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ED 141 : Ecole doctorale Droit et Science Politique EA 3457 - Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique Clément BARRILLON Le critère de la qualité d’associé Étude en droit français des sociétés Thèse présentée et soutenue publiquement le 30 mars 2016 en vue de l’obtention du doctorat de Droit privé et sciences criminelles de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense sous la direction de Mme le Professeur Marie-Laure COQUELET Jury : Président : M. François-Xavier LUCAS Professeur à l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne Rapporteur: Mme Florence DEBOISSY Professeur à l’Université Montesquieu - Bordeaux IV Rapporteur: M. Philippe DIDIER Professeur à l’Université Paris V - Paris Descartes Examinateur: M. Arnaud REYGROBELLET Professeur à l’Université Paris Ouest - Nanterre La Défense

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  • ED 141 : Ecole doctorale Droit et Science Politique

    EA 3457 - Centre de droit civil des affaires et du contentieux conomique

    Clment BARRILLON

    Le critre de la qualit dassoci

    tude en droit franais des socits

    Thse prsente et soutenue publiquement le 30 mars 2016 en vue de lobtention du doctorat de Droit priv et sciences criminelles

    de lUniversit Paris Ouest Nanterre La Dfense

    sous la direction de Mme le Professeur Marie-Laure COQUELET

    Jury :

    Prsident : M. Franois-Xavier LUCAS Professeur lUniversit Paris I - Panthon Sorbonne

    Rapporteur: Mme Florence DEBOISSY Professeur lUniversit Montesquieu - Bordeaux IV

    Rapporteur: M. Philippe DIDIER Professeur lUniversit Paris V - Paris Descartes

    Examinateur: M. Arnaud REYGROBELLET Professeur lUniversit Paris Ouest - Nanterre La Dfense

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    Luniversit de Paris Ouest Nanterre La Dfense nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans les thses ; ces opinions doivent tre considres comme

    propres leurs auteurs.

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    Lexercice du doctorat en droit na pas vocation tre ritr par celui qui est a persist jusqu la soutenance. Louvrage est donc unique dans une vie. Pour cette raison, ceux qui ont soutenu son

    laboration auront toujours une place privilgie dans le cur du rdacteur.

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    LISTE DES PRINCIPALES ABRVIATIONS

    Art. Article Ass. pln. Assemble plnire Bull. civ. Bulletin des arrts des chambres civiles de la Cour de cassation Bull. crim. Bulletin des arrts de la chambre criminelle de la Cour de cassation BJB Bulletin Joly socits BJED Bulletin Joly entreprises en difficult BJS Bulletin Joly bourse BMIS Bulletin Joly mensuel dinformation des socits CA Cour dappel Cass. Cour de cassation CC Conseil constitutionnel CEDH Cour europenne des droits de lHomme Chron. Chronique Civ. Chambre civile de la Cour de cassation CJCE Cour de justice des communauts europennes Com. Chambre commerciale de la Cour de cassation Concl. Conclusions Contra Dans le sens contraire Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation D. Dcret D. Recueil Dalloz D. aff. Dalloz affaires D.C. Dcision du Conseil constitutionnel D.H. Recueil hebdomadaire de jurisprudence Dalloz Defrnois Rpertoire du notariat Defrnois Dir. Direction (colloque ou thse) D.P. Recueil priodique et critique mensuel Dalloz Dr. et patr. Revue Droit et patrimoine Dr. socits Revue Droit des socits d. dition gal. galement Ex. Exemple Fasc. Fascicule Gaz. Pal. Gazette du Palais Ibid. Ibidem (au mme endroit) In Dans Infra Ci-dessous JO Journal officiel JCP E Juris-Classeur priodique (La semaine juridique), dition entreprise JCP G Juris-Classeur priodique (La semaine juridique), dition gnrale JCP N Juris-Classeur priodique (La semaine juridique), dition notariale

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    L. Loi RLDA Revue Lamy droit des affaires RLDC Revue Lamy droit civil LEDC Revue LEssentiel Droit des contrats LEDED Revue LEssentiel Droit des entreprises en difficult LPA Les petites affiches Obs. Observations Op. cit. Opus citatum (ouvrage prcit) Ord. Ordonnance P. Page Pand. Pandecte Prc. Prcit (article ou note) Prf. Prface Q.P.C. Question prioritaire de constitutionnalit Rappr. Rapprocher RD bancaire et bourse Revue de droit bancaire et de la bourse RD bancaire et fin. Revue de droit bancaire et financier RDC Revue des contrats Rp. civ. Rpertoire de droit civil, Encyclopdie Dalloz Rp. socits Rpertoire de droit des socits, Encyclopdie Dalloz Req. Chambre des requtes Rev. jur. com. Revue de jurisprudence commerciale Rev. jur. Ouest Revue juridique de lOuest Rev. socits Revue des socits RGDA Revue gnrale de droit des assurances RJDA Revue de jurisprudence de droit des affaires RRJ Revue de la recherche juridique RTD civ. Revue trimestrielle de droit civil RTD com. Revue trimestrielle de droit commercial RTDF Revue trimestrielle de droit financier S. Recueil Sirey s. Suivant ss. Sous Soc. Chambre sociale de la Cour de cassation Spc. Spcialement Supra Ci-dessus T. Tome T. com. Tribunal de commerce TGI Tribunal de grande instance Trib. Tribunal Trib. civ. Tribunal civil Trib. com. Tribunal de commerce Th. prc. Thse prcite V. Voir Vol. Volume

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION

    PARTIE 1 LA PROPRITE DES PARTS SOCIALES OU DES ACTIONS, CRITRE APPARENT DE LA QUALIT

    DASSOCI

    Titre premier : Le droit de proprit de lassoci sur la part sociale ou laction Chapitre 1 : La part sociale et laction : biens meubles susceptibles dappropriation Chapitre 2 : Le droit de lassoci : un droit de proprit sur la part sociale ou laction Titre second : La qualit dassoci lpreuve de la qualit de propritaire Sous-titre 1 : Lapport, mode originaire dacquisition de la proprit des titres

    Sous-titre 2 : Le transfert de titres, mode driv dacquisition de la proprit des titres

    PARTIE 2 LASSUJETTISSEMENT AU RISQUE SOCIAL, CRITRE SOUS-JACENT DE LA QUALITE DASSOCI

    Titre premier : La recherche du critre sous-jacent de la qualit dassoci Sous-titre 1 : Lchec des critres traditionnels

    Sous-titre 2 : Lassujettissement au risque social : critre de la qualit dassoci Titre second : Lapplication du critre aux situations incertaines Chapitre 1 : Les situations proches de la proprit de parts sociales ou dactions Chapitre 2 : Les situations loignes de la proprit de parts sociales ou dactions

    CONCLUSION

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    INTRODUCTION

    1. La cohabitation des contraires. La qualit d'associ na jamais, en tant que telle, t envisage par le lgislateur, la diffrence du contrat de socit auquel de nombreux textes sont

    consacrs1. Les lois nouvelles, dont on aurait pu attendre qu'elles se saisissent de la question, n'ont

    d'ailleurs eu pour rsultat que d'accentuer ce manque, dlaissant de faon continue la qualit d'associ.

    Chacune des rformes du droit des socits constitue, ainsi, une nouvelle occasion de sinterroger :

    pour quelle raison la qualit dassoci, fondamentale en droit des socits demeure-t-elle expose des

    incertitudes auxquelles elle aurait pu tre soustraite au moyen dune simple disposition ? Cette

    interrogation est d'autant plus saisissante que la diffrence de traitement existant entre le contrat de

    socit et la qualit dassoci date des origines du code civil. En droit romain, les jurisconsultes ne

    sintressaient, en effet, quau contrat de socit car il importait alors de rgir cette forme nouvelle de

    collectivit. Par la suite, lassoci na pas davantage t au cur des proccupations, ces dernires

    tant concentres sur la ncessit de circonscrire les rapports de force au sein de la socit. Et cela tait

    comprhensible : dans la mesure o elle tait avant tout une structure collective, son

    fonctionnement devait tre organis et les relations entre ses membres, encadres. La fable du Lion en

    socit, plusieurs fois rcrite travers les ges pour prvenir contre les risques de la domination du

    plus fort, en tmoigne : le lion, symbole de la force, naccepte pas de socit 2. Rgir le contrat de

    socit a donc t la premire proccupation.

    2. Contrat social et contrat de socit. Au moment de la rdaction du code civil, le contrat de socit suscitait toujours autant dintrt, au dtriment de la qualit dassoci. Tandis quils auraient

    pu saisir loccasion dune rforme historique pour envisager lindividualit pleine et entire de

    lassoci, et notamment lui donner une dfinition, les rdacteurs se sont contents de considrer

    lassoci comme celui qui prend part ce contrat. Sans doute taient-ils alors influencs par les

    thories du contrat social et en particulier par ses enjeux. Car le contrat de socit suit exactement la

    mme logique que celle du contrat social . Les raisons qui incitent les hommes sunir dans la vie

    sont similaires celles qui conduisent des associs former une socit : dans la mesure o les

    hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais seulement unir et diriger celles qui existent,

    ils n'ont plus d'autre moyen () que de former par agrgation une somme de forces qui puisse

    1 Celui-ci bnficie dailleurs d'une dfinition. V. c. civ., art. 1832. 2 R. T. TROPLONG, Le droit civil expliqu suivant lordre des articles du code depuis et y compris le titre de la vente, Du contrat de socit civile et commerciale ou commentaire du titre IX du livre III du code civil, t. I, d. Ch. Hingray, Paris, 1843, prf., p. 1.

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    l'emporter sur la rsistance, de les mettre en jeu par un seul mobile et de les faire agir de concert 3.

    La collectivit apparat donc depuis longtemps comme le remde naturel aux limites de lindividualit.

    Ainsi, de mme que lHomme sunissait aux autres pour se prserver de ltat de nature4, de mme

    cherchait-il, par le contrat de socit, une force suprieure la sienne pour dbuter une activit

    nouvelle. Selon cette analyse, le contrat de socit lui-mme reposait sur la rciprocit de besoin et

    de confiance 5. Mais, plus fondamentalement, dans lun et lautre cas, quil sagisse du contrat social

    ou du contrat de socit, lenjeu principal a t de trouver une forme d'association qui dfende et

    protge de toute la force commune la personne et les biens de chaque associ, et par laquelle chacun,

    s'unissant tous, n'obisse pourtant qu' lui-mme, et reste aussi libre qu'auparavant 6. En raison de

    limportance de cette finalit, il est comprhensible que cette dernire ait occup tous les efforts du

    lgislateur napolonien et des jurisconsultes de lpoque. Lapproche collective a donc logiquement

    devanc lapproche individuelle et le lgislateur sest, dans ce contexte, concentr sur lexcution du

    contrat de socit, dlaissant la notion dassoci. Toute lapproche classique est donc construite autour

    de lide que lassoci est uniquement une personne qui est partie au contrat de socit7. Le critre de

    la qualit dassoci tait, alors, confondu avec ceux du contrat de socit.

    3. Contrat de socit et qualit dassoci. Mais, par la suite, cette assimilation a t discute. Laccumulation des dispositions nouvelles a, en effet, conduit douter de la nature

    exclusivement contractuelle de la socit. Dans le mme temps, par leffet de la circulation des titres,

    la figure initiale de lassoci, celle de lassoci contractant , sest progressivement loigne de ses

    origines. Par voie de consquence, non seulement lassoci ntait plus uniquement peru comme celui

    qui participe la constitution de la socit, mais en outre, la socit elle-mme napparaissait plus

    uniquement comme un contrat. Aussi l'opportunit de confondre le critre de la qualit dassoci avec

    ceux du contrat de socit a-t-elle t conteste.

    Ce ft donc tout dabord la nature exclusivement contractuelle de la socit qui a t discute et, dans

    le mme temps, celle de lengagement de lassoci : ntait-il rellement qu'un contractant ? La

    discussion sur la nature juridique de la socit et le dclin de la thorie contractualiste8 a, ainsi, t

    3 J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social ou Principes du droit politique, d. Union gnrale dditions, Paris, 1762, chap. 1.6. 4 Th. HOBBES, Lviathan, Trait de la matire, de la forme et du pouvoir de la rpublique ecclsiastique et civile, partie I, De lHomme, d. A. Crooke, 1651, chap. 13. 5 R. T. TROPLONG, Le droit civil expliqu suivant lordre des articles du code depuis et y compris le titre de la vente, Du contrat de socit civile et commerciale ou commentaire du titre IX du livre III du code civil, t. I, op. cit., prf., p. 2. 6 J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social ou Principes du droit politique, op. cit., chap. 1.6. 7 V. en partic. R.-J. POTHIER, Trait du contrat de socit, uvres de Pothier, d. Letellier, Garnerie, Nicolle et Dufresne, Paris, 1807, p. 55, voquant, pour dsigner les associs, les personnes qui peuvent contracter socit . 8 V. en partic., parmi les contributions rcentes : R. LIBCHABER, La socit, contrat spcial in Ml. M. Jeantin, Dalloz 1999, p. 281, spc. p. 282, n 2 ; P. DIDIER, La thorie contractualiste de la socit , Rev.

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    l'origine des premires rserves sur la pratique consistant rechercher le critre de la qualit d'associ

    parmi ceux du contrat de socit. Et les conclusions de cette rflexion ont eu des incidences sur les

    conceptions contemporaines : l'associ nest plus seulement un contractant. Il est aussi le membre 9

    dune institution soumise la loi de la majorit10. Lopportunit de rechercher les critres de la qualit

    dassoci parmi ceux du contrat de socit a donc t mise en cause.

    Et cet inflchissement a t accentu par les rflexions menes sur lassoci lui-mme. En effet, depuis

    bien des annes, il nest plus uniquement celui qui participe la constitution de la socit : dautres

    personnes peuvent devenir associes en cours de vie sociale, notamment la suite dune circulation

    des titres. Les critres traditionnels ont donc prsent leurs premires limites11. Ceux-ci, dont

    lexistence est indiscutable au moment de la conclusion du contrat de socit, peuvent se dissiper en

    cours de vie sociale, voire voluer ou plus radicalement disparatre. Laffectio societatis est sans doute

    lexemple le plus significatif de linsuffisance des critres classiques. Une approche renouvele de la

    qualit dassoci a donc, plus de deux sicles aprs ladoption du code civil, propos de dissocier les

    critres du contrat de socit et ceux de la qualit dassoci12. Cette dmarche tait justifie car

    lapport, laffectio societatis et la vocation au rsultat apparaissent seulement, au sein de larticle 1832

    du code civil, comme les conditions de validit du contrat de socit. Il sensuit que leur existence

    nest requise, aux termes de la loi, quau moment de la formation du contrat de socit. Tout au plus

    ne peuvent-ils, en consquence, tre exigs que de lassoci qui participe la cration de la socit,

    mais pas de celui qui acquiert cette qualit en cours de vie sociale.

    4. Ainsi, dissocier le critre de la qualit dassoci de ceux du contrat de socit est une dmarche dont la lgitimit s'est renforce au fil des annes. La pense a donc volu sur le critre de

    la qualit dassoci et cette volution manifeste, plus fondamentalement, une transformation de la

    notion dassoci elle-mme. Ce phnomne dvolution incidente dune notion juridique est courant,

    mais en ce qui concerne celle dassoci, il occupe une place importante car labsence de dfinition de

    la notion la prive de stabilit et favorise sa transformation au fil des annes. Et si la notion volue,

    ltude du critre de la qualit dassoci doit tre adapte13.

    socits 2000, p. 95. V. gal. I. CORBISIER, La socit : contrat ou institution, Droits tasunien, franais, belge, nerlandais, allemand et luxembourgeois, th., Univ. Lux., d. Larcier, 2011, prf. A. Prm et M. Coipel, concluant plutt la nature contractuelle de la socit. 9 Selon le terme de M. HAURIOU in La thorie de linstitution et de la fondation (Essai de vitalisme social) , Cahier de la nouvelle journe, 1925, reproduit in M. Hauriou, Aux sources du droit : le pouvoir, lordre et la libert, Cahiers de la nouvelle journe (23), Paris, Bloud & Gay, 1933, p. 96. 10 Qui trouve toutefois exception en matire daugmentation des engagements des associs. Dans ce cas, laccord de tous les associs est requis : c. civ., art. 1836, al. 2 et c. com., art. L. 225-96, al. 1. 11 V. en partic. P. LE CANNU, Monsieur de Saint-Janvier ou le dpouillement de larticle 1832 du code civil , BJS 2012, n 9, p. 672. 12 V. A. VIANDIER, La notion dassoci, th., L.G.D.J., 1978, prf. F. Terr. 13 Sur la distinction entre notion et qualit , v. infra, n 11.

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    5. Les transformations silencieuses de la qualit dassoci. La notion dassoci sinscrit dans un phnomne dvolution trs sensible en droit, reposant lui-mme sur le changement

    des modles de rfrence : il ny a rien de dfinitif dans le monde : tout passe, tout change 14. Et

    lorsque le monde change, le droit doit voluer15, car il est ncessaire de rpondre aux exigences

    nouvelles, et en particulier aux sollicitations incidentes de l conomie de march 16 et de la volont

    politique17. La rgle juridique, considre comme le reflet de ces mutations 18, en raison de la

    fonction qui est la sienne, est donc assujettie un continuel renouvellement 19 et suit un mouvement

    permanent dadaptation aux mutations sociales20. Mais, si la modification dune rgle de droit est

    perceptible parce quelle est le rsultat dun acte normatif, la transformation des notions juridiques

    fondamentales, lorsquelle se ralise, est souvent bien plus discrte. En effet, si les normes voluent de

    manire ostensible par laction du lgislateur ou du pouvoir rglementaire, les notions, pour leur part,

    ne sont gnralement modifies que par leffet du temps et de laccumulation des changements. De ce

    fait, tandis que lvolution de la rgle peut tre perue de faon immdiate, celle de la notion

    napparat quaprs beaucoup dannes. Au changement perceptible, soppose donc le travail du

    silence 21. Cette double manifestation du changement caractrise lvolution contemporaine du droit

    des socits. Au cours des dernires annes, cette discipline a t lobjet de rformes successives

    participant dun phnomne d atomisation 22 du droit des socits, selon le mot utilis par le Doyen

    Rodire. Ce phnomne semble invitable, en raison du lien qui existe entre le pouvoir normatif et le

    pouvoir conomique 23. Ds lors que le second commande des adaptations ponctuelles des

    structures existantes, seules des normes dajustement sont dictes. La consquence immdiate de ce

    phnomne est que les rformes gnrales du droit des socits se rarfient. cela, sest ajout un

    mouvement de diversification progressive des participants la vie sociale rpondant, l encore, aux 14 L. DUGUIT, Les transformations gnrales du droit priv depuis le Code Napolon, d. Flix Alcan, Paris, 1912, p. 7. 15 V. R. SAVATIER, Les mtamorphoses conomiques et sociales du droit civil daujourdhui, 1re srie, Panorama des mutations, 3me d., Dalloz, 1964, p. 14. 16 V. J. SAPIR, La fin de leurolibralisme, d. Le seuil, 2006, p. 82 : ce terme appartiendrait au vocabulaire politique et pas la tradition conomique . 17 V. G. RIPERT, Trait lmentaire de droit commercial, L.G.D.J., 1948, prface, 1er aot 1947, VII. V. gal. F. TEFFO, Linfluence des objectifs gouvernementaux sur lvolution du droit des socits, th., Dalloz, 2014, prf. Ch. Hannoun. 18 J. MOURY, Le risque , avant-propos, in Rapp. annuel de la Cour de cassation, 2011, Troisime partie, tude, p. 75, spc. p. 79. 19 R. SAVATIER, Les mtamorphoses conomiques et sociales du droit civil daujourdhui, 1re srie, Panorama des mutations, op. cit., p. 5. 20 V. ce sujet : F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, Le systme juridique entre ordre et dsordre, P.U.F., Paris, 1988. 21 F. JULLIEN, Les transformations silencieuses, Chantiers I, d. Grasset et Fasquelle, 2009, p. 64. 22 R. RODIRE, Groupements commerciaux, 8me d., Dalloz, Paris, 1972, p. 309, n 300. 23 V. R. ARON, Note sur le pouvoir conomique , Rev. conomique, vol. 9, n 6, 1958, p. 849 et s. V. gal. H. LVY-BRUHL, Sociologie du droit, 6me d., P.U.F., coll. Que sais-je ? , 1981, spc. p. 21 ; G. CANIVET, M.-A. FRISON-ROCHE et M. KLEIN (dir.), Mesurer lefficacit conomique du droit, L.G.D.J., 2005. V. gal. G. RIPERT, Trait lmentaire de droit commercial, op. cit., prface, 1 : le droit commercial se cre chaque jour dans la pratique changeante des affaires. Il se transforme pour suivre une conomie qui se modifie sans cesse .

  • 15

    besoins exprimes par la pratique. Or, les modifications ponctuelles et le travail dajustement des

    rgles, lorsque celui-ci sopre sur plusieurs annes, peut avoir pour effet de modifier les notions

    fondamentales de la matire. Il peut, ainsi, tre observ que beaucoup de notions du droit des socits

    sont lobjet dune transformation silencieuse 24. Lassoci ny fait pas exception et, en dfinitive,

    lvolution de la notion a des incidences sur ltude du critre de la qualit dassoci.

    Ainsi, les changements dont le droit des socits est lobjet, que ceux-ci soient dus lintervention du

    lgislateur ou lingniosit des praticiens, modifie continuellement le modle dans lequel prend

    naissance la qualit dassoci25. En particulier, les participants 26 la vie sociale sont de plus en

    plus nombreux et les dmarcations entre les diffrents acteurs sont, corrlativement, de moins en

    moins nettes. Il existe, aujourdhui, non plus seulement les tiers et les associs, mais des personnes qui

    en ont les prrogatives27, comme lusufruitier, dautres qui en ont lapparence, comme le fiduciaire, et

    dautres encore, comme le nu-propritaire, qui sont considres comme des associs alors quils nen

    ont pas tous les attributs. En raison de cette diversification, le droit des socits parat tomber dans

    une casuistique incomprhensible aux honntes gens 28. Et ce phnomne n'est pas sans consquence

    sur l'associ : enserre dans ce mouvement perptuel, la qualit dassoci a volu au cours des annes

    passes et est devenue une source dinterrogations multiples.

    6. Intrts de la recherche. Lvolution de la qualit dassoci na pas t suivie par le lgislateur ou par le juge : aucun critre na t identifi ni par lun ni par lautre. Et, par suite, la

    confusion dans laquelle les praticiens se trouvent lorsquils sont confronts des interrogations sur la

    qualit dassoci demeure. Or, cest prcisment ce constat qui lgitime ltude de la qualit dassoci

    et la recherche de son critre. En effet, il en est du droit franais comme de la langue franaise. Il est

    fait pour donner droit de cit aux ides qui ont une valeur universelle ; elles ne prennent cette valeur

    duniversalit que lorsquil les a marques au coin de ses formules claires, prcises, dgages de

    toute thorie inutile, orientes vers le pur ct pratique des choses 29. Ltude dune qualit juridique

    se justifie donc avant tout par le souci den faciliter lapplication. Or, prcisment, cette exigence fait

    dfaut la qualit dassoci. Il est, ce jour, trs difficile daffirmer que tel ou tel acteur a la qualit

    dassoci car il n'existe pas de critre qui permette d'identifier avec certitude l'associ au sein de la

    24 Selon lexpression de F. JULLIEN in Les transformations silencieuses, op. cit. 25 V. J. BONNECASE, Aperu sur lvolution de la structure lgale des socits commerciales franaises de 1804 lheure actuelle , Rev. socits 1933, p. 157. 26 Selon le mot de M. le Professeur Viandier ; v. A. VIANDIER, La notion dassoci, th. prc., p. 258, n 263 et s., dfinissant le participant comme tout sujet de droit ne pouvant pas tre qualifi de tiers ou dassoci dune socit donne . 27 V. en partic. C. COUPET, Lattribution du droit de vote dans les socits, th., LG.D.J., 2015, prf. H. Synvet, p. 267, n 264 et s. 28 R. RODIRE in D. 1955, p. 729, 4me partie, spc. p. 730, col. I. 29 R. SALEILLES, La dclaration de volont, Contribution ltude de lacte juridique dans le Code civil allemand, d. Pichon, Paris, 1901, prface, p. IX.

  • 16

    socit. Dans certaines hypothses, lorsque le besoin de qualification devient trop pressant, le juge

    opre ce travail, comme il a pu le faire avec le nu-propritaire de parts sociales ou dactions. Mais la

    modification des pratiques et la complexification des techniques dorganisation du patrimoine mnent

    une impasse que seul un travail gnral et collectif de recherche sur les fondements de la notion

    pourra surmonter. Il y a encore quelques dcennies, le paysage du droit des socits tait relativement

    simple : il y avait autant de parts que dassocis et aucun tiers ne participait la vie sociale. Puis,

    progressivement, les associs ont eu besoin dorganiser plus mticuleusement leur patrimoine, ce qui

    les a conduits puiser dans les techniques figurant en particulier au sein du droit des biens et attraire

    dans les socit des participants extrieurs. Ce ft tout dabord la technique de lusufruit qui a t

    utilise, celle-ci offrant des perspectives trs varies, que ce soit en matire de transmission ou de

    gestion du patrimoine. Ensuite, le recours au prt de consommation a permis de rpondre un besoin

    de mobilisation temporaire des titres au profit dadministrateurs de socits anonymes soumis

    lobligation de fournir des actions de garantie. Plus rcemment, la location de parts sociales ou

    dactions a permis une circulation des titres indispensable dans certains montages imagins par les

    praticiens. Ces deux techniques de mobilisation tmoignent plus fondamentalement dun besoin de

    circulation des titres prouv par des associs ou des acqureurs de plus en plus nombreux. Ce besoin

    est dj ancien mais il sest accentu aux alentours des annes 1980. cette poque, les oprations

    de private equity 30 ont connu un essor considrable. Cest au cours de ces annes que sest, en

    particulier, dveloppe la technique de lacquisition de parts sociales ou dactions titre professionnel,

    technique que les bailleurs de fonds ont exploite. Lacquisition temporaire, autrefois inexistante,

    est donc devenue courante. Et le phnomne se manifeste, aujourdhui, de manire encore plus visible

    puisque certains investisseurs deviennent propritaires de titres dans le seul but dassister une

    assemble, titres quils cdent lissue de celle-ci. Enfin, lintgration du mcanisme de fiducie en

    droit franais a introduit une nouvelle pratique en droit des socits : celle de la gestion de titres par un

    tiers, en partielle autonomie, dans un but dtermin au profit dun ou de plusieurs bnficiaires. Il est

    donc manifeste que la simplicit qui tait autrefois caractristique du paysage du droit des socits a

    laiss place une complexit qui ne traduit dailleurs ni plus ni moins que le mouvement de

    spcialisation et de diversification suivi par la socit moderne. Et du point de vue de la qualit

    dassoci, ce phnomne nest pas neutre. Car sil tait auparavant facile de dterminer qui pouvait

    prtendre cette qualit, puisquil fallait simplement suivre le titre, il est aujourdhui inenvisageable

    de procder de la mme faon. Dans bien des hypothses, il nest pas possible de dterminer qui de tel

    ou tel participant doit recevoir la qualit dassoci.

    30 Expression anglo-amricaine contemporaine qui peut tre traduite par capital-investissement .

  • 17

    Or, si certaines interrogations sont abandonnes aux bancs de la thorie, il en est autrement de celles

    qui concernent la qualit dassoci. Lenjeu pratique est considrable car chacune de ces techniques

    correspondent au moins deux interrogations : qui exerce les prrogatives dassoci ? Qui supporte les

    obligations inhrentes cette qualit ? Ces interrogations, pourtant essentielles, demeurent aujourdhui

    sans rponse. Il est vrai quune partie des difficults a t repousse par certaines dispositions lgales

    permettant un amnagement conventionnel. Il nest, en particulier, plus rare que des statuts organisent

    la rpartition des prrogatives dassoci entre lusufruitier et le nu-propritaire et il en sera

    probablement de mme dans les annes venir sagissant du fiduciaire et du constituant. Mais il est

    dj moins frquent que les obligations et les devoirs soient envisags et il existe bien des hypothses

    dans lesquelles toutes les prrogatives nont pas t rparties. Il sagit l dun premier enjeu : identifier

    le critre de la qualit dassoci permettra de pallier les rpartitions souvent inacheves, en pratique.

    Mais il existe un autre enjeu : indpendamment de lexercice des droits dassoci ou de la question de

    ses obligations, le fonctionnement normal de la socit impose de dterminer qui revient la qualit

    dassoci. Dans plusieurs situations, cet effort est incontournable. Lexercice des droits et obligations

    de lassoci ainsi que le fonctionnement de la socit constituent donc les deux enjeux de cette tude.

    7. En ce qui concerne, tout dabord, les prrogatives de lassoci, les interrogations sont nombreuses et se prsentent essentiellement dans deux cas de figure, selon que lhypothse a t ou

    non envisage par le lgislateur. Lorsque la technique est connue (tel est le cas de lusufruit et de la

    location de titres), les prrogatives dassoci sont, soit directement attribues par la loi, soit, sur son

    autorisation, par les statuts. Mais en rgle gnrale, la rpartition est imparfaite. Non seulement la loi

    nenvisage que les principales prrogatives dassoci (essentiellement le droit de vote et le droit au

    dividende)31, mais en outre, il est rare que les statuts pallient ce manque, tant les prrogatives sont

    nombreuses. Ceci tant, il est probable quexistent des clauses beaucoup plus gnrales prvoyant une

    attribution de lensemble des droits dassoci au profit dun participant dtermin et, en particulier,

    lusufruitier ou au locataire de titres. Mais leur validit est douteuse car celles-ci se heurtent, non

    seulement la thorie des droits propres 32 de lassoci qui ne pourraient, par dfinition, pas lui

    tre ts au profit dun tiers33, mais galement aux rgles spcifiques du droit des biens34 et du droit

    31 V. c. civ., art. 1844, al. 3 ; c. com., art. L. 225-110, al. 1 et L. 239-3, al. 2. 32 V. en partic. M. COZIAN, A. VIANDIER et Fl. DEBOISSY, Droit des socits, 28me d., LexisNexis, 2015, p. 211, n 369. V. cep. M. GERMAIN, La renonciation aux droits propres des associs , in Ml. F. Terr, Dalloz, P.U.F., J.-Cl., 1999, p. 401. V. plus gn. ce sujet : L. JOBERT, La notion daugmentation des engagements des associs , BJS 2004, n 5, p. 627, 124. 33 V. E. THALLER, note ss. Cass. civ., 30 mai 1892, D. 1893, I, p. 105 ; H. LECHNER, Des droits propres des actionnaires, th., 1932 ; J. DU GARREAU DE LA MCHENIE, Les droits propres de lactionnaire, th., d. Les Presses modernes, 1937, n 136 et s. ; J. NOIREL, La socit anonyme devant la jurisprudence moderne, th., d. Libr. techniques, 1958, prf. R. Roblot, p. 83, n 122. 34 Il nest, par exemple, pas concevable que lusufruitier puisse disposer du droit de demander la dissolution de la socit puisquil porterait atteinte la substance mme des titres et donc au droit du nu-propritaire, ce que lui interdit notamment larticle 578 du code civil.

  • 18

    des socits, rservant certaines actions aux associs35. Cela semble, tout le moins, exclure que

    lusufruitier et le locataire puissent disposer du droit de demander la dissolution de la socit, ou bien

    encore exercer, sil existe, le droit de retrait36. En ce qui concerne plus spcifiquement la thorie des

    droits propres , le rsultat de la prsente analyse pourrait peut-tre conduire une nouvelle

    discussion ce sujet, si lessence de la qualit dassoci parvenait tre identifie37. Les interrogations

    sont donc nombreuses alors mme que la technique en cause est connue. Et il en est de mme

    lorsquelle lest moins, en particulier parce quelle est rcente. Un dlai semble, en effet, ncessaire

    pour quun mcanisme issu du droit des biens ou du droit financier puisse tre vritablement appropri

    par le droit des socits. Tel est le cas du fiduciaire de parts sociales ou dactions mais aussi de lempty

    voter et du bailleur de fonds. Ceux-ci exercent, en pratique, certaines prrogatives dassoci, mais leur

    qualit demeure incertaine. Il sensuit que lattribution des autres prrogatives attaches la qualit

    dassoci pose de relles difficults. Ainsi, mme si des questions matrises par la doctrine, comme

    celle du droit de vote ou du droit au dividende, sont souvent rgles par la volont des parties,

    beaucoup dautres demeurent. Notamment, le bailleur de fonds peut-il exercer un droit sur le boni de

    liquidation si la socit est dissoute puis liquide pendant la priode o il dtient les titres ? De mme,

    et dune manire plus gnrale, se pose la question de lexercice, par ces participants , des actions

    attitres. En effet, dans beaucoup dhypothses, la loi rserve lassoci en titre le bnfice dune

    action. Ainsi en est-il de laction sociale, rserve par larticle 1843-5 du code civil, un ou

    plusieurs associs , de lexpertise de gestion, dont le bnfice est rserv aux actionnaires par

    larticle L. 225-231 du code de commerce, ou bien encore de la demande de dissolution anticipe pour

    justes motifs que seul un associ peut formuler, en application de larticle 1844-7, 5 du code civil. Par

    ailleurs, la question peut tre pose dans des termes identiques sagissant de la procdure dalerte dont

    linitiative, dans les socits par actions, a t confre un ou plusieurs actionnaires par larticle

    L. 225-232 du code de commerce. Ces interrogations constituent autant de doutes qui pourraient tre

    levs si le critre de la qualit dassoci tait dtermin. Car, si toutes ces actions sont rserves aux

    associs, des participants comme lusufruitier, le locataire ou le fiduciaire de titres ne peuvent y

    prtendre qu la condition davoir reu cette qualit.

    8. Mais la rpartition des prrogatives nest pas la seule incertitude. Les obligations de lassoci commandent galement de rechercher ce critre. En particulier, lintrt de la recherche se

    manifeste avec encore plus dvidence lorsquest envisage la situation du tiers dans les socits

    risque illimit. En effet, les difficults qui rendent ncessaires une rflexion sur ce critre ne

    concernent pas uniquement les rapports internes. En dautres termes, les interrogations ne se posent 35 V. infra, mme paragraphe, in fine. 36 V. ex. dans les socits civiles : c. civ., art. 1869. 37 Un auteur explique en effet que lexpression droits propres met en vidence le lien entre ces droits et lessence de la qualit dassoci (D. GALLOIS-COCHET, Associ , Joly socits 2015, n 400).

  • 19

    pas uniquement dans les relations entre les associs ou celles existant entre les associs et la socit,

    mais galement dans les rapports avec les tiers. qui ceux-ci peuvent-ils demander le paiement des

    dettes sociales lorsque la socit est en situation de dfaillance ? Leur est-il possible de solliciter dun

    usufruitier, dun fiduciaire ou bien encore dun locataire le paiement du passif social ? Cela nest

    envisageable que sil est admis que ces derniers ont la qualit dassoci car seuls les associs

    rpondent indfiniment des dettes sociales38. Cette question constitue probablement lun des enjeux

    majeurs de cette recherche dans la mesure o la protection des tiers semble constituer lun des

    impratifs du droit des socits depuis de nombreuses annes. En effet, beaucoup dexemples

    dmontrent, tant en droit commun quen droit spcial des socits, que la volont de protger les tiers

    en les prservant des difficults internes la socit est lune des proccupations principales du

    lgislateur et du juge. Cette proccupation se traduit de deux manires. Tout dabord, le droit des

    socits favorise le maintien des conventions conclues avec la socit, en dpit dventuels vices

    internes. Cela se traduit, notamment39, par linopposabilit aux tiers des clauses statutaires limitatives

    de pouvoir40 ou bien encore par labsence de rtroactivit de la nullit en droit des socits qui permet

    le maintien des conventions passes41. Indpendamment de la protection des conventions conclues

    avec les tiers, cest, ensuite, la volont de permettre aux tiers de recouvrer leurs crances qui manifeste

    le souci de protger leurs intrts. Ces derniers bnficient de rgles simplifies pour dmontrer

    lexistence de socits en participation42 ou cres de fait43 et ainsi recouvrer les crances quils

    dtiennent leur encontre. Cette tendance sest d'ailleurs accentue. La Cour de cassation admet quun

    tiers puisse agir en responsabilit civile contre un associ qui aurait commis une faute dans lexercice

    de ses prrogatives44. Tous ces exemples tmoignent donc dune volont trs nette de protger les

    tiers. Ds lors, lincertitude sur le critre de la qualit dassoci sinscrit en rupture avec ce courant et 38 V. ex. c. civ., art. 1857 et c. com., art. L. 221-1. 39 Dans le mme souci de protger les tiers, il rsulte de la loi que les actes des dirigeants qui excdent les limites de lobjet social sont inopposables aux tiers de bonne foi (c. com., art. L. 223-18, al. 5 ; L. 225-35, al. 2 ; L. 225-56, I ; L. 225-64, al. 2 ; L. 226-7, al. 2 ; L. 227-6, al. 2) et les conventions rglementes qui nont pas t approuves par lassemble ou celles qui nont pas suivi la procdure mais qui ont t approuves par lassemble produisent leurs effets lgard des tiers (c. com., art. L. 225-41). 40 V. ex. dans les socits par actions : c. com., art. L. 225-56, al. 3 : Les dispositions des statuts ou les dcisions du conseil d'administration limitant les pouvoirs du directeur gnral sont inopposables aux tiers . 41 La Cour de cassation considre en particulier quune socit mal constitue est une socit nulle et non inexistante. V. Cass. com., 16 juin 1992, n 90-17.237 : Bull. civ. IV, n 243 ; JCP G 1992, IV, 2398 ; Dr. socits 1992, comm. 178, obs. Th. BONNEAU ; BJS 1992, p. 875, note P. LE CANNU ; BJS 1993, p. 978, note B. SAINTOURENS ; D. 1993, p. 508, note L. COLLET. 42 C. civ., art. 1872-1, al. 2 et 3. 43 C. civ., art. 1872-1, al. 2 et 3 sur renvoi de lart. 1873. 44 Cass. com., 18 fvr. 2014, n 12-29.752 : D. 2014, p. 764, obs. Th. FAVARIO ; Ibid., p. 2434, note J.-C. HALLOUIN, E. LAMAZEROLLES et A. RABREAU ; JCP E 2014, 1160, note B. DONDERO ; RDC 2014, n 3, p. 372, note G. VINEY ; BJS 2014, n 6, p. 382, note B. FAGES. Rappr. Cass. com., 12 mai 2015, n 13-27.716 : Dr. socits 2015, comm. 163, note R. MORTIER. Dans cet arrt, la Cour de cassation considre que linsuffisance de capitalisation dune socit ne constitue pas une faute imputable aux associs. V. gal. B. DONDERO, La faute sparable de lassoci et la concurrence dloyale , note ss. Cass. com., 11 mars 2014, Rev. socits 2014, p. 491 ; M. ROUSSILLE, Agir en responsabilit contre lassoci , note ss. CA Basse-Terre, 2me civ., 27 janv. 2014, Dr. socits 2014, comm. 147 ; I. PARACHKVOVA, Lassoci responsable , BJS 2015, n 4, p. 165.

  • 20

    donc avec lun des objectifs que semble stre assign le droit des socits. Si, dun ct, le droit des

    socits protge les intrts du tiers et que, de lautre, il ne lui permet pas didentifier ses ventuels

    dbiteurs, son action devient contradictoire. Lenjeu est, on le comprend, loin dtre thorique, mme

    sil ne concerne que les socits risque illimit. Dans ces socits, en effet, le tiers bnficie dune

    garantie efficace pour le recouvrement de ses crances puisque les associs supportent le passif social

    sur leur patrimoine personnel. Mais dfaut de critre, comment est-il possible de dterminer si le

    tiers pourra ou non agir en paiement des dettes sociales contre l'usufruitier, le locataire ou bien encore

    le fiduciaire ? Naturellement, dans le cas de lusufruit, la prcarit de sa situation est relative puisquil

    lui est toujours possible dagir contre le nu-propritaire, dont la qualit dassoci nest plus douteuse.

    Cependant, celle du fiduciaire lest davantage car, dans cette situation, le tiers se trouve

    indiscutablement en difficult. On peut toutefois imaginer quen pratique, il ait intrt assigner le

    constituant et le fiduciaire de manire solidaire, charge pour le juge de se prononcer. Mais en

    labsence de dcisions publies sur ce sujet, le doute persiste. L'incertitude sur ces diffrentes

    interrogations est prjudiciable au tiers et semble contradictoire avec les proccupations

    contemporaines du droit des socits.

    9. Cependant, si la question de la rpartition des prrogatives et des obligations de lassoci constitue celle qui, historiquement, justifie la recherche du critre de cette qualit, une autre difficult

    a t releve. En effet, labsence de critre fiable est galement prjudiciable au fonctionnement

    normal de la socit. Un arrt rendu en date du 8 juillet 2015 illustre cette difficult face laquelle la

    volont des parties est inefficace. Dans cet arrt, la nullit dune assemble gnrale a t prononce

    au motif que certains tiers avaient particip aux dcisions collectives, alors quil rsulte de larticle

    1844 du Code civil que seuls les associs ont le droit de participer aux dcisions collectives de la

    socit 45. Cet arrt confirme substantiellement la ncessit de dterminer le critre de la qualit

    dassoci car il arrive que des non-associs, ou du moins des personnes qui nont pas la qualit

    dassoci de manire certaine, participent aux dcisions collectives des socits 46. Lusufruitier nest

    quun exemple auquel sen ajoutent bien dautres. La rpartition conventionnelle ou lgale des

    prrogatives dassoci, mme si elle tait mene son terme dans toutes les situations, ne rsoudrait

    donc pas toutes les difficults : il demeure parfois indispensable que la qualit dassoci soit attribue

    ou refuse avec certitude. Un autre exemple atteste du fait quidentifier lassoci au sein de la socit

    est indispensable au fonctionnement normal de celle-ci. Si une action tait intente pour dfaut

    daffectio societatis dun locataire, dun usufruitier ou bien encore dun fiduciaire prsent lors de la

    constitution de la socit, quelle suite lui serait-elle donne sachant que seules les parties au contrat de 45 Cass. civ. 3me, 8 juill. 2015, n 13-27.248, FS-P : Dr. socits 2015, comm. 189, note R. MORTIER ; RTD com. 2015, p. 533, note A. CONSTANTIN ; BJS 2015, p. 585, note J.-P. GARON ; Gaz. Pal. 29 sept. 2015, n 272, p. 13, note B. DONDERO. 46 B. DONDERO, note ss. Cass. civ. 3me, 8 juill. 2015, prc.

  • 21

    socit, et donc les associs, doivent avoir lintention de sassocier ? Et les mmes doutes peuvent

    exister en cours de vie sociale : dans lhypothse o un usufruitier, un fiduciaire, un locataire, ou plus

    gnralement un titulaire temporaire de parts sociales ou dactions, se trouve en situation de

    msentente grave avec lun des associs, et que cette msentente paralyse le fonctionnement de la

    socit au sens de larticle 1844-7, 5 du code civil, la dissolution anticipe de la socit pourrait-elle

    tre prononce par le tribunal la demande dun associ 47 ? En l'tat actuel des rflexions, une

    juridiction prouverait les plus grandes difficults rpondre cette question car seule une

    msentente entre associs paralysant le fonctionnement de la socit 48 peut conduire la

    dissolution dans cette hypothse. Cela suppose donc, au pralable, davoir dtermin si ces

    participants peuvent ou non tre considrs comme des associs. Enfin, limportance de connatre

    le critre de la qualit dassoci peut aussi tre rvle par la question des conventions rglementes.

    Larticle L. 225-38 du code de commerce prvoit en effet que les conventions conclues entre la socit

    et lun de ses actionnaires disposant dune fraction des droits de vote suprieure 10 % doivent

    tre soumises la procdure de contrle prvue par la loi. Quen serait-il dune convention conclue

    entre la socit et un usufruitier, un locataire ou bien encore un fiduciaire de titres ? En labsence de

    certitude sur la qualit de ces participants , il parat difficile de dterminer si une telle convention

    est incluse dans le champ dapplication de ce texte. Ceci tant, la difficult pourrait tre contourne en

    utilisant lalina 2 de ce texte, prvoyant quil en est de mme des conventions auxquelles une des

    personnes vises lalina prcdent est indirectement intresse . Il pourrait ainsi tre considr

    que le nu-propritaire, le bailleur et le constituant (ou le bnficiaire49) sont indirectement intresss,

    de sorte que la convention devrait tre soumise au contrle. Cependant, un tel raisonnement

    prsenterait rapidement ses limites car il nest pas certain que la convention en question intresse

    ncessairement ces trois personnes. En particulier, si elle concerne la perception des bnfices ou le

    versement dventuels jetons de prsence, comment pourraient-ils tre intresss par elle alors quils

    ny ont pas droit ? De mme, on voit mal quils puissent tre considrs comme indirectement

    intresss la conclusion dun contrat de travail entre la socit et lusufruitier, le locataire ou le

    fiduciaire. Par ailleurs, lide dviter la difficult pose par lalina premier en recourant la notion

    de personne indirectement intresse ne vaudrait, en tout tat de cause, que dans certaines socits

    par actions50. Dans les socits par actions simplifies, en effet, il nest pas fait rfrence la notion

    dintrt indirect51. Au sein dune telle socit, il est donc indispensable de dterminer si le contractant

    (usufruitier, locataire, fiduciaire, empty voter ou bailleur de fonds) peut ou non tre considr comme

    47 C. civ., art. 1844-7, 5. 48 C. civ., art. 1844-7, 5. 49 Selon la personne qui doit tre considre comme associ. Cette question sera examine dans la seconde partie de cette recherche. 50 C. com., art. L. 225-38 (SA conseil dadministration), L. 225-86 (SA conseil de surveillance) et L. 226-10 (SCA). 51 C. com., art. L. 227-10.

  • 22

    lun de ses actionnaires disposant dune fraction des droits de vote suprieure 10 % 52. Toutes

    ces interrogations constituent autant de difficults dont la solution dpasse la simple question de la

    rpartition des prrogatives et des obligations inhrentes la qualit dassoci.

    10. Critre et qualification. Ainsi, la recherche du critre de la qualit dassoci apparat dsormais invitable. Lchance a longtemps t repousse, mais il faut admettre que la

    complexification du droit des socits rend le besoin de qualification inluctable. Plus les sujets de

    droit sont diversifis, plus il est ncessaire de dterminer avec prcision le rgime juridique applicable

    chacun deux. Or, appliquer un rgime juridique53 suppose ncessairement, au pralable, une

    opration de qualification puisque cette dernire consiste faire entrer des faits dans une catgorie

    juridique, pour leur appliquer un rgime juridique dtermin 54. Par suite, la qualification est bien

    (), de manire gnrale, un facteur antcdant lapplication de la rgle 55. Cela explique sans

    doute que le droit soit avant tout uvre de qualification. Ainsi, pour dterminer si le participant la

    vie sociale peut jouir de prrogatives dassoci qui ne lui ont pas t expressment attribues par le

    lgislateur ou, lorsque la loi le permet, par les statuts, et supporter les obligations qui nont pas t

    mises sa charge, ou bien encore permettre le fonctionnement normal de la socit, il est

    indispensable dentreprendre une opration de qualification. Et pour qualifier dassoci un participant,

    il est ncessaire de connatre le critre de cette qualit. Une rflexion gnrale sur ce critre semble

    donc ncessaire. Mais ce constat invite prciser lobjet de cette tude : dterminer le critre qui

    permettrait didentifier lassoci parmi les diffrents participants la vie sociale conduit-il

    sinterroger sur la notion dassoci ou plutt mener une rflexion sur la qualit dassoci ?

    11. Notion et qualit . Les premiers travaux ayant cherch dterminer un critre didentification de lassoci faisaient rfrence au critre de la notion dassoci 56. Une notion est

    dfinie comme la reprsentation que l'esprit se forme d'un objet de connaissance 57. Elle suppose

    donc un objet dtermin58 et consiste en la perception collective et intuitive quil est possible davoir

    sur cet objet. Une notion dsigne donc ncessairement une ide gnrale et abstraite 59, dont le

    52 C. com., art. L. 227-10, al. 1. 53 J.-P. NIBOYET, Trait de droit international priv franais, 2me d., t. III, Sirey, Paris, 1951, n 951 et s. 54 V. X. BACHELLIER, Le pouvoir souverain des juges du fond , B.I.C.C. n 702, 15 mai 2009, p. 18. Le Doyen Rodire faisait, pour sa part, rfrence un diagnostic : v. R. RODIRE, note ss. T. civ. Alger, 14 dc. 1933 in Rev. alg., 1936, p. 61. V. gal. sur la ncessit de qualification pralable : H. BATIFFOL, Trait lmentaire de Droit international priv, 2me d., L.G.D.J., 1955, p. 351, n 298. 55 F. TERR, Linfluence de la volont individuelle sur les qualifications, th. Paris II, L.G.D.J., 1957, prf. R. Le Balle, p. 12, n 13. 56 A. VIANDIER, La notion dassoci, th. prc. 57 Dictionnaire de lAcadmie franaise, 9me d., 1992, v ce mot. 58 Comme la libert , la vrit ou bien encore la justice (v. Dictionnaire de lAcadmie franaise, 9me d., op. cit., v notion ). 59 Dictionnaire de lAcadmie franaise, 9me d., op. cit., v notion .

  • 23

    contenu apparat plus ou moins certain selon le degr dexprience de la conscience collective son

    gard. On peut en effet penser quune notion suppose une appropriation de lobjet de connaissance

    auquel elle est rattache, et qui se manifeste, dans son degr ultime, par un travail de dfinition. En

    d'autres termes, pour qu'une notion , soit considre comme assimile, il importe qu'elle soit

    dfinie. Ce travail de dfinition, qui traduit le degr de connaissance de la notion, apparat donc

    consubstantiel la notion elle-mme puisqu'il en scelle l'appropriation. En droit franais, cette

    dmarche est rgulirement suivie par le lgislateur, dont leffort permet aux notions de quitter le

    domaine de labstraction. Le code civil est, dailleurs, lun des domaines dans lequel cet effort est le

    plus visible : les notions de contrat60, de condition61, de terme62 ou bien encore de socit63, sont autant

    de notions dfinies par le lgislateur. Ltude dune notion juridique a donc pour finalit de dfinir

    lobjet de connaissance considr. Tel ne peut tre lobjet de la prsente tude. En effet, ds lors quil

    est question de dterminer le critre permettant didentifier lassoci, ce nest pas de la notion

    gnrale et abstraite 64 dont il sagit mais bien de la qualit 65. Et pour cause, ltude dune

    qualit juridique suppose, la diffrence de ltude dune notion juridique , de dterminer le

    moment de lacquisition de cette qualit, celui de sa perte, et dtablir ce qui la distingue dune autre.

    Car une qualit juridique dsigne un lien de rattachement entre un individu et une catgorie. Il

    sagit du titre 66 en vertu duquel un sujet bnficie de droits en contrepartie dobligations. Ainsi en

    est-t-il, par exemple, de la qualit de commerant 67, de la qualit de dirigeant 68, de la qualit

    de majeur 69, de la qualit dopposant 70, de la qualit dhritier 71, de la qualit de

    crancier 72, de la qualit de fiduciaire 73, de celle de dbiteur74 ou bien encore de celle de

    salari75. Or, ces qualits nont pas de raison dexister si elles ne sont pas dates : une date

    dacquisition et une date de perte sont indispensables lexistence dune qualit. Envisager une

    qualit juridique impose donc bien de dterminer quel moment celle-ci est acquise ou perdue, et

    ce qui la distingue dune autre. Il sensuit que ltude dune qualit se traduit par une approche plus

    concrte et a pour finalit la recherche dun critre, l o ltude de la notion a pour finalit de dfinir 60 C. civ., art. 1101. 61 C. civ., art. 1168 et s. 62 C. civ., art. 1185. 63 C. civ., art. 1832. 64 Dictionnaire de lAcadmie franaise, 9me d., op. cit., v notion . 65 Mme sil est parfaitement imaginable que la dfinition de la notion utilise le critre de la qualit pour faciliter la comprhension de lide. 66 V. Dictionnaire de lAcadmie franaise, 8me d., 1935, v notion . 67 V. not. c. com., art. L. 123-1, L. 123-9-1 et L. 123-12. 68 V. not. c. com., art. L. 241-3. 69 C. civ., art. 34. 70 C. civ., art. 176. 71 C. civ., art. 730. 72 C. civ., art. 1300. 73 C. civ., art. 2015. 74 C. civ., art. 2353. 75 C. com., art. L. 228-23, al. 4.

  • 24

    lobjet de connaissance considr. La dmarche est donc ncessairement diffrente et cela sexplique

    en grande partie par le fait que la notion se nourrit dintemporalit tandis que la qualit impose une

    rfrence constante loutil temporel puisquelle ncessite dtre date. Dterminer ce qui, en droit

    franais, distingue lassoci dun tiers, permet de devenir associ et ce qui conduit ne plus l'tre,

    consiste donc rechercher un critre. En consquence, cette dmarche, dans la mesure o elle ne

    consiste pas en une recherche dordre gnral sur la signification du terme associ , mais quelle

    tend dterminer un critre didentification, ne portera pas sur la notion dassoci , mais aura pour

    objet la qualit dassoci . Ceci tant prcis, il faut dsormais se demander pour quelle raison le

    terme associ peut tre employ indistinctement pour dsigner la fois le titulaire de parts sociales

    et le titulaire dactions, car la gnralit de cette tude impose de sintresser indistinctement lun et

    lautre.

    12. Associ et actionnaire . Il est dusage de dsigner le titulaire dactions par le second terme et non par le premier76. Mais cet usage a conduit sloigner de la vritable signification

    du terme associ , qui est un terme gnrique. Laffirmation puise dans un principe qui est prserv

    loccasion de chacune des rformes du droit des socits, celui de la survivance du droit

    commun 77. Selon ce principe, les dispositions du code civil, relatives au contrat de socit

    [demeurent] applicables aux socits commerciales 78. Le droit des socits commerciales ne peut

    donc tre conu autrement que comme un droit spcial drogeant au droit commun des socits tel que

    ce dernier figure au sein des articles 1832 1844-17 du code civil. Or, prcisment, parmi ces textes,

    seul le terme associ est utilis par le lgislateur. De manire gnrale, les parties au contrat de

    socit doivent donc tre dnommes des associs . Cependant, dans les socits par actions, le

    lgislateur utilise le terme actionnaires . Mais il ne sagit que dun terme spcial, drogeant

    lexpression gnrale. Pour cette raison, certaines dispositions applicables aux socits par actions79

    emploient le terme associ , et les titulaires dactions dans une socit par actions simplifie sont

    dnomms associs 80. Ainsi, lactionnaire nest quune catgorie particulire dassoci81.

    Lutilisation du terme associ pour dsigner le titulaire dactions ne peut donc tre considre

    comme une maladresse : le terme gnral peut tre utilis la place du terme spcial, mais la

    76 Sur cette question, v. Ph. REIGN et Th. DELORME, Rflexions sur la distinction de lassoci et de lactionnaire , D. 2002, p. 1330. 77 J. HMARD, F. TERR et P. MABILAT, Socits commerciales, t. I, Dalloz, Paris, 1972, prf. J. Foyer, p. 84, n 78. 78 J. HMARD, F. TERR et P. MABILAT, Socits commerciales, t. I, op. cit., p. 84, n 78. 79 V. ex. c. com., art. L. 224-1 et L. 224-3. 80 V. c. com., art. L. 227-1 et s. V. gal. ce sujet : M. GERMAIN et P.-L. PRIN, SAS La socit par actions simplifie, 5me d., d. Joly, 2013, p. 235 et s. 81 Dans sa version initiale, le code de commerce avait hirarchis les rgles applicables aux socits commerciales : le contrat de socit se rgle par le droit civil, par les lois particulires au commerce et par les conventions des parties (c. com., anc., art. 18). V. Ch. LYON-CAEN et L. RENAULT, Trait de droit commercial, 2me d., t. II, d. F. Pichon, Paris, 1891, p. 6, n 8.

  • 25

    rciproque nest pas exacte ; le terme spcial ne peut pas tre substitu au terme gnral. En

    consquence, ds lors quil sagit de rechercher un unique critre, commun aux titulaires dactions et

    de parts sociales, seule lexpression associ doit tre utilise parce quelle dsigne la fois lun et

    lautre. Il s'ensuit que lexpression qualit dassoci sera utilise pour dsigner la fois la qualit

    du titulaire de parts sociales et celle du titulaire dactions. Mais ce choix terminologique ne postule

    pas, pour autant, quun domaine illimit soffre la recherche. Ce domaine doit, au contraire, tre

    soigneusement circonscrit afin dviter que des considrations trop loignes des logiques communes

    ne perturbent la rflexion : le droit compar sera cart et le droit financier ne sera envisag que dans

    ses aspects dterminants pour la prsente analyse.

    13. Le domaine de la recherche. Dans une large mesure, et la diffrence du droit financier, le droit des socits volue en marge de l'harmonisation europenne. Cela est principalement d au fait

    que les articles 49 et 50 du Trait sur le fonctionnement de l'Union europenne n'assignent pas

    l'Union un rle dcisif en droit des socits, en dehors de celui de protger les intrts des associs et

    des tiers et de favoriser la libert d'tablissement au sein du territoire de lUnion. Ces objectifs se sont

    traduits, titre principal, par deux textes : la premire directive du Conseil82, qui ne concerne que la

    nullit des socits, et le rglement instituant la socit europenne83. Indpendamment de ces textes,

    les interventions du lgislateur europen sont ponctuelles84 et aucun travail gnral d'harmonisation n'a

    t entrepris85, le stade du questionnement n'ayant pas encore t dpass86. Il est donc aujourdhui

    encore question de comptition entre les systmes juridiques dans lunion europenne 87. Les

    notions fondamentales du droit des socits demeurent, ainsi, propre chaque tat, ne serait-ce quen

    raison du fait quelles puisent dans leurs histoires respectives, et il napparat pas pertinent, dans ces

    82 Premire directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant coordonner, pour les rendre quivalentes, les garanties qui sont exiges, dans les tats membres, des socits au sens de l'article 58 deuxime alina du trait, pour protger les intrts tant des associs que des tiers, rforme par la directive 2003/58/CE du Parlement europen et du Conseil du 15 juillet 2003 modifiant la directive 68/151/CEE du Conseil en ce qui concerne les obligations de publicit de certaines formes de socits, puis par la directive 2006-99 du 20 novembre 2006 du Conseil portant adaptation de certaines directives dans le domaine du droit des socits, en raison de l'adhsion de la Bulgarie et de la Roumanie et, enfin par la directive 2009/101/CE du Parlement europen et du Conseil tendant coordonner, pour les rendre quivalentes, les garanties qui sont exiges, dans les tats membres, des socits au sens de larticle 48, deuxime alina, du trait, pour protger les intrts tant des associs que des tiers. 83 Rglement (CE) n 2157/2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la socit europenne. V. gal. directive 2001/86/CE du Conseil du 8 octobre 2001 compltant le statut de la socit europenne pour ce qui concerne limplication des travailleurs. 84 V. ex. la directive 2005/56/CE sur les fusions transfrontalires des socits de capitaux et la directive 2007/36/CE du 11 juillet 2007 concernant l'exercice de certains droits des actionnaires de socits cotes. 85 V. ce sujet : Droit des socits , Fiches techniques de lUnion europenne, 2015 (http://www.europarl.europa.eu/ftu/pdf/fr/FTU_3.2.3.pdf). 86 V. cep. la consultation de la Commission europenne du 20 fvr. 2012 sur l'avenir du droit europen des socits. V. not. Defrnois 2012, p. 208, art. 40378. 87 A. COTIGA, Droit europen des socits, Comptition entre les systmes juridiques dans lunion europenne, d. Larcier, 2013.

  • 26

    conditions, de poursuivre une dmarche comparatiste pour dterminer les fondements de la qualit

    dassoci en droit franais. Ce constat vaut, plus forte raison, en dehors de lUnion europenne. Ceci

    tant, une question prsente un intrt : les autres tats ont-ils entrepris la dmarche de donner une

    dfinition ou didentifier le critre de la qualit dassoci ? Les recherches savrent infructueuses en

    ce qui concerne les pays voisins de la France88 ainsi que les pays anglo-amricains. Dans les premiers,

    en effet, et les raisons sont historiques, les dispositions gnrales en matire de socit sont

    sensiblement similaires. Notamment, le code des socits belge, dans son article premier89, et le code

    civil luxembourgeois, dans son article 183290, ont retenu une dfinition du contrat de socit quasi-

    identique celle qui existe en France. Et lun comme lautre droits ne qualifient lassoci que de

    personne qui prend part au contrat de socit ou encore qui dtient une participation 91 dans une

    socit. Le mme cueil existe donc ailleurs, et le constat vaut tout autant pour les pays anglo-

    amricains qui qualifient lassoci de shareholder , cest--dire de titulaire de parts. En dehors des

    ventuelles spcificits qui pourraient exister, par exemple, dans certains tats amricains, ni le droit

    des limited company , ni celui des unlimited company ne parat fournir dlments permettant

    dclairer la recherche en droit franais. Ainsi, non seulement une tude du droit compar ne parat pas

    tre justifie au regard de la finalit de la prsente recherche, mais en outre, elle savrerait

    probablement infructueuse puisquapparemment, aucun tat dont le droit des socits est comparable

    au ntre na entrepris la dmarche de dpasser le critre de la proprit des parts ou bien encore celui

    de la qualit de partie au contrat de socit. Il apparat donc opportun de mener la recherche

    uniquement en droit interne. Pour autant, faut-il prendre en considration lensemble des branches du

    droit des affaires ?

    A priori, rien ne semble justifier que le domaine danalyse soit rduit. Mais une difficult se pose avec

    le droit financier. Et pour cause, ce dernier, entendu comme regroupant lensemble des rgles figurant

    au sein du code montaire et financier, sest trs largement dparti du droit des socits : on est en

    prsence dun ensemble de matires juridiques concourant un mme objectif le financement de

    88 En ce sens : Dossier Droit compar des socits in Journ. socits dc. 2009, p. 11 et s. 89 C. soc. belge, art. 1er : Une socit est constitue par un contrat aux termes duquel deux ou plusieurs personnes mettent quelque chose en commun, pour exercer une ou plusieurs activits dtermines et dans le but de procurer aux associs un bnfice patrimonial direct ou indirect. Dans les cas prvus par le prsent code, elle peut tre constitue par un acte juridique manant de la volont d'une seule personne qui affecte des biens l'exercice d'une ou plusieurs activits dtermines. Dans les cas prvus par le prsent code, l'acte de socit peut disposer que la socit n'est pas constitue dans le but de procurer aux associs un bnfice patrimonial direct ou indirect . 90 C. civ. lux., art. 1832 : Une socit peut tre constitue par deux ou plusieurs personnes qui conviennent de mettre en commun quelque chose en vue de partager le bnfice qui pourra en rsulter ou, dans les cas prvus par la loi, par acte de volont d'une personne qui affecte des biens l'exercice d'une activit dtermine . La loi du 10 aot 1915 concernant les socits commerciales ne fournit pas, non plus, de dfinition ou de critre de lassoci. 91 C. soc. belge, art. 12.

  • 27

    lentreprise et non en prsence dun vritable champ dtude spcifique 92. Les spcialistes de cette

    matire concluent un droit instrumentalis par le march 93 et autonome en observant que les

    expriences dun particularisme du droit financier sont multiples 94. Notamment, le droit financier a

    cr un associ dpourvu de personnalit juridique (le fonds commun de placement), droge

    rgulirement aux rgles des procdures collectives et voit ses normes tablies en grande partie par

    une autorit administrative indpendante (lAutorit des marchs financiers). Des finalits loignes

    des proccupations du droit commun (protection des investisseurs, de lintgrit du march, exigence

    de transparence et loyaut dans les transactions, par exemple) et une construction selon des procds

    spcifiques semblent, ainsi, avoir consomm la rupture entre le droit financier et le droit des socits.

    Pour cette raison, son tude ne parat pas simposer avec vidence. Ceci tant, carter le droit financier

    conduirait exclure de la prsente analyse de trs nombreux associs, et plus prcisment ceux qui

    investissent sur les marchs. En consquence, mme si ltude des structures dinvestissement95 ne

    semble pas tre justifie, la spcificit de linvestissement sur les marchs prsente un rel intrt. Car,

    en dfinitive, cest la question de linvestissement dopportunit ou plus exactement celle de

    linvestisseur opportuniste, que pose directement l'mancipation du droit financier. Ce type

    dinvestissement sinscrit bel et bien dans la sous-catgorie des acquisitions drives de titres et il

    nexiste pas de raison de laisser la marge lacqureur de titres qui nescompte quun profit li la

    revente de ses parts ou actions alors que sera tudi celui qui envisage de sinvestir durablement dans

    la socit. Cette question de linvestissement dopportunit que pose le droit financier constitue un

    enjeu important pour la prsente recherche dans la mesure o elle est susceptible d'avoir une relle

    incidence sur le critre de la qualit dassoci. Plus prcisment, il est permis de douter que des

    critres classiques tels que lapport ou laffectio societatis, puissent toujours tre dfendus aujourdhui

    face aux mcanismes du droit financier. Mais, sans quil soit ncessaire denvisager toutes les

    modalits dinvestissement existantes, la question de l'acquisition des fins spculatives pourra tre

    tudie travers la problmatique du bailleur de fonds. En effet, il s'agit du seul acteur financier dont

    les obligations d'associ ont t discutes devant les juridictions. Les nombreuses dcisions rendues

    peuvent donc constituer un prcieux support de rflexion. Ainsi, travers cette problmatique, cest de

    lensemble des investisseurs en capital, ne recherchant quun profit financier immdiat, dont il sera

    question. Par voie de consquence, en droit interne, le droit financier, qui paraissait a priori devoir tre

    cart de lanalyse, ne le sera que pour une mince partie. Cela conduit sinterroger sur les autres

    92 A. COURET, H. LE NABASQUE, M.-L. COQUELET, Th. GRANIER, D. PORACCHIA, A. RAYNOUARD, A. REYGROBELLET et D. ROBINE, Droit financier, 2me d., Dalloz, coll. Prcis, 2012, p. 2, n 1. 93 A. COURET, H. LE NABASQUE, M.-L. COQUELET, Th. GRANIER, D. PORACCHIA, A. RAYNOUARD, A. REYGROBELLET et D. ROBINE, Droit financier, op. cit., p. 5, n 5. 94 A. COURET, H. LE NABASQUE, M.-L. COQUELET, Th. GRANIER, D. PORACCHIA, A. RAYNOUARD, A. REYGROBELLET et D. ROBINE, Droit financier, op. cit., p. 8, n 8. 95 Et en particulier des organismes de placement collectif ou bien encore des fonds dinvestissement alternatifs issus de la directive AIFM. Ceci exclut, en particulier, que la rcente socit de libre partenariat soit carte.

  • 28

    domaines du droit interne qui pourraient tre exclus. cet gard, il nen apparat quun seul qui puisse

    poser une difficult en raison de sa grande spcificit. Il sagit du droit des groupements dpourvus de

    personnalit juridique. Pourtant, celui-ci ne peut pas non plus tre cart.

    14. La place des groupements dpourvus de personnalit juridique. Il napparat, en effet, pas possible de faire abstraction des groupements dpourvus de la personnalit juridique, et cela, pour

    une raison simple : leurs membres sont qualifis par la loi et par la jurisprudence d associs . Leur

    tude ne pourra donc tre exclue. Mais cette exigence complique substantiellement lanalyse car

    labsence de personnalit juridique modifie le rapport qui existe, par principe, entre lassoci et la

    socit. Ce rapport devient moins perceptible et suscite beaucoup dinterrogations : lassoci dune

    socit en participation est-il titulaire de parts sociales ? Effectue-t-il un apport en socit ?

    Contribue-t-il rellement aux pertes sociales ? Lutilisation des critres habituels apparat plus dlicate

    et pourtant la recherche du critre de la qualit dassoci ne peut omettre de considrer les

    groupements dpourvus de la personnalit juridique. Il faut donc sefforcer denvisager toutes les

    formes dassoci, quils soient membres de socits dotes de la personnalit juridique ou non.

    15. Lunit, enjeu de la recherche. Mais, plus gnralement, envisager lassoci dans toute sa diversit pourrait conduire conclure que la qualit dassoci est gomtrie variable et quelle

    prend des apparences diffrentes selon la personne considre. Pourraient coexister, selon cette

    thorie, les vritables associs , les bailleurs de fonds , les associs directs et les associs

    indirects 96, les associs contrlaires , les associs participants , les associs investis dans les

    affaires sociales , ceux qui ne le sont pas, ceux qui le sont moins et il est possible dimaginer autant

    de types dassocis quil existe de dclinaisons possibles de laffectio societatis ou dapports

    diffrents. De mme, il pourrait tre tentant de considrer quune personne peut avoir la qualit

    dassoci lgard des tiers sans tre reconnue comme telle dans lordre interne. Cette question se

    pose en effet lorsque la perte de la qualit dassoci (par une cession de titres ou par lexercice dun

    droit de retrait, par exemple) na pas t rendue opposable aux tiers. Dans cette hypothse, le tiers

    crancier pourrait essayer darguer que lassoci sortant demeure, son gard, un associ en titre

    mme sil a perdu cette qualit dans lordre interne. Il existerait ainsi une double dimension dans la

    qualit dassoci : une dimension interne et une dimension externe. Mais cette lecture sera carte en

    raison de la signification mme de la qualit dassoci : on nest pas associ en soi. On est associ

    ceci et pas cela () 97. En d'autres termes, la qualit d'associ n'existe pas en elle-mme : elle

    s'inscrit dans un rapport de dpendance avec la socit et avec les autres associs. Aussi lassoci

    apparat-il dans lopinion gnrale comme une personne lie dautres par des intrts communs ou

    96 V. F. FORGUES, Lactionnaire indirect, th., 2002, dir. P. Le Cannu. 97 P. DIDIER et Ph. DIDIER, Droit commercial, t. II, Les socits commerciales, Economica, 2011, p. 209, n 243.

  • 29

    par la poursuite de buts communs 98. Reposant sur un lien puisant lui-mme dans le contrat de

    socit, la qualit dassoci ne peut donc se concevoir que dans lordre interne : mme si elle emporte

    des consquences lgard des tiers, son acquisition comme sa perte dpendent de facteurs endognes

    la socit99. Plus prcisment, pour que la qualit dassoci soit perdue, cela suppose que la personne

    en cause ne soit plus associe lentreprise commune et donc quelle ne soit plus associe au

    succs du contrat de socit . Dans cette hypothse, lindividu ne pourra donc plus tre dnomm

    comme tel. Mais cela nexclut pas que les tiers bnficient toujours du droit de lui demander

    dexcuter ses engagements dassoci, en vertu de la thorie de lapparence. Celui-ci se trouvera donc

    dans une situation particulire puisquil aura perdu le bnfice de ses droits mais pourrait tre tenu au

    titre de certaines obligations. Cette situation est bien le rsultat de lapplication de la thorie de

    lapparence en droit des socits et nest pas sans rappeler celle du dirigeant de fait . Cette rflexion

    invite dailleurs, dans une logique proche, sinterroger sur la question de lassoci de fait . Il

    existe donc beaucoup de types dassocis possibles et cela pose une difficult importante : faut-il

    se rsigner considrer que la qualit dassoci est multiple et quil nexiste aucun dnominateur

    commun, aucun caractre spcifique, et donc aucun critre ?

    Cette rsignation est peu souhaitable car tout lenjeu dune rflexion gnrale sur le critre de la

    qualit dassoci est de se confronter la diversit pour tenter den retirer lunit. Et lunit recherche

    ne sera pas seulement conceptuelle : certes, il faudra se demander sil existe un critre commun

    toutes les formes possibles dassoci, mais il sagira galement de dterminer si le critre identifi peut

    permettre dunifier les situations passes et prsentes. Car une question se pose immdiatement : le

    phnomne de rformes successives est-il rellement incompatible avec lide de continuit ? En

    dautres termes, le fait que lassoci du XXIme sicle nait plus laspect quil avait autrefois, naurait-il

    pas modifi le fondement mme de cette qualit et, partant, son critre ? Il est vrai quil semble peu

    commode de rapprocher, dune part, lactionnaire ngociant ses titres sur les marchs financiers et,

    dautre part, lassoci de la societas omnium bonorum du droit romain, tant leur dissemblance parat

    simposer tous les esprits. Et cela parat dautant plus difficile que lassoci est, aujourdhui,

    majoritairement considr comme un propritaire dont le droit a pour objet la part sociale ou laction,

    alors quil ntait, par le pass, considr que comme un contractant. Mais cette vision du critre de la

    qualit dassoci, dsormais devenue courante, est contestable. Lapparente rupture entre le pass et le

    prsent de lassoci, symbolise par le critre de la proprit, doit tre discute. Plus prcisment,

    lhypothse dun critre commun au pass et au prsent, mais dont lexistence serait rvle par les

    rcentes transformations de la notion dassoci ne devrait pas tre ignore. Il faudrait donc parvenir

    composer avec le pass lointain, les volutions rcentes et le prsent, car cela permettrait de

    dterminer si la qualit dassoci dispose vritablement dune unit.

    98 Dictionnaire de lAcadmie franaise, 9me d., op. cit., v ce mot. 99 V. ce sujet : D. CHOLET, La distinction des parties et des tiers applique aux associs , D. 2004, p. 1141.

  • 30

    Lenjeu de la recherche parat donc dsormais identifi. Toutes les interrogations auxquelles est

    confronte la qualit dassoci concernent la dtermination de son critre. Il est donc ncessaire de

    clarifier cette notion car cela conditionne le succs de la recherche.

    16. La notion de critre . Il doit tre observ que le terme critre est frquemment utilis en droit alors mme que les conditions devant tre runies pour quun lment dtermin puisse

    tre qualifi comme tel ne sont pas connus. Certes, le critre est souvent prsent comme un

    lment dun systme de rfrence retenu pour procder un classement 100 ou bien encore comme

    un lment auquel on se rfre pour juger, apprcier, dfinir quelque chose 101. Mais ces

    dfinitions gnrales ne permettent pas de dterminer les exigences quil est tenu de remplir pour

    pouvoir tre considr comme un critre. Or, il semble quun lment dtermin ne puisse tre

    considr comme un critre que si deux conditions sont remplies.

    Tout dabord, un critre doit permettre de distinguer. Ds lors que le critre a vocation unifier des

    lments pars au sein dune catgorie unique, il doit permettre didentifier un sujet dtermin comme

    la composante de cette catgorie et lexclure dune autre. Ainsi, par exemple, pour tre considre

    comme un commerant, et tre soumis au rgime juridique qui est applicable cette catgorie, une

    personne ne doit pas seulement en avoir lapparence ; elle doit rpondre au critre dfini par la loi,

    cest--dire, exercer des actes de commerce titre de profession habituelle102. Mais le critre nest pas

    seulement utilis, en droit, pour identifier une personne, il est aussi dusage den faire application aux

    choses. Notamment, pour tre qualifi de meuble par nature, un bien doit pouvoir se transporter dun

    lieu un autre103. Un autre exemple pourrait encore permettre dobserver quun critre permet aussi de

    distinguer un acte dun autre : ne peut tre qualifi dacte authentique que celui qui a t reu par un

    officier public qui a le droit dinstrumenter dans le lieu o lacte a t rdig, avec les solennits

    requises104. Il est possible de mesurer, travers ces exemples, que lexistence de critres est

    directement lie au besoin de catgoriser les actes, les personnes et les choses, puisque des rgimes

    juridiques diffrents existent. La perfection de la rgle de droit tient sa prcision, laquelle dpend

    elle-mme de lexistence de catgories. La premire condition exige dun critre est donc quil

    permette de distinguer un acte, une personne ou une chose, dune autre, dans lordonnancement

    juridique, afin que ceux-ci intgrent une catgorie prdfinie et quils soient soumis au rgime

    juridique applicable. Mais le critre ne peut tre qualifi comme tel si la seconde condition n'est pas

    remplie. Il ne suffit pas quil permette de distinguer, encore faut-il quil soit commun tous les

    lments de la catgorie en cause. Par exemple, pour que le caractre intentionnel constitue lun des

    100 Dictionnaire commercial, de lAcadmie des sciences commerciales, Impr. Boutin, 1987, v ce mot. 101 T.L.F.I., v ce mot. 102 C. com., art. L. 121-1. 103 C. civ., art. 528. 104 C. civ., art. 1317.

  • 31

    critres de la faute dtachable, permettant de lui faire produire les effets de droit qui sont attachs

    cette qualification, il est ncessaire que toutes les fautes dtachables soient intentionnelles. Si certaines

    fautes peuvent tre considres comme dtachables sans tre intentionnelles, il nest pas possible de

    considrer que le caractre intentionnel soit un critre de la faute dtachable, quand bien mme il

    permet de distinguer une faute intentionnelle dune autre faute. La fonction distinctive apparat donc

    rapidement insuffisante : le critre doit galement tre impratif. Dpourvu de caractre impratif, il

    ne peut tre considr comme commun tous les lments de la catgorie considre. Il perdrait donc

    la fonction principale qui est la sienne : identifier un lment comme appartenant une catgorie

    juridique dtermine.

    Aussi semble-t-il envisageable de considrer quun lment dtermin constitue le critre dune

    qualit ds lors que ces deux conditions cumulatives sont remplies.

    17. Le critre de la qualit dassoci. Il est donc possible de dterminer avec davantage de prcision les conditions que doit satisfaire le critre de la qualit dassoci. Celui-ci doit non

    seulement permettre de distinguer lassoci de tout autre acteur mais, en outre, il est indispensable

    quil simpose toutes les formes possibles dassoci. Cette double fonction conduira discrditer

    tous les lments qui ne sont pas communs aux diffrents associs en considrant comme pertinent le

    critre qui aura pass avec succs lpreuve de la persistance du plus apte 105. Mais, prcisment,

    dans cette preuve, il est difficile demporter la conviction : les critres qui ont t proposs ont, tour

    tour, rvl des insuffisances qui empchent dapporter les rponses attendues par les praticiens. Ces

    insuffisances ont souvent t le rsultat de lvolution du droit des socits lui-mme : les techniques

    nouvelles ncessitent de modifier les approches habituelles.

    18. Les critres successivement proposs. La premire rflexion gnrale sur lassoci a t mene par M. le Professeur Viandier qui, lorsquil a prsent ses travaux de doctorat en 1976,

    considrait que le critre de la qualit dassoci tait constitu par lapport et la participation aux

    affaires sociales106. Cependant, mme si le critre de lapport est encore frquemment utilis par la

    doctrine, il a t observ que ce critre ne permettait pas de rendre compte de lensemble des situations

    existant en pratique. Notamment, celui qui reoit des parts sociales ou des actions la suite d'une

    opration de transmission titre particulier (cession, donation ex.), a-t-il rellement effectu un apport

    en socit ? Il est permis den douter car lapport est une opration laquelle la socit est

    ncessairement partie, ce qui nest pas le cas de la cession de titres, puisque cette opration ne

    concerne que deux associs ou, dans d'autres situations, un associ et un tiers. Par ailleurs, la

    participation aux affaires sociales nest plus une prrogative rserve aux associs. Au demeurant, 105 Selon les termes de C. DARWIN, Lorigine des espces au moyen de la slection naturelle ou la lutte pour lexistence dans la nature, trad. par E. Barbier, Paris, d. A. Costes, 1921, p. 97. 106 V. A. VIANDIER, La notion dassoci, th. prc.

  • 32

    beaucoup de participants sont prsents en assemble gnrale et certains dentre eux disposent du droit

    de vote alors mme que leur qualit exacte est douteuse. Il existe donc dsormais des associs qui

    nont pas effectu dapport en socit et dautres qui ne participent pas aux affaires sociales alors que

    certains tiers paraissent disposer dun tel droit. La lgitimit du critre propos la fin du sicle

    dernier nest donc pas totale et cela a permis que de nouvelles propositions soient formules. Il a,

    notamment, t suggr danalyser lassoci partir du critre de laffectio societatis107. Mais cette

    notion est depuis longtemps critique pour limprcision de son contenu et nombreuses sont les

    hypothses dans lesquelles laffectio societatis de tel ou tel associ est douteuse. En particulier, dans

    les socits dont les titres sont admis aux ngociations sur un march rglement, il est difficile de

    soutenir que tous les associs partagent la mme volition. Ceci tant, admettre quil existe autant

    dassocis que de volonts nest pas inconcevable. Mais cela imposerait alors daccorder une

    importance dcisive un acte de volont, ce qui doit tre cart : un simple acte de volont ne peut

    suffire dterminer lacquisition ou la perte de la qualit dassoci. Seule une extriorisation de la

    volont peut produire des effets de droit et en particulier conditionner l'acquisition et la perte d'une

    qualit. Le critre de laffectio societatis na donc pas convaincu. Plus rcemment, ce ft le critre de

    la vocation au rsultat108 qui a t propos pour caractriser la qualit dassoci. Mais, linstar des

    prcdents, ce critre nest pas soustrait aux critiques. Car considrer quil constitue le critre de la

    qualit dassoci revient affirmer que tous les associs ont vocation au rsultat. Or, laffirmation est

    partiellement inexacte car de nombreux associs sont soustraits aux bnfices de lactivit sociale. Il

    suffit, pour sen persuader, de songer au nu-propritaire de parts sociales ou dactions qui a la qualit

    dassoci et qui, pourtant, ne reoit aucuns bnfices, ceux-ci tant acquis de plein droit lusufruitier.

    Dautres auteurs ont donc prfr analyser lassoci partir de ses prrogatives principales que sont le

    droit de vote et le droit au dividende. Mais, ici encore, il existe des raisons lgitimes de douter quune

    telle dmarche puisse emporter la conviction, en particulier parce que nombreux sont les associs dont

    la qualit est consacre sans ambigut et qui sont privs, ne serait-ce que de manire temporaire, de

    ces prrogatives. Ces dernires peuvent-elles rellement, dans ces conditions, tre considres comme

    des critres de la qualit dassoci ?

    En dfinitive, nombreux sont les critres qui ont t proposs par la doctrine mais il semble quaucun

    dentre eux ne parvienne surmonter les rserves qui leurs sont opposes. Tant et si bien que le critre

    de la qualit dassoci demeure, ce jour, incertain et condamne la notion un trange paradoxe : la

    ncessit didentifier le critre est de plus en plus pressante et, corrlativement, les moyens dy

    parvenir se rduisent.

    107 D. ESKINAZI, La qualit dassoci, th., 2005, dir. A.-S. Barthez. 108 J. LEDAN, Nouveau regard sur la notion dassoci , Dr. socits nov. 2010, tude n 17.

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    19. Les discussions doctrinales nont donc pas satisfait les attentes en la matire et la pratique a tent de pallier les insuffisances auxquelles chacun refuse pourtant de se rsigner. En particulier, les

    rdacteurs dactes tentent de faire concider qualit dassoci et proprit des parts sociales ou des

    actions. Cette nouvelle approche, par le critre de la proprit, prsente indiscutablement lintrt de

    simplifier lanalyse. Pour cette raison, le critre de la proprit des titres est en voie de gnralisation.

    Cependant, cette conception peut-elle tre suivie sans rserve ? Nexiste-t-il aucune discordance entre

    le critre de la proprit et la qualit dassoci ? Cela doit tre vrifi car ce nest qu cette condition

    que le critre de la proprit pourra tre peru comme lgitime et apparatre comme le critre de la

    qualit dassoci. Cette nouvelle approche constituera le point de dpart de la prsente recherche qui

    devra donc dterminer si lanalyse la plus rcente est ou non satisfaisante.

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    20. Aussi la dmarche qui sera suivie consistera-t-elle sintresser, en premier lieu, au critre qui semble, lheure actuelle, convaincre les praticiens et un nombre croissant dauteurs : celui

    de la proprit des parts sociales ou des actions. Cependant, malgr la simplicit dutilisation que

    prsente ce critre et qui le rend invitablement sduisant, son tude rvle des insuffisances qui

    conduisent douter de sa fiabilit (partie I). Ds lors quil ne peut tre considr comme un critre

    vritable, mais seulement comme un critre apparent, le critre de la proprit doit tre dpass : au-

    del des apparences, il semble exister un critre sous-jacent, l'assujettissement au risque social,

    permettant didentifier avec certitude la qualit dassoci. Ce critre svince tant des actes qui sont

    lorigine de lacquisition de cette qualit que de ceux qui en conditionnent la perte. Et il semble

    rpondre aux exigences attendues : non seulement il permet de rendre compte de la singularit de

    lassoci au sein de lordre juridique, mais en outre, il simpose sans rserve tous les associs

    (partie II).

    Partie I : La proprit des parts sociales ou des actions, critre apparent de la qualit dassoci

    Partie II : Lassujettissement au risque social, critre sous-jacent de la qualit dassoci

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    PARTIE I

    LA PROPRIT DES PARTS SOCIALES OU DES ACTIONS : CRITRE APPARENT DE

    LA QUALIT DASSOCI

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  • 37

    21. Il est aujourdhui devenu courant daffirmer qu tre associ cest tre propritaire des parts ou actions 109. Cet usage a dailleurs trouv cho dans les prtoires, les magistrats raffirmant

    inlassablement la qualit de propritaire de lassoci. Il semble donc dsormais acquis que tout associ

    exerce un droit de proprit sur la part sociale ou sur laction (titre premier).

    Cependant, la proprit des titres ne peut tre rige en critre de la qualit dassoci que si le lien

    entre la proprit et la qualit dassoci est tabli de manire rciproque. En effet, pour que la

    proprit constitue le critre de la qualit dassoci, il est, certe