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COLLECTION « MOTS »

dirigée par Paul Fournel

Romillats

DU MÊME AUTEUR

Le bestiaire inconstant, éditions Ramsay, 1983.

Jacques Jouet

Romillats

(nouvelles)

Editions Ramsay 9, rue du Cherche-Midi

75006 - Paris

© Editions Ramsay, 1986. ISBN 2-85956-535-3

Madeleine

Plus Madeleine avançait en âge, plus son compa- gnon la tenait pour lubrique.

— Tu es..., lui disait-il en se tordant de malaise, tu es ceci, tu es cela... ça devient insoutenable.

— Mais je suis comme avant... — Non ! Cesse de regarder le monde avec tes yeux

doux, et puis couvre tes bras, je t'en supplie ! Couvre tes bras.

— Qu'est-ce que j'ai de si changé ? — Tu ne te défends pas contre ta pente. Madeleine n'était jamais plus comme il fallait.

Ils avaient le même âge. Elle avait quarante-cinq ans et de la beauté ample. Il était assureur, elle, son associée. Capables, ils travaillaient beaucoup, abat- taient à eux deux l'essentiel du travail pour éviter d'avoir à engager des tiers, car le temps n'était pas à l'embauche. Madeleine tapait à la machine, elle frap- pait les contrats, assumait la comptabilité ainsi que le standard. Lorsqu'elle parlait de son mari à leurs clients, elle avait pris l'habitude de dire « Monsieur

Romillat ». A ces moments, pour elle, il devenait un étranger.

Sans passion, Romillat organisait les expertises, sinis- tres, accidents ou vols. Il était impitoyable envers les déclarations inexactes qu'il ne craignait pas de quali- fier de faux et qu'il avait la réputation de savoir flairer mieux que personne. Il avait toujours eu un certain sens de la droiture. Quand tout était réglementaire, il remboursait promptement les dommages, sans traîner des pieds. Ses clients avaient en lui toute confiance. Il était l'exception d'une profession peu aimée.

Romillat avait en veilleuse, dans un coin de sa tête, un petit nombre d'idées hautes qu'il n'avait jamais renoncé à laisser prendre le dessus. Il était sensible aux qualités abstraites, les blanches et les noires, si évi- demment distinctes les unes des autres, s'efforçant à n'être que peu regardant sur le détail des choses maté- rielles qui étaient son pain de tous les jours : listes de dégâts, de tôles froissées ou d'actions de vandales. En fait, le quotidien l'obsédait de plus en plus, lui collait aux semelles, alourdissait son pas. Secrète- ment, il envisageait d'abandonner son métier, pourvoir ses enfants, puis se débrouiller seul avec le vide.

Sa femme le gênait. Aux yeux de qui n'aurait pas rencontré Romillat

une année durant, son changement eût paru mani- feste. Madeleine y gagnait un léger abattement des paupières, quand elle était l'objet désigné de son aga- cement. Romillat ne la supportait plus. Il devenait injuste, la déclarant vicieuse.

Insensiblement, il devint comme absent à lui- même, puis présent à quelqu'un d'autre que lui et qui devenait lui.

Avec fierté et conviction, Madeleine et Romillat avaient donné le jour à deux enfants qui, jusqu'alors, avaient grandi gentiment dans le calme. Valentine, seize ans, ne songeait qu'à ses études. Elle voulait devenir chimiste. Son père l'avait mise en pension dans les Pyrénées, à Bagnères-de-Bigorre — une pen- sion dorée : scolarité, ski, cheval et musique, une pen- sion qui se vantait des meilleurs résultats — isolant ainsi son enfant préféré des turpitudes qu'il prêtait à Madeleine et des effets pernicieux de son laisser-aller.

Bernard, le fils, ne paraissait pas ses vingt-deux ans, sous sa chevelure bouclée. Romillat disait de lui qu'il n'avait rien de bon dans le regard. Il avait quitté, naguère, le lycée sur un coup de tête et ce, presque au soulagement de son père, comme si cet abandon avait représenté pour Valentine une chance de plus. Mais Romillat en avait lâchement profité pour accuser Madeleine d'avoir pourri le fils, parangon désormais d'une jeunesse débile et nauséeuse.

Madeleine était tout pour son fils, naturellement, Madeleine qui avait décidément toutes les tares. Dans le match familial, il y avait les deux équipes trop classiques. Cela tournait à la caricature.

Romillat en vint peu à peu à regarder sa femme comme l'incarnation de tous les extrêmes hideux.

Ils habitaient, depuis leur mariage, un pavillon

dans la banlieue de Paris, qu'ils avaient acquis pour une bouchée de pain et dans lequel ils avaient effec- tué, par eux-mêmes, beaucoup de travaux. Romillat décida un beau jour que Madeleine était sans soin pour la maison. Ce n'était pas vraiment une nou- veauté : elle n'aimait que le gros-œuvre. Plus grave, il la vit négligée dans sa mise et son hygiène, ce qui était faux, sinon que, de fait, il est des moments où un corps se doit de se laver. Or, Madeleine se lavait, mais Romillat lui tombait dessus juste avant qu'elle s'y décide, comme jouissant d'odeurs ingrates qu'il lui reprochait avec une crudité inouïe.

— Tu es..., lui disait-il, tu pues, faisant sonner le p. Tu te laisses aller. C'est ahurissant...

Le « tu es un monstre » n'était pas loin, sur le bout de la langue. Lorsque Romillat disait ces phrases-là, il fixait le plafond comme s'il s'adressait à la Loi figurée. Il avait complètement changé son port de tête, le menton pointant à la hauteur où, naguère, brillait de toute sa normalité son front.

Madeleine fumait des cigarettes blondes. Moins il se supportait, plus elle fumait, non par souci de pro- vocation, mais sous l'effet de l'habituelle aggravation que peut susciter un interdit. Romillat se vantait d'avoir su, lui, s'arrêter.

— Il suffit d'un peu de volonté... — Ne dis pas cela ! — ... ce qui te manque le plus. — Dans le temps, disait-elle, nous fumions tous

les deux... Et je n'ai pas fumé pendant mes grossesses. — Grossesses !

Désormais, lorsqu'il entendait ce mot, Romillat affichait un mauvait rictus qui lui déformait les lèvres et permettait l'usinage, dans sa bouche, de quelque mot blessant.

Madeleine aimait l'amour, et le montrer faisait partie de son corps tel qu'elle le portait devant le monde. Elle diffusait une sensualité heureuse et non agressive que Romillat avait su longtemps capter, respecter, dont il avait su profiter avec gourmandise, tant dans les plaisirs du sexe que dans les bénéfices indirects sur la clientèle. Ils avaient tous deux géré sans trop de peine des appétits inégaux, avec des hauts et des bas, un couple bien ordinaire dans ses moments de corps à corps.

Aujourd'hui, Romillat était aveuglé par une vision de folie : Madeleine était une mauvaise femme accom- plissant à l'extrême les mauvais penchants de son genre, au premier rang desquels l'étalage provocant du corps radieux. Il se prenait pour un juge, et jugeait qu'il portait sur ses seules épaules une malédiction familiale. Il s'imposait des poses, adorait depuis peu le silence et l'indifférence.

Madeleine était défaite et ne savait plus quoi.

Romillat empoisonna la vie des siens, en tous cas de ceux qui étaient présents de façon permanente. Valentine ne venait qu'aux vacances, encore son père trouvait-il toute occasion bonne pour la réexpédier, de séjour linguistique à Londres en séjour linguistique à Mayence. Il ne supportait pas les chamailleries du

frère et de la sœur, leurs pinaillages qu'il devinait le concerner. Valentine disait toujours :

— Mon père... — Ton père ? rétorquait Bernard. — Je ne vais pas dire notre père ! — Alors, dis le père... Elle l'envoyait balader. C'était des cris à n'en plus

finir, d'elle à lui des coups de poing à peine mouche- tés, de lui à elle de longues bouderies qui étaient la conséquence d'un ressentiment profond du mal-aimé à l'égard de la chouchoute.

Romillat n'aimait pas son époque, celle, à ses yeux de la paresse, du chômage qui en résultait, du cynisme et de l'opportunisme. Une époque, disait-il, sans principes stables, lui dont la tournure préférée, du haut de son positivisme moral, était quelque chose comme : « Ceci est ceci, et ceci est incontestable. »

Tel quelqu'un qui se serait interdit un amour et sublimerait dans l'exercice de la vertu, il se surprenait à professer une haute idée de la parenté, après n'avoir éprouvé qu'indifférence à son égard. Il prêtait à la famille le statut d'une valeur absolue, à proportion sans doute de la déception que lui causait la sienne.

L'humeur de Romillat empira considérablement lorsqu'il abandonna le ton des reproches amers et qu'il en vint à proférer des lois générales à tout bout de champ. Il devint étroitement légaliste, vertueux jusqu'à l'exhibition. Il était glacial à la vue d'un petit découvert en banque, quand la banque elle-même ne s'en souciait pas. Il devenait de pierre s'il trouvait dans la vieille Peugeot grise et rouillée de Madeleine

« Stabilité ! Stabilité ! ton nom est femme... »

Jules Laforgue, Hamlet ou les suites de la piété filiale.

Les aisselles, pareilles à des cartes d'identité du sentiment, émettent, au moment de leur dépliement, une série complexe d'informations et d'états d'âme gardés au secret le temps d'une journée. Il y a la première suée dans le bus ou le train matinal, les soucis professionnels qui n'accèdent pas à la parole, l'affection dont personne ne paraît plus vouloir. Une forte compression d'efforts, d'actions et de réactions a fait traces qu'une douche dilue. Et, naturellement, que faire d'autre que passer l'éponge, expédier le tout dans les profondeurs de la terre et changer de vêtements ?

La fantaisie désespérée de Mathilde la fit, cette fois, tourner le dos au rituel du tout-venant des jours. L'enveloppe timbrée qu'elle tenait à la main lui parut aussi vide que le fleuve était large, s'écoulant devant elle. La lecture de la lettre n'avait pas consommé beaucoup d'eau sous le pont de sa destinataire. Son écriture n'avait pas dû fatiguer l'auteur.

Du haut de sa lassitude, Mathilde choisit de pro- mener ses auréoles et sa transpiration, les cultiver un

tant soit peu avant l'effacement qu'elle avait résolu. Elle choisit de les offrir à une rencontre de hasard,

après tant d'autres inventée, filée dans les quartiers de l'imaginaire, comme une métaphore ou un suspect, sous la poussée d'un incipit souvent requis :

« Un soir, c'était...»

Un soir, c'était en Egypte, au mois de juin. Lasse de la chaleur et des papyrus, lasse de son hôtel trop lisse où tout le monde, tout le temps, était également gentil et maniaque du propre, Mathilde bouillait dou- cement dans sa robe et Le Caire. Sur un banc qui dominait le Nil, elle venait de relire la lettre si long- temps attendue. Son auteur répondait négativement à Mathilde qui l'avait exhorté de venir ici la rejoindre. La réponse était à la fois nette, sèche et pas franche : «... Trop de travail, ici, tu t'en doutes... » Mais Mathilde se doutait d'autre chose qu'elle lisait entre les lignes : «... Trop peu de temps, surtout, pour s'occuper de deux femmes à la fois ; trop peu de mes deux bras qui s'avèrent trop courts, je reste... Je reste et je choisis. »

En pariant sur l'exotisme, Mathilde s'était lourde- ment trompée. Les hommes n'aiment pas les femmes errantes qui leur donnent l'impression de leur ravir un privilège. Depuis quatre ans, Mathilde passait chaque année six mois de sa vie au Caire, et son mari n'y était jamais venu un week-end ! L'autre, la séden- taire, n'avait eu qu'à se baisser pour l'attirer à elle, le convaincant peut-être que Mathilde l'avait aban-

donné et qu'elle était trop vieille pour avoir un enfant.

Avant un «Je t'embrasse » qui sentait fort l'indiffé- rence, l'auteur du court message — pas plus de dix petites lignes — avait trouvé le moyen de glisser : « Il faudra qu'on parle de nous deux, quand tu seras de retour en France. »

Dès lors, tout était dit.

Mathilde partit à pied dans la chaleur, abandon- nant la lettre sous le banc de ses larmes. En appro- chant de la grande place où se trouve le musée, elle décida de faire celle qui venait en aide à un voyageur vaguement éperdu qui cherchait à se loger pour la nuit.

Elle se souvint, comme si ç'avait été hier, d'un hôtel bien différent du sien actuel, où quatre ans plus tôt, elle avait eu quelque peine à demeurer la nuit com- plète, sa première nuit cairote, révoltée par l'absence de confort. Mais comme elle avait raté son guide, à l'aéroport, elle n'avait eu d'autre ressource que se débrouiller toute seule pour trouver un gîte.

La cage d'escalier était encore plus délabrée que naguère. En manque de porte, l'ascenseur ne montait que jusqu'au troisième étage sans plus vous protéger du vide. Il refusait d'aller plus haut.

A pied, jusqu'au cinquième étage, le personnage, en short et vigoureux, pouvait porter un sac à dos beau- coup trop lourd, tout plein d'affaires inutiles.

— C'est bien ici, dit-elle tout émue, en atteignant le dernier étage. Oh ! ce ne sera pas le grand luxe, mais

ça ne vous coûtera pas cher... Et puis, ce n'est pas dénué de charme. Je n'ai pas revu ces lieux depuis quatre ans. Il faut me croire. Mais ils n'ont pas changé. Un peu plus de poussière... J'avais juré que je n'y remettrais plus jamais les pieds ! Et puis, je vous ai rencontré.

A l'accueil, il y avait tout l'attirail : le grand livre, la radio, les photos des officiels et Hassan.

La chambre était haute et brune, les dessous des lits (deux lits), les recoins, les tablettes de l'armoire sans porte, tout crasseux. Dans la salle de bains, une bai- gnoire immense et ventrue, vieux lavabo replet, deux robinets avares d'eau. Mathilde se sentit minuscule quand elle s'assit pour pisser.

— Ce n'est pas la peine de vider tout votre sac. Assurez-vous d'abord qu'il y a de l'eau...

Dans un tiroir de la table de nuit, vieillissait un livre de poche, en français: Le Mur, la main qui trace dans le salpêtre une portée verticale. Au mur, une mauvaise photo en couleur du temple d'Amon, à Karnak.

— Il faut vous passer de l'eau sur le visage et sur les pieds. Déchaussez-vous. Cela vous détendra. Vous verrez, dans ce pays, on n'a pas fini de vous accueillir en vous offrant un bain de pieds. Vous vous y ferez.

Mathilde s'était allongée sur le dos, après avoir fermé la fenêtre, pauvre protection contre les klaxons bloqués ou furieux.

Elle jeta ses bras loin derrière la tête. Le voyageur s'approcha, frais et volatil. Il posa sa

joue dans la touffeur de l'aisselle. Mathilde commença

de pleurer continûment, afin de mouiller un peu plus sa robe.

Elle dit des choses, enfin, qu 'elle n'avait encore jamais voulu reconnaître à voix haute, l'amour insup- portable qu'elle portait à cette ville folle et aux êtres qui l'agitaient. Des souvenirs en vrac, des noms per- dus dans le sable et les guerres, des amours de surface.

— Les papyrus n'ont pas de secrets pour moi. Je ne sais pas si cela t'intéresse. Je te montrerai le musée, si tu veux, demain matin, quand tu seras reposé. J'y ai mes entrées, mais ils ne veulent pas que je m'y occupe trop. Ils veulent prendre les rênes et marcher à leur rythme, avec leur nonchalance et leur sérieux. Ils ont raison. Mais ça ne me fait pas plaisir.

Le voyageur avait commencé d'embrasser l'épaule et de toucher le ventre, comme s'il était à la recherche d'une cicatrice qui était prête à se rouvrir.

Mathilde disait qu'elle ne pouvait rien souhaiter de mieux que cette écoute et cet épanchement. Un voya- geur, c'est un pays natal, un jeu de racines qui risque la mise à l'air, une saillie de pierres d'attente.

— D'où viens-tu ?

Elle voulait qu'il vînt d'un petit pays qui ne serait pas mentionné souvent dans les journaux, un pays à peine plus grand qu'un jardin privé, une île flottante vaguant hors d'eaux territoriales. Le voyageur parle- rait un français hésitant, avec un accent tendre et chantant. Mais c'était Mathilde, surtout, qui faisait les frais de la conversation.

Lui, laisse aller sa main. — J'ai un mari, figure-toi, que j'ai échoué à égayer.

Un musicien, toujours collé à son piano... C'est lui qui m'a rendue triste, comme tu me vois là. Les hommes sont fichus s'ils n'ont pas leur point fixe. Moi, j'avais envie de bouger tout le temps.

Le voyageur écoute avec intérêt, semble-t-il. — Il ne faudrait pas que je reste dans ce pays. Je

vais partir, demain. Je te laisse la clef de ma chambre, c'est tout ce que je possède ici. L'hôtel est de l'autre côté du fleuve. Tu verras la différence avec celui-ci : une chambre comme il y en a partout dans le monde quand on a de l'argent. Tu pourras y rester un mois, si tu le souhaites. Je l'ai payée jusqu'en juillet, ma cham- bre qui a tout le confort et la climatisation. Pourquoi continuerais-je à lutter pour sauver ma pauvre place, ici, dans leur ressaisissement ? Et puis, qu'ils se débrouillent! Ils m'ont tellement souvent tu (je le lisais dans leurs sourires et leurs invitations) qu'ils n'avaient pas besoin de moi. Je comprends cela. Les papyrus interminables peuvent bien s'empoussiérer dans leurs cadres, là où se joignent les plaques de verre qui ne sont pas assez longues. Ils disent qu'ils en ont tant d'autres dans leur sous-sol... C'est vrai. Ici, aujourd'hui, je n'ai personne que toi. Là-bas, en France, personne qui veuille que je rentre, c'est trop tard. Et toi, tu ne dis rien !

Non. Le voyageur chantonne, et déboutonne. — Tu as l'intention de rester quelque temps, au

Caire ? Il n'a pas l'air de savoir. — Tu vois, j'ai passé tellement de temps à les

écouter, assise en tailleur des nuits entières devant les

plateaux circulaires.sur lesquels fumait le thé... Pâtis- series et lait caillé. Nous avons été bien, mais ils m'ont épuisée. Il ne m'est pas poussé de racines.

Mathilde dirigeait le voyageur à sa guise. Il venait de se lever pour chercher un objet dans son sac, un pistolet de gosse que la main posa sur la table de nuit.

— Il ne faut pas avoir peur de cette ville, je t'as- sure, c'est idiot... Chut !

Mathilde riait. L'important, c'était qu'il ne dît rien. Leurs mains se ressemblaient comme des sœurs. Sous

le ventre, le majeur se glissait dans les poils. En riant, elle pleurait toujours avec abondance et

débit régulier. Les larmes laissaient du limon noir sur les bords des coulées.

— C'est le Coran qui te le dit : « ce dont vous faites dépense en bien doit l'être pour (entre autres) le voyageur. »

Le plaisir percuta sa tête avec un son qui se perdit dans le haut plafond, dans la chaleur et les réactions lentes. A la réception, Hassan dormait, l'oreille sur le transistor. En photo, Gamal Abdel Nasser riait de toutes ses dents. Quant à Mathilde Romillat dans la chambre, elle était tout à fait morte.

Cet ouvrage reproduit par procédé photomécanique a été achevé d'imprimer en septembre 1986

sur les presses de l'Imprimerie Bussière à Saint-Amand (Cher)

N° d'édit. : 1008. N° d'imp. : 2434. Dépôt légal : septembre 1986.

Imprimé en France

Romillat : un nom de fait divers... Son âge? La quarantaine, empreinte parfois de la délicieuse certitude d'avoir atteint les sommets de la dignité. Sa profession ? Un bon métier, quoi qu'il en soit, et un solide sens du devoir. Pour qui vote-t-il ? Il ne le dit pas et déteste avoir à se justifier. Comment a-t-il rencontré sa femme ? Le plus simplement du monde, et s'il ne songe pas à en prendre une autre, il cède volontiers à l'irrésistible besoin de changer de lit. Des enfants ? Deux ou trois, avec lesquels il joue d'une paternelle bonté ou d'un autoritarisme glacial... Une rencontre avec lui provoquera, c'est selon, de simples étincelles, des feux de plancher plus graves ou de véritables sinistres. Romillat est un favori du fait divers. Voici onze rencontres, avec autant de facettes de ce personnage qui pourrait être un type.

Jacques Jouet est né en 1947. Il a publié le Bestiaire inconstant aux Editions Ramsay (1983).