cas no 2. dermatoses bulleuses

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Annales de pathologie (2013) 33, 184—186 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com HISTOSÉMINAIRE SFP Cas n o 2. Dermatoses bulleuses Case No. 2. Bullous dermatosis Janine Wechsler Département de pathologie, hôpital Henri-Mondor, AP—HP, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil, France Accepté pour publication le 9 avril 2013 Disponible sur Internet le 3 juin 2013 Renseignements cliniques Patient de 42 ans, d’origine portugaise, hospitalisé pour l’apparition brutale d’arthralgies des genoux avec extension secondaire aux chevilles, aux poignets, aux coudes et aux épaules. Une éruption cutanée est survenue en parallèle, faite de vésiculobulles non pru- rigineuses prédominant sur le tronc avec atteinte des quatre membres (Fig. 1). Le patient se plaignait également d’une paralysie faciale périphérique gauche. Diagnostic Lupus érythémateux bulleux. Description histologique La biopsie a intéressé une bulle récente du poignet. Elle montre une ébauche de décol- lement (Fig. 2) et une bulle sous-épidermique à toit intact (Fig. 3). Dans la zone de clivage et dans le plancher dermique s’observe un infiltrat riche en polynucléaires neutro- philes. À côté de la bulle s’observe une margination sous-épidermique de polynucléaires neutrophiles (Fig. 4), sans nécrose kératinocytaire ce qui distingue cette lésion d’une der- matose lichénoïde. La margination des polynucléaires neutrophiles précède la bulle. Dans le derme, des infiltrats sont localisés autour des vaisseaux du plexus superficiel. Ils sont polymorphes et ne s’accompagnent pas de vascularite leucocytoclasique. Ces lésions orientent vers une dermatose bulleuse auto-immune (DBAI) de la jonction dermoépidermique. En raison de la nature neutrophilique de l’infiltrat, une dermatose à IgA linéaire et une dermatite herpétiforme pourraient être évoquées, mais l’association à un contexte général inflammatoire avec notamment des arthralgies et une atteinte nerveuse périphérique fait envisager la possibilité d’un lupus érythémateux bulleux. Adresses e-mail : [email protected], [email protected]. 0242-6498/$ see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.04.008

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Page 1: Cas no 2. Dermatoses bulleuses

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nnales de pathologie (2013) 33, 184—186

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

ISTOSÉMINAIRE SFP

as no 2. Dermatoses bulleuses

ase No. 2. Bullous dermatosis

Janine Wechsler

Département de pathologie, hôpital Henri-Mondor, AP—HP, 51, avenue duMaréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil, France

Accepté pour publication le 9 avril 2013Disponible sur Internet le 3 juin 2013

Renseignements cliniques

Patient de 42 ans, d’origine portugaise, hospitalisé pour l’apparition brutale d’arthralgiesdes genoux avec extension secondaire aux chevilles, aux poignets, aux coudes et aux

épaules. Une éruption cutanée est survenue en parallèle, faite de vésiculobulles non pru-rigineuses prédominant sur le tronc avec atteinte des quatre membres (Fig. 1). Le patientse plaignait également d’une paralysie faciale périphérique gauche.

Diagnostic

Lupus érythémateux bulleux.

Description histologique

La biopsie a intéressé une bulle récente du poignet. Elle montre une ébauche de décol-lement (Fig. 2) et une bulle sous-épidermique à toit intact (Fig. 3). Dans la zone declivage et dans le plancher dermique s’observe un infiltrat riche en polynucléaires neutro-philes. À côté de la bulle s’observe une margination sous-épidermique de polynucléairesneutrophiles (Fig. 4), sans nécrose kératinocytaire ce qui distingue cette lésion d’une der-matose lichénoïde. La margination des polynucléaires neutrophiles précède la bulle. Dansle derme, des infiltrats sont localisés autour des vaisseaux du plexus superficiel. Ils sontpolymorphes et ne s’accompagnent pas de vascularite leucocytoclasique.

Ces lésions orientent vers une dermatose bulleuse auto-immune (DBAI) de la jonctiondermoépidermique. En raison de la nature neutrophilique de l’infiltrat, une dermatose àIgA linéaire et une dermatite herpétiforme pourraient être évoquées, mais l’associationà un contexte général inflammatoire avec notamment des arthralgies et une atteintenerveuse périphérique fait envisager la possibilité d’un lupus érythémateux bulleux.

Adresses e-mail : [email protected], [email protected].

242-6498/$ — see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.04.008

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Cas no 2. Dermatoses bulleuses

Figure 1. Aspect clinique des lésions cutanées : éruption de vési-culobulles sur le tronc.Clinical aspect of the cutaneous lesions: vesicles and bullae overthe trunk.

Commentaires

Le lupus érythémateux est une maladie qui peut se présentersous une forme chronique, aiguë ou subaiguë.

Le lupus chronique (ou discoïde) se traduit par dessignes purement cutanés. Cliniquement, le terrain de pré-dilection est la femme jeune. Les lésions prédominentdans les régions photo-exposées. Ce sont des plaquesérythémato-squameuses d’installation progressive ; ellessont persistantes et évoluent vers une atrophie avec parfoisalopécie. Histologiquement, les lésions sont principalementreprésentées par des altérations des basales, épidermiqueet pilaire, associées à un infiltrat lichénoïde, et par des infil-trats lymphocytaires périvasculaires et péripilaires profondsavec souvent des dépôts de mucine dermique.

Figure 2. Aspect histologique d’une lésion bulleuse : ébauche dedécollement sous-épidermique à toit intact. L’espace ainsi formécontient des éléments inflammatoires, en particulier des polynu-cléaires neutrophiles que l’on retrouve autour des capillaires duderme superficiel discrètement œdémateux (HES, × 400).Histological aspect of a bullous lesion: an early cleavage is seenwith overlying normal epidermis. Between the epidermis and thedermis, in the bulla, inflammatory cells, especially neutrophils,are seen, also observed around capillaries in the superficial dermis(HES, ×400).

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Figure 3. Aspect histologique d’une lésion bulleuse : bulle sous-

épidermique à toit intact contenant des polynucléaires neutrophiles(HES, × 25).Sub-epidermal bulla with normal cleaved epidermis associated withneutrophils (HES, ×25).

Le lupus érythémateux aigu ou systémique comporte unsyndrome inflammatoire, des signes extracutanés commedes arthralgies, une atteinte neurologique, des lésions vis-cérales et des signes biologiques, notamment des anticorpsantinucléaires circulants. Les signes cutanés peuvent êtreidentiques à ceux de la forme chronique, mais ils sont sou-vent plus discrets voire absents ou se résument à une simplephotosensibilité.

Le lupus subaigu se caractérise par une photosensibilitésouvent au premier plan, par une atteinte viscérale incons-tante, moins sévère que celle observée dans le lupus aiguet par la présence fréquente mais inconstante d’anticorpscirculants anti-RoSSA.

L’immunofluorescence directe (IFD) des lésions cutanéesde lupus montre dans 60 % des cas environ des dépôts d’IgGsous forme d’une bande granuleuse continue le long de labasale épidermique et des gaines pilaires : ils sont associéssouvent à des dépôts de C3 et d’IgM et parfois d’IgA. Dans lelupus systémique, l’IFD peut être positive en peau saine.

Figure 4. Aspect histologique d’une lésion débutante prébul-leuse : margination sous-épidermique de polynucléaires neutro-philes précédant le décollement. Absence de nécrose kératinocy-taire (HES, × 400).Histological aspect of an early, pre-bullous lesion, showing neutro-phils aligned along the basement membrane zone and no apoptoticbodies (HES, ×400).

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La survenue de bulles peut s’observer dans diverses cir-onstances au cours du lupus érythémateux.

Dans le lupus chronique ou discoïde, ce sont des éro-ions plutôt que de véritables bulles. Elles sont secondaires

l’atrophie progressive de l’épiderme et aux altérationsacuolaires et nécrotiques de la basale.

Au cours du lupus aigu et subaigu, s’observent des lésionsulleuses de cause variable.

Une éruption bulleuse à type d’érythème polymorphe,éfinissant le syndrome de Rowell [1], a été rapportée ainsiue d’autres causes de bulles, notamment des vascularites,es toxidermies et des lésions évoquant un syndrome de Lyellu de Stevens-Johnson [2].

L’affection connue sous le terme de lupus érythéma-eux bulleux désigne une forme rare de (DBAI) qui s’observeans le lupus subaigu, qu’il soit spontané [3] ou induit pares médicaments [4]. Une éruption vésiculobulleuse parfoistendue survient le plus souvent dans le cadre d’un lupusonnu, mais elle peut être inaugurale, parfois déclenchéear une exposition solaire [5]. Cette présentation inhabi-uelle peut être la source d’un retard au diagnostic. Laiscussion entre un lupus bulleux et une réaction de photo-ensibilité ou de phototoxicité peut se poser. Cliniquemente caractère multiple et intact des bulles et leur siège labialu niveau du vermillon seraient des arguments en faveuru lupus érythémateux bulleux [6]. Mais le diagnostic est enait établi sur l’ensemble des données cliniques, histopatho-ogiques et de l’IFD.

L’IFD est indispensable pour confirmer le diagnostic. Elleontre un dépôt linéaire et/ou granuleux d’IgG sur la

onction dermoépidermique. Des dépôts d’IgM et/ou d’IgAeuvent être associés.

L’antigène-cible est variable. Des anticorps circulantsnti-collagène VII [7] définissent une forme de lupus bul-eux proche de l’épidermolyse bulleuse acquise (EBA) maisls sont inconstants.

D’un point de vue thérapeutique, la corticothérapie estfficace sur les lésions de lupus érythémateux bulleux.

iagnostic différentiel

vant le résultat de l’IFD, on peut discuter des pathologiesulleuses non auto-immunes associées à un infiltrat neutro-hilique :un syndrome de Sweet bulleux, mais dans cette hypothèsel’infiltrat neutrophilique est habituellement dermiquediffus ;une toxidermie bulleuse mais l’épiderme est alors souventle siège d’une nécrose plus ou moins importante ;une vascularite, notamment un purpura rhumatoïde, maisles vaisseaux sont alors altérés ;une infection à staphylocoques, notamment un impétigobulleux, mais la bulle est plus superficielle, sous-cornée etl’infiltrat moins riche en polynucléaires neutrophiliques.

Le résultat de l’IFD fait éliminer d’autres maladies bul-euses auto-immunes de la jonction, notamment :

un lichen pemphigoïde qui se caractérise par un dépôtlinéaire d’IgG comme dans une pemphigoïde bulleuse.De plus, l’infiltrat dermique comporte plutôt des poly-nucléaires éosinophiles mêlés de lymphocytes ;une dermatose à IgA linéaire ou une dermatite herpéti-forme qui auraient pu être évoquées sur la présence depolynucléaires neutrophiles sont éliminées, car le dépôt

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J. Wechsler

en IFD est un dépôt jonctionnel d’IgA linéaire dans la pre-mière, granuleux et/ou fibrillaire de siège jonctionnel etintrapapillaire dans la seconde ;il est plus difficile d’éliminer une EBA. Le lupus bulleuxpeut également se traduire en IFD par un dépôt d’IgGlinéaire qui correspond à un anti-collagène VII commedans l’EBA. C’est l’association à d’autres lésions cutanéeslupiques et à des signes systémiques de lupus qui permetde conclure.

POINTS IMPORTANTS À RETENIR

Le lupus érythémateux bulleux est une cause rare de(DBAI) de la jonction dermoépidermique.

Le contexte clinique est le plus souvent un lupussubaigu, avec photosensibilité et présence inconstanted’anticorps circulants anti-RoSSA.

La lésion histologique est une bulle sous-épidermique à toit intact, débutant par unemargination de polynucléaires neutrophiles.

L’infiltrat est riche en polynucléaires neutrophiles.Le diagnostic repose sur le résultat de l’IFD qui

montre un dépôt d’IgG sur la basale ce qui ledistingue des autres DBAI de la jonction avec infiltratneutrophilique, notamment de la dermatose à IgAlinéaire et de la dermatite herpétiforme.

Dans certains cas de lupus érythémateux bulleux,l’antigène-cible est le collagène VII, ce qui rapprochecette entité de l’EBA.

éclaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

1] Torchia D. Rowell syndrome categorized as cutaneous lupuserythematosus subtype. J Am Acad Dermatol 2012;67:417—21.

2] Ziemer M, Kardaun SH, Liss Y, Mockenhaupt M. Stevens-Johnsonsyndrome and toxic epidermal necrolysis in patients withlupus erythematosus: a descriptive study of 17 cases from anational registry and review of the literature. Br J Dermatol2012;166:575—600.

3] Pinto-Almeida T, Sanches M, Alves R, Selores M. Vesico-bulloussubacute cutaneous lupus erythematosus-An uncommon entitysuccessfully treated with dapsone and hydroxychloroquine. Der-matol Online J 2012;18:13.

4] Seo JY, Byun HJ, Cho KH, Lee EB. Methimazole-induced bulloussystemic lupus erythematosus: a case report. J Korean Med Sci2012;27:818—21.

5] Nasongkhla P, Pratchyapruit W, Tagami H. Bullous systemic lupuserythematosus induced by UVB: report a case. J Med Assoc Thai2012;95:969—73.

6] Nico MMS, Lourenco SV. Multiple blisters along the lip vermilionare a clue to bullous lupus erythematosus. Acta Derm Venereol2012;92:404—5.

7] Nitta Y, Kawamura C, Hashimoto T. Vesiculobullous syste-mic lupus erythematosus: a case with circulating IgG andIgA autoantibodies to type VII collagen. J Am Acad Dermatol2002;47:S283—6.