cjue - cour de justice de l’union européenne · pdf fileabs / be jurisprudence...

28
ABS / BE Jurisprudence 260816 Page 1 / 28 CJUE - Cour de justice de l’Union européenne ARRÊT DE LA COUR (grande chambre) 1 23 mars 2010 2 Marques Internet Moteur de recherche Publicité à partir de mots clés (keyword advertising) Affichage, à partir de mots clés correspondant à des marques, de liens vers des sites de concurrents des titulaires desdites marques ou vers des sites sur lesquels sont proposés des produits d’imitation – Directive 89/104/CEE Article 5 Règlement (CE) n° 40/94 Article 9 Responsabilité de l’opérateur du moteur de recherche Directive 2000/31/CE (directive sur le commerce électronique) Dans les affaires jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08, ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites par la Cour de cassation (France), par décisions du 20 mai 2008, parvenues à la Cour le 3 juin 2008, dans les procédures Google France SARL, Google Inc. contre Louis Vuitton Malletier SA (C-236/08), et Google France SARL, contre Viaticum SA, Luteciel SARL (C-237/08), et Google France SARL, contre Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL, Pierre-Alexis T., Bruno R., Tiger SARL (C-238/08), 1 AVIS JURIDIQUE IMPORTANT: Les informations qui figurent sur ce site sont soumises à une clause de "non- responsabilité" et sont protégées par un copyright. 2 Langue de procédure: le français.

Upload: phamdien

Post on 05-Feb-2018

217 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 1 / 28

CJUE - Cour de justice de l’Union européenne

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)1

23 mars 2010 2

Marques – Internet – Moteur de recherche – Publicité à partir de mots clés (keyword advertising) –

Affichage, à partir de mots clés correspondant à des marques, de liens vers des sites de concurrents

des titulaires desdites marques ou vers des sites sur lesquels sont proposés des produits d’imitation –

Directive 89/104/CEE – Article 5 – Règlement (CE) n° 40/94 – Article 9 – Responsabilité de

l’opérateur du moteur de recherche – Directive 2000/31/CE (directive sur le commerce électronique)

Dans les affaires jointes C-236/08, C-237/08 et C-238/08,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduites

par la Cour de cassation (France), par décisions du 20 mai 2008, parvenues à la Cour le 3 juin

2008, dans les procédures

Google France SARL,

Google Inc.

contre

Louis Vuitton Malletier SA (C-236/08),

et

Google France SARL,

contre

Viaticum SA,

Luteciel SARL (C-237/08),

et

Google France SARL,

contre

Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL,

Pierre-Alexis T.,

Bruno R.,

Tiger SARL (C-238/08),

1 AVIS JURIDIQUE IMPORTANT: Les informations qui figurent sur ce site sont soumises à une clause de "non-

responsabilité" et sont protégées par un copyright. 2 Langue de procédure: le français.

Page 2: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 2 / 28

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. A. Tizzano, J. N. Cunha Rodrigues, K. Lenaerts et

E. Levits, présidents de chambre, MM. C. W. A. Timmermans, A. Rosas, A. Borg Barthet, M.

Ilešič (rapporteur), J. Malenovský, U. Lõhmus, A. Ó Caoimh et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 17 mars 2009,

considérant les observations présentées:

- pour Google France SARL et Google Inc., par Mes A. Néri et S. Proust, avocats, ainsi que par

M. G. Hobbs, QC,

- pour Louis Vuitton Malletier SA, par Me P. de Candé, avocat,

- pour Viaticum SA et Luteciel SARL, par Me C. Fabre, avocat,

- pour le Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH) SARL et M. T., par Mes

L. Boré et P. Buisson, avocats,

- pour Tiger SARL, par Me O. de Nervo, avocat,

- pour le gouvernement français, par MM. G. de Bergues et B. Cabouat, en qualité d’agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. H. Krämer, en qualité d’agent.

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 22 septembre 2009,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 5,

paragraphes 1 et 2, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988,

rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1), 9,

paragraphe 1, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque

communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), et 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement

européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de

la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché

intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant, dans l’affaire C-236/08,

les sociétés Google France SARL et Google Inc. (ci-après individuellement ou ensemble

«Google») à la société Louis Vuitton Malletier SA (ci-après «Vuitton»), et, dans les affaires

C-237/08 et C-238/08, Google aux sociétés Viaticum SA (ci-après «Viaticum»), Luteciel

SARL (ci-après «Luteciel»), Centre national de recherche en relations humaines (CNRRH)

SARL (ci-après «CNRRH») et Tiger SARL (ci-après «Tiger»), ainsi qu’à deux particuliers,

MM. T. et R., à propos de l’affichage sur Internet de liens promotionnels à partir de mots

clés correspondant à des marques.

Page 3: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 3 / 28

I – Le cadre juridique

A – La directive 89/104

3 L’article 5 de la directive 89/104, intitulé «Droits conférés par la marque», dispose:

«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est

habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la

vie des affaires:

a) d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à

ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la

marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services

couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de

confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

2. Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à

tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un

signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas

similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une

renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit

du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment

être interdit:

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou

d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

[…]»

4 L’article 6 de la directive 89/104, intitulé «Limitation des effets de la marque», dispose:

«1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers

l’usage, dans la vie des affaires,

a) de son nom et de son adresse;

b) d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la

valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de

la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci;

c) de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit

ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière

industrielle ou commerciale.

[…]»

5 L’article 7 de la directive 89/104, intitulé «Épuisement du droit conféré par la marque»,

énonçait dans sa version initiale:

Page 4: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 4 / 28

«1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de

celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette

marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le

titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état

des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.»

6 Conformément à l’article 65, paragraphe 2, de l’accord sur l’Espace économique européen

(EEE) du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), lu en combinaison avec l’annexe XVII, point 4,

de cet accord, l’article 7, paragraphe 1, de la directive 89/104, dans sa version initiale, a été

modifié aux fins dudit accord, l’expression «dans la Communauté» étant remplacée par les

mots «sur le territoire d’une partie contractante».

7 La directive 89/104 a été abrogée par la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du

Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les

marques (version codifiée) (JO L 299, p. 25), entrée en vigueur le 28 novembre 2008.

Néanmoins, les litiges au principal demeurent régis, compte tenu de la date des faits, par la

directive 89/104.

B – Le règlement n° 40/94

8 L’article 9 du règlement n° 40/94, intitulé «Droit conféré par la marque communautaire»,

dispose:

«1. La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est

habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la

vie des affaires:

a) d’un signe identique à la marque communautaire pour des produits ou des

services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée;

b) d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la

marque communautaire et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou

des services couverts par la marque communautaire et le signe, il existe un risque de

confusion dans l’esprit du public; le risque de confusion comprend le risque

d’association entre le signe et la marque;

c) d’un signe identique ou similaire à la marque communautaire pour des produits ou

des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque

communautaire est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans la

Communauté et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du

caractère distinctif ou de la renommée de la marque communautaire ou leur porte

préjudice.

2. Il peut notamment être interdit, si les conditions énoncées au paragraphe 1 sont

remplies:

a) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement;

b) d’offrir les produits ou de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins

ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe;

c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe;

d) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

[…]»

Page 5: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 5 / 28

9 L’article 12 du règlement n° 40/94, intitulé «Limitation des effets de la marque

communautaire», dispose:

«Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire d’interdire à

un tiers l’usage, dans la vie des affaires,

a) de son nom ou de son adresse;

b) d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la

valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la

prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci;

c) de la marque lorsqu’il est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou

d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière

industrielle ou commerciale.»

10 L’article 13 du même règlement, intitulé «Épuisement du droit conféré par la marque

communautaire», énonce:

«1. Le droit conféré par la marque communautaire ne permet pas à son titulaire

d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la

Communauté sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le

titulaire s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état

des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce.»

11 Le règlement n° 40/94 a été abrogé par le règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26

février 2009, sur la marque communautaire (version codifiée) (JO L 78, p. 1), entré en

vigueur le 13 avril 2009. Néanmoins, les litiges au principal demeurent régis, compte tenu

de la date des faits, par le règlement n° 40/94.

C – La directive 2000/31

12 Le vingt-neuvième considérant de la directive 2000/31 énonce:

«Les communications commerciales sont essentielles pour le financement des services de la

société de l’information et le développement d’une large variété de nouveaux services

gratuits. Dans l’intérêt de la protection des consommateurs et de la loyauté des

transactions, les communications commerciales […] doivent respecter un certain nombre

d’obligations relatives à la transparence. […]»

13 Les quarantième à quarante-sixième considérants de la directive 2000/31 sont libellés

comme suit:

«(40) Les divergences existantes et émergentes entre les législations et les jurisprudences

des États membres dans le domaine de la responsabilité des prestataires de services

agissant en qualité d’intermédiaires empêchent le bon fonctionnement du marché intérieur,

en particulier en gênant le développement des services transfrontaliers […]. Les

prestataires des services ont, dans certains cas, le devoir d’agir pour éviter les activités

illégales ou pour y mettre fin. La présente directive doit constituer la base adéquate pour

l’élaboration de mécanismes rapides et fiables permettant de retirer les informations

illicites et de rendre l’accès à celles-ci impossible. […]

Page 6: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 6 / 28

(41) La présente directive instaure un équilibre entre les différents intérêts en jeu et établit

des principes qui peuvent servir de base aux normes et aux accords adoptés par les

entreprises.

(42) Les dérogations en matière de responsabilité prévues par la présente directive ne

couvrent que les cas où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de

l’information est limitée au processus technique d’exploitation et de fourniture d’un accès

à un réseau de communication sur lequel les informations fournies par des tiers sont

transmises ou stockées temporairement, dans le seul but d’améliorer l’efficacité de la

transmission. Cette activité revêt un caractère purement technique, automatique et passif,

qui implique que le prestataire de services de la société de l’information n’a pas la

connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées.

(43) Un prestataire de services peut bénéficier de dérogations pour le ‘simple transport’

et pour la forme de stockage dite ‘caching’ lorsqu’il n’est impliqué en aucune manière

dans l’information transmise. […]

(44) Un prestataire de services qui collabore délibérément avec l’un des destinataires de

son service afin de se livrer à des activités illégales va au-delà des activités de ‘simple

transport’ ou de ‘caching’ et, dès lors, il ne peut pas bénéficier des dérogations en matière

de responsabilité prévues pour ce type d’activité.

(45) Les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires prévues

dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d’actions en cessation de

différents types. […]

(46) Afin de bénéficier d’une limitation de responsabilité, le prestataire d’un service de la

société de l’information consistant dans le stockage d’informations doit, dès qu’il prend

effectivement connaissance ou conscience du caractère illicite des activités, agir

promptement pour retirer les informations concernées ou rendre l’accès à celles-ci

impossible. […]»

14 L’article 2, sous a), de la directive 2000/31 définit les «services de la société de

l’information» par référence à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34/CE du

Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d’information

dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux

services de la société de l’information (JO L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive

98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18),

comme visant:

«tout service presté normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à

la demande individuelle d’un destinataire de services».

15 L’article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34, dans sa version telle que modifiée par la

directive 98/48, poursuit ainsi:

«[…]

Aux fins de la présente définition, on entend par:

– les termes ‘à distance’: un service fourni sans que les parties soient simultanément

présentes,

– ‘par voie électronique’: un service envoyé à l’origine et reçu à destination au moyen

d’équipements électroniques de traitement […] et de stockage de données, et qui est

entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par moyens optiques ou par

d’autres moyens électromagnétiques,

Page 7: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 7 / 28

– ‘à la demande individuelle d’un destinataire de services’: un service fourni par

transmission de données sur demande individuelle.

[…]»

16 L’article 6 de la directive 2000/31 énonce:

«Outre les autres exigences en matière d’information prévues par le droit communautaire,

les États membres veillent à ce que les communications commerciales qui font partie d’un

service de la société de l’information […] répondent au moins aux conditions suivantes:

[…]

b) la personne physique ou morale pour le compte de laquelle la communication

commerciale est faite doit être clairement identifiable;

[…]»

17 Le chapitre II de la directive 2000/31 comporte une section 4, intitulée «Responsabilité des

prestataires intermédiaires», qui réunit les articles 12 à 15.

18 L’article 12 de la directive 2000/31, intitulé «Simple transport (‘Mere conduit’)», dispose:

«1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de

l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations

fournies par le destinataire du service ou à fournir un accès au réseau de communication,

le prestataire de services ne soit pas responsable des informations transmises, à condition

que le prestataire:

a) ne soit pas à l’origine de la transmission;

b) ne sélectionne pas le destinataire de la transmission

et

c) ne sélectionne et ne modifie pas les informations faisant l’objet de la transmission.

2. Les activités de transmission et de fourniture d’accès visées au paragraphe 1

englobent le stockage automatique, intermédiaire et transitoire des informations

transmises, pour autant que ce stockage serve exclusivement à l’exécution de la

transmission sur le réseau de communication et que sa durée n’excède pas le temps

raisonnablement nécessaire à la transmission.

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité

administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du

prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation.»

19 L’article 13 de la même directive, intitulé «Forme de stockage dite ‘caching’», énonce:

«1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de

l’information consistant à transmettre, sur un réseau de communication, des informations

fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable au titre du

stockage automatique, intermédiaire et temporaire de cette information fait dans le seul but

de rendre plus efficace la transmission ultérieure de l’information à la demande d’autres

destinataires du service, à condition que:

a) le prestataire ne modifie pas l’information;

b) le prestataire se conforme aux conditions d’accès à l’information;

c) le prestataire se conforme aux règles concernant la mise à jour de l’information,

indiquées d’une manière largement reconnue et utilisées par les entreprises;

Page 8: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 8 / 28

d) le prestataire n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie, largement

reconnue et utilisée par l’industrie, dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation

de l’information

et

e) le prestataire agisse promptement pour retirer l’information qu’il a stockée ou

pour en rendre l’accès impossible dès qu’il a effectivement connaissance du fait que

l’information à l’origine de la transmission a été retirée du réseau ou du fait que

l’accès à l’information a été rendu impossible, ou du fait qu’un tribunal ou une

autorité administrative a ordonné de retirer l’information ou d’en rendre l’accès

impossible.

2. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité

administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du

prestataire qu’il mette fin à une violation ou qu’il prévienne une violation.»

20 L’article 14 de la directive 2000/31, intitulé «Hébergement», dispose:

«1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de

l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service,

le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un

destinataire du service à condition que:

a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information

illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas

connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information

illicite est apparente

ou

b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement

pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible.

2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous

l’autorité ou le contrôle du prestataire.

3. Le présent article n’affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité

administrative, conformément aux systèmes juridiques des États membres, d’exiger du

prestataire qu’il mette un terme à une violation ou qu’il prévienne une violation et n’affecte

pas non plus la possibilité, pour les États membres, d’instaurer des procédures régissant le

retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l’accès impossible.»

21 L’article 15 de la directive 2000/31, intitulé «Absence d’obligation générale en matière de

surveillance», prévoit:

«1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des

services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les

informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher

activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

2. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société

de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes

d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou

d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux

autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les

destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement.»

Page 9: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 9 / 28

II – Les litiges au principal et les questions préjudicielles

A – Le service de référencement «AdWords»

22 Google exploite un moteur de recherche sur Internet. Lorsqu’un internaute effectue une

recherche à partir d’un ou de plusieurs mots, le moteur de recherche va afficher les sites qui

paraissent le mieux correspondre à ces mots par ordre décroissant de pertinence. Il s’agit

des résultats dits «naturels» de la recherche.

23 Par ailleurs, Google propose un service de référencement payant dénommé «AdWords». Ce

service permet à tout opérateur économique, moyennant la sélection d’un ou de plusieurs

mots clés, de faire apparaître, en cas de concordance entre ce ou ces mots et celui ou ceux

contenus dans la requête adressée par un internaute au moteur de recherche, un lien

promotionnel vers son site. Ce lien promotionnel apparaît dans la rubrique «liens

commerciaux», qui est affichée soit en partie droite de l’écran, à droite des résultats

naturels, soit en partie supérieure de l’écran, au-dessus desdits résultats.

24 Ledit lien promotionnel est accompagné d’un bref message commercial. Ensemble, ce lien

et ce message constituent l’annonce affichée dans la rubrique susvisée.

25 Une rémunération du service de référencement est due par l’annonceur pour chaque clic sur

le lien promotionnel. Cette rémunération est calculée en fonction, notamment, du «prix

maximal par clic» que l’annonceur a, lors de la conclusion du contrat de service de

référencement avec Google, déclaré être prêt à payer, ainsi que du nombre de clics sur ledit

lien par les internautes.

26 Plusieurs annonceurs peuvent sélectionner le même mot clé. L’ordre d’affichage de leurs

liens promotionnels est alors déterminé, notamment, en fonction du prix maximal par clic,

du nombre de clics antérieurs sur lesdits liens, ainsi que de la qualité de l’annonce telle

qu’évaluée par Google. L’annonceur peut à tout moment améliorer sa place dans l’ordre

d’affichage en fixant un prix maximal par clic plus élevé ou en essayant d’améliorer la

qualité de son annonce.

27 Google a mis au point un processus automatisé pour permettre la sélection de mots clés et

la création d’annonces. Les annonceurs sélectionnent les mots clés, rédigent le message

commercial et insèrent le lien vers leur site.

B – L’affaire C-236/08

28 Vuitton, qui commercialise notamment des sacs de luxe et d’autres produits de

maroquinerie, est titulaire de la marque communautaire «Vuitton» et des marques

nationales françaises «Louis Vuitton» et «LV». Il est constant que ces marques sont

renommées.

29 Au début de l’année 2003, Vuitton a fait constater que, lors de l’utilisation du moteur de

recherche de Google, la saisie par les internautes des termes constituant ses marques faisait

apparaître, dans la rubrique «liens commerciaux», des liens vers des sites proposant des

Page 10: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 10 / 28

imitations de produits de Vuitton. Il a également été établi que Google offrait aux

annonceurs la possibilité de sélectionner non seulement des mots clés correspondant aux

marques de Vuitton, mais aussi ces mots clés associés à des expressions évoquant

l’imitation, telles que «imitation» et «copie».

30 Vuitton a assigné Google afin de voir constater, notamment, que celle-ci avait porté atteinte

à ses marques.

31 Google a été condamnée pour contrefaçon des marques de Vuitton par jugement du 4

février 2005 du tribunal de grande instance de Paris puis, en appel, par arrêt du 28 juin

2006 de la cour d’appel de Paris. Elle a formé un pourvoi en cassation contre ce dernier

arrêt.

32 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la

Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Les articles 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la [directive 89/104] et 9, paragraphe

1, sous a) et b), du [règlement n° 40/94] doivent-ils être interprétés en ce sens que le

prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition des annonceurs des

mots clés reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise par le contrat de

référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots clés, de liens

promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits contrefaisants, fait un

usage de ces marques que [leur] titulaire est habilité à interdire?

2) Dans l’hypothèse où les marques sont des marques renommées, le titulaire pourrait-il

s’opposer à un tel usage, sur le fondement de l’article 5, paragraphe 2, de la directive

[89/104], et de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement [n° 40/94]?

3) Dans l’hypothèse où un tel usage ne constituerait pas un usage susceptible d’être

interdit par le titulaire de la marque, en application de la directive [89/104] et du

règlement [n° 40/94], le prestataire de service de référencement payant peut-il être

considéré comme fournissant un service de la société de l’information consistant à stocker

des informations fournies par un destinataire du service, au sens de l’article 14 de la

[directive 2000/31], de sorte que sa responsabilité ne pourrait être recherchée avant qu’il

n’ait été informé par le titulaire de la marque de l’usage illicite du signe par

l’annonceur ? »

C – L’affaire C-237/08

33 Viaticum est titulaire des marques françaises «Bourse des Vols», «Bourse des Voyages» et

«BDV», enregistrées pour des services d’organisation de voyages.

34 Luteciel exerce une activité de prestataire de services informatiques pour le compte

d’agences de voyages. Elle assure l’édition et la maintenance du site Internet de Viaticum.

35 Viaticum et Luteciel ont fait constater que, lors de l’utilisation du moteur de recherche de

Google par des internautes, la saisie des termes constituant les marques susvisées faisait

apparaître, dans la rubrique «liens commerciaux», des liens vers des sites de concurrents de

Viaticum. Il a également été établi que Google offrait aux annonceurs la possibilité de

sélectionner à cette fin des mots clés correspondant auxdites marques.

Page 11: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 11 / 28

36 Viaticum et Luteciel ont assigné Google. Par jugement du 13 octobre 2003, le tribunal de

grande instance de Nanterre a estimé que Google avait commis des actes de contrefaçon de

marques et l’a condamnée à réparer le préjudice subi par Viaticum et Luteciel. Google a

interjeté appel devant la cour d’appel de Versailles. Celle-ci, par un arrêt du 10 mars 2005,

a retenu que Google avait commis des actes de complicité de contrefaçon et a confirmé le

jugement du 13 octobre 2003. Google a formé un pourvoi en cassation contre ce dernier

arrêt.

37 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la

Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) L’article 5, paragraphe 1, sous a) et sous b), de la [directive 89/104] doit-il être

interprété en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la

disposition des annonceurs des mots clés reproduisant ou imitant des marques déposées, et

organise par le contrat de référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de

ces mots clés, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits

identiques ou similaires à ceux couverts par l’enregistrement de marques, fait un usage de

ces marques que [leur] titulaire est habilité à interdire?

2) Dans l’hypothèse où un tel usage ne constituerait pas un usage susceptible d’être

interdit par le titulaire de la marque, en application de la directive [89/104] et du

règlement [n° 40/94], le prestataire de service de référencement payant peut-il être

considéré comme fournissant un service de la société de l’information consistant à stocker

des informations fournies par un destinataire du service, au sens de l’article 14 de la

[directive 2000/31], de sorte que sa responsabilité ne pourrait être recherchée avant qu’il

n’ait été informé par le titulaire de la marque de l’usage illicite du signe par

l’annonceur ? »

D – L’affaire C-238/08

38 M. T. est titulaire de la marque française «Eurochallenges», enregistrée notamment pour

des services d’agence matrimoniale. CNRRH exerce l’activité d’agence matrimoniale. Elle

est titulaire d’une licence sur la marque susvisée, concédée par M. T..

39 Au cours de l’année 2003, M. T. et CNRRH ont fait constater que, lors de l’utilisation du

moteur de recherche de Google par des internautes, la saisie du terme correspondant à la

marque susvisée faisait apparaître, dans la rubrique «liens commerciaux», des liens vers des

sites de concurrents de CNRRH, exploités respectivement par M. R. et Tiger. Il a également

été établi que Google offrait aux annonceurs la possibilité de sélectionner à cette fin ledit

terme en tant que mot clé.

40 M. R., Tiger et Google ont, sur la demande de M. T. et de CNRRH, été condamnés pour

contrefaçon de marque par jugement du 14 décembre 2004 du tribunal de grande instance

de Nanterre puis, en appel, par arrêt du 23 mars 2006 de la cour d’appel de Versailles.

Google a formé un pourvoi en cassation contre ce dernier arrêt.

41 Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la

Cour les questions préjudicielles suivantes:

Page 12: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 12 / 28

«1) La réservation par un opérateur économique, par voie de contrat de référencement

payant sur Internet, d’un mot clé déclenchant en cas de requête utilisant ce mot l’affichage

d’un lien proposant de se connecter à un site exploité par cet opérateur afin d’offrir à la

vente des produits ou des services, d’un signe reproduisant ou imitant une marque

enregistrée par un tiers afin de désigner des produits identiques ou similaires, sans

l’autorisation du titulaire de cette marque, caractérise-t-elle en elle-même une atteinte au

droit exclusif garanti à ce dernier par l’article 5 de la [directive 89/104] ?

2) L’article 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la [directive 89/104] doit-il être interprété

en ce sens que le prestataire de service de référencement payant qui met à la disposition

des annonceurs des mots clés reproduisant ou imitant des marques déposées, et organise

par le contrat de référencement la création et l’affichage privilégié, à partir de ces mots

clés, de liens promotionnels vers des sites sur lesquels sont proposés des produits

identiques ou similaires à ceux couverts par l’enregistrement de marques, fait un usage de

ces marques que son titulaire est habilité à interdire?

3) Dans l’hypothèse où un tel usage ne constituerait pas un usage susceptible d’être

interdit par le titulaire de la marque, en application de la directive [89/104] et du

règlement [n° 40/94], le prestataire de service de référencement payant peut-il être

considéré comme fournissant un service de la société de l’information consistant à stocker

des informations fournies par un destinataire du service, au sens de l’article 14 de la

[directive 2000/31], de sorte que sa responsabilité ne pourrait être recherchée avant qu’il

n’ait été informé par le titulaire de la marque de l’usage illicite du signe par

l’annonceur ? »

III – Sur les questions préjudicielles

A – Sur l’emploi de mots clés correspondant à des marques d’autrui dans le cadre d’un

service de référencement sur Internet

1. Considérations liminaires

42 Il est constant que les litiges au principal trouvent leur origine dans l’emploi, en tant que

mots clés dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de signes qui

correspondent à des marques, sans que les titulaires de celles-ci n’aient donné leur

consentement. Lesdits mots clés ont été choisis par des clients du prestataire du service de

référencement et ont été acceptés et stockés par ce dernier. Les clients en cause

commercialisent des imitations des produits du titulaire de la marque (affaire C-236/08) ou

sont, simplement, des concurrents de celui-ci (affaires C-237/08 et C-238/08).

43 Par ses première question dans l’affaire C-236/08, première question dans l’affaire C-

237/08 ainsi que première et deuxième questions dans l’affaire C-238/08, qu’il convient

d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 5,

paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/104 ainsi que 9, paragraphe 1, sous a) et b),

du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est

habilité à interdire à un tiers d’afficher ou de faire afficher, à partir d’un mot clé identique

ou similaire à cette marque que ce tiers a sans le consentement dudit titulaire sélectionné ou

stocké dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, une annonce pour des

Page 13: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 13 / 28

produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est

enregistrée.

44 Les première question dans l’affaire C-236/08, première question dans l’affaire C-237/08 et

deuxième question dans l’affaire C-238/08 se concentrent, à cet égard, sur le stockage d’un

tel mot clé par le prestataire du service de référencement et l’organisation, par ce dernier,

de l’affichage de l’annonce de son client à partir dudit mot, tandis que la première question

dans l’affaire C-238/08 porte sur la sélection du signe en tant que mot clé par l’annonceur

et sur l’affichage de l’annonce qui résulte, par le mécanisme du référencement, de ladite

sélection.

45 Les articles 5, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 89/104 ainsi que 9, paragraphe 1,

sous a) et b), du règlement n° 40/94 habilitent, sous certaines conditions, les titulaires de

marques à interdire aux tiers l’usage de signes identiques ou similaires à leurs marques pour

des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ces marques sont

enregistrées.

46 Dans les litiges au principal, l’emploi de signes correspondant à des marques en tant que

mots clés a pour objet et pour effet de déclencher l’affichage de liens promotionnels vers

des sites sur lesquels sont proposés des produits ou des services identiques à ceux pour

lesquels lesdites marques sont enregistrées, à savoir, respectivement, des produits de

maroquinerie, des services d’organisation de voyages et des services d’agence

matrimoniale.

47 Dès lors, la Cour examinera la question visée au point 43 du présent arrêt principalement

sous l’angle des articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1,

sous a), du règlement n° 40/94 et seulement de manière incidente sous l’angle du même

paragraphe 1, sous b), de ces articles, cette dernière disposition couvrant, en cas de signe

identique à la marque, l’hypothèse où les produits ou les services du tiers sont seulement

similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée.

48 À l’issue dudit examen, il conviendra de répondre à la deuxième question dans l’affaire C-

236/08, par laquelle la Cour est invitée à examiner la même problématique sous l’angle des

articles 5, paragraphe 2, de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n°

40/94, qui concernent les droits conférés par des marques jouissant d’une renommée. Sous

réserve de vérification par la juridiction de renvoi, il résulte de la demande de décision

préjudicielle que la législation applicable en France comporte la règle visée à l’article 5,

paragraphe 2, de la directive 89/104. Au demeurant, la Cour a précisé que cette disposition

de la directive ne doit pas être interprétée exclusivement au regard de son libellé, mais

également en considération de l’économie générale et des objectifs du système dans lequel

elle s’insère. Dès lors, la règle visée à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 89/104 ne

concerne non pas seulement les cas où un tiers fait usage d’un signe identique ou similaire à

une marque renommée pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux

pour lesquels cette marque est enregistrée, mais également les cas où un tel usage est fait

pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite

marque est enregistrée (arrêts du 9 janvier 2003, Davidoff, C-292/00, Rec. p. I-389, points

Page 14: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 14 / 28

24 à 30, ainsi que du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux, C-102/07, Rec. p. I-2439,

point 37).

2. Sur l’interprétation des articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9,

paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94

49 En application de l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 ou, en cas de

marque communautaire, de l’article 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94, le

titulaire de la marque est habilité à interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe

identique à ladite marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est

fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est

enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque

(voir, notamment, arrêt du 11 septembre 2007, Céline, C-17/06, Rec. p. I-7041, point 16;

ordonnance du 19 février 2009, UDV North America, C-62/08, non encore publiée au

Recueil, point 42, ainsi que arrêt du 18 juin 2009, L’Oréal e.a., C-487/07, non encore publié

au Recueil, point 58).

a) Usage dans la vie des affaires

50 L’usage du signe identique à la marque a lieu dans la vie des affaires dès lors qu’il se situe

dans le contexte d’une activité commerciale visant à un avantage économique et non dans

le domaine privé (arrêts du 12 novembre 2002, Arsenal Football Club, C-206/01, Rec. p. I-

10273, point 40, et Céline, précité, point 17, ainsi que ordonnance UDV North America,

précitée, point 44).

51 S’agissant, d’abord, de l’annonceur achetant le service de référencement et choisissant en

tant que mot clé un signe identique à une marque d’autrui, il convient de constater qu’il fait

un usage dudit signe au sens de cette jurisprudence.

52 En effet, du point de vue de l’annonceur, la sélection du mot clé identique à la marque a

pour objet et pour effet l’affichage d’un lien promotionnel vers le site sur lequel il offre à la

vente ses produits ou ses services. Le signe sélectionné en tant que mot clé étant le moyen

utilisé pour déclencher cet affichage publicitaire, il ne saurait être contesté que l’annonceur

en fait un usage dans le contexte de ses activités commerciales et non dans le domaine

privé.

53 S’agissant, ensuite, du prestataire du service de référencement, il est constant que celui-ci

exerce une activité commerciale et vise un avantage économique lorsqu’il stocke, pour le

compte de certains de ses clients, des signes identiques à des marques en tant que mots clés

et organise l’affichage d’annonces à partir de ceux-ci.

54 Il est également constant que ce service n’est pas seulement fourni aux titulaires desdites

marques ou aux opérateurs habilités à commercialiser les produits ou les services de ceux-

ci, mais a, du moins dans les affaires en cause, lieu sans le consentement des titulaires et est

fourni à des concurrents de ceux-ci ou à des imitateurs.

Page 15: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 15 / 28

55 S’il ressort bien de ces éléments que le prestataire du service de référencement opère «dans

la vie des affaires» lorsqu’il permet aux annonceurs de sélectionner des signes identiques à

des marques en tant que mots clés, stocke ces signes et affiche les annonces de ses clients à

partir de ceux-ci, il n’en découle pas pour autant que ce prestataire fasse lui-même un

«usage» de ces signes au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n°

40/94.

56 À cet égard, il suffit de relever que l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du

titulaire par un tiers implique, à tout le moins, que ce dernier fasse une utilisation du signe

dans le cadre de sa propre communication commerciale. Dans le cas du prestataire d’un

service de référencement, celui-ci permet à ses clients de faire usage de signes identiques

ou similaires à des marques, sans faire lui-même un usage desdits signes.

57 Cette conclusion n’est pas infirmée par le fait que ledit prestataire est rémunéré pour

l’usage desdits signes par ses clients. En effet, le fait de créer les conditions techniques

nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service, ne signifie pas que

celui qui rend ce service fasse lui-même un usage dudit signe. Dans la mesure où il a

permis à son client de faire un tel usage, son rôle doit, le cas échéant, être examiné sous

l’angle d’autres règles de droit que les articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n°

40/94, telles que celles auxquelles fait référence le point 107 du présent arrêt.

58 Il ressort de ce qui précède que le prestataire du service de référencement ne fait pas un

usage dans la vie des affaires au sens des dispositions susvisées de la directive 89/104 et du

règlement n° 40/94.

59 Il s’ensuit que les conditions afférentes à l’usage «pour des produits ou des services» et à

l’atteinte aux fonctions de la marque doivent seulement être examinées par rapport à

l’usage du signe identique à la marque par l’annonceur.

b) Usage «pour des produits ou des services»

60 L’expression «pour des produits ou des services» identiques à ceux pour lesquels la marque

est enregistrée, figurant aux articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9,

paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 porte, en principe, sur les produits ou les

services du tiers qui fait usage du signe identique à la marque [voir arrêts du 25 janvier

2007, Adam Opel, C-48/05, Rec. p. I-1017, points 28 et 29, ainsi que du 12 juin 2008, O2

Holdings et O2 (UK), C-533/06, Rec. p. I-4231, point 34]. Le cas échéant, elle peut

également porter sur les produits ou les services d’une autre personne pour le compte de

laquelle le tiers agit (voir ordonnance UDV North America, précitée, points 43 à 51).

61 Ainsi que la Cour l’a déjà constaté, les comportements énumérés aux articles 5, paragraphe

3, de la directive 89/104 et 9, paragraphe 2, du règlement n° 40/94, à savoir l’apposition du

signe sur les produits ou leur conditionnement, l’offre à la vente des produits ou des

services sous le signe, l’importation ou l’exportation sous le signe, et l’utilisation du signe

dans les papiers d’affaires et la publicité, constituent des usages pour des produits ou des

services (voir arrêts précités Arsenal Football Club, point 41, et Adam Opel, point 20).

Page 16: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 16 / 28

62 Les faits à l’origine du litige au principal dans l’affaire C-236/08 avoisinent certaines des

situations décrites auxdites dispositions de la directive 89/104 et du règlement n° 40/94, à

savoir l’offre des produits du tiers sous le signe identique à la marque ainsi que l’utilisation

de ce signe dans la publicité. En effet, il résulte du dossier que des signes identiques à des

marques de Vuitton sont apparus dans des annonces affichées dans la rubrique «liens

commerciaux».

63 En revanche, les cas visés par les affaires C-237/08 et C-238/08 sont caractérisés par

l’absence, dans l’annonce du tiers, du signe identique à la marque.

64 Google soutient que, en l’absence d’une quelconque mention du signe dans l’annonce

même, l’usage dudit signe en tant que mot clé ne peut être considéré comme étant fait pour

des produits ou des services. Les titulaires de marques opposés à Google, ainsi que le

gouvernement français, défendent la thèse inverse.

65 À cet égard, il convient de rappeler que les articles 5, paragraphe 3, de la directive 89/104

et 9, paragraphe 2, du règlement n° 40/94 contiennent seulement une énumération non

exhaustive des types d’usage que le titulaire de la marque peut interdire (arrêts Arsenal

Football Club, précité, point 38; du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group

Finland, C-228/03, Rec. p. I-2337, point 28, ainsi que Adam Opel, précité, point 16). Dès

lors, la circonstance que le signe utilisé par le tiers à des fins publicitaires n’apparaît pas

dans la publicité même ne saurait signifier à elle seule que cette utilisation est étrangère à la

notion d’«usage […] pour des produits ou des services» au sens de l’article 5 de la directive

89/104.

66 Par ailleurs, une interprétation selon laquelle seuls les usages mentionnés dans ladite

énumération seraient pertinents, méconnaîtrait la circonstance que celle-ci a été rédigée

avant la pleine apparition du commerce électronique et des publicités développées dans ce

cadre. Or, ce sont ces formes électroniques de commerce et de publicité qui peuvent, par

l’emploi des technologies informatiques, typiquement donner lieu à des usages différents de

ceux énumérés aux articles 5, paragraphe 3, de la directive 89/104 et 9, paragraphe 2, du

règlement n° 40/94.

67 Dans le cas du service de référencement, il est constant que l’annonceur ayant sélectionné

en tant que mot clé le signe identique à une marque d’autrui, vise à ce que les internautes

introduisant ce mot en tant que terme de recherche cliqueront non seulement sur les liens

affichés qui proviennent du titulaire de ladite marque, mais également sur le lien

promotionnel dudit annonceur.

68 Il est clair, également, que, dans la plupart des cas, l’internaute introduisant le nom d’une

marque en tant que mot de recherche vise à trouver des informations ou des offres sur les

produits ou les services de cette marque. Dès lors, lorsque sont affichés, à côté ou au-dessus

des résultats naturels de la recherche, des liens promotionnels vers des sites proposant des

produits ou des services de concurrents du titulaire de ladite marque, l’internaute peut, s’il

n’écarte pas d’emblée ces liens comme étant sans pertinence et ne les confond pas avec

ceux du titulaire de la marque, percevoir lesdits liens promotionnels comme offrant une

alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de la marque.

Page 17: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 17 / 28

69 Dans cette situation caractérisée par le fait qu’un signe identique à une marque est

sélectionné en tant que mot clé par un concurrent du titulaire de la marque dans le but de

proposer aux internautes une alternative par rapport aux produits ou aux services dudit

titulaire, il y a usage dudit signe pour les produits ou les services dudit concurrent.

70 Il convient de rappeler, à cet égard, que la Cour a déjà jugé qu’un annonceur qui utilise,

dans le cadre d’une publicité comparative, un signe identique ou similaire à la marque d’un

concurrent afin d’identifier, explicitement ou implicitement, les produits ou les services

offerts par ce dernier et de comparer ses propres produits ou services avec ceux-ci, fait un

usage dudit signe «pour des produits ou des services» au sens de l’article 5, paragraphe 1,

de la directive 89/104 [voir arrêts précités O2 Holdings et O2 (UK), points 35, 36 et 42,

ainsi que L’Oréal e.a., points 52 et 53].

71 Or, sans qu’il soit besoin d’examiner si la publicité sur Internet à partir de mots clés

identiques à des marques de concurrents constitue ou non une forme de publicité

comparative, il s’avère en tout état de cause que, à l’instar de ce qui est constaté dans la

jurisprudence citée au point précédent, l’usage que l’annonceur fait du signe identique à la

marque d’un concurrent pour que l’internaute prenne connaissance non seulement des

produits ou des services offerts par ce concurrent mais également de ceux dudit annonceur,

est un usage pour les produits ou les services de cet annonceur.

72 Par ailleurs, même dans des cas où l’annonceur ne vise pas, par son usage du signe

identique à la marque en tant que mot clé, à présenter ses produits ou ses services aux

internautes comme une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de la

marque, mais a, au contraire, pour but d’induire les internautes en erreur sur l’origine de ses

produits ou de ses services, en leur faisant croire que ceux-ci proviennent du titulaire de la

marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci, il y a usage «pour des produits

ou des services». En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, un tel usage existe en tout état de

cause lorsque le tiers utilise le signe identique à la marque de telle façon qu’il s’établit un

lien entre ledit signe et les produits commercialisés ou les services fournis par le tiers (arrêt

Céline, précité, point 23, et ordonnance UDV North America, précitée, point 47).

73 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’emploi par l’annonceur du

signe identique à la marque en tant que mot clé dans le cadre d’un service de référencement

sur Internet relève de la notion d’usage «pour des produits ou des services» au sens de

l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104.

74 Par la même, il s’agit d’un usage «pour des produits ou des services» au sens de l’article 9,

paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94, lorsque le signe faisant l’objet dudit usage est

identique à une marque communautaire.

c) Usage susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque

75 Le droit exclusif prévu aux articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9,

paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 a été octroyé afin de permettre au titulaire de

la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de cette marque, c’est-à-

Page 18: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 18 / 28

dire d’assurer que cette dernière puisse remplir ses fonctions propres. Dès lors, l’exercice

de ce droit doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte

ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque (voir, notamment, arrêts

précités Arsenal Football Club, point 51; Adam Opel, points 21 et 22, ainsi que L’Oréal

e.a., point 58).

76 Il résulte de cette jurisprudence que le titulaire de la marque ne saurait s’opposer à l’usage

d’un signe identique à la marque, si cet usage n’est susceptible de porter atteinte à aucune

des fonctions de celle-ci (arrêts précités Arsenal Football Club, point 54, ainsi que L’Oréal

e.a., point 60).

77 Parmi ces fonctions figurent non seulement la fonction essentielle de la marque qui est de

garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (ci-après la «fonction

d’indication d’origine»), mais également les autres fonctions de celle-ci, comme

notamment celle consistant à garantir la qualité de ce produit ou de ce service, ou celles de

communication, d’investissement ou de publicité (arrêt L’Oréal e.a., précité, point 58).

78 La protection conférée par les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9,

paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 est, à cet égard, plus étendue que celle prévue

aux mêmes articles, paragraphe 1, sous b), dont la mise en œuvre exige l’existence d’un

risque de confusion (voir, en ce sens, arrêts précités Davidoff, point 28, ainsi que L’Oréal

e.a., point 59).

79 Il ressort de la jurisprudence rappelée ci-dessus que dans l’hypothèse, visée aux articles 5,

paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n°

40/94, où l’usage par un tiers d’un signe identique à la marque est fait pour des produits ou

des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, le titulaire de la

marque est habilité à interdire cet usage si celui-ci est susceptible de porter atteinte à l’une

des fonctions de la marque, qu’il s’agisse de la fonction d’indication d’origine ou de l’une

des autres fonctions.

80 Certes, le titulaire de la marque n’a pas le droit d’interdire un tel usage dans les hypothèses

d’exception énoncées aux articles 6 et 7 de la directive 89/104 et aux articles 12 et 13 du

règlement n° 40/94. Toutefois, il n’est pas affirmé que l’une de ces hypothèses soit

applicable en l’espèce.

81 En l’occurrence, les fonctions pertinentes à examiner sont la fonction d’indication d’origine

et la fonction de publicité.

i) Atteinte à la fonction d’indication d’origine

82 La fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final

l’identité d’origine du produit ou du service marqué, en lui permettant de distinguer ce

produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance (voir, en ce sens, arrêts du 29

septembre 1998, Canon, C-39/97, Rec. p. I-5507, point 28, et du 6 octobre 2005, Medion,

C-120/04, Rec. p. I-8551, point 23).

Page 19: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 19 / 28

83 La question de savoir s’il y a une atteinte à cette fonction de la marque lorsqu’est montrée

aux internautes, à partir d’un mot clé identique à une marque, une annonce d’un tiers, tel

qu’un concurrent du titulaire de cette marque, dépend en particulier de la façon dont cette

annonce est présentée.

84 Il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque l’annonce ne permet

pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et

raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce

proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci

ou, au contraire, d’un tiers (voir, en ce sens, arrêt Céline, précité, point 27 et jurisprudence

citée).

85 En effet, dans une telle situation, qui est au demeurant caractérisée par la circonstance que

l’annonce en question apparaît tout de suite après l’introduction de la marque en tant que

mot de recherche par l’internaute concerné et est affichée à un moment où la marque est,

dans sa qualité de mot de recherche, également indiquée sur l’écran, l’internaute peut se

méprendre sur l’origine des produits ou des services en cause. Dans ces circonstances,

l’usage du signe identique à la marque par le tiers en tant que mot clé déclenchant

l’affichage de ladite annonce, est de nature à accréditer l’existence d’un lien matériel dans

la vie des affaires entre les produits ou services concernés et le titulaire de la marque (voir,

par analogie, arrêts Arsenal Football Club, précité, point 56, et du 16 novembre 2004,

Anheuser-Busch, C-245/02, Rec. p. I-10989, point 60).

86 S’agissant, toujours, de l’atteinte à la fonction d’indication d’origine, il est utile de relever

que le besoin d’un affichage transparent des annonces sur Internet est souligné dans la

législation de l’Union sur le commerce électronique. Eu égard aux intérêts de la loyauté des

transactions et de la protection des consommateurs, évoqués au vingt-neuvième considérant

de la directive 2000/31, l’article 6 de cette dernière établit la règle selon laquelle la

personne physique ou morale pour le compte de laquelle une communication commerciale

relevant d’un service de la société de l’information est faite, doit être clairement

identifiable.

87 S’il s’avère ainsi que la responsabilité d’annonceurs sur Internet peut, le cas échéant, être

engagée en application de règles d’autres domaines de droit, telles que celles sur la

concurrence déloyale, il n’en demeure pas moins que le prétendu usage illicite sur Internet

de signes identiques ou similaires à des marques se prête à un examen sous l’angle du droit

des marques. Eu égard à la fonction essentielle de la marque, qui, dans le domaine du

commerce électronique, consiste notamment à permettre aux internautes parcourant les

annonces affichées en réponse à une recherche au sujet d’une marque précise, de distinguer

les produits ou les services du titulaire de cette marque de ceux qui ont une autre

provenance, ledit titulaire doit être habilité à interdire l’affichage d’annonces de tiers que

les internautes risquent de percevoir erronément comme émanant de lui.

88 Il incombe à la juridiction nationale d’apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont

elle est saisie sont caractérisés par une atteinte, ou un risque d’atteinte, à la fonction

d’indication d’origine telle que décrite au point 84 du présent arrêt.

Page 20: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 20 / 28

89 Lorsque l’annonce du tiers suggère l’existence d’un lien économique entre ce tiers et le

titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu’il y a atteinte à la fonction d’indication

d’origine.

90 Lorsque l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à tel

point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute

normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base

du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l’annonceur est un tiers

par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il

conviendra également de conclure qu’il y a atteinte à ladite fonction de la marque.

ii) Atteinte à la fonction de publicité

91 La vie des affaires étant caractérisée par une offre variée de produits et de services, le

titulaire d’une marque peut avoir non seulement l’objectif d’indiquer, par ladite marque,

l’origine de ses produits ou de ses services, mais également celui d’employer sa marque à

des fins publicitaires visant à informer et à persuader le consommateur.

92 Dès lors, le titulaire d’une marque est habilité à interdire l’usage, sans son consentement,

d’un signe identique à sa marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour

lesquels cette marque est enregistrée, lorsque cet usage porte atteinte à l’emploi de la

marque, par son titulaire, en tant qu’élément de promotion des ventes ou en tant

qu’instrument de stratégie commerciale.

93 S’agissant de l’usage, par des annonceurs sur Internet, du signe identique à la marque

d’autrui en tant que mot clé aux fins de l’affichage de messages publicitaires, il est évident

que cet usage est susceptible d’avoir certaines répercussions sur l’emploi publicitaire de

ladite marque par son titulaire ainsi que sur la stratégie commerciale de ce dernier.

94 En effet, eu égard à la place importante qu’occupe la publicité sur Internet dans la vie des

affaires, il est plausible que le titulaire de la marque inscrit sa propre marque en tant que

mot clé auprès du fournisseur du service de référencement, afin de faire apparaître une

annonce dans la rubrique «liens commerciaux». Lorsqu’il en est ainsi, le titulaire de la

marque devra, le cas échéant, accepter de payer un prix par clic plus élevé que certains

autres opérateurs économiques, s’il veut obtenir que son annonce apparaisse devant celles

desdits opérateurs qui ont également sélectionné sa marque en tant que mot clé. En outre,

même si le titulaire de la marque est prêt à payer un prix par clic plus élevé que celui offert

par les tiers ayant aussi sélectionné ladite marque, il n’a pas la certitude que son annonce

apparaisse devant celles desdits tiers, étant donné que d’autres éléments sont également pris

en compte pour déterminer l’ordre d’affichage des annonces.

95 Toutefois, ces répercussions de l’usage du signe identique à la marque par des tiers ne

constituent pas en soi une atteinte à la fonction de publicité de la marque.

96 En effet, selon les propres constatations de la juridiction de renvoi, la situation visée par les

questions préjudicielles est celle de l’affichage de liens promotionnels à la suite de

l’introduction par l’internaute d’un mot de recherche correspondant à la marque

Page 21: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 21 / 28

sélectionnée en tant que mot clé. Il est également constant, dans ces affaires, que ces liens

promotionnels sont affichés à côté ou au-dessus de la liste des résultats naturels de la

recherche. Il n’est pas contesté, enfin, que l’ordre des résultats naturels découle de la

pertinence des sites respectifs par rapport au mot de recherche introduit par l’internaute et

que l’opérateur du moteur de recherche ne revendique aucune rémunération pour

l’affichage de ces résultats.

97 Il résulte de ces éléments que, lorsque l’internaute introduit le nom d’une marque en tant

que mot de recherche, le site d’accueil et promotionnel du titulaire de ladite marque va

apparaître dans la liste des résultats naturels et cela, normalement, sur l’un des premiers

rangs de cette liste. Cet affichage, qui est en outre gratuit, a pour conséquence que la

visibilité pour l’internaute des produits ou services du titulaire de la marque est garantie,

indépendamment de la question de savoir si ce titulaire réussit ou non à faire également

afficher, sur l’un des premiers rangs, une annonce dans la rubrique «liens commerciaux».

98 Eu égard à ces circonstances, il convient de conclure que l’usage d’un signe identique à une

marque d’autrui dans le cadre d’un service de référencement tel que celui en cause dans les

affaires au principal, n’est pas susceptible de porter atteinte à la fonction de publicité de la

marque.

d) Conclusion

99 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux première question dans l’affaire C-

236/08, première question dans l’affaire C-237/08 ainsi que première et deuxième questions

dans l’affaire C-238/08, que:

– les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du

règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est

habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque

que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un

service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services

identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne

permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits

ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise

économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers;

– le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un

signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait

pas un usage de ce signe au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104 ou de

l’article 9, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement n° 40/94.

3. Sur l’interprétation des articles 5, paragraphe 2, de la directive 89/104 et 9, paragraphe

1, sous c), du règlement n° 40/9

100 Par sa deuxième question dans l’affaire C-236/08, la juridiction de renvoi demande, en

substance, si le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que

mot clé un signe correspondant à une marque renommée et organise l’affichage d’annonces

à partir de celui-ci, fait un usage de ce signe que le titulaire de ladite marque est habilité à

interdire en vertu de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 89/104 ou, lorsque ledit signe

Page 22: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 22 / 28

est identique à une marque communautaire renommée, en vertu de l’article 9, paragraphe 1,

sous c), du règlement n° 40/94.

101 Selon les constatations de la juridiction de renvoi, il est établi, dans cette affaire, que

Google permettait aux annonceurs proposant aux internautes des imitations des produits de

Vuitton de sélectionner des mots clés correspondant aux marques de Vuitton, associés à des

mots clés tels que «imitation» et «copie».

102 La Cour a déjà jugé, dans le cas d’offre à la vente d’imitations, que, lorsqu’un tiers tente

par l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée de se placer dans le

sillage de celle-ci afin de bénéficier de son pouvoir d’attraction, de sa réputation et de son

prestige, ainsi que d’exploiter, sans aucune compensation financière et sans devoir déployer

des efforts propres à cet égard, l’effort commercial déployé par le titulaire de la marque

pour créer et entretenir l’image de cette marque, le profit résultant dudit usage doit être

considéré comme indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque

(arrêt L’Oréal e.a., précité, point 49).

103 Cette jurisprudence est pertinente dans des cas où des annonceurs sur Internet offrent à la

vente, moyennant l’usage de signes identiques à des marques renommées telles que «Louis

Vuitton» ou «Vuitton», des produits qui sont des imitations des produits du titulaire

desdites marques.

104 S’agissant, toutefois, de la question de savoir si le prestataire d’un service de référencement

fait lui-même, lorsqu’il stocke ces signes, associés à des termes tels que «imitation» et

«copie», en tant que mots clés et permet l’affichage d’annonces à partir de ceux-ci, un

usage que le titulaire desdites marques est habilité à interdire, il convient de rappeler, ainsi

qu’il a été indiqué aux points 55 à 57 du présent arrêt, que ces actes du prestataire ne

constituent pas un usage au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n°

40/94.

105 Il convient, dès lors, de répondre à la deuxième question posée dans l’affaire C-236/08 que

le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un

signe identique à une marque renommée et organise l’affichage d’annonces à partir de

celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive

89/104 ou de l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94.

B – Sur la responsabilité du prestataire du service de référencement

106 Par sa troisième question dans l’affaire C-236/08, sa seconde question dans l’affaire C-

237/08 et sa troisième question dans l’affaire C-238/08, la juridiction de renvoi demande,

en substance, si l’article 14 de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu’un

service de référencement sur Internet constitue un service de la société de l’information

consistant à stocker des informations fournies par l’annonceur, de sorte que ces données

fassent l’objet d’un «hébergement» au sens de cet article et que, partant, la responsabilité

du prestataire du service de référencement ne peut être recherchée avant qu’il n’ait été

informé du comportement illicite dudit annonceur.

Page 23: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 23 / 28

107 La section 4 de la directive 2000/31 comprenant les articles 12 à 15 et portant l’intitulé

«Responsabilité des prestataires intermédiaires» vise à restreindre les cas de figure dans

lesquels, conformément au droit national applicable en la matière, la responsabilité des

prestataires de services intermédiaires peut être engagée. C’est donc dans le cadre de ce

droit national que les conditions pour constater une telle responsabilité doivent être

recherchées, étant toutefois entendu que, en vertu de la section 4 de cette directive, certains

cas de figure ne sauraient donner lieu à une responsabilité des prestataires de services

intermédiaires. Depuis l’expiration du délai de transposition de ladite directive, les règles

de droit national concernant la responsabilité de tels prestataires doivent comporter les

limitations énoncées auxdits articles.

108 Vuitton, Viaticum et CNRRH soutiennent, toutefois, qu’un service de référencement tel

qu’AdWords n’est pas un service de la société de l’information tel que défini auxdites

dispositions de la directive 2000/31, de sorte que le prestataire d’un tel service ne saurait en

aucun cas bénéficier desdites limitations de responsabilité. Google et la Commission des

Communautés européennes sont de l’avis contraire.

109 La limitation de responsabilité énoncée à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31

s’applique en cas de «fourniture d’un service de la société de l’information consistant à

stocker des informations fournies par un destinataire du service» et signifie que le

prestataire d’un tel service ne peut être tenu responsable pour les données qu’il a stockées à

la demande d’un destinataire dudit service à moins que ce prestataire, après avoir, à l’aide

d’une information fournie par une personne lésée ou autrement, pris connaissance du

caractère illicite de ces données ou d’activités dudit destinataire, n’ait pas promptement

retiré ou rendu inaccessibles lesdites données.

110 Ainsi qu’il a été indiqué aux points 14 et 15 du présent arrêt, le législateur a défini la notion

de «service de la société de l’information» comme englobant les services qui sont prestés à

distance au moyen d’équipements électroniques de traitement et de stockage de données, à

la demande individuelle d’un destinataire de services et, normalement, contre rémunération.

Eu égard aux caractéristiques, résumées au point 23 du présent arrêt, du service de

référencement en cause dans les affaires au principal, il y a lieu d’en conclure que celui-ci

réunit l’ensemble des éléments de cette définition.

111 Il ne saurait, en outre, être contesté que le prestataire d’un service de référencement

transmet des informations du destinataire dudit service, à savoir l’annonceur, sur un réseau

de communication ouvert aux internautes et stocke, c’est-à-dire met en mémoire sur son

serveur, certaines données, telles que les mots clés sélectionnés par l’annonceur, le lien

promotionnel et le message commercial accompagnant celui-ci, ainsi que l’adresse du site

de l’annonceur.

112 Encore faut-il, pour que le stockage effectué par le prestataire d’un service de

référencement relève de l’article 14 de la directive 2000/31, que le comportement de ce

prestataire se limite à celui d’un «prestataire intermédiaire» au sens voulu par le législateur

dans le cadre de la section 4 de cette directive.

Page 24: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 24 / 28

113 Il découle, à cet égard, du quarante-deuxième considérant de la directive 2000/31 que les

dérogations en matière de responsabilité prévues par cette directive ne couvrent que les cas

où l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information revêt un

caractère «purement technique, automatique et passif», impliquant que ledit prestataire «n’a

pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées».

114 Dès lors, afin de vérifier si la responsabilité du prestataire du service de référencement

pourrait être limitée au titre de l’article 14 de la directive 2000/31, il convient d’examiner si

le rôle exercé par ledit prestataire est neutre, en ce que son comportement est purement

technique, automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des

données qu’il stocke.

115 S’agissant du service de référencement en cause dans les affaires au principal, il ressort du

dossier et de la description figurant aux points 23 et suivants du présent arrêt que Google

procède, à l’aide des logiciels qu’elle a développés, à un traitement des données introduites

par des annonceurs et qu’il en résulte un affichage des annonces sous des conditions dont

Google a la maîtrise. Ainsi, Google détermine l’ordre d’affichage en fonction, notamment,

de la rémunération payée par les annonceurs.

116 Il y a lieu de relever que la seule circonstance que le service de référencement soit payant,

que Google fixe les modalités de rémunération, ou encore qu’elle donne des

renseignements d’ordre général à ses clients, ne saurait avoir pour effet de priver Google

des dérogations en matière de responsabilité prévues par la directive 2000/31.

117 De même, la concordance entre le mot clé sélectionné et le terme de recherche introduit par

un internaute ne suffit pas en soi pour considérer que Google a une connaissance ou un

contrôle des données introduites dans son système par les annonceurs et mises en mémoire

sur son serveur.

118 Est en revanche pertinent, dans le cadre de l’examen visé au point 114 du présent arrêt, le

rôle joué par Google dans la rédaction du message commercial accompagnant le lien

promotionnel ou dans l’établissement ou la sélection des mots clés.

119 C’est eu égard aux considérations qui précèdent qu’il appartient à la juridiction nationale,

qui est la mieux à même de connaître les modalités concrètes de la fourniture du service

dans les affaires au principal, d’apprécier si le rôle ainsi exercé par Google correspond à

celui décrit au point 114 du présent arrêt.

120 Il s’ensuit qu’il convient de répondre aux troisième question dans l’affaire C-236/08,

seconde question dans l’affaire C-237/08 et troisième question dans l’affaire C-238/08 que

l’article 14 de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que la règle y énoncée

s’applique au prestataire d’un service de référencement sur Internet lorsque ce prestataire

n’a pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des

données stockées. S’il n’a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable

pour les données qu’il a stockées à la demande d’un annonceur à moins que, ayant pris

Page 25: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 25 / 28

connaissance du caractère illicite de ces données ou d’activités de cet annonceur, il n’ait

pas promptement retiré ou rendu inaccessibles lesdites données.

IV – Sur les dépens

121 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé

devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais

exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne

peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1) Les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21

décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, et 9,

paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la

marque communautaire, doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est

habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque

que cet annonceur a sans le consentement dudit titulaire sélectionné dans le cadre d’un

service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services

identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne

permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute moyen de savoir si les produits

ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise

économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.

2) Le prestataire d’un service de référencement sur Internet qui stocke en tant que mot clé un

signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait

pas un usage de ce signe au sens de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/104 ou

de l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 40/94.

3) L’article 14 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin

2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et

notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le

commerce électronique»), doit être interprété en ce sens que la règle y énoncée s’applique

au prestataire d’un service de référencement sur Internet lorsque ce prestataire n’a pas joué

un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées.

S’il n’a pas joué un tel rôle, ledit prestataire ne peut être tenu responsable pour les données

qu’il a stockées à la demande d’un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du

caractère illicite de ces données ou d’activités de cet annonceur, il n’ait pas promptement

retiré ou rendu inaccessibles lesdites données.

Signatures

Page 26: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 26 / 28

Presse et

Information

Cour de justice de l’Union européenne

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 32/10

Luxembourg, le 23 mars 2010

Arrêt dans les affaires jointes C-236/08 à C-238/08

Google France SARL & Google Inc. e.a./Louis Vuitton Malletier SA e.a.

Google n'a pas enfreint le droit des marques en permettant aux annonceurs d'acheter des

mots clés correspondant aux marques de leurs concurrents

Les annonceurs, quant à eux, ne peuvent pas, au moyen de tels mots clés, faire afficher par

Google des annonces qui ne permettent pas aux internautes de comprendre facilement de quelle

entreprise proviennent les produits ou services visés par ces annonces

Le droit communautaire des marques3

habilite, sous certaines conditions, les titulaires de marques

d'interdire aux tiers l’usage de signes identiques ou similaires à leurs marques pour des produits

ou des services équivalents à ceux pour lesquels celles-ci sont enregistrées.

Google exploite un moteur de recherche sur Internet. Lorsqu’un internaute effectue une recherche

à partir d’un ou de plusieurs mots clés, le moteur de recherche va afficher les sites qui paraissent

correspondre le mieux à ces mots clés par ordre décroissant de pertinence. Il s’agit de résultats

dits « naturels » de la recherche.

Par ailleurs, Google propose un service de référencement payant dénommé « AdWords ». Ce

service permet à tout opérateur économique, moyennant la sélection d’un ou de plusieurs mots

clés, de faire apparaître – en cas de concordance entre ce ou ces mots et celui ou ceux contenus

dans la requête adressée par un internaute au moteur de recherche – un lien promotionnel vers

son site, accompagné d'un message publicitaire. Cette annonce apparaît dans la rubrique « liens

commerciaux », qui est affichée soit en partie droite de l’écran, à droite des résultats naturels, soit

en partie supérieure de l’écran, au-dessus de ces résultats.

Vuitton, titulaire de la marque communautaire « Vuitton » et des marques nationales françaises «

Louis Vuitton » et « LV », Viaticum, titulaire des marques françaises « Bourse des Vols », «

Bourse des Voyages » et « BDV », ainsi que M. T., titulaire de la marque française «

Eurochallenges », ont constaté que, lors de l’utilisation du moteur de recherche de Google, la

saisie par les internautes des termes constituant ces marques faisait apparaître, dans la rubrique «

liens commerciaux », des liens vers, respectivement, des sites proposant des imitations de

produits de Vuitton et vers des sites de concurrents de Viaticum et du Centre national de

3

Première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les

marques (JO 1989, L 40, p. 1), règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO

1994, L 11, p. 1).

Page 27: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 27 / 28

recherche en relations humaines. Ils ont donc assigné Google afin de faire constater que celle-ci

avait porté atteinte à leurs marques.

La Cour de cassation, statuant en dernier ressort sur les procédures introduites par les titulaires

des marques à l'encontre de Google, a interrogé la Cour de justice sur la légalité de l’emploi, en

tant que mots clés dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de signes

correspondant à des marques, sans que les titulaires de celles-ci n’aient donné leur consentement.

Sur l’emploi de mots clés correspondant à des marques d’autrui dans le cadre d’un service de

référencement sur Internet

La Cour observe qu'en achetant le service de référencement et en choisissant en tant que mot clé

un signe correspondant à une marque d’autrui, dans le but de proposer aux internautes une

alternative par rapport aux produits ou aux services dudit titulaire, l'annonceur fait un usage de ce

signe pour ses produits ou services. Tel n'est toutefois pas le cas s'agissant du prestataire du

service de référencement, lorsqu’il permet aux annonceurs de sélectionner des signes identiques à

des marques en tant que mots clés, stocke ces signes et affiche les annonces de ses clients à partir

de ceux-ci.

La Cour précise que l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du titulaire par un tiers

implique, à tout le moins, que ce dernier fasse une utilisation du signe dans le cadre de sa propre

communication commerciale. Dans le cas du prestataire d’un service de référencement, celui-ci

permet à ses clients, à savoir aux annonceurs, de faire usage de signes identiques ou similaires à

des marques, sans faire lui-même un usage de ces signes.

Si une marque a été utilisée en tant que mot clé, le titulaire de celle-ci ne peut donc pas invoquer

le droit exclusif qu'il tire de sa marque contre Google. Il peut en revanche invoquer ce droit

contre les annonceurs qui, au moyen du mot clé correspondant à sa marque, font afficher par

Google des annonces qui ne permettent pas ou permettent difficilement à l'internaute moyen de

savoir de quelle entreprise proviennent les produits ou services visés par l'annonce.

En effet, dans une telle situation – caractérisée par la circonstance que l’annonce en question

apparaît tout de suite après l’introduction de la marque en tant que mot de recherche par

l’internaute concerné et est affichée à un moment où la marque est, dans sa qualité de mot de

recherche, également indiquée sur l’écran – l’internaute peut se méprendre sur l’origine des

produits ou des services en cause. Il y a alors atteinte à la fonction de la marque consistant à

garantir aux consommateurs la provenance du produit ou du service (« fonction d’indication

d’origine » de la marque).

Il incombe à la juridiction nationale d’apprécier, au cas par cas, si les faits du litige dont elle est

saisie sont caractérisés par une telle atteinte, ou un risque d’une telle atteinte, à la fonction

d’indication d’origine.

S’agissant de l’usage, par des annonceurs sur Internet, du signe correspondant à la marque

d’autrui en tant que mot clé aux fins de l’affichage de messages publicitaires, la Cour considère

encore que cet usage est susceptible d’avoir certaines répercussions sur l’emploi publicitaire de la

marque par son titulaire ainsi que sur la stratégie commerciale de ce dernier. Toutefois, ces

Page 28: CJUE - Cour de justice de l’Union européenne · PDF fileABS / BE Jurisprudence 260816 Page 3 / 28 I – Le cadre juridique A – La directive 89/104 3 L¶article 5 de la directive

ABS / BE Jurisprudence

260816 Page 28 / 28

répercussions de l’usage du signe identique à la marque par des tiers ne constituent pas en soi une

atteinte à la « fonction de publicité » de la marque.

Sur la responsabilité du prestataire du service de référencement

La Cour a également été interrogée sur la responsabilité d'un opérateur tel que Google pour les

données de ses clients qu'il stocke sur son serveur.

Les questions de responsabilité sont réglées par le droit national. Néanmoins, le droit de l'Union

prévoit des limitations de responsabilité en faveur de prestataires intermédiaires de services de la

société de l'information.4

S'agissant de la question de savoir si un service de référencement sur Internet, tel que « AdWords

», constitue un service de la société de l’information consistant à stocker des informations

fournies par l’annonceur et que, partant, le prestataire du service de référencement bénéficie d'une

limitation de responsabilité, la Cour relève qu'il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si

le rôle exercé par ce prestataire est neutre, en ce que son comportement est purement technique,

automatique et passif, impliquant l’absence de connaissance ou de contrôle des données qu’il

stocke.

S’il s'avère qu'il n’a pas joué un rôle actif, ce prestataire ne peut être tenu responsable pour les

données qu’il a stockées à la demande d’un annonceur à moins que, ayant pris connaissance du

caractère illicite de ces données ou d’activités de cet annonceur, il n’ait pas promptement retiré

ou rendu inaccessibles ces données.

RAPPEL: Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un

litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l’Union ou sur la

validité d'un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la

juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision

lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème

similaire.

Document non officiel à l’usage des médias, qui n’engage pas la Cour de justice.

Le texte intégral de l’arrêt est publié sur le site CURIA le jour du prononcé.

Contact presse: Marie-Christine Lecerf (+352) 4303 3205

Des images du prononcé de l'arrêt sont disponibles sur "Europe by Satellite" (+32) 2 2964106

4

Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de

la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce

électronique») (JO L 178, p. 1).