dans des

cercles insérés dans des cercles sans commencement ni fin. » Tahca Ushte Parole Amérindienne

« Le vent, dans sa plus grande puissance, tourbillonne. Les oiseaux font leur nid en rond, car leur

religion est la même que la nôtre. Le soleil s'élève et redescend dans un cercle. La lune fait de

même, et ils sont ronds l'un et l'autre. Même les saisons, dans leur changement, forment un grand

cercle et reviennent toujours où elles étaient. La vie d'un homme est un cercle d'enfance à enfance,

et ainsi en est-il de toute chose où le Pouvoir se meut. » Élan Noir, indien sioux oglala222

5) Quels éléments matérialisent la terre qui tourne ?

a) L’air 223

b) L’eau 224

221 « Le trait circulaire (…) ce qui en fait le charme, c’est que l’esprit, qui ne peut éviter de toujours avancer, voit la même

idée, se dresser devant lui pour la deuxième fois, mais comme sa propre partie adverse, et qu’il se voit contrait par leur identi-

té à dénicher entre elles quelque ressemblance. » Lucien Dällenbach, Le récit spéculaire, Essai sur la mise en abyme, éditions

du Seuil, Collection poétique, 1977, p. 54. 222 http://cercledevie.e-monsite.com 223 « Le Vent est le facteur climatique du changement, ramenant les masses d'air chaud au printemps, favorisant le mouve-

ment des arbres, des plantes, des vagues, etc. » in http://www.passeportsante.net

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c) La terre 225

a) Que le vent souffle fort, qu’il soit froid ou chaud ; qu’il soit air, frais ou doux ; qu’il

emporte tout sur son passage, transporte les nuages, apporte la pluie, la neige … il permet de

ressentir le mouvement de la terre qui tourne. Ces déplacements d’air évoquent le déplace-

ment de la terre dans l’univers.

b) Le cycle de l’eau est circulaire, comme le mouvement de la terre. L’eau des rivières

coule toujours, comme la terre tourne toujours. L’eau nourrit la terre, la vie sur terre. À

l’origine, l’eau recouvrait la terre … l’eau et la terre sont inséparables.

c) La planète terre, la matière, est l’élément nourricier et support de toute vie.

Tant que la terre tournera, elle accueillera la vie et les hommes s’en inspireront.

Tant que la terre tournera, elle gardera ses mystères et des hommes partiront à leur découverte.

Tant que la terre tournera, elle voyagera dans l’univers et des hommes voyageront tout autour.

- Le mouvement du bois : les arbres226

, la forêt, ce qui reste, l’ombre227

qui tourne

autour, qui s’allonge, « le chemin bleu ».

- Le métal : le chemin de fer, la voie ferrée, les trains qui circulent dans un sens et

dans l’ombre, le vent qui passe comme un train, ceux qui voyagent.

Sont deux autres éléments qui symbolisent le mouvement de la Terre et l’univers des albums

d’Anne Brouillard.

Les personnages ont conscience du changement des paysages, de l’environnement, du

climat, de l’évolution, de l’étrange … tout comme la terre qui tourne, la vie s’écoule à chaque

224 « Il y a 3,4 milliards d'années, la terre était recouverte d'eau dans sa quasi-totalité. C’est dans cette eau que la vie est appa-

rue. Et les organismes vivants n’ont pas perdu ce lien de maternité avec elle. Car de fait, l’eau est indispensable à leur survie.

Aussi a-t-elle légitimement alimenté la mythologie et revêtu une symbolique extrêmement profonde. » in http://www.bien-

etre.relax-attitude.fr

« L’eau est vraiment l’élément transitoire. Il est la métamorphose ontologique essentielle entre le feu et la terre. (…) L’eau

coule toujours, l’eau tombe toujours … » tout comme la terre tourne toujours. Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, p. 13. 225 « Le Mouvement Terre, dans le sens d'humus, de terreau, représente le support, le milieu fécond qui reçoit la chaleur et la

pluie : le Feu et l'Eau. C'est le plan de référence duquel émerge le Bois et dont s'échappe le Feu, où s'enfonce le Métal et à

l'intérieur duquel coule l'Eau. La Terre (…) reçoit et produit. La Terre permet de semer, de faire pousser et de récolter. » in

http://www.passeportsante.net, op. cit. 226 « Des arbres et ce qu’il y a autour : le paysage. La lumière, l’horizon, le vent… le temps qu’il faut pour pousser… » Tho-

mas et le Voyageur, op. cit., p. 90. 227 « Si l’ombre abritait la lumière, la protégeait ? » Ibidem., p. 139.

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seconde pour tout ce qui existe228

. Les choses de la vie existent par la conscience du narrateur.

La terre tourne et la vie s’écoule perpétuellement.

Sous Ŕ conclusion

Généralement, Anne Brouillard travaille le texte de ses albums après les illustrations.

Pour L’orage, initialement, elle avait prévu un texte qu’elle a finalement éliminé pour faire un

album « imagier Ŕ narratif » exclusivement. Sa sensibilité face au monde s’exprime pleine-

ment et plus librement à travers ses textes en prose poétique. À travers son écriture, le lecteur

voit les images et ressent les émotions de cette auteure toujours en éveil. Les sonorités et le

rythme de ces textes se prêtent tout particulièrement à une lecture oralisée à voix haute. Anne

Brouillard maîtrise aussi les autres types de narration. Elle adapte le style du narrateur textuel

selon les besoins de l’histoire tout comme elle sait adapter le style du narrateur imagier selon

la narration par les images.

B) Quelques résonnances imagières

Un album d’Anne Brouillard est reconnaissable de part l’atmosphère qui s’en dégage.

Elle met ses personnages, son style, son univers visuel229

au service de l’histoire qu’elle ra-

conte. Le narrateur imagier parsème des indices, des attitudes, des couleurs qui en évoquent

d’autres au lecteur. Qu’elle soit auteure Ŕ illustratrice ou illustratrice (« première lectrice »

comme elle dit), Anne Brouillard est unique. C’est pour cela qu’elle est choisie. Le lecteur

s’amuse donc à la reconnaître, la retrouver dans l’univers de la littérature de toutes époques et

de tous horizons. Ses propres techniques230

évoluent, changent « tout n’est pas voulu, tout

n’est pas fait exprès » avoue t’elle, « je ne pourrai plus dessiner ou peindre comme à mes dé-

buts. 231

» Le lecteur a-t-il « remarqué que certains éléments reviennent fréquemment dans ses

œuvres ? 232

». « Ils sont comme autant de fils à tirer 233

». Tout comme l’on parle

228 Concept holistique que l'homme fait partie de la nature et de l’univers. « Nos énoncés sur le monde extérieur sont jugés

par le tribunal de l’expérience sensible, non pas individuellement, mais seulement collectivement. » Dictionnaire des con-

cepts philosophiques, sous la direction de Michel Blay, Larousse, CNRS éditions, 2007, p. 373. 229 « Mes livres ne sont pas construits à partir d’idées abstraites, mais d’impressions visuelles. Les « histoires » partent

d’une image, d’une succession d’images, parfois d’émotions ou de sensations, que j’essaie de concrétiser dans l’espace de

l’album. Que ces livres soient destinés à des enfants m’oblige à travailler la lisibilité, dans la narration comme dans

l’illustration. » Anne Brouillard in http://www.litteraturedejeunesse.cfwb.be 230 « Chez Anne Brouillard l’histoire racontée et la technique utilisée sont intimement liées. En fait, tout projet qu’elle con-

çoit dans sa tête comprend à la fois une émotion qu’elle a envie d’exprimer, mais aussi un moyen de l’exprimer. » Citrouille

n° 28, p. 28. 231 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 15/11/2010. 232 Citrouille n° 28, p. 28. 233 Sophie Van der Linden, op. cit.

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d’intratexte234

, il s’agit ici d’intra iconicité. Dès son enfance, elle avoue avoir ce style en

boucle.235

C’est donc tout naturellement que ses albums se lisent avec ce rythme circulaire,

comme La terre tourne, sur elle-même et dans l’univers, autour du soleil. Tant individuelle-

ment que globalement, les uns avec les autres, ils s’interrogent, se répondent, font écho par les

illustrations (comme ils résonnent par les textes, partie A). Comment ses personnages, tant

humains qu’animaux, ses objets, son environnement se retrouvent Ŕ ils dans ses œuvres et

quels effets donnent Ŕ ils sur le lecteur ? Dans l’espace et dans le temps, au fil des œuvres

d’Anne Brouillard, pour se croiser à partir ou dans La terre tourne pour ensuite tous se re-

trouver dans « l’album de ma vie », œuvre sur laquelle elle travaille « en secret » en ce mo-

ment et depuis quelques années déjà … dans un carnet qu’elle garde toujours sur elle où ils

sont tous réunis et où « animaux et humains sont encore plus égaux dans leurs attitudes et

leurs comportements. Ils parlent tous et ils ont même la même taille.236

»

1) Les personnages : les animaux sont les égaux des êtres humains

a) Les animaux

- Le chat

À l’échelle universelle, il a fallu des millions d’années pour voir l’évolution dans le

temps et dans l’espace du chat sauvage au chat domestique et du loup au chien …Il a fallu

vingt ans de carrière d’artiste à Anne Brouillard pour suivre et dépasser cette évolution.237

Un chat238

ou des chats : du chat, animal sauvage au chat domestique puis humanisé 239

Le premier félin, le proailurus, vivait il y a plus de 30 millions d'années avant notre ère en Eura-

sie. Selon des découvertes d'ossements sur le site chypriote de Shillourokambos en 2001, le chat

aurait été domestiqué depuis près de 7000 ans avant J-C. Aujourd'hui, on compte plus de chats

que de chiens dans les foyers français, c'est-à-dire plus de 9 millions de petits félins. Le chat a

longtemps été sacralisé : les Égyptiens l'ont divinisé sous les traits de la déesse protectrice Bastet.

(…) Il a été adoré à Rome comme au Japon, et n'a cessé de passionner l'imaginaire populaire.

(…) Souvent utilisé pour ses talents de chasseur afin de protéger les récoltes des petits rongeurs, il

a cependant souffert de nombreuses superstitions, surtout au Moyen - Âge. C'est au XVIIIe siècle,

dans les salons anglais, qu'il devient un véritable animal de compagnie, incarnant grâce et indé-

pendance. Ami fidèle des écrivains, héros de cinéma, de nombreux chats célèbres, réels ou fictifs,

incarnent cette personnalité intelligente, froide et mystérieuse, souvent avec humour240

.

234 Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, p. 42 : « L’intratexte, c'est-à-dire toutes les histoires indéfiniment redites

de l’auteur qui courent comme autant d’autocitations dans l’histoire qu’il raconte. » 235 Extrait de l’entretien à Toulouse le 7 novembre 2010 avec « album château » 236 Ibidem. 237 « Ce qui change la représentation du monde ne tient pas aux techniques mais au regard. » Thomas et le Voyageur, op. cit.,

p. 154. 238 Avec son premier album édité, Anne Brouillard nous présente son animal domestique « préféré » mais, précise-t-elle,

« dans un premier temps, j’avais refusé le projet d’illustration de l’œuvre écrite par Thierry Lenain car je ne voulais pas avoir

l’étiquette « Madame chat » ! » Pourtant, son dernier travail d’illustratrice pour un auteur est pourtant « encore » avec des

chats ! « Mais là, c’est de la vraie littérature, cela ne se refuse pas. » 239 « Donner le caractère humain. » Dictionnaire Le Littré. (Les sentiments, le langage, etc.) 240 http://www.linternaute.com/femmes/famille/animaux/dossier/animaux-domestiques/chat/chat-histoire.shtml

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Dans La terre tourne, deux personnages sont des chats mais, ils ont chacun des carac-

téristiques tellement différentes qu’ils pourraient parfois être deux animaux distincts. L’un est

noir, couleur la plus sombre, l’autre est jaune, couleur de lumière mais, c’est surtout dans

leurs attitudes qu’ils sont individualisés. Le chat noir reste très félin, il a une pose de panthère

noire. Le chat jaune est anthropomorphique, il se tient assis et debout comme un être humain.

Il accueille, serre la patte … il ne lui manque plus que la parole ! Miracle littéraire241

qui se

réalisera dans Mystère. Album doublement résonnant avec La terre tourne car, le chat Mys-

tère est accompagné de Kÿt, la dame en bleu, sa partenaire242

. De personnages dans La terre

tourne, ils deviennent protagonistes243

dans Mystère où ils ont même un prénom, ils sont indi-

vidualisés. Mais aussi dans De l’autre côté du lac, où les chats, un blanc et un rayé,

s’expriment avec des paroles humaines mais, sont Ŕ ils entendus par les humains ? Le lecteur

n’a pas de réponse assurée. Le doute subsiste. Les humains dialoguent, les chats aussi mais

entre eux, le narrateur textuel entretient la confusion. Cet album est aussi doublement réson-

nant car, le cadre environnemental est le même que celui de La terre tourne : le lac Teåkers-

jön en Suède. Au travers des albums d’Anne Brouillard, le lecteur peut retracer l’évolution du

félin : du chat « naturel », sauvage, au chat domestique244

puis humanisé.

Qui a dit que croiser un chat noir portait malheur 245

? « Au Moyen - Âge : le chat noir

était associé aux sorcières et persécuté »246

Chez Anne Brouillard, on en rencontre beaucoup

et ils ne sont jamais néfastes, bien au contraire, ils trouvent leur place, tout naturellement

parmi les êtres humains. Dans La terre tourne, il peut avoir cette attitude féline, allongé de

tout son long, comme perché sur une branche, nonchalamment mais prêt à bondir sur une

proie vue en contre bas, tels Les trois chats, noir et blanc dans son premier album édité. Tout

comme il peut avoir une attitude de bipède, assis dans le train ou debout dans l’eau à ramasser

des coquillages. Ce chat noir là est polyvalent, il évolue et s’adapte à chaque situation.

Le chat noir de Il va neiger est un « vrai » chat de maison avec de grands yeux verts.

Par ses attitudes et sa taille, chaque lecteur peut y reconnaître un chat noir vu ou connu. Dans

l’album Le pays du rêve, le reconnaître n’est pas tout de suite évident car il est représenté tan-

241 Avec Gaspard chez Claude Roy, Le chat qui parlait malgré lui, Gallimard, 1997, par exemple. « J’aime bien cette idée

d’héritage littéraire ! » avoue Anne Brouillard. 242 « L'amitié harmonieuse entre le chat et l'homme remonte jusqu’à l'an 3000 avant J.-C., dans l'Égypte ancienne. » in

http://www.purina.fr 243 « Celui qui joue dans une pièce le principal rôle. » Dictionnaire Le Littré. 244 « Le chat est aujourd'hui l'animal de compagnie préféré des Français, mais étonne toujours par son côté mystérieux. » in

http://www.linternaute.com 245 Michel Pastoureau, Les croyances populaires. 246 http://www.linternaute.com

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tôt en couleurs, tantôt dans les vignettes en noir et blanc, selon les besoins de la narration. Par

contre, le lecteur apprend son nom, Gaspard. Car, en réalité, il s’agit bien du même chat noir.

Il va neiger p. 11 L’orage p. 27 Le pays du rêve p. 16

C’est l’album L’orage qui permet de faire ce lien car la maison d’habitation est la

même. Le lieu (la même forêt suédoise que dans Mystère) dans lequel se déroule l’histoire de

Il va neiger est peut être la maison de vacances d’hiver, ce qui expliquerait la présence de

Gaspard. Mystère et Gaspard pourraient peut être s’y croiser ? Anne Brouillard aime cette

idée que ses personnages ne meurent pas, qu’ils aient une plus longue vie à travers les pages

de ses albums.

Quand un autre narrateur textuel fait appel à un chat noir pour sauver Julie247

, le même

narrateur imagier fait tout naturellement appel à Gaspard, car « il en sait plus que tout le

monde ».248

Il adopte alors la même attitude qui rappelle fortement La terre tourne. Le lecteur

« imagier » le retrouve à nouveau avec plaisir dans le rôle du « philosophe » des toits sous la

plume d’Émile Zola249

et le pinceau d’Anne Brouillard.

Julie capable p. 16 La terre tourne p. 21 Le paradis des chats p. 22

Le lecteur retrouve cette même alternance ludique avec le chat jaune.

Dans La terre tourne, il est représenté debout ou assis, ce n’est plus un quadrupède !

Son nez droit « à la grecque » évoque davantage un nez humain qu’un museau de chat. En

contre partie, ses grandes moustaches et ses oreilles en pointe, la forme de ses grands yeux

verts et de ses pupilles sont bien félines. Autant de caractéristiques qui permettent au lecteur

de le reconnaître sous le pseudonyme de Mystère dans l’album éponyme, en compagnie de

Kÿt, la jeune fille blonde habillée en bleu et rouge, qui l’accompagne dans La terre tourne

aussi. Ce chat jaune a une taille presque humaine, des comportements anthropomorphiques et

il est même humanisé : il parle. Il est l’égal de l’homme maintenant …

247 Julie Capable, Thierry Lenain, Anne Brouillard, éditions Grasset Jeunesse, 2005. 248 Le pays du rêve, p. 21. 249 Le paradis des chats et autres contes à Ninon, Émile Zola, Anne Brouillard, éditions Hugo et compagnie, Paris, 2009.

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La terre tourne p. 17 Mystère p. 21

L’autre chat jaune, dans L’orage, Reviens sapin, Le grand murmure est un chat de

maison et de fauteuil. Il partage un bout d’aventure avec Gaspard dans L’orage. Que ce soit

avec Antoine et sa famille ou Paul et la sienne, c’est un chat qui aime les caresses et les câlins

et qui fait « miaou » quand on lui parle !

Un autre couple félin se trouve De l’autre côté du lac. Toka, le chat foncé est tigré, il

ressemble à un chat de gouttière tabby, la robe typique du chat sauvage, ayant la faculté de

parler et de penser il a un comportement anthropomorphique. C’est un chat gourmand et cu-

rieux. Son compagnon, Alpha le chat blanc est gourmet et délicat. Il aime l’aventure mais

préfère le confort du panier ! Il est lui aussi doué de parole et de réflexion. Tous les deux ac-

compagnent les êtres humains tout au long de l’album, ils vivent vraiment ensemble, de la

même manière, ou presque (les chats lapent du lait dans un bol tandis que les humains boivent

au verre et mangent des sandwiches), font des commentaires, se baladent, font de la balan-

çoire … et en plus, ils sont amis avec les souris !

De l’autre côté du lac p. 29 De l’autre côté du lac p. 31

Le chat est aussi un animal qui aime se prélasser comme le lecteur peut en croiser un

dans La maison de Martin. « Le chat de Chester 250

» serait Ŕ il en vacances dans la « vaste

plaine que le vent traverse en courant » ? Sous les traits de ce gros chat jaune à rayures mar-

rons qui fait la sieste dans un hamac.

La maison de Martin p. 19 Alice au pays des merveilles p. 29

250 Lewis Carroll, « Alice au pays des merveilles » in The Complete Works, Collector’s Library Editions, London, 2005.

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Il peut aussi être un chat de diva, un chat de confort et délicat. Dans le cadre de cette

vie prestigieuse, la couleur grise lui sied mieux. Un chat gris souris251

est-il forcément un chat

de grande race ? Qu’un chat de luxe porte fièrement un pelage aux couleurs de son repas pré-

féré … quelle raillerie252

!

Le chat peut donc être le héros de l’album (Trois chats par exemple), en couple avec

un humain (La terre tourne, Mystère par exemple) ou avec un autre chat (L’orage par

exemple) comme plus discret mais toujours révélateur d’un lieu ou d’une présence « mysté-

rieuse » ou « évocatrice ». Dans Voyage, page 21, est Ŕ ce Gaspard, assis sur le muret, évo-

quant Le pays du rêve (la propriété Everud Syapel) au voyageur qui passe en train, sur la voie

ferrée qui longe le mur de la propriété ? Le spectateur continue son exploration imagière.

Dans l’univers imagier d’Anne Brouillard, le rôle du lecteur est tellement important qu’il de-

vient « spect’acteur 253

». Les chapiteaux des piliers du portail d’entrée évoquent ceux de Re-

viens sapin, tandis que les arbres en arrière plan rappellent ceux de Mystère et de La terre

tourne. Le narrateur imagier prend plaisir à promener son lecteur au gré de ses fantaisies illus-

tratives. Ainsi, le lecteur voyage sur les traces du chat, tel un guide. Cela rappelle un célèbre

chat … botté.

Voyage

p. 21

Le pays du rêve

p. 9

Reviens sapin

p. 6

Mystère

p. 16

La terre tourne

p. 27

Dans La famille foulque, la présence du chat blanc, discrètement posé en arrière plan,

permet au lecteur de situer sans ambiguïté le lieu précis où se croisent le papa et le pêcheur

car, le chat blanc est toujours devant le même portail en bois blanc, devenant un repère ima-

gier fixe et stable. Cet album présente d’ailleurs les trois chats des trois couleurs : blanc, jaune

et noir. Ce sont de « vrais » chats de compagnie qui savent vivre en harmonie avec les êtres

humains mais aussi avec les chiens et les oiseaux. Ce qui explique peut être comment les oi-

seaux en arrivent à écrire une carte postale aux chats dans Cartes postales. Chez Anne Brouil-

lard, même les chats et les oiseaux sont amis. Qu’ils soient « chats de gouttière », chat de

« maison », chat de « compagnie », chat de « café » … Dans ce monde imaginé par Anne

251 « Originaire de France, le Chartreux, est l'une des plus anciennes races de chat au monde. En réalité, son pelage est gris

bleuté. » in http://www.linternaute.com 252 « Tourner en ridicule » ; « Ne pas parler sérieusement » : dictionnaire Le Littré. 253 Mot valise crée en associant ces deux mots d’origine latine : spectator « celui qui a l'habitude de regarder, d'observer;

spectateur au théâtre » et actor « celui qui agit ».

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Brouillard, ses expériences déçue dans Petites histoires « vert de peur » et dans Trois chats

lui ont peut être servi de leçon ? Il fait donc partie de cette harmonie pacifique maintenant.

Quelle autre illustratrice qu’Anne Brouillard aurait pu illustrer Le paradis des chats avec au-

tant de sensibilité et d’émotion ? Alors que dans Trois chats, la narratrice imagière avait utili-

sé les deux couleurs noir et blanc pour un même chat, ici, elle a utilisé ces deux mêmes cou-

leurs mais séparément : un chat blanc et un chat noir. Le blanc pour le « chat d’Angora », chat

de confort dont la fourrure craint les salissures ; le noir pour le « vieux matou » des toits dont

le poil est à toute épreuve et ne craint ni les coups ni la saleté.

Trois chats Première de couverture Le paradis des chats p. 14

- Le chien

Du loup au chien254

domestique puis au chien anthropomorphe255

« Les premiers membres de la lignée des Canis émergea il y a 1,7 million d’années. La domestica-

tion semble dater du paléolithique supérieur, soit entre 17 000 et 14 000 ans. Mais la relation

entre homme et canidé est beaucoup plus ancienne. En effet, des restes de loups vieux de 400 000

ans ont été retrouvés en association d’hominidés. L’aïeul du chien accompagnait l’homme dans

ses chasses, donnait l’alerte en cas de danger et assurait sa protection ainsi que celle de ses trou-

peaux. Bien avant la domestication du cheval et du renne, le chien servait également à tirer les

travois lors des migrations. Les chasseurs - cueilleurs possédaient des points communs avec les

loups. Hormis l’aspect social de leur mode de vie, ils partageaient les mêmes proies. Les tradi-

tions affirment que les Indiens ont appris (…) comment chasser en étudiant le loup. (…) il n’est

pas étonnant que le premier animal à avoir été domestiqué par ces hommes, fût le chien.256

On ne

sait pas exactement si le loup s`est approché de l`homme ou vice versa. Tous les deux profitaient

de la situation qui s`était produite ainsi : le loup était employé par l`homme pour la chasse, pour

tenir les troupeaux ensemble et pour avertir l`homme de ses ennemis. À son tour, l`homme prenait

soin que le loup eût toujours assez à manger. Le loup est un animal très social. Comme l`homme,

il vit en groupes (nommés "hardes") avec une hiérarchie sociale, dans laquelle certains loups as-

sument la direction. Cela rend l`animal propre à être tenu et attrayant comme animal de compa-

gnie, dans quelle relation le loup considérait l`homme comme son chef. On se mit à poser d`autres

conditions à la conduite et à l`extérieur du loup. Au Moyen Âge l`homme commençait à considérer

le chien comme une sorte de symbole de prestige. Le chien lui prêtait une certaine distinc-

tion.257

L'amitié du chien et de l'homme ne cessera d'être célébrée dans la littérature. Le chien ac-

compagne l’homme dans les différentes étapes de sa vie et dans ses activités : il est donc normal

qu’il soit très présent dans la littérature au fil des siècles. Le chien y est souvent le symbole d’une

fidélité à toute épreuve ».258

254 « Dans la rue, les chiens me sourient … » Anne Brouillard, le 6 novembre 2010, à Toulouse. 255 Tendance à attribuer aux animaux des sentiments humains. Dictionnaire de la langue française :

http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr 256 http://www.futura-sciences.com/fr 257 http://www.animalfreedom.org 258 Le chien dans la littérature. In http://www.lamaisonduchien.net

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Le chien noir, celui qui attend le retour de son maître, est le compagnon idéal pour les

personnages humains d’Anne Brouillard259

. La coutume dit que « le chat est attaché à une

maison » alors que « le chien est attaché à un maître ». D’ailleurs, c’est lui qui attend le lec-

teur « fidèle » et les personnages de l’histoire au premier plan de la première belle page de La

terre tourne. Dans La terre tourne et les autres albums, Kiliok, car tel est son nom, est « un

chien de salon, un chien inventé, il n’existe pas en vrai ! » avoue Anne Brouillard avec un

sourire complice. Cependant, à y regarder de plus près, il rappelle quelqu’un qu’elle a bien

connu dans son enfance. En effet, sa mère lui racontait les histoires des Moumines260

et « je

me rappelle quand j’avais neuf ans, je redessinais des Moumines tout le temps. Il peut res-

sembler effectivement, peut être au niveau du nez, et même dans ses attitudes, ce n’est pas

conscient. Kiliok comme Moumine, a suivi une évolution. Il n’est pas tout le temps exacte-

ment pareil. En tout cas, il a le côté tendre de Moumine. Il a un quelque chose qui m’a marqué

de Moumine. Même s’il est grognon, au fond, c’est un tendre Kiliok ! »261

Même si son gra-

phisme change, le lecteur le retrouve et le reconnaît dans ses albums. Comme le premier al-

bum édité d’Anne Brouillard présente « le chat », son deuxième album Petites histoires pré-

sente le chien noir. Ils sont les héros fidèles, tels des guides pour le lecteur.262

À l’échelle bi-

bliographique, le lecteur est sensible à son évolution tant graphique que comportementale. En

effet, dans Petites histoires ce n’est pas un chien noir mais six chiens noirs qui sont les héros

de « Temps de chien ». Héros éponyme malgré lui car cette expression n’a pas une connota-

tion favorable pour lui. Heureusement, les albums suivants lui donneront ses lettres de no-

blesse en lui offrant un nom et un statut anthropomorphique. Dans un premier temps, par sa

présence « multipliée » le lecteur est amené à se poser la question : lequel est le futur Kiliok ?

Qui va devenir le compagnon du « personnage en rouge 263

» ? Une lecture imagière, plus pré-

cise va amener le lecteur dans une nouvelle lecture transversale. Dans « Temps de chien » tous

les six sont debout, tels des bipèdes, tenant un parapluie rouge avec leurs pattes antérieures

(devenues des bras). Ils sont donc tous capables de faire un gâteau (comme dans La terre

tourne) ou d’écrire (comme dans Cartes postales). Cependant, si le lecteur observe bien leur

faciès pages 24 Ŕ 25, ils sont tous différents :

259 « Les chiens me parlent, me sourient dans la rue mais je n’en voudrais pas chez moi. » Extrait de l’entretien avec Anne

Brouillard à Toulouse le 07/11/2010.

« Toujours ce duo animal / être humain comme personnages principaux. Celui qu’on retrouve chez les trois grandes dames de

l’album muet, … Anne Brouillard … qui mettent en image cette communication qui ne peut passer par la verbalisation. »

Patrick Borione, Hors cadre[s] n° 3, p.26. 260 Rencontre avec Anne Brouillard, Nicole Nachtergarle, Alice, N° 2, Printemps 1996, p. 58. 261 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 262 À l’image de Tintin pour Milou. 263 « Le futur magicien rouge dans « l’album de ma vie » » Extrait de l’entretien à Toulouse du 07/11/2010.

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Tout frisé, il

paraît bien fati-

gué et trop

vieux.

Avec son air

coquin mais

tendre à la fois

quand il regarde

son aîné. Ce

serait peut être

bien lui ?

Celui-ci semble

bien être le loup

du Sourire du

loup. Que mi-

jote-t-il avec son

sourire en coin ?

Il a le museau

trop fin et trop

pointu et ses

pattes posté-

rieures ont en-

core une posture

« canine ».

Il a l’air trop

« balourd ». On

dirait la maman

du petit dernier.

Tout petit, il est

encore trop

jeune.

Le narrateur imagier joue avec l’imagination du lecteur. En fait, ce qui permet de re-

connaître le chien noir, dont le lecteur apprendra le nom dans Le grand murmure, c’est son

attitude. De plus, il est toujours accompagné ou bien il accompagne toujours un ou des êtres

humains. Ce n’est pas un chien errant ni un chien solitaire. Il aime, attend et recherche la

compagnie des hommes, sentiment qui est réciproque.

La terre tourne

Il fait les mêmes gestes que son

maître. Ils vont et regardent dans

la même direction.

Voyage

Patient et fidèle, il attend « le

retour » de son maître.

Il va neiger

Ils regardent dans la même direc-

tion.

Cartes postales

Ils font les mêmes gestes.

La maison de Martin

La truffe au vent, il regarde Mar-

tin. Il reste à attendre le courrier

de Pimpinelle (Cartes postales) et

Martin arrive sur la plage de

Promenade au bord de l’eau.

Promenade au bord de

l’eau

Il adapte son comportement à

celui de son maître et à

l’environnement.

Page 87: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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Le grand murmure

Il devance ses maîtres, les guide

et les protège. Il attend et protège

assis Véronique de La terre

tourne.

Le bain de la cantatrice

Compagnon de jeu, il accom-

pagne son jeune maître.

À quatre pattes, assis, sur deux pattes anthropomorphisé … Kiliok, le chien noir est

l’ami idéal dans toutes les situations. D’un album à l’autre, il est le compagnon de tous les

personnages humains. Ainsi, le lecteur s’amuse à le chercher et à le reconnaître au gré des

histoires. Il n’a pas la parole, lui, contrairement au chat Mystère, mais il comprend son maître

instinctivement. Par contre, avec ses deux « mains » il sait cuisiner ou écrire. Du loup solitaire

du premier album, il est devenu le partenaire indispensable à l’homme. Étant le chien « mo-

dèle », les personnages se le « prêtent » d’album en album, serait Ŕ il irremplaçable ?

Il fait même l’ouverture de Promenade au bord de l’eau, sur la page de titre264

, inci-

tant le lecteur à le suivre à l’intérieur du livre. Est Ŕ ce lui, qui, dans Voyage, assis page 35,

annonce aux voyageurs dans le train qu’ils vont croiser les personnages de La terre tourne à

la fête foraine (page 37) ? Il guide donc lui aussi d’un album à l’autre.

Assis, il a cette attitude tranquille et révérencieuse du compagnon qui attend son par-

tenaire. Il observe, il surveille, il protège, sa forme arrondie incline à la douceur. « C’est un

chien de confort, il aime son fauteuil » prévient Anne Brouillard. Son corps en aurait Ŕ il pris

la forme ? Telle une figure emblématique de l’univers d’Anne Brouillard, il se rencontre au fil

des albums. Cette attitude lui permet de pouvoir s’assoir sur une chaise et, comme un être

humain, de pouvoir utiliser ses pattes antérieures comme des bras prolongés par des mains.

C’est un chien dont la physionomie est adaptée aux postures humaines. S’il est nommé dans

Le grand murmure, c’est dans La terre tourne et Cartes postales qu’il est le plus proche d’un

comportement humain :

- Il cuisine, lit le journal, porte les affaires (valise …) dans La terre tourne

- Il boit au verre, écrit avec un crayon, lit et déballe un paquet dans Cartes

postales

À quatre pattes, le lecteur le retrouve parti en vacances avec le chat Gaspard dans Il va

neiger. Fidèle à ses maîtres, il les accompagne en balade tandis que Gaspard attend bien au

chaud, à l’intérieur de la maison.265

Dans Promenade au bord de l’eau, c’est son flair et sa

264 Cette image détourée sur le fond blanc de la page ressemble à un « logo » ou un « label » de marque. 265 « Les chats n’aiment pas l’eau ! Il a peur de se mouiller les pattes dans la neige comme alpha dans l’eau de la rivière ! »

Page 88: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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compagnie qui guident les personnages et le lecteur sur les traces de la boîte rouge. Quand

Martin passe devant sa boîte aux lettres, il ne l’accompagne pas, il choisit de rester fidèle à sa

maîtresse Pimpinelle. D’ailleurs, il y a peut être trop de vent pour que son flair soit efficace à

aider Martin dans sa quête ? Chien sage et patient, il sait être joueur quand ses maîtres sont

jeunes. Ainsi, sa course « bondissante » se reconnaît dans Promenade au bord de l’eau et Le

bain de la cantatrice.

Ainsi, d’une vie solitaire en tant que loup « sauvage », Kiliok est devenu un chien par-

tenaire, fidèle compagnon de l’homme, au point de prendre ses attitudes et ses habitudes. Que

le cadre de la page soit carré ou rectangulaire, petit ou grand, Kiliok trouve toujours sa place

et s’adapte aux exigences du format et de ses partenaires. Il ne parle pas encore, mais, ce sera

chose faite avec « le livre de ma vie » confie Anne Brouillard. Il ne lui manque plus que la

parole pour devenir un être humain à poil noir ! Mis à part Kiliok, le chien au museau arrondi,

le lecteur rencontre d’autres chiens dans les albums d’Anne Brouillard. En effet, ils accompa-

gnent toujours les êtres humains dans leurs activités et leurs balades. Ainsi, au fil des albums,

s’ils peuvent changer de maître, ils restent toujours le fidèle compagnon affectueux.266

Le chien clair :

Le temps d’une lessive

Ces deux chiens là sont très

copains et complices. Le

jaune appartient à la grand-

mère, le blanc au voisin.

Le voyageur et les oiseaux

Ils se retrouvent dans

l’histoire de la gare mais ne

se croisent pas.

Le grand murmure

Ici, le chien jaune partage sa

maîtresse avec un chien noir

en bonne harmonie.

Le vélo de Valentine

Dans la ribambelle d’amis à

s’inviter sur le vélo de Va-

lentine, il amène le gâteau.

La famille foulque

Patient, il attend que sa maî-

tresse ait fini sa lecture pour

continuer la balade.

Sept minutes et demie

Ce chien jaune ressemble

beaucoup à Kiliok à tel point

qu’il s’agit peut Ŕ être de son

frère ? Il vit d’ailleurs avec

un écrivain …

266 Dans l’univers d’Anne Brouillard, le chien vit avec l’être humain. Sa fidélité ne va pas jusqu’à la tragédie comme ce fut le

cas pour Hachiko qui en est mort, après avoir attendu son maître pendant presque 10 années, alors que ce dernier était décédé.

http://www.kanpai.fr/tag/hachiko

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Comme les chats de La terre tourne vont par paire : le chat jaune et le chat noir, peut

être en est Ŕ il de même pour Kiliok. On aurait donc un Kiliok noir et un Kiliok jaune. Mis à

part le chien jaune « sosie » de Kiliok, les autres sont de « vrais » chiens de compagnie. Atta-

ché en laisse ou en liberté, ce sont des canins quadrupèdes, sans autre identité que celle de

« chien domestique » même si dans Le temps d’une lessive ils semblent avoir un comporte-

ment humain (se serrer la main) dans le monde imaginaire. Dans le cadre de cette histoire, ces

deux chiens miment les comportements humains tout en restant des quadrupèdes et des ani-

maux à puces (il se gratte derrière l’oreille avec la patte, signe canin par nature !). Dans le

cadre de ces histoires, ce sont des animaux qui aboient, courent après les oiseaux, attendent

assis au pied de leur maître … Dans Le grand murmure, Elvire a deux chiens. Le lecteur

s’amuse à retrouver ce petit chien jaune à la queue enroulée dans des atmosphères aussi diffé-

rentes que Le grand murmure, Le temps d’une lessive, la gare dans Le voyageur et les oiseaux

et au bord de l’étang dans La famille foulque.

- Le corbeau ou la corneille 267

« Les oiseaux prennent une place énorme. Les oiseaux sont très troublants, quand on les regarde,

en fait ils m’émeuvent terriblement. Les oiseaux dans les villes : ce sont des corneilles noires, à

Bruxelles on en rencontre souvent beaucoup dans les parcs… Le corbeau est plus grand, il vit en

forêt ou dans les champs. »268

« La Corneille ne diffère du corbeau ordinaire que par sa taille, qui est plus petite. Elle est d'un

noir foncé à reflets violets, avec le bec et les pieds d'un noir mat. (…) La Corneille est le symbole

de l'hospitalité. D'après le Dictionnaire archéologique et explicatif de la science du blason. Comte

Alphonse O'Kelly de Galway — Bergerac, 1901 »269

Ainsi, dans les albums d’Anne Brouillard, ces oiseaux font partie de l’environnement

familier, ils ne sont pas sauvages.270

Mais aussi, comme le chien ou le chat, à force de con-

tacts avec les êtres humains, ils finissent par en adopter les comportements :

- Ils boivent du champagne à la coupe (leurs ailes sont devenues des mains) dans La terre

tourne

- Ils reçoivent une carte du chien et ils en écrivent une aux chats dans Cartes postales

Ces oiseaux peuvent donc être anthropomorphisés mais ils ne sont jamais prénommés.

Peut être est Ŕ ce dû au fait qu’un corbeau ou une corneille n’est jamais seul. Ils aiment voya-

267 « La valeur symbolique de la corneille est très proche de celle du corbeau. Dans le domaine celtique, (…) elle était d'abord

en Irlande le visage de la terrible Morrigane (…) dont le nom signifie "la Grande Reine" épouse du dieu-druide Dagda, l'un

des noms de la grande déesse-mère qui avait survécu à l'invasion indo-européenne, et que les Celtes ont intégrée à leur pan-

théon en en faisant la mère, l'épouse, la sœur et la fille de tous les dieux, pouvoir féminin unique qui symbolise le territoire, la

génération, la fécondité, qui est la source de toute légitimité et, de ce fait, l'incarnation même du royaume. Unique dans son

essence, cette divinité féminine est pourtant triple dans ses figures : elle est à la fois Morrigane, Bodb, "la corneille", et Ma-

cha, "la plaine" (où courent les chevaux) in http://harter.audrey.free.fr 268 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010. 269 http://www.blason-armoiries.org 270 Ce ne sont pas non plus les oiseaux charognards tels qu’ils sont peints dans le tableau de Vincent Van Gogh, Le champ de

blé aux corbeaux.

Page 90: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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ger et vivre en groupe. Dans La terre tourne, les couples humains / animaux sont formés avec

le chien et le chat tandis que les oiseaux vont par deux.

Tel des animaux domestiques, ils ne sont pas effrayés par les être humains et les en-

fants cherchent même à les toucher ou les caresser, tout comme ils le font envers un chien ou

un chat dans Le grand murmure. Le lecteur peut les trouver dans des endroits très bruyants et

animés comme la gare ou plus calmes, mais toujours habités, comme le bord de l’étang. Ils

ont toujours leur place dans ce monde qui bouge au rythme de la terre qui tourne.

« Par ses croassements, la corneille nous répète que la magie et la création frappent tous les jours

à notre porte: elle nous aide à cultiver notre voix et notre langage pour obtenir ce que nous dési-

rons, ce qui nous est nécessaire. L'apparition de la corneille attire notre attention sur la magie

mise à notre disposition, mais suggère également que les activités collectives ont plus de chances

d'être menées à bien que les projets solitaires. » 271

Ainsi apparaissent Ŕ elles à la fenêtre d’Éloïse le matin au réveil, lui rappelant le

monde de son rêve.

Dans Promenade au bord de l’eau, les corneilles marchent même au pas, comme des

militaires bien organisés, tout comme les canards.272

Dans De l’autre côté du lac, les oiseaux

noirs ont un bec jaune (ce sont des merles) à l’image des canards de La terre tourne. Les

merles, tout comme les geais, les autres oiseaux et les animaux sauvages ou domestiques vi-

vent en paix et en harmonie entre eux et avec les êtres humains dans le même environnement

naturel, autour d’un point d’eau, lac ou étang, c’est selon le cadre de vie des personnages.

Serait Ŕ ce cette nature protectrice qui génère cette atmosphère ?

- Le canard

Ces oiseaux là vont souvent par deux, côte à côté, ils déambulent dans les albums.

« Les canards symbolisent souvent les relations heureuses et mariage. Cependant, il faut toujours

utiliser une paire de canard et non un canard seul. Une paire de canard est souvent utilisée pour

augmenter l'énergie romantique, consolider les relations et assurer un mariage heureux. (…)

Placer toujours les canards l'un à côté de l'autre et ils regardent dans la même direction. »273

Dans l’univers imagier imaginé par Anne Brouillard, tout est possible et tous les êtres

vivants sont égaux car, même les canards voyagent en barque, sur un lac. Ils peuvent tenir un

pinceau et écrire des cartes postales aux écureuils à l’aide de leurs ailes Ŕ mains. Comme dans

La terre tourne, les canards anthropomorphisés sont noirs à bec jaune.

Tout comme chez les chats, les chiens, les corneilles aussi qui peuvent se retrouver

dans le même environnement que les mouettes blanches (Le pays du rêve, Le grand murmure),

avec les canards, le lecteur retrouve cette paire de couleurs opposées noir ou foncé / blanc ou

271 http://folilaine.canalblog.com 272 Anne Brouillard ajoute toujours une pointe d’humour à l’adresse de ses lecteurs, jeunes ou moins jeunes, chacun savoure. 273 http://norja.net/lavie/html/le_feng-shui_et_les_symboles.html

Page 91: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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clair dans Promenade au bord de l’eau. Cette constatation chromatique évoque au lecteur la

dualité du monde, le fait que les opposés s’attirent et se complètent ou bien encore l’idée

qu’un être n’est jamais ni tout blanc ni tout noir mais souvent un entre Ŕ deux. Ou bien encore,

par ce jeu de nuances opposées, le narrateur imagier veut montrer les deux faces de l’être vi-

vant, la face cachée Ŕ obscure et la face montrée Ŕ lumineuse. Ces deux couleurs opposées

jouent aussi avec la luminosité qui se dégage des images car, le noir absorbe la lumière et le

blanc la réfléchit, évoquant ainsi les jeux de miroir et de complémentarité chers à Anne

Brouillard. Les animaux, par ces jeux de réflexion, montrent ces deux faces dans l’harmonie.

Que le lecteur y entende une narration symbolique ou qu’il y voit un effet de couleurs par

contraste, la lecture est multiple et le choix appartient à chacun.

Dans Voyage, les canards peuvent être :

- Réels : nageant au fil de l’eau (par paire)

- Imaginés : dans l’histoire lue par les enfants dans le train

- Imaginaires : lorsque les gouttes de pluie sur la vitre du train prennent leur

forme dans l’imagination de la petite fille brune.

Ici, comme dans La terre tourne, le narrateur imagier crée un effet en utilisant la tech-

nique du « fondu enchaîné » ou du « morphing » illustratif, encadré par les rafales de vent et

de pluie du fait de la vitesse du train et le pull porté par son compagnon de voyage assis en

face d’elle.

Mais, le lecteur rencontre aussi les « vrais » canards colverts, ceux qu’il peut croiser à

la campagne, comme au bord de l’étang de La famille foulque. Ainsi que les canards gris qui

barbotent sur l’étang à Bruxelles comme sur le lac en Suède où ils ne sont pas effarouchés ni

par les chats ni par les êtres humains.

Les animaux rencontrés dans La terre tourne permettent des lectures multiples et

transversales par ces réseaux inter Ŕ iconiques. Le narrateur imagier joue avec leurs formes,

leurs couleurs, leurs environnements et le lecteur s’amuse à les retrouver. Concernant les ani-

maux résonnants à partir de l’album La terre tourne, un petit détail « graphique » vient à

l’esprit. Les quatre animaux commencent tous par la lettre « c » en français. Détail anecdo-

tique ou volonté délibérée d’Anne Brouillard ? Ce jeu de lettre questionne aussi car, il s’agit

de quatre animaux commençant par la lettre « c » dans un album carré. Le dictionnaire des

symboles nous apprend que « quatre est le chiffre qui caractérise l’univers dans sa totalité.

(…) Ce qui confirme l’universalité de la valeur symbolique du nombre quatre, comme défi-

nissant la matérialité passive. Quatre, comme la Terre, ne crée pas, mais contient tout ce qui

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se crée à partir de lui. (…) quatre est le nombre de la terre. »274

Cette coïncidence n’est peut

être pas tout à fait due au hasard mais à quelque chose de « fort ancré en moi » comme le sug-

gère Anne Brouillard quand elle parle de l’univers de ses albums.

Les histoires deviennent ainsi plurielles et infinies comme Anne Brouillard le souhaite

quand elle confie qu’ « une fois un album fini, j’ai envie de reprendre les personnages dans

une autre histoire. 275

» Le lecteur a donc un rôle important à jouer dans ce trio composé de :

L’auteure Ŕ illustratrice / l’album / le lectorat

et ce sont les personnages, créés et mis en scène par le narrateur imagier qui en détiennent les

fils conducteurs. C’est au lecteur de les mettre en lumière et en résonnance.276

b) Les êtres humains

Qu’en est Ŕ il des êtres humains ? La terre tourne met en scène quatre personnages humains :

un homme, deux femmes et un enfant. Comment le lecteur peut Ŕ il les identifier dans

l’univers des autres albums ? Comment le narrateur imagier les représente t’il dans

l’environnement des autres histoires ? Plusieurs approches possibles permettent de les distin-

guer277

:

- Leur visage278

- La couleur de leurs cheveux

- Leurs attitudes279

- Leurs accessoires

- Leur partenaire animal

- Leurs vêtements et leurs couleurs.

Et certainement bien d’autres encore car les lecteurs sont multiples et particuliers mais aussi,

chaque nouvelle lecture apporte des détails supplémentaires qui deviennent autant d’indices

ou de clefs apportant de nouvelles interprétations possibles. À l’image de la « nature qui est

pléthorique, mais qui ne se répète pas à l’identique. »280

274 Dictionnaire des symboles, pp. 796 Ŕ 797. 275 Extrait de l’entretien Ŕ conférence avec Anne Brouillard à Toulouse, le 06/11/2010. 276 « … lire « les livres d’histoires » (est) l’acte volontaire et singulier d’appropriation d’un lecteur singulier. » Catherine

Tauveron, Lire la littérature à l’école, p. 19. 277 « On ne s’exprime pas avec les mots seuls, mais avec le corps tout entier. » Jean Rousset, Dernier regard sur le ba-

roque, Les essais, José Corti, Paris, 1998, p. 77. 278 « Comme au cinéma, un mouvement prresque imperceptible du visage, tout simplement, même un visage impassible qui

se retourne, pourra avoir une force considérable si le mouvement, le tempo est maîtrisé. » Maîtrise qui ne pose aucun doute

chez Anne Brouillard. Éric Albert, Le mouvement, éditions L’iconograf, Scérén crdp Alsace, 2007, p. 18. 279 « La façon de traduire une action et un ensemble de mouvements est souvent fonction du support et du type de narration

choisis. » Ibidem., p. 45. Définition qui corrobore avec la façon de travailler d’Anne Brouillard qui adapte ses techniques, les

supports et ses personnages à l’histoire racontée. 280 http://www.nouvellescles.com

Page 93: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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- L’homme en rouge 281

Il est le premier être humain à entrer dans La terre tourne. Il est le compagnon du

chien noir et celui qui deviendra « le grand magicien rouge ». L’être humain entre en scène au

second plan, attendu par le chien, assis au premier plan. L’homme fait partie de l’univers, il

en est un des habitants282

, il n’en est pas le centre. Tantôt blonds, tantôt bruns, ses cheveux

sont selon l’environnement dans lequel ils se trouvent. Sous l’effet de la luminosité ambiante,

les couleurs changent. Cependant, où qu’il se trouve, il est toujours vêtu d’une combinaison

rouge (d’où son pseudonyme, à défaut d’identification par un prénom). Malgré tout, le lecteur

peut reconnaître ses traits sous l’apparence de l’homme en « bleu ». Ces deux hommes se res-

semblent terriblement et la combinaison a la même coupe, seule la couleur change.

Rouge versus Bleu : couleur la plus chaude / couleur la plus froide

« Avec le rouge, le bleu manifeste (…) les rivalités du ciel et de la terre. (…) leur mariage préside-

t-il à la naissance de tous les héros de la steppe : Gengis Khan, naît de l’union du loup bleu et de

la biche fauve.283

»

Le rouge est « universellement considéré comme le symbole fondamental du principe de vie.

(…) C’est la couleur de la Science, de la Connaissance ésotérique… ce rouge est matriciel.

(…) Il incite à l’action. (…) Il incarne la fougue et l’ardeur de la jeunesse. 284

»

Le bleu est « la plus immatérielle des couleurs (…) il suggère une idée d’éternité tranquille.

(…) Dans le Bouddhisme tibétain, le bleu est la couleur de la Sagesse transcendante, de la

potentialité et de la vacuité, dont l’immensité du ciel bleu est d’ailleurs une image pos-

sible. 285

»

Ainsi, la couleur de son vêtement symboliserait l’évolution de l’homme, de la nais-

sance, en passant par une jeunesse d’apprentissage pour enfin accéder à la connaissance et à la

sagesse. L’homme prendrait progressivement conscience qu’il fait partie de cet univers qu’il

doit respecter et dans lequel il aspire à vivre harmonieusement. Cela correspond à la concep-

tion de la vie pacifique souhaitée par Anne Brouillard.

281 « Ma couleur préférée est le rouge et, toutes les couleurs. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/ 2010.

« Quand aux temps précolombiens, au Mexique, un peintre plaçait dans sa composition un personnage habillé de rouge, le

Mexicain savait que ce personnage appartenant au dieu de la terre Xipe Totec et qu’il relevait donc du point cardinal oriental,

dont la signification est soleil levant, naissance, jeunesse et printemps. Le personnage n’était donc pas peint en rouge pour

des raisons optiques et esthétiques ou comme représentant de valeurs expressives et morales, mais sa couleur était symbo-

lique comme un idéogramme ou un hiéroglyphe. » Johannes Itten, op. cit., pp. 16 Ŕ 17.

« Rouge. C’est une bonne couleur mais elle tue les autres. Qu’en fait-on dans le paysage ? D’après les études du docteur

Lüscher, il s’agit d’une valeur autonome, intrinsèque à l’individu, indépendante de l’environnement. Le sang des hommes.

Avec le rouge on introduit la violence interne. » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 162. D’après Le color test de Max

Lüscher in Votre personnalité révélée par les couleurs, éditions Aubanel, 1973. 282 « L’homme fait partie des vivants. Bien entendu, il est le seul à en avoir conscience, mais cela ne l’empêche pas

d’appartenir à l’ensemble et d’en être solidaire. » in http://www.nouvellescles.com 283 Dictionnaire des symboles p. 130. 284 Ibidem. pp. 831 Ŕ 833. 285 Ibidem. pp. 129 Ŕ 131.

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Pour le différencier des autres, le lecteur a donc trois premiers éléments :

- Son chien, qu’il partage avec Pimpinelle (Cartes postales), Martin (La mai-

son de Martin), l’écrivain (Sept minutes et demie) et d’autres maîtres dans

Le grand murmure, Promenade au bord de l’eau, Le bain de la cantatrice...

- La forme et la « couleur » de son vêtement

- Sa taille (il est grand)

- Son sexe (c’est un homme)

Ce dernier paramètre amène une nouvelle interrogation dans Le pays du rêve. En effet,

dans cet album, la posture de l’accueil au pays du rêve (arrivée ou départ) est identique à celle

de La terre tourne mais, le personnage en rouge est une femme. Qui est Ŕ elle par rapport à

l’homme en rouge ? Sa femme ? Sa sœur ? Son double de l’autre côté du miroir ? La question

reste entière, d’autant plus qu’elle est accompagnée d’un enfant vêtu du même vêtement. Cet

enfant semble être une fille. Où bien, est Ŕ ce l’homme en rouge enfant ? En quel cas, la

femme en rouge serait sa maman … Par ces résonnances illustratives, chaque lecteur peut

imaginer des liens imagiers et/ou filiaux entre ces personnages286

qui ont les mêmes attitudes

et portent les mêmes vêtements et/ou couleurs.

Dans Cartes postales, le reconnaître est plus facile car, il a bien la même combinaison

rouge. « En fait, c’est le facteur ! Dans La terre tourne, le lecteur ne pouvait pas deviner son

métier car il est toujours en voyage partout ! » Comme les cartes postales, comme les lettres,

il voyage tout autour de la terre. Dans Cartes postales, le lecteur de La terre tourne retrouve

l’homme en rouge, le chien noir, les corbeaux/corneilles et la grande fleur rose. La lettre per-

met le lien avec l’homme en « bleu » : celui qui donne (La maison de Martin) ou oublie (Sept

minutes et demie) une enveloppe, selon l’histoire. Dans ce contexte imagier, le lecteur recon-

naît les traits et les expressions de son visage même si le décor et l’environnement sont com-

plètement différents. Tout comme dans La terre tourne, il voyage et s’arrête un peu partout

sur terre, « il va et vient de par le monde. »

La terre tourne

Blond ou brun, il est reconnaissable à

sa combinaison rouge.

Le pays du rêve

Son sosie au féminin fait le même

geste d’accueil ou d’adieu. L’enfant

porte la même combinaison rouge. Sa

famille habite t’elle au pays du rêve ?

Cartes postales

Par sa tenue, on le reconnaît en fac-

teur qui repart avec un bouquet de

fleur.

286 Anne Brouillard, elle-même, avoue qu’elle ne connaît pas tout de ses personnages.

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Sept minutes et demie

Vêtu de rouge il porte le courrier.

Vêtu de bleu il oublie une lettre !

La maison de Martin

Vêtu de bleu, encore avec une lettre à

poster, qu’il va confier à Martin ?

Le lecteur peut aussi le chercher dans les lieux parmi lesquels il passe ou reste un

temps dans le cadre de l’album La terre tourne. C’est ainsi que dans Voyage, (page 37) le

lecteur a l’impression de le reconnaître sur le cheval blanc du manège alors que l’illustration

est en noir et blanc et la technique utilisée par le narrateur imagier différente. C’est alors

l’atmosphère que se dégage de cet environnement qui permet cette résonnance visuelle.

La terre tourne / Voyage

- La fille en bleu et rouge

Le deuxième personnage qui entre en scène en arrière plan est tout de suite identifié.

« C’est trop facile celui Ŕ là ! C’est Kÿt287

et son chat Mystère ! » En effet, la jeune fille se

reconnaît à ses cheveux blonds et à ses vêtements de couleurs vives, rouge et bleu, elle aussi.

« Elle est aussi habillée avec des carreaux dans Mystère. » Mais aussi et surtout, dans cet al-

bum éponyme, elle est l’héroïne avec le chat Mystère, son compagnon dans La terre tourne.

Le lecteur a donc suffisamment d’indices imagiers pour ne pas « passer à côté » :

- La couleur des cheveux, les traits du visage

- La tenue, le tissu et les couleurs vestimentaires

- Son partenaire félin Mystère

La terre tourne

Elle arrive avec son chat

jaune. Ils vivent et font

tout ensemble.

Mystère

Elle s’appelle Kÿt. Le

chat Mystère.

- La dame en vert

La deuxième femme est plus difficile à identifier. Elle arrive seule (sans compagnon

animal) mais avec une petite valise carrée marron. Elle est vêtue de vert et porte ses cheveux

châtains coupés au carré. Elle est plus féminine que Kÿt par sa tenue vestimentaire car elle

287 « Kÿt, c’est Kitty Crowther jeune, quand je l’ai rencontré, qui m’a inspiré ce personnage. Elle était toute

blonde… » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris.

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porte une jupe. Sa tenue vestimentaire (jupe ou robe d’une autre couleur) et son accessoire (sa

valise marron) permettent au lecteur de l’identifier visuellement. L’association de tous ces

indices illustratifs permet au lecteur de la retrouver sous le nom de Véronique dans Le grand

murmure.

Comme les autres personnages de La terre tourne, excepté l’homme en rouge, elle

aussi est nommée dans le cadre d’un autre album. Elle devient quelqu’un que le lecteur peut

appeler par son prénom, elle prend une identité personnalisée. Pour aider le lecteur à la recon-

naître, un animal conduit sur la piste. C’est encore le chien noir qui prend son prénom Kiliok

dans le cadre de ce même album. Ainsi, dans Le grand murmure, le lecteur retrouve réunit

Véronique, sa valise et Kiliok. De personnages anonymes dans La terre tourne, ils deviennent

« quelqu’un d’identifié 288

».

La terre tourne

Accueillie par le chat jaune, elle arrive

avec sa valise marron.

Le grand murmure

Elle s’appelle Véronique. Au téléphone,

dans une gare, avec sa valise marron.

- L’enfant

Pour retrouver cet enfant représenté ici dans les autres albums d’Anne Brouillard,

comment le lecteur peut Ŕ il reconnaître ce même personnage sous les traits de pinceaux du

narrateur imagier ?

Est Ŕ ce Natacha dans Le grand murmure, Colin du Rêve du poisson, Antoine dans

Reviens sapin, Lucie ou Thomas De l’autre côté du lac … ils sont tellement nombreux !

« C’est pratique quand ils ont des prénoms,289

comme ça on peut bien les reconnaître et les

appeler par leur nom sans les confondre. » Chaque enfant est effectivement unique mais c’est

ainsi que les couleurs290

peuvent influer sur l’apparence des personnages et sur les réson-

nances que peut percevoir le lecteur. L’enfant porte des rayures291

rouge et bleu comme le

petit enfant dans Le voyageur et les oiseaux, comme le narrateur enfant dans Le chemin bleu,

mais aussi comme les enfants dans Il va neiger. Le petit garçon dans Le temps d’une lessive

288 « Véronique deviendra Véronica dans « l’album de ma vie » ». Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 289 « Lorsque les noms font image, ils durent. Et lorsque les images ont des noms, elles existent. » Thomas et le Voyageur, op.

cit., p. 178. 290 « De même que l’accent confère au mot prononcé un éclat coloré, de même la couleur donne à la forme une plénitude et

une âme. L’essence originale de la couleur est une résonnance de rêve, une lumière devenue musique. » Johannes Itten, Art

de la couleur, Dessain et Tolra, 1961, p. 12. 291 Tel un symbole de l’enfance, « la rayure n’attend pas, ne s’immobilise pas. Elle est en perpétuel mouvement (…) anime

tout ce qu’elle touche, va sans cesse de l’avant, comme mue par le vent. » Michel Pastoureau, L’étoffe du diable, une histoire

des rayures et des tissus rayés, La librairie du XXe siècle, Seuil, 1991, pp. 15 Ŕ 16. Cette définition n’est pas sans rappeler la

terre en perpétuelle mouvement, elle aussi, tout comme les enfants !

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est aussi habillé en bleu et rouge (deux vêtements unis292

). Tous les rapprochements, toutes

les interprétations293

ne sont pas autorisés. Quelques indices ne suffisent pas, comme le pré-

cise Catherine Tauveron294

, ou Sophie Van der Linden295

pour se permettre des affirmations.

Chaque lecteur peut imaginer cet enfant, né dans La terre tourne, aller et venir, vivre, voyager

… dans d’autres histoires d’Anne Brouillard mais personne ne peut affirmer que son interpré-

tation est la seule, bonne et unique. À l’image des albums d’Anne Brouillard, la boucle conti-

nue sans jamais s’arrêter. Et si ce personnage n’est pas encore revenu vivre de nouvelles his-

toires dans d’autres albums, cela viendra peut être un jour ou l’autre ? « Ça c’est un mys-

tère ! » comme dit si bien Anne Brouillard. Voyons les résonnances dans les couleurs des vê-

tements296

des enfants « Brouillardiens » :

La terre tourne

L’enfant arrive vêtu de rouge et de

bleu. Son short est rayé.

Le voyageur et les oiseaux

Vêtu de rouge et de bleu aussi. Son

pull est rayé.

Le chemin bleu

Vêtu de bleu et de rouge, il porte

aussi des rayures rouges.

Reviens sapin

Antoine en lutin bleu sur un fond de

décor rouge pour noël !

Quand les enfants sont plusieurs :

Il va neiger

Vêtus de bleu, bonnet rouge et

écharpe rayée.

Le temps d’une lessive

Deux vêtements / deux couleurs

unies pour le garçon : le rouge et le

bleu. Blanc et jaune pour la fille (?)

Promenade au bord de l’eau

Deux enfants, un vêtu de bleu,

l’autre vêtu de rouge.

292 « Opposé à l’uni, le rayé constitue un écart, un accent, une marque. Mais, employé isolément, il devient illusion, gêne le

regard, semble clignoter, s’agiter, s’enfuir. » Ibidem., p. 146. 293 « Les images orientent l’interprétation générale de l’album, à travers leur contenu symbolique, le jeu des formes et des

correspondances, ou à travers l’organisation spatiale. Le sens n’est plus donné d’emblée. Il a cessé d’être unique. Au lecteur

de construire son interprétation à partir des propositions que lui font le texte et l’image. » Michel Defourny, in Lire les

images, p. 43. 294 « Les droits du lecteur ne peuvent outrepasser les droits du texte. » Lire la littérature à l’école, p. 31. 295 « Il y a un propos qui est tenu par l’auteur Ŕ illustrateur. Il n’est pas question, au titre du droit du lecteur, d’interpréter

l’œuvre abusivement. » Les albums sans texte sont de grands bavards, p. 1. 296 Ce même duo chromatique rouge / bleu se retrouve chez « l’homme en rouge » et chez Kÿt. Contrairement à Véronique,

qui fait plus mature, ils ont encore gardé leur âme d’enfant. Les couleurs de leurs vêtements sont en harmonie avec leur ca-

ractère « juvénile » et « insouciant ». Ils vont de l’avant avec entrain, comme les enfants. « Les couleurs ont leurs propres

dimensions et forces de rayonnement et elles donnent aux surfaces d’autres valeurs que les lignes. » J. Itten, op. cit., p. 20.

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Le pays du rêve

Vêtu de rouge au pays du rêve en

couleur. Éloïse porte une écharpe

rayée dans le réel en noir et blanc.

L’orage

Sarah et Éloïse en balade : l’une en

bleu et l’autre en rouge.

Le grand murmure

De teinte unie ou rayée, les enfants

sont tous habillés en rouge et bleu

avec parfois du blanc.

La famille foulque

Tout comme au bord de l’océan, il

en est de même autour de l’étang,

De l’autre côté du lac

et autour du lac, pour Lucie et Tho-

mas.

Pour colorer les vêtements des enfants, (mais aussi des autres personnages majoritai-

rement) le narrateur imagier utilise principalement deux couleurs : le rouge et le bleu. « Le

rouge, c’est le côté qui tranche avec le vert, il ressort dans un univers de végétation. Le bleu

vient spontanément avec. J’aurais des difficultés à les faire en vert, j’aurais peur qu’ils se con-

fondent avec le reste. J’ai eu dans ma vie une veste d’un bleu très vif entre cobalt et outre mer,

sur les bords j’avais cousu des bordures rouges. J’ai toujours aimé ces vêtements rouge et bleu,

j’aime cette association. 297

» Le rouge est la couleur préférée d’Anne Brouillard, et « aujour-

d'hui, partout en Europe, le bleu est de très loin la couleur préférée »298

. Le bleu et le rouge

sont les couleurs primaires avec le jaune mais aussi, le rouge et le bleu sont complémentaires.

Dans le langage pictural, « deux complémentaires fonctionnent comme des contraires, de telle

sorte que, l’une près de l’autre, elles produisent le contraste chromatique maximal 299

», ainsi,

les couleurs des vêtements des enfants se remarquent très bien, elles « sautent aux yeux » du

lecteur. Toujours dans un souci d’harmonie300

chromatique, le narrateur imagier n’oublie pas

quelques touches de « blanc qui rayonne et efface les limites 301

» s’intégrant parfaitement

avec le style « flou » et « en masse » d’Anne Brouillard et de jaune. Car, comme l’explique

Johannes Itten « on peut dire que : dès qu’une composition colorée de deux couleurs ou plus

possède du jaune, du rouge et du bleu (…), elles peuvent être considérés comme la totalité de

toutes les couleurs. L’œil exige, pour être satisfait, cette totalité ; on est alors en présence d’un

297 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 14/02/2011.

« Le rouge contraste avec le vert, sa couleur complémentaire, plus qu’avec aucune autre. La juxtaposition des deux est un

effet volontairement recherché afin d’accentuer la force chromatique de l’ensemble. » Les fondamentaux, les techniques de

l’artiste, l’art du dessin, Gründ, 2005, p. 255. 298 Michel Pastoureau, Bleu : Histoire d’une couleur, Histoire, collection Points, 2002. 299 Les fondamentaux de la couleur, L’art du dessin, éditions Gründ, 2006. 300 Ŗ Harmonie signifie équilibre, symétrie des forces.ŗ Johannes Itten, op. cit., p. 21. 301 Johannes Itten, op. cit., p. 19.

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équilibre harmonieux. »302

Anne Brouillard est donc « maîtresse en la matière » car elle réus-

sit cet équilibre. De plus, les vêtements sont généralement à rayures303

, tissu qui se remarque

beaucoup mieux que l’uni comme le démontre Michel Pastoureau dans son livre consacré à

cette étude, « le rayé pur n’arrête plus le regard. Il est trop effervescent pour ce faire. Il éclaire

et obscurcit la vue, trouble l’esprit, brouille le sens. »304

Décidément, comme le déclare Anne

Herbauts, « elle a bien un nom prédestiné ! » et en plus, elle a trouvé son style et ses couleurs

personnelles.

Quand l’histoire se déroule sur plusieurs jours, l’unité se voit aussi au fil des jours qui pas-

sent :

La famille foulque

À la naissance, l’enfant porte déjà les rayures et la couleur rouge qu’il gardera

tout au long de l’album.

De l’autre côté du lac

Sous le soleil, Lucie porte des carreaux rouges

et blancs (de la même toile que le sac à provi-

sion du papa !). Pour regarder la pluie tomber,

elle porte des rayures bleues. Lors de la ba-

lade, elle arbore les couleurs rouge et bleue.

Le rêve du poisson

Avec ou sans rayures, Colin garde le bleu.

Orphie reste fidèle au rouge au début et à la fin

de l’album.

La maison de Martin

Martin habite dans la plaine : chez lui, il porte

des rayures bleues et vertes. Quand il part à

l’aventure, il porte des rayures rouges, plus

voyantes sur les chemins.

Les personnages de La terre tourne se rassemblent au fur et à mesure des pages pour

ensuite voyager, vivre des aventures ensemble et accueillir l’enfant. La vie continue, le

voyage ne s’arrête pas là. Seuls ou à plusieurs, ils vivent de nouvelles aventures dans le cadre

d’autres albums. Le lecteur est le complice témoin de ces retrouvailles. Grâce à ce don

d’ubiquité, il les voit tous et partout. Il peut ainsi reconstruire le parcours de chacun.

Qu’en est Ŕ il de l’environnement dans lequel évoluent les personnages ? Comme une

chasse aux trésors, de nouvelles lectures se mettent en place. Progressivement, pas à pas, le

lecteur reconnaît ces espaces qui lui deviennent familiers au fur et à mesure de ses lectures,

guidé par ce même narrateur imagier qui utilise des techniques plastiques différentes tout en

gardant son style.

302 Ibidem., p. 22. 303 « J’ai eu ma période rayures … j’aime toujours, d’ailleurs ! » Extrait de l’entretien téléphonique du 14 février 2011. 304 Michel Pastoureau, L’étoffe du diable, op. cit., p. 147.

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2) L’environnement

La nature 305

(accueillante, protectrice, bienveillante, bienfaisante) 306

« La terre tourne est un album que j’ai réalisé sans stress à côté de ce fameux lac

Teåkersjön dans la commune de Dalskog en Suède. Il a même été peint à l’eau du lac. »307

a) L’album commence donc par l’ambiance sereine d’un paysage enneigé

« Le blanc… est comme le symbole d’un monde où toutes les couleurs, en tant que propriétés de

substances matérielles, se sont évanouies… Le blanc, sur notre âme, agit comme le silence abso-

lu… Ce silence n’est pas mort, il regorge de possibilités vivantes… C’est un rien plein de joie ju-

vénile ou, pour mieux dire, un rien avant toute naissance, avant tout commencement. Ainsi peut –

être a résonné la terre, blanche et froide, aux jours de l’époque glaciaire. 308»

Ce décor évoque tout de suite l’environnement de Kÿt quand elle arrive au refuge.

Même la lune rappelle cet astre dessiné sur la première de couverture de La terre tourne.

« Mystère et Il va neiger représentent les forêts suédoises, c’est le même univers naturel que

celui de La terre tourne. »309

La neige fait donc partie intégrante du paysage ! Ainsi, dans

l’univers imagier d’Anne Brouillard, la neige peut prendre plusieurs aspects :

- Lisse : Mystère, Il va neiger, La famille foulque

- Floconneux : Petites histoires « des hauts et des bas », Il va neiger, Cartes

postales

- Étoilé : Il va neiger

Toutes caractéristiques qui se retrouvent dans La terre tourne. La neige enveloppe le

monde comme dans du coton, elle étouffe les bruits et rend le monde plus doux à l’oreille

comme au toucher. Ce paysage peut évoquer au lecteur les arbres « barbe à papa » qu’Anne

Brouillard a imaginé, comme enveloppé par la neige dans Le pays du rêve ou encore Demain

les fleurs. Leurs fleurs semblent comme du coton ou du duvet, délicates et douces au toucher

comme des flocons de neige.

Comme les flocons de neige, en toute saison, chaque élément fait partie d’un tout et le

tout se retrouve dans chacune de ses petites particules. D’ailleurs, si le lecteur demande quelle

est sa saison préférée à Anne Brouillard, elle répond qu’elle « aime le passage d’une saison à

l’autre, les changements de couleurs et de lumière aux inter Ŕ saisons. » Par exemple, dans La

terre tourne, le lecteur visite toute sortes de lieux dans des atmosphères et à des saisons diffé-

305 Gilles Clément « L’important est de réconcilier l’homme et la nature, pas de présenter le premier comme le maître de la

seconde. (…) J’appelle ça l’écologie humaniste. » in http://www.nouvellescles.com 306 Gilles Aufray, dans son courrier du 15 novembre 2010, au sujet du travail d’illustratrice d’Anne Brouillard : « C’est le

paysage qui lui parle, un paysage dans le quel elle aime être et travailler, c’est le paysage qui lui parle et l’inspire. »

Anne Brouillard vit une vraie relation privilégiée avec la nature et elle l’offre à ses lecteurs. 307 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010. 308 « W. Kandinsky, L’esthétique de la solitude », in P. Kaufman, L'expérience émotionnelle de l'espace, éditions Vrin, col-

lection Problèmes et controverses, 2000, p. 223. 309 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.

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rentes. Dans La famille foulque, le narrateur imagier présente le même espace à des saisons

différentes. Quoi qu’il en soit, par ce défilement des saisons, le lecteur circule au rythme de la

terre qui tourne dans le temps et dans l’espace.

b) Le paysage lacustre de La terre tourne rappelle le ciel bleu nuit de Mystère

mais aussi celui de Il va neiger. Sous le pinceau d’Anne Brouillard, les éléments naturels se

transforment tout naturellement pour finalement se confondre harmonieusement. Le lecteur

contemple donc des flocons de neige devenir des étoiles scintillantes dans la nuit. Ces décors

oniriques plongent inévitablement le lecteur dans une contemplation poétique. Anne Brouil-

lard sait évoquer cette atmosphère de l’Europe du nord avec ses couleurs fascinantes. Ce bleu

profond permet le réfléchissement de la lumière de la lune.

C’est ce même lac qui sert de cadre à l’histoire de Tante Nadège, Lucie, Thomas, Al-

pha et Toka. Sur leur trace, sur le chemin, sur et autour du lac, le lecteur suit leur rencontre et

leur aventure. Le temps passe paisiblement dans cet environnement. Pour la création de

l’album La terre tourne :

- Son eau a servi de diluant et de « pot à pinceaux »,

- Son cadre est la source d’inspiration et l’espace de création pour l’artiste310

mais, le narrateur imagier ne le peint qu’à deux reprises.

Pour la création de l’album De l’autre côté du lac, son cadre et son ambiance sont la

source d’inspiration pour l’artiste et le narrateur imagier l’évoque à chaque page. D’ailleurs,

le titre même de l’album le pose en vedette. C’est autour de lui que les pages vont s’effeuiller

et les personnages évoluer. De façon similaire, la lecture progresse « tout autour de la terre »

dans l’un et « tout autour du lac » dans l’autre.

Une balade en barque ménage bien des surprises pour le lecteur : les corbeaux s’y font

promener sur une branche ! L’humour du narrateur imagier peut se révéler aussi par ces petits

détails très personnels. En effet, il est tout aussi naturel de se promener sur une branche en

barque que d’y regarder la télévision ou d’y faire des crêpes dans Le bain de la cantatrice,

comme il est tout aussi possible d’en faire sur la lune avec une machine à laver dans Le temps

d’une lessive. Ainsi, le narrateur illustratif offre des connivences à chaque lecteur selon ses

310 « Comme ses personnages, Anne Brouillard arpente un territoire à la fois réel et rêvé, celui d’un pays et d’un paysage

crées de toutes pièces grâce aux acteurs d’une tradition culturelle et artistique. L’album dit de littérature de jeunesse ne peut

se regarder ni se lire sans lien avec la culture dont il se réclame de manière plus ou moins explicite, ni sans intégration dans

un espace artistique dont il est issu ou dont il subit les influences. Le lecteur peut aussi appréhender le paysage dans toutes

ses dimensions et comprendre ainsi que l’album, avec ses moyens propres, participe à la définition d’un paysage réel et men-

tal extrêmement précis. Ce lecteur se fait alors arpenteur de territoires qui sont avant tout culturels, d’espaces marqués par

des œuvres qui y sont encrés certes, mais surtout ancrés. » Patrick Joole, op. cit.

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affinités visuelles et ses niveaux de lectures. La barque permet aussi d’aller d’un côté à l’autre

du lac. C’est plus rapide et moins fatiguant ! C’est le moyen de transport idéal pour faire du

cabotage le long des rives du lac aux contours sinueux. Sa forme ménage de petites criques où

il est très agréable d’accoster. Ces mêmes berges où il est bon de partager un pique nique assis

contre un arbre.

La promenade sur un lac symbolise une atmosphère paisible et conviviale comme on

peut aussi la rencontrer dans Promenade au bord de l’eau ou Le grand murmure. Se retrouver

autour d’un étang pour une partie de pêche ou un pique nique partagé entre amis, c’est pos-

sible dans Le pêcheur et l’oie ou La famille foulque. Le fait de se retrouver autour ou sur un

point d’eau apaise l’être humain. L’effet de l’eau calme influence le tempérament humain. Est

Ŕ ce l’effet de la couleur ? L’effet des ridules légères et régulières à la surface de l’eau ? Le

son du clapotis de l’eau qui berce ? Le narrateur imagier s’efforce de faire ressentir cette am-

biance au lecteur afin qu’il profite lui aussi de cette plénitude vécue par les personnages.

Le canal évoque un monde de plaisance mais de travail aussi. Ainsi, les péniches peu-

vent être des habitations fluviales comme dans La terre tourne mais aussi des bateaux de

transports comme dans Voyage. Le canal, le fleuve, la rivière sont des cours d’eau vivants et

animés sur l’eau et sur les rives aussi. Contrairement à l’animation tranquille sur le lac ou

l’étang, s’y côtoient des gens en vacances et d’autres en activité professionnelle. Que l’on soit

en repos ou au travail, La terre tourne toujours au même rythme pour tout le monde.

La mer ou l’océan peut être un point d’arrivée comme dans La terre tourne, La maison

de Martin ou Promenade au bord de l’eau. Cet espace océanique peut aussi devenir le cadre

d’un album comme c’est le cas dans plusieurs albums : La grande vague, Le grand murmure,

Trois chats par exemple. Regarder l’océan, se promener au bord de l’océan sont des activités

apaisantes mais, que les personnages se retrouvent au dessus ou dedans et alors, l’eau peut

devenir agitée. La mer est en perpétuelle mouvement tout comme la terre. Les animaux aqua-

tiques y sont dans leur élément mais pour les autres, cela peut s’avérer aventureux !

Sous toutes ses formes et ses représentations, cet élément vital pour toute forme de vie

est présent dans tous les albums. Le cycle de l’eau peut métaphoriquement évoquer la narra-

tion en boucle chère à Anne Brouillard.

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c) Les éléments 311

, l’unité du monde 312

La terre tourne sur elle-

même et dans l’univers.

Le temps d’une lessive

La terre tourne parmi les

planètes.

Le chemin bleu

La terre est ronde.

Cartes postales

La terre tourne et tout

tourne avec elle

La grande vague

Les éléments tournent

avec la terre.

Grec Hindouisme (Tattva) et

Bouddhisme

(Mahābhūta)

Japonais

(Godai)

Tibétain

(Bön)

L’air

L’eau Aether Le feu

La terre

Vayu*/Pavan

(Air/vent)

Ap/Jala Akasha Agni/Tejas

(L’eau) (Aether) (Le feu)

Prithvi/Bhumi

(La terre)

*souffle vital, souffle cosmique

(Air/vent)

水 空 火

(L'eau) (vide/ciel) (Le

feu)

(La terre)

Air

L'eau L'espace Le feu

La terre

Source : http://www.worldlingo.com/ma/enwiki/fr/Five_elements_%28Japanese_philosophy%29

Si l’on rapproche ces quatre tableaux traditionnels, on s’aperçoit qu’ « un cinquième

élément était rattaché 313

» l’aether314

, le ciel ou l’espace. Il est d’ailleurs bien vrai que « La

terre tourne tranquillement, dans l’univers parmi les étoiles » dans le monde d’Anne Brouil-

lard. « Ces éléments ont leur correspondance dans la symbolique fondée sur l’analyse de

l’imaginaire. »315

Mais aussi, on peut relier ces éléments aux symboles si l’on considère que

« les divers phénomènes de la vie se ramènent aux manifestations des éléments qui détermi-

311

« Ils ne sont point irréductibles entre eux ; au contraire, ils se transforment les uns dans les autres. » Diction-

naire des symboles, p. 395. 312 « L’unicité de la nature, c’est dans leur relation, ce qui les associe, les rend à la fois intimes, uniques mais indissociables.

(…) L’univers est ostensible et baroque, « enveloppant », avant tout il est vivant, son identité n’est pas une figure, une forme,

c’est un comportement. Ce que nous avons à dire est de l’ordre du symbole. » Thomas et le Voyageur, op. cit., pp. 97-98. 313 Dictionnaire des symboles p. 395. 314 « Par extension, les espaces célestes. (…) L'éther, en tant que fluide subtil et universel, est mentionné dès 1753. ♦ Le

fluide le plus subtil qu'ait produit la nature, celui qui se trouve répandu partout, et que l'on nomme éther, BEAUSOBRE,

Dissertat. philos. p. 3 » Dictionnaire Le Littré. 315 Dictionnaire des symboles, p. 395 : « ils sont la base de ce que Bachelard a appelé l’imagination matérielle, cet étonnant

besoin de pénétration qui, par-delà les séductions de l’imagination des formes, va penser la matière, rêver la matière, vivre

dans la matière ou bien … matérialiser l’imaginaire. » P. 396 : Pour Jung, « les diverses combinaisons de ces éléments et de

leurs rapports symbolisent la complexité et la diversité infinie des êtres ou de la manifestation ainsi que leur perpétuelle

évolution d’une combinaison à une autre, suivant la prédominance de tel ou tel élément. »

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nent l’essence des forces de la nature. 316

» La nature et tout ce qui compose notre planète

tournent donc dans l’espace, générant un cycle perpétuel de renouvellement des éléments. Ils

ne sont pas isolés mais complémentaires et inter Ŕ dépendants comme l’illustre l’image de La

grande vague : Le feu appelle l’air qui soulève l’eau qui nourrit la terre.

Les animaux aussi font partie intégrante de cet équilibre, comme l’illustre l’image de

Cartes postales.

- L’air 317

L’air est invisible, immatériel tout en étant pesant et vital pour toute vie sur la planète

terre. Pour ressentir l’air, il doit souffler : légère brise, vent ou rafales, autant de manifesta-

tions sensibles de l’air. Pour voir l’air, il doit bouger : les feuilles des arbres, les cheveux des

personnages, les nuages ou les maisons318

dans l’imagination du narrateur imagier. Le dépla-

cement de l’air permet donc de matérialiser le mouvement dans l’espace. L’air prend tout

l’espace disponible, il est expansible, c’est ainsi qu’il peut gonfler un ballon ou la voile d’un

bateau. Pour être respiré, l’air peut prendre des odeurs agréables comme celle d’une fleur ou

d’une tasse de café mais, il peut aussi s’imprégner d’odeurs nauséabondes comme celle de

l’eau stagnante parfois. Pour se faire entendre, il sait flotter sur l’air d’une musique comme

accompagner le passage d’un train ou le chant d’un oiseau. L’air s’adapte aux sens afin de

manifester sa présence. Il est partout et il veut que cela se sache. Car, même s’il a « l’air de

rien », il est essentiel à la vie.

- L’eau 319

Cet élément est certainement le plus représenté dans les albums d’Anne Brouillard. Le

globe terrestre est tout bleu, illustrant cette planète bleue recouverte à 72 % par de l’eau.

L’eau est matérialisé sous toutes ses formes : liquide, solide et gazeuse. Au rythme des sai-

sons et des paysages, l’eau se présente sur terre, sous terre ou dans les airs. Elle peut donc

changer d’apparence et bouleverser l’atmosphère. Elle peut être tranquille dans un lac ou sous

l’océan comme elle peut devenir agitée et houleuse en surface. Elle peut tomber sous forme

de pluie fine ou de flocons de neige comme elle peut devenir un orage ou un déluge. Les

nuages adaptent leurs formes et leurs couleurs selon son humeur. Les êtres vivants adaptent

316 Dictionnaire des symboles, p. 396. 317 « L’air est un symbole de spiritualisation. (…) Il représente le monde subtil intermédiaire entre le ciel et la terre. (…) L’air

est le milieu propre de la lumière, de l’envol, du parfum, de la couleur, des vibrations interplanétaires. » Ibidem., p. 19. 318 « L’élément air, dit saint Martin, est un symbole sensible de la vie invisible, un mobile universel et un purificateur. »

Ibidem., p. 19. 319 « Les significations symboliques de l’eau peuvent se réduire à trois thèmes dominants : source de vie, moyen de purifica-

tion, centre de régénérescence. (…) Les eaux, … représentent l’infinité des possibles. (…) Souffle vital, elle est aussi don du

ciel et symbole universel de fécondité et de fertilité. (…) L’eau vive, l’eau de la vie se présente comme un symbole cosmo-

gonique. (…) si les eaux précèdent la création … elle peut ravager et engloutir. (…) symbole de la dualité du haut et du bas :

eau de pluie Ŕ eau des mers. » Ibidem., pp. 374 Ŕ 382.

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leurs comportements et leurs habitudes selon ses caprices. L’eau prend la couleur du ciel, elle

reflète la couleur de son environnement. C’est ainsi qu’elle prend des teintes bleutées quand le

temps est calme et paisible mais qu’elle peut devenir verdâtre quand elle n’est pas dans son

environnement habituel.

L’élément liquide matérialise métaphoriquement le liquide amniotique, univers de

création de vie. Il illustre le retour aux sources tel le retour au lac, espace maternel. Mais aussi,

il représente le cadre autour duquel les hommes et les animaux se retrouvent ensemble en paix.

Au fil des pages, l’eau irrigue l’univers imagier d’Anne Brouillard. Le passage d’un lieu à

l’autre se fait souvent le long de, autour ou à travers cet élément. De part sa nature « liquide »,

l’eau permet l’ondulation du mouvement et facilite ce passage d’un monde à l’autre. Tel un

miroir, elle reflète la réalité et l’imaginaire. La rive symboliserait ce mince interstice entre le

réel et l’imagination. Comme les portes et les fenêtres laissent passer la lumière, de l’intérieur

vers l’extérieur et réciproquement, l’eau réfléchit l’un et l’autre univers. C’est ainsi qu’elle

peut même s’écouler à l’envers.320

De part son mouvement perpétuel, même une eau calme

est toujours mouvante, elle accompagne le tournement de la terre et la vie de ses habitants.

Ses lignes sont courbes, évoquant un monde doux et féminin. Cet élément s’adapte parfaite-

ment à la terre. Qu’y a-t-il de l’autre côté ? Tel son reflet à la surface de l’eau, l’être humain

est curieux de se découvrir. Ainsi, qu’il choisisse de la contourner ou de la traverser, l’eau lui

facilite le cheminement d’un côté à l’autre. Ses miroitements s’apparentent aux paysages qui

défilent derrière la vitre d’un train. Images du monde toujours en perpétuel mouvement,

même si l’on choisit de rester là, à regarder l’eau ou le train qui passe.

- Le feu 321

Le feu est l’élément le moins visible dans les albums d’Anne Brouillard. Le narrateur

imagier le représente peu. Les fonctions premières du feu étaient certainement d’éloigner les

bêtes sauvages la nuit, réchauffer l’atmosphère froide ou humide, cuire les aliments, fondre le

métal… L’invention du feu a bouleversé l’histoire de l’humanité tout comme l’arrivée du feu

transforme l’environnement dans La grande vague322

, léchant les arbres, dansant parmi eux,

320 Voir aussi Jean Ŕ claude Mourlevat, La rivière à l’envers, Pocket jeunesse, 2000 et 2002. 321 « La plupart des aspects du symbolisme du feu sont résumés dans la doctrine hindoue… c'est-à-dire le feu ordinaire, la

foudre et le soleil. (…) Le feu symbolise les passions ou l’esprit. (…) Les taoïstes entrent dans le feu pour se libérer du con-

ditionnement humain. (…) La purification par le feu est complémentaire de la purification par l’eau, sur le plan microcos-

mique (rites initiatiques) et sur le plan macrocosmique (mythes alternés de déluges et de grandes sécheresses ou incendies.

(…) Comme le soleil par ses rayons, le feu par ses flammes symbolise l’action fécondante, purificatrice et illuminatrice. Le

feu est également, en tant qu’il brûle et consume, un symbole de purification et de régénérescence. » Ibidem., pp. 435 Ŕ 438. 322 « La grande vague ou le jeu des métamorphoses : Dans cet album d’une beauté plastique et d’une poésie infinie, pas de

personnages. Rien qu’un paysage qui se métamorphose au fil des pages, des zooms arrière et avant. Une histoire ? Au lecteur

Ŕ ou au spectateur ? Ŕ de l’inventer au gré de son imagination. Entre les troncs, soudain, une lueur. Une flamme ? Sans doute.

Un incendie ? Peut-être. On tourne la page : gros plan sur cette lueur orange qui change de couleur, on passe des couleurs

chaudes aux couleurs froides. Le feu devient eau, le brasier mer, la flamme vague. Un zoom arrière et voilà un paysage noc-

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se contorsionnant dans l’air, pour prendre la forme puis la consistance d’une grande vague

d’eau qui fera apparaître des petits poissons multicolores qui prendront l’apparence d’oiseaux

de toutes les couleurs dans cette nouvelle forêt qui s’est régénérée après le passage du feu.

Dans cet espace, après avoir eu un effet destructeur, le feu devient un élément régénérateur

pour la nature. Dans la dualité, l’effet positif prend toujours le pas sous le pinceau de

l’illustratrice. 323

Si le feu réussit à éloigner les bêtes sauvages du campement, il ne réussit pas à déloger

les poissons qui ont pris possession de l’âme de la maison. Le feu n’a pas tous les pouvoirs

dans le monde surnaturel. Cependant, perdue et seule dans un refuge, Kÿt apprécie la chaleur

et le réconfort d’un bon feu de cheminée. Le feu réchauffe le corps et le cœur. Ses flammes

ont un effet hypnotique324

sur l’être humain du fait de leurs couleurs et de leurs danses crépi-

tantes.

- La terre 325

Cet élément est le socle nécessaire à toute vie sur la planète. La terre nourrit les êtres vivants,

permet la construction et les déplacements, tout autour de la terre.326

Si la planète terre est la

planète bleue, la terre prend des teintes et des nuances différentes en fonction des saisons, des

aménagements qu’elle subit, des nuages qui passent dans le ciel, cachant le soleil … Elle peut

donc être verte ou jaune au printemps par exemple comme blanche sous la neige en hiver. La

terre est un élément absorbant car la pluie s’y infiltre pour la nourrir. Elle subit les assauts du

vent qui emporte tout sur son passage. Le feu, quant à lui peut la ravager comme la nourrir de

ses cendres. La planète terre elle, tourne dans l’univers, toujours au même rythme, entraînant

dans sa ronde tous les éléments et les êtres vivants qui l’habitent. La terre est nourricière, elle

représente les racines stables, celles qui ne bougent pas, celles dont chacun a besoin pour se

construire et s’élever. Alors que sa forme ronde invite à l’évasion et au voyage, « jusqu’au

turne de mer peuplé de poissons multicolores. Tournons la page et les voilà transformés en oiseaux de paradis dans une forêt

tropicale ornée de fleurs éclatantes. On notera la suprême beauté de la dernière double page, avec sa faune et sa flore cha-

toyantes. D’abord plaisir des yeux, cet album constitue un hymne à la nature et à la multiplicité de ses métamorphoses et de

ses paysages. (…) Lorsqu’on a est saisi, happé par La grande vague, on se laisse emporter. (…) Pour son formidable potentiel

poétique, la merveilleuse luminosité de ses illustrations, La grande vague mérite donc qu’on se laisse porter par elle. Un tel

album ouvre des possibilités infinies en poésie et en arts plastiques. » http://www.intercdi-

cedis.org/spip/intercdiarticle.php3?id_article=1188 323 « …Comme pour La grande vague, l’idée m’est venue en quasi trois secondes. J’étais assise devant un feu de cheminée

avec une pochette de feutres Bic sur les genoux et « tac tac tac », je l’ai fait en petites vignettes. C’est ce que j’avais envie de

raconter, toute l’histoire était là. Le plus difficile, c’était de le refaire en grand ! ». Extrait de l’entretien téléphonique du

21/03/2011. 324 « … cette observation hypnotisée qu’est toujours une observation du feu. Cet état de léger hypnotisme, dont nous avons

surpris la constance (…) Il ne faut qu’un soir d’hiver, que le vent autour de la maison, qu’un feu clair, pour qu’une âme

douloureuse dise à la fois ses souvenirs et ses peines. » Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu, éditions idées/Gallimard,

1949, p. 12. 325 « Elle supporte, tandis que le ciel couvre. (…) La terre est la substance universelle. (…) Universellement, la terre est une

matrice qui conçoit les sources, les minerais, les métaux. La terre symbolise la fonction maternelle. » Ibidem., p. 940 Ŕ 942. 326 Voir en annexe la chanson de Jacques Prévert, En sortant de l’école.

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bout du monde », car il est tentant d’aller voir ce qui se passe derrière la ligne d’horizon, de

l’autre côté de la terre. Est Ŕ il trop audacieux d’avancer l’idée que la terre, les racines sont

illustrées par les arbres dans l’univers imagier d’Anne Brouillard. La terre, la planète ronde

qui tourne est illustrée par la ligne de chemin de fer. À partir de cette nouvelle hypothèse de

lecture, il serait possible d’étudier les albums à la lumière des cinq éléments chinois qui sont :

le feu, l’eau, le bois, le métal et la terre associés au concept du Yin et du Yang.

d) La ville, un paysage crée par l’homme :

un paysage en perpétuelle mutation, toujours en mouvement … comme la terre

Dans La terre tourne la ville est aperçue depuis la fenêtre de l’appartement de

l’homme en rouge et Kiliok. Le village est vu depuis l’extérieur sous le soleil. Dans le cadre

de cet album, le lecteur pourrait visiter chaque paysage à travers la vitre d’un train. Dans

Voyage, c’est chose faite. Les enfants traversent la ville en train et, ils y voient les mêmes

« immeubles », le même « coin de rue », le même « manège » et la même « place ». Par ce va

et vient d’album en album, deux lieux représentés séparément peuvent se retrouver unis par la

lecture d’un autre album. Le pont avec ses arcades renforce cette idée de déjà vu quelque part.

Cette place peinte sous le soleil évoque celle de Voyage, à un autre moment de la journée, le

soir, avec ses promeneurs et les clients assis à la terrasse du café ouvert. Il en est de même

pour le « manège » autour duquel la foule s’assemble. Dans La terre tourne, la ville est repré-

sentée comme un décor servant de cadre à l’évolution des personnages dans l’espace. Ils ne

rencontrent personne. Comme dans Sept minutes et demie, la ville semble une zone topogra-

phique permettant le déplacement des seuls protagonistes de l’histoire. Sont Ŕ ce des villes

inhabitées ?

Ailleurs, dans Voyage, Reviens sapin, Le voyageur et les oiseaux, Le temps d’une les-

sive, Le grand murmure par exemple, la ville est habitée et vivante. Des gens y vivent, y bou-

gent, y travaillent, s’y rencontrent, vont et viennent, y restent… Leur présence est sensible.

D’autres thématiques comme les plantes, le ciel, les arbres, les forêts, la plaine, le

voyage, l’intérieur et l’extérieur … pourraient aussi être étudiées comparativement à partir de

La terre tourne. Nous avons opté pour les plus représentatives à notre sens.

La terre tourne présente l’échantillonnage environnemental terrestre. La terre est vue

dans sa globalité et dans son mouvement perpétuel. Tout y est donc en déplacement et en

transformation. Cependant, tout comme les personnages et l’environnement y sont des repères

vivants pour le lecteur, les objets accompagnent aussi la lecture d’un album à l’autre.

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3) Les objets (matériels)

a) Le ballon rouge327

: symbole de l’enfance, du jeu et de l’insouciance, de l’action,

des rencontres entre amis, des cadeaux offerts par les adultes …

Dans La terre tourne, le ballon rouge est le présent choisi par Kÿt. D’après

l’environnement et son attitude, le lecteur suppose qu’elle l’a trouvé à la fête foraine. En effet,

ce ballon de baudruche est très prisé par les enfants lors de cette circonstance festive. Mais

aussi, il peut illustrer la joie du « retour en enfance », le refus de vieillir, d’être enfermé, de

renoncer à ses rêves, l’envie d’aller jusqu’au bout de ses rêves d’enfance et le bonheur d’être

entouré d’amis, une « ode » à la vie, à la liberté et au courage dans le dessin animé La – haut :

Ces ballons sont toujours de couleurs vives car, ils sont là pour attirer le

regard et susciter le bonheur « enfantin ». Quand ils sont accrochés tous ensemble, multico-

lores, on dirait un arc en ciel qui se déplace dans le ciel.

Dans les albums d’Anne Brouillard, le ballon ou plus exactement les ballons sont

rouges :

« Le rouge … possède l’ambivalence symbolique … selon qu’il est clair ou foncé. L’un

entraîne, encourage, provoque (…) ; l’autre alerte, retient, incite à la vigilance. (…) Il n’est pas

de peuple qui n’ait exprimé cette ambivalence d’où provient tout le pouvoir de fascination de la

couleur rouge, qui porte en elle intimement liées les deux plus profondes pulsions humaines : ac-

tion et passion, libération et oppression. »328

Ici, cette ambivalence symbolique se retrouve plutôt au niveau de la forme et de

l’utilisation car il s’agit d’un ballon flottant dans l’air ou retombant au sol. L’un est ovale,

libre, aérien mais retenu sur terre par une ficelle ; l’autre est rond, pesant, passif mais devient

actif au contact d’un pied ou d’une main humaine. Tout au long des albums, le lecteur ren-

contre donc, sur les traces des enfants329

, ce ballon rouge330

:

- le ballon solitaire : le ballon qui flotte au vent, le ballon attaché avec une ficelle.

C’est ce même ballon de baudruche qui permet au lecteur de reconnaître l’ambiance

de la fête foraine dans Voyage bien que l’illustration soit en noir et blanc. Entre l’image de La

terre tourne et celle de Voyage, le temps est passé, la nuit est tombée et le public est arrivé.

Que ce soit dans Le temps d’une lessive ou dans Promenade au bord de l’eau, ce ballon est

toujours celui d’un seul enfant, il se joue en solitaire avec le vent. D’ailleurs, ce dernier finira

327 « Le rouge vif … incite à l’action ; il est l’image d’ardeur, … de jeunesse, de santé. (…) Il incarne la fougue et l’ardeur de

la jeunesse. » Dictionnaire des symboles, p. 832. 328 Ibidem. pp. 831 Ŕ 833. 329 « … enfants … dont on connait l’universelle attirance pour la couleur rouge. » Ibidem., p. 833. 330 Le ballon rouge se retrouve dans nombre d’univers imagiers pour la jeunesse. Il se transforme sous l’imagination de Iela

Mari et Sara, par exemple ; il accompagne Mon petit monde de Margaret Wise Brown ; il prend une valeur de liberté,

d’insouciance, d’amour … et il occupe une place typographique symbolique dans Le petit inconnu au ballon de Jean Baptiste

Cabaud et Fred Bernard où le narrateur textuel l’intègre dans son texte. Chaque « o » du texte est illustré par ce symbole « o »

afin de rappeler au lecteur combien la guerre est « injuste » et cruelle. Le signe est solidaire du sens.

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par l’emporter avec lui à la fin de l’album Promenade au bord de l’eau, laissant l’enfant sur la

plage avec la famille et les amis. Par cette nouvelle résonnance, le lecteur peut se demander si

cet enfant ne serait pas l’enfant accueilli à la fin de La terre tourne. Dans Le temps d’une les-

sive, il y a deux enfants. Donc, il est tout à fait normal qu’ils en aient chacun un. Le jaune331

pour la fille et le rouge pour le garçon332

.

- le ballon partagé : le ballon qui se pousse au pied, le ballon qui se joue à la main, le

ballon qui roule, le ballon abandonné au bord du chemin.

Quand les enfants se retrouvent à plusieurs, le ballon s’adapte à leurs jeux. Quand

l’enfant est seul, il joue avec l’inclinaison du terrain. Quand l’enfant est devenu un adulte, le

ballon se retrouve abandonné au bord du chemin, trace visible de l’insouciance passée. Ce

ballon rond roule dans la pente, devançant les pas de l’enfant, il ne s’arrête jamais dans sa

course, tout comme la terre tourne encore et toujours. Fidèle compagnon de l’enfance, il ne

s’arrête que quand l’enfant est trop grand pour jouer avec lui. Symbole de la convivialité en-

fantine, il se joue au pied dans Le chemin bleu, Le bain de la cantatrice et Rêve de lune. Sur

ses traces, le lecteur et les personnages évoluent dans l’espace et le temps qui passe. Il se joue

à la main dans La famille foulque, Julie capable et L’homme qui était sans couleurs.

De part ses multiples facettes, le ballon est l’objet idéal pour illustrer le monde de

l’enfance. Offert à cet enfant attendu dans La terre tourne, c’est donc tout naturellement qu’il

accompagne les jeunes personnages dans de nombreuses histoires pour la jeunesse illustrées

ou imaginées par Anne Brouillard.

b) La valise : symbole du voyage, les gens qui vont et viennent, ceux qui ne s’arrêtent

jamais mais aussi ceux qui déménagent ailleurs pour y être mieux ou pour des raisons de

restructuration de l’espace, ceux qui doivent partir de chez eux, ceux qui sont morts…

Comment représenter le passage de l’enfance à l’adulte. Cette période « entre Ŕ deux »

où les rêves changent, où certains se perdent et où d’autres deviennent réalisables ? Cette

transition dans la vie de l’être humain qui va « prendre son envol », devenir peu à peu auto-

nome pour enfin partir du « giron » familial ? C’est le moment où l’on a envie de « faire sa

valise » pour aller voir ailleurs … même si l’on ne sait pas encore que l’on reviendra un jour,

comme l’illustre Le chemin bleu.

331 « Le jaune est la plus chaude, la plus expansive, la plus ardente des couleurs. (…) Il est le véhicule de la jeunesse, de la

force, de l’éternité divine. » Dictionnaire des symboles pp. 535 Ŕ 537. 332 « C’est une couleur masculine » in http://www.creatic.fr/cic/B022Doc.htm

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La valise est aussi le symbole du voyage, au rythme de la terre qui tourne, tout autour

de la terre qui est ronde, sur les traces des personnages de La terre tourne. Dans l’univers

imagier d’Anne Brouillard, cette valise a une forme, une couleur, une âme … De ce fait, le

lecteur la reconnaît malgré la grande disparité des environnements dans lesquels elle se trouve.

Cette petite valise rectangulaire marron arrive doublement dans l’univers imagier de La terre

tourne. C’est tout d’abord l’homme en rouge puis la dame en vert qui arrivent, chacun avec la

leur. Leur arrivée est d’ailleurs similaire. Chacun pose sa valise à sa droite afin d’avoir les

mains libres pour saluer leur hôte animal. La valise est donc utilisée pour transporter ses ba-

gages, partir en voyage mais, une fois arrivée, on la pose afin de s’installer pour un moment

ou pour toujours selon les circonstances. Dans La terre tourne, Voyage, Le voyageur et les

oiseaux ou Le grand murmure, cette valise est « de voyage », « de passage » alors que dans

Le chemin bleu, elle se pose pour longtemps car le narrateur revient pour s’installer ici. Elle

peut aussi se retrouver là pour toujours, car, après la mort de son propriétaire, qu’en faire ?

(Le rêve du poisson) Elle devient alors la trace, le souvenir de l’être aimé et disparu. « On se

demande où vont ceux qui sont morts ? ». Si la présence et la vue de cette petite valise

n’apportent pas de réponses, elle permet de ne pas oublier celui ou celle à qui elle a appartenu.

Dans de telles circonstances, le grenier, cet endroit « où le temps semble suspendu » semble

bien être le coin idéal pour la poser.

Que les illustrations soient en couleurs ou en noir et blanc, cette petite valise est très

reconnaissable du fait de ses particularités adaptables en fonction des personnalités des per-

sonnages et des situations dans lesquelles ils se trouvent.

C’est ainsi que Le grand Michu l’emporte avec lui quand il doit entrer au pensionnat.

Cette même petite valise peut être utilisée en tant qu’ « attaché case » pour les besoins de la

narration. Par contre, pour une balade en forêt, le sac à dos est plus pratique car il laisse les

mains libres. Pour faire les courses, une balade sur le chemin ou une partie de pêche, le panier

est plus adapté au pique nique et à la « prise miraculeuse » ! Quand il s’agit de partir au pays

du rêve ou à la recherche de sa maison, alors là, pas besoin de valise car le personnage part à

la découverte de l’inconnu. Et quand il est question de partir précipitamment ? Les person-

nages n’ont pas le temps de faire leur valise, ils emportent donc tout ce qu’ils peuvent « en

vrac » et ils embarquent vers d’autres horizons moins humides. La valise s’adapte aussi à la

personnalité des personnages. Une vieille dame sera équipée d’une valise à roulettes tandis

qu’un vieux voyageur « musicien » portera une valise de la taille de son instrument (une flûte

certainement). Il en est de même pour Élisabeth qui va « jouer de l’accordéon au château. »

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c) La cafetière : illustre les gens qui restent là parce qu’ils y sont bien, symbole de

l’accueil, le partage, la chaleur humaine, recevoir des amis, la pause conviviale, le café :

le goût, l’odeur, le réveil quotidien et rassurant …

Une fois que les adultes sont bien confortablement installés chez eux ou en pause, au

cours d’un voyage, que font Ŕ ils ? Ils partagent un café en famille ou entre amis. C’est ainsi

que la cafetière se retrouvent dans la plupart des albums d’Anne Brouillard symbolisant cette

convivialité entre adultes. Mais aussi, quand ils vivent seuls, la cafetière les attend pour leur

procurer un peu de chaleur.

La cafetière rouge de La terre tourne, tout comme la ligne de chemin de fer prend une

double signification dans Le pays du rêve. En effet, elle aussi se retrouve dans les deux

mondes : celui de la réalité et celui du rêve. Sa présence dans la maison « réelle » n’est pas

étonnante pour le lecteur sensible aux résonnances car, il la retrouve dans L’orage. Elle existe

donc bel et bien chez ces gens qui habitent ici. Mais alors, comment peut Ŕ elle se retrouver à

la fois dans les deux mondes, le vécu et le rêvé dans Le pays du rêve ? C’est même elle qui

attend les voyageurs, posée sur une table près de la voie ferrée et du bateau. Elle semble être

la « vedette » de cet album, image rouge détourée sur le fond blanc de la page de titre. Cette

cafetière symboliserait cette ambiance mystérieuse et « utopique » caractéristique des albums

d’Anne Brouillard. En effet, dans La terre tourne, ce ne sont pas les être humains qui

l’utilisent mais le chien noir qui d’ailleurs lit aussi le journal ! Tout le monde est mis sur un

pied d’égalité dans cet univers imagier. Ainsi, la cafetière rouge deviendrait « animée » et

serait libre de se dédoubler. Où que l’on se trouve, elle symbolise le fait que l’on est toujours

attendu par « quelqu’un » ou « quelque chose ». Nous ne sommes jamais seul sur terre et nous

avons tous besoin les uns des autres pour y vivre en harmonie.

Comme les autres personnages, la cafetière rouge évolue dans l’univers imagier

d’Anne Brouillard. Sa place, son rôle change mais son apparence et sa présence interpellent

toujours l’œil « dénicheur » du lecteur. Elle peut se positionner en tant qu’ :

- Accessoire au sein d’illustrations de pleine page dans La terre tourne, par

exemple.

- « Label » au centre de la page de titre dans Le pays du rêve,

- Objet « animé » de tremblements sous l’effet du bruit du tonnerre et de la

peur de l’éclair blanc dans L’orage,

- Ustensile de cuisine bien rangé dans le buffet dans l’album De l’autre côté

du lac.

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Le rouge est une couleur primaire et chaude333

, le fait de l’associer à la couleur

blanche334

le rend plus discret. Le rouge incite au geste, à l’offre d’un café, le blanc participe

de ce don « de soi ». En effet, en servant un café, par ce geste chaleureux, on donne aussi de

son amitié ou de son amour. Cependant, la cafetière blanche et rouge assume toujours cette

même fonction dans une ambiance toujours chaleureuse. Qu’elle attende des amis dans Le

grand murmure, offre une pause à un ami de passage dans La maison de Martin ou réchauffe

le corps d’une famille revenue de balade dans Reviens sapin. La cafetière blanche et rouge

passe de mains en mains, rassemblant les gens autour d’elle.

La couleur blanche évoque aussi la vieillesse, époque de solitude alors que l’être hu-

main a toujours besoin de chaleur. C’est ainsi que, dans l’environnement imagier de La vieille

dame et les souris et Le gardien des couleurs, ces deux personnes âgées ont une cafetière en

céramique blanche. Une cafetière d’une autre époque mais qui garde toujours sa place.

En effet, comme la valise, elle s’adapte aux personnages et aux circonstances de leur

histoire. L’homme qui était sans couleurs est un personnage contemporain avec le rythme que

cela impose. Le narrateur imagier a donc choisi de lui installer dans sa cuisine, une cafetière

électrique moderne. Cela est plus pratique et plus rapide le matin au réveil pour prendre son

petit déjeuner « sur le pouce ». Dans les cas de Kÿt et du pêcheur, le narrateur imagier a opté

pour le même choix des couleurs (rouge et blanc) mais pour un objet plus pratique et transpor-

table : le thermos. Ainsi, le café est une boisson qui peut se partager aussi ailleurs que chez

soi. Que ce soit avec un chat ou avec une oie, grâce au thermos, cette boisson garde ses va-

leurs, gustatives et chaleureuses. Tout comme dans La terre tourne, le café permet le contact

et les échanges amicaux et harmonieux entre les êtres humains et les animaux.

d) Le chemin de fer, les rails, la voie ferrée, le train335

Tout cet environnement est propice à l’imagination et au voyage vers l’extérieur ou

depuis l’extérieur ; aux échanges à l’intérieur, dans le compartiment ; aux promenades et aux

rêves le long de la ligne de chemin de fer ou de l’autre côté, tout est envisageable dans et en

dehors de cet espace ferroviaire.

333 « Le café y reste plus chaud plus longtemps. » remarque Anne Brouillard lors de la conférence du 06/11/2010. 334 « C’est une couleur neutre. (…) Dans la valorisation positive du blanc … elle est l’attribut de celui qui se relève, qui renaît,

victorieux de l’épreuve. (…) Dans le bouddhisme japonais, l’auréole blanche et le lotus blanc sont associés au geste du poing

de connaissance, par opposition au rouge et au geste de concentration. (…) Elie est le maître du principe vital symbolise par

le rouge, Moïse, selon la tradition islamique, est associé au for intime de l’être dont la couleur est le blanc. (…) On retrouve

chez Les Soufi la relation symbolique du blanc et du rouge. Le blanc est la couleur essentielle de la Sagesse ; le rouge est la

couleur de l’être mêlé aux obscurités du monde. » Dictionnaire des symboles, p. 127. 335 Voir en annexe la chanson de Grand Corps Malade, Les voyages en train.

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Nous pouvons adapter les propos de Gilles Clément à cet espace qui nous intéresse en

ces termes :

« La terre est elle – même » une ligne de chemin de fer dont la limite apparente « est l’horizon

(…) : l’horizon arrête toujours notre regard, mais il a cessé d’être la limite du monde, parce que

nous savons désormais très bien ce qui se cache derrière, maintenant que nous vivons dans un

monde où, (…) nous pouvons avoir une idée » du paysage « pour toute la planète. Ça, c’est la ré-

volution que nous ont apportée les satellites et les cosmonautes. » On nous montre la planète

« c’est devenu une nouvelle habitude culturelle. » Grâce au train, nous traversons un univers sur

les rails.336

Le narrateur imagier de La terre tourne positionne la voie ferrée transversalement, que

ce soit dans un plan horizontal ou vertical et hors champ comme un lien possible de page à

page. Cette organisation spatiale se retrouve dans d’autres albums aussi.

Dans Le grand murmure, les personnages déambulent autour de la ligne de chemin de

fer, regardent passer le train, l’attendent sur le quai ou dans le café de la gare mais voyagent

aussi par ce moyen de transport, tout comme les personnages de La terre tourne. Ils en profi-

tent pour regarder le paysage qui défilent sous leurs yeux, échanger quelques conversations ou

un verre dans l’ambiance chaleureuse du compartiment. L’essentiel de la narration illustrative

de Voyage se passe dans le train ou vu depuis l’intérieur du compartiment, à travers la vitre.

Les paysages réels et imaginaires se succèdent au rythme de ce train qui circule autour de la

terre qui tourne. Situé hors cadre de la page, la vue depuis le train permet des vues en plon-

gées sur les décors traversés par les personnages. Comme dans Le grand murmure, la gare est

un endroit peuplé et animé par toutes sortes de gens qui vont viennent, partent ou reviennent

de voyage, certains attendent le train, d’autres attendent les voyageurs du train. La gare est

l’espace narratif de l’album Le voyageur et les oiseaux. Ici, les trains sont en arrière plan car,

les protagonistes statiques sont positionnés au premier plan. Cependant, le défilé incessant des

allers et venues des trains permet au lecteur de prendre conscience du temps qui passe dans

cette gare terminus. Au rythme des départs et des arrivées des trains, les gens vont et viennent,

pour accueillir un voyageur, attendre ou courir après leur train. L’espace ferroviaire illustré

dans Le chemin bleu est limité. Cependant, ces deux ambiances sont représentées : un espace

d’aiguillages, un terminus et des voies ferrées parallèles comme dans Voyage ou Le voyageur

et les oiseaux ; un quai de gare avec un train prêt et des voyageurs comme dans Voyage, Le

grand murmure ou Le voyageur et les oiseaux. Ici, deux vignettes suffisent pour évoquer ce

monde ferroviaire.

Dans la forêt enneigée de Il va neiger, pas de train en vue ! Cependant, les person-

nages se promènent le long de cette voie ferrée qui traverse les bois et quelques pages de

l’album de part en part, « ils cheminent le long de la voie ferrée, là où les rails font une belle

336 Gilles Clément à propos de son livre Thomas et le voyageur, éditions Albin Michel, 2011.

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courbe. »337

Cette ligne illustre le chemin qui balise leur promenade nocturne, comme un re-

père visuel dans cette forêt. En effet, il fait nuit et la neige a recouvert le sol. Les rails restent

visibles et orientent les pas des personnages sans risque de se perdre, « petits cailloux blancs

du Petit Poucet ». Que les personnages soient dans le train, sur les quais, dans le café de la

gare ou le long des rails, cette ligne permet le rassemblement des personnes et les invite aux

voyages. Comme dans Le grand murmure et Le pays du rêve, cette ligne peut être courbe,

comme si les rails prenaient la forme et l’orientation de la terre qui tourne. Dans ce dernier, la

narration illustrative est double tout comme l’apparence de la voie ferrée. Elle est rectiligne et

empruntée par des trains dans la réalité alors qu’elle est toute en virages et inutilisée dans Le

pays du rêve. L’arrondi évoque la douceur, c’est une forme non agressive, elle suggère

l’espace du nid douillet … serait Ŕ ce cela Le pays du rêve ? Alors que la ligne droite impose

une direction et une rigueur qui symboliserait le monde réel ?

Que dire alors de cet autobus Ŕ tram Ŕ train Ŕ avion Ŕ sous marin Ŕ machine à laver

dans Le temps d’une lessive ? Ce véhicule a l’apparence d’un train, les fonctions d’un tram-

way (train citadin électrique) mais, il roule sans roue, sans rail et il navigue sous l’eau et il

vole. Alors qu’est Ŕ ce ? « Cet album est un délire » précise Anne Brouillard. Ainsi, par ce

moyen de locomotion « tout terrain » l’illustratrice a voulu représenter tous les déplacements

possibles, dans tous les éléments (sur terre, sous l’eau et dans l’air) en un seul et unique es-

pace mobile. « Il semblerait que cela fonctionne bien » précise t’elle « et en plus, c’est écolo-

gique » ! Merci Anne Brouillard pour cette fabuleuse invention du XXIème

siècle.338

Le chemin de fer est bien un environnement qui permet le déplacement d’un espace à

l’autre, le mouvement d’un moment à l’autre et aussi la rencontre, l’échange et le partage. Ce

n’est pas un élément froid, tout comme la neige, la nuit, la ville … Le narrateur les présente

sous un aspect chaleureux et bienveillant. C’est cette même harmonie qui nous accompagne

dans et à partir de La terre tourne.

Que se passe t’il donc quand Anne Brouillard est invitée à participer à un album col-

lectif chez Sarbacane sur le thème du loup ? Elle joue avec les mots et le lecteur la reconnaît

sans aucun doute. C’est alors que du titre de l’album Un loup peut en cacher un autre339

, elle

en a déduit une autre expression populaire « un train peut en cacher un autre » ! Quand on lui

demande pourquoi elle a représenté tous ses loups dans un train qui traverse la forêt du Petit

chaperon rouge qui attend au passage à niveau, elle répond : « ils rentrent du boulot ! ».

337 Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles". 338 Cet album est paru en 2000. 339 Textes de François David, Un loup peut en cacher un autre, éditions Sarbacane, 2006.

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Anne Brouillard est non seulement talentueuse, elle est aussi douée d’humour. Person-

nalité qui s’accompagne d’une philosophie de vie « égalitaire » et pacifique.

D’autres motifs comme la nappe, le manège, la maison, le bateau, le pont, la porte, la

fenêtre, la tablée … pourraient aussi être étudiés comparativement à partir de La terre tourne.

Nous avons choisi de traiter les plus représentatifs selon nous.

Sur place ou ailleurs, statiques ou mobiles, les objets accompagnent les personnages

comme des partenaires à part entière. Qu’ils les attendent, les transportent ou les suivent, ils

représentent des guides imagiers pour le lecteur aussi. Leur forme est généralement ronde ou

arrondie, s’harmonisant ainsi avec le style de prédilection d’Anne Brouillard.

4) La rotondité

Par l’organisation de la narration imagière la fin renvoie au début, le lecteur est invité

à participer à une histoire sans fin, perpétuelle, comme la terre nous entraîne tous dans sa

course ronde. Le lecteur est donc sensible à cette symétrie entre les illustrations de début et de

fin à chaque album. Dans ce même esprit d’organisation en boucle, ce mémoire part du lac de

La terre tourne pour y revenir à la fin. Par « le visage de l’enfant », la dernière illustration de

La terre tourne résonne avec la première vignette de la première page. La lecture commence

par cette première vignette en bas à gauche et se termine à droite de la dernière page, du fait

du sens de lecture occidental de gauche à droite.340

Chez Anne Brouillard, la dernière page de

droite renvoie à la première page de gauche, le sens de lecture devient donc double, comme

une bobine de film qui se déroule continuellement, sans s’arrêter. À chaque lecture, à chaque

passage, le lecteur Ŕ spectateur fait de nouvelles découvertes et crée de nouveaux liens.

« Comme quand on part en voyage, à chaque retour, c’est un nouveau début, on n’est pas tout

à fait le même », on est plus riche de chaque expérience à chaque passage. Son univers est

ouvert et cyclique.

Au fil des pages, la narration imagière progresse au rythme des illustrations comme

une respiration.341

Les échos d’une page à l’autre sont fréquents, les résonnances imagières

inter Ŕ albums sont évocatrices mais, ce qui particularise le style d’Anne brouillard, c’est la

structure de ses œuvres. « Le côté boucle, tout tourne en rond, on tourne en rond … C’est

340 « Le livre s’approche des mains du lecteur, s’approche de son regard, s’ouvre, s’offre, se laisse conquérir. (…) La direc-

tion du regard crée le sens, de même que le sens crée la direction. De même que le sens crée le sens. » Daniel Leduc, Le livre

de l’ensoleillement, éditions N&B, Aubenas, 2003, p. 60. 341 « Ouvrir un livre est un acte de respiration volontaire ; comme ouvrir une fenêtre sur le monde. Sentir le souffle de chaque

chose sur sa peau intérieure. » Daniel Leduc, op. cit., p. 59.

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mon interprétation de la vie, ce que je vais mettre dans mes livres, c’est la façon dont je res-

sens l’existence. On revient au même endroit souvent, on ne peut pas s’échapper de soi où

qu’on aille. Le retour, on est, on vie, on meurt, ça continue et c’est sans fin. »342

Elle avoue

avoir ce style de prédilection depuis son enfance. Entre la première et la dernière page, les

personnages progressent et évoluent, le lecteur chemine sur leurs traces mais, le voyage est

toujours renouvelable, un nouveau départ est toujours possible.

Comme La terre tourne, comme les trains et les gens vont et viennent, la mémoire vi-

suelle du lecteur le reconduit naturellement à retourner au début du livre. Chaque lecture est

unique et complémentaire. Dans La terre tourne, le visage de l’enfant né résonne avec le vi-

sage de l’enfant à naître. Les mêmes illustrations évoquent donc une nouvelle naissance à

chaque lecture.

- « On revient au point de départ avec beaucoup de tendresse, dans l’harmonie, sans agres-

sivité …

- Dans la terre tourne, le rond amène à la boucle, à la douceur. »343

Telle une métaphore de la vie qui continue, rythmée par des moments particuliers,

comme la terre tourne au rythme des jours et des nuits, chaque lecture annonce un nouvel ac-

cueil. La répétition n’est jamais à l’identique. Comment ce rythme circulaire s’organise t’il

dans les autres albums ?

- Le point de départ correspond au lieu d’arrivée :

On part et on revient « un jour », entre les deux moments, plus ou moins long, pendant

« notre » voyage, la vie continue …

Ces albums sont les plus nombreux. Il peut s’agir d’un cycle qui autorise le retour à

l’état initial (Reviens sapin), au point de départ initial (Sept minutes et demie, Mystère, Il va

neiger), le temps d’un orage ou que la pluie tombe, le temps d’une conversation téléphonique.

L’arrivée dans la réalité fictive peut correspondre au point de départ dans le monde imaginaire

de l’histoire (Le temps d’une lessive) et les deux mondes se mêlent. Mais aussi, les boulever-

sements peuvent être plus importants. Un quartier est transformé, une forêt métamorphosée, le

personnage enfant est devenu adulte … Quand on revient, on est différent mais l’espace et les

gens qui sont restés là ont changé aussi.

- Tout tourne dans le même espace, tout le monde y est entraîné au même

rythme de la terre qui tourne :

342 Extrait de la conférence du 06/11/2010 à Toulouse. 343 Ibidem., extrait de l’interview de Nicole Folch.

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Car la terre tourne toujours même quand on reste au même endroit, là où on est bien.

Le monde n’est pas immobile même si l’on ne bouge pas. Le passage des intempéries, des

gens et des saisons tout autour en sont des preuves palpables. Que l’on soit tranquille, autour

d’un étang, dans un café de gare, sur une balançoire … que l’on court après « le temps », il

passe invariablement pareillement pour tous.

- D’un point à un autre « presque » identique, on continue toujours, les gens

vont et viennent, on va voir « ailleurs » pour vivre de nouvelles aventures :

En voyage, on va d’une gare à l’autre, en barque, on va d’une berge à l’autre, dans la

forêt, les personnages y entrent et en ressortent, dans la montagne, ils montent et descendent,

une boîte rouge revient sur une autre étagère, prête à faire naître de nouvelles histoires … On

revient souvent au même endroit, là où on aime être.

- Le point d’arrivée est le « même » monde inversé, une nouvelle vie « à

l’envers » commence, dans un lieu qu’on ne connaît pas encore :

Cette nouvelle expérience peut être déclenchée par les personnages eux Ŕ mêmes,

comme dans Le bain de la cantatrice ou Trois chats, mais, les intempéries naturelles comme

le vent ou la pluie diluvienne peuvent obliger les personnages à s’adapter à leur nouvel envi-

ronnement de vie. À l’endroit ou à l’envers, l’histoire continue …

Par son style imagier « répétitif », Anne Brouillard incite le lecteur à découvrir et re-

découvrir chaque album. Une seule lecture ne suffit pas pour tout « voir ». Tout comme

chaque album résonne avec d’autres, la dernière et la première illustration se répondent en

écho. Tisser les sens344

et l’essence de son œuvre demande du temps. Chaque lecture ména-

geant toujours son lot de surprises et de richesses, elle est une nouvelle découverte. Le lecteur

ne tombe jamais dans la monotonie345

de la répétition et il est actif dans cette re-construction.

Quand le lecteur s’est pris au jeu, il a envie de continuer l’exploration, d’aller voir plus

en profondeur dans les œuvres d’Anne Brouillard, à la recherche de ces liens qui sont de nou-

velles richesses. Par ses jeux de regards, sa lecture s’affine et il prend plaisir à construire de

nouvelles interprétations. Les personnages, les objets, les environnements lui deviennent plus

familiers et font partie de son univers fictionnel. Les narrateurs imagiers et/ou textuels de-

viennent des partenaires avec lesquels il construit le sens intra et inter albums.

344 « Partir de la singularité de l’œuvre donc, mais aussi bâtir une solide confiance dans sa capacité à faire sens. » sophie Van

der Linden, Prologue, in L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, op. cit., p. 13. 345 « Déjouant les certitudes préalables comme les stratégies de lecture répétitives et automatiques, chaque album, dans sa

singularité esthétique, invite son lecteur, ses lecteurs, à une expérience littéraire inédite, une expérience de l’intranquillité. »

C. Connan Ŕ Pintado, F. Gaiotti, B. Poulou, L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?,

op. cit., p. 10.

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D) Un exemple de continuité narrative

Comment les narrateurs se complémentent à travers les albums pour reconduire le lec-

teur dans l’ambiance de La terre tourne.

1) Le pêcheur et l’oie

2) Le voyageur et les oiseaux

3) La famille foulque

4) La vieille dame et les souris

5) De l’autre côté du lac 346

« Au niveau de la technique, j’ai fait Le pêcheur et l’oie et Le voyageur et les oiseaux

à l’encre et à l’aquarelle. Pour les trois autres, La famille foulque, La vieille dame et les souris

et De l’autre côté du lac, il y a une petite différence. J’ai utilisé exclusivement de l’encre (bâ-

tons de couleurs et liquide) que j’achète dans une boutique à Paris. C’est de l’encre au trait

(avec une plume) et au pinceau. 347

» « J’aime beaucoup le papier doux (comme celui du

Seuil348

) ; il ternit un peu mes couleurs, mais c’est celui que je préfère. »349

« À la palette du peintre, elle ajoute un travail de découpage, de plans, de séquences

issues d’un instinct sûr et d’une finesse d’observation peu commune. (…) Elle part en repé-

rages, observer un plan d’eau, … un lac dans la Suède chère à son cœur. Elle part vivre cette

confrontation avec la nature, retrouver cet équilibre millénaire. »350

À travers ses albums,

Anne Brouillard donne à voir ce qu’elle-même a observé, par ses illustrations, elle fait ressen-

tir les images351

qui l’ont émue. « Voilà une artiste à la pensée associative, qui part pour cha-

cune de ses créations d’une idée visuelle, d’une ambiance caractéristique. (…) Ce qui lui im-

porte, c’est de révéler un monde imaginé à partir d’un morceau de réel, un monde où logique

et rêve se mettent à coïncider. »352

Son œuvre fait partager au lecteur sa conception de la vie.

Ses illustrations sont des tableaux sensibles et émotionnels. Son style353

pictural évoque le

haïku, « genre avant tout descriptif, imagé, mais aussi intimiste et émotionnel (…). Ce qu’on

nomme en littérature une « image visuelle », quelquefois une « image littéraire ». C’est le

346 « À cause de l’inspiration, c’est le même lac que dans La terre tourne. De l’autre côté du lac est aussi inspiré de

l’ambiance de ce fameux lac Teåkersjön à Dalskog en Suède. » Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du

31/01/2011. 347 Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 348 « L’éditeur revient en scène en la personne du directeur artistique qui apporte tout son savoir faire quant au choix du

papier, ... » Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau, Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, p. 7. 349 Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole 3/07, novembre 2007, pp. 3. 350 Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 60. 351 « L’image est donc vecteur de communication, un langage ; elle délivre un message qui est lu. » C. Segura Ŕ Balladur et É.

Audureau, op. cit., p. 13 Ŕ 14. 352 Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles". 353 L’illustration témoigne d’une recherche artistique personnelle où le récit de fiction devient le champs d’investigation de

son travail d’artiste. » Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau, op. cit., p. 25.

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poème de prédilection pour donner à voir et à sentir la nature, les saisons. »354

Au fil des

pages, le cheminement se construit, évoquant tout un monde au lecteur, dans cette ambiance

« brouillardienne ».

« L’art ne décrit pas le visible, il rend visible. »355

et le haïku est une image visuelle. Il

« donne à voir cette image. »356

Dans les œuvres d’Anne Brouillard, tout est au service de son

art : les techniques, les couleurs, les personnages, les paysages … Un bruit, une émotion, une

anecdote, une « vision » éveillent en elle une œuvre. À partir d’un « petit quelque chose » qui

pourrait passer inaperçu chez d’autres, elle crée un album. Dans ces mêmes dispositions

d’esprit, « le haïku, c’est aussi le poème des choses les plus banales de la vie quotidienne, des

bonheurs minuscules et des petits tracas (…), le poème du lâcher prise (…) de la capture de

l’éphémère, de l’observation attentive des petites choses fugaces. »357

Ainsi, nous pouvons

imaginer que ses albums s’apparentent à des haïkus. Petit poème japonais de dix sept syllabes,

au rythme de cinq Ŕ sept Ŕ cinq, définit par Bashô, son premier maître en ces termes : « c’est

simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment. »358

Ses haïku peignent la nature et sont

souvent insérés dans des textes en prose, l’ensemble se présentant sous la forme de carnet de

voyage. Tout comme Anne Brouillard transporte dans son sac ses carnets d’esquisses et de

notes en voyage.

Nous avons donc tenté, à partir des images visuelles offertes par Anne Brouillard, une

création359

poétique dans les règles du haïku car « ce système permet une écriture extrême-

ment concise, imagée et rythmée »360

correspondant à son style. « Son passage à l’écriture

s’ajoute à une belle palette graphique. Elle supprime beaucoup, avant d’avoir la phrase adé-

quate, pour former un accord quasiment parfait avec l’image. »361

Cependant, dans La famille

foulque et De l’autre côté du lac tout particulièrement, chaque double page illustrée évoque

un haïku contemplatif qu’un poète émérite, que nous ne sommes pas, mettrait en mots.

« L’essentiel est de donner une âme au haïku »362

comme Anne Brouillard le fait avec talent à

chacun de ses mouvements de pinceaux, « une voix dans les images. Ses histoires presque

354 Philippe Costa, Petit manuel pour écrire des haïku, Picquier poche, 2010, pp. 39 Ŕ 40. 355 Paul Klee. 356 Philippe Costa, op. cit., p. 77. 357 Ibidem., pp. 40 Ŕ 41. 358 René Etiemble, Du haïku, éditions Kwok On, collection « Culture », Paris, 1995, p. 25. 359 « Si l’illustrateur est également auteur la lecture s’enrichit car l’album devient un espace à explorer, à décoder. Le déco-

dage de l’image ne dépend pas seulement du savoir faire du créateur mais aussi de celui qui la reçoit et la regarde. Chacun

l’interprétera différemment et lui attribuera un sens particulier, selon sa perception consciente et inconsciente ou les réfé-

rences auxquelles elle fait allusion. » C. Segura Ŕ Balladur et É. Audureau, Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, p.

19. 360 Philippe Costa, op. cit., p. 47. 361 Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62. 362 René Sieffert, Bashô, Le manteau de pluie du singe, P.O.F., collection « Poètes du Japon », Paris, 1986, p. 1.

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sans paroles, où ses illustrations sont peintes comme autant de tableaux et les textes remplis

de poésie. »363

Anne Brouillard habitait dans ce quartier de Bruxelles à cette époque là. Elle s’y pro-

menait souvent à pied comme elle aime le faire, tranquillement, en observant les gens, les

animaux et la nature. C’est ainsi qu’une fois, elle voit une oie « stoppée » près d’un pêcheur,

l’observant … Sur le retour, elle la revoit. L’histoire était en germe dans son esprit ! Par la

suite, elle a voulu reprendre cette même atmosphère autour de l’étang dans un champ plus

large dans le temps et dans l’espace. Ainsi sont nées La famille foulque et puis La vieille dame

et les souris. Anne Brouillard aime travailler « doublement ». Ici, les albums vont par paire

tout comme les personnages sont par couple « humain / animal ». Ainsi, au fil des narrations,

au fil de ses lectures, le lecteur peut les associer dans le temps et dans l’espace, dans la « vraie

réalité » et dans la fiction. (Le pêcheur et l’oie / La famille foulque ; Le voyageur et les oi-

seaux / La vieille dame et les souris ; De l’autre côté du lac / La terre tourne) par exemple.

Comme à son habitude, Anne Brouillard suggère, « titille » le regard et l’imagination du lec-

teur. À chacun de reconstruire son univers avec les indices qu’elle parsème en résonnances.

1) Le pêcheur et l’oie

« Un homme s’assoie au bord d’un étang pour pêcher. Apparaît une oie, elle s’approche et

s’installe, semblant s’intéresser à cette partie de pêche. L’homme, déçu, ne prend que de tous petits

poissons qu’il rejette à l’eau. Regardant les canards barboter, ils attendent ensemble une grosse

prise lorsque vient la pluie. Abrités côte à côte sous le parapluie du pêcheur, ils partagent son

pique-nique. Bredouille, l’homme s’apprête à partir, lorsque l’oie part dans l’étang pêcher à son

tour. Dans son bec, elle ramène un énorme poisson qu’elle offre au pêcheur.

Tout en tendresse et poésie, cet album sait raconter la complicité qui lie, pour un moment, ces

deux compagnons de hasard. Il n’y a pas de mot dans ce récit, comme il n’y a pas de parole échan-

gée pour nouer cette amitié naissante au fil des pages, faite de partage au gré du temps.

Les illustrations, à la fois douces et expressives, en dégradé de vert ou de bleu, témoignent de la

tendresse fragile par les regards, les attitudes, rendant la lecture plus émouvante que si elle était

guidée par des phrases. Ces choix de sobriété tant dans les couleurs que par l’absence d’écrit disent

avec finesse et intensité les émotions et révèlent la part d’ineffable des sentiments. » 364

« Alternance de plages de calme, d’immobilité, de silence propres à ce sport, et de fondus enchaî-

nés montrant le pêcheur qui s’installe, l’oie qui s’approche de lui, la prise puis la remise à l’eau

d’un trop petit poisson (deux fois), le pique-nique généreusement partagé avec l’animal… qui le

lui rendra bien : on peut rentrer bredouille en utilisant des vers… mais savez-vous qu’on peut aussi

pêcher « à l’oie » ? 365

« Sur fond de teintes sobres Ŕ bleu, vert, brun Ŕ des illustrations réalisées à la peinture, les sil-

houettes des personnages saisis dans des attitudes réalistes, se détachent, expressives. L’alternance

de vignettes et d’illustrations pleine page donne du rythme à leur relation. Des coups d’œil

s’échangent, des regards se croisent, une complicité s’installe. Le couple vu de dos, semble tenir le

lecteur à distance : il ne peut totalement pénétrer leur intimité mais mesure d’autant plus leur plai-

sir d’être là. La trame de l’histoire est limpide, mais une multitude d’interprétations possibles

363 Le Monde, jeunesse, vendredi 26 juin 1998. 364 Source : http://www.ricochet-jeunes.org 365 http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD

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s’offrent au lecteur : si au début on aperçoit l’oie de l’autre côté de l’étang, sa rencontre avec le

pêcheur est-elle ou non le fruit du hasard ? L’homme dont la pêche n’est pas glorieuse et qui re-

jette les poissons à l’eau l’un après l’autre, le fait-il de sa propre initiative ou sur incitation de

l’animal ? Dans le même genre : Le Voyageur et les oiseaux. »366

« Le haïku permet surtout de rendre compte du spectacle de la nature, de donner à la voir, à

l’entendre et à la sentir, d’exprimer les émotions qu’elle crée. La nature, ce sont donc les saisons,

mais aussi bien sût tout les lieux naturels (campagne, montagne, mer, forêts), les paysages, la

terre, la flore, la faune, les petites bestioles, les éléments, la lumière, le jour, la nuit, les astres, la

vie, les gestes et les métiers de la campagne et de la mer (pêcheur, etc.). »367

Autant de thématiques qui sont illustrées dans les œuvres d’Anne Brouillard.

Un pêcheur, une oie

La pluie au bord de l’étang

Dimanche de printemps

Le mouvement de la première de couverture 368

Cinq oies blanches détourées disposées comme si elles faisaient une ronde. Leurs

mouvements s’organisent comme si elles sortaient du livre pour y revenir ensuite. Cette circu-

larité est une invite au lecteur à suivre leur avancée vers l’intérieur du livre. L’animal ne peut

pas dépasser le dos du livre ! Alors, l’oie tourne le cou vers la droite comme si elle était blo-

quée dans son avancement. La pliure de la couverture du livre marque son jabot, pour accom-

pagner le format du livre, en harmonie avec le personnage, l’oie la plus redressée est dessinée

sur la hauteur du livre.

D’après le titre, le lecteur en conclut qu’il s’agit d’une seule oie. Ce découpage du

mouvement donne l’effet de prises de vues photographiques en mode rafale : elle lève la patte

droite, se retourne, lève la patte gauche, se redresse, lève la patte droite, avance le cou, lève la

patte gauche et continue … « La décomposition du mouvement est une technique qui se rap-

proche de celle du dessin animé : plus il y a de dessins, plus le mouvement paraîtra lent. (…)

Pour traduire le mouvement (…), des bases d’anatomie et une bonne faculté d’observation

sont les outils minimums nécessaires. 369

» Qualités qu’a sans conteste Anne Brouillard. Elle

aime prendre le temps de l’observation, elle laisse le temps de « maturation » nécessaire à son

esprit370

et elle complète son travail par des recherches minutieuses. Elle travaille à partir de

ses souvenirs et avec son imagination mais elle est toujours très exigeante quant à la qualité

du résultat, tant narratif qu’artistique.

366 http://www.croqulivre.asso.fr/spip.php?rubrique261 367 Philippe Costa, op. cit., p 44. 368 « Elle est le premier élément visible de l’album, devant susciter la curiosité puis le désir d’achat. Elle en reflète le contenu

et a pour objectif de faire ouvrir l’album et de donner envie de lire. Elle doit d’emblée transmettre l’atmosphère du récit, le

style, … ou un élément marquant de l’histoire. » C. Segura Ŕ Balladur et É. Audureau, op. cit., p. 17. 369 Éric Albert, Le mouvement, éditions L’iconograf, op. cit., pp. 13 et 30. 370 « … le regard hésitant de la mémoire. Le paysage est ce que l’on voit après avoir cessé de l’observer. Il faut fermer les

yeux après chaque voyage, laisser se décanter les images. » Thomas et le Voyageur, op. cit., p. 14.

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L’oie cherche-t-elle le pêcheur ? Le lecteur peut imaginer qu’elle tourne autour du titre

comme si ce dernier le représentait.

Le lecteur est sensible à l’harmonie des couleurs :

- Le titre utilise une couleur de police jaune Ŕ vert nommé « caca d’oie », rappe-

lant le nom du personnage

- Les couleurs jaune, vert, orange et blanc sont dans les tons pastels. Il s’en dé-

gage une douceur pastorale.

Le mouvement de la quatrième de couverture

La bordure du dos du livre matérialise toujours la limite infranchissable pour l’oie ! En

bas à droite, lorsqu’elle arrive à la pliure de la couverture, elle ne peut pas aller plus loin, elle

est alors obligée de se tordre le cou vers l’intérieur du livre.

Les trois oies de la première ligne semblent se suivre vers le fond de l’image en direc-

tion de la droite. Les deux oies de la deuxième ligne vont aussi vers la droite : une prend le

temps de manger tandis que l’autre semble se précipiter vers la bordure du livre. Puis, les deux

oies de la ligne du bas tournent vers la gauche rejoignant par ce mouvement les autres dans la

ronde … Toutes retournent dans l’histoire incitant le lecteur à y revenir aussi.

Grâce au texte amorce qui présente l’album, le lecteur dégage deux dimensions :

- L’histoire sans texte se déroule « au gré du temps »

- et dans un seul espace « au bord de l’étang »

Les pages de garde sont de couleur unie, il s’agit de papier coloré jaune Ŕ orangé, ce

même ton utilisé pour la couleur de police du titre et le dos du livre. La page de titre présente

enfin l’apparence du pêcheur ! Cette illustration encadrée est en fait une réduction de la vi-

gnette rectangulaire centrale de la page 11 de l’album. Il s’agit du moment où le pêcheur en est

à sa deuxième pêche décevante … Ses sourcils relevés et sa bouche tordue sont très expressifs.

La bouche entr’ouverte et les petits cercles autour de l’œil de l’oie expriment sa double sur-

prise : « Pourquoi est-il déçu et rejette t’il le poisson à l’eau ? Pourquoi ne me le donne t’il pas

à manger ? » Ainsi, le style de l’album est annoncé. Les pages de couverture sont illustrées

avec des images détourées alors que les pages de l’album sont illustrées avec des images sé-

quentielles encadrées et tout se déroule en un seul lieu autour de ces deux protagonistes : le

pêcheur et l’oie.

Le rythme des illustrations et la mise en page

La première bande de la page 4 plante le décor

- l’espace : l’étang

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« Il s’agit des étangs d’Ixelles, un quartier de jardins à Bruxelles. C’est un endroit charmant avec

de belles maisons entourées d’arbres. J’habitais pas loin à cette époque là et j’adorais passer par là.

J’y suis beaucoup retournée pour dessiner et j’y ai observé des tas de choses à chaque nouvelle fois.

Les jardins d’Ixelles m’ont inspiré le pêcheur et l’oie qui a ensuite déclenché la famille

foulque. »371

- ses habitants, sa végétation

« Ce sont des étangs urbains, dans la ville, entourés de petites barrières mais l’espace est ou-

vert. »372

vus des deux berges.373

Par une vue en plongée sur la berge au premier plan, les deux vignettes

suivantes installent le pêcheur dans le décor. Page 5, une illustration encadrée de pleine page

pose le pêcheur dans l’espace. Il fait partie du décor maintenant ! Pendant ce temps, une

foulque passe et progresse au bord de l’étang. Cependant, alors que le pêcheur s’installe, la

foulque se retourne, s’arrête et le regarde … interloqué ? Le pêcheur est Ŕ il sur son passage ?

La gêne t’il pour passer ? Qu’à cela ne tienne, elle fait le chemin du retour sur l’eau ! Peut-être

cela est Ŕ il plus facile pour elle que de contourner le pêcheur ? Tout est posé, installé, la partie

de pêche et l’attente inévitable du poisson qui mord peut commencer. Sur l’autre rive, la vie

des animaux lacustres continue. Cependant, alors que la première vignette signalait une oie

blanche parmi les canards, l’illustration de la page 5 la situe hors Ŕ cadre. Où est Ŕ elle partie ?

Comme à son habitude, le narrateur imagier ménage ici une ellipse spatiale afin de solliciter

l’imagination et l’activité du lecteur. La tourne de page va nous l’apprendre … elle a fait le

tour de l’étang (par la gauche) pour venir voir ce que fait ce pêcheur. L’oie est Ŕ elle un animal

curieux par nature ? Ou bien aime t’elle la compagnie des hommes ? Ou bien le poisson ?

Mis à part les pages 20 à 23 qui montrent une vue sous marine, la partie de pêche se

déroule sous les yeux du lecteur statique comme à travers l’objectif d’un appareil photo qui

serait installé sur un trépied tout au long de l’album. Les cadres illustrés défilent au rythme de

travelling avant et arrière avec des zooms plus ou moins prononcés de façon à insister sur cer-

tains détails ou moments déterminants : les déceptions du pêcheur à la vue de sa mince prise

ou la pause pique Ŕ nique pages 16 et 17 par exemple. L’œil du lecteur ne bouge pas d’angle

de vue, le cadre est toujours le même, c’est le cadrage de l’endroit visé qui change selon le

détail ou l’émotion visés : l’attente, la joie du poisson qui mord, l’arrivée de la pluie … Les

vues en plongées sont plus ou moins élargies (pages 14 Ŕ 15 par exemple) ou rapprochées

(page 13 par exemple). Ainsi, comme le pêcheur est assis sur son siège pliant, l’œil du lecteur

voit à travers cet objectif fixe dans son dos. C’est toujours le même champ de vision et les

prises de vues sont toujours prises de ce même point.

371 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010. 372 Ibidem. 373 Le lecteur retrouve ce même rythme de lecture, d’un côté et de l’autre, dans l’album De l’autre côté du lac.

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Le regard du lecteur est dynamique dans le temps afin de combler les « blancs 374

» ou

les ellipses inter-iconiques, alors qu’il est statique dans l’espace, il observe la partie de pêche

se dérouler sans bouger, il s’adapte à l’attitude du pêcheur.

Sur les pages 16 et 17, l’œil du lecteur tourne t’il ? Son point de vue change car il voit

le pêcheur de face. Mais non, le premier et l’avant dernier cadres montrent que c’est le pê-

cheur qui s’est retourné en direction de cet objectif fixe. Il a pivoté vers la droite, toujours as-

sis sur son siège, de façon à montrer son visage à cet œil photographique mais, la tête de l’oie

est toujours au même niveau par rapport à la cane de son parapluie et à sa ceinture, donc, il ne

s’est pas levé et l’angle de vue du lecteur n’a pas changé.

Par cet objectif, cette lunette télescopique, l’espace est fixe pendant que le temps passe

et change. Comment cela est Ŕ il illustré ?

Par les couleurs de l’eau qui sont changeantes et évoluent tout au long des pages de

l’album :

- Est Ŕ ce la couleur du ciel qui change ? Y a t Ŕ il des nuages qui passent, comme le temps qui

passe : des couleurs du matin, à celles de l’après Ŕ midi puis celles de la soirée.

- Est Ŕ ce le reflet de la végétation ? (celle du fond de l’étang ou les arbres autour qui se reflè-

tent sur l’eau)

- Est Ŕ ce le passage des canards et des foulques qui trouble l’eau de surface ?

Lorsqu’il pleut, la surface de l’eau devient même blanche jusqu’à presque se confondre

avec le fond de la page (page 15).

Par les couleurs de l’herbe qui entoure l’étang :

- Verte dans un premier temps, elle illustre plutôt la matinée. Dans ces pages, l’ombre des per-

sonnages n’est pas tellement marquée.

- Jaune à la fin, elle montre le déclin de la journée, et le retour du soleil après la pluie. À ce

moment là, le soleil se couche sur l’autre rive, du côté du saule pleureur, et les ombres sont

plus marquées dans la direction opposée à l’étang (sur l’herbe jaunie puis rose - orangée).

Concernant ce changement de couleurs après le passage de la pluie, les pages 16 et 17

sont remarquables :

- Alors que la page 16 se déroule dans une atmosphère grise … le pêcheur et l’oie partagent la

collation de midi.

Puis, c’est le retour du soleil dans le ciel aussi. Ils sont donc réchauffés, à la fois pour

leur amitié partagée et par la chaleur atmosphérique aussi.

374 Dans son livre Lector in fabula, Umberto Eco parle d’ « un travail coopératif du lecteur pour remplir les blancs » ménagés

par le narrateur, imagier dans le cadre de cet album. Éditions Grasset, 1979.

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- La page 17 se termine par une illustration sur un fond jaune Ŕ blanc, presque fondu avec la

couleur du papier.

Le premier cadre horizontal et la dernière illustration double Ŕ page montrent cet es-

pace lacustre tranquille, avant et après le passage du pêcheur, le matin et le soir par ses cou-

leurs différentes. Dans ce cadre, le pêcheur y est entré par la gauche (dans le deuxième cadre),

de dos, et en est ressorti par la droite (à l’avant dernière illustration), de face et tout sourire.

Ainsi, sur la dernière double Ŕ page illustrée, l’oie peut contempler l’étang, sereine et satisfaite,

tous les animaux de l’étang peuvent reprendre le cours de leur vie sur l’eau.

Quand le lecteur tient le livre par le dos d’une main et laisse défiler les pages à la ma-

nière d’un album « photo », les images cadres « non fermées », à bords perdus, qui délimitent

l’espace de pêche se succèdent au rythme de cette partie de pêche. Plus vite, le lecteur suit les

allers retours des animaux sur l’eau. Plus lentement, le lecteur adapte sa lecture à ce sport

« d’attente ». Il en est de même pour la technique illustrative. Quand les images se succèdent

en mode rapide, l’idée de mouvement est accélérée, quand le temps de pause est plus long

(comme pour une prise de photo), la lecture est plus lente car adaptée au rythme de la pêche et

de l’oie.

2) Le voyageur et les oiseaux 375

« Cette histoire sans paroles met en scène des activités humaines et animales, leurs interactions et

leur parallélisme entre un voyageur attablé à la table d’une brasserie et des moineaux. »376

« Dans une gare, un homme s’attable en lisant son journal. Dans le mouvement quotidien, les gens

et les trains vont et viennent. Il commande une soupe. Dans le mouvement quotidien, l’homme est

trop concentré pour voir que les oiseaux VOLENT377

. L’histoire sans texte d’Anne Brouillard est

faite de quotidien, de naturel, de jolies illustrations, de banal, et d’une petite pointe d’humour. »

« Au buffet de la gare, un voyageur s’absorbe dans sa lecture. Des oiseaux guettent,

s’enhardissent, se rapprochent entre vol et expectative. Bientôt le pain dans la corbeille a disparu.

Le voyageur en redemande… mais de nouveau se posent sur le dossier de la chaise…

Le temps cyclique, comme celui de l’horloge qui rythme le départ et le retour immuable des trains,

les saisons… » 378

« Le haïku permet aussi : des peintures ou des images visuelles de scènes de voyage, … de célé-

brer un lieu. »379

375 Contrairement à Claude Monet qui s’était installé sur les quais pour peindre son tableau Vue intérieure de la gare Saint –

Lazare, mais, perturbé et dérangé par les allées et venues des passagers dans la gare, il avait dû terminer son travail à l’atelier.

Anne Brouillard montre visuellement tout ce brouhaha des trains et ce fourmillement humain, représentatif de l’atmosphère

de la gare, à partir de ses souvenirs sensitifs. 376 http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 377 Verbe à comprendre dans les deux sens du terme : « voler de ses ailes » et « voler le bien d’autrui ». 378 http://www.livrejeunesse82.com/Anne-BROUILLARD 379 Philippe Costa, op. cit., p. 45.

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Une bien jolie façon d’évoquer l’atmosphère de la gare du Nord, un jour de passage à

Paris.

Un voyageur, une gare380

À la terrasse d’un café

Du pain, des oiseaux

Anne Brouillard a toujours LA question qui relance la lecture ! « Mais, en fait, le

voyageur, les voit-il les oiseaux ? » demande t’elle a l’assistance lors de la conférence débat

du 6 novembre 2010 au salon « vivons Ŕ livres » organisé par le Centre Régional des Lettres

Midi Pyrénées. Et voilà comment, ceux qui n’ont pas encore lu le livre vont aller voir … pour

se faire leur propre opinion sur la question. Cet album a une touche personnelle. En effet, elle

s’est représentée avec son compagnon de vie dans ces pages …

Le voyageur et les oiseaux est le pendant du pêcheur et l’oie de part sa présentation

identique :

Éditions du Seuil Jeunesse, 2006/ Format : rectangle haut : 17,5 X 25 cm,

28 pages/ Papier épais, effet mat

Les pages de garde sont dans la même teinte rouge que le titre. Le même lettrage et

les coloris sont assortis au thème dans les tons pastels : les couleurs sont plus adoucies pour

être en harmonie avec cette attitude tranquille et susciter le contraste sonore avec le brouhaha

dans la gare tout autour. Le lecteur imagine le bruit des gens qui se saluent, se quittent ou se

retrouvent, des enfants qui jouent, pleurent, des appels micro des employés de la gare et des

trains qui arrivent ou qui repartent de cette gare terminus. Mais aussi, certainement, le pépie-

ment des oiseaux comme les canards doivent cancaner autour de l’étang et sur l’eau quand le

pêcheur n’est pas là. Ces atmosphères ressemblent à celles d’une fin de semaine, quand les

gens peuvent prendre le temps d’une pause pour aller à la pêche, prendre un verre, manger une

coupe glacée pendant que la vie trépidante continue alentour. Mais aussi, dans le contexte de

la gare, on rencontre les gens qui partent en voyage avec leurs animaux domestiques en cage,

en vacances avec de grosses valises ou en randonnées avec un sac à dos. Cet espace montre les

contrastes de la vie de chacun, des vies qui se croisent (comme les trains) mais qui ne se res-

semblent pas.

Le mouvement de la première de couverture

En haut, les oiseaux volètent et atterrissent sur la page. Certains sont même hors du

cadre de la page. Ils prennent tout l’espace disponible et même plus ! Tout comme ils le feront

380 « Les japonais possèdent une sorte de joker pour composer leurs haïku. Il donne exceptionnellement droit à dix Ŕ huit

syllabes au lieu de dix Ŕ sept. » Philippe Costa, op. cit., p 63.

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avec le pain dans la panière. Les oiseaux occupent tout l’espace dans l’air, sur terre et sur l’eau

(les canards et les foulques). Tout autour du titre, écrit dans cette police de couleur rouge rap-

pelant celle de la veste du voyageur, les oiseaux, comme en grand rassemblement, semblent :

écouter, converser, observer … sur un fond de page dans les tons violet Ŕ rose. Tout comme

l’oie cherchait le pêcheur, cherchent Ŕ ils le voyageur eux aussi ?

Les couleurs ont des tons plutôt féminins pour un album dont le héros est un homme !

Le titre et le texte amorce sont rédigés sur un fond de page avec un rosé plus accentué. Repré-

sentés par des images détourées, les oiseaux sont moins nombreux et plus gros sur la première

de couverture. Entre le début et la fin du livre, ils se sont rassemblés, d’autres se sont invités !

Au premier plan, en bas un oiseau semble regarder le lecteur dans les yeux, comme

une invite. Les deux oiseaux qui l’encadrent ont une attitude révérencieuse à son égard. S’agit

Ŕ il du chef des oiseaux ? En haut à gauche, un autre montre fièrement son beau jabot

blanc.

Le mouvement de la quatrième de couverture

Les oiseaux plus petits sont éparpillés sur toute la page et contrairement à l’oie, ils dé-

bordent sur la bordure de la couverture et sortent du cadre de la page. Sur le haut de la page,

ils entourent le texte amorce qui situe le lieu : « une gare »381

et le personnage principal (ab-

sent des pages de couverture) « un voyageur ». Cependant, de part l’emploi des déterminants

indéfinis, ces désignations sont neutres. Il s’agit d’ « une » gare parmi d’autres et d’ « un »

voyageur parmi d’autres dont il va être question dans cet album. Le lecteur n’a pas d’autres

précisions pour les reconnaître. Les autres intervenants dans l’histoire sont qualifiés de la

même façon. Ce texte n’est pas sans rappeler le texte de La terre tourne entre autre « des trains

arrivent, d’autres s’en vont, des gens marchent … ». Le lecteur reconnaît bien là l’espace fer-

roviaire cher à Anne Brouillard. Que ce soit dans l’air (les oiseaux), sur l’eau (les canards, les

foulques) ou sur terre (les trains, les gens) … tout le monde chemine dans un sens et dans

l’autre dans l’univers des albums d’Anne Brouillard.

Le rythme des illustrations et la mise en page

La page de titre382

présente la même organisation. Entre le nom de l’auteure Ŕ illustra-

trice et le titre se trouve une illustration encadrée dans un rectangle allongé. Il s’agit d’une

partie découpée de l’illustration de la double page 20 Ŕ 21. Les personnages sortent du cadre et

la vue en plongée met l’accent sur la panière vide. Le lecteur découvre le visage du voyageur,

381 « C’est en étant dans la gare du Nord à Paris que j’ai été inspirée pour cette histoire. » : Extrait de l’entretien télépho-

nique avec Anne Brouillard du 27/11/2010. 382 « On y trouve généralement une illustration représentant le héros. » C. Segura Ŕ Balladur et É. Audureau, op. cit., p. 18.

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au premier plan dans l’angle gauche. Sa veste383

rouge à rayures384

bleues et à col blanc est

très voyante. Le lecteur retrouve ces deux couleurs contrastées comme pour les autres person-

nages décrits (partie C, 1, b). Il est tellement voyant et imposant que le lecteur n’a pas de

doute, c’est lui le « héros » de cet album ! Cependant, la finesse de ses traits prête à confusion.

S’agit Ŕ il d’un homme ou d’une femme ? Le titre et sa présence sur la page de titre amènent le

lecteur à penser que ce personnage est un homme mais la délicatesse du graphisme le fémi-

nise. Il en est de même pour l’espace. La présence d’oiseaux si près de la table fait penser à un

lieu en plein air mais le titre rappelle que nous sommes dans un lieu propice au voyage. Cette

terrasse de café est Ŕ elle donc dans un aéroport, une gare ? « Il y a des oiseaux dans les gares

mais pas dans les aéroports. C’est trop dangereux pour les réacteurs des avions… »

Afin de mieux exprimer visuellement ce déroulement temporel, au début de l’histoire,

le voyageur regarde sa montre mais, à la fin de l’album, le lecteur s’aperçoit qu’il avait tout

son temps ! Il est toujours assis à table, devant sa soupe à peine entamée alors que d’autres

clients ont défilé à la terrasse du café.

La première double page nous renseigne sans aucune équivoque : c’est une gare termi-

nus … « tout le monde descend » ! L’œil du lecteur cherche instinctivement les oiseaux. Où

sont Ŕ ils ? Ils sont alignés, à l’extérieur (ou à l’intérieur ?), sur les poutres métalliques, le long

des grandes vitres qui entourent le hall de la gare. Anne Brouillard joue toujours sur

l’ambiguïté dedans / dehors. Elle aime représenter l’espace et son double, « comme quand on

est dedans on voit dehors et inversement, quand on est à l’extérieur on voit à l’intérieur » ou

bien, on l’imagine. Les grandes surfaces vitrées permettent cette transparence.

L’histoire se déroule entre l’illustration de double page 4 Ŕ 5 lorsque :

- le voyageur arrive par la gauche, son journal sous le bras et la commande de « deux … »

(d’après les doigts levés du serveur) par Anne et son compagnon de vie

et l’illustration de double page 26 Ŕ 27 lorsque :

- le voyageur mange « enfin » sa soupe (tout en continuant ses jeux sur son journal), le départ

d’Anne et son compagnon (On a terminé notre « dame blanche »385

) au fond à droite et

l’arrivée du pêcheur (avec son gros poisson dans son panier) par la droite aussi ! Il rentre très

certainement chez lui après sa journée de pêche fabuleuse.

383 « C’est un « truc » que j’ai vu dans un magasin. C’est un souvenir d’il y a très longtemps. Ce qui explique le côté démodé

de la veste. Et en plus, le voyageur est au premier plan … » Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 384 Michel Pastoureau : « les rayures se remarquent mieux que le tissu uni ». 385 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.

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Les uns partent, les autres arrivent et certains restent. Le mouvement s’organise dans

un sens et dans l’autre, par la gauche et par la droite, les uns se croisent d’autres ne se voient

pas. Le lecteur retrouve l’atmosphère de La terre tourne.

Dans la gare, la scène se déroule comme une pièce de théâtre dans un décor à huis clos.

L’œil caméra du lecteur balaye un angle de vue de gauche à droite à partir d’un point fixe,

comme suspendu au bout d’un fil au premier plan, juste avant la table où s’installe le voyageur

et montre tout ce qui se passe dans ce cône Ŕ lieu d’action. Car, autour de lui, la vie continue.

Le champ visuel est « triangulaire »

table

L’œil

Le temps défile, tout comme les personnages, dans cet espace. L’objectif ménage des

effets de zoom avant et arrière pour pointer certains détails. Par exemple :

- Le serveur et le voyageur lors des illustrations encadrées d’une page

- L’homme qui court après le train à la double page 4 Ŕ 5 et le bébé qui pleure

Le plan le plus large se trouve pages 14 Ŕ 15, alors qu’Anne et son compagnon sou-

rient de satisfaction, juste avant les pages de zoom avant en plongée sur la corbeille de pain et

les oiseaux. Tout comme la vue sous marine dans le pêcheur et l’oie, l’intermède se situe ici

entre les pages 15 et 20, entre le moment où il se met à lire son journal et celui où il le repose

sur la table. Combien de temps reste t’il ainsi absorbé par sa lecture ? Attend Ŕ il que sa soupe

refroidisse ? Le rythme de lecture s’en trouve cassé par un changement d’angle de vue (zoom,

gros plan et vue en plongée) et de personnage principal animal exclusivement. Ici, il s’agit

d’une pause des pages 16 à 19 avec des vues en plongée sur les oiseaux dans la corbeille.

Dans ces deux albums, la caméra plonge sur ces deux actions animalières décisives dans les

vies des deux protagonistes humains et qu’ils ne voient même pas eux Ŕ mêmes ! Le narrateur

imagier fait un clin d’œil de connivence au lecteur. Le pêcheur ne voit pas l’oie lui sélection-

ner le plus gros poisson de l’étang et le voyageur ne voit pas les oiseaux lui picorer tout son

pain tellement il est absorbé par son journal. Les deux se retrouvent surpris mais pas trop

étonnés par cette intrusion animale dans leur vie d’être humain ! D’ailleurs, à la dernière

double page, il reprend son jeu sur son journal, tout en mangeant sa soupe mais, trois pigeons

ont pris le relais sur le dossier de la chaise en face. Alors, le voyageur va-t-il pouvoir manger

sa soupe avec du pain ?

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3) La famille foulque

« Au printemps, un couple de foulques prépare son nid. A quelques mètres de là, au bord du même

étang, un couple d'humains apporte la dernière touche de peinture à ce qui sera une chambre d'en-

fant. A la fin de l'été, naissent le petit d'homme et les petites foulques.386

La vie poursuit son cours,

au fil des saisons, dans l'une et l'autre famille. »387

Quelle est la première saison de l’album ? Pour le savoir, il faut regarder les illustra-

tions de double pleine page représentant le passage des saisons. Il y en a une pour laquelle le

lecteur n’a pas de doute. C’est l’hiver avec son manteau blanc ! C’est au lecteur de remonter

les saisons dans leur ordre chronologique : Printemps / été / automne / hiver pour savoir

quand l’action commence.

« Hymne à la vie et à la nature, ce conte sans texte d'Anne Brouillard est une jolie parenthèse poé-

tique dans le monde des albums pour enfants. Une belle façon de parler des cycles de la vie, du

rythme des saisons et des naissances. Quoi de plus romantique au printemps que la période des

amours qui augure des naissances à venir ? Sur l'étang comme sur la rive, un heureux événement

se prépare. Les grands préparatifs battent leur plein. À l'abri des regards, caché sous le saule pleu-

reur, un couple de foulques s'affaire à la construction du nid destiné à accueillir la future nichée.

Dans la maison au bord de l'eau, c'est le grand chantier : derniers coups de peinture, accrochage

des rideaux, installation du berceau, tricotage des brassières… La naissance est pour bientôt !

D'ailleurs on entend déjà les premiers gazouillis des oisillons. L'été passe, puis l'automne, l'hiver…

Les foulques sortent du nid, le bébé grandit, les premiers apprentissages arrivent… La vie s'écoule

au fil des mois, suit son cours, en harmonie avec la nature… Quelque part, à proximité d'un étang,

de jeunes foulques et un enfant découvrent la vie et grandissent ensemble.

Anne Brouillard construit son histoire en parallèle, contant avec tendresse et patience l'histoire

d'un avènement dans le règne animal et dans le monde humain. Anne Godin »

Les jeunes foulques, sont Ŕ ils les mêmes que ceux nés en même temps que le petit

humain ? Anne Brouillard a une relation privilégiée avec la nature et les animaux. De ce fait,

le jeune lecteur s’interroge sur ces naissances comparativement. Comme dans La terre tourne,

la naissance d’un enfant est annoncée au début et le jeune enfant arrive à la fin de l’album.

Cependant, ici, les protagonistes sont « les foulques » … pour eux aussi, l’attente des bébés

est un moment délicat. Vient ensuite l’éducation puis l’autonomie et la vie continue … Les

questionnements suggérés par le narrateur imagier incitent le jeune lecteur à se documenter

sur les naissances animales aussi. Même si chacun a un rythme différent, la vie ensemble est

possible harmonieusement.

« Le haïku permet aussi : des instantanés ou des images visuelles de la vie quotidienne ou fami-

liale, les descriptions de scènes intimistes, de détails infimes …, l’évocation de la banalité des

choses de la vie, des petits évènements, de gestes ou d’actions de tous les jours, des tableaux du

comportement …, de brosses des portraits …, des animaux familiers, de l’entourage immédiat,

des observations humoristiques, … l’évocation de fêtes familiales ou sociales … »388

Anne Brouillard se retrouve dans cette atmosphère poétique du haïku.

386 Cet album narre deux histoires que le lecteur suit parallèlement. Ce procédé de mise en abyme s’appelle « l’enclave » : par

un montage fait d’alternances, ménageant des ruptures, des séquences narratives chez les uns et chez les autres. Cette mise en

image permet cette double lecture. Source : Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Union générale d’éditions,

collection 10 / 18, 1984, p. 295. 387 http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 388 Philippe Costa, op. cit., pp. 44 Ŕ 45.

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Les saisons passent

Naissances, vies entrecroisées

En ville, à l’étang

La famille foulque et la vieille dame et les souris ont été édités en même temps, en

avril 2007, dans un format rectangulaire plus grand. La vie de tous ces personnages autour de

l’étang et dans la ville nécessite davantage d’espace dans la page.

Contrairement à ce qui se passe dans ces deux premiers albums : le pêcheur et l’oie et

le voyageur et les oiseaux où les protagonistes entrent et sortent du champ de vision du lecteur

Ŕ spectateur dans un espace fixe, comme sur une scène de théâtre :

- le pêcheur arrive et repart de l’étang, l’oie arrive et reste, les canards et les foulques

vont et viennent.

- Anne et son compagnon sont installés puis repartent, tout comme le papa et son pe-

tit enfant ainsi que la vieille dame et son amie, le voyageur arrive et reste à sa table,

les oiseaux arrivent et s’envolent de la panière.

Ils sont organisés comme deux albums Ŕ cadres, dans lesquels les personnages bougent,

s’installent, vivent des moments au rythme des pages, au fur et à mesure du temps qui s’écoule,

ils entrent en scène et en ressortent … Les pages de garde sont comme une levée et une tom-

bée de rideau sur ce décor et le lecteur est comme assis dans une salle de théâtre. Il regarde le

spectacle se dérouler devant ses yeux et le temps est d’une relative courte durée :

- environ une journée ou une demi Ŕ journée pour le pêcheur.

- le temps de manger une coupe de glace (environ une heure) pour le voyageur.

Dans la famille foulque, ce même lecteur Ŕ spectateur retrouve ce décor extérieur au-

tour de l’étang mais il ne reste pas fixe, il n’est pas figé derrière un appareil photographique

mais il bouge avec une caméra. Il suit les personnages et les accompagne dans leurs activités,

sur une année qui s’écoule au rythme des quatre saisons. Afin de permettre ces déplacements

des personnages et du lecteur, dans des lieux et à des moments différents, l’espace de la page

est plus grand, plus long et plus large. Le format extérieur de l’album (23,5 X 31) accompagne

donc son contenu intérieur : l’histoire des personnages, les lieux, et les saisons qui se déroulent

dans cet album de 28 pages.

La première de couverture

Dès la première de couverture, même si la technique artistique utilisée par Anne

Brouillard est un peu différente (exclusivement à la plume et à l’encre), les foulques, les ani-

maux lacustres et le saule pleureur sont dessinés à l’identique. Par cette connivence visuelle et

graphique qu’Anne Brouillard maîtrise parfaitement, le lecteur retrouve et reconnaît le décor

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sans équivoque. Il se sent déjà chez lui parmi les habitants de ce quartier. Cette fois-ci, ce sont

les foulques qui sont les personnages principaux. Tout converge vers cette affirmation :

- le titre : écrit en rouge sur fond d’eau claire de façon à bien le faire ressortir.

- au premier plan, en bas à gauche, deux foulques posent comme devant l’objectif

d’un appareil photographique, sur la branche la plus basse du saule pleureur.

Cet espace est idyllique pour elles : juste au dessus de l’eau (pour pêcher et nager) mais

au sec (pour leur nid). De plus, elles sont protégées par les branches et le feuillage du saule

pleureur. Le lecteur les voit « vues de l’eau » ou « depuis l’autre rive de l’étang » (celle où

sont les canards et l’oie sur la première vignette page 4 du pêcheur et l’oie. Alors que les per-

sonnages qui se trouvent sur la berge construite ne les voient pas (tel était déjà le cas pour le

pêcheur page 5).

Elles n’ont pourtant rien à craindre car, ici et tout autour, dans l’espace de cette page,

l’atmosphère est calme et détendu. C’est le temps du repos, des jeux, de la promenade ou de la

lecture … Les chats sont assis et attendent tranquillement. Même le chien regarde paisible-

ment la corneille et les canards qui n’en ont pas peur non plus. Nous sommes certainement un

dimanche ou un week Ŕ end d’été. Le soleil réchauffe doucement la nature et ses hôtes.

L’illustration de pleine page est à fond perdu. Les personnages et le décor sortent du

cadre de la couverture. Les pages 6 Ŕ 7 permettront d’élargir ce même champ de vision :

- un peu à gauche sur les branches du saule pleureur,

- un peu plus à droite avec l’oie blanche, le couple d’humains présenté sur la qua-

trième de couverture et les oiseaux de la gare.

La quatrième de couverture

Sur la quatrième de couverture, dans la vignette rectangulaire extraite de la page 9 de

l’album, le narrateur imagier donne à voir un changement de lieu et d’espace (le lecteur se

retrouve à l’intérieur d’une maison) et de personnages (il s’agit d’un jeune couple d’humains).

Le jeune lecteur a un doute interprétatif :

- « S’agit Ŕ il de monsieur et madame Foulque ?

- Non, parce que « foulque » est écrit sans majuscule et la foulque est l’animal repré-

senté sur la première de couverture ! »

Le texte explicatif de l’éditeur éclaire la compréhension : « les foulques attendent des

petits comme la dame est enceinte. Les deux couples préparent l’arrivée de leurs bébés. »

D’ailleurs, à travers la fenêtre de la maison, le lecteur peut voir, à l’extérieur, le saule

pleureur et la foulque qui nage sur l’eau de l’étang. Les deux couples habitent en face l’un de

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l’autre. L’illustration de la double page 6 Ŕ 7 renseigne sur la maison du jeune couple humain.

Ils habitent celle avec la clôture et le portillon en fer.

Le fond de la page est d’un vert tendre, celui des jeunes pousses. Cette couleur annonce

la renaissance de la nature et l’arrivée de nouveaux bébés.

Les pages de garde

Les pages de garde rappellent les pages de couverture extérieures du pêcheur et l’oie et

du voyageur et les oiseaux. L’animal y est représenté plusieurs fois, entrain d’évoluer dans

plusieurs directions. Le lecteur y voit la foulque dans ses deux éléments naturels :

- sur l’eau (page de gauche) / sur terre (page de droite)

et dans plusieurs attitudes :

- elle nage au gré de l’eau / elle marche et picore sur terre.

Par un jeu de transparence, le lecteur distingue les foulques aquatiques et terrestres qui

se superposent. Cet effet renforce l’idée que cet animal est aussi bien à l’aise sur l’eau que sur

terre. Elle vit et évolue parallèlement dans les deux éléments.

Le fond des pages est peint (la couleur n’est pas uniforme comme celle du papier colo-

ré) dans les tons jaunes Ŕ orangés vifs de façon à faire ressortir par contraste le noir de

l’animal. Cela donne un effet en trois dimensions389

: la foulque semble ressortir de la page en

volume.

Sur la page de faux titre, la foulque marche à gauche : vers l’extérieur du livre et vers

le lecteur au centre de la page, et nage à droite : vers l’intérieur du livre. Les deux foulques en

bas de la page regardent en direction du lecteur. Elles semblent l’interpeler : « alors, on tourne

la page à droite ou à gauche ? On y va à la nage ou à patte ? »

Sur la page de titre, le lecteur trouve une autre vignette rectangulaire issue de l’album

(page 13). Par cette illustration, l’ambiance calme des pages de couverture devient tout à coup

bruyante avec cette fanfare. D’ailleurs, les canards ouvrent le bec affolés et se précipitent à

l’eau, dans le coin en bas à droite, invitant le lecteur à tourner la page pour les suivre, dans un

coin plus calme !

Le cheminement dans l’espace

L’album commence à la manière d’une planche de Bande Dessinée découpée en cases

(aux limites floues et naturelles) qui s’agrandissent au fur et à mesure que l’espace s’élargit et

que les personnages y prennent place.

389 Il arrive fréquemment qu’Anne Brouillard construise les maquettes de ses albums et ses personnages « en vrai », en trois

dimensions, pour leur donner plus de réalité. Il lui arrive aussi de les présenter sous forme d’expositions.

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Par une vue en plongée sur trois petits carrés représentants le même espace (des brin-

dilles sur l’herbe), la foulque entre en scène par la gauche.

La lecture imagière commence de gauche à droite pour se dérouler ensuite de haut en

bas. L’œil du lecteur suit la foulque dans ses déplacements :

- tantôt de profil : la foulque progresse de gauche à droite,

- tantôt de face : la foulque avance vers le lecteur.

Dès la page 5, le couple humain entre en scène discrètement : leur silhouettes se reflè-

tent sur l’eau. La connaissance géographique que le lecteur a du lieu lui permet de comprendre

que le jeune couple marche sur le chemin qui longe l’étang et arrive par la gauche (derrière le

saule pleureur tel qu’il est représenté sur la première de couverture). La plus grande bande

rectangulaire présente le nid des foulques en gros plan, leur donnant ainsi la priorité dans

l’espace. Leur lieu de vie est bien identifié par le lecteur maintenant.

Par un champ large, la double page illustrée pages 6 Ŕ 7 positionne les deux lieux de

vie l’un par rapport à l’autre en suivant la diagonale entre les deux angles opposés :

- le nid des foulques en bas à gauche / la maison du couple humain en haut à droite.

Ensuite, le narrateur visuel présente l’espace de vie du couple humain. Tout d’abord, la

maison vue de l’extérieur puis, l’intérieur, par trois images séquentielles, le salon et la

chambre du bébé. Eux aussi font les préparatifs pour accueillir leur enfant.

Dans cette atmosphère, les animaux et les humains sont égaux tout comme la parité

homme Ŕ femme est naturelle. Ces deux espaces, présentés alternativement et en vis-à-vis cor-

roborent cette conception de la vie.

Les nouveaux nés sont eux aussi présentés dans leur espace familial avec le même

équilibre imagier sur les pages 10 et 11. Le lecteur fait leur connaissance alors qu’ils sont cha-

cun dans leur cadre familial, entourés affectueusement par leurs parents. Les deux illustrations

sont situées en vis-à-vis comme leurs deux lieux de résidence et la double narration parallèle

qui caractérise cet album. Le lecteur fait une double lecture simultanée.

Tout au long des pages suivantes, l’œil suit l’évolution des personnages dans l’espace :

- Tantôt dedans / tantôt dehors : page 19 par exemple :

- Tantôt sur terre / tantôt sur l’eau : page 15 par exemple :

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Les protagonistes animaux et humains se rencontrent dans cet espace commun et par-

tagé harmonieusement page 23 :

Selon les besoins de la scène,

- Les plans sont rapprochés ou larges : page 18 par exemple : l’accent est mis sur certaines

activités de la foulque après avoir situé le cadre de ses actions.

- Les vues sont en plongée ou en contre plongée : pages 22 et 23 par exemple, de façon à pré-

senter parallèlement les deux familles qui vivent dans un petit espace (quartier) inclus dans un

plus vaste espace (ville) mais où chacun a une égale importance (gros plan sur les êtres vi-

vants à la hauteur des plus petits).

Les techniques de prises de vues utilisées servent les desseins du narrateur imagier afin

de montrer l’évolution des protagonistes dans l’espace.

- Espace dans lequel vont se croiser le papa et le pêcheur : page 18 :

- Espace dans lequel la maman et l’enfant observent le pêcheur : page 21 :

L’espace reste, le pêcheur, l’oie, la maman et l’enfant y sont statiques, seul la foulque

navigue d’un côté à l’autre pour construire son nid, exprimant par ses allers Ŕ retours sur l’eau

le temps qui passe.

L’évolution dans le temps

Tout au long de l’album, chaque illustration de double page représente une saison dif-

férente, scandant ainsi une année qui s’écoule. Les couleurs du paysage changent selon le cli-

mat météorologique propre à chaque saison, les êtres humains et les animaux sont plus ou

moins nombreux dehors, au bord de l’étang mais l’angle de vue reste toujours le même pour le

lecteur. Il s’agit de la même illustration déclinée en quatre saisons. Au fur et à mesure que le

temps passe, les fenêtres s’ouvrent et se ferment, le banc accueille des promeneurs ou pas, les

arbres ont plus ou moins de feuilles, la couleur de l’herbe change, l’eau du lac se transforme

… mais les deux familles principales sont toujours représentées par le narrateur imagier. À

l’instar de la terre tourne, « des enfants poussent dans le ventre de leur mère, … les enfants

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grandissent, … d’autres naissent, bien au chaud dans le ventre de leur mère » et le cycle de la

vie continue, au fur et à mesure du cycle naturel de la terre qui tourne.

Pages 6 Ŕ 7

C’est l’été, le temps des vacances et des travaux de

plein air. Les fenêtres sont grandes ouvertes et la majo-

rité des gens sont dehors en compagnie des animaux

domestiques ou sauvages. D’un côté, la maman

foulque couve ses œufs, « L'incubation commence avant

que la portée soit au complet et dure un peu plus de trois

semaines. La plupart du temps, les premières portées sont

pondues fin avril. Les portées de remplacement sont pondues

jusqu'à fin juillet »390 ; de l’autre, la maman humaine

porte son bébé dans son ventre. Le beau temps et les

couleurs chaudes participent à créer une ambiance

sereine.

Pages 14 Ŕ 15

C’est l’automne, les feuillages ont pris de belles cou-

leurs rousses et le temps est toujours ensoleillé. Les

naissances ont eu lieu. La maman part promener son

bébé en landau. Les parents foulques nagent. Les trois

petits foulques sont cachés sous les branches du saule

pleureur ou bien, ce sont eux qui sont sur l’herbe,

devant le banc car « les jeunes s'alimentent seuls vers l'âge

de 4 semaines. »391 Il y a moins de gens dehors mainte-

nant que le temps fraîchit.

Pages 16 Ŕ 17

C’est l’hiver, le paysage est recouvert de neige. Le

décor est tout blanc. L’enfant a grandi maintenant, il se

promène assis en poussette. Deux saisons sont passées.

Les bébés foulques eux, sont déjà devenus adultes ! Le

narrateur imagier présente un héron cendré, autre habi-

tant de l’étang. Sur le banc recouvert de neige, les

oiseaux de la gare se reposent à leur tour car les êtres

humains sont rares dehors.

Pages 20 Ŕ 21

C’est le printemps avec ses pluies averses ! Vite, tout le

monde rentre sauf le pêcheur qui a prévu son parapluie.

Le chat blanc (qui n’aime pas la pluie) longe la haie la

queue basse. L’enfant se fait encore porter dans les

bras de sa maman. Les foulques (le même couple ?)

reconstruisent un nid pour de nouvelles naissances. Le

cycle de croissance est plus rapide chez les animaux

que chez les humains mais les saisons, passent au

même rythme pour tous.

Pages 24 Ŕ 25

C’est le retour de l’été. Entre temps, trois nouveaux

bébés foulques sont nés et marchent déjà tout seuls.

L’enfant a une année et peut jouer avec ses camarades

sans l’aide de ses parents. Pour célébrer ce nouveau

cycle saisonnier, le point de vue à changé : la scène est

vue en plongée depuis les maisons. Le lecteur découvre

alors trois saules pleureurs autour de l’étang ! Le narra-

teur imagier en profite pour lui présenter l’autre berge.

390 http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html 391 http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html

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Les saisons passent mais les journées et les nuits aussi, au rythme des activités et des

temps de sommeil comme l’illustrent les images séquentielles de la page 9.

Même dans ce rythme quotidien, le narrateur visuel prend toujours soin de présenter

parallèlement la vie des deux familles. Ainsi, les jours se succèdent avec leurs temps de prépa-

ration, de travail, de repos, de loisirs … Cependant, dans les albums d’Anne Brouillard, le

lecteur comme les protagonistes prennent toujours le temps de partager un moment chaleureux

ensemble, à l’exemple d’un pique nique et l’atmosphère reste propice à la contemplation

d’enfants qui dorment ou qui grandissent.

Lorsque le rythme est plus rapide, certaines actions sont découpées dans le temps à la

manière de plusieurs instantanés mis bout à bout, comme pour donner l’effet d’un folioscope.

Ainsi, la page 18 présente six instants brefs et consécutifs par contraste avec la vignette du

haut (le pêcheur arrive tranquillement). Sur cette même page, une grande illustration sur toute

la largeur de la page présente un moment lent et six petites images séquentielles présentent une

succession de moments brefs et rapides. La foulque « plonge très souvent à la recherche de

nourriture avec un petit saut et ressort rapidement (flotte comme un bouchon) »392

:

L’entrée dans l’album se passe le matin, avec le démarrage des activités et la sortie a

lieu le soir : les humains ferment leurs volets et leurs rideaux avant d’aller dormir. Si le lecteur

passe de la première à la dernière page sans lire l’album, il s’est écoulée une journée ! On re-

trouve le temps bref dans le temps long, le tout petit dans le tout grand, des thématiques chères

à Anne Brouillard.

4) La vieille dame et les souris

« Dans la ville, trois petites souris sautent un caniveau, longent les maisons au bord d'un trottoir.

Par un soupirail elles entrent dans un immeuble, grimpent un escalier, se faufilent sous une porte.

Dans ce vieil appartement, elles rejoignent des dizaines de souris qui ont élu domicile. Quand

rentre la vieille dame, elles se tapissent sous le gros fauteuil du salon. »393

Où donc était partie la vieille dame ? Pourquoi et pendant combien de temps ?

« Anne Brouillard est une merveilleuse conteuse. Ses illustrations se passent aisément de texte. On

comprend, on devine, on imagine tout un monde et surtout une histoire, où les émotions sont aussi

diverses que très présentes. Nous sommes dans un quartier en plein bouleversement. De vieux

immeubles ont déjà été détruits, d’autres vont bientôt l’être. Au milieu de tout ça, des souris. Elles

vont et viennent, trouvent refuge dans les appartements en sursis. Dans l’un d’entre eux, une

vieille dame et toute une colonie de petits rongeurs qui se glissent partout. Actives, les souris

392 http://www.oiseaux.net/oiseaux/foulque.macroule.html 393 http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm

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jouent avec les instruments de cuisine, les meubles, semblent comploter et aussi observer tous les

faits et gestes de la vieille dame. Très attachées à leurs semblables et à leur quartier Ŕ elles sem-

blent préférer la ville aux champs Ŕ, les souris demeurent sur place même quand les logements se

vident. Il en reste encore suffisamment pour les abriter. Anne Brouillard réussit parfaitement à

nous happer avec cette histoire. Le découpage, les différents plans, les jeux d’ombre et de lu-

mière…tout s’articule de façon à inclure du suspense dans cet album, qui parle de cohabitation

réussie, d’entente silencieuse, d’un présent à la limite du passé, et de la vie qui continue quoi qu’il

arrive. Pascale Pineau »

Au fur et à mesure que les appartements se vident de vie humaine, elles quittent les

lieux, elles aussi pour aller ailleurs, elles suivent le mouvement, là où il fait bon et chaud

vivre, s’amuser et manger ! Elles aiment la compagnie des être humains dans l’univers

d’Anne Brouillard, à la ville comme ailleurs …

« J’en fais l’expérience en bibliothèque, les albums sans texte déroutent souvent les parents : « oh

non prends pas ça, y a pas d’histoire ! » Et pourtant, celle d’Anne Brouillard, tout en images, est

très belle, et pleine de sens, tout en laissant place à l’imaginaire de l’enfant. Je me suis laissée

prendre au piège (de la lecture !) et j’ai beaucoup aimé cet album. Une vieille dame rentre de

voyage. Des souris ont investi sa maison. Elles sont de plus en plus nombreuses. La vieille dame

les capture, qu’en fera-t-elle ? La réponse dans l’illustration, c’est adorable ! Puis la maison de la

vieille dame se vide, meubles et cartons, pourquoi ?

La dernière double page, avec un retour sur la première, donne la réponse.

Superbes illustrations, pour une très belle histoire, même sans texte, n’hésitez plus à surmonter vos

craintes.»394

« Le haïku permet aussi : d’exprimer les difficultés de la vie, les siennes ou celles des autres. »

395

Anne Brouillard dépeint la transformation d’une ville et le déplacement de ses habi-

tants avec tendresse et nostalgie.

Une vieille dame, des souris

Où donc est – elle partie ?

La ville a changé

La première de couverture

La vieille dame et les souris s’organise comme l’album de la famille foulque mais dans

un espace plus vaste, celui de la ville396

située sur les hauteurs du quartier de l’étang. Ce chan-

gement de lieu de vie est repéré dès la première de couverture, grâce à l’illustration de pleine

page à fond perdu issue de l’album page 21. Par une vue en plongée et en profondeur, le lec-

teur se retrouve dans le coin Ŕ salon d’un appartement « propret ». Les meubles dépassent le

cadre de la page, donnant ainsi une dimension plus spacieuse à ce cadre de vie rustique. Cette

impression de « vieillot » se retrouve dans plusieurs détails : le titre, les couleurs vieux rose,

les meubles anciens, la télévision « d’une autre époque », la photographie dans le cadre (il

s’agit peut Ŕ être de la vieille dame quand elle était jeune avec son mari ?).

394 http://lesjardinsdhelene.over-blog.com/article-11385792.html 395 Philippe Costa, op. cit., p. 45. 396 « La ville ouvre souvent sur l’imaginaire » dans la représentation de la ville dans le livre de jeunesse. Denise Escarpit,

Nous voulons lire !, N° 176, septembre 2008, p. 15.

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Une chose étonne le lecteur d’emblée ! Cette pièce, qui semble toujours habitée est

remplie de souris ! « On dirait qu’on est chez les souris ? » De petites souris grises anthropo-

morphes. Des attitudes humaines que le lecteur retrouve lors de la préparation Ŕ cuisson du

gâteau (page 18) et surtout (page 25), lorsqu’elles se saluent pour se dire au revoir en se ser-

rant « la patte » à la manière d’êtres humains avant de partir chacune dans une direction diffé-

rente (à la recherche d’un nouvel appartement à occuper !).

Cependant, un carton ouvert, visible en partie au premier plan, dans le bas de la page,

déclenche des hypothèses de lecture :

- « Peut Ŕ être que la vieille dame est morte ? Alors, les souris elles se sont installées

là en attendant que quelqu’un déménage ses affaires ?

- Quelqu’un a pris le thé avant de partir. Ils étaient deux parce qu’il y a deux tasses et

les souris ont fini les miettes du gâteau. Est Ŕ ce un couple ?

- En tout cas, elle va déménager parce que les placards et les tiroirs sont vides. Ou

bien elle emménage et elle n’a pas encore eu le temps d’installer toutes ses affaires ? »

Ces horizons d’attente seront confirmés ou infirmés par la lecture de l’album. Chez

Anne Brouillard, le lecteur retrouve souvent ce doute interprétatif : le personnage arrive t’il ou

bien part Ŕ il ? Tel un cycle perpétuel, les choses vont et viennent sans cesse dans un sens et

dans l’autre. Comme les trains, comme la terre tourne, ses personnages évoluent dans le

temps et dans l’espace. Le narrateur imagier parsème des petits indices que le lecteur doit

découvrir afin de trouver une réponse. L’appétence est ainsi déclenchée et le plaisir de lire est

toujours activé. Tel Sherlock Holmes, le lecteur veut mener l’enquête et découvrir « qui a pris

le thé en dernier et pourquoi il y a tant de souris installées comme si elles étaient chez elles ?

Les couleurs des polices de caractère sont assorties au décor. Le rose du titre rappelle

celui des fauteuils. Le gris utilisé pour écrire le nom de l’auteure Ŕ illustratrice et de la maison

d’édition rappelle celui du pelage des souris. Il se dégage une impression d’harmonie malgré

ce « cahot » dû aux souris.

La quatrième de couverture

Sur la quatrième de couverture, le lecteur avisé repère tout de suite le clin d’œil ima-

gier : « ce sont les mêmes souris que dans la famille foulque ! ». On dirait qu’elles surveillent

où va la vieille dame ? Ou bien, elles se cachent comme deux enfants qui préparent une bêtise

… Que mijotent Ŕ elles ? La joie déclenchée par cette connivence reconnue est

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papable et contagieuse. Les jeunes lecteurs vont vérifier dans la famille foulque et ils ont en-

vie de lire ou de relire les autres albums à la recherche d’autres résonnances.

Dans cet espace encadré, par une vue en plongée, l’œil du lecteur opère un va et vient

des souris à la vieille dame vue de dos, le long d’une allée bordée d’arbres. La fleur jaune de

pissenlit apporte une délicate touche de couleur et annonce la saison chaude. Au fond de cette

allée, le lampadaire éclairé, tel un point de fuite visuel, donne un effet de profondeur à cette

image topographique. Cette mise en page graphique présente une image en relief et le lecteur

a l’impression que la vieille dame monte. Le jaune orangé donne de la luminosité au cadre et

l’allée semble plus pentue. Cette vignette rectangulaire de la quatrième de couverture se re-

trouve dans l’album à la page 13 où, l’association avec la vignette du dessus accentue cet effet

de paysage vallonné. La vieille dame semble descendre l’allée car, le mur de la maison au

premier plan à gauche est aussi haut que les grands arbres situés en arrière plan. Ce choix gra-

phique donne un effet de chemin en pente vers le fond de l’image.

Cette tache lumineuse au fond de l’allée arborée invite le lecteur à suivre la vieille

dame. Et les souris, vont Ŕ elles la suivre aussi ? Le texte explicatif de l’éditeur apporte

quelques éléments de réponse mais déclenche d’autres remarques aussi :

- « Le texte parle de « trois souris » mais sur la quatrième de couverture il n’y en a

que deux !

- Mais dans la famille foulque elles sont bien trois !

- Et sur la première de couverture, elles sont très nombreuses … au moins 20.

- Il dit que « la dame était partie en voyage », mais pourquoi il y a des cartons

vides alors ? Quand on part en voyage on prend juste une valise, on ne déménage pas son ap-

partement !

- Oh la la, quand « la dame revient », elle va trouver toutes ces souris chez elle ?

- Les souris peuvent Ŕ elles vivre avec la vieille dame ? Ou bien, la vieille dame

peut Ŕ elle vivre avec les souris ? 397

- En tout cas, dans les albums d’Anne Brouillard, les hommes et les animaux

vivent ensemble sans problème d’habitude. »

Les pages de garde

Les pages de garde sur fond rose « vieux fauteuil » présentent plein de petites souris

grises qui ont l’air très coquines. Celle située dans le coin, en bas à droite de la première belle

397 Les souris peuvent Ŕ elles vivre avec les hommes ? Peut Ŕ être faudrait Ŕ il demander à John Steinbeck ?

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page, avec ses deux pattes en « porte voix » et ses grands yeux malicieux, semble chuchoter

au lecteur : « viens, suis moi dans ce livre. Tu vas voir, on va bien s’amuser tous les deux ! »

Page 2, le lecteur la retrouve en bas à droite, prête à bondir à l’intérieur du livre

La vignette carrée de la page de titre (la première case de la page 8) est encore plus in-

jonctive visuellement. L’œil est à hauteur de souris et le lecteur a l’impression d’être la

quatrième souris. Elles sont devant la porte du buffet entr’ouverte et elles s’apprêtent à monter

dedans. Cette pause sur image montre combien, avisées par une longue expérience, elles sont

très prudentes et se méfient des pièges, elles ont les oreilles en arrière. Par son regard complice,

le lecteur se sent impliqué dans l’histoire. Il veut donc suivre les souris pour voir … car cette

vue en contre Ŕ plongée ne lui permet pas de voir ce que les souris regardent là Ŕ haut, dans le

buffet ! L’envie de lire la suite est maintenant très forte.

Que s’est-il passé entre la première et la dernière illustration ?

Ces deux illustrations ont une dimension temporelle : entre le lever du jour (le ciel a

une lumière jaune orange) et la tombée de la nuit (le ciel a une couleur bleutée). Ici aussi, si le

lecteur passe de la première à la dernière page sans lire l’album, il s’est écoulée une journée !

Elles ont aussi une dimension spatiale dans le cadre de la page : la première occupe le plus

grand tiers de la page 4 ; la deuxième occupe la double page 26 Ŕ 27. Mais, entre ces deux

prises de vue, l’espace a été transformé. Par la force de ces images, « le vide » suffit à expri-

mer le temps qui passe et l’évolution dans un espace.

Le cheminement dans l’espace

L’entrée en lecture donne le cadre spatio Ŕ temporel et positionne donc un espace ur-

bain et en travaux, symbolisé par la présence de deux grues qui encadrent la rue. « À Bruxelles,

il y a toujours des grues qui dépassent au dessus des immeubles. »398

Dans l’espace de cette page, les cadres sont inversement proportionnels à ceux de la

page 4 de la famille foulque (gros plan, plan large, plan très large). Ici, le zoom va grossissant,

respectant les proportions des éléments ciblés (le quartier dans la ville, la rue et ses maisons

dans le quartier, l’angle du trottoir en bas à gauche). L’avancée dans l’espace progresse de

398 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010.

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haut en bas, au rythme de trois bandeaux de moins en moins larges alors que le plan est de

plus en plus gros.

La hauteur des cadres accompagne l’espace représenté :

- Plus haut pour les grues,

- Moins haut pour les maisons,

- Plus fin pour les souris à quatre pattes.

Par une vue en plongée, le lecteur aperçoit une personne sur le trottoir avec une valise à

roulette. Petit être dans cet espace écrasant. Puis, un zoom avant en plongée la montre traver-

sant la rue. Comme sur une scène où les personnages entrent et sortent à tour de rôle, la vieille

dame part vers la droite et les souris arrivent par la gauche. Puis, la vieille dame disparaît du

champ de vision et laisse la place aux trois souris qui occupent tout l’espace. Cet effet annonce

l’intrusion des souris dans l’appartement désert : elles attendent que les habitants soient partis

pour prendre la place laissée vacante.

Tout au long de l’album, au rythme de l’alternance de petites cases, à la manière d’une

Bande Dessinée, associées à de grandes illustrations encadrées, le lecteur suit les personnages

dans l’espace.

Depuis l’extérieur vers l’intérieur, l’entrée dans l’appartement se fait à pas de souris,

avec des temps d’arrêt pour vérifier qu’il n’y ait pas de danger ou d’autres hôtes ?

Les autres souris étaient peut Ŕ être déjà là avant l’arrivée de

ces trois souris ? Si tel est le cas, depuis combien de temps déjà ?

Les illustrations dans la cage d’escalier sont remarquables par leur traitement de

l’espace :

Page 6

Page 25

Page 8

Sur toute la hauteur de la page 6, un long bandeau vertical ménage une magnifique vue

en contre plongée sur l’escalier, permettant ainsi au lecteur de suivre les efforts des trois souris

pour arriver jusqu’en haut. L’espace semble démesurément grand par rapport à leur petite

taille. En vis-à-vis, page 25, la même vue sur le même espace donne un effet complètement

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différent. Les souris sont beaucoup plus nombreuses mais surtout, elles descendent en faisant

des glissades sur la rampe d’escalier et certaines s’amusent même à faire des plongeons et des

galipettes sur les marches ! L’humeur n’est plus du tout à l’effort. L’espace est le même, le

point de vue est identique mais l’effet est contraire de part le positionnement des personnages

dans cet espace.

Sur la droite de la page 6, le premier rectangle montre l’ascension du dernier palier par

les trois souris. Cette vue en plongée sur les dernières marches à gravir insistent sur la peti-

tesse des souris, accentuant les efforts qu’elles doivent fournir pour monter si haut. Page 8, le

lecteur retrouve la même mise en scène avec la vieille dame. Elle aussi semble bien petite et

bien fatiguée. Est Ŕ ce le fait de devoir monter toutes ces marches ? Ou bien est Ŕ ce le fait de

devoir bientôt quitter son appartement ? Ou encore, le retour en ville est douloureux car elle

« était bien » là où elle est partie (entre les pages 4 et 8)399

?

Le même espace disponible est perçu tantôt à l’échelle humaine, tantôt à l’échelle des

souris :

Page 7

Page 9

Par ce jeu d’angle de vue, l’espace prend une autre dimen-

sion aux yeux du lecteur :

- Vue à hauteur de souris, en contre plongée, la pièce paraît

immense, plus haute et plus spacieuse (le placard est

entr’ouvert, « la bonne aubaine » !)

- Vue à hauteur d’humain, en plongée par-dessus l’épaule

droite de la vieille dame, la pièce devient très modeste et

étroite. Par la suite, les souris vont continuer leur progres-

sion et occuper tout l’espace disponible.

Page 11

Le soir

Page 11

Avant d’aller dormir

Page 12

Pendant la nuit

Page 12

Le lendemain matin

Pages 12 Ŕ 13

En début de matinée

Page 15

(dans ou en fin de) la matinée

À échelle humaine, la cage piège et

le sac à provisions semblent bien

petits mais à échelle de souris, c’est

une toute autre dimension.

Sur la page 8, une mise en page alternée des vignettes :

- Cinq vignettes pour les souris / Trois vignettes pour la vieille dame,

permet des vue entrecroisées sur ce qui se passe au même moment mais dans des lieux diffé-

rents pour les personnages humains et animaux. Là aussi, plusieurs options interprétatives

399 « Grande » ellipse spatio Ŕ temporelle à combler par l’imagination du lecteur. Les résonnances vont nous y aider …

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s’offrent au lecteur car, pendant les vides illustratifs, la narration continue grâce à

l’imagination des lecteurs.

- Soit, lors de la troisième vignette, la vieille dame est dehors pour revenir assez ra-

pidement à la vignette cinq. Elle est sortie de chez elle à la page 4, ici, elle marche dans la rue.

Cependant, est Ŕ elle sur le chemin de l’aller ou bien sur le chemin du retour ? Pendant sa

courte absence, les souris s’installent ; pendant qu’elle monte les escaliers, les souris

s’aventurent dans la cuisine. (Temps bref.)

- Soit, lors de la troisième vignette, elle part en voyage, ou bien elle en revient ?

(Combien de temps est Ŕ elle partie ?). Durant son absence, les souris occupent l’espace laissé

vacant. Elle rentre de voyage à la cinquième vignette. Les deux vignettes illustrant son ab-

sence (voyage plus ou moins long ?) encadrent une seule vignette installant les souris dans

l’appartement. (Temps étiré.)

Trois pages illustrées, uniquement avec les souris, séparent le moment où la vieille

dame est sortie de chez elle et le moment où elle rentre chez elle. Ainsi, le lecteur induit Ŕ il le

fait qu’elle a dû partir en voyage pendant que les souris se sont installées dans son apparte-

ment. De plus, elle part en tirant sa valise à roulettes avec la main droite alors qu’elle rentre en

la tirant avec la main gauche ! Ainsi, l’espace permet d’imaginer le temps qui passe mais ne

permet pas d’en donner la durée.

« Il ne faut pas confondre la notion de récit avec celle d’une action qui est restituée dans sa durée.

Par définition, les récits dessinés ne reposent pas sur un temps mimétique (contrairement au « ré-

cit » audiovisuel ou scénique), mais sur un temps de la lecture (non mimétique). Aucune combinai-

son de mots et/ou d’images ne permet de restituer une hypothétique vitesse de défilement corres-

pondant au temps de l’action. (…) Ce qu’il est convenu d’appeler « vitesse du récit » relève du

choix de la quantité d’évènements et de la taille des évènements. »400

Le narrateur imagier utilise une série d’images séquentielles pour faire progresser les

souris sur peu d’espace alors qu’il utilise deux ou trois images quand la vieille dame traverse

la ville :

400 Harry Morgan, Les principes des littératures dessinées, in résumé des principaux points établis dans le livre premier, page

7, consulté sur le site internet : http://theadamantine.free.fr/

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145

Page 5

Sur les traces des souris, l’espace

est présenté dans de petites vi-

gnettes, de façon parcellaire, à leur

dimension.

Page 8

Page 8

Page 13

Sur les traces de la vieille dame,

dans les cases, l’espace est montré

à l’échelle humaine.

Les déplacements des personnages dans l’appartement donnent une idée précise de la

disposition des pièces. Comme à son accoutumée, Anne Brouillard réalise les plans des lieux

de vie dans lesquels elle fait évoluer les protagonistes de ses histoires.

Ainsi, tout au long de l’album, de la première à la quatrième de couverture, au fur et à

mesure que l’histoire progresse, les personnages évoluent dans différents espaces de diffé-

rentes dimensions mais aussi à différentes échelles.

À l’intérieur, le lecteur les voit évoluer dans :

- l’appartement, l’épicerie, le panier

Par exemple, sur la double page 20 Ŕ 21, l’ouverture de l’espace présenté sur la première de

couverture, sur la gauche, permet de mesurer l’avancée du déménagement de la vieille dame et

l’état de son appartement.

Leurs activités matérialisent aussi le temps qui passe. Car en fait, pourquoi tous ces déplace-

ments ? Et combien de temps s’est-il écoulé entre ces deux moments ?

L’incipit plonge le regard dans l’espace par saccades. La rue et l’immeuble de la

vieille dame sont représentés sur un bandeau rectangulaire occupant un tiers d’une page. C’est

un plan large dans une image réduite. Par contre, l’excipit plonge le regard dans le « même »

espace « en plein » sur une double page. Le plan large occupe tout l’espace laissé à l’image.

Le lecteur embrasse l’espace « visuel » et l’espace « imagier » le livre ouvert. Entre les deux

prises de vue, l’immeuble de la vieille dame s’est vidé de ses habitants, au centre et à droite,

les bâtiments ont été détruits, laissant place à un immense immeuble moderne dans lequel

habitent … les personnages.

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L’évolution dans le temps

À la lecture de ces pages, le lecteur comprend la transformation de l’espace répartie

dans le temps. Chaque illustration fige un moment précis et les activités des personnages illus-

trent le déroulement du temps. En fonction de l’analyse spatiale ou temporelle, la lecture des

illustrations est affinée. Cette double approche permet un enrichissement de la narration vi-

suelle. Comme pour l’occupation de l’espace, le temps passe aussi à l’échelle des souris, des

êtres humains et des grues (le paysage urbain se modernise : devient plus récent).

À l’échelle du quartier :

Page 4

Au début :

Sur le trottoir de gauche, quatre

maisons sont habitées (fenêtres

éclairées).

Sur le trottoir de droite, on voit un

terrain vague (quel- ques meubles)

et des maisons encore habitées.

Page 15

Au milieu :

Le temps passant, la première

maison (grise) à gauche a été dé-

molie. Une palissade de travaux la

remplace. Les habitants de la mai-

son suivante déménagent … mais

la vieille dame rentre « encore »

chez elle. Le cadre narratif incline

à cette interprétation mais le doute

est autorisé. Partent Ŕ ils ou arri-

vent Ŕ ils ? Une nouvelle lecture

ultérieure, après avoir lu la fin de

l’album permettra de trancher.

Page 26

À la fin :

La deuxième maison à gauche

n’existe plus, la prochaine est celle

de la vieille dame. Celle de droite

est presque démolie. Une barrière

ferme la rue. On voit une cabane de

chantier. L’élargissement du

champ sur la droite présente le

nouvel immeuble construit à la

place des anciennes maisons éclai-

rées (page 4).

Au fur et à mesure que le temps passe, les maisons sont démolies et les palissades de

travaux occupent l’espace. L’éclairage des appartements permet d’être sensible au temps :

c’est le matin, l’après midi ou le soir mais cela prouve aussi que des gens habitent encore ici.

Ils n’ont pas encore changé d’espace mais ce temps là va arriver … À la dernière double page

illustrée, le lecteur comprend que, pendant le temps de l’album, à droite (espace qui n’était pas

visible auparavant), un immeuble avec des appartements tout neufs était en construction.

D’ailleurs, de grandes baies vitrées permettent une vue imprenable sur l’espace de ce nouveau

quartier en voie de re-construction. Il faudra encore du temps avant que tout soit refait à neuf.

À l’échelle de l’immeuble :

Une lecture de deux illustrations du même espace représentants deux moments diffé-

rents permet de prendre conscience du temps qui passe : parallèlement, le lecteur voit l’espace

évoluer et prend conscience du temps passé :

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Page 6 Page 25

Au début, lorsque les trois souris

montent l’escalier, les portes des

appartements sur les deux paliers sont

fermées et éclairées de l’intérieur :

des gens habitent encore à l’intérieur.

À la fin, lorsqu’elles redescendent ce même esca-

lier, les mêmes portes, sont ouvertes et l’espace

visible à l’inté- rieur est vide, comme

l’appartement de la vieille dame. Le temps de la

démolition de l’immeuble est arrivé.

À l’échelle de l’appartement de la vieille dame :

- Le temps se mesure au rythme de son déménagement :

Page 7

Avant les préparatifs

Pages 20 Ŕ 21

Pendant les préparatifs

Page 22

Pendant le déménagement

Page 24

Après le déménagement

Dans ce rythme imposé à la vieille dame, elle prend quand même le temps de préparer

un gâteau et d’inviter son amie à prendre le thé. Dans les albums d’Anne Brouillard, même si

le temps presse, les cartons et les grues attendront … les personnages ont toujours le temps

d’une pause conviviale.

- Le temps se mesure au rythme des dégâts faits par les souris :

Page 7

Avant le voyage : l’appartement

est en ordre

Page 9

Après le voyage : l’appartement

est en désordre

Entre ces deux illustrations, la vieille

dame est partie en voyage et les souris

se sont installées chez elle. Par la suite,

au fur et à mesure que le temps va

passer, les dégâts occasionnés par les

souris vont progresser.

À l’échelle d’une journée :

Le temps se mesure aux activités quotidiennes des personnages :

- Le travail, les courses, la cuisine dans la journée

- Le chocolat chaud devant la télévision, le bain, le coucher

Enfin, une fois toutes ces émotions passées, dans le temps et dans l’espace, les person-

nages s’installent dans leur nouvel environnement tout neuf … Le temps des anciennes mai-

sons en pierre est passé, le temps des nouveaux immeubles en verre arrive. Qui habite où

maintenant ?

Au troisième étage : le voyageur lit son journal assis dans son fauteuil. Les vibrations du gramo-

phone (à droite) montrent qu’il écoute de la musique.

Au deuxième étage : la vieille dame s’installe. Elle s’apprête à s’assoir dans son fauteuil devant

la télévision.

Au premier étage : une petite fille avec de longues nattes brunes écarte les rideaux pour regarder

par la fenêtre. Qui est Ŕ elle ? La fille des anciens voisins de la vieille dame ?401

Au rez Ŕ de Ŕ chaussée : le pêcheur et l’oie sont en pleine conversation. Le gros poisson nage

dans un aquarium.

401 « Tu lui vois des nattes toi ? Pour moi, c’est une dame qui est entrain de téléphoner en regardant dehors ou bien elle ferme

les rideaux ? Je ne sais plus très bien … Elle n’a aucun rapport avec les autres personnages mais je suppose qu’elle va finir

par les connaître … » Histoire à suivre, donc. Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011.

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Grâce à La vielle dame et les souris, en suivant les mailles (maillons) de sa vie, le lec-

teur qui sait « tirer les fils » revient au lac de La terre tourne.

5) De l’autre côté du lac

« Lucie et sa tante Nadège vivent au bord du lac. Un jour, elles aperçoivent une forme bleue qui

brille de l'autre côté du lac. Avec Tante Nadège, les chats Alpha402

et Toka et un bon pique-nique,

elles décident d'aller voir. Là-bas, Lucie découvre une aire de jeux et un nouveau copain. »403

« Un matin, en regardant de l’autre côté du lac, Lucie aperçoit une chose bleue qui brille. Tante

Nadège lui propose d’aller voir ce que c’est. Elles préparent un pique-nique et s’en vont sur le

chemin qui longe le lac. Soudain, la chose bleue apparaît. C’est une balançoire! L’histoire heu-

reuse d’une petite fille débordante d’imagination, qui converse avec ses chats et savoure sa vie so-

litaire au cœur de la nature, égayée par la rencontre d’un nouvel ami. »

« Le haïku permet aussi : d’exprimer des sentiments (nostalgie …), des sensations, des impres-

sions, les petites et les grandes émotions, les souvenirs, le temps qui passe, l’impermanence de la

vie … »404

Autant de sentiments qu’Anne Brouillard fait ressentir au lecteur tout autour du lac.

D’un côté le lac

Pourquoi donc aller ailleurs ?

On y est si bien

Bien plus que l’histoire d’une petite fille … Cet album redonne vie à l’ambiance de ce

lac mais à ses habitants aussi …pour le plus grand plaisir d’Anne Brouillard et de ses lecteurs.

Avec cet album, Anne Brouillard retrouve le même éditeur405

que La terre tourne, Le

Sorbier. Il a les mêmes dimensions que les deux précédents (La famille foulque, La vieille

dame et les souris) mais l’orientation406

est différente. De la verticalité, la lecture passe à

l’horizontalité. C’est un format à l’italienne et, comme l’expliquent Mme Balladur et Audu-

reau407

:

« Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les livres illustrés sont dans un format en hauteur (à la française),

calqué sur le codex romain, dans la tradition du texte imprimé.

Si la hauteur est prononcée, le livre exprime austérité, rigueur, mais aussi élancement, dynamisme.

À partir du XIXe siècle, les formats évoluent. Conçu dans un format oblong, plus large que haut (à

l’italienne), l’album illustré permet à l’illustration de représenter des paysages, des monuments.

C’est l’héritage des carnets de croquis.

L’album devient un espace panoramique d’autant plus large que l’espace narratif peut s’étaler sur

la double Ŕ page. Ce format favorise l’expression du mouvement et du temps. »

402 « En fait c’est le chat blanc de Ambre, ma nièce de 3 ans et demie à qui j’ai dédicacé cet album ! » 403 http://materalbum.free.fr/anne-brouillard/fichiers.htm 404 Philippe Costa, op. cit., p. 45. 405 « C’est l’éditeur en effet qui va découvrir ou initier le projet, l’accepter et le mener à son terme. » C. Segura Ŕ Balladur et

É. Audureau, op. cit., p. 7. 406 Le choix de ce format permet davantage « les nombreuses ruptures, les incessants changements de rythmes (accélérations,

pauses, ralentissements) ainsi que la variété des cadrages et des plans qui s’apparentent plus à une technique cinématogra-

phique, par ailleurs revendiquée, qu’à une écriture poétique traditionnelle. L’art de la narration chez Anne Brouillard est en

effet (…) une affaire de rythme. » Patrick Joole, op. cit. 407 Op. cit., p. 16.

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Format et espace qu’Anne Brouillard exploite et maîtrise à merveille. Par la prise en

main différente, ce livre se lit comme un film. Les pages défilent comme une bobine qui se

déroule sous les doigts du lecteur, au rythme imposé par la double narration. Cependant, c’est

le lecteur (acteur et spectateur) qui réalise le montage mentalement. Les plus petits formats

offrent une prise en main plus aisée pour effeuiller les pages plus rapidement, à la manière

d’un folioscope. Ici, la tenue à deux mains et l’étalement des pages présentent au lecteur des

tableaux lacustres et boisés à admirer au fil du temps qui passe.408

La lecture de cet album

nécessite une posture assise et tranquille.409

Le narrateur imagier scande la mise en mouve-

ment des personnages par des illustrations séquentielles. Le lecteur retrouve cette mise en

page de l’album « brouillardien » :

- Des illustrations de pleine page à fond perdu : pauses sur un décor

- Des images séquentielles non cloisonnées : mouvements et enchaînements

- Du texte : le cheminement, la vie et les dialogues des personnages

Il est spectateur devant les paysages et acteur dans sa lecture elliptique. Le lecteur

spectateur retrouve l’univers cher à Anne Brouillard du lac suédois, décor et ambiance de La

terre tourne. Après un intermède de quatre ans et l’édition d’un livre singulier chez Sarba-

cane, dans cet environnement, il retrouve aussi des personnages et des objets qui lui rappellent

les quatre albums précédents. Si Anne Brouillard y prend beaucoup de plaisir, le lecteur les

retrouve avec joie et complicité.

Dans cet album au format cinématographique, à l’italienne, le cheminement est long,

de gauche à droite, il se passe des choses sur le chemin. Le lecteur a un rôle très actif et il suit

les personnages tout au long de l’album. Tantôt :

- De profil (le lecteur les observe) : page 10, par exemple.

- De face (le lecteur semble participer à la conversation) : page 16, par exemple.

- De dos (le lecteur les suit) : page 19, par exemple.

- Du dessus (par une vue en plongée sur les personnages en action) : page 26, par

exemple.

- Il est « leur » regard (il voit ce qu’ils observent) : page 32 Ŕ 33, par exemple.

Comme la terre tourne autour de …, le chemin tourne autour du lac. Le lecteur y

croise des gens, des animaux qui lui sont familiers maintenant et qui lui permettent de mettre

408 « À l’heure du coucher, (…) ce moment privilégié de complicité (…) sera d’autant plus long que l’illustration du livre est

riche. Les détails qui la composent, fourniront les accroches à partir desquelles le lecteur peut développer le récit au Ŕ delà du

texte souvent sommaire. » Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau, Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, p. 6. 409 Anne Brouillard avoue aimer travailler sans stress. Le lecteur impliqué le ressent aussi.

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en place ces liens entre les albums : des chats, des souris, des oiseaux … et des objets qu’il

reconnaît aussi pour les avoir déjà vu dans d’autres environnements.

Comme La terre tourne entre autre et à la différence des quatre albums édités chez

Seuil, cet album a un narrateur textuel.410

Sur les pas du narrateur textuel, le lecteur entre dans

cet environnement comme par effraction, sur la pointe des pieds. « Chut » comme dit Lucie

(page 22), écoutons le silence. Nous sommes privilégiés, la maison, personnifiée, ouvre sa

porte pour nous accueillir. Tout d’abord, le lecteur cherche les personnages du regard. Où sont

Ŕ ils ? Par l’intermédiaire du narrateur textuel, le lecteur les entend mais il ne les voit pas. Le

narrateur imagier en profite pour lui faire visiter les lieux extérieurs et intérieurs. Ainsi, le

lecteur prend ses nouveaux repères spatiaux afin de se sentir « chez lui ». Une fois à l’aise

dans cet espace, le lecteur fait la connaissance de ses occupants, deux êtres humains et deux

chats. Dans cet albums, l’œil du lecteur est en perpétuel mouvement, il voit vivre les person-

nages, il observe le cadre, il suit l’aventure des personnages … Cette dynamique est possible

car le lecteur reconnaît cet espace : le lac et quelques éléments du décor. Maintenant, le lec-

teur est prêt à suivre les personnages sur le chemin, de l’autre côté du lac, autour de la terre …

car il est en confiance et en terrain connu, guidé par le narrateur imagier.

La couverture

La couverture du livre est entièrement illustrée. Le lac occupe « presque » tout

l’espace disponible au centre de la page. Le ciel et les nuages s’y reflètent. Les couleurs411

sont douces et naturelles. La végétation autour du lac est riche et variée. Ce décor transmet

l’ambiance tranquille et naturelle de la Suède. C’est ce même paysage qui est à l’origine de

l’album La terre tourne. « Cet endroit est très important pour moi, il ne faut pas oublier que

ma mère est suédoise … » « Anne parle de ce lac (…) où sa mère se baignait enfant. Doux

glissement vers l’autobiographie ? »412

Anne Brouillard parle comme Gaston Bachelard qui

affirme que s’il veut « étudier la vie des images de l’eau, il lui faut donc rendre leur rôle do-

minant à la rivière et aux sources de son pays. (…) Mais le pays natal est moins une étendue

qu’une matière ; c’est un granit ou une terre, un vent ou une sécheresse, une eau ou une lu-

mière. 413

» Dans les souvenirs d’Anne Brouillard, c’est une ambiance. Pour elle, « les images

410 Ici, le texte est minimaliste et dialogique « alors que l’expressivité des personnages, le jeu des couleurs, (…), la force des

contrastes assurent la narration. De tels albums surhaussent l’image (…). La rareté (du texte) n’y est pas perçue comme un

manque mais comme un retrait face à l’image qu’il met en valeur ou qu’il « cerne » de quelques indications. » S. Van der

Linden, Les albums « sans » in Le livre pour enfants, p. cit., p. 191. 411 « La couleur joue un rôle important dans l’appréhension du récit, elle en donne l’atmosphère et le ton. Mais elle est éga-

lement l’expression de l’illustrateur. À chacun sa palette, sa gamme de couleurs, (…) selon la technique employée. » Claire

Balladur Ŕ Segura et Evelyne Audureau, op. cit., p. 23. 412 Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62. 413 Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, p. 15.

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sont primordiales, elles racontent l’histoire et la lecture devient essentiellement visuelle. La

taille des images et la lumière qui en émanent, installent le rythme et l’ambiance de ses al-

bums. 414

»

La première de couverture présente les personnages. Ils sont en pause contemplative

eux aussi. Sauf « le chat gourmand » ! Ils sont presque arrivés « de l’autre côté du lac 415

».

La quatrième de couverture montre l’autre côté. Ce qui se trouve à gauche des person-

nages : leur maison416

et le chemin417

autour du lac. Quand le lecteur étale le livre, le posi-

tionnement des deux illustrations de pleine page à fond perdu est en adéquation avec le plan

du lac. Si les personnages tournent la tête à gauche, ils voient leur maison. Cependant, ils re-

gardent vers la droite. Que voient Ŕ ils ? Par cette attitude, le narrateur imagier déclenche

l’appétence du lecteur. Le regard des personnages vers la droite incite le lecteur à entrer dans

le livre pour voir ce qu’ils observent.

Les pages de garde

Les couleurs des pages de garde correspondent à la texture du papier. Ici, le papier est

lisse, les pages de garde sont donc de papier coloré. Dans les quatre Seuil, le grain du papier

est plus « épais », les pages de garde sont donc peintes non uniformément. Ici, les couleurs

sont vives. Cet orange renvoie la lumière. Il est dynamique. C’est cette même couleur, dans

une nuance moins prononcée qui est utilisée pour le titre.

Dès la page de titre, le narrateur imagier fait des clins d’œil complices418

au lecteur :

- Le panier en osier (au centre de l’image)

- Les oiseaux sur la branche en haut à gauche

- Les souris cachées en bas à gauche

- Le poisson sous la branche Ŕ pont

Tous ces détails induisent une lecture intra Ŕ imagière. Cet album trouve bien sa place ici,

après les quatre albums édités au Seuil.

414 Christian David, compte rendu « rencontres d’auteurs », XIIIe journée du livre d’Orthez, CDDP d’Orthez, 9 octobre 2008. 415 « Pour le choix du titre … on a hésité. Au début, je voulais plutôt « l’autre côté du lac » mais, avec l’article « de » cela

donne une idée du mouvement qui va mieux avec l’histoire de l’album : aller de …, regarder de …, qu’y a-t-il de …, que va-

t-on trouver de …, repartir de …, etc. » Anne Brouillard, le 07/11/2010. 416 « Le retour au pays natal, la rentrée dans la maison natale, avec tout l’onirisme qui le dynamise, a été caractérisé par la

psychanalyse classique comme un retour à la mère. (…) Une psychanalyse imagée doit donc étudier non seulement la valeur

d’expression, mais le charme d’expression. » « Y a-t-il une maison maternelle sans eau ? Sans une eau maternelle ? »

Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Librairie José Corti, Les Massicotés, 1948, pp. 137 Ŕ 138. 417 « Sur le trajet qui nous ramène aux origines, il y a d’abord le chemin qui nous rend à notre enfance, à notre enfance rê-

veuse qui voulait des images, qui voudrait des symboles pour doubler la réalité. » Ibidem., p. 138. 418 « Je suis très attachée à ces lieux et à ces personnages. » avoue Anne Brouillard.

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Le narrateur imagier

Le lecteur est accueilli par une illustration de double pleine page à fond perdu dès

l’ouverture. À gauche, une vue en plongée guide le regard vers la maison.419

Au centre, le lac

est très présent. À droite, le chemin « bleu » disparait parmi les arbres. Cette atmosphère bleu-

tée donne un aspect « flottant » à cette image. La forme des arbres, les ondulations de l’eau, la

forme des ombres … tout semble « ondoyer » tranquillement. Est Ŕ ce l’effet du soleil qui

transperce ? Quelques animaux (canards, oiseaux …) se prélassent dans ce décor. Parmi tous

ces arbres, le lecteur reconnaît les bouleaux avec les nichoirs de Mystère. Est Ŕ ce la maison

de Kÿt ? La porte est ouverte, le lecteur a envie d’entrer … la tourne de page va combler ce

désir. Cependant, les pages 6 et 7 montrent uniquement l’espace intérieur. Le lecteur visite le

rez de chaussée : l’entrée, la salle à manger, le salon puis la cuisine. À la manière des illustra-

tions de pleine page de La terre tourne, le dernier cadre de la page 7 montre en arrière plan, ce

qui va devenir le premier plan de la page 9. De forme floue et indécise, le chat tigré va

prendre apparence. De belle page en belle page, le lecteur arrive en pleine lumière sous la

véranda, au bord du lac. Les personnages l’y attendent avec une collation. La femme lève les

yeux à l’arrivée du lecteur. Les autres personnages regardent « de l’autre côté du lac ». Le

lecteur se présente puis observe dans la même direction : vers la barque jaune.

Une fois l’espace mis en place, les présentations faites, le narrateur imagier prend le

temps de montrer le lac dans toute sa splendeur. Le lecteur prend le temps de savourer le dé-

cor, le paysage, la nuit qui tombe et le calme. Cela ne peut s’exprimer avec des mots, c’est du

domaine du ressenti et du visuel. Le lecteur Ŕ spectateur retrouve la même technique de

« pauses illustratives de double pleine page » utilisée par le narrateur imagier dans La famille

foulque à chaque saison.

- Pages 10 Ŕ 11 : vue depuis le chemin : le lac sous la pluie.

Tout comme les personnages assis sous la véranda, à gauche, le spectateur voit et « en-

tend » la pluie tomber sur l’eau du lac et le toit de la véranda.

- Pages 12 Ŕ 13 : depuis la véranda : vue sur le lac sous le soleil couchant.420

419 « Cette maison n’existe pas mais elle pourrait exister. » précise Anne brouillard. « Si je dessine ces maisons, c’est peut-

être parce que j’aimerais y habiter … »

« Une des preuves de la réalité de la maison imaginaire, c’est la confiance qu’a un écrivain de nous intéresser par le souvenir

d’une maison de sa propre enfance. Il suffit d’un trait touchant le fonds commun des rêves. » Gaston Bachelard, La terre et

les rêveries du repos, p. 115. 420 Cette double page illustrée peut évoquer au lecteur spectateur le tableau Port au soleil couchant de Le Lorrain où les

couleurs orangées et jaunes du soleil couchant se reflètent sur l’eau du port.

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Le regard du lecteur s’apparente à l’angle de vue des personnages situés hors cadre.

Ainsi, le lecteur les imagine assis sous la véranda avec une tasse de thé et des petits gâteaux,

admirant le paysage crépusculaire. Le lecteur est un des personnages.

- Pages 14 Ŕ 15 : vue en plongée : le lac sous la lune.421

Tout le décor est dans les nuances de bleu. L’espace semble dilué sous cette atmos-

phère lunaire. Ces teintes bleutées donnent une impression d’un monde flottant, irréel, comme

dans un rêve. L’atmosphère devient énigmatique.

Par ces trois doubles pages illustrées à fond perdu, le lecteur a adopté un rythme de

lecture lent et contemplatif. Il tourne les pages après une pause devant chaque tableau peint

comme on admire une œuvre d’art. Ainsi, le lecteur s’imprègne de cette ambiance particu-

lière. Anne Brouillard cherche à transmettre cette atmosphère qu’elle aime tant et où elle se

sent si bien. Par touches d’encre de couleurs, le narrateur imagier « incruste » ce paysage la-

custre dans la mémoire visuelle du lecteur. Par leur dimension, leur répétition, leurs couleurs,

les plans larges, le spectateur se déplace comme dans une galerie d’artiste. Le paysage défile

lentement. À la tourne de chacune de ces trois doubles pages, l’ellipse temporelle est longue

(plusieurs jours ou plusieurs heures).

La page 16 est une rupture dans la lecture.

- Dans la mise en page : deux images séquentielles disposées en diagonale

- Dans la lecture visuelle422

: l’œil du lecteur est dirigé vers la page de droite par :

o Le regard des personnages

o L’orientation de leur attitude

o Leur gestuelle

Qu’ont Ŕ ils vu ? La page de droite amorce un élément de réponse : parmi les arbres, il y a un

grand objet bleu. « On dirait une grande araignée métallique ! ». Le rythme de lecture va

s’accélérer du fait de ce questionnement. Les personnages, tout comme le lecteur, veulent

aller voir. Le titre423

prend sa signification. Nous allons aller « de l’autre côté du lac ». Une

série d’images séquentielles permet la progression de la narration imagière :

- La préparation du pique nique (les petites illustrations montrent par mimétisme un

temps bref dans un espace restreint),

421 Cette double page illustrée peut évoquer au lecteur spectateur le tableau La nuit étoilée où Vincent Van Gogh a peint la

lumière dans la nuit et le miroitement des lumières des habitations dans l’eau (sans le reflet de la lune) ou encore le paysage

de nuit : Nocturne au Parc royal de Bruxelles peint par William Degouve de Nuncques qui semble sorti d’un rêve tant la

couleur bleue unifie toutes les formes, faisant ainsi apparaître le paysage irréel. 422 « Le lecteur pourrait Ŕ il se passer du narrateur textuel ? » « Une information temporelle importante est donnée par le

narrateur textuel « il y a très longtemps … » Par contre, pour le cheminement spatial de l’histoire, suivre le regard, les mou-

vements, l’orientation, les signes de doigt qui indiquent … suffit. » Extrait de l’échange téléphonique du 31/01/2011. 423 « Le choix du titre est très important. Il se fait en accord avec l’éditeur. Quelquefois il est évident, parfois, on discute … »

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- Le cheminement autour du lac,

- La pause contemplative et récupératrice (l’illustration de première de couverture),

- L’apparition d’un nouveau personnage masculin, espiègle, énigmatique, évoquant

le dieu Pan424

,

- La fabrication du pont en branchage.

L’arrivée est un moment important. Aussi, le narrateur imagier prend tout l’espace disponible

sur les deux pages 26 Ŕ 27. Les grandes illustrations montrent le temps étiré dans un espace

ouvert. Les deux personnages adultes saluent de la main droite, évoquant au lecteur

« l’homme et/ou la femme en rouge » (La terre tourne, Le pays du rêve). Lucie et les deux

chats courent vers l’objet convoité. Oh surprise, c’est une balançoire ! Comme celle dans Il va

neiger. Un autre enfant les y attend. Le lecteur se reconnaît bien dans ces bois suédois autour

du lac …(les bouleaux, les nichoirs, la balançoire).

Une fois ce nouveau décor mis en image, la narration séquentielle reprend : les per-

sonnages font de la balançoire, du toboggan … Puis, la pause pique nique prend plus de temps.

Alors, l’image reprend tout l’espace de la belle page. L’alternance illustrative s’orchestre et

s’adapte selon le temps et l’espace. De la même manière qu’à la double page 12 Ŕ 13, la

double page 32 Ŕ 33 présente le décor vu depuis l’emplacement des personnages. Depuis leur

lieu de pique nique, ils voient leur maison « de l’autre côté du lac ». « On est bien … on a

envie de rester là … d’y revenir » comme dans Le chemin bleu. Mais, il y a toujours quelque

chose de nouveau, d’inconnu, à découvrir, de l’autre côté … que ce soit ailleurs ou chez soi !

D’un côté comme de l’autre, le narrateur imagier donne une vue panoramique du paysage au

lecteur. L’album se termine par une illustration de pleine page à fond perdu. Les personnages

repartent « de l’autre côté du lac » en barque. L’aventure continue …

Le narrateur textuel

Quelles dimensions apporte le narrateur textuel ? Commençant en bas à droite de la

première belle page, il pose son rythme descriptif. Sous sa plume, la maison est personnifiée

et l’adresse au lecteur est directe. Il interroge le regard et l’imagination du lecteur. Cet album

se lit, se regarde et s’entend. Le lecteur doit solliciter tous ses sens. Le narrateur textuel com-

mence discrètement, avec une seule phrase (pages 5 ; 6 ; 7). Son style est direct, ses phrases

sont courtes et sa ponctuation est incitative. Les trois points de suspension demandent une

tourne de page rapide. C’est un grand bavard en fait ! Il a tellement à dire qu’il occupe le

424 Personnage de la mythologie grecque, Pan est le dieu de la totalité, de la nature toute entière. Protecteur de la nature, il

protège et surveille aussi ses occupants, en attendant de faire plus ample connaissance. Car, c’est Thomas !

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centre de la page 8. Cependant, les mots ne parviennent pas toujours à exprimer ce qu’une

image montre :

- La description reste suspensive.

Ni à raconter les souvenirs :

- La mémoire reste suspensive.

La répétition de l’adverbe « longtemps » donne une touche nostalgique au récit. Le

lecteur imagine Tante Nadège jeune, vivant et cheminant autour du lac. Elle fait partie de

« ceux qui restent là parce qu’ils y sont bien. » Va-t-elle toujours vivre ici, au même endroit,

dans cette maison, autour du lac, seule ? … Le narrateur textuel pose cette ambiance en utili-

sant les mêmes mots que le narrateur textuel de La terre tourne : « calme, tranquille, paisi-

blement ». Les deux narrateurs (textuel et imagier) se rejoignent dans cette sérénité. Ils don-

nent ce rythme de lecture ralentie.

Quand l’action démarre, page 16, le narrateur textuel prend autant de place que le nar-

rateur imagier. Les dialogues accélèrent le rythme de la narration. Tante Nadège redevient

dynamique. Les points d’exclamation donnent un ton enjoué et vivant. Elle retrouve sa jeu-

nesse.

Le cheminement des personnages est décrit par le narrateur textuel. Il donne une

touche sonore à leur balade. Le narrateur textuel explique au lecteur ce que les personnages

vivent. Il transcrit les émotions ressenties par les personnages que l’image ne peut montrer. La

longueur des phrases et la ponctuation s’adaptent à la narration :

- La marche est lente : les phrases sont plus longues,

- Les pauses s’accompagnent de phrases descriptives courtes,

- Les dialogues sont animés et vivants.

Quand l’action redémarre (pages 30 et 34), le lecteur retrouve l’ambiance et la mise en

page textuelle de la page 8. Le narrateur textuel occupe l’espace de la page sur fond blanc. Le

vocabulaire et les expressions utilisés par les personnages sont les mêmes qu’au début de

l’album. L’histoire continue … en boucle. Sur les traces des personnages, guidé par les narra-

teurs, le lecteur reprend la lecture de l’album. Telle une boucle sans fin, le point de départ

devient le point d’arrivée. Ce rythme rappelle sans conteste celui de l’album La terre tourne.

Qu’y a-t-il à voir cette fois Ŕ ci ? La réponse est dans l’imagination de chaque lecteur ! (Un

cerf volant pigé dans un arbre ? Un nid d’oiseau perché trop haut ? …).

Qu’est ce qui autorise le lecteur à faire ces inférences entre ces quatre albums édités au

Seuil en 2006 et 2007 et ce cinquième album édité au Sorbier en 2011 ?

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6) Les liens et les résonnances entre eux

Le lecteur opère des allers Ŕ retours entre ces cinq albums afin de mieux savourer

comment Anne Brouillard a repris ses personnages et les lieux auxquels elle est très attachée

au rythme du temps et des saisons qui passent. Et aussi, comment, tout naturellement, elle le

reconduit à La terre tourne …

a) Les personnages 425

(humains et animaux)

Entrelacements, croisements, rencontres de vie, de personnages, de lieux … Pendant

que le voyageur est à la gare avec les oiseaux, le pêcheur est au bord de l’étang avec l’oie. Le

voyageur mange sa soupe, toujours occupé à son jeu … le pêcheur rentre en train ? À pied par

la gare ? Il doit traverser le hall de la gare pour rentrer chez lui après sa journée de pêche ?

« Quand j’ai réalisé Le pêcheur et l’oie, je savais que je ferai La famille foulque. Retrouver

ces personnages auxquels je suis attachée. Histoire d’une balade autour des étangs d’Ixelles,

souvenirs d’une surprise … une oie regarde un pêcheur pêcher … à l’aller et au retour de cette

balade. D’autres fois, des canards, des foulques … » Mais, les liens sont tellement forts que,

le pêcheur rejette par deux fois son petit poisson, déçu par cette mince prise tandis que la

foulque attend pour repêcher cette prise facile … Entre les deux, quelques secondes pour

quelques pages mais, surtout, deux albums ! Vus de dos d’un album, mais, qui les regarde ?

Réponse dans l’autre album, encore une fois, ils sont vus à travers le regard de la maman et de

son bébé dans les bras, debout devant le seuil de leur maison. Ils sont vus de face, depuis

l’autre côté de l’étang par, les canards … Le lecteur Ŕ spectateur reconnaît le même style, la

même technique mais les reflets et les couleurs de l’eau sont vus d’un point de vue différent.

Selon l’angle de vue que le narrateur imagier lui offre, les nuages, le soleil, la luminosité, les

ombres …

Dans La famille foulque, le pêcheur arrive page 18 et il s’installe dans Le pê-

cheur et l’oie page 4. Dans La famille foulque, cette scène est vue par un œil situé de l’autre

côté de l’étang, comme s’il se trouvait dans l’angle, à côté des canards.

L’angle de vue sur la scène de pêche sous le parapluie est double selon l’espace dans

lequel se trouve posé l’objectif de la caméra. En suivant cette ligne directrice diagonale, dans

La famille foulque, du premier au dernier plan, il voit : l’eau avec la foulque vue de derrière

425 Lors de la conférence à Toulouse le 6 novembre 2010, Nicole Folch avançait : « A l’instar de nouvelles, on entre par

effraction dans la vie des personnages. Grâce au décor on connaît immédiatement ce personnage. Mais, on ne connaît rien

de son passé ni de son avenir. » En fait, c’est au lecteur de re-construire sa vie avant, pendant et après les pages de « cet »

album. Les narrateurs ménagent des « blancs », des énigmes, placent des indices que le lecteur doit associer dans la continui-

té. Le lecteur doit faire des efforts de mémoire et d’imagination intra et inter albums.

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(qui se déplace de la gauche du pêcheur vers sa droite avec une brindille dans le bec pour

construire son nid) Ŕ le pêcheur et l’oie sous le parapluie Ŕ la maman et l’enfant sur le palier

de leur maison.

Depuis la position opposée, dans le pêcheur et l’oie, cette scène est vue à travers l’œil

cinématographique de la maman et de l’enfant, avec un effet de zoom avant, comme sur un

travelling, toujours en suivant cette même diagonale mais dans le sens inverse. Le pêcheur et

l’oie sont donc vus de dos (trois quart Ŕ droite) et la foulque présente son profil gauche (son

avancée se déroule maintenant de la droite vers la gauche car elle a déposé sa brindille et re-

part dans le sens inverse de son nid).

Dans la famille foulque le lecteur voit cette illustration depuis le pêcheur et l’oie et

vice et versa. Cette mise en scène correspond à l’intention consciente d’Anne Brouillard qui

affirme que « quand j’ai réalisé Le pêcheur et l’oie je savais que je ferai La famille foulque. »

C’est au lecteur de trouver et de savourer ces clins d’œil imagiers. Dans Le pêcheur et l’oie,

l’œil du lecteur est placé à la porte du jeune couple de La famille foulque. Ils observent le pê-

cheur. Ainsi, le lecteur est dans le regard de la maman et son enfant. Par cet album, Le pê-

cheur et l’oie, le narrateur imagier montre ce que ces personnages de La famille foulque

voient de leur porte.

La famille foulque, p. 21 Le pêcheur et l’oie, p. 14 - 15

Le lecteur retrouve ce contraste rythmique dans les deux styles de pêche animale et

humaine.

Entre ces deux instants illustrés, que s’est-il passé pendant ce vide narratif ? (p. 18)

Pour le savoir, le lecteur retourne lire le pêcheur et l’oie : le pêcheur s’est installé et puis, il a

attendu que le poisson veuille bien mordre à l’hameçon. C’est alors que, déçu par ses prises,

par deux fois il a rejeté le petit poisson à l’eau : (pages 9 et 11)

Une fois revenu à la page 18 de la famille foulque, le lecteur comprend le clin d’œil complice

du narrateur imagier. La foulque plonge pêcher le petit poisson rejeté à l’eau par le pêcheur !

En fait, quand la foulque relève la tête sur la troisième vignette, elle regarde le pêcheur et at-

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tend le petit poisson … qu’elle rattrape d’un petit plongeon rapide et efficace. Quel jeu pour le

lecteur aussi.

Ainsi, le lecteur découvre et savoure comment le narrateur imagier, d’une page à

l’autre, d’une illustration à l’autre, d’un album à l’autre le fait participer à la re-construction

des histoires qu’il raconte et qui s’entrecroisent. Le narrateur visuel et le lecteur deviennent

pleinement partenaires dans ce jeu littéraire, dans la mesure où ils construisent ensemble le

sens iconique inter-albums. Si l’on prend l’exemple de ces deux albums qui se racontent l’un

l’autre, le lecteur a donc perçu :

- Le même moment observé sous deux angles de vue différents : le pêcheur vu de

dos pages 14 Ŕ 15 dans le pêcheur et l’oie et vu de face page 21 dans la famille

foulque.

- Un moment décomposé peut être complété grâce à cette lecture parallèle de deux

albums complémentaires.

Dans ce même espace, les personnages des trois albums le pêcheur et l’oie, la famille

foulque et la vieille dame et les souris vivent se côtoient et s’entraident. En effet, c’est le pê-

cheur et le jeune papa qui déménagent la vieille dame. Leur tenue vestimentaire permet de les

reconnaître sans équivoque :

- le pêcheur porte le même pantalon avec la même ceinture basse, le même pull, la

même casquette et il a la même attitude vue de dos que lorsqu’il va à la pêche !

Un jour au travail / un jour à la pêche

- le jeune papa, quant à lui, porte les mêmes vêtements bleus que lorsqu’il croise les

souris dans la rue : (moment de connivence entre le narrateur imagier et le lecteur Ŕ

enfant par ce « chut ! » des souris à l’adresse du petit enfant en poussette.)

Un jour à faire les courses / un jour à travailler

À la fin de La vieille dame et les souris, grâce à de grandes baies vitrées, le lecteur voit

leur habitat collectif commun.

Le dernier plan large de La famille foulque, réparti sur la double page 24 Ŕ 25 ras-

semble tous les protagonistes des autres albums de cette collection (le voyageur excepté, car,

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159

comme tout voyageur, il doit être parti en voyage quelque part, ailleurs) autour d’une table426

,

dans la convivialité et la bonne humeur :

- le pêcheur (déménageur) lève son verre en direction de sa voisine de droite

- l’oie se promène avec son amoureux (la forme de leurs deux corps côte à côte des-

sine d’ailleurs un cœur)

- les oiseaux de la gare picorent avec les foulques et la famille foulque vient se

joindre à eux

- le jeune couple converse avec la vieille dame et son amie pendant que leur enfant

joue avec ses amis

- les souris participent discrètement à cette festivité. Elles sont toujours cachées der-

rière les feuilles, dans le coin en bas à gauche de la page, comme sur la page 13 de

la vieille dame et les souris hormis le fait qu’elles sont trois ici. Dans cette

même allée, le lecteur reconnaît les oiseaux de la gare ! Elle ne doit pas être loin …

C’est pour ça que le pêcheur peut rentrer à pied à travers …

Dans la gare, en bas à gauche de l’illustration, il s’agit du papa de La famille

foulque avec son petit enfant, assis pour une pause goûter ou repas. Ici, ils ne font que se croi-

ser brièvement car, quand le voyageur arrive, le papa doit déjà être installé depuis un petit

moment mais son bébé refuse toujours de manger avec « force, cris et larmes » … C’est ainsi

que, dès la page 6, le papa cède et repart avec son enfant calmé à son cou. Ce fut un instant

bref mais sonore !

- La vieille dame et son amie viennent aussi prendre un thé à la terrasse du café

de la gare. Elles sont déjà installées quand le voyageur arrive et partent à la page 15, avant les

quatre pages de focalisation sur les oiseaux dans la panière à pain.

Dans le cadre de l’album

Le voyageur et les oiseaux La vieille dame et les souris

426 « C’est quelque chose que j’ai connu et que je connais toujours, ces tables chargées de bonnes choses, autour desquelles

on s’installe un moment, on parle, on boit, on mange, on regarde un livre … » Anne Brouillard pour Ulrike Blatter, in Parole

3/07, novembre 2007, pp. 2.

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160

À la page 20, dans la vieille dame et les souris, le lecteur reconnaît sans aucun doute,

accroché au porte manteau derrière la porte, le manteau rose à col de « fourrure » marron et,

posé sur l’étagère au dessus, le chapeau blanc que portent la vieille dame dans le voyageur et

les oiseaux.

L’intra Ŕ iconicité génère l’intra Ŕ narrativité. Ces quatre albums sont une seule his-

toire dans laquelle des gens se croisent comme dans La terre tourne. Cependant, ici, les autres

espaces sont elliptiques, les personnages y entrent et en sortent, au gré de leur vie et du temps

qui passe. La terre est Un tout petit monde ! Où que l’on aille, « on se reverra » …

Lecture descendante :

Le pêcheur va pêcher au bord de

l’étang des foulques (3)

Il rentre en passant par la gare et

croise le voyageur (2), la vieille

dame (4) et le papa (3)

Il fait le déménagement de la vieille

dame et habite en ville (4)

Il participe au pique-nique (3)

Les oiseaux vont au bord de l’étang

(3) et dans l’allée arborée (4),

Le voyageur habite dans un appar-

tement en ville (4)

Il croise la vieille dame (4) et le

papa (3)

La famille foulque accueille les

souris, la vieille dame et son amie

pour le pique-nique (4) …

Le papa déménage la vieille dame

(4) …

1

Le pêcheur et l’oie

(au bord de l’étang)

2

Le voyageur et les oiseaux

(à la terrasse d’un café, dans la

gare)

3

La famille foulque

(autour, sur et au bord de l’étang)

4

La vieille dame et les souris (en

ville)

Lecture ascendante :

Le voyageur croise le pêcheur dans

la gare (1)

… le pêcheur et l’oie (1), les oi-

seaux (2),

… avec l’aide du pêcheur (1)

Le papa et son bébé font une halte

au bar de la gare (2)

La maman et son bébé observent le

pêcheur et l’oie (1)

La vieille dame est déménagée par

le pêcheur (1) et le papa (3), elle

amène les souris au bord de l’étang

(3), elle croise l’enfant avec son

papa (3), elle prend un thé avec son

amie au bar de la gare (2), la ville

héberge le pêcheur et l’oie (1), le

voyageur (2)

À la lecture du dernier album édité d’Anne Brouillard, De l’autre côté du lac, le lec-

teur complice ressent une résonnance très forte avec ces quatre albums édités au Seuil. Qui

sont Ŕ ils donc ? Qui est Tante Nadège par rapport à la vieille dame et au pêcheur ? Comment

Page 161: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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se fait Ŕ il qu’ils aient le même panier ? À y regarder de plus près, le lecteur comprend que

Tante Nadège et la vieille dame ne font qu’une seule et même personne.427

Jeune, elle habitait

en Suède, au bord du lac. Âgée, elle habite en Belgique, en ville. Encore une fois, Anne

Brouillard confie qu’elle est « très attachée à ces lieux et à ces personnages. »428

Elle est aussi

de double culture, suédoise par sa mère et belge par son père. Anne Brouillard reste très atta-

chée à ses doubles racines. Elle vit en Belgique mais repart souvent en Suède. Les deux pays

ne font qu’un en elle.

Au regard des pages 18 de l’album De l’autre côté du lac et 16 de La vieille dame et

les souris par exemple, le lecteur la reconnaît. Elle a le même visage, la même expression, les

même cheveux, la même attitude …

C’est la même mais, elle a pris quelques années et elle a déménagé entre temps. C’est

alors qu’intervient le rôle du pêcheur. Qui sont Ŕ ils l’un pour l’autre ? Sont Ŕ ils frère et

sœur ? En quel cas, ils ont déménagé en ville pour des raisons familiales et ou profession-

nelles. Ils habitent dans le même quartier, l’un près de l’autre. Sont Ŕ ils mari et femme ? En

quel cas, elle a déménagé pour vivre avec son mari. Les photos encadrées dans la maison De

l’autre côté du lac et dans l’appartement de la vieille dame ne permettent pas de trancher. Ce

peut être la famille, les parents comme le couple ?

Pour illustrer cette double rétrospection elliptique imagière :

- adulte, elle se souvient de son enfance dans ces mêmes lieux, d’une part et,

- âgée, elle retourne au bord du lac pour se souvenir et se ressourcer, d’autre

part,

le lecteur peut évoquer la technique illustrative narrative utilisée par le narrateur imagier dans

Le chemin bleu. « Je voulais représenter le même espace sans ligne du temps, comme quand

on revient sur les lieux de son enfance et qu’on se revoit enfant … ».

Jeu de l’illustratrice pour exprimer en une seule image

une projection dans le temps. Entre les deux femmes,

il y aurait le lac … espace originel.

427 « Je n’y avais pas pensé ! Que Tante Nadège soit la vieille dame… cette idée me plaît beaucoup … je ne connais pas tout

de mes personnages ! Cette idée donne une plus longue vie aux choses et aux gens. » Extrait de l’entretien téléphonique avec

Anne Brouillard du 31/01/2011. 428 Extrait de la rencontre avec Anne Brouillard à Toulouse le 07/11/2010.

Page 162: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

162

Ici, le lecteur voit la même personne, dans deux lieux différents, à deux époques de sa

vie et reconstruit mentalement cette même image simultanée. Du lac, on part en ville pour

revenir au lac. La boucle continue …

Ainsi, De l’autre côté du lac raconterait la vie de Nadège avant son départ pour la

ville. « Pourquoi a-t-elle déménagé de ce lieu idyllique ? Elle y était si bien ? 429

» Parce

qu’elle a épousé le pêcheur, parce qu’elle y a trouvé un emploi … Ou bien, pour d’autres rai-

sons selon l’imagination du lecteur, en accord avec les résonnances imagières.

Ainsi, sur les pas de la vieille dame, depuis la ville, sur les traces de Nadège, autour du

lac, le lecteur revient tout naturellement, dans le cadre de l’album de La terre tourne.

Afin de permettre les résonnances entre ces personnages, les objets430

de leur vie quo-

tidienne sont des indices très importants.

b) Les objets : 431

Par ce schéma, Sophie Van der Linden montre les résonnances entre les quatre albums

édités au Seuil. Par ces effets de parallélisme et d’entrecroisements entre les personnages et

leurs objets récurrents, par les tableaux accrochés au mur, par ces résonnances visuelles, le

lecteur « ressent » qui est Tante Nadège et revient dans le pays du lac de La terre tourne.

À la fin de l’album La terre tourne, tous les protagonistes se retrouvent sur une petite

île sur le lac. Les nichoirs font partie du décor festif, tels des lampions annonciateurs d’une

ambiance. Dans Mystère et De l’autre côté du lac, la récurrence des nichoirs pose immédia-

tement ce lieu : le lac et cette ambiance de La terre tourne dès la première page. Dès

l’ouverture du livre, nous y sommes revenus. Le lecteur s’y sent déjà chez lui, dans un univers

familier et rassurant. Il y est bien. Il y a donc les nichoirs qui renvoient à Mystère et la balan-

çoire qui évoque celle de Il va neiger432

.

La terre tourne

À la fin

Mystère

Première page

De l’autre côté du lac

Première page

Il va neiger De l’autre côté du lac

429 Extrait de la conversation téléphonique du 31/01/2011. 430 « Je dessine les objets que je connais, c’est pour ça qu’ils vont revenir. » Extrait de l’entretien téléphonique du 31 janvier. 431 Hors cadre[s], n° 1, Sophie Van der Linden, p. 15. 432 Pour Il va neiger, « je me suis souvenue d’une promenade que j’avais faite dans une forêt en Suède : une fin d’après-midi

d’hiver, la neige s’était mise à tomber à l’arrivée de la nuit. (…) Ce changement d’atmosphère tel que je l’avais ressenti que

je devais essayer d’exprimer, cette curieuse impression qu’il se passe des fois quelque chose de magique entre les choses et

le temps. » Anne Brouillard pour Daniel Fano in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles".

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Ces éléments matériels servent à planter le décor extérieur en éveillant les souvenirs

visuels du lecteur. Les personnages sont dans la forêt suédoise, dans cette région de bois et de

lacs.433

De plus, le narrateur imagier utilise la même dichotomie chromatique pour les balan-

çoires que pour les enfants : le rouge et le bleu.434

Cet espace est ludique, c’est le monde de

l’enfance et, comme Anne Brouillard l’explique, pour le côté technique, ces couleurs tran-

chent avec le décor végétal et boisé alentour.

À l’intérieur, plusieurs détails interpellent l’œil : Le buffet en bois avec les photos en-

cadrées, l’abat jour sur pied, par exemple …

La mémoire visuelle du lecteur ne reste pas insensible à toutes ces images car, il les a

déjà vues quelque part. En effet, de plus en plus, le lecteur va rapprocher cet album de La

vieille dame et les souris.

De l’autre côté du lac La vieille dame et les souris

Page 6 :

la nappe blanche, le dos-

sier de la chaise en bois

Page 20 :

Page 7 :

dans la cuisine :

l’égouttoir et la vaisselle

Page 17 :

Page 16 :

la théière

Page 19 :

Il en est un qui rappelle l’univers pictural de Mary Poppins. Comme elle invite Bébert

à pénétrer « tous les deux, dans le tableau 435

» afin de changer d’univers, par une mise en

abyme, les cadres (tableaux peints ou photos) accrochés au mur de l’appartement de la vieille

dame, autorisent aussi ces bonds dans l’espace :

- Le cadre de la page 21 renvoie au saule pleureur de l’étang.

433 « La balançoire De l’autre côté du lac et celle de Il va neiger ne sont pas exactement au même endroit en fait. Il y a beau-

coup de lacs dans ce pays, la Suède. Dans De l’autre côté du lac, la plaine de jeux « bleue » n’existe pas, il n’y a rien, si, des

maisons, mais ça pourrait exister. Dans Il va neiger, c’est un autre lac, un lac gelé, c’est la même forêt mais sur un territoire

énorme en fait. Il y a réellement une plaine de jeux avec des balançoires et des toboggans. En fait, c’est bien possible qu’elle

soit bleue dans la vraie réalité ou bien des deux couleurs ? Le rapprochement, c’est le même pays, la même région qui est

immense. Il faut voir sur une carte. » Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 434 « Ça existe les balançoires rouges … chez mes grands parents ! Mon grand père avait construit une balançoire rouge

pour nous. J’ai toujours associé la balançoire et le rouge. En Belgique, les plaines de jeux sont peintes en rouge. J’en ai vu

plus récemment des « bleu pétant ». À part le rouge et le bleu, quelles couleurs existent ? Il n’y en a pas tellement en fait …

Mes étagères aussi sont peintes en rouge et bleu. Je me souviens, quand j’étais petite, mon grand père suédois m’avait cons-

truit un petit mobilier (table et chaise) peint en rouge et bleu. Je me souviens de cette association, bleu cobalt et ocre rouge.

Cette association vient de loin. » Extrait de l’entretien téléphonique du 14/02/2011. 435 Mary Poppins, Pamela Lyndon Travers, Le livre de poche jeunesse, 1980, p. 32.

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- Le cadre de la page 22 renvoie au héron cendré de l’étang ou à celui du lac.

La famille foulque La vieille dame et les souris De l’autre côté du lac

Il y a un objet qui occupe une place importante dans l’univers imagier de ces cinq al-

bums : le panier en osier. Si un fil permet de les raccrocher tous ensemble et de donner une

cohérence à toutes ces vies, c’est certainement lui. Il est l’objet idéal et fonctionnel de toutes

les situations :

- Le pêcheur s’en sert comme panier de pique nique et comme panier de pêche

- La vieille dame l’utilise pour transporter les souris et pour faire ses courses

- Tante Nadège et Lucie le prennent pour transporter leur pique nique

Quelles interprétations autorise-t-il ? Quels sont les liens entre ces personnages ?

À la lecture des albums, le panier circule entre eux deux dans une logique spatio Ŕ

temporelle cohérente :

- Le pêcheur et l’oie : il a le panier ; (invisible dans les pages de l’album, elle est à la

gare avec son amie).

- Le voyageur et les oiseaux : elle ne l’a pas avec elle à la gare ; c’est toujours lui qui

rentre avec le panier.

- La famille foulque : il a le panier pour aller à la pêche. Puis, elle l’a avec elle pour

faire ses courses. Au pique nique, ils sont présents tous les deux, il n’y a qu’un seul panier !

- La vieille dame et les souris : elle a le panier pour transporter les souris et faire ses

courses.

À la lecture espace Ŕ temps de ces albums, la circulation du panier est possible. Ce-

pendant, le lecteur ne peut pas trancher sur leur filiation. Même s’ils vivent séparément à la

fin de l’album La vieille dame et les souris, l’ambiguïté est toujours présente. Elle part en

voyage seule certes mais, ils se retrouvent pour le pique nique à la fin de La famille foulque.

Anne Brouillard avoue beaucoup s’amuser car, « il y a des choses impossibles dans la réalité

mais dans la fiction, dans l’univers de l’album, les possibilités sont infinies. »436

En effet,

dans l’univers de ces albums, le lecteur reconnaît aussi les souris grises. Cependant, peuvent Ŕ

elles vivre aussi longtemps ? Ont Ŕ elles suivies Nadège en ville ? « Non, ce sont leurs arrières

436 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard le 31/01/2011.

Page 165: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

165

petites filles !!! » Elle laisse donc une large place à l’imagination du lecteur pour continuer à

faire vivre ses personnages.

c) Le temps (météo et qui passe : passé / présent / futur)

Schéma sur l’échelle du temps passé et présent avec justification météorologique :

Été

Automne

Hiver

un jour du

printemps

Pendant

l’été

- Le temps qui passe

Comme pour l’espace, le narrateur imagier ménage des doubles pages illustrées à fond

perdu pour illustrer le temps qui s’étire. Ainsi, quand le temps passe, le lecteur prend le temps

de la contemplation, sans stress.

- Le passage du jour et de la nuit

- Le passage des saisons

- La pêche (lente)

- L’appartement vide

- Dans la gare

Le narrateur imagier adapte la dimension de ses illustrations à l’étirement du temps.

Plus le temps est lent, long, plus l’illustration occupe tout l’espace de la double page. À con-

trario, plus le temps est bref, actif, plus les illustrations sont présentées sous formes de

« cadres » ou « vignettes » séquentielles.

Nous pouvons représenter le passage du temps au long de ces albums, sur les traces de

Nadège de la façon suivante :

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De l’autre côté du lac Le pêcheur

et l’oie

Le voya-

geur et les

oiseaux

La famille

foulque

La vieille dame et les souris

Flash Ŕ back

textuel :

Ellipse tempo-

relle sur son

enfance et sa

jeunesse :

« il y a long-

temps »

Elle vivait ici.

Elle est déjà

allée de l’autre

côté du lac.

Rétrospection

imagière et

textuelle :

Maintenant,

adulte, elle est

ici avec sa

nièce Lucie. En

vacances ? Elle

y vit ? Elle se

rappelle ses

souvenirs et

elle retente

l’aventure.

Âgée :

Invisible

dans les

pages de

cet album.

Pendant ce

temps là,

elle est à la

gare …

Âgée :

Elle prend

le thé avec

son amie.

Âgée :

Elle vit,

fait ses

courses,

participe

au pique

nique au

bord de

l’étang.

Âgée :

Son voyage :

ellipse spatio

temporelle.

Retourne t’elle

au lac pour se

ressourcer ?437

Environnement

visuel :

Elle doit dé-

ménager, (en-

core) ? Elle va

vivre dans un

appartement

moderne main-

tenant …

Flash back : de flash back : à maintenant :

Il y a longtemps jeunesse vieillesse et en ville

Enfance, jeunesse adulte retour elliptique au lac

Textuel image et texte visuel, imagier

d) L’espace, le cadre, l’ambiance

Entre le pêcheur et l’oie et la vieille dame et les souris, il y a une zone géographique

où des gens vivent au rythme du temps qui passe. Et dans cet espace, il y a une gare … Ces

quatre albums corroborent avec la réflexion d’Anne Brouillard disant que « quand je réalise

un album, mon art est au service des personnages auxquels je m’attache puis, quand j’ai ter-

miné une histoire, j’ai envie de les reprendre encore dans un autre cadre. »438

Le lecteur les

retrouve donc dans cette collection de quatre albums édités aux éditions du Seuil Jeunesse en

2006 et 2007.

Elle les rassemble tous dans la famille foulque, au bord de l’étang qui se trouve certai-

nement en bas de la ville en pleine mutation.

PARC DES ETANGS D'IXELLES

« Les étangs d'Ixelles offrent un cadre architectural et artistique unique. Situés entre les avenues

Général-de-Gaulle et des Éperons-d'Or, ils prolongent les jardins de l'abbaye de la Cambre. À la

pointe du premier étang, les façades néo-classiques avec leurs frontons triangulaires marquent

une transition originale entre la chaussée d'Ixelles et la zone résidentielle des étangs. Côté étangs,

changement de décor : les maisons des années 1870-1880, de style éclectique en briques appa-

rentes rouges, s'inscrivent dans l'ensemble voulu par Victor Besme. On trouve aussi des maisons

de style néo-renaissance flamande, art nouveau et art déco, dont le représentant le plus connu est

le bâtiment de l'Institut national de radiodiffusion situé place Flagey. »439

« Au début du XXe siècle, le Bruxellois, très attaché à la maison individuelle, va progressivement

se laisser convaincre par la vie en appartement, du fait de l’avènement de la loi sur la copropriété

et des changements sociaux de l’époque. Cela entraînera de profondes mutations dans la ville,

437 Voir Tove Jansson, Le livre d’un été. 438 Anne Brouillard, rencontre au salon du livre « vivons Ŕ livre » à Toulouse le 06/11/2010. 439http://www.opt.be/informations/attractions_touristiques_ixelles__parc_des_etangs_d_ixelles/fr/V/17539.html

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l’architecture et les modes d’habiter. Le quartier offre un panorama exceptionnel des plus belles

réalisations de cette époque où se succèdent Art Nouveau, Art Déco et Modernisme. »440

« C’est un lieu calme, plein de charme, l’occasion d’un peu de tranquillité à deux pas de

l’agitation urbaine. Les étangs sont aussi très prisés par les joggeurs. A la base, le territoire

d’Ixelles possède quatre étangs. Le grand étang a été partiellement asséché en 1860. Il couvrait

alors la place Flagey. Aujourd’hui, il représente l’étang inférieur. Les étangs Pennebroeck et

Ghévaert furent réunis pour former l’étang supérieur. Avec l’abbaye de la Cambre, les étangs re-

présentaient un des sites les plus attrayants de l’agglomération bruxelloise. Entre les deux étangs,

on trouve le monument des Ixellois, morts au champ d’honneur. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle,

les étangs servaient de vivier, de lavoir, de réserve d’eau alimentaire et de glace en hiver. Le plan

du quartier conçu par Victor Besme impliqua le remodèlement des étangs et de nombreuses ex-

propriations qui effacèrent rapidement le souvenir de l'ancien village champêtre. La bourgeoisie

de l’époque investit rapidement les abords des étangs et les nouvelles rues avoisinantes en y fai-

sant construire de nombreuses maisons de maître de style éclectique, art nouveau et art déco qui

constituent aujourd’hui un important patrimoine. Aujourd’hui, avoir un appartement avec vue sur

les étangs demande d’y mettre le prix. Le quartier autour des étangs est resté aisé et prisé par les

classes supérieurs, dont depuis peu les fonctionnaires européens. Le site fut classé en 1976. »441

« Il y a toujours plein de

grues dans Bruxelles.

C’est impressionnant

comme la ville change

tout le temps. »

Le temps passe mais l’espace reste « naturel » autour de cet étang où les personnages

peuvent se retrouver tandis que la ville change d’apparence. Mais la gare, où est Ŕ elle ? Et le

voyageur ? Il est parti vers d’autres lieux ? Rencontrer d’autres personnes que l’on ne connaît

pas ? Comme les gens que l’on croise dans La terre tourne, Voyage …

Un plan d’ensemble nous permet d’essayer de la situer dans l’espace (d’après les allers

et venues des uns et des autres aussi) :

Comme le précise Anne Brouillard, le modèle de gare qui l’a inspiré est parisien et les

trains sont plutôt des modèles tels qu’on en trouve en France. Par contre, le modèle de ville

qui l’a inspiré pour les trois autres albums est Bruxelles et le quartier où elle habitait et se

baladait à ce moment là.

440 http://www.arau.org/vg_etang.php 441 http://www.cityzeum.com/les-etangs-d-ixelles

Page 168: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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Alors, où se trouve la gare dans l’espace de cette histoire répartie sur ces quatre al-

bums ? « Avec cette question, le lecteur tape en plein dans le mille ! »442

avoue-t-elle dans un

grand rire complice …

En fait, le lecteur ne doit pas confondre l’espace mimétique, très fort chez Anne

Brouillard, dans la mesure où elle trouve son inspiration dans les choses vues, vécues ou res-

senties dans sa vie réelle, et l’espace représenté dans le cadre de l’histoire réunie dans ces

quatre albums par le narrateur imagier.

Entre ces quatre albums et De l’autre côté du lac, édité aux éditions Le Sorbier en

2011, il y a une autre zone géographique. Le lecteur voyage depuis Bruxelles, en Belgique à

Dalskog, en Suède. L’un est son pays paternel, l’autre est son pays maternel. Elle est née et vit

dans l’un, elle part en vacances et se ressourcer dans l’autre. Les deux sont « son » pays. Elle

y est chez elle et elle y est bien.

7) Les liens et les résonnances avec La terre tourne :

l’espace, le cadre, l’ambiance

Pas de doute, l’histoire se déroule bien dans ce même cadre suédois que La terre

tourne. Le lecteur le reconnaît bien maintenant. Dès la première double Ŕ page, le lecteur re-

trouve l’atmosphère arborée de Il va neiger et les bouleaux blancs avec les nichoirs verts ac-

crochés en hauteur de Mystère. La fin de l’album ménage même une surprise ! Le toboggan et

la balançoire sont les mêmes que ceux qui se trouvent, pareillement, à l’orée du bois, au bord

du lac, dans l’album Il va neiger, mais, la couleur est différente. Le narrateur imagier a utilisé

la même dichotomie qu’il utilise pour signifier les vêtements des enfants, le rouge et le bleu.

Ces deux couleurs semblent n’en faire qu’une seule et unique : celle de l’enfance et des jeux

pour le narrateur imagier.

Dans La terre tourne, le lac occupe deux illustrations seulement. Dans De l’autre côté

du lac, il est omniprésent, il occupe toutes les dimensions spatiales : devant, autour, entre,

derrière, à côté … Cependant, comme le précise Anne Brouillard, « l’ambiance est la même ».

442 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 27/11/2010.

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Le lac sous la lune443

Le lac le soir

La terre tourne

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La terre tourne

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De l’autre côté du lac

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De l’autre côté du lac

Pages 12 Ŕ 13 :

Quand il pleut, même si l’environnement n’est pas exactement le même (l’étang ou le

lac), le lecteur reconnaît la technique du narrateur imagier. En effet, comme l’avoue Anne

Brouillard, entre l’année d’édition de l’album La terre tourne, en 1997 et les années d’édition

de ces albums (2006 Ŕ 2011), sa technique a évoluée. Ainsi, il est tout naturel pour le lecteur

de retrouver l’atmosphère pluvieuse444

, peinte à l’encre diluée :

De l’autre côté du lac La famille foulque Le pêcheur et l’oie

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20 Ŕ 21 :

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14 Ŕ 15 :

Dans ces albums, les techniques et la mise en page sont au service de l’histoire et de

son espace narratif. Les illustrations doubles Ŕ pages occupent plus de place dans la page,

elles illustrent donc un espace plus large dans lequel le lecteur et les personnages évoluent

sans « contraintes » spatiales. L’espace continue en dehors du cadre de la page. Ce qui laisse

une grande liberté imaginative au lecteur.

Le lecteur peut se déplacer d’un espace à l’autre en tournant les pages de l’album ou

en naviguant d’un album à l’autre. Pour ce faire, il doit être sensible à tous ces indices visuels

que le narrateur parsème sur son chemin.445

Avec ce dernier album édité, Anne Brouillard revient à l’ambiance de son pays mater-

nel. C’est « le lac en Suède, le même que pour La terre tourne. Ce fameux lac Teåkersjön

dans la commune à Dalskog. »446

Elle avoue y revenir souvent, dans la vie mais aussi, qu’elle

y reviendra pour l’album qu’elle appelle « le livre de ma vie, avec tous les personnages de La

443 « La lune fait luire la nuit. » Thomas Vinau, Tenir tête à l’orage, éditions N&B, Poésie, Tournefeuille, 2010, p. 11. 444 « La pluie donne sa couleur aux choses. » Thomas Vinau, Tenir tête à l’orage, op. cit., p. 26. 445 « L’auteur lui-même relie ce qu’il écrit aux passages de l’existence, de la sienne, de celle de tous les Hommes. (…) Le

lecteur avance. Et le chemin parcourt. Et la nuit s’éclaire de tant d’étoiles. » Daniel Leduc, Le livre de l’ensoleillement, édi-

tions N&B, Aubenas, 2003, p. 62. 446 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010.

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terre tourne mais ce n’est pas celui là … Les animaux et les êtres humains sont sur un même

pied d’égalité, ils ont même la même taille … Ici, ils sont remis dans un contexte plus

réel. »447

Il s’agit certainement d’une étape transitoire et nécessaire dans son cheminement

créatif. « J’y ai pris énormément de plaisir. »448

Dans l’album La terre tourne, les personnages vont par couple humain / animal.

D’ailleurs, le lecteur retrouve ces mêmes paires dans d’autres univers imagiers d’Anne

Brouillard. Dans ces cinq albums aussi, cette symbiose est illustrée. Les animaux et les hu-

mains vivent ensemble et s’adaptent l’un à l’autre.

- Un animal sauvage comme une oie mime les comportements humains,

- Des oiseaux s’enhardissent à manger le pain à table,

- Le lecteur découvre parallèlement comment les préparatifs prénataux sont

similaires dans les deux familles,

- Les souris déménagent pour les mêmes raisons que les humains,

- Tous les animaux, amis ou ennemis partagent ensemble la vie des êtres

humains autour du lac.

Dans l’univers d’Anne Brouillard, l’animal et l’homme sont plus que compagnons, plus que

partenaires, ils sont en harmonie et précieux l’un pour l’autre. Chacun prend soin de l’autre et

se respecte. Son style « flou » rend parfaitement bien cette ambiance. Les contours des per-

sonnages ne sont pas nets, leurs formes et leurs expressions deviennent mouvantes. Ainsi,

même dans le dessin, il n’y a pas de limites entre eux. La peinture ou l’encre sont diluées sur

la surface du papier et la différence s’estompe entre les deux mondes, humain et animal. La

technique et la matière artistiques permettent ce rapprochement tout en douceur, tout naturel-

lement. Les attitudes sont suffisamment évocatrices, les clins d’œil humoristiques et le talent

d’Anne Brouillard présentent ce message avec légèreté et sensibilité par l’équilibre de ses

albums.

Mais aussi, avec cet album, Anne Brouillard revient à l’éditeur de La terre tourne, Le

Sorbier, celui Ŕ là même qui a accueilli son premier album, Trois chats449

. Le lecteur remercie

ces éditrices. Marie David est devenue une amie d’Anne Brouillard et Régine Lilensten nous

confie les raisons de leur choix en ces termes :

« J’ai choisi de l’éditer tout simplement parce que j’ai beaucoup apprécié à la fois la force de ses

illustrations, et la poésie et la sensibilité qui se dégagent des thèmes qu’elle aborde

447 Ibidem. 448 Ibidem. 449 « Marie Wabbes m’a donné deux adresses : Duculot et Dessain avec Marie David (ma première éditrice) et Régine Lilens-

ten, co Ŕ éditrice avec Le sorbier de l’époque. » Ibidem.

Page 171: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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-Le partenariat se déroulait, de la meilleure façon possible, et j’ai accepté avec joie les projets,

même aboutis, qu’elle me proposait à publier.

-Anne Brouillard me semble avoir une sensibilité poétique qui m’émeut ― me parle‖, et adoucit la

vigueur de sa palette vigoureuse. Elle n’a pas peur des couleurs, des ―noirs‖, c’est vraiment une

artiste coloriste presque plus qu’une illustratrice.

-Son inspiration me semble venir d’une appartenance nordique, cela se voit dans les forêts qu’elle

dépeint, des lumières, ce sont en fait des toiles... »450

Cet album est un retour aux sources éditoriales, un retour à ses origines et un retour à

l’ambiance de La terre tourne. Si Anne Brouillard y prend énormément de plaisir son lecteur

accompagne et savoure ce superbe cheminement.

CONCLUSION

Dire qu’une artiste crée son œuvre avec ce qu’elle est s’apparente à une tautologie.

Cependant, l’exprimer avec talent n’est pas si fréquent. Anne Brouillard est une artiste qui a

du talent. À partir de ses souvenirs, son vécu, ses rêves … elle crée de magnifiques albums

avec ce rythme « résonnant » et « en boucle » qui la caractérise. Elle part d’anecdotes vues,

entendues … elle s’imprègne de toutes sortes de sensations puis, son imagination lui inspire

des histoires qu’elle met en albums (images et/ou textes).

Elle aime travailler dans le calme et sans stress, de préférence la journée, à la lumière

naturelle, avec ou sans musique selon son humeur mais plutôt la fenêtre ouverte pour entendre

la nature qui vit et bruisse autour d’elle.451

Anne Brouillard aime la nature, les animaux, les

gens, la vie … Dans sa famille, tout le monde peint. Elle dessine depuis sa plus tendre enfance.

C’est naturel pour elle. L’album est donc un moyen d’expression parfait pour elle.452

Comme

dans La terre tourne, elle peut s’y exprimer « presque » sans contraintes si ce n’est le format

de la double page du livre. Pour être au plus près de l’équilibre de ce support, elle travaille

d’ailleurs au format. Elle exploite cet espace narratif dans l’harmonie et l’équilibre.

Elle maîtrise parfaitement plusieurs techniques qu’elle met au service de ses albums.

À chacun son style et ses couleurs pour faire ressortir son ambiance. Ses personnages

s’adaptent au décor et à l’atmosphère des albums « comme nous changeons de vêtements se-

450 Extrait de l’échange par e-mail du 14/11/2010. 451 « Vous travaillez plutôt en musique ou en silence ?

Souvent en musique, radio « classic », Clara, une radio flamande. J’ai besoin de silence aussi souvent, juste ouvrir la fenêtre

et entendre les bruits du dehors, j’ai une ménagerie et des jardins sous ma fenêtre : mouettes, moi, poules, coq, oiseaux …

C’est une question de concentration et de changement, parfois, j’éteints la radio… » Extrait de l’entretien du 07/11/2010. 452 Anne Brouillard dit faire des albums « aussi » pour les enfants mais pas « pour » les enfants. Elle avoue faire des albums

« aussi » parce que les enfants les comprennent, différemment des adultes. Ibidem.

Dans son article Enfantin ! dans la revue Hors cadres[s] n° 6, Yann Fastier avance qu’ « ainsi, tout album serait non pas un

livre pour enfants, mais un « livre d’enfance ». En chaque album, (…) circulerait une sorte d’ « esprit d’enfance » délié de

toute notion d’âge. », p. 20.

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lon les circonstances et les saisons. » Elle passe beaucoup de temps à construire l’univers de

ses albums.

La terre tourne propose au lecteur un « panel » de mise en page illustrative :

- Images uniques

- Style « flou » et cadres « ouverts » ou « à bords perdus »

- Images séquentielles

- Illustrations de pleine page à fond perdu

Et une mise en texte personnelle.

Ses albums s’adressent à un public très large. Anne Brouillard raconte comment elle a

vu un petit enfant dévorer La terre tourne, au sens plein du terme. « Il en arrachait même les

pages tellement il était plongé dans sa lecture, avide de découvrir ce qu’il y avait derrière

l’image et à la tourne de page. 453

» Il est tout à fait vrai qu’une fois que les jeunes lecteurs ont

découvert une résonnance, une répétition (personnage, motif, objet, couleur, mot …), ils se

précipitent sur les livres pour vérifier, comparer, retrouver encore ailleurs et finalement, jubi-

ler de leur découverte qu’ils font partager. Cet élan est communicatif. Bruno Munari disait

qu’ « une fois qu’un enfant a découvert qu’un livre lui réserve toujours une surprise dans ses

pages, il a envie de lire 454

» et « il en retire un grand avantage dans la vie », comme l’affirme

aussi Daniel Pennac.455

À travers ses œuvres, Anne Brouillard leur offre cet élan littéraire. Si

certaines résonnances sont évidentes, d’autres nécessitent néanmoins une lecture plus fine.

Les lecteurs plus âgés y sont sensibles. Anne Brouillard sait les interpeller. Ainsi, chacun doté

de son bagage culturel et littéraire crée ces liens intra et inter résonnants. Chaque lecteur par-

court sa bibliothèque mentale et chaque découverte l’engage dans un cheminement « de re-

cherche » et de « recréation ». Tous savourent aussi son talent pictural. Anne Brouillard est

une artiste qui donne vie aux couleurs et aux mots, « … et voilà que la vie s’éclaire de ce

qu’on écrit d’elle. 456

»

Pour apprécier son œuvre, chacun doit partir à sa découverte. Selon ses dires, elle a

« bien trouvé sa voie » car l’album pour la jeunesse offre des possibilités infinies à cette ar-

tiste. En retour, elle invite son lecteur à les partager. Elle le « prend par la main, le guide dans

l’espace et le temps, le laisse se faire son propre cinéma. Elle est de ces artistes qui rendent

libres ceux qui ont le bonheur de la rencontrer. »457

Pour y parvenir, un album, une lecture ne

453 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 454 Source : http://www.arpla.fr/canal2/figureblog/?m=201010 455 Comme un roman, éditions Gallimard, collection Folio, 1995. 456 Pierre Lepape in http://www.evene.fr/celebre/biographie/pierre-lepape 457 Nicole Nachtergaele, Rencontre avec Anne Brouillard, in revue Alice, N° 2, printemps 1996, p. 62.

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suffisent pas. À partir de cet exemple, à partir de La terre tourne, nous voulions montrer

combien il est important de lire son œuvre dans son ensemble car un album éclaire les autres

comme les autres résonnent dans un album. Par son style en boucle, le lecteur ressent combien

l’unique fait partie du tout et comment le tout englobe chaque partie. L’équilibre de son

œuvre se construit dans l’unicité et dans la globalité.

Le dernier mot de son carnet de La terre tourne est « émotion ». D’après le diction-

naire Le Littré, une émotion est un « mouvement moral qui trouble et agite, et qui se produit

sous l'empire d'une idée, d'un spectacle, d'une contradiction, et quelquefois spontanément » ou

un « mouvement qui se passe dans une population ». Ainsi, partant d’une émotion ressentie

par Anne Brouillard (individuelle), l’album est le médium par lequel elle transmet cette émo-

tion au lecteur (collective). Ce substantif peut tout aussi bien clore notre « carnet » aussi.

Ce mémoire de Master 2 Professionnel Littérature pour la Jeunesse a la modeste inten-

tion de l’avoir démontré grâce aux résonnances à partir de La terre tourne. Ce travail d’étude

et de recherche est à poursuivre dans une thèse de doctorat que nous envisageons avec

l’accord de nos directrices de recherche, Mme Segura Ŕ Balladur et Mme Audureau ainsi

qu’Anne Brouillard, bien évidemment.

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ANNEXES :

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Bibliographie détaillée

1) 1990 : Trois chats, aux Éditions Dessain et Tolra Ŕ Liège et Du Sorbier Ŕ Paris (qui le

rééditent en 2008)

Mention au Prix des critiques de la Communauté française en 1991, Mention au Prix Versele

1991, Sélection Petite Fureur 2009

- Format458

: rectangle459

haut (22 X 28 cm). Illustré en couleurs, sans texte, 28 pages.

- En France, cet album a été édité puis réédité par la même maison d’édition, Le Sorbier

(comme La terre tourne). La première de couverture de l’édition de 1990 présente un titre

décalé en bas à droite, juste au dessus des vagues et en dessous des queues des chats. Le nom

de l’auteure Ŕ illustratrice, en haut à gauche, est écrit avec la même typographie460

et dans la

même couleur jaune (couleur des yeux du premier chat). Le titre est en lettres majuscule et le

nom est en minuscule. La couleur jaune évoque au lecteur le soleil (invisible) dans ce ciel

bleu éclatant et résonne avec le crayonné jaune sur la vague blanche. La version américaine

reprend la même couverture mais la couleur des polices est dans les tons jaune orangé, cou-

leur plus douce que le jaune. L’effet est moins vif à l’œil. Pour la réédition de 2008, le titre a

été centré, les traits des lettres sont plus épais461

, la typographie est plus ronde et le jaune est

plus vif. Le titre saute aux yeux. Le jaune tranche sur le bleu. La forme du « T » évoque la

queue enroulée du chat. Le nom est écrit en dessous, en blanc (couleur des vagues).

L’association entre le titre de l’album, le nom de l’artiste et de la maison d’édition est plus

évident car ils sont regroupés dans le tiers de bas de page, sous les chats.

Dédicacé à Marie Wabbes :

« J’étais étudiante en 2ème

ou 3ème

année en illustration et j’étais très intéressée par le dessin ani-

mé, je suis allée au festival de Bruxelles. J’ai rencontré Marie Wabbes car elle avait des livres

adaptés en cinéma d’animation, je lui ai montré mon travail. Elle a été super gentille et m’a donné

des conseils d’une préciosité sans égal, très précieux. Elle a été mon prof en 5 minutes … Elle m’a

donné sa carte et m’a dit de l’appeler … J’ai fait les 3 chats après, si j’ai pu les faire comme je

l’ai fait c’est grâce à ses conseils. Après mes études, j’avais sa carte de visite, je lui ai téléphoné,

viens … ! elle m’a reçu avec tant de chaleur et de générosité … viens avec les 3 chats

458 « Le format peut, quant à lui, fortement déterminer l’expression et chaque dimension recèle ses propres puissances ou

impuissances. » Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants, l’analyse des livres d’images, N° 214, décembre

2003, p. 60. 459 « Le format de base est et reste rectangulaire. » Michel Defourny, in L’enfance à travers le patrimoine écrit, colloque

Annecy, 18. 19 septembre 2001, p. 76. 460 « La typographie : emploi de caractères spécifiques, ou au contraire variés, ou encore gradués ; mise en valeur de leurs

qualités esthétiques ; composition et mise en pages conçues pour favoriser la compréhension et la mémorisation des textes. »

Annie Lallement-Renonciat, in Littérature de jeunesse, incertaines frontières, textes réunis et présentés par Isabelle Nières-

Chevrel, colloque de Cerisy, Gallimard jeunesse, 2005, p. 69.

« La typographie véhicule le sens du texte. » C. Segura Ŕ Balladur et É. Audureau, op. cit., p. 32. 461 « L’emploi de gros caractères dans les livres destinés aux plus jeunes constitue un autre témoignage de l’adaptation pré-

coce de la typographie à l’enfant. » Ibidem., p. 73.

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Elle m’a donné deux adresses : Duculot ed. en Belgique : Duculot a dit non !et Dessain : avec

Marie David, ma première éditrice, devenue une amie depuis en co-éditeur, avec le sorbier de

l’époque, Régine Lilensten

Parce que c’est grâce à elle que j’ai pu réaliser ce livre. C’est une reconnaissance justifiée. » 462

- L’histoire :

« Commençons par les trois chats, le premier album : chats en noir et blanc. L’histoire est née de

quelque chose de vue en vrai, point de départ, quelque chose de vu, vécu, le réel, le vrai. Autre

chose pour en faire une histoire ! L’intérêt : l’absurdité de la situation, le choc de ce chat perché

très haut sur une branche. Pour le faire ressortir dans le livre : le chat est multiplié par trois.

Première version avec des canards, ils volent réellement mais moins absurde. Alors que l’histoire

propose quelque chose d’inattendu et je joue la dessus. Les couleurs : poissons rouges, contraste

avec le bleu dominant du livre, d’ordre graphique. Juste l’eau bleue, les poissons rouges et 3

chats. Est-ce un lac, la mer ???C’est voulu de ne pas pouvoir identifier un lieu précis. » 463

- Des pistes de travail pour la classe :

Lecture par hypothèses - anticipation sur la suite de l’histoire : Travail sur le langage : les

verbes d’action … À l’école maternelle : les élèves de moyenne section ne sont pas étonnés ;

par contre, les élèves de CP expriment bien le fait que les chats n’aiment pas l’eau et que les

poissons vont mourir hors de l’eau. Lecture des expressions ou mimiques : envie, peur, in-

quiétude, étonnement … sur les têtes des chats et des poissons « Un récit en images : Faire

deux lectures successives. »464

2) 1992 : Petites Histoires, aux Éditions Dessain et Tolra, Syros Jeunesse (qui le rééditent en

deux volumes en 1999)

Prix des critiques de la Communauté française 1993, Mention au Prix international du livre

ŖEspace-Enfantsŗ de l’Institut universitaire Kurt Böch et de la Fondation ŖEspace-Enfantsŗ de

Genève, 1994

« Syros : petites histoires 3 histoires dans le même album mais 4 au départ. Ils en avaient mis 1 de

côté. Pour la réédition, ils ont récupéré la 4ème

et en ont fait deux livres : 2 histoires dans chaque

livre : Petites histoires simples / étranges »465

- Format : petit carré466

(20 X 20). Illustré en couleurs, sans texte, 60 pages.

- Pour l’édition de 1992, la première de couverture reprend l’illustration de la page 32 à fond

perdu. Le titre utilise une écriture script (bâton) très appuyée, les traits sont épais. Il est centré,

au milieu de la pluie qui tombe drue. Afin de mieux ressortir, il est en bichromie : rouge pour

« petites » et noir pour « histoires ». Le rouge est celui des parapluies qui tranchent sur les

couleurs de la mer houleuse. Discrètement, en dessous, le nom de l’artiste, en blanc. (Est-ce le

fait qu’elle ne soit pas encore très connue ? Son nom est discret … pour ensuite prendre plus

de place et de couleurs sur les couvertures de ses albums.) L’édition américaine reprend la

462 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse. 463 Ibidem. 464 Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture impliquée, in Activités De Lecture À Partir De

La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 44 Ŕ 47. 465 Propos recueillis auprès d’Anne Brouillard par téléphone le 27/10/2010. 466 « Au fur et à mesure que l’on avance dans le siècle (le XXème), le format carré est devenu de plus en plus fréquent. » Mi-

chel Defourny, in colloque Annecy, op. cit., p. 81.

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même illustration de couverture, par contre, au centre, le nom de l’artiste est en noir et en des-

sous, le titre s’allonge sur toute la « largeur » en rouge. Une artiste européenne est un gage

d’exotisme outre Ŕ atlantique, son nom est mis en valeur avec le titre de son œuvre.

Pour les rééditions, en deux volumes, en 1999, Anne Brouillard est écrit en haut, au centre de

la page, en noir. La même couleur reprise pour le titre. Le lecteur associe visuellement et en

couleur, l’auteure et l’œuvre. Les deux adjectifs qualificatifs qui permettent de distinguer les

deux volumes « étranges » et « simples » sont écrits en majuscules, dans une police plus

grande et plus originale467

, en rouge. Ces deux mots semblent flotter sur l’illustration, l’un sur

la mer ou dans le ciel gris vert ; l’autre sur la neige ou dans le ciel gris rosé. Cet effet « mou-

vant » les rend vivants et les fait ressortir. En dessous, ils reprennent une illustration de

l’album. Temps de chien, pour « étranges » et Des hauts et des bas, pour « simples ». Quoi de

plus étrange pour un chien que de faire du bateau Ŕ parapluie sur l’eau ! Quoi de plus simple

pour un pingouin que de faire de la lune avec des amis !

Dans Temps de chien, le lecteur s’amuse à tourner et retourner le livre. Le ciel devient la terre

et réciproquement. L’œil s’exerce à remettre les chiens « à l’endroit » … sont-ils toujours les

mêmes ? Leurs attitudes et les parapluies rouges mettent sur la piste.

3) 1992 : Le sourire du loup, aux Éditions Dessain et Tolra Ŕ Liège et Épigones, collection « La

langue au chat » ; réédité en 2007 par les Éditions Il était deux fois

Mention d’honneur au Prix graphique section enfance de la Foire de Bologne 1993 et Pomme

d’or de la Biennale de Bratislava, 1993

- Format : rectangle haut ( 20,5 X 27 cm). Illustré en couleurs, sans texte, 28 pages.

- En 1992, la maison d’édition belge et la française ont utilisé la même illustration (même fond,

décor, forêt, ombres, loup …). Cette image se trouve (elliptiquement) avant la page 10 de

l’album, quand le loup entre par la gauche et apparaît « en entier » dans la forêt. Pour l’édition

belge, l’écriture (titre et nom) est en lettres bâton, épaisse, l’éditeur en cursif, rouge « sang »

vif, centrée. Le titre ressort par sa typographie et sa couleur sur la forêt par l’effet aussi du

rouge sur le noir et blanc. Ce sont les trois couleurs de l’album et les trois couleurs du loup.

Le rouge évoque le ciel et la langue du loup, il est lumineux et inquiétant. Pour l’édition fran-

çaise, un long cadre rectangle casse le rythme de la couverture et cache un morceau de forêt.

Le fond est blanc comme la lumière sur les troncs d’arbres. L’écriture est cursive et légère-

ment « tremblotante ». Est Ŕ ce la peur du loup qui fait cet effet sur les caractères ? La couver-

467 « Les démarches des graveurs et des illustrateurs vouées à la révélation des beautés, des curiosités et des magies de la

lettre, envisagée dans sa dimension visuelle et non plus dans ses fonctions linguistiques. » A. Lallement-Renonciat, Littéra-

ture de jeunesse, incertaines frontières, op. cit., p. 79.

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ture n’utilise que les deux couleurs, noir et blanc. Lors de l’ouverture de l’album, le rouge

sera d’autant plus expressif et « violent ». Cette couverture veut Ŕ elle ménager cet effet de

surprise ? Pour sa réédition en 2007, la maison d’édition Il était deux fois présente une cou-

verture moins angoissante. La forêt et le loup sont contenus dans un cadre, ils ne débordent

plus du format du livre. Le loup semble comme « pris en photo » il ne risque pas de sauter de

la page. Par cet effet encadré, le loup ressort davantage, il est mieux identifié par l’œil.

L’écriture est blanche et la typographie est arrondie pour écrire le mot « loup ». Il n’a pas l’air

méchant … La petite touche de couleur est jaune, du fait du logo de la maison d’édition. Le

fond de la page est gris468

. Ce livre « cadre » est structuré et présente un aspect moins « enfan-

tin » que les premières éditions.

En 1993, cet album est couronné au salon de Bologne (Mention d’honneur au Prix

graphique section enfance de la Foire de Bologne) et obtient ensuite le prix de la Pomme d’Or

à la biennale de Bratislava. Enfin en 1994 il obtient le prix Maeterlink.469

Pour ma réédition, j’ai décidé de modifier le plat I dans un souci de visibilité/identification (pour

ma maison d’édition) et pour des questions juridiques. J’aime le côté inquiétant de l’illustration et

le titre, dont on ne comprend pas vraiment le sens, au premier abord.

J’ai choisi de rééditer cet album car il est beau, avant toute chose. Contrairement aux autres

livres, c’est un album pour lequel on est obligés de commencer par le début, si l’on veut com-

prendre « l’histoire » (effet de zoom) – et non pas le feuilleter en partant de la fin. Cela me semble

important de montrer aux enfants le sens de lecture d’un livre. Et puis, surtout, c’est un album

sans texte : les enfants peuvent inlassablement se raconter une histoire différente, dès qu’ils le li-

sent. Certains jouent à se faire peur, ils racontent : « Hou, c’est le loup, il va peut-être me man-

ger… » et puis : « il tire sa langue, sa grosse langue… », et enfin : « Ah non, il n’a pas mangé de

petits enfants, il rentre chez lui. Allez on recommence l’histoire ? ».

Avec Anne, nous avons échangé deux coups de fil, peut-être, parce qu’au départ, elle ne souhaitait

pas voir ce livre réédité. Anne considérait que s’il était indisponible, c’est qu’il devait en être ainsi,

et elle ne tenait pas à ce que ses livres soient réhabilités. Nous avons donc discuté de l’intérêt de

donner une seconde vie aux livres en général. Pour ma part, j’arguais que les éditeurs ne faisaient

pas tous, ou ne pouvaient pas, faire un travail de fond, et qu’il était important de voir réhabiliter

les « pépites » de la littérature pour la jeunesse.

Et puis tout est allé très vite car Anne partait en voyage. Un jour, par la Poste, je reçois un impo-

sant colis : c’étaient les originaux ! avec un mot me disant d’en faire un beau livre. Il manquait

deux ou trois illustrations, que je suis allée chercher à Paris dans une galerie d’art.

Étant donné qu’il s’agissait d’une réédition, je me suis conformée au travail déjà effectué par Épi-

gones. La mise en pages est toute simple : nous avons réduit le format des illustrations pleine page

à 50%, dans un format à la française.

Le format est celui de ma collection d’albums à la française : 20 x 26 cm. Le papier est un couché

brillant, 135 g. C’était important d’avoir un papier suffisamment épais pour qu’il n’y ait pas de

transparence, étant donné les couleurs employées. Ce livre comporte 28 pages (dont 4 pages pour

les gardes). Je me suis rendue à l’impression car le travail des couleurs était important et décisif :

le noir des montagnes est en fait un savant dosage des 4 couleurs primaires, et non un simple noir

qui aurait rendu le tout trop froid.

Pour moi, l’album majeur d’Anne Brouillard serait Trois chats, qui est l’album le plus souvent ci-

té par les professionnels du livre, quand on leur demande un livre d’Anne. Ce livre est lumineux,

468 D’après les recherches et l’enseignement de Johannes Itten, pour obtenir en peinture « les rapports d’harmonie (…) des

couleurs placées l’une en face de l’autre doivent donc être complémentaires et donner du gris par leur mélange. » In L’art de

la couleur, op. cit., p. 23. 469 www.ricochet-jeunes.org/

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drôle, et plein de mouvements. Il parle aux enfants. C’est un album sans texte… Toutes les qualités

nécessaires d’un bon livre !470

4) 1992 : La grande vague, Dessain et Tolra

- Format : rectangle haut (24,8 X 34,8 cm). Illustré en couleurs, sans texte, 22 pages.

Dédicacé à Bénédicte, « ma petite sœur ».

« La grande vague (réédition pour la France chez Grandir en 2003), en 1992, en Belgique uni-

quement. J’ai dû refaire la couverture car je ne retrouvais plus l’original ! Le format aussi est dif-

férent, il est réduit chez Grandir. Les pages de garde471

sont faites au fusain pour l’édition belge.

Le nombre de pages était incorrect, j’avais donc trop de pages blanches, donc j’ai fait une pre-

mière page de garde (couverture) : image de la mer au fusain en Noir et Blanc. Puis, à gauche

une image de la mer et à droite une forêt nue avec juste des arbres. Puis, page de dédicace et page

de titre. Les deux pages de garde (mer / forêt) reviennent à la fin mais inversées de gauche à

droite pour terminer par la mer. » 472

Deuxième de

couverture

Première page de

garde

Deuxième page

de garde

Troisième page

de garde

Quatrième page

de garde

Cinquième page

de garde

Sixième page de

garde

Troisième de

couverture

1994 : 4 albums travaillés en parallèle. Cette année là, la maison d’édition belge a fermé, j’avais déjà ces deux

projets bien avancés (Voyage, Il va neiger) avec ma première éditrice. Grandir et Syros étaient déjà des contacts

470 Propos recueillis auprès d’Adélaïde Veegaert le 03/11/2010 par e-mail. 471 « La couverture ou les pages de garde ont une fonction matérielle précise et comportent des messages paratextuels. »

Sophie Van der Linden, in La revue des livres pour enfants, N° 214, op. cit., p. 61. 472 Extrait de l’entretien téléphonique du 15/11/2010 pour mettre au point l’ordre bibliographique.

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pressentis pour des projets de coéditons. Finalement Voyage, projet déjà travaillé avec ma première éditrice et

prévu en coédition avec un éditeur américain aussi. Pour Il va neiger, c’est pareil, quand j’ai rencontré Syros à

Bologne et qu’on a fait ce projet de coédition, le travail de l’album était déjà bien avancé.473

5) 1994 : Voyages, aux Éditions Grandir (beaucoup plus longtemps pour le faire)

« J’avais envie de le faire au crayon. Au départ : couleurs imagination, l’enfant s’échappe, ima-

gine d’autres choses, aller retour train intérieur / extérieur, le reste en noir et blanc, rendait une

autre dimension avec couleurs, trop sinistre, donc choix que noir et blanc. »474

"Voyage" devait être coédité avec un éditeur belge. Puis il a renoncé mais nous ne voulions pas

nous abriter derrière cette attitude frileuse et avons décidé de le faire tout seuls.

Anne Brouillard en manière de remerciements nous a proposé par la suite "L'Orage" qui devient

au fil des années (et des études critiques tant en langue française qu'en anglais) son livre réfé-

rence.

Pour "la Grande vague" son éditeur belge Dessain clôturait son incursion dans le domaine de la

littérature enfantine, il nous a paru important de le rééditer pour que le public puisse y avoir ac-

cès même si son audience est assez restreinte : son côté bachelardien n'a pas encore eu l'heur

d'être souligné par les critiques… ce qui m'étonne un peu au moins des universitaires qui se pen-

chent sur son travail.

On accueille le travail d'Anne Brouillard, on n'en discute pas, on ne l'infléchit pas : elle est com-

plètement autonome dans sa démarche créatrice.

La mise en page est réfléchie par Anne Brouillard, le format de ses originaux induit le format re-

tenu au moment de la publication. Nous essayons de ne pas être indigne d'Anne Brouillard au

moment de la fabrication.

Je prends en bloc toute sa production car elle ne cède jamais à la moindre facilité. C'est une des

très rares créatrices de ce gabarit : modestie et intelligence, sensibilité et refus de toute complai-

sance fût-ce à elle-même.475

- Format : rectangle long (allongé) (22 X 27,5). Noir et blanc, avec texte, 44 pages

6) 1994 : Il va neiger476

, aux Éditions Syros

Format : rectangle haut (23,5 X 34,5). Illustré en couleurs, avec texte, 36 pages

« J’ai mis beaucoup plus longtemps pour le faire celui là … ». Le lecteur découvre son travail

d’une infinie richesse et savoure les jeux de « flocons de neige », d’ombres et de « formes »

entre les doubles pages de garde et la double Ŕ page 20 Ŕ 21. Ces pages illustrées à fond

perdu, scintillantes de « mille taches lumineuses » résonnent entre elles. Comme pour lire

celles de la carte dans Le pays du rêve, le lecteur doit aller et venir, tourner et retourner le

livre, recadrer les illustrations afin de trouver les échos et suivre le mouvement du temps qui

passe.

« Une merveille de narration par l’image, d’une époustouflante richesse d’évocation, d’une

exceptionnelle maîtrise des lumières, un de ces livres qui suscitent une fascination, une admiration

sans réserve. Il n’y a pas que la splendeur plastique évidente, il y a cette réussite dans l’expression

du sentiment non pas de la durée mais de la profondeur du temps. »477

473 Ibidem. 474 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 475 Propos recueillis auprès de René Turc le 31/10/2010 par e-mail. 476 « Lors de mon premier hiver en Suède, je suis partie me promener avec mes deux sœurs et puis, il s’est mis à neiger …

C’est toute cette ambiance avec la forêt de bouleaux … Quand j’ai vu des traces, j’ai eu l’idée de Mystère. » Extrait de

l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 477 Daniel Fano, 4 talents singuliers : Anne Brouillard, in Brochure "L'illustration en Wallonie et à Bruxelles".

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Des pistes de travail pour la classe : « Le narrateur invisible à la première personne ! »478

La neige : illustrations de pleine page à fond perdu renversées. Discerner les formes fondues

… La neige devient les étoiles.

« Des connaissances sur les techniques narratives (effet de point de vue, polyphonie, …

construction du personnage… »479

7) 1994 : Reviens sapin, aux Éditions du Sorbier

Réalisés en parallèle

Leur format : petit rectangle allongé à l’italienne (21,5 X 27), couleurs, sans texte, 28 pages.

8) 1994 : Cartes postales, Le Sorbier

Sélection Petite Fureur 2002

« Un récit en images : Faire deux lectures successives. »480

Lire les cartes postales « pictogrammiques 481

» écrites par les animaux et les écrire avec notre

alphabet roman (notre système d’écriture).

Repérer la logique de page en page, l’illustration centrale puis la lecture des cartes postales en

miroir.

9) 1996 : La maison de Martin, Le Sorbier

Sélection Petite Fureur 2000

« Un récit en images : Faire deux lectures successives. »482

Réalisés en parallèle

10) 1996 : Promenade au bord de l’eau, Le Sorbier, (36 pages)

Dédicacé à Élisabeth : « Une de mes sœurs, sur son porte bagage, elle porte un accordéon et elle va en

jouer dans le château. C’est elle qui est représentée dans le bain et tout le trajet sur le vélo. »

Sur les pages de garde483

, le lecteur découvre « étalés à plat » les personnages de l’histoire,

motifs décoratifs, noirs sur fond rouge, qu’il retrouve tout autour de la « boîte rouge »,

« héroïne » de l’histoire.

478 Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De Lecture À Partir De

La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 184 Ŕ 185. 479 Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS

au CM, Hatier pédagogie, 2002, pages 70 Ŕ 71. 480 Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture impliquée, in Activités De Lecture À Partir De

La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 44 Ŕ 47. 481 « Au sein du message visuel sont ainsi distingués les signes iconiques, qui renvoient à la réalité en s’appuyant sur

l’analogie perceptive et sur les codes de représentation, et les signes plastiques qui relèvent du travail sur la couleur, sur les

formes, la composition et la texture. » S. Van der Linden, in Littérature de jeunesse, incertaines frontières, op. cit., p. 88. 482 Ibidem. 483 « Les pages de garde (…) sont des propositions d’ouverture (…), ce cheminement parmi les motifs, cette suggestion des

possibles, pour en final, et tout bonnement, permettre au livre de s’ouvrir. » Françoise Le Bouar, in La revue des livres pour

enfants, N° 191, février 2000, p. 106.

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Des pistes de travail pour la classe : « Cartographier un espace. »484

11) 1996 : Le pays du rêve, Casterman

- Format : rectangle haut (24,5 X 34), couleurs, noir et blanc, texte, 44 pages.

Dédicacé à Maria : une autre sœur, celle qui est peintre. Elle donne un cours de peinture (celle

avec le sac à dos) dans le gd murmure.

Les pages de garde présentent la carte485

du pays du rêve que les personnages, Éloïse et Sarah,

trouvent dans la maison abandonnée. Le lecteur la découvre donc avant elles …

« Réalité Noir et Blanc, petites vignettes, rêve endormi, rapport avec la réalité. Conçu sur une

réelle réalité, rêve bâti sur des choses qu’on a vu en lien avec des choses de la réalité, revient

dans des mêmes lieux dans ses rêves endormis. Objets, choses, lieux, rattachés à des choses vues

en vrai. »486

Codes inversés avec le chemin bleu.

« Ici, l’association avec L’orage est consciente et voulue. La maison du pays du rêve, c’est celle

de mes grands parents. Cet album vient des rêves que j’y ai fait … Certains albums sont associés à

une musique : Le pays du rêve associé à Bobby McFerrin. »487

12) 1997 : La terre tourne, Le Sorbier, réédité en 2009

- Format : presque carré (25,5 X 25), couleurs, avec texte, 28 pages.

Dédicacé à Théodore, Maximilien et Kitty (la famille Crowther).

Prix Versele

« Expo avec boîte, on met un œil dedans et on voit des personnages. C’était l’expo avant la terre tourne. Tous

ces personnages commencent à vivre … « le magicien rouge »488

- Des pistes de travail pour la classe : « L’espace Ŕ temps pour des enfants et des adolescents.

Interpréter un livre à partir de l’espace Ŕ temps. »489

13) 1998 : Mystère, Pastel

- Format : rectangle haut (22 X 33), couleurs, avec texte, 36 pages.

Dédicacé à Kitty, à Elly : « C’est Kitty Crowther qui m’a inspiré le personnage de Kÿt. C’est une enfant

alors, elle est carrément blonde dans l’album. Elly, c’est le prénom de ma mère. C’est le premier livre que j’ai

fait avec l’ambiance de la Suède … non, ce n’est pas tout à fait vrai car avant j’ai fait Il va neiger ! Ces deux

albums, je les ai faits après être allée en Suède en vacances. J’y suis allée deux fois en hiver. J’ai commencé

Mystère la première fois et il a abouti la deuxième fois. Lors d’une promenade autour de chez mes grands pa-

rents, j’avais vu des traces dans la neige. Je pensais que c’était un ours mais ma grand-mère m’a dit que c’était

un lynx. À cause de cette ambiance de la Suède, dans le village où ma mère a grandi, j’ai parcouru les mêmes

chemins qu’elle a parcouru enfant et j’ai pensé à elle, je l’ai imaginé … C’est pour ça qu’il est donc dédicacé à

ma mère. »490

Dans Mystère, les sensations se répondent : le froid est bleu, la chaleur rouge rousse, la neige

crisse sous les pas, les traces sont silencieuses. La lumière dorée et la clarté de la nuit envelop-

pent d’irréalité la forêt sous l’emprise de l’hiver. Des peintures oniriques, troublantes par moment,

484Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De Lecture À Partir De

La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 220 Ŕ 221. 485 « Beaucoup s’ouvrent sur le décor dans lequel va se dérouler l’histoire : … localisation spatiale (carte …, plan …) (…),

atmosphère donnée d’emblée ; mais on reste à l’extérieur, comme en plein air. » Françoise Le Bouar, La revue des livres

pour enfants, N° 191, op. cit., p. 105. 486 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 487 Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 488 Ibidem. 489 Christian Poslaniec, Faire acquérir les compétences de lecteur : la lecture littéraire, in Activités De Lecture À Partir De

La Littérature De Jeunesse, Hachette éducation, 2000, pages 214 Ŕ 216. 490 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris.

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racontent l’aventure étrange de la petite Kÿt qui s’est laissée entraîner loin de chez elle. Quelle est

donc le lieu mystérieux du rendez-vous et, surtout, qui attend Kÿt pour boire le thé ? 491

- Des pistes de travail pour la classe : « Le brouillage, figure voisine du silence, peut porter sur

l’identité des personnages. »492

14) 1998 : L’orage, Grandir

Format : (moyen) rectangle haut (21 X 29,5), couleurs, sans texte, 44 pages.

Dédicacé à Freddy, Elly, Mimi et Yocko : « Freddy c’est mon père, Elly ma mère, Mimi le chat jaune et

Yocko le chat noir. Mimi est toujours vivante d’ailleurs. C’est une chatte sauvage que j’ai rencontré à Bruxelles

alors qu’elle fouillait mes poubelles le soir ! J’ai mis longtemps à pouvoir l’approcher mais, une fois qu’elle a

eut apprécié les câlins, elle ne voulait plus quitter mon appartement… Ce n’est pas une vie pour un chat. Alors,

je l’ai amené chez mes parents, à la campagne. J’ai mis deux semaines pour l’adapter chez eux ! Elle a un poil

très doux, c’est une chatte un peu anglais. Yocko est née chez mes parents. C’était la fille d’un autre chat que

j’avais rapporté de Bruxelles !!! Mais il y a aussi la cafetière rouge, elle existe vraiment chez eux … une cafe-

tière en émail dans laquelle ils font leur café. C’est aussi l’ambiance, le jardin … toute l’atmosphère de chez

mes parents s’y retrouve. Cet album me rattache à l’enfance que j’ai eue chez eux. »493

« Pourquoi l’orage est-il ton livre préféré ?

Plusieurs raisons : Projet porté depuis très très longtemps, 8 ans entre projet et abouti. Mais il

vient de beaucoup plus loin. Pas sous forme de livre. Quand j’étais enfant, l’orage, ce changement

de lumière, l’ambiance tourne au vert, le sujet même remonte à mon enfance, quelque chose qui

me travaille inconsciemment, consciemment, j’avais envie de le mettre en images, de le dessiner,

le peindre, sans penser en faire un livre. Je dessinais beaucoup quand j’étais enfant, je faisais des

petits livres, sans avoir pensé faire l’orage sous forme de livre. Sensation d’un livre qui a un équi-

libre.

Exemple dans l’autre sens : le chemin bleu, pas très juste par rapport à ce qu’il aurait dû être !,

propos assez complexe, difficile à ce que les trucs s’enclenchent, que tout soit équilibré, livre qui

m’a bien pris la tête.

Gravures, reprises à 4 ou 5 fois, super mais très exigeant au niveau du dessin même parce que

tout est inversé. Peinture en masse, silhouette : formes floues qui se superposent, associé au mo-

delage de la terre. Dessin, gravure : plus incisif, pointe de métal dans le vernis.

L’orage, c’est un projet lointain et le résultat a l’équilibre494

de la narration que par les

images. »495

15) 1999 : Le bain de la cantatrice, Le Sorbier

Format : petit rectangle allongé, couleurs, avec texte « musical », 28 pages.

La version édition américaine496

, a repris le même format mais pas la même illustration. Il

s’agit du cadre de la page 6 de l’album. Elle chante et va ouvrir le robinet de sa baignoire …

Le titre est dans les tons violet, dans une police « chantante », centré, au dessus du cadre ; le

nom de l’artiste est dans les tons vert, majuscule bâton, en bas à droite. Ces deux couleurs

sont celles des carreaux de la salle de bain. Le fond de la page est jaune aussi, mais, ce n’est

plus le ciel dégagé de la vallée, c’est la partition musicale qui illustre le fond de la couverture.

491 Propos de Michel Defourny pour les 10 ans de Pastel, (1998), recueillis auprès d’Odile JOSSELIN le 28/10/2010 par e-

mail. 492 Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS

au CM, Hatier pédagogie, 2002, pages 276 Ŕ 278. 493 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 494 « L’album sans texte s’inscrit dans une catégorie particulière de l’album, lui-même catégorie spécifique des livres pour la

jeunesse accueillant des images. Ils constituent une forme extrême de l’album par la suprématie totale de l’image inversant le

rapport institué dans le livre illustré. » Sophie Van der Linden, in Le livre pour enfants, Regards critiques offerts à Isabelle

Nières-Chevrel, PUR, collection « Interférences », 2006, p. 190. 495 Rencontre avec Anne Brouillard le 07/11/2010 à Toulouse lors du salon « vivons Ŕ livre ». 496 Le texte est une adaptation. « C’est pas mal fait » reconnaît Anne Brouillard en découvrant cette édition américaine.

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Ce jaune permet à l’illustration encadrée de mieux ressortir et les « vagues chantantes » qui

sortent de la bouche de la cantatrice vont se fondre avec les notes de musique sur la portée.

L’effet est harmonieux, comme « le chant d’une cantatrice le matin » …

« J’ai fait du solfège, je suis capable d’écrire une portée, une partition …c’est tout ! »497

J’ai fait

de la musique enfant, mais j’ai eu un prof de piano qui m’a un peu dégoûté ! J’ai une sœur musi-

cienne. Vers 12 ans, j’ai fait de la musique plus sérieusement mais j’ai dû arrêter pour faire mes

études d’illustrations, faute de temps et d’énergie à y consacrer ! Je voulais vraiment faire du vio-

loncelle, au début ça va … mais arrivé à un certain stade, cela nécessite plus de travail, il faut y

consacrer plus de temps. Cette partition, n’est pas très bien écrite, je l’ai fait à l’oreille ! C’est gai,

j’aurais envie de réinventer des chansons … J’aime la musique, j’aime créer de la musique, j’ai

fait une expo récemment : de longues toiles peintes (40 cm de haut, 15 – 16 mètres de long) de

paysages vus par les fenêtres du train, enroulées sur deux axes dans une table pourvue de mani-

velle. On voit passer une parcelle par la vitre comme par la fenêtre du train, je pensais mettre de

la musique. Le paysage : devant plus vite, 2ème

plan moins vite, le 3ème

plan plus loin, plus lente-

ment avec une bande de musique à manivelle. On peut perforer ces bandes soi même, collées en

boucle (orgue de barbarie) tout fonctionnait en même temps : paysage / musique. 498

16) 1999 : Le grand murmure, Milan

Mention au Prix graphique de Bologne, 2000

- Format : grand rectangle haut, couleurs, avec texte, 44 pages.

Dédicacé pour Anne P. : Une des amies de ma petite sœur Bénédicte.

- Pages de garde : des images détourées présentent les personnages, leur prénom, attitude,

accessoires, compagnons … comme une photo de famille ou de classe.

Cet espace est inspiré de la Belgique ; Mira joue vraiment du violoncelle499

Presque tous les personnages sont vrais :

Elisabeth : une de mes sœurs, sur son porte bagage, elle porte un accordéon et elle va en jouer

dans le château

C’est elle qui est représentée dans le bain et tout le trajet sur le vélo

Maria : une autre sœur, celle qui est peintre. Elle donne un cours de peinture (avec le sac à dos)

Marie, ma première éditrice a suivi pour de vrai le cours de Maria. Sa fille, Juliette

Bénédicte, ma petite sœur, Anne, une de ses amies

Gérard et Claudine, couple rencontré lors de ma résidence à Troyes, elle, directrice du CRL

Sylvie, travaille aussi au CRL, et son mari Jean

Marie « boude » !? Non, elle tourne ses cheveux en boucle, « l’hélice », je l’ai connu enfant, elle

est du village de ma mère où j’ai grandi

Jean-luc Englebert et sa femme Isabelle : il est illustrateur

Marie Labit (au chevalet) maintenant, elle travaille pour Elvire, auparavant, elle travaillait dans

l’édition et Elvire Brijon, elle était metteur en scène, avec ses deux chiens, très proche de Maria

Paul, papa de Mira, luthière maintenant

Anne Petters, l’amie de Bénédicte a fait beaucoup de gravure et a étudié les langues slaves, elle a

fait du théâtre d’ombres, c’est une amie à moi aussi

Némo, Claude, Lisa : personnages inventés

Jacques, un vieux monsieur … c’est un groupe de personnes pas une famille !500

17) 2000 : Le temps d’une lessive, Syros Jeunesse, collection Les petits voisins

- Format : rectangle haut, couleurs, avec texte, 28 pages.

497 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 498 Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 499 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 500 Ibidem.

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- Pages de garde : comme pour Le grand murmure. Le lecteur a l’impression d’ouvrir un

« programme » avec la photo et le nom des acteurs écrits dessus. Encore un livre « renver-

sant » et à retourner pour suivre les personnages « dans le bon sens ». Certaines pages suivent

le mouvement de rotation du tambour de la machine à laver. Par moments, les personnages

ont donc la tête en bas … comme les chiens dans Petites histoires.

- Des pistes de travail pour la classe : « Imaginer à partir de la réalité : Susciter l’imagination

des jeunes lecteurs, articuler texte et images, la cohérence d’un dialogue apparemment décou-

su »501

Mettre les dialogues sous forme de bulles de Bande Dessinée. Prêter attention à la ponctuation

des dialogues, aux verbes introducteurs de paroles … Qui parle à qui ?

Les relations texte / images. Comment les paroles des adultes et la vue du linge déclenchent

l’imagination des enfants. L’imaginaire dans la réalité !

a) Paroles de la mer, (textes recueillis par Jean Pierre KERLOCH), Albin Michel

Paroles de la mer : commande par quelqu’un que je connaissais chez Syros puis qui est allé travailler chez Albin

Michel. Il a pensé à moi par rapport à l’image, à l’ambiance. La succession d’images est liée avec les textes

mais n’est pas page par page, il y a une suite, une continuité, c’est un travail en continu, j’ai travaillé avec

toutes ces ambiances de la mer502

b) Demain les fleurs, (texte de Thierry LENAIN), Nathan

Thierry Lenain : envoi via un éditeur, 1er

texte envoyé « Julie capable », j’étais très occupée à ce

moment là et je n’ai pas bien lu le texte la première fois et j’ai pensé, « encore des chats ! ». Je

n’avais pas envie qu’on me colle une étiquette « chat », je n’avais pas saisi tous le sens. Cette his-

toire part du réel pour aller dans un truc symbolique. J’ai refusé.

Plus tard, je l’ai rencontré lui-même et il m’a proposé « demain les fleurs » et ensuite, je suis re-

venue sur « Julie capable ». Je ne l’avais pas lu correctement en premier.

J’étais arrivée au moment où je pouvais le faire : lire un texte, l’intégrer et en faire quelque chose

avec/par l’illustration. En tant qu’illustrateur, on est le premier lecteur.

Quand j’ai commencé, à mes débuts, j’aurais fait du découpage, image par image et cela n’a pas

d’intérêt. Quand j’ai pu le faire, j’étais prête et j’ai pu le faire autrement, au service du texte.503

Pourquoi est-ce Anne Brouillard et pas une autre auteure - illustratrice qui a réalisé les illustra-

tions de "Julie Capable" et "Demain les fleurs"?

Parce que j'avais envie que ce soit elle et qu'elle a accepté. Je trouvais que l'univers d'Anne, son

art pictural, ses couleurs et sa sensibilité convenaient complètement et parfaitement à ces textes.

Quand Anne accepte (et c'était la première fois qu'elle acceptait d'illustrer un auteur en ce qui

concerne Demain les fleurs, ce qui fut pour moi un honneur) elle prend les textes et revient un jour

avec les illustrations - et c'est très bien comme ça, c'est une solitaire.504

18) 2002 : Sept minutes et demie, Thierry Magnier, collection505

Tête de lard

501 Christine Houyel, Hélène Lagarde, Christian Poslaniec, Comment utiliser les albums au cycle 2 ?, éditions RETZ, 2005,

pages 87 Ŕ 88. 502 Extrait de l’entretien à Toulouse du 07/11/2010. 503 Ibidem. 504 Extrait de l’échange par e-mail avec Thierry Lenain du 14/11/2010. 505 « Ils ont en commun un format et une identité visuelle sur la couverture. » Claire Segura Ŕ Balladur et Évelyne Audureau,

Master 2 LIJE, Album pour la jeunesse, 2010, p. 7.

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Format : Petit carré (12 X 12), pages plastifiées, angles arrondis. Pour cette collection, c’est

toujours la même présentation et le thème est entièrement libre, 20 pages. Couleurs, avec texte.

c) Le placard à balai (gravures506

), journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de Bruxelles,

nouvelle écrite par Jacqueline HARPMAN507

d) Entre fleuve et canal, (texte de Nadine BRUN Ŕ COSME), Points de suspension

Rencontre avec Nadine Brun-Cosme : invitées toutes les deux. Moi ateliers de peinture, elle ate-

liers d’écriture, toutes les deux, promenade en barque, ensemble avec des conteurs et les enfants à

Amiens. Elle avait écrit sur « il va neiger » : elle écrit des petits livres sur les auteurs, des écrits

sur des lectures aux éditions du Seuil508

e) La déménagerie, (textes de Muriel CARMINATI, Patrick SPENS), Lo Païs d’Enfance

A. B. a croisé les deux auteurs sur un salon.

Je l’ai réalisé à la plume. J’ai d’abord visité le musée des sciences naturelles. J’aime bien ce

genre de travail de recherche …509

2003 : La grande vague, Grandir (nouvelle édition)

Format : grand rectangle haut (24,5 X 33), couleurs, sans texte, 36 pages.

« C’est le format qui est différent et le nombre de pages n’était pas correct pour Grandir. J’ai dû refaire la

couverture car j’avais perdu l’original ! Ce n’est pas évident de refaire la même chose, dans le même état

d’esprit, dix ans après, mon travail avait évolué … je ne peints plus pareil. »510

f) Le cri de la chouette, (illustrations), journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de Bruxelles,

nouvelle écrite par Caroline LAMARCHE511

g) Illustration de la couverture du n° 10, journal gratuit, hebdomadaire, La tribune de

Bruxelles, sur le sujet : Le bois de la Cambre512

h) Autre numéro sur le sujet : Le quartier des Marolles513

i) L’homme qui était sans couleurs, (texte de David LONERGAN), Bouton d’or d’Arcadie

David Lonergan : acadien, salon du livre à Dieppe, lui et son éditrice, vrai contact514

Pourquoi est-ce Anne Brouillard qui a réalisé les illustrations ?

Anne est venue présenter ses œuvres à deux reprises au Salon du livre de Dieppe (une banlieue de

Moncton). La directrice et fondatrice de Bouton d'or Acadie Marguerite Maillet et moi avions

beaucoup apprécié son travail. Quand j'ai soumis le manuscrit de L'Homme à Marguerite, nous

avons trouvé intéressant d'en offrir les illustrations à Anne parce que nous pensions qu'elle pouvait

créer des atmosphères autour du thème d'autant plus qu'il fallait (question budgétaire) que ce soit

en noir et blanc, sauf la page couverture. Le tout par courriel: elle a reçu le texte, a dit oui, a créé

les illustrations et nous les a envoyées.

506 « C’est la gravure qui m’a amenée au dessin. À l’envers … je me suis aperçue que je ne savais pas dessiner ! » Extrait de

l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 507 Voir Annexes. 508 Extrait de l’entretien du 07/11/2010 à Toulouse. 509 Ibidem. 510 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 511 Voir Annexes. 512 Ibidem. 513 Ibidem. 514 Extrait de l’entretien du 07/11/2010 à Toulouse.

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Nous pensions qu'Anne aimerait le caractère du conte philosophique. Nous aimions, Marguerite et

moi, beaucoup la façon dont elle créait ses œuvres: structure de l'image, mise en plan, type de des-

sin, utilisation du crayon.

Je me souviens d'avoir lu les livres qu'elle a présentés au Salon du livre, d'en avoir acheté

quelques-uns et de les avoir par la suite donnés. C'est moins un livre qui m'avait impressionné que

la façon dont elle créait ses atmosphères et construisait ses récits. J'aimais son imaginaire. 515

19) 2004 : Le chemin bleu, Seuil

Sélection Petite Fureur 2005

« Sépia gravure, rêve, souvenirs, rêve éveillé, narrateur son imaginaire de quand il était enfant,

histoires qu’il s’inventait et se poursuit d’une fois à l’autre. Imaginaire d’enfant, en classe par la

fenêtre de l’école, s’invente une histoire dans sa tête en rapport avec images de la réalité. (Petites

images en gravure) Codes inversés avec le pays du rêve. » 516

Dédicacé : « Merci à Samantha et à Martine. » « Il s’agit de Martine Lafond, éditrice avec qui j’ai

travaillé au Seuil et de Samantha Rémy, graphiste, maquettiste, qui travaillait au Seuil aussi. C’est elles qui ont

fait Le chemin bleu. »517

Format : rectangle haut, couleurs, noir et blanc, texte, 44 pages

j) Le gardien des couleurs, (texte de Gilles AUFRAY ), Grandir

Gilles Aufray, auteur plutôt adulte, de théâtre « les scènes croisées de Lozère »

Lui, invité en résidence d’auteur, lecture chez les gens, il devait avoir, cela devait aboutir sur une

production, et leur intention est de faire se rencontrer différentes personnes. Il devait intervenir

dans l’école du village. Il a écrit une amorce d’histoire, c’est le début du Gardien des Couleurs et

il a travaillé avec les enfants et l’institutrice. Là-dessus, contact avec l’éditeur Grandir à qui on a

proposé ce texte. Ils cherchaient un illustrateur. Grandir leur a proposé Anne Brouillard ! Je suis

allée sur place pour m’inspirer des lieux, et G. A. a étoffé l’histoire.

1ère

résidence : quelques jours, il m’a montré les lieux, j’ai dessiné la maison du G des C. Elle

existe, c’est une maison abandonnée, je l’ai dessiné sur place. Les gens venaient raconter

l’histoire des maisons. Beaucoup de maisons abandonnées qui appartenaient à une vieille dame en

maison de retraite mais elle avait promis à sa mère qu’elle ne vendrait jamais … Puis, pendant

des mois, chez moi, j’ai travaillé. Les plateaux de Lozère, une très belle région, le causse de Sau-

veterre etc …

En parallèle, ateliers de peinture à l’école pour faire une expo avec A. B.

2ème

fois, gite pour préparer l’expo avec les enfants

Lors du salon du livre, montage en diapos sur le texte avec les illustrations d’A. B. / Lecture du

texte faite par G. A.

Collection chez Grandir avec des rabats, des dépliants. Il fallait faire attention, possible sur cer-

taines pages à cause du montage du livre518

Le gardien des couleurs, comment ça s’est passé :

J’étais en résidence d’écriture en Lozère-résidence organisée par les Scènes Croisées de Lozère.

Dans le cadre de cet atelier d’écriture, j’ai écrit pour les enfants de l’école un conte : le gardien des

couleurs … j’ai alors propose le texte aux éditions grandir. C’est monsieur René Turc, qui m’a

proposé de travailler avec Anne Brouillard, « l’orage », que j’avais beaucoup aimé… Anne Brouil-

lard a passe quelques semaines de résidence à Saint-Georges de Lévéjac. Je lui ai montre les lieux

précis Ŕmaison, rues, chemins, gorges, foret- qui avaient inspiré (et pourquoi) l’écriture de

l’histoire du gardien des couleurs qui est une histoire qui se passe a Saint Georges de Lévéjac, vil-

lage perche au bord des gorges du Tarn. Anne brouillard a beaucoup dessiné et peint dehors Ŕ

dans les lieux dans lesquels j’avais quelques mois avant écrit … La nature et ses éléments lui par-

lent.519

515 Propos recueillis auprès de David Lonergan, le 20/10/2010 par e-mail. 516 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 517 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 518 Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 519 Courrier du 15/11/2010 depuis Londres.

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k) Julie capable, (texte de Thierry LENAIN), Grasset

Sélection Petite Fureur 2007

l) Rêve de lune, (texte d’Elisabeth BRAMI), Seuil

Elisabeth Brami : rencontré régulièrement sur des salons, elle m’avait raconté son histoire et je

voyais des images au pastel. Elle m’a envoyé une pré-maquette avec des découpages, des trous sur

un petit format allongé mais le livre a évolué autrement. J’avais besoin de plus de page pour déve-

lopper l’idée et elle a accepté. Echanges, collaboration, travail ensemble.520

- Participation à un ouvrage collectif, Un loup peut en cacher un autre, Sarbacane.

Chez Seuil : série de 4 :

En premier : Le pêcheur et l’oie puis Le voyageur et les oiseaux

Puis La famille Foulque et La vieille dame et les souris

C’est le pêcheur et l’oie qui a déclenché la famille foulque …521

Leur format : (moyen) rectangle haut, 28 pages

20) 2006 : Le voyageur et les oiseaux, Seuil

Elle s’est représentée dans Le voyageur et les oiseaux : « à table deux personnes qui commandent

deux dames blanches, on verse dessus le chocolat chaud soi-même, c’est Georges et moi ! » 522

21) 2006 : Le pêcheur et l’oie, Seuil

Sélection Petite Fureur 2006

m) Le vélo de Valentine, (texte de Christian FERRARI), Lirabelle

« Rien n’est précisé sur eux dans le texte, je n’avais pas envie de faire des personnages donc, c’est

plus drôle avec des animaux et chaque fois des animaux différents. Ludique ! »523

C'est nous, éditeurs, qui avons choisi l'illustratrice parce que nous apprécions son travail. Elle a eu

liberté totale pour l'illustration (pas de format imposé, pas de technique imposée et liberté de son

approche artistique).

Au départ, le VÉLO DE VALENTINE existait sous forme de chanson chantée par Philippe Rous-

sel sur un disque "Comptines et chansons", disque édité par Raymond et merveilles. Nous avons

pensé qu'il serait intéressant d'en faire un album très illustré pour la jeunesse. Nous avons soumis

cette proposition à Christian Ferrari. Nous avons ensuite contacté Anne Brouillard, qui par ailleurs

est musicienne. Elle a elle aussi tout de suite accepté.524

n) L’enfant de la cheminée, (texte de Jasmine DUBE), La Courte échelle

Le feu de la cheminée : au Canada à Montréal, j’accompagnais mon compagnon, régisseur de

théâtre, il était pour 3 semaines là-bas. J’ai contacté des éditeurs. Avec La courte échelle, tout

s’est enclenché très vite, contact avec une fille, une éditrice …525

Leur format : rectangle haut (23,5 X 31), 28 pages

22) 2007 : La famille foulque, Seuil

« Plume et pinceau, à l’ encre c’est plus léger. Importance du choix du papier plus mat »526

520 Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 521 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 522 Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 523 Ibidem. 524 Propos recueillis auprès d’Isabelle Ayme le 20/10/2010 par e-mail. 525 Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse.

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23) 2007 : La vieille dame et les souris, Seuil

o) Lilia, (texte de Nadine BRUN Ŕ COSME), Points de suspension

p) Le paradis des chats et autres nouveaux contes à Ninon, (recueil de nouvelles d’Emile

ZOLA), Hugo et Cie

Un homme que je connais a repris la collection du sorbier, label Hugo et cie.

Il m’a proposé ce texte de Zola, j’ai beaucoup aimé

C’est de la vraie littérature, j’ai adoré, j’ai travaillé très agréablement tout un été527

24) 2009 : Le rêve du poisson, Sarbacane

Format : rectangle haut (24 X 33), couleurs, avec texte, 36 pages.

Dédicacé à Gilles et Louise. « Ce sont les deux enfants d’une amie, auteure – illustratrice aussi, Geneviève

Casterman.528

C’est tout naturellement que j’ai pensé à eux. Par exemple, avec leur chambre, les poupées et les

constructions de légo … les relations entre ces deux enfants, leur rapport frère et sœur. D’ailleurs Gilles s’est

bien reconnu. Cela lui semblait tout naturel de se voir dans la dédicace. »529

« Encre et plume, beaucoup plus de traits. J’ai eu envie de pousser les images, le résultat est assez

glauque. Pour le gris violet pour le ciel, j’ai utilisé une encre fabriquée maison avec des noix de

galle qu’on m’avait offerte. »530

On avait déjà travaillé sur un album collectif avec elle : « Un loup peut en cacher un autre ». Elle

nous a présenté ce projet et on l’a choisit selon : Qualité, logique par rapport à notre catalogue ; On

travaille sur des albums atypiques, on a peu de collections chez Sarbacane ; Son univers : poétique,

étrangeté, qualité texte et image, intéressant, correspond à nos goûts, nos choix ; Son univers vi-

suel, onirique.

Nous sommes éclectiques : on choisit par rapport à la qualité du propos, du texte, on cherche un

véritable travail d’auteurs, par rapport à son univers visuel, textuel très différent, sa créativité, son

inventivité, son goût de l’inattendu : c’est ce qui relie tous nos albums édités sous diverses formes.

Sur ce projet là, le rêve du poisson, on a eu envie de la faire …

Le choix du papier531

: Mat, poreux, buvard : offset : plus agréable en main mais change les cou-

leurs ; Papier couché : légère couche de produit chimique, moins à la mode aujourd’hui qu’hier,

mais permet un meilleur rendu des couleurs. Donc, choisit ici par rapport à son travail tout en déli-

catesse, ses aquarelles, le rendu des couleurs et de la finesse de son travail.

Anne a une idée assez précise de ce qu’elle veut : mise en page variée, BD, pages sans texte, illus-

trations de pleine page, textes, …

La couverture : territoire de l’éditeur : servir à la promotion, commercial : ce qui fait vendre, ac-

crocheuse, interpelle, ne dit pas tout mais pas fausse par rapport au propos ; Lettrine : proposé par

éditeur, Anne est tout à fait réceptive.

Dans notre travail, nous cherchons la fraîcheur, elle vient avec son bagage mais on cherche à in-

venter quelque chose de nouveau ensemble, bien sûr elle s’appuie aussi sur sa propre histoire, Tra-

vailler avec un auteur, respectueusement, la pousser dans ses retranchements, en territoires incon-

nus, pour éviter le ronron, ne pas être répétitif, les mettre en difficultés, les aider à sortir des choses

d’eux … En tant qu’éditeur532

, on est le premier lecteur : on choisit ce qui nous plaît, ce qui a du

526 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 527 Rencontre du 07/11/2010 à Toulouse. 528 Geneviève Casterman a réalisé deux albums où Gilles et Louise sont les personnages : La saison des plumes, Hip hop.

« Elle a fait un album Rue de Praetere, c’est la maison où j’habitais quand j’étais à Bruxelles, dans son ancien atelier amé-

nagé en petit appartement pour moi !

Et maintenant, j’habite à Ostende … elle a aussi fait un album Costa Belgica, c’est drôle ! » 529 Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 530 Extrait de l’entretien téléphonique du 27/10/2010. 531 « Le type de papier choisi participe parfois pleinement de l’expression. » Sophie Van der Linden, La revue des livres pour

enfants, N° 214, op. cit., p. 60. 532 « L’éditeur est beaucoup plus important qu’il n’y paraît à première vue. (…) sa sélection dans la masse de la production

internationale correspond à une intention. (…) Il partage leur enthousiasme, les soutiens dans leurs audaces ou tempère leurs

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sens pour nous. Alors, on décide de travailler ensemble, d’aider cet artiste, de l’accompagner dans

la mise en scène de son projet. 533

25) 2010 : L’autre côté du lac, Le Sorbier

Format : long rectangle allongé, couleurs, avec texte, 36 pages.

Dédicacé pour Ambre : La fille de ma sœur plus jeune, mon unique nièce qui a 3ans et demie. Le chat blanc

Alpha, c’est son chat. »534

C’est une histoire de points de vue. Une fille, sa tante et leurs chats habitent d’un côté du lac. Cet

album est aussi inspiré de la Suède, le même lac que la terre tourne ! C’est sa lumière …

Au début, à l’époque, plus de peinture, plus flou, arbres moins identifiables, puis … reprise de

l’histoire et j’ai pensé : quelque chose ne va pas !

Dans un autre contexte : le livre de ma vie avec tous les personnages de la terre tourne mais ce

n’est pas celui là

Les animaux et les êtres humains sont sur un même pied d’égalité, ils ont même la même taille …

Ici, remis dans un contexte plus réel, un enfant ne va pas habiter seul ! Donc, j’ai mis sa tante et

leurs 2 chats … au départ, une histoire d’observation de l’autre côté du lac : quelque chose qu’ils

voient mais qu’ils n’identifient pas … ils partent voir … De l’autre côté, ils voient leur maison et

quelque chose qu’ils n’identifient pas …

Les saisons changent, à un rythme très lent mais, le résultat était déséquilibré !

J’ai fait un trajet plus long, plus détaillé, car c’est quelque chose d’important dans le chemine-

ment de l’histoire

Quelque chose d’autre sur le plan humain de l’autre côté du lac, j’ai mis une « plaine » de jeu

avec un toboggan, des balançoires … et un autre enfant qui habite dans une des maisons qu’ils

voient, celle avec une barque jaune et d’ailleurs, cela leur permet de revenir en barque sur le lac

car ils vont sympathiser …

Les chats et les humains parlent aussi, les chats font leurs commentaires mais on ne sait pas réel-

lement s’ils parlent, comme si on ne pouvait pas s’imaginer qu’ils parlent car les humains ne ré-

pondent pas directement au chat. Par exemple au moment de faire les sandwichs : plus de jambon,

pas de cornichons avec le pâté parce que j’aime pas ça … On ne sait pas s’il le dit réellement ou

pas, ce sont des commentaires drôles. Il est intéressé uniquement par le panier à pique-nique !

Les points de vue, j’y ai pris énormément de plaisir, je l’ai fait de façon concentré de l’été à no-

vembre 2010. Pendant cette période, dans les dessins, des choses ont bougé mais je n’ai pas pu al-

ler plus loin … ! Je n’ai pas encore le recul, de cet album, mais il s’en dégage de l’énergie car je

l’ai fait dans un temps moins dilué.

Je suis très attachée à ces lieux, ces personnages

Le lac en Suède, le même que pour la terre tourne, album que j’ai fait sans stress … à côté de ce

fameux lac Teåkersjön dans la commune à Dalskog J’ai peint La terre tourne à l’eau du lac535

excès. » Michel Defourny, in images des livres pour la jeunesse, lire et analyser, éditions thierry Magnier, Scérén, CRDP de

Créteil, 2008, p. 11. 533 Extrait de l’entretien téléphonique du 17/11/2010 avec Mr Frédéric Lavabre. 534 Extrait de l’entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 31/01/2011. 535 Entretien avec Anne Brouillard du 07/11/2010 à Toulouse lors du salon « vivons Ŕ livre ».

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Bibliographie sélective

Cours

Évelyne Audureau et Claire Segura Ŕ Balladur, L’album de littérature de jeunesse, point de

vue graphique et iconographique, Master 2 LIJE, 2009-2010

Christine Plu, L’illustration littéraire et les relations « texte-image », Master 2 LIJE

Édwige Chirouter, Philosophie avec les enfants et littérature de jeunesse. Apprendre à philo-

sopher dès l’école primaire grâce à la lecture de récits, MASTER 2 LIJE, 2010-2011

Ouvrages

Didactiques

Christian Poslaniec et Christine Houyel, Activités de lecture à partir de la littérature de jeu-

nesse, Hachette éducation, 2000

C. Poslaniec, C. Houyel, H. Lagarde, Comment utiliser les albums en classe, éditions Retz,

2005

Sophie Van der Linden, Lire l’album, éd. L’atelier du poisson soluble, mai 2006

J. F. Massol, in Texte et images dans l’album et la bande dessinée pour enfants, Scérén,

CRDP Académie de Grenoble, 2007

Catherine Tauveron, Lire la littérature à l’école, Hatier, 2002

Marie Ŕ Hélène Routisseau, Des romans pour la jeunesse ?, Belin, 2008

Éric Albert, Le mouvement, éditions L’iconograf, Scérén crdp Alsace, 2007

Théoriques

Johannes Itten, Art de la couleur, Dessain et Tolra, 1961

Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, PUF, 2004

Gaston Bachelard, L’eau et les rêves, Le livre de poche, Librairie José Corti, 1942

Gaston Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Librairie José Corti, Les Massicotés,

1948

Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu, éditions idées/Gallimard, 1949

Maurice Louis Tournier, L'imaginaire et la symbolique dans la Chine ancienne, éditions

L'harmattan, 1991

Gérard Genette, Figures I, éditions du Seuil, essais, 1966

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Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, Nathan Université, collection 128, 1993

Lucien Dällenbach, Le récit spéculaire, Essai sur la mise en abyme, éditions du Seuil, Collec-

tion poétique, 1977

Jean Rousset, Dernier regard sur le baroque, Les essais, José Corti, Paris, 1998

Michel Pastoureau, L’étoffe du diable, une histoire des rayures et des tissus rayés, La librairie

du XXe siècle, Seuil, 1991

Michel Pastoureau, Bleu : Histoire d’une couleur, Histoire, collection Points, 2002

Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Le petit livre des couleurs, éditions du Panama,

2005

Michel Pastoureau, Les couleurs de nos souvenirs, éditions du Seuil, 2010

Les fondamentaux de la couleur, L’art du dessin, éditions Gründ, 2006

Les fondamentaux, les techniques de l’artiste, l’art du dessin, Gründ, 2005

W. Kandinsky, L’esthétique de la solitude », in P. Kaufman, L'expérience émotionnelle de

l'espace, éditions Vrin, collection Problèmes et controverses, 2000

Umberto Eco, Lector in fabula, Éditions Grasset, 1979

Harry Morgan, Les principes des littératures dessinées, éditions de l’An 2, 2003

Sous la direction de Cécile Boulaire, Le livre pour enfants, Regards critiques offerts à Isa-

belle Nières-Chevrel, PUR, collection « Interférences », 2006

Textes réunis et présentés par C. Connan-Pintado, F. Gaiotti et B. Poulou, L’album contem-

porain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs ?, PUB, Modernités 28, 2008

Sous la direction de A. Lorant-Jolly et S. Van der Linden, Images des livres pour la jeunesse,

lire et analyser, éditions Thierry Magnier, Scérén, CRDP Créteil, 2008

Philippe Costa, Petit manuel pour écrire des haïku, Picquier poche, 2010

René Etiemble, Du haïku, éditions Kwok On, collection « Culture », Paris, 1995

René Sieffert, Bashô, Le manteau de pluie du singe, P.O.F., collection « Poètes du Japon »,

Paris, 1986

Sous la direction d’Annie Renonciat, L’image pour enfants : pratiques, normes, discours,

PUR, La Licorne, 2007

Colloques

Patrick Joole, Les albums d'Anne Brouillard, un miroitement aquatique, colloque sur l'album

de Clermont, actes à paraître aux Presses Blaise Pascal.

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Michel Defourny, Voyage en littérature jeunesse, Lire les images, Institut suisse Jeunesse et

Médias, 2007

Textes réunis et présentés par Isabelle Nières-Chevrel, Littérature de jeunesse, incertaines

frontières, colloque de Cerisy, Gallimard Jeunesse, 2005

L’enfance à travers le patrimoine écrit, actes du colloque, Annecy, 18 et 19 septembre 2001

Littérature

Claude Simon, Le vent, Les éditions de minuit, 1975

André Dhôtel, Le pays où l’on n’arrive jamais, éditions Folio Junior, 2001

Maylis de Kerangal, naissance d'un pont, éditions Gallimard, 2010

Victor Hugo, Œuvres complètes, volume 1, Odes, Rêves III, Société typographique belge,

1837

L’Avare (1668), Citations de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière.

Louis Gauthier, Les grandes légumes célestes vous parlent, 1973

L. Frank Baum, Le magicien d’Oz, Librio, Flammarion, 2003

Jean Hansen, Hubert ou le chemin bleu, La bougie du Sapeur, 1991

Tove Jansson, Le livre d’un été, Bibliothèque Albin Michel, 1978

Baudelaire, Les Fleurs du Mal, IV

David Lodge, Un tout petit monde, éditions Rivages, 1992

Jacques Prévert, En sortant de l’école, 1946

Claude Roy, Le chat qui parlait malgré lui, Gallimard, 1997

Émile Zola, Le paradis des chats et autres contes à Ninon, Anne Brouillard, éditions Hugo et

compagnie, Paris, 2009

Lewis Carroll, « Alice au pays des merveilles » in The Complete Works, Collector’s Library

Editions, London, 2005

Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, Gründ, 1985

Gilles Clément, Thomas et le voyageur, éditions Albin Michel, 2011

Mary Poppins, Pamela Lyndon Travers, Le livre de poche jeunesse, 1980

Thomas Vinau, Tenir tête à l’orage, éditions N&B, Tournefeuille, 2010

Daniel Leduc, Le livre de l’ensoleillement, éditions N&B, Aubenas, 2003

Jean Ŕ claude Mourlevat, La rivière à l’envers, Pocket jeunesse, Tomek, 2000 et Hannah,

2002

Stefan Zweig, préface de Romain Rolland, Amok, Livre de poche, 2001

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Daniel Pennac, Comme un roman, éditions Gallimard, collection Folio, 1995

Irène Frain, La forêt des 29, éditions Michel Lafon, 2011

Dictionnaires

Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, éd. Robert Laffont / Jupiter,

novembre 1996

Dictionnaire Le littré.

Dictionnaire des concepts philosophiques, sous la direction de Michel Blay, Larousse, CNRS

éditions, 2007

Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Union générale d’éditions, collection 10/18,

1984

Bande-dessinée

Les bijoux de la Castafiore, Hergé, éditions Casterman, 1963

Tove Jansson, Moomin, The complete Tove Jansson comic strip, D&Q, 2010

Roman Graphique

Olivier Ka et Alfred, Pourquoi j’ai tué Pierre, Delcourt Mirages, 2006

Revues

Patrick Borione, Hors cadre[s] n° 3

Rencontre avec Anne Brouillard, Nicole Nachtergarle, Alice, N° 2, Printemps 1996

Enfantin ! Revue Hors cadres[s] n° 6, Yann Fastier

Hors cadre[s], n° 1, Sophie Van der Linden

La revue des livres pour enfants, N°191, février 2000

La revue des livres pour enfants, L’analyse des livres d’images, N°214, décembre 2003

Nous voulons lire !, N°176, septembre 2008

Articles

Sophie Van der Linden, Les albums sans texte sont de grands bavards

Christian David, compte rendu « rencontres d’auteurs », XIIIe journée du livre d’Orthez,

CDDP d’Orthez, 9 octobre 2008

Page 195: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

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Albums

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Jean Baptiste Cabaud et Fred Bernard, Le petit inconnu au ballon, Le baron perché, 2007

Joel Guenoun, Tout change tout le temps, Circonflexe, 2007

Sitographie

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Ouvrages consultés

Ouvrages

Didactiques

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cycles 2 et 3, Scérén, CRDP Midi-Pyrénées, 2010

J. Boussion, . Schöttke, C. Tauveron, Apprendre à lire, bâtir une culture au CP, une année

de lectures, Hachette éducation, 1998

C. Poslaniec, Pratique de la littérature de jeunesse à l’école, Hachette éducation, 2003

C. Poslaniec, Donner le goût de lire, éditions du Sorbier, 2001

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197

D. Alamichel, Albums, mode d’emploi, Argos démarches, CRDP Créteil, 2000

R. Stoecklé, L’album à l’école et au collège, éditions l’École, 1999

Théoriques

Edited by P. Bundgaard and F. Stjernfelt, Signs and meaning, 5 questions, Automatic Press,

2009

Groupe Mu, Traité du signe visuel : pour une rhétorique de l’image, éditions Seuil, collection

La couleur des idées, 1992

M. Miyamoto, Traité des cinq roues, Albin Michel, 1983

C. Poslaniec, Des livres d’enfants à la littérature de jeunesse, Découvertes Gallimard, 2008

D. Rateau, Des livres d’images, pour tous les âges, éditions érès, 2001

D. Maja, Illustrateur jeunesse, comment créer des images sur les mots ?, éditions du Sorbier ,

2004

G. Genette, Figures II, éditions du Seuil, 1969

G. Genette, Figures III, éditions du Seuil, 1972

H.R. Jauss, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, 1998

M. Jimenez, Qu’est ce que l’esthétique ?, Gallimard, 1997

G. Bachelard, L’Air et les Songes, Librairie José Corti, 1943

Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, Didier Jeunesse, Collection

Passeurs d’histoires, 2009

B. Ferrier, Tout n’est pas littérature !, PUR, 2009

M. Picard, La lecture comme jeu, Les éditions de Minuit, collection « Critique », 1986

M. Durand, G. Bertrand, L’image dans le livre pour enfants, l’École des Loisirs, 1975

Dictionnaires

M. Pastoureau, Dictionnaire des couleurs de notre temps, Symbolique et société, Bonneton,

1999

M. Aquien et G. Molinié, Dictionnaire de réthorique et de poétique, La Pochothèque, 1999

R. Lejonc, Quelles couleurs !, éditions Thierry Magnier, 2009

Revues

Cahiers pédagogiques, Images, N°450, février 2007

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Quelques pages du carnet de croquis de La terre tourne 536

La lecture des pages de son carnet montre bien comment Anne Brouillard réfléchit sur

son propre travail. Tout au long de sa démarche créatrice, elle analyse et réajuste continuelle-

ment ses idées et le résultat attendu avec les possibilités « infinies » que lui offre l’album bien

que « certaines choses soient malgré tout impossibles ! ». 537

Nous les présentons ici dans leur

ordre chronologique, au fil des pages et des jours, autour de La terre tourne.

Avril 1997

Au début du projet, Anne Brouillard avait

l’intention d’organiser les illustrations de

pleine page « dans une journée » et tout

concourait vers l’illustration centrale « la

fête ». Cela donnait donc une lecture des-

cendante jusqu’à la fête : du début au

centre et de la fin au centre. Dans le sens

de lecture occidental, le lecteur descen-

dait « le temps » pour le remonter en-

suite, de l’après midi à l’après midi.

Parallèlement, le temps se déroulait sur

une année, au fil des mois, de novembre

à octobre. « Douze doubles pages, donc

douze mois ! Mais aussi, douze

heures ! » Elle voulait inclure la notion

de temps qui passe dans une journée

(matin, midi, soir), au rythme des heures,

dans une année, au fil des mois. « Ça

devenait déjà très compliqué ! ».

536 « Tout y est … » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris. 537 Ibidem.

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199

La réflexion sur le temps qui passe dans

une journée continue pendant que les

illustrations prennent forme. Les vi-

gnettes des fausses pages apparaissent.

Les liens se créent. Les doubles pages

illustrées prennent corps. L’idée initiale

sur les moments « précis » d’une journée

reste fortement marquée. Certains des-

sins se reconnaissent déjà.

Les mots prennent place, les idées se

verbalisent et se dessinent. Les person-

nages se positionnent dans les pages et

dans le temps. La lecture de l’album

reste orientée vers le centre de l’album :

la fête. Sur la page de gauche, naît l’idée

des neuf cadeaux collectés. Les vignettes

commencent à être nommées.

« Là, ça devenait vraiment trop compli-

qué ! ». Elle essaie de rassembler toutes

ses idées. Les transformations se dessi-

nent. Le thème de la porte prend forme

et sens. Sur la table de la fête, il y aura

tous les objets collectés réunis. Cepen-

dant, le sens de lecture évolue, « les

deux flèches descendent ». « Autrement,

c’était impossible ! »

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200

Les pages de gauche se construisent …

les vignettes de bas de page sont en

cours de réalisation. « Tout y est … ».

Après un intermède Mystère, Anne

Brouillard revient à La terre tourne. Le

texte s’inscrit sur les lignes du carnet, le

chemin de fer prend sa forme circulaire.

Dans les pages suivantes, l’album, tel que

le lecteur va le découvrir, se matérialise

et les liens s’installent.

Page 201: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

201

Après La terre tourne, Anne Brouillard

réalisera L’orage … « Je travaille toujours plusieurs projets en même temps. La date d’édition

ne correspond pas forcément à l’ordre dans lequel j’ai crée mes albums. Pour certains, je

passe beaucoup de temps … alors, j’en crée d’autres entre temps. »

Après un intermède L’orage, Anne Brouillard

revient à La terre tourne.

Les personnages sont listés et nommés. La

fête est toujours centrale avec un sens de lec-

ture en amont et en aval. La narration ima-

gière s’installe de plus en plus sur les pages

de gauche. Les saisons apparaissent.

Page 202: Comment l’œuvre d’Anne Brouillard peut s’organiser en ...lewebpedagogique.com/minenashi/files/2014/10/211-p1.pdf.1.pdfAnne Brouillard 2 est « l’un des très grands talents

202

Au fil des pages, le texte …

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203

« Le texte ne parle pas des personnages. »

À la lecture des mots, des phrases, des textes écrits par Anne Brouillard, au fur et à

mesure de son inspiration, sur son carnet, le lecteur ressent les résonnances « lexicales ».

Toutes ses sensations se ressentent dans tous ses albums. Elle les couche sur le papier, sur et

entre les lignes de ses carnets pour ensuite les essaimer dans les pages de ses albums, tout

naturellement.

Quelques illustrations et gravures sur le journal La tribune de Bruxelles

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204

L’HEBDO DE LA LIBRE BELGIQUE DU 30/1/2003 ET DE LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS DU

31/1/2003 - GRATUIT 1ère ANNÉE - N° 10 538

Bois de la Cambre : TBX relance le débat.

538 « Ils ont été très satisfaits de mon illustration pour la couverture du journal car elle représente exactement la photo qu’ils

recherchaient. » Extrait de l’entretien avec Anne Brouillard du 10/03/2011 au jardin du Luxembourg à Paris.

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205

TBX 002, La Tribune de Bruxelles 2002

FEUILLETON, Le Placard à balais par Jacqueline Harpman, Chapitre 2

TBX 020, La Tribune de Bruxelles 2003.

FEUILLETON, Le Cri de la chouette par Caroline Lamarche, Chapitre 1

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206

Le chemin de fer de La terre tourne

« Le chemin de fer »539

nous permet de visualiser le fil conducteur qui relie les illustrations et

l’équilibre des pages de l’album.

Première de couverture

L a t e r r e t o u r n e Anne Brouillard

Un cercle lumineux / Une porte vitrée

(traits de mouvement circulaire)

Dans les mêmes tons jaune Ŕ orangé

Assis sur le pas de porte :

1 chat jaune, 2 canards

Sur une branche : 2 corbeaux

En bas à droite : 1 chien noir tenant un ballon

de baudruche rouge

Au centre : 1 personnage (vêtu de bleu) te-

nant deux fleurs roses

Sur fond sombre :

1 chat noir allongé sur une branche

2 personnages assis sur un banc

(l’un (en rouge) porte un gâteau

l’autre (en vert) un coffret)

Ces 10 personnages semblent poser, attendre

quelqu’un ou un évènement.

Les 3 êtres humains sont souriants et ont des

présents.

Tous regardent vers le lecteur.

Deuxième de couverture

Page vierge d’écriture dans les tons ocre :

couleur de la terre.

Page de garde

Page vierge d’écriture dans les tons ocre :

couleur de la terre.

Fausse page de titre

Dédicace

Éditeur

ISBN

Loi de 1949

Imprimeur

Page de titre

L a t e r r e t o u r n e

Anne Brouillard

Illustration sur fond blanc :

Reste du gâteau après le repas, la fête … sur

le plateau à pied

4 verres : ils ont bu du champagne … ils ont

célébré un heureux évènement … Les 3

verres à pied sont pour les 3 adultes, la tim-

bale pour l’enfant.540

Le Sorbier

539 E. Audureau et C. Balladur, op. cit., p. 19. 540 Entretien téléphonique avec Anne Brouillard du 01/07/2010 : « J’ai dessiné une variante de verres par plaisir de graphisme.

C’est plus rigolo de dessiner quelque chose d’un peu spécial ! »

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207

Page 4

Une lumière

blanche (p. 5)

passe à tra-

vers la porte

vitrée

Texte : 9 lignes

9 phrases

1 2 3 4 5 1 bébé

dans un

rond

lumineux

p. 26/27

2 ronds

lumineux

quelques

taches

blanches

Zoom

arrière

De plus

en plus

de

taches

blanches

Rocher

noir

sous la

neige :

page 5

L’œil du lecteur s’éloigne, le point de vue

change, l’horizon s’agrandit : la création de

l’univers

Page 5

Paysage sous la neige avec une lumière

blanche.

En arrière plan : des montagnes (vert et noir),

un barrage au centre

un viaduc, un train à vapeur : à droite

Deux corbeaux sur la neige, une maison

3 roulottes tirées à cheval partent vers la

droite

Un personnage en rouge salue de la main

gauche, une valise posée à côté de lui

Au premier plan : sur des rochers noirs (vi-

gnette 6) un tronc d’arbre marron et un chien

noir assis

Page 6

Lumière du

jour (celle de

la page 7)

Texte : 6 lignes

1 phrase

6 7 8 9 10

Rocher

et

neige :

page 5

Le roc

se

déforme

et se

strie

Puis,

donne des

ombres

qui

s’allongent

Et devien-

nent des

arbres ou

des im-

meubles

Immeubles

p. 7

Évolution Ŕ déformation de la matière : du

rocher aux immeubles

Page 7

Paysage de ville en plein jour

En arrière plan : décor verdoyant, deux col-

lines avec un bâtiment au sommet, dans la

vallée, au centre : une centrale nucléaire

Des maisons, le viaduc et le train à droite

Un paysage urbain avec des cheminées

d’immeubles (vignette 10), à droite, à la fe-

nêtre : une femme en bleu et un chat jaune

Au premier plan : les deux corbeaux à la fe-

nêtre entrouverte (l’un entre)

De chaque côté d’une table ronde, une nappe

rouge tachetée de blanc (vignette 11) le per-

sonnage rouge assis dessine une maison, le

chien noir debout sur une chaise décore le

gâteau avec ses pattes avant (mains)

Page 8

Lumière du

clair de lune

(décor noc-

turne p.9)

Texte : 8 lignes

3 phrases

11 12 13 14 15 16 Mor-

ceau

de

nappe

p.7

Motifs

blancs

s’étirent

Devien-

nent

des

reflets

sur

l’eau

Qui s’

alignent

vertica-

lement

La

lune

et

son

reflet

sur

l’eau

La

lune

dans

le

ciel

p. 9

Page 9

Paysage lacustre nocturne

Premier croissant de lune (vignette 16 et 17)

et ciel bleuté - étoilé

En arrière plan : une forêt, un château der-

rière le viaduc à droite

Sur le viaduc : une charrette, un personnage

en vert et son bagage

Au bord du lac : une maison-phare éclairée

Sur le lac, deux bateaux : l’un porte : la va-

lise, les deux corbeaux sur l’arbre, l’homme

en rouge et le chien noir assis ; l’autre porte

la femme en bleu (qui rame) et son chat

jaune assis

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208

ÉvolutionŔ transformation des motifs de la

nappe, en reflet de la lune sur l’eau. Le re-

gard s’éloigne et monte vers la lune.

Au premier plan : le reflet du décor, de la

lune et des étoiles dans l’eau du lac (vue en

plongée)

Page 10

Porte entrou-

verte Lumière vive

du manège (p. 11)

Texte : 5 lignes

1 phrase

17 18 19 20 21 La lune,

(p. 9)

les

étoiles

et le

vent

Devient

un tour-

billon

Un

lave

linge

Gros

plan sur

le hublot

du lave

linge

Une tasse

à café

(p. 11)

ÉvolutionŔ transformation de la lune et des

étoiles en tourbillon, en tambour de machine

à laver le linge, en café dans une tasse

Page 11

En arrière plan : des arbres penchés vers la

droite et une plaine jaune

Deux trains éclairés (vignette 22) passent

sous le viaduc

Deux canards sont sur le viaduc

Un manège qui tourne : le chien noir est dans

un avion ; l’homme en rouge est sur un che-

val ; la femme en bleu tient un ballon de

baudruche rouge

A côté, le chat jaune debout accueille la

femme en vert, une valise posée à côté d’elle

Au premier plan : sur une table ronde (vue en

plongée) : deux corbeaux boivent une coupe

de champagne (leurs ailes sont des mains) ; à

côté une tasse à café bleue (vignette 21)

Page 12

Porte entrou-

verte Éclairage de

l’intérieur de la mai-

son

Texte : 6 lignes

3 phrases

22 23 24 25 Le train

et ses

ombres

(p. 11)

Les

fenêtres

du train

Une

clôture

Le

portail

(p. 13)

Évolution Ŕ déformation du train, en clôture

et en portail

Page 13

Paysage vallonné en bord d’un canal

En arrière plan : à gauche la clôture et le por-

tail (vignette 25) ; à droite : le train éclairé

sur le viaduc ; le chat noir assis sur l’écluse ;

les reflets des nuages sur l’eau (vignette 26)

Une péniche au bord du canal

Au premier plan : une maison éclairée

Devant : femme en bleu et son chat jaune

cueillent des fleurs ; personnages rouge et

vert boivent un café assis autour d’une table

(valises posées) ; chien noir lit le journal as-

sis ; cafetière rouge sur table ronde, deux

corbeaux et deux canards

Page 14

Lumière de l’extérieur

jaune ; de chaque cô-

té : une chaise posée

sur une table

Texte : 6 lignes

2 phrases

26 27 28 29 30 31 Reflet

des Un

peu Plus

vert Devient

des Plus

abstrait Branches

d’arbre

Page 15

Ciel bleu avec des gros nuages blancs

Décor de village ; le viaduc et le train passent

à travers sur toute la largeur

Au premier plan : une maison à étage orange

et bleue (fermée) avec un hublot (vignette

32) : la femme en vert regarde à l’intérieur

par la fenêtre (valise posée) ; la femme en

bleue tient un petit gilet jaune, son chat jaune

à côté ; l’homme en rouge (valise posée) tient

une échelle contre l’arbre (vignette 31), le

chat noir est allongé en haut de l’échelle ;

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209

nuages

sur l’eau

p. 13

plus

vert

feuilles p. 15

Évolution Ŕ déformation du reflet des nuages

dans l’eau en branches de l’arbre

chien noir assis à côté de l’arbre ; deux ca-

nards devant la maison ; deux corbeaux en

hauteur à gauche : les dix personnages sont

réunis

Page 16

Lumière jaune du

soleil

Deux fauteuils posés

devant la porte

Texte : 7 lignes

4 phrases

32 33 34 35 36 37 Hublot

de la

maison

p. 15

Hublot

d’un

bateau

(on

voit la

mer)

On

s’éloigne :

on voit

deux

hublots

On se

rapproche :

on voit en

bateau en

mer

On se

rapproche :

on voit un

bateau et

le soleil

Le soleil

devient :

projecteur

du ciné-

ma p. 17

L’œil du lecteur s’éloigne et se rapproche, le

point de vue change du hublot au soleil Ŕ

projecteur (de cinéma)

Page 17

Ils sont tous installés dans une salle de ciné-

ma

En arrière plan : deux portes avec deux hu-

blots éclairés ; au centre le projecteur de la

caméra (vignette 37)

Ils regardent vers l’écran (vers le lec-

teur) souriants, sauf le chien noir qui lit le

journal (vignette 38)

Page 18

Lumière

jaune

Texte : 3 lignes

2 phrases

38 39 40 41 42 43 44 Page de

journal :

écriture

abstraite

p. 17

Écriture

étirée

Devient

un

tronc

d’arbre,

des

lignes

et des

traits

des

traits

presque

hori-

zontaux

des

traits

hori-

zontaux

une

voie

ferrée

p. 19

Évolution Ŕ déformation de l’écriture du

journal en rails du train

Page 19

La scène se passe dans le train : les person-

nages partent en voyage

La voie ferrée traverse la page en hauteur

(vignette 44)

Les arbres sont inclinés par le vent

Une maison rouge

Dans le train : certains discutent, d’autres

regardent dehors, les deux chats ont

un « mug » posé sur la tablette (vignette 45)

Page 20

Porte entrou-

verte ; lu-

mière jaune

Texte : 2 lignes

1 phrase

45 46 47 48 49 Mug rayé

rouge et

blanc p. 19

Gros

plan sur

la tasse

Forme et

rayures

évoluent

Devenant

un phare

vu de

plus loin

p. 21

Page 21

La scène se passe au bord de la mer

En arrière plan : le phare (vignette 49) et

l’arrivée d’un paquebot de croisière

Le train sur le viaduc coupe la page en lar-

geur

Au premier plan : les personnages à la plage :

certains se baignent, d’autres mettent des

coquillages dans un coffret (p. 22), le chien

noir assis tient les chaussures de la femme en

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210

Évolution Ŕ transformation du « mug » rayé

rouge et blanc en phare

vert

Page 22

Illustration double Ŕ

La scène se passe

En arrière plan : des montagnes

En haut à gauche : le viaduc se termine, ter-

minus du train, les voyageurs descendent, on

voit une tour carrée

Au premier plan : les personnages arrivent

sur l’île en bateau : la femme en vert porte la

valise, les deux corbeaux sur le bout du ba-

teau, l’homme en rouge marche sur l’île et

porte le gâteau

Sur l’autre bateau : le chat noir allongé, les

deux fleurs, la femme en bleu, le chat jaune

assis, le ballon rouge

Les deux canards nagent et le coffret flotte

derrière eux

Tous les personnages vont vers la droite

(vers l’île)

Page 23

page à fond perdu

dans un décor lacustre

En arrière plan : une forêt et deux bâtiments

Sur l’île, on trouve : des arbres, une table

rectangulaire vide, avec une nappe rouge et

huit chaises vides autour

Le chien noir assis les attend, il tient une

valise, il regarde vers la gauche (vers les per-

sonnages qui arrivent)

(jeu d’ombres et de lumière, le décor se re-

flète dans l’eau du lac)

Page 24

Illustration double -

La scène se passe autour de

En arrière plan :

Gros plan et vue en plongée sur la table et

Sur les chaises, on trouve assis :

la femme en vert, un corbeau, le chien jaune,

l’homme en rouge

Sur la table, on trouve :

des assiettes et des verres,

un canard, le journal (p. 17), la peinture de la

maison (p. 7), un dessin, une algue, le gâteau

(p. 7), un pichet jaune

Page 25

Page à fond perdu

la table à nappe rouge sur l’île

les arbres

les personnages rassemblés regardent à droite

la femme en bleu, le chien noir

Sur un dossier de chaise : un corbeau avec un

verre à pied

Il y a une chaise vide avec le ballon rouge (p.

11) accroché

le chat noir allongé, un canard, des coquil-

lages (p. 21), une algue, le coffre (p. 21), une

clef, les deux fleurs roses (p. 13) dans un

vase, le petit gilet jaune (p. 15)

Page 26

Texte : 9 lignes

5 phrases

50 51 52 53 54 55 Un

tronc

d’arbre

L’œil se

Gros

plan

qui

Le vi-

sage

Le vi-

sage est

plus net,

Page 27

Décor boisé, allée d’arbres, la lumière se

reflète au sol

En arrière plan : gros plan sur la porte vitrée

éclairée de l’intérieur

Un petit garçon souriant l’ouvre vers

l’extérieur

Il s’avance vers le lecteur, l’allée va vers la

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parmi

d’autres

avec un

nœud

(p. 25)

rapproche

du nœud

de l’arbre

sur le

nœud

de

l’arbre

devient

un

visage

devient

plus

lumineux

lumineux

et sou-

riant

(p. 4)

Évolution et travelling avant : l’œil du lec-

teur se rapproche du nœud de l’arbre qui de-

vient un visage souriant (enfant p. 27) et (bé-

bé : vignette 1)

gauche (page 25 : les autres personnages

regardent vers la droite)

Page de garde

Page vierge d’écriture dans les tons ocre :

couleur de la terre.

Troisième de couverture

Page vierge d’écriture dans les tons ocre :

couleur de la terre.

Quatrième de couverture

Le titre

Texte amorce :

les trois premières phrases de l’album mais,

avec une fin ouverte (par les trois points de

suspension) pour donner envie de découvrir

la suite.

Prix

ISBN

Code barre

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Paroles de la chanson de Jacques Prévert En sortant de l’école (1946) 541

Paroles de la chanson de Grand Corps Malade Les voyages en train (2006) 542

J'crois que les histoires d'amour C'est comme les voyages en train

Et quand j'vois tous ces voyageurs Parfois j'aimerais en être un

Pourquoi tu crois que tant de gens attendent sur le quai de la gare ?

Pourquoi tu crois qu'on flippe autant d'arriver en retard ?

541 Source : http://pedagogite.free.fr/poesie/sortant_ecole.pdf 542 Source : http://www.paroles-musique.com/paroles-Grand_Corps_Malade-Les_Voyages_En_Train-lyrics,p18053

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Les trains démarrent souvent au moment où on s'y attend le moins

Et l'histoire d'amour t'emporte sous l'œil impuissant des témoins

Les témoins c'est tes potes qui te disent au-revoir sur le quai

Et regardent le train s'éloigner avec un sourire inquiet

Toi aussi tu leur fait signe et t'imagines leurs commentaires

Certains pensent que tu te plantes et qu't'as pas les pieds sur terre

Chacun y va de son pronostic sur la durée du voyage

Pour la plupart le train va dérailler dès le premier orage

Le grand amour change forcément ton comportement

Dès le premier jour faut bien choisir ton compartiment

Siège couloir ou contre la vitre y faut trouver la bonne place

Tu choisis quoi ? Une love story d'première ou d'seconde classe ?

Dans les premiers kilomètres tu n'as d'yeux que pour son visage

Tu calcules pas derrière la fenêtre le défilé des paysages

Tu t'sens vivant, tu t'sens léger et tu ne vois pas passer l'heure

T'es tellement bien que t'as presque envie d'embrasser le contrôleur

Mais la magie ne dure qu'un temps et ton histoire bat de l'aile

Toi tu dis qu'tu n'y es pour rien et qu'c'est sa faute à elle

Le ronronnement du train te saoule et chaque virage t'écœure

Faut qu'tu t'lèves que tu marches, tu vas t'dégourdir le cœur

Et le train ralentit c'est d'jà la fin d'ton histoire

En plus t'es comme un con tes potes sont restés à l'autre gare

Tu dis au r'voir à celle que t'appel'ras désormais ton ex

Dans son agenda sur ton nom, elle va passer un coup d'tip-ex

C'est vrai qu'les histoires d'amour c'est comme les voyages en train

Et quand j'vois tous ces voyageurs parfois j'aim'rais en être un

Pourquoi tu crois qu'tant d'gens attendent sur le quai d'la gare ?

Pourquoi tu crois qu'on flippe autant d'arriver en r'tard ?

Pour beaucoup la vie s'résume à essayer d'monter dans l'train

A connaitre ce qu'est l'amour et s'découvrir plein d'entrain

Pour beaucoup l'objectif est d'arriver à la bonne heure

Pour réussir son voyage et avoir accès au bonheur

Il est facile de prendre un train, encore faut-il prendre le bon

Moi chui monté dans deux-trois rames mais c'était pas l'bon wagon

Car les trains sont capricieux et certains son inaccessibles

Et je n'crois pas tout l'temps qu'avec la sncf c'est possible

Il y a ceux pour qui les trains sont toujours en grève

Et leurs histoires d'amour n'existent que dans leurs rêves

Et y ceux qui foncent dans l'premier train sans faire attention

Mais forcément ils descendront déçus à la prochaine station

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Y a celles qui flippent de s'engager parce qu'elles sont trop émotives

Pour elles c'est trop risqué d's'accrocher à la locomotive

Et y a les aventuriers qu'enchainent voyage sur voyage

Dès qu'une histoire est terminée, ils attaquent une autre page

Moi après mon seul vrai voyage j'ai souffert pendant des mois

On s'est quittés d'un commun accord mais elle était plus d'accord que moi

Depuis j'traine sur le quai, j'regarde les trains au départ

Y a des portes qui s'ouvrent mais dans une gare j'me sens à part

Y parait qu'les voyages en train finissent mal en général

Si pour toi c'est l'cas accroche-toi et garde le moral

Car une chose est certaine y aura toujours un terminus

Maint'nant tu es prév'nu, la prochaine fois tu prendras l'bus...

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